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Chapitre quatre

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LES ACTIVITES DE VULGARISATION AGRICOLE


AU VIETNAM

1. INTRODUCTION

1.1. Historique.

Depuis longtemps déjà on s’est intéressé au problème d’intégration


des progrès techniques dans le domaine agricole, afin de bien exploiter la
terre pour satisfaire aux besoins d’alimentation d’un peuple qui, pendant la
guerre pour l’indépendance a subi de lourdes pertes et qui connaît une
rapide croissance démographique quand la paix est revenue. Les manuels
d’histoire évoquent encore les « champs à cinq tonnes » des années
soixante au Nord comme résultat de l’application des techniques culturales
nouvelles à la riziculture. Depuis le début de la collectivisation à l’échelle
nationale, la préoccupation de l’Etat a consisté à moderniser l’agriculture
en mécanisant d’une part les travaux champêtres depuis longtemps assurés
à la main, et pour ce faire, en rassemblant de petites parcelles pour former
des « kolkhozes » de grandes superficies, où toute gestion, économique
ainsi que technique, serait planifiée et institutionnalisée. Le terme chuyển
giao kỹ thuật (transfert de techniques) implique un acte à sens unique,
d’une instance d’émission de discours techniques à une instance de
réception de ces discours, que sont les producteurs collectifs. Il ne tient
compte ni des expériences accumulées sur le terrain par les paysans
« traditionnels », ni de la diversité que présente l’écosystème de chaque
micro-région, ni même de l’élément humain dans la production agricole

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d’un pays qui vit de ce métier depuis des milliers d’années et dont 80% de
la population est rurale. Ce modèle a rapidement échoué, de même que
l’effort de collectivisation massive de la campagne ; au sud du pays
notamment, où les paysans étaient habitués depuis longtemps à l’économie
de marché, et où leurs savoirs empiriques et locaux sur la riziculture
avaient été mis en valeur au maximum.

Une autre version de la vulgarisation agricole connue sous le nom


de khuyến nông (encouragement agricole) a connu aussi des vicissitudes.
D’origine chinoise et apparu dès les premières décennies du siècle, le
terme a été réutilisé une seule fois par le Président Hô Chi Minh dans un
discours en 1945 adressé au peuple pour la construction d’une économie
nationale indépendante, comprenant l’agriculture. Mais après 1954, quand
le pays fut divisé en deux après les accords de Genève, ce terme a été
largement utilisé au Sud par les vulgarisateurs, et même exploité pour des
buts autres que la vulgarisation, tels que la « guerre psychologique ».
C’est pour ces raisons que, après l’unification en 1975, il a été considéré
comme fruit de l’ancien régime, et est devenu, avec d’autres termes, une
sorte de tabou linguistique. A cela s’est ajouté le mouvement de la
sauvegarde de la clarté de la langue vietnamienne, qui, rejetant les mots
sino-vietnamiens et ceux d’origine étrangère, l’a condamne à l’oubli. Mais
les choses ne peuvent pas toujours être décidées bureaucratiquement, et
l’usage joue son rôle. Les vulgarisateurs lors de leurs contacts de plus en
plus nombreux avec les paysans, et à la suite des réussites qu’ils ont
accomplies auprès de ceux-ci, ont repris peu à peu ce terme pour désigner
les activités de vulgarisation de nouvelles techniques agricoles. Les
collectivités locales se sont engagées dans ce(t) (en)jeu linguistique. Dès
1987, An Giang, province la plus dynamique dans le delta du Mékong, a
fondé son « centre d’encouragement agricole » (Trung Tâm Khuyến
Nông), dont l’efficacité est reconnue en ces termes :

« Grâce à ces programmes visant à améliorer le niveau technique


des paysans, le rendement moyen monte de 3,28 tonnes/hectare

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jusqu’en 1986, à 4,54 tonnes/hectare en 1990, et atteint 4,9
tonnes/hectare en 1993 » (Lê Minh Tùng, 1993 : 6).

Ajoutons que An Giang est la première province du pays qui a


atteint très tôt le seuil d’un million de tonnes de productions vivrières en
1988, et frisé deux en plus tard, le seuil d’un million et demi. L’agriculture
de cette province se développe si bien que, selon l’évaluation de l’ex-
Premier Ministre Phạm văn Đồng, elle constitue une base pour le
développement de l’industrie.

Tout semble accréditer la valeur de cette version de la vulgarisation.


Toutefois, en tant que linguiste, nous sommes amené à nous intéresser aux
conditions de ce réemploi. Nous pensons que, pour pouvoir transgresser ce
tabou linguistique, il faut bénéficier d’une pression assez forte de la réalité
et d’une pulsion qui poussent à dire, qui « soulèvent le symbolique », pour
reprendre le terme de B. Gardin (1995 : 159). Nous posons donc que c’est
sur la base socio-économique solide des années précédentes - qui
témoigne de grandes réussites - que s’appuie la réhabilitation du terme
khuyến nông, acte socio-linguistique assez audacieux qui risquait de créer
des ennuis à ses auteurs.

A l’instar de la province d’An Giang, d’autres provinces créent à


leur tour leur « Centre d’encouragement agricole » : Cửu Long (1990),
Hậu Giang (1990), Tiền Giang (1991)... Ensuite, on assiste à une véritable
floraison du terme khuyến nông, qui s’applique soit à l’institution
nationale (Département d’encouragement agricole, fondé selon le décret
13/CP su 2 mars 1993), soit aux nouveaux postes hiérarchiquement
inférieurs des provinces, des districts et même des communes, soit à des
produits médiatiques (émissions, rubriques journalistiques telles que sổ tay
khuyến nông [carnet d’encouragement agricole]), soit même à des titres
professionnels (cán bộ khuyến nông [cadres d’encouragement agricole]).
C’est dans cette ambiance qu’est né le programme d’encouragement
agricole à la télévision de Cần Tho, selon l’acte de décision du directeur
de cette institution, signé le 6 Juillet 1990, plaçant le programme sous la

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gestion directe d’un vice directeur. Lors de son interview réalisée par
nous-même, celui-ci s’exprimait ainsi :

« Les dirigeants de l’Agriculture estimaient que c’était un terme de


l’ancien régime. Nous pensons que les termes commençant par
khuyến, tels que khuyến nông (encouragement agricole), khuyến học
(encouragement à l’étude) existent depuis longtemps. Cela
appartient au patrimoine du pays. Ce n’est pas l’affaire d’un régime
ou d’un autre » (Trân Quang Mẫn, 1997 : 3).

Ajoutons que c’est en 1996 que ce terme, suivi de deux autres de


même formation, est utilisé pour la première fois dans les documents de
congrès du PCV (le Congrès VIII), dans cet énoncé :

« développer le réseau d’encouragement agricole, d’encouragement


sylvicole, d’encouragement piscicole, de transfert technique et de
service d’approvisionnement de matériels techniques » (PCV,
1996 : 178).

On a donc ici l’exemple d’un changement lexical « par le bas »,


selon Labov.

1.2. Les activités de vulgarisation effectuées sur le terrain.

Expliquant le succès inouï de l’agriculture de la province de An


Giang, ses dirigeants considèrent que

« ce résultat est dû au mécanisme du marché sur lequel a su


s’appuyer l’agriculture de An Giang, et aux apports scientifico-
techniques, par l’intermédiaire du réseau de Khuyến Nông » (Thái
Nguyễn Bạch Liên, 1992 : 92).

Cette évaluation a implicitement reconnu le rôle indispensable du


réseau Khuyến Nông dans la réalisation des trois grands programmes

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économiques déterminés dans les 6e et 7e Congrès du PCV, à savoir celui
de la production vivrière, celui de la production de biens de consommation
et celui de la production d’articles d’exportation. Il est d’autant plus
valorisé que le problème crucial posé aux pays en voie de développement
réside dans le fait qu’il y a une nécessité d’établir un agent qui relie
connaissances scientifico-techniques et savoir-faire des paysans, comme le
remarque une sociologue. Cet agent, qu’on l’appelle vulgarisateur agricole
ou animateur rural, a pour fonction de

« fournir aux paysans les savoirs les plus pratiques, de les faire
comprendre et croire, et cela sur le terrain même » (Thái Nguyễn
Bạch Liên, 1992 : 93).

Là est le problème principal de la vulgarisation agricole : comment se faire


comprendre des paysans et gagner leur confiance ? Et, puisqu’il ne suffit
pas d’être bien informé pour bien agir, comment leur faire appliquer ce
qu’ils viennent d’apprendre dans les travaux ruraux ?

1.2.1. Les types d’approches utilisées.

1.2.1.1. Les contacts directs :

Ce type d’approche vise à offrir aux paysans des informations


« vivantes », accompagnées de démonstrations, authentiques ou simulées,
d’échanges questions/réponses... dans un contexte convivial de réunions
qui mettent en interaction verbale vulgarisateur et paysans, ou dans les
visites guidées d’un terrain pilote d’une unité de recherches et
d’expérimentation, ou d’un champ « typique » de bon paysan. Les
avantages de ce type d’approche sont évidents : échanges libres, réponses
immédiates, ambiance favorable à la transmission de savoirs... Mais les
inconvénients ne le sont pas moins : public restreint, et partant, efficacité
limitée. D’après une étude menée dans les provinces de Trà Vinh, Cần
Thơ, An Giang, portant sur les résultats des mesures de Khuyến Nông,

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moins de 10% de paysans ont les chances d’avoir accès à ce canal de
vulgarisation (Đặng Kim Sơn, 1992).

1.2.1.2. Le mass media :

C’est le moyen le plus efficace pour faire parvenir des informations


aux paysans, d’après la source susmentionnée. En moyenne, 30 à 40% des
paysans ont amélioré leurs techniques culturales grâce à ce moyen. En
particulier, dans les provinces où « l’investissement dans la vulgarisation
est raisonnable », le pourcentage des paysans bénéficiaires de cette activité
vulgarisatrice atteint 62% (ibid.).

1.2.2. Le profil sociologique des récepteurs.

D’après cette étude, les récepteurs du message vulgarisateur peuvent


être définis selon ces paramètres suivants :

- chef de famille 75%


- masculin 80%
(pour l’ethnie khmère) (1) 100%
- âgé de plus de 50 ans 70%
- niveau de scolarité : primaire 70%

Ces données sociologiques sont très importantes surtout pour les


vulgarisateurs en contact direct avec les paysans. Elles détermineront les
stratégies à prendre, les relations de communication à établir, la manière
de mettre en mots les savoirs à transmettre...

L’intérêt que prennent les paysans au contenu du message de


vulgarisation constitue également une préoccupation chez les
vulgarisateurs. Les résultats d’enquêtes révèlent qu’il varie d’une région à
l’autre, selon les conditions culturales des micro-systèmes écologiques et
ethniques, mais dans l’ensemble, l’attention de paysans porte sur la
(1)
Les Khmers représentent environ 5% de la population du delta du Mékong.

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nouveauté de variétés de riz et de plantes. Voici le résultat d’un sondage
effectué dans le district de Ô Môn (Cần Tho) :

- Nouvelles variétés de riz et de plantes 60%


- Elevage 20%
- Technique culturale 13%
- Autres 7%

1.3. La vulgarisation en tant que facteur de changement par le haut.

Le décret 13CP du 2 mars 1993 a donné lieu à la fondation du


réseau de Khuyến Nông qui englobe trois domaines étroitement liés entre
eux : agriculture, sylviculture et aquaculture. L’article 1 de ce document
souligne que

« l’Etat (...) encourage les organisations socio-économiques et les


particuliers, indigènes ainsi qu’étrangers, à aider les paysans à
développer l’économie rurale ».

1.3.1. Les tâches de la vulgarisation.

Pour réaliser le but de développer l’économie rurale, le décret a


assigné à l’instance vulgarisatrice les tâches suivantes :

(1) Diffuser les progrès techniques en plantation, en élevage, dans la


transformation et le stockage des produits, ainsi que les expériences
témoignant de bons résultats en matière de production.
(2) Compléter et développer les compétences et les connaissances en
gestion économique des paysans pour qu’ils produisent et
commercialisent leur récoltent efficacement.
(3) S’associer avec les organismes concernés pour fournir aux paysans
des informations sur le marché, les prix des produits agricoles, afin
qu’ils organisent la production et la commercialisation avec une
efficacité élevée. (article 3).

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1.3.2. L’appareil d’administration.

Le décret a également envisagé un organigramme qui s’étend de


l’échelon national à celui des collectivités locales, pour assurer une bonne
cohérence entre la production et le marché, entre le développement
agricole en général et les particularités de chaque zone écologique, entre
l’application de techniques nouvelles et les habitudes culturales
régionales..., tout cela dans le but de favoriser le développement agricole
et l’économie rurale de chaque région. Au sommet de cet organigramme
pyramidal, le département d’encouragement agricole (Cục Khuyến Nông)
du Ministère de l’Agriculture joue le rôle de coordinateur entre les
institutions intéressées par la vulgarisation : Ministères de la Sylviculture
et de l’Aquaculture, Instituts de recherches agronomiques...

Au niveau des provinces, il y a des Centres d’encouragement


agricole (Trung Tâm Khuyến Nông) appartenant au Service de
l’Agriculture de la province. Au niveau des districts apparaissent des
stations de encouragement agricole (Trạm Khuyến Nông).

A côté de cet appareil d’Etat, les organisations professionnelles


agricoles telles que les « Clubs des bons paysans », les clubs des
arboriculteurs..., sont généralement reconnues comme des éléments
importants du développement de l’économie rurale.

1.3.3. Les démarches proposées.

Dans le rapport annexé au décret 13CP, des modèles de


vulgarisation sont donnés en exemple pour présenter la diversité des
méthodes de vulgarisation. Néanmoins, compte tenu des expériences
précédentes dans ce domaine au Vietnam ainsi que dans les pays voisins,
le rapport propose la démarche suivante :

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- enquêter et diagnostiquer les problèmes de production pour mettre
en œuvre une recherche technique appliquée ;
- sélectionner correctement le terrain d’activité et élaborer des
modèles de démonstration ;
- vulgariser par les deux voies des mass media et des contacts
directs.
- établir un réseau de « bons paysans » ;
- établir un système stimulant l’application des nouvelles techniques
par les agriculteurs ;
- associer étroitement vulgarisation, organismes de recherches et
organisations de masse ;
- augmenter le rôle dirigeant du Parti et du gouvernement.

1.3.4. Le rapport entre la vulgarisation et la question linguistique.

Il va de soi que la question linguistique se trouve au cœur de toute


étape du processus de vulgarisation, de celle des enquêtes jusqu'à celle de
la transmission de savoirs, ce type d’activité mettant en rapport deux pôles
différents quant au niveau de connaissances techniques et à celui de la
maîtrise de la langue. Toutefois ce qui retient notre attention, c’est qu’un
tel programme implique un amalgame de discours : à côté d’une certaine
modernité du discours général (diagnostic, modèles de démonstration...)
on trouve une approche traditionnelle fondée sur le langage populaire dans
le réseau de « bons paysans », à côté du discours technique, le discours
politique implicitement véhiculé par « le rôle dirigeant du Parti et du
gouvernement ».

2. LA TELEVISION DE CÂN THƠ : UNE INSTANCE


VULGARISATRICE REGIONALE

Née en 1966, la télévision de Cần Thơ avait le monopole dans le


domaine audiovisuel dans le delta du Mékong. Elle s’est installée au cœur
de la ville de Cântho, surnommée capitale de la région de l’Ouest (Tây

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Đô), le plus grand grenier à riz du pays. Avant 1975, lorsque le pays était
encore en guerre, elle servait la politique anticommuniste du régime du
Sud Vietnam ; elle était à la fois un instrument de propagande et de
distraction. Depuis la réunification du pays en 1975, elle a fait peau
neuve : elle est devenue un élément actif dans le développement de
l’agriculture du delta du Mékong :

« Dès les premières années après la libération, la télévision de Cần


Thơ s’est donné comme fonction principale de servir la production
agricole. Les problèmes concernant l’agriculture et la campagne ont
occupé un pourcentage assez élevé des émissions produites, dans le
but d’informer les provinces, et d’encourager la production dans
toute la région » (Trần Quang Mẫn, 1990 : 1).

Organe de presse régionale, elle est dotée d’un atout dont est privée
la télévision nationale VTV, qui commence à se partager avec elle les
téléspectateurs du delta, à partir de 1993 : c’est son adaptation à des
particularités socio-culturelles, socio-économiques et même socio-
linguistiques d’une région qui compte plus de 14 millions d’habitants, soit
22,1% de la population du pays.

2.1. Quelques données techniques.

Installée en 1966, la station de télévision de Cân Thơ était de


conception technique américaine, et possédait une capacité de 25 kw qui
pouvait couvrir de ses ondes une région d’un rayon de 150km, c’est-à-dire
englobant tout le delta du Mékong et une partie de ses mers. Le niveau de
technologie d’alors ne permettait de transmettre que les images en noir et
blanc. Modernisée en 1989 grâce à des aides techniques de la France, elle
commence à diffuser des émissions en couleurs (système SECAM) avec
une capacité de 10 kw, qui assure la captation de ses ondes dans toutes les
provinces situées dans le delta, dont la superficie est de l’ordre de
40000km².

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2.2. Son fonctionnement.

Station régionale, elle connaît, comme beaucoup d’autres


institutions établies dans de petites villes, des difficultés budgétaires, faute
d’investissements suffisants du pouvoir central, surtout dans des années
80, époque où le pays devait affronter de graves problèmes économiques.
Cette situation ne lui permettait d’émettre que quatre heures chaque soir.
Mais une de ses fiertés, c’est qu’elle a pu produire elle-même 85% des
programmes émis, le reste étant la rediffusion des émissions réalisées par
la télévision nationale (VTV) et la télévision de Hochiminhville (HTV), et
cela dans le cadre des projets d’échange interrégional.

2.3. Ses produits.

« Depuis la promulgation de la politique de rénovation (décembre


1986), la Télévision de Cần Thơ est devenue une institution
pionnière dans le domaine audiovisuel, et a conquis la sympathie
des téléspectateurs du delta du Mékong. »

Cette appréciation est extraite d’un grand hebdomadaire de


Hochiminhville (Tuổi Trẻ Chủ Nhật, 1990 : 5). En nous appuyant sur cette
source, nous reproduisons le résultat d’une étude sur cette station
concernant les émissions préférées pendant les années 1986 à 1990, dans
l’intention d’esquisser son profil à partir de ce qu’elle a fait pour les
téléspectateurs, et des raisons de la confiance qu’ils lui témoignent.

2.3.1. Les émissions préférées :

2.3.1.1. « Les lois et les politiques » :

Débutant en 1984, ces émissions hebdomadaires avaient pour but


initial de vulgariser les connaissances juridiques générales en vue de
réaliser la maxime « vivre et travailler selon les lois », préconisée par le
PCV, dans le cadre de la construction d’un Etat de droit. A la suite de

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demandes adressées par des téléspectateurs, ces émissions se sont peu à
peu centrées sur les « actions négatives » commises par l’encadrement
local en vue de mettre en lumière les violations de la démocratie à la
campagne, la bureaucratie, l’abus de pouvoir...

2.3.1.2. « Histoires dans les districts » :

Nées en 1986, ces émissions hebdomadaires sont fortement


inspirées du thème d’un roman soviétique intitulé « Histoires quotidiennes
du district » (1) , très apprécié au Vietnam d’alors. Elles abordent des
problèmes qui agitent la population rurale. Parmi environ 200 émissions
(enregistrées jusqu’en mars 1990), plus de cent ont été réservées à la
production agricole, le reste abordant la question de la démocratisation à la
campagne.

2.3.1.3. « Revue des jeunes » :

Créée après les deux précédentes, elle a pris pour public la jeunesse
rurale, qui représente une force de travail très importante et 30% de la
population active. Le but de cette émission est de sensibiliser son public à
des problèmes de développement rural, de le motiver et de lui fournir les
connaissances nécessaires à la production.

2.3.2. Quelques constats.

Cette étude nous permet d’effectuer les constats suivants :

- L’une des causes du succès de la télévision de Cần Thơ est d’ordre


thématique : les trois programmes préférés des téléspectateurs concernent
les activités rurales et en particulier les activités de production agricole.
Parmi ces programmes, il y en a deux qui chacun à sa manière abordent de
face le thème de la démocratisation sociale. La télévision de Cântho a su
donc associer dans sa thématique les problèmes cruciaux rencontrés dans
(1)
V. Ovetskine, 1984, Edition Arc-en-ciel, Moscou.

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les activités professionnelles, aux questions urgentes qui se posaient dans
les pays socialistes d’alors : la transparence, la restructuration et la
rénovation.

- Le deuxième constat, étroitement lié au premier, concerne les acteurs des


faits réels abordés dans ces programmes. La plupart y sont à la fois
énonciateurs et énonciataires. Le droit à parler, surtout parler à la
télévision est considéré comme positif par les couches sociales peu
favorisées et donne l’impression qu’on a aussi voix au chapitre, comme
l’indique B. Gardin :

« le droit à la parole publique apparaît (...) comme inscrit dans un


rapport de forces » (Gardin B., 1976 : 29).

- Le troisième constat relève du domaine esthétique : la présentation des


émissions est agréable, à la manière populaire, les propos sont faciles à
comprendre, l’image est authentique.

2.4. Une nouvelle création : les émissions Khuyến nông trên truyền
hình (encouragement agricole à la télé).

Née en juillet 1990 après un accord signé entre l’Institut de riz du


delta du Mékong, le Service de l’Agriculture de Hậu Giang et la
Télévision de Cần Thơ, l’émission a pour objectif de servir la tâche de
développement de l’économie agricole du delta du Mékong, en s’appuyant
sur les trois programmes d’économie nationale, et sur le nouveau
mécanisme de gestion agricole.

Pour atteindre cet objectif, les responsables de l’émission se sont


fixés comme fonction de diffuser des informations concernant
l’agriculture, et de jouer le rôle de tribune pour des organes
d’encouragement agricole.

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La télévision de Cần Thơ est donc une importante instance
médiatrice qui relie les téléspectateurs visés que sont les paysans, à
d’autres instances sources de savoirs telles que l’Etat (en ce qui concerne
les directives et politiques dans l’agriculture), les spécialistes (quand il
s’agit de messages scientifico-techniques).

3. LES EMISSIONS SUR LA CULTURE DES CHAMPIGNONS :


POINT DE CONVERGENCE DE PROBLEMATIQUES

3.1. La promotion de la culture des champignons : un modèle de


vulgarisation agricole apprécié.

Dans une conférence des investisseurs étrangers tenus à


Hochiminhville en 1991, le modèle de la promotion de la culture des
champignons a été bien apprécié. Il associe vulgarisation des techniques
culturales, mesures économiques (à titre d’exemple, assurance d’achat de
tous les produits) et mesures administratives (en ce qui concerne les
impôts...). Ce modèle est lié étroitement d’une part, à la télévision de
Cântho, et d’autre part, à une unité économique : l’entreprise agro-
alimentaire MEKO, une joint-venture vietnamo-hongkongaise fondée en
1988, dont les actions étrangères représentent 55% du capital, et qui a
pour objectif de transformer des produits agricoles fournis par le delta du
Mékong en articles d’exportation. Installée à Cântho, elle est la première
société mixte qui ait été créée dans le delta après la promulgation de la loi
sur les investissements étrangers. Parlant de l’entreprise Meko, partenaire
principale des champignonnistes du delta du Mékong, un responsable du
Comité national des investissements et de la Coopération l’évalue en ces
termes :

« L’entreprise Meko a bien établi la relation entre l’agriculture et


l’industrie. Il nous faut multiplier ce modèle dans tout le delta du
Mékong (...). L’entreprise guide les paysans dans la culture des
champignons, puis assure l’achat de tous les produits pour les

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transformer et les exporter. Elle crée des emplois pour des paysans
pendant la morte-saison, et ainsi contribue à élever leur revenu »
(TTCN, 1991 : 12).

3.2. Conditions de production des films sur les champignons.

Les films que nous avons choisis comme corpus ont été réalisés à
trois moments différents :

3.2.1. Le premier film.

Le premier film intitulé « Le champignon de paille, Sa production et


son écoulement » a été produit par l’entreprise d’agro-alimentaire MEKO
en 1989. Le film n’a pas pour but de vulgariser les techniques culturales
des champignons, mais d’appeler les paysans à les cultiver pour alimenter
les usines. Il est utile de souligner que dans le passé, on produisait très peu
cette plante, parce que la demande était très restreinte (consommation sur
place), et surtout faute de moyens de conservation. Le film passa à la
télévision de Cântho dans la rubrique « Informations économiques »,
masque linguistique de « Publicité », terme qui était implicitement
considéré à l’époque comme représentatif de l’économie capitaliste. Il
s’agit donc de la problématique de l’ouverture économique, de la
modernisation de la production (repérable dans le film aux images de
chaînes de production, de moyens mécaniques, modernes pour la plupart
des téléspectateurs d’alors), en d’autres termes, de la perspective de
richesse.

3.1.2. Le deuxième film.

Intitulé Cultivez les champignons de paille, il a été produit par la


télévision de Cântho, et émis au mois de septembre 1990, après l’acte de
naissance de la rubrique Khuyến Nông trên Truyền Hình (Encouragement
agricole à la télé) en juillet 1990.

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3.1.3. Le troisième film :

Intitulé Une technique de culture des champignons, il est produit et


diffusé en 1991. En s’entretenant avec nous, le responsable de la rubrique
« Encouragement agricole à la télé » explique le motif de cette émission,
en disant que peu après l’émission du film Cultivez les champignons,
plusieurs téléspectateurs lui ont envoyé des questions, voulant être mieux
informés de la technique culturale des champignons. Par conséquent, la
visée a priori que l’instance de production souhaite atteindre est plutôt
technique.

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