Economie Japonaise et Intégration Régionale en Asie
« La forte contraction de l'économie à la fin de 2019 augmente le risque de
récession et souligne le mauvais point de départ du Japon pour lutter contre les effets indésirables liés au virus. » annonçait l’économiste Piya Sachdeva1, un rapide rappel historique sur les vingt dernières années s’impose. Au début des années 1990, l’Etat japonais régule fortement le marché2. Les entreprises ont ainsi une fonction sociale de protection des salariés et peu de pouvoir est donné aux actionnaires dans les entreprises. Les ménages préfèrent épargner que consommer. Le cadre et donc le suivant: une économie fermée avec un objectif de rattrapage. La mondialisation définit comme « règles libérales d’économie ouverte et centrée sur le marché » est donc un « porte-à-faux » avec la situation japonaise. Pour faire face à cette situation, une reprise a eu lieu entre 2002 et 2007. Evelyne Dourille-Feer dans L’économie du Japon3 explique que « le retournement conjoncturel de 2002 a marqué le démarrage au Japon du plus long boom économique de l’après-guerre de février 2002 à octobre 2007 ». Cependant, ce constat est à nuancer: les emplois précaires ont augmenté alors que les salaires nominaux ont baissé par exemple. Ainsi, grâce aux restructurations industrielles et financières mais aussi à la poursuite des efforts de Recherches et Développement et à l’ouverture à l’international, le Japon semblait s’être doté d’éléments stabilisateurs pour sa croissance. Cependant, à l’heure actuelle, le Japon souffre de déflation et d’une croissance lente. Les «Abenomics» de Shinzo Abe n’ont pas réussi à corriger les prix bas, les importations coûteuses et un ratio dette / PIB élevé. Ainsi, le nouveau premier ministre Yoshihide Suga à annoncer un plan investissant dans la digitalisation et la décarbonisation de l’économie. Pour favoriser ces nouvelles sources de croissance, quels éléments économiques peuvent être considérés comme primordiaux pour parvenir à l’objectif annoncé par le gouvernement? Tout d’abord, afin de tendre vers une nouvelle croissance plus verte et numérique, le Japon va obligatoirement faire davantage d’investissements à long terme. Il y a 2 ans, le Japon avait adopté son 5ème plan fondamental de l’énergie avec un désir d’augmenter le recours aux énergies 1 Piya SACHDEVA « Le coronavirus va frapper une économie japonaise déjà fragile », Schroders, 09/01/2021 2 TAKAGI, KANCHOOCHAT, SONOBE « The Nexus of Developmental Policy and State Building », 2019 3 Evelyne Dourille-Feer, L’Economie du Japon, La Découverte, 2005
renouvelables et de renouveler les centrales nucléaires afin de réduire la
part des énergies fossiles4. Aujourd’hui, les mesures visant à renforcer la compétitivité du Japon doivent, selon le gouvernement, obligatoirement contribuer aussi à améliorer la croissance à long terme. Pour cela d’un côté, l’inflation de l’année prochaine se verra augmenter en raison de l’inflation énergétique. Cependant, cette inflation à court terme ne suffira pas et les japonais vont en effet devoir investir massivement à long terme. Depuis longtemps, le Japon a un marché très cyclique, ce qui sera un atout pour le pays car il pourra s’appuyer sur son cycle industriel pour dynamiser son économie. Ainsi, le dernier programme budgétaire proposé au Cabinet inscrit en deuxième plus importante dépense, les investissements pour améliorer la digitalisation et les capacités logicielles ainsi que réduire les émissions de carbone. Ensuite, le gouvernement japonais va probablement devoir booster une nouvelle dynamique dans le monde des entreprises. En effet, il compte améliorer leur gouvernance tout en étant plus strict sur certaines règles (dont sur l’environnement) en révisant le Code de gouvernance d’entreprise. De plus, l’économiste japonais Ken Maeda, responsable de la gestion actions japonaises « Outre l’amélioration de la gouvernance, nous pensons également que l’expérience de 2020 accélérera l’influence des facteurs sociaux et environnementaux dans la détermination des niveaux de cours des actions individuelles »5. Ceci est possible car le Japon a une économie mixte basée sur le capitalisme6. Son gouvernement travaille en étroite collaboration avec l'industrie et sa banque centrale travaille en étroite collaboration avec le gouvernement; ce qui fait que les entreprises restent très dépendantes des lois décidées par le gouvernement. Une des solutions pour le gouvernement japonais pourrait par exemple être de supprimer le Keiretsu7. Le Keiretsu est la relation interdépendante structurée entre les fabricants, les fournisseurs et les distributeurs. Cela permet au pouvoir de type monopole du fabricant de contrôler la chaîne d'approvisionnement. Les nouveaux entrepreneurs innovants ne peuvent pas rivaliser avec le keiretsu à bas prix. Cela décourage également les investissements directs étrangers. Les entreprises non japonaises ne peuvent pas concurrencer les avantages du keiretsu. Enfin, avec les lois Abenomics, on a vu une accélération de l’ouverture de l’économie japonaise. Un grand partenariat transpacifique s’est créé ce qui a conduit aux éliminations des 4 Ministèrede l’Economie, des finances et de la relance, Le mix énergétique du Japon, 2018 5 Ken MAEDA, « Le coronavirus va frapper une économie japonaise déjà fragile
», Schroders, 09/01/2021 6 HUNDT, UTTAM, Asia Amid the Varieties of
Capitalisme Debate, 2018 7 The Balance, « Japan’s economy, Abenomics, and Impact on U.S Economy »,
25/01/2021
barrières tarifaires et non tarifaires pour finalisés à l’intérieur du pays8
mais aussi est surtout le partenariat économique régional global avec l’ASEAN. Cet accès facilité aux marchés des pays partenaires à permis de stimuler la productivité des entreprises avec une concurrence accrue et une accélération des mesures de déréglementation. Le Japon a intérêt à s’ouvrir toujours plus aux partenaires étrangers car il est spécialisé dans sa production et a besoin d’importer principalement des matières premières sans lesquelles, son économie chuterait. Prenons un exemple pour mieux comprendre: l’un des défis pour les exportations japonaises est la pénurie mondiale de semi- conducteurs. Les constructeurs automobiles japonais ont réduit leur production pendant la crise car ils ne sont pas en mesure d'obtenir les semi-conducteurs dont ils ont besoin pour répondre à la demande9. Ainsi, s’ouvrir au maximum à l’international est primordial pour ne pas être en pénurie mais aussi pour pouvoir exporter. En effet, toujours avec l’exemple des semi-conducteurs, en raison du manque de semi-conducteurs, les exportations japonaises de véhicules automobiles et de pièces ont chuté de 4,6%. en janvier d'un an plus tôt.. Ceci est seulement un exemple car les semi- conducteurs et leurs machines représentent une part substantielle des exportations japonaises, soit un peu plus de la moitié de la valeur des exportations de véhicules automobiles et de pièces détachées. Ainsi, pour le Japon, opter pour une stratégie protectionniste ne semble pas positif étant donné les importations effectuées qui sont vitales à l’économie. Ainsi, pour se relever de la crise et parvenir à leurs objectifs, le gouvernement japonais va devoir faire évoluer l’économie japonaise sur plusieurs plans: ouvrir le pays aux exportations et aux importations, investir intensément dans des projets « verts » et numériques ainsi que revoir la gouvernance des entreprises. Les prochaines élections étant en octobre 2021, dans moins de 6 mois, le gouvernement de Yoshihide Suga n’a pas le droit à l’erreur. De plus que la crise du covid-19 n’est pas finit et que comme le dit Takumi Tsunoda, économiste principal chez Shinkin Central Bank Research, on doit s’attendre à ce que la « reprise soit difficile car le Japon est en retard sur les économies occidentales en matière de distribution de vaccins »10. Il faut noter que cette réflexion se place dans le cadre de la stratégie économique japonaise actuelle où la croissance n’est en aucun cas remise en cause pour sauver l’environnement et que selon le gouvernement japonais, il est préférable de planifier une « croissance verte ». 8 Claudia ASTARITA, Economie japonaise et intégration régionale en Asie, 2021 9 Deloitte Insights, « Japan, A temporary reversal of the recovery », 24/03/2021 10
BBC « Japan’s economy shrinks 4.8% in 2020 due to Covid », 15/02/2021