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Sous la direction de

François Bernard Malo • James D. Thwaites • Yves Hallée

L’HUMAIN
plus qu’une ressource
au cœur de la gestion
L’humain, plus qu’une ressource
au cœur de la gestion

Perspectives de gestion des ressources humaines


Sous la direction de
François Bernard Malo,
James, D. Thwaites
et Yves Hallée

L’humain, plus qu’une ressource


au cœur de la gestion

Perspectives de gestion des ressources humaines


Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil
a investi 153 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des
Canadiens de tout le pays.

We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts, which last year invested
$153 million to bring the arts to Canadians throughout the country.

Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année de la Société de développe-


ment des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de
leur ­programme de publication.

Maquette de couverture : Laurie Patry


Mise en pages : Marquis Interscript

© Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés.


Dépôt légal 1er trimestre 2019
ISBN 978-2-7637-2586-4
PDF 9782763725871

Les Presses de l’Université Laval


www.pulaval.com

Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen


que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval.
Table des matières

Avant-propos
Une image altérée IX

Introduction générale
Pourquoi « un autre ouvrage » sur la GRH ? 1

François Bernard Malo, James Douglas Thwaites et Yves Hallée

Partie 1 Notions fondamentales

1 L’enseignement de la gestion des ressources humaines au sein du champ des relations


industrielles au Québec : fondements, évolution et perspectives 12
Yves Hallée et Sylvain Luc

2 La profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en relations industrielles


au Québec et la formation à la gestion des ressources humaines à l’Université Laval 28
François Bernard Malo et Pierre-Sébastien Fournier

3 La stratégie et le stratégique dans la gestion globale des entreprises 60


James Douglas Thwaites

4 Le mythe du leadership et les approches fonctionnalistes : au-delà de l’impératif héroïque 85


Sylvain Luc

5 Changer stratégiquement une culture ou cultiver le changement stratégique :


à cette fin, soyez cultivé ! 102
Michel R acine

6 Engagement organisationnel : un état des connaissances 109


C arole Gagnon et Éric Gosselin

7 Redécouvrir le management – Un investissement précieux pour tempérer les croyances 137


Marie-Noëlle Berthon
VI L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Partie 2 Regards sur certaines pratiques RH

8 La sélection du personnel : une question d’appariement 160


R enée Michaud

9 La gestion des compétences et des carrières 182


C atherine Glée-Vermande

10 La rémunération en entreprise vue autrement : l’importance des dimensions sociales et sociétales 206
Yves Hallée

11 La négociation d’une entente collective en marge du Code du travail : le cas d’un collège privé 223
Mélanie Gagnon et C atherine Le C apitaine

12 Prendre soin des personnes au travail en intervenant dans les projets de changement :
Propositions de l’ergonomie 238
Marie Bellemare, Daniel Prudhomme et Fernande Lamonde

Partie 3 Nouvelles tendances et nouveaux enjeux

13 Le système économique mondialisé et les désordres dans les organisations 258


Jeanne Simard, Marc-André Morency, Jacinthe Douesnard et Laetitia Larouche

14 La dotation du personnel trans* dans les organisations québécoises 286


François Bernard Malo

15 Le rôle stratégique de la fonction ressources humaines à l’international :


une réflexion inachevée 300
Tania Saba

16 La gestion des ressources humaines territoriale : état des lieux et regards


sur la situation au Québec 319
Pascale Villeneuve-Alain et Yves Hallée

17 Gestion des ressources humaines et responsabilité sociale 338


Mustapha Bettache

18 Quelle place pour l’éthique en ressources humaines ? 358


Lyse Langlois, Samuel Mercier et Jennifer Centeno

19 Économie et gestion des ressources humaines : plaidoyer pour un retour aux sources
économiques institutionnalistes 377
Benjamin Dubrion

20 Critique d’une gestion des ressources humaines toujours plus stratégique 393
Evelyne Léonard et Laurent Taskin

Conclusion générale – Pour la naissance d’une tripalilogie 403
François Bernard Malo, James Douglas Thwaites et Yves Hallée
Liste des collaborateurs 41
Aux chercheurs et gestionnaires passés, présents et futurs
qui ont œuvré, qui œuvrent, et qui œuvreront pour le
développement d’approches favorisant la reconnaissance,
la valorisation et la promotion de l’humain au sein
de nos entreprises et organisations.

À nos enfants (Jeanne, Nadine, Julie et Antonin) qui seront


peut-être la prochaine génération de gestionnaires
en gestion des ressources humaines.
Remerciements

Nous tenons à remercier pour leur appui, leur patience


et leur professionnalisme Monsieur Denis Dion, directeur
général des Presses de l’Université Laval, et Madame
Jocelyne Naud, responsable de la production.
Avant-propos1

Une image altérée


1
Que cela plaise ou non, pour une part de l’opinion fran- économique et progrès social cheminaient de concert.
çaise, l’image de la fonction « ressources humaines2 » est La fonction « ressources humaines » pilotait l’accroisse-
altérée. C’est du moins ce que disent nombre d’articles de ment constant du pouvoir d’achat et nombre de salariés
presse, de sondages d’opinion et de témoignages venant accédaient à une certaine aisance. Le développement de
parfois même de membres de la fonction3 ! Les explica- relations managériales plus chaleureuses et d’une rela-
tions avancées sont multiples. Les observateurs voient tion d’emploi plus sécurisée était également une réalité.
dans cette altération soit la conséquence du repliement Les rapports entre employeurs et syndicats étaient d’ail-
de la fonction sur les affaires (business) et le court terme ; leurs plutôt sereins. Il est vrai qu’en ce temps-là, il y avait
soit celle de son éloignement de la réalité organisation- du « grain à moudre4 ». Les discours publics faisaient alors
nelle de l’entreprise et de ses processus de décisions ; soit volontiers référence au progrès et à la justice sociale.
encore celle d’un désir incontrôlé de servir la hiérarchie Puis les vents sont devenus contraires et l’ambition pre-
opérationnelle qui l’inciterait à se comporter trop sou- mière abandonnée. Pour de nombreux salariés, le travail
vent en auxiliaire de cette dernière. Mais bien d’autres est devenu progressivement plus précaire et la sécurité
raisons peuvent être encore évoquées… de leur emploi fut à nouveau menacée. Les rémunéra-
tions du plus grand nombre ont stagné pendant que les
Il est vrai que la fonction « ressources humaines » s’était
revenus de quelques-uns atteignaient des sommets iné-
peu ou prou légitimée en affichant pour ambition un
galés. Malgré les nouvelles technologies, les conditions
désir de marier harmonieusement efficacité de l’entre-
de travail se sont à nouveau durcies. Dans la presse, on
prise et humanisme. Ainsi, pendant des années, tout un
ne parle plus de progrès, ou si peu. Par contre, le stress,
chacun a pu avoir le sentiment que cette union était
l’épuisement professionnel ou le management par la
progressivement en voie de réalisation : croissance
pression y sont devenus des thèmes récurrents. Quant
à la justice sociale, elle est désormais une préoccupation
qui semble oubliée5…
1. Cet avant-propos est une synthèse d’éléments issus d’échanges
de textes et de rencontres entre Yves Hallée (Université Laval),
Marc Launay (membre de la DRH du Groupe Renault), Emma- 4. Cette expression a été popularisée par André Bergeron, Secré-
nuelle Léon (ESCP Europe), Emmanuelle Levy (Institut catholique taire Général de la Confédération Force ouvrière de 1963 à
de Paris) et Bernard Galambaud (ESCP Europe) qui en a assuré, 1989. En France, cette confédération est avec la Confédération
en outre, la rédaction. générale du travail (CGT) et la Confédération française démo-
2. Par fonction « ressources humaines », il faut entendre la fonction cratique du travail (CFDT), l’une des trois grandes confédérations
exercée au sein des entreprises. historiques.
3. Maurice Thévenet date de la fin des années 90, le début d’un 5. La Déclaration internationale de 1944 affirmait l’ambition de
mouvement de dévalorisation de la fonction et du concept mettre l’économie au service de la justice sociale. Voir Alain
­« ­ressources humaines  ». Supiot, L’esprit de Philadelphie, Paris, Seuil, 2010.
X L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Bien sûr, la profession « ressources humaines » a pris normes de sa profession. Parmi les fonctions constituant
conscience de tout cela. Mais que la réalité est dure à for- la profession « ressources humaines », on compte, bien
muler… Il suffit pourtant de consulter les programmes des évidemment, la fonction exercée en entreprise, mais éga­
nombreuses rencontres professionnelles s’étant dérou- lement celle de consultant, celle d’enseignant-chercheur,
lées au cours de ces dernières années, pour constater celle de prestataire de services, etc. Au sein du système
le grand usage fait de verbes comme « reconstruire », professionnel, la fonction en entreprise est centrale. Et
« réconcilier », « réintroduire », « retrouver », « redonner », etc. sa centralité n’est pas usurpée. Tout événement qui marque
Tous ces verbes décrivent implicitement une époque son activité ou son fonctionnement marque rapidement
défaite ; une époque perdue et regrettée. Affirmer en toute la profession. Cependant, cette fonction en entre-
ouverture d’un congrès professionnel la nécessité de prise est largement plurielle. En son sein cohabitent des
« retrouver la confiance », n’est-ce pas reconnaître impli- femmes et des hommes dont l’adhésion à la profession
citement sa perte ? Affirmer qu’il faut « reconstruire le lien est très variable et leurs parcours bien différents, tout
social », n’est-ce pas constater sa destruction ? De même, comme leurs ambitions. Leurs situations objectives sont
on parlera de politiques de « bien-être » au travail, afin de très dissemblables et la conception qu’ils se font de leur
ne pas nommer ce « mal-être » que pendant si longtemps rôle est diverse, voire opposée. Or, il faut bien qu’un dis­
on n’a pas voulu voir. Est-ce ainsi, dans le non-dit, qu’au cours « fasse » tout de même communauté. Alors des mots
sein d’une profession se construit un diagnostic partagé ? remplissent cet office ; bien souvent de ces mots que l’on
dit « valises » et dont la principale vertu est de flatter les
esprits de ceux qui les prononcent comme de ceux qui
les entendent. Quelle réalité recouvre, par exemple, des
Profession et fonction expressions comme le développement des talents ou du
Profession et fonction ne sont pas des synonymes. Une leadership, ou encore le management des compétences ? De
fonction, comme le mot l’indique, se définit par les fonc- même, que penser de cette affirmation à la sémantique
tionnalités qu’elle assure. Une profession est d’une autre particulièrement audacieuse, attribuant à la fonction le
nature. La différence entre une fonction et une profes- rôle d’accompagner le changement ou la stratégie ? Ces
sion est du même ordre que celle qui distingue un emploi dis­cours-là traduisent également la difficulté de la fonc-
d’un métier. Elle est de l’ordre identitaire. Ainsi dans une tion (et au-delà de toute la profession) à penser ses muta-
entreprise, un DRH non professionnel se percevra et tions alors qu’elle ignore assez largement la dynamique
cherchera à être perçu, comme un directeur parmi les de sa propre histoire. En effet, cette dernière est souvent
autres directeurs, alors qu’un DRH professionnel se per- réduite à quelques fables. Qui n’a pas entendu affirmer
cevra et cherchera à être perçu comme un directeur que la fonction aurait connu trois périodes ? Elle serait née
différent du fait de son appartenance à une profession de la simple administration du contrat de travail avant de
spécifique. Par contre, il est vraisemblable que ce pro- connaître une seconde période plus gestionnaire. Enfin,
fessionnel, afin de développer sa carrière, change selon dans un troisième temps, elle serait devenue réellement
les circonstances et les opportunités, d’entreprises ou de stratégique6. On imagine volontiers que le succès d’une
fonctions au sein de la profession. En effet, une profes- telle histoire tient largement au fait qu’elle se présente
sion regroupe le plus souvent plusieurs fonctions dont à l’esprit comme une marche en avant conduisant la
les membres partagent, entre autres, un même capital fonction du vil (l’administration) au noble (la stratégie) !
culturel fait de valeurs, de normes comportementales, de
connaissances et d’un même sentiment d’appartenance. 6. Dans sa thèse sur l’histoire de la fonction, la description que
donne Jean Fombonne du rôle de l’ingénieur social (un ancêtre
Le professionnalisme fait que les obligations d’un pro- du directeur des relations sociales) est davantage celle d’un
fessionnel, même inscrit dans la hiérarchie d’autorité contre-pouvoir à l’autorité hiérarchique que celle d’une fonction
d’une entreprise, ne peuvent se réduire à celles que administrative (Personnel et DRH, Paris, Éditions Vuibert, 2001).
De même, des années plus tard, lorsque la fonction a implanté
lui dicte son état de subordination. Or, il peut arriver
dans les entreprises les méthodes psychotechniques de recru-
qu’au sein d’une entreprise, les demandes adressées à tement ou les méthodes de qualification des emplois, elle était
un professionnel entrent en conflit avec les valeurs et une fonction bien plus technocratique qu’administrative.
  Avant- propos XI

Mais la compréhension du présent n’est pas seulement


Le pouvoir pluriel
hypothéquée par la diversité des situations de la fonc-
tion en entreprise, elle l’est également par la difficulté Lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, Roland
à afficher une compréhension trop différente de celle Barthes s’interroge : « Et […] si le pouvoir était pluriel,
exprimée par le monde patronal. Surtout que nombre de comme les démons ? […] Partout, de tous côtés, des chefs
DRH représentent leur entreprise dans diverses instances […] partout des voix “autorisées” […] à faire entendre
de ce dernier7… Alors est-ce par compensation de ses le discours de tout pouvoir […] 9. » Cette interrogation
difficultés à penser le passé et le présent, qu’au sein de la ne pourrait-elle pas également être partagée par les
profession les tentatives d’éclairer l’avenir ne manquent directeurs de programme d’enseignement en gestion
guère ? Mais que vaut l’effort de prospective lorsque la des ressources humaines ? Ceux-ci ne produisent-ils pas
rétrospective peine à être réalisée ? leurs propres discours sur ce monde de pouvoir qu’est
une entreprise dont la vie fait une large place au droit
Tout cela n’est pas sans conséquence sur des ensei-
et à la force10 ? Le droit : celui des règles internes comme
gnements dont l’ambition est de former de futurs pro-
celui de la Cité. La force : celle de l’autorité managériale
fessionnels en gestion8 des ressources humaines. Que
comme celle de la violence individuelle ou collective…
convient-il d’enseigner ? Faut-il réenchanter la profession
Un directeur de programme ne met-il pas également en
ou élever la lucidité sociale au rang des vertus profes-
scène des voix « autorisées » ; autorisées à sonoriser la
sionnelles ? Que dire à des étudiants qui doutent parfois
parole patronale, syndicale ou d’autres encore ? Aussi
de la pertinence de leur propre choix ? Quelles figures
cette pluralité du pouvoir nous rappelle que la gestion
de réussite doit-on leur présenter ? Et cela sur un marché
des ressources humaines ne peut être un seul exercice de
de l’enseignement où les responsables de programmes
techniques gestionnaires se satisfaisant du seul recours
en concurrence tant pour attirer des étudiants de qualité
à l’instrumentation. L’usage du contenu de la « caisse à
que pour séduire des employeurs potentiels, peuvent
outils » connaît vite ses limites au sein d’un champ essen-
être incités à recourir aux artifices du marketing… Les
tiellement politique.
réponses à ces questions sont bien évidemment diverses.
Certains programmes sont essentiellement centrés sur la
fonction « ressources humaines » en entreprise, alors que
d’autres cherchent à former des professionnels pouvant Les « relations industrielles »
aisément, au sein de la profession, migrer d’une fonction
L’enseignement du management des ressources
à l’autre. De même, si certains enseignants voient dans
humaines a déjà une histoire riche de traditions intel-
les pratiques de quelques grandes entreprises faisant
lectuelles. Dans cette histoire, le courant des « relations
autorité, comme dans les propos de leurs dirigeants, une
industrielles » occupe une place particulière pour avoir
sorte d’horizon indépassable, d’autres voient dans ces
fortement affirmé cette dimension politique de la gestion
mêmes pratiques et propos, une occasion de former leurs
des ressources humaines ; dimension qui va bien au-delà
étudiants à une compréhension critique du champ social.
de la prise en compte du fait syndical pour embrasser
Ces derniers programmes affirment implicitement que
l’ensemble des dimensions collectives de la vie d’une
le « savoir-comprendre » est tout aussi indispensable à un
entreprise. Les « relations industrielles » rappellent que la
professionnel que le « savoir-faire » et que l’intelligence
paix sociale n’est pas une absence de conflits, mais une
des situations est une vertu à cultiver !
régulation réussie. Cependant, la quête de paix sociale

 9. Extrait de la leçon inaugurale prononcée par Roland Barthes au


Collège de France le 7 janvier 1977.
7. C’est pour cela que l’on parle parfois de quasi-profession plutôt 10. « […] le droit et la force se disputent le monde ; le droit qui institue
que de profession RH. Mais il va de soi que la professionnalité et conserve… la force qui subjugue et pressure […] ». C’est par ces
de la fonction est plus ou moins accentuée selon les contextes mots que le général Foy commença son discours le 21 février
nationaux. 1825, devant la Chambre des députés français. Retenu par Jean
8. Sans autre précision, le mot gestion est utilisé dans ce texte de la Garrigues dans Les grands discours parlementaires, Paris, Armand
façon la plus large. Colin, 2017.
XII L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

peut générer si l’on n’y prend garde, des compromis


L’emprise des représentations
aux effets pervers. Yves Clot11 souligne que dans les
conditions actuelles de fonctionnement des organisa- Le discours d’un acteur du champ social, œuvrant à la
tions, le monde du travail a besoin de liberté, mais que conception et à la mise en œuvre de politiques et de
ce besoin peut être nié si un compromis social échange pratiques de gestion des ressources humaines, exprime
un accroissement du pouvoir discrétionnaire managé- souvent, explicitement ou non, des représentations,
rial contre la compensation financière d’un « travail sans des compréhensions, parfois même des idéalisations
qualité ». Comment de pareils accords, susceptibles de ou des caricatures de l’entreprise, de la nature du tra-
figer pour longtemps des situations peu acceptables, vail, des relations managériales, du comportement des
peuvent-ils obtenir l’agrément de la fonction « ressources personnes, voire de la place et du rôle de la fonction.
humaines » ? Pour s’y opposer, faut-il encore que cette Ces représentations ont une importance capitale : elles
dernière puisse marquer l’entreprise de son leadership induisent les choix politiques et orientent les pratiques.
intellectuel en affirmant, non seulement une vision Les divergences qui opposent si souvent les acteurs
humaniste, mais également une capacité à faire évo- entre eux, trouvent fréquemment leurs sources dans
luer les comportements des divers acteurs en les faisant leurs représentations respectives. De même, les mots
échapper à la logique de l’urgence ou de l’opportunité. retenus par les membres de la fonction pour dire leurs
activités, relèvent du même phénomène et ne sont pas
La gestion des ressources humaines est aussi affaire de
sans conséquence tant sur les attitudes des membres des
verbe. Et tous les discours ne servent pas les mêmes
Directions des ressources humaines que sur la produc-
objectifs. Certains cherchent à convaincre, à masquer, à
tion académique ou encore sur les choix d’orientation
légitimer des pratiques, pendant que d’autres cherchent
des étudiants.
davantage à donner à ces pratiques sens et compréhen-
sion, voire à dévoiler des enjeux implicites. Des acteurs
sociaux, pour mieux servir un pouvoir ou une stratégie
d’action, peuvent, dans leurs discours, s’affranchir de L’entreprise
la réalité. Peu de discours ont pour unique objet le seul
Un professionnel en ressources humaines se doit d’être
service de la lucidité, de l’intelligence des situations et du
le plus possible au clair avec les principales représenta-
dévoilement social. Quand un Directeur des ressources
tions véhiculées par autrui et par lui-même. La première
humaines ou un syndicaliste décrit la situation sociale
est bien entendu celle de l’entreprise. Certains acteurs
de son entreprise, il est lui-même au sein de cette situa-
sociaux se la représentent comme une réalité essentielle-
tion. Quand un DRH dit que la politique de rémunération
ment juridique où se nouent et se dénouent des contrats.
conduite est juste et équitable, ne cherche-t-il pas à légi-
D’autres se la représentent en simple agencement de
timer sa propre action ? Quand un syndicaliste critique
moyens au service d’une production alors que d’autres
une pratique sociale n’affirme-t-il pas en même temps
encore voient en elle un bien commun à tous ceux qui
sa propre raison d’être ? De même, dans toute fonction
y travaillent. Bien entendu, il y a ceux qui la réduisent
politique, le silence est aussi action. Parler ou se taire,
à la seule propriété de ses actionnaires. Bref, le mot
pour un DRH ou un syndicaliste, c’est toujours agir ou
« entreprise » est l’un de ces mots exprimant des visions
laisser agir. Ne rien dire, par exemple, de telle ou telle
bien différentes les unes des autres. A la fin des années
discrimination en usage, n’est-ce pas lui accorder un
1990, la plus grande des organisations représentatives
brevet de normalité ?
du patronat, le Conseil national du patronat français
(CNPF), laissait sa place au Mouvement des entreprises
de France (MEDEF). On a pu alors voir dans ce change-
ment une valorisation de l’entreprise et un effacement
de la figure un peu vieillie du patron. Mais la réalité
était peut-être plus complexe. On peut se demander si,
11. Yves Clot, « Libérer le travail devrait être une revendication
entre-autre, cet effacement formel du patron ne ren-
­s yndicale  », Le Monde, 27 juin 2017. dait pas plus aisé une confusion entre le dirigeant de
  Avant- propos XIII

l’entreprise et l’entreprise ? Le roi et le royaume s’incar- à un pareil modèle, ne peut plus être tenue dans le
nant en la même personne12, les intérêts de l’un et de contexte économique actuel. Ils peuvent également affi-
l’autre se confondant ! Et de ce point de vue, la tenta- cher que, pour eux, diriger une entreprise n’implique
tive est réussie. Lorsqu’un patron affirme défendre les pas qu’ils partagent le destin de son corps social14. De
intérêts de son entreprise, comment distinguer la part même, une communauté ne s’inscrit que dans le temps
de ses propres intérêts ? Mais la réussite connaît ses long. Or, la quête de flexibilité du volume d’emploi et de
effets ­pervers ? Aujourd’hui, une part des Français voit masse salariale a conduit bien souvent des entreprises
dans toutes politiques favorables aux entreprises, des à recourir à des formes d’emploi s’inscrivant dans des
« cadeaux » faits aux patrons ! Aussi les politiques pro-en- temps courts. La réalité communautaire ne peut qu’être
treprises peinent à rencontrer l’adhésion d’une opinion altérée par un pareil recours… Mais ce n’est pas la fin de
publique qui confond à son tour l’entreprise et le patron ! l’histoire. Et aujourd’hui, des voix s’élèvent, notamment
celles de syndicalistes ou d’universitaires, pour suggérer
Bien sûr, cette vision où patron et entreprise se
une modification de la gouvernance des entreprises afin
confondent ne fait pas l’unanimité. Aussi, il n’est pas
d’intégrer dans les processus de décisions, des représen-
exceptionnel d’entendre des syndicalistes ou des patrons
tants des salariés à côté de ceux du capital…
exprimer une autre vision ; une vision où l’entreprise est
une réalité sociale et économique distincte. Dans cette
entreprise, s’installent le plus souvent une culture com-
mune, des liens sociaux solides ainsi qu’un sentiment Le travail
de destin partagé. Une telle entreprise peut même avoir
Si la représentation que chacun se fait de l’entreprise
tendance à devenir une « société fermée » au sens que
est d’importance, il en est de même de celle du travail.
donnait Karl Popper à ce concept. Si une telle représen-
L’une et l’autre jouent un rôle de premier plan en matière
tation théorisée sous le nom d’entreprise communau-
identitaire. Tout un chacun sait qu’avoir un métier, ce
taire, semble être aujourd’hui davantage de l’ordre du
n’est pas avoir un emploi. Un métier, très présent dans
discours que de la réalité, c’est que les esprits ont été
la société préindustrielle, est tout à la fois un savoir-faire
marqués par la mise en œuvre d’un tel modèle dans un
peu ou prou mystérieux (tout métier a ses secrets) et une
passé regretté. Au milieu du 20e siècle, un tel modèle
identité installant son titulaire au sein d’une commu-
dominant en Europe comme en Asie ou en Amérique,
nauté ayant son propre corpus de règles et de valeurs.
est associé, au moins en France, au développement du
L’importance des métiers dans la société préindustrielle
pouvoir d’achat des salariés ainsi qu’à un important
conduira à l’émergence d’un syndicalisme essentielle-
mouvement d’homogénéité sociale du salariat13. Mais
ment centré sur la défense des intérêts de chaque métier,
tout a une fin. Et bien que l’aspect communautaire d’une
indépendamment de l’organisation ou de l’entreprise au
entreprise ne soit pas directement lié à sa dimension ter-
sein de laquelle il est exercé. Bien sûr, dans l’entreprise
ritoriale, il n’en reste pas moins que la mondialisation des
industrielle, il en sera différemment. On parle encore de
systèmes productifs a entraîné des effets de dissolution
métiers, mais en vérité ces derniers cèdent progressive-
du lien social précédemment construit. Mais un modèle
ment leur place à des « postes de travail ». Ces « postes »
communautaire est lié aux choix et comportements des
dont le contenu est défini par l’organisation peuvent
dirigeants. Et ces derniers peuvent nourrir la conviction
être généralement occupés après seulement une courte
qu’une pareille logique est un archaïsme ne convenant
formation pratique… Aujourd’hui, si le mot « métier »
plus à la modernité du temps. Ils peuvent avoir le sen-
demeure, il n’est le plus souvent qu’un sédiment langa-
timent que la promesse de sécurité qui est intrinsèque
gier exprimant une simple spécialisation ou la nature
de l’activité exercée. Aussi, profitant de cette altération
du concept de métier dans l’entreprise industrielle, une
12. Référence à la théorie des deux corps du roi (Erst Kantorowicz,
1957). Le roi posséderait un corps humain, donc mortel, et un
corps politique immortel (le royaume). 14. Ainsi un procès est-il instruit depuis plusieurs années contre des
13. Dans ces années-là, les statuts des diverses catégories de salariés dirigeants accusés de ne plus vouloir « faire société », ne plus
ont tendance à se rapprocher les uns des autres. vouloir se montrer solidaires des autres groupes sociaux.
XIV L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

autre offre identitaire s’est imposée : l’appartenance de syndicales fidèles à la vision d’une société composée
classe. Dans ce schéma, la classe ouvrière, contraire- de classes sociales antagonistes, s’opposent à tout inté-
ment à la singularité revendiquée de tout métier, se veut ressement aux résultats de l’entreprise. Plus surprenant,
universelle. Cette appartenance offre alors à l’esprit de une part du patronat est également hostile à cet intéres-
ceux qui s’y reconnaissent, une société dont le syndicat sement… Aujourd’hui, en France, on vient de débattre de
est l’un de ses appareils de classe, au même titre qu’un la question dite de « l’inversion des normes ». Traditionnel-
parti politique. En Europe, ce syndicalisme-là fera qua- lement, les normes de travail en vigueur dans une entre-
siment disparaître, à quelques exceptions près, le syn- prise, sont définies par une négociation collective au sein
dicalisme de métier. Mais emploi ou métier, le travail du secteur d’activité dont relève l’entreprise. « L’inversion
est toujours présent même si aujourd’hui, dans nombre des normes » consiste donc à ramener cette négociation
de situations, il devient de plus en plus invisible pour au sein même de chaque entreprise. Au-delà des argu-
reprendre un titre d’ouvrage de Pierre-Yves Gomez15. Le ments explicitement avancés tant par les partisans que
travail, c’est bien évidemment un résultat : la production par les opposants à cette inversion, c’est largement la
d’un objet ou d’une prestation. Cependant, pour celui qui question de l’appartenance et de l’identité qui oppose
le réalise, le travail n’est pas seulement cela. Il est aussi les uns aux autres. Plus un acteur « pense » la société en
un engagement : des efforts qu’il a fallu consentir, des termes de classes, plus il est opposé à des normes spéci-
difficultés qu’il a fallu surmonter, des problèmes qu’il a fiques à l’entreprise. Pour lui, une telle spécificité ne peut
fallu résoudre… Or, pour diverses raisons, des salariés que conduire à une intégration des salariés (et même
voient leurs managers focaliser toute leur attention sur du fait syndical) au sein de l’entreprise ; intégration qu’il
le seul résultat obtenu. Mais cette focalisation est une ne peut que refuser. Cette attitude n’est pas récente. Au
réelle amputation de toute une part de la réalité du tra- milieu des années 60, alors que certains acteurs sociaux
vail. Le but atteint devrait-il faire ignorer le chemin qui envisagent d’installer une présence syndicale officielle
y conduit ? au sein de l’entreprise, une même ligne de fracture divise
les syndicats de salariés comme les organisations d’em-
ployeurs. Cette ligne oppose ceux qui veulent que le
fait syndical reste juridiquement hors de l’entreprise à
L’offre identitaire ceux qui veulent que l’entreprise, comme communauté,
De métiers ou de classes, à chaque vision de la société l’intègre officiellement. Ce débat sera provisoirement
son offre identitaire et son type de syndicalisme. Mais tranché en 1968 par la création de la section syndicale
l’entreprise communautaire n’est pas en reste. Elle aussi d’entreprise. Mais d’autres faits sociaux sont susceptibles
s’offre en identité à son personnel. Et parmi les éléments d’être porteur d’identité. On peut penser bien évidem-
de cette offre, il y a un type de syndicalisme : le syndi- ment, au fait linguistique, ethnique ou religieux…
calisme d’entreprise. Bien sûr, toutes ces offres sont en
La question identitaire est d’autant importante qu’au-
concurrence. En France, lorsqu’en 1958, le général de
jourd’hui, la notion de salarié se brouille. Jacques Le
Gaulle, alors Président de la République, invite les par-
Goff écrit : « le statut de salarié fait de plus en plus penser
tenaires sociaux à s’engager dans la mise en place d’un
aux Montres molles de Dali : texture incertaine, contours
système d’assurance chômage, il s’adresse explicitement
imprécis16 ». Il est vrai que pendant des années, lorsque
aux organisations patronales d’une part et aux syndicats
le mot « salarié » était prononcé, dans l’esprit de chacun
ouvriers d’autre part. Cette formulation s’inscrit dans la
émergeait l’image de l’ouvrier ; ce producteur de biens de
logique de classes alors dominante. Mais, à la même
l’économie industrielle. Mais aujourd’hui, l’économie est
période, en créant à l’intention des salariés un système
davantage postindustrielle. Et dans une telle économie
d’intéressement aux bénéfices de l’entreprise, il favorise
que l’on dit parfois « immatérielle », le producteur n’est
cette fois le développement de l’entreprise communau-
plus majoritairement un ouvrier devant sa machine-outil,
taire. C’est pour cela d’ailleurs que les confédérations
mais de plus en plus un expert devant un ordinateur, un

15. Pierre-Yves Gomez, Le travail invisible, Paris, Éditions François 16. Jacques Le Goff, « La subjectivation du travail », Cadres, n° 471,
Bourin, 2013. décembre 2016.
  Avant- propos XV

« manipulateur de symboles », pour parler comme Robert principe traditionnel de fonctionnement des entreprises :
Reich17. L’ouvrier de l’économie industrielle vivait sa celui de l’unicité hiérarchique qui veut que chaque salarié
subordination salariale en trois dimensions : celle du lieu, n’ait et ne puisse avoir qu’un seul manager ! Si la vision
celle du temps, et celle des règles lui dictant de façon plus traditionnelle du management réduit la relation mana-
ou moins précise ce qu’il convenait de faire. Aujourd’hui, gériale à un jeu à deux (le managé et son manager),
les nouveaux modes de production (développement le développement de la structuration transversale en
du numérique, travail à distance, appel à l’initiative, etc.) ajout à la traditionnelle structuration verticale, conduit
permettent à nombre de salariés d’échapper à une part nombre de salariés à répondre de leurs actions devant
de cette emprise. Aussi, la subordination salariale peut deux managers, voire trois. Cela crée des situations telle-
être plus diffuse et le travail salarié devenir, toujours ment en rupture avec la représentation traditionnelle que
selon Jacques Le Goff, « une activité d’allure de plus en ces situations sont difficiles à penser ; difficile également
plus indépendante18. Est-ce cela qui donne du crédit à à nommer. Aussi, au sein des entreprises, fleurissent des
l’idée d’une « entreprise libérée19 », libérée de ses règles, oxymores comme « hiérarchie fonctionnelle » ou « chef
voire de son encadrement ? Bien évidemment, les lau- non hiérarchique ». Le fait que des représentations soient
dateurs de cette idée minimisent, quand ils ne l’ignorent en retard d’une mutation, qu’elle soit économique, sociale
pas, le risque d’anomie qui menace toute organisation ou organisationnelle, n’a rien d’exceptionnel ! N’est-il pas
dont les règles s’affaiblissent exagérément. banal d’entendre le Directeur des ressources humaines
d’une entreprise dont la culture communautaire s’est
largement défaite, en chanter les vertus, comme si elle
était encore d’actualité ? En 2005, Alain Touraine appe-
Une représentation de lait ce phénomène la « fausse conscience20 ». Cependant,
l’organisation marquée par le passé cette « fausse conscience », ce retard des représentations,
Pour un professionnel en ressources humaines, une entrave la compréhension collective des réalités organi-
entreprise est également certes une collectivité sociale, sationnelles et sociales.
un projet économique, parfois une histoire, mais toujours
une organisation. Et la représentation dominante de
cette dernière intègre deux principes de fonctionnement Vers une entreprise
hérités de l’ère industrielle. Le premier, celui de la ver-
ticalité, impose un fonctionnement en silos juxtaposés
culturellement ouverte
(le commercial, la production, l’administratif, etc.). Or, on Représentation de l’entreprise, de l’organisation, du lien
sait que ce choix organisationnel induit davantage de social, mais quid également de la représentation de la
cohabitation au sein de l’entreprise que de collaboration. relation entre l’entreprise et la Cité ? Il y a eu toute une
Aussi depuis plusieurs années, cette structure verticale période, où nombre d’entreprises semblaient partager
a-t-elle été souvent doublée d’une structure transver- identité et avenir avec une ville, un territoire. Bien évi-
sale afin de réduire les effets négatifs de la verticalité. demment, en fonction notamment de l’importance de ses
C’est le développement des organisations matricielles effectifs, l’entreprise exerçait alors sur cette ville, sur ce
où la structure hiérarchique classique est croisée par territoire, une certaine domination tant économique que
une autre hiérarchie dite parfois horizontale. Bien évi- culturelle. Mais aujourd’hui si l’entreprise demeure éco-
demment, un tel développement malmène le second nomiquement dominante, il en est différemment sur le
plan culturel car elle est devenue en ce domaine relative-
ment poreuse. L’entreprise n’étant plus aussi fermée aux
17. Robert Reich, L’économie mondialisée, Paris, Dunod, 1997.
évolutions sociétales que précédemment, ses dirigeants
18. Cette situation favorise d’ailleurs des contournements juridiques
du statut salarial. doivent compter avec des forces culturelles externes sou-
19. Référence au débat suscité par les travaux d’Isaac Getz. Voir
vent portées par des ONG ou des journalistes engagés.
à cet égard Isaac Getz, Brian M Carney, Liberté et Cie, Editions
Fayard, Paris, 2012 et Isaac Getz, L’entreprise libérée, Editions
Fayard, Paris, 2017. 20. Journal Le Monde, 8 novembre 2005
XVI L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

En France, cela a été particulièrement vrai dans la lutte qui caractériseraient leur étroite collaboration. Bien
contre les discriminations en matière d’accès à l’emploi entendu, ces propos révèlent surtout leur propre désir
et contre les situations de souffrance au travail. Sans ces d’être perçu au sein de l’entreprise et au-delà, comme
pressions venues de la Cité, il est vraisemblable que ces le plus écouté des « conseillers du Prince » … Derrière la
thèmes n’auraient aujourd’hui, dans l’entreprise, toujours nature de cette relation, il y a la question de l’autorité du
aucune actualité. Aussi, certains dirigeants s’insurgent Directeur des ressources humaines. Mais cette fonction
contre ces intrusions qu’ils jugent illégitimes et tentent de est-elle réellement une fonction d’autorité ? Si l’on suit
leur résister. D’autres par contre apprennent à travailler Alain Eraly, il n’y a pas d’autorité naturelle. Toute auto-
avec des représentants de ces forces culturelles exté- rité est sociale. Une telle fonction incarne toujours un
rieures à l’entreprise, notamment des ONG … collectif, une entité21. Mais au sein de l’entreprise, quel
collectif, quelle entité incarne le directeur des ressources
humaines ? Lorsqu’il parle ou décide, le fait-il au nom

La fonction face à sa représentation de la communauté « entreprise » dont il rappelle la règle


collective ? Le fait-il au nom de sa profession qui lui a
Et puis il y a la représentation que la fonction se fait enseigné la norme ou encore au nom d’une direction
d’elle-même, de sa légitimité, de son rôle, de sa raison générale dont il interprète les intentions ? Cela dépend
d’être, de l’étendue de son pouvoir et de son autorité. vraisemblablement des situations, des moments et de la
Au sein de l’entreprise, cette représentation est souvent stratégie de chaque DRH.
source de conflits. Dirigeants, managers, syndicalistes et
membres de la fonction peuvent avoir des représenta-
tions différentes du « bon DRH », du « véritable DRH ». Il y
a peu, des membres de la fonction espéraient trouver un DRH : trois lettres, trois dimensions
supplément de capacité d’influence dans un ralliement à La première, le « D » de DRH, exprime-t-elle toujours la
l’exigence économique et financière, concrétisé par une réalité de la fonction ? Le titre de direction est-il à un
subordination au management opérationnel. En vérité, statut accordé ou l’explicitation d’un rôle consistant à
cette subordination réelle ou même supposée, a altéré fixer des buts à atteindre, les moyens à mettre en œuvre
davantage encore l’image de la fonction au sein du corps et le contrôle des résultats obtenus ? Puis vient le « R ».
social. En effet, ce dernier attend autre chose d’un DRH Est-il celui de « relations » ou celui de « ressources » ? Si ce
que cette subordination. Il attend une fonction en capa- « R » est celui de « relations », renvoie-t-il essentiellement
cité d’assurer au sein de l’entreprise, la conception et la aux « relations individuelles » ou aux « relations collec-
mise en œuvre de politiques de gestion des ressources tives » ? Bien évidemment, dans le premier cas, la fonction
humaines ainsi que la défense de l’équité, de la justice aura tendance à se « psychologiser », à s’interroger sur les
sociale et d’une certaine morale humaniste. besoins de la personne au travail ou sur les comporte-
En vérité, c’est la spécificité du DRH, et notamment sa ments dans l’entreprise de telle ou telle catégorie parti-
professionnalité, qui est une fois encore mise en ques- culière. Mais si le « R » est celui de « relations collectives »,
tion. Pour certains esprits, le « bon DRH » serait une sorte la fonction va alors se centrer, en priorité, sur la maîtrise
d’accompagnateur, de conseiller œuvrant auprès de la des rapports entre les groupes sociaux et la direction de
hiérarchie. Pour d’autres, le « bon DRH » serait soit un l’entreprise. Le « R » peut être aussi celui de « ressources »
directeur comme les autres directeurs, soit un membre au sens économique. Alors la propension à en rechercher
d’une profession particulière apportant compétences, l’usage optimal aura tendance à s’imposer. Enfin le « H »
principes d’action et valeurs de référence. Plus surpre- du qualificatif « humaines ». Ce qualificatif limite-t-il son
nants sont les propos de ces nombreux DRH qui – chacun ambition à ne qualifier que la ressource gérée ou veut-il
se voulant professionnel – affirment que leur fonction signifier la nature plus ou moins humaniste de la poli-
exige une proximité quasiment personnelle avec le Pré- tique conduite ? Il va de soi qu’une politique humaniste
sident de leur entreprise. Ils se sentent alors obligés de
louer la qualité des relations et l’harmonie de pensées 21. Alain Eraly, Autorité et légitimité, Toulouse, Éditions ERES, 2015.
  Avant- propos XVII

est une notion d’une autre nature qu’une politique dont producteurs de l’immatériel deviennent de plus en plus
l’objet ferait sa première priorité de la recherche de l’op- nombreux, la question de l’optimisation des ressources
timisation économique de l’usage des compétences et se pose en termes nouveaux. Alors, la gestion des res-
talents rassemblés. Cela ne signifie nullement qu’une sources humaines deviendra explicitement une gestion
politique de gestion des ressources humaines ne puisse de ressources. Cela dit, la faiblesse théorique du champ
chercher à être tout à la fois une quête de la performance pénalisera cet enseignement, surtout que, simultané-
économique et au service de valeurs humanistes. Cela ment, se développent dans les entreprises des pratiques
relève alors de compromis qui font que la gestion des res- qui sont plus proches d’une idéologie du marché que de
sources humaines est rarement aussi économiquement la gestion. Ainsi certaines entreprises vantant les vertus
efficace qu’elle pourrait l’être et jamais aussi humaine d’un « salarié acteur de son destin », chercheront à créer
que certains voudraient qu’elle soit ! des « bourses de l’emploi ». Cette « invention », sous pré-
Bien sûr, si les pratiques de gestion des ressources texte de responsabiliser les salariés, masque en réalité
humaines doivent être économiquement efficaces, elles un désengagement de la fonction de toute promesse,
doivent être peu ou prou socialement légitimes, perçues même implicite, concernant l’avenir de chacun au sein
par le corps social comme relativement justes et respec- de l’entreprise… Puis, c’est l’aspect communautaire des
tueuses de chaque salarié. Les exemples ne manquent entreprises qui se fissure. Les relations et les conditions
pas où une quête d’efficacité s’est délégitimée en condui- de travail tendant à s’altérer, les thèmes du bien-être au
sant à une réification sans retenue des personnes. Certes, travail, de la diversité, de la conduite du changement,
par définition, les pratiques de gestion transforment tou- finiront par faire l’actualité. Alors, dans les programmes
jours plus ou moins, les personnes gérées en objets de des cours portant sur chacun de ces sujets, viendront
gestion. Mais lorsque cette réification devient excessive, s’additionner…
le management devient pathogène. La vie des entre-
Depuis quelques années, un thème se retrouve dans
prises est pleine de ces exemples où une sorte d’inté-
l’actualité : de plus en plus souvent, dans les grandes
grisme gestionnaire aux convictions et savoirs rigidifiés,
entreprises, les dirigeants prendraient pour DRH des
a engendré de graves crises sociales, voire des drames
personnalités venant du management opérationnel et
humains…
non plus de la profession22. Bien évidemment, quelle
que soit sa vérité, une pareille idée infiltre le doute sur
la pertinence du développement d’un professionnalisme
L’enseignement des « ressources humaines » et des enseignements y contri-
ressources humaines buant. Alors des programmes académiques cherchent
à apporter des réponses au défi perçu. Il faudrait dit-on
L’enseignement des politiques et pratiques de gestion
que l’enseignement soit plus concret, plus proche aussi
des ressources humaines implique des choix qui ont été
de l’entreprise, de son monde, de ses préoccupations,
souvent faits sous double influence : celle d’éléments
voire de ses discours. Certains programmes vont ainsi
théoriques et doctrinaux portés par la littérature acadé-
donner plus de place à des témoignages et anecdotes
mique et celle de pratiques d’entreprises véhiculées par
de dirigeants et de praticiens en gestion des ressources
quelques leaders d’opinion. En France, dans les années
humaines au détriment de celle accordée aux apports
1960, ont été largement valorisées les approches de
psychologie individuelle. Certes, les relations avec les
22. Dans un article récent, Jean-Michel Garrigues souligne que
représentants du personnel auront également une place
« depuis plusieurs années la majorité des nouveaux DRH des
au sein des programmes, en peinant toutefois tant à se grands groupes… sont des opérationnels » (revue Personnel,
libérer de l’emprise du formalisme juridique qu’à prendre n° 582, octobre 2017). Mais Robert Bosquet notait déjà qu’il res-
en compte le caractère particulier d’une négociation sortait d’une enquête de 1979 que de nombreux DRH de grandes
entreprises avaient précédemment exercé d’importantes res-
sociale. Autour des années 1980, alors que l’économie
ponsabilités opérationnelles (« Évolution et perspectives de la
commence à se mondialiser dans des entreprises où fonction personnel », dans Pratique de la fonction personnel, Dimitri
le lien social est encore construit dans la durée, où les Weiss et Pierre Morin, Paris, Les Éditions d’organisation, 1982).
XVIII L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

des enseignants-chercheurs. De même, l’importance des de dynamisation de collectifs sociaux 23. C’est pour cela
sciences humaines et sociales pourra être minimisée qu’elle est une fonction essentiellement politique, une
au profit d’enseignements plus connotés business. Une fonction experte dans l’art de trouver des compromis
vision exagérément focalisée sur la sphère de la direction entre des collectifs plus ou moins stables, ainsi que dans
d’entreprise pourra même conduire à l’oubli des réalités l’art de faire cohabiter des groupes sociaux aux repré-
vécues par diverses catégories de salariés et des « bouil- sentations sociales différentes. Cela n’exclut pas, bien
lonnements » de la Cité devant les évolutions de son tissu évidemment, des actions plus psychologiques au profit
socioéconomique. de telle ou telle personne, plus sociales envers tel ou
tel groupe, plus gestionnaires aussi. Bien évidemment,
Aujourd’hui, alors que la fonction « ressources humaines »
la mise en œuvre d’un enseignement de gestion des
cherche à se repenser, l’enseignement de la gestion des
ressources humaines se doit de rappeler qu’une entre-
ressources humaines ne doit pas oublier que l’ordre
prise n’est pas forcément culturellement homogène et
social n’est pas un ordre « lisse », expurgé de toutes ten-
fermée sur elle-même. Au contraire, les mutations du
sions, de tous conflits, que le sens du travail n’est pas
temps font que les entreprises ont tendance à être cultu-
nécessairement partagé par tous et à tout moment, que
rellement plus diversifiées et plus ouvertes. De même,
tous les acteurs n’ont pas nécessairement les mêmes
la complexité croissante de la réalité économique et
objectifs et les mêmes intérêts et ne partagent pas les
sociale impose une fonction « ressources humaines »
mêmes représentations sociales. De même, l’enseigne-
de plus en plus capable de faire la différence entre la
ment ne doit pas craindre d’affirmer que la gestion des
connaissance, les faits sociaux, l’opinion individuelle
ressources humaines est également un ensemble d’in-
ou collective, et les contre-vérités qui rassurent pour
terventions sur la segmentation sociale, interventions
un temps. Au sein de la communauté universitaire, ces
produisant simultanément des inclus et des exclus.
conceptions peuvent être défendues sans attendre que
Aussi, ces interventions, même lorsqu’elles produisent
d’autres s’en fassent les champions. Il n’est écrit nulle
les effets attendus, produisent également des effets
part que l’enseignement et les enseignants en « res-
non voulus qui devront, à leur tour, être traités. De ce
sources humaines » doivent se tenir derrière la pratique
point de vue, la gestion des ressources humaines est
dominante et l’idéologie du moment.
un ensemble d’actions permanentes de structuration et

23. Evelyne Léonard, Ressources humaines : gérer les personnes et l’ordre


social dans l’entreprise, Éditions de Boeck, 2015.
Introduction générale

Pourquoi « un autre ouvrage »


sur la GRH ?
François Bernard Malo, James Douglas Thwaites et Yves Hallée

Or le domaine des ressources humaines est le seul dans


l’entreprise – à l’extérieur de l’entreprise, il y a aussi
la ­politique, la météo et le football – que chacun a l’impression
de comprendre. […] Si on comprend, on ne ressent pas
le besoin d’apprendre […].

Maurice Thévenet (2012)

Il s’est publié, depuis l’an 2000, plusieurs milliers d’ou- management (Aktouf et Boiral, 2012) et la GRH (Galam-
vrages sur la gestion des ressources humaines (GRH). baud, 2014), puis de le pratiquer sont bel et bien pos-
Pourquoi, dans un tel contexte, en proposer un de plus ? sibles ! Lors du 70e Congrès des relations industrielles de
Qu’est-ce qui manque donc, à ceux qui sont encore l’Université Laval qui s’est tenu au Musée de la civilisa-
aujourd’hui offerts sur le marché, pour justifier un tel tion du Québec en mai 2017, une centaine de participants
investissement en temps et en énergie ? se sont demandé si la GRH témoignait, depuis quelques
S’il existe bel et bien de nombreux ouvrages sur la GRH, années, d’un certain virage ou, plutôt, d’un certain déra-
force est de reconnaître que plusieurs sont essentiel- page. Notre ouvrage collectif, inspiré par les discussions
lement prescriptifs et normatifs. En d’autres mots, ils qui y ont pris place, est en partie une réponse à cette
mettent de l’avant la manière dont il faudrait faire les question, mais aussi une voix qui s’élève, parmi d’autres,
choses pour assurer prioritairement, et à court terme, de plus en plus nombreuses, pour dénoncer une cer-
le succès de l’organisation et la satisfaction des besoins taine hégémonie des modèles prescriptifs et normatifs
de la clientèle. Pourtant, d’autres façons de concevoir le en gestion des ressources humaines, notamment ceux
2 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

de Beer et ses collaborateurs (1984), Fombrun et ses Comment peut-on inciter des gens à participer à une
collaborateurs (1984), Schuler (1990) et Ulrich (1997). entreprise qui les dépasse et dont les fruits du fonction-
nement ne leur reviendront pas… du moins, en grande
Reprochant à ces modèles leur caractère souvent uni-
partie ? Peut-on vraiment y arriver sans, pour ce faire,
tariste, leur préoccupation quasi exclusive pour la per-
nier leur nature profonde, leurs besoins fondamen-
formance économique et financière à court terme au
taux d’être heureux et de se développer, à leur propre
détriment du social et du sociétal ainsi que leurs effets
rythme et selon leurs propres souhaits ? Dit simplement,
d’exclusion de certains segments de la main-d’œuvre,
peut-on véritablement parler de « gestion des ressources
ces critiques nous invitent à « repenser » la gestion des
humaines » ?
ressources humaines. Que ce soit en Europe francophone
(Galambaud, 2014 ; Léonard, 2015 ; Taskin, 2011), dans Notre propos, dans les divers chapitres composant cet
certains pays scandinaves ou dans le monde anglo- ouvrage, n’est pas de répondre directement à ces ques-
saxon où le champ des Critical Management Studies tions. Notre intention est plutôt de démontrer qu’au-
(CMS) est en pleine expansion (voir par exemple Grey, delà des prescriptions intrinsèquement limitatives qui
Huault, Perret et Taskin, 2016), diverses pistes sont affligent trop souvent le domaine de la GRH il y a tout
aujourd’hui explorées pour rendre justice à la complexité plein de « présupposés » qu’on ne remet jamais en ques-
humaine et cesser d’orienter le travail et l’emploi vers les tion et, de là, beaucoup d’autres façons de faire possibles
seuls indicateurs de performance économique à court qui ne demandent qu’à être inventées conjointement
terme (Chiapello et Gilbert, 2013 : 92). Autrement, dans par toutes les parties concernées… pour peu qu’elles y
une conception strictement marchande de la relation croient et qu’elles se donnent les moyens de construire
d’emploi (Capelli, 1999) il n’est pas surprenant que le leur propre avenir. Selon nous, ce n’est qu’au prix
professionnel en ressources humaines et en relations d’échanges et de négociations intenses (mais construc-
industrielles ne puisse pas faire autre chose que de se tives et respectueuses des intérêts et des besoins des
cantonner dans une fonction d’accompagnement et de uns et des autres) que les diverses parties pourront en
servitude pour enfin adopter un rôle de second effacé venir à construire d’authentiques compromis « gagnants-­
(Galambaud, 2014 : 32) totalement absent des lieux où gagnants ». Autrement, en l’absence d’une telle recherche
les décisions stratégiques se prennent. Une fois rendu obstinée, il y a fort à parier que le monde ne pourra
là, il ne peut souvent faire autrement qu’en venir à continuer d’être autre chose qu’une entreprise où l’être
« oublier » (pour ne pas dire « nier » ?) qu’au sein de chaque humain est constamment réduit à un facteur de produc-
organisation l’ordre social est toujours sujet à négocia- tion comparable en tous points aux autres. Un monde où
tion (Léonard, 2015). l’enjeu, depuis déjà trop longtemps, est de mieux quan-
tifier l’être humain pour réduire sa liberté, prévoir ses
Cette « nouvelle GRH » que nous promouvons cherche à
réactions « probablement les plus automatiques », réduire
retrouver son rôle de régulateur de la relation d’emploi
« la consommation » ou, dans le meilleur des cas, mieux
dans un ordre social existant et négocié. Selon nous,
en évaluer le retour sur l’investissement.
cette régulation doit s’exercer en complémentarité avec
les autres sous-champs des relations industrielles que Cet ouvrage, le lecteur l’aura compris, s’inscrit dans un
sont les relations du travail et les politiques publiques paradigme alternatif à celui que l’on tient trop souvent
en matière de travail et d’emploi. pour acquis et que l’on juge trop tôt comme représentatif
de l’ensemble du champ de la GRH. Dans ce paradigme
Notre ouvrage collectif s’inscrit dans une conception
alternatif, les êtres humains ne peuvent pas être réduits à
humaniste de la GRH1. Ses graines ont été plantées il
des « entités mécaniques ». En ce sens, il est donc un peu
y a plus d’une dizaine d’années et son originalité est
illusoire de penser pouvoir parler de GRH. Cela étant dit,
quasiment philosophique : qu’est-ce que l’être humain ?
il n’en demeure pas moins qu’il est important de pouvoir

1. Nous entendons par une conception humaniste de la GRH


une vision selon laquelle le respect de la nature profonde de
l’homme et de ses divers besoins est au cœur des préoccupa-
tions des spécialistes.
  I ntroduc tion génér ale   P ourquoi « un autre ouvr age  » sur   l a GRH ? 3

parler notamment de pratiques RH2 et de politiques RH3. au départ. Alors que certains changent au fil du temps,
Effectivement, quels que soient l’organisation, sa taille, d’autres disparaissent et, enfin, d’autres s’ajoutent. Il est
son marché et le secteur économique où elle évolue donc fondamentalement illusoire de prétendre connaître
(pour ne parler que de ces variables), tant qu’il y aura tous ces besoins « une fois pour toutes » et, surtout, d’être
des gens qui y travailleront et qui n’en seront pas les pro- capable de les hiérarchiser « en toute objectivité » et à la
priétaires, certaines personnes voudront savoir comment place des acteurs eux-mêmes. Ce n’est pas, selon nous,
attirer des collaborateurs, les retenir, les motiver et les la tâche du professionnel en ressources humaines et en
développer. Pour cela, il faudra toujours, inévitablement, relations industrielles de faire les arbitrages entre ces
en venir à réfléchir à la manière précise d’organiser le besoins et ces intérêts, puis de prendre les décisions qui
travail, de recruter les individus, de les sélectionner, de en découlent à la place des acteurs eux-mêmes. Le travail
les former, de les rémunérer, d’évaluer leur rendement, du professionnel en ressources humaines et en relations
de gérer leur carrière et de leur garantir un lieu de travail industrielles consiste plutôt à tout faire pour rapprocher
sécuritaire. Au fond, on peut bien mettre en place des les parties et les amener à construire, ensemble, un com-
politiques et des pratiques RH, mais, fondamentalement promis social qu’elles jugeront mutuellement acceptable,
parlant, l’homme n’appartient qu’à lui-même… il est fon- du moins pour un certain temps.
damentalement libre et il est donc impossible de le com-
Non seulement il nous semble indispensable de remettre
parer à une « ressource humaine » et même de songer
en question le présupposé qui voudrait qu’il faille d’abord
à « le gérer ». Même si la GRH sera toujours une quête
se préoccuper d’économie avant de penser au social,
perdue d’avance, ses pratiques et ses politiques reste-
mais il faut aussi remettre en question la primauté des
ront toujours d’intérêt. L’enjeu n’est donc pas d’éliminer
besoins des actionnaires et des clients sur ceux des
« la » GRH, mais de remettre en question la pertinence
gens qui travaillent dans les organisations. Assurément,
humaine et sociale4 d’une « certaine » GRH. Dit autre-
il n’y a pas qu’une seule façon de résoudre ces tensions,
ment, nous sommes persuadés que les organisations
mais une chose nous semble certaine : l’ensemble est
auront toujours besoin de recruter, mais, un jour peut-
beaucoup plus complexe que ce que certains aimeraient
être, le feront-elles en ayant comme souci réel et sincère
bien nous faire croire. Selon nous, le professionnel en
de contribuer simultanément à leurs propres besoins
ressources humaines et en relations industrielles n’est
comme à ceux des personnes auxquelles elles comptent
pas un technicien au service des besoins de l’entreprise,
s’associer ? Peut-être comprendront-elles alors que, si les
de ses clients et de ses actionnaires. Il est un acteur
besoins des uns et des autres sont pris en compte dès
professionnel à part entière détenteur d’un ensemble
le départ et négociés ouvertement tout au long de la
approfondi de connaissances universitaires dont la mis-
durée de la relation, il ne devient plus aussi nécessaire
sion est de veiller à l’établissement et à la préservation
de rechercher mille et une recettes miracles pour retenir
de cet ordre social, pour le plus grand bien de tous, aussi
le personnel concerné… parfois contre son propre gré.
bien à court qu’à moyen et à long terme.
Cela nous semble d’autant plus important que les besoins
des uns et des autres ne sont jamais tout à fait fixés Cette réflexion que nous proposons s’accompagne enfin
de la nécessité de prendre en compte les « diversités » pos-
sibles en favorisant l’intégration de segments de plus en
2. Nous entendons par « pratiques RH » les façons concrètes dont
les gestionnaires s’y prennent pour tenter de gérer le facteur
plus importants de la main-d’œuvre. C’est notamment au
humain (ex. : comment recruter un nouvel employé ?) cœur de ces diversités, diversités de genre (d’identité et
3. Nous entendons par « politiques RH » les orientations officielles d’expression), d’appartenance, de statut social, d’ethnie,
d’une organisation qui devraient, en théorie, colorer fortement etc., que se construit cette « nouvelle » gestion humaine
ses « pratiques RH » (ex. : Au sein de notre entreprise, nous nous des personnes que nous proposons. Cette diversité se
engageons à valoriser la diversité des employés et, pour ce faire,
à n’exercer aucune forme de discrimination interdite par la loi).
retrouve également sur le plan des angles d’analyse de
la GRH et de la relation d’emploi afin de ne pas être
4. Nous entendons par la pertinence humaine et sociale d’une
« certaine » GRH la prise en compte de ses externalités, des effets axée seulement autour de la sphère organisationnelle,
à court, moyen et long terme des décisions qui en découlent sur des pratiques de GRH, de leurs interactions et de leurs
les personnes directement concernées et la société en général. intégrations à la stratégie organisationnelle. En plus de
4 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

cette perspective organisationnelle, il existe aussi, en Chapitre 2 – La profession de conseillère5 en gestion


effet, des perspectives d’analyse individuelle, sociétale des ressources humaines et en relations industrielles
et globale (Boxall, 2014). À notre avis, l’entreprise n’est au Québec et la formation à la gestion des ressources
pas une entité désincarnée du contexte dans lequel elle humaines à l’Université Laval (François Bernard Malo et
agit et de la société dans laquelle elle s’inscrit. Pierre-Sébastien Fournier)

Examinons maintenant de plus près en quoi consistent Ce chapitre souligne tout d’abord qu’il existe différentes
les différents chapitres de cet ouvrage collectif. façons de concevoir la GRH, de l’enseigner et, bien évi-
demment, de la pratiquer. Abordant aussi la question de
la profession de conseillère en gestion des ressources
INTRODUCTION GÉNÉRALE (François Bernard humaines et en relations industrielles, il cherche à pré-
Malo, James Douglas Thwaites et Yves Hallée) ciser, dans le cas précis de l’Université Laval, comment
ses titulaires peuvent y être formées. En prenant notam-
L’introduction générale permet aux coéditeurs de justifier ment appui sur le Guide des compétences des CRHA et CRIA
la pertinence sociale et scientifique du présent ouvrage rédigé au Québec par l’Ordre des conseillers en res-
en montrant les limites de quelques-uns de ceux qui sont sources humaines et en relations industrielles agréés, ce
actuellement offerts sur le marché. Après avoir exposé document souligne la diversité et la complémentarité des
qu’ils souhaitent ainsi contribuer à l’émergence d’une approches actuellement en vigueur. En s’intéressant de
« nouvelle » gestion des ressources humaines (GRH), ils manière plus spécifique aux parcours de formation à la
prennent le temps d’exposer en quoi cette dernière gestion des ressources humaines existants aux études de
se distingue de celle à laquelle on pense trop souvent premier cycle à l’Université Laval, les auteurs expliquent
quand on parle de « GRH ». comment cette diversité est apparue et pourquoi, contre
toutes attentes, elle tend à se maintenir.

Chapitre 3 – La stratégie et le stratégique dans la gestion


PARTIE I – NOTIONS FONDAMENTALES globale des entreprises (James Douglas Thwaites)
Chapitre 1 – L’enseignement de la GRH au sein du champ
Dans ce chapitre, l’auteur a l’intention de contribuer à
des relations industrielles au Québec : fondements, évo- la compréhension de l’organisation globale sous l’angle
lution et perspectives (Yves Hallée et Sylvain Luc) stratégique comme préalable à l’étude de la gestion
Ce chapitre traite de l’évolution de l’enseignement de stratégique des ressources humaines. La connaissance
la gestion des ressources humaines en tant que sous- des préoccupations, des orientations, des méthodes et
champ inscrit dans le champ des relations industrielles des débats impliqués à ce niveau joue inévitablement
un rôle dans la réflexion sur les activités en ressources
en Amérique du Nord. D’une fonction de gestion, de
humaines. Par conséquent, il devient impératif de cerner
maintenance, de médiation de la relation d’emploi, érigée
cet aspect de l’entreprise globale, y compris ses contra-
face aux enjeux du conflit socioéconomique apparu au
dictions, et d’en tirer des conclusions appropriées.
début du xxe siècle, les auteurs avancent que la GRH a
progressivement basculé vers une fonction organisa- Pour ce faire, l’auteur examine à tour de rôle une série
tionnelle stratégique prétendant l’arrimage entre intérêt d’aspects de la réflexion qui fait partie de la vision et de
individuel et intérêt organisationnel. Ils estiment qu’elle la vie globale de l’entreprise. À cette fin, mentionnons
a de la sorte abdiqué de son rôle de régulateur de la les concepts et la terminologie de la gestion stratégique
relation d’emploi en complémentarité avec les autres et de la planification stratégique, le problème de l’incer-
titude, le changement, les diverses écoles de pensée en
sous-champs composant les relations industrielles, pour
un rôle plus restreint d’adaptation et d’alignement aux
stratégies organisationnelles, devenant de la sorte une 5. Pour refléter le fait qu’au Québec la majorité des membres de
la profession sont du genre féminin, nous avons délibérément
pratique disciplinaire déconnectée des enjeux du conflit choisi de contrevenir à la règle usuelle de la langue française
socioéconomique. voulant que le masculin l’emporte sur le féminin.
  I ntroduc tion génér ale   P ourquoi « un autre ouvr age  » sur   l a GRH ? 5

gestion et la préoccupation centrale de la prévision et de l’engagement organisationnel, ils nous présentent


du « maintien » du succès. les liens entre les antécédents liés à l’individu et ceux
qui sont liés à l’expérience de travail avant de conclure
Chapitre 4 – Le mythe du leadership et les approches
par la présentation de divers corrélats liés aux travaux
fonctionnalistes : au-delà de l’impératif héroïque
ainsi recensés.
­( Sylvain  Luc)
Chapitre 7 – Redécouvrir le management : un investis-
Ce chapitre propose un regard critique sur les approches
sement précieux pour tempérer les croyances (Marie-
fonctionnalistes du leadership. Après avoir présenté les
Noëlle Berthon)
principaux travaux issus de cette approche dominante
dans les littératures scientifique et professionnelle, il pré- Dans ce chapitre, l’auteure s’intéresse à la portée et aux
sente une réflexion sur les différentes limites inhérentes limites du management et, de manière plus spécifique,
à ces études ainsi que leur manque d’utilité pragmatique, au travail du manager en lien avec la santé et la sécurité
tout en proposant un questionnement sur les raisons du du travail dans les organisations. Après un détour éty-
succès de ces approches et leur survivance en milieu pro- mologique et historique de la question du management,
fessionnel, ainsi que sur la vision héroïque du leadership l’auteure s’intéresse aux liens entre cette notion et celle
dont l’origine est à trouver dans les mythes fondateurs de science. Après avoir exposé la vision mécaniste du
du management contemporain. management, l’auteur montre comment ce dernier par-
ticipe à la création d’un ordre social où les rôles et les
Chapitre 5 – Changer stratégiquement une culture ou
responsabilités du manager sont susceptibles de prendre
cultiver le changement stratégique : à cette fin, soyez
de multiples formes.
cultivé ! (Michel Racine)

Dans ce chapitre, l’auteur commence par nous parler


de l’importance de la culture organisationnelle dans la PARTIE II – REGARDS SUR CERTAINES
gestion des organisations pour relever avec quelle facilité PRATIQUES RH
certains prétendent parfois pouvoir la transformer « rapi-
Chapitre 8 – La sélection du personnel, une question
dement et facilement ». Structurant ses propos à l’aide de
d’appariement (Renée Michaud)
la définition de la culture organisationnelle proposée
par Schein, l’auteur fait ensuite mention des liens qui Partant de l’idée que la sélection du personnel est
existent entre cette notion et celle de stratégie organisa- d’abord et avant tout une question d’appréciation du
tionnelle pour montrer que, si les deux sont étroitement degré d’appariement existant entre les candidats et leur
liées et partagent certaines caractéristiques communes, environnement de travail, l’auteur s’intéresse plus préci-
elles ne vont pas toujours de pair. Il conclut son chapitre sément à l’appariement personne-emploi, à la sélection
en montrant comment la notion de causalité circulaire du personnel et à son évolution au cours des dernières
peut nous aider non seulement à comprendre la culture années. Se penchant ensuite sur l’appariement per-
organisationnelle, mais aussi à tenter de la transformer. sonne-organisation, l’auteur s’attache alors à exposer
ses fondements théoriques (le modèle ASA, la théorie
Chapitre 6 – Engagement organisationnel : un état des
de l’identité sociale), les diverses conceptions de l’ap-
connaissances (Carole Gagnon et Éric Gosselin)
pariement, les dimensions de l’appariement personne-­
Après avoir présenté l’historique et les origines du organisation, les antécédents et les conséquences de
concept d’engagement, les auteurs en présentent les l’appariement personne-organisation, le niveau optimal
formes, les dynamiques entre les formes et, enfin, les d’appariement personne-organisation, l’appariement
cibles. Dans une partie consacrée aux résultantes de personne-organisation et la sélection (l’établissement
l’engagement organisationnel, ils montrent les liens d’une culture organisationnelle forte, le choix des critères
existants entre cette notion et l’intention de quitter son de sélection, les pratiques de recrutement, la mesure
emploi, les départs volontaires, les autres comporte- de l’appariement personne-organisation par les entre-
ments de retrait, la performance, le stress et le bien-être. vues et les tests de sélection, les pratiques de socialisa-
Enfin, dans une section portant sur les déterminants tion), les défis (la commensurabilité, la discrimination, la
6 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

désirabilité sociale, la mesure des valeurs organisation- entente. Quant aux enseignants, leur choix de demeurer
nelles) et enfin l’appariement personne-groupe. un regroupement non reconnu repose avant tout sur la
qualité des relations avec la direction et la perception
Chapitre 9 – L’étude et la gestion des compétences et
d’un réel pouvoir d’influence. Malgré ces aspects positifs,
des carrières (Catherine Glee-Vermande)
l’entente conclue comporte certaines limites. De plus,
Ce chapitre propose une interrogation sur la notion de la viabilité d’une telle entente repose uniquement sur
« compétence » afin de lire la « carrière » et la « gestion des la confiance mutuelle entre les parties. Enfin, précisons
carrières » dans leur contexte historique d’apparition, que cette entente se situe dans un contexte particulier,
de déploiement et de questionnement. Il met ainsi en celui d’un milieu de l’enseignement largement syndiqué.
évidence l’émergence de formes de management aux
Chapitre 12 – Prendre soin des personnes au tra-
antipodes du modèle utilitariste quelque peu déshuma-
vail en intervenant dans les projets de changement :
nisé auquel conduit la logique de performance à tout prix
­propositions de l’ergonomie (Marie Bellemare, Daniel
et propose de les interpréter comme les signaux faibles
Prudhomme et Fernande Lamonde)
de changements forts. Ces changements peuvent à leur
tour être appréhendés comme des menaces d’un certain Les directions de RH ont souvent à gérer les consé-
ordre établi au sein de la fonction RH ou bien comme quences négatives du travail sur les salariés. Accidents
autant d’occasions et de chances à saisir pour orienter de travail, maladies professionnelles, problèmes de santé
une fonction vers une gestion humaniste de toutes les physique et psychologique entraînent du présentéisme,
personnes sur le marché du travail. de l’absentéisme, des taux de roulement élevés. Pen-
dant que, du côté des RH, on est occupés à gérer les
Chapitre 10 – La rémunération en entreprise vue autre-
conséquences de ces difficultés, de multiples acteurs de
ment : l’importance des dimensions sociales et sociétales
l’entreprise prennent des décisions qui vont affecter le
(Yves Hallée)
travail futur et, possiblement, construire d’autres risques
Dans ce chapitre, l’auteur cherche à sortir du cadre dont il faudra gérer les effets néfastes. Dans ce chapitre,
hégémonique des visées exclusivement économiques les auteurs partent de l’idée que le travail est un objet qui
et des conceptions strictement matérialistes dans lequel ne semble plus présent dans les préoccupations des ges-
la rémunération est plongée et montre l’importance de tionnaires, ce qui les amène à négliger les conséquences
la prise en compte du social, dans le contexte autant des changements sur l’activité de travail des hommes et
externe qu’interne de l’organisation. Il tente aussi de des femmes. En premier lieu, ils présentent un état de la
s’éloigner des prescriptions canoniques centrées exclusi- situation en matière de santé au travail dans les orga-
vement sur l’instrumentalisation des pratiques de rému- nisations, montrant que les conditions de travail sont
nération, qu’elle soit financière ou non, observées dans toujours source de risques, même si les connaissances
la littérature sur le comportement organisationnel et disponibles pour les prévenir existent. En second lieu,
la motivation. les auteurs s’intéressent aux projets des organisations
comme lieu de création du travail futur et en tant que
Chapitre 11 – Les relations du travail en contexte non
processus qui débouche souvent sur des résultats non
syndiqué (Mélanie Gagnon et Catherine LeCapitaine)
souhaités. Ils exposent, en troisième lieu, une modélisa-
Cet article présente une étude de cas sur le thème de la tion de la situation de travail proposée par l’ergonomie,
représentation non syndicale dans un collège privé. Il où l’on retrouve la personne en activité dans un cadre
vise à comprendre les raisons pour lesquelles les acteurs de travail modelé au fil des décisions, notamment celles
concernés optent pour une représentation non syndi- qui sont prises dans le cadre de projets de changement.
cale. Cette étude décrit le processus de négociation mené Enfin, ils proposent, à partir de l’ergonomie de concep-
volontairement entre la direction et un regroupement tion, des principes permettant de recentrer les projets de
d’enseignants afin de parvenir à une entente de travail changement sur le travail et de construire des environ-
satisfaisant les deux parties. L’évitement syndical est le nements de travail capacitants.
principal motif qui incite l’employeur à négocier cette
  I ntroduc tion génér ale   P ourquoi « un autre ouvr age  » sur   l a GRH ? 7

PARTIE III – NOUVELLES TENDANCES stratégies internationales de GRH sur les stratégies de
ET NOUVEAUX ENJEUX développement des entreprises multinationales (EM).
Dans un deuxième temps, elle présente le rôle de la
Chapitre 13 – Le système économique mondialisé et les fonction RH dans les EM, ses activités et son organisation
désordres dans les organisations (Jeanne Simard, Marc- qui seraient susceptibles de répondre aux enjeux d’in-
André Morency, Jacinthe Douesnard et Laetitia Larouche) ternationalisation par leur cohérence et leur alignement
Après avoir défini et situé la place de la violence dans sur les objectifs de l’EM. Elle termine sa contribution en
le monde, et en particulier dans le système économique discutant des difficultés et des écueils inhérents aux pro-
capitaliste, les auteurs abordent la question du régime cessus de gestion stratégique internationale en RH en
de la concurrence, du régime financier et du rapport général et leurs incidences sur la fonction.
salarial. Préoccupés par les répercussions de la violence Chapitre 16 – La gestion des ressources humaines ter-
économique en milieu organisationnel, ils analysent ritoriale : état des lieux et regards sur la situation au
alors le visage du travail qui change de même que les Québec (Pascale Villeneuve-Alain et Yves Hallée)
souffrances psychologiques et relationnelles des tra-
vailleurs. Dans une troisième partie portant sur le rôle Ce chapitre propose un état des lieux de la gestion des
de l’État-nation et du droit canadien en matière de vio- ressources humaines territoriale (GRH-T) et un regard sur
lence économique, ils creusent les crimes économiques la transposition pratique du concept en contexte québé-
et les lois criminelles au Canada, la régulation de la cois. Les auteurs discutent des formes de regroupement
concurrence, la lutte aux pratiques fiscales abusives, le d’entreprises réseau et de l’importance des notions de
droit des sociétés par actions et la dérive qu’entraîne territoire et de proximité et de la gouvernance territoriale.
la maximisation de la valeur actionnariale, l’activité Ils abordent la théorie de l’acteur-réseau et les modéli-
contractuelle dans le domaine public, la protection des sations des sphères d’action de la GRH-T. Par la suite,
salariés, la liberté d’expression, la protection des biens l’attention est portée sur les conditions d’émergence
communs, le système professionnel québécois et la de la GRH-T, les éléments facilitateurs et les difficultés
­
protection du public. d’implantation, pour terminer sur des cas d’application
pratiques en contexte québécois.
Chapitre 14 – La dotation du personnel trans* dans les
Chapitre 17 – Gestion des ressources humaines et res-
organisations québécoises (François Bernard Malo)
ponsabilité sociale (Mustapha Bettache)
Le but de ce chapitre est d’explorer les frontières de la
S’intéressant aux liens entre la responsabilité sociale des
gestion de la diversité en l’abordant sous deux angles :
organisations et la gestion des ressources humaines,
ses points de jonction avec la dotation du personnel
l’auteur commence tout d’abord par nous présenter les
et les personnes trans* vues comme l’une des figures
outils de la responsabilité sociale (les normes, les codes
naissantes du « nouveau public » visé par la gestion de
de conduite, les labels, les certifications) avant de se
la diversité. Après avoir passé en revue les principales
demander quels liens on peut alors faire avec la perfor-
définitions de l’objet à l’étude, l’auteur examine les pièces
mance organisationnelle, tant économique que sociale.
législatives qui s’appliquent en contexte québécois pour
Après s’être interrogé sur l’apport de la GRH à la per-
en venir à conclure que, si les protections légales ont
formance organisationnelle, l’auteur se penche sur les
historiquement été très faibles, de nouvelles avancées
nouveaux enjeux de la fonction RH et des relations du
très récentes sont susceptibles d’améliorer de manière
travail dans la nouvelle économie en illustrant le tout par
substantielle la reconnaissance des principaux droits au
divers exemples. Enfin, avant de conclure sa contribution,
travail des personnes trans*.
l’auteur s’interroge sur la philosophie de la GRH et sa
Chapitre 15 – Le rôle stratégique de la fonction RH à quête d’adaptation qu’il illustre encore une fois par de
l’international : une réflexion inachevée (Tania Saba) nombreux exemples.
Dans ce chapitre, l’auteure commence par examiner les
processus d’internationalisation dans le but d’aligner les
8 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Chapitre 18 – Quelle place pour l’éthique en ressources qui, à l’origine du champ d’étude des relations indus-
humaines ? (Lyse Langlois, Samuel Mercier et Jennifer trielles, relativise l’argument de l’efficience économique
Centeno) des pratiques de GRH et est porteur d’une représentation
du travail alternative à la conception du travail comme
Dans ce chapitre, les auteurs examinent comment
« ressource humaine » qui domine aujourd’hui chez les
l’éthique est arrivée dans le champ des relations indus-
économistes et bien au-delà.
trielles, plus précisément en ressources humaines. Ils
mettent en évidence les principaux auteurs théoriques Chapitre 20 – Critique d’une GRH toujours plus straté-
qui ont soulevé son absence dans le champ disciplinaire gique (Évelyne Léonard et Laurent Taskin)
des relations industrielles et la montée progressive de
Au-delà des discours dominants sur le rôle clé de la direc-
cette notion en gestion. Ils s’attardent par la suite sur
tion des ressources humaines en tant qu’acteur straté-
le courant du management critique des ressources
gique de changement au sein d’un comité de direction,
humaines qui correspond à la conception de l’éthique
les auteurs adoptent une position plus critique, tout en
favorisée pour son plein déploiement en organisa-
reconnaissant à la direction des ressources humaines un
tion, mais surtout pour le tournant qu’elle propose au
rôle de « stratège ». Pour ces derniers, le rôle de la direction
domaine des ressources humaines. En dernière partie, les
des ressources humaines semble reposer sur une capacité
auteurs s’attardent à l’institutionnalisation de l’éthique et
à maîtriser, à négocier et à agir malgré des contraintes
les formes qu’elle prend au niveau organisationnel, tout
contradictoires et dans des cadres institutionnels particu-
en soulevant un certain nombre de questionnements
liers et complexes. Le caractère stratégique de la fonction
touchant plus particulièrement la gestion des ressources
ressources humaines relèverait avant tout des capacités
humaines.
stratégiques de ses acteurs responsables, où le terme
Chapitre 19 – Économie et GRH : plaidoyer pour un « stratégique » revêt une tout autre signification.
retour aux sources économiques institutionnalistes
( ­Benjamin Dubrion)
CONCLUSION GÉNÉRALE (François Bernard
Les économistes disposent depuis quelques années d’un
véritable outillage théorique leur permettant de rendre
Malo, James Douglas Thwaites et Yves Hallée)
compte des pratiques de GRH. Leur perspective a la par- Pour conclure cet ouvrage collectif, les coéditeurs com-
ticularité de réduire à la seule logique économique l’ex- mencent par rappeler les limites de l’actuelle contri-
plication du choix et de l’évolution des règles mises en bution. Une fois cela fait, ils présentent les principales
œuvre au sein des entreprises pour stabiliser la relation composantes de leur conception de la GRH avant de ter-
d’emploi. L’objet de cette contribution est d’examiner la miner par la présentation de diverses pistes de réflexion
pertinence de cette approche théorique et d’en souli- et d’action.
gner les limites, en montrant qu’une autre voie d’ana-
lyse économique de la GRH existe. Celle-ci prend ses
sources dans le courant économique institutionnaliste
  I ntroduc tion génér ale   P ourquoi « un autre ouvr age  » sur   l a GRH ? 9

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ledge Studies in Management, Organizations and
Society.
1
Partie

Notions fondamentales
1

L’enseignement de la gestion des ressources


humaines au sein du champ des relations
industrielles au Québec : fondements,
évolution et perspectives
Yves Hallée et Sylvain Luc1

Mise en contexte : la gestion1 professionnels dans le domaine de la gestion des res-


sources humaines. Notons toutefois que, dans ce second
des ressources humaines2 cadre, les approches sont fort différentes. Les objectifs
académique au Québec aujourd’hui des baccalauréats en administration des affaires avec
À ce jour, la recherche et l’enseignement en gestion des une option GRH des Hautes Études commerciales (HEC)
ressources humaines au Québec (GRH) se réalisent prin- de Montréal, de l’Université Concordia, de l’Université de
cipalement au sein deux grands types d’établissements Sherbrooke, du réseau des Universités du Québec,
d’enseignement supérieur : les cégeps (enseignement de l’Université Laval et de la TELUQ (l’université à dis-
collégial) et les universités. Les premiers proposent des tance de l’Université du Québec) mettent l’accent sur
programmes qui visent à former des agents de sou- une formation permettant d’occuper des fonctions de
tien en gestion des ressources humaines. Les seconds gestionnaire et d’administrateur reliées à la gestion des
– hautes écoles commerciales, écoles et facultés d’ad- ressources humaines. Les formations en RI de l’Université
ministration, écoles et départements des relations indus- Laval, de l’Université de Montréal, de l’Université McGill
trielles (RI) – proposent différents diplômes (certificats, et de l’Université du Québec en Outaouais misent quant
baccalauréats, maîtrises, doctorats) visant à former des à elles sur la compréhension de la dynamique du travail
et sur le fait que leurs diplômés pourront exercer leur
profession auprès des trois acteurs traditionnels en RI
1. Les auteurs tiennent à remercier les professeurs Bernard
(les employeurs, les syndicats et l’État).
Galambaud, Roch Laflamme, François Bernard Malo et James
Thwaites pour leurs précieux commentaires et suggestions qui Quelles que soient l’orientation et la finalité du pro-
ont contribué à l’amélioration de ce texte. Précisons toutefois
gramme dans lequel s’exerce l’enseignement de la GRH,
que les propos avancés dans ce chapitre ne relèvent que de la
responsabilité de leurs auteurs. il apparaît, même si des regards historiques et critiques
2. Ci-après appelée « GRH ». Cette notion est utilisée considérant sont discutés en classe, que cet enseignement de la GRH
qu’elle est la plus commune dans la littérature et dans l’usage, s’arrime sur une conception normative et prescriptive
nonobstant le fait que la locution ait évolué au fil des différentes inscrite dans une perspective stratégique, à savoir une
époques économiques.
 1   L’ enseignement de l a gestion des ressources humaines au sein du champ des rel ations industrielles … 13

gestion stratégique des ressources humaines (GSRH) qui discours qui fait de la mobilisation une pratique qui profi-
a pour seules ambition et finalité l’alignement sur les terait tant à l’organisation qu’à ses membres ; d’un côté,
stratégies organisationnelles. Cette GSRH est classique- on présente les pratiques de mobilisation comme des
ment définie comme « l’ensemble des moyens auxquels réponses organisationnelles aux demandes d’autonomie,
une entreprise a recours pour assurer l’utilisation opti- d’équilibre et d’authenticité d’une main-d’œuvre diversi-
male de la structure, des compétences, des processus et fiée et, d’un autre côté, comme une stratégie bénéfique
des ressources dont elle dispose, afin de tirer profit des pour l’organisation » (ibid.). Le salarié décrit dans la littéra-
perspectives favorables que lui offre son environnement, ture pédagogique managériale est un travailleur motivé,
tout en réduisant au minimum l’effet des contraintes engagé, habilité et qui adhère aux objectifs organisation-
externes susceptibles de compromettre l’atteinte de nels. C’est un idéal de cohérence qui est prescrit entre
ses objectifs » (Saba et Dolan, 2013 : 56 citant Baird et les valeurs de l’organisation et celles de ses membres.
Meshoulam, 1984). Deux composantes émergent donc Cela se traduirait « par une attente d’imbrication entre
de cette conception : les pratiques de GRH doivent être l’action, les valeurs personnelles et celles collectives. Les
étroitement liées à la stratégie organisationnelle et com- demandes en matière de cohérence prescrivent d’abord
plémentaires et compatibles entre elles afin d’accroître et avant tout une forte cohésion entre les aspirations
la performance organisationnelle. Il s’agit donc d’une personnelles et la situation professionnelle vécue. Selon
GRH contingente qui doit s’arrimer et s’harmoniser aux l’idéaltype du travailleur, il devrait y avoir une continuité
objectifs organisationnels (Guérin et Wils, 1990). entre les objectifs personnels et professionnels, selon un
principe de vase communicant qui facilite l’adaptation
Apparue au tournant des années 1980 (Guérin et Wils,
des individus » (ibid. : 240).
1992a), cette conception stratégique de la GRH adopte
des perspectives à moyen et long terme, suppose l’unité Pourtant, les réflexions critiques en sciences du travail
d’intérêt, remplace la participation et l’engagement par et de l’emploi invitent à rappeler que ces pratiques de
le commandement et le contrôle, ne met l’accent que sur GRH ne rendent pas compte du réel3 et de la subjectivité
le développement productiviste du potentiel humain et du réel, réduisent et orientent les activités humaines
adopte des pratiques de GRH flexibles (Kaufman, 2008a : vers les seuls indicateurs de performances économiques
42). Ces pratiques sont d’ailleurs considérées comme et occultent toute la complexité humaine (Chiapello et
« l’un des principaux leviers dont dispose l’organisation Gilbert, 2013 : 92). Trop souvent absente de lieux de
pour développer ses atouts concurrentiels et assurer son pouvoirs décisionnels, la GRH s’est cantonnée dans une
succès » (Guérin et Wils, 1990 : 670). C’est une GRH qui fonction d’accompagnement et de servitude et a adopté
met en scène « des scénarios de gestion des ressources un rôle de « second effacé », accentué par une perte d’an-
humaines […] alignés avec l’une ou l’autre, ou l’ensemble, crage dans le réel et par des pratiques contribuant au
des décisions stratégiques retenues par la direction géné- bris du lien social (Galambaud, 2014 : 32). Bien que le
rale des entreprises » (Bélanger, 1990 : 662) et, qui plus discours normatif envisage la construction de la relation
est, se définit comme une fonction à la recherche de d’emploi dans une perspective gagnant-gagnant, dans
« l’harmonie entre les aspects techniques et les aspects les faits, employeurs et employés ne sont pas nécessai-
humains, toujours en moulant l’humain aux besoins de rement alignés ou ne poursuivent pas les mêmes objec-
l’organisation » (Guérin et Wils, 1992b : 9). tifs et n’utilisent pas nécessairement les mêmes moyens
pour les atteindre ; cette valorisation du rôle stratégique
Une récente analyse des contenus de manuels de for-
de la GRH s’est ainsi peut-être faite au détriment du rôle
mation en GRH au Québec réalisée pour une thèse de
de défenseur des intérêts des employés (Legge, 2005 ;
doctorat (Bourdages-Sylvain, 2014) confirme d’ailleurs
Haines III, Brouillard et Cadieux, 2010).
ce constat : « Les ouvrages de gestion des ressources
humaines (GRH) destinés aux étudiants collégiaux et
universitaires sont porteurs des nouvelles normes mana-
gériales contemporaines dont ils contribuent à la diffu-
3. Haines III, Brouillard et Cadieux (2010 : 491) s’étonnent d’ailleurs
sion et, dans une certaine mesure, à la reproduction » « du caractère normatif de la littérature sur la profession RH, où
(ibid. : v). Cette perspective normative est « porteuse d’un peu d’auteurs ont étudié la profession de façon empirique ».
14 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

De surcroît, les outils de gestion des ressources humaines de salariés, mais elle s’est aussi tue devant l’altération des
« tendent à masquer les conflits qui existent. [Ainsi], par liens sociaux qui les unissent à leur entreprise, obéissant
un glissement [du subjectif vers l’objectif, ils dissimulent] plutôt à des considérations strictement économiques
la nature fondamentalement subjective du monde et, pourtant largement décriées en matière d’acceptabilité
au-delà, ses conflits potentiels, ce qui prévient la dis- sociale (Galambaud, 2014 : 30-31).
pute sociale, afin de préserver l’ordre social » (Chiapello
Ce paradoxe inclusion-exclusion apparaît dès lors d’au-
et Gilbert, 2013 : 66) considérant l’organisation comme
tant plus surprenant dans l’enseignement de la GRH au
un bloc monolithique, « comme si tout était d’une pièce,
sein des RI et en particulier dans les programmes de pre-
sans affrontements ni divergences » (Aktouf, 2006 : 18).
mier cycle, qui, rappelons-le, visent directement à former
Ces pratiques sont les instruments des gestionnaires et des professionnels du monde du travail. Considérant les
découlent du projet de maîtrise de l’action collective par fondements pluralistes de ce paradigme et son ancrage
le sommet hiérarchique ; la plupart des outils de ges- dans le conflit socioéconomique de la première moitié
tion ont pour visée d’exercer du pouvoir et de contrôler du xxe siècle, il semble naturel de comprendre comment
des personnes (Chiapello et Gilbert, 2013 : p. 70, 77). ce décrochage a pu avoir lieu.
Cette perspective critique nous rappelle donc que les
Dans la suite de cet article, nous traçons un portrait
pratiques de GRH sont avant tout un outil disciplinaire au
de l’évolution de l’objet, indissociable de l’évolution du
sens f­ oucaldien du terme.
champ académique de la GRH en Amérique du Nord et
La responsabilisation, autre avatar de la GRH contem- au Québec depuis la révolution industrielle. Conséquem-
poraine, peut cacher des effets d’intériorisation, ment, nous revenons sur l’évolution de la GRH au sein
d’alignement des intérêts individuels aux objectifs orga- du mouvement académique des RI. Nous montrons que
nisationnels, « rendant [les] comportements conformes ce décrochage a eu lieu au détour des années 1960 et
à des normes idéales en partie intériorisées », ce qui que, malgré la volonté affichée par plusieurs chercheurs
favorise des états d’anxiété, de stress (ibid. : 91) et, ulti- durant les années 1980 de vouloir enraciner à nouveau
mement, de perte de sens. Pour Martuccelli (2004), la la GRH dans le paradigme pluraliste des origines, cette
responsabilisation est une nouvelle forme de domina- transition semble difficile étant donné l’opposition de
tion en organisation ; plus précisément, un processus certains auteurs et du processus d’auto-exclusion qui
d’adhésion de l’individu à la domination. Dès lors, la s’opère par la poursuite de ses visées prescriptives.
responsabilisation peut aussi « être synonyme de perte
de liberté » (Devos et Taskin, 2005 : 100).

Cette individualisation croissante de la relation d’emploi, Évolution du champ de la GRH


résultant de l’accroissement de la responsabilisation indi-
en Amérique du Nord et au Québec
viduelle (obligation de résultat, proposition et prise en
charge de l’atteinte des objectifs, initiatives, créativité, Bien que, théoriquement, l’organisation du travail
etc.), conduit à un « affaiblissement des identités col- humain remonte à la nuit des temps, l’apparition plus ou
lectives » (Galambaud, 2002 : 277), tout en étant poten- moins formelle de la GRH en tant qu’objet de réflexion et
tiellement « prétexte à l’exclusion de profils de salariés » d’investigation est classiquement associée à la révolution
(Devos et Taskin, 2005 :102), ce qui paraît paradoxal industrielle au xixe siècle. Si au début de cette époque
puisque cette fonction RH a pour mission d’intégrer les dite moderne cette fonction n’est pas encore à propre-
hommes et les femmes dans l’organisation (Warnotte, ment parler instituée, dès 1876 les pratiques de GRH
1979). Si le discours normatif et prescriptif invite à consi- recevaient aux États-Unis une attention toute particulière
dérer les pratiques de GRH comme des pratiques d’inclu- (Kaufman, 2008a : 5). Sans être formellement internalisée
sion, une analyse plus fine de leurs effets nous amène et structurée, la GRH était pour l’essentiel assumée par
à les considérer avant tout comme des pratiques d’ex- les cadres intermédiaires et les contremaîtres (embauche,
clusion. Non seulement la GRH n’a pas réagi aux entre- répartition et organisation du travail, etc.). Le principal
prises qui pratiquent l’exclusion d’un nombre croissant enjeu dans cette ère d’industrialisation consistait à gérer
 1   L’ enseignement de l a gestion des ressources humaines au sein du champ des rel ations industrielles … 15

une main-d’œuvre ouvrière importante, souvent peu gestion du personnel et les RI (Kaufman7, 2008a, 164).
éduquée, et à la stabiliser, afin de garantir le bon fonc- L’expression gestion du personnel en usage à l’époque fut
tionnement et la productivité de l’outil industriel (Wren, popularisée par Walter Dill Scott et d’autres psychologues
2005 : 43-59). industriels dans la foulée de leurs travaux pour l’armée
américaine (tests de sélection, classification des emplois,
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les conditions
etc.) (ibid. : 284). Cette gestion des personnes misait sur
de travail étaient globalement difficiles. Les taux d’ab-
les solutions internes, tournées vers l’amélioration des
sentéisme et de roulement étaient relativement élevés,
pratiques de gestion alors que la seconde voie, les RI,
révélant le peu de considération des organisations indus-
envisageait de prendre en considération également un
trielles pour la main-d’œuvre. Cette situation engendra
ensemble de problématiques externes à l’organisation,
un mouvement de vives contestations 4 (Kaufman,
comme l’inégalité du pouvoir de négociation et l’insécu-
2008a : 287). Lentement et jusqu’à l’après-guerre, les
rité économique des travailleurs (Kaufman, 2003 : 32-34).
employeurs ont progressivement pris conscience de
l’inefficience de leurs politiques de GRH5. Étant donné ces Kaufman (2000) montre que l’économie est une disci-
hauts taux de roulement, des pressions et des critiques pline source et fondatrice de la gestion des personnes.
importantes des réformateurs sociaux (syndicalistes, Jusqu’au milieu des années 1930, les économistes ins-
intellectuels, leaders d’opinion, etc.), les gestionnaires titutionnalistes dominaient la recherche et les publica-
portèrent leur attention vers la stabilisation de l’emploi, tions sur la gestion du personnel et cherchaient à trouver
un meilleur traitement et l’amélioration des conditions des réponses au problème du travail (labor problem),
de travail (ibid. : 22-23). résultant entre autres de l’inefficience des pratiques et
dont les effets négatifs affectaient non seulement les
employeurs, mais aussi les employés et la société tout
La formalisation de la fonction RH, entière. Trois grands types de solutions ont alors été
le mouvement de la démocratie industrielle envisagés. La première catégorie de solutions, à desti-
et l’organisation scientifique du travail nation des employeurs, consistait à améliorer l’efficience
(1914-1930) des processus de gestion des personnes et les pratiques
partenariales. La deuxième catégorie, orientée vers les
La Première Guerre mondiale accéléra le développement salariés, prônait la voie de la protection des travailleurs
de la gestion du travail6. Cette époque correspond à par le syndicalisme et la négociation collective. Enfin,
l’essor de la GRH. À la fin de la première guerre, deux la troisième prenait en compte les enjeux sociétaux du
nouvelles voies émergèrent de ces développements : la problème du travail par l’amélioration de la protection
sociale et du droit du travail (ibid. : 239). Ces trois caté-
gories formaient l’embryon des trois champs fondateurs
4. Une grève sanglante à Ludlow, dans le Colorado le 20 avril
1914, chez les mineurs où 26 grévistes trouvèrent la mort à la
suite d’une action de représailles de la Colorado National Guard
7. Soulignons le caractère ethnocentriste de la grille de lecture
(Ludlow Massacre) marqua largement les esprits et contribua
de Kaufman à l’égard des RI. Toute son analyse des tendances
à l’action philanthropique de John D. Rockefeller dans la
d’évolution des RI dans le monde se base sur l’interprétation
promotion d’une approche plus libérale et constructive dans
américaine (Bellemare, 2015 : 33). Notons toutefois que le
la gestion des relations entre employeurs et employés au sein
régime des relations de travail québécois s’inscrit selon les
notamment de l’Industrial Relations Counselors Inc., en 1926
principes fondateurs du modèle nord-américain des relations
(Kaufman, 2003 : 32).
de travail et de sa pièce maîtresse le Wagner Act américain de
5. Par exemple, pendant le premier mois de guerre, il y a eu 1935 (Vallée, 1989 : 50-51). Aussi, la majorité des travaux de
438 grèves et, pour les six premiers mois, plus de 3000, ce qui GRH québécois (par ex. Pozzebon et al. 2007 ; Saba et Dolan,
représente plus de 6 millions de jours perdus (Kaufman, 2008a : 2013 ; Saint-Onge et Guerrero, 2013) évoquent un historique
169). Les entreprises ont donc été contraintes de prendre en similaire, sans cependant aborder de façon satisfaisante
considération le conflit ouvrier comme un enjeu stratégique l’importance des économistes institutionnalistes à l’origine.
prioritaire et de réviser de leurs pratiques de gestion de la main- Nous verrons que la GRH et les RI, du moins à l’Université Laval
d’œuvre afin d’y apporter des améliorations. à Québec, comportent certains enracinements qui découlent
6. Ce concept a précédé ceux de gestion du personnel et de relations d’un humanisme qui provient de théologiens fondateurs des
industrielles. sciences sociales et des RI.
16 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

et complémentaires du domaine des RI : la gestion du industrielle, coopération, principes d’équité et de justice)
personnel, les relations de travail (RT) et les politiques (Kaufman, 2008a : 287-291).
publiques de régulation du marché du travail (PPMT).
C’est également durant cette période qu’apparaissent
Les économistes institutionnalistes estimaient que la les travaux précurseurs de Mary Parker Follet et son
gestion du personnel ne pouvait à elle seule suffire concept d’unité d’intérêt entre employé et employeur
à la résolution du problème du travail. Les solutions considéré comme la clé de l’efficacité de la coopération
centrées sur les besoins des employés et ceux de la (Kaufman, 2008a : 259-260 ; Wren, 2005 : 304-313). Alors
communauté ne pouvaient être évacuées et étaient que Taylor met l’accent sur la science, les initiatives indi-
considérées comme un complément nécessaire aux viduelles et la rémunération incitative, Follet s’attarde sur
solutions orientées autour des besoins de productivité la prise en compte des intérêts des parties prenantes9,
de l’employeur. Autrement dit, ces économistes, dont J.R. le management participatif et le consensus de groupe.
Commons, considéraient les pratiques de gestion comme Cette dernière privilégie la résolution de problème, la
une solution partielle et inefficace si elles n’étaient pas coopération dans une approche gagnant-gagnant et la
accompagnées d’une représentation collective des tra- communication de haut en bas et du bas vers le haut
vailleurs et d’une régulation publique (Kaufman, 1999 : (ibid.).
104 ; Wren, 2005 : 203). Cette conception de la GRH,
En plus de cette piste prometteuse, nous retrouvons la
que l’on pourrait qualifier d’institutionnaliste, s’appuie
deuxième avenue d’humanisation des lieux de travail,
sur des arrangements sociaux et une complémentarité
qui s’inscrivait dans la réforme de la gestion du travail : le
institutionnelle afin de contribuer au progrès social et
bien-être de l’employé (employee welfare). Ce mouvement
sociétal, et non seulement au progrès économique de
se traduisait par l’instauration d’une variété de bénéfices
l’entreprise. Cette gestion nouvelle de la relation d’emploi
non financiers, tels que le fait de souligner à l’intérieur
se présentait comme une solution de rechange crédible
de l’entreprise des évènements sociaux, de mettre à la
aux conceptions autoritaires, arbitraires et insensibles
disposition des employés des bibliothèques et des salles
qui prévalaient jusqu’alors et aux conceptions purement
de lecture, des infirmières et médecins, etc. (Kaufman,
économiques8 de la relation entre les employeurs et les
2003 : 42). Enfin, une troisième innovation, visible dès
salariés (Kaufman, 2003 : 41).
1910, fut la création de la fonction « gestion de l’emploi »
La montée du fordisme dans les années 1920 contribua dans les grandes entreprises visant à coordonner les
à la prospérité économique. Durant cette période, nous efforts de gestion, notamment l’embauche et la création
assistons à l’émergence d’un « nouveau système de de comités de résolution de problèmes (ibid. : 43).
gestion du travail » qualifié de capitalisme social (wel-
Au niveau académique, on constate un schisme entre les
fare capitalism). Ce système, considéré comme une des
écoles de gestion du personnel et celles des RI (Kaufman,
réponses au problème ouvrier, permit une amélioration
1993 : 19-20). Dans les années 1920 et jusqu’au milieu
substantielle de la rémunération, une meilleure sécurité
des années 1940, cette GRH embryonnaire est offerte
d’emploi, l’accroissement des bénéfices, ainsi que l’ins-
à la fois dans les départements d’économie et dans les
tauration de procédures formelles de prise de parole et
écoles de commerce. Dans le premier cas, elle est consi-
de résolution de conflits (Wren, 2005). La gestion du
dérée sous l’angle de la complémentarité avec les autres
personnel résultait du mariage du « scientifique » (utili-
solutions orientées autour des pratiques syndicales et
sation de tests de sélection, de systèmes incitatifs de
de la régulation du marché du travail (droit et politiques
rémunération, etc.) et du facteur humain (démocratie
publiques). Dans le second cas, elle reste cantonnée

8. Galambaud (2014 : 33) précise que la gestion des ressources 9. Notons au passage l’avant-gardisme de cette chercheuse qui,
humaines « s’est historiquement construite contre le marché. dès le début du xx e siècle, avait jeté les fondements de la
Elle s’est construite lorsque des dirigeants ont fait le pari, pour contemporaine théorie des parties prenantes et dont, hélas, aucun
reprendre les célèbres métaphores, que la main visible du de ses grands penseurs n’a jugé pertinent de faire référence
gestionnaire serait plus efficace que la main invisible du marché ». (Schilling, 2000).
 1   L’ enseignement de l a gestion des ressources humaines au sein du champ des rel ations industrielles … 17

autour de la nécessité de maintenir et d’optimiser la à la pratique en vigueur ailleurs au Canada et aux États-
productivité de l’outil industriel (Kaufman, 1999 : 104). Unis » (Thwaites, Lajoie et collab., 1985 : 262), ce der-
nier prend naissance au sein de la Faculté des sciences
sociales12. Cette intégration visait à éviter le biais d’une
L’école des relations humaines, la discipline vision « affairiste et déshumanisée » et à mettre l’accent
du comportement organisationnel sur l’importance des « relations humaines et sociales »
et les perspectives fonctionnalistes dans le cadre du travail (Thwaites, Lajoie et collab., 1985 :
263, citant Gérard Dion, 1981 : 9). Cette particularité qué-
Dans les années 1930 et 1940, nous assistons à l’émer-
bécoise du rattachement aux sciences sociales marque
gence d’une cohorte de psychologues industriels qui,
l’ancrage humaniste des RI et de la GRH, philosophie
inspirés par les travaux d’Elton Mayo à l’usine de la
que prônait, autant dans l’enseignement que dans la
­Western Electric à Hawthorne (1927-1932), démontrèrent
recherche, le père Georges-Henri Lévesque (Simard et
la prévalence de l’influence d’éléments d’ordre socio­
Allard, 2011). De plus, la faculté s’est très tôt caractérisée
affectif et émotif sur la productivité des travailleurs. Les
« par une adhésion sans équivoque au compromis social
écrits de Mayo et de ses collègues de la Harvard Business
fordiste. Celui-ci promeut une reconnaissance étatique
School donnèrent l’impulsion nécessaire à la création
des grandes unions syndicales, la consécration du tra-
de l’école des relations humaines10 (Kaufman, 2008a :
vail salarial comme principal moteur de la répartition de
260-261). Cette période consacrait les besoins psycho-
la richesse […] et le partage planifié des gains de pro-
sociologiques comme étant déterminants de la produc-
ductivité entre les ouvriers et le patronat » (ibid., p. 59).
tivité des travailleurs et l’organisation sociale comme
Par la suite, ce mouvement des RI s’étendra à d’autres
facteur d’influence sur la performance et les relations
établissements universitaires, comme l’Université de
(Kaufman, 1993 ; Wren, 2005). La sociologie et la psy-
Montréal, l’Université McGill et l’Université du Québec
chologie deviennent ainsi des disciplines contributives au
en Outaouais.
domaine de la GRH et cette dernière devient de plus en
plus importante au sein de l’entreprise. L’accent est alors L’intérêt pour la GRH s’amplifia encore considérable-
mis sur les moyens permettant de satisfaire les besoins ment dans les années 1950. La discipline des sciences
sociaux et psychologiques des travailleurs (Kaufman, du comportement, qui cherche à découvrir les clés per-
2008a : 40). mettant d’augmenter la motivation au travail, fait son
apparition. Ce champ du comportement organisationnel
À partir de 1945, les programmes universitaires en RI et
vient ainsi proposer une modélisation théorique visant
en gestion du personnel se multiplient un peu partout
à mieux appréhender les facteurs humains au travail. En
en Amérique du Nord. L’émergence et la propagation
des conceptions de cette école des relations humaines et
l’augmentation de la couverture syndicale – résultant de syndicalisme, hygiène industrielle, législation du travail, ainsi
la politique interventionniste du New Deal du président que les « techniques » de direction de personnel, d’analyse,
d’évaluation et de rationalisation des tâches, d’organisation
américain Roosevelt – et des processus de négociation
syndicale, patronale et ouvrière, de négociation collective et
collective sont considérées comme les principaux fac- d’application de la législation du travail » (Thwaites, Lajoie et
teurs contributoires à ce développement académique collab., 1985 : 264).
(Kaufman, 1999 : 105). Au Québec, c’est sous ces impul- 12. C’est le père dominicain Georges-Henri Lévesque qui fonda en
sions que voit le jour en 1943, à l’Université Laval, le 1938 l’École des sciences sociales (qui deviendra la Faculté des
sciences sociales en 1943). Ce dernier se faisait le promoteur d’une
premier programme en RI11. Cependant, « contrairement
théologie du développement qui reposait sur trois fondements
complémentaires et indissociables : la théologie sociale, la
théologie morale et la théologie du travail. À cette époque, le
10. Bien que généralement ignoré, William Foote Whyte, sociologue climat politique québécois n’était pas favorable à l’enseignement
américain, est également considéré comme l’un des chefs de des sciences sociales qui étaient assimilées au socialisme. Maurice
file du mouvement des“relations humaines” (Dunlop, F. Whyte Duplessis, premier ministre de l’époque, considérait d’ailleurs
et Mias, 2016). le père Georges-Henri Lévesque comme un rival, une menace
11. Dans le programme d’enseignement initial, il y avait « des et un propagandiste du socialisme, du communisme, voire du
matières telles que économique du travail, histoire du bolchévisme (Simard et Allard, 2011 : 23, 42).
18 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

s’intéressant aux effets des activités de GRH sur la moti- à cette vision prescriptive qui présuppose que des pra-
vation et la satisfaction des employés au travail, la fonc- tiques de GRH et d’organisation du travail complémen-
tion RH devient davantage instrumentalisée, c’est-à-dire taires auraient le même effet de performance partout,
conçue et appréhendée comme une activité malléable malgré les différences personnelles13 et les contextes
au gré des visées organisationnelles et au regard du seul (best practices) (Boxall et Macky, 2009 ; Boxall et Purcell,
intérêt de l’entreprise, qui, rappelons-le, est essentielle- 2008 : 75-79). C’est ce nouveau paradigme de GRH axé
ment orientée autour de la rentabilité (Aktouf, 2006 : 18 ; sur la performance et le haut niveau d’engagement des
Kaufman, 2007). ressources humaines qui culmina jusqu’aux années 1980.

Cette période voit le déclin de l’économie institutionna- En raison de l’augmentation du nombre d’étudiants, de
liste (qui intégrait le facteur humain dans ses modélisa- l’évolution de la professionnalisation de la fonction RH
tions) et l’ascension de l’économie néoclassique, avec durant les années 1960 à 1970, les universités amé-
notamment les travaux de Stigler et de Becker sur la ricaines multiplièrent les programmes en gestion des
théorie du capital humain. Les facteurs sociaux, relation- ressources humaines mobilisant cette nouvelle perspec-
nels et psychologiques sont alors évacués des processus tive comportementale. Cette dernière prendra progres-
de théorisation économique pour s’en tenir aux forces du sivement et naturellement plus d’ampleur au détriment
marché du travail (Kaufman, 2000 : 249). Ainsi, depuis la d’autres perspectives plus critiques et pluralistes, comme
fin des années 1950, dans la mouvance et la montée en celles qui sont proposées dans les départements de RI.
puissance de l’économie néoclassique, s’installe l’hégé- En Amérique du Nord, comme au Québec, le centre de
monie de la nécessité « scientifique » et positiviste autour gravité de l’enseignement des ressources humaines
des sciences de la gestion en général, donc de la GRH commence à s’éloigner des programmes des RI pour
en particulier (Taskin, 2011 : 33). Cet idéal positiviste aller vers les écoles de commerce et d’administration. La
a eu des implications jusqu’à la fin des années 1960 tendance à l’enseignement du comportement organisa-
et le début des années 1970 par le développement du tionnel est accentuée et les cours associés aux sciences
fonctionnalisme et de la pensée systémique, dont l’hégé- sociales (sociologie de l’entreprise, histoire du travail,
monie s’est étendue à la théorisation organisationnelle, etc.) perdent du terrain au profit de cours plus orientés
occupant l’avant-scène des articles et des ouvrages en autour des pratiques de gestion (stratégie, finance,
gestion (Aktouf, 2006). comptabilité et marketing) ; la GRH devient une fonction
au même titre que les autres fonctions de l’entreprise
Le terme GRH fit son apparition dans la littérature dans
dans l’atteinte des objectifs économiques et financiers
les années 1960 en remplacement de la locution « gestion
de l’entreprise ; l’intérêt pour les relations conflictuelles
du personnel ». Le courant dominant du comportement
entre l’employeur et les employés s’en trouve minoré.
organisationnel se consolide et s’amplifie encore, ce qui
L’enseignement de la GRH devient davantage orienté
a eu pour effet d’associer davantage la GRH à la gestion
autour de son adéquation avec la stratégie de l’entre-
et au management (Kaufman, 1993 : 120), c’est-à-dire
prise (Kaufman, 1999 : 107-109) en cherchant à optimiser
à une pratique visant l’optimisation de l’usage des res-
ses pratiques et c’est ainsi qu’au tournant des années
sources. Le dénominateur commun, notamment inspiré
1980 nous basculons vers une gestion des ressources
des travaux précurseurs de Mayo, découle de la croyance
humaines dite « stratégique ».
selon laquelle les organisations peuvent, par l’entremise
de la GRH, accroître leur productivité et leur rendement
en concentrant leurs efforts sur les aspirations et les
besoins sociaux et psychologiques des individus. Le
13. Cette vision repose sur le postulat selon lequel les bénéfices que
nouveau modèle de gestion organisationnelle amène l’employé retire (par exemple, l’autonomie, le développement
l’idée d’optimiser les agencements du travail collectif en des compétences et les augmentations salariales) excèdent les
systèmes à haut rendement (high-performance work sys- coûts engendrés (par exemple, le stress au travail, le déséquilibre
entre le travail et la vie hors travail) et, dès lors, il est toujours
tems) (Appelbaum et Batt, 1994) ou en systèmes à haut
possible de motiver les employés à acquérir de nouvelles
niveau d’engagement ou d’implication (high-involvement compétences et à fournir les efforts nécessaires pour une
work systems) (Lawler, 1986). Ces conceptions contribuent performance accrue (Boxall et Macky, 2009 : 6).
 1   L’ enseignement de l a gestion des ressources humaines au sein du champ des rel ations industrielles … 19

La GRH et le champ des RI au Québec largement perdu son hégémonie dans les années 1950
et 1960 à la suite de l’influence d’une nouvelle généra-
Du pluralisme à l’unitarisme tion d’économistes, dont Dunlop et Kerr, antipathiques
aux relations humaines, au comportement organisa-
L’évolution de la GRH en tant que sous-champ acadé- tionnel et à la GRH. Ces économistes néo-institution-
mique contribuant aux RI a suivi au Québec sensible- nalistes cherchaient à créer un espace intellectuel et de
ment la même trajectoire qu’aux États-Unis. Kaufman réflexion dédié à l’étude des pratiques de négociations
(2008b) soutient l’idée d’un appauvrissement du para- collectives et des relations patronales et syndicales (Giles
digme constitutif du champ des RI étant donné la transi- et Murray, 1996 : 69 ; Kaufman, 2008b : 318). C’est l’ins-
tion opérée d’un paradigme original vers un paradigme tauration d’un modèle de régulation du travail basé
plus « moderne ». Le premier paradigme, associé à l’ori- strictement sur la négociation collective et l’institution-
gine des RI, incluait à la fois les organisations syndiquées nalisation du conflit. Cette vision pluraliste, appliquée à
et non syndiquées, la gestion du personnel et les rela- l’entreprise et appuyée par l’évolution d’un droit du tra-
tions patronales et syndicales. Le leadership intellectuel vail favorable à la négociation collective et à la syndica-
était assumé par J.R. Commons et l’École du Wisconsin lisation16, stipulait qu’il était légitime de reconnaître des
(Kaufman, 2008b : 327-328). La production scientifique, intérêts différenciés, notamment ceux des employeurs
inspirée par la philosophie pragmatiste et le concept et des travailleurs, ces derniers intérêts pouvant « s’ex-
d’institution qui résulte d’un processus de construction primer à l’appui de mécanismes de représentation tels
sociale des règles de conduite14, était concentrée autour les syndicats, mais ils pouvaient aussi se faire valoir dans
de la relation d’emploi, de la recherche multidisciplinaire la confrontation au moyen de la négociation collective »
(économie, psychologie, droit, sociologie, politique, etc.) (Giles et Murray, 1996 : 70). Ce pluralisme, centré sur la
et de la résolution de problème. Les instruments de régu- régulation par les RT, eut pour effet d’écarter la GRH,
lation étaient le management progressiste, les lois du davantage associée à l’époque au paradigme unitariste.
travail et l’assurance sociale, le syndicalisme et la négo- Plus encore, dans cette conception des RI, la GRH était
ciation collective, la stabilisation macroéconomique ainsi considérée comme une activité qui se subordonnait à
que le plein emploi. Les préoccupations étaient guidées ces mécanismes de régulation des RT et, plus particu-
par une meilleure reconnaissance de l’être humain et de lièrement, qui était envisagée comme un corollaire à
ses intérêts légitimes qui se traduisaient par des condi- la convention collective dont elle devait assurer l’ap-
tions de travail bonifiées, une rémunération raisonnable, plication. Dans la perspective systémique de l’ouvrage
l’adoption de procédures justes et de mécanismes de phare Industrial Relations Systems de Dunlop (1958), la
prise de parole. En réponse à la doctrine économique GRH n’avait pas non plus d’existence autonome et était
du laisser-faire, le travail n’était pas considéré comme liée à l’employeur17, le patronat, qui avait un rôle d’acteur
une marchandise et l’employé, un facteur de production du système des RI. Enfin, la définition du champ des RI
comme un autre lié à une finalité économique (ibid. : 332). contenue dans cet ouvrage ne prenait pas en considé-
Ce paradigme, qui prit naissance en Amérique du Nord15 ration, de façon générale, les relations d’emploi dans le
après la Première Guerre mondiale, a lentement et secteur non syndiqué (Kaufman, 2008b : 318).

de la responsabilité et de l’autorité au travail. Le couple Webb a


14. L’institution est le concept phare de l’institutionnalisme influencé Commons dans sa théorisation.
pragmatiste de J.R. Commons. Cette conception a pour effet 16. Sans remettre en question la pertinence du droit du travail,
de mettre de l’avant le lien entre le social et l’économie, d’où notons tout de même qu’il est construit sur un rapport binaire,
l’intérêt pour « la construction sociale de l’objet économique » la partie patronale et syndicale, ce qui a pour effet de laisser
(Gislain et Steiner, 1995 : 47). ainsi à l’écart le tiers exclu (non-syndiqués, cadres, etc.).
15. Nous ne développerons pas, faute d’espace, l’héritage britan­ Une problématique similaire se retrouve notamment dans
nique en RI. Notons toutefois l’œuvre séminale Industrial la définition de la notion de salarié qui a pour conséquence
Democracy (1897) de Sydney et Beatrice Webb concernant les d’exclure le travailleur atypique (Bernier, Vallée et Jobin, 2003).
règles et l’importance de la négociation collective permettant 17. « [L]’organisation des dirigeants et de leurs représentants dans
la participation des ouvriers à la prise de décision, au partage les fonctions de contrôle ou de maîtrise » (Dunlop, 1976 : 88).
20 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

De fil en aiguille, le paradigme des origines fut remplacé Du complémentaire au supplémentaire


par un paradigme plus étroit, centré sur le secteur syn-
À l’origine, la GRH en Amérique du Nord était indis-
diqué et orienté autour du processus de négociation
sociable du champ des RI. Ce dernier était un champ
collective, des relations patronales et syndicales et des
d’étude multidisciplinaire valorisant la complémentarité
politiques publiques. C’est le paradigme « moderne » des
et dont l’objectif premier était de répondre aux conflits
RI apparu immédiatement après la Deuxième Guerre
socioéconomiques et politiques engendrés par le pro-
mondiale durant l’âge d’or des RI et qui prévalût durant
blème du travail. En ce sens, la GRH constituait une
les Trente Glorieuses. La GRH fut intellectuellement
partie de la solution à ce problème en complémentarité
minorée au sein des départements en RI, surtout à partir
aux autres perspectives18. La GRH s’inscrivait donc dans
des années 1950-1960 et, dès lors, nous assistons au
une perspective pluraliste avec pour ambition de faire
passage d’une perspective pluraliste de la GRH estimée
émerger des pratiques dont les conditions d’efficience
comme improductive, conflictuelle et inflexible vers une
seraient déterminées par la maximisation des intérêts
perspective unitariste considérée comme flexible, non
à la fois des employeurs, des travailleurs, des syndicats,
conflictuelle et productive (Kaufman 2007 : 34-35).
des pouvoirs publics et de la société en général.
Ce glissement s’accentua progressivement durant les
Si la volonté de cette réintégration des RH au champ des
années 1970. D’une part, dans les écoles de RI, on assista
RI dans les années 1980 avait pour ambition de revenir
à un détachement de la GRH de ses fondements plura-
listes ; la GRH n’étant plus un champ complémentaire aux au paradigme des origines, il semble qu’aujourd’hui ce
autres champs du corpus, mais plutôt un champ acadé- désir ne soit pas complètement réalisé et que le sous-
mique supplémentaire aux autres champs contributoires champ GRH n’a pas réinvesti totalement son ancrage
au sein des RI. D’autre part, de plus en plus, l’étude des d’origine. L’évolution de la GRH en dehors du champ
RI se retrouve « repoussée […] au sein des services des des RI entre les années 1960 et les années 1980 l’a
ressources humaines dans les écoles de gestion » (Giles et transformée profondément tant dans ses fondements
Murray, 1996 : 65). Plusieurs évènements contribuent de théoriques que dans sa finalité. De cette perspective plu-
raliste des origines, elle a basculé vers une perspective
concert à ces glissements, notamment la domination des
unitariste, basée essentiellement sur les théories du com-
sciences du comportement organisationnel, la baisse du
portement organisationnel dans une vision normative et
taux de syndicalisation, le développement d’un nouveau
prescriptive et alignée sur la gestion stratégique de l’en-
système de travail en grande partie non syndiqué, le
treprise. Sa visée est d’optimiser les pratiques existantes
déclin de la grande entreprise, les changements tech-
avec comme conditions d’efficience la maximisation de
nologiques et démographiques ainsi que les débuts de
la satisfaction des intérêts de l’entreprise et prétendu-
l’ère moderne de la mondialisation (Kaufman, 1999 :
ment celle de l’employé. Aussi, en abdiquant son rôle de
105-107).
régulation de la relation d’emploi et en se soumettant
À partir des années 1980, plusieurs chercheurs dont aux orientations stratégiques de l’entreprise, la GRH n’est
Adams (1993), Strauss et Whitfield (1998), Towers plus tant une solution partielle au problème du travail
(2003) et Keller (1996) considéraient que cette défini- qu’une partie de ce problème, et mérite amplement la
tion étroite du champ des RI ne permettait de couvrir critique qui lui est faite.
qu’une partie de la relation d’emploi, celle du secteur
Avec le recul, cette réintégration au tournant des
syndiqué (Kaufman, 2008b : 317). Il fut dès lors proposé
années 1980 ressemble donc plus à une greffe d’un
de revenir au paradigme originel en mettant un accent
organe étranger qu’à une revitalisation d’un membre
égal sur les différentes solutions du problème du travail.
atrophié. En effet, à la suite de sa (ré)introduction dans
Ce paradigme « enrichi » proposait ainsi une (ré)intégra-
tion de la GRH.

18. Cette idée de complémentarité est soutenue par George


Strauss et Thomas Kochan ; ce dernier s’inscrit dans la lignée
des économistes institutionnalistes de l’école du Wisconsin (J.R.
Commons, S. Perlman, R. Ely, etc.) (Wren, 2005 : 435).
 1   L’ enseignement de l a gestion des ressources humaines au sein du champ des rel ations industrielles … 21

une perspective stratégique, la GRH introduit un chan- invite non pas à reconsidérer les pratiques sous un
gement de paradigme au sein du champ académique angle méthodologique, mais simplement à en montrer
des RI. La GRH n’est plus un sous-champ qui se définit les effets pervers sur le travail et l’employé sans qu’au-
en complémentarité et dans la rencontre avec les autres cune solution pragmatique ne soit réellement évoquée.
sous-champs des RI, mais un sous-champ qui se définit Pensée normative et pensée critique sont bien souvent
indépendamment et en supplémentarité des autres sous- présentées aux étudiants comme deux positions anta-
champs contributifs. gonistes et aucune synthèse constructive et créative
n’émerge de cette rencontre dialectique ou, en tout cas,
La perspective unitariste hégémonique de cette GRH
n’est pas proposée dans des ouvrages qui serviraient de
non seulement entre en contradiction avec le caractère
soutien à l’enseignement. Dès lors, l’étudiant lorsqu’il est
interdisciplinaire, pluraliste et même critique des RI,
amené à entrer sur le marché du travail se retrouve à
mais impose, pour ce qui nous intéresse, une concep-
appliquer les « recettes » (how to) qui lui ont été présentées
tion restrictive, en plus de contribuer à l’affaiblissement
dans la littérature normative, ce qui accentue la nécessité
de son rôle socioéconomique. De surcroît, on observe
de propager cette vision hégémonique dans les pro-
une tendance de fond dans les écoles de gestion qui
grammes universitaires, afin de répondre aux exigences
consiste à subordonner les RI, souvent restreinte aux RT,
du marché du travail19.
à la GRH (Giles et Murray, 2006 : 25), alors qu’au départ
la GRH était une des dimensions des RI. Ce mouvement est notamment accentué par l’évolution
de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en
relations industrielles agréés du Québec (OCRHA). Cette
Les facteurs aggravants institution, créée en 1961 par des étudiants en RI de
l’Université Laval et de l’Université de Montréal, s’ap-
Dans la section qui suit, nous émettons plusieurs hypo-
pelait à l’origine « Société des conseillers en relations
thèses qui visent à expliquer comment et pourquoi cette
industrielles » et était accessible sans épreuve à tous les
réintégration au tournant des années 1980 n’a su encore
étudiants diplômés du baccalauréat en relations indus-
opérer ce retour aux origines pourtant désiré, du moins
trielles. Aujourd’hui, en plus de privilégier l’appellation
en Amérique du Nord.
CRHA20, l’ordre intègre les diplômés en administration
Comme nous l’avons expliqué, les premiers cycles de des affaires, option GRH. Selon le concept d’isomor-
formation universitaire en RI visent avant tout à former phisme normatif21, la tendance à l’uniformisation des
des professionnels. De ce fait, les contenus sont plutôt
orientés autour de l’acquisition de compétences que de
19. Galambaud (2014 : 254-5) propose une position à considérer pour
connaissances, même si, évidemment, quelques fon- l’enseignent en GRH qu’il appelle la « coopération conflictuelle ».
damentaux théoriques et critiques sont présentés. Les Ainsi, l’enseignant est « par nature dans une situation paradoxale »
ouvrages abondent en gestion des ressources humaines, de former des praticiens et des gestionnaire qui s’intègre dans
le management général de l’entreprise (coopération), sans pour
mais force est de constater que les manuels de référence
autant renier l’esprit critique par un discours savant qui n’est pas
orientés autour de l’acquisition de compétences sont la reproduction des pratiques et du discours dominant et qui n’a
inscrits dans un paradigme unitariste à visée normative pas pour objectif de conforter l’opinion commune (conflit).
et strictement prescriptive, comme nous le mentionnons 20. Voir la page d’accueil de l’Url suivant consulté le 29 mars 2015 :
en introduction à cet article. Ces ouvrages, souvent obli- http://www.portailrh.org/.

gatoires dans les cours en GRH, n’exploitent que très 21. DiMaggio et Powell (1983) soutiennent que les pratiques
des organisations deviennent largement similaires parce
peu des positions critiques en proposant des solutions
qu’elles appartiennent à un même champ organisationnel,
de rechange visant à compenser les dérives présentées c’est-à-dire connectées et structurellement équivalentes. Le
ci-dessus. Certes, les enseignants inspirés par la pensée champ organisationnel est « l’espace privilégié à l’intérieur
critique amènent à prendre distance par rapport aux duquel se jouent les interactions essentielles pour l’activité
de l’organisation et où se forment les règles et les normes
pratiques de GRH qu’ils enseignent. Toutefois, l’acquisi-
qui encadrent et régissent ses relations » (DiMaggio et Powell,
tion de ces dernières reste l’objectif principal de l’ensei- 1983 : 148). Le concept qui représente le mieux ce processus
gnement. En ce sens, la critique, lorsqu’elle est exposée, d’homogénéisation et de standardisation est l’isomorphisme
22 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

compétences prônées par les ordres professionnels qui le composent dans la régulation de la relation d’em-
pourrait non seulement s’étendre aux exigences acadé- ploi. Giles et Murray23 (2006 : 86-7) précise que Kochan,
miques au sein des départements des RI, mais, de plus, sans cependant nous en indiquer la source, propose de
si l’OCRHA venait à émettre des actes réservés, même réparer la scission symbolique entre la GRH et les RI. Cela
s’imposer, cela aurait pour conséquence de promouvoir semble également la voie proposée par Boivin (1987)
un seul type d’enseignement de la GRH dans les univer- qui modélise la GRH et les RI dans une approche systé-
sités, dans un contexte où nous défendons une GRH non mique et Kochan, Katz et McKersie (1986) qui élargissent
monolithique et pluraliste. Aussi, l’influence des réseaux l’objet d’étude des RI à la GRH par la théorie du choix
professionnels sur les pratiques GRH peut avoir pour stratégique, version interprétée comme la continuité
effet de développer et de reproduire les mêmes normes ou, à tout le moins, un complément à la vision systé-
organisationnelles parmi les gestionnaires. En plus de mique de Dunlop (Meltz, 1993). Ce retour aux sources
faire fi de la particularité des départements des RI, cela permettrait aussi de diversifier les angles d’analyse de
pourrait même accentuer la tendance à les intégrer dans la GRH et de la relation d’emploi afin de ne pas être axé
les écoles de commerce observée ailleurs (Arthurs, 2014). seulement autour de la sphère organisationnelle, les pra-
tiques de GRH, leurs interactions et leurs intégrations à
la stratégie organisationnelle. En plus de la perspective
Pour un retour aux sources organisationnelle, il existe aussi les perspectives d’ana-
lyse individuelle, sociétale et globale (Boxall, 2014). Au
En plus de l’intégration de la GRH, il ne serait aussi être
niveau individuel, Boxall (2014 : 579) propose de s’in-
question pour Kaufman (2008b : 324), dans le contexte
terroger notamment sur les possibilités de développe-
actuel, de soustraire des RI ce qu’il est convenu d’ap-
ment personnel, les problématiques de sous-utilisation
peler le « problème ouvrier », considérant que ce champ
et de sur-utilisation (épuisement, anxiété, etc.) qui ont
fut conçu en réaction au libéralisme économique par
des réformateurs et des progressistes afin d’instaurer
un capitalisme plus social et démocratique. Ce besoin
23. Clairement compris dans la mouvance d’une conception
est encore d’actualité, considérant l’influence de l’éco- restrictive qui réduit les RI aux relations patronales et
nomie néoclassique et le conflit socioéconomique syndicales et largement identifiés à l’économie politique
qu’il engendre. (la thèse critique des RI) Giles et Murray ne semblent pas
reconnaître la complémentarité des domaines GRH, RT et
Cette GRH institutionnelle des origines, en complémen- PPMT puisqu’ils réfèrent, en citant Boivin (1987), à la révision
tarité avec les sous-champs traditionnels que sont les de la « conception du champ d’études pour faire en sorte que
la gestion des ressources humaines devienne [et non pas
politiques publiques en matière de travail (PPMT) et les
redevienne] un des trois domaines d’études que composent les
relations de travail (RT) 22, correspond davantage à celle relations industrielles » (Giles et Murray, 2006 : 87). Pourtant,
qui est ou devrait être enseignée dans les départements en consultant Boivin (1987 : 189), ce dernier appréhende les
de RI (Kaufman, 2008b). Il ne s’agit pas ici de subor- RI « comme comprenant trois domaines d’étude, à savoir la
gestion des ressources humaines (GRH), les relations de travail
donner la GRH au champ disciplinaire des RI, mais bien
(RLT) et les politiques publiques en matière de travail (PPMT) ».
de réaffirmer le caractère complémentaire des domaines Nonobstant cette confusion, cette analyse apparaît à la fois
partiale, puisque ces auteurs ne tiennent nullement compte
de l’ancrage de la GRH au sein des RI et de l’influence des
défini comme un processus contraignant qui force une unité économistes institutionnalistes, et partielle, considérant qu’ils
dans une population à ressembler aux autres unités de cette laissent entendre une appréhension monolithique de la GRH.
population faisant face au même ensemble de conditions Cette perspective est pour le moins réductrice, alors que nous
environnementales. L’isomorphisme normatif, un des trois savons qu’il existe aussi à l’intérieur de la GRH des courants
mécanismes institutionnels avec l’isomorphisme coercitif et pluralistes et même critiques (voir notamment Barrat, 2003 ;
l’isomorphisme mimétique, influence le processus de décision Legge, 2005 : 44-50). À cet égard, la démonstration de Legge
au sein des organisations. est éloquente puisqu’elle dénombre au moins quatre modèles,
22. À cela, nous pourrions ajouter la santé et sécurité au travail qui dans la définition de la GRH, dont le critical-evaluative model, se
est un sous-champ important en RI. D’ailleurs, déjà en 1907, réclamant d’une démarche critique et d’un courant de pensée
Commons faisait la promotion des comités de santé et sécurité qui s’apparentent à l’économie politique critique que Giles et
au travail (Commons, 1959 : 856). Murray défendent.
 1   L’ enseignement de l a gestion des ressources humaines au sein du champ des rel ations industrielles … 23

un effet évident sur l’entourage des personnes concer- Cependant, les employeurs sont également concernés
nées et sur la société. Il suggère aussi d’envisager les par la légitimité et l’acceptabilité sociale des pratiques
ressources humaines dans une optique sociétale puisque de GRH. Ces dernières doivent correspondre aux normes
les relations entre les employés et leur entreprise se font sociales (Boxall, 2007 : 61). Bien que les organisations
selon la conjoncture particulière des communautés et poursuivent des objectifs économiques en mettant de
des sociétés dans lesquelles elles évoluent (ibid. : 580). l’accent sur la création de valeur, elles sont également
L’organisation n’est pas isolée du contexte dans lequel aux prises avec le défi de la rationalité relationnelle ou
elle prospère ; ce contexte lui a bien souvent servi (édu- normative. Cela implique l’établissement d’une certaine
cation, infrastructure, droit de propriété, etc.). Il y a donc relation de confiance, notamment avec les parties pre-
implicitement une forme de « contrat social », une réci- nantes, basée sur des critères de légitimité, d’accepta-
procité nécessaire à l’épanouissement social et sociétal, bilité, de justice, d’équité et de valeurs morales24. Les
qui à son tour contribue à la prospérité économique. Le concepts mêmes de performance et d’efficacité orga-
questionnement pourrait aussi porter sur la compatibilité nisationnelle incorporent non seulement les résultats
et la cohérence des règles de comportement organisa- économiques à court et moyen terme, mais aussi les
tionnel avec le bien-être de la société à long terme, la notions de légitimité et de responsabilité sociale (Boxall
contribution des organisations à la société, notamment et Macky, 2009 : 5). Il y a un renouveau académique
la responsabilité des entreprises en regard de l’emploi, selon Boxall (2014 :17) pour le double objectif de la per-
du chômage et du travail atypique, la prise de conscience formance et du bien-être des individus, ce qui pourrait
de l’effet des décisions, etc. Il s’agit en conséquence d’un inspirer davantage de recherche sur la contribution de
engagement durable qui vise non seulement le bien-être la GRH à une plus grande solidarité sociale. C’est l’ins-
des salariés à l’intérieur de la « boîte noire » organisation- cription de l’entreprise dans ce contexte sociétal et social
nelle, pour reprendre l’expression de Boxall (2014), mais que promeut aussi la conception des origines des RI que
aussi le bien-être sociétal. Enfin, en matière d’analyse nous appuyons.
globale et supranationale, les intérêts pourraient être
dirigés vers le développement humain de manière géné- Il ne faut pas soustraire de l’enseignement de la GRH la
rale illustré par les organisations internationales (Organi- compréhension de la réalité sociale, cette cohabitation
sation internationale du travail, Bureau international du en organisation d’intérêts qui peuvent être parfois diver-
travail, etc.) de même que les tensions entre le national et gents et en rapports de force qui dictent le fonctionne-
le mondial, notamment le caractère ethnocentrique des ment de l’entreprise ; tout cela contraint la négociation
pratiques de GRH dans un contexte de mondialisation. de compromis et de normes socialement et économi­
quement acceptables (Galambaud, 2015). En matière
d’intérêt commun supérieur, l’employeur, les salariés et
leurs représentants partagent un même destin écono-
Conclusion mique et sont en quelque sorte en relation d’interdépen-
Certes, la sécurisation de la viabilité économique est un dance (Commons, 1959).
des problèmes auxquels les entreprises doivent faire Le monde du travail est pluriel et la GRH est aussi multi-
face. Cette viabilité économique passe notamment par la disciplinaire. À trop vouloir ignorer ou restreindre l’apport
compétitivité du système de production des biens et des des disciplines en sciences humaines et sociales, telles
services. Les organisations doivent être en mesure de que la sociologie, l’économie, le droit, les sciences poli-
produire les biens et de fournir les services à l’intérieur tiques, l’anthropologie, la psychosociologie et l’histoire,
des paramètres budgétaires et des structures de coûts elle se prive hélas trop souvent de perspectives lui per-
qu’elles ont les moyens de s’offrir. Dans ce contexte, la mettant une « compréhension approfondie des individus,
GRH est soumise à une logique de coûts et de normes
d’efficacité qui pousse les gestionnaires à être attentifs
24. Le courant de responsabilité sociale et même éthique des
à la « productivité » et à la compétitivité des pratiques entreprises s’inscrit dans ce respect des attentes normatives de
adoptées. la société d’appartenance.
24 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

des collectivités, des organisations, des groupes de y voit même « une alliance avec le fait syndical […] une
pression ou même des sociétés auxquels elle entend sorte de cogestion sociale » permettant « de convaincre
appliquer ses efforts » (Cadin, Guérin et collab., 2007 : 2). plus aisément, d’influencer plus fortement » les dirigeants
de l’importance réelle des rapports sociaux.
Aussi, il ne faut pas s’y méprendre. Ce n’est pas une GRH
qui prend la place ou rivalise avec les instances syndi- Enfin, nous sommes également d’avis, pour faire écho
cales dans la défense des intérêts des salariés que nous aux propos de Léonard (2004 : 141), qu’il est « urgent de
prônons, surtout dans le contexte québécois avec un renouer la gestion des personnes avec les relations col-
taux de présence syndicale de 39,8 % en 2013 (Labrosse, lectives, dans nos enseignements, dans les recherches,
2014 : 5). C’est une GRH dont les activités sont complé- dans la pratique. Ce n’est pas seulement une question
mentaires et potentiellement coopératives, notamment de réalisme, c’est une nécessité si nous ne voulons pas
en tant qu’interlocuteur privilégié dans le partage des que la ressource humaine se transforme, une fois pour
mêmes principes d’équité et de justice (Kanungo et Men- toutes, en simple instrument ».
donca, 1977 ; Kaufman, 2008a). Galambaud (2014 : 50)

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2

La profession de conseillère1 en gestion


des ressources humaines et en relations
industrielles au Québec et la formation
à la gestion des ressources humaines
à l’Université Laval
François Bernard Malo et Pierre-Sébastien Fournier

Ce chapitre tente de répondre à la question suivante : pages d’information que nous avons analysée en utili-
Qu’est-ce que la profession de conseillère en gestion sant une approche dite ­« thématique », jusqu’à ­saturation
des ressources humaines et en relations industrielles de nos données.
au Québec et existe-t-il « une seule façon » d’enseigner
la GRH et de former les gens qui en deviendront les
responsables dans les organisations ? S’il existe de mul-
tiples facettes de la profession et de multiples façons
Qu’est-ce que la gestion
d’y former les futures professionnelles, pourquoi ces des ressources humaines ?1
diverses approches sont-elles apparues et sont-elles La gestion des ressources humaines (GRH) n’est pas
portées à se maintenir ? Enfin, l’une est-elle meilleure une science, mais bien un « tout artistique et social flou »
que l’autre et, surtout, pourquoi ? Pour répondre à ces porté par une idéologie gestionnaire et qui peut être
questions, nous avons choisi de mener une étude de cas décrit comme un système complexe composé d’un vaste
en profondeur auprès de l’Ordre des conseillers en res- ensemble d’activités finalisées, ou processus, en interac-
sources humaines et en relations industrielles (OCRHA) tion permanente2. Au cours du xxe siècle, l’évolution de la
et au sein de l’Université Laval (UL) où nous enseignons
et dirigeons des recherches depuis près d’une quinzaine
d’années. Sur la base de documents de sources primaires 1. Pour refléter le fait qu’au Québec la majorité des membres de
la profession sont du genre féminin, nous avons délibérément
et secondaires et d’observation participante auprès de
choisi de contrevenir à la règle usuelle de la langue française
divers acteurs des deux principaux départements de voulant que le masculin l’emporte sur le féminin.
l’UL où l’on enseigne la GRH – le Département des 2. Le lecteur intéressé à en apprendre davantage sur l’idée que la
relations industrielles (DRI) rattaché à la Faculté des GRH n’est pas une science trouvera intérêt à lire Amadieu (2013)
sciences sociales (FSS) et le Département de manage- pour qui la GRH est marquée beaucoup plus par le sceau de
l’obscurantisme que par celui de la gestion. En langue anglaise,
ment (DM) rattaché à la Faculté des sciences de l’admi-
au sujet de la différence entre le discours et la réalité des
nistration (FSA) –, nous avons recueilli des milliers de modèles de GRH, l’ouvrage de Legge (2005) est particulièrement
éclairant.
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 29

pensée en matière de GRH a été marquée par différentes aussi bien entre elles qu’avec la stratégie principale
écoles théoriques3. Pour Mercier et Schmidt (2004), les retenue par les gestionnaires supérieurs. Lorsque la taille
principales sont le taylorisme et la bureaucratie, le cou- de l’organisation en question atteint la centaine d’em-
rant des relations humaines, le courant sociotechnique et ployés, on y voit généralement apparaître un premier
le management stratégique. Selon les périodes en ques- responsable « officiel » des ressources humaines4. Qu’il
tion, les responsables de la GRH dans les organisations y ait ou non un tel responsable « officiel » de la fonction
ont plus ou moins bénéficié d’une oreille attentive de la ressources humaines, dans tous les cas il convient d’ob-
part de leurs propres chefs (Jacoby, 2004) et les solutions server que, « dans une entreprise, la GRH n’est pas qu’un
proposées ont pris diverses couleurs, tantôt avec une choix rationnel de politiques sociales en rapport avec des
saveur collective, tantôt avec une saveur individualisante objectifs internes ou des environnements contraignants.
(Beaumont, 2004). « Ces processus (au cœur même de la C’est aussi le résultat de jeux entre acteurs à partir des
GRH) concernent l’acquisition de la ressource, son affec- rôles, des intérêts ou des visées qui les caractérisent »
tation dans la structure, son utilisation, sa préservation, (Louart, 2012, p. 694) (les soulignés sont de nous). D’un
son développement et son évaluation dans le cadre point de vue plus sociologique, Léonard (2015) souligne
d’une planification des besoins » (Dayan, 1999, p. 317). que la GRH est une fonction d’entreprise dont la première
En général, on s’entend pour dire que la GRH compte six mission est de produire un ordre social local. Gazier
activités principales : l’organisation du travail (incluant (2004), quant à lui, nous apprend que les stratégies de
l’ergonomie et la santé et sécurité au travail), la dotation GRH ne se conjuguent pas toujours avec la valorisation
(incluant le recrutement, la sélection, l’accueil et l’inté- des individus travaillant dans les organisations… n’en
gration du personnel), l’évaluation humaine (du potentiel déplaise à ceux qui prétendent le contraire.
et du rendement au travail) qui débouche naturellement
sur la gestion des carrières, la formation (aussi appelée
développement des compétences), la rémunération et
les avantages sociaux et, enfin, la détermination des
Les modèles de GRH
conditions de travail (incluant la négociation individuelle D’un point de vue typologique, il existe de multiples
ou collective de ces conditions, l’encadrement des acti- façons de définir l’agencement des activités de GRH de
vités de GRH et la gestion des conflits qui y sont liés) même que les modèles qui les représentent5. À l’intérieur
(Malo, 2010). de ces modèles, dont l’histoire souligne la croissance
en sophistication et en complexité des outils de GRH
Que l’organisation où travaille le responsable des res-
(Pinaud, 2008), les tensions qui caractérisent la GRH
sources humaines soit privée ou publique, de petite ou
pourront prendre diverses formes (Louart et GRHEP,
de grande taille, à vocation économique ou pas, toutes
1993 ; Cadin et Guérin, 2015). S’intéressant de manière
ces activités doivent généralement être assumées. Selon
plus précise à l’enseignement de la GRH, Taskin (2012)
les organisations et leurs contextes, ces activités peuvent
expose qu’il peut prendre des formes très différentes
toutefois être plus ou moins formalisées et coordonnées,
selon qu’il prend place dans une faculté d’administration
ou dans une faculté des sciences sociales. Dans cet esprit,
Brabet (1993) nous suggère qu’il existerait au moins
3. Selon les auteurs qui se sont intéressés à l’histoire de la pensée
en gestion des ressources humaines, les écoles concernées pour- trois modèles de GRH : le modèle « instrumental » (MI), le
ront être très différentes. Pour un aperçu historique de cette
question abordée sous l’angle des relations industrielles, le lec-
teur aura intérêt à examiner les contributions suivantes : Bruce 4. Le titre officiel porté par ce responsable varie énormément
E. Kaufman, 2008, Managing the Human Factor : The Early Years d’une organisation à l’autre. Alors que dans certains cas la
of Human Resource Management in American Industry, Ithaca et personne responsable des ressources humaines peut être une
Londres, ILR Press, Cornell University Press ; Bruce E. Kaufman, secrétaire administrative, dans d’autres cas il peut s’agir d’une
2000, « Personnel\Human Resource Management : Its Roots as technicienne, d’une conseillère, d’une directrice ou même d’une
Applied Economics », dans J. Biddle et R. Backhouse(ed.), Toward vice-présidente.
a History of Applied Economics : Annual Supplement to Volume 32, 5. Pensons, à titre d’exemple, aux modèles proposés par de Coster
History of Political Economy, Durham NC, Duke University Press, (1999), Guérin et Wils (1992), Pichault et Nizet (2000) et Youndt
p. 226-256. et collab. (1996).
30 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

modèle de l’arbitrage « managérial » (MAM) et, enfin, le de laquelle elle évolue. L’acteur clé, quel qu’il soit, doit
modèle de « la gestion des contradictions » (MGC). Chacun toujours être situé dans une histoire où ses décisions ne
de ces modèles se distinguerait des autres en fonction peuvent faire autrement qu’être marquées par la contin-
des enjeux auxquels ils s’adressent, de leur vision du gence et un certain sens de l’éthique. Dans cet univers où
changement et de l’intervention et, enfin des savoirs il n’y a pas de modèle idéal, la gestion des contradictions
mobilisés et valorisés. Alors que le MI, le plus populaire et des incertitudes amène le développement d’une stra-
selon Brabet (1999), aurait tendance à considérer que tégie incrémentale ouvrant la porte à des orientations
l’efficacité économique est synonyme de l’efficacité volontaristes larges provisoirement négociées.
sociale, que l’évaluation économique ne peut être menée
Enfin, en ce qui concerne les savoirs, le MI privilégie le
que par un expert dans un cadre où l’entreprise est consi-
behaviorisme et le positivisme de même que l’expéri-
dérée comme un organisme vivant évoluant dans un
mentation et l’application des connaissances accumulées
environnement dit « naturel » où ses membres animés
où les effets ont tendance à être mesurés en dollars.
d’un esprit utilitariste peuvent se développer positive-
Pour sa part, le MGC favorise la multithéorisation, les
ment dans un cadre harmonieux, car leurs intérêts sont
approches multiméthodes de même que les savoirs
fondamentalement convergents, le MGC entretient une
compréhensifs permettant aux acteurs de se situer eux-
vision tout à fait opposée. Dans cette dernière vision,
mêmes, tout en élucidant les tenants et aboutissants de
l’efficacité économique n’est pas du tout équivalente à
leurs propres actions.
l’efficacité sociale et il y a tout lieu de remettre en ques-
tion la finalité de l’évaluation économique, car il est faux À plusieurs égards, nous pouvons dire que le troisième
de prétendre que les acteurs partagent de nombreux modèle, le MAM, se situe entre les deux précédents. En
intérêts convergents. Selon le MGC, les acteurs sont à la ce qui concerne tout d’abord les enjeux, le MAM sug-
fois rationnels et irrationnels et l’entreprise est d’abord gère qu’à court terme l’efficacité économique n’égale
et avant tout un système psychopolitique construit his- pas ­l’efficacité sociale et que, pour mieux comprendre
toriquement dans un environnement qui l’est lui aussi. le phénomène, il serait opportun de considérer cette
Les contradictions y sont donc partout et la dialectique évaluation grâce à de multiples acteurs, de multiples
entre les convergences et les divergences doit y être sources et de multiples méthodes. Cela serait impor-
gérée en permanence. tant, car l’environnement, aussi bien que l’entreprise,
est construit et, si les acteurs qui s’y trouvent sont à la
En ce qui concerne le changement et l’intervention, le
recherche d’une certaine harmonie à long terme, à court
MI suggère que le changement est volontaire et pro-
terme ils s’influencent mutuellement et leurs échanges
grammé centralement par la DRH qui en est un expert
reposent sur divers arbitrages sans cesse négociés.
capable de prendre des décisions rationnelles transfor-
mées éventuellement en programmes élaborés pour Si le changement est généralement entrepris et pro-
répondre aux besoins de la stratégie organisationnelle, grammé par les managers, il est la plupart du temps
elle-même déterminée par les contraintes environne- négocié et les décisions qu’il implique touchent surtout
mentales et les valeurs des dirigeants. Dans cette pers- le partage du pouvoir, l’organisation et les flux de main-
pective, il existerait donc un modèle idéal marqué par d’œuvre. Autant rationnelles qu’éthiques, ces décisions
diverses contraintes d’ordre stratégique. Quant au MGC, placent la stratégie et la GRH en interaction perma-
il part de l’idée que le changement est à la fois central nente. Les savoirs, quant à eux, sont essentiellement
et local et qu’il est marqué autant par l’ordre que par politiques et la méthodologie privilégiée souligne le rôle
le désordre. Plutôt que d’être limité à la responsabilité crucial de la négociation pour en arriver à des solutions
du DRH expert, le changement est un champ d’activité contingentes expérimentées dans un univers sans cesse
qui touche toute l’entreprise et la société à l’intérieur marqué par des courants lourds.
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 31

Tableau 1 Les modèles de la GRH selon Brabet (1993) (p. 140-141)

Modèle « instrumental » Modèle de « l’arbitrage Modèle de «la gestion


managérial » des contradictions»

Les enjeux • Efficacité économique = • Efficacité économique ≠ • Efficacité économique ≠


efficacité sociale à court terme de l’efficacité de l’efficacité sociale
sociale
• Evaluation économique • Evaluation multi-acteurs, • Critique de l’évaluation
par un expert multi-sources, multi-méthodes économique ; problème
des finalités
• Environnement « naturel »
   • Environnement construit • Environnement construit
(marché et démocratie) (capitalisme…)
• Entreprise « organisme » • Entreprise construite • Entreprise construite :
système psychopolitique
historique
• Acteur conditionnable, • Acteur politique et à potentiel • Acteurs rationnels/
utilitariste et en développement de développement positif irrationnels, Eros/Thanatos ;
positif socialisation
• Convergence des intérêts • Convergences-divergences • Convergences-divergences
et harmonie arbitrables à long terme, « essentielles » à gérer
harmonie à constuire en permanence

Changement • Changement volontaire, • Changement programmé • Changement central et local ;


et intervention programmé centralement et négocié, initiative ordre et désordre
managériale
• Champ: activité de la DRH • Champ : ensemble des • Champ : société et entreprise
décisions managériales
• Acteur clé: DRH expert • Acteur clé : management • Acteur clé : historique, rôle
de l’analyste
• Décisions rationnelles et • Décisions rationnelles • Décisions éthiques et
application de programmes et éthiques concernant contingentes ; dialectique
de planification, sélection, prioritairement le partage autorégulations/orientations
stimulation, coordonnés du pouvoir et l’organisation, volontaristes larges,
puis les rétributions et les flux provisoirement négociées
de main-d’œuvre
• Au service de la statégie • Stratégie et GRH • Stratégie incrémentale
déterminée par les contraintes en interaction
de l’environnement et les valeurs
des dirigeants
• Modèle idéal (avec contingence • Modèle idéal à long terme • Pas de modèle idéal :
stratégique) (contingence situationnelle, gestion des contradictions
organisationnelle, à court et des incertitudes
terme)

Savoirs • Behaviorisme et positivisme • Analyse politique • Multi-théorisation (sociologie,


économie, histoire,
psychanalyse, psychologie
cognitive, constructivisme…)
• Expérimentation : programmes • Expérimentation sociale • Multi-méthodes (analyse
→ effets mesurés en dollars ; et vigie pour repérer critique et discursive, analyse
discours des dirigeants les courants lourds comparative et historique,
et des experts recherche-action)
• Application des connaissances • Méthodologie de • Savoirs : cadres conceptuels et
questionnement pertinente méthodologiques permettant
→ négociation → solutions aux acteurs de situer et
contingentes d’élueider leur action ;
processus d’explicitation
des finalités
32 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

L’Ordre des conseillers de s’assurer la protection du public ». Pour cette raison,


être membre d’un ordre professionnel comporte son
en ressources humaines et lot de contraintes, comme l’obligation de se plier à un
en relations industrielles agréés code de déontologie strict qui les oriente dans leurs
actions en leur précisant leurs devoirs et leurs obliga-
Du point de vue de la pratique professionnelle qué-
tions afin d’assurer la protection du public. Enfin, une
bécoise, la profession de responsable de la gestion
autre contrainte provient de l’obligation qui est faite à
des ressources humaines et des relations industrielles
l’égard de chacun des membres de l’Ordre de veiller à
est encadrée par le Code des professions du Québec
la mise à jour continuelle de ses compétences par un
de même qu’un ordre professionnel qui y est spécifi-
nombre minimal d’heures de formation qu’il doit suivre
quement dédié : l’Ordre des conseillers en ressources
par périodes déterminées à l’avance.
humaines et en relations industrielles agréés du Québec
(OCRHA) 6. La mission de cet ordre est double : protéger En 2007, l’OCRHA lança des états généraux sur la gestion
le public et contribuer à l’avancement de la profession7. des ressources humaines et les relations industrielles
Bien qu’aucun acte particulier ne fut jamais réservé au Québec avec pour objectifs de définir la profession
aux membres de l’OCRHA ou des associations l’ayant dans ses aspects particuliers, de préciser sa contribution
précédé, deux titres le sont : conseiller en ressources à la performance organisationnelle et de spécifier sa
humaines agréé (CRHA) et conseiller en relations indus- diversité. En plus de cela, on précisait alors : « Les états
trielles agréé (CRIA). En vertu de l’article 37, alinéa f), du généraux sont aussi l’occasion de se questionner sur
Code des professions les titres professionnels, puisque les deux titres actuels
Tout membre (de) l’Ordre des conseillers en ressources – conseillère en ressources humaines agréée (CRHA)
humaines et en relations industrielles agréés du Québec et conseillère en relations industrielles agréée (CRIA)
(peut) : exercer l’art d’établir, de maintenir et de modifier – portent à confusion dans la communauté d’affaires
les relations entre employés, entre employeurs ou entre et dans le grand public » (les soulignés sont de nous) 9.
employeurs et employés8. De manière plus spécifique, trois préoccupations furent
Comme le précisait Blouin (1987, p. 310-311) à propos de alors retenues :
la Corporation des conseillers en relations industrielles, 1. Quel est le profil des CRHA et CRIA recherché par
« ces corporations ne sont ni des syndicats ni de simples les employeurs ?10
associations professionnelles. Elles doivent surtout et
2. Quelles sont les connaissances et les compétences
avant tout s’assurer de la compétence et de la probité
acquises par les diplômés en relations industrielles,
de leurs membres. […] La loi (qui les constitue) est, à
en gestion des ressources humaines et en adminis-
toutes fins utiles, une loi professionnelle qui a pour but
tration ? Est-ce que ces diplômés mènent une car-
rière distincte ?11
6. Avant la création de l’OCRHA, c’est la Corporation des conseillers
en relations industrielles (CRI), elle-même créée en 1974 et qui
succéda à la Société des conseillers en relations industrielles
(SCRI) créée en 1963 par un regroupement d’étudiantes en  9. http://www.portailrh.org/etatsgeneraux/ (page consultée le
relations industrielles de l’UL qui jouait sensiblement le même 1er novembre 2017).
rôle. En marge de ce rôle officiel, il faut savoir qu’il fut un 10. Cette question est loin d’être anodine et désintéressée, comme
temps, au Québec, où « il existait un phénomène prononcé nous aurons le loisir de le constater ultérieurement. Elle insinue,
d’accaparation des activités dites professionnelles par des en fait, que ce sont les employeurs qui ont la responsabilité de
groupes organisés. […] La plupart du temps, cette emprise s’était définir les compétences que devraient posséder les conseillères
faite à l’ombre d’un puissant lobby corporatiste confondant en gestion des ressources humaines et en relations industrielles.
souvent l’intérêt de la profession et celui du public » (Blouin,
11. La manière de répondre à ces deux questions, d’un point de vue
1987, p. 310).
méthodologique, est extrêmement importante, car, si le portrait
7. http://www.objectifcrha.org/profession.php (page consultée le des gens qui ont étudié dans ce domaine et ceux qui y exercent
18 octobre 2017). la profession n’est pas complet et tout à fait fidèle à l’ensemble
8. http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/C-26 (page de la réalité, il y a de grands risques d’en venir à des conclusions
consultée le 18 octobre 2017). erronées.
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 33

3. L’Ordre doit-il utiliser un seul titre ? Si oui, lequel d’autres courants (comme ceux que l’on retrouve en
choisir et pourquoi ? relations industrielles) stipulent qu’il est au moins aussi
important que ces activités contribuent en même temps
En plus de servir de base à la création d’un guide des
au développement des personnes qui travaillent dans
compétences du CRHA et CRIA, ces états généraux
ces organisations.
menèrent à la conclusion que, pour des raisons histo-
riques, il était préférable de conserver et de protéger les Un peu plus loin, sur la page intitulée As-tu ce qu’il faut
deux titres, mais qu’il fallait désormais faire la promotion pour être un CRHA ?, l’OCRHA précise :
d’un seul des deux : celui de CRHA (car les deux étaient
Un CRHA aime communiquer, convaincre. Il est auto-
dans les faits équivalents au dire de certaines des per- nome et responsable dans ses fonctions. Il doit tra-
sonnes consultées). Le Guide des compétences du CRHA et vailler très souvent en équipe et savoir faire preuve de
du CRIA, dont nous parlerons dans les prochaines pages, jugement et de professionnalisme. Certaines qualités
découle directement des travaux menés lors de ces états personnelles prédominent chez ce professionnel, tels :
généraux. l’autonomie ; la discrétion ; l’esprit critique, d’analyse
et de synthèse ; l’esprit d’équipe ; une grande facilité à
communiquer ; une facilité d’adaptation ; le leadership ;
le sens de l’organisation ; le sens des responsabilités. Ce
Le profil recherché professionnel a quantité d’intérêts variés qui font de lui
une personne recherchée sur le marché du travail. En
Sur la page de son site Internet intitulée Qu’est-ce qu’un voici quelques-uns : Aimer lire, rédiger, communiquer
CRHA ou CRIA ?, l’OCRHA écrit : oralement et par écrit ; Aimer communiquer avec des
gens pour les convaincre, les persuader ; Aimer gagner
Le conseiller en ressources humaines agréé (CRHA) et
l’estime des autres, diriger des personnes ; Aimer com-
le conseiller en relations industrielles agréé (CRIA) sont
prendre les phénomènes et résoudre les situations pro-
des professionnels du domaine de l’administration qui
blématiques ; Aimer travailler avec des personnes et les
exercent auprès des dirigeants et du personnel des acti-
soutenir13 (les soulignés sont de nous).
vités de conseil, de gestion, de recherche et d’analyse, et
dont l’objectif est d’assurer le bon fonctionnement des Si la résolution de problèmes semble occuper une place
activités liées principalement à la gestion des ressources importante dans le travail ainsi décrit, il nous semble
humaines de l’organisation. Occupant une fonction des
que l’on ne peut pas faire autrement que de remarquer
plus stratégiques, ces professionnels agréés sont des
la place encore plus importante qu’y occupe la commu-
acteurs clés qui contribuent à l’atteinte des objectifs
et à l’essor de l’entreprise en veillant à ce que les pra- nication (tant orale qu’écrite) « orientée » dans le but de
tiques et programmes produisent une valeur ajoutée convaincre les gens et de les persuader. Cette description
pour ­l’organisation12. de la profession, qui rejoint ainsi l’aspect politique de la
GRH dont Louart (2012) parlait précédemment, ne peut
Comme nous l’expliquerons dans les prochains para-
toutefois que nous laisser un peu dubitatifs quant aux
graphes, il n’est pas si naturel que cela que la GRH
personnes à convaincre et aux sujets à l’égard desquels
« appartienne » au domaine de l’administration et à
il semble important de les convaincre. Parle-t-on de
l’univers de l’entreprise. À l’Université Laval, en fait, la
convaincre les employés de la nécessité de ne pas faire
GRH est plutôt née au Département des relations indus-
la grève, par exemple, ou parle-t-on plutôt de la nécessité
trielles qui fait lui-même partie de la Faculté des sciences
de convaincre la haute direction d’investir massivement
sociales intéressée par l’entreprise, mais, aussi, par toutes
dans le développement des compétences des employés
les organisations présentes au sein de la société. Dans
de l’organisation ? Dans tous les cas, cela ne revient-il pas
le même esprit, si certains courants d’enseignement de
à dire que le CRHA « sait » ce qu’il convient de faire et que
la GRH avancent l’idée que ses activités doivent d’abord
ce n’est pas aux diverses parties en présence d’en arriver,
et avant tout produire des résultats pour l’entreprise,
par une saine négociation, à trouver pour elles-mêmes

12. http://www.portailrh.org/objectif_richer/profession.aspx (page 13. http://www.portailrh.org/objectif_richer/qualites.aspx (page


consultée le 13 novembre 2017). consultée le 13 novembre 2017).
34 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

un compromis mutuellement satisfaisant ? Le CRHA ne Selon le Guide des compétences du CRHA et du CRIA, il y
pourrait-il pas, plutôt que d’être un acteur dont le travail aurait deux grandes familles de compétences jugées
consiste à « convaincre les autres », être un acteur dont le indispensables : les compétences professionnelles et les
travail consiste à aider les parties possédant des intérêts compétences générales. Alors que les premières peuvent
divergents et convergents à mieux se parler pour mieux être définies comme « [la] démonstration par un individu
s’entendre ? Le CRHA ne pourrait-il pas, en ce sens, être qu’il possède la capacité – c’est-à-dire les connaissances,
une espèce de conciliateur ou de médiateur au sein des les habiletés et les attitudes – d’accomplir un acte pro-
organisations ? fessionnel, une activité ou une tâche conformément à
une norme et/ou à toute autre exigence prédéterminée »,
les secondes peuvent être définies comme « [l’] habileté
générique qu’un individu doit démontrer et [les] attitudes
Les compétences des membres qu’il doit manifester dans l’exercice de son emploi, de
de l’OCRHA son métier ou de sa profession » (OCRHA, 2013a, p. 1).
Les travaux pour mener à terme la publication du pre- Dans le même document, l’OCRHA précise que les com-
mier Guide des compétences des membres de l’OCRHA ont pétences professionnelles sont ensuite divisibles en trois
démarré en 2006 grâce à la participation d’un groupe compétences fondamentales (« compétences requises de
de membres de l’Ordre représentant chacun des champs tout membre de l’Ordre, peu importe son expérience et
de pratique en GRH : ses champs d’expertise ») puis en sept compétences spé-
Ce comité avait reçu le mandat de recenser et d’analyser cialisées (« compétences propres à chacun des champs
les compétences requises des membres de l’Ordre. Ses d’expertise »)15. Selon ce document, les trois compétences
travaux étaient coordonnés par un spécialiste de l’élabo- fondamentales renvoient en fait à trois rôles que le
ration de référentiels de compétences professionnelles. professionnel en ressources humaines devrait pouvoir
Se voulant le reflet de la profession telle qu’elle est pra- prendre en charge : le rôle-conseil ; le rôle de partenaire
tiquée, ce document doit, pour demeurer pertinent, faire
d’affaires et, enfin, le rôle de professionnel. En ce qui a
périodiquement l’objet de révision. Pour la mise à jour
trait aux compétences spécialisées, elles touchent de
de 2013, nous avons eu recours, encore une fois, à un
groupe de consultation formé de membres de l’Ordre
manière précise les questions suivantes : la gestion stra-
qui sont des praticiens chevronnés et réputés » (OCHRA, tégique des ressources humaines et de l’organisation, la
2013b, p. 6) (les soulignés sont de nous)14. gestion du développement des compétences, la gestion
de la santé, de la sécurité et du mieux-être au travail, la
gestion des relations du travail, la gestion de la rému-
14. La démarche utilisée par l’OCRHA pour construire ce référentiel
des compétences est loin d’être anodine comme nous aurons
nération globale, la gestion de la dotation et, enfin, la
l’occasion de le constater dans la suite de ce document. Pour gestion du développement organisationnel.
l’instant, retenons que, malgré nos recherches documentaires,
nous n’avons pas été en mesure de comprendre quels critères Pour clore le tout, il faut ajouter que les compétences
ont été utilisés par l’OCRHA pour en venir à affirmer que les générales sont quant à elles divisées en compétences
professionnels consultés sont chevronnés et réputés. Pourquoi relationnelles (par exemple, « faire preuve de leadership »
sont-ils chevronnés ? Possèdent-ils des diplômes en GRH et en
et « manifester des habiletés politiques ») et en compé-
relations industrielles délivrés par des universités prestigieuses ?
Auprès de qui sont-ils réputés ? Auprès de leurs pairs, de leurs tences personnelles (par exemple, « faire preuve de
supérieurs immédiats, de la communauté scientifique ? Enfin, jugement » et « innover »). Ce qu’il est enfin intéressant
pourquoi sont-ils ainsi réputés ? Quels sont leurs « grandes de remarquer, c’est que toutes les compétences énu-
réalisations » et leurs « grands accomplissements » ? Bien que nous
mérées ci-dessus sont par la suite déclinées en tâches
ne soyons pas parvenus à trouver des réponses à ces questions,
il nous semble qu’il s’agit là d’interrogations fondamentales qui (ex. : définir les besoins du client), normes et politiques
ont de très grandes implications pour la suite des choses. Que applicables et bonnes pratiques.
faudrait-il en venir à penser de ce guide des compétences si, par
exemple, nous apprenions que les professionnels chevronnés et
réputés qui ont participé à son élaboration ne possèdent aucune
formation universitaire avancée ou, encore, qu’ils proviennent 15. http://guide.portailrh.org/guide (page consulté le 18 octobre
uniquement d’une seule filière professionnelle ? 2017).
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 35

Schéma 1 Les compétences des CRHA et CRIA selon l’OCRHA

I - COMPÉTENCES PROFESSIONNELLES Démonstration par un individu qu'il possède la capacité – c'est-à-dire les connaissances,
les habiletés et les attitudes – d'accomplir un acte professionnel, une activité ou une
tâche conformément à une norme et/ou à toute autre exigence prédéterminée.

II - COMPÉTENCES GÉNÉRALES Habileté générique qu'un individu doit démontrer et attitudes qu'il doit manifester dans
l'exercice de son emploi, de son métier ou de sa profession.

Source : http://guide.­portailrh.
org/guide/­developpement-des-
competences/elaborer-un-plan-
de-developpement-des-­
competences (page consultée
le 31 août 2018)
36 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Pour ne prendre qu’un seul exemple que l’on considère comment on y décrit la compétence professionnelle
comme représentatif de l’ensemble du Guide des com- intitulée : « Contribuer à la réflexion stratégique des
pétences des CRHA-CRIA (édition de mars 2013), voyons ­r­essources humaines et de l’organisation ».

Schéma 2 Description de la compétence intitulée « Contribuer à la réflexion stratégique


des ressources humaines et de l’organisation ».

Compétence professionnelle 1. Contribuer à la réflexion stratégique


des ressources humaines et de l’organisation

Principaux gestes clés Principales compétences


personnelles sollicitées

• Procéder à un diagnostic général des RH (forces et faiblesses) • Réfléchir en termes stratégiques


en consultant les parties intéressées sur : • Démontrer un esprit de synthèse
–– l’état des compétences organisationnelles et individuelles; • Faire preuve de leadership
–– la structure organisationnelle et l’organisation du travail
–– le climat organisationnel
–– les pratiques de gestion des ressources humaines en vigueur
dans l’organisation
• Faire en sorte que les opportunités et les enjeux RH soient pris
en compte dans la réflexion stratégique de l’organisation

Politiques et normes applicables Bonnes pratiques


• Veiller à subordonner son intérêt personnel à celui du client, fournir • Appuyer le diagnostic général concernant les
des informations et donner des conseils désintéressés et objectifs ressources humaines sur le plan d’affaires, sur
(Code de déontologie, articles 14 et 15) les enjeux organisationnels, sur les diagnostics
• Éviter les conflits d’intérêts (Code de déontologie, article 19) spécifiques et sur les tendances et contraintes
de l’industrie et du marché
• Adopter une conduite irréprochable, notamment en agissant avec
courtoisie, dignité, modération et objectivité (Code de déontologie, • Utiliser un processus qui permet de recenser et
article 10) d’évaluer les compétences individuelles en fonction
des besoins de l’organisation
• Préserver l’anonymat des personnes consultées afin de respecter
les lois sur la protection des renseignements personnels • S’appuyer sur des critères et des outils qui permettent
et l’obligation de respecter le secret professionnel découlant de poser un jugement éclairé et objectif, tels des
de la Charte des droits et libertés de la personne, du Code indices de fidélisation, de mobilisation, d’absentéisme,
des professions et du Code de déontologie (articles 6(6e) et 51) le nombre de griefs et de plaintes traités, et recourir
à des approches ou moyens, par exemple un sondage
1. Respect de la vie privée auprès des employés, qui permettent de poser
un jugement éclairé et objectif
Code civil du Québec
• Considérer les politiques et les pratiques en vigueur
• Articles 3 et 35 consacrant le droit de toute personne au respect dans l’organisation
de sa vie privée. Ces articles obligent l’employeur à adopter –– S’inspirer des pratiques d’excellence
un comportement respectueux de la vie privée de ses employés.
–– Effectuer ou consulter des études de balisage
• Article 36 présentant certains actes (liste non exhaustive) pouvant (benchmarking)
être considérés comme des atteintes à la vie privée de la personne
en milieu de travail :
–– intercepter ou utiliser volontairement une communication privée
d’une personne;
–– capter ou utiliser son image ou sa voix dans des lieux privés;
–– surveiller sa vie privée de quelque autre moyen;
–– utiliser ses documents personnels.
• Articles 37 à 41 donnant des précisions sur les obligations de
l’employeur en lien avec la tenue des dossiers sur ses employés
pour garantir le respect de leur vie privée.
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 37

Politiques et normes applicables (suite) Bonnes pratiques (suite)


Les lois sur la protection des renseignements personnels
• S’ajoutent à ces dispositions du Code civil du Québec celles édictées
par deux lois d’ordre public selon que l’organisation est publique
ou privée :
–– Loi sur la protection des renseignements personnels
dans le secteur privé
–– Loi sur l’accès aux documents des organismes publics
et sur la protection des renseignements personnels
Ces lois régissent la collecte, la détention, l’utilisation et la
communication des renseignements personnels ainsi que l’accès
à ces renseignements par les personnes concernées.
Code des professions

Droits d’accès et rectification des documents constitués


sur une personne : articles 60.5 et 60.6

Code de déontologie
Respect de la vie privée : articles 6 (6) et 51
Droits d’accès et rectification des documents constitués
sur une personne : articles 52 à 60

2. Respect du secret professionnel


Charte des droits et libertés de la personne :
article 9 (Charte québécoise)
Code des professions
Secret professionnel : article 60.4
Code de déontologie
Respect de la vie privée : articles 6 (6) et 51
Respect du secret professionnel : article 51.1
Droits d’accès et rectification des documents constitués
sur une personne : articles 52 à 60

Source : http://guide.portailrh.org/guide/developpement-des-competences/elaborer-un-plan-de-developpement-des-competences
(page consultée le 31 août 2018)

Il est ici intéressant de constater que ces descriptions normes applicables, avoir les mêmes bonnes pratiques
et compétences sous-entendent une conception très et, enfin, partager les mêmes compétences personnelles.
managériale de la gestion des ressources humaines au Est-ce bien le cas ? Comme nous le verrons dans la sec-
service spécifique des organisations, éliminant ainsi, de tion suivante, où nous nous pencherons sur la diversité
façon implicite, les autres rôles et professions liés à la des parcours universitaires de formation à la gestion des
GRH (organisations syndicales, organisations publiques ressources humaines au premier cycle de l’UL, rien n’en
de régulation, organismes de soutien, associations et est moins certain.
comités sectoriels, etc.). Il nous semble qu’au moins Deuxièmement, il nous semble important de souligner
quatre observations principales méritent d’être faites, car que ce guide s’inscrit tout à fait dans le MI présenté par
elles valent aussi bien pour cette compétence que pour Brabet (1993) et dans une perspective que Burrell et
toutes les autres qui figurent à l’intérieur de ce guide. Pre- Morgan (1979) appellent le fonctionnalisme, un para-
mièrement, on n’y fait aucune distinction entre les titres digme des sciences sociales mettant de l’avant une pré-
portés par les membres de l’OCRHA. Cela revient à dire occupation pour une certaine régulation (au détriment
que le CRHA et le CRIA devraient poser les mêmes gestes d’un changement radical) présentée sous un angle objec-
clés, qu’ils devraient implanter les mêmes politiques et tiviste (plutôt que sous un angle subjectiviste).
38 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Figure 1 Les quatre paradigmes des sciences sociales selon Burrell et Morgan
(figure traduite et citée par Kœnig, 2006, p. 14).

Changement radical

Humanisme radical Structuralisme radical


Subjectivisme Objectivisme
Interprétativisme Fonctionnalisme

Régulation

En d’autres mots, le guide présume que les compétences les ordres professionnels existent d’abord et avant tout
peuvent être décrites de manière objective et, de là, que pour protéger le public ?
cet instrument peut servir à affirmer qu’une personne qui
Troisièmement, en aucun cas dans ce schéma et ce guide
possède les compétences décrites est dès lors capable
sur les compétences des CRHA et CRIA on trouve une
d’aider les organisations à obtenir de bons résultats éco-
mention explicite aux connaissances théoriques sous-
nomiques et financiers en faisant les bons gestes et en
jacentes à la bonne conduite de chacune des activités
appliquant les bonnes politiques et normes. À ce sujet,
mentionnées. À lire attentivement ces documents, c’est
il convient de noter que ce guide ne fait aucune place
comme si la notion même de compétences ne compor-
significative aux réflexions historiques et sociales sous-
tait que des savoir-faire et des savoir-être. Tout au plus,
jacentes au système économique dans lequel il s’inscrit
les connaissances qui y sont présentées sont essentiel-
et qu’il ne cherche pas non plus à en montrer les ratés
lement à saveur légaliste et rassemblées sous la caté-
et les insuffisances. En d’autres mots, aucune place n’est
gorie appelée « Politiques et normes applicables ». Nulle
accordée à l’étude historique et critique des systèmes
part on ne parle de théories, de modèles et de résultats
économiques, politiques, technologiques et sociaux. En
de recherches empiriques sur les questions traitées.
ce sens, loin d’être aussi « objectif et désintéressé » qu’il
Les « bonnes pratiques » apparaissent ainsi comme des
peut sembler le paraître, ce guide s’inscrit dans le système
« choses générales à faire » sans que l’on comprenne
économique actuel qu’il valorise et cherche à réguler
pourquoi il en est ainsi. L’extrait suivant d’un des prin-
pour mieux le faire fonctionner. La phrase suivante, tirée
cipaux gestes clés associé à la compétence « Contribuer
de la page 31 de ce guide, est particulièrement parlante à
à la réflexion stratégique des ressources humaines et
cet égard : « Appuyer le diagnostic général concernant les
de l’organisation » en est une belle illustration : « Faire
ressources humaines sur le plan d’affaires, sur les enjeux
en sorte que les opportunités et les enjeux RH soient
organisationnels, sur les diagnostics spécifiques et sur
pris en compte dans la réflexion stratégique de l’orga-
les tendances et contraintes de l’industrie et du marché »
nisation » (OCHRA, 2013b, p. 31). Comment le profes-
(les soulignés sont de nous). Même si cela n’est pas pro-
sionnel peut-il y arriver ? Quelles théories justifient une
blématique du point de vue des entreprises privées à
telle prise de position ? Quels modèles explicatifs sont
but lucratif qui sont à la recherche de responsables des
susceptibles de l’aider à y parvenir ? Force est de recon-
ressources humaines capables de les aider à améliorer
naître que les documents en question sont totalement
rapidement leurs résultats économiques et financiers
muets à cet égard. C’est là un indice important, selon
à court terme, il faut admettre que les membres du
nous, que l’OCRHA ait ainsi adopté une position au
public qui sont préoccupés par une plus grande justice
sujet de la notion de compétence qui va complètement
sociale et une remise en cause des travers à long terme
à l’encontre d’une vaste partie de la littérature selon
du système économique capitaliste sont pour le moins
laquelle les compétences sont d’abord et avant tout des
oubliés. N’est-ce pas un peu surprenant, considérant que
savoirs (ou connaissances théoriques) mobilisés par
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 39

l’action (savoir-faire) dans des situations concrètes de


La pratique professionnelle
travail. Bien qu’il existe de multiples façons de définir
une compétence et que l’unanimité n’a pas encore été en contexte québécois
faite au sujet de cette notion, Hoffman (1999) souligne On estime qu’il y a, en 2017, près de 20 000 personnes
l’importance de pouvoir traiter les compétences aussi qui travaillent à titre de responsable de la gestion des
bien comme output (le résultat des actions de la personne ressources humaines et des relations industrielles (RI)
concernée comme dans le cas des « bonnes pratiques » à au sein des organisations québécoises17. De ce nombre,
mettre en place ou des principaux gestes clés à faire) que environ 10 000 seraient membres de l’OCRHA et, curieu-
comme input (c’est-à-dire comme ensemble de savoirs, sement, tous les membres actuels n’auraient pas la
de savoir-faire et de savoir-être nécessaires à la bonne même formation universitaire de base18.
réalisation des tâches en question). Autrement, nous
De façon traditionnelle, pour devenir membre de
n’avons qu’une vision tronquée de la réalité et pouvons
l’OCRHA, la candidate devait réussir l’une des 5 forma-
en venir à nous imaginer, par exemple, que les connais-
tions suivantes :
sances théoriques et scientifiques ne sont d’aucune uti-
lité en gestion des ressources humaines et en relations a) Baccalauréat ès sciences sociales (relations indus-
industrielles. Tant que le professionnel a pu apprendre trielles) de l’Université Laval ;
sur le tas comment s’y prendre pour faire quelque chose,
b) Baccalauréat ès sciences (relations industrielles) de
il n’a pas besoin d’un bagage universitaire particulier ni
l’Université de Montréal ;
approfondi.
c) Bachelor of Arts (Major in Industrial Relations),
Enfin, en négligeant complètement les autres approches
Bachelor of Commerce (Major in Industrial Relations)
possibles à l’enseignement et à la pratique de la gestion
de l’Université McGill ;
des ressources humaines – qui découleraient, pour leur
part, d’une vision plus critique du champ d’études et d) Baccalauréat en relations industrielles et en res-
qui pourraient éventuellement se rapprocher du MAM sources humaines de l’Université du Québec en
ou du MGC de Brabet (1993) et des autres paradigmes Outaouais ;
exposés par Burrel et Morgan (1979) –, ces documents
e) Baccalauréat en gestion des ressources humaines
de l’OCRHA sont marqués par un biais positiviste et
de l’Université du Québec à Montréal19.
unitariste et glissent, de ce fait, dans une direction où
l’Ordre pourrait en venir à se sentir justifié de suggérer Depuis quelques années, l’accès à cet ordre profes-
plus ou moins fortement aux établissements universi- sionnel s’est transformé au profit d’un élargissement
taires un modèle « unique » de formation à la gestion
des ­ressources humaines et aux relations industrielles a trait à l’importance pour les managers d’élargir leurs visions
où l’esprit critique et le recul historique seraient tout à de l’être humain et de faire une place plus importante à la réalité
fait évacués, car ils n’auraient pas été jugés utiles par les historique, subjective et affective telle qu’elle est vécue par les
hommes et les femmes au travail, le lecteur lira avec intérêt
« praticiens chevronnés réputés » qui ont rédigé ces instru-
la contribution de Chanlat (1998) qui n’a rien perdu de son
ments de référence. Cela nous semble très préoccupant actualité.
pour la survie de l’un des principes fondamentaux ayant 17. Estimation partagée lors d’une rencontre avec la directrice
présidé à la création des universités : leur autonomie par générale de l’OCRHA à l’été 2017.
rapport aux pressions politiques de la Cité16. 18. Cette information est bien connue de tous les membres de
l’OCRHA et de plusieurs personnes qui travaillent, au Québec,
dans le domaine de la gestion des ressources humaines et des
16. Le lecteur intéressé à suivre ce débat est invité à lire le document relations industrielles. Nous avons tenté d’obtenir de la part de
suivant : Bureau de coopération interuniversitaire, 2016, l’OCRHA le profil exact et anonyme des conditions à l’entrée de
Mémoire présenté par le Bureau de la coopération interuniversitaire tous les membres actuels de l’Ordre pour comprendre sur la base
à la Commission des institutions dans le cadre des consultations de quels diplômes ils avaient été admis. Malheureusement, on
particulières sur le projet de loi no 98 (Loi modifiant diverses lois a refusé de nous transmettre cette information.
concernant principalement l’admission aux professions et la 19. http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cr/C-26,% 20r.%202
gouvernance du système professionnel), Montréal, 21 p. En ce qui (page consultée le 18 octobre 2017).
40 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

des préalables acceptés. Ainsi, près de la moitié des nou- • TÉLUQ


veaux membres de l’OCRHA proviennent de l’extérieur
• Université Concordia
de ces filières. En vertu du Règlement sur les normes
d’équivalences de diplôme et de la formation aux fins • Université Laval
de la délivrance d’un permis de l’Ordre des conseillers en
• Université du Québec à Rimouski
ressources humaines et en relations industrielles agréés,
il est précisé qu’une personne peut devenir membre • Université de Sherbrooke21 (les soulignés sont de
de l’Ordre si elle possède un diplôme équivalent aux nous).
diplômes précédemment cités ou une équivalence de Dans ce contexte de multiplication des voies d’accès à
formation. l’ordre, il devient pertinent de se questionner sur les simi-
Afin de déterminer si un candidat possède la formation larités et sur les différences de parcours universitaires.
requise par l’article 5, l’Ordre tient compte de l’ensemble À l’instar d’autres universités22, l’Université Laval offre
des facteurs suivants : plus d’un programme visant à former des spécialistes
1e le fait que le candidat soit titulaire d’un ou plusieurs de la GRH : le baccalauréat en relations industrielles (BRI)
diplômes obtenus au Québec ou ailleurs ; et le baccalauréat en administration des affaires (BAA).
Regardons de plus près comment les étudiantes de l’Uni-
2e les cours suivis, le nombre de crédits s’y rapportant,
versité Laval (UL) qui se destinent à cette profession sont
de même que les résultats obtenus ;
actuellement formées à travers ces deux programmes.
3e les stages de formation et autres activités de forma-
tion continue ou de perfectionnement ;

4e le nombre total d’années de scolarité ;


La formation à la gestion
5e l’expérience pertinente de travail.
des ressources humaines
Dans le cas où l’appréciation faite en vertu de l’alinéa
précédent ne permet pas de prendre une décision, la
à l’Université Laval
personne peut être reçue en entrevue ou invitée à subir L’Université Laval a été créée en 1852 par le Séminaire de
un examen fixé par l’Ordre, ou les 2, afin de compléter Québec, lui-même fondé en 1663 par le premier évêque
cette appréciation 20. de la colonie, Mgr François de Montmorency. L’Université
Depuis 2012, dans le contexte grandissant d’une Laval (UL) est la première université francophone à voir
approche managériale de la gestion des ressources le jour en Amérique et elle est, à ce jour encore, l’une des
humaines, les étudiantes ayant suivi un programme de plus importantes universités de recherche au Canada23.
baccalauréat en administration des affaires compor- Ceux et celles qui aspirent à devenir des professionnels
tant un certain nombre de cours en GRH (déterminés en GRH et en RI peuvent s’y former de deux manières
à l’avance) obtiennent un accès à l’Ordre via un par- principales : par l’obtention d’un baccalauréat en rela-
cours d’agrément. Le parcours d’agrément consiste à tions industrielles (BRI) offert par le Département des
reconnaître une formation jugée équivalente. Celle-ci relations industrielles (DRI) rattaché à la Faculté des
consiste à reconnaître la réussite de 14 cours/42 crédits sciences sociales (FSS) ou encore par l’obtention d’un
« spécialisés » sur les 90 crédits que compte un baccalau- baccalauréat en administration des affaires spécialisé en
réat. Actuellement, le parcours d’agrément est offert pour
le Baccalauréat en administration des affaires dans les
universités suivantes :
21. http://www.portailrh.org/futurs/fiche_profession.aspx?p =
• HEC Montréal 622116 (page consultée le 13 novembre 2017).
22. Par exemple, l’Université de Montréal offre une formation en
gestion des ressources humaines au baccalauréat en relations
20. Comme le lecteur l’aura sans doute remarqué, plusieurs de ces industrielles et au baccalauréat en administration des affaires
points ne font pas explicitement référence à des études réalisées (HEC).
dans le domaine de la gestion des ressources humaines ou des 23. https://www.ulaval.ca/notre-universite/a-propos-de-lul/lorigine-
relations industrielles. et-lhistoire.html (page consultée le 18 octobre 2017).
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 41

gestion des ressources humaines (BAA-RH) offert par le sont pas une science, mais bien un champ d’études mul-
Département de management (DM) rattaché quant à la tidisciplinaire marqué par une certaine idéologie et dont
lui à la Faculté des sciences de l’administration (FSA) 24. l’objet principal est la résolution des problèmes et des
Alors que ceux qui obtiennent le BRI ont depuis toujours conflits du travail dans une société industrialisée par la
eu automatiquement accès à l’OCRHA, ceux qui pos- confrontation de perspectives multiples jugées a priori
sèdent un BAA-GRH devaient, jusqu’à tout récemment, légitimes et d’égale valeur. Plus qu’un objet de contem-
se soumettre à l’examen d’admission dont nous avons plation détaché des interactions concrètes entre les par-
précédemment fait mention. Comportant tous les deux ties prenantes, les relations industrielles sont d’abord et
trente cours de trois crédits, ces deux programmes sont avant tout un domaine pratique préoccupé par la survie
pourtant très distincts. du système capitaliste et où les processus de résolution
des problèmes passent par la négociation continuelle (tant
Dans la prochaine section nous présenterons les règles
individuelle que collective) et peuvent être analysés dans
d’admission dans les programmes du BRI et du BAA-RH
leurs dynamiques économiques parfois marquées de ratés
de l’UL avant de voir plus en détail leur contenu et de
et de bavures (Morin, 1984). Historiquement, les relations
souligner de quelles manières ils se ressemblent, mais,
industrielles ont comporté trois grandes dimensions : la
aussi, se distinguent.
gestion des ressources humaines (GRH), les relations du
travail (RET) et les politiques publiques en matière de tra-
vail et d’emploi (PPMT). Au cours des dernières années,
Le programme de BRI-UL toutefois, un quatrième champ a commencé à prendre
une place croissante et à se distinguer de la GRH où il
Le Département des relations industrielles de l’Université
agissait jusqu’alors : la santé et la sécurité au travail (SST).
Laval a été fondé en 1944 par l’abbé Gérard Dion qui,
D’un point de vue schématique, on peut situer la GRH
en collaboration avec le patron de la jeune Faculté des
dans les RI à l’aide de la figure 2.
sciences sociales de l’Université Laval dirigée par le père
Georges-Henri Lévesque, cherchait à éviter une vision
« affairiste » des problèmes du travail en privilégiant le
Figure 2 Représentation schématique de la GRH
point de vue syndical et ouvrier, faisant ainsi contre-
à l’intérieur des relations industrielles
poids à une vision duplessiste du marché du travail, des
travailleurs et des syndicats qui prédominait alors dans
de nombreuses entreprises de l’époque. C’est pour cette
Gestion des
raison principale, diront les historiens, que le DRI fut créé Relation
ressources
du travail
à la FSS (et non dans une école de commerce ou une humaines
faculté des sciences de l’administration comme il était
alors coutume de le faire au Canada et aux États-Unis)
avec pour mission de former des experts, aussi appelés
« ingénieurs sociaux », ouverts aux apports de la psycho-
logie et de la sociologie (Clavette, 2008).

Les relations industrielles peuvent être définies comme Politiques


Santé et
publiques du
« the theories, techniques and institutions for the resolution sécurité
marché
of contending money and power claims and the employ- au travail
du travail
ment relationship » (Barbash, 1984, p. 3). Au Québec, nous
avons coutume de dire que les relations industrielles ne

D’un point de vue schématique, les relations industrielles


24. Alors que le BRI est un programme départemental suscitant peu
peuvent être illustrées par la figure suivante.
la participation des autres départements de la FSS, le BAA-RH
est un programme facultaire dépendant en bonne partie du DM,
mais aussi des autres départements de la FSA.
42 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Figure 3 Le système dynamique des relations industrielles

Source : J. Boivin (1987), Les relations industrielles : une pratique et une discipline. Relations industrielles/Industrial Relations, 42(1), p.192.

Comme le montre cette figure, le système des relations l’intérieur de ce modèle, aucun acteur ni aucune de
industrielles place en interaction trois acteurs distincts ces façons de résoudre les problèmes nés des intérêts
ayant chacun leur propre préoccupation principale : l’État divergents entre les parties prenantes ne peut prétendre
(soucieux de l’intérêt public), les organisations et leurs faire cavalier seul et aspirer réussir sans une coopération
gestionnaires (soucieux de l’efficacité de gestion) et enfin minimale avec les autres. Ce n’est qu’ensemble que ces
les individus (parfois représentés par un syndicat et qui trois parties prenantes forment véritablement un tout
sont soucieux, quant à eux, de leur propre besoin de qui dépasse la somme de ses composantes.
sécurité).
Sans surprise, c’est sur la base de ce modèle des rela-
C’est la tension entre ces intérêts fondamentalement tions industrielles qu’a été conçu le BRI-UL. N’étant pas
divergents, complétés par certains intérêts convergents un programme contingenté, le BRI-UL est en principe
comme la survie du système global, qui amène les par- ouvert à toute personne qui détient un diplôme d’études
ties à entrer en relation et à négocier les unes avec les collégiales (DEC) ou son équivalent et qui y a aussi réussi
autres pour en arriver à des compromis mutuellement un cours de méthodes quantitatives avancées ou de sta-
acceptables. Au-delà de ces diverses négociations, il tistiques en sciences humaines25. Bien qu’il ait beaucoup
existe trois façons distinctes, pourtant interreliées et évolué au fil des ans (et qu’il continuera vraisemblable-
complémentaires, de résoudre les problèmes nés de ment de le faire dans les années à venir), ce programme
ces interactions : les politiques publiques en matière de a pour ambition principale de former des professionnels
travail et d’emploi (PPMT), les relations du travail (RET)
et la gestion des ressources humaines (GRH). Alors que
les PPMT sont essentiellement pilotées par l’État et que
25. Les personnes de plus de 21 ans n’étant pas titulaires d’un DEC
les RET sont dirigées surtout par les syndicats, la GRH
peuvent aussi y être admises à certaines conditions dont nous
est essentiellement prise en charge par le patronat. À ne parlerons pas ici.
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 43

capables de faire évoluer le monde du travail d’au- • Négociateur, conciliateur ou arbitre en relations
jourd’hui et de demain26 de travail

Le baccalauréat en relations industrielles consiste en • Recruteur


une formation de type professionnel qui aborde les • Représentant, conseillère ou délégué syndical
divers aspects du travail selon une perspective multidis-
ciplinaire. Vous acquerrez des notions de diverses disci-
plines afin d’analyser les rapports de travail individuels
Employeurs
et collectifs ainsi que les institutions qui les encadrent.
[…] Ce programme offre une formation multidiscipli- • Cabinets-conseils en gestion des ressources
naire, tant théorique que pratique, axée sur les quatre humaines
grands champs des relations industrielles : gestion des
• Commissions scolaires
ressources humaines, relations du travail, santé et sécu-
rité du travail ainsi que politiques publiques du marché • Compagnies d’assurances
du travail. Votre formation sera enrichie par des notions
• Entreprises de services-conseils en santé
liées à la négociation collective, à la gestion de la rému-
et en sécurité du travail
nération, à la santé au travail, à l’ergonomie et aux poli-
tiques publiques. Vous deviendrez un spécialiste des • Firmes de recrutement et de sélection
relations sociales entre les acteurs collectifs (employeurs, du personnel
syndicats, État) dans le monde du travail et de l’emploi.
• Grandes entreprises et PME
Ce qu’il importe enfin de préciser, c’est que le BRI-UL • Institutions financières
ouvre la porte à de multiples professions chez un grand
• Ministères et organismes publics ou parapublics
nombre d’employeurs potentiels :
• Municipalités et villes
• Organisations syndicales
Professions
• Organismes d’employabilité
• Agent d’équité en matière d’emploi
• Programmes d’aide aux employés (PAE).
• Analyste des procédés administratifs
Pour occuper ces emplois, il est précisé que la person-
• Conseillère en formation et en développement nalité type d’une étudiante en relations industrielles est
­organisationnel la suivante :
• Conseillère en prévention
Avoir de la facilité pour la conciliation, la négociation
• Conseillère en réadaptation ainsi que pour la résolution de problèmes et de conflits.
Aimer conseiller et prendre des décisions. Préférer l’au-
• Conseillère en recrutement
tonomie, la polyvalence et la mobilité à la routine. Faire
• Conseillère en ressources humaines preuve de pragmatisme, d’un grand sens critique et
• Conseillère ou agent en dotation d’une bonne résistance au stress.

• Consultant Comme le montre le tableau 2 le programme de BRI-UL


• Coordonnateur ou inspecteur en santé et sécurité comporte 18 cours obligatoires de trois crédits chacun
du travail que l’on peut regrouper en sept familles distinctes :
théorie, méthodologie, droit du travail, RET, GRH, SST,
• Directeur des ressources humaines, des relations
PPMT 27. À l’intérieur de chacune de ces familles, on
de travail ou des relations industrielles
trouve également un nombre variable de cours option-
• Gestionnaire nels. Enfin, comme le montre le tableau 2 il existe une

26. https://www.ulaval.ca/les-etudes/programmes/repertoire/ 27. À ces dix-huit cours, on doit ajouter un cours obligatoire
details/baccalaureat-en-relations-industrielles-ba.html (page intégrateur : Intégration des connaissances en relations
consultée le 19 octobre 2017). industrielles.
44 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

dernière famille de cours appelée « Autres cours en rela-


tions industrielles ». L’étudiante n’est pas obligée de suivre
un cours dans cette famille, mais elle peut en choisir Gestion des ressources humaines (GRH)
jusqu’à quatre.
Pratiques de gestion des ressources Obligatoire
humaines

Tableau 2 Cours composant le programme Psychologie et travail Obligatoire

général de BRI28 Gestion stratégique des ressources Obligatoire


humaines

Aspects financiers de la gestion des Optionnel


Introduction aux relations industrielles Obligatoire ressources humaines

Environnement et fonctions de Obligatoire Culture et organisation Optionnel


l’organisation
Dotation du personnel Optionnel
Mondialisation et relations industrielles Obligatoire
Évaluation des emplois et équité salariale Optionnel
Relations industrielles comparées Optionnel
Formation en entreprise Optionnel
Méthodologie Gestion du changement et gestion des Optionnel
Méthodologie appliquée aux relations Obligatoire ressources humaines
industrielles I
Gestion internationale des ressources Optionnel
Méthodologie appliquée aux relations Obligatoire humaines
industrielles II
Travail et vieillissement de la main- Optionnel
d’œuvre
Droit du travail
Rémunération Optionnel
Droit du travail I Obligatoire
Nouvelles technologies et gestion des Optionnel
Droit du travail II Obligatoire
ressources humaines
Arbitrage de griefs Optionnel
Santé et sécurité au travail (SST)
Relations du travail (RET) Santé et sécurité au travail Obligatoire
Syndicalisme Obligatoire
Aspects psychosociaux de la santé au Optionnel
travail
Travail et structures organisationnelles Obligatoire
Introduction à l’ergonomie Optionnel
Négociation collective Obligatoire
Risques à la santé et mesures préventives Optionnel
Conventions collectives Obligatoire
Sécurité du travail Optionnel
Changement au travail et dans les Obligatoire
organisations
Politiques publiques en matière
Équité en emploi Optionnel de travail et d’emploi (PPMT)

Pratiques syndicales Optionnel Économie et marché du travail I Obligatoire

Relations du travail dans le secteur public Optionnel

Relations du travail dans le secteur de la Optionnel


construction

Négociation collective – Aspects pratiques Optionnel

28. Cette description fait fi des profils particuliers qu’une étudiante


peut décider de faire ajouter à son diplôme de baccalauréat.
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 45

surtout pendant leur troisième année que les étudiantes


peuvent décider de se « spécialiser » dans l’une ou l’autre
Économie et marché du travail II Obligatoire des grandes familles de cours composant les relations
Analyse sectorielle et relations Optionnel
industrielles.
industrielles
Depuis peu, l’étudiante qui le souhaite peut également
Mutations de l’emploi Optionnel faire ajouter une mention spéciale à son diplôme de
BRI-UL afin de souligner qu’elle l’a obtenu avec l’un des
Politiques publiques en formation Optionnel
professionnelle cinq profils suivants : entrepreneurial, international,
développement durable, recherche.
Politiques publiques et marché du travail Optionnel
Sur la base de la définition retenue des relations indus-
Régulation de l’emploi Optionnel
trielles, du modèle théorique définissant ce champ
Sécurité sociale Optionnel d’études de même que de l’analyse de la structure géné-
Sécurisation des trajectoires Optionnel rale du BRI, des cours composant ce programme et de la
professionnelles clientèle visée, nous pouvons donc conclure que l’ensei-
Autres cours optionnels gnement de la GRH au sein du DRI-UL se situerait d’un
point de vue paradigmatique entre le MGC et le MAM
Psychologie des groupes et des équipes Optionnel
de Brabet (1993).
de travail

Psychologie sociale des relations Optionnel


interpersonnelles

Expérience supervisée en relations Optionnel


industrielles

Stage international en relations Optionnel


industrielles

Stage en relations industrielles1 Optionnel

Éthique et professionnalisme au travail Optionnel

Concours d’excellence en relations Optionnel


industrielles

Stage de recherche en relations Optionnel


industrielles

Simulateur de gestion d’entreprise en Optionnel


relations industrielles

1. Ce cours est le seul de tout le programme qui compte pour neuf


crédits (au lieu des trois crédits habituels).

Dans son cheminement typique, le schéma 3 illustre


bien que BRI-UL est conçu de telle manière que les deux
premières années d’études à temps plein comportent
presque exclusivement des cours obligatoires dans les
diverses composantes des relations industrielles. C’est
46 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Schéma 3 Cheminement typique à l’intérieur du BRI


1re année – Introduction aux relations industrielles
fondements Méthodologie appliquée aux relations industrielles I

1re année – Syndicalisme Env. & fonction Écon. et marché Psycho & travail
Développement Trav. et structure org de l’org. du travail I
des connaissances Droit du travail I
Pratiques de GRH

2e année – Négociation collective


fondements Méthodologie appliquée aux relations industrielles II

2e année – Droit du travail II Gestion stratégique Écon. et marché Santé et sécurité


Développement Convention collective des RH du travail II au travail
des connaissances Chgt. trav. et ds org.

3e année – Mondialisation et RI
fondements Intégration des connaissances

3e année – Relations du travail Gestion des RH Politiques publiques SST, ergonomie


Blocs de spécialités de l’emploi

Le BAA-RH un art (vision et intuition créative) qui repose sur deux


piliers : un savoir-faire pratique développé avec l’ex-
La Faculté des sciences de l’administration de l’Université périence (compétences et habiletés de gestion) et des
Laval tire ses origines de l’École supérieure de commerce connaissances scientifiques valides. Se demandant si
de Québec fondée en 1924 par les frères des Écoles la GRH est réellement de la gestion, Galambaud (2002,
chrétiennes. Aidée financièrement par une campagne p. 279) va écrire : « Le management est une volonté qui
publique de souscription et le gouvernement Duplessis, s’impose à d’autres volontés. […] c’est un exercice du
l’École de commerce se dote d’un nouvel édifice à même pouvoir et il n’y a pas d’exercice du pouvoir sans confron-
les terrains de l’Université Laval et prend ensuite, en tations, voire sans conflits. »
1952, le nom de Faculté de commerce29.
À la Faculté des sciences de l’administration de l’UL, l’en-
Le management consiste à planifier, organiser, com- seignement de la GRH est une composante importante du
mander, coordonner et contrôler (Fayol, 1916). Selon management. Comme le montre la figure 4, l’enseigne-
Mintzberg (2009), c’est d’abord et avant tout une pra- ment du management couvre divers domaines : la gestion
tique enracinée dans un contexte social spécifique et des personnes30, la gestion internationale, le développe-

29. C’est en 1967 que la Faculté prend le nom sous lequel elle est
aujourd’hui connue : la Faculté des sciences de l’administration 30. Les expressions « gestion des personnes » ou « gestion des talents »
(FSA) http://www4.fsa.ulaval.ca/la-faculte/decouvrez-nous/ sont utilisées à la Faculté des sciences de l’administration pour
(page consultée le 1er novembre 2017). désigner la GRH.
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 47

ment international et l’aide humanitaire, la gouvernance Touchant à toutes les sphères de l’administration, ce bac-
et la gestion de projet, l’entrepreneuriat et la gestion de calauréat vous prépare à devenir un gestionnaire com-
petites et moyennes entreprises (PME), l’éthique, le déve- pétent, capable de prendre des décisions novatrices et
de travailler dans un contexte de mondialisation. Il vise
loppement durable et la responsabilité sociale des entre-
aussi à faire de vous un décideur soucieux de l’éthique,
prises (incluant la coopération et l’économie sociale) et la
responsable, maîtrisant les nouvelles technologies d’af-
gestion stratégique et l’innovation (incluant la gestion des faires et doté d’un bon esprit d’équipe et d’aptitudes en
services de santé et pharmacie, etc.). communication. […] Le baccalauréat en administration
des affaires (B.A.A.) comprend 15 cours de fondement,
dont un cours de synthèse de fin d’études. Ces cours
Figure 4 Représentation schématique des domaines vous permettront d’acquérir des connaissances de base
de l’enseignement du management en gestion et d’explorer les principaux domaines de l’ad-
ministration. Dès votre troisième session, vous devrez
Dév. choisir une concentration du cheminement spécialisé, en
Gestion Gestion internat. jumeler deux si vous optez pour le cheminement mixte
des personnes internationale et aide
ou aller vers le cheminement général qui consiste en
humanitaire
un choix de cours dans plusieurs concentrations. Vous
Gestion serez également invité à bonifier votre formation en y
stg. et innovation Gouvernance ajoutant l’un de nos quatre profils optionnels : interna-
(incluant la gestion et gestion tional, entrepreneurial, distinction ou en développement
des services de santé/ de projet
pharmacie)
durable, ou en optant pour un passage intégré à la maî-
trise. Ce baccalauréat comprend, en plus, neuf crédits
Éthique en formation complémentaire, soit des cours hors du
dév. durable Entrepreneuriat domaine de l’administration comme des cours de langue,
RSE (incluant coop et gestion
de PME
de communication ou autres. Il vous offre aussi la possi-
et écon. sociale)
bilité de faire jusqu’à deux stages crédités et rémunérés
en entreprise33.

Sans surprise, c’est sur la base de ce modèle du mana- En ce qui a trait au cheminement spécialisé en GRH, on
gement qu’a été conçu le BAA-RH. N’étant pas un pro- précise ce qui suit :
gramme contingenté, le BAA-RH est en principe ouvert Vous acquerrez des connaissances et des techniques
à toute personne qui détient un diplôme d’études collé- liées à l’exercice quotidien de la gestion des personnes
giales (DEC) ou son équivalent et qui a aussi réussi les et des relations de travail et qui s’avèrent primordiales
cours obligatoires de mathématiques et de statistiques dans la vie de tout gestionnaire, peu importe sa spécia-
du programme collégial31. Pour tenir compte de l’inté- lisation. Vous serez habilité à appliquer les compétences
gration des technologies de l’information et des télé- acquises lors de vos études aux situations vécues dans
communications à ses activités d’enseignement et de le milieu de travail34.
recherche, la Faculté des sciences de l’administration de Ce qu’il importe enfin de préciser, comme nous l’avons
l’UL exige de ses étudiantes qu’elles possèdent toutes un fait pour BRI-UL, c’est que le BAA-RH-UL ouvre la porte
ordinateur portatif. Bien qu’ayant beaucoup évolué au fil à de multiples professions chez un grand nombre d’em-
des ans (et qu’il continuera vraisemblablement de le faire ployeurs potentiels :
dans les années à venir), ce programme a pour ambition
principale de former des gestionnaires responsables32 :

31. Les personnes de plus de 21 ans n’étant pas titulaires d’un DEC 33. http://www4.fsa.ulaval.ca/etudes/programmes-de-1er-cycle/
peuvent aussi y être admises à certaines conditions. baccalaureat/ (page consultée le 26 octobre 2017).
32. https://www.ulaval.ca/les-etudes/programmes/repertoire/ 34. http://www4.fsa.ulaval.ca/etudes/programmes-de-1er-cycle/
details/baccalaureat-en-relations-industrielles-ba.html (page baccalaureat/cheminement-specialise/gestion-des-ressources-
consultée le 19 octobre 2017). humaines/ (page consultée le 26 octobre 2017).
48 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Professions tableau 3, le programme de BAA-RH comporte 22 cours


obligatoires de trois crédits chacun que l’on peut regrouper
• Agent du personnel
en six familles distinctes : fondements en administration,
• Analyste en rémunération globale gestion des personnes, éthique, développement durable
• Conseillère en acquisition de talents et responsabilité sociale des entreprises, autres domaines
• Conseillère en avantages sociaux du management (stratégique et innovation, gouvernance
et gestion de projet, etc.), cours intégrateurs au BAA-RH
• Conseillère en développement de compétences
ainsi que les cours complémentaires au BAA-RH36. À l’in-
• Conseillère en dotation ou en recrutement térieur de chacune de ces familles, on trouve également
• Conseillère en formation un nombre variable de cours optionnels.
• Conseillère en relations de travail Dans sa formule pédagogique, le BAA-RH est conçu de
• Conseillère en ressources humaines telle manière que la première année et demie d’études à
• Conseillère en santé et sécurité au travail temps plein comporte presque exclusivement des cours
obligatoires en management et autres sciences de l’ad-
• Conseillère ou analyste en développement
ministration (comptabilité, finances, etc.) et l’année et
­organisationnel
demie suivante, presque exclusivement des cours obli-
gatoires en GRH. De plus, une grande partie du cursus
Employeurs peut être réalisé en français ou en anglais, au choix de
• Industries diverses l’étudiante.
• Milieux scolaire et hospitalier Depuis peu, l’étudiante qui le souhaite peut également
• Ministères faire ajouter une mention spéciale à son diplôme de
• Moyennes et grandes entreprises BAA-RH afin de souligner qu’il l’a obtenu avec l’un des
cinq profils suivants : entrepreneurial, international,
• Multinationales
développement durable et passage intégré du BAA à
• Municipalités. la maîtrise37.
Pour occuper ces emplois, il est précisé que la personna- Enfin, pour avoir un portrait le plus complet possible de
lité type d’une étudiante en administration des affaires l’enseignement de la GRH à l’UL, il convient d’ajouter
spécialisée en gestion des ressources humaines est la que de nombreux autres cours de GRH sont offerts dans
suivante : divers programmes d’études (notamment en adminis-
Aimer résoudre des problèmes et obtenir des résultats tration scolaire, en agriculture et en pharmacie) en
concrets. Aimer coordonner et superviser une équipe collaboration avec la FSA-UL. Dans ces cas, toutefois,
ou un projet ainsi que prendre des décisions. Avoir une l’objectif n’est pas de former des professionnels de la
bonne capacité d’analyse. Être polyvalent, rigoureux et GRH et des relations industrielles, mais plutôt de sen-
avoir une bonne capacité d’adaptation. Avoir de l’en- sibiliser de futurs professionnels spécialisés dans leur
tregent, du leadership et de la diplomatie. Être convain-
propre domaine d’expertise à la réalité de la GRH dans
cant. Avoir de la facilité à communiquer en français et
les organisations où ils auront à travailler.
en anglais. Aimer les chiffres. S’intéresser à l’économie
et à la politique35.
36. Les cours complémentaires au BAA-RH, au nombre de trois,
Un peu comme pour le programme de BRI, c’est sans peuvent être des cours d’anglais, des cours suivis à l’intérieur
surprise que le programme de BAA-RH s’inspire très lar- d’une autre faculté de l’UL ou encore constituer en un séjour sur
gement de cette structure pour déterminer les cours que la scène internationale.

devront y suivre ses étudiantes. Comme le démontre le 37. Chacun de ces profils requiert de l’étudiante, notamment,
de suivre un certain nombre de cours à l’extérieur de son
département d’appartenance, donc du tableau que nous avons
présenté ci-dessus. De plus, comme la description de ces profils
35. http://www4.fsa.ulaval.ca/etudes/programmes-de-1er-cycle/ a été présentée précédemment à propos du BRI, nous avons
baccalaureat/ (page consultée le 26 octobre 2017). jugé qu’il n’était pas pertinent de la reprendre.
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 49

Tableau 3 Cours composant le programme de BAA-RH

Cours de fondements en administration Gestion des équipes de travail Optionnel

L’entreprise et sa gestion Obligatoire Gestion des conflits au travail Optionnel

Probabilités et statistiques Obligatoire Gérer et décider en situation de crise Optionnel

Modélisation et aide à la décision Optionnel Enjeux actuels des équipes de travail Optionnel

Comptabilité générale Obligatoire Analyse des enjeux d’égalité entre les Optionnel
sexes dans la gestion des organisations
Comptabilité de management Obligatoire
Nouvelles technologies et gestion Optionnel
Fiscalité I Optionnel des ressources humaines

Finance Obligatoire Rémunération des cadres Optionnel

Économie de l’entreprise Obligatoire Éthique, développement durable et


responsabilité sociale des entreprises
Marketing Obligatoire
L’éthique et le gestionnaire Optionnel
Opérations et logistique Obligatoire
Responsabilité sociale des entreprises Optionnel
Systèmes et technologies de l’information Obligatoire et économie solidaire
Macroéconomie financière Obligatoire Développement durable et gestion Optionnel
des organisations
Gestion des personnes
Comptabilité du développement durable Optionnel
Gestion des ressources humaines Obligatoire
Immobilier et développement durable Optionnel
Comportement organisationnel Obligatoire
Autres domaines du management
Fondements de la rémunération Obligatoire
Développement d’habiletés Optionnel
Gestion de la formation en entreprise Obligatoire de gestionnaires

Planification et attraction des ressources Obligatoire Planification et gestion de projet Optionnel


humaines
Droit des affaires et gouvernance Optionnel
Gestion stratégique des ressources Obligatoire
humaines Cours intégrateurs au BAA-RH

Gestion du changement Obligatoire Gestion stratégique des organisations Obligatoire


ou Analyse stratégique des organisations
Gestion des relations du travail Obligatoire
Analyse de cas Optionnel
Innovations en gestion des ressources Obligatoire
humaines Stage en milieu de travail I Optionnel

Diversité et équité en milieu de travail Obligatoire Stage en milieu de travail II Optionnel

Gestion et prévention de la santé Obligatoire Projet d’intervention en gestion Optionnel


et de la sécurité du travail des ressources humaines

Recrutement, sélection et rétention Obligatoire Stages à l’étranger


Cours d’anglais, cours hors faculté
Gestion des ressources humaines Optionnel
en contexte interculturel
50 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Schéma 4 Plan de cheminement du BAA-RH


 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 51

Sur la base de la définition retenue du management, démontre, la version disponible à l’intérieur du BRI est
de l’analyse de la structure générale du BAA-RH et des beaucoup plus théorique et marquée par les approches
cours composant ce programme et de la clientèle visée, critiques, alors que la version disponible à l’intérieur du
nous pouvons donc conclure que l’enseignement de la BAA-RH est beaucoup plus appliquée et marquée par
GRH au sein du DM-UL se situerait d’un point de vue les approches fonctionnalistes. Sans surprise, cette dif-
paradigmatique entre le MI et le MAM de Brabet (1993). férence très importante dans les objectifs pédagogiques
se matérialise dans des références théoriques, donc des
lectures obligatoires tout à fait distinctes.
L’équivalence des cours à l’UL
Si l’on examine de manière attentive certains des cours Tableau 4 Comparaison des objectifs
composant le BRI offert par le Département des relations pédagogiques poursuivis par les cours intitulés
industrielles rattaché à la Faculté des sciences sociales GSRH dans le BRI (FSS) et le BAA-RH (FSA)
(FSS) et ceux composant le BAA-RH rattaché au Départe-
ment de management rattaché à la Faculté des sciences GSRH dans le BRI – GSRH dans le BAA-RH –
de l’administration (FSA), nous constatons qu’une bonne FSS (RLT-2001) FSA (MNG-3102)
dizaine portent sensiblement le même titre. Sont-ils pour • Ce cours vise à développer • La démonstration n’est
autant équivalents ? C’est à cette question que nous chez l’étudiant une plus à faire pour prouver
capacité d’analyse que les ressources
consacrons les prochains paragraphes de ce document.
et d’intervention intégrée humaines ont un rôle
Les règles administratives édictées par la Direction géné- et évaluative. crucial à jouer pour
• (…) cornprendre ce qu’est soutenir et optimiser le
rale des études de premier cycle (DGPC) à l’UL précisent déploiement de la stratégie
la GSRH (…) et les choix
que c’est à la direction de chacun des programmes possibles à son égard de l’organisation.
concernés de décider si un cours offert par un autre (en plaçant) l´étudiant • Pour assumer
dans une position de adéquatement ce rôle
département de l’UL (voire d’une autre université) est
stratège par opposition les professionnels RH
possiblement équivalent. Si deux cours offerts à l’UL à une situation de simple doivent (…) développer
dans deux programmes distincts sont jugés équiva- praticien. les bons réflexes pour
lents, ils sont alors placés dans un catalogue des équi- • Habiliter l’étudiant à savoir arrimer adéquatement
aligner les différentes les pratiques de GRH
valences rendu lui-même public. À partir de ce moment, aux exigences et aux
pratiques de GRH en
les étudiantes peuvent alors le choisir librement sans un tout cohérent et orientations de la stratégie
même qu’il soit « officiellement » une partie intégrante congruent avec la stratégie (…) et se positionner
organisationnelle retenue. comme les partenaires
de leur programme d’origine. Aucun de tous les cours stratégiques de la haute
• Apprendre à élaborer
présentés précédemment offerts à l’intérieur du BRI et des réflexions personnelles
direction.
du BAA-RH ne figure aujourd’hui dans ce catalogue des sur les questions propres • Faire les liens entre
à la GSRH. la stratégie et la GRH.
équivalences. Pour comprendre comment une telle chose
• Apprendre à évaluer • Expliquer les liens entre
est possible, nous avons examiné les syllabus de tous
la matière étudiée et la GSRH et la performance
les cours en question et nous avons très bien compris à s’autoévaluer avec organisationnelle.
pourquoi il en était ainsi. un esprit critique.

Un des exemples les plus emblématiques de ce phé-


nomène est, selon nous, le cours intitulé Gestion stra- En ce qui a trait aux activités pédagogiques proposées, là
tégique des ressources humaines (GSRH). Ce cours est encore il y a de grandes différences entre le cours de GSRH
obligatoire aussi bien dans le BRI (RLT-2001) que dans offert par le DRI et celui offert par le DM. Alors que le cours
le BAA-RH (MNG-3102). La lecture des deux syllabus de offert à l’intérieur du BRI privilégie des méthodes péda-
cours de la session d’automne 2016 nous fait vite com- gogiques individualisantes et « objectivantes », le cours
prendre que, si certains des objectifs pédagogiques se offert à l’intérieur du BAA-RH favorise le travail en équipe
ressemblent, la plupart se distinguent suffisamment pour et la réalisation d’un mandat pour le compte d’un client
que nous ne puissions pas conclure qu’ils sont effec- réel déjà partenaire de la FSA. Encore ici, il est facile de
tivement équivalents. En effet, comme le tableau 4 le constater que ces deux cours sont loin d’être équivalents.
52 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Tableau 5 Comparaison des activités La comparaison du BRI et du BAA-RH


pédagogiques poursuivies par les cours intitulés
Si nous tentons de résumer les principales différences
GSRH dans le BRI (FSS) et le BAA-RH (FSA)
entre les programmes de BRI et de BAA-RH, nous abou-
Dans le BRI – Dans le BAA-RH – tissons au tableau 6. Ce dernier met en exergue qu’il
FSS (RLT-2001) FSA (MNG-3102) s’agit bel et bien de deux programmes distincts qui se
• Lectures obligatoires • Lectures obligatoires
différencient de plusieurs manières : la clientèle cible, leur
(recueil de textes variés) (recueil de textes variés) structure de cours obligatoires, les principales sciences
• Conférences-témoignages • Visionnement de contributives, les notions centrales dans les cours obliga-
de praticiens impliqués témoignages d’experts toires, la nature fondamentale des problèmes à résoudre
en GSRH • Un examen intra (30 pts)
selon les cours obligatoires, la préoccupation paradig-
• Un examen intra et un examen final (15 pts)
et un examen final matique principale à court et à long terme, le contexte
• Un travail de session en
(30 pts chacun) équipe visant à développer organisationnel principal, les emplois visés à court terme,
• -Un essai de 2000 mots un plan stratégique RH les emplois visés à long terme et le titre professionnel
à faire individuellement pour le compte d’un client
« vraisemblablement » le plus approprié.
sur l’un des thèmes réel et partenaire de la FSA
du cours (40 pts) (45 pts)
(apprentissages • Réflexion personnelle sur
essentiellement individuels) les rôles du professionnel
RH et les habiletés
développées grâce à
ce cours (10 pts)
(apprentissages individuels
et collectifs)

Tableau 6 Comparaison des programmes de BRI et de BAA-RH

Baccalauréat en relations Baccalauréat en administration


industrielles (BRI) des affaires spécialisé en gestion
des ressources humaines (BAA-RH)

Provenance principale DEC général (sans maths, mais avec DEC général ou DEC en techniques
de la clientèle méthodes quantitatives ou statistiques) administratives (avec maths, mais sans
statistiques ou méthodes quantitatives)

Structure de cours Importante (18 cours sur 30) Très importante (22 cours sur 30)
obligatoires

Principales sciences Psychologie, sociologie, histoire, droit, Psychologie, finances, comptabilité, marketing,
contributives économie, philosophie systèmes d’information, économie et droit

Notions centrales Conflit, pouvoir, règles, négociation Gestion/efficacité/efficience/éthique/


dans les cours obligatoires responsabilité sociale

Nature fondamentale Divergence des intérêts et nécessité Rapprochement fondamental des intérêts
des problèmes à d’en arriver à des compromis et nécessité d’en arriver à des consensus
résoudre selon les cours
obligatoires

Préoccupation Sociale à court terme (protection Économique à court terme et sociale à long
paradigmatique et développement des personnes) terme (pérennité des organisations et
principale à court et économique à long terme des personnes)
et à long terme (pérennité du système capitaliste)
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 53

Baccalauréat en relations Baccalauréat en administration


industrielles (BRI) des affaires spécialisé en gestion
des ressources humaines (BAA-RH)

Contexte organisationnel Firme de consultants, syndicats, moyenne Firmes de consultants, PME, moyenne ou
principal et grande entreprise/organisation syndiquée, grande entreprise/organisation non syndiquée,
fonction publique OBNL, fonction publique

Emplois visés Conseillère en ressources humaines1, Conseillère en ressources humaines2,


à court terme conseillère en relations du travail, conseillère conseillère en développement des affaires
en relations industrielles, conseillère stratégiques, etc.
syndicale, agent de grief,
agent de développement de l’employabilité,
négociateur, conciliateur, arbitre, etc.

Emplois visés à long Directeur des ressources humaines, Directeur de l’administration et des ressources
terme (avec un diplôme directeur des relations du travail humaines, vice-président à l’administration
supplémentaire)3 et aux ressources humaines

Titre professionnel CRIA CRHA


« vraisemblablement »
le plus approprié4

1. Ce titre inclut aussi toutes les spécialisations afférentes, à l’exception du poste de conseiller en relations du travail ou du poste de conseiller en
relations industrielles (ex. : conseiller en dotation, conseiller en formation, conseiller en formation, conseiller en gestion des carrières, conseiller
en évaluation du rendement, conseiller en santé et sécurité au travail, etc.).
2. Voir la note précédente.
3. La détention d’un diplôme supérieur à celui du baccalauréat (DESS ; maîtrise ou doctorat) en provenance de l’autre département et faculté ­permettra
généralement un passage plus aisé dans les différents types d’organisations.
4. Selon les règles d’admission de l’OCRHA, le détenteur d’un baccalauréat en relations industrielles ou d’un baccalauréat en administration des
affaires spécialisé en gestion des ressources humaines peut choisir l’un ou l’autre des deux titres disponibles, sans égard à sa formation initiale. Il
va sans dire que cela nous semble tout à fait inapproprié, tant d’un point de vue historique que d’un point de vue théorique.

Au risque de simplifier un peu les choses, nous pour- mais les apparences sont trompeuses. Alors que le BRI
rions dire qu’alors que le BRI s’adresse à une clientèle mène théoriquement à des emplois de spécialistes en
« aimant l’être humain » et cherchant à travailler pour ressources humaines et en relations industrielles dans
une grande organisation où la main-d’œuvre est syndi- les syndicats, les grandes entreprises syndiquées ou la
quée, le BAA-RH s’adresse à une clientèle qui maîtrise les fonction publique, le BAA-RH mène théoriquement à
diverses fonctions de l’entreprise dans un souci d’arrimer des emplois de généraliste en administration et en res-
les intérêts des personnes et des organisations. Alors sources humaines dans les PME, les OBNL et les grandes
qu’en sortant de ses études de premier cycle en relations entreprises non syndiquées.
industrielles l’étudiante a développé un sens critique qui
Il n’existe donc pas un programme meilleur que l’autre,
lui permet de chercher à aider les parties prenantes à
mais il n’en demeure pas moins que chacun a ses propres
négocier entre elles pour en venir à établir un compromis
forces et faiblesses. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous
mutuellement satisfaisant, l’étudiante de premier cycle
sommes d’avis que les programmes de BRI et de BAA-RH
en administration des affaires spécialisée en gestion des
ont chacun au moins trois forces et une faiblesse. Plutôt
ressources humaines a développé un sens stratégique et
que d’être considérées comme des qualités intrinsèques
des habiletés de gestion qui lui permettent de chercher
des programmes concernés, nous sommes d’avis que
à aider les personnes et l’organisation à mieux atteindre
ces forces et faiblesses sont plutôt la traduction d’une
leurs objectifs.
considération différente pour les clientèles visées par
À court terme les deux programmes peuvent sembler les programmes en question.
mener à des postes semblables dans les organisations,
54 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Pour ce qui est tout d’abord du BRI, les trois forces que BAA-RH. En effet, les étudiantes sont amenées à bien
nous avons relevées vont comme suit. Tout d’abord, la maîtriser tous les domaines de la GRH. Toutes les dimen-
première force du BRI nous semble être sa flexibilité. sions présentées comme étant des compétences à pos-
Comportant un nombre relativement restreint de cours séder chez un futur professionnel de la GRH s’y trouvent
obligatoires (18), le BRI permet aux étudiantes de choisir abordées par des cours obligatoires.
elles-mêmes un grand nombre de leurs cours.
La troisième force du BAA-RH est le fait qu’il est très
La deuxième force du BRI a trait au fait qu’il s’agit d’un orienté sur la pratique et la résolution de problèmes à
programme d’études allant en profondeur dans la com- court terme chez des clients réels partenaires de la FSA.
préhension historique et multidisciplinaire des enjeux L’emphase mise sur l’application pratique des concepts
et des problèmes qui naissent à l’occasion de toute en situations réelles de gestion ne peut, à notre avis, que
forme de travail et de relation d’emploi. Plutôt que de se faciliter chez les étudiantes la transition entre les études
concentrer sur l’immédiateté et l’importance de trouver universitaires et le marché du travail.
des solutions simples à court terme, ce programme déve-
En ce qui a trait à sa principale faiblesse, elle nous semble
loppe chez le professionnel un recul et un sens critique
être le manque de recul critique et historique à l’égard
aiguisé, propre aux sciences sociales, susceptibles de
des problèmes qui naissent de tout travail et de toute
l’aider à accompagner les acteurs dans la négociation
relation d’emploi. Le BAA-RH, en se concentrant sur la
et la construction de compromis sociaux mutuellement
réalité organisationnelle « interne » et en n’abordant que
acceptables.
rapidement ces aspects externes, n’aide pas ses diplômés
Enfin, la troisième force qu’il nous est apparu intéressant à saisir toute la complexité des tensions qui ne manquent
de souligner est le fait que ce programme mène à des pas de traverser les organisations et de se répercuter à
emplois chez l’un ou l’autre des trois grands acteurs du l’extérieur de celles-ci, notamment par des pressions de
système des relations industrielles : les employeurs, les l’État et de ses organismes régulateurs. Cela ne peut,
syndicats et l’État. à notre avis, que desservir les étudiantes qui visent, à
moyen ou à long terme, un poste de vice-présidente au
Le BRI possède néanmoins une faiblesse de taille. Il ne
sein d’une grande organisation publique où la main-
prépare pas ses étudiantes à la réalité fine de la gestion
d’œuvre est syndiquée et où les débats sont hautement
des organisations. Ainsi, au terme de leurs études, ces
politisés38.
dernières ont de la difficulté à comprendre de manière
raffinée et approfondie les multiples liens qui existent
dans les organisations entre la GRH, le marketing et la
comptabilité financière, pour ne citer que ces exemples. La gestion des programmes de
Cela ne peut, à notre avis, que les desservir. D’autant
premier cycle à l’Université Laval
plus si les étudiants visent à moyen ou à long terme un
poste de vice-président au sein d’une grande entreprise En vertu des règles en vigueur à l’UL, chaque programme
où la main-d’œuvre n’est pas syndiquée. d’études est placé sous la direction d’un professeur prove-
nant du département où le programme est rattaché. Pour
En ce qui a trait au BAA-RH, trois forces nous sont appa-
voir au bon fonctionnement du programme en question,
rues importantes à souligner. D’entrée de jeu, il faut
le directeur doit créer un comité de programme composé
reconnaître que c’est un programme facultaire très com-
à 50 % des professeurs évoluant dans le programme puis
plet qui s’inscrit totalement dans l’univers des sciences
à 50 % des chargés de cours et des étudiantes évoluant
de l’administration. On y fait donc une part importante
aussi bien à la GRH qu’au marketing, à la comptabilité
financière et à la gestion de la production. 38. Pour pallier les faiblesses intrinsèques de chacun des programmes
ainsi décrits, et aider les étudiants à développer les compétences
La deuxième force qu’il nous semble opportun de relever dont ils auront besoin pour monter dans les échelons, nous
est l’arrimage étroit entre le profil des compétences sommes d’avis que les étudiantes pourraient avoir intérêt à
du CRHA et du CRIA et la structure du programme de poursuivre leurs études de deuxième cycle à l’intérieur de l’autre
faculté où elles n’ont pas fait leur baccalauréat.
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 55

dans le même programme. C’est ce comité qui est res- ordres professionnels (comme l’OCRHA), les associations
ponsable, notamment, de voir à la création de nouveaux patronales, les associations de praticiens, les petites et
cours et à leur description officielle dans le catalogue des moyennes entreprises (PME) de même que les organi-
cours. Les professeurs responsables du cours en ques- sations à but non lucratif (OBNL) ne sont pas considérés
tion partent alors de là pour créer leur propre syllabus. comme des acteurs ayant une capacité d’influence très
Lorsqu’un cours ne peut pas être pris en charge par l’un significative dans le contenu et les destinées du BRI.
des professeurs du département ou de la faculté où est
rattaché le programme, un chargé de cours ou chargé
d’enseignement est alors invité à le donner sur la base Figure 5 Cercles d’influence sur le BRI
du syllabus créé par le professeur qui reste, dans tous les
cas, le titulaire du cours en question. Nous retrouvons Revues
Asssoc. de
Org. et maisons
donc là une des raisons pour lesquelles, bien que les chercheurs
d’édition
UL subvent. (ACRI,
intitulés de cours soient parfois identiques dans le BRI (CRSH, AGRH)
FRQSC)
et le BAA-RH, les objectifs pédagogiques, les méthodes
FSS Org. de
d’évaluation et les outils de référence sont très distincts régulation
Département
et font en sorte que les cours en question ne sont pas nationaux
des relations industrielles
(Histoire, mission, vision, obj., stg., et intl
équivalents. Une autre raison pour laquelle les cours sont Assoc personnel enseignant (CNESST, BIT)
aussi distincts a trait à ce que nous appelons les cercles étud. régulier)

d’influence des programmes d’études39. « Grands »


Syndicats employeurs
Si nous examinons tout d’abord les cercles d’influence privés et
sur le BRI, nous constatons que le DRI occupe une place publics
fondamentale par rapport à la FSS et aux autres facultés Influence faible Influence nulle
et départements de l’UL. Même les syndicats et les • Ordres professionnels (OCRHA, AdmA) • Organismes d’accréditation
• Associations patronales (CPQ, etc.) (EQUIS, AACSB)
grands employeurs (aussi bien privés que publics) ont • Associations de praticiens et GRH (ACGRH
(Gvt du Qc), ANDRH (France), SHRM (USA), etc.)
une plus grande influence sur le contenu du BRI que la • PME
• OBNL
FSS. Parmi les autres parties prenantes influençant de
façon importante le contenu du DRI, nous ne pouvons
passer sous silence les organismes régulateurs nationaux
Pour le BAA-RH, les cercles d’influence sont très distincts
et internationaux comme la Commission des normes, de
comme le démontre la figure 6. Si nous examinons tout
l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST)
d’abord la place occupée par la FSA à l’égard du DM,
et le Bureau international du travail (BIT) qui jouent un
nous constatons qu’elle est beaucoup plus grande que
très grand rôle dans le modèle théorique des relations
la place de la FSS par rapport au DRI. Cela, sans surprise,
industrielles dont nous avons parlé précédemment.
s’explique notamment par le fait que le programme de
Parmi les autres acteurs notables, il y a les organismes BAA-RH est un programme facultaire et non départe-
subventionnaires, les associations de chercheurs de mental, comme nous le disions précédemment. La deu-
même que les revues scientifiques et les maisons d’édi- xième chose que l’on observe, c’est qu’il y a beaucoup
tion. Enfin, les associations étudiantes ont une certaine plus de parties prenantes ayant une influence impor-
influence, mais cette dernière est moins grande que pour tante sur le BAA-RH qu’il y en avait au sujet du BRI.
les acteurs mentionnés précédemment. Fait important Si les grands employeurs privés et publics semblent
à noter, les organismes d’agrément internationaux, les aussi importants pour le contenu et les destinées du
BAA-RH qu’elles l’étaient pour le BRI, elles partagent ici
la scène avec les partenaires du monde des affaires, le
39. À l’intérieur de cette figure, la taille des cercles et leur position Conseil pour l’avancement de la FSA, des organismes
par rapport au département et à ses professeurs permanents
qui ont la responsabilité du programme d’études concerné font
directement référence au degré d’influence exercé sur eux par
les parties prenantes.
56 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

d’accréditation internationaux, le Carré des affaires40 et, c) Si le lieu considéré comme étant le plus approprié
dans une moindre mesure, les praticiens de la GRH, les pour l’enseignement de la GRH à l’Université Laval
PME, les OBNL, les associations étudiantes et les autres a toujours été débattu, et qu’il l’est encore à ce jour,
facultés de l’UL. Enfin, si les associations de chercheurs de nombreux cours portent le même nom, mais ils
et les revues et maisons d’édition ont elles aussi une ne sont pas du tout équivalents. En ce sens, il existe
influence certaine, les ordres professionnels, les associa- bel et bien deux parcours distincts qui mènent à
tions de chercheurs, les associations patronales, les syn- deux professions distinctes chez des employeurs
dicats, les organismes subventionnaires de même que les eux-mêmes distincts. Cette conclusion, qui se place
organismes de régulation nationaux et internationaux en totale contradiction avec celle de l’OCRHA, s’ex-
n’ont aucune influence significative sur le contenu et les plique selon nous par la différence des approches
destinées du BAA-RH. retenues dans l’enseignement de la GRH. Alors
que l’approche que nous défendons dans cet essai
De toutes les informations présentées précédemment,
repose sur une compréhension théorique et histo-
il nous semble important de retenir les quatre leçons
rique de la profession de conseillère en ressources
suivantes :
humaines et en relations industrielles, l’approche de
a) La GRH n’est pas une science, mais plutôt un l’OCRHA repose sur l’opinion d’un certain nombre de
domaine d’études et de pratique professionnelle praticiens « réputés et renommés » dont la diversité
reposant sur des connaissances universitaires des caractéristiques (notamment en ce qui concerne
poussées de même que sur des positions « para- le secteur d’activité, la taille, l’emplacement géo-
digmatiques » potentiellement très contrastées qui graphique et le degré de syndicalisation) ne nous
contribuent à donner l’impression d’un champ très semble pas avoir été assurée ou mise suffisamment
éclaté ; en valeur ;
b) Encadrée au Québec par un ordre professionnel d) La diversité de l’enseignement de la GRH à l’Univer-
dédié qui a pour mission de protéger le public en sité Laval tend, sous l’effet de l’influence de diverses
défendant l’utilisation de deux titres professionnels parties prenantes, à se maintenir dans le temps et
distincts qu’il juge équivalents et dont l’histoire se à contribuer à faire perdurer deux professions pour
mêle à celle de l’enseignement de la GRH à l’Univer- le moins distinctes, mais, somme toute, adaptées
sité Laval, la profession de conseillère en ressources aux besoins particuliers des employeurs visés. Cette
humaines et en relations industrielles est pratiquée hétérogénéité des parcours est souhaitable et com-
quotidiennement par des milliers de personnes dont plémentaire dans la formation des étudiantes et le
la formation universitaire spécialisée, lorsqu’elle est développement des professions.
présente, est très hétérogène.

40. « [Le] Carré des affaires, un projet majeur rendu possible


grâce à une vaste campagne de financement […] consiste
en l’agrandissement du 3e étage du pavillon Palasis-Prince et
la construction d’une passerelle entre celui-ci et le pavillon
La Laurentienne, un espace où se rencontrent les acteurs du
monde universitaire et du monde des affaires. C’est un carrefour
névralgique qui contribue au dynamisme des entreprises et de la
communauté d’affaires, à la formation et au développement des
compétences et au déploiement d’une culture d’innovation et
d’excellence » (http://www4.fsa.ulaval.ca/la-faculte/decouvrez-
nous/) (page consultée le 1er novembre 2017).
 2   L a profession de conseillère en gestion des ressources humaines et en rel ations industrielles … 57

Figure 6  Cercles d’influence sur le BAA-RH

UL Org.
(et autres d’accrédit. Asssoc. de
Fac.) (AACSB, chercheurs
EQUIS) (Academy of Revues
Assoc. Management) et maisons
FSA
étud. (et autres dept. d’édition
de la FSA) Département
de management
Conseil (Histoire, mission, vision,
pour Carré obj., stg., personnel
l’avancement des enseignant « Grands »
de la FSA affaires régulier) employeurs
privés et
Partenaires publics
du monde Praticiens
des affaires en GRH Influence faible
• Ordres professionnels (OCRHA, AdmA)
OBNL • Associations patronales (CPQ, etc.))
• Associations de chercheurs (ACRI, AGRH)
PME • Syndicats (CSN, FTQ, CSQ, CSD, SFPQ, SPGQ, etc.)
• Organismes subventionnaires (CRSH, FRQSC, etc.)
• Organismes de régulation nat. et intl. (CNESST, BIT, etc.)

Conclusion des CRIA, un seul catalogue des compétences en GRH et


en RI et, de ce fait, une seule façon de préparer les futurs
La profession de conseillère en ressources humaines et professionnels.
en relations industrielles, au Québec, ne forme pas un
tout homogène. Même la formation qui mène à cette Nous sommes d’avis que l’analyse détaillée des pro-
profession n’est pas unique. Encadrée d’un point de vue grammes de BRI et de BAA-RH présentée dans cet essai
légal, mais pas au point où des actes précis sont réservés a très bien démontré qu’il existe plusieurs facettes de
aux membres de son ordre professionnel, cette profes- la profession et, par le fait même, plusieurs façons de
sion peut officieusement être pratiquée par n’importe former les professionnels de la gestion des ressources
quel individu qui se croit suffisamment compétent pour humaines à l’UL et ailleurs. S’ancrant dans des para-
le faire… pourvu qu’il n’aille pas jusqu’à prétendre faus- digmes distincts, chacun des programmes étudiés vise
sement porter l’un des deux titres réservés. Si les travaux sa propre clientèle. Bien que très différent, l’un de ces
de l’OCRHA concernant les compétences des CRHA et programmes n’est pas meilleur que l’autre. Au contraire,
des CRIA sont intéressants à plusieurs égards, il n’en il semblerait qu’ils soient complémentaires pour le déve-
demeure pas moins qu’ils sont « parcellaires » et qu’ils loppement des compétences et de la profession. Dans
portent en eux le germe d’une possible influence indue ce contexte, il nous apparaît tout à fait souhaitable de
de l’Ordre sur le fonctionnement autonome des univer- favoriser une mixité des parcours au profit d’une forma-
sités. Cela est d’autant plus préoccupant qu’il n’existe pas, tion de pointe en gestion des ressources humaines et en
comme le prétend le Guide des compétences des CRHA et relations industrielles.

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3

La stratégie et le stratégique
dans la gestion globale des entreprises
James Douglas Thwaites1

Introduction1 Stratégie et stratégique


Dans ce chapitre, nous avons l’intention de contribuer à S’il y a un sujet qui évoque bien des discussions et qui
la compréhension de l’organisation globale sous l’angle fait couler beaucoup d’encre de nos jours c’est tout ce
stratégique comme préalable à l’étude de la gestion qui concerne la gestion stratégique et la planification
stratégique des ressources humaines. La connaissance stratégique des organisations. L’ajout du mot « straté-
des préoccupations, des orientations, des méthodes et gique » à la gestion et à la planification doit répondre à
des débats impliqués à ce niveau joue inévitablement des critères qui nous permettent de faire des distinctions
un rôle dans la réflexion sur les activités en ressources significatives et pratiques.
humaines. Par conséquent, il devient impératif de cerner Présentement, il y a une certaine surutilisation des mots
cet aspect de l’entreprise globale, y compris ses contra- « stratégie » et « stratégique » comme si la simple utilisa-
dictions, et d’en tirer des conclusions appropriées. tion de cet emploi du vocabulaire valorisait davantage
Pour ce faire, nous examinons à tour de rôle une série des domaines d’activité. Évidemment, il y a une réalité
d’aspects de la réflexion qui fait partie de la vision et la qui entoure ces mots et leur utilisation, mais il faut faire
vie globale de l’entreprise. À cette fin, mentionnons : les attention de comprendre et de transmettre exactement
concepts et la terminologie de la gestion stratégique et ce que nous voulons dire quand nous nous en servons.
de la planification stratégique, le problème de l’incerti- On peut expliquer le danger associé à une utilisation
tude, le changement, les diverses écoles de pensée en non appropriée de ces termes en le comparant soit à
gestion, et la préoccupation centrale de la prévision et l’utilisation très fréquente, mais pas toujours exacte du
du maintien du succès. mot « excellence », soit plus généralement à la tendance
actuelle de se servir de superlatifs, aussi bien verbale-
Dans ce texte, nous nous servirons surtout du mot ment que dans l’écrit, sans justification, ce qui crée, dans
« entreprise » pour décrire l’entreprise aussi bien que les un cas comme dans l’autre, une certaine inflation de
autres sortes d’organisations, à l’exception des cas où un vocabulaire qui brouille la réalité et contribue surtout à
auteur cité se sert spécifiquement du mot « organisation ». créer de la confusion.

Commençons par un rappel. Comme bien d’auteurs


1. Nous remercions Yolande Perron pour ses observations et
recommandations lors de la réflexion sur la formulation de ce l’ont déjà signalé, nous empruntons le mot « stratège »
texte. de la Grèce antique, où le stratège fut le chef des forces
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 61

armées. Chaque centre urbain de la Grèce classique,


L’évolution des défis
appelé aussi « Cité-état », fut indépendant et le stratège
de chacune de ces cités-état était celui dont la mission et de la connaissance
était de le protéger. Ainsi, le stratège recevait son mandat L’évolution de la littérature conceptuelle en gestion,
de la cité-état et il était chargé de sa survie devant les comme dans d’autres domaines de la connaissance,
menaces externes ou même internes. Sans trop de dis- procède habituellement d’une prise de position initiale,
torsion, nous pouvons établir un lien direct entre cette modifiée au besoin face à des écarts qui se manifestent
idée et les écrits de la gestion de nos jours. Marcel Côté de temps à autre et enfin à une consolidation. Le philo­
et ses collaborateurs, par exemple, situent la stratégie de sophe allemand Hegel a décrit ce cheminement de la
l’organisation au quatrième rang de la hiérarchie de la pensée humaine comme une sorte de triangle séquentiel
planification, c’est-à-dire immédiatement après la défini- qui se renouvelait sans cesse : de la thèse retenue au
tion à tour de rôle de la mission, des buts et des objectifs départ, vers l’antithèse, et enfin vers la synthèse.
de l’entreprise. Ainsi formulée, la stratégie sert à aider
Ainsi, après réflexion et l’acquisition de l’expérience
à réaliser (voire assurer et protéger) la raison d’être de
sur un sujet donné, nous formulons une position pour
l’entreprise. Il s’agit alors de l’identification des moyens
nous aider à le comprendre ce qui nous permet d’agir en
d’action nécessaires pour atteindre la mission, les buts
conséquence. Par la suite, grâce à la cumulation de ren-
et les objectifs (Côté, Malo, Simard, Messier, 2007, 13).
seignements et d’expériences, on arrive normalement
En même temps, par contre, nous parlons souvent de à questionner la thèse du départ, ou du moins certaines
l’importance, ou de la nature « stratégique », de certaines de ses facettes. Ce questionnement donne lieu à la for-
actions, activités ou démarches. Dans ce cas, on semble mulation d’une position potentiellement plus complète,
se référer non pas nécessairement à la « stratégie » de parfois contraire, qui sera appliquée à son tour à nos
l’organisation dans le sens de Côté, mais à la signification réflexions et actions. Avec l’évolution subséquente de
fondamentale ou cruciale de ces phénomènes à l’exis- la connaissance, habituellement pendant une période
tence même de l’entreprise. Nous remarquons aussi que plus ou moins longue, nous nous trouvons capables de
le mot « stratégique » est régulièrement utilisé pour identi- réaliser une synthèse à partir de ces deux premières
fier le niveau ultime de l’entreprise, dans la hiérarchie des positions. Cette synthèse peut soit se pencher plutôt
niveaux du haut en bas : « stratégique », « administratif » d’un côté ou de l’autre, soit constituer le début d’une
et « opérationnel ». Bref, soit qu’on s’en serve comme un forme toute nouvelle de pensée et d’action. Cependant,
genre d’abrégé, ou short-hand, pour résumer les volets il ne s’agit pas de la fin du processus, car cette nouvelle
— mission, buts et objectifs — en un tout qui se trouve synthèse se transformera à son tour, selon l’explication
au cœur de l’existence de l’entreprise, soit qu’on veuille de Hegel, en nouvelle thèse et le cycle recommencera.
dire qu’il s’agit de réflexions ou d’actions qui se situent au
Théoriquement, il n’y a pas de fin à ce processus, car
niveau de la direction supérieure de l’entreprise et entre
le monde continue inexorablement à évoluer face à
ses mains. Il y a un antidote à cette ambiguïté. Chaque
des défis de divers ordres avec le passage du temps.
fois que l’on trouve une telle utilisation du mot « stra-
En même temps, il faut réaliser que l’entreprise peut
tégique » dans cette sorte de contexte, il serait utile de
vivre des reculs aussi bien que des avancées, car elle ne
chercher des synonymes qu’on pourrait y substituer pour
progresse pas nécessairement de façon linéaire en tout
déterminer la signification exacte de ce qu’on avance.
temps vers une « vérité absolue ». Les effets des périodes
Évidemment, il y a un lien entre ces deux termes « stra- de récession, de guerre et d’autres formes de turbulence
tégie » et « stratégique », car tous les deux gravitent autour vécues au vingtième siècle en servent de témoins. Une
de la même réalité organisationnelle, notamment les autre façon de considérer cette sorte de dynamique serait
moyens d’action essentiels à sa réalisation et le niveau de parler de paradigmes. Qu’ils soient de paradigmes de
habituel de les formuler ou du moins de les regrouper. départ ou du choc provoqué par l’émergence d’un nou-
veau paradigme qui remet en cause, en partie ou en
entier, celui qui l’a précédé face à l’évolution constante
62 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

du monde sous ses divers aspects : voire de l’économie, significative de l’économie, la prolifération de la manu-
de la santé, de la communication, des connaissances et facture et de la diffusion de « labour saving devices », ainsi
des habiletés, aussi bien que d’autres facteurs. qu’une amélioration sensible de l’emploi et du niveau de
vie de la population globale.
Ainsi, il ne faut pas s’étonner si, dans le domaine de la
gestion, on ne se rallie pas nécessairement à une seule Cependant, il ne faut jamais oublié que, même pendant
vision des choses. Dans le cours du temps, les contextes les « trente glorieuses », nous nous trouvions la plupart du
successifs et les expériences vécues jouent des rôles dans temps dans un contexte de « guerre froide », caractérisée
la recherche et la découverte de corollaires aux pratiques de menaces militaires (le danger constant d’une guerre
en place et s’ouvrent sur de nouvelles pistes. nucléaire), d’espionnage (comme l’affaire Philby au
Royaume-Uni et l’affaire Gouzenko au Canada), de pola-
risation (comme celle provoquée par le ­McCarthyisme
aux ÉUA), de manifestations de force et de prises de
Le problème de l’incertitude pouvoir arbitraires (comme la saisie de contrôle des
pays de l’Europe de l’Est ou de l’Europe centrale comme
Stabilité, stabilité relative et absence la Tchécoslovaquie, par l’URSS), de guerres d’indépen-
de stabilité : le décodage du contexte dance coloniale (par exemple en Algérie, en Angola, au
La question de l’incertitude, ou plutôt du degré d’incer- Mozambique et au Vietnam), sans mentionner l’interven-
titude, se trouve aussi au cœur de l’administration des tion militaire défensive en Corée au début des années
entreprises. Dans cette section, nous examinons la ques- 1950 au nom de l’Organisation des Nations unies pour
tion générale de l’incertitude à l’aide de quelques auteurs s’opposer à l’invasion de la Corée du Sud par la Corée
qui ont concentré leurs efforts à l’élucidation de ce sujet du Nord.
et à la démonstration de son importance.
Pendant tout ce temps, un pays majeur, la République
À cet égard, une tendance se manifeste dans la litté- populaire de Chine (RPC), fut par choix entièrement
rature sur l’administration. Souvent, nous remarquons absent des instances internationales. La RPC serait
des références à une époque antérieure où la stabilité préoccupée aussi par ses propres problèmes internes.
régnait, comparée à la situation actuelle qui est carac- Un de ces problèmes fut généré par une tentative mal
térisée de plus en plus instable et incertaine. Même si la conçue de provoquer une avancée industrielle, appelée
coupure n’est pas toujours claire entre ces deux réalités, le « Grand Bond en avant » (1958-1960). L’autre a pris la
les personnes qui avancent cet argument semblent se forme d’une tentative qui s’est avérée destructrice de
référer globalement aux « trente glorieuses » dans le pre- faire revivre le passé révolutionnaire, appelée la « Révo-
mier cas et aux années subséquentes dans le dernier lution culturelle » (1966-1976) 2. Tous les deux furent des
cas. Ce terme des « trente glorieuses », créé par Jean Fou- échecs significatifs et se sont soldés par des pertes consi-
rastié dans un autre contexte, fut appliqué aux années dérables de vies.
situées entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et
Au niveau international, les organisations de la famille
le milieu de la décennie 1970 (approximativement de
de l’Organisation des Nations Unies (ONU), comme la
1945 à 1975), c’est-à-dire entre l’ère de la Conférence de
Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire interna-
Bretton Woods et adoption du Plan Marshall d’un côté
tional (FMI), ne pouvaient pas parler au nom de toutes
et les crises de pétrole des années 1970 de l’autre (à titre
les nations, car le bloc soviétique avait créé à leur place
d’exemple : Crafts et Toniolo, 2012).
ses propres institutions. En outre, l’ONU et ses diverses
Ainsi, cette conception d’une ère de stabilité fut axée instances affiliées furent constamment la scène de
essentiellement sur la croissance continue interne de confrontations et de débats hostiles entre les alliés du
l’économie expérimentée par les pays développés entre
1945 et 1975. Cette expansion constituait une réalité
2. Ce dernier mouvement fut lié à une crise politique interne qui
indéniable et elle fut caractérisée, par exemple en Europe visait à redorer le blason de Mao Zé-dong et de rétablir sa
occidentale et en Amérique du Nord, par une croissance domination politique.
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 63

Bloc soviétique et ceux dits de l’Occident. D’ailleurs, deux économies d’autres pays du sud de l’Europe (Espagne,
entités militaires étaient dressées l’une contre l’autre au Irlande, Portugal), le danger actuel d’une crise bancaire
niveau international : l’Organisation du traité de l’Atlan- en Italie, et les effets actuels du Brexit à la fois sur l’Union
tique nord (OTAN) et le Pacte de Varsovie. En outre, une européenne globalement et sur le Royaume-Uni. En
situation semblable existait en Asie de l’Est et du Sud-Est Amérique du Nord, l’annonce simultanée de politiques
qui a contribué à la fondation de l’Organisation du économiques fortement protectionnistes et de politiques
Traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE). L’Occident, face aux militaires agressives et interventionnistes par la nouvelle
manœuvres sino-soviétiques ici et là autour du monde, direction des États-Unis d’Amérique, ne fait rien pour
parlait de la nécessité d’une politique de « containment » rassurer. Ceci, même si les marchés états-uniens conti-
de la menace communiste et du danger de l’effondre- nuent à monter devant l’espoir d’une nouvelle période
ment de la défense occidentale contre l’expansion com- de dérèglementation, de la réduction des impôts, et des
muniste (la célèbre « théorie des dominos »). dépenses substantielles d’infrastructure. D’ailleurs, un
Néanmoins, avec ces réserves significatives, ces années spécialiste du secteur nucléaire a signalé à Radio Canada,
servent souvent de base de comparaison avec divers en début de 2017, que depuis trois ans la communauté
aspects problématiques de la société qui nous entoure scientifique en Amérique du Nord et en Russie parle
depuis le début des années 1980, à titre d’exemple ceux désormais du début d’une nouvelle Guerre froide.
qui touchent actuellement les domaines financier et éco- Comme on le voit, les exemples d’instabilité ne manquent
nomique. À partir de l’abandon de l’étalon d’or par les certainement pas. Malgré le contexte d’un conflit général
ÉUA et des crises de pétrole des années 1970, on peut larvé pendant les trois premières décennies après la
facilement identifier toute une série d’ajustements de Seconde Guerre mondiale, et des conflits régionaux
l’économie et des marchés à raison de tous les six ou réels ici et là autour du monde, l’ère des « trente glo-
sept ans. Les exemples sont nombreux et certains se sont rieuses » évoque une certaine nostalgie, même si on
avérés plus graves que d’autres. pourrait probablement y trouver plus de ressemblances
Parmi ces problèmes majeurs, figure la crise des bourses que de différences avec ce qui s’est passé depuis la fin
de l’Asie des années 1990 qui s’est répercutée à partir de des années 1970.
la Thaïlande et qui continue à avoir des répercussions
dans plusieurs pays de cette région du monde. Les diffi-
cultés répétées de l’économie japonaise depuis ce temps, Les degrés d’incertitude
rendues plus complexes encore par un tsunami puissant Face à de tels événements, il n’est pas du tout étonnant
et un désastre atomique en servent d’exemples. que certains auteurs se penchent de façon significative
Aux Amériques, on pense également à des problèmes sur l’importance de l’incertitude, de ses effets, et des
d’envergure comme : l’affaire de la dévaluation du péso éléments de solution. Igor Ansoff, initialement un jeune
mexicain, la déstabilisation périodique de l’économie de russe qui a émigré aux ÉUA avec ses parents et, suivant
l’Argentine et, plus récemment encore, l’effondrement ses études, a travaillé à tour de rôle dans le secteur indus-
des marchés financiers et d’investissement dans le sillon triel et le domaine universitaire. Pendant sa carrière, il a
de la crise hypothécaire et bancaire états-unienne de fait plusieurs contributions, mais celle qui nous intéresse
2007-2009. Ce dernier problème a contribué à désta- ici est son modèle succinct pour expliquer et cerner ce
biliser les économies de plusieurs autres régions du qu’il appelait la « turbulence ». Plus tard, Ansoff sera consi-
monde à cause de l’internationalisation des investis- déré le père de la planification stratégique.
sements. Enfin, plus près de nous encore, se trouve la
Pour expliquer son concept de la « turbulence environ-
chute actuelle du marché de pétrole, le produit d’une
nementale », en tant que menace à l’entreprise, Ansoff
concurrence farouche de production et de prix sur le
avait développé une échelle à cinq niveaux. Cette échelle
plan mondial.
décrivait chaque niveau, depuis celui de la moindre inten-
Parmi les points chauds présentement en Europe, on sité à celui de l’intensité maximale. En même temps, il a
trouve : la crise de la dette de la Grèce, la fragilisation des identifié les caractéristiques de l’environnement externe
64 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

et leurs effets sur l’administration aussi bien que la capa- de qui va gagner une élection avant le fait… et les spé-
cité de réplique organisationnelle nécessaire pour en cialistes de prévision les plus futés sont les fournisseurs
composer. d’électricité. …

Au deuxième niveau se situait l’incertitude de fréquence


de la chute des noix de coco.
Tableau 1 La « turbulence » selon Ansoff
« L’incertitude des noix de coco est très différente… Il
Turbulence, niveau 1 : Environnement externe : Répétitif. s’agit d’un événement entièrement inattendu qui a des
Gestion : Stable. Axée sur des précédents. Réplique conséquences significatives. Il se peut qu’il soit un évé-
organisationnelle : Axée sur la stabilité. Rejette le
nement si rare qu’il est impossible de conserver des sta-
changement.
tistiques pertinentes. Ou… si naturel que nous pouvons
Turbulence, niveau 2 : Environnement externe : En expansion. prévoir son éventualité… sans pourtant pouvoir prédire
Incrémental, mais lent. Gestion : Réactive. Incrémentale. quand ou où. L’exemple classique de tels événements
Axée sur l’expérience. Réplique organisationnelle : Axée sur
dans le monde naturel est celui des tremblements de
l’efficacité. S’adapte au changement.
terre majeurs. … L’incertitude de type métro est quelque
Turbulence, niveau 3 : Environnement externe : Changeant. chose que nous sommes capables de quantifier ou de
Incrémental, mais rapide. Gestion : Anticipative. modéliser, tandis que l’incertitude de type noix de coco
Incrémentale. Axée sur l’association (l’extrapolation). s’avère extrêmement difficile sinon impossible à quan-
Réplique organisationnelle : Axée sur le marché. Recherche
tifier ou à modéliser. » (Notre traduction) (Makridakis,
le changement familier.
Hogarth, Gaba, 2009, 183-188)
Turbulence, niveau 4 : Environnement externe : Discontinu
mais prédictible. Gestion : Entrepreneuriale. Discontinue. Derrière cette explication, on trouve une sorte de conti-
Innovatrice. Axée sur des opportunités observables. Réplique nuum qui s’étend d’événements difficiles à prévoir avec
organisationnelle : Axée sur l’environnement. Recherche
précision à des événements tout simplement impossibles
le changement associé.
à prévoir. Un peu plus loin, Makridakis, Hogarth et Gaba
Turbulence, niveau 5 : Environnement externe : Plein de ont reformulé leurs réflexions en propositions pour
surprises. Discontinu. Partiellement prédictible. Gestion :
Créative. Discontinue. Originale. Axée sur la créativité. décrire ce qu’ils voyaient comme trois niveaux distincts
Réplique organisationnelle : Axée sur la création de de la connaissance.
l’environnement. Recherche le changement innovateur.
« … une autre façon de réfléchir sur ce sujet… serait de
tirer une distinction entre des known knowns, known
Il est intéressant de noter, à la lumière de ce que nous unknowns, et unknown unknowns. … le fruit d’un inves-
avons écrit dans la section précédente, qu’Ansoff a déve- tissement à terme dans une banque constitue un known
loppé ce concept pour composer avec les incertitudes known – nous savons exactement ce que nous rece-
observées pendant les « trente glorieuses », la période où vrons dans le futur. Le résultat de jouer à pile ou face
il a passé la plus grande partie de sa carrière. constitue un exemple d’un known unknown. … nous
savons qu’à l’avenir il y aura des bulles financières, mais
Trois auteurs plus récents, Makridakis, Hogarth et Gaba nous ne savons ni quand ni où. Il y a aussi le cas des
(2009), ont revisité la question de l’incertitude, ou de unknown unknowns, des événements uniques et rares
l’inconnu, et ils ont à leur tour essayé d’en faire une typo- qui s’avèrent entièrement inattendus et même inima-
logie par degré ou intensité. Leur typologie fut munie ginables. Ce sont les Black Swans… identifiables uni-
d’images colorées et amusantes. Au premier niveau se quement après le fait… l’Internet ainsi que la Grande
récession de 1929-1933 en constituent de tels événe-
trouvait l’incertitude de type « métro », associée à la fré-
ments. » (Dans cette traduction, nous n’avons conservé
quence d’arrivée des trains de métro.
que les termes essentiels utilisés par les auteurs.)
« (…) l’incertitude de type métro s’applique à plusieurs (­Makridakis, Hogarth, Gaba, 2009, 188-189)
événements qui n’ont rien à faire avec des métros. Un
Ainsi, les trois catégories d’événements identifiées
exemple évident est… de jouer à pile ou face une cen-
taine de fois. Dans ce cas, on peut prévoir assez précisé-
deviennent : les « known knowns » (ce qu’on sait que l’on
ment les fluctuations, ou le degré d’incertitude, des gains connait), les « known unknowns » (ce qu’on sait qu’on ne
attendus, ou nos pertes. Grâce aux sondages d’opinion, connait pas) et les « unknown unknowns » (ce qu’on ne sait
nous sommes devenus assez performants dans le calcul pas qu’on ne connait pas), cette dernière étant la plus
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 65

dangereuse car située au-delà de nos connaissances et l’impression que nous avons réussi à apprivoiser l’in-
potentiellement pleine de conséquences imprévisibles. certitude. » (notre traduction) (Taleb, 2010, xxviii-xxix.).
Dans cette dernière catégorie, les auteurs se réfèrent à L’exemple qui vient particulièrement à l’esprit de nos
la crise de la Bourse de New York en 1929 qui a eu des jours est la crise de 2007-2009, prévue tout compte fait
effets dévastateurs d’ordre financier et économique ini- par personne et ayant eu des effets extraordinaires dans
tialement aux ÉUA. Cependant, elle s’est aussi répandue le pays où cette crise a débuté aussi bien qu’autour du
rapidement à l’étranger et elle a fini par englober le monde. Le commentaire d’Alan Greenspan, l’ancien chef
monde en entier. On peut même lier la longue crise inter- de la Banque fédérale de réserve des ÉUA, est particuliè-
nationale qui a suivi l’effondrement de la Bourse de New rement éloquent à cet égard. Dans un article paru dans la
York à la montée du nazisme et du fascisme en Europe et revue Foreign Affairs sous le titre « Never Saw It Coming », il
ses suites. Ceci fut rendu possible au moins en partie par a exprimé son désarroi devant la contradiction manifeste
la renaissance du protectionnisme et la déstabilisation de de ce qu’il a cru valable concernant l’économie et son
l’économie des pays aussi bien que par l’ébranlement de fonctionnement pendant toute sa carrière précédente.
la sécurité et la destruction de l’épargne des particuliers (Greenspan, 2013, 88-96)
(par exemple en Allemagne) et la recherche désespérée
subséquente de chefs forts, déterminés et supposément Il est à noter que Makridakis et coll. et Taleb sont des
omniscients. auteurs qui ont effectué leurs analyses pendant la
période depuis les années 1970, une période, comme
Pourtant, c’est Taleb qui s’est surtout penché sur la troi- nous avons vu, caractérisée par un nombre élevé de
sième catégorie d’événement de la façon la plus directe revirements majeurs. Néanmoins, même les « trente
et développée, dans son ouvrage appelé « The Black glorieuses » étaient ponctuées de problèmes de divers
Swan ». Il explique son choix de mettre l’accent sur les ordres, poussant Ansoff à créer son échelle de tur-
phénomènes d’incertitude majeurs et même extrêmes bulence, sans parler de l’ère des deux guerres mondiales
et il se donne comme tâche de nous démontrer à quel qui l’a précédé.
point nous sommes conditionnés par cette sorte de phé-
nomène imprévisible et potentiellement catastrophique.
Taleb maintient que le progrès global même de l’huma- Le changement
nité est directement tributaire de tels événements. Au
Il se trouve un sujet voisin de l’incertitude, notamment
départ, l’auteur nous sensibilise par rapport à son sujet :
le changement organisationnel, provoqué tantôt par des
« Ce livre a comme objet l’incertitude. … l’événement très forces externes tantôt par des transformations internes
peu fréquent est synonyme de l’incertitude. … Il y a deux ou encore par les deux à la fois. Il s’agit en effet d’un sujet
façons d’aborder de tels phénomènes. Dans un premier
à multiples facettes — économiques, techniques, organi-
temps, on peut écarter les événements extraordinaires
sationnelles et humaines —, car l’influence peut venir de
et mettre l’accent sur ce qui est normal ou habituel. …
La deuxième approche soutient que pour comprendre diverses sources et prendre diverses formes. La littérature
un phénomène donné il faut commencer par identifier sur ce sujet est vaste et s’étend des réactions viscérales
les extrêmes – surtout si, comme dans le cas des Black de Rifkin (2006) (défis et menaces technologiques) et des
Swans ils ont un effet cumulatif exceptionnel. prescriptions de Keeley (2007) (l’impératif de l’éducation)
aux recettes de succès de Moran et coll. (2007) (intégra-
(…) « Presque tout dans la vie sociale est le résultat de
chocs ou de sauts rares, mais déterminants. Pourtant, on tion de la diversité) de Burack (1988) (coordination de
a tendance à étudier presque tout de la vie sociale, relatif répercussions multiples), de Christensen (2003) (techno-
à ce qui est considéré “normal”, surtout en faisant réfé- logies disruptives et de soutien) à mes propres préoccupa-
rence à des méthodes favorisant des points de repère tions (Thwaites, 1997) (participation et concertation). Trois
de type “courbe normale”. Mais cette façon de procéder exemples de situations représentant des changements
ne nous apprend presque rien. Pourquoi ? Parce que la significatifs suffiront pour illustrer ces propos.
courbe normale a tendance à ignorer des déviations
majeures. En effet, elle ne peut pas les intégrer dans son Le premier cas, d’ordre macro, s’adresse au problème
schéma. Pourtant [cette sorte d’instrument] nous donne du redressement de la reconstruction et la performance
66 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

industrielle d’un pays en entier suite à un conflit mili- question qui forçaient les entreprises de ce secteur à
taire d’envergure. Une étude officielle a été effectuée au repenser fondamentalement leurs activités. Ils ont illustré
Royaume-Uni à ce sujet peu de temps après la dernière leurs propos, à titre d’exemple, par le fait que, dans le
guerre mondiale. L’équipe s’est donné comme tâche de cas de la revue Canadian Business, entre 2013 et 2016,
composer avec les changements liés à la reconstruction les abonnements d’imprimés avaient diminué de 63,198
et à la modernisation de l’industrie britannique. Cette copies imprimées à 28,692 et les abonnements élec-
étude a proposé un degré de participation significatif, troniques avaient augmenté de 1,605 copies à 25,918.
sous l’angle d’un mécanisme, appelé la « consultation Évidemment, les annonceurs ont suivi ce développe-
conjointe » (Joint Consultation). On y lit : ment. Ils ont commencé à transférer leurs propres inves-
tissements au mode électronique pour raison de coûts
« L’objet de cette enquête s’avère d’importance primor-
diale. Les méthodes de la consultation conjointe consti- inférieurs et d’efficacité. Le résultat fut de rendre la ren-
tuent un moyen pour atteindre une fin – celle de rendre tabilité des abonnements d’imprimés encore plus fragile.
chaque entité industrielle une communauté harmo- Poursuivant leur analyse, Bradshaw et Dobby ont cité les
nieuse, vivante, et collaborative, munie d’un but commun expertises de la maison Price-­Waterhouse-Coopers LLP,
compris et accepté par tous ses membres. La réalisation selon lesquelles, entre 2014 et 2019, il y aura aussi une
intégrale d’un tel but pourrait prendre encore bien du chute globale de revenus des versions imprimées des
temps. Néanmoins, la détermination de s’engager dans
revues et des produits apparentés de 3,400,000,000 $. Ils
ce processus à cette fin… constitue la seule manière
ont souligné entre autres l’expérience de la compagnie
de résoudre le problème de combiner les idéaux d’une
société éduquée et démocratique et la réussite produc- Transcontinental qui a décidé de vendre ses 14 publica-
tive sur laquelle dépend notre survie. » (notre traduction) tions à un concurrent, TVA Publications Inc. Cette der-
(NIIP/HFPCIP, 1952, 7) nière, même si elle avait pris la décision de demeurer
dans ce domaine, a dû effectuer des changements dans
Le travail entrepris fut gigantesque, axé sur une enquête
ses propres opérations. Par conséquent, TVA Publica-
impliquant 700 entreprises, dont 545 se servaient
tions Inc. a procédé à la vente de six de ses propres
apparemment de cette méthode, ainsi qu’un total de
revues pour concentrer sur les revues considérées les
4500 entrevues. L’inspiration venait de plusieurs sources
plus fortes. Cette transformation, rendue possible par
courantes à l’époque, telles que les écrits de Mary Parker
l’utilisation accrue d’une nouvelle technologie et de ses
Follett, Norman Maier, Elton Mayo et T. N. Whitehead.
sous-produits, était visiblement en train de transformer
La mission se voulait de trouver comment relancer, réor-
l’industrie en question. (Bradshaw et Dobby, 2016, B1-B7)
ganiser, et perpétuer le succès de l’industrie britannique
de l’après-guerre tout en répondant aux exigences et Dans un autre article très récent du même journal, Eichler
attentes d’une population instruite et démocratique qui (2016) a souligné un problème différent autour du thème
sortait d’une période de sacrifices exceptionnels. Cette du roulement du personnel et du problème de l’identifi-
enquête et les actions engagées à cette époque ont eu cation avec l’entreprise. Elle a commencé son article par
plusieurs répercussions par la suite, et on peut les lier l’observation suivante : deux tiers des employés, c’est-
autant aux démarches de type Systèmes sociotechniques à-dire 65 %, sont prêts à renoncer à leur emploi actuel
à celles de type Qualité de vie au travail. et à chercher ailleurs. Selon l’auteure, ces personnes se
subdivisent en trois catégories : ceux qui manquent de
Le deuxième cas, beaucoup plus récent, traite d’un secteur
l’intérêt (33 %), ceux qui n’étaient que de passage (16 %),
industriel et commercial dans un contexte de transition
et les tannés (16 %). Elle a signalé également qu’unique-
majeure motivée par une transformation technologique.
ment 30 % des Canadiens sont restés au même emploi
Il y a quelques années, dans un article du journal The
pendant plus de 30 ans depuis 2002. Le chiffre fut de
Globe and Mail (Toronto), les auteurs Bradshaw et Dobby
55 % à 60 % entre 1990 et 2002. Lors de sa réflexion
(2016) ont fait état d’une transition dans le domaine de
sur le sujet, Eichler s’est référée à la recherche d’Adam
la publication de revues et journaux entre le mode des
Cobb de l’École Wharton, de l’University of Pennsylvania,
imprimés et le mode électronique. Chiffres à l’appui, ils
par rapport aux origines et aux causes de ce phénomène
ont souligné la nature et les effets des changements en
pour découvrir que cette tendance se manifeste depuis
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 67

les années 1980. Citant Cobb, elle a pu déterminer qu’il durable des objets d’une entreprise décrivant le produit,
s’agissait du moment quand les entreprises en bonne le marché et la technologie de l’entreprise et reflétant les
santé ont commencé à congédier massivement leurs valeurs et les priorités des dirigeants. » Par la suite, les
employés pour augmenter, à court terme, l’attractivité « buts » prennent une forme plus concrète que la mission,
auprès des actionnaires. Bref, selon l’auteure, le « contrat précisant davantage ce qu’on veut dire. Pour citer Côté et
social » entre les employeurs et les employés avait com- coll. de nouveau, les buts constituent des « fins, définies
mencé à s’effriter dès ce point et avait continué à évo- en termes de quantité et de qualité, que l’entreprise veut
luer dans ce sens. Dans un tel contexte, elle a posé la réaliser ». À leur tour, les « objectifs » prennent la forme de
question de l’identification de l’employé à l’entreprise « résultats escomptés en fonction d’un horizon temporel
sous l’angle de sa loyauté, mais elle aurait pu aussi bien déterminé dans plusieurs secteurs de préoccupations ».
l’examiner par rapport au tandem motivation/mobilisa- Bref, on procède du plus général au plus spécifique par
tion. Les solutions envisagées par Eichler comprennent : étape : les buts clarifient davantage la mission de l’en-
la promotion d’un système de rémunération/compensa- treprise, et les objectifs spécifient davantage les buts,
tion progressiste, composé de : salaires, bénéfices, bonis, toujours gouvernés par la mission globale de l’entreprise.
etc. ; la promotion et le maintien des lieux de travail Comme nous avons déjà vu, dans sa hiérarchie de l’éla-
agréables et stimulants ; et l’acceptation de composer boration de l’orientation de l’organisation, Côté et coll.
avec un certain va-et-vient des ressources humaines. situent la stratégie au quatrième niveau. Il explique son
(Eichler, 2016, B-19) rôle en termes de l’identification de « où aller… comment
aller ». Le reste de la hiérarchie de Côté et coll. comprend,
Ces cas soulignent la nature des changements qui
toujours du haut en bas : politiques/plans/procédure et
affectent les entreprises et fournissent un lien avec la
règlement/programme/transcription chiffrés. La règle
question de l’incertitude. On pourrait facilement en citer
générale, déjà signalée plus haut, étant de toujours pro-
bien d’autres. Il s’agit dans tous ces cas, malgré la nature
céder du plus général au plus spécifique (Côté, Malo,
très variable des défis, de changements de taille — à
Simard, Messier, 2007, 13).
tour de rôle prévisible, partiellement prévisible et moins
prévisible — qui avaient des conséquences majeures pour Il serait sans doute utile d’essayer d’illustrer la première
les économies et les entreprises en question. partie de cette hiérarchie — mission, buts et objectifs
— par un cas spécifique, sans nécessairement aller
aussi loin que Côté et coll. dans les étapes. Prenons par
exemple l’établissement d’une université de langue fran-
Orientations et stratégies çaise dans un contexte où il n’y en a pas pour le moment
pour les atteindre et essayons brièvement d’envisager de quelle façon il
faudrait articuler les étapes.
Mission, buts et objectifs
À partir de ce point, selon Côté, nous nous retrouvons
Dans les domaines de la gestion stratégique et de la face à la préparation d’une stratégie appropriée, ce qui
planification stratégique se trouve un jargon qui peut signifie « quoi faire et comment faire ». Initialement, pen-
varier légèrement d’auteur en auteur, ce qui oblige à un dant la phase de démarrage, la stratégie à élaborer impli-
degré de normalisation pour bien faciliter la compré- querait sans doute une étude de faisabilité, l’obtention
hension. Ainsi, nous parlerons à tour de rôle de la « mis- de l’accord du gouvernement et la recherche des fonds
sion », des « buts » et des « objectifs » comme le sommet nécessaires pour faire fonctionner la nouvelle institution.
des formulations de l’orientation d’une entreprise. La Il faudrait déclencher un processus semblable pour la
« mission » prédomine le tout et se formule de façon géné- phase subséquente de la consolidation avec ses propres
rale. Chaque autre niveau qui la suit dans la hiérarchie volets comme, par exemple, la recherche d’étudiants,
de l’articulation de la raison d’être de l’entreprise ajoute aussi bien que de professeurs et d’administrateurs appro-
un degré de précision. Pour revenir à l’argumentation priés au projet d’ensemble. Le tout inséré dans un cadre
de Marcel Côté et ses collaborateurs, mentionnée plus temporel considéré réaliste.
haut, la mission consistait en un « énoncé général, mais
68 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Tableau 2 Un projet de fondation d’une nouvelle Stratégie et stratégies selon Mintzberg


université de langue française
Les écrits de Côté nous donnent l’impression d’un pro-
Mission : cessus hiérarchique et linéaire. Grâce au travail d’Henry
• Fournir une éducation universitaire de qualité en langue Mintzberg, nous en savons davantage sur la stratégie et
française. son rôle. Pour Mintzberg la stratégie est essentielle, mais
(Ces trois éléments — éducation universitaire, elle constitue une sorte de caméléon. Cette approche
de qualité, en langue française — seraient à préciser
dans une formulation complète.)
nous permet d’élaborer et d’articuler un éventail de visées
et de prévoir les ajustements nécessaires. Selon l’analyse
Buts (Politiques)
de cet auteur, la stratégie peut jouer divers rôles. Elle
• Offrir la formation universitaire dans les divers domaines peut servir de Plan, de Piège, de Position, de Perspective
d’études.
et de Pattern : le « Plan » d’une orientation envisagée, un
• Offrir une formation complète aux premier, deuxième
et troisième cycles. « Piège » pour déjouer un adversaire ou compétiteur, une
• Contribuer au développement de la connaissance « Position » pour identifier et cibler la place que l’on veut
scientifique. développer et occuper dans le marché, une « Perspec-
• Répondre aux besoins de la société québécoise. tive » qui intègre les valeurs et concepts dont on veut se
• (Encore ici, il y aurait divers éléments à préciser, par servir pour guider l’action, ou encore un « Pattern » pour
exemple : divers domaines d’études, formation complète, décrire et comprendre des réalisations passées et leurs
développement, besoins.)
effets actuels et futurs. Selon cet auteur, on peut même
Objectifs (Plans) combiner ces rôles de diverses façons pour obtenir un
• Offrir aux étudiants francophones et francophiles effet optimal.
la possibilité de bénéficier de programmes d’étude
et de formation professionnelle bien articulés dans divers En même temps, Mintzberg explique que la stratégie
domaines (des sciences et des arts)
évolue de différentes façons dans le feu de l’action. Elle
–– qui faciliteront leur intégration sur le marché de travail,
prend cinq formes distinctes : intentionnelle, non réalisée,
–– qui les encourageront à entreprendre des études
délibérée, émergente et réalisée. Au point de départ, il y a
avancées, et
des « stratégies intentionnelles », c’est-à-dire celles conçues
–– qui les permettront de contribuer à l’avancement
des sciences. initialement par l’entreprise dans une démarche donnée.
• Offrir aux professeurs francophone et francophile Il y a aussi des stratégies « non réalisées », c’est-à-dire
les conditions de faire carrière à Québec celles qui échouent ou qui sont abandonnées pour une
–– qui faciliteront la recherche et la publication des résultats raison ou une autre en cours de route. Les « stratégies
–– qui faciliteront le contact et des échanges avec d’autres délibérées » sont les stratégies qui ont survécu l’impact
centres avec la réalité et qui continuent à avancer. Les « stratégies
–– qui faciliteront l’insertion sociale et familiale émergentes » viennent d’une source autre que l’entreprise.
• Tisser des liens avec divers intervenants des secteurs public Elles sont partiellement ou entièrement inattendues ou
et privé
imprévisibles. Elles s’imposent sur l’entreprise, et néces-
–– qui faciliteront l’identification des partenaires potentiels
sitent des corrections de tir. Enfin, il y a des « stratégies
–– qui permettront l’identification de sources de
financement éventuelles
réalisées » qui sont le résultat ultime de tout ce processus.
–– qui faciliteront l’établissement de liens avec le marché Le message principal de Mintzberg est sans doute de
de travail et le milieu de la recherche
comprendre la nature multidimensionnelle (composée
(La relative complexité de cette partie de l’exercice
de plusieurs facettes) et situationnelle (dépendant de
donnera lieu à plusieurs précisions additionnelles comme
nous pouvons facilement l’imaginer, à titre d’exemple : contextes spécifiques variables) du phénomène de la stra-
avancement des sciences, insertion sociale et familiale, tégie qui peut très bien nous servir à condition d’intégrer
partenaires, sources de financement.)
cette complexité et de savoir s’en servir à bon escient.3

3. Les recherches et l’argumentation d’Henry Mintzberg ont lancé


un pavé dans la mare de la recherche établie sur la gestion des
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 69

Dans le sillon de Mintzberg incrémentale qu’il considérait la source de succès de


l’entreprise. L’approche rationaliste, il expliquait, consi-
D’autres auteurs furent également préoccupés par cette
dère que « les hommes font des projets, qu’ils peuvent
sorte de complexité, nécessitant la combinaison d’élé-
dans une certaine mesure prévoir l’avenir et qu’ils sont
ments et approches différents. Une dizaine d’années
capables d’atteindre les buts qu’ils se donnent » (Gervais,
plus tard, Saint-Sernin (1985), écrivait au sujet de la flui-
2003, 5). Selon cette hypothèse, les individus anticipent
dité des concepts interreliés de stratégies et tactiques et
le futur, mais ils peuvent aussi le préparer et le construire.
l’importance de les considérer ainsi, réconciliant par le
Cependant, cette rationalité s’avère limitée, axée sur des
fait même les éléments quantitatif et qualitatif dans la
facteurs comme la culture, l’expérience et l’entourage
réflexion et l’action.
immédiat :
« La stratégie consiste à faire concourir des moyens hété-
« — Nos actions ne permettent généralement que de réa-
rogènes et des actions dissemblables à la réalisation d’ob-
liser partiellement nos projets. Trois raisons expliquent
jectifs globaux. Cette action n’est pas logique au sens strict
ce phénomène : nous ne percevons la réalité qu’à tra-
du terme, car elle implique la prise en considération, dans
vers nos représentations qui, par nature, déforment et
un même raisonnement, de variables de nature diverse,
simplifient (incapacité de notre cerveau à appréhender
dont certaines, parmi les plus importantes, ne sont pas
une situation complexe dans sa totalité). Les décisions
quantifiables. Elle combine les hommes et les choses,
sont donc prises au vu d’une perception caricaturante
les grandeurs et les qualités, la nécessité et les aléas. Elle
du réel ; — L’être humain, lorsqu’il anticipe le futur, n’est
est en outre affrontée à une difficulté supplémentaire :
pas capable de faire abstraction de la situation présente.
les progrès techniques rendent rapidement caduques les
Il en résulte qu’en matière de prévisions, nous ne savons
leçons de l’expérience, si bien que les précédents peuvent
qu’extrapoler ; — toute action collective nécessite un
rarement servir d’exemples. Alors que la pensée tactique
échange d’information avec des risques de distorsion
se meut en général dans un registre déterminé, militaire,
dans la compréhension de celles-ci. Et à supposer que
industriel, ou commercial, par exemple, la pensée stra-
les messages soient correctement reçus et interprétés,
tégique combine des actions variées pour atteindre un
une mise en œuvre conforme au projet initial exige des
objectif global. » (Saint-Sernin, 1985)
acteurs une fidélité au choix collectif arrêté ainsi qu’un
Quinze ans plus tard, Gervais (2003) est revenu sur certain courage pour maintenir le cap quoiqu’il arrive. »
le thème de l’importance pour l’entreprise de pouvoir (Gervais, 2003, 6).

réconcilier et intégrer les approches rationaliste et Gervais ajoute :


« Mais une seconde approche plus “incrémentaliste” s’est
entreprises. Son étude initiale sur le travail des gestionnaires était développée, suite à des études sur la façon dont sont
fondamentalement empirique, nécessitant une enquête directe élaborés des décisions politiques ou des choix publics
et détaillée auprès des gestionnaires dans leur fonctionnement
importants. … Le choix d’une orientation performante
quotidien. Les résultats ont laissé l’impression que la littérature
demande moins une longue phase de réflexion abstraite
de la gestion s’avérait, à ce point, plutôt théorique et que la
réalité était plus complexe. Le travail détaillé de Mintzberg sur
qu’une période d’expérimentation sur le terrain (utiliser
la structure des entreprises — l’identification des cinq types clés, plutôt une approche heuristique, par tâtonnement,
tout en signalant des phases intermédiaires et la possibilité de qu’une procédure analytique systématique). … En fait,
modèles en devenir pour décrire les organisations comme la stratégie se bâtirait au travers une succession de com-
Médecins sans frontière — a contribué à mettre de l’ordre dans paraisons limitées. Les dirigeants maintiendraient une
les débats sur le fonctionnement des entreprises. Son étude vigilance permanente pour cerner des signaux d’évolu-
sur la nature du pouvoir et son exercice au sein des entreprises tion et ils testeraient de temps à autre des changements
a permis de clarifier le rôle de ce variable significatif. Enfin,
de faible ampleur. » (Gervais, 2003, 6-7).
son travail sur les stratégies organisationnelles — ses diverses
formes et leur fluidité — a remis en question une bonne partie Ainsi, une seconde approche plus incrémentale s’ajoute
de la littérature existante et a influencé de façon permanente
à l’équation. Cette approche s’est développée, d’après cet
l’analyse stratégique et la planification stratégique des
entreprises. Le résultat net provoqua la démystification de divers auteur, suite à des études sur la façon dont sont élaborés
entités et processus du monde de la gestion et l’établissement des décisions politiques ou des choix publics importants.
d’une approche axée sur une certaine fluidité et un esprit « En dépit des apparences, ces deux courants de pensée
d’expérimentation, quoiqu’établie sur une base de connaissances
empiriquement solide et vérifiable.
70 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

ne sont pas antinomiques », mais se complètent (Gervais, Il devient évident entre les deux générations ou vagues
2003, 7). de chercheurs qu’il y a un nouveau paradigme à l’œuvre.
En même temps, ces auteurs nous permettent de voir
Un peu à la manière de Saint-Sernin et Gervais, après
en action les observations de Hegel sur l’évolution de
avoir parlé de changements fondamentaux entrepris
la pensée humaine.
chez BSN, General Electric, Renault, Microsoft et Unilever,
Thiétart et Xuereb (2005) ont commenté :
« Ces exemples illustrent la caractéristique clé de la stra-
tégie qui peut se résumer par le mouvement, le change- Le problème des écoles multiples :
ment, l’adaptation, les retours en arrière, les hésitations, vers une divergence destructive
la saisie d’opportunités, l’accompagnement d’émer-
gences. Certains changements sont progressifs et pro- ou constructive ?
cèdent par ajustements continus. D’autres sont radicaux La question des écoles d’interprétation de la gestion des
et remettent en cause brutalement les engagements
entreprises nous préoccupe également ici. Elle peut nous
passés. Ils sont les résultats du jeu de forces externes,
permettre, peut-être, de déterminer si la prolifération
telles que les évolutions de technologies, de marchés, de
concurrence et celui du jeu de forces internes, telles que des points de vue se manifeste aussi à ce niveau de la
les initiatives prises par le personnel, les plans d’action réflexion. Dans cette section, nous nous référons à deux
et les systèmes d’éducation. Ces forces influencent la auteurs Harold Koontz et Henry Mintzberg et coll. Dans
stratégie, la forme et la déforme ; parfois dans le sens deux articles publiés à intervalle de vingt ans, Harold
souhaité, souvent dans des directions et avec des inten- Koontz s’est référé avec inquiétude à l’émergence des
sités non anticipées. » (Thiétart et Xuereb, 2005, 1-3) nombreuses écoles d’interprétation de la gestion des
Poursuivant leur analyse, et se référant directement entreprises. Dans son article de 1961, Koontz (1961) avait
aux stratégies appropriées dans un tel contexte, ils ont identifié six écoles de pensée, notamment :
signalé que :
« La stratégie est ainsi faite de mouvements, de réajus- Tableau 3 Les écoles de la pensée en gestion :
tements, voire de remises en cause. Elle se fonde sur
la situation en 1961 selon Koontz
un contexte interne et externe sans cesse mouvant ou
des acteurs nombreux, concurrents, clients, fournis- L’école du processus de management
seurs, pouvoirs publics, organisations internationales,
etc., modifient par leurs actions, les bases sur lesquelles L’approche empirique ou de la méthode des « cas »
cette dernière repose. » (Thiétart et Xuereb, 2005, 4). L’école du comportement humain

À l’époque d’Igor Ansoff, essentiellement pendant les L’École du système social


« trente glorieuses », la turbulence majeure entourant
L’école de la théorie de la décision
les entreprises fut associée au contexte géopolitique
international de la Guerre froide et aux opportunités L’école mathématique (notre traduction). (Koontz, 1961, 174ss)

d’expansion et de diversification. Depuis le milieu des


années 1970, suite à l’abandon de l’étalon d’or et aux Il a repris son analyse vingt ans plus tard et, dans son
deux crises de pétrole de 1973 et de 1978, la question article de 1980, il soulignait que la même tendance
de la turbulence est devenue beaucoup plus complexe se manifestait, mais en pire. Plutôt que de trouver les
encore, comme nous avons déjà vu. Elle est caractérisée rapprochements ou des convergences qu’il espérait
par des récessions et corrections financières à tour de sans doute, le nombre d’écoles de pensée avait encore
rôle tous les six ou sept ans, par l’internationalisation augmenté, de six à onze. À cette conjoncture, il les a
toujours plus poussée des entreprises, par le nombre ­énumérés ainsi  :
élevé de fusions d’entreprises hostiles et non hostiles, et
des faillites spectaculaires. Les contributions innovatrices
de ces divers auteurs dans ce contexte sont percutantes.
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 71

Tableau 4 Les écoles de la pensée en gestion : Tableau 5 Les écoles de la pensée en gestion :
la situation en 1980 selon Koontz la situation selon Mintzberg et coll.

L’approche empirique ou de la méthode des « cas » École de la conception (faire correspondre les différentes
capacités intérieures — l’entreprise — et les possibilités
L’approche du comportement interpersonnel extérieures — l’environnement)
L’approche du comportement de groupe École de la planification (une conception mécaniste
des choses)
L’approche du système social coopératif
École du positionnement (Porter : coûts, différenciation,
L’approche des systèmes sociotechniques
créneau)
L’approche de la théorie de la décision
École entrepreneuriale (processus visionnaire…
L’approche des systèmes l’apanage du dirigeant d’entreprise)

L’approche mathématique ou de la science du management École cognitive (un processus mental… l’esprit du stratège…
interprétation du monde)
L’approche contingente ou situationnelle
École de l’apprentissage (la description plutôt que
L’approche des rôles du management la prescription… stratégies délibérées et émergentes…
processus d’apprentissage)
L’approche opérationnelle (notre traduction)
(Koontz, 1980, 175ss) École du pouvoir (un processus de négociation)

École culturelle (un processus collectif)


Dans ce dernier article, il a tiré la conclusion que le
École environnementale (un processus de réaction)
monde universitaire de l’enseignement et de la recherche
sur la gestion était en train de faire fausse route. Il était École de la configuration (description des états… description
du processus d’élaboration de la décision) (notre traduction)
victime de l’intégration de plusieurs spécialistes dans des (Mintzberg, Ahlstrand, Lampel, 2005, 4-7, 301-348).
disciplines ou secteurs très spécifiques et Koontz avait
l’impression que ces spécialistes n’avaient une compré-
Face à cette situation, leur réaction fut très différente. Ils
hension ni de la vue d’ensemble nécessaire à la gestion
ont commencé par analyser la portée de chaque école
ni de la réalité même des gestionnaires. Dans ses mots :
pour, ensuite, les classifier autrement. Selon leur analyse,
« La jungle [du management] est devenue encore plus ils ont trouvé : trois écoles à « orientation normative »,
impénétrable à cause de l’infiltration de nos collèges six écoles à « orientation plus descriptive », ainsi que
et universités par des instructeurs très instruits, mais de
l’école de la « configuration ». Liée sans doute au concept
façon étroite, sans doute très intelligents mais ayant très
de la rationalité limitée, ces auteurs ont conclu que
peu de connaissances de la réalité de la gestion et du
monde concret qui confronte les gestionnaires. » (notre
chaque école décrivait, et était pertinente à, un aspect de
traduction) (Koontz, 1980, 175ss) la gestion des entreprises, « Chaque école dans son temps
et à la place qu’elle occupe ». Le tout était chapeauté par
Par conséquent, selon Koontz, ces spécialistes avec des l’École de la configuration. « Cette école se distingue de
connaissances pointues rendaient un très mauvais ser- toutes les autres d’une façon fondamentale : elle offre la
vice au monde de l’enseignement et de la recherche sur possibilité d’une réconciliation, une façon d’intégrer les
la gestion aussi bien qu’à ses pratiquants. Il craignait que messages des autres écoles » Les auteurs insistaient sur
le résultat comporterait la marginalisation de la forma- l’idée que : « … les organisations fonctionnent efficace-
tion en gestion, la rendant impertinente à cause de sa ment, car elles combinent différentes caractéristiques de
nature fragmentaire et contradictoire. façons complémentaires. » (notre traduction) (Mintzberg,
Beaucoup plus près du présent, un groupe d’auteurs a dû Ahlstrand, Lampel, 2005)
composer avec cette même sorte de réalité. Mintzberg, Qui dit vrai ? Est-ce que nous nous trouvons devant une
Ahlstrand et Lampel (2005) ont signalé l’existence de cacophonie de schémas d’analyse organisationnels,
dix écoles de pensée en management. mais aussi très limités, et par conséquent incapables de
72 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

fournir une vue d’ensemble ? Ou trouvons-nous simple- Ne disposant ni des 260 pages d’Allouche et Schmidt
ment devant un processus exploratoire qui nous fournit ni des 894 pages de McKiernan, nous proposons néan-
des fragments de la connaissance concernant la réalité moins de mettre l’accent sur des orientations qui repré-
organisationnelle, chacun légitime dans les limites de sentent divers courants : soit des visions globales et
son application, mais incapable de fournir une vue d’en- spécifiques, soit des systèmes considérés uniques ou
semble intégrée ? Si cette seconde hypothèse est exacte, autonomes, soit des courants prétendus spécifiques
dans quelle mesure l’École de la configuration peut-elle génériques ou universels, soit enfin selon différentes
fournir la synthèse nécessaire à la construction d’une périodes. Pour rester en conformité avec le triangle de
vue d’ensemble articulée et juste de la réalité organi- la pensée humaine de Hegel, nous ajouterons des élé-
sationnelle ? En outre, grâce à ces écoles, avons-nous ments complémentaires et critiques soulevés par d’autres
réussi à faire le tour de tous les aspects de l’entreprise auteurs, là où ils s’avèrent pertinents.
ou restera-t-il encore des découvertes à faire ?
Nous regrouperons le tout sous la bannière de la
Cette sorte de réflexion est significative. Elle fournit recherche de la recette du succès de l’entreprise. En effet,
une illustration de ce qui précède et elle nous oblige à s’il y a une préoccupation prioritaire du domaine de l’en-
regarder les choses autrement, qu’il s’agisse de positions treprise, au cœur même de ce champ d’activité humaine,
divergentes réconciliables ou irréconciliables ou encore c’est la prédiction, la réalisation et le maintien du succès.
simplement de l’évolution de la pensée et de l’émergence Il est à noter que nous mettons l’accent sur les aspects
de nouveaux paradigmes, un processus inévitablement non financiers et non comptables du succès.4
« open-ended ».
Les auteurs suivants feront partie de cet exercice : Igor
Ansoff, Michel Capron, Clayton Christensen, J. Edwards
Deming, Henri Fayol, Michel Ghertman, Luther Gulick/
À la recherche du succès, Lyndall Urwick, Daniel Katz/Robert L. Kahn, Harold
le résultat de l’utilisation Koontz et Cyril O’Donnell, Rita Gunther McGrath, Henry
Mintzberg, Richard R. Nelson, Sarah Perman et al.,
de bonnes stratégies Thomas Peters/Robert Waterman, Michael Porter, Paul
Il y a une vingtaine d’années, il eut deux efforts signifi- Schoemaker, Erik Schumacher, Hervé Sérieyx/Georges
catifs qui visaient à cerner le développement des stra- Archier, Gijsbert Van Liemt.
tégies d’entreprises, celui d’Allouche et Schmidt (1995)
en français et celui de McKiernan (1996) en anglais. Ces
premiers ont abordé la question sous l’angle de la déci- Le bon fonctionnement interne
sion stratégique et ce dernier sous l’angle de la gestion et ses composantes : autour du PODC
stratégique. La démarche fut essentiellement diachro-
Commençons par un courant d’une certaine longévité
nique dans ces deux cas, et tous les deux présentent les
qui vise à cerner et à définir le rôle des fonctions essen-
diverses vagues d’interprétation de façon convaincante.
tielles de l’organisation dans la réussite. Nous pourrons
Par contre, Allouche et Schmidt ont introduit un com-
l’appeler la recherche des composantes du « bon fonc-
mentaire malheureux à leur classification des vagues
tionnement ». Les auteurs qui ont privilégié cette sorte de
en se référant à l’« irruption » des consultants comme
démarche ont eu tendance à concentrer leurs analyses
BCG et le « règne éphémère des gourous » en gestion des
sur l’environnement interne, même s’ils font attention
ressources humaines (Allouche et Schmidt, 1995, T-1, 4).
de signaler, du moins de façon sommaire, l’importance
McKiernan a évité cette sorte de polémique et, en nous
de l’environnement externe.
fournissant des textes d’origines des auteurs, a concentré
son ouvrage sur l’identification des écoles de pensée,
leur évolution, rapprochements et divisions. Depuis ce 4. Ces champs de la connaissance ont élaboré leurs propres
méthodes et modèles et font appel aux facteurs comme : le
temps, des développements subséquents ont aussi vu le
concept et le niveau désiré de la rentabilité, le capital disponible
jour, comme on peut facilement l’imaginer. des investisseurs et du marché, le fonds de roulement requis,
etc., dans un contexte temporel donné.
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 73

Souvent de nos jours, quand nous parlons des fonc- figuraient : « la division du travail ; l’autorité ; la discipline ;
tions essentielles de la gestion de l’organisation dans l’unité de commandement ; l’unité de direction ; la subordi-
nos écoles d’administration, nous présentons la for- nation des intérêts particuliers à l’intérêt général ; la rému-
mule PODC, ce dernier signifiant « planification, orga- nération ; la centralisation ; la hiérarchie ; l’ordre ; l’équité ; la
nisation, direction, et contrôle ». Par conséquent, elle se stabilité du personnel ; l’initiative ; et l’union du personnel »
trouve presque automatiquement dans la bouche de (Fayol, 1970, 20).
la vaste majorité des étudiants et des professeurs qui
Ainsi, nous pouvons établir une ligne plutôt directe entre
se consacrent à ce champ d’étude et de travail. Quand
ces concepteurs pendant plus d’un siècle, de la formule
nous nous penchons sur les racines de cette formule,
POCCC à celle PODC. Le fil conducteur de ces diverses
nous découvrons qu’elle a des ancêtres clairement iden-
versions des éléments essentiels de l’administration est
tifiables. Aux années 1970 et 1980, par exemple, les
le désir d’identifier ces rôles et sans doute de les aligner
auteurs Koontz et O’Donnell ont mis l’accent sur les élé-
dans une séquence. Par contre, ce qui paraît curieux,
ments suivants « planification, organisation, dotation en per-
nous trouvons un élément distinct ajouté aussi bien par
sonnel, direction, control », que nous pouvons résumer par
Gulick et Urwick que par Koontz et O’Donnell (1968),
l’acronyme PODDC. La similitude entre ces deux formula-
notamment le « staffing » et la « dotation en personnel »,
tions est frappante, nous invitant à présumer que Koontz
respectivement. Dans un sens, ces auteurs semblent
et O’Donnell constituent les véritables concepteurs de
avoir cru bon de soulever la préoccupation « par qui ? »,
cette façon de présenter les fonctions essentielles de
ou la place de l’être humain au sein de l’organisation, et
l’administration. Il faut dire par contre que Koontz et
de l’ajouter à leurs formules : POSDCoRB et PODDC. À
O’Donnell n’ont pas travaillé non plus dans un vacuum.
notre avis, la différence entre POCCC et PODC d’un côté
En 1937, Gulick et Urwick s’étaient déjà consacrés à la
et POSDCoRB /PODDC de l’autre n’est pas un accident
découverte de ces éléments essentiels et ils ont insisté
compte tenu de l’accent grandissant placé par divers
sur les volets « planning, organizing, staffing, directing, coor-
chercheurs sur les ressources humaines pendant l’entre-
dinating, reporting, budgeting » que nous pouvons résumer
deux-guerres et la période dès 1945.
par l’acronyme POSDCoRB.
Bref, l’ajout à la formulation de préoccupations pour le
Si on recule davantage dans le temps, on découvre que,
« staffing » (la « dotation en personnel ») fut naturel dans
dans son ouvrage classique de 1916 (réédité en 1970),
un tel contexte. Par contre, l’oubli de cet élément dans
après avoir expliqué ce qu’il a appelé les principes d’ad-
la formulation PODC semble étonnant de nos jours.
ministration (Fayol, 1970, 19-47), Henri Fayol a abordé,
Ce lapsus semble rapprocher l’approche PODC à celle
dans la partie de loin la plus substantielle de son livre,
d’Henri Fayol, comme si on retournait à l’ère de l’accent
ses « éléments » de l’administration. La formulation initiale
sur le contrôle et d’une moindre considération du facteur
de Fayol, pour les décrire fut « prévoyance, organisation,
humain. En revanche, il faut signaler que le concept de
commandement, coordination [et] contrôle » que l’on peut
« staffing » conçu par Koontz et O’Donnell (1968), si on
résumer par l’acronyme « POCCC » (Fayol, 1970, 48-137).
en juge d’après une collection de lectures recommandée
Souvent, dans la littérature du management, on lie Fre- par ces auteurs aux années 1960, paraît se restreindre
derick Winslow Taylor et Henri Fayol comme deux volets exclusivement aux gestionnaires. (Koontz et O’Donnell,
d’une même pensée, l’un américain et l’autre français. 1968, 174-287) On se trouve encore loin des préoccupa-
Par contre, en présentant cette formule, Fayol avait l’im- tions d’Aktouf et de Galambaud sur l’importance et le
pression d’outrepasser son confrère ingénieur des ÉUA, rôle significatif des ressources humaines au sein de l’en-
auquel il s’est référé directement dans le texte. D’ail- treprise.5 Ainsi, la réflexion sur l’évolution de la pensée
leurs, il n’a pas ménagé Taylor, car, à part son résumé,
il a formulé des critiques par rapport aux concepts de
ce dernier (Fayol, 1970, 80-86). Quant à la gestion, il
était convaincu d’être allé encore plus loin en formulant
5. Les commentaires d’Omar Aktouf (2002) et de Bernard
quatorze aspects essentiels de l’entreprise qui devaient Galambaud (1994) nous en disent long sur les attitudes
la permettre de fonctionner en harmonie. Parmi eux concernant l’être humain au sein des entreprises de nos jours.
74 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

dans le domaine de l’administration de POSDCoRB et Le rapport entre les capacités internes


PODDC à PODC est peut-être plus profonde qu’elle le et les défis externes ainsi que la combinaison
paraît à première vue, surtout dans le contexte qui nous
expansion/diversification chez Ansoff
entoure depuis la fin des années 1970.
Au cours des années 1960, Igor Ansoff (1965 ; 1987),
Au-delà de cette question concernant le « staffing » ou la
riche de sa réflexion sur la planification stratégique
« dotation en personnel », et malgré l’intérêt de la ligne
et ses expériences professionnelles dans l’industrie, a
de pensée de vouloir définir les éléments essentiels de
conçu une formule qu’il considérait comme essentielle
l’organisation, toutes ces visions du bon fonctionnement
au succès de l’entreprise. Il a choisi de mettre l’accent
des organisations avaient leurs limites. Parmi les cri-
sur l’équilibre entre l’environnement externe et ce qu’il
tiques de la première heure figuraient Herbert Simon. Ce
appelait la capacité de réplique interne. Il postulait
dernier trouvait qu’il s’agissait d’une simple description
que le succès, c’est-à-dire la réussite financière, d’une
des diverses fonctions sans même inclure certains élé-
entreprise dépendait directement de la pertinence des
ments primordiaux de la vie interne de l’entreprise aussi
stratégies adoptées et de la capacité de réplique d’une
bien que la dynamique même du système. D’ailleurs,
entreprise par rapport à son environnement externe. La
la critique s’étend jusqu’à nos jours. Récemment, par
synthèse du modèle qu’il a formulé peut être présentée
exemple, deux chercheurs en Asie du Sud, Agrawal et
de manière succincte de la façon suivante :
Vashistha (2013), sont revenus sur la version formulée
par Gulick et Urwick. Ils ont conclu :
« Les activités POSDCoRB ne constituent ni tous les Tableau 6 L’hypothèse du succès stratégique
aspects de l’administration ni ses parties les plus impor- selon Ansoff
tantes. … L’approche POSDCoRB ne tient compte que
des techniques communes de l’administration et ignore La performance financière [de l’entreprise] augmentera
le contenu de l’agence en question. Un défaut majeur de Quand les niveaux d’agressivité stratégique
cette approche est l’absence de toute référence à la for-
mulation et l’implémentation des politiques. Par consé- Plus la capacité organisationnelle de réplique
quent, la signification de l’administration est définie de Seront égaux au niveau de la turbulence environnementale
manière étroite, axée trop sur le contexte interne et sur de l’organisation (notre traduction) (Ansoff, 1976, 181-197)
le niveau le plus élevé des gestionnaires. » (notre traduc-
tion) (Agrawal et Vashistha, 2013, 430).
Cette formulation succincte d’Ansoff donne l’impres-
Malgré l’intérêt de ce sujet, on peut rester sur l’impression sion d’une sorte de loi universelle contenant quelques
que nous nous trouvons face à une séquence linéaire. Au variables clés qui permettent de déterminer un rapport
pire, on peut retenir l’impression de se trouver devant entre l’entreprise et son environnement externe, ou plus
une séquence à démarche unique. Mais il n’en est rien, spécifiquement entre les capacités de l’entreprise et des
car la réalité organisationnelle, impliquant habituelle- défis ou menaces externes avec lesquels l’entreprise doit
ment plusieurs produits ou services différents, conçus composer. Les variables internes à l’entreprise sont, d’un
et évoluant à divers stades de développement dans la côté, la capacité d’observation et d’analyse stratégique
vie d’une entreprise, nécessiterait une panoplie de telles et de l’autre, l’habileté des gestionnaires et l’efficacité
séquences en parallèle. Il est possible aussi que cette des moyens dont ils disposent. Il est entendu que l’éta-
approche globale masque le fait que l’entreprise com- blissement et le maintien de ce rapport représentent une
prend des niveaux différents et que chaque niveau — forme de stabilité relative nécessaire au développement
stratégique, administratif et opérationnel — joue un rôle et à l’expansion, conditions essentielles à la profitabilité
dans son fonctionnement. selon cet auteur. Cette formule fut le résultat d’un long
cheminement qui l’a amené à explorer diverses compo-
santes comme : la nature et les degrés de la turbulence
externe, les sources et les méthodes du renforcement
de la capacité interne de réplique, l’importance de
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 75

l’expansion et de la diversification. En ce faisant, Ansoff Tableau 7 L’entreprise Bombardier : Les diverses


s’est créé une réputation du Père de la planification stra- phases du développement de ses produits par type
tégique. Sa carrière l’a amené à la fois à œuvrer dans le et généralement par ordre surtout chronologique
monde industriel pour appliquer ses concepts et dans (sauf exception)
le secteur universitaire pour préparer les gestionnaires
de l’avenir. Transport terrestre, Motoneige, Modèle utilitaire civil :
But : Déplacement de main-d’œuvre en hiver dans
Quand on pense aux stratégies adoptées par des entre- des conditions de neige profonde
prises à succès, souvent on pense en terme de l’expan- Transport terrestre, Motoneige, Modèle utilitaire militaire :
sion et sans doute aussi, dans un deuxième temps, de Produit apparenté, clientèle nouvelle : But : Déplacement
la diversification, à la recherche de marchés plus consi- de personnel militaire en hiver dans des conditions de
neige profonde
dérables et de profits accrus. Un modèle développé par
Ansoff nous permet de visualiser et de schématiser ces Transport terrestre, Motoneige, Modèle utilitaire : Produit
apparenté, clientèle nouvelle : But : Déplacement de bois,
deux phénomènes. Il l’appelait le « Vecteur de croissance »
etc., en hiver.
(Allouche et Schmidt, 1995, 31). Ce Vecteur de croissance
possédait ces deux volets, celui de l’expansion et celui Transport terrestre, Motoneige, Modèle utilitaire civil,
grandeur supérieure : Produit apparenté, clientèle nouvelle :
de la diversification, et nous permet d’établir les liens But : Tourisme, ex. en Alberta (Parc national « Columbia
dynamiques entre eux. L’expansion était tributaire du Icefields ») ; au nord du Manitoba (observation touristique
développement de nouveaux produits et de nouveaux de l’ours polaire)
marchés liés à la production d’origine. La diversifica- Transport terrestre, Motoneige personnel, Modèle sport :
tion était caractérisée par soit de nouveaux produits à Produit apparenté ; clientèle nouvelle : But : Loisirs — le Ski-
technologie connexe ou encore de nouveaux produits à doo (Canada, ÉUA, Europe)

technologie nouvelle, donnant lieu à diverses variations : Transport maritime : Petits bateaux à voile, Modèle
diversification horizontale, diversification verticale, diver- sport : Produit nouveau, clientèle nouvelle : But : Loisirs —
Bombardier Invitation et Bombardier 3,8 (Canada)
sification concentrique et diversification hétérogène ou
conglomérale. Le cas de l’expansion et de la diversifica- Transport maritime, Bateau personnel à moteur, Modèle
sport : Produit nouveau, clientèle partiellement nouvelle :
tion de l’entreprise Bombardier, qui a effectué ces deux
But : Loisirs — le Sea-doo (Canada ; ÉUA)
démarches, peut nous servir d’exemple.
Transport terrestre, Wagons et locomotives de chemin de
La critique majeure de certains aspects du travail d’Ansoff fer de type LRC, Produit nouveau & clientèle nouvelle :
est venue d’un chercheur de la génération suivante, But : Transport en commun — Bombardier division
ferroviaire (Canada, ÉUA, Europe)
Henry Mintzberg. Dans le domaine de la planification
stratégique, les deux chercheurs se sont engagés dans Transport terrestre, Wagons de métro et locomotives
un débat de fond6, qui a fini par jeter de l’ombre sur une électriques, Produit apparenté, clientèle partiellement
nouvelle : But : Transport en commun — Bombardier
partie du travail d’Ansoff. Au cœur des commentaires division métro (Canada ; Europe ; Asie ; etc.)
de Mintzberg se trouvait une critique de la complexité
Transport aérien, Avions de ligne, Produit nouveau, clientèle
du système de la planification stratégique d’Ansoff, des
nouvelle : But : Transport en commun — Bombardier division
rôles respectifs des planificateurs attitrés et les gestion- aviation (Canada ; Irlande du Nord ; Europe)
naires, de la planification dans certains contextes parti-
culièrement turbulents, de la complexité et la durée des
exercices de planification, et finalement du nombre élevé
d’échecs de la planification stratégique observés dans Une constellation de capacités uniques
les entreprises. Le point culminant de cette partie de la et de synergie d’entreprises en grappe
critique fut la publication par Mintzberg (2004) de son chez Michael Porter
livre : Grandeur et décadence de la planification stratégique.
Dans sa recherche au sujet de la source du succès des
entreprises, Porter (1991) travaillait sur une combinaison
6. À titre d’exemple : Ansoff, 1989, 107-124 ; Mintzberg, 1994a, de facteurs internes et externes à l’entreprise qu’il
12-21 ; Mintzberg, 1994b, 22-29.
76 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

considérait comme essentiels à son épanouissement. compétitifs à long terme. … Pourtant, ces impératifs de
De sa réflexion il résulta la création du modèle appelé l’avantage compétitif se trouvent en confrontation avec
« le Diamant ». Pour expliquer sa position, Porter a écrit : les tendances organisationnelles des entreprises. Les
entreprises mettent en valeur la stabilité et le change-
« Quatre attributs généraux de l’environnement avoi- ment s’avère à la fois difficile et bouleversant. » (notre
sinant l’entreprise ont la plus grande influence sur sa traduction) (Porter, 1991).
capacité d’innover et de mise à jour. … Les facteurs de
production les plus importants sont les facteurs haute- Il est utile de noter qu’un contemporain de Porter, l’éco-
ment spécialisés adaptés aux besoins d’industries parti- nomiste Nelson (1991), a formulé une approche très
culières. … La présence de mécanismes institutionnels proche de celle de Porter, et compatible avec sa position.
uniques pour les créer dans des entreprises particulières Nelson a insisté sur l’importance cruciale de la connais-
constitue un déterminant significatif du succès compé- sance détaillée — et par conséquent l’analyse — de l’en-
titif. … La demande au pays d’origine est importante
treprise individuelle. En ce faisant, il a recommandé aux
davantage pour son caractère que pour son envergure.
spécialistes de sa discipline d’écarter la grille néoclas-
… L’avantage compétitif est influencé fortement aussi
par la présence de fournisseurs des produits en question sique et la présomption de l’effet de normes globales en
et d’industries apparentées au pays d’origine. … Le déter- faveur d’une grille appelée évolutionniste (inspirée au
minant ultime de l’avantage est la stratégie d’entreprise, moins en partie par le travail précédent de Schumpeter).
sa structure et les rivaux… » (notre traduction) (Porter, Il s’agissait d’une révolte contre la tentation de considérer
1991, 95-117) toutes les entreprises comme un bloc ayant des réflexes
identiques face à un contexte donné ou une règlemen-
Au-delà des divers volets du Diamant, Porter a signalé :
tation globale. Par conséquent, Nelson a recommandé
« Il y a un rôle dans le processus de création de l’avan-
la découverte de la variété des orientations qui résultait
tage compétitif pour les événements purement fortuits
des décisions variées de l’entreprise individuelle selon
aussi bien que pour les accidents historiques. » (notre
sa composition spécifique et en accord avec les moyens
traduction). Il y avait aussi l’influence du gouvernement
dont elle disposait pour assurer son développement.
à prendre en considération : « Une influence additionnelle
(Nelson, 1991, 61-74)
sur l’environnement pour l’avantage compétitif est le
gouvernement. … Le gouvernement à tout niveau peut Récemment, Rita Gunther McGrath (2013) a publié un
améliorer ou empêcher l’avantage national par [divers livre dans lequel elle a mis l’accent sur le tandem de la
moyens]. » (notre traduction). Cependant, il était loin de planification et de l’innovation dans le domaine de la
l’importance accordée par Ansoff à la turbulence et ses stratégie d’entreprise, annonçant que « Strategy is stuck »
effets. (il y a un problème majeur concernant la stratégie). En ce
faisant, McGrath a écorché Porter en ce qui concerne son
Par rapport à l’environnement propice à la réussite, selon
concept et son modèle de l’avantage compétitif. D’ail-
Porter :
leurs, le titre de son livre fut The End of Competitive Advan-
« Plutôt que se trouver uniquement au sein de l’entreprise, tage (la fin de l’avantage compétitif). Bref, tout avantage
l’origine véritable de l’avantage compétitif peut être l’en-
n’est que temporaire. Cependant tout comme Porter, elle
vironnement avoisinant ou local dans lequel l’entreprise
a démontré dans son étude l’écart entre, d’un côté, la
est située… L’environnement détermine de quelle façon
on peut configurer les activités, quelles ressources on pensée exécutive actuelle ainsi que sa recherche d’une
peut combiner de façon unique, et quels engagements certaine stabilité et, de l’autre, un monde qui nécessite
peuvent être effectués avec succès… » (notre traduction) la réinvention systématique et constante de l’entreprise.
(Porter, 1991) En terminant, elle conclut que les défis de l’heure exi-
gent plutôt du dynamisme et de la fluidité de pensée
Porter a également identifié le sine qua non de l’avantage
et d’action.
compétitif et l’importance de l’amélioration continue
dont ce dernier pourrait poser des problèmes :
« Les entreprises créent et maintiennent l’avantage
compétitif grâce à la capacité de s’améliorer de façon
continue, d’innover et de mettre à jour leurs avantages
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 77

Entre les tendances lourdes besoins des clients actuels de l’entreprise. Cependant,
elles constituaient les germes de nouveaux marchés et
et l’innovation ambiguë de clients futurs. D’ailleurs, l’incompréhension de l’entre-
et percutante : Christensen prise par rapport à leur importance avait mené plusieurs
entreprises performantes à l’échec, voire la faillite. Ainsi,
Clayton Christensen (2003) a publié un ouvrage qui
Christensen a expliqué de quelle façon et pour quelles
s’adresse au problème du maintien du succès des entre-
raisons une entreprise à succès pouvait s’aveugler collec-
prises qui avaient déjà réalisé des avancées significa-
tivement face aux innovations et développements futurs
tives dans le passé. La revue Forbes a commenté : « Ce
par une mauvaise lecture des effets de ces deux sortes
livre devrait secouer n’importe quel exécutif qui se sent
de technologie (Christensen, 2003, xvii-xx).
blindé… » (notre traduction). Le message livré fut que
les succès du passé n’étaient nullement une garantie
du succès futur de l’entreprise, et les exemples ne man-
quaient pas. En introduction, il a écrit : La garantie des succès passés et
« Ce livre traite de l’échec d’entreprises à rester au sommet de la longévité : Peters et Waterman
de leurs secteurs industriels quand elles confrontent cer-
taines sortes de marchés et de changements technolo- Les auteurs Peters et Waterman furent initialement
giques. Il ne s’agit pas de l’échec de n’importe quelle motivés par l’impression généralisée que les États-Unis
entreprise, mais… d’entreprises bien gérées qui se d’Amérique étaient en train de perdre leur élan face
gardent à jour concernant la concurrence, qui écoutent à la concurrence industrielle japonaise et son arsenal
attentivement leurs clients, qui investissent agressive- de méthodes innovantes. Pour examiner davantage la
ment dans de nouvelles technologies, et pourtant qui situation et essayer de découvrir les forces de l’industrie
perdent leur position dominante dans le marché. » (notre
américaine, les auteurs, consultants de métier, ont choisi
traduction) (Christensen, 2003, xvii-xx).
de mettre l’accent sur les entreprises états-uniennes répu-
Parmi les concepts présentés était ceux des recettes tées d’excellence. Par conséquent, ils se sont consacrés
à succès qui ne furent que des décisions et positions à identifier les bonnes pratiques de ces entreprises per-
« situationally appropriate », selon Christensen, c’est-à-dire formantes pour établir un genre de benchmark. L’ou-
appropriés uniquement dans un contexte spécifique et vrage est sorti pour la première fois dans les années
de durée limitée. Bref, il s’agissait de décisions et posi- 1980.8 Peters et Waterman ont résumé leur réflexion de
tions invalides à l’extérieur de ce contexte spécifique et, manière un peu familière de la façon suivante :
par conséquent, qui ne pouvaient certainement se pré-
« Les conclusions que l’on [tire] de l’étude des meilleures
tendre ni durables ni universelles. D’après Christensen, entreprises sont porteuses d’un message réconfortant
pour comprendre ce qui se passait, il faudrait faire une en provenance des États-Unis. La pratique du bon mana-
distinction entre deux sortes de technologie, la techno- gement n’est pas le privilège des Japonais. Mais sur-
logie étant définie de façon large plutôt que limitée.7 tout, il est stimulant de constater que l’on traite les gens
Il y avait des technologies qui visaient à maintenir le décemment et qu’on leur demande de briller, et aussi que
système actuel et sa forme de production, appelées l’on produit des choses qui marchent. Les rendements
d’échelle laissent la place aux petites unités de gens
« sustaining », et il y en avait d’autres qui perturbaient le
motivés. Les efforts très planifiés de la recherche et du
système et la production établie en vigueur, appelées
développement pour fabriquer des produits fracassants
« disruptive ». Selon l’auteur, la signification et la profitabi- sont remplacés par des armées de battants dévoués.
lité de ces dernières ne paraissent pas très évidentes par Cette manie… de se concentrer sur les coûts cède la
rapport aux marchés contemporains. Ces technologies
semblaient moins profitables et ne répondaient pas aux
8. Presque simultanément en France, Georges Archier et Hervé
Sérieyx se sont lancés dans un exercice semblable axé sur ce
qu’ils appelaient Les entreprises du troisième type. Cet ouvrage,
7. Il est à noter que le concept de technologie chez Christensen qui a remporté le Prix Harvard L’Expansion 1984 et le Prix
s’avère assez large comprenant autant les équipements que les Fondation HEC 1984, fut réédité en 2000 dans la collection de
méthodes et les façons de gérer. poche Le Point.
78 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

place à une polarisation sur la qualité. La hiérarchie et de leur échantillon, on avait tendance à remettre en
les complets trois-pièces cèdent la place aux prénoms, question leurs critères.
aux manches de chemise, à l’enthousiasme et à une
souplesse fondée sur une organisation articulée autour
de projets. Le travail, selon les préceptes consignés dans
d’énormes règlements, est remplacé par la contribution
Les effets d’une valeur centrale
de chacun. » (Peters et Waterman, 1983, 21). et d’une démarche intégrée : Deming
Peters et Waterman (1983) se sont appliqués à identifier Lors d’un exercice de consultation à grande échelle,
les caractéristiques spécifiques communes de ces entre- engagé au Japon pendant la période d’occupation
prises à succès. Ils ont axé leur étude sur des preuves suivant la Seconde Guerre mondiale, le consultant
rétrospectives et courantes tirées de l’expérience des J. Edwards Deming s’est mis à l’œuvre pour convaincre
entreprises en question, définies selon des critères les industries japonaises d’abandonner leur première
comme la démonstration d’une position avantageuse stratégie de développement conçue lors de la phase
et profitable sur un marché donné, réalisée de façon initiale de reconstruction de l’économie du pays. Cette
constante pendant une période significative. première stratégie industrialo-commerciale de dévelop-
pement fut axée essentiellement sur l’entrée substan-
tielle de devises étrangères par tous les moyens possibles
Tableau 8 Caractéristiques des entreprises pour renforcer une économie en réémergence. L’accent
à succès selon Peters et Waterman fut placé sur la production rapide de produits de faible
qualité, offerts en abondance aux consommateurs des
Elles ont le parti pris de l’action
pays étrangers à de très bas prix. Leur faible qualité et
Elles restent à l’écoute du client leur durabilité très limitées furent compensées par leur
Elles favorisent l’autonomie et l’esprit novateur prix dérisoire. Bref, ils se vendaient bien.

Elles assoient la productivité sur la motivation du personnel La nouvelle orientation proposée par Deming (2002) fut
axée sur un concept central très différent : la qualité. Dans
Elles se mobilisent autour d’une valeur clé
le processus de son travail, Deming a élaboré une série
Elles s’en tiennent à ce qu’elles savent faire d’objectifs, regroupés dans une liste de quatorze points.
Elles préservent une structure simple et légère Il faut croire que les recommandations de Deming
Elles allient souplesse et rigueur (Peters et Waterman, ont trouvé des collaborateurs en nombre suffisant
1983, 35-37) et ont bien fonctionné, car la deuxième stratégie
­industrialo-commerciale du Japon fut un succès. Dans
Subséquemment, il y a eu une certaine controverse au les pays occidentaux, à partir de cette transition, nous
sujet de ce travail, liée en partie à la logique appliquée au avons remarqué l’entrée de produits de plus en plus de
contenu de leur échantillon d’entreprises. Pour justifier qualité dans divers domaines. Les appareils photogra-
leur recherche, les auteurs ont expliqué : phiques de Nikon (série F) et Mamiya qui ont créé une
« Cet échantillon de soixante-deux entreprises n’a jamais
véritable révolution autant chez les journalistes que dans
prétendu être parfaitement représentatif de l’industrie le grand public à la moitié du prix des appareils Leicaflex
américaine dans son ensemble. … Ce que nous voulions et Hasselblad. D’autres produits de qualité ont suivi dans
vraiment et ce que nous avons trouvé avec notre échan- d’autres secteurs industriels, comme les automobiles de
tillon initial, c’était une liste d’entreprises qui étaient Honda et Toyota. À cette époque, le prix comparative-
novatrices et exemplaires aux yeux d’un groupe bien ment réduit de la main-d’œuvre au Japon a également
informé d’observateurs de la vie économique : hommes joué un rôle significatif et il le ferait pendant plusieurs
d’affaires, experts-conseils, membres de la presse écono-
années, renforçant ainsi la position industrielle japo-
mique et universitaires. » (Peters et Waterman, 1983, 40).
naise. Depuis ce temps, il existe au Japon un prix officiel
En même temps, face à des difficultés expérimentées « Deming » accordé annuellement pour des réalisations
subséquemment par quelques entreprises faisant partie innovatrices dans le secteur industriel.
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 79

Tableau 9 Les quatorze points de Deming et des Petits Tigres (Pottier, 2014, 906-929). Par contre,
depuis la crise des bourses de l’Asie, pendant la dernière
1. Garder fermement le cap de la mission d’amélioration moitié des années 1990, le Japon se cherche à nouveau.
des produits et services : Innover. (Mettre des
ressources au service de la recherche et de Il faut se demander si le succès de cette démarche pourrait
l’éducation ; Améliorer constamment la conception
des produits et des services)
se reproduire ailleurs et à d’autres moments. Ou serait-il le
résultat d’une situation spécifique ou même temporaire ?
2. Adopter la nouvelle philosophie
Est-ce que la diversification des sites de manufacture sub-
3. Faire en sorte que la qualité des produits ne dépende séquents est conforme à l’idée de départ ? Comment éva-
pas des inspections luer le transfert d’une partie de la production des quatre
4. Mettre un terme à la pratique des achats au plus bas dragons et des petits tigres, par la suite, à la Chine ? Et
prix pourquoi, le Japon a-t-il pris tant de temps à récupérer
5. Constamment améliorer le système de production de la crise des bourses de l’Asie ? De toute façon, dans les
et de service écrits de Deming, il est clair qu’il était convaincu que
les quatorze points avaient des applications beaucoup
6. Établir un système de formation
plus larges que le Japon de l­’immédiat après-guerre.
7. Adopter et instituer le leadership

8. Faire disparaître la crainte

9. Renverser les barrières entre les services La conservation du dynamisme


10. Éliminer les exhortations et les slogans d’une entreprise émergente
11a. Éliminer les quotas de production dans les ateliers et l’acceptation de l’ambiguïté
11b. Éliminer les objectifs chiffrés pour les cadres apparente : Schumacher
12. Supprimer tous les obstacles à la fierté du travail Certains auteurs ont favorisé une approche bicéphale
à la question de la réussite des entreprises. Il s’agit de
13. Encourager l’éducation et l’amélioration de chacun
la capacité de réconcilier des éléments différents dans la
14. Agir pour accomplir la transformation recherche du succès de l’entreprise. Parmi eux se trouve
l’économiste germano-britannique, Erik Schumacher
Plus tard, quand le coût de la main-d’œuvre au Japon (1973), un rescapé de l’Allemagne hitlérienne qui avait
a atteint un certain niveau, la décision fut prise de trouvé refuge au Royaume-Uni et y a passé le reste de
décentraliser une partie de la production. On a fini sa carrière. Schumacher a insisté sur l’importance de
par construire une structure d’interdépendance à trois réconcilier, au sein de l’entreprise, des tendances qui
paliers. En général, c’est au Japon où se trouvait l’aspect pourraient paraître initialement contradictoires, mais qui
recherche et développement ainsi que certaines parties en réalité s’avèrent les deux à la fois, complémentaires
de la production de grande qualité. Aux pays appelés les et essentielles à la réussite. Initialement dans son argu-
Quatre Dragons (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et mentation, il a mis l’accent sur la sorte d’atmosphère
Taïwan), on trouvait une main-d’œuvre hautement qua- qu’il faudrait encourager au sein de l’entreprise pour lui
lifiée, mais à moindres frais. Enfin, aux pays appelés les permettre d’évoluer correctement.
Petits Tigres (Indonésie, Philippines, etc.) était localisée
« La tâche fondamentale est de réaliser l’intimité
la partie industrielle qui avait besoin d’une main-d’œuvre (smallness) au sein d’une grande organisation. … Dès
moins qualifiée pour des tâches nécessitant ce niveau la création d’une organisation, elle subit une série de
de compétence, encore une fois à moindres frais. Éven- phases centralisatrice et décentralisatrice à la manière
tuellement, on a ajouté à cette structure la République d’une pendule. … dans de tels contextes, il serait per-
populaire de Chine à cause de sa vaste main-d’œuvre tinent d’examiner le problème en profondeur et d’envi-
dans toutes catégories et à prix compétitif, et on y a sager plus qu’un compromis… Peut-être, faut-il combiner
transféré une partie de la production des Quatre Dragons ces deux tendances. … » (notre traduction)
80 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Il a continué, en soulignant une nécessaire « dualité » : de bien analyser les erreurs des entreprises, autant que
les succès, pour s’assurer de tirer le maximum de l’ex-
« Dans toute organisation, qu’elle soit grande ou petite, il
faut une mesure de cohérence et bon fonctionnement. périence. Selon cet auteur, il s’agissait d’un remède à un
Si le désordre règne, on ne peut rien accomplir. … il syndrome axé uniquement sur les réussites, c’est-à-dire
faut s’assurer d’une marge de manœuvre pour l’esprit des histoires à succès. Schoemaker a recommandé que
iconoclaste, de permettre de réaliser ce qu’on n’a pas l’on analyse, en autant de détail, les raisons des échecs
encore tenté de faire… [il s’agit du] produit neuf, imprévu que les raisons des réussites. Il a présenté ses observa-
et imprévisible de la création humaine. … Toute organi- tions sur l’analyse des échecs comme une liste :
sation doit travailler constamment à favoriser à la fois
ce qui garantit le bon fonctionnement de l’organisation « Procéder à l’analyse systématique de toutes les erreurs,
aussi bien que la spontanéité de l’acte de création. … La même celles qui n’ont eu que peu ou pas d’impact. …
centralisation est essentiellement un concept qui abonde Inviter des participants d’horizons et de statuts variés à
dans les sens de l’ordre, et la décentralisation vise surtout faire part de leurs perceptions, et les écouter… Ne pas
la liberté. L’ordre vise l’efficacité… la liberté ouvre la sanctionner les erreurs, sauf les fautes intentionnelles ou
porte à l’intuition et à l’innovation. » (notre traduction) le non-respect des interdits… Éviter toute justification ou
(Schumacher, 1973, 226-236) culpabilisation… Ne pas assimiler la qualité de la déci-
sion au résultat obtenu : une décision peut être bonne
Cette combinaison de l’ordre et de la structure d’un côté même si elle n’a pas donné les résultats attendus…
et de la créativité et du désordre de l’autre peut faire Distinguer ce qui relève de circonstances liées à l’en-
penser à l’argumentation de Lorsch et Lawrence (1967) vironnement, des caractéristiques individuelles et du
sur la différentiation et l’intégration au sein des grandes projet lui-même… Chercher à comprendre si les erreurs
entreprises. Cependant, elle va encore beaucoup plus sont de nature récurrente… Repérer les comportements
et les postulats qui méritent d’être remis en question…
loin pour nous obliger à réfléchir sur le contenu et l’abou-
Trouver des actions correctrices et des responsables de
tissement du travail ainsi que son utilité éventuelle pour
ces actions… Diffuser les résultats de l’analyse au sein
toute entreprise. Le livre de Schumacher, Une société à la de l’organisation… Le problème : Quelle a été la difficulté
mesure de l’homme, a eu beaucoup de succès à sa paru- rencontrée ?… La solution : Comment la difficulté a-t-elle
tion pendant les années 1970. À part le sujet examiné ici, été traitée ?… Les bénéfices tangibles : Qu’est-ce que la
il contenait plusieurs autres messages significatifs. Deux solution permet d’apporter ? … Les détails pratiques de
exemples suffiront : le concept, propre à Schumacher, des mise en œuvre : Comment peut-on s’inspirer de la solu-
« technologies intermédiaires » aussi bien que la nécessité tion ? Quelles sont les étapes à suivre et les points de
de choisir des solutions suffisantes et appropriées aux vigilance ? » (notre traduction) (Schoemaker, 2011)

problèmes d’entreprises plutôt que des solutions trop Cette recommandation de Schoemaker nous sensibilise
complexes et non nécessaires pour les besoins réels. à une lacune majeure de l’analyse des entreprises axée
Selon Schumacher, le risque était de mettre l’entreprise sur des histoires à succès. L’auteur nous invite non pas
en péril par l’implantation de solutions trop élaborées, seulement à tenir compte des échecs, mais à intégrer
inutilement coûteuses et non nécessaires. Néanmoins, l’analyse des échecs dans l’analyse globale de l’entreprise
c’était la combinaison des éléments, à première vue de façon systématique. Autrement, la réflexion reste
contradictoires, comme la combinaison de la rationalité incomplète. Cependant, plus importante encore, elle
et la créativité, qui représente sa principale force. risque de se priver de renseignements essentiels au bon
fonctionnement par la méconnaissance des problèmes
vécus. Le danger principal de cette vision tronquée est
Tenir compte des échecs aussi bien de risquer de répéter les erreurs du passé à cause de leur
méconnaissance.
que des succès pour développer
une vision complète : Schoemaker
Dans un article de synthèse axé sur une étude plus consi-
dérable, Paul Schoemaker (2011) a choisi de mettre l’ac-
cent sur l’importance des erreurs, ou plutôt l’importance
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 81

Composer avec la concurrence En même temps, dans ses propres écrits, l’économiste
belge Michel Capron (2014) a ajouté à cet éventail de
dans un contexte de mondialisation stratégies, les fusions d’entreprises, tout en faisant une
accrue : Van Liemt distinction entre les fusions considérées non hostiles
et hostiles. Quant à l’envergure de ce phénomène,
Nous pourrons terminer cette série d’observations sur
nous n’avons qu’à regarder autour de nous au cours
la recherche de stratégies de succès par le travail de
des dernières années pour réaliser le nombre de telles
l’économiste néerlandais Gijsbert Van Liemt (2014). Cet
démarches. Il s’est également appliqué à examiner
auteur a abordé la question des stratégies différemment :
les diverses formes de fusion et a analysé les succès et
aux niveaux combinés aussi bien de l’entreprise et du
les échecs, arrivant à la conclusion que la fusion n’est pas
secteur industriel que de l’État. Dans un livre diffusé par
nécessairement une garantie ni d’harmonie ni de succès.
le Bureau international du travail (BIT), Van Liemt s’est
penché sur les stratégies appropriées à des pays déve- Perman et son équipe à la Confédération syndicale inter-
loppés dans un contexte de libre-échange significatif et nationale (CSI) de Bruxelles (2014), ont abordé l’impor-
grandissant. Le tableau suivant présente brièvement la tance d’une autre stratégie utilisée par les entreprises
série d’alternatives envisagée. des pays développés devant les effets du libre-échange.
Il s’agit de l’établissement de « Zones franches d’expor-
tation » (ZFE). Ce phénomène est en expansion considé-
Tableau 10 Les stratégies industrielles globales rable depuis quelques décennies. Le but poursuivi est de
de pays développés devant le libre-échange favoriser l’importation hors taxe de matières premières
selon Van Liemt et intermédiaires ; de rationaliser des procédures bureau-
cratiques ; de promouvoir la flexibilité des lois du travail,
Créer des obstacles à l’importation (le protectionnisme)
d’obtenir des concessions fiscales généreuses à long
Substituer le capital au travail terme et de promouvoir des moyens de communication
Pratiquer la diversification et infrastructures supérieurs à la norme nationale. Face
aux problèmes et abus nombreux remarqués, l’équipe de
Abandonner la production de masse
Perman a recommandé une série de correctifs. (Perman
Concentrer sur activités à forte valeur ajoutée et collab., 2014, 370-393)
Se servir de la sous-traitance La réaction viscérale d’une forte partie de la population
Viser : qualité, productivité et flexibilité des États-Unis d’Amérique lors de la dernière élection
(Van Liemt, 2014, 85-106) présidentielle, aussi bien que les politiques proposées
par le Gouvernement républicain de Donald Trump,
Après avoir rejeté la première stratégie en tant que semble remettre en question des stratégies de l’expa­
relique du passé, incompatible avec les règles inter- triation massive de la production à la recherche d’une
nationales décrétées par les institutions économiques main-d’œuvre toujours moins chère. En même temps,
mondiales comme l’OMC, aussi bien que la Banque mon- il y a d’autres arguments non démagogiques et plus
diale et le FMI, il a systématiquement expliqué les autres rationnels formulés par des personnes comme Joseph
alternatives dont on pouvait se servir seules ou de façon Stiglitz et Dani Rodrik. Dans le contexte actuel, Stiglitz
combinée. En ce faisant, il a décrit les choix stratégiques recommande une approche à la mondialisation qui favo-
qui se présentent aux industries issues des pays les plus riserait le développement pour tous au contraire de la
développés de la planète. D’ailleurs, divers cas d’entre- position du régime Trump. (Stiglitz, 2002, 2006 et 2007).
prises employant activement cette sorte d’approche Quant à Rodrik (2012), il souligne la nécessité d’une reva-
viennent à l’esprit, par exemple dans le cas du dépla- lorisation de l’État-nation et son droit à sa propre spéci-
cement de la production d’entreprises européennes et ficité en parallèle à l’établissement de normes favorisant
nord-américaines vers la République populaire de Chine la mondialisation commerciale. (Rodrik, 2012, 393-404)
et vers des pays environnants de l’Asie.
82 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Observations d’ensemble modèle de Hegel, nos capacités se développent et évo-


luent avec le passage du temps. Plusieurs des séquences
sur les approches exposées sur la d’interprétation des auteurs présentés ici l’illustrent bien.
recherche du succès des entreprises Il est amplement évident que les contextes changent. Ces
contextes, sans cesse renouvelés, exigent des réponses
Nous pouvons tirer de cette réflexion une première
aux défis successifs qui se manifestent. Ainsi, il y a tou-
constatation sur les visions globales et les facteurs spé-
jours un degré d’incertitude, plus ou moins grand, avec
cifiques du succès dans l’entreprise qui est la richesse,
lequel il faut apprendre à composer. Ceci nécessite l’éla-
mais aussi la variété, des réponses. Comment expliquer
boration de stratégies pour permettre aux entreprises
cette panoplie de possibilités ?
de bien asseoir leurs missions, buts et objectifs, et de les
Ces visions différentes comprennent divers facteurs. réaliser. En outre, comme nous avons vu, les stratégies
Parmi eux, nous trouvons : le fonctionnement interne elles-mêmes sont dynamiques, à la fois dans leurs divers
efficace, la recherche de l’originalité, l’élaboration d’un rôles et dans leurs fonctions.
noyau d’entreprises compatibles, les exigences d’une
Comme le dit Nelson, chaque entreprise constitue une
économie mondialisée, la promotion de valeurs spéci-
réalité distincte et unique en soi (Nelson, 1991, 61-74).
fiques, l’ouverture à l’innovation, l’acceptation et l’inté-
Cette nature distincte et unique de l’entreprise comprend :
gration de facteurs divergents, et la promotion d’une
les personnes qui y travaillent, leurs connaissances et
vision complète de l’entreprise y compris ses échecs.
habiletés, la longévité et l’expérience de l’entreprise,
Les observations et critiques ajoutées ici et là nous per- ses moyens techniques, sa capacité financière, etc. Par
mettent aussi de déterminer les limites ou les alternatives conséquent, l’éventail des stratégies utilisées parmi les
à certains de ces propos. Également, on peut imaginer entreprises peut être considérable et naturellement varié.
certaines combinaisons de ces approches selon leurs
Nous restons avec l’impression générale de nous trouver
compatibilités : macro-micro, valeurs-innovation, origi-
devant une sorte de coffre d’outils, composé d’expé-
nalité-divergences, ouverture-analyse des échecs. En
riences et de solutions variées, pour utilisation selon les
même temps, il faut réaliser que chacune de ces prises
contextes et les défis qui se présentent, et sans doute il y
de position a été développée à un moment donné pour
en aura d’autres à concevoir. Comme nous avons vu chez
aider à composer avec une réalité particulière de plus
nos auteurs, une stratégie est nécessaire, voire indispen-
ou moins grande envergure. Ceci n’empêche pas que
sable, pour fournir le « quoi faire » et le « comment faire » à
les solutions envisagées dépassent le cadre temporel
l’entreprise qui vise la mise en pratique et la réalisation
en question. Cependant, nous savons aussi que les
de sa mission, ses buts et ses objectifs.
contextes changent et les conditions se transforment,
nécessitant constamment de nouvelles perspectives et Cependant, le succès n’est pas nécessairement assuré
des modifications appropriées. à coup sûr. À ce sujet, il y a une expression appropriée,
attribuée généralement au Maréchal Montgomery, archi-
Tout comme dans le cas de la prolifération des écoles
tecte de la stratégie militaire victorieuse à la bataille
de gestion, il semble que chaque auteur a mis l’accent
d’El Alamein et à l’invasion de la Normandie, qui sert de
sur un aspect ou une série d’aspects interreliés. En ce
leçon : « Aucune stratégie ne résiste au premier contact
faisant, il nous a fourni un point de vue fascinant et utile,
avec l’ennemi ». Ce qu’il voulait dire, je crois, c’est qu’au-
parfois spécifique aux défis d’une période donnée, mais
cune stratégie ne résiste pleinement au premier contact
finalement partiel et nécessairement incomplet.
avec l’ennemi (ou peut-être même sa propre mise en pra-
tique). Ainsi, il faut planifier et organiser soigneusement
sa démarche, en y intégrant tout ce qui paraît essentiel
Conclusion à sa réalisation. Cependant, il faut aussi s’assurer d’avoir
la souplesse nécessaire pour ajuster son tir au besoin si
Inutile d’insister sur la complexité et la nature vaste de
tout ne se passe pas comme prévu.
ce sujet. Tout comme l’évolution de la pensée d’après le
 3   L a str atégie et le str atégique dans l a gestion globale des entreprises 83

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4

Le mythe du leadership
et les approches fonctionnalistes :
au-delà de l’impératif héroïque
Sylvain Luc1

« Je ne suis pas un héros


Mes faux pas me collent à la peau
Je ne suis pas un héros
Faut pas croire ce que disent les journaux »

Daniel Balavoine, 1980

Le leadership : un phénomène (ex. : Stogdill, 1974 ; Pfeffer, 1977 ; Rost, 1991 ; Dubrin,


2000 ; Nienaber, 2010).
ambigu et ambivalent1
Pourtant, force est de constater que ce manque de clarté
À l’instar de mots comme démocratie, amour, paix, joie,
n’empêche pas l’usage du terme. Au vu de la popularité
bonheur, mais aussi horreur, drame, terreur, autorita-
du concept dans les milieux professionnels et politiques
risme, la notion de leadership échappe à une définition
et de sa diffusion dans la presse et les médias, il semble
univoque2. Plusieurs auteurs ont d’ailleurs souligné la
que nous en ayons une compréhension intuitive par-
pléthore de définitions du concept3 ainsi que toute l’am-
tagée. Sans nul doute, cette notion de leadership renvoie
biguïté qui règne autour de son interprétation
à une réalité universelle dont notre outillage langagier
semble bien en peine d’en préciser le sens exact4. Par-
1. Je tiens à remercier mon collègue Olivier Germain (ESG-UQAM) tant, le leadership peut être considéré comme une idée
de sa contribution (même involontaire) à l’évolution et au au sens de la philosophie platonicienne (Western, 2013)
développement de cet essai.
ou, pour reprendre la nomenclature de la psychologie
2. Nous avons d’ailleurs choisi volontairement de ne pas formuler analytique de C.G. Jung (1964), comme un archétype,
d’emblée une définition du concept pour le lecteur afin de laisser
place à sa connaissance intuitive du leadership.
3. Quand ces définitions existent. En effet, Alvesson et Spicer (2012) 4. Il est intéressant de noter que ce mot anglo-saxon a échappé
ont souligné que près des deux tiers des articles scientifiques au phénomène de francisation et a été importé tel quel dans
traitant du leadership n’offrent même pas de définition du la littérature francophone ; le mot possède d’ailleurs son entrée
concept. dans les dictionnaires de langue française.
86 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

une préforme vide de l’inconscient collectif5 (patrimoine Notre expérience du leadership n’est évidemment pas
psychique universel) qui, une fois activée par la rencontre neutre, elle nous façonne et nous transforme. Elle joue
avec le monde extérieur, structure les images mentales du désir et de la crainte ; les manifestations du leadership,
et les comportements individuels et organise la vie ins- ses représentations, ses formes idéelles se transforment
tinctive et spirituelle (Luc, 2011). Considérée sous cet au fur et à mesure de nos expériences et, naturellement,
angle, la connaissance du leadership ne peut se déduire selon les contextes, les époques, les situations et les
que de l’expérience que l’on en a, ce qui dès lors amène vécus de chacun.
à considérer le leadership comme un phénomène dont
Considéré comme prédisposition partagée, le leadership
la pensée ne peut se saisir qu’a posteriori.
devient une affaire collective par essence. Sa mise en
Le rapport affectif que nous entretenons avec ce phéno- œuvre naît toujours d’un compromis entre des indi-
mène est ambivalent. Depuis notre tendre enfance, nous vidus désirant se soumettre et des individus désirant
sommes amenés à vivre l’expérience du leadership6 et diriger et dominer. Ce compromis se manifeste dans
à rencontrer ses diverses représentations. Il nous arrive la création de rôles, voire de statuts sociaux (sous une
d’éprouver irrésistiblement le désir d’être dirigés (par dichotomie ­leaders-suiveurs par exemple), de struc-
exemple, lorsque nous faisons face à une situation d’in- tures sociales hiérarchisées et légitimées, qui, au bout
certitude élevée, source d’anxiété), tout comme nous suc- du compte, influencent le processus de construction
combons au désir de diriger (notamment lorsque nous identitaire de tout un chacun. Toutefois, en raison de
souhaitons manifester notre autonomie, notre volonté cette ambivalence, le leadership demeure une idée à
ou souhaitons prendre le contrôle d’une situation). Inver- laquelle nous avons à nous heurter et que nous redéfinis-
sement, il nous arrive d’éprouver la crainte d’être dirigés sons perpétuellement. En ce sens, le leadership pourrait
ou d’être anxieux à l’idée de diriger. Nous désirons être se définir comme l’effet d’un processus dynamique d’in-
choyés, rassurés, guidés tout autant que nous avons fluences psychosociales ­(Western, 2013, p. 36) – dyna-
peur de perdre notre autonomie, notre liberté, notre indi- mique sous-­entendant que ses manifestations varient
vidualité. Nous acceptons de nous laisser guider, mais au fil du temps et ne peuvent se limiter à un ensemble
craignons tout à la fois d’être contraints de subir la coer- d’éléments stabilisés et définis. Dans cette perspective,
cition. De même, nous éprouvons autant de fascination le leadership n’est donc pas le résultat de l’influence
envers certains leaders que de crainte envers d’autres. d’un seul homme, le leader, mais bien l’issue temporaire
Également, nous admirons certains leaders tout autant et incertaine d’une dynamique collective mobilisant un
que nous les craignons. La fascination pour certains nous ensemble de ­facteurs environnementaux, culturels, idio-
amène à les élever au rang de modèle idéal. Pourtant, syncrasiques, symboliques, etc., qui échappent le plus
quelques mois ou années plus tard, la fascination s’es- souvent à notre conscience.
tompe et nous nous surprenons à les ridiculiser. Inver-
Et pourtant…
sement, nous pouvons progressivement ou brutalement
aduler une personne que nous estimions auparavant à
peine digne d’intérêt.
Les approches fonctionnalistes :
5. Dans la théorie jungienne, l’homme ne naît pas tabula rasa. quelques éléments fondamentaux
Tout comme nous héritons d’un patrimoine physiologique et
Cette perspective processuelle et le potentiel qu’elle
génétique, héritage de l’évolution biologique, pour Carl Gustav
Jung, notre psyché est conditionnée par un inconscient collectif, pourrait amener à la compréhension du phénomène
un ensemble de dispositions amassées dans les profondeurs semblent avoir longtemps été négligés ou à tout le moins
de la psyché au fil de l’histoire et qui déterminent les activités sous-estimés dans la littérature managériale. En effet,
et les comportements spirituels. Elles constituent la somme
l’approche dominante dans les recherches en manage-
des instincts hérités et des préformations conditionnées, les
archétypes, lesquels s’activent dès la prime enfance dans l’espace ment et la littérature professionnelle envisage généra-
familial (Luc, 2011). lement le leadership comme la résultante de l’influence
6. Une des premières est évidemment l’expérience de l’autorité d’un individu en particulier, le leader, et place ce dernier
parentale.
 4   L e my the du leadership et les approches fonc tionnalistes  : au - del à de l’ impér atif héroïque 87

comme l’initiateur et le responsable du processus. De Les théories individuelles


plus, d’un point de vue ontologique, cette approche
Sans conteste, les approches orientées autour des carac-
dominante considère le leadership comme un objet
téristiques du leader sont de loin les plus abondantes
réifié, donné, extérieur à l’individu qui l’étudie, et mesu-
dans la littérature. Elles peuvent être regroupées en trois
rable avec les outils adéquats (Alvesson et Spicer, 2012).
catégories : l’approche par les traits, l’approche par les
D’un point de vue épistémologique, il s’ensuit qu’il peut
comportements et l’approche par les compétences.
être étudié de manière objective et scientifique au sens
popperien du terme. Ainsi, elle présuppose qu’il est pos-
sible de déterminer les variables qui influencent positive- L’approche par les traits
ment (ou négativement) le leadership et qui permettent Les premières recherches systématiques remontent au
d’augmenter la performance organisationnelle par la début du xx e siècle et visaient à tenter de mettre au
mobilisation et l’engagement des ressources humaines, jour les qualités innées et les traits de personnalités
le Graal de la GRH depuis l’avènement de la société post- qui différenciaient les leaders des suiveurs (Bass, 1990 ;
fordiste. En somme, le leadership est « rationalisable ». Par Northouse, 2016). Bien que l’intention originelle de ces
extension, de l’identification de ces variables pourraient études eût été de déterminer des caractéristiques univer-
découler des modalités opérationnelles et prescriptives selles, la plupart des auteurs se sont par la suite entendus
qui favoriseraient l’exercice et l’efficacité du leadership. sur l’idée que les traits nécessaires au développement du
leadership dépendaient des situations dans lesquelles ce
Pour résumer simplement, les approches fonctionnalistes
dernier devait s’exercer. Au départ, fondées sur l’étude
envisagent le leadership comme une fonction de gestion
des « grands hommes » de l’histoire politique, sociale ou
visant à accroître la performance organisationnelle et
militaire, tels Alexandre Le Grand, Abraham Lincoln,
son efficacité peut être réduite aux effets d’un ensemble
Gandhi et d’autres encore, ces recherches ont mis en
de variables identifiable et maîtrisable.
évidence un ensemble de caractéristiques qui auraient
Sans être exhaustif sur les différents auteurs et en un effet positif sur la performance du leadership, tels le
essayant d’être le plus synthétique possible, nous pou- charisme, la vision, le courage, la détermination, l’intel-
vons classer les approches fonctionnalistes selon trois ligence, l’ouverture d’esprit, la sociabilité, l’extraversion,
grandes catégories définies au regard de leur centre d’in- etc. (cf. p. ex. : Stogdill, 1948, 1974 ; Mann, 1959 ; Kets
térêt principal : les théories individuelles (centrées sur les de Vries, 1994).
leaders), les théories de la contingence (centrées sur les Progressivement délaissée à partir des années 1970
contextes) et les théories centrées sur les suiveurs7. Nous au profit d’autres perspectives, l’approche par les traits
proposons de présenter ci-dessous les travaux les plus connaît un vif regain d’intérêt de la part de la commu-
influents, voire paradigmatiques, qui se retrouvent géné- nauté des chercheurs vers le milieu des années 1980.
ralement exposés dans les programmes de formation en En particulier, l’aspect charismatique du leader est de
leadership en milieu universitaire ou professionnel. Nous nouveau mis à l’avant-plan et défini comme compo-
sommes évidemment conscient de la virtualité de ces sante essentielle du leadership. Nous assistons alors à
catégories ; plusieurs travaux peuvent être considérés à la publication d’un florilège d’ouvrages tentant de définir
les composantes du charisme chez les leaders et son
cheval sur plusieurs d’entre elles. Nous avons ici tenté de
influence dans l’exercice du leadership (p. ex. : Bennis et
faire preuve de pragmatisme pédagogique, ce qui nous
Nanus, 1985 ; Zaleznik, 1989 ; Tichy et Devanna, 1986 ;
amène naturellement à adopter une perspective quelque
Nadler et Tushman, 1989 ; Bryman, 1992). Cette notion
peu simplificatrice.
de leadership charismatique vient alors se mélanger,
voire se confondre avec celle du leadership transforma-
7. Le mot suiveur est la traduction du terme follower en anglais.
tionnel – concept popularisé par le sociologue James
Nous sommes conscient que ce terme revêt dans une certaine
mesure un caractère péjoratif. Toutefois, nous avons préféré MacGregor Burns (1978) –, que l’on pourrait définir
garder ce terme propre aux théories du leadership. comme un leadership inspirant, suscitant l’engagement
88 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

et la mobilisation et fondé sur la capacité d’un leader leader au regard de son degré d’engagement dans les
à combler les besoins intrinsèques de ses suiveurs8. Le relations humaines avec ses subordonnés. Le second
charisme est alors vu comme la clef du leadership et, (comportement orienté autour de la tâche) s’attache à carac-
progressivement, la conception wébérienne définissant tériser le comportement du leader autour de la perfor-
le charisme comme une capacité d’influence naturelle du mance des tâches de production, c’est-à-dire son degré
leader (Weber, 1971) s’efface au profit d’une approche d’investissement dans l’atteinte des résultats. La manière
fonctionnaliste présentant le charisme comme un trait dont les leaders combinent ces deux types de comporte-
de personnalité pouvant se développer et s’apprendre ments pour influencer efficacement leurs subordonnés
(p. ex. : Antonakis et collab., 2011, 2012). Depuis ce constitue le cœur des approches comportementales.
retour en force et jusqu’à nos jours, l’approche par les
Dans la lignée de ces deux grandes études, Blake et
traits domine la littérature scientifique (Barling, 2014,
Mouton (p. ex. : 1964) ont élaboré un modèle à fina-
p. 5). Notons également que, depuis le début du siècle,
lité pratique croisant ces deux continuums qu’ils ont
cette approche par les traits s’est enrichie de recherches
chacun échelonnés en neuf niveaux. Leur grille, devenue
en génétique tentant de déterminer la part d’inné et
rapidement célèbre en raison de son haut degré de
son influence sur le développement du leadership
simplicité, permet ainsi de dégager 81 combinaisons
des individus (p. ex. : Johnson et collab., 1998 ; Arvey
possibles de leadership variant autour de cinq grands
et collab., 2006 ; Chatuverdi et collab., 2011, De Neve et
styles ­( anémique, club social, intermédiaire, autocratique,
collab., 2013).
démocratique).

De manière générale, même si d’aucuns sous-entendent


L’approche par les comportements que le style démocratique – c’est-à-dire celui se situant
Toujours dans cette quête d’universalité, la perspective au croisement des échelons les plus élevés des deux
comportementaliste, développée peu après la fin de la continuums – constitue le style de leadership le plus sou-
Seconde Guerre mondiale, se positionne en contrepoint haitable (p. ex. : Blake et McCanse, 1991), l’approche par
aux approches par les traits et suggère que l’efficacité les comportements est plus descriptive que prescriptive.
du leadership ne dépend pas des caractéristiques idio­ Toutefois, elle a permis d’alimenter le développement
syncrasiques d’un leader, mais plutôt de ce qu’il « fait ». des perspectives situationnelles (cf. infra) qui figurent
Si, dès 1938, Kurt Lewin et Ronald Lippit (1938) avaient de nos jours au palmarès des approches les plus ensei-
déjà mis en évidence les effets de différents styles de gnées dans les programmes professionnels de leadership
direction sur la dynamique de groupe, cette théorie ­organisationnel (Northouse, 2016).
comportementale du leadership prend réellement son
essor à la suite de deux études de grande ampleur :
L’approche par les compétences
les études de l’Ohio State University (p. ex. : Fleishman,
1953) et les études de la Michigan State University (p. ex. : Tout comme pour l’approche par les comportements, les
Kahn, 1956). Sans évoquer toutes les subtilités et les tenants de l’approche par les compétences proposent de
détails méthodologiques de ces différentes études9, nous rompre avec l’idée que le leadership dépend de carac-
pouvons résumer leurs apports assez succinctement. téristiques personnelles du leader en défendant l’idée
Selon ces recherches, les leaders adoptent deux types que les leaders « efficaces » possèdent un ensemble de
de comportements qui peuvent être classés selon deux compétences acquises tout au long de leur parcours.
continuums indépendants. Le premier (comportement L’hypothèse centrale de ces travaux est donc de consi-
orienté autour de la relation) définit le comportement du dérer qu’il est possible d’apprendre et de développer des
habiletés propres à l’exercice du leadership.

Par exemple, dans son article fondateur, Katz (1955)


8. En opposition au leadership transactionnel qui vise essentiellement relève que l’efficacité du leadership dépend des compé-
à motiver les individus en satisfaisant les besoins extrinsèques
tences à la fois techniques (capacité d’analyse, connais-
des suiveurs.
sance et maîtrise des techniques du champ d’expertise…),
9. Voir à ce propos Bergeron (1979) pour plus de précisions.
 4   L e my the du leadership et les approches fonc tionnalistes  : au - del à de l’ impér atif héroïque 89

humaines (capacité d’écoute et de compréhension des la théorie de la contingence de Fiedler (1967, 1978), la
besoins des autres, capacité à saisir les motivations des théorie du leadership situationnel de Hersey et Blan-
subordonnés…) et conceptuelles (capacité d’abstraction chard (1969) et l’arbre décisionnel de Vroom-Yetton-Jago
et de développement d’idées…) du leader. Pour Katz, (Vroom et Yetton, 1973 ; Vroom et Jago, 1988). Le prin-
les leaders doivent posséder ces trois habiletés bien cipe général derrière ces différents modèles théoriques
qu’elles puissent varier en intensité selon les niveaux repose sur la possibilité de déterminer le style de lea-
hiérarchiques. dership le plus approprié dans une situation donnée,
caractérisée par un ensemble de variables identifiables.
Vers la fin des années 1990, l’approche par les com-
pétences est également reprise et complexifiée par La théorie de la contingence de Fiedler détermine un
Mumford et ses collaborateurs (2000). Leur modèle, qui indicateur au départ de l’agglomération d’un ensemble
pourrait tout aussi bien être classé dans les approches de variables situationnelles, tels les caractéristiques de
situationnelles, propose l’intégration de relations inter- la tâche à exécuter, le niveau de pouvoir du leader et
dépendantes entre cinq composantes influençant la qualité des relations humaines entre le leader et les
l’efficacité du leadership : des attributs propres aux lea- suiveurs. En fonction du niveau de cet indicateur, le
ders (certaines aptitudes cognitives, sa motivation, sa modèle de Fiedler suggère l’adoption d’un comporte-
personnalité), des compétences cruciales (capacité à ment centré soit sur la tâche à accomplir, soit sur les
résoudre des problèmes, capacité de compréhension relations.
des réalités sociales, connaissances), les expériences
La théorie du leadership situationnel de Hersey et Blan-
professionnelles du leader et les influences environne-
chard, un peu plus complexe, propose dans un premier
mentales internes (technologie, expertises, subordonnés)
temps de déterminer le niveau de compétence et de
et externes (environnement social, politique, crises…).
motivation des suiveurs et, par la suite, d’adopter un
Soutenue par la popularisation des concepts d’intelli- style de comportement qui permettrait de compenser
gence émotionnelle (p. ex. : Goleman, 1998) et de « com- des manquements dans l’une ou l’autre, voire l’une et
pétences douces », l’approche par les compétences a l’autre de ces dimensions. Pour ce faire, le leader aurait
contribué significativement à l’essor de l’industrie très le choix entre quatre styles de leadership : la persuasion
lucrative de la formation et du développement du lea- (motivation faible et compétence faible), la délégation
dership (Western, 2013). Pour autant, comme le sou- (compétence élevée et motivation élevée), la direction
lignent plusieurs auteurs (p. ex. : Loan-Clarke, 1996 ; (motivation élevée, mais compétence faible) ou la par-
Grugulis, 1997, 2000 ; Bolden et Gosling, 2006), en raison ticipation (compétence élevée, mais motivation faible).
de l’universalisme qui la sous-tend, la pertinence de ses Ce modèle, commercialisé et breveté, a été revisité à plu-
prescriptions est loin d’être avérée. sieurs reprises sans perdre son idée essentielle, à savoir
que les styles de leadership dépendent du niveau d’en-
gagement et de compétences des suiveurs (Blanchard,
Les théories de la contingence 1985 ; Blanchard et collab., 2013).
Les théories fondées sur la contingence partent du prin- Le modèle décisionnel de Vroom-Yetton-Jago propose
cipe qu’il est illusoire de mettre au jour un ensemble quant à lui de déterminer le niveau d’intégration des
de caractéristiques et de compétences universelles qui suiveurs dans le processus de prise de décision en fonc-
pourraient être déclinables en tout temps et en tout lieu. tion des besoins de coopération. Le leader est invité à
Puisque les organisations évoluent dans des environ- adopter un style de prise de décision parmi cinq, allant
nements spécifiques et variés, qu’elles possèdent leur de l’autocratique au totalement participatif, en fonction
histoire et leur culture propres, le leadership doit être des caractéristiques de la situation. Cette dernière peut
considéré avant tout comme un exercice situé, c’est-à-dire être appréhendée au départ d’un questionnaire en cas-
influencé par un ensemble de variables contextuelles cade représenté sous la forme d’un arbre décisionnel.
spécifiques. Parmi les théories fonctionnalistes les plus Ce questionnaire propose au gestionnaire de s’inter-
célèbres et les plus populaires, nous pouvons pointer roger entre autres sur les caractéristiques du problème
90 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

à résoudre, son niveau de connaissance et d’expertise, De plus, elles considèrent les suiveurs comme un en­
la qualité du climat organisationnel, le niveau d’adhésion semble homogène d’individus réagissant de manière
des membres aux objectifs organisationnels… indifférenciée au comportement du leader.

En caractérisant les situations en fonction de deux voire Convaincus que l’étude du leadership ne peut faire
trois facteurs identifiables et mesurables, ces approches l’économie d’une réflexion approfondie sur les suiveurs,
par la contingence semblent évidemment très réduc- les partisans de l’approche follower-centric cherchent à
trices ; elles évacuent la complexité et la variété des déterminer l’importance et l’influence de caractéristiques
situations organisationnelles (Western, 2013), ce qui propres des suiveurs sur l’exercice et la performance du
rend l’efficacité de leur application plutôt hasardeuse. leadership.
De plus, les prescriptions proposées reposent essentiel-
lement sur le bon sens et l’intuition et non sur des études
empiriques solides (Graeff, 1997). Par exemple, en ce qui
Les approches par les traits et les comportements
concerne les théories du leadership situationnel d’Hersey Dans cet effort, plusieurs chercheurs se sont attachés à
et Blanchard, Vecchio et ses collègues, peut-être agacés déterminer les traits, caractéristiques et comportements
par l’aspect commercial du modèle et son réduction- des suiveurs susceptibles d’influencer l’exercice du lea-
nisme manifeste, ont démontré à plusieurs reprises l’in- dership. La plupart de ces études débouchent sur des
validité de ses prescriptions et leur faible utilité (p. ex. : typologies (Uhl-Bien et collab., 2014).
Vecchio, 1987 ; Fernandez et Vecchio, 1997 ; Vecchio et
Parmi les travaux pionniers visant à « déshomogénéiser »
collab., 2006 ; Thompson et Vecchio, 2009).
les suiveurs, se retrouvent les typologies de Zaleznik
(1965) et de Kelley (1988), qui s’intéressent à la nature
Les approches centrées sur les suiveurs des rapports qu’entretiennent les subordonnés avec la
hiérarchie. Ces classifications, dont l’absence de fonde-
La plupart des approches fonctionnalistes présentées
ments empiriques est criante, ont pour ambition d’aider
ci-dessous, bien qu’elles considèrent dans une certaine
les managers à mieux comprendre leurs subordonnés
mesure le rôle des suiveurs dans le leadership, s’ins-
et, par conséquent, à mieux les gérer. Empruntant aux
crivent dans une longue tradition d’études où l’accent
travaux de l’école psychanalytique freudienne, la typo-
est mis essentiellement sur la découverte des caracté-
logie de Zaleznik propose de distinguer les suiveurs
ristiques et des comportements adoptés ou à adopter
selon leur degré de soumission (ou de domination)
par le leader susceptibles de favoriser un leadership
envers leur supérieur hiérarchique et leur degré d’en-
performant10. Même si les théories de la contingence
gagement (actif vs passif) dans la relation avec ce der-
laissent sous-entendre que l’efficacité du leadership varie
nier. Zaleznik propose de classer les subordonnés selon
en fonction de certaines caractéristiques des suiveurs,
quatre catégories : les impulsifs (dominants-actifs), les
ces dernières sont envisagées de manière réductrice
compulsifs (dominants-passifs), les retirés (soumis-­
(motivation, compétences) et attribuent aux suiveurs
passifs) et les masochistes (soumis-actifs). La typologie
un rôle relativement passif dans l’exercice du leadership.
de Kelley propose quant à elle une classification des
suiveurs qui conserve l’axe actif-passif croisé avec un
10. Notons que l’influence des suiveurs sur le comportement axe représentant le degré d’indépendance du suiveur
du leader avait déjà été mise en exergue dans les travaux par rapport au leader (pensée critique indépendante vs
précurseurs de Mary Parker Follet (1927, 1949) qui déconstruisait pensée non critique dépendante). Kelley suggère que
l’idée alors dominante (et taylorienne) que les subordonnés
les subordonnés peuvent se classer selon cinq catégo-
subissent passivement les ordres de leur supérieur hiérarchique
et que l’efficacité du leadership dépend de la capacité de ces ries : les aliénés (indépendants-passifs), les exemplaires
derniers à dominer ses subalternes. Selon elle, considérant (indépendants-actifs), les passifs (dépendants-passifs),
la primauté de la qualité de la relation entre gestionnaire et les conformistes (dépendants-actifs) et les pragmatiques
subordonnés et de l’équilibre des rapports de forces qui pourrait
(au centre des quatre quadrants). Kelley, convaincu que
en émerger, le succès du leadership dépend avant tout de la
capacité du leader à « diriger avec » ses subordonnés (Uhl-Bien les meilleurs suiveurs sont des subordonnés engagés et
et collab., 2014). capables d’exposer courageusement leur point de vue,
 4   L e my the du leadership et les approches fonc tionnalistes  : au - del à de l’ impér atif héroïque 91

invite les gestionnaires à transformer leurs subordonnés des contextes faiblement incertains, les suiveurs auront
en « subordonnés exemplaires ». en moyenne une préférence pour des leaders démocra-
tiques. En revanche, dans des contextes plutôt incertains,
les suiveurs obtenant un faible niveau de stabilité de
Les approches par les préférences
leur amour propre (c’est-à-dire variant en fonction des
Au-delà des traits et des caractéristiques individuelles, rétroactions provenant d’autres personnes) préféreront
plusieurs chercheurs se sont centrés sur les préférences un style de leadership autocratique et les suiveurs ayant
des suiveurs en matière de style de leadership. un haut niveau de confiance en eux préféreront un style
de leadership démocratique.
Partant du constat, plutôt évident, que nous entrete-
nons tous des rapports différents avec le leadership, Malgré l’ancrage empirique de ces travaux et l’intérêt
nous devrions nécessairement avoir des préférences qu’ils pourraient apporter à l’étude du leadership, la pru-
différentes quant au style de leadership adopté par les dence est de mise lorsque nous souhaitons en retirer
leaders. Par exemple, à la suite d’une étude réalisée quelque prescription que ce soit. En effet, ces travaux
auprès d’un échantillon de 267 étudiants de l’Université partent généralement de la supposition que l’adéquation
du Maryland (É.-U.), Ehrhart et Klein (2001) montrent entre le style de leadership adopté par le leader et les
que 50 % des personnes interrogées préféreraient tra- préférences des suiveurs aurait des effets positifs sur la
vailler avec un leader orienté autour de la relation, 30 % performance. Or, cette hypothèse n’est pas éprouvée
avec un leader charismatique et 20 % avec un leader et les liens entre préférences et performance sont loin
orienté autour de la tâche. L’étude approfondit les d’être évidents.
variables personnelles (valeurs, motivations, besoins…)
qui influencent directement ces préférences. Les auteurs
concluent que les individus pour qui la participation aux Les approches relationnelles
processus décisionnels revêt une grande importance Conscients que les dynamiques relationnelles revêtent
(haut degré de participation et d’engagement) ainsi que une grande importance et qu’elles évoluent avec le
ceux qui éprouvent peu de besoins de sécurité et de temps, les tenants des approches relationnelles envi-
stabilité d’emploi préfèrent collaborer avec des leaders sagent plutôt le leadership comme un processus d’in-
charismatiques. Par ailleurs, les individus qui ont des fluences mutuelles entre leader et suiveurs. Dans une
besoins élevés de sécurité et de stabilité d’emploi ont une perspective fonctionnaliste, l’enjeu revient à déterminer
tendance à privilégier un leadership orienté autour de la les variables qui influencent positivement la qualité de
tâche, alors que les individus qui accordent une grande ces relations et la performance du processus de lea-
importance aux récompenses tangibles qu’ils recevraient dership. Parmi les théories les plus célèbres, nous pou-
pour le travail accompli (primes, salaires, etc.) sont plus vons pointer la théorie LMX (Leader-Member Exchange
attirés par un leadership orienté autour des relations. Theory).
Plus récemment, dans l’objectif de déterminer l’influence Aux fondements de cette théorie, nous retrouvons les
des traits de personnalité des suiveurs sur leurs préfé-
travaux de Fred Dansereau et de ses collègues (1975) qui
rences en matière de style de leadership, Felfe et Schyns
s’intéressent à la nature des relations verticales entre le
(2010) ont montré à l’aide du célèbre test psycho­métrique
leader et chacun de ses subordonnés. La relation qu’en-
« Big Five » que les dimensions agréabilité et extraversion
tretient un leader avec son équipe, ou son unité, est alors
étaient fortement corrélées à une préférence pour le
considérée comme un ensemble de dyades verticales.
style transformationnel.
Il existe autant de dyades que de subordonnés et cha-
Enfin, nous pouvons également citer les travaux de cune possède des caractéristiques propres. Au départ
Schoel et de ses collègues (2011) dans lesquels ils étudient d’une étude longitudinale réalisée auprès de 60 mana-
l’influence du contexte sur les préférences des suiveurs gers en milieu universitaire, ces chercheurs concluent
en fonction de certaines de leurs caractéristiques per- que l’on peut regrouper l’ensemble des échanges dya-
sonnelles. Ces recherches ont mis en évidence que, dans diques selon deux grandes catégories de relations qui
92 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

conduisent à la création de deux groupes de suiveurs : comme l’initiateur et le garant de la construction de


celles qui sont fondées sur une extension et une négo- relations de « haute qualité » (Ulh-Bien et collab., 2014).
ciation des rôles et responsabilités de chacun (l’in-group), Cette théorie a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs critiques
et celles qui sont fondées sur les prescriptions du contrat (cf. Northouse, 2016, p.158). Sur le plan de la pratique, le
de travail formel et de la description de fonction (l’out- leader suivant les préceptes de la théorie LMX peut être
group). L’appartenance à un groupe peut varier au fil amené à favoriser les échanges avec les subordonnés
du temps. Lorsqu’un individu souhaite négocier son de l’in-group et, dès lors, à contribuer au développe-
rôle et ses responsabilités au sein de l’équipe avec son ment d’un sentiment d’iniquité et d’injustice auprès des
leader, c’est-à-dire lorsqu’il est prêt à s’investir dans des membres de l’out-group. Ces derniers pourraient s’avérer
tâches qui se situent en dehors du cadre des fonctions moins enclins à collaborer et à s’investir dans l’organisa-
prescrites, il devient membre de l’in-group et le leader tion, miner le climat organisationnel ou encore adopter
lui octroie plus de considération et de confiance. Par des comportements contre-productifs. Également, sur le
exemple, l’individu bénéficiera d’un accès facilité à l’in- plan scientifique cette fois, les recherches fondées sur ce
formation sensible, aux ressources ou encore verra son courant théorique ne tiennent généralement pas compte
autonomie et son pouvoir de décision élargis. Au fur et de variables contextuelles susceptibles d’influencer la
à mesure des échanges dyadiques, les membres de l’in- qualité des relations entre leaders et suiveurs (restruc-
group sont perçus par le leader comme étant plus fiables, turation, croissance, syndicalisation, etc.).
plus engagés et plus communicatifs que les membres de
l’out-group (Northouse, 2016, p. 140-141).

À la suite de ces travaux fondateurs, plusieurs chercheurs Limites des approches


ont tenté (et tentent toujours) de déterminer les effets
fonctionnalistes
de la qualité des échanges entre leaders et suiveurs sur
la performance organisationnelle. Plusieurs études ont Ainsi, depuis plusieurs décennies, les approches fonc-
alors mis en évidence certains effets bénéfiques sur la tionnalistes sur le leadership dominent les littératures
carrière et les promotions des employés de l’in-group, scientifiques et professionnelles. Cette hégémonie
sur leur engagement (p. ex. : Graen et Uhl-Bien, 1995 ; vient naturellement nourrir un ensemble de pratiques
Nahrgang et collab., 2009) et sur leur créativité (Atwater de gestion des ressources humaines. Que ce soit par la
et Carmeli, 2009). Ces recherches inscrivent dès lors mobilisation de tests psychométriques utilisés lors de
pleinement la théorie LMX au sein du paradigme fonc- recrutement et visant à mettre en évidence des traits
tionnaliste. En particulier, elles viennent nourrir l’idée et des caractéristiques propres aux leaders, de guides
d’une « fabrication du leadership » (leadership making) : d’évaluation des compétences (comme certains volets de
le leader est invité à construire des échanges de qualité l’évaluation à 360° par exemple), de formations profes-
(high-quality exchanges) avec tous ses subordonnés en sionnelles données par des entreprises spécialisées ou
vue de développer progressivement un leadership per- d’activités de consolidation d’équipes, ces approches ont
formant (Graen et Uhl-Bien, 1991, 1995)11. nourri le développement d’un attirail de mesures et d’ou-
tils censés épauler la gestion des ressources humaines et
Si cette théorie reconnaît l’importance des relations entre
le management dans le développement d’une organisa-
leaders et suiveurs sur le processus de leadership, dans
tion engagée, mobilisée et performante.
sa déclinaison prescriptive, elle n’en reste pas moins
une théorie centrée sur le leader. Ce dernier reste conçu Pour autant, les approches que nous avons décrites
ci-dessus ne sont pas sans limites. Après analyse des
prescriptions proposées et des résultats empiriques des
11. Notons qu’à l’instar de nombre d’approches fonctionnalistes les études qui les sous-tendent, nous pouvons conclure rapi-
prescriptions proposées manquent souvent de précision. Ainsi, dement que ces approches sont loin d’avoir atteint le
si la thérorie LMX invite le leader à développer des relations de fantasme qui les anime, à savoir déterminer l’ensemble
« haute qualité » qui favoriseraient le respect, la collaboration
et l’engagement des subordonnés, elle ne propose aucune
des variables assurant un leadership performant, et
méthode concrète pour y arriver. d’en déduire les « recettes » à suivre en vue d’atteindre la
 4   L e my the du leadership et les approches fonc tionnalistes  : au - del à de l’ impér atif héroïque 93

performance organisationnelle. De nombreuses confu- être considéré comme du leadership dans une situation
sions entourent le concept et il faut reconnaître que donnée pourrait ne pas l’être dans une autre situation
l’ensemble des variables intervenant dans le processus (p. ex. : Kelly, 2008).
de leadership est loin d’être identifiable. De plus, bien
Mais alors… pourquoi un tel succès ?
souvent la validité scientifique des études empiriques est
relativement faible et se cantonne au cadre restreint de
l’échantillon étudié. En effet, dans bien des cas, l’échan-
tillon de population n’est pas représentatif ou l’est sur la Darwinisme social, leadership et
base d’un principe d’homogénéité en se centrant sur des impératif héroïque : aux fondements
individus d’un groupe social particulier, ce qui laisse peu
de chance à la généralisation des résultats12. Comme le
du management contemporain
signalent Alvesson et Spicer (2012, p. 371), ce constat
n’a évidemment pas échappé à plusieurs chercheurs qui,
Le leadership, ce « manque » du management
dès la fin des années 1970, n’ont eu de cesse d’émettre Pour bien comprendre l’origine du succès des approches
des doutes sur la validité des résultats de recherche et fonctionnalistes du leadership, il s’agit peut-être (enfin)
sur l’intérêt des prescriptions proposées (p. ex. : Sashkin de pointer l’émergence de l’intérêt pour le leadership au
et Garland, 1979 ; Yukl, 1989). Alvesson et Spicer (2012) sein de l’évolution de la pensée managériale. Pour ce
pointent également d’autres limites importantes au faire, la question prédominante est celle de la distinction
paradigme fonctionnaliste, essentiellement soulevées entre « management » et « leadership ».
par plusieurs chercheurs inscrits au sein du paradigme
Le lecteur l’aura certainement remarqué, les prescriptions
critique. Par exemple, les études fonctionnalistes présup-
des approches fonctionnalistes ont pour public cible le
posent que le leadership est un phénomène distinct et
manager. Par leur effort de rationalisation du phéno-
identifiable parmi d’autres phénomènes sociaux et qui
mène de leadership, ces approches tentent de trouver
possède une cohérence propre. Or, il apparaît dans les
les prescriptions utiles au manager afin qu’il suscite
faits que le phénomène renvoie à des conceptions dif-
l’engagement et la mobilisation de ses subordonnés.
férentes, à des définitions plurivoques et à un ensemble
Une telle perspective présuppose qu’il ne suffit plus
indissociable d’activités en apparence indépendantes
d’être manager, il s’agit (aussi) d’être un leader. Sous cet
(p. ex. : Alvesson et Sveningsson, 2003 ; Bresnen, 1995 ;
angle, le leadership devient « l’Autre » du management13
Carroll et Levey, 2008). D’aucuns poussèrent la critique
(­Western, 2013), ce qu’il n’est pas, mais qui est toutefois
jusqu’à classer le leadership comme un concept sans
indispensable à l’efficacité de son exercice, un « manque »
aucune viabilité scientifique (Calder, 1977). Ensuite, le
qui invite à le redéfinir.
réductionnisme fonctionnaliste, en considérant que
le leadership peut être épinglé et mesuré, amène les Il semble que ce manque soit devenu criant au tournant
chercheurs à focaliser sur les effets des variables plutôt des années 1980 et s’est amplifié considérablement vers
que sur la nature du leadership en soi (Wood, 2005). le milieu des années 1990. Pour Barling, vers 1980 appa-
Enfin, Alvesson et Spicer soulignent que les approches raît un changement de paradigme dans les recherches
fonctionnalistes font fi des variations de sens et de signi- sur le leadership avec l’émergence de théories d’un
fication que le concept de leadership peut revêtir selon genre nouveau inspirées par la théorie du leadership
les situations et les contextes locaux ; ce qui pourrait transformationnel. Auparavant, les théories classiques
envisageaient le leadership comme la résultante d’une

12. Au regard des recherches positivistes en sciences sociales, un tel


constat est relativement facile, puisque peu d’études atteignent 13. Cet « Autre » du management prend des formes diverses selon
de tels critères de scientificité. Les chercheurs sont bien obligés les auteurs. Toutefois il semble consensuel de considérer le
de se contenter des données qu’ils sont en mesure de collecter. management comme relevant de notions tels la rationalité,
Cela fait partie de l’effort de recherche que d’émettre des le contrôle, la structure, la stabilité, la bureaucratie, alors que
résultats, ne serait-ce que partiels, limités et provisoires. Il n’est le terme leadership renverrait à des notions comme la passion,
donc pas étonnant que les résultats dans le corpus de recherches la vision, l’inspiration, la créativité et la coopération (Western,
en leadership soient contradictoires. 2013, p. 33-34).
94 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

transaction entre manager et employé, fondée sur les en plus spécialisés et cette expertise leur procure une
pouvoirs de récompense et de coercition que l’orga- plus grande autonomie au travail. Les entreprises étant
nisation conférait au gestionnaire. Après 1980, cette de plus en plus mondialisées, il devient difficile pour le
conception du leadership a laissé place à des perspec- management de pouvoir gérer des rencontres en face
tives théoriques focalisées sur la nature relationnelle, à face avec les employés. En définitive, il s’ensuit que le
inspirante et éthique du leadership, contrastant de la pouvoir de décision se décentralise et que l’enjeu devient
sorte avec le paradigme précédent. Ces perspectives ont la recherche de mécanismes de régulation efficaces qui
progressivement contribué à la constitution d’un corpus permettent de maintenir une performance organisation-
d’études aujourd’hui largement dominant (­B arling, nelle accrue. Plusieurs auteurs à succès et très influents
2014, p. 4). (p. ex. : Deal et Kennedy, 1982 ; Peters et Waterman,
1982) énoncent alors que la clef du succès se trouve
Selon Simon Western (2013, p. 219-223), ce changement
dans la capacité du leader à façonner une culture d’ex-
de paradigme naît sous l’influence de quatre phéno-
cellence. Enfin, quatrièmement, même s’il est difficile de
mènes concomitants. Premièrement, les années 1970-
le prouver, Simon Western avance que l’émergence de
1980 constituent l’âge d’or de l’économie japonaise. En
cette conception transformationnelle du leadership est
croissance rapide, les entreprises de ce pays, en particu-
également inspirée des mouvements sociaux issus de la
lier dans le secteur de l’automobile, viennent perturber
résurgence du fondamentalisme chrétien, dont le plus
la domination des entreprises américaines et remettent
représentatif est la « majorité morale » (Moral Majority)
en question les modalités de production traditionnelles.
de Jerry Falwell. Selon Western (2013, p. 129-135), le
Le modèle hautement collectiviste mis au point par les
style visionnaire et évangélique des leaders fondamen-
Japonais, représentatif d’une culture forte du travail en
talistes et les cultures conformistes de ces mouvements
équipe fondée sur les valeurs de loyauté et d’engage-
ont servi d’idéaux (inconsciemment) aux dirigeants d’en-
ment, semble ainsi damer le pion aux approches plus
treprises qui, sous le principe d’isomorphisme mimétique
individualistes du management occidental, en particu-
(DiMaggio et Powell, 1983), ont tenté de les reproduire.
lier les méthodes de leadership axées sur la motivation
extrinsèque (Ouchi, 1981 ; Hatch et Cunliffe, 2009). La
culture d’entreprise japonaise est alors érigée en modèle
Darwinisme social et impératif héroïque
d’efficacité et de performance et les praticiens invitent
les entreprises américaines et européennes à modifier Ces nécessités de « transformation », d’inspiration et
leur conception du travail et les valeurs associées. Deu- d’engagement, de revitalisation de la « culture orga-
xièmement, au-delà de ce débat chez les praticiens, la nisationnelle », cette dominance de la théorie du lea-
manière de penser l’organisation se métamorphose sous dership transformationnel et des théories relationnelles
l’influence de chercheurs en anthropologie qui proposent n’apparaissent pas par « hasard » : les années 1980 sont
de considérer l’organisation non pas comme une struc- aussi la période où la mondialisation et les innovations
ture de répartition de tâches, mais avant tout comme techno­logiques (en particulier dans le domaine des
une culture. Dans ce nouveau paradigme, le leadership techno­logies de l’information et de la communication)
est envisagé comme un processus d’influence culturelle viennent toucher de plein fouet les grandes entreprises
capable de modeler la culture organisationnelle et de industrielles occidentales (ex. : Thurik et collab., 2013).
modifier la manière dont les individus et les équipes vont Ces dernières se retrouvent face à une concurrence
interagir dans l’organisation. Troisièmement, plusieurs étrangère accrue – en provenance entre autres des pays
consultants et chercheurs-praticiens font le constat d’une asiatiques – renforcée par la résurgence sur leur marché
modification structurelle des organisations qui engendre intérieur de petites et moyennes entreprises que l’on
chez les leaders une difficulté à maintenir les principes croyait jusqu’alors condamnées à disparaître14. L’envi-
managériaux qui prévalaient jusqu’alors. Le nombre
de niveaux hiérarchiques semble se restreindre et l’on
14. Cette résurgence est en partie attribuable à l’avènement des
assiste progressivement à la disparition de la bureau- technologies de l’information et de la communication (TIC) qui
cratie wébérienne. Les travailleurs deviennent de plus a permis à nombre d’entrepreneurs de diminuer leurs coûts
 4   L e my the du leadership et les approches fonc tionnalistes  : au - del à de l’ impér atif héroïque 95

ronnement des organisations est perçu comme haute- La destinée héroïque et la tentation
ment instable et complexe, provoquant un haut degré fonctionnaliste
d’incertitude chez les décideurs
Cette fantaisie héroïque est naturellement séduisante.
Cette concurrence venant de toutes parts, et de manière Elle vient réactiver une représentation de l’archétype du
imprévisible, imposa le mythe15 du darwinisme social héros qui nous berce d’idéaux depuis notre plus tendre
comme axiomatique de la pensée managériale : dans enfance : celle d’un être puissant ou à advenir capable
cet univers hypercompétitif, seules les meilleures orga- de surmonter l’adversité, de se battre pour une noble
nisations survivront (Bowles, 1997). L’adaptation et le cause et de sauver son peuple d’une destruction ou d’une
changement deviennent les leitmotive. Le management mort imminente (Bowles, 1997 ; Jung, 1953, 1964 ; Luc,
se doit d’assurer leur réussite en favorisant l’unité d’in- 2011). Par sa résonance avec cet idéal de comportement
térêt et l’adhésion des subalternes aux objectifs organi- ancré dans les profondeurs de notre psyché, et par le
sationnels. Dans cette lutte sans merci, ce sont toutes fait qu’elle propose une causalité d’apparence (le lea-
les ressources humaines qui doivent être engagées afin dership dépend des attributs héroïques du leader), cette
de garantir la survie des organisations. Aux fondements conception romancée du leadership devient rapidement
de la pensée managériale et en corollaire à ce mythe contagieuse (Meindl et collab., 1985).
du darwinisme social vient donc se greffer un mythe
héroïque présentant le leader comme l’être providen- Avec les approches fonctionnalistes, cette « destinée
tiel capable d’aider l’organisation à faire face à l’adver- héroïque » projetée sur le management, calquée sur
sité (Bowles, 1997). Mais, dans cette société désormais l’idée du grand homme et de la toute-puissance, paraît
post-matérialiste où l’estime de soi, la réalisation de soi et accessible et à portée de quelques formations, séances
la qualité de vie sont privilégiées au détriment de la sécu- d’accompagnement et de consolidation d’équipe, de
rité d’emploi et de la satisfaction des besoins de sécurité questionnaires, d’entretiens et autres tests psychomé-
(Inglehart, 1990), ni le traditionnel commandement et triques. La tentation est grande pour les gestionnaires
conduite (command and control) ni le leadership tran- de succomber aux sirènes des prescriptions des cabi-
sactionnel fondé sur la satisfaction des besoins extrin- nets-conseils, des gourous du leadership ou des orga-
sèques des individus ne suffisent à satisfaire cet impératif nismes de formation professionnelle qui leur assurent
héroïque. Ainsi, le début des années 1980 voit l’arrivée la levée d’une fortune et leur promettent la clef du lea-
d’un discours dominant conférant au leadership une dership – clef qu’ils auraient obtenue en se fondant sur
nature héroïque, voire messianique (cf. p. ex. : Gemmil des études fonctionnalistes, parfois publiées par des pro-
et Oakley, 1992 ; Western, 2013). Ce discours, en grande fesseurs d’universités prestigieuses ou par des entrepre-
partie porté par des praticiens, des consultants et des neurs et grands dirigeants renommés16. La recette du
chercheurs en études appliquées (ex. : Peters et Wa­ter­ succès est bien connue : pour satisfaire un désir latent,
­man, 1982), propage l’idée que les leaders efficaces, rien de tel qu’une proposition plausible agrémentée d’un
c’est-à-dire ceux qui sont capables de contribuer de peu de crédibilité.
manière exceptionnelle à la réussite de l’organisation,
sont des individus charismatiques, visionnaires et inspi-
rants, en mesure de transformer profondément ­l’attitude
des suiveurs et la culture organisationnelle.

Et du « manque », nous glissons vers le fantasme

de coordination à distance et de sous-traiter plus facilement la 16. Nous rappelons ici que notre objet d’étude est délimité au
fabrication de leurs produits (Thurik et collab., 2013). cadre du leadership organisationnel. Toutefois, les approches
15. Le mot mythe doit être ici compris au sens anthropologique fonctionnalistes ont également porté sur le leadership politique.
du terme, c’est-à-dire comme un ensemble de croyances et de Calquées sur l’idée du grand homme, ces approches ont nourri
valeurs qui permettent d’appréhender le sens, l’origine et le tout un ensemble de prescriptions et de pratiques influençant
devenir de l’action humaine. les stratégies communicationnelles des hommes politiques.
96 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Le côté obscur de la force… harcèlement, corruption, décision hasardeuse et intui-


tive, vision mégalomane, fraude, corruption, mensonge,
héroïque dérive stratégique, contestation de l’autorité et des insti-
Mais la fortune n’est pas toujours l’aboutissement de tutions, etc. Adolf Hitler et l’Allemagne nazie sont certes
cette destinée héroïque. des exemples paradigmatiques, mais nous pouvons
hélas les multiplier sans peine jusqu’à aujourd’hui, tant
La psychologie analytique nous apprend que cette ren-
dans le champ politique que dans celui de la gestion
contre avec l’archétype du héros ne laisse pas indifférent.
d’entreprise.
C’est une rencontre fascinante et troublante qui peut,
certes dans son aspect positif, pousser au dépassement L’hubris est évidemment un cas extrême de déviance
de soi et à l’adoption de comportements hautement héroïque et souvent celui qui retient le plus l’attention en
moraux et altruistes, mais, en tant que complexe auto- raison de ses effets néfastes sur l’organisation.
nome, peut aussi conduire à une perte de sens moral et D’autres manifestations moins visibles, sans pour autant
à privilégier l’intérêt personnel au détriment de l’intérêt être moins nuisibles, sont aussi à considérer. La rencontre
collectif (Bowles, 1997 ; Jung, 1953, 1964). Le danger avec l’archétype du héros peut activer chez l’individu une
principal de la rencontre avec l’archétype du héros est forme d’idéal du management qui servirait de point de
de succomber à son influence fascinante, laquelle peut référence absolu. Ce n’est plus le « moi » de l’individu qui
mener à des états d’inflation, c’est-à-dire où le sujet est habité par l’archétype du héros, mais son référentiel,
devient le siège d’une extension de sa personnalité l’instance surmoïque. Face à cet impératif héroïque, l’in-
dépassant ses capacités individuelles (Jung, 1964a). dividu pourrait se voir flirter avec l’épuisement au travail
Les exemples ne manquent pas où l’archétype vit pour en acceptant une quantité de responsabilités qu’il ne
lui-même et conduit le leader (et le collectif qui le sou- pourrait réellement assumer : stress, anxiété, culpabilité,
tient) à une perte du sens de la mesure, du raisonnable, dépression sont bien souvent au rendez-vous.
de l’acceptable, de la morale et de l’éthique17. Ce phéno- Les motifs amenant l’archétype à se consteller positive-
mène, mieux connu sous le nom d’hubris du leader, a été ment ou négativement sont variables. Ils dépendent iné-
répertorié à plusieurs reprises dans la littérature scien- vitablement de l’intensité du désir projeté sur l’individu
tifique sur le leadership, encore très récemment (p. ex. (en somme de l’intensité de l’activation de l’archétype),
Claxton et collab., 2015 ; Haynes et collab., 2015 ; Owen, du prestige social lié au pouvoir conféré, mais aussi de
2008 ; Owen et Davidson, 2009 ; Petit et Bollaert, 2012). la structure psychique et du vécu de l’individu qui en fait
Les symptômes de cette « pathologie du pouvoir » sont l’expérience. En tant que phénomène idiosyncrasique, il
divers. De manière générale, ils relèvent de la conjonc- est difficile de prédire dans quelle mesure un individu
tion entre l’exploitation d’une prédisposition narcissique (ou un collectif) succombera au « côté obscur » de cette
de l’individu (ou d’un groupe d’individus) – il est en effet force héroïque. De même, les effets de cette rencontre
terriblement valorisant de croire que nous sommes un sont difficiles à anticiper.
héros – et de l’attribution d’un pouvoir réputé presti-
gieux. Cette concomitance provoque alors une pertur- Quoi qu’il en soit, tant que cette conception héroïque
bation du rapport à soi, aux autres et au monde qui se restera dominante, la question ne sera pas de déterminer
manifeste par exemple par une surestimation de ses si dérive il y a, mais plutôt de savoir quand elle aura lieu.
capacités, la conviction d’avoir une mission de la plus En effet, au regard de ce qui précède, le leadership est un
haute importance à réaliser, un orgueil démesuré, une mythe social contemporain qui s’alimente de lui-même,
perte d’empathie, un sentiment d’impunité, une obses- une sorte de conspiration à laquelle toute l’organisation
sion de la performance, le tout engendrant un ensemble participe inconsciemment et dont les effets sont para-
de comportements aux effets dévastateurs : intimidation, doxaux. D’une part, en prétendant que la performance
et le succès organisationnels dépendent de l’efficacité
du leadership, ce mythe suggère également que les diffi-
17. Un cas presque paradigmatique est celui de Jean-Marie Messier
cultés organisationnelles sont attribuables à un manque
et de Vivendi Universal (Petit, 2013). de leadership. Dès lors, il autorise les « suiveurs » à se
 4   L e my the du leadership et les approches fonc tionnalistes  : au - del à de l’ impér atif héroïque 97

déresponsabiliser et à attribuer les éventuels dysfonc-


Peut-il y avoir un leadership
tionnements au management. Cette déresponsabilisa-
tion engendre à terme un manque de mobilisation qui sans leader ?
renforce en retour l’idée de la nécessité du leadership ; D’aucuns diront que, dans une ère post-industrielle où le
le manque s’engendre de lui-même. D’autre part, en sou- travail d’équipe et par projet devient la norme, les risques
tenant une conception héroïque du leadership, les indi- de dérives héroïques sont diminués. Le leadership n’est
vidus déposent dans le projet managérial l’espoir d’une plus l’apanage d’un individu, mais devient une affaire
désaliénation du travail, un désir d’émancipation et de collective. Le manager devient un facilitateur, le chef de
dépassement, une capacité à engager, à mobiliser, à sus- projet, un coordinateur. Le collectif prend des décisions
citer l’adhésion, à enthousiasmer. Toutefois, en adhérant de manière dite « semi-autonome ». Les rapports de pou-
au paradigme fonctionnaliste, en acceptant ce présup- voirs paraissent ainsi plus équilibrés et l’équipe joue un
posé que certains individus sont plus à même de relever rôle de garde-fou. Selon nous, il s’agirait plus de dilu-
cet impératif héroïque, les membres de l’organisation tion que de diminution : l’héroïsme n’est certes peut-être
continuent à légitimer l’ordre social existant au sein des plus soutenu par le management, toutefois il se situe au
organisations et, de la sorte, à maintenir des rapports niveau du collectif. En effet, bien souvent, la diminution
de domination-soumission au travail, voire à tolérer une des niveaux hiérarchiques et les conceptions d’un travail
forme de management autocratique ou déviant (Gemmil collectif, égalitaire, voire anarchique18, n’en enlèvent pas
et Oakley, 1992) et… c’est ainsi que ce qui apparaît de pour autant les exigences de performance. Quid lorsque
prime abord le remède s’avère, in fine, le poison. cette dernière n’est pas au rendez-vous ? Est-ce l’équipe
tout entière qui va en prendre la responsabilité ? L’équipe
acceptera-t-elle sans broncher que le management n’y
soit pour rien ? Va-t-elle accepter les baisses de primes et
Ouverture autres sanctions tangibles ou intangibles qui en décou-
Si nous soutenons que le leadership n’existe pas objec- leraient ? Cela semble peu plausible. Le dysfonctionne-
tivement, de manière stabilisée et précisément identi- ment sera in fine attribué à l’une ou l’autre personne
fiable, telle une particule en sciences de la physique, et cette quasi inévitable tentation de trouver un bouc
sa nécessité n’en est pas pour autant inexistante. Au émissaire pour s’affranchir de tout reproche est déjà en
contraire, elle est objectivable et sa légitimité est rare- soi une dérive héroïque. De plus, cette diminution des
ment remise en question. niveaux hiérarchiques amène également une réduction
Le mythe du leadership apparaît dans des situations de des possibilités de promotion pour les plus carriéristes
manque ou de dysfonctionnement du collectif ; il contient de l’équipe. Ainsi, ceux qui ambitionnent de monter dans
donc en ses germes le désir d’une identité collective. les échelons de l’entreprise seront condamnés à devoir
Cependant, ce désir est ambivalent puisque sa réalisation exhiber leur « héroïsme », même au détriment de leurs
implique le sacrifice de l’individualité, de l’être à advenir. collaborateurs.

À nous qui sommes empêtrés dans le mythe du darwi- Il semble être dans la nature humaine d’éprouver
nisme social et ses exigences de performance, la le besoin de canaliser ses projections héroïques sur
déclinaison héroïque de ce mythe du leadership et les un ou deux individus, plutôt que sur un collectif aux
prescriptions fonctionnalistes paraissent dès lors bien visages multiples. Ce processus d’identification projec-
séduisantes. Ce héros en apparence accessible se pré- tive et ses effets psychodynamiques sont bien connus
sente comme l’espoir d’une synthèse créative dans cet des approches psychosociologiques d’inspiration psy-
espace dialectique identitaire ; c’est la promesse d’une chanalytique du leadership organisationnel (ex. : Bion,
sauvegarde de l’identité collective par l’intermédiaire 1965 ; Driver, 2013 ; Gabriel, 1997 ; Gemmil, 1986 ;
d’un être à advenir. Plus encore, en prétendant que la ­Hirschhorn, 1990 ; Jaques, 1955, 1972 ; Kets de Vries,
performance organisationnelle dépendra de l’avènement
de ce surhomme, les approches fonctionnalistes trans- 18. Au sens bakuninien du terme, à savoir où l’ordre existerait sans
forment le mythe en dogme, et le désir en impératif. le pouvoir.
98 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

1978, 1995 ; Kets de Vries et Miller, 1985 ; Lapierre et prenant conscience de ses effets pervers et de son haut
Kisfalvi, 1993 ; Schwartz, 1990) et répondraient à un potentiel aliénant, mais aussi par l’abandon des prescrip-
besoin de construire et de stabiliser un ordre social au tions rassurantes issues du paradigme fonctionnaliste
départ d’une structure héritée facilitant la canalisation qui, en prétendant que le leadership existe objective-
du comportement collectif. ment, nous amènent à confondre désir et objet du désir.

Mais pour autant considérer que ces individus doivent Ces deux conditions nécessaires – conscientisation
être des héros, c’est leur imposer une pression telle que et renoncement – sont loin d’être simples à réaliser
les effets sur la performance en deviennent plus qu’in- tant nous sommes contaminés par cette conception
certains. du leadership. Leur réalisation demande un travail de
déconstruction permanent et un examen introspectif
Alors pourquoi dit-on « cela manque de leadership » et
du rapport que nous entretenons avec le pouvoir. Cela
non pas « cela manque d’héroïsme » ? Pourquoi a-t-on eu
implique également de changer de paradigme et d’ac-
besoin de créer un mot différent ? Peut-être parce que
cepter que le leadership n’est pas la résultante d’un pres-
le concept de leadership peut revêtir d’autres formes…
crit visant à soutenir l’intérêt du management, mais bien
Paracelse, un médecin, philosophe et alchimiste du le résultat d’un processus de construction sociale, local
xvie siècle, considéré comme l’un des fondateurs de la et situé, dont l’enjeu est une tentative de conciliation
toxicologie, disait : « Tout est poison, rien n’est poison : d‘intérêts divergents. C’est en acceptant cette nature fon-
c’est la dose qui fait le poison. » Par analogie, transcender damentalement mythologique du leadership que nous
cette conception héroïque du leadership passe peut-être autoriserons sa transformation.
avant tout par une réduction de son niveau de toxicité en

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5

Changer stratégiquement une culture


ou cultiver le changement stratégique :
à cette fin, soyez cultivé !
Michel Racine

« Changez votre culture ! » « Une culture gagnante en cinq • dans les relations avec la clientèle, la primauté
étapes. » « Les secrets d’un changement de culture. » Les accordée ou non aux désidératas du client dans
injonctions à changer de culture – organisationnelle, l’offre de produits ou de services, l’importance
d’entreprise ou corporative – sont nombreuses, particu- donnée au service après-vente ;
lièrement dans la presse d’affaires ou la littérature pro-
• dans la production, l’éventail des parties prenantes
fessionnelle (Marcoux, 2010 ; Meehan et collab., 2008).
participant à l’élaboration du produit, la place
Il en va autant pour la convocation de la culture comme
réservée ou non à l’innovation, la primauté attri-
causes de l’échec (parfois de la réussite) des fusions
buée ou non au respect des délais ou à celui des
d’entreprises ou de la création de coentreprises ( joint
conditions de travail des employés, etc.
ventures) (Schreuder, 2013 ; Girard, 2007 ; Barel, 2006).
Le terme « culture » tente de rassembler sous un seul
Le terme « culture organisationnelle » (CO), plutôt popu-
vocable tous ces facteurs qui paraissent épars pour donner
laire dans les années 1980, reste d’usage courant
une forme d’unité d’ensemble à un milieu organisé.
aujourd’hui. Il permet d’englober de façon apparemment
simple la complexité de la « vie réelle » en milieu orga- Cette tentative de simplification est très souvent partielle
nisé ou du moins une partie cachée de celle-ci. On le (ce qu’on nomme « culture » ne peut parvenir à englober
convoque pour rendre l’esprit de la mission et des valeurs tout le réel organisationnel) et, pour ne pas dire toujours,
d’une organisation. On y fait appel pour résumer parfois partiale. En effet, c’est un groupe représenté dans l’orga-
l’humeur, parfois les dispositions du personnel, voire nisation, comme la direction, qui caractérise la culture,
l’essence, et même l’âme, qui anime un groupe organisé. désignant ainsi une visée idéalisée, ou comme le syn-
Le terme regroupe aussi ce qu’on croit être les principes dicat, qui pourrait résumer dans « culture » les causes d’un
qui régissent nombre de pratiques organisationnelles, climat de travail détérioré, dans une visée revendicatrice.
par exemple : Celui qui ouvertement, au nom d’un collectif, nomme la
culture d’une organisation est détenteur d’un pouvoir et
• en gestion des ressources humaines, les bases
tente ainsi d’orienter au moins les perceptions en vue
menant au choix d’une candidature par rapport à
de répondre à ses intérêts (Racine et Gould, en cours).
une autre, les règles suivant lesquelles on évalue le
rendement du personnel ou le modèle plus ou moins Mais, au-delà des intérêts, de quoi est-il question au juste
systématisé de répartition de la rémunération ; lorsque l’on fait usage du mot « culture » ? Est-il possible de
définir la culture d’une organisation avec une rigueur qui
 5   C hanger str atégiquement une culture ou cultiver le changement str atégique … 103

permet au bout du compte d’en « saisir quelque chose » ? Définir la culture mérite qu’on prenne au sérieux cette
Si oui, comment se relie alors la culture à la stratégie tâche en apparence abstraite, avant de tenter d’inter-
organisationnelle, qui n’en est pas si éloignée ? Enfin, venir sur celle-ci. L’exercice impose des choix, d’abord
si l’on a la prétention de changer stratégie et culture, conceptuels. Dans un cadre de gestion, elle requiert aussi
n’est-il pas plus sage, avant de s’y lancer, de prendre au préalable une forme d’observation de ses manifes-
conscience de l’exigence de l’exercice, et pour l’organi- tations, pour la saisir – et qu’elle ait du sens, un aspect
sation dans son ensemble et pour la ou les personnes central. Puis, pour peu qu’on puisse comprendre ce qu’est
qui participent à ce changement ? Voilà les questions « saisir » la culture d’un groupe, caractériser la culture en
dont nous traiterons dans ce chapitre pour tenter de contexte de gestion, a fortiori de gestion stratégique,
démontrer la proposition que présente son titre : changer devrait ouvrir à la possibilité d’intervenir sur celle-ci,
de culture nécessite d’être cultivé. mais à certaines conditions et en prenant la mesure de
leur exigence.

Définir la culture en contexte


organisationnel La culture organisationnelle
La réponse à donner aux injonctions exposées en
selon Schein
début de chapitre devient d’emblée complexe si l’on Dans le lot des définitions existantes de la culture orga-
tient compte de la diversité des définitions de la culture nisationnelle, celle qu’offre Edgar Schein (dans Hatch,
organisationnelle : 2009) repose sur des fondements conceptuels et métho-
dologiques éprouvés ; elle trouve des applications cré-
• « La culture d’une entreprise se définit par son mode
dibles dans différents types de milieux de travail (Van
habituel et traditionnel de penser et de réaliser les
Hoorn, 2017 ; Pettita et collab., 2017 ; Snoeren et collab.,
choses » (Jaques, 1952).
2016). La CO, telle qu’elle a été définie par Schein, se
• « Les organisations sont des milieux qui véhi- répartit en trois niveaux :
culent une culture, c’est-à-dire qu’elles constituent
• artefacts,
des entités sociales distinctives qui possèdent un
ensemble de compréhensions communes guidant • normes et valeurs,
l’action organisationnelle » (Louis, 1983).
• présupposés ou postulats (assumptions, en anglais,
• « La culture renvoie à la connaissance que les terme traduit parfois par hypothèses ou, de manière
membres d’un groupe donné sont censés plus ou plus appropriée, par croyances fondamentales).
moins partager » (Van Maanen, 1988)1.
Pour Schein, l’analyse de la culture se fait par « couches »,
La critique voulant que la culture présente une définition allant de la plus apparente (artefacts) à la plus profonde
floue ou polysémique (plusieurs définitions distinctes) ne (présupposés), là où se trouve la culture dans toute sa
date pas d’hier. En 1952, Kluckhon et Kroeber en avaient substance. Plusieurs chercheurs résumeront la culture
déjà répertorié… 164 ! Plus tard, Sokal (1996) ira jusqu’à à un ensemble de valeurs (dont Cossette, 2004), mais
dénoncer l’ensemble des études sur la culture (cultural Schein ira plus loin. Les présupposés représentent « ce que
studies) comme une supercherie. À voir le manque de les membres croient être la réalité. […] [Ils] influencent ce
rigueur que recèlent bon nombre de textes, on ne peut que les membres de la culture en question perçoivent, et
que donner raison à cet auteur, en partie. comment ils pensent et ressentent » (Schein, dans Hatch,
2009, p. 236). On ne prendrait conscience des présup-
posés que lorsque l’on vit assez longtemps dans une
culture différente (ibid.) ou, par exemple, après avoir subi
1. Toutes ces définitions sont présentées et traduites dans Hatch
le choc d’un changement d’emploi. Cette idée de pré-
(2009, p. 227). supposé qui risque d’être plus insaisissable a l’avantage
104 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

d’avoir été catégorisée par Schein. Les présupposés


Culture et stratégie
peuvent, par exemple, concerner l’idée que se font les
membres d’une organisation de la temporalité à laquelle organisationnelles
ils sont soumis ou de l’environnement dans lequel ils La culture organisationnelle, telle qu’elle a été définie
évoluent. ci-dessus, et la stratégie, dite d’entreprise, présentent
En outre, si la définition de la culture proposée par des éléments communs, mais aussi des distinctions. Elles
Schein renvoie à des recherches éprouvées en sciences sont liées entre elles et sont appelées, dans une visée
sociales (p. ex. : Van Hoorn, 2017 ; Pettita et collab., 2017 ; adaptative du fonctionnement de l’organisation, à se
Snoeren et collab., 2016), sur le plan méthodologique, compléter.
cette définition mène à explorer la culture d’une organi- Tout d’abord, les deux viennent orienter les comporte-
sation en observant d’abord ses signes apparents – des ments des acteurs organisationnels. La culture organi-
artefacts, donc des objets, des expressions, mais aussi sationnelle oriente les comportements ; elle en est aussi
des pratiques de GRH –, pour aller vers une profondeur le reflet. Dans le modèle de Schein, valeurs et normes
atteignant l’inconscient d’un collectif organisé. Cette viennent proposer aux porteurs de culture organisa-
définition permet de comprendre la dimension cultu- tionnelle une conduite donnée, qui peut leur paraître
relle d’une organisation dans sa complexité, où les trois logique ou, pour mieux dire, de l’ordre du naturel. En ce
niveaux d’analyse se répondent l’un à l’autre, l’un étant sens, la culture guide les actions personnelles souvent
à la fois reflet et explication de l’autre. de manière inconsciente. Les présupposés témoignent
La définition de Schein offre aussi l’avantage d’intégrer de la légitimité des actions posées ; d’ailleurs, révéler
l’historique de l’organisation. En effet, l’auteur pro- ces présupposés à la conscience des acteurs organisa-
pose que la culture se définisse comme l’ensemble des tionnels relèvera presque toujours de l’évidence. Tant
« croyances ou présupposés fondamentaux qu’un groupe de comportements sont justifiés en organisation par
donné a inventés, découverts ou développés en appre- des évidences telles « l’entreprise doit maximiser ses
nant à faire face à ses problèmes d’adaptation externe et profits », « l’harmonie est essentielle entre tous », « il faut
d’intégration interne » (Schein, dans Hatch, 2009, p. 227). livrer à temps ». Ces assertions relèveraient du postulat
respectivement de la nature de l’organisation, de celle
Enfin, cette définition présente le grand avantage de de l’humain et de la temporalité. Nombreux sont ceux
dépasser les discours creux, les seules valeurs dites affi- qui douteront de la nécessité de les remettre en cause.
chées, déclarées ou « sur les murs » (en opposition aux Toutefois, l’expérience montre qu’il existe des organisa-
valeurs dans les murs). La culture est plutôt, d’une part, tions, même privées, pour lesquelles ces présupposés
manifeste (par des artefacts) et, d’autre part, ancrée seront opposés, tout en étant aussi évidents. Ainsi, dans
dans les esprits (par les présupposés). C’est ainsi que plusieurs entreprises familiales, le profit à court terme ne
la culture devient plus saisissable dans l’action et les sera pas une priorité ; dans d’autres entreprises où sont
comportements des humains organisés, mais aussi dans ouverts tous les canaux de communication, les situa-
leurs esprits2. tions de conflits à l’occasion seront considérées comme
saines ; enfin, dans des entreprises bénéficiant d’une
forte demande, la qualité du produit ou du service ne
2. Il existe certes relativement à la culture organisationnelle
d’autres définitions, certaines laissant place à la pluralité,
mais, aux fins de ce chapitre, nous nous en tiendrons à une
vision unitariste de la culture organisationnelle. Nous sommes contribuons déjà de manière active, mais qui n’est pas l’objet
conscients qu’en faisant ainsi nous proposons une vue partielle de ce chapitre traitant de la culture de l’organisation comme
de la vie organisationnelle, mais nous nous éloignons d’une entité. Par ailleurs, cette vision inclusive d’un collectif organisé
vision partiale de celle-ci en incluant dans notre conception soulève une question centrale relativement aux relations de
l’ensemble du personnel, direction et employés. Cette inclusion pouvoir : au nom de qui la direction parle-t-elle lorsqu’elle tente
n’omet pas la possibilité de la différenciation de la culture, de décrire la culture singulière de l’organisation et, surtout, sur
autrement dit de l’existence de sous-groupes ou sous-cultures. quoi croit-elle avoir de l’emprise lorsqu’elle se lance dans un
Les différences d’origines sont toutefois fondées sur la culture changement de culture ? Nous répondrons à cette question dans
nationale, sujet d’intérêt qui ouvre tout un champ auquel nous les prochaines lignes.
 5   C hanger str atégiquement une culture ou cultiver le changement str atégique … 105

sera pas sacrifiée sur l’autel du juste-à-temps. Voilà des application avancée de la théorie de la contingence, qui
organisations affichant des cultures différentes. analyse la correspondance ou la congruence ( fit) entre
différents paramètres de l’organisation, vient rendre
Quant à la stratégie, elle propose aussi une direction aux
compte du caractère adéquat ou non de certains facteurs
comportements adoptés par les membres d’une organi-
culturels et stratégiques à l’œuvre dans une même orga-
sation. Cette direction donnée, une fois la stratégie mise
nisation (Burton et Obel, 2004). En effet, des recherches,
en œuvre adéquatement, est idéalement partagée par
en particulier quantitatives, ont permis de produire des
l’ensemble des membres. Si l’élaboration d’une stratégie
typologies, les plus connues étant, du côté de la stra-
est de nature volontaire, l’adhésion à celle-ci par l’en-
tégie, celles de Miles et Snow (1978), développées plus
semble des membres est de même nature – ou du moins
tard par Danny Miller (1987), inspirées entre autres par
est-elle consentie, mais elle est consciente. Ainsi, culture
les travaux de Michael Porter (1980). Il existe aussi des
et stratégie orientent toutes deux les comportements,
typologies de culture organisationnelle qui ont atteint un
mais elles n’agissent pas au même niveau de conscience.
degré certain de validité statistique, la principale étant
La culture fait exécuter, souvent à l’insu des membres
le modèle des valeurs en concurrence (Competing Values
de l’organisation ; la stratégie requiert une volonté d’exé-
Framework) de Robert Quinn. En combinant le résultat de
cution ou du moins un consentement à une proposition
ces recherches, des chercheurs se sont prononcés sur le
explicite d’action.
degré de correspondance ou de congruence entre types
En poursuivant sur les distinctions du binôme culture-­ de stratégies et types de cultures.
stratégie, on peut affirmer que l’une est toujours pré-
Burton et Obel (2004) sont sans doute les chercheurs
sente, la culture, alors qu’il est possible que l’autre,
qui ont poussé ces travaux le plus loin, jusqu’à mettre
la stratégie, puisse être absente. À défaut de volonté
au point un logiciel de design organisationnel évaluant
d’exécution, ainsi que d’élaboration, le « fonctionnement »
le degré de congruence entre plusieurs paramètres,
de l’organisation peut être assuré sans que l’action des
dont la stratégie et la culture (Burton et collab., 2011).
acteurs soit stratégiquement orientée. Par contre, on
Si chacun des facteurs a fait l’objet d’études statistiques
ne peut pas ne pas avoir de culture : valeurs et normes
poussées, leur combinaison repose sur des inférences
guident inévitablement les individus, influencés si ce
dont les fondements restent à tester. Ainsi, il y aurait
n’est que par leur éducation familiale et scolaire, entre
non-congruence (misfit) entre stratégie de type pros-
autres facteurs externes à l’organisation. Mais à l’inté-
pection du marché et culture fondée sur des valeurs de
rieur de celle-ci, il peut exister un ensemble épars d’élé-
groupe ou bien de processus interne. Plus précisément,
ments culturels, partagés de manière relâchée, des règles
une stratégie prospective d’innovation, reposant sur une
de fonctionnement plus ou moins conscientes régissant
technologie de production non routinière et associée à
une agrégation d’individus qui demeurent organisés.
un niveau peu élevé de contrôle organisationnel, ne peut
Ces distinctions entre culture et stratégie permettent être en adéquation avec une culture où le fonctionne-
de déduire qu’il peut exister dans une organisation une ment harmonieux entre les membres s’adapte peu aux
culture partagée sans l’existence d’une stratégie. Cepen- pressions externes à l’organisation (valeurs centrées sur
dant, les deux ne sont pas complètement dissociés, ce le groupe) ou bien une culture où le contrôle est forma-
qui amène à aborder le concept de stratégie émergente lisé selon des procédures et des règles strictes et où sont
(Mintzberg, 1994). La culture peut « contenir » le germe tolérés conflits et partage non équitable de la rétribution
de stratégies, raison de plus pour l’étudier. Ce germe (valorisation du processus interne). De même, toujours
peut se retrouver dans un sous-groupe de l’organisation selon le raisonnement des mêmes auteurs (Burton et
qui affiche une différence par rapport aux valeurs que Obel, 2004), une culture de type développement (de pro-
partagent tous les membres – on parlera alors de sous- duits ou de services novateurs, des membres de l’organi-
culture (Hatch, 2009, p. 225). sation) serait inadéquate pour adopter une stratégie de
type défensif (p. ex. : fabrication efficiente d’un éventail
Selon une vision idéalisée du couple culture-stratégie,
limité de produits pour un segment étroit de marché).
l’une est censée être le reflet de l’autre, voire l’une venant
alimenter l’autre. Mais il peut y avoir inadéquation : une
106 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Une culture de type processus interne serait alors mieux conscience collectivement dans une entreprise que son
adaptée à ce type de stratégie. fonctionnement suit une « temporalité » trop limitative
ne sert pas à grand-chose si n’est pas mis en valeur le
Si les travaux des tenants de la théorie des contingences,
temps à consacrer à la réflexion. Pour dire plus simple-
comme Burton et ses collaborateurs (2011), sont fondés
ment, si « on n’a plus de temps pour penser » dans une
sur des recherches empiriques avérées, la combinaison
organisation et que tous unanimement s’en plaignent,
qu’ils font des différents résultats de ces recherches
changer ce présupposé ou ce postulat implique de poser
repose sur les seules inférences des auteurs. Il reste
l’importance intrinsèque du principe « allouer du temps à
encore des études à effectuer pour démontrer des rela-
la réflexion » (valeur) et de mettre en place des pratiques
tions de congruence entre les types de stratégies et de
qui iront jusqu’à influencer l’horaire du personnel et l’or-
cultures. Il y a quelques années encore, les outils statis-
ganisation de leur travail (artefacts) : retraite annuelle de
tiques pour ce faire, malgré les progrès importants réa-
la direction, autorisation, voire légitimation, à affecter
lisés en la matière, n’étaient pas suffisamment avancés
des heures de travail à la réalisation de « projets per-
(Carroll et collab., 2011).
sonnels », fixation d’une part substantielle des projets à
accorder aux phases précédant leur réalisation (création,
design, planification), etc. Là se trouve le défi véritable
Pour changer de manière posé par le changement de culture organisationnelle :
stratégique la culture aller des pratiques jusqu’aux postulats, c’est-à-dire de
l’organisation quotidienne du travail jusqu’à la concep-
organisationnelle, intégrer tion de « notre » monde partagé au travail, et vice-versa.
la causalité circulaire
Dans la littérature professionnelle, changer la culture
Selon la théorie de la contingence, un changement dans d’une organisation paraît facile. On laisse croire au lec-
le type d’environnement dans lequel baigne une orga- teur à l’affût de solutions simples et sans ambiguïté que
nisation devrait correspondre à l’adoption d’un certain la haute direction d’une organisation (surtout privée)
type de culture (p. ex. : de développement) requis pour peut changer, de sa propre initiative, la culture d’une
que celle-ci puisse survivre. On constate ici le caractère organisation. Autrement dit, on présente le fantasme
déterministe de cette théorie : une organisation compor- voulant qu’une nouvelle présidence puisse causer à elle
tant des non-correspondances (misfits) importantes ne seule le changement chez un collectif de personnes tra-
pourrait fonctionner de manière adéquate et ne pourrait vaillant à des objectifs censés être communs (cf. Meehan
survivre. Toutefois, suivant le modèle de Schein, moins et collab., 2008). C’est en s’engageant dans cette tâche
déterministe, le changement de culture organisationnelle ambitieuse que l’on constate que changer la culture et
passera par un processus perçu comme moins imposé changer la stratégie, ce n’est pas du pareil au même.
de l’externe.

Selon le modèle à trois niveaux de Schein (artefacts,


normes / valeurs, présupposés), sur le plan logique, un Le rôle des personnes initiatrices
des niveaux peut être à la fois cause et effet de l’autre :
traiter de CO, voire traiter avec la CO, c’est faire face à
de changement culturel
un phénomène de causalité circulaire. En conséquence, En appliquant cette vision fantasmagorique du change-
changer la CO, c’est entrer dans un processus où l’inter- ment culturel à la définition de Schein, cela voudrait dire
vention est à réaliser et à un niveau plus superficiel et qu’au premier niveau, celui des artefacts, un décideur,
à un niveau plus profond, l’un n’allant pas sans l’autre. central quant à l’autorité qu’il détient, est en mesure de
Changer les pratiques de GRH (artefacts) pour adopter changer des pratiques dans son organisation – y compris
une approche plus collaborative ne sert à rien si les la couleur des murs, les slogans qui s’y trouvent et des
valeurs du personnel, à commencer par la direction, expressions qui se veulent percutantes. Trop souvent, son
ne se tournent pas vers l’adoption, consciente ou non, influence risque de s’arrêter à ce niveau s’il montre uni-
de la valeur collaboration. Dans l’autre sens, prendre quement l’habileté à intervenir sur l’ensemble des signes
 5   C hanger str atégiquement une culture ou cultiver le changement str atégique … 107

visibles de la situation à changer. Comment influencer stratégie congruente (cf. Burton et collab., 2011). Guérin
alors à un autre niveau les normes et les valeurs que (dans Saba et Dolan, 2013, p. 69-70) affirme que ce pro-
portent les membres de l’organisation ? Comment même cessus d’influence profond, ancré dans la dimension
prétendre vouloir influencer les présupposés et les pos- culturelle, permet d’anticiper des stratégies prenant en
tulats, si difficilement saisissables ? Voilà l’exigence que compte les capacités des porteurs de culture.
pose véritablement le changement d’une CO. Changer la CO, en profondeur, requiert donc du temps,
Il ne s’agit donc pas pour la direction d’apporter un chan- puisqu’il s’agit d’inciter chacun à être cause de change-
gement sur un objet donné que serait l’organisation, mais ment, ce qui ne peut se faire que si le changement est
en plus d’aller jusqu’à accepter de représenter l’effet de voulu, voire désirable, consciemment ou non. S’ingénier
ce changement (pour la direction d’accepter d’incarner à composer des discours pour convaincre de ce chan-
l’effet de ce changement), voire de s’y identifier, jusque gement à des fins « stratégiques » suffit-il ? Il s’agit plutôt
dans les présupposés des dirigeants. C’est là prendre au de développer une conviction, de faire adhérer à des
sérieux le principe de causalité circulaire : à la direction valeurs, d’épouser des présupposés.
d’apporter pour elle-même le changement attendu et Ainsi, être cultivé, pour amplifier le sens courant du
ensuite sur autrui. Cela requiert, comme disait une diri- terme, voudrait dire connaître les valeurs qui orientent sa
geante québécoise dans le secteur public, « d’être au clair propre vie, nommer celles qui guident le comportement
avec soi-même », particulièrement avec ses valeurs et les d’un groupe, être conscient des présupposés qui guident
présupposés qui guident sa propre vie au travail – et sou- son propre comportement et celui d’autrui. Ce sont là des
vent à la maison. Ce n’est qu’à cette condition qu’on peut compétences que devraient maîtriser les personnes qui
être cause de changement culturel, susceptible de pré- gèrent d’autres personnes en milieu de travail. C’est ainsi
senter une portée stratégique tangible. Cette approche que l’on accroît ses chances d’avoir sur le comportement
peut alors ouvrir à l’émergence de stratégies pertinentes d’autrui une influence en profondeur, jusqu’au niveau
(Mintzberg, 1994), voire à l’adoption consciente de des postulats, avec une portée stratégique.

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Engagement organisationnel :
un état des connaissances
Carole Gagnon et Eric Gosselin

La notion d’engagement organisationnel se doit encore aux comportements de citoyenneté organisationnelle,


d’être inscrite au cœur des préoccupations des gestion- à ­l’absentéisme, au présentéisme ou encore au rende-
naires (Meyer, 2009). Les récents développements scien- ment au travail. Maintes actions en milieu de travail
tifiques concernant cette attitude1, et particulièrement ont en effet été reliées à l’engagement organisationnel
l’identification de son implication dans l’adoption de des employés (Vandenberghe, 2015). Grâce à un bassin
divers comportements d’intérêt en milieu de travail, en de connaissances acquises au cours des 50 dernières
font une réalité incontournable afin de soutenir l’ap- années, il est maintenant possible d’envisager l’étendue
port de la ressource humaine à l’essor organisationnel. de son incidence ainsi que les principaux tenants et
Initialement, c’est par sa contribution à la rétention du aboutissants de cette attitude au travail.
personnel que le concept acquiert son à-propos, voire
L’engagement organisationnel pourrait être dès lors
sa popularité. Outre la rétention, nombre de comporte-
considéré comme « l’attitude-reine » au travail. Cepen-
ments seront aussi influencés par la teneur de l’enga-
dant, il serait faux de prétendre que cette unique atti-
gement organisationnel des employés, que l’on pense
tude éclipse l’influence d’autres attitudes sur les gestes
quotidiens des travailleurs. Ainsi, l’action de l’engage-
1. Dans la documentation sur l’engagement organisationnel, ment organisationnel se fait généralement de concert
une distinction est désormais bien établie entre l’engagement avec d’autres attributs psychologiques des employés,
attitudinal et l’engagement comportemental (Meyer et Allen,
dont la satisfaction au travail ou l’implication en emploi
1991), le premier étant basé sur une attitude et le second, sur un
comportement (Mowday et collab., 1982). Conceptualisation la
( job involvement), pour n’en nommer que quelques-uns.
plus communément rencontrée (Salancik, 1977), l’engagement Force est donc de reconnaître que c’est davantage un
attitudinal reflète un lien psychologique avec l’organisation. Il réseau attitudinal qui est à l’origine de nombre de com-
se rapporte au « processus par lequel les personnes en viennent
portements au travail. Cependant, il appert à la lumière
à une réflexion sur leur relation avec l’organisation. À bien des
égards, cela peut être envisagé comme un état d’esprit dans
des diverses études que l’engagement organisationnel
lequel les individus évaluent jusqu’à quel point ils partagent les occupe une place importante dans cet espace attitudinal
valeurs et les objectifs de l’organisation » (Mowday et collab., et qu’il peut, parfois de manière indépendante, expliquer
1982, p. 26). Généralement, dans cette perspective attitudinale
une part non négligeable de l’adoption de certains com-
du concept, les études concernent la mesure de l’engagement
(une attitude ou état d’esprit) de même que l’identification des
portements organisationnels.
antécédents qui seraient à l’origine de son développement et
Le présent chapitre propose une synthèse des fonde-
des conséquences qui pourraient en résulter (Meyer et Allen,
1997). Notons qu’à l’instar de l’engagement organisationnel la ments et des savoirs élémentaires sur l’engagement
satisfaction au travail est également vue comme une attitude organisationnel. Débutant par une brève perspective
au travail (Schleicher, Hansen et Fox, 2011).
110 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

historique, le texte aborde ensuite la conceptualisa- l’engagement organisationnel, c’est-à-dire l’approche


tion de cet engagement. Après avoir brossé un portrait attitudinale, le conçoit comme un lien psychologique
général de ses diverses formes, de leur dynamique et des qui unit l’individu à son organisation (Salancik, 1977).
autres cibles potentielles, la dernière section examine Cette approche met l’accent sur le processus qui mène
l’importante question des origines et des résultantes de l’individu à une réflexion sur sa relation avec l’organi-
l’engagement organisationnel, discutant au passage de sation (Mowday, Porter et Steers, 1982). Il importe aussi
l’influence du gestionnaire sur l’émergence et le maintien de préciser qu’initialement l’engagement organisa-
de cette attitude chez les travailleurs. Des perspectives tionnel est généralement analysé comme un concept
pratiques, scientifiques et critiques sont présentées en unidimensionnel, c’est-à-dire comme un phénomène
guise de conclusion. monolithique. Aussi, bien que la plupart des théoriciens
y voient un lien psychologique de l’individu avec son
organisation, la manière dont se développe ce lien ne
fait toutefois pas consensus.
Historique et origines du concept
Faisant écho à cette réalité, Porter et ses collaborateurs
L’engagement organisationnel représente depuis plu-
(1974, p. 604) attribuent à ce lien une nature affective
sieurs décennies un intérêt tant pour les chercheurs que
définissant alors l’engagement organisationnel comme
pour les gestionnaires (Meyer, Becker et Vandenberghe,
« l’intensité de l’identification et de la participation de
2004), intérêt soutenu par la ferme conviction qu’un
l’individu à une organisation particulière2 ». Cette défi-
personnel engagé engendre des retombées positives
nition, conjointement avec l’échelle de mesure qui y
pour l’organisation (Meyer et Allen, 1997) et constitue,
est associée (Mowday et collab., 1979), dominera les
de ce fait, un avantage concurrentiel (Whitener, 2001).
recherches dans le domaine du comportement organisa-
Parallèlement à l’évolution des transformations des
tionnel pendant bon nombre d’années (Vandenberghe,
milieux de travail, la conceptualisation de l’engagement
Landry et Panaccio, 2009). Selon cette conception, au
organisationnel s’est aussi modifiée au fil du temps, en
moins trois éléments dépeignent cet engagement : « une
faisant ainsi un concept porteur d’une certaine réalité du
forte croyance de l’individu dans les buts et valeurs de
fait organisationnel.
son organisation et leur acceptation, sa volonté d’accom-
Malgré les origines plus lointaines du concept, l’émer- plir des efforts en faveur de cette organisation et son
gence de cet intérêt pour l’engagement organisationnel souhait d’en demeurer membre » (Porter et collab., 1974,
remonte aux années 1960 et 1970 en Amérique du Nord p. 604). Comme l’explique Vandenberghe (2003), cette
(Meyer, 2016). Cet intérêt trouvait alors racine dans une définition est porteuse de nombreuses résultantes. D’une
quête explicative des déterminants motivant les départs part, un employé engagé à l’égard de son organisation
volontaires des travailleurs, problème qui s’avérait et sera naturellement enclin à travailler pour le succès de
s’avère encore fort coûteux pour les organisations. Ces cette dernière, car les valeurs qu’elle prône et les buts
premiers efforts se concrétiseront à partir de 1970 par qu’elle vise sont devenus partie intégrante de sa propre
le développement d’un cadre structuré issu des travaux identité. D’autre part, dans sa volonté de déployer des
de Porter et de ses collègues (Mowday, Steers et Porter, efforts au nom de l’organisation, l’employé plus engagé
1979 ; Porter, Steers, Mowday et Boulian, 1974) qui don- sera davantage susceptible d’adopter fréquemment
neront une impulsion majeure au développement théo- des comportements qui vont au-delà du rôle prescrit
rique et à la recherche sur l’engagement (Meyer, Jackson puisque ces comportements discrétionnaires relèvent
et Maltin, 2008). À cette époque, un déclin manifeste de de la volonté de l’employé. Enfin, dans son souhait de
la loyauté conjugué à une augmentation du roulement demeurer membre de son organisation, le travailleur
du personnel (Meyer et collab., 2008) servira de leitmotiv engagé sera moins favorable à l’idée de la quitter de
aux divers efforts investis afin de démythifier les rouages façon volontaire.
du phénomène associé à l’engagement des travailleurs.

À la lumière des premières constatations, il convient


de reconnaître que la perspective la plus commune de 2. Les citations en anglais ont été librement traduites.
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 111

Néanmoins, à la même époque, d’autres chercheurs auteurs (ex. : Reichers, 1985) remettent en question la
conçoivent plutôt l’engagement organisationnel comme perspective monolithique de l’engagement organisa-
un lien de nature calculée dans lequel la continuation tionnel au profit d’une conception prenant en compte
de l’action découle de la prise en compte par l’individu les entités distinctes qui la composent (ex. : collègues,
des coûts et avantages qu’a engendrés son adhésion à supérieurs, subordonnés, syndicat, clients) afin d’offrir un
l’organisation (Hrebiniak et Alutto, 1972), alors que cer- portrait plus réaliste, voire polymorphique, de la nature
tains le conceptualisent comme un lien à caractère nor- des attachements liant un employé à son organisation.
matif relié à la fois aux normes sociales et aux propres Cette perspective dite multicible de l’engagement sou-
standards moraux de l’individu lorsqu’il intériorise les ligne en fait la nécessité de déterminer les cibles vers
attentes d’autrui (Wiener, 1982). lesquelles peut être dirigé l’engagement des travailleurs
et soulève par le fait même des interrogations quant aux
L’environnement économique de plus en plus compé-
conflits potentiels entre les engagements envers des
titif, sur les marchés tant nationaux qu’internationaux,
cibles différentes (ex. : le double engagement) et leurs
incitera les entreprises dès l’aube des années 1980 à
incidences sur le lien de l’employé à son organisation.
instaurer des changements importants dans les milieux
de travail en vue d’accroître leur compétitivité et leur Les années 1990 et une vague sans précédent d’efforts
rendement (Voos, 1987). Dans le débat entourant ces de réorganisation du travail (Appelbaum, 2004) favo-
transformations figure, dès le départ, la nécessité d’ob- riseront l’essor d’un nouveau modèle de gestion : les
tenir un engagement plus grand des travailleurs (Wood, systèmes de travail à haut rendement (High Performance
1999), les divers changements requis pour rendre les Works Systems) axés sur la recherche de flexibilité et
organisations plus concurrentielles étant fonction directe de rendement optimaux pour l’entreprise. Ce modèle
d’un niveau d’effort élevé et de l’implication accrue au de gestion, alors novateur, repose sur le principe que
travail de leurs employés (Appelbaum, Bailey, Berg et les salariés constituent une source importante et durable
Kalleberg, 2000). Comme le soulignent Tremblay, Guay d’avantages compétitifs qui résident dans leur volonté
et Simard (2000), les gestionnaires réalisaient que la de coopérer avec la direction en vue de l’obtention de
compétitivité des entreprises reposait non seulement sur gains mutuels (Beaupré et Cloutier, 2007). La possibilité
des investissements (technologiques ou financiers) et des offerte à l’employé de fournir un effort discrétionnaire en
restructurations organisationnelles, mais également sur est d’ailleurs une des principales caractéristiques (Appel-
une façon différente de gérer les employés. Il fallait donc baum, 2004). Le modèle de gestion à « haut rendement »
gérer cette nouvelle ressource dite humaine. est ainsi associé à l’utilisation d’un système de pratiques
de gestion des ressources humaines qui vise à encou-
Émergent ainsi au cœur des années 1980 de nouveaux
rager le développement des compétences, la motivation
modèles de gestion visant à générer de l’engagement
et le rendement par un engagement accru des travail-
chez les travailleurs (High Commitment Management ;
leurs (Beaupré et Cloutier, 2007). Comme le mentionnent
Walton, 1985) ou à encourager leur participation (High
Becker et Gerhart (1996), divers travaux ont en effet
Involvement Management ; Lawler, 1986). En dépit d’une
souligné le rôle crucial que peuvent jouer les décisions
appellation variable, ces modèles prescriptifs décrivent
en matière de gestion des ressources humaines pour la
les principales caractéristiques des organisations qui
création et le maintien du rendement organisationnel.
considèrent leurs employés comme un avantage com-
pétitif (Tremblay et collab., 2000) plutôt que comme un La fin des années 1990 sera, quant à elle, marquée par
coût de production (Wood, 1999). Caractérisés par l’uti- de nombreuses acquisitions et fusions d’entreprises et,
lisation combinée de diverses pratiques (flexibilité dans dans cette veine, par des réorganisations en profon-
l’emploi, groupes de résolution de problèmes, travail en deur appelées processus de réingénierie se traduisant
équipe, etc.), ces modèles reposent sur le postulat que par des pertes d’emplois considérables (Vinet, 2004).
les contextes de gestion et les activités qui les accom- Dans ce contexte de réduction de la taille des organisa-
pagnent déterminent l’engagement des travailleurs tions accompagnée par des exigences de flexibilité de
et, par ricochet, le rendement organisationnel (Wood, plus en plus grandes dans les emplois afin de s’adapter
1999). Par ailleurs, c’est à la même période que certains aux conditions changeantes, la notion d’engagement
112 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

reste toutefois centrale pour les entreprises, car celles-ci simultanément à des degrés divers chez un même et
doivent notamment retenir un noyau d’employés qui en unique employé. Outre la reconnaissance de ce modèle
constitue désormais la force et le savoir (Meyer et Allen, tridimensionnel comme la conceptualisation la plus com-
1997). Cependant, le contrat psychologique3 relationnel plète à ce jour de l’engagement organisationnel (Bentein,
du modèle traditionnel, dans lequel la sécurité d’emploi Stinglhamber et Vandenberghe, 2000), les recherches
en contrepartie de la loyauté du travailleur était un élé- plus récentes ouvrent la voie à la proposition de modèles
ment clé (Millward et Brewerton, 2000), laisse doréna- pouvant être applicables à toute cible d’engagement (ex. :
vant place à une dynamique transactionnelle, ancrée Meyer et Herscovitch, 2001 ; Klein, Molloy et Brinsfield,
dans une logique de développement de l’employabilité, 2012), renouvellent la perspective multicible (ex. : Stin-
où l’employeur peut mettre fin à la relation d’emploi ghlhamber, Bentein et Vandenberghe, 2002) et lancent
selon les aléas de ses impératifs. Or, susciter un réel également une quête des profils d’engagement étant à
engagement des employés dans ces conditions s’avère même d’assurer la meilleure contribution des employés
un défi de taille en l’absence d’un lien d’emploi durable à la pérennité des organisations (ex. : Meyer, Stanley et
(Bélanger, Giles et Murray, 2004). Parfyonova, 2012).

À la fin du xx e siècle, les administrations publiques


vivront également cet impératif de réforme, l’impor-
tante réflexion à l’égard de leur mode de fonctionnement Cadre explicatif
nourrissant une volonté de changement par l’élaboration
Bien que la conceptualisation de l’engagement organisa-
de certaines politiques de modernisation (Beaupré et
tionnel puisse s’arrimer historiquement à l’évolution des
Cloutier, 2007). La vague anticipée et imminente des
défis organisationnels, trois moments clés ont toutefois
départs à la retraite d’un bon nombre d’employés, exode
été plus précisément circonscrits dans le développement
d’une expertise acquise que l’organisation pourrait vou-
du concept et de sa mesure (Cohen, 2007). Ainsi, après
loir conserver afin de favoriser le transfert des connais-
une première période de questionnements liée prin-
sances, conjuguée à l’enjeu que représente l’obtention
cipalement à la théorie des investissements (side bets)
de la loyauté de la part d’une nouvelle génération de
développée par Becker (1960), les travaux de Porter et
travailleurs socialisée dans un contexte où la carrière
ses collaborateurs (1974) teinteront la seconde période
n’a plus de frontières, réserve aussi pour la décennie
qui privilégiera la perspective de l’attachement psycho-
actuelle des défis cruciaux pour la gestion des ressources
logique comme levier d’avancement de la connaissance
humaines (Paquet et Gosselin, 2006).
sur la relation de l’individu avec son organisation. La
C’est dans ce contexte que Meyer et Allen (1991) pro- troisième phase du développement de ce concept se
poseront un modèle tridimensionnel de l’engagement voudra quant à elle associée à la nature multidimen-
organisationnel qui devient un « état psychologique » sionnelle de l’engagement et cherchera à synthétiser
(état d’esprit) dont la nature va bien au-delà de la seule les savoirs dans une perspective à la fois intégrative et
congruence des valeurs et des objectifs que suggérait la novatrice. Nombre d’auteurs ont meublé cette période,
conception initiale de Porter et ses collaborateurs (1974). mais il revient à Meyer et Allen (1991) d’avoir animé
Ce modèle formulera et définira les trois composantes les dernières décennies de recherche sur le concept en
distinctes de cet état psychologique (affective, normative formulant une modélisation tridimensionnelle de l’en-
et de continuité), formes d’engagement pouvant exister gagement organisationnel. Il nous apparaît donc perti-
nent de cibler plus particulièrement ce modèle dans la
3. Il est question ici d’un contrat de nature subjective défini par présentation des explications conceptuelles de l’enga-
la croyance de l’individu quant aux obligations mutuelles qui gement organisationnel puisqu’il constitue « l’approche
pourraient exister entre lui et son employeur, croyance basée multidimensionnelle la mieux validée » (Vandenberghe,
sur sa perception qu’une promesse a été faite (ex. : promesse
2003, p. 136) et celle qui domine encore dans les écrits
d’emploi) et que la considération qu’il offre en échange (ex. :
renoncer à d’autres offres) les lient par certaines obligations scientifiques à la fin des années 2000 (Vandenberghe
réciproques (Rousseau et Tijoriwala, 1998). et collab., 2009). Cela étant dit, nous nous permettrons
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 113

néanmoins, ici et là, de ponctuer notre description en divers, formes d’engagement pouvant s’articuler dans une
nous référant aux autres modèles lui servant d’assises dynamique d’addition de leurs effets (complémentarité)
ou de compléments. ou d’interaction (Meyer et Allen, 1991). Ces formes d’enga-
gement organisationnel demeurent cependant distinctes,
En premier lieu, le caractère novateur du modèle de
chacune d’elles répondant à une logique différente.
Meyer et Allen (1991, p. 67) tire son origine d’un repo-
sitionnement définitionnel du concept dans lequel Engagement affectif – Selon Meyer et Allen (1991, p.67),
l’engagement organisationnel est vu comme « un état l’engagement affectif traduit à la fois « un attachement
psychologique qui (a) caractérise la relation de l’employé émotionnel, une identification de l’employé à son orga-
à l’endroit de l’organisation, et (b) qui influe sur la déci- nisation de même que son implication à l’endroit de cette
sion de demeurer ou non au sein de celle-ci ». Synthèse dernière ». Pour Bentein et ses collaborateurs (2000),
des premières approches unidimensionnelles qui défen- cette forme d’engagement s’inscrit alors dans la même
daient un lien de nature différente (affectif, de continuité ligne de pensée que la conception initiale de Porter et
ou normatif) unissant le travailleur à son organisation, ses collaborateurs (1974) qui, rappelons-le, faisait état
Meyer et Allen (1991) conçoivent également l’existence de la forte croyance et de l’acceptation par l’employé
de différences de nature dans cet état psychologique des buts et des valeurs de l’organisation, de sa volonté
qu’est l’engagement. Cependant, a contrario de ces pre- de produire des efforts au profit de cette dernière et
mières approches, ces auteurs jugent plus approprié de de son souhait d’en demeurer membre. Les travailleurs
ne pas y voir trois types d’engagements mutuellement fortement engagés affectivement resteraient ainsi dans
indépendants, mais plutôt trois formes d’engagement l’organisation et contribueraient activement à son essor
qui composent cet état psychologique et qui pourraient parce qu’ils le désirent (Meyer et Allen, 1991).
coexister simultanément à des degrés variables chez un
La théorie de l’échange social (Blau, 1964) et la norme de
même employé : l’engagement affectif (EA), l’engage-
réciprocité (Gouldner, 1960) qui la sous-tend permettent
ment normatif (EN) et l’engagement de continuité (EC).
de comprendre l’origine de cette forme d’engagement.
De plus, bien que ces trois formes d’engagement puissent
En fait, Blau (1964) conçoit l’échange social comme les
engendrer une plus grande rétention du travailleur dans
actions volontaires d’un individu qui sont motivées à
l’organisation, les motifs qui sous-tendent sa décision de
la fois par l’attente de la contrepartie et le fait de l’ob-
rester sont différents : le désir, l’obligation et le besoin
tenir généralement. Selon Blau (1964), le besoin de
(Meyer, Irving et Allen, 1998). Chaque employé possède
fournir la réciproque de manière à assurer la continuité
dès lors un profil d’engagement qui traduit son degré de
de l’avantage reçu constitue dès lors le mécanisme ini-
désir, d’obligation ou de besoin de rester dans l’organi-
tiateur de ce type d’interaction sociale, comme le pro-
sation (Meyer et Allen, 1991).
posait Gouldner (1960). Cependant, à l’encontre d’une
transaction économique qui s’inscrit dans une relation
formelle, davantage à court terme, et qui comporte un
Les formes d’engagement4
échange direct de ressources tangibles, l’échange social
Ainsi, chaque travailleur pourrait vivre ces trois formes implique, selon Blau (1964), des faveurs qui engendrent
d’engagement à l’égard de son organisation à des degrés des obligations futures plutôt diffuses et dans lequel la
nature de la compensation est laissée à la discrétion
de l’autre puisqu’elle ne peut être négociée. Comme le
4. À l’instar de Meyer et Allen (1991), nous utiliserons dans le mentionnent Ben Mansour, Chiniara et Bentein (2009),
présent texte les termes « formes » ou « composantes » pour
la confiance de l’individu que l’autre partie remplira ses
désigner les dimensions de l’engagement organisationnel
et les différencier ainsi de l’expression « type d’engagement » obligations de réciprocité et le temps qui permet de la
que distinguaient les visions unidimensionnelles. Afin d’éviter bâtir graduellement jouent alors un rôle fondamental
également une confusion pour le lecteur, nous utiliserons dans le développement de ce processus d’échange.
l’expression « cibles d’engagement » pour désigner les diverses
L’échange social suppose donc un ensemble d’inte-
entités vers lesquelles l’engagement peut être dirigé, bien que
l’expression « formes d’engagement » soit aussi retrouvée dans ractions qui engendrent des obligations réciproques
la documentation. ­(Cropanzano et Mitchell, 2005), échange de ressources
114 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

entre deux parties qui peuvent être impersonnelles ou Par ailleurs, distinguant l’engagement des attentes
socioémotionnelles (Vandenberghe et collab., 2009). à caractère plus instrumental et sans y voir comme
Wiener (1982) une intériorisation des normes, Scholl
Pour bon nombre de théoriciens de l’organisation, l’em-
(1981) soutient pour sa part que la norme de récipro-
ploi est vu comme un échange de loyauté et d’efforts
cité peut également constituer un mécanisme puissant
de la part du travailleur en contrepartie des avantages
dans le développement de l’engagement normatif. La
d’ordre matériel et socioémotionnel qu’il reçoit de l’or-
dette encourue par une rétribution anticipée que reçoit
ganisation ; cette vision met ainsi l’accent sur l’obtention l’employé (ex. : paiement de ses frais de scolarité) ou par
de conséquences positives pour l’organisation au moyen des investissements particuliers consentis par l’organisa-
d’un traitement généreux accordé à ses employés (Ase- tion (ex. : coûts associés à une formation) pourrait créer
lage et Eisenberger, 2003). Comme le résument bien un déséquilibre dans la relation employé-organisation
Vandenberghe et ses collaborateurs (2009), en fonction et générer chez le travailleur un sentiment d’obligation
de sa perception des ressources que peut lui offrir l’or- d’offrir une contrepartie en s’engageant envers l’organi-
ganisation (ex. : sécurité d’emploi, bonnes conditions sation jusqu’au remboursement « moral » de cette dette
de travail, soutien, autonomie) et de la valeur qu’il leur (Meyer et Allen, 1991). La version révisée de la mesure
confère, l’employé exprimera en retour un engagement de l’engagement normatif que proposeront par la suite
affectif plus ou moins important à son endroit ; l’enga- Meyer, Allen et Smith (1993) tient compte de cet aspect
gement affectif constitue en quelque sorte sa monnaie en évaluant l’obligation que ressent l’employé envers
d’échange. son organisation de façon plus générale afin d’y inclure
cette obligation basée sur le besoin pour l’employé de
Engagement normatif – L’engagement normatif reflète,
redonner en raison des bénéfices antérieurement reçus
selon Meyer et Allen (1991, p.67), « le sentiment d’obliga-
(Meyer et Parfyonova, 2010). Soulignons toutefois qu’en
tion du travailleur de demeurer en emploi ». Pour Bentein
raison d’une possible redondance entre les formes affec-
et ses collaborateurs (2000), cette forme d’engagement tive et normative, Meyer et Parfyonova (2010) ont pro-
traduit alors une attitude de loyauté envers l’organisation posé une reconceptualisation de l’engagement normatif,
qui est nourrie par le sentiment d’obligation morale de ces auteurs suggérant en fait sa double nature (impératif
l’employé à son égard, l’obligation perçue étant de fait moral et obligation contrainte).
le mobile qui sous-tend l’engagement normatif (Vanden-
Engagement de continuité – Finalement, l’engagement de
berghe, 2003). Les employés fortement engagés nor-
continuité renvoie, selon Meyer et Allen (1991, p.67), à
mativement resteraient donc dans l’organisation parce
« une préoccupation de l’employé à l’égard des coûts que
qu’ils sentent qu’ils doivent le faire (Meyer et Allen, 1991).
pourrait occasionner le fait de quitter son organisation ».
Les travaux de Wiener (1982) offrent une explication L’engagement de continuité témoigne ainsi de la percep-
théorique au développement de cette forme d’engage- tion chez l’individu d’une certaine nécessité de rester
ment. S’inspirant de la norme subjective du modèle de dans cette organisation (Vandenberghe et collab., 2009).
Fishbein et Ajzen (1975) pour baliser la définition de
Cette forme d’engagement trouve son explication dans
l’engagement organisationnel, Wiener (1982) suggère la théorie des investissements (side-bets approach) de
que le sentiment d’obligation morale de rester dans l’or- Becker (1960), selon laquelle l’engagement conscient ou
ganisation peut résulter de l’intériorisation par l’employé non (engagement « par défaut ») à l’égard d’une ligne de
des pressions normatives qui sont exercées sur lui en vue conduite (ex. : rester dans l’organisation) serait la résul-
de l’adoption d’un comportement allant de pair avec les tante d’investissements réalisés délibérément par l’indi-
objectifs et les intérêts organisationnels. Selon Wiener vidu ou qu’a générés sa participation dans l’organisation,
(1982), le développement de l’engagement normatif investissements qu’il valorise, auxquels il ne souhaite pas
serait ainsi le fruit des processus de socialisation pré- renoncer et qui augmentent le coût associé à l’adoption
cédant l’embauche de l’employé (socialisation culturelle d’une ligne de conduite différente. Selon Becker (1960),
et familiale) et dans les divers moments entourant son les investissements qui découlent de sa participation
entrée en fonction (socialisation organisationnelle). dans l’organisation et dont il ne prend conscience que
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 115

lors d’un changement peuvent notamment être le fruit dimension concernant le manque d’autres possibilités
de certains arrangements bureaucratiques impersonnels d’emploi (EC-Alt), quant à elle, traduit un engagement
(ex. : règles régissant la gestion des régimes de retraite de continuité qui résulte des perceptions négatives de
qui occasionneraient une lourde perte financière s’il l’employé envers les occasions d’emploi que recèle l’en-
quittait son emploi) ou d’un processus d’ajustement de vironnement externe (Vandenberghe et collab., 2007)
l’individu à sa position sociale (ex. : développer ses com- ou, en d’autres termes, de ses perceptions quant aux
pétences pour obtenir un poste supérieur et y renoncer difficultés relatives à l’obtention d’un emploi de même
lorsqu’il est offert parce que le rendement est plus facile nature dans une autre organisation (Vandenberghe et
à atteindre dans l’emploi actuel, ce qui l’engage à rester). collab., 2009).

Comme le mentionne Becker (1960), la crainte de


­l’individu de perdre ses avantages financiers, ses pri-
Dynamiques entre les formes d’engagement
vilèges reliés à l’ancienneté et son réseau de relations
au sein de l’organisation constitue un facteur pouvant Selon Vandenberghe et ses collaborateurs (2009), si ces
être perçu comme un coût potentiel rattaché au fait de formes d’engagement peuvent coexister chez un même
quitter l’organisation. Cette perception peut également employé à des degrés divers, comme le proposaient
s’étendre aux investissements que nécessite l’entrée Meyer et Allen (1991), le fait de les étudier de façon
en fonction dans un nouvel environnement de travail simultanée devrait favoriser une compréhension plus
(ex. : effort d’adaptation, nouvelles tâches, développe- approfondie des effets de l’engagement organisationnel
ment de n ­ ouvelles relations, acquisition de nouvelles sur les comportements des employés, ouvrant dès lors la
compétences, etc.). voie à deux perspectives de recherche : l’exploration des
profils d’engagement (approche centrée sur l’individu)
Le modèle de Meyer et Allen (1991) décrit deux facteurs et celle des interactions entre les formes d’engagement
qui pourraient influencer le développement chez l’em- (approche centrée sur les variables). Dans les études exa-
ployé d’un engagement de continuité envers son organi- minant l’effet des profils d’engagement, les répondants
sation : d’une part, l’accumulation des investissements et, sont réunis en fonction de leur degré d’engagement
d’autre part, le manque d’occasions de trouver une solu- combiné pour les différentes formes, cherchant ainsi
tion de rechange à l’emploi qu’il occupe. Les employés à faire ressortir des différences significatives entre les
fortement engagés de cette façon resteraient donc dans sous-groupes formés. Les études s’intéressant aux inte-
l’organisation parce qu’ils en éprouvent le besoin (Meyer ractions entre les formes d’engagement s’attardent plutôt
et Allen, 1991). à l’évaluation de leurs interrelations dans la prédiction
Toutefois, selon Vandenberghe et ses collaborateurs de certaines conséquences, cherchant alors à tester les
(2009), bon nombre d’études (ex. : McGee et Ford, 1987) effets de modération (Vandenberghe et collab., 2009).
ont démontré que l’engagement de continuité comporte Par exemple, dans la perspective des profils d’engagement,
en fait deux sous-dimensions : le sacrifice perçu associé Meyer, Paunonen, Gellatly, Goffin et Jackson (1989) ont
au fait de quitter son emploi (EC-Sac) et la perception des démontré que la performance globale et le potentiel
coûts résultant du manque d’autres possibilités d’em- d’avancement chez les gestionnaires présentant un
ploi (EC-Alt) ; ces sous-dimensions semblent se distin- profil EA+/EC- (engagement affectif élevé/engagement
guer à la fois par leurs déterminants et les conséquences de continuité faible) étaient plus élevés que ceux dont
organisationnelles (Vandenberghe et collab., 2007). La les profils étaient différents. Par ailleurs, les résultats
notion de sacrifice (EC-Sac) qui compose l’engagement des deux études menées par Wasti (2005) associent,
de continuité fait état des liens à la fois instrumentaux entre autres, les comportements organisationnels les
et motivationnels (ex. : l’investissement de soi) avec plus favorables aux travailleurs « très engagés » (EA, EN
l’organisation (Vandenberghe et collab., 2007). Il s’agit et EC forts) alors que les employés « non engagés » (EA,
donc des avantages tant financiers que psychologiques EN et EC faibles) auraient davantage de comportements
que l’individu sacrifierait s’il mettait fin à sa relation indésirables comparativement à ceux qui appartiennent
avec l’organisation (Vandenberghe et collab., 2009). La à tous les autres profils définis.
116 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

De façon globale, les différences significatives dont font En fait, huit cibles génériques (ou universelles) de
état les études sur ce sujet permettent des souscrire à ­l’engagement affectif de l’employé en milieu de travail
cette idée d’une meilleure compréhension des compor- ont été reconnues de façon constante dans les écrits
tements des employés grâce à une analyse par profils scientifiques – « l’organisation, le superviseur, le groupe
plutôt que par une évaluation de chacune des formes de travail, les clients, le travail (c’est-à-dire l’appropria-
prises isolément ; les profils dominés par l’engagement tion d’une éthique de travail), les tâches, la carrière et
affectif et l’engagement normatif apparaissent en outre la profession » – bien que la tâche et la profession en
les plus bénéfiques pour l’organisation (Vandenberghe tant que construits indépendants fassent l’objet d’une
et collab., 2009). récente remise en question (Morin, Morizot, Boudrias et
Madore, 2011, p. 59). D’autres cibles ont aussi été établies
En ce qui concerne la perspective des interactions, à titre
(syndicat, changement organisationnel et programmes,
d’exemple Jaros (1997) rapporte dans un des échantillons
organisations externes) sans toutefois pouvoir être quali-
de son étude une interaction significative de l’engage-
fiées de génériques, ne touchant pas tous les travailleurs
ment de continuité et de l’engagement normatif dans la
ni toutes les organisations (Morin et collab., 2011).
prédiction des intentions de départ (turnover intentions).
Ainsi, l’engagement de continuité aurait un effet négatif Il appert que les engagements envers différentes cibles
et significatif sur ces intentions lorsque l’engagement contribuent à une explication plus détaillée de certaines
normatif est faible, mais non lorsqu’il est élevé. À son attitudes et certains comportements au travail au-delà
tour, l’engagement normatif prédirait ces intentions de ce que peut prédire à lui seul l’engagement organi-
lorsque l’engagement de continuité est faible, mais ne sationnel (Ben Mansour et collab., 2009). De plus, la
les prédirait pas lorsque cette dimension est élevée. prise en compte de la double multidimensionnalité de
Au début des années 2000, les propositions formulées l’engagement des employés (formes d’engagement et
par Meyer et Herscovitch (2001) sur la nature de ces cibles d’engagement) permet également une meilleure
interactions offrent un cadre théorique permettant de prédiction de certains comportements des employés
guider plus précisément la recherche en ce sens (Meyer envers l’organisation (Bentein et collab., 2000).
et collab., 2012) et incitent à de nouvelles analyses. Dans Selon Ben Mansour et ses collaborateurs (2009), les
l’ensemble, les résultats des études montrent des effets importantes transformations vécues dans les organi-
intéressants entre autres en ce qui concerne l’engage- sations (ex. : fusions, acquisitions, décentralisation)
ment de continuité en dépit d’une interprétation qui semblent en revanche avoir fait de l’organisation une
demeure équivoque, interprétation suggérant sa double entité plus abstraite, moins visible pour l’employé, le
nature (vécu positivement ou négativement) (Vanden- supérieur, auparavant simple représentant de cette
berghe et collab., 2009). dernière, finissant par en être en partie le « point d’an-
crage identitaire » (Stinglhamber et Vandenberghe, 2002,
p. 140). Les attitudes des employés envers l’organisa-
Les cibles d’engagement tion peuvent donc être modelées par leur perception
de ceux qui la personnifient (Bishop et Scott, 2000).
Initialement, les théoriciens et les chercheurs se sont
Plusieurs études empiriques témoignent à ce jour que
intéressés plus particulièrement à l’engagement organi-
l’engagement de l’employé à l’égard de son supérieur et
sationnel qui, comme son nom l’indique, ne s’appliquait
à l’endroit de l’organisation se développe sur des bases
qu’à la relation entre l’employé et son organisation.
différentes, bien qu’elles soient souvent de même nature,
Cependant, plus récemment, une remise en question
et que l’engagement à l’égard du supérieur peut parfois
de ce postulat voulant que l’organisation soit l’unique
avoir un effet plus important sur certaines conséquences
cible de l’engagement en milieu de travail a permis de
comportementales dans l’organisation (Ben Mansour et
démontrer que le modèle tridimensionnel de Meyer et
collab., 2009).
Allen (1991) peut s’appliquer notamment au supérieur
hiérarchique, au groupe de travail, à la profession et Il est vrai que bon nombre d’auteurs (ex. : Reichers, 1986)
aux clients de l’organisation (Bentein et collab., 2000). ont fait état des conflits possibles entre les engagements
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 117

à l’égard de cibles différentes (ex. : profession vs insti- Par ailleurs, l’engagement affectif apparaissant comme le
tution) lorsque leurs buts et leurs valeurs s’opposent, plus solide prédicteur des résultantes comportementales
l’employé pouvant alors réagir en diminuant l’intensité (Lavelle, Rupp et Brockner, 2007), nous circonscrivons
de son engagement envers une des cibles, envers les notre recension aux variables qui sont associées à cette
deux ou en quittant son organisation (Bentein et collab., forme d’engagement, tout en faisant état, ici et là, de
2000). Or, certains chercheurs ont aussi démontré un certaines caractéristiques pouvant être particulièrement
effet croisé entre ces cibles (Ben Mansour et collab., reliées aux autres formes d’engagement.
2009). Ainsi, Bishop et Scott (2000) ont révélé que l’em-
ployé qui obtient un traitement juste et équitable de la
part de son supérieur, tout en devenant plus satisfait Les résultantes
envers celui-ci, peut également percevoir la justice et
Il nous semble pertinent de commencer ce tour d’horizon
l’équité comme étant les valeurs que véhicule son orga-
en scrutant d’entrée de jeu les principales résultantes de
nisation, valeurs auxquelles il s’identifie et répond en
l’engagement organisationnel. Bien que pour d’autres
offrant son engagement en retour ; l’employé désire de
thèmes il puisse être indiqué de procéder dans un autre
fait rester dans cette organisation. Les cibles d’engage-
ordre, l’importance des conséquences présumées de l’en-
ment ne sont donc pas nécessairement en concurrence
gagement qui sont au cœur de l’intérêt organisationnel
pour accaparer un potentiel d’engagement, mais peuvent
en certaines occasions servir de leviers mutuels. commande à notre avis une présentation de la sorte.
Il apparaît ainsi judicieux de s’attarder aux résultantes
avant de cerner les leviers de l’engagement organisa-
Résultantes et déterminants tionnel.

Selon Meyer et Allen (1991), les différences conceptuelles


dans les formes d’engagement organisationnel laissent L’intention de quitter l’organisation
dès lors supposer que les déterminants de chacune et le départ volontaire
d’elles peuvent varier et qu’elles peuvent également
Depuis l’introduction du concept d’engagement organisa-
avoir des répercussions différentes sur les comporte-
tionnel dans la documentation, la question du roulement
ments au travail autres que la rétention des employés.
du personnel est au centre des intérêts (Vandenberghe et
Cette thèse centrale est à l’origine des nombreux tra-
vaux subséquents qui ont cherché à corroborer cette collab., 2009). En effet, l’intention de quitter et le départ
proposition. volontaire représentent non seulement des comporte-
ments focaux intrinsèquement rattachés à ce concept
Eu égard à l’imposante documentation sur le sujet et en (Vandenberghe, 2003), mais demeurent également ses
raison de diverses configurations que sous-tend la prise en résultantes les plus étudiées à ce jour (Vandenberghe
compte d’une double dimensionnalité (formes et cibles), et collab., 2009). Comme le soulignaient Mowday et
il appert complexe et irréaliste de vouloir dépeindre un ses collaborateurs (1982), par définition, les employés
portrait complet des tenants et aboutissants de l’enga-
fortement engagés envers leur organisation souhaitent
gement de l’employé envers son organisation. Dans une
en demeurer membres et désirent contribuer par leurs
perspective didactique, nous nous limiterons ainsi à une
efforts à l’atteinte de ses objectifs. Par conséquent, ces
recension ciblée inspirée des méta-analyses (notamment,
employés devraient donc être moins enclins à la quitter.
Mathieu et Zajac, 1990 ; Meyer, Stanley, ­Herscovitch et
Les résultats des recherches empiriques vont d’ailleurs
Topolnytsky, 2002) et de travaux théoriques récents sur
en ce sens.
le sujet (entre autres, Schleicher, Hansen et Fox, 2011 ;
Vandenberghe et collab., 2009). Notre objectif se veut En effet, les relations entre l’engagement organisationnel
ainsi la mise en relief des principaux antécédents et et les variables relatives à la rétention des employés
conséquences de l’engagement organisationnel afin de ont été bien établies. De nombreux travaux font état
dresser un portrait global, mais intelligible, des divers de manière constante de corrélations négatives, d’une
aspects de cette attitude au travail. part, entre l’engagement organisationnel et l’intention
118 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

de quitter et, d’autre part, entre l’engagement organisa- de carrière. En somme, à la lumière de ces constatations,
tionnel et le départ volontaire (Meyer et Allen, 1997) 5. l’engagement organisationnel prédirait davantage l’in-
tention de quitter que le départ volontaire de l’employé,
En revanche, il a été démontré que c’est l’engagement
indépendamment de la forme étudiée (Vandenberghe
affectif qui constitue le meilleur prédicteur de l’inten-
et collab., 2009).
tion de quitter (Vandenberghe et collab., 2009). L’en-
gagement normatif y contribuerait également, mais L’efficacité d’une organisation ne repose toutefois pas
dans une moindre mesure. Bien que limités, des liens uniquement sur le développement d’une main-d’œuvre
négatifs ont aussi été observés entre l’engagement de stable. La plupart des organisations et des gestion-
continuité et l’intention de quitter (Cooper-Hakim et naires ont des attentes beaucoup plus grandes envers
Viswesvaran, 2005 ; Meyer et collab., 2002), corrélations un employé engagé que le simple fait de rester dans
dont la sous-dimension du sacrifice perçu (EC-Sac) serait l’organisation (Meyer et Allen, 1997). En effet, comme
en majeure partie responsable (Meyer et collab., 2002). le soulignent Bentein et ses collaborateurs (2000), le
fonctionnement de l’organisation est tributaire d’un
Quant à la relation entre l’engagement organisationnel
ensemble de comportements au travail. Bon nombre
et le départ volontaire, le portrait est sensiblement le
d’auteurs se sont par conséquent intéressés au lien pou-
même. Ainsi, c’est l’engagement affectif qui en est éga-
vant exister entre l’engagement affectif et d’autres types
lement le meilleur prédicteur, bien que de façon moins
de comportements essentiels à l’atteinte des objectifs de
prononcée que pour l’intention de quitter, suivi de l’en-
l’organisation.
gagement normatif et de l’engagement de continuité. Le
rôle direct que jouent ces deux dernières formes d’en-
gagement dans le processus conduisant au départ du Les autres comportements de retrait
travailleur a toutefois été moins exploré (Vandenberghe
Certaines études (ex. : Mathieu et Zajac, 1990) ont montré
et collab., 2009).
que l’engagement affectif est lié positivement, bien que
Notons cependant que, selon certains auteurs (ex. : Tett faiblement, à la présence au travail ; ce résultat peut sans
et Meyer, 1993), la relation entre l’engagement organi- doute s’expliquer, selon Bentein et ses collaborateurs
sationnel et le départ volontaire serait cependant indi- (2000), par le fait que les employés engagés affective-
recte. En effet, les réponses affectives de l’employé que ment développent une attitude positive envers l’organi-
peuvent générer divers aspects de son environnement sation qui les incite dès lors à contribuer de manière plus
de travail auraient d’abord une influence sur ses cogni- active à l’atteinte de ses objectifs. Dans un même ordre
tions/intentions qui, à leur tour, pourraient entraîner d’idées, d’autres travaux (ex. : Meyer et collab., 2002)
son départ. Aussi, certaines variables ont également été ont révélé que seul l’engagement affectif corrélait néga-
reconnues comme modératrices de l’intensité de cette tivement avec l’absentéisme. En outre, cette corrélation
relation. Ainsi, le type d’occupation y jouerait un rôle ; négative était plus forte dans le cas des absences de
l’étude de Cohen et Hudecek (1993) faisait en effet état nature volontaire. En d’autres termes, l’employé engagé
d’un lien plus fort entre l’engagement affectif et le départ affectivement déciderait moins fréquemment de s’ab-
volontaire chez les cols blancs que chez les cols bleus. senter lorsqu’il en a le choix (Meyer et Allen, 1997).
L’étape de carrière agirait aussi à ce titre ; les résultats
La relation de l’engagement affectif avec le « retarda-
de Cohen (1991) indiquant que l’engagement affectif
tisme », c’est-à-dire l’employé qui présente une ponc-
est plus fortement associé au départ volontaire lorsque
tualité variable ou qui part avant la fin de sa journée
l’employé est en début de carrière qu’en milieu ou en fin
(Koslowsky, Sagie, Krausz et Singer, 1997), offre un por-
trait relativement similaire ; les corrélations sont néga-
5. Une corrélation négative nous indique de façon générale tives, bien qu’elles soient faibles, tout comme dans le cas
que, lorsque l’engagement de l’employé envers l’organisation de l’absentéisme (Vandenberghe et collab., 2009, p. 296).
augmente, l’intention de partir et le départ volontaire diminuent
Le caractère relativement spontané de ce comportement
proportionnellement, et vice versa. Bien que cette relation
empirique n’établisse pas de causalité formelle, elle indique et la présence d’un ensemble de facteurs que l’employé
clairement la nature du lien entre ces concepts.
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 119

ne maîtrise pas nécessairement pourraient expliquer le d’évaluer le rendement de son employé le supérieur
caractère mitigé de la relation (Mathieu et Zajac, 1990). tiendrait volontairement ou involontairement compte
du degré d’engagement de ce travailleur, ce qui ne peut
À la lumière de ces résultats, l’engagement organisa-
se produire lorsqu’une mesure objective est utilisée.
tionnel jouerait donc un rôle dans l’explication de divers
comportements de retrait et d’assiduité (Vandenberghe D’autres variables ont aussi été mentionnées à titre
et collab., 2009). Comme le précisent cependant Kos- de modérateur de la relation engagement affectif-­
lowsky et ses collaborateurs (1997), certains facteurs rendement. Entre autres, Wright et Bonett (2002) ont
extraorganisationnels (ex. : les engagements hors travail) démontré que cette relation dépendait en grande
peuvent atténuer la relation engagement organisation- partie de l’ancienneté, la corrélation chez les nouveaux
nel-comportement de retrait ; ces facteurs extraorganisa- employés déclinant de façon marquée avec l’ancienneté.
tionnels ont parfois une incidence sur les comportements Selon ces auteurs, leurs résultats viennent appuyer cette
de retrait, mais sans implication directe des attitudes au notion d’un effet « lune de miel » (Cropanzano, James
travail de l’employé. et Konovsky, 1993 ; Veninga et Spradley, 1981), relié
positivement à la fois à l’engagement et au rende-
ment. Comme l’expliquent Wright et Bonett (2002), les
Le rendement employés espèrent au départ trouver dans l’organisation
Dans les écrits sur la rendement au travail, une nette qu’ils choisissent un environnement de travail leur per-
distinction est faite entre les aspects du rendement qui mettant d’utiliser leurs habiletés et qui répond à leurs
sont rattachés au rôle de l’employé dans l’organisation, besoins. Par conséquent, si l’organisation leur offre ce
c’est-à-dire l’accomplissement des tâches et des activités type d’environnement, la probabilité de maintenir un
associées à sa description d’emploi (rendement lié à la niveau élevé d’engagement et de rendement durant
tâche), et les aspects qui vont au-delà de ce rôle prescrit la période initiale d’embauche s’en trouverait alors
et de ses obligations formelles (rendement volontaire rehaussée. Dans le cas contraire, la lune de miel pourrait
ou discrétionnaire) (Meyer et Allen, 1997). La docu- prendre fin abruptement et conduire à une diminution de
mentation sur l’engagement organisationnel épouse l’engagement et du rendement, ce qu’on peut associer
ces ­distinctions. au « choc de la réalité ». Toutefois, selon Vandenberghe et
ses collaborateurs (2009), le fait qu’en début de carrière
Rendement lié à la tâche – Bon nombre d’auteurs ont
les investissements financiers, associés à l’engagement
étudié les liens entre l’engagement organisationnel et le
de continuité (EC-Sac), soient en quelque sorte inexis-
rendement formel au travail. Dans l’ensemble, les résul-
tants pourrait aussi contribuer à l’explication de cette
tats suggèrent que les employés fortement engagés de
corrélation engagement affectif-rendement plus élevée
manière affective envers l’organisation déploient plus
chez les nouveaux employés, ces derniers nourrissant
d’efforts et performent mieux que leurs collègues dont
plus exclusivement un engagement de nature affective.
l’engagement affectif est de moindre intensité (Meyer et
Allen, 1997). Les conclusions des recherches empiriques Rendement volontaire (discrétionnaire) – Pour bon nombre
abondent majoritairement dans cette direction. d’employés, travailler pour une organisation implique
beaucoup plus que le strict fait de se présenter chaque
En effet, les méta-analyses (ex. : Mathieu et Zajac, 1990 ;
jour et d’effectuer ce qui leur est demandé selon les
Meyer et collab., 2002) ont démontré, de manière
standards fixés. D’ailleurs, certains comportements qui
constante au fil des années, une corrélation positive mais
vont au-delà de ce qui est attendu sont également consi-
modeste entre l’engagement affectif et le rendement.
dérés comme étant particulièrement critiques pour le
(Vandenberghe et collab., 2009). Elles ont également
succès d’une organisation, notamment fournir une aide
révélé que cette corrélation est de façon générale plus
supplémentaire aux collègues, être volontaire pour des
élevée lorsque le rendement est évalué subjectivement
activités spéciales, se préoccuper davantage des clients
par le supérieur plutôt que par un indicateur objectif
ou émettre des suggestions spontanées au sujet des
de mesure. Selon Vandenberghe et ses collaborateurs
problèmes rencontrés (Meyer et Allen, 1997).
(2009), ce résultat pourrait indiquer qu’au moment
120 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Divers chercheurs ont alors examiné le lien entre l’en- aisément dans ces comportements extrarôle (Bentein
gagement envers l’organisation et les aspects plus dis- et collab., 2000).
crétionnaires du rendement (Bentein et collab. 2000) ou,
Selon Meyer et Herscovitch (2001), l’occurrence de ces
en d’autres termes, les comportements au travail qui « se
comportements laissés à la discrétion de l’employé serait
situent en dehors des descriptions de fonctions tradition-
tributaire de l’état d’esprit qui caractérise son engage-
nelles et des systèmes de récompenses officiels » ; ces
ment. Ainsi, l’employé engagé affectivement envers son
comportements sont fréquemment associés à la notion
organisation est lié parce qu’il le désire et parce qu’il croit
de rendement volontaire (ou discrétionnaire) (Hoffman,
à l’importance et à la signification de ses activités. Dans
Blair, Meriac et Woehr, 2007, p. 555).
ces conditions, l’engagement affectif pourrait l’amener à
Bien que le rendement volontaire ait été souvent concep- définir de façon plus large le spectre des comportements
tualisé différemment selon les auteurs (ex. : comporte- qu’il juge nécessaires pour le succès de son organisation.
ment extrarôle, rendement contextuel, comportement Par contre, dans le cas d’un engagement normatif, forme
organisationnel prosocial ou comportement de citoyen- d’attachement dans lequel l’employé ressent une obli-
neté organisationnelle) (Hoffman et collab., 2007), il est gation, les comportements discrétionnaires ne seraient
toutefois reconnu de façon générale que les attitudes des adoptés que dans la mesure où ces derniers permettent
employés, notamment l’engagement organisationnel, de combler cette obligation. Dans l’engagement de conti-
permettent de mieux prédire ces comportements qui nuité, forme d’attachement qui repose sur le besoin, les
vont au-delà des obligations formelles que le strict ren- comportements de l’employé correspondraient unique-
dement lié à la tâche (Vandenberghe et collab., 2009). ment à ceux que précisent les modalités de cet engage-
ment, c’est-à-dire les comportements pouvant s’avérer
Pour Vandenberghe et ses collaborateurs (2009), le fait
coûteux s’ils ne sont pas effectués. La méta-analyse de
que le rendement lié à la tâche soit soumis à des facteurs
Meyer et ses collaborateurs (2002) témoigne en effet
qui ne dépendent pas uniquement de l’employé (ex. :
d’une plus grande capacité prédictive de l’engagement
technologie, allocation des ressources) pourrait expli-
affectif dans l’explication des comportements de citoyen-
quer ce lien plus fort entre l’engagement affectif et les
neté organisationnelle, suivi de l’engagement normatif.
comportements de nature discrétionnaire qui, eux, sont
Pour sa part, l’engagement de continuité n’y contribue-
davantage sous le contrôle exclusif du travailleur. Ainsi,
rait que de façon marginale.
comme l’expriment Meyer et Allen (1997), les employés
fortement engagés affectivement envers leur organisa-
tion semblent beaucoup plus enclins à faire preuve de Le stress et le bien-être
comportements de citoyenneté organisationnelle que
Certains auteurs ont évalué la possibilité que l’engage-
ceux dont l’engagement affectif est plus faible.
ment organisationnel puisse avoir des incidences sur
Les conclusions des diverses méta-analyses vont en le stress, le bien-être et d’autres comportements des
ce sens (Vandenberghe et collab., 2009). Entre autres, employés hors de leur milieu de travail. De façon glo-
l’étude d’Organ et Ryan (1995) rapporte une corréla- bale, ces études cherchaient à évaluer la contribution de
tion positive de l’engagement affectif avec l’altruisme l’engagement organisationnel à la santé psychologique
et la conformité généralisée envers l’entreprise, deux des travailleurs.
dimensions du comportement de citoyenneté organisa-
Comme le suggèrent Meyer et Allen (1997), ne serait-ce
tionnelle. L’étude de LePine, Erez et Johnson (2002) fait
que parce que l’employé se sent mieux dans un envi-
aussi état de ce lien positif entre l’engagement affectif
ronnement de travail envers lequel il a une attitude
et le comportement de citoyenneté organisationnelle6.
positive, un fort engagement affectif pourrait de ce fait
En d’autres termes, les employés qui sont engagés affec-
engendrer des bénéfices personnels. Les résultats de
tivement envers leur organisation s’impliqueraient plus
certaines recherches sur le stress et ses conséquences
semblent aller dans cette direction. À titre d’exemple,
6. Le concept de citoyenneté englobe l’altruisme, le civisme, la l’étude de Begley et Czajka (1993) a démontré que le
conscience, l’acceptation tacite et la courtoisie (Organ, 1988). stress augmente le mécontentement au travail chez
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 121

l’employé dans le contexte d’une restructuration orga- qui sont associées à l’expérience de travail (antécédents
nisationnelle uniquement lorsque son engagement est situationnels). Cela étant dit, il appert que le poids des
faible. L’engagement affectif pourrait donc avoir un effet variables liées à l’individu est relativement faible compa-
adaptatif en contexte de changement (Vandenberghe et rativement à celui des variables associées à l’expérience
collab., 2009). de travail dans le développement d’un engagement orga-
nisationnel (Meyer et collab., 2002).
D’un autre côté, toujours selon Meyer et Allen (1997),
un fort engagement affectif pourrait également avoir
des conséquences néfastes sur les autres aspects de la Les antécédents liés à l’individu
vie de l’employé, ne serait-ce que sur le temps qu’il peut
Pour bon nombre d’auteurs (ex. : Mathieu et Zajac, 1990 ;
leur allouer. Dans l’ensemble toutefois, notons que les
Meyer et collab., 2002), les antécédents liés à l’individu
données recueillies ne permettent pas de corroborer
regroupent à la fois les caractéristiques sociobiogra-
cette hypothèse.
phiques et les différences individuelles. Certains auteurs
Comme l’ont également suggéré Bentein et ses collabo- plus récents, par exemple Vandenberghe et ses colla-
rateurs (2000), un fort engagement affectif de l’employé borateurs (2009), y incluent également la culture et les
envers son organisation le rendrait plus résistant face valeurs.
aux diverses sources de stress professionnel ; d’où les
avantages personnels qu’il pourrait en retirer. Selon ces Caractéristiques sociobiographiques – Dans l’ensemble,
auteurs, certains travaux (ex. : Lee et Ashforth, 1996) les liens entre les variables sociobiographiques et l’en-
démontrent en effet une association négative entre gagement organisationnel sont généralement faibles,
l’engagement affectif de l’employé et certains indica- indépendamment de la forme d’engagement étudiée
teurs de stress psychologique et d’épuisement profes- (Meyer et collab., 2002). Par contre, certaines de ces
sionnel. En ce sens, la méta-analyse de Meyer et ses variables sont néanmoins associées à un engagement
collaborateurs (2002) constate une corrélation négative organisationnel (Vandenberghe et collab., 2009). Ainsi,
entre l’engagement affectif et le stress. La corrélation les employés plus âgés auraient une prédisposition à
entre l’engagement affectif et les conflits travail-famille, être plus engagés affectivement que les jeunes travail-
souvent associés à une certaine détresse psycholo- leurs (Mathieu et Zajac, 1990 ; Meyer et collab., 2002).
gique (­Vandenberghe et collab., 2009), y est également Une plus grande satisfaction, le fait d’avoir obtenu plus
­négative. de récompenses, voire de reconnaissance, de même
que la décision reconduite de rester dans l’organisation
Nonobstant cela, Vandenberghe et ses collaborateurs
pourraient expliquer ce lien chez les travailleurs âgés
(2009) considèrent que la prudence s’impose quant aux
(Meyer et Allen, 1984). Comme le soulignaient cepen-
conclusions qui peuvent être tirées de la recherche ; les
dant Meyer et Allen (1997), la prudence est de mise dans
connaissances sur la relation potentielle entre l’enga-
l’interprétation de ces résultats parce que la corrélation
gement organisationnel et les variables du bien-être/
obtenue entre l’âge et l’engagement pourrait tout simple-
détresse psychologique demeurent limitées.
ment être le reflet de différences qui existaient dans les
cohortes générationnelles qui ont été examinées dans
chacune des études.
Les déterminants
À l’instar de l’âge, les employés ayant plus d’ancienneté
L’identification des antécédents de l’engagement orga-
dans l’organisation et dans le poste occupé tendent éga-
nisationnel et plus spécifiquement de l’engagement
lement à être plus engagés affectivement que ceux qui
affectif envers l’organisation a fait l’objet de nombreux
en ont moins, bien que la relation soit plus faible en
travaux de recherche (Bentein et collab., 2000). Comme
ce qui concerne l’ancienneté dans le poste (Mathieu et
le suggèrent Vandenberghe et ses collaborateurs (2009),
Zajac, 1990 ; Meyer et collab., 2002).
les antécédents peuvent assez aisément être répartis
dans une classification qui met en relief, d’une part, les Outre un mécanisme de justification cognitive (Meyer
variables qui sont liées à l’individu et, d’autre part, celles et Allen, 1984), la norme de réciprocité pourrait être
122 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

en cause dans l’explication du lien entre la pérennité Plus récemment, Meyer et ses collaborateurs (2002) ont
dans l’organisation et l’engagement. En effet, comme fait ressortir à leur tour certaines différences individuelles
l’expliquent pertinemment Vandenberghe et ses colla- ayant un lien positif avec l’engagement affectif de l’em-
borateurs (2009), le maintien par l’organisation de cette ployé. Ainsi, un employé qui estime que ce qu’il reçoit
longue relation d’emploi pourrait être vu par l’employé est la résultante de son comportement ou de caracté-
comme une ressource qui lui est offerte et, conformé- ristiques qui lui sont propres (locus de contrôle interne)
ment à la théorie de l’échange social (Blau, 1964), l’em- serait plus engagé affectivement envers son organisation
ployé pourrait y répondre par un attachement affectif à que celui qui y voit le fruit d’un contrôle exercé par les
son endroit. En revanche, ce lien pourrait aussi témoi- autres (locus de contrôle externe). Comme l’expliquent
gner uniquement du fait que les employés qui n’ont pas Vandenberghe et ses collaborateurs (2009), la percep-
développé un fort engagement affectif sont plus sus- tion de l’employé quant à une certaine maîtrise de son
ceptibles de quitter l’organisation, faisant en sorte que environnement de travail pourrait alors rendre plus
seuls les travailleurs très engagés se retrouvent dans le facile son identification aux valeurs de l’organisation.
groupe qui a le plus d’ancienneté (Meyer et Allen, 1997). Par ailleurs, l’employé pourrait aussi avoir tendance à
s’engager en retour envers l’organisation qui lui offre un
Différences individuelles (ou variables dispositionnelles) – En
tel contrôle (Luthans, Baack et Taylor, 1987).
dépit d’une recrudescence d’intérêt dans les années 1980
pour l’identification de variables dispositionnelles dans De plus, l’employé qui possède un sentiment d’auto-effi-
l’explication de certaines attitudes au travail, notamment cacité ou, en d’autres mots, qui a la conviction qu’il peut
la satisfaction (Judge, Heller et Mount, 2002), et bien que accomplir adéquatement la tâche demandée serait plus
les antécédents de l’engagement aient retenu l’attention engagé affectivement envers son organisation. Selon
de nombreux chercheurs, les différences individuelles Vandenberghe et ses collaborateurs (2009), le fait que les
ont été peu étudiées comme antécédents potentiels de informations dont il dispose sur son travail et qui nour-
l’engagement (Erdheim, Wang et Zickar, 2006). rissent ce sentiment d’auto-efficacité lui proviennent de
l’organisation pourrait expliquer qu’en contrepartie l’em-
Certains résultats suggèrent toutefois que la perception
ployé développe cet engagement affectif à son endroit.
de l’employé de ses propres compétences (compétences
perçues) pourrait jouer un rôle dans le développement Plus récemment, Erdheim et ses collaborateurs (2006)
de son engagement envers l’organisation. En effet, sans ont émis l’hypothèse que ceux qui sont très extravertis
toutefois pouvoir établir de différences entre les formes éprouveraient un plus grand engagement affectif que
d’engagement en raison du nombre restreint d’études, ceux qui le sont moins, étant donné que l’engagement
Mathieu et Zajac (1990) ont démontré une relation posi- affectif traduit une réaction émotionnelle positive de
tive entre ces deux variables. Ainsi, selon ces auteurs, l’employé à l’égard de l’organisation et que l’émotion
les employés s’engageraient envers une organisation positive est l’essence même du trait de personnalité
qui répond à leurs besoins de croissance et d’accom- d’extraversion. Leurs résultats semblent corroborer cette
plissement ; l’explication va de pair avec la théorie de hypothèse et vont sensiblement dans la même direc-
l’échange social (Vandenberghe et collab., 2009). tion que ceux qui ont été obtenus par la méta-analyse
de Thoresen, Kaplan, Barsky, Warren et De Chermont
Comme l’ont indiqué subséquemment Meyer et Allen
(2003) qui, entre autres, avaient fait état d’une corrélation
(1997), les employés qui ont une grande confiance à
positive modérée entre l’extraversion et l’engagement
l’égard des habiletés qu’ils possèdent et envers leurs réa-
affectif. Par ailleurs, bien que le caractère consciencieux
lisations auraient un engagement affectif plus substantiel
ne prédisait pas significativement l’engagement affectif
que ceux dont la confiance est plus faible. Selon ces
dans leur étude, Erdheim et ses collaborateurs (2006) ont
auteurs, le fait que l’employé compétent a la possibilité
toutefois démontré une corrélation significative entre
de choisir une organisation de qualité supérieure qui, en
ce trait de personnalité, qui constitue une tendance
retour, lui inspirerait un engagement affectif plus grand
générale à s’impliquer dans le travail plutôt qu’à s’impli-
constitue une explication plausible de cette relation.
quer dans l’organisation, et cette forme d’engagement.
Selon ces auteurs, ce résultat pourrait suggérer que la
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 123

forte implication dans le travail qui définit les employés existant entre les valeurs transmises par la socialisation
consciencieux pourrait s’étendre à l’organisation. culturelle (ex. : collectivisme, distance hiérarchique) et
l’engagement. D’autres auteurs (ex. : Vandenberghe et
Diverses études (ex. : Hui et Lee, 2000) ont aussi révélé la
Peiro, 1999) se sont également intéressés aux effets
présence d’un lien significatif entre l’engagement affectif
des valeurs individuelles (ex. : valeurs liées au soutien,
et l’estime de soi organisationnelle, c’est-à-dire « la mesure
aux règles ou à l’innovation) sur l’engagement organisa-
dans laquelle l’individu se perçoit apte et important en
tionnel. La diversité des valeurs étudiées rend toutefois
tant que membre de l’organisation » (Pierce et Gardner,
difficile à ce moment-ci une généralisation des conclu-
2004, p. 593). Comme le suggèrent Vandenberghe et
sions (Vandenberghe et collab. 2009).
ses collaborateurs (2009), l’employé qui se sent apprécié
par l’organisation, sentiment se traduisant chez lui par Somme toute, il appert que les divers antécédents liés à
une forte estime de soi organisationnelle, pourrait voir l’individu peuvent respectivement contribuer à l’explica-
dans cette appréciation une ressource que lui est offerte tion de la formation d’un engagement affectif chez l’em-
par l’organisation et, dans un souci de réciprocité, déve- ployé. Toutefois, rappelons-le, le poids de ces variables
lopper un engagement affectif à son endroit. individuelles reste cependant limité en comparaison
avec celui des antécédents liés à l’expérience de travail
Globalement, Meyer et Allen (1991) ont indiqué que
(Meyer et collab., 2002). Ainsi, comme l’exposent claire-
l’analyse des effets des différences individuelles (ou dis-
ment Meyer et ses collaborateurs (2002), les efforts de
positions personnelles) sur l’engagement affectif de l’em-
recrutement et de sélection d’individus qui auraient une
ployé ne devrait pas se limiter à la découverte d’un lien
prédisposition à être engagés affectivement pourraient
direct entre ces variables, mais tenir compte également
s’avérer moins efficaces que d’offrir aux employés des
de leur interaction potentielle avec les facteurs de l’envi-
expériences de travail positives à la suite de leur entrée
ronnement de travail. Certaines différences individuelles,
en fonction dans l’organisation.
à titre d’exemple, peuvent agir comme modérateur (effet
inhibiteur ou facilitateur) de l’influence des expériences
de travail sur l’engagement de l’employé. Les antécédents liés à l’expérience de travail
Cultures et valeurs – Dans leur méta-analyse, Meyer et ses La grande majorité des recherches qui ont porté sur les
collaborateurs (2002) ont noté des différences intéres- antécédents de l’engagement ont mis l’accent sur cette
santes en comparant les résultats des études réalisées en catégorie plus vaste que représentent les expériences de
Amérique du Nord et ailleurs dans le monde, notamment travail. Ce sont d’ailleurs les variables avec lesquelles un
quant à l’intensité des liens entre les formes d’engage- engagement de nature affective présenterait les liens les
ment et leurs antécédents ainsi que leurs conséquences. plus forts, de manière constante (Meyer et Allen, 1997). Il
Selon Vandenberghe et ses collaborateurs (2009), bien faut cependant insister sur le fait que, bien que certaines
que ces différences ne permettent pas de statuer sur un de ces variables aient été mesurées objectivement, les
effet culturel, puisqu’elles peuvent être attribuables à résultats des travaux empiriques ont été pour la plupart
d’autres causes (ex. : traduction des échelles de mesure), basés sur les perceptions des employés à l’égard de ces
elles invitent cependant à une réflexion plus approfondie expériences de travail. La perception y joue donc un rôle
sur le rôle que cette variable pourrait jouer dans le déve- considérable (Meyer, et Allen, 1997), mais peut égale-
loppement de l’engagement. La méta-analyse de Meyer, ment être une source de biais.
Stanley, Jackson, McInnis, Maltin et Sheppard (2012) sug-
Selon plusieurs auteurs (ex. : Mathieu et Zajac, 1990 ;
gère à son tour qu’à travers les études les valeurs et pra-
Meyer et collab., 2002 ; Vandenberghe et collab., 2009),
tiques culturelles expliqueraient davantage de variance
cette catégorie d’antécédents s’articule de façon générale
dans les niveaux d’engagement normatif que dans les
autour de trois types de facteurs : ceux qui sont liés au
niveaux des deux autres formes d’engagement, peu
poste, ceux qui sont liés au supérieur et ceux qui sont
importe la taxonomie de ces valeurs et pratiques utilisée.
liés à l’organisation. Dans les lignes qui suivent, nous
Dans un même ordre d’idées, certains auteurs (ex. : examinons respectivement ces trois types de facteurs,
Clugston, Howell et Dorfman, 2000) ont examiné le lien mais nous tenons cependant à préciser dès maintenant
124 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

que ce sont les facteurs liés à l’organisation qui ont la Bon nombre d’auteurs ont aussi analysé la relation entre
plus grande incidence sur la modulation de l’engagement les perceptions de l’employé liées à son rôle et l’engage-
organisationnel (Vandenberghe et collab., 2009). Ainsi, ment affectif. Dans l’ensemble, les études ont démontré
c’est davantage à l’échelle de l’organisation que se situe- que cet engagement est susceptible d’être plus faible
raient les principaux leviers permettant de susciter ou de lorsque l’employé ne connaît pas clairement les attentes
favoriser le maintien d’un engagement organisationnel à son endroit (ambiguïté de rôle) ou lorsqu’il doit agir
affectif chez les employés. d’une manière qui lui semble incompatible (conflit de
rôle) (Meyer et Allen, 1997). Les observations des méta-­
Facteurs liés au poste – Non seulement plusieurs carac-
analyses (ex. : Mathieu et Zajac, 1990 ; Meyer et collab.,
téristiques liées au poste occupé ont été associées à la
2002) vont dans la même direction ; elles rapportent des
satisfaction et à la motivation au travail (Meyer et Allen,
liens négatifs entre ces deux variables et l’engagement
1997), mais de nombreuses études ont aussi démontré
affectif. Bauer, Bodner, Erdogan, Truxillo et Tucker (2007)
leur lien positif avec l’engagement affectif de l’employé
voient d’ailleurs dans la clarté du rôle un des indicateurs
envers l’organisation.
clés de l’adaptation d’un nouvel employé à l’organisation
En effet, selon Mathieu et Zajac (1990), un niveau de et dans son engagement envers l’organisation une des
défi plus important dans le poste devrait conduire à un résultantes de cette adaptation. Mathieu et Zajac (1990)
engagement affectif plus élevé, particulièrement chez les ont également établi un lien négatif entre la surcharge
employés dont le besoin de croissance est élevé. Le degré de travail et l’engagement affectif de l’employé. Comme
d’autonomie et la variété des habiletés qu’il peut mettre à l’expliquent Vandenberghe et ses collaborateurs (2009),
contribution dans l’exécution de sa tâche y contribue- l’ambiguïté de rôle, le conflit de rôle et la surcharge de
raient également. En outre, leurs résultats suggèrent que travail peuvent constituer des facteurs de stress impor-
les postes qui sont perçus comme étant plus complexes tants dans le contexte du travail qui pourraient faire en
ou enrichis engendrent des niveaux d’engagement supé- sorte que l’employé vive une expérience négative de
rieurs chez les employés ; la mesure utilisée par Mathieu travail. Il semble donc plausible qu’en retour, et selon le
et Zajac (1990) combine alors l’autonomie, la variété des déploiement d’un mécanisme adaptatif de protection, cet
habiletés utilisées, la rétroaction, l’identité de la tâche et employé manifeste un engagement affectif de moindre
la signification de la tâche (dimensions issues du modèle importance à l’égard de l’organisation qui lui impose ce
de Hackman et Oldham, 1976). Dans une méta-analyse type d’environnement.
plus récente, Humphrey, Nahrgang et Morgeson (2007)
Facteurs liés au supérieur – Comme l’ont mentionné Meyer
font aussi état des corrélations positives entre ces dimen-
et Allen (1997), les relations entre les employés et leur
sions du modèle de Hackman et Oldham (1976) et l’en-
supérieur pourraient avoir une influence notable sur le
gagement organisationnel.
développement d’un engagement affectif envers l’orga-
Comme l’ont stipulé Meyer et Allen (1991), le développe- nisation. De façon générale, les études ont démontré
ment d’un engagement affectif de l’employé envers l’or- que cet engagement était plus fort en présence d’un
ganisation serait la résultante des expériences au travail supérieur qui encourage la participation à la prise de
qui se révèlent compatibles avec ses propres valeurs et décisions et qui fait preuve de considération et de jus-
qui répondent à ses besoins. Aussi, selon Vandenberghe tice à l’égard de l’employé. L’engagement affectif envers
et ses collaborateurs (2009), en offrant à l’employé un l’organisation serait également la résultante d’une appli-
poste qui lui procure des occasions d’apprentissage et cation juste des décisions et des politiques organisation-
une certaine autonomie, l’organisation pourrait ainsi nelles par le supérieur.
contribuer à combler les besoins de compétence et
Les résultats des méta-analyses vont en ce sens. Ainsi,
d’autonomie, besoins fondamentaux chez les individus
Mathieu et Zajac (1990) ont fait état de corrélations posi-
(Gagné et Deci, 2005), et à développer chez cet employé
tives entre l’engagement affectif envers l’organisation et
un engagement affectif en lui donnant également la
le leadership participatif, l’instauration d’une structure
possibilité de s’impliquer pleinement.
par le supérieur et la manifestation de considération à
l’égard de l’employé. La qualité de la communication y
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 125

contribuerait également ; le supérieur qui fournit une l’employé du soutien organisationnel et son engagement
information exacte et au moment opportun améliore affectif. Selon Vandenberghe et ses collaborateurs
l’environnement immédiat de travail et est de ce fait sus- (2009), ce fort lien pourrait trouver son explication dans
ceptible, selon ces auteurs, d’augmenter l’engagement la norme de réciprocité ; l’employé souhaite redonner à
de l’employé envers l’organisation. Pour leur part, Meyer l’organisation pour ce soutien qui lui est offert en faisant
et ses collaborateurs (2002) ont observé une corrélation preuve d’un engagement plus grand à son endroit. Par
positive entre le leadership transformationnel et l’enga- ailleurs, ce sentiment chez l’employé d’être soutenu et
gement affectif de l’employé envers l’organisation. De considéré par l’organisation pourrait également combler
Groot, Kiker et Cross (2000) ont conclu que le leadership chez lui certains besoins (besoins de soutien, d’affiliation)
charismatique était positivement relié à l’engagement du et, en retour, créer un sentiment d’appartenance qui sup-
subordonné envers l’organisation, bien que des variables pose une identification avec son organisation, augmen-
modératrices puissent y jouer un rôle. Par ailleurs, conce- tant de fait son engagement affectif organisationnel.
vant la qualité des échanges entre le supérieur et son
Pour Meyer et Allen (1997), le développement et la
employé comme un antécédent de l’engagement orga-
mise en place de politiques et de procédures qui sont
nisationnel, Gerstner et Day (1997) ont également mis
non seulement objectivement équitables, mais qui sont
en relief une corrélation positive entre ces variables.
aussi perçues comme étant équitables, constituent une
Comme l’expliquent Vandenberghe et ses collaborateurs des avenues pour rendre compte de la justice qui existe
(2009), le fait que le supérieur soit souvent perçu comme dans une organisation. Selon ces auteurs, bon nombre
un agent de l’organisation (Levinson, 1965) ou, en d’études ont démontré un lien positif entre la justice pro-
d’autres mots, que ses actions soient vues par l’employé cédurale associée aux politiques de l’organisation et l’en-
comme étant celles de l’organisation, pourrait expliquer gagement affectif des employés. En outre, Meyer et ses
cette relation entre le comportement du supérieur et un collaborateurs (2002) ont aussi révélé des corrélations
engagement de l’employé envers son organisation. En positives entre la perception de justice et l’engagement
effet, selon ces auteurs, la perception favorable de la affectif de l’employé, qu’il soit question de la justice dis-
qualité des échanges et des comportements du supérieur tributive (équité de ce qu’ils reçoivent), de la justice pro-
par l’employé pourrait avoir une incidence positive sur cédurale (équité des procédures qui conduisent à ce qu’ils
l’expérience de travail qu’il vit et contribuer en retour au reçoivent) ou de la justice interactionnelle (équité du
développement d’un engagement envers l’organisation traitement interpersonnel dans l’exercice de ces procé-
parce qu’elle lui offre cette expérience positive. dures) (Lavelle et collab., 2007). La norme de réciprocité
pourrait à nouveau jouer un rôle dans l’explication de
Facteurs liés à l’organisation – Diverses recherches ont
ces relations positives, le traitement juste pouvant être
validé le rôle déterminant des expériences de travail
vu par l’employé comme une expérience positive que lui
vécues par l’employé dans le développement de son
procure l’organisation (Vandenberghe et collab., 2009)
engagement organisationnel. Comme l’ont indiqué
et à laquelle il répond par un attachement à son endroit.
Meyer et Allen (1997), l’analyse de ces antécédents
a aussi fait ressortir les leviers psychologiques qu’ils Les profonds changements survenus dans la structure
avaient en commun. Selon ces auteurs, ces études des organisations (ex. : réduction des effectifs, délocali-
auraient en fait souligné l’importance des expériences sation) ont également incité les chercheurs à évaluer le
de travail qui envoient aux employés le message que lien entre le bris de contrat psychologique et l’engagement
l’organisation les appuie, les traite avec justice et valorise des employés. Le bris se produit donc lorsque l’employé
leur contribution, rehaussant ainsi chez ces travailleurs perçoit que l’organisation n’a pas tenu sa promesse ni
le sentiment de leur importance et de leur compétence. rempli sa part du contrat et qu’il estime devoir dans ce
Les résultats des méta-analyses semblent en témoigner cas diminuer son engagement affectif envers elle. Les
également. résultats de la méta-analyse de Zhao, Wayne, Glibkowski
et Bravo (2007) vont dans ce sens ; ils rapportent en effet
Meyer et ses collaborateurs (2002) ont en effet rapporté
une corrélation négative entre le bris de contrat psycho-
de fortes corrélations positives entre la perception de
logique et l’engagement affectif. Selon Vandenberghe et
126 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

ses collaborateurs (2009), la charge affective importante DeShon (2003) ont fait état dans leur méta-analyse
que constitue un bris de contrat psychologique pourrait de corrélations positives entre les trois dimensions du
expliquer la diminution de cet engagement, lui aussi climat organisationnel, bien qu’elles soient plus fortes
étant de nature affective. avec la dimension affective, et l’engagement affectif des
employés.
Certaines études ont également porté sur les effets que
pouvaient avoir les pratiques de gestion des ressources Pour leur part, s’appuyant sur le concept du climat
humaines sur l’engagement des employés. Entre autres, éthique, Martin et Cullen (2006) ont également démontré
Meyer et Smith (2000) ont observé des relations posi- une corrélation positive plus importante entre l’enga-
tives entre les pratiques en matière d’évaluation de gement affectif et le climat éthique de type bienveil-
la performance, de rémunération, de formation et de lant qu’avec les autres types (ex. : axé sur les codes et
développement professionnel et l’engagement affectif les lois ou instrumental). Selon ces auteurs, dans une
des employés. Toutefois, la relation entre ces variables atmosphère bienveillante, les individus perçoivent que
était indirecte ; la perception des employés du soutien les décisions sont ou seront prises sur la base d’une pré-
organisationnel et celle de la justice procédurale, dans occupation éthique envers les autres dans l’organisation
une moindre mesure, ont un effet médiateur entre ces ou, plus globalement, envers la société comparative-
variables. Selon ces auteurs, ces pratiques pourraient ment, par exemple, à un climat éthique instrumental
donc constituer pour l’organisation un moyen lui per- où les individus voient dans les normes appuyées par
mettant de manifester son soutien ou sa reconnaissance l’organisation un encouragement à une prise de décision
envers ses employés qui, à leur tour, nourriraient un atta- en fonction des intérêts personnels. Ainsi, l’engagement
chement réciproque. Simard, Doucet et Bernard (2005) affectif de l’employé serait donc particulièrement associé
ont également fait ressortir que les perceptions de cha- aux aspects relationnels du climat organisationnel et
cune des formes de justice constituaient des variables influencé favorablement par un climat éthique au
médiatrices essentielles dans la contribution des pra- sein duquel le bien commun est pris en considération
tiques de gestion des ressources humaines à la formation (Vandenberghe et collab., 2009).
et au maintien d’un engagement des employés envers
Finalement, à l’instar des valeurs individuelles, les per-
leur organisation. Selon Vandenberghe et ses collabo-
ceptions de l’employé des valeurs organisationnelles
rateurs (2009), le fait que les pratiques de gestion des
pourraient également avoir un effet sur son engage-
ressources humaines représentent des variables plus
ment envers l’organisation. À titre d’exemple, l’étude
distales que les perceptions de justice ou de soutien
de Finegan (2000) a démontré que plus les employés
organisationnel qui, elles, sont étroitement liées aux
perçoivent les activités de l’organisation comme l’expres-
individus, donc plus proximales, pourrait expliquer les
sion de valeurs d’humanisme (courtoisie, coopération,
limites de ces liens.
considération, justice, pardon et intégrité morale) et de
Pour certains auteurs, le climat organisationnel ne serait valeurs liées à une vision (développement, initiative,
pas étranger à l’engagement organisationnel manifesté créativité et ouverture), plus leur engagement affectif
par les employés. Ostroff (1993) décrit le climat organi- à son endroit est fort. Toutefois, selon Vandenberghe
sationnel sur la base de trois dimensions et des éléments et ses collaborateurs (2009), en raison de la diversité
qui leur sont respectivement rattachés : affective, qui a des valeurs organisationnelles qui ont été analysées, la
trait aux relations interpersonnelles et sociales entre comparaison entre les études demeure difficile.
les employés (participation, coopération, atmosphère
En guise de synthèse, le schéma 1 propose un résumé
chaleureuse et récompenses sociales), cognitive, reliée
des principales relations détectées entre l’engagement
principalement à l’implication de soi dans les activités
organisationnel, ses antécédents et ses conséquences.
du travail (croissance, innovation, autonomie et récom-
penses intrinsèques), et instrumentale, concernant la
réalisation des tâches dans l’organisation (hiérarchie,
structure, récompenses extrinsèques, accomplissement).
Reprenant cette classification, Carr, Schmidt, Ford et
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 127

Schéma 1 Principaux antécédents et résultantes de l’engagement organisationnel

Les corrélats Paullay, Alliger et Stone-Romero (1994, p. 225) défi-


nissent l’implication en emploi comme « le degré d’intérêt,
En tant qu’attitude, l’engagement organisationnel peut d’engagement et de souci que l’employé manifeste à
présenter une certaine parenté avec d’autres attitudes l’endroit de son poste » ; le concept englobe à la fois
(Vandenberghe et collab., 2009). Aussi, dans l’explication « l’engagement face à certaines tâches » et « la valori-
de l’engagement, bon nombre d’auteurs ont fait mention sation tirée de l’exécution des fonctions de son poste
d’une autre catégorie de variables qui inclut notamment dans l’environnement de travail actuel ». Selon Kanungo
diverses attitudes au travail de même que des états, telle (1982), l’implication de l’employé découlerait souvent de
la motivation ; ces variables sont qualifiées de corrélats la satisfaction de ses besoins qu’il y trouve. Alors que
de l’engagement en raison de l’absence de consensus sur l’engagement organisationnel témoigne d’une attitude
leur lien de causalité (Meyer et collab., 2002). face à l’organisation, l’implication en emploi traduit donc
Bien que divers corrélats de l’engagement organisa- principalement une attitude de l’employé envers un tra-
tionnel aient été relevés, nous nous attardons plus vail spécifique (Morrow, 1993). Cependant, une corré-
particulièrement à l’implication en emploi et à la satis- lation entre ces deux variables pourrait exister, dans la
faction au travail, deux attitudes au travail qui lui ont mesure où l’organisation offre à l’employé le travail qu’il
fréquemment été associées (Vandenberghe et collab., désire (Mathieu et Zajac, 1990). Certaines méta-analyses
2009). Comme l’ont souligné Meyer et ses collabora- (ex. : Cooper-Hakim et Viswesvaran, 2005 ; Mathieu et
teurs (2002), tout en constituant des concepts distincts Zajac, 1990 ; Meyer et collab., 2002) ont effectivement
de l’engagement organisationnel, l’implication en emploi rapporté des corrélations positives somme toute assez
et la satisfaction au travail possèdent toutes deux une fortes entre l’engagement affectif et l’implication. Ainsi,
composante affective et, de ce fait, pourraient alors être le sentiment d’attachement de l’employé à son organi-
vues comme les corrélats de l’engagement, ou du moins sation serait relié, du moins en partie, au fait de se voir
d’un engagement de nature affective. impliqué dans une activité qui est effectuée dans celle-ci
(Vandenberghe et collab., 2009).
128 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

L’influence de la satisfaction au travail, et ses diverses multiples conditions favorisant son essor, caractéristiques
facettes, est sans contredit la question qui a été la plus du travailleur, de l’emploi et de l’organisation s’intriquant
analysée dans les écrits sur l’engagement organisa- afin de générer le contexte propice au développement et
tionnel (Mathieu et Zajac, 1990). Cette attitude s’est au maintien de l’engagement organisationnel. En guise
aussi inscrite de façon plus marquée au cœur du débat de conclusion, il nous semble pertinent, voire essentiel, de
concernant la causalité (Meyer et collab., 2002). cerner certains aspects pratiques, scientifiques et critiques
associés à la notion d’engagement organisationnel.
À l’instar de l’implication en emploi, les résultats des
méta-analyses (ex. : Cooper-Hakim et Viswesvaran, Perspectives pratiques – Les pratiques de gestion dans les
2005 ; Meyer et collab., 2002 ; Tett et Meyer, 1993) ont organisations peuvent avoir une incidence sur l’engage-
également révélé de fortes corrélations positives entre ment des employés par le truchement de quatre princi-
l’engagement et la satisfaction au travail, mais bien plus paux mécanismes : le sentiment qu’ils sont soutenus et
importantes qu’avec les autres corrélats potentiels. Cer- considérés, la perception de justice, le sentiment de leur
taines méta-analyses (ex. : Mathieu et Zajac, 1990 ; Meyer importance pour l’organisation et le sentiment de réali-
et collab., 2002) ont en outre démontré que l’engage- sation personnelle (Bentein et collab., 2000).
ment affectif de l’employé envers l’organisation serait
D’ailleurs, Eisenberger, Huntington, Hutchison et Sowa
plus fortement relié à la satisfaction globale au travail
(1986) ont postulé que les employés, dans la person-
qu’à la satisfaction envers des facettes spécifiques du
travail, notamment la supervision, les collègues et le nification qu’ils font de l’organisation, vont également
travail en soi. Comme le précisent Meyer et ses collabo- développer des croyances au sujet de la valeur qu’elle
rateurs (2002), ce fort lien entre l’engagement affectif accorde à leur contribution et au sujet de sa préoccupa-
et la satisfaction globale pourrait être attribuable au fait tion à l’égard de leur bien-être ; cela détermine ainsi sa
que les mesures de la satisfaction globale incluent des disposition à récompenser leurs efforts et à répondre à
indicateurs évaluant de façon plus générale la satisfac- leurs besoins de valorisation et d’approbation. Comme
tion envers l’organisation et ses gestionnaires. l’indiquent ces auteurs, la fréquence de cette valorisa-
tion de même que le jugement posé par l’employé sur
Cependant, ces constatations ne permettent pas pour la sincérité de ces gestes influenceraient sa perception
autant de conclure que les deux concepts sont redon- du soutien organisationnel. De même, des aspects telles
dants (Meyer et collab., 2002), certains auteurs (ex. : la rémunération ou la possibilité d’une influence sur
Harrison, Newman et Roth, 2006 ; Tett et Meyer, 1993)
les politiques organisationnelles pourraient avoir une
ayant en effet mis en relief l’importance de tenir compte
influence sur le soutien perçu dans la mesure où ils véhi-
à la fois de l’engagement organisationnel et de la satis-
culent le message que l’organisation évalue positivement
faction au travail des employés aux fins d’une meilleure
le travail accompli.
compréhension et d’une gestion plus adéquate de leurs
comportements. Aussi, selon Allen, Shore et Griffeth (2003), les pratiques
de gestion des ressources humaines qui suggèrent plus
spécifiquement que l’organisation investit dans ses
employés et qui témoignent de sa reconnaissance à
Conclusion l’égard de leur contribution envoient non seulement
À la lumière des multiples connaissances que nous pos- le signal d’un soutien organisationnel, mais également
sédons actuellement sur le concept d’engagement orga- d’une volonté à maintenir une relation d’échange avec
nisationnel, force est de reconnaître que cette attitude au ses travailleurs. De fait, leur étude a démontré que la par-
travail est à la fois importante et complexe. L’importance ticipation à la prise de décisions, l’équité dans les récom-
de l’engagement organisationnel tient essentiellement à penses et les possibilités de développement contribuent
sa contribution à l’adoption d’un nombre considérable à nourrir une perception du soutien organisationnel qui,
de comportements que les organisations ont avantage à son tour, a un effet sur l’engagement des employés.
à voir apparaître chez la plus grande proportion de leurs En outre, les pratiques de gestion seraient également
employés. Sa complexité, quant à elle, tient dans les plus susceptibles d’exercer leur influence lorsqu’elles sont
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 129

vues par l’employé comme étant motivées par une réelle et les superviseurs qu’elle nomme pour atteindre ses
préoccupation de l’organisation à son endroit plutôt que objectifs. Tout d’abord, l’engagement envers l’organi-
par la nécessité de se conformer à des exigences légales sation sera, entre autres, dépendant des politiques et
ou par un désir de productivité accrue (Meyer et Allen, des pratiques mises en place et valorisées par la haute
1997). direction. Ensuite, l’engagement à l’égard du supérieur
sera partiellement tributaire de l’articulation particulière
Dans l’application des procédures et des politiques orga-
que donnera le gestionnaire aux règles et aux procé-
nisationnelles, les recherches semblent indiquer que l’en-
dures édictées par l’organisation. Bien que ses actions
gagement affectif de l’employé serait plus étroitement lié
soient restreintes par les balises organisationnelles fixées
à la perception de justice dans les procédures utilisées
a priori, il n’en reste pas moins que le supérieur immédiat
pour en arriver à une décision qu’à ce qui en résulte
est un acteur de premier plan dans l’engagement des
(Bentein et collab., 2000). En d’autres mots, l’engage-
employés, tant par son rôle à titre de représentant de
ment affectif serait davantage tributaire de la percep-
l’organisation qu’en tant que cible d’engagement.
tion d’équité face à l’application de ces politiques que
de la satisfaction de l’employé envers les conséquences Malgré la responsabilité qui incombe assurément à
qu’elles comportent pour lui (Meyer et Allen, 1997). Il est l’organisation en ce qui a trait à l’engagement de ses
alors plausible de supposer que, dans le contexte organi- travailleurs, il serait vain de chercher une solution sim-
sationnel plus difficile des dernières années qui impose pliste ou une quelconque recette qui permette aisé-
divers changements et où les gestionnaires ont moins ment d’engendrer cette attitude. Dans les faits, en dépit
de latitude pour implanter des pratiques de gestion qui des déterminants que lui attribue la documentation, il
constituent des antécédents de l’engagement (ex. : poli- demeure que l’apparition et le maintien de l’engage-
tiques de formation, de promotion, politiques salariales), ment relèvent davantage d’un contexte que de quelques
la justice procédurale et la communication des décisions variables spécifiques. Ainsi, les conditions gagnantes
(telles qu’elles sont perçues par les employés) pourraient permettant de favoriser l’émergence d’un réel engage-
atténuer les effets négatifs de ces changements sur l’en- ment des travailleurs doivent être établies à partir d’un
gagement (Bentein et collab., 2000). diagnostic attentif des groupes, des unités de travail ou
des services concernés.
Les recherches ont également démontré que la récep-
tivité de la direction à l’endroit des suggestions émises Perspectives scientifiques – Sans contredit, les quelques
par les employés peut alimenter la perception de leur dernières décennies témoignent des progrès considé-
importance pour l’organisation. Les politiques de mobi- rables dans la compréhension de l’engagement de l’em-
lité interne, et plus précisément celles qui concernent les ployé en milieu de travail (Meyer et collab., 2008) et il
promotions, peuvent aussi être perçues par les employés serait téméraire de vouloir en brosser un portrait com-
comme un engagement envers eux de la part de l’or- plet. Aussi, nous nous attardons sur quelques éléments
ganisation (Bentein et collab., 2000). Par ailleurs, les qui reflètent ces avancées.
employés manifesteront un engagement affectif envers
En général, comme le soulignent Becker, Klein et Meyer
une organisation dans la mesure où elle répond à leurs
(2009), les diverses implications de l’engagement tant
besoins et favorise l’atteinte de leurs objectifs (Meyer et
pour l’individu lui-même que pour la cible de son enga-
Allen, 1997), d’où l’importance d’assurer une adéqua-
gement sont maintenant connues, de nombreux anté-
tion entre les attentes des employés et ce qu’ils vivent
cédents de l’engagement ont été décrits et il est bien
quotidiennement.
établi que l’employé peut développer de multiples enga-
Nonobstant cela, il appert que, malgré un potentiel d’en- gements en milieu de travail ; ces engagements peuvent
gagement qui s’avère probablement assez variable d’un être conflictuels ou créer une synergie, lorsqu’ils sont
employé à l’autre, l’organisation possède divers leviers lui compatibles. Les travaux plus récents d’Askew, Taing et
permettant d’influencer la teneur de cet engagement, et Johnson (2013) analysent d’ailleurs d’un point de vue
plus précisément l’appréciation à l’égard de cibles parti- théorique la nature des interactions possibles entre les
culières, soit l’organisation qu’elle incarne globalement engagements multicibles. Dans les années 2000, cette
130 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

reconnaissance des multiples cibles se traduit par un En revanche, malgré le fait que la conceptualisation de
éloignement continuel de l’engagement organisationnel l’engagement ait été longtemps au centre de l’attention
comme seul objet d’étude (Meyer et collab., 2008). Se des théoriciens, force est d’admettre qu’une absence
développent ainsi des modèles intégrateurs des divers de consensus sur sa définition et sa mesure perdure ;
engagements en milieu de travail (Klein, Molloy et la divergence d’opinions sur la dimensionnalité qui
Cooper, 2009). existe encore à ce jour traduit certaines différences fon-
damentales dans l’approche de l’engagement (Meyer,
De plus, la complexité que créent les combinaisons
2016). S’oppose en fait la vision unidimensionnelle de
potentielles des formes et des cibles d’engagement
Klein et ses collaborateurs (2012) à la perspective mul-
amène la proposition de nouvelles stratégies de mesure,
tidimensionnelle proposée initialement par Meyer et
centrées sur la personne (ex. : latent profile analysis), à
Allen (1991).
titre de complément des approches plus traditionnelles
centrées sur les variables (ex. : modèles de régression) Bien que l’essence même de l’engagement soit unidimen-
(Meyer, Stanley et Vandenberg, 2013). Bien que l’engage- sionnelle dans le modèle à trois composantes, Meyer
ment ait été mesuré surtout comme un construit statique, (2009, p. 39) définissant plus récemment l’engagement
la nature temporelle du processus de développement de comme « une force intérieure qui lie l’individu à une cible
l’engagement est désormais reconnue (Becker et collab., (sociale ou non sociale) ou à une ligne de conduite per-
2009). À cette évolution dans la théorie correspond tinente pour cette cible », cette force est toutefois vécue
alors la nécessité de nouveaux développements dans comme un état d’esprit conscient dont la nature peut dif-
la méthodologie (ex. : latent growth modeling) permet- férer. La multidimensionnalité de l’engagement s’explique
tant, entre autres, d’examiner de plus près les questions donc par ces différences (Meyer et Herscovitch, 2001).
relatives aux schèmes (patterns) de changement (ex. : Pour leur part, distinguant l’engagement des autres liens
la façon dont les changements dans l’engagement du psychologiques que peuvent développer les individus en
travailleur sont reliés à des modifications de ses condi- milieu de travail (ex. : instrumental, identification), Klein
tions de travail), des questions auxquelles les procédures et ses collaborateurs (2012) le conceptualisent comme
standards (ex. : logique corrélationnelle) pouvaient diffi- un type particulier de lien. Plus précisément, ces auteurs
cilement répondre (Meyer et collab., 2008). voient dans l’engagement « un lien volontaire reflétant
le dévouement et la responsabilité à l’égard d’une cible »
Par ailleurs, certaines variables plus proximales qui
(p. 131). Selon Klein et Park (2016), la définition de l’en-
semblent particulièrement cruciales dans le dévelop-
gagement étant ainsi circonscrite à un type unique de
pement de l’engagement ont été dégagées : le soutien
lien psychologique, des concepts auxiliaires tels que les
organisationnel et la justice organisationnelle perçus,
états d’esprit ne sont plus requis.
l’adéquation personne-organisation et le respect du
contrat psychologique ; les changements vécus dans Cependant, comme le mentionne pertinemment Meyer
les organisations peuvent en effet, selon Meyer (2009), (2016), loin de traduire un manque de progrès, l’absence
influencer indirectement l’engagement d’un employé de consensus témoigne plutôt d’une quête de connais-
par l’entremise de leur influence sur ces quatre facteurs sances inachevée ; ces désaccords peuvent alors nourrir
clés. De plus, dans les efforts d’identification des méca- les recherches futures.
nismes qui sous-tendent les relations entre l’engagement
Perspectives critiques – Outre les critiques plus ciblées dont
et le comportement, certaines théories de la motivation
a fait l’objet le modèle tridimensionnel de Meyer et Allen
ont été plus récemment mises en lien avec le modèle à
(1991), le chevauchement important entre les compo-
trois composantes (Meyer et collab., 2012). En outre, la
santes affective et normative (ex. : Ko, Price et Mueller,
mondialisation de l’économie et une diversité culturelle
1997), la remise en question de la dimensionnalité de
plus grande dans les milieux de travail ont également
l’engagement de continuité (ex. : McGee et Ford, 1987)
favorisé une recrudescence d’intérêt pour la question des
ou cette préoccupation envers la notion même d’état
différences culturelles dans l’engagement d’un employé
d’esprit (Klein, Brinsfield et Molloy, 2006), pour n’en
(Meyer, Stanley, Jackson et collab., 2012).
 6   E ngagement organisationnel  : un état des connaissances 131

nommer que quelques-unes, le concept d’engagement La vision de l’engagement généralement véhiculée offre
en lui-même alimente également maints débats. un portrait positif du concept. Or, Meyer et Allen (1997)
ont toutefois soulevé certaines interrogations quant
Dans l’ensemble, la documentation sur l’engagement
aux désavantages que l’engagement pourrait égale-
s’est vue reprocher le peu d’intérêt porté à l’expérience
ment avoir, et cela tant pour les employés que pour les
de l’individu engagé, les sujets n’étant pas interrogés
organisations. Vinet (2004) soulignait par ailleurs que
directement ou indirectement sur leurs perceptions ou
cet engagement des travailleurs très prisé par les orga-
leurs propres définitions de l’engagement (Reichers,
nisations pour rester concurrentielles n’excluait en rien
1985).
la possibilité d’un contrôle plus étroit de la part de l’em-
Dans un même ordre d’idées, certaines auteures (ex. : ployeur. Plus récemment, Morin, Vandenberghe, Turmel,
Singh et Vinnicombe, 2000) ont mis en relief l’effet Madore et Maïano (2013) ont aussi examiné la possibi-
modérateur du sexe et du niveau hiérarchique dans le lité d’une relation curvilinéaire entre l’engagement et
sens intrinsèquement donné à la notion même d’enga- ses conséquences. Leurs données suggèrent un plafond
gement. Ces différences pourraient s’avérer sensibles aux retombées positives de l’engagement, confirmant
lorsque l’avancement de la carrière d’un individu est lié à en partie l’adage populaire voulant que « le mieux soit
l’évaluation de son engagement. Bien qu’ils soient basés parfois l’ennemi du bien ».
sur des données provenant d’un nombre limité de répon-
Malgré tout, comme le soutient Meyer (2016, p.3), « les
dants, ces constats pourraient être cruciaux lorsqu’ils
engagements sont importants » pour les individus ; la
sont généralisés à d’autres différences individuelles.
perception négative associée au bris d’un engagement
Becker et ses collaborateurs (2009) notent d’ailleurs le
et le cynisme engendré par un manque de sincérité dans
peu d’attention portée aux variables démographiques
le processus en sont des témoignages éloquents.
telles que les antécédents ethnique et culturel dans
l’étude de l’engagement.

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Redécouvrir le management
Un investissement précieux pour tempérer
les croyances
Marie-Noëlle Berthon

Introduction s’efforcent d’apporter des préconisations, en se fondant


sur les études scientifiques qui modélisent, avec rigueur,
En 2010, la revue Santé et travail proposait, dans sa les propriétés humaines propices à l’efficacité person-
rubrique « Actualités », un article intitulé « Branle-bas de nelle et à la réussite. Pour ce qui est du « management »,
combat sur la souffrance au travail ». Depuis quelque un grand nombre de traités offrent aux étudiants, aux
temps déjà, la médiatisation d’évènements tragiques, enseignants et aux formateurs, des synthèses substan-
au sein de France-Télécom, retenait l’attention des par- tielles et fréquemment actualisées des grandes écoles
lementaires et du gouvernement en place. Plusieurs de pensée qui influencent ce domaine (l’école classique,
commissions et missions se concentraient sur le pro- l’école des relations humaines, l’école de la décision,
blème. En 2008, un rapport en particulier, présenté par l’école de la contingence, etc.).
Nasse et Légeron, « Sur la détermination, la mesure et le
Même si dans ce chapitre nous revenons sur certains fon-
suivi des risques psychosociaux au travail », va offrir des
dements et principes, c’est surtout pour mettre en mou-
bases pour multiplier les initiatives et les propositions
vement des logiques et des forces qui s’entrecroisent,
sur la prévention du stress et de la souffrance au travail.
chemin faisant, et se dissimulent souvent. En ne lais-
Rapidement, tous les regards vont converger vers « le
sant pas toujours d’espace, pour être en mesure de les
management », pour en rappeler le rôle essentiel dans les
démêler et de les situer, ces logiques et ces forces se
fonctionnements d’une organisation, si ce n’est ses res-
transforment parfois en croyances, quand ce n’est pas en
ponsabilités dans la situation faisant débat. La formation
dogmes. Pour les spécialistes des ressources humaines
des managers et des futurs managers à la santé au travail
et pour tous ceux qui accompagnent les entreprises, à
devient alors un vaste chantier. Et nombre de cabinets
l’heure où le manager est mis en avant comme étant
d’experts, consultants et sociétés de conseils, se spé-
un acteur décisif dans la construction de la santé de
cialisent dans la prévention des risques psychosociaux
ses collaborateurs, il apparaît pertinent de redécou-
et l’apprentissage des bonnes pratiques managériales.
vrir des « pans coupés » et parfois même « tronqués » de
Qu’est-ce qu’un bon manager et comment le devenir ? l’univers managérial. S’il est possible de comprendre
Les magazines, les revues professionnelles, mais aussi les une volonté de prioriser la simplicité, les aspects pra-
écoles et les organismes de formation en management, tiques et concrets, une attention portée aux processus
138 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

d’élaboration des connaissances et à leur diffusion peut contemporains, en effet, le terme management est un
aussi permettre de mieux saisir certains enjeux, comme vieux mot français qui nous revient après un détour par
des points d’achoppement. le monde anglo-saxon : management viendrait de ména-
gement, activité de ménager, c’est-à-dire de l’intendant
Après un rapide cadrage étymologique et une remise en
de la maison, du domaine agricole et, par extension,
contexte, nous proposons de revenir sur l’introduction
de l’entreprise » (Pouget, 2008, p. 921). Bien qu’elle soit
du management professionnel en France. À partir de
largement diffusée dans des manuels de gestion et de
ces développements, nous serons plus à même d’ap-
management, cette étymologie où la maison tiendrait
préhender la place qu’occupe la perspective scientifique
lieu de référence au management est en réalité inexacte.
dans le champ du management. Dans le prolongement
Selon Pouget, le terme anglais de management vient
de ces analyses, nous nous efforcerons de saisir en quoi
de l’italien maneggiare qui signifie manier, conduire, et
une vision mécaniste s’est durablement installée dans
dont l’origine latine est manus, la main. « Originellement,
les schémas de pensée et d’action ; au point qu’il semble
maneggiare désigne l’activité du maître de manège qui
difficile, parfois, de la reconnaître et de s’en distancier.
impose sa main au cheval qu’il dresse » (Pouget, op. cit.,
En investissant ensuite, successivement, la conversion
p. 922).
des chefs en managers, puis des managers en leaders,
et des leaders en chefs de projets, nous aborderons dif- Ce rattachement du management à la main du dresseur
férents dispositifs pour analyser leur traduction et leurs est en quelque sorte célébré par le titre de l’ouvrage
répercussions concrètes. S’arrêter sur le management d’Alfred Chandler, économiste et historien américain,
de la qualité et le management stratégique nous per- The Visible Hand : The Managerial Revolution in American
mettra d’examiner le renforcement du rôle des managers Business. Chandler (1977) examine en quoi, au tournant
dans un contexte organisationnel en pleine mutation. du xxe siècle, un ensemble de transformations en profon-
Enfin, en scrutant cette volonté de renforcer la place des deur va redéfinir l’économie américaine et aboutir au fait
managers, jusqu’à ambitionner d’en faire des acteurs que « la main visible des managers » va progressivement
« invincibles », nous tenterons de montrer comment peut remplacer « la main invisible du marché » comme mode
s’opérer un déplacement des problèmes, mais aussi de régulation des échanges.
un certain empêchement pour renouveler la réflexion Selon cet auteur, c’est pour répondre au rythme accé-
et l’action. léré des innovations techniques et de l’accroissement
de la demande des consommateurs aux États-Unis que
l’entreprise moderne va se doter d’une nouvelle classe
Management : étymologie d’hommes d’affaires : les managers. Répartis sur une
ligne hiérarchique, les managers des niveaux supérieurs
et remise en contexte vont s’attacher à planifier la répartition des ressources et
Le vocable de « management » est partout aujourd’hui. la coordination de l’activité des niveaux intermédiaires.
L’expression s’est généralisée, elle est devenue très Les managers des niveaux intermédiaires vont inventer,
en vogue dans le langage courant. De plus en plus de de leur côté, les moyens d’accélérer les processus de pro-
domaines se « managent » : les sportifs, sa vie privée, ses duction et de distribution. Ils vont s’intéresser à l’abaisse-
passe-temps, ses vacances… Mot magique, mot-­valise, ce ment des coûts en employant de façon plus rationnelle
terme est désormais considéré, par des auteurs reconnus les ressources à leur disposition.
dans ce champ, comme étant galvaudé (Thietart, 2003 ;
Rappeler les racines du terme « management » permet
Delavallée, 2004).
finalement de mettre aussi l’accent sur ces moyens pro-
Au sujet de ce mot introduit officiellement dans la langue gressivement façonnés au début du xxe siècle, à l’inté-
française en 1973, nombre d’auteurs dans le domaine rieur des entreprises américaines, afin de perfectionner
tiennent à rappeler qu’il ne s’agit pas de franglais, les structures organisationnelles et leur gestion. S’il n’est
mais seulement du retour d’un ancien mot français. pas encore question de management scientifique, un
« Pour la plupart des gestionnaires et beaucoup de nos corpus de connaissances empiriques et de solutions
 7   R edécouvrir le management – U n investissement précieux pour tempérer les croyances 139

expérimentées in vivo commence à se constituer et à se détaille et analyse les préalables structurels qui ont
transmettre. En 1881, déjà la première école supérieure conduit à transférer les connaissances et les méthodes
de commerce américaine, Wharton, ouvrait ses portes. managériales américaines : crise nationale en France,
« C’est Joseph Wharton, un entrepreneur visionnaire de dépendance géopolitique envers les États-Unis, début de
Philadelphie, ayant fait fortune dans l’acier, qui a porté la guerre froide, lancement du plan Marshall… En met-
et financé le projet. Il a demandé à l’Université de Penn- tant en exergue des jeux de renforcement et des enjeux
sylvanie de “créer une école dans le but de préparer de contrôle, conduits des deux côtés de l’Atlantique par
de jeunes hommes à assumer des responsabilités de une minorité d’acteurs de la sphère publique française et
contrôle et de décision dans l’économie complexe qui des modernisateurs américains, Djelic explicite comment
était en train d’émerger” » (Djelic, 2004, p. 5). Berry (2013) la logique managériale a été implantée, malgré la résis-
rappelle que la gestion et le management ont été prin- tance, à ce moment-là, des acteurs privés et des repré-
cipalement enseignés dans les écoles de commerce sentants du capitalisme traditionnel français. Elle pointe
(business schools), jusqu’aux années 1960, par des pra­ en particulier le rôle de l’École nationale d’administration
ticiens qui généralisaient à partir de leurs expériences. (ENA), créée en 1945, dont la pédagogie et le programme
étaient calqués sur ce qui se faisait aux États-Unis. « Les
Même si la légitimité scientifique du management est étudiants de l’ENA sont devenus très vite des champions
apparue dès les années 1920 avec la mise en place des de la croissance économique et du rendement, avocats
premiers programmes doctoraux et la publication des des sociétés industrielles, du capitalisme managérial et
premières revues scientifiques (Djelic, op. cit.), Berry de la productivité. Ils étaient très clairement en faveur
(2013) souligne que c’est dans les années 1960 que l’idée des hiérarchies bureaucratiques et de la production de
d’un management scientifique va prendre son véritable masse, se sentant plus proches des cadres dirigeants
essor. « On assiste alors dans les universités américaines ou managers des grandes sociétés que des patrons de
à l’émergence de véritables départements de manage- petites et moyennes entreprises » (Kesler, 1964 ; Kesler
ment qui font de la recherche. La discipline se structure. 1985, cité par Djelic, op. cit., p. 7).
Des sous-disciplines apparaissent, comme autant de ter-
En matière d’institutionnalisation de la formation au
ritoires balisés par des revues, des processus d’évalua-
management en France, Djelic révèle également un
tion, de reconnaissance, de cooptation. On passe ainsi
mouvement progressif à la croisée de plusieurs dyna-
en quelques années d’un domaine envisagé et enseigné
miques rarement explicitées. Du côté des États-Unis, les
comme une pratique à une discipline organisée selon le
planificateurs du plan Marshall développent la conviction
modèle des sciences dures » (Berry, op. cit.).
qu’au-delà des investissements productifs et du transfert
de machines vers les Européens de l’Ouest ils doivent
aussi contribuer à l’appropriation des connaissances
Introduction du management permettant l’optimisation des équipements envoyés.
professionnel en France Productivité et méthodes managériales se révèlent indis-
sociables. C’est dans cette perspective que des missions
En ce qui concerne l’arrivée du management en tant que dites « de productivité » vont être déployées à grande
profession en France, Djelic (2004) décrit un processus échelle en direction des États-Unis. Employés, ouvriers,
beaucoup moins naturel que la simple appropriation, par dirigeants et propriétaires vont être sélectionnés pour
le secteur privé français, de méthodes ayant contribué à aller observer le fonctionnement et l’organisation des
l’exceptionnel succès de l’économie américaine. industries américaines. Djelic souligne que ces missions
aboutissaient au constat que la gestion d’une entreprise
En faisant un retour sur l’histoire, cette auteure montre
aux États-Unis était une profession à part entière, repo-
comment, au sortir de la Deuxième Guerre mon-
sant sur des savoirs et des méthodes révolutionnaires.
diale, c’est l’État français, les institutions publiques et
semi-publiques qui, dans la perspective de moderniser À côté de ces missions ponctuelles, « une autre étape,
l’économie et l’industrie, vont imposer la logique mana- cependant, devait être franchie si l’on souhaitait ancrer
gériale. Dans ce contexte d’après guerre, Djelic (op. cit.) localement et de manière durable l’esprit et les pratiques
140 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

managériales. Il fallait créer, développer et institutionna- des raisons qu’on peut aujourd’hui comprendre : dans
liser un système d’éducation au management qui per- une économie de pénurie, où la grande question est de
mettrait à terme de former les nouvelles générations parvenir à satisfaire la demande, la rigueur et l’optimi-
de décideurs économiques et industriels » (Djelic, 2004, sation sont des qualités précieuses ». Dans les années
p. 11). De chaque côté de l’Atlantique, pressions et ini- 1970, l’économie américaine ralentit, mais la recherche
tiatives vont là aussi se combiner et être portées par des en management poursuit la dynamique enclenchée.
acteurs et des réseaux associés à la sphère publique. Il s’agit de développer et de dispenser des savoirs au
Des dispositifs de formation de futurs enseignants, des statut prestigieux, étayant le déploiement de démarches
programmes d’échanges de professeurs et l’organisa- scientifiques et rationnelles pour la conduite des orga-
tion de rencontres et de conférences vont préparer le nisations. À l’instar des sciences « dures », la finalité est
développement de la formation initiale et continue en de générer des connaissances exactes et vérifiables, se
management. traduisant par des lois universelles. À cette époque, la
démultiplication de revues spécialisées témoigne de
Au milieu des années 1950, le ministère de l’Éducation
cette volonté : « Les chercheurs focalisent sur des critères
nationale française crée un programme d’études en
formels, tentent de modéliser leur pensée en usant de
management et administration des affaires. À l’intérieur
formules mathématiques, testent leurs hypothèses grâce
des universités, les premiers instituts d’administration
à des batteries de tableaux statistiques… » (Berry, op. cit.).
des entreprises (IAE)1 voient le jour et des corps de pro-
fesseurs permanents sont constitués. Les écoles privées
supérieures de commerce d’avant-guerre se réorganisent
progressivement, selon le modèle américain, et nombre Management et science :
de nouvelles business schools françaises ouvrent à la fin
d’indispensables éclaircissements
des années 1960. Le développement de la recherche est
aussi fortement encouragé, contribuant, de la sorte, à Aujourd’hui encore, à la question « qu’est-ce que le mana-
asseoir la légitimité scientifique du management. gement ? », souvent posée en introduction de séminaires
de formation, sur des sites de cabinets de consultants
Comme nous l’avons déjà précisé, Berry (2013) insiste sur
ou bien encore sur des blogues, il est courant de relever
la nécessité de bien comprendre que c’est au cours de ces
que les premiers commentaires s’attachent à préciser
années 1960 que l’idée d’un management scientifique va
que le management est une science. Mais est-ce bien
réellement triompher et s’installer. « Ce sont des années
le cas ? Le management est-il vraiment une science ? Le
de forte croissance économique, et l’on cultive l’idée
management ne serait-il pas, plutôt, un domaine d’étude
de maîtriser rigoureusement cette croissance […] aux
reposant sur d’autres sciences, telles l’économie, la socio-
États-Unis on entreprend de rationaliser les entreprises,
logie et la psychologie, et dont la finalité serait de livrer
les processus de décision, la mesure des résultats : tout
des outils de pensée et d’action pour l’activité managé-
devient objet de calcul économique. Le dirigeant, par
riale ? En résumé, pour exercer son activité et atteindre
définition, c’est alors celui qui maîtrise ce calcul. » Loin
les buts qui lui sont fixés, un futur manager devrait se
d’être coupé du monde industriel, le management scien-
former et se fonder sur toutes les sciences qu’englobe
tifique est au cœur de sa transformation et influence
le management.
les efforts d’optimisation et de rationalisation déployés.
Ainsi que le mentionne Berry, parce que les résultats Pour comprendre pourquoi cette vision du management
sont extraordinaires « les managers ont pu pendant un est encore prédominante et pour mieux comprendre,
temps arguer du caractère scientifique de leurs décisions, surtout, comment elle est entretenue, un détour subs-
ce qui les a aidés à se faire obéir et a contribué à la tantiel s’avère indispensable afin de clarifier ce que « la
bonne marche des organisations ». Mais il rappelle que, science » incarne.
si cela a fonctionné avec un tel succès, c’est aussi « pour

1. Les IAE d’Aix-en Provence, Bordeaux, Dijon, Rennes et Toulouse,


sont créés en 1955.
 7   R edécouvrir le management – U n investissement précieux pour tempérer les croyances 141

Qui dit « science » dit « objectivité » fait des expressions tirées des sciences dites « exactes ».
« L’objet est ce qui parvient à être séparé de la connais-
Pour parvenir à l’objectivité, il « faut » opérer une rupture
sance commune et de la perception subjective grâce à
avec le sens commun. Il « faut » mettre à l’écart la subjecti-
des procédures scientifiques d’objectivation » (Kaufmann,
vité. Sans de telles séparations, toute quête de neutralité
1996, p. 19). Ces procédures d’objectivation sont préci-
et d’objectivité ne peut être accomplie. C’est en quelque
sément l’observation, l’expérimentation et la vérifica-
sorte ce à quoi vont s’attacher les disciplines humaines et
tion. L’objet « positif » est donc un morceau de la réalité
sociales, entre la fin du xixe siècle et le début du xxe. Elles
à décrire, de la réalité telle qu’elle est, indépendamment
visent alors à se démarquer fermement avec les études
du sujet qui l’observe ou bien qui l’expérimente. Dans
précédemment menées dans leurs champs, souvent
l’épistémologie3 positiviste, « la réalité existe en soi, elle
empreintes de préjugés, de croyances et d’idéologies.
possède une essence propre. Elle a une ontologie. Le
Par l’adoption et l’application minutieuse d’un ensemble chercheur peut donc chercher à connaître cette réalité
de procédures et de techniques empruntées aux sciences extérieure à lui » (Perret et Séville, 1999. p. 17).
dites « exactes » ou « physico-mathématiques », garantis-
Cette reconnaissance d’une indépendance de l’obser-
sant un rapport distancié entre le chercheur et le phé-
vateur-modélisateur par rapport au fragment de réa-
nomène étudié, ces disciplines vont alors accéder au
lité qu’il se donne à étudier permet de poser le principe
statut de science, et être légitimement admises dans la
d’objectivité de la connaissance. D’après ce principe,
communauté scientifique (Outhwaite, 1998 ; Berthelot,
« l’observation de l’objet extérieur par un sujet ne doit
2001). Pour conforter suffisamment la légitimité acquise,
pas modifier la nature de cet objet » (Perret et Séville, op.
les sciences humaines et sociales vont donc s’attacher
cit., p. 17). Selon la définition de Popper4 (1991, p. 185),
à mettre méthodiquement à distance les phénomènes « la connaissance au sens objectif est une connaissance
qu’elles se donnent pour tâche d’élucider. Au fond, il sans connaisseur ; c’est une connaissance sans sujet
s’agit de s’inscrire dans le même courant philosophique connaissant ». Qu’il s’agisse du monde physique ou du
que celui qui a servi à l’avènement des sciences exactes : monde social, le chercheur ne prendra en considération
la doctrine positiviste. que les choses qui subsistent indépendamment du sujet
Philosophie dominante de la deuxième moitié du percevant et dont les propriétés peuvent être étudiées
xixe siècle, le positivisme2 atteste que la recherche de de façon expérimentale. L’instauration d’une observation
lois, qui commandent le mouvement des phénomènes, neutre, d’un regard pur, doit permettre d’obtenir une
constitue la seule voie de la connaissance scientifique adéquation parfaite à l’objet, une représentation de ce
(Nissim Amzallag, 2002). En d’autres termes, seul l’ordre dernier faisant fi de celui qui le dévoile et le décrit. Le
du raisonnement hypothético-déductif, issu du modèle critère d’objectivité est donc posé comme le critère fon-
d’objectivité de la science physique classique, permet damental en ce qu’il détermine le mode de rapport aux
de générer des savoirs pouvant bénéficier du statut de choses (au monde) et légitime une unique et véritable
savoirs scientifiques (Nissim Amzallag, op. cit.). démarche scientifique (Saint-Martin, 2000).

Il convient de saisir que, dans cette conception, c’est le


mode de construction de l’objet (hypothèses puis vérifi-
cation) qui permet l’objectivation du savoir scientifique.
Ces notions d’objet et de construction de l’objet, deve- 3. L’épistémologie est la discipline de la philosophie qui s’interroge
sur ce qu’est la science. Elle examine la valeur et le statut des
nues aujourd’hui centrales et d’un usage banalisé dans connaissances produites.
le champ des sciences humaines et sociales, sont en
4. Karl Popper (1902-1994) est l’une des figures les plus
marquantes de l’épistémologie contemporaine. Dans La logique
de la découverte scientifique (1973), il pose la question de la
2. Philosophe du xix e siècle, Auguste Comte affirme que « la démarcation entre science véritable et pseudo-sciences, et
révolution fondamentale qui caractérise la virilité de notre s’attache à préciser les critères permettant de distinguer une
intelligence consiste essentiellement à substituer partout, à théorie scientifique d’une théorie qui ne l’est pas. Pour Popper,
l’inaccessible détermination des causes proprement dites, la une théorie est scientifique si elle peut être « mise à l’épreuve »,
recherche de loi » (cité par Nissim Amzallag, 2002, p. 13). si elle est « testable » ou « falsifiable ».
142 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Modèle objectiviste et monde social de lui-même et entrer dans une dimension a-sexuée,
a-temporelle, a-politique, a-éthique, a-historique… Sa
Comment appliquer les principes d’objectivité de la
perception n’est pas sensible, elle doit être quantita-
connaissance scientifique au monde social ? Comment
tive et rationnelle. Les techniques méthodologiques,
développer une science des faits sociaux, au même titre
tels les sondages, les tests, les questionnaires et leurs
que les sciences physiques ? En proposant un ensemble
traitements statistiques, sont censées lui permettre de
de règles dont « la première et la plus fondamentale
construire la distance nécessaire à l’objectivation scien-
est de considérer les faits sociaux comme des choses » tifique. Son langage doit être univoque, d’où l’intérêt
(Durkheim, 1999, 1re éd., 1938). Cette assimilation des de la formalisation mathématique, pour éviter les aléas
réalités du monde social aux réalités du monde maté-
des interprétations provenant de l’emploi de langues
riel, Durkheim, fondateur de la sociologie, s’efforcera de
différentes. De son côté, l’individu ou le groupe étudié
la préciser en réponse aux controverses qui lui seront
est appréhendé comme une abstraction, un échantillon,
adressées. « Nous ne disons pas que les faits sociaux sont
un agent, une unité…, dont il faut sensiblement se défier,
des choses matérielles, mais sont des choses au même
car il peut être source de leurres, d’irréalités et d’erreurs.
titre que les choses matérielles […]. Les faits proprement
Les connaissances liées aux expériences personnelles
dits sont nécessairement pour nous, au moment où nous
et au vécu sont peu valorisées et reconnues, car elles
entreprenons d’en faire la science, des inconnus, des
sont considérées de sens commun et assimilées à des
choses ignorées, car les représentations qu’on a pu s’en
évidences immédiates, voire illusoires. L’individu (le
faire au cours de la vie ayant été faites sans méthode
sujet humain) tend à apparaître comme un obstacle à la
et sans critique sont dénuées de valeur scientifique et
connaissance scientifique positive qui doit neutraliser,
doivent être tenues à l’écart » (ibid., p. 10).
autant que possible, toute subjectivité et intersubjectivité
Ainsi, pour respecter les préceptes positivistes, Durkheim venant fausser le travail de la raison.
va faire coïncider la « factualité » et l’objectivité. Réifier les
Dans un tel cadre où la raison (entendue comme ce qui,
faits sociaux (les considérer en tant que choses) permet
dans le mental, mesure, relie, classe, compare, selon des
d’atteindre l’objectivité, telle qu’elle est entendue dans
principes rationnels) est synonyme d’objectivité scienti-
le champ des sciences exactes. Selon Laplantine (1996), fique, où seul ce qui est mesurable et désindexé de tout
une bonne partie de notre conception du social demeure contexte est objectif, le travail de terrain apparaît hors
aujourd’hui durkheimienne et l’idée de « fait social », exté- frontières. Pour les défenseurs d’un tel cadre, le travail
rieur à l’individu, auquel celui-ci serait soumis, est encore
au plus près du vécu est immanquablement grevé par
opérante.
la subjectivité des acteurs et de l’observateur. Les maté-
Ce souci positiviste d’appréhender les faits sociaux riaux que ce travail propose paraissent trop arbitraires et
comme des choses, avec tout ce que cela implique en dépendants des interactions établies entre enquêteur et
matière de recul et de distanciation, va donc conduire enquêtés. Parce qu’il semble s’exposer inexorablement
à développer, dans le champ des sciences sociales, des à la sensibilité emphatique, aux vues partiales et fantai-
techniques d’observation et d’analyse de plus en plus sistes, le travail de terrain ne saurait représenter qu’un
sophistiquées. Puisque le propos n’est pas d’éclairer l’ac- espace d’opérations exploratoires, un temps précédant
tion humaine de l’intérieur, en consultant les acteurs, le moment scientifique à partir duquel une connaissance
mais bien de saisir la vie collective de l’extérieur, en « impartiale et objective » s’élabore.
faisant abstraction des consciences où elle se reflète
Ce modèle objectiviste mériterait bien des développe-
(Claval, 1980), il convient de neutraliser tous les effets
ments encore, notamment pour expliciter la nécessité
et les biais de la relation chercheur / acteurs ou obser- de ne pas délégitimer la raison expérimentale en tant
vateur / observés.
que modèle valable de vérité, lorsqu’il s’agit de traiter
L’observateur n’est pas le sujet vivant, mais l’individu de certaines réalités en sciences sociales. Dans l’univers
instrumental, objectivé dans des protocoles rationnels que Le Moigne (1994) dénomme « l’univers câblé », stable,
de questions logiquement articulées. Il doit s’extraire prévisible et contrôlable, où les objets sont dotés d’une
essence propre, où ces mêmes objets sont positivement
 7   R edécouvrir le management – U n investissement précieux pour tempérer les croyances 143

observables (isolables, mesurables, quantifiables…), les c’est-à-dire par les chiffres, va remplacer la réflexion par
démarches privilégiées par le positivisme trouvent toute les qualités et la valeur significative. Même si l’idée de
leur pertinence. Dans les domaines financiers, comp- formalisation est aussi ancienne que la réflexion sur la
tables et techniques, par exemple, le travail de modé- science, les travaux de Leibniz6 vont être décisifs. Son
lisation et le raffinement d’outils de schématisation et projet était d’exprimer par le calcul analytique tout travail
de mesure contribuent à étayer la mise en œuvre de de connaissance et d’intégrer, dans un système universel
l’action. Mais lorsqu’il s’agit de traiter de réalités relevant de symbolisation, les relations de dépendance mutuelle
de « l’univers construit5 », c’est-à-dire de réalités recons- de toutes les connaissances.
truites par les acteurs à travers les significations qu’ils
Si ces deux axes fondateurs de la pensée moderne pro-
attribuent aux situations auxquelles ils doivent faire face,
curent un éclairage, c’est seulement en examinant leurs
ces démarches peuvent s’avérer peu adaptées.
prolongements qu’il semble possible de mieux saisir en
Quoi qu’il en soit, animée par une exigence de rationalité quoi la vision mécaniste et l’analyse « par signes purs »
et d’uniformité pour davantage de maîtrise et d’efficacité, sont devenues déterminantes.
la perspective du management scientifique va renforcer
Selon Berry (2013), s’il fallait citer un nom pour incarner
une vision mécaniste de l’action organisationnelle et du
l’essor du management scientifique, « ce serait celui
comportement humain. Une vision déjà installée par l’or-
d’Herbert Simon, le président du Département de
ganisation scientifique du travail et les travaux de Taylor,
management industriel à Carnegie Tech, qui reçut le
mais dont les fondements sont plus anciens encore.
prix Nobel en 1978. Il a beaucoup fait pour développer
la discipline et lui donner un cadre rigoureux ». Mais il
convient de saisir qu’à la racine de ce cadre rigoureux
La vision mécaniste : ses origines figure cette représentation du monde déjà évoquée : celle
et ses prolongements de la machine. Elle représente le principe organisateur de
toute la réalité de l’univers physique et du vivant (Vahé
Cette idée que non seulement l’univers physique, mais et Castello, 2003). Telle une machine, le monde est posé
encore la vie, y compris celle des animaux et du corps comme étant constitué d’évènements et de phénomènes,
humain, appartient à l’ordre du mécanique va impré- liés causalement, et ces liaisons causales forment un
gner l’Occident dès la Renaissance. L’Europe occidentale mécanisme.
va perdre son assise religieuse et les causalités miracu-
À l’image du fonctionnement d’une l’horloge, un méca-
leuses, qui régissaient l’univers, cèdent la place à des
nisme est un système plus ou moins complexe dont l’in-
causalités physiques qui consacrent le modèle méca-
teraction entre les parties va produire un comportement.
niste. L’image de la machine et de l’ensemble des pièces
Dans une telle perspective, l’activité scientifique méca-
qui concourent à produire un mouvement se propage et
niste va consister à expliquer des phénomènes ou des
s’enracine dans l’imaginaire et le langage courant (Vahé
comportements en les décomposant, de façon à saisir
et Castello, 2003).

À cette nouvelle vision, une autre pensée majeure va


6. Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) est à la fois philosophe,
se combiner : le formalisme. C’est dans le changement logicien, mathématicien et homme de loi. Sa recherche d’une
de notre rapport au temps, qui progressivement s’ins- langue universelle offrant la possibilité de raisonner dans tous
talle au xviie siècle, qu’il est possible d’appréhender le les domaines de la connaissance émanera du rapprochement
de deux disciplines alors maintenues à distance : la logique
glissement des mentalités vers le formalisme. Le temps
(grammaire, rhétorique) et les mathématiques (arithmétique,
immédiat va être remplacé par le temps des chiffres, celui géométrie, astronomie). Leibniz est considéré comme étant le
du calendrier et des montres. La pensée par signes purs, premier à avoir soutenu clairement l’idée que l’on peut calculer
sur bien d’autre chose que les nombres. Parce que le calcul est
mécanisable (transposable à une machine) et que toute pensée
5. Le lecteur intéressé à en savoir davantage sur cette question aura peut être ramenée à une forme de calcul, il apparaît concevable
intérêt à consulter Watzlawick (1978) et les développements de traduire les idées et leurs relations par des signes permettant
qu’il présente au sujet de la réalité de premier ordre et de second d’en discuter de façon analogue au calcul mathématique, afin en
ordre. exprimer la valeur de vérité (Knecht 1981 ; Bouveresse, 2001).
144 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

leurs articulations internes. Dans le modèle mécaniste, choses devraient se dérouler selon les prévisions ou les
ce processus de décomposition est central. Il autorise prescriptions. De la même manière, les autres sciences
l’étude de la complexité du monde de façon fractionnée (économie, psychologie, sociologie, ergonomie…), qui
et hiérarchisée. Une explication mécaniste émerge de la contribuent à donner son assise théorique et scientifique
décomposition d’un système, de l’emplacement de ses au management (principe d’arborescence), vont s’atta-
composants et de la détermination de leurs rôles. Mais cher à expliquer, par des approches mécanistes et des
un composant peut s’avérer être, lui-même, un système méthodes expérimentales, les propriétés intrinsèques
complexe qui va nécessiter une nouvelle entreprise de d’un comportement ou d’un phénomène. La visée
décomposition. est d’enrichir des théories et de générer de nouveaux
concepts. Elle est aussi de procéder à des modélisations
Si les contributions d’Herbert Simon sont considérées
qui autorisent des mesures plus précises encore, afin de
comme étant majeures, c’est parce qu’elles se situent à
fournir des représentations toujours plus pénétrantes de
un niveau beaucoup plus général. Il va affirmer que les
la réalité telle qu’elle est et telle qu’elle évolue.
systèmes physiques, biologiques, cognitifs, linguistiques
et sociaux, par-delà leurs singularités et les frontières C’est donc en saisissant cette entreprise globale d’in-
des disciplines qui les étudient, présentent les mêmes telligibilité du monde qu’il est possible de concevoir
propriétés générales : ils sont arborescents (Demailly, comment une vision mécaniste des fonctionnements
2004). Cette idée d’arborescence doit être entendue dans humains, sociaux et organisationnels, s’est progressive-
la possibilité qu’elle offre d’investir la complexité d’un ment installée, jusqu’à envahir nos modes de pensée,
système, en développant, au fil des avancements, de nos pratiques et notre langage. Vahé et Castello (2003,
nouvelles capacités d’investigations de plus en plus fines. p. 67) évoquent même un dogme et pointent « que
Ainsi, les limites inférieures d’une science peuvent faire l’on a trop facilement assimilé “succès” et “vérité”, pour
l’objet d’une autre science ou discipline à part entière. passer ensuite sans y prendre garde de “vérité” à “unique
Mais les découpages qui ont été faits ne doivent pas vérité” ». Selon les mêmes auteurs, « le mécanisme s’est
faire oublier que l’enjeu est d’étudier un vaste ensemble changé de modèle fécond qui se contentait d’orienter
de systèmes plus ou moins intégrés les uns aux autres. les recherches en dogme intolérant n’acceptant rien qui
Lorsque la connaissance des parties progresse, il est pos- le contredise ».
sible de considérer les interactions inter-systèmes en vue Avant d’aborder le management tel un ensemble de dis-
de rendre compte du comportement de l’ensemble d’un positifs et de conduites, mis en œuvre par des personnes,
système complexe. nécessitant un travail continu de réflexion et de remise
en cause, il paraît donc pertinent d’examiner en quoi
Ce modèle général d’organisation ou « cette architecture
la vision mécaniste a modelé le monde de l’entreprise
de la complexité », que propose Simon, permet d’aper-
et tend à entretenir encore une certaine conception de
cevoir que le mécanisme va se distancer largement
l’action humaine. À partir de ces développements, il sera
d’une approche intuitive et métaphorique, basée sur la
plus aisé d’examiner par la suite l’activité managériale
machine, pour devenir une véritable perspective philo-
et de montrer qu’elle agit dans deux réalités conjointes :
sophique fondant la possibilité de connaître le monde.
celles des évènements objectifs et celles des représenta-
Les découvertes qui ont été rendues possibles et les
tions subjectives (Louart, 1995 ; Berthon, 2013).
véritables succès obtenus (notamment en biologie, bio-
chimie, psychologie, sciences cognitives…) vont ériger le
modèle mécaniste en norme d’intelligibilité de la matière
et du vivant. Fabriquer un ordre
Parce que la perspective du mécanisme, telle qu’elle a Selon Livian (1998), si une vision mécaniste de l’organi-
été décrite plus haut, ne peut que constituer un puis- sation et de ses dynamiques internes a eu et a encore
sant vecteur de progrès de la connaissance, le mana- une influence considérable, c’est parce que ses apports
gement scientifique va se centrer sur la recherche de correspondent à des besoins permanents chez les diri-
causalités pour générer des modèles faisant que les geants : trouver les principes et les lois qui garantissent
 7   R edécouvrir le management – U n investissement précieux pour tempérer les croyances 145

l’efficacité maximale. Cette conception offre un cadre plus passionnante » (Guérin et Wills, 1992, p. 48). Selon
rassurant, empreint du prestige de la science, un cadre Morin et Delavallée (2000), le modèle organisationnel
à l’intérieur duquel l’instauration d’un ordre et d’une mécaniste a fait naître le perfectionnement de ce qu’ils
stabilité est du domaine du possible. appellent le « macromanagement » et s’est concentré sur
celui-ci. L’essentiel, le passionnant et le prestigieux se
Dans une vision mécaniste, l’efficacité de l’organisation
trouvent à ce niveau : celui de la « superstructure » (Guérin
provient essentiellement de la qualité des structures,
et Wills, op. cit.).
des techniques de gestion et de production que l’on
cherche à sophistiquer toujours plus. La structure est Quant au mouvement de resserrement entre la base et
appréhendée comme une réalité concrète, dont la des- les autres niveaux de l’organisation, il doit être appré-
cription ne peut qu’être objective et indépendante de la hendé comme étant directement lié à la suprématie des
perception des acteurs (Desreumaux, 1990). Ce caractère facteurs économiques et technologiques. La quête de
naturel attribué à la structure a engendré, à travers sa fonctionnements, les plus rentables possible, conduit
forme pyramidale, le mode de répartition de l’autorité à rechercher et à instaurer les conditions d’un contrôle
que l’on connaît (Jarniou, 1981). Cet auteur insiste sur serré sur les gens et les activités (Morgan, 1989). Cette
le fait que, dans une telle vision, « la structure épuise question du contrôle, qui est au cœur du développe-
presque en totalité le système d’organisation, c’est-à-dire ment du management, va particulièrement mobiliser les
l’ensemble des rapports élémentaires qui constituent l’ac- réflexions. À partir des travaux précurseurs de Fayol, sur
tion collective » (ibid., p. 97). Dans le même ordre d’idées, le commandement et les chefs, nombre de théoriciens
Mintzberg (1982) précise que le nombre de contraintes, vont s’employer à prolonger cette réflexion, contribuant
élaborées dans les instances qui se situent autour et ainsi à élever la gestion d’un corps social au rang des
au-dessus du lieu de production, est tel « qu’on peut à fonctions essentielles de l’entreprise. Dans la concep-
peine dire que les cadres y ont la responsabilité de leur tion mécaniste, le management des hommes est un
unité » (ibid., p. 283). processus purement directif partant du sommet de la
hiérarchie pour aboutir à la base (Gruère, 1991). L’unidi-
En invitant à concevoir l’organisation comme un pro- rectionnalité est appréhendée, là aussi, comme étant un
blème d’ordre purement technique, la pensée méca- phénomène naturel, un mode de fonctionnement incon-
niste amène à rationaliser, à décomposer et à réduire testable, s’imposant à tous et à tout type d’organisation.
les particularités, pour normaliser et codifier le travail Chaque action (prévoir, organiser, commander, coor-
d’exécution, afin de le rendre toujours plus efficace. Cette donner) est injectée dans une chaîne causale, linéaire
volonté de faire d’une organisation un « tout rationnel » et descendante, fournissant au niveau opérationnel les
va entraîner un mouvement à la fois de détachement prescriptions, normes et règles à appliquer. La linéarité
et de resserrement entre le niveau de production et et l’unicausalité apparaissent donc comme des propriétés
les niveaux supérieurs de l’organisation. En apparence capitales pour fabriquer un ordre, le développer et le
contradictoire, ce double mouvement mérite d’être conserver (Probst, 1994). Ainsi fondé sur une vision
examiné, parce qu’il offre un réel éclairage pour mieux mécaniste, l’ordre est envisagé comme pouvant être
appréhender les fondements de la logique managériale. arrangé et préparé, de l’extérieur et indépendamment
C’est-à-dire les mécanismes sous-jacents aux fonction- de l’ensemble à diriger.
nements et aux pratiques qui se sont installés et déve-
Cependant, en cherchant à faire de chaque ligne du
loppés entre les niveaux organisationnels, et dont la
schéma pyramidal des voies unilinéaires de comman-
force de certains principes tend encore à résister dans
dement, de communication et de contrôle, une vision
les modes de pensée et d’action.
des hommes, comme ayant des capacités de compréhen-
En ce qui concerne le mouvement de détachement, sion limitées au niveau auquel ils se trouvent, va aussi
celui-ci a trait à la faible considération qui s’installe à insidieusement s’installer (Genelot, 1992). La croyance
l’égard des réalités opérationnelles. Les opérationnels en l’existence d’une solution unique pour chaque pro-
deviennent de simples rouages « dans un ensemble beau- blème posé va conduire à ne pas envisager ou à ne
coup plus complexe dont l’organisation est autrement pas tenir compte des problèmes locaux nécessitant des
146 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

adaptations spécifiques et, par conséquent, de l’initia- permettant de se diversifier vers de nouveaux marchés
tive : une dimension « traquée ». De même, dans une ou avec de nouvelles gammes de produits.
conception mécaniste, imposant un mode de fonction-
Bien qu’elle ait démarré dans les années 1920, chez
nement linéaire et descendant, « la réflexion locale » et
Dupont de Nemours et General Motors, l’implantation
« la réflexion globale » ne peuvent pas se rencontrer. Ces
de structures organisationnelles en divisions va s’étendre
deux niveaux de réflexion ne s’intègrent pas dans une
aux États-Unis, du début des années 1940 à la fin des
dynamique de complémentarité. Au fond, les réflexions
années 1950, avec le concours de sociétés de conseil
ou les suggestions locales n’ont pas lieu d’être et n’ont
(Cailluet, 2008). En divisant les organisations de grandes
aucune valeur, si ce n’est, peut-être, de révéler la néces-
tailles en unités relativement autonomes, il est alors pos-
sité de préciser, du sommet, davantage les choses, de
sible de se spécialiser dans une activité précise et de maî-
les sophistiquer encore plus, en s’appuyant sur des
triser davantage son domaine. Dans ce mouvement dit
méthodes objectives et des outils scientifiquement éla-
de « décentralisation », chaque division est confiée à un
borés. En définitive, en tendant à priver chaque chef
directeur responsable de l’ensemble des opérations por-
hiérarchique d’une réelle autonomie et d’une possibilité
tant sur un produit, une zone géographique ou un type
de peser directement sur les décisions, l’organisation
de clientèle. Si chaque division dispose de ses ressources,
mécaniste va donner de ses responsables hiérarchiques
il revient à la direction générale d’assurer le contrôle
(comme de l’ensemble de ses membres) l’image de
financier de l’ensemble et de prendre les décisions stra-
rouages disciplinés à l’intérieur d’une vaste mécanique
tégiques pour chacune des divisions (Mintzberg, 1994).
(Morin et Delavallée, 2000 ; Morgan, 1989).
Comme le rappelle Delavallée (2005), c’est en participant
activement, en tant que consultant, à la décentralisation
de la General Electric, que Peter Drucker va insister sur la
Convertir les « chefs » nécessité de fixer des objectifs, des critères de coûts et de
en « managers » délais pour mesurer les résultats. Si la notion d’objectif
est précieuse, cette question de la mesure des résultats
Comment faire pour que des responsables situés dans doit être envisagée comme étant au cœur du mode de
les niveaux inférieurs d’une organisation ne soient pas direction théorisé par Drucker.
que des « chefs », c’est-à-dire des personnes investies
Alors que, dans une grande organisation centralisée,
seulement d’une autorité pour faire appliquer les règles
l’exécution du travail est entièrement prescrite par des
émanant des niveaux supérieurs ? Comment stimuler
règles et des modes opératoires contrôlés par des « chefs »,
cette catégorie de personnel qui manifeste de plus en
dans les unités décentralisées, où l’enjeu est de s’adapter
plus le souhait de jouer un rôle dépassant largement
rapidement à un sous-environnement particulier, un tel
celui qui lui est proposé ? Comment faire, encore, pour
degré de prescription peut s’avérer défavorable. S’il n’est
répondre au faible attrait que représente, finalement, une
plus approprié de formaliser strictement les compor-
fonction de responsabilité dans une grande entreprise
tements, la formalisation des résultats à atteindre, en
américaine, au milieu des années 1950 ?
fixant des objectifs, devient un moyen de contrôle, mais
C’est Peter Drucker (1954) qui va fournir les bases théo- aussi un mode de responsabilisation et de motivation de
riques pour déployer un nouveau mode de direction des ­l’encadrement. La DPO doit permettre une décentralisa-
organisations : la direction par objectifs (DPO) ou mana- tion de la prise de décision, en échange, cependant, d’un
gement par objectifs (MPO), lequel deviendra en France, contrôle des résultats. Sur le terrain, au plus près des opé-
dans les années 1970, sous l’influence d’Octave Gélinier rations, les responsables hiérarchiques disposent des
(1968), la direction participative par objectifs (DPPO). Pour informations qui leur permettent de prendre les décisions
comprendre le développement de ce nouveau mode de adaptées. En leur allouant des moyens et une certaine
direction, il convient de le replacer dans un contexte où liberté de mise en œuvre, ils doivent être en mesure de
les grandes entreprises américaines sont en quête de nou- réagir rapidement afin d’atteindre les objectifs qui leur
velles structures d’organisation, moins centralisées, leur ont été préalablement fixés.
 7   R edécouvrir le management – U n investissement précieux pour tempérer les croyances 147

Telle qu’elle a été théorisée par Drucker, la DPO aboutit


Du « manager » au leader
donc au renouvellement du rôle de l’encadrement et le
place même au centre d’un tel dispositif. En partant du Le début des années 1980 marque définitivement la fin
plus haut niveau de l’organisation, la fixation en cas- des Trente Glorieuses. Sous l’effet des différents chocs
cade des objectifs, c’est-à-dire la définition des résultats pétroliers et des fluctuations des changes, le contexte
à atteindre pour chaque strate, doit permettre une coor- économique va être profondément bouleversé. Après
dination de l’ensemble et contribuer, ce faisant, à l’at- une longue période de visibilité et de stabilité, n’ame-
teinte du but de l’entreprise. Dans une telle dynamique nant pas à remettre en cause un mode d’organisation et
de responsabilisation sur des résultats, attendus à une de gestion dit « scientifique », sécurisant fortement dans
échéance précise, chaque manager doit disposer directe- le temps tous les niveaux de processus, le nouveau
ment, et non de l’échelon supérieur, des renseignements contexte économique va contraindre les entreprises à
nécessaires pour apprécier l’efficacité de son entité ou de profondes transformations. Face à l’apparition sur
de son service. En mettant l’accent sur les résultats, la le marché mondial de nouveaux concurrents, tels les
DPO va finalement se traduire par un mode de gestion Japonais, les questions de réactivité et de flexibilité
décentralisée s’appuyant principalement sur les données deviennent primordiales. C’est d’ailleurs en s’efforçant
comptables et financières. Ces dernières offrent la pos- de comprendre le succès des entreprises japonaises que
sibilité d’appliquer un langage commun à l’ensemble de nombre de principes et d’actions vont être préconisés et
l’organisation, quels que soient les produits ou les acti- adaptés pour améliorer l’efficacité interne des organisa-
vités. Elles apportent aussi de l’objectivité pour le suivi, tions. Parmi les travaux qui vont contribuer à remettre en
la mesure et, si nécessaire, l’explication des écarts entre cause des postulats hérités du modèle taylorien, figurent
les objectifs et les résultats obtenus. À une fonction d’en- ceux d’Ouchi (1982), professeur américain d’origine japo-
cadrement reposant sur l’obéissance vient se substituer, naise et auteur de la « théorie Z ». En expliquant que la
avec la DPO, la pratique d’un contrôle gestionnaire auto- productivité des firmes japonaises provient de la spéci-
nome pour piloter localement son entité ou son service. ficité des rapports humains et de l’organisation sociale,
Désormais apprécié sur l’atteinte de ses objectifs, à partir ses travaux vont conforter les dirigeants des entreprises
de critères clairs et fiables de mesures, le manager doit occidentales dans la nécessité d’adopter une approche
mettre en mouvement ses équipes, maîtriser le budget et plus participative, c’est-à-dire une approche qui favorise
les moyens qui lui sont alloués et contribuer à l’efficacité l’esprit d’entreprise, qui implique davantage l’homme et
de l’organisation dans son ensemble. le responsabilise.

Dans les années 1960, comme le précisent Boltanski Dès 1980, le mouvement qualité émerge en France et
et Chiapello (2011), l’émancipation des cadres s’opère les grandes idées qui l’accompagnent sont manage-
sur fond d’une hiérarchie qui n’est pas remise en cause. ment participatif, initiative, autonomie, confiance, res-
L’idée est de clarifier le rôle de la hiérarchie, de lui donner ponsabilisation, formation, compétence… (Spalanzani,
une nouvelle légitimité fondée sur le mérite et la respon- 2003a). Les cercles de qualité, les groupes de résolution
sabilité. Le « manager » désigne alors ce cadre américain, de problèmes ou encore les boîtes à idées sont autant
fortement valorisé, parce qu’il est acteur du progrès éco- d’innovations concrètes qui semblent primordiales pour
nomique et porteur d’une rationalité permettant le calcul témoigner d’une nouvelle conception de l’entreprise. Une
et la maîtrise du futur. En France, le terme de « manager » conception où l’économique et le social sont désormais
sera d’abord réservé aux cadres des directions générales appréhendés comme étant complémentaires. Il est d’ail-
des grandes entreprises. Ce n’est qu’à partir des années leurs intéressant de noter que c’est à cette époque, en
1980 qu’il va être largement employé pour remplacer France, que la fonction de directeur du personnel laisse
celui de « cadre », terme qui commence à provoquer un la place à celle de directeur des ressources humaines.
certain rejet parce qu’il est trop empreint de rigidité, voire À tous les niveaux, le management doit se moderniser
d’autoritarisme, dans un monde devenant de plus en plus pour tendre vers une plus grande capacité à dynamiser
instable et incertain. l’homme, lequel doit être placé au centre de l’attention,
parce qu’il est la principale source de productivité et
148 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

d’innovation (Saplanzani, op. cit.). Dans cette dyna- conflits, techniques de communication et d’expression…,
mique de changement de vision et de valeurs, le profil le marché de la formation professionnelle en manage-
du manager, gestionnaire rationnel et organisateur disci- ment et en animation des équipes est alors en pleine
pliné, doit nécessairement évoluer pour être plus à même expansion. « Manager » devient « animer une équipe », et
de prendre en compte les attentes et les aspirations du la part d’expertise en contrôle de gestion, finance, pro-
personnel d’exécution. Faire rentrer ce personnel dans duction… à laquelle il faut aussi recourir, au quotidien,
une logique de responsabilisation, une logique dont n’apparaît plus aussi séduisante pour présenter et repré-
les managers eux-mêmes se réclament, suppose de senter un manager moderne. Parce qu’une participation
lui octroyer davantage d’autonomie et un certain pou- plus subjective est attendue, nombre de consultants et de
voir d’initiative. Instaurer la polyvalence et le travail en formateurs se spécialisent en relations humaines, sans
équipe et développer la maintenance et le contrôle de la jamais avoir exercé, pour certains, une fonction de mana-
qualité représentent de nouvelles modalités d’organisa- gement. Ces nouveaux « spécialistes » se font le relais de
tion et de régulation qui doivent permettre de concilier travaux scientifiques sur le fonctionnement humain et
recherche de productivité et mobilisation du personnel. social, des travaux qu’ils réduisent à l’état de principes
clés et transparents pour apprendre aux managers les
Pour favoriser le renouvellement des relations de travail,
bons comportements (Bellier-Michel, 1997). La démul-
un nouveau style de management doit être envisagé :
tiplication de modèles explicatifs et la prolifération de
le management participatif (Hermel, 1988 ; Goguelin et
concepts théoriques, visant à circonscrire toujours plus
Mitrani, 1994). Au fondement de ce dernier figurent plu-
finement les mécanismes mis en jeu dans des processus
sieurs principes comme établir des rapports de confiance
comme la motivation, la confiance, l’engament, le lea-
plutôt que de contrainte, faciliter la communication inter-
dership…, forment un creuset intarissable et apportent
personnelle, privilégier les décisions collégiales, mais
aux lots de méthodes une assise scientifique, tout en
aussi associer le personnel à la définition et à la mise
étant présentés comme étant simples et efficaces.
en œuvre des objectifs qui le concerne.
En réduisant au rang de mécanique les conduites,
Au fond, il s’agit de mettre en application les enseigne-
les valeurs et les attitudes, et en dévoilant celles qui
ments tirés d’un ensemble de travaux menés auparavant
marchent, le comportement individuel, en particulier
sur la motivation et les besoins de l’homme, ceux en par-
celui du manager, devient le déterminant du succès ou
ticulier de l’École des relations humaines et ceux qui vont
de l’échec des organisations. Comme le résume Bellier-­
se situer dans leur prolongement. Pour valoriser l’homme
Michel (op. cit.), en assumant une pointe d’exagération, le
dans ce qu’il a de spécifique, en particulier sa capacité
destin de l’entreprise est placé entre les mains des mana-
à se mobiliser, le manager doit être un animateur et
gers et, suivant leurs bons ou mauvais comportements,
non plus le représentant d’une position statutaire et d’un
ils peuvent changer le sort de l’entreprise de façon favo-
pouvoir formel. Il doit s’attacher à tisser des liens entre
rable ou défavorable. Dès le milieu des années 1980, le
les personnes, faire en sorte qu’un sens commun appa-
travail sur soi apparaît comme une condition essentielle
raisse, transformer finalement, par l’animation même, un
pour développer des compétences de manager. Mais
simple groupe de personnes en performance collective.
cette tendance à survaloriser le comportement individuel
C’est par ses qualités d’écoute et de communication, mais
et à sous-estimer le poids de l’organisation va encore
aussi par ses qualités personnelles qui doivent faire de lui
se renforcer, alors même que l’incertitude et l’instabilité
un leader, qu’il pourra mobiliser les énergies et renforcer
s’amplifient et que l’idée de sécurité apportée par l’en-
la mobilisation de tous autour d’une finalité partagée
treprise semble définitivement mise à mal (Boltansky et
(Bennis et Nanus, 1985 ; Collerette, 1991).
Chiapello, 2011).
Ce nouveau rôle attendu d’un manager, c’est-à-dire de
tout acteur appartenant à la communauté de ceux qui
ont la responsabilité d’une ou de plusieurs équipes de
travail, nécessite donc une formation particulière. Dyna-
mique de groupes, animation de réunions, gestion de
 7   R edécouvrir le management – U n investissement précieux pour tempérer les croyances 149

L’avènement des chefs de projet américains, européens et asiatiques, vont connaître


dans les années 1990 des phases plus ou moins lon-
Bien que, dans les premières années de leur mise en gues et non concordantes de crise et de reprise (pôle
place, les cercles de qualité ont connu un certain succès, américain), d’engourdissement (pôle européen), de forte
le mouvement participatif et les principes qu’il véhicu- croissance puis de choc (pôle asiatique). L’incertitude
lait n’ont pas véritablement réussi à s’installer dans les s’intensifie, alors même que plusieurs pays émergents,
pratiques et les fonctionnements. Plusieurs auteurs se telle l’Inde, commencent à s’engager dans une politique
sont attachés à comprendre les causes d’un certain de concurrence des « vieux » pays industrialisés (Coris et
échec manifeste, et des éléments de natures différentes Rallet, 2008). Plongés dans un tel contexte et forcés de
ont été dévoilés (Alter, 1990 ; Hermel, 1988 ; Chevalier, percevoir que les questions de court, de moyen et de
1991). Parmi les nombreux facteurs étudiés figure une long terme, sont en train de se redéfinir, les dirigeants
certaine résistance des encadrants, craignant d’être des entreprises occidentales vont modifier, plus en pro-
dépossédés de leurs prérogatives. Le fait d’encourager fondeur encore, leurs stratégies. De nouvelles réflexions
l’expression sur des domaines techniques pouvait faire sont menées pour obtenir davantage de flexibilité et de
apparaître un certain attrait pour la critique, débordant réactivité.
le périmètre d’analyse concerné, jusqu’à remettre en
Cependant, comme le souligne Spalanzani (2003b), sans
cause, parfois, le fonctionnement de la hiérarchie. Mais
l’accélération, presque concomitante et d’une certaine
si la faible coopération des managers de proximité a
manière indépendante, de la technologie informatique
été soulignée, des pertes de temps conséquentes ont
et des systèmes d’information et de communication,
aussi été pointées, liées au fait de devoir déléguer des
les stratégies d’ajustement déployées n’auraient pas été
tâches à des collaborateurs parfois peu préparés et peu
possibles. Pour cet auteur, c’est à l’évolution, encore plus
volontaires. À un autre niveau, si pousser les membres
rapide, dans ces années 1990, de ces nouvelles techno-
d’une équipe à rechercher par eux-mêmes des solutions
logies qu’il convient d’attribuer la capacité de mise en
pouvait favoriser la responsabilisation et des relations
œuvre de politiques plus flexibles, facilitant la réactivité
plus harmonieuses, l’efficacité d’une telle option n’était
pour se maintenir dans un champ concurrentiel de plus
pas toujours garantie. Dans ses travaux, Alter (op. cit.) a
en plus mondialisé.
d’ailleurs mis en exergue la perpétuation de bricolages
singuliers et d’arrangements clandestins, qui fonction- Pour donner un aperçu, seulement, des grandes transfor-
naient en parallèle des processus officiels de résolution mations organisationnelles qui vont à la fois bouleverser
de problèmes, et portaient tout autant, si ce n’est davan- et renforcer le rôle des managers, trois grands mouve-
tage, la dynamique de travail comme une certaine satis- ments, qui s’amplifient alors, peuvent être distingués :
faction personnelle. le recentrage, l’externalisation, la délocalisation. Repo-
sant sur l’idée que l’on est plus efficace et plus rentable
Quoi qu’il en soit, l’absence de résultats économiques
lorsqu’on réalise, par soi-même, ce que l’on sait faire le
tangibles a eu raison de l’enthousiasme de certains diri-
mieux, le recentrage des activités sur le cœur de métier
geants qui avaient misé sur la participation et l’avaient
va être pratiqué par de nombreuses entreprises. Ce mou-
encouragée. En outre, l’augmentation des coûts, liés à
vement va engendrer le recours à l’externalisation, qui
l’augmentation des heures de formation et à la multi-
consiste à se défaire d’activités moins profitables, mais
plication des temps de réunion et de coordination, n’a
aussi de certaines fonctions périphériques (logistique,
pas été sans conséquence pour délaisser l’idée de par-
maintenance, paie, recrutement…), pour les céder à des
ticipation et rentrer dans une nouvelle ère : celle de la
partenaires (sous-traitants) ou des prestataires (cabinets
normalisation.
spécialisés), considérés comme étant plus performants.
Pour comprendre le retour, en quelque sorte, d’une En ce qui concerne le mouvement de délocalisation, il
volonté de maîtrise, de rigueur et de rationalité, plu- s’agit de transférer toute une activité de production ou
sieurs phénomènes, relativement indépendants les une partie de celle-ci du pays où elle était initialement
uns des autres, doivent être pris en compte. En matière assumée vers un autre, afin de bénéficier de conditions
de conjoncture économique, tout d’abord, les pôles
150 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

plus avantageuses, en matière de coût de main-d’œuvre, associée à une situation de cadre ou de responsable hié-
de fiscalité, de réglementation… rarchique. Risque, mobilité, changement, chômage, etc.,
sont autant de propriétés à intégrer désormais, qui sous-
L’accélération de ce phénomène est à mettre en relation
tendent ce principe de flexibilité. Cependant, comme le
avec la création de l’Organisation mondiale du com-
souligne Bellier-Michel (1997), si l’échange implication et
merce (OMC), en 1995, qui va marquer une nouvelle
fidélité contre sécurité de carrière est rompu, l’entreprise
étape dans l’organisation du commerce international. En
compte toujours, si ce n’est plus, sur la forte mobilisa-
renforçant une logique d’interdépendance et de coopé-
ration à l’échelle mondiale, par une véritable législation, tion de tous les acteurs du management. D’autant que,
l’enjeu est de faire en sorte que toutes les parties pre- dans un tel contexte de reconfiguration progressive des
nantes y trouvent leur compte. Plus précisément, il s’agit structures, des missions et des rôles, une autre dyna-
de soutenir le développement des économies des pays mique agit fortement et devient déterminante : celle de
émergents par des investissements directs et l’implanta- la qualité.
tion de filiales, mais il s’agit aussi de permettre aux firmes
multinationales, qui s’installent dans ces pays d’accueil,
d’en tirer le meilleur parti en termes financiers. Du « management de la qualité »
Ainsi, à côté des multiples débats qui vont entourer ces au « management stratégique » :
trois grands mouvements interdépendants, les implica-
le renforcement du rôle
tions de ces mouvements sur l’organisation interne des
grandes entreprises occidentales vont aussi engendrer des managers
nombre de considérations et d’ajustements spécifiques. Dans les années 1990, la qualité va s’étendre et rentrer
Avec l’allègement du processus de production, mais aussi dans un nouvel ordre. Jusqu’alors fondée sur la partici-
de certaines fonctions, par l’externalisation et l’interna- pation pour arriver à un résultat, elle va désormais fonc-
tionalisation, la structure de l’entreprise originelle s’en tionner au résultat, c’est-à-dire reposer sur la conformité
trouve fortement modifiée. Au fil de multiples réorganisa- à une norme (Villalonga, 2010). Là aussi, la création de
tions internes, répondant à des exigences stratégiques de l’OMC va jouer un rôle crucial pour faire de la normalisa-
flexibilité, le nombre de niveaux hiérarchiques diminue, tion internationale un moteur plus puissant de dévelop-
laissant la place à de nouvelles formes d’organisation pement des marchés. Dans la perspective d’encourager
du travail, plus propices au développement d’une com- encore plus l’interchangeabilité des produits, tout en
pétence distinctive. Imaginée dès les années 1940, aux répondant aux exigences des acheteurs, la normalisa-
États-Unis, pour améliorer les processus d’innovation, la tion va progressivement intégrer d’autres préoccupations
gestion de projet va connaître de nombreuses évolutions que celles purement techniques. L’amplification de la
pour devenir synonyme, dans les années 1990, de trans-
possibilité d’agir avec des partenaires beaucoup plus
versalité et de travail en équipe autonome (Falcoz, 2003).
nombreux et plus éloignés va faire émerger une nouvelle
Comme cet auteur le mentionne, en reprenant les propos
préoccupation : garantir la constance de la qualité, à tous
de Picq (1999), l’idée d’un management par projet est
les stades de la fabrication du produit, pour assurer la
de mettre en avant les hommes, leur énergie, leur pas-
confiance entre les différents acteurs.
sion, et moins la hiérarchie. « L’équipe projet ressemble
ainsi à une sorte de “centre de profit” qui orchestre de Créée en 1946, par 25 États réunis à Londres, l’Organi-
façon flexible la créativité d’un ensemble de salariés sation internationale de normalisation (ISO) se chargeait
hautement compétents » (ibid., p. 13). Parce qu’il s’agit alors essentiellement d’établir des normes techniques
de mobiliser un réseau informel de relations et de faire dans le domaine industriel. Ces normes ISO étaient donc
travailler un ensemble de personnes qui ne se côtoient propres à un matériel ou à un procédé de fabrication
pas forcément au quotidien, le manager doit repenser sa et visaient à garantir la sécurité et la compatibilité de
place en dehors d’une logique strictement hiérarchique produits de provenances multiples. Mais, pour répondre
(Falcoz, op. cit.). Dans le même ordre d’idées, il est amené à ce nouvel enjeu de qualité dans les relations inter-­
à se départir d’une perspective de sécurité, jusqu’alors entreprises à l’échelle internationale, l’ISO va publier,
 7   R edécouvrir le management – U n investissement précieux pour tempérer les croyances 151

en 1987, sa première norme de la famille ISO 9000, tels les taux de croissance, les parts de marché ou encore
relative à la gestion de la qualité et à l’assurance de la les prix et les coûts (Martinet et collab., 1995 ; Castro et
qualité. Dans son prolongement et dans une perspec- collab., 1998). Des matrices d’analyse et des modèles
tive d’amélioration, d’autres normes vont être créées, de prévisions, hautement sophistiqués, permettaient à
révisées et même unifiées. Qualifiées de génériques, l’équipe de direction de faire des choix et de définir les
les normes ISO 9000 peuvent être appliquées à toute grandes orientations stratégiques.
organisation privée ou publique, quels qu’en soient la
Dans cette optique d’inspiration économique, les dimen-
taille et le domaine d’activité. Il s’agit de préciser toujours
sions organisationnelles et humaines n’étaient pas
plus ce qui doit être mis en œuvre pour garantir que
envisagées comme étant déterminantes. Mais, dans un
l’organisation offre un système qualité conforme aux
contexte où la flexibilité, la rapidité et la qualité vont
exigences du client.
devenir de plus en plus cruciales, l’idée de « management
Telle qu’elle a été définie dans la série des normes ISO stratégique », lancée dès les années 1970, va faire ressortir
9000, une démarche qualité amène à optimiser et à toute leur importance. En mettant l’accent sur la nécessité
rationaliser l’organisation. En mobilisant l’ensemble des de concevoir que les comportements stratégiques, au
ressources de l’entreprise dans la réduction des imper- sein d’une organisation, sont aussi une question d’en-
fections de toute nature et la limitation des coûts, l’enjeu gagement et de volonté, le management stratégique
est d’obtenir plus d’efficacité, de rentabilité, mais aussi va suggérer d’articuler davantage les aspects technico-­
de développer des parts de marché. Même si la certi­ économiques avec les aspects socio-organisationnels.
fication internationale7 n’est pas obligatoire et repose
La tendance à entretenir une distinction catégorique
sur le volontariat, la conquête de nouveaux clients peut
entre le niveau stratégique et le niveau opérationnel
sérieusement en dépendre. Les entreprises qui refuse-
va progressivement laisser la place à une volonté de
raient d’y adhérer s’exposent à de véritables risques de
couplage, plus propice au partage des enjeux et des
pertes d’opportunités (Grolleau et Mzoughi, 2005). Avec
connaissances, permettant de consolider la stratégie
un tel système de normalisation s’ouvrent des occasions
menée ou, si nécessaire, de la reconsidérer. En s’étendant
de créer des alliances fiables, d’agir en réseau et de com-
à presque toutes les actions managériales, la stratégie
biner des atouts, l’enjeu se situant dans les capacités
va devenir un espace évolutif à l’intérieur duquel tous
d’innovation et de créativité pour adapter, avec rapidité,
les acteurs d’une organisation, aux frontières de plus en
des produits et des services à l’évolution de la demande.
plus ouvertes, vont devoir se retrouver et s’orienter, pour
La qualité va donc progressivement fusionner avec la sécuriser l’avenir de leur entreprise.
stratégie générale de développement des entreprises
Dans cette perspective, le rôle attendu des managers est
et chercher à s’introduire à tous les niveaux (Villalonga,
de relayer une vision positive et cohérente des orienta-
op. cit.). Elle ne va plus s’adresser seulement aux techni-
tions stratégiques, afin que les comportements de tous
ciens et responsables de la production, mais concerner
convergent dans la direction souhaitée par les membres
désormais l’ensemble des acteurs de l’entreprise, et par-
de la haute direction. Au niveau opérationnel, là où il
ticulièrement ceux du management à tous ses échelons.
s’agit de piloter et de coordonner les activités, à court
Dans ces années 1990, au sommet de l’organisation, et à moyen terme, le manager va devoir s’attacher à
c’est-à-dire au niveau stratégique, un élargissement des faire comprendre et partager le sens des actions menées,
dimensions jusqu’alors prises en compte va être opéré. mais aussi des progressions attendues. Pour traduire en
L’univers de la pensée stratégique et de ses experts, résultats effectifs l’exigence d’une amélioration continue
proches de la direction générale, se composait d’éléments des processus et des fonctionnements, il va être amené
à rentrer dans une dynamique de communication de
données (reporting) de management. C’est-à-dire ana-
7. En sus de ces normes internationales, il faut savoir qu’il
existe aussi diverses autres normes qui en découlent par un lyser, de plus en plus régulièrement, avec sa hiérarchie,
phénomène dit « en cascade » : normes européennes, normes les indicateurs et les mesures, reflétant la marche des
nationales, normes régionales (comme pour les produits
d’appellation contrôlée).
152 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

activités de son service et sa capacité d’atteindre les En même temps que l’entreprise est appelée à s’ouvrir
objectifs chiffrés. et à sortir de ses limites traditionnelles, le manager est
exhorté à mobiliser sa personnalité tout entière. Parce
Finalement, dans un contexte où il s’agit de faire face à
qu’il incarne celui qui est à même de se contrôler en
un accroissement de contraintes externes et internes,
toute circonstance, de s’épanouir dans la complexité,
ayant une forte influence sur les activités concrètes, le
de rassembler les énergies ou encore de rassurer les
manager doit plus que jamais représenter un maillon fort
esprits, la figure du manager gagne la scène médiatique
et un modèle. Son engagement toujours plus complet est
et donne de plus en plus le ton à la société (Chanlat,
recherché, et ses qualités personnelles sont sollicitées
1998). L’idée que l’empathie, l’enthousiasme et même la
pour donner du souffle et de la légitimité, là où l’incerti-
joie des managers conditionnent le succès et l’excellence
tude semble de plus en plus s’installer.
des entreprises amène à prendre en compte les émo-
tions, lesquelles étaient jusqu’alors tenues à l’écart des
pratiques de management, si ce n’est évacuées (Enriquez,
Le manager moderne : de l’invincible 1997). À l’intérieur de toute la ligne managériale, mani-
au défaillant fester et transmettre des émotions positives devient un
gage de réussite personnelle et de mobilisation de tous.
Rassembler, inspirer, mobiliser, etc., deviennent donc Finalement, les qualités personnelles d’un manager, sur
des dispositions essentielles du manager. Le profil du ce versant précis des affects et du potentiel d’influence
manager moderne se décline en expressions multiples : qu’ils renferment, apparaissent comme un champ favo-
visionnaire, fédérateur, éclaireur, intuitif, polyvalent… À rable qu’il convient d’investir. Le lien « amélioration de soi
la fin des années 1990, l’ère du soi imprègne pleinement / amélioration de la performance » devient le sésame de
l’univers du management. Les théories prenant pour base nombreux cabinets en management, organismes de for-
l’individu et ses caractéristiques psychologiques sont en mation et spécialistes d’accompagnement professionnel.
pleine effervescence. En stipulant que ces dernières sont
déterminantes pour expliquer les évènements, le courant En apprenant à mieux se servir encore de ce qu’il est,
de l’individualisme libéral va ouvrir des voies fécondes, un manager doit être à même d’entraîner ses équipes
pour stimuler, sans contrainte, la détermination de dans la recherche de performance de l’entreprise, tout en
chacun (Lipovetsky et Charles, 2004 ; Beauvois, 2005). préservant leur bien-être. Dans un contexte où il s’agit
Articles de presse, témoignages, ouvrages et manifestes d’atteindre des objectifs toujours plus ambitieux et de
nourrissent un nouveau discours sur l’entreprise comme piloter des projets de plus en plus exigeants, le manager
lieu d’accomplissement personnel, de réalisation et doit devenir, en quelque sorte, son propre outil de mana-
même de dépassement de soi. La mise en avant de l’indi- gement. L’emballement qu’a suscité la notion « d’intel-
vidu vient supplanter l’importance accordée auparavant ligence émotionnelle », à la suite de la publication de
aux collectifs de travail. De façon relativement diffuse, un l’ouvrage de Goleman (1995), témoigne d’une certaine
déplacement s’opère de l’extériorité des dispositifs orga- aspiration des entreprises à vouloir placer ces ressorts
nisationnels vers l’intériorité des personnes (Boltansky et internes, que constituent les aptitudes émotionnelles, au
Chiapello, 2011 ; Courpasson, 1997). L’étude de l’action cœur de l’exercice du management. Mais cet engoue-
managériale concrète et quotidienne, ce qui se passe ment pour la notion « d’intelligence émotionnelle », dans
dans les organisations, n’apparaît pas alors comme une l’univers du management, est aussi à mettre en relation
préoccupation majeure pour la recherche en manage- avec « la logique compétence » qui, progressivement, va
ment. En revanche, ce qui se passe dans la personne, et se substituer à celle de la qualification (Durand, 2000 ;
en particulier dans celle du manager, offre des occasions Segal, 2008).
de raffinements scientifiques et de mesures objectives, Parce qu’il s’agit désormais, en interne comme en
permettant le dévoilement de caractéristiques de per- externe, de satisfaire des clients, de réagir efficacement,
sonnalités propices à la réussite. de répondre immédiatement ou encore de se rendre
disponible, les compétences dites « émotionnelles et rela-
tionnelles » émergent comme une condition essentielle
 7   R edécouvrir le management – U n investissement précieux pour tempérer les croyances 153

d’efficacité, à côté des traditionnelles compétences tech- jugement sur de telles valeurs, Chanlat suggère de ne
niques et des savoirs acquis. Un manager qui ne sait pas pas oublier d’examiner le contexte historique et socio-
prendre en compte ses propres émotions et celles des culturel dans lequel s’enracine le développement d’une
autres, qui ne sait pas les reconnaître et les maîtriser, telle conception.
n’apparaît pas armé pour les transformer en énergie
Cependant, comme l’illustre Bellier-Michel (1997), une
constructive et performante. En s’appuyant sur les études
vision objectiviste de l’être humain offre de vastes possi-
qui démontrent une relation positive entre les aptitudes
bilités pour échafauder des techniques et des méthodes,
socio-affectives des managers et les performances orga-
afin de guider les managers et leurs équipes dans l’amé-
nisationnelles, nombre d’organismes de formation vont
lioration de leur efficacité personnelle. En passant au
proposer des stages pour renforcer cette position de
crible les formations, mais aussi nombre d’ouvrages à
force et d’influence qui doit caractériser un manager. Les
l’attention des managers, elle révèle que ces dispositifs
intitulés pullulent : « l’intelligence émotionnelle au service
sont généralement bâtis sur la même logique : des clés de
du management », « l’intelligence émotionnelle un outil
réussite, du simple, pas d’intellectualisme, du pratique et
de management », « l’intelligence émotionnelle facteur
du concret. Par nature toujours positives, ces techniques
clé de votre management »… Il s’agit d’augmenter son
et ces méthodes désignent ce qui marche, ce qui permet
« savoir-être » dont l’intelligence émotionnelle devient la
de s’en sortir. Mais cette inclination à afficher clairement
clé. Une meilleure gestion du stress est alors possible,
la nécessité de faire simple et pragmatique tendrait aussi
une amélioration de la qualité des décisions doit en
à s’assortir d’une forme de rejet pour tout ce qui pourrait
découler ou bien, encore, une optimisation de ses qua-
être éminemment théorique ou intellectuel. En détaillant
lités relationnelles.
les grands axes de séminaires de formation pour mana-
Pour Chanlat (2002), cette place considérable qu’occupe gers, qui ont connu et connaissent encore, aujourd’hui,
désormais l’émotionnel, dans le champ du management un certain succès, Bellier-Michel souligne que, s’il est
et de sa formation, souffrirait cependant d’un manque de question de développer des capacités de critiquer, d’éva-
réflexion critique, notamment en France. En s’attachant à luer, de comparer et de prendre du recul…, c’est principa-
comprendre cet engouement, il souligne que les travaux lement sur soi, et non sur les contextes et les activités ou
l’alimentant s’inspirent de modélisations propres à la l’organisation dans son ensemble. En évoquant ses ren-
biologie, à la psychologie cognitive et à la psychologie contres avec des chefs d’entreprises, Tapia (1991, p. 12)
sociale expérimentable. Chanlat (op. cit.) précise que révélait combien certains invoquaient, déjà, « la pression
c’est une conception bioconsciente des émotions qui des circonstances, l’urgence des sollicitations à l’action
est favorisée, passant à la trappe les apports précieux ou la décision pour justifier le recours à la recette ou “au
d’autres disciplines8 des sciences humaines et sociales truc” qui marche tout de suite plutôt qu’aux analyses
pour penser le management et le travail en général. fouillées qui réclament des efforts, de la disponibilité et
Quoi qu’il en soit, cet auteur pointe le caractère infini- un certain éloignement du réel ». Dans l’introduction de
ment positif véhiculé par cette optique, qui dispense, en ses travaux, situés à la croisée du management et des
même temps, des préceptes normatifs pour les mana- sciences humaines, cet auteur s’interrogeait aussi sur les
gers et les organisations. Succès, réussite, performance, conséquences d’un manque de culture générale rigou-
amélioration, excellence sont autant d’expressions qui reuse, laissant souvent la place à l’adoption de schémas
crépitent et qui ne peuvent que séduire. En s’appuyant idéologiques encombrants, si ce n’est préjudiciables. Il
sur les réflexions de Hertsgaard (2002), Chanlat invite pointait également les écueils possibles d’un certain ren-
à repérer, dans ce mouvement, l’empreinte de la culture fermement du management sur lui-même, préférant les
américaine, comme le désir de gagner et d’être gagnant, recettes et « procédés gadgets », trop vite émancipés des
une pensée instrumentale et pratique, la tendance à connaissances pluridisciplinaires, analytiques et critiques,
rejeter une vision conflictuelle du social, la prédomi- sur lesquelles est pourtant fondée toute leur fiabilité9.
nance d’un positivisme scientifique… Loin de porter un

9. Comme le lecteur l’aura compris, cela nous amène bien loin du


8. En particulier la sociologie et la psychodynamique. praticien réflexif décrit par Donald Schön (1983).
154 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Mais le questionnement que propose Bellier-Michel, en


Conclusion et perspectives
prenant appui sur sa propre expérience de consultante,
permet d’envisager d’autres préoccupations rarement Il faut apprendre aux managers à manager : n’est-ce pas
explicitées. Si la « formation du manager », plutôt que la ce que proclament aujourd’hui encore nombre de spécia-
« formation au management », connaît un tel emballe- listes ? Il faut apprendre aux salariés à mieux gérer leur
ment aujourd’hui, c’est peut-être que, avant tout enjeu stress : n’est-ce pas ce que demandent, aussi, nombre
pédagogique, d’autres fonctions sont recherchées, ten- de dirigeants d’entreprises ? Bien qu’elles soient carica-
dant à minimiser en quelque sorte une situation de plus turales, ces déclarations n’en résument pas moins une
en plus inconfortable. Bien que les intitulés des sémi- certaine réalité qui nourrit toujours les représentations
naires pour managers se renouvellent, il s’agit toujours et les préconisations d’actions. Au travers de nombreux
de valoriser et de rassurer ces acteurs « privilégiés ». détours, en allant approfondir différentes logiques et
Quelles que soient les méthodes ou les techniques pro- forces qui s’entrecroisent dans le milieu du management,
posées, insister sur les valeurs et les codes, propres à nous avons tenté de mieux comprendre en quoi de telles
ce groupe social « supérieur », doit permettre de nourrir déclarations peuvent progressivement se transformer en
un fort degré d’implication. Attester que les choses ne certitudes et même se renforcer. Mais à l’heure où un
sont pas si compliquées, qu’elles peuvent même être développement normatif des qualités relationnelles des
assez simples, si l’on veut bien s’en donner les moyens, managers est toujours signalé comme une clé détermi-
ouvre un champ magique de possibilités qu’il convient nante, pour mieux articuler en pratique « management /
d’explorer. Au fond, comme le mentionne Bellier-Michel, épanouissement et santé mentale au travail », il semble
plus le contexte est précaire et difficilement maîtrisable, aussi pertinent d’envisager d’autres ressorts.
plus il apparaît bénéfique de faire appel à des dispositifs D’un point de vue lexical tout d’abord, si « le manage-
qui affirment développer la confiance, la responsabi- ment » est une expression qui paraît faire consensus,
lisation, l’engagement… Selon cette auteure, nombre pour englober à la fois des hommes et des pratiques, des
de modes et de modèles, qui circulent dans l’univers fonctionnements et des dysfonctionnements, nombre de
du management, ont aussi pour vocation de persuader biais peuvent aussi résulter de cette propension à tout
les lecteurs ou les participants à des séminaires qu’en embrasser sous ce vocable. Sur son blogue « Questions de
priorisant telle relation à l’organisation ils font le bon management10 », Dellavallée joue avec plusieurs expres-
choix, le choix gagnant. Et mettre l’accent sur tout ce qui sions : « Le management, c’est ce que font les managers.
relève de l’autonomie individuelle, de la personnalité, du Mais que font les managers ? Du management bien sûr !
potentiel de chacun, constitue un moyen d’entretenir un Nous voilà bien avancés. » Trop souvent, aussi, « le mana-
sentiment de liberté et de maîtrise. gement » et « la gestion » ou « l’action de gérer » et celle « de
Cependant, en même temps que l’on cherche à encou- manager » sont utilisés de façon indifférenciée. Pourtant
rager une telle dynamique « entrepreneuriale du soi », une distinction essentielle devrait être faite, lorsqu’on
un déplacement de la responsabilité s’opère aussi insi- s’intéresse à l’activité managériale, pour en analyser les
dieusement. Si quelque chose ne se déroule pas comme effets et les leviers possibles. Si la « gestion » et « le mana-
prévu, si des complications apparaissent, il convient de gement » représentent deux champs d’activité tout autant
s’en prendre d’abord à soi-même. Car il n’en demeure essentiels à l’efficacité d’une entreprise, ces champs
pas moins, comme le rappelle Bellier-Michel, qu’il faut recouvrent, toutefois, des approches et des contenus
des responsables ; non pas de la situation en général, distincts. La gestion correspond à des disciplines, des
mais des situations de chacun, suivant leur position et techniques et des métiers, comme le contrôle de gestion,
mission dans l’organisation. la comptabilité ou le suivi statistique de l’activité. Il s’agit
donc de préserver les principaux équilibres financiers,
de gérer la rentabilité pour l’intérêt de l’ensemble des

10. www.questions-de-management.com/management-et-mana
gers-ne-sont-pas-synonymes/.
 7   R edécouvrir le management – U n investissement précieux pour tempérer les croyances 155

parties prenantes, de garantir la fiabilité de l’informa- parfois, trop mécaniquement, le manager opérationnel
tion comptable ou, encore, d’établir des prévisions dont au centre des problèmes et des solutions, quand il s’agit
dépendront les choix stratégiques. À quelque niveau que de souffrance et de santé au travail. Dans ces réflexions
ce soit, l’activité managériale ne peut se concevoir sans de futurs professionnels, si la littérature explorée, hypers-
ce socle que représente « la gestion ». pécialisée, souvent quantitative, apporte une caution
scientifique, il est plus rarement question de s’interroger
Parce que, d’un point de vue strictement gestionnaire,
sur la prédominance d’une vision, laquelle tend à for-
l’intégration de « la santé au travail », pour ne citer que
mater les esprits et le langage, à l’image du « risque psy-
cette question, pose de réelles difficultés en matière de
chosocial » devenu un « incontournable », même dans les
mesure, d’objectivation, de suivi…, force est de constater
conversations courantes.
un certain penchant des gestionnaires et des dirigeants
pour voir dans « la santé » une question d’abord de Comme Delavallée le rappelle, un certain pragmatisme
conformité, plutôt que de tenter de l’inclure dans les ambiant tendrait à réduire le management à l’activité
prérogatives relevant des gestionnaires. Mais ces dif- des managers. Mais, selon ses propres termes, si l’on
ficultés à combiner, dans ce domaine, des exigences veut bien concevoir que « la finalité du management
économiques et gestionnaires, souvent peu comprises est de transformer du travail en performances » et non
et parfois trop vite jugées, amènent à enrayer les discus- « de faire travailler, de motiver ou “de faire grandir”… »,
sions de fond. Un peu, finalement, comme si l’impossibi- alors il convient d’être en mesure d’appréhender tous les
lité de se rejoindre « techniquement et doctrinalement » acteurs et les processus qui participent à produire des
permettait de maintenir des convictions, si ce n’est des performances. Directeur de la stratégie, contrôleur de
occasions, pour que chaque spécialité progresse selon gestion, responsable RH, responsable qualité… contri-
ses intérêts et ses certitudes. buent aussi à remplir la fonction de management. En
invitant à explorer en profondeur la double division du
La focalisation sur le manager de terrain, par l’entremise
travail de management – horizontale (entre opération-
du service des ressources humaines, occupe toujours
nels et fonctionnels) et verticale (entre les managers
autant l’intervention, mais aussi la réflexion profession-
d’une même ligne hiérarchique) –, Delavallée invite aussi
nelle et scientifique. En témoigne, en France, le nombre
à se départir de certaines croyances. Il pointe particuliè-
considérable de mémoires de fin d’études à l’université,
rement le fait qu’un dysfonctionnement managérial ne
comme dans les écoles de management, portant sur les
se trouve pas forcément dans un déficit de compétences
« leviers », « les plans d’action », « les solutions », « les outils
des managers : Ainsi, « on peut avoir de bons managers,
et les diagnostics » ; autant d’orientations qui placent
mais un mauvais management »…

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2
Partie

Regards sur certaines pratiques RH


8

La sélection du personnel :
une question d’appariement1
Renée Michaud

Attention
Plusieurs auteurs se sont intéressés à la sélection du per-
sonnel, un élément clé pour le fonctionnement efficace
effet, il faut aussi comprendre les tâches et les respon-
sabilités qui seront confiées au travailleur ainsi que le
J’ai mis la des
note de bas deC’est grâce à elle que les organisations
organisations. contexte, l’environnement dans lequel il évoluera. Le
de tous genres obtiennent les travailleurs dont elles ont concept d’appariement personne-environnement a tou-
page 1 invisible à côté
besoin pour du
atteindre leurs objectifs, le plus souvent jours été présent dans les activités de sélection, mais pas
dernier mot «épanouir.»
après du le potentiel. C’est aussi grâce aux
en avoir évalué nécessairement explicitement.
activités de sélection que les travailleurs se voient offrir
premier paragraphe En effet, les recruteurs ont traditionnellement tenté de
des emplois grâce auxquels ils pourront survivre (finan-
trouver la perle rare dont les connaissances, les habiletés
cièrement !), mais dans lesquels ils pourront idéalement
et les attitudes (ou simplement les compétences) lui per-
contribuer à la société, se développer et s’épanouir.1
mettraient d’être le plus efficace le plus rapidement pos-
La sélection part d’une idée simple : tous les individus sible dans l’exécution des tâches qui lui seraient confiées.
sont différents (Gatewood, Feild et Barrick, 2008 ; Guion, Ce faisant, ils tentent de faire le meilleur appariement
1998 ; Pettersen, 2002). Que ce soit en matière de carac- entre le poste à pourvoir et le travailleur. Cependant, il
téristiques physiques, d’intérêts ou de valeurs, chaque semble que les connaissances et les habiletés ne sont
individu est unique. Chaque personne a des compé- pas toujours les éléments les plus déterminants dans
tences et un potentiel différents et excellera dans l’ac- la décision de sélection : il faut aussi qu’il y ait de la
complissement de certaines activités et peinera, voire chimie, des atomes crochus2… Comme d’autres l’ont
échouera dans d’autres. C’est justement parce qu’il y a fait avant eux, Judge et Ferris (1992) ont posé la ques-
des personnes qui sont plus efficaces (et plus heureuses) tion aux gestionnaires pour comprendre quelle était la
que les autres dans un travail donné que la sélection marque de qualité d’un bon candidat à retenir dans un
prend tout son sens et que les organisations consacrent contexte de sélection et la réponse qu’ils ont obtenue
beaucoup d’efforts à mesurer les qualités des travailleurs le plus souvent c’est que les recruteurs cherchaient a
pour décider lesquels retenir. Reconnaître les différences candidate who fits (p. 47), avec la variété de sens que l’ex-
individuelles n’est cependant que le point de départ. En pression peut avoir. Par ailleurs, si l’obtention d’un bon
rendement demeure l’objectif principal de la plupart des
employeurs, ces derniers sont de plus en plus nombreux
1. Ce chapitre est largement inspiré de la thèse de doctorat de
Renée Michaud intitulée « La validité prédictive et incrémen-
tielle de l’appariement personne-organisation pour les activités
de sélection » terminée en 2014 et réalisée sous la direction 2. Chatman (1991), notamment, fait mention de critères de
d’André Durivage. sélection contribuant à la personal chemistry (p. 461).
 8   L a sélec tion du personnel  : une question d ’appariement 161

à vouloir embaucher des travailleurs qui seront engagés,


L’appariement
fidèles et qui resteront dans l’organisation.
personne-environnement
Bien que le concept d’appariement3 personne-environne-
ment (person-environment fit) ne soit pas si récent (l’idée L’appariement personne-environnement peut être défini
était évoquée en psychologie interactionnelle au milieu comme un « concept vaste qui comprend nécessairement
du siècle dernier), l’intérêt porté par les chercheurs dans la compatibilité d’un individu avec divers systèmes de son
le domaine de la gestion des ressources humaines, de environnement de travail » (trad. libre de Kristof-Brown,
la psychologie du travail et du comportement organi- Jansen et Colbert, 2002, p. 985). L’appariement peut
sationnel ne semble pas s’estomper, bien au contraire. prendre diverses formes selon les définitions : similarité,
D’aucuns considèrent même que l’appariement per- congruence, alignement, accord, composition, compila-
sonne-environnement constitue la pierre angulaire de tion, configuration, jumelage et interaction (J. A. Edwards
la psychologie industrielle et organisationnelle et de la et Billsberry, 2010). Les deux formes les plus usuelles
gestion des ressources humaines (Kristof-Brown et Guay, sont l’affinité et l’imbrication (interlock), c’est-à-dire que
2011 ; Ostroff et Schulte, 2007 ; Schneider, 2001). l’appariement peut être ressemblance où plusieurs élé-
ments similaires sont rassemblés, ou complémentarité
Dans ce chapitre, nous explorerons brièvement le comme les pièces d’un casse-tête qui se regroupent pour
concept d’appariement personne-environnement, puis former un tout (Muchinsky et Monahan, 1987). Par ail-
celui de l’appariement personne-emploi, traditionnelle- leurs, le concept d’appariement est généralement associé
ment associé aux activités de sélection du personnel. à des résultats et des conséquences, positifs de surcroît.
En mettant en lumière certains des bouleversements Westerman (2001) soumet comme hypothèse de base de
récents dans le monde de la sélection, nous aborderons l’appariement personne-environnement que « l’individu
la question de l’élargissement des prédicteurs (entre cherche à obtenir, maintenir et optimiser la correspon-
autres pour y inclure les valeurs) et celui des critères dance avec son environnement » (trad. libre, p. 4) et que
(pour y considérer le rendement de citoyenneté et l’en- cette « adéquation (suitability) engendre des retombées
gagement organisationnel qui permettront de tenir positives ». Ainsi, l’appariement personne-environnement
compte des besoins des travailleurs), puis l’avènement est la comparaison d’un aspect de la personne avec un
de l’appariement personne-organisation. Ce faisant, nous aspect de son environnement de manière à prédire un
explorerons la manière dont les activités de sélection du résultat comportemental ou psychologique (trad. libre
personnel peuvent s’inscrire dans une perspective plus d’Edwards et Billsberry, 2010, p. 477).
humaniste. Nous présenterons ensuite diverses manières
de considérer, voire de favoriser l’appariement personne-­ Si l’appariement personne-environnement est foncière-
organisation en contexte de sélection du personnel. ment individuel, ses conséquences peuvent s’inscrire au
Nous terminerons ce chapitre en abordant certains niveau tant individuel qu’organisationnel (Kristof-Brown
défis associés à l’inclusion de l’appariement personne-­ et Guay, 2011). Plusieurs avantages y sont associés :
organisation dans les activités de dotation. l’augmentation de la productivité, du moral, de l’enga-
gement organisationnel, de la rétention sans compter
les attitudes positives engendrées et une diminution du
stress (Werbel et DeMarie, 2005).

Le concept d’appariement personne-environnement


n’est pas récent. Les premiers auteurs à parler de l’adé-
quation individu-environnement l’ont fait il y a bien
longtemps. Certains auteurs remontent jusqu’à Platon,
3. Nous utilisons le vocable appariement pour traduire le mot le philosophe grec, le premier à avoir proposé le partage
anglais fit. Notons que d’autres (comme Devinat, 1999) ont choisi
des responsabilités selon le tempérament et les habi-
le terme adéquation qui pourrait être aussi pertinent. D’autres
encore (Morin, Paillé et Reymond, 2011) parlent pour leur part letés (Tinsley, 2000). On évoque aussi fréquemment les
de compatibilité individu/organisation. travaux de Parson sur les choix de carrière au début du
162 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

xxe siècle comme antécédents aux travaux sur l’appa- Doverspike, 2006 ; Bowen, Ledford et Nathan, 1991 ;
riement. Cependant, pour bien comprendre ce concept, Chatman, 1989 ; Kristof-Brown, Zimmermann et Johnson,
il faut retourner au début du siècle dernier. 2005 ; Morley, 2007 ; O’Reilly, Chatman et Caldwell,
1991 ; Verquer, Beehr et Wagner, 2003). Graduellement
Longtemps, deux théories générales se sont opposées
et de plus en plus, d’aucuns s’entendent sur le fait que
pour expliquer le comportement humain (Chatman,
les deux aspects influencent comportements et attitudes,
1989 ; Schneider, 2001 ; Westerman, 2001). D’un côté,
mais que les deux en interaction les influencent aussi.
il y avait les chercheurs convaincus que les différences
Le caractère dynamique ou flexible de l’appariement
entre les individus expliquaient les variations dans leurs
surgit dans la mesure où chaque partie de l’équation peut
attitudes et leurs comportements. Dès lors, le comporte-
changer, sans compter qu’elles agissent aussi continuel-
ment de l’individu demeurait stable. À l’opposé, d’autres
lement l’une sur l’autre (Chatman, 1989, 1991).
favorisaient l’approche situationnelle de la théorie de
la contingence selon laquelle la situation détermine Une autre considération importante dans l’étude de
les comportements des individus ou, autrement dit, les l’appariement personne-environnement est sa nature.
comportements sont des réponses à l’environnement. Edwards et Billsberry (2010) proposent que deux
Puis, en 1951, Lewin présentait la théorie interactionniste approches s’affrontent. D’une part, l’appariement est un
selon laquelle « B = f (P, E) », le comportement (B pour construit déconstruit (undeconstructed construct) dans la
behavior) est fonction de la personne (P) et de l’environ- mesure où il est une perception, un sentiment global.
nement (E). Le concept d’appariement possédait dès lors D’autre part, l’appariement est considéré comme mul-
une première assise théorique. tidimensionnel ou déconstruit, c’est-à-dire qu’il existe
plusieurs types d’appariements : celui entre la personne
En effet, nombreux sont les auteurs qui associent le
et une profession, un emploi, un groupe et une organi-
concept d’appariement à la psychologie interactionniste
sation (voir tableau 1). La plupart des écrits sur le sujet
selon laquelle les comportements et les réponses d’un
adoptent (plus ou moins explicitement) cette deuxième
individu à une situation naissent de l’interaction qu’il
perspective.
a avec son environnement (Arthur, Bell, Villado et

Tableau 1 Types d’appariements personne-environnement

Type d’appariement Définition Exemples de dimensions


individuelles prisées

Appariement personne-profession Appariement entre les intérêts d’une Aptitudes, intérêts, valeurs personnelles,
(person-vocation fit) personne et une profession ; explication buts à long terme
du choix de carrière, indépendamment
de l’organisation où la profession
est exercée

Appariement personne-emploi Appariement des habiletés d’une Connaissances, habiletés, intelligence,


personne et des demandes d’un emploi traits de personnalité reliés à la
réalisation des tâches

Appariement personne-groupe Appariement d’une personne avec les Habileté à travailler en équipe, style
(person-groupe fit) buts, les styles de travail et les habiletés de gestion de conflit, communication
de ses collègues

Appariement personne- Appariement d’une personne avec Valeurs, motivations, buts


organisation les valeurs, les normes et la culture
d’une organisation
 8   L a sélec tion du personnel  : une question d ’appariement 163

L’appariement personne-emploi Figure 1 Processus de sélection

et la sélection du personnel Analyse d’emploi


L’appariement personne-emploi est l’un des types d’ap-
pariements personne-environnement. On parle rarement
de la sélection en termes d’appariement personne-­ Choix du domaine de l’emploi
emploi, mais il n’en demeure pas moins que les deux
concepts sont intimement liés.

Les racines de l’appariement personne-emploi (person-job Description des connaissances,


fit) se situent dans le taylorisme. Il est défini comme habiletés et attitudes (CHA)
l’adéquation ( fit) entre les habiletés d’une personne et
les demandes d’un emploi ou celle entre les désirs et
les motivations d’une personne et les caractéristiques
Choix des prédicteurs
et récompenses d’un emploi (Kristof, 1996 ; Phillips et et développement
Gully, 2009). Ainsi, on voit émerger deux types : l’appa- des instruments de mesure
riement demande-habiletés (demands-abilities) lorsque
les connaissances, les habiletés et les attitudes du tra-
vailleur sont comparables aux exigences de l’emploi Validation des instruments
et l’appariement offres-valeurs (supplies-values) quand
les besoins de l’employé sont satisfaits par le travail à
accomplir (Cable et DeRue, 2002).
Utilisation des instruments
Le concept d’appariement a toujours été présent dans les
activités de sélection, mais pas nécessairement explici-
L’analyse d’emploi est la pierre angulaire sur laquelle
tement. « In the case of selection, PJ fit [person-job fit] is
s’appuient tant l’appariement personne-emploi que la
rarely, if ever, measured as fit. Instead, it is implicit in the
sélection. L’analyse d’emploi est le processus de collecte,
meeting of job requirements, with additional applicant
d’organisation et d’analyse d’information au sujet d’un
qualifications often viewed as an advantage rather than
emploi visant à décrire ses diverses composantes : res-
as misfit with the job. » (Kristof-Brown et Guay, 2011, p. 9).
ponsabilités et tâches, contexte organisationnel, connais-
Ainsi, la sélection du personnel fait partie du processus sances, habiletés et attitudes et critères de rendement.
de dotation, lequel est « l’ensemble des activités qui À partir de l’analyse d’emploi, il est possible de déter-
consistent à pourvoir un poste vacant » (Bourhis, 2013, miner d’abord le domaine de performance (c’est-à-dire
p. xii). La sélection est plus précisément le processus les responsabilités et les tâches). De celui-ci, on infère les
d’évaluation du potentiel des candidats visant à déter- connaissances, habiletés et attitudes (CHA) ou les compé-
miner lequel sera embauché (Gatewood et collab., 2008). tences nécessaires pour offrir un bon rendement. Les CHA
Muchinsky et Monahan (1987) font état de plusieurs sont ensuite traduites en prédicteurs mesurables et des
décennies de recherche mettant en lumière les activités instruments pour les mesurer sont choisis ou développés :
traditionnelles de sélection : « Les emplois sont analysés analyse des CV, entrevues, tests psychométriques, échan-
pour déterminer les habiletés qu’ils requièrent, […] des tillons de travail, vérification des antécédents, etc. Ce
tests sont conçus pour évaluer les habiletés des employés processus permet de choisir des instruments de sélec-
puis […] on détermine comment les organisations choi- tion valides, fidèles – c’est-à-dire stables et consistants –,
sissent la bonne personne pour le bon emploi (make the économiques, pratiques et respectueux du cadre légal
best match) » (trad. libre, p. 272). Le processus de sélection (exempts de discrimination illicite), de manière à prendre
est décrit différemment par les divers auteurs, mais les des décisions d’embauche efficaces. Le processus de
étapes demeurent les mêmes (voir la figure 1 inspirée sélection s’achève par le choix du ou des candidats à
de Gatewood et collab., 2008).
164 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

embaucher, lequel s’appuie sur l’information recueillie d’emploi se transforment elles aussi et doivent accorder
grâce aux instruments de sélection. encore plus d’importance aux savoir-être et à l’analyse
organisationnelle (Sanchez et Levine, 2012 ; Society for
Industrial and Organizational Psychology, 2003 ; Werbel
et Gilliland, 1999 ; Wilson, Bennett, Gibson et Alliger, 2012).
L’évolution de la sélection
Des changements ont lieu également en matière de cri-
au cours des dernières décennies
tères pour déterminer l’efficacité des décisions de sélec-
Depuis quelques décennies, le marché du travail évolue. tion. D’entrée de jeu, rappelons que les études de validité
La mondialisation, la transformation de l’économie, l’ac- prédictive reposent sur les critères qui sont autant de
croissement de la concurrence maintenant planétaire mesures utilisées pour distinguer les travailleurs lors-
et le développement fulgurant et continuel des tech- qu’ils sont employés d’une organisation. La recherche
nologies ont entraîné des changements dans toutes théorique portant sur le critère, dont le rendement, a
les sphères de la vie organisationnelle et font en sorte longtemps été délaissée au profit de la recherche au
que les organisations doivent rapidement s’adapter et sujet des prédicteurs, comme la personnalité et l’habileté
innover pour survivre. Dans certaines situations, ce sont cognitive (Borman, 1990 ; Campbell, McCloy, Oppler et
des restructurations et des réductions d’effectif (downsi- Sager, 1993). De ce fait, il n’y avait pas de consensus
zing) qui ont engendré les besoins de flexibilité accrue quant à la nature du rendement ni à la façon de le
de la part des travailleurs. mesurer. Traditionnellement, les études ont reposé sur
deux critères, le rendement global (sans trop se soucier
Les emplois ont aussi évolué et continuent de changer.
de ses composantes) et le succès dans les programmes
Les frontières entre ceux-ci sont plus diffuses. De plus,
de formation (Schmid et Hunter, 1998). Au cours des
on laisse davantage de latitude et d’autonomie aux tra-
dernières décennies, plusieurs formes de rendement ont
vailleurs (Sanchez et Levine, 2012). Ceux-ci sont aussi
été distinguées et ont fait l’objet d’études de validation.
de plus en plus engagés dans des activités nouvelles.
La plupart des auteurs reconnaissent maintenant que
On peut entre autres penser aux initiatives de participa-
le rendement individuel au travail comprend deux fac-
tion, de travail d’équipe (allant parfois jusqu’aux équipes
teurs : le rendement axé sur les tâches et le rendement
autogérées) ou de rotation des tâches. Ces nouvelles
de citoyenneté, même si le second n’est pas toujours
responsabilités exigent de nouvelles compétences trans-
défini de la même façon4.
versales. Par conséquent, il n’est presque plus possible de
sélectionner les travailleurs strictement en fonction des De nos jours, l’évolution rapide du monde du travail com-
tâches et des compétences fonctionnelles spécifiques mande cependant que le rendement axé sur les tâches
d’un poste. ne soit pas le seul critère retenu pour vérifier l’efficacité
et l’utilité de pratiques de sélection. Il est aujourd’hui
Les activités de dotation se sont également transfor-
essentiel d’opter pour des critères multiples et variés,
mées pour faire face à ces changements. Outre le recours
dont certains ne sont pas nécessairement reliés à l’ac-
aux nouvelles technologies aux différentes étapes du
complissement des tâches, mais plutôt aux comporte-
processus, on assiste à l’élargissement du modèle tradi-
ments et même aux attitudes des travailleurs dans leur
tionnel de sélection, tant pour les prédicteurs que pour milieu de travail. Par exemple, d’aucuns proposent le
les critères (Werbel et Gilliland, 1999). En effet, les pré- recours aux critères de rendement de citoyenneté et
dicteurs doivent être plus universels et plus larges pour d’engagement organisationnel, autant d’éléments qui
s’adapter aux changements. On peut par exemple penser contribuent à la performance organisationnelle. En
aux qualités personnelles, aux capacités cognitives, à effet, nombre de gestionnaires ne se contentent plus
la personnalité, aux savoir-être et à des habiletés de aujourd’hui d’employés qui font un bon travail dans les
base (comme les mathématiques et la communication).
Il faut aussi considérer les valeurs lorsqu’on choisit les
4. Nous avons retenu, parmi la multitude d’options, l’appellation
prédicteurs, de manière à s’adapter à la réalité politique « rendement de citoyenneté » pour nommer le deuxième facteur
des organisations. Par conséquent, les activités d’analyse du rendement individuel au travail.
 8   L a sélec tion du personnel  : une question d ’appariement 165

délais impartis ; ils souhaitent aussi des travailleurs nova- et à plus juste titre si le succès des organisations est basé
teurs, motivés, engagés auprès de l’organisation et de sur une culture distinctive, il faut choisir les employés
sa clientèle. Le rendement de citoyenneté chapeaute les en fonction de cette culture et s’assurer qu’ils y seront
aspects du rendement qui ne sont pas reliés aux tâches appariés. Parallèlement à cela, il semble que de plus en
prescrites menant à l’accomplissement des objets tech- plus les candidats sérieux accordent autant d’importance
niques de l’organisation, mais qui viennent plutôt en au choix d’un emploi qu’à celui de l’organisation qui les
appui à l’environnement organisationnel, social et psy- emploiera (Morley, 2007).
chologique de l’organisation. Il est désormais reconnu
En fait, Bowen et ses collaborateurs (1991) constatent
que les comportements de rendement de citoyenneté
que l’appariement personne-emploi ne suffit plus : « Le
peuvent être prescrits ou discrétionnaires (dans ou hors
modèle traditionnel de sélection était préoccupé plus
rôle) et qu’ils sont généralement souhaitables, valorisés
par la recherche de nouveaux employés que par leur
et reconnus d’une quelconque façon. Ceux-ci com-
rétention » (trad. libre, p.38). Il faut alors lui adjoindre l’ap-
prennent les comportements de soutien personnel offert
pariement personne-organisation pour les activités de
aux individus, comme l’aide, la collaboration, la cour-
sélection. Cela dit, l’appariement personne-organisation
toisie et la motivation, les comportements de soutien
seul n’est pas suffisant : il doit continuer de s’accompa-
à l’égard de l’organisation en tant que telle qui incluent
gner de l’appariement personne-emploi (Westerman,
la représentation, la loyauté et la conformité et d’autres
2001). En ce sens, les auteurs parlent de sélection en
comportements associés à l’accomplissement des tâches,
deux temps : l’appariement personne-emploi au moment
dont la persistance, l’initiative et l’autoperfectionnement.
Pour sa part, l’engagement organisationnel est la force de la présélection et les entrevues sur le campus et l’appa-
de l’identification et de l’engagement de l’individu envers riement personne-organisation parmi les candidats qua-
une organisation, de telle sorte que l’individu souhaite en lifiés pour la décision finale (ce qui répond aux impératifs
demeurer membre, désire faire des efforts pour celle-ci légaux) (Adkins, Russel et Werbel, 1994 ; ­K ristof-Brown et
et accepte ses valeurs et ses objectifs. Guay, 2011 ; Kristof, 1996). D’autres, comme Shin (2006),
proposent que l’appariement personne-organisation non
Finalement, étant donné la réalité du marché du travail seulement soit complémentaire aux activités de sélec-
influencé par les bouleversements démographiques, tion traditionnelles, mais pourrait même constituer une
l’écart grandissant dans les qualifications et une pénurie solution de rechange. Mais qu’est-ce que l’appariement
annoncée de personnel qualifié, et étant donné les coûts personne-organisation ?
élevés associés au roulement, la fidélisation de la main-
d’œuvre et la relative absence de roulement volontaire
deviennent aussi des critères pertinents pour mesurer
l’efficacité de la dotation. L’appariement personne-organisation
Un autre changement qui a eu lieu en dotation, et plus Plusieurs définitions de l’appariement personne-­
largement en gestion des ressources humaines, est le organisation sont proposées. Au départ, il était défini
passage du modèle traditionnel basé sur l’emploi et les plus restrictivement comme « la congruence entre les
tâches vers la gestion des compétences qui met l’accent normes et valeurs d’une organisation et les valeurs de
sur les compétences des travailleurs. Ce mouvement, la personne » (trad. libre Chatman, 1989, p. 339), puis
c’est aussi le passage de l’appariement personne-­ la définition s’est élargie telle que l’appariement per-
emploi vers l’appariement personne-organisation. En sonne-organisation est « l’appariement ( fit) entre les
effet, Bowen et ses collaborateurs ont publié en 1991 valeurs, les croyances et la personnalité d’une per-
un vibrant plaidoyer quant à la nécessité d’embaucher sonne et les valeurs, les normes et la culture d’une
pour l’organisation, et pas seulement pour le poste. organisation » (trad. libre, Phillips et Gully, 2009, p. 5).
Westerman et Cyr (2004) ajoutent même qu’il faut C’est donc l’appariement avec l’organisation entière
embaucher la personne et non des connaissances-habi- plutôt qu’avec une seule portion, avec des caractéris-
letés-attitudes. Étant donné que ce sont les personnes qui tiques globales de l’organisation plutôt que propres à un
constituent la source première d’avantage concurrentiel, emploi (­K ristof-Brown, 2000) ; c’est le niveau macro de
166 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

l’appariement personne-environnement selon Werbel dans une organisation, plus que l’environnement ou sa
et DeMarie (2005). Judge et Ferris (1992) offrent une technologie et sa structure, qui façonnent l’organisation
définition différente en stipulant que c’est « la mesure et, dès lors, que ce sont ces personnes, et non l’organi-
dans laquelle les buts et les valeurs des candidats ou des sation, qui influencent les comportements.
employés correspondent à ceux des employés qui ont du
Ainsi, le fait d’avoir des buts communs attire des indi-
succès dans l’organisation » (trad. libre, p. 52).
vidus à se regrouper. L’homogénéité du groupe s’accroît
Constatant que le concept avait pris de l’ampleur avec à travers la sélection de personnes qui ressemblent à
plusieurs sens, dimensions et opérationnalisations au celles qui font déjà partie de l’organisation et qui par-
fil des ans, Kristof (1996) a tenté de le clarifier. Elle pro- tagent les mêmes intérêts. Dernière étape du modèle, les
pose que l’appariement personne-organisation soit la gens qui sont différents sont portés à quitter l’organisa-
« compatibilité entre les personnes et les organisations tion, laissant alors derrière eux une organisation encore
qui survient lorsque (a) au moins une des parties offre à plus homogène. Ainsi, l’homogénéité encouragera le
l’autre ce dont elle a besoin, ou (b) les deux parties ont départ de ceux qui sont différents (entre autres par des
des caractéristiques fondamentales communes, ou (c) mécanismes d’exclusion sociale) (Riordan, Schaffer et
les deux » (trad. libre, p. 4-5). En somme, l’appariement Stewart, 2005). Au fil du temps, le groupe devient de
personne-organisation possède une grande variété de plus en plus homogène.
définitions, mais aussi de sens. Il est opérationnalisé de
S’inspirant de la psychologie vocationnelle, Schneider
plusieurs manières, est mesuré de diverses façons, mais
propose que les personnes qui sont attirées par une
la plupart des auteurs en reconnaissent la nature mul-
même organisation se ressemblent, partagent des
tidimensionnelle de même que le caractère dynamique
valeurs, des intérêts ou des traits de personnalité. En
puisque les deux portions de l’équation évoluent sans
vertu de ce modèle, les individus qui quittent volontaire-
cesse (Chatman, 1989 ; Tinsley, 2000 ; Westerman et
ment leur organisation sont ceux qui se rendent compte
Cyr, 2004).
qu’ils n’y sont pas à leur place5. Dès lors, les gens qui
restent sont de plus en plus similaires et rendent l’orga-
nisation de plus en plus homogène. Les buts de l’orga-
Les fondements théoriques
nisation en sont le cœur ; la structure et les processus en
De façon générale, l’appariement personne-organisa- découlent. Les buts sont déterminés par les personnes
tion repose sur le postulat que les individus préfèrent fondatrices, puis modifiés par les personnes en place
l’homogénéité dans les organisations et que la simila- dans l’organisation. Selon le modèle, ce sont ces buts,
rité entraîne des résultats positifs et la différence, des structures et processus qui attirent les candidats et les
résultats négatifs. C’est le paradigme similarité-attraction incitent à se joindre à l’organisation. Comme ceux-ci
de Byrne (1971). Plusieurs théories sont évoquées pour sont généralement bien définis, les besoins en matière
expliquer l’appariement personne-organisation, mais de personnel sont aussi bien définis et, par conséquent,
certaines reviennent très fréquemment dans la docu- limitent la variété des candidats attirés. Le modèle ASA
mentation scientifique ; ce sont le modèle attraction-­ est donc marqué à chaque étape par une limite, une
sélection-attrition (ASA) de Schneider (1987) et la théorie restriction (restriction of range) du type de personnes qui
de l’identité sociale de Tajfel et Turner (1986). Nous sont attirées par une organisation, qui y sont sélection-
allons les expliquer successivement. nées et qui y resteront.

Le modèle ASA
Le modèle attraction-sélection-attrition (ASA) a été pré-
senté en 1987 par Benjamin Schneider, puis cité par la
majorité des auteurs s’intéressant à l’appariement per-
5. Évidemment, la différence avec les membres de l’organisation
sonne-organisation. Ce modèle s’appuie sur la psycho- n’est pas le seul facteur qui peut contribuer au roulement
logie interactionnelle et stipule que ce sont les personnes volontaire.
 8   L a sélec tion du personnel  : une question d ’appariement 167

La théorie de l’identité sociale Ainsi, la relation entre un individu et une organisation


dépend des catégories de cet individu. S’il perçoit que
Cette théorie, attribuée à Tajfel et Turner (1986), stipule l’organisation s’inscrit dans la même lignée que ses
que l’individu définit son identité par son appartenance propres catégories, il voudra s’y associer, s’y engager
à des catégories sociales ou des groupes. Il se définit par et y rester. À l’opposé, s’il ne se reconnaît pas dans
rapport à certains critères comme des caractéristiques ­l’organisation, il sera porté à la quitter (en dépit du fait
démographiques, des valeurs, des traits de personnalité, que ces décisions soient influencées par de nombreux
des attitudes ou l’appartenance à une organisation, puis autres facteurs).
détermine son appartenance à des groupes ou catégo-
ries dans la mesure où il partage les caractéristiques
de leurs membres (Ashforth et Mael, 1989 ; Riordan et Les diverses conceptions de l’appariement
collab., 2005). L’individu s’identifie à une ou plusieurs
catégories (ingroups), à des niveaux variables selon la Règle générale, on dit que l’appariement personne-or-
ganisation, comme l’appariement personne-environ-
situation. Cette appartenance influence ses attitudes et
nement, peut être de deux types : supplémentaire ou
ses comportements, mais aussi son estime de soi qu’il
complémentaire (Muchinsky et Monahan, 1987). L’ap-
cherche à maximiser. Cette quête d’estime de soi est
pariement supplémentaire survient quand les carac-
d’ailleurs au cœur de la théorie de l’identité sociale (Tajfel
téristiques individuelles (valeurs, personnalité, buts
et Turner, 1986). L’identification à l’organisation peut dès
et attitudes) sont similaires à celles des membres de
lors contribuer à expliquer l’homogénéité au sein des
l’organisation ou de l’organisation elle-même (culture,
organisations : « Si une organisation est perçue comme
climat, valeurs, buts, normes) et les complémentent ou
influençant positivement l’identité de la personne, cette
les embellissent. Dans cette perspective, l’environne-
autocatégorisation sera renforcée et améliorée, ce qui
ment est défini principalement par les personnes qui le
mènera à une préférence pour des groupes homo-
composent et Muchinsky et Monahan indiquent que ce
gènes ou des individus semblables à soi » (trad. libre,
sont principalement les travailleurs qui bénéficient de
­Westerman, 2001, p. 11).
l’appariement, lequel est relié positivement à la satis-
Au moyen du processus de catégorisation sociale, l’indi- faction, à l’ancienneté et, dans une moindre mesure,
vidu détermine aussi l’appartenance des personnes qui au rendement.
l’entourent à des catégories pour réduire son niveau d’in-
Pour sa part, l’appariement complémentaire est celui
certitude et protéger son estime de soi. Les personnes qui
où les caractéristiques individuelles complètent celles
sont dans les mêmes catégories que lui seront perçues
des membres de l’organisation. Deux types d’apparie-
plus favorablement et de façon moins menaçante que
ments complémentaires sont fréquemment proposés :
celles qui n’y sont pas (outgroups). Par ailleurs, l’indi-
besoins-offres (needs-supplies) et demandes-habiletés
vidu s’efforcera de mettre en lumière et d’accentuer les
(demands-abilities). L’approche besoins-offres est celle
différences avec les membres qui ne sont pas dans les
où l’organisation satisfait les besoins, préférences, etc.,
mêmes catégories que lui. Il les jugera avec méfiance,
de l’individu en matière de ressources financières, phy-
moins honnêtement, et cherchera moins à collaborer
siques et psychologiques, d’occasions reliées au travail
avec eux, tout en se considérant comme supérieur à eux
et aux relations. Elle est aussi liée à la théorie de la satis-
(Thomas et Chrobot-Mason, 2005). Cela contribue aussi
faction des besoins, de sorte que les besoins comblés se
à la valorisation de l’homogénéité.
traduisent en attitudes positives de la part des travail-
De plus, un autre pan de la théorie a trait au retrait de leurs. En ce sens, Westerman (2001) propose que ce type
l’individu des groupes qui ne le satisfont pas. Soit l’indi- d’appariement soit davantage centré sur les employés
vidu quittera le groupe pour se joindre à un autre plus qui vérifient si l’environnement répond à leurs besoins.
positif, soit il tentera de rendre son groupe plus distinct Pour sa part, l’approche demandes-­habiletés est celle
et favorable (Tajfel et Turner, 1986). Lorsque le retrait où l’individu détient les habiletés requises par l’orga-
complet du groupe n’est pas possible, l’individu peut sim- nisation (temps, effort, expérience, engagement, CHA
plement s’en détacher affectivement (Westerman, 2001). exigées par les tâches et les relations). Dès lors, ce type
168 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

d’appariement est davantage centré sur les besoins opérationnaliser l’appariement personne-organisation
des employeurs (Westerman, 2001) même si, ce fai- (Kristof-Brown et collab., 2005).
sant, les employés peuvent aussi y trouver leur compte.
Plusieurs définitions ont été fournies pour les valeurs et
Muchinsky et Monahan (1987) proposaient d’ailleurs que,
il n’est pas toujours évident de déterminer si les auteurs
dans cette perspective, l’environnement soit défini sans
parlent de valeurs individuelles ou de valeurs organisa-
égard aux personnes qui le composent, mais plutôt en
tionnelles lorsqu’il s’agit de déterminer l’appariement.
matière de demandes et d’exigences et que les consé-
Cependant, tous s’entendent pour dire que les valeurs
quences se situent surtout au niveau organisationnel : les
sont au cœur de l’identité et que ce sont des croyances
bonnes décisions de sélection sont associées à l’accrois-
fondamentales, généralement stables dans le temps,
sement de la productivité, l’amélioration de l’efficience qui guident les comportements et en fixent les normes.
des travailleurs et la réduction du roulement. Elles constituent un aspect fondamental et durable tant
Malgré les distinctions entre les deux conceptions, des organisations que des individus (Chatman, 1989 ;
nombreux sont les auteurs (Cable et Edwards, 2004 ; Rokeach, 1973 ; Westerman, 2001). En matière de valeurs
Westerman, 2001) qui reconnaissent que les deux sont organisationnelles, la question se pose quant à savoir
essentielles pour comprendre l’appariement, qu’elles si elles sont la somme ou l’agrégation des valeurs indi-
ne s’opposent pas, mais se complètent et constituent viduelles ou si elles sont déterminées par l’entité. Dans
même différentes perspectives d’un même phénomène les deux cas cependant, elles dictent les comportements
dans la mesure où elles contribuent indépendamment et sont caractérisées par leur niveau d’adhésion (ou de
aux conséquences et ne sont pas associées aux mêmes consensus) et leur degré d’imbrication dans les struc-
conséquences. Dans un contexte de sélection du per- tures (l’intensité). Enfin, une autre caractéristique clé
sonnel et de la perspective de l’organisation, c’est l’appa- des valeurs dans le contexte de l’appariement, c’est que
riement personne-emploi (par lequel les candidats sont bon nombre d’auteurs jugent que la hiérarchisation des
choisis en fonction des CHA requises par l’organisation) valeurs est davantage porteuse de sens et distingue plus
qui assure la complémentarité des travailleurs avec l’or- finement les individus que leur score d’importance (en
ganisation et leur similarité est assurée par l’appariement niveau absolu).
personne-organisation (Westerman, 2001).

Les antécédents et les conséquences


Les dimensions de l’appariement de l’appariement personne-organisation
personne-organisation Les antécédents de l’appariement personne-organisation
L’appariement personne-organisation repose sur l’ana- peuvent être regroupés en trois catégories : les carac-
lyse et la comparaison des caractéristiques d’un individu téristiques individuelles comme les traits de personna-
lité (Kristof, 1996), les pratiques de recrutement et de
et celles d’une organisation. Plusieurs paires de carac-
sélection des organisations, comme l’offre d’information
téristiques ont été étudiées, dont la personnalité et la
réaliste au sujet de l’organisation (realistic job previews)
culture organisationnelle, les objectifs et les besoins
(Caldwell, Chatman et O’Reilly III, 1990 ; Chatman, 1989)
des individus et les buts et le climat de l’organisation.
ainsi que les pratiques de socialisation après l’entrée dans
Malheureusement, il n’existe pas de taxonomie univer-
l’organisation qui comprennent le mentorat, les activités
sellement reconnue et acceptée pour opérationnaliser
sociales et les systèmes de récompense (Chatman, 1991).
la mesure de l’appariement personne-organisation (van
Vianen, 2001). La plupart des études sur l’appariement Si certains auteurs se sont intéressés aux antécédents
personne-organisation utilisent néanmoins les valeurs de l’appariement personne-organisation, la plupart ont
et ce sont souvent elles qui présentent les relations tenté de comprendre ses conséquences (Kristof, 1996)
avec les critères les plus fortes et les plus probantes dans la mesure où les comportements et les attitudes
(­Westerman, 2001 entre autres). D’ailleurs, la congruence sont la résultante non seulement des différences indivi-
des valeurs est dorénavant largement acceptée pour duelles et des caractéristiques de l’environnement, mais
 8   L a sélec tion du personnel  : une question d ’appariement 169

aussi de l’interaction entre la personne et son environ- d’avantages pour les travailleurs : satisfaction, santé,
nement (Morley, 2007 ; Taris et Feij, 2001). climat favorable, réduction du stress, mieux-être, etc.

Les retombées de l’appariement personne-organisation À l’inverse, l’absence d’appariement engendre tension,


sont nombreuses et la plupart des conséquences rap- anxiété, différends, érosion de la communication et
portées par les divers auteurs sont positives. Ainsi, pour de la collaboration et, à la longue, la fin de la relation
une organisation, l’appariement personne-organisation d’emploi (Stebbins, 2008) ainsi que du sabotage et de
semble aller de pair avec une plus grande mobilité interne la dissidence (Chatman, 1989). D’autres conséquences
des employés, ce qui confère à l’organisation une plus possibles sont le changement des valeurs individuelles,
grande flexibilité. Il contribue à retenir le personnel en la transformation des valeurs organisationnelles ou le
poste (avantage non négligeable en période de pénurie départ de l’employé (Chatman, 1989).
annoncée de travailleurs compétents), accroît l’enga-
gement des travailleurs alors prêts à relever des défis,
favorise l’avènement de comportements de citoyenneté Le niveau optimal d’appariement
organisationnelle, améliore la ponctualité et réduit les personne-organisation
retards et l’absentéisme (Adkins et collab., 1994 ; Bretz
et Judge, 1994 ; Chatman, 1989 ; Kennedy, 2005 ; Kristof, Si l’appariement personne-organisation est associé
1996 ; Morley, 2007 ; Ryan et Schmit, 1996 ; Schneider, à p
­ lusieurs retombées positives, il n’est pas un ingré-
2001 ; Tinsley, 2000). Il peut aussi aider à prédire le rou- dient dont il faut nécessairement maximiser la quantité
lement et la performance contextuelle (Kristof-Brown pour en tirer des bénéfices. Au contraire : plus n’est pas
et collab., 2005 ; Morley, 2007 ; Schneider, 2001). Il est toujours mieux !
également associé à la productivité organisationnelle Au niveau organisationnel, un trop haut degré d’apparie-
(Hultman, 2005). L’appariement facilite la communication ment de type supplémentaire entraîne une trop grande
et l’entente sur les objectifs et est associé à l’harmonie homogénéité de l’effectif qui entraîne à son tour trop
et la coopération accrues (Boon, Den Hartog, Boselie de conformité, le manque d’innovation, l’inefficacité et
et Paauwe, 2011 ; Schneider, 2001 ; Stebbins, 2008). La la difficulté, voire l’impossibilité de s’adapter à l’envi-
congruence des valeurs diminue l’ambiguïté et mène ronnement turbulent et changeant (Bowen et collab.,
les individus à percevoir et à comprendre les stimuli 1991 ; Chatman, 1989 ; Karren et Graves, 1994 ; Kristof,
externes de la même façon, ce qui facilite la commu- 1996 ; Muchinsky et Monahan, 1987 ; Schneider, 2001 ;
nication et la coordination et augmente la confiance Werbel et Gilliland, 1999 ; Westerman, 2001). L’homo-
(Kristof-Brown et Guay, 2011 ; Meglino et Ravlin, 1998 ; généité de la main-d’œuvre peut mener au phénomène
Verquer et collab., 2003). de pensée de groupe (groupthink) et à la discrimination
La congruence entre les valeurs individuelles et orga- envers les individus différents du groupe (Judge et Ferris,
nisationnelles et l’appariement personne-organisation 1992 ; Karren et Graves, 1994 ; Werbel et Gilliland, 1999 ;
accroissent généralement le moral (Hultman, 2005 ; Westerman et Cyr, 2004). Kristof-Brown et ses colla-
Schneider, 2001) et ont un effet positif sur les attitudes, borateurs (2005) ajoutent que la similarité en matière
comme la satisfaction et l’engagement organisationnel de personnalité n’est pas toujours gage de succès. Il ne
(Cable et Judge, 1996 ; Kristof, 1996 ; Morley, 2007 ; van serait donc pas profitable de nécessairement chercher à
Vianen, 2001 ; Verquer et collab., 2003). L’appariement la maximiser. Par ailleurs, d’autres chercheurs ont montré
personne-organisation a aussi des répercussions béné- qu’un faible degré d’appariement personne-­organisation
fiques sur la motivation des travailleurs, leur mieux- peut stimuler la maturation et le développement de l’or-
être, leur santé physique, émotionnelle et mentale, sans ganisation (Walsh, 1987 dans Kristof, 1996 ; Ryan et
compter qu’il réduit les niveaux de stress, d’anxiété et Schmit, 1996). Les retombées présentées ci-dessus sont
d’épuisements professionnels (Furnham, 2001 ; Morley, congruentes avec les résultats de l’étude de Taris et Feij
2007 ; Schneider, 2001 ; Stebbins, 2008 ; Tinsley, 2000 ; (2001) qui ont montré que la relation entre l’appariement
van Vianen, 2001 ; Verquer et collab., 2003). Plusieurs personne-environnement et ses diverses résultantes peut
de ces avantages pour l’organisation constituent autant être positive, négative ou parabolique (U shaped).
170 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Il semble donc y avoir consensus quant à la nécessité de L’établissement d’une culture


trouver une diversité saine pour éviter une homogénéité organisationnelle forte
excessive et à l’existence d’un niveau optimal d’apparie-
ment personne-organisation (Ostroff et Schulte, 2007). Pour retenir des travailleurs qui partagent les valeurs de
l’organisation, encore faut-il que l’organisation ait fait
Ce niveau optimal varie selon la nature de l’organisation,
l’effort de décrire les valeurs qu’elle juge prioritaires,
le cycle de vie de l’organisation (moins d’appariement
primordiales à son succès. Cet exercice peut se faire avec
en période de renouvellement est généralement sou-
tous les employés, ou encore par un groupe de travail
haitable), la complexité de l’environnement, l’aspect du
ou la direction qui choisira les valeurs les plus signi-
travail, le niveau hiérarchique (on recherche souvent
fiantes pour l’organisation. Cela dit, pour que la consi-
l’appariement chez les employés plus que chez les
dération de la congruence des valeurs porte des fruits,
cadres) et les valeurs de l’individu (Chatman, 1989, 1991 ;
encore faut-il que cette liste de valeurs non seulement
Kristof-Brown et collab., 2005 ; Kristof, 1996 ; Ostroff et
soit représentative de l’organisation, de ses buts et de
Schulte, 2007 ; Ostroff, Shin et Kinicki, 2005 ; Ryan et
ses manières de fonctionner, mais qu’elle soit connue de
Schmit, 1996 ; Taris et Feij, 2001 ; Verquer et collab.,
tous les employés et que tous y adhèrent. Il faut aussi
2003 ; Westerman, 2001). que l’ensemble des pratiques de gestion, en particulier
En dépit des défis associés à un surplus d’homogénéité celles de gestion des ressources humaines, soit aligné sur
dans les organisations, Bowen et ses collaborateurs ces valeurs. C’est pourquoi la première étape est l’éta-
(1991) considèrent que cela ne devrait pas décourager blissement d’une culture organisationnelle forte, dont
les organisations à tenir compte de l’appariement les valeurs font partie.
­personne-organisation dans leurs activités de dotation, Divers écrits, dont une étude de Martel (2003) portant sur
car il subsiste toujours des variations dans l’effectif et les valeurs, font état que les organisations qui appuient
tous les membres de l’organisation ne seront pas homo- leur gestion sur une culture forte et des valeurs-clés pour
gènes en vertu de toutes leurs caractéristiques. elles en bénéficient. En effet, les valeurs s’avèrent un
levier de performance efficace (Peters et Waterman,
2004). Cela dit, il faut résister à l’envie de choisir des
valeurs simplement parce qu’elles sont populaires ou à
L’appariement personne-organisation la mode. Par exemple, Kihn (2007) inclut dans sa liste
et la sélection6 de valeurs « superstar » le travail d’équipe, l’excellence,
Les moyens d’assurer l’appariement personne-organi- l’intégrité, le respect et le service à la clientèle. Il est
sation sont variés et se situent à plusieurs étapes du essentiel que les valeurs retenues soient ancrées dans la
mission, les objectifs et les stratégies organisationnelles.
processus de dotation, et même en amont de la dota-
tion. En effet, il ne suffit pas de mesurer l’appariement
personne-organisation à l’étape de la sélection. Il faut
Le choix des critères de sélection
d’abord mettre en place les mécanismes nécessaires
pour pouvoir profiter des bénéfices de la mesure de l’ap- Au début du processus de sélection, il faut déterminer
pariement et du choix des travailleurs qui ressemblent le soigneusement les critères de sélection ou les prédic-
plus à l’organisation, c’est-à-dire les travailleurs qui ont teurs, en fonction non seulement de l’emploi, mais
une hiérarchie de valeurs semblable à celle de l’organi- aussi des stratégies, des valeurs et des processus orga-
sation. Voici cinq moments clés où l’organisation peut nisationnels (Phillips et Gully, 2009). En effet, si l’on a
intervenir pour considérer, voire favoriser l’appariement traditionnellement mis l’accent sur les CHA et retenu
personne-organisation en contexte de dotation. l’expérience de travail, les diplômes et les résultats sco-
laires comme prédicteurs, il faut dorénavant, comme
nous l’avons mentionné précédemment, y ajouter les
6. Cette section reprend les idées d’un article rédigé par Renée
Michaud, André Durivage et Alina Stamate et publié en 2016 savoir-être, comme la personnalité, la capacité d’adap-
dans la revue Psychologie du travail et des organisations. tation, la capacité d’apprendre, les habiletés sociales et
 8   L a sélec tion du personnel  : une question d ’appariement 171

les valeurs (Bowen et collab., 1991 ; Werbel et Gilliland, à une meilleure évaluation de l’appariement personne-­
1999). Ce peut aussi être une qualité personnelle ou une organisation par les candidats, qui pourront alors choisir
compétence susceptible de favoriser le succès de l’em- de ne pas postuler pour un emploi dans un milieu qui ne
ployé dans une culture organisationnelle donnée. Par semble pas leur convenir.
exemple, une personne pour qui la conformité est clé ne
Cette transmission d’information peut se faire par un
pourrait vraisemblablement pas réussir dans un environ-
site Internet d’entreprise attirant et facile à utiliser, où se
nement qui requiert l’adaptation des produits et services
trouve une section réservée au recrutement dans laquelle
aux besoins variables de clients par l’innovation et la
les valeurs organisationnelles sont présentées. Elle se fait
créativité. Par ailleurs, il ne suffit pas d’inclure les valeurs
aussi par toutes les communications avec les candidats
dans les critères de sélection : il est judicieux de leur
pendant le processus de dotation. En effet, par leurs
associer des indicateurs comportementaux particuliers
contacts en personne ou par écrit avec les candidats,
et précis qui sont autant d’exemples de comportements
les divers intervenants de l’organisation transmettent la
qui permettent de reconnaître la présence et la mise en
culture et les valeurs organisationnelles. Certains vont
pratique de ces valeurs (Hultman, 2005). Par exemple,
même aussi loin que de proposer des visites du milieu
la valeur « respect des personnes » pourrait se traduire
de travail et des rencontres avec des employés actuels
en divers comportements, comme faire preuve de tact
de manière à ce que les candidats soient à même de
et de considération dans ses relations avec les autres,
(res)sentir et « vivre » la culture. Lorsque les rencontres
accepter les différences, faire des efforts pour com-
en personne ne sont pas possibles, on peut songer à
prendre les aspirations et les besoins de ses ­collègues
profiter des nouveaux médias et des réseaux sociaux
et de ses clients et les faire participer aux ­décisions qui
pour présenter des témoignages d’employés dans des
les concernent.
capsules vidéo, pour créer un groupe de discussion vir-
Pour définir ces nouveaux critères de sélection, il faut tuelle ou alimenter un blogue.
dès lors élargir l’analyse d’emploi pour considérer aussi
­l’environnement organisationnel (Bowen et collab.,
1991 ; Sanchez et Levine, 2012). On peut alors penser à La mesure de l’appariement personne-
un exercice qui permet de faire ressortir la culture et les organisation par les entrevues et les tests
valeurs organisationnelles. de sélection
En matière d’activités de sélection, la mesure de l’appa-
Les pratiques de recrutement riement personne-organisation se fait principalement
grâce aux entrevues de sélection (Adkins et collab.,
Au moment du recrutement, il est essentiel pour les orga- 1994 ; Cable et Judge, 1995, 1996, 1997 ; Chatman, 1989 ;
nisations de présenter clairement et de manière réaliste Judge et Ferris, 1992 ; Karren et Graves, 1994) et aux
leurs valeurs et culture organisationnelles aux candidats, tests d’appariement.
car ces renseignements contribuent à une meilleure éva-
luation de l’appariement personne-organisation et au L’entrevue de sélection demeure la méthode d’évaluation
choix d’un emploi et d’une organisation (Cable et Judge, des candidats la plus utilisée pour mesurer un grand
1996 ; Karren et Graves, 1994 ; Kristof, 1996). Pour y nombre de prédicteurs, dont l’appariement personne-­
arriver, les organisations devraient offrir une présenta- organisation. Malheureusement, cette méthode n’est
tion réaliste des emplois, c’est-à-dire fournir activement pas exempte de biais, dans la mesure où l’évaluateur
aux candidats de l’information véridique, tant positive tend à juger de la correspondance du candidat avec ses
que négative, au sujet des emplois, des responsabilités propres valeurs ou avec des valeurs universellement
et des tâches, mais aussi de l’environnement, du climat, désirables, plutôt qu’avec les valeurs organisationnelles
des occasions de perfectionnement et d’avancement et (Kristof, 1996). En optant pour une entrevue structurée,
même de la culture et des changements à venir au sujet il est possible de limiter ces biais. Ainsi,
de l’organisation du travail (Caldwell et collab., 1990 ; Les intervieweurs peuvent développer des mises en
Morin et collab., 2011). Ces renseignements contribuent situation qui placeront les candidats dans des situations
172 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

réalistes où plusieurs valeurs s’affrontent et leur permet- le rangement des valeurs et qui permet de comparer
tront de voir lesquelles sont priorisées par les candidats. deux hiérarchies qui s’avère le plus utile en dotation.
Par exemple : « Faut-il livrer un produit de qualité dou- Différents tests de valeurs sont disponibles sur le marché
teuse dans les délais ou retarder la livraison et risquer
pour mesurer l’appariement personne-organisation, dont
de perdre un client ? » On peut aussi poser des questions
l’Occupational Culture Profile d’O’Reilly et ses collabora-
comportementales pour obtenir des exemples concrets
de comportements associés aux valeurs de l’entreprise.
teurs (1991), traduit en français par Cormier (2008) et le
Par exemple : « Parlez-moi d’une situation où vous vous Test de valeurs organisationnelles (Durivage, Pettersen et
êtes conformé aux règles même si cela rendait votre Michaud, 2010).
travail plus difficile. » (Michaud, Durivage et Stamate,
2016, p. 105)

Les tests d’appariement personne-organisation sont


Les pratiques de socialisation
un autre moyen à la disposition des organisations qui Le dernier moment clé où l’organisation peut assurer,
cherchent à embaucher des travailleurs qui partagent sinon améliorer, l’appariement avec l’organisation est à
leurs valeurs organisationnelles. Bien que les spécia- la dernière étape du processus de dotation, pendant les
listes de la sélection du personnel soient passés maîtres activités d’intégration et de socialisation. C’est alors l’oc-
dans l’art d’évaluer les connaissances, les habiletés et casion pour les recrues de se familiariser avec les normes
même la personnalité des candidats, ils disposent de et les valeurs de l’organisation, de les comprendre et,
peu de moyens structurés pour mesurer leurs valeurs. idéalement, de les faire leurs. À ce sujet, mentionnons
Plusieurs tests ou inventaires mesurent les valeurs per- que certains auteurs recommandent d’ajouter à la liste
sonnelles, mais ceux-ci sont peu utiles en dotation, car des critères de sélection la mesure dans laquelle l’indi-
plusieurs de ces valeurs ne sont pas reliées au travail. vidu sera ouvert et pourra être modelé par les activités
Par ailleurs, d’autres outils de mesure des valeurs reliées de socialisation. Dans ces circonstances, il serait alors
au travail ou des valeurs organisationnelles requièrent moins important de mesurer l’appariement personne-­
des répondants qu’ils indiquent le niveau d’importance organisation au moment de la sélection, ce que pour-
des valeurs présentées. Ces outils offrent toutefois une raient favoriser des organisations souhaitant mettre
utilité limitée dans le contexte de la sélection puisqu’elles l’accent sur les savoirs et les savoir-faire des candidats.
ne permettent pas de discriminer les candidats. En effet,
Si la formation formelle ne semble pas avoir d’effet sur
un grand nombre de valeurs seront considérées comme
l’appariement, le mentorat, la participation à des acti-
importantes par les organisations et les travailleurs, les
vités sociales organisées par l’organisation, le temps
valeurs étant désirables de nature ! On dit souvent que
passé avec les membres de l’organisation et le système
personne n’est contre la vertu. Il en est sans doute de
de récompenses favorisent l’appariement personne-­
même pour bon nombre d’organisations qui affirme-
organisation, voire l’augmentent (Chatman, 1991 ; McDo-
raient que la plupart des valeurs sont importantes pour
nald et Gandz, 1992). Par ailleurs, les gestionnaires, par
elles. Cependant, toutes les valeurs ne sont pas égale-
leurs paroles et leurs actions, peuvent aussi agir comme
ment importantes au moment de choisir un cours d’ac-
modèles des valeurs organisationnelles et encourager les
tion ou une direction ; certaines se révèlent alors plus
travailleurs à y adhérer.
importantes que les autres. Par exemple, jusqu’à quel
point peut-on empiéter sur le bien-être des employés
pour offrir un maximum de service à la clientèle ? Com-
ment sauvegarder le développement durable quand la Les défis
rentabilité est menacée ? Voilà le genre de situations
L’inclusion de l’appariement personne-organisation
qui forcent les organisations à déterminer l’importance
dans les processus de sélection présente aussi des
relative qu’elles accordent aux diverses valeurs. Les indi-
défis. Outre les coûts, cinq défis sont relevés dans la
vidus étant aux prises avec des dilemmes de même type,
littérature scien­tifique. Ce sont les questions de com-
ils établissent eux aussi plus ou moins consciemment
mensurabilité, de ­discrimination, de désirabilité sociale,
une hiérarchie de valeurs. C’est donc un test qui force
de mesure des valeurs organisationnelles et de la plus
 8   L a sélec tion du personnel  : une question d ’appariement 173

grande pertinence de l’appariement personne-groupe. La discrimination


Nous les aborderons successivement.
Nous avons mentionné précédemment que la sélection
du personnel repose sur la reconnaissance des diffé-
La commensurabilité 7 rences individuelles et la nécessité de discriminer (dans
le sens littéral) les travailleurs pour choisir celui qui cor-
Le premier défi a trait aux dimensions retenues pour respond le mieux à l’emploi et à l’organisation. Néan-
déterminer l’appariement personne-organisation. moins, les législations comme la Loi canadienne sur les
Au départ, les études sur l’appariement personne-­ droits de la personne (LRC (1985) c. H-6) et la Charte
organisation considéraient la personnalité des travail- des droits et libertés de la personne du Québec (LRQ,
leurs et les caractéristiques de l’organisation (dont sa 1977, c. C-12) interdisent de traiter différemment les per-
culture) et il n’était pas aisé de les mettre en relation. sonnes en vertu d’un certain nombre de caractéristiques
Les premières techniques utilisées faisaient appel à une démographiques et socioéconomiques, comme le genre,
comparaison holistique et, dès lors, à une appréciation l’âge, l’origine ethnique, le handicap, l’état civil, etc. Dès
plus qualitative que quantitative dans laquelle il était lors, la discrimination en emploi illicite peut être définie
difficile de saisir les critères particuliers. Au fil des ans, comme « le fait de réserver à un individu un traitement
les chercheurs ont eu besoin de trouver une solution qui différent – négatif ou défavorable – de celui réservé aux
réconcilierait les besoins de pertinence et de compara- autres » (Bourhis, 2013, p. 53) à cause de motifs illicites.
bilité et de trouver des éléments pertinents permettant
Or, certains écrits portant sur la discrimination en emploi
de comparer les personnes et l’organisation, puis de
indiquent que des processus psychologiques tels que
mesurer ces éléments (Vancouver et Schmitt, 1991). En
l’identité sociale, la catégorisation sociale et même le
effet, il s’agissait de déterminer et de définir la totalité
modèle ASA de Schneider (dont nous avons parlé précé-
des caractéristiques possibles d’une dimension choisie
demment) constituent des déterminants de la discrimi-
chez un individu et qui s’appliquent aussi à l’organisation,
nation en organisation (Dovidio et Hebl, 2005 ; Riordan
et de les mesurer avec la même échelle. Le concept de
et collab., 2005). En effet, puisque les individus se défi-
valeur est l’un de ceux qui répondent à cette exigence
nissent et se valorisent en s’associant à des personnes qui
de commensurabilité.
leur ressemblent et en se comparant avantageusement
Ainsi, pour faire des comparaisons efficaces, il faut aux gens différents d’eux, cela accentue les différences
que l’on compare des éléments qui le sont et qui sont qui se transforment alors en préjugés et stéréotypes.
mesurés en conséquence. La question de la commensu- Par ailleurs, les personnes qui composent la minorité
rabilité des mesures de la personne et de l’environne- dans un groupe menacent la majorité des membres
ment a été évoquée dès 1951 par Lewin et a été maintes semblables qui en viennent alors à se défendre par des
fois reprises (Caldwell et O’Reilly, 1990 ; Harrison, 2007 ; attitudes et des comportements discriminatoires (Kanter,
Kritof, 1996 ; O’Reilly et collab., 1991 ; Westerman, 2001 1977 ; Thomas et Chrobot-Mason, 2005). S’appuyant sur
entre autres). Cela dit, Schneider (2001) n’est pas d’accord ces conclusions, certains auteurs, dont Paetzold (2005)
avec cette « obligation » qu’il qualifie d’« obsession » et et Stone-Romero (2005), se sont élevés contre l’utilisa-
la juge problématique compte tenu de l’anthropomor- tion de l’appariement personne-­organisation dans les
phisme qu’elle engendre. Ce problème était déjà reconnu processus de sélection. Néanmoins, leur critique s’en-
par Chatman (1989) qui encourageait tout de même la racine principalement dans la façon dont l’appariement
commensurabilité. ­personne-organisation est mesuré, par des entrevues
de sélection. Celles-ci sont jugées trop subjectives vu
qu’elles laissent beaucoup de place aux biais de sélection.
7. La commensurabilité est le fait de mesurer des choses
comparables en matière de contenu avec une même échelle
Il ne semble pas y avoir d’étude qui ait vérifié si la
(Ahmad, 2010). J.R. Edwards et Shipp (2007) parlent pour leur
part d’équivalence nominale (mêmes termes) et d’équivalence mesure de l’appariement personne-organisation dans
en matière d’échelle. un contexte de sélection est liée à un effet adverse pour
174 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

certains groupes minoritaires, en dépit du fait que moult d’influence sur la validité et la prédiction du rendement
chercheurs ont mentionné ce risque (Westerman, 2001). (Hough, 1998 ; Hough, Eaton, Dunnette, Kamp et McCloy,
1990 ; Ones, Viswesvaran et Reiss, 1996), mais qu’elle
influence le rangement des candidats et les décisions
La désirabilité sociale d’embauche, surtout lorsque le ratio de sélection est petit
(Schmitt et Oswald, 2006). Dès lors, ce biais devrait être
Le troisième défi est celui de minimiser la désirabilité
contrôlé puisqu’il constitue une forme de contamination
sociale8 et la tricherie dans la mesure de l’appariement
des réponses (Paulhus, 1984, 1991).
personne-organisation, surtout dans le contexte où les
organisations sont de plus en plus nombreuses à affi- Plusieurs manières d’y arriver existent, même si aucune
cher publiquement leurs valeurs prisées. La désirabilité ne semble pouvoir, seule, contrer entièrement ce biais
sociale se présente de diverses manières dans la mesure (Nederhof, 1985). Elles peuvent être classées en deux
de l’appariement personne-organisation. Par exemple, catégories (Holden, Wood et Tomashewski, 2001 ;
lorsque l’appariement est évalué lors d’une entrevue ­Nederhof, 1985) : les actions de mesure et de détection et
de sélection, il faut considérer en quoi la gestion des les actions de prévention. La détection s’effectue grâce à
impressions9 par les candidats peut l’influencer (Cable et des échelles de désirabilité sociale incluses dans d’autres
Judge, 1995 ; Judge et Ferris, 1992). Dans le même ordre instruments. Ces échelles comportent des questions au
d’idées, il se pourrait que la désirabilité sociale influence sujet de comportements fortement socialement dési-
les répondants dans leur évaluation individuelle auto- rables, mais rarement mis en pratique et d’autres au
rapportée (Ryan et Schmit, 1996). En fait, ces deux élé- sujet d’activités ou de comportements indésirables, mais
ments sont intimement liés (McFarland, 2000) dans la communs (Norwood et Lusk, 2011 ; Zerbe et Paulhus,
mesure où la gestion des impressions mène le répondant 1987). Quant aux actions de prévention, la documen-
à consciemment modifier ses réponses, voire à mentir, tation scientifique en mentionne plusieurs : l’utilisation
de manière à ce que ses réponses correspondent à ce d’une échelle à choix forcé avec des éléments du même
qui est recherché, ou à tout le moins à ce qu’il croit niveau de désirabilité sociale, les instructions qui aver-
être recherché, plutôt qu’à une description juste de ce tissent que les « mauvaises » réponses peuvent être repé-
qu’il est. Il peut aussi tenter d’éviter la désapprobation rées et punies, la formulation neutre des éléments de
sociale (Paulhus, 1991). Dès lors, ce type de désirabi- manière à en diminuer la désirabilité sociale, l’utilisation
lité est influencé non seulement par les caractéristiques de questionnaires autoadministrés pour éviter les inter­
individuelles des répondants telles leurs motivations et actions avec les évaluateurs, la présentation aléatoire
leur habileté à tricher, mais surtout par le contexte dans des éléments et le recours à des tests complémentaires
lequel survient l’évaluation (McFarland et Ryan, 2000). pour confirmer les résultats obtenus (Griffith et collab.,
2007 ; Hough, 1998 ; McFarland, Ryan et Ellis, 2002 ;
Dans un contexte de sélection, il a été démontré à
Nederhof, 1985).
maintes reprises que les candidats peuvent tricher et
qu’ils le font lorsqu’ils remplissent des inventaires de Un très grand nombre de recherches portant sur le
personnalité (Griffith, Chmielowski et Yoshita, 2007 ; biais de désirabilité sociale traitent de son effet sur les
McFarland et Ryan, 2000 ; Peterson, Griffith, Isaacson, mesures non cognitives, comme les inventaires de per-
O’Connell et Mangos, 2011). Nombre d’auteurs ont sonnalité, les données biographiques (biodata) et les tests
néanmoins conclu que la désirabilité sociale n’avait pas d’intégrité (McFarland et Ryan, 2000). Nous avons tout
de même réussi à recenser quelques écrits qui se sont
8. La désirabilité sociale est définie comme « la tendance à donner intéressés à l’effet de la désirabilité sociale sur les tests
des réponses qui font en sorte que le répondant laisse une de valeurs.
impression favorable » (trad. libre Paulhus, 1991, p. 17) ou « le fait
de se présenter favorablement eu égard aux normes sociales » Deux études (Goldsmith, Stith et White, 1987 ; Kris-
(trad. libre Zerbe et Paulhus, 1987, p. 250). tiansen, 1985) ont montré que l’inventaire des valeurs
9. La gestion des impressions, c’est la présentation de soi par le de Rokeach n’était pas significativement influencé par
répondant d’une manière qui vise à satisfaire l’auditoire ou la désirabilité sociale, en particulier en ce qui a trait aux
l’organisation qui administre les tests.
 8   L a sélec tion du personnel  : une question d ’appariement 175

valeurs terminales (celles portant sur les fins plutôt que joindre à l’organisation, l’évaluation des valeurs organi-
les moyens). Quant à Fisher et Katz (2000), ils ont conclu sationnelles perçues par les « contrôleurs » et l’évaluation
que nombre de valeurs ont des composantes de désira- des valeurs organisationnelles perçues par les clients.
bilité, ce qui est normal vu la nature normative et sociale Johnson et Jackson (2009) proposent que la mesure des
des valeurs. Ainsi, les valeurs « publiques » (comme la valeurs organisationnelles en questionnant les supervi-
réussite) sont plus influencées par la désirabilité sociale seurs est préférable étant donné qu’ils comptent souvent
que les valeurs « privées », comme le plaisir ( fun and enjoy- plus d’ancienneté, ont un meilleur accès aux documents
ment of life). De plus, les résultats de leur étude empirique organisationnels, « personnifient » l’organisation et ont
ont montré que, lorsque la hiérarchie des valeurs des le rôle de communiquer les valeurs par leurs compor-
répondants est corrigée pour tenir compte de la dési- tements.
rabilité, elle n’est pas modifiée énormément. La prin-
À cette liste, certains auteurs ajouteront l’agrégation des
cipale différence se situe au niveau des valeurs clés de
valeurs exprimées par l’ensemble des membres de l’orga-
la société américaine reliées à la réussite (achievement)
nisation. O’Reilly et ses collaborateurs (1991) par exemple
dont l’importance a été amplifiée significativement par
ont obtenu le profil des valeurs organisationnelles en
les répondants américains, suffisamment pour les placer
calculant la moyenne des réponses de tous les employés
plus haut dans la hiérarchie.
de l’organisation comptant plus d’un an d’ancienneté.
En fait, pour autant que la mesure de valeurs ou des pré- Pour utiliser cette mesure dans la détermination de l’ap-
férences repose sur des mesures ipsatives (rangement) pariement, il faut toutefois qu’il y ait consensus entre
plutôt que normatives (basées sur le niveau d’importance tous les travailleurs sondés (r > 0,70) pour que la mesure
absolue), en particulier celles de type Q-sort, le biais de organisationnelle ait un sens (Chatman, 1989 ; Ostroff,
la désirabilité sociale n’est pas aussi problématique. Cela 2007). Rokeach et Rokeach-Ball (1989) ajoutent la mesure
dit, il ne semble pas y avoir d’étude empirique traitant des valeurs d’un échantillon aléatoire de membres de
spécifiquement de l’enjeu de la désirabilité sociale pour l’organisation.
la mesure de l’appariement personne-organisation.
Néanmoins, lorsqu’il est question de mesurer l’effet
des valeurs sur les comportements et les attitudes, cer-
tains, comme Finegan (2000), proposent qu’il est plus
La mesure des valeurs organisationnelles approprié de considérer la perception individuelle des
Un autre défi relié à l’utilisation de l’appariement per- travailleurs quant aux valeurs importantes plutôt que
sonne-organisation pour la sélection est la mesure des la perception d’un groupe ou la réalité puisque c’est la
valeurs organisationnelles. première qui les influence.

Le plus souvent, leur mesure repose sur les question- Évidemment, ces diverses mesures ne nous permettront
naires, en dépit du fait que ceux-ci présentent l’in- pas nécessairement d’obtenir la même liste de valeurs
convénient de recueillir des perceptions et de porter ou la même hiérarchie en fonction de leur importance.
principalement sur les artéfacts et non les suppositions Certains procédés mettront davantage en lumière les
et hypothèses de base qui sont au cœur des valeurs valeurs épousées ou affichées que les valeurs réelles.
réelles (Shin, 2006). Ces questionnaires peuvent cepen- Les valeurs affichées sont celles qui sont communiquées
dant être soumis à plusieurs groupes différents de répon- formellement, celles envers lesquelles on s’engage (give
dants dans le but de déterminer quelles sont les valeurs allegiance) et que l’on utilise pour expliquer ou justifier
organisationnelles. Quatre manières de procéder sont des actions ou des décisions alors que les valeurs réelles
fréquemment citées (Agle et Caldwell, 1999 ; Meglino ou en usage sont celles qui gouvernent véritablement les
et Ravlin, 1998 ; Rokeach et Rokeach-Ball, 1989) : la actions concrètes (Argyris et Schön, 1978). Les premières
détermination des valeurs individuelles affichées des se trouvent dans les communications et les documents
« contrôleurs » (gatekeepers) comme les fondateurs ou officiels alors que les secondes sont extraites de l’ob-
les gestionnaires pour une organisation, la mesure servation et l’analyse des activités de l’organisation ou
des valeurs individuelles des personnes aspirant à se d’entrevues plus poussées. Par exemple, les valeurs en
176 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

usage pourraient être inférées de l’ordre de priorité des Gilliland (1999) utilisent l’analogie de l’orchestre lorsqu’ils
buts établis par l’organisation. Sans observer longuement parlent de ce type d’appariement, dans la mesure où,
et analyser la vie organisationnelle, il est impossible de comme dans un orchestre, chaque membre du groupe
vérifier sans l’ombre d’un doute si les valeurs affichées est différent et joue un rôle particulier, mais le succès
sont aussi les valeurs en usage. Il existe cependant cer- passe par leur accord.
tains moyens de maximiser la congruence entre les
Ce type d’appariement devient de plus en plus pertinent
valeurs affichées et réelles. Par exemple, il est conseillé
au fur et à mesure que les équipes de travail deviennent
aux organisations d’assortir la définition de leurs valeurs
plus populaires et courantes. Ce concept se rapproche
affichées d’indices comportementaux pour que leur mise
des idées et des théories de composition d’équipe qui
en pratique soit plus aisée et que les gestionnaires se
traitent du fait que l’homogénéité des objectifs et des
comportent comme des modèles pour leurs employés.
personnalités influence positivement les résultats du
On recommande aussi que les motifs de punitions et de
groupe, mais s’en distingue parce que l’appariement
récompenses soient intimement associés aux valeurs
s’intéresse aux résultats individuels (Kristof-Brown
(Hultman, 2005).
et collab., 2005). Il se trouve de plus en plus d’inter-
Le fait que les valeurs affichées et les valeurs réelle- venants qui se questionnent à savoir si l’appariement
ment vécues soient parfois différentes constitue un défi personne-groupe serait plus approprié et utile que l’appa-
pour les chercheurs qui désirent mesurer l’appariement riement p­ ersonne-organisation, surtout dans les grandes
personne-organisation grâce aux valeurs. C’est spécia- organisations. Il existe cependant peu d’études à ce sujet.
lement vrai dans les grandes organisations nationales
ou multinationales qui comptent plusieurs bureaux
­régionaux (Piasentin et Chapman, 2006). En effet, l’exis-
tence de sous-cultures avec leurs propres valeurs peut
Conclusion
venir changer la donne. C’est le prochain enjeu dont il Tout au long de ce chapitre, nous avons exploré en quoi
sera question. la sélection est une question d’appariement. Si tradi-
tionnellement c’est l’appariement personne-emploi
qui prévalait, les transformations du marché du travail
L’appariement personne-groupe et de l’emploi ont fait en sorte que l’appariement per-
sonne-organisation soit de plus en plus favorisé par les
Le dernier défi a trait à la pertinence de l’appariement
organisations à la recherche de travailleurs offrant non
personne-organisation qui est remise en question dans
seulement un bon rendement, mais aussi des attitudes
les organisations où plusieurs sous-cultures existent.
positives et de la loyauté. Tenir compte de l’apparie-
D’aucuns se demandent s’il ne serait pas plus utile
ment personne-organisation en contexte de dotation
d’opter pour l’appariement personne-groupe pour com-
implique généralement la mesure de l’appariement au
pléter l’appariement personne-emploi. L’appariement
moment de la sélection des candidats par des entrevues
personne-groupe (person-group fit) « met l’accent sur la
structurées ou des tests d’appariement le plus souvent
compatibilité interpersonnelle entre des individus et leur
basés sur les valeurs. Plusieurs autres interventions sont
groupe de travail » (trad. libre, Kristof-Brown et collab.,
néanmoins nécessaires pour y arriver, d’abord en amont
2005, p. 286), peu importe la taille de l’équipe ou du
de la sélection pour développer une culture forte et la
groupe. On tente alors d’apparier l’individu avec les buts,
communiquer au moment du recrutement et en aval
le style de travail et les habiletés de ses collègues (Phillips
de la sélection, au moment de la socialisation des nou-
et Gully, 2009) et du superviseur. En fait, on recherche à
veaux employés. Même si la mesure de l’appariement
la fois la similarité des membres et la complémentarité
personne-organisation présente certains défis, aucun de
des CHA, la diversité des compétences et la similarité
ceux-ci n’est insurmontable. C’est pourquoi nous recom-
des valeurs pour améliorer l’efficacité dans la réalisation
mandons aux conseillers en ressources humaines et aux
des projets et assurer la pérennité du groupe (Werbel
gestionnaires recruteurs d’en tenir compte dans leurs
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 8   L a sélec tion du personnel  : une question d ’appariement 177

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9

La gestion des compétences


et des carrières
Catherine Glée-Vermande

La notion de contingence, fréquemment utilisée pour L’effondrement, le 24 avril 2013, de l’immeuble Rana
définir la fonction des ressources humaines (RH), peut Plaza dans la ville de Dacca au Bangladesh, qui abritait
être un point de réflexion intéressant concernant la « ges- des ateliers de confection travaillant pour le monde
tion des carrières ». On ne peut parler de « carrières » et entier, illustre ce fait dramatiquement
de « gestion des carrières » sans « planter le décor », sans
Cette mondialisation crée un environnement hyper-
faire un « état des lieux » afin de montrer à la fois l’enjeu,
concurrentiel qui fait de la performance une exi-
dans le contexte de mondialisation contemporain, de la
gence vitale, car, dans ce contexte, il ne peut y avoir
« gestion des carrières » et la mise en question, précisé-
de position acquise, chaque acteur est sommé plus
ment du fait de ce contexte et de ces exigences, de la
ou moins directement de faire « toujours plus, tou-
notion de carrière et du mode de gestion des carrières.
jours mieux ». Concernant la « gestion des carrières »,
Certes, dès le développement des organisations tay- la conséquence est le lien entre cette performance
loriennes, au début du xxe siècle, se met en place un exigée des organisations et la compétence mobilisée
mode de « gestion des hommes et femmes au travail » par les salariés qu’elles emploient pour y répondre.
qui correspond à une certaine idée de la « gestion des Nous interrogerons dans ce chapitre cette notion de
carrières ». Très vite, dès les travaux d’Elton Mayo à « compétence » afin de lire la « carrière » et la « gestion
l’usine Hawthorne de la Western Electric, les limites des carrières » dans leur contexte historique d’appari-
de cette conception sont mises en évidence, mais c’est tion, de déploiement et aujourd’hui de questionnement.
cependant sur ce modèle très mécanique que repose le Nous mettons ainsi en évidence l’émergence de formes
développement industriel et économique de la période de management aux antipodes du modèle utilitariste
des Trente Glorieuses. Pour contrecarrer ces limites, un quelque peu déshumanisé auquel conduit la logique de
certain nombre de modifications d’intensité variable performance à tout prix. Nous proposons de les inter-
(toyotisme, gestion minceur, gestion de la qualité totale, préter comme les signaux faibles de changements forts.
cercles de qualité…) sont apportées tout au long du Ces changements à leur tour, peuvent être appréhendés
xx e siècle. Ils visent tous à renforcer la performance en matière de menaces d’un certain ordre établi au sein
pour ne pas perdre la course à la compétitivité. Car, ce de la fonction RH ou bien comme autant d’occasions
qui caractérise désormais l’univers organisationnel, c’est et de chance à saisir pour orienter une fonction vers
le phénomène de « mondialisation », vaste lame de fond une gestion humaniste de toutes les personnes sur le
qui n’épargne aucun secteur, aucun pays, aucun salarié. marché du travail.
 9   L a gestion des compétences et des carrières 183

De la qualification à la compétence : La carrière : une si longue histoire


une certaine idée de la carrière Le présent n’est-il pas plus qu’à moitié la proie
Étymologiquement, le mot carrière signifie un espace où d’un passé obstiné à survivre, et le passé, par ses règles,
l’on organise les courses de chars tirés par les chevaux1. ses différences et ses ressemblances, la clef indispen-
Puis, à partir du xvie siècle, le terme évolue pour signi- sable de toutes connaissances du présent ?
fier un espace de courses, qu’il s’agisse de chevaux, ou F. Braudel (1969, écrits sur l’histoire).
bien… du lièvre mis en fable par Jean de La Fontaine qui,
« à la fin quand il vit que l’autre touchait presque au bout
Lorsque Ramsès Ier, en 1272 avant notre ère, se soucie
de la carrière / Partit comme un trait ; mais les élans qu’il
du bien-être de ses artisans, chargés de réaliser de pres-
fit furent vains : la tortue arriva la première ». Le terme
tigieuses statues pour embellir les temples, on peut déjà
tout au long du xviie puis du xviiie siècle prend la signifi-
penser à une « gestion des carrières » au sens où il s’agit
cation contemporaine qu’on lui connaît aujourd’hui pour
effectivement d’organiser l’activité des très nombreux
exprimer « le cours de la vie » ainsi que l’exprime l’écri-
travailleurs engagés à son service pour cette activité.
vain controversiste Théodore Agrippa d’Aubigné dans
Ainsi, Ousirmaâtrê Setepenrê (Ramsès II) déclarait2 : « Je
sa Lettre au président d’Expilly (Fanlo, 2012) ou encore
m’engage à répondre à tous vos besoins… ainsi, pour
une « voie où l’on s’engage pour la vie », une « profession
vous, les greniers débordent de blé, pour que vous ne
qui présente des étapes », « le temps pendant lequel on
passiez pas un seul jour sans nourriture… À votre inten-
exerce une profession ». C’est donc l’idée d’un parcours
tion, j’ai rempli les magasins de toutes sortes de choses :
professionnel sous-jacente à ces définitions que nous
du pain, de la viande, des gâteaux, de l’équipement,
retenons pour parler de « carrière » dans ce chapitre.
des sandales, des vêtements, des onguents en grandes
Toutefois, en prenant cette signification, le mot carrière quantités, pour oindre vos têtes chaque jour de repos.
conduit à réfléchir à « la gestion des carrières ». En effet, J’ai mis à votre disposition ceux qui peuvent vous pré-
s’il s’agit d’un parcours professionnel constitué d’étapes munir contre la disette : des pêcheurs pour apporter les
qui engage pour la vie, alors comment penser ce par- produits du Nil, et beaucoup d’autres, des jardiniers pour
cours ? Qu’il s’agisse du parcours individuel ou du par- les légumes, des potiers travaillant au tour qui façonnent
cours d’individus rassemblés au sein d’organisations des récipients capables de rafraîchir votre eau pendant
pour « travailler » ensemble, est-il possible de le « gérer », la chaleur… et la canicule ! »
c’est-à-dire de le maîtriser, fût-ce partiellement ? Et sur-
Si la gestion des carrières est « un système de gestion
tout, pourquoi le faire, avec quels objectifs, quelle légiti-
qui traite de la relation entre personnes et organisations
mité lorsqu’il s’agit d’autrui ? Pour quels enjeux, quelles
dans la durée » (Thévenet, 2004), alors un saut dans le
finalités ?
temps nous emmène au Moyen Âge, pour observer le
Retracer l’émergence historique de ces notions de car- système d’organisation du travail au sein des entreprises.
rière et gestion des carrières donne des clefs de compré- Étienne Boileau, prévôt de Paris durant 10 années (1261-
hension d’une réalité qui, aujourd’hui bousculée par la 1271), présente de façon détaillée, dans son ouvrage,
mondialisation, semble être en mutation et, de ce fait, l’organisation des métiers dans le Paris du xiiie siècle,
difficile à saisir. véritable « gestion des carrières » pour l’ensemble des
individus engagés dans les différentes professions de
l’époque : talemeliers (boulangers), vanneurs, pétrisseurs,
mesureurs de blé, crieurs de vin, cervoisiers, huiliers,
poulailliers, cuiseniers… autant de noms exotiques pour
désigner une réalité professionnelle déjà inscrite dans

2. Christiane Desroches Noblecourt, Ramses II. La véritable histoire.


1. En latin : Carriara : voie pour char. Paris, Pygmalion, 1996, p. 259.
184 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

une réglementation détaillée et organisée, c’est-à-dire au en 1906 qu’est créé le ministère du Travail qui signale
sein d’un système visant à organiser dans la durée l’acti- ainsi la volonté d’encadrer un marché du travail dont
vité d’individus engagés dans une profession3. Premier le fonctionnement « libre » conduit à tous les excès. Cet
recueil de règlements sur les métiers, ce livre montre encadrement juridique complète un arsenal social mis
comment les droits, mais aussi les devoirs, des ouvriers en place par des institutions patronales visant à aider à
engagés au sein de corporations sont organisés. Dans la couverture de besoins sociaux tels que le logement, la
la France de l’Ancien Régime, le compagnonnage illustre santé (avec la construction d’équipements hospitaliers,
une certaine forme de « gestion de la relation entre per- cultuels et culturels.) ainsi qu’à sécuriser partiellement les
sonnes et organisations dans la durée ». Le compagnon principaux risques sociaux comme la maladie, la vieil-
est engagé pour travailler comme salarié dans une lesse, les accidents (Fombonne, 2001).
activité donnée. Son maître lui apprend le métier pour
Ces actions patronales, issues très souvent du catholi-
qu’il soit en mesure à son tour de réaliser son « chef-
cisme social, apparaissent simultanément en France, en
d’œuvre » preuve de sa maîtrise à exercer sa profession
Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis, en Suisse, en
de façon autonome et indépendante. Le compagnon-
Belgique, en Italie et peuvent être considérées comme
nage qui est toujours présent de nos jours (Hulin, 2010)
les ancêtres d’une gestion des carrières (Casin, 1973).
s’inscrit, à cette époque, dans un cadre général du tra-
Elles se concrétisent dans la rédaction de règlements
vail et de l’emploi qui est celui des communautés de
intérieurs (par exemple celui des établissements Peugeot
métiers. Ces communautés de métiers (corporations,
frères rédigé en 1820), dans la couverture des risques
jurandes…) organisent et réglementent la production,
sociaux de vieillesse, d’accident, de maladie, dans les
sa commercialisation, mais aussi le travail pour réa-
premières applications de la participation aux bénéfices,
liser cette production : les conditions d’engagement, de
dans la prise en charge des besoins sociaux (comme
rémunération, d’évolution du statut d’apprenti à celui
le logement, les équipements de santé, culturels et
de maître. Il y a une véritable organisation sociale qui
cultuels…). Ce que l’on a appelé ensuite le « paterna-
structure le travail de ceux qui sont membres de la com-
lisme » vise à régler dans la durée le travail de femmes
munauté de métier, depuis le mode d’accès, en passant
et d’hommes rassemblés dans un lieu commun (l’usine)
par l’organisation de la formation (l’apprentissage), la
pour atteindre un objectif commun (produire). La notion
hiérarchie et les modalités d’évolution, jusqu’au mode
de durée est importante car un des objectifs principaux
de rémunération (Le Goff, 1964). Le troisième saut dans
de cette gestion est précisément de fidéliser une main-
l’histoire nous conduit au xixe siècle. Le siècle qui voit
d’œuvre certes abondante, mais dont les industries en
se développer et s’accélérer le machinisme et la grande
plein essor ont grand besoin en « quantité » dès la fin
industrie est aussi celui de l’aggravation du sort des
du xixe siècle et durant une grande partie du xxe siècle.
ouvriers. Face à une réalité dont la dureté fut décrite
Dans ce contexte de développement industriel et de
par des romanciers comme Dickens, ou encore Zola, des
croissance économique, ce qui pose question toutefois,
« sursauts » d’humanité qui apparaissent peuvent s’inter-
c’est la façon d’appréhender et de concevoir ce mode de
préter comme une première forme d’organisation de la
« gestion des carrières ». Quel enjeu revêt-il ? Quels objec-
relation entre ouvriers et employeurs de ce nouveau
tifs vise-t-il ? Quels outils utilise-t-il ? Ces dimensions ont
temps de l’histoire. Ils sont portés par une législation
fortement évolué tout au long du xxe siècle et conduisent
sociale naissante, dont la loi de 1841 sur le travail des
aujourd’hui à remettre en question la carrière et la ges-
enfants est une parfaite illustration. Celle loi sera suivi
tion des carrières jusque dans leur appellation même.
d’autres lois et décrets tout au long du xixe siècle et au
début du xxe (loi de 1890 sur la sécurité dans les mines,
décret de 1913 sur l’hygiène et la sécurité, loi de 1910 sur
Le modèle de la qualification :
les retraites ouvrières et paysannes…). En France, c’est
grandeur et décadence
Si, nous l’avons vu, lorsqu’il s’agit de « gérer » des hommes
3. René de Lespinasse et Étienne Boileau, Le livre des métiers –
Augmenté de Métiers et corporations de la ville de Paris, Paris, Jean et des femmes au travail on peut remonter très loin dans
Cyrille Godefroy, 2005. le temps, c’est néanmoins lorsque cette organisation
 9   L a gestion des compétences et des carrières 185

devient « scientifique » que se pose de façon très précise délimitées jusqu’à devenir « en miettes » (Friedman, 1964).
la question de la contribution des individus au travail et En contrepartie, le salarié reçoit une rétribution d’abord
de la rétribution qui sera donnée en échange par l’em- exclusivement matérielle, mais qui, très vite, s’accom-
ployeur. Taylor répond à cette question en proposant pagne de formes plus symboliques telles que l’évolution
une « organisation scientifique du travail » (OST). Dans dans la hiérarchie, un statut, une relative sécurité d’em-
le modèle taylorien, le but est la productivité de chaque ploi, etc. En effet, il s’agit de fidéliser une main-d’œuvre
salarié et l’optimisation maximale de cette productivité. pour qui la rationalisation devient très vite synonyme
Pour cela, il y a centration sur le geste humain et non de déshumanisation. Une déshumanisation4 dont les
pas sur la personne. La vision proposée de l’être humain conséquences en matière de comportements des salariés
est mécanique. La médiation entre les acteurs est fondée interpellent les ingénieurs de l’usine Hawthorne apparte-
sur l’obéissance et le contrôle. Il en résulte une distance nant à la compagnie américaine Western Electric. Malgré
hiérarchique forte, une rémunération fondée sur le un niveau de rémunération supérieur à celui qui est pro-
nombre de pièces produites. Finalement, l’organisation posé par les usines concurrentes, les ingénieurs5 de cette
est représentée de façon très mécanique également : usine basée dans la banlieue de Chicago sont aux prises
il s’agit d’une boîte noire avec des intrants et des sor- avec un fort taux de rotation et un absentéisme élevé
tants dont l’objectif est d’optimiser la production dans des salariés. Cela les amène à s’interroger, au moyen des
une logique quantitative exclusivement. Le tableau ci-­ études d’Elton Mayo, sur les limites de l’OST pour obtenir
dessous résume ce modèle taylorien. une productivité maximale. On peut considérer que les
études d’Hawthorne, fondatrices de l’École des relations
humaines, conduisent à penser la gestion des hommes et
Tableau 1 Modèle taylorien de l’organisation des femmes au travail autrement qu’en leur aspect uni-
Objectifs Productivité de chaque salarié quement matériel, quantitatif et mécaniste. Elles mettent
et optimisation maximale en évidence la « dimension cachée » de la relation d’em-
de cette productivité ploi, donc sa complexité. En montrant que l’augmenta-
Moyens Centration sur le geste humain tion de la productivité n’est pas liée à l’amélioration des
et non pas sur la personne conditions de travail, mais à l’attention qui est portée aux
Logique Quantitative salariés, Elton Mayo définit « l’effet Hawthorne » comme
la tendance des salariés qui bénéficient d’une attention
Médiation Fondée sur l’obéissance, le contrôle
entre acteurs spéciale à fournir les résultats escomptés. Ainsi deux
univers se superposent dans le monde professionnel :
Procédés matériels La rémunération à la pièce produite
celui de la rationalité, des règles, du formel, de l’explicite
Procédé Une distance hiérarchique forte et celui des sentiments, des affects, de l’informel, du
symbolique qui ordonne
non-verbal. À l’image de l’iceberg fréquemment utilisé
Représentation Mécanique, une boîte noire dans les ouvrages qui traitent du comportement organi-
de l’organisation avec des intrants et des sortants
sationnel, la vie organisationnelle ne peut se comprendre
Forme de la Uniquement matérielle en se limitant à sa partie « visible ».
reconnaissance
Toutefois, c’est le modèle taylorien qui sert de fonde-
Vision de « Lutter contre la flânerie
l’être humain systématique »
ment à Henry Ford pour développer son activité de pro-
duction dans l’entre-deux-guerres. Pour construire la
Ford T, il faut une main-d’œuvre disciplinée, « qualifiée »,
Dans ce système, né aux États-Unis au début du xxe siècle,
qui s’étend et s’intensifie dans les années 1950 en France
4. Si talentueusement illustrée par Charlie Chaplin dans le film
et en Europe, la notion de qualification est centrale. Les
Modern Times.
efforts de rationalisation du travail visent à garantir la
5. Il est intéressant de noter qu’à cette époque ceux qui sont en
maîtrise, donc la rapidité d’exécution et, pour cela, le charge de « l’administration du personnel » sont les ingénieurs.
travail est organisé, divisé en « tâches » toutes strictement Ce qui a du sens dans une perspective « scientifique » du travail.
186 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

c’est-à-dire capable d’effectuer des tâches répétitives sur une attestation de qualification. Le niveau de savoir-
la chaîne d’assemblage. Henry Ford suit les principes faire est « objectivement » évalué et quantifié par la
tayloriens et met en place un « travail à la chaîne » qui détention d’une expérience. Ainsi, à partir de ces
permet une optimisation telle qu’elle conduit à réaliser critères objectifs et explicites, on peut situer tout
une production de masse. Mais cette production de salarié sur un poste donné, lui indiquant sa « place »
masse doit être écoulée et, pour cela, Henry Ford ajoute dans la hiérarchie organisationnelle. Ce principe
l’idée de la consommation de masse. En proposant à de classification a pour autre avantage de rendre
ces salariés des salaires supérieurs à ceux qui étaient visibles les possibilités d’évolution de chaque salarié.
jusque-là accordés et pour une durée journalière de tra- Il s’agit d’une évolution linéaire, verticale, quasi auto-
vail qui passe de 10 à 8 heures, il crée les conditions pour matique puisque l’expérience justifie la place du
augmenter la demande et stimuler la consommation. poste occupé au sein de la grille. Le fait de gagner
Les salariés ont ainsi plus de temps et d’argent pour de l’ancienneté, donc de l’expérience, conduit ipso
consommer les produits qu’ils ont eux-mêmes fabriqués ! facto à « gravir les échelons » de la grille hiérarchique.
Le modèle de la qualification fait ainsi de la carrière
Cette forme de contractualisation, appelée modèle
un parcours fondé sur des critères quantifiables et
fordiste, est à la base de la croissance des Trentes
objectivables, négociés collectivement. De forme
Glorieuses. Elle devient, à partir des années 1950, un
linéaire, ascendante, il crée un relatif sentiment de
compromis selon lequel les gains de productivité sont
sécurité en échange duquel le salarié est incité à
transformés en baisse des prix ou en augmentation de
rester et à « faire carrière » au sein de l’entreprise qui
salaire, mais, dans les deux cas, la question des débou-
l’a embauché sitôt sa période de formation initiale
chés est réglée. Les théoriciens de la régulation (Boyer et
terminée.
Saillard, 1996) montrent que l’augmentation des salaires
ne vise pas seulement à accroître les revenus, mais aussi • En établissant une liste d’emplois qui sont ordonnés
à fidéliser une main-d’œuvre dont l’absence conduirait entre eux en référence à une grille, le principe de
à l’écroulement de l’édifice. Dans ce modèle, la notion classification légitime la hiérarchie des salaires qui
de qualification est centrale, car elle explique l’emploi résulte d’accords négociés entre représentants des
occupé au sein de cet univers fordiste. Il importe donc salariés et employeurs. En France, dans la plupart
de savoir l’évaluer pour ensuite pouvoir la récompenser. des entreprises de taille, la négociation se fait par
Entre les opérateurs qualifiés et ceux qui ne le sont pas, secteur de métiers et conduit à rédiger des « conven-
comment établir et surtout légitimer la hiérarchie des tions collectives » qui permettent ainsi de définir
salaires ? Cela conduit à lister les emplois, à les ordonner des ordres de grandeur (en particulier des minima)
et à les relier entre eux sur une grille qui permettra ainsi concernant les salaires. Ce travail est réalisé entre
de situer chaque salarié sur un poste « classé » parmi tous partenaires sociaux ; il permet l’objectivation de la
les autres et ainsi d’attribuer à chaque poste un certain rémunération et sert de base aux négociations sala-
niveau de rémunération. Cette grille indique une hié- riales qui, ainsi, ne sont pas discutées individuelle-
rarchie des salaires, résultat des négociations collectives ment, mais collectivement.
entre employeurs et salariés qui sont formalisées au sein
Dans un environnement économique relativement stable
de « conventions collectives ». Elle indique également des
où la standardisation du système productif permet d’ali-
parcours d’évolution possible et décrit la qualification à
menter une croissance économique évaluée à la seule
la fois par sa dimension d’objectivation et sa dimension
aune de critères monétisés, marchands et quantifiés
collective :
(ainsi du PIB en France), ce modèle fonctionne efficace-
• À chaque poste correspond une définition des ment nonobstant son coût humain très vite pointé par de
exigences en termes techniques principalement. nombreux auteurs. Mais le premier choc pétrolier sonne
Le niveau de connaissances requis est « objecti- le glas de cette période de croissance stable et fait entrer
vement » évalué au moyen d’un niveau de forma- dans un environnement économique où la concurrence
tion que valide un diplôme ou bien un « niveau » s’exacerbe jusqu’à devenir, à la fin du xxe siècle, mon-
(lorsque le diplôme n’a pas été obtenu), ou encore dialisée. Ce nouveau contexte conduit à repenser les
 9   L a gestion des compétences et des carrières 187

formes d’organisation du travail et, en conséquence, les « compétences fondamentales (core competencies). Il s’agit
modes de management des ressources humaines, ce donc de repérer, d’identifier les salariés détenteurs de
qui au bout du compte remet en question le modèle de compétences stratégiques pour l’entreprise afin d’opti-
la qualification au profit d’un modèle où ce qui devient miser leur management (Cabin, 2012).
central est la notion de compétence.
Mais comment définir la compétence ?

Les nombreux travaux sur cet « attracteur étrange » (le


Le modèle de la compétence : Boterf, 1994) insistent sur la dimension dynamique et
enfant naturel de la mondialisation contingente qui la caractérise.

La standardisation basée sur la division du travail, qui


permettait d’assurer des gains de productivité et de réa- Tableau 2 La compétence selon le Bureau
liser des économies d’échelle, semble moins adaptée. international du travail (BIT)
Porter (1982) montre, à l’aide du concept de stratégies
génériques, que la seule centration sur les coûts ne suffit Permet de donner une consistance à un ensemble
de capacités « informelles », que l’on peut difficilement
plus à assurer la domination et le succès d’une entre- répertorier dans les référentiels traditionnels.
prise. L’exigence, pour qu’une entreprise soit compétitive
au sein de cet univers turbulent, n’est plus la quantité Est liée à l’action : elle permet d’agir, d’effectuer des tâches,
elle n’existe pas indépendamment de l’activité, du problème
produite au plus faible coût, mais la qualité, la diversité, à résoudre, de l’usage qui en est fait.
la réactivité, la flexibilité, ce qui marque les limites du
Est observable dans un contexte précis et déterminé.
modèle de la qualification, précisément pour les raisons
qui firent son succès. Dans cet environnement équi- Concerne trois familles de capacités : théoriques,
techniques, comportementales.
voque (Weick, 1995) marqué par le changement rapide
et fréquent, les procédures d’exécution standardisées Ces capacités sont structurées et construites, elles constituent
montrent leur limite. Elles cèdent la place à des struc- un capital de ressources qui, combinées entre elles,
permettent l’activité, donc la performance.
tures beaucoup plus dynamiques capables d’adaptation
continue aux évolutions, capables d’expérimentation,
d’improvisation. Ce qui importe, c’est la capacité à Là où la qualification est définie à partir du poste, la com-
mobiliser des salariés sur des activités difficiles à pré- pétence se définit à partir de l’individu qui la détient. Elle
voir, donc à prescrire. Il en résulte des configurations n’est donc pas un état ou une connaissance possédée,
organisationnelles et des modèles productifs orientés elle ne réside pas dans des ressources accumulées (qu’il
plus vers l’adaptation que vers la prévision, ce que Weick s’agisse d’expériences, de diplômes, de certificats…), elle
nomme les self-designing organizations (SDSO). « Des est la mobilisation par un individu dans une situation
formes sociales où le doute et l’expérimentation sont la donnée d’un ensemble de ressources lui permettant
règle afin de répondre à un environnement changeant de faire face à la situation et d’être compétent. Tout se
rapidement » (Weick, 1995). Cette transformation des passe comme si les exigences de réactivité et de com-
systèmes productifs, donc des formes organisationnelles, pétitivité que doivent satisfaire les organisations étaient
conduit finalement à une transformation des modes de répercutées sur les salariés. Il ne s’agit plus seulement
management. Ce qui est attendu des salariés n’est plus la de « tenir le poste », mais d’être « impliqué », « engagé ». Les
spécialisation des qualifications, mais des compétences conséquences en matière de carrières et de gestion des
généralistes qui leur donneront la flexibilité nécessaire carrières sont fortes. La compétence signale la manière
pour répondre aux nouvelles exigences organisation- dont chacun s’engage dans les tâches et les missions
nelles. On voit ainsi un modèle, celui où la qualifica- qui lui sont confiées. Mais comment l’évaluer ? Sur la
tion prime, s’effacer au profit d’un autre où ce qui est base de quels référentiels ? Puisqu’elle est indissociable
central est la compétence. Cette importance stratégique de l’activité et de l’individu qui occupe cette activité,
de la compétence est mise en évidence par Prahalad elle ne peut donc être définie a priori ou indépendam-
et Hamel (1990) lorsqu’ils conceptualisent la notion de ment des conditions de sa mise en œuvre. La convention
188 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

collective garde une pertinence afin de donner des indi- extrêmement subjectives qui composent la compétence
cations générales, mais ce sont les évaluations locales appelée « savoir-être ».
et individuelles qui sont déterminantes (Paradeise et
En parlant du « mystère » du savoir-être, Bellier (1998)
Lichtenberger, 2001). Il en résulte une instrumentation
montre l’envers du décor : à travers cette notion, l’or-
totalement renouvelée de la gestion des hommes et ganisation génère des normes sur le comportement
des femmes au travail avec l’introduction de référentiels attendu des salariés. Cela n’est pas nouveau puisque
de compétences, d’entretiens individuels d’évaluation, toute organisation, depuis l’organisation taylorienne et
etc., donc une définition différente du rôle du manager, même avant, fournit des injonctions, plus ou moins expli-
mais aussi un accroissement de responsabilités pour la cites et formalisées, sur le comportement idoine. Mais ce
fonction RH qui doit concevoir, mettre en œuvre, piloter, qui est nouveau avec la notion de savoir-être au cœur
contrôler tous ces outils nouveaux de management. Cela du modèle de la compétence, c’est une « désocialisation »
a des conséquences fortes également pour les salariés. (Stroobants, 2002) de la relation d’emploi pour en faire
Ce que résument fort bien les propos de Lichtenberger quelque chose de centré uniquement sur l’individu. Il en
(1999) : « Le salarié non qualifié avait encore sa place résulte certes une valorisation forte de l’homme ou de
dans l’atelier, le salarié incompétent a tous les risques la femme au travail, mais aussi une responsabilité tout
de se retrouver nulle part, c’est-à-dire exclu. » Ce risque aussi forte de cette personne, sommée de « se prendre
de l’exclusion met à l’honneur la notion d’employabilité en charge ». Cette injonction paradoxale s’inscrit dans le
qui devient un passeport vital. paradigme de la modernité dont l’autonomie est le trait
distinctif (Blumenberg, 1999). Le modèle dominant des
L’employabilité est à l’origine une notion conçue pour dis-
sociétés anciennes de type holiste valorisant la subordi-
tinguer des personnels ou des groupes de personnes plus nation de l’individu au tout social voit sa place se rétrécir
ou moins « aptes à l’emploi (traduction d’employability : au profit du modèle individualiste caractéristique de la
aptitude à l’emploi) avec le projet de déterminer un degré société moderne, magnifiant la liberté, l’égalité et la satis-
de vulnérabilité pour ensuite déployer des politiques soit faction des besoins de chacun (Dumont, 1983). C’est
d’assistance, pour ceux considérés « inemployables », soit l’individu qui est au centre. Il produit lui-même son sys-
d’emploi, pour les employables (Gazier, 2003, 2005). Or, tème de significations, exprime ses aspirations, conduit
le glissement du modèle de la qualification à celui de la ses expériences. La stabilité héritée fait place au choix
compétence conduit à appréhender cette notion diffé- individuel et à la mobilité (Schlanger, 1997). Cette indi-
remment. L’employabilité devient, au début des années vidualisation du social opère une centration sur l’indi-
1990, synonyme de la capacité d’un salarié à s’insérer vidu, incité à s’autodéfinir, sommé de choisir, d’être le
et à se maintenir sur le marché du travail. Ce qui signifie « souverain de lui-même » (Ehrenberg, 1995). La société
que toute personne en âge de travailler est concernée ainsi fragmentée rend problématique l’identification des
et non pas seulement ceux qui semblent plus démunis, individus à une collectivité (Taylor, 1998). Elle crée de
qui sont à la marge. Cela signifie aussi que la responsa- nouvelles pathologies comme la « dépression », patho-
bilité de son maintien dans l’emploi revient à l’individu. logie d’une société qui ne fonctionne qu’à l’autonomie
Cette évolution se faisant dans un contexte économique et fait naître, à côté de la quête de soi, une psychologie
de crise, marqué par des restructurations nombreuses, de l’infériorité (Arènes, 2000). Le Goff (1999) présente le
donc par un chômage quasi endémique, il y a ainsi clai- discours dominant vantant l’autonomie et la liberté qui
rement un désengagement des entreprises (Gazier et l’accompagne comme une rhétorique issue des milieux
Auer, 2008 ; Perret et Roustang, 2001). En même temps, du management, de la formation et de la communication
l’exploration du contenu de l’employabilité montre l’im- visant à cacher la « barbarie douce » que recèlent en réa-
lité les efforts demandés pour s’adapter aux mutations
portance, non pas tant de la qualification – détenue par
contemporaines (Le Goff, 1999).
de nombreux demandeurs d’emploi sortis du marché
du travail non pour insuffisance personnelle, mais pour Cette analyse met en évidence le revers de la médaille,
difficultés organisationnelles –, mais de ces dimensions lorsqu’on parle de compétences. Car, en incluant pour
 9   L a gestion des compétences et des carrières 189

une part non négligeable la dimension de « savoir-être », Ainsi, tel le dieu Janus, le modèle de la compétence a
cette notion signale non seulement de nouvelles exi- deux faces et, selon que l’on se penche sur l’une ou
gences envers le salarié, mais aussi la forme paradoxale l’autre, il peut être porteur du meilleur comme du pire.
de ces exigences. Pour certains, il s’agit d’une servitude Ce regard global permet d’arriver à l’analyse de la notion
libérale (Beauvois, 1994) dans laquelle le salarié intério- même de carrière, à travers différentes modélisations
rise les normes lui permettant d’être reconnu comme proposées.
engagé, impliqué, pro-actif, moteur, efficace, dynamique,
en un mot compétent. Ce qui prime, en matière de car-
rières et de gestion des carrières, ce sont les dimensions
« relationnelles », c’est-à-dire des dimensions liées à ce
Modéliser la carrière :
que les personnes sont, bien plus qu’à ce qu’elles font. tentatives et controverses
Cette évolution s’inscrit dans un vaste mouvement de Précisons d’emblée que, parlant de carrière, nous asso-
fond qui ne semble épargner aucun pays, aucun métier. cions ipso facto la notion de gestion des carrières. C’est
Une récente étude de LinkedIn (EY), publiée en 2014 et par l’approche de l’une (la carrière) et sa compréhension
réalisée dans sept pays s’interroge sur « la révolution que peut se penser l’autre : la gestion des carrières. En
des métiers ». Elle montre que, si le développement des clair, de la façon de concevoir et de définir la carrière
nouvelles technologies conduit à rechercher des compé-
découle un certain type d’instrumentation pour mettre
tences techniques, en particulier dans le numérique et
en œuvre la gestion de ces carrières. Cette instrumenta-
l’innovation, les compétences comportementales restent
tion s’inscrit elle-même dans une certaine conception du
centrales et voient même leur importance renforcée.
management et de la GRH, elle est donc porteuse d’une
Travail en équipe, gestion du stress, adaptabilité, cela
certaine vision de l’homme au travail et du sens que l’on
explique sans doute l’apparition de la notion d’intelli-
peut donner à une activité professionnelle.
gence émotionnelle et sa valorisation dans le contexte
du management des RH. La carrière est généralement appréhendée comme une
suite d’expériences vécues par les individus tout au long
C’est une nouvelle exigence, une de plus pour un salarié
de leur activité professionnelle (Arthur, Hall et Lawrence,
soucieux de son développement de carrière et pour une
1989). Mais la carrière ne peut être appréhendée sans
entreprise soucieuse de performance. Car il existe un
tenir compte de l’environnement de l’individu, de son
lien entre cette capacité à reconnaître nos propres sen-
histoire, de son inscription familiale et aussi de l’envi-
timents et ceux des autres, à nous motiver nous-mêmes
ronnement économique, du contexte historique, social,
et à bien gérer nos émotions en nous-mêmes et dans
culturel (Inkson 2008).
nos relations avec autrui, dont parle Goleman (1997), et
l’efficacité au travail. Dans une étude, réalisée en Angle-
terre auprès de cadres intermédiaires employés dans une
Le choix professionnel et l’impératif
enseigne de la grande distribution, Slaski et Cartwright
de rationalisation
(2002) montrent que les salariés qui ont une intelligence
émotionnelle élevée témoignent d’une détresse psycho- Historiquement, le point de départ est la question du
logique moindre, d’un meilleur moral, d’une meilleure choix professionnel et son élaboration. En 1842, Edouard
qualité de vie dans l’entreprise. Ils se montrent plus effi- Charton publie le Guide pour le choix d’un état indiquant
caces dans leur travail. Cette étude confirme l’analyse les conditions de temps et d’argent pour parvenir à chaque
antérieure de Goleman (1997) menée auprès des ingé- profession, les études à suivre, les attitudes et facultés néces-
nieurs du laboratoire Bell (Princeton, É.-U.) : les « étoiles » saires pour réussir, les moyens d’établissement, les chances
ne brillent pas par leur quotient intellectuel (QI), mais d’avancement et de succès, les devoirs. C’est le premier dic-
par leur quotient émotionnel (QE). Cela remet en ques- tionnaire des professions. Auparavant, la question du
tion le rôle du manager qui, dans ces conditions, doit choix d’un métier ne se posait pas, le mode d’insertion
avoir non pas tant l’autorité non discutée du chef, mais des jeunes dans la société suivait un ordre « naturel »
l’intelligence de la situation pour asseoir sa crédibilité. dans lequel le métier se transmettait de père en fils et ce
190 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

mode de transmission n’était pas ou peu remis en ques- au mieux leurs aptitudes ainsi que d’exprimer leur per-
tion (Gilles, Saunier-Cazals et Vuillermet-Cortot, 1994). Le sonnalité. Holland ajoute à sa modélisation un ensemble
contexte social et économique du milieu du xixe siècle d’instruments permettant de mesurer les types de per-
et du début du xxe fait voler en éclat cet état de stabi- sonnalités et de travailler de façon empirique la question
lité. Les avancées techniques dans le domaine industriel du choix professionnel.
modifient les systèmes productifs aux prises en même
temps avec l’exigence d’efficacité directe dans laquelle
s’inscrit le courant tayloriste présenté plus haut. La stabi- Le développement professionnel
lité est également perturbée par les migrations de popu- et l’idée de vocation
lation et le problème démographique accentué par les
D’autres travaux abordent la question du choix profes-
conséquences de la première guerre. À cela s’ajoutent
sionnel dans une perspective plus dynamique et globale.
les conséquences des années de crise sur la décennie
Dans ce cadre, il ne s’agit plus de choix professionnel, mais
1920-1930. Il résulte de cet ensemble de facteurs des
de développement vocationnel. L’évolution sémantique
attitudes sociales orientées vers la recherche du « bon
signe le changement de cadre théorique. On passe de
employé à la bonne place » (the right man at the right place)
la théorie du choix professionnel, ancrée dans la psy-
issue de la conception du sociologue Parsons (1909) qui
chologie différentielle, à la théorie du développement
formule, dans ce contexte où les organisations ont des
de carrière, ancrée dans la psychologie du développe-
besoins particuliers, les bases de la théorie des choix
ment. Dans l’approche précédente, le choix apparaît à
professionnels6. Son souhait est de trouver le moyen de
un moment donné de la vie d’un individu et contient, de
faire correspondre au mieux les postes aux personnes
façon définitive, la « problématique » de son orientation
susceptibles de les occuper sur le marché du travail. Il
professionnelle sur laquelle il n’a d’ailleurs pas ou très peu
souhaite également aider les travailleurs à choisir des
de prise. Les tests fournissent des réponses explicatives a
emplois correspondant à leurs aptitudes et leurs intérêts.
posteriori que l’on peut ensuite appliquer lors des moments
Les théories qui fondent les réflexions de Parsons sont de prise de décision, mais le processus d’élaboration du
celles de la psychologie différentielle ou psychologie choix reste une « boîte noire ». L’aide au choix se porte sur
des différences individuelles. Il s’agit là d’une première les situations ex ante (que puis-je choisir compte tenu de
façon d’aborder la carrière sous un angle utilitariste et ma « personnalité » et des caractéristiques des métiers pro-
fonctionnaliste. Les tests qui serviront, par exemple, au posés) ou ex post (comment puis-je expliquer ce résultat
recrutement des formes armées américaines sont issus d’échec ou de réussite professionnelle et en tenir compte
directement de ce courant. De même, Holland (1997), pour la prochaine phase décisionnelle ?). Dans l’approche
dont les travaux sont très utilisés dans le champ de développementale au contraire, le choix est l’aboutisse-
l’orientation professionnelle, propose une typologie ment d’un processus sur lequel l’individu a une possibilité
où les comportements à l’égard du travail sont classés d’agir (Gilles, Saulnier-Cazals, V ­ uillermet-Cortot, 1994).
en catégories professionnelles et mis en lien avec une Les travaux de Ginzberg et collab. (1951) et Super (1963)
typologie des milieux professionnels. L’idée centrale est s’inscrivent dans cette perspective.
que les individus souhaitent et recherchent un emploi
Ginzberg (1998), après avoir observé les méthodes utili-
et un milieu professionnel qui leur permettent d’utiliser
sées par les conseillers d’orientation, propose un modèle
théorique pour comprendre la vie professionnelle et les
choix qui l’émaillent dans sa continuité. Selon cet auteur,
6. Son ouvrage Choosing a vocation (1909) propose une métho­
ces choix s’élaborent durant toute la vie professionnelle
dologie en trois temps :
temps 1 : analyse des traits particuliers de chacun et des et sont un compromis entre les besoins de l’individu et
ressources dont il dispose ; les contraintes de l’environnement. Le développement
temps 2 : analyse des caractéristiques des professions, vocationnel est défini à partir de capacités7 acquises de
des conditions de réussite en leur sein, des avantages et
inconvénients qu’elles offrent ;
temps 3 : une réflexion permettant, à partir de la mise en relation 7. Capacités qu’a l’individu de mesurer le réalisme de ses projets,
de ces deux analyses, de prendre une décision. d’adapter les moyens au but qu’il poursuit, de planifier son
 9   L a gestion des compétences et des carrières 191

façon consciente, qui relèvent de la sphère cognitive, ce qui est essentiel pour un individu, ce à quoi il ne
donc qui sont éducables. Cela fonde et légitime l’inter- renoncera pas.
vention de professionnels qui aideront à acquérir ou à
On peut aussi aborder la carrière en matière de statut
développer ces capacités afin d’aider au déroulement
au sein de groupe professionnel donné. On distinguera
du processus de choix professionnel. Super (1963, 1991,
la carrière selon l’appartenance à une ethnie, un genre,
1995), quant à lui, met l’accent sur la complexité du choix
une classe sociale, un niveau de formation. Il en va ainsi
professionnel qui fait intervenir de nombreux facteurs.
des réflexions et des travaux sur la carrière des femmes,
Il considère également que le choix professionnel est
des cadres, des séniors, des jeunes sans formation, etc.
un processus complexe composé de différents stades.
Cette approche conduit à définir la carrière comme une
Ce processus ne s’arrête pas à l’adolescence, mais se
trajectoire biographique influencée par les interactions
prolonge jusqu’à l’âge de la retraite.
des membres d’un groupe professionnel et également
Ces différentes approches visent à proposer des outils, avec l’environnement.
des méthodes pour accompagner les individus dans le
Enfin, l’approche économique se situe dans une pers-
processus de choix. Le postulat est non seulement qu’il
pective d’évolution sur des marchés internes du travail
faut trouver « la bonne personne pour la bonne place »,
où la mobilité globale est abordée comme la somme
mais aussi que l’on peut aider chaque personne à trouver
des décisions individuelles de choix de carrière et en
ce qu’est la « bonne » place pour elle, celle qui répondra à
fonction d’outils proposés par l’entreprise qui peuvent
ses besoins et aspirations, au sein d’une réalité devenue
être des outils individuels, comme les entretiens de
très mouvante. L’intention est louable, mais les exigences
­carrière, les bilans de compétences, l’accompagnement
économiques ont souvent fait et font encore que la prise
professionnel, la surveillance individuelle ou collective,
en compte des aspirations s’efface devant la nécessité de
comme les bourses d’emploi utilisées par les grandes
pourvoir des emplois de façon « efficace » et de répondre à
entreprises pour afficher les postes disponibles et ainsi
l’exigence de productivité énoncée par les organisations.
recruter en interne.
Elles mettent en évidence l’idée de la complexité
Dans tous les cas, l’appréhension de la notion de carrière
contenue dans le choix d’une carrière. Elles montrent
est influencée par le développement important, à l’issue
également qu’il s’agit d’une réalité subjective car elle est
de la Seconde Guerre mondiale, de la grande entreprise
liée à la perception de chacun. Pour un même parcours
industrielle bureaucratique. Ce qui explique que ces
de carrière, certains auront une perception très positive
travaux représentent majoritairement l’évolution d’une
(sentiment de satisfaction, de réalisation, de réussite, de
personne dans son travail en l’assimilant à une évolution
progression…) et d’autres une perception très négative
linéaire, ascendante. Elle s’inscrit dans la logique de la
(sentiment de frustration, d’insatisfaction, d’échec…). Ce
qualification présentée plus haut et autorise à parler de
qu’illustre la définition de la carrière selon Hall (1976) :
« carrière organisationnelle » (Inkson, 2008). Le modèle
« la succession d’attitudes et de comportements perçus
de la compétence dont nous avons montré plus haut les
par un individu à propos des expériences et des activités
causes et expliqué les conséquences signe cependant
liées à son travail tout au long de sa vie ». La dimen-
une rupture forte, dans la conception même de la car-
sion subjective se retrouve dans le concept d’« ancre de
rière, dans les outils mobilisés pour gérer ces carrières.
carrière » présenté par Schein (1978) qui permet d’expli-
quer le parcours professionnel d’une personne et ses
choix à partir de la perception qu’elle a de ses talents
Les carrières nomades :
et de ses habiletés, de ses motivations et besoins et de
une réponse à la mondialisation
ses attitudes et valeurs qui se dégagent de l’interaction
avec l’entreprise. Ce point d’ancrage donne à la carrière Tout en déclarant la carrière « figure centrale de la rela-
un sens précis propre à chaque personne. Il détermine tion d’emploi », Arthur, Hall et Lawrence s’interrogent dès
1989 sur les voies à explorer pour renouveler la théorie
action et de différer la satisfaction de besoins immédiats pour
des carrières et adapter ses propositions au contexte
la poursuite d’objectifs plus lointains. économique contemporain (Arthur, Hall et Lawrence,
192 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

1989). Dans la lignée de Schein, ils revoient le concept rechercher les compétences plutôt que les titres, l’accom-
de cycle de vie pour quitter une perspective linéaire et plissement plutôt que l’avancement et les rôles plutôt que
uniforme et appréhender les parcours professionnels en les positions8 » (Weick et Berlinger, 1989). On passe d’un
phases qui puissent intégrer des ruptures, et des tran- modèle de « cursus linéaire » aux marqueurs classiques,
sitions importantes indépendamment des âges de vie comme le titre ou la position hiérarchique, c’est-à-dire
(Arthur, Hall et Lawrence, 1989 ; Arthur, Inkson, Pringle, des marqueurs externes, objectifs, quantifiables propres
1999). Leurs travaux les conduisent à définir le concept à la carrière objective (Van Maanen et Schein, 1977), à
de boundarylesscareer, traduit par les termes « carrière un modèle où la carrière se définit comme un parcours
nomade » ou « carrière sans frontière » (Cadin et collab., idiosyncratique dans un système équivoque dont les
2000, 2003). indicateurs sont internes, subjectifs et qualitatifs princi-
palement. Les individus jugent leur performance à l’aune
Certes, dès 1976, des auteurs parlent de « carrière pro-
de leurs propres critères. La gestion des carrières consiste
téenne » (Hall et collab.) pour exprimer l’idée que des
à attirer puis à retenir les salariés aux profils adaptés,
individus peuvent gérer leur parcours professionnel en
pour développer les carrières subjectives, à faire primer
négligeant des critères externes tels que la promotion
l’accomplissement sur l’avancement, les compétences
hiérarchique et l’augmentation salariale pour privilégier
sur les titres, les rôles sur les positions, le développe-
des critères internes leur offrant la possibilité de se réa-
ment personnel sur la sécurité. L’avancement est de plus
liser. Mais le contrat psychologique (Rousseau, 1995,
en plus déconnecté de l’ancienneté. La rémunération
2000) n’est pas remis en question. Les attentes tacites
se fait sur la base de la compétence et non de la posi-
restent la sécurité procurée par l’entreprise en échange
tion hiérarchique. La mobilité de forme ascendante ou
de la loyauté du salarié. Dans la carrière nomade, ce
transversale est valorisée. On passe ainsi d’un modèle
contrat change de forme. Ce n’est plus la loyauté qui
linéaire de la carrière, marqué des jalons traditionnels
est attendue car l’entreprise ne peut plus s’engager sur
pour signifier l’évolution, à un modèle que l’on pourrait
la sécurité d’un emploi garanti à vie ou presque, c’est
appeler « stellaire », à l’opposé du précédent qui signale
une implication totale, un engagement de toute la per-
des évolutions multidirectionnelles au sein d’un environ-
sonne dans ce qu’elle sait, sait faire, sait être… donc
nement équivoque (Glée, 2003).
une responsabilisation accrue du salarié qui doit être
compétent (Weick et Berlinger, 1989). Les modifications
auxquelles procède une organisation dans son envi-
ronnement ont des conséquences sur les carrières. Les
contraintes externes influent sur les parcours de mobi-
lité interne et sur les règles explicites et implicites qui
les gouvernent (Arthur, Hall et Lawrence, 1989). Ainsi,
une carrière nomade a quatre caractéristiques princi-
pales : elle s’effectue auprès de plusieurs employeurs,
elle est validée et valorisée à l’extérieur de l’entreprise,
elle est encouragée et facilitée par l’appartenance à
des réseaux, elle brise les principes d’avancement et de
promotion verticale (Sullivan, 1999). De Fillipi et Arthur
(1996) parlent de « sequence of job opportunity that go
beyond the boundaries of single employement settings ».
L’interrogation sur les carrières est conjointe à l’interro-
gation sur les évolutions des systèmes productifs et elles
prennent sens dans le contexte organisationnel de la
self-designing organization (Weick, 1995) que nous avons
8. Traduction libre de l’article de Weick et Berlinger (1989) « Career
présentée plus haut. Pour gérer les carrières, il importe
improvisation in self-designing organizations », p. 320, dans
alors « de s’inquiéter des moyens plutôt que des fins, de Handbook of careers, 1989.
 9   L a gestion des compétences et des carrières 193

Figure 1 Du modèle linéaire au modèle stellaire de carrière (Glée, 2003)

Les auteurs du courant « sans frontière » (boundaryless) ne dépend pas uniquement des investissements réa-
proposent le concept de « capital de carrière » (De Fillippi, lisés pour développer une expertise technique (knowing
Arthur, Parker, Barr, 2001). Ce concept permet, d’une how), mais également d’investissements permettant
part, d’insister sur la dimension subjective de la carrière de renforcer la motivation et l’identité (knowing why)
(générée de façon interne et non prescrite de l’extérieur) ainsi que de développer un réseau relationnel et d’ac-
et, d’autre part, d’élargir la notion de compétence. Elle croître sa réputation (knowing whom). Ces trois types de
194 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

compétences sont, de plus, en interdépendance étroite. et Arthur 1996), secteurs des nouvelles technologies de
Les unes influent sur les autres et réciproquement. l’information et des communications (De Fillippi, Arthur,
Parker et Barr, 2001). Cela concerne principalement les
Il est intéressant de noter la progression de ce para-
populations de la Silicon Valley, c’est-à-dire des per-
digme du « sans frontière ». De l’article publié en 1990
sonnes fortement « dotées » en matière de compétences,
sur les organisations sans frontières (Devanna et Tichy)
qui de ce fait peuvent évoluer avec bonheur et facilité
à celui de 2009 sur le boundaryless era (Kelan et ­Dunkley
dans un univers où les occasions offertes sont réelles,
Jones, 2009) en passant par l’article fondateur sur les
nombreuses et à saisir (De Filippi, Arthur, Parker, Barr,
carrières nomades (Arthur et Rousseau, 1996), on voit
2001) malgré la complexité. On comprend que, pour
s’étendre une certaine idée de la relation d’emploi, donc
des individus peu qualifiés ou dont les qualifications
de la carrière et de sa gestion. Dans tous les cas, l’em-
sont devenues obsolètes ou qui sont plus réfractaires
ploi est présenté comme un état temporaire, donc ce
au changement et à la mobilité pour quelque raison que
qui importe pour les femmes et les hommes engagés
ce soit, alors la carrière nomade est beaucoup moins
dans une vie professionnelle, c’est d’être employables,
attractive, mais renvoie à une réalité professionnelle faite
de développer leur capacité à être carrer self reliant. Il en
de ruptures la plupart du temps subies, de souffrance,
résulte tout un ensemble de réflexions qui ont donné
de pertes, etc. Tous ces évènements rassemblés sous
naissance à des notions et des outils visant à accom-
le vocable de « transitions » ont un coût économique et
pagner et à développer cette capacité. Par exemple, la
humain. Ils conduisent à penser des « marchés transi-
notion de carrière intelligente (Arthur et collab., 2016)
tionnels du travail » (Gazier, 2002, 2008) pour tenter de
instrumentée à travers le test Intelligent Career Card Sort
sécuriser des parcours que la recherche de flexibilité des
(ICCS). Faire « une carrière intelligente » signifie savoir
entreprises rend de plus en plus instables, incertains.
développer un réseau, être dans la réflexivité, explorer sa
Cette approche est aux antipodes du discours anglo-
personnalité pour mieux se connaître, donc développer
saxon sur les carrières nomades. Ici, le « nomade » n’est
ses forces, travailler ses « faiblesses ». Ou encore la notion
pas cet individu privilégié, évoluant avec l’aisance des
de carrière kaléidoscopique (Sullivan, Forret, Carraher
privilégiés sur un marché du travail, vaste terrain pour
et Mainiero, 2009) qui, à l’aide du kaleidoscope career
vivre des aventures professionnelles exaltantes, mais
model (KCM), vise à aider les individus à envisager serei-
une personne pouvant, plus vite qu’on le croit, tomber
nement et efficacement leurs transitions et leurs choix
dans l’exclusion, la précarité, la vulnérabilité.
de carrière. Ce modèle souhaite décrire comment les
individus changent d’orientation, de priorités, de niveau Le marché du travail n’est pas cet immense champ d’oc-
de satisfaction dans leur carrière en fonction des chan- casions ouvert à qui sait les saisir. Si, en apparence, le lien
gements dans leur vie privée et afin d’obtenir plus de de subordination s’affaiblit pour laisser place à une rela-
satisfaction. Les chan­gements peuvent être choisis ou tion d’emploi « gagnant-gagnant », en réalité le contrôle
subis, mais, dans les deux cas, l’individu a un outil pour demeure et même s’accroît en raison d’une exigence
l’aider à décider ­(Sullivan, 1999). d’engagement et d’efficacité toujours plus forte qui peut
créer une véritable souffrance et faire perdre à l’homme
Il faut souligner toutefois, dans ce chapitre où nous avons
jusqu’à sa raison de vivre (De Gaulejac, 2015).
pris pour point de départ la notion de contingence, que
tous ces travaux sont majoritairement issus du monde Enfin, il y a la limite liée aux salariés eux-mêmes. Les
académique anglo-saxon pour retranscrire des réalités représenter, héros ou victimes ou coupables ou asservis,
professionnelles de l’univers anglo-saxon, c’est-à-dire ne s’agit-il pas là d’une réification qui oublie leur capa-
une culture où la notion de contrat pour régler les rap- cité à être « humains », donc à agir et d’abord à se ques-
ports humains est très prégnante (D’Iribarne, 1989). De tionner ? Et, puisque la carrière n’est plus une carrière
plus, le courant des carrières sans frontière s’est princi- qui peut se dérouler linéairement dans une organisation
palement intéressé aux secteurs économiques qui cor- qui offre un emploi à vie ou, à minima, une sécurité,
respondent aux nouveaux modèles productifs et qui alors est-ce étonnant de voir des salariés revendiquer
évoluent dans des environnements ressemblant à ceux et, en conséquence, organiser leur vie professionnelle
qu’avait décrits Weick : industries du cinéma (De Fillippi en fonction de ces revendications ?
 9   L a gestion des compétences et des carrières 195

Cela conduit à penser la carrière et sa gestion en se L’émergence et l’expression


fondant sur d’autres perspectives que celles qui ont été d’aspirations nouvelles
retenues jusque-là, en prenant en considération d’autres
voix qui expriment des attentes d’un ordre différent de Nous avons montré plus haut comment les organisations
celui qui est à ce jour dominant. évoluent sur ce marché dans le modèle de la compé-
tence, mais qu’en est-il des salariés ?

Maniero et Sullivan (2005) montrent la montée en puis-


La carrière aujourd’hui : les signaux sance de demandes « nouvelles » de la part de salariés.
Préférer un équilibre de vie à un avancement, préférer
faibles de changements forts un travail satisfaisant à une augmentation salariale…
Nous avons évoqué les demandes et les exigences nou- cela n’est plus un comportement atypique réservé à
velles des organisations liées aux exigences également quelques originaux ou à ceux que l’on a qualifiés de
modifiées de leur environnement économique. Mais « génération Y ». La notion de génération englobe une
qu’en est-il des salariés ? De l’homme et de la femme réalité multiple et très diverse. Elle est donc inévitable-
au travail ? Car la réalité de la carrière aujourd’hui, ment simplificatrice, mais elle permet de modéliser la
malgré des évolutions récentes qui visent à humaniser notion de « différences intergénérationnelles » (Arsenault,
un monde du travail difficile (telles que le développe- 2004). Selon Chauvel (2010), l’histoire générationnelle
ment de conciergeries d’entreprises, des pratiques d’aide « ne repasse pas les plats » et chaque génération a des
au reclassement pour accompagner des départs, des perspectives de vie et des trajectoires très différentes.
aides à la formation…), malgré des disparités liées aux Par exemple, la génération des baby-boomers, soit ceux
cultures, aux individus, aux modes d’organisation pro- qui sont entrés sur le marché du travail au milieu et à
ductifs, reste marquée par une conception très « écono- la fin des années 1960, n’a jamais connu de taux de
mique » du travail, c’est-à-dire coupée de la dimension chômage supérieur à 5 % lors de la sortie de formation
sociale et autonomisée par rapport à l’ensemble de la initiale. Depuis 1985 en France, ce taux n’est jamais des-
vie humaine (Polanyi, 1983). Ce qui domine, c’est une cendu en dessous de 20 %, oscillant entre 30 % et 20 %.
vision gestionnaire encore profondément imprégnée des Dans une étude publiée en 20099, le Centre d’études et
préceptes tayloriens selon lesquels tout doit concourir à de recherches sur les qualifications (CEREQ) présente
un objectif et un seul : l’optimisation de la productivité les résultats d’une enquête menée en France auprès de
de chaque travailleur. C’est donc une certaine vision du 65 000 jeunes sortis pour la première fois de formation
travail, une certaine vision de l’homme et de la femme initiale en 2004 (ils ont entre 18 et 29 ans) et interrogés
au travail et, au-delà, de la société qui est véhiculée par en 2007. Ils mettent en évidence une réalité difficile qui
le terme « carrière » et celui de « gestion des carrières » conduit certains auteurs à parler de « baby-loosers », de
actuellement. Une conception aseptisée, vidée de tout « génération sacrifiée » (Chauvel, 2010), de « génération
ce qui peut nuire à la « rationalisation » de cette réalité galère » (Peugny, 2009). Pour Harvey (2004), chaque
pourtant profondément humaine. Ce que nous propo- génération peut être étudiée et modélisée à l’aide de
sons maintenant, c’est de passer de cette perspective trois variables : les influences qui l’ont marqué et qui la
très utilitariste visant davantage à opérationnaliser une personnifient, les caractéristiques qui en résultent et qui
certaine vision de l’homme au travail à une perspective décrivent des comportements, des modes de pensée et
plus humaniste qui examine le sens donné à la carrière d’agir et les attentes, en particulier par rapport à l’em-
et à sa gestion. ploi et au travail. Or, la génération Y, à partir de cette

9. Cereq Nef (Notes emploi-formation) n° 43, janvier 2009, 58 p. :


De l’enseignement supérieur à l’emploi : voies rapides et chemins
de traverse. Julien Calmand, Dominique Epiphane, Pierre Halier.
Etude disponible sur le site : http://www.cereq.fr/index.php/
publications/Nef/De-l-enseignement-superieur-a-l-emploi-voies-
rapides-et-chemins-de-traverse
196 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

typologie, s’est vu attribuer un certain nombre d’appel- comme la Chine, plusieurs études, certes centrées sur les
lations, pas toujours très flatteuses, pour caractériser ses régions fortement industrialisées (majoritairement Shan-
comportements au travail et ses attentes. On l’a qualifiée ghai), signalent aussi de fortes attentes expressives de
ainsi de génération « yoyo », « zapping », « always on », « lou- la part des jeunes salariés sur un marché du travail aux
bard-roublard » ou encore « génération d’enfants gâtés », prises de façon récurrente et importante avec la question
qui serait réfractaire à toute forme d’autorité car elle a été de la pénurie et de la fidélisation de la main-d’œuvre.
élevée dans le modèle Dolto10 valorisant l’estime de soi.
Ces résultats conduisent à analyser, non pas les compor-
Cette « génération du millénaire » (Dudezert, Boughzala et
tements de la génération Y, mais la façon dont les entre-
Mounoud, 2009) ou « génération internet » (Paré, 2002), à
prises gèrent la carrière de cette génération et, au-delà,
l’aise avec les nouvelles technologies, habituée à brasser
de toutes les autres générations présentes au sein de
de l’information, à voyager, familière des modes de com-
ses équipes. Car ces exigences exprimées reflètent l’im-
munication instantanée, est une génération des « temps
portance de la qualité de vie au travail. En France, cette
hypermodernes » (Lipovetsky et Charles, 2004) marquée
problématique est présentée, en avril 2010, dans un
par l’individualisme et l’individualisation. Il en résulte
rapport11 réalisé à la demande du premier ministre, par
des jeunes présentés comme ambitieux, pragmatiques
Henri Lachmann (président du conseil de surveillance de
et individualistes, oscillant souvent entre les extrêmes,
Schneider électrique), Christian Larose (vice-président
faisant rimer raison et émotion, travail et plaisir, enfants
du conseil économique, social et environnemental) et
du Web et de la mondialisation, en recherche de sensa-
Muriel Pénicaud12 (directrice générale des ressources
tions fortes, voulant tout, tout de suite.
humaines du groupe Danone) intitulé Bien-être et efficacité
Cependant, loin des clichés et des stéréotypes, plu- au travail : 10 propositions pour améliorer la santé psycho-
sieurs études donnent à voir une génération fortement logique au travail. Donner aux salariés les moyens de
concernée par sa carrière. Le travail reste une valeur cen- se réaliser au travail figure parmi les 10 propositions et
trale, mais pas n’importe quel travail : un travail qui a du le rôle central du manager de proximité est également
sens, qui donne une autonomie et des responsabilités au pointé. Ces éléments indiquent combien nous sommes
sein d’un cadre bienveillant. Un travail qui permet de réa- loin d’une approche « traditionnelle » de la carrière avec
liser un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. les marqueurs classiques et quasi exclusifs d’avance-
Un travail qui donne de la reconnaissance, qui répond à ment hiérarchique et d’augmentation salariale. Mais c’est
des exigences éthiques, qui offre une liberté « structurée » une approche également éloignée de la perspective du
(Mayrhofer et collab., 2009). On retrouve ces attentes salarié nomade, personnalité en vue sur le marché du
dans une étude réalisée en France (De Bovis, Fatien et travail. Finalement, le compromis fordiste présenté plus
Glée, 2010) auprès de 59 DRH et recruteurs de la région haut s’est évanoui et les nouveaux arrangements qui
lyonnaise pour qui la population des « jeunes Y » peut apparaissent sont encore fragiles et non stabilisés. Mais
représenter jusqu’à 80 % de l’effectif salarié. L’analyse de ils peuvent se fonder sur ce que les salariés expriment
leurs réponses met en évidence des perceptions qui sont et attendent au-delà d’une seule rémunération. Dans ce
conformes aux discours dominants sur la génération Y – cas, gérer les carrières conduit à penser « autrement », en
impatience (64 %), individualisme (50 %), interconnexion matière d’expérience collaboratrice, en d’attraction et de
(46 %) –, mais elle montre l’importance du sens donné fidélisation des salariés au moins autant qu’en matière
au travail (58 %), le souhait d’être autonome et d’exercer « d’optimisation » de la main-d’œuvre. En matière de
des responsabilités (42 %), de pouvoir s’exprimer (42 %). satisfaction au travail au moins autant qu’en matière
Au Canada, l’étude de Petit (2008) confirme ces résul- d’efficacité et productivité.
tats. Aux antipodes du monde occidental, dans un pays

10. Françoise Dolto anima pendant toute la décennie des années 11. Etude disponible sur le site : http://www.ladocumentation
1970 une émission quotidienne sur une grande radio nationale francaise.fr/var/storage/rapports-publics/104000081.pdf
française autour de la question de l’éducation des enfants ; 12. Muriel Pénicaud a été nommée ministre du travail dans
elle prônait une attitude en opposition au modèle d’éducation le gouvernement d’Edourard Philippe sous la présidence
rigoriste et coercitif. d’Emmanuel Macron le 17 mai 2017.
 9   L a gestion des compétences et des carrières 197

Du salarié employable à l’employeur et les départs. Ainsi, en « tenant » sa promesse, l’entreprise


fidélise ses salariés. Ce faisant, elle renforce son attrac-
« fréquentable »
tivité et entre ainsi dans un cercle vertueux. Ce modèle
Lorsque le cabinet Mac Kinsey publie en 1998 une étude conduit à raisonner en fonction de « marketing RH » et
intitulée La guerre des talents (Michaels et collab., 2001), il à appréhender le salarié comme un « client » interne de
pointe la difficulté vécue par les entreprises pour attirer l’entreprise.
et fidéliser des salariés à forte valeur ajoutée. L’exigence
Ambler et Barrow (1996) définissent « la marque
de compétitivité conduit les entreprises à s’interroger
employeur » comme l’ensemble des avantages que l’en-
sur leur « avantage concurrentiel », celui qui leur donnera
treprise est en mesure de procurer à ses salariés : avan-
un avantage durable sur le marché. La « théorie des res-
tages fonctionnels et économiques, mais aussi avantages
sources » (Prahalad et Hamel, 1990) montre que l’avan-
psychologiques. D’autres travaux ensuite l’ont défini en
tage concurrentiel se trouve à l’intérieur de l’entreprise,
matière de valeurs : valeur d’attrait (environnement de
car il résulte de la combinaison harmonieuse de res-
travail, créativité encouragée…), valeur sociale (climat
sources à la fois tangibles (financières, humaines, techno-
agréable…), valeur économique (rétribution, occasions
logiques…) et intangibles (réputation…) que l’entreprise
de promotion…), valeur de développement (reconnais-
possède et qui constituent son « cœur de compétences ».
sance, estime…), valeur de transmission (possibilité
Ce qui conduit à s’interroger sur la pertinence, le degré
de transmettre aux autres, bénévolat…). Cette notion
de rareté, la valeur de l’actif détenu par une entreprise
confirme que les salariées aussi peuvent avoir des exi-
car ce sont autant de « ressources » précieuses dont le
gences et qu’il importe pour les entreprises de savoir les
mode de gestion fera la différence. Dans ce contexte,
entendre pour mieux y répondre. L’approche marketing
l’entreprise doit savoir attirer puis intégrer et fidéliser
de la fonction RH a pour enjeu de valoriser les proposi-
ces talents qu’elle a retenus pour créer un système de
tions de l’entreprise en matière de gestion des carrières.
travail hautement performant. On voit ainsi le rapport de
Elle fait du collaborateur présent ou potentiel un « client »
force se modifier. La révolution numérique qui exige des
et, dans ce cas, gérer sa carrière consiste à se pencher sur
compétences nouvelles au sein de métiers nouveaux, les
son « expérience collaborateur ». Que doit promettre un
évolutions démographiques et, en particulier, le vieillis-
employeur pour être attractif ? Et surtout comment tient-il
sement de la population, l’importance de détenir des
sa promesse ? Car promettre ne suffit pas ! Plus l’écart est
compétences générales, dont l’acquisition ne semble pas
important entre la marque employeur externe (perçue
aller de soi13, conduisent à une situation paradoxale où
avant le recrutement à travers la promesse employeur)
la pénurie côtoie le chômage.
et la marque employeur interne (vécue après le recru-
Il y a donc un enjeu fort à savoir les attirer et les fidéliser, tement) et plus l’intention de quitter l’entreprise sera
ce qu’illustre le modèle ASA de Schneider (1987). Dans élevée. Les promesses non tenues en matière de climat
ce modèle, l‘attractivité d’une entreprise est la clef d’une de travail, de rémunération, de carrières et de perspec-
politique RH réussie. Elle s’exprime à travers la notion de tives d’évolution se traduisent ipso facto par une baisse
« marque employeur » qui va de pair avec celle de « pro- de la loyauté, de l’engagement et de la confiance du
messe employeur ». Lorsqu’une entreprise est attractive, salarié pour, in fine, le décider à partir. Dans ces condi-
les candidatures sont nombreuses et de qualité, ce qui tions, intégrer et fidéliser sont des éléments centraux
facilite la procédure de recrutement pour sélectionner de la gestion des carrières. Cette intégration (encore
des profils en adéquation avec les exigences du poste et appelée socialisation organisationnelle) renvoie à un
qui adhèrent aux valeurs de l’entreprise. Mais la marque processus d’acquisition de rôles, de comportements, d’at-
employeur est attractive, car elle exprime une promesse titudes et de valeurs nécessaires pour devenir membre
qu’il faut savoir tenir pour éviter le « choc de la réalité »… à part entière de l’organisation, ce qui correspond à un
véritable enjeu identitaire On voit ainsi son importance
13. Une étude de la National Commission on Adult Literacy publiée stratégique pour une entreprise et l’intérêt de mettre
en 2008 note, pour près de 100 millions d’Américains adultes, en place des pratiques de gestion des carrières pour
une absence des compétences générales nécessaires à l’insertion
que ce processus soit le plus harmonieux possible. La
dans une économie mondialisée et connectée.
198 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

gestion des carrières ne peut plus se contenter d’être une travaux réalisés au sein du groupe de travail de l’AGRH14
série d’actions ponctuelles et échelonnées tout au long sur la prospective des métiers de la fonction RH confir-
d’un parcours. Elle se définit plutôt comme un processus ment cette importance de participer à la création de
dynamique pouvant créer une synergie positive (cercle valeurs en intégrant l’ensemble des parties prenantes
vertueux) ou négative (cercle vicieux). En réalité, ce qui internes et externes (Richomme-Huet et d’Andria, 2011).
est en jeu, ce sont le maintien et le respect du contrat Parler de « leader RH » doit s’entendre non pas en matière
psychologique dont nous avons parlé plus haut. Car les de pouvoir et de contrôle, mais en matière de service. En
brèches dans ce contrat ou, à l’extrême, sa violation ont effet, les travaux les plus récents sur cette notion très étu-
des conséquences directes sur le comportement des diée parlent de leadership engagé (servant leadership)
salariés. En effet, la croyance du salarié sur les condi- (Liden et collab., 2014). Ces travaux sont intéressants car
tions de l’échange, sur les obligations réciproques, le ils signalent que gérer les carrières pourrait devenir une
conduit à évaluer les promesses et les engagements pris affaire de service plus qu’une affaire de gestion.
par l’employeur (Rousseau, 1995). Puisqu’il s’agit d’une
La culture du service est une culture où les normes
construction dans le temps basée sur la confiance (Rous-
comportementales et les attentes partagées placent
seau, 2000, Savickas 2012), alors un écart entre la per-
la priorité sur l’aide aux autres. Dans ce contexte, le
ception de la promesse et sa réalisation (promesse tenue
leader est celui qui donne la priorité à la satisfaction
ou non) crée une brèche. Et lorsque la brèche est trop
des besoins des « suiveurs » sur ses propres besoins. Ce
importante ou lorsqu’elle est répétée, cela fait naître un
qui demande un haut niveau d’intégrité, un réel souci
sentiment de violation qui a des conséquences directes
des autres et beaucoup d’humilité. Le leader engagé sait
sur le comportement du salarié. Il pourra opter entre exit,
créer des normes comportementales où la motivation à
neglect et voice (Hirschman, 1970) mais, dans tous les
aider les autres prime. Il valorise toutes les parties pre-
cas, l’entreprise perd sa compétence et son engagement.
nantes et permet d’activer un processus d’identification
Ces notions de « brèche » et de « violation » dans le contrat qui renforce le sentiment d’appartenance. Ce faisant,
psychologique sont importantes. Elles mettent en évi- il contribue à renforcer la performance économique
dence la responsabilité sociale, pour ne pas dire morale, puisque le groupe fonctionne autour de valeurs telles
de la fonction RH, dans sa mise en œuvre d’une politique que l’entraide, la coopération, la compassion, la bien-
de gestion des carrières. Elles conduisent à examiner les veillance, la confiance, qui elles-mêmes contribuent à la
évolutions possibles et les évolutions souhaitables de satisfaction des salariés. Ce contexte conduit à changer
cette notion très ancienne. de paradigme en matière de gestion des carrières. Ce
qui est valorisé est la capacité à créer de la valeur pour
la communauté, la sensibilité aux difficultés des autres
membres de l’équipe, la capacité à aider, à agir avec
La carrière demain : un parcours éthique
à créer et à façonner
Autant de compétences fort éloignées des critères tels
L’émergence de modèles alternatifs que le dynamisme, la volonté de réussir, la pugnacité,
l’ambition, habituellement retenus lors des évaluations
La dernière proposition d’Ulrich (Ulrich et Brockbank,
2005) confirme les rôles liés au développement humain Très proche de la notion de leader engagé, on trouve la
et au partenariat stratégique du modèle initial proposé notion de leader responsable (Waldman et Siegel, 2008),
en 1997 et ajoute un 5e rôle central, parce qu’il englobe c’est-à-dire le leader en capacité de maximiser le profit
le court et le long terme, la dimension humaine et la tout en préservant les parties prenantes. En réalité, le
dimension des procès et outils : il s’agit du leadership. leader responsable est celui qui « fait le bien » et « évite
Dans cette dernière proposition, les auteurs soulignent le mal » dans ses comportements grâce à des attributs
ce qui doit être l’essence même de la fonction : la créa- psychologiques et éthiques tels que l’engagement, la
tion de valeur pour l’ensemble de la communauté. Les
14. Association francophone de gestion des ressources humaines.
 9   L a gestion des compétences et des carrières 199

transparence, la confiance. Il raisonne en matière de l’éloge de la lenteur (Kundera, 1995 ; Nadolny, 2008 ;
parties prenantes et s’interroge sur le « bien » à faire et le Sansot, 2000). Des mouvements apparaissent, tel le
« mal » à éviter de faire. En donnant le prix Nobel d’éco- mouvement slow, et révèlent une aspiration profonde
nomie (2009) à Elinor Ostrom pour ses travaux sur la et partagée non seulement par des militants faisant de
gouvernance des biens communs, l’honorable Académie leur critique radicale de la société libérale un combat,
fait sortir cette notion de « bien » (et par contraste celle mais aussi par des citoyens souhaitant obtenir, non
de « mal ») du cadre uniquement moral pour lui donner pas « davantage de biens » mais « davantage de liens »
une consistance économique et politique. En montrant (Aries, 2010). Historiquement, ce mouvement slow prend
comment les ressources naturelles peuvent être gérées naissance, en 1986, en Italie, avec Slow Food, une orga-
efficacement par des communautés locales organi- nisation souhaitant réintroduire les notions de qualité
sées démocratiquement, sans recours à l’intervention dans la nourriture. Le mouvement Slow Cities a suivi. Il
étatique ou à des démarches de privatisation, Ostrom s’agit de villes revendiquant le choix de la lenteur pour
(2010) propose une approche économique alternative redonner la priorité à l’humain, pour arrêter le gaspillage
que l’on peut transposer au domaine du management. et valoriser les productions et les actions « locales ». Dans
Son interrogation sur la possibilité de gréer « autrement » le même esprit se développe l’idée d’un slow manage-
le bien commun rejoint l’interrogation sur la possibilité ment, c’est-à-dire un management visant à développer
de gérer « autrement » des hommes et des femmes au le bien-être au travail (Steiler, Sadowsky et Roche,
travail. Cela suppose de considérer l’organisation d’une 2010). Un management tourné plus vers le care (Folbre,
façon radicalement différente de celle qui est proposée 2004) où le souci de l’autre et la sollicitude peuvent être
par Taylor et ses successeurs : une organisation conçue reconnus comme des valeurs. Ce management conduit
comme une communauté de personnes (Melé, 2012), à des formes d ­ ’organisation du travail et de la société
où la notion de bien commun prime sur celle d’intérêt où l’enjeu est de « travailler mieux et moins pour vivre
général (O’Brien, 2008) ainsi que celle de projet commun mieux » (Lesnard, 2009).
et de sens au travail (Fremeaux, Michelson (2017). Le Dans cette perspective slow du management, la ratio-
mode de management qui en résulte fait de la bienveil- nalité instrumentale cède le pas à la réflexivité, à la
lance une valeur. En 2009, l’Academy of Management a médiation, à l’interprétation signifiante (Cilliers, 1998).
fait de cette notion et des notions liées le thème central C’est également ce que certains auteurs appellent parfois
de son congrès annuel15. Plus récemment, un numéro l’approche méditerranéenne du management (Witowsky,
entier de la revue16 était organisé sur ces thématiques 2005 ; Cova, 2006) ou encore « la pensée méridienne »
surprenantes dans un univers où le paradigme dominant (Cassano, 1998 ; Firat, 2005). Des travaux comme ceux
reste marqué par la notion de performance. d’Amabile (1998), Amabile et ses collaborateurs (2002)
montrent la contre-performance et l’improductivité de la
Le changement de paradigme se retrouve dans la
logique du « toujours plus, toujours plus vite ». En prenant
démythification de l’impératif d’excellence, ce que toute
l’exemple de la créativité, ils montrent que, dans des
gestion des carrières « efficace et performante » a tenté
environnements d’urgence, de compétition exacerbée,
de valoriser jusque-là. En mettant à mal le « mythe de
de recherche d’efficacité à tous crins, etc., les individus,
l’excellence » (Boltanski et Chiapello, 1999), c’est aussi
paradoxalement, voient leurs capacités de création et
son corollaire, celui de l’urgence (Aubert, 2003), qui est
d’imagination diminuer. Alors que cette créativité aug-
mis en question. Des îlots de réaction qui se dessinent
mente dans des environnements de travail où chacun
prennent différentes formes, mais tous mettent en ques-
peut aller à son rythme, est autorisé à « perdre du temps
tion ce culte de la vitesse et de la performance pour faire
à rêver », faisant ainsi de la lutte taylorienne contre la
« flânerie systématique » un combat non seulement
15. Le titre de la conférence annuelle était Passion and Compassion :
d’arrière-garde mais aussi contre-­productif. Certaines
from dare to care.
entreprises, comme Google, concrétisent dans leur mode
16. « Understanding and creating caring and compassionate
organizations », The Academy of Management Review, vol. 37, no 4, de management au quotidien ces pensées slow, avec
octobre 2012. par exemple du temps dédié à la vie personnelle, des
200 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

jours déclarés « sans mails » « sans téléphone portable », Gérer des carrières ou accompagner
ou encore la création d’un jardin bio pour fournir le
des personnes ?
restaurant d’entreprise (Mercuri et Pundrich, 2009). Se
dessineraient ainsi les contours d’une « entreprise verte » Cela pose la question de la dénomination : faut-il encore
(Laville, 2009) où le développement durable, c’est-à- parler de gestion des carrières ? Ne faut-il pas revoir la
dire soutenable par l’ensemble des salariés y compris sémantique elle-même ? Plutôt que de carrières, ne
ceux qui pourraient avoir un moindre rendement dans doit-on pas parler d’aspirations et de talents qui ne
les standards actuels, remplacerait le développement demandent qu’à s’exprimer dans un parcours profes-
intensif. Inscrit dans le courant des « pensées vertes » sionnel ? Plutôt que de « gestion des carrières », ne faut-il
(ou pensées de l’écologie), le mouvement du slow mana- pas parler d’accompagnement des hommes et des
gement conduit à une critique radicale de la notion de femmes dans ce parcours professionnel ?
croissance telle que la société industrielle l’a définie Ce qui est en question dans le parcours professionnel,
(Gadrey, 2010) et met en avant des valeurs que l’on c’est la construction de l’identité professionnelle et cette
pouvait penser obsolètes, comme la bienveillance dont construction se fait dans le long terme avec une implica-
nous avons parlé plus haut, la solidarité17, la compas- tion forte qui engage la vie dans sa totalité. Cette notion
sion, l’humilité, la sobriété qui peut être heureuse (Rabhi, d’identité est centrale car elle renvoie à un certain rap-
2002). Lorsque Philippe Joubert, ancien directeur général port au travail, à l’opposé de la définition présentée dans
délégué ­d ’Alsthom, déclare avoir la conviction que le la Cité par projets (Boltanski et Chiapello, 1999). Bien
business as usual is dead18, il confirme ces tendances et loin d’être de l’ordre de l’activisme, le travail est d’un
leur donne une dimension concrète. ordre existentiel, comme le montre Sainsaulieu (1988).
En réalité, des modes d’action et de « réaction » à ce Ne faut-il pas alors parler de « parcours professionnel
modèle managérial de la toute-puissance où carrière durable » (Glée, 2009) ? Car le parcours professionnel
doit rimer avec performance sont également présents durable permet un développement de l’individu dans sa
dans des entreprises peut-être moins prestigieuses et vie professionnelle, mais aussi dans sa vie privée ainsi
à différents niveaux de la hiérarchie (Glée et Mispel- qu’un développement social et sociétal pérenne. Il se
blom-Beyer, 2012). Sur la base d’une étude empirique, conçoit dans une perspective d’entreprise solidaire et est
Mispelblom-Beyer et Glée (2012) montre comment des à l’opposé d’une perspective individualiste. Il permet la
stratégies de résistance sont inventées pour « encadrer réconciliation des objectifs de performance et des sou-
sans perdre son âme ». Ils indiquent que des pratiques haits de bien-être au travail. Cette notion laisse entrevoir
alternatives silencieuses existent et qu’une forme de une solution de rechange à la carrière autrement qu’in-
management « humaniste et bienveillant » peut exister féodée à l’idéologie de la modernité. Le parcours profes-
et prendre place au sein d’une gestion des ressources sionnel, dans ce contexte, induit une idée de long terme
humaines « durable ». Le terme « durable » s’entend ici, et intègre les réseaux, non dans une perspective indi-
non pas au sens temporel du terme, mais au sens « éco- viduelle, mais en matière d’interactions pourvoyeuses
logique », c’est-à-dire soutenable, acceptable pour les d’identités et de coopération pour permettre d’échapper
« humains » encadrés et encadrants. Ces principes de à un univers où, en apparence, les liens de subordina-
management alternatifs conduisent à gérer les carrières tion dans la relation d’emploi s’estompent, mais où, en
autrement, là encore dans un paradigme différent. réalité, le contrôle sur les individus se renforce. Cette
approche du parcours professionnel pensée à l’intérieur
de la notion de développement durable (Rapport Brundt-
land, 1987) renouvelle la réflexion sur les carrières et la
gestion des carrières.

Mais comment rendre opératoire cette notion ? Quel


17. Le numéro de la revue Sciences humaines de février 2011 titre outillage permet l’opérationnalisation ? Cela passe, selon
« Le retour des solidarités ».
18. Interview p.70-72, revue Personnel, n° 559, mai 2015.
 9   L a gestion des compétences et des carrières 201

nous, et paradoxalement, puisqu’il s’agit d’être acteur de Cette transformation de perspective est aussi un pro-
son parcours, par la nécessité d’un accompagnement. cessus social : « les autres » ont un rôle important à jouer,
à différents titres et différents niveaux, dans la reconfi-
Des travaux nombreux, à la fois dans le champ de l’orien-
guration de sens conduisant l’individu à de nouvelles
tation professionnelle (Paul, 2003) et dans le champ
interprétations de son existence. La construction d’un
gestionnaire au sein d’un courant proche des critical stu-
parcours professionnel, en s’apparentant à une situa-
dies (Pezet, 2007), s’interrogent, depuis quelque temps,
tion de formation, devient en réalité une « transforma-
sur la notion d’accompagnement. Un relatif consensus
tion ». Elle s’inscrit dans la globalité d’une histoire de vie.
apparaît pour définir l’accompagnement à travers l’idée
Elle sert de levier aux transformations de sens de la vie
de relation co-vécue dans le temps où il ne s’agit pas
adulte, de son horizon de pensée et de visées dans la
seulement « d’aller avec » mais aussi « aller vers » (Paul,
confrontation à des expériences autres et avec l’aide
2003). Dans l’accompagnement ainsi défini, une direc-
des ressources mises à disposition. L’accompagnement
tion est prise ensemble délibérément. Selon Paul (2003),
vise, dans ces conditions, à développer chez les indi-
« accompagner relèverait donc de la capacité à se mettre
vidus concernés une « plasticité psychologique » et, en
ensemble à l’épreuve d’un référent commun ». Cette prise
même temps, une « solidité éthique ». Car, plus l’individu
en compte de l’agir « ensemble » est intéressante car elle
moderne doit être flexible et adaptable, plus il lui faut
favorise une dimension sociétale souvent absente de
pouvoir prendre appui sur une éthique forte, des valeurs
programmes de développement personnel centrés uni-
profondément ancrées qui ne seront pas reniées quoi
quement sur l’individu. Elle est également à l’opposé
qu’il advienne. La plasticité psychologique, à l’opposé du
d’une perspective d’assistanat qui peut très vite appa-
comportement de girouette, peut garantir une avancée
raître dans la relation d’aide si l’on n’y prend garde, car
au long cours, sans risque de se perdre, grâce à un cap
elle suppose l’idée d’une association dans une activité
clairement défini, composé de valeurs fortes et affirmées.
ou un projet commun. En faisant de la construction d’un
Quant à l’exigence d’autonomie, plus on somme l’indi-
parcours professionnel durable le projet non seulement
vidu d’être acteur de son parcours, voire de sa destinée,
de l’individu concerné mais aussi de celui qui accom-
plus il est important de penser un accompagnement
pagne, on inscrit la relation dans une perspective éco-
réel et adapté.
logique de long terme, incluant tout l’environnement
au sens large, dans ce travail de construction. Cela peut Finalement, ce qui importe dans ce type d’accompagne-
être un moyen de reconstruire un « système existentiel ment, au-delà des moyens matériels et humains mobi-
personnel » (Freitag, 2002) où la quête de sens passe par lisés, c’est la question du sens. Le sens qu’une personne
des « médiations symboliques stables » aidant à rendre donne à son parcours professionnel et, au-delà, à son
intelligible la société. parcours de vie. Comment, dans la construction de ce
parcours, peut-elle trouver à ses côtés une aide réelle,
Cet accompagnement qualifié de partenarial (Glée, 2008,
non pas « béquille » de pratiques gestionnaires qui préca-
2009) vise à créer une situation d’apprentissage au sens
risent par l’intensification de l’exhortation à la mobilité,
piagétien, c’est-à-dire une situation de transformation
mais soutien stable que permet l’attitude coopérative
au cours de laquelle se construit un programme de vie
d’un partenaire de confiance dans une communauté,
possible et dans laquelle les interactions avec le milieu
une société où les liens peuvent se concevoir autrement
sont essentielles car elles permettent de produire des
qu’en matière de rapports de force.
réponses aux incitations extérieures. Paradoxalement,
ce n’est pas la mobilité, mais bien au contraire la stabilité
qui peut aider l’individu à construire son parcours pro-
fessionnel de façon réellement réflexive et durable. Le Conclusion
concept d’apprentissage transformateur (Transformative
La carrière ainsi appréhendée n’est plus une poursuite
Learning) mis au point par Mezirow (2001) montre bien
à l’enrichissement, à la gloire, mais une chance de
l’enjeu de toute situation d’apprentissage, de « construc-
trouver ou de retrouver un rythme propre à chacun pour
tion » : il s’agit d’opérer une transformation de perspec-
construire son destin, c’est-à-dire sa liberté. La carrière
tive, ce qui ne saurait être neutre et aisé pour l’individu.
202 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

est ce à travers quoi un individu peut se construire, des formes alternatives de management où l’huma-
grandir en conscience en dehors des mirages du « tou- nisme se trouve au cœur des interrogations et surtout
jours plus ». Des carrières ainsi définies se gèrent dans des actions. Finalement, parler de carrière conduit à se
une perspective collaborative et inventive, réalisée à placer dans une perspective sociétale, où la responsa-
hauteur d’homme et pour lui. bilité sociale n’est pas un discours désincarné, mais une
réalité mise en œuvre par des entreprises conscientes
Cela suppose enfin de situer la réflexion sur les carrières
de leur rôle politique, c’est-à-dire de leur influence dans
dans une perspective élargie de la fonction RH, incluant
la vie de la Cité.

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10

La rémunération en entreprise vue autrement :


l’importance des dimensions sociales et sociétales
Yves Hallée

La rémunération est classiquement abordée sous l’angle la rémunération est plongée et à montrer l’importance
de son apport à la performance économique de l’entre- de la prise en compte du social, dans le contexte autant
prise. Sa finalité stratégique se résume principalement externe qu’interne de l’organisation ; une sorte d’équi-
par l’adoption d’une approche contingente qui se traduit libre entre l’homo œconomicus et l’homo socialis. Nous
par un processus d’alignement du système de rémunéra- tenterons aussi de nous éloigner des prescriptions cano-
tion avec les stratégies et les objectifs organisationnels et niques centrées exclusivement sur l’instrumentalisation
les autres pratiques de gestion des ressources humaines. des pratiques de rémunération, qu’elle soit monétaire ou
Elle vise presque exclusivement l’amélioration de la per- non monétaire, que nous observons dans la littérature
formance économique et financière de l’organisation. sur le comportement organisationnel et la motivation
Pourtant, le concept de performance est multidimen- (Diez et Carton, 2013 ; Dugar, 2010 ; St-Onge et collab.,
sionnel et peut également inclure la performance sociale 2005).
et sociétale. Ainsi, comme la rémunération dite « straté- Dans ce texte, nous verrons, à la section 1, la conception
gique » est traditionnellement associée et utilisée pour stratégique classique centrée sur la performance éco-
accroître la performance économique de l’entreprise, nomique et financière et, à la section 2, une conception
nous proposons la considération, en rémunération, d’un stratégique proposée et axée sur la performance sociale,
autre type de performance, soit la « performance » sociale sociétale ainsi que sur l’échange social. Nous termine-
et sociétale de l’organisation. rons selon une voie synthèse qui s’exprime notamment
par un équilibre recherché entre les deux propositions.
Aussi, nous nous intéressons à la rémunération intan-
gible comme mode de reconnaissance des humains en
contexte organisationnel, notamment l’importance des
liens personnels et informels dans le fonctionnement La conception stratégique classique
des organisations. Ce sont les humains qui permettent de la rémunération : l’approche
aux organisations de s’enrichir et de prospérer. Le lien
social peut donc être « stratégiquement » important à
contingente ou l’alignement
préserver, en étant notamment favorable aux « bonnes » vertical et horizontal des pratiques
relations économiques. de rémunération
Dans ce chapitre, nous chercherons à sortir du cadre Bien que, pour certains, l’apport stratégique de la rému-
hégémonique des visés exclusivement économiques et nération est un souhait plus qu’une réalité (Richer et
des conceptions strictement matérialistes dans lequel Laflamme, 1997), la rémunération, tout comme la
 10   L a rémunér ation en entreprise vue autrement  : l’ importance des dimensions sociales et sociétales 207

gestion des ressources humaines (GRH), est largement plus commune, insiste sur l’« intégration des politiques et
inscrite dans une perspective stratégique1. Pour Lawler des pratiques à la stratégie d’affaires » ; cette cohérence
(2000a : 249), « le système de rémunération est un impor- avec les objectifs organisationnels est souvent présentée
tant déterminant de l’efficacité de la mise en œuvre comme déterminante en matière de performance orga-
d’une stratégie d’entreprise. Le système de récompense nisationnelle (Pichault et Nizet, 2013 : 25). Ainsi, « [l]es
peut jouer un rôle important sur la motivation pour le organisations doivent implanter les pratiques de rému-
développement d’une stratégie gagnante, mais sa plus nération qui vont susciter les comportements les plus
grande contribution à l’efficacité organisationnelle se compatibles avec les stratégies d’affaires » (Chênevert et
produit quand il légitimise et motive une organisation Tremblay, 2002 : 334). Dans une version qui s’écarte des
à mettre en œuvre sa stratégie ». L’objectif souhaité est courants dominants, il pourrait aussi s’agir d’une forme
d’influencer les comportements afin d’apporter une de cohérence du bas vers le haut, impliquant la participa-
contribution significative à l’efficacité organisationnelle tion des salariés et des gestionnaires à la définition de la
et individuelle pour ainsi induire un avantage compétitif stratégie de l’entreprise, ce qui démontre l’importance de
(Lawler, 2000a ; 1990 ; Sire, 1993). la contribution des salariés aux choix organisationnels
étant donné les compétences et les motivations à parti-
De haut en bas, la formulation de la stratégie en matière
ciper à l’amélioration des résultats de l’entreprise (ibid.).
de ressources humaines est intimement liée à la for-
mulation de la stratégie de l’entreprise2. La stratégie en Quant à l’alignement horizontal des pratiques (contin-
matière de gestion des ressources humaines a, à son gence horizontale), il concerne la cohérence interne
tour, un effet direct sur chacune de ses composantes, entre les pratiques de GRH d’un même contexte, témoi-
dont la rémunération. La gestion de la rémunération gnant d’une parenté profonde entre des pratiques de
consistera à orienter les décisions et les comportements sélection, rémunération, formation, etc. apparemment
des personnes salariées, et à mettre au service l’en- différentes, mais contingentes (Barette et Carrière, 2003 ;
semble des pratiques en matière de salaires, de primes Pichault et Nizet, 2013 : 113 ; Tremblay, Sire et Chênevert,
et d’autres incitations ainsi que les avantages sociaux et 1998). L’idée derrière l’alignement horizontal, c’est le
complémentaires, en fonction des visées et des straté- développement d’un ensemble de pratiques qui se ren-
gies organisationnelles (St-Onge, 2014). forcent mutuellement et qui sont interdépendantes, inté-
grées, complémentaires et synergiques (Kaufman, 2004,
La finalité du système de rémunération est contingente.
324-325). Par exemple, des pratiques de rémunération
Elle se déploie selon un processus d’alignement ( fit3) avec
auraient « une plus grande valeur ajoutée si elles [étaient]
les décisions stratégiques retenues par la direction géné-
utilisées pour appuyer des stratégies de développement
rale des entreprises (Gomez-Mejia, 1992 ; Gomez-Mejia et
organisationnel telles que les nouvelles formes d’orga-
Balkin, 1992 ; Lawler, 2000a, 2000b, 1990 ; Long, 2014 ;
nisation du travail, la gestion de la qualité et la culture
Milkovich, Newman et collab., 2014 ; Sire, 1993 ; St-Onge,
d’entreprise (Chênevert et Tremblay, 2002 : 335, citant
2014). Le lien du haut vers le bas, la représentation la
Cooke, 1994 et Kochan et Osterman, 1994). Pour Delery
et Doty (1996 : 809-811), la configuration idéale pour une
1. Voir le chapitre 1.
performance optimale serait la meilleure combinaison
2. En relations industrielles, cette notion de stratégie apparaît
horizontale des pratiques de GRH en adéquation avec
dans la théorie des choix stratégiques de Kochan, Katz et
McKersie (1986). Il s’agit essentiellement du même type de
la stratégie adoptée (best fit).
réflexion stratégique qu’en management qui consiste à déceler
les menaces et à saisir les occasions de l’environnement ou,
dit autrement, « décider quels évènements ou circonstances de La rémunération au service de la performance
l’environnement il faudrait exploiter » (Bellemare, 2015 : 40).
3. Dans ce papier, nous n’entrerons pas dans le débat concernant
économique et financière de l’entreprise
le meilleur effet sur la performance organisationnelle entre Cette démarche d’alignement avec les stratégies
le meilleur alignement (best fit) ou les meilleures pratiques
externes vise presque exclusivement l’amélioration
(best practices). En d’autres termes, nous ne jugerons pas de la
supériorité de l’une ou de l’autre des approches, qu’elles soient de la performance économique (Chênevert et Trem-
contingentes ou universelles. blay, 2002 ; Delery et Doty, 1996 ; Heneman, 1992). La
208 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

compétitivité organisationnelle (Allaire et Firsirotu, 1993) et Meckling, 1976), cela permettrait d’orienter les com-
et la viabilité économique de l’entreprise recherchées portements des gestionnaires vers la création de valeur
par les différentes stratégies organisationnelles sont les pour l’actionnaire (Sennett, 2000). Pour ces entreprises,
mantras à partir desquels se mouleront les pratiques la capitalisation boursière devient le guide incontesté de
de rémunération. Les gestionnaires devront donc être la gestion. Le risque est ainsi transféré vers l’entreprise et
attentifs à la « productivité », la compétitivité et la flexi- les salariés étant donné la mobilité des capitaux.
bilité des pratiques et des politiques de rémunération. Il
ne faut pas non plus surseoir à l’importance accordée
à la performance financière des entreprises, résultant La productivité des ressources humaines :
d’un environnement économique résolument financia- le rendement individuel, de groupe
risé (Allaire, 2011 ; Allaire et Firsirotu, 2009). Ce phéno- et d’entreprise
mène, qui devient un enjeu « stratégique », a notamment
Pour atteindre ses objectifs économiques et financiers
pour effet de diminuer la part du salaire de base dans la
(parts de marché, accroissement des profits, réduction
rémunération globale et d’accroître celle sous forme d’ac-
des coûts, augmentation du prix de l’action, etc.), le
tions (les régimes d’option d’achat d’actions, d’octroi d’ac-
management cherche à accroître la compatibilité des
tions, d’actionnariat, de participation au capital-actions,
comportements des salariés avec les stratégies d’affaires.
etc.) notamment chez les hauts dirigeants4 (St-Onge et
L’individu est ainsi conçu comme une ressource, un fac-
Magnan, 2008). Selon la théorie de l’agence5 (Jensen
teur de production qu’il importe de faire fructifier pour
atteindre ses objectifs. L’humain est à ce titre un potentiel
4. Les rémunérations extravagantes accordées aux hauts
à mobiliser et un capital à exploiter liés à une finalité
dirigeants sont pour Yvan Allaire (2011 : 3) un enjeu d’équité
sociale : « Ces niveaux de rémunération soulèvent des enjeux
économique.
d’équité et d’inégalité des revenus, lesquels peuvent avoir des
Dans cette quête et selon différentes théories de la moti-
répercussions sociales et politiques néfastes. L’indice le plus
fréquemment utilisé pour mettre ces enjeux en lumière est le vation, notamment les théories des attentes de Vroom6
rapport entre la rémunération des dirigeants et celle des autres (1964) et de l’équité d’Adams7 (1963 ; 1965), l’entre-
salariés de la société. » Pour plus d’informations sur cet aspect,
voir l’Url suivant consulté le 7 février 2015 : http://igopp.org/
wp-content/uploads/2014/04/allaire-l_americanisation_de_la_
remuneration_des_dirigeants_canadiens-10_janvier_12_2_.pdf. une relation d’agence entre un actionnaire (le principal) et un
haut dirigeant (l’agent). En octroyant la rémunération sous forme
5. L’origine de la relation d’agence et le questionnement qu’il
d’option d’achat d’actions, on tente d’orienter les comportements
soulève se situent aussi loin qu’Adam Smith (1723-1790) qui
du haut dirigeant vers la création de valeur pour l’actionnaire.
s’interrogeait sur l’inefficacité des organisations « dont la
Cette théorie de l’agence respecte les hypothèses standards de
direction est confiée à un agent non propriétaire qui ne serait
rationalité où chaque partie cherche à maximiser son utilité et
pas incité de ce fait à gérer au mieux les affaires qui lui sont
anticipe rationnellement l’effet d’une relation d’agence sur ses
confiées » (Coriat et Weinstein, 1995 :93). C’est Jensen et
résultats futurs.
Meckling, en 1976, qui donnèrent à cette théorie une définition
reconnue : « Nous définissons une relation d’agence comme 6. Cette théorie repose sur trois concepts clés : les attentes,
un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) l’instrumentalité et la valence. Les attentes concernent la
engagent une autre personne (l’agent) pour exécuter en son probabilité que les efforts permettent d’atteindre un certain
nom une tâche quelconque qui implique une délégation d’un niveau de rendement. C’est l’effet de l’effort sur le rendement.
certain pouvoir de décision à l’agent » (ibid.). Cette notion de Mais ce n’est pas tout. L’instrumentalité réfère à la probabilité
relation d’agence est très générale et pourrait inclure « toute d’obtenir les récompenses promises en retour du rendement
relation entre deux individus, telle que la situation de l’un exigé, c’est le lien entre le rendement et la récompense.
dépende d’une action de l’autre. L’individu qui agit est l’agent, Enfin, la même récompense doit être significative pour la
la partie affectée est le principal » (ibid.). Ainsi, pourraient personne qui la reçoit, ce qui fait que l’importance accordée
être traitées comme relation d’agence les relations entre un à la récompense conditionne la motivation (valence). C’est le
employeur et un salarié, un actionnaire et un haut dirigeant, etc. niveau de satisfaction du besoin individuel. Bref, les attitudes
Ce contexte incite donc à mettre en place un système d’incitation et les comportements au travail des employés résulteraient en
approprié et des moyens de surveillance et de contrôle de façon partie d’analyses coûts/bénéfices plus ou moins conscientes.
à limiter les comportements de l’agent qui n’iraient pas dans 7. C’est l’évaluation par les salariés du ratio contribution/rétribution,
le sens du principal (ibid. : 95) (les soulignés sont de nous). La c’est-à-dire la comparaison qui permet d’estimer dans quelle
convergence d’intérêt est souvent utilisée en rémunération dans mesure la distribution des ressources offertes leur paraît juste
 10   L a rémunér ation en entreprise vue autrement  : l’ importance des dimensions sociales et sociétales 209

prise pourrait choisir d’utiliser la rémunération, ciblant parts de marché, la mesure de profits, etc. Or, les indica-
le plus souvent les aspects financiers pour conforter teurs économiques et financiers peuvent être influencés
l’homme économique, afin d’accroître le rendement par un large éventail de facteurs internes et externes à
et la productivité individuelle, bref, le rendement des l’entreprise (Paauwe et Boselie, 2005 : 9). Le lien entre
ressources humaines (Heneman, 1992 ; Lawler, 2000a : les indicateurs de performance et les interventions en
150, 1990 : 13 ; St-Onge, 2000). Les modes de rémunéra- ressources humaines est trop ténu et la performance
tion tangible et financière liés au rendement individuel peut potentiellement être attribuée à d’autres interven-
(rémunération au mérite, rémunération incitative, à la tions organisationnelles (par exemple la recherche et le
commission, à la pièce, etc.) s’inscrivent dans le courant développement, les stratégies marketing, le leadership,
de l’approche du comportement organisationnel et de le secteur d’activité, la mise en œuvre des pratiques, etc.)
l’individualisation des pratiques de GRH et de rémuné- (Guest, 1997, cité par Paauwe et Boselie, 2005 : 9 ; Guest,
ration (Lawler, 2000b). Cependant, la mesure de la per- 2011). D’ailleurs, Guest (2011 : 3) indique qu’après « plus
formance individuelle est valide à la condition que le de deux décennies de recherches approfondies nous
travail de l’individu soit relativement indépendant de sommes encore incapables de répondre aux questions
celui des autres. La mesure de la productivité individuelle fondamentales sur la relation entre la gestion des res-
ne doit pas résulter du travail d’autres personnes ou être sources humaines et la performance. Cela est largement
influencée par celui-ci (Lawler, 2000a : 152). attribuable à la quantité limitée de recherches longitudi-
nales qui ont été en mesure d’aborder les liens entre la
Il y a aussi des formes de rémunérations basées sur
GRH et la performance ».
le rendement collectif qui vise à encourager le travail
d’équipe et la collaboration entre salariés (Schuster et L’incertitude qui entoure le lien entre les pratiques de
Zingheim, 1992). Elles sont choisies par l’organisation GRH et la performance organisationnelle n’invalide
qui privilégie l’atteinte d’objectifs de groupe (Welbourne cependant pas le questionnement sur l’exclusivité des
et Gomez-Mejia, 1991). indicateurs économiques et financiers pour mesurer la
performance. Le concept même de performance orga-
Enfin, nous pouvons également inclure comme formes
nisationnelle est multidimensionnel. Il peut inclure non
de rémunérations celles qui sont basées sur la perfor-
seulement les résultats économiques, mais aussi la per-
mance de l’entreprise, en l’occurrence le rendement de
formance sociale et sociétale8 basée sur une rationalité
la « collectivité » d’une entreprise. Nous y retrouvons par
normative ou relationnelle (Boxall et McKay, 2009 : 5 ;
exemple les régimes de partage des gains de productivité
Paauwe et Boselie, 2005 : 11). De la sorte, les employeurs
(gainsharing), de participation aux bénéfices, de partage
peuvent être concernés par la légitimité et l’accepta-
de succès, etc.
bilité sociale de leurs pratiques9 qui correspondent

La conception suggérée : 8. Suivant le changement de dénomination de responsabilité sociale


à responsabilité sociétale, voir l’Url suivant consulté le 3 mai
la rémunération au service de 2016, http://www.kurtsalmon.com/fr-fr/ressourceshumain/
vertical-insight/755/RSE- %3A-Une-dimension-Sociale-ou-
la performance sociale et sociétale Soci%C3%A9tale. Nous entendons également la performance

de l’entreprise (contexte externe) sociale comme l’amélioration des rapports et des relations
entre les individus, incluant les parties prenantes, et la
Une revue de littérature réalisée par Boselie et ses colla- performance sociétale comme une préoccupation accrue des
organisations pour la société d’appartenance, ses institutions
borateurs (2005) et citée par Paauwe et Boselie (2005 : 9)
et le développement durable.
montre que 50 % des indicateurs retenus dans les études
9. Un rapport de la société Mercer intitulé Shedding Light on
pour caractériser et mesurer la performance organisa- Responsible Investment : Approaches, Returns and Impacts, cité
tionnelle sont de nature financière, tels que les ventes, les dans Le Devoir, édition du 25 novembre 2009, soulignait un
« lien positif entre les facteurs environnementaux, sociaux et
liés à la gouvernance [indépendance du conseil d’administration
par rapport à leur contribution personnelle et comparativement et rémunération des dirigeants] et les rendements financiers
aux rétributions et aux ressources offertes aux autres employés. d’une société ». Il semble donc que la question de l’acceptabilité
210 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

aux normes sociales et aux attentes normatives10 de de responsabilité. Suivant la conception européenne
la société d’appartenance (Boxall, 2007 : 61). Les défis centrée sur l’objectif de développement durable (Com-
de la rationalité relationnelle peuvent, quant à eux, se mission européenne, 2001), la responsabilité sociale
traduire par l’établissement d’une relation de confiance serait institutionnelle. Au sens commonsien du terme,
dans des formes d’arrangements institutionnels avec les l’entreprise est aussi une institution11 et un groupe actif
parties prenantes basée sur des critères de légitimité, (going concern12 ). Ce statut d’« institution » « confère aux
d’acceptabilité, de justice, d’équité et de valeurs morales. entreprises une responsabilité implicite » de prise en
charge des problèmes sociaux avec les autres institu-
L’organisation n’est pas isolée du contexte dans lequel
tions (Pestre, 2013 : 24). S’appuyant sur les travaux de
elle prospère et ce contexte lui a bien souvent servi
Polanyi, Laville (2008 :3) précise « combien l’autonomi-
(éducation, infrastructure, droit de propriété, investisse-
sation de l’activité économique est un projet politique
ment public, etc.). Il y a donc implicitement une forme de
auquel peuvent être confrontés d’autres choix […]. [L]a
« contrat social », une réciprocité nécessaire à la prospérité
plupart des marchés existants sont encadrés par des ins-
économique de l’entreprise qui, à son tour, contribue à
titutions qui élaborent en particulier des règles sociales
l’épanouissement social et sociétal. Suivant l’institution-
ou environnementales ». Ces règles peuvent être modu-
nalisme des origines (Commons, 1959) et la philosophie
lées par des critères d’acceptabilité sociale où ce n’est pas
pragmatiste (Dewey, 1967, p. 84, 92, 101), il y a une
nécessairement l’entreprise qui impose son programme
forme constante d’interaction de l’entreprise avec son
social, mais bien la société qui délimite ce qui lui paraît
environnement, ce qui fait qu’elle ne peut être appré-
« acceptable et raisonnable13 » de faire et de ne pas faire
hendée distinctement, c’est-à-dire considérée comme
(Commons, 1959).
une unité d’analyse séparée du contexte externe dans
lequel elle s’insère. En plus de ne pas être une organi-
sation à l’écart, l’entreprise ne remplit pas qu’une seule
fonction sociétale de production économique de biens et
de services, elle est intégrée à l’ensemble de la société et 11. Bazzoli et Dutraive (2002 : 10) nous apprennent que Commons
et Veblen considéraient l’entreprise comme « l’institution
a un effet indubitable sur les problématiques sociétales, économique centrale du capitalisme ».
ses structures et son futur (Wartrick et Wood, 1998 : 68). 12. Ces organismes structurés, formellement ou informellement
Cette interaction dépasse la conception déterministe, constitués, ce que d’autres auteurs désignent communément
unilatérale et relativement statique de la théorie de sous le terme institution (famille, corporation, syndicat,
association de commerce, etc.), Commons les désigne sous le
la contingence, c’est davantage un « rapport d’interac-
vocable de going concern (Morel, 1996 : 74 ; Ramstad, 1993 : 56).
tion dynamique entre des normes externes et internes Un going concern, c’est une « collectivité dont l’action individuelle
de l’entreprise » (Léonard, 2011 : 141). Selon les néo-­ des membres est contrôlée par un même type d’action collective,
institutionnalistes (Hall et Soskice, 2001 ; Hollingsworth de coutumes et de règles opérantes formelles et informelles »
(Morel, 1996 : 142). Ce qu’il est important à retenir, c’est que la
et Boyer, 1997), poursuit Léonard, en plus d’être orientée
« société est appréhendée comme un réseau interconnecté de
par un ensemble institutionnel spécifique qui consiste en formes d’action collective […]. [L]a corrélation des différents
normes et règles formelles et informelles, c’est-à-dire des champs de la société est nécessaire à sa régulation, à l’activité
conditions de l’extérieur qu’elle doit prendre en compte, des organisations et la dynamique des transactions » (Bazzoli et
Dutraive, 2002 : 6).
l’entreprise, par la connaissance de son contexte, peut
13. Cette question incontournable du raisonnable est au centre
à son tour l’influencer (ibid., 144-145). L’organisation
de l’analyse commonsienne lorsqu’il traite d’une dimension
jouerait un rôle, puisque cette interdépendance avec le normative acceptable (Gislain, 2003 : 18-19). Ce principe
contexte dans lequel elle évolue lui confère une forme éthique permet d’orienter le processus de résolution de conflits
vers un ordre social acceptable, lequel englobe les pratiques
jugées préférables d’une société donnée (Commons, 1959 :
683-684). Il faut cependant surseoir à une perception idyllique
sociale des pratiques ait un effet sur le type de performance du raisonnable. Cette idée du raisonnable implique une large
à privilégier. part de discussion, de persuasion et de confrontation et, le cas
10. Le courant de responsabilité sociale et même éthique des échéant, de concessions avec le contexte et les dispositions de
entreprises pourrait potentiellement s’inscrire dans ce respect l’autrui collectif. Une action raisonnable reflète normalement
des attentes normatives de la société d’appartenance. l’état réel de l’ensemble citoyen (Atkinson et Reed, 1992 : 470).
 10   L a rémunér ation en entreprise vue autrement  : l’ importance des dimensions sociales et sociétales 211

Porter (1980) suggère l’intégration de la responsabilité sociale » (Polanyi, 1983 : 79) et « l’idée même d’économie
sociale à la stratégie comme une responsabilité à saisir14. [telle que nous la connaissons] est récente » (ibid. : VII).
Ce dernier propose d’inclure dans les visées stratégiques
C’est la transformation historique, c’est-à-dire « le rem-
la protection de l’environnement, l’éducation, le bien- placement d’un système économique par un autre, qui a
être des populations de son environnement immédiat, joué un rôle décisif. […L]e “système idéal” de la nouvelle
etc. Dans cette perspective de prise en compte du social économie exigeait impitoyablement que l’être humain
dans la « stratégie », la rémunération peut notamment renonce à son statut social. […] La grande tragédie qui
« concourir à stimuler et à récompenser des comporte- accompagna la Révolution industrielle fut amenée […]
ments éthiques, d’engagement social et de protection par la dévastation sociale causée par un système qu’on
ne maîtrisait pas, l’économie de marché. Les hommes
de l’environnement […], enjeux liés au développement
étaient incapables de percevoir l’importance de la cohé-
durable » (Pozzebon et collab., 2007 : 105). Il pourrait
sion de la société (les soulignés sont de nous). […] Il n’y
s’agir d’objectifs de rémunération qui encouragent le a aucun moyen de revenir en arrière […]. Ce qu’il faut à
rendement « responsable ». notre époque, c’est réaffirmer, pour ses propres condi-
tions d’existence et pour ses propres besoins, les valeurs
Ainsi, la rémunération pourrait servir de levier, à tout le
essentielles de la vie humaine (Polanyi, 1983 : 396-397).
moins d’incitation, afin d’encourager les actions et les
comportements des personnes salariées qui concourent Ainsi, les activités économiques concernent non seule-
à la performance sociale et sociétale des organisations ment les activités marchandes, mais également celles
puisque les entreprises-institutions sont partie prenante non marchandes et non financières (Lévesque, Bourque
de la société et en interaction permanente avec l’envi- et Forgues, 2001 : 61) ; « toute économie est sociale, son
ronnement dans un contexte d’articulation du social et désencastrement du social étant lui-même une produc-
de l’économique. tion sociale et politique », une construction imposée de
l’objet (ibid. : 57). Cette « économie » au service d’une
conception « politique » et faisant fi de la pluralité des
L’importance des liens sociaux et de formes de l’activité économique (économie solidaire,
la reconnaissance au travail (contexte interne) économie sociale, etc.), renvoie même à la notion
d’ordre naturel « selon laquelle, “[e]n dehors de toute
Les phénomènes économiques ne sont pas distincts des
contrainte artificielle, les phénomènes économiques […]
autres phénomènes sociaux ; ils se trouvent dispersés
se déroulent librement, suivant un ordre imposé par la
et étroitement imbriqués (embeded) dans le tissu social
nature, régi par des lois naturelles. Ce sont ces lois natu-
(Polanyi, 1983 : VII). Mauss soutient sensiblement la
relles qu’il s’agit de connaître et ensuite de laisser jouer”.
même chose lorsqu’il parle « du don ou de l’échange
Ces lois sont “naturelles” au sens où on ne saurait leur
comme [un] “phénomène social total” où s’enchevêtrent
échapper : elles s’imposent nécessairement à la volonté
aspects économiques, religieux, juridiques et autres, de
des êtres humains » (Morel, 2004 : 6 citant Hugon15,
sorte que les séparer analytiquement ne saurait suf-
1946 : 78). Sous l’influence hégémonique de la théori-
fire à comprendre de quoi il s’agit » (ibid.). L’échange
sation néoclassique et de l’action des principaux propa-
ne saurait être détaché de l’économie et ferait partie
gandistes, cette économie tend à se désencastrer des
du rapport marchand. Il n’est cependant pas réductible
institutions et des sociétés qui l’ont élaborée et régulée
aux seuls échanges marchands qui ne sont « qu’un type
pour répondre à un certain nombre de leurs besoins
d’échange particulier au sein de la sphère plus générale
(Palpacuer, 2015 : 142). Or, « [p]our rompre avec une
de l’échange » (Le Bot, 2002 :27). « En fait, le système
conception de l’action économique qu’il qualifie d’ato-
économique est une simple fonction de l’organisation
misée, Granovetter [a remis à l’ordre du jour] le concept
d’encastrement, qu’il a emprunté à Polanyi (1983). Il
14. Nous pourrions y voir une conception instrumentale de la
affirme ainsi que l’action économique est « encastrée »
responsabilité sociale où l’accent est mis sur sa contribution
potentielle « en tant que facteur de différenciation et source
d’avantage concurrentiel pour l’entreprise sur son marché
(Porter et Kramer, 2006) » (Palpacuer, 2015 : 147). 15. P. Hugon, Les doctrines économiques, Montréal, Fides, 1946.
212 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

au sein de réseaux de relations personnelles » (Laville, inter ou entre-action qui mettrait en rapport des acteurs
2008 :3). économiques déjà constitués et autonomes dans leur
logique comportementale. L’approche transactionnelle
En plus, dans les échanges sociaux qui font partie du rap- défend plutôt l’idée selon laquelle les acteurs écono-
port marchand ou qui l’accompagnent, c’est la réciprocité miques sont toujours en situation de rapports réciproques
qui domine le comportement (Polanyi, 1983 :80). Cette avec autrui, en trans-action avec un ou plusieurs autres
perspective est également conceptualisée chez Mauss acteurs économiques.
par le don et le contre-don qui s’observent dans le trip- Cette question du lien social chez Commons est néces-
tyque « donner, recevoir et rendre » (Alter, 2009 :28) et qui saire à la cohésion entre individus au sein des entités
« structure la coopération entre firmes, entre employeurs collectives afin que ces dernières puissent être mainte-
et salariés ou entre salariés » (Alter, 2002 : 264). Bien que nues en fonction (Morel, 2003 : 121). Les sujets agissant
les échanges sociaux impliquent la coopération et la dans le monde du travail ne sont pas des êtres vraiment
capacité de coopérer16, caractéristiques du monde du tra- autonomes (Gislain, 2003) ; ils sont en fait largement
vail (Alter, 2002), cette forme de contribution, la relation interdépendants. Personne ne peut vivre ou prospérer
de coopération (ibid. : 276), est plus rarement, à notre seul. La subsistance individuelle est inévitablement liée
connaissance, rétribuée ou considérée. Cela peut créer à la relation de dépendance avec autrui, à l’interdépen-
une distance sociale néfaste à l’échange économique. dance première entre individus (Commons, 1959 : 118).
Pourtant, l’échange social a des vertus économiques. L’organisation sociale est ainsi un lieu d’intérêts mutuelle-
« [T]outes les observations menées par la sociologie du ment dépendants donnant lieu à des actions concertées.
monde du travail montrent que l’efficacité de la firme
suppose une capacité à coopérer et que la coopération Puisque le maintien des liens sociaux est essentiel, nous
est toujours un échange social (Alter, 2006 : 139). Pour pourrions attribuer à la reconnaissance des vertus liées à
Zaoré (1994 : 299), « une des conditions majeures du la consolidation du lien social. Polanyi soutient que le but
dynamisme organisationnel est la qualité des relations de tout être humain est d’obtenir de la reconnaissance.
entre les différents acteurs organisationnels ». La pro- L’accumulation de la richesse ne devrait pas être le seul
duction de biens et de services exigerait donc un certain élément de reconnaissance sociale. Mauss et Polanyi
degré de coopération17. Une organisation est bien plus ont une critique commune à l’égard de l’intérêt matériel
que la somme des personnes prises individuellement. Ce « comme seule motivation individuelle dans la sphère
qui fait la différence, ce sont les relations (trans-action) économique » (Laville, 2008 : 8). L’individu ne peut donc
entre les personnes (Commons, 1959). Gislain (201118 ) pas être « compris comme davantage intéressé par la
souligne que finalité matérielle de l’échange que par la vie de la rela-
tion » (Pihel, 2010 : 197). Les éléments qui composent
[l]’activité économique ne doit donc pas être analysée
les interprétations à partir d’une conception matérialiste
comme une relation entre l’homme et la nature, comme
de la théorie du contrat psychologique19 « atrophient,
le pense l’économie traditionnelle, mais comme une rela-
tion entre les hommes. Cette dernière relation est plus
précisément une trans-action et non pas simplement une
19. Citant Rousseau (1989), Pihel (2010 : 196) précise que « [l]e
contrat psychologique renvoie aux “croyances d’un individu
concernant les termes et les conditions d’un accord d’échange
16. Évidemment, c’est une relation pacifique de coopération que
réciproque entre lui-même et une autre partie” ». Le contrat
nous promouvons. En cela, elle est opposée au don agonistique,
« naît lorsqu’une partie croit qu’une promesse en un retour a
c’est-à-dire le pacte avec l’ennemi (Caillé, 2002 : 78 cité par Alter,
été faite par l’autre partie, et donc que, si elle lui apporte une
2002 : 264).
contribution, elle l’oblige en retour pour un bénéfice futur »
17. Il ne faut pas sous-estimer le fait qu’aujourd’hui cette coopération (ibid., citant Rousseau, 1990). C’est une entente construite à
s’étend entre les firmes (entreprise-réseaux) et avec les autres la fois sur des éléments tacites, implicites ou explicites, sur
institutions (État, organismes communautaires, etc.). des promesses de l’entreprise, autant d’obligations perçues
18. Jean-Jacques Gislain, « Pourquoi l’économie est-elle nécessai­ et envisagées par le salarié et l’employeur. C’est un principe
rement instituée ? Une réponse commonsienne à partir du de réciprocité et d’équilibre du rapport de contribution et de
concept de futurité », Revue Interventions économiques, [En ligne], rétribution qui est au centre de la relation d’échange : je donne
42 | 2010, mis en ligne le 1er décembre 2010, consulté le 9 février pour recevoir ; tant qu’il y a réception, tout va (les soulignés
2016. URL : http://interventionseconomiques.revues.org/1195. sont de nous) (Pihel, 2010).
 10   L a rémunér ation en entreprise vue autrement  : l’ importance des dimensions sociales et sociétales 213

excluent certaines influences (symboliques, identitaires économique se révèle la plus significative face à l’enga-
notamment), traitent le lien social comme un objet gement. « Pour beaucoup de personnes, le travail prend
annexe » (ibid.). Le don reste trop souvent analysé comme une importance excessive dans la quête d’identité et le
la contribution et le contre-don comme la réciproque besoin d’épanouissement personnel (Brun, 1999). Par
« matérielle » nécessairement recherchée et attendue. La conséquent, leurs attentes de reconnaissance ont ten-
réalité sociale serait de la sorte le fait d’individus calcula- dance à être très élevées dans cette sphère de vie » (Brun
teurs qui raisonnent en fonction d’une utilité espérée. La et Dugas, 2008 : 718). Cependant, les études démontrent
théorie du don et contre-don de Marcel Mauss s’applique « la présence d’un décalage entre ce besoin de recon-
à la relation d’emploi comme « lien social » pour com- naissance et les pratiques de gestion des ressources
prendre tout ce qui se joue dans le travail et expliquer humaines », trop souvent orientées par la domination et
l’investissement de l’individu dans l’expérience de travail, le contrôle (Brun et Dugas, 2005 :79).
ce qu’il donne de lui, de sa personne, de son temps et
Suivant la logique du don, la reconnaissance peut conso-
de ses sentiments, sans y voir d’intérêts instrumentaux,
lider le rapport avec l’autre ; « [l]e don n’est-il pas en effet
purement calculés ou purement intéressés (Alter, 2009).
le moyen par lequel s’opère la reconnaissance de l’autre
Il faut donc sortir du carcan utilitariste et nous croyons
à la fois dans son altérité et dans son identité ? » (Caillé,
possible, par la reconnaissance, d’être en mesure d’ap-
2004 : 5). Concourir à rétribuer de façon non financière
précier l’humain dans sa totalité. « Plus personne ne peut
l’expérience de la solidarité, une des trois formes de la
sérieusement affirmer que le gouvernement des entre-
constitution de l’identité personnelle et de reconnais-
prises est le fait du prince ou de l’agrégation d’individus
sance chez Honneth (2002) donnant accès à l’estime
mus par la seule recherche de l’intérêt personnel » (Alter,
de soi, peut très bien s’imaginer dans un contexte orga-
2002 : 263).
nisationnel mû par une nécessaire collaboration (Alter,
Bien que cette vision économique/utilitariste puisse 2009).
nourrir la capacité de consommer, ce désir de toujours
La disparition de ces relations de reconnaissance
en vouloir plus ne satisfait rien ni ne résout rien. Il débouche sur des expériences de mépris et d’humi-
peut même conduire à des problèmes d’aliénation qui liation qui ne peuvent être sans conséquence pour la
amènent certaines personnes à accepter n’importe quoi : formation de l’identité de l’individu (les soulignés sont
« Tu as un bon salaire, de quoi tu te plains ? » Pour notre de nous). Dans cette connexion étroite entre reconnais-
part, nous pensons que la reconnaissance non financière sance et socialisation […], nous ne pouvons nous repré-
et symbolique peut donner plus de sens au travail. senter l’intégration sociale que comme un processus
d’inclusion qui se joue à travers des formes réglées de
En effet, cette quête de la reconnaissance est généralisée reconnaissance : aux yeux de leurs membres, les sociétés
(Akremi, Sassi et collab., 2009 ; Lazerri et Caillé, 2004 ; sont constituées d’arrangements et d’institutions qui ne
Fraser, 2004, 2011 ; Honneth, 2000, 2002, 2004, 2008). sont légitimes que pour autant qu’ils sont en mesure de
« La gestion des personnes, c’est d’abord la reconnais- garantir, sur différents plans, le maintien de rapports
de reconnaissance réciproque authentiques (Honneth,
sance […] de l’originalité de la personne » (Thévenet,
2004 : 134).
2003 :2). Brun et Dugas (2008 : 717) montrent que c’est
l’une des plus grandes sources de mobilisation et d’en- Avec pour objectif la préservation et la consolidation
gagement organisationnel20. La reconnaissance non des liens sociaux, l’amélioration de la qualité de vie au
travail et la promotion du développement humain, nous
sommes d’avis que la reconnaissance et la rémunéra-
20. À titre informatif, selon les études rapportées par Allen et
tion non financière ou intangible peuvent contribuer
Meyer (1990), l’engagement organisationnel des individus se
conceptualise en trois formes. Il y a l’engagement affectif qui se positivement au développement socioéconomique des
caractérise par un attachement de l’individu à son organisation organisations. C’est une forme de contingence interne
et ses valeurs, ce qui peut se traduire par un processus
d’identification et d’implication. L’engagement de continuité
est l’attachement provoqué en raison des coûts financiers et demeurer dans l’organisation. C’est une forme de croyance
non financiers associés au départ. Enfin, l’engagement normatif morale que c’est la chose à faire. À noter que l’importance de
s’interprète comme un sentiment d’obligation intrinsèque de ces dimensions varie selon les auteurs cités.
214 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

que d’associer la rémunération à des « pratiques » de ges- Quant aux actions ou gestes de reconnaissance, ils ne
tion des ressources humaines qui visent entre autres la se limitent pas aux biens, services, montants forfaitaires,
qualité de vie au travail, la coopération, l’engagement et concours, mentions honorifiques, remerciements et prix.
le développement humain. Mais qu’est-ce que la rému- Ils s’expriment également à travers la communication,
nération intangible ou non financière et comment peut l’expression de reconnaissance à des personnes méri-
se traduire la reconnaissance ? tantes de façon informelle et spontanée, en personne,
par courriel, au téléphone, etc. Il peut s’agir de compor-
tement de reconnaissances témoignant de l’appréciation
La rémunération intangible ou non financière de la contribution au travail ou de la confiance exprimée
et les gestes ou actions de reconnaissance au moyen d’une tape dans le dos, d’une poignée de
Nous pensons que plusieurs sont d’avis que le salaire main. Nous pouvons aussi exprimer de la reconnais-
n’est pas nécessairement le facteur prédominant qui sance en nous montrant prêts à aider ceux qui sont dans
incite à demeurer dans une organisation, mais bien la le besoin, en nous informant de ce qu’ils vivent et en
qualité des relations, les liens sociaux que nous y retrou- nous préoccupant de leurs situations, en leur deman-
vons, etc. La rémunération intangible et la reconnais- dant un avis, en les faisant participer à un projet, en les
sance peuvent contribuer à consolider et à cimenter accueillant avec le sourire, en témoignant de l’empathie
le lien social si essentiel à la coopération nécessaire à et de l’intérêt à leur égard, etc. Cela peut passer par la
l’efficacité des organisations. La préservation du lien visibilité, comme féliciter un employé devant ses pairs,
social devient dans ce contexte largement stratégique. souligner les réalisations d’un employé ou d’un groupe
L’inscription de cette préoccupation dans la stratégie de d’employés, tout en étant exempt de favoritisme, etc.
l’entreprise trouve appui dans la forme évoluée de la Soulignons enfin que la reconnaissance peut passer par
contingence du bas vers le haut (Pichault et Nizet, 2013) la modification des conditions de travail, responsabi-
vue à la section 1. lités spéciales ou supplémentaires par exemple (ibid. :
319-320). Surtout, « la reconnaissance au travail est une
St-Onge (2014 : 11) précise « que les employés accordent pratique qui consiste à témoigner, de façon authentique
beaucoup d’importance aux aspects plus intangibles de et constructive22, de l’appréciation » (Brun, 2008 : 22).
leurs conditions de travail, comme le plaisir au travail, la
qualité des relations interpersonnelles, les sentiments de Dans cette optique d’humanisation des lieux de travail,
sécurité et d’accomplissement, les possibilités de déve- nous pourrions envisager ce que nous retrouvions au
loppement de carrière ou encore les défis du travail et la début du siècle et qui réfère au bien-être de l’employé
variété de celui-ci. Les employés les prennent en consi- (employee welfare), sans pour autant tomber dans les pièges
dération lorsqu’ils décident de grossir les rangs d’une d’une gestion paternaliste. Ce mouvement se traduisait par
entreprise ». Nous retrouvons ainsi ce que nous savions l’instauration d’une variété de bénéfices non financiers,
déjà, à savoir les effets bénéfiques qu’un travail est sus- tels que le fait de souligner à l’intérieur de l’entreprise
ceptible d’avoir « sur l’estime personnelle, l’autonomie et des évènements sociaux, de mettre à la disposition des
la confiance en soi » (ibid.21). employés des bibliothèques et des salles de lecture, des
infirmières et médecins, etc. (Kaufman, 2003 : 42). Aussi,
les premiers programmes sociaux de protection (welfare
programs) avaient pour objectif d’améliorer les relations
21. Il nous apparaît cependant problématique que l’auteure ait
et d’augmenter la coopération entre les employeurs et
choisi d’insister sur les composantes tangibles et extrinsèques les employés. Pour ce faire, les managers cherchaient un
de la rémunération globale dans son ouvrage, « en raison, [dit- alignement des intérêts des deux parties par l’implantation
elle], des nombreux outils et techniques permettant de les
déterminer » (St-Onge, 2014 : 11). Nous y voyons pour notre part
l’expression d’une domination technocratique et rationnelle, 22. C’est nous qui soulignons. Précisons que le titre de l’ouvrage
outils de gestion des ressources humaines et de la rémunération de Brun (2008) duquel est tirée cette citation, Les 7 pièces
qui donnent l’impression au gestionnaire d’avoir une maîtrise manquantes du management, nous rend un peu dubitatif et laisse
du réel permettant d’exercer son pouvoir et d’avoir du contrôle entrevoir des pratiques largement prescriptives, découlant du
sur les personnes (Chiapello et Gilbert, 2013 ; Taskin, 2011). courant des pratiques d’excellence (best practices).
 10   L a rémunér ation en entreprise vue autrement  : l’ importance des dimensions sociales et sociétales 215

de nouvelles formes de compensation, de meilleures tenue à une forme de réciprocité, contribuant ainsi à
conditions de travail et d’un contact plus proche entre les l’évolution sociale et sociétale.
managers et les ouvriers (Kaufman, 2008 : 76-78).
C’est dans la quête d’un certain équilibre entre les
Enfin, pour conclure cette section, une mise en garde aspects économiques et sociaux que nous concevons
s’impose. Il est important de comprendre que nous n’at- les décisions en matière de rémunération. Cette finalité
tribuons pas à ces pratiques de rémunération des vertus permettrait à l’organisation d’évoluer, pour reprendre la
universalistes donnant les mêmes résultats partout (best ­terminologie de Commons, selon la doctrine du capita-
practices). Ces dernières doivent impérativement être lisme « raisonnable ». Cette notion de « capitalisme raison-
modulées selon le contexte particulier de l’organisation nable » promeut la participation des parties prenantes
et les individus qui la composent pour préserver juste- aux décisions qui les concernent et à la définition com-
ment ce caractère d’authenticité. C’est la raison pour mune des destins économiques. Peu importe la spéci-
laquelle nous sommes également d’avis qu’il y a une ficité ou les caractéristiques de l’acteur individuel ou
nette distinction à faire entre les meilleures pratiques collectif, cela passe notamment par la considération des
et les bonnes pratiques (Pichault et Nizet, 2013). Nous intérêts des parties prenantes touchées par les pratiques
considérons l’utilisation de la reconnaissance et de la économiques, ce qui s’assimile à « la défense d’une maî-
rémunération intangible comme une bonne pratique qui trise sociale de l’économie » (Bazzoli, 2000 : 158). Nous
doit nécessairement être au diapason des particularités avons vu également que ce capitalisme raisonnable n’in-
individuelles et organisationnelles, sans pour autant bien valide pas les tensions et les conflits, qui sont normaux
sûr se substituer à de mauvaises pratiques de rémuné- dans les sociétés et les organisations. Ces tensions entre
ration tangible. les deux forces critiques circonscrites, la productivité et
le social, doivent être réconciliées puisque chacune des
dimensions contribue à l’autre. Une entreprise doit faire
des profits pour survivre et permettre de bonnes condi-
La conception proposée : tions sociales. Pour cela, elle doit veiller au maintien du
la recherche d’un équilibre lien social et promouvoir des échanges harmonieux et
entre la performance économique coopératifs indispensables à l’activité marchande.
et la performance sociale En s’appuyant notamment sur le néo-institutionna-
et sociétale de l’organisation lisme24, la théorie de la balance stratégique (Strategic

Nous avons vu que nous ne pouvions réduire l’entre-


prise à une entité strictement économique car cela 24. Le nouvel institutionnalisme qui débuta dans les années
équivaudrait à nier au rapport marchand toute forme 1980 avec Selznick, Meyer, Rowan, Scott, DiMaggio, Powell et
d’échange social. Nous ne pouvons pas non plus attri- Zucker, ne doit pas être confondu avec l’institutionnalisme de
Commons (old institutionnalism). Au-delà du choix des pratiques
buer à l’organisation une existence strictement sociale,
les mieux adaptées aux exigences économiques, l’organisation
dénudée de tout intérêt économique. Bien qu’il soit légi- se conformerait davantage aux attentes contextuelles en
time dans une société capitaliste de faire des profits, adoptant des pratiques qui semblent les mieux acceptées
cela ne doit, en aucune manière, se faire à n’importe socialement, ce qui leur permettrait de renforcer leur légitimité et
de favoriser leur survie. DiMaggio et Powell (1983) précisent que
quelles conditions. En tant qu’institution participante au
les pratiques des organisations deviennent largement similaires
devenir collectif, l’organisation qui se développe et qui parce qu’elles appartiennent à un même champ organisationnel,
prospère compte tenu de son contexte (qualité de la c’est-à-dire connectées et structurellement équivalentes (des
main-d’œuvre23, infrastructure, qualité de vie, etc.) serait produits et services similaires partagent les mêmes fournisseurs,
des ressources similaires ou des consommateurs identiques,
etc.). Le champ organisationnel est un concept clé « puisqu’il est
l’espace privilégié à l’intérieur duquel se jouent les interactions
23. La qualification de la main-d’œuvre est l’un des plus puissants essentielles pour l’activité de l’organisation et où se forment les
déterminants de la productivité. Ce sont les établissements règles et les normes qui encadrent et régissent ses relations »
d’enseignement d’une société donnée qui fournissent (Rubinstein, 2006 :33). Pour DiMaggio et Powell (1983 : 148
principalement cette main-d’œuvre. cité par Rubinstein, 2006 :33), le champ organisationnel se
216 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

balance theory) (Paauwe et Boselie, 2005 ; 2007) revêt un Figure 1 Théorie de la balance stratégique25
certain intérêt quant à l’équilibre promu entre les facteurs
économiques et les facteurs sociopolitiques du contexte
externe. Selon cette position, les organisations doivent Productivité Les relations et les dimensions sociales
composer avec deux forces de l’environnement externe. Flexibilité Légitimité et acceptabilité sociale
(valeurs (valeurs sociales)
D’un côté, nous retrouvons la compétitivité, basée sur
économiques)
une rationalité économique qui incite les organisations à
faire des efforts ou à chercher à maintenir un avantage
Mais il y a plus. Nous avons vu que les phénomènes
concurrentiel afin de se différencier de la concurrence.
économiques ne sont pas limités aux environnements
De l’autre côté, il y a les pressions isomorphistes basées
des institutions. Ils ne sont pas qu’une donnée externe
sur une rationalité normative, qui incite les organisations
inéluctable à laquelle il faut s’adapter, comme une entité
à devenir davantage similaires afin d’obtenir la légitimité
biologique à la merci de son environnement. Ils sont
nécessaire dans leur champ organisationnel. Cette légi-
aussi façonnés par les interactions et l’action individuelle,
timité est requise afin d’acquérir les ressources néces-
ce qui indique que d’autres choix sont possibles, d’autant
saires pour développer une certaine crédibilité auprès
plus que l’organisation est en interaction avec son envi-
des consommateurs, fournisseurs et gouvernements.
ronnement et sa fonction d’institution et de groupe actif
Appliquée à la GRH et à la rémunération, la viabilité fait d’elle un acteur influent. Cela s’explique par la défi-
organisationnelle serait à long terme assurée par l’équi- nition extensive de l’institution chez Commons. Briève-
libre entre les rationalités économique et relationnelle ment, pour l’institutionnalisme, le concept d’institution se
dans l’élaboration des pratiques (ibid. : 178). Bien que les définit comme « l’action collective en contrôle de l’action
organisations poursuivent des objectifs économiques en individuelle » (Commons, 1959 : 69). Toutefois, le contrôle
mettant l’accent sur la création de valeur, elles doivent de l’action collective transcende la simple contrainte
également relever le défi de la rationalité relationnelle ou puisqu’il y a trois formes de contrôle de l’action indivi-
normative. Cela implique l’établissement d’une certaine duelle : la contrainte, la libération et l’accroissement (ou le
relation de confiance avec les parties prenantes basée prolongement) (ibid. : 73). Ainsi, en plus de contraindre,
sur des critères de légitimité, de justice et de valeurs ce qui limite le champ d’action des individus, l’action
morales. Cette perspective distingue les objectifs de collective peut également libérer l’action individuelle
productivité et de flexibilité de ceux qui sont relatifs à « de la coercition, de la contrainte, de la discrimination »
la légitimité sociale afin de pouvoir atteindre un certain (ibid.) exercées par les autres en imposant des restrictions
niveau de viabilité. C’est donc une dialectique, des ten- qui empêchent que ces dimensions se produisent. L’ac-
sions entre deux pôles, des forces complémentaires et tion collective peut aussi prolonger l’action individuelle
contradictoires. Ces tensions entre deux forces critiques au-delà de ce que l’individu peut faire lui-même. Elle
opposées doivent être réconciliées pour la survie à long permet l’expansion et est un puissant multiplicateur des
terme de l’organisation. La rémunération peut être le volontés individuelles. Elle agit comme levier en mettant
vecteur de réconciliation de ces tensions. en place des moyens collectifs matériels ou immatériels
qui augmentent la capacité d’actions individuelles (ibid. :
définit comme étant constitué « d’organisations qui, ensemble, 157-158). Cela a pour conséquence la possibilité pour
constituent un espace reconnu de la vie institutionnelle :
l’acteur individuel de faire évoluer l’action collective. C’est
fournisseurs, consommateurs de ressources intermédiaires et
de produits finis, agences de régulation, ainsi que toutes les un processus de sélection artificielle26 en lieu et place de
autres organisations qui produisent des services et des produits
similaires ». C’est donc un concept plus large « que celui du secteur
ou de marché, où l’on considère uniquement les entreprises 25. Figure 1 librement inspirée de la théorie de la balance stratégique
en concurrences entre elles » (Rubinstein, 2003 :33). Ainsi, de Paauwe et Boselie (2005 ; 2007).
ces organisations du même champ organisationnel seraient 26. Pour comprendre l’orientation, la direction de l’évolution, il
soumises, non seulement aux pressions des mécanismes du importe de saisir la volonté derrière le processus, c’est-à-dire
marché, mais également au partage d’un même domaine de le choix entre plusieurs occasions sur ce qu’il est possible de
vie institutionnel qui structure les valeurs, normes, règles et faire (Ramstad, 1994 : 67). Cette volonté humaine en action
croyances (Paauwe et Boselie, 2007 : 173). est le facteur central qui façonne l’orientation de l’évolution
 10   L a rémunér ation en entreprise vue autrement  : l’ importance des dimensions sociales et sociétales 217

la sélection naturelle, détournement du darwinisme à d’autres termes, les bonnes pratiques de rémunération
des fins économiques. C’est ainsi que les actions indivi- peuvent inspirer aux autres institutions ou organisations
duelles et organisationnelles peuvent faire progresser les de nouvelles règles et possibilités de détermination de
sociétés, d’autant plus que le groupe actif est un concept la rémunération. En appui à cette ambition, soulignons
élastique, d’un petit groupe au plus grand, dans lequel les un principe que plusieurs soutiennent et selon lequel
individus sont engagés dans une coordination continue aucune entreprise ne gère sa rémunération en faisant fi
des activités dirigées vers une finalité future (Ramstad, de son « marché » de référence, c’est-à-dire ce qu’offrent
1990 : 61, 74). L’économie est appréhendée comme une les autres organisations de même taille, du même secteur
myriade de groupes actifs interreliés (Commons, 1959 : qui proposent le même type de produits et services ou
619). L’action collective est en contrôle au niveau tant qui cherchent le même type de personnes salariées pour
micro que macro, lesquels ordres de grandeur peuvent des emplois similaires (Milkovich, Newman et Gerhart,
se construire et s’influencer mutuellement. Le contrôle 2011 :205). C’est le principe d’équité externe en rémuné-
de l’action collective peut revêtir plusieurs formes, être ration ­(Milkovich, Newman et Gerhart, 2011 ; St-Onge,
plus ou moins délimité, donc déborder l’espace et le 2014). Ce processus de rapprochement entre entreprises
lieu où l’action spécifique se déploie. Ce sont des inter­ similaires est une pratique courante et consacrée non
actions d’une partie à l’égard du tout et du tout à l’égard seulement dans la gestion de la rémunération, mais éga-
d’une partie. L’action sociale des organisations et des lement dans la négociation des conventions collectives
institutions peut donc se propager à l’ensemble et la (Hébert, 1992).
rémunération peut y jouer un rôle moteur et actif. Envi-
Enfin, de l’intérieur, l’accumulation matérielle est certes
sagé sous l’angle substantiel, c’est-à-dire en référence
une nécessité partagée par tous. Par le salaire, le tra-
aux organisations qui s’influencent et se « nourrissent »
vail permet de garantir la subsistance. Il est aussi un
mutuellement en matière d’innovation, nous retrouvons
milieu de vie qu’il importe de préserver. L’organisation
les pratiques des meilleurs groupes actifs (Commons,
est ponctuée de relations, un lieu potentiel d’épanouisse-
1959 : 741), les meilleures options disponibles dans
ment, d’interaction, de symbolique, de formation d’iden-
d’autres contextes, les meilleurs exemples collectifs
tité, etc., auquel la rémunération peut répondre afin de
révélés par investigation (ibid. : 742) qui peuvent, à divers
sécuriser et de stabiliser le social qui est nécessaire aux
degrés, influencer les différents groupes productifs. En
échanges économiques ; bref, la rémunération intangible
peut agir comme le « ciment » du lien social nécessaire au
(Commons, 1959 : 629, 638). Dans ce contexte, la métaphore maintien et à la survie des relations marchandes.
de la sélection artificielle de Darwin est largement supérieure
à la métaphore de la sélection naturelle pour qualifier
l’évolution de l’économie et la gouverne de la transformation
du marché (ibid. : 67-68). Le processus économique est ponctué
d’arrangements artificiels ou institutionnels qui consistent en
Conclusion
un nombre incalculable de règles opérantes de conduites et
Nous avons voulu, par ce chapitre, montrer qu’il y a
de pratiques coutumières interreliées qui sont approuvées par
une autorité qui restreint l’action individuelle dans un projet de
d’autres voies possibles pour les pratiques de rémuné-
sens commun défini par l’action collective pour qui ces autorités ration. L’intérêt matérialiste n’est pas et ne doit pas être
régulatrices existent (Commons, 1959 : 713, 775). Bref, ce n’est le seul objectif. La rémunération, pas plus que la GRH,
pas la sélection naturelle, mais bien la sélection artificielle qui
ne devrait être instrumentalisée et au service d’une éco-
gouverne l’évolution du système de marché (ibid. : 636-637).
Cependant, il est certes requis de comprendre la distinction
nomie qui ne se préoccupe pas des humains et du social.
entre sélection « naturelle » et « artificielle ». Cette dernière est un L’organisation, en tant qu’institution, peut promouvoir
processus volitionnel de résolution de conflits (Ramstad, 1994 : l’investissement social en utilisant la rémunération
95). « [L]e déterminisme “naturel” qui voulait fonder l’existence
comme levier. Elle est une entité en interdépendance
quasi biologique de lois universelles en économie n’a plus
cours [chez Commons] puisqu’on y montre les biais “artificiels”
avec les autres et, à ce titre, elle contribue en complé-
que l’action humaine introduit en permanence dans les mentarité au devenir social et sociétal.
automatismes » (Gillard, 2001 : 141). En clair, c’est l’intervention
de l’homme qui modifie le cours de l’économie, ce n’est pas Dans ce texte, nous avons vu les conceptions classiques
l’économie qui modifie le parcours de l’homme. de la rémunération et proposé une autre conception.
218 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

C’est par la recherche d’une nouvelle forme d’équilibre de (ré)introduire l’humanité dans les rapports collectifs.
négocié que nous retrouvons les voies de réconcilia- À cet égard, la rémunération intangible nous apparaît
tion au sein de la doctrine du capitalisme raisonnable. comme une forme de reconnaissance d’une humanité
La rémunération a aussi, comme la GRH, une fonction et de l’importance du rapport à l’autre.
socioéconomique. Il nous apparaît important à ce titre

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11

La négociation d’une entente collective en marge


du Code du travail : le cas d’un collège privé1
Mélanie Gagnon et Catherine Le Capitaine

Attention
J’ai mis la note de bas de
1
Introduction Pour quelles raisons les travailleurs ont-ils opté pour
page 1 invisible à côté du mot
cette forme de représentation plutôt que celle qui était
Traditionnellement, les syndicats ont agi en tant que offerte par la voie syndicale  «Introduction.»
? Qu’est-ce qui a du premier
motivé
régulateurs des conditions de travail et représentent, l’employeur à reconnaître cette association de fait et à
encore aujourd’hui, une institution de taille permettant sous-titre
négocier avec elle ? Quelle est l’étendue des conditions
l’expression collective (voice) des travailleurs (Freeman, de travail contenues dans une telle entente ? De quelle
Boxall et Haynes, 2007 ; Lévesque, Murray et Le Queux, façon l’application de l’entente est-elle assurée ? Les par-
1998 ; Lévesque et Murray, 2010). Mais l’amélioration des ties sont-elles satisfaites de cette entente ? L’association
conditions de travail n’est-elle nécessairement tributaire non syndicale confère-t-elle du pouvoir aux employés
que de l’action syndicale ou d’autres vecteurs sont-ils représentés ? Quelles sont les limites de cette forme de
possibles ? Le déclin du syndicalisme dans de nombreux représentation ? Autant de questions pour lesquelles
pays occidentaux a eu pour conséquence la croissance cette contribution vise à faire la lumière. Cet article a
de la représentation non syndicale (Charlwood et Terry, pour objectif de contribuer à mieux comprendre un phé-
2007 ; Wilkinson et Fay, 2011). Ces modes alternatifs de nomène peu documenté, à savoir les raisons de recourir
participation sont souvent présentés comme des scé- à un système idiosyncrasique de représentation non syn-
narios compromissoires à la représentation syndicale dicale ayant pour but de négocier une entente collective.
et non comme des modes de représentation librement
choisis par les parties en lieu et place de la syndica- Abordant la question de la représentation non syndi-
lisation. Cet article présente un cas où l’employeur a cale, cette contribution a pour fil conducteur la négo-
fait le choix de reconnaître une association non syn- ciation d’une entente « officieuse » (de type gentlemen’s
diquée, allant jusqu’à négocier une entente de type agreement). Le principal objectif est alors de comprendre
engagement d’honneur (gentlemen’s agreement), soit une les raisons pour lesquelles un groupe de travailleurs, de
entente de principe officieuse et en marge du Code du concert avec l’employeur, en vient à opter pour la repré-
travail dont la valeur ne repose que sur la bonne volonté sentation non syndicale et la négociation d’une entente
des parties ou sur la crainte de représailles (Dion, 1986). en marge du Code du travail. En outre, il convient de
cerner si un tel modèle permet l’expression d’un réel
pouvoir pour les travailleurs. Plutôt que de penser a priori
1. Ce texte a été originellement publié dans la revue Relations
Industrielles/Industrial Relations, vol. 69, no 2, pp.265-289. Il a été que ce scénario donne lieu à une forme étriquée de
reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur. représentation par rapport à celle q u i e s t offerte sous
224 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

le chapeau de l’institution syndicale, cet article présente


La représentation non syndicale
une étude de cas réalisée dans un collège privé du
Québec où les parties ont choisi volontairement, mais permet-elle l’expression collective
à certaines conditions, une forme de représentation (voice) des travailleurs ?
non syndicale.
Malgré la diversité des formes de représentation non
Tout d’abord, il convient de définir la notion de représen- syndicale, les écrits ont pour point commun de se
tation non syndicale, appréhendée de façon éclectique questionner s’il s’agit d’un mode efficace permettant
par la littérature. Nous serons ensuite en mesure, après aux personnes représentées de faire entendre leur voix.
la présentation de la méthodologie et des résultats axés Plus généralement, l’expression des employés (voice) est,
sur le processus de négociation de l’entente de travail, de en relations industrielles, définie comme un moyen de
discuter des motifs à la base du recours à un tel scénario représentation collective (Wilkinson et Fay, 2011), qu’il
comme mode de représentation, tout en insistant sur ses s’agisse de la représentation traditionnelle syndicale
limites, en matière de pouvoir, ainsi que sur le contexte ou de la représentation non syndicale. L’élément cen-
particulier auquel il s’applique. tral de cette littérature renvoie à la possibilité, pour les
travailleurs, d’influencer les décisions qui affectent leur
environnement de travail ou d’y prendre part ­( Wilkinson
et Fay, 2011).
Portrait synoptique des formes
L’expression collective (voice) des travailleurs a tradition-
alternatives de représentation
nellement été rattachée à l’institution syndicale, perçue
Si la représentation non syndicale suscite un intérêt crois- comme l’archétype du contre-pouvoir de l’employeur
sant auprès des chercheurs (Donaghey et collab., 2012 ; (Freeman et Medoff, 1984). Selon cet ouvrage phare, les
Purcell et Georgiadis, 2007), son étude, encore insuffi- syndicats sont pourvus de deux « visages » : 1. le mono-
sante (Wilkinson et Fay, 2011), demeure l’un des phé- pole par lequel ils négocient avec l’employeur leurs condi-
nomènes les plus controversés en relations industrielles tions de travail ; et 2. l’expression collective (voice) qui
(Taras et Kaufman, 2006). En raison de son caractère permet aux employés d’exprimer leurs insatisfactions,
protéiforme, il n’existe pas de définition consensuelle sans crainte de représailles. Les syndicats ont ainsi, durant
de la représentation non syndicale. Taras et Kaufman une grande partie du xxe siècle, représenté la principale
(2006 : 515) la décrivent ainsi : « one or more employees voix des employés (Cregan et collab., 2009 ; Kim et Kim,
who act in an agency function for other employees 2004). D’après Lévesque et Murray (2010), la capacité
in dealings with management over issues of mutual des syndicats à influencer la régulation de travail dans
concern, including the terms and conditions under les établissements dépend de quatre « ressources de
which people work ». Quant à la typologie classique pouvoir ». La première, la solidarité interne, renvoie aux
de Pateman (1970), elle distingue la représentation mécanismes développés pour assurer la démocratie et
non syndicale directe de la représentation indirecte. La le sentiment d’appartenance des membres à l’égard du
première s’effectue face à face avec l’employeur (comité syndicat (Lévesque et Murray, 2010). Elle prend appui sur
de santé-sécurité, cercles de qualité, etc.) tandis que la cohésion et sur la vitalité délibérative, notamment par
la forme indirecte se déroule par le truchement de la présence de délégués et la participation des membres
représentants choisis pour discuter au nom du groupe à la vie syndicale. Une cohésion élevée confère une voix
(comités mixtes ou de relations du travail). plus forte aux travailleurs, ce qui leur permet d’influencer
les décisions touchant leur milieu. Mais elle est également
tributaire des aptitudes stratégiques, tels les savoir-faire
et les compétences sociales des acteurs eux-mêmes
(Lévesque et Murray, 2010). La deuxième ressource est liée
à l’insertion des syndicats dans les réseaux, qu’il s’agisse
de liens, d’échanges d’expertise ou d’informations avec
 11   L a négociation d ’ une entente collec tive en marge du C ode du tr avail … 225

d’autres syndicats ou avec la communauté. Le troisième entre eux et les gestionnaires. Selon les tenants de
atout, lié aux ressources narratives, a trait au sentiment ce courant, les employés seraient réfractaires au syn-
d’efficacité du syndicat qui provient principalement de dicalisme, lui préférant un système de représentation
son histoire, de son passé, des valeurs véhiculées et des collective moins conflictuel (Freeman et Rogers, 1999 ;
idéologies privilégiées. Finalement, les structures et l e s Kim et Kim, 2004). L’efficacité de ce type de représen-
politiques organisationnelles reposent sur les ressources tation est accrue lorsque des représentants sont élus,
matérielles, les ressources humaines et les pratiques, les travailleurs ayant l’impression qu’ils sont plus à
politiques ou programmes mis de l’avant par les syndicats. même d’affronter la direction (Bryson, 2004). Certaines
Encore aujourd’hui, les syndicats, grâce à ces ressources évidences portent à croire que cette voie non syndi-
de pouvoir, occupent une place importante dans la société cale érigée par la direction offre aux employés la pos-
(Lévesque et Murray, 2010). Cependant, le déclin du taux sibilité d’une expression collective (voice) rendant, du
de syndicalisation et l’environnement politique et juri- coup, rédhibitoire la présence syndicale (Donaghey et
dique plus hostile, combinés aux stratégies innovatrices collab., 2012). Cependant, des critiques postulent que ce
en ressources humaines, ont, plus récemment, ouvert mode alternatif procède d’une logique de productivité
la voie à des mécanismes alternatifs de représentation axée sur l’amélioration des performances organisation-
des employés dans certains milieux de travail. nelles, érodant ainsi la démocratie (Cox, Zagelmeyer et
Marchington, 2006). L’insatisfaction des employés à
La typologie de Taras et Kaufman (2006) met de l’avant l’égard de cette communauté d’intérêts peut engendrer
l’existence d’une pluralité de mécanismes de représenta- une volonté de syndicalisation (Taras et Kaufman, 2006).
tion non syndicale qui se distinguent selon leurs formes,
les objectifs, les sujets abordés, les modes de représen- La troisième forme, « l’évitement syndical », est souvent
tation, l’étendue du pouvoir et leur durabilité. À partir de critiquée parce qu’elle est, la plupart du temps, instaurée
l’étude de ces dimensions, ces auteurs proposent une lors d’une tentative de syndicalisation dans un milieu
catégorisation à quatre « faces » de la représentation non de travail (Taras et Kaufman, 2006). En créant un mode
syndicale. Ces quatre formes sont l’évolution de l’ex- de représentation alternatif, les employeurs espèrent
pression collective (voice), la communauté d’intérêts, démontrer aux employés qu’ils sont à leur écoute tout
l’évitement syndical et le complément à la syndicalisation. en cherchant à gagner du temps pour déployer une
stratégie visant à éloigner la menace syndicale. L’évite-
La première forme, « l’évolution de l’expression collec- ment syndical recourt à des stratégies de substitution,
tive » (voice), qualifiée de graduelle, a été introduite comme dans « la communauté d’intérêts », en offrant de
pour favoriser la communication entre les employés meilleures conditions de travail et en instaurant des
et la direction. Elle se traduit par la mise en place mécanismes de résolution des conflits. En parallèle, les
de comités conjoints ainsi que par des pratiques de employeurs déploient nombre de stratégies pour empê-
gestion formelles et écrites afin de se substituer aux cher toute tentative de syndicalisation, faisant ainsi
formes autocratiques et arbitraires de gestion. Cette appel à la coercition, aux menaces envers les activistes
première forme, instable, s’est avérée une promesse syndicaux et à la surveillance en répandant de fausses
vide, car elle ne permet pas un réel contre-pouvoir des rumeurs et de la désinformation au regard des syndicats
employés (Taras et Kaufman, 2006). (Taras et Kaufman, 2006). Certains n’y voient, avant tout,
qu’une stratégie ne bénéficiant qu’aux employeurs et
La deuxième forme, « la communauté d’intérêts »,
visant à ce que les employés se montrent moins enclins
est qualifiée de forme bienveillante de substitution
à la syndicalisation (Gollan, 2005 ; Kelly, 1996 ; Lewin et
au syndicalisme, par le truchement d’une gestion uni-
Mitchell, 1992).
tariste et de conditions très avantageuses octroyées
aux travailleurs (Logan, 2006 ; Peetz, 2002). Dans ce Enfin, la dernière forme constitue une « voie complémen-
contexte, la représentation non syndicale, instituée par taire » au syndicalisme, en lieu et place d’un substitut
la direction, consiste en une pratique de gestion des comme celui qui est proposé par les deux formes précé-
ressources humaines visant à accroître la participation dentes. La représentation non syndicale et le syndicalisme
des employés, leur productivité ainsi que la coopération ayant chacun des forces et des faiblesses, jouant des rôles
226 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

distincts et ayant des objectifs différents en milieu de tra- Lorsqu’il y a négociation formelle, les gains se réduisent
vail, il serait préférable de les concilier plutôt que de les généralement à des éléments que l’employeur avait déjà
opposer. C’est notamment le cas des conseils d’entreprise choisi de consentir (Taras et Kaufman, 2006). Il ne s’agirait
( work councils) en Europe (Taras et Kaufman, 2006). alors que d’une forme symbolique de représentation (Wils,
2000) créée et dominée par la direction (Gollan, 2002).
Le pouvoir de la représentation non syndicale résiderait
surtout dans le fait que, si l’employeur ne satisfait pas
Au-delà de l’expression des les attentes des travailleurs, le risque de syndicalisation
travailleurs (voice), le pouvoir peut augmenter (Taras et Kaufman, 2006). Le pouvoir de
Il ressort de ce cadre de référence de Taras et Kaufman la représentation serait donc lié au désir de la direction
(2006) que la représentation non syndicale, englobant de maintenir l’évitement syndical. Enfin, de tels modes
plusieurs dimensions, peut prendre diverses configu- de représentation ont pour inconvénient l’absence de
rations en milieu de travail, allant de formes ad hoc ou recours juridique pour les employés (Donaghey et collab.,
informelles à des structures permanentes et plus com- 2012).
plexes. Une des dimensions importantes de cette caté-
À la lumière de ce qui précède, est-il possible, dans un
gorisation concerne le contenu substantiel ou non des
milieu de travail, de retrouver simultanément un désir
décisions qui peuvent être prises ou, en d’autres termes,
d’évitement syndical de la part de l’employeur, sans pour
les sujets sur lesquels la représentation non syndicale
autant que les employés soient totalement dépourvus
peut exercer de l’influence. Les salaires, les conditions de
d’influence ou sans qu’ils soient sous le contrôle mana-
travail, les assurances collectives, les régimes de retraite
gérial ? Une association autre qu’un syndicat confère-
sont-ils abordés ? D’aucuns avancent que les respon-
t-elle du pouvoir aux employés qu’elle représente ? Ces
sabilités et les rôles qui sont généralement dévolus à
interrogations sont d’autant plus pertinentes qu’au
ces modes de représentation sont habituellement assez
Québec, en 1969, la Loi modifiant le Code du travail a
restrictifs et que le modus operandi qui prévaut est celui
rendu obligatoire le mécanisme public d’accréditation
selon lequel les dirigeants sont peu enclins à se livrer à
pour toute association de salariés qui désire négocier
une réelle consultation auprès des travailleurs concernés
et signer une convention collective. La possibilité de la
(Terry, 1999). Bien que, dans les formes les plus pous-
reconnaissance volontaire est abolie, le législateur crai-
sées, il est possible d’aborder les conditions de travail,
gnant que de telles associations soient dominées par
comme le droit de grève est prohibé, les négociateurs
l’employeur (Venne et Paquette, 2005). Dans ce contexte
seraient confinés au seul pouvoir de persuasion (Taras
législatif, la présence d’une association non reconnue en
et Kaufman, 2006).
milieu de travail suscite un intérêt de taille.
L’étendue du pouvoir est une dimension cruciale lorsque
vient le temps d’évaluer les mérites ou les faiblesses de
la représentation non syndicale. Dans ce type de repré-
sentation, le recours aux représentants et aux services Une étude de cas dans
professionnels externes demeure difficile, voire impos- un collège privé
sible, en raison du manque de ressources financières
Il y a actuellement plus de 200 collèges privés au
dont disposent les travailleurs. De manière corollaire,
Québec, certains sont syndiqués, d’autres non. Cet article
il est ardu de contraindre l’employeur à écouter et à
présente une étude de cas menée dans un collège privé
agir, ce qui érode d’autant le pouvoir des travailleurs
non syndiqué situé au Québec. Le collège étudié est une
(Taras et Kaufman, 2006). Il y a alors un manque de
école secondaire mixte regroupant approximativement
distance entre les représentants des employés et la direc-
mille élèves et une quarantaine d’enseignants (53 %
tion (Donaghey et collab., 2012). Des critiques indiquent
d’hommes et 47 % de femmes).
que ces formes alternatives au syndicalisme se restrei-
gnent souvent à des lieux de consultation sans réelle De manière générale, le secteur de l’enseignement au
autonomie ni pouvoir des travailleurs (Butler, 2005). Québec est fortement syndiqué. La présence syndicale
 11   L a négociation d ’ une entente collec tive en marge du C ode du tr avail … 227

dans les services d’enseignement du secteur parapublic En premier lieu, une démarche d’observation a été réa-
s’élevait, en 2012, à 75,7 % (Labrosse, 2013). Au secon- lisée par l’une des chercheuses au cours des mois d’août
daire, le régime de relations du travail dans le secteur de à octobre 2012. Elle a participé à cinq rencontres, d’une
l’éducation publique repose sur trois niveaux de négo- durée moyenne de trois heures chacune, au cours
ciation. La rémunération et les avantages sociaux sont desquelles les représentants de la direction et ceux
négociés de manière centralisée au niveau national. des enseignants s’affairaient à revoir, en commun, la
Quant aux clauses liées à l’organisation du travail, elles conformité légale des textes finaux de leur entente, de
sont négociées sur le plan régional entre le syndicat et même que du libellé. Cette démarche a permis de valider
la direction d’une commission scolaire qui regroupe les tant le climat que la dynamique des relations du travail.
écoles d’une même région. Finalement, il peut exister
En deuxième lieu, le recours à un processus itératif d’en-
certains arrangements locaux, pourvu que les dispositions
tretiens semi-dirigés avec les personnes-ressources a
négociées reposent sur des objets expressément prévus
permis d’aiguiser la compréhension du phénomène et de
par la loi et qu’elles n’y dérogent pas. En somme, les ensei-
conférer à l’analyse une profondeur qui n’aurait pu être
gnants des collèges privés, même si plusieurs d’entre eux
atteinte autrement (Savoie-Zajc, 1997). Les personnes à
n’ont pas opté pour la voie syndicale, travaillent dans un
interroger, que Quivy et Campenhoudt désignent comme
secteur fortement syndiqué.
étant les « témoins privilégiés » (1995 : 66), ont été sélec-
La méthodologie adoptée, soit l’étude de cas, se révèle tionnées en vue de répondre aux besoins de la recherche.
l’étude descriptive par excellence permettant de com- Les personnes directement engagées dans le processus
prendre un phénomène social (Eisenhardt, 1989) et de de négociation collective ont été rencontrées séparément.
détailler en profondeur le processus de négociation et Deux membres de l’équipe de direction et trois représen-
le mode de représentation non syndical à l’étude. Dès tants des enseignants ont participé aux entretiens réalisés
lors, la stratégie de recherche préconisée est idiogra- entre novembre 2012 et janvier 2013. Un guide d’entrevue
phique : elle vise à comprendre le phénomène dans son semi-structurée portant sur les trois thèmes à l’étude (la
contexte (Gagnon, 2012 ; Yin, 2009) et non sa générali- représentation, la négociation et la gestion de l’entente)
sation (Bardin, 2007). laissait aux participants une certaine latitude afin qu’ils
s’expriment librement. Au total, les participants ont dis-
Cette méthode requiert donc des sources multiples de
couru sur la base de treize questions, lors de rencontres
données afin d’amasser un nombre élevé d’informations
d’une durée variant de deux heures quinze minutes à
(Eisenhardt, 1989 ; Gagnon, 2012). Le travail de terrain,
trois heures. Ces entretiens ont été intégralement enre-
qui s’est échelonné d’août 2012 à mai 2013, s’est décliné
gistrés et retranscrits pour l’analyse. La codification a été
en deux principales phases mettant de l’avant un dis-
effectuée à l’aide du logiciel d’analyse de données quali-
positif de collecte de données riche et varié qui permet
tatives QDA Miner. La méthode e ­ mpirico-inductive a été
d’en assurer la triangulation (Miles et Huberman, 2003).
adoptée, celle-ci ayant pour avantage de laisser émerger
les thèmes issus des données.

En troisième lieu, l’analyse documentaire permettant


Première phase : collecte de de corroborer les informations recueillies par les autres
données auprès de la direction et sources (Yin, 2009) a, quant à elle, reposé sur la lecture
des représentants des enseignants de la politique qui a conduit à l’entente, du cahier de
revendications des enseignants, de l’entente finale et de
Les données visant une meilleure compréhension du
l’analyse de conventions collectives d’écoles publiques
déroulement de la négociation de l’entente collec-
de la région et d’écoles privées syndiquées. L’analyse
tive ont été recueillies grâce à trois sources métho-
de ces divers documents a permis de comprendre la
dologiques différentes, soit l’observation, l’entrevue
réalité de l’établissement à l’étude ainsi que les enjeux
semi-structurée et l’analyse documentaire.
de négociation.
228 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Deuxième phase : collecte de un comité paritaire composé de trois enseignants et de


deux représentants de l’employeur. Les enseignants ont
données auprès des enseignants alors l’idée de se regrouper pour former une association
Une fois l’entente collective en vigueur, la collecte des non reconnue.
données s’est poursuivie, en 2013, auprès des ensei- La plupart des réunions se tiennent lors de journées
gnants de l’école. D’une part, un questionnaire a été pédagogiques, ou après les cours, mais la direction libère,
rédigé afin de recueillir leur opinion et leur degré de à ses frais, les enseignants pour deux rencontres durant
satisfaction à l’égard de la représentation non syndicale l’année. C’est l’assemblée des enseignants qui a la res-
et de l’entente signée. Un prétest a été réalisé auprès ponsabilité d’élire les trois délégués qui siégeront au
d’un représentant des enseignants, de deux membres comité paritaire. Ces représentants sont élus pour des
de la direction et d’une enseignante afin de s’assurer mandats d’une durée de trois ans et le travail lié à leurs
de la précision du libellé des questions. Le prétest ne fonctions de délégués est à la charge de l’employeur
visait donc pas à retrancher ou à ajouter des questions, (à raison d’une période dans leur tâche équivalant à
mais plutôt à s’assurer que le vocable correspondait aux 2500 $ par année).
réalités du milieu. Par la suite, quarante questionnaires
ont été distribués aux enseignants de l’école, pour un
taux de réponse de 65 %. L’association non reconnue : un choix reconduit
Cinq enseignants ont ensuite été rencontrés sur une En 2007, la politique de gestion en place depuis cinq
base volontaire afin de compléter et de valider les ans ne satisfait plus entièrement les enseignants qui,
informations colligées. Ces rencontres individuelles parfois, y voient un certain manque d’équité et une
d’une durée d’environ une heure ont été réalisées avec part d’arbitraire dans le mode de gestion, tel que l’ex-
la même grille d’entretien que celle qui avait servi pour prime ce représentant : « Il y a toujours eu une bonne
les représentants des enseignants. Ces entretiens ont collaboration avec la direction pour négocier les choses,
également été enregistrés, retranscrits et codifiés. sauf que cela se faisait beaucoup à la pièce, il pouvait y
avoir de l’injustice » (CHE). Ainsi, bien que la politique soit
La pluralité des sources recueillies (observation, analyse
le fruit du travail du comité paritaire, elle ne correspond
documentaire, entretiens semi-dirigés, questionnaire) et
plus aux attentes des enseignants qui souhaitent une
celle des acteurs rencontrés (membres de la direction,
ligne directrice applicable à tous, de façon à enrayer
représentants élus et enseignants) sont venues enrichir
le favoritisme perçu par certains. De plus, le personnel
considérablement l’étude de cas réalisée. La présen-
enseignant souhaite s’assurer que les conditions en
tation des résultats repose sur cette triangulation des
place le demeureront et ne seront pas sujettes aux pré-
données.
rogatives de la direction, comme le fait remarquer cet
enseignant : « Oui, l’école faisait en sorte qu’on avait les
mêmes conditions qu’au public, mais ce n’était pas noté,
Résultats ce n’était pas garanti nulle part. Donc, progressivement,
on s’est rendu compte que, oui, il faudrait pouvoir le noter
Le regroupement des enseignants : et le mettre plus dans une entente de travail que dans
une solution de rechange à la syndicalisation une politique » (SLE).

C’est dans ce contexte qu’en 2008 quelques ensei-


Les origines et le fonctionnement gnants se montrent favorables à la syndicalisation.
du regroupement des enseignants Cette minorité constituée d’environ six enseignants,
Dès 2002, la direction du collège désire mettre en place mais s’exprimant fortement, remet en question la raison
une politique de gestion, une sorte de règlement-cadre d’être du comité paritaire, certains le réduisant à une
visant à établir les conditions de travail des enseignants. simple courroie de transmission. À deux reprises, l’as-
Pour en élaborer le contenu, la direction met sur pied semblée des enseignants délibère et vote au scrutin
secret pour savoir si les enseignants souhaitent obtenir
 11   L a négociation d ’ une entente collec tive en marge du C ode du tr avail … 229

de l’information en vue d’une éventuelle accréditation Les extraits suivants illustrent que la qualité des rela-
syndicale. En ces deux occasions, le résultat du vote tions avec la direction et le climat ne rendent pas néces-
est sans équivoque. Les enseignants tranchent : 75 % saire, aux yeux des enseignants, la syndicalisation :
d’entre eux refusent de rencontrer quelque conseiller
Les enseignants sont à l’aise avec la convention et les
syndical que ce soit. Les résultats du questionnaire conditions de travail qu’ils ont. Parce que, à la base, on
administré aux enseignants corroborent cette tendance. a toujours essayé de garder les mêmes conditions que le
Ils révèlent que seulement 8 % des enseignants pré- public, spécialement au niveau salarial. Tant que la direc-
féreraient actuellement être syndiqués s’ils avaient le tion va aller dans cette ligne-là, il n’y a pas beaucoup
choix, 21 % sont indifférents et 71 % souhaitent ne de monde qui pense que ce serait vraiment important
pas l’être. Au total, 77 % des enseignants se disent fiers d’être syndiqués pour pouvoir garder les mêmes condi-
de faire partie de leur regroupement non syndiqué. tions (ELE).

L’idée d’une possible campagne de syndicalisation est Et de manière plus explicite : « Nous n’avons pas besoin
accueillie avec appréhension par l’équipe de direction d’un syndicat, les “boss” sont trop bons » (SLE).
qui affirme clairement qu’elle ne voit pas d’un bon
Le désir de se tenir loin de l’organisation syndicale n’est
œil la venue d’un autre joueur. Le directeur men-
pas étranger au climat de travail qui paraît important,
tionne qu’à cette époque les échos qu’il recevait de
autant pour le personnel que pour les membres de la
la part de trois directeurs de collèges syndiqués de la
direction qui sentent une attitude positive de la part
région lui faisaient peur. Au demeurant, il conçoit cette
des enseignants et un engagement envers l’établis-
avenue comme un échec sur le plan des relations avec
sement. D’ailleurs, un sentiment d’appartenance pro-
les employés, tel que le met en lumière cet extrait :
noncé se dégage de ces propos très évocateurs : « Je ne
« J’avais l’impression que ça venait dire à tout le monde
sais pas si on est les derniers Gaulois de l’enseignement,
que l’esprit n’était pas bon dans l’école. Ce n’est pas
mais je crois qu’il y a quelque chose à l’école qui est
toujours ça une syndicalisation, mais je n’aime pas ça
unique en termes d’appartenance et de bon vouloir de
en tout cas. J’trouvais que ça allait bien malgré tout,
fonctionner et d’avoir la meilleure école possible. […]
malgré quelques voix qui parlaient plus fort » (CGD).
Les gens ne comptent pas leur temps, ils s’impliquent
Devant une pareille éventualité, la direction soumet
et la direction nous le rend, quand même assez bien »
alors l’idée de négocier, par le truchement du comité
(CHE). Ces enseignants s’expriment aussi fortement en
des enseignants, une entente en lieu et place de la
politique de gestion en vigueur. Le directeur l’explique ces termes : « Notre école, c’est quasiment comme une
ainsi : « Je me suis mis à l’idée qu’on va faire une entente secte, la firme ! » (JCE) et « Moi j’ai le [nom de l’école]
de travail. Donc c’est un peu nous autres qui avons initié tatoué sur le cœur » (SLE). D’ailleurs, 79 % des ensei-
le mouvement » (CGD). gnants interrogés ne changeraient pas d’emploi même
s’ils en avaient l’occasion. Et ceux qui souhaiteraient le
Pour les enseignants comme pour la direction, un des faire (21 %) viseraient avant tout une réorientation de
facteurs explicatifs de ne pas recourir à la syndicalisa- carrière et non un changement d’école. Pour plusieurs
tion repose sur la qualité des relations et du climat de
enseignants, le collège se démarque tant par la qualité
travail, bien que quelques situations de favoritisme aient
de ses installations que par ses programmes scolaires.
été évoquées. D’après les résultats du questionnaire, plus
d’un enseignant sur trois (36 %) juge que la direction De son côté, le directeur renchérit, indiquant qu’en
prend souvent des décisions arbitraires, mais 88 % des milieu non syndiqué son mode de gestion est plus
enseignants soulignent que la direction est disponible souple, mais que cette gestion « paternaliste » pourrait
pour les rencontrer en cas de besoin. Les enseignants migrer vers un style plus autocratique en contexte syn-
rencontrés en entretien expliquent que plusieurs ont diqué : « C’est sûr que, s’il y avait syndicalisation, moi
déjà travaillé en milieu syndiqué et ont remarqué des je m’assoirais un peu plus sérieusement pour hausser
relations polarisées entre la direction et les enseignants, les exigences. Ben, c’est-à-dire que, s’ils veulent ça, faut
un climat de travail tendu ainsi que des règles de travail qu’ils comprennent que ça n’a pas que du bon » (CGD).
formalisées et trop rigides. Cette assertion est appuyée par un autre membre de
230 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

la direction qui évoque la possible érosion de certains L’ensemble des représentants explique ce choix par
acquis : « S’il fallait qu’on soit syndiqués, on va vivre le fait que les salaires sont harmonisés à ceux qui
avec, mais les perdants là-dedans ce seraient peut-être sont négociés dans le secteur public. Les propos de cet
les enseignants parce qu’ils savent que dans les écoles enseignant sont révélateurs de ce sentiment partagé
syndiquées il y a présence obligatoire à l’école » (SGD). par les autres membres de l’école : « Les salaires, on
n’a aucun pouvoir là-dessus, c’est le gouvernement qui
C’est dans ce contexte, et par l’entremise du comité des
décide » (STE) au même titre que ceux d’un représentant
enseignants, soit une structure formelle paritaire, que
de la direction : « Il n’y avait pas de demandes salariales,
s’est déroulée, entre 2008 et 2012, la négociation d’une
parce que le salaire, ici, ça toujours été la même chose
entente de travail.
que dans le secteur public » (SGD).

La démarche de négociation Les points d’achoppement


Le cahier de revendications À l’unanimité, les enseignants sondés indiquent que la
direction entretient de bonnes relations avec les représen-
Au cours de cette période, les enseignants se sont tants des enseignants. Bien que les parties mentionnent
réunis en assemblée à maintes reprises afin d’élaborer également que le climat a toujours été bon, la négociation
une première ébauche du cahier de revendications. ne s’est toutefois pas déroulée sans heurts.
Dans un premier temps, la politique en vigueur depuis
2002 a été examinée de manière à préciser certaines Le comité a buté sur un problème devant l’une des
dispositions : « Quand on a épluché l’ancienne politique, rares demandes patronales déposée en fin de parcours
on a noté ça ce n’est pas clair, ça, ce n’est pas clair, on qui visait à intégrer, à l’entente, une disposition « carte
doit préciser ça, ça et ça » (CHE). Dans un deuxième blanche » quant à l’avenir des subventions gouverne-
temps, les conditions de travail offertes dans les écoles mentales et au versement de l’équité salariale à venir
publiques de la région et au sein des autres collèges dans le secteur public, tel que l’explique ce représentant :
privés syndiqués ont été analysées. C’est sur la base Ce qui était proposé, ça aurait été comme de signer,
de ce comparatif, et sans recourir à quelque service de la part des enseignants, un mandat de confiance
externe que ce soit, que le cahier de revendications vis-à-vis la direction par rapport à une ouverture et une
fut construit. espèce de liberté de leur part de gérer les choses admi-
nistratives, sans nécessairement qu’on soit informés des
Le premier dépôt des enseignants comporte seize rouages. Donc, il y avait comme tout un aspect qui nous
demandes visant à préciser le libellé des textes de échappait et sur lequel on n’aurait pas eu de contrôle
la politique et à ajouter des aspects normatifs et (JCE).
monétaires. À la suite de plusieurs réunions du comité
De l’avis des enseignants, cette demande conduisait à un
de négociation, l’assemblée modifie, en mars 2010, le
possible non-versement de l’équité salariale futur et à un
cahier de revendications qui deviendra un document
éventuel non-respect des échelles salariales du secteur
étoffé de quarante et une demandes portant sur
public, advenant une réduction des subventions gouver-
les aspects suivants : le congé à traitement différé
nementales versées aux écoles privées. À l’unanimité, la
(demande la plus importante), le processus de mesures
demande de la direction a été refusée par l’assemblée
disciplinaires, le congé pour tempête, la charge profes-
des enseignants.
sionnelle, le calcul du nombre d’élèves par groupe, la
définition de la permanence et le remboursement des En entretien, le directeur a abordé spontanément cet
journées d e maladie non utilisées. Aucune demande aspect, indiquant :
salariale n’a été formulée. De fait, les aspects à inci- Je veux qu’ils comprennent bien les choses, c’est le phéno-
dence pécuniaire les plus significatifs tels que le salaire, mène de l’équité salariale et des subventions qu’on peut
le régime de retraite ou les autres mesures de pro- recevoir du gouvernement qui ne sont pas toujours cer-
tection de l’emploi sont évacués des négociations. taines et de la capacité de payer des parents, un moment
donné. Si le gouvernement ne nous donne plus l’argent
 11   L a négociation d ’ une entente collec tive en marge du C ode du tr avail … 231

qu’il faut, ben on ne sera plus capable de leur donner le exemple, dans les deux cas, l’enseignant obtient
salaire qu’ils veulent (CGD). un contrat à durée indéterminée après deux ans de
À la suite de ce refus unanime des enseignants, la direc- service continu. De plus, les enseignants du collège
tion a proposé un autre texte, dont le libellé se lit comme étudié bénéficient des mêmes échelles de salaires (de
suit : 0 à 17) et de traitement que les enseignants syndiqués.
Ainsi, l’entente étudiée stipule : « Pour fixer le traitement
En vue du renouvellement de l’entente, le directeur
annuel d’un enseignant à temps plein, l’établissement
général, d’une part, informera le comité des éléments
applique les échelles en vigueur dans les commis-
permettant de connaître et d’évaluer l’évolution de la
situation financière de l’école. D’autre part, les deux
sions scolaires francophones du Québec. » Les avan-
parties feront le nécessaire pour présenter au personnel tages sociaux tels que le régime d’assurance collective,
enseignant ces éléments financiers et l’évolution des les congés de maladie, de maternité, de paternité ou
subventions gouvernementales aux écoles privées. le congé pour responsabilités parentales demeurent
aussi comparables, même si la convention collective
Cette fois, la clause a été acceptée et la négociation s’est
nationale négociée avec la Centrale des syndicats du
achevée à l’automne 2012. Au moins cinq réunions en
Québec se révèle plus détaillée. Quant à la charge
assemblée des enseignants ont été consacrées pour
professionnelle, la semaine habituelle de travail éta-
discuter du contenu de l’entente et, au bout du compte,
blie dans la convention collective nationale dans le
un vote au scrutin secret s’est déroulé afin d’entériner à
secteur parapublic comporte 32 heures de présence
l’unanimité l’entente en octobre 2012. En fin de course,
à l’école pour un enseignant à temps plein. L’en-
l’entente a été ratifiée par le conseil d’administration.
tente dans ce collège privé non syndiqué est plutôt
Celle-ci est en vigueur depuis l’automne 2012.
calculée sur une année complète d’enseignement, à
savoir 28 périodes et demie de 75 minutes par cycle
de neuf jours de classe, sans obligation de présence
Une entente qui repose
à l’école entre deux cours. Comme le fait remarquer
sur la confiance mutuelle ce représentant, l’entente reflète la quasi-totalité des
revendications formulées par les enseignants : « 99 %
Une entente jugée satisfaisante
de nos demandes ont été acceptées et la direction ne
par les enseignants nous a rien demandé de plus » (CHE). Cette impression a,
L’entente finale, signée par l’ensemble des membres du d’ailleurs, été confirmée par la direction : « Puis, des fois
comité des enseignants, est d’une durée de quatre ans je leur disais : j’ai toujours l’impression que c’est l’école
et comporte sept chapitres : préambule, définitions et qui vous donne » (CGD).
dispositions générales, responsabilités de l’employeur
Les membres de la direction signalent que l’entente
et de l’enseignant, charge professionnelle, conditions
facilite la gestion, toutes les conditions y étant listées
d’engagement, traitement et avantages sociaux. Son
par écrit. Le directeur précise qu’il ne cherchait pas à
contenu se rapproche de celui des conventions collec-
étendre ses prérogatives dans un document formalisé,
tives des collèges privés syndiqués et des conditions
mais qu’il souhaitait plutôt bâtir avec la collaboration
de travail offertes dans le secteur public, avec à peine
des enseignants afin que l’entente plaise aux deux par-
quelques avantages de plus, notamment la présence
ties sans trop d’inconvénients pour le personnel :
non obligatoire entre les périodes de cours. En effet,
l’article 5 de l’entente portant sur les conditions d’en- Il n’y en a pas eu beaucoup des petits inconvénients,
j’ai l’impression… En plus, j’ai l’impression que les
gagement s’apparente aux conditions d’emploi que
enseignants sont maintenant plus confiants ; quand ils
l’on retrouve dans la convention collective nationale
ont quelque chose à demander, ils ont une référence
négociée entre le Comité patronal de négociation pour […] et quand ils ont à se comparer au public sur les
les commissions scolaires francophones (CPNCF) et la conditions de travail et aux écoles syndiquées, même où
Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui regroupe les avantages sont bons, ils trouvent qu’ils sont bien…
le plus grand nombre d’enseignants au Québec. Par (CGD).
232 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

En ce qui a trait à ce qui pourrait être amélioré dans la même si on ne le respecte pas ce qu’ils peuvent faire…
prochaine entente, les propos suivants sont particulière- ils peuvent nous envoyer à l’échafaud » (CGD).
ment révélateurs du niveau de satisfaction des parties,
Du côté des enseignants, la plupart n’ont aucun doute
à commencer par un représentant de la direction : « La
sur les intentions de la direction quant à un possible
mise en page ! » (SGD), et de cet enseignant « J’ai de la dif-
non-respect de l’entente : « Ça n’arrivera pas. On a peut-
ficulté à imaginer d’autres demandes importantes » (SCE).
être la tête dans le sable, mais ça n’arrivera pas » (PLE),
Cela explique sans doute la raison pour laquelle 96 % des
ou encore : « Il y a des gens dans la direction qui ont
enseignants sondés se disent satisfaits de l’entente. Pour
travaillé dans un milieu syndiqué et ils savent les diffi-
une très forte majorité d’enseignants (92 %), les déci-
cultés que cela peut apporter. C’est clair que la direction
sions prises par le comité des enseignants représentent
ne souhaite pas aller vers ça » (JLE). D’après les résultats
bien leurs intérêts et leurs besoins. De plus, 65 % d’entre
du questionnaire, 96 % des enseignants sont persuadés
eux jugent que leurs conditions de travail seraient moins
que la direction respectera l’entente.
bonnes sans cette entente. Ils sont seulement 22 % à
estimer que le résultat aurait été meilleur s’il avait été
négocié par un syndicat.

Néanmoins, contrairement aux conventions collectives


Discussion
nationale et locales du secteur parapublic, le contenu L’étude de cas basée sur une démarche méthodologique
de l’entente étudiée ne prévoit aucune disposition en de sources variées a permis d’obtenir une compréhension
matière de régime de retraite, de harcèlement en milieu riche et détaillée du processus qui a mené à la création
de travail ou encore de santé et sécurité au travail. de ce regroupement non syndiqué et à la négociation
d’une entente en marge du Code du travail (de type
­gentlemen’s agreement). La mise en évidence des forces
Une entente officieuse qui repose et des limites de l’entente et du processus de négociation
sur la bonne volonté des parties étudiés permet de situer la discussion concernant cette
Conscients que l’entente n’est pas assimilable à une forme de représentation indirecte (Pateman 1970) dans
convention collective dont les mésententes peuvent la thèse de la substitution au syndicalisme de la typo-
être soumises à l’arbitrage, les représentants se sentent logie de Taras et Kaufman (2006). Les points de mise
engagés envers elle parce que leurs signatures y sont en discussion qui se dégagent des résultats s’articulent
apposées, mais aussi parce qu’ils se sont investis dans autour de trois angles d’analyse présentés ci-après.
le processus de négociation. L’entente prévoit que le
directeur est responsable de son application, mais une
disposition mentionne que, « pour l’aider dans l’appli- Le désir d’éviter la syndicalisation :
cation de cette entente de travail, il s’adjoint un comité la pierre angulaire du modèle retenu
paritaire formé majoritairement d’enseignants désignés Il ressort de l’attention particulière portée aux résultats
par leurs pairs ». que le modèle étudié consiste en une hybridation, se
Par-delà le serment tacite de bonne foi, il y a une réelle situant au carrefour entre les deuxième et troisième
volonté des parties de respecter l’entente. Nonobs- formes élaborées par Taras et Kaufman (2006), à savoir
tant cette confiance mutuelle, ces dernières demeurent celles de la « communauté d’intérêts » et de « l’évitement
lucides et comprennent qu’en cas de non-respect des syndical », faisant ressortir la porosité des frontières entre
représailles sont possibles. C’est en ces termes que le les différentes formes de représentation non syndicale. Il
directeur s’exprime : « C’est peut-être moi qui n’est pas ne fait aucun doute que la reconnaissance et la négocia-
dans cet esprit de vouloir faire des choses autres que tion volontaires de la part de l’employeur procèdent de la
ce qui est écrit là. C’est ça qu’on veut faire, c’est ça qu’on logique de la thèse de substitution au syndicalisme (Gollan,
veut vivre. Je veux dire, on l’a la volonté de l’appli- 2005 ; Kelly, 1996 ; Lewin et Mitchell, 1992 ; Logan, 2006,
quer d’un côté et de l’autre. Mais ça ne dit pas quand Peetz, 2002 ; Taras et Kaufman, 2006). D’entrée de jeu, le
comité paritaire a été initié par la direction afin d’élaborer
 11   L a négociation d ’ une entente collec tive en marge du C ode du tr avail … 233

une politique qui permettait d’aménager les conditions de d’une « communauté d’intérêts » favorable aux deux
travail. C’est également à son initiative que la négociation parties. La direction souhaite préserver un climat sain
de l’entente s’est amorcée. et elle s’assure de l’engagement des enseignants envers
leur école par la mise en place d’une entente conve-
L’intérêt marqué pour ce type de représentation est
nant à tous. Cet engagement se fait aussi sentir chez
né d’une crise où la menace de syndicalisation était
les enseignants qui, en grand nombre, affirment claire-
ressentie (Taras et Kaufman, 2006). La tentative avortée
ment ne pas souhaiter changer d’emploi. D’autre part,
de syndicalisation, en 2008, moment où certains per-
le modèle de « l’évitement syndical » imprègne lourde-
çoivent le comité comme étant dépourvu de pouvoir
ment les stratégies de la direction. Il est manifeste
(Terry, 1999), a sensibilisé la direction quant à de pos-
que cette dernière accepte des conditions avec pour
sibles irritants, notamment en matière de favoritisme.
visée de se prémunir contre la présence syndicale,
Cette conjoncture l’a incitée à mettre en œuvre un sys-
indiquant de façon alambiquée que la gestion serait
tème visant à se substituer à la syndicalisation. Dans ce
différente en contexte syndiqué. En revanche, aucune
contexte, la direction ne tarit pas d’idées visant à pré-
menace ou campagne de peur entreprise par la direc-
server la satisfaction des enseignants afin de conserver
tion n’a été évoquée par les enseignants, contrairement
le statut non reconnu du regroupement. Deux assem-
à ce qui est habituellement présent dans le modèle de
blées annuelles pendant les heures de travail, des libé-
­suppression du syndicalisme (Taras et Kaufman, 2006).
rations payées pour les représentants et des avantages
Il n’en demeure pas moins qu’à l’orée d’une tentative
normatifs indéniables (présence non obligatoire à l’école
de syndicalisation la direction se dit prête à changer
en dehors des heures de cours) sont autant de conditions
de discours.
avantageuses, auxquelles s’ajoutent les salaires équiva-
lents à ceux qui sont négociés dans le secteur public
pour le personnel enseignant syndiqué.
Un modèle permettant l’expression collective
Du côté des enseignants, le choix de demeurer dans des travailleurs (voice) et un réel pouvoir :
un regroupement non reconnu repose sur la qualité des mirage ou réalité ?
relations avec la direction et sur le désir d’entretenir des
relations non conflictuelles et non polarisées (Freeman Les résultats révèlent que la direction ne domine pas le
et Rogers, 1999 ; Kim et Kim, 2004). Qui plus est, les comité (Gollan, 2002) et que les enseignants disposent
représentants sont élus et reconnus par leurs pairs pour d’une capacité d’influencer les décisions (Wilkinson et
leurs qualités personnelles et professionnelles, ce qui Fay, 2011). Le comité ne se réduit donc pas qu’à un lieu
peut expliquer la légitimité et le fonctionnement effi- d’information (Butler, 2005 ; Terry, 1999). Pourtant, les
cient du regroupement (Bryson, 2004). Le favoritisme résultats ne démontrent pas sans équivoque un pro-
au regard des décisions et des injonctions de la direc- gramme proactif et indépendant de la part du regrou-
tion, parfois ressenti par les enseignants, n’a pas abouti pement (Lévesque et Murray, 2010), d’autant plus que
à la syndicalisation. En revanche, la voie syndicale les sujets de négociation évacuaient les enjeux salariaux.
serait perçue nécessaire advenant une diminution des Le cahier de demandes était pour ainsi dire confiné
salaires imposée par une réduction des subventions à revoir l’ancienne politique, en y ajoutant quelques
gouvernementales ou dans l’éventualité du non-­respect aspects normatifs et à incidence pécuniaire. C’est donc
de l’entente par la direction. Ces constats signifient le contexte fortement syndiqué du secteur de l’éducation
que la situation pourrait, en cas d’insatisfaction des qui a orienté les résultats de cette entente. La pratique
enseignants, évoluer vers la syndicalisation (Taras et étant de respecter les conditions salariales du secteur
Kaufman, 2006). La littérature trouve donc ici écho. public, le regroupement, tel un « passager clandestin »,
profitait des avantages de l’action syndicale, au regard
À la lumière de ce qui précède, le modèle à l’étude des salaires notamment, sans avoir à déployer d’efforts
consiste donc en une hybridation des deux formes de ni à payer une cotisation syndicale (Olson, 1966). Le
substitution au syndicalisme de Taras et Kaufman (2006). contenu des thèmes de négociation n’est pas substan-
D’une part, un des objectifs consiste en la création tiel et l’employeur a cédé sur l’ensemble des demandes,
234 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

probablement parce qu’il avait préalablement choisi d’y Une entente exclusivement tributaire
accéder (Taras et Kaufman, 2006). Le pouvoir des ensei- de la confiance
gnants du collège étudié, s’il en est un, relève alors prin-
cipalement du pouvoir syndical présent dans le secteur de Le processus de négociation a donné lieu à la mise en
l’éducation. Les enseignants parviennent à bénéficier place d’une entente qui convient aux deux parties et qui
des principaux avantages de la convention collective permet, aux yeux des enseignants, de limiter les situa-
nationale du secteur public, notamment en matière de tions de favoritisme tout en facilitant la gestion quoti-
salaires, sans être eux-mêmes syndiqués. Ainsi, le pou- dienne de l’équipe de direction. Quant à son respect, les
voir réel du regroupement est davantage tributaire du parties sont confiantes qu’aucune d’elles n’y dérogera.
contexte dans lequel s’insère le collège. S’agissant d’un S’agissant d’une entente négociée en marge du Code
secteur syndiqué, les enseignants bénéficient des condi- du travail, elles sont, par ailleurs, conscientes que son
tions négociées par la voie syndicale (Olson, 1966) et se exécution n’est tributaire que de la bonne foi. Il s’agit
servent de la volonté de la direction de maintenir un là d’une faiblesse notable de cette entente, une lacune
milieu exempt de présence syndicale pour obtenir des souvent dégagée dans les modèles de représentation
gains (Gollan, 2005 ; Kelly, 1996 ; Lewin et Mitchell, 1992 ; non syndicale (Donaghey et collab., 2012). C’est que
Logan, 2006 ; Peetz, 2002 ; Taras et Kaufman, 2006). Sans le recours à un arbitre de griefs au sens du Code du
services professionnels ni représentants externes élus travail requiert la présence d’une association accréditée
pour infléchir le cours des négociations, en l’absence et d’une convention collective. Bien qu’une association
de recours à la grève, et avec des ressources financières non accréditée ne puisse avoir recours à l’arbitrage prévu
lacunaires, le seul pouvoir de négociation réside dans la dans le Code du travail, il est établi que l’association de
menace de syndicalisation (Taras et Kaufman, 2006). Si facto peut ester en justice devant les tribunaux civils au
les enseignants bénéficient d’une forte solidarité interne, nom des salariés qu’elle représente pour la résolution des
démontrée notamment par leur vitalité délibérative, et désaccords découlant de l’entente. Elle doit toutefois
de quelques ressources organisationnelles, telles que la démontrer qu’elle constitue une association de salariés
présence de représentants élus, on ne peut en dire autant en vertu du Code du travail et, dans ce cas, « rien n’em-
des autres ressources de pouvoir définies par Lévesque pêche la CRT de délivrer un tel certificat sur demande
et Murray (2010). En effet, si l’insertion dans les réseaux d’une association non accréditée lui démontrant qu’elle
ainsi que la présence de plusieurs ressources narratives est une association de salariés » (Coutu et collab., 2013 :
et organisationnelles, telles les ressources financières, 383-384). Pour ce faire, elle doit prouver la formation et
confèrent du pouvoir à de nombreuses organisations l’existence de l’association de salariés, en produisant une
syndicales, l’absence de ces ressources au sein du regrou- résolution de l’assemblée de constitution ainsi que les
pement réduit du même coup son influence. Ces résul- statuts et règlements de l’association. Le regroupement
tats signifient qu’une même forme de représentation ne disposant ni de cette résolution ni de statuts, la possi-
non reconnue dans un secteur non syndiqué n’induirait bilité d’ester devant les tribunaux ne peut être envisagée,
­probablement pas autant de gains pour les travailleurs.
d’autant plus que ce recours s’accompagne de coûts
Bien que les enseignants et leurs représentants soient élevés qu’aucune des parties ne souhaiterait assumer.
satisfaits de l’entente et semblent croire qu’ils ont fait En ce sens, le recours des enseignants est déficient.
pression sur la direction, leur réelle capacité d’influence
est plutôt faible. L’aspect le plus important, à savoir la
négociation de la « carte blanche », s’est soldé par une
disposition qui prévoit que le comité des enseignants doit
Conclusion
être informé de toute modification à la situation finan- Cette étude de cas menée dans un collège privé non
cière de l’école et que la direction et lui collaboreront syndiqué a permis d’exposer le processus de négocia-
pour présenter ces éléments au personnel enseignant tion d’une entente et les raisons qui sous-tendent la
et mettre en œuvre des solutions satisfaisantes pour les préférence pour une représentation non syndicale. Le fil
deux parties. d’Ariane de cet article avait pour objet la compréhension
 11   L a négociation d ’ une entente collec tive en marge du C ode du tr avail … 235

des raisons pour lesquelles les parties choisissent Force est aussi de constater que, nonobstant la
volontairement d’y avoir recours. Sans avancer que le confiance mutuelle que se témoignent les parties,
cas décrit est une panacée, aux yeux des parties, il est jumelée à une volonté manifeste de s’engager envers
idoine. Après analyse, il ressort que c’est la thèse de la l’entente, son exécution n’est tributaire que du désir
substitution au syndicalisme qui explique le choix des de celles-ci de la respecter, ce qui constitue une lacune
parties. Il met en présence une hybridation des modèles considérable inhérente à ce modèle (Donaghey et collab.,
de « communauté d’intérêts » et « d’évitement syndical  » 2012). Dans ce contexte, les enseignants ont, par ailleurs,
de Taras et Kaufman (2006). La communauté d’intérêts clairement indiqué que le non-respect de l’entente ferait
est fortement exprimée, non seulement par les repré- ressurgir le désir de syndicalisation (Taras et Kaufman,
sentants de la direction, mais aussi par les enseignants 2006).
qui désirent maintenir des relations exemptes de conflit
En définitive, si plusieurs écrits se consacrent au thème
(Freeman et Rogers, 1999 ; Kim et Kim, 2004).
de la représentation non syndicale, peu s’attachent à
Le modèle de « communauté d’intérêts » bifurque vers décrire un mode aussi peaufiné de représentation qui
celui de « l’évitement » avec la mise en évidence des consiste en un régime fondé sur un volontarisme
motivations de la direction dans le but de former un mutuel, soit la reconnaissance, par l’employeur, du carac-
comité paritaire, de reconnaître le regroupement des tère représentatif du regroupement des salariés, dans
enseignants et de négocier avec lui dans une perspec- une logique d’autonomie collective, où les parties ont
tive de substitution au syndicalisme. C’est par une très mutuellement choisi de négocier une entente volon-
forte majorité que les enseignants expriment leur degré tairement et sans contrainte législative. Il s’agit là de la
de satisfaction au regard de l’entente. Il ressort que principale contribution de cet article. La force de cette
le regroupement n’est pas sous le joug managérial, contribution en constitue, du même souffle, son talon
mais le réel pouvoir dont il dispose demeure, somme d’Achille. S’agissant d’une étude de cas, elle offre une
toute, de peu d’envergure. Il y a alors un hiatus entre analyse riche et détaillée de la perception et du vécu des
le pouvoir perçu et le pouvoir réel. C’est essentielle- personnes dans l’établissement étudié qui s’insère dans
ment le contexte fortement syndiqué des établissements un secteur largement syndiqué. En revanche, l’étude
scolaires au Québec qui constitue la force motrice de ne peut être généralisée (bien qu’il ne s’agisse pas là
cette négociation. de l’une de ses visées). Il serait alors intéressant de
procéder à d’autres recherches du même acabit afin de
mieux cerner le phénomène.

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12

Prendre soin des personnes


au travail en intervenant dans les projets
de changement : Propositions de l’ergonomie1
Marie Bellemare, Daniel Prudhomme et Fernande Lamonde2

Attention
J’ai mis les notes de bas de
page 1 et 2 invisible à côté12du
Introduction par les conditions dans lesquelles leur activité se réa-
mot «Introduction.» du premier lise. Or, ces deux éléments, tâches et conditions, sont
Une des fonctions importantes de la gestion des res- bien le résultat de décisions qui relèvent de l’entreprise
sous-titre sources humaines (GRH) est de s’occuper de la santé elle-même. Comme nous l’a bien montré la sociologie
des salariés. On sait, par exemple, qu’une bonne pro- du travail, de multiples logiques (Bernoux, 1985) sont à
portion des diplômés du premier cycle universitaire en l’œuvre dans l’entreprise, portées par différents acteurs,
relations industrielles exerceront des fonctions en lien selon les préoccupations qui sont les leurs. On peut se
avec la santé et la sécurité au travail. On peut supposer demander quels sont les acteurs qui portent l’enjeu du
qu’au sein des directions de ressources humaines (DRH), travail, quelles représentations ils en ont et à quel point
beaucoup de temps est consacré à gérer des dossiers ils influencent les décisions.
de travailleurs absents pour cause de problèmes de
santé physique et, de plus en plus, de santé mentale. Il y a bien sûr des tendances observées dans les entre-
L’entreprise doit en outre assumer les coûts indirects prises à se donner une réputation de bon employeur,
de ces absences : recruter afin de pourvoir les postes par l’intermédiaire d’images de marque, comme « entre-
dépourvus de leurs titulaires, former de nouvelles per- prise socialement responsable », « entreprise en santé »,
sonnes, accommoder les travailleurs qui reviennent au « employeur de choix ». Ce sont des tendances qui
travail après une absence prolongée, faire face à des répondent aux difficultés vécues par les entreprises afin
baisses de productivité. Les recherches montrent que de recruter une main-d’œuvre qualifiée et d’en assurer
plusieurs de ces problèmes sont liés directement au tra- la rétention. On cherche ainsi à offrir des avantages aux
vail, par les tâches qui sont assignées aux salariés et salariés en se démarquant des concurrents, pour attirer
et retenir la main-d’œuvre. Or, force est de constater que
ces approches misent principalement sur des éléments
1. Nous tenons à remercier Dominique Larouche, étudiante au
doctorat en kinésiologie, de son aide dans la recherche de réfé-
extrinsèques au travail : salaire, congés, environnement
rences et la mise à jour des données relatées dans ce chapitre. physique agréable, etc. Elles ne concernent pas le travail
2. Notre collègue Fernande Lamonde est décédée en 2013. Plu- directement, elles ne remettent pas en cause ce qui est
sieurs de ses idées sont défendues dans ce texte et c’est la raison demandé au jour le jour aux hommes et aux femmes qui
pour laquelle nous avons tenu à ce qu’elle en soit considérée s’affairent à produire les biens et les services et qui sont,
comme coauteure.
 12   P rendre soin des personnes au tr avail en intervenant dans les projets de changement… 239

par ailleurs, au cœur de la mission des entreprises. Pour- dont la crampe de l’écrivain, la surdité des mineurs.
tant, dans leurs activités quotidiennes, les salariés sont Pendant plusieurs siècles, on s’est préoccupé de la
aux prises avec des insuffisances de moyens pour mener salubrité des lieux de travail et ce n’est qu’au xxe siècle
à bien leur travail et des contraintes qui peuvent même que l’on a légiféré dans les pays industrialisés pour que
rendre le travail « intenable » (Théry, 2006). Les consé- les travailleurs puissent être indemnisés au regard des
quences de telles situations de travail s’expriment de atteintes à la santé subies au travail – accidents et mala-
différentes façons : troubles de santé psychologique (TSP) dies. Puis, on a instauré des obligations de prévention
comme la détresse psychologique et l’épuisement pro- à l’employeur. C’est ainsi qu’au Québec, depuis 1979,
fessionnel, troubles de santé physique de type troubles l’employeur « doit prendre les mesures nécessaires pour
musculosquelettiques (TMS), tels les maux de dos, les protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité phy-
tendinites, etc. Sans compter que de nombreux risques sique du travailleur » (Loi sur la santé et la sécurité du
liés aux agresseurs chimiques, physiques et biologiques travail, article 51). Malgré ces lois et malgré l’avance-
demeurent présents, malgré les connaissances dont nous ment des connaissances sur les risques et la façon de
disposons pour les prévenir. les prévenir, la situation en matière de santé au travail
demeure préoccupante, comme nous le montrerons dans
Dans ce chapitre, nous suggérons un rôle proactif pour
les sections qui suivent.
les DRH qui consiste à prendre soin des salariés en inter-
venant dans les projets de l’organisation de manière à
placer au cœur de ceux-ci le travail réel3. Dans la pers-
De multiples lésions d’origine professionnelle
pective de l’ergonomie, en particulier de l’ergonomie
de conception, il s’agit d’articuler le travail aux projets Les données sur l’état de santé de la population au travail
dès le début de ceux-ci et quel que soit le domaine dans proviennent de deux sources principales : 1) les statis-
lequel ils se déroulent : implantation de formation, de tiques de lésions – accidents ou maladies – profession-
logiciels, organisation de la production, du travail, réa- nelles indemnisées par la Commission des normes, de
ménagement d’espace, introduction de nouvelles tech- l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ;
nologies. En ce sens, si le projet est un lieu où se construit 2) les grandes enquêtes populationnelles, notamment
le risque (Hubault, 1996), il peut aussi devenir un lieu celles sur les conditions de travail4 et de santé des salariés.
où se construit la santé. Après avoir présenté un état
Si l’on tient compte des seules lésions reconnues par la
de situation en matière de santé au travail, au regard
CNESST, on ne peut que constater l’ampleur du problème :
1) de l’évolution du travail et de l’emploi et à la lumière
ainsi, en 2015, la CNESST a accepté les réclamations
de 2) différents projets de changement, nous exposons
concernant 81 765 accidents du travail et 5 853 maladies
3) le modèle de la situation de travail développé en ergo-
professionnelles (CNESST, 2016) ; la même année, elle
nomie au centre duquel on retrouve l’activité de travail.
a dû indemniser 14 759 531 jours perdus (ibid.). C’est
Nous terminons en proposant 4) une approche pour
largement plus (près de 60 fois) que les 252 188 jours
articuler travail réel et projets d’organisation, dans la
de grève ou de lock-out au cours de l’année précédente
perspective d’accroître à la fois l’efficacité du travail et
(Ministère du Travail du Québec, 2015). Cela correspond
la santé des salariés.
à 56  767 travailleurs québécois « fantômes » (en équi-
valents temps complet, pour une année de 260 jours
travaillés). Or, ces chiffres ne représentent que la pointe
Évolutions du travail, évolutions
de la santé au travail 4. Plusieurs pays d’Europe tiennent fréquemment des enquêtes sur
les conditions de travail et la santé des salariés, ce qui permet
Les préoccupations à l’égard de la santé des travailleurs d’obtenir un portrait à jour autant de la santé des salariés que de
remontent à Ramazzini, médecin italien qui s’est inté- l’évolution du travail et de l’emploi. Au Québec, nous disposons
ressé à plusieurs maladies occasionnées par le travail, de l’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et
de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST, Vézina et collab.,
2011) qui a été menée pour la première fois en 2008, mais qui
3. Nous reviendrons sur la notion de travail réel un peu plus loin. n’a pas été reprise depuis.
240 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

de l’iceberg, toutes les lésions éventuellement « indem- du travail lui-même, qui créent de « nouveaux » risques
nisables » n’étant pas indemnisées, et tous les effets pour la santé des salariés. Plusieurs auteurs parlent de
négatifs (pour les personnes et les organisations) ne se l’intensification du travail (Gollac et Volkoff, 1996 ; Aské-
manifestant pas par de telles « lésions ». Ainsi, on estime nazy, 2004) qui vient accroître le stress au travail, contri-
(Vézina et collab., 2011) que le tiers des victimes d’un buant à de nombreux problèmes de santé physique et
accident ayant entraîné une absence du travail n’ont pas psychologique.
fait de réclamation à la CNESST.
Par ailleurs, les évolutions que le travail a connues
Si l’on considère les résultats des grandes enquêtes, on montrent que certaines conditions de travail délétères
peut voir qu’une proportion importante des salariés est affectent de plus en plus les salariés. Par exemple, selon
affectée par des troubles physiques, comme les troubles les enquêtes menées en France tous les sept ans, on
musculosquelettiques (TMS), au dos et aux membres observe que la proportion de salariés devant rester long-
supérieurs notamment, mais aussi par des troubles de temps dans une posture de travail pénible est passée
santé psychologique (TSP). Ainsi, selon l’Enquête québé- de 16,2 % en 1984 à 34,6 % en 2013 (Algava et Vinck,
coise sur des conditions de travail, d’emploi, et de santé 2015a). De plus, on remarque que le travail réalisé selon
et de sécurité du travail (EQCOTESST), réalisée auprès un rythme imposé affecte une proportion de salariés de
des travailleurs québécois (Vézina et collab., 2011), plus plus en plus grande : le pourcentage de salariés dont le
d’un travailleur sur cinq est affecté par des symptômes rythme de travail est imposé par des normes de pro-
de TMS liés au travail et 18 % souffrent d’un niveau de duction à l’heure est passé de 5,2 en 1984 à 27,3 en
détresse psychologique élevé. L’étude indique égale- 2013 (Algava et Vinck, 2015b) et celui dont le rythme
ment que 60 % des travailleurs souffrant de symptômes est imposé par un contrôle hiérarchique permanent est
dépressifs font preuve de présentéisme, c’est-à-dire qu’ils passé de 17,4 en 1984 à 30,5 en 2013 (ibid.).
demeurent au travail malgré leur état.
Il faut noter aussi que le marché du travail a évolué de
façon telle qu’au Canada les entreprises de services
comptent maintenant pour 74 % de l’emploi (Vincent
Des changements qui affectent négativement
et McKeown, 2008). Au Québec, 87 % des femmes et
la santé au travail 62 % des hommes travaillent dans ce secteur (Cloutier
L’importance des effets du travail sur la santé s’explique et collab., 2011). Or, plusieurs auteurs ont démontré une
entre autres par le fait qu’il existe toujours des conditions intensification du travail marquée dans ce secteur, qui
physiques pathogènes. Dans les pays riches, l’exposi- en fait un environnement de travail possiblement délé-
tion aux risques depuis longtemps connus – produits tère. On peut penser, par exemple, aux centres d’appel
chimiques, radiations, bruit – est restée stable ou n’a (Jeantet, 2003) qui sont devenus les usines des temps
diminué que légèrement (Benach et collab., 2010). De modernes où le travail, sous contrainte temporelle, est
plus, l’évolution de l’emploi crée des inégalités sociales étroitement prescrit et contrôlé. D’autres domaines du
de santé face aux risques du travail (Baril-Gingras, 2013). secteur des services sont touchés. Par exemple, celui
Les entreprises, à la recherche d’une plus grande flexibi- de la santé et des services sociaux fait face à un taux
lité, ont de plus en plus recours aux agences de location d’absentéisme élevé du personnel (MSSS, 2015) : plus
de personnel, aux statuts d’emploi à temps partiel, à la de 19 millions d’heures ont été indemnisées par l’assu-
main-d’œuvre temporaire, ce qui affaiblit la protection rance salaire (ce qui n’inclut pas l’indemnisation par la
des salariés (Bernier et Laflamme, 2013). On dénote aussi CNESST). Les problèmes de santé mentale y occupent la
un accroissement d’exigences en matière de mobilité première place – 34,6 % des dossiers d’assurance salaire
géographique et de disponibilité temporelle, donnant en 2014-2015 – suivis par les troubles musculosquelet-
lieu à des horaires atypiques (Lippel, Baril-Gingras et tiques (26,2 %).
Johnstone, 2017).
En somme, les principales conséquences documentées
À ces tendances défavorables observées dans l’emploi des changements survenus au cours des vingt dernières
s’ajoutent des changements qui concernent le contenu années s’avèrent principalement des absences de la part
 12   P rendre soin des personnes au tr avail en intervenant dans les projets de changement… 241

des employés de tous les niveaux ­– y compris les ges- psychosociaux (Aptel et collab., 2011 ; Côté et collab.,
tionnaires –, des problèmes de santé, physique et men- 2013). Lorsqu’on souhaite agir sur le facteur de risque
tale, affectant les personnes, auxquels s’ajoutent des « posture », il faut modifier l’aménagement du poste de
problèmes d’efficacité – par exemple, perte de producti- travail car la posture est le résultat d’un compromis entre
vité, détérioration de la qualité, augmentation des délais. la tâche à réaliser et les moyens dont on dispose pour
le faire. Si l’on veut diminuer la répétitivité du travail, il
faut nécessairement s’attaquer à l’organisation du travail,
Prévenir les risques à la source : des risques par exemple en abaissant les cadences ou les normes de
classiques aux risques complexes production. On voit bien, par ces deux exemples, que ces
facteurs de risque ne sont pas des agresseurs auxquels
Traditionnellement, la prévention se déploie selon le
les travailleurs sont soumis, mais plutôt des éléments
paradigme de la soustraction (Andéol-Aussage et collab.,
constitutifs de l’activité de travail elle-même. Les straté-
2008) : en éliminant les facteurs de risque, ou encore
gies de prévention, pour être efficaces, doivent passer
en soustrayant les travailleurs à la présence des agres-
par une compréhension de l’activité de travail, comme
seurs biologiques, chimiques, physiques, on les protège
celle que propose l’analyse ergonomique du travail –
d’atteintes potentielles à leur santé. C’est ainsi que l’on
nous y reviendrons.
traite les risques « classiques » : on tente en priorité d’éli-
miner l’agent agresseur à sa source et, si ce n’est pas
possible, on empêche l’agresseur d’exercer son effet en
l’éloignant du travailleur, ou en mettant une barrière
Des facteurs de risque psychosociaux
entre l’agent et le travailleur, ou encore en diminuant le aux stratégies de prévention
temps d’exposition. Si ces moyens de prévention orga- Parmi les risques dits complexes, les risques psychoso-
nisationnels ne sont pas possibles, en dernier recours, ciaux occupent une place à part. C’est ainsi que, depuis
on préconise les équipements de protection individuelle une vingtaine d’années, des études épidémiologiques
(EPI). Les EPI produisent souvent des effets non désirés, ont fait émerger différents modèles permettant d’expli-
ce qui peut expliquer que les travailleurs ne les portent quer le stress au travail. Le modèle de Karasek (Karasek
pas. On peut penser au malaise relié aux masques respi- et Theorell, 1990), par exemple, suggère que le stress
ratoires, à la perte de dextérité occasionnée par le port résulte d’une charge de travail élevée ( job demand), cou-
des gants, aux difficultés de communication causées plée au manque de latitude décisionnelle et au manque
par le port de protecteurs auditifs. Pour les salariés, ces de soutien social. Pour Siegrist (Siegrist, 1996), c’est le
EPI peuvent devenir des empêchements à produire un déséquilibre entre l’effort investi dans le travail et les
travail de qualité. « récompenses » reçues en retour qui est à l’origine du
Comme discuté précédemment, l’évolution de la nature stress au travail. En 2008, à la suite d’une épidémie de
du travail, qu’il s’agisse de tertiarisation ou d’intensifi- suicides survenus en France sur les lieux du travail de
cation, vient complexifier les rapports entre conditions grandes entreprises, une commission d’experts a été
de travail et santé. En effet, les atteintes à la santé sont, créée pour faire la lumière sur les « risques psycho-
de plus en plus, le résultat de la présence de multiples sociaux » (RPS). Il en est résulté un rapport important
causes, avec des effets qui se développent dans le temps, (Nasse et Légeron, 2008) qui est à la base d’une politique
à moyen ou à long terme. Il est alors difficile de « sous- publique obligeant les entreprises à réaliser des actions
traire » le travailleur ou la travailleuse au risque, d’autant de prévention de ces risques, qui sont à l’origine de pro-
que plusieurs de ces risques sont associés directement à blèmes de santé aussi bien physiques – par exemple, les
l’activité de travail. Si l’on prend l’exemple des troubles TMS – que psychologiques – mal-être, souffrance au tra-
musculosquelettiques, on reconnaît qu’ils résultent de vail, détresse psychologique, épuisement professionnel,
la combinaison de facteurs de risque biomécaniques violence. Plus récemment, un collège d’experts (FRANCE.
(Kuorinka et collab., 1995), tels la posture, l’effort phy- Ministère du travail, de l’emploi et de la santé, 2011) a été
sique, les mouvements répétitifs, les pressions méca- mandaté pour établir un système de suivi des RPS. On
niques, les vibrations, auxquels s’ajoutent les facteurs y présente les facteurs de risque psychosociaux comme
242 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

relevant de six catégories (INRS, 2017) : 1) l’intensité et dans la mesure où l’activité des salariés n’est pas un réel
le temps de travail ; 2) les exigences émotionnelles ; 3) le objet de réflexion.
manque d’autonomie ; 4) les rapports sociaux au travail
dégradés ; 5) les conflits de valeur ; 6) l’insécurité de la
situation de travail. Des projets qui ne donnent pas
Plusieurs auteurs (par exemple, Vézina et collab., 2006,
les résultats escomptés
St-Hilaire et collab., 2013) constatent néanmoins que, Plusieurs de ces projets sont menés avant tout dans le
face aux RPS, les employeurs choisissent d’agir sur les but d’accroître la compétitivité des organisations, par
individus, par exemple en leur offrant des cours de ges- exemple en améliorant la production en matière de
tion du stress, en leur donnant un numéro de téléphone quantité, qualité, délais, lieu, coûts, comme le dictent les
où ils peuvent obtenir, en tout temps, un soutien psycho- manuels de gestion des opérations (Stevenson et Bene-
logique (Clot, 2015). Or, d’autres stratégies de prévention detti, 2011). Or, ces projets d’investissement ne donnent
seraient souhaitables, comme le suggèrent Brun et ses pas toujours les résultats attendus du point de vue de
collaborateurs (2003) qui ont mis au point un modèle la production : il n’est pas rare d’observer des ratés au
d’action qui articule plusieurs niveaux de prévention. démarrage et même de constater que les rendements
C’est ainsi que les pratiques de reconnaissance et de souhaités ne sont tout simplement pas atteints, des mois
soutien social y ont une place, de même que certaines et des années après la clôture du projet. On peut prendre
pratiques organisationnelles. Ce modèle d’action ne se comme exemple le projet Phénix, implanté par le gou-
contente plus de pointer les facteurs psychosociaux vernement fédéral (Cornellier, 2016), qui devait simplifier
négatifs. En effet, ces facteurs délétères ont aussi leur la gestion de la rémunération des employés de l’État et
pendant positif. Comme le souligne Clot (op. cit.), les diminuer les coûts associés à la production des payes.
aspects psychosociaux du travail peuvent être consi- Voilà que le résultat est tout autre : augmentation impor-
dérés comme des ressources psychologiques et sociales tante des erreurs, difficulté à les corriger, le tout entraî-
pour la santé : une charge de travail équilibrée, un travail nant des dépenses qui dépassent largement le coût du
proche de ses valeurs, source de sens, de reconnaissance, projet, sans compter les désagréments énormes causés
de développement, de sécurité. Ces éléments sont inspi- aux employés pendant des mois, voire des années, à
rants pour penser le travail autrement, de manière à en cause d’erreurs que le système ne semble pas en mesure
faire un facteur de construction de la santé physique et de corriger. On peut présumer aussi de la détresse des
psychologique. Il est bien question du travail réel, celui salariés dont la tâche consiste à traiter, en première ligne,
qui engage les personnes chaque jour et qui contribue à les plaintes des personnes lésées, tout en étant privés
la mission de l’entreprise. Or, c’est souvent à travers des d’outils adéquats pour remédier à la situation.
« projets » que se définit par défaut, la plupart du temps,
le travail futur.
Des problèmes de santé à l’issue des projets
Nombre de projets de changement créent des effets non
Les projets des organisations : souhaités en matière de répercussions sur les salariés :
difficulté à s’adapter au changement, atteintes à la santé
lieux de création du travail futur physique, à la santé mentale. Bien que l’on parle souvent
Qu’il s’agisse de remanier les modes de prestation des de « résistance au changement » de la part des salariés
services, d’introduire de nouvelles technologies, d’im- pour expliquer les échecs de certains projets, il semble
planter des logiciels de gestion intégrée, d’instaurer de nécessaire de se questionner plutôt sur les erreurs faites
nouvelles procédures, de revoir des structures organi- par les concepteurs de ces changements, lesquels, loin
sationnelles, d’agrandir ou de réaménager des espaces, de constituer un « progrès », rendent parfois le travail plus
les organisations sont constamment en mouvement. difficile, plus pénible, entraînant des problèmes de santé.
Force est de constater que ces projets de changements C’est ainsi que Fournier et ses collaborateurs (2013) ont
sont des lieux où le travail se définit comme par défaut, montré comment l’implantation d’un logiciel de gestion
 12   P rendre soin des personnes au tr avail en intervenant dans les projets de changement… 243

des études dans un établissement d’enseignement a avait l’habitude d’utiliser) et donne son maximum, de
entraîné un accroissement important de la charge de telle sorte que, globalement, la cellule de travail peut
travail pour les agentes responsables d’assister les étu- maximiser sa production. Ce passage du travail très par-
diants dans le processus d’inscription aux programmes cellisé au travail en îlots, qui se voulait une tentative
et aux cours. Loin de faciliter leur travail, ce nouvel outil d’enrichissement des tâches, a en réalité eu pour effets
est venu plutôt le compliquer : des tâches courantes, de faire augmenter en flèche les TMS et de générer des
considérées jusque-là comme simples et rapides à réa- problèmes de santé psychologique. L’analyse du travail
liser, se voyaient tout à coup complexifiées et allongées réel a montré que les couturières travaillent debout avec
dans leur durée par ce logiciel, mal adapté au travail des postures statiques dommageables pour les membres
réel. Tout comme nous avons pu l’observer dans certains supérieurs et inférieurs et que, en plus, l’organisation du
projets industriels (Bellemare et collab., 2002), les per- travail à l’intérieur du module, telle qu’elles la gèrent, est
sonnes expérimentées qui avaient du métier ont vu leur une source importante de tensions. La formation offerte
expérience rendue caduque par la venue de ce nouvel aux travailleuses n’avait pas abordé la question de la
outil, altérant du coup le sens même du travail. De plus, gestion de la production par l’équipe de travail.
il s’ensuivit des années de difficultés pour l’établisse- Ces deux exemples montrent que le travail réel résultant
ment : insatisfaction des étudiants, accroissement des d’un projet de changement n’a pas été véritablement
problèmes psychologiques chez les agentes de gestion anticipé, avec pour résultat un grand écart entre ce qui
des études, absences prolongées du travail, perte d’ex- était attendu et ce qui est advenu. L’implantation du nou-
pertise liée au départ des anciennes. À cela s’ajoutent veau logiciel et de la nouvelle organisation du travail a
les multiples demandes de réaménagement de postes de généré, dans chaque cas, des pertes d’efficacité pour
travail : le mal-être au travail venait accroître les symp- l’organisation, en plus d’augmenter les problèmes de
tômes physiques associés à l’utilisation de l’ordinateur. santé pour le personnel. En examinant le travail réel à
Dans le domaine industriel, de nombreux changements l’issue des projets, ces études ont permis d’aller au-delà
ont été rapportés comme augmentant la pénibilité du de l’explication de la résistance aux changements, pour
travail. C’est ainsi que Vézina et ses collaborateurs (1998 ; pointer plutôt des erreurs de conception. Or, pour plu-
2003) se sont intéressés à une usine de fabrication de sieurs auteurs, dont Béguin (2013), ce sont les représen-
bottes qui était passée d’un mode de production tra- tations erronées que les concepteurs se font du travail
ditionnel à un modèle de production « tiré par l’aval ». qui se cristallisent dans les objets de la conception, c’est-
Par ce projet, l’entreprise souhaitait produire en juste à-dire le nouveau logiciel, la nouvelle organisation de la
à temps, diminuer les en-cours et le stockage des pro- production.
duits finis, comme le prévoit le mode d’organisation de
la production allégée (lean) : les travailleuses seraient
dorénavant appelées à faire fonctionner différentes
Le projet comme lieu possible de prévention
machines regroupées dans un îlot voué à la fabrication De nombreux autres exemples de difficultés vécues au
complète du produit, de la couture des différentes com- quotidien à l’issue des projets pourraient être donnés
posantes à l’emballage, en passant par l’assemblage et le (par exemple, Benchekroun et collab., 2013, Petit et
contrôle de la qualité. Dans ce système de main à main, Dugué, 2012). Par contre, il existe aussi des exemples,
le travail se fait debout puisque l’on se déplace souvent certes moins nombreux, où les projets ont été saisis
pour changer de machines et aller soulager les goulots comme une occasion de bonifier les conditions de réa-
qui ne manquent pas de se créer. De plus, on impose lisation du travail. C’est le cas de la construction d’une
des quotas de production qui permettent d’obtenir des nouvelle aluminerie au Québec. Dans une étude a pos-
bonus salariaux pour les travailleuses du module. Les teriori du projet, Lamonde et ses collaborateurs (2006)
opératrices, qui doivent gérer la production de l’îlot, sont ont pu recenser que 66 % des gros risques – risques
ainsi amenées à recréer une organisation du travail com- pouvant entraîner des décès ou des blessures graves
plètement différente de celle qui était prévue : chaque – avaient été éliminés au cours de la conception. Une
travailleuse se spécialise sur une machine (celle qu’elle équipe de préventionnistes avait été intégrée au projet
244 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

avec pour objectif de prévenir les risques, dès la concep- travail réel qui remonterait (Dujarier et collab., 2016) à
tion de l’usine. L’étude met en évidence les stratégies uti- Ombredane et Faverge (1955). Hubault (1996) la résume
lisées par les préventionnistes pour investir le projet, par ainsi : le travail prescrit est ce que l’on demande à une
exemple : construire son intervention pas à pas, s’adapter personne et l’activité est ce que ça lui demande. On
aux concepteurs, recourir à la logique d’utilisation pour peut ainsi entrevoir que le travail ne se déroule pas for-
tester la conception. Cette étude montre aussi que l’inter- cément comme prévu, qu’il exige de la part du salarié
vention des préventionnistes s’est appuyée sur le travail des adaptations et des bricolages constants pour arriver
réel en mettant à contribution des superviseurs et des à réaliser la tâche et à produire les résultats attendus,
opérateurs et en leur donnant les moyens de projeter compte tenu de tous les aléas qui peuvent survenir.
l’activité future (Daniellou, 1987). Voyons maintenant, C’est ainsi que l’activité de travail, quelle qu’elle soit,
à partir du modèle de la situation de travail utilisé en suppose un engagement de la personne dans la réalisa-
ergonomie, comment on peut conceptualiser le travail tion d’une tâche, selon plusieurs dimensions : physique,
réel et en arriver à en faire un enjeu des projets. mentale et sociale. Comme le suggèrent Vézina (2001)
et St-Vincent et ses collaborateurs (2011), la dimension
physique se traduit par des éléments observables tels
Des conditions de réalisation des opérations, des actions, des gestes, des postures,
des mouvements. Cette partie visible de l’activité ne
du travail aux effets non souhaités doit pas nous faire oublier que toute personne s’engage
de l’activité : le modèle de la aussi mentalement dans son travail : par les préoccu-
situation de travail pations qu’elle porte, par les affects mis en jeu, par les
informations qu’elle prélève dans l’environnement et
En général, la production de biens et de services est qu’elle traite, par les décisions qu’elle prend, les stratégies
la raison d’être d’une entreprise. Qu’elle soit privée ou qu’elle élabore. Enfin, la dimension sociale de l’activité
publique, dans le secteur primaire, secondaire ou ter- se manifeste à travers les communications explicites ou
tiaire, sa mission se traduit par des résultats, plus ou implicites qui sont entretenues avec les collègues, les
moins tangibles : des quantités d’articles fabriqués ou supérieurs, les clients, donnant lieu à différentes formes
livrés, dans certains délais, un nombre de clients des- de travail collectif (Prudhomme et collab., 2015).
servis, une qualité de service. Les hommes et les femmes
qui contribuent à ces résultats le font par l’activité qu’ils
et elles déploient en situation de travail. C’est par le Des représentations du travail à enrichir
concept d’activité que les ergonomes appréhendent le
Selon la nature du travail à réaliser, les différentes dimen-
travail réel. L’ergonomie propose en effet un modèle de
sions, tout juste évoquées, seront présentes avec plus
la situation de travail qui permet d’expliquer les consé-
ou moins d’intensité. On parlera d’ailleurs d’exigences
quences, positives et négatives, du travail tant sur les
physiques élevées dans le cas, par exemple, du travail
salariés que sur l’organisation elle-même. La situation
des manutentionnaires, et de travail émotionnellement
de travail peut être définie comme étant le couplage
exigeant (Jauvin et collab., 2014, ; Ribert-Van De Weerdt
(Leplat et Cuny, 1977) entre une personne et une tâche
et Baratta, 2016) dans le cas des soignants. Dans de
à réaliser, dans certaines conditions, qui génère une
multiples situations de travail, on constate l’importance
activité dont on peut appréhender les effets tant sur
de la dimension sociale, parlant d’activité collective
l’entreprise que sur la personne elle-même.
(Caroly, 2010). Mais il ne faut pas perdre de vue que,
même dans des activités de travail où la composante
physique domine, toutes ces dimensions, bien qu’elles
Travail réel et activité ne soient pas toujours visibles pour l’observateur, sont
L’activité, en ergonomie, désigne ce qu’une personne fait bien présentes. En effet, les premières recherches en
réellement dans son travail. Il existe donc une distinc- ergonomie de l’activité ont montré que le travail répétitif
tion entre la tâche – le travail prescrit – et l’activité – le à cycle court, comme le travail d’assemblage sur une
 12   P rendre soin des personnes au tr avail en intervenant dans les projets de changement… 245

chaîne de montage d’appareils électroménagers (Laville à mesurer l’efficacité de la production et chacune des
et collab., 1972), comporte une forte dimension cogni- situations de travail du processus de production devient
tive : les travailleuses réorganisent leur espace, régulent potentiellement une situation à améliorer en vue d’at-
leur activité en continu pour faire face à la variabilité teindre ou même de dépasser les objectifs. En effet, si les
des composantes qu’elles doivent fixer sur des platines résultats ne sont pas au rendez-vous, c’est que quelque
qui défilent devant elles. Les travailleurs des abattoirs chose ne va pas dans l’activité : l’agent n’arrive pas à
(Ouellet et Vézina, 2009 ; Bellemare, 1995), malgré qu’ils respecter la durée prescrite pour traiter les dossiers et
soient sur une chaîne, arrivent à communiquer entre eux, les clients se plaignent des retards de remboursement ;
par exemple pour avertir les collègues en aval que le lot les équipements fabriqués sur mesure n’ont pu être
de carcasses qui arrive est difficile. Plus récemment, des livrés à temps parce que les emballeurs manquaient de
recherches sur le travail des manutentionnaires (Denys matériel ; les patients attendent à l’urgence parce que les
et collab., 2011) ont bien montré que les personnes infirmières sont surchargées. Dans ces cas, le cadre du
engagées dans de telles tâches, particulièrement les travail n’offre pas les ressources nécessaires pour que les
plus expérimentées, traitent de l’information en continu, résultats recherchés soient atteints : le nouveau logiciel
organisent leur activité pour faire en sorte d’optimiser pour traiter les dossiers d’assurance est défaillant, les
leur travail tout en protégeant leur santé. Ces manuten- stocks de matériel pour emballer n’ont pas été prévus
tionnaires experts, qui arrivent à se maintenir dans le en quantité suffisante, les infirmières sont surchargées
métier malgré les contraintes, appliquent, souvent de car les absentes n’ont pas été remplacées.
manière intuitive, des principes biomécaniques qu’ils
Par ailleurs, dans le cas où les résultats attendus sont
adaptent aux contextes très diversifiés qu’ils rencontrent.
bien présents, il arrive que ce qui est exigé des sala-
Le concept d’activité en ergonomie repose donc sur un riés soit intenable : on peut accélérer pour rattraper
modèle de l’humain aux multiples dimensions, qui, loin un retard, un dysfonctionnement temporaire, mais on
d’être un simple exécutant du travail prescrit, s’investit ne peut maintenir une vitesse excessive indéfiniment
de plusieurs façons pour contribuer à la production sans conséquence négative sur la santé. C’est ainsi que,
attendue, en tentant de maintenir son propre équilibre, lorsque l’entreprise n’arrive pas à atteindre les objectifs
en dépit des aléas qui surviennent. Or, il faut constater de production ou lorsque cela se fait au détriment de la
que peu d’acteurs de l’entreprise ont une représenta- santé des salariés, le travail réel est en cause et mérite
tion juste de l’activité, de ce que le travail, même le plus d’être examiné. L’analyse de l’activité se fait en mettant à
simple en apparence, exige. Le travail réel s’appréhende contribution ceux et celles qui la font, de manière à com-
en effet grâce à des observations fines de l’activité et en prendre la source des dysfonctionnements, en explorant
faisant une place aux verbalisations de ceux et celles les déterminants qui influencent l’activité de travail. Cette
qui le réalisent. La compréhension du travail réel exige analyse permet aussi de mettre au jour les stratégies
également de s’intéresser aux traces de l’activité, à ce que le travailleur déploie pour arriver à satisfaire les
qu’elle produit. exigences, souvent au détriment de sa santé : il essaie
de rattraper les retards en ne prenant pas ses pauses ou
en ajoutant à son propre travail des tâches qui devraient
L’activité génère des résultats être faites par d’autres ; il accepte de prolonger son quart
pour l’organisation et marque les sujets de travail pour assurer la continuité des services.

Pour l’organisation, le résultat positif de l’activité, c’est Ces effets négatifs ne doivent pas occulter le fait que le
l’atteinte des objectifs et, dans certains cas, le respect travail peut contribuer à la santé : le travail qui permet la
de normes : les clients d’une compagnie d’assurance réalisation de soi, qui génère de la reconnaissance, qui a
collective doivent obtenir un remboursement des médi- du sens. Le travail peut aussi contribuer au développe-
caments dans les 7 jours ; tel équipement doit être livré ment des compétences et certains auteurs parlent alors
5 jours après avoir été commandé ; les patients de l’ur- de « santé cognitive » (Montmollin, 1993). Pour Falzon,
gence ne doivent pas y séjourner plus de 10 heures. Des (2013), le travail peut comporter des difficultés, pourvu
indicateurs de performance quantifiés servent souvent que celles-ci puissent être traitées : les problèmes que
246 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

l’on a à résoudre doivent être assortis des ressources et fonctions sont au repos, ce qui rend le travail de nuit
des conditions permettant d’y arriver. coûteux pour la santé (Montreuil, 1997). La fatigue qui
s’installe au cours de la journée fait en sorte que, pour
Par ailleurs, comme le souligne cet auteur (ibid.), les effets
réaliser une même tâche, un travailleur mettra plus de
du côté de la production « retentissent » sur le sujet. Le
temps en fin de journée qu’en début de journée. La
travailleur qui n’a pas réussi à respecter les délais que
variabilité intra-individuelle se manifeste aussi à l’échelle
l’organisation avait promis à ses clients peut ressentir
d’une vie de travail : certaines fonctions déclinent dans
une insatisfaction envers son travail ; en revanche, l’in-
le temps, comme la force physique, alors que d’autres
firmière qui a réussi à bien accompagner le patient en fin
se construisent, comme le jugement, les stratégies de
de vie et sa famille a le sentiment d’avoir fait un travail
protection de sa santé (Marquié et collab., 1995) influen-
de qualité et que son travail a un sens. La majorité des
çant la manière de réaliser l’activité, le mode opératoire.
travailleurs ressentent une fierté lorsqu’ils réalisent le
travail avec efficacité. De la même façon, les problèmes
de santé des travailleurs se répercutent négativement sur Variabilité du cadre de travail
l’organisation, affectant les indicateurs sociaux tels les
Le cadre du travail comporte l’ensemble des éléments qui
taux de roulement, d’absentéisme, d’accidents, de lésions
sont extérieurs à l’individu et qui viennent influencer son
professionnelles entraînant d’ailleurs des coûts directs
activité. On parle ici autant du contrat qui régit la presta-
et indirects qui affectent le rendement économique. En
tion du travailleur que de la tâche à réaliser – les buts à
s’intéressant au travail réel, il convient de prendre en
atteindre – et des conditions dans lesquelles celle-ci se
compte les résultats de l’activité, du point de vue des
réalise, qui correspondent aux ressources et aux moyens
travailleurs et aussi du point de vue de l’entreprise.
qui sont offerts par l’organisation. On regroupe ces élé-
ments en plusieurs familles : l’environnement physique
(espace, nuisances sonores, lumineuses, chimiques, etc.),
Activité et variabilité
le dispositif technique (machines, outils, équipements,
Une des limites des représentations qui circulent à dispositifs d’information, logiciels, etc.), l’organisation
propos du travail parmi les acteurs extérieurs à celui-ci, de la production et du travail (modèle de production,
c’est qu’elles ne prennent pas en compte la variabilité des horaires, affectations, etc.) et la formation (sur le tas, en
situations de travail alors qu’elle s’exprime pourtant dans salle, compagnonnage, etc.).
toutes ses composantes. En effet, l’activité de travail est
Le cadre de travail est lui aussi empreint de variabilité,
très variable, c’est-à-dire qu’il n’y a pas une seule façon
quelle que soit la famille de déterminants concernés : les
de s’acquitter d’une même tâche, les individus étant
produits fabriqués ou les services à rendre sont multiples,
tous différents, et que les conditions dans lesquelles se
les clients sont très différents et leurs demandes, diver-
déroule l’activité sont aussi changeantes.
sifiées, les outils se désajustent, les systèmes tombent
en panne, il peut y avoir un manque d’effectifs, des
La variabilité individuelle imprévus qui créent des contraintes de temps. L’activité
s’en trouve affectée et elle peut être vue comme un com-
On peut considérer en effet qu’il existe une diversité de
promis, à un moment donné, pour atteindre des objectifs,
personnes au travail et que les individus se distinguent
compte tenu, d’une part, de la configuration du cadre de
dans la manière de mener une opération, selon leur âge,
travail à ce moment et, d’autre part, de facteurs internes,
leur genre, leur expérience, leur formation, leurs carac-
relatifs à la personne elle-même. Le travailleur est ainsi
téristiques physiques, etc. C’est ce que l’on appelle la
constamment appelé à modifier son activité pour faire
variabilité interindividuelle. De plus, l’état d’un même
face à ces variabilités, à tout ce qui n’a pas été prévu par
travailleur varie dans le temps, c’est ce que l’on appelle
l’organisation du travail, de manière à ce que son travail
la variabilité intra-individuelle. En effet, à l’échelle
donne des résultats satisfaisants tant pour lui-même que
d’une journée, les différentes fonctions de l’organisme
pour l’entreprise.
humain sont soumises à des rythmes circadiens avec
pour résultat que, la nuit par exemple, la plupart des
 12   P rendre soin des personnes au tr avail en intervenant dans les projets de changement… 247

Pour faire face à la variabilité : déploient selon les marges de manœuvre disponibles.
Plus la marge de manœuvre est restreinte, plus il sera
les stratégies de régulation et les difficile de réguler l’activité, plus la façon de réaliser le
marges de manœuvre travail sera contrainte. Or, pour faire face à la variabilité
du cadre du travail, pour faire face à sa propre varia-
Pour illustrer comment l’activité des salariés est constam-
ment remodelée en fonction de la réalité des situations bilité et réaliser des compromis acceptables dans son
de travail, nous prendrons l’exemple (Feillou et collab., activité, chaque individu au travail a besoin de marges
2013) d’une préposée aux bénéficiaires à l’emploi d’un de manœuvre. On remarque par exemple que la connais-
centre d’hébergement et de soins de longue durée sance du résident gagne à être partagée par l’équipe
(CHSLD). Sa tâche consiste à prendre soin de résidents de soins, ce qui suppose des lieux formels ou informels
en perte d’autonomie, notamment en assurant les soins d’échange et que l’espace, selon l’aménagement retenu,
d’hygiène et en aidant le résident à s’alimenter lors des peut être une ressource qui facilite ces échanges ou, au
repas. Elle reçoit le matin la liste des résidents dont elle contraire, une contrainte qui les empêche. Le matériel qui
doit s’occuper et organise son parcours dans l’unité : est disponible peut aussi faciliter les soins, par exemple
elle fait une première tournée, passe dans chacune des les vêtements adaptés, les civières douche, les lève-­
chambres pour aider chaque résident à démarrer sa patients. En ce qui concerne l’organisation du travail, la
journée puis, lors d’une seconde tournée, elle apporte latitude accordée aux préposées est aussi une ressource
le plateau du déjeuner. Chacun de ses passages est l’oc- qui leur permet de procéder à des adaptations liées à
casion d’interactions avec le résident qui lui permettent l’état des résidents.
de bien cerner dans quel état il est, en prévision de la Une partie de l’activité consiste donc pour chaque tra-
toilette qu’elle doit faire un peu plus tard. Au moment de vailleur à établir des stratégies de régulation afin de
faire la toilette, elle consulte le plan de soin qui indique si faire face à la variabilité. Certaines de ses stratégies lui
le résident fait sa toilette au lit, couché ou assis, debout permettront de préserver sa santé. On parle alors de
au lavabo ou s’il prend un bain. En fonction des infor- stratégies protectrices (Gagnon et collab., 2003) met-
mations qu’elle a actualisées à propos du résident, elle tant en jeu des savoir-faire de prudence (Brun, 1997).
pourra faire le soin autrement : monsieur X est agité Ces stratégies peuvent être individuelles, développées
aujourd’hui, elle se dit qu’il sera plus calme si on lui fait avec l’expérience et peuvent aussi mettre en jeu tout le
une toilette au lit ; madame Y est en particulièrement collectif : dans une organisation vivante du travail, il est
de bonne humeur, ce sera l’occasion de la faire parti- possible de revoir les répartitions de tâches données par
ciper à ses soins, de lui faire mettre son rouge à lèvres l’organisation de manière à mieux réguler la charge de
elle-même. Sa connaissance de chaque résident l’aide chacun. Par exemple, dans une unité de soins intensifs
à organiser son travail et lui permet de respecter les
(Bellemare et collab., 2015), la tâche prescrite de l’in-
préférences de chacun lors des soins : madame Z aime
firmière consiste à prendre soin de deux patients. Par
recevoir de l’eau dans le visage lors de la douche alors
une observation systématique de son travail, on peut
que c’est tout le contraire pour madame W. La préposée
constater qu’elle est en interaction avec huit patients
est donc animée par ces préoccupations à l’égard de
au cours de sa journée, réorganisant sans cesse, avec
chaque personne dont elle prend soin, mais, en même
ses collègues, les priorités en fonction de tout ce qui se
temps, celles-ci s’insèrent dans un faisceau plus large de
passe dans le service, menant à l’occasion des activités
considérations : par exemple, elle doit respecter le temps
administratives non prévues dans sa tâche. Par ailleurs,
dont elle dispose, répondre à des demandes de collègues
les auxiliaires familiales et sociales, qui assistent les per-
qui ont besoin d’aide, assurer sa propre sécurité, tout
sonnes malades à domicile, revoient chaque matin l’iti-
comme celle du résident. Cela l’amène donc à établir
néraire préparé par le logiciel du service, de manière à
des stratégies pour répondre aux besoins à la fois des
mieux équilibrer la charge de travail tout au long de leur
résidents, de son équipe de travail et de l’organisation.
journée, en prenant en compte les caractéristiques des
Cette régulation, bien maîtrisée par les travailleurs expé- différents clients (Cloutier et collab., 2005). Par exemple,
rimentés, se traduit par de multiples stratégies qui se telle personne en fin de vie sera visitée juste avant le
248 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

dîner, afin que la travailleuse puisse bénéficier de l’heure activité, les observations en situation réelle permettent
du dîner pour prolonger sa présence auprès du mourant de mettre au jour certaines dimensions cachées du tra-
ou pour récupérer après ce moment chargé en émotion. vail, et le recours aux verbalisations sur les traces de
Cela suppose bien sûr que des marges de manœuvre l’activité contribue à révéler les stratégies de régulation
soient présentes et une partie importante de tout métier construites pour faire face au réel. Les verbalisations
consiste d’ailleurs à aller chercher des ressources (Cha- peuvent être obtenues de différentes façons : en simul-
tigny, 2001) pour pouvoir mener à bien ses tâches dans tanéité avec les observations, en invitant le travailleur à
le temps imparti. commenter spontanément ce qu’il fait (ou ne fait pas…)
ou en l’interrompant pour lui poser des questions. On
peut aussi obtenir ces verbalisations en différé, lors d’en-
Intervenir pour changer les situations tretiens d’auto-confrontation où l’on invite le travailleur
de travail : appréhender le travail réel à commenter son « travail objectif » (Taskin et Dietrich,
et changer les représentations 2016), comme le révèlent les traces que l’ergonome a
recueillies. Observations et verbalisations sont ainsi ana-
Lorsque les situations de travail sont telles qu’elles pro- lysées pour arriver à une compréhension de l’activité,
duisent des effets non souhaités, du côté des sujets ou de ses tenants et aboutissants. Cette mise au jour de
du côté de l’organisation, il y a lieu de les modifier, ce qui l’activité montre les conditions que doit affronter le tra-
signifie d’agir sur le cadre du travail : les prescriptions, vailleur et qui l’amènent à concevoir des stratégies pour
les conditions de réalisation du travail. Il faut avoir, au faire sortir la production attendue dans une variété de
préalable, cerné ce qui pose problème dans l’activité et circonstances. Il s’agit d’une reconnaissance du travail
où se situent les cibles possibles pour faire en sorte de avec ce qu’il comporte d’exigences pour celui qui le réa-
changer cet état de fait. Cela signifie, dans un premier lise et comme valeur qui contribue aux finalités de l’orga-
temps, de bien appréhender le travail réel : comprendre nisation. Les descriptions de l’activité qui sont faites par
le travail pour le transformer, pour reprendre l’expres- les ergonomes, mises en circulation, font ainsi bouger
sion de Guérin et ses collaborateurs (2006). L’analyse les représentations du travail qui ont cours dans l’entre-
de l’activité selon le modèle de la situation de travail prise. De plus, par la reconnaissance qu’elle octroie, elle
présenté ici permet d’arriver à pointer quels éléments du contribue à la quête d’identité du sujet. Selon Dejours
cadre de travail qui doivent évoluer pour que s’améliore (1993), cette reconnaissance est aussi indispensable à la
l’activité afin qu’elle produise des résultats positifs. On coopération entre les acteurs, par exemple entre acteurs
peut ainsi prendre la mesure de l’effet de changements de la production et acteurs de la conception (Bellemare,
qui n’auraient pas pris en compte le travail réel. Les équi- 1995). Comme il en sera question dans la prochaine sec-
libres construits par les individus et les collectifs dans tion, la coopération entre les représentants de diverses
leur activité sont le fruit de stratégies complexes qui, du logiques de l’entreprise est indispensable pour articuler
jour au lendemain, peuvent s’avérer inopérantes parce travail futur et projets.
que le nouveau cadre de travail n’a pas pris en compte le
travail réel. Or, ceux et celles qui prennent les décisions
qui affecteront le travail futur ont très souvent en tête
des représentations du travail qui en sous-estiment la Articuler travail réel et projets
complexité. Pour instaurer des changements qui soient de l’organisation
optimaux, il faut souvent passer par une action sur les
Chaque projet de changement est une occasion de
représentations du travail qui ont cours dans l’organisa-
recomposer le cadre du travail et il nous semble à ce
tion, puisque celles-ci sont souvent pauvres, très loin de
titre un espace à investir pour réaliser la prévention. Ces
l’activité réelle.
projets posent cependant des défis aux préventionnistes,
Un des moyens privilégiés par les ergonomes pour ergonomes et gestionnaires des ressources humaines.
appréhender l’activité est l’observation directe. En effet, D’abord, du point de vue de la construction sociale
au-delà des discours qu’une personne tient sur son des projets, ces acteurs ne sont pas systématiquement
 12   P rendre soin des personnes au tr avail en intervenant dans les projets de changement… 249

convoqués pour y participer, ils sont plutôt sollicités en participation « à visée humaine et sociale » de la partici-
fin de projet, alors que le champ des possibles est beau- pation « à visée fonctionnelle » (Lamonde, 1995).
coup moins ouvert. Ensuite, s’ils sont bien placés pour y
amener la question du travail, il demeure que le travail
futur ne peut être observé. Il existe toutefois des moyens
La participation à visée humaine et sociale
de contourner ce que l’on appelle « le paradoxe de l’ergo- Ce type de participation est courant dans les projets : il
nomie de conception » (Theureau et Pinsky, 1984) et de s’agit d’informer les travailleurs du changement à venir.
mettre en place des méthodes permettant de pressentir On leur transmet des informations par différents moyens,
l’activité future (Daniellou, 2004). Avant de proposer en les considérant comme de possibles « résistants au
comment un projet peut devenir un lieu de construction changement ». Dans cette recherche de l’acceptation des
de la santé, il nous paraît indispensable de considérer changements, l’entreprise peut aussi associer les repré-
en quoi consiste un projet et d’en présenter les acteurs sentants syndicaux au projet, de manière à en assurer la
principaux et les étapes de son déroulement. viabilité sociale. Par exemple, si ces derniers font partie
du groupe de pilotage du projet, ils sont en position de
participer aux décisions pouvant avoir une influence
Le projet et ses acteurs clés sur les liens, les statuts d’emploi et la convention col-
lective, et sont en mesure d’anticiper les évolutions des
Dans le domaine de la gestion de projet (Larson et Gray,
outils de la régulation collective ou les mouvements de
2014), le projet est défini comme une activité non récur-
personnel. Ces acteurs sont aussi bien placés pour coor-
rente, hors des opérations courantes, qui est donc unique
donner le deuxième type de participation, celui à visée
au sens où elle ne sera pas répétée. Il s’agit d’une activité
fonctionnelle.
importante : on lui attribue des objectifs, des ressources
humaines et financières. Le projet se caractérise aussi
par le fait qu’il est soumis à des contraintes d’échéancier La participation à visée fonctionnelle
et de budget. Il se déroule sur plusieurs étapes avant
Ce type de participation est nécessaire pour faire du tra-
d’arriver à son résultat et on y distingue deux acteurs
vail réel un objet de réflexion au cours du projet. Il s’agit
clés : le promoteur (appelé aussi maître d’ouvrage) et le
d’une participation directe des travailleurs à la définition
mandataire (appelé aussi maître d’œuvre). Le promo-
des moyens de travail futurs. En effet, les travailleurs
teur fixe les objectifs auxquels le projet doit répondre,
sont ici sollicités directement, en tant qu’experts, spécia-
que ce soit en matière de rendement attendu ou de
listes, tenants d’un métier. Il est intéressant de constater
livrables. Il établit aussi le budget à allouer au projet et
que ce type de participation constitue une réelle recon-
peut s’entourer d’un groupe de pilotage au sein duquel
naissance des compétences. En effet, qui de mieux que
les grandes orientations seront décidées tout au long du
l’opérateur d’une machine pour expliquer à un ingénieur
projet. Le mandataire est, pour sa part, chargé d’assurer
les difficultés qu’il rencontre du fait de la variabilité de
la concrétisation de la volonté du promoteur : nommé
la matière première, du dérèglement de l’outillage, de
par ce dernier, il doit réunir les compétences nécessaires
l’effet des conditions climatiques sur les matériaux ? De
pour mener le projet à terme. Il organise les étapes et les
la même façon, la préposée aux renseignements est la
activités du projet qui serviront à atteindre les objectifs.
personne tout indiquée pour mettre à l’épreuve les choix
Les projets peuvent aussi être décrits en fonction des
de conception grâce à sa connaissance de la variabilité
parties prenantes : ce sont les acteurs concernés par le
des demandes des clients. Il s’agit d’une expertise indis-
projet. Or, dans tout projet d’entreprise, les travailleurs et
pensable à la conception de moyens de travail qui soient
leurs représentants sont des parties prenantes puisque
adéquats pour réaliser l’activité future.
le projet modifiera les conditions d’exercice du travail. Si
l’on souhaite que le travail réel soit pris en considération Cette participation à visée fonctionnelle ne va pas de
dans un projet, il faut faire une place aux travailleurs et soi. Le travailleur peut être en difficulté pour participer
à leurs représentants et articuler cette participation au au projet à la mesure de ses compétences : l’ouvrier qui
déroulement temporel du projet. On distinguera ici la a intériorisé une image simpliste de son travail, celui
250 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

qui ne souhaite pas dévoiler des stratégies qui contre- certains objectifs. Le plus souvent, il s’agit d’objectifs
viennent aux règlements, celui qui n’arrive pas à arrimer centrés sur l’efficacité et la performance de production
ses préoccupations légitimes à celles du concepteur. avec une attention portée à réduire les coûts et les délais,
Des conditions pour rendre cette participation effective à accroître la qualité, à fidéliser les clients. Le promoteur
doivent ainsi être mises en place. Il faut aussi vaincre le s’entoure d’une équipe limitée, souvent tenue au secret
scepticisme qui peut s’être installé dans une entreprise pour mener des études de faisabilité qui permettent
où des projets de changements antérieurs ont donné des d’évaluer les coûts des grandes orientations que peut
résultats décevants, notamment en créant de nouveaux prendre le projet. Au cours de la seconde phase, c’est le
risques ou en rendant le travail impossible. Une telle mandataire qui réunit l’expertise pour constituer l’équipe
situation est tout à fait défavorable à la mobilisation du projet. Au moyen de différentes études, on procède
et peut même créer un mouvement de démobilisation, à la conception de ce que sera le futur. C’est ici qu’une
voire d’opposition au projet. Voyons maintenant com- variété d’objets intermédiaires sont utilisés pour faire
ment il est possible d’articuler cette participation aux avancer la conception : cahier des charges, esquisses,
étapes d’un projet. plans, maquettes, prototypes. Ces éléments concrétisent
peu à peu le résultat du projet, le rendant de plus en plus
tangible. Au cours de la troisième étape, celle de l’im-
Les étapes d’un projet plantation, on réalise la construction, la mise en place de
l’objet de la conception. C’est à ce moment que le projet
Le projet suppose au départ une idée, qui au fil du temps
est « livré » et que les utilisateurs – les travailleurs, les
se concrétise dans un « livrable », un élément concret. Il
clients – interagissent avec le nouveau cadre du travail.
peut s’agir d’un espace de travail et sa mise en œuvre
Enfin, après une période de démarrage, on procède à
sera confiée à un spécialiste de l’aménagement (par
la clôture du projet en dégageant les acteurs qui y ont
exemple, un architecte), d’un dispositif technique (une
participé, en fermant les budgets. C’est le moment où
machine, un équipement, une chaîne de production et
l’on évalue le projet, habituellement à partir des critères
l’ingénieur en sera le maître d’œuvre) ou d’un logiciel
suivants : l’atteinte des objectifs, en matière de perfor-
(on fera appel à des informaticiens pour développer une
mance essentiellement, le respect de l’échéancier et du
application ou on achètera un logiciel existant et un chef
budget alloué. On en profite également pour faire un
de projet sera chargé de l’implantation). Il n’est pas rare
retour d’expérience et, dans certains cas, constituer une
que derrière ces différents projets « techniques » se pro-
« mémoire de projet » (Lamonde et collab., 2001). On
filent aussi des changements importants à l’organisation
remarque ici que le travail et ce qu’il produit, en matière
de la production ou du travail, qui ne sont pas réfléchis
de conséquences pour les personnes, ne font habituel-
en tant que tels. Par exemple, une bibliothèque publique
lement pas partie des critères d’évaluation.
qui occupait un étage sera transposée dans un bâtiment
nouveau qui se déploie sur trois étages : la question se
pose de savoir combien il faudra d’effectifs pour main-
tenir une présence soutenue auprès des usagers, comme
Articuler projets et travail réel
le fait une seule personne dans le lieu actuel (Bellemare Plusieurs recherches réalisées dans le domaine de l’ergo-
et collab., 2006). nomie de conception amènent à suggérer des principes
permettant d’intégrer la prévention dans les différents
Quel que soit le type de projet, il s’agit d’un processus de
projets de l’organisation en faisant du travail réel un
« construction collective et progressive » du futur (Ledoux,
véritable enjeu. Trois grands principes sont proposés
2000) dans lequel on peut distinguer quatre grandes
(Bellemare et collab., 2015) que nous résumons ici en
étapes : 1) la définition du projet ; 2) la conception ;
indiquant quelques modalités pour les mettre en œuvre.
3) l’implantation ; 4) la clôture du projet.

La première phase tourne autour de l’idéation du projet :


il y a une volonté exprimée par le promoteur d’atteindre
 12   P rendre soin des personnes au tr avail en intervenant dans les projets de changement… 251

Intégrer l’enjeu des situations de travail Mobiliser les logiques de fonctionnement


tout au long du projet de l’entreprise dans la structuration du projet
Pour que le travail soit un enjeu dans un projet, il doit La prise en compte du travail réel au cours du projet
en être fait mention dès la phase de définition alors que suppose également une structuration du projet qui fait
les promoteurs établissent les objectifs. En effet, ce sont une place non seulement aux dirigeants de l’entreprise,
ces objectifs qui deviendront des critères pour guider par mais aussi aux représentants des différentes logiques
la suite les choix qui seront faits tout au long du projet. à l’œuvre dans l’organisation, de manière à construire
une concertation entre les acteurs, qu’ils représentent la
Dans la mouvance de l’ergonomie constructive, la notion
direction des ressources humaines, des opérations, de la
d’environnement capacitant (Falzon, 2013) semble inté-
qualité, etc. Les acteurs de la prévention sont souvent
ressante pour orienter le projet vers une prise en compte
exclus du déroulement des projets, alors que leur partici-
des futures conditions de réalisation du travail. Un des
pation tôt dans le projet est utile, notamment en raison
objectifs du projet peut alors être le suivant : créer des
de leur connaissance des enjeux de prévention exis-
environnements capacitants. Ce concept, dans la foulée
tants. Leur présence dans le groupe de pilotage devient
de la notion de capabilité développée par Sen (2010), se
garante de l’intégration de l’objet travail dès la phase
décline selon les trois dimensions suivantes. 1) L’environ-
de définition du projet. Par la suite, cet enjeu peut faire
nement capacitant prévient les exclusions : le cadre du
l’objet d’une surveillance en continu et il devient possible
travail est fait pour accueillir des personnes aux carac-
d’infléchir certains choix de conception qui iraient à l’en-
téristiques variées, ce qui signifie que des marges de
contre de la création d’environnements capacitants. Les
manœuvre sont disponibles pour adapter les postes aux
représentants syndicaux ont aussi leur place dans ce lieu
caractéristiques des uns et des autres et que la forma-
où sont prises les grandes décisions du projet. Comme
tion aux nouveaux moyens de travail est suffisante et
nous l’avons déjà exposé, la participation directe des
progressive. 2) Ce type d’environnement est exempt de
salariés concernés par le projet est importante. Ce sont
risques pour la santé. Cela signifie que, tout au long du
ceux et celles qui auront à vivre dans le cadre futur de
projet, aux différentes étapes de la conception, on fait le
travail qui sont les mieux placés pour examiner l’effet des
point sur la salubrité des situations de travail : agresseurs
propositions des concepteurs en matière de travail futur.
physiques, biologiques et chimiques. 3) L’environnement
Différents groupes de travail peuvent être créés dans
capacitant permet aussi aux individus de se développer,
lesquels on tentera, tout au long du projet, de projeter
c’est-à-dire que l’on cherche à créer des situations de tra-
le travail futur, à partir des objets intermédiaires de la
vail qui comportent des défis pour les travailleurs tout en
conception.
s’assurant que des moyens sont offerts pour les relever.

Cet objectif étant posé, il devient alors possible, au


cours de la phase de conception, d’instruire les choix de Concevoir en s’appuyant sur la réalité
conception : les propositions des concepteurs peuvent du travail et ses évolutions possibles
être examinées en matière non seulement de répercus- Trop souvent, lors de projets, les concepteurs estiment
sion sur l’efficacité de la production, mais aussi de réper- qu’il est inutile d’examiner l’existant, jugeant que celui-ci
cussions sur les personnes. Si les propositions n’offrent sera complètement transformé à l’issue du projet. Pour-
pas les résultats attendus, des modifications peuvent être tant, il semble indispensable de s’appuyer sur la situation
apportées, avant même la concrétisation des situations existante. C’est ce que propose l’approche de l’activité
de travail. Il faut avoir en tête que, plus on avance dans le future (Daniellou 1987) : en analysant des situations
temps du projet, plus le champ des possibles se rétrécit, réelles, il est possible de dégager des « situations d’ac-
rendant plus coûteux les changements à apporter. tion caractéristique » qui serviront de base pour projeter
l’activité future et porter un jugement d’acceptabilité
au regard des conséquences appréhendées. Ces situa-
tions réelles peuvent provenir de l’existant et aussi de
252 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

situations qui présentent des similitudes avec le futur pro- sur lequel on réfléchit. Pourtant, chaque projet est un
jeté, et que l’on appelle des situations de référence. Des processus au cours duquel nombre de décisions sont
simulations du travail futur peuvent ainsi être menées, en prises, dont certaines affecteront le travail futur, ayant
mettant à contribution ceux et celles qui les vivront. Ces possiblement des effets délétères sur la santé, au niveau
simulations de l’activité peuvent se faire sur différents autant physique que psychologique, et nuisant à la pro-
objets intermédiaires. C’est ainsi que, dans les projets ductivité des entreprises.
architecturaux, qui concernent l’aménagement de l’es-
À cet égard, les acteurs des RH ont un rôle proactif à
pace (un service, un bureau, un poste de travail), on
jouer. Il se trouve qu’on les sollicite plutôt en fin de projet,
aura recours aux esquisses, aux plans, aux maquettes,
en attendant d’eux qu’ils organisent les mouvements de
de différentes échelles, pour simuler des situations d’ac-
main-d’œuvre, le recrutement et les formations pour que
tion caractéristiques du travail futur : se déplacer vers
les nouvelles installations ou les nouveaux services issus
un client, avoir accès à un lieu de stockage, accueillir
du projet puissent fonctionner. Or, nous avons tenté de
une livraison, voir une information nécessaire au travail.
montrer qu’il est possible, voire souhaitable, que ceux-ci
De nombreuses méthodes de projection du travail futur
s’impliquent très tôt dans les processus de changement,
(Maline, 1994) ont été mises au point pour vérifier l’effet
afin de remplir leur rôle plus adéquatement, notamment
des changements en mettant à contribution acteurs de la
en matière de prévention. L’ergonomie, au moyen d’une
production et acteurs de la conception. Plus on avance
modélisation des situations de travail, permet d’appré-
dans le projet, plus les supports disponibles pour les
hender le travail réel en décrivant l’activité et cette com-
simulations sont concrets, permettant d’anticiper avec
préhension fine de l’activité permet de faire évoluer les
justesse des difficultés potentielles afin de procéder à
représentations du travail chez les différents acteurs,
des modifications avant même la phase de réalisation.
dont les concepteurs. L’approche de l’activité future
Toutes ces rencontres de travail permettent aux travail-
contribue à enrichir la conception des moyens de travail,
leurs et aux gestionnaires de proximité de s’approprier
à partir de principes et d’outils permettant de projeter
peu à peu les nouveaux moyens de travail, ce qui facilite
l’activité future tout au long des projets. Chaque projet
le démarrage à l’issue du projet.
peut ainsi devenir un espace privilégié pour reconnaître
le travail réel et influencer la définition du cadre futur
de manière à s’assurer que les conditions de réalisation
Conclusion du travail soient non seulement source d’efficacité, mais
aussi source de santé, voire de développement pour ceux
Dans ce chapitre, nous avons abordé la question de la
et celles qui y exerceront leur activité. Il s’agit donc de
santé au travail et tenté d’illustrer comment les décisions
profiter du mouvement de changement dans les condi-
qui sont prises par les différents acteurs dans les orga-
tions de réalisation du travail pour y réaliser la préven-
nisations ont des répercussions sur les conditions de
tion, en amont de la création de nouvelles situations
travail des salariés. Le travail est ainsi le plus souvent
de travail.
évacué des projets de changement, il n’est pas un objet

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3
Partie

Nouvelles tendances
et nouveaux enjeux
13

Le système économique mondialisé


et les désordres dans les organisations
Jeanne Simard, Marc-André Morency, Jacinthe Douesnard et Laetitia Larouche1

Introduction1 prise de conscience de ces réalités mondiales bouleverse


la plupart des certitudes acquises auparavant, en matière
Les nouvelles modalités d’une gouvernance inégalitaire de gestion, de droit et d’éthique. La confiance, facteur
instaurée depuis les années 1970 dans le monde se sont essentiel des rapports sociaux et économiques, s’en
signalées de façon aiguë à la conscience citoyenne à l’oc- trouve extrêmement ébranlée (Lacoste, 2015 ; Simard
casion de sombres histoires de fraude, mais surtout par le et Morency, 2013). Certains évoquent même le scénario
caractère récurrent des crises économiques, financières d’une fin de vie pour ce type de capitalisme prédateur
et boursières. Ces circonstances dramatiques donnent et destructeur (Rifkin, 2014).
à voir avec quelle aisance divers acteurs économiques
Depuis de nombreuses années, des praticiens et des
s’approprient les biens, le travail et même la sécurité de
chercheurs de disciplines diverses documentent les
leurs concitoyens. Les affaires Vincent Lacroix et Earl
formes multiples que prend cette violence économique
Jones au Canada, Enron et Madoff aux États-Unis, la fail-
sur les populations, les organisations, les salariés, les
lite d’une banque systémique, la Lehman Brothers, puis
consommateurs, mais aussi sur l’environnement et le
la Grande Récession et les dettes souveraines abyssales
climat. On a mis en évidence les causes structurelles
qui plombent les budgets de bien des pays depuis 2007-
de cette violence (imperfections des marchés, pratiques
2008, la corruption dans les opérations nationales et
oligopolistiques, désordre monétaire), les graves déficits
internationales, le scandale des paradis fiscaux (Panama
de rationalité dans l’articulation des activités humaines
Papers) et, de façon plus générale, les pratiques fiscales
à l’échelon mondial, national et régional (Falciani, 2015 ;
abusives utilisées par les grandes sociétés internatio- Gayraud, 2014). Ainsi, Alain Supiot propose de se sortir
nales se révèlent comme autant d’exemples spectacu- du mythe darwiniste « d’une société mondiale, composée
laires de violence économique. Les victimes se comptent d’individus autosuffisants et libérés de tout lien de solida-
par milliers dans les cas de fraude, par milliards dans la rité […] qui voue certains hommes à la prospérité et les
foulée des turbulences affectant le système global. La autres à la géhenne » (Supiot, 2012, p. 122). Ces travaux
montrent l’importance d’articuler divers savoirs discipli-
1. Les auteurs sont membres du Laboratoire de recherche et d’in- naires afin d’appréhender les sources de cette violence
tervention en gouvernance des organisations (LARIGO) et du
économique. Il s’agit non seulement d’en dresser le
Laboratoire de recherche et d’intervention sur les incidents
critiques en milieu de travail (ICMT) rattachés à l’Université du constat, mais surtout d’observer quelles forces antago-
Québec à Chicoutimi. nistes et créatrices pourraient contribuer à sortir de ce
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 259

chaos (Boyer, 2015 ; Rifkin, 2014). De nouvelles concep-


La violence dans le système
tions stratégiques, issues d’opérations de debunking et
de reconstruction des faits au sein d’une conscience de économique mondialisé :
développement, font surgir des pratiques durables et une notion polymorphe
mutualistes, ainsi que les institutions garantes de leur « Conflit, père de tout » (Héraclite).
pérennité (Dubee, 2007 ; Rist, 2010).
La notion de violence n’est pas en soi si évidente, car
Pour saisir l’ampleur de la question, il importe de savoir elle représente des rapports de force dont les formes
par quels mécanismes la violence se manifeste au sein sont multiples. Le mot violence nous vient du latin vio-
de l’ensemble des rapports économiques planétaires lencia, issu du verbe vis (verbe volere), signifiant « vouloir »,
actuels afin de mettre en évidence la structure géné- découlant du mot grec bia (βια) signifiant « la force vitale »
rale d’une problématique qui surdétermine nos histoires ou « la force », « la contrainte ». La violence se présente
immédiates. L’analyse systémique permet d’aborder ces comme une force opposant des acteurs au sein de toute
phénomènes de violence économique en les rappor- communauté. Elle a de ce fait toujours existé.
tant à des causes générales, des causes structurantes, à
La violence n’est ni un accident ni une dégénérescence.
l’échelon mondial, évitant que les histoires particulières,
Elle est constitutive de l’animalité, de l’humanité, de la
même si elles s’avèrent intéressantes, ne demeurent des
sociabilité… Pas de société sans forces et sans rapports
anecdotes. Une approche multidisciplinaire permet de de forces, pas de société sans désirs, sans rivalités, sans
prendre ses distances à l’endroit de ces visions réduc- vanités : pas de société sans violence (Comte-Sponville,
trices des rapports sociaux et économiques que pro- 1998).
pagent l’économisme néoclassique et diverses approches
La violence peut être vue comme une force dans la struc-
du social réduites à un montage de dimensions interper-
turation de la vie personnelle et sociale. Le neurologue
sonnelles ou microsociales.
Boris Cyrulnik déclarait lors d’une entrevue : « Si je n’ai
Produit d’une collaboration interdisciplinaire (socio- pas de violence en moi, j’ai peur de l’autre, je n’ai pas
logie, psychologie organisationnelle, droit et éthique), envie d’aller vers lui, je m’isole et je meurs. » Il y aurait
cet article comporte trois volets. Dans un premier temps donc en quelque sorte une violence nécessaire que
seront décrits certains processus globaux générateurs de chacun porte en soi et doit reconnaître. Et Cyrulnik de
violence économique systémique. Dans un deuxième préciser : « Mais il faut canaliser cette violence pour ne
temps, on analysera les répercussions de cette violence pas détruire l’autre, l’environnement ou nous-mêmes »
économique dans les organisations et sur les travailleurs. (Thomazeau, Bègue et Serres, 2003, p. 22).
Dans un troisième temps, on examinera les modifications
La violence a été considérée comme indispensable ins-
législatives apportées au cours des 15 dernières années
trument d’un État démocratique, permettant d’assurer
au Canada et au Québec pour contrer ou du moins
l’ordre public et l’exécution des décisions judiciaires.
atténuer les phénomènes de violence économique. En
L’État, selon Max Weber, devrait avoir le monopole de la
conclusion, on explorera comment le droit international,
violence légitime. La violence peut aussi être nécessaire
le droit transnational, le droit mou (soft law) et certains
lorsqu’une personne se trouve en situation de légitime
mouvements sociaux permettent d’envisager quelques
défense. Elle pourra même à la limite être exaltée en
voies de sortie aux phénomènes générateurs de violence
temps de guerre comme une vertu. « La violence vaut
économique.
mieux que la complicité, que la faiblesse devant l’hor-
reur, que la mollesse ou la complaisance devant le pire »
(Comte-Sponville, 1995, p. 253).

Mais la violence pourra être ressentie comme un poten-


tiel de destruction inacceptable quand un usage immo-
déré de la force constitue une menace à la sécurité
générale. Des individus ou des groupes peuvent menacer
la communauté par le recours à une force extrême :
260 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

the intentional use of physical force or power, threatened Les multinationales et les financiers plongent dans la pré-
or actual, against oneself, another person, or against a carité des millions de travailleurs, les mettent en concur-
group or community, that either results in or has a high rence, jouent avec leur épargne et organisent la rareté
likelihood of resulting in injury, death, psychological de produits pour maintenir des prix élevés. Ce n’est
harm, maldevelopment or deprivation (OMS, 2002). pas directement visible. Pourtant, c’est une population
mondiale qui, à des degrés divers, vit dans l’incertitude
Ces épiphénomènes de violence attirent l’attention de
du lendemain, victime d’une violence sans visage, mais
chercheurs de différentes disciplines : la violence phy- implacable (Jasmin-Leclercq, 2008, p. 3).
sique (meurtre, viol, torture, suicide, situation de préca-
rité), la violence psychologique (injure, harcèlement), Joseph Stiglitz emprunte à Oxfam une image forte afin
la cyberviolence, etc. Mais il existe aussi une violence d’illustrer l’inégalité dans le monde :
plus structurale prenant un caractère systémique ancré Si l’on mettait 85 multimilliardaires dans un autobus, il
dans les mentalités et les institutions. C’est le cas de la contiendrait une fortune équivalente à celle de la moitié
violence économique, de plus en plus mise en évidence la plus pauvre de l’humanité, environ trois milliards de
et analysée par les sciences humaines et sociales. Cette personnes. Un an plus tard, l’autobus a rétréci : il n’a plus
que 80 places. Et Oxfam a fait une autre découverte, tout
violence revêt un caractère prééminent, global, critique,
aussi spectaculaire : 1 % de la population de la planète
mettant en cause les équilibres du monde ainsi que sa
détient aujourd’hui près de la moitié de la fortune mon-
sécurité. Elle se trouve au fondement de nombreux épi-
diale. Et il est bien parti pour posséder, en 2016, autant
phénomènes que les recherches actuelles savent mettre que les 99 % restants réunis (Stiglitz, 2015, p. 9).
en évidence. Cette violence économique se présente
selon Flohimont comme : L’analyse statistique peut produire une image déficiente
de la réalité en ne faisant que le décompte des effets qui
[…] une conséquence directe et inévitable du capitalisme.
départagent les uns et les autres, sans révéler la nature
On peut la définir comme tout acte délibéré, destiné à
des processus en cause2. Certaines données quantita-
produire des profits au seul bénéfice d’un détenteur de
capital, conduisant à l’exclusion, ou à la paupérisation tives permettent néanmoins d’illustrer la sévérité de la
d’une population (Flohimont cité dans Jasmin-Leclercq, violence économique institutionnalisée sur la popula-
2008, p. 2). tion mondiale. La Banque mondiale révèle qu’en 2013,
782,68 millions de personnes connaissent une situation
Le capitalisme a la particularité de se présenter comme
d’extrême pauvreté dans le monde (c’est-à-dire vivant
un perpétuel mouvement de destruction de formes
avec moins de 1,90 $ par jour). En dépit de progrès réa-
sociales, techniques et économiques plus anciennes, et
lisés récemment, les pays d’Afrique subsaharienne en
de l’environnement. Outre ces bouleversements résultant
comptent toujours plus de la moitié (Banque mondiale,
de l’innovation et des gains de productivité, on observe,
2018). La malnutrition entraîne le décès annuel de près
comme le fait Kaul, une violence accessoire, non moins
de 9 millions d’êtres humains, dont plus de 5 millions
commune, qui frappe les individus et les communautés :
d’enfants (Dubee, 2007, p. 253). L’Unicef estime que 168
Economic violence is not only the violence caused for millions d’enfants de 5 à 17 ans travaillent illégalement,
economic reasons, but also the violence caused by spu- soit 11 % des enfants dans le monde (UNICEF, 2014).
rious economics. It is the violence caused to people when
En 2014, le Bureau international du travail a pu chiffrer
they lose their jobs and livelihoods, when they witness
le produit du travail forcé (servitude pour dette, traite
massively divergent rewards for work, when they see an
d’êtres humains et esclavage moderne) qui touche de
endless perpetuation of inequality around them. Such
involuntary unemployment in the long run leads to nombreux travailleurs : on estime que les profits qui en
social breakdown and community fragmentation (Kaul, dérivent s’élèvent à 150 milliards de dollars par an, la
2009, p. 299). majeure partie de ces profits provenant d’Asie, les deux

La violence économique n’est pas toujours directement


2. Ces analyses peuvent même freiner le travail d’élucidation et de
perceptible, comme peut l’être un acte de délinquance.
mise en place de réformes qui ne sauraient être séparées des
Elle se présente aussi comme une violence froide, à dis- conditions locales particulières que la méthode statistique peut
tance, le plus souvent incomprise. occulter (Desrosières, 2000).
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 261

tiers étant tirés de l’exploitation sexuelle (International de toutes contraintes (Stiglitz, 2012, 2015 ; Aglietta et
Labour Organization, 2017). Selon l’indice de perception ­Berrebi, 2007 ; Boyer, 2015 ; Piketty, 2013 ; Rifkin, 2014).
de la corruption en 2017 de Transparency International, Pour Frédéric Lordon, le néolibéralisme a fortement
124 pays (sur 180) ont obtenu une note inférieure à 50 % contribué à la remontée du niveau général de la v ­ iolence
et 46 pays, une note inférieure à 30 %, indiquant un dans le monde :
degré de perception très élevé de la corruption existante
C’est peut-être là le paradoxe le plus inavouable du néo-
(100 % étant la meilleure note) (Transparency Interna- libéralisme que les comportements délinquants, stigma-
tional, 2017). tisés comme des aberrations à éradiquer, dérivent en fait
pour une large part d’un corpus de valeurs que le néoli-
Ainsi, l’image d’Épinal de l’économique néoclassique,
béralisme lui-même ne cesse de promouvoir. Aux valeurs
celle d’un marché libre et équilibré fondé sur la vérité
de l’agressivité compétitive et à son encouragement à la
des prix, la recherche constante de la croissance et du domination dans la concurrence des luttes interperson-
gain individuel, contribuant inévitablement au bien-être nelles, il faudrait également ajouter tous les messages
collectif, cède le pas aux nombreuses observations cri- « positifs » d’invitation à l’enrichissement, à l’acquisition
tiques montrant la production et les effets de la violence et à la consommation pour reconnaître les mobiles les
et de l’inégalité à l’échelle mondiale. Le père de la « main plus caractéristiques des passages à l’acte délinquant…
invisible » du marché, le moraliste et économiste Adam et s’apercevoir qu’ils sont fondamentalement les mêmes
que ceux dont se revendique l’homme moderne néoli-
Smith, champion du libre-échange et d’une police des
béral (Lordon, 2002, p. 44) 3.
pauvres, se voit reprocher aujourd’hui d’avoir caché que
la prospérité qu’il décrivait avait pour origine le tabac Pierre Bardelli propose une synthèse éclairante de la
produit par les « mains sales » de l’esclavage en Virginie problématique que pose la concentration des richesses
(Gayraud, 2014). Le Prix Nobel d’économie, Milton Frie- et des pouvoirs :
dman, pour qui la réduction du rôle de l’État-nation dans La mondialisation n’est pas une simple contrainte pour
une économie de marché est le seul moyen d’atteindre les entreprises, mais un processus de long terme, irréver-
la liberté politique et économique, a vu ses conceptions sible et structurant, qui modifie en profondeur les fron-
fortement rejetées depuis 2007-2008, lorsque plusieurs tières économiques ainsi que l’ensemble des rapports
États comme les États-Unis et l’Europe ont dû injecter économiques et sociaux, sous l’hégémonie des grandes
massivement des centaines de milliards de dollars pour firmes multinationales.
sauver des banques « systémiques » d’une faillite immi- Ces transformations profondes affectent le régime de la
nente. L’économiste ultralibéral Friedrich von Hayek, « qui concurrence, le régime monétaire, ainsi que le rapport
se fiait à la sélection naturelle des systèmes juridiques, salarial (Bardelli, 2012, p. 79).
par la mise en concurrence des droits et des cultures à
Il convient donc d’examiner de plus près ces trois institu-
l’échelle internationale », ne pouvait prévoir les carac-
tions fondamentales afin de mieux cerner les instances
téristiques de la situation actuelle dominée par de
centrales de la violence économique dans ce système
grands oligopoles financiers et industriels, en flagrante
hégémonique.
contradiction avec une doctrine prêchant la concurrence
(Supiot, 2015).

De fait, la vision économique standard d’un marché Le régime de la concurrence


concurrentiel, efficient et autorégulé, peuplé d’agents
Dans les conditions idéalisées de la théorie économique
formellement égaux, contribue depuis des décennies
standard, la concurrence représente un ensemble d’insti-
à occulter la nature réelle de problèmes exacerbés par
tutions destinées à favoriser, sur un marché, l’adaptation
la mondialisation et la libéralisation financière. La fré-
permanente de l’offre et de la demande, permettant à
quence des crises demeure un phénomène ignoré par
la clientèle potentielle de choisir rationnellement entre
la vulgate économique. De nombreux économistes et
sociologues ont documenté les multiples imperfections,
les externalités et les excès de politiques économiques 3. En témoignent les discours violents des gestionnaires, des
néolibérales qui ont affranchi l’économie mondiale financiers, qui appellent à « tuer la concurrence ».
262 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

différents produits, d’avoir un grand choix de produits au Selon François Morin (2015), une quarantaine de méga­
meilleur prix, et donnant aux producteurs la possibilité banques forment actuellement un oligopole actif à
de se présenter avec des produits différenciés capables l’échelon mondial. Quatorze de celles-ci, presque toutes
de séduire des acheteurs à des coûts assortis. Bref, « la anglo-saxonnes, sont particulièrement puissantes. Cet
concurrence est la lutte économique que se livrent les oligopole s’est même doté d’une structure que Morin
entreprises partageant le même marché dans le but de qualifie de « Parlement », leur permettant de dicter
le conserver, d’attirer le plus de clientèle et ainsi d’ac- leurs conditions d’existence aux États endettés auprès
croître leur part de marché et de profit » (Diawara, 2014, d’elles. Les crédits dont elles disposent actuellement cor-
p. 1-10). Parmi les traits gouvernant une situation de respondent pratiquement aux dettes des États, dettes
concurrence, on retrouve l’esprit de rivalité, de compé- souvent issues des sauvetages consécutifs aux crises
tition, de confrontation, de lutte économique entre les qu’elles déclenchent, ces sauvetages étant destinés à
entreprises ; cette définition de la concurrence pourtant préserver la paix sociale et, au bout du compte, tout le
si incomplète est encore dominante dans l’esprit de nom- système. Cet endettement, conditionné par la notation
breux acteurs économiques (Diawara, 2015, p. 13). Il de crédit des États, permet à cet oligopole de pousser
s’agit d’une vision idéalisée et légitimante voulant que aux privatisations, aux privations ; l’exemple grec actuel
ces conditions puissent améliorer le bien-être des col- et les dettes du tiers-monde dans les années précédentes
lectivités. l’illustrent clairement. Pire encore, le contrôle de l’avoir
des déposants, du crédit, de la création monétaire, des
En réalité, les partenaires ne sont jamais égaux dans
retraites, permet aux banques et aux acteurs de réserve,
l’accès à l’information ni présents sur tous les sites qui
largement contrôlés par le privé, de provoquer des crises
représentent le marché (Boyer, 2015). Les marchés réels
de confiance en série, de crédit, toujours ignorées par la
ne possèdent pas les configurations postulées par le
théorie économique standard (Falciani, 2015).
modèle idéalisé. Au-delà de la rivalité, de la compétition,
on observe très souvent des rapports d’étroite coopéra- Cet oligopole financier trouve son pendant dans l’indus-
tion entre les entreprises : trie et le commerce. Selon une équipe du Swiss Federal
Institute of Technology de Zurich, 147 firmes contrôlent
[…] la réalité économique montre que la concurrence
dans la plupart des marchés modernes, caractérisés 40 % du commerce mondial (Vitali, Glattfelder et Bat-
par une nature oligopolistique, ne s’arrête pas seule- tiston, 2011). L’étude dévoile la structure en réseau de
ment à la rivalité. Bien au-delà, et même inversement, quelque 700 grandes firmes, leur capacité de contrôler
la concurrence peut être substituée par des rapports de la production et les échanges à l’échelon mondial. Elle
coopération, voire de connivence et de complicité, qui met aussi en évidence un réseau de 50 sociétés trans-
visent à étouffer au maximum la rivalité et la lutte entre nationales dont le contrôle est susceptible d’affecter la
entreprises (Diawara, 2014, p. 1-10).
concurrence sur le marché mondial ainsi que sa stabilité
Déjà, dans les années 1930, des économistes critiques financière. Seuls de petits échantillons nationaux avaient
comme Joan Robinson (1933) et Edward Chamberlin auparavant été étudiés et il n’y avait aucune méthodo-
(1933) observaient que se mêlent aux institutions concur- logie appropriée pour évaluer un tel contrôle à l’échelle
rentielles des pratiques relevant de la concurrence mono- mondiale. Cette recherche a révélé que les sociétés trans-
polistique, de la concurrence imparfaite. Dans le système nationales forment une structure en forme de nœud
mondial actuel, la recherche a démontré qu’un nombre papillon géant et qu’une grande partie du contrôle des
limité de grands acteurs oligopolistiques surdéterminent flux prend sa source dans un petit noyau très soudé
nos histoires particulières, régionales ou nationales. Ces d’institutions financières. Ce noyau peut être considéré
grands oligopoles apparaissent à notre horizon comme comme une « super-entité » économique, ce qui soulève
les principaux vecteurs de cette violence à l’échelon pla- de nouvelles questions importantes à la fois pour les
nétaire, d’autant plus qu’ils appartiennent à des blocs chercheurs et les décideurs politiques. Cette recherche
nationaux en concurrence pour la dominance mondiale. dévoile le caractère mythique des théories économiques
centrées sur un concept de concurrence anhistorique
(Boyer, 2015).
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 263

Une concurrence néfaste, parmi les États développés, valoir ses demandes sur un espace d’échange. Le fait
s’est également instaurée en matière de fiscalité des de disposer d’argent permet d’obtenir un service, un
entreprises. Communément appelée course au « moins-­ bien, une garantie de service ou des biens dans le futur.
disant fiscal » (race to the bottom), elle incite tout spécia- Certains ont réussi à accumuler beaucoup de ce crédit à
lement les grands groupes internationaux de sociétés faire valoir. D’autres ont une somme à verser selon des
à utiliser des méthodes leur permettant de réduire leur échéances, à un prix (ou à un coût). Pour comprendre
assiette fiscale dans les États où l’impôt sur les sociétés les inégalités dans le monde actuel, il faut voir les cré-
est élevé, afin, de façon correspondante, de transférer dits et les dettes, et dans quelles mains cela se retrouve.
les revenus en question dans les États ou les territoires A-t-on affaire à un système économique où les acteurs
où la ponction fiscale est moins lourde, voire inexistante sont égaux, ou inégaux ? Les acteurs sont-ils en train de
(Lapointe, 2015). Les procédés sont divers, mais la mani- jouer le franc-jeu de la concurrence ou accumulent-ils
pulation des prix de transferts de biens ou services entre les crédits en formant des oligopoles, au mépris des lois
entités d’un même groupe (société mère et filiales, filiales nationales et des règles du jeu économique présenté
entre elles) ou entre le siège et les établissements stables comme la norme commune ? Les États ont de fait perdu
situés à l’étranger, figure au premier rang. On observe le monopole de la création monétaire, qui se retrouve
une panoplie de moyens, telle la sous-capitalisation de maintenant largement privatisé, instrumentalisé par les
filiales étrangères. De telles pratiques fiscales abusives banques et les émetteurs de crédit, avec le bilan des
ou agressives s’avèrent désastreuses sur le plan social : dettes et des avoirs que l’on peut constater aujourd’hui.
elles érodent l’assiette d’imposition des États ; privés de Falciani (2015) montre que le régime monétaire actuel
revenus qui devraient normalement relever de leur com- est devenu un instrument de domination des oligopoles
pétence fiscale, ils doivent soit réduire leurs programmes bancaires. Morin (2015) décrit une puissance qui peut
sociaux ou d’infrastructure, soit les maintenir, mais en désormais jouer le rôle d’État global sans aucune légiti-
faire porter le fardeau fiscal sur les facteurs de production mité démocratique et capable d’exercer sa violence sur
non mobiles (les travailleurs) et sur les entreprises qui ne l’ensemble du système.
peuvent recourir aux méthodes utilisées par les grands La monnaie se trouve ancrée dans des processus impli-
groupes. Ceux-ci, estimait en 2013 l’Organisation de coo- quant un certain degré de confiance et se trouve par le
pération et de développement économiques (OCDE), fait même sujette à l’intervention de diverses institutions
auraient réussi à priver les États de 100 à 240 milliards régulatrices des marchés. Cette condition de dépendance
de dollars chaque année, par « optimisation fiscale agres- se trouve particulièrement bien mise en lumière par les
sive » (OCDE, 2013). Cette privation de moyens d’agir institutionnalistes et le doyen en France de cette école cri-
s’est ajoutée aux dépenses publiques générées afin de tique de l’économisme néoclassique, Robert Boyer. Dans
remédier à la crise financière et économique depuis un ouvrage magistral, Économie politique des capitalismes
2007-2009. Le résultat en est l’accroissement des dettes (2015), il montre que « c’est clairement la monnaie qui
contractées par les États à l’endroit de leurs créanciers est l’institution de base d’une économie marchande ». Les
internationaux, publics ou privés. banques, organisées en réseau, accordent des crédits aux
entreprises et aux consommateurs. Elles mettent en cir-
culation les monnaies légales ; elles produisent des mon-
Le régime monétaire naies par le crédit. Sans ces flux, il n’y aurait pas de jeu
économique permettant la production et les échanges.
Le régime monétaire est un élément central de l’acti-
Les banques recourent également à des chambres de
vité économique, qui doit donc être examiné dans son
compensation, soumises à des règles, permettant de
fonctionnement réel. Au-delà du troc, ou du service
résoudre les flux entre les entités particulières.
mutuel, véhicules des transactions depuis l’apparition
de l’humanité, nous échangeons principalement, depuis Les actions manquant de prudence sont suivies de
quelques milliers d’années, au moyen de la monnaie. La désordres allant jusqu’à la panne générale, une crise
monnaie, c’est tout simplement un titre de reconnais- financière locale ou, pire, une crise financière mondiale,
sance de dette. On a en poche, ou pas, de quoi faire comme celle de 1929. Celle de 2007-2008 n’est pas
264 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

encore bien résolue. Les paniques engendrées par ces mécanismes de privatisation des profits et de socialisa-
menaces sur les avoirs des agents peuvent conduire à tion des coûts. L’accumulation du capital est devenue
des ruées sur les guichets, comme on l’a encore constaté aujourd’hui une opération de captation des valeurs au
en Grande-Bretagne, avec la ruée sur la Northern Rock détriment de la pérennité d’entreprises productives, pri-
Bank, en septembre 2007. La sauvegarde du système vées graduellement des stimulants que procuraient les
financier repose alors sur des garanties de dépôt, assu- dépenses d’une classe moyenne en nette régression. La
rances couvrant par exemple 100 000 $ de chaque dépo- gouvernance des entités économiques a été depuis les
sant, par institution, au Canada. Si ce mécanisme s’avère années 1960-1970 un sujet d’affrontement des concep-
encore insuffisant pour relancer le cycle financier et l’ac- tions affectant et le rôle des États et le rôle des dirigeants
tivité économique, il existe également un mécanisme d’entreprise. Pour comprendre la situation actuelle, on
institutionnel généralisé : le prêteur de dernier ressort, doit reprendre le constat de Vincent de Gaulejac et
l’État, qui décide d’acheter des titres plus ou moins altérés Fabienne Hanique :
en échange de montagnes de bonne monnaie légale.
L’organisation elle-même devient une liquidité, à l’image
Ce mécanisme utilisé actuellement aux États-Unis et en de n’importe quel produit financier. Son statut d’institu-
Europe, c’est le recours à l’assouplissement quantitatif tion économique, d’acteur majeur de la production de
(quantitative easing), lequel n’a pas encore résolu la crise biens et de services, d’élément central dans la construc-
de 2007-2008. Cette non-résolution de la crise de 2008 tion de la société se liquéfie dans une finalité qui se
permet actuellement aux acteurs financiers d’imaginer déplace du registre productif au registre financier.
la mise en place d’un taux négatif pour les dépôts ban- […]
caires, qui s’ajouterait à la perte que peut impliquer le
Le capital n’est plus un moyen parmi d’autres pour
taux d’inflation « idéal » de 2 %, actuellement la cible des
­permettre à l’entreprise de produire, c’est l’entreprise
institutions de contrôle.
qui devient un capital dont les investisseurs cherchent
Bref, la monnaie n’est pas qu’un simple élément quan- à maximiser les performances… (Gaulejac et Hanique,
titatif dans le jeu économique mondial actuel ; c’est un 2015, p. 61).
ensemble d’institutions qui permettent, et ont pour but Cette exigence du « toujours plus », cette focalisation sur
de transférer les pouvoirs d’achat entre les partenaires les profits a produit des effets énormes sur la culture
avertis, au détriment des États et des individus. Ces et la gouvernance des organisations et sur les outils de
transferts ne sont pas le résultat de mécanismes auto- gestion. Cette ponction conduit logiquement à diminuer
nomes, mais bien l’effet le plus visible des rapports de les revenus perçus par les autres parties prenantes, au
pouvoir et de violence que porte actuellement l’éco- premier rang desquelles se trouvent les salariés. Le tra-
nomie ­mondialisée. vail représente un coût qu’il faut réduire ; les travailleurs
sont transformés en « ressources humaines », en « capital
humain ». Sous la pression économique des oligopoles
Le rapport salarial mondiaux, en recherche permanente de liquidités, le
Le rapport entre salariants et salariés demeure dans le salariat comme rapport social se trouve détaché de ses
monde actuel le ressort principal de l’accumulation des bases locales ou nationales de solidarité, des commu-
richesses et du pouvoir. Le capital doit être vu comme un nautés locales, régionales ou syndicales. L’entreprise
rapport social produisant un surplus approprié assurant camoufle même le rapport salarial ; on supprime en
la reproduction et le pouvoir de la classe dirigeante. Le apparence le salarié qui devient un « associé » (Walmart,
capitalisme s’approprie le surplus résultant des différents Uber, etc.), un « responsable » ou un contractuel peu pro-
mécanismes de création de valeur dans un système mer- tégé, tous subissant pleinement le principe d’autorité.
cantile. Ce système absorbe, sans le mesurer, le travail
Cet impératif de liquidité incite les entreprises à « flexi-
non rémunéré provenant de la sphère mutualiste, mais biliser » l’emploi et à traiter leur personnel comme une
en lui faisant subir, ainsi qu’à la nature, des coûts non variable d’ajustement alors qu’il constitue l’essentiel de
intégrés dans la comptabilité marchande. De nombreux leur richesse et détermine leur capacité stratégique à
auteurs ont décrit en détail depuis 150 ans et plus ces entreprendre (Supiot, 2015, p. 20).
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 265

Thomas Piketty (2013) et Jeremy Rifkin (2014) montrent que les défaillances et les risques d’échec ne manquent
qu’à terme l’inégalité extrême des revenus en vient à jamais de provoquer » (Lallement, 2010, p. 58).
reproduire certains traits du féodalisme, la soumission
En fait, c’est comme si le taylorisme était un peu un
réelle de travailleurs à des « princes » jouissant de patri- caméléon qui, avec les nouvelles donnes, avec les nou-
moines accumulés sur des générations. Brisant le lien velles technologies, avec de nouveaux modes managé-
entre le travail et la rémunération, cette soumission rend riaux, se renouvelle finalement et provoque les mêmes
les travailleurs esclaves d’un rapport inégalitaire tout à effets, sur la production certainement, mais aussi sur
fait étranger aux lois des marchés que décrivent toujours les personnes (Bernon, Hirigoyen et Mahieu, 2010, p. 2).
les manuels standards d’économie. Pour Gaulejac (2005) et Gaulejac et Hannique (2015),
les taux de rentabilité sont trop souvent une quête
menée par des actionnaires qui se préoccupent peu
Les répercussions des conditions infligées aux travailleurs pour atteindre
ce rendement. L’Organisation internationale du travail
de la violence économique (OIT) renchérit en déclarant que « les employés sont aux
en milieu organisationnel prises, plus que jamais, avec une multitude de nouvelles
structures et procédures organisationnelles qui peuvent
Le visage du travail qui change affecter leur santé mentale » (Gabriel et Liimatainen,
Les problèmes structurels et les crises économiques et 2000, p. 3) [traduction libre]. Plus précisément, ces nou-
sociales permanentes ne manquent pas d’avoir leurs velles structures du travail impliquent une exposition
répercussions dans le fonctionnement et la culture des accrue des travailleurs à des facteurs de risque psycho-
organisations publiques et privées. En effet, de nom- sociaux, c’est-à-dire des conditions de travail dans les-
breuses organisations et entreprises orientent maintenant quelles évoluent les travailleurs et qui représentent des
leur production en fonction des impératifs économiques risques d’atteinte à leur santé psychologique : manque
de maximisation de l’avoir aux actionnaires, des « lois » d’autonomie, surcharge de travail, manque de recon-
d’un marché de plus en plus mondialisé ; le culte de gains naissance, attentes plus élevées de rentabilité, commu-
constants de productivité et de rendement financier nications quasi instantanées, augmentation du rythme
s’impose comme un nouvel ordre corrosif à l’endroit de travail, etc. (Dewa, McDaid et Sultan-Taïeb, 2011) 4.
des garants traditionnels de la bonne conduite (morale, Depuis quelques années, les recherches démontrant les
droit, déontologie, normes sociales courantes, etc.). Ces conséquences d’être exposés à long terme à ces facteurs
transformations apportent dans bien des cas une inten- de risque se multiplient. Par exemple, l’Agence euro-
sification du travail, une augmentation des cadences du péenne pour la sécurité et la santé au travail présente
travail, une chasse aux temps morts, ainsi qu’une pré- des études mettant en évidence des répercussions telles
carisation de l’emploi (Lallement, 2010 ; Vézina, 2008). que la dépression, l’anxiété, les troubles de sommeil, les
L’objectif d’atteindre un rendement maximal avec un douleurs lombaires, la fatigue chronique, les problèmes
minimum d’effectifs a modifié les modes d’évaluation de digestion, les maladies auto-immunes, les maladies
de la performance, avec un contrôle serré, minuté, de la cardiovasculaires, l’élévation de la tension artérielle, etc.
production des travailleurs. On voit poindre maintenant (Bosma et collab., 1997 ; Guglielmi et Tatrow, 1998 ; Belkic
le transfert de responsabilités aux individus, c’est-à-dire et collab., 2000 ; Stansfeld et collab., 1999 ; Beswick et
passant de la hiérarchie vers l’opérateur. Cette rhéto- collab., 2006 ; Sobeih et collab., 2006 ; Stansfeld et Candy,
rique de responsabilité du travailleur, un changement de 2006 ; Cohen et collab., 2012).
paradigme, tente de rendre acceptable pour les travail-
leurs deux discours pourtant clairement dichotomiques :
l’augmentation de l’autonomie jumelée à l’augmenta-
4. Par exemple, la Fondation européenne pour l’amélioration des
tion des contraintes. Le travailleur se retrouve avec une
conditions de vie et de travail (2008) révèle qu’en 2005 trois
autonomie assurément factice, sans moyen de se sortir quarts (75 %) des travailleurs européens indiquaient avoir à
de cette situation aliénante, « avec toutes les angoisses travailler à des cadences élevées.
266 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

De tels changements organisationnels ne sont donc pas manque de soutien social, etc.) 5. Ce lien est également
sans répercussions sur les travailleurs et leurs proches. mis de l’avant par Korten et Henderson (2000) et D’Souza
Souffrance au travail, pénibilité, mal-être, perte de sens, et ses collaborateurs. (2003). Ils indiquent que le risque
suicide au travail et harcèlement moral sont des termes de dépression est multiplié par 4 chez les travailleurs qui
de plus en plus actuels, traduisant un malaise profond, vivent de l’insécurité d’emploi et le risque de vivre de
ressenti dans toutes les couches de la société (Askenazy, l’anxiété s’en trouve multiplié par trois.
2004). De nombreux spécialistes de diverses disciplines
En outre, on a remarqué une prévalence plus élevée de
(Gaulejac et Hannique, 2015 ; Dejours, 2012 ; Bardelli,
détresse chez les travailleurs victimes de harcèlement
2012 ; Rousseau-Sévère et Michaud-Lepage, 2014) ont
psychologique (Vézina et collab., 2011). Il s’agit d’un
décrit les conséquences de cette conjoncture écono-
constat inquiétant considérant la présence élevée de ce
mique difficile, voire violente, sur l’incidence des pro-
phénomène dans les organisations. À titre d’exemple,
blèmes de souffrance psychologique des travailleurs
27 % des répondants d’un sondage lancé par le Work-
ainsi que la transformation du rapport à l’autre dans les
place Bullying Institute ont été identifiés comme ayant
organisations, engendrant une souffrance relationnelle.
vécu directement ce phénomène (Workplace Bullying
Institute, 2014). Défini « comme une conduite abusive
(geste, parole, comportement, attitude) qui porte atteinte,
Souffrances psychologiques et relationnelles
par sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psy-
des travailleurs chique ou physique d’une personne, mettant en péril
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la son emploi ou dégradant le climat de travail » (Hirigoyen,
dépression serait actuellement la première cause d’in- 2014, p. 11), le harcèlement psychologique au travail n’est
capacité dans le monde (OMS, 2018). Bien que certains pas sans conséquence. À cet effet, la méta-analyse de
diagnostics soient isolés de la réalité du travail, plu- Verkuil, Atasayi et Molendijk (2015) rapporte que le har-
sieurs états psychologiques (épuisement professionnel, cèlement au travail explique jusqu’à 26 % de la variance
anxiété, trouble d’adaptation, etc.) sont liés à l’organisa- des symptômes dépressifs, anxieux, du stress post-­
tion du travail, comme le démontrent différentes études traumatique et d’autres troubles psychologiques. Ces
menées aux États-Unis, en Finlande, en Allemagne, au résultats suggèrent que le harcèlement psychologique
Royaume-Uni, au Canada (Dewa et collab., 2011, Moreau au travail est un facteur de risque des troubles mentaux
et collab., 2004). Les données sur le Québec dévoilées en au même titre que d’autres déterminants plus souvent
2011 par l’Institut national de la santé publique tracent un étudiés : obésité, manque de sommeil ou d’exercice, etc.
portrait sombre de la qualité de la santé psychologique (Verkuil et collab., 2015). Si l’on connaît depuis longtemps
et des relations sociales des travailleurs dans les organi- plusieurs déterminants de l’agression en milieu de travail,
sations (Vézina et collab., 2011). Ces données permettent dont les déterminants individuels (caractère despotique,
de constater qu’en 2007-2008, en pleine crise des prêts pervers, narcissique, cynique du harceleur) (Hirigoyen,
hypothécaires à risque (subprimes), près d’un travailleur 2014) et interpersonnels (conflits escaladés, jeux de pou-
sur cinq (18 %) présentait des symptômes de détresse voir et de contre-pouvoir impliquant des comportements
psychologique élevée ; cette prévalence grimpe à près de jalousie, d’envie et de rivalité) (Hutchinson, 2013 ;
de 34 % lorsqu’on prend en compte les travailleurs vivant
des symptômes modérés de détresse psychologique.
5. Quelques pays se sont mobilisés pour faire face à cette
Cette vaste enquête auprès des travailleurs québécois épidémie de problèmes de santé mentale liés au travail.
démontrait également que les personnes en situation C’est le cas notamment de la France qui a instauré en 2009
d’insécurité d’emploi ou de précarité contractuelle vivent un programme d’urgence à la suite des vagues de suicide au
travail. Également, le Plan national de santé au travail 2010-
un surcroît de détresse psychologique, tout comme ceux
2014 prévoyait s’attarder à la diminution des facteurs de risque
qui sont exposés aux facteurs de risque psychosociaux psychosociaux au travail (Sénat, 2010). Enfin, le Pacte européen
(faible autonomie jumelée à une surcharge de travail, pour la santé mentale et le bien-être de l’Union européenne a
déséquilibre entre les efforts et la reconnaissance, indiqué la problématique de la santé mentale au travail comme
étant l’une des quatre priorités dans les actions à entreprendre
(Commission des communautés européennes, 2008).
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 267

Leymann, 1996), on dénonce maintenant de plus en Savoie (2004), est fortement associée à une plus grande
plus les déterminants organisationnels6 (culture organi- fréquence des agressions dans le milieu de travail. Il n’est
sationnelle, stratégies managériales du type tayloriste, pas rare que les nouvelles formes d’organisation du tra-
management par la peur) (Archer, 1999 ; Baillien, Neyens, vail et d’évaluation placent en concurrence les salariés
De Witte et De Cuyper, 2009), les déterminants environ- entre eux, en distribuant les primes au rendement. Pour
nementaux et le contexte économique mondial actuel. éviter le pire, les salariés ont souvent « tendance à s’ac-
cuser les uns les autres d’insuffisance, d’incompétence
Depuis la crise économique de 2008-2009, le marché du
travail connaît une situation difficile marquée par une et plus généralement d’occasionner une gêne à l’accom-
concurrence accrue entre les entreprises et une précarité plissement du travail » (Dejours, 2007, p. 64). C’est ainsi
de l’emploi. Aussi, plusieurs pensent qu’il est nécessaire que, sur le plan managérial, l’objectif de rentabilisation à
de recadrer le harcèlement psychologique plus dans le très court terme des capitaux engagés nécessite souvent
contexte économique global actuel. La conjoncture éco- l’utilisation de méthodes pour le moins inhumaines, qui
nomique crée un climat d’insécurité dans lequel les sala- brisent ou désorganisent les rapports sociaux et les soli-
riés sentent leurs emplois menacés. Selon les spécialistes,
darités indispensables au vivre-ensemble7. Constatant
cette situation favorise l’émergence de comportements
cette dégradation à un rythme effarant de la qualité
de harcèlement (Rousseau-Sévère et Michaud-Lepage,
2014a, p. 207). des rapports sociaux, Dejours (2007) explique que « le
résultat final de l’évaluation et des dispositifs connexes
Diverses enquêtes ont permis d’établir une corrélation est principalement la déstructuration en profondeur de la
entre l’augmentation du harcèlement psychologique confiance, du vivre ensemble et de la solidarité » (p. 68),
(que certains rebaptisent d’ailleurs « harcèlement stra- créant ainsi les pathologies de la solitude. Cette désoli-
tégique » ou « institutionnel ») et la situation économique darisation et la dégradation de la confiance entre pairs
mondiale actuelle. Wendy Rousseau-Sévère, économiste, ouvrent la porte au « chacun pour soi », et à la néces-
et Marc-André Michaud-Lepage, conseiller stratégique sité de tout faire pour sauver sa peau, pour ne pas faire
à la Commission des normes du travail du Québec, ont partie des statistiques de mises à pied. De fait, certaines
analysé l’évolution des données relatives au harcèlement entreprises licencient chaque année 10 % de leur per-
psychologique (HP) reçues à la Commission de 2004 à sonnel (les moins performants étant déterminés après
2013. Ces données leur permettent de constater une coup, ou sans critère, simplement pour pouvoir écrémer
hausse particulièrement marquée en 2009 pour l’en- sur le marché les meilleurs éléments disponibles), voire
semble du Québec (1500 demandes HP en 2008, pour prennent des moyens pour les contraindre à démis-
3700 demandes HP en 2009). sionner, créant ainsi des taches noires au dossier du
En effet, cette année se distingue par un accroissement salarié. Cette insécurité de l’emploi n’est pas sans consé-
de 150 % des demandes HP par rapport à l’année pré- quence : D’Souza et ses collaborateurs (2003) notent
cédente. Cette hausse coïncide avec la récession écono- d’ailleurs qu’elle multiplie par 4 les risques de dépression
mique de 2009 qui a affecté l’emploi au Québec (idem, et par 3 les risques de souffrir d’anxiété.
2014b, p. 216).
Au-delà de l’invalidité, « la souffrance au travail n’est pas
À cette influence du climat mondial de violence éco- un mythe, pire, elle tue » (Dejours, 2012, p. 11). L’affirma-
nomique,s’ajoute la notion de contrat psychologique : tion de Dejours prend tout son sens lorsqu’on s’attarde
il est démontré qu’un bris de confiance et de loyauté aux tragiques suicides qui ont frappé des entreprises
entre le travailleur et l’organisation est lié à l’apparition comme Renault et France télécom. De fait, en 2009, un
du harcèlement au travail (Depolo, Guglielmi et Toderi, tribunal français a déclaré la responsabilité de Renault
2004). La compétition entre collègues, selon Courcy et dans un cas de suicide, reconnaissant ainsi qu’un tel
geste n’est pas attribuable uniquement à une fragilité
6. Parmi ces inducteurs, se trouve le climat de travail défini comme
« une caractéristique de l’organisation qui décrit la relation entre
les acteurs de l’organisation telle qu’elle est mesurée par la 7. Parmi les méthodes de gestion issues du toyotisme, on retrouve
perception que se font la majorité des acteurs de la façon dont la production allégée (lean production), le juste à temps, le zéro
ils sont traités et gérés » (Roy, 1984). défaut, la qualité totale, le kaizen (amélioration continue).
268 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

personnelle, que l’organisation délétère du travail se illustration d’un facteur macroéconomique qui entraîne
trouve en cause8. Cette décision juridique met égale- des coupes dans les budgets alors que l’on aurait juste-
ment de l’avant : ment besoin de davantage de services sociaux et de ser-
vices de santé mentale à cause de la recrudescence des
[…] qu’une entreprise doit répondre de l’organisation du
travail qu’elle instaure, y compris dans les conséquences troubles mentaux et des suicides et de l’émergence de
que celle-ci peut avoir sur la santé de ses salariés. Elle nouveaux groupes vulnérables (par exemple les jeunes
vient souligner enfin le triste état du monde du travail, chômeurs) » (OMS, 2013, p. 7).
dominé par des stratégies comptables, souvent menées
au détriment des hommes (Dejours, 2012, p. 8).

Autre exemple notoire : France télécom, théâtre de Le rôle de l’État-nation


46 suicides en deux ans (janvier 2008 à mars 2010), a vu
son dirigeant mis en examen par les tribunaux, en 2008-
et du droit canadien en matière
2009. Cette vague de suicides sans précédent serait, de violence économique
selon l’avis de plusieurs, liée aux techniques de gestion Il convient d’examiner l’évolution du droit canadien
draconiennes utilisées dans cette entreprise (Diehl et (législatures fédérale et provinciale) relatif à ces phéno-
Doublet, 2010). Le titre non équivoque d’un article de mènes de violence économique. Si, en raison des pro-
l’OIT (2012) en fait d’ailleurs foi : « France Telecom : l’OIT cessus de mondialisation, d’internationalisation et de
met en évidence la problématique du stress au travail. » domination de la finance, la réalité juridique canadienne
Cet article relate le fait que certaines des victimes avaient ne peut plus seulement être réfléchie comme relevant
laissé des lettres dénonçant les conditions de stress d’un espace territorial défini, la fonction traditionnelle-
extrêmes dans lesquelles elles évoluaient depuis que ment reconnue à l’État-nation demeure malgré tout très
de grandes restructurations avaient été réalisées dans importante. Elle continue à produire un discours, une
l’entreprise (OIT, 2012). Ces malheureux événements définition des conditions du mieux-vivre ensemble. Faute
sont l’aboutissement de ce que Dejours (2007) décrit d’un tiers garant national sanctionnant le respect des
dans son ouvrage, Conjurer la violence : travail, violence règles de la vie commune, la vie sociale perd ses repères
et santé, comme un enchaînement tragique : « injustices, et la confiance cesse de soutenir les rapports écono-
absence de réaction de solidarité de la collectivité de tra- miques et sociaux. Face aux attaques de la lex mercatoria,
vail, réaction violente qui s’achève par un retournement du pouvoir global des marchands et des financiers, le
de la violence contre la personne propre » (2007, p. 59). droit national continue à définir, pour une population
En 2013, l’OMS, dans son plan d’action pour la santé déterminée sur un territoire délimité, les exigences de
mentale 2013-2020, concluait que « la crise finan- justice que recherchent des citoyens libres dans leurs
cière mondiale observée actuellement est la parfaite relations et dans leur vie démocratique.

Remarquons d’entrée de jeu que le concept de « violence


économique » n’est pas comme tel inscrit dans les textes
8. La Cour d’appel de Versailles a déclaré que le suicide d’un législatifs canadiens et québécois. On observe, toute-
salarié de Renault en 2007 est « dû à la faute inexcusable » du
fois, que l’esprit et les dispositions de plusieurs lois9,
constructeur automobile. Ce dernier n’a pas pris les mesures
nécessaires pour préserver son salarié du danger auquel il était règlements et jugements en sont l’expression, et que
exposé en raison de la pénibilité avérée de ses conditions de transparaît souvent la préoccupation des législateurs et
travail et de la dégradation continue de celles-ci. La cour va des tribunaux à réprimer de réelles dérives des organi-
même jusqu’à montrer du doigt les supérieurs hiérarchiques
sations envers des parties prenantes. Un examen non
du salarié qui « n’ont jamais réellement cherché à améliorer ses
conditions de travail et n’ont jamais contrôlé ses horaires de exhaustif de modifications législatives apportées par
travail », estimés par l’Inspection du travail à 10 à 12 heures par
jour en janvier 2007, ce qui présentait « un caractère excessif ».
Le Parisien.fr, « Renault jugé coupable d’une faute “inexcusable”
après le suicide d’un salarié », http://www.leparisien.fr/societe/ 9. Le Québec a inclus les droits économiques et sociaux dans la
renault-juge-coupable-d-une-faute-inexcusable-apres-le-suicide- Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 39
d-un-salarie-11-05-2012-1995400.php. et suiv.
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 269

les législateurs canadien et québécois et les décisions poursuites ont donné lieu à des plaidoyers de culpabi-
des ­tribunaux au cours des 15 dernières années en lité11 et une poursuite a fait l’objet d’un procès12.
apporte la confirmation.
Dans la foulée de scandales financiers comme l’affaire
Lacroix-Norbourg, le législateur a renforcé le droit pénal
économique13. Le Code criminel, L.R.C. [1985], ch. C-46 (la
Les crimes économiques et les lois criminelles
principale loi criminelle au Canada), a reçu trois impor-
au Canada tantes modifications entre 2003 et 2011. Le projet de
Le législateur canadien a adopté, en 1999, la Loi sur la loi C-45, en 2003, prévoit des mesures plus répressives
corruption des agents publics étrangers (L.C. 1998, ch. 34 concernant la responsabilité criminelle des organisations
– « LCAPE ») fondée sur la Convention sur la lutte contre (personnes morales, sociétés, sociétés de personnes,
la corruption d’agents publics étrangers dans les transac- associations, syndicats, municipalités, entreprises à pro-
tions commerciales internationales de l’OCDE (MacKay, priété individuelle, etc.) pour des infractions qui reposent
2013). Cette loi interdit aux entreprises canadiennes sur la mens rea (c’est-à-dire une intention coupable)
d’offrir, de promettre, de payer ou de donner de l’argent comme la fraude, la corruption, l’escroquerie, le vol, le
(pots-de-vin) ou des biens de valeur à des agents publics truquage des offres, l’évasion fiscale, la participation à
étrangers afin d’obtenir ou de conserver un marché, un un cartel. Avant 2003, une organisation ne pouvait être
contrat ou un avantage injustifié. En 2013, la LCAPE a poursuivie que si un de ses hauts placés (c’est-à-dire
subi une modification importante à la suite des recom- l’âme dirigeante) avait commis l’infraction. Désormais,
mandations des membres du Groupe de travail de l’OCDE un cadre supérieur (et même un cadre intermédiaire
sur la corruption (OCDE, 2011). On prévoit, entre autres, selon l’interprétation des tribunaux) peut engager la res-
des peines d’emprisonnement maximales plus sévères ponsabilité criminelle de son organisation lorsque, dans
(de 5 à 14 ans) et des amendes illimitées pour l’infraction l’exercice de ses attributions, il participe à l’infraction,
de corruption d’agents publics étrangers, l’élimination ou s’il fait en sorte, avec l’intention requise, qu’un agent
de l’exception relative aux paiements de facilitation10, (administrateur, associé, employé, membre, mandataire
l’établissement d’une compétence personnelle active, ou entrepreneur) commette l’infraction, ou s’il omet de
c’est-à-dire une compétence fondée sur la nationalité du prendre les mesures voulues pour l’en empêcher. Bien
délinquant. Cet amendement permet au Canada de pour- qu’elles existent depuis 10 ans, ces dispositions n’ont
suivre une société ou un citoyen canadien pour des actes été évoquées que tout récemment par les tribunaux,
commis sur un territoire étranger. Il n’est plus obligatoire en matière de crime économique (Collins-Hoffman et
de prouver l’existence d’un « lien réel et important » entre Pinsonnault, 2014)14.
l’infraction et le Canada pour exercer cette compétence.
En 2004, le Code criminel recevait une autre modification
Bien que la LCAPE soit en vigueur depuis 15 ans, ce n’est
importante avec le projet de loi C-13, visant à consolider
que récemment qu’elle a fait l’objet d’une application
les mesures d’investigation, de poursuite et de dissuasion
plus soutenue par les autorités canadiennes. Dans les
relatives à la fraude sur les marchés financiers cana-
quelques condamnations rendues, les sentences infli-
diens. Ainsi, une nouvelle infraction criminelle relative
gées sont sévères. Depuis l’adoption de la LCAPE, trois
au « délit d’initié » a été créée visant l’achat ou la vente de

11. R. v. Watts, [2005] A.J. n o 568 ( Hydro-Kleen) ; Calgar y


(Alberta), Her Majesty the Queen v. Niko Resources Ltd., E-File
no CCQ11NIKORESOURCES, 24 juin 2011 ; Her Majesty the Queen
v. Griffiths Energy International, E-File no CCQ13GRIFFITHSENER,
10. Les « paiements de facilitation », que certains qualifient d’actes Action no 130057425Q1, 25 janvier 2013.
de « corruption mineure », se présentent comme des paiements
12. R. v. Karigar 2013 ONSC 5199 confirmé par la Cour d’appel de
versés afin de hâter ou de garantir l’exécution par un agent public
l’Ontario, R. v. Karigar, 2017 ONCA 576.
étranger d’un acte de nature courante (red tape) faisant partie de
ses fonctions officielles. Afin de donner aux entreprises le temps 13. Autorité des marchés financiers c. Lacroix, 2008 QCCQ 234 ; R. c.
d’adapter leurs pratiques et leurs procédures, cette dernière Lacroix, 2009 QCCS 4519.
modification n’est entrée en vigueur que le 31 octobre 2017. 14. R. c. Pétroles Global Inc. 2012 QCCQ 5749, 2015 QCCS 1618.
270 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

valeurs mobilières reposant sur des renseignements non (art. 1.1). Elle permet de réprimer notamment les cartels,
publics importants pouvant influer sur leur prix ; elle est les ententes criminelles lors d’appels d’offres, les accords
maintenant punissable d’une peine d’emprisonnement bancaires relatifs à la fixation des intérêts, les publicités
maximale de 10 ans15. trompeuses, les abus de position dominante, les fusions
et les ententes anticoncurrentielles, etc.
Avec l’adoption du projet de loi C-21, en 2011, le législa-
teur a contribué de façon encore plus intense à la répres- La Loi sur la concurrence, qui a fait l’objet d’une réforme
sion de la criminalité en col blanc et à rendre davantage en profondeur en 2009, donne effet aux recommanda-
justice aux victimes, grâce à des mesures comme l’im- tions du rapport Foncer pour gagner (2008) déposé par un
position d’une peine d’emprisonnement minimale de groupe d’étude institué par le gouvernement fédéral16. La
deux ans aux auteurs de fraudes de plus d’un million réforme vise avant toute chose à moderniser la Loi sur
de dollars. La création d’une ordonnance d’interdiction la concurrence et à l’harmoniser avec les lois des princi-
d’emploi permet également au juge d’interdire au délin- paux partenaires économiques du Canada, le Sherman
quant de chercher, d’accepter ou de garder un emploi Act américain et les lois de la Communauté européenne
ou un travail bénévole dans le cadre duquel il exerce ou (Diawara, 2014, p. 1-10). Cette réforme a aussi pour effet
exercerait un pouvoir sur les biens immeubles, l’argent d’alourdir les sanctions encourues en cas de non-respect
ou les valeurs d’autrui. L’imposition de nouvelles obli- de la loi, donc de dissuader les personnes de se dérober
gations aux juges en ce qui concerne les ordonnances du processus normal de la concurrence. Au nombre des
de dédommagement pour les dommages matériels, modifications significatives, on a particulièrement allégé
corporels et psychologiques que les victimes ont subis les exigences quant à la preuve que doit fournir le Direc-
et la prise en compte, au moment de la détermination teur des poursuites pénales pour trois types d’ententes
de la peine, d’une déclaration collective des dommages (communément appelées cartels17) entre concurrents
subis par les victimes à la suite d’une fraude, sont aussi dont les effets anticoncurrentiels sont appréciables ; il
de nouvelles mesures introduites par le législateur en s’agit des ententes (complots) visant à fixer les prix, à
réaction aux scandales financiers et à la violence éco- partager les marchés, les clients, les territoires ou rédui-
nomique qui en découle. sant l’offre d’un produit ou d’un service (art. 45 L.c.)18.
La preuve de ces ententes qualifiées de criminelles est
désormais beaucoup plus facile à produire qu’aupara-
La régulation de la concurrence vant, puisque ces dernières deviennent des infractions
pénales de type per se, c’est-à-dire des infractions visant
Au Canada, la concurrence se trouve encadrée par une
des comportements considérés à ce point répréhensibles
loi fédérale, la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch.
C-34 (L.c.). Cette loi a pour principal objectif de préserver
et de favoriser la concurrence, de stimuler l’adaptabilité
et l’efficience de l’économie. La Loi sur la concurrence 16. Loi d’exécution du budget de 2009, L.C. 2009, ch. 2. Groupe
d’étude sur les politiques en matière de concurrence (2008),
vise, en principe, à améliorer les chances de participation
Foncer pour gagner. Rapport final. Récupéré de https://www.ic.gc.
canadienne sur les marchés mondiaux tout en prenant ca/eic/site/cprp-gepmc.nsf/fra/h_00040.html.
en compte le rôle que peut jouer la concurrence étran- 17. « Un cartel est une organisation regroupant des entreprises
gère au Canada. Elle entend assurer à la petite et à la indépendantes oeuvrant dans un même marché qui collaborent
moyenne entreprise une honnête chance de participer à afin d’augmenter leur pouvoir de marché et d’accroître ainsi
leurs profits en fixant les prix de leurs produits au-dessus de leur
l’économie canadienne, se traduisant par des prix com-
niveau concurrentiel, en exerçant un contrôle sur leur production
pétitifs et un choix de produits pour le consommateur ou en limitant indûment l’entrée de nouveaux concurrents sur
le marché ». R. c. Gosselin, 2013 QCCS 1223, par. 107.
18. Les nouvelles dispositions de la L.c. font désormais une distinction
15. « Le délit d’initié fait déjà l’objet d’une interdiction en vertu de la très nette entre les complots les plus graves pour la concurrence,
Loi canadienne sur les sociétés par actions et de lois provinciales soumis à une interdiction criminelle automatique (art. 45 L.c.)
réglementant les valeurs mobilières. L’ajout de cette infraction au et les alliances stratégiques sujettes à une interdiction civile, si
Code vise les activités les plus flagrantes appelant des sanctions elles ont pour effet d’entraver sensiblement la concurrence dans
pénales sévères » (MacKay et Smith, 2004). un marché (art. 90.1 L.c.) (Goudreau et Quaid, 2013, p. 320).
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 271

qu’on en présume l’effet anticoncurrentiel (Goudreau et Par ailleurs, au Canada, les entreprises en situation de
Quaid, 2013)19. Par conséquent : monopole (lorsqu’une entreprise est la seule à offrir un
bien dans un marché) ou d’oligopole (un nombre res-
On ne cherche plus à savoir si l’accord a ou aura vrai-
semblement pour effet de nuire à la concurrence. Le seul treint d’entreprises offrent un bien ou un service à un
fait de faire la preuve que plusieurs concurrents se sont grand nombre d’acheteurs) ne sont pas nécessairement
entendus sur divers éléments spécifiques concernant un illégales, étant donné les caractéristiques économiques,
produit ou un service vis-à-vis duquel ils sont, ou seront démographiques et géographiques du pays (Diawara,
éventuellement en concurrence directe, est suffisant 2015, p. 258). La Loi sur la concurrence permet de
(Goudreau et Hallé, 2013, p. 661). réprimer une entreprise qui abuse de sa position domi-
Cette réforme a, de plus, accentué la sévérité des péna- nante de manière à réaliser des profits démesurés. Ce
lités dans le cas de cartels. La peine maximale pour une sont des pratiques révisables qui peuvent être contrôlées
infraction est passée de 5 à 14 années d’emprisonne- et limitées, ce comportement n’étant pas acceptable pour
ment et les amendes maximales, de 10 à 25 millions de l’ensemble de la collectivité, les PME et les consomma-
dollars. Ces mesures font que le Canada est aujourd’hui teurs en particulier. L’entreprise pourra être poursuivie
l’un des pays les plus sévères à l’égard des cartels au civil devant le Tribunal de la concurrence. Si un com-
(Goudreau et Hallé, 2013, p. 662) 20. Concrètement, plu- portement abusif ne semble pas en vertu de la loi mériter
sieurs observateurs ont pu constater que les tribunaux une sanction pénale, comme c’est le cas pour les cartels,
canadiens se montrent de moins en moins réticents à les nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence
sanctionner plus sévèrement de tels comportements introduisent des amendes importantes (sanctions admi-
anticoncurrentiels. En 2012, dans l’affaire Maxzone, le nistratives pécuniaires ou « SAP ») ; un Tribunal a la dis-
juge Campton de la Cour fédérale écrit : « […] les ententes crétion d’en imposer en cas de condamnation pour abus
de cartel injustifiables telles que les accords de fixation de position dominante, pour un montant maximal de
des prix doivent être traitées au moins aussi sévèrement, 10 millions de dollars canadiens23. En cas de récidive,
sinon plus, que la fraude et le vol » (par. 56) 21. De plus, la le montant maximal est relevé à 15 millions de dollars.
Cour suprême du Canada, dans trois jugements impor- Pour certains observateurs, cela constitue une avancée
tants rendus en 2013, a confirmé le droit des victimes importante visant à dissuader les entreprises d’adopter
indirectes de cartels de se faire indemniser en vertu d’un un comportement abusif, car, avant 2009, le Tribunal
recours collectif22. de la concurrence « avait juste la latitude de rendre une
ordonnance de faire ou de ne pas faire en cas d’abus
de position dominante et ne pouvait pas prononcer de
sanctions de nature pécuniaire » (Diawara, 2015, p. 260).
19. La L.c. prévoit toutefois des exceptions et des défenses : l’accord
ou l’arrangement se rattachant exclusivement à l’exportation,
l’entente entre affiliés, le comportement réglementé et l’accord
accessoire (Quaid, 2015, p. 25-2).
La lutte aux pratiques fiscales abusives
20. En novembre 2012, le législateur modifie de nouveau le Code Avant la crise de 2007-2008, on trouve déjà dans la légis-
criminel afin de restreindre la possibilité de surseoir aux peines lation fiscale canadienne des mécanismes de pénalisation
d’emprisonnement pour ceux qui sont trouvés coupables
d’une infraction passible d’une peine maximale de 14 ans
de l’utilisation abusive tant par les individus que par les
d’emprisonnement (art. 742.1 C. cr.). entreprises de régimes fiscaux avantageux offerts par
21. Canada v. Maxzone Auto Parts (Canada) Corp., 2012 FC 1117 certains États ou territoires étrangers. Afin de ne payer
(CanLII). que peu ou pas d’impôt sur leurs bénéfices industriels ou
22. Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 ; commerciaux (revenus tirés d’activités), les entreprises
Sun-Rype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company, 2013 jouent depuis longtemps sur les critères de détermina-
CSC 58 et Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013
tion de leur résidence (domicile) fiscale ou sur les critères
CSC 59 ; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013
CSC 59. D. Rosner (2014), « Private Enforcement of Competition
Laws : What Can We Learn from Canada ? », Journal of European
Competition Law & Practice, vol. 5, n° 7, p. 485-491 ; Pétrolière 23. Canada (Commissioner of Competition) v. Direct Energy Marketing
Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66. Limited, 2015, Comp. Trib. 2.
272 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

portant sur l’exploitation d’une entreprise. Ils localisent en principalement ou uniquement de diminuer la charge
outre dans les États ou territoires à fiscalité avantageuse, fiscale qui devrait normalement être supportée.
voire nulle, les actifs immatériels (créances, actions de
Mais plus généralement, et dans une perspective interna-
sociétés, droits de propriété intellectuelle) générant des tionale, elles confèrent [les dispositions anti-évitement]
revenus dits passifs (intérêts, dividendes, redevances). à l’Administration un fondement juridique qui l’autorise
La lutte internationale, à laquelle s’est joint le Canada, à à refuser de reconnaître la réalité des « montages », c’est-
l’encontre de ces pratiques fiscales abusives ou agressives à-dire des opérations faisant, par exemple, intervenir
s’est intensifiée depuis la crise de 2007-2008, les entrées une entité localisée dans un État ou territoire à fisca-
fiscales amoindries ayant laissé les États surendettés et lité avantageuse, lorsqu’ils ont été conçus par le contri-
buable principalement, essentiellement ou aux seules
leurs populations particulièrement outrées. L’intention
fins d’éviter le fardeau fiscal qu’il devrait autrement
commune des États du G-20 et de l’OCDE est d’éradi-
assumer (Lapointe, 2015, p. 206-07) 25.
quer ces pratiques et de « moraliser » en quelque sorte
la fiscalité en la rendant plus équitable pour l’ensemble Toutefois, même avec la meilleure volonté du monde,
des acteurs économiques. Le résultat visé est que les les États (dont le Canada) ne peuvent utiliser les méca-
revenus des entreprises soient imposés là où l’activité nismes spécifiques ou généraux de contrôle des abus
génératrice de ceux-ci a été réalisée ; ou, inversement, on prévus dans leurs lois fiscales, si les revenus et les tran-
vise à éviter l’érosion de la base d’imposition des États à sactions des entreprises ayant des activités ou des actifs
fiscalité normale ou élevée et le transfert corrélatif desdits à l’étranger ne sont pas connus des autorités concernées.
revenus ainsi soustraits à leur juridiction vers les États ou Il en va habituellement ainsi lorsqu’une entreprise, pour
territoires à fiscalité privilégiée. se prévaloir des avantages offerts par des États ou des
territoires qui ont une fiscalité privilégiée ou un droit des
Sans faire un exposé détaillé de ces dispositions légis-
sociétés plus laxiste, a recours à des schémas d’optimi-
latives souvent très complexes, on doit rappeler qu’au
sation fiscale au moyen de l’utilisation de ces États ou
Canada la Loi de l’impôt sur le revenu24 prévoit des
territoires. C’est pourquoi, dans la foulée de la crise éco-
mécanismes spécifiques et généraux anti-abus, lesquels
nomique déclenchée en 2007-2008, la plupart des États
ont été bonifiés au cours des dernières années. Ont été
de l’OCDE et du G20 ont signé des accords d’échange
visés plus spécifiquement « le contrôle des prix de trans-
de renseignements afin d’obtenir, de la part des États
fert, le système des sociétés étrangères contrôlées, la
ou des territoires ayant des régimes d’imposition parti-
neutralisation des transferts d’actifs, en particulier à des
culièrement favorables, des renseignements en matière
trusts, vers des États ou territoires où les actifs en ques-
fiscale et financière afin de connaître les revenus générés
tion bénéficient de régimes fiscaux privilégiés, les règles
et les activités qui y sont effectuées par leurs résidents
visant à contrer la sous-capitalisation, la limitation […] de
fiscaux. Bref, par ces accords, on peut lever le voile sur
la déductibilité de certains paiements » (Lapointe, 2015,
le secret entretenu par les institutions bancaires et finan-
p. 188).
cières par l’entremise desquelles transitent les revenus
De plus, le Canada est l’un des rares pays à avoir inscrit produits au sein de ces États ou territoires par les entre-
dans sa loi fiscale un mécanisme général anti-évitement. prises résidentes, notamment, du Canada. L’échange
Ce mécanisme permet à l’Administration de restituer que ces accords prévoient est toutefois uniquement sur
leur véritable caractère à des opérations qui, sous le demande, à savoir à la suite d’une requête circonstan-
couvert de contrats ou d’actes juridiques courants, ont ciée faite par une administration fiscale à propos d’un
pour conséquence de faire échec à la loi fiscale, et de résident fiscal bien identifié.
sanctionner l’utilisation de telles opérations fictives ou
abusives, c’est-à-dire des opérations qui n’ont pas un
réel fondement économique, leur raison d’être étant
25. Malheureusement, depuis l’adoption de cet article en 1988, les
tribunaux canadiens, dont la Cour suprême du Canada, ont été
réticents à appliquer cette disposition qu’ils estiment rédigée
24. Loi de l’impôt sur le revenu (lois refondues du Canada [1985], de façon trop générale. Hypothèques Trustco Canada c. Canada,
chap. 1 [5e suplément]. [2005] 2 R.C.S. 601.
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 273

En outre, comme pour l’ensemble des pays de l’OCDE, Le droit des sociétés par actions
le Canada a, dès 2008, procédé à un durcissement des et la dérive qu’entraîne la maximisation
dispositifs fiscaux qui pénalisent les entreprises cana-
de la valeur actionnariale
diennes qui effectuent des transactions dans les États
ou territoires à fiscalité privilégiée qui n’ont pas signé La gouvernance d’entreprise et la rémunération des
de tels accords ou qui ne les appliquent pas. Il s’agit dirigeants d’entreprise sont présentement sous l’in-
de la catégorie des États ou territoires non coopératifs fluence d’une idéologie pro-actionnaires, la théorie de
(ETNC). Les ETNC, en plus de leur caractère avantageux l’agence, qui a pour objet de justifier de maximiser la
sur le plan fiscal, sont des espaces reconnus « pour leur valeur aux actionnaires. Cette idéologie implique de se
peu d’empressement à communiquer les informations représenter ces derniers comme propriétaires des entre-
requises pour le bon déroulement des vérifications et prises. Le conseil d’administration est alors conçu comme
contrôles fiscaux effectués par les autres États […] sur un organe assurant le contrôle de l’équipe dirigeante
le modèle proposé par l’OCDE en avril 2002 » (Lapointe, (agents) pour le compte et au bénéfice des actionnaires.
2015, p. 180). Concrètement, cela signifie, par exemple, Le conseil est chargé de voir à la discipline des dirigeants
qu’une société étrangère (filiale) contrôlée par une et de s’assurer de la réduction des coûts d’agence. Cette
société mère canadienne et résidente d’un tel État ou forme de gouvernance justifie de rémunérer les ges-
territoire perd automatiquement ses avantages fiscaux tionnaires (qu’on présume négliger ordinairement les
et devient imposable au Canada sur une base de comp- détenteurs d’actions) avec des options sur actions (stocks
tabilité d’exercice. À titre d’exemple, les revenus pro- options), des rémunérations démesurées. L’organisation
venant d’une entreprise qu’elle exploite passivement ou l’entreprise cotée en bourse doit produire, chaque
seront présumés distribués au Canada, sans attendre trimestre, un compte rendu public de ses rendements
leur distribution sous forme de dividendes à la société et se soumettre à la scrutation permanente de la valeur
mère canadienne (Lapointe, 2015, p. 181). des actions. La préoccupation centrale se trouve alors
dictée par des impératifs de rendement à court terme,
Au Canada, d’autres réformes législatives sont attendues
ce qui ne peut qu’affecter la rémunération et les intérêts
à court et à moyen terme afin de lutter contre l’usage
diversifiés des autres parties prenantes, voire la viabilité
abusif des régimes fiscaux privilégiés. À titre d’exemple,
à long terme de l’entreprise.
une nouvelle norme de coopération entre administra-
tions fiscales des États participants est sur le point de se Cette théorie de l’agence a fortement influencé la culture
mettre en place ; elle devrait se concrétiser, selon les États et la gouvernance des organisations, les outils de ges-
ou territoires, dès 2018, avec pour résultat un processus tion, au point de provoquer pendant des années une
automatique d’échange de renseignements financiers. interprétation restrictive et inexacte de la Loi cana-
Cette nouvelle norme adoptée par l’OCDE en 2014 se dienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985) ch. C-44
traduira par une communication systématique, à inter- (LCSA), portant sur les devoirs des administrateurs et
valles réguliers, d’informations portant sur les revenus des dirigeants. Deux décisions de la Cour suprême du
passifs d’un contribuable générés dans un État ou terri- Canada, les affaires People (2004) et BCE (2008) 26, sont
toire qui n’est pas sa résidence fiscale. Un tel dispositif venues rétablir une vision plus équilibrée des devoirs
devrait permettre de traiter un plus grand nombre de des administrateurs de sociétés incorporées au Canada.
situations fiscales et d’accélérer leur traitement (Lapointe, Au Québec, la législation ne diffère pas vraiment sur ce
2015, p. 195). point de la LCSA. Ces décisions sont venues préciser en
quels termes la gouvernance des sociétés par actions
doit être pensée en vertu de la loi canadienne (Rousseau
et Tchotourian, 2012). Elles indiquent clairement qu’il ne
faut pas interpréter l’expression « au mieux des intérêts

26. Peoples (Syndic de) c. Wise [2004] 3 RCS 461 ; BCE c. Détenteurs de
débentures 1976 [2008] 3 RCS 560.
274 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

de la société » comme si elle signifiait simplement « au C-65.1 (LCOP), afin de réviser les règles du jeu dans des
mieux des intérêts des actionnaires ». Elles confirment contrats impliquant des organismes publics québécois
que la LCSA donne une assise à la prise en compte par (ministères, organismes des réseaux de l’éducation, de
les administrateurs des sociétés par actions des inté- la santé et des services sociaux, sociétés d’État, villes,
rêts de l’ensemble des parties prenantes (actionnaires, organismes municipaux, entreprises du gouvernement à
employés, salariés, fournisseurs, créanciers, consom- vocation commerciale ou industrielle) et des contractants
mateurs, gouvernements, environnement). Lorsque les privés. On entendait ainsi « favoriser la transparence
administrateurs regardent les différents intérêts qu’ils dans les processus contractuels et la bonne utilisation
doivent prendre en compte pour déterminer ce qui est le des fonds publics » (Gosselin et Pellerin, 2013, p. 16). De
mieux pour l’« intérêt de la société », ils doivent regarder façon générale, cette loi « consacre certains principes
l’ensemble des circonstances dans un cas donné et agir fondamentaux comme la transparence dans les pro-
de façon équitable et responsable. La Cour précise : cessus contractuels, le traitement intègre et équitable
des concurrents, la reddition de comptes fondée sur l’im-
Il n’existe pas de règles absolues ni de principes voulant
que les intérêts d’un groupe doivent prévaloir sur ceux putabilité des dirigeants d’organismes publics et sur la
d’un autre groupe. Il faut se demander chaque fois si, bonne utilisation des fonds publics ».
dans les circonstances, les administrateurs ont agi au
L’ampleur des stratagèmes de collusion et de corruption
mieux des intérêts de la société, en prenant en consi-
en regard des contrats de travaux publics d’infrastruc-
dération tous les facteurs pertinents, ce qui inclut, sans
s’y limiter, la nécessité de traiter les parties intéressées ture dans la province de Québec révélée par le rapport
touchées de façon équitable, conformément aux obli- de l’Unité anticollusion et la Commission d’enquête sur
gations de la société en tant qu’entreprise socialement l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie
responsable. de la construction (commission Charbonneau) a incité
le législateur québécois à doter le gouvernement de
La Cour suprême évoque clairement le principe de la res-
moyens additionnels pour attaquer ce problème endé-
ponsabilité sociale des entreprises (RSE), sans en donner
mique. Il a ainsi adopté en 2012, avant même le dépôt
toutefois la définition, comme si la notion avait de fait
du rapport final de la Commission, la Loi sur l’intégrité en
toujours encadré la formation et la gouvernance des
matière de contrats publics, L.Q. 2012, c. 25. Une entre-
entreprises dans notre droit. Le droit crée des sociétés
prise désirant conclure avec un organisme public qué-
d’affaires pour l’intérêt qu’elles ont pour l’existence de la
bécois tout contrat (de construction, de services ou de
collectivité, aucunement afin de permettre une exploi-
partenariat public-privé) comportant une dépense égale
tation abusive sans souci des externalités (accidents,
ou supérieure aux montants déterminés par le gouver-
maladies professionnelles, pollution, usage de biens
nement doit au préalable prouver qu’elle répond aux
publics, etc.). De plus en plus de lois viennent d’ailleurs
« exigences élevées d’intégrité auxquelles le public est en
encadrer la responsabilité pénale et civile des membres
droit de s’attendre d’une partie à un contrat public ou à
de conseils d’administration et d’organisations envers les
un sous-contrat public27 ». Sur le plan concret, une entre-
parties prenantes (Rousseau, 2012). Un bémol s’impose
prise doit d’abord obtenir de l’Autorité des marchés
toutefois : la fameuse règle de l’appréciation commer-
financiers (AMF) (et dans quelques mois de l’Autorité
ciale (business judgment rule) laisse toujours aux juges
des marchés publics28 ) une autorisation de contracter et
une importante marge de manœuvre d’interprétation :
on peut se limiter grandement dans l’examen effectif des
décisions d’affaires, donc dans la critique d’une prise de
27. Ce montant peut varier selon la catégorie de contrat. Le
décision d’un conseil d’administration. gouvernement du Québec a prévu une mise en place graduelle
par décrets de cette loi. Pour connaître ces montants, on
consultera le site de l’Autorité des marchés financiers à l’adresse
L’activité contractuelle dans le domaine public suivante : https://www.lautorite.qc.ca/fr/contrats-publics.html
28. L’Autorité des marchés publics (AMP) a été créée en décembre
L’Assemblée nationale du Québec a adopté en 2006, 2017 par la Loi 108, intitulée Loi favorisant la surveillance des
la Loi sur les contrats des organismes publics, L.R.Q., c. contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés
publics L.Q. 2017, c.17. L’AMP va remplacer à l’automne 2018
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 275

être enregistrée pour une durée de trois ans au Registre de personnes) ; on assure un meilleur accès au salaire
des entreprises autorisées (REA). Cette autorisation est minimum lorsque le salarié travaille en restauration, est
renouvelable. L’AMF dispose d’un large pouvoir discré- payé au rendement ou doit payer ses vêtements de tra-
tionnaire pour accorder ou refuser cette autorisation. vail ; on accorde des délais-congés plus substantiels pour
Elle peut « examiner l’intégrité de l’entreprise, de ses des licenciements collectifs ; on interdit les disparités de
actionnaires, de ses associés, de ses administrateurs, de traitement en fonction de l’âge de l’employé (art. 87.1
ses dirigeants, de toute personne en autorité ou encore et suiv.). Mais, surtout, on a introduit des dispositions
d’une personne ou entité qui en a, directement ou indi- en matière de harcèlement psychologique, dont le droit
rectement, le contrôle juridique ou de facto » (Gosselin pour un salarié à un milieu de travail exempt de har-
et Pellerin, 2013, p. 15). Dans le cas d’un refus de l’AMF, cèlement (art. 81.18 et suiv.). L’employeur a l’obligation
l’entreprise est enregistrée au Registre des entreprises de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le
non admissibles aux contrats publics (RENA) 29. harcèlement psychologique et de le faire cesser lorsqu’il
en a connaissance. Pour faire respecter cette obligation,
des recours sont mis à la disposition du salarié. Ce der-
La protection des salariés nier pourra porter plainte auprès de la Commission des
normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail
Les conditions de travail ainsi que la santé et la sécurité
(CNESST) et, si nécessaire, auprès du Tribunal adminis-
des travailleurs sont protégées par cinq lois au Québec :
tratif du travail (TAT). S’il est syndiqué, le salarié pourra
le Code civil du Québec, la Loi sur les normes du travail,
utiliser les recours prévus dans la convention collective.
L.R.Q., c. N-1.1, la Loi sur la santé et sécurité du travail,
L.R.Q., c. S-2.1, la Loi sur les accidents de travail et les La Loi sur l’équité salariale, L.R.Q., E-12.001, adoptée en
maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001, le Code 1996 pour corriger les écarts salariaux dus à la discri-
du travail, L.R.Q., c. C-27, et également par quelques mination systémique fondée sur le sexe à l’égard des
lois fédérales, comme le Code canadien du travail, et personnes qui occupent des emplois dans des catégories
certaines dispositions du Code criminel. En dépit de ces d’emplois à prédominance féminine, a subi une modifica-
protections légales, le contrat individuel ou collectif de tion importante en 2009. Les entreprises de compétence
travail demeure souvent le vecteur d’une violence struc- provinciale, comptant plus de dix employés, ont désor-
turelle. Certaines modifications législatives au cours des mais l’obligation de faire une démarche d’équité salariale,
quinze dernières années ont tenté d’atténuer la vulné- de corriger les écarts salariaux et d’assurer le maintien
rabilité des travailleurs. Des modifications notables ont de l’équité salariale. Toutes les entreprises assujetties à
ainsi été apportées en 2002 à la Loi sur les normes du la loi doivent effectuer une évaluation obligatoire du
travail30. On a étendu la protection de la loi à un plus maintien de l’équité tous les cinq ans32.
grand nombre de salariés (salariés agricoles31, gardiens
La loi C-21 modifiant le Code criminel, adoptée en mars
2004, a renforcé la responsabilité de prévention des
l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans ses compétences employeurs en santé et sécurité au travail. Désormais,
qu’elle avait depuis 2011 à ce sujet. quiconque dirige l’accomplissement d’un travail, l’exécu-
29. En date du 7 septembre 2016, plus de 350 entreprises ont été tion d’une tâche, ou est habilité à le faire (on comprend
inscrites au RENA. Voir le site : https://rena.tresor.gouv.qc.ca/ ici les « organisations » et les individus en position de res-
rena/rechercher.aspx?type =lettre&lettre =a-z. De nombreuses
ponsabilité) a l’obligation de prendre les mesures voulues
entreprises n’ont pas cru pouvoir obtenir cette autorisation.
pour éviter qu’il en résulte des blessures corporelles pour
30. Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres
dispositions législatives, L.Q. 2002, c. 80.
31. Les travailleurs étrangers temporaires (TET) demeurent
des salariés très vulnérables. Les barrières linguistiques et rappelés par l’employeur l’année suivante ». Commission des
culturelles, la méconnaissance du droit canadien et québécois normes du travail, Politique de prévention, décembre 2009.
et la crainte de représailles de la part de leur employeur les Récupéré de http://www.cnt.gouv.qc.ca/fileadmin/pdf/Acces-
empêchent souvent de faire valoir leurs droits « pour éviter document/Programme-de-prevention-decembre2009.pdf
de nuire à leur cheminement visant à obtenir un visa de
résident permanent ou de compromettre leurs chances d’être 32. Loi modifiant la Loi sur l’équité salariale, L.Q. 2009, c. 9.
276 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

autrui (art. 217.1). Omettre d’agir à cet effet ou ne pas Le gouvernement prend à sa charge de récupérer les
assurer les suivis nécessaires expose à des accusations montants payés à même certains biens (actifs à court
de négligence criminelle ; la personne déclarée coupable terme) de l’employeur insolvable lors du processus de
est passible d’une peine d’emprisonnement (pour les faillite ou de mise sous séquestre. La Loi sur la faillite pré-
personnes physiques) ou d’une amende importante. Le voit depuis 2008 que cette créance a le statut de « super
Code criminel crée aussi une présomption de « partici- priorité », prenant rang devant les créanciers garantis,
pation » de l’entreprise à un acte criminel lorsque, de c’est-à-dire les banques et les institutions financières qui
façon intentionnelle ou par la négligence de ses agents détiennent des hypothèques sur les biens du failli. La
ou cadres supérieurs, un employé est blessé ou décède réclamation relative à certaines sommes non versées
(Cliche et Samson, 2013). Dix ans après l’adoption de ces par un employeur à un fonds de retraite bénéficie éga-
dispositions, les tribunaux ont commencé à infliger des lement d’une super priorité sur les éléments d’actif du
amendes salées aux employeurs et plusieurs causes sont failli (Bélanger, Dobrota et Perreault, 2015-2016, p. 173).
présentement devant les instances judiciaires33. En juin
2015, un gérant de projet a même été reconnu coupable
par la Cour supérieure de l’Ontario de quatre chefs d’ac- La liberté d’expression
cusation de négligence criminelle causant la mort et d’un
La liberté d’expression et d’opinion, de participer à des
chef d’accusation de négligence criminelle causant des
débats publics, est un droit fondamental protégé par
lésions corporelles, puis condamné à trois ans et demi de
la Charte canadienne des droits et libertés et par la
prison34. Cette condamnation représente pour les spécia-
Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c.
listes la plus lourde sentence d’emprisonnement imposée
C-12). Ce droit est considéré comme essentiel pour que
depuis la modification du Code criminel en 2004 (Brunet,
la vie démocratique reste réelle et pour éviter qu’elle
2016). Considérant l’état des ressources pour mener les
sombre dans la violence économique et l’oppression. Les
poursuites, certains juristes appréhendent un effet plutôt
efforts de participation et d’expression pourraient être
limité de cette loi (Bureau, 2016).
contrés par des compagnies ou des individus fortunés,
La Loi sur le Programme de protection des salariés, des institutions, désireux de bloquer la liberté de parole,
L.C. 2005, ch. 47, adoptée par la Chambre des com- la participation des citoyens dans le débat démocratique
munes en 2005 (en vigueur depuis juillet 2008), vise ou leurs actions, par le recours à des procédures judi-
à mieux protéger la rémunération impayée des sala- ciaires intempestives et ruineuses. Des citoyens ou des
riés (salaires, indemnités de vacances, indemnités groupes de pression se trouveraient alors poursuivis en
de départ et indemnités de préavis) gagnée au cours diffamation pour des millions de dollars pour avoir osé
de la période de six mois précédant la date de faillite dénoncer publiquement les effets nocifs de la pollution,
ou de mise sous séquestre de l’employeur. Avec ce pro- la maltraitance des personnes âgées, etc. Le gouverne-
gramme, les salariés peuvent se faire rembourser par ment québécois a donc adopté, en juin 2009, la Loi anti-
le gouvernement du Canada jusqu’à concurrence d’une SLAPP, acronyme désignant les « poursuites stratégiques
somme correspondant à quatre fois le montant de la contre la mobilisation publique », ou poursuites-bâillons35.
rémunération hebdomadaire assurable prévue par la Loi Même si cette loi n’a pas encore produit tous les effets
sur l’assurance-emploi, soit un montant maximal d’en- escomptés, elle permet au tribunal d’intervenir rapide-
viron 3000 $. Le salarié ainsi remboursé devra céder ment pour rejeter ou encadrer une poursuite-bâillon,
automatiquement sa créance au gouvernement, jusqu’à voire obliger le poursuivant à avancer de l’argent au
concurrence du paiement reçu en vertu du programme. défendeur pour mieux équilibrer les ressources. Le
juge peut condamner le poursuivant – et même ses
33. R. c. Transpavé inc., 2008 QCCQ 1598 (C.Q.) ; R. c. Scrocca, 2010
QCCQ 8218 (C.Q.) ; R. c. Gagné, 2010 QCCQ 12364 (C.Q.) ; R. c. 35. Projet de loi no 9 – Loi modifiant le Code de procédure civile
Metron Construction Corporation, 2012 ONCJ 506, 1 CCEL (4th ) pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le
266 ; R. v. Metron Construction Corporation, 2013 ONCA 541. respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens
34. R. v. Vadim Kazenelson, 2015 ONSC 3639 (CanLII) ; R. v. Vadim aux débats publics, LQ 2009, c. 12 (sanction : le 4 juin 2009 ;
Kazenelson, 2016 ONSC 25 (CanLII). entrée en vigueur : 4 juin 2009).
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 277

administrateurs, dans le cas d’une compagnie – à payer dénonciation, de menacer cette personne de représailles
des dommages-intérêts punitifs, de façon à livrer un mes- pour qu’elle s’abstienne de faire une dénonciation ou de
sage au reste de la société36. collaborer à une telle vérification ou à une telle enquête
(art. 32-33). Quiconque contrevient à cette interdiction
Les personnes qui lancent des alertes – lanceurs d’alerte,
est passible d’une amende sévère38.
divulgateurs ou dénonciateurs (whistleblowers) – sont
maintenant davantage protégées, quoiqu’imparfai- En mai 2017 entre également en vigueur au Québec
tement, par quelques lois37. Le Code criminel prévoit la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à
depuis 2004 une mesure générale de protection pour l’égard des organismes publics (L.R.Q., c. D-11.1), qui se
un employé dénonçant les violations à une loi fédé- veut un régime de protection plus général, plus inclusif,
rale ou provinciale (corruption, etc.) commises par son de protection du lanceur d’alerte. Elle entend protéger la
employeur, qu’il soit du secteur public ou privé. Ainsi, divulgation d’actes répréhensibles dans les organismes
l’employeur ou une personne agissant au nom de l’em- publics québécois (ministères, commissions scolaires,
ployeur, ou une personne en situation d’autorité à l’égard entreprises du gouvernement, universités, hôpitaux) et
d’un employé, qui exerce de l’intimidation ou des repré- établit un régime de protection contre les représailles.
sailles liées à l’emploi envers des dénonciateurs commet Au sens de cette loi est considéré comme répréhensible
une infraction passible d’un emprisonnement maximal tout acte qui constitue, selon le cas : 1) une contravention
de 5 ans (art. 425.1). à une loi du Québec ou à une loi fédérale applicable au
Québec ; 2) un manquement grave aux normes d’éthique
Au Québec, l’adoption en 2011 de la Loi concernant la
et de déontologie ; 3) un usage abusif des fonds ou des
lutte contre la corruption, L.R.Q., c. L-6.1, facilite la dénon-
biens d’un organisme public, y compris de ceux qu’il
ciation d’actes répréhensibles en matière contractuelle
gère ou détient pour autrui ; 4) un cas grave de mauvaise
dans le secteur public, auprès du Commissaire à la lutte
gestion au sein d’un organisme public ; 5) le fait, par un
contre la corruption, lequel peut, après enquête, engager
acte ou une omission, de porter gravement atteinte ou
les suites appropriées. La personne qui effectue la dénon-
de risquer de porter gravement atteinte à la santé ou à
ciation d’un acte répréhensible peut le faire malgré la Loi
la sécurité d’une personne ou à l’environnement (art. 3).
sur l’accès aux documents des organismes publics et sur
la protection des renseignements personnels (chapitre Au Québec, la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c.
A-2.1), la Loi sur la protection des renseignements per- N-1.1, complète la protection des salariés subissant des
sonnels dans le secteur privé (chapitre P-39.1), et toute mesures de représailles à l’occasion d’une dénonciation
obligation de loyauté ou de confidentialité pouvant d’un acte répréhensible au sens de la Loi concernant la
la lier, notamment à l’égard de son employeur ou de lutte contre la corruption ou à l’occasion d’une divul-
son client (art. 27). La loi prévoit l’interdiction d’exercer gation au sens de la Loi facilitant la divulgation d’actes
des représailles (rétrogradation, suspension, congédie- répréhensibles à l’égard des organismes publics. Elle pré-
ment, déplacement, sanction disciplinaire ou toute autre voit spécifiquement un recours devant la Commission
mesure portant atteinte à son emploi ou à ses conditions des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du
de travail) à l’encontre d’une personne à l’origine d’une travail (art. 122 (7) (11), 123) 39.

36. Rapport sur la mise en œuvre de la Loi modifiant le Code de procédure 38. 1) 2 000 $ à 20 000 $, s’il s’agit d’une personne physique ; 2)
civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le 10 000 $ à 250 000 $, s’il s’agit d’une personne morale. En cas
respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux de récidive, ces amendes sont portées au double (art. 34).
débats publics (24 septembre 2013). Récupéré de http://www. 39. Certains estiment que le dénonciateur ne se trouve pas encore
justice.gouv.qc.ca/francais/ publications/rapports/slapp_code_ suffisamment protégé par la loi actuelle « tant au niveau de son
procedure.htm. identité, de la confidentialité des informations transmises, de
37. La dénonciation s’intègre dans une longue tradition aux États- l’emploi, de la responsabilité civile et pénale, que des pertes
Unis et en Angleterre. Cette idée est plutôt nouvelle au Canada économiques encourues ». On protège le salarié permanent, mais
(Biron et Rousseau, 2012). Les quatre termes mentionnés plus qu’en est-il des contractuels, des sous-traitants, des fournisseurs,
haut ne sont pas nécessairement des synonymes. Par contre, etc. Le Barreau s’interroge : « Qui aura le fardeau de prouver que
les lois les utilisent souvent indistinctement. des mesures de représailles ont été prises ? Qui assumera les frais
278 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Au Canada, depuis 2005, les personnes employées dans l’État, intenter contre l’auteur de dommages une action
le secteur public, les membres de la Gendarmerie royale en réparation. Le législateur québécois a également
du Canada ainsi que tout administrateur général, se établi que les ressources minérales et les forêts consti-
trouvent protégés de représailles pouvant survenir à la tuent un « bien collectif pour les générations actuelles et
suite d’une divulgation en vertu de la Loi sur la protection futures ». La Loi sur les mines vise à favoriser, dans une
des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles perspective de développement durable, la prospection, la
(L.C. 2005, ch. 46). La loi vise les actes répréhensibles recherche, l’exploration et l’exploitation des substances
commis au sein du secteur public ou le concernant, minérales, tout en assurant aux citoyens du Québec une
comme la contravention aux lois fédérales ou provin- juste part de la richesse créée par l’exploitation de ces
ciales, l’usage abusif de fonds ou de biens publics, les ressources et en tenant compte des autres possibilités
cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public, d’utilisation du territoire.
les risques graves pour la vie, la santé ou la sécurité
Ces lois paraissent concrétiser dans ces domaines par-
humaine ou pour l’environnement, etc.40
ticuliers l’intention du législateur québécois qui avait
adopté, en avril 2006, la Loi sur le développement
durable (L.R.Q., c. D-8.1.1) (LDD). Il y affirmait sa volonté
La protection des biens communs
de restructurer la gouvernance au sein de l’administra-
Un vecteur important de violence économique apparaît tion publique québécoise. L’exercice des pouvoirs et des
dans l’extension des règles mercantiles à de nombreux responsabilités des 150 ministères, organismes et entre-
secteurs, comme les ressources naturelles, les brevets prises d’État (et sous peu, après décret, les universités, les
du vivant, etc. Le droit de propriété (public et privé) est municipalités et les hôpitaux) doit maintenant s’inscrire
célébré par des thèses néolibérales faisant la promo- dans la recherche d’« un développement qui répond aux
tion de « la prééminence du marché dans la gestion des besoins du présent sans compromettre la capacité des
ressources et des biens » (Benyekhlef, 2016a, p. 44). En générations futures à répondre aux leurs41 ». Cette loi
contrepoids à cette composante de la mondialisation, prend appui essentiellement sur une vision à long terme,
l’Assemblée nationale du Québec a adopté trois lois soit « le caractère indissociable des dimensions environ-
affirmant le caractère collectif de trois ressources natu- nementales, sociales et économiques des activités de
relles importantes : en 2009, la Loi affirmant le caractère développement » (Bourque, 2009, p. 68). Elle affirme ou
collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur réaffirme le respect de certains principes directeurs pour
protection (L.R.Q., c. C-6.2), en 2013, la nouvelle Loi sur la mise en œuvre du développement durable au sein
les mines (L.R.Q., c. M-13) et, en 2014, la Loi sur l’aména- de l’administration, tels l’équité intra et inter génération-
gement durable du territoire forestier (L.R.Q., c. A-18.1). nelle, la conservation, la protection et le rétablissement
C’est un nouveau vocabulaire qui se trouve retenu par de la santé des écosystèmes, la participation du public,
le législateur québécois, soit celui des « biens communs ». la responsabilité environnementale, la prévention, la
Cette conception fait valoir que l’eau fait partie du « patri- précaution, la responsabilité du pollueur/payeur (ou
moine commun de la nation » et l’on met de l’avant le ­l’internalisation des coûts).
concept corollaire « d’État gardien » de cette ressource.
Fait significatif, la LDD introduit également dans la Charte
Cette loi stipule que le Procureur général peut, au nom de
[québécoise] des droits et libertés de la personne, le droit
de chacun « de vivre dans un environnement sain et res-
pectueux de la biodiversité » (art. 46.1). De plus, en mars
de l’enquête ? Qui assumera les honoraires des avocats, les frais
de cour, les pertes économiques ? » (Barreau du Québec, 2014). 2017, l’Assemblée nationale profitait de la modernisation
40. Le Comité permanent des opérations gouvernementales et des de la Loi sur la qualité de l’environnement (L.R.Q., c. Q-2)
prévisions budgétaires de la Chambre des communes a effectué
un premier examen de la LPFDAR. Le rapport de février 2017
avait soumis plusieurs recommandations visant à en améliorer 41. La province du Manitoba avait déjà, depuis juin 1997, une loi
les objets et les processus. Cependant, le gouvernement fédéral sur le développement durable, C.P.L.M. c. S270. En juin 2008, le
a fait savoir, en octobre 2017, qu’il ne modifierait pas pour le Parlement fédéral adoptait la Loi fédérale sur le développement
moment la LPFDAR (Canada, 2017). durable (L.C. 2008 c. 33).
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 279

pour mieux intégrer les 16 principes de la LDD dans de déontologie à l’autre, on attend du professionnel, de
le régime d’autorisation environnementale des projets façon générale, qu’il soit toujours soucieux des consé-
et des activités susceptibles d’affecter l’environnement quences de ses décisions pour la société. La question
(Bourque, 2017). se pose alors : faut-il y voir l’amorce d’une obligation
de comprendre et d’agir dans une situation de violence
économique, plutôt que d’en être un rouage aveugle ?
Le système professionnel québécois
Ainsi, dans le Code des administrateurs agréés du
et la protection du public Québec, on peut lire que « dans l’exercice de sa profes-
Au Québec, plus de 380 000 professionnels se trouvent sion [un professionnel] doit tenir compte de l’ensemble
encadrés par les 46 ordres reconnus par le Code des des conséquences prévisibles que peuvent avoir ses
professions, L.R.Q., ch. C-26, loi instituant le système recherches, travaux ou interventions à l’égard du public ».
professionnel québécois. Ces ordres ont l’obligation L’administrateur agréé doit également « favoriser toute
d’adopter un code de déontologie et des règlements mesure susceptible d’encourager la prise en compte
visant à assurer la « protection du public ». Ces normes de l’éthique dans les processus décisionnels ». L’Ordre
déontologiques étant d’ordre public obligent le profes- des géologues va encore plus loin en mentionnant que
sionnel, qui ne peut y déroger même quand, par contrat, ce professionnel « doit tenir compte des conséquences
il se retrouve salarié. Ces normes obligent l’employeur de potentielles de ses travaux sur la société, notamment sur
professionnels à respecter leurs codes de déontologie. la santé, la sécurité et les biens de toute personne ainsi
que sur la qualité de l’environnement42 ».
Mais que signifie « assurer la protection du public » ? Faut-il
comprendre que le professionnel doit agir de façon à Il convient de mentionner un autre exemple, celui de
contrer les phénomènes de violence économique ? Il l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés :
paraissait plutôt normal, dans un contexte mercantile L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés,
dominant et en fonction de services personnels abon- par exemple, publie régulièrement les résultats de ses
dants, que le système professionnel ait longtemps envi- sondages sur les tendances en matière de rémunération.
sagé la protection du public, principalement dans la « Nous avons un rôle de représentation, et nous essayons
perspective d’une relation privée entre le professionnel de l’assumer sans intérêt corporatiste », dit Florent Fran-
et son client. Ces relations contractuelles se trouvent cœur, directeur général de l’Ordre (Duhamel, 2012).
relativement bien encadrées. Les codes de déontologie Concrètement, un consensus émergent prescrit au pro-
définissent de nombreuses dispositions visant la confi- fessionnel, seul ou avec d’autres, de réfléchir et d’assumer
dentialité, le secret professionnel, l’intégrité, les conflits sur un plan éthique et non seulement déontologique la
d’intérêts, la fixation des honoraires, la diligence, l’accessi- portée sociale de ses actions. Le professionnel, au-delà
bilité des dossiers, les conditions quant à la publicité, etc. de la satisfaction immédiate du client, inscrit la respon-
Mais au moment de l’adoption, en 1973, du Code des sabilité sociétale au cœur de son identité professionnelle,
professions, certains souhaitaient déjà que l’on recon- prenant en compte le développement de l’organisation,
naisse une portée beaucoup plus large à la notion de de la région, d’un pays, du monde.
« protection du public », que l’on impose aux profes-
sionnels un engagement en matière de responsabilité
sociale et de loyauté envers le corps social ambiant 42. Le Code de déontologie des ingénieurs (I-9, r. 6) mentionne à
l’article 2.01 : « Dans tous les aspects de son travail, l’ingénieur
(Belley, 1980). Cette idée fut à nouveau évoquée lors du
doit respecter ses obligations envers l’homme et tenir
40e anniversaire du système professionnel québécois compte des conséquences de l’exécution de ses travaux sur
en 2014. Depuis, la plupart des ordres professionnels l’environnement et sur la vie, la santé et la propriété de toute
ont adopté dans leur code de déontologie des articles personne. » Le Code de déontologie des architectes (A-21, r. 5)
indique à l’article 7 : « L’architecte doit respecter l’être humain
interpellant le jugement, la référence à la société, la
et son environnement et tenir compte des conséquences que
délibération éthique, la prise en compte des parties pre- peuvent avoir ses recherches, ses travaux et ses interventions
nantes. Si le libellé d’une telle obligation varie d’un code sur la vie, la santé et les biens de toute personne. »
280 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Conclusion que les outils de droit souple ou infra-droit pourront


y répondre ? On entend par droit souple des normes
Les phénomènes de violence économique pris dans leur alternatives ou émergentes élaborées de façon incré-
généralité et avec leurs conséquences dans les orga- mentaliste par les acteurs privés afin de combler « les
nisations et sur leurs nombreuses parties prenantes interstices laissés libres par les droits nationaux et le
représentent des problèmes globaux qui ne seront pas droit international dans la régulation des phénomènes
résolus strictement dans le domaine d’application des transnationaux » (Benyekhlef, 2016a, p. 13). Ces outils de
lois nationales, malgré les efforts louables de certains droit souple peuvent viser divers sujets, voire des inté-
États (dont le Canada) visant à en diminuer les effets. rêts contradictoires, permettant d’assurer une sécurité
La concurrence déloyale, la fiscalité abusive, la corrup- et une efficacité accrues des échanges économiques.
tion, les entraves à la liberté d’expression et l’extension Il peut s’agir d’outils visant notamment la gouvernance
des règles mercantiles à de nombreux secteurs de la des organisations, que l’on veut amener vers plus de
vie débordent souvent une capacité d’intervention des responsabilité sociale (RSE), la qualité de la vie sociale
États-nations limitée par le principe de la territorialité (diminution de la pauvreté, des inégalités, de la discri-
des lois. Sauf quelques exceptions émanant d’un texte mination, etc.) et la préservation de l’environnement.
ayant fait l’objet d’une entente internationale précise, ce Ces outils de RSE peuvent être instaurés par des organi-
principe prescrit qu’une personne physique ou morale sations internationales publiques. C’est le cas de l’OCDE
« soit poursuivie et jugée par les autorités de l’État ou avec ses principes directeurs à l’intention des entreprises
territoire duquel l’infraction a été commise et confor- internationales ou de l’ONU au moyen du Global Com-
mément au droit en vigueur dans cet État » (Champetier pact. Les normes et les objectifs généraux peuvent éga-
de Ribes Justeau, 2016, p. 87). Les multinationales ou lement émaner d’organisations internationales privées.
les sociétés transnationales passent encore facilement C’est le cas des agences de normalisation (ex. : la norme
entre les mailles du filet ; elles savent créer des entités ISO 26000 sur la responsabilité sociétale, la norme ISO
économiques (filiales, agences, etc.) actives partout dans 9000 sur le management de la qualité), ou d’autres orga-
le monde afin justement d’échapper aux contraintes nisations non gouvernementales (ONG) qui produisent
légales des États nationaux. Si leurs comportements ont différents modèles de codes de conduite à l’intention
des conséquences économiques graves sur ses citoyens des entreprises multinationales. C’est aussi le cas des
(travailleurs, consommateurs, etc.), l’État, en principe, ne entreprises qui adoptent – et qui s’y soumettent d’elles-
peut ou ne veut pas toujours intervenir afin de corriger
mêmes – des codes de conduite pour les faire prévaloir
la situation.
dans leur réseau propre. On décèle parfois dans cer-
Le droit international public connaît aussi des limitations taines interventions le reflet d’une conscience critique
s’agissant de contrer la violence économique dans un de développement capable de se détacher des visions
contexte de mondialisation. Comme le substantif l’in- immédiates, capable d’analyse rigoureuse et d’invention,
dique, les normes du droit international s’appliquent dans des approches qui remédient à un aspect de la
essentiellement aux États et à leurs créations, les organi- situation globale.
sations internationales ou intergouvernementales. C’est
Des outils de droit souple sont porteurs d’effets régu-
« un droit de coexistence des souverainetés, plutôt qu’un
latoires certains, mais il n’en demeure pas moins qu’ils
droit ayant vocation à régir les rapports entre acteurs
n’ont ni légitimité démocratique ni d’effet contraignant
privés » (Benyekhlef, 2016b, p. 15). Les acteurs privés
sur le plan légal, exception faite des entreprises qui
(c’est-à-dire les personnes physiques et les personnes
imposent ces normes de comportement au moyen de
morales, dont les entreprises multinationales) n’y sont
contrats à leurs fournisseurs, à leurs sous-traitants, etc.
pas, de façon générale considérés comme sujets de droit.
En cas de non-vigilance, les victimes directes du non-res-
Le droit national et le droit international, tels qu’ils sont pect de ces contrats (comme les employés) ne peuvent
conçus actuellement, n’ayant pas l’efficacité voulue ni poursuivre ni être dédommagées, seuls les signataires
pour faire contrepoids à la loi du marché et intervenir des contrats pouvant avoir recours (Champetier de Ribes
en matière de violence économique, peut-on envisager Justeau, 2016). En conséquence, la plupart des victimes
 13   L e système économique mondialisé   et les désordres dans les organisations 281

de violence économique se trouvent sans institutions monde dépend de l’avènement d’un ordre mondial dont
pour faire valoir leurs revendications ou obtenir répara- la forme et les modalités restent à définir, cet État mon-
tion. On peut alors faire appel à l’éthique individuelle ou dial devant revêtir une forme démocratique en dépit des
organisationnelle, ou encore aux multiples organisations barrières de langue, de culture, de traditions politiques.
bénévoles (ONG) qui fondent leur existence et leur cause Il s’agit de construire une société mondiale, ni plus ni
sur des objets comme la défense de l’environnement, des moins, sur la base de sociétés particulières souvent déjà
conditions de vie, etc. Le tribunal de l’opinion publique, menacées de disparition, une utopie à opérationnaliser
le sens moral citoyen, devenant dans un ultime recours. dans un horizon rapproché.

Cependant divers observateurs-critiques en sont venus La gestion des organisations et des travailleurs dans
à croire que la solution pour contrer la violence écono- un contexte aussi anomique que celui que représente
mique passe par la création de normes qui exprime- la situation mondiale actuelle représente un casse-tête
raient une éthique universelle ( jus cogens) à laquelle pratiquement insoluble pour les gestionnaires qui vivent
les États ne pourraient déroger. Ces normes seraient continuellement de véritables situations « paradoxantes »
issues d’institutions parlementaires mondiales, une (Gaulejac et Hanique, 2015), tirés d’une part par des
superstructure venant en assurer la légitimité. Les normes collectives en pleine révolution et, de l’autre,
insuffisances des présents statuts internationaux ont par les impératifs anonymes et dévastateurs d’un mer-
justifié, en 2012, d’envoyer au secrétaire général des cantilisme globalisateur. La condition des travailleurs,
Nations unies une proposition allant en ce sens : elle a des communautés, des plus vulnérables, à travers le
été formulée par les membres d’un Collegium interna- monde, se trouve de mieux en mieux documentée, sinon
tional (2013) regroupant, entre autres, la juriste Mireille entendue. Elle impose d’aborder le phénomène de vio-
­­Delmas-Marty, le théoricien et philosophe Edgar Morin, lence économique dans une perspective pluridisciplinaire
le diplomate ­Stéphane Hessel, le politique Michel Rocard. de recherche et d’action, afin d’agir sur les aspects struc-
Les membres du Collegium font valoir que l’avenir du turels d’un tel état de fait.

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14

La dotation du personnel trans*


dans les organisations québécoises
François Bernard Malo

If we cannot now end our differences,


at least we can help make the World safe for diversity.

– John F. Kennedy

Introduction bavards sur la situation des personnes lesbiennes, gaies


et bisexuelles (Schmidt et collab., 2012). Dans la culture
Sous la pression de multiples facteurs, la question de la populaire, notamment, les personnes trans* sont très
diversité fait couler beaucoup d’encre, et cela depuis déjà souvent placées sous la même rubrique que les per-
une vingtaine d’années (Peretti, 2012)1. Dans son sillon, sonnes aux orientations sexuelles atypiques (Anteby et
où la question de l’identité est omniprésente (Holck, Anderson, 2014) que l’on appelle parfois « les minorités
Muhr et Villesèche, 2016), de nouvelles peurs semblent invisibles » (Bell et collab., 2011)2. Pourtant, il n’y a aucune
apparaître (Guénette et Le Garrec, 2016) et la sécurité de relation théorique ni pratique entre l’identité de genre et
même que les droits des personnes différentes des autres l’orientation sexuelle (Becker et Perkins, 2014). Qui plus
ne semblent toujours pas être universellement garantis. est, alors que les personnes aux orientations sexuelles
Même si les académiciens et les praticiens en dotation atypiques sont de plus en plus bien acceptées et relati-
du personnel ont déjà beaucoup écrit sur la gestion vement bien protégées par les lois en vigueur dans la
des différences portées par les femmes, les personnes plupart des sociétés se disant les plus avancées d’un
provenant d’autres origines nationales et culturelles, les point de vue économique3, la vaste majorité des pays
personnes handicapées, les jeunes et les aînés (pour ne
parler que de ces quelques thèmes fondateurs au cœur
des réflexions sur la diversité) (Theodorakopoulos et 2. Nous parlons généralement, à ce propos, des personnes LGBTQ
Budhwar, 2015), ils sont pour la plupart restés muets (lesbiennes, gaies, bisexuelles, transsexuelles et queer).

sur le transgénérisme (McFadden, 2015) et très peu 3. Nous entendons par ces sociétés celles qui font partie du G7
et qui ont pour la plupart adopté diverses pièces législatives
protégeant leurs citoyens contre toutes formes de discrimination
basées sur leur sexe et leur orientation sexuelle (Allemagne,
1. Aux États-Unis, les interrogations sur la diversité sont encore Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni). La
plus anciennes, comme nous le rappelle avec justesse un des Russie, alors qu’elle faisait partie jusqu’en 2014 du G8, faisait
ouvrages phares de Taylor Cox Jr. (1994). toutefois déjà bande à part sur cette question.
 14   L a dotation du personnel tr ans dans les organisations québécoises 287

n’ont pas encore légiféré pour protéger les droits fonda- la discrimination dont les personnes trans* sont suscep-
mentaux des personnes trans*, notamment sur le marché tibles d’être victimes.
du travail (Gouvernement du Québec, 2014) 4. La société
accueille de mieux en mieux les personnes trans* (Heller,
2006 ; Peretti, 2013), mais il n’en demeure pas moins que
ces dernières sont encore victimes de beaucoup d’in-
Qu’est-ce que le transgénérisme ?
compréhensions et de discriminations, aussi bien dans Pour répondre à cette première question, nous allons
leur vie personnelle et sociale (Teitel, 2015) que dans examiner de plus près un certain nombre de mots appa-
leur vie professionnelle (Klie, 2009 ; Bender-Baird, 2011 ; rentés au transgénérisme (transgénérisme, transsexua-
Grant et collab., 2011 ;Trans Pulse, 2011) 5. Une enquête lisme, travestisme) avec lesquels nous avons parfois
récente menée aux États-Unis auprès de la population tendance à le confondre.
trans* a révélé que 90 % des répondants ont déjà été
Le grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois
harcelés ou maltraités dans le cadre de leur emploi sur la
de la langue française définit le transgénérisme comme
base qu’ils étaient trans*. Au sein du même échantillon,
le « trouble de l’identité de genre se caractérisant par
26 % des répondants ont dit avoir déjà perdu un emploi
le fait que la personne s’identifie au sexe opposé et en
à cause du fait qu’ils étaient trans* (Tuttle, 2015). Au
adopte le mode de vie, mais sans souhaiter subir une
Québec, selon l’organisation Aide aux trans du Québec,
intervention chirurgicale7 ».
entre 13 % et 56 % des personnes trans* ayant répondu
à une enquête ont affirmé avoir perdu leur emploi pour
des raisons d’identité de genre et entre 13 % et 47 % se 7. http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche = 8370125
(page consultée le 13 mars 2018). Bien que chez la plupart
sont vu refuser un emploi pour des raisons d’identité
des gens cette façon de s’identifier en tant qu’homme ou
de genre (ATQ, 2016) 6. Pourquoi est-ce ainsi ? N’y a-t-il femme soit étroitement liée au sexe biologique (mâle, femelle
pas, au Québec, des dispositifs légaux pour défendre ou intersexuel), chez la personne trans* il n’y a pas une telle
les droits des personnes trans* et assurer leur sécurité ? association. Selon divers chercheurs, au-delà des deux genres
classiquement reconnus (homme ou femme), il y aurait une
Dans ce chapitre, nous tâcherons de démontrer pourquoi
multitude d’identités de genre dites « intermédiaires » (transgenre
le transgénérisme devrait être intégré à nos réflexions MTF, transgenre FTM, « sans genre », etc.). Même d’un point de
sur la diversité, comment cette dernière s’insère dans vue strictement biologique, les experts commencent à mettre
la dotation du personnel et, enfin, quels sont les garde- en doute les deux catégories classiques (Ainsworth, 2015).
Enfin, il importe de noter qu’il n’y a aucune relation théorique
fous québécois actuellement mis en place pour limiter
ni pratique entre le sexe biologique, l’identité de genre et
l’orientation sexuelle (hétérosexuel, homosexuel, bisexuel,
asexuel). Selon des chiffres ‘officiels’ contestés par plusieurs, le
trouble de l’identité de genre affecterait 1 homme sur 35 000 et
1 femme sur 100 000. Ces chiffres, souvent contestés, seraient
4. Il convient toutefois de rappeler qu’en 2008 plus de 66 États ont
selon Conway (2018)beaucoup trop conservateurs, car ils ne
ratifié la première déclaration internationale sur l’orientation
tiendraient pas compte de toutes les personnes trans* qui n’ont
sexuelle et l’identité de genre à l’Assemblée générale de l’ONU
pas encore été identifiées et qui vivent avec ce trouble sans
telle qu’elle a été proposée par la France et les Pays-Bas. Peu de
avoir pris le temps de le faire diagnostiquer par une autorité
temps après, cependant, 57 États se sont associés à la Syrie pour
médicale. À son avis, il serait plus juste de parler (spécifiquement
rédiger une contre-déclaration. Cardon (2009) nous rappelle que
pour les femmes trans*… c’est-à-dire les femmes nées dans
c’est précisément parce que cette première déclaration se référait
un corps d’homme comme nous le verrons plus loin) d’une
à l’identité de genre que l’Église catholique s’y est opposée.
prévalence d’un individu pour cinq cent. À titre d’illustration
5. Cela étant dit, nous limiterons notre propos à l’étude des de cette difficulté de recenser le nombre exact de personnes
questions professionnelles telles qu’elles sont vues sous l’angle trans*, le formulaire 2016 du recensement canadien ne permet
des relations industrielles que l’on peut définir comme « l’étude de toujours pas aux individus de s’identifier autrement que du genre
la gestion des problèmes du travail dans une société industrielle » masculin ou féminin. Sur la situation particulière des enfants,
(Barbash, 1984). Le lecteur intéressé par l’examen des difficultés Colpron (2016) rapporte que, selon un rapport remis au Conseil
vécues par les personnes trans* au sein du système de la santé de l’Europe, « un enfant sur 500 aurait une identité de genre qui
aura intérêt à lire la contribution de Bauer et ses collaborateurs diffère du sexe qu’on lui a assigné à la naissance ». Macé (2010 :
(2009). 498), pour sa part, écrit qu’ « il n’existe pas (à l’heure actuelle) de
6. Les variations dans les pourcentages traduisent la région du données épidémiologiques nationales et internationales fiables
Québec d’où proviennent les personnes trans*. concernant la prévalence du transsexualisme ».
288 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Il nous semble important de tirer de cette définition trois aussi bien les hommes que les femmes, le transgéné-
observations qui nous aideront à clarifier la suite de risme a ainsi des ramifications dans la conception de soi
notre propos. Tout d’abord, contrairement à la question et le monde « pesant » des apparences, particulièrement
de l’orientation sexuelle qui fait davantage référence en contexte organisationnel (Gioia, Hamilton et Par-
à l’attirance ou à la préférence pour avoir une relation vardhan, 2014). Pour s’identifier au sexe opposé (identité
sexuelle avec un autre individu (qu’il soit, ou non, du de genre) et en adopter le style de vie (expression de
même sexe), la définition précédente du transgénérisme genre), par exemple, il n’est nul besoin de tomber dans
renvoie avant tout à un diagnostic de trouble mental les stéréotypes (Peretti, 2013 ; Stoller, 1978)… même si
qui ne peut être émis que par un professionnel de la le risque de le faire est bien réel10.
santé (habituellement un psychologue, un sexologue
Il nous apparaît important d’apporter une autre précision
ou un psychiatre). Le principal manuel scientifique à
quant aux moments où la personne trans* décide de
l’intérieur duquel ces professionnels puisent leurs réfé-
s’identifier au sexe opposé et d’en adopter le mode de
rences est appelé le Manuel diagnostique et statistique des
vie. Si dans le cas de certaines personnes trans* cette
troubles mentaux (5e édition) 8 . Élaborée pour la première
décision se manifeste dès les premières années de la
fois en 1952 par la Société américaine de psychiatrie,
vie (aux environs de trois à cinq ans), dans la majorité
la cinquième version a été lancée en 2013. Dans la der-
des cas cette décision surviendrait plutôt à l’adolescence
nière édition de cet ouvrage de référence, la question
ou à l’âge adulte11. Bien qu’il n’y ait encore que peu de
du transgénérisme est abordée par l’intermédiaire de
recherches scientifiques sur le cas particulier des per-
la notion de dysphorie de genre que l’on définit de la
sonnes trans* qui décident de vivre leur transition une
manière suivante : « Incongruence marquée entre le
fois rendues sur le marché du travail, il est possible de
genre expérimenté/exprimé par un individu et son genre
distinguer deux cas de figure : celui de la personne trans*
assigné (à la naissance) » (notre traduction) (DSM-5 Dia-
qui entreprend sa transition avant de se chercher un
gnostic Criteria for Gender Dysphoria in Adolescents and
emploi (puis qui se présente « après sa transition » comme
Adults/302.85[F64.1]) 9. Pour être avéré, ce diagnostic
une personne trans* qui souhaite occuper un poste de
repose sur quatre critères principaux (Steinberg, 2013 :
164) : « une identification intense et persistante à l’autre
sexe, un sentiment persistant d’inconfort par rapport au
10. En fonction de divers facteurs propres à chaque individu,
sexe assigné, l’absence d’affection intersexuelle physique certaines personnes transgenres adopteront si bien les
et une “souffrance cliniquement significative” ». apparences et les comportements des personnes du groupe
auquel elles s’identifient (certains diront d’elles qu’elles en
La deuxième observation qui découle de cette défini- épousent si parfaitement les stéréotypes de genre) qu’elles
tion du transgénérisme a trait au fait que ce trouble se passeront « incognito » pour des membres de ce groupe. Le
caractérise par le fait que la personne s’identifie profon- poids des apparences étant ce qu’il est (Calvez, 2009), c’est
d’ailleurs là le souhait d’une proportion élevée de personnes
dément au sexe opposé et en adopte le style de vie. Ces
trans* soucieuses de ne pas être victimes de discrimination et
deux précisions nous permettent d’introduire les notions de violence. Depuis quelques années, un mouvement queer
d’identité de genre et d’expression de genre. Touchant est apparu pour revendiquer le droit de ne pas avoir à choisir
entre un genre stéréotypé ou un autre. Cette question, toutefois,
déborde largement le cadre de ce chapitre. Le lecteur intéressé
8. Cet ouvrage est mieux connu par son acronyme anglophone par ce sujet aura intérêt à lire la contribution de Cardon (2009).
DSM 5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Dans 11. Faute d’espace nous n’examinerons pas les diverses théories
certains pays, les professionnels de la santé utilisent plutôt la qui expliquent ce phénomène. Il nous suffira de dire qu’il est
Classification internationale des maladies (CIM) quant à elle mise l’objet d’intenses débats entre divers courants de pensée en
au point par l’Organisation mondiale de la santé (Desjardins, philosophie, en psychologie, en psychiatrie, en sexologie, en
2013). Dans un souci de concision, nous avons choisi de nous anthropologie et en sociologie. Le lecteur intéressé à en savoir
limiter à la définition proposée par le DSM 5. davantage sur ces débats aura intérêt à lire la contribution de
9. Dans la précédente version de cet ouvrage (le DSM IV), la Macé (2010) et celle de Steinberg (2013). Grâce à l’ouverture
question était abordée plutôt sous l’angle du trouble de l’identité de plus en plus grande de la société québécoise à l’égard des
de genre. De l’avis de plusieurs auteurs, c’est notamment par personnes trans*, il semble qu’il y ait de plus en plus d’enfants
souci de « rendre moins pathologique » cette question que les et d’adolescents qui amorcent leur transition avant d’atteindre
termes utilisés ont été modifiés. l’âge adulte (Colpron, 2016).
 14   L a dotation du personnel tr ans dans les organisations québécoises 289

travail) et celui de la personne trans* qui entreprend sa Le transsexualisme


transition une fois qu’elle est déjà à l’emploi d’une orga-
Cette façon de concevoir les relations entre le transgéné-
nisation donnée. Dans ce dernier cas, elle se trouvera
risme et le transsexualisme sous l’angle d’une certaine
alors dans une situation où elle aura été embauchée
forme de « progression vers un autre genre » ne fait tou-
comme étant une personne membre d’un genre, mais
tefois pas l’unanimité. Pour un nombre de plus en plus
qui change de genre en cours d’emploi. Ces deux cas de
important d’activistes, ces deux termes devraient être
figure, loin de n’être que des pirouettes intellectuelles,
considérés comme des synonymes et, surtout, ne jamais
sont extrêmement importants au regard du droit qué-
bécois du travail et de l’emploi, comme nous le verrons laisser sous-entendre qu’il faut absolument que toutes
ultérieurement. les personnes transgenres subissent une opération de
réassignation sexuelle pour se réaliser pleinement et
Enfin, il nous semble utile de souligner une troisième ainsi devenir transsexuelles. D’ailleurs, voici comment le
observation. Selon cette définition du transgénérisme, dictionnaire Larousse définit le transsexualisme :
les personnes transgenres ne souhaitent pas aller jusqu’à
Trouble de l’identité sexuelle dans lequel le sujet a le sen-
subir une intervention chirurgicale. Mais de quelle inter-
timent que son corps n’est pas en concordance avec son
vention chirurgicale est-il ici question ? sexe « psychologique », mais appartient au sexe opposé.
Ce à quoi les auteurs font implicitement référence, c’est (Cette définition psychiatrique exclut les travestis, les
homosexuels ainsi que les personnes atteintes d’une
la chirurgie de réassignation sexuelle (c’est-à-dire la
anomalie chromosomique [syndrome de Klinefelter, de
transformation des organes génitaux mâles en organes
Turner, etc.])15
génitaux femelles et vice-versa12 ). En lien avec ces
diverses chirurgies, il faut savoir que, pour être auto-
risées par les canaux médicaux officiels, elles doivent
Le travestisme
avoir été précédées par au moins une année complète
de prise d’hormones que l’on retrouve naturellement Maintenant que le transgénérisme et le transsexualisme
chez les personnes du sexe opposé (notamment la prise ont été définis, à quoi renvoie le travestisme ? Selon le
d’estrogènes pour les transgenres MTF et la prise de dictionnaire Larousse, le travestisme est « l’adoption par
testostérone pour les transgenres FTM)13. Ce n’est que certains sujets des vêtements et des habitudes sociales
lorsque les personnes transgenres ont finalement subi du sexe opposé16 ». Ce qui distingue le travestisme du
leur opération de changement de sexe14 que l’on dit transgénérisme et du transsexualisme, c’est donc la
généralement d’elles qu’elles sont alors devenues des question de la dysphorie de genre. Le travesti (qu’il
personnes transsexuelles. soit homme ou femme) ne se voit pas du tout comme
un membre du sexe opposé (identité de genre) et il ne
cherche pas à transformer son corps pour lui ressem-
12. Selon certains auteurs, il faudrait aussi inclure dans ces bler. S’il choisit de porter des vêtements du sexe opposé
chirurgies dites « de base » la mastectomie (pour les transgenres (expression du genre), ce n’est pas tant parce qu’il consi-
FTM) de même que les chirurgies d’implants mammaires, de
dère que cela l’aide à se retrouver dans le « bon corps »
reconfiguration du visage et d’élimination de la pomme d’Adam
(pour les transgenres MTF). que pour d’autres raisons personnelles comme le confort,
13. Selon le protocole de soins pour les personnes transgenres – l’utilité ou le plaisir. Cela étant dit, il n’est pas toujours
édicté par la World Professionnal Association for Transgender évident pour un observateur externe de déterminer avec
Health (WPATH) –, cette prise d’hormone doit habituellement précision si un individu est une personne transgenre,
se faire pendant une période continue d’au moins une année
pendant laquelle la personne transgenre doit aussi vivre à temps
plein comme une personne du genre auquel elle s’identifie. Par
cette expression, il faut comprendre qu’elle doit vaquer à toutes 15. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/transsexualisme/
ses occupations habituelles sous ses « nouveaux habits » (aller 79230#e20PmBBEM6LG3FcE.99 (page consultée le 13 mars
à l’école, aller au travail, faire son épicerie, se rendre chez son 2018).
médecin de famille, etc.). 16. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/travestisme/
14. Opération que l’on appelle parfois « opération de réassignation 79320#4uD6U5KFVkBKHkUu.99 (page consultée le 13 mars
sexuelle » (Bauquis, Decrouy et Guerid, 2014). 2018).
290 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

transsexuelle ou travestie. Pour cette raison, mais aussi recrutement, la sélection et l’accueil du personnel), la
pour respecter l’intimité des personnes se trouvant entre dotation comprend l’ensemble des activités qui ont pour
les pôles traditionnels des genres typiquement masculins but de doter l’organisation des ressources humaines dont
et féminins, nous utiliserons désormais le mot trans*17. elle a besoin (en quantité et en qualité) afin d’atteindre
ses objectifs. En ce sens, elle est entièrement dévouée
à l’étude et à la gestion des mouvements de la main-
Les personnes trans* dans le temps et l’espace d’œuvre sur le marché du travail et dans les organisa-
tions. Ses thèmes de recherche de prédilection comptent,
Selon Feinberg (1996), il y aurait toujours eu des per-
notamment, l’attraction, la rétention et la fidélisation de
sonnes trans*, sur tous les continents et dans toutes les
la main-d’œuvre de même que les modèles susceptibles
sociétés, qu’elles se disent avancées ou non. Cela dit, les
de les prévoir et de mieux les gérer.
mots utilisés pour les décrire varient grandement d’une
époque à l’autre et d’une société à l’autre18. Ce qui semble Les divers types d’appariement
le plus avoir changé au fil du temps, selon cette auteure,
D’un point de vue pratique, une question centrale se
c’est la capacité des autorités médicales à reconnaître
trouve au cœur de toutes les réflexions gestionnaires
le phénomène et à le traiter de plus en plus tôt puis, du
préoccupées par la dotation du personnel : si les indi-
point de vue social, à l’accepter et à reconnaître les droits
vidus sont si divers, lesquels devrions-nous embaucher
des personnes trans*, notamment dans les organisations
et chercher à conserver à notre service ? D’un point de
et sur le marché du travail et de l’emploi.
vue théorique, quatre types d’appariement ont tradition-
nellement été observés par les chercheurs et utilisés par
les praticiens de la dotation du personnel : l’appariement
La dotation du personnel entre le candidat et le poste de travail à combler (PJ fit),
et la diversité de la main-d’œuvre l’appariement entre le candidat et le groupe de travail
auquel il aura à se joindre (PG fit), l’appariement entre
La dotation du personnel est l’une des pratiques fon- le candidat et l’organisation qui l’embauchera et en fera
damentales de la gestion des ressources humaines19. l’un de ses employés (PO fit) et, enfin, l’appariement entre
Comprenant trois activités spécifiques (que sont le le candidat et le « métier » (ou la vocation) qui l’accueillera
(PV fit) (Phillips et Gully, 2009) 20.

De ces quatre formes d’appariement, celle qui est la plus


17. Nous sommes conscients qu’en procédant de la sorte nous
popularisons l’usage d’un mot-valise susceptible de faire souvent prise en compte dans les organisations est sans
disparaître des distinctions que certains pourraient trouver conteste le PJ fit. Nécessitant tout d’abord de déterminer
importantes, à tout le moins utiles. les responsabilités et les tâches associées au poste à
18. Stryker (2008) a très bien démontré que l’utilisation du mot pourvoir, cette forme d’appariement invite ensuite le
« transgenre » est très nord-américaine et qu’elle ne date que
professionnel en ressources humaines à évaluer dans
des années 1980. Auparavant, en Amérique du Nord, on
utilisait plutôt le mot « travesti » pour décrire sensiblement quelle mesure chacun des candidats possède les savoirs
le même phénomène. Chez certains peuples autochtones, (connaissances surtout théoriques), les savoir-faire (apti-
Feinberg (1996) a démontré que le phénomène est très lié à tudes et habiletés pratiques), les savoir-être (traits de
leur spiritualité et qu’il est généralement vu de manière très
personnalité et attitudes) et les autres exigences requises
positive. Plutôt que de parler des personnes trans*, ces peuples
les décrivent depuis très longtemps comme des personnes (diplôme, carte de membre d’un ordre professionnel,
privilégiées d’être dotées de deux esprits distincts dans un etc.) par l’emploi en question. Généralement, c’est au
même corps (Two-Spirit Native People). moyen d’un formulaire de demande d’emploi puis d’une
19. Parmi les autres pratiques fondamentales, notons l’organisation entrevue de sélection qu’il formera son jugement et qu’il
du travail (incluant l’ergonomie, la santé et la sécurité au travail),
l’évaluation du rendement (incluant la gestion des carrières),
la formation, la rémunération et les avantages sociaux et
la détermination des conditions de travail (la négociation
individuelle et collective, la gestion des contrats de travail et 20. Que ce métier ou cette vocation soit encadré ou non par un
des relations patronales-syndicales) (Malo, 2011). ordre professionnel n’a pas d’influence sur notre propos.
 14   L a dotation du personnel tr ans dans les organisations québécoises 291

émettra ses recommandations. Des tests21 sont parfois


Type d’appariement Dimensions possibles
utilisés, mais, en contexte québécois, cela est loin d’être
de l’appariement
la norme (Gouvernement du Québec, 2013). Ce qu’il
importe de remarquer, c’est que ces diverses formes Person-Organization Valeurs, buts, objectifs,
Fit (PO Fit) : le degré croyances et motivations.
d’appariement ne sont pas mutuellement exclusives d’adéquation entre
et qu’elles peuvent très bien s’additionner les unes aux la personnalité d’un
autres. Alors que dans certains cas le professionnel en individu, la culture
et les normes de
dotation sera presque exclusivement préoccupé par le
l’organisation qui
PJ fit, dans d’autres il pourra avoir une forte préoccu- l’embauche.
pation pour le PJ fit, mais aussi pour le PG fit et le PO fit.
Person-Vocation Habiletés, intérêts, valeurs,
Comme le tableau suivant le suggère, chacune de ces Fit (PV Fit) : le degré objectifs à long terme.
préoccupations se concrétisera alors en dimensions de d’adéquation entre
l’appariement qui pourront dès lors devenir des critères les intérêts, les
habiletés, les valeurs
de sélection qui serviront à départager les candidatures. et la personnalité
d’un individu et
les caractéristiques
Tableau 1 Les différentes dimensions principales de son
métier ou de sa
de l’appariement profession.

Type d’appariement Dimensions possibles (Tableau traduit et adapté de Phillips et Gully, 2009)
de l’appariement

Person-Job Fit Intelligence, habiletés et


(PJ Fit) : le potentiel compétences liées au poste,
d’un individu de connaissances, expériences de Les types d’appariement
satisfaire les besoins travail antérieures et dimensions et les personnes trans*
d’un poste en particulier de la personnalité liées aux
de même que le tâches à accomplir. Les rares recherches qui ont été menées auprès des per-
potentiel de ce même
poste de satisfaire les
sonnes trans* pour comprendre les problèmes qu’elles
besoins de cet individu. rencontrent au moment d’entrer et de sortir du marché
du travail suggèrent une conclusion identique : les per-
Person-Group Fit Habiletés à travailler en équipe,
(PG Fit) : le degré complémentarité de l’expertise sonnes trans* sont encore de nos jours très souvent
d’adéquation entre un entre le nouvel employé et l’objet de diverses formes discrimination lors des pro-
individu, son supérieur les membres de son groupe cessus d’embauche et nombreuses sont celles qui se
immédiat et les de travail, style de gestion des
membres de son groupe conflits au travail, préférences font congédier lorsqu’elles annoncent à leur employeur
de travail. à l’égard du travail en équipe, qu’elles ont l’intention de faire leur transition d’un genre
habiletés de communication, à l’autre tout en conservant leur emploi actuel (ATQ,
dimensions de la personnalité
reliées au travail en équipe.
2016 ; Gibney, 2016). Que ce soit directement ou indi-
rectement, leurs compétences en lien avec le poste ne
sont donc pas toujours reconnues à leur juste valeur.
Pour être plus précis, c’est comme si les gestionnaires et
les professionnels en ressources humaines accordaient
(consciemment ou non) beaucoup plus de poids à la
21. Il existe de nombreuses familles de tests susceptibles d’être
difficulté présumée des personnes trans* à s’intégrer (ou
utilisées pour mesurer le degré d’adéquation entre un individu, le
poste de travail, le groupe, l’organisation et le métier concernés. à rester intégrées) dans leur groupe de travail (PG fit) et
Mentionnons, à titre d’exemple, les tests de connaissances, dans l’organisation pour laquelle elles souhaitent tra-
d’habiletés cognitives et d’aptitudes physiques, les tests vailler (ou continuer à le faire) (PO fit) qu’à leurs capacités
linguistiques et de jugement situationnel et, enfin, les inventaires
réelles d’accomplir le travail requis par le poste (PJ fit) et
de personnalité, de valeurs et d’intérêts professionnels (Bourhis,
2013). le métier (PV fit). En d’autres termes, c’est comme si un
292 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

phénomène de transphobie entretenu par des tabous et La Charte des droits et libertés de la personne
des silences pesait encore sur les organisations et, plus
Il y a, au Québec, deux pièces législatives particulière-
globalement, sur la société tout entière (Ledford, 2016 ;
ment importantes et susceptibles de protéger les droits
Montreuil, 2015 ; Priola, Lasio, De Simone et Serri, 2014).
des personnes trans* en emploi et en recherche de tra-
Ce problème serait d’autant plus préoccupant que, selon
vail. La première est sans conteste la Charte des droits et
de récentes recherches, il y aurait une corrélation posi-
libertés de la personne (CDLP). En vertu de cette charte
tive entre la présence de politiques de non-discrimination
amendée le 10 juin 2016, toute forme de discrimination
à l’endroit des personnes LGBT et le prix des actions des
ou de harcèlement en raison de l’identité ou de l’expres-
entreprises cotées en bourse (Wang et Schwarz, 2010) 22.
sion de genre est strictement interdite :
Il n’est donc pas sans intérêt, pour tous ceux et celles qui
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exer-
se penchent sur la gestion de la diversité et la dotation
cice, en pleine égalité, des droits et libertés de la per-
du personnel, d’intégrer la question de la discrimination sonne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée
à l’égard des personnes trans* dans leur objet d’études. sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression
Comme certains l’ont fait remarquer avant nous, la ques- de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil,
tion contemporaine de la discrimination à l’égard des l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les
personnes trans* se rapproche de manière incroyable- convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou
ment similaire aux études « anciennes » sur la discrimi- nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation
nation à l’égard des Afro-Américains dans les années d’un moyen pour pallier ce handicap.

1940 et 1950, à l’égard des femmes dans les années Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion
1960 et 1970 et, enfin, à l’égard des personnes gaies et ou préférence a pour effet de détruire ou de compro-
lesbiennes dans les années 1980 et 1990. De plus, si la mettre ce droit [les caractères en gras et les soulignés
non-discrimination semble un préalable nécessaire à la sont de nous] 23.
diversité, elle y serait largement insuffisante (Montargot En ce qui a trait de manière encore plus précise à la
et Peretti, 2014). dotation du personnel, les articles suivants de la CDLP
sont encore plus explicites24 :
16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’em-
Les balises légales contre bauche, l’apprentissage, la durée de la période de pro-

la discrimination à l’égard bation, la formation professionnelle, la promotion, la


mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension,
des personnes trans* le renvoi ou les conditions de travail d’une personne
ainsi que dans l’établissement de catégories ou de clas-
Fort heureusement, de plus en plus de pays se sont donné
sifications d’emploi.
des pièces législatives qui interdisent aux employeurs
de retenir comme critère de rejet d’une candidature un 17. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’admis-
sion, la jouissance d’avantages, la suspension ou l’expul-
certain nombre d’éléments jugés irrecevables et discri-
sion d’une personne, d’une association d’employeurs ou
minatoires. C’est d’ailleurs l’objet de la prochaine section
de salariés ou de tout ordre professionnel ou association
de ce chapitre. de personnes exerçant une même occupation.

18. Un bureau de placement ne peut exercer de discrimi-


nation dans la réception, la classification ou le traitement
d’une demande d’emploi ou dans un acte visant à sou-
mettre une demande à un employeur éventuel.

22. Afin de prévenir tout imbroglio, il est bon de rappeler que la


présence d’une corrélation ne signifie pas la présence d’une
relation de cause à effet. Deux phénomènes peuvent très bien 23. http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/pdf/cs/C-12.pdf (page consultée
être présents de manière simultanée sans que l’un soit la cause le 13 mars 2018).
de l’autre. 24. Ibid.
 14   L a dotation du personnel tr ans dans les organisations québécoises 293

18.1. Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’em- sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa
ploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir plainte par écrit à la Commission des normes du travail
d’une personne des renseignements sur les motifs visés ou la mettre à la poste à l’adresse de la Commission des
dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles normes du travail dans les 45 jours de son congédie-
à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un pro- ment, sauf si une procédure de réparation, autre que le
gramme d’accès à l’égalité existant au moment de la recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans
demande la présente loi, dans une autre loi ou dans une conven-
tion27 [les soulignés sont de nous].
20. Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur
les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou jus- Si cette pièce législative est beaucoup plus large quant
tifiée par le caractère charitable, philanthropique, reli- aux personnes admissibles à cette protection (car elle
gieux, politique ou éducatif d’une institution sans but concerne tout salarié justifiant de deux ans de service
lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d’un
continu sans égard à ses attributs personnels, comme
groupe ethnique est réputée non discriminatoire [les
le sexe, l’orientation sexuelle, le handicap, l’identité ou
soulignés sont de nous].
l’expression de genre), les tribunaux ont statué qu’il y
Jusqu’au mois de juin 2016, les personnes trans* ne avait une grande quantité de facteurs pouvant être inter-
bénéficiaient donc d’aucune protection explicite contre prétés comme étant des causes justes et suffisantes28.
la discrimination sur le marché du travail et de l’emploi. Il De plus, il faut également rappeler que, pour se préva-
était laissé aux bons soins des gestionnaires, des conseil- loir des protections offertes par la LNT, il faut d’abord
lers en ressources humaines et des tribunaux de démêler et avant tout être un salarié et avoir fait deux ans de
les liens complexes entre sexe, orientation sexuelle, han- service continu. À notre connaissance, aucune décision
dicap, identité et expression de genre. d’un tribunal québécois n’a jamais été rendue au cours
des dernières années au sujet d’une personne trans*
disant avoir été congédiée sans cause juste et suffisante
La Loi sur les normes du travail et cherchant à défendre ses droits en vertu de la LNT.
La deuxième pièce législative susceptible de protéger Est-ce à dire qu’aucune personne trans* québécoise n’a
les personnes trans* contre la discrimination dans les jamais été congédiée sans cause juste et suffisante ? Les
organisations est l’article 124 de la Loi sur les normes informations tirées des enquêtes présentées précédem-
du travail (LNT). En vertu de cet article, et à certaines ment nous permettent d’en douter.
conditions, aucune personne ne peut (au Québec) être Il nous reste maintenant à examiner un troisième
congédiée sans une cause juste et suffisante : garde-fou existant afin de protéger les personnes trans*
Le salarié25 qui justifie de deux ans de service continu26 contre la discrimination interdite à leur égard.
dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié

25. « Salarié » : une personne qui travaille pour un employeur et qui a


droit à un salaire ; ce mot comprend en outre le travailleur partie
à un contrat en vertu duquel :
i. il s’oblige envers une personne à exécuter un travail déterminé contrats à durée déterminée sans une interruption qui, dans les
dans le cadre et selon les méthodes et les moyens que cette circonstances, permette de conclure à un non-renouvellement
personne détermine ; de contrat (LNT, art. 1, al. 12).
ii. il s’oblige à fournir, pour l’exécution du contrat, le matériel, 27. ht tp://w w w.c nt.gouv.qc.ca/g uide -inter pretation-et-juris
l’équipement, les matières premières ou la marchandise choisis prudence/partie-i/la-loi-sur-les-normes-du-travail/les-recours-
par cette personne, et à les utiliser de la façon qu’elle indique ; art-98-a-135/recours-a-lencontre-dun-congediement-fait-
iii. il conserve, à titre de rémunération, le montant qui lui reste sans-une-cause-juste-et-suffisante-art-124-a-135/124/ (page
de la somme reçue conformément au contrat, après déduction consultée le 13 mars 2018).
des frais d’exécution de ce contrat (LNT, art.1, al. 10). 28. Parmi ces facteurs, notons les motifs disciplinaires (attitudes et
26. « Service continu » : la durée ininterrompue pendant laquelle le comportements négatifs du salarié, absences et retards répétés,
salarié est lié à l’employeur par un contrat de travail, même si fautes dans l’exécution du travail, insubordination, etc.) et les
l’exécution du travail a été interrompue sans qu’il y ait résiliation motifs administratifs (changements technologiques, baisse du
du contrat, et la période pendant laquelle se succèdent des volume des affaires, difficultés financières, etc.).
294 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Le Code de déontologie des CRHA et des CRIA Nous les examinerons donc brièvement dans les para-
graphes suivants.
Au Québec, la profession de conseiller en ressources
Chapitre II – Devoirs envers les clients, la profession et
humaines est encadrée par un ordre professionnel à
le public
adhésion optionnelle et sans actes réservés : l’Ordre des
conseillers en ressources humaines et en relations indus- Section I – Compétence et intégrité
29
trielles agréés (OCRHA) . Dans ses tâches principales, 6. Le membre doit, particulièrement dans l’exercice
dont celles qui sont liées à la dotation du personnel, le des fonctions qui l’amènent à gérer des ressources
membre de l’ordre doit se plier à un code de déontologie humaines, tenir compte :
strict visant à protéger le public et à lui interdire de poser 1° de la valeur relative des résultats des divers outils
tout acte dérogatoire à la dignité de sa profession30. En d’évaluation qu’il utilise dans l’exercice de sa pro-
vertu de ce code, tout membre se voit fortement encou- fession ;
ragé à respecter certains principes et certaines règles 2° des mesures d’hygiène et de la sécurité néces-
de conduite dans l’accomplissement des mandats qui lui saires dans le milieu de travail où il exerce sa pro-
sont confiés. En cas de non-respect des dispositions de ce fession ;
code, le membre peut être l’objet de diverses sanctions 3° de la protection de la santé mentale et physique
allant de la réprimande à la radiation complète et défi- des personnes qu’il a sous son autorité ou sa super-
nitive. Pour nos propos, il est très important de souligner vision ;
que ce code énonce les divers devoirs et obligations 4° de l’importance des mesures d’accueil et d’initia-
qu’ont les membres de l’ordre envers leurs clients, la tion des personnes qu’il a sous son autorité ou sa
profession en général et le public [les soulignés sont supervision ;
de nous] 31. 5° de l’importance des cours et des programmes
d’avancement, de formation, de perfectionnement
En lien avec nos propos, ce code de déontologie com-
ou de promotion des personnes qu’il a sous son
porte plusieurs articles susceptibles de nous renseigner autorité ou sa supervision ;
sur le niveau de protection dont pourraient bénéficier
6° de la confidentialité des dossiers des personnes
les personnes trans* qui sont amenées à interagir avec
qu’il a sous son autorité ou sa supervision et des
un CRHA dans un processus de dotation du personnel. informations ou renseignements de nature confi-
dentielle concernant ces personnes et qui viennent
29. L’unique chose réservée par cet ordre est l’utilisation des titres à sa connaissance dans l’exercice de sa profession.
de « conseiller en ressources humaines agréé » (CRHA) et de
7. Le membre doit protéger l’emploi et l’administra-
« conseiller en relations industrielles agréé » (CRIA). Pour devenir
membres de l’OCRHA, les personnes doivent être détentrices
tion des techniques et des outils qu’il utilise ainsi que
d’un baccalauréat en relations industrielles ou en gestion des l’interprétation des informations qui en découlent
ressources humaines ou posséder un diplôme jugé équivalent contre une utilisation inadéquate de la part d’autrui.
(sont aussi acceptées, à certaines conditions, les personnes
détenant un baccalauréat en administration des affaires
8. Le membre doit tenir compte de l’ensemble des
spécialisé en gestion des ressources humaines). conséquences prévisibles que peuvent avoir ses
recherches et ses travaux sur la société [les souli-
30. http://www.portailrh.org/protection/codes/codedeontologie.
pdf (page consultée le 13 mars 2018). gnés sont de nous].
31. Il n’est pas inutile de préciser qu’il n’existe pas de définition Dans les articles précédents, nous voyons très bien que le
officielle du client ni du public dans le Code de déontologie des
professionnel en ressources humaines qui serait membre
CRHA et des CRIA. Rien, par exemple, ne peut nous interdire de
penser qu’à l’image des membres de nombreux autres ordres de cet ordre ne peut pas écarter « automatiquement » une
professionnels c’est le système de la relation marchande qui est personne trans* sans avoir pris le temps de l’évaluer avec
ici priorisé. En sus de ce code de déontologie, il faut savoir que sérieux et de s’être prononcé sur l’ensemble des consé-
le Code civil du Québec contient de nombreuses dispositions
quences prévisibles de sa décision sur la société. Pour
venant préciser les diverses obligations qui incombent au salarié
envers son employeur. Parmi ces dernières, notons l’obligation revenir aux diverses formes d’appariement dont nous
de loyauté. avons fait état précédemment, ces articles enjoignent le
 14   L a dotation du personnel tr ans dans les organisations québécoises 295

CRHA et le CRIA à adopter une vision large dépassant le Section VII – Devoirs additionnels lors de l’exécution
strict malaise que pourraient ressentir, par exemple, des d’un mandat
collègues éventuels hostiles à l’arrivée, parmi eux, d’un 33. Le membre doit chercher à établir une relation
collègue trans*. Deux autres articles sont également très de confiance mutuelle entre lui-même et le client.
pertinents pour nos propos.
À cette fin, il doit notamment :
Section II – Conduite
2° respecter les valeurs et convictions personnelles
10. Le membre doit avoir une conduite irréprochable. du client.
Il doit, notamment, agir avec courtoisie, dignité, 39. Le membre doit exposer au client, d’une façon
modération et objectivité. complète et objective, la nature et la portée du pro-
blème qui, à son avis, ressort de l’ensemble des faits
12. Le membre doit éviter toute attitude ou méthode
qui sont portés à sa connaissance par le client.
susceptibles de nuire à la réputation de la profession
et à son aptitude à servir l’intérêt public. Il doit éviter Il doit, de plus, informer le client des risques inhé-
d’avoir recours à des pratiques discriminatoires, frau- rents et prévisibles associés à une solution envi-
duleuses ou illégales et doit refuser de participer à sagée pour solutionner un problème.
de telles pratiques [les soulignés sont de nous].
47. Le membre ne doit pas mettre fin unilatéralement
Ici encore, il faut reconnaitre que le Code de déonto- à un mandat confié par un client, sauf pour un motif
logie des CRHA et des CRIA est pour le moins explicite. juste et raisonnable.
N’importe quel membre de cet ordre qui en viendrait à Constituent notamment des motifs justes et raison-
rejeter « automatiquement » la candidature d’une per- nables :
sonne trans* ou à mettre fin à son emploi pour la simple
5° l’incitation, de la part du client, à l’accomplisse-
raison qu’elle ne se conforme pas aux stéréotypes de ment d’un acte discriminatoire, frauduleux ou illégal.
genre de la société québécoise pourrait vraisemblable-
Section IX – Dispositions visant à préserver le secret
ment être poursuivi. Il convient toutefois de noter que,
quant aux renseignements de nature confidentielle
dans les sections suivantes du Code de déontologie des
CRHA et des CRIA, les choses sont un peu moins claires. 51. Aux fins de préserver le secret quant aux ren-
seignements de nature confidentielle qui viennent
Section III – Désintéressement et indépendance à sa connaissance dans l’exercice de sa profession,
14. Le membre doit subordonner son intérêt per- le membre doit :
sonnel à celui du client. 2° prendre les mesures nécessaires pour que ses
19. Le membre doit sauvegarder en tout temps son collaborateurs et les personnes qu’il a sous son auto-
indépendance professionnelle. Il doit, notamment : rité ou sa supervision ne divulguent pas ou ne se
servent pas de tels renseignements qui viennent à
2° éviter d’accomplir une tâche contraire à sa leur connaissance dans l’exercice de leurs fonctions ;
conscience professionnelle ou aux principes régis-
sant l’exercice de sa profession ; 3° éviter de tenir ou de participer à des conversa-
tions indiscrètes au sujet d’un client et des services
3° éviter toute situation où il serait en conflit d’in- qui lui sont rendus [les soulignés sont de nous].
térêts.
S’il est tout à fait compréhensible que le membre de
Sans restreindre la généralité de ce qui est men-
l’OCRHA doive chercher à éviter d’avoir des gestes discri-
tionné au paragraphe 3 du premier alinéa, un
membre est en conflit d’intérêts lorsque les intérêts minatoires et dérogatoires à la dignité de sa profession
en présence sont tels qu’il peut être porté à préférer tout en sauvegardant en tout temps son indépendance
certains d’entre eux à ceux du client ou que son professionnelle, comment peut-il le faire s’il doit, en
jugement et sa loyauté envers celui-ci peuvent en même temps, subordonner son intérêt personnel à
être défavorablement affectés. celui du client ? Dans un contexte de dotation, qui est le
client du CRHA et du CRIA et à quel point les intérêts du
client comptent-ils plus que les intérêts du public et de la
296 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

profession en général ? N’y a-t-il pas ambiguïté ? Le client obligatoire et que ses membres n’ont aucun acte réservé
du CRHA et du CRIA est-il, au fond, l’entreprise qui l’em- (pas même en matière de dotation du personnel). En ce
bauche pour prendre en charge un processus complet sens, rien ne garantit aux personnes trans* que celui ou
de dotation ou plutôt le chercheur d’emploi trans* qui lui celle qui analysera leur dossier de candidature et aura
fait confiance et lui transmet son dossier de candidature ? à se pencher sur leur maintien en emploi respectera
bel et bien le code de déontologie que nous venons de
Si nous nous contentons de nous interroger sur le pro-
présenter. Si elle peut le faire de manière totalement
fessionnel en ressources humaines, comment ce der-
volontaire, rien ne l’y oblige si elle n’en est pas membre !
nier peut-il éviter d’accomplir une tâche contraire à sa
conscience professionnelle ou aux principes régissant Comme pour les dispositions récentes prévues dans
l’exercice de sa profession si, dans le même code de la CDLP et celles qui sont prévues dans la LNT, notre
déontologie, on l’oblige à respecter les valeurs et les examen sommaire des décisions émises par les tribunaux
convictions personnelles du client (qui pourraient parfois québécois en lien avec le Code de déontologie des CRHA
aller à l’encontre des siennes et même de certaines lois et des CRIA et les processus de dotation où une personne
en vigueur) ? Que devrait faire, par exemple, le CRHA ou trans* aurait été impliquée n’a rien donné. Ainsi si les
le CRIA à qui le propriétaire d’une petite entreprise qui l’a personnes trans* ont, en vertu de ce Code, une troisième
embauché pour mener un mandat de dotation du per- possibilité de voir leurs droits fondamentaux protégés,
sonnel dit explicitement qu’il ne veut rien savoir de tra- tout cela n’a vraisemblablement pas encore été testé
vailler avec une personne trans*, car il juge ces dernières devant les tribunaux. Mais pourquoi donc ? Se pourrait-il
dérangées psychologiquement ? Peut-il « dénoncer » son vraiment qu’aucun conseiller en ressources humaines et
client aux autorités ou doit-il se faire le complice silen- en relations industrielles agréé n’ait jamais été poursuivi
cieux d’un acte de discrimination interdit explicitement par une personne trans* pour discrimination interdite ?
par les nouvelles dispositions de la CDLP ?

Dans une autre situation hypothétique où il aurait


informé son client des risques inhérents et prévisibles
Conclusion
associés à une décision de congédier sans cause juste
et suffisante une personne trans* venant tout juste de « Il n’y a jamais eu, dans le Monde,
lui annoncer son désir de faire sa transition en cours Deux opinions identiques, pas plus que deux cheveux
d’emploi et ne possédant pas deux années de service Ou deux grains identiques ; la diversité est
continu, que devrait faire le CRHA ou le CRIA en lieu et la plus universelle des qualités. »
place de simplement mettre fin au mandat confié par – Montaigne
son employeur ? En donnant sa démission, n’est-il pas du
même coup en train de renier les fondements mêmes de Si la diversité est, comme le dit Montaigne, la plus uni-
son code de déontologie qui vise à protéger son client, verselle des qualités, force est d’admettre qu’en société
mais, aussi, sa profession et le public en général ? elle n’est pas toujours aussi valorisée qu’on pourrait le
Comme nous le rappellent Morency, Simard et Pépin penser. Ainsi, en dépit des lois en vigueur visant à pro-
(2006), il n’est pas toujours facile pour un professionnel téger cette diversité, certains individus « différents des
salarié de savoir ce qu’il convient de faire dans de telles autres » continuent d’éprouver beaucoup de difficultés à
situations, car il se trouve soumis à des normes et à des se trouver un emploi et à le conserver. C’est pour cela,
obligations contradictoires liées à son triple statut : pro- notamment, que nous croyons que la CDLP a dû être
fessionnel (assujetti à un code de déontologie), salarié récemment modifiée pour être encore plus explicite
(assujetti aux obligations légales découlant de sa rela- à l’égard de la situation des personnes trans*. Notre
tion avec son employeur/client) et citoyen (assujetti examen sommaire des décisions rendues par les tribu-
aux lois en vigueur et à sa propre conscience liées à la naux à ce sujet nous laisse penser que quelque chose ne
société où il vit). De surcroît, il nous semble extrêmement tourne quand même pas très rond et que toute la lumière
important de rappeler que l’adhésion à l’OCRHA n’est pas n’a pas encore été faite sur cette question.
 14   L a dotation du personnel tr ans dans les organisations québécoises 297

Peu de décisions ont historiquement été rendues par et de l’emploi. S’ajoutant aux balises déjà offertes par la
les tribunaux sur cet aspect de la gestion de la diversité. LNT et le Code de déontologie des CRHA et des CRIA,
Pourquoi en est-il ainsi ? Les motifs illicites, jusqu’en juin cette protection vient encadrer de manière importante
2016, manquaient-ils tant de clarté ou les employeurs la manière dont les activités de dotation du personnel
québécois étaient-ils déjà l’exception à la règle en ne et les pratiques de licenciement doivent être conduites
commettant jamais d’acte de discrimination interdite ? Se dans les organisations.
pourrait-il que, si les tribunaux n’ont jamais été engorgés
Désormais, il est officiellement interdit de rejeter la can-
par une telle question, c’est que partout les personnes
didature d’une personne trans* pour la simple raison
responsables de la dotation du personnel étaient bel et
que son identité et son expression de genre ne corres-
bien membres de l’OCHRA et respectaient scrupuleu-
pondent pas aux stéréotypes. De la même manière, il
sement leur code de déontologie ? À moins que ce soit
est également interdit de mettre fin à l’emploi d’une per-
peut-être le fait que les personnes trans* choisissaient
sonne trans* qui décide de vivre sa transition au sein de
consciemment de ne pas porter plainte ?
l’organisation où elle travaille déjà. Il nous reste main-
Autrement, comment peut-on expliquer que dans tenant à voir comment tout cela se reflétera (ou non)
diverses enquêtes plusieurs individus nous disent avoir dans les pratiques de gestion des ressources humaines
déjà été victimes de discrimination interdite, mais que, des employeurs, dans les poursuites devant les tribunaux
paradoxalement, presque aucune jurisprudence n’existe et les enquêtes menées auprès de la population trans*
sur cette question ? Assurément, une enquête de terrain québécoise.
menée auprès de personnes trans* devrait nous per-
Certains auteurs ont déjà souligné à quel point la résis-
mettre d’en apprendre davantage sur la situation qué-
tance face à la reconnaissance réelle des droits fon-
bécoise et son évolution récente.
damentaux des personnes ne se conformant pas aux
D’ici là, il faut reconnaître que la plus récente modifi- stéréotypes sexuels pouvait être forte dans certains
cation à la CDLP apporte, aux personnes trans* qué- milieux de travail (Hill, 2009 ; Rudin et collab., 2016).
bécoises, une garantie explicite de protection contre Permettons-nous donc de ne pas être aveuglément opti-
toutes formes de discrimination sur le marché du travail mistes quant à l’avenir.

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15

Le rôle stratégique de la fonction


ressources humaines à l’international :
une réflexion inachevée
Tania Saba1

Les entreprises qui s’internationalisent sont aux prises manque d’intégration (Durand et collab., 2017). Les
avec plusieurs décisions cruciales : où s’implanter ? Com- approches stratégiques en gestion des ressources
ment investir ? Quelles structures adopter ? Comment humaines (GRH) présentent des écueils comparables
gérer les filiales pour surmonter les risques d’échec qui ajoutent à la difficulté de modéliser l’évolution et le
et maximiser les profits ? (Dunning et Lundan, 2008 ; déploiement des stratégies RH à l’international (Farndale
Marano et collab., 2016). À la fois stratégique et opéra- et collab., 2017). Un manque flagrant d’études empi-
Attention tionnelle, la fonction ressources humaines (fonction RH) riques d’envergure visant à mieux comprendre le rôle,
joue un rôle central dans le développement des opéra- l’organisation et la structure de la fonction RH dans les
J’ai mis la tions
noteinternationales
de bas de qui consiste à configurer l’ensemble EM est souvent dénoncé (Wright et Ricks, 1994 ; Edwards
de ses activités, de ses politiques et de ses pratiques pour et collab., 1996 ; Farndale et collab., 2017). Cet état de
page 1 invisible à côté du mot
mettre en œuvre les stratégies et atteindre les objectifs fait empêche les écrits de transcender les frontières du
«international.» à la finmultinationales
des entreprises du pre- (EM) (Farndale et collab., normatif, exacerbe les difficultés de planifier des innova-
2017 Schuler et collab., 1993 ; Tregaskis, 2003). Cette tions au sein de la fonction RH et se cantonne à exprimer
mier paragraphe
configuration est tributaire d’une anticipation ainsi que les moyens à mettre de l’avant pour assurer l’adaptation
de la prise en compte de la complexité des contextes éco- de la fonction à l’environnement international (De Cieri
nomiques, politiques, juridiques, culturels et sociaux qui et collab., 2007).
conditionnent le succès du développement international.1
Ce chapitre s’attarde à revisiter le rôle de la fonction RH
Définir les responsabilités, les enjeux et l’organisation dans les EM en tenant compte des avancées en recherche
de la fonction RH au sein des EM demeure un exercice qui visent à encadrer l’évolution de la fonction RH. Même
complexe, voire ambitieux, même de nos jours. Les si le domaine de la gestion stratégique internationale
approches stratégiques internationales généralement des ressources humaines s’avère éparpillé (Hambrick,
mobilisées pour comprendre les contextes et définir 2004), il n’en demeure pas moins que les études ont
le cadre d’intervention de la fonction RH accusent un permis de déceler les paramètres incontournables à
partir desquels le rôle et l’organisation de la fonction RH
peuvent être réfléchis. Certaines considérations impor-
1. L’auteure est professeure titulaire à l’École de relations indus-
tantes deviennent de plus en plus incontournables et
trielles de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire
BMO en diversité et gouvernance. Vous pouvez la contacter à
gagneraient à être intégrées à la réflexion entourant les
l’adresse suivante : Tania.Saba@umontreal.ca. configurations de la fonction RH à l’international. Nous
 15   L e rôle str atégique de la fonction ressources humaines à l’ international  : une réflexion inachevée 301

espérons ainsi offrir un cadre de réflexion permettant activités à travers le monde ainsi qu’une intégration stra-
aux chercheurs et aux praticiens de faire évoluer le rôle tégique et opérationnelle des unités dans la structure
et l’organisation de la fonction RH au sein des EM. organisationnelle. La présence simultanée sur plusieurs
marchés et la concurrence internationale exigent de la
fonction RH de mettre en place des structures et des
mécanismes de coordination qui permettent de gérer
Les approches stratégiques la complexité du réseau de relations. Il lui revient éga-
exprimant le processus lement d’assurer le partage des connaissances et des
d’internationalisation ressources à l’échelle mondiale (Chini, 2004 ; Buckley et
Carter, 2002 ; ­Minbaeva et collab., 2003).
Une entreprise multinationale (EM) est définie comme
une entité ayant des activités dans au moins deux pays
et qui sont régies par le même système de prise de Le processus d’internationalisation :
décisions, permettant ainsi d’établir des politiques et choix de l’emplacement, mode d’implantation
une stratégie cohérente. Les unités d’une EM subissent
et organisation des opérations internationales
l’influence de facteurs culturels et institutionnels des
pays dans lesquels les activités sont implantées (Chini, Le processus d’internationalisation des entreprises a été
2004). Le siège social et les unités sont liés entre eux et conceptualisé en une séquence de décisions clés qui
exercent une influence sur leurs activités respectives ; influencent à leur tour la configuration de la fonction
notamment en matière de partage des connaissances RH dans les EM. La première réfère au choix de l’empla-
et de distribution des ressources (Sundaram et Black, cement de la filiale. La deuxième vise le mode d’implan-
1992 : 733). Bartlett et Ghoshal (1998) ont bonifié cette tation et d’appropriation de la nouvelle unité alors que la
définition en introduisant la notion d’entreprises dites troisième concerne son niveau d’intégration stratégique
transnationales qui se distinguent par trois grandes et opérationnel. Ces choix auront une influence sur le ren-
caractéristiques : d’importants investissements directs à dement de la filiale et conséquemment sur celui de l’EM
l’étranger, une participation active dans la gestion des (figure 1) (Beugelsdijk et collab., 2017 ; Boddewyn, 2016).

Figure 1 Processus d’internationalisation


des entreprises (adapté de Beugelsdijk et collab., 2017)
302 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Le choix de l’emplacement réfère à la décision d’étendre indéniablement le mode d’organisation des opérations
les opérations et d’investir dans un pays hôte spécifique. au sein de l’EM (Dikova et Brouthers, 2016). La théorie
Deux approches expliquent ce choix ; l’une économique économique des coûts de transaction de Williamson (1985)
et l’autre comportementale qui vise le renforcement des explique que l’EM tire un avantage de sa capacité d’inter-
capacités organisationnelles2 (Beugelsdijk et collab., nalisation, en rendant les échanges internationaux plus
2017 ; Buckley et collab., 2007 ; Kim et Aguilera, 2016 ; rapides, plus efficaces et moins coûteux (Coase, 1937 ;
Makino et collab., 2002). La décision économique évalue Williamson, 1987). Les EM configurent leurs structures
les occasions de croissance ainsi que les coûts-bénéfices de manière à économiser les coûts de transaction rela-
anticipés (Buckley et Casson, 1976 ; Kindleberger, 1969 ; tifs à l’implantation, au contrôle et au renforcement des
Vernon, 1966). Les motifs qui justifient la décision écono- transactions transfrontalières (Williamson, 1975, 1981).
mique incluent, notamment, les atouts stratégiques des Cette perspective théorique a une influence directe sur
nouveaux marchés, la proximité des ressources natu- les fonctions RH dans les EM qui se chargent de les doter
relles et la disponibilité de compétences (Dunning, 1980 ; de structures et de pratiques efficientes pour gérer les
Dunning et Lundan, 2008 ; Hymer, 1976). relations employeurs-employés implicites et explicites
(De Cieri et Dowling 2006 ; Wright et McMahan, 1992).
Le choix de l’emplacement peut également s’expliquer
La théorie basée sur les ressources (Barney, 1991 ; Penrose,
par une approche comportementale (Cyert et March,
1959) propose d’expliquer le mode d’investissement des
1963 ; Penrose, 1959). Jusqu’au milieu des années 1990,
EM en référant à leur capacité à créer et à maintenir leur
les investissements directs à l’étranger visaient essen-
avantage concurrentiel en misant sur la rareté, l’inimi-
tiellement l’exploitation de nouveaux marchés par l’en-
tabilité et l’efficacité de leurs ressources (Peteraf, 1993 ;
tremise des capacités financières, technologiques et
Rumelt et collab., 1991). Certaines EM sont avantagées
humaines des EM (Johanson et Vahlne, 1977). Depuis,
par une situation de monopole ou de quasi-monopole,
l’internationalisation des entreprises s’avère un moyen
alors que d’autres doivent miser sur leur capacité à
visant à acquérir de nouvelles capacités stratégiques
générer des avantages concurrentiels par les processus
par l’accès à des ressources critiques, complémentaires
de transformation ou par le développement de n ­ ouveaux
détenues par des entreprises étrangères (Dunning, 1980,
produits ou services (Prévot et collab., 2010). Pour déter-
2000 ; Kogut et Chang, 1991 ; Makino et collab., 2002 ;
miner les incidences du choix du mode ­d’investissement
Teece, 1998).
sur la fonction RH, certains auteurs ont noté des rap-
Les modes d’investissement et le degré d’appropriation prochements entre la théorie des coûts de transaction
s’expliquent par les théories qui déterminent le mode et celle basée sur les ressources (Tregaskis, 2003). Plus
d’entrée dans le nouveau marché ainsi que le degré de l’EM doit son avantage concurrentiel à la rareté, à l’ini-
contrôle que l’EM entend garder sur ses opérations inter- mitabilité et à l’efficacité des ressources, plus la proba-
nationales (Aguilera et Crespi-Cladera, 2016 ; Beugelsdijk bilité d’opter pour des structures complexes est grande
et collab., 2017). Le développement international peut (Brouthers et collab., 2008 ; Brouthers et ­Hennart, 2007,
prendre la forme d’alliances stratégiques3. Le contrôle Klier et collab., 2017 ; Madhok, 1997 ; Zhao et collab.,
des opérations sera, dans ce cas, partagé entre les 2004). Conséquemment, la responsabilité de la fonction
firmes qui concluent l’alliance. Par ailleurs, les EM qui RH dans la mise en œuvre des actions appropriées pour
choisissent d’exercer le plein contrôle sur leurs unités à développer les RH et soutenir la compétitivité des EM est
l’étranger procèdent par des investissements directs ou importante (Tregaskis, 2003).
des acquisitions (Brouthers et Hennart, 2007 ; Martin,
Les modes de gestion et le niveau d’intégration des
2013).
opérations internationales s’expliquent par les théo-
Il est important de comprendre ce qui détermine le choix ries qui réfèrent aux structures organisationnelles et
du mode d’investissement puisque ce dernier influencera de gouvernance au sein de l’EM (Bartlett et Ghoshal,
1998 ; Prahalad et Doz, 1987 ; Kostova et collab., 2015,
2. Traduction libre de « capabilities building ». 2016). Le processus visant le transfert des connaissances
3. Alliances stratégiques ou joint-ventures. organisationnelles, considéré comme un des aspects
 15   L e rôle str atégique de la fonction ressources humaines à l’ international  : une réflexion inachevée 303

fondamentaux des EM, en fait partie intégrante. Il trans- efficacité économique. Dans les sociétés postindustrielles
cende ses modes d’organisation, de fonctionnement et de modernes, les organisations se déclarent davantage
gouvernance (Kostova, 1999 ; Kostova et collab., 2016). préoccupées par le respect des modèles institutionnels
développés dans leur environnement (Scott, 2001). À ce
La théorie du choix stratégique suggère qu’une entreprise
titre, la perspective institutionnelle permet d’expliquer la
construira son avantage concurrentiel soit par sa capa-
puissance de l’influence des institutions sur les stratégies,
cité d’adaptation à son nouvel environnement, soit par
les programmes et les pratiques organisationnelles. Dans
l’imposition de ses façons de faire (Miles et Snow, 1978 ;
un tel cadre, la fonction RH permet aux EM soucieuses de
Miller et Friesen, 1983 ; Wright et Snell, 1991). La capacité
projeter une image citoyenne d’implanter des activités
d’adaptation réfère à l’adoption de stratégies de prospec-
de GRH plus innovantes et socialement responsables
tion qui misent sur l’analyse et la recherche d’occasions
(Kostova et collab., 2008 ; Tregaskis, 2003).
dans les nouveaux marchés. Ces stratégies comprennent
des risques associés à la capacité de développement La théorie de la dépendance des ressources, développée par
de nouvelles compétences organisationnelles pour Pfeffer et Salancik (1978), s’intéresse aux relations entre
répondre aux aléas des nouveaux contextes qui leur l’organisation et ses constituantes. Elle a comme prémisse
sont inconnus (Hambrick, 2007 ; Miles et Snow, 1978 ; que les organisations dépendent de leur environnement
Miller et Friesen, 1983). Par ailleurs, les EM peuvent pour disposer des ressources qui constituent leur avan-
choisir d’adopter des stratégies défensives, plus aver- tage concurrentiel (De Cieri et Dowling, 2006 ; Pfeffer
sives aux risques. Les EM dont l’objectif premier est de et Cohen, 1984). Les matières premières, le travail, le
réduire les coûts se déploient généralement dans des capital, les équipements, les connaissances et les débou-
marchés stables, étroitement définis par un produit ou chés pour les produits et les services comptent parmi les
un domaine de spécialisation (Wright et Snell, 1991). éléments qui dépendent fortement des contextes natio-
Elles conservent alors et imposent leurs façons de faire naux dans lesquels l’EM implante ses opérations. Dans
et leurs structures. Le choix stratégique peut égale- une telle perspective, le rôle de la fonction RH consiste,
ment revêtir une forme hybride entre dynamisme et d’une part, à comprendre le réseau dans sa globalité.
position défensive. Dans un tel cas, les stratégies dites D’autre part, les structures et les activités de GRH sont
analytiques reposent sur une recherche de l’efficacité conçues de manière à tirer profit de l’expérience inter-
en pondérant, d’une part, les risques et, d’autre part, les nationale pour outiller les unités organisationnelles d’un
occasions offertes par les nouveaux marchés (Hambrick, contre-pouvoir les rendant moins dépendantes de leur
2007 ; Miles et Snow, 1978). La fonction RH doit néces- environnement immédiat.
sairement refléter les choix stratégiques de l’EM à travers
son organisation et ses activités. Notons à ce titre le
débat entourant l’adoption d’un paradigme universaliste Les approches stratégiques en GRH
versus celui de la contingence. Le paradigme universa- à l’international
liste postule que l’adoption des « meilleures pratiques »
D’entrée de jeu, rappelons que tout exercice de gestion
est garante d’une forte performance organisationnelle
stratégique des RH est soumis à une double exigence.
(Brewster, 1999 ; Kehoe et Wright, 2013). En revanche,
D’une part, il s’agit de définir les orientations stratégiques
le paradigme de la contingence (Dewettinck et Remue,
RH et d’aligner les actions organisationnelles avec ces
2011) fait valoir que les pratiques de GRH doivent être
stratégies. D’autre part, la fonction RH doit veiller à la
cohérentes avec le contexte dans lequel elles sont mises
cohérence des actions entre elles (Wright et McMahan,
en œuvre (Kaufman, 2016 ; Farndale et collab., 2017).
1992). La gestion stratégique internationale des res-
La théorie institutionnelle mise sur la légitimité comme sources humaines a, pour sa part, été définie en ces
fondement au processus d’allocation des ressources dans termes. Elle réfère aux enjeux, aux activités, aux poli-
l’organisation (DiMaggio et Powell, 1983 ; Scott, 1987, tiques et aux pratiques qui résultent d’une vision stra-
2001). Dans les sociétés industrialisées, les organisa- tégique qui est en conformité avec les préoccupations
tions justifiaient la légitimité d’utilisation des ressources internationales et les objectifs des EM (Caligiuri et Stroh,
des pays hôtes par une rationalité technique et par une 1995 ; De Cieri et collab., 2007 ; Schuler et collab., 1993).
304 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Les théories qui déterminent les choix de l’emplacement, et Dolan, 2013). Une approche polycentrique repose sur
le mode d’investissement et le mode d’organisation des la prémisse que les valeurs, les normes et les coutumes
EM constituent à la fois des occasions, mais aussi des varient d’un pays à l’autre. Les filiales disposent d’une
contraintes dans la définition du rôle de la fonction et de grande latitude dans la gestion des activités courantes.
ses finalités. La fonction RH doit définir sa propre logique Les ressortissants des pays d’accueil occupent des postes
managériale en combinant les idées en provenance de clés dans les unités locales, tandis que les ressortissants
plusieurs théories (Tregaskis, 2003) et composer avec nationaux sont responsables des postes décisionnels au
une contrainte de taille sur laquelle les théories s’ac- siège social. L’approche régiocentrique vise une harmoni-
cordent : celle d’apprivoiser la réalité antinomique des sation des processus de gestion entre les filiales apparte-
EM. D’une part, il s’agit de répondre au besoin de confor- nant à une même région. Les mouvements de personnel
mité et d’intégration en réponse aux pressions hété- se font entre les régions ; ils sont plutôt rares vers le siège
romorphes qui proviennent des contextes nationaux social. L’approche géocentrique favorise les échanges d’in-
et régionaux. D’autre part, différencier et adapter les formation, d’idées et de processus de travail entre toutes
ressources organisationnelles en tenant compte de la les unités de l’organisation. Le recrutement pour des
diversité des contextes culturels et institutionnels s’im- postes clés dans l’EM se fait sans égard au pays d’origine
posent. Le transfert du savoir par la création de réseaux des candidats (Chakravarthy et Perlmutter, 1985).
intra organisationnels et inter organisationnels est iné-
Bartlett et Ghoshal (1998) sont les artisans d’une
luctable. Il vient s’ajouter à l’impératif d’équilibrer l’inté-
­deuxième typologie qui a été très influente et très sou-
gration et l’adaptation puisqu’il demeure au cœur de la
vent mobilisée dans les recherches en gestion internatio-
raison d’être des EM (De Cieri et Dowling, 2006 ; Kostova
nale des RH. La stratégie internationale des EM se définit
et collab., 2016).
en fonction, d’une part, du niveau d’intégration des acti-
Les approches théoriques exprimant les cadres d’évo- vités mondiales en vue atteindre un maximum de cohé-
lution des stratégies internationales de gestion des res- rence interne et, d’autre part, du niveau d’adaptation
sources humaines ont tenu compte de ces paramètres, au pays d’accueil dans le but de mieux comprendre les
certes de manière imparfaite. Elles ont cependant réussi exigences et les besoins locaux. Aux premières étapes
à introduire des éléments importants à considérer quand de l’internationalisation, les entreprises ont tendance à
vient le temps de décider des stratégies et de l’orga- opter pour une faible intégration avec le pays d’accueil,
nisation de la fonction RH à l’international. Nous les car elles sont davantage soucieuses de conserver leur
examinons succinctement. emprise sur les activités à l’étranger. La stratégie dite
internationale émanera du siège social et sera caracté-
La typologie la plus connue dans les écrits est sans
risée par une faible harmonisation avec l’environnement
contredit celle de Heenan et Perlmutter (1979), souvent
local. Les activités de GRH implantées dans les filiales
désignée sous l’appellation « EPRG4 » (Chakravarthy et
seront fortement calquées sur celles qui sont considérées
Perlmutter, 1985). Son application première a visé les
comme efficaces par le siège social. Au fur et à mesure
stratégies de dotation des EM (Schuler et collab., 1993).
que l’entreprise acquiert de l’expérience sur la scène
Une typologie exprimant quatre orientations définit
internationale, les EM adopteront une stratégie dite
les relations entretenues entre le siège social des EM
« multidomestique ». L’autorité du siège social laisse une
et ses filiales. Une approche ethnocentrique reflète une
plus grande marge à l’harmonisation des pratiques avec
croyance selon laquelle les techniques de gestion du
l’environnement des pays d’accueil. Dans une « stratégie
pays d’origine sont supérieures. La GRH inscrite dans une
méganationale », le siège social dicte pour une bonne
approche e ­ thnocentrique favorise le recrutement et la
part les stratégies et les façons de faire appliquant un
formation des employés du siège social. La culture et les
système de contrôle strict. L’organisation fonctionne
processus de travail adoptés au siège social sont imposés
dans le pays étranger à peu de chose près comme elle
tels quels aux unités situées dans les pays d’accueil (Saba
le fait dans le pays d’origine. Dans le contexte interna-
tional, il est courant également de voir les unités opéra-
4. Ethnocentrique, polycentrique, régiocentrique, géocentrique. tionnelles prendre l’initiative de l’élaboration stratégique
 15   L e rôle str atégique de la fonction ressources humaines à l’ international  : une réflexion inachevée 305

et collaborer pour la mener à bien avec les autres unités et Prahalad, 1992). Le deuxième paradigme, défendu
opérationnelles ou avec le siège social. Les stratégies par de nombreux auteurs, dont Evans (2002, 2011),
dites « transnationales » reflètent l’étape la plus avancée Bartlett et Ghoshal (1998) et Evans et Lorange (1990),
dans le processus d’internationalisation qui se caracté- consiste à reconnaître la nature dualiste de l’organisation
rise par l’interdépendance, par-delà les frontières natio- (­Hampden-Turner, 1991 ; Quinn et Cameron, 1983 ; 1988 ;
nales, des ressources et des responsabilités revenant aux Pascale, 1990 ; Doz et Prahalad, 1992). Pour atteindre
différentes composantes de l’organisation, ainsi que par l’efficacité organisationnelle et acquérir de nouvelles
la forte identité de l’entreprise (Saba et Dolan, 2013). capacités, les organisations à structure complexe doivent
trouver un juste équilibre entre imposer la dépendance
et opter pour l’interdépendance des unités d’affaires par
rapport au siège social. Les organisations doivent trouver
Le rôle de la fonction RH un juste milieu entre le besoin de contrôle et les vertus de
à l’international l’autonomie ainsi qu’entre la commodité de la symétrie
Historiquement, l’organisation des activités RH dans les des opérations et les bienfaits de leur différentiation. La
EM a été abordée sur une simple échelle binaire destinée fonction RH devra participer aux choix à faire et soutenir
à reproduire la dualité entre « le mondial versus le local ». les orientations choisies en se réorganisant et en implan-
Il s’agissait donc de définir les responsabilités et de dis- tant les pratiques de gestion adéquates.
tinguer celles qui devaient être centralisées de celles qui À la lumière de ce qui vient d’être énoncé, nous traitons,
devaient relever localement, soit des filiales (Scullion dans un premier temps, des principales responsabilités
et Starkey, 2000). Or, cette binarité s’est rapidement de la fonction RH. Dans un deuxième temps, nous pro-
avérée contreproductive pour plusieurs raisons. Notons posons les modèles d’organisation de la fonction RH
son incapacité à répondre à la mission première d’une dans les EM.
EM qui est le partage des connaissances et des flux d’in-
formation. De plus, la complexité des environnements
combinée aux contraintes d’efficience et d’efficacité La fonction RH à l’international :
nécessitait la détermination de niveaux intermédiaires ses principales sphères d’intervention
pour certaines activités qui gagnaient à être coordon-
nées entre les unités au lieu d’être réfléchies et exécutées Malgré l’abondance des écrits qui relatent les activités RH
à un seul endroit à la fois (Minbaeva et De Cieri, 2014). à l’international, nous avons choisi de les regrouper sous
deux rubriques qui définissent de manière structurée les
En poussant plus loin ce raisonnement, deux paradigmes responsabilités fondamentales qui doivent relever de la
complémentaires se dégagent des écrits et s’affirment fonction RH au sein des EM. Cette typologie, inspirée des
comme étant nécessaires à la compréhension de l’es- travaux d’Evans et ses collaborateurs (2011), Minbaeva
sence même du rôle stratégique de la fonction RH à l’in- et De Cieri (2014) et Tung (2016), tient compte de la
ternational. Un premier paradigme soutient que chaque complexité de l’environnement, de l’alignement straté-
unité d’affaires doit développer une certaine cohérence gique, du contrepoids des institutions, de la cohérence
à la fois interne et externe pour s’harmoniser avec des actions et appréhende la diversité des structures
son environnement (Milliman, Von Glinow et Nathan, organisationnelles associées aux stades de développe-
1991). La fonction RH devra répondre aux besoins stra- ment des EM. Nous estimons que la fonction RH dans
tégiques du pays d’accueil et veillera à la conformité des les EM doit jouer deux rôles déterminants et interdépen-
politiques de GRH à ses normes socioculturelles, poli- dants en instaurant (1) des mécanismes de coordination
tiques et légales. Cette sensibilité aux besoins locaux ne et de contrôle et (2) mécanismes qui habilitent à exercer
consiste nullement à adopter aveuglément des pratiques lesdits rôles de coordination et de contrôle (figure 2).
de gestion du pays d’accueil, mais à faire reconnaître
­l­­’organisation comme un partenaire économique qui
tient compte des particularités locales et qui vise à se
faire accepter comme membre de la communauté (Doz
306 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Figure 2 Représentation des principales responsabilités de la fonction RH à l’international

Les mécanismes de coordination et de contrôle visent est de plus en plus impuissante face à la complexité de
les actions à déployer dans trois champs d’intervention l’EM (Evans et collab., 2011). Développer des processus
qui seront pris en charge par la fonction RH dans les EM : RH s’appuyant sur l’expérience des principales filiales,
la gestion du transfert des connaissances, la gestion des ainsi que des experts à l’intérieur et à l’extérieur de l’en-
processus internationaux et la gestion de la performance treprise se révèle comme une solution de rechange qui
internationale. s’adapte mieux à la réalité différenciée des unités de l’EM
(Evans et collab., 2011).
La gestion du transfert des connaissances est définie comme
étant la capacité de reproduire certaines connaissances La gestion de la performance internationale, considérée
organisationnelles à l’extérieur de leur unité d’origine et comme étant un processus stratégique de GRH d’im-
de les transférer d’un contexte économique à un autre portance, permet à l’EM de continuellement évaluer et
(Teece, 1998). L’importance stratégique du transfert de améliorer le rendement de ses unités (Lindholm, 2000).
connaissances et sa capacité d’influencer, par leur expé- Les mécanismes de contrôle de la performance s’at-
rience, les unités les unes par rapport aux autres ont tardent à évaluer comment la filiale met en application
été largement étudiées (Argote et Ingram, 2000 ; Winter la stratégie internationale globale de l’EM. Les systèmes
et Szulanski, 2001). La fonction RH à l’international est de gestion de la performance internationale ne visent
responsable d’organiser et de faciliter les processus de pas à récompenser la ressemblance des filiales au siège
transfert des connaissances qui consistent en l’extraction social. Ils évaluent plutôt la mesure dans laquelle les
et la duplication complète ou partielle d’un système de objectifs de la stratégie globale de l’EM sont reflétés
coordination permettant de connecter des ressources dans les objectifs de rendement de la filiale et s’ils sont
afin de les reproduire ailleurs (Minbaeva et Michailova, atteints. Parmi les enjeux importants pour la fonction
2004 ; Szulanski, 1996 : 28 ; Thomas, 2012). RH, notons la difficulté de décider si le processus doit
être appliqué et normalisé dans le monde entier ou faire
La gestion des processus internationaux réfère à la capacité
l’objet d’une adaptation locale (Evans et collab., 2002 ;
de relier une série d’activités à travers les frontières orga-
Hellqvist, 2011).
nisationnelles qui peuvent être de nature fonctionnelle
ou géographique afin de créer une valeur ajoutée. La Les mécanismes qui habilitent l’EM à instaurer des
gestion des processus internationaux est d’importance processus de coordination et de contrôle réfèrent aux
critique pour la GRH pour la simple raison que l’émission responsabilités de la fonction RH qui ont trait à l’in-
de lignes directrices, de règles et de politiques centrales tégration normative (par la culture et les valeurs), au
 15   L e rôle str atégique de la fonction ressources humaines à l’ international  : une réflexion inachevée 307

développement des compétences et du leadership inter- (Biemann et Andersen, 2010 ; Cerdin et Selmer, 2014 ;
national, à la gestion de la mobilité internationale et à Pucik et Saba, 2003 ; Tung, 2016). Veiller à la diversité
l’instauration d’équipes transnationales. parmi les leaders internationaux, notamment dans la
composition des équipes de direction, permet de dégager
L’intégration normative par la gestion culturelle ou par
les EM d’une vision ethnocentrique.
valeurs vise à instiguer une culture organisationnelle qui
dépasse les sensibilités des cultures nationales, comme La gestion de la mobilité internationale compte parmi les
véhicule de cohérence et de stabilité, donnant ainsi un phénomènes les plus anciens et les plus étudiés dans le
sens aux actions organisationnelles (Alvesson, 2001 ; domaine de la gestion internationale des RH. Grâce à
Nebojsa, 2015). Bien que toutes les EM font face aux plus de cinq décennies de recherche, elle a connu une
dilemmes d’adaptation et d’intégration, chacune adopte importante évolution et continue de constituer une pra-
des moyens qui lui sont propres. La gestion culturelle tique incontournable au sein des EM (Collings et Scullion,
réfère aux solutions qui émergent généralement des inte- 2006 ; Saba et collab., 2014 ; Tung, 2016). La mobilité
ractions sociales et des interprétations idiosyncrasiques internationale ou l’expatriation réfère à la mutation
de la réalité particulière des EM (Louis, 1985 ; ­Smircich, professionnelle qu’implique une installation temporaire
1983 ; Smircich et Morgan, 1982). Elle répond à un besoin dans un autre pays que le pays d’origine. Les affectations
d’identification qui est exacerbé par la divergence de peuvent être de nature technique, fonctionnelle, straté-
ses environnements culturels (Pedersen et Dobbin, gique ou encore viser le développement de capacités
2006). Les cultures organisationnelles contiennent des individuelles et organisationnelles (Caligiuri, 2006 ; Cali-
croyances, des normes et des symboles qui leur sont giuri et Colakoglu, 2007 ; Cerdin et Selmer, 2014 ; Haines
propres (Schein, 1985). La fonction RH cherche à les faire et collab., 2008). Conséquemment, un programme de
partager par tous les membres, à une échelle mondiale, mobilité internationale renvoie à toutes les pratiques et
par des actions et par des politiques organisationnelles les politiques qui gèrent le déplacement d’un employé
cohérentes. et en l’occurrence de sa famille vers une filiale et son
retour au pays d’origine (O’Sullivan et collab., 2002). La
Le développement de talents et du leadership international
compétitivité des entreprises multinationales est reliée
réfère à l’importance de bâtir une mentalité internatio-
à leur habileté à répondre aux impératifs d’intégration
nale, notamment chez les gestionnaires en charge du
mondiale et d’adaptation aux différents environnements
développement international (Bartlett et Ghoshal, 1992 ;
locaux (Kidger, 2002 ; Schuler et Jackson, 2007 ; Schuler
Cascio et Boudreau, 2016). Une mentalité internatio-
et Tarique, 2007). L’alignement des programmes de
nale vise un état d’esprit et une prédisposition à com-
mobilité internationale sur la stratégie internationale
prendre la coordination mondiale et la sensibilité locale
permet aux EM de trouver l’équilibre entre les objec-
(Bartlett et Ghoshal, 1992 ; Suutari, 2002). Les profils
tifs stratégiques généraux et les limites économiques,
des leaders mondiaux d’aujourd’hui sont différents de
sociales, politiques et légales établies dans les pays
ceux des gestionnaires hiérarchiques traditionnels (Bird
dans lesquels elles agissent (Barkema et collab., 1996 ;
et Mendenhall, 2016 ; George, 2012). Notons l’impor-
Caligiuri et Colakoglu, 2007).
tance d’attributs, tels que l’intelligence émotionnelle, la
conscience de soi, l’ouverture culturelle, la valorisation La gestion des équipes transnationales ou des équipes multi-
de l’autonomie et la prise de risque dans des contextes culturelles offre d’indéniables avantages aux EM, notam-
incertains (Lin et collab., 2017). La dynamique de la ment apprivoiser les nouveaux marchés, comprendre
concurrence exige des leaders d’être des facilitateurs les particularités des consommateurs, adapter les pro-
de la création ainsi que de la transmission des connais- duits, améliorer les processus de production et partager
sances et des capacités organisationnelles de manière les connaissances. Les auteurs sont nombreux à noter les
efficiente (Kim et collab., 2015 ; McIver et collab., 2013). barrières qui entravent les échanges au sein des équipes
Les activités de recrutement, de développement de multiculturelles (Brett et collab., 2006 ; Evans et collab.,
carrière, de formation interculturelle ainsi que les pro- 2011 ; Snow et collab., 1996). Pensons aux différences
grammes de mobilité internationale comptent parmi les dans les styles de communication, aux attitudes à l’égard
moyens qui visent à bâtir une mentalité internationale de la distance hiérarchique et aux normes conflictuelles
308 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

dans les processus de prise de décision (Brett et collab., réseau prennent le dessus sur les structures centralisées
2006). Le succès des équipes multiculturelles repose sur plus traditionnelles (Brookes et collab., 2017). Par ailleurs,
le respect des différences culturelles, sur les interventions les risques encourus lorsque les EM perdent le contrôle
structurelles qui visent à établir les normes et les modes sur le développement des compétences ou le transfert
de fonctionnement des équipes ainsi que sur la capacité des connaissances ont été décriés (Kostova et collab.,
à assurer des suivis et à remédier rapidement aux diffi- 2015 ; Minbaeva et Michailova, 2004 ; Tung, 2016). On
cultés qui surgissent (Brett et collab., 2006 ; Tung, 2016). s’entend pour admettre que les rôles opérationnels de la
fonction RH normalement ancrés dans les unités locales
devraient nécessairement maintenir des liens centraux
La fonction RH à l’international : plus globaux dans un but d’harmonisation des pratiques
son organisation de partage du savoir-faire (Evans et collab., 2011 ; Kos-
tova et collab., 2016). Certaines activités devraient être
Deux dimensions guident l’organisation des activités RH :
étroitement intégrées et entreprises par un système de
l’intégration globale et la différenciation selon la région
prise de décision centrale, même dans des EM dont les
ou le secteur d’activité. La dualité intégration-coordina-
unités sont fortement décentralisées.
tion et la complexité des environnements internes et
externes augmentent la difficulté d’instaurer des pro- Comment départager les rôles stratégiques et opéra-
cessus efficaces de traitement de l’information au sein tionnels entre le siège social et les unités ? Les questions
des EM. Pour y faire face, l’organisation doit nécessaire- RH nécessitant un haut degré de différenciation selon
ment se dégager des structures hiérarchiques de prise de les pays ou le secteur d’activité doivent nécessairement
décision et recourir à des modes d’organisation latéraux, relever d’une structure de décision qui réside dans l’unité
voire par réseaux (Galbraith et Kazanjian, 1986). La fonc- locale (relations de travail, etc.) Cependant, les EM sont
tion RH dans les EM subit les mêmes influences exa- nombreuses à évoluer vers une intégration mondiale
cerbées par de nouvelles formes d’organisation qui ont des activités de GRH. La réduction des coûts est souvent
émergé au cours des dernières années pour répondre évoquée pour justifier la centralisation dans la gestion
à des contraintes financières, mais également d’effica- des activités RH et des risques qui en découlent, notam-
cité. Pensons notamment à l’impartition de certaines ment en ne tenant pas compte des particularités cultu-
activités, aux services partagés, aux communautés de relles, légales et institutionnelles locales. Une manière d’y
pratiques et aux centres d’expertises. répondre revient à recourir à des directions régionales
qui fourniront des conseils et des expertises aux équipes
Comment concilier les responsabilités de la fonction RH
de gestion locale, notamment en matière de recrute-
entre les priorités mondiales et locales ? Certains auteurs
ment, de développement, de ressourcement, d’expatria-
vont jusqu’à admettre que, dans les entreprises transna-
tion etc. (figure 3.) (Evans et collab., 2011).
tionales, les « centres d’excellence » et les structures en
 15   L e rôle str atégique de la fonction ressources humaines à l’ international  : une réflexion inachevée 309

Figure 3 Organisation et structure des services offerts par la fonction RH à l’international


(traduit et adapté d’Evans et collab., 2011 : 586)

Expertises
Intégration
globales

Centre de services Équipes


international de projets

Centre d’expertise

Expertises Communautés
régionales de pratiques

Centre de
service local
Expertises
Services locales
impartis

Différenciation

Pour un rôle renouvelé de 2007 ; Pucik, 1997). Les appels à la nécessité d’intégrer
les cadres stratégiques pour mieux anticiper l’évolution
la fonction RH à l’international : de la fonction au lieu de se cantonner à décrire son
les dix commandements adaptation à la complexité de l’environnement interna-
Dans les deux sections qui précèdent, nous avons pré- tional ont été nombreux par la suite. En 2017, il est inté-
senté les cadres stratégiques et les configurations de la ressant de constater que les perspectives de traitement
fonction RH à l’international, en ce qui a trait notam- des approches théoriques nécessaires pour comprendre
ment à ses propres stratégies, à ses activités et à son le développement de la fonction RH à l’international
organisation. Force est de constater que, malgré des demeurent équivoques. Certaines critiques continuent
avancées notables sur la question, beaucoup reste à d’en appeler à une période de consolidation, d’intégra-
faire. De récents constats dans les écrits relativement tion et de réorientation des approches stratégiques en
à la manière de réfléchir les cadres de la gestion inter- gestion internationale prônant les risques d’incohérence
nationale stratégique des RH nous amènent à intégrer et de fragmentation du domaine (De Cieri et collab.,
de nouveaux éléments essentiels à la réflexion autour 2007 ; Taylor et collab., 1996). D’autres, au contraire,
du rôle stratégique de la fonction RH dans les EM, de saluent la diversité des cadres théoriques qui expriment
ses responsabilités et de sa structure. Nous les avons la richesse et la vitalité de ce champ d’études (Durand
résumés en dix points. et collab., 2017). Malgré cette ambivalence, un certain
ralliement semble se dégager quant à deux approches
Le premier réfère à la consolidation des cadres straté- à adopter dans le but de mieux circonscrire le rôle
giques qui définissent la fonction RH à l’international. Les stratégique de la fonction RH et qu’on espère voir se
premières générations de recherche en gestion interna- poursuivre. Étant donné le poids de l’influence de l’envi-
tionale stratégique des RH étaient soit « athéorique », soit ronnement économique, institutionnel, culturel, politique
« monothéorique » et ont empêché la fonction de plei- et social, la première vise à tester l’application des cadres
nement exercer son rôle stratégique (De Cieri et collab., stratégiques à travers plusieurs contextes dans le but de
310 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

déceler l’universalité ou la divergence des phénomènes RH (Brewster, 1999). Il s’agit du débat autour de l’ap-
ou des relations en regard du cadre dans lequel elles sont plication d’un paradigme universaliste versus contex-
observées (Al Ariss et Sidani, 2016 ; Farndale et collab., tuel. Le paradigme universaliste, porté par les systèmes
2017 ; Whetten, 2009). La deuxième vise, par ailleurs, à de travail à haute performance, exprime l’efficacité
anticiper les phénomènes et les relations à travers l’ap- organisationnelle qui résulte de l’adoption des « meil-
plication des cadres stratégiques. Cette approche, peu leures pratiques » dans l’organisation (Kehoe et Wright,
utilisée dans les récentes études, est considérée comme 2013). En revanche, le paradigme contextuel fait valoir
étant plus novatrice et plus susceptible de contribuer que les résultats des pratiques de GRH dépendent du
à de nouvelles constructions théoriques (Raghuram et contexte dans lequel elles sont mises en œuvre. Dans
collab., 2017). l’arène internationale, peut-on prétendre à un affaiblis-
Le deuxième point réfère à la grande importance sement des influences contextuelles compte tenu des
accordée aux dimensions bipolaires et antinomiques forces centrifuges de la mondialisation qui renforcent
qui caractérisent les cadres stratégiques en gestion le paradigme universaliste (Kaufman, 2016) ? Peut-on,
internationale des RH et qui se manifestent à travers les au contraire, soutenir que les contextes institutionnels
concepts de « convergence versus divergence », « mon- et culturels sont à un tel point intégrés dans la manière
dial versus local » et « intégration versus différenciation ». dont fonctionnent les organisations qu’ils favorisent les
La fonction RH à l’international est dépeinte comme approches contingentes (Kaufman, 2016 ; Farndale et
devant impérativement concilier ces considérations collab., 2017) ? Ce débat est loin d’être réglé. Certains
contradictoires dans le but d’atteindre et de maintenir prétendent que la mondialisation conduit à la normali-
l’équilibre entre la coordination mondiale et l’adapta- sation des pratiques de GRH par-delà les frontières (Liu
tion locale (Doz et Prahalad, 1991 ; Edwards et collab., et collab., 2014 ; Schneper et Von Glinow, 2014). D’autres
2013 ; Galbraith et Kazanjian, 1986 ; Nohria et Ghoshal, prétendent le contraire (Dewettinck et Remue, 2011). La
1994 ; Pucik, 1997). Les typologies en gestion straté- nouveauté réside, cependant, dans la considération de
gique internationale des RH visent à orienter les moyens nouveaux enjeux qui transcendent les paradigmes et
à mettre en œuvre dans le but de maîtriser ces forces qui réclament l’adoption de politiques et de pratiques
antinomiques (Bartlett et Ghoshal, 1998 ; Heenan et cohérentes. Les questions de gestion de la diversité sous
Perlmutter, 1979). Or, ces typologies, qui sont axées toutes ses formes, de lutte au racisme et à la discrimi-
sur les stades d’évolution de l’EM, sont très utiles pour nation, d’équité et d’égalité des chances entre groupes
exposer la transition des EM des premiers stades de majoritaires et groupes considérés comme vulnérables
développement international (modèles internationaux constituent autant de phénomènes plus sensibles et com-
et ethnocentriques) vers des modèles « idéaux » (modèles plexes à traiter dans des contextes internationaux. Elles
transnationaux et géocentriques). Par ailleurs, on déplore mettent en rapport des régions du monde qui affichent
le fait que l’efficacité des recours à ces typologies tarde des valeurs différentes, des intolérances plus ou moins
à être clairement justifiée en fonction des contextes ou fortes à l’égard de comportements répréhensibles, voire
les unes par rapport aux autres. D’une part, il n’est pas prohibés dans d’autres contextes. Alors que l’on cherche
dit qu’une entreprise ne peut pas répondre à plus d’un à intensifier les échanges notamment par le partage de
type de stratégie ou même à des combinaisons ou des connaissances, les équipes multiculturelles et la mobilité
types hybrides (Kobrin, 1994 ; Edwards et collab., 1996, internationale, les interactions intra-nationales et trans-
2013). D’autre part, les modèles qui semblent prétendre nationales risquent d’être entachées de complaisance si
à un idéal stratégique, à savoir les modèles d’EM trans- le respect de la diversité et l’équité dans le traitement ne
nationaux et géocentriques, restent à être confirmés sont pas renforcés par des actions concrètes à l’échelle
empiriquement (De Cieri et collab., 2007). internationale (Tung, 2016 ; Zander et collab., 2012).

Dans la même veine que le précédent, le troisième élé- Un quatrième élément fait état de la discordance entre
ment réfère à un acquis dans le domaine de la gestion la rapidité de l’évolution de la pratique et celle de la
stratégique des RH dont l’application demeure fortement recherche en gestion internationale des RH. Le traitement
pertinente dans la gestion internationale stratégique des de certaines problématiques est souvent ignoré compte
 15   L e rôle str atégique de la fonction ressources humaines à l’ international  : une réflexion inachevée 311

tenu de sa complexité dans un contexte international. est nécessaire de comprendre le contexte et la nature des
Notons, par exemple, les changements dans les relations droits des migrants ainsi que leur lien avec les systèmes
d’emplois alors que de plus en plus de travailleurs sont de GRH en place (Farndale et collab., 2017).
considérés comme des contractants et sont de plus en
Le sixième élément a trait à l’urgence de diversifier les
plus mobiles au sein de l’EM. Pensons également à la
contextes dans lesquels les recherches se font pour
nécessité d’examiner l’incidence des déménagements sur
permettre à la fonction RH de mieux répondre aux
la performance des entreprises, de mesurer l’influence
enjeux internationaux. Par exemple, nombreuses sont
des médias sociaux à l’échelle mondiale sur les processus
les recherches sur les équipes multiculturelles qui se
de communication, d’évaluer le progrès des technologies
fondent, d’une part, sur les notions de distance culturelle
dans les processus de GRH, d’étudier la réingénierie des
inspirées des travaux d’Hofstede (1980) (Kogut et Singh,
systèmes de formation et le perfectionnement à l’échelle
1988 ; Zander et Zander, 2010) ou, d’autre part, sur les
mondiale et d’étudier les nouvelles formes de mobilité.
questions de catégorisation sociale ou de ségrégation
Plus de recherches sur ces thèmes qui sont soit peu cou-
(Ibarra, 1992 ; Tajfel, 1982). La plupart des recherches
verts par les recherches existantes (Farndale et collab.,
sont menées dans les pays industrialisés pour com-
2017), soit couverts de manière ponctuelle permettraient
prendre les relations entre les individus membres de
à la fonction RH de répondre à des enjeux actuels qui
minorités visibles ceux qui sont membres de groupes
ont des répercussions sociales importantes.
majoritaires (Cox et Blake, 1991 ; Ely et Thomas, 2001 ;
Le cinquième point vise les questions de mobilité inter- Ely, 2004). Celles qui sont menées dans l’arène inter-
nationale au sein des EM. Force est de constater que les nationale examinent l’interface entre les expatriés, en
recherches les plus avancées en gestion internationale provenance des pays industrialisés, et les ressortissants
des RH se sont principalement attardées à l’étude de de pays hôte dans les marchés émergents (Beamish,
l’expatriation dans toutes ses dimensions : attributs des 1985, 2013). Selon Tung (2016), le recours de plus en
expatriés les plus performants, modalités de recrutement, plus fréquent à des équipes virtuelles internationales
enjeux des doubles carrières, composantes efficaces des en appelle à l’élargissement des cadres d’analyse dans
programmes de mobilité, déterminants de l’adaptation le but d’inclure la contribution d’expatriés originaires
culturelle à l’étranger, conditions de rapatriement, succès de pays en émergence ainsi que d’examiner la contri-
et échecs des expériences d’expatriation, etc. (Caligiuri et bution du biculturalisme ou du multiculturalisme à la
Bonache, 2016 ; Saba et collab., 2014). Loin de prétendre compréhension de la dynamique de la diversité au sein
que la question de la mobilité internationale n’est pas des équipes transnationales et au développement du
importante, le constat a plutôt trait à la disproportion leadership international (Ozbilgin, 2004).
entre le nombre relativement peu élevé d’études sur les
Le septième élément fait appel à la nécessité de se pen-
cadres stratégiques de GRH à l’international versus le
cher sur la compréhension des réseaux internationaux,
nombre exorbitant sur la mobilité internationale. Il s’agit
notamment du rôle des acteurs qui les composent. La
du reflet d’une attention plus importante accordée à
fonction RH à l’international doit composer avec des
la mobilité au détriment du développement des cadres
EM qui disposent de structures organisationnelles dif-
stratégiques, plus utiles à la réflexion globale sur la confi-
fuses, souvent inédites, construites sous la forme d’un
guration des fonctions RH à l’international. Il devient
réseau avec des ramifications complexes (Ghoshal et
urgent d’élargir le spectre des recherches sur la mobilité
Bartlett, 1990). La base de ces réseaux organisationnels
internationale pour traiter des dimensions plus straté-
est constituée d’intervenants qui détiennent des rôles
giques, mais également d’y inclure des problématiques
stratégiques, jusque-là peu étudiés. Il convient donc de
jusque-là négligées. Les immigrés hautement qualifiés en
s’y pencher et de les intégrer aux cadres stratégiques
provenance des pays en développement constituent de
de la GRH dans un contexte international (Kostova et
précieuses ressources et des compétences qui peuvent
collab., 2016 ; Raab et collab., 2014).
être mises à contribution dans un environnement de
concurrence pour les talents mondiaux (Al Ariss et Le huitième élément constitue un appel à la réalisa-
Özbilgin, 2010 ; Cerdin et Selmer, 2014). À ce propos, il tion d’études multidisciplinaires pour faire progresser
312 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

le domaine de la gestion internationale des RH. La 1996 ; Brooks et collab., 2017). Les enquêtes se basent
contribution des cadres explicatifs de la migration et trop souvent sur un répondant unique par organisation,
de l’économie comportementale est essentielle à l’enri- notamment un gestionnaire RH, ce qui n’assure pas une
chissement des problématiques de gestion de la mobilité représentativité adéquate de la réalité des EM (De Cieri
internationale, notamment de l’expatriation. Transcender et collab., 2007). Le rôle de la fonction RH devrait se
l’accent mis sur les aspects culturels devient tout aussi construire à partir d’efforts de recherche plus concertés
important pour différencier les contextes et mobiliser se basant sur des échantillons plus larges de travailleurs
une approche théorique bâtie sur des aspects jusqu’ici provenant de plusieurs nations, sur des analyses multini-
négligés pour comprendre le contexte transnational veaux et sur des études de cas approfondies qui utilisent,
(Vaiman et Brewster, 2015). L’histoire, les régimes poli- entre autres, des techniques idéographiques évitant de
tiques, la taille des pays, leurs richesses et les structures faire l’analyse des phénomènes culturels du point de vue
sociales constituent d’indéniables sources d’enrichisse- de ceux qui appartiennent à la culture étudiée (Farndale
ment des cadres explicatifs des relations de pouvoir et et collab., 2017 ; Raghuram et collab., 2017).
des rationalités autour de l’adoption de certaines pra-
En conclusion, les EM ont été témoin d’importantes trans-
tiques au sein des EM (Raghuram et collab., 2017).
formations au cours des cinquante dernières années. Ce
Le neuvième élément se concentre sur un mouvement chapitre s’est penché sur l’évolution de la fonction RH
qui a récemment émergé et qui met un accent accru sur à l’international, les paramètres stratégiques qui l’en-
l’effet sociétal des sciences appliquées, notamment dans cadrent, son rôle et sa structure. Nos constats révèlent
le domaine de la gestion internationale des RH. Il se fait d’importantes percées dans le domaine menant à une
sentir à travers un plus grand engagement en ce sens meilleure compréhension du rôle de la fonction RH dans
par la communauté universitaire et par les milieux pro- les EM. Néanmoins, le domaine de la gestion stratégique
fessionnels (Farndale et collab., 2017 ; Hughes et collab., internationale des RH demeure fragmenté et accuse
2011). Concrètement, les recherches devraient mettre des lacunes en théorie et en méthodologie. Les raisons
l’accent sur le rôle susceptible d’être joué par la fonction sont multiples et complexes. En outre, des thèmes de
RH à l’international en examinant des contextes non tra- recherche reproduisant des sujets d’actualité ont égale-
ditionnels et de nouveaux types d’EM qui pourraient ne ment été mis en évidence. Ils gagneraient à être intégrés
pas se conformer aux théories et aux modèles existants. à la recherche en gestion internationale des RH puisqu’ils
Notons le développement de marchés émergents et d’EM ciblent des problématiques qui émanent de la complexité
originaires des pays émergents (Kostova et collab., 2016). organisationnelle, mais qui affectent également les indi-
vidus qui travaillent dans des contextes internationaux.
Le dixième élément pointe les enquêtes basées sur des
Nous espérons ainsi contribuer à l’évolution du rôle de la
échantillons de petite taille et les faibles taux de réponse
fonction RH à l’international dans le but de parachever
qui caractérisent les recherches en gestion internatio-
la réflexion dans un sens socialement responsable et
nale des RH et qui s’expliquent par la complexité et la
créateur de valeur pour les EM et les individus qui les
difficulté de joindre les répondants (Peterson et collab.,
composent.

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16

La gestion des ressources


humaines territoriale : état des lieux
et regards sur la situation au Québec
Pascale Villeneuve-Alain et Yves Hallée

La gestion des ressources humaines territoriale1 trouve 2013 ; Legault et Bellemare, 2008 ; Rubery et collab.,
son origine du besoin de voir se développer de nou- 2002).
velles formes de collaboration entre des acteurs privés
La GRH-T peut être qualifiée de mouvement d’ouver-
et publics à l’échelle locale (Mazzilli et Pichault, 2015 :
ture et d’extension de certaines pratiques fondamen-
31). Cette GRH-T permet de (re)penser l’objet en dehors
tales de la fonction à l’extérieur des limites juridiques de
des frontières de l’organisation et au sein des réseaux
l’établissement ou de l’entreprise (Le Boulaire et collab.,
organisationnels (Arnaud, Fauvy et Nekka, 2013), et de
2010 :27). Plus simplement, nous pouvons la considérer
(re)donner2 à la fonction « une dimension élargie et col-
comme étant « l’élargissement du périmètre d’application
laborative » (Mazzilli, 2009). Bien que les écrits existants
de la gestion des RH dite classique » (Mazzilli, 2011a :3-4
traitant spécifiquement de la GRH-T semblent limités à
citant Le Boulaire et collab. 2010), « dans le but d’éta-
la France (Mazzilli et Pichault, 2015 : 33), étant par le fait
blir des liens entre les acteurs privés et publics, où des
même presque inexistants dans le contexte québécois,
problématiques RH sont peu à peu portées à un niveau
soulignons toutefois l’émergence de plus en plus grande
territorial, afin d’y être traitées conjointement » (Mazzilli,
de travaux québécois et anglo-saxons documentant ou
2011b : 81 citant Bories-Azeau et collab., 2008). La GRH-T
théorisant des pratiques de GRH hors des frontières juri-
vise la correction de situations à long terme, en entre-
diques des entreprises (Bellemare, 2015 ; Boxall, 2014).
prenant des actions basées sur trois logiques d’actions
Ainsi, des conceptions apparentées existent, telles que
émergentes : la contribution à la vitalité du territoire dans
les réseaux, les sites multi-employeurs, les partenariats
une optique de responsabilité sociale, l’élargissement
et les alliances (Swart et Kinnie, 2014 ; Lakhani et collab.,
du marché interne de l’emploi par une ouverture sur le
marché externe et l’appuie sur le territoire pour dégager
de nouveaux leviers de performance (Defélix et collab.,
1. Ci-après appelé « GRH-T ». 2013 : 127).
2. En Amérique du Nord, à l’origine, la gestion des ressources
humaines était une fonction socioéconomique qui dépassait Elle s’appuie sur des arrangements institutionnels afin
le cadre restreint des organisations (Kaufman, 1993). Les de contribuer non seulement au progrès économique de
solutions centrées sur les besoins des employés et celles de la
l’entreprise, mais aussi au progrès social et sociétal d’un
communauté ne pouvaient être évacuées et étaient considérées
comme un complément nécessaire aux solutions orientées
territoire. Il n’y a donc pas que des motifs strictement
autour des besoins de productivité de l’employeur (Kaufman, productivistes qui incitent les organisations à travailler
1999 : 104).
320 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

en réseau. Ces démarches peuvent par exemple servir à aux mouvements du marché (Itçaina et Pecqueur, 2012).
« développer des dispositifs de transition sociale (Gazier, Il s’agit d’un regroupement spontané de plusieurs entre-
1998) afin d’étendre le champ des possibles en matière prises travaillant sur un même processus de production.
de reclassement » (Mazzilli, 2009 : 2). « Ces districts représentent un ensemble d’entreprises
de petites dimensions qui constituent des parties inter-
Dans la première partie, nous verrons les différentes
dépendantes d’un même processus de production qui
formes de regroupements d’entreprises en réseau.
interagit comme une communauté de personnes. Cette
Nous poursuivrons avec l’importance des notions de
structure sociale est dominée par de petits entrepreneurs
territoire et de proximité et la gouvernance territoriale.
et des travailleurs de l’industrie à l’intérieur d’une zone
En quatrième partie, nous aborderons la théorie de l’ac-
territorialement délimitée à laquelle ils appartiennent »
teur-réseau et les différentes modélisations des sphères
(Sforzi et collab., 1989 : 161).
d’action de la GRH-T en cinquième partie. Nous verrons
par la suite les conditions d’émergence de la GRH-T en Au niveau de la coordination des acteurs, Pecqueur
portant notre attention sur les éléments facilitateurs et (2009) précise l’importance du lien qui doit exister entre
les difficultés d’implantation, pour terminer sur des cas les entreprises et la communauté : « Il tend à y avoir
d’application en contexte québécois. osmose forte entre communauté locale et entreprises.
Ce sont donc des types particuliers de “gouvernance
territoriale” qui se mettent en place dans une grande
variété de formes » (Itçaina et Pecqueur, 2012 : 50). Maz-
La configuration en réseau zilli (2009) mentionne que les DI ont été en quelque sorte
d’entreprises les précurseurs des rassemblements réseaux, car ils ont
inspiré différentes formes de regroupement. Il semble
Le lien entre entreprises et territoire n’est pas nouveau.
en effet y avoir un regain pour ce genre d’organisation
Depuis le début du xix e siècle, l’économiste Alfred
interentreprises. Ce type de production se développe tout
Marshall observait l’existence de réseaux de petites
en se diversifiant dans de nombreux secteurs. « La dyna-
entreprises spécialisées dans les « savoir-faire tradition-
mique de ce district industriel ayant précédé a donné
nels » en Europe (Le Boulaire et collab., 2010 : 5). Main- naissance à un système productif local SPL en 1999, puis
tenant, la concurrence étant à l’échelle planétaire, les au pôle de compétitivité en 2005 » (ibid. : 10).
entreprises ont dû redéfinir leurs liens avec le « marché »
local et international. Dans les années 2000, Defélix et Quant aux grappes industrielles (clusters), la deuxième
Picq (2013) remarquent une forte tendance des entre- forme d’entreprise réseau, elles résultent de l’agrégation
prises à coopérer entre elles. Les mêmes auteurs nous volontaire d’acteurs organisationnels autour d’une même
rappellent que, depuis aussi loin que la typologie de spécialisation (Mazzilli, 2009 : 11). C’est un réseau de
l’organisation marché et réseau de Williamson (1975), collaboration au niveau local de plusieurs organisations
qui demeurent en concurrence sur différents marchés
de nombreux chercheurs ont fait des analyses sur les
(Porter, 2008 : 6 cité par Le Boulaire et collab., 2010).
questions de chaînes de valeurs ou d’organisations vir-
La notion de grappe industrielle est plus vaste que celle
tuelles. Quatre formes de regroupements d’entreprises
des districts industriels, qui sont plus restrictifs, car il
en réseau résultent de cette analyse : 1) les districts indus-
s’agit d’un processus de production unique à chaque
triels, 2) les grappes industrielles (clusters), 3) les sys-
organisation (Le Boulaire et collab., 2010 : 7). Ce type de
tèmes productifs locaux et 3) les pôles de compétitivité.
regroupement permet le développement d’une identité
La première forme de réseau est constituée des districts forte sur un territoire donné. Les organisations compo-
industriels (DI). Il s’agit d’un regroupement en réseau, sant une grappe industrielle partagent et développent
toujours observable de nos jours, que nous retrouvions des connaissances très spécifiques qui deviennent
principalement dans l’économie italienne à la fin des vitales pour le territoire ou la région. « La présence d’un
années 1970 (Daumas, 2007 : 132). Pour survivre dans cluster au sein d’une région, d’un territoire, permettrait
un marché mondial, cette forme de réseau doit démon- de renforcer l’identité industrielle de celle-ci, c’est-à-dire
trer une bonne capacité d’adaptation et d’exécution face une compréhension partagée des éléments saillants du
 16   L a gestion des ressources humaines territoriale  : état des lieux et regards … 321

territoire. Une forte identification industrielle aurait ten- à l’intérieur d’un programme plus global qui vise à
dance à faciliter le développement du territoire en atti- répondre aux faiblesses de la France dans l’économie
rant les populations et les investisseurs » (Mazzilli, 2011b : de la connaissance.
34). Les grappes industrielles peuvent agir comme agent
La philosophie des pôles de compétitivité s’articule
socioéconomique, car elles teintent le territoire d’un cha-
davantage sur la notion de la spécificité que sur celle de
risme qui peut potentiellement devenir un levier d’attrac-
la productivité. C’est « la capacité des sites concernés à
tivité géographique (Suire et Vicente, 2008). « Le capital
valoriser des ressources particulières à un lieu, et donc
symbolique que dégagent grand nombre de clusters,
profondément ancrées dans le patrimoine cognitif de ce
les politiques de marketing territorial qui s’appuient sur
lieu. Ce sont donc des ressources culturelles et cognitives
ce capital et les labels [par exemple la Silicon Valley]
qui constituent l’essentiel de ce qui crée la différence d’un
constituent souvent des facteurs d’attractivité pour les
pôle de compétitivité par rapport à un site qui ne l’est
firmes qui veulent être identifiées comme appartenant
pas » (Itçaina et Pecqueur, 2012 : 51). Nonobstant cette
à un territoire innovant » (Suire et Vicente, 2008 : 123).
distinction majeure, « les SPL et les pôles de compétitivité
Également issus des travaux de Marshall, les systèmes ont pour trait commun une collaboration incitée par les
productifs locaux (SPL) sont des regroupements d’or- pouvoirs publics. C’est pourquoi l’existence de pratiques
ganisations fédérés appartenant à un territoire donné. de RH y est plus largement reconnue et surtout organisée
C’est en 2002 que l’État français, de pair avec la Déléga- à l’échelle du réseau » (Mazzilli, 2011b : 34). Bien que
tion interministérielle à l’aménagement du territoire et à la conception des modes de gouvernance ne soit pas
l’attractivité régionale (DATAR), a labélisé les « systèmes uniforme, car les pôles ne sont pas tous articulés de la
productifs locaux » (SPL). Un SPL « est une organisation même façon, la création officielle des pôles de compé-
productive particulière localisée sur un territoire cor- titivité en France a permis de cerner l’importance des
respondant généralement à un bassin d’emploi. Cette collaborations entre différents acteurs et l’importance
organisation fonctionne comme un réseau d’interdépen- du territoire dans la prise en compte des problématiques
dances constituées d’unités productives ayant des acti- liées à l’emploi (ibid. : 3).
vités similaires ou complémentaires. Ce sont des réseaux
Vu la composition de chacun des quatre réseaux étu-
fédérés, associés ou maillés, où le pouvoir est partagé
diés plus haut, les enjeux en matière de gestion des res-
entre les membres (Boulanger, 1995) et qui sont surtout
sources humaines diffèrent au sein de chacun de ceux-ci.
composés de PME » (Bories-Azeau, 2008 : 2). Selon Guil-
« Les districts industriels italiens et les grappes indus-
laume (2008 : 296), cette forme de réseau est perçue
trielles ont émergé de manière spontanée, par l’agréga-
comme le vecteur du maintien d’activités à vocation
tion croissante d’organisations sur un même territoire
productive. En d’autres termes, il s’agit d’un dispositif de
et autour d’un même secteur d’activité. Cela explique
régulation collectif, qui permet de mettre en relation des
en partie l’absence de travaux portant sur la mise en
entreprises, majoritairement des PME, pour faciliter les
œuvre de pratiques de GRH au niveau du cluster » (Maz-
échanges entre les différentes institutions (ibid. : 298).
zilli, 2011b : 39). Pour ce qui est des SPL, en revanche, on
Pour leur part, les pôles de compétitivité résultent de constate que plusieurs actions concrètes de GRH ont été
l’ambition du gouvernement français de promouvoir instaurées. Par exemple, « formations partagées, opéra-
le développement économique régional. Cette forme tions de recrutement portées en commun, partage des
d’organisation territoriale a été formellement labélisée compétences, création d’un club RH. Dans son rapport de
par l’État Français en 2005. Il s’agit d’un « regroupement 2004, la DATAR identifiait quatre axes de développement
sur un même territoire d’entreprises, d’établissements en la matière : encourager des plans prévisionnels de
d’enseignement supérieur et d’organismes de recherche recrutement, généraliser les formations collectives, gérer
publics ou privés qui ont vocation à travailler en synergie les ressources humaines de manière collective au sein du
pour mettre en œuvre des projets de développement réseau, encourager les structures communes telles que
économique pour l’innovation » (Le Boulaire et collab., les groupements d’employeurs » (Le Boulaire et collab.,
2010 : 7). Selon Suire et Vicente (2008 : 120), le lance- 2010 : 7). Ainsi, bien « que l’importance de la main-
ment de la politique des pôles de compétitivité s’inscrit d’œuvre au sein des clusters et des districts industriels
322 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

est reconnue, […] cela ne donne pas forcément lieu à faut dépasser la conception de la proximité dans sa seule
une gestion des ressources humaines [particularisée]. Au dimension géographique. Le territoire et son emplace-
sein des SPL et des pôles de compétitivité, cela semble en ment géographique à lui seul ne peuvent faciliter la coor-
contrepartie plus évident » (Mazzilli, 2011b : 42). dination entre les acteurs présents sur cet espace donné.
Cette proximité géographique doit s’accompagner d’une
À travers ce qui précède, nous constatons que l’activité
proximité sociale organisée : « Le territoire, du point de
économique est de plus en plus marquée non seulement
vue économique, émerge alors quand il y a conjonction
par la présence de différentes formes de collaboration
entre proximité géographique et proximité organisée »
inter-organisationnelle, mais également par le dévelop-
(Zimmerman, 2008 : 117). La proximité organisée peut
pement d’une main-d’œuvre qualifiée et des infrastruc-
se déployer par la proximité organisationnelle qui réfère
tures communes pour y parvenir, d’où l’importance
au fait que les acteurs se retrouvent et se reconnaissent
d’approfondir la compréhension du concept de gestion
entre eux, selon des positions similaires en entreprise
des ressources humaines territoriales (GRH-T).
ou encore selon des tâches semblables qu’ils effectuent
(Defélix et collab., 2013 : 125), et par la proximité institu-
tionnelle qui fait référence au partage de mêmes codes,
La GRH-T : l’importance des notions de mêmes règles, de mêmes valeurs à l’intérieur d’un
de proximité et de territoire groupe particulier de la société, partage qui se fait sans
interaction directe (Pecqueur et Zimmermann, 2004),
Le début des années 1990, grandement marqué par le et qui vise à atteindre des objectifs communs (Colletis
phénomène de la mondialisation et la précarisation des et Rychen, 2004). Les agents peuvent se coordonner
emplois, a influencé la façon d’interagir des réseaux d’en- en prenant « des décisions de manière indépendante
treprises (Campagne et Pecqueur, 2014 ; Le Boulaire et sur la base des anticipations que chacun d’entre eux
collab., 2010 : 6 ; Pecqueur, 2006). L’intérêt fut notam- est capable de formuler quant aux comportements des
ment dirigé vers le développement du capital humain autres agents » (Pecqueur et Zimmermann, 2004 : 26).
d’un territoire (Mazzilli et Pichault, 2015 : 32). Ainsi, nous C’est à partir des institutions, par l’envoi d’un signal que
assistons à la prise en main des communautés locales tout le monde peut déchiffrer et qui est accessible à tous,
et au renforcement des liens entre les acteurs dans un que les anticipations se construisent. Ainsi, la proximité
territoire donné (ibid.). Ce renforcement des liens amène institutionnelle ne peut s’édifier sans une certaine recon-
des situations de « co-activité de proximité » (Mazzilli, naissance « d’une liaison réciproque entre l’agent et le
2009 : 2) entre acteurs individuels et acteurs collectifs. collectif, médiatisée par la structure collective » (Colletis
La proximité représente à la fois une contrainte de coor- et Rychen, 2004 : 220). Elle exprime « l’adhésion d’agents
dination, puisqu’elle « impose » des limites aux actions à un espace de représentations, de règles d’action et de
des agents, que celles-ci soient spatiales ou culturelles, modèles de pensée » (Lauriol et collab., 2008, cité dans
et un potentiel de coordination. Lorsque ce potentiel est Mazzilli, 2011b : 52), définissant ainsi un « contenu et
activé, il mène à des échanges réguliers et répétés qui un contenant » qui délimitent un processus d’autoren-
donnent naissance à une construction d’acteurs – les forcement à travers la construction commune de res-
territoires sont à construire –, à une logique d’action col- sources partagées entre les acteurs et favorisant leur
lective et à l’émergence d’« un espace collectif générateur ancrage territorial (Zimmermann, 2008, p. 115). « La clé
d’avantages relatifs au profit de chacun de ses membres de la construction territoriale consiste à contribuer, à
individuels » (Pecqueur et Zimmermann, 2004 : 25-26). créer de la proximité organisationnelle et institutionnelle
Toutefois, la coordination entre les agents ne dépend dans un contexte de proximité géographique » (Defélix
pas du simple fait d’être voisin. Pour comprendre quelles et collab., 2013 :126).
sont les conditions d’émergence de la coordination, il
 16   L a gestion des ressources humaines territoriale  : état des lieux et regards … 323

Figure 1 Les formes canoniques de la proximité des actions et décisions prises en fonction de la seule
logique marchande, mais devient un espace vivant
qui permet d’institutionnaliser une nouvelle forme de
Proximité GRH. C’est-à-dire une gestion des ressources humaines
déployée au niveau interentreprises et en fonction, non
pas du seul objectif d’efficacité économique, mais du
double objectif de sécurisation des parcours profession-
nels individuels et d’adaptation des entreprises aux exi-
gences qui sont les leurs (ibid.).
Géographique Organisé
Cette conception du territoire mise de l’avant par Eve-
raere et Glée permet en quelque sorte l’inversion de
l’agenda de la responsabilité sociale de l’entreprise à la
communauté et rend possible la « sortie » des conceptions
paternalistes de la responsabilité sociale des entreprises
Organisationnelle Institutionnelle où c’est l’employeur qui décide du bien-être des parties
prenantes, pour adopter une conception où les gestion-
naires deviennent « conscients de leur rôle citoyen au
Source : J.B. Zimmermann, 2008, « Le territoire dans l’analyse écono- sein de la société » (Jorda, 2009 : 150). Qu’en est-il main-
mique. Proximité géographique et proximité organisée », Revue française tenant de la gouvernance territoriale ?
de gestion, 2008/4, n° 184, p. 114.

Le territoire apparaît alors comme un « espace de concer- Les acteurs et la dynamique


tation » où l’on observe plusieurs formes de coordinations
non marchandes entre acteurs de statuts divers (Maz-
de gouvernance territoriale
zilli, 2011b : 85). Il est aussi considéré comme un lieu de La façon dont les territoires se gouvernent est différente
régulation sociale, car « il s’agit de zones géographiques d’un espace à un autre. Les différents degrés de proxi-
délimitées par les acteurs comme zones d’action mises mité ou les différents types de coordinations varient d’un
en œuvre, ou encore de territoires de projet » (Beaujo- territoire à l’autre et dépendent de la configuration de
lin-Bellet, 2008 : 2). Le territoire « ouvre la voie à des chaque territoire.
modes de régulation des restructurations permettant
Mazzilli (2011b) remarque que, dans la plupart des cas
d’en traiter la multiplicité des effets sociaux et sociétaux,
observés, les dispositifs de GRH territoriale relèvent plutôt
et de construire des stratégies locales adaptées à la vola-
d’une gouvernance publique en collaboration avec des
tilité des entreprises et aux transformations permanentes
acteurs privés. Bien que la littérature soit encore limitée
des chaînes de valeur » (ibid.).
sur la façon dont ces dispositifs sont créés, elle observe
Il peut aussi être considéré comme « un lieu d’encas- que ceux-ci sont élaborés au sein d’organismes soutenus
trement de l’entreprise dans une réalité économique, par l’État ou les municipalités (Mazzilli, 2011b : 4). Ils sont
sociale, écologique, un lieu d’interdépendances entre beaucoup plus rarement instaurés par les acteurs écono-
réseaux d’acteurs multiples, un lieu de responsabilité miques privés (Beaujolin-Bellet, 2008).
sociale et sociétale partagée, un lieu d’anticipation où
La littérature existante sur des modalités de construction
s’exerce une démarche prospective [… qui] relève davan-
des dynamiques de gouvernance territoriale est plutôt
tage de l’institution d’un “vivre ensemble” » Everaere et
limitée, quelques auteurs seulement s’y sont particuliè-
Glée (2014 : 78).
rement intéressés. Lorsque le concept de gouvernance
Ainsi, est attaché à la dimension spatiale, le territoire en l’oc-
le territoire confère une réalité, une dynamique, un pou- currence, nous retrouvons « une forme de régulation ter-
voir… et lui permet ainsi d’accéder à un statut propre. Il ritoriale et d’interdépendance dynamique entre agents
ne se réduit plus à un cadre neutre, aseptisé, réceptacle notamment productifs et institutions locales » (Leloup et
324 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

collab., 2005 : 324). Le territoire contribue à réduire les collective et la gouvernance publique. À l’intérieur des
coûts de transaction entre les firmes et facilite la coordi- gouvernances privées, les acteurs privés sont domi-
nation des actions collectives (ibid.). Cette forme particu- nants, ils sont souvent les instigateurs des projets, ils
lière de gouvernance est comprise comme un processus pilotent les dispositifs de coordination et de création de
non seulement de coordination des acteurs, mais aussi ressources. Pour ce qui est de la gouvernance publique,
d’appropriation des ressources et de construction de la ce sont les institutions publiques qui coordonnent les
territorialité, d’où l’importance de considérer le territoire dispositifs de coordination locale. À partir de plusieurs
comme étant un construit social auquel les acteurs se années de recherches, les auteurs observent que les
sentent partie intégrante. Dans ce cadre, la négociation3 territoires mettent en place des structures de gouver-
est « rendue nécessaire pour faire évoluer le territoire nance mixtes, la plupart du temps (Mendez et Mercier,
vers les objectifs souhaités, [ce qui] amène à créer de 2008 : 257). Malgré les différentes formes de gouver-
nouveaux lieux de concertation, de nouvelles techniques nance, les auteurs donnent deux raisons particulières
d’action et de décision, de nouveaux processus. La gou- pour développer une telle proximité régulatrice entre
vernance territoriale qui en résulte repose sur la multi- les acteurs : « Il s’agit de défendre ou de repositionner le
plicité d’acteurs, la définition d’un espace identitaire et tissu local dans la compétition mondiale, de faire en sorte
l’élaboration d’actions, de productions communes » (ibid. : que le territoire procure des avantages concurrentiels
330). Bien sûr, cette forme particulière de gouvernance déterminants pour ses entreprises, pour qu’elles ne se
sous-tend une proximité multiple, au sens de celles qui délocalisent pas, et que d’autres viennent s’y installer »
sont exposées dans la section précédente, puisqu’elle (ibid. : 257). Itçaina et Pecqueur (2012 : 60) définissent des
combine proximité géographique et proximité organisa- formes de gouvernance territoriale similaire : la gouver-
tionnelle et institutionnelle des acteurs (ibid.). « La gouver- nance publique, corporative, concurrentielle, partena-
nance n’est donc pas une configuration de coordinations riale. Certes, différentes embûches sont fréquemment
strictement économiques ou strictement sociopolitiques : rencontrées lors de la mise en place de la concertation.
elle est une combinaison de ces dimensions, caractérisée Nous y retrouvons des « enjeux idéologiques et des luttes
par une densité variable des interactions entre les trois d’intérêt », en plus des difficultés liées à une gouvernance
catégories d’acteurs 4 ». Cependant, l’État, malgré son territoriale participative (Itçaina et Pecqueur, 2012 : 59).
degré de participation variable d’un territoire à un autre,
demeure un acteur important, car il est le régulateur au
niveau administratif, et responsable de la redistribution
au sein des territoires (ibid.).
Le cadre théorique : la théorie
de l’acteur-réseau
Les travaux de Mendez et Mercier (2006) décrivent dif-
férents types d’acteurs et des structures de gouvernance Les auteurs qui s’intéressent à la GRH-T expliquent ce
distinctes. Premièrement, il y a les acteurs économiques, phénomène en s’appuyant sur la théorie de l’acteur
comme les entreprises, les associations d’entreprises et réseau de Callon (1986), également appelée théorie de
les établissements de groupe. Deuxièmement, nous la traduction. Selon cette approche, les groupements
retrouvons les acteurs institutionnels, tels les collecti- d’acteurs sont naturellement basés sur des relations
vités territoriales, l’État et les chambres de commerce de coopération et sont propices au développement du
et, troisièmement, les acteurs sociaux qui sont les syn- capital social, « ils produisent des ressources à domi-
dicats et les différentes associations. Ensuite, les auteurs nante immatérielle, des échanges d’information, des
définissent trois structures de gouvernance territoriale transferts de connaissances et développent du capital
distinctes. La gouvernance privée, la gouvernance privée intellectuel, des apprentissages technologiques et rela-
tionnels » (Bories-Azeau et collab., 2008 : 2). Le recours
à ce cadre théorique permet de comprendre la manière
3. Dans une approche institutionnaliste, Leroux (2002 : 3) considère
d’ailleurs la négociation comme l’enjeu majeur de la construction
dont la coopération est introduite et comment les acteurs
territoriale. parviennent à construire une stabilité « définitive ». La
4. Les acteurs économiques, institutionnels et sociaux. « théorie de la traduction fournit un éclairage sur les
 16   L a gestion des ressources humaines territoriale  : état des lieux et regards … 325

conditions à partir desquelles les acteurs d’une situation Figure 2 Étapes du processus de traduction
peuvent se retrouver en convergence autour d’un chan-
gement ou d’un projet. Cela permet d’étudier la manière Problématisation
dont la coopération est produite et dont l’une des formes, • Résoudre un problème concret
lorsqu’elle aboutit, prend le visage d’un acteur-réseau • Cibler des alliés potentiels
stabilisé et “irréversibilité” » (Mazzilli, 2011b : 98). Ce pro- • Déterminer une logique
cessus de construction se nomme processus de traduc-
tion et comporte quatre éléments qui sont en constante Dispositifs d’intéressement
• Raconter une bonne histoire
interaction : la problématisation, les dispositifs d’intéres-
• Système de récompense matériel
sement, l’enrôlement et la mobilisation des alliés (Callon,
• Système de récompense symbolique
1986). Mazzilli décrit ces quatre éléments ainsi :
La problématisation renvoie à la formulation d’un pro- Enrôlement/Incorporation des approches
blème, dont la résolution est rendue indissociable du dans des « supports inscrits »
recours à un objet technique. Cette première descrip- • Principaux « supports inscrits »
tion restitue implicitement les rôles et les définitions des
Mobilisation du réseau
acteurs de la situation. Les dispositifs d’intéressement
• Accord
doivent permettre de mettre en avant les gains poten-
• Négociaton
tiels que les acteurs retireraient de leur participation
au projet. L’enrôlement permet d’articuler les rôles pro-
Stabilisation du réseau
posés par l’initiateur du projet et les rôles que les acteurs
• Porte-parole
acceptent de jouer. Il s’agit ensuite de mobiliser les alliés
• Construction d’une identité et stabilisation
en rendant effective la coordination grâce à l’élargisse-
ment du réseau constitué (Mazzilli, 2011a : 6).
Source : I. Mazzilli, 2010, « GRH, territoire et traduction, ou la difficile
En passant à travers les quatre composantes d’un pro- naissance d’une gestion territoriale des RH. » Congrès AGRH, Rennes–
cessus de traduction, décrites à la figure 2, les auteurs Saint-Malo.
Mazzilli et Pichault (2015) soutiennent qu’il se peut qu’il
y ait aboutissement d’un projet. Cependant, il risque
d’être remis en cause à tout moment par l’intervention
d’actants humains ou non humains venant proposer une
Modélisation des sphères d’action
« traduction concurrente, incitant les actants à s’enrôler
dans un autre réseau d’acteurs » (ibid. : 34), d’où la mul- de la GRH-T
tiplicité des acteurs réseaux, des pratiques et des outils Comme nous l’avons vu précédemment, lorsqu’on
de GRH-T. aborde la notion de GRH-T, il y a plusieurs acteurs diffé-
En définitive, c’est à travers les quatre opérations de rents, plusieurs types de réseaux, de gouvernance, donc
problématisation, d’intéressement, d’enrôlement et plusieurs pratiques distinctes. Mazzilli (2010) reconnaît
de mobilisation qu’un réseau se construit. Il s’agit trois sphères d’action identifiables pour développer des
d’un assemblement dynamique de différents actants dispositifs concrets de GRH-T. Il s’agit de la gestion des
autour d’un projet commun. La théorie de l’acteur-ré- situations de travail multi-employeur, de l’élargissement
seau permet de retracer la logique de constitution d’un des parcours professionnels et de la construction d’une
réseau organisé ; elle est donc appropriée dans le pro- compétence territoriale. Dans une perspective de res-
cessus de construction de pratiques de GRH-T (Mazzilli, ponsabilité sociale, il faut élargir l’horizon des organisa-
2010). Regardons maintenant une modélisation type tions qui considèrent que, dès qu’un contrat de travail
des sphères d’action. est terminé, la carrière de l’individu ne concerne plus
l’entreprise. C’est toutefois dans une optique de partage
des connaissances ainsi que de responsabilité sociale
que ce genre de pratiques semble développé. Dès lors,
326 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

un des défis de la GRH-T est la mise en place d’une ges- sont inspirés des logiques d’actions déterminantes qui
tion des parcours professionnels à un niveau territorial. incitent la plupart du temps les entreprises à s’engager
dans la territorialisation de leur GRH.
Pour leur part, Defélix et ses collaborateurs (2013) pro-
posent quatre modèles types (figure 3). Ces modèles

Figure 3 Quatre idéaux-types de territorialisation de la GRH

Responsabilité sociale Gestion tirée par la Ouverture du marché interne


d’entreprise et politique coordination locale de l’emploi au territoire
d’emploi concerté

Thales

STMicroelectronics
Sanofi
Danone
Aventis
DIAGNOSTIC DE PÔLE DE MOBILITÉ
BASSIN D’EMPLOI RÉGIONAL
Minalogic
Version 2
1 2

Horizon temporel de court Horizon temporel de moyen et long


3 4
terme (Gestion de l’emploi) terme (gestion des compétences,
sécurisation des parcours)

Minalogic
Version 1 PREEC Midi-
DCNS
Pyrénées
GROUPEMENT STX
D’EMPLOYEURS
GTEC Vallée
de l’Arve
GESTION TERRITORIALE
PRÊT DE MAIN D’ŒUVRE DE L’EMPLOI ET DES
COMPÉTENCES

Gestion de l’emploi
Préservation des
et des compétences dans
compétences-clés Gestion tirée
l’entreprise étendue
par la co-activité

Source  : C . D e f é l i x e t c o l l a b . , 2 013 , «  
Élargir la gestion des ressources humaines aux dimen-
sions du territoire  : quelles réalités derrière les discours  ? 
» , Management et avenir, 2 013 /1, n ° 5 9 ,
p . 1 2 0 - 1 3 8 .
DOI 10.3917/mav.059.0120

Le premier modèle est intitulé « responsabilité sociale pour elle d’élaborer une approche proactive permettant
d’entreprise et politique d’emploi concertée ». Il concerne de trouver sur le territoire des pistes de fluidité d’em-
les entreprises qui n’agissent pas nécessairement en col- ploi et des compétences qu’elle ne trouve plus en son
laboration avec les autres, mais qui tentent de trouver sein » (ibid. : 133). Il s’agit souvent de pratique de moyen
des moyens d’élargir ses pratiques au territoire. « Il s’agit et court terme. Le deuxième modèle, l’« ouverture du
 16   L a gestion des ressources humaines territoriale  : état des lieux et regards … 327

marché interne de l’emploi au territoire », est celui des l’échelle du territoire. Les domaines d’action signalés sont
entreprises « dont l’intrication organisationnelle dans l’acquisition, l’évaluation et la rémunération, la régulation
un réseau territorial est découplée d’une co-localisation sociale et le développement des RH. Au niveau de l’ac-
avec ses partenaires ; la compétition étant très ouverte, quisition, plusieurs entreprises ont de la difficulté à attirer
les jeux de coopération sont mondiaux et dépassent des travailleurs dans les domaines particuliers ; l’informa-
le territoire géographique » (ibid.). Pour les entreprises tique en est un exemple. Bernon et ses collaborateurs
qui se préoccupent de la mobilisation des travailleurs, (2006) relèvent « qu’un quart des entreprises évoquent
on remarque le développement de pratiques de gestion de sérieux problèmes de recrutement, liés selon elles à
des RH et des compétences au niveau de la sécurisa- l’attractivité du territoire ou au déficit de main-d’œuvre
tion des trajectoires professionnelles (Defélix et collab., sur certains métiers » (Bernon et collab., 2006 : 9). Devant
2013). Le troisième modèle est celui de la « préservation cette problématique commune, certains employeurs
des compétences-clés ». Il fait référence à une « confi- tendent à développer des méthodes de recrutement
guration organisationnelle en réseau qui donne à ses concertées. Concernant l’évaluation et la rémunération,
différents acteurs des opportunités de collaboration pour la collaboration interentreprises amène les employeurs
gérer l’emploi et les compétences dans une perspective du territoire à se concerter pour développer des pra-
élargie » (ibid. : 133). On remarque que les pratiques se tiques de rémunération similaires (Le Boulaire et collab.,
développent lorsqu’il y a des lieux de coopération tels
2010). Au niveau de la régulation sociale, la situation
des pôles de compétitivité. Le quatrième modèle de « ges-
de co-activité des organisations entraîne naturellement
tion de l’emploi et des compétences dans l’entreprise
le développement d’un « dialogue social étendu et des
étendue » réfère aux réseaux organisationnels forts et de
notions d’hygiène et de sécurité pour la co-activité » (Le
longue durée dans lesquels se développe des pratiques
Boulaire et collab., 2010 : 10). En ce qui concerne le déve-
directement en lien avec la compétitivité du territoire :
loppement des ressources humaines, ces derniers sont
« Sa compétitivité dépend clairement de la qualité de l’in-
d’avis que la formation des travailleurs n’appartient plus
trication des compétences détenues et mises en œuvre
seulement aux entreprises, mais bien au territoire afin
avec son réseau de sous-traitants ou partenaires de 1er
de développer des programmes académiques orientés
rang » (ibid.).
sur les besoins du territoire (Le Boulaire et collab., 2010).

Bories-Azeau et ses collaborateurs (2008) considèrent


que les pratiques de GRH-T constituent la base pour le
L’apport de la GRH-T développement d’une offre territoriale attractive. La vita-
La gouvernance et la modélisation vues précédemment lité du territoire concerne tous les acteurs territoriaux,
montrent que le territoire peut devenir un élément cen- « la formation et les nombreux apprentissages issus du
tral dans le développement de la stratégie organisation- capital social améliorent à la fois la professionnalisation
nelle, et même un acteur de premier plan. Le Boulaire des salariés et la productivité des entreprises du réseau.
et ses collaborateurs (2010) soutiennent que le territoire L’accroissement des qualifications induit celui des salaires
est pris en considération dans le choix de vie des tra- et, indirectement, une plus forte attractivité du territoire »
vailleurs, ce qui amène les entreprises à développer des (ibid. : 10). Le Boulaire et ses collaborateurs (2010 : 29)
moyens pour permettre, en conséquence, des formes évoquent également les bénéfices du développement
de mobilité professionnelle. Les différentes parties pre- du territoire pour tous les acteurs : « faciliter la mobilité
nantes ont donc toutes des intérêts à opter pour une des salariés quels que soient leur âge et leur domaine
mutualisation des ressources humaines sur un territoire. de professionnalisation. Il s’agit aussi de solliciter ou de
Le Boulaire et ses collaborateurs (2010 : 11), grâce à favoriser l’arrivée de nouveaux acteurs économiques
des études empiriques, décrivent les principales problé- (entreprises, centres de recherche, sociétés de conseil,
matiques rencontrées par la GRH traditionnelle « intra- de formation), en créant ainsi une masse critique per-
muros » pour expliquer les raisons pour lesquelles les mettant de nouveaux investissements et une dynamique
entreprises tendent à étendre leurs pratiques de GRH à vertueuse de développement ».
328 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Les résultats des recherches de Bernon et ses colla- une manière socialement responsable de contribuer » (Le
borateurs (2006 : 9) démontrent que « les entreprises Boulaire et collab., 2010 : 29). Dans le même sens, même
recherchent de la flexibilité et une main-d’œuvre dispo- les organisations syndicales adoptent une position favo-
nible rapidement à moindre coût. En parallèle, beaucoup rable au développement de la GRH-T, leur argumentaire
de dirigeants expriment des difficultés de recrutement est orienté ainsi : « Il s’agit non seulement de défendre
et invoquent un manque de compétences de la part des l’emploi local pour des raisons sociales, mais également
salariés. La mutualisation pourrait servir de levier pour dans une logique économique bien comprise de saisir
contourner ces difficultés ». De façon complémentaire, toutes les potentialités de développement qui se situent
ces derniers relèvent que le développement de pratiques dans le giron territorial et qui ne se limitent pas aux
de GRH-T semble parfois vital pour la survie des très subventions » (ibid. : 9).
petites entreprises (TPE) et pour les petites moyennes En outre, les entreprises qui s’engagent dans un tel mou-
entreprises (PME). Effectivement, les TPE et les PME sont vement pourront en dégager plusieurs avantages. Le
souvent dépourvues de toutes pratiques ou politiques de Boulaire et ses collaborateurs (2010) constatent que le
RH officielles : « Il s’avère que, dans les TPE ou les PME, plus gros avantage est la connaissance du territoire, de
les chefs d’entreprises éprouvent parfois des difficultés sa culture et des relations avec différents acteurs et ins-
à installer de véritables pratiques RH : ils privilégient leur titutions. Avec ses connaissances, l’intérêt est ensuite la
métier initial ou ne disposent pas forcément des com- capacité d’influencer les « choix d’infrastructure, d’ini-
pétences nécessaires » (ibid. : 3). Même si les dirigeants tier des partenariats de proximité, de mener à bien des
des PME ne perçoivent pas toujours l’apport des RH dans recherches ou des actions communes, de comprendre
le développement de leur entreprise, c’est au sein de comment fonctionne le territoire, d’éviter de lancer des
celles-ci que « la mutualisation peut être une action déter- initiatives non culturellement recevables, etc. » (ibid. : 29).
minante pour favoriser l’émergence de coopérations
territoriales originales » (ibid.). Ainsi, la concertation au Au niveau de la mobilité professionnelle, ou de la sécu-
niveau territorial pourrait leur permettre d’échanger sur risation des trajectoires professionnelles, plus précisé-
ment, les salariés expriment les difficultés d’évolution
les différentes façons de développer des pratiques et des
professionnelle au sein d’une TPE et d’une PME. C’est une
outils de RH adaptés à leurs réalités. Pour les dirigeants,
réalité qui est également dénoncée par les dirigeants.
la mutualisation peut permettre le développement de
Malheureusement, l’octroi d’une plus grande autonomie
l’entreprise grâce à des solutions faciles à mettre en
au travail n’est pas suffisant pour compenser la faible
place, sur des questions courantes et enrichir ainsi ses
perspective de développement de carrière à l’interne.
pratiques par des échanges avec les autres. Alors que,
Face à ce problème, la mutualisation des pratiques de
pour les travailleurs, la GRH-T les concerne directement,
GRH-T parmi plusieurs entreprises permet une mobilité à
« car ils ne peuvent bénéficier dans les TPE d’avantages
l’échelle du territoire (Bernon et collab., 2006 : 10). D’ail-
que seule une grande entreprise aurait pu leur offrir.
leurs, Thierry et Tuiller (2003) cités dans Bories-Azeau
Pour eux, la mutualisation représente donc un espoir »
(2008) partagent également cette idée. Les pratiques de
(ibid. : 4). En ce sens, le développement de pratiques de
GRH-T permettent d’offrir « un contrat d’employabilité
RH serait bénéfique pour les employeurs, mais aussi pour
territorial en liant le salarié non à une entreprise, mais
les salariés.
à un territoire » (ibid. : 10). De cette façon, les disconti-
De surcroît, certaines entreprises s’engagent dans des nuités professionnelles sont assumées par le territoire,
pratiques de GRH-T par souci de responsabilité sociale. ce qui permet au salarié une flexibilité dans le dérou-
En effet, plusieurs entreprises doivent concilier les lement de sa vie active. En d’autres mots, lorsqu’elles
exigences du marché mondial et le respect des nou- sont bien construites et appliquées, les pratiques de
velles règles locales de gestion de la main-d’œuvre GRH-T permettant la mobilité des salariés à l’échelle du
que la réforme sociale a amenées (en France surtout). territoire peuvent être bénéfiques autant pour les tra-
« Beaucoup de DRH ressentent une tension entre ces vailleurs que pour les dirigeants : « Une approche terri-
deux facettes de leur métier ; mobiliser les atouts spé- toriale du marché de l’emploi conduit en outre à mettre
cifiques des compétences humaines d’un territoire est en œuvre des démarches opérationnelles de mobilité
 16   L a gestion des ressources humaines territoriale  : état des lieux et regards … 329

des personnes qui visent elles-mêmes une flexibilité organisations syndicales, les conseils privés, permet le
accrue des salariés, permettant d’épouser les besoins développement d’une meilleure connaissance de l’aspect
cycliques de l’entreprise. L’intérêt est de donner à des économique et social du territoire.
salariés la possibilité de poursuivre leur carrière dans
d’autres entreprises du même territoire » (Le Boulaire et
collab., 2010 : 29). Pour Culié, Defélix et Retour (2009),
la gestion territoriale des parcours professionnels relève
Les conditions d’émergence
plus de « la réalité émergente que de l’utopie mobilisa- et de réalisation
trice ». Il s’agit d’un processus lent dont le succès repose La littérature existante dresse un portrait assez large sur
sur la combinaison de plusieurs facteurs : des dispositifs la diversité des structures porteuses de ces dispositifs
interorganisationnels, le comportement des salariés, une de GRH-T. Cependant, très peu d’études portent sur la
implication proactive des politiques d’entreprises sur un consolidation et l’institutionnalisation de ces pratiques
même territoire. et actions. Parallèlement, la gestion des entreprises
La GRH-T s’inscrit également dans le modèle de flexi- démontre qu’il n’y a pas de façon de faire ordonnée et
curité, qui est un dispositif mis en place dans les pays unique pour bâtir des actions de GRH-T : « Cette variété
nordiques afin de remédier aux risques de dérégulation des actions et des textes rend délicate la construction
de l’emploi dans un contexte de pressions économiques d’un discours unique et cohérent et donc une institution-
et d’exigences de flexibilité (Beaucourt, 2008 : 3). C’est nalisation des pratiques RH mutualisées difficile » (Arnaud
en fait un mode de « donnant-donnant entre, d’une part, et collab., 2013 : 29). Cette section sera divisée en deux
davantage de souplesse lors de l’embauche et du licen- parties. La première est dédiée à la définition des élé-
ciement pour l’employeur et, d’autre part, l’assurance ments qui facilitent l’implantation de telles pratiques et
pour le salarié de conserver tout ou partie de ses droits, la deuxième fait référence aux difficultés rencontrées
indépendamment des ruptures de contrat, au cours de ainsi qu’aux risques que craignent les entreprises face
sa vie professionnelle » (ibid. : 5). Ainsi, les groupements à ce phénomène.
d’employeurs, en favorisant les contrats de travail chez
différents acteurs du regroupement, visent vraisembla-
blement à développer des dispositifs pour contrer les Les éléments facilitateurs
effets de la précarité des emplois. Alphonse-Tilloy et ses collaborateurs (2012) mentionnent
Pour terminer, on remarque que plusieurs raisons la confiance comme étant l’élément facilitateur de cette
expliquent la mutualisation des pratiques de ressources proximité sociale : « La confiance est la croyance qu’un
humaines. Vraisemblablement, les raisons évoquées autre individu, une organisation ou une institution agira
épousent les trois logiques d’action émergentes énon- de façon conforme à ce qui est attendu de lui. […] C’est
cées plus haut : la contribution à la vitalité du territoire […] l’activation d’un réseau social local qui permet la
dans une optique de responsabilité sociale, l’élargisse- réalisation des coopérations » (Alphonse-Tilloy et collab.,
ment du marché interne de l’emploi par une ouverture 2012 : 10). Afin de créer des pratiques utiles au terri-
sur le marché externe et s’appuyer sur le territoire pour toire, la confiance se révèle un élément fondamental
dégager de nouveaux leviers de performance (Defélix à cet ancrage territorial. Pourquoi ? Les « observations
et collab., 2013 : 127). Cependant, les pratiques de GRH-T menées par la sociologie du monde du travail montrent
prennent tout leur sens lorsqu’elles répondent à une que l’efficacité de la firme suppose une capacité à coo-
problématique réelle et vécue par plusieurs organisations pérer et que la coopération est toujours un échange
d’un même territoire. Parmi celles qui sont évoquées, social » (Adler, 2009 : 139). La continuité et le maintien
les auteurs relèvent les problématiques d’attractivité du du lien social s’appuient sur une relation de confiance
personnel, de rémunération, de régulation sociale, de et les échanges sociaux impliquent la coopération et la
développement et de mobilité du capital social. De plus, capacité de coopérer (Adler, 2002). L’activité économique
la simple concertation des différents acteurs sociaux, doit être vue comme une relation entre les hommes dans
soit les administrations publiques, les élus politiques, les une situation d’interdépendance et l’organisation sociale
330 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

est ainsi un lieu d’intérêts mutuellement dépendants Les difficultés d’implantation


donnant lieu à des actions concertées (Commons, 1959).
Au niveau des difficultés rencontrées, Everaere et Glée
De plus, selon Arnaud et ses collaborateurs (2013 : 17, (2014) retiennent trois éléments énoncés par des acteurs.
31), la réussite de l’implantation de pratiques de GRH-T, Premièrement, plusieurs DRH notent l’importance d’avoir
ou bien le passage de projet à action, est étroitement un programme de gestion prévisionnelle de l’emploi
liée à une approche discursive des organisations qui met et des compétences (GPEC) interne solide avant d’ex-
de l’avant la dimension communicationnelle des orga- trapoler au territoire. Selon ces acteurs, une gestion pré-
nisations, notamment la cohérence du discours et des visionnelle de l’emploi et des compétences territoriale
actions conséquentes permettant l’institutionnalisation (GPECT) « peut compléter une démarche de GPEC interne,
de la GRH-T. Cela n’est guère surprenant dans une pers- mais elle ne peut pas s’y substituer ou remplir un “vide”,
pective d’action organisée. Les acteurs en situation d’in- dans le cas où les bases mêmes d’une GPEC interne
teraction arrivent à des accords au moyen d’un processus font défaut » (Everaere et Glée, 2014 : 81). Deuxième-
social et communicationnel d’adaptation à autrui. La ment, plusieurs intervenants avouent avoir une certaine
communication, dans ce contexte, est un élément central réserve relative à la GPECT, « la crainte de partager des
par lequel se fonde l’action collective organisée. C’est du informations confidentielles ou des compétences avec
côté de la psychologie sociale et du pragmatiste de Mead des entreprises qui seraient directement concurrentes
et de Dewey que nous puisons pour démontrer l’impor- sur les mêmes marchés » (ibid.). Pour terminer, une der-
tance de la communication dans l’articulation de l’action nière réserve est formulée concernant « les démarches de
collective afin de préserver et de maintenir les niveaux mutualisation des compétences et celle qui est liée à des
d’échanges nécessaires à la coordination des actions différences possibles au sein des entreprises en matière
entre l’État, les entreprises en réseau et les individus. Le de conventions collectives et d’acquis sociaux » (ibid.).
langage rend possible la naissance de représentations
Pour Le Boulaire et ses collaborateurs (2010), bien qu’il
collectives qui conduit à des définitions communes de la
soit indéniable que les pratiques de gestion des res-
réalité grâce auxquelles se construisent le consensus et
sources humaines s’ouvrent au territoire, le phénomène
l’action concertée. C’est le sens habermassien du concept
de GRH-T n’est toutefois pas si dominant et répandu.
d’intercompréhension (1987) qui découle d’une définition
Trop d’éléments demeurent manquants ou sont non
commune et partagée de la situation « qui est essentielle
coordonnés :
dans le cadre de tout processus d’échange, de délibéra-
tion et de décision » (Renault, 2007 : 143). La communi- Une réelle GRH territoriale ne peut simplement consister
cation « orientée vers l’intercompréhension permet de à mettre en place des actions concertées en la matière :
créer une “connaissance commune” » (ibid. : 151) aux dif- elle supposerait l’existence d’une stratégie réellement
férents membres des organismes, ce qui favorise la coor- co-élaborée et partagée entre plusieurs organisations,
l’harmonisation de règles conventionnelles d’un secteur
dination des actions et la coopération pour assurer une
d’activité à l’autre sur le même espace géographique, et
efficacité productive. En outre, les réseaux sont sujets,
surtout l’affranchissement des contraintes d’action et de
par la communication, à des processus d’ajustements résultat des DRH pour le seul compte de leur employeur
mutuels et continus des perspectives (ibid. : 144). Ainsi, (Le Boulaire et collab., 2010 : 28).
elle permet l’adaptation réciproque entre des êtres qui
Notamment, les pratiques mises en place au niveau de la
réalisent ainsi un acte social commun (Mead, 1963 : 39).
formation professionnelle ne répondent pas nécessaire-
Le maillage des activités et la coordination des actions
ment à une logique territoriale. « Créer des partenariats
sont tributaires d’un lien communicationnel soutenu. La
avec les universités, cela peut satisfaire les besoins des
communication déterminera aussi le partenariat entre
acteurs concernés mais ne répond pas nécessairement
les organismes et l’ajustement aux activités de l’autre,
à une logique territoriale. Les différentes actions entre-
dans un idéal de complémentarité des services, le tout
prises peuvent se contredire, être redondantes et donc
pour la réalisation d’un acte social commun d’aide à
contre-productives. Le projet de GRH territoriale, pour
l’institutionnalisation de la GRH-T.
qu’il existe, doit être cohérent et exige d’être piloté »
 16   L a gestion des ressources humaines territoriale  : état des lieux et regards … 331

(Le Boulaire et collab., 2010 : 28). Cette perspective est à l’échec du développement du phénomène. « Selon les
partagée par Arnaud et ses collaborateurs (2013) et cas, soit ces dispositifs ne donnent pas lieu à une évalua-
Alphonse-Tilloy et ses collaborateurs (2012) qui précisent tion formelle, soit l’évaluation qui est produite est jugée
l’importance d’un certain leadership dans les réseaux qui incomplète ou décevante, soit encore l’interprétation
doit prendre en considération l’ensemble des enjeux du de l’évaluation produite fait débat ». Effectivement, le
territoire. En d’autres termes, certaines difficultés résident manque de résultats probants dû à la quasi-absence de
au niveau de la gouvernance et du dialogue social (Le moyens d’évaluation peut indéniablement démotiver
Boulaire et collab., 2010). les entreprises à investir temps et argent : « Certains
Aussi, Alphonse-Tilloy et ses collaborateurs (2012) mettent l’accent sur une surconsommation d’énergie et
relèvent l’existence d’une distance institutionnelle entre de moyens, tandis que d’autres insistent sur les dyna-
les dirigeants des PME et les pôles d’emploi. Surtout en miques initiées dans des contextes, les territoires, où
matière de formation professionnelle, la façon dont les elles sont souvent délicates à construire » (ibid.).
institutions publiques centralisent les décisions a pour
effet d’allonger considérablement les délais de livraison
et peut créer des « conflits de temporalité » (ibid. : 7). Cette Les cas d’application au Québec
distance entre les conseillers du pôle et les dirigeants
des entreprises est « susceptible d’empêcher les coopé- Au Québec, on remarque que certaines entreprises de
rations entre acteurs relevant de mondes différents » divers secteurs d’activité, autant privées que publiques,
(ibid.). Defélix et collab.(2013) dénonce également la se regroupent en réseaux et élaborent des instruments
difficulté d’établir un langage commun ; « cela est notam- de gestion des ressources humaines pouvant être utilisés
ment lié au rapprochement de partenaires aux enjeux à l’extérieur des limites d’une seule organisation, ce qui
différents (entreprises de tailles variées, organisations nous laisse croire que le phénomène étudié en France et
professionnelles) avec une mise en synergie des entre- en Europe pourrait être transférable dans les différentes
prises compliquée (entreprises souvent concurrentes et économies locales du Québec. Cette section est un survol
qui formalisent peu leur savoir-faire) » (Defélix et collab., des pratiques observées. Pour commencer, les pratiques
2013 : 136). La construction d’un langage commun s’apparentant à la GRH-T dans la région de Québec et
nécessite souvent beaucoup de temps et d’efforts, ce de Montréal se font majoritairement par secteurs d’ac-
qui représente souvent un investissement d’énergie que tivité, et combinent les différents types de proximité au
les entreprises ne sont pas prêtes à fournir (Defélix et sens de Pecqueur élaborés dans une section précédente :
collab., 2013). proximité spatiale, proximité organisée et proximité ins-
titutionnelle. Cette section présente donc quatre regrou-
Pour sa part, Beaujolin-Bellet traite de la complexité que
pements réseaux du Québec qui s’inscrivent dans une
le développement de telles pratiques représente pour les
dynamique de mutualisation. Tout d’abord, l’industrie
organisations. Il s’agit, pour certains, d’un remaniement
des jeux vidéo à Québec, l’industrie de l’assurance à
complet des façons de faire ; « c’est le déplacement des
Québec, l’industrie de la mode à Montréal et, pour ter-
modes d’action et de représentations traditionnels de
miner, l’industrie biopharmaceutique à Montréal.
certains acteurs » (Beaujolin-Bellet, 2008 : 10). Il semble
donc que « les processus multi-acteurs initiés dans ces
territoires contribuent à la construction de modalités
L’industrie des jeux vidéo au Québec
de traitement holistique et hors frontière des restructu-
rations, qui peuvent être considérées comme de réelles Le Québec est reconnu comme étant le château fort du
bifurcations par rapport aux modalités habituelles de jeu vidéo au Canada. Le Québec, et majoritairement
traitement des restructurations » (ibid.). Il ne faut donc pas la région de la Capitale-Nationale, emploie près de la
sous-estimer le temps et les énergies nécessaires que les moitié des travailleurs de l’industrie. Selon un diagnostic
acteurs doivent investir dans de telles démarches. À cela sectoriel réalisé en 2015 par la firme Techno compé-
s’ajoute le manque de moyens d’évaluation des pratiques tences, le secteur des technologies de l’information et
locales de GRH-T. Ensemble, ces éléments peuvent mener de la communication (TIC) au Québec est en plein essor.
332 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

La croissance de ses revenus, de sa main-d’œuvre ainsi Avec la création au Québec de la plus grosse coopérative
que de son PIB le propulse à la tête de l’économie qué- des jeux vidéo au monde, on remarque d’ailleurs un
bécoise5. besoin ardent dans ce secteur d’activité de mutualiser les
services et les pratiques. La Guilde est une coopérative à
Toutefois, il ne s’agit pas d’un simple hasard, l’appareil
but non lucratif œuvrant pour le succès et la pérennité
gouvernemental a grandement aidé à l’essor de ce sec-
des studios québécois sur le marché mondial. « La Guilde
teur d’activité en fournissant un appui financier sous
regroupe près de 80 studios qui œuvrent au Québec.
forme de crédits d’impôt, mais aussi pour la formation.
Ceux-ci pourront, grâce à leur association, mutualiser
C’est au cours des années 1990 que les premières incita-
des services, réaliser des achats en commun et effectuer
tions fiscales ont été instaurées. Depuis, plusieurs entre-
du partage de connaissances6. » Tout cela favorise d’em-
prises peuvent bénéficier d’une aide financière pour
blée l’ancrage territorial des entreprises des jeux vidéo
l’embauche, mais aussi pour la recherche et le déve-
et s’inscrit directement dans la logique de GRH-T quant
loppement expérimental. Concernant la formation, le
à la préservation des compétences clés sur le territoire.
territoire québécois fournit beaucoup de professionnels
compétents grâce à la collaboration étroite du gouverne-
ment, des établissements d’enseignement et des centres
L’industrie de l’assurance à Québec
de recherche. Ces professionnels demeurent souvent
sur le territoire étant donné la proximité physique des L’importance de l’industrie des assurances est indé-
différentes organisations, assurant ainsi l’attractivité et niable à Québec. Elle représente en 2015 plus de
la mobilité des travailleurs sur le territoire. 60 000 emplois et une contribution au produit intérieur
brut (PIB) régional s’élevant à 6,2 milliards de dollars7.
D’ailleurs, Michel Racine (2013) indique que « ce nou-
Bien que cette industrie soit constituée majoritaire-
veau potentiel technologique donne lieu […] à diverses
ment d’organisations privées, on remarque que celles-ci
actions : fondation d’entreprises (producteurs de sites
collaborent à l’établissement de certaines mesures de
Web, de jeux vidéo…), puis création de regroupements
ressources humaines. Ayant pour effet de stabiliser le
et d’initiatives gouvernementales (Cité multimédia à
marché concurrentiel, on observe un système d’échange
Montréal, Direction du multimédia au ministère de la
d’information, notamment au sujet de la rémunération
Culture du Québec, European Multimedia Forum, initié
des travailleurs de ce secteur d’activité. Effectivement,
en collaboration avec le Parlement européen…). Dans
les dirigeants en ressources humaines partagent des
une région du Québec est fondée à cette même époque
informations sur les pratiques de rémunération par l’in-
une association se voulant représentative de ce nou-
termédiaire de l’Association des directeurs des ressources
veau secteur, l’Asso » (ibid. : 339). Aussi, Racine et Hanin
humaines en assurances (ADRHA). L’ADRHA permet aux
(2015) évoquent, pour la région de Québec, la création
diverses entreprises du secteur de l’assurance d’échanger
d’un « écosystème » régional de compétences dans l’in-
et de comparer leurs pratiques de rémunération. Ces
dustrie des technologies de l’information qui est basé
échanges peuvent cibler un poste en particulier, une
sur des relations d’affaires et d’emploi qui vont au-delà
catégorie d’emploi en pénurie ou bien des pratiques de
du niveau organisationnel et qui montrent des liens
rémunération variable. Cet échange d’information peut
étroits entre les entreprises privées et les organisations
avoir pour effet de positionner les stratégies salariales
publiques. La viabilité à long terme de cet écosystème
des organisations et ainsi stabiliser la concurrence du
est garantie par le « recrutement et l’intégration de tra-
marché de l’assurance. Bien sûr, il s’agit d’une simple
vailleurs immigrés, dont le succès repose sur la dyna-
mique de la répartition des compétences et le contenu
des appels d’offres entre les entreprises informatiques 6. http://journalmetro.com/plus/techno/943416/une-cooperative-
et le gouvernement » (ibid., 386). pour-les-jeux-video-independants/ (page consultée le 17 mai
2017.
7. http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/actualite-economique/
201512/09/01-4929563-lindustrie-de-lassurance-pese-lourd-
5. h t t p : // w w w . t e c h n o c o m p e t e n c e s . q c . c a / f o r m u l a i r e -­ dans-leconomie-de-quebec-et-de-levis.php (page consultée le
telechargement-ds15 (page consultée le 17 mai 2017). 17 mai 2017).
 16   L a gestion des ressources humaines territoriale  : état des lieux et regards … 333

pratique qui n’est pas institutionnalisée, mais qui s’inscrit Ce marché est d’ailleurs reconnu comme étant un pôle
dans l’optique d’ouverture au marché interne de l’emploi de compétitivité biotechnique (cluster biotech) (ibid.). La
au territoire ou du moins de la connaissance du marché construction de ce réseau est due à « la présence de deux
externe et de la culture du secteur. réseaux universitaires distincts et de services de santé
adaptés […] [s]ous l’impulsion de stratégies gouverne-
mentales successives ciblées visant, entre autres, à pro-
L’industrie de la mode de Montréal mouvoir le développement des sciences de la vie et des
biotechnologies localement » (ibid. : 77). L’auteur a mené
Depuis quelques années, l’industrie de la mode à Mon-
une étude sur le terrain au sujet de la construction de
tréal connaît des temps difficiles. Ce marché est mainte-
l’ancrage territorial de cette industrie. Il s’appuie d’ailleurs
nant dominé par de grands détaillants internationaux.
sur le concept de Marshall (élaboré plus haut) pour expli-
Afin de survivre au marché mondial, les designers, les
quer les dynamiques régionales entre les entreprises de
manufacturiers et tous les acteurs de ce secteur doivent
cette industrie. Les acteurs identifiés par Saives sont les
se regrouper. En 2015, certains chefs d’entreprise ont
« actionnaires, les partenaires d’alliances, les associations
formellement créé un regroupement, ou une « grappe
et ordres professionnels, divers groupes d’intérêts et le
d’emploi », nommé : mode-grappe métropolitaine de la
gouvernement. Il y règne donc un système de régulation
mode8. Il s’agit d’un regroupement réseau qui a quatre
territorial marqué notamment par la proximité (au sens
objectifs majeurs : faire rayonner l’industrie de la mode
de Pecqueur) des acteurs entre eux » (ibid. : 83). Il règne
montréalaise afin d’améliorer l’attractivité du réseau,
au sein de ce réseau une double logique de concurrence
apporter des solutions aux enjeux de la main-d’œuvre
et de coopération due à des gestes à la fois de concur-
et aider au développement de programmes de formation
rence et de partage entre les acteurs (ibid.). Cependant, la
en lien avec les besoins de l’industrie, encourager l’entre-
participation et la coopération, autant horizontales que
preneuriat et stimuler la croissance ainsi que l’augmen-
verticales, s’avèrent déterminantes pour la croissance et
tation de la productivité des entreprises au moyen de
le développement de toutes les entreprises du réseau,
l’innovation et, finalement, favoriser l’aide à l’exportation
surtout à des fins d’accès à la formation et au perfection-
et au développement des marchés internationaux pour
nement de compétences (ibid.). « En effet, la coopération
l’ensemble de ses membres9.
repose sur la recherche de synergies et sur des besoins
Ce regroupement a été créé dans l’optique de mutualiser de complémentarités » (ibid.). L’auteur a retenu quatre
les services et de développer l’attractivité du territoire dynamiques qui favorisent la structuration de ce réseau
et de l’industrie en s’unissant et en adoptant une même territorialisé : « la capitalisation des savoirs, l’optimisation
voix auprès des différentes instances gouvernementales. des coûts, la double logique de concurrence et de coopé-
De plus, cette démarche vise certainement à préserver ration et la gouvernance ». De plus, l’auteur a pu décrire
les compétences clés sur le territoire. Il s’agit donc d’un des stratégies utilisées par les entreprises du réseau pour
regroupement territorialisé au sein duquel on pourrait créer de la valeur, des compétences territoriales : « la créa-
voir se développer des pratiques d’emploi qui s’inscrivent tion de capitaux cognitifs individuels et organisationnels,
dans la logique de la GRH-T. l’utilisation optimale des ressources, la compétition pour
les ressources, la construction de complémentarités d’ac-
tion et l’organisation administrative et scientifique de
L’industrie biopharmaceutique de Montréal gouvernance dans les entreprises du système » (ibid.).
Il y a plus de 100 entreprises dédiées aux biotechno- Bien qu’aucune recherche n’existe sur les dispositifs mis
logies qui cohabitent le marché de Montréal (Saives et en place pour conserver cet ancrage, on remarque que
collab., 2005). C’est ce qui en fait un des plus concurren- le territoire lui-même influence grandement les straté-
tielles au monde dans le domaine de la bio-industrie. gies organisationnelles des entreprises de la grappe. De
plus, on peut imaginer que certains dispositifs de GRH-T
existent formellement dans ce secteur pour conserver
8. https://mmode.ca (page consultée le 16 mars 2017).
9. Ibid.
334 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

les compétences clés sur le territoire, pour faciliter le au Québec. Au même titre que les systèmes productifs
recrutement et l’accès à la formation. locaux (SPL) ou les pôles de mobilité, la mission des CLE
pourrait s’élargir et favoriser les échanges entre les divers
acteurs du territoire afin de mutualiser les pratiques de
ressources humaines.
Rôle de l’État et dispositifs
de mutualisation Pour terminer, les actions observées ne sont que des
exemples sommaires et représentent une infime partie
Comme nous l’avons montré avec l’étude sommaire de de ce qui est déjà en place de façon informelle dans
différents secteurs d’activité au Québec, l’État joue aussi le marché économique québécois. Une recherche plus
au Québec un rôle de premier plan dans le développe- approfondie sur l’identification des pratiques de GRH-T
ment des réseaux territorialisés, que ce soit sous forme au Québec serait sans aucun doute nécessaire afin de
d’accès au financement ou d’accès à la formation. Évi- développer une compréhension globale du phénomène.
demment, ce ne sont pas les seules pratiques qui peuvent De plus, comme le Québec semble avoir les infrastruc-
s’inscrire dans une logique de territorialisation des RH. tures déjà en place, avec les CLE, il serait intéressant de
De plus, le gouvernement du Québec a créé, en 1998, les faire une étude des bénéfices possibles qui pourraient
centres locaux d’emploi (CLE). Il existe plus de 150 CLE10 ressortir d’une plus forte institutionnalisation des pra-
répartis dans les 17 régions du Québec. Ces centres tiques de GRH-T au Québec.
offrent des ressources et des services aux individus de
la région, mais aussi aux organisations. En effet, les ser-
vices offerts aux individus concernent majoritairement Conclusion
l’aide à l’emploi par l’entremise d’Emploi-Québec. Alors
les entreprises peuvent bénéficier d’aide pour l’em- Malgré les difficultés d’implantation d’une GRH-T, nous
bauche, mais également d’une aide financière pour le sommes d’avis que cette nouvelle perspective permet
développement de pratiques de ressources humaines de redonner à la GRH un rôle de premier plan en étant
et pour le développement des compétences des travail- plus présente dans les lieux de pouvoirs décisionnels
leurs. Les CLE offrent donc des services pour les individus (Galambaud, 2015). Ainsi, au lieu d’être constamment
et pour les entreprises publiques et privées. Ils offrent « assignée » à l’organisation et assujettie aux seules orien-
des services dans une optique de développement socio­ tations organisationnelles, la GRH-T permet de donner
économique et n’ont pas pour mission de favoriser les à la GRH un rôle plus proactif et déterminant sur un
échanges des entreprises entre elles, donc ne tissent pas territoire donné. La GRH-T s’inscrit dans une perspective
de liens pouvant mener au développement de proximité d’analyse sociale et sociétale (Boxall, 2014). Elle peut
organisé entre les divers acteurs. Cependant, comme ce ainsi contribuer non seulement au progrès économique
sont des établissements déjà en place et qu’ils détiennent de l’entreprise, mais aussi au progrès social et sociétal
déjà beaucoup d’information sur la culture du territoire, d’un territoire11. De la sorte, nous observons une forme
les CLE seraient potentiellement des acteurs détermi- d’engagement des entreprises dans et pour le territoire.
nants dans le développement de pratiques de GRH-T En outre, la GRH-T peut favoriser les transitions et les
parcours professionnels tout en permettant une mutua-
lisation de pratiques qu’une organisation seule ne peut
10. Malheureusement, au cours des dernières années, les CLE ont quelquefois pas se permettre, notamment les PME et les
subi d’importantes restrictions budgétaires qui ne sont pas sans
conséquence sur l’offre de service. Ainsi, « l’agence Emploi-Québec
était ciblée par le Plan de modernisation du gouvernement
Québec et a connu une importante réorganisation des services
dans le cadre du Projet convergence. Cette réorganisation touche 11. Par progrès économique, nous entendons par exemple la
tous les échelons de l’Agence et particulièrement les CLE. Les revitalisation économique d’un territoire. Le progrès social, c’est
éléments centraux sont la réduction des effectifs, la réorganisation l’amélioration des conditions de vie et le progrès sociétal touche
du travail et le recours aux méthodes alternatives de prestation notamment l’institution d’un « “vivre ensemble” » Everaere et Glée
de services » (Gagné, 2010 : i). (2014 :78).
 16   L a gestion des ressources humaines territoriale  : état des lieux et regards … 335

TPE. La GRH-T est aussi une réponse à la mondialisation par l’interdépendance, une forme de synergie territoriale.
où les seuls espoirs ne résident plus dans la venue d’une En ce sens, ces actions peuvent contribuer au mieux-
grande multinationale créatrice d’emplois. Ce sont des vivre ensemble et à la responsabilisation de chacun à
arrangements et des complémentarités institutionnelles la vitalité d’un territoire.
entre acteurs privés et publics qui permettent de créer,

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17

Gestion des ressources humaines


et responsabilité sociale
Mustapha Bettache

On peut lire dans tous les ouvrages consacrés à la ges- Les mesures de délocalisations ont elles-mêmes dans
tion des ressources humaines que l’élément humain bien des cas engendré des licenciements massifs (col-
représente « un atout compétitif majeur » dans le bon lectifs) qui n’ont pas été sans entraîner l’apparition de
fonctionnement d’une organisation. On y avance même syndromes chez les travailleurs1, tel le « syndrome du
que cela serait encore plus vrai dans une « économie du survivant » qui est ressenti par des travailleurs qui ont
savoir ». assisté au licenciement massif dans leur organisation
et qui ne cessent de se demander quand leur tour va
À y regarder de plus près, si le discours l’atteste autant
arriver. Comme on le sait, ces licenciements résultent
que les diverses théories le soulignent, la réalité du ter-
d’une stratégie de gestion qui fait de la masse salariale la
rain ne concorde malheureusement pas toujours. Com-
principale variable d’adaptation dès lors que la conjonc-
ment pourrait-on en effet concilier cette affirmation avec
ture économique devient difficile.
certains phénomènes apparus aujourd’hui ici et là dans
le monde du travail, tels l’augmentation du stress au tra- Ce qui est le plus frappant, c’est d’observer une certaine
vail, le syndrome d’épuisement professionnel (burnout), tendance à l’homogénéité des pratiques de gestion des
les suicides, voire une détérioration des conditions de ressources humaines dans les organisations. Tout se
travail que la mondialisation de l’économie a contribué passe comme si on était incité à « se tromper collecti-
à engendrer, particulièrement en lien avec les déloca- vement » plutôt que d’avoir raison seul, ce qui ne laisse
lisations décidées par les entreprises et la mauvaise aucune place à l’originalité ni à la particularité. C’est
sous-traitance qui en résulte dans certains cas ? Pour ainsi que l’étalonnage (benchmarking) a pris de l’ampleur,
illustrer ce propos, citons Bettache (2015 : 3) qui écrit à consistant à se comparer avec d’autres organisations
propos des délocalisations : performantes en vue de s’approprier leurs pratiques dans
un processus de quête de performance. Pourtant, on sait
Tout le monde sait aujourd’hui que les délocalisations,
qui consistent en un déplacement des lieux de produc- bien que les contextes diffèrent et qu’il y a lieu de consi-
tion, en particulier vers des pays à bas salaires, dont dérer les particularités des contextes organisationnels.
l’effet est d’obtenir des coûts de production plus bas et
On voit se profiler la recherche perpétuelle de la perfor-
de mieux faire face à la concurrence, s’accompagnent
mance, une performance que l’on voudrait sans cesse
inévitablement de la détérioration des conditions de tra-
vail au sein de la main-d’œuvre de ces pays, et ce, tant mesurer et que l’on voudrait de plus en plus élevée chez
sur le plan de la sécurité que sur le plan des salaires et l’humain (la personne au travail), à l’instar de toute
des conditions de travail (Bettache, 2015 : 3).

1. Sans discrimination de sexe.


 17   G estion des ressources humaines et responsabilité sociale 339

autre machine productrice. Le plus souvent, c’est une produits mis sur le marché et, sur un plan plus positif,
performance économique qui est recherchée et qui va au développement de l’employabilité, à la mise en place
entraîner la production de pratiques de gestion des res- d’une organisation du travail suscitant un bien-être des
sources humaines orientées plus particulièrement vers employés, à la liberté d’association et à la reconnais-
une profitabilité immédiate, sans en mesurer les consé- sance du droit de négociation collective, etc. Nous y
quences négatives sur les conditions de travail suscep- reviendrons un peu plus loin.
tibles d’en résulter. Par ailleurs, la quête effrénée d’une
L’évolution de la fonction ressources humaines risque
performance au travail s’effectue parfois dans l’irrespect
une dilution dans l’espace managérial si elle ne se donne
par les organisations des codes de bonne conduite, qu’ils
pas une légitimité en prouvant sa contribution à la per-
soient édictés par ces dernières ou par des organismes
formance organisationnelle, en empruntant notamment
nationaux ou internationaux, sans crainte par les entre-
le chemin de la responsabilité sociale face aux enjeux
prises de se voir sanctionnées.
de la mondialisation.
Ce chapitre traite plus particulièrement de ce que l’on
Elle devra surtout relever le défi de faire converger effi-
peut appeler la responsabilisation sociale des entreprises
cacité économique et bien-être au travail, grâce à un
en lien avec la gestion des ressources humaines, qui
investissement dans la santé au travail, dans la formation
est vue comme un moyen de favoriser le bien-être col-
continue, dans la reconnaissance, dans la rémunération,
lectif au travail et qui s’inspire d’un modèle économique
dans le dialogue social et la participation, etc. Il s’agit
moral et des principes de solidarité et de justice dans les
là d’un mode de gouvernance susceptible de favoriser
relations économiques. Dans les faits, le courant de la
l’engagement des employés qui sont la source même de
responsabilité sociale des entreprises suggère de ne pas
la performance.
limiter au seul caractère économique la performance des
organisations, mais de considérer également les intérêts
de toutes les parties concernées, telles que les employés,
les clients, les sous-traitants, les syndicats, etc. Bien plus Les outils de la
que cela, il est revendiqué dans cet esprit que les organi- responsabilité sociale
sations prennent en compte les préoccupations d’ordre
environnemental dans leurs stratégies de gestion. Il n’y Afin d’assurer un encadrement de la responsabilité
a qu’à considérer le livre vert2 établi par la Commission sociale de l’entreprise, plusieursrègles contraignantes
européenne pour s’en convaincre, établissant que les applicables aux organisations sont suggérées. Ces
organisations assument leur responsabilité sociale en règles peuvent prendre la forme de normes3, de codes
intégrant des préoccupations sociales et écologiques de conduite4, de labels5, de certifications6, etc.
dans leurs décisions de gestion.

La perception de la responsabilité sociale est fortement


liée à la gestion des ressources humaines. Il n’y a qu’à 3. Les normes visent à réglementer le fonctionnement des
penser au fait de faire travailler des enfants, à la manière organisations.
parfois irrespectueuse de traiter les employés, aux pra- 4. Les codes de conduite prennent la forme d’engagements pris
tiques de discrimination en matière d’emploi, à l’infor- par les organisations. Toutefois, ces engagements sont le plus
souvent pris à partir de leurs propres critères et sans référer
mation parfois « erronée » du public sur la qualité des
forcément aux législations nationales et internationales ayant
vocation de réguler l’économie.
5. Les labels sont des signes utilisés pour distinguer un produit
ou un service sur la base de critères écologiques, biologiques
2. Livre vert (2001) : promouvoir un cadre européen pour la ou sociaux. Ils sont en général attribués à la suite d’audits
responsabilité sociale des entreprises. Les livres verts sont externes, généralement associés à des organisations non
publiés depuis 1984 par la Commission européenne et visent à gouvernementales (ONG).
mettre en exergue l’importance pour les organisations d’intégrer 6. Différant sensiblement des labels, les certifications sont
des préoccupations sociales et environnementales dans leurs accordées à des produits ou des organismes dès lors que ces
décisions commerciales. derniers respectent certains critères préalablement établis.
340 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Signalons dès à présent que la plupart de ces outils, sans aux entreprises de se conformer à toutes les lois
remettre en cause leur utilité, n’ont pas véritablement de applicables et de respecter les droits de l’homme.
valeur juridique et, de ce fait, ne s’accompagnent d’aucun
d. Les principes dégagés par l’UE10 qui réitèrent ceux
mécanisme de contrôle ni n’entraînent de sanction sys-
des Nations unies sur les droits de l’homme et les
tématique en cas de transgression par les organisations.
entreprises ainsi que les lignes directrices de l’OCDE.
De ce point de vue, la possibilité de mise en place de
moyens de sanctions en cas de non-respect de ces règles e. Le « livre vert » établi en 2001 par la Commission
devient plus que nécessaire. Examinons à présent et d’un européenne. Ce livre définissait la responsabilité
peu plus près ces différents outils : sociale de l’entreprise comme l’intégration, volon-
taire, des préoccupations sociales et écologiques des
entreprises à leurs activités commerciales (Igalens,
2013). Ce livre est émis chaque année par la Com-
Les normes mission européenne et couvre des aspects de la
Un certain nombre de normes sont développées par des gestion des ressources humaines, tels que :
institutions publiques, telles que :
–– La formation continue et la responsabilisation
a. Déclaration de principes de 1977 (révisée en 2000) du personnel (par la délégation en vue de plus
sur les entreprises multinationales et la politique d’autonomie) ;
sociale de l’OIT7 dite tripartite qui vise à encourager –– L’amélioration de l’information et sa circulation
ces dernières à contribuer positivement au progrès dans l’entreprise ;
économique et social. Ces principes sont notam-
–– La conciliation entre le temps du travail et celui
ment reliés à l’égalité des chances en emploi, au
des loisirs ;
développement de la formation, à l’amélioration
des conditions de travail, à la garantie de la liberté –– L’application du principe d’égalité au système
syndicale et au droit d’association. des rémunérations, aux occasions de promo-
tion notamment aux femmes, ainsi que l’égalité
b. Les principes directeurs énoncés en 1976 (révi-
de la participation aux bénéfices et les formules
sion 2011) par l’OCDE8 en direction des entreprises
d’actionnariat.
multinationales. Ces principes visent également à
encourager les entreprises à respecter un ensemble f. La loi sur la Nouvelle Régulation économique (NRE)11
de principes et de normes visant à assurer un com- qui fut établie en France en 2001 et qui vise à sou-
portement responsable, quelles que soient leurs acti- mettre à un organisme indépendant d’une société
vités. Ces principes consistent notamment en un ou d’un groupe coté en bourse, dont le siège social
respect des droits de l’homme, de l’environnement, est établi en France, les informations sociales qui s’y
la lutte contre la corruption, un respect des droits rapportent. Cette loi oblige les entreprises cotées en
des consommateurs, etc. bourse à consacrer une partie de leur rapport annuel
à l’information sociale et environnementale, afin de
c. Les principes directeurs relatifs aux entreprises et
conduire la Direction des ressources humaines et la
aux droits de l’homme dégagés par l’ONU9. Ces
direction vers la responsabilité sociale.
principes réfèrent aux obligations incombant aux
États de respecter, protéger et mettre en œuvre les La Global Reporting Initiative (GRI), d’inspiration
droits de l’homme et les libertés fondamentales et anglo-saxonne, qui contient des indicateurs de
performance sociale (pratiques relatives à l’emploi,

7. Organisation internationale du travail.


8. Organisation de développement et de coopération économiques. 10. Union européenne : (Sur la responsabilité sociale des entreprises :
9. Organisation des Nations unies : « principes directeurs relatifs aux une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014).
entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre 11. La loi des Nouvelles Régulations économiques contraint les
de référence “protéger, respecter et réparer” » des Nations unies entreprises cotées à consacrer une partie de leur rapport annuel
A/HCR/17/31 GE, 11-12191 [F], 2011). à l’information sociale et environnementale.
 17   G estion des ressources humaines et responsabilité sociale 341

relations professionnelles, santé et sécurité au du travail, le caractère non significatif de la très grande
travail, gestion de la diversité, etc.), économique quantité des indicateurs quantitatifs (Peeters, 2004).
(bénéfices, informations à caractère financier) ainsi
qu’environnementale. Ce rapport préconise une très
large participation, incluant des entreprises, des Les codes de conduite
organismes gouvernementaux, des organisations
Les codes de conduite, que l’on peut assimiler à des codes
non gouvernementales, des syndicats, des profes-
d’éthique et de déontologie, sont des engagements que
sionnels de la comptabilité, des universités, etc.
des organisations décident de prendre ou d’imposer à
g. La norme ISO 26000 qui « convient qu’une organisa- leurs partenaires économiques et bien souvent à partir
tion reconnaisse et prenne en considération les inté- de critères qui leur sont propres. Les dernières années
rêts de ses parties prenantes et qu’elle y réponde » ont vu proliférer les codes d’éthique au sein des organi-
(ISO 26000, 2010, p. 14). sations12. Illustrons par un exemple13.

h. La norme SA standard 8000 qui est un standard de Le Mouvement des caisses Desjardins s’est doté d’un
responsabilité sociétale, en lien avec la protection code d’éthique et de déontologie, qui se divise comme
des conditions de travail décentes qui couvre neuf suit :
dimensions de performance sociale :
–– Interdiction du travail des enfants ; Tableau 1 Code d’éthique et de déontologie
–– Interdiction du travail forcé ; du Mouvement Desjardins

–– Interdiction de pratiques disciplinaires ; 1. Introduction Valeurs (Alliance coopérative


internationale et Mouvement)
–– Respect des règles essentielles de santé et de
sécurité ; 2.  Principes Respect des personnes, de l’intérêt
commun, de l’organisation
–– Liberté d’association et droit de négociation
­collective  ; 3. Règles • Obligations légales
• Conflit d’intérêts
–– Limitation de la durée du temps de travail ; • Gratifications

–– Salaire minimum pour subvenir aux besoins • Contrats


• Fonctions incompatibles
­fondamentaux  ;
• Activités extérieures
–– Non-discrimination de race, genre, religion, etc. ; • Devoir de réserve
–– Suivi et contrôle indépendant de l’application de • Confidentialité
• Protection des données
la norme.
• Consultants et fournisseurs
Comme nous l’avons dit plus haut, n’étant pas de nature • Signalement
juridique, ces normes ne sont pas toujours respectées car • Modalités d’application
elles n’entraînent pas d’obligation ni de sanction. Tout (engagement, supervision,
consultation, dérogation)
au plus, elles peuvent avoir pour effet de susciter une
persuasion morale, particulièrement lorsque l’autorité
des organisations internationales et la force de l’opinion 12. Voir dans Corinne Gendron, « Les codes d’éthique : de la
publique y contribuent. Aussi faut-il considérer le carac- déontologie à la responsabilité sociale », Les Cahiers de la Chaire,
tère contradictoire que peuvent avoir les intérêts des collection recherche no 03-2005, École des sciences de la gestion,
Université du Québec à Montréal ISBN 2-923324-24-2, Dépôt
parties prenantes, ce qui peut contribuer à affaiblir l’ap-
légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2005 : « Aux États-Unis,
plication de ces normes. Parfois, comme dans le cas de on estime en effet que 80 % à 93 % des grandes entreprises
la Global Reporting Initiative (GRI), c’est la lourdeur dans possèdent un code ou une charte éthique, et ce pourcentage
la mise en œuvre de cet instrument qui est soulignée s’élèverait à 77 % pour le Japon et à 62 % pour la France (Ballet
et De Bry, 2002, p. 372) ».
ainsi que, comme le souligne le Bureau international
13. Ibid., p. 10.
342 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Comme l’explique Gendron (2005 :10) : mesures disciplinaires selon la gravité de la situation et


des conséquences de celles-ci.
En introduction, le code énonce les valeurs de l’Alliance
coopérative internationale auxquelles adhère le Mouve- On serait tenté de croire que l’existence de ces codes de
ment : la prise en charge et la responsabilité personnelles conduite procède d’une compréhension élargie propre
et mutuelles, la démocratie, l’égalité, l’équité, la solidarité aux organisations quant à leur responsabilité sociale, au
et une éthique fondée sur l’honnêteté, la transparence,
vu de l’intérêt notamment accordé tant aux conditions
la responsabilité sociale et l’altruisme. On y énonce aussi
de travail qu’à la protection de l’environnement. Toute-
les valeurs organisationnelles du Mouvement : l’argent
au service du développement humain, l’engagement fois faut-il admettre l’absence de mesures de contrôle et
personnel, l’action démocratique, l’intégrité et la rigueur d’opérations de vérification externe de leur application
et, enfin, la solidarité avec le milieu. Le code est destiné qui ne permet pas de croire en leur efficacité et encore
à éclairer le jugement personnel et complète les obli- moins en leur pérennité.
gations déontologiques professionnelles des individus.
La section suivante énonce trois séries de principes.
La première, relative au respect des personnes, exige Les labels
d’éviter le harcèlement ou la discrimination, de traiter
les personnes avec respect et courtoisie, d’observer le Les labels sont des étiquettes (signes officiels de qualité)
devoir de confidentialité, de répondre aux besoins le plus que l’on donne à des produits ou services pour leurs
adéquatement possible et de fournir une information qualités, en référence à des critères écologiques, biolo-
exacte en vue d’assurer des prises de décisions éclai- giques ou sociaux, en général à la suite d’audits externes.
rées. La deuxième série de principes intitulée Respect
Un label officiel est reconnu par les pouvoirs publics et
de l’intérêt commun demande d’agir avec honnêteté,
contrôlé par des organismes indépendants, tels les labels
intégrité et transparence, de respecter les encadrements
alimentaires. En voici quelques exemples :
juridiques, de subordonner les intérêts personnels à ceux
des membres et des clients, de favoriser la liberté de
jugement et d’appréciation dans la prise de décision et
de sauvegarder l’indépendance du Mouvement à l’égard Figure 1 Logos européens des appellations d’origine
des formations politiques ou religieuses. Enfin, dans protégée et d’origine contrôlée (Institut national
une section intitulée Respect de l’organisation, le code de l’origine et de la qualité de France).
demande de faire preuve de loyauté, d’être solidaire des
décisions démocratiques, de préserver la confidentialité,
de ne pas porter préjudice au Mouvement et de contri-
buer à son rayonnement et à son efficacité.

La dernière partie du code énonce les règles que doivent


respecter les dirigeants, employés et composantes du
Mouvement. Ceux-ci doivent d’une part respecter les
obligations légales, éviter de se placer en conflit d’in-
térêts et gérer les cadeaux ou gratifications avec pru-
dence. L’octroi de contrats à des personnes liées doit
se faire selon les règles. Les dirigeants et employés ne
peuvent occuper un emploi ou une fonction nuisible
pour le Mouvement, et ils ne doivent pas s’exprimer au
nom du Mouvement, à moins d’y être autorisés. L’accès
aux documents confidentiels est restreint aux exigences
des fonctions assumées, et le code exige que la confi-
dentialité soit préservée et que les droits d’auteurs soient Ainsi, les produits désignés sous l’étiquette AOC (aliment
respectés. Enfin, les consultants ou fournisseurs doivent d’origine contrôlée) en France sont réputés être des pro-
être informés des règles déontologiques. Les dirigeants
duits sous garantie, répondant à un cahier des charges
et employés doivent signaler les manquements au code,
validé et lié à une zone géographique précise (terroir
et une dérogation peut entraîner des sanctions ou des
 17   G estion des ressources humaines et responsabilité sociale 343

d’origine) ainsi qu’à un savoir-faire propre du produc- engagements concrets qui peuvent être pris en matière
teur. La validation est effectuée par l’Institut national sociale avec un système qui n’a pas force obligatoire d’un
des appellations d’origine et de la qualité (INAO) sous point de vue juridique ».
l’égide du ministère de l’Agriculture. Le même principe
est retenu au sujet des produits désignés sous l’étiquette
AOP (aliment d’origine protégé) dans le cas de produits Les certifications
européens, comme l’illustre la représentation ci-après :
Les certifications sont accordées à des produits ou
organismes qui se conforment à certains critères. Pour
exemple, citons la certification SA 8000 d’origine améri-
Figure 2 Logo européen de l’appellation Agriculture
caine accordée par le Social Accountability International.
biologique (Institut national de l’origine et de la qualité
Il s’agit d’une certification qui met en avant le respect
de France)
de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de
la Déclaration de New York sur le droit des enfants, des
principes de base de l’Organisation internationale du tra-
vail (OIT) et de la Convention de Rio sur l’environnement
et le développement (Peeters, 2004).

Là encore, certains écrits mettent en exergue que des


audits ayant porté sur les conditions sociales des lieux
de travail n’ont pas été de vrais constats, mais ont été
appuyés seulement sur des déclarations de fournisseurs,
ce qui n’est pas sans renforcer le caractère limité de ces
Le label AB (agriculture biologique) est appliqué à des
certifications (Rodic, 2007).
produits réputés ayant 95 % au moins des ingrédients
qui ont servi à leur production provenant de l’agriculture Il faut souligner aujourd’hui que la multiplicité de ces
biologique, soit d’un mode de production qui respecte outils n’a cependant pas permis de faire une avancée
l’environnement et le bien-être animal, interdisant de sous l’angle de la responsabilité sociale des entreprises
fait l’utilisation de produits de synthèse et d’organismes (Ernult et Ashta, 2007). La norme internationale ISO
génétiquement modifiés (OGM). Ces produits répondent 26000 :201014 définit les lignes directrices de la respon-
aussi à un cahier des charges et sont normalement sabilité sociétale. Elle suggère un mode de gouvernance
soumis à des contrôles systématiques. axé sur des questions importantes, telles que la gou-
vernance de l’organisation, les droits de l’homme, les
Si ces produits peuvent offrir une garantie des pouvoirs
relations et les conditions de travail, l’environnement,
publics, il faut savoir qu’il existe une multitude de pro-
les bonnes pratiques d’affaires, les questions relatives
duits sur le marché qui comportent des marques ou des
aux consommateurs ainsi que l’engagement sociétal (ou
signes privés attribués par des organismes profession-
communautaire).
nels ou des distributeurs, ces derniers procédant en
général d’une démarche de marketing qui vise avant
tout à crédibiliser les produits, quand bien même des
organismes indépendants venaient à en certifier leur
contrôle.

Bettache (2015) rapporte qu’une importante analyse de 14. La norme ISO 26000 est élaborée par un groupe de travail
215 codes et douze programmes de labels sociaux a été qui comprend environ 40010 experts provenant de 80 pays,
notamment du Sud, coprésidé par un pays du Nord (Suède) et
effectuée (Diller, 1999 : 135) pour en arriver au constat
un pays du Sud (Brésil). Source : Corinne Gendron dans Capron
que « le suivi de ces instruments a montré cependant et collab., 2011, « ISO 26000 : une norme “hors norme” : vers une
qu’il est difficile d’assurer l’exécution et le contrôle des conception mondiale de la responsabilité sociale ? »
344 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Qu’en est-il de la performance ? Plus récemment est apparu le courant de gestion straté-
gique des ressources humaines (GSRH) qui recommande
La performance est une préoccupation d’évaluation de l’inscription des pratiques de gestion des ressources
la contribution de la gestion des ressources humaines à humaines dans les stratégies commerciales des organisa-
l’atteinte des objectifs organisationnels, afin de se mettre tions (Besseyre des Horts, 1988), pour mieux contribuer
au diapason des autres fonctions de l’organisation. à la performance recherchée.
Mais il faut convenir que le mot performance fait l’objet Enfin l’approche socioéconomique (Savall16 ) cherche à
de très nombreuses utilisations sans être explicitement faire coexister les approches psychosociologiques et éco-
défini. Il peut être associé à un résultat « positif » d’une nomiques, considérant l’existence d’une très forte inte-
action, mais également à un processus qui mène à ce raction et influence mutuelle entre les comportements
résultat. humains et les structures organisationnelles, suscep-
Attention ! Le mot performance peut revêtir plusieurs tibles de donner lieu à des dysfonctionnements tels que
sens, d’où le fait qu’il soit qualifié de mot-valise ou « mot l’absentéisme, la rotation du personnel, voire un effet
éponge15 » voulant mettre l’accent sur le fait qu’on peut négatif sur la qualité et la productivité. Cette approche
l’interpréter de plusieurs manières. met en avant l’importance de la régulation qui peut être
de nature à la fois technique et organisationnelle.
Il faut bien comprendre que l’apport des comportements
des femmes et des hommes au travail à l’atteinte des On réalise à travers ce rappel très succinct des diffé-
objectifs économiques des organisations a été étudié rentes approches utilisées afin de mieux appréhender
sous différents angles. le lien entre les pratiques de gestion des ressources
humaines et la performance organisationnelle que le
L’École des relations humaines y a beaucoup contribué, chemin à parcourir est encore long et que l’effet des
pour ne citer que les travaux de Mayo dans les années ressources humaines sur la performance économique
1930 et ceux de Taylor avec l’organisation scientifique demeure mal connu. Cela met en évidence la difficulté
du travail (OST) qui établissent un lien entre la gestion d’adjoindre le terme performance à celui des ressources
des ressources humaines et l’efficacité économique. humaines, le premier renvoyant à la mesure, alors que
Les travaux d’Herzberg se rapportant à la théorie de la le second est plus souvent associé à la complexité de la
motivation mettent en exergue l’importance de ne point compréhension des comportements humains. En outre,
considérer que les compensations matérielles à l’effort les nombreuses recherches réalisées dans ce domaine
qui, si elles diminuent l’insatisfaction, ne motivent pas ne permettent pas d’établir des liens de causalité entre
pour autant. des pratiques de gestion des ressources humaines et
Le courant de la sociologie industrielle représenté entre la performance organisationnelle. Tout au plus s’agi-
autres par Crozier et Friedberg (1977), March et Simon rait-il de corrélations entre des pratiques de gestion des
(1958) a également mis l’accent sur l’importance de la
cohésion du personnel en lien avec la performance orga-
16. Henri Savall, avec plusieurs collaborateurs, a approfondi
nisationnelle, en plus d’avoir éclairé sur l’importance des
l’approche socioéconomique des conditions de vie et de santé au
rapports entre les individus et les groupes qui peuvent travail. Il a dirigé de nombreux travaux de recherche au sein de
aussi bien coopérer que s’affronter au sein des organi- l’Institut de socioéconomie des entreprises et des organisations
sations. (ISEOR) de l’Université de Lyon avec des distinctions (professeur
émérite de l’Université de Lyon 3 Jean Moulin en sciences de
On a aussi examiné la performance sous l’angle de la gestion et fondateur président de l’ISEOR en 1975. C’est une
culture organisationnelle, même si les travaux s’y rappor- théorie pionnière et originale qu’est l’approche socioéconomique
de management des entreprises et des organisations. Il a
tant n’ont guère permis d’établir un lien direct entre ces
notamment développé avec des collaborateurs le concept de
deux concepts, donc ne permettent pas d’établir que la « capitalisme socialement responsable ». Il est enfin lauréat avec
culture organisationnelle soit un facteur de performance. la professeure Véronique Zardet du prix Rossi de l’Académie
des sciences morales et politiques (Institut de France) pour
leurs travaux sur l’intégration des variables sociales dans les
15. Voir P. Gilbert et M. Parlier (1992). stratégies d’entreprises.
 17   G estion des ressources humaines et responsabilité sociale 345

ressources humaines et la performance organisation- « Groupes qui ont un intérêt ou un droit sur l’entreprise »
nelle. (Evan et Freeman, 1993 : 392).

Qui plus est, il est mis en relief que la performance « Individus et éléments constitutifs qui contribuent de
façon volontaire ou non à la capacité de la firme à créer
organisationnelle est de nature plurielle et multidimen-
de la valeur et à ses activités et qui en sont les princi-
sionnelle, l’organisation n’ayant pas une, mais des per-
paux bénéficiaires et/ou en supportent les risques » (Post,
formances (Galambaud, 2002). Preston et Sachs, 2002 : 8).
Après ce bref rappel des approches visant à agir sur Les parties prenantes peuvent être représentées par des
les pratiques de gestion des ressources humaines afin actionnaires, des gestionnaires, des employés, des par-
de contribuer à la performance organisationnelle, tenaires commerciaux, des clients, des communautés
considérons à présent la théorie des parties prenantes locales, une société civile, des organisations non gou-
(Stakeholder theory17) qui foisonne aujourd’hui dans la vernementales (ONG), etc. Si le fait de considérer toutes
littérature et qui porte sur la responsabilité sociale de ces parties représente une avancée dans les prises de
l’entreprise et sur l’éthique organisationnelle, théorie décisions par les organisations, il reste qu’une divergence
qui met l’accent notamment sur le lien étroit entre le d’intérêts entre les parties prenantes est à considérer.
bien-être au travail et les décisions des dirigeants d’entre- Cette divergence entre les parties prenantes représente
prises, en même temps qu’elle prend en compte l’intérêt une difficulté importante et à la fois une limite objective
de toutes les parties ayant un intérêt dans l’entreprise. de cette approche, l’arbitrage entre les parties risquant de
Cette vision n’est pas nouvelle. Ansoff (1968) soulignait devenir parfois très complexe et très difficile. Le schéma
déjà l’importance pour une entreprise de satisfaire équi- ci-après représente les parties prenantes pour illustrer
tablement chaque interlocuteur de l’entreprise. Freeman cette approche.
(1984) élargira plus tard le nombre des interlocuteurs qui
sont placés dans une relation d’interdépendance avec
l’entreprise. Nous ne nous attarderons pas ici sur les
multiples définitions attribuées aux parties prenantes,
dont voici quelques-unes :
« Individus ou groupe d’individus qui peut affecter ou être
affecté par la réalisation des objectifs organisationnels »
(Freeman, 1984 : 46).

17. Freeman, 1984.


346 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Figure 3 Représentation des parties prenantes selon Donaldson et Preston (1995, p. 69)

LES PARTIES PRENANTES

Investisseurs

Groupe de
Gouvernements pressions

Fournisseurs Entreprise Clients

Associations Communauté
professionnelles locale

Employés

Il faut toutefois demeurer prudent à propos de cette La théorie des parties prenantes a connu durant ces der-
approche dont les partisans peuvent prioriser la course nières années un essor important, sur le plan tant aca-
vers la maximisation du profit, même dans une situation démique que pratique. Il est souligné notamment que,
où un problème social ou environnemental survenait « sur le plan académique, on retrouve les approches de
(Dhaouadi, 2008). C’est en effet l’une des critiques appor- stratégie (Johnson, Scholes, Whittington et Frery, 2011) »
tées à l’approche par les parties prenantes qui semble (Bettache, 2015 :10). Par ailleurs, cette théorie suppose
accorder plus d’importance aux parties qui sont plus l’équité et la justice entre toutes les parties prenantes de
liées aux activités économiques des compagnies afin de l’entreprise (Philips, 2003).
générer une performance économique avérée, donc à
Les trois logiques selon Paauwe (2004).
moins prendre en considération d’autres parties, tels les
associations syndicales ou autres groupes de pression. Paauwe (2004) a classé les différentes perspectives des
C’est pourquoi la prise en compte des intérêts de toute parties prenantes selon trois logiques :
autre partie affectée par les décisions de l’entreprise est
• Une logique stratégique qui représente les attentes
plus que nécessaire si l’on veut que cette approche puisse
des conseils d’administration de l’entreprise, du pré-
se révéler efficace et enrichir le champ de la gestion des
sident, des actionnaires ainsi que des institutions
ressources humaines en associant la recherche du profit
financières. Ce groupe de parties prenantes est
à des principes de justice et d’équité.
plus intéressé par les résultats de la planification
Cette logique privilégie le rôle ainsi que les intérêts des stratégique et la valeur ajoutée. Il s’agit là d’une
actionnaires en leur attribuant plus de responsabilité et logique économique qui s’exprime principalement
plus d’influence sur la performance organisationnelle et, par l’efficience, l’efficacité, la flexibilité, la qualité et
de fait, plus de pouvoir et de légitimité dans les organi- l’innovation.
sations face aux problèmes rencontrés.
 17   G estion des ressources humaines et responsabilité sociale 347

• Une logique professionnelle beaucoup plus concen- Une performance économique…


trée sur les attentes des cadres hiérarchiques (line mais aussi sociale ?
managers), des employés, des syndicats ainsi que
du personnel de la fonction ressources humaines. La création de nombreux outils orientés vers une perfor-
Cette logique réfère en grande partie à l’approche mance sociale est inscrite dans le champ de la gestion
client adoptée par le Département des ressources des ressources humaines. Considérons deux exemples :
humaines et à la qualité de ses services, les clients Pour preuve, la création de la norme ISO 26000 (Gui-
étant considérés ici comme externes à l’organisa- dance on Social Responsability) qui est le produit de cinq
tion, alors que les clients internes représentent les ans de négociations de parties prenantes internationales
autres fonctions et services dans l’organisation, entre représentants de 90 pays (Capron et collab., 2011).
entretenant une relation d’échange avec ce groupe. On évoque dans ce cadre la responsabilité sociale de
• Une logique sociétale qui réfère aux valeurs morales l’entreprise comme étant la « responsabilité d’une orga-
et se concentre sur les attentes des différentes par- nisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités
ties prenantes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de sur la société et sur l’environnement se traduisant par
l’entreprise. Cette logique focalise sur les quelques un comportement éthique et transparent qui : contribue
éléments suivants : au développement durable [Sustainable], y compris à la
santé et au bien-être de la société ; prend en compte les
–– Équité ( fairness) : désigne les arrangements, les attentes des parties prenantes [Stakeholders] ; respecte
contrats et les ententes qui sont justes et qui les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les
respectent l’équité entre les individus en tant normes internationales de comportement ; est intégré
qu’employés et l’entreprise comme employeur. dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans
Les critères ne sont pas seulement d’ordre finan- ses relations. [Afnor, 2010, p. 4] ».
cier, de temps de travail ou de tâches à exécuter,
mais englobent aussi l’information partagée, le Il y a aussi le bilan social, qui est inscrit dans les codes
savoir-faire diffusé, la représentation syndicale, du travail français (depuis 1977) et belge (depuis 1995).
la participation et la consultation. En France, par exemple, le bilan social est soumis annuel-
lement au comité d’entreprise pour avis sur différents
–– Légitimité : réfère à la même notion d’équité aspects de la gestion des organisations, tels que l’emploi,
traitée précédemment, mais sur une échelle la rémunération, les conditions de santé et sécurité au
collective incluant l’ensemble des groupes travail, les conditions de travail, la formation, les relations
concernés (employés, syndicats, gouvernement, professionnelles, etc. On serait tenté de croire que la
etc.). performance sociale des organisations ferait partie inté-
–– Durabilité : va dans le sens où l’action de l’entre- grante de l’évaluation des organisations, mais il semble
prise s’inscrit dans le développement durable, que cet outil ne permet aucun contrôle sur les informa-
le respect de l’écologie et la protection des res- tions contenues dans le bilan et n’entraîne pas là aussi
sources naturelles. d’obligations envers les organisations pour l’atteinte
d’une performance sociale (Igalens et Peretti, 1980). Tout
–– Participation : met en exergue la possibilité
au plus le bilan social apparaît comme un document
offerte aux employés de s’exprimer et d’avoir
bourré d’informations chiffrées mettant l’accent plus sur
une voix (mouvement syndical) pour participer
le caractère quantitatif que sur le caractère qualitatif de
aux décisions.
la gestion. Ainsi, les informations environnementales et
–– Solidarité : exprime la volonté et le désir de sou- sociales ne sont pas beaucoup prises en compte par les
tenir les individus et les groupes qui sont dans le parties prenantes (Perret, 2008).
besoin ou dans une situation défavorable.
348 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Quel est l’apport de la gestion des ressources En se référant longuement à Dani Rodrik (1997), Pierre
humaines à la performance organisationnelle ? Langlois (1999) évoque la manière dont la mondialisa-
tion exerce une pression vers le bas sur les conditions
Dans le cas du directeur des ressources humaines, sa de travail :
contribution par rapport à la performance semble être
Conséquemment, la mondialisation transforme les
très importante, « sa responsabilité étant d’orienter
relations de travail dans la mesure où cette facilité à
toutes les actions des femmes et des hommes vers la
substituer la main-d’œuvre mine le pacte d’après-guerre
performance globale, que cette performance soit finan- entre le capital et les travailleurs. Ces derniers pouvaient
cière, commerciale, organisationnelle ou purement RH » compter sur des augmentations de salaire régulières et
(Galambaud, 2014 : 27018 ). une certaine protection sociale en échange de la paix
sociale. Aujourd’hui, ils doivent payer davantage quand
L’hypothèse de base émise est « que la gestion des res-
il y a amélioration des conditions de travail ou pour le
sources humaines aide à développer les ressources maintien des prestations sociales (par les cotisations
humaines créatrices d’avantages concurrentiels ». et retenues de toutes sortes). Ils subissent de surcroît
plus d’insécurité au niveau des revenus et des heures
Même si le lien entre la gestion des ressources humaines
travaillées en réponse aux chocs cycliques. Enfin, leur
et la performance organisationnelle reste à prouver
pouvoir de négociation étant passablement diminué, ils
empiriquement, il semble que l’approche des parties obtiennent de moins bons salaires et bénéfices margi-
prenantes peut permettre une estimation de la valeur naux là où la négociation est un facteur pour fixer les
ajoutée créée par cette fonction, sans pour autant pré- normes de travail. L’employeur peut simplement menacer
tendre représenter un paradigme dominant en évalua- de délocaliser la production vers un autre pays lorsque
tion de la gestion des ressources humaines. les revendications se font trop insistantes. Dès lors, il
risque de se produire une course vers le bas des condi-
tions de travail entre les juridictions. Tous ces facteurs
Nouveaux enjeux de la fonction ressources ont, selon Rodrik, contribué à l’importante détérioration
du marché du travail pour certaines catégories de tra-
humaines et des relations du travail vailleurs occidentaux depuis les années 1970 (Langlois,
dans la nouvelle économie 1999).

Les relations du travail, qui sont une forme de relations


sociales, n’ont pas échappé aux répercussions de la
mondialisation. Selon certains auteurs, les principales
Quelques exemples pour illustrer
questions qui se posent à l’ère de la mondialisation en une telle situation :
matière de politiques du travail portent sur la possibilité
d’offrir une sécurité d’emploi, des normes minimales de
Réduction des effectifs (Downsizing)
conditions de travail et un niveau de soutien de l’État Retenons cette définition19 du downsizing proposée par
pour la syndicalisation (Chaykowski et Giles, 1998). Freeman et Cameron (1993) :
La mondialisation est par ailleurs souvent abordée
C’est un processus qui comprend, au minimum, trois
sous l’angle de ses répercussions sur le travail, car des éléments : a) l’intention d’une direction d’entreprise,
inquiétudes se manifestent quant à ses conséquences suivie d’une démarche réactive ou proactive, d’amé-
sur notamment l’emploi, les conditions de travail, les liorer la performance organisationnelle en s’appuyant
revenus et la protection sociale. sur un meilleur contrôle des coûts de la compétitivité,
b) une réduction de l’effectif de l’entreprise, accompli
soit par les licenciements, soit par d’autres mesures ;

18. Voir dans B. Galambaud, 2014, p. 270 (« Réinventer le


management des ressources humaines : une métamorphose 19. Voir dans A.-M. Fericelli et B. Sire (dir,), « Performances et
obligée »), chapitre intitulé « Le DRH : contributeur clé de la ressources humaines », p. 69, dans le chapitre intitulé « Crises
performance » produit par Anne Mercier-Gallay, directrice de performance, contextualisme et downsizing : remarques
générale des ressources humaines et communications internes sur la recherche conjointe des universités de Liège, Louvain
du groupe BPCE. et Bruxelles », produit par A. Jenkins.
 17   G estion des ressources humaines et responsabilité sociale 349

c) l’aménagement de l’organisation du travail (work beaucoup moins avantageuses sont acceptées, telles
­process redesign). que des salaires moindres, une augmentation des heures
Ce qui est préconisé en somme par cette opération, de travail, moins de jours de vacances et parfois même
c’est le fait d’améliorer la gestion par un allègement des sans protection sociale, des pays choisis le plus souvent
structures et des effectifs afin de réduire les dépenses en raison d’une absence de démocratie doublée d’une
et d’accroître les profits. Certains auteurs ont néanmoins surabondance de main-d’œuvre, ce qui empêche toute
mis en exergue qu’une réduction importante des effec- revendication relative aux conditions de travail. Dans les
tifs était susceptible de s’accompagner d’une baisse de faits, on comprend qu’un investissement dans la robo-
l’efficacité organisationnelle (Cameron, 1994 ; Baumohl, tisation des moyens de production coûterait plus cher
1993 ; Bennett, 1991). que de disposer d’une telle main-d’œuvre, au point que
certaines usines déménagées en Chine ou en Europe de
L’opération de réduction massive des effectifs est érigée l’Est par exemple ressemblent étrangement aux usines
en mode de gestion et définie comme une variable des années 1970 où le travail à la chaîne prédomine.
d’ajustement, ce qui contraint les directeurs des res- L’industrie du vêtement, un secteur n’exigeant pas de
sources humaines à agir parfois contre leur gré, sous grande spécialisation ni de grandes compétences appa-
l’influence des décideurs, et n’est pas pour encourager raît comme le plus vulnérable dans le contexte de la
une gestion des ressources humaines plus axée sur la mondialisation (voir la figure 3).
recherche d’autres solutions plus imaginatives et plus
novatrices, à même de préserver l’intérêt des employés
et sans pour autant sacrifier la performance économique. Figure 4 Usine de textile en Asie (Observatoire
Autrement dit, cette opération paraît aujourd’hui être la des multinationales, social, écologique, politique.
plus facile et la plus efficace pour faire baisser le « coût 17/2/2009 par Yvan du Roy sous-titre « RS ». Usines
du travail » et générer des profits à court terme quand on textiles en Asie : Carrefour face à ses responsabilités)
sait qu’il y a d’autres moyens pour accroître les profits qui
empruntent la voie de l’innovation, de la recherche et du
développement, mais avec des résultats qui ne peuvent
être obtenus qu’à moyen ou long terme.

Par ailleurs, la baisse du coût du travail est bien sou-


vent obtenue grâce à une réduction des salaires et des
charges sociales, mais aussi par une augmentation du
temps de travail, en offrant des conditions de travail de
plus en plus contraignantes pour les employés.

Délocalisations
Les délocalisations consistent en un déplacement des
lieux de production, qu’il s’agisse des emplois industriels
Le Mexique offre par exemple une occasion pour les
ou relevant d’autres secteurs (comptabilité, services
délocalisations, étant donné l’existence d’une main-
informatiques, recherche et développement, haute tech-
d’œuvre à la fois abondante et à faible coût, ce qui
nologie…). Il s’agit là d’une stratégie de gestion de plus
permet aux entreprises de lui offrir de moindres condi-
en plus utilisée par les entreprises afin de maintenir leur
tions de travail. Des entreprises en profitent alors pour
compétitivité et de faire face à la concurrence interne
réduire leur coût de production et demeurer concurren-
et externe. L’objectif est d’obtenir une diminution des
tielles, comme l’illustre parfaitement le développement
coûts et notamment des salaires en faisant travailler
des maquiladoras, situation favorisée par les accords de
des employés de pays dits à bas salaires ou émergents,
libre-échange.
telles la Chine, l’Inde, etc., où les conditions de travail
350 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Mais une telle situation peut se retrouver au Québec, dès Dans cette situation, la question se pose de savoir com-
lors qu’une main-d’œuvre importante (à bon marché) ment concilier compétitivité et normes sociales et de
issue des milieux d’immigrants et provenant essentiel- travail, tout ce qui doit mobiliser la réflexion dans le
domaine de la gestion des ressources humaines notam-
lement de pays d’Europe de l’Est, d’Asie et du Maghreb,
ment.
éprouve généralement des difficultés linguistiques et
des problèmes d’intégration dans le marché du travail
québécois20. Droit d’association
S’agissant plus particulièrement de la liberté d’action
Délocalisation et affaiblissement du pouvoir syndical concertée (ou syndicale) dans le monde du travail, il
est fort important que cette liberté soit respectée et ne
Les délocalisations ou même la simple menace de délo-
subisse aucune entrave de quelque nature que ce soit
calisation ont eu pour effet d’affaiblir le pouvoir syndical,
(Verge et Murray, 1991).
dans la mesure où les syndicats n’ont d’autre choix, face
à cette menace, que de modifier leurs comportements Il est notamment rappelé que, « lors de l’adoption de la
pour abandonner l’affrontement au profit d’une colla- Déclaration universelle des droits de l’homme23 en 1948,
boration avec les employeurs dans l’organisation de la l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies
production et de l’entreprise21. Ainsi, la délocalisation a reconnu tant la liberté d’association pacifique que le
représente pour les syndicats un vrai défi à relever pour droit pour toute personne de fonder avec d’autres des
éviter que les conditions de travail soient abaissées ou syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense
des pertes massives d’emplois, face à la pression exercée de ses intérêts24 […]. En droit interne, tant le Code cana-
par les entreprises qui se servent parfois de la menace de dien du travail25, dans son article 8, que le Code du travail
la délocalisation comme un moyen de pression. du Québec26, à son article 3, affirment le droit des sala-
riés à adhérer au syndicat de leur choix et à participer
De manière générale, le déplacement des lieux de pro-
à ses activités. Les chartes27 reconnaissent elles aussi la
duction vers les pays qui offrent aux travailleurs des
liberté d’association à titre de liberté fondamentale, mais
conditions de travail inférieures a contribué du même
nous verrons que sa portée telle qu’elle est définie par
coup à permettre une dégradation des conditions de
la Cour suprême du Canada est loin d’englober toutes
travail dans les pays industriels développés en lien avec
les composantes de la liberté syndicale reconnue sur le
les pertes d’emplois, en encourageant notamment le
plan international » (CSN, 2009 : 3).
recours accru à la sous-traitance22.
La liberté d’association est malheureusement parfois
entravée. Sans évoquer d’exemple, il est fort important
de retrouver cet aspect dans les fondements mêmes de
la gestion des ressources humaines.
20. Voir le mémoire de maîtrise en droit international présenté par
Abir Haterchi en 2009, à l’Université du Québec à Montréal
(UQAM) portant sur la délocalisation des entreprises et ses effets
sur l’emploi dans les pays industrialisés : cas de l’industrie du
vêtement au Québec.
21. Voir Mona-Josée Gagnon, « La modernisation du
syndicalisme québécois ou la mise à l’épreuve d’une 23. Déclaration universelle des droits de l’homme, A.G. 3e session,
logique représentative », dans James D. Thwaites (dir.), 1re partie, résolution 217A (111), p. 71 Doc.N.U. A/810 (1948).
Travail et syndicalisme : origines, évolution et défis d’une
24. Idem, art. 23, par. 4.
action sociale, Québec : Les Presses de l’Université Laval,
2007, p. 489. 25. Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2.

22. Institut international d’études sociales, « Les accords-cadres 26. Code du travail, L.R.Q.C. C-27.
internationaux (ACI) et la négociation collective internationale à 27. Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi
l’ère de la mondialisation », par Reyna1d Bourque, Genève, 2005, constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur
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 17   G estion des ressources humaines et responsabilité sociale 351

Travail des enfants même dans le système de santé public au Québec. Dans
le même temps, de nombreuses études suggèrent que
Aujourd’hui, le travail des enfants dans les entreprises, l’introduction du lean manufacturing crée une dégrada-
souvent dans des conditions abusives, n’est plus un tion des conditions de travail et de la santé (augmenta-
fait ignoré et fait l’objet de nombreuses dénonciations, tion du stress et hausse des lésions professionnelles).
notamment par des organisations non gouvernemen- Il faut comprendre que la production dite lean29, qui
tales, en vertu du droit international en la matière qui signifie littéralement « maigre », « sans gras », voire « sans
abolit le travail des enfants28. On rapporte que certaines gaspillage » ou « allégée », est une forme de production
entreprises transnationales bénéficient du travail des que l’on veut relier à la performance en matière de pro-
enfants de pays pauvres pour maintenir leurs bas prix et ductivité, de qualité, de délais et de coûts, grâce à l’amé-
que la mondialisation a contribué à aggraver cette situa- lioration continue et à l’élimination des gaspillages en
tion (Jacob, 2005). Cette situation a fait dire au secrétaire tous genres.
général de l’ONU, M. Kofi Annan, lors d’un Sommet mon-
dial des Nations unies tenu en mai 2002 : « Nous avons Ce modèle d’organisation n’est cependant pas sans
misérablement échoué à protéger les droits essentiels entraîner une dégradation des conditions de travail et de
des enfants » (Jacob, 2005). la santé au travail, comme le rapportent de nombreuses
sources. Par ailleurs, il est permis de douter de sa pleine
Une telle situation demeure en dépit du fait que plu- efficacité quand on sait, par exemple, l’emballement de
sieurs pays ont adopté des lois interdisant le travail des véhicules rappelés par Toyota en 2009-2010, qui semble
enfants et de nombreuses entreprises concernées pré- indiquer qu’un tel modèle a peut-être atteint ses limites et
tendent quand même agir selon une éthique très stricte. que la « production sans gras » peut elle-même entraîner
La responsabilité sociale des entreprises est ici remise en des ratés en matière de qualité totale.
question et la gestion des ressources humaines en prend
un coup également.
Réingénierie : faire plus avec moins ?
Certes un argument est avancé pour justifier le travail des
enfants qui est de contribuer à sortir leur famille de la La réingénierie est un thème en gestion des ressources
misère, mais n’est-ce pas là un aveu de faiblesse, exprimé humaines qui a été mis en exergue dans les années
faute de trouver des solutions à ce fléau ? 1990 ; elle est définie comme une nouvelle façon de
modifier substantiellement l’organisation du travail, afin
de la rendre plus efficace, sur le plan tant de la producti-
Organisation du travail : production allégée, vité humaine que de la réduction des coûts. Cette « inno-
réingénierie… vation organisationnelle » visait notamment à réviser
Bruère et Chardeyron (2013 :74) expliquent : leur processus opérationnels en cherchant à éliminer
des activités considérées comme ne produisant pas de
Dans l’industrie, pour des raisons historiques liées au
valeur. Si la manière dont la réingénierie fut introduite ne
développement de Toyota, ce sont les innovations
semble souffrir d’aucune contestation, cette dernière s’est
sociales de cette entreprise qui, au niveau mondial, ont
servi de point de repère. Le système que ces innovations
malheureusement accompagnée, là aussi, d’une mise à
forment fut nommé lean manufacturing (production au l’écart d’une partie des employés et, du même coup, a
plus juste) par les chercheurs américains du programme entraîné une surcharge de travail pour les employés res-
International Motor Vehicule (IMVP) du Massachusetts tants. Si notre propos ici n’est pas de remettre en cause
Institut of technology (MIT) dans les années 80 (Womack, une telle approche qui peut se justifier, il n’en demeure
Jones et Roos, 1991). Aujourd’hui, il connaît un regain pas moins que des pratiques responsables de gestion des
d’intérêt et un soutien institutionnel pour l’étendre vers ressources humaines doivent intégrer la sauvegarde de
les Petites et Moyennes Entreprises (PME) en France et

28. Voir dans L’Express : « L’Entreprise », écrit par Guy Clavel et


Martine Combemale, de l’ONG Ressources humaines sans 29. Popularisée par le livre Lean Thinking (1996) de James P. Womack
frontières, publié le 20 novembre 2014. et Daniel T. Jones.
352 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

conditions de travail réputées sans risques négatifs sur Par exemple, les entreprises doivent s’acquitter de leurs
la santé des travailleurs. obligations en matière de recrutement de personnes
handicapées si l’on considère que les efforts qui sont
faits pour mieux intégrer ces personnes restent faibles.
Il en est de même pour les jeunes peu qualifiés, en situa-
Une philosophie de gestion tion de précarité ou simplement marginalisés. Aussi, des
des ressources humaines en quête mesures visant à faire disparaître le harcèlement psy-
d’adaptation ? chologique au travail s’imposent, sachant que la simple
promulgation d’une loi ne suffit pas.
Dans le contexte actuel de la mondialisation de l’éco-
nomie, les organisations n’ont guère le choix de relever
les défis de la performance et de la compétitivité. Elles
Sur le plan de la formation
doivent en outre gérer les compétences en tant qu’ob-
jectif primordial dans une « économie du savoir », ce Nous avons déjà signalé l’importance que les organi-
qui place la formation des employés au premier plan. sations devront accorder à la formation des employés
Au-delà de cet aspect, il est primordial de considérer (une formation continue) dans un contexte où les com-
les instruments de gestion disponibles en gestion des pétences représentent un atout compétitif majeur. Plus
ressources humaines dans le sens de les adapter au que cela, des progrès à caractère social en lien avec la
nouveau contexte socioéconomique. Autrement dit, formation devront être faits, axés par exemple sur le
comment se traduit alors la responsabilité sociale des retour à l’emploi si l’on considère l’importance des licen-
entreprises dans les pratiques de gestion des ressources ciements économiques (massifs) qui ont eu lieu ici et là
humaines pour rendre ces dernières socialement res- et l’instabilité et la précarité de l’emploi dans le nouveau
ponsables ? contexte de la mondialisation.

Comme on l’a vu, tout un courant d’initiatives, notam-


ment dans le secteur privé, ont vu le jour sous l’angle de Sur le plan des relations de travail
la responsabilité sociale.
Le nouveau contexte socioéconomique s’est accom-
pagné d’une diminution des organisations syndicali-
sées. Il est important à cet égard que l’adhésion à un
En voici quelques exemples : syndicat par les travailleurs ne soit pas endiguée par les
employeurs, au mépris des législations en vigueur qui
Sur le plan de la dotation doivent consacrer le principe de la liberté syndicale et du
Comme nous l’avons indiqué précédemment, on peut droit de négociation collective. Une gestion responsable
considérer par exemple le travail des enfants qui doit être nécessite de mettre en place des pratiques de gestion des
proscrit et conforme aux conventions internationales. ressources humaines qui donnent la possibilité aux tra-
Toutefois, la législation locale peut définir expressément vailleuses de faire part de leurs insatisfactions à l’égard
les conditions d’emploi de ces derniers, dans des limites de leur employeur. Cela s’adresse tant au secteur privé
acceptables. qu’au secteur public ainsi qu’aux organisations sans but
lucratif.
Un autre exemple est la discrimination en emploi, fondée
sur des critères de race, de nationalité, d’origines sociales, Beaucoup de changements dans l’organisation du travail
de religion, de handicap, de sexe, d’orientation sexuelle, ont été introduits durant les dernières années, tels que
d’appartenance politique, d’âge, etc. L’absence de res- la modification de la structure même de la journée du
pect de ces critères est susceptible de ternir l’image des travail et un accroissement des heures de travail, l’aug-
entreprises qui s’y emploient, en plus d’être révélatrice mentation d’emplois à temps partiel ou à forfait dits « aty-
de comportement non responsable de ces dernières. piques », l’intensification du travail, soit l’embauche de
moins de travailleurs pour effectuer le même volume de
 17   G estion des ressources humaines et responsabilité sociale 353

travail, un faible investissement en matière de prévention Comme on le sait, le stress au travail constitue de nos
des accidents du travail, de sensibilisation aux risques jours une préoccupation importante tant son développe-
professionnels et de maladies professionnelles. ment est fulgurant. Les attentes des employeurs étant de
plus en plus élevées, les employés sont dès lors stressés
car ils sont préoccupés de ne point satisfaire ces attentes,
Sur le plan de la santé et de la sécurité surtout quand ces dernières sont combinées dans cer-
au travail tains cas avec des objectifs et des échéances intenables,
pour ne pas dire irréalistes pour les employés, ou qu’elles
Les entreprises sont tenues de prévoir et de mettre en
ne sont pas accompagnées d’un soutien de la part de
place un environnement de travail qui prémunit les
l’employeur, qui peut s’exprimer par un accompagne-
employés contre une altération de leur santé physique
ment de moyens appropriés pour effectuer les travaux
et mentale. Dans ce domaine, des pratiques respon-
confiés. Une telle situation s’est accompagnée notam-
sables de gestion des ressources humaines s’exprimeront
ment par l’apparition de nombreux cas d’épuisement
davantage par la mise en place de programmes préven-
professionnel (burnout). La figure qui suit illustre fort
tifs en santé et sécurité du travail et la formation des
bien cette situation.
employés pour leur faire acquérir des comportements
appropriés au travail.

Figure 5 Les familles de tension au travail


354 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Sur le plan des rémunérations tenant constamment informés des évolutions au sein de
leur entreprise. De nombreux auteurs ont souligné que la
En matière de gestion des ressources humaines, nous
communication représente la base de l’engagement des
savons tous qu’il est important que les organisations
employés car elle permet à ces derniers de participer aux
se soumettent aux législations en vigueur, en matière
décisions autant qu’elle contribue à l’établissement d’une
de salaires, d’heures supplémentaires ou de tout autre
relation de confiance avec l’employeur qui les maintient
aspect de la rémunération. Toutefois, force est de
constamment informés des évolutions de l’entreprise.
constater que certaines organisations peuvent solliciter
D’autres exemples pourraient fort bien être soulevés,
une main-d’œuvre névralgique provenant par exemple
mais nous allons nous arrêter ici.
de l’immigration (ou des enfants) et offrir dans ce cas
des rémunérations plus faibles ainsi que de moindres
avantages notamment financiers, dans le seul but d’aug-
menter leur marge de profit. Force est d’admettre, dans Conclusion
ce cas, qu’on s’éloigne de ce que nous pouvons quali-
La responsabilisation sociale des entreprises est une
fier de pratiques responsables de gestion des ressources
perspective qui s’impose dans le développement écono-
humaines.
mique et qui oriente la gestion des ressources humaines
Sur le même thème de la rémunération et plus particu- dans le redéploiement de ses pratiques. On observe tou-
lièrement en ce qui a trait aux salaires des dirigeants, tefois que les motifs qui poussent les entreprises à entre-
on a vu se développer durant ces dernières années la prendre cette voie peuvent différer, allant de la recherche
mise en place de pratiques tels les parachutes dorés, exclusive du profit à la prise en considération de l’intérêt
la retraite chapeau et autres garanties contractuelles, commun, soit que ce ne sont plus les objectifs purement
offertes aux dirigeants d’entreprises. Rappelons que les économiques qui déterminent l’action organisationnelle,
parachutes dorés se présentent sous la forme de clauses mais plutôt les préoccupations relevant de la responsa-
prévoyant une indemnité contractuelle, soit une sorte bilisation sociale, ce qui fait de cette dernière une source
d’« assurance chômage de luxe », notamment en cas de procurant à l’organisation une légitimité et donnant un
départ d’un dirigeant en cours de mandat. La retraite sens à son action.
chapeau est une disposition du contrat d’un dirigeant
Par conséquent, il est important de se demander à quel
qui garantit à ce dernier le versement d’une allocation
point le discours sur la responsabilisation sociale des
égalant son salaire au moment où ce dernier quittera
entreprises est rigoureusement intériorisé par les entre-
ses fonctions. De telles pratiques ont souvent été jugées prises, voire confronté à la réalité des personnes à l’inté-
abusives au sein de l’opinion publique de même qu’il a rieur des organisations. Autrement dit, la responsabilité
été souvent demandé d’y mettre fin, particulièrement sociale de l’entreprise devra trouver son point d’ancrage
lorsque l’entreprise était en situation d’échec. Il n’est pas dans la gestion des ressources humaines et, par le fait
dans notre intention ici de critiquer de telles dispositions, même, permettre à cette dernière de s’accomplir pleine-
sauf de considérer leur aspect éthique et surtout de nous ment. Peut-être le discours sur la responsabilité sociale
interroger sur la manière dont les différentes parties des entreprises constitue-t-il une occasion pour repenser
prenantes (actionnaires, salariés, dirigeants, clients…) les logiques de professionnalisation de la fonction res-
peuvent en juger le caractère équitable ou inéquitable. sources humaines qui est la mieux positionnée pour
coordonner toutes les parties prenantes. Peut-être aussi
un tel discours constitue-t-il un moyen pour redonner à
Au plan de la communication cette fonction une nouvelle légitimité par le fait même
Le rôle de la communication est très important pour d’imposer des pratiques à la fois vertueuses et en har-
faciliter la participation des employés et l’établissement monie avec les objectifs économiques et environnemen-
d’une relation de confiance avec ces derniers, en les taux qui s’imposent.
 17   G estion des ressources humaines et responsabilité sociale 355

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18

Quelle place pour l’éthique


en ressources humaines ?
Lyse Langlois, Samuel Mercier et Jennifer Centeno

On considère généralement l’éthique comme appar- visent à prévenir les situations à risque. Ainsi, le couple
tenant exclusivement au domaine de la philosophie. entreprise et éthique semble lié que ce soit par un ques-
Certes la philosophie représente la discipline mère de tionnement, une infrastructure ou un dispositif ou une
l’éthique, mais, depuis plusieurs années, l’éthique innerve forme de régulation souvent associée au droit souple.
et influence des disciplines telles que l’administration, Cette plus grande place que prend l’éthique depuis la fin
le management, les ressources humaines, sans compter des années 1980 pose un certain nombre de questions
la médecine et la recherche, créant ainsi un corpus de que Le Goff (1992) a associées à un discours de bons
connaissances interdisciplinaire riche et varié. Avant sentiments décalés des préoccupations réelles des sala-
d’entrer dans le vif du sujet de ce chapitre, il nous appa- riés. Cette observation de Le Goff vise à nous alerter sur
raît important de dépasser un certain nombre d’idées l’instrumentalisation possible que peut subir l’éthique ou
préconçues qui pèsent sur l’éthique et de s’attarder aux la distorsion qu’on lui fait dans le but de maintenir une
contributions qu’elle apporte de même qu’au corpus bonne réputation ou l’apparence de bonne conduite.
de connaissance qui se développe particulièrement au Cette nourriture rapide éthique ne correspond pas à la
Québec en ce qui a trait au domaine de l’éthique orga- position que nous défendons ici. L’éthique telle qu’elle
nisationnelle. Ce domaine en plein développement et est définie dans ce chapitre vise à mettre de l’avant
consolidation pourrait enrichir la gestion des ressources une capacité réflexive critique sur les réalités du travail,
humaines et lui redonner un second souffle sur le plan capable de transformation. Cette capacité réflexive doit
théorique. nécessairement reposer sur une vision claire des valeurs
qui sont mises de l’avant par l’organisation, de même que
Pour la grande majorité, l’éthique renvoie à l’aspect
des finalités qui sont poursuivies. Pour qu’elle trouve tout
individuel et du passé par les différents courants phi-
son sens, elle se traduit dans les actes, c’est-à-dire dans
losophiques qui l’ont fondée. L’éthique relève aussi de
les pratiques et les infrastructures. Mais avant de plonger
l’ordre du présent du collectif et du sociétal. Appliquée au
au cœur de l’éthique, un certain nombre de questions se
domaine de la gestion, elle remet en question et façonne
posent : quelle est la place de l’éthique dans l’entreprise
entre autres les mécanismes visant à maintenir les
ou, plus spécifiquement, comment l’éthique peut-elle
bonnes pratiques, à prévenir la corruption, à examiner
s’actualiser en ressources humaines ? Existe-t-il des dis-
les chaînes de valeurs et les relations avec les fournis-
positifs organisationnels pouvant lui être associés ? Si
seurs et les sous-traitants, à revoir la rémunération et les
l’éthique a sa place, comment doit-elle s’institutionnaliser
bonus au diapason avec l’acceptabilité sociale. L’éthique
sans se faire instrumentaliser ?
se formalise aussi par des politiques spécifiques ou
d’élaboration de code ou charte ou d’alerte éthique qui
 18   Q uelle pl ace pour l’ éthique en ressources humaines  ? 359

Dans ce chapitre, nous allons examiner comment des pratiques de corruption souvent institutionnalisées.
l’éthique est arrivée dans le champ des relations indus- Il en va de même des effets sur l’environnement de cer-
trielles, plus précisément en ressources humaines. Dans taines pratiques d’entreprise qui se souciaient peu de la
un premier temps, nous mettrons en évidence les prin- préservation et encore moins des effets à long terme
cipaux auteurs théoriques qui ont soulevé son absence des conditions de travail des enfants et des employés
dans le champ disciplinaire des relations industrielles et souvent exploités dans certains pays aveugles et sourds
la montée progressive de cette notion en gestion. Par la aux conventions internationales de protection des tra-
suite, nous nous attarderons au courant du management vailleurs.
critique des ressources humaines qui correspond à la
Les scandales qui ont émergé dans les années 19801
conception de l’éthique que nous favorisons pour son
ont eu le mérite de secouer quelque peu cette ignorance
plein déploiement en organisation, mais surtout pour
primitive parfois volontaire ou involontaire et de sensibi-
le tournant qu’elle propose au domaine des ressources
liser la société aux considérations éthiques. Pour Abend
humaines. En dernière partie nous nous attarderons à
(2014), l’érosion des normes éthiques et du sens de la
l’institutionnalisation de l’éthique et aux formes qu’elle
responsabilité des entreprises sont l’une des causes de
prend au niveau organisationnel en soulevant un certain
la crise, donnant ainsi une impulsion au domaine de
nombre de questionnements touchant plus particulière-
l’éthique des affaires, mais aussi aux besoins d’instituer
ment la gestion des ressources humaines. Nous termi- une éthique organisationnelle.
nerons avec quelques suggestions qui visent à voir le
potentiel que peut jouer l’éthique au sein des ressources Toutefois, il nous semble important de sortir les entre-
humaines. prises de l’amnésie éthique qui perdure et qui est entre-
tenue par le courant néolibéral. La nature morale de
l’organisation peine à faire sa place et est parfois éva-
cuée ou carrément expulsée. Cette torpeur est de plus
Le besoin d’éthique en plus secouée par les pressions de toutes parts des
Les Trente Glorieuses (Fourastié, 1979), époque dite ONG, groupes politiques, associations diverses, etc., qui
bénie pour les pays industrialisés occidentaux, ont été ont contesté les agissements de certaines entreprises qui
marquées par une prospérité économique qualifiée d’ex- faisaient abstraction de leurs responsabilités à l’égard de
ceptionnelle : la croissance économique, le plein emploi, leurs salariés et de la communauté dans laquelle elles
l’accroissement du pouvoir d’achat et la consommation vivent. Il en est de même pour l’Organisation de coopé-
de masse. Cette croissance a généré une amélioration ration et de développement économiques (OCDE) qui,
des conditions de vie qui a été certes saluée, mais a mis depuis les années 1990, invite les États membres à se
à l’arrière-scène le questionnement et les conséquences doter d’infrastructures éthiques afin de maintenir les
que générait une telle productivité économique. Par bonnes pratiques au travail dans le but de sensibiliser,
exemple, parler de plein emploi n’entraînait pas néces- mais aussi de prémunir les organisations contre les actes
sairement un questionnement profond sur la qualité frauduleux. Cette incursion de plus en plus légitimée
de vie au travail, ni même une remise en question des illustre à la fois la montée en puissance du droit souple
pratiques de certaines entreprises sur les individus, leur (soft law) et la place croissante faite aux valeurs dans la
santé et l’environnement. Le contexte de cette période gouvernance d’entreprise. Elle secoue les milieux tant
de croissance entraînait peut-être ce que Jean-Jacques privés que publics et met en évidence le besoin de mettre
Rousseau appelait une « heureuse ignorance primitive », à l’avant-scène des valeurs jugées primordiales par les
collectifs de travail souvent bafouées au nom de la
faisant en sorte que certains questionnements éthiques
pouvaient être mis en veilleuse, cachant ainsi la respon-
sabilité qui en découlait (Max Weber et son éthique de la 1. Plus actuel, on peut aussi penser aux suicides des employés chez
France télécom et à sa mise en examen (2012), sans oublier au
responsabilité). Cette bienheureuse ignorance a été vite
Québec la Commission sur l’octroi et la gestion des contrats
secouée par l’arrivée de crises économiques successives publics dans l’industrie de la construction, communément
et par la mise au grand jour des scandales financiers et appelée la commission Charbonneau (2015).
360 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

rentabilité à tout prix. La déréglementation, le désenga- partenariat vient-il contrevenir à la mission et les valeurs
gement de l’État, les pratiques de licenciements massifs qui sont promues au sein de la multinationale ? Le fait
n’ont fait qu’accélérer ce questionnement et ce besoin d’y réfléchir et de l’inclure dans une réflexion d’affaires
démontre le rôle que peut jouer l’éthique au plan straté-
éthique, faisant en sorte de commencer petit à petit à lui
gique. Le fait de l’intégrer et de la prioriser par exemple
créer un espace qui se faufile lentement dans les déci-
fait en sorte que, si l’entreprise affirme prendre le chemin
sions stratégiques. Le défi est de concrétiser dans les de la réflexion éthique, elle dépasse par son intégration
pratiques et dans les structures les valeurs qui ont du les intentions louables ou les vœux pieux en justifiant
sens pour les travailleurs afin de redynamiser le collectif qu’au nom des valeurs affichées elle ne peut conclure
(Bégin et Langlois, 2012). une telle entente.

Toutefois ce défi peut être difficile à saisir lorsqu’on tente Pour certains, qui excluent la réflexion éthique, ces
de concrétiser la réflexion éthique et de la transposer questions peuvent sembler farfelues ; pour d’autres,
en action. Prenons la situation suivante pour démontrer elles n’ont tout simplement pas leur place dans le milieu
concrètement la place que peut occuper l’éthique dans des affaires, car seulement l’avantage financier, même à
les décisions stratégiques en mettant au défi les valeurs court terme, doit prévaloir en affaires (Friedman, 1974).
d’une multinationale : Devant le questionnement de plus en plus grand des
Une grande entreprise de cosmétique reçoit une offre
parties prenantes et des pressions de toutes sortes, force
d’un fournisseur de whisky pour un éventuel partenariat est d’admettre que cette dimension ne peut être niée
d’affaires. Le fournisseur propose à la multinationale qu’à aujourd’hui. Toutefois, pour qu’elle trouve sa juste place
l’achat de deux bouteilles d’alcool un mascara puisse être et pour démontrer sa pleine capacité, il s’avère important
offert en cadeau et pas n’importe lequel, celui qui est de dépasser les intentions louables en faisant en sorte
très populaire sur le marché. Le questionnement éthique qu’elle soit intégrée tant dans les structures et les pra-
peut viser à découvrir les intentions du fournisseur, le tiques que dans les décisions stratégiques. Il en va ainsi
groupe qui est visé, soit les femmes, à savoir pourquoi
du côté de la gestion des ressources humaines où l’enca-
ce groupe et cette région en particulier, à analyser les
drement normatif et juridique est souvent aux premières
conséquences potentielles de cet éventuel partenariat
sur la société, l’intégration ou non accordée aux valeurs loges, contrôlant ainsi le processus décisionnel et l’agir
promues par la multinationale dans cette entente com- des individus. Pour certains, l’éthique est complètement
merciale, etc. En analysant un peu plus l’intention, on assujettie aux normes et aux règles, ce qui n’est pas le
pourrait percevoir que la région visée, qui se trouve dans rôle qui lui est dévolu. L’éthique telle qu’elle est proposée
un pays en émergence, a une population plus importante dans ce chapitre demeure essentielle pour maintenir une
de femmes et ces femmes assument un rôle économique coexistence équilibrée au moment où le droit peut res-
déterminant pour la famille. Le but du fournisseur pour-
pecter certaines limites dans la résolution des problèmes.
rait être d’inciter ce groupe à consommer de l’alcool
Le secteur des ressources humaines, souvent pris entre
pour obtenir la dernière nouveauté sur le marché2.
l’arbre et l’écorce, soit les attentes des employés, des
Cette tentative de séduction commerciale par le biais
du cadeau (mascara) devient très attrayante pour les dirigeants et des syndicats, peut jouer un rôle clé dans
femmes de cette région. En ciblant ce groupe et en sou- l’intégration de l’éthique. Ce qui nous amène à clarifier
levant quelques questions éthiques telles que : est-ce certains aspects quant à la place et au rôle que peut jouer
que cette population est plus vulnérable que les autres ? l’éthique, de même qu’à l’orientation proposée.
L’offre peut-elle entraîner des risques d’alcoolisme ? Cette
entente est-elle acceptable d’un point de vue moral ?3 Ce

2. Nous sommes conscients de l’aspect quelque peu stéréotypé –


femme et maquillage – : le but se veut purement pédagogique,
visant à illustrer une réflexion éthique dans un échange
commercial potentiel.
3. Nous n’avons pas fait ressortir les questions pouvant être
rattachées à chacun des courants philosophiques tels que sous-jacents aux questions morales. L’intention est d’exposer de
l’utilitarisme, libéralisme, déontologique, l’équité, etc., qui manière générale quelques questionnements éthiques.
 18   Q uelle pl ace pour l’ éthique en ressources humaines  ? 361

La place de l’éthique dans le d’emploi et des conditions de travail formalisées dans


des conventions collectives. Ce premier glissement vu
domaine des relations industrielles à travers la lunette juridique pose problème quant à la
Le champ des relations industrielles s’attarde à l’étude compréhension de ce qu’est l’éthique et du rôle véri-
table qu’elle peut jouer dans ce domaine. Ainsi perçue,
des réalités du travail et de l’emploi en prenant en consi-
l’éthique devient déontologie et sa légitimité est juri-
dération les acteurs sociaux. En analysant la littérature
dique, ce qui n’est pas totalement le cas. Boisvert et ses
du domaine, il est étonnant de constater que l’éthique
collaborateurs (2003) avaient déjà donné des précisions
est très peu présente, voire quasi absente. On pourrait se
quant à la nature spécifique de l’éthique au regard du
demander où est l’éthique. Pourquoi une telle négation ? droit, de la déontologie et des mœurs. Tous ont un voca-
L’éthique semble se découvrir dans un premier temps, bulaire à partager et disposent d’une synergie régulatoire
par des préoccupations purement juridiques et, dans (Jutras et Boivert, 2015), mais ils ont des visées et des
un deuxième temps, par l’amélioration de la relation éléments distincts.

Figure 1 Nature spécifique de l’éthique au regard du droit, de la déontologie et des mœurs

Source : Boisvert et collab., 2003

Le droit concerne les lois et la réglementation établies croit important d’obéir. Ces principes sont des valeurs
par les autorités légitimes dans une société. Il s’attarde morales fondées à partir de coutumes ou de convictions,
à ce qui est permis, obligé, défendu pour tout citoyen croyances spécifiques qui permettent de différencier ce
ou pour une catégorie d’individus ayant des caracté- qui est considéré comme acceptable ou inacceptable
ristiques analogues. La convention collective, le Code selon les normes attendues et auxquelles il faudrait se
civil, le Code criminel, le Code des professions sont des conformer (exemple : la morale judéo-chrétienne, la règle
exemples associés à la logique du droit. La déontologie d’or, etc.). Ces valeurs et ces principes sont au cœur des
fait aussi appel aux obligations et aux devoirs imposés jugements moraux ou éthiques qu’on porte (Commission
à des professionnels dans l’exercice de la profession. de l’éthique en science et en technologie, 2016).
Il précise ce que le professionnel doit faire, doit res-
pecter, doit éviter. Par exemple, le code des conseillers L’éthique est une réflexion sur les valeurs, les normes,
et conseillères en ressources humaines agréés. Le droit les règles et les raisons qui guident les actions des per-
et la déontologie appartiennent au mode d’hétéroré- sonnes, c’est une réflexion en amont de l’action. Elle
gulation, c’est-à-dire que la conduite à maintenir pro- invite toute personne à prendre conscience des valeurs
vient d’une pression externe et, en cas de violation, une qui motivent ses actions. Par cette prise de conscience,
sanction peut être appliquée. La morale concerne les une certaine mise à distance s’avère nécessaire pour
règles et les principes commandant des conduites rat- mieux évaluer les choix qui se posent. L’éthique fait appel
tachées à des idéaux supérieurs auxquels un individu à l’autonomie et à la responsabilité individuelle. Elle est
362 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

ainsi associée à une forme d’autorégulation comman- des acteurs. Et, dans un deuxième temps, d’examiner
dant une discipline et une délibération interne associée à pourquoi il est pertinent d’aborder la notion d’institu-
ce qu’un individu doit faire ou à ce qu’il convient de faire. tionnalisation de l’éthique.
Il renvoie à l’agir humain, aux conduites quotidiennes,
aux choix à faire, donc aux normes de conduite, voire
aux valeurs et aux fins. Les questions qui surgissent dans Le courant de la GRH critique
cette délibération interne sont par exemple : que dois-je
C’est dans le contexte de l’instabilité économique des
faire ? Comment dois-je agir dans cette situation com-
années 1960 et de la crise pétrolière de 1974-1975 que
plexe ? Quelles sont les limites de mes actions ? Est-ce
l’alignement entre les ressources et les besoins organi-
acceptable d’agir ainsi ? Qu’est-ce qui légitimera ma déci-
sationnels se retrouve au cœur des préoccupations de
sion ? Ainsi, lorsqu’on parle de morale et d’éthique, on
l’organisation (Legge, 2005). Face à l’intensification de
entre dans la sphère des valeurs et des principes moraux.
la compétition internationale, à la montée des cultures
Ces précisions démontrent que chaque dimension – d’excellence et aux avancées technologiques, la « ges-
droit, déontologie, mœurs, morale et éthique – est dis- tion des ressources humaines » se présente comme une
tincte, mais possède une synergie régulatoire (Boisvert source d’avantages concurrentiels fort prometteuse
et collab., 2003), différente et complémentaire. Toutefois, (Larouche, 1996 ; Legge, 2005).
la place accordée à la régulation sociale qu’est l’éthique
Alors que certains chercheurs ne voient en la venue de
est souvent reléguée en arrière-plan en ce qui concerne
la GRH qu’un changement de nom (Beer et collab., 1985),
le domaine des relations industrielles.
d’autres accueillent une approche qui vient combler les
Cette quasi-absence peut aussi être associée à l’omni- lacunes d’un modèle démesurément axé sur les milieux
présence du paradigme positiviste qui relègue l’éthique syndiqués (Ackers et Wilkinson, 2008), voire qui favorise
au royaume stéréotypé des préférences personnelles ou l’attrition syndicale (Barbash, 1989). D’autres, décriant
sous le corset de la dimension juridique des relations du l’alignement stratégique de la GRH (Schuler et collab.,
travail. En effet, le droit est considéré comme un instru- 2001), déplorent la venue d’une approche qui situe ses
ment de rapport de forces et les droits des travailleurs actions avant tout dans le cadre managérial (Keenoy,
comme la résultante de ces rapports. Dans le domaine 2009). Alors que la gestion du personnel était, à son
des relations industrielles, plus particulièrement dans origine, qualifiée de pluraliste, la GRH est dite défendre
le secteur des ressources humaines, l’éthique relèverait une conception fondamentalement unitariste de la rela-
d’un écart entre l’étude des institutions qui encadrent tion d’emploi (Giles et Murray, 1996 ; Guest, 1987). Une
la relation d’emploi et les actions individuelles et les approche, qualifiée de GRH critique, émerge et se dis-
politiques organisationnelles (Provis, 2006). Le bilan tingue toutefois du courant dominant, voire managérial,
de la réflexion éthique dans le domaine des relations de la GRH.
industrielles est donc bien mince, voire quasi inexistant,
Afin de mieux saisir les distinctions qui existent entre
et cela est confirmé par Budd et Scoville (2005) ainsi
ces deux courants, l’analyse paradigmatique que pro-
que Kaufman (2004) qui affirment que l’éthique est le
posent Burrell et Morgan (1979) peut s’avérer utile pour
domaine le plus négligé dans le champ des relations
comprendre cette nouvelle avenue. Plus précisément,
industrielles, dans la pratique et dans les formations
quel positionnement proposent les chercheurs de la GRH
universitaires. Comment peut-elle voir le jour au sein du
contemporaine lors du classement des grandes théories
domaine, quelle est la place qu’on lui fait et quel potentiel
des relations industrielles ? Une recension des écrits nous
l’éthique représente-t-elle pour les ressources humaines ?
informe que Dabscheck (1983) et Müller-Jentsch (1998)
Afin de répondre à cette question, il importe – dans un distinguent cinq approches théoriques associées au cou-
premier temps – de distinguer le courant dit dominant de rant des RI, mais ne font aucune mention de la GRH. Giles
la gestion des ressources humaines du courant critique et Murray (1996) proposent pour leur part trois « éclai-
qui met en évidence l’éthique tout en faisant un pont rages paradigmatiques » et, ce faisant, présentent la GRH
intéressant entre l’étude des institutions et la dynamique comme une « approche concurrente » ayant « intensifié
 18   Q uelle pl ace pour l’ éthique en ressources humaines  ? 363

l’état de crise prévalant dans l’approche théorique tra- nier l’existence de conflits d’intérêts au sein de la relation
ditionnelle » (p. 77). Quant à Budd (2004), il distingue d’emploi (Bacon, 2003 ; Giles et Murray, 1996 ; Guérin et
quatre écoles de pensée en relations industrielles et Wils, 1996).
associe la GRH au modèle unitariste. Enfin, tant Boivin
Or, les chercheurs appartenant au courant de la GRH cri-
(1996) qu’Audet et Larouche (1988) associent la GRH au
tique s’intéressent aux paradoxes inhérents au domaine,
paradigme fonctionnaliste.
dont les contradictions qui découlent des soucis d’équité
Comparativement, il est intéressant de noter l’associa- et de productivité des professionnels de la GRH, de même
tion que font Burrell et Morgan (1979) des courants que les divergences fréquentes entre la rhétorique et la
critiques. Ainsi, pour ces derniers, ces courants corres- réalité de ces derniers. Le courant dominant perpétuerait
pondent plutôt aux paradigmes humaniste radical et ainsi les inégalités de pouvoir, alors que la GRH critique
structuraliste radical. Le paradigme humaniste radical les remettrait en question (Greenwood, 2002, 2013).
met l’accent sur la construction sociale de la réalité et Bien que les thèmes abordés par les tenants de la GRH
les motifs qui sous-tendent le processus de création – et critique varient considérablement, tous partagent une
de reproduction – de cette dernière. Les individus en préoccupation commune : « L’absence, dans la littérature
venant à s’emprisonner eux-mêmes dans la réalité qu’ils de la GRH, d’une considération significative du pouvoir
créent, un intérêt particulier est accordé à la praxis, soit social, des intérêts divergents, des variations culturelles
aux liens entre la pensée et l’action, permettant aux ainsi que des potentiels conflits de valeurs » (Keenoy,
individus d’engendrer des changements. Quant au para- 2009, p.466, notre traduction). De même, tous déplorent
digme structuraliste radical, la réalité y est conçue par l’absence de l’humain dans la gestion des ressources
l’entremise d’une conception matérialiste et est donc humaines (Johnsen et Gudmand-Hoyer, 2010).
vue comme étant définie par les structures en place. Un
L’importance de la prise en considération de l’aspect
intérêt est dès lors accordé aux tensions et aux contra-
contextuel – caractéristique fondamentale de l’éthique
dictions qui sont inhérentes au système, qui assurent
– est d’ailleurs soulevée par plusieurs tenants du courant
la domination de certains individus ou groupes et qui
critique. En effet, nombre d’ouvrages et de recherches
mèneront ultimement à des changements globaux au
soulignent les limites d’un niveau d’analyse micro (soit
sein de ce dernier. La praxis constitue, pour sa part, un
une analyse se limitant à la remise en question de pra-
moyen permettant aux individus de transcender la domi-
tiques RH spécifiques), d’une approche déontologique et
nation (Morgan, 1980).
universelle qui réduit l’éthique à une position normative
Cette distinction étant faite, il est facile de comprendre et qui ne permet pas de la contextualiser dans un milieu
pourquoi tant de reproches séparent les tenants de d’analyse spécifique, ainsi que d’une approche unitariste
l’approche critique de la GRH des tenants de l’approche et stratégique qui ne reconnaît pas les paradoxes plus
dominante. En effet, en accordant une attention prédomi- larges qui sont inhérents à la GRH – fonction dédiée tant
nante à l’approche positiviste et au modèle scientifique à la protection des employés qu’à l’appui stratégique
(Alvesson et collab., 2009), il est dit que les recherches de la direction – et à la tension qui résulte de ces para-
empiriques menées par les tenants du courant domi- doxes pour ses professionnels (Jack et collab., 2012).
nant tendent à exclure la composante éthique de la prise En ce sens, force est de reconnaître que la GRH critique
de décision et à déshumaniser les pratiques de gestion propose un « regard différent » sur la place de l’éthique en
(Ackers et Wilkinson, 2008), voire à renforcer le statu ressources humaines. Pour Legge (2005), quatre modèles
quo, plutôt que de permettre une véritable remise en permettent de comprendre les multiples nuances de la
question de ce dernier (Greenwood, 2002 ; Legge, 2005). GRH, soit les modèles normatif, descriptif-fonctionnel,
On reproche ainsi aux tenants du courant dominant d’ac- descriptif-béhavioriste et critique évaluatif. Le modèle
cepter naïvement les objectifs de la direction (Clarke et critique évaluatif part du principe que la relation d’emploi
collab., 2008), de promouvoir une nouvelle idéologie du est inégale et que l’employeur est à même d’exploiter
consensus qui permet à la partie patronale de récupérer l’employé si des mesures préventives ne sont pas mises
un pouvoir autrefois partagé (Guérin et Wils, 1996) et en place.
même de minimiser les phénomènes collectifs, voire de
364 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Ces exemples démontrent bien l’écart qui distingue les en milieu de travail, les tenants des ECM s’interrogent
courants dominant et critique de la GRH. Or, il est intéres- quant aux effets d’une telle préoccupation sur la collec-
sant de noter que cet écart passe largement sous silence tivité. De même, les nombreuses initiatives organisation-
dans la littérature des relations industrielles – où la GRH nelles ayant pour but d’accroître la responsabilité des
tend à être associée au paradigme fonctionnaliste. En organisations – notamment sur le plan social ou envi-
effet, on observe qu’une proportion importante de la ronnemental – suscitent d’importants débats quant aux
littérature s’intéressant à la GRH – et particulièrement disparités que peuvent entraîner ces initiatives au niveau
à la GRH stratégique – tend à être unitariste (Burrell et local. Un intérêt considérable est également accordé à
Morgan, 1979 ; Vickers et Fox, 2010 ; Wilcox et Lowry, la nature pluraliste des intérêts qui composent l’organi-
2000) et à faire fi des jeux de pouvoir qui animent la sation et aux paradoxes qui sont inhérents à plusieurs
relation d’emploi, voire à dépolitiser cette dernière (Jack rôles, dont à la gestion des ressources humaines.
et collab., 2012). Cela ne peut que restreindre la place
implicitement allouée au domaine de l’éthique.

Quant au courant de la GRH critique, on observe que L’éthique et l’ECM


ce dernier connaît actuellement un certain essouffle-
Un intérêt limité a toutefois été accordé au champ théo-
ment. Lors de l’interrogation de Legge, en 1996, quant
rique et pratique qu’est l’éthique par les tenants des ECM
à la nature éthique de la GRH, on témoignait en effet
(Prasad et Mills, 2010). Bien que ces derniers ne s’op-
d’un intérêt notable, chez les tenants de ce courant, pour
posent pas à l’éthique appliquée au monde des affaires4,
le domaine de l’éthique ainsi que d’un intérêt marqué
il émerge des écrits une grande incrédulité à l’égard
pour la GRH au sein du domaine américain de l’éthique
des efforts déployés par les organisations au nom de
des affaires (Greenwood, 2002 ; Jack et collab., 2012 ;
l’éthique. La logique managériale, qui domine les orga-
Pinnington et collab., 2007). Or cet intérêt semble à plu-
nisations et les écoles de gestion (Adler, 2002), semble
sieurs égards en perte de vitesse. Il en est de même de
d’ailleurs exhorter à la poursuite de gains économiques,
l’intérêt pour l’éthique au sein du champ théorique et
et non à l’adoption d’une conduite éthique (Royle, 2005 ;
pratique des études critiques en management (ECM).
Prasad et Mills, 2010). Sur le plan théorique, les tenants
La délimitation que font les auteurs du champ des études des ECM se montrent tout aussi sceptiques. Lafer (2005)
critiques en management varie considérablement. Pour laisse d’ailleurs paraître la conception parfois peu
Rouleau (2006), ce champ s’inspire de la critique de nuancée qu’ont certains chercheurs à l’égard du domaine
la raison et de la théorie de l’agir communicationnel de l’« éthique en milieu de travail ». On retrouve ainsi deux
d’Habermas, de l’école de Francfort, de la théorie des groupes. Le premier comprend les auteurs pour qui les
processus de travail de Braverman et de la critique radi- manquements dans l’entreprise en matière d’éthique
cale féministe. Pour les tenants de cette approche, toute résultent du système capitaliste en place. Ces derniers
théorie ou pratique organisationnelle est comprise en prônent l’adoption et l’imposition de standards éthiques,
fonction de ses circonstances historiques et temporelles. par l’entremise d’une régulation gouvernementale, ou
De même, tout processus organisationnel doit être situé encore au moyen de la négociation collective. Quant aux
dans son contexte structurel et tenir compte des forces auteurs appartenant au deuxième groupe, ils attribuent
économiques, de la culture politique et des diverses plutôt les manquements à de mauvais choix individuels
communautés qui y jouent une influence (Thompson et prônent le développement de la capacité éthique des
et McHugh, 2002). L’organisation constitue pour sa part gestionnaires. Pour Lafer, le premier groupe, minoritaire,
une construction sociale historique (Deetz, 1996) où les cherche à inciter un changement politique, alors que le
pratiques de gestion ne peuvent être neutres (Alvesson deuxième groupe est dit majoritaire, mais irréaliste.
et Willmott, 2003). Les oppositions et les contradictions
qui émergent du contexte organisationnel et sociétal
4. Deetz (1996) soutient d’ailleurs que, des quatre paradigmes
sont pour leur part mises en évidence. À titre d’exemple,
(Burrell et Morgan, 1979), les études critiques sont celles qui
alors que les organisations déploient des initiatives ayant accordent le plus d’attention à l’éthique et dont le fondement
pour but d’accroître la protection des droits individuels axiologique est le plus élaboré.
 18   Q uelle pl ace pour l’ éthique en ressources humaines  ? 365

Ainsi, en dépit d’un intérêt marqué pour les effets société. Similairement, Wooten (2001) soutient que la
négatifs des pratiques organisationnelles sur la société GRH ne pourra être pleinement reconnue comme une
(Alvesson et collab., 2009 ; Parker, 2003 ; Michaelson et fonction professionnelle tant que les dilemmes éthiques
collab., 2014) – et pour les initiatives susceptibles de les qui lui font face ne sont pas définis, analysés et résolus.
corriger –, plusieurs tenants des ECM remettent en ques- Nombre d’auteurs6 soulignent de ce fait l’importance
tion la capacité qu’ont les initiatives éthiques à inciter – voire la nécessité – d’une réintégration de la préoccu-
au changement. Plus précisément, ils se montrent très pation éthique à même le champ théorique et pratique
incrédules à l’égard des formules prescriptives propo- de la GRH.
sées dans la littérature managériale et qui cherchent à
Enfin, en milieu de travail, la mise à l’écart des préoccu-
simplifier la complexité qu’implique une véritable prise
pations pour les employés et pour l’aspect bien-être a,
de décision éthique (Pinnington et collab., 2007). Ils s’in-
selon plusieurs, donné forme à une GRH qui fait face à
quiètent également de la portée des initiatives éthiques
une crise de confiance et de légitimité envers ses parties
mises en place5, de même que de l’instrumentalisation
prenantes (Kochan, 2005 ; Legge, 2005). Plus spécifique-
qui peut être faite du concept par les directions d’orga-
ment, le courant dominant de la GRH semble aujourd’hui
nisations (Parker, 2003 ; Wray-Bliss, 2009). À cet égard,
connaître une perte de crédibilité importante à titre de
Boje (2008) affirme que l’éthique appliquée au contexte
gardienne du contrat social des employés (Kochan,
organisationnel s’est cooptée, délaissant une de ses com-
2004), même si plusieurs des questions éthiques les
posantes fondamentales, soit l’éthique de la responsabi-
plus pressantes concernent la relation d’emploi (Budd
lité, de la théorie critique. En résultent une acceptation
et Scoville, 2005).
implicite des pratiques d’affaires « normales » et une mise
en valeur du statu quo. Certains enjeux – tels que le Quant à l’ouverture que semblent avoir certaines organi-
travail des enfants – semblent dès lors priorisés alors sations envers le domaine de l’éthique, cet engouement
que d’autres – dont les écarts salariaux et l’insécurité en est accueilli avec une certaine méfiance, comme il a été
emploi – sont passés sous silence. souligné au début de ce chapitre. D’une part, l’attention
accordée à l’éthique semble fluctuer au gré des scan-
dales et des mises au grand jour d’inconduites. L’intérêt
qu’ont les organisations envers l’éthique semble ainsi
Quelle place pour l’éthique en RH ? refléter un besoin croissant de reconstruire l’acceptabilité
Pourtant, la place de l’éthique en ressources humaines sociale en temps de crise. Le contexte québécois actuel,
est toujours d’une grande pertinence. En effet, de nom- notamment marqué par les travaux de la commission
breuses remises en question persistent quant à la valeur Charbonneau, peut ainsi expliquer l’importance qu’ac-
stratégique de la GRH, à la contribution et aux compé- cordent différents milieux de travail – et groupes profes-
tences de ses professionnels ainsi qu’à la légitimité de sionnels – au domaine de l’éthique. D’autre part, en tant
la fonction, sur le plan tant stratégique que moral (Jack qu’éléments socialement désirables – et compte tenu
et collab., 2012 ; Kochan, 2004 ; Pinnington et collab., de l’effet que peut jouer le capital réputationnel sur le
2007). De même, plusieurs auteurs nous mettent en succès d’une organisation (Howitt, 2002 ; Jenkins, 2004)
garde quant à l’état actuel du champ de la gestion des –, l’éthique peut facilement être perçue comme étant tout
ressources humaines. À titre d’exemple, Budd et Scoville aussi économiquement désirable. Bien que l’argument
(2005) observent que, si la GRH n’intègre pas des ana- économique ne soit pas en soi répréhensible – après
lyses éthiques plus approfondies dans son champ de tout, les intérêts économiques et humains ne sont pas
recherche et de pratique, elle ne reflétera plus les pré- toujours mutuellement exclusifs –, une telle conception
occupations sociales et politiques d’envergure de notre peut influencer la manière dont une démarche éthique
est planifiée et déployée en milieu de travail. Cela incite

5. Sloan et Gavin (2010) déplorent, par exemple, le fait que l’intérêt


organisationnel pour l’éthique se traduit souvent par l’adoption 6. Citons, notamment, Getz (1990) ; Greenwood (2004, 2013), Scott
de politiques éthiques, mais que l’éthique des pratiques est (2005), Sloan et Gavin (2010), Winstanley et Woodall (2000) et
rarement remise en cause. Legge (1999).
366 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

de nombreux auteurs7 à dénoncer les nombreuses Depuis les années 1980, la tendance est à la quasi-gé-
démarches éthiques qui sont avant tout motivées par néralisation de la formalisation de l’éthique dans les
la devise « l’éthique est bonne pour les affaires » (ethics grandes entreprises. Kaptein et Bons (2014) indiquent
is good for business) et qui constituent des efforts spora- que 76 % des entreprises du Global Fortune 200 ont un
diques s’inscrivant dans une vision à court terme. code de conduite. Selon Desmartin et Flamant (2015),
plus de 84 % des entreprises françaises du CAC 40 dis-
À la suite de ces précisions quant à la place de l’éthique
posent d’un code ou d’une charte éthique. Même l’Elysée
au sein du champ des relations industrielles, plus spécifi-
en France a publié une charte pour les collaborateurs du
quement en ressources humaines, et au rôle qu’elle peut
président de la République : « ils s’engagent à respecter
jouer en insufflant une nouvelle dynamique sur le plan
les principes d’intégrité, de probité, d’indépendance et
théorique, la partie suivante s’attardera à la formalisation
d’impartialité, du secret et de la discrétion profession-
et à l’institution de l’éthique en organisation afin d’en
nelle ».
illustrer les aspects plus pratiques.
Le code éthique (appelé parfois code de conduite ou
encore charte d’éthique8 ) est l’outil le plus répandu, le
plus simple et le moins coûteux pour signaler les inten-
L’institutionnalisation de l’éthique tions éthiques de l’entreprise et préciser la nature des res-
en organisation ponsabilités incombant aux collaborateurs. Il est formé
d’engagements volontaires de la part de l’entreprise et
Infrastructure éthique décrit de façon plus ou moins détaillée le comportement
Il est important de distinguer le processus d’institu- éthique approprié que tout salarié doit adopter.
tionnalisation de ce qu’est une infrastructure éthique. Le code constitue la clé de voûte d’un processus plus
Pour mieux distinguer les nuances, nous empruntons global d’institutionnalisation de l’éthique en entreprise
la clarification de ces notions à Bégin et Langlois (2012) qui régule les relations entre l’entreprise et ses diffé-
« L’infrastructure de régulation éthique comporte un rentes parties prenantes (stakeholders). Van Parijs (2004,
cadre normatif (lois, politiques, règlements, valeurs…), p. 597) résume justement les différents facteurs qui se
des dispositifs éthiques, formels et informels, requis par combinent et qui ont conduit au développement de la
sa mise en œuvre, ainsi que des dispositifs de contrôle formalisation éthique :
des risques éthiques. Par dispositif formel on entend les
– une évolution technologique qui rend toujours plus
politiques et mécanismes institutionnalisés dans le but
délicat le contrôle précis de l’effort et de l’honnêteté
d’orienter les conduites dans le sens des valeurs orga- d’une partie toujours plus cruciale des collaborateurs
nisationnelles (dispositifs éthiques) et de favoriser leur (d’où ce besoin de rappeler les règles, d’homogénéiser
conformité aux règles (dispositifs déontologiques). Par la culture organisationnelle) ;
dispositif informel, on entend toute pratique non offi-
– une internationalisation rapide de l’activité écono-
cielle favorisant les mêmes objectifs ; par exemple, les
mique qui rend toujours plus difficile sa régulation par
échanges éthiques (conseils, discussions entre collègues) les législations nationales et appelle de ce fait, à la fois
non planifiés » (2012 : 7). faute de mieux et par crainte de régulations étatiques
supranationales, une autorégulation par les responsables
L’institutionnalisation de l’éthique est un processus par
d’entreprises ;
lequel les organisations (en règle générale, à partir d’une
taille conséquente) tentent de normaliser les comporte- – une sensibilité croissante des entreprises à leur image
ments de leurs collaborateurs, voire de certaines de leurs de marque. La réputation éthique d’une entreprise,
c’est-à-dire son intégrité perçue par les stakeholders, est
parties prenantes, en mettant en place des dispositifs
devenue une part importante de son capital.
dédiés.

7. Citon, notamment, Boje (2008), Fortin (1995) et Casado-Sanchez 8. Voir ci-dessous pour les précisions que nous souhaitons apporter
et collab. (2014). à ces différentes dénominations.
 18   Q uelle pl ace pour l’ éthique en ressources humaines  ? 367

Ainsi, plus d’un tiers des candidats français refuseraient Une typologie de la formalisation éthique
un emploi dans une entreprise entachée par une mau-
L’analyse de contenu des documents éthiques édictés
vaise réputation, quelle que soit la compensation sala-
par les organisations fait ressortir trois composants clés :
riale, selon le mensuel Courrier Cadres (novembre 2015,
p. 12). • les valeurs organisationnelles (dimensions axiolo-
gique et ontologique),
Les systèmes formels visant à gérer la dimension éthique
répondent donc à des pressions tant externes qu’in- • les principes qui sont avant tout des responsabi-
ternes. Nous proposons tout d’abord une typologie de lités organisationnelles envers ses parties prenantes
la formalisation éthique puis une présentation du pro- (collaborateurs, actionnaires, clients, fournisseurs,
cessus d’institutionnalisation avant de nous interroger gouvernements…),
sur l’efficacité des codes éthiques.
• et les règles de conduite (dimension déontologique).

Comme le démontre le tableau 1, la formalisation


éthique combine donc des valeurs, des responsabilités
et des règles dans des proportions variables selon la
culture organisationnelle.

Tableau 1 Le contenu de la formalisation éthique

Éthique axiologique Éthique de la Déontologie


et ontologique responsabilité

Mode d’élaboration Dirigeants (après une large Dirigeants (après consultation Dirigeants en lien avec la
consultation généralement) des cadres clés généralement) fonction RH et le service
juridique (peu de consultation
des partenaires sociaux)

Eléments de contenu Définition et parfois Énoncé des responsabilités Énoncé des responsabilités qui
illustration des valeurs clés envers les parties prenantes incombent aux collaborateurs

Destinataires Salariés et toutes les autres L’ensemble des parties Salariés essentiellement et
parties prenantes prenantes (dont les salariés) parfois certains partenaires
économiques

Objectif Homogénéiser la culture Créer une relation de Éviter tout conflit d’ordre
organisationnelle, affirmer confiance avec les parties éthique et protéger la
l’identité (recherche de prenantes (recherche réputation organisationnelle
légitimité sociale) de légitimité sociale)

Portée d’application Très générale (absolument Générale (non contraignante) Pratique (caractère
pas contraignante) contraignant plus ou moins
marqué selon les documents)
Nous proposons de préciser ces trois grandes dimensions de l’éthique organisationnelle.

L’éthique axiologique et ontologique Une grande entreprise a ainsi pu faire référence à un


temple pour insister sur l’intemporalité des valeurs.
Les valeurs sont établies en liaison avec la mission et la
vision de l’organisation (des réflexions de nature onto- Il s’agit d’une orientation très générale sur la façon dont
logique visant à décrire la nature de l’organisation sont l’organisation entend traiter les problèmes éthiques
aussi formalisées). Elles représentent des convictions générés par ses activités.
fondamentales et demeurent invariables au fil du temps.
368 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

L’analyse des valeurs les plus mobilisées montre la à formaliser les orientations et les finalités de l’organisa-
coexistence : tion sont également développés.Toute cette formalisa-
tion vise à donner l’assurance aux parties prenantes que
• de valeurs liées à la performance organisationnelle
l’entreprise reconnaît ses responsabilités envers elles et
(création de valeur, professionnalisme, innovation,
la légitimité de leurs attentes.
excellence et qualité), qui ne sont pas forcément des
valeurs éthiques ;

• et de valeurs liées à la performance relationnelle La déontologie


(notion de respect, confiance, responsabilité, citoyen- Les codes sont formalisés de façon prescriptive et
neté, esprit d’équipe et intégrité). Comme le montre le abordent systématiquement les thèmes suivants : rappel
tableau 2, Kaptein et Bons (2014, p. 13) ont retenu des exigences légales, importance de l’intégrité dans les
les dix valeurs les plus présentes dans les codes des relations avec les parties prenantes et notamment les
200 plus grandes entreprises mondiales (Fortune clients, nature des conflits d’intérêts à éviter, sensibilité
Global 200). au thème de la confidentialité des informations.

Ils se veulent l’application des valeurs et des principes


Tableau 2 Les dix valeurs les plus fréquentes (éléments permettant de donner du sens aux règles). Il
s’agit d’une éthique déontologique qui précise les res-
Intégrité 50 % ponsabilités et les devoirs qui incombent aux collabora-
Respect 36 % teurs dans le cadre de leur travail, principalement envers
les tiers.
Honnêteté 34 %
Deux grands thèmes sont systématiquement abordés :
Responsabilité 27 %
les actes qui risquent de corrompre le processus d’achat
Confiance 26 % (problème de corruption, conflits d’intérêts, offre et
Orientation client 22 % réception de cadeaux) et les conduites frauduleuses
(sécurité et confidentialité de l’information, relations
Performance 20 %
avec les concurrents).
Communication ouverte 18 %
Il s’agit également souvent de règles de bon sens, voire
Esprit d’équipe/coopération 18 % d’un simple rappel des exigences légales.
Innovation 15 % La formalisation de règles détaillées vise à s’assurer
que le document pourra guider le collaborateur dans sa
résolution de dilemmes éthiques. Par exemple, certaines
L’éthique de la responsabilité
organisations abordent, en détail, les règles liées à la
Elle renvoie aux travaux de Weber (1959, distinguant réception de cadeaux en précisant la conduite à tenir
entre éthique de la conviction et éthique de la respon- selon leur valeur estimée.
sabilité, ou encore aux réflexions de Jonas (G. Hottois,
L’objectif est de protéger le capital réputation de l’en-
1996).
treprise en standardisant les comportements, donc en
Les engagements des organisations s’articulent bien cherchant la conformité (compliance). Cela réaffirme
entendu autour des valeurs fondamentales précédem- l’existence d’un pouvoir hiérarchique fort de la part des
ment mentionnées. Cependant, ils ne peuvent prétendre dirigeants dont la volonté est de faire adhérer le per-
être suffisamment précis pour servir réellement de guide sonnel aux règles organisationnelles. Les valeurs atten-
aux collaborateurs dans des situations ambiguës. dues sont l’intégrité, l’honnêteté, la loyauté, le respect
des règles…
Leur objectif est de développer un sentiment d’adhésion
et d’engagement des parties prenantes dans les buts Les documents dans lesquels éthique axiologique
organisationnels. Certains aspects téléologiques visant et éthique de la responsabilité prédominent peuvent
 18   Q uelle pl ace pour l’ éthique en ressources humaines  ? 369

prendre l’appellation de charte éthique. Ces documents Le processus d’institutionnalisation de l’éthique


semblent plus fréquents dans les entreprises euro-
La production de chartes ou de codes ne constitue qu’un
péennes.
aspect d’un processus plus global d’institutionnalisation
Lorsque les règles sont prédominantes, le document a de l’éthique. Comme l’illustre le schéma 1, la formalisa-
plutôt tendance à être intitulé « code de conduite9 ». tion s’entoure de plusieurs mécanismes s’assurant du
Il convient de noter que les documents énonçant des respect des engagements énoncés et visant à instaurer
règles de conduite détaillées sont souvent l’apanage de des relations de confiance avec les parties prenantes.
filiales de groupes américains (certains documents com-
portent plus de trente pages). Les entreprises françaises,
même celles qui énoncent à la fois des responsabilités
Schéma 1 Processus d’institutionnalisation
de l’éthique
et des règles de conduite dans un même document,
adoptent des documents généralement moins volumi- Comité d’éthique
neux, comme l’illustre le code de conduite de Total pré-
senté au tableau 3.

Éthique formalisée
(Valeurs et responsabilités, règles)
Tableau 3 Code de conduite de Total
(février 2015, architecture du document)
Direction des Département RSE ou Direction
Code de conduite de Total (février 2015,
ressources Développement Durable juridique
architecture du document) humaines
Le message du directeur général (1 page)
• Trois valeurs communes : respect – responsabilité –
exemplarité • Formation • Mesure de la • Déontologues
à l’éthique performance • Gestion de la
• Trois principes d’action prioritaires
• Intégration dans globale conformité
Qu’est-ce que le code de conduite ? (1 page) le système • Rapport de RSE (compliance) :
Nos principes d’action (1 page) d’appréciation • Dialogue avec les certification,
Nos collaborateurs (2 pages) des collaborateurs parties prenantes sanction,
• Les engagements du groupe : 6 points • Audit éthique dénonciation

• Les attentes du groupe : 8 points


• Nos autres parties prenantes (3 pages) Au niveau du conseil d’administration, le comité
• Nos clients d’éthique a pour tâche de suivre l’application de l’éthique
• Nos fournisseurs
formalisée. Il est le garant de la politique éthique et est
• Les pays hôtes
chargé de surveiller la conformité des actions des diri-
• Les communautés locales
geants et des salariés de l’entreprise avec les normes
• Nos partenaires industriels et commerciaux
juridiques et éthiques. Il produit généralement un rapport
• Nos actionnaires
Le Comité d’éthique du groupe (2 pages) d’activité annuellement.
Pour en savoir plus (2 pages) Au sein de l’entreprise apparaissent des responsables
• Ressources de Total
de l’éthique (ou déontologues) et même des vice-prési-
• Ressources externes
dents à l’éthique10, fonction acceptée par la direction et
bien identifiée dans l’organigramme de l’entreprise. Leur

10. Les multinationales telles que Total, SA et l’Oréal ont toutes


des vice-présidents à l’éthique. Ces responsables tentent
9. Cela n’est bien sûr pas systématiquement le cas ; voir à ce sujet d’institutionnaliser l’éthique dans les pratiques et dans les
le sommaire de la charte de Pierre Fabre à la fin de ce chapitre. structures.
370 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

responsabilité est de veiller au respect de la politique responsabilités et de règles de conduite peut conduire
éthique, à sa diffusion interne, mais également de rendre aux injonctions paradoxales suivantes concernant les
compte à leur hiérarchie des comportements observés et comportements attendus de la part des collaborateurs :
de conseiller les collaborateurs de l’entreprise. d’un côté, l’entreprise fait la promotion de la responsabi-
lité individuelle et de la prise d’initiative, mais de l’autre
La formalisation s’accompagne également de sémi-
elle impose la conformité à des règles préétablies.
naires de formation à l’éthique. Pour être efficace, la
formation à l’éthique doit contribuer à améliorer le rai- Une telle formalisation est-elle un outil au service de
sonnement éthique des individus : l’efficience des organisations ou une réponse à leur
quête de légitimité sociale ? Dans ce cas, ce serait un
• en aidant à l’identification de la dimension éthique
produit de l’isomorphisme institutionnel, concept déve-
présente dans toute décision ;
loppé par DiMaggio et Powell (1983). L’analyse des docu-
• en légitimant cette dimension comme faisant partie ments ne permet pas de trancher définitivement, mais
de la prise de décision ; met en avant la forte homogénéité de la communica-
tion éthique. Deux grandes logiques : engagement vs
• en aidant les individus à appliquer une analyse
conformité (Commitment vs Compliance). Les démarches
éthique au quotidien pour détecter les problèmes
éthiques répondent à un double objectif :
émergents ;
• d’une part, elles constituent un outil de régulation
• en faisant prendre conscience de la nature ambiguë
interne visant à homogénéiser la culture organisa-
des situations.
tionnelle et à limiter les comportements discrétion-
L’organisation d’un audit éthique périodique est une naires des salariés.
façon de vérifier si les valeurs et les règles édictées sont
• d’autre part, elles apparaissent, en réponse aux pres-
vécues au quotidien. C’est l’occasion d’examiner en pro-
sions de l’environnement social, comme un outil de
fondeur les pratiques de l’entreprise et de reconnaître les
protection des intérêts de la direction de l’entreprise
facteurs qui conduisent (ou sont des incitations poten-
et de gestion des risques de conflits avec les parties
tielles) à des comportements non éthiques. La pratique
prenantes.
permet de concrétiser la volonté de l’entreprise de s’en-
gager dans une démarche de progrès continu. Il est aussi possible de distinguer deux grandes logiques
dans les démarches éthiques :
L’élaboration de rapports de responsabilité sociale (ou
de développement durable) permet de communiquer aux • la logique culturelle cherche à standardiser les com-
parties prenantes les progrès accomplis dans le domaine. portements en suscitant l’adhésion des parties pre-
Cette pratique peut même être une obligation légale nantes aux valeurs et aux buts de l’organisation et
dans certains pays. en encourageant les aspirations éthiques ;

• la logique coercitive est orientée vers la conformité


Les codes de conduite (code of ethics) et repose sur l’adhésion aux règles, la surveillance
sont-ils efficaces ? stricte des comportements et la présence d’un sys-
tème de sanction en cas de violation.
Le processus de formalisation n’est pas exempt de cri-
tiques, puisqu’il éloigne l’éthique de sa dimension origi- Les deux systèmes ne sont pas mutuellement exclusifs.
nelle réflexive. Les entreprises peuvent très bien chercher simultané-
ment l’internalisation de valeurs et la conformité aux
Responsabilités de l’organisation envers ses parties pre- règles.
nantes et responsabilités des salariés envers leurs pairs,
leurs organisations et leurs partenaires économiques À titre illustratif, le tableau 4 synthétise les responsabi-
sont des démarches complémentaires : les responsabi- lités de la fonction RH envers ses salariés à partir d’un
lités externes peuvent fonder et légitimer les responsa- échantillon d’une cinquantaine de chartes éthiques.
bilités internes. Pourtant, la juxtaposition de valeurs, de
 18   Q uelle pl ace pour l’ éthique en ressources humaines  ? 371

Tableau 4 Responsabilités de la fonction RH envers ses salariés

Recruter • Attirer et fidéliser les talents


• Recruter sans discriminer, en se basant sur les compétences des candidats
• Prendre position pour le recrutement interne quand il est possible (afin de conserver
les talents)

Intégration • Fidéliser les nouveaux embauchés et créer les conditions de leur adhésion aux valeurs
organisationnelles
• Accueillir grâce à des séminaires d’intégration et à une communication spécifique

Formation • Faire progresser les collaborateurs


• Encourager la participation des salariés à l’organisation et à l’orientation de leur travail
• Promouvoir le développement et le meilleur usage des talents humains
• Former au management et aux nouvelles technologies, développer la polyvalence, etc.
• Encourager la mobilité interne

Gestion des carrières • Évaluer les compétences de façon honnête et fiable


et évaluation • Favoriser la promotion interne
• Profiter du développement à l’international pour offrir des occasions de carrière
• Utiliser l’entretien annuel d’évaluation pour connaître les aspirations des salariés

Politique de rémunération • Promouvoir l’équité et la reconnaissance de la contribution de chacun

Satisfaction des • Stimuler la participation pour développer créativité et innovation


collaborateurs • Favoriser l’initiative et la responsabilisation
• Associer les collaborateurs aux résultats de l’entreprise

Communiquer, écouter, • Favoriser une communication directe afin que s’établisse un climat de confiance réciproque
dialoguer • Informer les collaborateurs des orientations futures de l’entreprise
• Mener des enquêtes de climat interne pour donner à chacun l’occasion de s’exprimer
• Mener des entretiens individuels annuels

Santé et sécurité au travail • Veiller en permanence à la sécurité des collaborateurs et à l’amélioration des conditions
de travail

Licenciement et dimension • Régler les réductions d’effectifs avec le souci du reclassement


citoyenne • Contribuer à la régénération du tissu économique et social des régions concernées
• Participer à la vie des communautés entourant l’entreprise

Les bienfaits attendus des codes sont multiples : sensibili- La question de l’efficacité des codes n’est pourtant pas
sation accrue des collaborateurs aux problèmes éthiques, tranchée. Il est difficile de démontrer leur incidence dans
intégrité et responsabilisation, volonté de divulguer les les prises de décision.
violations de l’éthique et de chercher des conseils auprès
Dans certaines entreprises, le code peut très bien n’être
de la hiérarchie pour résoudre les dilemmes.
qu’une façade à destination de l’environnement, décou-
L’entreprise cherche, avant tout, à renforcer sa résilience plée des activités réelles. L’adoption de cette pratique
éthique, c’est-à-dire sa capacité à résister aux tentations doit alors être appréhendée sous le seul angle de la
d’agir de manière non éthique. Le développement de recherche de légitimité vis-à-vis de l’environnement.
la latitude discrétionnaire des acteurs organisationnels, Cette vision est cependant excessive. Les valeurs et les
rendu nécessaire par la complexité croissante des acti- engagements des dirigeants peuvent également avoir
vités, doit être en partie encadré par des forces de rappel. une influence sur les comportements éthiques.
372 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Finalement, l’enjeu de la formalisation pour l’entreprise de l’éthique dans le champ des relations industrielles
est de parvenir à établir un cadre de référence éthique et plus particulièrement en ressources humaines est
orientant les comportements de ses salariés tout en un chemin long, parfois difficile, souvent en chantier.
laissant une marge suffisante leur permettant de mobi- Les études en éthique organisationnelle sont promet-
liser leur propre conscience. De ce point de vue, il est teuses et démontrent qu’un chemin a été tracé et laissent
essentiel d’organiser des séminaires de sensibilisation croire que les ressources humaines peuvent jouer un
à l’éthique et d’encourager la participation de tous les rôle important dans le processus d’institutionnalisation
collaborateurs à l’élaboration du code. Le contenu réel de l’éthique. L’ECM représente à notre avis l’orientation
du code importe peut-être moins que la façon dont il est qui préserve la nature même de l’éthique, soit le déploie-
développé, appliqué et vécu. ment d’une capacité réflexive critique. Le défi pour son
intégration et son déploiement demeure dans la capacité
Même si les organisations ont encore beaucoup à
qu’auront les organisations à entendre et à accueillir
apprendre pour relever les défis posés par la formalisa-
l’analyse et l’investigation que procure l’éthique. Cette
tion de leur éthique (appropriation du contenu et méca-
capacité permet de participer pleinement à la construc-
nismes adaptés pour une meilleure efficacité), il convient
tion du sens et peut procurer une meilleure justice orga-
de noter l’importance cruciale de cette dimension. La
nisationnelle. Pour Pasquero (2000, p. 369-370), l’éthique
capacité à clarifier, exprimer et affirmer son éthique est
peut d’ailleurs – et même doit – permettre une remise en
devenue un actif stratégique majeur pour susciter la
question des fondements qui sous-tendent la gestion :
confiance auprès des différentes parties prenantes, tant
à l’interne qu’à l’externe de l’organisation. [j]adis limité à une réflexion marginale sur le rôle de
l’entreprise dans la société, le questionnement éthique
interpelle aujourd’hui la pratique concrète de toutes les
fonctions de gestion, et place chaque décideur devant
Conclusion sa conscience d’humain autonome et censément res-
ponsable. Petit à petit, ce questionnement conduit à une
Dans ce chapitre, nous avons voulu démontrer que remise en cause des fondements épistémologiques de
l’éthique en organisation peut jouer un rôle régulatoire chacune des disciplines de la gestion. En effet, l’éthique
important qui nécessite d’être légitimé au même titre des affaires n’est pas une discipline comme les autres au
que le droit. L’institutionnalisation et la formalisation de sein des facultés de gestion. Son rôle n’est pas qu’instru-
l’éthique telle qu’elle a été présentée dans la dernière mental […] il est aussi critique. À ce titre, le questionne-
partie de ce chapitre révèlent l’importance de se doter ment éthique déstabilise les conventions reçues et rend
problématique le sens même de « sciences » de la gestion.
d’autres mécanismes et dispositifs plus souples en accord
avec le contexte et les nouvelles acceptabilités sociales La vigilance s’impose donc pour ne pas tomber dans
afin de pallier les insuffisances du droit (Lacroix, 2001). une forme d’éthique manipulatoire qui dilue l’obliga-
Pour Dion et Fortier (2011 : V), « c’est dans le but de sau- tion morale. Le champ des ressources humaines est né
vegarder la réputation des entreprises et la confiance d’une préoccupation pour les personnes. L’intégration de
des consommateurs qu’est née la volonté d’institution- l’éthique en RH nous rappelle ce souci de se concentrer
naliser l’éthique dans les entreprises ». Pour Legault, le sur les personnes, mais aussi de permettre à ces derniers
dénominateur commun à cette demande d’institution- d’être en mesure d’agir dans des structures capables
nalisation et de formalisation de l’éthique révèle surtout de fournir des repères dans un environnement peuplé
un problème de vivre ensemble et de régulation de l’agir de contradictions sociales. Cette réalité de plus en plus
(Legault, 2001) dans une démocratie de plus en plus présente actuellement commande un bon agencement
désorientée (Le Goff, 2016). Pour d’autres, l’éthique vient des responsabilités, mais aussi une articulation fine des
combler les insuffisances du droit. (Lacroix, 2011). Quoi composantes éthiques personnelles, professionnelles et
qu’il en soit, force est de reconnaître que l’intégration institutionnelles.
 18   Q uelle pl ace pour l’ éthique en ressources humaines  ? 373

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Annexe

Charte d’éthique de Pierre Fabre


Introduction (p. 3)
Notre mission (p. 4)
Nos valeurs (p. 5) (9 valeurs sont présentées)
Message de la direction (p. 6)
Pourquoi une charte éthique ? (p. 8)
À qui s’applique la charte éthique ? (p. 8)
Nos règles de conduite (p. 9) (6 grands points
sont développés en une vingtaine de pages)
Dispositif d’alerte (p. 28)

Source : De la santé à la beauté. Charte éthique, Laboratoire Pierre Fabre,


2015. http://www.pierre-fabre.com/sites/default/files/charte_ethique_
frvdef.pdf.
19

Économie et gestion des ressources


humaines : plaidoyer pour un retour
aux sources économiques institutionnalistes
Benjamin Dubrion

L’étude économique des règles stabilisatrices des rela- la GRH pose, comme nous le verrons, certaines questions,
tions entre employeurs et employés n’est pas nouvelle. les travaux des économistes rendant compte des pra-
Plusieurs travaux menés en particulier dans le champ tiques de GRH méritent d’être d’autant plus pris au sérieux
de l’économie politique institutionnaliste du travail s’in- qu’ils connaissent un fort développement depuis peu.
téressent en effet depuis plus d’un siècle aux pratiques
L’objet de notre contribution est de faire état de la façon
d’encadrement de la relation d’emploi (Mc Nulty, 1980 ;
dont les économistes analysent depuis quelques années
Champlin et Knoedler, 2004). Néanmoins, un tournant
les pratiques de GRH, mais aussi d’en souligner les limites
s’est opéré depuis environ trois décennies. Comme le
dans un contexte au sein duquel, se déploie un modèle
notait Stiglitz au début des années 1990, « de manière
de GRH centré sur l’amélioration des résultats écono-
surprenante, la plupart des économistes ont relégué
miques et financiers des entreprises. Or, une des idées
l’étude des organisations aux écoles de commerce ou,
phares au cœur des analyses économiques de la GRH
pire encore, aux sociologues. L’attitude générale sem-
est que les règles qui sont mises en œuvre au sein des
blant être que, bien qu’il puisse être important pour les
entreprises pour coordonner employeurs et employés
managers ou les directeurs des ressources humaines de
s’expliquent d’abord et avant tout du point de vue éco-
connaître le fonctionnement des organisations, le sujet
nomique. Selon ces analyses, il existerait une véritable
avait peu de valeur pour la science économique » (Stiglitz,
rationalité économique des règles de GRH, et ce serait
1991, p. 16). La publication de plusieurs ouvrages de
finalement l’efficience économique, et elle seule, qui
gestion des ressources humaines (GRH) écrits par des
expliquerait le choix et l’évolution de ces règles. Cette
économistes à partir des années 1990 a en fait renversé
idée est pour le moins contestable, ainsi que nous le
la donne (Lazear, 1995, 1998 ; Baron et Kreps, 1999 ;
montrerons, et une autre voie d’analyse économique
Gibbs et Lazear, 2014) à tel point que, comme une consé-
de la GRH existe. Celle-ci doit beaucoup à un auteur
cration pour la discipline économique, une entrée dédiée
renommé dans le champ des relations industrielles, à
à l’analyse économique de la GRH est présente dans un
l’origine de l’institutionnalisme économique, et vu par
ouvrage de référence et de synthèse aujourd’hui fonda-
certains comme l’un des fondateurs de la GRH (Kaufman,
mental sur l’état de la GRH, l’Oxford Handbook of Human
2014), John R. Commons. L’institutionnalisme common-
Resource Management dirigé par Peter Boxall, John Purcell
sien pose les bases d’une grille d’analyse économique
et Patrick M. Wright (Grimshaw et Rubery, 2008). Même
bien différente de celle qui est adoptée aujourd’hui pas
si la manière dont les économistes étudient aujourd’hui
378 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

les économistes pour rendre compte des pratiques de se situant davantage dans le prolongement des travaux
GRH, avec des implications elles aussi bien différentes initiaux de Doeringer et Piore. Comme nous allons le
quant à l’efficience des règles qui les sous-tendent. voir, si ces deux perspectives divergent quant à leurs
hypothèses fondatrices, elles en viennent toutefois à
Nous procéderons dans cette contribution en trois temps.
défendre la même idée selon laquelle le développement
Dans un premier temps, nous analyserons ce qui fait la
et le maintien des règles de GRH restent fondamentale-
spécificité des grilles utilisées aujourd’hui par les écono-
ment déterminés par la logique économique.
mistes pour étudier la GRH, en distinguant deux voies
d’analyse : la Personnel Economics et l’approche écono-
mique néo-institutionnaliste. Même si ces deux pers-
Modéliser l’effet des règles de GRH
pectives divergent au moins au départ quant à leurs
fondements, nous montrerons dans un second temps
sur le comportement des salariés :
qu’elles se rejoignent en contribuant toutes deux à la Personnel Economics
défendre la même idée selon laquelle la logique écono- La Personnel Economics se présente comme un champ
mique est première pour comprendre les pratiques de de l’économie se donnant les pratiques de GRH comme
GRH, une idée dont nous montrerons qu’elle est pour objet d’étude à part entière (Lazear, 1995). Même si le
le moins contestable. Il s’agira alors, dans un dernier travail de Doeringer et Piore (1971) est bien reconnu
temps, de souligner en quoi l’approche économique ins- par les promoteurs de ce courant et est considéré
titutionnaliste peut constituer une autre voie d’analyse comme important (Lazear, 1992), certains regrettent de
économique de pratiques de GRH. ne pas s’être emparés plus rapidement des apports de
ces auteurs, avançant que l’« excuse la plus acceptable »
(Baker et Holmström, 1995, p. 255) pour comprendre le
Le développement de l’analyse peu d’intérêt qu’ils ont porté initialement au travail de
Doeringer et Piore est que l’« ouvrage ne présente jamais
économique des pratiques de GRH de théorie » (ibid.). Il ressort en effet qu’une des critiques
Au début des années 1970, la parution de l’ouvrage souvent émise par les tenants de la Personnel Economics à
de Doeringer et Piore (1971), Internal Labor Markets and l’encontre de Doeringer et Piore (1971) est que la contri-
Manpower Analysis, constitue un moment clé dans la bution de ces derniers reste trop descriptive et souffre
compréhension du développement de l’analyse écono- de ne pas proposer de véritable théorie permettant de
mique des pratiques de GRH. En étudiant du point de comprendre le fonctionnement des marchés internes
vue empirique comment le facteur travail est alloué et du travail (Lazear, 1995 ; Baker et Holmström, 1995).
rémunéré dans les entreprises, Doeringer et Piore (1971) C’est particulièrement en réaction à ce supposé déficit
ont mis à jour l’une des limites de l’analyse économique théorique que plusieurs auteurs ont construit une grille
néoclassique de la relation d’emploi : le système de d’analyse théorique dédiée à l’étude des règles utilisées
prix est loin d’être le seul régulateur des relations entre au sein des firmes pour encadrer la relation d’emploi.
employeurs et employés. Au sein des entreprises – et Les premiers modèles à l’origine de la Personnel Econo-
de ce que les auteurs appelleront les marchés internes mics ont été élaborés à partir de la deuxième moitié des
du travail –, ce ne sont pas des prix, mais des règles années 1970 par des auteurs de référence dans le champ,
qui coordonnent les membres de la relation d’emploi. À comme Stiglitz, Homlström ou Lazear. Ces modèles
partir des années 1970, les marchés internes du travail consistent à rendre compte, mathématiquement, des
ont alors fait l’objet de l’attention croissante d’écono- effets des règles de GRH sur le comportement des sala-
mistes qui, dans des traditions de pensée différentes, riés dans un cadre général au sein duquel il est considéré,
ont participé à la constitution de deux grandes voies d’une part, que les membres de la relation d’emploi ont
d’analyse économique de la GRH : l’une qui donnera nais- chacun des objectifs individuels différents et, d’autre
sance au cours des années 1990 à la Personnel Economics, part, qu’ils ne disposent pas de la même information
l’autre, la perspective économique néo-institutionnaliste, quant à leur contexte commun d’action. Aussi, dans le
 19   É conomie et gestion des ressources humaines  : pl aidoyer pour un retour aux sources économiques … 379

prolongement de la théorie économique néoclassique, examinent l’effectivité des pratiques de GRH. Recon-
employeurs et employés sont censés être dotés de capa- naître l’existence de règles de GRH et modéliser leurs
cités de calcul illimitées leur permettant d’adopter des effets sur les comportements des salariés est certes une
comportements optimaux au regard de leurs objectifs bonne chose pour qui veut comprendre comment les
personnels. En d’autres termes, ils agissent de façon à employeurs peuvent agir sur les actions de ceux qu’ils
maximiser une fonction-objectif individuelle. Dans ce emploient, mais encore faut-il montrer que ces règles
cadre général, les pratiques de GRH sont appréhendées modifient dans les faits les comportements de ces der-
comme des dispositifs de stabilisation de la relation d’em- niers. Sur ce point, les auteurs de la Personnel Economics
ploi ayant spécifiquement comme fonction d’inciter le ont adopté une approche très différente de celle, induc-
salarié à l’effort tout en permettant à l’employeur d’at- tive, qu’avaient initialement suivie Doeringer et Piore
teindre ses objectifs sur le marché des biens et services. (1971). Là où Doeringer et Piore partaient des faits et
Dit autrement, c’est sous l’angle de l’efficience écono- des problèmes sociaux concrets vécus par les membres
mique saisie à travers le critère de pareto-optimalité1 que de la relation d’emploi sur la base d’études de cas et
sont différenciées ici les pratiques de GRH, celles-ci étant d’observations participantes pour construire ensuite,
vues comme les solutions répondant aux attentes indivi- dans un second temps, leur grille théorique (Piore,
duelles de chacun des membres de la relation d’emploi. 1983), la Personnel Economics inverse la démarche. En
Dans les termes de Lazear et Shaw (2007), la Personnel effet, c’est seulement une fois les grands modèles théo-
Economics fournit un cadre permettant de « modéliser riques d’analyse des règles de GRH construits au cours
l’utilisation par la firme des pratiques optimales de mana- des années 1970, 1980 et 1990 que se sont réellement
gement » (p. 92-93). multipliés les travaux empiriques. Comme le soulignent
Baker et Holmström (1995), les études portant sur la
Ce cadre peut alors être utilisé pour conseiller les
Personnel Economics jusqu’au milieu des années 1990
employeurs ou les managers sur les meilleurs disposi-
étaient marquées par « trop de théories, et pas assez de
tifs à mettre en œuvre. En effet, en fonction des hypo-
faits » (p. 255). Depuis, la grande majorité des travaux
thèses retenues au sein des modèles sur l’observabilité
au sujet de la Personnel Economics cherchent à éclairer
des efforts ou des performances des travailleurs, sur
les évolutions empiriques qui ont eu lieu au sein des
leur comportement face au risque ou encore sur les
entreprises en matière de GRH (Oyer et Shaefer, 2011 ;
technologies utilisées dans les entreprises en matière
Lazear et Oyer, 2012).
de production, il devient possible de différencier les
règles de GRH entre elles à la lumière du critère d’ef-
ficience économique, les modèles pouvant alors être
Règles de GRH, rationalité limitée
utilisés pour prescrire aux entreprises les dispositifs les
et opportunisme : l’analyse économique
plus efficients qu’elles auraient intérêt à adopter compte
tenu des caractéristiques des situations de travail des
néo-institutionnaliste
salariés. Pour reprendre l’image de Lazear (2000, p. 116), Par rapport à la Personnel Economics, l’analyse des règles
les modèles élaborés en vertu de la Personnel Economics de GRH dans le cadre économique néo-institutionnaliste
non seulement permettent finalement aux économistes construit initialement par Williamson (1975) se comprend
d’étudier comment les brasseurs fabriquent leur bière, plus en continuité forte avec les travaux de Doeringer
mais leur donnent aussi la possibilité de les conseiller et Piore (1971) en ce qu’il se veut davantage institution-
sur les meilleures manières de le faire. naliste. Aussi, contrairement à la Personnel Economics
qui plaide pour un recentrage de l’analyse économique
Depuis les années 1990 et 2000, en parallèle des efforts
sur certains principes considérés comme essentiels à la
faits pour affiner les modèles, de plus en plus de travaux
discipline et sur lesquels nous reviendrons plus bas dans
ce texte, l’approche néo-institutionnaliste a la singula-
1. Chez les économistes, une situation est dite pareto-optimale
lorsque tout changement relativement à celle-ci détériore le rité de souligner la nécessité d’ouvrir l’économie aux
bien-être d’au moins un individu. apports d’autres disciplines, comme le droit et la théorie
380 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

des organisations (Williamson, 1990, 1993, 2002) 2. Cela, néo-institutionnaliste quant à leur manière de se repré-
nous semble-t-il, est une des particularités des perspec- senter le comportement des membres de la relation
tives revendiquant une dimension institutionnaliste. d’emploi. Là où, comme nous l’avons vu, la Personnel Eco-
Dans le prolongement de Commons considéré comme nomics retient l’hypothèse selon laquelle les agents sont
l’un des fondateurs de l’institutionnalisme économique, des maximisateurs rationnels, la théorie économique
Williamson tente en effet d’élaborer une théorie inté- néo-institutionnaliste, fortement influencée sur ce point
grative de perspectives issues de différentes disciplines, par les travaux de Simon sur la rationalité limitée, rejette
même si son positionnement théorique s’est progressive- celle-ci. Ainsi en est-il de l’idée selon laquelle employeurs
ment « durci » au sens d’une défense de plus en plus forte et employés peuvent se comporter de manière oppor-
de l’argument selon lequel les règles de GRH obéissent tuniste, c’est-à-dire ruser pour atteindre leurs objectifs
d’abord et avant tout à la rationalité économique, rejoi- personnels. Pour Williamson, c’est une manière de
gnant dès lors les thèses des auteurs de la Personnel rendre compte du fait que les agents ne sont pas des
Economics comme nous le montrerons. automates, mais sont susceptibles de dévier des engage-
ments qu’ils prennent, ce qui rend fortement incertain le
L’étude des pratiques de GRH est fondamentale dans
déroulement de la relation d’emploi. En d’autres termes,
la théorie économique néo-institutionnaliste en ce que
les hypothèses de rationalité limitée et d’opportunisme
les coûts engendrés par la mise en place des règles
conduisent à reconnaître l’incomplétude du contrat de
d’encadrement de la relation d’emploi au niveau intra-­
travail, donc la nécessité pour les membres de la relation
organisationnel ont des répercussions sur la propension
d’emploi de mettre en œuvre des règles pour stabiliser
de l’entreprise à organiser plus ou moins efficacement
leurs interactions.
que le système de prix – c’est-à-dire le marché – cer-
taines transactions économiques. En d’autres termes et Dans ce cadre, l’organisation en postes de travail au sein
appliquées à la relation d’emploi, les règles de GRH ont des entreprises, la rémunération liée d’abord au poste
un effet sur le déplacement des frontières existantes et non à la productivité individuelle et l’instauration
entre la firme et le marché. C’est dans cette optique que de règles d’évaluation du travail constituent autant de
Williamson (1975) a étudié les règles de rémunération, pratiques qui se justifient du point de vue économique
de promotion ou encore d’évaluation du travail mises en par leurs effets en matière d’atténuation des coûts
place au sein des entreprises, s’appuyant surtout sur la d’encadrement de la relation d’emploi appréhendés en
façon dont celles-ci ont été présentées par Doeringer et matière d’économie sur la rationalité et de contrôle du
Piore (1971). L’auteur justifie en quelque sorte du point développement des comportements potentiellement
de vue économique les règles de GRH repérées par opportunistes. À titre d’illustration, Williamson justifie
Doeringer et Piore dans leur analyse du fonctionnement le principe de rémunération au poste en arguant que ce
des marchés internes du travail. Plus spécifiquement, mode de gestion des ressources humaines économise
le cadre économique néo-institutionnaliste consiste à sur la rationalité limitée des agents par le fait qu’il repose
étudier dans quelle mesure ces règles contribuent à stabi- sur des règles associant directement caractéristiques des
liser la relation d’emploi au sein des firmes en focalisant postes et niveaux de rémunération – les grilles de clas-
d’une part sous l’angle de leur capacité à économiser sur sification –, et limitant alors la tentation des salariés à
la rationalité limitée des membres de la relation d’emploi renégocier dans leur intérêt individuellement leur niveau
et, d’autre part, sous celui de leur propension à tempérer de salaire (Williamson, 1975, p. 74-77). Cela permet en
leurs comportements supposés opportunistes. partie d’économiser sur les coûts d’organisation de l’ac-
tivité productive, en particulier sur ceux de la GRH. La
On retrouve ici un élément de divergence important
grille économique néo-institutionnaliste peut par ailleurs
entre la Personnel Economics et la théorie économique
s’appliquer à l’étude des règles informelles en matière de
GRH, ce que Williamson a pu faire en étudiant notam-
2. Position qui contraste fortement avec l’approche de Lazear ment l’« atmosphère organisationnelle » (Williamson,
(2000) qui n’hésite pas à qualifier de « barbares » tous ceux qui 1975, 1993).
ne penseraient pas à la lumière de la rationalité économique
pour analyser les pratiques de GRH.
 19   É conomie et gestion des ressources humaines  : pl aidoyer pour un retour aux sources économiques … 381

Les économistes disposent finalement depuis quelques viennent à considérer que les pratiques de GRH sont
années d’un véritable outillage théorique leur permet- des solutions économiquement efficientes au problème
tant de rendre compte des pratiques de GRH. Il reste d’alignement des intérêts individuels des membres de
que leur démarche et leurs résultats donnent lieu à la relation d’emploi. Au niveau intra-­organisationnel,
des discussions au sein de la communauté des écono- l’émergence des règles est expliquée en mobilisant l’ar-
mistes (Socio-Economic Review, 2009 ; Spencer, 2011) gument de l’efficience économique. Dans cette vision,
tout comme à l’extérieur de celle-ci (Pfeffer, 1997 ; les agents étant censés être dotés d’une rationalité illi-
Granovetter, 2005). En effet, malgré leurs différences, mitée, ils sont à même de mettre en place les dispositifs
la Personnel Economics et la théorie économique néo-­ les mieux adaptés à leur situation, c’est-à-dire ceux qui
institutionnaliste se rejoignent en défendant l’idée que contribuent à maximiser leur fonction-­objectif indivi-
la logique économique est première dans l’explication duelle. À l’échelle de l’économie, c’est aussi l’argument
de la mise en œuvre et l’évolution des pratiques de de l’efficience économique qui est avancé pour justifier
GRH, ce qui, comme nous allons le montrer, est pour le l’expansion ou la disparition des pratiques en arguant
moins discutable. que les firmes qui seraient amenées à ne pas adopter les
règles de GRH les plus efficientes seront à terme ame-
nées à disparaître, sous la pression de la concurrence
marchande.
L’efficience économique
des pratiques de GRH en débat Le modèle de la concurrence pure et parfaite est en effet
central dans cette approche. La concurrence sur les mar-
Au-delà des hypothèses différentes sur lesquelles elles chés y est perçue comme une force naturelle, un principe
reposent, la Personnel Economics et la théorie écono- général, une loi s’appliquant en tout temps et en tout
mique néo-institutionnaliste ont en commun qu’elles lieu, loi qui fait finalement s’imposer les pratiques de
contribuent à avancer que les pratiques de GRH émer- GRH les plus efficientes. Les auteurs reconnaissent que
gent et persistent essentiellement pour des raisons d’ef- le niveau d’efficience qui s’impose effectivement reste
ficience économique, faisant fi d’autres raisons pourtant inférieur à celui qu’on obtiendrait si la concurrence était
fondamentales, mais totalement évacuées par la grande pure et parfaite. Pour reprendre Baker et Holmström, les
majorité des économistes s’intéressant aujourd’hui à résultats effectifs sont toujours des « solutions de second-
la GRH. best aux problèmes de contractualisation en information
incomplète » (Baker et Holmström, 1995, p. 255) 4. Mais le
marché reste la référence et permet à terme le maintien
L’efficience économique comme déterminant des solutions les meilleures – au sens de la pareto-opti-
essentiel à la mise en œuvre et l’évolution malité – pour les membres de la relation d’emploi.
des pratiques de GRH Soulignons que l’argument de l’efficience économique
L’idée selon laquelle la problématique de l’efficience éco- n’est pas seulement appliqué aux règles formelles de
nomique est centrale pour rendre compte des pratiques GRH. Il est aussi mobilisé par la Personnel Economics
de GRH est au cœur de la Personnel Economics. En modé- pour rendre compte des éléments informels qui, au sein
lisant les règles de GRH comme des dispositifs résultant des entreprises, affectent les comportements des indi-
du calcul des employeurs à maximiser leur fonction-ob- vidus, même si la question fait l’objet de débats parmi
jectif3, les économistes de la Personnel ­Economics en les auteurs. Sur ce point, c’est surtout à partir de la fin
des années 1990 que les économistes de la Personnel
3. La fonction-objectif de l’employeur est généralement dans les Economics ont cherché à modéliser l’effet des règles
modèles une fonction de profit. En d’autres termes, les règles de informelles sur les comportements des membres de la
GRH sont d’abord pensées comme des mécanismes permettant
aux entreprises de maximiser leur profit, ce qui n’est pas sans lien
avec les appréhensions de la GRH comme « partenaire d’affaires », 4. Voir aussi Gibbons (1999) sur l’idée que les solutions instaurées
au fondement de la gestion stratégique des ressources humaines au sein des organisations sont des « solutions de deuxième
que l’on a vu se développer depuis quelques années. meilleur » par rapport au marché concurrentiel.
382 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

relation d’emploi, à travers la notion de « contrat rela- dysfonctionnements du cadre organisationnel dans
tionnel » défini comme « des accords informels et codes lequel ils agissent et de reconfigurer celui-ci en l’amélio-
de conduite non écrits qui affectent fortement les com- rant. Cette dotation des agents d’un tel « esprit rationnel »
portements des individus au sein des firmes » (Baker, (ibid., p. 116) durcit fortement la conception initiale de
Gibbons et Murphy, 2002, p. 39). Sans entrer ici dans les la rationalité limitée. Si l’employeur peut se tromper au
détails de leur analyse, la question de l’efficience de ces départ dans les règles de GRH qu’il instaure, sa capacité
formes contractuelles n’est pas à ce jour tranchée au sein à prévoir lui permettrait de corriger celles-ci par la suite
de la Personnel Economics. Lazear affirme que certaines dans le sens d’une amélioration de l’efficience écono-
dimensions propres à l’organisation informelle, comme mique. De même, on trouve chez Williamson à partir des
la pression des pairs (Kandel et Lazear, 1992) ou les années 1980 et 1990 l’idée selon laquelle, même si l’em-
règles de bienséance (Lazear, 1993a), se justifient pour ployeur est bien à l’origine des règles d’encadrement de
des raisons d’efficience économique. Pour le reprendre, la relation d’emploi par les décisions qu’il prend, il est très
les coutumes et les habitudes constituent un moyen contraint par le marché qui garantira toujours au bout
par lequel « la société fait respecter des règles condui- du compte une forme d’efficience des pratiques mises
sant à des comportements efficients » (Lazear, 1993a, en place. Pour reprendre Williamson, « dans le secteur
p. 44). D’autres auteurs, comme Gibbons (2003), sont privé, la forte inefficience est stoppée par la concurrence
plus nuancés sur la question de l’efficience des règles sur les marchés » (ibid., p. 120). Pour lui, la concurrence
informelles, arguant que la complexité des interactions marchande en vient à sélectionner les pratiques le plus
entre les dimensions formelle et informelle rend difficile efficientes et à éliminer les autres.
l’explication par la seule efficience économique.
Même si elle repose sur des hypothèses bien différentes
Comme le souligne Kaufman (2010, p. 86), reconnaître les de celles de la Personnel Economics, la théorie écono-
imperfections des marchés, comme le font aujourd’hui mique néo-institutionnaliste en vient finalement à ral-
tous les économistes, ne veut pas dire abandonner lier certaines des conclusions fortes de celle-ci. Selon
l’explication par les marchés. Ce n’est pas parce que Williamson, les pratiques de GRH obéissent à la logique
les auteurs de la Personnel Economics ont pris quelques de l’economizing selon laquelle celles qui s’imposent sont
distances par rapport au modèle de concurrence pure finalement le plus économes en coûts de transaction. Il
et parfaite en levant certaines de ses hypothèses qu’ils y aurait alors une véritable rationalité économique des
ont pour autant éludé dans leur explication les « forces » règles de GRH, l’approche économique néo-institution-
de la concurrence pour expliquer le développement et naliste rattrapant dès lors la Personnel Economics. Mais
la persistance/disparition des règles de GRH. La position l’argument de l’efficience économique des règles de GRH
de Williamson et l’évolution de sa pensée sur ce point est pour le moins discutable.
sont éloquentes.

En effet, si l’auteur paraît offrir au moins dans ses pre-


miers travaux des bases plus ouvertes aux apports Contester l’argument
d’autres disciplines que la seule économie, ses travaux de l’efficience économique
menés à partir des années 1980 se sont « durcis » au point
Au moins trois grandes catégories de raisons peuvent
où l’auteur en est venu finalement à rejoindre certaines
être avancées pour contester l’argument de l’efficience
conclusions de la Personnel Economics.
économique des pratiques de GRH, celles-ci entrant lar-
Du point de vue de la rationalité d’abord, la position de gement en résonance, comme nous le montrerons plus
Williamson a évolué avec ce qu’il a appelé la « contractua- loin, avec le cadre d’analyse économique institutionna-
lisation prévoyante » ( farsighted contracting) (Williamson, liste construit par Commons. La première raison repose
1993). Selon cette approche, les agents économiques sur l’argument de la path dependency ; la deuxième ren-
sont certes rationnellement limités, mais ils disposent voie à l’articulation entre règles formelles et informelles ;
de capacités d’anticipation ex ante des conséquences enfin, la dernière fait écho à la question du traitement
de leurs décisions, ce qui leur permet de faire face aux politique des conflits existant au sein des organisations.
 19   É conomie et gestion des ressources humaines  : pl aidoyer pour un retour aux sources économiques … 383

Chez les économistes, l’argument de la path dependency a premiers ouvrages. À l’échelle intra-organisationnelle,
été discuté surtout depuis les travaux qui ont analysé les Barnard (1938) est selon nous l’auteur qui a le mieux
trajectoires passées des entreprises, en particulier sous montré en quoi il est nécessaire d’être prudent au sujet
l’angle de la technologie utilisée (David, 1985 ; Arthur, de l’idée selon laquelle les règles mises en place au sein
1989). Dans ces travaux, une technologie n’est pas for- des organisations pour stabiliser la relation d’emploi
cément choisie parce qu’elle est efficiente économique- sont économiquement efficientes. Cela ressort surtout
ment, mais, au contraire, elle devient efficiente parce dans son analyse de l’articulation entre les dimensions
qu’à un moment donné de son histoire elle a été choisie. formelle et informelle de l’organisation.
Par exemple Foray (1989) a mis en valeur plusieurs pro-
Pour Barnard (1938), l’organisation formelle – définie
priétés importantes du processus de sélection relatif à
comme « un système d’activités ou de forces coordon-
la technologie. D’abord, il est non prédictible au sens
nées de manière consciente par deux personnes ou plus »
où il est impossible de prévoir a priori quelle sera dans
(ibid., p. 73) – constitue l’espace de l’entreprise au sein
le futur la technologie qui s’imposera. Ensuite, il existe
duquel la prise de décision suit un processus logique,
des phénomènes de verrouillage (lock-in) expliquant qu’à
rationnel, au sens où les individus agissent de manière
partir d’un certain seuil une technique dominante ne
à adapter les moyens qu’ils mobilisent aux fins qu’ils
peut plus être remise en cause. Enfin, de manière plus
cherchent à atteindre. Il note à ce sujet que « l’essence de
générale, l’issue est largement dépendante de l’origine
l’organisation formelle réside dans l’adaptation délibérée
et du trajet suivi par la technologie.
des moyens aux fins » (ibid., p. 186), ce qui fait bien écho
Dans un cadre économique institutionnaliste, ces à la façon dont les économistes de la Personnel Econo-
réflexions ont été généralisées par North (1990) à l’en- mics et de l’approche néo-institutionnaliste analysent les
semble des institutions – c’est-à-dire, pour lui, des règles pratiques de GRH. Mais, pour l’auteur, il serait réducteur
qui structurent les comportements humains – pour de penser que ce processus « logique » (logical) s’impose
expliquer que la position selon laquelle les règles et toujours dans l’organisation car, pour lui, l’organisation
les pratiques mises en place par des individus pour la formelle ne peut être comprise indépendamment de
seule raison d’efficience économique n’est pas tenable. l’organisation informelle définie comme des contacts
Appliqué aux règles de GRH, ce résultat contredit les idées ou des interactions qui « apparaissent et sont répétés
développées par les auteurs de la Personnel Economics sans objectif commun spécifique conscient » (ibid., p. 114).
et de l’approche économique néo-­institutionnaliste. Les Dès lors, le fonctionnement des entreprises doit être
règles de GRH n’évoluent pas par à-coups sous l’effet analysé non pas en séparant artificiellement le formel
du calcul économique des agents. Elles se transfor- et l’informel, mais en articulant les deux dimensions.
ment plutôt de manière incrémentale et leur logique Dans ce cadre, il est difficile d’arguer que les règles for-
ne peut être comprise indépendamment des règles pas- melles qui sont instaurées consciemment par les indi-
sées (Dubrion, 2003a). Il est dans cette optique difficile vidus au regard d’objectifs qu’ils se fixent sont forcément
d’avancer que l’efficience économique est le moteur économiquement efficientes. La dimension informelle
premier de leur évolution. Comme l’avancent souvent de l’organisation peut venir contrarier la logique de la
les économistes institutionnalistes, l’« histoire compte » dimension formelle. En se référant à la notion de « facteur
(history matters). limitant » (limiting factor) qu’il reprend à Commons, Bar-
nard souligne que les décisions réelles des individus sont
Le deuxième argument venant attaquer l’explication de
contraintes et limitées par la nécessité de se concentrer
l’émergence et du maintien des règles de GRH basées
sur un « système restreint ou subsidiaire » (restricted or
sur l’efficience économique renvoie à la question de
subsidiary system) (Barnard, 1938, p. 203). Étant dans l’in-
l’articulation entre dimension formelle et informelle de
capacité d’analyser une situation dans sa globalité, l’in-
l’organisation. Cette question a également été abordée
dividu doit faire des choix à partir d’une représentation
à l’échelle macrosociale par North (1990) pour juste-
nécessairement restreinte de la réalité, trop complexe. En
ment critiquer les résultats de la théorie néoclassique
conséquence, ce processus est vu comme une « succes-
et les positions qu’il a pu lui-même défendre dans ses
sion d’approximations » (ibid., p. 206) bien différente de
384 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

l’optimalité économique, le preneur de décision devant économistes aux « propriétaires » de l’entreprise – les
constamment réexaminer et redéfinir ses objectifs en actionnaires – au profit de ceux qui dirigent et qui déter-
fonction de l’évolution de son environnement. Nous minent la politique organisationnelle. Ensuite, elle consi-
sommes ici bien loin, d’une part, de la manière dont un dère qu’il n’y a pas une solution unique à l’équilibre du
auteur comme Lazear rend compte des dimensions infor- système organisationnel, mais plusieurs dans la mesure
melles de l’organisation et, d’autre part, de la rationalisa- où la composition des groupes de participants et leurs
tion williamsonienne de l’« atmosphère » comme facteur demandes sont sans cesse en négociation et ne sont
participant d’une économie des coûts d’encadrement de pas données une fois pour toutes. Enfin, cette approche
la relation d’emploi au sein de l’entreprise. « souligne l’importance des contraintes institutionnelles
sur la solution du problème de coalition » (March, 1962,
Le dernier argument que nous souhaitons développer
p. 674-675) comme le note March, faisant référence à
ici pour tempérer l’explication de l’efficience écono-
l’institutionnalisation d’accords portant sur la structure de
mique des règles de GRH fait référence aux analyses
l’organisation ainsi qu’aux phénomènes d’identification
politiques du fonctionnement organisationnel. Ce point
ou d’endoctrinement qui touchent les participants à l’or-
de vue est selon nous bien argumenté par March qui
ganisation. L’auteur souligne ici une idée au fondement
analyse la firme comme une coalition politique au sein
de l’économie institutionnaliste : les individus, encastrés
de laquelle s’opposent différents groupes d’individus
dans un environnement institutionnel s’imposant à eux,
en conflit (March, 1962). Pour cet auteur, l’organisation
élaborent des règles et mettent en œuvre des dispositifs
est une coalition politique dans laquelle des groupes
de coordination qui, en retour, vont rétroagir sur leurs
d’individus (catégories de salariés, fournisseurs de capi-
comportements. L’organisation dans cette vision n’est
taux, de matières premières, clients, etc.) participent à
pas appréhendée uniquement sous l’angle économique ;
l’organisation si celle-ci leur permet de satisfaire deux
grands types de demandes : d’une part une demande elle l’est aussi et surtout sous l’angle politique. Mettre en
« économique » qui prend la forme de paiements moné- avant la dimension politique de l’organisation conduit à
taires, ce qui correspond selon March à des éléments miner l’argument de l’efficience économique. Il devient
mis en avant surtout par les économistes ; d’autre part, en effet difficile d’avancer que les règles mises en œuvre
une demande « politique » que March illustre en parlant pour stabiliser les comportements des membres de la
d’engagements politiques ou de traitements personnels relation d’emploi résultent uniquement de facteurs éco-
exigés par les individus5. Dans ce cadre, l’organisation nomiques et rien ne garantit alors que c’est l’efficience
apparaît alors comme une coalition politique au sens économique seule qui explique l’émergence et l’évolution
où ceux qui la dirigent sont vus comme des « courtiers des règles de GRH.
politiques » (March, 1962, p. 672) dont la fonction est de L’idée selon laquelle l’« histoire compte » pour comprendre
traiter les conflits d’intérêts entre chacun des groupes ce qui se passe au sein des entreprises, et celle renvoyant
de participants, étant considéré que les demandes à la reconnaissance, d’une part, de la dimension infor-
de chaque groupe ne sont pas données a priori, mais melle de l’organisation en articulation avec sa dimen-
résultent de négociations collectives entre groupes. sion formelle et, d’autre part, du caractère politique des
Cette représentation politique de l’organisation est dif- décisions prises au sein des entreprises sont centrales
férente à plusieurs titres des approches économiques. dans la perspective théorique fondée par Commons qui
D’abord, elle atténue l’importance donnée par les a œuvré à la mise sur pied d’une « économie institution-
nelle », pour rependre le titre de son ouvrage majeur
(Commons, 1934). La perspective de Commons pose,
5. On reconnaîtra ici la proximité avec la théorie de l’équilibre
organisationnel de March et Simon (1958), théorie dont semble-t-il, des jalons intéressants à la constitution d’une
les fondements se trouvent chez Barnard (1938) comme manière de rendre compte des pratiques GRH dans un
le reconnaissent les auteurs. La différence réside dans
cadre économique bien différent de celui qui est porté
l’insistance sur la dimension politique de l’organisation, mais
la représentation générale du fonctionnement organisationnel par la Personnel Economics et la théorie économique
reste strictement la même. néo-institutionnaliste.
 19   É conomie et gestion des ressources humaines  : pl aidoyer pour un retour aux sources économiques … 385

« Retour vers le futur » : le cadre imposée ces dernières années, pour éclairer ensuite à la
lumière de ces fondements, d’un point de vue prospectif
institutionnaliste commonsien et peut-être provocateur, l’une des questions importantes
comme nouveau fondement à posées dans l’introduction de cet ouvrage : peut-on – et
l’analyse économique des pratiques dirions-nous doit-on – parler de gestion des « ressources
humaines » ?
de GRH ?
Le cadre théorique construit par Commons (1934) nous
apparaît comme un point de départ fondamental à l’éla- Quand le « vieux style » d’analyse de la GRH
boration d’une grille d’analyse se revendiquant de l’éco- n’est pas forcément celui que l’on croit… :
nomie et permettant de rendre compte des pratiques de quels fondements à une autre analyse
GRH. Il est notable que Williamson, le représentant prin- économique des pratiques de GRH ?
cipal du courant économique dit « néo-institutionnaliste »
reconnaisse l’influence qu’a pu avoir sur son travail la lec- Les travaux de Commons reposent sur des principes
ture de Commons (Williamson, 1975, p. 3). Or notre avis qui, en de nombreux points, prennent le contre-pied de
est que, si les premiers travaux de Williamson s’avèrent l’approche économique dominante dédiée à l’analyse
en effet imprégnés d’une dimension institutionnaliste, de la GRH. Dans un article de synthèse, Lazear (2008)
le positionnement de l’auteur a évolué par la suite, Wil- a récemment caractérisé la démarche mobilisée par les
liamson basant son approche sur des postulats finale- économistes actuels pour analyser les pratiques de GRH
ment assez peu éloignés de ceux sur lesquels repose la en définissant des principes fondamentaux dont le bien-
Personnel Economics (Williamson, 2002). L’hypothèse de fondé se comprendrait en opposition à ce qu’il appelle le
« contractualisation prévoyante » des individus élaborée « “vieux-style” d’analyse de la gestion du personnel » (old-
par Williamson dans les années 1990 constitue à nos style personnel analyses) pour reprendre son expression. À
yeux une remise en cause de l’idée de rationalité limitée suivre Lazear, ce « vieux style » souffrirait d’une absence
et contribue à rapprocher la conception williamsonienne de rigueur en ce qu’il ne repose sur aucun principe expli-
de la rationalité de celle des auteurs de la Personnel Eco- cite, au contraire de l’approche économique moderne
nomics6. Aussi, le postulat de sélection des dispositifs de qui doit son succès à trois éléments fondamentaux selon
GRH par le marché conduisant à l’efficience économique lui : la maximisation sous-contrainte, le raisonnement
de ces derniers se retrouve, comme nous l’avons vu, dans à l’équilibre et le critère d’efficience économique. Or
les deux perspectives. Le point de vue que nous défen- presque un siècle avant Lazear, à sa façon et dans le
dons ici est que, plutôt que de « durcir » leur approche contexte de l’époque, Commons a justement établi les
dans le prolongement de ce qu’a pu faire Williamson, bases d’un cadre théorique se comprenant justement en
les économistes étudiant les pratiques de GRH auraient opposition aux trois principes précédents.
tout intérêt à réinvestir – ou tout simplement investir Le principe selon lequel les individus seraient dotés de
pour certains – les travaux économiques institutionna- capacités cognitives illimitées et agiraient de façon méca-
listes, tout particulièrement ceux de Commons dont les niste en maximisant une fonction objectif a été contesté
apports à l’étude de la relation d’emploi sont pleinement de façon célèbre par Simon (1976) par le concept de
reconnus aujourd’hui (Kaufman, 2003 ; Bazzoli, 2012 ; rationalité limitée. Or c’est précisément dans les écrits de
Hallée, 2012). Il s’agira alors dans cette dernière partie de Commons que Simon explique avoir trouvé les sources
mettre à plat certains fondements à une analyse écono- de sa perspective en matière de rationalité limitée, en
mique des pratiques de GRH différente de celle qui s’est opposition à la rationalité substantive retenue par une
grande partie des économistes (Simon, 1979, p. 499).
6. On comprend bien dans ce contexte le regard que Simon,
Comme autre source d’inspiration, Simon mentionne
le « père » du concept de rationalité limitée, a porté sur les
travaux plus tardifs de Williamson, l’accusant de « s’être vendu
à l’ennemi » sur la question de la rationalité (Augier et March,
2001, p. 225).
386 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Barnard, mais il précise que Barnard a, comme lui, été d’action et les désirs des individus, ce que Commons
beaucoup influencé par Commons7. appelle les « habitudes de pensée » (habitual assumptions).
Définies comme des « manières de voir les choses, quand
On trouve en effet chez Commons un point de vue très
[l’individu] prend ses décisions, choisit entre différentes
critique envers ce qu’il appelle les « théories molécu-
possibilités et traite avec les autres lors de ses transac-
laires et de l’utilité marginale » (molecular and marginal
tions » (Commons, 1934, p. 697), les habitudes de pensée
utility theories) (1934, p. 680) associées à la théorie néo-
prennent leur sens en rapport avec les expériences pra-
classique et dont la représentation du comportement
tiques des individus et leur histoire personnelle. Dès lors,
individuel est justement au cœur des modélisations de
dans cette vision, l’histoire et les collectifs comptent,
la Personnel Economics. Selon Commons, l’individu n’est
Commons opposant à cet égard la « conception rationa-
pas un maximisateur rationnel mais une « personnalité
liste de la raison [vue comme] individualiste, subjective,
institutionnalisée » (ibid., p. 874). En référence à Malthus,
intellectuelle et statique », à la « conception institutionna-
il considère que « l’homme n’est pas rationnel […] ; c’est
liste […] collective et historique » (ibid., p. 682).
un être de stupidité, de passion et d’ignorance » (ibid.,
p. 682). Cela ne signifie pas que les décisions humaines Le principe de l’efficience économique constitue, comme
sont insensées. Les individus agissent bien de façon nous l’avons vu, une pierre angulaire des approches éco-
intentionnelle et raisonnée, mais leurs choix et leurs nomiques actuelles étudiant les pratiques de GRH. Or
comportements sont structurés par leur contexte d’ac- le concept d’efficience n’est pas absent de la perspec-
tion toujours singulier, évolutif et situé historiquement. tive commonsienne. La manière dont Commons rend
L’esprit humain est alors appréhendé comme « institu- compte de l’efficience fait elle aussi écho à la question de
tionnalisé » au sens où les êtres humains sont des êtres l’amélioration des attentes ou des intérêts des membres
sociaux qui, « plutôt que d’être vus comme des unifor- de la relation d’emploi, mais dans une optique très dif-
mités mécaniques de désir […] ont des personnalités férente de la perspective économique dominante au
hautement changeantes » (ibid., p. 74) en fonction de sens où ces intérêts ou attentes ne sont pas atteints
leur cadre d’action et des règles formelles et informelles chez Commons par la résolution d’un programme de
qui structurent leurs comportements et leur manière de maximation de fonctions-objectifs – cas de la Personnel
percevoir le réel. Economics – ou en supposant que les individus sont
toujours à même d’améliorer les règles qui ne seraient
Ce mode de représentation du comportement individuel
pas a priori efficientes, par leur capacité de contractua-
conduit à rejeter le principe du raisonnement à l’équi-
lisation « prévoyante » – cas de la théorie économique
libre cher aux économistes standards, et en particulier
néo-institutionnaliste. Pour Commons, l’efficience est
à Lazear. Pour Commons, les individus ne sont pas
le principe par lequel les individus coopèrent pour faire
influencés par des variations de prix explicatives d’arbi-
face aux problèmes de rareté qu’ils vivent. Or, selon lui,
trages instantanés et sans coût qui ont lieu dans le cadre
« la coopération n’émerge pas à partir d’une harmonie
d’un comportement maximisateur. Les choix individuels
présupposée des intérêts, comme le pensaient les anciens
ne peuvent s’expliquer par la simple comparaison des
économistes. Elle émerge de la nécessité de créer une
effets positifs/négatifs de leurs actions dans la mesure
nouvelle harmonie des intérêts – ou au moins de l’ordre
où les arbitrages individuels ne le sont jamais purement.
si l’harmonie est impossible – en partant du conflit des
Les arbitrages individuels ne peuvent se comprendre
intérêts existant entre les coopérateurs espérant atténuer
sans référence aux collectifs dans lesquels les individus
celui-ci » (ibid., p. 6, souligné par l’auteur).
sont insérés, leur famille, leur lieu de travail ou encore
leur nation d’appartenance. L’entreprise où s’affrontent Dans cette vision, contrairement à la Personnel Econo-
employeurs et employés est justement un collectif essen- mics et à l’approche économique néo-institutionnaliste,
tiel, vu comme l’institution cardinale du capitalisme. Les le conflit d’intérêts n’est pas censé être donné dès le
collectifs sont fondamentaux car ils façonnent les motifs départ ni posé de façon axiomatique. Il est au contraire
vu comme construit historiquement et institutionnelle-
7. Comme nous l’avons vu plus haut, Barnard reprend notamment ment. Aussi, Commons défend une conception pluraliste
à Commons l’idée de « facteurs limitants ». du conflit d’intérêts existant dans la relation d’emploi,
 19   É conomie et gestion des ressources humaines  : pl aidoyer pour un retour aux sources économiques … 387

et non une conception unitaire dans laquelle ce conflit la marche des choses conduit mathématiquement à une
ne serait qu’apparent. Dans la perspective unitaire, pré- conclusion inévitable » (1939, p. 32), des « philosophies »
gnante aujourd’hui chez les économistes, mais égale- qui ne sont justement pas sans rappeler la manière dont
ment chez les promoteurs de la gestion stratégique des la Personnel Economics et la théorie économique néo-­
ressources humaines, il suffirait de mettre en place les institutionnaliste rendent compte aujourd’hui de la GRH.
« bonnes » règles de GRH pour faire disparaître le conflit
d’intérêts entre employeurs et employés. Ce point de vue
était justement contesté par Commons lors de débats Gérer des « personnes » à la place
qui l’ont opposé aux tenants du management scienti- des « ressources humaines » ?
fique (Dubrion, 2018). Au tournant des années 1910,
En matière de représentation des comportements et des
s’intéressant au « conflit de classe », il a rejeté l’idée selon
arbitrages individuels, du poids des collectifs et de leur
laquelle le conflit dans la relation d’emploi n’est qu’appa-
histoire pour expliquer ceux-ci, ou encore de la prise en
rent (Commons, 1908), une idée que, dans son ouvrage
compte des règles comme dispositifs déterminés par
de 1934, il fait remonter à ceux qu’il appelle les « anciens »
les actions humaines souvent conflictuelles et les déter-
économistes associés aux auteurs classiques libéraux.
minant également, le cadre de pensée de Commons
C’est la dimension politique de la relation d’emploi qui
établit des repères orthogonaux à ceux qui prévalent
est alors mise en valeur par l’auteur.
aujourd’hui en économie. Ces repères ont donné lieu à
Finalement, Commons a selon nous posé des jalons de des prolongements féconds en théorie des organisations,
la constitution d’un cadre théorique qui, dans ses fonde- sans toutefois avoir été strictement appliqués à l’étude
ments, pourrait être à même d’offrir une voie d’analyse des pratiques de GRH. Il n’est bien évidemment pas pos-
économique nouvelle et alternative à celle qui domine sible de présenter dans ces pages les spécificités d’un
aujourd’hui chez les économistes pour étudier la GRH. cadre d’analyse des pratiques de GRH se réclamant de
Au regard des jalons établis par Commons et rapide- l’institutionnalisme économique. Si certains éléments –
ment présentés ici relativement aux grilles s’imposant vus précédemment – au fondement de celui-ci ont bien
aujourd’hui dans la discipline économique pour étudier été explicités par Commons, nous pourrions dire que
les pratiques de GRH, il peut être piquant de souligner tout reste à faire pour le construire, même si les travaux
que la Personnel Economics, parfois aussi qualifiée de New de certains grands auteurs comme Barnard, Simon ou
Economics of Personnel par son avocat le plus offensif
encore March peuvent être vus comme offrant des pièces
(Lazear, 1993b), en vient fortement à perdre de sa « nou-
contribuant à la construction plus solide de ce cadre. À la
veauté ». En effet, contre le « vieux style » d’analyse des
lumière de développements associés au cadre théorique
pratiques de GRH, Lazear revendique la pertinence de
dont Commons a posé les fondations, nous voudrions ici,
la démarche suivie ces dernières années par les écono-
pour terminer, examiner la notion même de « ressource
mistes en arguant que, « plutôt que de penser chaque
humaine », une notion qui est loin d’être neutre.
pratique de GRH comme distincte et institutionnelle-
ment déterminée (institutionally driven), les économistes Associer le travail à une « ressource humaine » n’est
mettent l’accent sur l’identification de principes généraux selon nous pas sans poser de questionnements quant
profonds » (Lazear et Shaw, 2007, p. 91). Or, le regard à la représentation du travail que l’utilisation de cette
critique porté par Commons il y a environ un siècle en expression induit. Les premières discussions quant au
direction d’une certaine manière de « faire de l’économie » développement de la « gestion des ressources humaines »
caractéristique des auteurs classiques et néoclassiques en remplacement de la « gestion du personnel » datent
remet en question pour le moins la pertinence du juge- des années 1980, ainsi que l’a bien retracé Guest (1987),
ment de Lazear sur la modernité de son approche. Il soulignant les difficultés à saisir la nature et le sens des
peut être ironique de rappeler aujourd’hui que Commons pratiques de la « GRH ». Or il est notable que Commons
jugeait comme « non adaptées » (inadequate) les « philoso- ait justement été l’un des premiers auteurs – si ce n’est
phies individualistes et économiques […] repos[ant] sur le premier – à avoir utilisé, dès 1919, l’expression « res-
les illusions de la certitude logique [et pour lesquelles] source humaine » pour rendre compte du travail. Il l’a
388 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

toutefois fait en appliquant l’expression à une situation manière, au même niveau, comme des instruments au
bien particulière. Son utilisation de « ressource humaine », service des entreprises cherchant à « prendre leur part »,
peu soulignée à notre connaissance, mérite quelques c’est-à-dire faire du profit. Les « ressources humaines »
commentaires car elle éclaire selon nous le sens profond n’ont alors aucune spécificité relativement à d’autres
de la nature de la gestion des « ressources humaines ». facteurs de production. Elles n’apparaissent que comme
un moyen de faire du profit.
C’est dans un chapitre consacré à la formation que l’ex-
pression est utilisée par l’auteur, tout particulièrement Plus récemment, certains spécialistes de la GRH ont été
dans un passage abordant la question du coût de la amenés à faire la distinction entre différentes formes
formation des travailleurs assumé par la collectivité tout de gestion des « ressources humaines », afin de souligner
entière, et des profits que peuvent retirer les employeurs que « la » GRH est dans les faits plurielle et renvoie à des
de l’utilisation de travailleurs bien formés (Commons, réalités dans lesquelles le travail n’est pas toujours consi-
1919, p. 129-131). Dans ce passage, Commons préfigure déré comme une « ressource humaine » pour l’entreprise
en quelque sorte une idée qui sera au cœur de la théorie au service du profit. C’est le cas de la distinction désor-
du capital humain de Becker une quarantaine d’années mais classique entre la GRH soft et la GRH hard (Guest,
plus tard, l’idée selon laquelle le travail peut faire l’objet 1987 ; Storey, 1992). La première forme renvoie à un
d’un investissement dont les coûts sont susceptibles mode de gestion du travail centré sur les attentes des
d’être compensés par un gain futur. Et ce que souligne salariés et leur développement, alors que la seconde fait
Commons, c’est que ce gain peut être profitable à l’en- prévaloir les résultats économiques de l’entreprise sur les
treprise dans la mesure où elle ne supporte justement besoins des salariés, dans l’optique de la gestion consi-
qu’une infime partie des coûts d’investissement. Com- dérée aujourd’hui comme « stratégique » des « ressources
mons note à ce titre : « sans le contrôle du travail, ils [les humaines ». Pour reprendre Storey (1992, p. 29), la GRH
employeurs] ne peuvent pas faire de profits. Ils transfor- hard est la forme qui met l’accent sur « les aspects quan-
ment en produits les ressources humaines de la nation, titatifs, de calcul et de stratégie des affaires consistant
à l’instar de ses ressources naturelles, et prennent leur à gérer les salariés comme une “ressource comptable”
part [take their share] lors de ce processus. Ces ressources de manière “rationnelle”, comme tout autre facteur de
humaines ont été obtenues après de lourds investisse- production ». Il reste que, selon nous, la distinction entre
ments » (Commons, 1919, p. 129-130, nous soulignons), les formes soft et hard de GRH reste problématique car,
investissements dont les coûts ont été assumés selon lorsque l’on s’intéresse dans le détail à ceux qui l’ont
Commons par les parents, les contribuables, les écoles établie, on constate que, s’ils soulignent bien la diffé-
et, plus largement, la nation. rence entre les deux formes, la différenciation disparaît
quand ils construisent leurs propres modèles (Truss et
Dans cette optique, parler de « ressource humaine », c’est
collab., 1997). À nos yeux, que la gestion des « ressources
considérer que le travail est un instrument au service
humaines » soit considérée comme soft ou hard ne remet
d’autre chose. Cet « autre chose » est la production et plus
pas en cause sa nature bien soulignée par Commons à
spécifiquement la recherche de profit par l’entreprise,
travers son emploi de l’expression « ressource humaine »
selon Commons. On a affaire ici à une conception du
il y a un siècle. Le « ver était déjà dans le fruit » : asso-
travail comme activité hétéronome, à savoir une acti-
cier le travail à une « ressource humaine », c’est toujours
vité dont la logique est fixée « à l’extérieur » du travail
considérer plus – hard – ou moins – soft – qu’il est au
lui-même, ailleurs, par un « autre » et au service de cet
service d’une cause qui le dépasse, donc alimenter une
« autre8 ». Il n’est pas anodin de souligner que Commons,
conception du travail comme activité hétéronome.
dans la citation précédente, met sur le même plan « res-
sources humaines » et « ressources naturelles », comme Il n’est pas ici question pour nous d’imposer d’emblée
si toutes deux devaient être considérées de la même et en quelques lignes une expression concurrente ou
alternative à celle de « ressource humaine », mais à la
réflexion il nous apparaît que celle de « personnel » au
8. Rappelons qu’étymologiquement « hétéronomie » provient du
grec heteros – c’est-à-dire « autre » – et nomos – c’est-à-dire « loi », sens de l’« ancienne » gestion du « personnel », souvent
en opposition à « autonomie ». considérée aujourd’hui comme renvoyant à un autre
 19   É conomie et gestion des ressources humaines  : pl aidoyer pour un retour aux sources économiques … 389

temps, est beaucoup plus pertinente. Là encore, la lecture auteurs célèbres du champ d’études des organisations
de Commons s’avère éclairante. En effet chez cet auteur, s’interrogeaient sur l’influence des économistes et de
et tout particulièrement dans ses premiers travaux cen- leur représentation du comportement humain sur les
trés sur l’étude de la relation d’emploi, les membres des autres disciplines (Pfeffer, 1997, p. 192), interrogations
collectifs organisés que sont les entreprises sont d’abord élargies par la suite à une influence sur le fonctionne-
et avant tout des « personnes ». ment réel des organisations, tout particulièrement en
matière de management des personnes, mettant en
L’emploi du terme « personne » n’est pas neutre. Les lin-
avant la dimension performative des théories écono-
guistes montrent en effet que ce terme – ayant pour
miques récentes (­Ferraro et collab., 2005). La théorie
filiation latine persona renvoyant à « masque de théâtre »
économique néo-institutionnaliste a à cet égard fait
– se rattache à l’expérience collective et au rapport aux
l’objet de critiques fortes de la part de spécialistes du
autres (Létoublon, 1994), contrairement à celui d’« indi-
management (Ghoshal et Moran, 1996), mais aussi
vidu », plus neutre, qui ne prend pas le sens relatif au
d’économistes eux-mêmes (Hodgson, 2004) quant à la
collectif d’appartenance. Or, dans un chapitre justement
représentation qu’elle véhicule de la manière dont les
intitulé « Personality », Commons précise que « la person-
entreprises devraient gérer leurs salariés.
nalité est l’individualité à laquelle s’ajoute du pouvoir »
(1919, p. 160). En d’autres termes, parler de « personne » La question de la performativité des constructions théo-
– voire de personnel comme dans l’expression « gestion riques construites en économie fait débat et nous n’avons
du personnel » – plutôt que de « ressource humaine », c’est pas pour ambition ici de la traiter. En suivant toutefois
considérer que ce que gère l’entreprise dans ses actes de les auteurs cités précédemment, il pourrait être tentant de
production ce sont d’abord des êtres humains actifs au penser que les évolutions qu’ont connues les politiques
sens où ils disposent de pouvoirs d’action sur les autres de GRH ces 30 dernières années, vers davantage de foca-
et leur environnement. Ce ne sont pas des individus vus lisation sur la performance économique et financière ou
comme des êtres isolés, désincarnés et désencastrés des vers la création de valeur pour l’actionnaire, peuvent
contextes d’action collective ni des moyens utilisés dans s’expliquer par la performativité des modèles construits
l’objectif de réalisation du profit. Ce sont des « personnes » par les économistes pour analyser les pratiques de GRH.
qui, comme membres de groupes sociaux, assurent une Rappelons que, dans la logique des modèles de la Per-
fonction différente selon leur groupe d’appartenance. sonnel Economics, les règles de GRH sont vues comme des
Nous sommes loin ici de l’idée selon laquelle c’est par dispositifs qui orientent les comportements des salariés
« un autre » et au service de cet « autre » que l’activité de dans le sens de l’objectif de l’employeur ramené à la
travail prend son sens. Le travail n’apparaît plus consi- maximisation d’une fonction de profit. Lazear voyait très
déré comme une activité hétéronome dans le prolonge- positivement il y a quelques années le développement
ment de l’expression « gestion des ressources humaines », des interventions des économistes pour enseigner au
mais comme une activité de réalisation de l’autonomie sein des écoles de commerce, permettant de diffuser
individuelle en lien avec le collectif d’appartenance. en direction des gestionnaires formés dans ces écoles
les principes selon lui pertinents de l’analyse écono-
mique dominante (Lazear, 2000). Il reste que ce type
de représentation des rapports qui pourraient exister
Conclusion entre théories et faits est selon nous trop simplificateur,
Depuis quelques années, la discipline économique a les entreprises n’ayant pas attendu les modèles de la
étendu ses objets d’étude à des éléments qu’elle n’avait Personnel Economics pour s’interroger sur et mettre en
pas forcément l’habitude d’analyser en tant que tels par œuvre les règles les plus à même d’améliorer leurs résul-
le passé. La GRH constitue justement l’un de ceux-ci. tats économiques et financiers. Comme nous l’avons
Les économistes disposent aujourd’hui d’un véritable argumenté ailleurs, les relations entre les transforma-
outillage théorique dédié à l’étude des pratiques de tions effectivement rencontrées dans les entreprises en
GRH, et leurs apports dépassent les frontières de leur matière de GRH et les constructions théoriques des
seule discipline. À la fin des années 1990 déjà, certains
390 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

économistes sont assurément de nature dialectique réductrice et la mobiliser conduit à des explications
(Dubrion, 2003b). déformantes de la réalité.

Arguer, comme le font les auteurs de la Personnel Econo- De ce point de vue et pour faire un lien avec certains tra-
mics et de la théorie économique néo-institutionnaliste, vaux menés en GRH, notre démarche d’économiste ana-
que l’efficience économique est toujours en définitive le lysant ce qui se joue dans la relation d’emploi s’avère bien
facteur explicatif des pratiques de GRH n’est pas tenable. éloignée du modèle dominant de GRH qualifié d’« instru-
La perspective économique institutionnaliste offre, nous mental ». Ce modèle est selon Brabet (1993) « fondé sur le
semble-t-il, des éléments pertinents de relativisation, postulat de base […] d’une convergence fondamentale
voire de contestation d’un tel argument et pose les bases des intérêts, des enjeux et des finalités, des différents
d’une autre manière de rendre compte de la GRH. Dans acteurs – société, organisation ou entreprise, individus
cette voie dont Commons est l’un des principaux auteurs, – aboutissant à l’égalité : efficacité économique = effica-
l’économie est vue comme politique. Cela implique qu’il cité sociale » (ibid., p. 70-71), une représentation faisant
n’existe pas de meilleure façon économique de procéder selon nous clairement écho au point de vue critiqué par
en matière d’institutions. Pour reprendre Caillé (2007), Commons sur l’« harmonie présupposée des intérêts » pré-
dans la perspective institutionnaliste, il n’existe pas « d’en- sente chez ceux qu’il appelle les « anciens » économistes,
semble unique de recettes et de montages techniques mais aussi, à nos yeux, chez les tenants de la Personnel
susceptibles d’être appliqués tels quels en tout temps Economics et de la théorie économique néo-institutionna-
et en tout lieu, sans qu’il soit nécessaire d’étudier de liste. Au croisement de plusieurs disciplines comme peut
manière détaillée le contexte historique, social, géogra- l’être le champ de relations industrielles, la perspective
phique, ou la dépendance par rapport à la trajectoire économique institutionnaliste à laquelle nous travaillons
(path dependency) » (ibid., p. 41). Et les dispositifs de GRH, insiste sur le caractère parfois irréductible des intérêts
en tant qu’institutions, n’échappent pas à cette règle. La des membres de l’organisation et sur les difficultés, voire
rationalité économique de la GRH sur laquelle insistent les impossibilités à trouver les solutions les meilleures
la Personnel Economics et la théorie économique néo-­ pour chacun. Il n’y a aucune garantie qu’à court terme,
institutionnaliste n’a de sens que si, comme le font Lazear comme à long terme, efficience économique et efficience
et Williamson, on suppose que les membres de la rela- sociale coïncident. L’atténuation du conflit d’intérêts des
tion d’emploi sont fortement rationnels, désencastrés de membres de la relation d’emploi n’est pas qu’une ques-
leur environnement social, politique et que la concur- tion simplement technique ou économique. C’est aussi,
rence marchande fait finalement émerger les règles les et probablement d’abord, une question politique.
meilleures. Or une telle perspective est éminemment

Bibliographie
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20

Critique d’une gestion


des ressources humaines toujours
plus stratégique1
Evelyne Léonard et Laurent Taskin

Depuis plus de trois décennies, gourous et prédicateurs Attention


contribution de la GRH à la stratégie de l’entreprise ne
du management, mais aussi chercheurs et auteurs en varie pas significativement dans le temps. Et, dans le
J’ai mis la note de bas de
gestion, nous annoncent que la gestion des ressources contexte actuel, il apparaît que la complexité et l’ins-
humaines (GRH) devient plus stratégique…1 tabilité de l’environnement page 1 invisibleauàsein
socioéconomique côté du mot
duquel évoluent les organisations n’offrent pas les
On attend. Car, si elle était vraiment devenue plus stra- «stratégique….» à la fin du
conditions de stabilité et de vision à long terme néces-
tégique, pourquoi alors devrait-on continuer à écrire
qu’elle le devient ? Et pourquoi invoquer cette dimension
saires au développement d’une premier paragraphe
GRH conforme à cet
idéal stratégique. Nous proposons ensuite une vision
stratégique comme l’ultime salut, Graal d’une fonction
alternative des capacités stratégiques des responsables
ressources humaines en quête de légitimité ?
des ressources humaines en tant que compétences poli-
Dans cette contribution, nous proposons d’adopter une tiques et institutionnelles, ce qui constitue à nos yeux
position critique face à ce discours, et d’analyser en quoi le véritable enjeu du métier. Finalement, la gestion des
cette quête d’une GRH toujours plus stratégique constitue ressources humaines doit-elle renoncer à l’épithète de
un idéal qui nous semble difficile à défendre, aussi bien « stratégique » ? Selon nous, il est utile de redéfinir ce qua-
dans la littérature scientifique en sciences de gestion que lificatif pour le comprendre autrement : dans un contexte
dans la gestion des entreprises. Pour cela, nous rappelle- changeant, complexe, m ­ ulti-acteurs et multi-institutions,
rons d’abord les principales contributions qui ont marqué plutôt que des capacités à planifier, mesurer et évaluer
la littérature en GRH et qui ont contribué à construire des activités au regard d’une stratégie d’entreprise sup-
cette vision stratégique des ressources humaines. posée établie, la gestion des ressources humaines exige
avant tout des capacités de négociation et de transac-
Nous critiquerons ensuite cette approche dominante,
tions multiples contribuant à définir un ordre social
notamment à partir d’études qui montrent que la
­particulier (Léonard, 2015).

Cela nécessite de la part des responsables des ressources


1. Ce chapitre est une version révisée d’un chapitre initialement humaines qu’ils développent des compétences de maî-
publié dans F. Ben Hassel et B. Raveleau (dir.) (2010), Manage- trise, de négociation et de transaction avec les autres
ment humain des organisations. Paris : L’Harmattan, coll. Concep-
acteurs dans l’entreprise et à l’extérieur de celle-ci, parmi
tion et dynamique des organisations. Nous remercions nos
collègues éditeurs de cet ouvrage collectif de nous avoir permis les cadres institutionnels auxquels ils sont confrontés.
de reproduire l’essentiel de notre argumentaire ici. Dès lors, le caractère stratégique de la fonction dépend
394 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

davantage des capacités à comprendre cet environne- Cette perspective se reflète dans le champ de la ges-
ment, à maîtriser ces cadres d’action et, finalement, à se tion des ressources humaines, où la dimension straté-
montrer stratège. gique fait référence à deux dimensions : l’adaptation
à un contexte et la déclinaison interne de la stratégie
d’entreprise en politiques de gestion. La gestion stra-
tégique des ressources humaines se met en œuvre au
Stratégique, toujours moyen de processus de planification (Dolan et Saba,
plus stratégique ? 2008, Thompson et Strickland, 1998). Cette planification
Parmi les domaines du management, c’est sans doute des politiques RH au regard de la politique générale de
la gestion des ressources humaines qui se soucie le l’organisation peut viser à minimiser les coûts (stratégies
plus d’être reconnue comme fonction dite stratégique. qualifiées de « dures ») ou à créer de la valeur ajoutée
Cette revendication en soi et, plus encore, son carac- (stratégies dites « douces »). Selon Legge (2005), ces deux
tère incantatoire au fil du temps depuis plus de trente stratégies se combinent plutôt qu’elles s’opposent. Dans
ans indiquent, si besoin était, que la pratique dans ce le même ordre d’idées, Boxall et Purcell (2008) déclinent
domaine ne suit pas nécessairement le discours (Galam- les stratégies RH en fonction des stratégies d’entreprise
baud, 2002 ; Taskin et Dietrich, 2016). dans le secteur des services. Ils observent que, sur le
marché des services de masse, la stratégie RH consiste
Traditionnellement, la notion de gestion stratégique des à minimiser les coûts, en écho à la stratégie globale ; en
ressources humaines traduit la nécessité, pour les DRH, revanche, sur le marché des services professionnels, la
de développer des politiques alignées sur la stratégie stratégie RH devrait viser le développement d’avantages
globale de l’entreprise, de planifier des systèmes et des concurrentiels dans les politiques et les méthodes, afin
dispositifs à moyen et long terme et, sur le plan des de fidéliser et d’attirer les professionnels dont l’entreprise
structures de décision, d’être présents au sein du comité a besoin. Il s’agit bien de s’aligner sur les objectifs géné-
de direction. Cette représentation s’est exprimée pendant raux, supposés clairs, univoques, explicites et stables.
plus de trois décennies dans des publications à visée Finalement, la représentation de la stratégie en GRH
essentiellement normative (voir, entre autres, Beer et se construit sur une division du travail bien ancrée et
collab., 1984 ; Besseyre des Horts, 1988 ; Fombrun et sur le modèle de la cascade : la haute direction définit
collab., 1984 ; Guérin et Wils, 1993 ; Guest, 1987 ; Schuler, la stratégie, puis les opérationnels la traduisent, avant
1990 ; Ulrich, 1997). que les fonctionnels la mettent en œuvre (Legge, 2005).
Étymologiquement, la racine grecque du terme stratégie La littérature en gestion des ressources humaines semble
(strategos) renvoie aux notions de guerre et de meneur. avoir peu pris en compte des conceptions plus nuan-
La gestion stratégique est ainsi celle qui peut contribuer à cées de la stratégie, pourtant déjà anciennes, telles que
la bataille de la compétitivité et diriger les troupes le long celle de Mintzberg et Waters (1985), qui distinguent stra-
de la voie dessinée par les dirigeants. Dans la littérature tégie planifiée, stratégie émergente et stratégie réalisée.
de gestion, la notion de stratégie s’est traduite surtout Whittington (2001) introduit également une perspective
par la planification (dite stratégique) qui désigne l’anti- alternative en distinguant quatre types d’approches de
cipation de faits et d’actions, ce qui établit implicitement la stratégie selon la « théorie en action » qui sous-tend la
une double hypothèse sur la stabilité de l’environnement démarche managériale : l’approche classique correspond
et la rationalité de l’acte de planification. C’est en ce sens à une vision rationnelle d’une stratégie orientée vers un
que Kay (1993) décrit l’objet de la stratégie comme étant objectif de maximisation du profit ; l’approche évolution-
l’analyse des interrelations entre l’entreprise et son envi- niste laisse moins de place à la rationalité gestionnaire
ronnement, alors que la gestion stratégique consiste en pour insister davantage sur la nécessité d’adaptation en
un plan visant à maîtriser ces interrelations. Dans cette vue de survivre à la sélection naturelle à laquelle sont
perspective, la stratégie consiste à édicter des principes, confrontées les entreprises sur un marché concurrentiel ;
à les mettre en œuvre et à les évaluer (Guérin et Wils, dans l’approche processuelle, il s’agit de composer avec
1993). la rationalité limitée telle que l’ont envisagée March et
 20   C ritique d ’ une gestion des ressources humaines toujours plus str atégique 395

Simon (1991) et avec les intérêts des divers acteurs en sein de leur entreprise, rencontre au moins deux limites :
présence ; enfin, l’approche systémique élargit la prise d’une part, le rôle de partenaire stratégique s’y trouve
en compte des intérêts en présence pour y inclure des positionné comme plus important que les autres : c’est
groupes sociaux hors de l’entreprise et des exigences celui qui générera le plus de valeur ajoutée pour l’organi-
sociétales. Plus récemment, le champ de la stratégie sation et vers lequel doivent tendre toutes les entreprises.
d’entreprise s’est ouvert à des recherches sur la « stra- Cette vision a justifié des mouvements d’externalisation
tégie en action », qui s’attachent à analyser finement ce des activités RH générant le moins de valeur, et elle est
que font concrètement les personnes chargées de la exclusivement tournée vers la direction générale. D’autre
production des orientations managériales au sein des part, la question de la valeur apportée aux travailleurs,
organisations (voir, par exemple, Johnson, Langley, Melin par exemple, reste absente de ces réflexions qui se
et Whittington, 2007). limitent souvent à la prise en compte des besoins des
affaires et à la valeur créée en ce sens. Notons toutefois
Toutefois, ces perspectives alternatives semblent avoir
le développement plus récent de méthodologies inspi-
encore peu investi le champ spécifique de la GRH. Jusqu’à
rées de la théorie des parties prenantes qui invitent à
présent, la gestion stratégique des ressources humaines
prendre en compte l’ensemble des parties prenantes de
(GSRH) s’inscrit principalement dans la conception tra-
l’entreprise dans l’établissement d’une proposition de
ditionnelle évoquée plus haut, privilégiant l’articulation
valeur en matière de management humain (voir, à ce
rationnelle entre GRH et objectifs généraux, en prenant
sujet, Taskin et Dietrich, 2016 et Ulrich et Brockbank,
parfois en compte les nécessités d’adaptation à l’envi-
2005).
ronnement dans une optique plus évolutionniste, pour
reprendre les termes de Whittington.

On trouve une bonne illustration d’une conception


relativement traditionnelle dans les écrits de Dave
Limites du discours
Ulrich (1997), consultant et professeur à l’Université du sur la GRH stratégique
Michigan. Il fait figure de gourou de la GRH et ses travaux
Dans les discours de la GSRH, plusieurs limites appa-
sont au centre des réflexions plus récentes sur les liens
raissent. Nous voudrions en souligner trois.
entre la stratégie et la GRH, le rôle de la GRH consistant à
créer de la valeur ajoutée. Selon lui, cette valeur ajoutée Tout d’abord, la perspective repose sur une hypothèse
ne peut émerger que lorsque la direction des ressources de rationalité absolue qui autoriserait la formulation de
humaines met son expertise au service de l’alignement stratégies prescriptives elles-mêmes alignées sur une
des politiques internes sur les besoins externes de l’acti- prévision des évolutions du marché à moyen et à long
vité. Ulrich distingue quatre leviers en vue de réaliser cet terme. Or, un contexte socioéconomique hautement
alignement et de créer de la valeur : exécuter la stratégie, incertain rend difficiles de telles prévisions. En outre, ali-
développer les infrastructures, s’assurer de la contribu- gner une politique de GRH sur une stratégie d’entreprise
tion des travailleurs et gérer le changement. Partant suppose que cette dernière est précisément et formelle-
de là, il définit quatre rôles que la GRH doit assumer : ment arrêtée et communiquée, ce qui n’est pas fréquent.
d’abord, celui de partenaire stratégique ; ensuite, ceux Ensuite, ces modèles restent normatifs et trop rarement
d’expert administratif et d’agent de changement et, enfin, étayés empiriquement. Ils sont en effet prescriptifs, que
celui de défenseur des travailleurs ou de coach, selon les ce soit explicitement ou implicitement, puisque la dimen-
traductions (Ulrich, 1997). En 2005, Ulrich et Brockbank sion stratégique de la GRH y est présentée comme l’idéal
revoient leur modèle et y intègrent la personne du DRH à atteindre absolument2. Dans un contexte où la fonction
– sous le nom de « HR leader » – en insistant davantage
sur la dimension relationnelle de la GRH.
2. La typologie de Dave Ulrich repose sur un certain nombre
Cette vision du rôle de la GRH, qui a fait le tour du monde
d’enquêtes réalisées au sein d’entreprises américaines de grande
et qui constitue véritablement « la » référence pour les taille. Taskin et Dietrich (2016, p. 149-150) rapportent ainsi que
DRH amenées à situer et à légitimer leurs activités au « les mesures périodiques réalisées tous les trois ans par l’équipe
396 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

RH chercherait à être plus crédible et légitime dans l’en- connus de la vision instrumentale de la GRH en propo-
treprise, revêtir le rôle de partenaire stratégique appa- sant une vision désincarnée, universaliste et dominée
raît alors comme une nécessité. Les modèles tendent à par la seule rationalité managériale de la GRH (voir à ce
survaloriser ce rôle au détriment des autres, introduisant sujet Brabet, 1993).
une hiérarchie des activités RH en fonction de leur valeur
ajoutée pour l’entreprise. Dans cette hiérarchie implicite,
il va de soi que le modèle du gestionnaire administratif Tableau 1 Importance des rôles de la fonction
prend des allures de rond-de-cuir daté, voire carrément RH, selon Ulrich (adapté de Lawler et collab., 2006
mité. Toutefois, les études empiriques qui analysent la et Lawler et Boudreau, 2012)
mise en œuvre de ce modèle dans les entreprises, et dont

administratif

travailleurs
certaines sont répétées sur une base régulière, montrent

changement

stratégique
Partenaire
Défenseur
que ces quatre rôles se combinent toujours dans les

Agent de
Expert
mêmes proportions au fil du temps, indiquant peu de

des
changement (Lawler et collab., 2006, voir tableau 1).  %
Autrement dit, les pratiques associées à chacun de ces
1995 27,6 31,3 18,6 21,9
rôles ne sont utilisées ni plus ni moins qu’avant, et le
rôle opérationnel de la fonction RH, en tant qu’expert 2004 26,5 32,0 18,1 23,5
administratif et défenseur des travailleurs (ou coach),
2010 26,1 30,4 16,7 26,8
reste prédominant. De même, Leopold et Harris (2009)
constatent que, selon les données empiriques, ces pro-
Faut-il, dès lors, jeter le bébé (stratégique) avec l’eau du
cessus explicites et contrôlés où s’enchaînerait une
bain (gestionnaire) ? La GRH doit-elle renoncer à toute
séquence stratégique idéalisée entre analyse, planifi-
ambition stratégique au motif que les discours qui l’an-
cation et mise en œuvre, sont rarement suivis dans la
noncent se répètent inlassablement et semblent décon-
pratique. Trente ans d’appels à une fonction stratégique,
nectés des pratiques ? Au contraire, il nous semble utile
et si peu d’évolution ? Cela montre bien la dimension
de proposer une perspective alternative de la dimension
normative, mais surtout incantatoire, du discours.
stratégique de la GRH, soulignant à la fois le rôle pro-
Enfin, et surtout, concentrées sur les fonctions diri- fondément politique et l’inscription institutionnelle de
geantes, ces approches ne prennent pas en compte les cette fonction.
acteurs et le cadre institutionnel qui balisent et contri-
buent à façonner les stratégies et les politiques de GRH
dans les entreprises. D’une part, cette perspective est
managérialiste dans la mesure où elle insiste sur le rôle Une GRH stratégique en termes
des seuls dirigeants et laisse généralement de côté les politico-institutionnels
autres parties prenantes, comme Ulrich et ses collègues
Tout d’abord, le processus d’intégration de la GRH à
Storey et Wright le soulignent (Storey, Wright et Ulrich,
la stratégie de l’entreprise, pour autant qu’il se fasse,
2009). D’autre part, sans prendre en compte les spécifi-
relève d’un processus complexe et itératif, souvent réa-
cités du contexte institutionnel dans lequel la fonction
lisé par essais et erreurs (Leopold et Harris, 2009) et
RH s’inscrit, cette perspective rencontre les pièges bien
impliquant des échanges et des compromis entre de
multiples acteurs.

de John Boudreau et Edward Lawler sont réalisées (en 2015, Comme le soulignent Boxall et Purcell (2008), le qualifi-
pour les données recueillies en 2013) sur un échantillon de catif de « stratégique » témoigne avant tout d’un choix de
416 entreprises de 4 200 travailleurs en moyenne, réparties
gestion consistant à retenir une politique définie comme
en Australie, au Canada, en Chine, aux États-Unis, en Europe,
en Inde et au Royaume-Uni. Difficile, avec ce type de données prioritaire étant donné son effet potentiel perçu pour la
peu nombreuses et peu représentatives du tissu économique survie ou le développement de l’organisation. En remar-
des régions sondées, de pouvoir prétendre à une quelconque quant que le caractère stratégique d’une politique de
généralisation ».
 20   C ritique d ’ une gestion des ressources humaines toujours plus str atégique 397

GRH est le fruit d’un processus qualitatif de hiérarchisa- Il devient alors tout simplement impossible de consi-
tion des actions, donc de subjectivation, Boxall et Pur- dérer la direction générale et la direction des ressources
cell (2008) réinvitent les acteurs et, singulièrement, les humaines comme acteurs presque uniques de l’élabora-
DRH, au cœur de la gestion stratégique des ressources tion et de la mise en œuvre des stratégies. Interviennent
humaines. Dès lors, le DRH n’est-il plus, paradoxalement, d’autres acteurs : par exemple, la direction financière
le bon petit soldat du meilleur management, mais bien délimitera les marges budgétaires disponibles, les organi-
un acteur à part entière. sations syndicales se positionneront sur les orientations
adoptées, les cadres chargés de la gestion effective des
On peut alors considérer que les stratégies et, plus géné-
personnes au jour le jour se plieront plus ou moins aux
ralement, les choix de gestion sont imbriqués dans des
projets, etc. En suivant la logique de Friedberg, il faut
échanges politiques ainsi que des réseaux sociaux – réels
aussi inclure des acteurs « externes » à l’entreprise, qui
et non pas virtuels –, marqués par les intérêts et les
participeront au système d’action dans lequel s’inscrit
objectifs des divers acteurs en présence, mais aussi par
la DRH : il suffit ici de prendre pour exemple la manière
un contexte institutionnel dans lequel, par exemple, on
dont le public peut être mobilisé par les organisations
ne gère pas les personnes de la même façon dans un
syndicales, par l’intermédiaire des médias, en vue de
pays ou dans un autre.
faire opposition à un plan de restructuration.
Dans cette perspective, les stratégies de GRH semblent
La gestion stratégique des ressources humaines consiste,
être le produit d’échanges et de transactions diverses,
dans cette optique, en orientations que tente de formuler
plutôt que l’édiction de principes traduisant la politique
une direction des ressources humaines dans le système
définie au sommet de l’entreprise ou la déclinaison d’une
d’action qui est le sien et dans le réseau complexe des
partition établie par la direction générale.
interactions qu’elle entretient avec les autres acteurs,
On rejoint alors la notion de stratégie telle qu’elle a été ses interlocuteurs directs et indirects. En conséquence,
définie en sociologie des organisations, à la lumière des elle prend la forme, comme toute gestion, d’un ordre
travaux de Crozier et Friedberg (1977) : en fonction de négocié local, contingent, provisoire (Segrestin, 1992 ;
la perception qu’un acteur donné a de la situation dans Léonard, 2015).
laquelle il se trouve, il définit une stratégie en choisissant
Cela affecte la conception des politiques, mais aussi leur
une manière d’agir pour laquelle il utilise au mieux les
mise en œuvre. Et l’on peut ici se référer à la théorie de la
ressources dont il dispose en vue d’atteindre ses objec-
régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud (1988, 1989)
tifs. Dans une telle perspective, les choix de l’acteur
pour qui toute action collective, au sens large d’action
en question sont toujours à la fois,libres et contraints :
organisée, est fondamentalement une question de régu-
contraints par l’évaluation que pose l’acteur sur ses res-
lation sociale, c’est-à-dire de négociation, de formulation
sources et les obligations qui pèsent sur lui, libres parce
et de transformation de règles collectives. La régulation
que l’acteur dispose toujours d’une marge de manœuvre,
constitue, pour lui, un processus de production de règles
quelles que soient ces contraintes. Avec l’analyse stra-
en transformation continue, sans cesse élaborées, cor-
tégique, Crozier et Friedberg (1977) s’inscrivent dans le
rigées, affaiblies ou renforcées par les acteurs sociaux.
prolongement des travaux de March et Simon (1958),
puisqu’ils envisagent l’organisation comme un système Au sein de l’organisation, la régulation prend deux
d’action, analysé sous l’angle de la rationalité limitée des formes différentes, qui interagissent l’une avec l’autre.
acteurs engagés dans des relations d’échange. Ici, action Premièrement, la régulation de contrôle désigne les
collective et organisation sont considérées comme com- processus de production de règles par des groupes spé-
plémentaires. S’y nouent nécessairement des relations de cifiques qui détiennent le pouvoir d’émettre des règles
pouvoir, et l’organisation ne résulte alors que des actions s’appliquant à d’autres. Les premiers disposent donc de
et des interactions concrètes des divers acteurs en pré- la capacité à peser « de l’extérieur sur la régulation d’un
sence, qu’ils soient considérés comme « dans » l’entreprise groupe social » (Reynaud, 1988 : 10). Deuxièmement, la
ou « hors » de celle-ci (Friedberg, 1993). régulation autonome désigne la production des règles
par un groupe pour lui-même. Les deux formes de
398 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

régulation se rencontrent et s’articulent ou s’affrontent, l’entreprise en matière, notamment, d’innovation, de


aboutissant à des pratiques effectives qui constituent formation et de gestion des personnes, diffère d’un pays
bien souvent un compromis entre les deux. Ce qui est en à l’autre en fonction, entre autres, du type de système
jeu dans la rencontre des deux types de régulation, ce éducatif et des modes de relations professionnelles qui
ne sont pas seulement les pratiques de travail, mais bien sont à l’œuvre. Ils rejoignent ainsi, en adoptant un autre
les règles du jeu elles-mêmes : en matière d’évaluation angle d’approche, l’apport déjà ancien, mais majeur de
du personnel, par exemple, quels sont les critères, qui Maurice, Sellier et Silvestre (1982) sur les systèmes de for-
peut les appliquer, comment on négocie localement leur mation en France et en Allemagne.
mise en œuvre, etc.
Hall et Soskice (2001), comme d’autres (par exemple,
Si l’on suit Reynaud, la gestion des ressources humaines Hollingsworth, 2002 ; Hollingsworth et Boyer, 1997), défi-
peut être envisagée comme un processus de production nissent la notion d’institution comme un ensemble de
de règles par un acteur – la direction ou le département règles, formelles ou informelles, que les acteurs suivent
des ressources humaines – pour d’autres – le personnel généralement, pour des motifs qui peuvent être norma-
–, constituant ainsi une forme de régulation de contrôle tifs, cognitifs ou matériels (Hall et Soskice, 2001). Dans
dans l’organisation. En tant que telle, elle revêt un carac- le prolongement de Weber (1971), ces auteurs estiment
tère profondément social, en ce sens que les règles qui que le marché constitue bel et bien une institution, de
seront formulées résultent d’échanges et de rapports de même que les systèmes légaux et réglementaires ou les
force, ne fût-ce qu’au sein même de l’équipe dirigeante. relations professionnelles.
En outre, en tant que telle, elle ne peut que se confronter
Les institutions établissent ainsi un ensemble de règles
à l’autonomie des acteurs auxquels elle s’applique. La
qui orientent la vie de l’entreprise. Toutefois il ne s’agit
gestion des ressources humaines, nous rappelle très uti-
pas ici de revenir à l’approche évolutionniste de la stra-
lement Galambaud (2002), ne peut que rencontrer cette
tégie, qui renvoie aux théories de la contingence, pour
ressource curieuse qui ne se laisse pas traiter comme
lesquelles l’environnement s’impose à l’entreprise et la
un objet.
contraint à s’adapter aux exigences externes pour sur-
Ainsi, la gestion des ressources humaines apparaît vivre. Les néo-institutionnalistes insistent bien davantage
comme fondamentalement politique : ses pratiques sur les interdépendances et les interactions entre les
impliquent de multiples acteurs internes et externes à firmes et les institutions – pour l’essentiel, nationales.
l’entreprise et, comme l’expliquent Dietrich et Pigeyre
Pour les néo-institutionnalistes, les choix qui s’offrent à
(2005 : 21-22), « ces multiples acteurs sont engagés
l’entreprise en matière de gestion et d’organisation sont,
dans des jeux de pouvoir et des conflits d’intérêts qui
en effet, étroitement liés au régime institutionnel dans
les amènent à faire de la définition des règles un enjeu
lequel elle se trouve, et celui-ci varie d’un pays à l’autre.
majeur de leurs relations ».
Les organisations développent des modes de coordina-
La gestion des ressources humaines apparaît alors tion incluant diverses formes de réseaux au sein desquels
comme le fait d’un groupe social particulier – appelons-le s’échangent des informations et des services, dans des
brièvement « la DRH » – qui produit ses propres normes relations qui reposent plus sur la collaboration que sur la
et règles, mais au sein des jeux politiques entre acteurs concurrence ; des réseaux dans lesquelles elles s’insèrent
internes et externes. Ces jeux, toutefois, ne se limitent et qui consistent, par exemple, en associations patro-
pas aux acteurs avec lesquels la DRH entre directement nales, en liens de collaboration avec l’enseignement et
en interaction. Au-delà de cela, elle doit composer avec les partenaires sociaux. Les relations entre les entreprises
un ensemble de normes et de règles plus larges, propres et les autres acteurs deviennent alors une composante
à un secteur d’activité, une région, un pays. clé du succès de l’entreprise. En matière de manage-
ment, Hall et Soskice montrent notamment que les types
Le courant néo-institutionnaliste le montre : les choix de
d’innovations possibles et la manière d’effectuer l’inno-
gestion des entreprises sont en interaction étroite avec
vation varient selon le type de contexte institutionnel
le régime institutionnel dans lequel elles sont actives.
Pour Hall et Soskice (2001), par exemple, l’approche de
 20   C ritique d ’ une gestion des ressources humaines toujours plus str atégique 399

dans lequel est exploitée la firme et la manière dont elle façon diverse dans les pays européens : ni de façon tout
interagit avec son environnement. à fait conforme au projet de la société mère ni de façon
simplement adaptée aux réglementations nationales,
Quelles sont les implications d’une telle perspective pour
mais bien dans des solutions originales qui représentent
la GRH ? Dans cette optique, la gestion des ressources
un compromis entre la volonté de la société mère et les
humaines se déploie dans un espace institutionnel qui
règles et jeux de pouvoir locaux. Ils montrent, notam-
définit des normes formelles et informelles cadrant les
ment, que le salaire variable lié à la performance indi-
actions possibles. En outre, ces normes varient d’un pays
viduelle, voulu par les groupes américains, se trouve
à l’autre, donc la GRH doit prendre en compte et « jouer »
transformé en rémunération variable liée aux résultats
avec des contextes institutionnels particuliers.
collectifs en Allemagne, après que les DRH locaux eurent
La dimension la plus évidente de ce contexte institu- appliqué la législation allemande et négocié avec les
tionnel est celle des relations industrielles ou les relations organisations syndicales.
professionnelles, trop souvent oubliées par les manuels
Dans cette perspective, la GRH réellement stratégique
de GRH. Les relations industrielles présentent en effet des
est celle qui est capable de prendre en compte les ins-
caractéristiques nationales fortes que ne peut négliger
titutions avec lesquelles l’entreprise est en interaction,
un responsable des ressources humaines. Les niveaux de
d’interagir avec ces institutions de façon à produire les
négociation, le poids des interlocuteurs syndicaux, le rôle
transactions nécessaires pour que les pratiques soient
de l’État, le cadre réglementaire et conventionnel et les
pertinentes et acceptées dans le respect des normes
instances de concertation ne sont que quelques dimen-
formelles et informelles locales.
sions dont tout DRH doit tenir compte. Ces dimensions
varient fortement d’un pays à l’autre : à titre d’exemple, En guise d’illustration, nous avons présenté par ailleurs
le taux de syndicalisation varie de 8 % en France, 27 % la mise en œuvre d’une politique de télétravail dans une
au Canada et jusqu’à 82 % en Islande (OCDE, 2015a), banque belge (voir Léonard et Taskin, 2010). Ce cas met
tandis que le taux de couverture des accords collectifs bien en scène une gestion stratégique des ressources
oscille entre 6 % au Chili, 12 % aux États-Unis et plus de humaines, au sens où elle s’inscrit dans le contexte d’un
90 % en Belgique et en France (OCDE, 2015b). profond changement de l’entreprise qui était lié à une
fusion, mais surtout et avant tout au sens où elle revêt
L’élaboration et la mise en œuvre de politiques de ges-
une dimension profondément politique et institution-
tion des ressources humaines ne peuvent s’abstraire de
nelle. Il s’agit moins pour la DRH de décliner des objectifs
tractations avec les institutions dans lesquelles l’entre-
stratégiques en actions RH que de produire et trans-
prise est inscrite ou « encastrée », selon le terme peu ave-
former des règles en se positionnant dans un rapport de
nant qui traduit la notion d’embeddedness en usage dans
pouvoir et dans un contexte institutionnel particuliers.
la littérature anglo-saxonne.

Par exemple, s’inspirant des apports néo-institutionna-


listes, Almond et ses collaborateurs (2003) proposent
des données originales sur la diffusion de pratiques de
Conclusion
GRH par des multinationales américaines dans leur pays Répéter inlassablement que la gestion des ressources
d’origine ainsi que dans six pays d’Europe occidentale humaines devient plus stratégique ne suffit pas à trans-
où elles ont des filiales. Ils analysent comment les ins- former l’idéal en réalité. L’approche classique sur le carac-
titutions du pays d’origine de ces entreprises donnent tère stratégique de la gestion des ressources humaines
forme (inform, en anglais) au comportement des entre- présente diverses limites : instrumentale et rationaliste,
prises au niveau international, et dans quelle mesure peu conforme aux pratiques observées, centrée sur les
ce comportement doit être modifié pour s’adapter au fonctions gestionnaires et largement ignorante des rap-
contexte institutionnel des divers pays d’accueil. Ils ports de pouvoir. Plus encore, elle contient une contra-
montrent notamment que la mise en œuvre d’une poli- diction interne : en insistant sur l’obligation de s’aligner
tique de salaire variable, pilotée par le management sur les exigences de l’environnement et sur la stratégie
américain dans un souci d’harmonisation, se traduit de générale, elle ne fait qu’accentuer un rôle de soutien
400 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

pour la DRH, là où ses défendeurs prétendent, précisé- d’acteurs et à en dégager des lignes d’action qui sont
ment, émanciper la fonction par le développement de à la fois utiles et légitimes. Elle l’est dans sa capacité à
son caractère stratégique. saisir les institutions, à y adapter ses choix, mais aussi à
les influencer en agissant dans les réseaux pertinents.
Il faut alors s’écarter du déterminisme mécanique qui
tend à prévaloir dans la conception classique sous la Si l’on envisage la gestion stratégique des ressources
forme d’une déclinaison, pas à pas, d’une intention humaines en tant que gestion imbriquée dans des
managériale, le long d’une logique pure, rationnelle, peu réseaux sociaux et capable d’interagir de façon perti-
conforme aux pratiques. nente avec son environnement institutionnel, alors il
devient nécessaire de prendre en compte la manière
Plutôt que cette vision d’une sorte de long fleuve linéaire
dont les orientations et les politiques de GRH se négo-
vers des lendemains qui chantent, la gestion des res-
cient avec d’autres acteurs et comment elles s’ancrent
sources humaines apparaît comme un « fait social », dont
dans un contexte institutionnel donné.
le caractère stratégique recouvre une dimension fon-
cièrement politique. La gestion devient un processus La direction stratégique des ressources humaines n’est,
de production de règles qui implique des relations de dès lors, plus celle qui s’aligne – le doigt sur la couture
pouvoir entre des acteurs aux intérêts divergents, et une du pantalon – avec la stratégie générale, mais bien celle
dimension institutionnelle puisqu’elle ne peut ignorer le qui arrive à jongler avec les jeux politiques et les normes
régime institutionnel dans lequel elle s’inscrit. institutionnelles. Beaucoup plus que dans une référence
à un modèle classique sans cesse réaffirmé, mais peu
Est-elle alors stratégique ? Nous le pensons, pour deux
réaliste, c’est dans cette expertise qu’elle peut déployer
raisons. Elle l’est dans sa capacité à saisir les jeux
toute sa valeur et sa légitimité organisationnelles.

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Conclusion générale

François Bernard Malo, James Douglas Thwaites et Yves Hallée1

« Un voyage de mille lieues commence


toujours par un premier pas »

Lao Tseu

Attention
Au terme de cet ouvrage, nous sommes d’avis que, s’il y J’ai mis la qui
qu’un certain nombre de composantes note de bas
résument de
a une idée dominante qui qualifie l’ensemble des textes notre propre conception de la GRH et des RI.1
ainsi rassemblés, c’est le souci de présenter une ver- page 1 invisible à côté du mot
sion « différente » de la gestion des ressources humaines «RI» à la fin du premier para-
(GRH), un autre point de vue, une autre perspective que
celle dont on parle habituellement dans la majorité des
Limites de notre contribution
graphe
ouvrages de base, du moins en Amérique du Nord… Tout d’abord, il faut reconnaître que notre démarche est
quelque chose qui n’est généralement pas dit et qui a été sujette à un certain biais de subjectivité, car nous sommes
très peu exploré. Sans être « niée » volontairement par des à la fois acteurs et observateurs des choses décrites dans
gens mal intentionnés, cette « autre chose » appartient cet ouvrage2. À titre de professeurs-­chercheurs engagés
pour ainsi dire à un autre paradigme dont on ne parle
que très peu… mis à part dans le cercle très restreint de 1. Cette conclusion générale est inspirée des divers chapitres com-
certains intellectuels en relations industrielles et dans posant cet ouvrage collectif. Toutefois, elle n’engage que les
le champ des études critiques en management. Pour auteurs de la conclusion générale.
poursuivre le travail ainsi entamé, nous avons fait le 2. Cela étant dit, c’est un faux problème, diront peut-être les
pragmatistes. Ainsi, « Dewey en déduira que la cassure
choix de vous présenter diverses pistes de réflexion et
épistémologique entre le monde et le chercheur serait non
d’action. Avant de le faire, toutefois, reconnaissons tout seulement illusoire, mais aussi nuisible au développement de
d’abord les limites inhérentes à notre exercice de même notre connaissance, inéluctablement liée à notre participation
404 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

dans l’enseignement, la recherche et la pratique en GRH acte de la popularisation croissante des valeurs en dota-
et en relations industrielles (RI), nous avons nos propres tion du personnel, mais aussi des conséquences dévas-
perspectives et nos propres intérêts. Les intérêts sous- tatrices de cette position pour certains individus laissés
jacents aux activités d’enseignement, de recherche et pour compte dans le système actuel, nous sommes d’avis
de pratique professionnelle sont, d’ailleurs, susceptibles qu’il est pertinent que le professeur, le chercheur et le
d’entrer parfois en contradiction les uns avec les autres. praticien en gestion des ressources humaines et en rela-
tions industrielles explicitent leurs propres croyances
Une deuxième limite importante à notre ouvrage collectif
et valeurs à l’égard de la GRH et des RI, car ce sont ces
a trait au fait que les propos qu’il contient ne peuvent
dernières, ultimement, qui sont les plus susceptibles
pas être généralisés à tous les univers où l’on enseigne,
d’expliquer sa conception du monde de même que ses
pratique et fait de la recherche en GRH et en RI. Bien
actions, qu’elles soient ou non pertinentes et appropriées
que le regroupement des contributeurs à cet ouvrage
selon les lieux et les temps.
soit très large et diversifié, il serait illusoire de prétendre
que les idées ici rassemblées sont le portrait représentatif
de toutes les facettes de cette « autre façon » d’enseigner,
2e composante – L’environnement
de pratiquer et de faire de la recherche en GRH et en
RI. Les divers chapitres composant cet ouvrage collectif
et les contextes organisationnels
servent principalement d’illustration possible de cette Surtout dans le monde hypercomplexe qui est aujourd’hui
vision alternative. le nôtre, il n’y a pas de déterminisme environnemental
absolu. En matière de GRH, une vaste constellation
La troisième limite à notre ouvrage collectif concerne
de facteurs (humains, économiques, technologiques,
ses fondements empiriques. Comme tout manuel dans le
légaux, etc.) présents à divers niveaux (personnel, de
domaine de la GRH et des RI, celui-ci repose sur des bases
groupe, organisationnel, institutionnel, etc.) font en sorte
scientifiques bien circonscrites, mais il faut reconnaître
que les recettes miracles n’existent pas et qu’il est vain
qu’il ne comporte pas beaucoup de « nouveaux » résul-
de chercher un quelconque déterminisme. Si certaines
tats de recherche empirique. En d’autres mots, peu des
choses fonctionnent pour certaines personnes dans cer-
chapitres composant cet ouvrage apportent de manière
tains environnements et contextes organisationnels, ail-
significative de nouvelles données de terrain. Ce que
leurs elles peuvent ne pas avoir l’effet escompté… voire
chacun fait, plutôt, c’est de présenter son sujet à l’aide
avoir l’effet contraire3. Il faut donc rejeter les conceptions
des théories et des modèles existants puis de l’interpréter
universalistes selon lesquelles il existerait « une seule »
différemment, en montrant ce que l’on oublie parfois de
bonne façon de faire les choses en matière de gestion
dire et d’écrire. N’est-ce pas là, en quelque sorte, le début
des ressources humaines. C’est pour cette raison, d’ail-
nécessaire vers l’émergence d’un nouveau paradigme ?
leurs, que la GRH dans les organisations ne devrait être
confiée qu’à des experts dûment qualifiés. Les erreurs
en matière de GRH et de RI, en plus d’être très faciles à
Les composantes de commettre, sont généralement extrêmement coûteuses
notre conception de la GRH pour toutes les parties concernées, aussi bien en termes
sociaux qu’en termes économiques.
1re composante – La place des valeurs Cela étant dit, il faut reconnaître que, dans la vaste
Pendant de nombreuses années, la GRH fut enseignée majorité des ouvrages de base en GRH, l’environnement
comme une science exacte, comme si la question des est présenté comme une donnée factuelle qui exerce
valeurs et des croyances n’y avait pas sa place. Prenant une pression extrêmement importante sur les organi-
sations… au point de les « forcer » à prendre certaines

au monde ». Anne Laperrière, 1997, « Les critères de scientificité


des méthodes qualitatives », dans La recherche qualitative : enjeux 3. N’oublions pas, ici, la contribution de Christensen selon qui
épistémologiques et méthodologiques, Montréal, Gaëtan Morin, plusieurs des principes de la bonne gestion ne sont appropriés
p. 368. que dans certaines circonstances.
 20   C onclusion génér ale 405

décisions difficiles, comme augmenter les charges de 4e composante – Le mouvement syndical


travail et diminuer les salaires du personnel. Les divers
La plupart des ouvrages de base en GRH n’accordent
chapitres composant cet ouvrage ont tous, pour la plu-
qu’une place très marginale à l’autonomie du personnel
part, remis en question le caractère déterministe de cet
et au rôle joué par son principal défenseur : le mouve-
environnement et, surtout, le sens de l’influence. Même
ment syndical. Selon nous, en procédant de la sorte, les
si les environnements politique, économique, techno­
ouvrages en question ne sont pas du tout fidèles à la
logique, socioculturel et juridique (pour ne nommer que
réalité québécoise où près de quarante pourcent de la
ces derniers) exercent bel et bien une certaine pression
main-d’œuvre est syndiquée7. En plus, ils sous-estiment
sur les organisations, ces dernières ne sont pas démunies
grandement l’apport possible de ces organisations de
face à leur environnement. Elles peuvent l’influencer et,
défense des travailleurs tout à fait capables d’agir comme
surtout, elles peuvent y réagir de milliers de manières
fer de lance dans la création d’une chaîne de valeur pro-
différentes ! Ainsi, ce n’est pas parce que la concurrence
fitable pour toutes les parties concernées. Sur la scène
est plus grande entre les organisations qu’il faut réduire
internationale, le plus récent rapport de la Confédération
les salaires afin de diminuer le prix des produits que
syndicale internationale souligne avec force à quel point
l’on commercialise. Il y a de nombreuses autres options
les droits fondamentaux des travailleurs sont globale-
possibles… pour peu qu’on y pense !
ment peu respectés dans le monde8. Nous sommes d’avis
que cela s’explique, en partie, par la popularité « éton-
3e composante – Le conflit nante » de certaines conceptions éminemment étriquées
de la GRH, de son enseignement et de sa pratique dans
Dans notre conception de la GRH et des RI, le conflit les organisations.
occupe une place centrale. Loin d’être le fait d’individus
déviants ou une conséquence d’une mauvaise commu-
nication de la part des patrons, le conflit est tout à fait 5e composante – La diversité
normal et il provient, entre autres choses, de la diversité
Plusieurs des ouvrages de base en GRH traitent de la
et de la conflictualité des intérêts en présence4. Plutôt
diversité dans une perspective essentiellement tech-
que de chercher à nier le caractère « normal » du conflit
nique et prescriptive. Après avoir brièvement défini les
ou à le résoudre par une culture organisationnelle forte,
différentes composantes de la GRH (la dotation du per-
se débarrassant notamment de ceux qui cherchent à pro-
sonnel, par exemple), les auteurs expliquent comment
mouvoir une autre vision des choses, nous croyons que
les gérer en contexte organisationnel. En plus de géné-
les problèmes du travail et de l’emploi auraient ­avantage
ralement sous-entendre que la façon de faire ne varie
à être résolus par de la négociation (individuelle ou col-
pas significativement en fonction des caractéristiques
lective) libre et volontaire entre toutes les parties en pré-
de l’organisation concernée (par exemple sa taille, son
sence. Ultimement, les solutions ainsi trouvées5 pourront
secteur d’activité économique, son statut public ou privé
être reprises par l’État qui en fera des lois et des règle-
ments6 ayant pour souci de promouvoir l­’intérêt public ou le degré de syndicalisation de sa main-d’œuvre), la
et de prévenir les situations d’abus de toutes sortes. plupart de ces ouvrages partent du principe que la main-
d’œuvre serait un tout homogène où les variables qui
en tracent certaines des distinctions les plus classiques

7. Alexis Labrosse, 2016, La présence syndicale en 2015, Direction


de l’information sur le travail, ministère du Travail, de l’Emploi
4. Un des principaux fondateurs des relations industrielles, l’abbé et de la Solidarité sociale, [En ligne], https://www.travail.gouv.
Gérard Dion, avait coutume de dire que le conflit devait être qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/presence_syndicale/2015.
relativisé, car il n’était pas destructeur en lui-même. En fait, il pdf (page consultée le 26 janvier 2018).
s’explique souvent par la question du partage de la « tarte ».
8. Confédération syndicale internationale (CSI), 2017, Rapport sur
5. Pour nous, ces solutions constituent des compromis locaux. la liberté : paix et droits démocratiques, novembre 2017, [En ligne],
6. Pour nous, ces lois et ces règlements constituent des compromis https://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/freedom_report_fr.pdf (page
sociaux. consultée le 26 janvier 2018).
406 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

ne joueraient pratiquement aucun rôle. En ce sens, l’âge, premier abord, nous avons la ferme conviction que, pour
le genre, l’origine nationale et la présence ou non d’un gérer de façon humaniste les personnes au travail, il
handicap (pour ne nommer que ces facteurs) n’entrent faut d’abord aimer l’homme et prendre conscience de
que rarement en ligne de compte… sauf en ce qui a trait la puissance des émotions en contexte organisationnel.
à la non-discrimination à l’embauche. Enfin, plusieurs Si ces facteurs ne semblent pas a priori importants pour
ouvrages oublient aussi de préciser que tout système de ceux et celles qui travaillent essentiellement seuls ou
GRH ne s’adresse pas qu’au personnel salarié de l’orga- en contact étroit avec diverses machines, il en va tout
nisation. Il concerne aussi les membres de la direction ! autrement pour le professionnel en ressources humaines
et en relations industrielles qui doit veiller, entre autres
Nous sommes d’avis que ces ouvrages, en passant sous
choses, au bon fonctionnement des équipes de travail.
silence ces diverses caractéristiques propres aux indi-
À notre avis, sans la prise en compte des émotions et
vidus qui œuvrent sur le marché du travail et de l’emploi,
une certaine conception humaniste de la gestion des
négligent des pans importants de la réalité. En plus de
personnes au travail, la GRH et les RI ne peuvent être, à
parler des différences dites classiques chez les individus
court terme, que techniques et utilitaristes.
(que sont l’âge, le genre, l’origine nationale et la présence
ou non d’un handicap), nous soutenons que toutes les
diversités devraient être considérées dans une gestion
7e composante – Une GRH
véritablement humaniste des personnes au travail. Par
cela nous entendons, par exemple, la diversité des iden-
et des RI stratégiques ?
tités et des expressions de genre (incluant le cas des Nous croyons que nous nous trouvons à une époque
personnes trans*), la diversité des orientations sexuelles charnière dans l’histoire économique de l’humanité. Les
(pour inclure le cas des personnes gaies, lesbiennes et inégalités sociales, qui pendant un certain temps ont
bisexuelles), la diversité des convictions religieuses (pour été contenues, redeviennent de plus en plus visibles.
inclure le cas des personnes ne partageant pas la religion Cela, à notre avis, est notamment le fruit d’une perte
de leur supérieur ou de leurs collègues), la diversité des d’influence d’une conception pluraliste et progressiste
statuts d’emploi (pour inclure aussi bien les salariés que de la GRH et des RI. Par son alignement sur les stratégies
les travailleurs autonomes, les bénévoles, les aidants organisationnelles mondiales, la GRH unitariste et grand
naturels, les professionnels et les gestionnaires de tous public a contribué à marginaliser l’apport des RI et a
les niveaux hiérarchiques) et, finalement, la diversité encouragé la segmentation de la main-d’œuvre en trois
des positions au sein de l’organigramme. Selon nous, groupes qui ne méritaient pas les mêmes considérations.
ces diverses formes de diversité de la main-d’œuvre en Alors que les employés les plus performants qui pos-
appellent nécessairement à des adaptations importantes sèdent les compétences constituant le cœur du métier
à chacune des politiques et pratiques de GRH et de RI de leur organisation continuent d’être désirés et traités
que l’on retrouve au sein des organisations. en ce sens (les A players évoluant dans une A position),
les autres (les B players et les C players évoluant dans les
B positions et les C positions) voient leurs emplois éliminés
6e composante – Les émotions ou accompagnés d’une détérioration significative de
Rares sont les ouvrages de base en GRH et en RI qui leurs conditions de travail. Tout véritable professionnel
traitent de la question des émotions dans le fonction- en GRH et en RI qui se respecte devrait être conscient
nement des organisations et du marché du travail et des répercussions de ses décisions sur toutes les parties
de l’emploi9. Aussi curieux que cela puisse paraître au concernées et la détérioration du tissu social au sein de
l’organisation. Il importe de réagir non seulement contre
les entreprises qui pratiquent l’exclusion d’un nombre
9. Certains ouvrages récents ont commencé à s’intéresser à ce croissant de salariés, mais également devant celles qui
que l’on appelle « le bonheur au travail », mais, selon nous, altèrent les liens sociaux qui les unissent à leur entre-
beaucoup de chemin reste encore à parcourir avant de prendre prise, obéissant plutôt à des considérations strictement
la pleine mesure de l’importance des émotions en contexte
économiques pourtant largement décriées en matière
organisationnel.
 20   C onclusion génér ale 407

d’acceptabilité sociale10. Pour prévenir de telles dérives, Bien que de larges pans de la littérature puissent être
nous croyons que le conseiller en ressources humaines et qualifiés de managériaux, de normatifs et d’unitaristes
en relations industrielles devrait être membre d’un ordre et qu’entre eux ils semblent soutenir l’idée d’une certaine
professionnel fort convaincu de son rôle de protéger tous convergence des points de vue, des perspectives plura-
les publics, puis être élu démocratiquement par toutes les listes et critiques existent bel et bien et c’est dans ces
parties concernées par ses décisions éventuelles. Ce n’est dernières que doit être comprise la présente contribution.
qu’à ce prix, à notre avis, qu’il pourra véritablement jouer Parmi ces perspectives alternatives dont on ne parle que
le rôle qui est le sien. peu, les syndicats, l’État de même que les lois touchant
au travail et à l’emploi occupent une place fondamen-
tale… surtout si nous prenons en compte les répercus-
sions sociales et sociétales de certaines décisions de
Pistes de réflexion et d’action GRH et de RI. Nier ce fait, à notre avis, revient à jouer
Maintenant que quelques-unes des limites de notre le jeu de ceux à qui un système déséquilibré profite et
ouvrage collectif ont été soulignées et que nous avons c’est réduire l’homme à l’état d’une pièce de machinerie
explicité un certain nombre de composantes de notre facilement exploitable. Cela étant dit, comment favoriser
conception de la GRH et des RI, examinons quelques- l’enseignement historicisé de ces autres perspectives et
unes des pistes de réflexion et d’action qui s’en dégagent. comment s’assurer que les futurs professionnels de la
GRH et des RI y soient sensibilisés puis les prennent en
compte le jour où ils exerceront leur métier ?
1re piste
D’un point de vue théorique, tout d’abord, notre contri-
bution souligne de manière importante qu’il n’y a pas
2e piste
« qu’une seule » façon de concevoir la GRH, de l’enseigner, Bien que dans la littérature grand public en GRH on ne
de la pratiquer et d’en faire de la recherche. En fonction parle jamais de système philosophique, les diverses
des paradigmes à partir desquels les enseignants tra- contributions rassemblées dans cet ouvrage collectif
vaillent (souvent plus ou moins consciemment, il faut nous amènent à croire que le sous-bassement de nom-
bien l’admettre), les définitions qu’ils utilisent, les théories breuses recherches scientifiques et de nombreux textes
qu’ils présentent et l’enseignement qu’ils offrent pour- normatifs contradictoires en GRH et en RI pourrait très
ront prendre diverses couleurs. À ce jour, peu d’ouvrages bien s’expliquer par des ancrages philosophiques et
théoriques sur la GRH prennent le temps de préciser ces épistémologiques distincts. Nous comptons, dans les
informations et ces nuances pourtant très importantes. prochaines années, explorer davantage cette partie
D’un point de vue pratique, pourtant, ces distinctions de l’univers de la connaissance. À titre de question de
sont capitales pour quiconque cherche à construire ses départ, par exemple, nous pourrions nous demander ce
compétences en GRH ou encore à embaucher quelqu’un que peut apporter l’humanisme à la réflexion sur la GRH
qui prétend posséder ces dernières. et les RI. Peut-on expliciter ses apports et ses influences
sur ceux et celles qui « écrivent » et « font » la GRH et les
L’histoire de la pensée en matière de GRH et de RI est
RI… même inconsciemment ? D’un point de vue pratique,
intimement liée à l’histoire millénaire du travail et des
ensuite, comment peut-on s’y prendre pour intégrer la
systèmes politico-économiques qui l’accompagnent. Bien
philosophie à l’enseignement, à la recherche et à la pra-
que la GRH et les RI n’aient été formalisés que relative-
tique en GRH et en RI sans pour autant perdre de vue
ment récemment, dès le départ de nombreuses visions se
l’importance d’un certain pragmatisme ?
sont opposées et continuent, de nos jours, à s’affronter.

10. Le lecteur intéressé à approfondir cette idée pourra lire 3e piste


avec intérêt la contribution suivante : Bernard Galambaud,
Les ordres professionnels sont, au Québec, des acteurs de
2014, Réinventer le management des ressources humaines : une
métamorphose obligée, Paris : Éditions Liaisons. plus en plus importants dans la gestion des organisations
408 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

et, dans un souci de protection du public, ils cherchent D’un point de vue pratique, enfin, comment faut-il s’y
de plus en plus à réserver certains actes à leurs propres prendre pour contribuer à la professionnalisation de la
membres. Que ce soit l’Ordre des comptables agréés, GRH et des RI sans pour autant tomber dans le piège où
l’Ordre des administrateurs agréés ou l’Ordre des conseil- les ordres finiraient par ne plus respecter les champs de
lers en ressources humaines et en relations industrielles compétence des universités et se permettraient de leur
agréés, tous aspirent à protéger le public, mais la défi- suggérer fortement ce qu’elles devraient enseigner et à
nition de ce même public est rarement explicitée. Qui propos de quoi elles devraient s’interroger ?
doit-on protéger ? Celui qui paie pour les services d’un
professionnel ou tous ceux qui sont potentiellement
concernés par un acte posé par ledit professionnel… 4e piste
qu’il ait payé directement pour ses services ou non ? S’il Dans notre conception du professionnel en ressources
est concevable que de nombreuses parties prenantes humaines et en relations industrielles, il n’y a pas de
puissent avoir des intérêts distincts au sujet d’une même place pour une personne qui ne posséderait pas, mini-
politique RH, à qui doit d’abord aller l’allégeance du malement, un baccalauréat composé au moins d’une
conseiller en ressources humaines et en relations indus- majeure en gestion des ressources humaines et en rela-
trielles : à son employeur ou aux employés concernés tions industrielles (soit une vingtaine de cours spécia-
par ladite politique ? S’il est possible d’entrevoir que son lisés en GRH et en RI). Plus que le simple détenteur d’un
allégeance doit aller aux deux parties à la fois, comment ensemble de savoirs techniques, le professionnel dont
cela est-il possible dans la conduite quotidienne de ses nous esquissons le portrait dans cet ouvrage est d’abord
activités ? Devant de telles imprécisions, il n’est pas sur- et avant tout un scientifique pragmatique versé dans
prenant que, parfois, certains ordres professionnels en les sciences sociales qui s’intéresse au fonctionnement
viennent alors à confondre « protection du public » et des organisations et du marché du travail et de l’emploi.
« promotion des intérêts de leurs membres ». Heureuse- Maniant de manière appropriée, selon les temps et les
ment, tant que les professeurs universitaires en GRH et lieux, la philosophie, l’économie, la psychologie, la socio-
en RI seront conscients de l’importance de préserver logie, l’histoire, le droit, l’ergonomie, les sciences comp-
leur autonomie et leur liberté par rapport aux velléités tables et le marketing (pour ne citer que ces sciences),
d’ordres professionnels cherchant à déborder de leur c’est un individu capable de comprendre en profondeur
mission première, il y a peu de risques que les ordres les problèmes qui se posent à lui et qui est en mesure
en viennent à dicter le contenu des programmes de d’aider les parties à les résoudre ensemble, à la satisfac-
formation universitaire et, de là, à faire oublier que la tion de tous. Dit simplement, le professionnel dont nous
protection du public passe d’abord et avant tout par la parlons n’est pas un simple émissaire de la direction ni
reconnaissance fondamentale de la légitimité des inté- l’un de ses fidèles serviteurs : il est aussi l’incarnation
rêts de toutes les parties en présence et la diversité des du protecteur du public au sein de l’organisation. C’est
perspectives dans l’enseignement, la recherche et la pra- lui qui est responsable du respect des lois du travail et
de veiller à la saine conduite de la GRH et des RI pour
tique en GRH et en RI. Dit autrement et plus directement,
toutes les parties concernées. Plutôt que d’être un ges-
nous croyons que ce n’est pas en faisant la promotion
tionnaire, le conseiller en ressources humaines et en
d’une GRH normative et unitariste fermée aux autres
relations industrielles est bel et bien un conseiller… Il est
perspectives que le public sera protégé.
au service aussi bien des gestionnaires que des employés
À l’échelle internationale, d’ailleurs, il n’est pas inutile de de l’organisation. Son mandat principal est de rapprocher
rappeler que le Québec fait figure d’exception en matière les parties et de veiller à combattre les inégalités des
d’encadrement de la profession de conseiller en gestion uns à l’égard des autres. Sa tâche ultime est d’aider à
des ressources humaines et en relations industrielles construire et à protéger l’ordre social dans l’organisation.
puis de réservation de certains actes à l’intention de ses Il est le constructeur et le protecteur d’une certaine paix
membres. À notre connaissance, nulle part il n’y a de sociale… rien de moins. Partout où on l’a oublié et là où
tels titres protégés accompagnés de tels actes réservés. on l’a négligé, le professionnel en ressources humaines
 20   C onclusion génér ale 409

et en relations industrielles a perdu sa crédibilité et a là, possible et accessible… pour peu qu’on s’y mette !
entaché toute sa profession. Ce n’est, à notre avis, que de cette manière que nous
pourrons un jour construire chez les futurs profession-
Si les parties concernées par les actes du conseiller en
nels en GRH et en RI des compétences leur permettant
ressources humaines et en relations industrielles ont tra-
de véritablement protéger tous les publics auxquels ils
ditionnellement été au nombre de trois (l’État, le patronat
sont redevables. Cela étant dit, d’un point de vue pra-
et les syndicats), elles sont aujourd’hui beaucoup plus
tique, comment peut-on amener à travailler ensemble
nombreuses et elles incluent tous les membres de la
des professeurs d’université traditionnellement hyper
société civile définie au sens le plus large possible, tant
spécialisés et jaloux de la protection de leur territoire ?
qu’elles s’y sentent concernées (étudiants se préparant à
Si l’enseignement reste confié à un seul professeur « par
entrer sur le marché du travail et de l’emploi, chercheurs
matière », peut-on alors raisonnablement croire qu’un
d’emploi, clients, écologistes, féministes, membres des
psychologue de formation sera à même de bien pré-
diverses communautés culturelles, membres des groupes
senter l’apport de l’économie et de la sociologie à son
LGBT [personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et trans*] ;
objet d’étude ?
etc.). Cela étant dit, il n’en reste pas moins que, d’un
point de vue pratique, plusieurs questions restent pour
le moment sans réponses : comment procéder, concrète-
6e piste
ment, pour rapprocher toutes ces parties et les amener
à collaborer les unes avec les autres ? Comment faire Enfin, pour donner un dernier coup de pouce à l’émer-
comprendre aux professionnels en exercice que le public gence de cette « nouvelle » façon de concevoir la GRH et
qu’ils doivent protéger est peut-être beaucoup plus large les RI, de l’enseigner, de la pratiquer et d’en faire de la
que celui auquel ils ont été sensibilisés par le passé ? recherche, nous sommes d’avis que nous avons besoin
de nouveaux mots et… d’une nouvelle science ! Cette
« nouvelle science », préoccupée par le fonctionnement
5e piste du monde du travail et de l’emploi, nous proposons de
l’appeler la « tripalilogie ». Puisant son origine dans l’éty-
Dans un monde idéal, nous sommes d’avis que tous
mologie du mot « travail », elle consiste en l’étude « huma-
les champs de pratique traditionnellement associés à la
niste, pluraliste et multidisciplinaire » du monde du travail
GRH devraient être enseignés au moyen d’une approche
et de l’emploi. Son objectif ultime est de nous aider à
multidisciplinaire. À titre d’exemple, le cours universi-
comprendre comment fonctionnent ces derniers univers
taire de 45 heures consacré à la dotation du personnel
et de quelles manières ils peuvent éventuellement être
devrait faire une part égale aux enseignements suggérés
mieux gérés pour contribuer au développement de tous
par chacune des sciences qui se sont penchées sur la
les êtres humains – à tous les niveaux (psychologique,
question. Que nous apprend la psychologie au sujet de
social, culturel, économique, politique, etc.) et selon
la dotation du personnel ? Que nous apprend la socio-
toutes les temporalités (à court, moyen et long terme).
logie au sujet de la dotation du personnel ? Que nous
Abordant ces questions de manière multidisciplinaire –
suggère l’économie au sujet de la dotation du personnel ?
c’est-à-dire en ayant recours à toutes les sciences dites
Que nous incite à ne pas oublier l’histoire au sujet de la
« classiques » s’étant penchées sur le fonctionnement
dotation du personnel ? Que nous rappelle le droit au
du monde du travail et de l’emploi –, la « tripalilogie »
sujet de la dotation du personnel ? Que nous proposent
reconnaît comme fondamentale l’importance de mettre
les sciences comptables, le marketing et l’ergonomie au
en valeur l’interdépendance des divers niveaux d’ana-
sujet de la dotation du personnel ?
lyse – individuel, de groupe, organisationnel (incluant
Bien entendu, lorsque nous regardons les plans de cours le shop floor, le niveau fonctionnel et le niveau straté-
actuellement disponibles dans les universités où l’on gique), local, régional, national, international, etc. – de
forme les professionnels en ressources humaines et en même que leurs implications pratiques. Loin de chercher
relations industrielles, force est de reconnaître que nous à enfermer la réflexion sur elle-même, la « tripalilogie » est
sommes encore très loin de cette vision, mais elle est une science pragmatique, par l’homme et pour l’homme.
410 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Elle n’a de pertinence ultime que si elle réussit à l’aider


à mieux comprendre son rapport avec le monde qui
l’entoure et à améliorer de façon substantielle son fonc-
tionnement global.
Liste des collaborateurs

Bellemare, Marie et compréhensive dans une perspective d’efficacité


­pratique. Dans le domaine de l’enseignement, elle place
Marie Bellemare détient un Doctorat en ergonomie
au centre de ses investissements la diversité des forma-
du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM,
tions et des métiers. Chargée d’enseignements en DUT,
1995). Elle a travaillé comme chercheuse à l’Institut de
licence professionnelle mais aussi Master 1 et 2, elle s’ef-
recherches Robert-Sauvé en santé et en sécurité du tra-
force d’amener les apprenants à développer des connais-
vail (IRSST) de 1995 à 2003 et est maintenant profes-
sances en travaillant sur leurs représentations du monde
seure associée retraitée au Département des relations
professionnel et la complexité des pratiques. Dans ses
industrielles de l’Université Laval où elle œuvre depuis
investigations, souvent confidentielles, elle explore les
2004. Ses recherches portent sur l’intégration de la pré-
dogmes et les schémas de pensées qui inspirent la mise
vention dans les processus de conception des situations
en œuvre de l’action collective. Elle observe les difficultés
de travail, sur les liens entre organisation du travail et
qui peuvent émerger par excès de simplifications ou par
santé, sur les processus d’intervention dans les organi-
des mises en œuvre hâtives d’outils et de méthodes. Mais
sations. Elle est aussi chercheuse régulière au Centre de
ses investigations de terrain l’amènent aussi, aujourd’hui,
recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la
à interroger la recherche en management, qui tend par-
société et l’environnement (CINBIOSE) depuis 2011 et
fois à privilégier, à l’instar des managers de terrain, la
elle fut également directrice du DESS en ergonomie et
conformité d’application de dispositifs formels et norma-
innovation et responsable de la maîtrise sur mesure en
tifs, avant d’en interroger le sens et la pertinence pour
ergonomie.
comprendre « ce qui se passe ».

Berthon, Marie-Noëlle Bettache, Mustapha


Marie Noëlle BERTHON est Docteur en Stratégie et
Mustapha Bettache est titulaire d’un doctorat (Ph.D) en
Management des Organisations (Université de Lille
relations industrielles à l’Université de Montréal. Il détient
Sciences et Technologies) et Psychologue (Université
aussi une maîtrise (Ms.C) en relations industrielles ainsi
Toulouse Jean Jaurès). Cette double formation lui a
qu’une propédeutique dans la même discipline à l’École
permis de multiplier les expériences professionnelles et
de relations industrielles de l’Université de Montréal. Il
de développer diverses activités de recherche et d’en-
est aussi titulaire d’une licence en psychologie et déten-
seignement. Ses domaines d’intervention se situent au
teur d’un diplôme de « concepteur de systèmes de ges-
carrefour des questions sur le management, le travail et
tion » auprès de l’Institut français de gestion (IFG-Paris) et
la santé. Convaincue que l’élaboration de réponses aux
d’un autre de formation de formateur auprès de l’Institut
difficultés concrètes de l’exercice du travail nécessite
supérieur des sciences économiques et commerciales
de prendre en compte plusieurs logiques de pensée et
(ESSEC-Paris), avec spécialité en communication et en
d’action, elle plaide pour une démarche pluridisciplinaire
information ainsi qu’en dynamique des groupes. Il a été
412 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

chargé de cours durant plusieurs années en manage- à Chicoutimi (UQAC), est détentrice d’une maîtrise en
ment et en gestion des ressources humaines à l’École psychologie organisationnelle ainsi qu’un doctorat en
des relations industrielles de l’Université de Montréal. Organisation du travail et santé psychologique. Fon-
Il a été consultant auprès du Groupe MDS à Montréal datrice et responsable du Laboratoire de recherches et
et chercheur auprès de l’INRS. Il a aussi été conseiller d’interventions sur les Incidents Critiques en Milieu de
au Ministère du Travail du Québec. Il a eu en charge Travail (ICMT), ses intérêts de recherche concernent la
plusieurs mandats à titre de consultant formateur et de santé psychologique au travail, les incidents critiques
gestionnaire dans diverses entreprises et occupé plu- en milieu de travail ainsi que les éléments collectifs per-
sieurs postes de direction en entreprise. Il a aussi eu mettant aux travailleurs de se maintenir sainement en
plusieurs mandats au sein du Département des relations emploi. Dans ses recherches subventionnées par des
industrielles à l’Université Laval, dont ceux de directeur organismes en santé publique et en santé au travail,
des programmes de 2e et 3e cycles. Il est aussi membre tant au niveau provincial que national, la prévention
du comité certificat en gestion des ressources humaines. et l’intervention touchant la santé psychologique sont
Il est présentement professeur titulaire, ses enseigne- investiguées dans différents milieux de travail, notam-
ments portent sur la gestion des ressources humaines ment auprès des travailleurs en situation d’urgence et
et la gestion des organisations. Il est également membre en contact avec la souffrance humaine.
régulier au sein du Centre de recherche sur les innova-
tions sociales (CRISES).
Dubrion, Benjamin
Benjamin Dubrion est maître de conférences en sciences
Centeno, Jennifer économiques à Sciences Po Lyon. Détenteur d’un doc-
Jennifer Centeno détient un baccalauréat en relations torat et d’une HDR en économie, ses intérêts de recherche
industrielles et une maitrise en communication publique portent sur la relation d’emploi, les relations industrielles,
(spécialisée en communication organisationnelle) de la théorie des organisations/théorie de la firme et la
l’Université Laval. Après 10 ans en gestion des ressources responsabilité sociale de l’entreprise. Il est membre du
humaines et en développement organisationnel, tant au Laboratoire Triangle CNRS UMR 5206, et de l’Institut de
Québec qu’à l’international, elle a complété un doctorat Recherche pour l’Économie Politique de l’Entreprise (IREPE).
en relations industrielles, spécialisé dans le domaine
de l’éthique. Ses travaux s’intéressent plus spécifique-
ment au rôle que joue l’éthique au sein de la GRH, aux Fournier, Pierre-Sébastien
infrastructures éthiques mises en place au sein des
Titulaire d’un baccalauréat en psychologie de l’Univer-
organisations ainsi qu’aux défis que posent les loyautés
sité du Québec à Trois-Rivières, d’un diplôme d’études
multiples pour les professionnels. Jennifer est coor-
approfondies en ergonomie de l’École Pratique des
donnatrice scientifique de l’Institut d’éthique appliquée
Hautes Études (France), d’une maîtrise et d’un doctorat
(IDÉA) de l’Université Laval. Elle est également chargée
en relations industrielles de l’Université Laval, Pierre-­
de cours au département des relations industrielles et
Sébastien Fournier est professeur titulaire de gestion des
à la Faculté de pharmacie de cette même université.
ressources humaines et de santé et sécurité du travail au
Elle est membre fondateur du conseil d’administration
Département de management de la Faculté des sciences
du Réseau d’éthique organisationnelle du Québec et
de l’administration de l’Université Laval où il agit aussi à
­présidente sortante.
titre de Directeur du département. Chercheur à la Chaire
en gestion de la santé et de la sécurité du travail dans
les organisations, il s’intéresse à la question de la charge
Douesnard, Jacinthe de travail et aux risques psychosociaux, à la relève et
Jacinthe Douesnard, Ph. D., psychologue organisation- à la transmission des savoirs de métier et à la santé
nelle et professeure au département des sciences éco- et sécurité du travail.
nomiques et administratives à l’Université du Québec
 20   L iste des contributeurs 413

Gagnon, Carole du MAE (Master Management Général) franco-polonais


réalisé à Lodz (Pologne). Membre élue du bureau de
Doctorante en relations industrielles à l’Université du
l’Association Référence RH qui vise à développer une
Québec en Outaouais (UQO), Carole Gagnon s’intéresse
approche RSO au sein des formations françaises en
à la psychologie du travail et des organisations, plus
management des ressources humaines et Membre du
précisément à l’interface entre l’engagement organi-
Centre de Recherche Magellan (IAE Lyon), ses recherches
sationnel et l’engagement syndical chez le travailleur.
portent sur les transitions professionnelles et l’accompa-
Elle est co-auteure de diverses publications scientifiques
gnement au changement, les modes de management
(REMEST, Recherches sociographiques) et a participé à
alternatifs et l’évolution de la responsabilité de la fonc-
divers congrès et colloques (ACRI, SQPTO). Auparavant, tion RH. Parmi ses publications, elle est co-auteure de
elle a œuvré pendant plusieurs années à titre de profes- « Diriger et encadrer autrement. Théoriser ses propres straté-
sionnelle dans le domaine dentaire.
gies alternatives » publié chez Armand Colin en 2012 et
auteur dans l’ouvrage collectif La Responsabilité Sociale
des Organisations : des discours aux Pratiques, Mise en Œuvre
Gagnon, Mélanie et Déploiement de la RSO, (2014) publié chez Vuibert en
Mélanie Gagnon est professeure titulaire en relations 2014 ainsi que dans l’ouvrage collectif Les grands auteurs
industrielles au département des sciences de la gestion en innovation, publié en 2016 chez EMS Éditeur.
à l’UQAR depuis 2004. Spécialisée en relations du tra-
vail, elle est détentrice d’un doctorat en relations indus-
trielles de l’Université Laval. La représentation syndicale Gosselin, Éric
et l’amélioration des conditions de travail et d’emploi se
Eric Gosselin est professeur titulaire en psychologie du
trouvent cœur de ses préoccupations de recherche qui
travail et des organisations au Département de relations
sont soutenues financièrement par divers organismes
industrielles de l’Université du Québec en Outaouais. Il
subventionnaires. Plus spécifiquement, elle s’intéresse
est aussi chercheur au Laboratoire d’analyse psycho­
au vécu des employés en situation de difficultés et
neuroendocrinologique du stress et de la santé (LAPS2 ),
aux réponses syndicales offertes en ces matières. Elle où il mène des travaux portant, entre autres, sur les liens
enseigne aux étudiants des programmes de cycles supé- entre le stress et la performance au travail. Il a complété
rieurs en gestion des personnes et au baccalauréat en
un doctorat en relations industrielles à l’Université de
administration, concentration gestion des ressources
Montréal ainsi qu’un postdoctorat au sein du Groupe
humaines. Très impliquée dans la vie syndicale, elle
d’analyse psychosociale de la santé (Gap-Santé) de
siège à l’exécutif syndical du Syndicat des professeurs
l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa. Il est réci-
et des professeures de l’UQAR depuis 2006 et elle en piendaire du Prix d’excellence en enseignement décerné
est devenue présidente de 2010 à 2015. Elle a été à par le réseau de l’Université du Québec. Ses principaux
trois reprises porte-parole syndicale dans le cadre de la intérêts de recherche portent sur la santé psychologique
négociation de la convention collective entre le l’UQAR et la gestion du stress au travail, le présentéisme, l’in-
et le Syndicat des professeurs de l’UQAR en plus d’être terface entre la satisfaction au travail et la satisfaction
porte-parole au comité des relations professionnelles et dans la vie, la gestion de la carrière et les dynamiques
au comité de grief. intersubjectives sous-jacentes aux épisodes conflictuels.

Glée-Vermande, Catherine Hallée, Yves


Docteure en sciences de gestion et agrégée d’économie
Yves Hallée est professeur agrégé au Département des
et gestion, Madame Glée-Vermande est Maître de confé-
relations industrielles de l’Université Laval depuis juillet
rences à l’Université Jean Moulin Lyon 3, où elle dirige
2012. Il détient une maîtrise en ressources humaines
le master RHO (ressources humaines et organisation) de
et un doctorat en relations industrielles de l’Univer-
l’IAE Lyon ; Elle est également responsable académique
sité Laval. Il a été durant quatre années professeur en
414 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

gestion des ressources humaines au Département des Langlois, Lyse


sciences économiques et administratives de l’Université
Détentrice d’un doctorat en administration et politique
du Québec à Chicoutimi. Il a œuvré plusieurs années
scolaires, Lyse Langlois est actuellement Directrice
dans la fonction publique québécoise comme profes-
de l’Institut d’éthique appliquée et vice-doyenne à la
sionnel en gestion des ressources humaines, relations
recherche à la Faculté des sciences sociales de l’Univer-
de travail, rémunération et équité salariale. Il a aussi
sité Laval. Elle enseigne au département des relations
occupé un emploi de conseiller syndical à la Confédé-
industrielles de l’Université Laval, secteur de la gestion
ration des syndicats nationaux (CSN). Ses recherches
des ressources humaines, depuis 2002 et est membre
portent, notamment, sur l’équité salariale, la théorie et
régulière du Centre de recherche interuniversitaire sur
le renouveau en gestion des ressources humaines, la
la mondialisation et le travail (CRIMT). Ses intérêts de
méthodologie pragmatiste et l’intégration socioprofes-
sionnelle des personnes en situation d’itinérance. recherche s’inscrivent en éthique et gestion et ses tra-
vaux l’ont amenée à approfondir les caractéristiques du
leadership éthique et son influence en milieu de travail.
Lamonde, Fernande1 La professeure Langlois s’intéresse aussi à la formalisa-
tion de l’éthique en milieu de travail et plus particulière-
Détentrice d’un doctorat en ergonomie de l’Université ment à la notion de de sensibilité éthique.
Paris Nord et d’une maîtrise en génie industriel (ergo-
nomie) de l’École Polytechnique de Montréal, Madame
Lamonde a mené de nombreuses recherches sur la fiabi- Larouche, Laetitia
lité humaine, notamment dans les secteurs du transport
Doctorante en psychologie organisationnelle à l’Univer-
ferroviaire et routier. Ses travaux de recherche ont porté
sité de Sherbrooke et récipiendaire de bourses du Fonds
sur la pratique professionnelle de l’ergonomie et de l’in-
de Recherche Société et Culture du Québec et de l’Institut
génierie, notamment celle mise en oeuvre dans le cadre
de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité au tra-
des projets de conception de systèmes de production
vail, Mme Larouche a participé à différentes recherches
industriels. Ces travaux l’ont amené à s’intéresser, plus
subventionnées portant notamment sur l’évaluation des
généralement, aux démarches émergentes en conduite
compétences de gestion, les phénomènes de violence
de projets (prise en compte de l’humain en conception,
au travail et la santé psychologique des intervenants
ingénierie simultanée, démarches de qualité) et en ges-
tion intégrée des organisations (développement durable d’urgence. Actuellement, les travaux de Mme Larouche
internalisé, responsabilité sociale des entreprises) de portent sur les déterminants groupaux de la violence au
même qu’à la relation entre recherche, pratique profes- travail dans les services incendie pour mieux intervenir
sionnelle et formation. Elle a été directrice du Dépar- et limiter l’incidence de ce phénomène de violence.
tement des relations industrielles du 1er juin 2002 au
31 mai 2005. À titre de chercheure, elle était membre
du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondia-
Le Capitaine, Catherine
lisation et le travail (CRIMT) et du conseil scientifique du Catherine Le Capitaine s’est jointe au Département des
Centre de Recherches et d’Études sur l’Age et les Popu- relations industrielles de l’Université Laval en 2007. Elle
lations au Travail (CRÉAPT, France). Elle a participé à des est titulaire d’un doctorat et d’une maîtrise en relations
projets d’envergure financés par l’Institut de recherche industrielles à l’Université Laval ainsi que de plusieurs
Robert Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). années d’études universitaires en France. Elle est actuel-
Enfin, elle s’est impliquée dans l’évaluation d’articles lement co-chercheure au Centre de recherche interuni-
scientifiques pour la revue internationale PISTES. versitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT). Ses
recherches portent sur le renouveau syndical dans la
société contemporaine, la qualité de vie au travail et hors
travail, le bien-être, les conditions de travail et d’emploi,
les femmes et les professionnels.
1. La professeure Lamonde est décédée le 7 décembre 2013.
 20   L iste des contributeurs 415

Léonard, Évelyne Malo, François Bernard


Professeure à la Louvain School of Management (Uni- Professeur titulaire au Département des relations indus-
versité catholique de Louvain), à l’Institute for the Ana- trielles de l’Université Laval où il œuvre depuis juin 2004,
lysis of Change in Contemporary and Historical Societies François Bernard Malo y agit aussi à titre de responsable
(IACS) et au Louvain Research Institute in Management de la formation continue, directeur du Certificat en ges-
and Organizations (LRIM), Madame Léonard est égale- tion des ressources humaines et du Certificat en relations
ment vice-rectrice à la politique du personnel. Titulaire du travail. Détenteur d’un baccalauréat et d’une maîtrise
d’une licence en communication sociale, d’une licence en relations industrielles de l’Université Laval (Canada),
et d’un doctorat en sciences du travail, elle enseigne la d’une maîtrise en gestion de la créativité et de l’inno-
gestion des ressources humaines et les relations indus- vation de l’Université d’État de New York (États-Unis) et
trielles. Ses intérêts de recherche portent notamment sur d’un doctorat en sciences de la gestion de l’Université de
les conditions et l’évolution du dialogue social européen Toulouse 1 (France), il codirige la collection Gestion des
et son impact au sein des Etats membres. ressources humaines et relations industrielles aux Presses
de l’Université du Québec (PUQ). Au cours des dernières
années, il a enseigné à l’Université fédérale du Ceara
Luc, Sylvain (Brésil), à l’Université du Québec à Chicoutimi (Canada),
à l’École supérieure internationale de gestion de Casa-
Sylvain Luc est détenteur d’une licence en sciences
blanca (Maroc), à l’École supérieure internationale de
mathématiques, d’une licence postuniversitaire en
gestion de Rabat (Maroc), à l’École supérieure interna-
gestion d’entreprises et d’un doctorat en sciences éco-
tionale de gestion de Fès (Maroc), à l’École supérieure
nomiques et de gestion de l’Université de Namur (Bel-
internationale de gestion de Marrakech (Maroc), à l’Ins-
gique). Sa thèse de doctorat portait sur l’application de
titut supérieur des études commerciales de Beyrouth
la psychologie analytique de Carl Gustav Jung à l’étude
(Liban) et à l’Université Senghor (Égypte). Ses intérêts
des organisations. Avant d’être professeur à l’Université
de recherche portent principalement sur l’attraction et
Laval, Sylvain Luc était maître de conférences à l’Uni-
la rétention de la main-d’œuvre ainsi que la créativité
versité de Namur et chargé de cours visiteur à l’Univer-
et l’innovation dans les processus de résolution de pro-
sité catholique de Louvain (Belgique). Il y enseignait
blèmes complexes et la gestion du changement. Il a rem-
différents cours en management. Parallèlement à ces
porté, en 2017, le prix d’excellence en enseignement de
activités, il était également consultant en entreprises.
la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval.
L’intérêt qu’il porte à la gestion est multiple. D’une part,
il s’intéresse à ce qui définit l’organisation, à savoir son
processus organisant qui émerge des interactions entre
les individus qui la compose. Son regard se porte plus
Mercier, Samuel
précisément sur différents phénomènes en organisa- Samuel Mercier est Vice-Président délégué à l’internatio-
tion tels le leadership, la créativité, l’innovation, l’im- nalisation des activités universitaires de l’Université de
provisation et les processus entrepreneuriaux. D’autre Bourgogne. Ancien élève de l’ENS Cachan et Docteur en
part, il poursuit une lecture critique des processus de Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine, ses
gestion et en particulier de la gestion stratégique des recherches portent sur l’institutionnalisation de l’éthique
ressources humaines. Considérant que tout dispositif et de la responsabilité sociale dans la gouvernance des
de gestion représente un outil de discipline, il tente d’en entreprises. Professeur en sciences de gestion, il dirige
déterminer l’implication sur le processus organisant, sur le Master Gestion des Ressources Humaines (IAE Dijon,
la construction de sens au travail et sur le processus de Université de Bourgogne) et est membre du Centre de
construction identitaire individuel. Il est actuellement Recherche en Gestion des Organisations (CREGO, EA
directeur du Département des relations industrielles de 7317).
l’Université Laval.
416 L’humain, plus qu ’une ressource au cœur de la gestion  P erspectives de gestion des ressources humaines

Michaud, Renée deux de l’Université Laval. Son mémoire de maîtrise,


achevé en 2011, portait sur les interventions en préven-
Détentrice d’un baccalauréat Sciences commerciales
tion des troubles musculosquelettiques dans les équipes
de l’Université d’Ottawa, d’une maîtrise en Sciences de
de santé au travail. Sa thèse de doctorat, financée par le
la gestion de l’Université de Montréal et d’un doctorat
Conseil de recherches en sciences humaines du Canada
en Relations industrielles de l’Université Laval, Renée
(CRSH) et par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en
Michaud est professeure au Département de relations
santé et en sécurité du travail (IRSST), porte maintenant
industrielles de l’Université du Québec en Outaouais
sur la collaboration interprofessionnelle dans ces mêmes
depuis 2014, après y avoir enseigné à titre de chargée
équipes de santé au travail. Cette thèse se penche plus
de cours pendant huit ans. Avant d’entreprendre sa car-
spécifiquement sur la collaboration entre des infirmières,
rière de professeure, elle a œuvré pendant une dizaine
techniciens en hygiène du travail et médecins du travail,
d’années à titre de conseillère en ressources humaines à
notamment, et comment cette collaboration permet de
la fonction publique du Canada. Ses recherches portent,
réaliser de la prévention durable des risques profession-
notamment, sur la formation de la main-d’œuvre, l’adé-
nels dans les entreprises
quation formation-emploi, l’analyse d’emploi, la sélection
du personnel et l’appariement personne-organisation.
Saba, Tania
Morency, Marc-André Professeure titulaire à l’École de relations industrielles
de l’Université de Montréal, Tania Saba est aussi titulaire
Monsieur Morency est sociologue et professeur retraité
de la chaire BMO en diversité et gouvernance. Elle est
de l’Université du Québec à Chicoutimi. D’abord impliqué
spécialiste des nouvelles relations d’emploi, du vieillis-
dans des expériences de développement communautaire
sement au travail, des retraites et retour au travail, des
et régional (Bureau d’Aménagement de l’Est du Québec
différences intergénérationnelles et des statuts d’emploi.
ou BAEQ, Office de Développement de l’Est du Québec),
Elle s’intéresse de manière plus spécifique aux aspects
il a été Gestionnaire Senior dans la fonction publique
internationaux de la gestion des ressources humaines,
canadienne (Ministère d’État aux Affaires Urbaines,
notamment les questions de stratégies, de mobilité
MEAU). Il a notamment participé à la préparation de
internationale et de transfert des pratiques et des
la Conférence mondiale des Nations Unis, Habitat 76,
connaissances à travers les entreprises multinationales
à Vancouver. À partir de 1978, il enseigne à l’UQAC les
et à l’organisation de la fonction ressources humaines
théories et pratiques du changement social dans des
(impartition et rôles des professionnels). Ses travaux de
programmes de formation d’agents de développement,
recherche sur la retraite et la transformation des rela-
de travailleurs sociaux et d’infirmières communautaires. tions d’emploi ont été primés à plusieurs occasions,
Il s’intéresse actuellement aux divers aspects du travail notamment par une citation dans la revue « Nature », une
interdisciplinaire, et aux modalités de la gouvernance « Citation of Excellence Award » d’Emerald Management
publique et privée. Il est aussi membre du Laboratoire Reviews et le prix « Verity International » de l’Association
de recherche et d’intervention en gouvernance des orga- canadienne des sciences administratives. En parallèle à
nisations (LARIGO).
sa carrière professorale, Tania Saba a occupé d’impor-
tantes fonctions de cadres et d’officiers de l’Université
de Montréal. De 2008 à 2010, elle devenait la première
Prud’homme, Daniel femme directrice de l’École de relations industrielles.
Daniel Prud’homme est candidat au doctorat en relations De 2010 à 2015, elle a été vice-doyenne aux études
industrielles de l’Université Laval, sous la direction de de 1er cycle, puis vice-doyenne aux études supérieures
Marie Bellemare, Ph. D. (Université Laval) et de Sandrine et aux affaires extérieures à la Faculté des arts et des
Caroly Ph. D. (Université Pierre-Mendès-France, Gre- sciences de l’Université de Montréal. Elle a occupé, de
noble). Il détient un baccalauréat en relations industrielles 2015 à 2017, les fonctions de doyenne de la Faculté des
et une maîtrise, également en relations industrielles, tous arts et des sciences. Tania Saba est chercheuse af filiée
 20   L iste des contributeurs 417

au Centre de recherche interuniversitaire sur la mon- Thwaites, James Douglas


dialisation et le travail (CRIMT) et au Centre d’études et
Professeur titulaire au Département des relations indus-
de recherches internationales de l’Université de Montréal
trielles de l’Université Laval, Monsieur Thwaites est
(CÉRIUM). Elle est également membre du Centre d’études
titulaire d’un Baccalauréat (honours) de l’Université de
ethniques des universités montréalaises (CEETUM).
Toronto, d’une Maîtrise de l’Université Carleton, d’une
Maîtrise de l’École nationale d’administration publique
Simard, Jeanne et d’un Doctorat de l’Université Laval. En plus d’avoir
agi à titre de gestionnaire dans des entreprises privées
Docteure en droit, avocate, Fellow Adm.A. et professeure de divers secteurs économiques, il a assumé diverses
titulaire à l’Université du Québec à Chicoutimi, Madame responsabilités académiques dont celles de la direction :
Simard est fondatrice du Laboratoire de recherche et d’in- des programmes de premier cycle en relations indus-
tervention en gouvernance des organisations (LARIGO) trielles, de la formation professionnelle, des échanges
et directrice de la revue Organisations et Territoires. Elle interuniversitaires, et du département des relations
enseigne le droit des affaires, l’éthique et la déontologie, industrielles de l’Université Laval. Il a aussi servi de
dans des programmes de formation en gestion. Elle s’in- conseiller principal au Travail Canada, de chercheur au
téresse à l’éthique et à la déontologie professionnelles, à BIT et de vice-président au SPUL. Il fut fondateur d’une
la pratique des gestionnaires de projet, à la gouvernance revue scientifique, cofondateur d’une deuxième, et il sert
des organisations privées et aux approches en matière présentement de membre du Comité de rédaction de la
d’interprétation du droit. revue Relations industrielles / Industrial Relations. Il a publié
sur divers sujets du domaine des relations industrielles :
les relations du travail et le syndicalisme, la gestion des
Taskin, Laurent ressources humaines, et la mondialisation et ses effets.
Laurent Taskin détient un doctorat en sciences écono-
miques et de gestion et est professeur de management
humain et des organisations à la Louvain School of Villeneuve-Alain, Pascale
Management, Université catholique de Louvain (UCL) Pascale Villeneuve-Alain occupe un poste de consultante
(Belgique). Titulaire de la Chaire LaboRH en Management en rémunération et en ressources humaines pour l’orga-
Humain et Transformations du Travail, il est également nisation Acetia et elle détient une maîtrise ainsi qu’un
directeur du master en sciences de gestion et du certi- baccalauréat en relations industrielles de l’Université
ficat universitaire en management humain innovant, à Laval. Forte de son expérience à titre d’analyste à l’In-
l’UCL. Il coordonne le réseau international du ‘master dustrielle Alliance, elle poursuit son cheminement de car-
européen en sciences du travail’ et est (ou a été) profes- rière à titre de conseillère en recherche et en planification
seur invité dans de nombreuses universités, dont Cass socio-économique au Syndicat de la fonction publique
Business School (City University of London, UK), Warwick et parapublique du Québec (SFPQ). Elle s’intéresse entre
Business School (University of Warwick, UK), ESG-UQAM autres à la gestion des ressources humaines, l’attraction
(Canada) ou l’Université St Louis Bruxelles. Soucieux de et la rétention de la main-d’œuvre, et la gestion de la
développer une approche critique en sciences de gestion, rémunération globale.
ses recherches portent sur les nouvelles formes d’orga-
nisation du travail et les conditions d’un management
humain dans les organisations. Il est également éditeur-
en-chef de la revue scientifique The International Journal
of Work Innovation.
Cet ouvrage, qui résulte d’une collaboration entre auteurs belges,
français et canadiens propose différentes perspectives touchant la
gestion des ressources humaines. Il cherche à sortir des prescrip-
tions normatives auxquelles nous sommes généralement habitués.
Il se démarque notamment par une approche davantage orientée
vers les paradigmes pluraliste et critique, ainsi que par la diversité
des textes qu’il contient, des thématiques qui y sont traitées et des
regards disciplinaires sur la fonction. Il s’inscrit également dans un
courant davantage humaniste, sans toutefois nier la dualité sociale et
économique de la fonction.

Enfin, il a aussi pour ambition de contribuer à la professionnalisation


de ce champ qui est à la fois théorique et pratique.

Aussi en version numérique

Département des relations industrielles


Faculté des sciences sociales – Université Laval Relations industrielles

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