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DOSSIER I Industrie de la sécurité

IMAGERIE POLARIMÉTRIQUE ACTIVE :


des applications militaires
et duales
François GOUDAIL1, Matthieu BOFFETY1, Luc LEVIANDIER2, Nicolas VANNIER3
1
Institut d’Optique Graduate School, 2 av. Augustin Fresnel, 91127 Palaiseau
2
Thales Research and Technology, 1 av. Augustin Fresnel, 91127 Palaiseau
3
Thales Optronique, 2 av. Gay-Lussac, 78995 Elancourt (affiliation actuelle)
francois.goudail@institutoptique.fr

L’imagerie polarimétrique active permet de révéler des contrastes invisibles à l’œil humain et aux
caméras classiques. Elle peut étendre les capacités de décamouflage des systèmes d’imagerie active
et améliorer la détection d’objets dangereux sur des pistes. Elle possède également de nombreuses
applications duales dans des domaines tels que l’imagerie biomédicale ou la vision industrielle.

une source thermique (comme le soleil) de certains animaux, en particulier des


Révéler des contrastes ou ayant interagi avec un milieu natu- abeilles, et de certaines espèces de cre-
invisibles à l’œil humain rel, l’évolution de ce vecteur devient vettes qui l’utilisent pour s’orienter.
La polarisation est une propriété fonda- totalement ou partiellement aléatoire.
mentale de la lumière. Bien que l’œil hu- On parle alors de lumière totalement
main n’y soit pas directement sensible, ou partiellement dépolarisée.
Imagerie passive
elle est connue depuis le 17e siècle et a La polarisation de la lumière est utili-
ou active ?
été déterminante dans l’émergence de sée depuis longtemps pour manipuler la Les systèmes d’imagerie polarimétrique
la théorie ondulatoire de la lumière. En lumière dans de nombreux instruments peuvent être passifs ou actifs. Dans les
résumé, le champ électromagnétique optiques (lasers, interféromètres…). Ce systèmes passifs, la source d’illumi-
dans un milieu homogène est un vec- n’est que depuis peu qu’elle est utilisée nation est le soleil ou le rayonnement
teur qui évolue dans le plan orthogo- pour faire des images [1]. C’est pourtant thermique. Comme elle est totalement
nal à la direction de propagation de la une modalité d’imagerie très efficace car dépolarisée, le seul phénomène qui peut
lumière. L’extrémité du vecteur décrit la mesure de l’état de polarisation de être détecté est la manière dont les diffé-
au cours du temps une trajectoire qui la lumière diffusée par une scène per- rents matériaux composant la scène po-
est, dans le cas général, une ellipse. On met de révéler des contrastes qui sont larisent cette lumière, principalement
parle alors de lumière purement polari- invisibles à l’œil nu. C’est d'ailleurs une à travers des réflexions (ou transmis-
sée. Dans le cas d’une lumière émise par capacité que possède le système visuel sions) de Fresnel. Cela permet de dif-
férencier les objets manufacturés, qui
ont des surfaces lisses et métalliques,
des milieux naturels. Cela conduit à
Figure 1.
des applications intéressantes dans le
(a) Principe domaine de la défense [1].
d’un imageur Dans les systèmes actifs, l’état de
polarimétrique polarisation de la source d’illumina-
actif totalement
adaptatif.
tion est contrôlé. Cela permet d’être
(b) Photo du sensible à toutes les propriétés polari-
système d’imagerie métriques de la scène, en particulier à
de laboratoire. la manière dont les objets dépolarisent
(c) Photo du
démonstrateur
la lumière polarisée. L’inconvénient est
d’imagerie bien sûr que ces systèmes nécessitent
polarimétrique à une source de lumière artificielle,
contraste optimisé ce qui limite leur portée et leur dis-
AUTOPOL.
crétion. En revanche, ils bénéficient

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des avantages classiques de l’image-


rie active, en particulier la vision de
nuit avec une meilleure résolution
que l’imagerie thermique (sensible
à l’émission des corps dans l’infra-
rouge moyen), tout en apportant un
élément déterminant : la sensibilité au
contraste polarimétrique.

Figure 2. Scène composée de deux zones de rugosités différentes. (a) Description de la scène.
Imagerie (b) Image d’intensité classique. (c) Image polarimétrique à contraste optimisé.
polarimétrique
totalement adaptative verre à grain fin, sur lequel on a collé l'efficacité de ce type d’imagerie par rap-
Faisant suite à de premières in- des morceaux de papier de verre à grain port aux imageurs d'intensité classiques
vestigations effectuées par Thales plus grossier (figure 2a). Le tout a été re- dans un contexte de décamouflage et
Optronique et l’Institut Fresnel, le couvert de peinture, de sorte qu’il n’y de détection d’objets manufacturés en
laboratoire Charles Fabry (LCF) de a aucun contraste d’albédo entre les environnement complexe [5].
l’Institut d’Optique et Thales Research deux surfaces : elles ne sont pas diffé- Considérons par exemple une scène
and Technology (TRT) se sont enga- rentiables dans une image d’intensité composée de plaques de métal sous
gés dans un partenariat de plusieurs classique (figure 2b). Cette scène est ob- un filet de camouflage observées par
années pour le développement d’ima- servée avec l’imageur polarimétrique un imageur actif classique (figure 3a) :
geurs polarimétriques actifs [2]. Le dont les états optimaux du PSG et du les plaques ne sont pas visibles. En
principe en est illustré sur la figure 1a. PSA ont été réglés de manière à maximi- revanche, sur l’image polarimétrique
L’état de polarisation de la source est ser le contraste. On peut alors constater dont les états d’illumination et d’ana-
contrôlé électriquement par un géné- que le contraste d’état de surface pré- lyse ont été optimisés, elles apparaissent
rateur d’états de polarisation (PSG- sent dans la scène (grains différents des très nettement car elles dépolarisent
polarisation state generator) constitué de papiers de verre) a été transformé en un moins la lumière incidente que le filet
deux modulateurs à cristaux liquides contraste de niveau de gris visible sur (figure 3b). Cependant, on peut noter
qui se comportent comme des compo- une image numérique (figure 2c). que des fluctuations de niveaux de
sants biréfringents d’axe neutre fixe et gris subsistent dans le fond de l’image.
de déphasage variable. Si les axes op- Cela peut être pénalisant en présence
tiques de ces deux modulateurs sont
Un imageur de fonds très complexes et cacher des
orientés à 45°, il est possible de géné-
polarimétrique objets d’intérêt. Il est souvent préférable
rer n’importe quelle ellipse de polari-
pour des applications de produire une image qui s’affranchit
sation en jouant sur leurs tensions de
militaires complétement des contrastes d’albédo
contrôle. Avant de former l’image sur Ces capacités ont suscité l’intérêt de (réflectivité en intensité) et ne fait ap-
le détecteur, l’état de polarisation de la DGA qui a financé un programme paraître que les contrastes polarimé-
la lumière diffusée par la scène passe ASTRID dénommé « AUTOPOL », triques. Cela peut être fait en réalisant
par un analyseur de polarisation (PSA destiné à concevoir un imageur repo- une image polarimétrique normalisée,
– polarisation state analyser), qui peut sant sur le même principe et doté d’une consistant à calculer le rapport entre
être considéré comme un « analyseur portée supérieure (quelques dizaines de deux images polarimériques différentes
généralisé » : alors qu’un analyseur de mètres). Le consortium réunit le LCF, (figure 3c). Ce mode fournit donc une
polarisation classique projette l’état TRT ainsi que l’équipe PhyTI de l’Ins- image totalement complémentaire de
de polarisation incident sur un état titut Fresnel, qui est chargée de déve- celle délivrée par un imageur d’intensité
rectiligne, le PSA peut le projeter sur lopper les algorithmes de traitement classique (figure 3b).
un état elliptique quelconque. On ob- d’images permettant de piloter l’opti- Dans la plupart des scénarios d’inté-
tient finalement une image d’intensité misation des états du PSG et du PSA rêt en décamouflage, nous avons obser-
dont l’aspect dépend des états du PSG par une analyse d’image [4]. La source vé que la source de contraste principale
et du PSA. Ces états sont choisis afin de d’illumination est un laser à la longueur est la différence de capacité de dépola-
maximiser le contraste visuel entre un d’onde 1,55 µm, ce qui permet d’assu- risation des objets composant la scène.
objet d’intérêt et le fond de la scène [3]. rer un bon niveau de discrétion et de Dans ce cas, on peut montrer qu’un
Un premier imageur polarimétrique sécurité oculaire, et le détecteur une contraste quasi-optimal peut être ob-
actif totalement adaptatif a permis de caméra InGaAs (figure 1c). Cet imageur tenu avec un imageur non totalement
valider ce concept en laboratoire (fi- est le premier au monde à être doté de adaptatif disposant d’un nombre res-
gure 1b) [2]. Considérons une scène capacités polarimétriques totalement treint de degrés de liberté polarimé-
composée d’une feuille de papier de adaptatives. Il a permis de démontrer triques. Cela ouvre la voie à des systèmes

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 Figure 3. Scène composée de plaques


Il faut également noter que son do-
métalliques sous un filet de camouflage. maine d’application ne se limite pas à
(a) Image active d’intensité à 1.55 µm. la défense. De nombreuses applications
(b) Image polarimétrique à contraste duales sont envisageables, comme par
optimisé. (c) Image polarimétrique
normalisée. (d) Image polarimétrique exemple la détection d’objets dangereux
simplifiée. sur des routes ou des pistes d’aéroport.
La figure 5a représente un objet en plas-
 Figure 4. Objet caché sous un filet
tique sur une piste en asphalte observés
de camouflage. (a) Photo de la scène par un imageur actif classique à 1,55 µm.
dans le spectre visible. (b) Image active La piste est mouillée, et les zones noires
d’intensité. (c) Image polarimétrique représentent des flaques d’eau. L’objet,
active.
qui a la même réflectivité que les zones
mouillées, est donc très difficilement
distinguable. En revanche, il apparaît
avec un excellent contraste sur l’image
polarimétrique normalisée (figure 5b).
D’une manière générale, l’imagerie
polarimétrique peut apporter des so-
lutions dans toutes les situations où
les contrastes accessibles aux imageurs
d'imagerie plus simples mais ayant une Technologies (NIT), une PME française panchromatiques ou spectraux sont
efficacité suffisante. Un tel système a été spécialiste de la conception et l’inté- insuffisants, ce qui se rencontre fré-
« simulé » à partir du démonstrateur gration des capteurs d’image pour le quemment en imagerie biomédicale, en
AUTOPOL1, en faisant l’acquisition de proche infrarouge. L’objectif est de microscopie ou en vision industrielle.
3 images dans des états d’illumination concevoir un système de portée supé- Enfin, il faut noter que la communauté
et d’analyse simples. L’image obtenue rieure, de l’ordre du kilomètre, doté française de l’imagerie polarimétrique,
apparaît sur la figure 3d, en représenta- d’une architecture polarimétrique sim- avec notamment, outre les entités
tion composite où chacune des 3 images plifiée et pouvant acquérir de manière déjà mentionnées, des laboratoires de
correspond à un canal de couleur. On instantanée des images normalisées, l’École polytechnique et de l’Université
observe que les plaques métalliques mieux résolues et acquises à une ca- de Rennes, est bien placée pour s’atta-
apparaissent toujours avec un bon dence vidéo. Cela permettra de valider quer à ces défis, car elle est l’une des plus
contraste. Les couleurs indiquent les l’imagerie polarimétrique active sur des dynamiques au monde.
propriétés polarimétriques différentes scénarios de décamouflage réels et de Remerciements : les auteurs tiennent à
des plaques métalliques observées, ce la comparer avec d’autres modalités remercier Philippe Adam, de la DGA/MRIS,
qui peut apporter une information sup- d’imagerie passive et active. pour son soutien actif et des échanges fructueux.
plémentaire sur leur orientation ou leur
nature physique.
À titre d’exemple supplémentaire, la Figure 5.
Objet sur une route
figure 4a représente un objet caché sous en asphalte.
un filet de camouflage et observé dans (a) Image active
le spectre visible. Si cette scène est ob- d’intensité
servée avec un imageur actif classique, à 1.55 µm.
(b) Image
l’objet caché sous le filet reste difficile à polarimétrique
identifier (figure 4b). L’image polarimé- active.
trique normalisée permet en revanche
de l’identifier clairement comme un POUR EN SAVOIR PLUS
vélo (figure 4c).
[1] J.S. Tyo, D.L. Goldstein, D.B. Chenault, J.A. Shaw, Appl. Opt. 45, 5453 (2006)
[2] F. Goudail, J.S. Tyo, J. Opt. Soc. Am. A 28 (1), 46 (2011)
Tout un potentiel [3] G. Anna, H. Sauer, F. Goudail, D. Dolfi, Appl. Opt. 51, 5302 (2012
à explorer [4] N. Vannier et al., Appl. Opt. 54, 7622 (2015)
Les voies de développement de ce type [5] N. Vannier et al., Appl. Opt. 55, 2881 (2016)
d’imageur sont nombreuses. Ainsi, un
nouveau projet ASTRID Maturation 1
Ce démonstrateur bénéficie du nombre maximal de degrés de liberté polarimétriques, car le
a été attribué à un consortium consti- PSG et le PSA peuvent générer n’importe quelle ellipse de polarisation. Il permet donc d’évaluer
tué du LCF, de TRT et de New Imaging n’importe quel autre mode d’imagerie polarimétrique en réduisant le nombre de degrés de liberté.

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