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Le Traitement de L'Anguillulose en 1990
Le Traitement de L'Anguillulose en 1990
J.P. COULAUD*
RESUME 1 - Le Thiabendazole
Tous les antihelminthiques ont été successivement L'absorption au niveau de la muqueuse intestinale est
proposés pour traiter l'Anguillulose. Quelques résul- rapide puisque la concentration plasmatique maximale est
tats récents laissent à penser que l'Ivermectine peut atteinte au bout de 1 à 3 heures. L'excrétion est également
être efficace. Cependant, le Thiabendazole demeure le rapide puisque 94 % de la dose ingérée a disparu dans les
médicament de référence et de premier choix. A 5 jours. Elle se fait essentiellement par voie rénale (87 %)
condition d'atteindre une dose totale de 75 à 100 mg/ et le reste dans les féces. Le thiabendazole (Mintezol®) est
kg, il obtient plus de 80 % de succès. Cependant, le actif sur un grand nombre de nématodes intestinaux de
cycle biologique du parasite favorisant les rechutes, l'homme ou des animaux domestiques. Il agit aussi bien sur
rend nécessaire une seconde cure à 20 jours d'inter- les larves que sur les vers matures mais son mécanisme
valle. Sous réserve de fractionner la dose totale en 3 d'action reste encore imprécis. La tolérance est appréciée
ou mieux 4 prises réparties sur 3 à 4 jours, la tolé- très différemment selon les séries puisque des eff e t s
rance est habituellement acceptable. Un traitement indésirables peuvent être relevés dans 5 à 50 % des cas. Il
systématique doit être entrepris chez tous les sujets s'agit le plus souvent d'incidents bénins et transitoires
atteints de déficit immunitaire et vivant en zone survenant dans les deux à trois heures qui suivent l'inges-
d'endémie. tion. Les uns appartiennent à la série digestive : nausées,
douleurs abdominales voire plus rarement vomissements
qui posent le problème de la réalité de la prise médicamen-
Le traitement de l'anguillulose est à la fois simple et teuse et qui peuvent donc mener à répéter celle-ci avec un
complexe. La simplicité tient au fait que la liste de médi- risque de surdosage et de majoration de l'effet indésirable.
caments actifs est courte et que le choix est de ce fait aisé. Les autres appartiennent à la série des incidents "nerveux" :
La première difficulté tient au cycle particulier du parasite céphalées et vertiges qui peuvent donner une sensation
avec risque d'autoréinfestation très prolongée à partir des pseudoébrieuse. Beaucoup plus exceptionnellement, sur-
larves infestantes libérées dans l'intestin du sujet atteint, viennent des manifestations hallucinatoires extrêmement
d'où la nécessité de répétition des prises médicamenteuses. brèves. D'une façon générale, ces manifestations se voient
Par ailleurs, le produit utilisé doit bénéficier d'une bonne essentiellement en cas de doses unitaires élevées données
absorption intestinale pour atteindre les vers adultes pro- pendant une période prolongée. Leur apparition est
fondément situés dans la muqueuse intestinale mais aussi favorisée par l'ingestion d'alcool ou de bases xanthiques
les larves migrant dans les viscères lors du cycle de réinfes- (thé, café...). La toxicité semble faible et ce, en dépit de
tation. La plupart des médicaments destinés aux helmin- quelques observations particulières, qui ont pu être obser-
thiases ne peuvent donc être efficaces car insuffisamment vées mais qui sont pratiquement toujours restées excep-
absorbés ou dépourvus de vertus larvicides. tionnelles. Deux observations d'épidermolyse aiguë ont été
rapportées dans la littérature. On sait cependant la
A - LES MEDICAMENTS difficulté de rattacher un tel accident de façon précise à une
cause toxique. Au plan hépatique, quelques épisodes
Les médicaments les plus intéressants appartiennent tous à modérés de cholestase ictérique ou anictérique ont été
la famille des benzimidazoles. Le plus ancien, le mieux rapportés. Il semble plus facile de les mettre au débit du
connu et le plus efficace, est le thiabendazole (Mintezol®). thiabendazole (Mintezol®) pour des raisons chronolo-
* Institut de Médecine et d'Epidémiologie Tropicales (Fondation Léon
M'BA). 10, avenue de la Porte d'Aubervilliers - 75019 PARIS.
giques et même parfois de récidive lors de la réintroduction (200 mg/jour pendant 4 jours, plus une seconde cure
du médicament. Presque tous ces épisodes ont été bénins, identique 8 jours plus tard), 17 vétérans de la Seconde
sauf un seul : un ictère grave mortel observé chez une Guerre Mondiale qui présentaient encore en 1986 des
femme atteinte d'une hépatite chronique, pathologie qui est manifestations cliniques certaines (Larva Currens et/ou
considéré comme une authentique contre-indication. urticiaire) en rapport avec une anguillulose prouvée
Cependant, tous ces cas sont rares et déjà anciens, et il n'y parasitologiquement. Ces patients avaient refusé le Thia-
a pas eu de rapports récents d'accidents toxiques, d'ailleurs bendazole dont ils redoutaient les effets indésirables. Mais
des prises longtemps répétées peuvent être bien supportées ceux-ci ont été reproduits dans 8 cas sur 17 avec le
puisqu'un malade présentant un déficit immunitaire et une Mébendazole qu'ils avaient choisi. Les premiers résultats
strongyloïdose digestive et pulmonaire a dû et pu recevoir parasitologiques ont été bons (9 succès sur 11 = 85 %)
600 g de thiabendazole pendant une période de 46 mois mais 9 sur 13 (69 %) eurent de nouvelles manifestations
avant d'être finalement déparasité. Aucune anomalie cliniques de larva Currens contre seulement 3 sur 45 (7 %)
hématologique ni hépatique n'a été notée pendant toute la pour ceux qui ont bénéficié du Thiabendazole. Plus récem-
durée du traitement des autres nématodoses intestinales ont ment, des auteurs allemands ont utilisé le Mébendazole
été de l'ordre de 50 mg/kg soit en une seule prise (assez pendant 21 jours pour couvrir un cycle larvaire complet
mal tolérée) soit en deux prises de 25 mg/kg données à 12 d'éventuelle auto-infestation avec une dose initiale de
ou 24 heures d'intervalle avec 50 à 60 % de succès parasi- 1 000 mg le 1er jour puis 500 mg par jour pendant les
tologique au 15è - 30è jour. Puis on a proposé 75 mg/kg 20 jours suivants (11 g au total). Deux malades en ont
(habituellement en trois prises de 25 mg/kg avec des bénéficié avec contrôles parasitologiques négatifs respec-
intervalles de 12 ou 24 heures) voire 100 mg/kg, soit en tifs au 3è et au 14è mois. Ces succès demandent à être
deux prises de 50 mg/kg, soit en quatre prises de 25 mg/kg. confirmés par une série plus longue. Un traitement pro-
D'une façon générale, l'augmentation de la dose globale a longé de cette façon peut se concevoir dans des cas réfrac-
permis d'atteindre 75 à 90 % de succès parasitologique taires mais n'a pas d'application généralisable en zone
avec quelques résultats voisins de 100 % dans certaines d'endémie.
séries.
Dans notre expérience personnelle, une dose de 25 mg/kg - L'Albendazole
répétée quatre fois de suite, donne de très bons résultats
puisque l'efficacité est bonne (82 %), et la tolérance Le plus récent des antihelminthiques de cette famille
améliorée (5 % d'effets indésirables et seulement 2 arrêts semble particulièrement efficace sur tous les nématodes
spontanés du traitement). De fait, il nous semble que intestinaux. Il est facilement absorbé au niveau de la
l'absorption du médicament en fin de repas et le respect muqueuse intestinale, et l'on retrouve des doses élevées du
d'un repos physique pendant les trois heures qui suivent produit et de son principal métabolite, l'albendazole
l'ingestion diminuent de façon notable les manifestations sulfoxyde, dans les tissus conférant une efficacité anti-
d'intolérance. Au plan pratique, on peut prescrire le produit larvaire. Certes, aux doses classiques de 400 mg en prise
le soir après le dîner, quatre jours de suite, chez les sujets unique, les résultats sont modestes, avec seulement 48 %
pouvant rester au calme ou s'allonger après l'absorption. de succès lors de la première enquête multicentrique menée
tant en Afrique qu'en Asie. Cependant, une étude menée à
2 - Le Mébendazole Paris avec 800 mg/jour, trois jours de suite, a donné des
résultats favorables avec 51 succès sur 66 patients, soit
Il a été proposé dans le traitement des strongyloïdoses en 77,2 %. Une étude plus récente faite à Bangkok confirme
raison de sa bonne efficacité vis-à-vis des autres nématodes ces premiers résultats. 30 adultes ont été traités, 11 ont reçu
intestinaux et de sa bonne tolérance générale. Cependant, 800 mg par jour pendant 3 jours avec succès parasito-
le produit est peu absorbé, et l'efficacité est très variable. logiques sur 11 à 1 mois (90 %). 19 autres ont reçu la
En effet, avec une prise de 200 mg répétée trois jours de même dose répétée 8 jours plus tard avec 19 succès parasi-
suite, les pourcentages moyens de succès se situent aux tologiques (100 % à 1 mois). La tolérance a été bonne mais
alentours de 30 % (17 à 100 % selon les séries). avec 27 % de douleurs épigastriques et de diarrhée dans le
Des auteurs américains ont traité avec du Mébendazole groupe 1 et 42 % dans le groupe 2.
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