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1830 —
1930
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[LECTION DU CENTENAIRE DE L'ALGÉRIE

GÉOGRAPHIE

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d'Histoire urbaines
ide de Géographie et

PAR

René LESPÈS
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PARIS

FÉLIX ALCAN
LIBRAIRIE
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BOULEVARD SAINT-GERMAIN,
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M.CM.XXXVI1I
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1830 —
1930 -tfU
3
COLLECTION DU CENTENAIRE DE L'ALGÉRIE

GEOGRAPHIE

ORAN
Etude de Géographie et d'Histoire urbaines

PAR

René LESPES
DOCTEUR ES LETTRES

PARIS

LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN

lo8, BOULEVARD SAINT-GERMAIN (VIe)


M. CM. XXXVIII
AVANT-PROPOS

L'ouvrage que nous présentons sur Oran est, comme celui publié

par Alger, qui l'a précédé en 1930 dans la Collection du


nous sur

Centenaire de l'Algérie, une étude de géographie et d'histoire urbai


nes. Il en est la suite naturelle, il a été composé sur le même plan,
élaboré suivant les mêmes méthodes de recherche et de rédaction,
conçu dans le même esprit, avec la pensée directrice d'ajouter un

chapitre à l'histoire de la Colonisation urbaine sur les territoires de


l'ancienne Régence.

Il est un nom que l'on rencontrera souvent dans ces pages, là


du moins où sont exposés les faits de l'époque contemporaine. Le
d'
terme « Oranie », devenu d'un usage courant, est appliqué d'une
manière assez imprécise à l'Algérie de l'Ouest ; on est d'ailleurs
unanime à en reconnaître la capitale dans la grande ville et le grand

port auxquels elle est redevable de cette dénomination. Du point de


vue de la géographie physique, cette région ne saurait être con

fondue avec l'une des deux grandes divisions de l'Algérie dont on

place la ligne de séparation entre Alger et Biskra. Elle n'en embrasse

que la partie occidentale, et le sens du terme d'« Oranie » doit être


entendu comme étant essentiellement d'ordre économique, c'est-

à-dire humain. Les limites officielles assignées aux départements


d'Oran et d'Alger ne sauraient évidemment, à aucun point de vue,
avoir une valeur géographique absolue. Mais le fait que la situation
8 AVANT-PROPOS

du premier le destine naturellement à des relations plus étroites


avec l'Espagne et le Maroc, en même temps d'ailleurs que les traits
distinctifs de l'Algérie de l'Ouest y sont particulièrement accentués,
justifie son individualité beaucoup mieux qu'une simple division
administrative.

Oran en est vraiment à ce double titre le grand centre régio

nal ; sa vie toute entière en est le reflet. On n'a eu garde de l'oublier


au cours de cette étude, où l'on espère avoir suffisamment défini
tous les rapports étroits qui le relient à l'arrière-pays pour qu'on ne

puisse être accusé de digression là où il y a cohésion intime.


Ainsi apparaît clairement l'importance comme centre d'attraction
et d'expansion d'une grande place telle qu'Oran ; et par là aussi

peut-on définir dans des limites plus précises la part qui lui revient

dans l'ensemble de l'économie algérienne, les conditions plus ou


moins imposées à son développement, comme aussi les données sui

vant lesquelles se posent les problèmes principaux dont la solution

commande son avenir.

Ce sont là les objectifs que nous avons poursuivis ; pour les


atteindre il nous a paru que l'abondance, la variété et la précision

de la documentation étaient des nécessités inéluctables. S'il arrive

que l'on puisse nous reprocher quelques lacunes voulues ou imposées


par la pénurie des renseignements dignes de confiance, on ne devra
pas oublier par ailleurs que le sout* du détail et l'accumulation des
faits et des chiffres ont répondu à notre désir de présenter un livre
utile, concret, accessible à tous ceux qui en recherchent la préci

sion et qui veulent en saisir l'enchaînement et l'évolution.


Nous
nous sommes particulièrement préoccupé de l'illustration

sous différentes formes, graphiques, reproductions photographiques,


croquis, cartes et plans. Il nous eût été difficile, pour des raisons

matérielles, de la rendre plus abondante ; mais nous avons estimé

que, dans une étude de détail, elle devait faciliter de multiples

façons l'intelligence du texte et lui communiquer la vie dont les


procédés techniques modernes permettent de l'animer.
Dans les nombreuses notes qui lé complètent on trouvera ras-
AVANT-PROPOS 9

semblés, au début de chaque chapitre, les renseignements bibliogra


phiques principaux et en général les indications des sources diverses
auxquelles nous avons recouru. Les enquêtes personnelles, indis
pensables pour un travail de ce genre, y ont été mentionnées ; tous
ceux qui nous ont apporté leur concours obligeant et précieux y
trouveront l'hommage qui leur est dû.

Nous ne pouvons oublier que, si cet ouvrage a pu voir le jour,


nous le devons à la bienveillance de M. le Gouverneur Général Le
Beau, grâce à qui il a été compris parmi les derniers volumes de la
grande Collection du Centenaire de l'Algérie. Nous lui exprimons

ici toute notre reconnaissance.

Nous avons trouvé le meilleur accueil auprès de tous les Ser


vices dont le concours était sollicité par nous. Nous devons des
remerciements particuliers à ceux de la Ville d'Oran dont les Maires,
M. Menudier et M. l'Abbé Lambert nous ont largement ouvert

l'accès, ainsi qu'à ceux de la Chambre de Commerce, à son Prési


dent M. Hernandez, et à son dévoué Secrétaire général M. Isman.

Nos remerciements vont enfin à M. Gabriel Esquer, Archiviste


du Gouvernement Général et Administrateur de la Bibliothèque
Nationale d'Alger, dont il nous est agréable de souligner une fois
de plus l'aide éclairée et amicale qu'il nous a apportée, comme ils
vont aussi aux éditeurs, MM. F Fontana et C. Lopez, Directeur de
la Revue «Chantiers», ainsi qu'à tous ceux dont l'habileté et le
talent ont contribué à doter cet ouvrage d'une illustration dont
nous pouvons être en droit d'attendre le succès.

R. L.
LIVRE I

LES CONDITIONS NATURELLES


CHAPITRE I

LA POSITION ET LE CADRE RÉGIONAL

S'il y a des villes dont la situation géographique n'a exercé

quelque influence sur leurs destinées quetardivement, à la faveur


de circonstances d'ordre purement humain, ce n'est certes pas le
cas d'Oran, qui lui doit sa naissance même, et, au cours des vicis

situdes de son histoire, les avatars successifs qui en ont fait un

comptoir, une forteresse, une grande place de commerce.

Dans cette poche, ouverte à l'Ouest sur l'Atlantique, que forme


entre l'Afrique et la Péninsule Ibérique, la Méditerranée Occi
dentale, les côtes vaguement parallèles qui se font vis-à-vis sont

alignées suivant deux directions principales, O.-E., puis en s'éloi-

gnant de Gibraltar, S.-O.-N.-E. Le cap de Gâta, qui pour l'Espagne


marque ce changement d'orientation, se rapproche de la côte

africaine, du cap Falcon, dont il n'est éloigné que de 90 milles


environ ; or, c'est à l'Est de ce promontoire que s'ouvre le golfe,

dont la baie d'Oran, entre la pointe de Mers-el-Kebir et celle de


Canastel, est la partie la plus enfoncée dans les terres. En moins

de douze heures, un voilier favorisé par le vent peut traverser ce

« channel », d'Almeria ou de Carthagène à Oran. Ainsi s'explique,


par cette proximité heureuse ou dangereuse selon les cas, et la

fondation de la ville par des marins musulmans venus d'Anda-

35° 42'
1. Position géographique: Oran -
Santa-Cruz (Marabout). Lat. N.: 25";
3° 0' 21"
Long. O. : (Mér. de Paris) .

(Annuaire du Bureau des Longitudes.)
14 LES CONDITIONS NATURELLES

lousie l'obstination du Gouvernement de Sa Majesté Catholique


!, et

à s'accrocher coûte que coûte à ce point d'appui conquis sur les


pirates Infidèles, et dans des temps plus proches, la conquête paci

fique qui a assuré à l'élément d'origine espagnole la prépondérance

numérique dans le peuplement européen d'Oran.

La situation d'Oran —
ou plus exactement de la baie d'Oran,
avec le mouillage de Mers-el-Kebir —

a, au point de vue maritime,


militaire ou marchand, une valeur particulière que l'on ne doit
ni exagérer ni méconnaître. Placée à 240 milles environ de l'entrée
de la Méditerranée, elle offre des ressources intéressantes pour

contrôler les routes de la navigation, pour les intercepter au

besoin, pour cueillir sur leur passage les navires en quête de


ravitaillement.

L'importance des avantages que confère aux ports le voisi

nage des voies maritimes, même des plus fréquentées, varie d'ail
leurs, comme on le sait, en raison des circonstances les plus diverses,
avec la situation politique, avec les changements introduits dans
la construction navale, avec l'utilisation de nouveaux combusti

bles, avec le déplacement des grands marchés qui entraîne celui

des courants et des routes, avec d'autres contingences économi


ques plus ou moins passagères. Du temps où les rapports entre

la France l'Angleterre étaient loin d'être cordiaux, dans les


et

premières années de la conquête, ongne voyait dans Mers-el-Kebir,

le port véritable d'Oran à cette époque, que la station navale des


tinée à neutraliser Gibraltar ; on lui assignait le rôle futur de « port

d'agression, d'arsenal de ravitaillement » 2, et le rang de « second


port militaire de l'Algérie ». Alger devait être le « Toulon Afri

cain » 3, Mers-el-Kebir serait le « Gibraltar de l'Algérie » 4. Un de

1. Voir plus loin, p. 44.


2. J. Barbier. Itinéraire historique et descriptif de l'Algérie. Paris, 1855, p. 208.
3. L. Lieussou. Etude les
d'Algérie. Paris, 1857, p. 92.
sur ports

4. Jules Duval. Tableau de l'Algérie. Paris, 1854, p. 294-296. Déjà Rozet, —

en 1833, avait vanté l'excellence de la position militaire de Mers-el-Kebir.


(Voyage dans la Régence d'Alger. Paris, 1833, tome I, p. 294 et suivantes.)
LA POSITION ET LE CADRE REGIONAL 15

nos plus éminents ingénieurs, Lieussou, écrivait en 1845 que Oran,


tôt ou tard, redeviendrait « ce que la nature l'a fait, la porte de
terre d'une grande rade militaire qui surveille le détroit de Gibral
tar et protège la côté Ouest de l'Algérie » 1. Moins belliqueux et

plus pratique jusqu'au cynisme, le Baron Baude rêvait d'un autre

genre de guerre, et d'un Oran devenant, de par sa position, un

grand entrepôt, « une auberge de la Méditerranée », voire même

une auberge de contrebandiers2.

De nos jours, des circonstances nouvelles, d'ordre politique, ont

fait ressortir la nécessité de garantir en tous temps la libre commu

nication de notre Afrique du Nord avec les pays maritimes de l'Afri


que et de l'Europe occidentales, la liaison ininterrompue des routes
de l'Océan avec celles de la Méditerranée. La valeur militaire d'une
position telle que celle de Mers-el-Kebir s'est trouvée de ce fait

singulièrement accrue ; l'ancien nid des corsaires musulmans, dont


l'objectif était limité à peu près complètement aux côtes de l'Es
pagne chrétienne, est en voie de devenir une base navale et aérienne

de premier ordre, au même titre que Bizerte, et avec cette dernière,


un des points d'appui, un des angles du triangle défensif dont
Toulon constitue le sommet3.

Et quant au rôle d'Oran comme port d'escale, nous aurons

l'occasion de dans étude 4


voir cette qu'il s'est avéré important, au

point d'avoir un moment éclipsé celui d'Alger.

Il faut maintenant regarder du côté de la terre. Dans cette

Algérie de l'Ouest, que l'on a raison de distinguer des autres et

que nous avons pris l'habitude d'appeler « l'Oranie », il y a, entre


le massif du Murdjadjo et les premières pentes du Dahra 5, une
région littorale basse vers laquelle convergent quelques vallées

1. A. Lieussou, o. c, p. 57.
2. Baron Baude. L'Algérie. Paris, 1841, tome II, p. 15-17.
3. Voir plus loin, p. 352.
4. Voir plus loin, p. 383.
1/500.000*
5. Voir la carte au du Service Géographique de l'Armée. Afrique
du Nord. Feuille Oran.
16 LES CONDITIONS NATURELLES

empruntées par les du Sud, vallées de la Mina,


routes maîtresses

de l'Habra, du Sig, de la Mekerra, du Tlélat, par lesquelles on


gagne les hautes plaines et les Hauts Plateaux. Une plaine d'aspect

steppien1, avec ses sebkhas et ses dayas, forme un vaste champ

d'épandage, où l'irrigation et les marécages se partagent les eaux

débouchant de la montagne et cherchant péniblement une issue

vers la mer. Cette plaine allongée du S.-O. au N.-E. sur près de


120 kilomètres, sublittorale bien plus que littorale —
car elle se

relève vers le Nord —


rassemble les voies de communication natu

relles qui se croisent suivant les directions N.-S. et O.-E. et cons

titue, sous quelque angle qu'on la considère, le lieu de passage

forcé pour gagner la mer. Sur la côte s'ouvrent deux baies également
bien abritées, celles d'Oran-Mers-el-Kebir et celle d'Arzeu qui, de
prime abord, sont aussi bien désignées par la nature l'une que
l'autre pour être les débouchés maritimes de cet important car

refour2. La position d'Oran par rapport aux routes naturelles

devait en faire en tous cas et en a fait un centre de pénétration

remarquable de l'Oranie entière ; il est devenu le principal.

Il est permis, aujourd'hui que de nouveaux moyens de trans


port ont ménagé des horizons plus étendus aux relations des hom
mes, d'élargir le cadre de ces considérations sur la situation géo

graphique d'un grand centre urbain. Il suffit ici de se rappeler

que la porte du Maroc s'ouvre sur la région des hautes plaines de


l'Oranie, que jalonnent Oudjda, Tlwncen, Sidi-bel-Abbès, Mascara,
et que d'autre part il existe une voie naturelle de pénétration vers

le Sahara et de là vers le Niger, celle des oasis de la Zousfana et


de la Saoura, la « rue des Palmiers » 3. Elle est, pour l'Algérie,

1. Marcel Larnaude (Annales de Géographie [1921]. Excursion interuniver


sitaire Algérie, p. 164-165) en a donné une description substantielle. Voir
en

aussi Gautier, Profils en long de cours d'eau en Algérie-Tunisie (Ann. de


E.-F.
Géog., 1911, p. 359-364).
2. A. Lieussou, o. c, p. 67-69. L'auteur aurait voulu réserver à Arzeu le rôle
de port marchand.

3. E.-F. Gautier. Le Sahara Algérien (Paris, 1908, p. 170), et Le Sahara (Paris,


150).
1923j p.
LA POSITION ET LE CADRE REGIONAL 17

sans nul doute la mieux tracée ; elle constitue une section du


parcours qui réduit au minimum, entre les pays de l'Europe Occi
dentale et l'Afrique -Centrale, la traversée de la Méditerranée. Les
avions l'ont déjà survolée 1 ; elle figure dans les projets de Trans
sahariens.

1. Oran -
La Sénia est devenu la tête d'une des lignes Algérie-Congo exploi

tée en pool avec la ligne belge de la S.A.B.E.N.A. Voir plus loin, p. 424.
CHAPITRE II

SITE1
LE

La baie d'Oran, telle que nous l'avons définie, appartient au

type méditerranéen occidental des côtes découpées en lobes2, et

témoigne par sa forme et son aspect des effondrements qui lui ont

donné naissance. La chute des terres apparaît brutale, lorsqu'on


en découvre le pourtour du large, en approchant par mer du port

d'Oran, ou lorsque, de ce belvédère qu'est la promenade de

Létang, on en suit ledessin, depuis les à-pics par lesquels le Santon


tombe sur Mers-el-Kebir et la montagne de Santa Cruz sur la
pointe de Lamoune, jusqu'aux falaises escarpées, de 120 à 220 mè
tres, qui marquent la tranche du plateau d'Arcole. La déclivité.

des pentes, trop proche de la verticale, n'a pas permis à la végé


tation de s'y accrocher, et ce paysage âpre et dénudé, s'affrontant

à la coupure qui, à l'Ouest, détache tout aussi brusquement de la


masse lourde du Murdjadjo le pitofc de Santa Cruz, ne manque

certes ni de pittoresque ni même de grandeur.

Une analyse sommaire de la topographie continentale permet

de distinguer successivement de l'Ouest à l'Est et du Nord au Sud :



La montagne représentée par les deux crêtes du Santon (318
mètres) , et du Murdjadjo (513 mètres) culminant à l'Aidour 3, entre

1. Carte de l'Algérie. 1/50.000"; feuille


153, Oran. —
Plan d'Oran au
1/10.000°
du Service Géographique de l'Armée publié en 1928.
2. Suess. La face de la Terre, trad. de Margerie, tome I, p. 289. Paris, 1897.
3. Le point culminant est, en réalité, plusau Sud-Ouest, à 591, à 8 k. 700

au droit de Brédéah, en dehors de ce que l'on peut considérer comme le site

d'Oran : c'est l'observatoire de Ben-Sabilia.


LE SITE 19

lesquelles se creuse une dépression synclinale ouverte sur la rade


de Mers-el-Kebir ; Le plateau, qui du pied des premiers escar

pements de Santa Cruz, de la Casbah, du Bois des Planteurs et de


la Tour Maussion1 se développe à l'Est avec une double incli
naison ; d'une part il s'élève en pente douce vers Arcole, de 80
mètres de 200, d'autre part il s'incline lentement vers le
à près

Nord jusqu'au bord des falaises dominant la mer. De ce côté, il est


entaillé par cinq ravins ; le plus long et le plus profond, celui de

Ras-el-Aïn, a été le gîte de la première agglomération urbaine, et



il abrite encore la « vieille ville » d'Oran ; La plaine de la
Grande Sebkha et des Dayas (Daya Morselli) vers laquelle le
plateau s'abaisse progressivement par une série de petits mamelons

festonnés et de ravineaux, suivant une pente générale dirigée du


N.-O. au S.-E.
Sur ce site il y a deux points de contact de la terre et de la mer,
qui pouvaient à priori se prêter à l'établissement d'une ville conçue

selon le mode classique des vieilles cités maritimes de la Méditer


ranée : soit l'extrémité du synclinal et les pentes dominant la rade

de Mers-el-Kebir, soit le fond de la baie d'Oran, au débouché du


seul ravin qui prenne un peu figure de vallée.

Dans le premier cas, « on s'imagine facilement sur les pentes,


comme l'a écrit Marcel Larnaude2, l'étagement d'une ville haute
dégringolant jusqu'au port avec lequel elle reste en contact. Le site
aurait été très semblable à celui d'Alger, accolé dans l'Ouest de sa

baie aux pentes du Sahel. » Mais alors les communications avec le


carrefour de la plaine étaient interceptées par le Murdjadjo, une
barrière continue de 500 m. de hauteur, que l'on ne pouvait guère
tourner que par la mer. Ce n'est pas sans raison que l'un des pre

miers travaux de routes entrepris par le Génie, immédiatement après

notre occupation, fut celui de la route en corniche qui devait faire


sortir Mers-el-Kebir de son isolement3.

1. Voir la carte au 1/50.000".


2. Marcel Larnaude, o. c, p. 166.
3. Voir plus loin, p. 159.
20 LES CONDITIONS NATURELLES

A s'en tenir à cette seule considération du relief, la seconde solu


tion avait bien des chances d'apparaître la meilleure. Le ravin de
Ras-el-Aïn est, en effet, la seule échancrure naturelle par laquelle

on puisse du fond de la baie gagner facilement la Sebkha, en suivant

le pied des escarpements de la montagne et en évitant tout obstacle

sérieux. Prenant naissance à environ 3 kilomètres de la côte, il a,


en reculant sa tête si proche du niveau de base, capturé la source
descendue des pentes du Murdjadjo. Il reste étroit et tortueux jus

qu'à la cote 40 1, à environ 750 m. de la mer. A partir de là, (an


cienne porte de Tlemcen), le site s'élargit, tandis que le thalweg est

réjeté sur la droitecontre le talus du plateau qui va d'ailleurs en

diminuant dedéclivité, sauf à son extrémité Nord, et en s'abaissant

dêr 110 (Camp Saint-Philippe et Fort Saint-André) à 80, puis à


m.

60 (Château Neuf) ; sur la rive gauche, des pentes, constituées par


les éboulis et les matériaux d'entraînement de la montagne, offrent

des déclivités plus propres à la construction, depuis les niveaux de


30 et 40 m. jusqu'à 70 et même 80 m. Si l'on suit, dans la direction

du Nord et du Nord-Ouest les courbes de niveau du plan topogra

phique, on les voit dessiner d'abord un saillant demi-circulaire très


accentué, dont le centre est sur l'emplacement de l'Hôpital militaire ;
puis elles se resserrent là où se sont établis la Calère et les Jardins
Welsford (entre 30 et 85 m.). La terminaison en falaise, aujourd'hui

masquée par les constructions et atténuée par les travaux de ni

vellement était donc ici aussi un des traits du paysage originel 2. Le


ravin ne débouchait que par une échancrure ; il n'y avait aucune

1. On se reportera au plan que nous avons établi avec la collaboration de


M. Viau, géomètre et dessinateur de la Régie Foncière d'Alger, d'après le remar

quable MM. Danger Frères, exécuté à l'échelle de 1/5.000" ; nous


travail de
nous l'avons seulement dépouillé de la planimétrie et nous avons accentué les
courbes maîtresses, en indiquant quelques cotes choisies et quelques emplace

ments actuels.

2. Les gravures anciennes, si imparfaites et si fantaisistes qu'elles soient, en

donnent souvent l'impression ; la Marine fut toujours, jusqu'à notre arrivée,


considérée comme étant hors de la ville.
LE SITE 21

plaine d'alluvions, mais seulement une petite bande littorale étroite


et une « marine » dominée de tous côtés.

Ce site permettait, au-dessus et à gauche du ravin, l'établissement


d'une ville construite en étage, de modeste étendue (60 à 70 hec

tares), adossée à la montagne, jouissant de la meilleure exposition,


au Nord-Est et à l'Est, et dont les communications avec l'intérieur
seraient naturellement et facilement assurées.

Il y avait sur le plateau des possibilités beaucoup moins limitées


pour l'installation d'une grande cité —
et dans le cas d'Oran, pour

le jour où la vieille ville déborderait du cadre étroit de son premier

site. Plusieurs kilomètres d'espaces libres, de l'Ouest à l'Est, sur plus

d'un kilomètre en profondeur —


si l'on ne considérait que le versant

Nord du plateau ; aucun accident de terrain vraiment assez impor


tant pour arrêter des constructeurs, quelques bosses seulement, dont
la plus notable forme ce qu'on a appelé le plateau Saint-Michel, où
s'élève l'Hôpital civil (115 m.) ; aucun point, entre la bordure du ra

vin, au Camp Saint-Philippe, et le site de Gambetta Saint-Eugène,


et

qui dépassât en altitude 120 m. Du côté du Sud-Ouest et du Sud, un


abaissement des pentes très progressif, sans le moindre ressaut.

C'est sur la face Nord regardant la baie que se trouvaient les


seules dénivellations notables, sous la forme de ravins ouverts vers
la mer. Le premier, profond de plus de 30 m., s'enfonçant dans les
terres sur près de 800 m., le ravin de l'Aïn Rouina, découpait avec
le ravin du Vieil Oran un véritable promontoir de près de 8 hec

tares de superficie, relié au plateau par un isthme étroit de 100 m.

à peine de largeur, magnifique position jouissant de vues étendues,


mais trop bien adaptée à des buts militaires pour ne pas devenir une

citadelle —
espace perdu pour l'urbanisme. Un peu plus à l'Est, de
150 m., une autre échancrure de la falaise s'ouvre par le ravin de la
Mina, qui ne s'enfonce dans les terres que de 150 m. environ ; puis

à 400 m. à l'Est, beaucoup plus étroit, mais un peu plus profond, le


ravin de la Cressonnière, et enfin à 2 kilomètres de la vieille ville le
ravin Blanc, dont le débouché est si nettement marqué dans le paysa

ge oranais par les falaises blanches que couronne une batterie de la


22 LES CONDITIONS NATURELLES

défense. Ce ravin qui, à l'origine et avant tout aménagement, n'avait

pas moins de 2 kilomètres, avec un thalweg accusant une dénivella


tion de 120 m. de la source à la mer, était un fossé naturel délimi
tant au Sud-Ouest le plateau de Gambetta, et ses abords pouvaient

constituer aussi une limite d'extension de la ville proprement dite.

Les conditions maritimes étaient-elles aussi favorables ? On peut

répondre immédiatement par la négative. La baie d'Oran offrait deux


mouillages naturels de valeur fort inégale. Ce ne sont certes pas les
fonds qui faisaient défaut, comme en général sur les côtes de l'Al
gérie. On pouvait être assuré, en effet, de trouver partout 10 m. à
moins de deux encablures ; la courbe bathymétrique de 20 m. ne

s'écarte nulle part de plus d'un demi-mille du K II n'y a d'at-


rivage

terrissements qu'en deux points, où le contre-courant d'Est en


Ouest 2 qui contourne le fond de la baie a formé avec les apports de
sables arrachés aux falaises du golfe deux plages étroites 3 : une dans
l'anse de Karguentah, au Sud-Ouest du Cap Blanc4, l'autre dans la
rade de Mers-el-Kebir, entre Sainte-Clotilde et Saint-André 5. Fonds

de sable partout, pas de hauts fonds ni d'écueils dangereux. Mais,


avant toute espèce de travaux, il n'y avait vraiment qu'un seul abri

sûr par tous les temps : celui que constitue la pointe la plus méri

dionale marquant la chute à la mer du Djebel Santon. Il y a là une


petite presqu'île, longue de 900 m^ large de 200 en moyenne, qui a

1. Algérie. Plan des mouillages d'Oran et de Mers-el-Kébir,


3479. Dépôt
des Cartes et Plans de la Marine.
2. Service hydrographique de la Marine. Instructions nautiques. Mer Médi
terranée. Côte Nord du Maroc, Algérie, Tunisie. Paris, 1919. Tirage de 1922,
p. 148-149.
3. C'est ainsi définissait la position d'Oran M. -A. Bérard dans sa Des
que

cription, nautique des Côtes de l'Algérie (Paris, 1839, 2° éd.) : « Au fond du


grand enfoncement qui existe à l'O. du Cap Ferrât, il y a deux plages de sable

entre lesquelles se trouve la ville d'Oran... » (p. 170).


4. C'est la dénomination donnée sur la carte marine à l'extrémité de la
falaise qui domine le Ravin Blanc. La plage en question occupait le fond de
l'ancienne « baie de Sainte-Thérèse » aujourd'hui comblée.
5. Elle est utilisée par les baigneurs de la petite station de Roseville.
LE SITE 23

dû sans doute s'avancer jadis beaucoup plus loin vers l'Est, jusqu'à
près de 3 kilomètres, ainsi que l'atteste l'allure des courbes bathy-

métriques, mais qui en tous cas abrite parfaitement un mouillage de


50 hectares des vents du Nord et du Nord-Ouest connus comme les
plus redoutables. Seuls les vents du Nord-Est, peu fréquents d'ail
leurs, et quelques lourdes rafales d'Ouest1, venues par la gorge qui

sépare le Santon du Murdjadjo, peuvent inquiéter les navires à l'an


cre qui se sont placés en dehors de certaines limites connues des

marins 2.

Il n'en était pas ainsi pour l'autre mouillage, celui qui a été l'ori
gine bien modeste du port d'Oran. La pointe rocheuse de Lamoune,
qui termine la montagne de Santa-Cruz ne pouvait offrir qu'un abri

fort restreint, sur un hectare à peine ou deux, contre les vents du


Nord et de la partie Ouest ; une faible brise de Nord-Est suffisait
pour interdire tout débarquement 3. Lieussou ne faisait que résumer

quantité de témoignages antérieurs quand il écrivait sur l'anse de


Lamoune : « Les ressources qu'elle offre naturellement à la marine

sont à peu près nulles 4. » Il ajoutait d'ailleurs : « Elle n'a de valeur

que comme emplacement d'un port artificiel. » Avant lui, le Capi


taine de corvette Bérard, à qui nous devons les premiers travaux
hydrographiques et les premières instructions nautiques sur les côtes

de l'Algérie, notait 5 que « pendant la belle saison », les bâtiments


de commerce pouvaient mouiller devant Oran par 8, 6 ou 4 brasses

1. M.-A. Bérard, o. c, p. 171-172, et A. Lieussou, o. c, p. 48-49 : « Le 25


décembre 1830, écrit Bérard, le brick « Le d'Assas » a essuyé, sur cette rade,
un coup de vent d'O. ; le commandant Pujol dit ne pouvoir mieux faire, pour

en donner une idée, que de la comparer aux ouragans des Antilles. »

2. Les Instructions nautiques recommandent, pour être assuré, de ce côté

comme du côté du N.-E., de se rapprocher de la côte N. de la baie, de manière

à masquer complètement le cap de l'Aiguille par la pointe de Mers-el-Kebir


(p. 146-147).

3. A. Lieussou, o. c, p. 54.
4. Idem.

5. M.-A. Bérard, o. c, p. 170.


24 LES CONDITIONS NATURELLES

d'eau, fond de sable, mais qu'avec les vents du Nord-Est, « ils étaient
fort incommodés par la mer. »

Ainsi, par un fâcheux concours de circonstances naturelles, et

un partage regrettable des avantages qu'elles pouvaient offrir, entre

les deux positions de Mers-el-Kebir et d'Oran, il s'est trouvé que la


plus favorable à l'établissement d'une ville était la moins propice à
celui d'un port, et inversement. Il appartenait à nos ingénieurs de
réparer cette disgrâce ; on doit d'ailleurs reconnaître qu'ils ont eu

moins de mal à couvrir le fond de la baie d'Oran que ceux qui ont

travaillé et qui travaillent encore à Alger.


CHAPITRE III

QUELQUES DONNÉES CLIMATIQUES

Il ne saurait être question de faire ici une étude approfondie du


climat d'Oran ; aussi bien la documentation dont on peut disposer
se révèlerait-elle insuffisante2. Oran n'est d'ailleurs pas une station

climatique et n'a jamais manifesté jusqu'ici l'ambition de le de


venir 3. Toutefois, on ne peut négliger complètement, parmi les condi

tions naturelles qui ont pu ou qui peuvent exercer une influence


sur la vie urbaine, celle-ci, dont au moins un facteur, la pluviomé

trie, a une action directe, reconnue par de nombreuses expériences,


sur l'approvisionnement des sources alimentant la ville et les fau
bourgs 4. Et par ailleurs, si l'on veut faire d'Oran —
et à juste titre —

un centre de tourisme, sinon d'hivernage, il n'est pas sans intérêt de

1. Les observations qui ont servi de base à cette étude sont consignées dans
les Annales du Bureau central météorologique de France -
Observations mé

téorologiques du réseau africain. Elles ont été aussi réunies et commentées

dans les études de Angot : Etude sur le climat de l'Algérie (Ann. du Bur. cent.

Met, 1881, tome I, p. B, 736, Paris, 1883), dont les conclusions portent sur la
période 1860-1879, et A. Thévenet : Essai de Climatologie algérienne (Alger, 1896) .

Le Service météorologique algérien, reconstitué sur de nouvelles bases en 1913,


publie un Bulletin mensuel de l'Institut de météorologie et de physique du
globe de l'Algérie, et, depuis septembre 1922, des cartes trimestrielles de pluies.

2. Elle est, en effet, fragmentaire et parfois sujette à caution. Du moins,


depuis 1926, les observations d'Oran-port présentent des garanties plus sérieuses.

3. En 1927, le Conseil Municipal a émis un vœu pour le classement d'Oran


comme station de tourisme. (Arch. Mun., séance du 25 février.)

4. Voir plus loin, p. 286 et 297.


26 LES CONDITIONS NATURELLES

connaître les données essentielles qui lui confèrent, ainsi qu'à l'Ora
nie, une physionomie nettement distincte de celles des stations litto
rales du Centre ou de l'Est algérien.

En ce qui concerne la température, le climat d'Oran ne présente


aucune différence essentielle, vis-à-vis des autres stations du littoral
algérien. Si nous prenons comme terme de comparaison celle d'Alger,
nous constatons que la variation thermique annuelle a la même al

lure. Voici les moyennes mensuelles établies sur les observations de


40 années consécutives * :

Jan. Fév. Mars Avr. Mai Juin Juil. Août Sep. Oct. Nov. Dec.

Oran... 11°1 11,6 13,4 15,4 18,2 21,4 23,5 24,4 22,4 18,2 14,7 11,7
Alger... 12°3 12,6 14,1 15,8 18,4 21,6 24,4 24,8 23,2 19,7 15,4 13

Le mois le plus froid est celui de janvier ; celui d'août est le plus

chaud ; l'ascension de la température est plus lente que la descente :

rien que de parfaitement connu. Si la moyenne annuelle est légè


rement inférieure, 17,16 contre 17,9, et si l'amplitude est un peu

plus élevée à Oran qu'à Alger (13,3 contre 12,5) cela tient à ce

que les trois mois de l'hiver y sont plus frais, sans doute sous l'in
fluence des vents du Nord-Ouest qui ont traversé la masse conti
nentale froide de l'Espagne et n'ont pas eu le temps de se réchauffer

sur la Méditerranée resserrée dans sa partie occidentale. Le fait


est mis en lumière par la comparaison des moyennes de minimas :

Jan. Fév. Mars Avr. Mai Juill Juil. Août Sep. Oct. Nov. Dec.
Oran... 7°8 8,1 9,7 11,9 14,6 17,7 20,4 21,1 19,2 15,3 11,4 7,9
Alger... 9°1 9,7 10,4 11,9 15,1 18,2 20,7 21,7 20,1 16 13,1 10,2

Les minimas extrêmes accusent encore plus nettement cette

nuance. Ainsi, pour la période de 25 années (1889-1914) il y a entre



les deux stations un écart de près de (1,7 exactement). Le plus

souvent —
et cette observation n'est pas particulière à Oran —
la

1. Nous donnons ici les résultats de Thévenet, rectifiés par ceux des années

1896-1914 (Ann. du Bur. cent. Met.). Il n'a pas été nécessaire d'opérer la réduc

tion de la mer, les deux stations d'Oran (Hôpital militaire)


au niveau et d'Alger
(Hôtel de Ville) étant sensiblement à la même hauteur.
QUELQUES DONNEES CLIMATIQUES 27

baisse la plus forte accompagne des pluies prolongées d'hiver et

coïncide avec des bourrasques venues de l'Ouest. En décembre


1932, il est tombé à Oran 173 mm., précipitation exceptionnelle re

présentant plus de trois fois la quantité normale (53) ; les vents

de la partie Ouest ont prédominé, et aucune journée de calme n'a

pu être observée. La moyenne des minimas et des extrêmes a été


de 10°,8 de 7°,2. Or, à Alger, dans le même temps, il ne tombait
et

que 80""°, soit 0,60 % de la normale, et l'on notait 56 % de calme

atmosphérique. Les moyennes ont été respectivement de 12°,1 et

9°,2. En tous cas, la neige et les gelées sont tout aussi rares à Oran
qu'à Alger.
On est un peu surpris, quand on connaît le paysage oranais,
d'aspect certainement plus africain, et dont la végétation témoigne
d'influences steppiennes, de constater que les maximas de la saison
chaude, de juin à septembre, ne sont pas plus élevés dans la station
de l'Ouest que dans l'autre ; ils seraient plutôt inférieurs. Mais les
écarts observés dans la pluviométrie générale suffisent à expliquer
cette différence d'aspect, et par ailleurs la situation de la ville2
lui
confère sur la majeure partie d'Alger, l'ancien Alger et Mustapha,
l'avantage d'être mieux exposée aux brises rafraîchissantes du
large. Est-ce la raison pour laquelle les extrêmes accusent la même

nuance ? Entre 1896 et 1914, on n'y a noté que deux fois une tem

pérature supérieure à 40°, contre 14 observations de ce genre à


Alger.
Il est d'ailleurs regrettable que l'on ne puisse disposer que de
résultats relevés à l'Hôpital militaire ou au Port, alors que la masse

1. Voici les résultats pour la période 1875-1914 :

Juin Juillet Août Septembre


Oran 25°8 28,7 28,7 26,4
Alger 25°1 28,4 29,4 27j

Les observations faites de 1927 à 1934 donnent les moyennes suivantes :

Oran 24°9 27 28,2 26,8


Alger 26°1 28,2 29,1 27,3

2. Et de la station météorologique du Port.


28 LES CONDITIONS NATURELLES

principale de la ville se développe sur le plateau de Karguentah,


en direction de Saint-Eugène et d'Arcole, et qu'il existe d'autre
part un véritable versant, celui des faubourgs du Sud, dont l'expo
sition doit avoir certainement une influence locale sur les varia
tions thermiques. Il y aurait là matière à quelques recherches de
détail auxquelles les urbanistes ne sauraient être indifférents.

Beaucoup plus que la température, la pluviométrie permet de


distinguer nettement le climat d'Oran de celui des stations littorales
du Centre et de l'Est ; sur ce point, toutes les observations concor

dent, quelles que soient les dates et le nombre des années envisa

gées. Voici les moyennes mensuelles établies par Thévenet pour la


période 1875-18941;
J"'
Sept. Oct. Nov. Dec. Jan. Fév. Mars Av. Mai Juin Août Total
Oran 16mm3 41,1 60,7 73,4 77,5 67,1 61,4 42,5 36 7,3 1,8 1,2 486,3
Alger 28°,°3 79,1 110,9 128 110,7 93,5 86,7 59,9 35,5 14,4 1,5 7 745,5

M. Lasserre2 relève les chiffres suivants pour la période 1914-

1924:
12mm
25 63 53 51 33 36 31 25 11 0 0 340
22™ m
80 122 106 104 63 71 45 25 24 2 1 665

Dans l'un comme dans l'autre de ces tableaux, Oran apparaît

manifestement comme une station beaucoup plus sèche qu'Alger ;


l'écart est surtout sensible en automne et en hiver. Angot en a

donné une explication plausible : «s vents venus des directions in


termédiaires entre l'Ouest et le Nord, lorsqu'ils abordent le conti

nent africain, ont déjà déposé une grande partie de leur humidité
sur les reliefs de l'Espagne et n'ont le temps, dans leur
pas eu

courte traversée du « channel » méditerranéen, de se recharger

1. Nous les avons rangées dans l'ordre de succession des mois de l'année
agricole. Nous avons déjà noté (p. 26, note 1) que l'altitude des deux stations

météorologiques était sensiblement la même, ce qui justifie une comparaison.

2. Aperçu de la pluviométrie en Algérie (Congrès de l'Eau. Alger, janv. 1928) .

Angot (o. c.) donnait, pour la période 1860-1879 :

Oran 21 59 67 87 75 67 72 65 30 8 12 554
Alger 26 72 92 111 76 67 77 49 25 17 1 8 621
QUELQUES DONNEES CLIMATIQUES 29

d'une quantité importante. On pourrait faire la même remarque,


partielle du moins, pour les vents du Sud-Ouest par rapport aux

reliefs du Maroc ; ces vents sont les plus fréquents en hiver.

Cette différence profonde étant mise à part, la répartition des


pluies est analogue dans les deux stations. Le pourcentage des quan

tités tombées dans les quatre mois de la saison froide, de novembre

à février, est à peu prèsle même, légèrement supérieur à Alger :

57 % à Oran, 59 % à Alger 1.

Par contre, le coefficient de variabilité est sensiblement plus

élevé à Oran. Les calculs de M. Lasserre pour la période de 1914-

1924 2 donnent le chiffre de 2,5 contre 1,8 à Alger ; Angot donnait


2,9 contre 1,8 3. Cette plus grande variabilité paraît être due —
si

l'on peut hasarder cette interprétation —


à l'orientation variable

elle-même des vents prédominants de la saison froide, ceux de la


partie Ouest les pluies, selon qu'elle est plus ou moins
qui apportent

éloignée du Nord-Ouest ou du Nord, circonstance qui ne joue pas


au même degré pour Alger.

De toutes manières, le climat d'Oran représente, sous le rapport

de la pluviométrie, quelque chose d'intermédiaire entre le régime

du littoral du Centre et celui des steppes.

1. Si l'on se reporte, pour le calculer, aux deux autres tableaux que nous
d'
avons donnés, on trouve respectivement : dans celui Angot, 53 et 55,1 %,
dans celui de M. Lasserre, 58 et 59 %.
2. O.c, p. 23.
3. Nous relevons ici les résultats comparés d'Oran et d'Alger de 1926-27 à
1932-33 :

Oran Alger
Total annuel Total annuel

1926-27 343 592


1927-28 736 831
1928-29 459 997
1929-30 423 Ecart entre les extrêmes : 2,24 708 Ecart correspondant : 1,74
1930-31 512 845
1931-32 333 626
1932-33 507 571

fr
30 LES CONDITIONS NATURELLES

On aimerait à connaître la fraction d'insolation calculée pour

chaque mois de l'année et à pouvoir la comparer à celle d'une


autre station choisie, telle qu'Alger par exemple. Il n'existe mal

heureusement aucune faite à l'héliographe ;


mesure on doit se

contenter d'une donnée approximative, déduite de la mesure de


la nébulosité, et encore d'une moyenne annuelle. Celle-ci a été pour

les années 1923 et 1927-1934, de 3,6 à Oran contre 4,5 à Alger, ce

qui donnerait une fraction d'insolation moyenne de 0,64 contre

0,55 *. Elle dénote une différence assez sensible entre les deux sta

tions.

1. Voir A. Angot. Traité élémentaire de Météorologie. Paris, 1907, p. 211-212.


N
On peut, en effet, la calculer d'après la formule 1 = 1 , où I représente la

fraction d'insolation, c'est-à-dire « la proportion du temps pendant lequel


le soleil a brillé réellement à celui pendant lequel il aurait brillé s'il n'y avait

eu aucun nuage », et où N mesure le degré de nébulosité estimé de 0 à 10.


3,6 4,5
On trouve ainsi, pour Oran : 1 = 1 = 0,64, et pour Alger '"
: 1 = 0,55.
10 10
Mais ce n'est là qu'une approximation.

I
CHAPITRE IV

LES RESSOURCES EN EAU

La question de l'eau a joué et devait jouer un rôle capital dans


le choix du site urbain d'Oran. Elle a certainement contribué à
faire délaisser Mers-el-Kebir comme emplacement d'une ville, au

moins autant que les obstacles opposés par la topographie à une

pénétration facile vers l'intérieur. L'eau y faisait, en effet, défaut1,


au point que, sous la domination turque et espagnole, la garnison

du fort dut se contenter le plus souvent des citernes, et qu'à l'heure


actuelle encore le village né depuis notre occupation est approvi

sionné par une conduite venue d'Oran 2. Peut-être aussi, sans qu'on

1. Rozet, o. c. L'auteur notait, en 1833, que, pour cette raison majeure, les
conditions naturelles y étaient très défavorables à un établissement de coloni

sation. Bérard (o. c, p. 173) signale aussi le fait. « Il existait, dit-il, autrefois,
sur la Ouest,
côte une grande citerne destinée à fournir l'eau aux bâtiments.
Aujourd'hui, il n'y a plus que la ressource de la citerne du fort, qui est à
peine suffisante pour la garnison. On est donc obligé de la faire venir d'Oran,
ce qui n'est pas toujours aisé. » Les navires allaient aussi se réapprovisionner,
quand l'état de la le permettait, près du Cap Falcon, dans la petite anse
mer

de « Las Aguadas », dont le nom est significatif ; ils n'y disposaient guère,
d'ailleurs, que d'une citerne « généralement à sec en été ». (Instructions nau
tiques, o. c, p. 145) . L'auteur de la bonne notice sur les points occupés que

l'on trouve dans le Tableau des Etablissements français dans l'Afrique du Nord,
publié en 1838 (p. 52), après avoir décrit l'Oued-er-Rehi, ajoutait: «Ce cours

d'eau si précieux et l'heureux site du ravin ont, sans contredit, déterminé l'éta
blissement de la ville dans cette position, quoi qu'il n'y ait qu'une petite rade,
de préférence à Mers-el-Kebir, où est le port. »

2. Voir plus loin, p. 282.


32 LES CONDITIONS NATURELLES

puisse l'affirmer, est-ce la même raison qui a assuré la prééminence

d'Oran sur Arzeu1.

Tout contraire, les témoignages les


anciens2
au plus concordent

pour vanter les bienfaits de la source qui alimentait l'Oued coulant

jusqu'à la mer dans le ravin dont les bords ont été le site du vieil

Oran ; on l'appelait jadis « Oued er Rehi », l'Oued des moulins.

Cette source, qui pendant des siècles et même après notre installa

tion, a suffi à fournir l'eau potable nécessaire aux habitants, à ar

roser des jardins à faire tourner des moulins, a


et son origine sur

le versant Sud-Est de la crête du Murdjadjo3. Elle coule souterrai-

nement sous un ravin desséché jusqu'au pied de la montagne, où,


à Ras-el-Aïn, elle a été capturée naturellement avant d'être captée
artificiellement. L'eau en est douce et de bonne qualité, si l'on
prend du moins la précaution de la préserver des pollutions d'ori
gines multiples auxquelles elle peut être exposée.

Dans sa description si précise, Rozet nous parle de plusieurs

autres sources et ruisseaux débouchant sur le bord de la mer4


et

particulièrement de celle du Ravin Blanc, qui avait alimenté avant


notre arrivée le faubourg de Karguentah 5, et qu'il mentionne comme
ayant toujours de l'eau.

1. Lieussou (o. c, p. 67), après Aoir signalé


qu'

Arzeu offre un très bel


emplacement de ville, ajoute : « Le seul inconvénient grave de cette position

maritime est le manque d'eau douce. »

2. Voir plus loin, p. 47.


3. Rozet, qui l'a décrite, parle de son origine dans les montagnes d'Akbet-

Aroun (?), de son cours souterrain dans la vallée orientée Ouest-Est


d'abord,
puis vers le Nord, à partir du lieu dit t La Fontaine
», qui n'est autre que
Ras-el-Aïn, « la tête de la Source », où une ouverture latérale permet i
l'eau de s'écouler vers le ravin et dans l'aqueduc (p. 18-19).
4. Il ne nomme pas l'Aïn-Rouina, qui n'a jamais dû être qu'un ruiss'

intermittent
5. Rozet (o. c, p. 19) : «A un quart d'heure de la Medersa (de Karguentah),
à l'extrémité de l'anse qui se trouve devant le bâtiment, il existe un ruisseau
abondant qui coule dans le fond d'une vallée profonde... l'eau suit maintenant
son cours naturel pour se rendre à la mer. Après avoir tra^jersé ce ruisseau
Vue perspective d'Oran, d'après une gravure espagnole de 1732.
(Iconographie historique de l'Algérie, tome II, Gabriel Esquer).
1. Castillo de San Phelipe. Convento de S. Domingo.
11. 21. Atalaya.
2. Castillo de San-Andrès Convento de S. Francisco.
12. 22. Montana del Santo.
3. Torre de Madrigal. Huertas de Oran.
13. 23. Puerta de Mallorca.
4. Castillo de Rosalcazar. 1>N. Molinos Harineros.
14. 24. La Alcazaba.
5. Puerta de Canastel. J<3^L5. Los Baranes. 25. Puerta de Trémecen.
6. Ifre, Lugar de Moros. Corrales de las Barcas. 26. Arroyo, o Rio.
7. La Montana de la Meseta. Ermita de Nuestra Sefiora del 27. Camino pora el Castillo de San
8. Castillo de Santa-Cruz. Carmen. ta Cruz.
9. Iglesia de Santa Maria. 18. Castillo de S. Gregorio.
10. Convento de Nuestra Sefiora de 19. Bahia, o Puerto de Mazarquivir.
la Merced. 20. Castillo de Mazarquivir.
LES RESSOURCES EN EAU 33

Ces ressources pouvaient être suffisantes pour une cité d'impor


tance médiocre, voire même moyenne ; mais elles ne devaient plus

répondre aux besoins d'une grande ville. Oran pourrait-il en trouver


d'autres dans ses environs immédiats ?

Il faut tout d'abord éliminer, comme inapte à l'alimentation,


mais seulement propre à l'arrosage, la nappe d'eau saumâtre peu
profonde (de 1 à 5 mètres) qui correspond aux anciennes sebkhas

dont est parsemé le pied du plateau de Karguentah et d'Arcole


vers le Sud1. Mais il reste un réservoir naturel fourni par le massif

du Murdjadjo, véritable éponge qui absorbe les eaux de pluie pour


les emmagasiner à des niveaux étages. Le flanc méridional est, en
effet, recouvert d'une carapace de calcaire très perméable du Mio
cène supérieur (Sahélien) ; elle repose partout sur des terrains im

perméables, schistes du Jurassique moyen (Oxfordien), schistes,


quartzites et marnes du Crétacé inférieur. Le contact de ces for
mations est éminemment propice à la constitution de nappes aqui-

fères. La surface des calcaires reproduit la topographie classique

des calcaires fissurés, avec des crevasses parfois béantes, des grottes,
des ravins à sec, de véritables « avens », des bétoires où les eaux

peuvent s'engouffrer 2. La carte topographique au 1/50. 000e a par

faitement noté les principaux de ces accidents, et particulièrement

on se trouve au-dessous d'une falaise escarpée formée par le terrain tertiaire.


qui s'élève jusqu'à 130 m. au-dessus du niveau de la mer. » Il est facile de

reconnaître, dans cette description, la source du Ravin Blanc.


1. Voir la Notice de MM. F. Doumergue et E. Ficheur, adjointe à la Carte
1/50.000"
(feuille 153).

géologique d'Oran, au

2. L'analyse détaillée de ces conditions géologiques a été faite de la ma

nière la plus claire et la plus précise par M. Savornin, professeur à la Faculté


des Sciences de l'Université d'Alger, dans un rapport inédit qu'il a bien voulu

nous communiquer et que nous avons utilisé ici et plus loin. (Ville d'Oran.
Sources de Brédéah. Rapport d'étude hydrogéologique, 31 mars 1928). Les for
mations perméables sont celles qui sont désignées sur la carte géologique par

3 4 4 4
les lettres m4

(cale, blanc du Murdjadjo) m -, m -, m -, m -, les formations


4 4 9 8 5 d
imperméables sont m -, m -
(marnes à silex) m2, J2, Crv, v.
34 LES CONDITIONS NATURELLES

les lits parallèles (N.-N.-O. S.-S.-E.), tracés par des torrents inter
mittents, qui s'effacent avant d'arriver à la plaine.

Ainsi, par l'absorption des eaux de pluie, après une circulation

souterraine plus ou moins complexe et anastomosée, se constituent

toute une série de nappes, dont les plus profondes forment, au-des
sous des « eaux libres » et même du niveau des sources, l'ultime
réservoir des eaux dites « captives » ou « fossiles ». La carapace

calcaire s'enfonce d'autre part sous les dépôts pliocènes et les allu-

vions quaternaires, marnes et argiles imperméables qui ont comblé

la grande cuvette de la Sebkha, pour reparaître au Sud, près d'Arbal


et d'Er Rahel, à une altitude minimum de 140 mètres, alors que le
fond de la Sebkha est à 80 mètres.

C'est cette stratigraphie qui explique la présence des sources

et les possibilités, nombreuses assurément, de puiser de l'eau par

aspiration et pompage. Ras-el-Aïn appartient à ce système hydro


logique 1. Les eaux de Misserghin (source des Moulins) , qui sur

gissent à un niveau plus élevé, ont une origine similaire, mais un

peu différente : elles sourdent au contact des calcaires et d'une


assise intercalaire de marnes imperméables 2. Celles d'Aïn-Beïda,
à 4 kilomètres à l'Est et celles de Brédéah, à 26 kilomètres au S.-O.
d'Oran, quoique en relation avec des nappes reconnues indépen
dantes, ressortissent du grand domaine aquifère des calcaires sahé-

liens 3. A
Si la disposition structurale semble devoir au premier abord

suggérer à l'esprit l'idée de surgescences artésiennes4, M. Savornin

1. Voir la notice de la carte géologique.

2. Idem. Selon M. Savornin, et la Carte géologique en témoigne, la source

située a 600 m. au Sud du Marabout de Sidi-Zakelas est due à la présence

d'argiles absolument imperméables (m2) à la base des calcaires (m') et des


roches calcaro-gréseuses qui leur sont subordonnées, une forte échancrure
ayant raviné et entaillé plus profondément qu'ailleurs les formations perméables.

3. Il en est de même de la source de Pont-Albin, à 6 kil. au N.-E. de


Misserghin.
4. Renou, dans son étude sur la géologie de l'Algérie (Exploration scienti

fique de l'Algérie pendant les années 1840, 1841, 1942 [Paris, 1848]. Sciences
LES RESSOURCES EN EAU 35

a montré qu'il n'en était pas et qu'il ne pouvait pas en être ainsi,
notamment pour les sources de Brédéah, les plus abondantes, et

que l'eau y arrivait par simple gravité, à 90 mètres d'altitude, « là


où la couverture des calcaires descend au point le plus bas », et

commence à s'enfoncer sous la nappe de remplissage quaternaire.

Elles se présentent ainsi « comme un déversoir naturel correspon

dant à une sorte d'échancrure de la paroi Sud du réservoir. »

Avant le captage et les aménagements consécutifs, elles formaient


un marais et une véritable gouttière de 3 kilomètres sur 150 mètres

de largeur, s'épanouissant au bord du grand lac sur une étendue


de plus de 100 hectares, véritable foyer de paludisme et d'infec
tion1. Pour trouver de l'artésianisme, il faudrait forer au cœur de
la Sebkha même.

A ces ressources peuvent s'en ajouter quelques autres, mais

tellement insuffisantes pour l'alimentation d'une ville qu'elles mé

ritent à peine une mention : telles les eaux issues à la base des
calcaires dolomitiques du Lias, au contact des schistes sous-jacents,
sourcesde l'Oued Bachir, de Bou-Sfer par exemple2. Il en est une

cependant, la source Noizeux, qui a été à contribution, et dont


mise

l'eau se recommande sinon par la quantité, du moins par la qua


lité3.
Ce devait être là précisément —
dans la qualité —
la princi

pale défectuosité de ce réseau hydrologique, si du moins on ne se

contentait pas de puiser dans les cavités occupées par les « eaux

physiques et Géologie de l'Algérie, p. 159-160), expliquait ainsi « la belle


source d'Oran », celle de Ras-el-Aïn. Depuis 1864, on attribuait aussi aux

sources de Brédéah le même caractère. Les premières études entreprises pour

l'adduction à Oran de ces eaux leur confèrent une origine artésienne, par

exemple de M. Bouty (Etude d'un


celle projet de conduite d'eau pour amener

à Oran les sources de Brédéah [Oran, août 1876]. Arch. Munie. Eaux). On
Dr
retrouve cette erreur dans l'ouvrage du Imbeaux (Annuaire statistique et

descriptif des distributions d'eau de France Algérie-Tunisie, 1903 et 1909, cité

par M. Savornin).
1 Rapport de M. Bouty, o. c.

2. Voir la notice et la carte géologique.

3. Voir plus loin, p. 283.


36 LES CONDITIONS NATURELLES

libres », et si l'on recourait aux « eaux captives ». Dès 1852, Ville,


dont le nom est inséparable de l'histoire des travaux géologiques

en Algérie, avait analysé les sels contenus dans un échantillon de


calcaire blanc de Misserghin, et reconnu la présence de chlorures

de sodium, de magnésium, de calcium, de sulfate de chaux et de


magnésie 1, tous sels solubles et susceptibles d'affecter la compo

sition chimique des eaux circulant à travers ces calcaires, en pro

portion de la longueur même de leur trajet et de la durée de leur


séjour. Or, il a été reconnu à Brédéah que les eaux les plus pro

fondes sont, en effet, les plus salées et qu'il y a un rapport étroit


entre la pluviométrie, le niveau des nappes aquifères et leur sali

nité2. Dans les années sèches, l'abaissement du niveau, en obli

geant à puiser dans les réserves profondes, a pour conséquence

une augmentation de la salure qui rend l'eau de consommation

saumâtre et difficilement potable. Circonstance fâcheuse, dérivée


de la nature du sol et du climat, et qui s'accorde mal avec la crois

sance ininterrompue de la grande cité oranaise, d'autant que l'une


des conclusions de M. Savornin mérite d'être retenue : « La struc
ture géologique de toute la partie Nord du département d'Oran ne

laisse pas espérer qu'il soit possible de trouver pour cette ville un

autre point d'eau d'importance comparable à celui de Brédéah. »

1. Ville. Notice minéralogique sur lAProvince d'Oran (1852), cité par M.


Savornin, qui reproduit les résultats de celte analyse centésimale : Na Cl (47,80),
Cl2 CaCl2 SO4 SO'
Mg (20,77), (8,87), Ca (15,94) et Mg (2,60) en faisant obser
ver que les résultats des analyses chimiques opérées par le Laboratoire de la
Faculté des Sciences d'Alger, sur dix échantillons d'eaux prélevées dans le
périmètre de Brédéah, ont reproduit d'une manière remarquables les propor

tions relatives de ces sels dissous dans l'eau.


2. M. Savornin établit d'une manière incontestable que, pour le forage cen
tral de Brédéah, la variation de la composition des eaux marque une progres
sion de la salure en relation directe avec l'abaissement du plan d'eau (1888

Ogr.760 par litre, 1927 —
1 gr. 840, 1931 —
4 gr. 29) . Par ailleurs, l'équilibre
entre le réapprovisionnement de la nappe par les pluies et l'épuisement par

le pompage, rompu depuis 1911, a été rétabli à peu près en 1918 par des excé
dents pluviométriques, pour être de nouveau détruit à la suite de l'hiver sec
de 1919.
CHAPITRE V

MATÉRIAUX1
LES ET LE RAVITAILLEMENT

A défaut des renseignements que l'on peut puiser çà et là dans


les documents anciens, et des témoignages encore vivants que four
nit l'examen des vieilles fortifications espagnoles et turques, l'ana
lyse de la carte géologique 2 suffit à montrer que les matériaux de
construction ne manquaient pas sur le site et aux environs immé
diats d'Oran.
Le massif du Murdjadjo, tout d'abord, offrait des ressources

abondantes et toutes proches. Les formations les plus anciennes 3

qui affleurent au Nord-Ouest de l'anse de Lamoune jusqu'à Sainte-

Clotilde, et dans lesquelles été taillée, après notre arrivée, la route


a

de Mers-el-Kebir, présentent des calcaires bleus dolomitiques du

Lias. S'ils ont été peu employés pour la construction des maisons,
ils devaient l'être en revanche comme matériaux d'enrochement
des jetées des môles, ainsi que les
et schistes durs et les bancs
épais de quartzites du Néocomien qui constituent les falaises du
port. On retrouve ces derniers dans les grandes carrières ouvertes

sur les flancs du Santon à Mers-el-Kebir, où ils ont servi pour la

1. Des renseignements nombreux nous ont été obligeamment fournis par

M. Doumergue, un des collaborateurs du Service de la Carte géologique, et par


M. Fonteneau, sous-chef des Travaux Municipaux. La notice du Tableau de
la situation, o. c. de 1837 donne (p. 57) un aperçu des matériaux de construction

communément employés à cette époque.


2. Voir la feuille 53 de la Carte géologique (Oran) et la notice explicative

qui l'accompagne.
3. Nous laissons, en effet, de côté pour le moment les affleurements spora-

diques du trias.
38 LES CONDITIONS NATURELLES

confection des blocs de la grande jetée d'Oran et la construction

des quais de rive. Les dolomies, en raison de leur dureté, ont pu

fournir à l'époque moderne de bons matériaux d'empierrement.

La carapace des calcaires blancs miocènes, plus ou moins durs,


de l'étage du Sahélien supérieur, qui recouvre une grande partie

du massif du Murdjadjo, offrait pour la construction de bons maté


riaux tout proches et faciles à extraire. Ils ont été exploités de
bonne heure dans les carrières du ravin de Ras-el-Aïn, du Poly
gone à Eckmùhl, de Noiseux ; on en a tiré des moellons et même
des pierres de taille prises dans les assises les plus dures. Les mu
de Saint-Philippe de Saint-André1
railles des forts espagnols et

en ont été construites. De nos jours, c'est de cette formation que

l'on extrait les meilleures pierres à bâtir et même des bordures de


trottoirs.

Enfin, les grès en dalles calcarifères du pliocène supérieur, à


peu près délaissés aujourd'hui, ont fourni pendant longtemps après
notre occupation des matériaux plus légers, mais qui offraient
l'avantage de prendre bien le mortier. Les carrières se trouvaient

à Saint-Charles 2, au Ravin Blanc supérieur et sur le plateau de


Gambetta, entre la Batterie Blanche et le Télégraphe d'Aloudja.
Le quartier de Karguentah, les faubourgs de Gambetta et de Saint-

Eugène ont été en grande partie construits avec cette pierre.


L'empierrement des routes et des rues a été d'abord assuré par

la caillasse provenant de la croule rocheuse quaternaire qui re

couvre le pliocène des


d'Oran. Plus tard,
environs on les a rechar

gées avec les dolomies bien plus résistantes de la route de Mers-

el-Kebir, et les gravillons des carrières du Polygone ou même de


Gambetta. Les matériaux de pavage, dont la demande est de plus

1. Il de St-André englobé aujourd'hui dans la ville, au S.-O., et où


s'agit

il n'y a longtemps encore, il y avait une place dénommée « place des


pas

Carrières » ; on ne doit pas le confondre avec le village de pêcheurs du même


nom, voisin de Mers-el-Kebir. Sur la place des Carrières et sur les carrières
mêmes, voir plus loin, p. 145, et Rozet, o. c. I, p. 263.
2. Quartier actuel d'Oran situé entre la rue de Mostaganem et la porte de
Sidi-Chami.
LES MATERIAUX ET LE RAVITAILLEMENT 39

en plus réduite de nos jours, sont empruntés, quand il y lieu,


a

par voie d'importation, aux carrières de granit d'Herbillon, près


de Bône, ou aux grès durs de Saint-Leu et de Lamoricière, qui
fournissent aussi des bordures de trottoirs.

Les pierres à chaux ne manquaient pas, comme on peut s'en

rendre compte. La chaux grasse du Polygone et les marnes des


Planteurs sont toujours utilisées de nos jours.1, encore que les im
portations soient beaucoup plus importantes que les fabrications
locales.
Le gypse, qui se rencontre çà et là, dans les affleurements tria-

du massif du Murdjadjo, par exemple à Saint-


siques Bou-Sfer, à
André, falaises des Bains de la Reine, aux Planteurs,
aux alimenta

longtemps les plâtrières de Saint-André, et même à l'Est celles de


Canastel. L'exploitation a été abandonnée à Bou-Tlelis, près de

Misserghin, et aujourd'hui la plus grande partie du plâtre utilisé

provient des carrières de Fleurus.


Le sable est fourni par les plages marines et sous-marines de
Saint-Jérôme et d'Aïn-el-Turk, ainsi que par les sablières du Ravin
Blanc supérieur, des falaises de Gambetta, au voisinage de l'an
cienne batterie espagnole, et des dunes consolidées des environs.

Enfin, les marnes miocènes du Cartennien, qui occupent le syn


clinal séparant le Murdjadjo du Santon, alimentent les briquete
ries et les tuileries de Roseville, de Saint-André et de Mers-el-Kebir
et ont à peu près seules concouru à la construction de la ville
d'Oran.
Ce qui dut sans doute manquer le plus, de tous temps, et ce

qu'il fallut importer, c'est le bois de construction2. Il est possible

1. H existe notamment une Société des Chaux et Ciments oranais qui les
exploite.

2. La notice du Tableau de la situation, o. c, signale que les bois de cons


truction « sont tirés du Nord ». Seul, le charbon de bois est apporté par les

Arabes, principalement ceux de la tribu des Hamyans de Canastel. Ils ,près

faisaient aussi, depuis le siècle, le trafic du thuya dont les rondins étaient
XVIe

très employés dans les constructions mauresques (Derrien, o. c. plus loin p. 26) .
40 LES CONDITIONS NATURELLES

et même probable que le Murdjadjo ait pu offrir quelques res

sources, sans cesse apauvries d'ailleurs par une exploitation abu

sive ; il est plus certain en tous cas que le reboisement partiel a

été, ici aussi, une œuvre purement française.


Quant au ravitaillement en vivres, en grains, en viandes, en

légumes et en fruits, les documents antérieurs à 1830 nous mon

trent qu'il pouvait être facile, toutes les fois que l'hostilité des
tribus d'alentour n'interceptait pas les communications et n'abou

tissait pas à un blocus étroit de la place. Si le sol du plateau et

encore plus des abords de la Sebkha était généralement ingrat, et

si son aridité jointe à l'insécurité refoula pendant longtemps la cul

ture des céréales plus au Sud, les troupeaux en revanche paissaient

en nombre jusque sous les murs d'Oran. Des témoignages abon

dent, d'autre part, qui mentionnent dès le début de son histoire,


les jardins de Ras-el-Aïn et du ravin de l'Oued Er-Rehi, fournis
seurs de légumes et de fruits, comme aussi ceux de l'Aïn-Rouina,

du Ravin Blanc et de Canastel !. Ceux de Misserghin et de la Plaine


des Andalous sont venus assez tard compléter cet approvision

nement. Ce ne sont donc pas les possibilités qui faisaient défaut ;


mais elles étaient trop évidemment subordonnées à la sécurité des

communications.

1. Voir plus loin, p. 78.


LIVRE II

l
ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

1. Les Sources de l'histoire d'Oran ont été réunies sous ce titre même dans
un Essai bibliographique publié par M. Jean Cazenave (Bull, de la Société de
Géographie et d'Archéologie de la Province d'Oran. Année 1933, p. 303-379).
Pour toute l'histoire politique et militaire d'Oran, qui ne fait pas l'objet prin

cipal de cette étude, on Ernest Mercier, Histoire de l'Afrique Sep


consultera :

tentrionale, 3 vol., Paris, 1888-91 ; Henri-Léon Fey, Histoire d'Oran, Oran, 1858,
plus abondamment et plus sûrement documentée sur la période espagnole que

sur la période musulmane. Pour celle-ci, antérieurement à 1509, les textes


principaux sont mentionnés dans René Basset, Fastes chronologiques de la ville
d'Oran pendant la période arabe (290 à 903 de l'Hégire). Paris-Oran, 1892.
(Extrait du Bulletin de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran, 1892,
p. 50-76). Les études publiées par M. Jean Cazenave renferment des rensei

gnements nombreux et utiles. Voir dans la Revue Africaine : Contribution à


2° 3e
l'histoire du Vieil Oran, et trim. 1925 ; Les gouverneurs d'Oran pendant
l'occupation espagnole de cette ville (1509-1792), 3e et 4e trim. 1930, et dans le
Bulletin de la Société de Géog. et d'Arch. d'Oran : « Oran, cité berbère », 1"
3e 4°
trim. 1926 ; Histoire d'Oran, par le Marquis de Tabalosos, 2e, et trim. 1930.
On trouvera un résumé substantiel de l'histoire musulmane dans l'article de
l'Encyclopédie Musulmane (p. 1061), rédigé par G. Marcais, sur Oran (Wahrân).
CHAPITRE I

LES ORIGINES

XVIe
A la différence d'Alger, qui fut dès le siècle une capitale

XVIIe
et qui compta dans ses murs au plus de 100.000 habitants l,
Oran n'a jamais été, avant notre arrivée, qu'une petite ville dont
la population ne dépassa guère 20.000 âmes, aux plus beaux jours
d'une prospérité fragile. Son avènement comme grande cité est un

fait tout contemporain 2. Jusqu'en 1831, elle dut assurément quelque


importance à sa position et à sa qualité de place forte ; mais si elle

put être, avant l'occupation espagnole, un entrepôt et un lieu


d'échanges, elle ne fut même pas, à vraiment parler, ce qu'on ap
pelle un port.

Ouahrân3, tel est le nom d'origine vraisemblablement berbère,


que porta la petite bourgade fondée en l'année 290 de l'Hégire

1. René Lespès, Alger, Paris, 1930, p. 129-130.


2. Le recensement de 1906 est le premier qui accusa plus de 100.000 habitants.

3. En arabe
ft_y Les premiers documents cartographiques qui le
ç)<j
mentionnent, les portulans du xrv°

et du
XV*

siècles, le transcrivent sous diverses


formes : génois de Pietro Vesconte, 1318, et portulan génois de
Horan (Atlas
Luxoro), Boran (Carte marine pisane du siècle), Oram (Portulans
xrv0

Tammar
de Angelino Dulcert, 1339, de Guglielmo Soleri, 1385, mappemonde des frères
Pizzigani, 1367, port, de Andréa Bianco, 1436, carte Catalane de 1375 ; c'est la
forme qui domine jusqu'au xvf siècle chez les cartographes, qu'ils soient major-

quins, catalans, pisans ou vénitiens. La forme Oran apparaît pour la première

fois dans un portulan génois de 1384, mais elle ne se généralise guère que

vers la fin du
XVIe

siècle ; elle figure dans la mappemonde de Sebastien Cabot


(1544) et dans celle de Gérard Mercator (1569)). Exceptionnellement, on ren

contre Ouram
(Diego Homan, carte portugaise de 1569 et mapp. de Pierre
Descelliers (1546), Orano et même Orani. Voir M. Jomard, Les Monuments de
la Géographie, Paris, s. d. ; Charles de la Roncière, La découverts de l'Afrique
VILLE ET PORT AVANT 1831
44 ORAN,

(903), sur un territoire occupé par des tribus berbères Azdadja,


Aoun, Mo
Abou'

les Nefza et les Mosguen, par Mohammed ben


venus
hammed
ben'
Abdoun et une bande de marins andalous

d'Espagne1. Sans nul doute, ils avaient en vue de créer un point

de leur contrée d'origine


d'appui pour les relations commerciales

avec l'intérieur du pays africain, notamment avec Tlemcen, ville

marchande déjà importante qui devait devenir la capitale du

Maghreb central2.

La nouvelle qui comptait certainement plus de


agglomération,

Berbères Azdadja que


d'
Andalous, occupait la rive gauche du ra

vin et s'adossait aux premières pentes du Murdjadjo. La position

pouvait être assez forte, en un temps où l'on ne se servait pas

encore des armes à feu.


Si nous ne manquons pas de détails sur l'histoire d'Oran du
Xe
au
XVIe
siècle, les renseignements précis sur la ville elle-même,

sur sa population, sur son commerce propre, se réduisent à fort

peu de choses ; les descriptions plus ou moins vagues et les asser

tions souvent exagérées des voyageurs musulmans ne suffisent pas

à satisfaire notre curiosité. Il y a en tous cas un fait qui ressort de

au Moyen Age, 2 vol., Le Caire, 1925 ; et surtout A.-E. Nordenskiôld, Peripîus,


an essay of the early history of charts and sailing directions. Trad. du suédois,
2 vol., Stockholm, 1897. On ne sauràt s'arrêter aux étymologies diverses

attribuées au nom de Ouahrân, jeux de Sots, calembours qui sont de règle en

cette matière. V. Bérard, Indicateur général de l'Algérie, Alger, 1848, p. 400,

donne « lieu d'accès difficile », ouaer en arabe ; « a ravine », écrit Playfair


(A Handbook for travellers in Algéria, London, 1874, p. 202).
1. R. Basset, o. c, p. 11. Jusqu'ici, on n'a pu découvrir aucune trace certaine
des Romains, ni à Oran, ni à Mers-el-Kebir, bien que cette double baie dénom
mée « Portus divini » dans l'Itinéraire d'Antonin, ait été reliée à l'intérieur, à

Albulae (Aïn-Témouchent) par une route passant au Nord de la sebkha. En

revanche, Arbal, au Sud, a été, sous le nom de Regiae, une ville importante
et une clef de routes. Voir St. Gsell, Atlas archéologique de l'Algérie, Oran

(feuille 20).

2. G. Marcais, Histoire d'Algérie, Paris, 1927, p. 122. A la fin du xf siècle,


El Bekri (Description de l'Afrique septentrionale, trad. de Slane, Paris, 1859,
p. 179) l'appelle ï la capitale du Maghreb central ».
LES ORIGINES 45

toute cette littérature historique ou géographique : Oran ne fut


jamais assez fort être la tête d'un Etat indépendant, même
pour

aussi réduit en dimensions que celui de Ténès, et sa destinée a été


d'être ballotté entre les maîtres de l'Est, du Sud, de l'Ouest et du
Nord, assiégé par les compétiteurs, pillé par eux, souvent aussi

bloqué par les tribus voisines. Son sort et sa prospérité furent


d'ailleurs de plus en plus liés à ceux de Tlemcen, dont le voisinage
était sa seule raison d'être, du moins jusqu'à la chute de Grenade
en 1492. Le jour où le lien fut coupé par l'occupation espagnole,
Oran se trouva condamné à n'être plus qu'un point d'appui fortifié

et isolé, un « presidio », c'est-à-dire une garnison et un bagne.


A travers toutes les vicissitudes qui le firent passer tour à
tour sous l'autorité des Khalifes Omeiyades d'Espagne, des Béni
Ifren, des Fatimides, des Almoravides, des Almohades, des Meri-
nides et des Béni Zeyan, Oran resta toujours un des débouchés

maritimes de Tlemcen en même temps qu'un entrepôt de ravitail

lement en produits venus de l'Europe ; mais il ne fut pas seul à


dut Rachgoun Ho-
remplir ces fonctions, qu'il partager avec et

neïn1. Il paraît néanmoins avoir conquis la première place à la


fin du XrV siècle.

Ce qui avait déterminé ses fondateurs à choisir cet emplacement,


c'était évidemment la présence d'une magnifique rade, dont la
Nord-Ouest était C'est à Mers-
partie particulièrement abritée. là,
el-Kebir, qu'ils se seraient établis, si la topographie trop acci

dentée du littoral, les difficultés de communication avec l'intérieur,


et l'absence d'eau —
raison capitale —
ne les en avaient écartés.

Abou'
1. El Bekri, o. c, p. 181. «Archgoul, écrit-il, est le port de Tlemcen».
lfeda (Description des pays du Maghreb, trad. Ch. Solvet, Alger, 1839, p. 71),
parlant du royaume de Tlemcen, dans la deuxième moitié du
xrv"

siècle, cite
comme étant les ports les plus célèbres Ouahrân et Honeïn. One, forme sous

laquelle ce dernier lieu figure dans les cartes et dans les chroniques espagnoles,

reprit quelque importance comme port de Tlemcen après l'occupation d'Oran


par les Espagnols en 1509. Les Espagnols s'en emparèrent en 1531, puis l'aban
donnèrent trois ans après, non sans l'avoir démantelé. (Paul Ruff : La domi
nation espagnole à Oran sous le gouvernement du comte d'Alcaudete, 1534-1558,
Paris, 1900, p. 8, note 2).
46 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

Ils se trouvaient ainsi attirés par le site voisin, où ils trouvaient des
voies de pénétration largement ouvertes, des moyens naturels de
défense suffisants, un oued, et, à défaut d'un bon mouillage, un

petit abri contre les vents d'Ouest et du Nord-Ouest, derrière la


pointe de La Moune.
Xe
Lorsque Ibn Haouqâl1 nous
parle, à la fin du siècle, du port

d'Oran, « tellement sûr et si bien abrité contre tous les vents, écrit-il,
que je ne pense pas qu'il y ait son pareil dans tous les pays des
Berbères », il ne peut s'agir trop évidemment que de Mers-el-Kebir.
Et c'est à lui de même que pense El Bekri 2, quand il cite la rade

d'Oran (Mersa Ouahrân) comme « offrant un bon hivernage ga


ranti contre tous les vents. » Edrisi 3 s'exprime plus nettement :

La d'Oran 4 offrir
« ville est un port trop peu considérable pour

quelque sécurité aux navires ; mais à deux milles de là, il en existe

un plus grand, El Mers-el-Kebir, où même les plus grands vais

seaux peuvent mouiller en toute sûreté, protégés contre les vents.

Il n'en est pas de meilleur ni de plus vaste sur toute la côte du pays

des Berbères. » Abou'lfeda 5, qui n'a pas vu Oran, a entendu dire


« par ceux qui l'ont visité que dans le voisinage est un lieu qui sert

de port à Tlemcen. » Les cartes marines, les portulans, n'ont eu

garde de négliger la mention de Mers-el-Kebir 6. Quand les chroni

queurs musulmans nous parlent d'embarquement « à Oran » de


corps expéditionnaires dirigés sur Bougie en 1331, en 1348, c'est au

mouillage de l'Ouest qu'il faut situlr ces opérations, comme aussi

probablement c'est Mers-el-Kebir qui s'est associé à Honeïn pour

la construction des cent vaisseaux commandés en 1162 par Abd el

Moumen.

1. Ibn Haouqâl, Description des routes ou description de l'Afrique. Trad.


de Slane, dans le Journal Asiatique, fév.-mars 1842, p. 186-187.
2. El Bekri, o.c, p. 188.
3. Edrisi, Géographie. Trad. Jaubert, Paris, 1836, tome I, p. 96-97.
4. Il fait allusion évidemment à l'abri de La Moune.
5. Abou'lfeda, o. c, p. 11.
6. Tous le situent exactement, avec des transcriptions d'ailleurs variées :

Marsachebir, Marzaquibir, Mazaquibir, Masalqbir.


LES ORIGINES 47

Sur la ville même d'Oran, les géographes, les voyageurs mu

sulmans, trop discrets généralement sur sa population et son com

merce, ne manquent jamais en revanche de parler de ses eaux cou

rantes, de ses moulins et de ses jardins1. C'est sans doute ce qui

avait séduit le voyageur Ibn Khemis, à la recherche de la fraîcheur


et de la verdure 2. Assurément la question de l'eau a toujours été
de première importance pour une ville, et surtout pour une place

forte. Mohammed ben el Kheir, sous les Ifrénides, à la fin du Xe


siècle, aurait le premier canalisé pour l'alimentation des habitants

les eaux de l'oued qui arrosait les jardins et l'on aurait donné à ce

ruisseau depuis cette époque le nom d'Oued ben el Kheir 3. Un des


miracles attribués par la légende au célèbre et vénéré marabout

Sidi Mohammed el Haouwâri (1350-1439) était d'avoir fait surgir


avec son bâton des sources aux environs d'Oran, notamment au

lieu dit « Bîlal » 4.

1. Ibn Haouqâl, cité par R. Basset, o. c, p. 13 : s La ville est entourée d'un


mur et arrosée par un ruisseau venant du dehors ; les bords du vallon où coule

ce ruisseau sont couronnés de jardins produisant toutes sortes de fruits. » El


Bekri (o. c, p. 165) écrit : « Oran est une place forte ; elle possède des eaux

courantes, des moulins à eau, des jardins. » : « Les habitants boi


Edrisi, 1. c.
vent de l'eau d'une rivière qui y vient de l'intérieur du pays et dont les rives

sont couvertes de jardins et de vergers. » Abou'lfeda, à propos de Tlemcen,


(o. c, p. 71) définit Oran par ces seuls termes : « Ville fortifiée quia des eaux

vives. »

XIe
2. R. Basset, o. c, p. 14. Il déclarait, en effet (à la fin du siècle) que dans
le Maghreb central, deux villes lui avaient plu particulièrement, Oran de

Khazer, qu'il appelait ainsi par suite d'une erreur sur son origine, et Alger
de Bologguin.

3. J. Cazenave, Oran, cité berbère, p. 26.

4. Destaing, Un saint musulman au XV siècle (Journal Asiatique, tome

VIII, 1906). Cet ancêtre des sourciers inspirait aux Oranais une telle confiance

qu'au cours d'un entretien sur l'eau, un des interlocuteurs disait à son petit-

fils : « Si ton grand-père voulait faire venir l'eau du Tessala à Oran, assu
rément il pourrait le faire. » Ce propos semblerait indiquer que les habitants

n'étaient pas très satisfaits de l'eau d'Oran soit pour la quantité, soit plutôt

pour la qualité.
48 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

On doit renoncer à toute estimation du nombre des habitants


dans la période antérieure à l'occupation espagnole. Ce qui paraît

certain, c'est que, Oran comme Tlemcen, profita de l'exode des


/ Juifs espagnols les villes et cela dès la première
vers africaines,
r
migration qui suivit de 1391
la persécution et l'arrivée des Israélites
de Majorque, de Isaac ben Checheth Barfat, dit
sous la conduite

Ribach et de Rabbi Simon ben Zemah Duran1. Il y a, en effet, la


preuve par les correspondances de ce dernier avec les docteurs

du Judaïsme, que les nouveaux venus eurent fort à faire tirer pour-

de leur ignorance et ramener à l'observation de la loi mosaïque les


Juifs indigènes d'Oran. Il y est question d'ailleurs aussi de familles
de commerçants établies nouvellement dans la ville et ayant

conservé ou même rétabli des liens avec Majorque, Grenade et la


Péninsule Ibérique. Les souverains du pays ont accueilli ces immi

grants avec plus que de la bienveillance et les ont traités souvent

mieux que leurs coreligionnaires indigènes2. Leur nombre. fut ren

forcé par de nouveaux arrivants expulsés d'Espagne après la prise

de Grenade, en 1492 3.

1. Isidore Epstein, The responsa of Rabbi Simon B. Zemah Duran, Oxford,


1930. Intéressante brochure qui nous a été communiquée obligeamment par

M. Brunschwig, professeur à l'Université d'Alger. On voit citer (p. 17) parmi

instruits dévoués à leur Amram Me-


les docteurs les plus et les plus mission

rovas Ephrati établi à Oran même. AilleuA(p. 58), il est signalé qu'il a dû
combattre certaines coutumes empruntées aux Musulmans par les Juifs indi
gènes et contraires à la loi Mosaïque, telles que les sept jours de lamentations
dans les cimetières. Ce rabbin était apparenté à une famille Susan, qui com
merçait à Oran (p. 97).
2. Isidore Epstein, o. c. C'est ainsi qu'ils réduisirent en leur faveur de moitié

la capitation. Ils ont facilité, en outre, les opérations commerciales et mari

times auxquelles les nouveaux venus se livraient avec l'Espagne et les Etats
Italiens. Les Juifs indigènes se plaignaient de la concurrence de ces industrieux

artisans, qui leur enlevaient notamment, en pratiquant la confection fort ap


préciée des Arabes, leur gagne-pain de tailleurs à la façon.
3. Sur les communautés juives de l'Algérie, leur origine et leur organisa

tion, voir Maurice Eisenbeth : Encyclopédie Coloniale Maritime, fasc. 9,


et

p. 97-112, Paris, 1937, et du même auteur : Les Juifs de l'Afrique du Nord,


Alger, 1936, notamment l'Onomastique.
LES ORIGINES 49

Plus nombreux que les Juifs durent être les Maures que la
« reconquista » progressive des rivages méditerranéens de l'Espa
gne, suivie des persécutions et des conversions forcées, décida à
rejoindre leurs frères Musulmans d'Afrique. Cet exode se place
XVe
dans la deuxième moitié du siècle. La chute de Malaga date
de 1486, six ans avant celle de Grenade. Les précisions manquent

totalement sur l'importance et la répartition de cette immigration,


faute de pouvoir recourir pour Oran aux ressources que nous four
nit Haëdo pour Alger. Nous pouvons du moins affirmer que les
« Andalous » qui s'établirent à Oran ou dans les environs immé
diats apportèrent un appoint redoutable à la piraterie barbaresque
et qu'à Mers-el-Kebir on arma des « brigantins » et des « fustes »

pour la course 1. Ce fut certainement une des causes premières,


XVIe
sinon la première, des expéditions espagnoles du début du
2, sans parler des les flottes
'
siècle razzias punitives exécutées par

castillanes dès le début du XVe, qui coïncidèrent avec les entre

prises mérinides contre les Abdelouâdites de Tlemcen3.

1. Léon l'Africain, Description de l'Afrique, édit. Ch. Schefer, Paris, 1898,


tome III, p. 40. Il cite particulièrement comme buts des corsaires Carthagène,

Ibiça, Majorque et Minorque.

2. Sur cette importante question, les articles fortement documentés de F.


Braudel sur « Les Espagnols et l'Afrique du Nord de 1492 à 1577 », dans la
3* 4e
Revue Africaine, 2e, et trim. 1928, peuvent être considérés comme la meil

leure mise au point.

XIVe
3. Cette piraterie s'exerçait d'ailleurs bien auparavant. Au siècle, il y
eut même un redoublement. « Oran et la côte du Maroc, est-il écrit dans le
Roudh el qartas, avaient leurs marins et leurs pirates qui devinrent plus en

treprenants que ceux du Maghreb (De Mas Latrie, Traités de paix


oriental.

et de commerce et documents divers concernant les relations des Chrétiens


avec les Arabes de l'Afrique septentrionale au Moyen-Age, Paris, 1866, p.

232-236). Les expéditions castillanes du Comte Pedro Nino en 1404 et 1405


(citées par R. Basset, d'après Diaz de Gomez, o. c, p. 13) qui ravagèrent les

côtes occidentales du Maghreb et notamment Mers-el-Kebir, Oran et Arzeu,


furent sans doute faites en représailles des méfaits de la course. Ernest Mercier
n'en parle pas, mais il parle de la prise de Tétouan à la même époque, sous le
règne de Enrique in, en l'expliquant d'ailleurs ainsi.
50 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

Nous sommes réduits à quelques vagues témoignages des écri


vains arabes ou berbères sur l'œuvre urbaine des maîtres d'Oran,
XIIe XVe
sur la prospérité de la ville et de son port du au siècle ;
plus nombreux et plus précis sont fort heureusement les documents
de source européenne sur le commerce maritime. Ibn Haouqâl, à
Xe
la fin du siècle 1, se contente de noter que « c'est au port d'Oran
que se fait le commerce avec l'Espagne ; les navires y apportent

des marchandises et s'en retournent chargés de blé. » El Bekri n'y


fait aucune allusion. Edrisi, au milieu du XIIe, est leà si premier

gnaler que l'on trouve à Oran « de grands bazars, beaucoup de fa


briques », et que le commerce y est florissant. « On y trouve des
fruits en abondance, du miel, du beurre, de la crème et du bétail,
tout à très bon marché... Les habitants de cette ville se distinguent
par leur activité. 2 » Il faut attendre la description de Léon l'Afri
XVIe
cain3 —
mais alors nous sommes au début du siècle —
pour

trouver un chiffre de population. « Oran, écrit-il, est une grande

cité, contenant environ 6.000 feux. » Cela correspond à environ

25.000 habitants. « Elle est bien fournie d'édifices et de toutes choses

qui sont séantes à bonne cité, comme collèges, hôpitaux, étuves


une

et hôtelleries, étant ceinte de belles et hautes murailles. » Il parle


au passé quand il ajoute : « La plus grande partie des habitants
était d'artisans et tissiers de toiles, avec plusieurs citoyens qui vi

vaient de leurs revenus, combien cfc'il fût petit : car à vouloir s'y
tenir sans s'adonner à quelque art, il se fallait contenter avec du
pain d'orge. » Cette déclaration est peu rassurante sur la prétendue

richesse d'Oran. Il vante ensuite la courtoisie et le caractère ac

cueillant des habitants et signale les relations fréquentes et suivies

avec les Catalans et les Génois. Les Oranais, dont Edrisi notait

déjà, en même temps que l'activité, « la fierté


», auraient formé,
selon Léon l'Africain —
et certainement ce ne fut guère qu'au

1. R. Basset, o. c, p. 13.
2. Edrisi, o. c, p. 96-97.
3. Léon l'Africain, o. c, p. 40-41. Marmol (L'Afrique, trad. Perrot d'Ablan-
court, Paris, 1667, tome II, p. 362) , parle aussi des « fermiers de la douane ».
LES ORIGINES 51

XVe
siècle, lorsqu'ils furent « ennemis des rois de Telemsin (Tlem
cen) qui en avaient cependant besoin —
une espèce de petite Ré
publique marchande où, en dehors du « Trésorier » et du « Fac
teur » percevant les droits de douane du royaume et choisis par

eux —
il faut dire sans doute « agréés par eux » —

le chef, le
« conseiller pour les choses civiles et criminelles » était élu par
« le peuple ».

Les documents européens i sont fort heureusement beaucoup


plus riches en renseignements sur le commerce maritime et le rôle

économique d'Oran dans le Maghreb central.

Tout d'abord, si la ville fut, sous la domination musulmane,


dotée de quelques améliorations destinées à sa défense, la petite

plage et l'abri sommaire qui s'étendaient à ses pieds, le rivage

étant à un « jet de pierre » de ses murs 2, en dehors de l'enceinte,


ne paraissent pas avoir reçu le moindre aménagement avant l'oc
cupation espagnole. Ils ne constituèrent donc qu'un embarcadère

ou un débarcadère par temps calme. Les opérations se faisaient


en principe à Mers-el-Kebir 3, où les marchandises à destination
ou en provenance d'Oran étaient transbordées du navire sur des
barques ou inversement. Elles ne pouvaient donc être effectuées si

la mer était trop agitée. Les communications par terre eussent été

1. Sur cette question, pour la période musulmane (903-1509), voir De Mas

Latrie, ouvrage déjà M. F. Elie de la Primaudaie, Le commerce et la na


cité.

vigation de l'Algérie avant la conquête française, Paris, 1861. P. Boissonnade,


Les relations commerciales de la France méridionale avec l'Afrique du Nord
XII"
ou Maghreb, du au XV siècle (Bulletin de la Société de Géographie, 1929,
tirage à part, Paris, 1930).

2. Marmol, o. c, p. 362.

3. Edrisi, l. c, parle des ports d'Oran. Léon l'Africain (l. c.) nous dit que
« les Vénitiens y souloyent retirer leurs galères (à Mers-el-Kebir), quand
survenait la fureur marine, envoyant leurs marchandises sur des barques à

Oran, à la plage de laquelle elles s'en allaient tout droit surgir en temps

calme. »
52 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

beaucoup trop difficiles, vu l'étroitesse et les accidents de l'unique


sentier qui les assurait1.

Il est fort à croire que les relations maritimes les plus suivies,
Xe XIe
sinon les seules, furent au début, au cours du et même du
siècle, avec l'Espagne musulmane : la proximité des deux côtes,
la parenté des populations, la communauté de religion et de langue
firent du couloir de la Méditerranée occidentale si bien dessiné,
entre le cap de la Nao et le cap Ténès, d'une part, et Gibraltar,
de l'autre, un véritable « channel », une Manche Ibéro-Africaine

sans cesse traversée par les bateaux2. Ibn Haouqâl, à la fin du Xe


siècle, ne signale que ce trafic. El Maqaddesi, au début du XIe,

parle d'Oran comme d'un «port fortifié d'où l'on s'embarque nuit

et jour pour l'Espagne » 3. Edrisi déclare que « les navires espa

gnols se succèdent sans interruption dans ses ports ». Le blé des


environs de Tlemcen et sans doute aussi le bétail étaient les objets

principaux de l'exportation4.
XIe
Avec la fin du siècle et le XIIe, une ère nouvelle s'ouvrit.

La Méditerranée occidentale était petit à petit reprise sur les


Sarrazins refoulés vers l'Espagne méridionale et le Maghreb. Les
Génois et les Pisans délivraient la Sardaigne et balayaient la mer

1. Marmol (II, p. 362) parlant de Mers-el-Kebir où s'était formée une fort


petite agglomération, s'exprime ainsi : « Gn ne peut aborder dans la ville

qu'avec grande difficulté, si ce n'est par lP chemin d'Oran où il y a un pas


sage étroit et inégal qu'on nomme la Chaise. »

2. El Bekri, o. u. (p. 188 et note), qui ne manque jamais de nous signaler

les points des deux côtes situés « vis-à-vis », donne comme durée moyenne
de la traversée deux journées et demie, ce qui paraît exagéré. Il place en face
d'Oran Echekoubères, que l'on hésite à identifier avec
Escombrera, cap et île
placés à l'entrée de la rade de
Carthagène, trop à l'Est par conséquent. C'est
bien cependant la direction méridienne, mais les données transcrites par El
Bekri sont celles des navigateurs qui traçaient leurs routes de côte à côte la
plus directement possible, et par conséquent dans ce cas selon l'orientation
N.-O. Edrisi serait plus exact et mieux renseigné quand il note que « Oran
est situé vis-à-vis d'Almeria sur la côte d'Espagne ».
3. Cité par R. Basset, o. c, p. 14.
4. Ibn Haouqâl et Edrisi (l. c).
LES ORIGINES 53

Tyrrhénienne. Les Normands chassaient les Arabes de la Sicile


et de l'Italie du Sud, les Pisans, les Languedociens et les Proven
çaux unis aux Comtes de Barcelone les expulsaient de leurs côtes

et de Majorque. Derrière eux Catalans, Aragonais et Castillans se

lançaient à la conquête des côtes méditerranéennes de la pénin

sule Ibérique. Les routes de la mer étaient désormais plus libres.


Les Almoravides, puis les Almohades, maîtres successivement du
Maghreb central, donnèrent dès la fin du XIe siècle l'exemple d'une
politique nouvelle, celle des relations pacifiques avec les puis

sances chrétiennes de la Méditerranée, fondées sur les échanges


commerciaux. Aussi le XIIe, mais surtout le XIIIe et le XIVe
siècles

furent-ils une ère de prospérité pour le commerce Moghrebin de


Gênes et de Pise qui prédominèrent jusqu'à l'entrée en scène des
Vénitiens et des Florentins. A côté d'eux les Catalans, les Langue
dociens et les Provençaux trouvèrent à se tailler leurs parts. Oran
figure en bonne place dans l'histoire de ce trafic.
Le développement donné par l'Almoravide Ibn Tâchfin à la
ville de Tlemcen, dont il fut pour ainsi dire le deuxième fondateur,
et qui devint « le boulevard de son empire » et le « chef de sa -lieu

province algérienne » 1, profita à son port d'Oran. Sa prospérité,


sous ses successeurs Almohades et Zeyanides ne fut que le reflet
de celle de Tlemcen qui l'explique, tout comme l'histoire de ses

vicissitudes politiques est inséparable de celle de la capitale du


royaume Abdelouadïte. Les républiques marchandes de Pise et de
XIIe
Gênes conclurent au siècle une série de traités avec les sou

verains Almoravides et Almohades, Pise en 1133, 1166, 1186, Gênes


en 1138, 1153-54, 1160-61 2. Celui de 1166 fut conclu entre le fils
de Abd el Moumen, Abou Yacoub Youssouf et le consul de la
3 1186
République Cocco Griffi ; l'acte du 15 novembre renouvelé

en 1211 était signé de Abou Yacoub el Mansour, l'Almanzor des


chroniqueurs chrétiens. Oran figurait parmi les ports de l'empire

1. G. Marcais, o. c, p. 139.
2. P. Boissonnade, o. c,

3. De Mas Latrie, o. c, p. 49-50.


54 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

désignés à l'exclusion des autres pour les échanges commerciaux,

en même temps que Tunis, Bougie, Ceuta et Almeria. Cette limi


tation était destinée à faciliter la surveillance des Européens, la
perception des droits de douane et à empêcher la contrebande. Le

même Almanzor, sollicité par le pape Innocent III, en 1198, de


tolérer le rachat des captifs chrétiens par les Pères de la Rédemp
tion1, leur réservait un bon accueil, ainsi qu'aux Franciscains et

aux Dominicains, qui obtenaient sous son règne et celui de ses

successeurs la permission de parcourir les ports de la côte.

Ces relations avec les puissances maritimes de la Méditerranée


occidentale furent plutôt favorisées que contrariées par les conquêtes
l'
de Jayme I, maître de Barcelone, de Aragon et de Majorque (1229) .

Oran, selon toute vraisemblance fut, comme Ceuta et Bougie, en


relation avec les Catalans 2. En 1319 des rapports officiels étaient
établis par Abou Hammou entre les Béni Zeyan de Tlemcen et

Jayme II3. Avec eux se glissaient les marchands de Montpellier,


de Narbonne et de Marseille 4. Lorsque les Florentins furent maî
XVe
tres de Livourne et de Porto Pisano, au début du siècle, ils se

soubstituèrent aux Pisans 5. Mais ils furent vite éclipsés par les
Vénitiens. Tous ces traités commerciaux reposaient sur les mêmes

principes ; le type en est celui de 1339 entre Aboul'Hassan, Sultan


Mérinide, et Jayme II, roi de Majorque, comte de Roussillon et de
Cerdagne, seigneur de MontpelliefcG. Interdiction de la piraterie
et du pillage des navires, même naufragés —

cette clause ne fut


d'ailleurs guère respectée —

, commerce d'exportation libre, sauf

pour certaines denrées soumises à des autorisations spéciales,

1. Idem, p. 70.
2. De Mas Latrie, u.c., p. 74.
3. E. de la Primaudaie, o. u., p. 271. Lorsque, plus tard, Abou Hammou ïï
voulut se rendre à Alexandrie, c'est sur un navire catalan mouillé à Mers-el-

Kebir qu'il s'embarqua en 1390.


4. P. Boissonnade, o. c.

5. De Mas Latrie, o. c, p. 255.


6. E. de la Primaudaie, o. c, p. 272-73, De Mas
et
Latrie, p. 84-85.
LES ORIGINES 55

notamment le blé, garanties pour la sécurité des personnes et des


biens, droit d'avoir des consuls et d'établir des fondouks, véritables

quartiers murés pour le dépôt et la vente des marchandises, pour

la « loge » des consuls et de leur chancellerie, voire même de ceux


qui constituaient la « nation », permission d'entretenir une église
ou une chapelle et un cimetière, fixation des droits divers de
douane. Notons en passant que ces droits perçus à Oran devinrent
sous les Zeyanides, grâce à la prospérité du commerce de Tlemcen,
le revenu principal de leur trésor 1.

En application de ces traités, les Génois d'abord, dès le début


XIIIe XVe
du siècle et plus tard les Vénitiens au eurent leurs fon
douks à Tlemcen, en correspondance avec ceux d'Oran2. Il est

intéressant de noter que les Marseillais surent de très bonne heure


se faire une place dans le commerce du Maghreb central. Eman
cipés comme les marchands de Narbonne et de Montpellier de la
tutelle de Gênes et traitant avec la République en 1138 sur le pied

XIIe
d'égalité3, ils eurent à Oran dès la fin du siècle leur fondouk
particulier, avec un directeur nommé par les Consuls de Marseille ;
c'était un véritable petit quartier, ayant jusqu'à son four commun

1. P. Boissonnade, o. c. Ils varièrent pour l'importation de 5 à 8 et 10 %


XIVe
ad valorem au XIT et au Xlir siècle, de 10 à 16 % au et au XV; à
l'exportation, ils se maintinrent autour de 5 %. Il fallait d'ailleurs y ajouter
les taxes spéciales pour la manutention par les portefaix, des droits d'ancrage,
de pesage, de mesurage, de magasinage, d'interprètes, de quittance. On com
prend que les souverains musulmans, dont la caisse était toujours difficile

à alimenter régulièrement, aient favorisé un commerce qui leur assurait des


revenus solides.

2. Léon l'Africain, o. c, IV, p. 120, parle de leur fondouk et de leur loge


consulaire établis à Oran.

3. P. Boissonnade,o. c. Le trafic de Narbonne, qui reposait sur l'industrie

et le commerce de la laine, fut de plus en plus contrarié par l'ensablement du


port et du canal le reliant à la mer. Celui de Montpellier paraît avoir été
plus prospère sous les rois d'Aragon et de Majorque pendant un siècle et

demi. Les statuts de 1233 prouvent que ses marchands se rendaient à Oran
avec les Catalans.
56 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

bains publics. Il y eut même un Consul spécial i plus ou moins


et ses

permanent, assisté de son chancelier, de ses notaires, de ses huis

siers, de ses scribes. Nous ne manquons pas de détails, grâce aux

précieuses archives de la Chambre Consulaire de notre grand port,


sur les faisaient à Tlemcen, à Oran, comme à
opérations qui se

Ceuta ou Tunis. Des familles de marchands, comme les Manduel,


associés à d'autres Français, à des Génois, plus rarement à des
XIII8
Musulmans, mais très fréquemment à des Juifs, faisaient au

siècle le métier de bailleurs de fonds et de commanditaires, de


commissionnaires et de mandataires, de noliseurs et d'armateurs,
soit seuls, soit en participation ; leurs affaires embrassaient toute
la Provence, le Languedoc et même la Catalogne2. Les navires

mouillaient à Oran où ils se rendaient en caravane à la belle saison,


à Mers-el-Kebir en hiver. Oran venait pour l'importance des
affaires après Ceuta et Bougie. Les importations, qui dépassaient
de beaucoup les exportations, consistaient surtout en textiles, quel
ques soieries, mais surtout des draps et des toiles, draps d'Arras,

de Châlons, écarlates de Paris, de Perpignan, de Montpellier,


bourracans de Béziers, cotons filés et cotonnades, toiles de lin et
de chanvre, plus de la mercerie, de la quincaillerie, un peu de
corail travaillé, des fèves, des châtaignes cévenoles, du safran d'Albi
ou du Comtat-Venaissin, des vins, des épices, des parfums, des
substances médicinales, des produits tinctoriaux. Quant aux expor

tations, elles portaient presque uniqi^ment sur les laines, les cuirs

1. De Mas Latrie, o. c, p. 90 et 117. Les statuts municipaux de 1228 parlent

de ce fondouk et font allusion à ce Consulat.


2. P. Boissonnade, o.c, où l'on trouve de nombreux détails très précis, dont
quelques-uns ont été empruntés par De 1220 à 1240, Etienne Manduel,
nous.

associé avec Bernard de Conques, de Figeac, est en relation avec Oran. Son
fils Jean y convoie lui-même des marchandises. En 1233 Bernard Manduel
reçoit en commande six charges de coton pour 60 livres, qu'il s'engage à
porter à Oran Tlemcen ; on le
et voit emprunter à Oran à des changeurs une
somme de 50 livres. Etienne, en
1227, commandite le Juif Bonus Judas pour
un voyage aux lieux. On trouve à Oran des bateaux nolisés par
mêmes
eux,
le « Saint-Michel », le « Saint-Bonaventure », le « Saint-Sauveur ».
LES ORIGINES 57

et les peaux, les grains, et parfois sur les esclaves 1. Le XVe siècle
vit la décadence de ce commerce, malgré les efforts du roi René

et de Jacques Cœur sous Charles VII dont les diplômes mentionnent

expressément Oran. Les persécutions dirigées contre les Juifs, les


attaques des Espagnols et des Portugais, le réveil de la piraterie

en représaille de la « reconquista » et surtout la concurrence des


Génois et des Vénitiens ruinèrent les entreprises de Marseille.

Le commerce des Florentins, successeurs des Pisans au XVe


siècle, ne fut pas de longue durée. Un règlement de la Seigneurie,
de 1458 2, fixant l'itinéraire des galères qui devaient voyager « en

conserve », c'est-à-dire en convoi groupé, les conduisait par Tunis


jusqu'à Cadix avec, à l'aller et au retour, un arrêt de six jours
à Oran.

Les Vénitiens eurent une activité plus prolongée dont on trouve


XVIe XIVe
les traces jusqu'au milieu du siècle. Ils eurent dès le
siècle leur fondouk à Tlemcen et à Oran, tout comme les Génois 3.
Leurs « galéasses » à quatre voiles, montées par 200 hommes d'équi

page, fréquentaient Mers-el-Kebir. Tous les ans la « grande con

serve de Barbarie », partie du Lido dans la deuxième quinzaine

de juillet, faisait le tour de la Méditerranée occidentale et visitait

Oran où elle ne séjournait pas moins de dix jours, alors qu'elle

n'en consacrait que quatre à Bougie ou Alger 4. Les objets de

1. Idem, p. 26. Oran partageait ce commerce avec Ceuta, Bougie, Tunis,


Tripoli. Il est question d'achats « d'esclaves sarrazins d'Afrique féminins et

masculins » vendus d'ordinaire 10 livres par tête, soit un peu plus de 200
francs. Le commerce de l'or et de l'argent monnayés a été également pra

tiqué.
2. De Mas Latrie, o. c, p. 333. Il est à remarquer que le séjour à Alger et

à Hone (Hone'in) n'était que de trois jours.


3. E. de la Primaudaie, o. c, p. 371.
4. De Mas Latrie, o. c, p. 330. Une tradition nous est parvenue, selon la
quelle ce serait un marchand vénitien, un certain Vianelli, qui aurait désigné
au Cardinal Ximenès Mers-el-Kebir comme étant la position la plus forte et

le principal repaire de pirates, et Oran comme la ville la plus belle et la plus

opulente de l'Afrique (E. de la Primaudaie, p. 245).


58 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

leur commerce étaient à peu près les mêmes que ceux dont tra
fiquaient les Génois et les Catalans. Les Génois achetaient parti

culièrement des écorces tannantes, des peaux, des fruits secs, et


surtout de l'huile pour leurs savonneries, Tlemcen étant déjà le
centre d'une région renommée pour ses oliviers 1. Les Vénitiens
importaient beaucoup de tissus, des damas, des satins, des taffetas,
des cotonnades, des verreries, des épices, des parfums tels que
le musc, le benjoin, l'ambre, la civette, des joyaux et des perles,
des pierres précieuses, rubis et turquoises, en général des mar

chandises de luxe, de prix élevé2. Outre les laines, les cuirs, le


coton cultivé dans la plaine de la Mléta, les haïks et les burnous
fins, les tapis, produits renommés de l'industrie de Tlemcen, les

sparteries, le cumin, la noix de galle, ils achetaient, eux et les


Génois, de beaux esclaves noirs pour eux ou pour les revendre
à Tunis, à Tripoli ou en Egypte.
Oran fut en effet, comme port de Tlemcen, un entrepôt du com

merce du Soudan, prospère sous les Zeyanides, commerce sur lequel


nous ne manquons pas de renseignements 3. Tous les ans une cara

vane, à laquelle se mêlaient quelques marchands chrétiens, gagnait

Sidjilmâssa, Tafilalet, par Oudjda, Fez, Tadelah Aghmat, et de


au

là Oualata (Youalaten), puis Tokrour sur le Niger, dans le royaume


de Melli. Elle y portait les produits de l'industrie tlemcénienne et

des marchandises européennes et ramenait de l'ivoire, de la pou

dre d'or, de l'ambre gris, des pluies d'autruche et des esclaves.


Génois et Vénitiens, à l'époque de la splendeur de leurs républiques,
furent d'excellents clients pour tout ce trafic, même pour le moins

avouable.

1. E. de la Primaudaie, o. c, p. 275.
2. De Mas Latrie, o.c, p. 276-77. Un document vénitien, émanant d'un
certain M. Bartholoméo di Pasi da Vinetia (Venise, 1540), donne le catalogue
de toutes les denrées importées et exportées, ainsi que quelques mesures et

quelques prix.

3. Abbé Barges, Mémoire sur les relations commerciales de Tlemcen avec

le Soudan sous le règne des Béni


Zeyan, Paris, 1853. G. Marcais, p.
o.c,
155-56.
LES ORIGINES 59

Il est impossible de se faire une idée nette de ce que put

représenter en valeur comme en poids le commerce d'Oran et

de ses ports. Il dut être en tous cas singulièrement troublé par les
guerres, les sièges, les pillages, les changements de souverains, qui

ne lui laissaient que de courtes périodes de répit. Il y a un contraste

vraiment excessif entre les récits interminables, confus et fasti


dieux que les historiens ont donnés de ces luttes, suivant en cela

fidèlement les traces des chroniqueurs musulmans, et d'autre part

les affirmations peu étayées sur la prospérité d'Oran que nous

trouvons chez les uns et les autres. On est ainsi amené à se défendre
de beaucoup de scepticisme et d'un autre genre d'exagération. Au
fond, il nous faut mesurer toutes ces choses à une autre échelle
que celles de nos temps modernes. Une ville de 25.000 habitants
XVe
pouvait passer au siècle pour « une grande cité », et la fréquence
des arrivages de petits bateaux dans un port faisait oublier cette

notion du tonnage qui pour nous est inséparable de la navigation

marchande. Quelques fortunes gaspillées dans les fêtes ont pu

expliquer les malédictions lancées par El Haouwâri sur la « ville

corrompue » d'Oran. En tous cas une impression domine toutes


les autres : Oran n'exista que par Tlemcen, son commerce ne fut
qu'un de transit, surtout d'importation de matières et
commerce

d'objets de luxe destinés aux habitants d'une capitale qui elle con
nut sûrement quelque splendeur. Ses monuments en témoignent ;
on en chercherait en vain quelque digne réplique à Oran. Il est

indéniable par ailleurs que la population d'Oran augmenta entre

XIIIe XVe
le et la fin du siècle ; elle avait certainement franchi les
murs de l'enceinte et il existait déjà sur le plateau de Karguentah
un véritable faubourg. Mais il est permis de conjecturer qu'ici

comme à Alger, l'exode des Andalous avant et après la prise de


Grenade a fourni le principal appoint. C'est un fait plutôt tardif.
Il n'est pas invraisemblable d'ailleurs que ces immigrants, dont
beaucoup étaient des artisans, aient apporté autre chose que le
nombre et qu'ils aient pu donner aux petites industries de la ville

une activité et un essor nouveaux ; assurément ils ne furent pas


60 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

seulement des corsaires. Mais Oran ne pouvait prospérer que par

ses relations avec un Tlemcen prospère lui-même.

Or la décadence de Tlemcen, prodrome de la ruine, était déjà


XVIe
consommée au début du siècle : c'est une raison suffisante

pour croire que les Espagnols, quand ils se rendirent maîtres d'Oran,
le 17 mai 1509, ne recueillirent qu'un médiocre héritage.
CHAPITRE II

ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791

Le 13 septembre 1505, Don Diego de Cordoba s'emparait de


Mers-el-Kebir ; le 19 mai 1509, Don Pedro Navarro pouvait faire
les honneurs de sa conquête d'Oran au Cardinal Ximenès de
Cisneros, promoteur de cette expédition.

Venant après la prise de Melilla en 1497 et suivie en 1510 par

celle de Bougie, elle apparaissait comme inaugurant une politique


nouvelle de l'Espagne en Afrique du Nord, politique dont le dessin
n'a peut-être pas été aussi nettement tracé dès l'abord que cer

tains historiens l'ont imaginé K Quelque opinion que l'on ait sur

ce sujet, il est indéniable que cette réaction contre la menace

musulmane et les insultes de la piraterie, dont les intérêts matériels


des populations maritimes de la péninsule avaient de plus en plus
XVIe
à souffrir, s'est imposée au début du siècle comme une mesure

nécessaire de défense. Mers-el-Kebir était devenu un nid de cor

saires, dont l'audace terrorisait les habitants des côtes 2 obligés de


se protéger eux-mêmes, de veiller sans cesse et d'organiser une

1. La question très complexe et encore incomplètement éclaircie à la lu


mière des documents publiés jusqu'ici a été très bien posée et discutée par

F. Braudel, dans les articles cités plus haut ; on ne peut que s'y reporter.
2. J. Cazenave, Oran, cité berbère, p. 77. En 1500, ils avaient enlevé 60
personnes sur une plage voisine de Carthagène ; en 1505, ils incendiaient
de nuit des navires mouillés dans le port même de Malaga, et la même année
ils saccageaient les faubourgs d'Elche et d'Alicante. Les corsaires espagnols

de Carthagène répondaient d'ailleurs à ces expéditions par des coups de main

sur la côte africaine, de Mers-el-Kebir à Arzeu.


62 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

véritable « Hermandal » K Ximenès trouva en 1509 dans les cachots

du Fort Neuf d'Oran plus de 300 esclaves chrétiens 2.


Maîtres d'Oran, les Espagnols allaient-ils travailler à poursuivre

une occupation étendue l'intérieur, et,


vers s'ils ne faisaient pas

la conquête du pays d'alentour, du moins à rétablir, à consolider


les relations qui en avaient fait un débouché maritime et une
place commerciale de quelque importance, et si possible à en créer

de nouvelles ? Isabelle la Catholique et Ximenès ont certainement

projeté de conquérir le royaume de Tlemcen3. Lorsque Diego de


Cordoba fut nommé gouverneur de la nouvelle possession espa

gnole, il reçut le titre de « capitaine général de la ville d'Oran,


de la place de Mers-el-Kebir et du royaume de Tlemcen».
Le corsaire levantin Aroudj s'étant lancé à la conquête de tout
le Maghreb Central, le royaume de Tlemcen était menacé. Si les
Turcs réussissaient à s'en rendre maîtres, Oran était à jamais blo
qué. Abou Hammou III luttait alors contre son neveu Abou Zeyan,
détrôné par lui, qui avait appelé l'envahisseur. Le gouverneur mar

quis de Comarès comprit qu'il ne pouvait rester neutre ; il répondit

à l'appel d'Abou Hammou, réfugié à Oran, le ramena à Tlemcen,


poursuivit Aroudj, dont la tête fut apportée à Oran —
le fait est
symbolique —
et le souverain rétabli paya sa dette de reconaissance

en se déclarant tributaire du roi d'Espagne4. Le comte d'Alcau


dete, le vaillant capitaine général, »e cessa pendant tout son gou

vernement, de 1534 à 1558 5, de lmter contre les Turcs et leurs


alliés, pour les éloigner d'Oran et sauver l'indépendance du royaume

de Tlemcen vassal de l'Espagne, De là ses interventions dans les


luttes intestines des derniers Zeyanides, la tentative malheureuse
qui aboutit à la débandade de
Tibda, sur Tisser, en juin 1535, celle

1. F. Braudel, o. c, p. 61 et note 1. De cette époque datent les « atalayas »,


tours de guet encore visibles sur les côtes méditerranéennes de l'Espagne.
2. H.-L.
Fey, o. c, p. 63.
3. F.
Braudel, o. c, p. 47-48. Ernest Mercier, o. c, II. p. 423.
4. Ernest Mercier, o. c, III, p. 23.
5. Paul Ruff, La domination espagnole à Oran sous le gouvernement du
comte d'Alcaudete, Paris, 1900. (Publications de l'Ecole des
Lettres d'Alger.)
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 63

encore plus désastreuse de son lieutenant Don Martin de Agulo sur

Tlemcen en 1543, et enfin son succès personnel, la même année,


la réinstallation de Abou Abdallah à Tlemcen ; succès bien précaire,
son protégé en ayant été chassé et les Espagnols ayant échoué dans
une pointe dirigée contre Mascara. C'était au lendemain de l'échec
retentissant de Charles Quint devant Alger (1541). La menace tur
que contre Oran se dessinait de plus en plus. Si les soldats de
Hassan Pacha avaient abandonné Tlemcen, il avait du moins établi
un gouverneur à Mostaganem. Le comte d'Alcaudete, toujours en

éveil, tentait en vain en 1547 de s'emparer de cette place qui

était devenue le quartier général et le point de départ des attaques

dirigées contre Oran. Abandonné par le gouvernement de Charles


Quint, trop occupé par les affaires d'Europe et d'Orient, il devait
résister en 1556 à une entreprise turque dans l'Ouest, conduite

par le renégat faillit réussir, et, lorsque décidé


Hassan Corso qui

à se donner de l'air à tout prix, il se lança contre Mostaganem


secouru par Hassan Pacha, il n'aboutit qu'à un échec suivi d'une
retraite lamentable où il sauva son honneur en sacrifiant sa vie.

Cette date de 1558 est capitale dans l'histoire d'Oran. Les Turcs
maîtres de Mostaganem installaient leur garnison dans le Méchouar
de Tlemcen : à partir de ce moment Oran ne cessa d'être bloqué.
La politique de Philippe II se concentra sur la Méditerranée orien

tale et sur la Tunisie qui en gardait l'accès. Après la reprise de

Tunis et la prise de la Goulette par les Turcs en 1574, il ne restait

plus aux Espagnols, sur les côtes de l'Afrique du Nord, que les
places d'Oran, de Melilla, seuls points d'appui
de Mers-el-Kebir et

pour leurs flottes dans la lutte contre les corsaires barbaresques.


On comprend qu'ils aient tenu à les garder.

Il nous a paru nécessaire de rassembler et de résumer ces

quelques faits sans lesquels on ne peut comprendre la décadence


économique d'Oran, condamné dès lors à n'être plus qu'une place

forte et une garnison. Et quelle garnison, qui, de 1558 à 1708, ne


subit pas moins de sept attaques sérieuses dont la dernière chassa
64 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

les Espagnols d'Oran de Mers-el-Kebir i ! Us y revenaient avec


et

le comte de Montémar en 1732, pour y être attaqués de nouveau


par le bey de Mascara. Cependant dire que, de 1734 à 1770,
on peut

la ville connut une tranquillité ; ces années ont été sans


relative

doute les meilleures que les malheureux habitants civils et mili


taires aient connues sous la domination espagnole. En tous cas

la situation resta toujours telle que, si l'honneur de l'Espagne


n'avait pas paru engagé, Oran aurait été abandonné dès 1734 :

c'était la solution proposée au gouvernement de Madrid par le


gouverneur Don José Vallejo dans son remarquable rapport d'ins
pection2. Elle ne devait s'imposer qu'en 1791, par le traité du 12
septembre conclu avec le Dey d'Alger.
Nous possédons quelques renseignements peu précis d'ailleurs
XVIe
sur la population d'Oran entre le début du siècle et la fin du
XVIIIe XVIe
; ils suggèrent quelques réflexions. Au début du siècle

Léon l'Africain l'estimait à 6.000 feux, près de 25.000 habitants. Or,


du mémoire de Vallejo, mentionné plus haut, il ressort que pen

dant la première occupation espagnole, de 1509 à 1708, le chiffre


de la population civile ne dut guère dépasser 2.000 3, et que celui
1. Siège de Mers-el-Kebir Hassan Pacha
1563, attaque d'Oran par
par en

les Turcs en 1604, siège 1639, de Mers-el-Kebir en


par terre et par mer en

1675, coup de main tenté sur Oran par Moulay Ismaïl, sultan du Maroc en
1673, enfin blocus des deux places par 1* bey de Mascara et les Turcs d'Alger
depuis 1705, chute d'Oran en 1707 et capitulation de Mers-el-Kebir en 1708.
2. Mémoire sur l'état et la valeur des Places d'Oran et de Mers-el-Kebir,
écrit dans les jours de l'année 1734, après son inspection générale,
premiers

par Son Exe. Don Joseph Vallejo, Commandant général, traduit et annoté —

par Jean Cazenave. (Reuue Africaine, 2e et 3" trim. 1925.) L'auteur concluait
« Cette ville sera toujours, quoi qu'on
ainsi :
dise, un poids mort pour notre
royaume » (p. 33) et il ajoutait plus loin : « La baie et le port de Mers-el-

Kebir ne peuvent nous servir qu'à la condition de posséder Oran et on ne

peut conserver Oran qu'à la condition de posséder en même temps Mers-el-


Kebir. »

3. Idem, p. 29-30. Lorsque Vallejo parle de 500 « habitants », il faut évi


demment corriger et lire « 500 feux ». Le rapport de Don Hamaldo Hontabat
(1772), dont nous parlons plus loin, autorise cette correction. Il y est dit (p. 13) :
« Au temps de la première occupation, on comptait 500 maisons et 2.000 habi
tants. »
PLANCHE II

Oran en 1831, vue prise de l'anse de Lamoune.


S1 S'
Le Château Neuf, la mosquée du Pacha, le quartier isrs élite, les forts de André et Philippe, le débouché
du ravin de l'Oued er Rehi, la Marine, les murs de la Blanca et la Casbah. (Dessin de Nyon).
Photo A. Lùck.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 65

de la garnison fut rarement supérieur à 1.500 ; il faut ajouter que


l'auteur du rapport ne tient pas compte des « desterrados », exilés
et relégués d'Espagne ni des éléments indigènes, maures ou juifs
qui furent d'ailleurs de plus en plus réduits. On peut estimer à 6.000
au maximum l'ensemble de la population. Elle apparait ainsi sin

gulièrement réduite par rapport à celle de l'époque musulmane.

Il n'y a rien qui puisse faire écarter cette conclusion.

On peut tout d'abord admettre qu'à l'arrivée des Espagnols, en

1509, la population indigène musulmane a abandonné la ville en

masse ; ce fut toujours la règle en pareil cas. Il est d'autre part

bien établi que les nouveaux maîtres d'Oran ne firent rien pour

y attirer ceux qu'ils appelaient les «Maures », dénomination qu'ils


appliquaient à tous les Musulmans, qu'ils fussent citadins ou gens

de tribus, sédentaires ou nomades, Arabes ou Berbères. Les témoi


gnages sont nombreux de leur méfiance vis-à-vis des Indigènes et

de leur répugnance à les admettre dans l'enceinte de la ville 1. Il


n'y laissèrent séjourner à demeure que les esclaves domestiqués
que leur procuraient les expéditions hors des murs et les contin

gents auxiliaires qu'ils prirent à leur solde, réduits en nombre

d'ailleurs et toujours plus ou moins suspectés.

Les Juifs restés après leur arrivée et retenus par leurs affaires,
et peut-être aussi ceux qui, après avoir fui, revinrent vite reprendre

leur place, ne trouvèrent pas certainement la sécurité qui plus

tard, après l'occupation française, a attiré de nombreux immigrants,


du Maroc notamment, et a permis à cet élément du peuplement
algérien de prospérer librement. Ferdinand d'Aragon eut l'idée de

repeupler la ville « entièrement de chrétiens » 2. Dès les premières

années, des ordres religieux, celui des Dominicains notamment, s'y


établirent et avec eux l'Inquisition ; on comptait sur la propagande

religieuse pour faire des conversions. Le comte d'Alcaudete récla-

1. Les Arabes de la campagne ne pouvaient entrer dans la ville que par une

porte déterminée, les


bandés, yeux et après avoir été fouillés. (Baron Baude,
L'Algérie, tome II, Paris, 1841, p. 6.)
2. F. Braudel, o. c, p. 48. Il s'agit d'instructions données à Pedro Navarro,

et Pellissier de Reynaud (o.c, p. 22), qui parle d'un recensement fait en

1510. On trouva 1.600 habitants en état de porter les armes.


66 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

mant en 1539 l'envoi de prêtres et de moines instruits, connaissant

les langues hébraïque et arabe, déclarait que « dans une frontière


comme celle-ci, il y a toujours des Maures et des Juifs dont ils
peuvent gagner les âmes » 1. En 1669, par ordre de Madrid et sur

les suggestions du gouverneur de Los Vêlez, les Juifs


marquis

furent expulsés en masse2. Cette politique n'était favorable ni au


peuplement ni au commerce d'Oran.
Quant aux « Maures », si on leur permit exceptionnellement de
rentrer dans la place quand ils étaient bloqués et serrés de trop
près par les tribus ennemies 3, ils fournirent surtout des prisonniers

que l'on distribuait ou que l'on vendait. Les conversions qui auraient

certainement fixé les transfuges de l'Islam à Oran ne furent que

des accidents 4 ; il y eut en revanche dans chaque famille espagnole

des domestiques plus ou moins esclaves 5.

1. Idem, p. 79. Le terme de frontière, traduction de « frontera », désignait


les places fortes extérieures au royaume.

2. J. Cazenave, Les gouverneurs d'Oran, o. c, p. 37.


3. Marcel Bodin, L'agrément du lecteur, par Si Abdelkader el Mecherfi.
2e
(Revue Africaine, sem., 1924, p. 253.) L'auteur cite notamment la tribu des
Ounazera.
4. Dans son mémoire, Vallejo (o. c, p. 48) nous donne des renseignements

précis. Il a consulté, en effet, dans l'église paroissiale, les anciens registres du


On le baptême à de
xvn8

siècle. « administrait en moyenne une trentaine


Maures chaque année. Encore m'a-t-oi^affirmé que, de tous ces Infidèles, seuls

continuaient à vivre en bons catholique» ceux qui recevaient le sacrement avant

l'âge de sept ans. » Les enfants en bas âge capturés dans les razzias étaient
d'ailleurs baptisés d'office (Mémoire déjà cité, p. 48, note de M. Cazenave). En
1535, le comte d'Alcaudete annonçait comme une deuxième victoire : « Cin
quante (Arabes) de ceux qui ont été pris dans les razzias ont été baptisés. »

(F. Braudel, o.c, p. 79.)


5. Le Mémoire de Vallejo renferme sur ce point quelques détails intéres
sants. Parmi le butin provenant des razzias, le capitaine-général avait le droit
de choisir un Maure et une Mauresque. Le reste était distribué entre les offi

ciers, les soldats, les


fonctionnaires ou vendu. Vallejo se plaint que, « dès leur
naissance, les enfants étaient confiés aux soins des nourrices et d'esclaves indi
gènes ; ils en arrivaient ainsi, dans leurs goûts et dans leur façon de vivre, à

ressembler aux Infidèles, dont ils ne se différenciaient plus que par le nom »

(p. 47).
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 67

On peut conclure de tout cela que la population civile d'Oran,


XVIIIe
au début du siècle, était à peu près entièrement espagnole


et bien faible en nombre, comme nous venons de le voir.

Lorsque les Espagnols, après une courte éclipse, de 1708 à 1732,


reparurentdans la place, on comptait dans l'enceinte 400 maisons,
logement des Maures qui avaient repris possession de la cité i
;
il y eut donc à peine 2.000 habitants pendant cette période d'occu
pation musulmane.

Un rapport officiel de 1738 2 nous donne le dénombrement sui

vant : 330 maisons, dont 120 occupées par les officiers et les ser

vices de la 1.000 habitants civils, 1.635 « desterrados », 757


place.

« Maures », 5.555 hommes de la garnison, soit en tout 8.947


soumis

habitants. Le petit nombre des civils s'explique aisément : lorsque


les Espagnols entrèrent dans la ville, elle était déserte, ayant été
abandonnée par les Maures épouvantés et il fallut qu'elle se repeu

plât de gens venus d'Espagne 3, des marchands et des fonctionnaires.


Les « desterrados », prisonniers ou libres furent, à ce qu'il semble,
de plus en plus nombreux4. Ils fournissaient la main-d'œuvre pour

les travaux publics et en cas de nécessité collaboraient avec la


garnison pour la défense de la place et pour les reconaissances 5.
On finit par former avec des exilés et des condamnés des compa-

1. Mémoire, o. c, p. 13.
2. Cité Meunier, Notice sur le port d'Oran. (Min. des Trav. Publics.
par M.
lre
Ports maritimes de la France, tome VHI partie. Paris, 1890, p. 247.)

3. Histoire d'Oran, par le Marquis de Tabalosos, trad. Jean Cazenave. Oran,

1930, p. 18-19.
4. On ne peut fixer la date à laquelle on commença à peupler les bagnes
d'Oran. Il apparaît bien que ce fut dès l'origine de l'occupation espagnole ; la
mémoire de Vallejo y fait une allusion rétrospective. Il faut distinguer entre
les condamnés et les exilés, parmi lesquels se sont trouvés des personnages
de rang.

5. Don Harnaldo Hontabat, Relacion gênerai de la consistencia de la Plazas


de Oran y Mazarquivir (31 déc, 1772), publiée par M. le Commandant Pellecat,
d' 4e 4"
Oran, 1924 (Bull, de la Société de Géog. et Archéol. d'Oran, 2e, et trim.

1924), p. 35-36. On avait, au


xvrrr*

siècle, réuni dans un quartier spécial six

compagnies de fusiliers « pour faire les reconnaissances et pour se garder ».


68 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

gnies de fusiliers qui eurent leur casernement spécial. En 1770 \


il y avait 2.821 déportés répartis entre huit quartiers 2. Les déser
tions étaient fréquentes ; s'il a pu y avoir des renégats parmi ces

« desterrados », beaucoup de ces fugitifs ont été massacrés ou

envoyés comme esclaves dans les bagnes d'Alger3. Quant aux

« Maures soumis » ou Moros de Paz », il faut entendre par là ces


«

corps auxiliaires appelés « Al mogatazes » 4 qui formèrent d'abord

une compagnie à la solde du roi et sans doute ensuite des escadrons

(escadrillas de campo) campés plus que logés dans quatre « adua-

res » (douars) au quartier de la Marine, par conséquent en dehors


des murs de l'enceinte 5. Ils n'inspirèrent jamais qu'une médiocre

confiance 6. Sans doute cette dénomination de « Maures soumis »

recensés en 1738 désigna-t-elle aussi des réfugiés des tribus qui

avaient donné quelques gages de fidélité.

Quant à la garnison, le chiffre en avait singulièrement augmenté

depuis la première occupation espagnole : signe bien manifeste de


XVIIIe
l'insécurité qui régnait à Oran au siècle. Il avait toujours
varié selon les circonstances et les nécessités. Quand les Espagnols
ne purent plus compter sur les tribus liées par des traités, ils furent
obligés de renforcer les effectifs, ne fût-ce que pour occuper les

ouvrages défensifs qu'ils multiplièrent. Ainsi s'explique que la


troupe toujours, depuis 1732, dépassé
ait en nombre la population

civile de la ville. *

1. H. Fey, o. c, p. 217-220.
2. Idem, p. 36. Outre
ce casernement, on comptait, à cette
date, six quartiers
dans la place, dont un pour les « exilés à la chaîne et les plus mutins », et un
pour les « exilés inhabiles aux travaux et employés au nettoyage »
; un sep
tième se trouvait au « château de Rosalcazar ».

3. G.-T. Raynal, Histoire politique des Etablissements et


philosophique et

du Commerce des Européens dans l'Afrique septentrionale, Paris, 1826, tome II,
p. 133. En 1785, la Cour de Versailles rachète pour 644.200 livres 315 esclaves

d'Alger « déserteurs échappés successivement d'Oran et tous ou presque tous


anciennement flétris par les lois dans leur patrie ». Raynal signale que cette
libéralité souleva l'indignation des gens de bien ».
«

4. Voir, sur l'origine de ce nom, M. Bodin, o. c, p. 225.


5. H. Fey, o. c, et Hontabat, o. c, p. 55.
6. F. Braudel, o. c, pè 80 et note 1.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 69

Celle-ci avait augmenté de 1738 à 1770, date d'un recensement

officiel i ; on dénombrait alors 532 maisons 42 édifices publics,


et

2.377 bourgeois « sans compter les Maures réfugiés », 2.821 déportés


et 4.383 officiers et soldats, non compris la Marine. On peut estimer

l'ensemble à une dizaine de mille habitants.


En 1785 2, la population était d'environ 12.000 âmes. Les chiffres

officiels accusaient 7.793 habitants, dont 6.570 hommes et 1.223


femmes, y compris 2.214 déportés et 199 Maures soumis. La gar

nison ne paraît pas avoir été comptée dans ce total. Un voyageur

bien informé qui a séjourné à Oran 1788, J. Ad. Frhn


en von

Rehbinder, consul allemand de Hambourg, lui attribuait une

population de 12.000 habitants 3.


On est, semble-t-il, fort suffisamment renseigné par tous ces

chiffres sur ce que put être Oran privé de l'élément indigène, anda-
lou et juif qui aurait certainement vivifié cette pauvre cité déchue

et en aurait fait autre chose qu'une garnison et un « presidio ».

Comme il fallait s'y attendre, l'histoire urbaine d'Oran est avant

tout une histoire de fortification. Ce fut évidemment la première

préoccupation de ses maîtres ; aussi les détails abondent-ils sur cet

objet et l'on a pu en former un faisceau serré 4. Nous ne pouvons

1. H.
Fey, o. c, p. 217-220.
2. I.
Cazenave, Les gouverneurs d'Oran, o. c, p. 42.
3. J.-Ad. Fhrn von Rehbinder, Nachrichten und Bemerkungen ùber den
Algierschen Staat. Erster Theil. Altona, 1798, p. 34.
4. On les trouvera rassemblés et longuement exposés dans le livre de H.
Fey. Le de Hontabat, colonel commandant les Ingénieurs (le Génie)
rapport

est le document de première main que l'on doit consulter pour une étude sur
ce sujet. Voir aussi le mémoire de Don Sancho Martinez de Leiva « sur les
avantages que retirerait Sa Majesté, pour la conservation de Mers-el-Kebir
et de son port, de fortifier Oran et sur divers moyens proposés à cet effet »,

publié par M. Marcel Bodin (Bulletin de la Société de Géographie et d'Archéo


logie de la Province d'Oran, année 1934, p. 369-374). Dans ce mémoire adressé
aux membres du Conseil d'Etat et de la Guerre de Madrid, en 1576, qui son

geait à démanteler Oran, l'auteur déclare que « si l'on occupe Oran, on ne

peut perdre Mers-el-Kebir, alors qu'on ne peut garder ce dernier si l'on


démantèle Oran ».
70 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

la négliger complètement ici : car on ne doit pas oublier que les


Espagnols nous ont, à cet égard, préparé le logement et que leurs
forts comme leurs bâtiments —
ceux du moins qui subsistaient en

1831 —
ont constitué le principal du domaine militaire, dont l'exis
tence a pesé et pèse encore sur les destinées de la ville.

Dès son origine, la ville de Ouahrân avait été murée, selon la


coutume. Tous les historiens et les géographes qui en parlent au

Moyen-Age n'oublient jamais de la signaler comme étant une place

forte. Edrisi ajoute même qu'elle est « entourée d'un mur de terre
construit avec art », muni de tours espacées 1. L'enceinte était donc
en pisé, tout comme celle d'Alger à la même époque. Il dut y avoir de
bonne heure, sinon dès les premières années, une Casbah, au point

le plus élevé. La topographie du site en détermina naturellement

l'emplacement, sur la rive gauche du ravin et au-dessus, dominant


à la fois les sources et la ville. C'est là que le Gouverneur logeait
et qu'il reçut en 1347 le Sultan mérinide Aboul Hassan. C'est à
ce prince que l'on attribue la construction du Bordj el Ahmar à
Oran2 du Bordj Mersa à
et el Mers-el-Kebir, qui furent depuis
les ouvrages maîtres de la défense des deux places. Le premier

était destiné à couvrir la ville du côté de la plage et vers l'Est, en

avant du ravin, et à surveiller particulièrement les abords du pla


teau de Karguentah. C'est le Fort Neuf actuel, qui resta après
1831 le réduit de la place ; il fut l%bité pendant quelque temps par

les premiers gouverneurs espagnols. A l'origine il ne fut qu'un

massif de trois hautes tours reliées par des courtines, que l'on

1. Edrisi, o.c, p. 96.


2. R. Basset, o.c, p. 18. —
H. Fey, o.c, p. 62. Il porta aussi sous la domi
nation musulmane les
de Bordj-el-Mahal (fort des Cigognes)
noms et de Bordj-

el-Djedid (fort Neuf). Des traditions incontrôlables et suspectes en faisaient


soit une ancienne forteresse vénitienne, soit un château de l'Ordre de Malte.
Le nom de « tour des Maltais » lui resta sous les Espagnols : ne serait-ce pas
pour fait d'armes des Chevaliers qui ont pu figurer dans le
rappeler quelque

corps de 1509? M. G. Marcais, particulièrement compétent en


expéditionnaire

la matière, incline à croire ces tours postérieures à cette date et nullement


attribuables à des constructeurs arabes.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 71

voit encore fort bien du côté Ouest enclavé dans les constructions

du Fort Neuf. Il n'est pas question d'autres fortifications dans les


récits de la prise d'Oran en 1509.

Les Espagnols travaillèrent sans cesse à restaurer, à refaire


même les murs de l'enceinte, à agrandir la vieille forteresse de

l'Alcazaba (Casbah) et à doter la place d'ouvrages nouveaux plus

solidement construits avec la pierre des carrières de Saint-André.


l
Entre 1518 et 1534, le deuxième marquis de Comarès fit élever
le « Castillo de la Mona (château de la guenon) 2, le fort Lamoune
»

des Français, pour battre la petite anse qui avait toujours servi de
débarcadère, et le « Castillo de los Santos », au point culminant

des mamelons qui dominaient à l'Est le ravin de l'oued Er-Rehi


(oued des moulins) ; on l'appela dans la suite « fort Saint Philippe ».
Le comte d'Alcaudete paraît avoir présidé à des travaux importants :

construction d'un petit fortin en solide maçonnerie sur la pointe

Ouest du rocher où s'élevait le Fort Neuf que les Espagnols dé


nommaient « Rozalcazar » 3 ; plus à l'Est et pour battre la plage

de Karguentah, le fort Sainte Thérèse ; enfin un peu au Sud et non


loin du fort des Saints, le fort San Fernando (Bord bou Beniqa ou
Bordj Ras-el-Aïn des Indigènes), qui gardait l'accès des sources

du ravin. C'est peut-être à cette époque que furent jetées au Nord-

Ouest de la place les fondations du Fanal ou « Hacho » (Vigie) ,

une lunette placée au bord d'un ressaut de la montagne d'où l'on


pouvait surveiller la petite et la grande baie ; elle a été l'origine
du fort Saint Grégoire élevé à sa place en 1588 par Don Pedro de

Cazenave, Les gouverneurs d'Oran, o. c, p. 34.


1. J.
Fey, o. c, p. 76-77. Les Indigènes l'appelaient « Bordj
2. H. -el-Youdhi » en

souvenir de la trahison d'un Juif qui aurait, en 1509, livré une porte de la ville

voisine de son emplacement aux Espagnols.


3. Traduction espagnole de Râs el Qas'r qui signifie «tête du château».

Quant au fortin, H. Fey (p. 105) signale qu'on en voyait encore les vestiges

en 1856 à l'extrémité de la promenade de Létang. Quant au fort Ste-Thérèse,


il existait intact à la même date et les derniers restes n'ont disparu tout récem
ment qu'avec le roc qui les portait. Le fort San Fernando était complètement

ruiné.
72 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

Padilla K Ces fortifications eurent à souffrir lors de l'attaque de


Hassan Pacha en 1563. Le fort des Saints notamment fut détruit2,
on construisit avec de grandes difficultés, grâce à la main-d'œuvre

fournie par la tribu alliée des Hamian3 le fort de Santa Cruz qui

dominait celui de Saint Grégoire, mais était par ailleurs com

mandé la Meseta, le plateau du Murdjadjo. Enfin, à la fin du


par

XVIe
siècle, la ville fut munie du côté du Nord, de la Marine, par
conséquent, d'une épaisse muraille destinée à la fois à servir de
courtine et à soutenir les terres du plateau tranché à pic4. Elle
forma dès lors une ligne de séparation très nette entre la ville et

le faubourg, extérieur alors, de la Marine et du port.

Nous n'avons aucune mention de travaux importants exécutés


XVIIe
au siècle. Sans doute l'argent manquait-il et le gouvernement

Mers-
de Madrid était-il trop occupé ailleurs. Les. fortifications de
el-Kebir, mal entretenues, tombaient en ruines 5. A Oran on travailla
pendant tout le cours du siècle à agrandir le Château Neuf ; on
construisit le fort Saint André entre le Rozalcazar et le fort de
Saint Philippe qui fut refait et fort mal6.

Pendant le gouvernement des beys, de 1708 à 1732, les fortifi


cations furent complètement laissées à l'abandon, on alla jusqu'à
arracher les pierres de taille qui couronnaient les murs et à enlever

même la terre des glacis pour construire les bâtiments du Beylik j


on laissa s'entasser au pied des es^rpes d'infâmes gourbis dont les

1. H.
Fey, o. c, p. 61, et J. Cazenave, Mémoire de Vallejo, p. 41, note I.
2. H.
Fey, o. c, p. 103-107. Il est question, à cette occasion, d'un petit fortin,
dit de San-Miguel, élevé sur le point culminant de la Montagne de Mers-el-
Kebir.
3. M.Bodin, o. c, p. 211.
4. H.Fey signale qu'on la voyait encore très bien en 1856, au-dessus de
l'église Saint-Louis, du côté de la mer.
5. J. Cazenave, Les gouverneurs d'Oran, o. c, p. 37. Il en était ainsi dès
1675, lors de l'attaque dirigée contre cette place par les Turcs et les Maures.
Le mémoire de Vallejo montre qu'il en était encore ainsi en 1734 (p. 11).
6. Mémoire de Vallejo, o. c, p. 17. Dans le de
« mortier ses murailles, il y a
plus de terre que de chaux : ainsi, un seul coup de canon causerait d'assez
y
grands préjudices. »
PLANCHE Ul

La rue Philippe a Oran (1832), même origine.


ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 73

immondices laissèrent des traces longtemps visibles. La muraille,


il faut le dire, était d'ailleurs « très étroite et fort irrégulière, sans

boulevards », elle ne possédait que « quelques tours réparties ça

et là », elle était « dépourvue presque partout de parapets » 1. Seule


la Casbah reçut quelques agrandissements et une belle construc

tion qui devint dans la suite la demeure des gouverneurs espagnols.

Peu après la reprise d'Oran par le comte de Montémar (1732),


le marquis de Villadarias inaugura une série de travaux qui étaient
à peine terminés en 1790. Don José Vallejo (1733-1738) leur donna
une impulsion particulière avec l'aide de trois ingénieurs mili

taires distingués. La défense de la place était alors assurée par

cinq châteaux fort, Santa Cruz, Saint Grégoire, Saint Philippe, Saint
André et Rozalcazar. Le nouveau gouverneur déclarait que « la perte

d'un de ces châteaux la laisserait sans défense ». Celui de Saint Gré


goire était en bon état. Il fallut refaire à peu près entièrement celui de
Santa Cruz endommagé en 1732 par les batteries et les mines des
Maures. C'est alors que fut conçu le projet, exécuté en 1771 par
le célèbre ingénieur Hontabat, de séparer l'ouvrage de la montagne
par un ravin taillé dans le roc. Le fort Saint Philippe fut com

plètement reconstruit, en raison des malfaçons dont avait souffert

l'ouvrage, lors de sa première réfection. Celui de San Fernando et

le petit ouvrage de Saint Charles situé légèrement à l'Est furent


réparés : c'était un des points les plus sensibles de la défense, à
cause du voisinage des sources. Le fort Saint André bien construit

fut pourvu de glacis ; malheureusement une terrible explosion

devait le détruire 1769. Rozalcazar, singulièrement agrandi de


en

1663 à 1701 par rapport au Bordj el Ahmar qu'il englobait, était


le meilleur boulevard de la place, avec ses murailles solides et

épaisses, et ses douves profondes. Il y avait en outre des réduits

aménagés dans les courtines de l'enceinte, des vigies, des lunettes


en avant des murs de l'Est sur le plateau de Karguentah, comme

1 Voir le même mémoire sur l'état de tous ces ouvrages en 1934. On trou
vera aussi des renseignements sur les travaux exécutés de 1732 à 1832 dans
l'Histoire d'Oran, du Marquis de Tabalosos, o. c.
74, ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

le fortin Saint Louis, la « Torre Gorda » à proximité et au Nord


du fort Saint André, tout un réseau de mines et de galeries

souterraines creusées pour relier les éléments de la fortification1.


Cette œuvre fut poursuivie activement par le successeur de Vallejo,
Don José de Aramburu.
Travail assurément très remarquable, étant donné surtout les
moyens réduits dont disposaient ces gouverneurs qui se plaignaient

sans cesse de manquer d'argent, de matériaux et d'ouvriers2, mais

on peut se demander s'il valait les résultats qu'on pouvait en atten

dre. « L'Espagne, écrivait Vallejo dans son rapport de 1874, a tro


qué des monceaux d'or contre des montagnes de pierre ». Il ajoutait

plus loin que la place forte d'Oran avait cessé d'être considérée par

les Maures et les Turcs comme imprenable —

ce qui était grave

pour l'avenir.
« La ville d'Oran n'a que deux portes », écrivait le Docteur
Shaw 3 qui la visita en 1730 ; « elles sont toutes deux du côté de
la campagne. Celle qui est appelée la « porte de la mer », parce

qu'elle est la plus voisine du port, est surmontée d'une grande

tour carrée que l'on pourrait armer en cas de besoin. Près de l'autre
appelée la « porte de Tlemsen » on a élevé une batterie ». La porte

de mer ou porte de Canastel, « si basse qu'elle ressemblait aux

portes d'une cave plutôt qu'aux portes d'une ville », fut recons

truite à neuf sur deux arceaux ent» 1734 et 1738 4


; on en amé-

1. Il existe un plan qui paraîtdater des environs de 1770, « Piano de la


Plaza de Oran, que manifesta las Minas de Communicacion y Defensa de sus
castillos y fuertes avanzes» (Musée d'Oran). Nous le reproduisons en partie.
2. Mémoire de Vallejo, passim. En 1840, le baron Baude (o. c, p. 9) écrivait
que les fortifications des Espagnols « ne coûteraient pas moins, aujourd'hui,
de 38 millions », d'après les évaluations de nos officiers du Génie.
Dr
3. Shaw, Voyage dans la Régence d'Alger, trad. Mac Carthy, Paris, 1830,
p. 224-229.
4. M. Meunier, o. u., p. 245, où se trouve analysé un rapport inédit sur les
travaux exécutés de 1734 à 1738. L'auteur note que l'une de ces voûtes existe
encore (en 1886) sur la place Kléber et donne accès à la rue Rampe-de-Madrid.
Le chemin de Canastel fut bordé de peupliers et de platanes dont il restait
encore quelques sujets en 1858. Voir H. Fey, o. c, p. 166.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 75

nagea les débouchés, notamment le chemin de Rozalcazar, on rem

plaça le vieux pont qui franchissait le ravin par une « construction

jolie et très solide ». On ouvrit en 1754 une nouvelle porte, celle

du Santon (del Santo) au Nord-Ouest de l'enceinte ; c'est de là


que partait le chemin de Mers-el-Kebir. Aussi fut-elle connue sous

le nom de Bab-el-Mersa (la porte du port).

Il nous est impossible de dire ce qu'avait été exactement la


ville, pendant la domination musulmane. L'enceinte, que les Espa
gnols conservèrent en l'améliorant et en la fermant du côté de la
mer, avait un peu plus de 2.000 mètres 1. Mais les constructions

n'occupaient probablement d'une manière dense que la rive gauche

du ravin, la rive droite étant bordée de jardins et de moulins. A


l'époque la plus prospère, celle du XVe siècle, la population déborda
sur le plateau de Kargentah et du côté de Ras-el-Aïn au Sud, où

il exista de véritables faubourgs 2. Edrisi et plus tard Léon l'Afri


cain ne nous donnent aucun renseignement précis sur les construc

tions publiques ou privées et nous parlent seulement de grands

bazars, d'ateliers d'artisans, de boutiques, de collèges —


entendons

par là les médersas où enseignèrent quelques savants renommés dans


l'Islam —

d'hôpitaux, de bains, d'hôtelleries. Nous ne savons même

pas où se trouvaient les fondouks des chrétiens. Les Juifs, selon la


coutume, furent sans doute refoulés contre le rempart de l'Est où
on les rétablit en 1791. Il est significatif que les voyageurs arabes

ne nous aient mentionné aucun monument public, aucun palais,


aucune grande mosquée 3. Ce sont les documents espagnols qui

nous apprennent qu'après l'occupation on consacra les deux prin-

1. H. Fey, o. c, p. 168. En 1790, elle mesurait 2.157 mètres.

2. E. de la Primaudaie, o. c. La mosquée et le marabout de Karguentah


furent, lors de la prise d'Oran en 1509, le refuge de défenseurs qui résistèrent

héroïquement pendant cinq jours. Quant au faubourg de Ras-el-Aïn, il fut de


tous temps le refuge des tribus qui venaient s'abriter sous la protection de
la place.

3. Le magnifique palais maure de la Casbah dont parle Vallejo (p. 13) paraît

bien avoir été construit par les Turcs lorsqu'ils agrandirent la citadelle après

1708.
76 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

cipales mosquées à Notre-Dame de la Victoire et à Saint-Jacques 1.


Il est difficile de croire que cette ville ait été autre chose qu'un

entassement de médiocres constructions serrées entre des rues non

pavées, étroites et fortement déclives. On peut le déduire des amé

nagements que les Espagnols furent obligés d'y pratiquer.

En 1734, lors de leur retour, Vallejo décrivait ainsi la ville

qu'ils avaient retrouvée : « Dans l'enceinte de la ville on compte

environ 400 maisons qui sont si petites et si misérables qu'il vau

drait mieux parler de chaumières que d'édifices ; car presque toutes


ont été construites récemment par les Maures et avec des matériaux
si mauvais qu'on ne tire jamais le canon sans nécessité pour éviter
les dommages que cause un peu partout son seul fracas » 2. Il est

vrai qu'il s'agit, d'après l'auteur même, d'une reconstruction plus

ou moins hâtive de la ville par les Musulmans, entre 1708 et 1732,


sur les ruines de la première ville espagnole ; mais en était-il bien
autrement avant 1509 ? On ne saurait l'affirmer.
Sur la ville espagnole nous sommes mieux renseignés. Il semble

XVIe XVIIe
bien que les préoccupations militaires ont dû, au et au

siècles, absorber l'attention des gouverneurs, et que les principaux


aménagements, notamment les 42 édifices publics mentionnés en
1770 datent pour la plupart du XVIIIe, de la deuxième occupation.

Auparavant les casemates, les casernes, les magasins militaires, les


églises et les couvents constituaientfcans doute à peu près tout le
bilan de l'urbanisme oranais.

Il n'en fut pas de même après la réinstallation des Espagnols


en 1732. Dès le début, des améliorations importantes furent appor
tées à la voirie 3. Toutes les rues sans exception furent pavées ainsi
que la place principale, la place d'Armes (place de l'Hôpital
actuelle), où se trouvait le centre de la ville et où avait lieu la

1. H. Fey, o. c, p. 108. L'église de N.-Senora de la Victoria était la chapelle

du couventdes Bernardins ; c'est sur son emplacement que fut construite, par

les Français, l'église Saint-Louis.


2. Mémoire, o. c, p. 13.
3. Ce détail et ceux qui suivent sont empruntés au rapport inédit de 1738
sur les travaux effectués de 1734 à 1738, résumé par M. Meunier, o. c, p. 245.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 77

parade de la Garde. Pour relier la Marine à la porte de Canastel,


on élargit le sentier étroit où deux voitures ne pouvaient se croiser,
on tailla dans le roc, on fit des murs de soutènement. Des construc

tions privées nouvelles s'élevèrent, les commerçants se rapprochant

de la Marine. Pour l'alimentation en eau de la ville, l'aqueduc de


Ras-el-Aïn fut complètement refait, jusque dans ses fondations. A

la grande fontaine publique où s'approvisionnait la population

en contrebas du pont de Canastel 1 on mais plus


civile, adjoignit,
tard, en 1789, celle que l'on voit encore aujourd'hui sur la place

d'Orléans. Les gouverneurs se préoccupèrent aussi dès 1732 de la


question des égouts. Les eaux de pluie du versant qui domine Oran
constituaient une menace : on avait assuré leur écoulement dès la
première occupation par le « conduit royal », dont l'origine était
un peu au Sud et en deçà de la porte du Santon, et qui, après avoir
traversé la ville en diagonale, se dégorgeait dans le ravin du côté
des jardins, au milieu du boulevard Oudinot actuel qui a recouvert
l'oued ; on lui donna un nouveau débouché dans le ravin de Ras-
el-Aïn, près de la porte de Tlemcen2.

Mais s'il y eut de réelles préoccupations d'urbanisme chez les


gouverneurs d'Oran, la ville, telle que nous la dépeint Hontabat
en 1772 n'avait certes pas un bel aspect ni même une bonne tenue.
« Les rues, écrit-il, sont à pente raide et très étroites, suivant toutes
les aspérités du sol. Quelques maisons datent des premiers conqué
rants dont elles gardent l'empreinte dans leur mode de construction,
mais la plupart ou presque toutes sont en ruines par suite de la

qualité des matériaux ». Parlant des constructions plus récentes, il


ajoute : « Elles sont d'un ordre inférieur et les murailles sont de
minces parois de pierres et de boue avec un léger revêtement de
L'in-
maçonnerie, quelques briques, des plates-formes ou terrasses.

1. H. Fey, o. c, p. 167.

2. Le premier dont l'entrée est encore visible est utilisé de nos jours. Le
départ du deuxième a été bouché. La clef de voûte de ce bel ouvrage est à
2 m. 80 du soL
78 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

térieur est pour y vivre d'une existence solitaire et échapper aux

ardeurs du climat » K
Le problème le plus grave, le plus difficile à résoudre, fut assu

rément celui de l'alimentation et du ravitaillement en vivres. Il


apparaît d'ailleurs que sur ce point aussi il faille distinguer entre

les deux périodes de l'occupation espagnole, mais dans le sens

opposé à celui que nous avons donné plus haut, la deuxième ayant

été celle des plus grands embarras.

Sans doute les jardins du ravin, soit dans la ville, soit en dehors
en remontant vers les sources de l'oued, pouvaient fournir des

légumes et des fruits en assez grande abondance. « C'est un para

dis », écrivait le Cardinal Ximenès en 1509. Nous avons vu que


tous les voyageurs musulmans y ont fait allusion. En 1730, Shaw2
en célébrait le charme et vantait les plantations d'orangers.
Même note dans le rapport de Vallejo 3. « A partir de la source

jusqu'à la mer, des jardins potagers et des vergers d'arbres frui


tiers couvrent les deux versants ; et telle est la fertilité de ces

terrains ainsi arrosés qu'en quelques jours avec une incroyable


rapidité les légumes y poussent excellents et en si grande abon

dance qu'ils suffisent à approvisionner la nombreuse garnison

d'Oran ». La tribu des Krichtel (Canastel) avait, du moins au


XVIe XVIIe
siècles, la de
et au cultures4
spécialité ces et elle ravi

taillait le marché de la « place auxtflerbes » 5. Mais pour les autres

denrées, encore que les habitants fissent quelques récoltes « sur

les terrains contigus à la place et aux châteaux » 6, on ne pouvait

compter que sur les « Maures de paix », c'est-à-dire sur les tribus
du voisinage immédiat d'Oran qui venaient camper dans la plaine,

1. Hontabat, o. c, p. 13-14.
Dr
2, Shaw, o. c, p. 224-229.
3. Mémoire, o. c, p. 25.
4. M. Bodin, o. c, p. 226.
5. Cette place existait encore en 1858, sur le trajet de la rue Pontéba (H.
Fey, o.c, p. 184).
6. Hontabat, o. c, p. 10. L'auteur du rapport regrette que les règlements sur
les servitudes de la place aient tari inutilement cette source de profits.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 79

cultiver et faîre paître leurs troupeaux sous la protection des Espa


gnols. Des traités en bonne et due forme l stipulaient des ver

sements en nature, sous la forme de blé et d'orge, à titre d'impôt


et des livraisons à titre remboursable à un prix déterminé. Il est

vrai que la plupart du temps « les contributions des Indigènes ne

représentaient même pas la moitié de la consommation » 2. Cet ap


provisionnement était d'ailleurs subordonné aux relations que le
Gouvernement pouvait avoir avec les tribus, ce qui explique cer

taines contradictions que l'on trouve dans les documents officiels.

Vallejo déclare par exemple 3 qu'autrefois —

avant 1708 —
« les
Maures approvisionnaient la place de viande, de volailles, de bois
et de toute sorte de comestibles qu'ils cédaient à un prix très mo

déré ; les autres vassaux apportaient aussi du blé. Cela suffisait

largement aux besoins de la troupe et des habitants. » Cette affir

mation est contredite par de nombreuses plaintes des Gouverneurs


eux-mêmes 4 et de la population. « Les Maures n'apportent plus de
vivres à Oran et nous mourons de faim », écrit, dans les premières
années de l'occupation, la dame de Fonseca 5. Le Comte d'Alcau
dete déclare 6 qu'il « a plus à défendre les deux villes contre la
faim que contre l'ennemi. » La vérité est que la situation a dû em

pirer par l'effet de la politique maladroite des Gouverneurs qui ont

trop souvent cherché des faits d'armes en organisant des sorties,


des « jornadas » plus d'une fois inutiles et se sont aliéné les tribus

par ces razzias productrices de butin, mais funestes aux relations

de la ville avec les Maures 7. Lorsque la guerre sévissait dans le


pays —
et le cas n'était pas rare —
il fallait ravitailler la garnison

et même la population civile avec des vivres importés d'Espagne.

1. Vallejo (p. 41) donne un modèle de ces traités.


2. Idem, p. 43.
3. Idem, p. 29.
4. Idem, note I du traducteur.
5. J. Cazenave, Les gouverneurs d'Oran, o. c, p. 17.
6. P. Ruff, o. c, p. 9, note I.
7. Vallejo dresse, dans son mémoire, un véritable réquisitoire contre cette

politique et ces pratiques de ses prédécesseurs. Voir notamment p. 30.


80 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

La situation s'aggrava aussi du fait que les Turcs occupèrent

Oran et que le prestige de l'Espagne en fut grandement atteint ; les


tribus jadis fidèles avaient perdu leurs chefs, elles doutaient de
l'efficacité de la protection que pourraient leur accorder les Espa
gnols et ceux-ci ne rencontrèrent après 1732 que « haine ou indiffé
rence » 1. Les choses en arrivèrent à un tel point que sous Char
les II, en 1767, on fut obligé de créer un Conseil d'approvision
nement2
(Junta de Abastos) principalement pour le pain, l'huile,
la viande et le charbon. Les plaintes étaient continuelles ; on manqua

toujours de lard, de légumes secs, de savon et de charbon que l'on


dut importer d'outre-mer. Trop souvent même les quatre « Mou
lins du Roi » 3 durent moudre du grain importé d'Espagne. La gar
nison était obligée de faire paître dans les alentours de la place un

troupeau sous la surveillance des Mogatases qui, au préalable, de


vaient effectuer des reconnaissances 4. On dut, en raison de la di
sette de fourrages, supprimer le régiment de dragons créé spécia

lement pour Oran. On en arriva finalement à faire venir tous les

approvisionnements, même la viande, d'Espagne, par Almeria ou

Carthagène ; chaque semaine cet office était rempli par deux « che-

beks » servant en même temps de courriers 5.


On imagine sans peine que la vie ne devait pas être très agréa

ble, dans de pareilles conditions, pour ceux qui n'exerçaient pas de


hautes fonctions, celles-là toujours liÀ-atives. Quelques grands sei

gneurs, en situation ou en exil, comme le Marquis de la Sonora


en 1782, possédaient de riches demeures dans les bâtiments publics

1. Dans le même auteur, voir p. 32-33.


2. Le de Tabalosos (o. c, p. 58-59) nous renseigne, à ce propos, sur
marquis

les dissentiments qui éclataient entre les fonctionnaires civils et militaires, pour
le plus grand détriment de l'administration de la ville.

3. H. Fey (o. c, p. 165) en donne l'énumération : petit moulin près de la


mer, dans le ravin, le grand moulin, le moulin appelé plus proprement « du
ravin », le moulin de Canastel ; tous les quatre étaient sur le parcours de l'oued

qui leur dut son nom de Oued er Rehi.


4. Baron Baude, o. c, p. 6.
5. E. de la Primaudaie. o. c, et H. Fey, o. c, p. 219-220.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 81

(ceux de la Casbah par exemple ou du Château Neuf) et dans des


maisons bien construites * où ils menaient joyeuse vie. Sous le Gou
vernement de Don Eugenio de Alvarado (1770-1774) 2, Oran reçut

le surnom de
Corte Chica », la « petite Cour ». Son prédécesseur,
«

le Comte de Bolognino, Italien raffiné, avait converti une caserne


en théâtre et fait venir une troupe de comédiens d'Espagne ; le poète

Vicente de la Huerta, exilé, y fit représenter une de ses plus belles


tragédies 3. Le Marquis de la Sonora fit construire à ses frais le
« Colisée » 4. Alvarado trouva même dans les « desterrados » des
amateurs qui composèrent de véritables troupes. Il organisa éga
lement des courses de taureaux dont la quadrilla était formée de
jeunes officiers de la garnison5. Grâce à ces initiatives, les fêtes pu

bliques et privées pouvaient rendre le séjour plus supportable. Tel


autre Gouverneur 6, dans un sentiment d'humanité louable, fit amé

nager la source thermale du « Bain de la Reine », entre Oran et

Mers-el-Kebir, et fonda un hôpital civil. De toutes manières, la vie

de la plupart des habitants civils était plus que médiocre 7 ; elle

était presque complètement calfeutrée entre les limites de l'en


ceinte.

L'insécurité était, en effet, trop grande au dehors et l'on ne pou

vait s'en éloigner sans danger, de même qu'il était difficile à un

étranger de se faire conduire par terre à Oran. En 1785, le savant

botaniste Desfontaines ne put trouver un guide qui consentît à l'y


accompagner 8. Le Consul allemand Von Rehbinder, toujours bien

informé, nous rapporte que quelques années avant son passage dans

1. H. Fey (o. c.) mentionne quelques-unes des rues où il en est resté des
traces jusque dans ces derniers temps, par exemple celle du Vieux-Château.
2. J. Cazenave, Les gouverneurs d'Oran, o. c, p. 41-42.
3. Marquis de Tabalosos, o. c, p. 59, et note du traducteur.
4. H. Fey, o. c, p. 184.
5. Marquis de Tabalosos, o. c, p. 76.
6. Idem, p. 41-42. Le marquis de la Real Corona (1749-1758).
7. Vallejo va jusqu'à accuser les gouverneurs d'avoir « laissé vivre les
Espagnols arabisés à la façon des Arabes eux-mêmes (o. c, p. 47-48).
»

8. M. Lapène, Tableau historique de la province d'Oran. Metz, 1842, p. 5.


82 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

cette ville (en 1788), la femme du Gouverneur avait été enlevée

avec fille, le fiancé de celle-ci


sa et des serviteurs, au cours d'une
promenade aux environs 1.

La salubrité de la place fut parfois bien compromise ; ici comme

à Alger, la peste a fait de fréquentes apparitions et exercé des ra


vages2. En 1542, les Espagnols avaient dû évacuer la ville et aller
camper sous les murs. Généralement, le fléau venait par l'Est. Ce

pendant, en 1738, il vint par terre de l'Ouest ; le Bey d'Oran, réfugié


à Tlemcen, en mourut. Cette peste ne dura pas moins de trois ans.
En 1752, elle paraît avoir sévi gravement ; on nous parle « d'innom
brables personnes mortellement atteintes 3 ». De 1784 jusqu'à la
fin du siècle, elle fut véritablement à l'état endémique dans la Ré
gence, cheminant tantôt vers l'Ouest, tantôt vers l'Est.
Le blocus perpétuel, plus ou moins étroit, et la précarité des
relations avec l'intérieur ne pouvaient que contrarier et réduire à des
proportions minimes le commerce d'Oran et de ses ports. Par ail

leurs, on ne soupçonne pas chez les Espagnols, pendant toute la


durée de leur occupation, un dessein arrêté et une volonté suivie

de le développer, voire même de le faciliter. La raison doit en être


cherchée dans les circonstances et les calculs qui leur ont interdit
l'occupation étendue sans laquelle ils ne pouvaient rendre à leurs
établissements maritimes le rôle de débouchés de l'arrière-pays et

d'entrepôts des
venu^ d'outre-mer.
marchandises

Il est tout d'abord étonnant qu'ils n'aient rien fait dans ce sens

à Mers-el-Kebir. « De toutes les pierres que les Espagnols y en

tassèrent, a écrit Pellissier de Raynaud4, pas une seule ne fut em-

1. J.-Ad. Frhnvon Rehbinder, o. c, p. 34-37. Elle aurait été conduite auprès

du bey de Mascara qui expédia les prisonniers à Alger où ils seraient demeurés
captifs assez longtemps, le Dey ayant demandé une rançon énorme. Ils n'au

raient été remis en liberté que sur l'intervention du Sultan du Maroc


2. Adr. Berbrugger, Mémoire sur la peste en Algérie depuis 1552 jusqu'à
1819. (Exploration scientifique de l'Algérie, tome II, Paris, 1847, p. 205-247.)
3. Marquis de Tabalosos, o. c, p. 46.
4. Pellissier de Raynaud, Exploration scientifique de l'Algérie, tome VI, Paris,
1844. —
Expéditions et établissements des Espagnols en Barbarie, p. 118. L'au
teur paraît d'ailleurs se placer au seul point de vue militaire.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 83

ployée à l'amélioration du port de Mers-el-Kebir, seul point qui pût

être pour eux de quelque intérêt. » A Oran, ils n'ont travaillé que

fort tard, et sans doute beaucoup plus afin de ravitailler plus ai

sément la place que pour des vues plus étendues. Ce n'est, en effet,
qu'en 1736, qu'ils s'avisèrent d'entreprendre la construction d'une
jetée enracinée à la pointe méridionale de la petite presqu'île de
La Mona, un peu au Sud du fort !. Il s'agissait simplement de créer

un abri moins précaire pour les embarcations qui effectuaient les


transports entre Mers-el-Kebir et Oran. Malheureusement, le 5 fé
vrier 1738, alors que 42 mètres en étaient déjà sortis de l'eau, une
tempête détruisit toute la partie supérieure de l'ouvrage. Il fut re

fait tant bien que mal, et, mal entretenu par les Turcs, après leur
occupation de 1791, il s'affaissa. En 1833, il ne dépassait pas le ni

veau de l'eau et les matériaux ne formaient plus qu'une chaîne

d'écueils et de récifs. On commença également à la même époque


la de deux quais, l'un orienté du Nord au Sud depuis
construction

l'origine de la jetée, l'autre perpendiculaire. Entre les deux, on


laissa une petite plage pour le halage à terre des embarcations. L'in
génieur 1837, que ce dernier quai, dénommé après
Pézerat notait, en

notre occupation quai Sainte-Marie, avait été construit en pierres

dures de haut appareil et protégé par un cordon d'enrochements,


« ce qui avait assuré sa conservation, malgré la faible épaisseur du
revêtement formé de pierres posées à sec avec des joints incer
tains. » L'autre quai était complètement ruiné lors de notre arrivée.

Des aménagements importants furent pratiqués sur les terre-

pleins ainsi constitués. Un corps de garde dit « du Môle » fut élevé


un peu au Sud de la jetée, ouvrage solidement bâti, couronné par
une batterie et dont l'ouverture voûtée (7 m. 70 sur 4 m. 28 de

hauteur) était protégée par une herse et un pont-levis 2. Plus loin,

1. M. Meunier, o. c, p. 258, qui cite le rapport du capitaine de corvette

De Missiessy (1833). Les détails qui suivent sont également empruntés à cette

excellente notice.

2. Les travaux exécutés en 1857-58 pour élargir le quai de la Marine en ont

amené la suppression. En avant se trouvaient la petite Douane et la Garde du


canot royal.
84 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

dans la même direction, de grands magasins furent creusés dans


le roc, de 1786 à 1788. Les voûtes maçonnées à l'entrée avaient 31
mètres de largeur sur 7 de hauteur ; la plus rapprochée du môle

était creusée au-dessous du niveau de la mer et un petit chenal com

muniquant avec la darse, le « banquillo » (petit banc) permettait

d'abriter les marchandises embarquées et les bateaux des pêcheurs.

Travail évidemment remarquable s'il avait pu être consolidé et ga

ranti de l'effondrement qui menaçait déjà en 1833.

Un faubourg, la Marine », qui


« était, en effet, hors des murs et

en contrebas du reste de la ville, s'était peu à peu édifié depuis


1732, avec la place et la chapelle « del Carmen », des casernes éle
vées de 1732 à 1746, la Tuilerie du Roi, une glacière, des magasins
pour l'orge et le charbon, et, au pied de la Calera actuelle, la Chau-
fournerie et le camp des quatre escadrons de Maures Mogatases.
C'est dans ce nouveau quartier que fut construite la fontaine monu

mentale mentionnée plus haut. Sur la plage les vastes magasins des
vivres, du sel et des fourrages, bien bâtis, ont pu être occupés et

utilisés par nous.

Ce groupement d'établissements militaires, casernes et maga


sins, ne laissait guère de place au commerce local. En avait-il d'ail
leurs grand besoin ?

Dans son mémoire, qui est un réquisitoire aussi sévère que fondé
sur la politique l'administration espagnoles, Don José Vallejo1
et

n'a pas craint d'écrire : « Nous autres, Espagnols, nous sommes tou
jours signalés par une négligence extrême quand il s'est agi de dé
velopper notre commerce. Il montre, d'autre part,
» qu'il y a eu

maladresse, en ce qui concerne Oran. On ne fit rien pour encou

rager les relations des marchands avec les tribus. Si elles ont pu

exister avant 1708, déjà à cette époque, l'Intendance, traitant avec

les « Maures de paix », se substituait au commerce privé, lui faisait


concurrence et lui revendait même « pour le compte du roi » le
superflu des denrées versées comme impôt en nature.

1. Mémoire, o. c, p. 29.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 85

La création de la « Junta de Abastos » aboutit à un monopole

officiellement consacré de la vente du pain, de l'huile, de la viande


et du charbon et mécontenta à la fois les marchands et les consom
mateurs 1. Il semble bien vrai, en outre, que, sinon la politique des
Gouverneurs, tout au moins l'attitude des tribus ait changé depuis

1708 ; on ne comprendrait pas autrement le pessimisme de Vallejo


qui jugeait impossible le retour aux relations d'autrefois avec les
« Maures de paix » 2.
Une autre raison, rarement avouée, a été dénoncée courageu

sement au Corregidor, puis par son intermédiaire au Conseil du


Roi, dès le début de l'occupation3. « On chasse les Juifs de la ville.

Le Corregidor dit que ces gens-là sont très utiles pour le commerce

et qu'on a tort de les renvoyer. » Un des premiers soins des Espa


gnols maîtres d'Oran n'avait-il pas été d'y installer l'Inquisition ?
Les rois de Tlemcen n'avaient eu garde de se priver de leurs ser

vices ; le Juif
Cetora, qui passait pour avoir livré une des portes
de la ville en 1509, était un employé des douanes du roi de Tlemcen
à Oran 4. En 1669, on les expulsa en masse ; on en embarqua ainsi
près de 500 5. Or, les Juifs avaient toujours été les intermédiaires

nécessaires entre les Etrangers et les Arabes, dont ils connaissaient

les mœurs et la langue.

Enfin, il semble bien que la fiscalité de l'Administration ait nui

au commerce extérieur. Au début de l'occupation et pendant long-

1. J. Cazenave, Les gouverneurs d'Oran, o. c, p. 21.

2. C'est le fond même du mémoire déjà cité. Les raisons de ce changement

y sont clairement indiquées : abus des la garnison, armement des


razzias par

tribus de 1708 à 1732 grâce « à l'importation intense d'armes françaises et


anglaises », politique « astucieuse et barbare » des Turcs qui ont prêché la
haine contre les Espagnols et supprimé les chefs qui étaient leurs alliés, enfin
avènement d'une génération nouvelle qui n'a pas connu les relations amicales

avec l'Espagne et n'a nulle envie d'en lier avec elle.

3. J. Cazenave, o. c, p. 18-19.

4. Pellissier de Raynaud, o. c, p. 11.

5. J. Cazenave, o. c, p. 37.
86 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

temps le port d'Oran fut franc 1. On voudrait savoir exactement ce

que signifiait cette franchise, à qui et à quelles marchandises elle

s'appliquait ; nous n'avons pu trouver aucun renseignement précis

sur ce point. En tous cas, elle fut supprimée en 1749, sauf pour les
comestibles —
ce qui est significatif. On établit une Administration
des impôts généraux ; on afferma la fourniture des vivres pour dix
ans au Marquis de Murillo 2. « De toutes parts, s'élevèrent alors
des protestations énergiques : car beaucoup de familles établies dans
cette Place se virent fermer complètement le commerce des denrées
alimentaires. » Sur le sens de ce terme de « port franc », il est

permisd'être perplexe, sinon sceptique, quand on rencontre un


document aussi net que la plainte du Sénat de Venise adressée le
28 mai 1518 3 à son ambassadeur François Cornaro pour être trans
mise au roi d'Espagne. « Quand la ville d'Oran appartenait aux

Maures, les Vénitiens n'y % ; aujourd'hui, ils


payaient que 10
payent beaucoup plus à Sa Majesté Catholique, attendu qu'ils sont
soumis à deux droits : 10 % à l'entrée et 10 % à la sortie ». Cepen

dant, ils s'intéressaient encore à cette escale plus qu'à celles d'Alger
et de Bougie, et il en fut ainsi au moins pendant une bonne partie
XVIe
du siècle4.

Ce que fut le commerce extérieur d'Oran sous la domination


espagnole, on ne peut le savoir avec précision ; on doit se contenter

de quelques indications qui laissent^d'ailleurs une impression de


plus en plus défavorable au fur et à mesure que l'on avance du
XVIe XVIIIe
vers la fin du siècle. « Autrefois —
c'est-à-dire avant

1. Hontabat, o. c, p. 19.

2. Marquis de Tabalosos, o. c, p. 43-44.

3. De Mas Latrie, o. c, p. 331.

4. Idem. Deux, partie, p. 269. Le 12 juin 1508, le Sénat délibéra sur la


question de savoir s'il n'y avait pas lieu de faire brûler ces deux escales par

la Conserve de Barbarie, « perché è stato dechiarito a la Signoria nostra chel

serià molto a proposito e più benefitio, de dicte galie che le tochassero la scala

de Oran ». Oran figure encore, en 1540, dans le rapport de M. Barth. di Pasi


da Vinetia (p. 276-277).
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 87

1708 —

Oran, écrit Vallejo *, livrait encore à des commerçants espa

gnols ou étrangers de grandes quantités de grains, des cuirs, de la


cire et des fruits d'Afrique » ; et il s'empresse d'ajouter : « Il ne
faut point cependant exagérer l'importance de ces exportations »,
déclarant plus loin qu'elles « se réduisent ici à quelques tonnes de
céréales, très peu de cire et de laine ; la plupart des produits sont

drainés par les étrangers vers les autres de Barbarie », et il


ports

conclut ainsi : « Nous ne retirerons jamais de notre conquête le


plus petit avantage. » Consultée en 1723 sur l'utilité que pourrait

avoirl'installation d'un Vice-Consul à Oran, la Chambre de Com


merce de Marseille se montra plus que sceptique2. Le commerce

d'Oran, écrit-elle, « a toujours paru si peu considérable qu'aucune

des Compagnies d'Afrique n'a jamais estimé nécessaire d'en tirer


du blé, parce que les autres places de leurs concessions en ont tou
jours assez fourni sans que l'on ait eu besoin de recourir à celle-là. »

Les Turcs en interdisent d'ailleurs la sortie, quand la récolte est

mauvaise. Il est à remarquer que les Marseillais n'ont recommencé

à s'intéresser un peu à Oran que pendant la période de la domi


d'Ali-
nation turque, de 1708 à 1732. Si, en 1704, le Consul français
cante y établit un Vice-Consul 3, c'est évidemment pour le commerce

avec l'Espagne. Après la paix d'Utrecht, les Anglais, qui avaient


illuminé à Alger à la nouvelle de l'expulsion des Espagnols en 1708,
s'étaient assuré un monopole de fait payé assez cher au Bey d'Oran,
pour pouvoir s'approvisionner de blé destiné aux garnisons de Gi
braltar et de Port-Mahon. Le traité de 1719 avec le Dey d'Alger
permit aux Français de commercer librement à Oran et d'y avoir

1. Mémoire, o. c, p. 29 et 33. Sur l'importance du commerce en général, on


se fera une idée par ce renseignement que nous fournit le même auteur (p. 44).
Le Capitaine-général recevait, en plus de sa solde, 5.000 écus d'argent qui

devaient être prélevés sur les revenus de la Douane et le quint des razzias

et des prises. « Or, le montant des deux produits suffisait à peine et très
souvent même ne suffisait pas à parfaire cette somme. »

2. Paul Masson, Histoire des établissements et du commerce français dans


l'Afrique Barbaresque (1560-1793). Paris, 1903, p. 313.
3. Idem, p. 312, note 2.
88 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

un Vice-Consul. On ne fit d'abord aucun usage de l'article en ques

tion. Ce n'est qu'en 1723, en apprenant qu'un commerçant du Lan


guedoc avait obtenu du Dey, dont il avait su gagner la faveur, le
privilège exclusif du commerce d'Oran et que son neveu y avait

chargé du blé, que la Chambre consulaire de Marseille se plaignit

de n'avoir pas été consultée 1. Les Anglais purent intriguer pour

faire fermer la maison fondée par le Sieur Maîchens et il fallut


l'intervention du Ministre Maurepas, en 1728, pour que le Consul
d'Alger se décidât à installer un Vice-Consul à Oran et à rétablir

le comptoir français. On vit alors à Mers-el-Kebir quelques bâ


timents battant notre pavillon. Le Vice-Consul Dedaux fut d'ailleurs
fort maltraité par le Gouverneur D'Aramburu ; du moins on comp
tait alors neuf commerçants Français originaires presque tous
d'Agde et de Cette 2. Il semble bien que les machinations des Anglais
et la présence dans la flotte et l'armée du Comte de Montémar, en

1732, de nombreux Officiers et Chevaliers de Malte Français ait

porté un coup fatal à notre crédit auprès du Bey de Mascara et

même du Dey d'Alger.


Quant aux objets des exportations et des importations, ils
n'avaient guère varié. Le rapport du Vice-Consul d'Oran Dedaux3,
en août 1731, concluait ainsi : « On peut tirer d'Oran tous les ans
4.000 quintaux de laine, 300 de cire, 12.000 à 15.000 cuirs
quintaux

de bœuf en poil et 8 à 10 cargaison^de barques de blé, orge, fèves


et pois chiches. Le Bey d'Oran, qui est despotique, exige un droit
de sortie. Quant aux marchandises qu'on peut porter de Chrétienté
à Oran, ce sont à peu près les mêmes qu'à Alger, savoir des draps
d'Elbeuf, des toiles de Laval, étoffes de soie, soufre, alun, fer en
barre et peu d'épiceries. Le Bey prend 10 % de tout ce qu'on y
introduit. » Tous ces articles réunis feraient sans doute à peine le
chargement de deux cargos modernes, de tonnage moyen. Ajou
tons que, pour pouvoir se procurer les denrées d'exportation, il

1. Paul Masson, o. c, p. 312, note 2.


2. Marquis de Tabalosos, o. c, p. 33, note 27 du traducteur.
3. Paul Masson, o. c, p. 313.
PLANCHE IV

La Porte d'Espagne, porte monumentale décorée des La Grande Mosquée dite du Pacha.
armes d'Espagne.
Au second de G. à D. la mosquée du Cam
plan,
Photo A. Lùck.
pement et l'Hôpital militaire ; en arrière les casernes
de la Casbah, la promenade des Planteurs, le fort
et la chapelle de Santa Cruz.

Photo A. Lûck.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 89

fallait être en bons termes


les tribus. Or, si pendant la pre
avec

mière occupation espagnole, les Gouverneurs étaient arrivés à éten

dre leur influence sur 140 douars l, il n'en fut plus de même au
XVIIIe
siècle.

En 1772, Hontabat, dont nous avons plusieurs fois mentionné le


remarquable rapport, s'exprimait ainsi sur le commerce d'Oran 2 :

« Oran n'ayant pas de produits à écouler n'a en quelque sorte qu'un

commerce passif que font indistinctement les Espagnols de nos

côtes, depuis Malaga jusqu'à Barcelone, et quelques étrangers de


Marseille, de Gibraltar et Port-Mahon. Quelques gens d'Iviça et
quelques Majorquins y apportent des denrées de première néces

sité. »

A défaut de trafic pacifique, tel que celui qui avait uni jadis
Tlemcen et Oran dans une communauté d'intérêts et de profits, les
Espagnols recoururent à la razzia et y entraînèrent les douars voi
sins, se faisant complices du désordre et du pillage dont ceux-ci

n'étaient que trop coutumiers. Quelques éléments de la garnison

et les Mogatases faisaient de temps en temps des sorties, souvent

dans le seul but de ramasser du butin3, dont une partie était dis
tribuée à la garnison et aux fonctionnaires et le reste vendu publi
quement. Les produits les plus intéressants de la razzia étaient les
grains dans les silos, le bétail capturé
enlevés et les esclaves, —

hommes et femmes. Les enfants étaient baptisés ; « plusieurs es


claves se rachetaient par la suite en payant une forte rançon, d'au

tres étaient revendus en Espagne à des prix très élevés. » Il arri

vait aussi parfois que les Maures venaient vendre des esclaves des

1. Mémoire de Vallejo, o. c, p. 35-37 et 43, —


et M. Bodin, o. c.

2. Hontabat, o. c, p. 19.
3. Mémoire de Vallejo, o. c, p. 45-47. L'auteur, très sévère pour cette pra
tique désastreuse, n'hésite pas à dire que ces « jornadas » ressemblaient étran

gement « aux incursions rapides des Tartares dans la Hongrie, la Pologne et

autres contrées voisines : les Espagnols se conduisaient en tout et pour tout


comme des Barbares ». Il explique le mécanisme de ces expéditions préparées

par des trahisons d'espions. Il déclare que « la cupidité poussa quelquefois les
Espagnols à organiser des incursions sans aucun motif raisonnable ».
90 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

deux sexes et même, quand ils étaient réduits à la misère, leurs


propres enfants 1. On comprend que Laugier de Tassy ait pu dire,
XVIIIe
au siècle, que, Oran, avant 1708 il écrivait

en 1725 —

servait d'entrepôt à l'Espagne « pour son grand commerce d'es


claves » 2.

Comment ne pas souscrire au jugement que Pellissier de Ray


naud a porté sur l'Oran espagnol. « Ce n'était pas une colonie,
c'était à peine un comptoir » 3.

La situation de plus en plus précaire dans laquelle se trouvait


cette possession si chèrement achetée et si difficilement conservée,
l'hostilité irréductible des Turcs d'Alger, l'échec de l'expédition de
O'Reilly en 1775, que les bombardements de Barcelo en 1783 et

1784 n'avaient que médiocrement réparé, avaient décidé Charles III


à traiter avec le Dey. La convention de 1786 stipulait, entre autres

clauses, l'abandon d'Oran, moyennant course des garanties contre la


et en faveur du commerce espagnol4. Le terrible tremblement de

terre qui secoua la ville dans la nuit du 8 au 9 octobre 1790 décida


du sort de ce « presidio ». La ville haute et la Casbah furent parti

culièrement éprouvées ; près de 2.000 victimes restèrent sous les


décombres 5. La malheureuse place, assiégée aussitôt après, se dé
fendit héroïquement ; à la suite de négociations difficiles avec le
Dey d'Alger, la paix fut rétablie par le traité signé le 12 septembre
1791. Les deux places étaient évacuées par leurs garnisons et les

1. Marquis de Tabalosos, o. c, p. 44. Il signale la grande abondance des


esclaves sous le gouvernement du marquis de La Real Corona (1749-58) et
parle d'un véritable commerce général établi dans les deux places. « Fort
pauvres étaient ceux qui n'en possédaient pas : des traitants venaient d'Espagne
et en achetaient pour des sommes élevées. » Il ajoute, d'ailleurs : « C'est à peine

si aujourd'hui on en trouve un seul » ; mais il écrit longtemps après.

2. Laugier de Tassy, Histoire des états barbaresques qui exercent la piraterie,


2 vol., Paris, 1757, tome I, p. 236.

3. Pellissier de Raynaud, o. c, p. 113.


4. Ernest Mercier, o. c, tome III, p. 403-408, 413-414.
5. Idem, p. 431-432. —

H. Fey, o. c, p. 261-268.
ORAN ESPAGNOL ET TURC DE 1509 A 1791 91

Espagnols devaient les livrer dans l'état où elles étaient en 1732.


Ils librement 1
pourraient commercer et par privilège spécial tous
leurs dans la rade, moyennant l'acquittement
navires seraient admis

des droits. Oran devenait ainsi la capitale du Beylik de l'Ouest et


elle le demeura jusqu'à notre entrée, le 17 août 1831.

1. Idem, p. 434-436. On leur donnait le droit d'établir un comptoir à Mers-

el-Kebir. Cette solution de l'abandon d'Oran avait été déjà envisagée soit dans
le presidio même, soit dans les conseils de Madrid, quelque pénible qu'elle fût
pour l'amour-propre et pour l'esprit religieux des Espagnols. Don José de
Vallejo la préconisait en 1734, mais sans succès. Philippe V, dans un véritable
appel à son peuple, le 6 juin 1732, au moment où allait partir l'expédition de

Montémar, lui représentait « les formidables et inévitables avantages » que con

férerait aux « Barbares Africains », une fois instruits dans l'art de la guerre,
la possession de cette place si proche de son royaume : « porte fermée à l'ex
tension de ma religion sacrée, porte ouverte à l'esclavage des gens qui vivent sur

les côtes voisines de l'Espagne ». (Marquis de Tabalosos, o. c, p. 7.) Von Reh


binder (o. c, p. 38), après avoir constaté la nullité économique d'Oran à la fin
du xvm? siècle, reconnaît que si les corsaires y avaient un nid, le danger serait
terrible pour l'Espagne.
CHAPITRE III

ORAN DE 1791 A 1831

La ville, abandonnée par les Espagnols, était dans un triste état.


Elle était plus qu'à moitié ruinée ; les édifices publics construits

après 1732, les églises et les hôpitaux avaient été démolis. Il restait

70 à 80 familles chrétiennes \ que le Bey Mohammed el Kebir prit

sous sa protection, mais qui partirent peu à peu2. Installé au Châ


teau Neuf, la Casbah ayant été détruite par le tremblement de terre,
le Bey fit appel aux habitants des villes de la Régence et aux tribus
voisines pour repeupler Oran. Il en vint de Tlemcen, de Mascara,
de Milianah, de Médeah. Le Dey y envoya quelques-uns de ses pro
tégés et aussi d'autres qu'il désirait éloigner d'Alger. Les Douairs,
les Smélas, les Gharabas, les Béni Ahmed fournirent quelques im
migrants ; on vit même arriver des Marocains d'Oudjda et de Fez.

Plus avisé que les Espagnols, il attira des Juifs de Mostaganem,


de Mascara, de Tlemcen de Nedroma, leur vendit à très bon
et

marché de vastes terrains le long du rempart de l'Est, moyennant


qu'ils y bâtiraient des maisons sur des alignements imposés, et leur
concéda gratuitement un emplacement pour leur cimetière. Ainsi
est née la nouvelle communauté juive d'Oran qui date de 1792 3,
comme aussi le quartier qui est resté le noyau principal de cet

élément de la population oranaise. Il fut renforcé par des immi-

1. H. Fey, o. c, p. 268.
2. Idem. Un seul, Français, resta : Dominique Gaillard, né en 1754 ; converti
à l'Islam, il devint joaillier du Bey. Son fils fut trouvé à Oran en 1831.
3. Isaac Bloch, Les Israélites d'Oran, de 1792 à 1815. Paris-Alger, 1886.
ORAN DE 1791 A 1831 93

grants venus d'Alger


(les Cohen Salmon, Levy Bram, Aboulker,
Temime), du Maroc (comme la grande famille des Cabeza) et de
Gibraltar (Benoliel, Gabisson, Tubiana) La « nation juive » ne .

fut généralement pas inquiétée1, elle répondit à l'attente du Bey,


en travaillant à ranimer le commerce local et à renouer les rela

tions de cette place avec les pays méditerranéens. Les Juifs d'Oran
surent aussi à l'occasion collaborer à la défense des murs contre

les tribus, et ils firent preuve même d'un certain courage dont le
souvenir était encore vivant lors de notre arrivée 2.

La population de la ville n'a guère dépassé, dans ces premières

XIXe
années du siècle, 5 à 6.000 habitants 3, si l'on n'y comprend
pas celle des deux grands faubourgs situés hors de ses murs, Kar

guentah à l'Est et Ras-el-Aïn au Sud ; au total, 8 à 9.000. Elle était


composée de Maures Andalous d'origine, d'Arabes venus des tribus,

de Turcs et de Koulouglis, de Juifs et de quelques nègres. Il est

probable qu'elle subit des variations assez importantes entre 1791


et 1830, comme celle de la plupart des villes de l'Afrique du Nord.
En 1793, une horrible famine désola toute l'Oranie 4 ; en 1794, la
peste reparut, plus meurtrière que jamais 5, et celle de 1797, la

« peste de La Mecque » ne fit pas moins de ravages. En 1817, ap

portée par des pèlerins, elle sévissait de nouveau ; selon les rap-

1. Isaac Bloch, o. c. A l'exception de quelques alertes ou de quelques

tragédies du palais. En 1805, une panique se produisit, qui amena un embar

quement précipité pour Alger, à l'approche d'un marabout rebelle qui avait

persécuté les Juifs de Mascara. En 1813, quelques Israélites compromis dans les
intrigues d'une coreligionnaire nommée Hanina, favorite du Dey, furent sup
pliciés et quelques familles exilées à Médéah.
2. Rozet, Voyage dans la Régence d'Alger. Paris, 1833, tome II, p. 237-238

et p. 270.
3. Idem, p. 269. William Shaler, dans son Esquisse de l'Etat d'Alger, trad.

Bianchi. Paris, 1830, p. 19, l'estime en 1822 à 8.000 habitants.


4. H. Fey, o. c, p. 270.
5. Adr. Berbrugger, o. c. Le bey Mohammed el Kebir dut sortir d'Oran

avec toute sa famille pour aller camper dans la plaine de la Mléta. Cette
peste fut appelée « peste d'Osman », en souvenir du fils du bey qui fut une

des victimes (M. Lapène, o. c, p. 9).


94 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

ports du Consul britannique, les habitants mouraient en masse dans


les rues1.

Le commerce du port avait dû certainement se relever de sa

déchéance. Les Espagnols et les Anglais étaient les premiers clients,


en relations permanentes et pour ainsi dire forcées avec les Juifs
de la place, les seuls intermédiaires possibles entre Européens et

Musulmans. Les archives du Consulat général d'Espagne et les re

gistres du Vice-Consulat nous éclairent suffisamment sur ce point 2.


Les deux tiers au moins des opérations commerciales et financières
qui y sont mentionnées ont été faites par des Israélites ; le reste

se partage entre quelques Maures et le Vice-Consul lui-même, opé

rant le plus souvent pour le compte de son Gouvernement, et à


partir de 1808 pour la Junte Insurrectionnelle. D'ailleurs, les « cen-

saux » du Vice-Consulat, et de même ses banquiers et ses prêteurs

sontdes Juifs, Jehuda Chouraqui par exemple en 1803. Les agents

consulaires anglais et français sont en rapport avec eux3. Le chef

de la Nation juive, David Duran, est Consul général de la Répu


blique de Raguse et s'emploie également avec zèle pour le com
merce espagnol. Les Israélites sont d'ailleurs les fonctionnaires finan
ciers et souvent les hommes de confiance des Beys. Ici, comme à
Alger, ils sont « contadores » chargés de peser et d'estimer les

monnaies du Trésor 4. Mardochée Darmon, possesseur d'une grosse

fortune, qui fit construire à ses ^rais la synagogue consistoriale

d'Oran, avait été avant 1792 le mandataire officiel du Bey de Mas


cara. Les Beys d'Oran ont des agents particuliers à Gibraltar, comme

Aron Cardoso, le chef même de la Nation dans cette place, et Sa


lomon Pacifico, nom bien connu dans l'histoire britannique.

1. Adr. Berbrugger, o. c, p. 232.


2. Isaac Bloch, o. c, qui a pu consulter ces archives, en a tiré des rensei

gnements nombreux et précis ; nous avons utilisé ici les principaux.

3. Par exemple, en 1810, David Darmon, employé de M. Negroto, agent

consulaire de France.
4. Isaac Bloch, o. c, signale notamment Joseph Melul, de la famille des
Cabeza.
ORAN DE 1791 A 1831 95

Le commerce consiste avant tout et presque exclusivement en

exportations de céréales, de bétail et de laine. L'Espagne avec les


Baléares et Gibraltar sont les débouchés 1. La catholique Espagne

a, en effet, atténué singulièrement les rigueurs de son intolérance


religieuse en permettant à des Israélites choisis de demeurer dans
les villes du littoral ; et c'est ainsi qu'à Algesiras, à Malaga, à Al-

meria, à Carthagène, on trouve installés des commerçants en rela

tions étroites avec leurs coreligionnaires d'Oran, correspondants,


cosignataires, commanditaires appartenant souvent aux mêmes fa
milles. Il en est d'ailleurs aussi de même à Gibraltar et à Mahon où

les garnisons anglaises réclament du blé et de la viande qui leur


sont expédiés d'Oran2. Au moment de la grande insurrection et

de 1808 à 1813, les exportations sur l'Espagne ont beaucoup aug


menté. Les Beys de l'Ouest ont permis, grâce à une dérogation aux

règles inspirée par des raisons d'intérêt, d'expédier des chevaux à


la Junte Insurrectionnelle de Cadix. En échange, d'ailleurs, les
Espagnols ont autorisé des achats de poudre à Carthagène.

Les Anglais avaient toujours pratiqué ce commerce, ainsi que

celui des armes, des agrès et des apparaux pour la marine. Livourne
où les Israélites détenaient le commerce, a sans doute eu des rela

tions avec Oran 3 on a expédié en tous cas de l'argent. Quant


; y
les de la Révo-
au commerce français, on s'explique que guerres

1. Elie de la Primaudaie, o. c, p. 240. En 1829, un seul négociant d'Oran


expédia à Gibraltar 95.000 hectolitres de céréales, principalement en blé dur.

3. Il y a par exemple des Taourel à Oran comme à Gibraltar. Lorsque


Bacri et Busnach, d'Alger, obtinrent en 1801 un véritable monopole du com

merce des dans la Régence, ils s'empressèrent d'envoyer des repré


céréales

sentants à Oran. Les bateaux nolisés étaient souvent des tartanes marocaines,
ce qui semble indiquer qu'il eut pas de marine locale à Oran ni à Mers-
n'y
el-Kebir.

3. On ne doit pas oublier en effet que Livourne était pour les exportations

de la Régence un de ses premiers clients. Les Israélites de ce port achetaient

en particulier les prises des corsaires algériens par l'intermédiaire de leurs


correspondants.
96 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

lution et de l'Empire l'aient paralysé. Les corsaires de nos côtes

rôdèrent souvent dans ces parages et vinrent même prendre des


bricks anglais jusque sousd'Oran l. Ils y étaient attirés
le canon

par le commerce intense de Gibraltar, devenu pendant le Blocus


Continental un vaste entrepôt de contrebande 2, et qui, même après

1815, continua à la pratiquer, mais seulement à destination de l'Es


pagne.

La ville, durant la période turque, de 1791 à 1831, ne reçut guère


d'embellissements. Cependant, Mohammed el Kebir fit construire
plusieurs mosquées ; celle « du Pacha », la plus grande, fut payée
par le Dey, en signé de reconnaissance à l'endroit de l'ancien Bey
de Mascara vainqueur des Espagnols, et avec l'argent provenant

du rachat des esclaves chrétiens (1796). Le Bey fit élever hors des
murs, à Karguentah, une petite mosquée destinée à contenir son

tombeau et celui de sa famille. A son fils Osman est dû le gracieux

minaret de la mosquée de Sidi el Haouwâri 3. Mais les ruines du


quartier espagnol de « la Blanca » ne furent même pas déblayées,
et il s'en forma de nouvelles.

Lors de notre arrivée, Rozet4, toujours précieux à consulter,


décrivait ainsi les aspects des constructions : « Sur le plateau, à
l'Ouest du ruisseau, se trouvent aujourd'hui les ruines des maisons

et de tous les édifices qu'ils (les Espagnols) y avaient construits ;


on y voit encore les restes de Jlusieurs églises et de grands bâ
timents qui paraissent avoir été des couvents. » Il signale quelques

maisons en assez bon état. « Au milieu des ruines des maisons, des
églises et des palais espagnols, s'élèvent quelques maisons maures

que construites avec des moellons et un mauvais mortier : ces

1. Isaac Bloch, o. c, cite le cas d'un de ces corsaires qui put récupérer une

de ces prises, grâce à l'intervention auprès du bey de sa favorite Hanina,


favorable aux Français.
2. Le Baron Baude (o. c, II, p. 15-17) signale qu'en 1813 il en sortit pour

120 millions de marchandises.

3. Voir H. Fey, o. c. (Oran sous les Beys).


4. Rozet, o. u. o. 264-265.
ORAN DE 1791 A 1831 97

maisons qui n'ont qu'un rez-de-chaussée sont généralement assez

petites et presque toutes les cours en sont couvertes par de fort


belles treilles. Il y avait cependant encore quelques maisons consi
dérables dans cette partie de la ville ; mais nos soldats les ont
presque toutes détruites, afin d'avoir le bois des planchers pour

faire leur cuisine. Près des ruines d'une église espagnole, on voit

celles d'un mauresque, dont les colonnes en marbre blanc,


palais

qui soutenaient la galerie de la cour


principale, sont encore de
bout : c'était le sérail du premier Bey qui vint gouverner la pro
vince d'Oran après le départ des Espagnols... La partie Est de la
ville est toute bâtie à la mauresque et contient des maisons dont les
plus élevées n'ont qu'un premier étage et beaucoup un rez-de-

chaussée seulement. Toutes ces maisons, construites avec des moel

lons et du mortier, sont couvertes en terrasses et blanchies à la


chaux... Les rues sont droites et assez larges (il s'agit du quartier

juif). Devant la porte de l'Est, celle d'Alger, il y a une petite place

autour de laquelle sont des boutiques ; en dehors de cette même


porte, entre le mur d'enceinte et la petite vallée qui le borde (Aïn
Rouina), il en existe une autre sur laquelle se tient le marché. »

Le ravin de l'Oued Er-Rehi avait conservé ses jardins mal tenus


et ses vergers magnifiques. Rozet y a vu quelques moulins, des
maisons de campagne, deux ou trois tombeaux de marabouts. Il
signale le « beau pont en pierre » qui franchit l'oued à peu près
au milieu de la ville et la rue qui conduit à la porte d'Alger (la rue

Philippe actuelle), « ancien cours »bordé de fort beaux arbres et

garni « de boutiques aussi pauvres que celles d'Alger ; on y voit

aussi plusieurs cafés, dont deux assez remarquables. » Malgré le


petit nombre des Musulmans —
la plupart s'étaient sauvés à notre

approche —
il y avait en 1831 un assez grand nombre d'artisans,
cordonniers, tailleurs, tisserands en toile, en laine, menuisiers, ser

ruriers, quelques tanneries et des fabriques de maroquin jaune et

rouge. Les burnous d'Oran avaient acquis un certain renom. Quant


aux boutiques des marchés, elles étaient presque toutes tenues par

des Juifs.
98 ORAN, VILLE ET PORT AVANT 1831

C est donc au milieu de ruines et dans une bien pauvre ville

que
s'installèrent, en 1831, les Français. Quelques traces des édifices
espagnols, quelques mosquées récentes et les « beaux remparts de
la Casbah », le Fort Neuf, en étaient les seuls ornements.
nouvelle

Les anciens forts étaient eux-mêmes détruits, le port ou plutôt la


darse, à peine ébauchée, en fort mauvais état. Tout ou à peu près

tout était à refaire ou à créer.


LIVRE III

LA POPULATION D'ORAN
DE 1831 A NOS JOURS i

1. Les chiffres que l'on trouvera dans ce chapitre sont, pour les résultats

généraux, empruntés aux statistiques officielles de l'Algérie. Ces documents ont

été publiés : de 1837 à 1866 dans le Tableau de la Situation des Etablissements


français dans l'Algérie. Les recensements, d'abord annuels, sont devenus quin
quennaux à partir de 1856. Depuis cette date d'ailleurs ils ont été publiés

dans le Bulletin des actes du Gouvernement Général de l'Algérie, devenu en

1858 le Bulletin Officiel, puis en 1927 le Journal Officiel de l'Algérie. A dater


de 1902, le Gouvernement Général a fait paraître tous les cinq ans un Tableau
général des communes de l'Algérie qui reproduit, avec quelques autres rensei

gnements, les résultats officiels des dénombrements.


Mais tous ces documents ne nous font connaître que d'une manière globale

les chiffres de la population agglomérée et éparse de la commune d'Oran. Il


nous a donc fallu recourir aux Listes nominatives et aux Etats récapitulatifs

des divers dénombrements, que la Ville d'Oran a eu le soin et le bon esprit

de conserver dans des Archives où nous avons rencontré et utilisé l'amabilité


de MM. Aubert et Marien ; nous les remercions ici et nous les félicitons de
la tenue de leurs archives. Seul, le dénombrement de 1921 n'a pu être
consulté. Les calculs auxquels nous avons dû nous livrer pour dia; recensements,
et les enquêtes minutieuses que nécessitait une étude de ce genre nous ont

permis d'asseoir nos conclusions sur des bases solides. On doit se persuader

d'ailleurs qu'il n'y a pas d'autre moyen de connaître l'inventaire d'une popu

lation urbaine, et nous estimons qu'à de multiples points de vue, ce travail

pénible ne doit pas rebuter ceux qui recherchent la vérité. (Voir à ce propos

notre communication au Congrès de la Fédération des Sociétés Savantes de


l'Afrique du Nord, à Constantine, dans la Revue Africaine, 1937.)
Nous ne donnons pas ici d'autres renseignements sur quelques sources

éparses que nous avons utilisées. Nous citerons cependant les articles parus

dans le Bulletin de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran, où suc

cessivement M. Ed. Déchaud, M. le Colonel Strasser, M. le Commandant Maillet


et M. C. Kehl ont commenté les résultats des dénombrements de la population
de l'Oranie de 1906 à 1931.
CHAPITRE I

LE MOUVEMENT DE LA POPULATION

Lorsque nous avons occupé définitivement Oran (17 août 1831),


nous y avons trouvé à peine 3.000 habitants. A notre approche, la
plupart des Musulmans avaient pris la fuite ; les Juifs étaient restés
à peu près seuls. Cent ans plus tard, on recensait au dénombrement

de 1931 une population municipale de 158.000 habitants et, avec

la population comptée à part, un total d'environ 164.000. En 1936,


ces chiffres étaient portés respectivement à 194.746 et à 200.671.
Cet énorme accroissement mérite d'être étudié dans ses phases

successives. On ne s'étonnera pas de retrouver, dans ce chapitre

de l'histoire de la colonisation urbaine, le reflet de l'histoire générale

du développement économique de l'Oranie, de l'Algérie de l'Ouest


et de l'Algérie tout entière ; quelques faits, quelques traits parti

culiers permettent d'ailleurs de la distinguer de celle des autres

grandes villes de la colonie.

On ne saurait accepter sans de nombreuses réserves les résultats

officiels des recensements antérieurs à l'époque contemporaine. Le


dénombrement de la population musulmane a toujours été particu

lièrement difficile, et pendant longtemps aussi celui de la population

israélite. On peut du moins affirmer sans témérité qu'à partir de


1872 la progression du peuplement d'Oran n'a cessé de se pour

suivre, en dépit des événements et des crises qui ont atteint l'Algé
rie. Le tableau suivant en fournit la preuve.
102 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

ACCROISSEMENT ACCROISSEMENT
DATES POPULATION

TOTALE QUINQUENNAL décennal


des recensements

1872 41.130 6.520


1876 49.368 8.238 18.247

1881 59.377 10.009

1886 67.681 8.304 15.133

1891 , . . 74.510 6.829


1896 .... 84.357 9.847 18.820

1901 93.330 8.973

1906 106.517 13.187 29.756

1911 123.086 16.569


1921 146.156 —
23.070
1926 150.301 4.145
1931 163.743 13.442 17.587
1936 200.671 36.928 De 1926 à 1936 il
a atteint le chiffre

impressionnant de
50.370 unités.

Antérieurement à cette période de soixante années, il apparaît

bien, à s'en tenir aux chiffres


officiels, y des fluctuations,
qu'il ait eu

des arrêts de croissance qui, eu égard à la natalité, constituaient de


véritables reculs, des régressions w>ien marquées, bref une plus
grande instabilité du peuplement. Le fait est commun aux principaux

centres urbains de la colonie.

Nous donnons plus loin quelques résultats choisis ; bien que l'on
ne puisse en garantir l'exactitude absolue, du moins les erreurs, si
l'on pouvait en établir l'amplitude avec quelque précision, ne
sauraient altérer sérieusement les conclusions que l'on est en droit
de tirer des faits d'ensemble. On peut admettre en effet qu'elles

portent avant les éléments indigènes, musulmans et israé-


tout sur

lites. Or les recensements postérieurs à 1872, auxquels il est possible


d'accorder plus de foi, témoignent d'une progression de la population

musulmane qui ne peut être expliquée uniquement par une sous-


LE MOUVEMENT DE LA POPULATION 103

estimation antérieure : l'essor de la viticulture oranaise, et, comme

conséquence, le développement du commerce, la croissance de la


ville et du port d'Oran, ont amené de toute évidence cette immi
gration de l'intérieur qui est un des faits les moins contestés de
l'époque contemporaine. Par suite, si l'on défalque des résultats

officiels antérieurs à i872 les chiffres les plus proches de l'exacti


tude, ceux de la population européenne, on peut estimer que les
oscillations de l'autre n'ont guère dépassé depuis 1838 l'amplitude
de 3.000 à 3.500 unités. Ce n'est certainement pas suffisant pour

infirmer la valeur des observations que nous pouvons noter sur le


mouvement de la population totale, où, dès 1846, quinze ans à
peine après notre arrivée, l'élément européen avait acquis une
prépondérance indéniable, qui n'a fait que s'accentuer par la suite.

Dates des Population Européens Indigènes Différences


recensements totale totales

Dec. 1832 4.300 1.050 3.250



1838 11.091 4.510 6.581 + 6.791

1843 13.218 6.971 6.247 -f-
2.127

1846 ... . 25.893 18.739 7.154 +12.675

1847 22.458 15.191 7.267 —
3.435

1849 24.845 17.281 7.564 + 2.387

1853 23.941 15.654 8.287 —
904

1856 24.611 16.995 7.616 + 670

1861 26.494 19.644 6.850 + 1.883

1866 31.890 23.131 8.759 + 5.396

1872 41.130 35.834 5.296 + 9.240
(en réalité 30.534
sans les Israélite?

Ce tableau, où nous reproduisons les chiffres officiels, suggère, en

dépit des réserves déjà faites, quelques réflexions plus difficilement


contestables que l'apparente précision des résultats. A la lumière
des événements de l'histoire, ces derniers même prennent quelque

signification.
104 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

Ils traduisent d'abord ce fait primordial, que le peuplement eu


ropéen a contribué pour la plus large part à l'accroissement de la
population. Entre 1843 et 1846, la progression a été particulièrement

forte ; elle s'explique avant tout par cette circonstance militaire, que

les opérations de la conquête ont été transportées sur le territoire


de l'Oranie, et que la capitale de l'Ouest est devenue la principale

base de ravitaillement des armées. Le recensement de 1872 accuse,


lui aussi, la reprise des affaires qui a suivi la période malheureuse
de crises agricoles, d'épidémies, de famines, de guerre, des six an
nées précédentes. On doit d'ailleurs tenir compte, dans l'examen cri

tique des chiffres, de l'incorporation d'environ 5.000 Israélites dans


la nationalité française, en vertu du décret Crémieux du 24 octobre

1870.

Un autre fait digne d'être noté est la résistance remarquable que

le peuplement d'Oran a opposé aux crises qui déterminaient ailleurs,


notamment à Alger, de graves fluctuations. De 1846 à 1847, la Capi
tale perdait plus de 12.000 habitants ; Oran ne connaissait qu'une
baisse de 3.500 unités environ. La pacification qui suivit la reddition

d'Abd el Kader, après un exode consécutif à la cessation des hosti


lités et audépart des troupes, ramena vers l'Ouest le principal cou

rant d'immigration qui combla à peu près les vides. La stagnation,


les fléchissements même que l'on peut observer entre 1848 et 1861,
ont été beaucoup moins sensibles à Oran qu'à Alger qui a perdu

par exemple, de 1858 à 1861, en trois années seulement, plus de


3.300 habitants. Comme nous le verrons plus loin, c'est principa

lement à l'élément espagnol et à la plus grande proximité de son

pays d'origine que l'on doit attribuer cette différence. On peut en

dire autant de la période si pénible pour l'Algérie des années 1866


à 1871. Alors qu'à Alger on ne constatait en 1872 qu'un gain quin

quennal de 1.709 habitants, Oran s'était acru de plus de 9.000.

Si l'on revient maintenant au premier tableau que nous avons

présenté, on est amené à cette constatation que les cinquante der


nières années ont été marquées par une remarquable accélération
du peuplement. C'est dans cette 1901 le
période, entre et 1906, que
,225.000

200.000

175.000

150.000

125.000

n.300

100.000
/
/
$.273

75.000

50.000

25.000

21 26 31 1936
LE MOUVEMENT DE LA POPULATION 105

chiffre de 100.000 habitants a été dépassé et que la capitale de


l'Ouest est devenue vraiment un grand centre urbain. Entre 1881
et 1936, le gain a été de plus de 141.000, le pourcentage de l'accrois
sement de plus de 237 %. Les causes en sont faciles à démêler.

L'essor de la colonisation provoqué par l'avènement du régime

civil, et par dessus tout les progrès de la viticulture, ont fait d'Oran
comme des principaux ports algériens un centre d'affaires de plus

en plus important, ont stimulé l'immigration de l'intérieur et de


l'extérieur et aspiré des deux côtés une main-d'œuvre considérable

que réclamaient l'activité de la construction et la croissance du port.

A ce dernier point de vue, il y a une relation évidente, et nullement


surprenante, entre le mouvement du trafic maritime et celui de la
population. Alors que, de 1866 à 1876, l'accroissement annuel moyen
du tonnage métrique était de 20.000 t., il a doublé de 1876 à 1886,

progression facilitée d'ailleurs par les travaux exécutés dans cette

période. Dans la même décade, le gain annuel de la population mon

tait de 1.530 à 1.830 habitants. Les exportations de vins passaient

de 572 hectolitres à 500.000 environ. L'ère de la vigne était ouverte

en Algérie, et l'Oranie, où la qualité des terres et les conditions cli

matiques se révélaient meilleures que partout ailleurs, allait tra


vailler à prendre la tête des trois départements.

Depuis 1881, le peuplement d'Oran s'est renforcé d'un contin

gent annuel de 2.570 unités environ. Mais ce n'est là qu'une moyenne;


s'il y a eu progression continue, le rythme a varié d'un recensement

à l'autre. Il a été par exemple singulièrement accéléré entre 1901 et

1911, avec un gain annuel de 2.975 habitants ; il a fléchi en revanche

de 1911 à 1921, tombant à 2.307, et, de 1921 à 1931, à 1.758. Il ne faut


pas y voir d'ailleurs un signe de régression véritable. Indépen
damment des effets de la guerre, il était fatal qu'une poussée aussi

forte fût suivie d'un ralentissement ; il suffit de se reporter aux

tableaux ci-dessus pour constater qu'il en a toujours été ainsi. L'im


migration est un phénomène de contagion, mais qui procède par

bonds.
La décade de 1921-1931 a été marquée par un fléchissement, très
106 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

sensible de la population espagnole et une diminution importante


des apports d'outre-mer, explicables par la crise du change et la
chute du franc ; l'exode consécutif a atteint le département tout
entier. Sans l'appoint compensateur de l'élément musulman du —

moins des sujets Français —


qui représente près de 14.000 unités,
le recul aurait été beaucoup plus sensible. Il y a eu par ailleurs, et

le fait a été malheureusement général dans la colonie entière, un

dépeuplement des campagnes au profit des villes 1 ; il explique cer

tainement la progression de plus de 10.000 Français et naturalisés

constatée entre 1926 et 1931.

La période des dénombrements quinquennaux 1931-1936, mérite

une attention particulière en raison de la poussée qui la caractérise.

Le gain a été de plus de 37.000 unités, soit de 23 %, alors qu'à Alger


même, il n'était que de 15 %. Il est à noter que l'élément indigène
musulman y a contribué pour 40 %, moins qu'à Alger sans doute,
mais dans une proportion inconnue jusqu'alors à Oran.

1. Aug. Bernard. Notices V (cartes démographiques) et VII (carte de la


colonisation officielle) de l'Atlas d'Algérie et de Tunisie par Aug. Bernard et

R. de Flotte de Roquevaire.
CHAPITRE II

LES ÉLÉMENTS DE LA POPULATION

On peut distinguer dans la population deux catégories princi

pales : l'élément indigène, celui que nous avons trouvé établi en


1831, c'est-à-dire les Musulmans et les Israélites, et l'élément im
porté d'Europe, d'origine française et étrangère. Pour l'étude de

leur évolution, nous devons faire ici momentanément abstraction de


la naturalisation des Israélites opérée en vertu du décret Crémieux
de 1870 ; ceci à seule fin d'évaluer avec plus d'exactitude la part

qui revient dans le peuplement d'Oran aux populations établies anté

rieurement à la conquête et aux apports d'outre-mer.


Il est impossible de suivre de près le mouvement de la population

musulmane depuis 1831. Jusqu'à 1881, les documents officiels ne


nous donnent que des renseignements fragmentaires et particuliè
rement suspects. A notre arrivée, nous n'aurions trouvé que 250
Musulmans : des témoignages irécusables nous apprennent qu'ils

avaient, en effet, abandonné la ville en masse. Que la période trouble


de la conquête ait été peu propice à leur retour et à leur établis
sement à côté de nous, on ne saurait en douter. En 1838, on en dé
nombrait 944, alors que les Européens étaient déjà 4.510. En 1845,
on en signale 2.120, en y comprenant les Nègres ; à la fin de 1849,
2.699 ; en 1861, 2.895 ; en 1866, 3.102 ; en 1876, 8.421. D'où vient cet

accroissement ? Sans doute pour une part d'un recensement plus

sérieux. On s'étonne moins du chiffre de 1881, soit 12.721. Le déve


loppement de la ville et du port a attiré certainement la main-d'œu

vre indigène de l'intérieur ; on en trouve la preuve dans la présence


108 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

de 3.637 Marocains compris dans le total. La population musulmane

apparaît dans la suite stagnante jusqu'à 1901. Seul l'élément euro

péen progresse, accusant ainsi de plus en plus le caractère distinctif


du chef-lieu de l'Ouest par rapport aux autres centres principaux de
la colonie. A Oran, les Musulmans, à cette dernière date, ne repré
sentent que 12 % de la population totale, alors qu'à Alger la pro
portion est de 21,8.

Depuis 1901, cet élément n'a cessé de progresser ; la dernière


décade (1926-1936) mérite à cet égard d'être particulièrement dis
tinguée !. L'accroissement numérique a été de plus de 20.000, dont
plusde 14.000 dans les cinq dernières années. Les Musulmans
comptaient en 1936 pour 23,7 % de la population totale.

Il s'agit là d'un véritable « rush ». Car si on se reporte aux sta

tistiques de la natalité, on constate de 1926 à 1930 un excédent de


décès de 1.003 individus. L'année 1930 accusait pour la première

fois depuis 1901 un excédent de naissances d'ailleurs faible, soit 165


unités. Les causes de cet afflux des Indigènes musulmans ont été les
mêmes que pour les autres ports principaux de la colonie : Attrac
tion de l'intérieur vers la ville, les travaux du port, le trafic com

mercial et la construction offraient à la main-d'œuvre des possibilités

d'emploi, et tout autant sans doute reflux des travailleurs indigènes,


ouvriers agricoles ou industriels, que la crise économique chassait
des usines et des campagnes de la^VIétropole. Les habitudes et le

1. Mouvement de la population musulmane de 1901 à 1931.

DATES NOMBRE! ACCROISSEMENT PROPORTION


des recensements dans la pop. totale

1901 12.276 1.963 12 %


1906 16.306 4.030 15,3 %
1911 17 707 1.401 14,3 %
1921 18.569 862 12,7 %
1926 25 764 7.195 17,1 %
1931 32.115 6.351 20 %
1936 46.177 14.062 23,7 %
LES ELEMENTS DE LA POPULATION 109

goût de la vie urbaine contractés pendant leur séjour en France ne

les invitaient guère à retourner à la vie misérable et peu attrayante

de leurs douars. Il y a là matière à réflexion. C'est un fait de pre

mière importance que cette ruée vers les grandes villes, dont la phy
sionomie ethnique tend de ce fait à être sensiblement transformée.
On peut en tous cas affirmer, sans crainte d'être démenti, que l'Oran
des Français renferme plus de Musulmans que n'en a jamais groupé

celui de jadis, antérieurement à notre venue.

Parmi les Musulmans d'Oran, on compte et on a toujours compté

des Marocains et des Nègres. Les Marocains sont mentionnés pour

la première fois dans les statistiques en 1851, grâce au décret du 3


septembre 1850 qui organisa à Oran les Corporations. On en dé
nombrait alors 374, « charbonniers et manœuvres ». Mais aupara

vant comme dans la suite, il est certain qu'ils ont été englobés long
temps sous la rubrique « Kabaïles » ou « Kabyles » qui désignait

les gens des tribus de l'intérieur, sans distinction d'origine. Il est

impossible de suivre le mouvement de cette population essentiel

lement mobile. Dans la plupart des recensements, les Musulmans de


provenance marocaine ont été confondus avec les Israélites de même
origine qui sont nombreux et certainement beaucoup plus stables.

C'est ainsi que nous avons pu, dans le recensement de 1886, distin
guer 1.516 Juifs de cette provenance sur un total de 4.026. Seuls
les derniers chiffres peuvent être acceptés (1921, 1.142 ; 1926, 2.678 ;
1931, 3.278 ;
1936, 4.395). C'est un fait constant que la mobilité de cet

élément, dont l'importance a varié avec la demande de main-d'œu

vre, avec la situation politique du Rif, principal pourvoyeur, avec

les ressources offertes aux émigrants par la France, avec le reflux

des travailleurs de la Métropole.

Sur les autres éléments musulmans, on ne peut vraiment faire


que quelques remarques générales. Les Nègres paraissent avoir à

Oran subi le sort qu'ils ont eu en général dans le Tell : cette popu

lation en supporte difficilement le climat et les conditions de vie.

Elle a fondu à Alger et, autant que l'on peut inférer de



quel

car depuis longtemps les recensements ne nous four-


ques indices, —
110 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

lussent sur elle aucun renseignement précis —


il en a été de même

à Oran. En 1845, la population mâle de cette couleur était estimée à


615 individus ; or, déjà en 1851, la Corporation n'en comptait plus

que 321.

Nous ne citerons que pour mémoire les Mozabites, peu nombreux

dans le département ; on en comptait 111 à Oran en 1931 1, Les Ka


byles (579), originaires principalement de la Petite Kabylie, ont

trouvé le moyen de s'infiltrer comme journaliers, hommes de peine,


gargotiers, garçons de café et de restaurant, chauffeurs, petits com

merçants.

L'élément israélite a toujours occupé dans la vie économique de


la capitale de l'Ouest une importance hors de proportion avec le
nombre des habitants qui composent ce groupe ethnique. Au demeu
rant, sa croissance numérique ressort de cette seule comparaison :

en 1832, on en recensait 2.876 ; en 1931, ils figuraient officiellement

pour 16.197 considérés comme Français. Nous en avons nous-même

compté 19.765 2, qui comprennent d'ailleurs aussi ce qu'on peut ap


peler les étrangers », Marocains surtout, Tunisiens, Egyptiens, etc.
«

Si on compare cette progression à celle des Musulmans, compte tenu

de l'exode en masse qui s'est produit en


1831, il n'est pas téméraire
d'affirmer qu'elle est sensiblement la même, c'est-à-dire de 1 à 6.
Par ailleurs, la population israélite, de quelque origine qu'elle soit,
présente un caractère beaucoup plu^stable et on peut la considérer

comme fixée, à la différence d'une partie de l'autre.


On voudrait pouvoir suivre de près ses fluctuations et sa pro

gression. Malheureusement, pour la période antérieure à 1876, on

ne dispose que de données d'une exactitude douteuse, en raison des


dissimulations et des non-déclarations fréquentes dans les premiers

temps de notre occupation. Il est difficile de tirer des chiffres offi-

1. En 1936, le Répertoire statistique des communes de l'Algérie n'en signale


que 64 ; on hésite à accepter ce chiffre, les absents étant nombreux dans les
villes lors des recensements.
2. M. Eisenbeth, dans son livre sur Juifs de l'Afrique du
«Les Nord, o. c,
p. 14, en a compté 20.493.
LES ELEMENTS DE LA POPULATION 111

ciels des conclusions solides. Il semble du moins résulter de l'exa


men général que les progrès numériques de cet élément de la popu

lation ont été plutôt lents et irréguliers jusqu'à la dernière période

de soixante ans, celle de l'essor économique.


Jusque là, on la voit dans les statistiques officielles l osciller entre

3.000 et 6.000, sans atteindre ce dernier chiffre. On ne peut songer

à donner de ces variations, en admettant qu'elles traduisent la réa

lité, une explication vraiment satisfaisante. Quelques indices nous

permettent toutefois de croire que, jusqu'à la pacification de l'Ouest,


il y a eu, des centres urbains de l'intérieur vers Oran des afflux

plus ou moins subits suivis de reflux. Nous savons par exemple de


source sûre que la chute brusque constatée en décembre 1839 est

due au retour à Tlemcen des familles qui avaient fui cette ville

lors du retrait de nos troupes en 1838. Par ailleurs, des épidémies


meurtrières ont sévi à plusieurs reprises dans le quartier juif

d'Oran, le choléra entre 1846 et 1849, le typhus en 1867-1868, et la


mortalité, nous dit-on, a été de 90 % du nombre des malades.

Dans les dénombrements Cré-


qui ont suivi 1870, date du décret
mieux, il semble bien qu'il y ait eu un grand flottement et que l'on
n'ait pas toujours classé sous la rubrique « Israélites » les mêmes

catégories d'individus. On ne peut expliquer autrement la chute que

l'on constate en 1881 : de 7.622 en 1876, on tomberait au chiffre de


3.617 ! Devant l'impossibilité d'accepter ce dernier chiffre officiel,
nous avons eu la curiosité de faire un sondage dans les listes nomi

natives du dénombrement de 1881 ; les résultats sont concluants. La

1. Population israélite d'Oran de 1832 à 1931.

Recensements Population Recensements Population Recensements Population

1832 .... 2.876 1866 . 5.654 1906 11.837


Dec. 1838 5.637 1876 . 7.622 1911 13.993
Dec. 1839 3.364 1881 . ....
8.000(?) 1921 15.943
1840 .... 3.192 (non comp. les étrangers) 1931 16.197
Dec. 1846 4.817 1886 . 8.262
(et en y comprenant les
1849 4.865 1891 , 8.642
étrangers) : 19.765
1851 .... 5.073 1896 . .... 10.651
1861 .... 4.410 1901 . .... 10.636
112 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

le de Saint-
vieille ville avec quartier israélite et le quartier contigu

Antoine abritaient en réalité plus de 8.000 habitants de cette origine


les'
(exactement 8.282) , en y comprenant, il est vrai, Juifs marocains,
mais auxquels il faudrait ajouter ceux des autres quartiers, notam
ment du « Village nègre », où ils étaient plus de 400. Les chiffres

officiels de 1886 et de 1891 (4.236 et 6.294) ne pouvaient pas davan


tage être pris en considération ; des calculs opérés sur les listes nomi

natives nous ont donné des résultats certainement plus proches de


la réalité : 8.262 8.642,
et en ne comptant pas les éléments étrangers.
Il y a eu indéniablement, au moment où le commerce d'Oran
prenait un nouvel essor, dans cette période décisive qui a suivi les
années 1881-86, une immigration juive importante, au détriment des
centres de l'intérieur. Le même fait s'est produit à Alger et il s'est

poursuivi depuis cette époque. Bien que la rubrique concernant

cet élément du peuplement ait reçu, d'une manière regrettable, des


interprétations différentes suivant les dénombrements et même sui

vant les communes, on saisit néanmoins quelques faits dignes d'at


tention. Ainsi, entre 1921 et 1931, Tlemcen a perdu 418 habitants
Israélites, c'est-à-dire davantage, si l'on tient compte de la natalité.

En 1926, sur 10.060 individus d'origine juive peuplant le quartier qui

est leur gîte principal, nous en avons compté 2.621 nés hors d'Oran,
dont les trois quarts environ étaient des chefs de famille. On peut

dire que tous les centres urbains de l'^anie étaient représentés dans
ce chiffre, mais principalement Tlemcen
(381), Sidi-bel-Abbès (198),
Mascara (130), Saint-Denis du Sig (126), Mostaganem (89).
Une autre immigration, particulièrement accrue dans les der
nières années, a amené à Oran un contingent important originaire

du Maroc. Ce n'est pas la première fois que se produisaient ces

arrivages. A la fin de 1859, le Conseil Municipal se préoccupait de


distribuer des secours et d'organiser des souscriptions en faveur des
réfugiés Israélites ayant dû « quitter précipitamment le Maroc, par

suite de la guerre qui avait éclaté entre ce dernier pays et l'Es


pagne » K C'est un fait que nous constaterons à nouveau plus loin :

1. Arch. Mun. Séance du 29 déc. 1859.


LES ELEMENTS DE LA POPULATION 113

toutes les fois que des opérations militaires ont été entreprises au

Maroc par des puissances européennes, du moins depuis 1830, il y


moins important des Juifs vers
a eu un exode plus ou
l'Algérie, par
crainte de représailles des Musulmans et de massacres. C'est ce qui

explique certainement —
concurremment avec l'ouverture du pays

du côté de l'Est —
l'afflux qui s'est produit, notamment à Oran,
depuis notre intervention militaire dans l'Empire chérifien. Il est

intéressant à cet égard de parcourir les derniers recensements. Dans


le seul quartier des rues d'Austerlitz, de la Révolution et de Wagram,
nous en relevons, 1926, 1.183, en majeure partie chefs de famille.
en

Ils sont venus de


Tetuan, de Tanger, de Melilla, du Maroc oriental,
de plus loin aussi, de Marrakech même ; et depuis 1912, le Tafilalet
et le Drâa en ont fourni beaucoup. On n'a pas de peine à recon

naître ces derniers venus en parcourant le vieux quartier juif de la


ville. Il y a d'ailleurs beaucoup d'autres Israélites d'Oran dont les
familles sont originaires du Maroc et ont émigré dès les premiers

temps de la conquête : pour beaucoup, cet exode a dû être un simple

retourdans l'ancienne Régence, d'où les avaient chassés antérieu


rement à notre arrivée des événements tels que les massacres de

1805 à Alger.

L'élément israélite occupe donc, numériquement, dans la capi

tale de l'Ouest, une place importante. Oran n'est cependant pas celui

des trois chefs-lieux de l'Algérie où la proportion de cette catégorie

de population est la plus forte : elleétait de 10,2 % en 1931 selon —

les chiffres officiels, en réalité de 11,5 alors



qu'à Constantine elle

dépassait 12 % (12,1) ; à Alger, elle restait inférieure à 8. Mais


l'Oranie est le département où les Israélites sont le plus nombreux :
47.511 en 1931, contre 25.098 et 24.527. Ils y sont, en effet, beaucoup
plus disséminés : Tlemcen en groupe plus de 7.000, Sidi-bel-Abbès

plusde 6.000, Mascara plus de 4.000 ; ce sont les réserves qui ali

ment le peuplement de la capitale oranaise.

Nous ne saurions terminer sur ce sujet particulier sans noter un

trait intéressant. Les Israélites d'Oran ne sont pas cantonnés dans


un petit nombre de professions du commerce ou de l'artisanat ; ils
114 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

exercent les métiers les plus divers. Si la majorité est composée de


gens d'affaires, de marchands, de représentants, d'employés et de

comptables, de revendeurs et de colporteurs, de tailleurs, de cor


donniers et de bijoutiers, on trouve aussi des menuisiers, des ébé

nistes, des tapissiers, des plombiers, des ferblantiers, des boulangers,


voire même des chauffeurs, des cochers, des camionneurs, des por

tefaix, des travailleurs manuels, des journaliers exerçant des métiers

pénibles. La spécialisation est certainement beaucoup moindre qu'à

Alger par exemple1. Les femmes fournissent des employées de ma

gasin, des dactylos, des ouvrières à façon, des domestiques, des la


veuses.

Les éléments du peuplement proprement européen sont : les


Français d'origine nés dans la Métropole
Algérie, les natu ou en

ralisés et leurs descendants, les étrangers Espagnols, Italiens et ap


partenant à diverses nationalités : Anglo-Maltais, Anglais, Alle
mands, etc...

C'est un fait indiscuté que, si Orandémographiquement,


est

depuis 1845 au moins, la ville la plus « de l'Algérie,


européenne »

c'est aussi celle où la population d'origine étrangère, essentiellement


espagnole, a dès le début de notre établissement acquis la prédomi

nance numérique. C'est pourquoi l'application de la loi de 1889 sur

la naturalisation automatique a produit ici, comme de juste, son

maximum d'effet. Il faut attendre le recensement de 1901 pour

constater que la nationalité française a conquis le premier rang :

41.550 habitants, contre 22.439 étrangers, alors qu'en 1896 encore

on dénombrait 27.523 Français en face de 34.030 autres Européens.


Auparavant, et dès les premiers temps de la conquête, la population

étrangère était nettement supérieure. Dès la fin de 1845, elle était


plus que double (7.634 contre 3.699) . C'est seulement vers 1860 que

l'écart diminua. Depuis 1889, l'absorption des étrangers dans la na


tionalité française a renversé la situation, comme on peut le voir
d'après le tableau suivant. Mais elle n'est pas seule à rendre compte
de la forte baisse —
de plus de 9.500 unités, représentant en réalité

1. M. Eisenbeth, o. c, p. 40-43 et 48-52.


LES ELEMENTS DE LA POPULATION 115

un nombre supérieur de départs, si l'on tient compte des excédents

de la natalité —
baisse que l'on observe entre 1926 et 1931. On sait

que la crise du change a provoqué un exode des étrangers, des


Espagnols surtout, qui se sont détournés de l'Algérie ; le fait a été
général dans la colonie.

Population française et population étrangère européenne d'Oran


de 1831 à 1936
REC]3NSEMENTS POPULATION POPULATION POPULATION POURCENTAGE

française étrangère eur. totale dans pop. tôt

1833 ... 340 702 1.042 24,6 %


Dec. 1834 ... 465 1.019 1.484 »


1835 ... 709 1.503 2.212 »

1836 ... 959 2.089 3.048 »


1837 ... 1.183 2.622 3.805 »


1838 ... 1.324 3.186 4.510 40,6 %

1839 ... 1.342 3.495 4.837 »


1840 ... 1.492 2.887 4.379 »


1842 ... 1.881 5.259 7.140 »


1843 ... 1.741 5.230 6.971 52,7 %

1845 ... 3.699 7.634 11.333 »

Avril 1846 . . . 4.136 10.644 14.780 72 %


Dec. 1847 ... 4.954 10.237 15.191 »


1848 ... 4.640 10.684 15.324 »


1849 ... 4.618 12.663 17.281 »

Les chiffres Dfficiels détaillés



1853 ...
15.654 65,3 %
englobent les annexes


1854 ... 5.021 12.170 17.191 »


1855 ... 6.695 12.073 18.768 »


1861 . . 7.554 12.090 19.644 87 %

1866 ... 8.789 14.342 23.131 72,5 %

1872 . . 12.365 18.169 30.534 74 %
(sans les Israélites)

1876 ... 14.435 21.558 35.993 72,9 %
1881 . . 18.247 24.793 43.040 72,4 %
116 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

Population française et population étrangère européenne d'Oran


de 1831 à 1936 (suite)
RECENSEMENTS POPULATION POPULATION POPULATION POURCENTAGE

française étrangère eur. totale dans pop. tôt.

1886 20.394 31.087 51.481 76 %


1891 21.202 34.652 55.854 74,9%
1896 27.523 34.032 61.555 72,9%
1901 41.550 22.439 63.989 68,7 %

1906 49.463 25.256 74.719 70,1%


1911 57.553 31.241 88.794 72 %
1921 71.274 30.936 102.210 69,9%
1926 79.832 39.163 118.995 79 %
1931 80.129 29.436 109.565 66,9 %
1936 121.400 31.203 152.603 76 %
On voudrait pouvoir estimer avec quelque précision ce que repré

sente dans la population française l'élément d'origine métropolitaine.

Malheureusement, les recenseurs n'ont presque rien fait depuis 1889


pour satisfaire notre curiosité. En 1891, ils nous donnent un chiffre :

17.825 individus nés de parents français sur 55.854 Européens, faible


proportion assurément, un peu plus de 33 %, le tiers en somme. En
1906, on distingue encore les « Français d'origine » ; on en dénombre
23.676 sur 74.719, soit 31,6 %. En 1911, la proportion s'est abaissée à
26,7. Depuis cette date, aucun renseignement 1. Il semble bien que la
forte natalité de l'élément d'origine étrangère et la naturalisation au

tomatique doivent fatalement consolider de plus en plus sa prédomi

nance numérique. Oran est, à cet égard, comme ville européenne,


nettement individualisée. A Alger, le même calcul effectué pour les

1. Le Répertoire Statistique des communes de l'Algérie donne, pour le


dénombrement de 1936 à la rubrique « Français d'origine s> un chiffre dans
lequel sont compris les Israélites et les Français originaires de l'Algérie. Les
11.191 « originaires de la Métropole » sont les citoyens Français qui y sont nés.
Or ce n'est pas le renseignement qui nous intéresse ici. On constate en revan
che avec certitude que la population de nationalité française originaire de
9/10°
l'Algérie représente près des du total.
LES ELEMENTS DE LA POPULATION 117

trois recensements mentionnés ci-dessus donne une proportion nu

mérique supérieure à 51 %. Dans le chef -lieu de l'Ouest, nous in


clinons à croire qu'à l'heure actuelle la population d'origine métro

politaine ne doit guère représenter que 18 à 19 % du peuplement

total de la ville, alors que dans la Capitale son pourcentage est au

moins de 30.
De tous les éléments du peuplement oranais, il est incontestable
que l'élément espagnol est celui qui a le plus influé sur ses progrès

numériques, comme aussi sur ses oscillations. Outre le voisinage de


la Péninsule Ibérique, d'autres circonstances sont intervenues pour
provoquer l'immigration : la situation politique si agitée et si trou

blée que l'Espagne a connuedepuis 1833 jusqu'à 1876, et qui affecta


particulièrement le Sud lors de l'insurrection de Carthagène en
1873-74, la misère des campagnes, et par contraste les perspectives

qu'ouvraient dans l'Oranie la pacification du pays et le dévelop


pement de la colonisation. A Oran, les Espagnols se retrouvaient chez
eux, mais dans une ville désormais ouverte vers l'intérieur et bien
différente de ce qu'avaient été la forteresse et le « presidio » du temps
de leur occupation. Aussi leur accroissement numérique a-t-il été à
peu près ininterrompu jusqu'en 1849, époque à laquelle ils étaient
déjà deux fois plus nombreux que les Français d'origine1. Après le

1. Population espagnole d'Oran de 1831 à 1931 :

1833 266 1853 11.291 1926 35.636


1834 440 1854 10.134 1931 26.741

1835 718 1855 10.786 1936 27.111


1861*
1836 1.115 ,

*
1837 1.555 1866*
Les chiffres détaillés
1838 2.073 1872* ._
des diverses populations

1839 2,333 1876 19.353 étrangères manquent dans


1840 2,178 1881 22.172 les documents statisti

1842 4.433 1886 27.625 ques officiels. Mais on

1843 6,205 1891 31.628 peut tirer des conclusions

1845 6.205 1896 31.633 de ceux de la population

1846 6.567 1901 31.114 étrangère dont les varia

1847 8.520 1906 23.071 tions ont été influencées


1848 9.140 1911 27.835 avant tout par celles de

1849 11.136 1921 29.553 la population espagnole.


118 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

choléra qui sévit alors, et jusqu'aux environs de 1866, il y eut une


période de stagnation, et même un léger recul suivi bientôt d'une
reprise du mouvement d'immigration. Depuis 1876, il s'est produit

une poussée qu'explique suffisamment l'ouverture de la nouvelle ère,


celle de la vigne ; elle a été marquée par une progression de 11.000
unités en moins de quinze ans.

Le fléchissement des chiffres que l'on observe à partir de 1891


est dû à l'application de la loi de 1889 surla naturalisation, et aussi

entre 1901 et 1906 à la crise viticole qui affecta l'Algérie. Il y a eu

dans la suite un nouvel afflux particulièrement important dans les


années de prospérité de 1921 à 1926, puis une chute brusque dont
nous avons donné les raisons. En définitive, la force d'attraction a
varié suivant les circonstances économiques de l'Algérie et selon les
circonstances politiques et sociales de l'Espagne ; on pouvait s'y at

tendre. On peut affirmer, en tous cas, que c'est grâce à cet appoint

fourni par la Péninsule que le peuplement d'Oran et de l'Oranie a

été moins affecté que les autres par les crises diverses dont a souffert

la colonie. Ajoutons toutefois qu'à l'heure actuelle il ne paraît pas

en être ainsi. On peut d'ailleurs se demander si la main-d'œuvre

espagnole n'est pas menacée par la concurrence des Indigènes mu

sulmans dont nous avons signalé l'importance numérique croissante.

Dans un pays où la population est aussi mobile, il y a quelque péril

à quitter sa place, surtout dans le te|ips difficile du chômage.

1931, la population proprement espagnole représentait plus de


En
24 % du total des Européens d'Oran. On peut estimer, d'autre
part,
à 45.000, chiffre minimum, c'est-à-dire à 41 % la proportion dans ce
total des naturalisés de cette origine. Il apparaît ainsi que la Pénin
sule a fourni au moins 65 % du contingent venu
d'outre-mer, et plus

de 45 % de la population totale. Les chiffres et les calculs, si arides

qu'ils soient, reflètent du moins clairement ce trait particulier de la


physionomie ethnique du grand centre urbain d'Oran.
On ne saurait définir les professions particulières aux Espagnols :
ils les exercent toutes. Marins, pêcheurs, marchands de poisson,
dockers, charpentiers dans le quartier de la Marine, journaliers,
LES ELEMENTS DE LA POPULATION 119

charretiers, portefaix, hommes de peine dans les quartiers pauvres,


tonneliers, cavistes dans les quartiers de l'Est, jardiniers dans les
faubourgs, artisans un peu partout et petits commerçants en tous

genres, employés et gens d'affaires plus aisés dans les rues du centre,
d'
au voisinage du boulevard Seguin et de la rue Arzeu. Les femmes
fournissent des ouvrières d'ateliers et d'usines, des vendeuses de
magasins, des domestiques, des laveuses, des concierges. A parcourir
les listes nominatives d'un dénombrement quelconque, on emporte
l'impression d'une population travailleuse et l'on reste convaincu

qu'elle est de beaucoup la principale et la meilleure main-d'œuvre

de la grande cité de l'Ouest.


LesItaliens, l'élément européen le plus important après les Espa
gnols, sont loin d'occuper la place qu'ils ont prise et qu'ils conservent
plus ou moins solidement dans les autres chefs-lieux. Leur effectif a

atteint son maximum entre les années 1881 et 1896 ; il est inutile
d'en redire les causes. Il oscille depuis la guerre avec une tendance

au recul. La naturalisation automatique ou sollicitée en vue de la


pêche maritime, comme aussi les obstacles créés par le régime fas
ciste à l'émigration et les effets de la crise du change rendent suffi

samment raison de ce fléchissement.


Au début de notre occupation, ils étaient accourus avec empres

sement l. En décembre 1839, on en comptait 824 en face de 1.342


Français et de 2.333 Espagnols. La marine sarde, napolitaine et sici
lienne occupait dans le mouvement du port de Mers-el-Kebir le troi-

1. Population italienne d'Oran de 1831 à 1836 :

1833 316 1847 1.056 1896 1.426


1834 432 1848 1.020 1901 —

1835 560 1849 1.017 1906 863

1836 701 1853 1.126 1911 1.309

1837 747 1854 790 1921 536

1838 777 1855 915 1926 887

1839 824 1931 721

1840 550 1881 1.616 1936 1.358

1842 609 1886 2.526


906 1891 2.158
1845
,
150.000

127S69

125.000

,18.995

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09.555

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100.000

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\rion i rp
1.241
•$0,936 \, 29.435

25.000

16 21 26 31 1936
CHAPITRE III

RÉPARTITION SUR LE SITE

Il ne suffit pas d'étudier les variations numériques de la popu

lation d'une ville et de ses divers éléments à travers le temps ; il


faut en outre les considérer dans l'espace, sur le site urbain, et,
s'il est possible, définir la place particulière qu'occupe chaque

catégorie de peuplement. Ainsi pourra-t-on dessiner avec plus de


précision la physionomie de la cité. On ne saurait perdre de vue

que cette connaissance plus approfondie est indispensable non

seulement au géographe, mais aussi et encore plus à l'urbaniste.

Pour pouvoir suivre la répartition de la population entre les


diverses de la ville, nous avons dû pénétrer dans le détail
régions

des recensements, de ceux du moins dont nous pouvions disposer.


Postérieurement à 1881, un seul nous a fait défaut, celui de 1921,
sauf pour les faubourgs. Sur la période antérieure, nous n'avons

pu recueillir que quelques renseignements épars et sommaires.

On peut distinguer dans l'ensemble de l'agglomération oranaise

trois parties :


La vieille ville, celle qui fut enfermée dans l'enceinte espa

gnole et turque restaurée ;



La ville nouvelle, comprise entre ces murs et l'enceinte que

nous désignerons par la date de 1866 ;



Les faubourgs.

Nous donnons ci-dessous un tableau construit par nous, qui

permet de suivre leur développement respectif, avec la seule

réserve que nous avons faite.


122 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

DATES VIEILLE VILLE p. % VILLE NOUVELLE p. % FAUBOURGS p. %

1856 .. 20.713 — —

1866 .. 22.689 67 11.045 33 —

1872 .. 21.330 53,6 18.455 46,4 —

1881 .. 22.929 38,6 33.429 56,4 3.019 5

1886 . . 23.894 36 37.264 56,3 5.161 7,7

1891 ..
25.812 35,7 39.104 54,2 7.321 10,1
1896 .. 25.906 32,2 45.109 56,2 9.329 11,6

1901 .. 26.387 30,2 49.445 56,6 11.535 13,2

1906 27.616 27,3 55.996 55,5 17.397 17,2


1911 ..
30.634 26,9 65.282 54,9 21.462 18,2
1921 .
— — — —
31.Ï87 22,5
1926 31.535 22,1 65.876 46,2 45.269 31,7

1931 .. 29.310 18,5 67.951 43,1 60.720 38,4


1936 .. 30.048 15 78.507 40,3 86.191 44,7

Ces c aïeuls se rappe rtent à la seule population « municipale

Une première remarque s'impose : le peuplement du Vieil Oran


est celui qui a progressé le plus lentement. A vrai dire, depuis
1872 jusqu'à 1926, on ne constate aucun recul ; il y a même entre

1901 et 1911 un gain assez sérieux, de plus de 4.000 habitants. Mais


par contre on constate en 1931 un fléchissement ; il paraît expli

cable par le départ des bas quarti^s d'un contingent étranger. Au


demeurant, si l'on compare les vieux quartiers d'Oran à ceux

d'Alger, on n'y constate pas le même phénomène de congestion

progressive et de surpeuplement extraordinaire qui, dans la capitale,


a fait et continue à faire de la Casbah ou du quartier de la Marine
et de l'ancienne Préfecture des anomalies démographiques mons

trueuses 1.
Les progrès de la Ville Nouvelle intra muros ont été au contraire

beaucoup plus accélérés. Une partie de son développement s'est

faite certainement —
les témoignages en sont nombreux et irré-

1. R. Lespès. Alger 1930, p. 521-522.


REPARTITION SUR LE SITE 123

cusables —
au détriment de l'ancienne. La population bourgeoise
aisée et le monde des affaires basse sursont montés de la ville

le plateau et le déplacement de l'Hôtel de Ville, des


ont suivi

P.T.T., de la Chambre de Commerce et des banques. Les chiffres


comparés, de 1866 à 1891, le traduisent nettement. De 1891 à 1911,
la population a fortement augmenté ; le gain annuel moyen dépas
sait 1.300 habitants (1.309 exactement). Puis on observe un ralen

tissement. Il faut regarder au delà des murs pour en trouver la


raison principale. Il n'en reste pas moins vrai que, depuis 1906, la
population de la Ville Nouvelle intra muros est plus que double
de celle du Vieil Oran.
Les faubourgs ont grandi avec une rapidité étonnante ; la pous

sée date vraiment de 1901. En 35 ans leur peuplement s'est accru

de près de 75.000 habitants, soit d'une moyenne annuelle de 2.133.


Il n'est pas sans intérêt de signaler que, par ordre d'importance
numérique, Lamur, Eckmuhl, Saint-Eugène et Gambetta tiennent
la tête 1. Ce sont précisément les agglomérations extra muros que

traversent les routes principales de l'intérieur, vers Tlemcen,


Mascara, Alger et Mostaganem. La distribution de la population

s'est faite sensiblement par moitié en direction du Sud et de l'Est.


C'est un exemple remarquable de croissance suburbaine par

rayonnement régulier, ou, si l'on préfère, en tache d'huile limitée


naturellement par la mer, au Nord, et la montagne, à l'Ouest2.

1. Dénombrement de 1936 Lamur 14.545 Eckmuhl: Saint-


: : hab.; 8.869;
Eugène, 8.624.
2. Nous donnons ici les résultats du dénombrement de 1936 pour les fau
bourgs et les sections éparses de la commune :

Arbesville 1.021 618 4.742

Abattoirs 477 Choupot . 3.830 Cité Giraud . . . 264

Bastié 878 Courbet . 1.184 Lotissem. Hip


Boulanger 2.277 Chollet . 1.362 podrome .... 1.889

Bel Air 1.164 Cuvellier 739 Lotis. Illouz . . . 547

Bon Accueil .... 525 Delmonte 3.267 Faub. Lamur . . 15.545

Brunie 1.462 Eckmuhl •. 8.869 Faub. Lyautey . . 3.688

Carteaux 2.107 Foyer oranais . . 1.022 Cité Magnan . . 1.066


124 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

Pour résumer ce premier aperçu, notons que l'accroissement de


la population a été, entre 1881 et 1936, dans les 55 dernières années

parconséquent, de 31 % pour la Vieille Ville, de 134,8 % pour la


Nouvelle. Quant aux faubourgs, leur population passait, dans le
même temps, de 3.019 à 86.191 habitants : autant dire qu'ils sont
nés et qu'ils ont grandi avec une progression et dans des propor

tions inconnues des autres régions de la ville. Alors qu'après avoir

représenté en 1901, 56,6 % de la population totale, la Ville Nou


velle intra muros n'en représentait plus que 40,3 % en 1936, la

ville extra muros s'élevait du pourcentage de 13,2 à celui de 44,7.

L'étude de la répartition des divers éléments de la population

va nous permettre de pénétrer plus avant dans cette analyse et

de reconstituer la physionomie ethnique des différents quartiers

urbains et suburbains ; elle suggère des réflexions qui ne sont pas

négligeables.

Et d'abord, où se trouve la population que nous avons appelée

« indigène », pour la distinguer de celle qui est venue d'outre-mer ?


Occupe-t-elle encore les mêmes emplacements qu'en 1831 ? Y a-t-il

eu refoulement ou déplacement volontaire, cantonnement ou expan


sion sur le site ? Et quelles sont les tendances qui se manifestent
à l'époque contemporaine ?

La population musulmane de lfcncienne ville n'a jamais repris

la place qu'elle occupait avant notre arrivée. Après la désertion en

masse qu'elle provoqua, il ne rentra guère dans l'enceinte que 300


ou 400 des fuyards 1. Les Français et les étrangers Européens,

Cité Maraval .. 296 Faub. Sananès 1.928 Monte-Cristo ... 76


Faub. Mélis . . . 2.334 Saint-Eugène . . . 8.624 Ravin Ras-el-

Faub. Médioni . . 4.155 Victor-Hugo .... 1.211 Aïn 1.079


Montplaisant .... 1.307 Sanchidrian 794
Sections éparses
Cité Petit 2.957 Fermes et Iles
Cité Pouyet . . . 371 Les Planteurs Habibas 2.993
Ruche des P.T.T. 139 (Eug.-Et.) .... 384

1. Rozet, o. c. I
, p. 269.
REPARTITION SUR LE SITE 125

Espagnols et Italiens se sont substitués à eux, et cette situation

ne paraît pas avoir sensiblement changé depuis lors. En 1881, le


quartier de la Marine ne renfermait que six Musulmans, celui de

la Calère aucun ; la situation n'avait pas été modifiée en 1931. Les


600 que l'on dénombrait dans la ville basse étaient presque tous
établis dans le quartier du Vieux Château et de la Casbah, gens

pauvres, dockers et journaliers. On ne saurait y voir le résidu de


l'ancien peuplement de la ville turque. En 1936, on constatait que

le nombre s'était accru de plus de 1.000. La plupart sont des nou

veaux venus, originaires de Mostaganem, Clinchant,


des communes

Cavaignac, L'Hillil, Cassaigne, Zemmora, Relizane. Ils ont contribué,


à eux seuls, à soutenir le chiffre de la population dans la ville basse.
Dans le quartier juif, qui en abritait 350 environ en 1931, dont
quelques Kabyles et un nombre plus important de Marocains,
charbonniers, portefaix, porteurs d'eau, ils ont été renforcés par des
apports analogues ; ils étaient 872 en 1936.

L'abandon de la Vieille Ville par la bourgeoisie aisée euro

péenne n'a donc pas été suivi, comme à Alger, d'une réoccupation
massive par les Indigènes Musulmans. Ils n'ont été, jusqu'aux toutes
dernières années, dans les variations de sa population, qu'un facteur
à peu près insignifiant ; il semble qu'il y ait depuis quelque chose
de changé. Indépendamment des places laissées par la population
espagnole flottante, le voisinage des quais du port attire évidem
ment les Indigènes en quête de travail, et par ailleurs cet élément
pauvre ne recule pas devant toutes les conséquences de l'entas
sement et du surpeuplement.

La Nouvelle Ville intra muros en a reçu un contingent bien


plus important. En 1845, les Musulmans accourus des tribus voi
sines, Douairs, Zmelas, Gharabas, étaient assez nombreux en
dehors et à proximité immédiate des vieux murs pour que le
Général De Lamoricière ordonnât, par un arrêté du 20 janvier, la
création d'un village indigène « sur les terrains domaniaux sis en
126 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

dehors des murs 1. Ce fut le village des « Djalis » ou des « étran


gers », appelé plus tard « Village Nègre ». Cette véritable opéra

tion de cantonnement était destinée à débarrasser les abords de la


place le faubourg de Karguentah des tentes et des gourbis qui
et

les encombraient. Ce groupement, où les gens de couleur sont


d'ailleurs restés une minorité, a été le noyau d'un quartier dont
les cinquante dernières années ont vu la croissance continue. On

y recensait 7.008 individus en 1881, 7,598 en 1891, 9.739


1901, en

12.307 en 1911, 11.708 en 1931, et 12.255 en 1936; le léger recul


observé en 1931 était dû à la croissance des nouveaux faubourgs
extra muros. Dans les de la Ville Nouvelle, seul le
autres régions

quartier Saint-Antoine, tout voisin, entre la rue de Tlemcen et le

boulevard de Mascara, en renferme un nombre appréciable, près


de 600 (641 en 1936). On peut donc dire que l'immense majorité

est concentrée dans la région Sud, celle où aboutissent les routes

des deux villes indigènes principales de l'Oranie.

Un fait tout contemporain et particulièrement cligne d'attention


a été l'expansion, ou plus exactement l'attraction des Indigènes
Musulmans vers les faubourgs de la banlieue, qui en abritaient, en

1936, plus de 28.000, constituant ainsi le gîte principal de cette

population. On peut suivre ces progrès depuis 1881 :

1881.. 376 1901.. 1.126 u


M931... 13.348 et avec
éparse
15 729
^ pop.

1891... 674 1911... 2.211 1936... 24.737 28.003


1896... 823 1926... 8.213

Comme on peut le voir, l'accroissement a été, dans la dernière


décade, de près de 20.000 unités, et dans les cinq dernières années,
de plus de 12.000. La
poussée s'est faite principalement dans les

faubourgs du Sud ; dans ceux du Nord-Est et de l'Est, on ne comptait,


en 1936, que 1.629 Indigènes Musulmans2.

1. Voir plus loin, p. 158.

2 Voici, par ordre d'importance numérique, les résultats du dénombrement


REPARTITION SUR LE SITE 127

Nous avons signalé plus haut ce « rush » des Indigènes vers Oran.
Or cette population pauvre d'ouvriers et de journaliers tend à s'établir

à la périphérie. C'est une différence notable avec ce qui se passe

à Alger, où le centre se trouve congestionné par un afflux de plus

en plus important, et où la vieille ville des Turcs a été reconquise

en grande partie par les Musulmans venus de l'intérieur, des Ber


bères surtout, originaires des deux Kabylies : véritable revanche

pacifique de la race qui peupla jadis la bourgade des Beni-Mezranna.


A Oran, le mode de distribution des immigrants contribue certai

nement à simplifier le grave problème de l'habitat indigène urbain.

Les espaces libres ne manquent pas au delà des anciens murs de

de 1936, pour les faubourgs du Sud et du Sud-Est, et la comparaison avec ceux

de 1931:
1931 1936 1931 1936

Lamur 8.302 13.280 Cité Giraud .. 92 123

Lyautey 2.258 3.365 Victor-Hugo . . .


56 98

Médioni ....... 1.374 2.250 Choupot 25 78

Sananès 513 757 Foyer Oranais . .


42

Cité Petit 470 933 Magnan 30


Eckmuhl 429 920 Maraval 14

Boulanger 293 291 Ruche die s

Chollet 133 264 P. T. T


Cuvellier 196 230
Brunie 105 131 Au total 14.246 23.108

Et pour les faubourgs du Nord-Est et de l'Est :

Mélis 9 409 Bon Accueil . . 24 52

Courbet 41 352 Hippodrome . . 31 47

Gambetta 214 198 Delmonte .... 19 27

Carteaux 208 110 Cavaignac 21 25

Illouz » 93 Bel Air 33 21

Montplaisant 81 93 Pouyet 4 8

Abattoirs —
68 Arbèsville . . . 36 6

St-Eugène ... 32 68

Bastié 16 52 Au total 769 1.629

La population musulmane apparaît ici plus mal fixée et is flottante, ce qui

explique certains reculs.


m
Vieille Ville Ville Nouvelle Faubourgs extra muros

56,6

54,2

30,2
■y.
67% W/'SM'M'MW/,

33'/. 26.387 g
pMMjlfe
V11.045 ■W//////A 11.535

1866 1 8 81 1891 1901

54,9

B ■
31,7

22,1
26,9 Z 65.282V
^65.876^
|§|§§§ llÉP
^VX^ 18,2 45.269

|30.634f

HII
21.462
l
§31.535j

MS
911 1926 1931 1936

GRAPHIQUE IV
1876 1896

Français
etnaturalisés européens

Etrangers Musulmans.

1936

GRAPHIQUE V
PLANCHE V

Cour en hémicycle et fontaine de la Grande Mosquée.


Une rue en escaliers du Vieil Oran (Rue de Gênes).

Photo de l'Ofalac. Photo de l'Ofalac.


REPARTITION SUR LE SITE 129

réalité pour la raison donnée plus haut —


5.859 individus nés hors
d'Oran sur 12.208. Il ne pouvait guère en être autrement.

La population israélite 1, jadis cantonnée dans le vieux « quartier

juif », dont la rue d'Austerlitz l'artère médiane, est aujourd'hui


est

sinon disséminée, du moins présente sur la plus grande partie du

site. Il y a là une preuve, non seulement de sa vitalité et de sa force


d'expansion, mais aussi de sa souplesse, de ses facultés d'adaptation
à la vie moderne, plus saine et plus confortable. La Vieille Ville,
si l'on s'en tient à l'élément annexé à la nationalité française, n'en

est même plus le noyau principal, encore que les Israélites aient

débordé, depuis notre occupation, sur la ville basse, où l'on en


dénombrait 178 en 1881, 243 en 1896, 412 en 1901, 706 en 1931,
population de petits employés, commerçants et artisans établis dans
le quartier de la des Jardins, de la rue Philippe, des boulevards
rue

Oudinot et Malakoff. Si l'on y joint les Juifs marocains comptés


comme étrangers (1.118 dans l'ancien quartier juif) le total dépasse
à peine de 300 unités celui de leurs coreligionnaires de la Nouvelle
Ville ; c'est évidemment bien peu.
C'est surtout là que s'est porté, au fur et à mesure de sa

croissance, l'élément plus aisé avec son commerce de plus en plus

européen. Le fait n'est pas particulier à Oran ; on le vérifie partout

en Algérie, et il n'y a là rien que de naturel, chez une population

qui regarde l'avenir et le passé, et qui a toujours manifesté


non

sa ferme volonté d'évoluer dans ce sens. Entre l'ancienne enceinte


et celle de 1866, on en a recensé, en 1931, 8.037, soit plus de la moitié

du total de la ville entière (16.197). Le plus grand nombre habite


au Sud de la ligne des boulevards Georges-Clemenceau et Mar
d'
ceau (7.300 environ). Au Nord, la rue Arzeu, la grande artère

commerçante et ses abords immédiats groupent la majorité du reste.

Le quartier neuf de l'avenue Loubet abrite quelques-unes des familles


les plus riches. La plus grande densité est, comme on pouvait s'y

1. M. Eisenbeth (Les Juifs de l'Afrique du Nord, p. 35), a établi un plan

(carte 9), où la distribution par quartiers et par rues est ingénieusement figu-
130 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

attendre, au voisinage de l'ancienne ville, dans le quartier Saint-

Antoine, le boulevard National, la rue de Tlemcen et le


entre

boulevard d'Iéna. Autour du marché du Village Nègre, on en trou


vait déjà, en1886, près de 500, que le commerce indigène dut attirer

de bonne heure, marchands de tissus, épiciers, débitants.


Hors des murs, on en comptait 953 en 1931, dont 789 dans les
faubourgs du Sud, 518 notamment à Eckmuhl où ils ont débordé
depuis l'origine de cette agglomération. La plupart sont des em
ployés de commerce travaillant en ville, une infime minorité est

constituée par des propriétaires.

La population d'origine européenne est répandue sur toute

l'étendue de l'agglomération, dans les proportions suivantes, selon


le dénombrement de 1931: 14,9 % (16.388) pour la Vieille Ville,
44,8 % (49.138) pour la Nouvelle Ville, 40,3 % (44.039) pour les
faubourgs. Or, en 1856, on en dénombrait 13.260 « intra muros »,
c'est-à-dire dans la Vieille Ville et hors de l'enceinte 3.735, soit des
pourcentages respectifs de 78,1de 21,9 % ; la plus grande
% et

partie de ces derniers à Karguentah. Ces chiffres nous font saisir


l'énorme déplacement de l'axe de l'agglomération depuis cette date.
On en peut reconstituer quelques étapes :

FAU-
TOTAL DE LA VIEILLE VILLE

POP. EUROP. VILLE NOUVELLE BOURGS

1856 16.995 13.260=78,1 % 3.735=21,9 % »

1886 44.515 14.088=31,6 % 25.126=56,4 % 5.301=12 %


1891 48.359 17.042=35,1 % 24.659=51,1 % 6.658=13,8 %
1896 57.971 16.504=28,4 % 32.454=55,9 % 9.013=15,7 %
1901 63.777 16.388=28,1 % 35.583=55,7 % 10.229=16,2 %
1931 109.565 16.388=14,9 % 49.138=44,8 % 44.039=40,3 %

L'examen de ces chiffres éclaire suffisamment cette histoire. En


1886, date critique, le renversement des proportions est déjà accom

pli ; la Ville Nouvelle a pris la première place. Elle rassemble sensi

blement plus de la moitié du peuplement européen ; mais les fau


bourgs commencent à grandir. Entre 1886 et 1891, l'afflux des étran
gers, disons des Espagnols, détermine une progression numérique
REPARTITION SUR LE SITE 131

générale ; mais elle affecte avant tout la Vieille Ville et les fau
bourgs, plus recherchés par cette population pauvre que les autres

quartiers. A Oran, la place laissée libre par les Européens aisés

n'a pas été prise, comme à Alger, par les Indigènes Musulmans,
mais par d'autres Européens moins fortunés. Après cette dernière
date, il y a stagnation pour la ville basse, dont le pourcentage tend
plutôt à baisser, tandis que les autres régions se peuplent de plus

.
en plus. Enfin dans les dernières années, ce sont les faubourgs qui

exercent l'attraction principale, gagnant près de 24.000 habitants


Européens en 30 ans, alors que la Ville Nouvelle s'est accrue seu
lement d'environ 14.500.

Il est impossible de faire dans cette étude le départ des Français


d'origine des naturalisés, faute de documents. Le degré d'aisance
et

et de fortune a, comme on pouvait s'y attendre, exercé la plus grande

influence sur leurs conditions d'habitat. Si l'on trouve des Français


d'origine métropolitaine incontestable —
ils sont d'ailleurs rares —

dans les quartiers proprement israélites ou musulmans, ce ne sont

guère que des petits commerçants, des débitants de boissons ou des


artisans pauvres. Dans la ville basse, il subsiste une moyenne et
une petite bourgeoisie de fonctionnaires, de retraités, d'employés,
d'ouvriers qualifiés. La majorité est disséminée dans les quartiers
du Nord, du Centre et de l'Est de la Ville Nouvelle, et dans les
maisonnettes et les villas modestes des faubourgs.

L'élément espagnol représente depuis longtemps la grande majo

rité des Européens étrangers, de 90 % en moyenne depuis 1876.


Nous avons dit quelle contribution considérable il a apporté au

peuplement oranais.

Les Espagnols sont partout à Oran, dans tous les quartiers, au

milieu de toutes les populations, aisées ou pauvres jusqu'à l'extrême.


C'est un fait bien connu des Algériens de vieille souche qu'ils peuvent
s'accommoder des conditions de vie les plus défavorables et que

la perspective du contact avec les éléments indigènes les plus misé

rables ne les rebute pas, tant sont grandes leur endurance, leur
résignation et leur ténacité. Il faut admirer ici leur capacité d'ex-
132 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

pansion qui n'a d'égales que celle des Siciliens en Tunisie, des
Chinois et des Japonais en Extrême-Orient. Il faut ajouter d'ailleurs
aussi qu'ils trouvent des facilités toutes particulières pour leur
établissement dans un pays et dans une ville où ils ne se sentent

nullement dépaysés ni par le fait du climat, ni du point de vue


des habitudes de vie et des mœurs. De là cette dispersion sur le

site urbain où, selon leurs facultés pécuniaires, ils se classent à


l'image des Français de provenance métropolitaine.

Leur répartition est par suite l'image réfléchie de celle des


Européens. Leur pourcentage par rapport aux Etrangers, comme

leur nombre, est en voie de diminution dans la Vieille Ville, au

profit de la Nouvelle et surtout des faubourgs. Ce sont, en effet,

ceux-ci qui ont reçu le principal appoint de cette population depuis

1891, et surtout depuis la guerre, et c'est là que leur prédominance

est le mieux assurée. Le temps est déjà loin où le noyau principal

des Espagnols d'origine et de nationalité était dans la ville basse, où

le quartier de la Calère a conservé jusqu'aujourd'hui son aspect

original. En 1931, sans doute comme conséquence des naturalisations

automatiques, mais aussi d'un exode indéniable, le nombre des


Espagnols étrangers a diminué sensiblement et la proportion qu'ils

représentent dans l'ensemble de cette population a été renversée


au profit des faubourgs (4.851 Espagnols dans la Vieille Ville, 12.761
dans les faubourgs, soit respectivement 18,1 et 47,7 %) ; les condi
tions du logement suffisent à expliquer le fait1. Les éléments les
plus pauvres sont restés dans la ville basse et dans le quartier juif.

L'élément italien qui, depuis 1848 du moins, n'a jamais repré-

1. Répartition de la population espagnole de 1886 à 1931 :

VIEILLE VILLE VILLE NOUVELLE FAUBOURGS TOTAL

1886 8.795=32,1 % 14.907=54,5 3.708=13,4 27.625

des Espagnols d'Oran


1891 9.856=31,1 % 17.297=54,8 4.475=14,1 31.628
1911 7.673=24,3 % 16.498=52,3 7.393=23,4 27.835
1931 4.851=18,1 % 9.129=34,2 12.761=47,7 26.741
REPARTITION SUR LE SITE 133

sente même 10 % de la population étrangère européenne, est resté

cantonné dans la Vieille Ville et particulièrement dans les quar

tiers de la Marine et de la
Calère, où, en 1886, on trouvait plus

de 900 Italiens sur 1.080. Aujourd'hui, c'est encore là seulement

qu'on en rencontre un petit groupement d'environ 200 sur les


300 qu'abrite la Vieille Ville (sur 721 recensés à Oran en 1931).
Leurs occupations maritimes et leur pauvreté les y ont retenus ;
le reste est disséminé à travers la Nouvelle Ville. Notons d'ailleurs
que les lois sur la pêche et la composition des équipages ont déter
miné dans cette population de nombreuses naturalisations.

Nous avons essayé, au cours de cette étude, où il était nécessaire

d'apporter beaucoup de chiffres, de déterminer les principales

caractéristiques du mouvement de la population d'Oran, de ses

éléments et de leur répartition sur le site de la ville. Nous pouvons

maintenant résumer les conclusions auxquelles nous avons été


amené.

Oran est une ville essentiellement européenne, la plus européenne

de l'Algérie. A de vue, sa physionomie générale est


ce point frap
pante. Un étranger pourrait la parcourir de l'Ouest à l'Est, selon

sa plus grande dimension, sans soupçonner autrement que par la


vue de deux ou trois minarets et par la rencontre de quelques Indi
gènes musulmans, qu'elle en abrite un certain contingent. Il y cher

cherait en vain, même dans les quartiers où cette population domine,


quelque chose de comparable à la Casbah d'Alger ou au quartier

indigène de Constantine. En revanche, il lui suffirait d'un peu

d'attention pour que son oreille perçût souvent sur son chemin le
parler espagnol.

Oran est en effet avant tout une ville franco-espagnole ; du point


de vue ethnique, on peut dire qu'elle est le moins français des trois
chefs-lieux de la colonie. La population originaire de la péninsule,
étrangère ou naturalisée, compte pour près de la moitié de la

population totale, alors que le cinquième seulement est de pro

venance ou de descendance française métropolitaine.

Les éléments qui la peuplaient intégralement en 1831 ne figurent


134 LA POPULATION DE 1831 A NOS JOURS

plus aujourd'hui que pour un tiers. Mais, si la population israéllite,


entrée dans la nationalité française, a conservé son gîte et l'a étendu,
les Musulmans ne l'ont pas retrouvé. Du Village Nègre où on les
avait artificiellement groupés dès 1845, après avoir longtemps

végété, ils se sont progressivement développés au fur et à mesure

que les centres et les douars de l'intérieur nourrissaient l'immigra


tion. Us n'ont reconquis qu'une bien petite place dans leur ancienne

cité, mais ils ont en revanche débordé sur les faubourgs du Sud
où aboutissent les routes de Mascara et de Tlemcen. De toutes
manières, cet afflux particulièrement précipité dans les toutes der
nières années menace de changer la physionomie ethnique de la
capitale de l'Ouest. Et ainsi les Musulmans sont aujourd'hui, dans
la grande cité moderne, plus nombreux certainement qu'ils ne l'ont
jamais été dans la vieille ville du royaume de Tlemcen.
Pour terminer, on ne peut se défendre d'une réflexion que

suggère plus que partout ailleurs la composition d'un peuplement

dont les réservoirs d'alimentation sont si proches. Laissons de côté

la question indigène, et au point de vue européen même toute

considération d'ordre purement politique. On est forcément amené

à se demander l'œuvre de francisation,


si que poursuit assurément,
mais que doit accélérer le peuple maître, réussira à fondre réelle

ment dans la nation française de l'Algérie un élément qui a la force


du nombre et dont on ne peut rais dire qu'il soit complètement

transplanté, comme la majorité des™Américains de provenance euro

péenne, puisqu'il tient encore à son pays d'origine par tant de


racines. A cet égard, l'enseignement, primaire et secondaire, a ici
une grande, une lourde tâche à remplir. Nous avons apporté à ceux-

là mêmes qui jadis avaient été confinés dans les murs d'Oran par

l'insécurité etla guerre, cet inestimable bienfait qu'a été « la paix


française ». Nous nous devons d'ajouter à la généreuse hospitalité,
dont ils ont si largement heureusement profité, le don de
et si notre

Culture et de notre Civilisation.


LIVRE rv

L'AMÉNAGEMENT DU SITE
CHAPITRE I

LA CONSTRUCTION DE LA VILLE

LA PERIODE MILITAIRE (1831-1848)

Les circonstances qui ont amené notre installation à Oran, en

1831 \ différaient sensiblement de celles qui avaient déterminé l'ex


pédition et l'occupation d'Alger. A peine maîtres de la Capitale de
la Régence, nous avions été appelés par le vieux Bey Hassan, pris

entre les tribus qui bloquaient la ville et les habitants effrayés qui

l'avaient forcé à rester dans ses murs. C'est à peu près sans coup
férir que Damrémont avait pu faire son entrée le 4 janvier 1831
et installer le Khalifa du prince tunisien Ahmed désigné comme

Bey sous la suzeraineté de la France. Cet intérimaire fut aussi heu


reux que le pauvre Hassan de faire la remise de ses pouvoirs entre

les mains du Général de Faudoas, le 17 août de la même année.

1. Pour l'histoire des événements militaires de cette période, nous renvoyons

le lecteur au meilleur guide, les Annales Algériennes de Pellissier de Reynand,


3 vol., Paris-Alger, oct. 1854. Il faut citer également Les Français à Oran depuis
1830 jusqu'à nos jours par le Commandant I. Derrien. Première partie : Oran mili
taire de 1830 à 1848, la seule parue. Aix, 1886. L'auteur, qui déclare lui-même
avoir voulu seulement rassembler des l'histoire future d'Oran,
matériaux pour

a consulté et utilisé notamment les Archives départementales ; il a fourni des

renseignements précis sur l'œuvre municipale et la vie urbaine que nous avons

mis à profit.
138 L'AMENAGEMENT DU SITE

Nous héritions ainsi de l'ancienne forteresse des Espagnols, de


tout ce qui restait de leurs constructions, et nous allions nous y
trouver, au moins pendant quelques années, dans une situation sin

gulièrement analogue à celle qu'ils avaient connue durant plus de


deux siècles et demi. On peut dire, en effet, que, jusqu'en février

1834, date de la conclusion, le 26, du traité Desmichels avec Abd


el Kader, l'insécurité la plus complète interdit toute relation suivie

avec l'intérieur. Le chemin de Mers-el-Kebir, le plus utile dans le

présent, celui de la ville au port, était infesté par les rôdeurs ; les
attaques des cavaliers arabes poussées jusqu'aux remparts obli

geaient la garnison à des sorties fréquentes ; le troupeau de l'Admi


nistration militaire devait paître sous le canon de la place K Lorsque
le Général Desmichels, pour se donner un peu d'air, exécuta, le 8
mai 1933, contre la tribu des Gharabas une razzia punitive et pré

ventive, le bétail ramené par la colonne « servit à l'approvision


nement d'Oran qui, depuis deux mois, manquait presque entiè
rement de viande fraîche 2 ». Il fallut construire des blockhaus en
avant des murs 3, travail qui s'effectuait sous la protection de la
garnison et au milieu de la fusillade et des escarmouches. Le traité
du 26 février assurait du moins le ravitaillement régulier de la
ville d'Oran dont les abords étaient dégagés. Ce n'est d'ailleurs
qu'en juin 1835 4 que les Douairs et les Zmélas se plaçaient défini
tivement sous notre souveraineté, et encore plus sous notre pro

tection, malgré les intrigues des Ju^s Durand, intermédiaires lou


ches entre nous et Abd el Kader, dont le commerce avec les Euro

péens allait se trouver atteint dans ses aspirations au monopole. La


rupture avec l'Emir et la défaite de La Macta (28 juin) compro-

1. Pellissier de Reynaud, o. c. I, p. 265-266.


2. Idem, p. 348, et Derrien, o. c, p. 43. «Depuis plus de 40 jours, la troupe
n'avait qu'un quart de ration de viande fraîche ».

3. Indépendamment de la de
mosquée Karguentah, organisée défensivement,
le premier de ces blockhaus exécuté par le Génie, en plein combat, fut celui
« d'Orléans », au Sud-Est de la ville, à la la de Dar-Beïda.
cote 123, sur route

4. Pellissier de Reynaud, o. c. I, p. 458.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 139

mirent de nouveau, sinon la sécurité d'Oran, du moins ses relations

avec l'arrière-pays.
Maîtres de la de la Mléta, les Gharabas attaquaient les
plaine

détachements de la garnison envoyés à la corvée de bois1 ou enle


vaient le troupeau de l'Administration. Les tribus soumises re

fluaient entre la ligne des blockhaus et celle des remparts de la


ville, où régnait l'inquiétude et où la viande manquait. Sur la route

du Camp du Figuier (La Sénia), les convois sans escorte n'étaient

pas en sécurité. On devait sans cesse recourir aux sorties et aux

razzias 2. Le traité de la Tafna, du 30 mai 1837, n'améliora pas la


situation. En 1839 et en 1840, les alertes furent fréquentes, on se

battit près de Misserghin, à Brédéah, près de Dar Beida, entre

Mers-el-Kebir et Bou-Sfer. Ce n'est guère qu'avec la venue de

Lamoricière, nommé au commandement de la Division d'Oran, et

grâce à son activité inlassable, que la ville et la garnison retrou

vèrent l'abondance du ravitaillement, et que la sécurité fut assurée

au moins dans les environs immédiats de la place. Les opérations

dirigées par Bugeaud, en éloignant de plus en plus Abd el Kader


de Tlemcen et de Mascara, devaient consolider et parachever cette

œuvre. Oran cessa alors seulement d'être bloqué : l'occupation


étendue poursuivie de 1841 à 1848, la pacification et la soumission
définitive des tribus en faisaient la capitale de l'Ouest, lui don

naient une signification nouvelle et lui ouvraient des destinées


auxquelles la pauvre ville des Espagnols n'avait jamais pu aspirer.

On ne peut négliger ces faits, si l'on veut se faire une idée


exacte des conditions dans lesquelles est né l'Oran des Français
et des difficultés qui pouvaient retarder sa croissance. D'autres
circonstances méritent aussi d'être prises en considération : nous

voulons parler de l'administration de la ville, des entraves qui la


paralysèrent et de la pauvreté des ressources dont elle disposa. Il

fallut attendre l'ordonnance royale du 28 septembre 1847 pour

trouver en Algérie les premiers éléments d'une véritable organisa-

1. Idem, II, p. 64-65.


2. Par exemple celle exécutée par le général Perrégaux, le 25 février 1836.
140 L'AMENAGEMENT DU SITE

1"
tion municipale ; c'est en vertu de l'article qu'une seconde or

donnance érigeait Oran en commune, le 31 janvier 1848. Jusqu'à


cette date, on ne trouve que des embryons de municipalités. Le
14 septembre 1831, Berthezène avait créé à Oran, comme à Alger,
un Commissaire du Roi », qui était en même temps
« commissaire

de police1. Ses attributions étaient mal définies, il était assisté d'un


conseil composé exclusivement d'Israélites et de Musulmans. Ses
rapports avec le Sous-Intendant civil 2 furent une série de conflits 3.
Il fut réduit en définitive au rôle d'officier de l'état civil et de
commis du Sous-Intendant, sans aucune gestion de budget, les dé
penses étant confondues avec celles de l'Etat.

En 1834, on organisa une Municipalité, avec un Maire, trois


adjoints : un Français, un Musulman, un Israélite, neuf conseillers

dont cinq Français 4 ; mais si la Ville voyait fixer ses recettes spé
ciales, l'Administration restait dans la réalité au Sous-Intendant
civil, maître des dépenses. Ce régime ne subsista pas longtemps ;
un arrêté du 2 août 1836 réduisit de nouveau les attributions du
Maire à celles d'officier de l'état civil ; les autres passèrent à l'Ad
ministration provinciale. Les Conseils Municipaux tombèrent dans
l'inaction et l'impuissance complètes, les dépenses et les recettes
furent fondues dans le budget colonial, la commune cessa réel
lement d'exister. Cette centralisation fâcheuse rendait particuliè
rement difficile la connaissance des besoins de la
Ville, retardait
l'heure de les satisfaire et se traduisît généralement par l'insuffi
sance des crédits.

On s'explique ainsi que l'Armée ait joué un rôle prépondérant

1. Le premier fut M. Pujol à qui l'on doit le premier essai de recensement

de la population civile fait le 4 février 1832. Il démissionna en mars 1833.


2. Institué en vertu des ordonnances du 1" et 6 décembre 1831. Celle du
12 mai 1832 plaça le pouvoir civil sous les ordres du Ministre de la Guerre.
3. Derrien, o. c, p. 37.
4. Par un arrêté ministériel du 1"
(voir Pas-
septembre Derrien, p. 68-69) M.
,

chal Lesseps, successeur de M. Pujol, reçut le 6 juillet 1835 le titre de Maire


qu'il conserva avec la fonction jusqu'en 1848 (p. 49).
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 141

dans ces premières années de notre établissement à Oran, et que


les travaux exécutés par elle, en vue de la défense ou de l'instal
lation de ses services, occupent la première place dans l'histoire
de la ville. Elle pouvait se faire la part belle sur le site d'une cité

à moitié ruinée ; elle n'y a pas manqué, et son emprise, dont il serait
difficile de contester l'utilité à l'époque où elle a été opérée, devait

avoir des conséquences graves pour l'aménagement futur de la cité

moderne.

« La ville était dans un tel état de dévastation qu'il fallut adopter

un système de démolition pour édifier de nouveau. » Ainsi s'exprime

l'auteur de la « Notice sur les points occupés » dans le Tableau de


la situation des Etablissements français dans l'Afrique du Nord,
publiée en 1838 *. Rozet, qui l'a vue en 1832, confirme le fait 2. Les
Turcs, après 1792, avaient démoli ce qui restait de maisons espa

gnoles pour les remplacer par des maisons construites en pisé à la


mauresque.

On pouvait distinguer trois quartiers 3 : La « Blanca », l'ancienne


villeespagnole, élevée sur les pentes et la terrasse dominant la rive
gauche du ravin, la « Marine » qui, à ses pieds et en dehors de l'en

ceinte, groupait avant tout des bâtiments et des magasins militaires,


et sur la rive droite, le bord du plateau, la « ville nouvelle »
sur

construite, après le tremblement de terre et sous la domination tur


que, pour l'établissement des Juifs4. Ce dernier quartier était en

fait un véritable faubourg séparé de la Blanca, avec laquelle il com


muniquait par deux rampes et deux ponts : d'une part, le chemin

1. Tableau de la situation des Etablissements français dans l'Afrique du Nord


en 1837-1838, p. 55, où se trouve une description de la ville.

2. Voir plus haut, p. 96.

3. Voir A. Pestemaldjoglou. Ce qui subsiste de l'Oran espagnol. Revue Afri


3e 4e 2e
caine, et trimestre 1936, étude bien documentée présentée au Congrès de
la Fédération des Sociétés Savantes de l'Afrique du Nord.

4. C'est sans doute à ce quartier que fait allusion la Notice quand elle parle

d'Oran comme d'une ville bien percée ; on ne le comprendrait pas autrement.


142 L'AMENAGEMENT DU SITE

ombragé de trembles et de peupliers x qui enjambait l'Oued sur un

pont de pierre bien bâti par les Espagnols en avant de la porte de

Canastel, d'autre part un sentier tortueux, beaucoup plus raide

conduisant à un ponceau, ouvrage plus modeste, proche de la porte

de Tlemcen, dont on peut voir encore les traces dans le mur au pied

duquel disparaît le ruisseau du ravin.

Il suffit de comparer le premier plan de la ville levé en 1832 par

l'ingénieur Pézerat 2 avec un plan de la ville plus ancien


espagnole,
de près d'un siècle3, pour se rendre compte que, dans les limites de
l'enceinte, et par conséquent sur la rive gauche du ravin, il n'y. avait

eu guère de changements dans le tracé de la voirie, dont les lignes


ont d'ailleurs subsisté jusqu'à nos jours4. On reconnaît facilement
sur ces deux documents la rue du Vieux Château (rue de la Carrera
des Espagnols), la rue de la Moskowa (rue de la Amargura ou de
« l'Amertume »), la rue de Dresde (rue Saint-Jayme) , la rue de la

Merced, et beaucoup d'autres aussi faciles à identifier 5. Le centre

de la Blanca est resté la place de l'Hôpital, qui fut la « Plaza prin-

1. Voir plus haut, p. 74 et 97. Ces arbres ont été abattus en 1868, parce

qu'ils gênaient la circulation (Derrien, o. c, p. 26 et note 5).


2. Ce plan intitulé « Plan de la Ville d'Oran —
1832 —
dressé par M. Pezerat »

nous a été obligeamment communiqué par M. Fonteneau, sous- directeur des

ment intéressant à consulter, ne fût-ce que pbur la raison indiquée dans le texte
ci-dessus. Les voies existantes sont très faciles à reconnaître et à identifier avec
celles du plan espagnol.

3. Nous donnons ici une reproduction de ce plan mentionné comme datant


de l'une des années qui ont suivi le retour des Espagnols (1732-1738 sans doute).
Nous avons noté par des chiffres renvoyant à la légende les rues qui figurent
aussi sur le plan Pézerat et dont les noms seuls furent au début modifiés. Les
détails de la fortification —
pour la Blanca seule —
sont susceptibles d'intéresser
ceux qui recherchent des précisions sur cet objet particulier. On consultera à cet

effet la légende spéciale où nous les avons reproduits plus lisiblement.


4. Voir Fey. Histoire d'Oran, o. c, p. 176.
5. Rues
Sediman, de Rivoli, de Médine, de Moscou, de Lisbonne, Honscoot,
du Tagliamento, de Berlin, de Ponteba, Desaix, du Raab, Alkmaer, de Bassano,
de Montebello, rampe de Madrid.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 143

cipale », la Place d'Armes des anciens maîtres *. Seule, l'extrémité


Nord de la ville, où se trouvaient la majorité des églises et des cou

vents, l'ancienne demeure du Comte de Montémar et le Colisée, forte


ment atteinte par le tremblement de terre, et aussi par les destruc
tions systématiques des Turcs après 1792, était la moins reconnais-

sable.

Dans le faubourg de la Marine, l'artère principale, en 1832, sui


vait en partie le tracé de la future rue d'Orléans, s'élargissait pour

former ce qui devint la Place d'Orléans et celle de Nemours 2. Une


épaisse muraille, véritable mur de soutènement, fermait la Place du
côté du Nord et surplombait ce faubourg qui n'avait de communica

tions avec la ville que par la rampe plus ou moins raide remontant

la rive gauche du ravin, au-dessus des moulins, pour aboutir à la


porte dite « Bab Amara » 3.

Sur la rive droite de l'Oued, de la porte de Canastel à celle de


Tlemcen, des jardins en terrasses et quelques rares habitations s'éta-

geaient jusqu'au bord du plateau ; plus au Nord, de chaque côté du


chemin de Canastel et d'Alger —
la future rue Philippe —
un petit

quartier était en voie de formation autour de la mosquée du Pacha,


avec des cafés maures et des boutiques 4. Le débouché en était une

placede marché, qui devint après notre occupation, la nouvelle Place


d'Armes ou Place Napoléon, en arrière de la porte d'Alger. Quant
au quartier juif, ses rues étaient déjà tracées, comme elles le sont à

1. L'emplacement de la Place Kléber était en avant de l'enceinte espagnole,


devant le pont de Canastel. On reconnaît sur le plan du 18e siècle la petite
place « aux Herbes », simple élargissement en carrefour de la rue de Ponteba.
La « Plaza de la Yglesia Major » disparut en partie sous les ruines accumulées

dans ce coin de la ville.

2. On retrouve aussi sur le plan de 1832 le tracé de quelques rues secondaires

rues actuelles de Lodi, de Joinville, de l'Atlas, de Pologne, de la Marine, de la


Douane.
3. Derrien, o. c, p. 27. Cette porte est indiquée par le croquis de l'auteur
d'une manière peu précise qui laisse des doutes sur sa localisation dans «l'en

ceinte de la ville espagnole ».

4. Voir plus haut, p. 97.


144 L'AMENAGEMENT DU SITE

peu près restées, de part et d'autre de deux voies qui devinrent la


rue Napoléon (rue de la Révolution actuelle) et la rue d'Austerlitz \

Telle était la ville qui nous avait été léguée. « De tous les points

occupés par les Français en Afrique, Oran est celui où les travaux
d'installation définitive et permanente des divers services militaires

sont le plus avancés. La raison en est bien simple. Oran n'était point,
comme les autres places de l'Algérie, une ville toute africaine ; les
Espagnols y avaient entrepris et terminé beaucoup de constructions

importantes, appropriées aux besoins et aux habitudes des Euro


péens et qu'il a été possible, sans grandes dépenses, de remettre en

bon état 2. » On devine facilement qu'il s'agit dans ce texte emprunté

à la notice officielle de 1838, des fortifications, des casernes et des


bâtiments divers où l'armée française trouva un gîte préparé par
ses devanciers. La suite l'indique d'ailleurs clairement. « Le Château
Neuf nous a offert un établissement bien supérieur à tout ce que

présentaient Alger et Bône. Les casernes du Fort Saint-André, vers


le haut de la place, et les magasins Sainte-Marie, dans la ville basse,
sont des bâtiments remarquables par la solidité et même la beauté
de leur architecture3. »

Au prix de quelques travaux du Génie, qui n'eut pas de peine à


trouver des matériaux parmi les ruines et dans les carrières voisines

I
1. Rues de
Naples, de Fleurus, de Milan, de Ratisbonne, de Zurich, de Wa-
gram, de Suez, de Leoben. Toutes ces dénominations, comme beaucoup d'autres
de la vieille ville, évoquaient les souvenirs encore vivants chez les militaires
des guerres de la Révolution et de l'Empire.

2. Tableau de la situation, o. c, p. 59. L'auteur de la notice ajoute deux autres

raisons plus contestables ; il écrivait d'ailleurs en 1837, antérieurement aux pre


mières tentatives de colonisation et au déclanchement des opérations décisives
contre Abd el Kader. Le terrain avoisinant la place «aride et nu» n'offrait,
selon lui, « qu'un
champ borné aux exploitations agricoles »
; aussi « les efforts
et les dépenses se trouvaient concentrés dans l'intérieur de la place ». En second

lieu, Oran ne fut que « momentanément et par intervalles un centre d'action,


tandis qu'Alger ne cessait point de jouer ce rôle. »

3. Voir plus haut, p. 73 et 84.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 145

du Fort Saint-André 1, les troupes purent être facilement logées dès


le Château Neuf2 et dans les la
début, au ouvrages occupés pour

défense, aux Forts Saint-Philippe et Saint-André, dans les tours


même qui gardaient l'accès du ravin de Ras-el-Aïn, au Fort Saint-

Grégoire, à Santa-Cruz. La vieille Casbah fut partiellement relevée

de ruines, de 1833 à 1835 3. Un arsenal et des ateliers de l'Ar


ses

tillerie furent élevés dans le quartier de la Marine, les magasins


espagnols de Sainte-Marie furent aménagés en manutention dotée
d'un moulin 4 ; on installa tout à côté, en 1838, un magasin à four
rages. Hors de la Place, on créa autour de la mosquée de Karguentah
tout un quartier militaire destiné à la Cavalerie et à l'Artillerie 5.
L'un des travaux dont le Génie était le plus fier fut la construction

d'un hôpital militaire dit « de la Mosquée » 6, qui devait être d'ail


leurs éclipsé quelques années après par le grand hôpital actuel édifié
sur les ruines du Colisée et des anciens couvents aspagnols 7.

1. Les carrières, depuis longtemps exploitées, étaient celles « d'Astorfe » (Fey,


o. c, p. 186), à l'Est de la muraille extérieure qui reliait le Château Neuf au
Fort Saint-Philippe, en face de la porte appelée par les Maures « Bab Djiara »,
par les Espagnols « Rasserio de la Cantera », et par nous successivement Porte
des Carrières Porte Saint- André 27-28).
et (Derrien, o. c, p.

2. On y aménagea une caserne pour 600 hommes, un hôpital de 200 lits et

un pavillon pour les officiers.

3. On y restaura des casernements pour 500 hommes d'infanterie, pour les


Cle
pionniers du Génie, pour la de discipline, on reconstruisit un pavillon pour

les officiers (Derrien, o. c, p. 74-75).


4. Ce moulin pouvait moudre en 24 heures 88 hectolitres de grains.

5. En avril 1834, on y avait déjà installé 400 hommes et 114 chevaux ; en

1835 on entreprit de nouvelles constructions pour 300 hommes et 280 chevaux.


2e
Oran venait d'être choisi comme garnison du régiment de Chasseurs d'Afrique
(Derrien, o. c, p. 74).
6. La notice du Tableau de 1838 déjà cité le mentionne comme un des
«beaux établissements d'Oran », qui contraste avec les autres d'Algérie. Ce juge
Sidi-el-
ment, trop flatteur pour les bâtisses qui enveloppèrent la mosquée de
Haouwâri et qui furent agrandies en 1842 (Derrien, o. c, p. 161) est injuste pour

l'hôpital installé à Alger dans les jardins du Dey. Il ne faut pas confondre

d'ailleurs cet hôpital dit « Hôpital de la Mosquée » avec le grand hôpital mili

taire actuel, dont les fondations furent établies en 1844.


7. Derrien, o. c, p. 183.
146 L'AMENAGEMENT DU SITE

Malgré tous ces aménagements, toutes ces restaurations, toutes


ces créations, il avait fallu, en attendant leur achèvement et en raison

de l'effectif important de la garnison, loger une partie des troupes


et des services dans des maisons domaniales et dans les mosquées.

Ces dernières ne furent pas plus respectées qu'elles ne l'avaient été


à Alger. On cantonna un bataillon dans la grande mosquée du Pacha
et ses dépendances 1 elle ne fut rendue au culte musulman qu'en
;
1835. Celle de Sidi el Haouwâri servit provisoirement d'hôpital, en

attendant d'être transformée en magasin de campement2. Celle de


Bab Djiara, après avoir abrité le magasin d'habillement, fut convertie

en église3. Le Cotisée, ce qui du moins, fut aménagé en


en restait

caserne. Une partie des troupes montées occupait des bâtiments à


moitié ruinés et d'anciens fondouks, en attendant l'achèvement du
quartier de Karguentah. Jusqu'en 1839, les particuliers eurent à
leur charge une part importante des logements militaires, ce qui ne

manqua pas de soulever les réclamations des propriétaires, dont les


spéculations se trouvaient entravées. Cet état de choses se prolongea
jusqu'en 1840 4.
Il ne restait que de bien médiocres disponibilités pour les services

civils, qui se plaignaient d'avoir été confinés dans de pauvres masures

plus ou moins réparées ou dans des immeubles loués, dont les baux
constituèrent d'ailleurs une charge de plus en plus lourde 5. La Mai-

1.
'
Idem, p. 29.
2. Idem, p. 167. On commença de nouvelles constructions à cet effet en 1843.
3. Ce fut l'église Saint-André, consacrée par Mgr Dupuch le 25 décembre 1844
(Derrien, p. 181).
4. Dans les premières années, les généraux commandant la subdivision furent
logée dans un immeuble domanial de la rue de Bassano ; en 1843, on expropria

pour les y installer un immeuble de la rue de Wagram (Derrien, p. 31 et 167).


Le Général de Division demeurait au Château Neuf. Lamoricière, dès 1840, fit
évacuer par les troupes les masures qu'elles occupaient encore dans la vieille

ville. Le 21 janvier 1835, le Conseil Municipal formulait un vœu pour la sup


pression des logements militaires chez l'habitant.
5. On loué rue de Vienne, rue du Rempart, rue de Bassano, rue
en avait ainsi

de Lodi,du Vieux Château. La valeur immobilière s'accrut considérablement


rue

à Oran comme à Alger, et les baux en proportion. La Direction de l'Intérieur


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 147

rie était installée au premier étage d'une caserne de gendarmerie

improvisée par les Ponts et Chaussées, au bas de la rue Philippe,


sur l'emplacement d'une mosquée et pourvue d'une façade des plus

modestes 1. Le Tribunal occupait une maison de la rue de Bassano,


la Prison civile un ancien bain maure de la rue de Gênes. Ce n'est

qu'en 1843 que l'on organisa pour la première fois à Oran un service

spécial de la Voirie et des Bâtiments civils. L'un de ses premiers

soins devait être de doter le Sous-Directeur de l'Intérieur et ses

bureaux d'un logement plus convenable que le pauvre local où avait

été installé, dans la rue Philippe, le Sous-Intendant civil. Mais, en

attendant l'achèvement des démolitions nécessaires de maisons mau

resques et leur remplacement par des constructions neuves, qui de


vaient avoir une façade sur le boulevard Oudinot, le malheureux

fonctionnaire, Mercier-Lacombe, arrivé en 1845, devait se passer de


salle à manger et de salon ; il en était réduit à coucher dans son

bureau et à manger dans une pièce sans plafond, où la cuisine était


faite dans un trou. Les crédits manquaient, paraît-il ; il dut supplier

la Haute Administration de lui louer un immeuble, pour lui per

mettre de passer l'hiver à l'abri des intempéries 2. On comprend,


d'après ce seul détail, que la notice du Tableau de la situation en
1843-1844, parle de « l'insuffisance des crédits » et laisse échapper
cet aveu que la plupart des Services publics « ne sont installés que

provisoirement 3. »

Si l'on tient compte de la modicité des ressources budgétaires


dont on disposait4, on est plutôt amené à juger favorablement les

en arrivait à recommander l'achat d'immeubles moyennant des rentes de 10 %,


combinaison peu avantageuse assurément, surtout pour des maisons qui exi

geaient des réparations continuelles. Voir Arch. dép. le dossier des Baux à loyer,
série B1.
1. Derrien, o. c, p. 74-76.
2. Derrien, o. c, p. 200.
3. Tableau de la situation, o. c, 1843-1844, p. 178.
4. Quelques à l'établir. En 1835, le budget des dépenses
chiffres suffisent

municipales était de 94.987 francs, dont 9.640 pour l'empierrement, l'arrosage et


le balayage de la voirie (Derrien, p. 79) En 1836, il monte à 132.360 ; parmi les
.
148 L'AMENAGEMENT DU SITE

efforts accomplis et les résultats obtenus par le Service des Ponts


et Chaussées i pour le réaménagement d'une ville où presque tout
était à refaire ou à créer 2. On ne trouve sans doute aucune trace
d'un d'ensemble de nivellement, d'alignement et d'ouverture
plan

de nouvelles voies. Il apparaît bien que l'on travaille sous la pression


des besoins divers, au fur et à mesure qu'ils se révèlent, et selon

l'importance des crédits. Mais on travaille beaucoup —


et économi
quement —
grâce à l'emploi de la main-d'œuvre militaire que Lamo
ricière, notamment, mit largement à la disposition des Ponts et

Chaussées dans les intervalles des expéditions3.

Aussi cette période de l'histoire d'Oran français qui va de 1832


à 1848 n'a pas été seulement la période de restauration urbaine et

de réinstallation d'une population civile, mais elle est marquée par

quelques travaux neufs fort utiles et fort judicieux, étant donné la


topographie de la ville, qui devaient modifier sensiblement la phy

sionomie du vieil Oran.


Deux graves questions, dont nous reparlerons plus loin, absor

bèrent certainement une bonne part, sinon la principale, des res

sources financières : celle de l'alimentation en eau, qui exigeait une

réfection à peu près complète des canalisations et celle des égouts,


que les ravages du choléra de 1834 mirent à l'ordre du jour. En ce

qui la voirie, en dehors de quelques améliorations indis


concerne

pensables, telles que la rectification %t le nivellement de certaines


rues et de certaines
places4, leur élargissement par la démolition

dépenses extraordinaires, on note 3.000 francs pour le pavage de la rue Philippe

Idem, 105). En 1844, on ne pouvait affecter que 130.000 francs aux travaux du
p.

futur boulevard Malakoff (p. 181) et 95.000 à ceux de la rue des Jardins. La rue
de Turin coûta 16.999 francs (p. 182).
1. Il fut créé dès le début, en avril 1832 (Derrien, p. 40). Le premier titulaire
de la Direction fut M. Pézerat, ingénieur civil, assisté d'un agent-voyer.
2. Tableau de la situation, o. c, 1843-1844, p. 177.
3. Idem, p. 178.
4. Tableau de la situation, o. c, 1841, p. 119; idem, 1842-1843, p. 125. On a

empierré à cette date les rues Philippe, Napoléon, d'Orléans, de la Marine. Idem,
1843-1844, p. 17).
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 149

d'immeubles généralement abandonnés et le déblaiement des nom

breuses ruines, le pavage et le dallage des voies les plus fréquentées,


comme la rue Philippe par exemple, l'empierrement de quelques

rampes et de chemins inclus dans l'enceinte, on se préoccupa surtout

de faciliter les communications entre les trois parties de la ville, la


Marine, la Blanca etla Ville Nouvelle, que l'on dénommait aussi
la « Ville Haute ». Les particuliers surent profiter de l'ouverture de
ces voies pour les border de constructions, et c'est ainsi que se fit
la première poussée de croissance de l'Oran français.

Le boulevard extérieur, qui longeait à droite les jardins arrosés


par l'Oued Er Rehi et à gauche l'ancien mur d'enceinte espagnol de
la Blanca, fut nivelé et empierré1
pour devenir le boulevard Ou
dinot, qui mettait en communication la porte de Canastel et la Place
Kléber dégagée, avec la porte de Tlemcen et le ravin de Ras-el-Aïn.
Les accidents du terrain et la mobilité des matériaux du sol obli

gèrent d'établir des murs de soutènement en plusieurs points de cette

voie, et d'autres, telles que la rue d'Orléans 2, ou le chemin de piétons


qui rehait le quartier haut (quartier israélite) aux deux autres. On
dut aussi reconstruire en les élargissant les ponts qui enjambaient

l'Oued 3. Pour désencombrer les rues de plus en plus fréquentées de


la Marine, et en premier lieu celle d'Orléans, on ouvrit la rue de
l'Arsenal4 et celle de Turin5. La première devait faire commu-

1. Idem, 1843-1844, p. 177 et Derrien, p. 182. C'est seulement en 1844 que l'on

acheva le nivellement de ce boulevard, ainsi que de la Place d'Armes, de la rue


de Vienne élargie, des places du Marché aux grains et du Marché aux légumes
qui se trouvait sur la place Oudinot.
2. Derrien, p. 182. Ces murs de soutènement étaient imposés par la topo
graphie et par les glissements de terres fréquents. On dut soutenir ainsi la rampe

de Madrid, la rue de Turin (p. 194). En avril 1842, des pluies diluviennes pro
voquèrent l'écroulement du mur de soutènement de la rue d'Orléans et de quel

ques masures espagnoles (Idem, p. 156).


3. Tableau de la situation, o. c, 1843-1844, p. 178. Le pont principal avait été
endommagé par une crue subite de l'oued.
4. En 1844 (Tab. de la sit., 1843-1844, p. 178). Elle fut ouverte à la fin de
cette année sur une longueur de 500 mètres.

5. Idem (Derrien, o. c, p. 181).


150 L'AMENAGEMENT DU SITE

niquer par un tunnel l ce quartier avec la Blanca, tandis que l'autre


doublait la rue Philippe, se prêtait plus facilement au roulage et

encourageait la construction sur des terrains jusqu'alors inutilisés.


Ces travaux, exécutés ou en voie d'exécution entre 1832 et 1844,
furent complétés dans la suite par l'aménagement des deux voies

nouvelles, dont l'une devint l'artère la mieux percée du vieil Oran :

le boulevard de Ras-el-Aïn, futur boulevard Malakoff et la rue des


Jardins. La première de ces créations fut réalisée, sous l'inspiration
et la direction de l'ingénieur Aucour, par le comblement du ravin
de Ras-el-Aïn à l'intérieur des murs 2. Le grand égout installé au
fond fut recouvert de manière à former un boulevard de 30 mètres

entre les trottoirs ; l'ouverture de cetteartère, de proportions consi


dérables pour l'époque, amena la suppression d'un certain nombre

de jardins 3, d'autant qu'une autre percée, accessible au charroi, fut


entreprise la même année, en 1844, pour relier la Place Napoléon
à la porte de Ras-el-Aïn ou « du Ravin Vert » ; ce devait être la
rue des Jardins4. Bien d'autres travaux se poursuivaient pendant

ce temps ; les trois années 1844-1847 furent particulièrement fécon


des à cet égard. C'est qu'une impulsion intelligente et vigoureuse

avait été donnée, dès son arrivée en 1840, par cet entraîneur —
on

dirait aujourd'hui cet « animateur » —


de premier ordre que fut
le Commandant de la Division d'Oran, Lamoricière. Son nom mérita

de rester longtemps populaire dans la population de la ville ; il trouva


des collaborateurs dignes de lui en "a personne des Sous-Directeurs
de l'Intérieur de Soubeyran, Bertier de Sauvigny, Mercier-Lacombe
et de l'ingénieur Aucour. Les urbanistes peuvent applaudir aux

paroles que prononçait, en 1847, cet illustre général devant les chefs

1. Les travaux de ce tunnel commencèrent 1845 ils


en (idem, p. 194) ; mais
furent viteinterrompus, faute d'argent.
2. Derrien, o. c, p. 181. On entreprit le comblement en 1844.
3. On comptait en 1836 (Derrien, p. 108) seize jardins intra dont le
muros,
nombre avait été réduit à douze en 1844. Il y eut des protestations contre la
disparition de ces jardins que l'on considérait comme un sacrifice et un désastre
même, à cause des potagers qu'ils renfermaient (idem, p. 196).
4. Derrien, p. 181.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 151

de service réunis : « En vous occupant des ouvrages utiles, ne né

gligez pas ceux qui peuvent donner de l'agrément à votre ville. Des
esprits qui ont la prétention de se croire pratiques exaltent seu

lement la question d'intérêt matériel ; vous ne partagerez pas leur


erreur, vous penserez comme moi que les travaux d'agrément sont

ceux qui attirent et retiennent la population dans les villes. Quand


ces conditions manquent, on voit bientôt les cités languir et devenir
désertes 1. »

On avait déjà travaillé dans ce sens. En 1836, le Général De

Létang convertit, en effet, les glacis Nord et Ouest du Château Neuf


en une promenade où la troupe fit des plantations fortement accrues

dans la suite. Le Conseil Municipal décida, le 21 janvier 1837 2, de


lui donner son nom, qui lui est resté ; elle constitue aujourd'hui le
plus beau des balcons, d'où la vue embrasse tout le site de la baie,
du port, de la montagne et de la vieille ville. On garnit aussi d'arbres
les places et les boulevards nouvellement ouverts 3.

Cependant, la ville n'avait cessé de pousser sur les ruines accu

mulées par le tremblement de terre de 1790. A la fin de 1839, on


comptait 87 maisons neuves, dont 23 dans le quartier de la Marine,
17 dans la Blanca et 47 dans la Haute Ville, représentant au total
un capital de 894.000 francs environ 4. L'ouverture de nouvelles voies

avait suscité l'émulation des propriétaires ; après avoir garni une

partie des emplacements libres entre le Château Neuf et le quartier

juif, ils s'étaient portés vers la rue Philippe, la rue de Turin, la rue

d'Orléans et celle de la Marine. En 1843 5, on notait une progression

1. Cité par Derrien, o. c, p. 200.


2. Idem, p. 114.
3. Idem, p. 123 et p. 137 et Tab. de la ait, 1843-44, p. 374.
4. Tableau de la situation, o. c, 1839, p. 90. La notice ajoute : « Les particu

liers ont trouvé de grandes ressources dans ce qui restait du long séjour des
Espagnols ».

5. En 1842, les capitaux engagés dans la construction privée ne furent que de


330.000 francs, chiffre insignifiant si on le compare à celui d'Alger à la même

époque (3.047.650 francs) (Tab. de la sit., 1842-43, p. 135). En 1841 (idem. 1841)
ils n'avaient atteint que 200.850 francs pour 18 maisons. Voir pour 1843, Derrien,
152 L'AMENAGEMENT DU SITE

sensible de la construction, avec 93 immeubles neufs, soit environ

985.000 francs. L'ouverture de la rue de l'Arsenal \ en 1844, en avait

fait sortir de terre une trentaine. L'importance prise par Oran, comme

centre de ravitaillement de l'Armée, le ralentissement de l'immi


gration survenu dans la province d'Alger au profit de celle de l'Ouest,
les débuts de la colonisation aux environs de la ville 2 déterminaient
avec l'afflux de nouveaux habitants une poussée du moyen et du
petit commerce qui stimulait l'industrie du bâtiment. A la fin de
1844, on recensait 80 maisons neuves, dont 44 dans la Haute
Ville,
15 dans la Blanca, et 21 dans la Marine 3. En 1846, on estimait que
depuis 1833, c'est-à-dire en somme depuis notre occupation, il s'était
élevé à Oran plus de 400 maisons 4, et déjà la cité reconstruite et

agrandie se trouvait à l'étroit. Les Services publics, aussi bien mili

taires que civils, Postes, Trésor, Intendance, Domaine, Justice, Police


fonctionnaient dans des locaux par trop exigus, minuscules parfois,
loués à des prix surfaits 5. Or, maintenant que la sécurité régnait
aux alentours d'Oran et que l'on ne risquait plus de voir des cava

liers arabes venir décharger leurs fusils sur les remparts, de ma


gnifiques espaces s'offraient à la construction sur le plateau de Kar-

p. 167 et le Tab. de la sit, 1843-44. On estimait que de 1836 à 1844, on avait


investi dans la construction environ 3 millions de francs. Ces chiffres, qui peu

vent nous paraître bien faibles, même en tenant compte de la valeur actuelle

correspondante, étaient assez considérables pour l'époque, surtout dans une colo

nie nouvelle. È
1. Derrien, o. c, p. 182.
2. Voir les Tableaux de la situation de 1842 à 1846. Indépendamment d'éta
blissements particuliers comme la ferme de M. Dandrieu qui, dès 1837, avait eu
le courage d'inaugurer cette exploitation agricole sous le feu de l'ennemi (Der

rien, p. 124 et 175) et de quelques autres autour de Dar Beida, les premiers

centres officiellement créés furent La Senia, l'emplacement d'un camp à


sur

6 kil. de la ville, inauguré en août 1844, puis Misserghin (arr. du 25 nov. 1844),
et Sidi Chami.
3. Derrien, o. c, p. 183.
4. Idem, 196. Bugeaud, lors de son voyage en juin, fut frappé du grand
p.

nombre des constructions élevées à Oran depuis son dernier passage et surtout
des progrès de la culture autour de la ville (p. 203).
5. Idem, p. 196.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 153

guentah. L'amphithéâtre surbaissé, dessiné par le versant Est du


Ravin Blanc, les hauteurs que jalonnaient du côté du Sud les mou
lins à vent1, et à l'Ouest les remparts, du Château Neuf à la porte

Saint-André, constituaient un site tout désigné pour l'extension de


la ville.

Celle-ci réclamait d'ailleurs, même après quinze années, bien des


améliorations nécessaires et de nombreux travaux d'édilité ; car elle

était certainement loin d'être confortable. Un témoignage contem

porain2
nous la décrit comme un assemblage de rues fort étroites,
peu nombreuses 3, « où il faut toujours grimper ou descendre à
pic » ; seuls les rampes et les boulevards nouvellement percés se

prêtaient aisément au charroi. L'éclairage de nuit était plus que

rudimentaire. En 1835, il n'y avait pour toute la ville que neuf ré

verbères à huile, dans les seules rues Philippe et Napoléon ; on

estimait qu'il en faudrait plus tard 53, espacés de 60 mètres, pour


les 3.600 mètres de rues4. En mars 1837, on considéra comme un

progrès notable d'avoir voté l'installation de 26 de ces lampions 5.


Si l'eau ne manquait pas, les fontaines étaient peu nombreuses ; mais

en revanche, dans la basse ville, leur trop-plein débordant sur des


chaussées mal empierrées, formait des cloaques malsains6.

Et cependant, on constatait à Oran vers 1846 une grande anima


tion, un air de gaieté dû certainement à la présence d'une garnison

nombreuse, et des indices d'une prospérité commerciale indéniable

qui avait amené notamment l'établissement de deux sociétés de cré-

1. Ces moulins furent construits à partir de 1841. De 1941 à 1844 on en éleva


3. (Tableau de la situation, 1843-44).
2. Ch. Marcotte de Quivières. Deux ans en Afrique, Paris, 1856, p. 165. L'au

teur, Inspecteur des Finances en mission, a vu Oran en 1846. Sa description ne

manque pas d'intérêt.


3. En 1834 on en dénombrait 27 dans la Haute ville, 24 dans la Blanca, 14
dans la Marine ; le nombre n'avait guère augmenté que de quelques unités.

4. Derrien, o. c, p. 79.
5. Idem, p. 115.
6. Derrien, o. c, p. 71-72.
154 L'AMENAGEMENT DU SITE

dit 1. Les statistiques de la population et celles du mouvement mari

time sont, à cet égard, les meilleurs témoignages. Or, de 1832 (4


février), date du premier recensement, à 1847 (31 décembre), le
nombre des habitants était passé de 3.856 à 22.458, le chiffre des

Européens de 730 à 15.191 2. Et dans le port, dont tout le trafic se


faisait par Mers-el-Kebir, alors qu'en 1837 on enregistrait 1.743
entrées et sorties de navires et un tonnage de jauge de 127.566 ton

neaux, en 1847 le mouvement avait été de 3.283 représentant 203.174


tonneaux3. Le 4 octobre 1844, une Chambre de Commerce était
instituée à Oran4.
Depuis la pacification de 1837, et surtout depuis l'arrivée de Lamo
ricière en 1840, la vie était devenue plus normale, et plus agréable

aussi, pour la population aussi bien civile que militaire. Le ravi

taillement était assuré par les produits de la culture et de l'élevage


des tribus, qui fournissaient aussi le charbon de bois, par les jardins
maraîchers et les vergers des ravins de Ras-el-Aïn et d'Aïn-Rouina 5,
par de Misserghin, par la pêche des marins italiens et espa
ceux

gnols 6, par les importations nombreuses de la Péninsule Ibérique 7.

1. Idem. La Caisse commerciale d'Oran fondée en février 1847 et la Caisse


agricole d'Oran créée en avril de la même année (p. 219).
2. Tableau de la situation, 1838 et 1846-47-48-49, publié en 1851.
3. Idem, 1838, p. 349.
4. Derrien, o. c, p. 170.
5. Ces derniers étaient déjà mentionjés par Rozet en 1833 (o. c, tome II,
p. 277). Sur ceux de Ras-el-Aïn, voir plus haut, p. 47 et 78. On essayait déjà

de faire des cultures maraîchères dans la plaine des Andalouses, où dès 1835,
Ismaïl Oul'd Kadi avait encouragé la tentative de deux colons français, Landsman
et Michel (Derrien, p. 88) ; mais les hostilités avec Abd el Kader ruinèrent l'en
treprise. On songeait en 1843 à la colonisation de cette riche plaine (Tab. de la
sit, 1843-44, p. 239).
6. A la fin de 1846, on comptait à Oran 185 bateaux de pêche montés par

661 homes, dont 129 Napolitains, 99 Espagnols, 91 Sardes. Un marché au poisson

fonctionnait sur la place Blanche (Tab. de la sit., 1846-49, p. 525 et 1843-44,


p. 374).
7. Elle tenait encore la tête dans le mouvement de la navigation. Derrière
elle venait l'Angleterre avec l'entrepôt de Gibraltar par où arrivait la houille
(Tab. de la sit., 1838, p. 55).
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 155

La suppression de l'octroi de terre en 1845 ! devait favoriser l'appro


visionnement abondant des marchés. On en comptait 2, huit en 1843
dont deux hors des murs pour les bestiaux, le bois et le charbon,
et les autres à l'intérieur, place de l'Hôpital, place Kléber, boulevard
d'Orléans, place Napoléon, place Blanche ; un marché couvert fut
édifié sur la place d'Orléans en 1846 3. L'abattoir, bien qu'agrandi et

amélioré 4, se révélait insuffisant ; on en construisit un neuf en 1845-

1846 à Karguentah 5. Sept moulins, dont trois à vent, avaient été


créés de 1836 à 1844 6.

A côté du nécessaire, l'agrément n'était pas oublié. Depuis que


la population se sentait en sûreté, depuis 1840, les fêtes, les récep

tions, les bals officiels, publics et privés se multipliaient 7 ; le car

naval avait fait son apparition à Oran. Les cafés —


et malheureu

sement les débits de boissons —


trouvaient une clientèle de plus en

plus nombreuse. La rue Philippe, la Place d'Armes et la rue Napo


léon les principaux, dont quelques-uns, en l'absence
rassemblaient

de théâtre, étaient cafés chantants8. En 1844, on installa un théâtre

1. Derrien, o. c, p. 189.
2. Tab. de la sit., 1843-44, p. 374, et Derrien, p. 124. Le marché aux bestiaux
se tenait en dehors de la porte du Marché ou grains, à la
d'Alger, celui aux

volaille, aux œufs, au beurre dans les fossés Est du Château Neuf. Une halle
aux grains fonctionnait sur le boulevard d'Orléans. Le charbon de bois était
apporté dans les fossés Ouest du Château Neuf et depuis 1839 aussi place de
l'Hôpital.
3. Tab. de la sit. 1844-45, p. 130. Ce dut être une construction légère, dont
il ne reste aucune trace.
4. Cet abattoir qui se trouvait à la Marine, près du débouché de l'oued, fut
en effet agrandi en 1842 (Derrien, o. c, p. 161).
5. Tableau de la situation, 1844-1845.
6. Idem, 1843-44 et Derrien, p. 167.
7. Marcotte de Quivières, o. c, p. 176-182. L'auteur fait le récit d'un bal chez

Lamoricière, suivi d'une tombola où parmi les lots figuraient un chacal, une

panthère et une hyène bel et bien vivants.

8. Derrien, o. c, donne des détails sur la vie à Oran en 1846. Les officiers
fréquentaient le Café de Paris, au premier étage d'une maison de la rue Phi
lippe ; les civils, les cafés du Commerce et de la Régence dans la même rue.
Des cafés abondants s'ouvrirent de 1839 à 1846 Place d'Armes, rue Napoléon, rue

Philippe (p. 124, 132, 197).


156 L'AMENAGEMENT DU SITE

« provisoire » Place Napoléon K En 1847, on notait la venue à Oran


de troupes anglaises et espagnoles
2 —
et aussi de l'inénarrable et

obscène Karagousse. Un arrêté ministériel du 22 février 1848 ap


prouva un projet de théâtre à construire sur un terrain domanial

de 1.500 m2 des jardins de Bastrana 3. Oran avait pris, malgré l'hété


rogénéité de sa population, l'aspect et les habitudes des villes de
provincefrançaises, y compris la musique militaire du jeudi et du
dimanche, Place d'Armes ou Promenade de Létang. Pour la flânerie

journalière, celle-ci était malheureusement déjà aussi désertée qu'elle

l'est aujourd'hui, au profit de la rue Napoléon, où de la Place Napo


léon à la Place des Carrières, on déambulait lentement et plusieurs
fois dans les deux sens, ce que les Oranais ont baptisé d'une ex
pression pittoresque, « faire la noria » 4. Notons, enfin, que, depuis

1844, Oran avait son journal quotidien qui, le 19 octobre de cette


d'
même année, prenait le nom « Echo d'Oran » et passait sous la
direction de M. Perrier5.
Hors de l'enceinte, des faubourgs commençaient à se reconstituer

et à se repeupler, mais avec une autre population que l'ancienne,


purement indigène. Lors de notre arrivée, en 1831, au-delà du ravin

de l'Aïn-Rouina rempli de figuiers, il ne restait guère que des ruines

du grand village qu'avait été Karguentah 6 on voyait encore le


;
tracé de deux grandes rues de 700 mètres, coupées de ruelles, où
les maisons, construites « dans le^même genre et aussi bien qu'à
Oran », c'est-à-dire en pisé et aussrlmal, étaient entourées de cactus

et de minuscules jardins, ce qui explique l'étendue de cette agglo

mération. A l'extrémité et presque sur le bord de la falaise s'élevait

1. Idem, p. 162.
2. Idem, p. 229.
3. Idem, p. 234. Projet Chéronnet et Lasry, moyennant concession gratuite du
terrain pendant 99 ans.

4. Idem, p. 197-198.
5. Idem, p. 170.
6. Rozet, o. c, III, p. 227,
parle de deux grandes voies traversant d'un bout

à l'autre le village, de 700 mètres de long chacune. Il faut sans doute comprendre
par là deux chemins bordés de médiocres
constructions, de murs et de jardins.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 157

la mosquée et le tombeau de Mohammed el Kebir 1. Un autre village,


celui de Kelaia, beaucoup moins considérable, « mechta » de gourbis

plutôt que village, se trouvait à 300 mètres environ des remparts de


l'Est et de la
Saint-André, sur le chemin conduisant au prin
porte

cipal cimetière musulman (Tamashouet) 2. Beaucoup plus important


était celui de Ras-el-Aïn, moins compact d'ailleurs que Karguentah,
mais qui abritait dans les meilleures constructions, le long de la

vallée, entre le Fort Saint-André et le Fort Saint-Philippe, les chefs


de la plupart des tribus de la plaine 3. Ces faubourgs, qui auraient,
selon Rozet, renfermé une population aussi nombreuse que celle

d'Oran, s'étaient vidés, celui de Ras-el-Aïn conservant cependant


quelques habitants. Des cultures, des vergers enclos de haies de
figuiers de Barbarie, les prolongeaient jusqu'à 5 kilomètres à l'Est,
pour le faubourg de Karguentah, jusqu'à 500 mètres seulement pour

celui du Sud.

L'un des premiers soins du Général Boyer, après notre occupa


tion 1831, fut de faire
en raser toutes les masures qui masquaient
les vues du côté de l'Est, entre le Château Neuf et le Fort Saint-

Philippe4. On fit de même dans la suite pour tous les gourbis qui,
du de Ras-el-Aïn, pouvaient servir d'embuscades et permettre
côté

à des assaillants de se glisser jusqu'aux remparts5. A l'abri des


blockhaus qui formaient les avancées de la défense vers la plaine6,
les quartiers de la Cavalerie, de l'Artillerie et du Train, construits

1. Voir plushaut, p. 96. Le nom de Karguentah serait une corruption de


Kheneg en Netah, étymologie sur laquelle nous ne saurions nous prononcer.

2. Derrien, o. c, p. 28. Voir le plan d'Oran en 1831 (p. 26).


3. Rozet, o. c, tome ni, p. 276 et suivantes dont la description des faubourgs
est très précise et très vivante. Il signaleque les « chefs de presque toutes les

tribus arabes de la plaine » avaient des demeures à Ras-el-Aïn où il a vu, dans


la partie Sud, «plusieurs grandes maisons mauresques bien construites et tout

à fait à l'extrémité, sur la route de Tlemcen, une petite mosquée ».

4. Derrien, o. p. 28 et Tableau de la situation, o. a, 1837, p. 161.


c,
5. Derrien, o. c, p. 33.
des d'Oran en 1840, p. 138 et d'Oran et sa
6. Idem. Voir les cartes environs

ligne de blockhaus en 1848, p. 234.


158 L'AMENAGEMENT DU SITE

dans le voisinage de la Mosquée, furent le noyau du faubourg neuf

de Karguentah, où leur présence devait fatalement attirer une popu


lation de mercantis et de débitants de boissons. En 1845, Lamori
cière, voulant débarrasser les abords de la Place des tentes et des
gourbis qui recommençaient à les envahir, et fixer cette masse flot
tante des douars Zmelas, Gharabas et Douairs,
originaire et mé

langée de nègres, créa, par une ordonnance du 20 janvier un village

indigène sur un emplacement revendiqué par le Domaine entre la


lunette Saint-André, le cimetière juif et le cimetière musulman de
Tamashouet 1. Ce fut le village des « Djalis » ou des Etrangers »,
«

que l'on appela dans la suite assez improprement le « Village Nègre ».


Il a constitué pendant longtemps le principal noyau d'agglomération
des Indigènes de la commune d'Oran. A Ras-el-Aïn d'autre part, en

1846, l'Administration fonda un petit hameau pour recevoir des ré

fugiés espagnols, entassés jusque là dans des grottes voisines de la


porte du Santon qui, jadis, avaient servi de porcheries 2.

De ces faubourgs, celui qui était appelé, de par sa situation, sa

topographie, sa population militaire, à prendre le plus grand déve


loppement, était sans conteste celui de Karguentah, que l'on dénom
mait le « quartier de la Mosquée » ; en1847, on créa pour lui dans
la Municipalité un adjoint spécial3. Un plan partiel d'alignement
avait dû être établi en 1845.

1. Derrien, o. c, p. 185-186. Cette attribution de terrains considérés comme

beylicaux suscita des actions en revendication et des procès devant le tribunal


d'Oran et la Cour d'Appel d'Alger en 1849 et en 1855 qui déboutèrent les sieurs

Benhaim. Un arrêté gubernatorial de 1870 donna définitivement à la Ville d'Oran


la propriété de toutes les rues du village nègre.

2. Idem, p. 215.
3. Idem, 221. Le de
p. « village »
Karguentah, formé par des colons libres, ne
fut remis à l'Administration civile qu'en 1844. On le traita d'abord comme un

Centre de Colonisation, on régularisa la situation des habitants déjà établis et


l'on se préoccupa du mode de concession à employer pour ceux qui demandaient
à s'y installer. Lamoricière, alors Gouverneur Général par intérim, demanda
d'urgence Bâtiments civils et aux Ponts et Chaussées de dresser un plan
aux

régulier d'alignement et de
nivellement, de prévoir les emplacements pour les
fontaines, le lavoir et pour des bâtiments publics, une église, une école, un près-
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 159

Pour établir les liaisons indispensables à notre occupation, et au

fur et à mesure que la pénétration des armées, et derrière elles de


la colonisation, ouvrait de nouveaux territoires, il avait fallu créer

tout un réseau de routes rayonnant du centre de la province. Ce


travail, poursuivi par le Génie militaire et les Ponts et Chaussées,
auxquels la main-d'œuvre d'une armée qui maniait la pioche et la
pelle aussi souvent que le fusil, apporta le concours le plus précieux,
a été, ici comme dans toute l'Algérie, une des œuvres les plus re

marquables accomplies par nous, celle qui a gravé notre empreinte

sur la carte, et pour laquelle notre soldat a été l'héritier direct et le


digne émule du légionnaire romain.

La première en date de ces routes, comme elle méritait de l'être


dans l'ordre des nécessités, fut celle qui réunit Oran à son port

Mers-el-Kebir, le seul mouillage où des navires pouvaient trouver

un abri sûr1, en attendant la construction d'un port digne de ce

nom à Oran. Il n'existait jusqu'alors qu'une seule voie de terre, un

chemin étroit et scabreux2, qui, s'élevant en pente raide, contour

nait le Fort Saint-Grégoire, « à quatre cents pieds au-dessus des


maisons d'Oran. A chaque moment, que le cheval bronchât, que la
mule butât, on courait le risque d'être précipité dans la mer 3. »

Dès 1832, le Génie entreprenait la construction d'une route en cor


niche partant de la petite anse de Lamoune, contournant la pointe

au-dessus du Fort pour gagner à flanc de montagne la rade et le

Fort de Mers-el-Kebir, soit plus de 6 kilomètres, dont 2 km. 400

bytère ; on prévoyait même une mairie. L'Ingénieur Aucour reçut mission de


tracer trois routes, qui, partant de la porte de la (porte Napoléon) se diri
ville

geraient sur Arzeu, sur Dar Beïda et sur Karguentah. On mit à la disposition
de l'Autorité civile la main-d'œuvre militaire. Ainsi naquit officiellement le
6e
village devenu bien vite faubourg. (Arch. dép. Colonisation, dossier 1 M'q.)
1. Voir plus haut, p. 22.
2. Idem, p. 19 et 75.
3. Comte de Castellane. Souvenirs de la vie militaire en Afrique, Paris, 1879,
p. 331-332. On y trouvera aussi une description d'Oran, tel qu'il apparaissait
vu de la mer, en 1846, et du Château Neuf (Bordj-el-Hameur) où résidait
Lamoricière.
160 L'AMENAGEMENT DU SITE

durent être taillés dans le roc ; il fallut même creuser un tunnel de

50 *. Le travail fut dur, les pluies déterminant à plusieurs


mètres

reprises des éboulements ; la route achevée fut remise aux Ponts


et Chaussées en 1840 2. Elle nécessita des travaux continuels d'en
tretien et de réparation : il fallait la recharger sans cesse et même

la reconstruire partiellement. On se décida, en 1850-1851, à exécuter

sur 440 mètres un mur extérieur destiné à protéger le talus dont


le pied était incessamment battu et miné par la mer 3.

Vers l'Est et le Sud, les travaux furent orientés sur les trois di
rections que la nature distinguait et que l'histoire avait consacrées
comme devant être celles des voies de communication principales,
sur Mostaganem avec une dérivation vers Arzeu, route qui devait
être dans la suite celle d'Alger, sur Mascara et sur Tlemcen. Ces
liaisons furent amorcées par l'ouverture des chemins carrossables

entre la Place, les blockhaus et les camps installés environs. aux

Ras-el-Aïn, clef des sources, où se trouvait le château d'eau d'Oran


et qui commandait par ailleurs le cheminement, le seul facile, vers

Tlemcen, entre la montagne et les fondrières de la Sebkha, fut uni


au port par une route qui permettait au charroi d'éviter la traversée

difficile et toujours encombrée de la ville 4 ; depuis la porte d'Alger


elle gagnait le ravin, sous le nom de Chemin des Carrières, en lon
geant extérieurement le Fort SainWAndré et en contournant le Fort
Saint-Philippe. De là, elle se dirigeait le camp de Misserghin,
vers

Brédéah, Aïn-Témouchent et Tlemcen. Celle de Mascara fut la


continuation de la route du Camp du Figuier, le futur centre de

1. Tableau de la situation, o. c, 1837, p. 161.


2. Idem, 1840, p. 128.

3. Idem, 1850-52, p. 395.

4. Idem, 1841, p. 119 ; 1843-44. Ouverte par le Génie en 1836 jusqu'à Brédéah,
elle avait été remise aux Ponts et Chaussées en 1840 jusqu'à Misserghin. En
1842 la main-d'œuvre militaire permettait de terminer la route de Tlemcen,
qui fut améliorée en 1843. En 1844, La Senia qui venait d'être créé était relié à
Oran et l'on commençait les travaux de la route de Mascara.
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dwe' 4».«

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Vue générale d'Oran en 1850, prise des pentes du fort Saint Grégoire.

Au premier plan, de G. à D., le môle du Centre en construction, le quai


Sainte Marie, la Manutention, la Douane et la rue d'Orléans, l'Arsenal. A
l'arrière-plan, les falaises du Ravin Blanc, la baie et le fort de Sainte
Thérèse, les Casernes, le Château Neuf et, au pied, l'Abattoir, la Grande
Mosquée, l'Hôpital militaire, l'Eglise Saint-Louis, les murs Sud de l'enceinte
et le quartier israélite, la Casbah. Entre les deux, les quartiers de la Marine
et de la Blanca.

Oran vers la même époque, vue prise du fort Sainte Thérèse. Photo Lûck.

Au premier plan, la batterie ; au second, les tours du Château Neuf, la


promenade de Létang, l'Eglise Saint-Louis et l'Hôpital militaire, la Vieille
ville, les jardins Welsford et la Calère ; au pied, la Marine, la Manutention
et les quais.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 161

Valmy, par le blockhaus de Sidi Chaban et le village de la Sénia.


Celle de Mostaganem prolongea la piste transformée du blockhaus
d'Orléans et de Dar Beida. On étudia, enfin, dès 1844, le tracé de
la route qui devait ouvrir à la colonisation la plaine des Andalouses,
à l'issue de laquelle était créé en 1850 le centre de Aïn-el-Turk 1.

1. Idem, 1845-47-48-49 (publié en 1851) (Colonisation) et 1843-44.


II

DE 1848 A 1880

L'ordonnance royale du 31 janvier 1848 \ qui érigeait Oran en

commune dotée d'une véritable organisation municipale, ouvrait une

ère nouvelle. Si l'Administration de la ville, comme celle du dépar


tement qui allait succéder à l'ancienne province2, restait soumise à
la haute tutelle du Ministère de la Guerre, du moins, son Conseil,
désormais maître d'un budget autonome, dont il votait les recettes
et les dépenses, pouvait prendre des initiatives et présider à l'exé

cution de travaux d'édilité de plus grande envergure.

Et, de fait, son activité, bien que restreinte par les ressources

financières dont il disposait 3, fut loin d'être stérile : c'est, en effet,


dans la période de 1848 à 1871 qu'a été achevé, du moins com
sinon

plètement dessiné, ce qu'on appelle aujourd'hui le « Vieil Oran »,

compris dans les limites de l'ancienne enceinte, et c'est alors qu'il a


pris cette physionomie de petite» ville de province méridionale,
conservée jusqu'à nos jours. Par aineurs, le problème de l'extension

de la ville, dont la population ne cessait d'augmenter, a reçu dans


le même temps un commencement de solution : d'abord par les tra-

1. A partir de 1848, la source principale pour l'histoire de l'urbanisme d'Oran


est le recueil des procès-verbaux des séances du Conseil Municipal. Ils sont
transcrits sur des registres conservés aux Archives municipales de la ville. Les
références qui y renvoient ont été données ici sous le signe abréviatif de A. M. S.
du (Archives municipales. Séance du Conseil du ) .

2. En vertu de l'art. 109 de la Constitution de 1848.


3. Le budget voté le 15 décembre 1850 était équilibré à 435.720 francs ; celui

de 1864, à 512.272 francs ; en 1867 il montait à 530.230 francs plus le budget sup
plémentaire, de 137.836 francs ; en 1870, à 624.217 francs ; en 1871, à 714.795 francs.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 163

vaux militaires, qui lui ont donné du côté du Sud-Est et de l'Est


une nouvelle développement sur le pla
enceinte et ont permis son

teau de Karguentah, ensuite par l'établissement des plans d'ali

gnement, qui ont réglé l'aménagement sur les terrains du domaine


civil des quartiers limitrophes des anciens murs.
Enfin, on ne doit
pas oublier les
conséquences qu'ont eues deux faits de première im

portance :d'une part, la construction, au pied de la ville, du port et


des quais destinés à remplacer le mouillage et le débarcadère de
Mers-el-Kebir 1, et de l'autre l'achèvement du chemin de fer d'Alger
à Oran et l'installation de la gare-terminus 2. L'attraction exercée par

ces deux organes essentiels de la vie économique d'Oran a déter


miné la naissance de quartiers nouveaux et l'aménagement des liai
sons devenues indispensables entre le port, le chemin de fer et la
ville nouvelle du plateau.

Jusqu'aux environs de 1860, c'est à l'intérieur des murs que l'on


travaille presque exclusivement. En 1848, il restait encore beaucoup
à faire pour la mise en état de la vieille cité des Espagnols, la Blanca
et des quartiers qui avaient peu à peu couvert, entre le boulevard
Oudinot, limite orientale, et d'autre part les murs reliant le Châ
sa

teau Neuf, le fort Saint-André et le fort Saint-Philippe, les espaces


occupés jadis par le ravin et les jardins riverains ; quartier de la rue

Philippe et des jardins Bastrana, quartier de la rue des Jardins,


quartier de la rue Napoléon. Tous réclamaient des travaux de voi

rie, d'éclairage, d'adduction d'eau, de construction


et de distribution
d'égouts. Des nivellements, des redressements, des percements étaient
nécessaires pour régulariser le tracé des voies et faire disparaître

les impasses trop nombreuses 3. Le quartier de la Marine, agrandi


des terrains conquis sur la mer pour la création d'un « bassin de

1. Voir plus loin, p. 329.


1"
2. La ligne fut ouverte de bout en bout le mai 1371.

3. A.M.S. du 11 septembre et du 31 octobre 1851, du 28 décembre 1858. Dans


les premières séances, le Préfet installant la Municipalité rappelait les trois
années « désastreuses » qui venaient de s'écouler et signalait les besoins multi

hardi-
ples de la ville « trop étroite pour sa population croissante... chevauchant
164 L'AMENAGEMENT DU SITE

refuge » de 5 hectares \ avait besoin de nouveaux aménagements.

Enfin, la question des réserves à établir et des constructions à faire


pour les Services publics était loin d'être réglée.

C'est à ces derniers objets que se rapportent les plans d'ali


gnement qui se succèdent de 1848 à 1860 2. En fait de créations, les
plus importantes concernent la Marine. Un projet présenté par le
Service des Bâtiments civils fut adopté en principe par le Conseil
Municipal, le 3 septembre 1849 3. La rue Charles-Quint en était l'ar
tère principale ; ouverte dès 1852 4, elle nécessita encore dans la
suite de nombreux et longs travaux qui duraient encore en 1859 5.
En 1854, on dénomma la place et la Saint-Augustin,
rampe la rue

du Quai Charlemagne, la rue Ximenès, la rue des Moulins, la rue

de la Promenade6. Des rues privées avaient été d'autre part ou

vertes par des propriétaires qui en demandaient la cession à la Ville


et le classement ; il en fut ainsi pour les voies créées sur l'empla
cement des Jardins Welsford 7. Il devait en être de même de la
plupart de celles de la Calère, un nouveau quartier, étage entre ces

derniers et la rue de l'Arsenal, que l'afflux des immigrants espagnols

avait fait sortir de terre8.


Malheureusement, faute de crédits suffisants, bien des travaux
traînaient en longueur. Si la rue des Jardins avait pu être termi-

ment de mamelon en mamelon jusque jadis désert de Karguen


sur
^ plateau

tah ». En 1858, le Maire la décrivait comme^« irrégulière, accidentée, barroque,


présentant plus que çà et là des impasses, des rues non achevées, des terrains
vagues et ravinés, des maisons en ruine ou en reconstruction. »

1. Voir plus loin, p. 328.


2. Il y eut de nombreux plans partiels. Les deux plans les plus importants
furent celui de 1854 pour le faubourg de Karguentah et celui de 1857.
3. A. M. S. du 22 août, du 1er et du 3 septembre 1849.
4. Idem S. du 2 mars 1849, du 16 mai 1852.
5. Tableau de la situation, o.c,
1859-61, p. 192, 196-197, 200-201.
6. A.M.S. du 25 février 1854.
7. Idem S. du 29 mai 1850. Le propriétaire, M. Welsford, ancien consul d'An
gleterre, déjà établi à Oran avant notre arrivée, demanda à céder à la Ville les

rues créées par lui à travers sa propriété.

8. Idem S. du 11 novembre 1872.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 165

née en 1851 1, le boulevard de Ras-el-Aïn ne fut achevé qu'en 1859 2.


Le tunnel qui devait faire communiquer la rue de l'Arsenal et la
Marine avec la place et le quartier de l'Hôpital ne fut complètement

percé qu'en 1862 3. De petites rues, comme celle de Miliana 4, n'étaient

pas encore ouvertes après quatre années de projets, de démolitions


et de nivellements. Bien que dès 1851 5 on déclarât officiellement que
toutes les rues étaient « empierrées et en bon état d'entretien », on

était moins optimiste au Conseil Municipal d'Oran.


Les constructions militaires avaient été certainement poussées

plus activement. En 1854 6, on constatait que le nouvel et vaste Hôpi


tal militaire, dit « du Cotisée », était entièrement terminé, que celui

« de la Mosquée » avait été aménagé pour le Service du Campement,


que la Manutention et les Subsistances étaient bien installées sur le
Quai Sainte-Marie, comme aussi le magasin d'orge de San Benito,
qu'un parc à fourrages avait été établi à Karguentah, à côté du quar

tier de Cavalerie.
A l'exception de la Préfecture, achevée en 1852 7, les Services
civils restaient bien médiocrement dotés. La pauvre Mairie avait

émigré rue de Bassano, le Trésor et les Postes rue de Montebello,


le Tribunal civil était logé rue de la Moskowa 8. Le seul monument

1. Tableau de la situation, o. c, 1850-52, p. 416.


2. A. M. S. du 23 juin 1859.
3. Les travaux de ce tunnel, dit tunnel « de l'Eglise » (Saint-Louis) avaient ,

été commencés en 1845 (voir plus haut, 150, note 1 ; mais interrompu, faute
p.

d'argent, on les reprit en 1861 (Tab. de la sit., 1859-61, p. 201) pour les terminer
en 1862 (Tab. de la sit., 1862, p. 275).
4. A. M. S. du 15 février 1853 et du 13 décembre 1858.
o. c, 1850-52, p. 416.
5. Tableau de la situation,

Idem, 1854-55, p. 40. On avait utilisé les voûtes de Sainte-Marie, au nom


6.
bre de 6, taillées dans le roc par les Espagnols qui y entreposaient les liquides.
7. Idem, 1852-54, p. 597. Nous parlons de la première installation ; car les
bâtiments actuels de l'Hôtel même datent de 1890, les bureaux de 1915 et leur
surélévation de 1932 et 1933.
8. Victor Bérard. Indicateur général de l'Algérie, 1861, p. 498 (Plan d'Oran).
La mairie avait un moment occupé un bâtiment de la place Kléber échangé en

1857 avec la Préfecture contre deux maisons domaniales de la rue Bassano et

de la rue Montebello. (Arch. dép., série B1).


166 L'AMENAGEMENT DU SITE

public présentable était la Préfecture. Oran ne comptait que deux

églises, Saint-André et Saint-Louis, celle-ci, la plus grande, construite

pour 1.200 fidèles 1 à côté de l'Hôpital militaire et sur l'emplacement


d'une des plus vieilles chapelles espagnoles : aucune des deux ne

méritait pour son architecture la moindre attention. Les projets à


l'ordre du jour du Conseil Municipal, aux environs de 1860, étaient
ceux d'un Hôtel de Ville, d'un Théâtre, d'un Collège communal et

d'une Cathédrale. On ne parlait pas encore d'un Palais de justice,


ni d'un nouvel hôpital civil pour remplacer le pauvre bâtiment situé
hors les murs, qui avait été primitivement destiné à faire un cara

vansérail 2.

Du moins, fidèle à une tradition heureuse qu'il paraissait vouloir


établir en Algérie, le Génie avait collaboré avec les Services civils

pour l'aménagement de promenades ombragées : celle de Létang,


dont la partie dominant la rue de Turin fut achevée en 1854 3, et

surtout celle des « Planteurs militaires », commencée en 1853 sur

les flancs de la montagne de Santa-Cruz, sous la direction des Ser


vices forestiers y firent des
qui semis de pins d'Alep, de chênes

« bellout », de chênes verts et de caroubier. Le travail était effectué

déjà sur 70 hectares en 1858 4.

Cependant l'attention était de plus en plus attirée au-delà des


murs et du côté du plateau de KaKuentah, qui apparaissait déjà
comme le champ naturel ouvert à la construction d'une ville nou

velle. Dans l'enceinte, telle qu'elle existait en 1860, il ne restait plus

de place pour créer un seul quartier. La population augmentait, en

dépit des crises et des calamités publiques, telles que le choléra de

1. Tableau de la situation, o.c, 1843-44 et 1846-49.


2. Victor Bérard, o.c, p. 509-510.
Z. A. M. S. du 22 juillet 1854.

4. Tableau de la situation, o.c, 633. On de très


1856-58, p. en attendait «

salutaires effets pour l'assainissement de la ville d'Oran, que les massifs, dit la
notice, protégeront contre l'envahissement des brouillards amenés par les vents

d'Ouest ».
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 167

1849 1. De 1847 à 1861, la progression fut de plus de 4.000 2


habitants,
dont la moitié au moins était composée d'Espagnols qui peuplèrent

la Marine la Calère. Or, dès 1851, le Préfet, installant la Muni


et

cipalité, déclarait dans son discours que la ville était trop étroite
pour sa population toujours croissante. « Aussi, ajoutait-il, elle che
vauche hardiment de mamelon en mamelon jusque sur le plateau
jadis désert de Karguentah 3. » Un plan de 1856 nous montre qu'une

agglomération, encore séparée de la porte Napoléon par un large


espace vide de terrains militaires, était déjà constituée par deux
quartiers nettement dessinés, celui dont la rue de la Vieille Mosquée
était la rue centrale, et un autre, à cheval sur la route d'Arzeu, la
future rue du même nom. Quelques constructions commençaient à
esquisser le faubourg Saint-Michel et à préparer la liaison du quar

tier Napoléon avec le Village Nègre4. En 1854 on comptait plus de


4.000 habitants à Karguentah 5. Il avait fallu y construire une église,
celle du Saint-Esprit, pourvoir à l'alimentation en eau, et donner
des alignements aux propriétaires qui en réclamaient sans cesse ;
beaucoup de rues n'étaient pas encore dénommées en 1858 6. Le
faubourg réclamait la création d'un marché quotidien ; on décida
de l'installer en face de l'église, « conformément au plan de la
Ville 1 ».

1. Idem, 1846-49. On y parle aussi de la crise de 1848 et de l'exode qui a

détourné l'émigration européenne vers la Californie ; mais on note l'afflux des


Espagnols.
2. En 1847, on recensait 22.458 habitants; en 1861, 26.494, soit un gain de
4.036 unités.

3. A. M. S. du 31 octobre 1851.
4. Idem.
5. Idem S. du 24 juillet 1854.
6. Idem S. du 27 mars 1858.
7. Idem S. du 4 décembre 1858. Mais la question traîna en longueur quand il

fallut le transformer en marché couvert, suivant une décision du 21 novembre

1861. L'enquête de commodo suscita des oppositions sur l'emplacement que cer

tains désiraient transporter entre la rue d'Arzeu et de Mostaganem, et sur


celle

le trouble que sa présence pourrait apporter à l'exercice du culte. A cette der


nière objection on répondait par l'exemple de grandes villes de France et

d'Espagne.
168 L'AMENAGEMENT DU SITE

Le Génie avait été invité par le Ministère de la Guerre à pré

parer un projet d'extension de l'enceinte et des modifications im


portantes à la fortification d'Oran et de Mers-el-Kebir, pour lesquelles
il prévoyait en 1855 un crédit de 10 millions1. Les nouveaux murs,
partant du fort Saint-André, passeraient sur le plateau « des Mou-

fins », à son extrémité Ouest, et de là s'étendraient vers l'Est pour

venir embrasser les quartiers militaires de Karguentah. On donne


rait ainsi à la ville « une extension dont elle ne peut plus se passer,
déclarait la notice du Tableau de la situation, et dont le besoin est

constaté par l'élévation toujours croissante et devenue exorbitante

aujourd'hui du prix des loyers. » On permettrait aussi la construc

tion d'établissements publics définitifs, « à la place du provisoire

qui existe encore sur tant de points ». On d'ailleurs aussi,


songeait

contrairement au parti adopté jadis par les Espagnols pour la Blanca,


à englober dans l'enceinte de la ville le quartier de la Marine et

ses nouvelles annexes, Welsford et Calère, en reliant à cet effet le


du Santon fort de Lamoune 2
plateau au ; les vieux murs du front
Nord de la Blanca, le long de la rue de Berlin étaient appelés à dis
paraître, tandis que celui du Château Neuf et de Sainte-Thérèse
devait être renforcé.

Rien n'était encore décidé en 1860 quant au tracé de la nouvelle

enceinte ; on ne pouvait donc arrêter un plan définitif d'alignement


des quartiers à aménager ou à cr&r, d'autant plus que le Ministre
de l'Algérie avait fait reprendre le projet du Génie « sur des bases
mieux en rapport avec l'importance d'Oran 3 ». Ce dernier détail est

un témoignage intéressant qui prouve que l'on ne doutait pas en

haut lieu de l'avenir de la ville. Le 28 juillet 1860 4, un décret sanc

tionnait le projet définitif d'un bassin de 27 hectares, qui consti-

1. Tableau de la situation, o. c, 1854-55, p. 28.


2. Tableau de la situation, o. c, 1854-55, p. 40.
3. A. M. S. du 25 juillet 1860, où le Maire communique au Conseil une dépê
che du Ministre de l'Algérie et des Colonies date du 20 juin.
au Préfet, en

4. M. Meunier. Notice sur le port d'Oran, o. et Tableau de la situation,


c,
o. c, 1865-66, p. 241.
PLANCHE VU

*j£t£Ë&mÊ

Oran vers 1875 ; vue prise des pentes de Santa Cruz. Photo Lûck.

Le bassin Aucour n'est pas encore terminé. Dans la ville basse on remar
que l'emplacement et les premières plantations de la place de la République ;
au milieu de la photographie, le Parc à fourrages et le quartier des Chasseurs ;

à D., les faubourgs de Saint-Michel et de Saint-Antoine. Aux derniers


plans, le Petit Lac et la Sebkha.

Oran contemporain ; vue prise du fort de Santa Cruz. Photo Moreau.

La Vieille Ville, la Ville nouvelle, les faubourgs, la Sebkha.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 169

tuerait non plus seulement un refuge, mais un port véritable. En


1856, alors que les travaux du petit bassin de débarquement n'étaient

même pas terminés, il était entré 937 navires, soit un tonnage de


36.000 tonneaux1. En 1857, l'entrepôt réel établi à Mers-el-Kebir,
qui s'alimentait presque exclusivement par les tissus étrangers des
tinés à la réexportation, avait été transféré à Oran 2, et depuis cette

date, le trafic maritime ne cessait d'augmenter, de telle manière que

les rôles tendaient rapidement à être intervertis entre le port prin

cipal du début et son annexe.

En attendant l'achèvement des études et la décision définitive


concernant le tracé de la nouvelle enceinte, le Ministre de la Guerre
faisait établir un plan d'ensemble restreignant les zones de servi

tudes sur les terrains situés de l'enceinte existante, entre


en avant

le Château Neuf et le fort Saint-André, et autour du fort Saint-


Philippe 3 un « polygone exceptionnel » était ainsi créé (9 juillet
;
1861), et cette exonération allait rendre possible la liaison de l'agglo
mération oranaise à Karguentah et au Village Nègre4. Ainsi put

être arrêté le plan général d'alignement de la ville et des faubourgs


d'Oran exécuté en vertu des prescriptions du Gouverneur Général,
en date du 26 août 1862 5, et approuvé en 1865 6. Mais ce n'est

qu'en 1866, par une décision ministérielle du 4 mai, que fut ordon

née la construction de la nouvelle enceinte « sur le territoire de


Karguentah » 7. Elle s'étendait vers l'Est sensiblement plus loin
qu'on ne l'avait établie dans les premiers projets ; car elle attei-

1. Idem, p. 315. Dès 1855 les navires à vapeur de la Cie Touache y venaient

régulièrement.

2. Tableau de la situation, o. c, 1856-58, p. 985.


3. A. M. S. du 8 juin 1861. La dépêche du Gouverneur Général Pélissier au

Préfet, en date du 11 mai 1861 mentionnait que le Ministre de la Guerre avait

prescrit de fixer les limites des zones de servitude « aussi réduites que pos

sible ».

4. Idem S. du 18 septembre 1861.


5. Idem S. du 27 avril 1864.
6. Idem S. du 28 mai 1865.
7. Idem S. du 8 août 1866.
6*
170 L'AMENAGEMENT DU SITE

gnait le chemin d'Arcole et la rive Ouest du Ravin Blanc, se déve


loppant depuis le camp Saint-Philippe sur 3.750 m. Il était dès à
présent certain que l'on n'avait pas vu trop grand : au recensement

de 1866 1, on comptait plus de 11.000 habitants dans les faubourgs


Est d'Oran, contre 22.700 environ intra muros ; déjà figurait la
mention des quartiers Saint-Antoine et Saint-Michel.

C'est alors seulement que le Conseil Municipal adopta les pro

positions définitives de la Commission des alignements siégeant à


la Préfecture (28 septembre 1867) 2. Les plans d'alignement élaborés
jusqu'alors n'avaient pu être que provisoires en raison de l'incer
titude qui régnait sur les décisions de l'Autorité militaire au sujet

du tracé de l'enceinte, de la démolition des vieux murs et des


servitudes. Seules les routes qui, partant de la place et de la porte

Napoléon, divergeaient vers Arzeu, Mostaganem, Sidi-Chami, Mas


cara et Tlemcen, pouvaient servir de bases fixes à la voirie des

nouveaux faubourgs à aménager ou à créer, comme elles avaient


naturellement attiré les acquéreurs de terrains et les construc
teurs ; et il en fut ainsi dans la réalité. Le plan dressé en 1857 par

le Service des Bâtiments Civils du Département prévoyait par

exemple une artère centrale, dont le tracé concordait sensiblement

avec celui du futur boulevard Seguin, dans la partie comprise


entre le boulevard Galheni actuel et la rue de Mostaganem. Mais

deux questions restaient alors pendantls : celle du raccord de cette

voie avec la place Napoléon à travers l'obstacle du ravin d'Aïn-

Rouina et des fossés de la fortification, et en second lieu celle

de l'emplacement de la gare du chemin de fer d'Alger, dont la


construction avait été décidée par décret impérial du 8 avril 1857.
Dans la penséede l'auteur du plan, le boulevard devait en être
la voie d'accès directe ; or, en 1859, il parut établi que le terminus

1. Tableau de la situation, o. c, 1865-66, p. 21. Voici le détail : Karguentah,

Saint-
6.035 habitants; Antoine, 630; Saint-Michel, 1.303; Village Nègre, 3.077.
Total: 11.045, contre 22.689 intra muros.

2. A. M. S. du 28 septembre 1867.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 171

de la voie ferrée ne serait pas à Karguentah, mais bien sur les


quais du nouveau bassin1.

En 1860, le Conseil Général adoptait le classement dans la


grande voirie 2, comme étant les « traverses de routes provinciales

dans l'intérieur d'Oran », des voies suivantes : boulevard Charle


magne, de la porte Napoléon au boulevard Seguin —
le nom en

était déjà arrêté —


voie courbe de 419 m. contournant le ravin

d'Aïn-Rouina le Sud ; boulevard Seguin (315 m.) , rue de


vers

Mostaganem jusqu'à la porte de la nouvelle enceinte (510 m.), ces


trois voies étant considérées comme des sections de la « route
provinciale » d'Oran à Mostaganem. C'est le plan de 1863 3, approuvé

seulement en août 1865, et remanié en 1867, qui a fixé définitivement


le dessin de la voirie de Karguentah dans ses lignes essentielles4.

La place Napoléon, dont l'extension était projetée depuis 1854,


serait agrandie vers l'Est, et prendrait ainsi à peu prèsla forme
d'un carré de 115 m. de côté. Un « boulevard de l'Empereur »,
partant des fossés Sud du Château Neuf, la traverserait à l'Ouest,
absorberait la rue du Rempart et une partie de celle de Vienne

pour se continuer jusqu'à la bifurcation des routes de Tlemcen et

de Mascara : ce fut l'origine du boulevard National. Le Conseil


Municipal demandait que sa largeur fût portée à 30 m. et qu'on

y imposât des arcades. La rue d'Arzeu serait prolongée, avec une

ouverture de 15 m., du boulevard Seguin au boulevard de l'Empe


reur : ce devait être le tracé du boulevard du 2e Zouaves. Le plan
prévoyait en outre un « boulevard Sébastopol », large de 20 m.,
parallèle boulevard Seguin, du boulevard de l'Empereur jus
au

qu'au delà des bâtiments projetés pour une Gendarmerie, et un

« boulevard Magenta », de même ouverture, de la rue d'Arzeu

prolongée à la jonction des routes de Mostaganem et de Sidi-Chami.


Notons en passant, et à titre d'éloge, que toutes ces voies étaient

1. Voir plus loin, p. 222.


2. A. M. S. du 4 avril 1860.
3. Idem S. du 27 avril 1864.
4. Idem S. du 28 septembre 1867.
172 L'AMENAGEMENT DU SITE

bien percées, dans des proportions auxquelles on n'était guère

habitué à cette époque. Il est vrai que l'espace ne manquait pas

et qu'il n'y avait pas de constructions massives pour gêner l'ou


verture de ces boulevards.

La question des « réserves civiles » était également réglée par

le plan de 1867, mais d'une manière partielle et insuffisante, par

peur de provoquer les récriminations de la Ville Basse, si l'on


déplaçait les administrations et les services. Du on -moins en pré

voyait : pour un Collège Communal, le long de la rue de la Paix


et de la rue de la Vieille Mosquée, pour un Temple et une Ecole

protestante, pour Synagogue, une Ecole de garçons, une Ecole


une

de filles et une Salle d'asile israélites, à l'angle du boulevard Sé

bastopol et de la rue d'Arzeu prolongée, une Ecole des Frères, une


Ecole des Sœurs et une Salle d'asile chrétienne, et enfin pour

l'Hôtel de Ville, la place Napoléon à l'angle du boulevard de l'Em


pereur.

La question de l'emplacement où serait construite une nouvelle

Maison Commune avait été discutée depuis des années ; on en

trouve trace dès le 13 mars 1856 1. La Ville et le Conseil Général


s'étaient mis d'accord en 1857 pour l'installer au lieu et place du
mur et du fossé de l'ancienne enceinte, entre la porte Napoléon
et l'entrée de la rue de Vienne. Mais, devant l'opposition du Génie,
auquel on prêtait l'intention de conserver et de restaurer les
vieux murs, on avait songé au boulevard Ras-el-Aïn, puis à la
place Bastrana, où s'élevait déjà le Théâtre. Il fut aussi question
des terrains nouvellement conquis sur le ravin entre les murs de
l'Hôpital et la rue neuve Charles-Quint. On s'était arrêté en 1861
à l'avant-dernière solution 2 ; mais elle fut repoussée par le Service

1. A. M. S. du 13 mars 1856.
2. Idem S. du 20 novembre 1861 où fut présenté un historique de la ques
tion. On y apprend que le terrain malgré les difficultés d'établir des fonda
tions solides, coûtait à Bastrana 80 francs le et 45 à Ras-el-
mètre, seulement
Aïn. Le Génie faisait d'ailleurs de l'opposition à la construction de l'Hôtel de
Ville sur la place Napoléon, domaine militaire.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 173

départemental des Bâtiments Civils et l'on revint ainsi au choix

de la place Napoléon1.

Les discussions qui surgirent le 2 octobre 1867 au sein du


Conseil Municipal2 éclairent
nous suffisamment sur les raisons

profondes qui inspiraient l'opposition. « La translation de la Mairie


dans ce quartier, pour lequel on va déjà tant faire —
il s'agissait

de Karguentah —

affectera gravement les intérêts de l'ancienne


ville qui paraît destinée à rester le centre des affaires ». C'était
donc un exemple de cette résistance classique à toute solution

d'urbanisme qui aurait pour effet de déplacer le centre d'une


vieille ville. Le Maire préconisait le maintien de la Mairie « à peu

près dans sa situation actuelle » 3. Malgré son avis et celui d'une


minorité, le Conseil adopta l'emplacement proposé par la Commis
sion des alignements. Deux après, le 4 octobre 1867, les
jours
vaincus prirent une revanche, d'ailleurs platonique, en faisant voter

un vœu relatif à l'extension de l'enceinte d'Oran du côté du Sud-


Ouest et du Nord-Ouest. Un seul membre s'y opposa, avec un

argument non moins classique. Selon lui, la ville était beaucoup


trop agrandie ; il en résulterait une dépréciation des terrains et un

grand dommage pour les propriétaires. A quoi le Maire répondit

spirituellement que «les enceintes sont faites pour défendre la


population contre l'ennemi, et non les propriétaires contre les loca
taires ». Tout en reconnaissant que l'extension de l'enceinte, telle
qu'elle s'effectuait, était pour la ville « un véritable bienfait », il
était à désirer, selon lui, qu'elle ne se fît pas dans une seule
direction, mais que « l'attraction de la population se portât là où

elle devait et que la construction en acquît plus de vitalité et moins

d'artifice ». Or, en maintenant l'enceinte à la porte du ravin de


Ras-el-Aïn et à la porte Saint-Louis, on ferait, disait-il, du « quar-

1. Idem S. du 28 septembre 1867.


2. Idem S. du 2 octobre et du 4 octobre 1867.
3. Idem S. du 2 octobre. Il proposait ou d'acheter l'immeuble loué par la
Commune, ou de construire une nouvelle Mairie sur les terrains demandés au

Domaine en concession, le long du mur de l'Hôpital militaire.


174 L'AMENAGEMENT DU SITE

tier où convergent les affaires et les administrations » un quartier

excentrique. En la reculant, « on préparerait la transformation en

un quartier nouveau des terrains nus et arides qui servent aujour

d'hui de dépôts d'immondices ou de repaires à la population vaga

bonde ». Il demandait donc que, du côté de la porte du Santon,


l'enceinte fût portée en au moins jusqu'à la lunette Saint-
avant,
Louis, que, du côté de Ras-el-Aïn, elle reçut aussi toute l'extension
possible ou que les servitudes militaires fussent considérablement

amoindries. Cette argumentation allait malheureusement à l'en-

contre des faits les plus patents, et les plus naturels, dans le sens

géographique et topographique du mot. Si la ville devait inélucta


blement se développer dans la direction de l'Est, ce n'était pas

uniquement par l'effet d'un recul de la fortification, mais parce que

là seulement le terrain se prêtait facilement à l'établissement d*une


bonne voirie et à la construction. Pouvait-on croire qu'un ravin

ou un flanc de montagne pourraient exercer une attraction com

parable à celle d'un magnifique plateau à peine ondulé, et qu'a

bordaient déjà les constructeurs, la population de la ville basse et


les immigrants espagnols ? C'est là que se faisait la distribution
rayonnante des routes de l'intérieur ; dans l'autre secteur, rien de
Fait significatif, vérifiable dans le discours même du Maire,
pareil.

le nom de « porte du Ravin » était désormais substitué à l'ancien


nom de « porte de Tlemcen ». En
outre, il apparaissait de plus en
plus inévitable que le centre des arïaires et des administrations

suivît le déplacement vers l'Est du centre de gravité de la ville.

Mais l'Oran de la première époque —


de 1831 à 1867 —
résis

tait, cherchait à se défendre par tous les moyens. C'est ainsi qu'en

1854 i on avait pu entendre dans le Conseil Municipal une voix

s'élever contre un projet de route carrossable qui unirait directe


ment les quais à la place Napoléon en contournant par le Nord
le Château Neuf, route reconnue désormais indispensable pour faci
liter le trafic du nouveau port avec l'intérieur. Ce détournement

1. A. M. S. du 25 février 1854.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 175

porterait, disait-on, « un préjudice sensible à la ville ». Ces con

tresens et ces aberrations véritables étaient d'ailleurs moins sur

prenantes que cette déclaration d'un Préfet devant la Commission


des alignements appelée à se prononcer sur les modifications ap
portées au projet voté le 28 septembre et le 2 octobre 1867 i.
Trouvant que le plan comportait trop de rues à ouvrir à travers
des propriétés privées et sous la menace d'expropriations coûteuses,
il lui semblait préférable « de laisser toute liberté aux particuliers

pour ouvrir des rues au fur et à mesure de leurs besoins, de telle


sorte que la Ville n'aurait aucune indemnité à leur payer ». Cette
politique à courte vue, par laquelle la paresse s'abritait en réalité

derrière l'esprit d'économie, ne pouvait même pas conduire au but


avoué ; car c'est elle qui a toujours engendré, dans l'aménagement
des villes, le désordre, la malfaçon, l'insalubrité, et préparé pour

l'avenir, avec les pires déconvenues, les dépenses les plus lourdes,
le jour où il devenait inévitable de réparer des méfaits d'urbanisme
presque irréparables.

Le plan de 1863, tel qu'il avait été approuvé en 1865, réglait

d'une manière à peu près définitive l'aménagement de la voirie

dans la ville intra muros : alignements, redressements, élargisse


ments, percements. Si les voies nouvelles ouvertes par nous, telles
que le boulevardOudinot, le boulevard de Ras-el-Aïn, devenu en
1861 boulevard Malakoff, la rue des Jardins, les rues de l'Arsenal,
d'Orléans, Charles-Quint, n'avaient pas besoin d'être régularisées,
celles, plus vieilles, de la Blanca, de la Marine et surtout du quar
tier israélite (quartier Napoléon), avaient conservé des traces
nombreuses du caprice des constructeurs. A la fin de 1858, on en

faisait au Conseil Municipal, à propos de la police, une description


peu flatteuse : « Ville irrégulière, accidentée, pittoresque, dit-on,
mais pourrait-on dire aussi, barroque et de difficile surveillance,

1. A. M. S. du 4 février 1869. Il suivait d'ailleurs une proposition de la Com


missiondépartementale des alignements, dans sa séance du 16 octobre 1867.
Le 22 juillet 1869, le Conseil Municipal s'éleva contre cette déplorable pra
tique.
176 L'AMENAGEMENT DU SITE

présentant plus que ça et là des impasses, des rues non achevées,


des terrains vagues et ravinés, des maisons en ruine ou en recons

truction » !. Le plan de 1863 en témoigne clairement 2. Il restait encore

pas mal de terrains privés non bâtis en bordure du boulevard Ma


lakoff, de la rue des Jardins, de celle de l'Aqueduc, de la rue Char
les-Quint et de la rue de l'Arsenal même, à la Calère, à Welsford.

Aucune inquiétude possible pour leur sort, ni pour les alignements

à imposer aux constructeurs. Mais, dans tous les quartiers, sans


exception, il y avait des places et des rues à régulariser, ou même
à percer complètement pour supprimer les culs-de-sac, cause d'in
salubrité.

Dans la Blanca, le plan prévoyait l'agrandissement de la place de


l'Hôpital (côté Nord), le percement complet, ou l'alignement, ou
l'élargissement des rues Sédiman, de Rivoli, de Dresde, de Médine,
de Moscou, de Honscoot, d'Alkmaer, qui avaient, malgré les recons
tructions, conservé sinon l'aspect, du moins les défectuosités des
ruelles espagnoles ou turques. Dans la Marine, la place d'Orléans

serait agrandie, la rue de Médéah complètement ouverte, quelques

rues tortueuses redressées. La place Kléber recevrait également


des proportions plus amples et nécessaires du côté du Nord ; sa

situation en faisait vraiment le point de contact de tous les quar

tiers, le carrefour principal des communications à l'intérieur des


murs, le centre même de la ville. La voirie de la Calère et de
Welsford était également tracée. Un ael emplacement, de 5.000 m2

environ, était réservé pour une place, sensiblement plus vaste que

les autres, entre la rue d'Orléans et la rue Charles-Quint qu'elle

dominerait. Fermée du côté du Nord par une balustrade, elle offri

rait un véritable balcon et une vue des plus attrayantes sur la mer,
les quais, le port. Le cadre de cette place, qui a porté successivement
les noms de place Impériale3 et de place de la République, est un

1. Idem S. du 28 décembre 1858.


2. A. M.
3. C'est sur cette place que s'installa la
Mairie, au centre des constructions
de la face Sud, en attendant son ultime transfert sur son emplacement actuel
(Louis Piesse, Itinéraire de l'Algérie, Paris, 1879, p. 182).
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 177

des plus pittoresques du site d'Oran, et l'on peut affirmer, sans

crainte d'être démenti, que cette création fut assurément la plus

heureuse de toutes.

Le quartier Napoléon, plus régulièrement percé que les autres

dès son origine —


du moins pour l'époque et comparativement aux
autres 1 —
était loin cependant de donner satisfaction à ses habi
tants. Ils se plaignaient 2 et le représentaient comme « déshérité »,
n'ayant « que des rues étroites », et composé « d'un grand nombre

de petites maisons mauresques, mal bâties, sans air, ni jour », où

vivait « une population nombreuse et pauvre », dans « une insalu


brité manifeste » 3. Autrefois, disaient-ils, c'était le plus sain des

quartiers ; mais, depuis que l'air avait été bouché par les cons

tructions de la rue de l'Aqueduc et de la rue des Jardins, les con


ditions avaient été complètement changées. C'est là que l'on comp
tait le plus grand nombre de rues inachevées, finissant en impasses.
Parmi les plus longues, il n'y en avait qu'une qui fût percée de
bout en bout, la rue Napoléon.

Le plan prévoyait : le prolongement de la rue d'Austerlitz au

Nord, jusqu'à une « rue de Bautzen » à ouvrir, celui de la rue de


Wagram jusqu'à la rue de l'Aqueduc, à son débouché dans la rue
des Jardins, l'ouverture complète de la rue de Lùtzen, dont il n'exis
tait qu'une petite portion en cul-de-sac, l'élargissement et la régu

larisation des rues d'Ulm, de Milan, de Ratisbonne, le percement


complet des rues de la Piave et de Zurich, l'agrandissement de la

place Blanche et sa liaison directe avec la rue Napoléon par une

1. Voir plus haut, p. 92.


2. A. M. S. du 19 février 1870. Le Conseil eut à examiner une pétition de
144 habitants notables du quartier. Ils rappelaient qu'en 1864 (A. M. S. du 26
septembre) 43 propriétaires Israélites avaient prêté à la Ville, sans intérêt,
60.000 francs pour des travaux d'adduction d'eau.
3. Idem. Les ravages du choléra en 1849 et en 1851, et ceux du typhus en

1867 1868 y avaient été vraiment terribles. Dans cette dernière épidémie, la
et

proportion du décès par rapport aux malades avait été de 90 %, alors que dans

le reste de la ville, elle atteignait à peine 10 %.


178 L'AMENAGEMENT DU SITE

« rue du Marché », celui de la minuscule place de Naples, plus au

Nord, et l'élargissement de la de Naples, à terminer


rue en outre

entre les rues d'Austerlitz et de Lùtzen.

Ce fut l'objet de nombreuses décisions des Conseils Municipaux


qui se succédèrent dans la suite, mais de travaux toujours traînant
en longueur. En tous cas, cette partie du programme de 1863 n'avait

encore reçu aucun commencement d'exécution en 1870, si l'on en

juge par les réclamations des habitants. Il semble qu'elle ait ren

contré dans le Conseil de la Ville, et ailleurs, des résistances pou

vant aller jusqu'à la mauvaise volonté. Il en fut ainsi au moins pour

la place Blanche, dont les dimensions, portées de 108 m2 à 455,


apparaissaient insuffisantes et devaient être portées à 1.130. La
Municipalité s'y refusait et songeait à transporter ailleurs, hors du
quartier, le Marché qui s'y tenait. Un Juge de paix, commissaire-
enquêteur, concluait à l'adoption de cette dernière solution « qui
forcerait, disait-il, les Israélites à se déranger, c'est-à-dire à prendre

un peu de cette activité française qui hâterait leur assimilation » 1.


Bien que le plan général eût été approuvé en 1867 par le Conseil
Municipal, et que l'on pût considérer comme définitif le tracé des
principales voies, les renvois successifs aux commissions et aux

administrations militaires ou civiles, suscitèrent, comme il arrive

toujours, de longues discussions, des modifications de détail, et par

ailleurs des questions diverses restées en suspens ou nouvellement

posées nécessitèrent des additions. Les résultats ne devaient être


consacrés que par le plan de 1880 2.
Parmi les questions restées pendantes, l'une des plus importantes
était celle de l'achat par la Commune des terrains de l'ancien Champ

1. A. M. S. du 19 février 1870.
2. Idem. S. du 7 août 1879, du 7 novembre, du 20 et du 24 décembre. Il
s'agissait du «Plan d'alignement et de nivellement des quartiers de la ville

compris entre la Place d'Armes, le boulevard National, la de Tlemcen, le


rue
mur de fortification, le chemin de fer, la rue de Mostaganem et le boulevard
Séguin (quartier de la place d'Armes et de la rue de Vienne, du Village Nègre,
de Saint-Antoine et de Saint-Michel. »
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 179

de Manœuvre 1. Il s'agissait de 140.000 m2, faisant partie du domaine

militaire, dont la situation, entre le boulevard de l'Empereur, le


Village Nègre et le boulevard Seguin projeté, pouvait être consi
dérée comme privilégiée. On calculait qu'en défalquant la surface

de la voirie, artères principales et rues adjacentes, ainsi que les


réserves affectées à des établissements publics, il resterait 60.000 m2.

sur lesquels pourrait s'établir un quartier peuplé et prospère. Les


terrains, appelés à prendre une plus-value considérable, pourraient

néanmoins être cédés à meilleur marché que ceux déjà construits,


et il en résulterait une diminution des loyers, dont le prix était
encore estimé « à un taux anormal ». Il était juste que le Domaine
ne se montrât pas trop exigeant, la Commune d'Oran n'ayant pas

été dotée « comme la plupart des communes par la sollicitude habi


tuelle du Gouvernement ». Mais la Ville dut battre en retraite devant
les prétentions de l'Etat2 et ajourner l'achat. Du moins le tracé
des grandes artères à établir sur ces terrains était déjà arrêté.

Quant aux rues adjacentes, la Commission départementale des ali

gnements regrettait de leur voir consacrer 18 à 20.000 m2 de bons


terrains à bâtir et se prononçait pour le principe de la liberté
laissée aux acheteurs et aux constructeurs 3. Ce ne fut pas l'avis
du Conseil Municipal qui protesta contre l'ouverture des rues par

les particuliers « sans plan arrêté et suivant les besoins de chaque

jour » 4.
Une autre question mit en opposition les deux Commissions
d'alignements, celle de la Ville et celle du Département. La Ville
avait demandé au Préfet, en 1868, d'approuver la régularisation

définitive des alignements du Village Nègre, où s'élevaient sans

1. Idem S. du 13 février 1869.


2. A. M S. du 8 septembre 1869. Le Préfet et le Génie déclaraient que le
prix de 600.000 francs la Commune était insuffisant, la moyenne
proposé par

des terrains valant 13 francs le mètre, et que le taux de l'intérêt, à 4 %, ne


pouvait être accepté, les prêts hypothécaires étant à Oran de 7 et de 8 %, et

ceux de l'Etat à 5 %.
3. Idem S. du 15 février 1869.
4. Idem S. du 26 juillet 1869.
180 L'AMENAGEMENT DU SITE

cesse de nouvelles constructions, chétives d'ailleurs 1. Or le plan

de 1867 prévoyait une voie, dénommée « Boulevard du Sud », qui

le traversait en son milieu jusqu'au nouveau mur de l'enceinte, sur

une longueur de 480 m. Sa largeur, de 44 m., ayant été réduite

parla Commission départementale, comme étant « insolite », la


Commission municipale lui dénia toute autorité pour apporter des
modifications de cet ordre, attendu que l'Etat avait fait remise

à la Commune, 1865, en de toutes les rues du Village Nègre, à


seule fin, du reste, de se décharger sur elle de tous les travaux
d'édilité et du soin de la police 2. Elle accepta par ailleurs le pro

longement du boulevard jusqu'à celui de l'Empereur, avec la même

ouverture (boulevard Joseph-Andrieu actuel). Mais, fidèle à un

principe louable, qui était d'ouvrir des voies larges et de ménager

des espaces libres, elle exprima des regrets sur les réductions opé

rées pour la place Napoléon, ramenée de 115 m. à 100 m., pour le


boulevard de l'Empereur privé d'arcades et réduit à 25 m. Elle
aurait voulu que les voies principales fussent plantées d'arbres, en

double rangée si possible, dans le but de les embellir et de procurer,


pendant les chaleurs de l'été, un peu d'ombre et de fraîcheur.
Parmi les questions à régler, il restait encore celle des liaisons
à établir,dehors de l'ancienne ville, entre la place Napoléon,
en

Karguentah et le nouveau port. Les difficultés auxquelles on se


heurtait venaient principalement de d'Autorité militaire, du Génie
soucieux de ne laisser porter aucune atteinte à la défense, repré

sentée ici le Château Neuf, considéré comme citadelle, et le


par

fort Sainte-Thérèse. Dès 1849 3, lorsqu'on avait adopté le plan du


nouveau quartier de la Marine, on avait songé à faire une route

qui relierait la rue Charles-Quint et les quais à Karguentah en

contournant ces ouvrages ; en 1854 4, on la représentait comme

indispensable. Le projet sommeilla longtemps, pour ressusciter en

1. Idem S. du 4 février 1869.


2. Idem S. du 10 février 1870.
1"
3. Idem S. du septembre et du 3 septembre 1849.
4. A. M. S. du 25 février 1854.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 181

1857 \ cette fois, sous la forme d'un chemin carrossable, entre la


place Napoléon et la plage Sainte-Thérèse, où se créerait certai

nement un établissement de bains. Le Maire proposait à cette

occasion de créer des jardins dans le ravin


d'Aïn-Rouina, qui pro

longeraient à l'Est ceux de Létang. C'est la première fois que l'on


rencontre, dans l'histoire municipale d'Oran, cette heureuse idée
qui aurait mérité d'être mise à exécution dès cette époque, ne fût-

ce que pour amorcer une tentative d'urbanisme des plus intéres


santes. Malheureusement cette promenade était reliée dans le plan

à celle de Létang par un sentier de piéton traversant les terrains


du fort Sainte-Thérèse ; le Génie repoussa la proposition. Le Conseil
Municipal, qui connaissait les bonnes dispositions du Prince Na
poléon, devenu Ministre de l'Algérie, intervint auprès de lui en

1858 2. Malgré l'appui du Conseil Général, favorable à la création

de jardins, et qui songeait au pittoresque et à l'agrément de la


population, il dut pour le moment se contenter en 1859 d'approuver
l'ouverture d'un chemin embranché sur la route d'Oran à Arzeu,
le futur boulevard Seguin, et rejoignant celui des Casernes à la
plage établi sur la rive droite du ravin 3. L'extension du périmètre

de l'enceinte, décidée et commencée en 1866, et les modifications

apportées aux servitudes permirent d'incorporer dans le plan de


1867, comme une rue de la ville, cette voie qui correspond sensi

blement au parcours du boulevard Gallieni actuel. Mais seule la


voie ferrée, qui devait atteindre la gare sur les quais où la plaçait

une décision du Gouverneur Général en date du 16 juin 1868, eut

le privilège de traverser —
en tunnel —
la zone militaire. La pro

menade de Létang donc isolée ; inaccessible du côté du


restait

ravin d'Aïn-Rouina, elle continuait à être une véritable impasse,

ce qui expliquait déjà qu'elle ne fût pas pour les habitants le lieu

d'attraction qu'elle aurait dû être. Les Ponts et Chaussées propo

saient au moins un sentier de 3 m. tracé dans le ravin au pied du

1. Idem S. du 14 novembre 1857.


2. Idem S. du 28 décembre 1858.
1"
3. Idem S. du octobre 1859 et du 17 mai 1862.
182 L'AMENAGEMENT DU SITE

Château Neuf ; l'Ingénieur Aucour l insistait sur le fait que des


constructions allaient se faire dans le ravin même, en partie comblé

pour le prolongement en ligne directe du boulevard Seguin jusqu'à


la place Napoléon. Le Génie finit par accepter, mais sous la réserve

que la liaison resterait maintenue entre la citadelle et le fort


Sainte-Thérèse. Mais il fallut attendre l'ouverture de la nouvelle

route du port, réclamée par les Ponts et Chaussées comme étant


une condition vitale de son développement, et son classement, le
6 juillet 1887 2, pour qu'une solution fût enfin apportée à cette

question, si simple en apparence.

1. Idem S. du 16 septembre 1868.


2. M. Meunier, o. c.
III

DE 1880 A 1900

Les événements de 1870-71, succédant à une crise économique


qui affectait profondément l'Algérie depuis près de cinq ans, l'avè
nement d'un régime nouveau, qui, au point de vue administratif,
libérait l'autorité civile de sa subordination au Ministère de la
Guerre, les modifications importantes apportées à la nomination

et aux attributions des Municipalités les lois de 1871, de 1874,


par

de 1876 et de 1880 *, jetèrent évidemment quelque trouble dans


l'œuvre communale. Emancipées et soumises désormais à l'élection,
elles devaient compter de plus en plus avec l'opinion publique. Il
y eutd'autre part, entre les années 1872
et 1880, dans la colonie

comme dans la Métropole, une période de transition, et pour mieux


dire, de redressement, dont témoignent l'essor pris par les villes,
les ports principalement, les progrès de leur peuplement, les débuts
d'une ère de prospérité économique inconnue jusqu'alors, et cormm
conséquence, une impulsion nouvelle donnée aux transactions im
mobilières et à la construction. Quelques faits précis suffisent à
l'établir. L'accroissement de la de 1872 à 1881 2
population fut,
pour Oran, de plus de 18.000 habitants, chiffre qui n'avait jamais
été atteint jusqu'alors, depuis 1876 seulement, de plus de 10.000 ;
l'élément européen représentait dans le total plus de 12.500 uni-

1. Léon Charpentier. Précis de Législation Algérienne et Tunisienne, Alger,


1899, p. 106 et suiv.

2. En 1872, on recensait 41.130 habitants et 59.377 en 1881, c'est-à-dire un

gain de 18.247 unités.


184 L'AMENAGEMENT DU SITE

tés1. Le mouvement du port accusait, aux entrées, dans la même

période, une progression de 1.431 à 2.007 navires, de 227.746 ton


neaux à 578.942, et le tonnage métrique avait doublé2. La cons
truction, qui depuis 1866 était languissante, avait repris sensible

ment depuis 1877 ; dans les quatre années qui suivirent, on éleva
plus de maisons que dans les onze années précédentes 3. Les recettes

du budget communal accusaient depuis 1876 un progrès non moins

significatif, de plus de 35 % 4. Ces ressources étaient d'ailleurs bien


maigres pour une ville, européenne avant tout, qui comptait en

1881 tout près de 60.000 habitants (59.377) ; du moins elles avaient

dépassé le million depuis 1879.


Ces années furent marquées par la liquidation des travaux pro

jetés pour la « vieille ville », en entendant par cette expression que

les Oranais d'alors auraient refusé d'accepter, la partie de la com

mune qui était comprise dans les limites de l'ancienne enceinte.

Les principaux furent exécutés dans le quartier israélite (ancien


quartier Napoléon) , où la place Blanche fut enfin agrandie, et autour

de l'emplacement réservé pour la place Impériale, devenue place

de la République 5. Le nivellement en fut achevé, les alignements

définitivement arrêtés, ce qui permit l'allotissement et l'aliénation


des terrains en bordure à l'Ouest et au Sud ; ils ne devaient pas
tarder à être couverts de constructions. La place Bastrana fut dotée

I
1. En 1876, 49.368 habitants et en 1881, 59.377, soit en plus 10.009. De 1872
à 1881, la population européenne avait augmenté de 12.506 habitants.
2. M. Meunier, o. c, p. 315.
3. Soit 250 environ contre 150 dans la période 1866 à 1877.
4. Elles passaient de 870.000 environ à 1.080.000 francs.
5. A. M. S. du 7 décembre 1870. Le Conseil Municipal décida de changer les
noms de certaines rues et de certaines places pour chasser les souvenirs de
l'Empire. Ainsi la Impériale, la place Napoléon, la place Saint-Arnaud,
place

la place Isabelle, la place d'Orléans, le boulevard de l'Empereur, les rues Napo


léon, Beauharnais, Canrobert, Montauban, de l'Impératrice, de Berlin, Lamo
ricière devinrent place de la République, place de la Révolution (on l'appela

d'ailleurs plus couramment place d'Armes), place Hoche, place de la Liberté,


place de la Poissonnerie, boulevard National, rues de la Révolution, Arago, Mar

ceau, Jacquart, Parmentier, René Caillé, Danton. Ce dernier changement témoi-


J M PsVÂPV COLLET. ORAN
PLANCHE VIII

La Place d'Armes et l'Hôtel de Ville en 1885.


Photo Liick.

7*
gptttna

,»«
L'UNIS

Les mêmes a l'époque contemporaine.

Photo de l'Ofalac.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 185

d'un marché couvert *, la place Kléber régularisée. L'aménagement


de la nouvelle place Napoléon, qui avait repris son ancienne déno
mination de « Place d'Armes », fut réglé après de longues discus
sions avec le Génie, qui ne voulait pas abandonner le corps de
garde, et qui exigeait, plus justement d'ailleurs, l'entretien de ses

plantations 2. Elle était encore pour le moment considérée comme

excentrique ; mais sa situation devait fatalement en faire le centre

de la ville, dans un avenir plus ou moins proche.

La ville haute —
c'est ainsi que l'on appelait alors toute la
région comprise entre les vieux et les nouveaux murs —
prenait

de plus en plus d'importance dans les préoccupations du Conseil


Municipal, par les travaux urgents d'édilité qu'elle nécessitait, et
'

au premier chef, pour l'adduction de l'eau et la construction dès


égouts. Le tracé même de la voirie exigeait de nouvelles prévisions ;
car le de 1863-1867, approuvé définitivement par le Gouver
plan

neur Général, le 3 mars 1870, était loin de couvrir toute la super


ficie des terrains englobés dans les limites de la fortification. Il dut
être complété en 1874 et en 1880 par des plans additionnels dont
les alignements intéressaient le quartier Saint-Antoine, le Village

Nègre, le quartier Saint-Michel et les alentours de la gare provi

soire de Karguentah3. En outre, détail important, le dernier de ces

gnait de quelque ingratitude envers Lamoricière, ou de quelque ignorance.


Pourquoi la rue Thiers devint-elle la rue Carnot ? On dut le regretter en 1871.
1. Idem S. du 8 mai 1871.
2. Idem S. du 23 janvier 1873 et du 18 septembre 1880. En 1889 encore, on

votait des crédits pour « l'achèvement » de la place (A. M. S. du 15 mars 1889) .

3. Voir plus haut, p. 170 et A.M. S. du 7 août 1879. Les voies nouvelles

étaient en général assez largement ouvertes. Dans le quartier de la Place d'Ar


mes, du boulevard Seguin et jusqu'à la rue de Mostaganem, sur 35 voies, il
y en avait 4 de 15 mètres de largeur, 3 de 12, 18 de 10 et 10 de 8. Au Village
Nègre, 28, 1 de 15 mètres, 2 de 10, les autres de 8 et de 7 mètres. Dans le
sur

quartierSaint-Antoine, la rue de Tlemcen avait 14 mètres d'ouverture, le bou


levard de Mascara, 25. Dans le quartier Saint-Michel, sur 34 voies, on en
comptait 2 de 25 mètres, les boulevards d'Iéna et Fulton, de 15, le boulevard

Sébastopol, 2 de 12, 12 de 10 et le reste, soit 17 voies, de 8, de 6 et même de


4 mètres.
186 L'AMENAGEMENT DU SITE

plans arrêtait les réserves pour l'emplacement de quelques édi


fices publics, Cathédrale, Evêché, Lycée de jeunes filles le Lycée —

de garçons ayant été déjà doté , Gendarmerie, Palais de Justice,


Prison civile, Halle aux grains. C'était là un fait décisif, qui consa

crait, en concordance avec la réalité, le déplacement du centre de


gravité de la ville, et, en dépit des regrets de ses habitants, faisait
présager, la déchéance inévitable de la ville basse.
Le de 1880 poursuivait, au Sud-Est, l'œuvre de celui de
plan

1867. Il faisait de la place Sébastopol un important dégagement,


point de départ d'une patte d'oie dessinée par le boulevard d'Iéna,
le boulevard Sébastopol prolongé et le boulevard Fulton aboutissant

à la place de la Gare. Il s'agissait de la station de Karguentah, et


non de la Gare principale dont l'emplacement restait fixé sur les
quais. Le boulevard Seguin était ouvert jusqu'au boulevard Fulton ;
de chaque côté de cette dernière voie, un quartier était tracé régu
lièrement, dont la rue Sidi Chami —
futur boulevard Marceau —

et la rue de la Gare étaient les artères principales. Dans le quartier

Karguentah proprement dit, dans celui des Casernes et de la


Vieille Mosquée, aucune modification n'était prévue ; mais, sur la
rive droite du ravin d'Aïn Rouina, étaient tracés un boulevard du
Lycée, la rue de la Paix et entre les deux des rues transversales,

celles d'aujourd'hui1.
Le Saint- de Tlemcen le bou
quartier Antoine, entrera rue et

levard de Mascara, avait poussé tout^eul, et sa voirie tout entière,


comprenant deux places et dix-huit rues, avait été ouverte par les
particuliers ; elle n'était pas encore remise à la Ville. Le plan se

contentait de l'adopter. Les alignements du Village Nègre dessi


naient dans sa partie Est, à droite de la rue du Figuier, un réseau

très régulier de rues se coupant à angle droit ; mais le pâté Ouest


se ressentait du désordre qui avait prévalu pendant
trop longtemps.
Toute la partie construite autour de la petite place Adélaïde était
fort mal percée de rues privées, non encore classées. Le boulevard
du Sud était réduit en largeur pour permettre de nouvelles cons-

1. A. M. S. du 17 août 1878 et 5 mars 1881.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 187

tructions ; on constatait en effet une augmentation progressive de


la population musulmane !. Sur son parcours serait aménagée la
place principale de cette ville indigène. Dans le quartier Saint-

Michel, outre les percées prévues, les particuliers qui avaient tra
vaillé avant la ville, en avaient ouvert d'autres2, de part et d'autre
de la rue Saint-Michel, mal tracées, aussi mal que la plupart de
celles de la partie de Karguentah qui y touchait au Nord, et dont
la place Hoche était le centre. On pouvait s'apercevoir ainsi de
l'erreur insigne qui avait favorisé le désordre, sous prétexte de
réaliser des économies et de ne porter aucune atteinte à la liberté
et aux intérêts des propriétaires. En examinant de près le plan de
1880, l'impression, du
on a moins pour les de la périphérie,
quartiers

que le tracé de la petite voirie a été subordonné au respect des


constructions qui avaient poussé, éparses, au milieu des terrains
vagues. Ce sont là des malfaçons qu'il en coûte de réparer.

Dans la fixation des emplacements réservés à quelques édifices


publics, il y a eu des solutions définitives. Il en fut ainsi pour la
Cathédrale qui devait succéder à la pauvre église Saint-Louis, et

pour l'Evêché, placés sur le trajet de la rue d'Arzeu prolongée. Le


Lycée de jeunes filles3 était placé entre les rues Bauprêtre et de

1. En 1876, on en avait recensé 8.421 ; en 1881, on en comptait 12.721. Encore


fallait-il tenir compte des non- déclarations.
2. C'est dans cette région de la ville que le Domaine avait vendu à outrance

des terrains à des propriétaires, sans la moindre précaution ni la moindre

réserve ; le plan d'alignement de 1880 arrivait trop tard pour mettre de l'or
dre. Il y eut cependant des particuliers qui offrirent leur concours pour l'ou
verture de quelques voies, par exemple pour l'ouverture du boulevard Fulton
(A. M. S. du 13 janvier 1888). Le plan de nivellement du quartier Saint-Michel
et de l'ancien cimetière musulman avait été approuvé par le Préfet le 16 mars

1880, sous la réserve que certains îlots feraient l'objet de plans spéciaux ulté

rieurs (A. M. S. du 9 juin et du 8 août 1887). On fut amené à modifier le nivel

lement et les alignements du plan de 1880, parce que quelques constructions

s'étaient implantées sur le tracé des voies, sans tenir compte des décisions
antérieures.

3. C'était une simple indication pour l'avenir ; car il n'était pas encore ques

tion de Lycée de jeunes filles, mais seulement de la transformation d'une Ecole


secondaire en Collège.
188 L'AMENAGEMENT DU SITE

Montesquieu, la Gendarmerie et la Prison civile entre les rues


d'Arbal, des Lois et du Repentir, ces deux dernières dénominations
ne manquant pas d'humour en la circonstance. Le marché couvert

principal de Karguentah s'ouvrirait sur une place, au carrefour

du boulevard Sébastopol et de la rue d'Arzeu prolongée i ; la Syna


gogue, à l'angle du boulevard National et du boulevard Magenta.
En principe, le Palais de Justice serait dans le voisinage de la Gen
darmerie et de la Prison ; on n'avait pas fixé définitivement sa place.
Il est intéressant, pour comprendre la suite de cette histoire,
de s'arrêter un moment, à cette date de 1880, et d'essayer de se
représenter ce qu'était alors Oran, entre les murs de la nouvelle
enceinte, la distribution des constructions, des espaces libres amé
nagés ou simplement non bâtis, la situation et l'étendue du domaine

militaire et les aspects divers des quartiers de la ville.

Tout d'abord, premier fait qui mérite d'être noté : plus de la


moitié de la population totale, qui approchait de 60.000 habitants,
était installée sur le plateau, hors des anciens murs —
exactement

56,4 % —
alors qu'en 1866, la proportion, pour ce qu'on appelait

alors «les faubourgs », n'était que de 33 % 2. Certainement il y


avait eu déjà une émigration des quartiers de la ville basse dont

le peuplement apparaissait stationnaire. Par sa répartition sur son

nouveau gîte, qui avait tout naturellement suivi celle des construc

tions, elle constituait deux groupe nettement distincts : celui du


Sud avec le quartier Saint-Antoirre etle Village Nègre ; celui du
Nord et du Nord-Ouest, le plus dense,- avec les quartiers de la

Vieille Mosquée, des Casernes, de Karguentah, de Saint-Pierre et

de Saint-Michel, qui rassemblaient 66 % des habitants logés hors


les vieux murs. Entre ces deux agglomérations, il n'y avait encore
aucun point de contact ; les espaces non bâtis couvraient plus de la
moitié de la superficie totale.

1. On lui donna le nom de boulevard du 2°-Zouaves en 1888 (A. M. S. du 26


juillet 1888).
2. En 1866, on comptait 22.689 habitants intra muros et 11.045 dans les fau
bourgs ; en 1881, respectivement 22.929 et 33.429, et hors de la nouvelle enceinte

3.019.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 189

Entre le boulevard Seguin, déjà bordé d'immeubles depuis le


boulevard Charlemagne et la rue des Casernes jusqu'au débouché
du boulevard Magenta et de la rue de Mostaganem1, et d'autre
part le boulevard Sébastopol et du 2e-Zouaves, un quartier
celui

s'était formé, à moitié garni de maisons 2. Mais au delà, vers Saint-


Antoine etle Village Nègre, c'était le vide. Le boulevard National
restait à peu près désert jusqu'à la bifurcation de la rue de Tlem
cen et du boulevard de Mascara 3. Du moins Saint-Antoine abritait

déjà plus de 3.000 habitants 4 dans le Village Nègre, il y avait


;
encore à l'Ouest beaucoup de terrains vagues. Entre le boulevard

d'Iéna, le pâté du quartier Saint-Michel et les ateliers des Che


mins de fer, de vastes espaces attendaient encore des voies et des
constructions. En revanche, la rue d'Arzeu était devenue l'artère
médiane de Karguentah5, qui, bloqué au Nord par les établisse
ments militaires et les casernes, débordait l'obstacle par le Sud et

s'allongeait, entre cette voie et la rue de Mostaganem jusqu'aux


portes de l'enceinte. Tout cela d'ailleurs était parfaitement normal,
complètement conforme à cette loi de géographie urbaine, qui veut

que les villes et d'une manière générale les agglomérations humai


nes suivent les directions des routes et dans des proportions plus

ou moins conformes à leur importance Or,


relative. ici les princi

pales étaient incontestablement celles d'Arzeu, de Mostaganem, de


Mascara et de Tlemcen, devenues à leur origine des rues ou des
boulevards d'Oran.

1. On y comptait, en 1881, 411 habitants et 19 maisons.

2. Sur le boulevard Charlemagne on comptait 21 maisons et 289 habitants,


dans la rue Saint-Denis 7 et 158 habitants ; rue de Vienne, 17 et 246 ; rue de
l'Evêché, 19 et 147.

3. On y recensait 3 maisons et 10 habitants.

4. Exactement 3.173 et 179 maisons.

5. Le recensement de 1881 porte sur cette voie 53 maisons et 827 habitants.

La rue des Casernes (future Alsace-Lorraine) groupait, pour 26 maisons 599


rue

habitants ; la rue de la Vieille Mosquée 30 et 400 ; la rue Diego 34 et 894, la


rue Saint-Esprit 29 et 855.
190 L'AMENAGEMENT DU SITE

La Place d'Armes était à peine ébauchée1, fermée au Nord par

la Maison Lasry, que l'on citait alors comme un des plus beaux
immeubles de la ville ; au Sud par l'Hôtel de Ville en construction,
elle commençait à se garnir de maisons neuves sur l'emplacement

des vieux remparts ; mais du côté du quartier israélite, elle était


bordée de masures et de quelques médiocres constructions moins

vieilles, consacrées à la boisson. Tout le long et en avant de l'an


cienne muraille qui unissait le Château Neuf au fort Saint-André,
il restait encore pas mal de terrains vagues, où les Arabes venus
des environs continuaient à tenir leur marché 2. Le boulevard Se
guin n'atteignait pas encore la place ; entre les deux il restait encore

à combler complètement la tête du ravin d'Aïn Rouina que con

tournait la route d'Arzeu.

La villebasse, que nous avons suffisamment décrite pour n'avoir


pas à y revenir longuement, était loin d'avoir cet aspect que nous

lui trouvons aujourd'hui. Beaucoup de constructions neuves, toutes


récentes, avaient surgi le
long du boulevard Oudinot, du boulevard
Malakoff et déjà sur la place de la République où s'étaient installés
la Mairie et la Bibliothèque, provisoirement d'ailleurs, des cafés
et des magasins3. Le guide Joanne de l'époque dans sa description
d'Oran, notait que les maisons étaient « presque toutes modernes

et bâties à la française... ni plus belles ni plus laides qu'ailleurs » ;


leur élévation « jusqu'à un quatrième et quelquefois un cinquième

étage » faisait frémir l'auteur, halte par le souvenir historique du


tremblement de terre de 1790. Il regrettait de ne retrouver, même

dans les quelques maisons espagnoles restées encore debout, aucun

cachet spécial, de ne voir sur leurs façades «ni fenêtres grillées ni

balcons ventrus », et constatait fort justement qu'elles étaient con

formes au mode andalou, issu directement du type de l'habitation


mauresque. C'est à la haute ville, au « quartier des Juifs et des
Maures », qu'il renvoyait les amateurs d'exotisme ; ils trouveraient

1. Louis Piesse, o. c, p. 181-182.


2. Idem, p. 184.
3. Louis Piesse, o. c, p. 182.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 191

là, entre les rues de Wagram et des Jardins, en dépit des aligne
ments qui en avaient fait tomber beaucoup, « les maisons indigènes
petites et carrées, n'ayant généralement qu'un
rez-de-chaussée, et
dont la cour est abritée du soleil par une vigne», maisons badi
geonnées de blanc, de bleu ou de rouge \

En somme, l'aspect de cet Oran, où la place Kléber, avec la


Préfecture, le monument principal de la ville, le plus grand eafé,
celui de la Bourse, et le plus grand hôtel, celui de la
Paix, restait
encore le
de la vie, eût été plutôt banal et sans intérêt, si
centre

le cadre et les
de ce site tourmenté, l'étagement et par
accidents

fois l'entassement des constructions n'avaient pas apporté un élé


ment de pittoresque qui lui confère une originalité indéniable. En

outre, la vie ne s'en était pas retirée, comme pourraient le faire


croire les statistiques de la population. Si la Blanca était devenue
« le quartier tranquille par excellence » 2, la présence d'établisse
ments militaires et surtout le voisinage du port animaient les
places, les rues et les boulevards ; les armateurs et le commerce
maritime restaient cantonnés dans le quartier de la Marine, la rue
Philippe était encore la rue marchande la plus fréquentée et la
mieux achalandée. Les amateurs de costumes exotiques et de cou

leur locale trouvaient dans la population bigarrée et grouillante de


la haute ville, dans les rues de Wagram et d'Austerlitz, de quoi
satisfaire leur curiosité 3. La place des Carrières voyait encore

défiler presque toutes les diligences « de la province » 4.

Hors de l'enceinte d'Oran, on comptait, en 1881, dans la banlieue

1. Idem, p. 184.
2. Idem, p. 183.

3. Ch. Desprez. Voyage à Oran, Alger, 1872, p. 165. On trouvera dans ce livre

une description généralement précise et vivante de la ville, telle que l'a vue

l'auteur en 1872. Voir notamment sur la vieille ville, p. 165-193 ; sur le Village

Nègre, sur la population d'Arabes, de Nègres, de Juifs et même d'Européens se

livrant à « l'industrie du caboulot », sur ses fontaines et sur les porteurs d'eau,
p. 199 ; sur le quartier Napoléon,, p. 177-182.
etc,
4. Louis Piesse, o. u., p. 182.
192 L'AMENAGEMENT DU SITE

et sur le territoire de la commune, une population d'environ 3.000 1


habitants, en majeure partie européenne, 2, fort inégalement ré

partie. Trois petites agglomérations étaient déjà formées, au Ravin

Vert, à Eckmuhl et à Gambetta, groupant respectivement 558, 761


et 304 habitants, soit au total 1.623, un peu plus de la moitié par

conséquent ; le reste était dispersé dans les fermes. Aux abords

immédiats de la ville, c'est dans la partie Sud, entre la route de


Ras-el-Aïn et celle d'Aïn-Beida, que se trouvait le principal noyau

des futurs faubourgs de la grande cité contemporaine. Le long du


chemin qui continuait le boulevard Malakoff jusqu'à la rencontre

de la route de Tlemcen, s'échelonnaient des lavoirs, des guinguettes,


et une cinquantaine de maisonnettes de jardiniers : car le ravin
continuait à justifier son nom de « Ravin Vert » et à fournir en

quantité des fleurs, des légumes et des fruits ; c'était en outre, avec

le Camp des Planteurs », une des promenades favorites des Ora


«

nais3. Eckmuhl, sur la route de Tlemcen, à quelques minutes de

la porte, était un village neuf groupant 70 maisons ou villas. Si


Gambetta, au Nord-Est, était encore à peine naissant, c'est évidem
ment parce que, à l'intérieur de l'enceinte, outre la partie agglo»-

mérée de Karguentah les murs, il restait encore beaucoup d'es


et

pace à occuper, tandis que du côté du Sud, la ville basse, le quar

tier israélite, Saint-Antoine et le Village Nègre formaient déjà une


masse dense jusqu'aux murs, prête à déborder au delà.

Parlant des environs d'Oran, lriuteur du Guide Joanne notait

que « le sol longtemps aride et brûlé » commençait à peine à chan

ger d'aspect. «Le palmier nain,l'halfa, le jujubier sauvage, écri


vait-il, disputent encore l'espace aux cultures de légumes et de
céréales qui entourent les villages et les fermes » ; il n'était pas

encore question de la vigne. Il ajoutait d'ailleurs : « Certainement


un grand progrès s'est accompli, dans les environs d'Oran, au point

1. Exactement 3.019.

2. 356 Indigènes musulmans 2.663 Espagnols.


contre Européens, en majorité

3. Louis Piesse, o. c, p. 191-193.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 193

de vue de la colonisation » I. Mers-el-Kebir, érigée en commune


depuis 1864, à qui le nouveau port d'Oran avait enlevé son im

portance commerciale, abritait du moins une population de 1.700


habitants environ, en grande majorité espagnole et italienne2. Sur
la route de la corniche, étaient nés Sainte-Clotilde, groupe de villas

et de maisons isolées, Saint-André 3, bourg de pêcheurs et de caba-

retiers très fréquenté le dimanche par les ouvriers et les militaires,


et en été par la société oranaise qui venait s'y promener en voi

ture4. Plus loin, la des Andalous, dont


mise en valeur de la plaine

la production maraîchère alimentait Oran, avait amené la création


d'Aïn-el-Turk, centre de 500 habitants environ, chef-lieu de com
mune depuis 1863, de Bou-Sfer et ses annexes El-Ançor et Les
Andalous 5. Au Sud, Misserghin, dont l'autonomie datait de la
même époque, avait plus de 3.000 habitants ; sa prospérité était
assurée par ses jardins, sa pépinière, son marché du vendredi, ses

moulins et quelques petites industries. Si La Sénia n'était encore

qu'un petit hameau, une halte du chemin de fer, Valmy, sur l'em
placement du « camp du Figuier », était déjà peuplé de 752 habi
tants. Vers l'Est, aux alentours de la route d'Arzeu, la colonisa

tion s'était déjà établie autour des centres de Sidi-Marouf, de Hassi-

bou-Nif, de Hassi-Ameur, de Fleurus, de Saint-Louis, d'Arcole, de


Sidi-Chami, de Saint-Cloud 6. Les belles routes qui rayonnaient
d'Oran en faisaient déjà le plus grand entrepôt et la capitale com

merciale de l'Algérie de l'Ouest.

1. Idem, p. 191.
2. Idem, p. 193-198. La ville d'Oran n'avait fait aucune opposition à la sépa

ration ; mais le Maire faisait remarquer que la nouvelle commune y perdrait

et n'aurait pas les ressources nécessaires pour faire les travaux d'édilité. (A. M.
S. du 11 octobre 1861).
3. A. M. S. du 4 avril 1860.
4. Louis Piesse, o. c, p. 195.
5. On l'appelait ainsi à cette époque ; nous ignorons à quelle date et pour

quoi ce nom a été mis au féminin ; c'est avec ce genre qu'il figure au Tableau
des Communes.
6. Voir sur toute cette banlieue le guide de Joanne (éd. de 1879).
194 L'AMENAGEMENT DU SITE

Tous les témoignages sont d'accord pour en signaler la pros

périté. « Partout de l'agitation, de la vie... un monde d'affaires »,

écrivait dès 1872 un visiteur, généralement averti et bon observa

teur ; « au dire de tous, Oran est le digne émule d'Alger... une

Capitale » 1. Dans un rapport officiel, rédigé pour être présenté

au Gouverneur Général et à la délégation parlementaire en mission,

la Municipalité n'hésitait pas à proclamer qu'Oran était «par son

importance commerciale la première ville de l'Algérie » 2. Personne


ne doutait en tous cas de son développement futur, ni qu'un grand

avenir lui fût réservé.

Cependant, devant la croissance rapide de cette cité, appelée,


dans un délai prochain, à couvrir tous les espaces restés encore

libres à l'intérieur de la nouvelle enceinte, on était amené à se

poser quelques questions, dont la solution intéressait au plus haut


degré son économie tout entière ; et en premier heu, celle des
établissements militaires et des servitudes qui, par leur situation

et leur étendue, contrariaient singulièrement l'aménagement de


plusieurs quartiers, interdisaient à la construction civile l'accès de
la côte et privaient la ville du plus précieux avantage de son site.

Il avait été sans doute indispensable, lors de notre installation


à Oran, d'occuper le Château Neuf3, dont la position forte et les
épaisses murailles constituaient à l'époque un point d'appui solide

de la défense et offraient un abrà immédiat et sûr à sa garnison ;


dans les limites de l'ancienne enœinte, il pouvait apparaître vrai
ment comme l'emplacement naturel de la citadelle. Mais depuis,

les progrès de l'armement et les conceptions nouvelles sur la for


tification des places, et en particulier des places maritimes, lui
avaient enlevé toute sa valeur militaire. Il était difficile dès lors
de ne pas regretter que la ville fût privée de l'admirable belvé
dère que la nature lui avait donné : site plein de ressources pour

1. Ch. Desprez, o. c, p. 160 et 164.


2. A. M. S. du 17 oct. 1879. Cette affirmation revient sans cesse dans les
procès-verbaux des séances du Conseil.
3. Voir plus haut, p. 168.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 195

un urbaniste de quelque talent, sans même qu'il eût à démolir tous


les beaux murs espagnols dont on pouvait faire, à l'image d'autres
vestiges historiques de la vieille fortification, un élément de pit

toresque et une curiosité. Mais il fallait pouvoir réaménager tout


l'intérieur et faire toutes les percées que réclameraient les liaisons
avec le plus beau quartier de la ville.

Plus à l'Est, l'emprise des établissements de l'Armée sur le pla

teau de Karguentah se révélait tout aussi malencontreuse. Dans les


premiers temps de l'occupation, il avait bien fallu installer les
troupes montées hors de la ville, comme on l'avait fait à Alger en

créant à Mustapha une véritable ville militaire, au voisinage du


Champ de manœuvre. L'espace ne manquait pas, mais l'insécurité
des alentours de la place avait commandé, comme nous l'avons vu,
de les mettre dans le voisinage et sous la protection du Château
Neuf, et même de les fortifier1. Mais, depuis cette époque, ces

raisons n'existaient plus, et la présence de ce quartier militaire,


englobé désormais dans la ville et encerclé progressivement par

les constructions particulières, Interdisait toute amélioration du


quartier mal percé déshérité de la Vieille Mosquée ; elle avait
et

déjà empêché l'adoption d'un plan général d'alignement « écono


mique et rationnel » 2. A droite du chemin de l'Usine à gaz et de
l'emplacement du Lycée, et jusqu'à plus de 600 m., de magnifiques
terrains étaient occupés par le Parc à bois et le Parc à fourrages,
formant un premier groupe d'environ 30.000 mq, tandis que plus

loin, un second, beaucoup plus vaste, de 100.000 mq, dessinait avec

le précédent un véritable étau comprimant le quartier civil et lui


barrant la route du côté de l'Est3. Là se trouvaient établies en

équerre les casernes de la Remonte, de l'Artillerie, des Ouvriers


d'Artillerie, et la plus grande, «elle des Chasseurs. En tout 13 hec
tares admirablement placés, dont la libre disposition était néces

saire, si l'on voulait jamais donner à la ville ce qui lui manquait,

1. Idem, p. 157.
2. A. M. S. du 23 déc. 1885.
3. Idem S. du 6 juillet 1886.
196 L'AMENAGEMENT DU SITE

au grand regret de ses habitants, quelque peu jaloux d'Alger, un

boulevard front de mer.

Et quant aux servitudes, il en subsistait encore, en 1880, de


nombreuses, des plus gênantes et des moins justifiées. Depuis

1867 1, le Conseil Municipal ne cessait d'émettre des vœux pour

leur suppression. Dans l'exposé des questions soumises en 1879 à


la Mission Parlementaire2, il faisait remarquer que les terrains en
vironnant les anciens ouvrages des Espagnols, aujourd'hui sans
utilité, restaient frappés de servitudes, malgré le change
encore

ment d'affectation du camp Saint-Philippe et du Château Neuf. Il


y en avait même autour de l'Hôpital militaire. En raison du déve
loppement de son vaste périmètre à
l'Est, la ville se trouvait en

particulier « acculée au Sud et à l'Ouest, à une série de servitudes

aussi multiples qu'inutiles, empêchant depuis de longues années

son développement, son essor, son embellissement, ainsi que l'éta


blissement de nombreuses voies de circulation indispensables ».

A cette question des emprises militaires en était fiée une autre,


celle de l'aliénation des terrains remis à la disposition de l'Admi
nistration civile du Domaine, que les Municipalités successives

rendaient responsable de la pauvreté de la Ville et des charges de


plus en plus lourdes qui pesaient sur son budget. C'est une plainte

qui revient sans cesse dans les procès-verbaux des séances du


Conseil. «La Commune d'Oran n'axas été dotée, dit-on en 1869 3,
comme la plupart des communes, par la sollicitude habituelle du
Gouvernement ». Il a fait des promesses et ne les a jamais tenues.
On invoquait notamment un arrêté du 4 novembre 1848 (art. 5),

1. A. M. du 4 oct. 1867.
2. Idem, S. du 17 oct. 1879. Rapport de MM. Grégoire et Lasry. Dans la ses
sion de cette même année, le Conseil Général émettait un vœu sur la suppression

de la zone militaire autour des remparts. Le Conseil Municipal reprenait le


sien, dans ses séances du 4 mars et du 4 mai 1880, et s'élevait contre le main
tien des servitudes autour du Château Neuf, « obstacles au développement et
à l'embellissement du quartier le plus important d'Oran ».

3. Idem S. du 13 fév. 1869.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 197

en vertu duquel il devait leur être concédé à titre gratuit sur le


domaine de l'Etat une dotation en immeubles susceptibles de produire

des revenus 1. Or, auparavant, on comptait dans l'enceinte 60 hectares,


et aujourd'hui la ville s'étendait sur 427. Une cité nouvelle était

née, avec de nouveaux quartiers, où les propriétaires réclamaient

des alignements sur le réseau tracé et approuvé le 3 mars 1874.


Les instructions du Gouvernement prescrivaient d'y donner suite

et de prendre possession des terrains nécessaires pour l'ouverture


des rues projetées, mais en les payant. Les travaux de voirie, les
égouts, les canalisations pour les eaux, l'éclairage exigeaient des

dépenses énormes que la Commune, pauvre, ne pouvait faire sans

l'aide de l'Administration. L'extension de la Ville avait mis à la


disposition de l'Etat d'immenses terrains. Or, au lieu de les donner
à la Commune, il n'avait cherché qu'à réaliser des ventes pour en

tirer profit. Il avait pu ainsi doter le Département pour ses services

hospitaliers et le Consistoire israélite ; mais la Ville n'avait reçu

que des parcelles insignifiantes, et cela malgré les promesses for


melles du Gouverneur Général Chanzy, en 1876. L'Administration
supérieure avait tout fait pour Alger, lui assurant un Lycée, un

Théâtre, des Ecoles, et rien ou à peu près rien pour Oran. Dans
ce réquisitoire fois, mais particulièrement déve
réitéré plusieurs

loppé à l'occasion de la visite des Parlementaires, en 1879, les au


teurs ne manquaient pas d'ajouter : « pour Alger, dont l'impor
tance commerciale et industrielle est loin d'atteindre celle de notre

cité ». La conclusion était que la Commune s'endettait progressi

vement pour faire les travaux d'édilité nécessités par l'extension


de son périmètre, que les dépenses de son budget ordinaire avaient

fortement augmenté, alors que, dans ses anciennes limites, elle avait
pu en assurer l'équilibre. Aussi, devant la situation qui lui était

faite, était-elle décidée à prévenir les acquéreurs éventuels de

1. Idem S. du 17 oct. 1879. On rappelait que le Gouverneur Général Chanzy


avait, en 1876, reconnu le bien-fondé des doléances de la Ville et avait formel

lement promis une dotation en terrains domaniaux.


198 L'AMENAGEMENT DU SITE

terrains mis en vente par le Domaine qu'elle ne ferait aucun frais


pour leur aménagement 1.
Il fallut attendre vingt ans pour que la question du déplacement
des établissements militaires de Karguentah et par contre-coup des
servitudes fût enfin réglée. On peut dire qu'elle occupa, pendant

cette période, la première place dans les discussions du Conseil


Municipal. Elle a joué, dans l'histoire de l'urbanisme oranais, des
réalisations et des projets, un rôle si important que l'on ne doit
pas craindre de s'y arrêter un peu longuement.
Les difficultés suscitées par la présence en des points multiples


un peu partout pourrait-on dire —
du domaine militaire, étaient
déjà chose ancienne ; elles avaient surgi en de nombreuses occa

sions, au fur et à mesure que la ville débordait hors de son ancien

cadre et se heurtait fatalement à tous les obstacles accumulés par

la défense autour des places fortes. On l'avait vu en 1857, lorsqu'il


s'était agi de relier les quais à la place Napoléon par une voie car

rossable traversant la zone des servitudes du Château Neuf, et d'a


ménager des jardins dans le ravin d'Aïn Rouina, en prolongement

de la promenade de Létang 2. Il avait fallu deux années de négo


ciations avec l'autorité militaire pour que le Ministère de la Guerre
consentît à l'établissement de l'Usine à gaz d'Oran entre le fort
Sainte-Thérèse et le chemin de la Plage 3, et de même quand on

avait dû construire un réservoir pour l'alimentation du faubourg


de Karguentah4, sans parler des en^gements d'ordres divers aux

quels étaient généralement subordonnées ces autorisations.

1. A. M. S. du 6 juillet 1886. On y reprochait au Domaine d'avoir vendu les


terrains du quartier du Village Nègre et ceux du quartier « dit du Palais de
Justice ». Il faut noter cependant qu'une dotation fut faite à la Ville en 1884
(S. du 7 avril 1886) ; mais elle fut jugée insuffisante.
2. Idem, S. du 14 nov. 1857, du 28 déc 1858, du 1" 1"
oct. 1859, du sept. 1860.
Le Conseil Général, dans sa séance du 15 déc. 1858, avait émis un vœu favorable
au projet, qui avait été appuyé auprès du Prince Napoléon, alors Ministre de
l'Algérie.
1"
3. Idem, S. du 15 déc. 1859, du du 2 juin 1860, du 25
mars et avril 1861,
du 3 et du 17 mai 1862.
4. A. M. S. du 17 mai 1862.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 199

Aussi les vœux pour la suppression des servitudes, soit partiel

lement, totalité,
soit en ont-ils
réitérés, été sans cesse soit au Con
seil Municipal, soit au Conseil Général. La décision, prise en 1867,
de construire une nouvelle enceinte, donna le signal, et, à la
en

longue, devant la résistance et les exigences de la Guerre, qui en


tendait les monnayer, la solution radicale du déclassement de la
place fut réclamée dès 1884 1. On connaît les arguments ; ils furent
résumés, ainsi que l'historique des démarches antérieures, dans
l'adresse remise à la représentation parlementaire du département,

après le vote de l'assemblée communale du 12 décembre 1884. Le


12 novembre, en effet, la Chambre venait d'adopter le projet de
déclassement et de révision des places fortes et des postes mili
taires de l'Algérie, et l'on attendait le vote du Sénat. Alger et

Constantine apparaissaient favorisés ; on demandait qu'Oran fût


compris dans le programme. En 1886 2, le Ministère de la Guerre
décidait l'aliénation de treize immeubles du domaine militaire de
cette place ; soit une superficie d'environ quatorze hectares, dont
les principaux lots étaient : 6 hectares de terrains situés dans la
zone des fortifications de l'enceinte, entre le « chemin *du Figuier »
(route de Géryville par Mascara) et « celui du Blockhaus » (route
de Sidi-Chami, 4 hectares formant l'emplacement des casernements

de l'Artillerie, du Train et de la Remonte, 1 hectare représentant

la Lunette de Saint-André, 60 ares environ des glacis des anciens


forts Saint-André et Saint-Philippe, 1 hectare de terrain entre le
quai et le pied des carrières de Lamoune. Le tout serait vendu au

prix de 2.071.800 francs. Le Conseil Municipal protesta, allant jus


qu'à contester à l'Armée la propriété de la plupart de ces immeu

bles 3, s'élevant contre le système des aliénations par le Domaine,


en vertu duquel la Ville d'Oran « avait joué le rôle de dupe » 4, et

1. Idem S. du 12 déc. 1884.


2. Idem S. du 6 juillet 1886.
3. Idem. Il invoquait notamment la teneur des procès-verbaux de 1832, selon

lesquels le Génie ne s'était réservé que la propriété des glacis.

4. Idem. La Ville n'avait retiré que de nouvelles charges de l'extension du


périmètre fortifié. En 1868, avec ses 48 hectares, elle n'avait pas un sou de
200 L'AMENAGEMENT DU SITE

demandant la remise gratuite, à titre de dotation, de la moitié en

viron immeubles. Il réclamait notamment les


de ces terrains entre

Lamoune la Douane, les jardins de la promenade de Létang, les


et

glacis de Saint-Philippe, le plateau du Village Nègre, la Lunette

Saint-André, quatre lots de 2.000 mq. entre la porte du Champ de


manœuvre et celle de Mascara, les terrains vagues voisins du quar

tier des Chasseurs. Ainsi se trouvaient sinon posées, du moins fiées


les trois de l'affranchissement des servitudes, de l'aliéna
questions

tion des établissements militaires et de la dotation de la Ville en

biens communaux. Elle estimait insuffisante celle qu'elle venait d'ob


tenir, en 1884, aux environs du Village Nègre et du futur Palais de
Justice. Cette fois, les protestations du Conseil ne devaient pas

rester sans effet ; il fallut cependant continuer à louer au Domaine

les terrains avoisinant la Lunette Saint-André \ et ceux des quais 2.


Du moins étaient amorcées les négociations avec l'Autorité mili

taire pour le déplacement des établissements de l'Armée.


En 1887, par un décret du 7 avril, rendu à la suite de nou

veaux vœux pour la suppression des zones militaires émis par

le Conseil Municipal, le Conseil Général et le Conseil Supérieur


de la Colonie 3, une concession de neuf lots domaniaux, de 2 hec
tares et demi environ, était faite à la Ville4. En 1888, elle récla-

dette ; avec ses 420 hectares, elle encontracté pour 8.200.000 francs, et
avait

elle avait en perspective Avaux de voirie, d'égouts, d'adduction


7.000.000 des
d'eau et de gaz. Elle était donc incapabl'd'y subvenir par des ressources ordi
naires. Les terrains des anciens cimetières, et ceux de la dotation de 1884 ne

représentaient pas plus de 3.000.000. Le budget ordinaire seul avait augmenté

de 800.000 francs. Les cimetières dont il s'agit étaient les anciens cimetières

musulman et mozabite supprimés par arrêté préfectoral du 21 avril 1868, soit

97.150 m2de superficie, que l'on décida de vendre le 7 avril 1886.


1. A. M. S. du 6 mai 1890. On y décida le renouvellement du bail signé le
18 avril 1887 pour la location de 1.012 mq.

2. Idem. Il s'agissait de 21.838 mq pris en location toute précaire et pouvant

être résiliée par le Domaine si besoin était (S. du 20 fév. 1891).

3. Idem. S. du 20 août 1886.


4. Idem. S. du 27 juin 1887. Il s'agissait notamment de quelques parcelles

du VillageNègre, et d'un lot permettant de relier la rue du Vieux-Château au

boulevard Oudinot, au droit de la rue de Rome.


PLANCHE IX

Vue aérienne d'Oran contemporain (Ville nouvelle-Centre). Vue prise en 1934.

En haut de la photographie, le port où l'on israélite, Karguentah et son marché couvert,


peut remarquer le môle des Hauts Fonds et les la Cathédrale, le Lycée de jeunes filles, le
installations du charbonnage, les travaux de quartier Saint Michel. Au-dessous, les terrains
comblement de la baie de Sainte Thérèse, du vagues de Saint André, les Casernes de Cava
môle du Ravin Blanc et du nouvel avant-port. lerie, d'Artillerie et du Train, le quartier Saint
Au-dessous, de G. à D.. le Château Neuf et Antoine et le Village Nègre. On voit nettement
la Place Maréchal-Foch (Hôtel de Ville), le ra les deux routes de Tlemcen et de Mascara se
vin de l'Ain Rouina, le Lycée de garçons, les réunir en une voie unique aboutissant à la
quartiers de la Vieille Mosquée et de Miramar. Place Maréchal Foch.
C"
Au centre de l'image, de G. à D., le quartier Photo de la Aérienne Française.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 201

mait encore six lots situés sur le plateau du Village Nègre, qui

avaient été distraits, sur sa propre demande, de la dotation de 1884,


parce que le Génie avait alors l'intention d'y transporter les caser
nes de Karguentah1. La situation financière de la Commune appa

raissait vraiment proche de la failhte. Les déficits annuels s'accu

mulaient ; le total des emprunts dépassait déjà, en 1885, la somme

de 6 millions 2. On envisageait, comme ultime ressource, de recou

rir à un grand emprunt —


grand pour l'époque et eu égard à la
valeur de l'argent —
de 4 millions pour liquider la situation de la
trésorerie municipale. Les paiements avaient dû être prorogés ; « la
caisse était en quelque sorte fermée », déclarait-on en mai 1886.
L'année suivante, on décidait d'envoyer le Maire à Paris pour

hâter l'autorisation d'un emprunt, non plus de 4, mais de 5 mil

lions3. En attendant on votait l'aliénation de tous les terrains com

munaux disponibles, ceux des anciens cimetières musulmans, ceux

du boulevard Sébastopol notamment.

Cependant les pourparlers engagés dès 1880 4 avec l'Autorité


militaire pour le déplacement du Parc à bois et du Parc à four
rages paraissaient en bonne voie d'aboutissement. Le Général Fer-

ron, Ministre de la Guerre, très bien disposé pour les Villes, faisait,
en 1887 5, une promesse formelle que la chute du Cabinet empêcha

malheureusement de réaliser. On revint en 1889 6 à la proposition

faite, en 1880, de les transférer au delà de l'enceinte et de la porte

1. Idem S. du 15 janv. 1888.


2. Idem S. du 5 mars 1886. Dans sa séance du 27 juin 1884, le Conseil si
gnalait le déficit du budget municipal dans les trois derniers exercices. En 1883,

il avait atteint 338.750 francs. La cause en était le service des emprunts. Au


Crédit Foncier seul, il était dû 2.436.256 francs ; le total atteignait 6.032.406 francs
et il était de première urgence d'emprunter encore 1.225.000 francs. Les doléan

ces se succédaient (S. du 23, du 28 juillet 1884, du 28 mai 1885 au sujet de


l'emprunt de liquidation, du 23 déc. 1885 ; du 15 mai 1886) .

3. Idem S. du 27 juin 1887.


4. Idem S. du 4 mai, du 15 déc. 1880.
5. Idem S. du 8 août 1887.
6. Idem S. du 30 sept, et du 12 nov. 1889, du 17 nov. 1890. Toutes les négo

ciations sont résumées dans le procès-verbal de cette dernière séance.


202 L'AMENAGEMENT DU SITE

d'Arzeu, sur un terrain offert la Commune,


par mais à la condi

tion que les reconstructions seraient à sa charge et que le nouvel

établissement, par suite de sa situation près des murs, serait classé

comme faisant partie d'une de guerre, ce qui


place comportait un

avancement de la zone des servitudes, de toute la profondeur du


parc. Or, des constructions nombreuses s'étaient déjà élevées de
ce côté, et un quartier « de l'Abattoir » était en voie de formation.
Une autre solution fut alors présentée par la Municipalité, en 1890.
Le Parc à fourrages serait transféré en dehors de la porte de Valmy,
entre le Champ de manœuvre et le Cimetière Tamashouet, et l'on

envisagerait, en connexion avec son déplacement et dans son voi

sinage, celui des casernes de Karguentah, dont l'insalubrité était


unanimement reconnue par le corps médical. Les terrains que le
Domaine avait encore en réserve sur le plateau du Village Nègre,
et dont la Ville demandait la cession, paraissaient tout indiqués
pour cette destination.

Le 24 avril 1891 1, un projet de convention était enfin adopté par

le Conseil Municipal ; les bases en avaient été fixées d'accord avec

le Génie. Le Parc à fourrages et la Remonte seraient transportés


sur la route du Cimetière, au delà de la porte de Valmy, les ca
sernes du Train et de l'Artillerie rebâties par le Génie entre le
boulevard de Mascara et celui du Sud, le quartier des Chasseurs
entre ce dernier et le boulevard d'Ié^. La Ville paierait 1.300.000
francs ; mais elle
recevrait, outre les terrains des
casernes évacuées,

8.840 mq situés dans leur voisinage et la Lunette Saint-André, de


12.000 mq. L'Autorité militaire consentait2, moyennant un supplé
ment de 100.000 francs à y ajouter les Atehers des Ouvriers d'Ar
tillerie, soit 7.650 ; le Maire était d'avis d'accepter, pour
mq. ne

pas retarder la solution définitive de cette affaire interminable et

irritante, bien que le prix demandé apparût trop évidemment exa

géré.

1. A. M. S. du 17 et du 24 avril 1891.
2. Idem. S. du 15 mai 1891.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 203

Le Ministre de la Guerre ne voulut pas approuver cette conven

tion sans des modifications : élévation du prix, disjonction de l'em


placement des Ateliers de l'Artillerie, et d'autres conditions, oné
reuses pour la Ville 1. Au moment où tout paraissait ainsiêtre remis
en question surgit une proposition de M. Emile Cayla, ingénieur

civil, déjà connu à Oran, qui acceptait de se substituer à la Com


mune et de remplir toutes les obligations imposées par le Génie2.

En vertu d'un traité approuvé le 22 juillet 1891 par le Conseil


Municipal, il serait tenu de constituer une Société et d'élaborer un

projet dit « des embellissements d'Oran », à soumettre à l'examen


et au vote de l'assemblée communale. La Ville déclarait d'ailleurs
n'avoir pas les ressources nécessaires pour l'exécution, dont les
modalités seraient à débattre ultérieurement avec le concessionnaire.

Ce projet fut présenté en 1893. Il mérite plus qu'une simple

mention, non seulement à cause du retentissement qu'il eut à l'épo


que à Oran et dans l'Oranie, mais surtout parce qu'il constituait la
première tentative d'aménagement, d'extension et d'embellissement
de la ville, émanant d'un particulier et devant être exécutée avec

le concours d'une société financière. Cette pratique avait été déjà


inaugurée à Alger, en 1860, lors de la construction du boulevard
de l'Impératrice, et elle figurait, comme une des bases fondamen
tales, dans le grand projet De Redon. En définitive, sans vouloir

rabaisser le mérite des architectes et des voyers qui avaient présidé

aux grandes percées de l'ancien et du nouvel Oran, on pouvait dire


qu'il s'agissait d'une nouveauté, et c'est surtout de ce point de vue

que nous en ferons l'analyse et l'examen.

Dans la notice explicative de son plan, l'auteur opposait à la


croissance et à la prospérité maritime et commerciale d'Oran le
désordre et la confusion dans lesquels on avait laissé construire à

1. Idem S. du 24 mai 1891.


2. Emile Cayla. Embellissements d'Oran. Avant-projet de déplacement et

de reconstruction du Parc à fourrages et des quartiers de Cavalerie par le


service du Génie militaire. Percement du boulevard du Nord. Prolongement du
boulevard Malakoff. Mémoire descriptif, Oran, 1893.
204 L'AMENAGEMENT DU SITE

l'intérieur des nouveaux remparts. « Aucun plan d'ensemble n'ayant

jamais été élaboré, les propriétaires ont bâti suivant les accidents

du terrain, sur l'ahgnement de leur lot, sans s'occuper des autres,


de que, lorsque l'architecte communal, qui jusqu'alors avait
sorte

laissé faire, fut appelé à donner un alignement avec un nivelle


ment, il dut s'en rapporter au voisin et laisser au caprice et au

hasard le soin de construire une ville qu'un travail d'ensemble


pouvait faire une des plus belles du monde ». Il y avait quelque

exagération dans ces affirmations ; nous avons dit cependant i dans


quelle mesure elles pouvaient être fondées et sur qui retombait

la responsabilité première de cet état de choses. Parmi les fautes


« heureusement », M. Cayla signalait l'agglomération des
réparables

maisons d'habitation autour des nombreux bâtiments militaires de


Karguentah qui subsistaient encore, malgré les efforts des Muni
cipalités et après vingt ans de négociations. Il était vraiment néces

saire d'en finir et de s'entendre avec le Génie pour le déplacement


de installations, d'obtenir la suppression des vieux
ces murs et de
leurs zones de défense maintenant inutiles, puisque la ville débor
dait même sur la campagne et qu'il ne s'agissait plus que de relier

entre elles les parties du tout. Le plan était donc présenté comme

un plan de déplacement, d'occupation et de coordination.

Le Génie décidait de reconstruire les établissements visés sur

des terrains depuis ; le


« réservés plus
d^ 30 ans » plateau du Vil
lage Nègre était retenu pour le quartier de PArtillerie
du Train ; et

le quartier des Chasseurs serait sur l'emplacement des Arènes, la


Remonte à la suite du Parc à fourrages, au Champ de manœuvre,
les Ateliers de l'Artillerie au Polygone, à l'Ouest de la porte de

Tlemcen. « Nous nous disposons, écrivait l'auteur du projet, à four


nir au Génie les voies et moyens d'exécuter ses plans... contre la
remise des surfaces occupées actuellement et des parcelles qui

devaient être aliénées ».

Ces transformations rendraient à la construction et à la viabilité

des quartiers entiers qui, « suivant l'impulsion acquise », relieraient

1. Voir plus haut, p. 175.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 205

tôt ou tard la ville à Gambetta et permettraient l'ouverture du


«Boulevard du Nord, appelé à devenir la superbe terrasse des
Oranais et la grande artère qui, partant de la rue Philippe,
aboutira directement à Miramar ».

Mais le projet visait aussi une autre région du site urbain, celle

de la ville basse, à laquelle l'auteur voulait rendre la vitalité dont


elle se sentait de plus en plus privée, par l'effet du développement
des voies et des constructions vers l'Est et sur le plateau. Cette
partie du plan était manifestement inspirée par les plaintes des
habitants, et en premier lieu des propriétaires des anciens quar

tiers. Elles ne dataient pas d'aujourd'hui ; on en avait recueilli les


échos au Conseil municipal dès 1867 1, et tout dernièrement encore.
Un certain nombre de conseillers demandèrent, en effet, le 8 mai

1893 2, qu'on annulât la convention de la Ville avec M. Cayla, sous

prétexte qu'elle avait déjà été modifiée par le Génie avant d'avoir
reçu l'approbation de l'Autorité supérieure. Les considérants étaient
de deux ordres, les premiers devant préparer la voie aux seconds,
les plus importants assurément dans la pensée des opposants. Le
projet n'apportait, disait-on, aucun travail d'amélioration de la voi

rie existante ni d'assainissement, mais simplement l'ouverture de


voies nouvelles, en vue de spéculations sur les terrains des parti

culiers et sur ceux du domaine militaire. La création de quartiers

neufs « n'avait rien d'indispensable », alors que les travaux d'em


bellissement devaient d'abord comprendre l'assainissement plus

urgent par de larges voies du quartier israélite, de celui de la Cas


bah, de l'ancienne Blanca, l'achèvement du réseau des égouts et la
constructiond'un théâtre digne d'Oran. Mais tout ceci, fort accep
table assurément, pour arriver à cette conclusion, présentée sous

1. Voir plus haut, p. 173. Il s'agissait alors du déplacement de l'Hôtel de Ville,


au détriment de la ville basse.
2. A. M. S. du 8 mai 1893. A la même époque, les propriétaires d'immeubles
situés à Alger dans l'enceinte de la ville s'élevaient contre tout projet qui fa
ciliterait son expansion vers Mustapha. Dans son projet, E. de Redon avait dû
tenir compte de cette résistance.
206 L'AMENAGEMENT DU SITE

une forme généralisée : Les projets de ce genre « déplaceraient une

nouvelle fois et sans transition suffisamment ménagée les centres

des agglomérations urbaines, troublant gravement tous les intérêts


urbains engagés, sans aucune compensation municipale. »

Dès lors, il apparaissait qu'un projet d'urbanisme ne pourrait

rallier tous les suffrages qu'à la condition de ne pas négliger les


intérêts de la Ville basse ; aussi l'auteur proposait-il de prolonger

le boulevard Malakoff au-delà de la porte de Ras-el-Aïn. « Construit


aussitôt que percé, ou plutôt créé sur le ht du ravin —
ce qui n'était

pas tout à fait exact —


il se trouva, écrivait-il, brusquement arrêté

par les anciennes fortifications... Lors du recul des remparts, cette


partie resta intacte ; c'est cependant la moins utile et la plus gê

nante, puisqu'elle étrangle pouf ainsi dire le boulevard à sa nais

sance et coupe brusquement le quartier le plus riche et le plus

populeux, tandis que les nouveaux remparts allaient englober des


terrains excentriques et les parcs qu'il convient aujourd'hui de dé
placer. » Et il ajoutait : du port, la concentration de
« Le voisinage

tous les Services financiers, le Tribunal et la Chambre


publics et

de Commerce, la Préfecture, les Postes et Télégraphes, le gros com


merce et la haute banque, feront toujours du boulevard Malakoff

le grand centre des affaires : il faut donc absolument lui donner


le développement qu'il comporte. D'un autre côté, la circulation
devient impossible ; les rues aboutisrant au boulevard sont étroites,
tortueuses et rapides ; elles monopolisent tout le mouvement ora

nais ; l'humanité exige qu'à défaut d'espace dans les rues Phi
lippe des Jardins qui, seules, relient la basse
ou ville aux nouveaux

quartiers, on crée de nouveaux débouchés. »

Les faits ont démenti les pronostics de l'auteur ; et ce n'est pas


parce que l'on a laissé de côté cette partie de son plan. Entre l'éven
tualité plus que douteuse d'un développement de la ville au fond
et le long d'un ravin, et d'autre part la force attractive irrésistible
qui s'exercerait de plus en plus sur le plateau de Karguentah, et

principalement vers l'Est, il ne pouvait y avoir aucune comparai

son possible. Il était absolument certain —


et on pouvait s'en ren-
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 207

dre compte en rapprochant seulement les chiffres des derniers re

censements de la population1 —
que l'on n'arrêterait pas le dépla
cement du centre de
de la ville, et non moins certain que
gravité

l'extension future du port, inévitable et impossible autrement que


dans la direction de l'Est, que la situation des gares, que les liai
sons essentielles de la ville avec son établissement maritime entraî

neraient avec elles non seulement le monde des affaires et le com

merce, mais encore les organes principaux de la vie publique, du


moins ceux dont la position demandait à être centrale, pour être
rationnelle et pratique. C'est bien ce qui s'est passé par exemple
pour la Chambre de Commerce, pour les Postes et Télégraphes,
pour les banques, pour le Palais de justice. La vieille ville, recro
quevillée dans son ravin, sur un emplacement déterminé jadis par

la présence de l'eau et par les nécessités de la défense, était une

ville forte ; l'Oran moderne ne conservait plus d'une place de guerre


que les apparences, sauvées par les profils pittoresques du Château
Neuf et par la présence d'une « chemise » de misérables murs. L'au
teur avait bien été obligé d'en convenir dans la première partie de
son exposé.

En ce qui concernait le « boulevard du Nord et ses annexes »,


le plan répondait à un double objectif : relier la vieille ville aux

hauts quartiers, mais surtout favoriser la mise en valeur des ter


rains militaires cédés par la Guerre, particulièrement en créant un
boulevard qui se développerait principalement sur le front de mer,
« serait appelé à un grand avenir et ne saurait être mieux comparé

qu'au boulevard de la République à Alger ou à la Promenade des


Anglais à Nice. » L'auteur était obligé de reconnaître que, pour la
première section de cette nouvelle voie, il avait dû écarter, comme

trop coûteuse, la plus belle solution : reproduire au-dessous de la


Promenade de Létang le grand balcon d'Alger avec des voûtes et

1. De 1881 à 1891, la vieille ville, c'est-à-dire celle qui était comprise dans
les limites de l'ancienne enceinte, ne s'était accrue que de 2.883 habitants,
tandis que la nouvelle, celle du Plateau, en avait reçu 5.675, et les faubourgs
extra muros, 4.302.
208 L'AMENAGEMENT DU SITE

des terrasses, et le raccorder, à l'Est du ravin d'Aïn-Rouina, à la


rue Paixhans et à la rue de la Vieille Mosquée. S'inspirant alors
d'une idée émise par un ancien Maire d'Oran, M. Laurent Fouque,
et suivant les études faites par le Service des Ponts et Chaussées,
il créait un boulevard partant de la rue Philippe plus ouverte, au

voisinage de la place Bastrana et se dirigeant sur Gambetta par

quatre lignes brisées. Passant entre le front du Château Neuf et

les jardins du Cercle militaire que soutiendrait un mur de soutè

nement, il coupait la route du port, franchissait le ravin comblé


jusqu'à l'angle du lycée, suivait le tracé de la rue Paixhans et de
celle de la Vieille Mosquée élargies, traversait les terrains du quar
tier des Chasseurs et rejoignait le « boulevard du Nord » existant

déjà à Miramar, grâce au comblement du ravin de la Cressonnière ;


il perçait ensuite le rempart et se poursuivait en terrain dominant
la mer jusqu'à Gambetta, après avoir enjambé par un pont le ravin

Blanc et le chemin de fer.


La longueur totale serait de 2.650 mètres pouvant être portée,
par le prolongement de la dernière section, à 3.300, la largeur de
14 mètres, et en tenant compte des arcades, imposées par la Société
aux constructeurs, de 19 ou 24 mètres, selon qu'il y aurait un ou

deux côtés de la voie bâtis ; un côté seulement, face à la mer, dans


la traversée en remblai du ravin d'Aïn-Rouina l et dans les troi
sième et quatrième sections, deux dans la traversée du quartier de
la Vieille Mosquée. L'auteur, hanté J et, disons-le, plutôt heureu
sement sur ce point —
par l'exemple d'Alger, préconisait ce sys

tème des galeries, nouveau à Oran, comme le plus pratique pour

s'abriter des ardeurs du soleil estival et des pluies hivernales. « Il


a fourni, écrivait-il, l'appoint le plus important du contingent étran
ger de la station d'Alger ; il a contribué dans une large mesure à
donner à cette ville un cachet grandiose et artistique que nous ne

saurions toujours lui envier, puisque nous pouvons l'imiter. » S'il

1. Sur le plan annexé au mémoire descriptif, on est un peu étonné de voir

figurer la Gare Centrale sur le parcours en remblai ménagé dans le ravin

d'Aïn-Rouina.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 209

y avait à regretter que le nouveau boulevard abandonnât le front


de mer, sur 910 mètres, pour devenir l'artère centrale du quartier

des casernes, où il était croisé par dix voies transversales, on ne

pouvait que louer la belle percée perpendiculaire du « boulevard


des Chasseurs », dont les dimensions en feraient une véritable

promenade,« le clou du projet », Karguentah n'ayant eu jusqu'alors


aucune voie donnant « sur la mer qui est à deux pas. » C'était, en

effet, une ouverture, entre la rue d'Arzeu et la mer, de 350 mètres

de long, de 56 de large, soit 10 mètres pour les arcades, 30 pour le


promenoir central planté d'arbres, et 16 pour les chaussées laté
rales. A son extrémité Nord, il était relié, en bordure de la falaise,
au boulevard de Miramar par un « boulevard Maritime » formant
terrasse et balcon sur la mer.

La deuxième partie du programme, que l'on pourrait appeler

« celle des compensations à donner à la ville basse », soulevait

certes beaucoup de critiques,


plus sans parler des difficultés d'exé
cution. L'exposé de l'auteur était au demeurant un aveu qui ne

trahissait nullement la réalité des faits. « Le déplacement du centre

de la ville, qui a occasionné l'abandon des bas quartiers, notam


ment de la rue Philippe et du boulevard Malakoff, doit être attribué

en grande partie à l'ouverture de la route du Port1. Celle-ci a, en

effet, presque absorbé le mouvement considérable monopolisé au

trefois par l'unique grande d'Oran ; elle a fait affluer la cir


voie

culation vers le boulevard Seguin... Mais le marasme des bas quar


tiers provient aussi de ce que le boulevard Malakoff brusquement
arrêté à son origine est resté sans issue 2. Il est facile de lui donner
une autre utilité en le prolongeant jusqu'au Polygone d'Artillerie. »

L'idée, présentée jadis par un Maire, M. Mathieu, avait été exploi


tée dans un avant-projet des Ponts et Chaussées rectifiant la route

1. La création de cette route, cependant nécessaire et indispensable au trafic


du port avec l'intérieur, avait soulevé déjà des récriminations, alors qu'elle

n'était qu'en projet. (Voir plus haut, p. 175).


2. A. M. S. du 12 fév. 1892. Le Conseil Municipal avait donné dans cette

séance, mission au Maire de faire aboutir les vœux émis par une réunion de
210 L'AMENAGEMENT DU SITE

nationale

2 d'Oran à Tlemcen pour lui faire suivre le ravin de
Ras-el-Aïn temps le d'Eck-
et relier en même faubourg grandissant

miihl avec la Marine. On en espérait le retour « du mouvement et

de la vie vers le milieu des affaires », qui « attirerait toujours le


Inonde commercial », et une « réaction prospère et durable » ; on

ranimerait en tous cas une des plus grandes et des plus belles ar

tères de la ville.

...
Mais, tandis que le tracé des Ponts et Chaussées ne prévoyait

qu'un prolongement du boulevard en ligne droite


372 mètres, sur

et à la suite 1.647 mètres de route jusqu'à l'Ecole Normale de filles,


le projet de M. Cayla visait à créer des surfaces utilisables pour la
construction. On poursuivrait le travail de comblement du ravin

jusqu'au Château d'Eau, soit sur 1.100 mètres, pour y installer une

voie de 25 de large; Elle deviendrait ensuite, sur 1.880 mètres,


mètres

la route nationale rectifiée, « la route stratégique tant désirée par

le Génie » pour relief le Port au Polygone. Des rues parallèles

seraient percées sur les deux versants, pour constituer « les amor

ces d'une station hivernale pleine d'avenir qui rendrait à la vieille

ville « sa vitalité momentanément enrayée ». En se reportant à


un plan topographique, on constate qu'il ne fallait pas songer à
réaliser quoi que ce soit de ce genre jusqu'au droit du camp Saint-

Philippe, et au-delà on se rend immédiatement compte des diffi


cultés d'exécution de cet article dujprogramme, de l'importance et

du coût des travaux nécessaires, et Tout cela en vue d'un résultat

plus qu'hypothétique. Dès cette époque, en effet, un observateur

un peu avisé, un enquêteur un peu renseigné aurait pu diagnosti


quer à Alger même, où l'hivernage des étrangers ne fut d'ailleurs
jamais ce que l'on a prétendu, la substitution du tourisme et des

propriétaires des bas quartiers de la ville. Il s'agissait de trouver « les moyens

de rendre à cette partie de la ville le mouvement et la prospérité d'autrefois ».

Le président, M. Giraud, qui présidait aussi la Chambre de Commerce, avait

rédigé la pétition adressée au Gouverneur Général. Parmi les remèdes préconi


boulevard1
sés, se trouvait le prolongement du Malakoff jusqu'à la rencontre

de la route nationale de Tlemcen, et du côté du Nord, jusqu'à la mer.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 211

visites de passage aux séjours prolongés et répétés qu'exige l'ex


ploitation de cette industrie spéciale1.

En revanche, lorsque, dans sa conclusion, l'auteur proclamait


sa foi en l'avenir
d'Oran, on pouvait lui donner raison. Ici, les faits
étaient éloquents : en trois ans, de 1889 à 1892, il s'était vendu pour
plus de 8.500.000 francs de terrains à bâtir à l'extérieur des rem
parts et dans les faubourgs ; la fortune publique s'était accrue de

plus de 20 millions. « Le prochain recensement, annonçait-il, dé


passera 100.000 habitants. Ce ne sera certainement pas le dernier
mot. Oran est encore en formation ; c'est un immense chantier de
construction en pleine prospérité... une cité de la jeune et puissante

Amérique. »

Il en fut, à Oran, du projet Cayla, comme du projet de Redon, à


Alger. Le traité passé avec la Ville, le 22 juillet 1891, stipulait que

la Société Immobilière d'Oran, société anonyme au capital de 2


millions, fournirait d'avance à la Ville les fonds nécessaires pour

le paiement des terrains et recevrait du Génie, dans un délai de


trois ans, les immeubles rétrocédés et les parcelles complémentaires,
à l'exception de la Lunette Saint-André, conservée par la Com
mune en échange des frais d'aménagement des nouveaux quartiers

restant à sa charge. Mais l'Autorité militaire supérieure n'ayant pas

approuvé la convention, de nouvelles négociations durent être enga


gées, en 1893, entre la Ville, le Génie et la Société Immobilière re
présentée par M. Cayla. Elles se prolongèrent pendant plus d'une
année jusqu'à la signature de la convention définitive, du 23 avril

1894 2, qui substituait à la Ville la Société, appelée d'ailleurs à sup-

1. L'auteur, hanté par l'exemple d'Alger, où l'hivernage était cependant en

décroissance, à cause de la concurrence de Biskra, et surtout du Caire, et où

la prétendue prospérité de cette industrie avait été fortement exagérée, songeait

à faire d'Oran, et des versants du Ras el Aïn, « une station hivernale pleine
d'avenir qui apporterait son puissant contingent à la vieille ville et lui rendrait
en peu de temps sa valeur incontestable et sa vitalité momentanément en

rayée ».

2. A. M. S. du 24 février, 21 mars, 2 mai, 8 mai, 4 août, 8 août, 18 août 1893,


des 12 mars, 19 mars, 11 avril, 18 avril, 6 juin 1894.
212 L'AMENAGEMENT DU SITE

porter de nouvelles charges. Transmise par le Gouverneur Général


au Ministre de l'Intérieur avec un avis très favorable, elle paraissait

devoir être transformée en loi d'utilité publique, « selon le désir


de la population d'Oran ». Or, en novembre 1896 1, malgré la signa

ture de trois Ministres, le projet Cayla n'était pas encore déposé


devant le Parlement. Le Conseil Municipal protestait, invoquant le
préjudice énorme qui résultait de ce retard pour la Ville, l'arrêt des

transactions immobilières, la suspension des travaux de construc

tion. Enfin, le 11 janvier 1897, une loi sanctionnait la convention

intervenue entre le Génie la Société Immobilière ; celle-ci devait,


et

à la date du 20, verser à la Recette municipale la somme de 2 millions


10.000 francs2. Après une prolongation du délai jusqu'au 23 mars

d'abord, puis jusqu'au 22 avril, et devant sa carence, le Conseil com

munal prononça, le 6 mai la déchance de la Société3. Tout était


alors remis en question, sauf le principe du déplacement des quar

tiers militaires et de leur cession à la Ville à titre onéreux.

La Commune entreprendrait-elle de réaliser l'opération elle-

même ? La chose était peu probable ; la période, particulièrement

agitée par des troubles politiques, se révélait non moins défavo-

rble, au point de vue des affaires immobilières. Une grande décep


tion avait succédé aux espérances fondées sur le projet Cayla,
désormais caduc, les travaux étaient arrêtés, le chômage s'aggra
vait dans l'industrie du bâtiment4, xelle dont le marasme en est

le principal pourvoyeur pour les ▼illes. Seules des résolutions

hardies auraient pu redresser la situation ; mais il fallait compter

avec les charges des contribuables, qui veulent bien souscrire aux

grandes œuvres d'urbanisme, à la condition toutefois de n'avoir

pas à les payer. Or, au Conseil même, on remettait en discussion

1. Idem S. du 2 déc. 1895. On apprend alors seulement que le dossier est

enfin transmis à Paris. S. du 10 nov. 1896. On se plaint des retards qui gênent
les transaction immobilières et paralysent la construction.
2. Idem S. du 26 mai 1896.
3. Idem S. du 6 mai et du 23 déc. 1897.
4. Idem S. du 23 nov. 1897.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 213

le principe du transfert des casernes sur les emplacements arrêtés

par le Génie, d'accord avec la Ville K Un conseiller demandait


notamment qu'elles fussent reléguées hors des murs, du côté du

Champ de manœuvre, et qu'on laissât à la construction privée, ou

mieux à la disposition de la Commune, pour y créer un site

d'agrément qui lui manquait, « les espaces libres que réclament

les villes modernes » 2, conception parfaitement défendable, mais

qui se heurtait à la vieille répugnance des Municipalités à sacrifier,


même à l'hygiène, des sources de profits financiers. L'Autorité mili
taire, de côté, faisait savoir qu'elle ne traiterait plus avec per
son

sonne avant le 31 janvier 1898, et la Ville suivait. En vain, M.

Cayla s'offrait-il à verser au Crédit Lyonnais les fonds qu'il avait


enfin pu trouver 3. Le 15 mars, devant une mise en demeure du
Ministère de la Guerre, le Maire proposait la solution de l'emprunt ;
mais, comme les ressources du budget municipal ne permettaient,
ni de le gager, ni de l'amortir, on se trouvait acculé à deux moyens,
la vente des terrains ou les centimes additionnels. Un débat s'en
gageait, au cours duquel un conseiller préconisait le deuxième,
Oran, « premier portde l'Algérie », n'ayant ni parc, ni place, ni
théâtre. Or, le plateau du Village Nègre, jadis désert, mais main
tenant encadré par les constructions, était tout désigné pour être
l'emplacement du grand parc de la Ville, comme Eckmuhl le serait
pour les casernes.

Les choses en étaient là, lorsque surgit une proposition de la


Société Bentz-Audeoud et Guénot 4, qui aboutit à un projet de
convention du 6 et du 15 octobre, approuvé le 13 décembre, modifié
à la suite des observations du Préfet, et finalement sanctionné par
la loi du 7 juin 1899 5. Cette fois les fonds nécessaires à l'opération

1. Idem S. du 15 mars 1898. Le Maire proposait de faire réaliser le dépla


cement des quartiers militaires par la Ville même. Le Conseil recula devant
l'emprunt nécessaire et devant le recours aux centimes additionnels.

2. Idem S. du 26 oct. 1897 et du 15 mars 1898.


3. A. M. S. du 11 fév. 1898.
1"
4. Idem S. du 4 et du 15 oct. 1898, des et 13 déc. 1898.

5. Idem S. des 24 janv., 7 fév., 15 avril, 9 et 24 juin 1899.


214 L'AMENAGEMENT DU SITE

furent versés, et la nouvelle Société Irnmobilière put présenter à


l'acceptation du Conseil Municipal un plan d'alignement du « quar
tier de l'ancien Parc à fourrages », qui fut approuvé définitivement
le 29 novembre 1901 1. La question des terrains militaires de Kar
guentah était enfin réglée —
mais au bout de 20 ans ! Et il restait

encore, comme un témoin de toutes les résistances rencontrées au

cours de ces pénibles négociations, un établissement de l'Armée


englobé dans le nouveau quartier, et qui y subsiste encore aujour

d'hui, le Parc d'Artillerie, que hmitent à l'Ouest et à l'Est le bou


levard des Chasseurs et l'avenue Loubet actuelle.

Pendant que se poursuivaient ces tractations, la Ville continuait

à se développer le plateau, le long et à proximité des


sur voies

tracées conformément aux derniers plans d'alignement de 1874 et de


1880. Le nombre des maisons d'Oran passait en 20 ans de 3.000
à 5.250 en chiffres ronds. Sa population municipale augmentait entre

les recensements de 1881 et de 1901, de 31.000 habitants environ, c'est-

à-dire de plus de 52 %. Mais, tandis qu'elle restait presque station-

naire dans la vieille ville, avec un accroissement de moins de 35.000


unités, elle progressait dans la ville nouvelle de plus de 16.000, et fait
plus remarquable encore, de plus de 8.500 dans les faubourgs, hors les
murs, soit de 282 % 2. En étudiant la répartition dans la ville nouvelle

intra muros, on pouvait constater que les quartiers qui, proportion

nellement, s'étaient le plus peuplés paient ceux de Saint-Michel, de


Saint-Charles et de Saint-Pierre, où le gain était de plus de
3
7.000 ; la section de Miramar figurait déjà pour près de 1.100 4.
Dans ceux de Saint-Antoine et de l'ancien hôpital, le gain dépassait
3.900 5
; 9.000 dans ceux de l'Hôtel de Ville, du Lycée, de la Vieille

1. Idem S. du 14 sept et du 29 nov. 1901.


2. Les chiffres exacts sont : 2.458 pour la vieille ville, 16.016 pour la ville

nouvelle, et 8.516 pour les faubourgs.


3. En 1881 le quartier de St- Charles n'existait pour ainsi dire pas. Le chiffre

total pour les autres était de 3.894. Or en 1901, il était de 11.289 ; soit un gain
de 7.395 unités.
4. Pour 1086 exactement.
5. En 1881, 5.154 et en 1901, 8.656, soit en plus 3.502 habitants.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 215

Mosquée et de Karguentah proprement dit, ce qui s'exphquait faci


lement1. Le Village Nègre s'était accru de 4.325 2. Tous ces chiffres

sont intéressants à commenter.

Ils montrent, en effet, d'une manière très expressive comment


s'était fait le développement de la ville. Bloquées du côté du
Nord,
soit par la présence des ravins d'Aïn-Rouina, de la Mina et de la
Cressonnière, soit par l'occupation des terrains réservés aux éta
blissements militaires, les constructions garnissaient peu à peu les
espaces vides au Sud, et, contournant l'obstacle interposé entre

la mer, elles s'allongeaient vers l'Est, en direction des routes


elles et

d'Arzeu, de Mostaganem et d'Alger. Dans ces deux sens, elles


débordaient hors des murs. Ceux qui, comme nous, ont visité Oran,
à date du début du siècle, ont conservé le souvenir d'une cité
cette

manifestement en voie de croissance il s'agit de la nouvelle —

ville —
qui donnait, en dépit ou peut-être à cause du tracé des
voies principaleslargement ouvertes, l'impression d'un vaste chan
tier de construction, avec beaucoup d'incohérence, de vides, de

maisons d'aspects disparates, élevées généralement, quelque


peu

fois fort modestes, à un étage seulement, reflétant la modestie même


de la condition de leurs premiers occupants, voire de leurs cons

tructeurs. Sauf dans le voisinage de l'Hôtel de Ville et du boulevard


Seguin, où Oran faisait figure de grande ville, il conservait une

physionomie de grand faubourg, mais de faubourg qui se presse

de grandir, qui bourdonne, qui remue, hommes et bêtes, sous le


soleil de plomb, dans le plâtras et la poussière blanche.

L'ouverture du boulevard Seguin, qui devait être l'artère maî

tresse de la nouvelle ville, ne s'était pas faite sans de nombreuses

difficultés. Il avait fallu en effet, et c'était la plus grande, combler

la tête du ravin d'Aïn-Rouina3, retenir par des murs de soutè-

1. En 1881, 6.016 et en 1901, 15.363, soit un gain de 9.347 habitants ; mais il


s'agissait du centre même de la nouvelle ville.

2. En 1881, 8.326 et en 1901, 12.651, en plus par conséquent 4.325 unités.

3. Il y avait d'ailleurs et avant toutes choses à traiter avec divers proprié

taires pour la cession de leurs terrains (A. M. S", du 10 fév. 1870).


216 L'AMENAGEMENT DU SITE

nement les terres de chaque côté de la chaussée x et construire des


ponceaux pour l'écoulement des eaux 2 ; en outre, en concordance

avec celui de la voie principale, on devait procéder au nivellement

de toutes les voies adjacentes et rectifier même celui de la Place


d'Armes3. Sur ce dernier point, c'est seulement en 1880 que la
Ville s'était entendu avec le Génie ; car il s'agissait d'un terrain

du domaine militaire. On n'avait pas encore achevé à cette date


le remblaiement du boulevard4. Le raccord avec les alignements

du quartier à créer, entre le boulevard Seguin et le Lycée soulevait


des discussions et les propriétaires des jardins du ravin menaçaient

de faire des procès. Le Conseil Municipal, malgré l'avis si sage de


l'architecte de la Ville, M. Estibot, délivra un alignement, en bordure
du boulevard Seguin, qui devait avoir pour l'avenir de fâcheuses
conséquences 5.
Il vaut la peine de donner à ce sujet quelques détails : car cette

décision a privé par avance Oran de l'un des avantages de son site.

Le 8 juillet 1880, à propos de cette affaire, on se référa au plan

1878 6 les
partiel adopté en pour rues Schneider, de la Paix,
Paixhans, le futur boulevard du Lycée et leurs raccords avec le
boulevard Seguin. C'est à cette occasion que M. Estibot insista sur

l'idée qui avait présidé à l'établissement du projet. Il s'agissait,


dans sa pensée, de « conserver, sur tout le parcours du boulevard
du Lycée et de la partie du boulevard Seguin comprise entre la Place
d'Armes et le premier de ces i:
bouSvards, la magnifique vue que

1. Les propriétaires, notamment MM. Lasry, étaient disposés à céder leurs


terrains et même à construire les de soutènement, mais moyennant des
murs

échanges contre des parcelles importantes. (A. M. du 22 avril 1872).


2. A. M. S. du 6 mai et du 27 mai et du 20 nov. 1872.
3. Idem S. du 15 juillet, du 6 janv., du 17 fév. 1873, du 22 mai 1875, du 18
sept. 1880.
4. A. M. S. du 8 avril 1880.
5. A. M. S. du 8 juillet 1880.
6. Idem S. du 17 août 1878. L'architecte de la Ville rappelait notamment que

dès le de 1875,
mois un alignement avait été délivré le boulevard Séguin,
sur

mais comme il était refusé pour la rue de la Plage (boulevard du Lycée) il


était devenu sans effet.
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d après les dern:


Phave
PLANCHE X

Du VIEUX QUARTIER ISRAELITE A LA VILLE MODERNE. Photo Moreau.


La photo aérienne montre bien, de G. à D., l'opposition des constructions

anciennes cubiques età patios qui ont subsisté d?.ns le quartier israélite,
XIX"
avec les grands immeubles de la fin du siècle.

Le quartier neuf de Miramar. Photo Moreau.

La nouvelle route du Port et la voie ferrée dominées par le Boulevard


Front de Mer amorcé. A G., le ravin de la Cressonnière ; à D., celui de
La Mina ; au fond, les quartiers de Saint-Pierre et de Saint-Charles.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 217

présentent le ravin d'Aïn-Rouina et la mer bordée par les falaises


qui développent à l'Est d'Oran. Par suite, c'était, pour les pro
se

priétaires des terrains du ravin qui se trouvent sur le parcours,

l'interdiction d'y bâtir ». A l'occasion de l'enquête de commodo

faite en 1878, il avait insisté sur l'urgence qu'il y avait à exproprier

les jardins situés en bordure des voies du nouveau quartier.

Aujourd'hui, devant une demande d'alignement, qu'il considérait

comme devant être rejetée, il conseillait de hâter l'expropriation


de tous les jardins du ravin qui« dans l'avenir, disait-il, doivent
être affectés à un jardin public, prolongement de celui de Létang »,
et que pour le moment on pourrait louer comme potagers. Il insis
tait sur l'idée de réserver une large ouverture sur le ravin, le
long du boulevard Seguin, de la rue de la Plage (boulevard du

Lycée) et de la rue de la Paix prolongée jusqu'à la rue Paixhans.


Toute cette ligne de voies élargies pourrait recevoir une double
rangée d'arbres et former un grand boulevard ondulé qui partirait

de la Place d'Armes pour aboutir au Lycée 1. « En outre, cette dis


position conserverait pour la Place d'Armes, à son angle Nord-Est,
une large vue sur la mer, qui serait en même temps une bouche
d'aération par la baie de tout le quartier Napoléon. D'ailleurs,
selon lui —
et ici les faits, par suite des nouveaux procédés de
construction et de la hardiesse des entrepreneurs, lui ont donné
tort la différence de niveau, de 10 à 12 m.,

entre ces voies et

le fond du ravin, excluait d'une manière à peu près absolue toute

possibilité de bâtir de ce côté ; on pourrait ainsi « réaliser une des


plus belles promenades qu'on puisse imaginer ». Mais l'expropria
tion aurait porté sur 30.000 mq ; le Conseil recula devant les
conséquences financières de l'opération, renvoya l'affaire à une

Commission d'étude, et, sans attendre ses conclusions, céda devant


la menace d'un procès et délivra l'alignement.

1. Idem. 24 déc. 1879. Le Conseil Municipal s'était prononcé pour le prolon


gement vers les murs de l'enceinte du boulevard Seguin ; le 5 mars 1881, il

décidait de lui donner une largeur uniforme de 15 m. et de donner la même


ouverture au boulevard du Lycée.
218 L'AMENAGEMENT DU SITE

Et c'est ainsi que fut perdue l'occasion d'utiliser, pour l'embel


lissement de la ville, une des parties les plus intéressantes du site
d'Oran. On travaillait malencontreusement à multiplier les écrans
entre la mer et les plus beaux quartiers d'une cité maritime. On
peut aujourd'hui mesurer les effets de pareilles décisions. Elles ont

permis de réaliser ce paradoxe d'une ville, haut placée sur un

plateau, au-dessus de sa magnifique baie, et qui néanmoins, dans


la partie toute proche de la falaise et du port, regarde la mer, mais

ne la voit pas.

L'idée de créer des jardins dans le ravin d'Aïn-Rouina était


déjà ancienne, puisqu'elle avait été émise par un Maire de la ville,
dès 1857 ! ; reprise en 1860, elle s'était heurtée à l'obstacle des
servitudes militaires, et, en 1862, on avait dû y renoncer, avec

regret d'ailleurs 2. En 1872, un particulier proposait au Conseil,


moyennant la location de la promenade de Létang qu'il s'engageait
à entretenir, de créer à ses frais sur le versant Est du Château
Neuf une nouvelle promenade qui la prolongerait. Un projet de
contrat avait été adopté ; mais, devant les protestations des maraî

chers du ravin, il fut annulé 3. On reparla de ces terrains en 1887,


lorsqu'il fallut procéder aux expropriations nécessaires à l'établis
sement du boulevard du Lycée et à l'aménagement d'un square

devant sa façade 4. C'était l'année où était enfin ouverte la route

du Port sur la rive gauche. Mais les servitudes militaires du Châ


teau Neuf n'en subsistaient pas
moi^ en 1892, date à laquelle le
Conseil Municipal réitérait un vœu pour leur suppression « notam

ment dans le ravin d'Aïn-Rouina » 5. Nous avons vu ce qu'il devenait


dans le projet Cayla 6, où l'on voyait figurer, sans doute sur de

1"
1. A. M. S. du sept. 1860. Il s'agit de M. Marion, dans la séance du 14
nov. 1857.
2. Idem. S. du 17 mai 1862.
3. Idem. S. du 10 sept. 1872 et du 7 juillet 1873. Il s'agit de la proposition de
M. Boulpiquant.
4. Idem. S. du 21 juin 1887.
5. Idem. S. du 2 sept. 1892.
6. Voir plus haut, p. 208.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 219

puissants remblais, l'emplacement de la gare centrale d'Oran. En


1894, l'auteur prenait l'engagement, si son plan était adopté, de
construire les murs de soutènement nécessaires pour l'édification
de maisons en bordure de la rive droite du ravin et en façade
sur le boulevard du Lycée 1. Les timidités que l'on avait pu cons

tater en 1880 n'existaient plus. Le ravin seul subsista, sous la forme


d'un trou qui attend encore des aménagements et le comblement.

Du moins, devant la résistance de l'Autorité militaire à abandonner


ses positions, le Conseil Municipal en arrivait, dès 1896 2, à de

mander le dérasement des fortifications, « murailles de pacotille »,


et en 1905 celui même du Château Neuf 3.
C'est dans cette période de 1880 à 1900 que la ville nouvelle,
la « haute ville » comme on l'appelait encore, fut dotée de quelques-

uns des édifices publics, de plus en plus nécessaires en raison de


l'importance croissante du chef-lieu de l'Ouest, et tout autant, de

l'insuffisance des installations mesquines et inconfortables dont les


services avaient dû jusqu'alors s'accommoder tant bien que mal. Il

ne resta plus dans la ville basse que la Préfecture, mentionnée un

peu témérairement dans l'édition du Guide Joanne de 1887 comme

« bâtiment provisoire » 4, le Trésor, les Postes et Télégraphes et les


Services de la Marine.
La première pierre de l'Hôtel de Ville 5, dont les plans avaient

été mis au concours dès 1873 6, ne fut posée qu'en 1882 ; il n'était

achevé qu'en 1886 et les bureaux ne furent complètement ins

tallés qu'en 1887 7. En 1889 étaient entrepris les travaux du Palais


de Justice, entre le boulevard Sébastopol et le boulevard Magenta,

1. A. M. S. du 12 mars 1894.
2. Idem S. du 15 sept. 1896.
3. Idem S. du 16 oct. 1905.
4. Louis Piesse. Algérie et Tunisie (Coll. des Guides. Joanne). Paris, 1887,
p. 158. Voir le plan d'Oran et de ses faubourgs p. 148.
5. Voir plus haut, p. 173.
6. A. M. S. du 6 janv., du 27 fév. et du 2 sept. 1873.
7. Idem S. du 22 juin 1886. Mais on travaillait encore à la décoration et à
l'ameublement en 1889 (S. du 31 mai 1889).
220 L'AMENAGEMENT DU SITE

tout à côté de la Gendarmerie de la Prison Civile, dont on de


et

mandait d'ailleurs le déplacement ; la Ville, avec le concours du


Conseil Général, procédait à l'ouverture des rues environnantes

et à l'aménagement d'un 1. En 1886, l'Hôpital Civil, construit


square

sur les terrains de l'ancien Cimetière musulman, à l'extrémité du


boulevard Sébastopol, succédait au caravansérail de la Porte Saint-
André, transformé en Musée2.

Le Lycée était inauguré en 1887 3. Le Conseil Municipal avait

demandé, dès 1878, l'érection en Lycée du Collège Communal, et


s'était engagé à concourir, selon la règle, aux frais de la construc

tion4. En 1879, il représentait à la Délégation Parlementaire en

mission que l'Enseignement secondaire laïque était relégué à Oran


dans un « quartier repoussant », et dans un bâtiment indigne de
lui, alors que les Jésuites possédaient au cœur de la nouvelle ville

un bel établissement5. Le Collège était en effet perché dans la


Blanca au bout de la rue de Moscou ; il se composait d'une ancienne

villa de mauvais goût construite par un Israélite italien, d'une cour

appartenant au Domaine et d'une maison particulière louée pour

abriter deux dortoirs 6. Bien que les dimensions du Lycée


(10.000 mq) et sa sur la rive droite du ravin d'Aïn-
situation,
Rouina, aient été appréciées, à l'époque, comme donnant toute

satisfaction, on a pu regretter depuis qu'ilait, lui aussi, constitué


un écran de plus entre le quartienwieuf créé au Nord du boulevard

Seguin et la mer.

1. Idem S. du 17 mai et du 28 juin 1889.


2. Louis Piesse, o. c, p. 158.
3. A. M. S. du 15 déc. 85.

4. Idem S. du 4 mars 1880. On y lut un historique. L'érection fut demandée


le 9 déc. 1878. Le 12 déc. la Ville s'engagea à verser 600.000 francs ; le Conseil
Général accordait le 19 déc. 100.000 francs, le plan, renvoyé par le Ministre
mais

de l'I. P., était remanié et approuvé, le devis étant de 1.500.000 francs. Le 19


avril 1880, la Ville accordait 700.000 francs.
5. Idem S. du 17 oct. 1879.
6. Ch. Desprez, o.c, p. 208.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 221

La question du Théâtre, qui restait depuis longtemps en sus

pens, fut enfin réglée. Celui qui s'élevait sur la place Bastrana avait

toujours été considéré comme provisoire ; on discutait périodique

ment sur l'emplacement à arrêter pour l'édifice définitif. En 1885,


on avait écarté la Place d'Armes, à cause des difficultés que
soulevait le déplacement des bureaux de la Place, et on s'était
rallié au projet de reconstruction du Théâtre sur la place Bas

trana1. Cependant, l'année suivante, le Conseil Municipal deman


dait la cession du terrain militaire que le Génie était prêt à aban

donner au Domaine2. Après de longs pourparlers et bien des hési


tations, il obtenait satisfaction, et en 1890, il choisissait définitive
ment, comme emplacement du nouvel édifice, la partie Ouest de
la Place d'Armes, où, par une modification apportée au plan d'ali
gnement de 1865, on devait en faire un îlot3. Ce n'est qu'en 1905
que le projet fut adopté 4 ; le Théâtre fut terminé et mis en service

en octobre 1907 5.

Le développement progressif de l'agglomération oranaise, qui


était arrivée à dépasser les limites de l'enceinte, donnait une impor
tance particulière à la question des transports rapides, que les édiles
des grandes cités ne sauraient négliger ; car elle est étroitement
liée à celle de leur extension et elle intéresse au plus haut point

l'avenir de leur peuplement et leur prospérité commerciale. C'est


ainsi que la Municipalité d'Oran fut amenée à prendre position

dans les discussions relatives à la création et à l'emplacement


de la Gare Centrale des Chemins de fer, à doter la ville d'un
réseau de tramways électriques et à examiner des propositions
diverses de funiculaires.

Bien avant que la ligne d'Alger à Oran fût terminée, dès le


début même des travaux, en 1857, au moment où l'on arrêtait les

1. A. M. S. du 15 mai 1885.
2. Idem. S. du 6 juillet 1886.
3. Idem. S. du 19 déc. 1890.
4. Idem. S. du 18 oct. 1905 et du 25 janv. 1906. Il s'agissait du projet Hainez.
5. Idem. S. du 13 déc. 1906.
222 L'AMENAGEMENT DU SITE

plans du nouveau port, l'Ingénieur Aucour, qui présidait à leur

confection, avait réservé, sur les terre-pleins à créer en arrière

du bassin qui porte aujourd'hui son nom, un espace de 5 hectares


destiné à une gare maritime, dont les frais d'installation, y compris
les travaux de remblaiement à exécuter, seraient à la charge de

la Compagnie concessionnaire 1, c'est-à-dire, après 1867 2, de la Cie


P.L.M. Le décret du 28 juillet 1860 approuvant le projet et celui

du 16 juin 1868 fixant l'emplacement de la gare terminus du che

min de fer furent modifiés par celui du 18 septembre qui supprima

la dernière clause relative aux travaux 3 ; dès 1867 une voie pro

visoire était mise à la disposition de la Compagnie. Mais, alors que

sur tous les plans, de quelque origine et à quelque échelle qu'ils

fussent, on pouvait voir figurer sur les quais du bassin en cons

truction la « Gare Maritime », considérée comme devant, dans une


situation analogue, jouer le même rôle que celle d'Alger, lors de
l'ouverture au public de la ligne d'Alger-Oran enfin complètement

terminée, en mai 1871, les marchandises, par un grand détour


seules

vers l'Est, un boucle décrite hors les murs et un tunnel percé sous
le fort Sainte-Thérèse, arrivaient sur les terre-pleins ; les voyageurs

s'arrêtaient à la stationde Karguentah, simple halte devenue la


gare principale d'Oran. L'aménagement en était des plus sommai
res, l'aspect misérable, et l'on ne pouvait vraiment la considérer

que comme une installation provisoire.

En 1885, la Municipalité et le^Conseil Général étaient d'accord


pour en dénoncer l'insuffisance : Oran était la tête de ligne des
communications du département; une liaison prochaine allait cer

tainement l'unir au Maroc, et la création de services rapides avec

l'Espagne ouvrait d'autre part des perspectives nouvelles pour les

1. M. Meunier. Notice sur le port d'Oran. (Ports maritimes de la France.


1"
tome huitième, Paris.
partie. 1890, p. 212-332). Il s'agissait d'économiser ainsi
3 millions sur les travaux projetés.
2. Par la convention du 31 le 1"
mars 1863, ratifiée mai 1863 par le Gou
verneur Général Randon et par la loi du 11 juin 1863.
3. M. Meunier, o. c.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 223

relations entre l'Europe et l'Afrique du Nord l. Par ailleurs, en

1882, la Cie de l'Ouest-Algérien, concessionnaire depuis 1874 de la


ligne de Sainte-Barbe-du-Tlélat à Sidi-bel-Abbès, avait reçu aussi
la concession de celle d'Oran-La Sénia-Aïn-Témouchent 2. Le Con
seil Municipal, renouvelant, en 1884 3, un vœu déjà émis en 1883,
demandait la création d'une gare centrale commune aux deux com

pagnies ; mais le Ministre des Travaux Publics rejetait cette sug


gestion comme irréalisable sans des dépenses trop coûteuses 4.
Ainsi futétablie, à environ un kilomètre au Sud de la station de
Karguentah P.L.M., et en dehors des murs une deuxième gare qui

devait devenir en 1900 celle de l'Etat. Devant les instances répétées

des Corps élus, une Commission d'études avait enfin élaboré un

projet spécial de gare dite « centrale » réservée au P.L.M. Consulté


en 1891, le Conseil Municipal, par la voie du Maire, protestait

contre le plan proposé « indigne d'une de 75.000 âmes, devenue


ville

le premier port commercial de l'Algérie et la tête de ligne d'un


important réseau»5. Il le rejetait de nouveau en 1892 et en 1894,
tout en acceptant l'emplacement
de la gare, à 300 m. à
projeté

l'Est de l'intersection des boulevards Seguin, Marceau et Magenta;


la ville se développait en effet de ce côté vers le plateau Saint-
Michel, vers Saint-Pierre et Saint-Eugène, et le centre se déplaçait
progressivement dans cette direction 6. En 1895, il rappelait que la
Cie P.L.M., selon les conditions de la concession de 1863, était tenue

1. A. M. S. du 24 janv. 1895. On y exposa un historique de la question.


2. Jacques Poggi. Les chemins de fer d'intérêt général de l'Algérie. Paris,

1931 (Coll. du Centenaire), p. 38 (décret du 30 nov. 1874). p. 54 (loi du 5


août 1882).
3. A. M. S. du 18 août, du 29 sept, et du 2 oct. 1884.
4. Idem S. du 31 mai 1889. Le Ministre exonérait d'ailleurs la Cie P.L.M.
de l'obligation de transporter à la Marine les voyageurs à condition qu'elle fît
une gare convenable à Karguentah, à 800 m. en avant de l'autre.
5. Idem. S. du 12 fév. 1892. Le Président de la Chambre de Commerce, M.
Giraud, avait transmis au Gouverneur Général une pétition des habitants de
la ville basse réclamant la gare maritime —
comme un moyen de rendre à leurs
quartiers « le mouvement et la prospérité d'autrefois ».

6. Idem. S. du 17 déc 1894.


224 L'AMENAGEMENT DU SITE

d'approprier ses bâtiments aux besoins du commerce et de bâtir


une gare puisqu'elle n'avait jamais construit celle d'Oran-
centrale,
Marine1. Sur quoi la Compagnie ripostait qu'elle n'était tenue en

vertu du contrat qu'à construire une « gare maritime » 2. Devant


la mise en demeure par le Ministre des Travaux Publics d'avoir à
réaliser, selon cette donnée même, un aménagement permettant de
satisfaire à tous les besoins, elle promit en 1896 d'étudier l'instal
lation d'une gare principale « définitive » à Oran-Marine, et d'agran
dir celle de Karguentah pour les marchandises, avec les triages
nécessaires 3.
L'affaire traina en longueur, malgré les vœux réitérés4
et les
protestations publiques. On remettait sans cesse en question le
choix de l'emplacement : le projet Cayla plaçait une « gare cen

trale » sur les remblais du ravin d'Aïn-Rouina comblé 5, la Cie de


l'Ouest-Algérien proposait en 1898 de construire une gare sur les
terrains du Parc à fourrages et de pousser sa ligne de Bel-Abbès du
Tlélat à Oran, comme voie indépendante du P.L.M., par Mangin
et Sidi-Chami6. Le Gouverneur Général se ralliant à cette solu

tion, mais pour une gare commune, demandait à la Ville de céder

les terrains en question et s'engageait à exiger l'ouverture des


travaux avant trois ans 7. La convention intervenue entre la Ville
et la Société Immobilière et sanctionnée par la loi de 1899 coupa

court à ce projet. De son côté, la Cie P.L.M. se retranchait derrière


la menace d'un rachat de son rése%i par l'Etat 8
; ne venait-il pas

en d'annexer, en 1900, celui


effet de l'Ouest-Algérien ? En 1905,
le Conseil Municipal, consulté de nouveau sur un avant-projet

« définitif » de gare d'Oran-Karguentah, le rejetait comme insuffi-

1. Idem S. du 24 janv. 1895, du 13 oct. 1896.


2. Idem S. du 12 et du 23 nov. 1896.
3. A. M. S. du 23 nov. 1896.
4. Idem S. du 23 déc. 1897.
5. Voir plus haut, p. 208.
6. A. M. S. du 16 avril 1898.
7. Idem S. du 21 juin 1898.
8. Idem S. du 28 mars 1903.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 225

sant et demandait la réunion des deux gares de l'Etat et du P.L.M. K


Ce n'est qu'en 1908 seulement qu'on apprenait l'achèvement des
études la définitive de Karguentah 2 il était
pour gare « » ; en 1910,
décidé que la gare d'Oran-Marine serait uniquement affectée au

service du port 3. La nouvelle gare centrale, commune aux lignes


du P.L.M. et de l'ancien réseau de l'Ouest-Algérien, a été ouverte

au public en 1913. Il avait fallu plus de trente ans pour que la


grande ville de l'Ouest obtînt enfin satisiaction ; du moins elle pou

vait, sans risque de démenti, se vanter de posséder un étabhssement


ferroviaire hors de comparaison avec la pauvre et inconfortable
gare d'Alger, humiliante pour la capitale de la colonie.

Dès 1891, un projet de tramways urbains était présenté au Con


seil Municipal par M. Landini, ingénieur à Oran, et renvoyé à
l'examen d'une Commission4. Or, il existait depuis 1881 une Com
pagnie des Omnibus, qui avait obtenu, en 1889, le monopole des
transports publics en commun ; l'affaire fut classée, en raison des
difficultés qui devaient en résulter. En août 1895, une société de
Lyon, représentée par M. Faye, reprenait la question et s'offrait

à créer un réseau de tramways électriques 5. L'assemblée des ac

tionnaires de la Cie des Omnibus ayant rejeté ses offres, la Muni


cipalité mit le projet au concours 6. Quatre concurrents se présen

MM. éventuel de la Société Thom-


taient : Faye, Couderay, associé

son-Houston, Popp, qui proposait la mise en service de tramways


à air comprimé, et enfin la Cie des Omnibus d'Oran elle-même. Ce
fut le premier qui l'emporta 7. La concession était demandée pour

1. Idem S. du 4 avril 1905.


2. Idem S. du 28 nov. 1908.
3. Idem S. du 29 juin 1910.
4. Idem S. du 23 janv. 1891.
5. Idem S. du 30 nov. 1895.
6. A. M. S. du 30 nov. 1895. La Société Faye proposait de racheter le ma

tériel des Omnibus pour la somme de 125.000 francs.


7. Idem S. du 14 déc. 1895. Il se rendait acquéreur des omnibus en service

et s'engageait à créer un réseau plus complet que celui des autres : Place
la-
d'Armes, rue des Jardins, boulevard Malakoff, rue Charles-Quint, quai de
226 L'AMENAGEMENT DU SITE

75 ans, sans en vue de l'exploitation d'un réseau de


monopole,
tramways électriques destinés aux et facultativement
voyageurs,
aux marchandises. Six lignes devaient desservir la ville et ses

faubourgs ; le point de départ serait la Place d'Armes, et les direc


tions celles des Quais, de Gambetta, de Saint-Eugène, de la gare
de Karguentah, des portes de Valmy et d'Eckmûhl, soit une lon
gueur de 13 kilomètres, dont 8 sur des routes nationales intra et

extra muros. La Ville demanderait en conséquence la concession

à l'Etat pour la rétrocéder à la Société Faye. Un projet de convention

fut voté le 14 décembre et le dossier renvoyé pour examen aux

diverses administrations intéressées, parmi lesquelles celle des


Ponts et Chaussées, qui ne fit aucune opposition à l'installation
d'une ligne double sur le boulevard Seguin1. En novembre 1897

seulement, après des modifications successives 2, le Maire fut auto

risé à demander à l'Etat la concession du réseau qui lui fut accordée.

En 1899, les tramways commencèrent à fonctionner.

Les projets de funiculaires avaient précédé ceux des tram


ways 3 ; mais ils n'intéressaient guère, comme de juste, que la
vieille ville. Aucun n'a été suivi d'exécution ; nous les mentionne
rons cependant, ne fût-ce que pour mémoire. Dès 1885, M. Sartor,
qui était également en pourparler avec la Ville d'Alger, faisait une
proposition de funiculaires entre le boulevard Malakoff et la rue

d'Austerlitz, et des quais à la place de la République. En 1888, son

projet obtenait la préférence sur^tm projet Landini, mais sous la

2° 2e
Douane. Place d'Armes-Eckmûhl par le boulevard Seguin, celui du
Zouaves, le boulevard National, la route de Tlemcen jusqu'à l'Ecole Normale.

Place d'Armes à la porte de Valmy et au Cimetière par les boulevards Natio

nal, Sébastopol et d'Iéna. Place d'Armes à la gare de Karguentah par le
boulevard Seguin, la rue de Mostaganem et le boulevard Marceau. 5° Place

d'Armes-St-Eugène par le boulevard Seguin et la rue de Mostaganem..
Place d'Armes -Gambetta par le boulevard Seguin et la rue d'Arzeu.
1. Idem S. du 23 nov. 1896.
2. Idem S. du 22 janv. et du 23 nov. 1897.
3. Idem S. du 8 mai, du 18 et du 29 sept. 1885,. du 12 fév. 1886, du 15 janv.
et du 11 fév. 1888.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 227

réserve de l'approbation du Génie 1. Il reparaissait en 1891 2, mais

sur de nouvelles bases, et seulement pour le dernier trajet. En


1892 3, nouvel objectif : la place de la République à unir à la Place
d'Armes. Cette fois, le Conseil Municipal, rendant hommage à la
persévérancede l'auteur, votait un projet de convention ; l'auteur
demanda alors un délai pour se substituer une société qui ne put

être constituée. Entre temps surgissait une autre proposition qui

aurait pu être plus intéressante pour la ville entière et pour le


tourisme. MM. P. Gachet et Cie projetaient en 1894 de construire

un funiculaire à moteur hydraulique entre la porte du ravin de


Ras-el-Aïn et le marabout de Sidi Abd-el-Kader el Morsli qui do
mine Santa Cruz ; il s'agissait d'une ligne de 2.000 m. de longueur
et d'une escalade de 360 m. avec 0 m. 18 de pente. Le Préfet était
favorable ; mais il fallait compter avec les Ponts et Chaussées, le
Génie et le Service forestier. La Ville consentit seulement à ne

pas traiter avec d'autres personnes dans un délai à déterminer 4.


L'affaire n'eut pas de suite ; on peut le regretter. En 1895, une

nouvelle Landini, d'un


proposition ascenseur de la Marine à la
place de la République fut écartée, comme ne pouvant donner de
bénéfices et comme inutile, le Service des Travaux Communaux
étudiant un projet d'escaliers pour relier les quais à la rue Char
les-Quint 5. L'Algérie est un pays montagneux, où les Villes n'ont

guère de ménagements pour les jambes ni pour le cœur de leurs


habitants 6. En 1900 surgit une proposition Jouane pour relier la
Marine et le boulevard du Lycée ; un avis favorable fut donné par

1. Au sujet du tracé du boulevard Malakoff à la rue de Leoben.


2. A. M. S. du 8 déc 1891.

3. Idem S. du 24 juin 1892 et du 10 décembre.


4. A. M. S. du 2 juillet 1894.

5. Idem S. du 11 mai 1895.

6. Il faut reconnaître que, si les propositions de cet ordre sont restées sans

suite, à Oran comme à Alger, c'est que l'entreprise ne pouvait être lucrative
qu'à la condition d'être liée à une spéculation sur des terrains qui acquer

raient une plus-value, ce qui n'était pas toujours réalisable.


228 L'AMENAGEMENT DU SITE

le Conseil1. Reparu en 1906, il fut rejeté en 1907 à cause des exi

gences de l'auteur et l'on ne parla plus de funiculaires.

De ces dernières questions, on ne saurait nier que la plus urgente


à résoudre était celle des tramways ; car, depuis 1880, toute une
ceinture de faubourgs s'était formée hors des murs d'Oran, où se
trouvaient logés en 1901 près de 12.000 habitants2. Il est hors de
doute que la création de nouveaux moyens de transport rapides

a contribué pour une bonne part à en accélérer la croissance et à


provoquer ce mouvement centrifuge, dont on peut vérifier les effets

dans toutes les grandes cités modernes. Les statistiques des recen

sements paraissent bien en témoigner. C'est vraiment à partir de


cette date de 1900 que s'est produite cette poussée, qui en trente
ans en a plus que quintuplé la population3.

Les faubourgs extra muros continuaient à se développer dans


les deux directions qu'ils avaient suivies jusqu'alors, du côté du Sud
et de l'Est, guidés par les routes principales.

Au Sud, si le Ravin Vert était trop étroit pour se prêter à des


constructions nouvelles, et si sa population restait stationnaire 4,
en revanche, sur le flanc occidental de la route de Tlemcen était
né Chollet-Terrade, et à l'Est Eckmuhl s'allongeait par Brunie vers
leCamp des Tirailleurs. Le peuplement en avait presque quintuplé
en vingt ans 5. En 1892, il devenait nécessaire
d'y construire un
Groupe Scolaire6. Les habitants se ^aignaient d'ailleurs d'être dé-

1. A. M. S. du 23 août 1900, du 8 septembre, du 13 octobre 1906, du 30 mai

1907, 18 novembre 1907. L'auteur entendait se réserver un droit d'option et un

véritable monopole des funiculaires.


2. Exactement 11.535, soit 13,2 % de la population « municipale » d'Oran.
3. Elle est en effet passée de 11.535 à 60.720 en 1931.
4. En 1881, 558 habitants, en 1886, 588, en 1891, 581, en 1901, 401 en détachant
il est vrai Chollet qui comptait pour 339.
5. En 1881, 761 habitants en 1886, 2.127 ; 1891, 2.546 3.081 ;
; en ; en 1896,
en 1901, 3.774.
6. La population d'âge scolaire était de 500 enfants, dont 300 seulement pou
vaient fréquenter des écoles louées.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 229

laissés par la Commune i : les rues n'étaient pas classées et dans


un état déplorable. L'éclairage faisait complètement défaut ; il n'y
avait ni égouts, ni lavoir, la police même était à peu près absente.

Entre la porte de Tlemcen et les premières maisons, sur 400 m.

environ, pas d'arbres, pas de trottoirs ; en été, la poussière et le


soleil rendaient la route particulièrement pénible. Plus à l'Est, de
chaque côté de la route de Mascara, là où se trouvaient encore, en

1881, des fermes dont les propriétaires lotisseurs ont donné généra

lement leurs noms aux nouveaux faubourgs de la banlieue, de petites

agglomérations se dessinaient, Boulanger à l'Ouest et Medioni à


l'Est2. Entre la route de Valmy et la voie ferrée d'Oran-Alger,
Lamur groupait déjà en 1886 plus de 700 habitants et en 1901 plus
de 1.400 3. Fait caractéristique, la population indigène y affluait au
point que l'on pouvait prévoir dès cette époque un renversement

prochain des proportions entre elle et les autres éléments 4 on


; y
installait dès 1890 un poste de police.

Le groupe de l'Est, dont le peuplement était encore légèrement


inférieur 5, avait dans la réalité progressé plus vite, de part et

d'autre des routes d'Arzeu et de Mostaganem6. S'il n'était pas

soudé à la ville intra muros, c'était la conséquence des servitudes

militaires, qui formaient une ceinture isolante autour de l'enceinte


d'Oran. Au Nord, Gambetta se prolongeait vers le Ravin Blanc

1. A. M. S. du 4 mai 1906 et du 21 juillet ; la situation ne s'était pas amé

liorée.
2. Le premier recensement qui lui consacre une mention spéciale est celui

de 1891 ; on y compte 87 habitants ; en 1901, il y en avait 260.


3. Il apparaît pour la première fois dans le dénombrement de 1886, avec

739 habitants ; il y en avait 1.455 en 1901.


4. En 1886, on y recensait 129 indigènes, 532 étrangers, dont 531 Espagnols,
79 Français. En 1891 sur 1.170 unités, il y avait 427 musulmans ; en 1896, sur

1.290, 543 ; en 1901, le groupe Lamur-Medioni, soit 1.944 habitants, en ras

semblait 827. Medioni comptait 489 habitants.


5. Le groupe du Sud représentait en effet 4.823 habitants, contre 4.672 pour

celui de l'Est.
6. En 1881 en effet, les chiffres respectifs étaient de 1.319 et de 304.
230 L'AMENAGEMENT DU SITE

par l'Abattoir et Montplaisant qui occupait la boucle décrite par

la voie ferrée du port ; au Sud était né Carteaux, et au delà de


Gambetta Supérieur on mentionnait Bacciochi et Courbet1. Tout
cet ensemble, plus ou moins dense, cela va sans dire, constituait

de de 1.150 2 habitants ; or,


une agglomération plus 1881, on en

n'en avait recensé que 304. A cheval sur la route de Mostaganem

et d'Alger, Saint-Eugène dépassait déjà 2.000 habitants ; un espace


vide de 400 m. environ le séparait du quartier récemment surgi de

Saint-Charles, entre la gare de Karguentah et les murs. Jusqu'au


delà de la route de Sidi-Chami, Delmonte groupait plus de 700
habitants, et en bordure du chemin de fer, Victor-Hugo était déjà

en formation3.

1. Au recensement de 1901, on comptait pour Gambetta Central 248 habi


tants, pour Gambetta Supérieur et ses annexes 276, pour l'Abattoir 153, pour

Montplaisant 256 et pour Carteaux 225.


2. Le chiffre exact est 1.158.
3. En 1901 Delmonte figurait pour 725 unités et Victor-Hugo pour 358.
IV

DE 1900 A 1930

XXe
La période contemporaine de l'histoire d'Oran, celle du
siècle, de 1901 à nos jours, a été marquée par un accroissement

énorme de la population municipale, et, comme conséquence, par

une extension de la surface bâtie dépassant toutes les prévisions.

De 1901 à 1936, en effet, le nombre des habitants a plus que doublé :

de 93.330 il est passé, lors du dernier recensement, en 1936, à


194.746 ; l'agglomération oranaise, qui comprend en outre les com
munes d'Arcole, de La Sénia et de Mers-el-Kebir, a dépassé 200.000
(exactement 204.505). Entre les deux derniers dénombrements
quinquennaux, on note un gain de 36.765 unités pour Oran seul,
chiffre qui n'avait jamais été atteint jusqu'ici K
On imagine facilement qu'une ville dont la croissance s'avérait

aussi rapide nécessitait des aménagements de toutes sortes, des tra


vaux d'édilité de plus en plus importants, et d'une manière générale

tout ce qui constitue l'urbanisation des grandes cités modernes. Elle


ne pouvait pas non plus échapper à la crise du logement amenée

par la guerre et l'arrêt de la construction. Elle était enfin entraînée

dans ce mouvement de rénovation et de réadaptation urbaine à des


conditions de vie nouvelles que les historiens de l'avenir ne man

queront pas de signaler comme un des faits sociaux les plus sail

lants de notre époque.


Au premier rang des nécessités qui devaient s'imposer plus que

jamais aux édiles d'Oran, on pouvait placer la confection d'un

1. Le plus fort accroissement quinquennal avait été celui de 1906-1911, soit

de 16.569 habitants.
232 L'AMENAGEMENT DU SITE

plan d'ensemble d'aménagement, d'extension et d'embellissement,


tel que le prescrivit, en 1919, une loi rendue applicable à l'Algé
rie1. Nous avons montré comment avait été résolu, au fur et à
mesure des besoins, par des partiels, le problème de la voirie,
plans

dont le tracé commande évidemment la solution de tous les autres.


En 1912 2, le Maire de la Ville, M. Gasser, constatait avec regret

qu'il n'existait pas de plan général d'alignement et de nivellement

des rues, des places et des faubourgs. Et cependant les Municipalités


successives avaient homologué de nombreux projets de détail : en

1857, pour le quartier de Karguentah 3, en 1863, pour la vieille ville

intra muros, plan approuvé en 1865, remanié et complété en 1867 4,


après la décision définitive du Génie concernant le tracé de la
nouvelle enceinte, plans additifs de 1874 et de 1880 intéressant le
quartier Saint-Antoine, le Village Nègre et le plateau Saint-

de 1899 6 7
Michel5, plans et de 1903 réglant l'aménagement du
nouveau quartier des Casernes et de la Grande Poste, plan de
classement des rues du quartier Saint-Charles en 1910. Mais, outre
le défaut de coordination que l'on pouvait reprocher à ces tra
vaux, on devait déplorer l'absence trop fréquente de cotes de
nivellement. «Les rues seules dont la création est postérieure à

1. Loi du 14 mars 1919, rendue applicable à l'Algérie par le décret du


5 janvier 1922. ~

2. A. M. S. du 14 juin 1912. 1
3. Voir plus haut, p. 158.
4. Idem, p. 170.
5. Idem, p. 185.
6. Idem, p. 214 et A.M. S. du 28 juillet et du 29 octobre 1903.
7. A. M. S. du 28 juillet et du 29 octobre 1903. On dénomma 8
alors rues
nouvelles: El-Moungar, de Marseille, de Lyon, de Bordeaux, de Strasbourg,
de Colmar, d'Igli, rue Ampère. La rue des Casernes devint la rue Alsace-Lor
raine. Le Conseil Général, dans sa séance du 20 avril 1911, demanda la refonte
du plan d'alignement des nouveaux quartiers qui, selon lui, ne réservait pas
assez d'espaces libres, si nécessaires aux grandes villes. Le Conseil Municipal
déclara pouvoir lui donner
ne
satisfaction, faute de ressources. L'effort de la
Ville de la Société Immobilière avait déjà doté ces quartiers de voies
et
de 10,
12, 15, 20 et 25 mètres (A. M. S. du 27 février 1912).
PLANCHE XI

Les jardins de Létang, le Bois des Planteurs, Santa Cruz et le Santon.


Photo Lûck.

La gare centrale d'Oran.

Photo Liick.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 233

1905, disait le rapporteur, sont pourvues de profils en long officiels ».

Certains quartiers de la ville, par exemple ceux de Saint-Pierre et


de Miramar, ainsi que de nombreuses rues des autres, n'avaient

fait l'objet d'aucun classement. Il en résultait des difficultés nom

breuses, et pour les services municipaux de la voirie et pour les


particuliers, d'autant que de nouvelles constructions s'élevaient

sans cesse intra et extra muros, et que les architectes de la ville

étaient les premiers à réclamer contre cet état de choses. Le Conseil


Général s'en était ému et avait émis un vœu pour la confection

d'un d'ensemble de la ville, qui comprendrait à la fois les


plan

alignements et les nivellements. On ne ferait d'ailleurs que se con

former à la législation, notamment aux lois de 1807 et de 1884 1,


restées malheureusement sans effet. Par ailleurs, l'application des
lois sur l'hygiène nécessitait elle aussi l'existence d'un plan général

des conduites d'eau, de gaz et des égouts2.


Du plan d'alignement au plan de transformation et d'embellis
sement, il n'y avait pas loin ; le pas fut franchi. La question du
boulevard Front de Mer restait à l'ordre du jour 3, et il s'était

1. Loi Napoléonienne de septembre 1807, complétée en 1812, qui prescrivait

en effet (art. 52) la confection de plans officiels, dans le délai d'un an, pour

toutes les communes de plus de 10.000 habitants. Celle de 1884 (art. 68) rap
pelait aux municipalités qu'elles devaient posséder un plan d'ensemble au
1/10.000 et des plans divisionnaires au 1/5.000.
2. En 1906 (A. M. S. du 22 juin), sous la municipalité Giraud, le conseil

avait adopté le principe d'un projet à mettre au concours, pour la confection

d'un plan d'ensemble de la ville, avec les emplacements de quartiers neufs et

d'embellissements ; on mentionnait le boulevard Front de Mer, le quartier


futur du Château Neuf, l'élargissement du boulevard Seguin, les boulevards
extérieurs de ceinture, la création « d'artères nouvelles vastes, aérées » sur des

terrains encore vierges (Rapport de M. Bastié). Les projets seraient présentés

dans le délai d'un an, et réalisés, en tant qu'ils modifieraient les alignements
et au fur et à mesure des moyens. « Œuvre durable, utile, nécessaire, récla

mée depuis de trop longues années. »

3. A. M. S. du 11 octobre 1904 et du 28 juin 1905. On avait décidé le prin

cipe et ouvert les crédits pour la confection du plan de nivellement. Le 4 juillet

1905, le Conseil était saisi d'un projet Jourdan qui faisait partir le boulevard à
l'étude de l'angle Nord-Est de la place de la République ; la voie enjambait

8
234 L'AMENAGEMENT DU SITE

créé un courant d'opinion publique en faveur des grands travaux

urbains, à l'occasion du projet Cayla, comme à Alger, à propos du


plan d'E. de Redon. La grande ville de l'Ouest voulait elle aussi

faire figure de Capitale.

Le 12 juillet 1912, dans un rapport qui constitue pour l'histoire


de l'urbanisme oranais un des documents les plus intéressants, M.
Gasser traçait un vaste programme de réaménagement et d'em
bellissement, dont on ne peut manquer ici de faire l'analyse. L'une
des idées maîtresses était de rendre à la ville les avantages de
son site, en lui donnant enfin un front de mer accessible à la cons

truction privée et continu depuis la ville basse jusqu'à Montplai


sant et Gambetta. Du projet Cayla, la Société Immobilière avait

retenu, d'accord avec le Service des Travaux Communaux, le tracé


du boulevard des Chasseurs, belle percée conduisant de la rue
d'Arzeu au bord de la falaise, et celui qui en reliait l'extrémité
Nord au boulevard de Miramar. C'était un tronçon de ce front
de mer depuis longtemps les Oranais, et qui a été réalisé
rêvé par

de fait, partiellement du moins, par le boulevard du Nord ; mais


ce n'était qu'un tronçon, d'accès compliqué, et qui n'intéressait ni

le quartier de la Vieille Mosquée et du Lycée, ni la plus belle


position de la ville, celle du Château Neuf, écran interposé fâcheu
entre la Place d'Armes et la promenade de
sement
Létang, le balcon
d'Oran sur la mer. %
Or, il apparaissait que les dispositions de l'Autorité militaire

étaient plus favorables que jadis à une aliénation de ces précieux

par un pont la rue Charles- Quint, longeait en rampe le talus Nord de la pro

menade de Létang, passait en tunnel devant le belvédère, atteignait la route du


Port obliquement et de là la rue El-Moungar prolongée. Renvoyé à une « Com
mission des embellissements», il n'eut aucune suite, le Service des Travaux
communaux préparant un plan beaucoup plus vaste. En 1912 (A. M. S. du
12 juillet) le Conseil d'Administration du Lycée émettait un vœu pour qu'on
ne laissât pas édifier des constructions aux abords immédiats de l'établisse
ment, et pour qu'on ménageât un large dégagement devant le jardin. Il deman
dait à ce propos à être mis au courant du tracé définitif du boulevard Front
de Mer projeté.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 235

terrains. le Ministre de la Guerre, après consultation du


En 1906 1,
Conseil Supérieur de la Défense, en acceptait le principe, fixait
à 3 millions le montant de l'indemnité, et stipulait que la Ville
devrait fournir les emplacements nécessaires nécessaires pour la
reconstruction des bâtiments, Directions des Services, Hôtels de la
Division et de la Subdivision, Cercle Militaire, les. casernes devant
être sans doute transportées aux abords du camp Saint-Philippe.
Malheureusement la Ville ne pouvait rien conclure, de peur de
créer une concurrence déloyale à la Société Immobilière, qui n'avait
encore vendu qu'une partie des terrains concédés par la Conven-

1. A. M. S. du 18 juillet 1905, du 4 mai et du 13 octobre 1906. Le Maire avait

fait une démarche auprès du Ministre qui était alors le député d'Oran Etienne.
Il avait proposé comme terrains la Lunette Saint-André et le camp Saint-
Philippe ; les ateliers de l'Arsenal seraient relégués au Polygone d'Eckmuhl.
Il avait aussi négocié le rachat de parcelles, rue d'Orléans, pour la construction
d'une école. Mais quand il s'agit de supprimer les murs de l'enceinte de 1867,
le Génie se déclara hostile au déclassement. « En raison de l'importance crois

sante que prend la place d'Oran dans notre système défensif de l'Algérie, la
conservation de son enceinte s'impose au point de vue militaire. Quelle que

puisse être en effet son insuffisance relative en présence des engins puissants

de l'artillerie moderne, elle est encore en état de remplir efficacement le rôle

d'une chemise de sûreté, dont l'utilité autour de nos grandes places de guerre

a été maintes fois affirmée par les plus hautes autorités militaires ; car elle met

non seulement la population de la ville, mais encore les approvisionnements de


toute nature, que celle-ci renferme, à l'abri d'une insulte de la part, soit des
Indigènes, soit des éléments étrangers si nombreux dans la région oranaise,
soit enfin des compagnies de débarquement qui, ayant pris pied sur le sol afri
cain, seraient par surprise parvenues jusqu'au pied des remparts. J'estime dès

lors qu'il ne saurait être question de déclasser l'enceinte de la place d'Oran. »

(A. M. S. du 29 novembre 1906 —


Communication de la lettre adressée par le
19°
Min. de la Guerre au Général commandant le Corps, à Alger, en date du
15 octobre 1906). Tout au plus l'Autorité militaire consentait-elle à étudier
l'ouverture de communications à travers la fortification entre Miramar et Gam

betta, pour permettre le prolongement du boulevard Front de Mer projeté.

Sur la question de l'Arsenal, le Conseil Municipal (A. M. S. du 10 janvier


1907) invitait le Maire à faire de nouvelles démarches pour obtenir la cession

gratuite des terrains, soit 8.220 mq estimés par le Domaine à 328.800 francs, pour
en faire un jardin, dans ce quartier « qui serait le plus beau de la ville », et
que déparait fâcheusement l'Arsenal actuel.
236 L'AMENAGEMENT DU SITE

tion de 1898. Mais aujourd'hui cet obstacle n'existait plus et l'on


pouvait reprendre les négociations avec la Guerre, selon les vœux

réitérés du Conseil Municipal etdu Conseil Général, pour le déra-


sement du Château Neuf et le déplacement de l'Arsenal de Kar
guentah ; d'autre part, il fallait arrêter dès à présent un plan d'a
ménagement de nouveaux quartiers et d'améhoration des anciens,
dans la pensée de travailler à l'embellissement de la ville.

De là, les lignes générales du programme : dérasement à peu

près du Château Neuf, prolongement du boulevard Natio


total
nal jusqu'à la promenade de Létang, déplacement du Lycée, à
reconstruire sur l'Esplanade du camp Saint-Philippe, liaison directe

de la Place d'Armes avec le boulevard Front de mer par une large


artère obtenue en comblant une partie du ravin d'Aïn-Rouina, et

développement continu de ce boulevard, depuis l'emplacement du


Lycée, par dessus les ravins de la Mina et de la Cressonnière, jus
qu'au delà des murs ; enfin, ouverture complète du boulevard du
Lycée, qui jusqu'ici se terminait en cul-de-sac, de manière à offrir

encore une échappée sur la rade. Ainsi seraient dégagées les plus

belles vues du site, actuellement bouchées.

Le programme comportait en outre la création de trois quar

tiers neufs. Un, dont le centre serait le nouveau Lycée, établi au

camp Saint Philippe ; vers sa façade» convergeraient le boulevard


du 2B-Zouaves et la de Vienne prolongée, ainsi qu'une large
rue

voie qui, partant de la Place d'Armes, dégageait le Théâtre, emprun


terait la rue de Wagram, percerait de part en part et assainirait

le quartier israélite. Un autre, sur l'emplacement du Champ de


manœuvre alloti, formerait, avec la partie Ouest du Village Nègre
remaniée, un des quartiers les plus beaux
et les plus sains de la

villehaute. Enfin, la ville basse ou plutôt le vieil Oran n'était pas


oubliée ; l'Hôpital militaire et le Campement seraient
transportés,
avec d'autres établissements, tels que l'Arsenal de Karguentah, au
delà des murs, la rue Larrey et le boulevard Oudinot prolongés jus
qu'aux quais, la vieille Casbah
désaffectée, et un quartier neuf en
occuperait l'emplacement. Il pourrait un jour pousser ses cons-
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 237

tructions jusqu'au Bois des Planteurs ; par ailleurs, il communi

querait, au moyen d'un large pont jeté au-dessus de la place des


Quinconces, avec le quartier israélite transformé. La Marine serait

dotée d'immenses docks à quatre étages, destinés à remplacer

l'entrepôt réel de San Benito, devenu par trop insuffisant ; la Manu


tention, qui était non moins à l'étroit et dont la machinerie était
désuète, serait reconstruite avec tous les aménagements modernes

dans le voisinage des voies ferrées. On suppléerait enfin à l'exiguité


des terre-pleins du port en utilisant le ravin de la Mina, pour y
créer de vastes entrepôts, sur le modèle des voûtes du boulevard
de la République à Alger. Il était bien entendu que l'on profiterait

de la création de ces quartiers neufs pour y installer des écoles


primaires, primaires supérieures, des marchés, des dispensaires, dont
il fallait dès à présent réserver les emplacements.

Ce rapport fut pleinement approuvé par le Conseil Municipal


et le Maire fut autorisé à entrer en pourparlers avec l'Autorité
militaire. Il s'était à peine écoulé trois mois, qu'une Société Fon
cière et Immobilière, la Société Germain, Manent et Cie d'Alger,
demandait la priorité pour la réalisation d'un projet inspiré par le
programme du 12 juillet 1. L'économie générale en était la même.

Le quartier créé sur l'emplacement du Château Neuf était doté


d'un parc paysager reliant la
de Létang à l'esplanade
promenade

sur laquelle déboucherait le boulevard du Lycée prolongé. On


prévoyait aussi le prolongement de cette dernière artère jusqu'au
boulevard National, celui de la rue de la Bastille à travers l'Arse
nal de Karguentah. Le quartier de la vieille Casbah, désaffectée

et rasée, couvrait une grande superficie, jusqu'au Bois des Plan


teurs ; il était percé par deux grandes artères perpendiculaires, de
55 m. de large, avec contre-allées plantées d'arbres. Dans tous les
quartiers, des lotissements très réguliers, des rues larges, des squa

res nombreux, devaient donner à la ville « un aspect inconnu jus


qu'alors et des conditions d'hygiène excellentes ». De nombreux

établissements municipaux seraient parmi lesquels un Pa-


prévus,

1. A. M. S. du 29 octobre 1912.
238 L'AMENAGEMENT DU SITE

lais des Beaux- Théâtre digne de la d'Oran


Arts, et un « ville » sur

le boulevard Front de mer. La société, à qui la Ville rétrocéderait


les terrains du Domaine s'engageait à les niveler, à exécuter tous
les travaux de voirie, d'adduction d'eau, d'égouts, et à payer la
reconstructiondes établissements militaires. Le Conseil donna son
approbation unanime.

Comme il arrive presque toujours en pareil cas, l'exemple une

fois donné, on vit surgir d'autres projets. M. G. Bons, ingénieur

civil, proposa en mai 1914 1, de jeter un pont par dessus le ravin

de Ras-el-Aïn, entre la rue de Leoben, du quartier israélite, et la


route des Planteurs, en contrebas du Pavillon du Syndicat d'Ini

tiative ; les dépenses devaient être couvertes par des péages. On


décida que l'étude serait acceptée éventuellement, mais que la
priorité pour l'exécution resterait à la Société Germain-Manent,
conformément au vote du 29 octobre 1912.
La Grande Guerre survenue sur ces entrefaites n'arrêta pas

cette éclosion de projets d'urbanisme. En novembre 1915 2, en effet,


un Conseiller municipal demandait que l'ont mît à l'étude la créa

tion d'une vaste place sur la partie du ravin d'Aïn-Rouina compris

entre la rue El-Moungar et la mer, pour faire suite à la promenade

de Létang et la rapprocher des hauts quartiers de la ville ; elle

fournirait un magnifique emplacement pour les fêtes et les expo

sitions. Le Maire, et avec lui l'assemblée, estimèrent qu'il était


de le
pou™

préférable réserver ravin l'aménagement d'un jardin


public. C'est la destination qu'on avait prévue depuis longtemps 3 ;
la question restait à l'étude.
Un projet fut Conseil 1916
municipal présenté au en 4, comme

n'étant pas absolument définitif, maïs permettant une réahsation

continue, selon les disponibilités budgétaires et avec les modifica

tions que pourrait suggérer l'exécution. Le plan comportait :


1° l'a-

1. Idem S. du 23 mai 1914.


2. Idem S. du 24 novembre 1915.
3. Voir plus haut, p. 181.
4. A. M. S. du 3 mai 1916.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 239

ménagement du terre-plein existant à l'Ouest du Lycée et au Nord


de la rue El-Moungar, terrain loué le Génie à la Ville ; 2° le
par

comblement de la partie Nord du ravin, entre la route du Port


et le chemin de la Plage, avec une succession de plates-formes en

esplanades, de la cote 57 à la cote 5, reliées par une promenade

dessinée à la française, suivant le grand axe. De chaque côté, des


plantations formeraient des squares anglais et se prolongeraient sur

les pentes latérales. Celles-ci, jusqu'alors abruptes et dénudées,


prendraient le même aspect que le talus occidental de la promenade

de Létang vu de la place de la République. On exécuterait progres

sivement les remblais, les massifs, les plates-bandes, les mosaïques.


Ce projet séduisant fut approuvé et un crédit fut voté 1.
premier'

Il a été réalisé et il a doté Oran d'une promenade qui ne manque

pas d'élégance.

Entre temps, une autre question se posait, qui réclamait une so

lution urgente. L'accroissement accéléré de la population précipi

tait le débordement de la ville hors de ses murs. Il fallait se préoc

cuper sans retard de l'aménagement des nouveaux faubourgs, qui

menaçaient de s'étendre de la manière la plus désordonnée et dans


des conditions de salubrité précaires, au-delà de la zone des servi

tudes. Au recensement de 1906, on y dénombrait 17.397 habitants,


plus de 17 % de la population totale de la commune. C'était pour

une grande part l'effet d'un exode des éléments pauvres du peu

plement urbain. Or, dans ces quartiers suburbains, un grand nombre

de rues, pour ne pas dire le plus grand nombre, n'étaient pas clas

sées, et la plupart des propriétaires se refusaient à effectuer les tra


vaux indispensables pour assurer la salubrité ; et cela en dépit du
règlement général de la voirie d'Oran en vigueur depuis 1902. En
1913 2, la Municipalité émit un vœu pour l'application à l'Algérie de

1. Il s'élevait à 30.000 francs ; de nouveaux massifs furent plantés en 1918


(A. M. S. du 5 juillet).

2. A. M. S. du 15 janvier 1913. La loi du 22 juillet 1912 rendait applicable

aux voies privées, notamment pour l'écoulement des eaux usées, les vidanges
240 L'AMENAGEMENT DU SITE

la loi du 22 juillet 1922 sur les règlements d'hygiène de la voirie

privée et la constitution obligatoire de Syndicats de propriétaires.

Presque en même temps l, un autre vœu était présenté au Conseil


pour la création d'un Office public d'habitations à bon marché,
conformément aux lois du 12 avril 1906 et du 23 décembre 1912.

En attendant, on signalait2
le mauvais état des villages Lamur
et Lyautey, « véritables foyers d'infection » habités principalement

par la population indigène, peu soucieuse de l'hygiène, dont les rues,


privées d'écoulement, n'avaient pas d'égouts, et où les eaux usées
se répandaient librement sur la voie publique ; le Conseil décidait
de faire procéder à une étude d'ensemble pour tous les faubourgs.

Le décret du 5 janvier 1922, qui rendait applicable à l'Algérie la


loi du 14 mars 1919, survint fort à propos pour déterminer la Muni
cipalité à faire dresser un plan d'ensemble d'aménagement, d'exten
sion et d'embellissement de la ville, tel qu'il était prescrit par cette

loi. M. Wolff, directeur des Travaux communaux, fut désigné pour

la préparation de cet important travail 3 ; il était terminé en 1924


et comme avant-projet soumis à la Commission supérieure4.

et l'alimentation en eau les règlements relatifs à l'hygiène des voies publiques

et des maisons riveraines. Le règlement de voirie de la ville d'Oran du 15 février


1902 (art. 152), prescrivait d'ailleurs que le ^ol des voies privées devait être
ferme, nivelé et en bon état d'entretien, avea|écoulement des eaux, caniveaux
et absence de stagnations. La nouvelle loi permettait d'obliger les propriétaires
intéressés à constituer un syndicat, avec un syndic chargé d'assurer les travaux
et l'entretien. En de refus, le Président du Tribunal civil désignait d'office
cas

un syndic qui dresserait un devis, et un tableau de répartition des dépenses à


imposer aux propriétaires.

1. A. M. S. du 30 janvier 1913. Proposition du Conseiller Menudier.

2. Idem. S. du 21 juin 1921.

3. Idem. S. du 10 février, du 23 novembre 1922. Dans cette dernière séance,


on accorda une autorisation de lotissement au faubourg Gambetta, sous la

réserve que les lotisseurs se comformeraient à l'art. 8 du décret du 5 janvier


1922 et au règlement de voirie de la ville. C'était un progrès.

4. Idem. S. du 4 janvier 1924.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 241

En même temps, les demandes de lotissement se multipliaient1.

Un Office public d'habitations à bon marché était créé en 1922 2, et

des dotations de la commune lui étaient attribuées. Des sociétés pri

vées, comme le Foyer Oranais, construisaient des


Cités, telles que
celles de Boulanger, de Choupot et la Cité Maraval, dans la région
Sud extra muros, à l'Ouest de la route de La Sénia. La Ville ache

tait des terrains et collaborait avec le Gouvernement Général pour

subventionner les constructeurs 3. Une grande activité animait les


particuliers et les Services municipaux. Elle n'était pas seulement

sollicitée par la crise du logement ; car elle témoignait aussi de ce


regain de prospérité etde confiance qui a caractérisé la période
d'après-guerre, et de l'essor pris par la grande cité algérienne de
l'Ouest. Malheureusement, si les capitaux des sociétés et des spécu

lateurs s'offraient largement, les ressources financières de la Com


mune se révélaient insuffisantes. Cette raison majeure avait empêché

d'aborder l'exécution du de 1912, de doter Oran d'écoles


vaste projet

Primaires Supérieures, d'égouts collecteurs, de marchés couverts


aménagés selon les formules nouvelles, d'abattoirs modernes dont il

existait cependant un plan, et même d'assurer le pavage de nom

breuses voies qui en étaient encore démunies4. Il apparaissait de


plus en plus évident que les ressources ordinaires du budget muni

cipal ne suffisaient plus à pourvoir aux besoins d'une ville qui

poussait aussi rapidement et que, seuls, de grands emprunts pour

raient en permettre l'équipement.

Plus que jamais, la question du déclassement des fortifications

1. Dans les faubourgs extra muros. Car depuis longtemps, dans l'enceinte,
les terrains encore libres avaient pris une telle valeur (de 30 à 70 francs le
mètre carré)

sur la périphérie bien entendu —
que l'on ne pouvait songer

à y construire des habitations à bon marché (A. M. S. du 19 juillet 1905).


2. A. M. S. du 20 janvier, 25 février, 24 mars, 30 mai, 18 juillet 1922, date de
la création officielle de l'Office.
3. La Ville livra en 1922 des terrains de 15.000 mq.

4. A. M. S. du 12 novembre 1919. Exposé de la gestion de la Municipalité


de 1912 à 1919. On avait du moins, rien qu'en 1915-1916, consacré 460.000 francs
à la voirie seule.
242 L'AMENAGEMENT DU SITE

et de la cession des terrains militaires était à l'ordre du jour1. Le


dérasement du Château Neuf était réclamé en première ligne 2 ; or,

c'était le principal obstacle à un accord avec le Génie. Il exigeait,


en effet, la reconstruction sur l'emplacement même de la forteresse
de nombreux bâtiments, le transfert des casernes aux environs du
boulevard de Mascara, c'est-à-dire intra muros, dans une des ré

gions les plus intéressantes pour l'aménagement d'un nouveau quar

de la batterie de le bastion principal, il


tier, le maintien côte sur et

excluait des le Cercle militaire, dont les terrains appa


négociations

raissaient à l'autre partie devoir être réservés pour la construction


privée et pour une esplanade prolongeant la Place d'Armes au Nord.

Dans ces conditions, il était difficile de s'entendre. Après des démar


ches répétées, la Municipalité, sur la promesse du Gouvernement
Général de prendre lui-même en main la question, renonçait à pour
suivre la cession de l'Arsenal de Karguentah3. Le Ministre de la

Guerre, de son côté, consentait, en 1921, à la suppression des zones

de servitude, au voisinage de l'enceinte, sur 487 mètres de profon


deur, mais seulement après examen par les Commissions mixtes d'un

d'utilisation la Ville 4
plan bien arrêté par ; il manifestait, en effet,

1. A. M. S. du 12 novembre 1919. On rappela dans cette séance les princi

paux voeux émis successivement par les Corps élus et les groupements divers :

par le Syndicat Commercial le 8 avril 1905, par le Conseil Municipal le 4 mars

1906 et le 4 août 1919, par le Conseil GénéÀ le 26 octobre 1910 et le 23 octobre

1911, par le Syndicat des zoniers le 12 avril 1919. On citait les précédents des
villes d'Alger, de Philippeville, de Bône, de Mostaganem et de Sidi-bel-Abbès,
qui avaient obtenu satisfaction.

2. Idem. S. du 25 et du 27 avril 1920, où l'on fit un résumé de l'histoire des


négociations. Les bâtiments que l'Autorité Militaire voulait maintenir sur l'em
placement du Château Neuf étaient : l'hôtel
les bureaux de la Division, ceux
et

de la Brigade, la Direction et la Chefferie du Génie, les bureaux de la Place et


du Recrutement, une écurie pour 60 chevaux. Les magasins du Génie, la sec

tion des Infirmiers, une caserne pour 800 hommes et 42 chevaux seraient dé
placés, mais intra muros. On ne refoulait à Eckmuhl que quelques bureaux
tels que ceux de l'Artillerie, deux ou trois magasins et une écurie de 25 chevaux.

1er
3. Idem. S. du décembre 1921, du 23 décembre 1922 et du 21 mars 1924.
1er
4. Idem. S. du décembre 1921.
LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 243

certaines craintes, qui pouvaient bien n'être pas dénuées de fon


dement, au sujet de spéculations possibles, sans rapport avec l'uti
lité publique et peut-être contraires à l'intérêt général. On étudia
en conséquence un projet de boulevard extérieur de ceinture, dont
l'idée première avait été présentée au Conseil dès 1905 i.
Il sembla un moment que l'irritante question des fortifications
allait enfin être résolue. Le Conseil supérieur de la Guerre avait

émis, depuis 1921 2, un avis favorable au déclassement de l'enceinte,


y la Casbah, les forts Saint-André et Saint-Philippe, du
compris

Château Neuf lui-même, du fort Sainte-Thérèse, des Lunettes Saint-


Louis et de la Campana 3 ; le Ministre était prêt à soumettre au
Parlement un projet de loi, mais après une étude et des propositions

émanant du Génie, et sur le vu d'un plan d'utilisation par la Ville


des terrains militaires. Mais « déclassement » ne voulait pas dire
forcément aliénation, même à titre onéreux. Le Château Neuf et le
Cercle militaire restaient, en effet, exclus d'avance de toute opéra

tion de ce genre. Or, c'était précisément ce qui intéressait le plus la


Ville. En vain, elle proposait de percer seulement une avenue cen

trale, de la Place d'Armes à la Promenade de Létang, sans toucher


aux bâtiments la Chefferie du Génie. Celui-ci s'y opposa,
autres que

mais le Conseil décida de maintenir dans le plan d'embellissement


la partie relative au Château Neuf. Il s'arrêtait d'ailleurs au projet

de boulevard extérieur, à la demande de cession du camp Saint-


Philippe, pour y installer le Lycée de garçons, un square, et pouvoir
prolonger le boulevard Joseph-Andrieu jusqu'au viaduc qui relie

rait, par dessus le ravin de Ras-el-Aïn, la haute ville au Bois des


Planteurs ; il s'intéressait aussi à la Lunette Saint-Louis, où il vou

lait créer une promenade publique 4.

1. A. M. S. du 8 mars 1905.
2. Idem. S. du 31 janvier 1923.
3. Voir plus haut, p. 74.
4. A. M. S. du 31 janvier et du 25 juin 1923. La Ville demandait d'ailleurs
que le déclassement ne fût pas prononcé avant l'homologation du plan d'auto
risation, afin d'enrayer la spéculation et d'éviter des expropriations coûteuses,
au cas où l'on construirait d'ici là.
244 L'AMENAGEMENT DU SITE

avant-
Pendant que les pourparlers traînaient en longueur, un

projet de plan d'extension était dressé par le Service des Travaux


municipaux1. D'autre part, la Ville se décidait enfin à faire établir

un plan général au l/5.000e, portant les courbes et les principales

cotes du nivellement, dont la confection devait être confiée à un géo

mètre particulièrement expert, M. Danger, directeur de la Société

des Plans régulateurs de villes 2. Le projet du pont dit « des Plan


teurs » était soumis au Conseil et adopté en principe 3. On espérait

beaucoup de cette réalisation ; là devait être le débouché de la route


de Bou-Sfer à Oran par Sainte-Clotilde. Ses dimensions en feraient
un ouvrage grandiose, de 392 mètres de long, de 70 mètres de hau
teur des immeubles, de 14 mètres de largeur. Mais il ne
au-dessus

pouvait être exécuté sans la participation de la Colonie, du Dépar

tement, ni sans recourir à l'emprunt4.


Cet emprunt, auquel on devait arriver fatalement, après en avoir
fixé d'abord le montant à 15 millions, en 1927, on le portait en 1932
à 80 5. Le programme de répartition des fonds embrassait toute une

série de travaux d'édilité dont l'urgence primait évidemment celle

des autres : création d'un réseau régulier d'égouts pour les faubourgs
extra muros 6, usine pour l'incinération et le traitement des déchets
de la ville, réfection des chaussées et des trottoirs, construction de
Halles Centrales et de marchés couverts ; tout cela jusqu'à concur
rence d'environ 48 millions. Il n'y en avait pas moins de 30 réservés

1. A.M. S. du 4 janvier et du 3 juin 1924.


2. Idem. S. du 24 février 1931.
3. Idem. S. du 12 avril 1932. Il devait se raccorder au boulevard National par

une rampe de 236 m. et du côté des Planteurs, il se prolongeait par une rampe
de 119 m. suivie d'une patte d'oie, dont deux branches rejoignaient le chemin
2 des Planteurs, face faubourg Etienne. L'exécution
n"

vicinal au serait mise au

concours.

4. Idem. S. du 27 février 1931. On prévoyait 24 millions dont la moitié à la


charge de la Colonie, et 1/4 pour la Ville.
5. Idem. S. du 28 octobre 1927 et du 26 août 1932.
6. Idem. S. du 25 mai 1932. On adopta un projet de collecteur circulaire des
servant les faubourgs de Lamur, Sananès, Medioni, Delmonte. La somme néces

saire s'élevait à 23.500.000 ramenés dans la suite à 21.000.000.


LA CONSTRUCTION DE LA VILLE 245

pour l'exécution du plan d'embellissement et de divers projets d'ur


banisme, tels que l'aménagement du boulevard Front de mer et du
ravin de la Cressonnière, le Pont des Planteurs et le boulevard exté

rieur Circulaire, pour lequel on prévoyait une largeur d'au moins

40 mètres.

Le recensement de 1931 révéla un nouvel accroissement quin

quennal de 15.301 habitants (population municipale). Il portait pres

que exclusivement sur le peuplement des faubourgs qui en avaient

reçu à eux seuls 15.451, tandis que le vieil Oran en perdait 2.225
et que le reste de la ville intra muros n'en gagnait que 2.075, ce qui

signifiait évidemment un recul, si l'on tenait compte des gains pro

venant des excédents de naissances sur les décès. Les faubourgs


extra muros groupaient 60.720 habitants \ dont 35.421 pour ceux du
Sud2, dont la progression était explicable par la multiplication des
lotissements, et aussi par l'afflux des Indigènes de l'intérieur 3.
Les lotissements avaient été souvent exécutés dans des condi

tions notoirement défectueuses, au point de vue de la viabilité, de


l'écoulement des eaux, et par conséquent de la salubrité4. Il y eut,
à cet égard, un progrès sensible, du jour où l'on appliqua la loi de
1919, l'article 8 du décret du 5 janvier 1922, et d'une manière plus

sérieuse les règlements municipaux relatifs à la voirie et à l'hygiène.


Les demandes d'autorisation n'en surgissaient pas moins de tous les
côtés, de Gambetta et de Saint-Eugène jusqu'au-delà d'Eckmûhl, et

à l'intérieur même de l'enceinte5. Des Syndicats de propriétaires

1. C'est-à-dire plus de 38 % de la population totale de la commune.

2. A savoir (6.363), Chollet (1.173), Giraud (319), les cités Cuvel-


Eckmuhl
lier (651), Petit (1.675), Maraval-Berthoin (978), Eugène-Etienne (426) ancien —

faubourg des Planteurs dénommé E.-Etienne en 1929 (A. M. S. du 27 mai) —

la Ruche des P.T.T. (154), Brunie (1.177), Sanchidrian (480), Choupot (1.507),
Boulanger (2.111), Medioni (2.887), Sananès (2.011), Lamur (9.864), Lyautey
(2.559).
3. La population musulmane seule s'était accrue de près de 5.000 unités en

cinq ans. Voir plus haut, p. 108.


4. A. M. S. du 2 décembre 1924.
5. On en avait commencé l'application dès 1922 (A. M. S. du 23 novembre.

Lotissement Amoros au faubourg Gambetta. En 1926 on relève les demandes de


246 L'AMENAGEMENT DU SITE

s'organisaient un peu partout, notamment à Gambetta, à Saint-Eu

gène, à Carteaux, à Lamur, à Choupot, à Boulanger, à Eugène-


Etienne ; et cela, conformément au décret présidentiel du 18 no

vembre 1913, qui avait donné satisfaction à la ville d'Oran, en éten


dant à l'Algérie l'application de la loi du 22 juillet 1912 sur l'assai
nissement des voies privées. Cette mesure, des plus heureuses, jointe
aux dispositions du Règlement général de voirie du 30 mars 1922,

a certainement préservé les nouveaux quartiers et les Cités créés

autour d'Oran des graves dangers qui les menaçaient.

Petit (citéPetit), Karsenty et Lasry à Eckmuhl, Rodriguez à Eckmuhl, Mara-


val-Berthoin ; en 1927, de Berr à Saint-Charles, Morales à Medioni, Caizergues
à Arbèsville, Bentayou près la gare de Hammam -bou-Hadjar, Krauss à Arbès-
ville, à nouveau Petit et dans l'enceinte le syndicat des rues de

Miramar,
le lotissement Fouque et Duret, entre les rues d'Arzeu et de Coulmiers (A. M. S.
du 14 mai, 28 juin, 26 juillet 1926, du 28 octobre 1927 du 29 juillet 1925).

Celui de l'ancien hippodrome de Saint-Eugène fut approuvé le 2 décembre


1924. La ville dut acquérir 17 hectares de terrains pour desservir par des che

mins vicinaux Eckmuhl, Brunie, Cuvellier, Choupot, Gambetta, Courbet, Car


teaux, Mélis, Montplaisant et Arbèsville (A. M. S. du 15 février 1927). Dans
la suite les lotissements furent continuels ; on imagine facilement que le Ser
vice des Travaux Communaux n'aurait jamais pu suffire à l'aménagement de
tant de nouvelles agglomérations, sans la formation des syndicats de pro
priétaires.
V

DE 1930 A 1937

Dans cette histoire de la construction et de l'aménagement de la


ville intra et extra muros, la dernière période, de 1930 à 1937, n'aura

pas été la moins féconde heureux. Elle témoigne, en


en résultats

effet, de la part des particuliers, des édiles et des Pouvoirs publics,


d'une activité remarquable, inspirée sans doute par la nécessité de
pourvoir d'urgence aux besoins les plus pressants d'une cité, dont
la croissance se précipitait au-delà de toutes les prévisions, mais

aussi par la volonté fermement affirmée et constamment soutenue

de rénover l'urbanisme d'Oran et de suivre en cela l'exemple donné


par la Capitale.

Et d'abord les vœux réitérés à toute occasion par les Corps élus
et les divers groupements intéressés, les démarches poursuivies par
la Municipalité auprès de l'Autorité militaire depuis si longtemps 1
aboutirent à un succès, partiel assurément, mais néanmoins d'une
importance majeure pour le réaménagement de la Ville. Un décret
du 6 septembre 1933 2 autorisait le déclassement des remparts de
l'enceinte construite en 1866 entre la porte de Tlemcen et le Ravin
Blanc. Elle avait perdu toute valeur défensive et ne constituait plus

qu'un obstacle à la soudure des quartiers de la ville proprement

dite et à ses faubourgs du Sud et de l'Est ; les servitudes qui en

affectaient les abords formaient une zone non œdificandi préjudi

ciable au développement des constructions, et non moins à la circu-

1. Voir plus haut, p. 194.


2. Journal Officiel du 21 septembre 1933.
248 L'AMENAGEMENT DU SITE

lation périphérique1. Comme conséquence de décisions analogues

relatives aux terrains militaires de la Place, le Gouverneur Général


autorisait, par un arrêté du 23 octobre 1936, la vente de gré à gré
à la Commune d'Oran de l'emplacement occupé par l'ancien Champ
de Manœuvre près de la porte de Valmy, d'une superficie de 18 ha,
24 a, 93 c, moyennant le prix de 16 millions accepté par la Ville2,
et la remise immédiate de la fraction de 17.540 mq dépendant du

Champ de Manœuvre, en vue de l'ouverture d'un boulevard dont


la création avait été autorisée par un arrêté préfectoral du 24 octo

bre 1932 3. D'autres cessions de terrains à la Ville par la Colonie


étaient également prévues 4.

Ainsi le domaine militaire inclus dans les limites de la commune

se trouvait de plus en plus morcelé et réduit 5. Il embrasse malheu

reusement encore des terrains qui seraient particulièrement précieux

pour l'urbanisation et la création de nouveaux quartiers, et, au pre

mier rang, ceux du Château Neuf occupés dès notre arrivée, et ceux

des casernes, aliénés à la fin du siècle dernier, alors qu'on ne pré

voyait pas une expansion aussi rapide de la grande cité oranaise.

En dépit de la crise économique qui, par suite de la mévente

des céréales et des vins, affectait l'Oranie, comme d'ailleurs l'Algé-

1. Voir le Plan au 1/10.000 du Service Géographique de l'Armée.


2. Elle est payable en trois annuités égales, dont la première viendra à
échéance un an après la signature du contrat à intervenir.
3. Cette prise de possession entraîne pour la Commune l'obligation de payer,
à compter du jour de la signature du procès-verbal destiné à la constater, des
intérêts à 5 % de la fraction du prix représentant la valeur des terrains remis.

4. Le projet de cession par la Colonie des terrains


composant le Stade Turin,

en échange d'une parcelle de 10.000 mq dépendant du Champ de Manœuvre,


ne pourra être examiné que lorsque la Commune sera devenue elle-même

propriétaire de cet immeuble à la suite de l'approbation par l'autorité compé-

tnte du contrat de vente à