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Études
offertes à
JACQUES Études
COMBRET

Jacques Combret
offertes à
JACQUES
COMBRET
Nathalie BAILLON-WIRTZ Jérôme JULIEN
Bernard BEIGNIER Hugues KENFACK
Sonia BEN HADJ YAHIA François LETELLIER
Gilles BONNET Hélène MAZERON-GABRIEL
Damien BRAC DE LA PERRIÈRE Marie-Hélène MONSÈRIÉ-BON
Eloi BUAT-MÉNARD Marc NICOD
Jérôme CASEY Henri PALUD
Pascal CHASSAING Jean-François PILLEBOUT

Études offertes à
Fabrice COLLARD Matthieu POUMARÈDE
Cécile DAVÈZE Jean PRIEUR
Alain DELFOSSE Bernard REYNIS
Philippe DELMAS SAINT HILAIRE Gilles ROUZET
Sylvie FERRÉ-ANDRÉ Jean-Dominique SARCELET
Gérard FLORA François SAUVAGE
Éric FONGARO Sarah TORRICELLI-CHRIFI
Éliane FRÉMEAUX Bernard VAREILLE
Florence FRESNEL

www.lextenso-editions.fr

ISBN 978-2-85623-300-9 128 €

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Études offertes à

Jacques Combret

Ouvrage réalisé à l’initiative de


Bernard B
Recteur de l’Académie d’Aix-Marseille
François L
Notaire à Clermont-Ferrand
et Marc N
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole

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Defrénois - Gazette du Palais


Gualino - Joly - LGDJ
Montchrestien

© 2017, Defrénois, Lextenso éditions


70, rue du Gouverneur Général Éboué
92131 Issy-les-Moulineaux Cedex
ISBN : 978-2-85623-300-9

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AVANTPROPOS

On déplore, parfois, la distance qui sépare le droit enseigné à l’Université de


celui qui est mis en œuvre dans les palais de justice ou dans les études de notaires.
Pourtant, il est, parmi les acteurs de la vie juridique, quelques rares personnalités
qui œuvrent en faveur d’un rapprochement entre la théorie et la pratique, et dont
l’action rayonne de l’élaboration de la règle de droit à son enseignement, comme
à son utilisation quotidienne. Jacques Combret est du nombre de ces construc-
teurs de ponts.
Durant près de quarante années, Jacques Combret a exercé les fonctions de
notaire à Rodez. Il s’est tenu à l’écoute de ses clients, s’efforçant de leur donner le
conseil le plus juste et le plus adapté à leur situation ; jusque-là rien d’extraordi-
naire pour un notaire. Mais Jacques Combret n’est pas resté enfermé dans son
étude. Il a accepté d’enseigner le droit civil, spécialement le droit des personnes et
de la famille, ainsi que le droit commercial dans différentes universités méridio-
nales, dans des centres de formation professionnelle notariale ou ailleurs, démon-
trant inlassablement à ses étudiants et futurs confrères l’importance de la connais-
sance juridique pour devenir un bon praticien. Jacques Combret s’est aussi investi
au sein de la profession notariale, dans ses dimensions locales ou nationales. Mais
ce que ses confrères retiennent peut-être le plus, c’est son attachement au Congrès
des notaires de France au sein duquel il a assumé les fonctions de rapporteur,
rapporteur général et de président. Sa participation active, lors des débats de cette
institution renommée, marque encore les mémoires.
Jacques Combret est l’auteur de nombreuses études, articles ou commentaires,
publiés dans les grands périodiques. Dans son œuvre écrite, il s’est efforcé de res-
ter très proche des préoccupations pratiques, tout en manipulant avec intelligence
et humanisme les concepts de la théorie juridique. C’est sans doute cette pré-
cieuse alliance qui l’a également conduit à participer à des groupes de travail et de
réflexion à la Chancellerie, sur des réformes importantes du droit de la famille
(divorce, partage judiciaire).
Jacques Combret, c’est tout cela mais ce n’est pas que cela, c’est aussi et sur-
tout un confrère, un collègue, un professeur, un patron ou un ami bienveillant,
toujours prêt à répondre favorablement aux sollicitations qui lui sont faites. Sa
gentillesse n’a d’égale que son humilité.
C’est pour lui rendre hommage que ses amis, qu’ils soient universitaires, notaires,
avocats ou magistrats, ont tenu à réunir dans cet ouvrage des études portant sur ses

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VIII ÉTUDES OFFERTES À JACQUES COMBRET

matières de prédilection. Sont abordées par les contributeurs des questions d’actua-
lité en droit des personnes, de la famille, des successions et des libéralités, des obli-
gations – matières en vive et incessante évolution. Le lecteur y trouvera également
quelques réflexions sur le notariat de demain.

Bernard Beignier, François Letellier et Marc Nicod

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REPÈRES BIOGRAPHIQUES :
JACQUES COMBRET

Curriculum vitae

– Né le 12 novembre 1948 à Rodez (Aveyron)


– Marié le 6 septembre 1974 avec Françoise Soulié
– Trois enfants et trois petits-enfants

Formation

– Études secondaires au collège Sainte-Marie de Monceau à Paris,


baccalauréat en 1967
– Études supérieures à la faculté de droit et des sciences économiques, Paris II
Panthéon-Assas, 1967-1971, et à la faculté de droit de Toulouse 1 Capitole,
1989-1991
– École de notariat de Paris, 1969-1971

Diplômes

– Licence en droit faculté de droit Paris II Panthéon Assas, juin 1971


– Diplôme école de notariat de Paris, juin 1971
– Examen de premier clerc Rodez, octobre 1973
– Examen de notaire CNEPN, session octobre 1977
– DSS droit des affaires, université Toulouse 1 Capitole, 1991

Distinctions

– Chevalier de l’Ordre national du mérite, 2002


– Chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur, 2007

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X ÉTUDES OFFERTES À JACQUES COMBRET

Carrière professionnelle

– Clerc de notaire à Rodez, étude de Me Régis Laville, octobre 1972-août 1974


– Clerc de notaire puis principal clerc de notaire à Paris, étude de Me Joseph Le Pavec,
septembre 1974-février 1978
– Principal clerc de notaire chez Me Régis Laville à Rodez en attente de nomination
aux fonctions de notaire, mars 1978-décembre 1978
– Notaire associé à Rodez, janvier 1979-26 février 2014

Activités d’enseignement

– Chargé d’enseignement IUT Rodez, 1980-1988


– Enseignant à l’école de notariat de Montpellier, 1981-1987 et 1990-1993
– Membre jury examen de notaire (ancien régime), Aix-en-Provence, 1986-1993
– Enseignant et membre jury entrée formation notaire, CFPN Montpellier-
Nîmes, 1990-1993 et 1995-1997
– Chargé d’enseignement, université Toulouse 1 Capitole, 2008-2014
– Chargé d’enseignement au CFPN Toulouse, séminaires 4e semestrialité
– Animateur de formation continue pour le compte de divers CFPN
ou d’INAFON

Responsabilités professionnelles

– Trésorier Chambre des notaires de l’Aveyron, mai 1985-mai 1986


– Premier syndic Chambre des notaires de l’Aveyron, mai 1986-mai 1987
– Président Chambre des notaires de l’Aveyron, mai 1987-mai 1989
– Vice-président conseil régional des notaires, cour d’appel de Montpellier,
juin 1991-juin 1993
– Président conseil régional des notaires, cour d’appel de Montpellier, juin 1993-
juin 1995
– Rapporteur au 93e Congrès des notaires de France, Strasbourg, 1997
– Rapporteur général au 95e Congrès des notaires de France, Marseille, 1999
– Délégué de la cour d’appel de Montpellier au Conseil supérieur du notariat,
2000-2004
– Membre de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat,
janvier 2000 à décembre 2016 (dont présidence 2002-2004), responsable de la
section droit de la famille
– Membre du groupe de travail à la Chancellerie chargé, sous la présidence de
Monsieur Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du sceau, de préparer
notamment la réforme du divorce de 2004

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REPÈRES BIOGRAPHIQUES : JACQUES COMBRET XI

– Premier vice-président du Cridon Bordeaux-Toulouse (Cridon Sud-Ouest),


octobre 2003-octobre 2006
– Président du Cridon Bordeaux-Toulouse (Cridon Sud-Ouest),
octobre 2006-octobre 2008
– Président du 102e Congrès des notaires de France, Strasbourg, mai 2006
– Président honoraire du Congrès des notaires de France

Bibliographie

– Mineurs et incapables majeurs en droit des affaires, mémoire DSS droit des
affaires, 1991, Université Toulouse 1 Capitole.
– « Le droit de préemption du locataire, contrainte pour l’investisseur
immobilier », Defrénois 1997, art. 36513.
– « Le recours à des locations dérogeant au statut des baux d’habitation », JCP N,
21 mars 1997, n° 12, prat. 3994.
– « Investissement locatif et bail verbal : attention danger ! », Droit et patrimoine,
mai 1997, n° 49.
– « Investissement immobilier et rapports locatifs : à la recherche d’un équilibre »,
Réflexions Immobilières, avril 1997, IEIF n° 17.
– « Le Pacs. Rencontres notariat Université Toulouse 24 janvier 2002 », LPA 2002.
– « La donation entre époux, utile à tout âge », avec P J.-F., Conseils des
notaires, juillet 2003, n° 318.
– « Entretien sur le projet de réforme des successions et libéralités », RJPF, octobre
2003, n° 10.
– « Le Pacs. Point de vue d’un notaire », Dr. famille, déc. 1999, p. 54, hors-série.
– « Le notaire et le Pacs », in Études offertes à Jacqueline Rubellin-Devichi, 2002,
Litec.
– « Pacs : quelques aspects pratiques du volet patrimonial », Lamy Droit
immobilier, avril 2000, n° 68.
– « Pacte civil de solidarité et indivision : formule de convention », avec B B.
et F A., Defrénois 2000, art. 37176. Dr. famille 2000, chron. n° 9.
– « Donation entre époux et testament depuis la loi du 3 décembre 2001 », avec
P J.-F., JCP N 2003. 1376.
– « Le règlement des successions depuis la loi du 3 décembre 2001 », avec
P J.-F., JCP N, 1er août 2003, n° 31-35.
– « Les réactions de la pratique notariale aux réformes du droit de la famille.
XIIe Rencontres Notariat-Université, Paris, 25 novembre 2002 », LPA,
7 août 2003, n° 157.
– « La liquidation forcée de l’indivision : le rôle du notaire commis », Les cahiers
de droit et procédure, colloque du 17 octobre 2003.

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XII ÉTUDES OFFERTES À JACQUES COMBRET

– « La personne dans tous ses états. Le patrimoine », rencontres Petites affiches


sous la direction scientifique du professeur Denis Mazeaud, LPA, 1er juill.
2004, n° 131.
– « La réforme du divorce. Les aspects patrimoniaux de la réforme », Revue Lamy
Droit civil, octobre 2004, n° 9.
– « Le nouveau rôle du notaire. Le sort des libéralités et des avantages
matrimoniaux », Les Cahiers de Droit et Procédure, « colloque du 26 novembre
2004.
– « Le changement de régime matrimonial depuis le 1er janvier 2007– question
diverses. Éléments de réponse », avec B B., C J. et F E.,
Dr. famille 2007, étude 11.
– « Sécuriser la transmission du patrimoine personnel », avec V B. et
C J., Dr. et patr., avril 2007, n° 158.
– La réforme de la protection juridique des majeurs. L’analyse que peut faire un
professionnel de la nouvelle loi, actes du colloque Montpellier, 16 octobre 2008.
– « Le mandat de protection future », avec C J, RJPF, 1re partie, août 2007,
n° 7-8 et 2e partie, sept. 2007, n° 9.
– « De quelques réactions d’un praticien face à une loi nouvelle », AGORA, mars
2008, n° 53.
– « Mandat de protection future, formule commentée », avec P P.,
G F., L H. et L L Y, Defrénois, n° 03/2009, art. 38891.
– « L’entreprise indivise : de quelques questions pratiques autour de l’entreprise
indivise », in La disparition du chef d’entreprise : anticiper – gérer – transmettre.
Actes du colloque de la FNDE tenu le 1er avril 2011 à la faculté de droit de
Montpellier, 2012, LexisNexis, coll. Actualités du droit de l’entreprise, n° 29.
– « Le mandat à effet posthume : de quelques questions pratiques autour du
mandat à effet posthume », in La disparition du chef d’entreprise : anticiper
– gérer – transmettre. Actes du colloque de la FNDE tenu le 1er avril 2011 à la
faculté de droit de Montpellier, 2012, LexisNexis, coll. Actualités du droit de
l’entreprise, n° 29.
– « Liquidation et partage après divorce : petit guide pratique sur le rôle
du notaire », avec B-W N. et G O., Dr. famille 2011, étude
6/JCP N 2011.1320.
– « Quelle place pour la société d’acquêts dans les régimes matrimoniaux ? », avec
C G., Defrénois 2012.111f2.
– « Liquidation et partage après divorce : une réforme urgente s’impose », avec
B W N., JCP N 2013.1036 / Dr. famille 2013, étude 13.
– « Rupture du couple : partage amiable et partage judiciare des intérêts
patrimoniaux », avec B W N., JCP N 2013.1105.
– « Couples entre personnes de même sexe : se marier ou ne pas se marier ? »,
Defrénois 2013.113e5.

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REPÈRES BIOGRAPHIQUES : JACQUES COMBRET XIII

– « Le mandat à effet posthume : un acte manqué ? », JCP N 2013.1191.


– « Droit de partage et partage verbal : mauvaise réponse à une bonne question »,
avec B-M E., Defrénois 2013.113t5.
– « Acte de dépôt du jugement de divorce et quittance des sommes dues », avec
M D., JCP N 2014.1295.
– « État liquidatif de partage et de communauté », avec M D., Dr. famille,
juillet-août 2015.
– « Les impacts de la loi Pinel sur la pratique notariale », Droit et ville, n° 79/2015
(revue de l’IEJUCE Université Toulouse 1 Capitole).
– La sphère privée en droit de la famille : l’expérience notariale, 17e journées franco-
japonaises 2015, Société de législation comparée.
– « Entre droit des personnes protégées et droit de l’entreprise individuelle, une
conciliation difficile », in Mélanges en l’honneur du professeur Patrick Serlooten,
2015, Dalloz.
– « Qu’apporte la loi du 16 février 2015 au droit des personnes et de la famille ? »,
avec B W N., JCP N 2015.288.
– « Mandat à effet posthume : d’utiles précisions ou confirmations », Solution
Notaires, oct. 2015, n° 10, doct. 193.
– « Liquidation et partage après divorce : l’appel à la clarification a-t-il été
entendu ? », avec B W N., JCP N 2015.1220.
– « Quand modernisation rime avec confusion : l’administration légale selon
l’ordonnance du 15 octobre 2015 », avec B W N., JCP N 2015.1238.
– « L’habilitation familiale : une innovation à parfaire », avec B W N.,
JCP N 2015.1248.
– « Réforme du droit de la famille, nouvelles procédures avec le décret du
23 février 2016 », avec B W N., JCP N 2016.10981.
– « À propos de la titularité de la qualité d’associé d’un époux commun en biens
et de la qualification des droits sociaux. Quelques conseils pratiques à l’attention
du rédacteur d’actes », dossier « Sociétés et régimes matrimoniaux », Actes
pratiques et ingéniérie sociétaires, sept-oct 2016, n° 149.
– « Les incidences pour la pratique notariale de la loi du 18 novembre 2016 de
modernisation de la justice du e siècle », avec B W N.,
JCP N 2016.1254.
– « Quelle appréciation porter sur l’ordonnance du 15 octobre 2015 ? Entre
insatisfaction et regrets », Gaz. Pal. 2016, n° 44.
– « L’administration de la succession », avec B C., Defrénois 2017.125f5.
– « Anticiper son état de vulnérabilité : assurer la protection de sa personne et de son
patrimoine », Actes pratiques et stratégie patrimoniale, janv.-févr.-mars 2017.
– « Mission rémunération du notaire au titre de l’article 255,10° du Code civil,
de quelques conseils pratiques », Defrénois 2017.125t4.

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XIV ÉTUDES OFFERTES À JACQUES COMBRET

– « Divorce contentieux-liquidation et partage », avec B W N., JCl.


Notarial Formulaire, v° Divorce, fasc. 80.
– « Le rôle du notaire en cours de procédure de divorce », fiche pratique 2646,
LexisNexis, 360.
– « La réforme de la protection juridique des majeurs du 5 mars 2007 a dix ans :
quel bilan ? », avec B W N., JCP N 2017.1119.
– « La pratique des renonciations anticipées », avec G S., in Renonciations
et successions : quelles pratiques ?, Defrénois, coll. Expertise notariale, 2017.

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TABLE DES CONTRIBUTIONS

PREMIÈRE PARTIE
JACQUES COMBRET
Jean-François P, Jacques Combret et le législateur................................. 3
Bernard R, Pour l’Honneur ....................................................................... 9

DEUXIÈME PARTIE
PERSONNES ET FAMILLES
Jean-Dominique S, Nathalie B-W, L’état civil à l’épreuve
d’une identité sociale....................................................................................... 17
Florence F, Le notaire et le majeur, une mise à jour des années
2015 et 2016................................................................................................. 37
Bernard B, Sarah T-C, Du pacs au mariage :
transition ou mutation ? ................................................................................. 53
Éloi B-M, Réflexions sur l’acquisition immobilière au profit
du conjoint et l’obscurcissement de la distinction entre les créances entre époux
et les créances de l’indivision............................................................................ 71
Jérôme C, Articulation des régimes matrimoniaux et du droit du divorce :
une logique à retrouver ? ................................................................................. 83
Sonia B H Y, Les droits successoraux du concubin survivant ............... 97
Gilles B, Les méandres fiscaux de la représentation successorale .................. 109
Philippe D S H, Le testament, pour quoi faire ? ...................... 115
François S, Le legs de somme d’argent...................................................... 129
Sylvie F-A, Hélène M-G, La réduction en valeur
des libéralités : évolution ou révolution ? .......................................................... 141
Marc N, Le traitement liquidatif d’un don manuel entre époux :
retour sur l’arrêt Veuve Barrat ........................................................................ 157

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XVI ÉTUDES OFFERTES À JACQUES COMBRET

Bernard V, L’ouverture de la donation-partage à des bénéficiaires autres


que les descendants.......................................................................................... 167
François L, Donation-partage et indivision : le mariage impossible ?
De l’autonomie de la donation-partage............................................................ 179
Éric F, La protection du conjoint survivant en droit international privé
De quelques stratégies de transmission hors libéralités ....................................... 193

TROISIÈME PARTIE
BIENS ET CONTRATS
Gérard F, La tontine… et sa mystérieuse application à l’usufruit ................. 209
Henri P, Un rapide aperçu sur 35 ans de pratique de la division
en volumes à la Défense .................................................................................. 221
Jérôme J, Dogmatisme et pragmatisme dans le nouveau droit des contrats...........225
Cécile D, La faculté de substitution dans les avant-contrats ........................ 241
Gilles R, L’action interrogatoire ................................................................ 253
Alain D, Le régime dérogatoire des cessions de titres sociaux au sein
du groupe familial .......................................................................................... 277
Hugues K, Bref retour sur la transaction issue de la loi Justice
du e siècle................................................................................................... 287
Marie-Hélène M-B, Le mineur, dirigeant d’entreprise :
une fausse bonne idée….................................................................................. 297
Jean P, La gestion de patrimoine du chef d’entreprise : le rôle du notaire.....305
Éliane F, Le crowdfunding : nouvel outil de financement,
décomplexé par le numérique .......................................................................... 327

QUATRIÈME PARTIE
NOTARIAT
Matthieu P, Le devoir de conseil du notaire sur l’opportunité
économique des actes....................................................................................... 347
Damien B   P, Un acteur authentique de justice amiable :
Jacques Combret............................................................................................. 361
Pascal C, Notariat : histoire récente et perspectives dans l’économie
numérique...................................................................................................... 375
Fabrice C, Le notaire à l’heure de la pensée algorithmique....................... 381

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LISTE DES AUTEURS

Nathalie B-W
Maître de conférences à l’Université de Reims Champagne Ardenne
Bernard B
Professeur des Universités, Institut de droit privé, EA-1920
Doyen honoraire de la Faculté de droit et de science politique de l’Université
Toulouse 1 Capitole
Recteur de l’Académie d’Aix-Marseille
Recteur de la région académique Provence-Alpes-Côte-d’Azur
Sonia B H Y
Maître de conférences, HDR, Université de Corse Paquale Paoli
Gilles B
Docteur en droit
Notaire associé
Damien B   P
Notaire honoraire
Directeur des Affaires juridiques au Conseil supérieur du notariat
Éloi B-M
Magistrat
Diplômé notaire
Jérôme C
Avocat au Barreau de Paris
Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
Pascal C
Notaire
Président de la Chambre des notaires de Paris
Fabrice C
Maître de conférences associé, Université de Lorraine
Membre de l’Institut François Gény, éditeur du JurisClasseur Notarial Formulaire
Cécile D
Notaire

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XVIII ÉTUDES OFFERTES À JACQUES COMBRET

Alain D
Notaire honoraire
Directeur honoraire des affaires juridiques du Conseil supérieur du notariat
Philippe D S H
Professeur à l’Université de Bordeaux (IRDAP)
Directeur scientifique du Cridon Sud-Ouest
Sylvie F-A
Agrégée des Facultés de droit
Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Gérard F
Docteur en droit
Notaire honoraire
Éric F
Maître de conférences, HDR, Université de Bordeaux
Membre de l’IRDAP
Co-directeur du Master 2 Droit et gestion du patrimoine privé
Éliane F
Notaire honoraire
Membre de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat
Florence F
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris
Jérôme J
Professeur, IDP – Université Toulouse 1 Capitole – F. 31000
Hugues K
Professeur à l’Université de Toulouse
Doyen de la faculté de droit et science politique
François L
Notaire
Docteur en droit
Hélène M-G
Diplômée notaire
Chargée d’enseignement à l’Université d’Auvergne et de Jean Moulin Lyon 3
Marie-Hélène M-B
Professeur Université Toulouse 1 Capitole
Centre de droit des affaires
Marc N
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole
Directeur de l’Institut de droit privé (EA 1920)

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LISTE DES AUTEURS XIX

Henri P
Notaire honoraire
Vice-président du 102e Congrès des notaires de France (2006)
Jean-François P
Docteur en droit, notaire honoraire
Matthieu P
Professeur à l’Université de Toulouse 1 Capitole
Jean P
Professeur émérite des universités
Bernard R
Conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire
Président honoraire du Conseil supérieur du notariat
Notaire honoraire
Gilles R
Conseiller honoraire à la Cour de cassation
Jean-Dominique S
Avocat général honoraire à la Cour de cassation
François S
Professeur à l’Université d’Évry-Val d’Essonne
Sarah T-C
Maître de conférences
Institut de droit privé, Université Toulouse 1 Capitole, EA-1920
Bernard V
Professeur à l’Université de Limoges

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PREMIÈRE PARTIE
JACQUES COMBRET

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Jacques Combret et le législateur

Jean-François P
Docteur en droit, notaire honoraire

1. Jacques Combret, l’ami de longue date, l’Aveyronnais au large sourire, le


notaire toujours disponible pour servir la profession, cumule les qualités : intelli-
gence, sensibilité, courtoisie, générosité ; cette dernière vertu l’a sans doute incité
à choisir pour thème les personnes vulnérables, pour le congrès de Strasbourg
qu’il a présidé en 2006.
À la lumière de son expérience notariale, il a beaucoup œuvré pour l’amélioration
du droit : à l’Institut juridique du Conseil supérieur du notariat et dans les congrès
nationaux des notaires de France. À son regard aigu nul détail n’échappe ; son esprit
de synthèse et la vision qu’il a des besoins juridiques de ses contemporains font le
reste. On peut le compter parmi les meilleurs conseillers de ceux qui font les lois.
2. Il y a dix-neuf ans. – Faites avec moi un retour en arrière. Nous sommes
en 1999, au mois de mai, à Marseille, au 95e Congrès de notaires de France pré-
sidé par Xavier Ginon, notaire à Lyon ; Jacques Combret en est le rapporteur
général. Sous sa houlette, neuf notaires ont réfléchi au droit de la famille, beau-
coup échangé, écrit un ouvrage de plus de plus de 1 000 pages, élaboré ensemble
22 propositions qui vont être soumis aux congressistes. « Demain la famille » est
le titre exact choisi par le président pour ce congrès ; il illustre le caractère pros-
pectif du travail de l’équipe et de l’accueil qu’en feront les congressistes.

I – LES PROPOSITIONS DU CONGRÈS


3. En attendant la réforme des successions. – L’un des premiers constats
porte sur le caractère obsolète du droit des successions et des libéralités dont on
attend la réforme depuis de nombreuses années. Cette nécessaire réforme semble
bloquée par la difficulté de fixer les droits du conjoint survivant alors que les
familles ont beaucoup évolué, les divorces et les remariages étant nombreux.
Il faut pourtant se décider et c’est l’objet d’une proposition qui clôture les travaux :
Le 95e Congrès des notaires de France propose que la réforme de l’ensemble
du droit des successions soit remise à l’étude le plus rapidement possible et soit
ensuite inscrite dans les meilleurs délais à l’ordre du jour du Parlement1.
1. Cette proposition fut suivie d’une intervention du professeur Catala qui annonça une
réforme du droit des libéralités en préparation chez le doyen Carbonnier ; v. T-
C S., La pratique notariale, source de droit, t. 55, 2015, Defrénois, coll. Doctorat et notariat.

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4 JACQUES COMBRET ET LE LÉGISLATEUR

4. Les deux lois successorales et la loi du divorce. – Deux ans après le congrès,
la loi du 3 décembre 2001 modifie les droits du conjoint survivant, établit l’égalité
entre les descendants quelle que soit leur filiation, aménage diverses dispositions
comme l’indignité, supprime la règle des « comourants »2. Il faut attendre la loi du
23 juin 2006 pour qu’une véritable réforme soit enfin adoptée avec aussi de sen-
sibles avancées en droit des libéralités3. Entre-temps, la loi du 26 mai 2004 a réfor-
mé le divorce non sans avoir quelques effets en droit successoral4.
5. Une offre de loi. – Avant de poursuivre par l’énoncé de quelques exemples
illustrant l’influence de l’expérience notariale sur le législateur des premières
années du e siècle, il convient de rendre un hommage mérité à l’équipe du
doyen Carbonnier dont l’influence a été déterminante. Pierre Catala, grand fami-
lier de nos congrès, sut montrer avec talent et conviction l’intérêt des propositions
émises par divers congrès et notamment par le groupe animé par Jacques Com-
bret à Marseille. Cela a donné une offre de loi en matière de libéralités dont le
législateur de 2006 s’est largement inspiré5.
6. Propositions du congrès de Marseille. – Voyons maintenant quelques-
unes des propositions votées, souvent avec enthousiasme, par les congressistes à
Marseille au printemps 1999. Nous les prenons dans l’ordre de leur présentation
et nous voyons, comme un reflet, ce qui est passé dans les trois lois de 2001,
2004 et 2006. C’est une démonstration de ce que peut faire la pratique notariale
éclairée par la Faculté, reçue par les faiseurs de lois et adoptée par le Parlement.
7. Changement de régime matrimonial. – La quatrième proposition de la
première commission suggère que l’homologation du changement de régime
matrimonial soit supprimée et que l’action en retranchement soit ouverte aux
enfants adultérins. La loi du 23 juin 2006 supprime l’homologation sauf présence
d’enfant mineur ou opposition des enfants majeurs, des parties au contrat de
mariage et des créanciers6. Heureuse simplification sauf à regretter l’inopportune
obligation de liquider le régime sous peine de nullité. La liquidation et le partage
sont sans doute souvent nécessaires mais le conseil du notaire eût suffi.
La loi du 3 décembre 2001 établit l’égalité des enfants quelle que soit leur
filiation7.
8. Prestation compensatoire du divorce. – Conscients des inconvénients pra-
tiques des rentes viagères, les notaires, dans la quatrième proposition de la troisième
commission, souhaitent que la rente ne soit qu’une modalité de paiement de la
2. Loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001.
3. Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006.
4. Loi n° 2004-439 du 26 mai 2004.
5. C J., C P., B  S-A J. et M G., Des
libéralités, une offre de loi, Defrénois, 2003.
6. C. civ., art. 1397, rédaction de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, modifié par la loi
n° 2007-308 du 5 mars 2007.
7. C. civ., art. 733 et art. 1527. La France se soumet ainsi aux injonctions de la Cour
européenne des droits de l’homme, notamment CEDH, 1er févr. 2000, JCP N 2001, n° 5,
p. 245, obs. Le Guidec R. ; Defrénois, 2000, p. 654, obs. Massip J.

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JEANFRANÇOIS PILLEBOUT 5

prestation compensatoire. La loi du 26 mai 2004 privilégie la prestation compensa-


toire en capital, la rente viagère étant reléguée au rang d’exception8.
Le lendemain, la quatrième commission propose de modifier certaines règles
applicables aux donations entre époux de biens présents, suppression de la nullité
pour déguisement, irrévocabilité. Ces suggestions sont retenues pour l’essentiel
par la loi du 26 mai 2004.
9. Place successorale du conjoint survivant. – Après discussion, les congres-
sistes de 1999 adoptent une proposition de la quatrième commission visant à ce
que le conjoint prime dans l’ordre successoral les collatéraux privilégiés et les
ascendants ordinaires. La loi du 3 décembre 2001 suit cette suggestion dans l’ar-
ticle 757-2 du Code civil, sauf à en atténuer les effets par le droit de retour des
collatéraux privilégiés et celui des père et mère9.
10. Droit au logement du conjoint. – Sous l’intitulé de « protection mini-
male du conjoint survivant », le congrès propose que le conjoint survivant ait la
jouissance gratuite du logement et du mobilier pendant un an. C’est la troisième
proposition de la quatrième commission qui va devenir le droit temporaire au
logement de la loi du 3 décembre 2001 et la réponse au redoutable droit à main-
tenance un moment envisagé par certains10.

II – LES RAPPORTS PRÉALABLES

11. Au fil des rapports. – Tout l’apport de l’équipe ne se trouve pas dans les
propositions dont le nombre est nécessairement limité pour le bon ordre des
débats. Les rapports rédigés avant le congrès sont riches d’observations et d’idées
qui ont inspiré les auteurs de l’offre de lois et le législateur lui-même de la loi de
2006. Pour s’en tenir à l’essentiel, retenons deux réalités, la première, évidente, est
l’allongement de l’espérance de vie, la seconde, plus subtile, est la nécessité de la
réversibilité. Les deux sont liées au temps, là c’est la croissance de l’âge de ceux qui
viennent à la succession, ici les changements qui peuvent intervenir pendant une
longue période dans la situation de ceux qui ont été gratifiés.
12. Accélération des transmissions. – « On succède tard : quand on hérite à
cinquante ans, la transmission à cause de mort n’est plus un mode d’établisse-
ment, c’est une façon d’entrer en préretraite », écrit le professeur Philippe Rémy
dans un rapport souvent cité par les auteurs de la quatrième commission11. Pour
répondre à l’allongement de l’espérance de vie, il convient de favoriser les

8. C. civ., art. 270, rédaction loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, art. 18.
9. C. civ., art. 738-2 et art. 757-3.
10. Pour une critique argumentée, D M., « Réflexions sur le droit à maintenance prévu
dans le projet de loi modifiant le Code civil et relatif aux successions », JCP N, 1994, p. 153.
11. R P., « Rapport français sur l’évolution du droit patrimonial de la famille », in
Aspects de l’évolution récente du droit de la famille, t. XXXIX, 1988, Travaux de l’Association
Henri Capitant.

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6 JACQUES COMBRET ET LE LÉGISLATEUR

donations mais la fiscalité favorable à certaines époques a été depuis malmenée,


notamment par la durée du rapport fiscal portée à de six à quinze ans. Un correc-
tif de portée limitée a été introduit en 2007 avec les dons exceptionnels de somme
d’argent exonérés de droits dans la limite de 31 865 euros. Mais ces dons sont
aussi entravés par le délai de rappel de quinze ans.
13. Saut de génération. – Le souci de favoriser les transmissions anticipées bien
exposé par le congrès a reçu plusieurs réponses très intéressantes et novatrices par la
loi du 23 juin 2006, largement inspirées par l’offre de loi déjà citée. C’est en pre-
mier lieu la donation-partage dite transgénérationnelle, c’est-à-dire avec admission
des enfants des donataires qui peuvent leur céder leur part des biens donnés, totale-
ment ou partiellement12. Moins spectaculaire mais fort bienvenu, le cantonnement
permet notamment au conjoint de laisser sans droits de mutation une partie de ce
qu’il a reçu aux héritiers, c’est-à-dire à la jeune génération13. La renonciation à suc-
cession est aussi un moyen de laisser la place aux plus jeunes depuis que la représen-
tation de l’héritier renonçant est admise par la loi du 23 juin 2006, en ligne directe14.
14. Réversibilité. – Dans un monde qui bouge, les familles bougent aussi ; les
libéralités déjà consenties peuvent se révéler inadaptées à la situation nouvelle.
Des procédés, admis depuis longtemps mais oubliés puis remis à l’ordre du jour15,
peuvent être utilisés avec la prudence qu’impose la règle de l’irrévocabilité spéciale
des donations : donation alternative, donation facultative16.
L’incorporation de donations antérieures déjà prévue par la loi du 3 juillet 1971
devrait trouver la faveur de la pratique pour répondre au besoin de réversibilité. Une
donation hors part successorale peut être stipulée en avancement de part successo-
rale, avec naturellement l’accord du donataire. Un bien provenant d’une donation
incorporée peut être attribué à un autre donataire ou à un enfant du donataire. On
voit toutes les possibilités d’adaptation de la transmission aux conditions familiales
et patrimoniales qui peuvent avoir changé17. Le procédé devrait profiter du dyna-
misme de la loi du 23 juin 2006 et notamment de la possibilité de faire participer
la jeune génération aux donations-partages (v. n° 13).
15. Renaissance d’une belle endormie. – Le rapport de la quatrième commis-
sion montre que les substitutions permises du Code de 1804 ne sont plus utilisées
depuis longtemps. L’intérêt du procédé qui permet un saut de génération est

12. C. civ., art. 1075-1. « Des donations-partages faites à des descendants de générations
différentes » d’après « Une offre de loi », préc., note 5.
13. C. civ., art. 1094-1 (conjoint survivant) et 1002-1 (légataire).
14. C. civ., art. 754.
15. D C., Cours de Code Napoléon, t. XXVI, 1880 ; G M.-J., « Les
obligations alternatives », RTD civ., 1969, p. 1.
16. L H., « Donation alternative ou facultative », JCl. Notarial Formulaire,
V° Donation entre vifs, fasc. 32.
17. C P., La réforme des liquidations successorales, 3e éd., 1982, Defrénois, n° 129 ;
M G., La loi du 3 juillet 1971 sur les rapports à succession, la réduction des libéralités et les
partages d’ascendant, 5e éd., 1984, Defrénois ; D M., Les règlements successoraux après la loi
du 3 juillet 1971, 2e éd., 1979, Librairies techniques.

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JEANFRANÇOIS PILLEBOUT 7

pourtant évident. Certaines techniques, comme la double libéralité en usufruit et


nue-propriété, la libéralité de residuo permettent de parvenir à un résultat appro-
chant. La levée de l’interdiction des substitutions est recommandée fermement18.
La loi du 23 juin 2006 répond positivement avec un langage rénové plus
accessible : donation graduelle et résiduelle des articles 1048 à 1061 du Code
civil19. Un bel outil de transmission anticipée aux jeunes générations est ainsi à la
disposition des notaires.
16. Prohibition des pactes sur succession future. – Dès 1975, au 72e Congrès
de Deauville, deux notaires associés de la même étude, chose rare dans ce genre
de manifestation, proposent avec audace de lever la prohibition ou au moins
d’autoriser la renonciation à la réserve de certains héritiers. Cette idée de Jacques
Motel et Paul Michelez est reprise par la quatrième commission s’appuyant sur le
rapport du professeur Philippe Rémy précité et rappelant à juste titre qu’une telle
réforme s’inscrirait dans l’esprit de la donation-partage modèle 197120.
La loi du 23 juin maintient la prohibition mais autorise la renonciation à
exercer l’action en réduction pour permettre certaines transmissions. Cet instru-
ment, très délicat à utiliser, revêt une grande importance pratique. Il devrait faci-
liter des libéralités impossibles sans lui.
17. – En guise de conclusion. – Ainsi se trouve illustré clairement le rôle du
notariat dans l’évolution du droit dont Jacques Combret est l’un des champions.
Une thèse récente a montré combien la pratique notariale est source de droit21.
Mais Jacques Combret n’est pas seulement un responsable de congrès très
efficace. Il s’intéresse à bien des questions et pourchasse, notamment, les textes
mal conçus qui soulèvent de fâcheuses difficultés pratiques. Citons seulement
cette question, bien mince apparemment, de la nomination du notaire chargé de
la liquidation du régime matrimonial après le divorce. Des textes contradictoires
ont suscité une jurisprudence lourde et une abondante littérature qui aurait méri-
té de s’attacher à d’autres sujets. Après les modifications apportées aux textes, le
résultat n’est pas encore totalement satisfaisant22.
Cet exemple parmi bien d’autres appelle une remarque malheureusement pes-
simiste sur la dégradation actuelle du droit. Est-on encore capable de faire des lois
en France ?

18. V. aussi R P., « Rapport français sur l’évolution du droit patrimonial de la famille »,
op. cit., note 11.
19. Articles 1027 à 1043 d’« une offre de loi », préc., note 5.
20. La question est souvent évoquée dans les congrès. L’exemple suisse du pacte de
renonciation est décrit lors du congrès de 2004 consacré au bicentenaire du Code civil
(rapports du 100e Congrès des notaires de France, Paris, 2004, n° 4369 et s.).
21. T-C S., La pratique notariale, source de droit, op. cit., note 1. V. aussi
S J.-L., Recherches sur le rôle de la formule notariale en droit positif, thèse, 1967, Paris ;
C J., La participation du notaire à la création de la règle de droit, thèse, 1981, Lyon.
22. B-W N. et C J., « Liquidation et partage après divorce. L’appel à une
clarification a-t-il été entendu ? », JCP N 2015, 1220 ; P Y., « Le nouvel article 267 du
Code civil, un compromis entre tradition et innovation », Dr. famille 2016, dossier 3.

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8 JACQUES COMBRET ET LE LÉGISLATEUR

De façon optimiste plus compatible avec le genre d’ouvrage dont cet écrit fait
partie, nous terminons par un espoir : que le législateur réagisse devant le désordre
actuel, qu’il s’empresse moins d’écrire, qu’il ne saute pas sur le moindre prétexte,
qu’il abandonne toute préoccupation médiatique, qu’il prenne son temps, qu’il
consulte davantage les juristes et les praticiens. Les lois auront alors une meilleure
facture, à l’image de la loi du 23 juin 2006 qui fait figure d’heureuse exception
dans notre législation récente. Les plus anciens d’entre nous se souviennent de
l’élaboration des belles lois des années 1960-1970 : Jean Foyer et François Terré
étaient à la Chancellerie, Jean Carbonnier et Pierre Catala fourbissaient leurs
projets rue de Vaugirard.

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Pour l’Honneur

Bernard R
Conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire
Président honoraire du Conseil supérieur du notariat
Notaire honoraire

Ma chère Françoise, Mon cher Jacques,


« Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur »… Chacun d’entre
nous connaît cette formule de Beaumarchais qu’un grand quotidien nous rappelle
chaque matin sur sa une.
Le rôle d’un parrain est assurément de faire l’éloge de celui qu’il reçoit dans
notre Ordre national de la Légion d’honneur, mais notre très ancienne amitié m’au-
torise aussi à prendre la liberté de blâmer pour que l’éloge soit encore plus flatteur.
Je suis peut-être ici ce soir, parmi du moins ses nombreux amis, l’un de ceux
qui connaissent Jacques Combret depuis le plus longtemps, comme le carton
d’invitation à cette réception vous l’aura fait deviner. En effet, notre amitié est
née au début des années 1960 lorsque nous fréquentions une institution
aujourd’hui disparue, Sainte-Marie de Monceau, où nos bons pères marianistes
essayaient de faire de nous des honnêtes hommes au sens classique du terme, et
nous conduisirent la même année au baccalauréat, un an avant ce qu’il est cou-
tume d’appeler les événements de mai 1968, ce qui me permet de faire observer
à cette assemblée que notre bac avait encore de la valeur, c’est sans doute ce qui
permit ensuite à la faculté de droit d’Assas de tenter de faire de nous des juristes.
Ayant satisfait à la base aérienne d’Orléans aux obligations du service national,
mon cher Jacques, tu retrouvais la ville qui t’avait vu naître, Rodez, pour com-
mencer dans l’office dont tu es aujourd’hui le plus ancien des titulaires le stage qui
devait te conduire à y être nommé notaire par arrêté de Monsieur le garde des
Sceaux du 5 décembre 1978, après avoir prêté serment devant le tribunal de
grande instance de Rodez le 4 janvier 1979.
Entre-temps, de 1974 à 1978, après avoir subi avec succès l’examen de 1er clerc
à l’École de notariat de Paris, tu étais revenu dans la capitale pour y être le sta-
giaire aveyronnais du plus breton des notaires de Paris, Me Joseph Le Pavec, stage
qui te permettait d’être diplômé notaire en janvier 1978.
J’observe au passage que nous avons été diplômés notaires la même année et
avons prêté serment également la même année, même s’il est vrai, nous nous
étions depuis longtemps perdus de vue. C’est néanmoins un signe supplémen-
taire, s’il en était besoin, pour que nous nous retrouvions ici ce soir.

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10 POUR L’HONNEUR

En 1974, Jacques, tu as épousé Françoise, pharmacien de son état (encore un


point commun, puisque mon épouse l’est également) et de cette union sont issus
– comme on l’écrit dans nos actes – trois enfants : Stéphanie, Florence et Benoît
(oserais-je ajouter que mon unique fils se prénomme aussi Benoît, décidément, trop
c’est trop !), trois enfants disais-je, fiertés de leurs parents, qui les entourent ici ce soir.
Comme je l’évoquais en préambule à mon propos, j’ai d’abord tenté de trou-
ver à notre ami quelque défaut qui rendrait plus grand encore l’honneur que
notre République, par mon truchement, lui fait ce soir.
J’ai donc consulté ceux qui, dans sa vie privée comme dans sa vie profession-
nelle, auraient pu avoir quelque raison de ne pas venir ce soir, autrement dit, de
ne pas participer à son éloge.
Vous le devinerez aisément, ma quête fut vaine !
Jacques n’a que des amis. Ô certes, quelques rapporteurs de l’une ou l’autre
des équipes des congrès, largement représentées ici ce soir, ont, anonymement,
déploré un goût, qu’ils ont jugé excessif, de leur rapporteur général ou président
pour une extrême qualité. Il faut en effet se méfier lorsque Jacques commence par
vous couvrir d’éloges, il en vient ensuite à critiquer quelques petites lacunes, avant
de constater que tout est à refaire.
Mais, en définitive, peut-on réellement le blâmer de cette exigence extrême
qui le caractérise, puisqu’on le sait encore plus exigeant pour lui-même ? Peut-on
également le blâmer pour quelques rares colères, un peu comme ces orages d’au-
tant plus violents qu’ils sont soudains et brefs que l’on connaît au sud de la Loire,
alors qu’au fond, il n’est pas rancunier ?
Enfin, je croyais toucher au but quand Françoise m’a avoué qu’il existait entre eux
un sujet de friction, allais-je enfin trouver chez cet honnête homme quelque chose de
croustillant à vous faire découvrir. Même pas, son défaut, mais en est-ce vraiment un,
je vous le livre : Jacques est un maniaque de l’ordre, il déteste le désordre !
De guerre lasse, je cherchais d’autres sujets : le sport, par exemple, ou des hob-
bies inavouables ? Je touchais là enfin deux sujets dignes d’intérêt, d’autant plus
qu’ils se rejoignent. Le hobby d’abord : savez-vous à quoi notre ami occupe ses rares
instants de loisir ? À remonter des murs de pierre sèche à 20 km de Rodez, et
comme c’est un grand sportif, il a évidemment ensuite mal au dos. Pourtant, me
direz-vous, Jacques est bien un grand sportif, randonneur en montagne, sur glacier
– à condition que tout le matériel nécessaire lui ait été préparé – et surtout cycliste
émérite, réputé plus pour son endurance que pour les sprints. Mais tout cela, c’était
surtout avant, avant que notre profession ne lui confie tant de missions qu’il n’a
jamais su refuser. Si Jacques a mal au dos, c’est donc de notre faute.
Je me suis donc résolu, sa modestie dut-elle en souffrir, à vous livrer les raisons
pour lesquelles notre République avait justement souhaité décerner à Jacques
Combret la distinction que je vais d’ici quelques instants lui remettre.
J’en ai dénombré trois : Le cœur, la science et le devoir !

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BERNARD REYNIS 11

Jacques Combret est un homme de cœur, un homme de sciences et un homme


de devoir.
L’homme de cœur : le cœur est justement le symbole qu’il a choisi pour
l’affiche du congrès qu’il a présidé, avec brio – et le mot est faible – l’an passé
à Strasbourg sur le thème des personnes vulnérables. Est-il utile de s’étendre sur
ce congrès si ce n’est pour dire que s’il n’avait pas eu lieu, il ne fait guère de
doute que la loi du 5 mars 2007 qui a réformé le droit de la protection des
personnes vulnérables serait encore à venir et ce n’est pas faire injure à l’équipe
du congrès ici présente, dirigée par Philippe Potentier, de dire que, sans Jacques,
ce congrès n’aurait pas eu la même dimension. Il fallait un homme de cœur
pour choisir ce thème et c’est bien l’homme de cœur qu’ont applaudi les jour-
nalistes présents le lundi matin après avoir écouté le discours de notre ami, ce
qui est tout à fait exceptionnel, ils affichent plutôt d’habitude une neutralité
que je qualifierais d’intellectuelle.
L’homme de science – juridique – ensuite : il est un ouvrage célèbre dans nos
rangs encore que peu consulté et qui s’intitule La science du parfait notaire.
La bibliothèque du Conseil supérieur, comme certaines qui ornent nos offices,
serre dans ses rayonnages les reliures de cet incunable notarial que l’on pourrait
croire obsolète si l’un parmi nous ne personnifiait son titre superbe. Et celui-là,
c’est évidemment celui que nous entourons à l’instant de notre amitié.
Pour les notaires de France, leur congrès annuel est un événement exception-
nel à tous points de vue, ils ont pour leur congrès une affection certaine qu’ils
n’ont pas toujours, en revanche, pour leur Conseil supérieur, ce qui rend parfois
le président du Conseil supérieur jaloux du président du congrès, mais ceci est
une autre affaire. Notre congrès est pour ceux d’entre nous qui ont participé aux
travaux de l’un ou plusieurs d’entre eux une expérience inoubliable.
Le congrès, c’est d’abord un homme, son président, une ville, un thème et une
équipe entraînée par le rapporteur général. On ne devient pas membre d’une
équipe sans être au moins un bon juriste, on n’en devient pas son rapporteur
général sans être un excellent juriste.
Eh bien, avant d’être président du 102e Congrès, Jacques Combret a été en
1997 rapporteur du 93e Congrès, déjà à Strasbourg, sur le thème de « l’investisse-
ment immobilier » sous la présidence de Patrick Wallut. Sitôt ce congrès terminé,
remarqué par le président du 95e Congrès, Xavier Ginon, qui venait juste d’être
désigné, Jacques était appelé par lui à devenir le rapporteur général de ce congrès
qui s’est déroulé à Marseille en 1999, sur le thème « demain la famille ».
La sanction ne s’est pas faite attendre, puisque quelques mois plus tard, Jacques
intégrait ce club très fermé, et d’autant plus prisé, de l’Institut d’études juridiques
de cette maison pour en diriger la section de droit de la famille, et présider l’Ins-
titut de 2002 à 2004. Inutile de vous dire que ses contributions à nos travaux y
sont nombreuses et brillantes, alliant à la fois la connaissance doctrinale du
sachant et la réalité pratique et le bon sens du notaire de terrain.

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12 POUR L’HONNEUR

Ses qualités l’ont également conduit à enseigner pendant de nombreuses


années, notamment à Montpellier, et par voie de conséquence à être membre de
nombreux jurys d’examen de notaire.
Enfin, la semaine dernière Jacques était désigné par le conseil d’administra-
tion de la Fondation pour le droit continental pour devenir membre de son
prestigieux conseil scientifique, aux côtés d’éminents universitaires et praticiens
de notre droit.
L’homme de devoir enfin : dans une société où chacun s’exerce le plus souvent
à échapper à ses devoirs pour faire valoir ses droits, Jacques Combret sait ce que
signifie le mot devoir, il sait le conjuguer à tous les temps, toujours au profit de
ceux à qui il doit et se doit, sa famille d’abord, mais c’est un aspect que je n’abor-
derais pas ici. Je me contenterai des devoirs qu’impose la charge de notaire dans
la triple loyauté que nous devons à l’égard de nos clients, de nos confrères et de
l’État à la source duquel nous puisons notre légitimité.
Sa loyauté à l’égard de ses clients, comme des collaborateurs et associés de son
office, nombre d’entre eux ici présents en témoigneraient mieux que moi ; sa
loyauté envers l’État s’est manifestée à de nombreuses reprises par sa participation
à l’œuvre législative et réglementaire en contribuant aux travaux de notre
Chancellerie sur la réforme du divorce et celle des successions et libéralités, sans
oublier la contribution de son congrès à celle des tutelles.
Enfin, sa loyauté à ses confrères se traduit par le service de la profession
auquel Jacques Combret est spécialement attaché, le mot est d’ailleurs bien
faible ! Qu’on en juge, car en dehors des congrès auxquels il a participé ou qu’il
a présidé et que j’évoquais à l’instant, comme de sa participation aux travaux de
notre Institut d’études juridiques, la liste des responsabilités qu’il a assumées est
éloquente : de mai 1985 à mai 1989, Jacques fut successivement trésorier,
1er syndic puis président de la Chambre des notaires de l’Aveyron, ce qui condui-
sit nos confrères de la cour d’appel de Montpellier à lui demander de 1991
à 1995 d’être d’abord le vice-président, puis le président de leur conseil régional,
dont il n’échappera à personne qu’il s’étend des Pyrénées au Lauragais, des rives
du Lot à celles du Golfe du Lion.
En octobre 2000, Jacques devenait délégué de sa Cour au conseil supérieur
jusqu’en octobre 2004, avant de rempiler au Cridon Bordeaux-Toulouse, dont il
assure actuellement la présidence.
En définitive, Jacques a peut-être bien un défaut : il ne sait jamais dire « non »
quand on lui demande d’assumer une fonction ou de remplir une mission au
service de la profession, mais de ce défaut-là, mes prédécesseurs comme moi-
même n’avons qu’à nous louer et nous ne l’en remercierons jamais assez !
Et encore, ai-je omis de cette liste des engagements de Jacques Combret ceux
non professionnels que sa générosité le conduit à assumer dans divers organismes
tels le conseil économique du diocèse de Rodez, par exemple.

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BERNARD REYNIS 13

Enfin, s’il est un homme de cœur, de science et de devoir, Jacques Combret


est aussi un homme d’Honneur, il était donc tout naturel qu’après que ses
mérites aient été reconnus une première fois par notre République qui lui
avait déjà décerné par décret du 15 novembre 2002 le grade de chevalier dans
l’ordre national du Mérite, il rejoigne aujourd’hui dans l’Honneur la cohorte
des légionnaires, en vertu d’un décret du président de la République du
31 décembre 2006, c’est pourquoi : Jacques Combret, au nom du président
de la République… (Prononcé le 12 juin 2007).

Droits réservés.

Jacques Combret et Bernard Reynis,


Institution Sainte-Marie de Monceau,
classe de quatrième, année scolaire 1961-1962.

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DEUXIÈME PARTIE
PERSONNES ET FAMILLES

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L’état civil à l’épreuve d’une identité sociale

Jean-Dominique S
Avocat général honoraire à la Cour de cassation

Nathalie B-W
Maître de conférences à l’Université de Reims Champagne Ardenne

1. « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? »1. Cette


œuvre majeure de Paul Gauguin est un condensé d’identité pour ce grand voya-
geur qui, au terme de son périple, en a fait son testament. Ni la mondialisation ni
la vie en société ne peuvent dissoudre le besoin d’une identité qui demeure tou-
jours revendiquée, qu’elle soit nationale ou sociale. C’est cette aspiration à une
identité sociale2 qui a retenu notre attention parce qu’elle s’est invitée au cœur du
droit de la famille, dont Jacques Combret a été tout au long de sa vie profession-
nelle le zélé messager.
2. L’identification des personnes dans la cité était à Athènes une préoccupa-
tion récurrente. L’existence de listes ne dispensait pas d’une preuve rapportée par
témoins pour établir que l’on était bien celui inscrit sur la liste. Le tatouage ou la
détention d’objet (symbola) ou de tablette (ancêtre de l’état civil) permettait de
faciliter cette identification. Ainsi l’identité établie n’était pas tant celle de l’indi-
vidu que celle d’une appartenance à des « ensembles juridiquement emboîtés »3.
3. Le souci d’organisation sociale constitue donc la première cause d’identifi-
cation des personnes. Dans l’Ancienne France, la tenue des registres paroissiaux
par le clergé, héritage de listes de donateurs, puis l’intervention du pouvoir royal
pour en rendre la rédaction obligatoire, en ce qui concerne certains décès et les
baptêmes avec le contreseing d’un notaire4 traduisent des préoccupations répon-
dant à un impératif d’ordre public.

1. G P., 1897, Boston, Museum of Fine Arts, huile sur toile.
2. Pour une définition de l’identité sociale, v. not. : L G., « L’identité… finitude
ou infinitude », in M-B B. et F T. (dir.), L’identité, un singulier au pluriel,
2015, Dalloz, p. 29 : « L’identité sociale, plus floue sous l’œil du droit, est l’individu vu par
lui-même et par la collectivité. C’est l’être saisi dans son individualité, sa singularité ».
V. également : P-P (dir.), L’identité de la personne humaine. Étude de droit français
et de droit comparé, 2002, Bruylant.
3. B J.-M., « À propos de l’identification des personnes dans la cité athénienne
classique », in C J.-C. et M S. (dir.), Individus, groupes et politique à Athènes
de Solon à Mithridate, 2007, Presses universitaires François-Rabelais.
4. Ordonnance de Villers-Cotterêts, août 1539, articles 50, 51 et 52.

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18 L’ÉTAT CIVIL À L’ÉPREUVE D’UNE IDENTITÉ SOCIALE

4. Il ne restait plus qu’à parfaire cet état civil naissant. L’ordonnance de Blois de mai
1579 (art. 181) impose alors ces registres pour tous les décès et pour les mariages, afin
de lutter contre les mariages clandestins, le consentement des parents étant exigé en
toutes circonstances (art. 40). Puis l’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye en 1667
impose la tenue des registres en double exemplaire et le dépôt de l’un des exemplaires
au greffe, ce que l’ordonnance de Villers-Cotterêts avait vainement exigé pour l’exem-
plaire unique, alors conservé par le clergé. Avec la Révolution, une laïcisation de l’état
civil s’est opérée, la tenue des registres étant confiée aux officiers municipaux.
5. Par ses origines religieuses, l’état civil ne pouvait ignorer la famille. Aussi la filia-
tion a-t-elle naturellement trouvé sa place dans cette construction. Mieux, les incen-
dies successifs de l’Hôtel de ville et du Palais de Justice de Paris au cours de la seconde
moitié du e siècle ont suscité la création d’un troisième registre d’état civil, confié
aux familles : le livret de famille5. Et sa remise aux époux lors du mariage a fait de
celui-ci un élément incontournable6. D’autant qu’à partir du 1er décembre 1950, il lui
a été conféré la force probante qui s’attache aux extraits d’actes d’état civil7.
6. Le livret de famille n’est pas resté étranger à l’évolution des mœurs. En
1974, deux modèles de livret de famille voient le jour, selon que les parents sont
mariés ou non8. Mais cette distinction ne résistera pas à la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme et, depuis, le modèle redevenu unique
du livret de famille a été modifié à plusieurs reprises pour prendre en compte la
diversité des situations juridiques autour desquelles la famille peut se construire9.
7. Ceci n’empêche nullement la filiation de demeurer l’axe central des actes de
l’état civil, ce que souligne l’ordonnance du 4 juillet 2005 en retenant que la filia-
tion est établie à l’égard de la mère par la désignation de celle-ci dans l’acte de
naissance de l’enfant10, cependant que la présomption de paternité de l’époux de
la mère se voit écartée par la loi du 16 janvier 2009, lorsqu’il n’est pas désigné en
qualité de père dans l’acte de naissance de l’enfant11.
Cette approche différenciée de la filiation maternelle et paternelle témoigne
d’un recul du mariage dans la construction de l’état civil dont l’acte de nais-
sance et l’acte de décès constituent les deux pièces maîtresses dressées sur le

5. Discours de Jules Armand Dufaure, président du Conseil, du 18 novembre 1876.


6. Circulaire aux préfets de Jules Simon, président du Conseil et ministre de l’Intérieur,
18 mars 1877.
7. Circulaire du ministère de l’Intérieur du 30 septembre 1950.
8. Décret n° 74-449 du 15 mai 1974.
9. Arrêtés des 1er juin 2006 et 29 juillet 2011. V. également le décret n° 2017-450 du
29 mars 2017 relatif aux procédures de changement de prénom et de modification de la
mention du sexe à l’état civil a modifié le décret du 15 mai 1974, en rétablissant un article 16-1
prévoyant qu’un nouveau livret de famille peut être délivré, sur demande d‘un des époux ou
d’un des parents, à la suite d’une décision de changement de la mention du sexe à l’état civil
ayant entraîné la modification du prénom de l’intéressé.
10. C. civ., art. 311-25. V. not. : B-W N., « L’établissement de la filiation
maternelle par l’acte de naissance », JCP N 2005, 1491.
11. C. civ., art. 313.

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JEANDOMINIQUE SARCELET, NATHALIE BAILLONWIRTZ 19

fondement d’une filiation recherchée à défaut d’être établie. La famille ne se


construit plus dans le marbre de l’acte de mariage.
8. Parallèlement à l’état civil, l’identification des personnes par l’administration
s’est organisée autour du numéro personnel d’inscription au répertoire national
d’identification des personnes physiques qui n’emprunte à la famille que le nom de
la personne à laquelle ce numéro est attribué. Les actes de l’état civil ne sont pas
pour autant ignorés et l’institution d’une procédure de vérification sécurisée des
données à caractère personnel contenues dans les actes de l’état civil est venue sim-
plifier leur accessibilité pour l’ensemble des services de l’État et des collectivités
territoriales, des organismes de protection sociale ainsi que pour les notaires12.
9. Si l’état civil est encore un instrument de police, il se distingue des modes
d’identification des personnes qui font écho au « que sommes-nous ? », en ce qu’il
est élaboré avec le concours des proches et qu’il tend aussi à répondre au « d’où
venons-nous ? » de Paul Gauguin. À cet égard, l’état civil assure tout à la fois une
identification au sein de la société et témoigne d’une appartenance à une famille.
À la croisée des chemins entre soi et les autres et parce qu’il est porteur d’une
histoire, il est le premier « patrimoine » de chacun d’entre nous.
C’est ce que traduisent parfaitement les actes de naissance et de décès. Le premier
dressé dans les cinq voire huit jours de l’accouchement13, constitue l’acte initial qui,
par l’attribution d’un nom, conditionne l’appartenance à une famille ou à un groupe
social. Le second, dressé « sur la déclaration d’un parent du défunt ou sur celle d’une
personne possédant sur son état civil les renseignements les plus exacts et les plus
complets qu’il sera possible »14, donne à l’état civil sa dimension mémorielle15.
10. La place qu’y occupe l’acte de mariage peut faire question mais s’explique tant
par l’histoire que par le souci d’une identification de la personne par sa filiation. Tou-
tefois les vicissitudes de cette institution en font un pôle de fragilité d’un état civil
dont la fonction identitaire se conjugue difficilement avec ces incertitudes.
11. Au demeurant, la prise en compte de la filiation dans l’état civil conduit à
élargir le panel des instruments qui le servent en portant aussi notre regard sur le
répertoire civil. Celui-ci est constitué par l’ensemble des extraits des demandes,
actes et jugements qui doivent être classés et conservés aux greffes des tribunaux
de grande instance, à charge pour eux d’en assurer la publicité en marge des actes
de naissance dont ils sont dépositaires16. À ce titre, ce registre constitue un com-
plément nécessaire de l’identification par l’état civil.

12. Décret n° 2011-167 du 10 février 2011.


13. Article 54 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la
justice du e siècle, modifiant l’article 55 du Code civil qui fixait auparavant un délai de trois
jours ; décret n° 2017-278 du 2 mars 2017 relatif au délai de déclaration de naissance.
14. C. civ., art. 78, al. 1er.
15. V. not : R-C G., « L’état civil, lieu de mémoire de l’existence sociale de la
personne », in Puigelier C. et S-S B. (dir.), Le droit à la lumière de Bergson : mémoire
et évolution, 2013, éd. Panthéon-Assas, p. 147.
16. CPC, art. 1057 et 1059.

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20 L’ÉTAT CIVIL À L’ÉPREUVE D’UNE IDENTITÉ SOCIALE

12. On mesure ainsi l’importance prise, notamment, par le droit de la filiation


dans l’état civil et l’on comprend que la recherche d’une identité sociale, dont
chacun entend rester maître, oblige à une grande adaptabilité de ces actes identi-
taires dans une transition de l’être vers l’avoir (I). Cette aspiration à une plus
grande souplesse voire mutabilité de l’état civil que nous allons illustrer, ne doit
cependant pas lui faire perdre les impératifs qui le fondent. Aussi, nous nous
demanderons si le temps n’est pas venu d’une refondation de l’état civil pour en
préserver la dimension mémorielle (II).

I – L’AFFIRMATION CONTEMPORAINE D’UN BESOIN DE SOUPLESSE

13. Lorsque l’enfant naît et qu’est dressé le premier et principal des actes de
l’état civil – l’acte de naissance –, son identité individuelle est fixée au nom de
l’ordre public, par des données en principe immuables aux fins d’identification.
Un nom et un prénom lui sont attribués. Son sexe est déterminé et son apparte-
nance familiale signifiée par la désignation dans l’acte de ses père et mère selon les
règles d’établissement du lien de filiation. L’enfant est ainsi juridiquement appré-
hendé17 par un état civil qui reflète une identité par principe imposée selon des
critères objectifs et limitativement énumérés par la loi.
14. Si par principe « tout le droit repose sur une conception de la personne
envisagée comme un être stable, continu, égal à lui-même »18, la montée crois-
sante durant ces cinquante dernières années de l’individualisme, de l’autonomie
de la volonté et de l’égalité dans les rapports personnels et familiaux, confortés par
les jurisprudences interne et européenne, a fait de l’état civil un point de tension
pour ceux qui revendiquent de passer d’un statut assigné à un statut choisi. Iden-
tité et identification, par principe liées, en viennent à s’opposer. « L’identité, c’est
le ciel, l’identification c’est la terre » dit-on19 afin de distinguer ce qui, d’un côté
(l’identité), relèverait du subjectif20 ou de l’affirmation d’un « droit à être soi-
même » et, de l’autre (l’identification), s’appuierait sur des éléments objectifs et
utilitaires, sorte de repères fixes qui échappent aux changements21.

17. V. not. : R A.-M., « L’épreuve corporelle : l’intersexualité à la naissance », in


N C. (dir.), L’État civil dans tous ses états, 2008, LGDJ, série droit, coll. droit et société,
p. 71, spéc. p. 84 : l’inscription de l’enfant à l’état civil est un événement fondateur, en ce
qu’elle constitue « une sorte de présentation publique nécessaire à la reconnaissance sociale
d’un être nouveau ».
18. T F., « Préface », p. VII, in G E., Le sentiment d’identité. Étude de droit des
personnes et de la famille, t. 327, 2000, LGDJ, coll. Bibl. dr. privé.
19. H J., « Synthèse intermédiaire, Identité-Identités », in M V. et V-
L F. (dir.), Qui suis-je ? Dis-moi qui tu es. L’identification des différents aspects juridiques
de l’identité, 2015, Artois Presses université, p. 157.
20. V. à ce sujet : G E., Le sentiment d’identité. Étude de droit des personnes et de la
famille, op. cit.
21. C G., Droit civil. Les personnes, 13e éd., 2007, Montchrestien, coll. Domat/
Droit privé, p. 95, n° 43.

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JEANDOMINIQUE SARCELET, NATHALIE BAILLONWIRTZ 21

15. S’il y a toujours un paradoxe dans le fait de vouloir se dégager du carcan


de l’état civil et de son indisponibilité tout en le revendiquant comme un outil de
reconnaissance de son individualité, il n’empêche que le souhait pour l’individu
de maîtriser les éléments de son état est devenu au fil des années un appel au
législateur à faire évoluer les règles de l’état civil. Celles-ci ont progressivement
changé, faisant de l’état civil non plus seulement un mode de preuve de l’état de
la personne mais également le siège juridique de l’identité sociale construite
autour de considérations de psychologie personnelle. Ces revendications d’indivi-
dualité et de singularité sont l’affirmation contemporaine d’un droit à disposer
librement de son identité et donc de l’état civil qui la soutient. Il s’en dégage un
droit, même s’il est relatif, à créer une identité, à la naissance de la personne, selon
les aspirations et désirs de ceux qui lui ont donné la vie (A) et un droit à la modi-
fier au gré des évolutions possibles du sentiment de soi (B).

A. Une souplesse à la création de l’état

16. La recherche d’un équilibre entre vie privée et vie publique, entre l’indi-
vidu et l’État, portée par l’objectif de complaire au souci d’épanouissement de
chacun, a conduit à laisser aux parents d’un enfant une large place à l’affirmation
de choix personnels dans le contenu de l’acte de naissance. Les éléments d’identi-
fication sont, dans les limites de ce qu’autorise l’institution, personnalisés. Le
« droit à l’état civil » que revendiquent les parents dans certaines situations,
connaît également un important développement.
17. L’autodétermination des éléments de l’état civil. – Si les énonciations de
l’acte de naissance sont limitativement déterminées par la loi22, les parents se sont
vus progressivement offrir par le droit la possibilité de faire de l’état civil un dis-
positif de libre expression de leurs choix au moment d’attribuer un nom et un
prénom à leur enfant.
18. On sait combien « être » et « être nommé » sont deux éléments indisso-
ciables de la personnalité de l’individu. Le nom signe l’appartenance sociale et
inscrit l’enfant dans son environnement familial. Le prénom, quant à lui, sou-
ligne sa singularité dans cet environnement et associe à celui qui le porte des
caractéristiques individuelles et également collectives23.
Les deux ont pour point commun d’être des projections parentales et il sem-
blait logique, dans l’esprit du législateur à compter des années 1990, de donner
aux parents la possibilité d’appréhender, dans un rapport subjectif, le nom et le
prénom plus comme des éléments d’identité que d’identification, quitte à en faire
un « acte de la vie privée »24.

22. C. civ., art. 34 et art. 57.


23. V. à ce sujet : C B., Changer de prénom. De l’identité à l’authenticité, 2016,
PUL, spéc., p. 8.
24. Z-C F. et R T., Manuel de droit des personnes, 2006, PUF, coll. Droit
fondamental, spéc., p. 74, n° 60.

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22 L’ÉTAT CIVIL À L’ÉPREUVE D’UNE IDENTITÉ SOCIALE

19. C’est en effet exclusivement sur la volonté des père et mère que repose
l’attribution du ou des prénoms à la naissance25, sans référence obligée à la tradi-
tion culturelle et nationale qu’incarnaient la loi du 11 germinal an XI et les
« noms en usage dans les différents calendriers » comme les personnages de
« l’Histoire ancienne ». Leur liberté ne trouve désormais de limite que dans l’inté-
rêt de l’enfant ou face au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille26.
20. Le choix est, en revanche, dirigé à la transmission du nom. Signe visible de
l’appartenance familiale, le nom est un effet de la filiation. Ce qui justifie que l’on
ne puisse choisir librement un nom individuel – sans rapport avec la parenté –, en
lieu et place d’un nom de famille, au risque de briser l’unité de cette dernière.
Traditionnellement, la dévolution du nom était un mécanisme sur lequel la volon-
té individuelle n’avait aucune influence ; elle s’opérait de jure, principalement gouver-
née par le principe patronymique selon lequel l’enfant prenait à la naissance le nom de
son père. La loi du 4 mars 2002, fréquemment critiquée27 et amendée28, lui a substitué
un principe inverse, plaçant la transmission du nom sous l’empire des « volontés
accordées »29 des père et mère30. « À une dévolution légale » a succédé « une dévolu-
tion volontaire »31 qui « consomme, dans une vision intimiste, une certaine privatisa-
tion du nom »32. Induite principalement du principe d’égalité des sexes et des filia-
tions, la loi du 4 mars 2002 tendait à imposer la dévolution d’un nom double33 afin
d’exprimer l’origine duale – paternelle et maternelle – de la filiation de l’enfant.
Plus d’une décennie après cette grande réforme, le constat opéré à la vue des statis-
tiques de l’INSEE publiées en 2015 sur le choix du nom, est que l’usage prédomine
sur la loi34. En 2014, seulement un enfant sur dix porte, à sa naissance, le nom de ses
deux parents. Pour 83 % des naissances, l’enfant reçoit uniquement le nom de son
père. Cette proportion s’élève à 95 % pour les enfants nés au sein d’un couple marié.
L’aspiration à la liberté mise en avant par le législateur n’est finalement pas si détermi-
nante face aux us et coutumes ; en tout cas, elle ne vise pas le plus grand nombre.
21. À la naissance de l’enfant, l’état civil questionne également sur son sexe35
qui est objectivé selon les données anatomiques constatées après l’accouchement
et déterminé de manière élémentaire à partir des deux catégories reconnues. Ne
25. Loi n° 93-22 du 8 janvier 1993, article 3.
26. C. civ., art. 57, al. 3.
27. V. not. : F J., « Du nom patronymique au nom de famille. Progrès ou régression »,
in Une certaine idée du droit. Mélanges offerts à André Decocq, 2004, Litec, p. 241 et s.
28. Cinq fois au total, le plus récemment par l’article 11 de la loi n° 2013-404 du 17 mai
2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
29. C G., Droit civil. Les personnes, op. cit., p. 112, n° 49.
30. C. civ., art. 311-21.
31. C G., Droit civil. Les personnes, op. cit.
32. Ibid., p. 134, n° 59 : « Le nom devient la chose des parents. (…) Cette contractualisation
domestique vaut un déclassement ». V. également : M J., Le nom de famille, 2005, Defrénois.
33. La loi en vient même à recourir à l’ordre alphabétique pour régler le cas du désaccord
parental dans la transmission du nom (C. civ., art. 311-21 modifié par la loi du 17 mai 2013).
34. Insee, Statistiques de l’état civil, 1er sept. 2015, Insee Focus, n° 33.
35. La loi en impose la mention dans l’acte de naissance (C. civ., art. 57).

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JEANDOMINIQUE SARCELET, NATHALIE BAILLONWIRTZ 23

concevant pas le sexe autrement que de manière binaire, l’état civil ne connaît pas
de troisième sexe et l’ambiguïté morphologique à laquelle les parents d’un enfant
intersexué sont confrontés à sa naissance ne peut justifier, en l’état des textes36,
l’expression d’un droit de choisir librement son sexe, de revendiquer, au moment
de l’établissement de l’acte et même ultérieurement37, l’existence d’un sexe neutre
ou indéterminé38, voire de supprimer des actes de l’état civil la mention du sexe39.
22. L’affirmation d’un « droit à l’état civil »40. Outre l’autodétermination des
éléments constitutifs de l’état, la revendication d’un droit à l’identité s’illustre égale-
ment par l’affirmation d’un « droit à l’état civil ». Le besoin de donner une existence
sociale est ainsi exprimé dans certains cas, pour les enfants nés sans vie mais aussi pour
les enfants nés d’une gestation pour le compte d’autrui pratiquée à l’étranger.
23. Dans la logique d’une politique d’identification de la personne, l’enregis-
trement d’un enfant mort-né semble être inutile dès lors que la venue au monde
de cet être dépourvu des conditions de vie ou de viabilité essentielles à l’acquisi-
tion de la personnalité, n’emporte aucune conséquence juridique. Cet enfant n’a
pas d’état qui puisse et doive être publiquement constaté. Mais cette logique cède
devant la logique concurrente d’épanouissement personnel et de reconnaissance
identitaire. La défaillance de l’une des conditions d’attribution de la personnalité
juridique n’empêche pas de reconnaître la spécificité d’une existence humaine,
fût-elle brève ou avortée. Il y a en effet dans l’inscription à l’état civil « une sauve-
garde contre le néant qui découle de l’emprise du droit sur l’homme, sur sa nais-
sance, sa vie, sa mort »41, mais surtout une garantie offerte aux parents endeuillés
d’obtenir de la société civile un comportement en accord avec l’humanité du
fœtus et le respect qui lui est dû. Aussi le législateur a-t-il modifié les modalités
d’inscription à l’état civil de l’enfant sans vie42 afin de lui donner l’apparence

36. L’admission d’un sexe neutre a été retenue notamment en Australie à la suite de l’affaire
Norrie May Welby qui a été inscrit en 2010, sous l’indication no specified gender. Plus récemment,
pour la première fois aux États-Unis, une américaine de 55 ans, Sara Keenan, a obtenu en
décembre 2016 que son certificat de naissance soit modifié avec la mention « sexe neutre ».
37. Le tribunal de grande instance de Tours avait reconnu la validité de la mention « sexe
neutre » à l’état civil pour une personne intersexuée : TGI Tours, 20 août 2015, D. 2015.
2295, note Vialla F. Cette décision a été censurée par un arrêt du 22 mars 2016 de la cour
d’appel d’Orléans et un pourvoi en cassation a été formé : D. 2016, 1915, note Reigné P.
38. C M.-X., « La mention du sexe à l’état civil », in H-V S.,
P M. et R D. (Dir), La loi et le genre. Études critiques de droit français, 2014,
CNRS éditions, p. 29 et s.
39. L A.-M., « L’état civil au prisme du genre : un révélateur des discriminations »,
in B S. et P E. (dir.), L’identité à l’épreuve de la mondialisation, t. 72, 2016,
IRJS éditions, p. 129, spéc. p. 137.
40. H J., « Synthèse intermédiaire, Identité-Identités », op. cit.
41. M P., « Décès périnatal et individualisation de l’être humain », RDSS 1995, p. 451.
42. Tirant les conséquences d’arrêts rendus par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 6 février
2008, n° 06-16498, n° 06-16499 et n° 06-16500), le gouvernement a pris deux décrets et
deux arrêtés qui prévoient notamment que la délivrance d’un acte d’enfant sans vie est
conditionnée par l’existence d’un certificat d’accouchement de la mère dont la réalité relève de
l’appréciation médicale des praticiens : décrets n° 2008-798 et n° 2008-800 du 20 août 2008,
JO 22 août 2008 ; arrêtés du 20 août 2008.

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24 L’ÉTAT CIVIL À L’ÉPREUVE D’UNE IDENTITÉ SOCIALE

d’une existence juridique (même si dans la réalité, elle n’est que mémorielle43). Il
est également permis de lui attribuer un prénom et, si les parents en émettent le
souhait, d’inscrire dans le livret de famille préexistant une mention relative à
l’enfant ou, pour les parents non mariés, de demander lorsque leur premier enfant
est un enfant déclaré sans vie, qu’un livret de famille leur soit remis.
24. Bien que facultative, la transcription d’un acte d’état civil étranger est un enjeu
majeur pour les parents qui recourent à une convention de gestation pour le compte
d’autrui car elle permet d’inscrire l’événement intéressant l’état civil de leur enfant
dans les registres français44 et ainsi de masquer les circonstances dans lesquelles il a été
conçu et est né. Néanmoins, la transcription d’un acte d’état civil étranger n’est pas
une simple opération de consignation sur les registres français d’un acte élaboré par un
officier public ou un juge étranger. Elle consiste dans l’établissement d’un acte d’état
civil conçu pour assurer une représentation fidèle des faits perçus par le droit. La
revendication d’un droit à l’état civil français est forcément sans effet lorsque les faits
qui sont déclarés dans l’acte étranger (notamment l’identité de la mère d’intention et
non de la femme ayant accouché) ne correspondent pas à la vérité45.
25. En définitive, la revendication d’un « droit à l’état civil » comme du droit
à en maîtriser le contenu illustre le fait que l’identité personnelle de l’enfant est
avant tout construite : d’abord par le droit, de manière abstraite selon un cadre
prédéfini d’énonciations obligatoires et objectives, ensuite par les parents qui
peuvent exprimer, dans les limites de ce cadre, leurs choix personnels par le libre
jeu de leurs volontés.
Cependant, l’acte d’état civil peut au fil des années ne plus correspondre à la
réalité et cette identité construite, même avec sa part de liberté, ne plus convenir
face à l’identité subjective que l’enfant devenu adulte aura affirmée. Le « droit de
devenir soi-même »46 s’affirme alors et il n’est plus aujourd’hui aucun élément de
l’état d’une personne qui ne soit susceptible de changement.

B. Une souplesse lors du changement de l’état

26. Construit autour d’une identification par le nom et le prénom, l’acte de


naissance constitue le premier réceptacle du droit au nom. Droit de la person-
nalité, ce droit est tiraillé entre l’identification sociale dont il est porteur,

43. Si l’enfant sans vie est bien individualisé, il n’a pas pour autant un état familial, un
nom de famille et une filiation. V. à ce sujet, nos développements dans B-W N. et
a., L’enfant sujet de droits, 2010, Lamy, coll. Axe droit, p. 93 et s., n° 128 et s.
44. C. civ., art. 47.
45. Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, n° 14-21323 et n° 15-50002 ; CEDH, 26 juin 2014,
n° 65192/11, Mennesson, et n° 65941/11, Labassée. Les actes d’état civil dressés à l’étranger
peuvent être transcrits sur les registres français d’état civil dès lors que les filiations paternelle
et/ou maternelle qu’ils constatent sont conformes à la vérité, c’est-à-dire que l’homme qui y est
mentionné en qualité de père est le père biologique de l’enfant et que la femme qui est déclarée
être la mère de l’enfant est bien celle qui a accouché.
46. C B., Changer de prénom. De l’identité à l’authenticité, op. cit.

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JEANDOMINIQUE SARCELET, NATHALIE BAILLONWIRTZ 25

justifiant l’invocation des principes d’immutabilité, d’indisponibilité et d’im-


prescriptibilité, et le respect de la vie privée auquel la Cour européenne des
droits de l’homme le rattache, ce qui lui confère une plus grande marge d’auto-
nomie dans la personnalisation.
C’est dans ce contexte de partage du droit au nom entre rapport à un principe
d’immutabilité et respect des droits de la personne que s’inscrivent les mutations
que l’acte de naissance peut connaître, le principe tiré de la loi du 6 fructidor an II
concernant les nom et prénom portés dans cet acte n’excluant pas qu’ils puissent
être modifiés conformément à la loi. L’évolution des conditions dans lesquelles
ces modifications, ainsi que celle pouvant affecter la mention du sexe, sont sus-
ceptibles d’intervenir témoigne d’une inflexion des fondements de l’acte de nais-
sance au profit du respect de la vie privée.
27. Changement de prénom. – Le Code civil a dès l’origine permis la modi-
fication ou l’adjonction de prénoms dans l’acte de naissance, sous réserve que
cette demande réponde à un intérêt légitime47. La loi du 8 janvier 1993, en abro-
geant les principes posés par la loi du 11 germinal an XI sur le choix des prénoms,
a non seulement déplacé de l’article 57 à l’article 60 le régime désormais confié au
juge aux affaires familiales des changements de prénom, mais encore a autorisé
qu’il soit présenté une requête en suppression de prénom. Elle a, en outre, exigé
que le consentement personnel de l’enfant âgé de plus de treize ans soit requis.
Si un contrôle de l’intérêt légitime à la modification, l’adjonction ou la sup-
pression d’un prénom, demeure, celui-ci est suffisamment caractérisé par la pro-
duction d’une décision étrangère autorisant le changement de prénom48.
28. La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du e siècle
confie désormais à l’officier de l’état civil le soin d’apprécier cet intérêt légitime et
d’effectuer ce changement sur les registres de l’état civil49. L’article 56 de la loi,
modifiant l’article 60 du Code civil, précise que cet intérêt légitime ne saurait être
caractérisé, en particulier lorsque la demande est contraire à l’intérêt de l’enfant
ou aux droits des tiers à voir protéger leur nom de famille. Dans ce cas, le procu-
reur de la République, saisi par l’officier de l’état civil, peut s’opposer au change-
ment sollicité, laissant au demandeur le soin de saisir, s’il l’estime opportun, le
juge aux affaires familiales50.
L’officier d’état civil est placé sous l’autorité d’un élu et le contrôle du juge ne
s’exerce donc plus sur l’intérêt légitime fondant la demande mais, via le parquet, sur la

47. C. civ., art. 57, al. 2.


48. Cass. 1re civ., 23 mars 2011, n° 10-16761.
49. Il reste à savoir si une telle déjudiciarisation ne trouvera pas en pratique ses limites. En
effet, jusqu’à la loi de 2016, il appartenait au greffe du parquet de demander la transcription
des jugements sur les divers actes d’état civil dans lesquels le prénom apparaît : acte de naissance
du requérant, actes de naissance de ses enfants, actes de mariage, livret de famille. Il est possible
qu’avec la déjudiciarisation, les oublis qui existaient déjà, soient plus fréquents (l’acte de
naissance d’un enfant n’indiquant pas, par exemple, le nouveau prénom du père).
50. CPC, art. 1055-1 à 1055-4 issus du décret n° 2017-450 du 29 mars 2017, préc.

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26 L’ÉTAT CIVIL À L’ÉPREUVE D’UNE IDENTITÉ SOCIALE

conscience qu’en éprouve cet officier d’état civil. Après la réforme de 1993, non seu-
lement le choix du prénom est libre, mais son changement le devient pareillement.
29. Changement de nom. – S’agissant du nom, dont l’inscription dans
l’acte de naissance n’était pas obligatoire avant 2002, il ne peut être modifié
que dans deux hypothèses. Soit cette modification n’est qu’une conséquence
du lien de filiation établi par cet acte, soit elle procède d’une demande du
titulaire de l’acte.
30. L’acte de naissance énonce le nom de famille de l’enfant déclaré. Déter-
miné sur le fondement d’un rapport de filiation, hormis lorsque les parents de
l’enfant ne sont pas connus, ce nom peut être affecté par les aléas de la vie fami-
liale. Nous ne reviendrons pas sur les choix qui s’offrent aux parents lors de la
naissance ou de l’adoption de leur premier enfant. Mais ce choix instauré par la
loi du 4 mars 2002 a incontestablement contribué à étoffer les procédures de
changement de nom.
31. Ainsi, l’enfant né à l’étranger dont l’un au moins des parents est français,
peut-il voir son nom modifié, sur le fondement du choix du nom par les parents
pour le premier enfant commun, dans les trois ans de sa naissance51. L’établisse-
ment de la filiation par l’effet de la loi et la règle posée par la loi du 16 janvier
2009 qui écarte la présomption de paternité lorsque l’acte de naissance de l’enfant
ne désigne pas le mari en qualité de père en donnent d’autres exemples.
32. Cette évolution témoigne d’une distance créée entre le nom et la famille.
Précédemment réservé aux hypothèses d’une famille en rupture, l’abandon de la
présomption procède aujourd’hui de la volonté de la mère. L’unité familiale
autour du nom est encore plus compromise lorsqu’on constate que dans un
couple de même sexe dont chaque mère aura un enfant à la suite d’une assistance
médicale à la procréation, la fratrie, par le jeu d’une présomption de paternité
nécessairement écartée, ne portera pas un même nom choisi au sein du couple qui
en assure l’éducation, sauf à recourir à l’adoption.
33. L’établissement d’un second lien de filiation est encore une source de
remise en cause du nom attribué, sans que l’intérêt de l’enfant soit pris en compte
autrement que par un consentement personnel exigé s’il a plus de treize ans52.
À cet égard, le législateur n’a pas porté la même attention à l’attribution du nom
selon qu’il s’agit d’établir une filiation ou de la contester. Pour les actions aux fins
d’établissement de la filiation, le tribunal statue s’il y a lieu sur l’attribution du
nom53, alors que la juridiction qui accueille l’action en contestation fixe, dans
l’intérêt de l’enfant, les modalités des relations de celui-ci avec la personne qui
l’élevait. Perd-il le nom de celui qui n’est plus son auteur ?
34. La liberté de choix du nom qu’offre l’adoption simple a trouvé avec la loi
du 17 mai 2013 une nouvelle terre d’élection dans la famille des couples de même

51. C. civ., art. 311-21.


52. C. civ., art. 311-23.
53. C. civ., art. 331.

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JEANDOMINIQUE SARCELET, NATHALIE BAILLONWIRTZ 27

sexe. Ainsi l’enfant adoptif du père pourra être adopté en la forme simple par le
conjoint de celui-ci et les règles d’attribution du nom, fixées par l’article 363 du
Code civil, ne seront pas identiques à celles qu’exigent les articles 311-21, 311-
23 et 357 du Code civil pour des enfants communs.
35. La demande de changement de nom du titulaire de l’acte n’a pas connu
semblable évolution. La loi du 8 janvier 1993 a introduit dans le Code civil ce
que la loi du 11 germinal an XI avait déjà admis, et le décret du 20 janvier 1994
n’a fait qu’actualiser une procédure plus que séculaire. Seule la francisation du
nom qui relève des dispositions de la loi du 25 octobre 1972 demeure hors du
Code civil. Cet ordonnancement est aujourd’hui remis en cause puisque la loi du
18 novembre 2016 autorise l’officier d’état civil à substituer, au nom inscrit sur
l’acte de naissance dont il est dépositaire, le nom acquis dans un autre État par le
titulaire de cet acte, sur sa demande54.
Il aurait pu l’être davantage encore si le Conseil constitutionnel n’avait pas
censuré, au motif d’une adoption selon une procédure contraire à la Constitu-
tion, la disposition de la même loi qui prévoyait qu’une demande de changement
de nom puisse être justifiée par la volonté, pour un enfant majeur, d’adjoindre le
nom de l’un ou l’autre de ses parents à son nom de naissance55.
36. En définitive, la loi du 4 mars 2002 n’a pas seulement modifié les règles
de dévolution du nom. Elle a inscrit celui-ci dans l’acte de naissance et a subs-
titué à l’appellation « nom patronymique » celle de « nom de famille ». Ce
faisant, là où le législateur souhaitait renforcer la place tenue par la filiation
dans l’attribution du nom, la fragilité des familles autant que l’ouverture du
mariage pour tous ont contribué à faire reculer les principes qui régissaient le
droit au nom.
37. Changement de sexe. – Le respect de la vie privée a conduit, sous l’impul-
sion de la Cour européenne des droits de l’homme56, à accepter la remise en cause
de cette mention de l’acte de naissance. Alors que l’indétermination du sexe à la
naissance conduisait le ministère public à agir avec la plus extrême prudence pour
permettre à l’enfant d’être reconnu « une fois les traitements appropriés ache-
vés »57, la revendication des transsexuels et l’émergence d’une théorie du genre ont
appelé à un assouplissement du principe d’indisponibilité de l’état des personnes
auquel cette mention est attachée.
38. C’est en référence au principe du respect dû à la vie privée que la Cour de
cassation a admis que l’état civil indique le sexe dont une personne a l’apparence,
lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeu-
tique, cette personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus

54. Article 57 de la loi du 18 novembre 2016, insérant un article 61-3-1 dans le Code
civil.
55. Décision n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016, n° 55 à 58.
56. CEDH, 11 juill. 2002, Christine Goodwin c/ Royaume-Uni (Grande chambre).
57. Rép. min., JOAN, 2 sept. 2014, n° 48696, Rouillard M. G., p. 7440.

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28 L’ÉTAT CIVIL À L’ÉPREUVE D’UNE IDENTITÉ SOCIALE

tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rap-
prochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social58.
39. Le but thérapeutique a été remis en cause après la publication du décret
n° 2010-125 du 8 février 2010 supprimant les troubles précoces de l’identité de
genre de la liste des affections psychiatriques de longue durée. Mais la Cour de
cassation a maintenu l’exigence de preuve, au regard de ce qui est communément
admis par la communauté scientifique, de la réalité du syndrome transsexuel et
du caractère irréversible de la transformation d’apparence59.
40. Alors que le caractère irréversible de la transformation d’apparence ne
pouvait que laisser dubitatif60, eu égard aux évolutions de la chirurgie, cette obs-
tination de la Cour de cassation n’a pas résisté aux vœux du législateur et la loi du
18 novembre 2016 met brutalement un terme à cette exigence de preuve. Les
articles 61-5 et 61-6 nouveaux du Code civil (qui composent une nouvelle sec-
tion intitulée « De la modification de la mention du sexe à l’état civil »61) limitent
l’exigence de preuve au comportement social et prohibent le rejet de la demande
sur le fondement d’une absence de traitements médicaux, d’une opération chirur-
gicale ou d’une stérilisation.
41. D’élément constitutif de l’état des personnes, la mention du sexe devient
un élément d’identification sociale, ouvrant ainsi la voie à une remise en cause
plus générale de l’état civil. En l’absence d’opération chirurgicale, la femme qui
aura obtenu la modification de son sexe, sur le fondement des articles 61-5 et 61-6
du Code civil, pourra toujours enfanter. Quel lien de filiation pourra revendiquer
l’enfant dont elle aura accouché après ce changement de sexe ? Devra-t-on renon-
cer à l’adage « mater semper certa est... » et réduire à néant la seule règle intangible
du droit de la filiation ?
42. En laissant l’état civil à la disposition des sujets concernés pour forger ou
modifier l’identité qui leur convient62, le législateur en a changé les contours et les
fonctions. Cette aspiration à une plus grande malléabilité ne doit cependant pas
lui faire perdre les impératifs qui le fondent, et oblige à une réflexion renouvelée
sur la préservation de sa dimension mémorielle.
58. Cass. ass. plén., 11 décembre 1992, n° 91-11900, JCP G 1993, II, 21991, concl. Jéol M.
59. Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 11-22490.
60. En ce sens l’avis de l’avocat général, non publié. D’ailleurs, dans son arrêt rendu le
6 avril 2017 dans l’affaire A. P., Garçon et Nicot c. France (requêtes n° 79885/12, 52471/13
et 52596/13), la Cour européenne des droits de l’homme estime que le fait de conditionner
la reconnaissance de l’identité sexuelle des personnes transgenres à la réalisation d’une
opération ou d’un traitement stérilisant qu’elles ne souhaitent pas subir, revenait à
conditionner le plein exercice du droit au respect de la vie privée à la renonciation au plein
exercice du droit au respect de l’intégrité physique. La Cour juge dès lors que la condition
d’irréversibilité de la transformation de l’apparence s’analyse en un manquement par l’État
défendeur à son obligation positive de garantir le droit au respect de la vie privée prévu à
l’article 8 de la Convention.
61. Section 2 bis du chapitre II du titre II du livre I du Code civil.
62. Les articles 3 à 5 du décret n° 2017-450 du 20 mars 2017 (préc.) en constituent
l’exemple le plus récent.

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II – LA DIFFICILE PRÉSERVATION
DE LA DIMENSION MÉMORIELLE DE L’ÉTAT CIVIL

43. Depuis plus de deux siècles, l’état civil fixe et assure la mémoire des événe-
ments liés à l’état de la personne. Par et à travers les actes qu’il instrumente, il rem-
plit un rôle fondamental à la fois d’ordre probatoire et publicitaire des principaux
faits et actes juridiques qui ponctuent la vie humaine, notamment la naissance, le
mariage et la mort. Cette fonction première est la raison d’être de ce service public
rendu à la personne et l’évolution des rapports que cette dernière entretient avec
l’état civil par la libre détermination de certains éléments de son identité (même si
elle aboutit, comme on l’a vu, à faire de l’état civil le siège juridique de l’identité
sociale) ne saurait devoir remettre en question cette mission mémorielle.
Cependant, on ne peut nier – et nombreux font ce même constat63 –, combien
l’État s’est désengagé64 de l’institution au gré des réformes. Les innovations dans
le sens de la simplification, la désolennisation progressive des actes de l’état civil
et la dispersion d’outils d’identification concurrents (carte d’identité, livret de
famille, etc.) ont fragilisé l’état civil (A) et rendent nécessaire sa refondation (B).

A. Un état civil fragilisé


44. L’adaptation de l’état civil aux impératifs de simplification et demandes
d’exhaustivité des informations qu’il saisit est un processus ancien sur lequel nous
ne reviendrons pas65. Les réformes ont été ponctuelles mais se sont accélérées
durant la dernière décennie à la mesure des progrès technologiques, jetant parfois
le doute sur la force probante et le rôle probatoire des actes de l’état civil. La loi
du 18 novembre 2016 en est la plus récente illustration.
45. La multiplication des mentions en marge. Compléments nécessaires des
informations saisies dans le corps de l’acte d’état civil, les mentions en marge
donnent une image exacte et actualisée de l’état d’une personne, recensant les
changements qui l’affectent.
Ces dernières années, on a pu constater combien les impératifs de sécurité
juridique ont conduit à une plus forte demande d’exhaustivité de l’acte d’état
civil. La démarche est d’ailleurs louable et utile aux praticiens pour assurer la
validité des actes qu’ils instrumentent. Il avait ainsi été proposé, lors du Congrès
des notaires de France que Jacques Combret présidait en 200666, que le mandat
63. V. not. la riche étude de B M., « Le rôle de l’état civil », in N C. (dir.),
L’État civil dans tous ses états, op. cit., p. 23.
64. Ibid.
65. On peut néanmoins citer à titre d’exemple la possibilité pour le maire de déléguer ses
pouvoirs d’officier d’état civil à un membre du conseil municipal ou à un agent communal ou
encore la suppression de l’obligation d’apposer les mentions marginales sur le double original.
66. ACNF, Les personnes vulnérables. 102e Congrès des notaires de France, Strasbourg,
21-24 mai 2006, 2006, LexisNexis, compte rendu, travaux des commissions, 3e commission,
2e proposition, p. 129 et s. (proposition adoptée à une large majorité).

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30 L’ÉTAT CIVIL À L’ÉPREUVE D’UNE IDENTITÉ SOCIALE

de protection future soit, à sa prise d’effet, l’objet d’une mesure de publicité au


répertoire civil et que mention de cette inscription soit portée en marge de l’acte
de naissance de la personne concernée. La requête a depuis été renouvelée67.
46. Si l’on ne saurait remettre en question l’utilité des mentions marginales,
tant elles assurent la fiabilité de l’acte qu’elles complètent, on peut toutefois
regretter leur nombre excessif et, pour certaines, leur degré de précision, lesquelles
même si elles adoptent un style concis, alourdissent l’acte68. Il en est ainsi de l’acte
de naissance où les mentions marginales, d’ailleurs listées de manière exhaustive
et schématique par une circulaire du 6 avril 201269, sont au nombre de 38 et se
déclinent ensuite selon le fait ou l’acte juridique qu’il s’agit de constater.
47. La suppression progressive du double original. – Curieusement, s’il est
exigé des mentions marginales d’être les plus précises possibles, les formalités
d’établissement des actes d’état civil sont dans le même temps assouplies, notam-
ment par la suppression progressive de la formalité du double original. Cette
évolution n’est certes pas récente, le mouvement de simplification et d’accéléra-
tion des conditions de tenue des actes ayant été largement engagé lorsque la loi
du 13 janvier 1989 supprima l’obligation d’apposer les mentions marginales sur
le double des registres d’état civil conservé au greffe des TGI.
Aujourd’hui, l’ère du numérique remet en cause un peu plus l’utilité du double
original, amené bientôt à disparaître. Dans un objectif de modernisation de l’état
civil, la loi du 18 novembre 2016 dispense en effet les officiers de l’état civil de sa
tenue dès lors que sera mise en œuvre la nouvelle procédure de traitement auto-
matisé des données de l’état civil70.
48. La promotion du livret de famille. – Cette remise en cause du double
original n’est pas sans conséquence sur l’institution de l’état civil, comme l’est
également une autre disposition de la loi du 18 novembre 2016 selon laquelle le
livret de famille assurera désormais la publicité des actes de l’état civil au même
titre que la délivrance par les officiers de l’état civil des copies intégrales ou des
extraits d’actes de l’état civil71.
La mesure peut surprendre. Même si le livret de famille, « sorte de casier civil
portatif »72, revêt pour les particuliers une valeur symbolique73 et se révèle dans la

67. Conseil supérieur du notariat, Livre blanc des simplifications du droit, 2014, proposition
n° 28. En revanche, la proposition d’inscrire dans un registre spécial les mandats conclus
n’ayant pas encore pris effet, a été retenue (C. civ., art. 477-1).
68. Il en est ainsi, par exemple, de la mention en marge relative à l’enregistrement d’un pacs.
69. Circulaire du 6 avril 2012 présentant les tableaux récapitulatifs des formules de
mentions apposées en marge des actes de l’état civil, BOMJL, 30 avril 2012, n° 2012-04
– JUSC1204252C.
70. Article 51 de la loi, modifiant l’article 40 du Code civil.
71. Article 53 de la loi, créant l’article 101-2 du Code civil.
72. P A., « Sur quelques aspects de l’évolution du droit des actes de l’état civil »,
in Mélanges offerts à René Savatier, 1965, Dalloz, p. 779.
73. N C. , « L’état civil, une notion incomprise », in N C. (dir.), L’État
civil dans tous ses états, op. cit., p. 10.

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pratique courante d’une utilité appréciable lorsqu’il s’agit, notamment face aux
administrations et praticiens, de faire la preuve de l’état familial d’une personne,
son régime probatoire ne saurait être aligné sur celui des copies intégrales et
extraits. En effet, c’est oublier que le soin de la mise à jour du livret de famille
incombe uniquement à son détenteur que l’on peut légitimement présumer
moins diligent qu’un officier public74.
49. Un élargissement des pouvoirs de l’officier de l’état civil. – Enfin, on
constate un élargissement des fonctions premières de l’officier d’état civil. Certains
pourraient y voir un détournement ou une cause d’engorgement de l’institution75 ;
d’autres, en revanche, y verront l’expression opportune d’une mesure de simplifica-
tion ou, plus largement, d’une promotion de la valeur et de l’efficacité du service
rendu. Il est en effet très probable que les dispositions consistant à transférer à l’offi-
cier d’état civil l’appréciation de l’intérêt légitime à changer de prénom ou encore,
à compter du 1er novembre 2017, à enregistrer la déclaration conjointe de pacte civil
de solidarité en lieu et place du greffe du tribunal d’instance, soient bien accueillies
par les usagers. Cependant, au-delà du fait que les différences entre le mariage et le
pacs s’amenuisent, la mesure instaurée par la loi du 18 novembre 2016 attribue
finalement à l’officier d’état civil une fonction symbolique76 détachée de son rôle
premier, ce que l’on peut malgré tout regretter. Recevoir des déclarations et leur
conférer un caractère authentique, en les rédigeant en la forme d’actes déterminés
par la loi, sont ses missions essentielles. Or aucun acte d’état civil (« acte de pacte
civil de solidarité »), support de la déclaration des comparants77, ne sera ici établi78
et son rôle ne se limitera plus seulement à assurer la publicité de la convention mais
aussi à en déclencher la prise d’effet par son visa.

74. C’était la raison pour laquelle le décret du 26 septembre 1953 (article 3) limitait les
hypothèses dans lesquelles la production du livret de famille tenait lieu de celles d’extraits des
actes qui y sont portés : P A., « Sur quelques aspects de l’évolution du droit des actes
de l’état civil », op. cit. Le décret du 29 mars 2017 précité pose à ce sujet des difficultés
supplémentaires en cas de modification de la mention du sexe à l’état civil. L’article 5 qui
rétablit un article 16-1 dans le décret du 15 mai 1974, ne semble en effet prévoir la délivrance
d’un nouveau livret de famille qu’à la demande des époux ou d’un des parents, et uniquement
dans les seuls cas où une modification des prénoms de l’intéressé est ordonnée ; ce qui est très
restrictif. Or, dans le livret de famille, les extraits d’actes de naissance des enfants portent
mention du sexe. Peut-on imaginer que demeurent en circulation des livrets de famille portant
mention d’un sexe qui n’est plus celui de la personne qu‘il concerne, l’enfant ne disposant pas
d'autre livret de famille que celui de ses parents, à défaut de vie en couple ou de maternité ?
75. Saisine du Conseil constitutionnel, Assemblée nationale, sur la loi de modernisation
de la justice du e siècle, p. 4 et s.
76. Faisant référence à la célébration du mariage. Nombre de mairies acceptent d’ailleurs
sur le modèle des baptêmes civils, d’organiser des cérémonies de pacs.
77. Ce qui est par exemple le cas pour la déclaration conjointe du choix du nom de
l’enfant reçue par l’officier d’état civil du lieu de naissance, dont l’existence est mentionnée en
marge de l’acte de naissance.
78. Solution qui se situe dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel
n° 99-419 du 9 novembre 1999 (JO, 16 nov. 1999, p. 16962) : « La conclusion d’un pacte
civil de solidarité ne donne pas lieu à l’établissement d’un acte d’état civil, l’état civil des
personnes qui le concluent ne subissant aucune modification ».

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32 L’ÉTAT CIVIL À L’ÉPREUVE D’UNE IDENTITÉ SOCIALE

B. Pour une nécessaire refondation de l’état civil

50. Au travers des illustrations qui viennent d’être données, on constate que le
législateur assigne, au fur et à mesure des textes – sans qu’il y ait malheureuse-
ment de cohérence à l’ensemble –, une fonction symbolique à l’état civil, soit
directement (notamment pour l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ou
encore l’enregistrement du pacs), soit indirectement en permettant à l’individu
d’en faire l’instrument et le miroir de son identité sociale. C’est finalement beau-
coup exiger d’une institution conçue à l’origine comme un outil d’identification
et de contrôle. Devant ce bilan, quelles propositions raisonnables peut-on faire ?
Il semble que l’effort pourrait se manifester dans deux directions.
51. Pour un état civil et un répertoire civil rénovés. – La première proposi-
tion n’est pas inédite. Le souhait a depuis longtemps été émis (notamment par le
Congrès des notaires de France en 2006 que présidait Jacques Combret79) d’une
transformation du régime de la publicité de l’état de la personne par la rénovation
du répertoire civil ou, plus largement, par l’institution d’un « casier civil »80, ana-
logue au casier judiciaire, où seraient concentrées en un support unique toutes les
indications relatives à l’état ainsi qu’à la capacité de la personne.
Même si la généralisation des mentions en marge peut faire douter de l’utilité
d’une telle proposition (et explique finalement qu’elle n’ait jamais été concréti-
sée81), il n’empêche que les renseignements relatifs à l’état civil de la personne
restent inscrits dans des répertoires (dont le répertoire civil) et documents paral-
lèles multiples qui ajoutent à l’effet de dispersion.
On pourrait également envisager que la concentration des informations dans
un registre unique n’interdise pas que leur diffusion, notamment aux tiers, soit
différenciée selon leur nature et leur portée82.
52. Pour la création d’un « acte mémoriel ». – Au détour de la reconnais-
sance juridique d’une conversion sexuelle, l’analyse de la Cour européenne des
droits de l’homme pour remettre en cause le système d’enregistrement des nais-
sances du Royaume-Uni mérite attention. Dans l’affaire Ch. Goodwin c. Royaume-
Uni, la Cour ne remet pas en cause l’importance que l’on peut accorder à la
nature historique d’un système d’enregistrement des naissances. Mais la fragilité
du système britannique, qu’elle condamne sur le fondement d’un juste équilibre
rompu entre la reconnaissance du droit d’une transsexuelle à sa vie privée et la

79. ACNF, Les personnes vulnérables. 102e Congrès des notaires de France, op. cit.,
spéc. p. 366, n° 2228.
80. S R. et J., Traité pratique de droit civil français par M. Planiol et G. Ripert, t. I,
1952, LGDJ, n° 176 ; B-L G. et H-F M., Traité théorique
et pratique de droit civil. t. 1. Des personnes, 1902, Librairie de la société du recueil gal des lois
et des arrêts, n° 792 ; G R., La publicité de l’état des personnes : éléments d’une
organisation rationnelle, thèse, 1943, Lyon.
81. De L, Travaux de la Commission de réforme du Code civil, 1951-1952,
p. 32-35.
82. ACNF, Les personnes vulnérables. 102e Congrès des notaires de France (…), op. cit.

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marge d’appréciation laissée aux États contractants, repose sur les exceptions que
connaît ce caractère historique et sur les propositions du gouvernement britan-
nique pour permettre la modification des données relatives à l’état civil.
53. L’équilibre recherché entre le droit pour chacun d’établir les détails de
son identité d’être humain, en obtenant la pleine reconnaissance juridique
d’une nouvelle identité sexuée, et l’intérêt public de la nature historique d’un
système d’enregistrement des naissances ne peut donc pas être réalisé par un
système qui associe à l’enregistrement des naissances, l’identité sociale des per-
sonnes sous tous ses aspects.
54. Les modifications qui peuvent être apportées à l’acte de naissance traduisent
ce souci d’une prise en compte de l’identité sociale, cependant qu’une aspiration
nouvelle se fait jour pour reconnaître un droit d’accès à ses origines. Reconnu par la
Convention internationale des droits de l’enfant, sa revendication, concrétisée en
droit interne par la loi du 22 janvier 2002 créant le Conseil national pour l’accès
aux origines personnelles, se trouve aujourd’hui relayée dans quelques instances
auxquelles les réponses apportées témoignent d’un réel embarras.
55. La Cour de cassation a ainsi eu à connaître d’une action tendant à la
reconnaissance d’une ascendance génétique par voie d’expertise83. Pour déclarer
l’action irrecevable et casser sans renvoi l’arrêt attaqué, la Cour relève d’office la
fin de non-recevoir tirée de l’absence de mise en cause des ayants droit du défunt
dont l’exhumation était demandée aux fins d’expertise génétique. Une doctrine
avisée y a vu la reconnaissance d’une action étrangère au droit de la filiation84 – la
fin de non-recevoir, alors que le décès datait de près de soixante ans –, n’ayant
pour objet que de ne pas donner suite à cette revendication que l’article 8 de la
Convention européenne, invoqué au moyen et repris au visa de la cassation, ne
permettait pas d’éluder.
C’est encore un moyen pris de la violation de l’article 8 de la Convention qui
a contraint la Cour de cassation à une appréciation in concreto de l’absence d’at-
teinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, au regard
du but légitime poursuivi par la fixation du délai de prescription de l’action en
recherche de paternité85. Ce qui l’a conduit à approuver qu’en remettant en cause
une situation stable depuis cinquante ans, l’action engagée porte atteinte à la
sécurité juridique et à la stabilité des relations familiales.
56. C’est enfin sur le fondement de ce même article 8 que le Conseil d’État86
a rejeté le pourvoi par lequel il lui était demandé de se prononcer sur la levée de
l’anonymat d’un donneur de gamètes. Le Conseil retient que cette règle de l’ano-
nymat « n’implique par elle-même aucune atteinte à la vie privée et familiale de la
personne ainsi conçue, d’autant qu’il appartient aux seuls parents de décider de
lever ou non le secret sur sa conception », ce que le droit d’accès aux origines
83. Cass. 1re civ., 13 nov. 2014, n° 13-21018.
84. F H., sous Cass. 1re civ., 13 nov. 2014, D. 2015, 1070.
85. Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-25068.
86. CE, 12 nov. 2015, n° 372121.

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34 L’ÉTAT CIVIL À L’ÉPREUVE D’UNE IDENTITÉ SOCIALE

pourrait contredire, rappelant que le législateur s’est fondé, notamment, sur la


« sauvegarde de l’équilibre des familles et le risque majeur de remettre en cause le
caractère social et affectif de la filiation ».
57. Certes, la dimension sociale de la filiation ne doit pas être négligée, mais
on comprend mal que la vérité biologique puisse venir semer le trouble dans cer-
taines filiations cependant que d’autres, à bien des égards moins naturelles,
demeureraient à l’abri de ce désordre. Il apparaît ainsi que l’intrusion de la vérité
biologique dans le droit de la filiation est une vérité qui dérange87, car elle se situe
aux confins des actions en recherche de paternité, là où celles-ci peuvent être
engagées, et d’actions innommées concourant à l’accès aux origines. Au demeu-
rant, la balance des intérêts en présence ne sert pas toujours la cause de la sécurité
juridique et de la paix des familles. La Cour européenne des droits de l’homme a
admis que « l’intérêt que peut avoir un individu à connaître son ascendance ne
cesse nullement avec l’âge, bien au contraire »88, même si cet intérêt varie en fonc-
tion du degré de proximité des ascendants89.
58. Ne faudrait-il pas alors débarrasser l’état civil de cette vérité biologique et
offrir à celle-ci un champ distinct qui reconnaisse à chacun un droit d’accès à ses
origines, sans qu’il puisse y être attaché aucune conséquence juridique ? L’état
civil retrouverait sa véritable vocation de support d’une identité sociale et juri-
dique. Source du droit de la filiation et de la famille, instrument du droit des
successions, référence des droits et devoirs sociaux, l’état civil, par la publicité qui
doit lui être donnée, constituerait une réponse appropriée à un besoin d’identité
partagé entre l’individu et la société.
59. Parce que l’accès aux origines est également un devoir de la société à l’égard
des citoyens, il donnerait lieu, lors de la naissance, à la rédaction d’un acte distinct
de l’acte de naissance, identifiant la mère qui a accouché et complété par les indi-
cations que celle-ci voudra bien donner quant à l’identité du géniteur.
Insensible aux fluctuations du nom, du prénom ou du sexe, cet acte ne pour-
rait être modifié par voie de justice qu’à l’initiative de l’enfant devenu majeur ou
de celui qui prétendrait en être le géniteur, pour y voir porter, sur le fondement
d’une vérité biologique, le nom de celui-ci.
60. En présence d’une reconnaissance ante natale non corroborée par les
indications données par la mère, cette reconnaissance serait portée en marge de
l’acte et justifierait que soit engagée une action, à l’initiative du ministère
public, pour identifier le père de l’enfant sur le fondement d’une vérité biolo-
gique. Cette partition des actes pourrait également offrir une autre approche de
l’assistance médicale à la procréation en permettant d’identifier, lorsque la loi le
permet, le ou les géniteurs.

87. S J.-D. et B C., « Filiation et famille : une vérité qui dérange »,
Dalloz Actualité 2009, n° 43, p. 2876.
88. CEDH, 13 juill. 2006, n° 58757/00, § 40, Jäggi c/ Suisse.
89. CEDH, 5 mai 2009, n° 21046/07, Menendez Garcia c/ Espagne.

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JEANDOMINIQUE SARCELET, NATHALIE BAILLONWIRTZ 35

61. Seul l’enfant qu’il concerne et ses géniteurs pourraient avoir accès à cet
acte, dont le seul objectif serait mémoriel, aucune action de nature patrimoniale
ne pouvant y être attachée, cet acte ne pouvant en aucun cas constituer un élé-
ment de preuve dans une quelconque instance judiciaire. On comprendrait dès
lors mieux les diverses adaptations sollicitées pour rendre l’état civil plus vivant et
plus apte à satisfaire aux contingences de la vie en société.

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Le notaire et le majeur,
une mise à jour des années 2015 et 2016
Florence F
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris

« Le jour tire son éclat du soleil,


nous tirons le nôtre des gens qui nous protègent »
Chevalier de Méré, Nouvelles Maximes,
Sentences et Réflexions, 1702

La vision d’un notaire poussiéreux, rond de cuir et antipathique telle qu’on la


trouve décrite dans la Comédie humaine n’est plus d’actualité1. Le notaire est un
homme moderne, ancré dans la société, à son écoute, voyant son évolution, et
l’accompagnant.
Nous en donnerons pour preuve l’introduction du 102e Congrès des notaires
de France qui a été rédigée par notre ami, Jacques Combret sur les majeurs vulné-
rables2. Oh ! Il n’y a pas de grandes phrases, il y a simplement beaucoup de vécu,
un sens puissant de l’autre, et un esprit de synthèse exceptionnel.
Ce 102e Congrès, préparé pendant deux ans, s’est tenu à Strasbourg du 21 au
24 mai 20063. Il a réuni la moitié des notaires de France, conscients que se jouait
là un futur de notre société.
Ne pas saluer ce travail considérable qui a permis l’année suivante la floraison
de la loi du 5 mars 20074 sur la protection des majeurs serait se comporter comme
un homme sans foi ni loi.

1. « Le notaire offre l’étrange phénomène des trois incarnations de l’insecte ; mis au


rebours : il a commencé par être brillant papillon, il finit par être une larve enveloppée de son
suaire et qui, par malheur, a de la mémoire. Cette horrible transformation d’un clair joyeux,
gabeur, rusé, fin, spirituel, goguenard en notaire, la Société l’accomplit lentement ; mais, bon
gré, mal gré, elle fait le notaire ce qu’il est », B, Le notaire, 1840.
2. La notion de vulnérabilité est bien décrite dans la thèse de Mme Clémence Lacour :
Vieillesse et vulnérabilité, 2007, PUF d’Aix-Marseille.
3. ACNF, Les personnes vulnérables. 102e Congrès des notaires de France (…), op. cit.
4. Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 a été modifiée à plusieurs reprises : par la loi du
16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans
les domaines de la justice et des affaires intérieures avec l’ordonnance n° 2015-188 du 15 octobre
2015, par la loi n° 2015 1776 du 28 décembre 2015 sur la loi relative à l’adaptation de la société
au vieillissement. Enfin encore par l’ordonnance du 16 février 2016 sur l’habilitation familiale.
Nous n’évoquerons pas d’autres textes, car ce sont des textes spéciaux. À titre d’exemple, nous

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38 LE NOTAIRE ET LE MAJEUR, UNE MISE À JOUR DES ANNÉES 2015 ET 2016

Tout y a été écrit, tout y a été dit en ces quelques phrases : « Les notaires res-
sentent ainsi fortement les évolutions de notre société, les besoins nouveaux et les
domaines sur lesquels il convient de porter une attention particulière. Ne pas
laisser fragiliser la protection des plus faibles d’entre nous… ».
Monsieur Jacques Combret a été le président de ce magnifique congrès et son
rapporteur général était Philippe Potentier, docteur en droit. À eux deux, le tra-
vail accompli avec leurs équipes soudées a permis la modification de 5 % du Code
civil, soit plus de cent articles.
Je ne dirai jamais assez ma gratitude pour ce pharaonique travail effectué dans
la simplicité et l’humilité. Mais ce congrès est comme un jour de mariage. Il n’est
que le premier jour. Dix ans plus tard, nous pouvons admirer les conséquences de
ce congrès sur la législation actuelle5. L’œuvre du notaire, quand on l’examine
dans son étude, est double en face de son client : en premier lieu, avec patience,
il l’écoute (I) ensuite et, avec tact, il le conseille au vu de l’actualité (II).
C’est donc à partir de cette double activité que sera fait ici le bilan de dix années
en se focalisant sur l’actualité, c’est-à-dire sur les années 2015 et surtout 2016,
fécondes en nouveautés6, au service des majeurs vulnérables qui sont ensuite
protégés.

I – L’ÉCOUTE

Le notaire cherche dans un premier temps à connaître pour qui on vient, il


s’agit donc de la qualité du majeur vulnérable (A), puis dans un second temps
comment atteindre le but recherché (B).
Dans cet art où le notaire entend en restant silencieux parfois pendant plus
d’une heure, c’est là que s’exerce ce lien de confiance, temps nécessaire à la confi-
dence, soutenu par son secret.
Celui-ci est d’importance. Comme celui de l’avocat7, il est général, absolu,
illimité et d’ordre public, avec les exceptions nécessaires. Son client ne peut
pas l’en relever. Cette force particulière est au centre de la liberté et permet
l’épanchement du cœur. De ce long entretien qui commence toujours par un
monologue, le notaire tire des éléments qui permettent de créer, de construire
une stratégie.

rappellerons simplement la loi du 17 décembre 2008 sur l’assurance-vie qui a modifié la loi
indiquée alors qu’elle ne serait mise en application qu’au 1er janvier 2009. Ceci simplement pour
illustrer l’importance de cette matière qu’est le droit des majeurs vulnérables et protégés.
5. Les personnes vulnérables dans la jurisprudence de la Cour de cassation, rapport 2009
de la Cour de cassation, La Documentation française.
6. Par C J. et B-W N., « Qu’apporte la loi du 16 février 2015 au
droit des personnes et de la famille », JCP N 2015, 20 févr. 2015, n° 8-9, p. 5.
7. K J.-C., « La Carpa et la protection du secret professionnel en matière
juridique », D. 2016, Point de vue, p. 2006.

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FLORENCE FRESNEL 39

A. La qualité du majeur

Le client peut venir ou pour lui-même, ou pour son conjoint, ou pour un


enfant mineur, ou pour tout autre tiers, parent ou ami.

1. Pour lui-même
Cette démarche peut avoir une double entrée : ou prévoir qu’un jour on
mesure qu’on ne pourra plus être suffisamment alerte psychologiquement pour se
prendre en charge, ou en prendre déjà conscience et demander sur-le-champ une
mesure de protection.
Dans le premier cas, le notaire saura expliquer l’intérêt du mandat de protec-
tion future8 qui sera bientôt inscrit à un fichier9 et qui, sur le principe de la sub-
sidiarité, empêche une mesure de protection10. S’inscrivant aussi dans le cadre de
la réforme du droit des contrats par application du nouvel article 1153 du Code
civil, « ce mandat s’inscrit au rang du droit spécial »11.
Cette solution est la preuve de l’application du principe de la volonté de son
client. Certes, elle ne place pas le mandant, quand le mandat est exécuté, sous
mesure de protection12, mais seul le juge peut modifier la charge du mandataire
quand le contrat est exécuté13. Le notaire alors en rappelle le contenu, c’est-à-dire
les conditions, puis l’exécution et en dernier lieu la fin.
Il arrive en revanche que le client demande, ayant pris conscience qu’il a com-
mis des erreurs et qu’il va en commettre d’autres, à vouloir se mettre à l’abri de
lui-même en demandant à bénéficier d’une mesure de protection. En effet, le
client a conscience que le mandat de protection future, en le laissant juridique-
ment capable, ne l’empêchera pas d’accomplir des actes qui pourraient nuire à ses
intérêts. Le notaire lui explique les différences entre tutelle et curatelle14, et lui
indique que la procédure devant le tribunal d’instance du lieu de sa résidence, et
non de son domicile, se fait sans procédure obligatoire d’avocat.

8. Au 14 janvier 2015, 2 753 mandats ont été mis en œuvre (SDSE/RGC-DACS-Pôle


évaluation de la justice civile).
9. Dans l’attente du décret (article 477-1 du Code civil).
10. CA Douai, 31 mars 2016, n° 15/02307.
11. P N., « Les implications de la réforme du droit des obligations en droit des
personnes protégées », Dr. famille, nov. 2016, p. 533.
12. Circulaire de la Chancellerie du 9 février 2009, DACS CIV/01/09/C1 : « En effet le
mandat de protection future ne constitue pas un régime d’incapacité ; même après la mise en œuvre
du mandat, le mandant ne perd pas sa capacité (sauf pour révoquer le mandat, ce qu’il ne peut plus
faire lui-même). Il peut continuer à agir dans tous les actes de la vie civile, et notamment continuer à
passer des actes graves sur son patrimoine. Le mandat de protection future comme toute procuration,
met en présence deux personnes en mesure et en capacité d’agir sur le même périmètre patrimonial ».
13. C. civ., art. 480.
14. Les chiffres de 2015 indiquent : 76 809 mesures prononcées (+ 1,15 %) dont
41 975 tutelles (55 %), 33 316 curatelles (43 %) et 1 518 sauvegardes de justice (2 %), AJ fam.,
nov. 2016, p. 511 ; les mesures sont gérées par la famille à 46 %.

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40 LE NOTAIRE ET LE MAJEUR, UNE MISE À JOUR DES ANNÉES 2015 ET 2016

L’avocat n’est donc pas nécessaire, mais s’il pense qu’il peut exister un conflit,
qui est différent du conflit d’intérêts15, sur le choix du protecteur qu’il veut voir
choisi, le notaire saura lui indiquer que l’avocat16 peut lui être utile, et même
parfois nécessaire17.

2. Pour son conjoint


Le client peut aussi s’interroger pour son conjoint, parfois plus âgé que lui.
Cette problématique devient sage dans le cadre d’un remariage avec des enfants
d’un autre lit.
Le notaire saura ici recommander par l’application des règles du mariage l’uti-
lisation de l’article 219 du Code civil qui permet la représentation judiciaire entre
époux, au regard aussi du nouvel article 1159, alinéa 1 du Code civil.
Cette technique juridique conseillée a donc pour conséquence maintenant
depuis le 1er octobre 2016 de transformer la représentation judiciaire entre époux
en une mesure restrictive des pouvoirs du conjoint. Elle a donc pour conséquence,
par application du principe de subsidiarité, d’éviter une mesure de protection et
d’empêcher ainsi les enfants (souvent d’un autre lit) d’avoir accès, à un moment
ou à un autre de la procédure, aux informations qu’ils souhaitent – qui sont le
plus souvent d’ordre patrimonial –, l’objectif aussi inavouable que certain étant
de s’assurer de la connaissance du montant et de l’existence des éléments consti-
tuant le futur héritage.

3. Pour un enfant mineur ou majeur handicapé


Des parents qui ont un enfant mineur lourdement handicapé prennent par-
fois avec effroi conscience qu’il sera bientôt majeur ou que déjà majeur et prenant
soin de lui, ils savent qu’ils ne sont pas éternels ; le mandat de protection future
de l’article 477, alinéa 3 s’impose ici.

4. Pour un tiers
C’est souvent la démarche la plus classique, le tiers peut être un parent ou un
ami âgé18, un frère ou une sœur, un enfant majeur. Ce sont là les cas les plus sou-
vent rencontrés, mais ce peut-être aussi un beau-parent, âgé aussi, ou un oncle ou
15. M-B J., « Le conflit d’intérêts », D. 2011, n° 16, p. 100.
16. Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 15-11002 QPC en se fondant sur le principe
d’autonomie de la personne ; Cass. 1re civ., 27 janv. 2016 en se fondant sur l’information à
pouvoir demander à être assisté d’un avocat.
17. Cf. le rapport du Défenseur des droits de septembre 2016 préconisant de rendre la
présence obligatoire de l’avocat quand il y a une difficulté, UCL.
18. Dans son rapport au président de la République, sur la loi sur l’adaptation de la
société au vieillissement n° 2015–1776 du 28 décembre 2015 sont donnés les chiffres suivants :

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FLORENCE FRESNEL 41

une tante, un parrain ou une marraine ou tout autre personne avec laquelle le
client entretient des liens constants et stables.
Le notaire écoutera comme d’habitude attentivement son client pour saisir
l’environnement du tiers, ses enjeux patrimoniaux et les conflits éventuels.

B. Les différentes techniques juridiques pour atteindre le but recherché


Dans l’hypothèse idyllique d’une harmonie familiale, l’habilitation familiale
s’impose (a), dans autres cas la mesure de protection (b).

1. L’habilitation familiale19
Applicable depuis le 1er janvier 2016, elle est inscrite dans le Code civil aux
articles 494-1 à 494-1220 et dans le Code de procédure civile aux articles 1260-1
à 1260-12. Tous les membres de la famille, en ce compris le conjoint, peuvent
être requérants, mais pas les neveux ni les nièces. Elle se fait sous le contrôle du
juge des tutelles ; c’est donc un mandat judiciaire familial21 pour une personne
vulnérable reconnue comme telle. La procédure est calquée sur celle de la mise
sous protection classique : saisine du parquet par un membre de la famille, requête
avec certificat médical circonstancié, audition du majeur sauf contre-indication
médicale indiquée dans le certificat médical circonstancié du médecin inscrit de
l’article 431 du Code civil, du requérant et de la personne qui sera habilitée, des
membres de la famille qui n’ont pas d’opposition légitime ni à l’habilitation ni au
choix de la personne habilitée (article 494-4 du Code civil, avis du Parquet). On
observera que plusieurs personnes peuvent être choisies ensemble comme per-
sonne habilitée.
L’habilitation peut être soit simple soit générale.
Dans le premier cas, la personne habilitée peut accomplir seule les actes d’ad-
ministration listés et, avec l’autorisation du juge des tutelles, les actes de disposi-
tion. Aussi, la personne conserve pour les autres droits que ceux attribués à la
personne habilitée, qu’ils soient d’administration ou de disposition22, sa capacité
juridique, et les accomplit seule.

15 000 000 personnes ont actuellement plus de 60 ans, elles seront 18 900 000 en 2025 et
près de 24 000 000 en 2060 (Insee). Actuellement 1 400 000 personnes ont plus de 85 ans,
elles seront 4 800 000 en 2050.
19. Le texte définitif résulte de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016. N D.,
« Les pouvoirs de la personne habilitée sur les biens du majeur protégé et les sanctions
applicables », LPA, 25 nov. 2016, n° 236, p. 7 et s.).
20. Et aux articles 1260-1 à 1260-12 du Code de procédure civile pour cette procédure
particulière.
21. N D., « Les conditions de mise en œuvre de l’habilitation familiale »,
D. 2016, n° 26, p. 1510.
22. Telle que la classification résulte du décret 2008-1484 du 22 décembre 2008.

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42 LE NOTAIRE ET LE MAJEUR, UNE MISE À JOUR DES ANNÉES 2015 ET 2016

Dans le second cas, l’habilitation porte sur l’ensemble des actes ou sur une
catégorie d’actes (d’administration ou de disposition). Si elle est totale, la per-
sonne placée sous le système de l’habilitation se trouve sans droit d’exercice ; en
revanche dans les autres cas, elle garde l’exercice de ses droits sur ceux qui ne sont
pas confiés à la personne habilitée.
En conséquence, la plus grande prudence s’impose dans le cadre de l’habilita-
tion et le notaire veillera, s’il doit recevoir un acte, à demander là aussi une copie
certifiée conforme de la décision rendue par le juge des tutelles, s’il a connaissance
que la personne bénéficie d’une habilitation.
La mesure ne peut être prononcée pour plus de dix ans. La publicité de la
mesure est faite ici comme pour la mesure de protection classique (curatelle et
tutelle).
Enfin l’habilitation familiale peut aussi porter sur les actes relatifs à la per-
sonne à protéger. Dans cette hypothèse, la personne habilitée devra appliquer les
articles 457-1 à 459-2 du Code civil, étant fait ici observer qu’une réforme est en
cours qui a pour objet d’harmoniser le Code civil et le Code de la santé publique
sur les droits des majeurs protégés et vulnérables.
L’habilitation familiale est donc ici classée comme une mesure plus invali-
dante, mais pas incapacitante comme la tutelle ou la curatelle. La personne habi-
litée est toujours un membre de la famille, qui exerce sa mission à titre gratuit.

2. Les autres mesures de protection, ou comment obtenir


du juge une décision : le certificat médical circonstancié,
la pièce préalable nécessaire
Connues, la tutelle et la curatelle ne seront pas évoquées ; en revanche ici,
mais l’obtention d’une décision a un nécessaire préalable, c’est-à-dire l’accès au
juge des tutelles via une requête à laquelle à « peine d’irrecevabilité est joint un
certificat médical circonstancié rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par
le procureur de la République » (article 431 du Code civil).
Dans l’hypothèse où le majeur vulnérable accepte d’être examiné, il n’y a
aucune difficulté, mais celle-ci est rare ; aussi le sésame est donc le certificat médi-
cal circonstancié, objet de toutes les convoitises et souvent de difficultés pour
l’obtenir.
À défaut de cette pièce, le seul moyen est de faire un signalement. Cette pro-
cédure particulière permet à tout tiers23 de saisir le Procureur de la République de
la résidence du majeur à protéger afin de l’informer de l’utilité qu’il pourrait y
avoir à ce que dernier bénéficie d’une mesure de protection.

23. Avec l’obligation maintenant pour le médecin d’un établissement social ou médico-
social de faire une déclaration de sauvegarde de justice au Procureur de la République (CSP,
art. L. 3211-6).

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FLORENCE FRESNEL 43

Cette procédure particulière répond aux nouvelles exigences de la Cour euro-


péenne des droits de l’homme qui a fustigé des pays, car ces derniers dans leur
législation permettaient aux magistrats d’être juge de la saisine du dossier, puis de
l’instruction du dossier, puis de la décision rendue, et pour certains d’entre eux,
également de l’exécution de cette dernière. Cette confusion des rôles nuisait donc
grandement à une répartition des différentes activités de la justice rendue. C’est
pourquoi la nouvelle loi 5 mars 2007 a donné naissance à cette dernière procé-
dure qui est particulière.
La deuxième raison est qu’il est maintenant interdit au juge des tutelles de se
saisir d’office dès lors qu’il recevrait une requête sans certificat médical
circonstancié.
Or le client indiquera au notaire les éléments patents de nature à lui faire
comprendre que le majeur dont on parle a une pathologie avérée, ou a subi un
accident de la vie l’empêchant de prendre lui-même en charge avec lucidité les
actes nécessaires à sa vie. Or la grande difficulté est d’obtenir le certificat médical
circonstancié. Sans lui, la procédure est irrecevable. Il faut donc trouver une autre
solution, mais qui puisse conduire à la même finalité, en rappelant toujours que
cette procédure est gracieuse, c’est-à-dire qu’elle ne se fait pas contre celui qui va
en bénéficier, mais dans son intérêt.
La qualification de « procédure gracieuse » peut paraître curieuse quand on se
trouve devant le juge des tutelles qui reçoit tous les membres d’une même famille,
et que ceux-ci allègrement et sans aucun égard pour le vieux parent présent, objet
de la réunion, se déchirent violemment et sans aucune retenue. Le notaire sait que
l’affaire peut être conflictuelle, et en conseillant son client de faire un signalement
au procureur de la République en argumentant, il permet à ce dernier de ne pas
être l’auteur initial de l’instruction de la mesure.
En effet, le procureur de la République effectue une première analyse du dos-
sier. Il lui arrive donc de classer le dossier sans suite. On ne peut faire appel de ce
classement sans suite. C’est donc uniquement lorsqu’il y a des éléments de nature
à lui faire penser que la mesure de protection peut être un bénéfice pour le majeur
que le Procureur de la République va ordonner à un « médecin choisi sur une
liste » tel que dispose l’article 431 du Code civil d’aller examiner ce dernier.
Le médecin est donc missionné à cet effet par un magistrat.
Différentes hypothèses peuvent alors être envisagées. La première, la plus
simple, est que le majeur accepte de se rendre à la convocation, ou que le médecin
vienne l’examiner chez lui ; le médecin pourra donc ensuite rédiger son certificat
médical circonstancié qui n’est jamais une expertise. Ceci signifie juridiquement
qu’elle n’est donc pas contradictoire, qu’elle n’a donc pas été établie en présence
d’un autre médecin. On ne peut faire appel de cette décision. Mais le médecin
inscrit peut aussi se rapprocher du médecin traitant24.

24. C. civ., art. 431.

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44 LE NOTAIRE ET LE MAJEUR, UNE MISE À JOUR DES ANNÉES 2015 ET 2016

La seconde hypothèse n’est pas rare : c’est le cas où le majeur refuse catégorique-
ment alors qu’il a reçu trois courriers du médecin fixant des rendez-vous différents de
se faire examiner par ce dernier. La jurisprudence récente s’est positionnée puisque
dans cette circonstance particulière, le médecin aura délivré un certificat de carence.
La rédaction de ce certificat est intéressante. En effet, ou le médecin indique
simplement qu’il n’a pu examiner la personne, c’est-à-dire qu’il se trouve sans
aucun élément pour souligner ou non une altération des facultés mentales, ou le
médecin choisi souligne que, dans le certificat de carence, il a pu téléphoner au
médecin référent, ou à d’autres psychiatres, ou à tout autre spécialiste lui fournis-
sant des éléments médicaux pour étoffer son certificat.
Il est donc utile pour le notaire d’interroger son client pour connaître les noms et
adresses des thérapeutes qui gravitent auprès du majeur vulnérable afin que ces infor-
mations soient aussi portées à la connaissance du Parquet dans le signalement.
C’est là la garantie d’éviter un certificat de carence sec qui empêcherait le par-
quet de saisir ensuite le juge des tutelles, afin d’ouvrir l’instruction du dossier qui
ne peut excéder un an, à peine de caducité.
La possession de ce moyen procédural est nécessaire pour donner au client
toute l’étendue de son conseil. C’est pourquoi nous l’avons développé. Il est la
pierre angulaire de la mesure de protection. Actuellement ce moyen est très sou-
vent usité, il est même maintenant recommandé aux directeurs des EHPAD par
la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 ; aussi la rédaction du signalement
demande un soin égal à celui de la requête.
Donc éclairé sur le « comment faire », le client demandera ensuite au notaire
« mais que faire » avec cette mesure de protection en 2016.

II – LES NOUVEAUTÉS EN 2015 ET 2016

La loi du 5 mars 2007, qui fut portée sur les fonts baptismaux par le notariat
grâce à son congrès de 2006 à Strasbourg, se trouve modifiée pour être enrichie
dans son esprit par de nombreux textes depuis deux ans.
Nous pouvons évoquer la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, l’ordonnance
n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 sur
l’adaptation de la société au vieillissement, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016
sur la modernisation du système de santé, la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 sur
les directives anticipées, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 sur la
réforme du droit des contrats applicable au 1er octobre 2016.
Nous avons assisté en 2015 et en 2016 à un foisonnement de textes nouveaux
qui impactent aussi le droit des majeurs protégés. La jurisprudence a pour sa part
donné aussi des réponses importantes qu’il est bon d’avoir à l’esprit.
Le protecteur familial est un néophyte dans cette matière, mais armé de bonne
volonté. Il saura donc classer les demandes du majeur protégé en deux groupes,

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FLORENCE FRESNEL 45

les actes patrimoniaux (A) et les actes extrapatrimoniaux (B) pour remplir sa mis-
sion judiciaire. Là encore, le notaire saura l’éclairer.

A. Les actes patrimoniaux

Le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 reste d’actualité et est donc un


socle sur lequel se reporter à la moindre interrogation, mais ses auteurs n’ont pas
prévu tous les cas de la vie, aussi les tribunaux ont-ils dû se pencher sur des cas
d’espèce dont il est bon de rappeler les essentiels, étant ici précisé que les ques-
tions ne se posent pas en matière de tutelle puisque le tuteur accomplit seul les
actes d’administration et, avec l’accord du juge des tutelles ou du conseil de
famille s’il en a été constitué un, les actes de disposition. Observation étant ici
faite que même sous tutelle, le tutélaire conserve néanmoins une sphère d’auto-
nomie pour les actes strictement personnels (Cass. 1re civ., 2 déc. 2015, n° 25777,
ici en matière de mariage). La problématique est donc circonscrite aux curatelles
où la règle est que les actes d’administration sont accomplis par le curatelaire seul
et les actes de disposition par les deux ensembles ; en cas de conflit l’un des deux
peut demander une autorisation supplétive (article 467 du Code civil). Dans le
cadre d’une curatelle renforcée, cette règle s’applique, sauf les pouvoirs spéciaux
confiés par le juge au curateur.

1. Les actions en justice


Une nouvelle fois, la Cour de cassation rappelle que le curatelaire ne peut agir
sans son curateur dans le cadre d’une action en justice (Cass. 1re civ., 23 sept. 2015,
n° 14-19098) contrairement à la personne placée sous sauvegarde de justice (dès
lors que le mandataire spécial n’a pas reçu ce pouvoir exprès) (Cass. 1re civ.,
10 févr. 2016, n° 15-13019).
Mais il est un cas où cette règle ne s’applique pas : quand le curatelaire est
gérant d’une société civile immobilière (SCI).

2. Le protecteur et le gérant curatelaire d’une société civile


immobilière
La Cour de cassation (deuxième chambre civile, 7 avril 2016 n° 15-12739
(F-P+B)) eut à trancher le cas d’un gérant d’une SCI, qui pourrait se résumer
ainsi, le curatélaire est-il oui ou non assisté de son curateur dans l’exercice de son
mandat (en l’espèce, une assistance dans le cadre d’une action judiciaire) ? En
matière de tutelle, la Cour de cassation avait souligné que le tutélaire gardait sa
totale capacité en cette affaire (Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n° 11-13161), elle
confirme donc sa position identique en matière de curatelle, on en déduit dans
cette problématique que le curatelaire n’est jamais assisté de son curateur.

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46 LE NOTAIRE ET LE MAJEUR, UNE MISE À JOUR DES ANNÉES 2015 ET 2016

Le notaire est souvent le rédacteur d’une SCI, ou des statuts de toute autre
société, il aura donc eu à cœur à ce moment-là de ne pas omettre dans les statuts que
toute mesure de protection aura pour conséquence de dessaisir le gérant de ses fonc-
tions, à peine de voir un jour sa responsabilité engagée pour manque de conseils.
Aussi si le majeur protégé est parfois un gérant, beaucoup plus souvent, il est
souvent aussi un employeur (de sa femme de ménage, d’une assistante de vie,
etc.). La question qui est souvent posée est celle de savoir qui a le droit de signer
une embauche et un licenciement.

3. Le curateur employeur
Le décret n° 2008-1484 classe la conclusion d’un contrat de travail en qualité
d’employeur. Aussi la conclusion de ce contrat est-elle signée par le curatelaire
seul (fut-il sous curatelle renforcée comme dans le cas d’espèce), conformément
aux articles 467, 496 et 504 du Code civil. En conséquence, l’employeur ne peut
se retrancher derrière l’absence de l’assistance du curateur pour ne pas s’acquitter
de son son obligation de régler les salaires (CA Toulouse, ch. soc., sect. 1, 11 mars
2016, n° 15/05382, JurisData n° 2016-004634).
Cet arrêt illustre donc bien les droits et les pouvoirs du curatelaire qui sont
souvent occultés ou ignorés. On note ici que le curateur qui règle les dépenses est
tenu d’exécuter le règlement des salaires non versés sans pouvoir exciper d’aucune
exception. Sa compétence est liée. Ce cas d’espèce est donc très intéressant à sou-
ligner et rappelle que, dès lors qu’un doute s’installe dans l’esprit du curateur, il
est sage qu’il se tourne vers son conseil. La règle de droit peut être différente de ce
que le bon sens pourrait suggérer.
Enfin, le notaire est naturellement le maître des successions. Celles-ci génèrent
un nombre important de questions. Dans le cadre d’une mise sous protection,
déjà les ayants droit, héritiers réservataires ou non, posent déjà deux sortes de
questions ; la première a trait au testament, la seconde aux assurances-vie.

4. Le majeur protégé en vie et sa propre succession


Le notaire est souvent interrogé sur le testament rédigé par le majeur protégé.
Le notaire ne pourra répondre que sur un plan général pour ne pas trahir le secret,
s’il en avait rédigé un ou par ses conseils aidé à la rédaction, quelle soit antérieure
ou postérieure à la mise sous protection.
En effet la mise sous protection ne le délie pas de son secret vis-à-vis des futurs
ayants droit.

a) Le testament

Sous curatelle, le curatélaire peut le rédiger et seul, et ce sans l’autorisation de


quiconque ni l’assistance de quiconque (article 470 du Code civil).

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FLORENCE FRESNEL 47

Dans le cadre d’une tutelle, le tutélaire peut le rédiger avec l’accord préalable
du juge des tutelles, mais hors la présence du tuteur (article 476 du Code civil).
La forme du testament est indifférente, qu’elle soit authentique, mystique ou
sous seing privé.
De plus, la personne protégée, quelle que soit sa mesure de protection, seule
et sans aucune autorisation, peut l’annuler. Ce point si exceptionnel ne peut être
oublié du monde notarial.
Les ayants droit, pour leur part, souvent soucieux de défendre leurs intérêts
futurs, sont prêts à intenter du vivant du testateur une action en nullité fondée sur
l’insanité d’esprit. Il est bon de leur rappeler que tant que le majeur protégé est
vivant, cette action ne saurait perdurer, car le testament est révocable ad nutum.
Enfin, le notaire saura rappeler aussi le nouvel article L. 116-4 du Code de
l’action sociale et des familles qui enrichit l’interdiction de tester en faveur de
différentes personnes, et qui enrichit ainsi l’article 909 du Code civil. Cette inter-
diction s’étend à l’acquisition d’un bien, et y est enfin accolée l’interdiction de la
personne interposée qui est le conjoint, la personne pacsée, le concubin, les ascen-
dants et les descendants.
Les ayants droit se placent aussi sur un autre plan : les assurances-vie.

b) Les assurances-vie

Dans le cadre de la mesure de protection, elles posent deux problèmes : le


montant de la prime versée et le nom des bénéficiaires ; les conflits portent la
plupart du temps sur le deuxième point.
Si le versement de la prime (à la suite de la vente d’un bien) est un acte de dis-
position qui est autorisé par le curateur et le curatelaire dans le cadre d’une curatelle,
par le tuteur avec l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il en a
été constitué un, dans ce cadre contractuel, le choix de la clause bénéficiaire est
d’une autre nature : est-ce un acte patrimonial ou un acte personnel ?
Actuellement, après bien des réflexions et des atermoiements, la doctrine l’a
classée en un acte mixte, c’est-à-dire que, si la désignation du bénéficiaire res-
sortit de la volonté du majeur protégé, ses conséquences n’en sont pas moins
patrimoniales en sorte que le protecteur doit la parapher. Le conflit porte sou-
vent sur l’annulation de la clause pour preuve de l’insanité d’esprit. On évo-
quera à cet effet un arrêt de la Cour (Cass. 1re civ., 2 déc. 2015, n° 14-27215)
« qui approuve les juges d’avoir jugé que la modification du nom du bénéfi-
ciaire d’un contrat d’assurance-vie n’est subordonnée à aucune règle de forme et
faute de rapporter la preuve d’un trouble mental de la souscription, le change-
ment ainsi opéré est valable »25.

25. L J.-J., N D. et P J.-M., « Majeurs protégés (juillet 2015-juin
2016) », Dalloz 2016, n° 26, p. 1523 et s.

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48 LE NOTAIRE ET LE MAJEUR, UNE MISE À JOUR DES ANNÉES 2015 ET 2016

On fera aussi observer que se trouvent aussi titulaires de l’action en nullité les
légataires universels sur le fondement des articles 414-2 et 414-1 du Code civil
(Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-17768, même note que ci-dessus).
Ces quelques points évoqués illustrent souvent les questions que le client pose.
Mais quand il interroge aussi pour lui-même, il n’omet pas de demander d’avoir
des réponses concernant la mesure de la protection sur sa personne ou pour la
personne « in personam » pour laquelle il prend des conseils.

B. Les nouveaux droits extra patrimoniaux

Le notaire indiquera bien que c’est le protecteur qui a la charge de la protec-


tion à la personne sauf décision contraire du juge des tutelles. Ceci est rappelé
encore dans la médiatique affaire Vincent Lambert26.
Certes, sur le plan procédural, la protection à la personne ouvre des droits au
protecteur ici brièvement rappelés qui sont, d’une part, l’envoi de la requête et la
convocation obligatoire de ce dernier dans le cadre d’une hospitalisation sans
consentement devant le juge des libertés et de la détention27 et, d’autre part,
l’accès au dossier médical.
Actuellement, il est bon d’avoir à l’esprit qu’une ordonnance a été votée par le
Parlement pour qu’avant le 1er juillet 2017, un travail de concordance, d’harmonisation
et de simplification entre le Code de la santé publique et le Code civil aura dû être éta-
bli. Des réserves sont néanmoins faites quant à la réalisation dans les délais impartis.
Mais certains droits nouveaux, différents de celui du droit au refus de soin déjà
existant (CSP, article L. 1111-4 sauf « conséquences graves pour la santé du mineur
ou du majeur sous tutelle » et CE as., 14 févr. 2014, n° 375081, Lambert) restent
attachés à la personne, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être exercés par son pro-
tecteur, ce sont les directives anticipées en fin de vie, la nomination de la personne
de confiance, l’article 459-2 du Code civil.

1. Les directives anticipées28


La loi du 2 février 2016 ne modifie pas la règle en ce qui concerne la personne
sous sauvegarde de justice et sous curatelle, et donc aussi le mandataire dans le
26. Cass. 1re civ., 8 déc. 2016, n° 16-20298 ; rejet, D. 2016, n° 44, p. 2569, validation
des mesures prises dans l’affaire Vincent L. par V F.
27. Cass. 1re civ., 16 mars 2016, n° 15-13745, avec ce commentaire : s’agissant de la
procédure devant le juge des libertés et de la détention statuant en matière de contrôle d’une
mesure de soins psychiatriques sans consentement, si la personne soignée est placée sous une
mesure de protection, son protecteur (curateur ou tuteur) doit recevoir communication par le
greffe de la requête saisissant le juge des libertés et de la détention (CSP, art. R. 3211-11, 1°)
et doit être convoqué par le greffe à l’audience devant le juge des libertés et de la détention
(CSP, art. R. 3211-13, 2°), par V T., AJ fam. 2016, 30.
28. Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant des nouveaux droits en faveur des malades et des
personnes en fin de vie, commentaire par B P. et V T., AJ fam. 2016, p. 431.

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FLORENCE FRESNEL 49

cadre du mandat de protection future en cours d’exécution ainsi que la personne


sous habilitation (sauf décision particulière du juge des tutelles) qui seuls et sans
l’accord ni l’aide de personne rédigent leurs directives anticipées.
En revanche, les tutélaires ne peuvent les rédiger qu’avec l’accord préalable du
juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué (comme pour le
testament)29. Mais seuls les tutélaires déterminent le contenu du texte écrit.

2. La personne de confiance
Au préalable, nous devrons ici souligner que ce vocable a deux contenus diffé-
rents qui peuvent maintenant prêter à confusion :
– le premier a été institué par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 à l’ar-
ticle L. 1111-6 du Code de la santé publique et a pour objet d’accompagner le
patient dans le cadre de ses entretiens médicaux, de ses hospitalisations et de lui
retranscrire les dires des thérapeutes avant qu’il ne prenne sa décision. Mais
jamais, au grand jamais, la personne de confiance ne se substitue au patient dans
les rapports avec les thérapeutes ;
– le second ressortit de la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement du
28 décembre 201530et a pour objet d’accompagner la personne qui réside en
EHPAD pour recueillir son consentement auprès du médecin coordonnateur, et
en s’assurant de sa compréhension de lui indiquer ses droits, mais comme la pré-
cédente jamais de se substituer à elle.
Ces contenus brièvement esquissés, se pose donc toujours la question de la
nomination de ces deux personnes.
Les textes, comme pour la rédaction des directives anticipées, ne concernent
que la personne sous tutelle, soit, il faut le rappeler, environ plus de 250 000 per-
sonnes31 actuellement. Deux hypothèses doivent être examinées : soit le tutélaire
avant sa mise sous protection avait désigné la personne de confiance, soit il ne
l’avait pas fait.
Dans la première hypothèse, le juge des tutelles dans le jugement de tutelle
peut soit confirmer soit infirmer la désignation de la personne de confiance. S’il
ne statue pas sur ce point, la personne de confiance conserve sa mission. Dans la
seconde hypothèse, le tutélaire maintenant autorisé par le juge des tutelles ou le
conseil de famille s’il a été constitué peut nommer la personne de confiance.
L’appréciation par le magistrat est faite selon son intime conviction. Seul, il
donne, en vertu de son pouvoir souverain, l’autorisation de désigner sur ce point
une personne de confiance, mais dont il ignore le nom.

29. CSP, art. L. 1111- 11 et R. 1111-17.


30. CASF, art. 22 de la loi, savoir art. L. 311-5-1.
31. En faisant ici observer qu’actuellement 1 400 000 personnes ont plus de 85 ans et
qu’elles seront 4 800 000 en 2050, cf. rapport au président de la République sur la loi sur
l’adaptation sur le vieillissement.

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50 LE NOTAIRE ET LE MAJEUR, UNE MISE À JOUR DES ANNÉES 2015 ET 2016

Il est ici fait observer que l’article L. 1111-2, alinéa 5 du Code de la santé
publique dispose que le tuteur est naturellement la personne de confiance.
Dans le cadre d’un conflit entre le tuteur (comme tuteur à la personne) et la
personne de confiance, la loi dispose dorénavant en coupant court aux polé-
miques antérieures que c’est le témoignage de la personne de confiance qui pré-
vaudra devant le corps médical sur l’intervention du tuteur.
Nous voyons donc ici sur ces deux points précités une extension des cas de
l’article 458, alinéa 2 du Code civil (actes personnels) apportant donc ainsi la
preuve que la liste n’a jamais été limitative.

3. L’article 459-2 du Code civil : le droit de visite et le choix


de résidence du majeur protégé
L’article 459-2 du Code civil dispose que seul le majeur protégé choisit libre-
ment son lieu de résidence et entretient librement des relations personnelles avec
tout tiers, parent ou non. L’application de cet article qui est indifférent quant à la
qualification de la protection du majeur est source souvent de grandes difficultés.
Le juge des tutelles (et non le juge aux affaires familiales) est compétent pour
trancher les différends. Récemment, la Cour d’Appel de Douai32 a jugé qu’un tiers
ne peut revendiquer le droit de visite et d’hébergement à la place du majeur pro-
tégé. Le juge des tutelles, puis la Cour, se positionnent pour rendre leur décision
dans l’intérêt exclusif du majeur protégé, c’est-à-dire en prenant en considération
sa parole quand il est auditionné.
Enfin, nous relèverons un arrêt particulier en matière pénale qui contredit
tout ce qui vient d’être exposé. Dans cette affaire, le tutélaire est visé par un man-
dat d’arrêt européen ; ce dernier, au visa de l’article 695-31 du Code de procédure
pénale consent expressément à sa remise à l’État français en présence de son avo-
cat, mais hors la présence du tuteur. La Chambre criminelle dans son arrêt
n° 16-80653 du 17 février 2016 censure l’arrêt de la chambre de l’instruction
dans la logique de la rédaction de l’article 706-112 du Code pénal33. Le tutélaire
ne peut consentir, même avec son avocat, sans son tuteur. C’est une réécriture
actualisée l’arrêt de la CEDH, Vaudelle c/ France du 30 janvier 2001, toujours
dans les mémoires.
En conclusion de l’exposé succinct sur les nouveaux droits extra-patrimo-
niaux, nous avons voulu montrer à quel point ils sont aussi délicats et doivent être
particulièrement analysés pour être connus.
En réalité, l’écriture de ce petit texte terminé le 31 décembre 2016 n’a qu’un
objectif, souligner et illustrer que le travail, qu’avait initié Monsieur Jacques

32. CA Douai, 31 mars 2016, n° 15/06749, AJ fam., mai 2016, p. 271, note
Raoul-Cormeille G.
33. R C., « Le majeur protégé visé par une accusation en matière pénale, neuf années
de construction jurisprudentielle », AJ fam., mai 2016, p. 247.

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FLORENCE FRESNEL 51

Combret en 2006 pour permettre au législateur de se saisir de ce dossier de la


protection des majeurs, a des conséquences et des ramifications insoupçonnées.
Mais toutes ont pour origine le texte qu’il avait porté avec d’autres de ses
confrères sur les fonds baptismaux du Parlement. On mesure toujours un homme à
l’aune de ses actions lors de son dernier souffle. Ici, c’est encore dans la force de l’âge
que nous sommes heureux de saluer une œuvre considérable qu’il a accompli et qui
concerne des millions de personnes. Le droit est une matière vivante qui illustre les
problématiques de notre société. Les majeurs protégés sont l’une de ses principales.
Le notariat en choisissant Monsieur Jacques Combret, a donné l’image de ce qu’il
est, une profession à l’écoute afin qu’elle donnât « du fruit qui montait et croissait,
et elle rapporta trente, soixante et cent pour un » (M 4, 8).

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Du pacs au mariage : transition ou mutation ?

Bernard B
Professeur des Universités, Institut de droit privé, EA-1920
Doyen honoraire de la Faculté de droit et de science politique
de l’Université Toulouse 1 Capitole
Recteur de l’Académie d’Aix-Marseille
Recteur de la région académique Provence-Alpes-Côte-d’Azur

Sarah T-C
Maître de conférences
Institut de droit privé, Université Toulouse 1 Capitole, EA-1920

1. Bilan démographique 2016 : quatre pacs pour cinq mariages1. Ce contrat


est la forme de conjugalité qui a, sans crier gare, dépassé toutes les espérances en
même temps qu’il a surmonté certaines craintes. À l’heure de la loi du 17 mai
2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe2, les circons-
tances de la naissance du pacs font figure d’anecdote. Il est aujourd’hui constant
de relever qu’il a séduit sans ambage les couples hétérosexuels. Paré de ses plus
beaux atours, il a de quoi susciter l’attirance des couples. Aux formes contrac-
tuelles généreuses, il est de constitution aisée, mais surtout de rupture simple par
son possible unilatéralisme3. Mais le pacs captive également par son objet : l’orga-
nisation patrimoniale. Il permet ce premier pas dans la vie à deux. Timide, mais
à caractère ostentible à la différence du concubinage. Volontaire, mais sans se lier
sur tous les aspects de la vie à deux, à la différence du mariage.
Le pacs permet de s’aventurer au-delà du concubinage, mais en-deça du
mariage. De nombreux couples se projettent désormais selon une chronologie
bien différente de celle d’antan : ils commencent par vivre ensemble, puis se
pacsent pour organiser leurs relations patrimoniales et enfin, étape ultime (bien
que loin d’être systématique), ils se marient. Du reste, toutes les configurations
sont possibles : le pacs peut précéder un mariage, comme il peut être une fin en
soi, voire opérer un retour vers l’union libre.
Ce constat ainsi dressé, on peut regretter que le pacs soit souvent traité de
manière isolée. Non qu’il ne soit pas fait de liens avec le mariage ou le concubi-
nage, les comparaisons et renvois étant d’usage, mais plutôt qu’il ne soit pas

1. Insee, Bilan démographique 2016, janv. 2017, www. Insee.fr/fr/statistiques/2554860.


2. Loi n° 2013-404, JORF n° 0114 du 18 mai 2013, p. 8253.
3. C. civ., art. 515-7, al. 3.

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54 DU PACS AU MARIAGE : TRANSITION OU MUTATION ?

replacé dans cette chronologie évoquée. Il importe de restituer cet objet d’étude
dans la vie réelle. Le pacs étant souvent conçu comme une étape avant le mariage,
c’est dans cette configuration qu’il sera ici traité.
Pourquoi les partenaires passent-ils du pacs au mariage ? Il s’agit souvent d’un
choix moral, affectif, voire symbolique, même si l’on ne peut que constater
aujourd’hui que le mariage a perdu de sa superbe avec l’avènement du divorce par
consentement mutuel sans juge. Les motifs sont parfois plus matériels tels que la
protection du conjoint survivant que ne permet pas le pacs, sauf à tester au profit
de son partenaire4.
2. Fréquemment dans l’esprit des partenaires, le passage du pacs vers le mariage ne
nécessite pas de formalité particulière. Outre l’aspect symbolique et festif, il pourrait
presque passer inaperçu. Soulignons au passage que la loi du 18 novembre 2016 de
modernisation de la justice du e siècle5 a poussé le mimétisme à son paroxysme en
permettant la constitution d’un pacs devant l’officier d’état-civil6, marginalisant un
peu plus le pacs notarié. Cette nouvelle disposition accroît l’absence de prise de
conscience des conséquences patrimoniales du contrat de pacs, le faisant basculer vers
une désinformation juridique certainement préjudiciable aux partenaires.
Du point de vue civil, les textes sont clairs : l’article 515-7 du Code civil pré-
voit que le mariage est une des causes de dissolution du pacs, aux côtés du décès,
de la déclaration conjointe ou de la rupture unilatérale. Il peut s’agir du mariage
des partenaires ou seulement de l’un d’eux. La dissolution du pacs est immédiate.
Mais si le pacs prend fin, les créances entre partenaires et l’indivision demeurent…
Au vrai, passer d’un contrat de pacs à un mariage sans choix de régime matri-
monial ou bien en faisant un contrat de mariage, consiste en réalité à changer de
régime juridique applicable aux rapports pécuniaires entre les membres du couple.
Porté par le vent d’un droit commun des couples7, la problématique n’est-elle pas
en réalité celle du changement de régime patrimonial ? La modification de l’état
de partenaires vers celui d’époux, implique inéluctablement des changements
quant au corps de règles régissant désormais leurs biens. Cependant, il n’existe pas
de procédure de changement patrimonial à l’image de celle existant du point de
vue matrimonial (I). Ainsi, les partenaires peuvent être surpris par les consé-
quences des nouvelles règles qui leur sont applicables, qui ne se révéleront parfois

4. Le législateur tend de plus en plus à rapprocher le pacs du mariage sur ce point, en


permettant l’application des règles de l’attribution préférentielle (art. 515-6, al. 1 et 2), du
droit temporaire au logement (art. 515-6 al. 3) ; en matière de fiscalité (exonération des droits
de succession ; imposition commune).
5. Loi n° 2016-1547, JORF n° 0269 du 19 novembre 2016.
6. Article 48 de la loi du 18 novembre 2016, modifiant l’article 515-3 du Code civil,
remplaçant la déclaration conjointe au greffe du tribunal d’instance par une déclaration devant
l’officier d’état civil de la commune dans laquelle est fixée leur résidence commune.
7. L X., Le droit commun du couple, 2012, Septentrion ; S M., Le droit
commun des couples : essai critique et prospectif, 2017, IRJS éditions, coll. Bibliothèque de
l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne André Tunc ; V O., L’organisation
patrimoniale en couple, t. 58, 2017, Defrénois, coll. Doctorat et Notariat.

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que lors de la dissolution du régime matrimonial. Voilà pourquoi il doit leur être
utilement conseillé d’être actifs lors de ce changement, même si la loi leur permet
de rester passifs (II).

I – LE CHANGEMENT DE RÉGIME PATRIMONIAL :


ENTRE LIBERTÉ ET NÉCESSITÉ

C’est en contemplation du changement de régime matrimonial que peut être


envisagé l’intérêt d’une « procédure » de changement patrimonial. Si un tel inté-
rêt existe, il demeure néanmoins subordonné à la volonté des partenaires futurs
époux.

A. Procédure de changement patrimonial

3. Vide juridique ? – Le pacs évolue dans un climat de liberté qui peine à


inciter les partenaires à solliciter les conseils d’un professionnel ou à prévoir la
rédaction d’un contrat de mariage pour anticiper au mieux le mariage. Assuré-
ment, ce passage devant le notaire est loin d’être systématique, puisqu’il repose
sur une démarche volontaire des partenaires. Le fossé est ici évident par rapport à
un changement de régime matrimonial8 dans lequel la forme notariée tient lieu
de dernier bastion de sauvegarde d’un ordre public affaibli.
Pour tenter de justifier une procédure ou en l’occurrence son absence, il faut
remonter aux exigences de la protection. Celles-ci peuvent-elles se retrouver pour
le passage du pacs vers le mariage ? L’on voit alors ce fossé se réduire : que reste-t-il
de l’ordre public matrimonial à l’heure où le divorce par consentement mutuel se
réalise par simple acte d’avocat9 ? Point de recours à l’homologation en présence
d’enfant mineur à la différence du changement de régime matrimonial (C. civ.,
art. 1397, al. 5). L’incongruité de la situation illustre ce « déréglement », voire
cette incohérence du droit matrimonial. Les problématiques essentiellement
patrimoniales justifieraient l’intervention d’un juge alors qu’elles l’écarteraient
lorsque l’intérêt familial, et plus spécifiquement l’intérêt de l’enfant, l’exigerait
plus légitimement. On pressent qu’un tel hiatus ne saurait perdurer.
Si l’on recherche les motivations guidant la mise en place d’une procédure de
changement de régime matrimonial afin de les confronter au passage du pacs au
mariage, on risque d’en ressortir circonspect ou déstabilisé par ce décalage entre une
impérativité qui ne se justifie plus guère et une liberté d’une précocité consternante.
Quoiqu’il en soit, dans les deux cas, le couple s’engage vers le lien familial en
même temps qu’il engage ses biens.

8. P N., « Le changement de régime matrimonial à l’heure du jubilé de la


réforme du 13 juillet 1965 », JCP N 2015, n° 28, 1126, p. 68.
9. L. 19 nov. 2016, préc., art. 50.

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Certes, la nature exclusivement contractuelle du pacs s’oppose à tout idée de


procédure de changement de régime. Les auteurs s’accordent cependant à relati-
viser quelque peu cette liberté contractuelle, le choix des partenaires étant limité
à deux régimes pacsimoniaux : la séparation de biens et l’indivision spéciale10. La
question de la possibilité d’aménager ce dernier régime11 divise la doctrine12.
À l’opposé, la liberté des époux dans le choix et le contenu de leur régime matri-
monial avec l’immutabilité en toile de fond, apparaît paradoxale.
4. Intérêt de la famille. – En tout état de cause, passer du contrat de pacs au
mariage n’est pas réglementé par la loi13. Mais la vie des partenaires est aussi souvent
une vie familiale, tout autant que peut l’être le mariage ou le concubinage. Pourtant,
nulle exigence de contrôle de l’intérêt de la famille14. Si l’on considère le plan exclusi-
vement patrimonial, au-delà des modes de conjugalité, le couple peut donc passer
d’un régime « pacsimonial » légal (séparation de biens), à un régime « pacsimonial » à
dominante communautaire (l’indivision spéciale), ou simplement dans l’hypothèse
d’un mariage, à un régime de communauté légale, sans qu’aucun contrôle ne soit
réalisé. L’immutabilité du changement de régime – ou plus justement, en sa forme
actuelle, la mutabilité contrôlée – n’a sa place qu’au sein du mariage.
Une sorte de cloisonnement apparaît entre ce qui relève du domaine exclusive-
ment patrimonial et ce qui relève de valeurs à consonnance plus subjective, voire

10. B W. et N M., « La rupture volontaire du Pacs et le notaire », JCP N 2013,
n° 17, 1104, p. 27 ; L M., « Brèves remarques sur la nature de l’indivision d’acquêts des
partenaires liés par un Pacs », Defrénois 2010, 2093 ; D Y., « Le nouveau régime des
biens dans le Pacs », AJ fam. 2007, 15.
11. D’où un souhait de clarification de ce régime, émis par le notariat : 106e Congrès des
notaires de France, Couples, Patrimoine : les défis de la vie à deux, Bordeaux, 2010. La première
proposition de la deuxième commission souhaitait « que la loi clarifie le régime de l’indivision
spéciale de l’article 515-5-1 du Code civil en interdisant toute convention visant à aménager
son périmètre ». V. également, G-D C., « 106e Congrès des notaires de France :
quelles propositions pour le pacs ? », RDC 2010, p. 1381.
12. P N., Les régimes matrimoniaux, 3e éd., 2012, Dalloz, coll. Hypercours, n° 54 ;
D Y., « Le nouveau régime des biens dans le Pacs », AJ. fam. 2007. 12 ; L-
T V., « L’amélioration du Pacs : un vrai contrat d’union civile », Dr. famille 2007, chron. 1,
p. 9 ; S P. et H P., « Le nouveau visage du Pacs : un quasi-mariage », JCP G 2006. I. 161,
n° 28 ; L X., « Pacs : encore un tout petit effort », AJ fam. 2007. 8 ; B W., Les effets
patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, Defrénois 2013, n° 130. En particulier, pour la possibilité
d’aménagements : F H., « Le nouveau Pacs est arrivé », Defrénois 2006, 1621 ;
D A., « Le Pacs, aspects patrimoniaux », Dr. et patr. 2008, p. 74. Pour une vision
intermédiaire, permettant de réduire l’indivision, mais non de l’étendre : G M. (dir.), Droit
patrimonial de la famille 2015-2016, 2014, Dalloz, n° 51183 ; J.-B. D et M.-G. M-
C, « Les partenaires communautaires », AJ fam. 2011, p. 144 et 145 ; L M., « Brèves
remarques sur la nature de l’indivision d’acquêts des partenaires liés par un Pacs », op. cit. ;
D Y., « Le nouveau régime des biens dans le Pacs », op. cit.
13. Sur la mutabilité au sein même du Pacs : B W., Les effets patrimoniaux du Pacte
civil de solidarité, op. cit., p. 77 et s., n° 72 et s.
14. Cass. 1re civ., 6 janv. 1979, Alessandri, D. 1976.253, note Ponsard ; JCP 1976.
II. 18461, note Patarin J. ; Defrénois, 1976. 787, note Ponsard ; RTD civ. 1978. 123,
obs. Nerson ; Cass. 1re civ., 17 juin 1986, Bull. civ. I, n° 279, JCP N 1986. II. 250 ; 22 juin
2004, Dr. fam. 2004, note B. B., n° 182.

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morale, comme l’idée de famille. Le pacs apparaîtrait comme cantonné à ce premier


aspect : un contrat portant sur l’organisation patrimoniale régissant les seuls rap-
ports pécuniaires15, sans préjudice néanmoins des effets personnels produits par le
pacs, formalisés dans le « régime primaire » applicable aux partenaires16.
L’absence de contrôle de ce changement de régime patrimonial se justifie toute-
fois aisément : le pacs n’est pas en soi un instrument de protection du partenaire,
instaurant une faveur par la constitution d’une masse commune. Même l’indivision
spéciale, si elle a pu être considérée comme l’avatar de la communauté légale, n’ins-
titue pas de droits héréditaires entre les partenaires. S’il a été émis l’idée d’avantages
pacsimoniaux ou partenariaux17 générés par l’article 515-5-1 in fine par le refus de
tout recours entre partenaires au titre d’une contribution inégale relative à un bien
indivis, il faut en relativiser la portée. En réalité, cette question rejoint celle de
l’ordre public dans le pacs, excluant d’adopter une « indivision universelle » avec
clause d’attribution intégrale de celle-ci au partenaire survivant18.
De surcroît, on perçoit en arrière-plan l’idée générale que les partenaires vont
vers davantage d’engagement, plaidant pour une fusion dans le mariage. Idée
reçue qui n’est pas nécessairement vraie si l’on considère le passage d’une indivi-
sion d’acquêts vers un régime de séparation de biens.
Cela étant, ce standard juridique qu’est l’intérêt de la famille, est aujourd’hui
réduit à une peau de chagrin. La jurisprudence en fait une appréciation la plus
large qui soit et les cas de refus19 sur ce fondement demeurent rarissimes20. Depuis
un arrêt du 29 mai 201321, l’intérêt de la famille relève de la sphère privée des
époux. Prisonnier du contrat, sa méconnaissance n’est plus susceptible d’être

15. G S., « L’intérêt de la famille, élément d’un ordre public familial », in Mélanges
en l’honneur du professeur Gérard Champenois, Defrénois 2012, p. 287, spéc. n° 16 à 20.
16. Cf. infra, n° 7.
17. K A., « Les mutations des créances entre époux », in Mélanges en l’honneur du
professeur Gérard Champenois, op. cit., p. 453, spéc. n° 6 ; B W., Les effets patrimoniaux du
Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 130.
18. Cf. supra, n° 3 ; G M., « Les biens du couple », Gaz. Pal. 30 mars 2013,
n° 89, dossier « 9es États généraux du droit de la famille ».
19. Exemple : la fraude aux droits successoraux de l’enfant dissimulé ne suffit pas à
remettre en cause la convention sur ce fondement, Cass. 1re civ., 17 févr. 2010, n° 08-14441 ;
Defrénois 2010, 1159, note Massip J. ; D. 2010, 582, obs. Egéa V. ; JCP N 2010, n° 23,
1220, note Vassaux-Barège J. ; JCP G. 2010, doctr. 487, Simler P. ; AJF 2010, 191, Hilt P. ;
LEFP 2010-4, p. 4, obs. Peterka N. ; Cass. 1re civ., 19 déc. 2012, n° 11-25288 ; JCP G 2013,
doctr. 721, Wiederkehr G.
20. Ce qui se comprend aisément lorsqu’on observe en parallèle le déclin de l’ordre
public successoral, ce qui a fait dire à un auteur que ces hypothèses « se raréfient à proportion
que s’érode l’ordre public en droit des successions » : P N., « Le changement de régime
matrimonial à l’heure du jubilé de la réforme du 13 juillet 1965 », op. cit., n° 12.
21. Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 12-10027, JCP N 2013, n° 1221, Le Guidec R. ;
JCP G 2013, n° 38, 1679, Lagelée-Heymann M. ; D. 2013, 2088, Souhami J. ; Dr. famille
2013, focus 3, Lamarche M. ; LEFP juill. 2013, p. 6, obs. Peterka N. ; D. 2013, 2245,
obs. Brémond V. ; Defrénois 2013, 1146, obs. Champenois G. ; R E., « La nature
contractuelle du changement de régime matrimonial », Defrénois 2014, 14.

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sanctionnée après l’homologation. Exemptée de contrôle22, autant dire que cette


exigence a disparu par simple déchéance23.
5. « Liquidation » nécessaire. – Reste l’exigence de liquidation du précédent
régime matrimonial24. Légale, cette disposition suit en réalité une logique pra-
tique. En ce domaine, l’analogie peut être accueillie favorablement. Ce point de
contrôle a légitimement sa place dans le changement de régime patrimonial.
Si la procédure n’est pas requise lors du passage du pacs vers le mariage, et
même si la procédure de l’article 1397 du Code civil est sujette à des questionne-
ments, il faut raisonner de manière pragmatique. À ce titre, l’étude des boulever-
sements patrimoniaux que peut susciter un tel changement ou les simples modi-
fications méritant l’attention des futurs époux justifieront de dresser si ce n’est
une liquidation, au moins un bilan patrimonial.
La question de la mutabilité du changement patrimonial au départ du pacs se
réduit souvent au sort des biens indivis. Certes, l’on pourrait laisser ces biens en
indivision25. Certes, l’on pourrait surtout considérer que l’indivision est par
essence précaire, et qu’il peut être procédé au partage à tout moment26. Mais
n’est-il pas plus sage de profiter du mariage pour faire le point ? Il peut apparaître
préférable de sortir des règles de l’indivision à forte teneur contentieuse27, pour
embrasser un régime matrimonial donné avec toutes les largesses qu’il offre, lui
permettant par exemple d’intégrer le bien à la communauté28.
Évidemment, le terme « liquidation » ne paraît pas approprié29. Plus familier
de la communauté, ce terme pourrait aisément être remplacé par celui de licita-
tion ou de partage de l’indivision. Reste encore la question des créances entre
partenaires. Cela étant, l’alinéa 10 de l’article 515-7 du Code civil prévoit que

22. En l’absence d’enfant mineur ou d’opposition d’un enfant majeur ou d’un créancier,
car sinon, le contrôle réapparaît lors de l’homologation judiciaire.
23. V. avant même cette jurisprudence, B M., « Le nouvel article 1397 du
Code civil : un texte transitoire ? », Defrénois 2007, p. 95, spéc. n° 5.
24. V F., « Changement de régime matrimonial : la question de la liquidation »,
RJPF, mars 2009, 19 ; D M., « Changement de régime matrimonial et liquidation »,
JCP N 2008, n° 23, 1217 ; B B., C J. et F E., « Le changement de
régime matrimonial depuis le 1er janvier 2007 », JCP N 2007, n° 17, 1163.
25. Rappelons que l’article 515-5-3 du Code civil permet aux partenaires de conclure
une convention d’indivision, qui, si elle est en principe alignée sur la durée du pacs, peut aussi
s’en détacher et continuer après sa dissolution (alinéa 3).
26. Cons. const., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, JO, 16 nov. 1999, p. 16962, consid.
n° 87 ; mais le partage de l’indivision au cours du pacs peut être discuté en raison de sa
spécificité : B-P H., « Indivision et communauté dans le régime des biens du pacs
aujourd’hui », in Mélanges en l’honneur du professeur Gilles Goubeaux, 2009, LGDJ, p. 51.
27. Par exemple : indemnité pour jouissance privative ; indemnité relative à la gestion
du bien indivis ; indemnité relative à une dépense d’amélioration ou de conservation d’un
bien indivis, etc.
28. G M., « Les biens du couple », op. cit.
29. En son premier sens, c’est l’idée de partage qui ressort (C G. (dir.), Vocabulaire
juridique, 2016, PUF). Il faut alors s’en tenir à un sens plus large (sens 2) : « Opération par laquelle
on apure, règle et solde des comptes après en avoir déterminé le montant de manière définitive ».

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« les partenaires procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et obligations


résultant pour eux du pacte civil de solidarité ». Ce terme doit donc être conçu au
sens large. On parlera volontiers de liquidation des intérêts patrimoniaux des
partenaires, dans leur globalité. Au-delà des mots, il faut simplement retenir l’idée
principale30 : faire un bilan de la situation patrimoniale en amont et au besoin,
remettre les compteurs à zéro ou à tout le moins donner les alertes nécessaires sur
tel ou tel point susceptible de poser difficulté par son traitement en aval (c’est-à-
dire généralement lors de la dissolution du mariage).
Cette idée de « nécessité » consiste simplement à apprécier l’intérêt de faire
une mise au point avant le mariage pour anticiper les éventuelles difficultés résul-
tant de ce changement de statut31. Cet intérêt ne sera pas seulement d’ordre juri-
dique, mais aussi et peut-être surtout d’ordre pédagogique. Le conseil du notaire
permet de respecter les souhaits des futurs époux ainsi qu’une certaine prévisibi-
lité, évitant alors un changement de régime matrimonial par la suite. Leur atten-
tion doit être attirée sur les nouvelles règles de gestion des biens. Ce conseil per-
met également aux époux d’ajuster leur comportement en fonction des consé-
quences attendues en termes de qualification des biens ou de passif et particuliè-
rement de droit de poursuite des créanciers. Les effets engendrés doivent à ce titre
être examinés aussi bien dans les rapports entre les époux que dans les rapports de
ceux-ci avec les tiers.
Si le mimétisme ne s’impose pas aux partenaires eux-mêmes, il s’impose au notaire
par sa finalité pratique. C’est à l’occasion de la rédaction d’un contrat de mariage, ou
simplement d’une demande de conseil par des partenaires souhaitant franchir le pas,
que la question de la liquidation se posera nécessairement à lui. Seulement, bien que
figure centrale, le notaire n’est pas ici considéré comme « nécessaire ».

B. Volonté des partenaires

6. À travers le droit. – Premier écueil : il est d’ordre sociétal, en raison de


l’absence de cadre juridique. Assurément, l’article 515-7, alinéa 10 pose un prin-
cipe d’autonomie des partenaires dans la liquidation des droits et obligations
résultant du pacs. Mais ne serait-il pas surfait de s’en tenir à la lettre de ce texte ?
L’une des difficultés majeures qui est immédiatement rencontrée est celle de l’infor-
mation permettant un consentement réel manifestant l’adhésion des époux aux règles
patrimoniales dans lesquelles ils souhaitent désormais inscrire leur vie commune.

30. V F., « La fin du pacte civil de solidarité », Dr. et patr., mars 2001, n° 91,
p.26 ; G O., L H. et V F., « Liquidation d’un pacs (conseil et
formule) », Defrénois, 2010, 84 ; B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité,
op. cit., p. 281 et s., particulièrement n° 242 et 243 ; B W. et N M., « La rupture
volontaire du pacs et le notaire », op. cit.
31. Certains considèrent cependant que la liquidation et le partage seraient inutiles :
B A., Droit de la famille, 2013, LGDJ, p. 319, n° 687 ; G O., L H. et
V F., « La liquidation conseillée suite à la séparation des couples non mariés »,
LPA, 21 mai 2010, n° 101, p. 28.

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60 DU PACS AU MARIAGE : TRANSITION OU MUTATION ?

La question est ici essentielle : un couple peut sans difficulté aucune souscrire
un pacs, puis se marier, sans avoir bénéficié d’aucun conseil patrimonial. Le pacs
est alors victime de son enveloppe contractuelle. Souplesse n’est pas synonyme de
simplicité patrimoniale et les situations générées pourront donner lieu à bon
nombre de contentieux.
Le problème est d’ordre structurel, plus sociologique que juridique, puisqu’il
met en cause les nouveaux codes de notre société induisant une sorte d’affranchis-
sement de l’intermédiaire substitué par de nouvelles technologies, tel qu’inter-
net. Lorsque l’intermédiation est d’ordre intellectuelle, le néophyte peut penser
trouver sur différents sites le savoir retranscrit et donc accessible. Mais ce n’est là
qu’un leurre et l’accessibilité de la règle de droit doit certes s’entendre de sa diffu-
sion et son intelligibilité, mais ne peut rester dans certains domaines qu’un mirage
en l’absence d’intermédiaire juridique. Dans la matière qui nous occupe, c’est le
notaire qui occupe le premier rang. Il a souvent été relevé que la profession souf-
frait de certains préjugés, en particulier concernant sa rémunération. La recherche
de l’optimisation du moindre coût pour les partenaires peut susciter une certaine
défiance vis-à-vis du notaire, quoique injustifiée, lui préférant alors des modèles
de pacs trouvés sur divers moteurs de recherche, optant malencontreusement
pour l’indivision spéciale32. Les partenaires passent alors à travers les mailles du
filet de protection du conseil professionnel, ce qui peut réserver certaines sur-
prises lors de la dissolution. Pour renforcer la protection des partenaires – contre
eux-mêmes – en exigeant la pleine conscience des conséquences résultant de leur
convention de pacs, les notaires militent pour le pacs authentique33. C’est le parti
inverse qui a malgré tout été retenu par le législateur34.
Le notaire ne réapparaît que si les partenaires le consultent spontanément, ou
choisissent de faire un contrat de mariage. Qu’ils choisissent un régime nommé,
ou qu’ils assortissent simplement la communauté réduite aux acquêts de clauses
particulières, ils reprennent la maîtrise de leur situation patrimoniale grâce aux
conseils du professionnel. Cependant, ils ne pourront aménager le régime impé-
ratif de base que constitue le régime primaire.
7. Le régime incompressible. – En ce qui concerne le régime primaire du
pacs, il ne pose guère de difficulté. Calqué sur le régime primaire matrimonial, les
époux seront loin d’être dépaysés…
De l’imprégnation à l’assimilation, il n’y a qu’un pas. D’où l’intérêt de la doc-
trine actuelle pour un possible droit commun des couples, qui transcenderait les
différents modes de conjugalité. Les partenaires se doivent une aide matérielle et

32. B B. et B W., « Le Pacs authentique ou l’aventure à deux sans l’aventure
en droit », JCP N 2012, n° 17, 1207 ; C J. et G X., « Le notaire et le Pacs », in
Mélanges J. Rubellin-Devichi, 2002, Litec, p. 253 et s.
33. En particulier, le 111e Congrès des notaires de France (« La sécurité juridique, un
défi authentique », Strasbourg, 2015) a proposé « que toute conclusion d’un Pacs autre que
soumis au régime supplétif et toute modification d’un Pacs soient obligatoirement réalisées par
acte notarié », deuxième proposition de la deuxième commission.
34. Loi du 19 novembre 2016, préc.

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BERNARD BEIGNIER, SARAH TORRICELLICHRIFI 61

une assistance réciproque (C. civ., art. 515-4). La première prend tous les traits de
la contribution aux charges du mariage, d’autant que selon le Conseil constitu-
tionnel, elle est d’ordre public35. Quant à l’assistance réciproque, elle s’identifie au
devoir de secours entre époux. Le calque s’étend à la solidarité ménagère, qui
bénéfice d’une assise textuelle au même article 515-4 du Code civil36.
La singularité du pacs tient désormais à peu de choses : le logement familial ne
bénéficie pas de la même protection que celle accordée aux époux par l’article 215,
alinéa 3 du Code civil. Mais les dispositions applicables au bail d’habitation ont
été étendues aux partenaires (C. civ., art. 1751)37, de même que le droit tempo-
raire au logement en cas de décès (C. civ., art. 515-6, al. 3). L’absence de devoir
de fidélité penche vers une absence de moralisation du pacs, bien que cet aspect
puisse être relativisé du point de vue du mariage38.
Toutefois, en abordant le régime primaire, on peut déceler une certaine inquié-
tude relative à la jurisprudence actuelle portant sur le financement d’un bien immo-
bilier par des époux séparés de biens. En effet, la contribution aux charges du mariage
permet de refuser toute indemnité à l’époux ayant financé intégralement le logement
indivis39. Quels sont les effets d’une telle jurisprudence sur la situation de partenaires
souhaitant se marier sous un tel régime ? Vraisemblablement aucun. Ici comme ail-
leurs40, l’on se trouve face à un paradoxe : alors même que le pacs s’affiche comme un
contrat révélant un engagement plus faible que celui du mariage, le régime primaire
s’y fait plus présent. Ce pouvoir d’attraction vers la contribution aux charges du

35. Cons. const., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC ; JO, 16 nov. ; JCP 2000. I, 261,
obs. Mathieu et Verpeaux ; LPA, 1er déc. 1999, note Schoettl.
36. La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (art. 50) a étendu au pacs l’exception relative à
la pluralité d’emprunts après que la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 (art. 9) a aligné
parfaitement cette solidarité sur celle du mariage par l’exception relative aux achats en
tempérament et aux emprunts.
37. Réd. L. n° 2014-366, 24 mars 2014.
38. L’imputation d’une infidélité conjugale ne serait pas de nature à porter atteinte, à elle
seule, à l’honneur ou à la considération : Cass. 1re civ., 17 déc. 2015, n° 14-29549 ; RTD civ.,
2016, 81, obs. Hauser ; D. 2016, 277, obs. Dreyer ; AJ fam. 2016, 109, obs. de Boysson ;
JCP 2016, 285, note Latil.
39. Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-21892 ; JCP N 2013, n° 49, p. 28, Roman B. ;
JCP N 2014, 1003, Storck M. ; RTD civ. 2013, p. 821, note Hauser ; AJF 2013, p. 647,
obs. Hilt P. ; RJPF 2013, n° 12, 6, Vassaux J. ; D. 2013, p. 2682, Molière A. ; RLDC 2013,
n° 110, 53, Paulin A. ; Cass. 1re civ., 15 mai 2013, n° 11-26933, Dr. fam. 2013, n° 7-8,
comm. 110 et la note ; RJPF, 2013/7-8/19, note Vauvillé F. ; RLDC 2013, 107, note Revel J. ;
Cass 1re civ., 16 sept. 2014, RTD civ., 2014, 867, obs. Hauser ; Cass. 1re civ., 1er avril 2015,
n° 14-14349 ; RTD civ., 2015, 362, obs. Hauser ; ibid. 687, obs. Vareille. La solution est la
même concernant une résidence secondaire : Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, n° 12-17420,
RTD civ., 2014, 698 et 704, obs. Vareille ; D. 2014, 527, note Viney ; ibid. 1342,
obs. Lemouland et Vigneau ; AJ fam., 2014, 129, obs. Hilt ; Defrénois 2014, 752, note
Mouly-Guillemaud ; JCP N 2014, n° 1117, obs. Vauvillé ; Dr. famille 2014, n° 4, comm. 61 et
la note. V. également, K A., « Financement du logement de la famille et contribution des
époux séparés de biens aux charges du mariage », in Mélanges en l’honneur du professeur
Raymond Le Guidec, 2014, LexisNexis.
40. Cf. supra, n° 3 et infra, n° 14.

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62 DU PACS AU MARIAGE : TRANSITION OU MUTATION ?

ménage tel que conçu par la jurisprudence est presque dénoncé, quand il est légale-
ment prévu dans le régime du pacs. L’article 515-7 du Code civil énonce in fine que
les créances des partenaires « peuvent être compensées avec les avantages que leur
titulaire a pu retirer de la vie commune, notamment en ne contribuant pas à hauteur
de ses facultés aux dettes contractées pour les besoins de la vie courante ». La recherche
de l’équité est loin d’être l’apanage des juges. En voici l’illustration.
Dans une vision non contentieuse, cette disposition instaure une meilleure sou-
plesse pour le notaire, lui permettant de procéder aux réajustements que nécessite-
raient les prévisions des parties. Il peut être utilement dressé un état des lieux à
l’occasion d’un contrat de mariage. Le contexte diffère puisqu’il ne s’agit pas de
procéder à un « partage » en raison d’une séparation du couple, mais de contracter
un nouvel engagement. Celui-ci peut d’ailleurs être plus important (vers la commu-
nauté) ou plus faible (vers la séparation au départ d’une indivision d’acquêts).
8. Quelle évolution ? – Ainsi, embrasser le mariage n’apporte que peu de
changement du point de vue du régime primaire. Cet état de fait interroge : ce
socle de règles impératives était souvent revendiqué comme témoignant de la
force symbolique du mariage. Dès lors qu’il peut se targuer d’une existence dans
la sphère exclusivement contractuelle du pacs, n’est-il pas devenu un succédané de
cet ordre public matrimonial ?
À l’évidence, le réel changement résultant du passage du pacs au mariage ne
réside pas dans le régime primaire.
La nouveauté résiderait-elle alors dans la dimension symbolique de l’institu-
tion ? « Symbolique » au sens moral du terme, sans nul doute, le mariage faisant
figure d’acte d’engagement ultime pour les partenaires en scellant leurs senti-
ments. Mais « symbolique » au sens civil à travers le concept d’institution, il est
permis d’en douter. À l’heure du divorce contractuel, le mariage est relégué au
rang de contrat dès lors que l’onction du juge est supprimée. Ce n’est donc pas là
non plus que se trouve l’évolution.
Vraisemblablement, du point de vue pécuniaire et non plus essentiellement
intime, l’évolution se trouverait dans le corpus juridique du droit des régimes
matrimoniaux que les partenaires embrasseront. En cas de décès, c’est sur le plan
de la protection du conjoint survivant que l’apport est considérable par l’existence
d’avantages matrimoniaux, ou d’autres faveurs telle la pension de réversion. En
cas de divorce, la prestation compensatoire apporte également sa part d’équité.
Ce passage vers le mariage consiste bien en une démarche volontaire du couple
visant à inscrire leur relation patrimoniale dans le droit. Mais s’ils ne reçoivent pas
les conseils d’un notaire, ils risquent de passer à travers ce droit sans même avoir
conscience des conséquences néfastes futures. Soumis au régime légal, qu’advien-
dra-t-il des biens acquis précédemment ? Pensant être acteur de leur situation
juridique, ils sont en réalité passifs : c’est un lieu commun de dire que les subtili-
tés du régime « pacsimonial » sont d’appréhension difficile pour le néophyte. Ils
peuvent alors être surpris au moment de la dissolution de devoir procéder à une
liquidation de leurs intérêts. Peut-être alors se tourneront-ils vers leur notaire…

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BERNARD BEIGNIER, SARAH TORRICELLICHRIFI 63

II – LES CHANGEMENTS PATRIMONIAUX : SURPRISES ET DÉCONVENUES


Au départ du régime de séparation ou de l’indivision spéciale, ce n’est qu’à
l’occasion d’un passage devant le notaire lors d’une acquisition immobilière ou en
cas de dissolution de leur régime matrimonial, que les époux découvrent parfois
les effets résultant de leur nouveau statut. Il est instructif de relever ces diverses
conséquences qui diffèrent selon que les partenaires adoptent une attitude passive
ou une démarche dynamique et active.

A. Les partenaires passifs

9. Découverte de récompenses. – Le passage du régime pacsimonial légal au


régime matrimonial légal comporte de toute évidence de profondes mutations en
raison de leur différence de nature. À l’inverse, le rapprochement de l’indivision
pacsale avec le régime de la communauté légale pourrait laisser penser à une pos-
sible fusion lors du mariage. Mais la nature juridique de chaque régime s’y oppose
en l’absence de démarche volontaire passant nécessairement par un contrat de
mariage. Si elle a les allures d’une communauté d’acquêts, l’indivision spéciale
demeure une indivision même après le mariage.
C’est d’abord la qualification des biens qui connaît un bouleversement. Dans
le régime du pacs, tous les deniers reçus par un partenaire, qu’il s’agisse de revenus
issus de son activité professionnelle, de ses biens personnels ou de deniers reçus
par donation ou succession, lui demeurent personnels. Cela étant, concernant le
régime de l’indivision, il faut réserver le cas des deniers employés à l’acquisition41
d’un bien (art. 515-5-2).
Le premier risque réside dans la qualification des revenus. En tant que biens
communs, ils généreront inexorablement des récompenses là où les partenaires
non informés n’auraient pu le suspecter. Après tout, l’argent que je gagne
m’appartient !
Ces récompenses auront d’autant plus de prise que sous le régime légal du pacs,
la séparation de biens postule l’indépendance de chaque patrimoine. Or, comme
tous les couples, qu’ils soient d’ailleurs mariés, pacsés ou en union libre, le premier
acte d’engagement est souvent l’acquisition de la résidence principale qu’ils font la
plupart du temps en commun. S’il y a les sentiments, animés par un amour de
l’autre impliquant confiance et partage, il y a aussi la réalité financière, terre à terre,
mais incontournable. Les premiers ont parfois l’ascendant sur la seconde. Il en
résulte une indivision, en contradiction avec l’esprit séparatiste qui animait initiale-
ment la convention de partenariat. Lors du mariage, le bien indivis entrera dans le
patrimoine propre de chacun des époux à hauteur de sa quote-part. De la sorte, le
remboursement de l’emprunt ayant permis de financer le bien indivis donnera lieu

41. Pour les difficultés suscitées par la seule référence aux dépenses d’acquisition posant
la question de l’élargissement aux dépenses d’amélioration ou de conservation, V. B W., Les
effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 212.

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64 DU PACS AU MARIAGE : TRANSITION OU MUTATION ?

à une récompense, dès lors qu’il sera effectué au moyen des revenus. Si chaque ex-
partenaire, devenu époux, remboursait le prêt au moyen de ses revenus, il devra dès
le mariage une récompense au profit de la communauté, en raison de la qualifica-
tion commune des deniers. Si l’emprunt était remboursé par l’un seul des parte-
naires, la récompense générée au profit de la communauté aura de quoi le déconte-
nancer. Le raisonnement est le même si l’un des partenaires avait coutume d’utiliser
ses revenus personnels pour régler les dépenses d’entretien relatives à un bien qui lui
appartenait ou encore pour payer une dette personnelle.
Les dissonances se révèlent également relativement au traitement jurispruden-
tiel de l’industrie personnelle. Lorsque l’un des membres du couple a amélioré un
bien appartenant à l’autre par le fruit de son labeur, ou simplement collaboré à
l’activité de celui-ci, peut-il en obtenir une compensation au moment de la
dissolution ?
Embrasser le mariage vaut là encore renoncement à réclamer toute forme d’in-
demnité sur ce fondement, si l’on suit la jurisprudence42. Point de récompense en
l’absence d’appauvrissement de la communauté, même si ce critère peut appa-
raître contestable. La solution est la même43 dans le droit commun de l’indivi-
sion44. Seule la séparation de biens semble entrevoir cette possibilité de voir
récompensée la sueur investie45. Dans le pacs, la solution n’apparaît pas pour
l’heure en jurisprudence. Il peut donc être utilement raisonné en comparaison du
régime de séparation de biens46, laissant un espoir pour le partenaire laborieux.
10. Chronos : cloisonnement ? – Le second écueil tient à la chronologie. Ce
« saucissonnage juridique de la vie en couple »47 exige-t-il de mobiliser chaque
corps de règle à la période qui lui correspond ? Ainsi, de créances entre partenaire
indivisaire, on parle de récompenses au profit ou contre la communauté. Au
temps de la liquidation, faudra-t-il considérer ces deux périodes distinctement ?

42. Cass. 1re civ., 30 juin 1992, RTD civ., 1993, 410, obs. Lucet et Vareille ; Cass. 1re civ., 5 avr.
1993, B. I, n° 137 ; Defrénois 1993, 800, obs. Champenois ; RTD civ., 1993, 638, obs. Lucet et
Vareille ; Cass. 1re civ., 28 févr. 2006. B. I., n° 106 ; AJ fam. 2006, 208, obs. Hilt ; RTD civ., 2006,
360, obs. Vareille ; Cass. 1re civ., 26 oct. 2011, B. I., n° 187 ; D. 2012, 971, obs. Lemouland et
Vigneau ; RTD civ., 2012, 140, obs. Vareille ; Defrénois 2012, 291, note Champenois.
43. Toutefois, en la matière, il faut aussi compter avec l’article 815-12 visant la
rémunération de l’indivisaire gérant : Cass. 1re civ., 29 mai 1996, Bull. civ. I, n° 222 ;
JCP N 1997, II, 702, note Piedelièvre J. ; JCP 1996, I, 3968, n° 4, obs. Le Guidec ; ibid.
1997, I, 4008, n° 17, obs. Tisserand ; ibid. 3972, n° 11, obs. Périnet-Marquet ; RTD civ.,
1997, 713, obs. Patarin.
44. Cass. 1re civ., 23 juin 2010, Bull. civ. I, n° 146 ; Defrénois 2010, 2380, obs. Fiorina ;
JCP N 2011, n° 1001, obs. Tisserand-Martin ; RLDC 2010/74, n° 3945, obs. Pouliquen ;
comp. Cass. 1re civ., 13 mars 2007 ; Bull. civ. I, n° 109 ; Defrénois 2008, 1093, note Fiorina ;
RTD civ., 2007, 801, obs. Vareille ; JCP 2007, I, 197, n° 4, obs. Périnet-Marquet ; LPA 19 mars
2008, obs. Chamoulaud-Trapiers.
45. Cass. 1re civ., 12 déc. 2007, Bull. civ. I, n° 390 ; Defrénois 2008, 2204,
obs. Champenois ; RTD civ., 2008, 695, obs. Revet ; JCP N 2008, 1252, note Le Guidec ;
AJ fam. 2008, 85, obs. Hilt.
46. B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 212.
47. Ibid., p. 265, n° 227 et s.

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BERNARD BEIGNIER, SARAH TORRICELLICHRIFI 65

Pour répondre à cette question, il faut en mesurer les incidences pratiques. Celles-
ci résident tant dans l’établissement que dans l’évaluation de ces flux de valeurs
exprimés soit en créance, soit en récompense.
Voilà que la question substantielle apparaît : quelles distinctions dans ces
règles d’évaluation ? Si l’on se concentre sur le régime légal, tant du pacs que du
mariage, point de différence à ce niveau. En effet, l’article 515-7 renvoie en son
dernier alinéa aux règles prévues à l’article 1469 du Code civil48.
Cette règle vaut également pour l’indivision d’acquêts. Il faut cependant gar-
der à l’esprit que ce régime ne donnera lieu que de façon marginale à des créances
entre partenaires. Tout réside dans l’article 515-5-1 du Code civil. Ce texte cris-
tallise l’essentiel des maux de l’indivision spéciale. Il prévoit que les biens acquis
ensemble ou séparément par les partenaires « sont alors réputés indivis par moitié,
sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution iné-
gale ». Le financement intégral d’un bien indivis par l’un seul des partenaires ne
peut donc donner lieu à une créance. Il faut cependant réserver l’hypothèse de
l’emploi lors de l’acquisition d’un bien de deniers appartenant au partenaire anté-
rieurement à la conclusion de la convention de pacs ou reçus par donation ou
succession (art. 515-5-2)49. Les textes prévoient qu’un tel investissement doit
pouvoir potentiellement être récupéré par le partenaire.
11. Les règles d’évaluation sont donc vouées à rester les mêmes. Cependant,
c’est plus certainement sur l’établissement de la créance ou de la récompense que
la différence sera ressentie. Le régime légal de la communauté donne une défini-
tion générale des cas de récompense, selon qu’elles sont dues par la communauté
à l’un des époux (C. civ., art. 1433) ou inversement (C. civ., art. 1437). En
revanche, le pacs ne bénéficie pas des mêmes précisions notionnelles. Ces flux
financiers pouvant être observés lors de la vie à deux représentent des créances
entre partenaires. Ces créances susceptibles d’être revendiquées à la dissolution du
pacs relèvent du droit commun de la preuve. S’ensuivent en cas de litige les fré-
quentes contestations fondées sur l’existence d’une donation, à laquelle le parte-
naire opposera l’existence d’un prêt… C’est là que la question de l’interprétation
du renvoi à l’article 1469 du Code civil réapparaît. Certes, l’article 1469 du Code
civil pose une règle de calcul des récompenses, mais ne convient-il pas d’en faire
une interprétation extensive afin de préciser l’établissement des créances entre
partenaires ? Peut-on plus globalement, tel qu’il est de coutume en la matière,
raisonner par analogie aux règles du régime matrimonial légal ? De la sorte, l’on
pourrait transposer le fondement de l’établissement des récompenses, autrement

48. Sur lequel : V B., « Brèves réflexions critiques à propos de l’article 1469 du
Code civil », Mélanges en l’honneur du professeur R. Le Guidec, op. cit., p. 279.
49. D’ailleurs, le texte présente sur ce point des difficultés d’interprétation souvent
pointées, concernant par exemple l’hypothèse du remploi non envisagée ou encore la
notion d’acquisition. V.G M. (dir.), Droit patrimonial de la famille 2015-2016,
op. cit., n° 51182 ; B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit.,
n° 217 et 212, pour lequel ces dispositions peuvent être élargies aux dépenses d’amélioration
et de conservation.

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66 DU PACS AU MARIAGE : TRANSITION OU MUTATION ?

dit le profit retiré par l’autre masse de biens (C. civ., art. 1437 et 1433)50. Il en est
de même s’agissant de l’opération concernée : qu’il s’agisse d’une dépense d’acqui-
sition, de conservation ou d’amélioration (art. 1469, al. 3) ainsi que de toute
autre dépense (al. 1 et 2). Dans toutes ces situations, la créance devrait pouvoir
bénéficier d’une réévaluation.
Du côté de l’indivision, démontrer l’utilité de l’emploi de deniers par un indivi-
saire au profit de l’indivision pourrait suffire à l’établissement d’une telle créance.
Reste en outre les possibles contestations fondées sur l’intention libérale.
Sur ce point, le mariage pourrait apporter une clarification utile dans ces mou-
vements de fonds. Il est vrai que les époux devront faire avec une nouvelle masse
de biens que représente pour eux la communauté, mais la qualification de récom-
pense suscitera certainement moins de difficultés probatoires, en raison des
diverses présomptions assortissant le régime de communauté légale. Malgré les
apparences, passer au mariage ferait ici perdre en complexité.
12. La question reste en suspens : faut-il fractionner le corps de règles juridiques
qui s’appliqueront à ces différents flux financiers au moment de la dissolution ? Ce
qui est certain, c’est qu’il ne peut y avoir de qualification de récompense alors même
que la communauté n’a pas existé. Avant le mariage, les règles du pacs s’applique-
ront. Cependant, concernant une opération recouvrant les deux périodes de la vie
couple, tel qu’un emprunt remboursé pendant le pacs et durant le mariage, s’il
n’existe pas de changement de qualification de biens ni des règles d’évaluation s’y
rapportant, il est inutile de mobiliser sur le plan pratique deux fondements juri-
diques différents. Lorsque la situation emporte un renvoi à l’article 1469 du Code
civil, il est inutile de cloisonner. Cependant il n’en sera pas toujours ainsi en raison
de la qualification des biens qui n’impliquera pas le même mouvement de flux, mais
surtout, en raison de l’existence de règles d’évaluation différentes résultant du droit
commun de l’indivision51. En effet, la notion de créance entre époux rencontre une
nouvelle problématique. Seul l’article 515-5-2 in fine vise expressément l’existence
d’une créance entre partenaires en cas d’emploi de deniers personnels. Or, dès lors
que les biens acquis par les partenaires sont indivis, ne s’agit-il pas de créances envers
l’indivision ? Le terme de créances entre partenaires devient-il alors impropre ?
Cette question nous occupera plus particulièrement s’agissant du passage vers un
régime séparatiste52. La qualification donnée, si elle semble de prime abord subtile,
emporte des effets conséquents sur le plan du régime.
Pour remédier à cela, il suffit d’insérer une clause dans un contrat de mariage
réglant le sort de ces créances53. Mais encore faut-il que les futurs époux prennent
en main leur situation matrimoniale.

50. En ce sens : B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit.,
n° 213, p. 255 et n° 200.
51. Cf. infra, n° 15.
52. Cf. infra, n° 13.
53. Par exemple, une clause excluant toute récompense lorsque les revenus d’un bien
propre ont été utilisés pour améliorer ce bien propre. G M. (dir.), Droit patrimonial
de la famille, op. cit.

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BERNARD BEIGNIER, SARAH TORRICELLICHRIFI 67

B. Les partenaires actifs

13. Vers la séparation de biens. – Le fonctionnement du régime légal du pacs


est largement inspiré de celui de la séparation de biens. Si les partenaires étaient
soumis au régime légal, se marier ensuite sous le régime de la séparation semble
donc naturel, d’autant que l’article 515-5, alinéa 1er renvoie aux articles 1536 et
suivants du Code civil régissant la séparation de biens entre époux.
Chacun conserve ses biens personnels. Mais là encore, les difficultés résultent de
l’achat en commun de biens qui deviennent alors indivis. Dès lors, soit les futurs
époux décident de procéder au partage (hypothèse plutôt rare dans la perspective
d’un mariage), soit ils demeurent en indivision54. Cependant, s’il existait des
créances envers l’indivision, deviennent-elles des créances entre époux ? Cette ques-
tion se posera nécessairement à la dissolution du régime matrimonial. Faudrait-il
alors distinguer les deux périodes de la vie du couple ? Les qualifications de créances
entre partenaires et de créances entre époux séparés de biens s’imbriquent-elles par-
faitement ? De nouveau, il faut en mesurer les incidences pratiques.
14. Concurrence de textes – Il faut avant tout clarifier le champ d’application
respectif de chacun des textes applicables.
Dans le régime matrimonial de la séparation de biens, l’article 1543 renvoie à
l’article 1479, qui lui-même ne renvoie qu’au dernier alinéa de l’article 1469 du Code
civil. Quant au régime légal du pacs, on l’a rappelé, l’article 515-7 dernier alinéa ren-
voie à l’article 1469 également, mais cette fois dans son intégralité. Voilà un nouveau
paradoxe. Les partenaires seraient là mieux lottis que les époux séparés de biens ! Selon
un auteur, ils seraient « plus époux que les époux »55. Il faut préciser qu’il en de même
des créances entre époux mariés sous le régime de la communauté (art. 1479). Cette
rédaction surprenante de l’article 515-7 a pu être interprétée par la doctrine comme
une maladresse du législateur56, ou à tout le moins, un manque de cohérence57. Toutes
les créances entre partenaires bénéficient du mécanisme de la dette de valeur alors que
seules les dépenses d’acquisition, d’amélioration et de conservation en profitent pour

54. S P., « L’indivision entre époux séparés de biens, une quasi-communauté ? », in
Mélanges Colomer, 1993, Litec, p. 461 ; P. C, « L’indivision entre époux », Mélanges
Hébraud, 1981, Toulouse, p. 185.
55. G X. et L F., « L’absence d’uniformité du régime des créances
conjugales, source d’insécurité juridique », JCP N 2015, n° 18, 1144, p. 32. V. également,
T F. et S P., Droit civil, Les régimes matrimoniaux, 6e éd., 2011, Dalloz, coll. Précis,
p. 501, note 1.
56. T F. et S P., Droit civil, Les régimes matrimoniaux, op. cit.
57. G M., « Commentaire de la loi du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des
époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants
mineurs », Gaz. Pal. 1996, I, p. 529 ; F J. et C G., Les régimes matrimoniaux,
2e éd., 2001, Armand Colin, n° 681 ; F H., « Le nouveau Pacs est arrivé ! », op. cit. ;
H P., « Les créances au sein du couple : des créances ordinaires ? », AJF, juin 2006,
p. 21 et s. ; M E., « Le pacs : un nouveau mode de conjugalité », RJPF, avril 2007,
p. 8 et s. ; C S., « Mariage, pacs, concubinage, Analyse comparative », JCP N 2008,
n° 46, 1325.

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68 DU PACS AU MARIAGE : TRANSITION OU MUTATION ?

un couple marié. Les auteurs divergent sur la portée qu’il faut donner à cet article58.
Faut-il appliquer strictement le texte ou raisonner par analogie avec le régime de sépa-
ration de biens ? Les textes laissent circonspect. Mais quelle interprétation en fait la
jurisprudence ? Il semblerait qu’elle suive la lettre de la loi59.
Quoiqu’il en soit, le doute est permis. Il est donc préférable, lors du passage
du régime de séparation « pacsimonial » vers la séparation de biens matrimoniale,
d’insérer une clause prévoyant le renvoi à l’intégralité de l’article 1469 du Code
civil et non simplement à son troisième alinéa. Quant au régime de participation
aux acquêts, il peut utilement se prêter à ces mêmes aménagements60.
15. Le second point de réflexion porte sur le chevauchement avec le droit
commun de l’indivision61. C’est la question du champ d’application de l’ar-
ticle 815-13 du Code civil. Le droit commun de l’indivision s’applique-t-il aux
créances entre partenaires pacsés ? Quelle distinction entre les créances entre par-
tenaires et celles envers l’indivision ?
La jurisprudence relative au pacs n’est pas suffisamment dense sur ce point pour
apporter une réponse certaine. Le raisonnement peut donc encore emprunter au régime
de la séparation de biens qui rencontre nécessairement la même problématique. La
solution semble a priori claire en jurisprudence : dès lors qu’est en jeu un bien indivis,
les créances sont régies par l’article 815-13 du Code civil et non plus par l’article 1543
renvoyant à l’article 1479 du Code civil62. Il devrait en être pareillement des créances
entre partenaires. Cette position est également celle d’une grande part de la doctrine63.
Si l’on suit cette voie, le mode d’évaluation est alors sensiblement différent. En
effet, l’article 815-1364, s’il permet de retenir le profit subsistant65, vise expressément

58. Au point que le professeur Grimaldi a proposé le renvoi à l’entier article 1469 du
Code civil, dont les alinéas ne peuvent être compris indépendamment, relayé ensuite par le
111e Congrès des notaires (comm. sous Cass. 1re civ., 20 févr. 1996, D. 1996, somm. p. 392).
59. Cass. 1re civ., 24 sept. 2008, n° 07-19710, Bull. civ. I, n° 213 ; RTD civ., 2009,
p. 162, obs. Vareille B ; D. 2008, p. 3050, note Barabé-Bouchard V. ; JCP G 2008, I, 202,
n° 18, obs. Storck M. ; JCP N 2009, n° 5, 1053, note Douville T. ; comp. B W., Les effets
patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 203, p. 247.
60. G X. et L F., G X. et L F., « L’absence d’uniformité du
régime des créances conjugales, source d’insécurité juridique », op. cit., n° 7 et s. ; P J.-F.,
La participation aux acquêts, 2014, LexisNexis, n° 186. Il faut à cet égard particulièrement
considérer la situation des biens conventionnellement exclus de la participation aux acquêts tels
que les outils de travail.
61. V B., « L’indivision et les couples », in Association Henri Capitant, L’indivision.
Journées nationales. t. VII. Bordeaux, 2005, Dalloz, p. 7, n° 20.
62. Cass. 1re civ., 14 oct. 2009, AJ fam. 2010. 90, obs. Hilt.
63. F H., « Le nouveau Pacs est arrivé ! », op. cit ; M P. (dir.), Droit de la
famille, éd. 2014/2015, Dalloz action, n° 153.33.
64. Sur l’interprétation extensive de cet article permettant de faire entrer le financement
d’un emprunt pour l’acquisition du bien indivis dans les dépenses dites de conservation visées
par l’article : Cass. 1re civ., 7 juin 2006, Bull. civ. I, n° 284 ; JCP 2006. I. 193, n° 23,
obs. Tisserand-Martin ; Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-24659 P ; D. 2015. 429.
65. Selon la formulation de l’alinéa 1er : « Eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve
augmentée au temps du partage ou de l’aliénation ».

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l’équité, invitant le juge à faire preuve de souplesse en plaçant son appréciation au


premier plan. En revanche, les tribunaux ne disposent pas d’une telle liberté par le
jeu des renvois à l’article 1469 du Code civil.
Néanmoins, si l’on adopte, aux côtés de certains auteurs66, une vision englo-
bante du patrimoine, l’indivision ne peut faire figure d’entité à part, « qui cloi-
sonnerait les droits indivis d’un partenaire par rapport à ses biens détenus en
totalité ». La lettre de l’article 515-5-2 plaiderait en faveur d’une telle interpréta-
tion. En effet, le texte emploie le terme de « créance entre époux », alors qu’il
aborde les conditions de l’emploi dans l’acte d’acquisition d’un bien indivis.
Adopter une telle conception permettrait de soumettre ces créances entre parte-
naires lato sensu, incluant les créances portant sur un bien indivis, à la revalorisa-
tion de l’article 1469 du Code civil par le jeu du renvoi de l’article 515-7 in fine.
Qu’une telle interprétation emporte ou non l’adhésion, il est certain qu’elle
permet de douter quant à la pertinence de la solution actuelle. Elle permettrait de
gommer cette distinction entre créances entre partenaires et créances vis-à-vis de
l’indivision et de simplifier par là même la compréhension de ces règles par les
partenaires et futurs époux.
Voilà pourquoi il ne peut qu’être adhéré au vœu du 111e Congrès des
notaires proposant une uniformisation des règles d’évaluation des créances
conjugales. Il est préconisé un renvoi intégral à l’article 1469 pour les créances
entre époux, entre partenaires et vis-à-vis de l’indivision. Si la proposition ne
prétend pas rétablir la justice dans ces réglements pécuniaires propices au
contentieux, elle a le mérite de promouvoir la sécurité juridique par une clarifi-
cation des textes bienvenue.
Dans l’attente, il faut encourager les futurs époux à prévenir de telles difficul-
tés par l’insertion de clauses appropriées dans le contrat de mariage.
16. Vers un régime communautaire. – Lorsque les partenaires se tournent
vers un régime communautaire, les difficultés de qualification et d’évaluation des
créances en résultant peuvent être aisément écartées par une clause d’apport du
bien indivis à la communauté. Pour cela, il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’adopter
un régime communautaire. La constitution d’une société d’acquêts au sein d’un
régime de séparation de biens suffit.
Sur le plan du passif, si les partenaires vont vers un régime séparatiste, ils ne
connaîtront pas de réel changement dans la mesure où l’article 515-5, alinéa 1
reprend presqu’à l’identique l’article 1536, alinéa 2 relatif à la séparation de biens
entre époux. Il énonce en effet que « chacun des partenaires reste seul tenu des
dettes personnelles nées avant ou pendant le pacte, hors le cas du dernier alinéa

66. B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 209, n° 226 ;
P J.-F., V° Pacte civil de solidarité. Rupture du pacte, JCl. Notarial Formulaire,
fasc. 30, n° 39 ; G-L F., V° Pacte civil de solidarité, JCl. Notarial Répertoire,
fasc. 10, n° 125 ; R E., « Ombres et lumières autour du financement de l’acquisition
indivise », Cahiers du Cridon de Lyon, n° 55-2009.

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70 DU PACS AU MARIAGE : TRANSITION OU MUTATION ?

de l’article 515-4 du Code civil », lequel vise la solidarité à l’égard des dettes
contractées pour les besoins de la vie courante.
Du côté du régime communautaire, les futurs époux devront garder à l’esprit
que l’article 1413 du Code civil fait de la communauté le gage général des créan-
ciers de chaque époux, pour ce qui est du régime légal. La situation est bien plus
alarmante lorsque le choix des futurs époux se porte sur la communauté univer-
selle puisque celle-ci « supporte définitivement toutes les dettes des époux pré-
sentes et futures » (C. civ., art. 1526). La stipulation d’avantages matrimoniaux
peut présenter ici son revers.
17. Si passer du pacs au mariage ne consiste dans les esprits qu’à une simple
transition, la réalité juridique rattrapera rapidement les époux en les plongeant
dans les profondes mutations qui peuvent en découler. À défaut d’obtenir une
uniformisation des règles d’évaluation des créances conjugales, à défaut d’avoir
un pacs authentique systématique, gageons au moins d’avoir un contrat de
mariage ! En somme, la solution repose toute entière sur le comportement des
partenaires futurs époux, dont on sait qu’il contient sa part d’aléas.

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Réflexions sur l’acquisition immobilière au profit


du conjoint et l’obscurcissement de la distinction entre
les créances entre époux et les créances de l’indivision

Éloi B-M
Magistrat
Diplômé notaire

Ayant d’abord connu Jacques Combret par ses écrits, qui témoignaient de
la convergence de nos vues sur notre sujet d’étude commun1, notre a priori
favorable ne fut que renforcé par une première rencontre, puis l’animation en
commun d’une formation sur les liquidations après divorce à l’attention d’un
public composé de membres de nos deux professions qui fut de ces moments
rares de parfaite osmose intellectuelle et éthique avec quelqu’un que l’on
connaît à peine : nous aurions pu finir ses propos et lui les nôtres. Nous avons
par la suite renouvelé cet exercice pédagogique à deux voix chaque fois que
l’occasion nous en fut donnée et le plaisir se dégageant de ces instants partagés
ne s’est jamais démenti.
À la réflexion, nous pensons que l’estime que nous inspire la personnalité de
Jacques Combret tient, entre autres choses, à un heureux mariage de modestie et
de passion, de rigueur et de pragmatisme, ainsi qu’à ce qu’il nous apparaît mani-
feste qu’en droit, comme certainement en toute chose, c’est d’un homme de
convictions et de principes, dans la meilleure acception de ces termes, qu’il s’agit :
de ceux pour qui les principes au fondement des règles que se donnent les com-
munautés humaines assignent une limite aux accommodements pratiques dont
elles peuvent faire l’objet2.
C’est à ce souci d’une pratique assise sur des principes clairs, partagés et res-
pectés lui servant de guide que nous souhaitons plus particulièrement rendre
hommage par les quelques réflexions qui suivent que nous avons voulu consacrer

1. Compa., notamment, C J., B-W N. et G O., « Liquidation


et partage après divorce, petit guide pratique sur le rôle du notaire », JCP N 2011, p. 1108 et
notre article : « Le partage du régime matrimonial devant le juge aux affaires familiales : état
des lieux au lendemain d’une réforme », AJ fam. 2010, p. 157.
2. Pour illustration, nous avons eu le plaisir de coécrire un article critiquant une
réponse ministérielle cautionnant un mécanisme de contournement du droit de partage au
mépris des règles fondamentales de droit civil gouvernant la communauté, bien que nous
convenions l’un et l’autre du caractère excessif de l’actuel taux de ce droit : « Droit de
partage et partage verbal. Mauvaise réponse à une bonne question », Defrénois,
30 sept. 2013, n° 18, p. 921.

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72 RÉFLEXIONS SUR L’ACQUISITION IMMOBILIÈRE AU PROFIT DU CONJOINT

à la zone frontière passablement troublée séparant les créances entre époux et les
créances de l’indivision3 en présence de dépenses d’acquisition d’immeubles indi-
vis entre conjoints. Cette situation, d’une grande occurrence pratique, mériterait
d’être aussi balisée que possible, de manière que les époux, au besoin éclairés par
les conseils de professionnels avisés, puissent en anticiper raisonnablement les
suites prévisibles si, malheureusement, leur histoire devait mal tourner. De même,
en cas de réalisation de ces tristes augures, une règlementation stable et suffisam-
ment cohérente pour être acceptée apparaît indispensable pour permettre de
démêler sans trop de heurts les patrimoines de ceux qui ne souhaitent plus arpen-
ter de concert les chemins de l’existence. L’état de la question paraît malheureu-
sement de nature à égarer un peu plus ceux que la rupture a déjà fragilisés.
La compréhension de la difficulté que nous désirons mettre en lumière néces-
site quelques rappels sur les principes4 gouvernant les conséquences liquidatives
pouvant être attachées à une classique opération d’acquisition immobilière au
sein d’un couple marié lorsque celle-ci ne bénéficie pas en tout ou partie à la
masse appauvrie5. Claire sur le terrain des récompenses, la situation se complexifie
nettement lorsque l’on tente de l’appréhender par le prisme des créances entre
époux, pour s’obscurcir franchement quand on gagne les rives de l’indivision.

Ce qui est clair


Les récompenses sont les créances particulières qui compensent des mouve-
ments de valeurs intervenus entre la communauté et la masse des biens propres
d’un époux, c’est-à-dire dont il est résulté l’enrichissement de la communauté et
l’appauvrissement corrélatif de la masse propre de l’époux ou inversement. Fruits
de l’enrichissement sans cause et de l’immutabilité des régimes matrimoniaux,
elles visent au rétablissement en valeur des masses commune et propres pour
« éviter que des transferts de valeur inconsidérés ne viennent bouleverser les sub-
tils équilibres recherchés par le régime communautaire »6.
Les récompenses dues par la communauté trouvent leur principe énoncé dans
l’article 1433 du Code civil, lequel dispose que « la communauté doit récom-
pense à l’époux propriétaire toutes les fois qu’elle a tiré profit de biens propres »,
et celles dues à la communauté dans l’article 1437 du même Code, aux termes

3. Nous employons ici cette expression dans le sens générique de créances intervenant
entre la masse indivise et un indivisaire au bénéfice ou au débit de l’indivision ; mais dans le
cas de figure dont nous allons traiter, c’est de créances d’un indivisaire à l’encontre de
l’indivision qu’il s’agit plus précisément.
4. Les développements qui suivent ne concernent que l’établissement des créances ou
récompenses en leur principe, et non la détermination de leurs montants. Les questions qui
nous retiendront seront celles, d’une part, de la qualification de la créance susceptible de
résulter du mouvement de valeur observé et, d’autre part, du régime probatoire permettant
d’établir l’existence de la créance en fonction de sa nature.
5. Nous nous attacherons aux seuls régimes de la communauté légale et de la séparation
de biens qui représentent la très grande majorité des situations pratiques.
6. Vareille B., Rép. civ., janv. 2011, Dalloz, V° Communauté légale (5° liquidation et
partage), n° 106.

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ÉLOI BUATMÉNARD 73

duquel « toutes les fois que l’un des deux époux a tiré un profit personnel des
biens de la communauté, il en doit la récompense ». Dans le cas qui nous préoc-
cupe, ces principes sont simples à mettre en œuvre : l’acquisition au moyen de
deniers propres, en tout ou partie, d’un immeuble commun générera une récom-
pense à la charge de la communauté et celle d’un bien propre réalisée grâce à des
fonds communs une récompense au profit de celle-ci.
Sur le terrain probatoire, la clarté demeure. S’agissant d’une récompense due
par la communauté, à défaut de reconnaissance du droit à récompense par les
époux, la preuve doit en être rapportée par celui qui en réclame le bénéfice. Ce
dernier doit alors établir, d’une part, l’existence de biens ou de fonds propres
(s’agissant de combattre la présomption de communauté, la preuve devra être
apportée conformément à l’article 1402, alinéa 2 du Code civil) et, d’autre part,
que ces biens ou fonds propres ont profité à la communauté (il s’agit là d’un fait
juridique qui se prouve par tout moyen). S’agissant maintenant d’une récom-
pense due à la communauté, et toujours à défaut de reconnaissance par les deux
époux du droit à récompense de la communauté, la preuve doit en être rapportée
par celui qui en réclame le bénéfice pour le compte de la communauté. Les deux
éléments énoncés ci-dessus doivent également être établis, mais en sens inverse
(existence de biens ou de fonds communs et profit personnel tiré par l’époux des
biens ou deniers communs). Une différence essentielle résulte, toutefois, de ce
que la preuve du premier élément (caractère commun des biens ou fonds utilisés)
est présumée en application de la présomption générale de communauté posée
par l’article 1402 du Code civil.
Pour la situation qui nous retient, la preuve du profit de la communauté ou
du profit personnel de l’époux résultera directement de l’acquisition, respective-
ment, d’un immeuble commun ou propre financé partiellement ou en totalité par
une autre masse. Ce sur quoi nous souhaitons insister à ce stade est qu’il ne sera
rien exigé d’autre de celui sur qui pèse la preuve de la récompense que la double
démonstration de l’utilisation de fonds propres (ou communs) et du profit qu’en
aura tiré la communauté (ou la masse propre) ayant réalisé l’acquisition, lequel
découlera le plus souvent du simple constat de cette acquisition au bénéfice d’une
masse qui ne s’est pas appauvrie. Nul besoin, donc, de rechercher un fondement
à l’obligation de restitution en valeur que constitue la récompense, puisqu’il s’agit
d’une obligation qui découle de la loi elle-même (les articles 1433 et 1437 du
Code civil) aux fins de préservation de l’équilibre des masses propres et commune
et de garantie d’effectivité du principe d’immutabilité du régime de communau-
té. Nul besoin, non plus, de démontrer le caractère injustifié de l’enrichissement
procuré à la masse bénéficiaire de l’opération – et notamment d’établir un excès
contributif, cf. infra – puisque, si la théorie des récompenses est bien une appli-
cation spéciale de l’enrichissement sans cause7, elle répond à une réglementation
propre qui déroge à celle gouvernant la mise en œuvre du quasi-contrat. Il en

7. Si ce n’est techniquement, à tout le moins dans son esprit : cf. F J. et


C G., Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 2001, Armand Colin, n° 549.

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74 RÉFLEXIONS SUR L’ACQUISITION IMMOBILIÈRE AU PROFIT DU CONJOINT

résulte une situation probatoire particulièrement propice à celui qui entend récla-
mer une récompense et une relative prévisibilité des opérations de liquidation
consécutives à une éventuelle rupture du mariage : dans la majorité des cas, le
conjoint commun en biens qui aura financé de ses deniers propres l’acquisition
du logement commun aura droit à récompense et « récupérera sa mise » augmen-
tée de l’éventuelle plus-value prise par le bien financé. Situation bien plus enviable
que celle de l’époux qui se prétend titulaire d’une créance entre époux.

Ce qui l’est déjà moins


Les créances entre époux sont, on le sait, celles qui compensent des mouvements
de valeurs entre les masses propres – en régime de communauté – ou les patri-
moines personnels – en régime séparatiste – des époux, c’est-à-dire dont il est résul-
té l’enrichissement du patrimoine8 de l’un des époux et l’appauvrissement corrélatif
de celui de son conjoint. Si elles sont susceptibles de concerner tant les époux com-
muns en biens que ceux soumis à un régime séparatiste, c’est cependant dans le
cadre du régime de séparation de biens qu’elles apparaissent le plus souvent. Quant
à leurs sources, les créances entre époux ressortissent au droit commun des obliga-
tions. C’est pourquoi elles peuvent avoir pour origine un contrat (prêt, vente, man-
dat, contrat de travail, etc.), un quasi-contrat (gestion d’affaire, répétition de l’indu,
enrichissement injustifié), un délit ou un quasi-délit. Elles peuvent également avoir
pour origine une action récursoire de l’époux qui a payé la dette de son conjoint ou
résulter d’une disposition légale9. Au niveau probatoire, pour que soit reconnue une
créance entre époux, celui qui la réclame devra donc établir l’obligation qui la fonde
en tous ses éléments, le particularisme des créances entre époux ne se révélant qu’au
stade de leur évaluation10.
L’acquisition immobilière effectuée par un époux pour le compte de son conjoint
constitue aujourd’hui le cas le plus typique des situations où une créance entre
époux est réclamée dans le cadre de la liquidation d’un régime de séparation de
biens. Il arrive, en effet, fréquemment que l’acquisition par un époux d’un bien ou
de droits indivis soit réalisée au moyen de deniers fournis par son conjoint (verse-
ment de tout ou partie du prix ou paiement de l’emprunt). Il convient alors de se
demander à quel titre a eu lieu cette remise d’argent. Il pourra ainsi s’agir, notam-
ment, d’un prêt, d’une libéralité ou de la rémunération de l’activité du conjoint
accipiens. Dans ce dernier cas, aucune créance ne sera due puisque le mouvement de
valeurs éteindra une obligation préexistante. Il en sera de même dans le deuxième
cas, sauf en cas de révocation de la donation consentie11. Dans le premier cas, il y

8. Il faudrait, pour être exact, parler de « masse propre » en régime de communauté.


9. Cf. l’article 1100, alinéa 1 du Code civil. On pense notamment aux obligations
contributives des articles 214 et 371-2 du Code civil, ou au jeu de l’article 555 du même code
en cas d’accession.
10. Cf. les articles 1479, alinéa 2, et 1543 du Code civil.
11. Pour mémoire, les donations entre époux effectuée avant le 1er janvier 2005
demeurent révocables au regard de l’ancien article 1096 du Code civil. Celles postérieures à
cette date ne le sont plus en application du nouvel article 1096, alinéa 2 du même code.

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ÉLOI BUATMÉNARD 75

aura une créance entre époux au bénéfice du patrimoine prêteur qui sera évaluée au
profit subsistant12. Il se pourra également qu’aucune justification du mouvement de
valeur ne puisse être caractérisée, ce qui ouvrirait la voie à une action de in rem
verso13. La détermination de l’intention des époux relève de l’interprétation souve-
raine des juges du fond. Elle pourra se révéler fort délicate au regard de la com-
plexité de l’administration de la preuve en de telles situations.
Il appartiendra au conjoint qui invoque la créance, et donc réclame l’exécu-
tion d’une obligation, de prouver celle-ci en application de l’article 1353 du Code
civil (ancien article 1315), étant précisé que la jurisprudence considère qu’il ne
suffit pas au demandeur de prouver la remise de fonds pour justifier l’obligation
de restitution de la somme14, mais qu’il faut également établir l’existence du
contrat de prêt ou d’une reconnaissance de dette15, l’absence d’intention libérale
du demandeur n’étant pas susceptible d’établir à elle seule l’obligation de restitu-
tion de la somme16. La preuve du contrat de prêt, s’agissant d’un acte juridique,
devra se faire par écrit pour toute obligation d’un montant supérieur à 1 500 euros17
mais pourra, cependant, se faire par tous moyens si l’on considère que l’époux
prêteur peut être considéré comme s’étant retrouvé dans l’impossibilité morale de
se procurer un écrit en raison de l’existence d’un lien d’affection18, ce qu’il lui
reviendra d’établir. L’obligation de restitution peut également résulter de la preuve
d’une intention libérale – dont l’appréciation relève des juges du fond19 et qui
doit être démontrée par celui qui l’allègue20 – caractérisant une donation et de la
révocation concomitante de cette dernière lorsque le transfert de fonds est anté-
rieur au 1er janvier 2005 (cf. note 11). L’obligation de restitution peut, enfin, être
d’origine quasi-contractuelle : le transfert de valeur survenu sans contrepartie
peut caractériser un enrichissement injustifié permettant l’exercice d’une action
de in rem verso dont le succès suppose que soient établis l’enrichissement de l’un
des époux, l’appauvrissement corrélatif de l’autre et l’absence de justification de

12. Cf., par ex., Cass. 1re civ., 11 juin 1991, Bull. 1991, I, n° 191, n° 90-12142.
13. Action fondée sur la théorie d’origine prétorienne de l’enrichissement sans cause (Cass. req.,
15 juin 1892, DP 1892, 1, p. 96) aujourd’hui consacrée sous le nom d’enrichissement injustifié aux
articles 1303 et s. du Code civil issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
14. Cass. 1re civ., 17 mai 1978, Bull. 1978, I, n° 192, n° 76-13176 ; Cass. 1re civ., 5 avr.
1993, Bull. 1993, I, n° 141, n° 90-21734 ; Cass. 1re civ., 22 avr. 1997, n° 95-13975 ; Cass. 1re civ.,
19 oct. 2004, n° 01-03812 et plus récemment Cass. 1re civ., 17 nov. 2010, Bull. 2010, I, n° 239,
n° 09-16964.
15. Cass. 1re civ., 23 janv. 1996, Bull. 1996, I, n° 40, n° 94-11815.
16. Cass. 1re civ., 19 juin 2008, Bull. 2008, I, n° 176, n° 07-13912 ; Cass. 1re civ., 8 avr.
2010, Bull. 2010, I, n° 89, n° 09-10977.
17. Article 1359 du Code civil (ancien article 1341). Ce sera très généralement le cas en
présence d’une acquisition immobilière.
18. Article 1360 du Code civil (ancien article 1348, alinéa 1) ; Cass. civ., 13 avril 1923,
DP 1926, I, p. 40.
19. Cf., notamment, Cass. 1re civ., 6 janv. 2004, n° 01-00160 ; Cass. com., 15 mars
2011, n° 10-14886 ; Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, Bull. 2015, I, n° 255, n° 14-24926.
20. Cf. Cass. 1re civ., 28 févr. 1984, Bull. 1984, I, n° 78, n° 83-10310 et plus récemment
Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, Bull. 2012, I, n° 189, n° 11-10960.

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76 RÉFLEXIONS SUR L’ACQUISITION IMMOBILIÈRE AU PROFIT DU CONJOINT

ce flux patrimonial. Cette dernière condition se comprend fort bien : s’il est établi
qu’une cause déterminée fonde le flux patrimonial, ce dernier trouve explication
et la condition défaille21. Ces trois conditions étant remplies, l’appauvri ne pourra
intenter l’action que s’il ne jouit d’aucune autre action née d’un contrat, d’un
quasi-contrat, d’un délit, d’un quasi-délit ou de la loi22. Concevable théorique-
ment, une telle action de l’époux solvens se heurtera le plus souvent à l’obligation
contributive de l’article 214 du Code civil. En effet, il est désormais acquis que la
contribution aux charges du mariage peut inclure le financement de l’acquisition
d’un immeuble. Dès lors, l’article 214 du Code civil apparaîtra souvent comme
l’obligation justifiant le transfert lorsque le bien acquis est le logement de la
famille23, et ce, même si le bien acquis ou amélioré n’est pas indivis mais person-
nel à l’époux accipiens24. Une décision récente a même étendu le champ de l’obli-
gation contributive, lorsque le train de vie du ménage le permet, à l’acquisition
d’une résidence secondaire25. Ainsi, s’il est admis que l’objet de la dépense entre
dans le champ de l’article 214, l’action de in rem verso ne pourra prospérer que s’il
est établi en sus que le transfert de fonds a excédé l’obligation contributive de
l’époux solvens26. Outre qu’une telle preuve est fort difficile puisque le conjoint
accipiens aura presque toujours contribué a minima en industrie (par des travaux
du foyer ou en s’occupant des enfants), elle ne peut, de surcroît, être apportée
lorsque, d’une part, a été insérée au contrat de mariage des époux la clause selon
laquelle chacun d’entre eux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contri-
butive en sorte qu’aucun compte ne doit être fait entre eux à ce sujet et, d’autre

21. Ce que les nouveaux articles 1303-1 et 1303-2, alinéa 1 du Code civil – issus de
l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui consacre dans la loi l’action de in rem verso
sous le nom d’enrichissement injustifié aux articles 1303 et s. – caractérisent clairement :
« L’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation
par l’appauvri ni de son intention libérale » ; « il n’y a pas lieu à indemnisation si
l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel ».
22. C. civ., art. 1303-3.
23. Cass. 1re civ., 15 mai 2013, Bull. 2013, I, n° 94, n° 11-26933 ; Cass. 1re civ., 12 juin
2013, Bull. 2013, I, n° 126, n° 11-26748 ; Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, Bull. 2014, I, n° 152,
n° 13-21005 ; Cass. 1re civ., 5 nov. 2014, n° 13-23557.
24. Cass. 1re civ., 14 mars 2006, Bull. 2006, I, n° 160, n° 05-15980 ; Cass. 1re civ.,
19 nov. 2014, n° 13-26388 ; Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-13795.
25. Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, Bull. 2013, I, n° 249, n° 12-17420 : la contribution aux charges
du mariage, distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation alimentaire, peut en effet
inclure des dépenses d’investissement ayant pour objet l’agrément et les loisirs du ménage. Mais le
financement d’un investissement locatif destiné à constituer une épargne ne relève pas de la
contribution aux charges du mariage : Cass. 1re civ., 5 oct. 2016, n° 15-25944 en cours de publication.
S’agissant non plus de l’objet de la dépense mais de ses modalités, on peut également douter que la
contribution aux charges du mariage puisse se faire au moyen d’apports en capitaux personnels du
conjoint : l’excès contributif serait alors manifeste, sauf à envisager une « capitalisation » de la
contribution qui cadre mal avec son objet que sont les dépenses généralement récurrentes assurant le
train de vie du ménage (en ce sens, cf. C J., « Les acquisitions immobilières, la contribution aux
charges du mariage et les régimes matrimoniaux », AJ fam. 2015, p. 324).
26. Ce qu’il appartient à ce dernier de prouver : Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, n° 13-21005,
préc. ; Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-13795.

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ÉLOI BUATMÉNARD 77

part, les juges du fond ont souverainement estimé cette présomption irréfragable
et, partant, interdisant de prouver que l’un ou l’autre des conjoints ne s’est pas
acquitté de son obligation contributive27.
À ce stade, le conjoint de l’époux solvens ne restera généralement pas inactif :
il tentera de contester l’existence même de la créance en établissant :
– soit le caractère « rémunératoire » du prêt ou de la donation invoqué28 ;
pour ce faire, et en toute rigueur, il faut que l’activité accomplie au bénéfice de
son conjoint ou du ménage soit antérieure au « paiement » de l’époux solvens si
l’on veut pouvoir qualifier ce dernier de rémunératoire ; dit autrement, il s’agit de
démontrer que le soi-disant prêt ou la prétendue donation était destiné à éteindre
une créance antérieure en sens inverse ;
– soit l’existence d’une « cause »29 fondant le prétendu enrichissement invo-
qué ; le plus souvent, il s’agira de l’obligation contributive de l’article 214 du
Code civil, à la condition, naturellement, que soit visée une période à laquelle
cette obligation n’a pas disparu (c’est-à-dire, semble-t-il, antérieure à l’ordon-
nance de non-conciliation).

Il nous paraît résulter de ce qui précède que rapporter la preuve d’une créance
entre époux consécutive au financement par l’un d’eux de tout ou partie d’une
acquisition immobilière au bénéfice de l’autre relève d’un véritable parcours du
combattant que le conjoint solvens aura le plus grand mal à mener à son terme, à
tout le moins lorsque les paiements effectués auront porté sur les échéances de
l’emprunt contracté pour l’acquisition30. Sa situation est donc nettement moins
favorable que celle de l’époux commun en biens qui entend obtenir récompense
pour le financement d’un immeuble commun au moyen de ses fonds propres. La
raison en est qu’aucun dispositif spécial du droit des régimes matrimoniaux com-
parable à l’article 1433 du Code civil ne vient faciliter l’établissement d’une créance

27. Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, Bull. 2013, I, n° 189, n° 12-21892 ; Cass. 1re civ.,
25 juin 2014, n° 13-14326 ; Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-14349, Bull. 2015, I, n° 78 ;
Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-13795, préc.
28. Il est retenu par la jurisprudence lorsque le conjoint bénéficiaire du transfert a collaboré
à la profession de l’époux qui a fourni les fonds dans la mesure où cette activité a excédé la
contribution normale aux charges du mariage (Cass. 1re civ., 24 oct. 1978, n° 76-12557,
Bull. 1978, I, n° 316 ; Cass. 1re civ., 19 oct. 2016, n° 15-25879, en cours de publication). Le
conjoint bénéficiaire peut également faire valoir le caractère indemnitaire du financement par
son conjoint lorsque son activité au foyer a dépassé nettement la contribution aux charges du
mariage (Cass. 1re civ., 3 juill. 1996, n° 94-11990 – il faut alors caractériser la « suractivité
ménagère » du conjoint). Il peut, enfin, invoquer ses sacrifices professionnels, s’il a renoncé à sa
propre carrière pour se consacrer à la gestion des ressources du ménage (Cass. 1re civ., 20 mai
1981, n° 80-11544, Bull. 1981, I, n° 175). L’excès contributif antérieur invoqué en défense par
le conjoint accipiens, de même que ses sacrifices professionnels, doivent être établis par ce dernier.
Si le caractère rémunératoire est retenu, aucune créance n’est due au solvens.
29. Il faudrait plutôt parler de « justification » selon la nouvelle terminologie retenue par le
Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, cf. article 1303 et suivants du Code civil.
30. La situation devrait être plus favorable en cas de paiement en capital de l’apport du
conjoint, cf. note 25.

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78 RÉFLEXIONS SUR L’ACQUISITION IMMOBILIÈRE AU PROFIT DU CONJOINT

entre époux qui se trouve soumise au seul droit commun en son principe. En
effet, nous avons vu que l’article 1479 du Code civil ne déroge au droit commun
que pour l’évaluation des créances entre époux.
À ce point de notre raisonnement, nous pensons avoir suffisamment montré
l’importance fondamentale que revêt l’opération de qualification de la créance en
récompense ou créance entre époux quant à la probabilité pour le conjoint solvens
de recouvrer les sommes investies au profit de l’autre. Mais à bien y réfléchir, ne
devrions-nous pas traiter spécifiquement les situations où la masse enrichie n’est
ni la communauté, ni la masse propre ou le patrimoine personnel du conjoint,
mais l’indivision existant entre les époux ?

Là où tout se mélange
La question posée est a priori incongrue, à s’en tenir à la lettre du Code civil :
nulle part on y trouve trace de la notion de dépense d’acquisition au profit de
l’indivision. Le code ne connaît, en effet, que la notion d’impenses, c’est-à-dire de
dépenses liées soit à l’amélioration, soit à la conservation d’un bien indivis31. Et,
à dire vrai, il n’y a là aucune anomalie : au moment où l’on acquiert un bien
indivis, il n’y a pas encore d’indivision quant à ce bien particulier. La dépense
d’acquisition d’un bien indivis ne profite donc nullement à l’indivision qu’elle
crée mais aux indivisaires dont les patrimoines se trouvent enrichis des quotes-
parts du bien acquis leur revenant respectivement. En toute rigueur, les fonds
avancés par un époux à son conjoint pour l’acquisition d’un bien indivis entre
eux ne devraient donner lieu, le cas échéant, qu’à une créance entre époux et non
à une créance à la charge de l’indivision32. Et ce, que l’avance ait eu pour objet
l’apport des époux au moment de l’achat ou le remboursement des échéances du
prêt souscrit pour cette acquisition.
Et pourtant, en apparente contradiction avec sa jurisprudence assimilant, pour
le calcul des récompenses, le remboursement de l’emprunt contracté pour acquérir
un bien commun à une dépense d’acquisition33, la première chambre civile consi-
dère que les remboursements de l’emprunt contracté pour l’acquisition d’un
immeuble indivis ou devenu par la suite indivis effectués par un époux au cours de
l’indivision constituent des dépenses nécessaires à la conservation de l’immeuble et
donnent lieu à indemnité sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil34.
31. Article 815-13, alinéa 1 du Code civil : « Lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais
l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la
valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être
pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour
la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés ».
32. C’est d’ailleurs précisément ce que dit l’article 515-5-2 in fine dans la situation de
partenaires, et il n’y a aucune raison qu’il en soit autrement entre époux.
33. Cass. 1re civ., 5 nov. 1985, n° 84-12572, Bull. 1985, I, n° 284 ; Cass. 1re civ., 25 mai
1992, n° 90-18931, Bull. 1992, I, n° 155.
34. Cass. 1re civ., 4 mars 1986, n° 84-15071, Bull. 1986, I, n° 51 ; Cass. 1re civ., 7 juin
1988, n° 86-15090, Bull. 1988, I, n° 174 ; Cass. 1re civ., 7 juin 2006, n° 04-11524, Bull. 2006,
I, n° 284 ; Cass. 1re civ., 26 janv. 2011, n° 09-72422 ; Cass. 1re civ., 11 oct. 2012, n° 11-17484.

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ÉLOI BUATMÉNARD 79

Cette jurisprudence ne nous paraît pas devoir être étendue au cas de l’apport
fait par l’un des époux au moment de l’acquisition du bien indivis qui dépasse ses
droits dans l’indivision. En effet, si une décision récente a soumis à l’article 815-
13 la créance d’un époux résultant tant du financement d’une partie de l’apport
de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis que de celui d’une partie
des mensualités de l’emprunt contracté pour le paiement du solde du prix dudit
bien35, un arrêt postérieur36 a, à l’inverse, été rendu au visa des articles 1543,
1479 et 1469, alinéa 3 du Code civil s’agissant de la créance d’un époux séparé de
biens au titre de son apport lors de l’acquisition d’un bien indivis. De plus, et
surtout, une telle extension du champ de l’article 815-13 apparaîtrait pour le
moins discutable à un double titre :
– d’une part, le financement par un indivisaire de tout ou partie de la part de
l’autre indivisaire par des deniers personnels ne peut être assimilé, même théori-
quement, à une dépense de conservation en l’absence de risque « juridique » lié au
non-paiement du prix d’acquisition qui, par hypothèse, a été payé ;
– d’autre part, si l’article 815-13 ignore les dépenses d’acquisition pour ne
connaître que celles de conservation et d’amélioration du bien indivis, c’est, ainsi
que nous l’avons vu, parce que la créance liée à l’acquisition du bien indivis naît
avant la naissance de l’indivision qui ne peut donc être tenue pour débitrice d’une
telle créance37.

Ainsi, lors de l’acquisition d’un immeuble indivis, la contribution d’un époux


excédant ses droits dans l’indivision pourra donner lieu à deux catégories de
créances, selon qu’il s’agira de l’apport initial ou du remboursement des échéances
de l’emprunt : dans le premier cas, il pourra y avoir lieu à créance entre époux et,
dans le second, à créance à l’encontre de l’indivision sur le fondement de l’ar-
ticle 815-13 du Code civil. La reconnaissance d’une créance entre époux sera aléa-
toire, compte tenu de ce qui a été vu précédemment. Qu’en sera-t-il de la seconde ?
L’article 815-13 édicte-t-il une règle comparable en son mécanisme à celle de l’ar-
ticle 1433, ou une simple règle d’évaluation, à l’instar de l’article 1479 ? Autrement
dit, à quel modèle rattacher l’article 815-13 : celui des récompenses, où seul le flux
de valeur et le profit procuré à la masse commune enrichie sont à établir, ou celui
des créances entre époux, où il convient de démontrer, outre le mouvement de
valeur, non pas un simple fait comme le profit tiré par la communauté mais une
véritable obligation juridique de restitution de la somme avancée ?
Si l’on s’en tient à la lettre de l’article 815-13, il paraît difficile de ne pas pen-
cher pour le premier : « Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses
nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits
biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés »38. L’article 1433 exprime un
35. Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-22929, Bull. 2012, I, n° 184.
36. Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-13757, Bull. 2013, I, n° 141.
37. En ce sens, cf. notamment V B. et C-T A, « Indivisions »,
Defrénois, 15 févr. 2014, n° 3, p. 120, chronique, janv. 2012-juin 2013.
38. L’italique est de nous.

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80 RÉFLEXIONS SUR L’ACQUISITION IMMOBILIÈRE AU PROFIT DU CONJOINT

même impératif qui ne paraît pas souffrir exception : « la communauté doit


récompense à l’époux propriétaire toutes les fois qu’elle a tiré profit de biens
propres »39. C’est donc bien à une règle fondant une créance à l’égard de l’indivi-
sion en son principe et non à une seule disposition d’évaluation d’une telle créance
que nous devrions avoir affaire.
Or, là encore, ce n’est pas le chemin que paraît avoir pris la jurisprudence,
marquant ainsi une seconde rupture de cohérence avec le droit applicable aux
récompenses, et une nouvelle source de confusion. En effet, la majorité de la
jurisprudence désormais fournie40 sur la neutralisation par le jeu de la contribu-
tion aux charges du mariage de la créance invoquée par le conjoint solvens en
raison du paiement des échéances de l’emprunt ayant servi à l’acquisition du
logement familial – voire d’une résidence secondaire – concerne des immeubles
indivis. Si l’on aligne les deux règles suivantes : 1) le remboursement au cours de
l’indivision de l’emprunt contracté pour l’acquisition d’un bien indivis constitue
une dépense nécessaire à la conservation de l’immeuble et donne lieu à indemnité
sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil ; 2) en cas de remboursement
par un époux au cours de l’indivision de l’emprunt afférent à un immeuble indi-
vis, la créance réclamée par le conjoint solvens ne peut être admise qu’en cas d’ex-
cès contributif si l’achat du bien concerné entre dans la catégorie des charges du
mariage ; alors il faut nécessairement admettre que l’article 815-13 du Code civil,
malgré la grande proximité des rédactions, ne joue pas avec la même automaticité
que l’article 1433 du Code civil puisqu’il appartient au solvens non seulement de
démontrer la réalité des impenses – comme le créancier d’une récompense aura à
démontrer le profit tiré par la communauté de ses biens propres – mais en sus
d’établir le fondement juridique de sa créance (autre que l’article 815-13 s’en-
tend) – comme le conjoint sollicitant une créance entre époux.
Cette conclusion pourra paraître excessive de prime abord. Pourtant, elle nous
paraît inévitable, bien que probablement non anticipée, pour au moins deux rai-
sons. La première tient à ce que, si l’article 815-13 du Code civil servait de fon-
dement juridique à la créance du solvens ayant réglé des impenses d’indivision,
d’une part, la seule exigence qui pourrait lui être imposée serait de justifier que les
frais qu’il a exposés revêtent effectivement une telle qualification, et d’autre part,
le jeu de l’article 214 du Code civil ne pourrait lui être opposé, à l’instar – jusqu’à
présent en tout cas – du créancier de récompense. La seconde est que la neutra-
lisation de la créance invoquée par l’obligation contributive de l’article 214 ne se
conçoit en réalité, même si cela n’est pas dit explicitement dans les décisions
l’ayant constatée, que dans un raisonnement fondé sur l’enrichissement injustifié
(cf. supra) : lorsque l’on dit à l’époux solvens qu’il n’a fait que s’acquitter de son
obligation de contribution aux charges du mariage en payant l’emprunt

39. Idem.
40. Pour un panorama, cf. C J., « Les acquisitions immobilières, la contribution aux
charges du mariage et les régimes matrimoniaux », op. cit., et D S., « Les créances entre
époux séparés de biens : une neutralisation échevelée ou maîtrisée ? », AJ fam. 2015, p. 452.

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ÉLOI BUATMÉNARD 81

d’acquisition du logement indivis, on lui signifie qu’il n’a pas droit à créance en
ce qu’il n’a fait que payer sa propre dette, ce qui revient à dire que l’enrichisse-
ment procuré avait une justification au sens de l’article 1303-1 du Code civil. Dès
lors, en sollicitant du solvens qu’il démontre son excès contributif, en sus de la
réalité de l’enrichissement procuré (l’économie réalisée par la masse enrichie en ne
réglant pas l’emprunt) et de son appauvrissement (les échéances payées), pour se
voir ouvrir la voie d’une indemnisation, que fait-on si ce n’est exiger de lui la
réunion des conditions propres à l’exercice de l’action de in rem verso ? Et s’il s’agit
bien de cela, il devient évident que le caractère subsidiaire de l’action implique
que le solvens devra invoquer, le cas échéant, à titre principal l’obligation contrac-
tuelle ou légale qui fonde sa créance. Le jeu de l’article 815-13 du Code civil se
trouve donc bien cantonné à une simple règle d’évaluation spéciale des créances
dues par l’indivision, à l’instar de l’article 1479 pour les créances entre époux.
Ainsi, en passant de la lettre de l’article 815-13 à l’analyse de la jurisprudence, le
modèle de référence glisse du mécanisme des récompenses à celui des créances
entre époux.
Mais si 815-13 n’est plus qu’une simple règle d’évaluation des créances à exer-
cer contre l’indivision pour les situations qu’il vise (les impenses), pourquoi n’en
serait-il ainsi qu’entre époux alors que le texte a une portée générale ? L’onde de
choc de la jurisprudence sur la neutralisation de la créance de l’époux solvens par
l’obligation contributive de l’article 214 est donc potentiellement plus impor-
tante qu’il n’y paraît car susceptible d’excéder le cadre de la seule contribution aux
charges du mariage et, par ses présupposés sous-jacents, d’atteindre le fonctionne-
ment de toute indivision en conditionnant le rétablissement des impenses à la
démonstration par l’indivisaire solvens de l’existence d’une obligation de restitu-
tion. Ce qui pourrait heurter les habitudes les mieux ancrées des praticiens.

Quelques pistes pour démêler l’écheveau


Au regard d’un droit positif encore en mouvement, une même situation fac-
tuelle est donc susceptible, selon la masse de biens enrichie, de multiples analyses
juridiques dont la cohérence reste pour partie à construire.
Pour redonner à la matière une cohésion qui commence à lui faire visiblement
défaut, deux pistes opposées peuvent être envisagées : étendre l’empire de la juris-
prudence sur l’obligation contributive aux récompenses, ou le cantonner aux
créances entre époux pour y soustraire les situations relevant de l’article 815-13
du Code civil. La première ayant déjà été analysée de façon argumentée41, nous
esquisserons en guise de conclusion les possibles contours de la seconde.
Sous le bénéfice des développements qui précèdent, il pourrait être proposé
de revenir à une distinction plus nette des créances entre époux et de l’indivi-
sion. Elle passerait tout d’abord par une application littérale de l’article 815-13

41. Cf. C J., « Les acquisitions immobilières, la contribution aux charges du mariage
et les régimes matrimoniaux », op. cit.

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82 RÉFLEXIONS SUR L’ACQUISITION IMMOBILIÈRE AU PROFIT DU CONJOINT

dont la mise en œuvre devrait se faire sur le modèle de celle de l’article 1433 :
redevenue une disposition fondant en droit les créances dues par l’indivision en
cas d’impenses, et ce en toutes situations, sa mise en jeu ne pourrait dès lors être
paralysée par l’article 214 du Code civil. Autrement dit, seules les créances entre
époux devraient pouvoir être compensées par l’obligation de contribution aux
charges du mariage. On objectera à raison qu’une dépense relative à un bien
indivis peut paraître relever plus naturellement de la contribution aux charges
du mariage qu’une dépense réalisée sur un bien personnel, notamment du
conjoint accipiens42, ce que montre à loisir la prédominance de ce cas de figure
dans la jurisprudence sur la neutralisation des créances par l’obligation contri-
butive. C’est pourquoi l’application littérale de l’article 815-13 devrait inclure
l’exclusion des dépenses d’acquisition de son champ d’application, y compris
– et surtout – de celles réalisées par le truchement d’un emprunt. Retournant
ainsi dans le giron des créances entre époux, qu’elles n’auraient jamais dû quit-
ter à notre sens, les créances réclamées en raison du remboursement de l’em-
prunt ayant financé l’achat du logement de la famille indivis continueraient à
pouvoir être neutralisées par le jeu de l’obligation contributive de l’article 214.
Corrélativement, l’article 815-13 pourrait jouer pleinement sa fonction régula-
trice des masses indivises et personnelles des indivisaires sans risquer de voir son
fonctionnement général perturbé par la problématique contributive propre aux
relations entre époux.
Une telle évolution serait possible sans modification des textes, puisqu’il ne
s’agirait là que de revenir sur certains aspects de jurisprudences existantes, sans en
remettre en cause les principaux acquis. Elle serait, à notre avis, de nature à faci-
liter la vie des professionnels du droit appelés à intervenir en ces matières en
favorisant un dispositif global plus intuitif – les mêmes formulations de la loi
générant le même régime juridique, les mêmes opérations matérielles recevant la
même qualification juridique – et, partant, mieux partagé et mieux anticipé en
ses conséquences.

42. En ce sens, C P.-J. et D S., Droit et pratique du divorce, 2015, Dalloz référence,
n° 235-36.

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Articulation des régimes matrimoniaux


et du droit du divorce : une logique à retrouver ?

Jérôme C
Avocat au Barreau de Paris
Maître de conférences à l’Université de Bordeaux

S’il existe bien une question que ni le législateur, ni la Cour de cassation, n’ont
contribué à résoudre, ni même à clarifier, c’est bien celle de l’articulation entre
procédure de divorce, fixation de la prestation compensatoire, et procédure de
liquidation du régime matrimonial. Elle demeure pourtant centrale dans la plu-
part des divorces contentieux, et c’est avec un réel étonnement que l’on constate
que son traitement n’est pas satisfaisant, en dépit de lois prétendant simplifier et
moderniser le droit de la famille. Le constat est d’ailleurs aussi simple à faire que
sévère à énoncer sur le fond : rien n’a été modernisé, rien n’a été simplifié.
Le but de ces quelques lignes, dédiées à un ami notaire dont la clairvoyance et
la qualité de civiliste ne sont plus à démontrer, est de tracer les contours des
grandes questions qui compliquent, plus qu’elles ne simplifient, l’articulation
entre divorce et liquidation du régime, et de proposer, chemin faisant, quelques
solutions pour y remédier, en précisant que ces solutions ne coûtent rien au plan
budgétaire. Le droit civil du e siècle étant un droit étouffé par les considéra-
tions politiques et financières, il n’est pas inutile de souligner que l’on peut encore
faire du droit civil de façon pragmatique et simple, sans vider les poches du
contribuable. Encore faut-il en avoir la volonté.
Trois grandes questions, au moins, nous semblent se détacher lorsque l’on
cherche à identifier les difficultés liées à l’articulation entre le divorce et la liqui-
dation du régime matrimonial1 :
– d’une part, au plan processuel, est-il raisonnable de vouloir maintenir un
lien entre les deux procédures (I) ?
– d’autre part, sous tous les régimes, est-il normal que les créances entre époux aient
un régime si flou et variable, au risque de mal fixer la prestation compensatoire (II) ?
– enfin, en régime de communauté, pourquoi continuer à affirmer que la liquida-
tion du régime est sans incidence sur la fixation de la prestation compensatoire (III) ?
Ces questions sont évidemment liées entre elles, et nous verrons qu’il est pos-
sible de leur apporter une réponse individuelle tout en veillant à ce que chacune
contribue à la création d’un ensemble plus cohérent.

1. Cette liste n’est évidemment pas limitative, mais elle correspond aux questions les
plus évidentes, car les plus sensibles.

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84 ARTICULATION DES RÉGIMES MATRIMONIAUX ET DU DROIT DU DIVORCE

I – DIVORCE ET LIQUIDATION :
LA FARCE DU CONTINUUM PROCÉDURAL

Lorsque le juge prononce le divorce, vide-t-il sa saisine, ou reste-t-il saisi d’une


demande en partage judiciaire ? II est probable que chacun aura gardé en souvenir
cette question, qui a beaucoup agité les esprits depuis quelques années. Tout a
débuté avec la réforme du partage et l’extension des pouvoirs liquidatifs du juge
aux affaires familiales, amenant la Chancellerie à rédiger une circulaire pour affir-
mer la dualité successive des procédures de divorce et de liquidation-partage du
régime matrimonial2, ce qui semblait correspondre aux besoins des juridictions
du fond, lesquelles digéraient doucement mais avec application les nouveautés
qui leurs étaient imposées. C’est alors que la Cour de cassation est intervenue, de
façon assez inattendue et pour tout dire plutôt maladroite, affirmant avec force
que les deux procédures n’étaient pas si distinctes que cela et que le juge du
divorce était, sans le savoir, devenu le juge de la liquidation3. Notre plus haute
juridiction consacrait ainsi l’idée d’un « continuum judiciaire » entre le divorce et
la liquidation, fondé sur l’idée qu’il est quand même mieux de fixer une prestation
compensatoire en connaissant le résultat de la liquidation qu’en ne le connaissant
pas. À la vérité, comment ne pas être d’accord avec une telle affirmation ? Mais la
difficulté n’est pas là. Elle est bien davantage dans la réalité de la liquidation faite
au jour du prononcé du divorce, et au règlement d’ensemble au jour du pro-
noncé. Car les faits sont irrémédiablement têtus, et les juridictions du fond le
savent bien : en dépit des efforts de tous, et pour une infinité de raisons qu’il serait
sans intérêt de détailler ici, il est fréquent que le juge du divorce ne dispose pas
d’une liquidation chiffrée au jour où il statue. Les expertises « 255,10° » sont ici
visées, non pour les accabler, mais uniquement pour constater, objectivement,
qu’elles ralentissent excessivement les procédures de divorce, et que nombre
d’entre elles ne sont pas encore achevées lorsque le juge du divorce statue. Et nous
ne parlons même pas de leur coût pour les justiciables, qui trahit (une fois encore)
une forme de privatisation de la justice civile qui est assez discutable. En outre,
lorsque ces expertises sont bien menées, ce qui arrive souvent, nombre de juges
rechignent à « trancher » les désaccords persistants dans leur décision de divorce.
Comment leur donner tort quand on voit l’accueil frileux (pour dire le moins)
que les cours d’appel, le plus souvent, réservent à ces dossiers étiquetés « divorce »
mais qui sont en réalité lestés de vastes questions liquidatives ? On sent bien, au
quotidien, que les juges du fond opèrent une césure franche entre le divorce d’un
côté et la liquidation de l’autre. Pour eux, ce sont des contentieux distincts, ce qui
se ressent jusque dans l’organisation et le fonctionnement des juridictions4. Il en

2. Circulaire du ministère de la Justice n° CIV/10/10 du 16 juin 2010.


3. Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 12-17394, D. 2013. 591, chron. Capitaine C. et Darret-
Courgeon I. ; ibid., 798, obs. Douchy-Oudot M. ; AJ fam. 2012. 607, Pratique, Buat-Ménard E. ;
RTD civ. 2013. 96, obs. Hauser J. ; Gaz. Pal., 24 nov. 2012, n° 329, p. 17, note Casey J.
4. Les services JAF fonctionnent le plus souvent de façon « horizontale » avec un ou
plusieurs cabinets spécialisés dans la liquidation, alors que la réforme voudrait que chaque

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JÉRÔME CASEY 85

va des magistrats comme des avocats : tous n’ont pas d’appétence pour ces ques-
tions liquidatives, et ceux qui s’investissent dans la matière (avec grand talent le
plus souvent) ne sont pas la majorité. La liquidation est vue comme une spécialité
à part (ce qui n’est pas faux), laquelle doit être traitée à part du divorce.
Par conséquent, il est manifeste que cette jurisprudence de la Cour de cassa-
tion a été superbement ignorée par les juridictions du fond, créant un exemple
peu courant, mais bien réel, de rupture complète entre les juges du fait et les juges
du droit. Semblable hiatus au sein de la magistrature constitue évidemment un
indice majeur de l’existence d’un gros problème de fond, trahissant ainsi la totale
inadéquation de la position arrêtée par la Cour de cassation5. C’est donc sans
surprise que le législateur s’est emparé de la question, ce qu’il a fait en réformant
les articles 267 du Code civil et 1116 du Code de procédure civile6. Il a été écrit
un peu partout que ces textes sont une forme de compromis entre la position des
juges du fond et celle de la Cour de cassation. Cela est sans doute vrai de la posi-
tion du législateur, mais ne correspond à aucune réalité judiciaire postérieure.
Comment s’en étonner ? Aucun compromis n’existe en pratique, car aucun com-
promis n’est possible. Soit on divorce les époux en les renvoyant dans la nature
pour trouver un accord sur leur liquidation, laquelle n’est toujours pas faite, soit
on impose à tout le monde une liquidation complète au moment du prononcé. Il
n’y a pas de voie moyenne possible. D’ailleurs, le système incroyablement com-
plexe issu des articles 267 et 1116 se révèle être, jour après jour, un échec cinglant
en pratique, preuve que les « voies moyennes » n’existent pas. Après plus d’une
année d’application de la réforme, et comme cela était prévisible, la montagne a
accouché d’une souris : personne n’a jamais vu de déclaration commune des
points de désaccords liquidatifs contresignée par avocats7, de même que nul ne
connaît de cas d’un « tranchage » fondé sur une preuve « par tous moyens » des
désaccords subsistants8. Ces nouveautés sont restées au rayon des amusements

cabinet soit spécialisé. La même chose se retrouve à hauteur de cour : les chambres de la famille
apprécient peu, en général, de voir arriver un divorce qui traine quatorze récompenses et
quatre créances entre époux à trancher, alors que ces mêmes juridictions traitent fort bien ces
questions une fois le divorce prononcé. Il s’agit d’un contentieux purement liquidatif, au
demeurant marginal au regard du nombre des divorces, et l’on peut comprendre les réticences
constatées puisqu’il retarde le traitement du contentieux du divorce alors que ce contentieux
liquidatif ne pose de problème majeur lorsqu’il est traité tout seul, post-divorce.
5. V., C J. et B-W N., « Liquidation et partage après divorce. Appel
pour une nécessaire clarification », JCP N 2012, 1302 ; C J. et B-W N,
« Liquidation et partage après divorce : une réforme urgente s’impose », JCP N 2013, 1036.
6. Pour l’article 267, v. ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 – article 2,
entré en vigueur le 1er janvier 2016. Pour l’article 1116 du Code de procédure civile,
v. D. n° 2016-185 du 23 février 2016 – article 3, entré en vigueur le 26 février 2016. Pour
une étude des deux textes, v., C J. et B-W N., « Liquidation et partage
après divorce : l’appel à une clarification a-t-il été entendu ? », Dr. famille 2016, dossier, 2 ;
C J., « Articulation du divorce et de la liquidation : beaucoup de bruit pour rien ? »,
AJ fam. 2016, 294.
7. V., C. civ., art. 267, al. 3 et CPC, art. 1116, al. 2.
8. C. civ., art. 267, al. 2.

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86 ARTICULATION DES RÉGIMES MATRIMONIAUX ET DU DROIT DU DIVORCE

législatifs, les seuls cas de prononcés du divorce avec « tranchage » étant ceux où
un notaire « 255,10° » a été désigné. Et encore… Même dans ce cas, on constate
partout une baisse du nombre de désignations de notaires « 255,10° », preuve
patente de ce que les JAF de France et de Navarre ont bien compris que le justi-
ciable veut avant tout divorcer vite, et que les dossiers à problèmes liquidatifs sont
une minorité dans la masse du contentieux à traiter9.
De sorte qu’aujourd’hui, et en dépit d’une réforme prétendant « moderniser
et simplifier », la situation est revenue à ce qu’elle était avant cette réforme, et
encore cette description correspond-elle sans doute à une vision assez optimiste
de la situation. Plus objectivement, avec des désignations « 255,10° » en berne,
voire purement et simplement abandonnées dans nombre de juridictions de
France10, on liquide certainement moins, au jour du prononcé du divorce, qu’il y
a dix ans. Cette loi n’a donc rien simplifié, et elle n’a rien modernisé non plus
pour ce qui est des questions ici examinées. C’est donc une loi pour rien...
Comment ne pas songer ici au vœu du doyen Carbonnier qui admettait volon-
tiers que l’on ne puisse tout attendre du législateur, ni qu’il soit omniprésent, et
pas davantage omniscient, mais qui demandait cependant que l’on puisse attendre
de lui qu’il soit « un honnête homme »11 ? Où en sommes-nous en 2017 ?
Omniprésent, le législateur l’est, avec une avalanche de textes (lois, ordonnances,
décrets, circulaires…), jusqu’à l’excès. Mais pour quel résultat ? Une réforme pour
rien, véhiculant un compromis dont tout « honnête homme » savait, dès l’ori-
gine, qu’il était voué à l’échec. C’est au fond « l’art de ne pas choisir » érigé en
principe législatif. Le symbole d’une époque fort triste pour notre droit civil.
Alors, que proposer pour l’avenir ? Imaginons qu’un garde des Sceaux coura-
geux et pragmatique veuille constituer un petit groupe de travail (non rémunéré
bien sûr), pour réfléchir à ces questions. Que lui répondrait « l’honnête homme »
(ou femme) civiliste ? Il nous semble qu’il faudrait au législateur faire un choix
clair entre deux idées : soit il affirme l’impossibilité de liquider en même temps
que de divorcer, soit il affirme qu’au contraire cela est possible, mais alors il faudra
qu’il en donne les moyens aux professionnels concernés. Mais la voie moyenne,
on l’a vu, est à proscrire. L’heure serait donc au choix.
L’affirmation selon laquelle le tempo du divorce est trop rapide pour per-
mettre au tempo de la liquidation de s’accorder avec lui possède de solides argu-
ments. À l’heure du désamour, les justiciables veulent aller vite, même dans les
9. Secondairement, preuve est aussi faite de ce que les JAF eux-mêmes n’aiment pas se
percevoir comme des juges de la liquidation. Certains ont l’appétence pour et se sont spécialisés
avec honneur et bonheur, mais ce n’est pas là une tendance générale. Nombre de tribunaux ont
d’ailleurs désigné des cabinets « spécialisés », au rebours de l’esprit des différentes réformes
récentes qui supposent plutôt que chaque cabinet soit spécialisé.
10. Les « jafferies » d’Île-de-France désignent encore des notaires sur 255, 10°, et elles
sont sans doute les dernières du pays à le faire aussi souvent. Mais même dans leurs ressorts, le
nombre de ces désignations est nettement en baisse.
11. C J., Essai sur les lois, 1992, Defrénois, p. 11, rééd. 2013, LGDJ,
coll. Anthologie du droit.

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JÉRÔME CASEY 87

divorces contentieux. Il est toujours dangereux de laisser au contact des personnes


qui ne s’entendent plus, et cette affirmation est encore plus vraie lorsqu’il existe
des enfants. Marcher rapidement vers le divorce devient alors une nécessité. Les
parties ont besoin d’un cadre clair, d’une règle nettement affirmée par le juge, que
ce soit à propos des enfants, du devoir de secours pendant l’instance, ou de la
prestation compensatoire. Certes, pour cette dernière, on répondra que ses cri-
tères peuvent être déjoués, voire malmenés, en ne liquidant pas en même temps,
et l’argument est assurément exact. Il doit cependant être relativisé, notamment
si l’on voulait bien prendre le temps de mieux appliquer les règles gouvernant les
créances entre époux12, et mieux prendre en compte aussi le résultat prévisible de
la liquidation du régime matrimonial13. Rien d’insurmontable donc. Cette pre-
mière voie, minimaliste, qui consiste à divorcer sans liquider, est au demeurant
confortée par les statistiques judiciaires, puisque l’on sait que moins de 15 % des
divorces prononcés donnent lieu, par la suite, à un contentieux liquidatif. C’est
une preuve manifeste de ce que la plupart des justiciables s’épuisent dans leur
divorce et, fatigués par cette première procédure, deviennent plus perméables aux
accords une fois divorcés14. Il ne serait donc pas excessif de soutenir que revenir à
une rupture totale entre le divorce et la liquidation serait une nécessité fondée sur
une observation pratique de la situation.
À l’inverse, le législateur peut choisir de lier fermement les procédures de
divorce et de liquidation, afin que les deux avancent sur le même tempo. C’est
évidemment un choix beaucoup plus ambitieux, qui suppose que des moyens
supplémentaires (et pas seulement financiers) soient mis en œuvre. En effet, pour
parvenir à cette avancée à l’unisson des deux questions (divorce et liquidation), il
conviendrait d’affirmer nettement les choses lors de l’ONC en désignant systéma-
tiquement un notaire, lequel serait contraint, de façon autoritaire et sanctionnée,
à rendre son acte de liquidation-partage15 avant le prononcé, afin de permettre à
chaque partie, le cas échéant, de critiquer ce projet dans leurs conclusions au
fond, en vue du « tranchage » par le juge. Ceci supposerait une réécriture du
Code de procédure civile de façon à aménager cette phase notariale, notamment
en termes de coût, de délais, d’absence ou de silence de l’une des parties, d’obten-
tion des pièces, etc.16. De toute évidence, pendant cette phase, le juge du divorce
devra devenir un vrai juge de la liquidation, et donc aussi être son propre juge
commis, exactement comme pour les partages judiciaires successoraux. Le tout en
étant aussi un JAF « ordinaire » par ailleurs17… L’avantage pour les justiciables est
évident : la prestation compensatoire sera fixée en connaissance de cause, et le
12. V., infra, II.
13. V., infra, III.
14. Reste alors les cas « lourds », soit à gros enjeux, soit purement pathologiques (les
deux critères se combinant parfois !). Mais ces dossiers-là seront de toutes les façons
contentieux, quelles que soient les réformes proposées.
15. Ce qui est bien autre chose qu’une « rapport » comme dans l’actuel article 255, 10°.
16. Il faudrait en outre créer de toute pièce le cadre procédural de cette discussion entre
juge commis, notaire et parties, avant même l’assignation en divorce.
17. Cet adjectif n’a rien de péjoratif sous notre plume, bien entendu.

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88 ARTICULATION DES RÉGIMES MATRIMONIAUX ET DU DROIT DU DIVORCE

travail du notaire ne sera pas payé en vain puisque les parties seront assurées
d’avoir un acte de liquidation-partage en même temps que le divorce18. Bien
entendu, ce système suppose que les JAF aient les moyens de travailler sereine-
ment, qu’ils soient formés à l’exercice liquidatif (lequel deviendrait obligatoire
pour chaque cabinet et abolirait la pratique actuelle du « cabinet spécialisé ») et
qu’ils veillent de près au bon déroulement des opérations. Il est évident que nos
magistrats sont capables de tout ceci. Mais pas dans le système actuel… Et sauf
changement radical dans la dotation budgétaire de la Magistrature, nous ne pen-
sons pas ce système tenable à moyens constants. Lier les deux procédures est un
objectif ambitieux, mais sans doute hors de portée aujourd’hui.
Le bilan est donc assez simple : l’idéal serait de lier les deux procédures,
mais il est sûrement hors de portée, non seulement pour des questions budgé-
taires, mais aussi en raison de la révolution procédurale, et donc de la réorga-
nisation des services, que cela impliquerait19. Ceci écarté, reste la coupure
franche entre le divorce et la liquidation, c’est-à-dire le retour à ce qui a fait ses
preuves, et que l’on peut encore améliorer ainsi que nous allons le voir. Mais
l’entre-deux est un échec, ce que la pratique actuelle prouve amplement. Exit
donc le continuum procédural…

II – LA QUESTION DES CRÉANCES ENTRE ÉPOUX

La question des créances entre époux au moment du prononcé du divorce est


de celles que le législateur a négligées, alors qu’elle est très importante.
Depuis fort longtemps déjà, il est jugé par la Cour de cassation que les
créances entre époux peuvent être réclamées à tout instant pendant la vie com-
mune, et donc aussi pendant l’instance en divorce, y compris pour la première
fois en cause d’appel. Cette solidité du régime procédural de ces créances tranche
singulièrement avec la pratique judiciaire. En effet, lorsqu’un époux divorçant
demande au juge du divorce de statuer sur une telle créance, il lui est presque

18. C’est l’une des critiques les plus fortes contre l’actuel système « 255, 10 » où les
parties paient un émolument qui représente 50 % de celui d’un acte de partage complet, alors
que dans la vaste majorité des cas elles devront recommencer les opérations après le divorce…
Certes, en cas d’accord, on impute cet émolument sur l’acte final de partage rédigé par le
notaire (même si le législateur a temporairement fait disparaître la règle, il l’a heureusement
rétablie), mais cette situation reste hélas minoritaire.
19. En outre, on retrouvera toujours la même difficulté fondamentale : le contentieux
du divorce et de l’autorité parentale est très différent du contentieux liquidatif, lequel est
infiniment plus technique et constitue une spécialité à part. Il est illusoire de vouloir faire de
chaque JAF un spécialiste des régimes matrimoniaux, et ceci, d’une part, parce que tous ne le
veulent pas et, d’autre part, parce que l’investissement requis pour devenir spécialisé impose de
rester en fonction longtemps. Enfin, les dossiers liquidatifs sont bien plus longs à traiter que
des dossiers « divorce/enfant ». Les cabinets JAF sont donc forcés de se répartir la tâche entre
eux (hypothèse du cabinet spécialisé), au risque sinon de les voir tous couler à pic. Ce n’est pas
pour rien que les choses se sont organisées ainsi au fil des ans…

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JÉRÔME CASEY 89

toujours répondu (pour le débouter) que la question relève de la liquidation du


régime matrimonial, ce qui est naturellement inexact au vu de la jurisprudence
précitée, à laquelle on ajoutera celle qui affirme nettement (et avec raison) que le
paiement des créances entre époux ne constitue pas une opération de partage20.
C’est dire l’ampleur du décalage, une fois encore, entre la jurisprudence de la
Cour de cassation et celle des juridictions du fond… Ceci est malheureux, car
ces créances peuvent fortement déjouer les prévisions du juge lors du prononcé
du divorce lorsque la prestation compensatoire est fixée. Ce qui est gagné sur le
terrain de la prestation compensatoire peut être perdu dans le match suivant,
lors de la liquidation…
Pourtant, ici il ne serait pas difficile de faire prévaloir un principe de concen-
tration des demandes, lequel est cependant, à l’heure actuelle, fermement rejeté
par la Cour de cassation21. Une telle rigueur est de notre point de vue regrettable,
car nous ne voyons pas très bien ce qui s’oppose à décider le contraire. En effet,
dès lors que les créances entre époux ne constituent pas une opération de partage,
pourquoi diable ne pas forcer les divorçants à clarifier leurs intentions à leur sujet
au moment du divorce ? Même avec un système étanche, où la phase « divorce »
n’est pas liée à la phase « liquidation », il serait possible d’être plus clair. Après
tout, la loi de 2004 a modifié l’article 262-1 du Code civil dans un sens similaire,
puisque désormais la demande de remontée des effets ne peut plus être présentée
que pendant l’instance en divorce, évitant toute surprise ultérieure. Ce texte
oblige donc les époux à concentrer leurs demandes sur la date des effets, et c’est
une excellente chose. Il est donc fort regrettable qu’à l’occasion de la refonte de
l’article 267 du Code civil, le législateur n’ait pas imposé la même chose aux
époux désireux de faire valoir leurs créances. La sanction serait alors l’irrecevabi-
lité de toute demande relative aux créances entre époux une fois le divorce devenu
définitif. Nul doute qu’ainsi prévenus, les époux seraient beaucoup plus clairs sur
cette question lorsqu’ils concluent sur le divorce contribuant grandement à une
fixation plus juste de la prestation compensatoire.
Ce regret est d’autant plus fort que les juges du fond sont saisis depuis longtemps
d’une question récurrente qui est celle des remboursements entre époux concernant le
financement du logement familial, que celui-ci soit un bien personnel ou indivis22. Ce
contentieux est important, sans être toujours très bien traité au plan jurisprudentiel,
la position de la Cour de cassation ayant été parfois moins nette que celle des cours
20. V., encore dernièrement, l’affirmant nettement, Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-22929,
Bull. civ. I, n° 184 ; D. 2012. 2307 ; AJ fam. 2012. 564, obs. Hilt P. ; RTD civ. 2012. 766,
obs. Vareille B. ; ibid. 767, obs. Vareille B.
21. C’est ainsi que la Cour de cassation refuse d’imposer ce principe de concentration des
demandes en permettant d’utiliser la voie de l’action en partage une fois le divorce prononcé, et
ceci alors qu’il n’existe en tout et pour tout qu’une seule créance entre époux à régler, quelle
occasion ratée… V., Cass. 1re civ., 23 nov. 2016, n° 15-27497 ; AJ fam. 2017, 64, obs. Casey J.
22. Nous n’entrerons pas dans le débat de savoir s’il s’agit d’une créance entre époux, ou
d’une créance contre l’indivision, la Cour de cassation retenant actuellement la seconde
solution. Il suffit de constater ici que ces créances peuvent être revendiquées à tout instant et
ne supposent pas une liquidation d’ensemble pour être payées.

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90 ARTICULATION DES RÉGIMES MATRIMONIAUX ET DU DROIT DU DIVORCE

d’appel23. Fort heureusement, en mai 2013, cette dernière a clarifié sa position24, ren-
dant ensuite toute une série de décisions par lesquelles elle a précisé l’incidence de la
clause du contrat de mariage relative à cette contribution25, puis le domaine de cette
jurisprudence, en y incluant (dans une affaire un assez exceptionnelle il est vrai) la
résidence secondaire26, mais en décidant d’en exclure les investissements locatifs27.
Autant dire que fixer une prestation compensatoire lors du prononcé du divorce dans
l’une ou l’autre de ces circonstances est devenu un exercice effectué à l’aveugle si ces
questions ne sont pas purgées en même temps. Il est manifeste que la logique la plus
élémentaire commande de jouer cartes sur table et de ne fixer la prestation compensa-
toire qu’en connaissance de cause, c’est-à-dire en fixant aussi la situation au plan des
créances entre époux28. Cela semble d’autant moins extravagant que l’article 271 du
Code civil dispose en son alinéa 8 que le juge prend en compte, notamment, « leurs
droits existants ou prévisibles ». L’idée d’une concentration des demandes au stade du
prononcé du divorce peut donc s’appuyer sur la lettre même de l’article 271, ce qu’il
importe de souligner. Reste juste à le décider…
Enfin, on ajoutera que s’il nous paraît juste de décider que le choix du régime
de séparation de biens ne doit pas être dénaturé par une prestation compensatoire
qui prendrait des allures de communauté rétroactive29, en toute logique l’inverse

23. Pour une étude sur dix ans de la position des juges du fond et de celle, plus fluctuante,
de la Cour de cassation, v. C J., « Le financement du logement de la famille en séparation
de biens », Gaz. Pal., 24 août 2013, n° 236.
24. Cass. 1re civ., 15 mai 2013, n° 11-26933, AJ fam. 2013. 383, obs. Blanc-Pelissier S. ;
D. 2013. 1208 ; ibid. 2242, obs. Brémond V., Nicod M. et Revel J. ; ibid. 2014. 1342,
obs. Lemouland J.-J. et Vigneau D. ; ibid. 1905, obs. Brémond V., Nicod M. et Revel J. ;
RTD civ. 2013. 582, obs. Hauser J. ; ibid. 2014. 698, obs. Vareille B. ; 15 mai 2013,
n° 11-24322 ; 15 mai 2013, n° 11-22986 ; 1er avr. 2015, n° 14-13795 et n° 14-12938,
AJ fam. 2015. 297, obs. Casey J. ; 22 juin 2016, n° 15-21543, AJ fam. 2016. 443,
obs. Casey J. Sur l’ensemble de la question, v. C J., « Les acquisitions immobilières, la
contribution aux charges du mariage et les régimes matrimoniaux », AJ fam. 2015, 324.
25. Cass. 1re civ. 25 juin 2014, n° 13-14326, RTD civ. 2014. 624, obs. Hauser J. ;
25 sept. 2013, n° 12-21892, D. 2013. 2682, note Molière A. ; ibid. 2014. 1342,
obs. Lemouland J.-J. et Vigneau D. ; ibid. 1905, obs. Brémond V., Nicod M. et Revel J. ;
AJ fam. 2013. 647, obs. Hilt P. ; RTD civ. 2013. 821, obs. Hauser J. ; ibid. 2014. 698,
obs. Vareille B. ; ibid. 703, obs. Vareille B.
26. Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, n° 12-17420, D. 2014. 527, note Viney F. ; ibid. 1342,
obs. Lemouland J.-J. et Vigneau D. ; ibid. 1905, obs. Brémond V., Nicod M. et Revel J. ;
AJ fam. 2014. 129, obs. Hilt P. ; RTD civ. 2014. 698, obs. Vareille B. ; ibid. 704, obs. Vareille B.
27. Cass. 1re civ., 5 oct. 2016, n° 15-25944 ; AJ fam. 2016, 544, obs. Casey J.
28. Lorsqu’il n’y a qu’une créance sur laquelle statuer, on pourrait douter de la pertinence
même de permettre au demandeur d’agir post divorce sur le fondement d’une action en compte-
liquidation et partage puisque, précisément, il n’y a rien… à partager ! Mais la Cour de cassation
est d’un avis contraire et approuve une cour d’appel de soumettre une telle action aux conditions
de l’action en partage et donc de dire que le PV de difficulté du notaire est interruptif de
prescription dès lors qu’une demande en paiement est clairement formulée, v. Cass. 1re civ.,
23 nov. 2016, n° 15-27497 ; AJ fam. 2017, p. 34, obs. Casey J. Rien ne dit que le juge du divorce
ait pu prendre en compte cette revendication au jour où il a fixé la prestation compensatoire…
29. V., not., Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-20480 ; Cass. 1re civ., 9 déc. 2009, n° 08-16180 ;
Cass. 1re civ., 26 janv. 2011, n° 10-30262 ; RTD civ. 2011, 332, obs. Hauser J.

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JÉRÔME CASEY 91

doit être vrai aussi : la prestation compensatoire ne devrait jamais être dénaturée
par une créance entre époux qui jouerait les effaceurs de prestation compensatoire
rétroactifs, surtout quand on se souvient que ladite créance ne constitue pas une
opération de partage…
Pour être très concret, il est bien évident que décider du montant de la presta-
tion compensatoire ne se fait pas de la même façon selon que l’on décide en
même temps que le créancier potentiel de cette prestation n’aura rien à rembour-
ser au titre de financement de tel immeuble, ou non… Or, si la jurisprudence de
2013 est très claire quant au logement de la famille, elle possède encore de larges
zones d’ombre, tel que le sort du capital personnel investi, ou la nature des autres
immeubles, le cas des investissements locatifs manifestant une certaine forme
d’empirisme, pour ne pas dire d’arbitraire, sans compter que ces différents cas
peuvent s’additionner les uns aux autres sans que l’on sache si l’époux créancier
les revendiquera tous en même temps ou certains d’entre eux seulement… Il est
donc manifeste qu’un souci de cohérence élémentaire conduit à de ne pas fixer la
prestation compensatoire sans avoir préalablement tranché la question d’éven-
tuelles créances quant à ces biens. Mais ce n’est pas ce qui se fait actuellement…
Le législateur serait donc bien inspiré de le dire à l’occasion d’une énième
(mais cette fois utile) réforme. Et dans l’intervalle, la Cour de cassation pourrait
parfaitement le décider par une décision de principe de large portée. Cela ne
coûterait rien au plan budgétaire, mais constituerait une mesure de rationalisa-
tion du divorce plus que bienvenue…

III – LA QUESTION DU BONI DE COMMUNAUTÉ

Chacun se souvient que la Cour de cassation décide de façon constante (depuis


assez longtemps maintenant) que lorsque le juge statue sur la prestation compen-
satoire, il n’a pas à tenir compte de la part de communauté devant revenir à
chaque époux. Fut une époque où la Cour de cassation apportait un tempéra-
ment, tenant à l’existence éventuelle de « circonstances particulières affectant la
nature des biens communs à partager », que notre collègue Bernard Vareille avait
analysée comme devant s’appliquer aux biens frugifères30. Mais cette formulation
a été abandonnée par la suite, au profit d’une autre, plus directe, qui relève l’as-
pect égalitaire de la liquidation pour en conclure à l’absence d’incidence sur la
disparité, malgré la présence, là encore, de biens frugifères31. On cherche donc en

30. V., not., Cass. 2e civ., 14 janv. 1998, n° 95-22059, RTD civ. 1999. 172, obs. Vareille B. ;
Cass. 1re civ., 17 juin 1998, n° 96-18648, Bull. civ. II, n° 194 ; Cass. 1re civ., 7 mai 2002,
n° 00-21536, RTD civ. 2002. 791, obs. Hauser J. ; Dr. famille 2002, n° 87, note Lécuyer H. ;
Cass. 1re civ., 30 nov. 2004, n° 03-18158, Bull. I, n° 293 ; AJ fam. 2005, 275, obs. David S.
31. V. Cass. 1re civ., 1er juill. 2009, n° 08-18486 ; Bull. civ. I, n° 146. Jurisprudence répétée
avec le même motif depuis lors, v. Cass. 1re civ., 11 mai 2012, n° 11-10558 ; Cass. 1re civ.,
11 sept. 2013, n° 12-21195 ; Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n° 14-17534 ; Cass. 1re civ. 31 mars
2016, n° 15-18065 ; Cass. 1re civ., 21 sept. 2016, n° 15-14986.

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92 ARTICULATION DES RÉGIMES MATRIMONIAUX ET DU DROIT DU DIVORCE

vain, aujourd’hui encore, quelles pourraient être ces « circonstances particu-


lières »32, ce qui donne au paravent de l’égalité une très large ombre portée…
Pourtant, cette jurisprudence est critiquée depuis fort longtemps, y compris
par des auteurs éminents, dans d’autres Mélanges33. Mais rien n’y fait, la Cour de
cassation la maintient envers et contre tout, sans que l’on comprenne réellement
le fondement d’une position aussi catégorique.
Il est pourtant évident que cette jurisprudence heurte de plein fouet la lettre même
de l’article 271 du Code civil, qui dispose clairement que le juge du divorce, pour
statuer sur la prestation compensatoire, prend en considération, notamment, « le
patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liqui-
dation du régime matrimonial »34. Ceci revient à dire que la détermination (exacte ou
prévisible) du résultat de la liquidation du régime matrimonial constitue un préalable
à la fixation de la prestation compensatoire par le juge. Le législateur de 1975, qui a
écrit ce texte, était à n’en pas douter plus fin juriste que celui de 2016, et il est bien
dommage que ses directives ne soient pas respectées par la Cour de cassation, au nom
d’une conception de la disparité qu’elle semble seule à partager.
D’ailleurs, une fois encore, l’observateur est frappé de constater qu’il y a sans doute
ici aussi un fossé qui s’est creusé entre le Quai de l’Horloge et les juridictions du fond.
La pratique quasi quotidienne des « jafferies » aux quatre coins de l’hexagone révèle
que l’immense majorité des juges du fond ne raisonnent pas comme la Cour de cas-
sation, et heureusement. Pour reprendre l’exemple d’Alain Bénabent, une prestation
compensatoire ne sera évidemment pas arbitrée pareil si la disparité est de 10 à 100 ou
de 610 à 700. Il serait d’ailleurs très intéressant de mener une étude comparative
auprès des juges, en leur demandant quel aurait été le montant de la prestation com-
pensatoire si l’on avait enlevé la part de communauté et de rapporter ce chiffre à celui
finalement décidé en tenant compte de la communauté… Il est bien évident que
l’existence d’un boni de communauté, surtout s’il est rondelet, constitue un puissant
« amortisseur » de la prestation compensatoire. Cependant, entre le faire de facto (et
presque en catimini), et le faire en s’appuyant expressément sur un texte et la jurispru-
dence de la Cour de cassation (si celle-ci devait changer), il y a un pas important. Les
juges le décideraient d’autant plus si cela était expressément dit.
Au demeurant, un argument de logique peut être opposé à la jurisprudence
de la Cour de cassation. S’il est vrai que la prestation compensatoire ne peut
servir à « corriger » le choix d’origine du régime de la séparation de biens35, il est
32. Dans le même sens, parlant d’une exception en « trompe-l’œil », D S., Droit et
pratique du divorce, 2016, Dalloz, n° 21557.
33. B A., « Assainir l’après divorce. De quelques réflexions propres à... », in
Mélanges Danièle Huet-Weiller, 1994, PUS/LGDJ, 1994, p. 19, spéc. p. 23, qui donne
l’exemple suivant : « Soit, hors communauté, des actifs de 10 et 100, c’est-à-dire une forte
disparité ; après partage d’une communauté de 1 200, ce rapport passe de 610 à 700 et la
disparité s’évanouit ». L’observation conserve toute sa force 23 ans (et quelques réformes) plus
tard… ; v. également, D S., Droit et pratique du divorce, op. cit.
34. C. civ., art. 271, al. 7.
35. Ce qui est tout à fait exact, v. supra.

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JÉRÔME CASEY 93

non moins vrai, en bonne logique, que cette même PC < prestation compensa-
toire > ne peut conduire à « aggraver » le choix de la communauté en faisant
payer deux fois le même avantage à l’un des époux. Or, en affirmant brutalement
que le résultat de la liquidation n’est pas à prendre en compte parce qu’il est
égalitaire, et donc neutre en termes de disparité, on oublie que chaque époux
bénéficie, grâce au choix de ce régime, des acquêts de l’autre, quand bien même
le bénéficiaire n’a strictement rien fait pour aider à les constituer. Certes, une vie
de ménage ne se résume pas à créer des acquêts, c’est bien entendu. Il y a la part
de ce qui s’évanouit avec le temps qui passe : faire les courses, aller chercher les
enfants à l’école, les amener à leurs activités extra-scolaires, etc. Pendant que tout
cela se fait, sans engendrer d’acquêts en dépit du réel travail que cela représente,
l’autre époux aura sans doute mené une activité rémunérée, créatrice d’acquêts,
lesquels ont permis d’acquérir une maison, de faire des économies… Cependant,
le choix du régime matrimonial compense structurellement la distorsion qui
apparaît peu à peu, car celui qui n’a pas « créé » d’acquêts par son travail (ou son
oisiveté !), profite quand même des acquêts créés par l’autre. C’est là un effet
mécanique du choix du régime de communauté36. Celui qui s’est plus sacrifié
professionnellement, celui qui s’est davantage consacré au foyer, celui qui a été
malade, n’est pas laissé sans rien, son régime matrimonial lui garantissant de
recevoir la moitié de la richesse commune née du mariage du chef de son
conjoint. Dans ces conditions, il est assez évident que le régime de communauté
empiète largement sur le domaine de l’article 271 du Code civil, spécialement
quant aux critères relatifs au sacrifice de carrière, des choix professionnels, du
temps consacré à l’éducation des enfants, et l’incidence de tout ceci sur les droits
à retraite. Faire comme si le boni de communauté vaut zéro, c’est implicitement
admettre que ces éléments seront payés deux fois. Une première fois par le par-
tage des acquêts. Une seconde fois par la prestation compensatoire. C’est évi-
demment absurde et très injuste. Mais surtout, cela consacre un dévoiement de
la prestation compensatoire, laquelle devient alors une machine à dénaturer le
régime de communauté et donc à déjouer les choix initiaux des époux. Répétons-
le : si la prestation compensatoire ne doit pas dénaturer le régime de la sépara-
tion de biens, elle ne doit pas davantage dénaturer le régime de communauté. Ce
qui est vrai d’un régime, doit forcément l’être de l’autre. Naturellement, ceci ne
signifie pas que l’existence d’un boni de communauté doit conduire à exclure
tout droit à prestation compensatoire37. Mais l’on ne peut davantage dire que la
liquidation de la communauté n’a pas à être prise en compte, parce qu’elle est
égalitaire. L’excès est le même dans les deux cas.

36. La discussion est la même en régime de participation aux acquêts, encore que la
Cour de cassation n’ait jamais jugé (à notre connaissance) qu’il ne fallait pas tenir compte de
la créance de participation pour fixer la prestation compensatoire. Sans doute n’en a-t-elle pas
eu l’occasion… Mais face à cette communauté en valeur, nul doute que le raisonnement de
nos hauts magistrats serait identique à celui qu’ils tiennent face à une communauté en nature,
ou alors c’est à n’y rien comprendre…
37. Et ceci indépendamment de la question de savoir de la disparité constatée du fait des
différences entre masses propres, de revenus, de perspectives d’avenir, etc.

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94 ARTICULATION DES RÉGIMES MATRIMONIAUX ET DU DROIT DU DIVORCE

En réalité, la jurisprudence de la Cour de cassation consiste à faire des mathé-


matiques là où l’on devrait faire de la sociologie. Là est son erreur. Un époux
commun en biens est une sorte d’associé, ce que le doyen Carbonnier a fort bien
souligné depuis sa thèse de Doctorat38. Chaque époux profite donc de la richesse
commune, y compris de celle qu’il n’a pas (directement) contribué à créer. En lui
payant néanmoins sa part lors du partage, son conjoint paie déjà une partie de ce
qui est visé à l’article 271.
En jugeant comme elle le fait, la Cour de cassation invite les juges du fond à
raisonner comme si les époux étaient séparés de biens, puisque la communauté
devient transparente, invisible. Il ne reste plus que les biens propres… Or, par
hypothèse, ces époux ne sont pas en séparation de biens… Ils ont au contraire
choisi un statut matrimonial qui les associe à la richesse née du mariage. Leur
régime poursuit donc un but qui recoupe partiellement celui poursuivi par la
prestation compensatoire. Il est très injuste, et pour tout dire absurde, de ne pas
tenir compte de cette réalité.
Il serait donc utile que la Cour de cassation modifie sa jurisprudence et cesse
de vouloir tenir un raisonnement mathématique, là où les sciences dures n’ont
rien à faire. La loi du 11 juillet 1975 était beaucoup plus juste et réaliste, raison
pour laquelle la liste indicative des critères de la prestation compensatoire posée
par l’article 271 mérite d’être respectée. Il serait temps que la Cour de cassation
respecte la lettre de l’alinéa 7, plutôt que de tenter d’imposer une jurisprudence
qui est, il faut oser le dire, purement contra legem.

*
* *

La conclusion de tout ceci est assez simple à formuler, et ressemble à un vieux


débat entre Josserand et Carbonnier : la primauté de la jurisprudence39, ou celle
de la loi40 ? Cette petite étude montre que la loi récente est vide d’application, et
que la jurisprudence n’a pas encore réussi à prendre cette place vacante. Il ne fau-
drait cependant pas grand-chose, nous l’avons vu, pour que la Cour de cassation
parvienne à combler cette triste vacuité législative. Pour cela, il lui faut reconsidé-
rer sa jurisprudence de façon transversale, et entendre ce que la doctrine lui dit
38. C J., Le régime matrimonial, sa nature juridique sous le rapport des notions
de société et d’association, thèse, 1932, Bordeaux ; v. aussi ce qui ressemble fort à un hommage,
G J.-P., D. 2004, n° 28, p. 2723.
39. J L., Cours de droit civil positif, 1930, Sirey, préface, qui écrit : « Le droit que nous
avons pris pour objet de notre étude est avant tout le droit jurisprudentiel... C’est la jurisprudence
qui constitue la matière première sur laquelle doivent s’exercer nos recherches ; le droit est tel qu’elle
le comprend et l’aménage, les documents législatifs n’étant que des matériaux dont l’assemblage et
la mise en œuvre lui sont confiés ». Le même écrit plus loin, dans une formule restée célèbre, qu’il
faut aller « par la jurisprudence, au-delà de la jurisprudence » (op. cit., n° 94).
40. On sait que le doyen Carbonnier tenait la jurisprudence pour une « autorité », étant
un fervent défenseur de la loi, quitte à la critiquer sévèrement, v. C J., Droit civil.
Introduction, 27e éd., 2002, PUF, n° 32.

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JÉRÔME CASEY 95

depuis quelques années déjà. À cet égard, ses arrêts du 7 novembre 2012 pou-
vaient passer pour des provocations législatives, comme on en a connu dans
d’autres matières. Ils n’en demeurent pas moins des décisions qui ont inquiété la
pratique et isolé nos hauts-magistrats de leurs collègues du fond. Le Quai de
l’Horloge ne peut pas être une île juridique, même s’il est physiquement situé sur
une île… Quand le législateur est un piètre juriste, que ses lois balaient le vide,
c’est alors que ce que Demolombe appelait « la partie dramatique de la législa-
tion », c’est-à-dire la jurisprudence, doit venir peu à peu affirmer des solutions
claires, simples et cohérentes entre elles, en attendant que la loi ne retrouve une
qualité suffisante pour être utile et opérante. La question de l’articulation du
divorce et de la liquidation du régime matrimonial ne pourrait fournir meilleur
exemple de ce débat. Dans cette perspective, la Cour de cassation ne peut dura-
blement se couper de sa base et affirmer des solutions que les juges du fond ne
suivent pas. Elle ne peut être dogmatique, mais doit au contraire être pragma-
tique et organiser un système cohérent à défaut d’un droit positif qui le soit. De
ce point de vue, la dure réalité quotidienne des JAF ne peut être ignorée. Elle ne
peut qu’être entendue, afin que ce travail de terrain soit simplifié et rationnalisé,
et non compliqué à l’extrême. Le justiciable a tout à gagner à cela, et tout à perdre
dans un système doctrinaire et abstrait.
Dans un monde idéal, il serait évidemment préférable que prestation compen-
satoire et partage marchent au même pas, et que le divorce n’intervienne que
partage fait, avec un notaire désigné dès le début de la procédure, avec un calen-
drier strict et des moyens d’action renforcés. Mais nous avons vu que ce système
idéal n’est pas pour demain, les insuffisances budgétaires pesant leur poids, certes,
mais sans doute moins que la sociologie, qui voit des époux divorçant être des
gens pressés, bien plus que ne le seront jamais des copartageants.
Dans un monde moins idéal, mais bien réel, il serait possible d’avancer quand
même, ne serait-ce qu’en imposant le principe de la concentration des demandes
lors du prononcé du divorce, et en tirant toutes les conséquences du choix du
régime des époux, y compris celui de communauté, contrairement à ce que décide
la Cour de cassation, ainsi que cela a été vu. Faire cela ne coûterait strictement
rien au budget de l’État, ce qui doit être souligné. Cela obligerait aussi les époux
à faire de vraies projections liquidatives, au point de densifier considérablement
les « PRIPP »41, afin d’identifier d’éventuelles créances qui risqueraient d’être per-
dues dans le cas contraire, ou encore de faire apparaître la réalité d’une belle
communauté, afin de diminuer le choc de la prestation compensatoire. Dans ce
système rénové et « aiguisé », le notaire aurait toute sa place. Sans doute pas
comme « 255,10 », dont nous avons vu que le système est à bout de souffle, mais
comme allié objectif des époux. Certes, il est des cabinets d’avocats pour faire
seuls de vraies belles liquidations, mais l’immense majorité de ceux qui font du
JAF ne liquident pas eux-mêmes le régime matrimonial des époux. Le notaire
pourrait ici amener une vraie expertise, un savoir-faire indiscutable, au service des

41. C. civ., art. 257-2, « Proposition de règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux ».

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96 ARTICULATION DES RÉGIMES MATRIMONIAUX ET DU DROIT DU DIVORCE

parties, et en concours avec leurs conseils. Au lieu d’un système judiciaire rigide
et entravant, on peut imaginer un système souple et extra-judiciaire. Quelque
chose qui pourrait même prendre la forme d’une procédure participative…
L’articulation du droit du divorce et du droit des régimes matrimoniaux peut
donc être aisément améliorée, sans même bouleverser les textes existants. La Cour
de cassation peut y contribuer très fortement en modifiant deux jurisprudences
anciennes, mais contestées. Le notariat, auquel le dédicataire de ces lignes a tant
donné, y a toute sa place aussi, dans le rôle de juge de paix dans lequel il brille le
plus. Avec en son sein des professionnels, hommes et femmes, de la trempe de
Jacques Combret, nul doute que l’articulation entre divorce et liquidation sera
demain moins arthrosique et plus déliée qu’elle ne l’est aujourd’hui…

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Les droits successoraux du concubin survivant

Sonia B H Y


Maître de conférences, HDR
Université de Corse Paquale Paoli

1. Si le législateur et le juge sont enclins à favoriser un droit commun du


couple1, l’alignement des droits, entre couples mariés et couples non mariés,
demeure partiel, sur de nombreux pans du droit de la famille. Selon le Conseil
constitutionnel, « le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui attri-
bue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre
les couples (…) peut justifier une différence de traitement quant aux règles du
droit de la famille »2.
Le droit commun du couple n’est-il alors que fictif ?
2. À cet égard, en matière successorale, époux, partenaires et concubins
échappent à un régime identique. Le législateur attribue des droits aux conjoints
que ne connaissent pas nécessairement les autres unions. La césure est encore plus
marquée entre mariage et concubinage.
Nulle analogie3 entre le statut du concubin survivant4 et celui du conjoint
survivant5. Bien plus, le concubin survivant, par principe, est privé de droits suc-
cessoraux (I). Dans une décision remarquée du 15 décembre 20156, la cour d’ap-
pel de Toulouse énonce ainsi que « l’existence d’un concubinage stable est sans
conséquence juridique ». Cette position prétorienne aurait pu se comprendre en
1804, lors de la promulgation du Code civil, lorsque seul le mariage se voulait
l’union légitime. Mais aujourd’hui, en ce début du e siècle, peut-on
1. « Reconstruire la famille, un droit commun pour le couple ? », Actes du colloque,
université de Lille 2, 11 mai 2007 », LPA, 20 déc. 2007, numéro spécial ; « Mariage, Pacs,
concubinage : le guide », AJ fam. 2014, p. 658 et s. et AJ fam. 2015, p. 14 et s. ;
L J.-J., « L’émergence d’un droit commun des couples », in F H (dir.),
Mariage-conjugalité. Parenté-Parentalité, 2009, Dalloz, p. 33 ; L X., Le droit commun du
couple, 2012, Presses universitaires du Septentrion.
2. Cons. const., 28 janv. 2011, n° 2010-92 QPC.
3. B B. et B J.-R., Droit des personnes et de la famille, 2015, LGDJ,
coll. Cours, n° 1041.
4. B W., La protection du conjoint survivant, préf. N M., 2009, Defrénois ;
B J.-C. et R L., Vivre en union libre, 2005, Delmas, p. 211.
5. B H Y S., « Concubinage », Rép. civ. 2016 ; G-L F.,
« Concubinage », JCl. Civil, art. 515-8, 2010.
6. CA Toulouse, 15 déc. 2015, n° 15/1063, Juris-Data, n° 2015-028279,
RTD civ. 2016, p. 591, obs. Hauser J. Adde. B H Y S., « Le concubin survivant,
privé de droits patrimoniaux », Dr. famille 2016, étude n° 6.

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98 LES DROITS SUCCESSORAUX DU CONCUBIN SURVIVANT

légitimement continuer à maintenir cette même sévérité, alors que la diversité des
modes de conjugalité est légalement consacrée7 et que le législateur n’ignore plus
le concubinage8, lui faisant produire certains effets juridiques ?
Aussi, pour contourner le statut prohibitif de succession et afin de protéger le
concubin survivant, se développent-ils des mécanismes contractuels. L’on assiste
ainsi à des modes alternatifs de succession (II).

I – LE CONCUBIN SURVIVANT,
SOUMIS À UN STATUT PROHIBITIF DE SUCCESSION

3. « La succession est dévolue par la loi aux parents et au conjoint successibles


du défunt »9. In jure, l’article 731 du Code civil10 exclut le concubin survivant de
la dévolution légale. Le concubin survivant11 n’a pas, légalement, la qualité d’héri-
tier12 et n’a pas une vocation successorale légale. Il échappe à la succession ab
instat. Nécessairement, les concubins n’héritent pas l’un de l’autre.
4. Cette prohibition n’est pas partagée par l’ensemble des législations. Dans
certains pays d’Amérique latine, comme le Mexique ou le Brésil13, le concubinage
confère des droits successoraux.
De même, dans le Monténégro14 ou en Slovénie15, les concubins héritent l’un
de l’autre.
Le concubin est pleinement assimilé au conjoint.
5. En droit positif français, il en va différemment. Le législateur tend à poser
une assimilation restreinte, entre concubins et époux, créant les affres de la
concurrence16. Il reconnaît certains droits comparables en matière sociale, en

7. F H (dir.), Mariage-conjugalité. Parenté-Parentalité, op. cit.


8. B R., « Le concubinage, dix ans après », Dr. famille 2001, chron. n° 5.
9. B B. et T-C S., Libéralités et successions, 2015, LGDJ,
coll. Cours, 2015, n° 371 et s. et 480 et s.
10. B B., D C S J.-M. et T-C S., « Dévolution légale
et réserve », Lamy Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités, 2013, n° 208 ;
F J., « Succession. Règles générales de dévolution successorale. Droit du conjoint
survivant. Égalité entre les filiations », JCl. Civil, 2007, art. 731 à 733 ; L G R. et
C G., « Succession 1° dévolution », Rép. civ. 2009, n° 292.
11. Cons. const., 29 juill. 2011, n° 2011-155 QPC.
12. Sur la qualité d’héritier : O A Y., La qualité d’hériter, thèse, 2011,
Toulouse 1 ; B B. et T-C S., « Qualités requises pour succéder », Lamy
Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités, 2016, n° 212.
13. D A., Le concubinage en droit international privé, préf. F H., 2004,
LGDJ, n° 123.
14. R T., « Monténégro », JCl. Droit comparé 2015, n° 64 et n° 160.
15. Z K. et N B., « Slovénie. Introduction au droit de la famille, au droit
successoral et au droit international », JCl. Droit comparé, 2002, n° 128 et 133.
16. H J., « Le couple en concurrence », Dr. fam. 2016, dossier n° 51.

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SONIA BEN HADJ YAHIA 99

matière judiciaire ou en matière parentale. Toutefois, en matière patrimoniale17,


des dissemblances existent et persistent.
En matière successorale, la césure est encore plus palpable. Le conjoint survi-
vant dispose de droits patrimoniaux ou personnels, exclus pour le concubin
survivant18.
L’absence de droits successoraux du concubin survivant connaît des consé-
quences multiples.
6. D’une part, le concubin survivant, ne peut prétendre, par principe, à aucun
droit sur la succession.
Cette même position se retrouve pour le partenaire survivant. Par arrêt du
13 février 2015, la cour d’appel de Paris indique ainsi, « l’existence de liens affec-
tifs résultant d’un concubinage prolongé et la conclusion d’un pacte civil de soli-
darité n’emporte aucun droit pour le partenaire dans la succession du défunt »19.
Un double fondement explique cette interdiction de droits. En premier lieu,
le concubinage est une union de fait20. En second lieu, le législateur ne fait pas du
concubin survivant un héritier21.
Le rejet des droits successoraux connaît une large étendue.
Préalablement, il peut porter sur des droits extrapatrimoniaux. Longtemps, la
concubine survivante ne pouvait obtenir des dommages-intérêts, lorsque son
concubin était décédé à la suite d’un accident causé par un tiers, au motif qu’elle
ne disposait pas d’un intérêt juridiquement protégé. Il a fallu attendre l’arrêt de la
Chambre mixte du 27 février 1970 pour accorder des droits à réparation à la
concubine22, victime par ricochet. Dans ce sillage, l’accident de travail de l’assuré
social donne, légalement, droit au concubin survivant à une rente viagère, en
vertu de l’article L. 434-8 du Code de la sécurité sociale. Plus récemment, la loi
du 8 août 2016 reconnaît au concubin survivant, lors du décès de son concubin,
le droit à une autorisation d’absence, qui ne peut être inférieure à trois jours, en
vertu de l’article L. 3142-4 du Code du travail. Mais les droits des concubins
demeurent toujours restreints, en l’absence d’une disposition spécifique. Ainsi, il
peut être refusé au concubin survivant la communication du dossier médical de
son concubin décédé, sauf à démontrer que le concubin survivant est un légataire
universel23. Un testament permet d’investir le concubin survivant dans la défense
de l’honneur du défunt, de son nom, de ses intérêts moraux.

17. Pour une illustration en matière de rupture : K G., « L’indemnisation


consécutive à la rupture du couple non-marié : les partenaires ou concubins délaissés doivent-
ils bénéficier d’une prestation compensatoire ? », RJPF 2017, à paraître.
18. B H Y S., « Concubinage », op. cit. n° 93 et s. ; G-L F.,
« Concubinage », op. cit. n° 94.
19. CA Paris, 13 févr. 2015, n° 14/11102 ; JurisData n° 2015-003158.
20. C. civ., art. 515-8.
21. C. civ., art. 731.
22. Cass. mixte, 27 févr. 1970, n° 68-10276, Bull. mixte, n° 181 et 182.
23. Cass. 1re civ., 1er juin 2016, n° 15-16486, RTD civ. 2016, p. 591, obs. Hauser J.

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100 LES DROITS SUCCESSORAUX DU CONCUBIN SURVIVANT

L’interdiction de droits successoraux s’étend également aux droits patrimoniaux.


Le concubin survivant, contrairement au conjoint survivant, ne dispose pas d’une
pension de réversion24. Au décès de son concubin, le concubin survivant ne peut
s’emparer des biens acquis lors de la vie commune, sous réserve de rapporter que les
biens lui appartiennent. En effet, en vertu du principe de l’indépendance financière et
de la séparation des biens, les biens entre concubins ne sont pas présumés partagés. En
conséquence, lors du décès du concubin, il se dégage trois masses de biens. En premier
lieu, il existe les biens personnels du concubin survivant. En deuxième lieu, les biens
personnels du défunt, une fois exactement déterminés, basculent, pour appartenir à la
succession, et entrer dans le patrimoine de la famille du défunt. En troisième lieu, les
biens communs du couple deviennent des biens en indivision. Le concubin survivant
se retrouve alors en indivision avec les héritiers légaux. Lors de la liquidation de la
succession, tout l’enjeu repose sur la preuve de la propriété des biens. Le concubin
survivant peut ainsi perdre la jouissance de certains biens. En matière fiscale, le statut
du concubin survivant est encore plus restrictif. Considéré comme un tiers, ses droits
de mutation sont fixés à 60 %, selon l’article 777 du Code général des impôts. En
outre, il n’est pas bénéficiaire de l’abattement de 80 724 euros comme peut en béné-
ficier le conjoint survivant ou le partenaire survivant, tel que prévu aux articles 790 E
et 790 F du Code général des impôts.
Immanquablement, cette absence de droits patrimoniaux ou extrapatrimo-
niaux peut paraître inique, privant le concubin survivant d’un statut protecteur.
Il est constant que le décès d’un concubin peut conduire à la précarité de l’autre,
notamment lorsque le concubin survivant était à sa charge. Il en va de même lorsqu’il
logeait chez lui. Or, en matière de concubinage, contrairement au mariage, le concu-
bin ne dispose pas du droit au maintien dans les lieux. Il ne bénéficie pas de la jouis-
sance gratuite du logement, telle que prévue à l’article 763 du Code civil, au conjoint
survivant. De même, si le logement est acquis en indivision avec le défunt, les héritiers
sont en droit de demander le partage, mais le concubin ne bénéficie pas du droit à
l’attribution préférentielle25, à moins que les héritiers soient des enfants communs.
7. Au-delà de cette absence de protection, le concubin survivant est astreint,
d’autre part, à diverses obligations.
Il doit rendre des comptes à la succession. Il peut, à cet égard, devenir débiteur
de la succession. En ce sens, il peut se voir condamner à restituer des sommes
d’argent26, être dépouillé du compte bancaire qu’il partageait avec son concubin
de son vivant27, cela pour les restituer à la famille du concubin décédé. Dans
l’arrêt du 15 décembre 2015, rendu par la cour d’appel de Toulouse, une com-
pagne de fait est évincée face à la famille de droit. La concubine survivante est
dépossédée du compte bancaire qu’elle avait partagé avec son concubin, afin que
les descendants de son concubin, nés d’un mariage antérieur, puissent en hériter.

24. B H Y S., « Concubinage », op. cit., n° 153.


25. Ibid. n° 152.
26. Cass. 1re civ., 8 juin 2004, n° 01-13441.
27. CA Toulouse, 15 déc. 2015, n° 15/1063, op. cit.

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SONIA BEN HADJ YAHIA 101

Le concubin survivant est écarté au profit de la famille du défunt. Il est privé de


la succession malgré toutes les années partagées au côté du concubin décédé.
N’est-ce pas une réminiscence de l’ancien dualisme opposant « famille légi-
time » et « famille naturelle » ?
N’est-ce pas une position d’un autre temps qui devrait être censurée ?
8. On peut, dans ces circonstances, s’interroger sur la légitimité des règles
successorales, en droit positif.
Longtemps, on a privilégié les membres de la famille par le sang et la conser-
vation des biens au sein de la famille.
À ce titre, le conjoint survivant28 était doté d’une vocation successorale res-
treinte. La loi du 9 mars 1891 lui reconnut des droits en usufruit. Les lois du
3 décembre 1930 et du 26 mars 1957 lui accordèrent des droits en pleine propriété
en l’absence d’héritiers successibles. Mais c’est la loi du 3 décembre 200129, complé-
tée par celle du 23 juin 2006, qui fait du conjoint survivant un véritable héritier, en
lui octroyant des droits successoraux substantiels similaires aux autres héritiers, si ce
n’est plus. L’évolution30 des droits du conjoint survivant paraissait naturelle.
Il est soutenu que la vocation successorale du conjoint survivant est fondée sur
l’affection présumée du défunt31.
Sur le fondement de cette même affection, ne devrait-on pas élargir la voca-
tion successorale au concubin survivant ?
9. En matière de successions anomales, le concubin n’est pas, automatique-
ment, écarté. Le juge peut être amené à consulter le concubin survivant pour
recueillir les dernières volontés du défunt au motif que cette personne est présu-
mée être fidèle32 au défunt. Il en est ainsi en matière de sépulture ou de souvenirs
de famille (…). Une décision de la cour d’appel de Reims l’exprime parfaite-
ment : « Considérant qu’en l’absence de manifestation certaine de volonté du
défunt, le juge doit confier le droit de fixer le mode et le lieu de sépulture à ceux
des proches qui, en raison des circonstances, étaient les mieux placés pour recueil-
lir les volontés et confidences du défunt pendant les derniers temps de la vie,
notamment au conjoint ou au concubin survivant »33.

28. B B. et T-C S., « Le conjoint », Lamy Droit des régimes


matrimoniaux, successions et libéralités, 2014, n° 232.
29. Notamment : B B., « La loi du 3 décembre 2001 : dispositions politiques.
Le droit des successions, entre droits de l’homme et droit civil », Dr. famille 2002, chron. 3.
30. N M., « Vingt ans d’évolution de la législation applicable aux successions et aux
libéralités », Dr. famille 2016, dossier n° 53.
31. S E., La protection patrimoniale du conjoint survivant, thèse, dir. F J.,
2003, Paris II, n° 183.
32. B H Y S., La fidélité et le droit, préf. B B., 2013, LGDJ, n° 437 et s. ;
B B., « Respect et protection du corps humain. Le mort », JCl. Civil, art. 16 à 16-13, fasc. 72.
33. CA Reims, 1er févr. 2001, Dr. fam. 2001, comm. 114, note Beignier B. Déjà dans le
même sens : CA Agen, 20 janv. 1999, Juris-Data n° 1999-100440 ; CA Versailles, n° 756/99,
Juris-Data n° 1999-128044.

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102 LES DROITS SUCCESSORAUX DU CONCUBIN SURVIVANT

Le concubin survivant occupe une fonction essentielle lors du décès du concu-


bin. Il est amené à régler les conséquences du décès comme peut l’être l’époux
survivant.
10. Dès lors, ne serait-il pas temps de généraliser ce dispositif dérogatoire et
exceptionnel et de reconnaître des droits successoraux entre concubins ?
11. Pour l’heure, dans la succession ab intestat, lors du décès du concubin, est
posé une sorte de postulat selon lequel il n’est pas donné force et portée au concu-
binage vécu.
Le concubin survivant n’existe pas aux yeux de la succession. Il n’est pas assi-
milé à un veuf. Identifié à un tiers et à un étranger, il n’est pas perçu comme un
proche du défunt. Par une sorte de fiction juridique, le temps passé en concubi-
nage est nié. L’union du couple est effacée pour le passé et l’avenir. On donne
l’illusion que le concubinage est nul, sans valeur juridique.
À travers ce postulat, on réfute des droits protecteurs dont pourrait se préva-
loir le concubin survivant.
Ce postulat est renforcé par le droit de ne pas traiter de manière identique le
concubinage et le mariage.
Pourtant, maintenir cette conception conservatrice et conformiste c’est nier
l’évolution des mœurs et désavouer cette forme de conjugalité.
De nombreux concubinages durent bien plus longtemps que certains mariages.
Malgré tout, certains époux, séparés de fait, auraient vocation à bénéficier de
certains droits successoraux parce qu’ils ont la simple qualité d’époux. Cette caté-
gorie d’époux aurait plus de droits successoraux que les concubins, alors même
que le lien affectif n’existe plus entre les époux et que la vie commune n’est plus
partagée. L’article 732 du Code civil indique ainsi : « Est conjoint successible le
conjoint survivant non divorcé ». Le législateur, par facilité, se détache de la réa-
lité affective. Il se détourne, d’une part, de l’affection des concubins ; il se désin-
téresse, d’autre part, de la désaffection entre époux. De là, il pose un statut prohi-
bitif de succession au concubin survivant et instaure un statut permissif de suc-
cession au conjoint survivant. Le lien affectif n’est pas pris en considération. Seul
le lien juridique prévaut.
12. De lege feranda, ne revient-il pas, aujourd’hui, au législateur de reconnaître
des droits successoraux, au regard de la réalité de la vie commune ?
À l’égard du conjoint survivant, la qualité d’époux ne doit plus suffire pour
être successible. Il serait nécessaire de démontrer la réalité de la vie commune.
À ce titre, le conjoint survivant pourrait être privé de la succession s’il est défini-
tivement séparé de fait, s’il est en instance de divorce ou s’il est en séparation de
corps. L’article 732 du Code civil devrait être reformulé.
À l’égard du concubin survivant, ou du partenaire survivant, il serait légitime
d’accorder des droits successoraux, lorsque l’union stable et continue, a été brisée
par le décès du concubin ou du partenaire.

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SONIA BEN HADJ YAHIA 103

En Moldavie, le concubin survivant hérite lorsque de l’union du concubinage


est né un enfant. En Estonie, le concubin survivant hérite lorsque le concubinage
a « duré longtemps avant le décès du défunt et jusque son décès »34.
Ce faisant, en s’inspirant des règles moldaves et slovènes, l’on pourrait reconnaître,
en droit français, des droits successoraux, conditionnels, au concubin survivant.
Pourquoi ne pas admettre des droits successoraux au concubin survivant
lorsqu’il a partagé plusieurs années de vie commune ? Le législateur prend sou-
vent comme critère temporel une durée de deux ans, à l’égard du concubin35, sans
poser un temps unique. Pourtant, deux années de vie commune demeurent une
durée trop insuffisante pour prétendre à bénéficier de droits successoraux. En
matière de divorce, un mariage de courte durée ne peut permettre de prétendre à
une prestation compensatoire. Les couples aujourd’hui s’unissent et se désu-
nissent, en un rien de temps. Une durée de deux ans ne serait pas suffisamment
illustratrice de la profondeur d’une vie commune. En revanche, un concubinage
d’une durée de dix ans serait un gage de la réalité, de la profondeur et du sérieux
de l’union. Cette exigence de durée de vie commune pourrait être amoindrie à
sept ans lorsque du concubinage est né un enfant.
Le droit français a symboliquement admis le concubinage et le partenariat
mais n’en tire pas toutes les conséquences juridiques, en matière successorale.
En l’absence de tels effets, le couple durant la vie commune s’emménage un
dispositif conventionnel protecteur.

II – LE CONCUBIN SURVIVANT,
BÉNÉFICIAIRE D’UN STATUT ALTERNATIF DE SUCCESSION

13. Afin de remédier à l’exclusion d’un droit successoral, l’on assiste à des
modes alternatifs de règlement de la succession. Il y a une volonté de pacifier et
de contractualiser la transmission du patrimoine du concubin décédé.
Les concubins usent de techniques juridiques multiples de prévoyance, fon-
dées sur la protection du concubin survivant36. Un droit « para successoral »
émerge et se développe, encouragé tant par le législateur que par les pratiques
contractuelles.
14. Le droit « para successoral » est préalablement un droit d’impulsion légale.
Le législateur n’est pas resté insensible à la volonté de protéger le membre survi-
vant du couple. Pour cela, il favorise des techniques contractuelles protectrices,
comme le contrat d’assurance vie, le testament ou les libéralités.

34. Z K. et N B., « Slovénie. Introduction au droit de la famille, au droit


successoral et au droit international », JCl. Droit comparé, 2002, n° 133.
35. B H Y S., « Concubinage », op. cit. n° 46.
36. B H Y S., « Concubinage », op. cit., n° 93 et s. V. aussi : B W., La
protection du conjoint survivant, préf. N M., 2009, Defrénois.

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104 LES DROITS SUCCESSORAUX DU CONCUBIN SURVIVANT

15. Le contrat d’assurance vie connaît diverses variantes. Il permet notamment au


bénéficiaire de recevoir un capital, l’épargne investi, lors du décès du souscripteur. Les
concubins37 font régulièrement usage de l’assurance vie pour se protéger, en confor-
tant la situation patrimoniale du concubin survivant38. Le capital reçu échappe légale-
ment aux règles successorales. Selon l’article L. 132-12 du Code des assurances, « le
capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déter-
miné ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré »39. L’assurance vie
n’adopte pas ainsi les règles de dévolution successorale, applicables en matière de suc-
cession ordinaire. Elle connaît son propre ordre de dévolution. À travers cette mesure
dérogatoire, le législateur favorise la transmission du patrimoine au concubin survi-
vant et permet de bénéficier des conditions fiscales avantageuses40.
Néanmoins, cette disposition de faveur ne doit pas porter atteinte à l’ordre
public successoral. À cet égard, le recours à l’assurance vie ne doit pas léser les tiers
et contourner les règles successorales en amoindrissant les droits des réservataires.
En ce sens, l’article L. 132-13 du Code des assurances limite le montant de l’assu-
rance vie en précisant qu’elle ne doit pas être manifestement exagérée41.
16. Le testament est un autre mécanisme permettant la transmission du patri-
moine au concubin survivant. Il lui confère la vocation successorale que la loi
écarte. C’est une vocation conventionnelle à disposer des biens de l’autre. Le
testament connaît diverses modalités, pouvant contenir un legs universel, à titre
universel ou à titre particulier.
Le testament protège le concubin survivant, tout en préservant les droits et libertés
du testateur. En effet, il a pour mérite de protéger le testateur dans sa liberté de dispo-
ser et de tester. Le testament n’est pas immuable. Il peut être modifié, voire supprimé,
tout au long de la vie du disposant, et cela sans devoir en justifier et sans voir sa res-
ponsabilité engagée. Une décision en date du 30 novembre 2004 en témoigne. « La
faculté de révoquer un testament constitue un droit discrétionnaire exclusif de toute action
de responsabilité »42. Par ailleurs, le testament se caractérise par l’absence de déposses-
sion immédiate du testateur qui conserve son patrimoine jusqu’à son décès43.
37. CA Rennes, 6 nov. 2002, Dr. famille2003, comm 33, note Leroy M.
38. L H., « La protection par l’assurance-vie du membre survivant du couple »,
AJ fam. 2005. p. 99.
39. B B., Droit des assurances, avec la collaboration de Ben Hadj Yahia S., 2015,
LGDJ, coll. Domat, n° 808.
40. En principe, les sommes contractées en vertu d’un contrat d’assurance vie échappent
aux droits de mutation à titre gratuit (D F., « La protection du survivant du couple :
aspects fiscaux », AJ fam. 2005. 314).
41. Pour une illustration : Cass. 2e civ., 15 janv. 2015, n° 13-27768, D. 2015. 1231,
obs. Bacache M., Noguéro D., Grynbaum L. et Pierre P.
42. Cass. 1re civ., 30 nov. 2004, n° 02-20883, Bull. civ. I, n° 297 ; Dr. fam. 2005,
comm. 16, note Beignier B. ; Dr. fam. 2005, comm. 27, note Larribau-Terneyre V. ; D. 2005.
1621, note Maréchal J.-Y. ; D. 2005. 809, obs. Lemouland J.-J. et Vigneau D. ; AJ fam. 2005.
24, obs. Bicheron F. ; RTD civ. 2005. 104, obs. Hauser J. ; RTD civ. 2005. 443,
obs. Grimaldi M. Adde. M J.-G., « La révocation des dispositions testamentaires, un
droit discrétionnaire », RLDC 2005/15, p. 37.
43. B W., La protection du concubin survivant, op. cit., n° 20.

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SONIA BEN HADJ YAHIA 105

17. Les libéralités ont, pareillement, permis au concubin survivant de bénéfi-


cier d’un régime protecteur, comme naguère il le faisait pour le conjoint survi-
vant. « Le droit des libéralités permit pendant longtemps de pallier la carence,
puis l’indigence, des droits successoraux du conjoint survivant »44.
Le recours aux libéralités a été facilité depuis l’arrêt du 3 février 199945 rendu
par la Cour de cassation. Celle-ci ne moralise plus les libéralités46. Elle libéralise
les donations47. Ainsi, « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libé-
ralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le
bénéficiaire ». Cette position est régulièrement confirmée48.
La haute juridiction ne recherche plus la cause qui anime la donation entre concu-
bins. Elle consacre la liberté entre concubins de se faire des donations, sans avoir à
contrôler les motivations du donateur. Dans un arrêt en date du 29 janvier 2002, elle
indique que n’est « pas immorale la libéralité consentie par un concubin à sa com-
pagne, fût-elle sous-tendue par la volonté du donateur de prolonger dans le temps le
lien qui l’unissait à la donataire »49. La cause de la libéralité n’est plus à vérifier50.
Dans cet élan de générosité, la donation peut avoir pour caractéristique d’être
rémunératoire. Une donation rémunératoire a pour objet de récompenser un dévoue-
ment, une aide ou une assistance d’une personne, dès lors que de tels comportements
dépassent la normalité. Cette donation « correspond à une rémunération excédant la

44. B B. et T-C S., Libéralités et successions, op. cit., n° 481.


45. Cass. 1re civ., 3 févr. 1999, n° 96-11946, Bull. civ. I, n° 43 ; Dr. famille 1999,
comm. 54, note Beignier B. ; D. 1999. 267, rapp. Savatier X. et note Langlade-O’Sughrue J.-P. ;
D. 1999. somm. 377, obs. Lemouland J.-J. ; JCP 1999. II. 10083, note Billiau M. et
Loiseau G. ; RJPF 1999-2/52, note Casey J. ; Defrénois 1999, art. 37017, obs. Champenois G.,
art. 36998, obs. Massip J., et art. 37008, n° 37, obs. Mazeaud D. ; RTD civ. 1999. 364,
obs. Hauser J. ; Gaz. Pal. 2000. 1. 70, note Piedelièvre S. Adde : L C., « La libéralité
consentie par un concubin adultère », D. 1999., chron. 351 ; L Y., « Quelques
remarques à propos des libéralités entre concubins », in Mélanges Jacques Ghestin, 2001, LGDJ,
p. 548 ; L L., « Une libéralité consentie pour maintenir une relation adultère peut-
elle être valable ? », JCP 1999. I. 152
46. Sous réserve que la donation ne soit pas déguisée : CA Aix-en-Provence, 24 mai
2005, Dr. famille 2005, comm. 208, note Larribau-Terneyre V.
47. Sur l’ensemble de cette question : B H Y S., Concubinage, op. cit. n° 101 et s.
48. Cass. 1re civ., 25 janv. 2000, n° 97-19458, RJPF 2000-4/54, obs. Delmas Saint-
Hilaire P. et Casey J. ; Cass. ass. plén., 29 oct. 2004, n° 03-11238, Bull. ass. plén., n °12 ;
Dr. famille 2004, comm. 230, note Beignier B. ; JCP 2005. II. 10011, note Chabas F. ;
RTD civ. 2005. 104, obs. Hauser J. ; D. 2004. 3175, note Vigneau D. ; CCC 2005, n° 4,
note Leveneur L. Adde. L M., « Sexe, bonnes mœurs et libéralités »,
RLDC 2004/11. 466. V. encore : Cass. 1re civ., 25 janv. 2005, Bull. civ. I, n° 35 ;
RTD civ. 2005. 368, obs. Hauser J. ; Cass. 1re civ., 16 mai 2000, n° 98-15950, Dr. famille
2000, comm. 102, note Beignier B.
49. Cass. 1re civ., 29 janv. 2002, n° 00-18987, Dr. famille 2002, comm. 64, note Lécuyer H.,
et comm. 93, note Beignier B.
50. A P., « L’annulation des donations immorales entre concubins. Cause ou
notion de conditions résolutoires », RTD civ. 1975, p. 248 ; A H., F H. et
G T., « Les libéralités entre concubins », in Les concubinages. Approche socio-juridique, t. 2,
1986, CNRS, p. 61 ; J L., Cours de droit civil positif, 1940, Sirey, n° 1422.

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106 LES DROITS SUCCESSORAUX DU CONCUBIN SURVIVANT

valeur du service rendu »51. C’est un devoir de conscience et de gratitude qui est à
l’origine de cette donation52. Elle s’observe généralement entre membres de la famille53,
ou au sein du couple, entre époux54 ou entre concubins55. Cette forme de donation
permet au donataire survivant de ne pas être laissé dans le besoin.
À travers ces diverses techniques, le concubin survivant peut bénéficier d’un
régime protecteur.
18. Il peut être renforcé par un dispositif « para successoral » d’ordre conven-
tionnel. La contractualisation du couple est une réalité comme peut l’être la
contractualisation de la famille.
Cette contractualisation répond à diverses finalités.
19. D’une part, elle peut permettre d’organiser la vie du couple. Des conven-
tions entre concubins sont régulièrement conclues pour organiser leur patrimoine
commun56 ou pour faciliter la gestion de leurs ressources.
Ces conventions sont d’une grande utilité. En effet, l’on sait qu’en l’absence
de telles conventions, la jurisprudence est contrainte, pour liquider le patrimoine
commun du couple, lors d’une séparation, de recourir à diverses théories telles
que la société de fait57, l’enrichissement sans cause58, l’indivision59…
20. D’autre part, cette contractualisation peut être dictée par une volonté de
protéger le concubin survivant. À ce titre, si certains contrats sont conclus pour
envisager la vie conjugale des concubins, ils peuvent prévoir la vie endeuillée.
Certains contrats ou techniques obéissent à ce double objectif. On le voit avec le
recours à la société civile immobilière60, à l’utilisation d’un compte bancaire en
commun61, à un prêt accompagné d’une promesse post mortem62.
51. B B., note sous Cass. 1re civ., 2 avr. 2014, n° 13-11025, Dr. famille 2014,
comm. 101.
52. B J.-P., « Précisions sur les éléments caractéristiques et probatoires de la
donation rémunératoire », RLDC, mars 2015, p. 43.
53. Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, n° 13-14745 ; Cass. 1re civ., 21 nov. 2012, n° 11-21325.
54. CA Paris, 9 avr. 1996, Dr. famille 1996, comm. 29, note Beignier B. ; Cass. 1re civ.,
8 févr. 2000, n° 96-10846, Bull. civ. I, comm. 44 ; Dr. fam. 2000, n° 43, note Beignier B. ;
CA Besançon, 14 avr. 2004, Dr. famille 2006, comm. 152, note Beignier B. ; Cass. 1re civ.,
26 sept. 2012, n° 11-21084.
55. CA Toulouse, 15 déc. 2015, op. cit.
56. S P., « Le “régime matrimonial” des concubins », in Mélanges Rubellin-Devichi,
2002, Litec, p. 75 et s.
57. S M., « Concubinage et société créée de fait : pour un nouveau quasi-contrat
adapté au couple de concubins », Dr. et patr., oct. 2015, p. 20.
58. C F., « La gestion d’affaires intéressée : la réforme du droit des quasi-contrats
au secours des concubins ? », D. 2017, p. 71.
59. P S., « Difficultés juridiques et fiscales d’une liquidation d’indivision entre
concubins », Defrénois, 2014, p. 130.
60. L M., « La constitution de revenus au profit du concubin modeste », Gaz. Pal.,
3 févr. 2015, p. 11 ; M R., « Comment la société civile permet de contourner le droit
successoral ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Jean Prieur, 2014, LexisNexis, p. 443.
61. CA Toulouse, 15 déc. 2015, op. cit.
62. Cass. 1re civ., 9 juill. 2014, n° 13-10710.

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SONIA BEN HADJ YAHIA 107

21. Il en est de même avec la tontine. Une clause de tontine, dite également
clause d’accroissement ou encore clause d’acquisition sous condition de survie, est
une clausesouvent conclue entre concubins63, lors des acquisitions immobilières64.
Clause sui generis, elle repose sur une double nature. Durant la vie commune des
concubins, le bien acquis est réputé être un bien en indivision dans la jouissance65.
Partant, l’un des concubins ne peut en disposer librement sans l’accord de l’autre.
En revanche, lorsque l’un des concubins décède, le bien est réputé appartenir au
concubin survivant depuis son acquisition. Il en devient seul propriétaire, de
manière rétroactive. Cette présomption de propriété permet de protéger le concu-
bin survivant contre toute action revendicative des tiers ou des héritiers.
22. Ce faisant, à travers l’ensemble de ce dispositif « para successoral », d’ordre
légal ou conventionnel, le concubin survivant n’est pas démuni.
Néanmoins, tous les concubins ne recourent pas à ces mécanismes. Inévitable-
ment, on assiste à une inégalité de fait entre concubins. Certains concubins pour-
raient bénéficier de droits « para successoraux », d’autres en seraient privés.
Il serait, dès lors, utile de protéger de manière identique l’ensemble des concu-
bins survivants. Seule la loi est en mesure d’y répondre.
23. Par ailleurs, ces mécanismes ne sont que des modes alternatifs au bénéfice
d’une succession.
Le terme de succession a pour étymologie latine « successio » signifiant prendre
la place.
Les successeurs ou les héritiers sont ainsi ceux qui ont pour vocation de
prendre la place du défunt.
Mais il y a un rejet du concubin survivant et un refus de lui accorder une telle
prérogative.
24. Il suscite une certaine crainte et appréhension. On voit certaines décisions
qui n’hésitent pas à briser les dernières volontés du défunt, pour protéger la
famille du défunt. L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 15 décembre 2015 est
assez révélateur. En l’espèce, le concubin, de son vivant, avait délibérément ouvert
un compte joint, afin que sa concubine puisse librement en disposer. Quatre ans
plus tard, il décède. Les héritiers réclament le capital du compte joint. La juridic-
tion leur donne raison. Elle requalifie le compte joint en l’assimilant à un compte
personnel du défunt. Le capital est restauré aux héritiers.
Il est vrai que le compte joint peut favoriser une facile transmission des fonds finan-
ciers lors du décès du concubin, et ce en dehors des règles communes de succession.

63. Cass. 1re civ., 11 janv. 1983, n° 81-16307, Bull. civ. I, n° 15 ; D. 1983. 501, note
Larroumet C. ; Defrénois 1983, art. 33114, note Morin G. ; Cass. 1re civ., 27 mai 1986,
n° 85-10031, Bull. civ. I, n° 186 ; JCP N 1987.II. 166, note Raffray J.-G. et Sénéchal J.-P ;
JCP N 1988. II. 45, note Dagot M. ; Defrénois 1987, art. 33888, note Morin G.
64. C M., « La clause tontinière », Dr. et patr., oct. 1994. 22.
65. Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, n° 10-21710, Bull. civ. I, n° 199, Dr. fam. 2012, comm. 10,
note Beignier B.

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108 LES DROITS SUCCESSORAUX DU CONCUBIN SURVIVANT

Il existe une véritable inquiétude de voir contourner, à travers les conventions


entre concubins, l’ordre public successoral. Dans un arrêt du 28 juin 1988, la
Cour de cassation a reconnu la responsabilité d’une banque pour avoir permis
l’utilisation « d’un mandat post mortem », par lequel une concubine a pu retirer
d’un compte l’intégralité du capital laissé par le défunt. « Le mandat post mortem
donné par le concubin à sa concubine ne pouvait transgresser les règles d’ordre
public édictées en matière successorale »66.
La fraude à la succession est possible.
Pour autant, ne doit-on pas reconsidérer l’étendue de cet ordre public succes-
soral lorsque le défunt vivait en concubinage ?
25. Il existe une certaine réticence et résistance du droit patrimonial de la
famille à valoriser pleinement les effets juridiques du concubinage. On consacre
la diversité des modes de conjugalité et on favorise un droit des conjugalités, sans,
pourtant, oser en tirer toutes les conséquences patrimoniales.
Il est regrettable que le droit de la famille pose une certaine dualité face au
concubinage.
Dans sa dimension personnelle, il est audacieux. Il encourage, conforte, fortifie
et protège les droits des concubins. Dans sa dimension patrimoniale, il montre ses
réserves et sa modération. Il freine, affaiblit, anéantit ou renverse les droits des
concubins.
Où est l’unité du droit de la famille ?
Comme il est judicieusement fait remarquer « Le droit de la famille connaît
aujourd’hui une très grande diversité qui est une donnée acquise pour longtemps
(gardons bien de dire “définitivement” en matière juridique !) mais que cette
diversité est désordonnée et peu cohérente »67.

66. Cass. 1re civ., 28 juin 1988, n° 88-13639, Bull. civ. I, n° 209.
67. B B., « Recomposer un Code civil », Dr. famille 2016, repère 11.

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Les méandres fiscaux de la représentation successorale

Gilles B
Docteur en droit
Notaire associé

L’article 751 du Code civil définit la représentation successorale comme une


fiction, laquelle permet à des héritiers d’un degré plus éloigné de prendre la place
de leur auteur prédécédé. En gagnant une place, voire plusieurs, le représentant
ne peut prétendre pour autant à un partage par tête. La répartition de la vocation
successorale s’effectuera en considération de la souche et non par parts viriles, la
pluralité de représentant entraînant de facto un amoindrissement des droits de
ceux-ci. Cantonnée aux seuls ordres des descendants et des collatéraux, cette
institution se rencontrait uniquement lorsque l’enchaînement naturel des décès
était pris en défaut.
La réforme successorale du 23 juin 2016 en a grandement ravivé l’intérêt, en
élargissant notamment son application au cas où le représenté, toujours vivant,
renonce à la succession de son auteur. Perdant ainsi en cohérence juridique ce
qu’elle a gagné en souplesse, la représentation est devenue un instrument parmi
d’autres de la politique de transmission patrimoniale.
Encore fallait-il que le législateur fiscal jouât le jeu, ce qu’il fît d’ailleurs en
abandonnant le principe de neutralité fiscale de la renonciation, basée sur l’idée
que celle-ci ne peut servir à réaliser une économie d’impôt successoral.
La loi de finances rectificative pour 20061 est ainsi heureusement venue
accompagner fiscalement l’entrée en vigueur de la réforme, fixée à la date du
1er janvier 2007, en abrogeant l’article 785 du Code général des impôts qui impo-
sait à l’héritier recueillant les biens répudiés d’acquitter une imposition qui ne
pouvait être moindre que celle qu’aurait acquittée le renonçant s’il avait accepté
la transmission. Était ainsi écarté tout hiatus fiscal qui aurait pu venir freiner
l’essor des nouvelles dispositions civiles.
Pour autant, suppression ne rime pas toujours avec simplification, des inter-
rogations demeurant sans réponse. La doctrine fiscale a entrepris de combler ces
lacunes au coup par coup, mais force est de constater que, sur le plan de la cohé-
rence, le tableau de l’ensemble tient plus aujourd’hui de la peinture abstraite que
figurative, sans compter les zones obscures qui assombrissent l’ensemble.
Ces propos quelque peu désabusés se vérifient tant au regard du domaine fiscal
de la représentation qu’au regard de la liquidation des droits qui en découle.

1. N° 2006-1771, 30 déc. 2006.

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110 LES MÉANDRES FISCAUX DE LA REPRÉSENTATION SUCCESSORALE

I – LE DOMAINE FISCAL DE LA REPRÉSENTATION

Admettre la représentation, même en cas de renonciation, n’était en effet pas


neutre fiscalement. En ligne descendante, le taux progressif est uniforme, quel
que soit le degré de parenté : enfants, petits-enfants, ou arrière-petits-enfants2. En
revanche, en ligne collatérale privilégiée, l’imposition est progressive entre frère et
sœur, et le taux marginal fixé à 45 %3, tandis que les neveux et nièces sont soumis
à un taux proportionnel de 55 % sur leur part nette taxable, à quoi s’ajoute natu-
rellement la question des abattements applicables également différenciés suivant
le lien de parenté.
Dans un premier temps, la loi fiscale a admis le jeu de la représentation, tant
en ligne directe qu’en ligne collatérale, mais seulement quant au bénéfice des
abattements. L’abattement auquel peut prétendre le représenté se divise entre les
représentants, à savoir, à l’heure où sont écrites ces lignes, 100 000 euros pour un
enfant et 15 932 euros pour le frère ou la sœur représenté. De manière curieuse,
en ligne collatérale, les représentants ne pouvaient prétendre à l’application du
taux plus avantageux auquel était soumis leur représentant. La loi de finance pour
2009 a mis fin à ce particularisme injustifiable et a donné son plein effet à la
représentation en autorisant les neveux et nièces à se prévaloir du taux applicable
à leur auteur, soit 45 % au maximum, au lieu de 55 %4.
Dans tous les cas, le bénéfice fiscal de la représentation est réservé aux succes-
sions ab intestat, les héritiers tirant leurs droits de la seule dévolution légale5.
L’administration considère effectivement que s’ils sont institués par une disposi-
tion testamentaire, leur vocation dérive avant tout de la volonté du défunt, et non
de la loi. Dès lors, il n’y a pas à recourir à ce mécanisme légal destiné à maintenir
une égalité des souches qu’un ordre des décès inversé aurait pu contrarier.
Cette exclusion catégorique peut inspirer deux réflexions.
La première est que le notaire doit réfléchir aux conséquences fiscales des dis-
positions testamentaires projetées par le de cujus et gratifiant ses neveux et nièces.
Il y a au minimum lieu de vérifier que celles-ci présentent un intérêt en modifiant
les parts héréditaires légales, à défaut de quoi, elles n’auront d’autre utilité que de
priver le légataire du taux d’imposition plus favorable en cas de représentation.
Il n’est pas douteux, sur un plan civil, que celui-ci peut alors faire le choix de
décliner sa vocation testamentaire et accepter sa vocation légale, puisqu’il bénéfi-
cie incontestablement de cette double option. Sur un plan fiscal, cette décision
paraît devoir être justiciable de la procédure de répression de l’abus de droit. En
effet, quel autre motif que celui de bénéficier d’un tarif plus avantageux peut-on

2. CGI, art. 777, tableau.


3. CGI, art. 777, tableau III.
4. Sur l’historique de ces évolutions, v. F F., JCl. Notarial Formulaire, fasc. 110,
n° 7.
5. BOFIP BOI-ENR-DMTG-10-5080-20150624, n° 310.

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GILLES BONNET 111

faire valoir au soutien d’un tel arbitrage, dans la mesure où, par hypothèse, les
vocations légales ou testamentaires se superposeront de manière identique ?
À partir du moment où l’abus de droit est défini comme un acte inspiré « par
aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales », la réponse
paraît aller de soi6.
Il nous semble pourtant que la solution n’est pas aussi clairement acquise. Le
choix de la vocation légale peut déjà relever du désir d’échapper aux formalités
d’envoi en possession. Supposons deux neveux issus chacun des deux seules souches
existantes prédécédées7, institués légataires universels conjoints : dans tous les cas, la
moitié de l’actif successoral leur revient. Mais pour faire valoir leurs droits testamen-
taires, ils seront obligés, par application des articles 1006 et 1007 du Code civil, de
demander l’envoi en possession auprès du président du tribunal de grande instance
du lieu de l’ouverture de la succession8. Nul n’ignore que cette formalité est dispen-
dieuse en temps, au point même qu’elle puisse mettre en péril le paiement des droits
dans le délai imparti. Ces considérations suffisent à notre sens à écarter l’intention
exclusivement fiscale qui causerait le choix de décliner la qualité de légataire. Ces
propos perdront probablement de leur force une fois la réforme de l’envoi en pos-
session entrée en vigueur, dans la mesure où le glissement des attributions du juge
vers le notaire permettra une réduction sensible des coûts et des délais.
Dans le cas où la vocation testamentaire ne coïncide pas avec celle qui découle
de la loi, la difficulté nous paraît s’évanouir : choisir la vocation légale, c’est vou-
loir sans doute préférer et assurer une égalité entre tous les héritiers dont le testa-
teur ne voulait pas, mais que le bénéficiaire institué entend faire prévaloir pour
des raisons d’équité qu’il lui paraît essentiel sur un plan moral de respecter.
La deuxième remarque liée à cette exclusion du bénéfice de la représentation
aux légataires institués par testament porte sur la généralité des termes employés
par la doctrine fiscale, comme si toute disposition se substituait nécessairement
entièrement aux droits légaux de l’héritier appelé. Une telle interprétation est en
pratique fausse à un double titre. D’une part, le testateur peut, sans modifier la
vocation héréditaire, exprimer la volonté que tel ou tel bien revienne à un des
héritiers, par imputation sur ses droits dans la succession. Il s’agit ici d’un legs
rapportable, sorte d’attribution préférentielle décidée par le testateur pourrait-on
dire. Refuser la représentation aux motifs que l’héritier tient ses droits du testa-
teur et non de la loi parait ici inadapté : la vocation légale donne à l’héritier
l’exacte mesure de ses droits, à comparer au montant de son legs, le testament lui
offrant simplement la possibilité de s’affranchir de l’accord de ses cohéritiers pour
recueillir dans son lot tel ou tel bien que le testateur a mentionné.

6. LPF, art. L. 64.


7. La représentation au sens fiscal joue même s’il n’y a pas de concurrence avec des
parents de degrés différents : il faut et il suffit qu’il y ait pluralité de souche : BOI-ENR-
DMTG-10-50-80-20150624, n° 330.
8. Et ceci alors même qu’ils sont également seuls héritiers saisis : v. Cridon Paris, dossier
383073 et 837341, G M., Libéralités, partages d’ascendants, Litec, p. 401, n° 19, et
Bull. cons. sup. not. 1969, I, 147.

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112 LES MÉANDRES FISCAUX DE LA REPRÉSENTATION SUCCESSORALE

D’autre part, la disposition peut contenir un legs particulier, un objet ou une


somme d’argent par exemple, complétant sa vocation héréditaire : il n’en demeure
pas moins, qu’à titre principal, l’héritier tire son émolument de la part héréditaire
que la loi lui assigne. Le légataire particulier n’est pas tenu du passif successoral9,
preuve qu’il n’a pas la qualité d’héritier et que cette vocation peut coexister avec celle
de successeur venant par représentation. Disqualifier en bloc celle-ci semble tout
autant excessif ; le principe ainsi posé par la doctrine fiscale devrait en toute logique
alors être appliqué de manière distributive en fonction de l’origine des droits recueil-
lis, et ne restreindre la représentation que pour les seuls biens reçus par testament (Il
faut rappeler ici que le système proposé n’occasionnera aucune difficulté au regard
de la répartition du passif puisque le légataire particulier n’en est pas tenu).
Les approximations de la doctrine fiscale sont encore révélées par des différences
de régime difficilement justifiable. Ainsi, en cas de souche unique, la représentation
est admise contrairement à la jurisprudence civile de la Cour de cassation10.
Alors qu’en ligne collatérale, le bénéfice de la représentation est purement et
simplement écartée dans tous les cas pour les neveux et nièces issus d’un unique
auteur11. Et lorsqu’il y a pluralité de souches, la renonciation des autres souches, par
hypothèse sans descendant, disqualifie la représentation dès lors qu’elle permet aux
seuls descendants d’une souche de recueillir l’intégralité de la succession12.
La motivation qui sous-tend ces solutions repose sur la volonté de brider les
possibilités pour le contribuable d’arbitrer des renonciations qui pourraient par
trop augmenter l’économie fiscale, voire aboutir, dans le dernier cas relaté, à
transférer par ce biais de multiples successions à des neveux issus d’une seule
souche à un taux marginal plus faible que celui qui aurait normalement dû être
appliqué s’ils avaient reçu les actifs au fil des décès successifs de leur oncle et
tante. Cette chasse à l’optimisation au fil des hypothèses rend l’ensemble parti-
culièrement peu cohérent et ferait presque regretter la logique simple du mini-
mum de perception que postulait l’ancien article 785 du Code général des
impôts. Et malheureusement, en matière de liquidation des droits, la situation se
double d’incertitudes.

II – LA LIQUIDATION DES DROITS

En la matière, la question doit être envisagée sous un angle double : d’une


part, relativement à la question des tranches et, d’autre part, quant à l’incidence

9. G M., Successions, 6e éd., 2001, Litec, n° 542.


10. Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-17556, JCP NI, 1279, comm. Nicod M.) admise en
ligne descendante (BOI-ENR-DMTG-10-50-80-20150624, n° 330), à condition cependant
que celle-ci ne procède pas d’une renonciation de la part de l’auteur unique (rescrit, 26 juill.
2011, n° 2011/22, ENR).
11. BOI-ENR-DMTG-10-50-8020150624, n° 330.
12. BOI-ENR-DMTG-10-50-80-20150624, n° 330.

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GILLES BONNET 113

sur la liquidation des droits de donation devant être rappelées au titre de l’ar-
ticle 784 du Code général des impôts.
Concernant le premier point, l’enjeu, quoique simple, est essentiel sur le plan
du calcul des droits. Il peut être formulé de la façon suivante : les représentants
d’une souche, qu’ils soient petits-enfants ou neveux ou nièces, bénéficient-ils cha-
cun de tranches intermédiaires propres, ou au contraire celle de leur auteur repré-
senté se partage-t-elle entre eux tous ?
La réponse paraît devoir s’appuyer sur l’article 777 du Code général des impôts,
qui dispose que les droits de mutation à titre gratuit sont fixés au taux indiqué pour
la part nette revenant à chaque ayant droit. Chacun d’entre eux utilise les tranches
qui lui sont propres et bénéficie ainsi de la progressivité des droits : de fait, par le jeu
de la progressivité, la pluralité de représentants diminuera mathématiquement l’im-
position à percevoir13. Au surplus, il a été relevé à juste titre que l’Administration
avait déjà, au moins en ligne directe, opté pour ce mode de liquidation, et qu’il
n’existe aucune raison logique pour que la solution fût différente au regard des
neveux ou nièces représentés14. Le simple bon sens permet donc, malgré l’absence
de précision formelle de la doctrine administrative, de tenir la solution pour acquise.
L’enjeu du second point est tout aussi simple que le premier, et tient à l’exis-
tence d’une donation antérieure, justiciable du rappel fiscal dans le délai de réfé-
rence actuel de 15 années, rappel qui a pour fonction d’assurer la progressivité des
droits sur les biens transmis dans ledit délai. La question se dédouble alors, et
porte, d’une part, sur l’utilisation de l’abattement par le représenté, et, d’autre
part, en cas de dépassement de cet abattement, sur le sort des tranches utilisées et
éventuellement perdues pour le représentant.
Relativement à l’abattement, la doctrine posée par l’Administration est dénuée
de toute équivoque : le représentant reprend l’abattement disponible laissé par
son auteur. En d’autres termes, il doit être diminué des donations dont ce dernier
aurait bénéficié de la part du disposant ou du défunt15 et il se divise en fonction
du nombre de représentant16.
En revanche, lorsque le représenté a reçu des libéralités qui absorbent et
excèdent l’abattement auquel il pouvait prétendre dans le délai de référence de
15 ans, l’Administration n’a jamais indiqué une quelconque solution.
Une voie a priori logique, dans la continuité de celle dégagée pour la question de
l’abattement serait de considérer que d’une part, ce dépassement retentit sur les
tranches basses auxquelles peuvent prétendre les représentants, mais que, d’autre
part et corrélativement, il se répartira entre tous les représentés en cas de pluralité de
ceux-ci. Pourquoi en effet appliquer un régime différent à l’abattement et aux
tranches basses, alors qu’il s’agit de deux éléments d’un même tarif17 ?
13. F F., JCl. Notarial Formulaire, fasc. 110, n° 7.
14. F F., JCl. Notarial Formulaire, fasc. 110, n° 34.
15. BOI-ENR-DMTG-20-30-20-20140929, n° 40.
16. BOI-ENR-DMTG-20-30-20-1020140929, n° 40.
17. En ce sens : Cridon Paris, 15 avr. 2013, n° 806321.

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114 LES MÉANDRES FISCAUX DE LA REPRÉSENTATION SUCCESSORALE

Pour autant, de sérieuses objections existent. À notre sens, ce n’est pas la même
chose de venir aux droits du représenté dans le bénéfice des abattements auxquels
il peut prétendre et de subir un taux d’imposition au regard de donations aux-
quelles le représentant est resté étranger (sur la « déconnexion » entre abattement
et taux, il peut être ainsi remarqué que certaines recettes des impôts, lorsqu’il
s’agissait de calculer le taux moyen d’imposition qui permettait sous l’empire de
l’ancien régime du paiement fractionné, de déterminer le nombre des versements,
ne tenaient pas compte de l’abattement).
Force est de constater, par ailleurs, que d’une part, l’Administration ne s’est
pas prononcée. En l’état actuel, on ne voit pas sur quelles bases textuelles elle
pourrait marquer son désaccord sur une liquidation de droits qui ne respecterait
pas cette logique, à part justement lui reprocher son incohérence supposée.
D’autre part, la solution évoquée aboutit à des résultats pour le moins curieux.
Admettons qu’un enfant prédécédé ait reçu dans le délai de référence de son
auteur décédé des biens pour une valeur de 120 000 euros. Il laisse lui-même trois
enfants venant par représentation. La tranche à 20 % qui était normalement
atteinte, sera du même coup rétroactivement libérée ainsi que celle de 10 et 15 %
du fait de la multiplicité des représentants et pourront donc à nouveau être utili-
sées. Comment concilier cette solution avec le principe suivant lequel une impo-
sition antérieure n’est jamais remise en cause ? Et admettre par ailleurs que cha-
cun des petits-enfants soient taxés à partir de la tranche à laquelle en était arrivé
leur auteur conduit à un résultat particulièrement injuste et incohérent, au regard
du montant réel de l’actif donné.
Enfin, il nous semble que le résultat contrevient frontalement à la lettre de
l’article 784 du Code général des impôts, qui impose aux héritiers et donataires
de rappeler les donations dont ils ont eux-mêmes bénéficiées dans le délai de
référence. Or, il est patent que ce ne sont pas les représentés qui ont reçu des
donations, mais leur auteur : leur imposer de les révéler, sous couvert de représen-
tation, nous paraît devoir contrevenir directement au principe d’interprétation
stricte des textes fiscaux, qui s’oppose à l’établissement d’une imposition par un
raisonnement analogique.
Il existe à l’évidence un vide juridique, mais il revient manifestement au légis-
lateur de le combler, et non à la doctrine fiscale. Le représentant ne devrait donc
être comptable, au regard de la progressivité des droits et vis-à-vis du Trésor
public, que de l’abattement du représenté, à l’exclusion des donations dont ce
dernier aurait pu bénéficier.

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Le testament, pour quoi faire ?

Philippe D S H


Professeur à l’Université de Bordeaux (IRDAP)
Directeur scientifique du Cridon Sud-Ouest

La notion de testament est polysémique. Dans une acception générale, elle


désigne la pensée ou l’œuvre d’une personne illustre. Qui n’a pas en mémoire
les célèbres mots du testament de Napoléon Ier daté du 15 avril 1821 : « Je
désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple
français que j’ai tant aimé ». Qui ne se souvient pas du testament politique de
Louis XIV ou ne reconnaît pas dans le Requiem de Mozart, un authentique
testament musical.
Dans un sens technique et juridique, un testament désigne aux termes de
l’article 895 du Code civil l’« acte par lequel le testateur dispose, pour le temps
où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits et qu’il peut
révoquer ». La définition ainsi retenue par la loi du 23 juin 2006 se restreint au
versant patrimonial alors que le testament peut aussi comporter des disposi-
tions extrapatrimoniales comme une reconnaissance d’enfant naturel, la nomi-
nation d’un tuteur ou d’un exécuteur testamentaire ou encore régler le sort
d’une sépulture. Il est, par excellence, le support naturel des dernières volontés,
qui demeurent révocables jusqu’à l’ultime moment1. Même si des dernières
volontés peuvent aussi se glisser dans des contrats profilés tels le mandat à effet
posthume et l’institution contractuelle, ces derniers conservent l’empreinte
indélébile d’un testament par la révocabilité ad nutum qu’il implique. Trop
souvent réduit à un simple acte d’extrême onction patrimoniale, le testament
doit sortir de l’ombre de la mort qui nuit à sa réputation. Ses multiples finalités
en font un outil d’anticipation très performant. Une approche novatrice et
renouvelée du testament s’inscrit dans la démarche volontariste qui imprègne le
droit successoral contemporain. L’éminent notaire auquel nous dédions ces
quelques lignes ne nous démentira pas, dans cet hymne en faveur de l’autono-
mie de la volonté. Maître Combret a, durant toute sa carrière, œuvré avec tant
d’énergie et de talent, pour enrichir et élever la fonction notariale au niveau qui
doit être le sien, notamment en droit de la famille.
La réticence du droit français à l’égard du testament trouve ses causes dans
le système même de notre pensée juridique. L’ivresse contractuelle a eu pour
corollaire la marginalisation de l’acte juridique unilatéral dont le testament est
1. V. la belle thèse de B C., Les volontés des morts. Vouloir pour le temps où l’on ne
sera plus, t. 557, préf. G M., 2014, LGDJ.

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116 LE TESTAMENT, POUR QUOI FAIRE ?

victime. Point de théorie générale de l’acte unilatéral dans le Code civil, qui
n’aborde cette figure qu’à travers ses principales illustrations que sont les testa-
ments, les reconnaissances d’enfant… Carbonnier, dénonçant cette obsession
contractuelle, proposait de rapprocher le testament et la loi : « S’il fallait cher-
cher pour la loi une analogie dans le droit civil, pourquoi avoir ressassé des
schémas de contrat ? Le testament, c’était bien plus vrai »2. La technique testa-
mentaire est bâtie sur la référence d’une loi : le testateur est un législateur
successoral privé, dès lors qu’il engage les autres sans lui-même être tenu. La
lecture du testament réserve des surprises et marque de son sceau l’ambiance
régnant au banquet successoral. Le peu d’enthousiasme du droit successoral
français pour le testament tient aussi à la trop grande sophistication des règles
en droit des successions, comme en témoignent les réformes du 3 décembre
2001 et du 23 juin 2006, et qui créent l’illusion que l’anticipation volontaire
devient inutile, le législateur ayant tout prévu. L’instauration systématique de
dispositions supplétives participe d’une certaine façon à aseptiser la créativité
par des actes juridiques adaptés. Pourtant, signe sensible d’une évolution, le
testament ciblé dans de nombreux textes contemporains. Le règlement euro-
péen du 4 juillet 2012 relatif aux successions internationales lui rend un hom-
mage indirect avec la clause « electio juris » afin de choisir sa loi nationale. Le
législateur français lui-même favorise, depuis peu, le recours au testament soit
en le rendant obligatoire – par exemple pour écarter par testament authentique
le droit viager au logement de l’article 764 du Code civil –, soit en ouvrant le
testament authentique aux personnes muettes et sourdes ou en le rendant pos-
sible en langue étrangère avec possibilité de recourir à un interprète (loi du
16 février 2015) ou enfin en simplifiant ses formalités, par exemple par la
suppression de l’envoi en possession de l’ancien article 1008 du Code civil (loi
du 18 novembre 2016).
De manière plus générale, le législateur contemporain a multiplié dans le droit
patrimonial de la famille la référence à des options, dont on oublie trop souvent
la nature d’acte juridique unilatéral. Ces indices invitent à redécouvrir le testa-
ment dans toutes ses dimensions pour en percevoir une richesse insoupçonnée en
tant qu’outil de gestion, d’adaptation et de transmission de patrimoine, au service
de stratégies diversifiées, tant civiles que fiscales. Sa fonction originelle est d’amen-
der la dévolution légale successorale. Dans cette perspective, le testateur peut être
animé de deux préoccupations inverses et pourtant complémentaires : éliminer
tout ou partie de la dévolution légale et /ou augmenter la part dévolue à certains,
en les rendant légataires. À cet égard, le support testamentaire est doué d’une
ubiquité fonctionnelle. Il est, à ce jour, la seule libéralité à permettre une élimina-
tion par anticipation des droits successoraux légaux, en évitant les foudres de la
prohibition des pactes sur succession future (I). Par ailleurs, et cette fois comme
les autres libéralités, il peut revêtir une portée augmentative ouvrant à son auteur
la faculté d’avantager un héritier ou un tiers (II).

2. « La loi civile, 1987, avant-propos », in Écrits, 2008, PUF, p. 265.

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PHILIPPE DELMAS SAINT HILAIRE 117

I – LE TESTAMENT ÉLIMINATOIRE

La vocation éliminatoire d’un testament est, à ce point naturelle, qu’elle vient


à l’esprit immédiatement comme si le support testamentaire servait avant tout à
exhéréder. Cette vision manque de nuances.
Certes le testament permet d’exclure en tout ou en partie des droits hérédi-
taires supplétifs, et il est investi à cet égard, au sein des libéralités, d’une exclusi-
vité fort utile dans la gestion patrimoniale. Mais l’élimination d’une vocation
héréditaire, partielle ou totale, revêt une signification bien différente selon qu’elle
n’a pour finalité que d’évincer un héritier (A) ou qu’elle vise à profiler une libéra-
lité dans le cadre d’une stratégie patrimoniale bien déterminée (B).

A. Le testament pour évincer

Si le testament est le support naturel d’une exhérédation (1), sa rédaction


impacte la dimension de l’élimination patrimoniale ainsi orchestrée (2).

1. Le testament, support d’une exhérédation


Le rôle du testament revêt en matière d’exhérédation une exclusivité au sein
des libéralités, dont on reconnaît volontiers qu’elles ont pour but premier d’avan-
tager le gratifié et pas de l’appauvrir. Si le support testamentaire ne heurte pas la
prohibition des pactes successoraux, c’est en raison de sa nature unilatérale ; à la
différence des institutions contractuelles nécessitant les consentements de l’auteur
de la libéralité et du gratifié, le testament ne comprend pas l’accord de celui dont
on supprime par anticipation les droits successoraux légaux. Un regard sociolo-
gique inviterait même à considérer que la prohibition des pactes sur succession
future garantit une certaine élégance à l’exhérédation : celui qui est privé de ses
droits successoraux légaux n’a pas à intervenir à l’acte, ni même peut être à
connaître son éviction.
Le législateur aggrave même le formalisme lorsque l’élimination porte sur un
bien sanctuarisé en raison de son caractère nécessaire à la vie ou la survie ; ainsi
l’amoindrissement ou l’éviction du droit viager au logement prévu par l’ar-
ticle 764 du Code civil au profit du conjoint survivant exige, à peine de nullité,
la forme d’un testament authentique. Cette exigence est destinée à éviter que la
suppression de ce droit successoral ne soit le fruit que de règles liquidatives, c’est-
à-dire pas nécessairement voulues par le défunt.
D’autres précautions rédactionnelles invitent à gérer la place au sein du testa-
ment de l’exhérédation par rapport aux autres legs. Ainsi l’institution d’un tiers
comme légataire universel emporte exhérédation des héritiers, bien entendu en
tenant compte d’éventuels rétablissements en valeur s’ils sont réservataires. Dès
lors que cette exhérédation se déduit du legs universel, l’inefficacité de ce dernier,

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118 LE TESTAMENT, POUR QUOI FAIRE ?

suite à un prédécès du légataire, sa renonciation ou la nullité ou la caducité dudit


legs, entraîne la mise à pied de l’exhérédation.
Pour contenir cette conséquence, il suffit de prévoir expressément l’exhéréda-
tion pour ne plus en faire une mesure dépendante et assurer la parfaite divisibilité
des dispositions de dernières volontés.
Dans cette dernière acception, l’inefficacité d’un legs ne se reporte pas sur l’effi-
cacité des autres dispositions dont l’exhérédation programmée expressément.

2. Le testament, mesure de l’exhérédation


La mesure de l’exhérédation suscite parfois des difficultés, dans la pratique
notariale, en raison de la survenance d’un hiatus entre le contenu d’une réglemen-
tation à l’époque de la confection du testament et les textes en vigueur au moment
de l’ouverture de la succession. Cette préoccupation n’est pas rare en période de
logorrhée législative comme celle que nous traversons.
Un exemple emprunté à la situation du conjoint survivant, qui n’a cessé d’évo-
luer avec les réformes successorales de 2001 et de 2006, illustre parfaitement ce
malaise d’instabilité législative. Un testament entre époux rédigé avant 2001,
c’est-à-dire à une époque où les droits légaux du conjoint survivant en présence
d’enfants se limitaient à un quart en usufruit, précisait que l’époux légataire rece-
vrait l’usufruit d’un bien immobilier mais serait privé de tout autre droit d’usu-
fruit. Le décès du testateur intervenant en 2004, l’interprétation de ses dernières
volontés suscite une discussion entre le conjoint désireux de compléter son émo-
lument avec des droits en pleine propriété liés à sa qualité d’héritier et les enfants
considérant que le legs comportait une exhérédation de tout droit légal complé-
mentaire. Au fond, il s’agit de savoir si l’exclusion d’un complément légal prévu
dans le testament doit se limiter seulement aux droits d’usufruit, seuls visés
expressément, ou comprendre aussi des droits en pleine propriété dont était privé
à l’époque de rédaction du testament le conjoint mais que la loi du 3 décembre
2001 lui a ajouté au titre de la dévolution légale. Les magistrats, s’en tenant aux
seuls termes du testament ne visant qu’une exclusion des droits légaux d’usufruit,
permettent au conjoint survivant de recevoir des droits successoraux en pleine
propriété es qualités d’héritier3.
L’interprétation demande du courage, qu’une appréciation littérale au détri-
ment d’une lecture finaliste récuse… En l’espèce, le défunt souhaitait à l’évidence
limiter à cet usufruit particulier l’émolument de son conjoint et corrélativement
supprimer par ailleurs tout droit légal complémentaire qui ne pouvait être que de
l’usufruit à l’époque. Un conseil de rédaction s’impose dès lors que l’exécution de
l’acte n’aura lieu qu’ultérieurement, au décès de l’auteur : toute disposition élimi-
natoire doit être explicitée dans son fondement, quitte d’ailleurs à ajouter mais
seulement à titre d’illustration qu’à ce jour la restriction revêt telle ou telle forme.

3. En ce sens : Cass. 1re civ., 25 mars 2009, RJPF 2009, 6/47, obs. Delmas Saint Hilaire P.

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PHILIPPE DELMAS SAINT HILAIRE 119

Certes, il est des cas où les juges acceptent d’apprécier la volonté exprimée dans le
testament à l’aune d’une modification législative. Ainsi une stipulation testamentaire
rédigée en 2006 – époque où s’appliquait le cumul des vocations légale et testamen-
taire jusqu’au paradis successoral que sont les quotités disponibles entre époux – pré-
cisait que le testateur confirmait la donation entre époux d’usufruit universel, tout en
maintenant au gratifié son quart en pleine propriété. Le décès du testateur intervenant
en 2007, c’est-à-dire après l’entrée en application de la loi du 23 juin 2006 suppri-
mant la règle du cumul pour lui substituer celle de l’imputation des libéralités entre
époux sur les droits légaux, évoquée à l’article 758-6 du Code civil, une discussion
était née sur la validité, au moment de l’ouverture de la succession, d’une telle combi-
naison de l’usufruit libéral et du quart légal. Une application rigoureuse ou régoriste
du nouveau dispositif législatif aurait conduit à exclure ce cumul, la libéralité entre
époux ne pouvant qu’amputer la vocation légale et non plus s’y ajouter.
Les juges, pour « sauver le soldat testament » et les dernières volontés expri-
mées sous l’empire de la loi du cumul de 2001, ont accepté de nier la soumission
de ladite succession testamentaire à la loi de 2006 et sa règle d’imputation, pour-
tant applicables eu égard à la date du décès4. En reconnaissant au conjoint survi-
vant la faculté de se prévaloir de la quotité disponible spéciale composée du quart
en pleine propriété et de l’usufruit universel, les juges n’ont-ils pas implicitement
considéré que la référence faite dans le testament au maintien du quart légal
valait, en réalité, novation en un legs du quart ?
Le cumul, à l’évidence recherché par le testateur, serait alors obtenu par une
combinaison, elle licite, même sous l’empire de la loi de 2006, entre la confirma-
tion d’une institution contractuelle d’usufruit et un legs du quart en propriété.
La sagesse demeure de conseiller, le plus régulièrement possible, aux auteurs de
testament de réviser le contenu de leurs dernières volontés, avec l’aide précieuse
d’un notaire afin d’en assurer la pleine efficacité au fil des fluctuations législatives.

B. Le testament pour profiler

Le testament revêt, dans sa dimension éliminatoire de certains droits légaux,


un rôle nouveau dans l’adaptation d’une transmission aux dernières volontés de
l’auteur. En cela il est un outil précieux d’anticipation successorale permettant au
testateur de procéder aux corrections sur des opérations de transmission déjà
intervenues (1) ou encore d’ajuster des transmissions à effectuer (2).

1. Corriger une transmission déjà intervenue


Le testament permet d’assurer le lifting de dispositions antérieures. Cette correc-
tion, simple à réaliser, connaît des modalités plus ou moins contraignantes selon que
l’opération amendée était inspirée par une intention onéreuse ou à titre gratuit.

4. Cass. 1re civ., 17 déc. 2014, Dr. famille, févr. 2015, n° 36, obs. Beignier B. et Nicod M.

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120 LE TESTAMENT, POUR QUOI FAIRE ?

En premier lieu, un testament constitue un moyen efficace pour revenir sur une
transmission onéreuse. Il est parfaitement possible de prévoir dans un testament
une remise de dette. La solution n’est pas nouvelle mais son utilisation, dans la
sphère familiale s’avère innovante. En présence d’époux ou de partenaires séparés de
biens, il est opportun à l’occasion d’une acquisition, notamment immobilière, révé-
lant un hiatus entre l’indivision voulue sur le bien acquis et la faculté contributive
de chacun dans son financement, de titriser dans l’acte même d’acquisition ce déca-
lage ; le bailleur de fonds justifie la fourniture de deniers à son partenaire ou époux,
co-acquéreur par la reconnaissance d’un prêt, puis s’il le souhaite en prévoit la
remise dans un testament. Outre que le conjoint ou le partenaire financeur conserve
la main sur le sort de la dette en fonction des fluctuations de son couple, l’insertion
d’une remise de dette dans un testament lui permet in fine d’accorder à sa moitié
une libéralité mortis causa, dont on ne manquera pas d’observer qu’elle est exonérée
fiscalement en raison de la loi TEPA du 21 août 2007.
En second lieu, une même correction par voie testamentaire d’une transmission
à titre gratuit déjà intervenue peut avoir lieu, mais en respectant ici le caryotype de
la libéralité corrigée. En effet, la règle drastique de l’irrévocabilité spéciale des dona-
tions limite des éventuelles modifications de celles-ci. Il en est une pourtant prévue
par le législateur et peu utilisée en pratique : celle évoquée à l’article 919 alinéa 2 du
Code civil, autorisant postérieurement et par voie testamentaire de rendre hors part
une donation consentie à un héritier. Si le législateur a autorisé un tel amendement
unilatéral d’une donation, c’est qu’il a présumé que cet ajout ne pouvait que consti-
tuer pour le donataire un complément de libéralité et donc ne jouer qu’en sa
faveur. Une telle vision est bien simpliste. Il suffit de rappeler qu’en devenant hors
part la donation s’impute exclusivement sur la quotité disponible de telle sorte que
tout débordement entraîne une indemnité de réduction. La question de la date
d’imputation pour la donation devenue hors part par testament devient essentielle ;
selon nous, c’est la date du testament qui doit être retenue.
Au-delà de cette limite liée à l’irrévocabilité, il reste envisageable de modifier, de
compléter ou révoquer par testament toute disposition antérieure à titre gratuit, dès
lors que celle-ci était révocable ad nutum. À cet égard, l’auteur d’un testament,
d’une donation au dernier vivant ou d’une réversion d’usufruit entre époux – actes
par nature révocables –, a la faculté d’amender sa volonté en recourant à un testa-
ment modificatif. Dans cette optique, le testateur pourrait ajouter aux libéralités
révocables déjà intervenues une clause de non-divorce, s’il s’agit d’une transmission
entre époux afin de révoquer automatiquement la libéralité en cas de turbulence
matrimoniale. Le testament est aussi un outil efficace pour révoquer expressément
un testament antérieur, et là peu importe la forme du testament révoqué5, ou encore
pour supprimer une réversion d’usufruit entre époux contenue dans une donation
de la nue-propriété d’un bien avec réserve d’usufruit.
Si la révocation expresse d’un testament ne peut avoir lieu que par testament,
pour autant une révocation tacite, à hauteur de l’incompatibilité des dispositions,

5. C. civ., art. 1035.

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PHILIPPE DELMAS SAINT HILAIRE 121

est susceptible de jouer en présence par exemple d’une institution contractuelle6.


À cet égard, il y a lieu de rappeler nettement l’inefficacité de la clause parfois ren-
contrée dans le corps d’une donation de biens à venir entre époux prévoyant la
révocation expresse de toute disposition antérieure à cause de mort. L’institution
contractuelle ne sera en mesure de révoquer que de façon tacite d’éventuels testa-
ments antérieurs, c’est-à-dire uniquement dans la mesure où les nouvelles dispo-
sitions sont incompatibles avec les anciennes7.

2. Ajuster une transmission à intervenir


Le testament permet de profiler une transmission à titre gratuit en ajustant la
stratégie poursuivie par son auteur. À cet égard, le cadre d’une famille recomposée
offre au testament les opportunités significatives. Lorsqu’un époux souhaite à son
décès laisser un usufruit à son conjoint, alors qu’il existe des enfants non issus du
mariage, il doit recourir à une libéralité à cause de mort puisque l’option de droits
en usufruit a été écartée par le législateur en présence d’une famille recomposée.
La donation au dernier vivant d’usufruit universel est souvent utilisée à cet
effet. Pour autant, une nuance doit être introduite selon le but poursuivi par
l’auteur de la gratification. Si son objectif se limite à restaurer au conjoint l’option
supprimée par la loi, le recours à l’institution contractuelle est suffisant : le
conjoint survivant invoquera sa qualité de gratifié s’il revendique l’usufruit et se
prévaudra de son titre d’héritier s’il préfère des droits en pleine propriété. En
revanche, si le disposant souhaite que les droits reçus par son conjoint ne soient
qu’en usufruit, pour préserver une partie de sa famille d’une évasion patrimoniale
définitive, il lui faudra profiler sa transmission d’usufruit en excluant expressé-
ment par testament toute velléité pour le gratifié de se prévaloir des droits en
pleine propriété reconnus par la dévolution légale. Cette éviction des droits légaux
ne peut s’effectuer que par la voie testamentaire ; l’époux, par simplicité, utilisera
alors ce même support testamentaire pour asseoir la transmission d’usufruit. Le
testament, en évinçant la vocation légale, permet au disposant d’ajuster sa straté-
gie patrimoniale. En réalité, c’est le versant éliminatoire du testament qui enrichit
l’opération transmissive. De la même façon, le recours à un testament s’avère très
opportun dans une famille recomposée, lorsque le disposant souhaite faciliter
pour le conjoint survivant l’exercice de sa faculté de cantonnement en présence
d’une institution contractuelle. En effet, l’absence d’aménagement anticipé
enferme l’exercice du cantonnement, puisque les biens non retenus par le gratifié
retombent mécaniquement dans la succession et profitent à ce titre à tous les
enfants du défunt. Pour que le cantonnement puisse n’avantager que les enfants
du mariage, il faudrait que le défunt, lors de la donation entre époux, ait par un
testament adéquat prévu que les biens écartés par cantonnement soient légués aux
6. C. civ., art. 1036.
7. En ce sens : Cass. 1re civ., 22 juin 2004, Bull. civ. I, n° 179 ; v. aussi La donation entre
vifs ne peut emporter révocation tacite d’un testament antérieur, à propos de Cass. 1re civ., 8 juill.
2015, JCP N. 2015, n° 1197, p. 33, obs. Chabot G.

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122 LE TESTAMENT, POUR QUOI FAIRE ?

seuls enfants communs. Ce testament permet ainsi de profiler la donation entre


époux consentie au dernier conjoint, en permettant à celui-ci d’affecter le jeu de
son cantonnement au seul profit des enfants communs.

II – LE TESTAMENT AUGMENTATIF

La vocation d’une libéralité est d’améliorer la situation patrimoniale du grati-


fié. Le testament n’échappe pas à ce constat et permet ainsi, lorsque le légataire
notamment est un héritier, d’accroître son émolument successoral. Cette vertu
augmentative n’est pas l’apanage du testament puisqu’il la partage avec les autres
libéralités comme l’institution contractuelle ou la donation ordinaire. Trop sou-
vent l’image du testament est confinée à sa dimension éliminatoire, certainement
en raison, là, d’un rôle exclusif au sein des libéralités. Il faut donc redécouvrir le
testament dans sa version augmentative, où il vient concurrencer les autres libéra-
lités, que ce soit pour transmettre plus (A) ou transmettre mieux (B).

A. Le testament pour transmettre plus

Le recours à un testament augmentatif se conçoit naturellement au sein de la


dévolution successorale lorsque son auteur cherche à avantager un gratifié (1)
mais aussi et plus artificiellement au-delà de la dévolution successorale lorsque le
support testamentaire ne sert qu’à la désignation ou la modification du bénéfi-
ciaire d’une assurance-vie (2).

1. Au sein de la dévolution successorale


Dans une approche classique, le testament en tant que libéralité permet
d’avantager un héritier ou de gratifier un non successible. La mesure de l’avantage
octroyé, notamment en présence d’héritiers réservataires, mérite d’être analysée.
Le recours au support testamentaire peut constituer déjà en soi un atout quanti-
tatif par rapport à une dévolution légale, et ce à quotité équivalente.
Pour nous en convaincre, il suffit de détailler la situation du conjoint survi-
vant. Le bénéfice d’un legs du quart de la succession lui permet de recevoir davan-
tage qu’il n’hériterait de par la loi, qui pourtant lui concède, en présence d’en-
fants, la même quotité du quart ; la raison est de nature liquidative et tient aux
règles strictes de fixation des masses de calcul et d’exercice du droit légal en pro-
priété fixées à l’article 758-5 du Code civil8. En somme, à quotité identique, le
conjoint survivant profite d’une transmission plus étendue lorsqu’elle s’assoit sur
une libéralité à cause de mort que celle provenant d’une dévolution légale. Bien
entendu, et toujours dans cette optique classique, le testament permet d’accéder
8. V. sur cet aspect ; H J. et D S-H P., Vive les libéralités entre
époux, 2003, Defrénois, art. 37645, p. 3 et s.

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PHILIPPE DELMAS SAINT HILAIRE 123

aux quotités disponibles, c’est-à-dire l’une des quotités spéciales si le gratifié est
un conjoint, la quotité ordinaire en présence d’un tiers avantagé.
Depuis la réforme du 23 juin 2006, une approche renouvelée du testament
doit être conduite, notamment en raison de l’émergence du principe de la réduc-
tion en valeur des libéralités excessives. La référence à la quotité disponible a
perdu de sa superbe car elle ne constitue plus, en cas de dépassement, une source
inéluctable de création d’une indivision entre le sur-gratifié et l’héritier réserva-
taire. Cette conséquence résultait du mécanisme de la réduction en nature, créa-
trice d’indivision. D’ailleurs, la suppression de la caducité des dispositions testa-
mentaires prévue à l’ancien article 925 du Code civil, par épuisement de la quo-
tité disponible par les donations entre vifs en est le témoin privilégié. Aujourd’hui,
un légataire, peut recevoir au-delà de la quotité disponible, sans avoir à restituer
des biens ou subir une indivision, dès lors qu’il dispose de moyens financiers suf-
fisants pour désintéresser l’héritier réservataire. L’ancienne caducité de l’article 925
du Code civil est, d’une certaine façon, novée depuis la loi de 2006, en une sorte
d’attribution préférentielle au profit du légataire, à même de conserver le bien
légué en dépit du dépassement de quotité disponible, en payant une indemnité
de réduction. Un bémol s’impose sur cette partition testamentaire : l’indemnité
due se détermine au regard des règles de la réduction et non comme l’attribution
préférentielle à l’aune de celles du partage. Le financement peut même lui être
fourni par le défunt au moyen du bénéfice d’une assurance-vie, par principe non
comptabilisée dans la succession9. Cet aspect de la réforme de 2006 n’a pas été
suffisamment mis en exergue alors qu’il symbolise un renouveau dans l’utilisation
du testament, comme support d’expression des dernières volontés.
Le recours au testament, dès lors qu’il est bien orchestré, permet de déplacer
les discussions lors du banquet successoral, de la propriété des biens vers une
simple préoccupation de flux financiers à l’aune des rétablissements institués par
le législateur. Dans cette optique, le testament occupe une place primordiale, au
même titre d’ailleurs qu’une institution contractuelle pour les époux. Le légataire
bénéficiant depuis la réforme de 2006 d’une faculté de cantonnement – sauf si le
testateur l’a supprimée –, il lui est loisible, lors de l’option relative au testament,
de cantonner l’émolument reçu, en fonction de ses besoins du moment et de ses
moyens financiers en vue de l’indemnité de réduction qu’il pourrait avoir à hono-
rer ; mais aussi, dans une démarche plus altruiste, il peut vouloir anticiper sa
propre succession en permettant à ses héritiers de récupérer déjà les biens succes-
soraux délaissés. Cette approche renouvelée des règlements de succession invite à
reconsidérer la notion même d’universalité dans une libéralité, et notamment
celle du legs universel. Au fond, l’universalité, après la loi de 2006, a gagné en
volume ; c’est plus qu’auparavant, car aujourd’hui le défunt, par testament, a la
faculté de tout transmettre, certes à condition que le légataire institué dispose de
moyens financiers suffisants alors qu’auparavant l’universalité se cantonnait à la
quotité disponible, le débord suscitant en principe une indivision, si du moins
l’héritier réservataire exerçait l’action en réduction.

9. C. assur., art. L. 132-12 et L. 132-13.

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124 LE TESTAMENT, POUR QUOI FAIRE ?

L’universalité ainsi revisitée doit inciter le notaire, lorsqu’il rédige un testa-


ment universel ou une donation au dernier vivant universelle, à reconsidérer les
formules utilisées, en ne limitant plus, en présence d’héritiers réservataires, ladite
libéralité universelle à la quotité disponible, celle-ci pouvant être dépassée dès lors
que le gratifié le souhaite et dispose de moyens financiers pour régler l’indemnité
de réduction. En ce sens, un legs de la quotité disponible devient ambigü, son
effective universalité pouvant être littéralement discutée.

2. Au-delà de la dévolution successorale


Aux termes de l’article L. 132-8 du Code des assurances, le souscripteur d’une
assurance-vie peut désigner ou modifier le bénéficiaire du capital ou de la rente
versée au décès en recourant au support testamentaire, ce qui lui assurera une confi-
dentialité particulière. Pour autant, ce versement s’effectuera hors succession10.
À l’heure où les rétablissements successoraux ont lieu en valeur, l’assurance-vie
constitue un appoint utile afin de permettre au légataire d’assurer financièrement le
poids d’une éventuelle indemnité de réduction. La désignation de bénéficiaires
d’une assurance-vie par testament implique des précautions tenant à la rédaction du
support testamentaire mais aussi au libellé de la clause bénéficiaire.
La vigilance est de mise lors de la rédaction du testament auquel renvoie la
clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie. Trop souvent les dispositions de der-
nières volontés, en dépit du renvoi annoncé, n’évoquent pas expressément la dési-
gnation de bénéficiaire du capital décès. Le fait que le testament vise l’attribution
des liquidités et produits bancaires ne suffit pas à garantir l’existence d’une clause
bénéficiaire, de telles dispositions étant présumées porter sur l’actif successoral. De
surcroît, le testament comprenant expressément une désignation bénéficiaire n’est
pas à l’abri d’une révocation par un testament ultérieur, le testateur n’ayant en réa-
lité voulu que modifier à nouveau la dévolution de ses biens successoraux. La sagesse
doit conduire à prévoir dans le contrat d’assurance-vie une clause bénéficiaire de
substitution attribuant, à défaut, le capital décès aux « héritiers » du souscrip-
teur. L’utilité de cette « clause-balai » vise à éviter qu’à défaut de bénéficiaire effica-
cement désigné, l’assurance-vie ne retombe dans l’actif successoral11 et fiscalisé en
tant que tel. La clause visant « les héritiers » permet à ces derniers de toucher le
capital hors succession en leur qualité de bénéficiaires de l’assurance-vie.
La jurisprudence n’a pas hésité à préciser le sens du terme « héritiers » ainsi
évoqué. D’une part, les juges considèrent qu’il y a lieu pour identifier de tels
bénéficiaires de tenir compte des héritiers du sang mais aussi des legs universels
ou à titre universel, ce qui influe sur l’identification des bénéficiaires mais aussi
sur la répartition du capital décès12.

10. C. assur., art. L. 132-12 et L. 132-13.


11. C. assur., art. L. 132-11.
12. Cass. 1re civ., 4 avr. 1978, D. 1978, IR 460, obs. Berr C.-J. et Groutel H. ; pour une
solution contraire en raison de circonstances particulières : Cass. 2e civ., 12 mai 2010, Dr. et

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PHILIPPE DELMAS SAINT HILAIRE 125

D’autre part, le bénéficiaire ainsi désigné a la faculté de renoncer à la succes-


sion tout en ne perdant pas son droit au capital décès13. La notion d’héritier est
synonyme de celle de successible, démontrant en cela la parfaite autonomie du
droit de l’assurance-vie, qui ne dépend nullement de l’exercice de l’option succes-
sorale pour garantir la parfaite efficacité de la clause bénéficiaire visant les héritiers
du souscripteur.
Bien entendu, le plus grand soin doit être porté aussi à la rédaction de la clause
bénéficiaire contenue dans le testament. D’aucuns se sont demandés, notam-
ment, à propos de la clause bénéficiaire démembrée instituant un bénéficiaire en
usufruit et un bénéficiaire en nue-propriété, si un excès de précisions ne risquait
pas de rendre douteux le testament-support, comme si celui-ci avait été dicté par
le professionnel et allant jusqu’à préférer même au testament authentique un tes-
tament international dont le formalisme est moindre14. Ce réflexe nous paraît
regrettable. Le testateur peut avoir été conseillé par un professionnel, et la com-
plexité du droit patrimonial actuel de la famille y invite largement, sans que pour
autant la paternité du testament soit remise abusivement en cause.

B. Le testament pour transmettre mieux


Le testament offre au gratifié, lorsque celui-ci est par ailleurs héritier, un
confort patrimonial sans aucune mesure avec le jeu d’une simple dévolution suc-
cessorale légale. La promotion du support testamentaire est ici qualitative et s’éta-
blit aisément à partir d’une comparaison entre la dévolution légale et la dévolu-
tion testamentaire. Il ne s’agit plus de vanter l’accroissement de part que permet
de réaliser un testament mais simplement de mettre en exergue les vertus de la
transmission testamentaire, alors même que le legs n’est qu’un legs d’attribution
c’est-à-dire en avancement de part successorale. Au fond, le recours au testament
nove en profondeur la transmission à titre gratuit, qui se voit doter d’atouts patri-
moniaux substantiels tenant à ses modalités propres, qu’elles soient induites du
support testamentaire (1) ou construites dans le testament (2).

1. Le testament et ses modalités induites


La transmission testamentaire cesse d’être légale et permet alors au légataire,
lorsque celui-ci revêt par ailleurs la qualité d’héritier, de s’affranchir de règles
civiles ou fiscales contraignantes.
Ainsi le légataire-héritier, en acceptant son legs, échappe pour le paiement des
droits de mutation par décès à la solidarité fiscale qui imprègne la dévolution
successorale légale15. Le testament offre une étanchéité fiscale bien confortable.

patr., mars 2011, p. 91, obs. Delmas Saint-Hilaire P.


13. C. assur., art. L. 132-8.
14. Sur le testament international, v. C P., « Regards sur un mal-aimé : le testament
international », in Mélanges en l’honneur du professeur Pierre Mayer, 2015, LGDJ, p. 91 et s.
15. CGI, art. 1705 et 1709.

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126 LE TESTAMENT, POUR QUOI FAIRE ?

De plus, la faculté du cantonnement n’est ouverte qu’en présence de libéralités


mortis causa16 et ne concerne pas la dévolution successorale légale régie par la règle
de l’indivisibilité de l’option.
Transmettre par testament, c’est donc offrir au légataire la liberté de choisir le
contenu de son émolument gratuit. S’il s’avère de surcroît que le legs programmé
est universel (un vrai legs universel englobant tous les biens successoraux même
en présence d’héritiers réservataires) ou encore porte à titre particulier sur des
biens entiers, le cantonnement ouvre alors au légataire la possibilité de faire « son
marché successoral », tout en évitant un partage, tant au plan civil (accord des
cohéritiers non requis), que fiscal (pas de droit de partage à 2,5 % sur la masse
partageable). En effet, l’attribution par voie testamentaire, dans les conditions
précisées, ne crée aucune indivision sur lesdits biens transmis.

2. Le testament et ses modalités construites


Le support testamentaire permet à son auteur d’organiser à sa guise et sur
mesure la transmission successorale. L’amélioration qualitative se manifeste dans
la rédaction de clauses spécifiques intégrées dans le testament. Celles-ci témoignent
de la volonté du testateur soit d’imposer une modalité à la transmission construite,
soit d’offrir, à travers des options, des alternatives nouvelles au légataire.
Il peut s’agir, tout d’abord, d’une modalité voulue et imposée par le testa-
teur comme étant déterminante de son consentement. Après un divorce, un
époux souhaite fréquemment qu’à son décès les biens reviennent à ses enfants
mais en évitant, s’ils sont mineurs, que lesdits biens ne soient gérés par l’ancien
conjoint toujours titulaire de l’administration légale et de la jouissance légale.
La solution consiste alors à convertir la dévolution légale en dévolution testa-
mentaire : les enfants sont institués légataires universels, en précisant que s’ils
sont mineurs et durant leur minorité, les biens légués seront administrés par
un tiers désigné par le testateur. Le procédé permettant d’écarter l’administra-
tion légale et la jouissance légale du parent survivant est validé par le législa-
teur17. Pour qu’il en soit ainsi la transmission des biens au mineur devra avoir
lieu dans une libéralité18 et la clause devra préciser nettement la condition
d’administration par un tiers19.
De plus, il est opportun, selon nous, de détailler les prérogatives du tiers admi-
nistrateur et notamment d’indiquer expressément qu’il aura le pouvoir d’accepter

16. Pour les testaments, C. civ., art. 1002-1 ; pour les institutions contractuelles, C. civ.,
art. 1094-1, al. 2.
17. V. les articles 384 et 386-4-2° du Code civil dans la rédaction issue de l’ordonnance
du 16 février 2015.
18. Pour une acceptation large de la notion de legs : v. Cass. 1re civ., 11 févr. 2015, Dr.
famille 2015, n° 75, obs. Nicod M. ; RTD civ. 2015, 354, obs. Hauser J.
19. V. D S H P., « À propos de la clause d’exclusion de l’administration
légale », in Mélanges en l’honneur du professeur Raymond Le Guidec, 2014, LexisNexis,
p. 333 et s.

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PHILIPPE DELMAS SAINT HILAIRE 127

ladite libéralité pour le compte du mineur. On imagine mal, à défaut, l’ex-


conjoint écarté de la gestion, prêt à accepter pour le compte des mineurs, le legs
contenant son éviction.
Ensuite, le support testamentaire devient un outil irremplaçable afin d’éviter
une indivision entre les héritiers et donc un partage parfois difficile au plan civil
et onéreux fiscalement. C’est là un changement d’orientation consacré par la
réforme de 2006 ; le défunt, en recourant à un testament, offre la possibilité aux
héritiers légataires de s’entendre à l’occasion de l’option des legs plutôt que dans
le cadre de la succession les plaçant le plus souvent en indivision. Ainsi, en dési-
gnant un de ses enfants légataire d’un bien particulier dans un legs d’attribution,
le défunt permet à celui-ci de choisir son allotissement, quitte d’ailleurs à devoir
indemniser ses cohéritiers en fonction de la valeur du bien légué.
Cette nouvelle approche, due à la reconnaissance du principe de la réduction
en valeur, redonne une vitalité patrimoniale au legs d’attribution, tombé un peu
en désuétude. Dorénavant il devient un outil privilégié pour éviter une indivision
et permettre l’attribution d’un bien au légataire sans procéder à un partage, avec
un ajustement financier effectué dans le cadre des rétablissements en valeur. Cette
réduction en argent, prônée par le législateur, transcende les liquidations succes-
sorales pour en faire des règlements de compte… en banque ! Le testament per-
met de transmettre librement tous ses biens ; mais que le légataire n’oublie pas
qu’il peut avoir à payer pour conserver la gratification, avec la faculté, sous cer-
taines conditions, de moduler ces flux financiers en délimitant son émolument
par cantonnement.
Redécouvrir les finalités du testament, c’est reconnaître à la volonté son ultime
force, sans avoir besoin, pour engager les autres et notamment ses héritiers, d’être
soi-même obligé. C’est aussi et enfin découvrir dans cet acte de dernière volonté
un soliloque et peut-être la marque d’un certain stoïcisme juridique.
Bordeaux, le 5 janvier 2017

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Le legs de somme d’argent

François S
Professeur à l’Université d’Évry-Val d’Essonne

1. Le legs de somme d’argent est une disposition de dernières volontés par


laquelle un testateur oblige ses héritiers, légaux ou testamentaires, à payer une
certaine quantité d’unités monétaires à un légataire particulier1. Celui-ci acquiert
alors gratuitement une créance contre la succession2.
2. Cette variété de legs est originale : elle ne distribue pas l’actif successoral,
mais alourdit le passif héréditaire3.
3. En tant que composant de l’actif, le legs de somme d’argent se distingue du
legs de corps certain par son objet. Il porte moins sur un bien successoral en
nature que sur sa contrevaleur : « La dévolution des biens en nature s’opère au
profit de l’héritier ou du légataire universel ; mais le testateur décide que, jusqu’à
concurrence d’une somme déterminée, celui qui recueille ces biens devra en four-
nir la contrepartie pécuniaire à tel légataire particulier »4.
4. En tant qu’élément du passif, l’obligation aux legs de sommes d’argent ne
se confond ni avec l’obligation aux dettes du défunt ni avec l’obligation aux
charges de la succession.

1. Un legs universel ou à titre universel peut également avoir pour objet des sommes
d’argent laissées par le défunt à son décès. Mais son exécution n’a rien de spécifique comparée
à celle du legs particulier de somme d’argent.
2. V. A C. et R C., Droit civil français, t. XI, 6e éd. par E P., 1956,
Librairies techniques, § 722, p. 378 : « Le légataire n’est point, à proprement parler, un
successeur du défunt, et n’a qu’un droit de créance contre les héritiers ou légataires chargés du
paiement du legs ».
3. V. not. Lucet F., JCl. Civil, art. 1014 à 1017 ou JCl. Notarial Répertoire, V° Legs,
fasc. I, n° 109.
4. R G. et B J., Traité de droit civil, 1954, LGDJ, n° 2523. On
comprend dès lors mieux l’assimilation du legs du prix de vente d’un corps certain à un legs
de somme d’argent : v. Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, Bull. civ. I, n° 190 ; AJ fam. 2012, 558,
obs. Vernières C. ; RTD civ. 2012, 763, obs. Grimaldi M. ; RDC 2013, 561,
obs. Libchaber R.
Plus généralement, L V., Principes de droit civil, t. XIV, 3e éd., 1878, Bruylant-
Christophe et A. Durand et Pedone-Lauriel, n° 170, p. 182 qui distingue les legs avec assignat
démonstratif (le testateur désigne dans la clause d’exécution du legs la chose devant
préférentiellement servir à l’acquitter) et les legs avec assignat limitatif (le testateur désigne
dans la substance du legs la chose devant obligatoirement servir à acquitter le legs), pour
conclure qu’en l’absence de deux clauses testamentaires dissociant substance et exécution du
legs, tout est affaire d’interprétation de la volonté du testateur…

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130 LE LEGS DE SOMME D’ARGENT

Elle se distingue d’abord de l’obligation aux dettes du défunt, car elle ne peut
être transmise à son décès à défaut de l’avoir obligé de son vivant5. Comme
Jacques Flour l’a lumineusement écrit, ce qui différencie les légataires de sommes
d’argent des créanciers successoraux, est qu’ils ne réclament pas leur dû mais
« luttent pour obtenir un gain »6.
Elle se différencie ensuite de l’obligation aux charges de la succession, car si
elle trouve sa cause dans le décès du défunt, elle en est moins la conséquence
directe et nécessaire qu’un effet de la volonté libérale du testateur.
5. Il est vrai que ce particularisme n’est pas étranger au succès pratique du legs
de somme d’argent, dont le dédicataire de ces lignes, fin connaisseur du droit
patrimonial de la famille, pourrait aisément témoigner. D’une part, ce legs est
d’une chose d’un genre généralement apprécié ; le legs de corps certain est évincé
par le disposant qui n’ignore pas que le gratifié est souvent moins sensible à la
satisfaction lointaine d’un héritage perpétué qu’aux plaisirs immédiats de l’argent
consommé ou investi. D’autre part, des dispositions de dernières volontés dont
l’effet est différé et monétisé peuvent provoquer chez leur auteur un sentiment
pour ainsi dire d’innocuité patrimoniale7.
6. Mais il est non moins vrai que cette singularité risque de donner naissance
à des difficultés d’exécution importantes puisqu’il met face à face un héritier
inquiet de devoir exécuter un paiement sur ses deniers personnels et un légataire
exposé au risque d’insolvabilité8.
7. À la différence du legs de corps certain qui transfère un droit réel sanctionné
par l’action en revendication, le legs de somme d’argent ne fait acquérir qu’un
droit de créance sanctionné par une action en paiement9.
Le droit du légataire particulier à la chose léguée (C. civ., art. 1014) étant jus
in re, simple créance de somme d’argent, et non jus ad rem, il n’acquiert la pro-
priété des deniers dont il a été gratifié qu’au moment de leur individualisation,
laquelle résulte en temps ordinaire de la tradition10. En d’autres termes, il en
devient propriétaire non à partir du décès mais à compter du paiement.

5. Ce qui suffit à distinguer le legs de somme d’argent de la donation de somme


d’argent post mortem.
6. F J., Cours de droit civil approfondi. Le passif successoral, 1956-1957, Cours de
droit, p. 228.
7. Notamment, si le legs bénéficie en outre de l’abattement résiduel en matière de
droits de mutation par décès de 1 594 euros (v. CGI, art. 788 IV).
8. Sur d’autres difficultés d’exécution en particulier lorsque l’unité monétaire change
entre le moment de la rédaction du testament et le décès de son auteur (anciens francs,
nouveaux francs), v. L F., JCl. Civil, art. 1018 à 1024 ou JCl. Notarial Répertoire,
V° Legs, fasc. J-K, n° 17 et s.
9. B C. et L-P P., Cours de droit civil français, 2e éd.,
t. VII, Les donations entre vifs et les testaments, par V P., 1934, Paris, n° 316, p. 67.
En pratique, la délivrance amiable du legs absorbe bien souvent le paiement spontané.
10. B-L G. et C M., Traité théorique et pratique de droit civil. Des
donations entre vifs et des testaments, t. 2, 1896, n° 2486, p. 251 ; M V., Explication
théorique et pratique du Code Napoléon, t. 4, 1859, n° 127.

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FRANÇOIS SAUVAGE 131

8. Aussi, dans le but de favoriser la mise en œuvre des dernières volontés du


défunt, une garantie personnelle et deux garanties réelles renforcent traditionnelle-
ment l’exécution du legs de somme d’argent : l’obligation indéfinie de l’héritier au
paiement ; le privilège de la séparation des patrimoines et une hypothèque légale.
9. Il y a près de dix ans, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a discrètement
amendé les garanties d’exécution des legs de somme d’argent dans le but de ren-
forcer la sécurité de l’héritier. Soufflant à cet égard alternativement le chaud et le
froid, le législateur moderne limite fortement l’obligation de l’héritier au paie-
ment (I), alors qu’il maintient au légataire le bénéfice du privilège de la séparation
des patrimoines et d’une hypothèque légale (II).

I – OBLIGATION AU LEGS DE SOMME D’ARGENT

10. Lorsque le legs a une somme d’argent pour objet, le légataire devient
créancier de l’héritier légal ou testamentaire. Encore faut-il que celui-ci ne renonce
pas à la succession, car il serait alors libéré de son obligation aux dettes du défunt
et aux charges de la succession (C. civ., art. 806). A fortiori, serait-il déchargé de
son obligation au paiement des legs de somme d’argent11.
En revanche, s’il accepte la succession, la première question est de savoir dans
quelle mesure l’héritier est tenu d’acquitter un legs de somme d’argent12. La
réponse a évolué au fil du temps : en principe, son obligation était hier ultra vires
successionis (A) ; elle est aujourd’hui intra vires successionis (B).

A. Obligation ultra vires successionis

11. L’héritier est-il obligé indéfiniment au paiement des legs de somme


d’argent ou à concurrence de l’émolument successoral ?
Cette question qualifiée par Demolombe de « très-importante, très-controver-
sée et (…) très-délicate »13 est aussi fameuse qu’ancienne puisque Furgole distin-
guait en la matière entre les pays de coutume et les pays de droit écrit : « Les legs
sont considérés autrement dans les pays de droit écrit, où ils sont des charges
héréditaires (…) que dans les pays coutumiers où ils ne sont pas des charges héré-
ditaires ni des héritiers ».
12. En pays de droit écrit, à l’imitation de la législation de Justinien, « l’héri-
tier doit payer les dettes et les legs, quand même ils excèderaient la valeur de
l’hérédité » – en vertu d’un quasi-contrat résultant de l’acceptation de la succes-
sion – explication aujourd’hui désuète.

11. En ce sens C A. et C H., Cours élémentaire de droit civil français, t. 3,
4e éd., 1925, Dalloz, p. 899.
12. B C., Cours de droit civil français, op. cit., n° 317, p. 67.
13. D C., Traité des successions, t. 2, 1857, Auguste Durand, n° 521, p. 608.

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132 LE LEGS DE SOMME D’ARGENT

En pays de droit coutumier, « les légataires universels et les héritiers ne sont


tenus du payement du legs que jusqu’à concurrence de ce qu’ils profitent de la
succession de l’hérédité »14.
13. Il a toutefois été démontré que l’opposition entre pays de droit écrit et
pays de coutume n’était à cet égard pas si nette, dans la mesure où de part et
d’autre les successeurs ne répondaient des legs qu’à concurrence de l’actif dès lors
que la consistance du patrimoine successoral avait pu être établie par un inven-
taire formel des forces de la succession15.
14. Dans le silence d’un Code civil de 1804 ne laissant subsister que quelques
miettes du droit ancien16, une controverse doctrinale qualifiée de séculaire a alors
opposé deux thèses17.
15. Une première opinion a soutenu à partir du milieu du e siècle que les
rédacteurs du Code civil ont adopté la solution des pays de droit écrit, conforme
au demeurant à notre tradition historique de succession à la personne : les legs de
somme d’argent sont dus en principe ultra vires, à l’imitation des dettes du défunt
ou des charges de la succession18. « Quiconque est tenu des dettes et charges ultra
vires doit acquitter les unes et les autres, même sur ses propres biens »19.
Par exception, il est cependant fait échec à cette obligation indéfinie dans le
but de protéger l’héritier au moyen de l’exercice de son option successorale. Parce
que la créance de somme d’argent léguée est un élément du passif successoral, au
même titre que les dettes du défunt et les charges de la succession, son exécution
est limitée à la consistance de l’hérédité lorsque la succession a été acceptée par
l’héritier sous bénéfice d’inventaire.
16. Les principales justifications de cette opinion sont de trois ordres.
Parce que le legs de somme d’argent est assimilé à une charge successorale,
cette thèse se réclame d’abord d’une « accumulation d’arguments de texte »20 du
Code civil : l’un oblige l’héritier à acquitter toutes les charges, sans distinction
(C. civ., art. 724) ; les autres obligent chacun des héritiers, légataires universels ou
à titre universel aux dettes et charges de la succession personnellement, pour sa
part et portion (v. not. C. civ., art. 873, 1009 et 1012).
Parce que cette créance naît d’un legs, elle est ensuite fondée sur l’article 1017
du Code civil qui prévoit que « les héritiers… ou autres débiteurs d’un legs…
seront personnellement tenus de l’acquitter… ».

14. F J.-B., Des testaments, chap. 10, sect. 3, § 1 et § 90 cité par Guillouard, note
sous Cass. civ., 1er août 1904, DP 1904, 1, 513.
15. F J., Cours de droit civil approfondi (…), op. cit., p. 221.
16. L. 30 ventôse an XII, art. 7.
17. Guillouard, note précitée.
18. V. par exemple A C. et R C., Droit civil français, op. cit., § 611 ;
D C., Traité des successions, op. cit., n° 521 et s. ; M V., Explication théorique
et pratique du Code Napoléon, op. cit., n° 135.
19. B C., Cours de droit civil français, op. cit., n° 318, p. 68.
20. F J., Cours de droit civil approfondi (…), op. cit., p. 223.

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Enfin, il était parfois ajouté que si l’article 783 du Code civil autorise à
l’époque l’héritier à rescinder son acceptation pure et simple de la succession en
cas de découverte tardive d’un testament absorbant au moins la moitié de la suc-
cession, c’est qu’il risque d’être tenu indéfiniment des legs qu’il contient.
17. Une seconde opinion a ultérieurement contesté un tel « système de béné-
fice d’inventaire obligatoire »21 et prétend que la solution des pays coutumiers
doit être maintenue dans une logique rationnelle de succession aux biens : les legs
de somme d’argent ne sont dus qu’intra vires22.
Plusieurs raisons invitent à condamner la thèse de l’obligation ultra vires.
18. Il est d’une part incohérent dans un système de la succession à la personne
que l’héritier soit tenu d’une dette à laquelle le défunt n’était pas obligé.
Il est d’autre part inadmissible qu’un testateur puisse consentir des libéralités à
exécuter non sur les biens de la succession mais sur ceux de ses successeurs23. Le
testament est un acte par lequel son auteur dispose de tout ou partie de son patri-
moine et non de celui d’autrui (C. civ., art. 895). De même qu’il ne peut pas léguer
le bien en nature d’autrui (C. civ., art. 1021)24, il ne peut disposer à cause de mort
de la valeur d’un bien qui ne lui appartient pas25. Planiol pouvait ainsi écrire avec
humeur : « Il n’y pourtant aucune bonne raison pour permettre aux testateurs de
faire des legs avec l’argent de leurs héritiers. Les legs ont été inventés pour permettre
aux mourants de disposer de leurs propre actif et non pas de celui des autres »26.
En outre, les arguments de textes invoqués ne convainquent pas les tenants de
cette seconde thèse : en particulier ils contestent l’assimilation des legs à des
charges que postulent les articles 724, 873, 1009 et 1012 précités du Code civil
et la portée prêtée à l’article 1017 du Code civil interprété à tort comme une règle
d’obligation et non de contribution à la dette.
Ce à quoi on peut ajouter qu’une obligation illimitée au legs de somme
d’argent trahit vraisemblablement à la fois la volonté du défunt qui n’a pas voulu
21. Planiol, note sous Cass. civ., 29 mai 1894, DP 1894, 1, 545.
22. V. Planiol, note précitée, qui cite pêle-mêle au soutien de son opinion : l’adage
« nemo liberalis esse debet ex alien », des arrêts du Parlement de Paris du 28 mai 1626 et du
30 mars 1656 ainsi que des auteurs anciens.
23. B C., Cours de droit civil français, op. cit. Ce à quoi on peut ajouter qu’il est
tout autant inadmissible de consentir des libéralités avec des biens de son créancier. Or, une
jurisprudence ancienne considérait que si les légataires de sommes d’argent étaient payés après
les créanciers du défunt en vertu de l’adage « nemo liberalis nisi liberatus », dès lors que l’héritier
accepte la succession purement et simplement, ils deviennent, par l’effet de la confusion des
patrimoines, des créanciers de l’héritier auxquels l’adage ne peut être opposé, en dépit d’une
pratique notariale contraire : ils sont donc en concours avec les créanciers de la succession, sauf
à ce que ces derniers demandent le privilège de la séparation des patrimoines (T F.,
L Y. et G S., Les successions, les libéralités, 4e éd., 2013, Dalloz, n° 923,
p. 823 ; Cass. req., 2 prairial an XII, D. jur. gen., V° Successions, n° 1497 ; Cass. civ., 9 déc.
1823 : S. chr. ; Grenoble, 21 juin 1841, S. 184, 2, 355).
24. Sauf le recours à la technique du legs avec charge.
25. F J., Cours de droit civil approfondi, op. cit., p. 230.
26. Planiol, note précitée.

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134 LE LEGS DE SOMME D’ARGENT

ruiner son héritier par ses libéralités à cause de mort, et celle de l’héritier qui n’a
pas voulu se ruiner en acceptant d’honorer les dernières volontés du défunt27.
19. Les juges du fond étant divisés sur la question28, la Cour de cassation s’est
prononcée en faveur de la première opinion doctrinale en 1904 :
« D’une part, de la combinaison des articles 724, 783 et 1017 du Code civil, il
résulte qu’à défaut d’acceptation bénéficiaire, l’hériter est obligé personnellement d’ac-
quitter non seulement les dettes mais les legs ; comme conséquence de cette obligation
personnelle, il est tenu sur ses propres biens, même au-delà des forces de la succession.
D’autre part, le légataire universel, lorsqu’il n’est pas en concours avec des héri-
tiers à réserve, est assimilé par l’article du même code à l’héritier légitime »29.
Cette consécration de l’obligation illimitée de l’héritier continuateur de la personne
du défunt y compris lorsqu’il est l’auteur d’un legs de somme d’argent, est aujourd’hui
justifiée par la protection du légataire contre les pouvoirs de l’héritier sur l’actif30.
20. Depuis lors, en dépit des vigoureuses critiques doctrinales dont cette solu-
tion jurisprudentielle a été l’objet de la part de la doctrine moderne largement
favorable à la seconde thèse31, elle n’a pas été remise en question, que l’héritier
responsable sans limitation des legs de somme d’argent soit ab intestat ou intestat,
universel ou à titre universel32.
Il faudra attendre la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des
successions et des libéralités pour que la rigueur de l’obligation illimitée de l’héri-
tier acceptant pur et simple au legs de somme d’argent soit atténuée33.

B. Obligation intra vires successionis

21. L’article 785 issu de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 dispose en effet
désormais :
« L’héritier universel ou à titre universel qui accepte purement et simplement
la succession répond indéfiniment des dettes et charges qui en dépendent.
27. Comp. D C., Traité des successions, op. cit., n° 521, p. 610.
28. V. not. CA Poitiers, 16 mars 1864, DP 1864, 2, 117 ; S 1865, 2, 63 ; CA Angers,
1er mai 1867, DP 1867, 2, 85 ; S 1867, 2, 395, en faveur de l’obligation ultra vires ; CA
Orléans, 14 mai 1891, DP 1891, 2, 313 ; S 1893, 2, 1, en faveur de l’obligation intra vires.
29. Cass. civ., 1er août 1904, DP 1904, 1, 513 note Guillouard ; S 1905, 1, 13 ; v. également
Cass. civ., 29 mai 1894, DP 1894, 1, 545, note Planiol ; S. 1898, 1, 446 mais le successeur universel
chargé d’acquitter le legs de somme d’argent ne pouvait pas prétendre n’être tenu que dans la limite
de l’actif recueilli à défaut d’inventaire et en raison de la confusion de fait entre les actifs du testateur
et ceux du légataire ; CA Paris, 13 déc. 1965, D 1966, 275 note Malaurie P. ; Cass. 1re civ., 28 mai
1968, JCP 1969, II, 15714 note Dagot M. ; RTD civ. 1969, p. 365, note Savatier R.
30. G M., Successions, 6e éd., 2001, Litec, n° 496.
31. V. not. G M., Successions, op. cit. n° 525 ; F J. et S H., Les
successions, 3e éd., 1991, Armand Colin, n° 359.
32. Lucet F., JCl., préc., n° 116.
33. V. not. B V., « Les nouveaux tempéraments à l’obligation ultra vires
successionis », JCP N 2006, 1366.

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FRANÇOIS SAUVAGE 135

Il n’est tenu des legs de sommes d’argent qu’à concurrence de l’actif successoral
net des dettes ».
Dans les successions ouvertes à compter du 1er janvier 200734, l’alinéa 2 de
l’article 785 précité brise donc la jurisprudence de la Cour de cassation lorsqu’elle
juge que les successeurs tenus des dettes ultra vires sont dans la même mesure
obligés de payer les legs de somme d’argent35.
22. Surtout, la thèse de l’obligation intra vires successionis aux legs de sommes
d’argent (v. supra nos 17 et s.) est désormais consacrée par ce texte. Les travaux
préparatoires de la loi du 23 juin 2006 attestent que le législateur n’est pas resté
insensible aux arguments développés par la critique doctrinale de la jurisprudence
de la Cour de cassation. De leur propre aveu, en rejetant l’obligation illimitée au
legs de somme d’argent, les auteurs de la loi du 23 juin 2006 n’ont pas voulu
autoriser le défunt à disposer des biens de son héritier en procédant à des legs de
sommes d’argent36 excédant son patrimoine successoral37. Les légataires sont dès
lors considérés comme des héritiers et non comme des créanciers38.
23. Un tel retour aux sources du droit coutumier soulève cependant quelques
questions relatives à la portée actuelle de la nouvelle protection offerte par l’obli-
gation intra vires successionis, laquelle peut, à tout le moins, être mesurée en trois
dimensions : au regard de l’héritier débiteur du legs, au regard des créanciers de la
succession, et au regard de la réserve héréditaire.
24. En premier lieu, l’héritier acceptant n’est tenu d’acquitter un legs de
somme d’argent qu’à concurrence de l’actif successoral – en vertu de la disposi-
tion spéciale de l’article 785, alinéa 2 du Code civil s’il a accepté la succession
purement et simplement39, et en vertu de la disposition générale de l’article 791,
3° du même code s’il l’a acceptée à concurrence de l’actif net40.
25. Trois conséquences pratiques s’infèrent de cette protection offerte à l’héritier.
D’abord, il n’a pas à accepter la succession à concurrence de l’actif net pour
éviter d’être tenu sur son patrimoine personnel des legs de sommes d’argent consen-
tis par le défunt. Il y a là un facteur de simplification du règlement successoral, tant
les règles de cette branche de l’option successorale sont contraignantes.
Ensuite, il peut s’opposer à ce qu’un légataire de somme d’argent exerce une
voie d’exécution sur un de ses actifs personnels, car il est obligé à concurrence de
34. L. n° 2006-728, 23 juin 2006, art. 47.
35. Cass. civ., 1er août 1904, préc.
36. Et non à des legs d’autres biens fongibles.
37. D R H., rapport Sénat, n° 343, sessions ord. 2005-2006, p. 73 ;
H S., rapport Assemblée nationale, n° 2850, enregistré le 8 février 2006, p. 92.
38. D R H., rapport Sénat, préc. p. 74 ; H S., rapport Assemblée
nationale, préc. ; Circ. min. justice 73-07/C1/5-2/GS du 29 mai 2007, p. 22.
39. En conséquence, la rescision de l’acceptation pure et simple en cas de découverte
postérieure d’un testament privant l’héritier d’au moins la moitié de la succession de l’ancien
article 783 du Code civil est abrogée.
40. L’obligation intra vires en cas de succession vacante (C. civ., art. 810-4) ou en
déshérence (C. civ., art. 724, al. 3 et art. 811 et s.) ne sera pas traitée en raison de sa spécificité.

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136 LE LEGS DE SOMME D’ARGENT

l’actif successoral en nature et non pas seulement en valeur (obligation cum viri-
bus et non pro viribus)41. En contrepartie, si l’héritier détournait ou dissipait les
actifs successoraux, le légataire disposerait d’un recours sur son patrimoine per-
sonnel selon les travaux préparatoires et la circulaire d’application de la loi du
23 juin 2006, lesquels demeurent cependant muets sur le fondement de cette
déchéance de l’obligation intra vires42.
Enfin, si plusieurs héritiers sont chargés d’exécuter le legs, ils s’en acquitteront
au plan contributoire au prorata de la part et portion dont ils profiteront dans la
succession (C. civ., art. 1017, al. 1).
26. En deuxième lieu, les créanciers successoraux sont payés par l’héritier
avant les légataires de sommes d’argent. En pratique, le paiement des legs sera
refusé si l’actif est épuisé par le paiement des créanciers du défunt et de la succes-
sion, et sera différé à la liquidation de la succession qui en révélera les forces43, 44.
27. Deux arguments justifient cet ordre de paiement.
Un argument de texte : l’article 785, alinéa 2 du Code civil précise que l’héri-
tier n’est tenu d’acquitter les legs de somme d’argent que sur l’actif net de dettes.
En limitant le droit des légataires non à l’actif brut mais à l’actif net, le législateur
entend par conséquent que les dettes du défunt (voire les charges successorales)
soient payées avant ses legs.
Un argument rationnel : le payement des créanciers de la succession doit être
préalablement déduit du patrimoine successoral avant la distribution des legs.
L’adage « nemo liberalis nisi liberatus » commande en effet que les libéralités
consenties par le défunt ne soient servies qu’après que ses dettes oent été réglées.
28. Au demeurant, un argument d’analogie tiré de l’ordre des paiements du
régime de l’acceptation à concurrence de l’actif net pourrait également être
exploité45, puisque l’héritier y bénéficie de l’obligation intra vires et cum viribus
(v. C. civ., art. 791, 3°).
La limitation de son obligation aux dettes et de son obligation aux legs placées
sur un même pied doit alors être combinée avec d’autres effets de la branche de
l’option successorale qu’il a choisie : l’ordre des paiements (C. civ., art. 796) et la
séparation des patrimoines (C. civ., art. 791, 1° et 2°).
29. L’ordre des paiements pendant la période de quinze mois prévue à l’article 792
du Code civil autorise l’héritier à délivrer les legs de sommes d’argent après paiement

41. Que la succession soit acceptée purement et simplement ou à concurrence de l’actif net.
42. D R H., rapport Sénat, préc., p. 74 ; H S., rapport Assemblée
nationale ; Circ. min. justice, préc.
Comp. C. civ., art. 800, dernier al., en matière de déchéance de l’acceptation à concurrence
de l’actif net.
43. B C., JCl. civil, art. 870 à 877, n° 20.
44. En cas de pluralité de légataires de sommes d’argent, ils nous semblent devoir être
payés au prix de la course par l’héritier acceptant pur et simple.
45. Même s’il est vrai que la situation n’est pas identique, ne serait-ce que parce que
l’héritier acceptant pur et simple est tenu ultra vires des dettes de la succession à la différence
de l’héritier acceptant à concurrence de l’actif net.

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FRANÇOIS SAUVAGE 137

des créanciers inscrits et déclarants46. Le paiement du légataire de somme d’argent est


alors non seulement tardif47 mais aussi non définitif. En effet, les créanciers successo-
raux impayés qui ont déclaré leurs créances pendant la période de quinze mois peuvent
en cas d’insuffisance d’actif à la clôture de cette période exercer un recours contre les
légataires payés (C. civ., art. 799). Créancier de la succession et légataire de somme
d’argent ne sont donc pas égaux dans la hiérarchie des paiements : l’obligation de
payer le créancier est prioritaire ; l’obligation de payer le légataire est subsidiaire.
30. La séparation des patrimoines du défunt et de l’héritier permet en particulier
au créancier successoral et au légataire de somme d’argent, assimilés pour les besoins
de leur cause commune, de se réserver un droit de gage exclusif sur l’actif successo-
ral, soustrait à un concours avec les créanciers personnels de l’héritier. Au demeu-
rant, lorsqu’il est mis fin à la séparation des patrimoines à l’expiration de la période
de quinze mois prévue à l’article 792 du Code civil, cette exclusivité se transforme
en priorité puisque les créanciers personnels de l’héritier ne peuvent poursuivre le
recouvrement de leurs créances sur les actifs de la succession qu’après le désintéres-
sement intégral des créanciers successoraux et des légataires (C. civ., art. 798, al. 2).
L’exclusivité est même conservée lorsqu’il y est mis fin par anticipation en cas de
révocation ou de déchéance de l’acceptation à concurrence de l’actif net, car ces
causes d’une unité retrouvée du patrimoine ne peuvent préjudicier aux créanciers
successoraux et aux légataires de sommes d’argent (C. civ., art. 802).
31. En troisième et dernier lieu, la réserve héréditaire constitue une autre limite au
paiement des legs de sommes d’argent qui s’ajoute à l’actif successoral net de dettes.
En effet, l’héritier réservataire peut demander la réduction du legs dès lors que celui-ci
excède la quotité disponible (C. civ., art. 924). Peu importe, dans ce cas, que la réduc-
tion s’exerce en valeur ou à titre exceptionnel en nature, puisque le légataire devra
toujours restituer une somme d’argent (v. C. civ., art. 924 et 924-1).
32. En somme, en présence d’un héritier non réservataire, le testateur ne peut
consentir des legs de sommes d’argent qu’à concurrence de l’actif net, alors qu’en
présence d’un héritier réservataire, il ne peut les consentir qu’à concurrence de
l’actif net et disponible. Rien de neuf à cela, puisque Pothier le disait déjà : « Il
n’en est pas de même des legs que des dettes : l’héritier n’en est pas tenu ultra vires,
mais seulement jusqu’à concurrence des biens disponibles… »48.

46. Dans l’ancienne acceptation sous bénéfice d’inventaire (v. not. Lucet F., JCl. préc.,
n° 152 et s.), il fallait distinguer selon qu’il existait ou non des créanciers opposants. En leur
absence, les créanciers et légataires étaient payés au fur et à mesure qu’ils se présentent (C. civ.,
art. 808 ancien), alors qu’en leur présence, une procédure d’ordre judiciaire était mise en œuvre
– sauf le recours des créanciers non opposants contre les légataires (C. civ., art. 809 ancien).
47. La circulaire d’application de la loi du 23 juin 2006 en tire la conséquence que « les
legs de sommes d’argent… ne peuvent, sous réserve de l’interprétation souveraine des juges du
fond, être délivrés qu’après que l’héritier a pris définitivement connaissance de l’état du passif
de la succession, ce qui ne peut intervenir qu’après l’expiration du délai de 15 mois prévu pour
la déclaration des créances, et ce afin d’éviter la remise en cause de la délivrance des legs
(article 796 alinéa 4 du Code civil) » (Circ. min. just., préc., p. 19).
48. Pothier cité par F J., Cours de droit civil approfondi (…), op. cit., p. 222.

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138 LE LEGS DE SOMME D’ARGENT

En contrepartie de cette protection de l’héritier, le légataire bénéficie de garan-


ties réelles traditionnelles qui lui ont été maintenues.

II – GARANTIES RÉELLES DE L’OBLIGATION


AU LEGS DE SOMME D’ARGENT

33. Si les légataires de sommes d’argent ont perdu une garantie d’exécution
générale dès lors que les héritiers ne sont plus tenus ultra vires mais intra vires de
les payer, leur droit est néanmoins toujours assorti de garanties particulières, véri-
tables sûretés réelles, qui protègent désormais les légataires contre le mauvais vou-
loir de l’héritier plus que contre son insolvabilité49 : le privilège de la séparation
des patrimoines (A) et une hypothèque légale (B).

A. Privilège de la séparation des patrimoines

34. Les légataires de sommes argent peuvent se prévaloir du privilège de la


séparation des patrimoines pour obtenir en particulier un droit de préférence sur
les biens de la succession opposable aux créanciers personnels de l’héritier (C. civ.,
art. 878).
35. Ce privilège fait obstacle à la confusion des patrimoines provoquée par
l’acceptation pure et simple de la succession du défunt par l’héritier. Plus précisé-
ment, il confère à son titulaire un droit de préférence et un droit de suite sur les
biens de la succession50.
Pour cela, il doit être demandé (C. civ., art. 879)51, inscrit pour pouvoir porter
sur les immeubles52, sans être rendu impossible par une confusion de fait pour
pouvoir porter sur les meubles53.
36. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006, il n’appartenait
qu’aux créanciers successoraux en concours sur les actifs héréditaires avec les
créanciers personnels de l’héritier.
La réforme des successions et des libéralités a étendu le bénéfice de ce pri-
vilège, d’une part, aux créanciers personnels de l’héritier en le bilatéralisant54,

49. Comp. B C., Cours de droit civil français, op. cit., n° 320, p. 72.
50. Sur son caractère d’ordre public, ibid., n° 320, p. 73.
51. On ne doit pas y avoir renoncé préalablement (v. C. civ., art. 880).
52. Dans les quatre mois du décès pour pouvoir rétroagir à cette date. Si l’inscription est
effectuée plus tard, le privilège dégénère en hypothèque conventionnelle.
53. La confusion de fait est présumée après deux ans à compter de l’ouverture de la
succession relativement aux meubles (v. C. civ., art. 881).
54. V. C. civ., art. 878, al. 2 : « Les créanciers personnels de l’héritier peuvent demander
à être préférés à, tout créancier du défunt sur les biens de l’héritier non recueillis au titre de la
succession » (v. not. B V., « Les nouveaux tempéraments à l’obligation ultra vires
successions », op. cit. ; P S., « Crédit et successions : la sécurité de l’héritier passe
avant les droits des créanciers successoraux », Dr. et patr., mars 2007, n° 157).

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FRANÇOIS SAUVAGE 139

et, d’autre part, plus discrètement, aux légataires de sommes d’argent, même si
la jurisprudence l’avait déjà admis55, 56.
37. Cette dernière extension aux légataires de sommes d’argent, assimilés à des
créanciers du défunt, est surprenante57.
Les créanciers du défunt sont titulaires d’un privilège car leur gage constitué
du patrimoine du défunt doit leur être maintenu après son décès.
Or, une telle justification ne peut être étendue au privilège des légataires de
sommes d’argent, qui n’ont jamais été créanciers du défunt lorsqu’il était en vie.
Il ne saurait donc être question de leur préserver le gage que constituait le patri-
moine du défunt, puisque ce gage n’a jamais été le leur58.
Une autre explication s’infère de la nature singulière de ce legs : s’il a pour objet la
valeur d’un actif successoral dont il est la contrepartie à concurrence d’un certain mon-
tant (v. supra n° 3), il n’est pas anormal que ces créanciers de cette contrevaleur d’un
actif successoral soient privilégiés par rapport aux créanciers personnels de l’héritier59.
38. En tout état de cause, ce privilège ne remet pas en cause l’ordre des paie-
ments : les créanciers successoraux seront payés avant les légataires de sommes
d’argent (v. supra n° 26 et s.).
Le privilège de la séparation des patrimoines est par ailleurs complété par une
hypothèque légale pour garantir le paiement des légataires de sommes d’argent.

B. Hypothèque légale

39. Les légataires de sommes d’argent sont en effet armés d’une hypothèque
légale sur les immeubles de la succession, dont le principe est posé implicitement
par l’article 1017, alinéa 2 du Code civil en ces termes60 :
« Ils [les héritiers du testateur ou autre débiteurs d’un legs] en seront tenus
hypothécairement pour le tout jusqu’à concurrence de la valeur des immeubles de
la succession dont ils seront détenteurs ».
55. Selon les travaux préparatoires de la loi, v. de R H., rapport Sénat, préc.,
p. 188 et H S., rapport Assemblée nationale, p. 229 ; v. aussi par exemple en ce sens
Lucet F., JCl. préc., n° 120.
56. Sur le sort des créanciers de l’indivision dont la créance est née de la conservation ou de la
gestion du bien indivis, v. L Y., « Le privilège de la séparation des patrimoines à l’épreuve
de l’article 815-17 du Code civil », in Mélanges Alex Weill, 1983, Dalloz-Litec, p. 380 et s.
57. On débat de l’extension du privilège des créanciers du défunt aux créanciers de la succession
au titre des charges successorale, alors qu’ils semblent déjà devoir bénéficier de la bilatéralisation au
profit des créanciers personnels de l’héritier (sur la discussion sur ce double privilège
v. not. B V., « Les nouveaux tempéraments à l’obligation ultra vires successions », op. cit. ;
T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit., n° 926, p. 826).
58. T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit.
59. Ibid.
60. V. égal. C. civ., art. 2400 4° : « Indépendamment des hypothèques légales résultant
d’autres codes ou de lois particulières, les droits et créances auxquels l’hypothèque légale est
attribuée sont : 4° Ceux du légataire, sur les biens de la succession en vertu de l’article 1017 ».

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140 LE LEGS DE SOMME D’ARGENT

40. Cette hypothèque légale est principalement justifiée par la crainte que les
héritiers rechignent voire refusent d’exécuter des legs de sommes d’argent61.
Soumise au droit commun62, elle doit être inscrite, prend rang au jour de son
inscription, et confère au légataire un droit de préférence et un droit de suite sur
les immeubles successoraux.
41. Si cette hypothèque légale accorde un droit de préférence au légataire à
l’égard des créanciers de l’héritier, elle ne lui accorde aucun droit de préférence à
l’encontre des créanciers du défunt63 : les légataires de sommes d’argent doivent
être payés après les créanciers successoraux (v. supra n° 26 et s.), et l’hypothèque
légale est impuissante à inverser cet ordre des paiements. Somme toute, cette
sûreté réelle ne peut être opposée aux créanciers du défunt64.
42. Le légataire bénéficie toutefois de l’indivisibilité de l’hypothèque, ce qui
rend parfois sa situation préférable à celle du créancier du défunt et peut être
critiqué à ce titre.
En théorie, le legs d’une créance de somme d’argent garantie par une hypo-
thèque légale est assimilé à une dette du défunt garantie par une hypothèque,
alors que la première est née divise et que la seconde a été contractée pour le tout
avant d’être divisée au décès du débiteur entre ses héritiers ; en pratique, le créan-
cier chirographaire de la succession supporte le risque de l’insolvabilité de l’un des
héritiers acceptant pur et simple s’il doit diviser ses poursuites65.

61. C A. et C H., Cours élémentaire de droit civil français, op. cit., p. 900.
62. Il est admis que le testateur peut améliorer la situation de l’héritier en privant le
légataire de l’hypothèque légale, comme il aurait pu tout aussi bien le priver de son legs :
l’hypothèque légale du légataire de somme d’argent n’est pas d’ordre public (en ce sens
B C., Cours de droit civil français, op. cit., n° 320 p. 73).
63. A C. et R C., Droit civil français, op. cit., § 722 p. 380.
64. B C., Cours de droit civil français, op. cit., loc. cit.
65. V. not. C A. et C H., Cours élémentaire de droit civil français, op. cit., loc. cit.

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La réduction en valeur des libéralités :


évolution ou révolution ?

Sylvie F-A
Agrégée des Facultés de droit
Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Hélène M-G
Diplômée notaire
Chargée d‘enseignement à l’Université d'Auvergne
et de Jean Moulin Lyon 3

La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme du droit des successions


et des libéralités généralise la réduction en valeur, et dispose à l’article 924 du
Code civil « lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, succes-
sible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence
de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent ».
Ce nouveau dispositif n’a pas manqué de perturber le juriste qui a encore
parfois du mal à en appréhender les effets concrets. Il se demande notamment
si cette règle nouvelle s’inscrit toujours dans la continuité des évolutions passées
ou si elle marque plutôt une rupture radicale avec le passé. En d’autres termes,
peut-on vraiment considérer que l’avènement de la réduction en valeur n’est
qu’une évolution de notre droit successoral ou, au contraire, caractérise-t-elle
une véritable révolution ? C’est précisément à ces questions que s’attachera
notre réflexion.

I – RÉDUIRE EN VALEUR : UNE ÉVOLUTION ?

La réduction en valeur n’est pas nouvelle. Elle existait bien avant la loi du
23 juin 2006, qui n’a fait que la généraliser.
Aussi, dans une première approche, la réduction en valeur pourrait-elle se
présenter comme une simple évolution et non une rupture radicale. Un certain
nombre d’arguments peuvent être présentés en ce sens, en reprenant les étapes et
les effets de cette évolution qui se sont produits avant l’entrée en vigueur de la loi
du 23 juin 2006.

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142 LA RÉDUCTION EN VALEUR DES LIBÉRALITÉS : ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?

A. Les étapes de l’évolution

In limine, rappelons que le système successoral issu du Code civil de 1804


réalisait une synthèse entre la légitime romaine et la réserve coutumière.
La légitime romaine, pars bonorum, consistait en une créance accordée à cer-
tains héritiers dans un système de succession testamentaire. Elle était l’expression
d’un devoir familial de nature alimentaire.
La réserve coutumière, pars hereditatis, en revanche, caractérisait une fraction
de l’hérédité impérativement dévolue aux héritiers dans un système de succession
légale, assurant la conservation des biens dans la famille1.
Quant au système successoral issu du décret du 3 mai 1803, il privilégiait une
réserve en nature, inspirée du droit coutumier. Pars hereditatis, la réserve consti-
tuait une fraction de l’hérédité impérativement dévolue à la famille lignagère. Les
libéralités ne pouvaient excéder la quotité disponible, définie comme une fraction
des biens, selon le nombre d’enfants légitimes (C. civ., art. 913). La réduction en
nature en assurait l’intégrité, lorsque des libéralités excédaient la quotité dispo-
nible (C. civ., art. 925). L’égalité dans le partage y était également conçue en
nature, comme reposant sur l’identité physique des lots, corollaire naturel du
droit de l’héritier à sa réserve en corps héréditaires (C. civ., art. 832 : « Il convient
de faire entrer dans chaque lot, s’il se peut, la même quantité de meubles, d’im-
meubles, de droits ou de créances de même nature et valeur »)2. L’article 924 n’en
prévoyait pas moins que « si la donation entre vifs réductible a été faite à l’un des
successibles, il pourra retenir, sur les biens donnés, la valeur de la portion qui lui
appartiendrait, comme héritier, dans les biens non disponibles, s’ils sont de la
même nature ».
Sans remettre en cause l’égalité en nature dans le partage, ce principe permet-
tait au gratifié, lorsqu’il était successible, d’opérer une sorte de compensation
entre le bien reçu frappé de réduction et des biens de même nature auxquels il
aurait pu prétendre en tant qu’héritier dans le partage.
Les textes promulgués ensuite devaient assouplir ces principes pour assurer une
plus grande sécurité du gratifié. Ainsi que le soulignait le professeur P. Catala3, « nul
doute que la perspective de rapporter en nature l’avancement d’hoirie ou de subir de
même la réduction découragent l’initiative du donataire et dissuadent le crédit. La
menace de restitution réelle contredit trop gravement le transfert de propriété, quand
elle pèse un temps indéfini sur un acquéreur installé dans la précarité ».
Dans un premier temps, le décret-loi du 17 juin 1938 modifia les règles du par-
tage, pour substituer l’égalité en valeur à l’égalité en nature, lorsqu’il s’agissait d’éviter

1. Fongaro E. et Nicod M., Rép. civ., Dalloz, V° Réserve héréditaire – Quotité


disponible, § 12 à 19.
2. Cité par C P., La réforme des liquidations successorales, 3e éd., 1982, Defrénois,
n° 3.
3. C P., La réforme des liquidations successorales, op. cit., § 3, p. 22.

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SYLVIE FERRÉANDRÉ, HÉLÈNE MAZERONGABRIEL 143

un morcellement des exploitations (C. civ., art. 832) ; ce n’était que lorsque cette
condition était satisfaite qu’il était possible de revenir au principe d’égalité en nature
dans la composition des lots. Le développement de l’attribution préférentielle, par
étapes successives, devait accompagner cette évolution (L. n° 61-1378, 19 déc. 1961,
L. n° 70-1265, 23 déc. 1970, puis plus tard celle la L. n° 80-502, 4 juill. 1980).
Comme a pu le souligner le professeur Catala4, « si l’on met l’accent sur l’attri-
bution préférentielle, c’est qu’elle s’inscrit à l’extrême pointe de l’égalité en valeur
et qu’elle exerce un retentissement profond sur le droit à la réserve, lorsque les
cohéritiers de l’attributaire sont eux-mêmes réservataires. Ils peuvent, à la limite,
recevoir leur entière réserve sous la forme d’une soulte : d’où l’on voit bien,
comme on l’a précédemment souligné, que le droit à la réserve, dans les relations
entre cohéritiers, se ramène à un problème d’égalité du partage, plus précisément
du partage de la réserve ».
Par la suite, la loi n° 71-523 du 3 juillet 1971 relative aux rapports, à la réduc-
tion et aux partages d’ascendants, allait faire une large place au rapport en moins
prenant, et à la réduction en valeur des libéralités adressées à un successible
(C. civ., art. 866, 867 et 924 combinés). Sur les raisons de cette modification,
laissons encore la parole à Pierre Catala :« Partant de là, tout s’enchaîne dans
l’agencement des mécanismes satellites que sont le rapport et la réduction des
libéralités faites aux successibles. L’un et l’autre ont pour fonction de reconstituer
la masse partageable. Pourquoi rétablirait-on en nature ce que l’on va répartir par
équivalent ? La généralisation du rapport en moins prenant est inscrite sans res-
triction dans le principe de l’égalité en valeur du partage. Quant à la réduction,
l’analyse doit être un peu plus nuancée. Lorsque le gratifié vient au partage, il est
normal d’envisager à son encontre une réduction en valeur : qu’est-ce qu’en effet
que la libéralité réductible sinon une attribution préférentielle opérée par le de
cujus au lieu d’avoir été décidée par le juge ?... Lorsqu’à l’inverse, le gratifié est
étranger au partage… les mêmes considérations ne sauraient jouer. Contre le tiers
étranger à la succession, il faut d’abord rétablir la réserve en nature, pour la répar-
tir ensuite en valeur entre les cohéritiers acceptants : pour cette raison et dans
cette mesure, parce que la réserve demeure une “pars hereditatis” la réduction en
nature conserve une place nécessaire »5.
La réduction en valeur, corolaire du partage en valeur, n’était donc admise aux
termes de ces textes que dans des hypothèses limitées, soit qu’il s’agisse de dons
adressés à un successible excédant la portion disponible, soit qu’il s’agisse de legs
à lui adressés, lorsqu’ils portaient sur un bien ou sur plusieurs biens composant
un ensemble, dont la valeur excédait la portion disponible.
Si ces atteintes à la réserve pars hereditatis étaient tolérées, ce n’était pas seule-
ment parce qu’elles avaient été voulues par le de cujus mais parce qu’elles profi-
taient d’abord à un héritier à réserve, et que la sécurité de ce dernier était en cause.
En d’autres termes, la réduction en valeur telle qu’elle avait été conçue par la loi

4. Ibid., § 3, p. 24.
5. Ibid.

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144 LA RÉDUCTION EN VALEUR DES LIBÉRALITÉS : ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?

du 3 juillet 1971 ne trahissait pas les finalités de la réserve en nature, mais les
servait, en assurant un juste équilibre entre la volonté du disposant, la sécurité du
gratifié et le droit de ses cohéritiers qu’un partage aurait pu évincer en nature.
Surtout la réduction en valeur maintenait intacte la réserve, droit en nature,
lorsqu’il s’agissait de libéralités adressées à des tiers.
Pierre Catala, toujours, de conclure6 que « la réserve répond à une double
finalité : familiale, elle protège la cohérie des légitimaires contre des libéralités
faites à des tiers ; sous cet aspect collectif elle se réalise en nature ; individuelle,
elle doit procurer à chaque réservataire acceptant le minimum intangible que la
loi lui assigne ; sous ce second aspect elle subit l’incidence des règles nouvelles qui
gouvernent le partage : la réduction en valeur, dans les rapports entre coparta-
geants, n’est qu’un règlement indemnitaire parmi d’autres ».
Dès lors, posons-nous la question de savoir quels étaient les effets concrets de
la réduction en valeur, avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006.

B. Les effets de l’évolution

Réduire en valeur conduisait à restituer non le bien ou la fraction du bien


atteinte de réduction, mais son équivalent financier. La réserve du cohéritier
n’était ainsi rétablie qu’en valeur, et sous forme d’une indemnité. Cette réduction
en valeur pouvait concerner les donations adressées à un successible, plus rare-
ment les legs adressés à ce dernier lorsqu’ils portaient sur un bien ou plusieurs
biens constituant un ensemble.

1. La réduction en valeur des donations adressées à un successible


L’article 866 ancien du Code civil, issu de la loi du 3 juillet 1971, disposait
que « les dons faits à un successible ou à des successibles conjointement, qui
excèdent la portion disponible peuvent être retenus en totalité par les gratifiés,
quel que soit l’excédent, sauf à récompenser les cohéritiers en argent ». Cette dis-
position conduisait à conforter le droit de propriété acquis au donataire, en lui
imposant seulement un dédommagement de ses cohéritiers.
Plusieurs auteurs admettaient toutefois que le donateur pouvait stipuler que la
donation serait réduite en nature, si elle portait atteinte à la réserve7. L’exécution
en nature, selon Pierre Catala conférait « plus de force à la sanction que son exé-
cution par équivalent, elle va dans le sens d’une protection plus énergique de la
réserve et ne heurte aucun principe d’ordre public »8.

6. C P., La réforme des liquidations successorales, op. cit., § 3, p. 24-25.


7. Trasbot, Rép. civ., Dalloz, V° Quotité disponible, n° 349 ; S R., Cours de droit
civil, t. III, n° 625 ; C P., Les règlements successoraux depuis les réformes de 1958 et
l’instabilité économique, thèse, 1954, Montpellier, n° 317).
8. C P., La réforme des liquidations successorales, op. cit., § 86, p. 267.

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SYLVIE FERRÉANDRÉ, HÉLÈNE MAZERONGABRIEL 145

La question restait alors posée de savoir si le donataire aurait pu, à l’inverse,


imposer à ses cohéritiers une réduction en nature, là où la loi prévoyait une
indemnisation. Le texte issu de la loi du 3 juillet 1971 était muet sur ce point.
Pour Pierre Catala, à l’instar des règles concernant le rapport en nature, l’offre
de restitution en nature ne paraissait pas pouvoir être repoussée par les cohéritiers
si l’état juridique du bien n’avait pas varié depuis l’époque de la libéralité9. L’ancien
article 859 subordonnait, il faut le rappeler, la faculté unilatérale de rapporter en
nature à la condition que le bien donné soit libre de toute charge ou occupation
dont il n’était pas grevé à l’époque de la donation. Ces conditions semblaient
transposables aux conditions de l’option pour la réduction en nature, dans la
mesure où la réserve devait être libre de charge.
En revanche, elle ne lui paraissait plus acceptable lorsque le gratifié avait grevé
le bien donné de charges, ce que l’on comprend, dans la mesure où l’ancien
article 929 prévoyait que les droits réels créés par le donataire s’éteignaient par
l’effet de la réduction en nature. Il excluait donc qu’un gratifié solvable puisse
opter pour ce mode d’exécution, dans la mesure où les tiers seraient alors à sa
merci, leurs garanties subsistant ou disparaissant selon que la réduction s’opérait
en valeur ou en nature.

2. La réduction en valeur de certains legs adressés à un successible


L’article 867 ancien, dans sa version issue de la loi du 3 juillet 1971, disposait
que « lorsque le legs fait à un successible ou à des successibles conjointement
porte sur un bien ou sur plusieurs biens composant un ensemble, dont la valeur
excède la portion disponible, le ou les légataires peuvent, quel que soit cet excé-
dent, réclamer en totalité l’objet de la libéralité, sauf à récompenser les cohéritiers
en argent. Il en est de même si la libéralité porte sur des objets mobiliers ayant été
à l’usage commun du défunt et du légataire ».
Cette réduction en valeur des legs ne profitait qu’aux successibles, ce qui signi-
fiait, pour la jurisprudence, toute personne appelée en rang utile à une succession
par les règles de la dévolution ab intestat, non indigne, qui acceptait cette succes-
sion et y exerçait ses droits par elle-même ou par représentation. Le conjoint
successible en usufruit était compris parmi ces successibles10.
Ce texte n’avait pas pour seul champ d’application les legs particuliers. Il
avait été jugé « qu’il peut aussi être invoqué par le bénéficiaire d’un legs univer-
sel ou à titre universel, en vue de consolider l’attribution faite lorsque (...) le
testateur a déterminé les biens qui doivent être attribués au légataire pour le
remplir de ses droits »11.

9. Ibid., § 86, p. 208.


10. C P., La réforme des liquidations successorales, op. cit., § 81, p. 202.
11. Cass. 1re civ., 29 octobre 1979, Bull. civ. I, n° 266 p 211, Rép. Defrénois 1980,
art. 32222, p 326, note Ponsard A. ; JCP 1981, II, 19527, note Dagot M.

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146 LA RÉDUCTION EN VALEUR DES LIBÉRALITÉS : ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?

Les légataires conjoints, s’ils étaient successibles, pouvaient se prévaloir de la


réduction en valeur, au même titre que les légataires uniques.
L’absence d’indivision sur les biens légués entre le légataire et les héritiers à réserve
excluait toute possibilité de réclamer au légataire une indemnité d’occupation12.
Par ailleurs, l’article 924, alinéa 2 issu de la loi du 3 juillet 1971, précisait que
l’héritier réservataire pouvait aussi réclamer la totalité des objets légués, en dehors
même des conditions de l’ancien article 867 du Code civil, lorsque la portion
réductible n’excédait pas sa part de réserve.
Ainsi, dans le cadre de ces dispositifs, la réduction en valeur des legs adressés à
un successible ne pouvait-elle pas concerner l’ensemble de l’hérédité. Les héritiers
réservataires, privés de certains biens, ne pouvaient alors jamais être privés de la
totalité des biens héréditaires : ils conservaient ainsi leur accès à la succession et
leur éventuelle qualité d’indivisaire, ce qui leur laissait la possibilité de provoquer
le partage – ou la liquidation successorale qui en était le préalable nécessaire –, et
de revendiquer, s’il y avait lieu, d’éventuels droits d’attribution préférentielle.
En d’autres termes cette réduction en valeur, au plus partielle et ponctuelle, ne
leur retirait aucune des prérogatives que leur conférait leur qualité de successeur
du défunt.

3. Réduction en valeur au profit de non successibles


Deux cas de réduction en valeur au profit d’un gratifié non successible avaient
cependant été signalé par Pierre Catala13. Il s’agissait d’une part du cas de perte du
bien donné ou légué, si la perte était non fortuite (et dans ce dernier cas, sauf à
restituer l’indemnité perçue). Dans cette hypothèse, la réduction en valeur se subs-
tituait à la réduction en nature quand la perte était totale, elle l’accompagnait ou la
complétait en cas de perte partielle ou de simple détérioration. D’autre part, la
seconde hypothèse signalée était celle de l’aliénation du bien par le gratifié, soit que
le tiers acquéreur soit protégé par l’adage « en fait de meuble possession vaut titre »,
soit que la solution découle de l’ancien article 930, alinéa 1er, texte qui prévoyait que
l’action en réduction pouvait être dirigée contre le tiers détenteur du bien aliéné par
le gratifié, discussion préalable faite des biens du gratifié. Il en résultait un recours
prioritaire contre le gratifié solvable et une réduction en valeur seulement.
La réduction en valeur pouvait enfin se rencontrer dans les donations-partages
consenties au profit d’un tiers et portant sur une entreprise (L. n° 88-15, 5 janv. 1988).
Ainsi, en résultait-il de délicats équilibres, patiemment construits, entre des
intérêts divergents. Avec l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006, particuliè-
rement au titre de l’article 924 du Code civil, il n’est pas certain que ces équilibres
aient été préservés.

12. Cass. 1re civ., 3 mars 2008, JCP 2008, IV, 1632.
13. C P., La réforme des liquidations successorales, op. cit., § 83, p. 203-204.

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SYLVIE FERRÉANDRÉ, HÉLÈNE MAZERONGABRIEL 147

II – RÉDUIRE EN VALEUR : UNE RÉVOLUTION

A. La portée de la réduction en valeur

La « généralisation » de la réduction en valeur, posée en « principe » par la loi


du 23 juin 2006, lui a conféré une portée exceptionnelle, dans la mesure où elle
s’est libérée du cadre étroit que lui avait assigné la loi du 3 juillet 1971 au service
des successibles. Dans les successions ouvertes depuis le 1er janvier 2007, la réduc-
tion en valeur profite sans distinction à tous les gratifiés (1). Elle peut même
s’exercer sans limite sur toute l’hérédité (2).

1. Une réduction en valeur au profit de « tout » gratifié


Le nouvel article 924 ne distingue plus selon que le gratifié est ou non un
successible. Cette nouvelle disposition est donc appelée à profiter aussi bien à un
héritier qu’à un étranger à la succession.
Ce que sert cette réduction, ce n’est plus la réserve d’un successible gratifié,
mais l’efficacité de la volonté du défunt et la sécurité du gratifié, quel qu’il soit.
Les solidarités familiales, ainsi que l’ordre public successoral, cèdent désor-
mais le pas à la toute puissance de la volonté individuelle et aux lois du marché
que la sécurité des droits d’un propriétaire doit rassurer. La dévolution volon-
taire peut s’écarter totalement de la dévolution légale sans que le défunt n’en
soit nullement empêché. Dans ce nouveau contexte, le gratifié pâtit seul des
conséquences de la réduction qui diminue l’avantage économique de la trans-
mission sans jamais l’entraver.
Pierre Catala avait perçu ce bouleversement lorsqu’il écrivait : « La réserve col-
lective des descendants à laquelle une libéralité à un étranger à la famille porte
atteinte ne sera plus rétablie que par une indemnité de réduction. De même la
réserve du conjoint ne sera plus restaurée qu’en valeur »14.

2. Une réduction en valeur de principe, sans limite


Surtout l’article 924, qui pose la réduction en valeur en principe, ne lui assigne
aucune limite quantitative. Le texte est extrêmement clair à cet égard lorsqu’il
dispose « le gratifié (…) doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence
de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent ».
En présence d’un legs universel, les héritiers réservataires se contentent
aujourd’hui d’une somme d’argent égale à la portion excessive de la libéralité.

14. C P., « Prospective et perspectives en droit successoral », JCP 2007, n° 26-1206,
n° 12.

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148 LA RÉDUCTION EN VALEUR DES LIBÉRALITÉS : ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?

Aucun actif héréditaire, aussi imprégné soit-il d’une mémoire familiale, d’un tra-
vail mis en commun, n’a plus vocation à leur revenir. Transmettre ses biens à ses
héritiers n’est plus un « devoir » pour le de cujus, les recevoir par succession n’est
plus un « droit » pour l’héritier à réserve. À telle enseigne que l’on peut raisonna-
blement se demander s’il est encore possible de considérer que « le pouvoir de la
volonté s’exerce dans les limites de la quotité disponible »15, bien que l’article 912,
alinéa 2 du Code civil l’affirme encore.
On ne peut nier que, désormais, c’est dans le patrimoine du gratifié que l’héri-
tier réservataire doit aller chercher sa réserve, sous forme d’une créance, et non
plus dans le patrimoine du défunt. Ce passage « obligé » par le patrimoine du
gratifié interpelle au point que l’on peut même se demander s’il ne viderait pas de
son sens le terme de « successeur », tant la technique juridique semble trahir ici
les principes sociologiques et historiques de l’institution successorale.

B. La compatibilité de la réduction en valeur avec l’ordre successoral établi

1. Réduction en valeur et réserve héréditaire


Ironie du sort, c’est la loi du 23 juin 2006 qui, pour la première fois, apporte
une définition de la réserve, le droit antérieur s’étant contenté de définir au
contraire la quotité disponible.
Le nouvel article 912 définit très clairement et sans ambiguïté la réserve comme
« la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution, libre de
charges, à certains héritiers, dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils
l’acceptent ». Cette définition de la réserve, inspirée du groupe Carbonnier16, reste
fidèle au concept de réserve pars hereditatis. Pour ces auteurs, seule la loi assure la
dévolution de la réserve, à qui elle veut et dans la mesure qu’elle prescrit. Elle doit
être transmise telle qu’elle est définie (en creux) aux articles 913 et 914-1, c’est-à-
dire en propriété, selon le cas pour moitié, les deux tiers ou les trois quarts. Elle peut
encore être transmise en nue-propriété seulement lorsque le gratifié est un conjoint
(C. civ., art. 1094-1) soit en totalité soit pour les trois-quarts seulement.
Ainsi qu’a pu l’expliquer Michel Grimaldi, avant l’entrée en vigueur de la loi
nouvelle17, « la réserve se définit à la fois par la quotité (1/2, 2/3, 3/4) et par la
nature des droits dont elle assure l’intangibilité ». Dit autrement, cela signifiait
que la réserve doit être servie sur les « droits réels » qui sont ceux-là mêmes que
prévoit la loi : de la pleine propriété lorsque la réserve est en pleine propriété, de
la nue-propriété et non autre chose lorsque la réserve est en nue-propriété.

15. F E. et N M., Rép. civ., précité, § 24.


16. C J., C P.,  SA J. et M G., Les libéralités. Une
offre de loi, 2003, Defrénois, p. 115 et s. Pour eux « la réserve selon le droit français est toujours
une « pars successionis » (et) ne devient pas une « pars bonorum » et garde son allégeance à
l’Ancien Droit coutumier.
17. G M., Successions, 5e éd., 1998, Litec, § 333.

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SYLVIE FERRÉANDRÉ, HÉLÈNE MAZERONGABRIEL 149

Il nous semble cependant, que depuis l’application en droit positif de la loi du


23 juin 2006, le principe posé de la réduction en valeur a apporté à l’analyse tra-
ditionnelle un double démenti, dans la mesure où, d’une part, la réserve peut
aujourd’hui être dévolue à d’autres personnes qu’aux réservataires, le pouvoir de
volonté du disposant lui permettant de transmettre la totalité de la succession,
comme on a pu le rappeler et où, d’autre part, la réduction en valeur a substitué
à la réserve en nature, une indemnité censée en être l’équivalent. C’en est fini des
droits réels pour le réservataire évincé à qui la loi ne réserve plus aujourd’hui, au
titre de la réduction, qu’une simple créance contre le gratifié.
Par cette simple réforme de la « sanction » de l’atteinte à la réserve, on a porté
atteinte au cœur de l’institution. Sa nature même en a été modifiée puisque l’in-
demnité de réduction n’est plus qu’une réserve par équivalence. Cette solution est
d’autant plus surprenante que le Code civil s’est lui-même toujours refusé à une
recherche d’équivalence lorsque, confronté dès 1804 aux legs de rentes viagères
ou d’usufruit, il lui a fallu comparer l’incomparable : une réserve en pleine pro-
priété et une libéralité en usufruit ou rente viagère. Il a, à travers les dispositions
de l’article 917 du Code civil, restées inchangées à ce jour encore, préféré une
échappatoire. Il n’y a pas de comparaison ! L’article 917 ouvre au contraire une
option à l’héritier à réserve, comme solution au conflit. Dès lors, de deux choses
l’une, ou bien l’héritier souhaite recevoir sa réserve, alors « s’il veut sa réserve il
l’aura, mais rien de plus » comme l’écrit Michel Grimaldi18, contraint d’abandon-
ner la nue-propriété de la quotité disponible, ou bien il se pliera à la volonté du
disposant, et l’atteinte à sa réserve sera effective mais provisoire, l’usufruit étant
un droit viager.
Une autre démonstration du rejet de l’équivalence se rencontre aussi en
matière de liquidation successorale, en ce qui concerne la méthode l’imputation
des libéralités démembrées. À ce titre, ila toujours été de bonne pratique de ne pas
convertir les droits démembrés pour les imputer mais de seulement les imputer
pour leur assiette, qui était censée exprimer l’étendue des prérogatives de chacun
(usufruitier ou nue-propriété) sur les biens donnés ou légués.
Le professeur Michel Grimaldi explique que l’imputation en assiette constitue
la seule méthode respectueuse de la réserve qui s’exprime, « d’abord et surtout par
la nature des droits dont elle assure l’intangibilité »19. La même logique l’amenait
à écrire s’agissant cette fois-ci de la quotité disponible : « Comment la liberté de
disposer d’une quotité en propriété se trouverait-elle épuisée par une disposition
en usufruit seulement ? »20, 21.

18. G M., Successions, op. cit., § 332, note 9 qui rappelle également les origines
et les effets de l’article 917 du Code civil.
19. Ibid., § 735 et 766 et s.
20. Ibid., § 767.
21. V. aussi D N., « Démembrement de propriété et libéralités : recherche d’un
système cohérent d’imputation », RTD civ. 2001, p. 295 ; V B., « Réflexion sur
l’imputation en droit des successions », RTD civ. 2009, p. 1 et s. ; V B., « Nouveau
rapport, nouvelle réduction », D. 2006, 2565.

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150 LA RÉDUCTION EN VALEUR DES LIBÉRALITÉS : ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?

La réserve, droit en nature, doit à notre avis se maintenir pour les imputations
car une chose est la réserve – telle qu’elle est définie à l’article 912 du Code civil –,
une autre est la sanction de l’atteinte portée à la réserve – telle qu’elle est prévue
par l’article 924 du Code civil22.
Malgré tout, on est en droit de se demander si la réserve héréditaire corres-
pond encore à la même réalité juridique lorsqu’elle ne confère plus au réservataire
qu’un simple droit de créance23.
Aujourd’hui, les praticiens doivent insister auprès de l’héritier réservataire
pour qu’il agisse « rapidement » en réduction dans la mesure où la libéralité
qui porte atteinte à sa réserve n’est pas réduite de plein droit, sa réduction
devant être demandée par l’héritier réservataire. Surtout, les délais de l’action
en réduction prévus au nouvel article 921, alinéa 2 du Code civil ont été consi-
dérablement réduits. De trente ans, le délai de principe est passé à cinq ans à
compter de l’ouverture de la succession, sauf si l’héritier réservataire n’a pas eu
connaissance de l’atteinte à sa réserve, auquel cas il peut disposer d’un délai
supplémentaire de deux ans à compter de cette connaissance24 mais sans jamais
pouvoir agir plus de dix ans après l’ouverture de la succession. Soulignons
également que le délai de l’action en réduction n’est pas suspendu lorsque le
conjoint survivant a été laissé en jouissance des biens dépendant de la succes-
sion, contrairement à ce que prévoit la loi dans le nouvel article 780, alinéa 3
en matière d’option successorale.
La plus grande vigilance est dès lors nécessaire pour l’héritier réservataire, afin
que l’action en réduction ne s’éteigne pas par prescription à son insu.
Dans ce nouveau contexte, l’on doit vraiment se demander de quels pouvoirs
l’héritier réservataire peut-il encore se prévaloir ?

2. Réduction en valeur et saisine


La saisine héréditaire était certainement, après la réserve héréditaire, un autre
pilier de l’ordre public successoral traditionnel.
Aux termes de l’article 724 du Code civil, légèrement modifié par la loi du
3 décembre 2001, « les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des
biens, droits et actions du défunt ».

22. Un auteur, D N., « Démembrement de propriété et libéralités (…) »,


op. cit., a exprimé cette idée en ces termes : « La régression du droit à une part en nature est la
manifestation la plus nette de l’amenuisement de la réserve. Cette régression n’intervient
toutefois qu’au niveau des effets de l’action en réduction (en nature ou en valeur) et non pas
au niveau de son assiette, qui, seule, est directement concernée par l’imputation des libéralités ».
23. S F., « Le déclin de la réserve héréditaire précipité par la loi du 23 juin 2006 »,
JCP N 2008, art. 1248, p. 34 et s. qui dénonce une dénaturation de la réserve.
24. Restera à savoir ce qu’il faut entendre par là : est-ce l’existence de la libéralité qui doit
avoir été cachée, est-ce seulement le fait que cette libéralité porte effectivement atteinte à la
réserve ?

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SYLVIE FERRÉANDRÉ, HÉLÈNE MAZERONGABRIEL 151

Comme l’expliquaient les professeurs Flour et Souleau25, sans rapport avec la


transmission de la propriété des biens successoraux qui s’opère immédiatement et
de plein droit au profit de tous les successeurs, la saisine peut se définir comme
l’habilitation légale, reconnue à certains successeurs, à l’effet d’exercer les droits et
actions du défunt sans avoir besoin d’accomplir aucune formalité préalable. Ainsi
la saisine permet-elle au successeur saisi d’exercer les droits dont le de cujus était
titulaire et de se mettre en possession de ses biens.
Comme l’a joliment écrit un auteur, « la saisine et la réserve, comme deux
tours de garde, flanquaient ainsi le principe de succession à la personne pour
assurer la cohérence de l’ensemble de notre ordre successoral »26.
Dans la tradition, la saisine est indivisible, ce qui permet à l’héritier d’appré-
hender l’ensemble des biens héréditaires27 ; ce qui conduit à admettre que l’on
peut avoir la saisine d’un bien dont on n’est pas propriétaire. Dès lors, l’héritier
réservataire a la saisine des biens légués par le défunt, alors même que, puisque la
réduction en valeur est généralisée, il ne dispose sur ce bien d’aucun droit de
propriété. Il peut donc parfaitement les appréhender bien qu’il n’en soit pas pro-
priétaire28. Saisi, l’héritier réservataire peut délivrer les legs, gérer l’hérédité et
mener toute action au nom du défunt. Il pourrait même être tenté parfois de
refuser la délivrance d’un legs. Pourtant, il n’en fera rien, dans la mesure où la
délivrance de son legs est un « droit » pour le gratifié que l’héritier réservataire ne
saurait refuser sans motifs légitimes.
Ainsi que l’a écrit Michel Grimaldi29, « la validité du legs une fois acquis (la
délivrance) ne saurait être différée jusqu’à l’achèvement des opérations de liquida-
tion nécessaires à l’évaluation de la quotité disponible sauf si l’excès était mani-
feste ». Pour autant, depuis le 1er janvier 2007, même si l’excès est manifeste,
l’efficacité du legs en nature ne peut plus être discutée. Tenter de retenir le bien
ne serait à notre sens qu’un vain combat pour l’héritier à réserve, sauf à contester
la validité du testament.
On approuvera donc à ce titre le tribunal de grande instance de Versailles qui,
le 5 novembre 201330, dans une affaire dans laquelle une femme, laissant un fils
adoptif, avait institué une congrégation religieuse légataire universelle, a imposé
la délivrance du legs malgré la résistance du fils qui exigeait la répartition en
nature des biens dépendant de la succession, au visa des articles 1004 et 924 du
Code civil, aux motifs que le fils « ne peut valablement refuser la délivrance du
legs consenti au demandeur et sera condamné à y procéder, à charge par la congré-
gation religieuse de reverser une soulte correspondant au montant des droits de
l’héritier réservataire ».
25. F J. et S H., Les successions, 2e éd., 1987, Armand Colin, n° 163 et s.
26. B C., Les volontés des morts. Vouloir pour le temps où l’on ne sera plus, t. 557,
thèse, 2014, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, § 258, p. 176.
27. G M., Successions, op. cit., § 424.
28. En ce sens Cass. 1re civ., 4 nov. 1952, Bull. civ. I, n° 284.
29. G M., Successions, op. cit., § 433.
30. Commentée par Chassaing P., Defrénois 2014, art. 115W9 et reproduit p. 447 et s.

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152 LA RÉDUCTION EN VALEUR DES LIBÉRALITÉS : ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?

Dans la logique de la réduction en valeur la saisine a perdu une grande part de


son utilité pour l’héritier car le bien légué échappe à la succession et appartient
dès le décès au légataire.

3. Réduction en valeur et droit de l’indivision


Traditionnellement, l’héritier réservataire confronté à la réduction en nature pou-
vait enfin s’appuyer sur le droit de l’indivision, autre pilier du droit successoral.
Titulaire de ses droits en nature, il lui arrivait de se retrouver en indivision avec
un légataire universel, ou un donataire n’ayant pas la qualité de successible par
exemple. Dès lors, le partage lui restait ouvert, et avec lui tous les outils permettant
soit de retarder le partage – sursis à partage –, soit de l’empêcher – droit au maintien
dans l’indivision –, soit d’évincer un demandeur pressé s’il souhaitait, avec d’autres
indivisaires, rester en l’indivision – attribution éliminatoire –, soit enfin, et surtout,
il pouvait tenter de retenir certains biens qui avaient pour lui une utilité particulière
au titre du droit d’attribution préférentielle. Il restait aussi coadministrateur des
biens, et l’indivision, dont il était, avait vocation à s’enrichir des fruits et revenus
engendrés par le bien et des plus values, jusqu’au partage.
Avec la réduction en valeur d’une libéralité, qui ne lui laissera aucun atome du
bien donné ou légué, l’héritier à réserve perd tout espoir de contredire et d’empê-
cher la transmission que lui impose le de cujus. Le pouvoir d’administration du
bien lui échappe sauf à le retenir un instant au titre de la saisine ; tout comme le
droit aux fruits lui est perdu, dès le décès31.
Ainsi, dans l’affaire citée plus haut et jugée par le Tribunal de Grande Instance
de Versailles32 le fils adoptif de la testatrice qui avait saisi le tribunal d’une demande
en partage et d’une demande d’expertise des biens immobiliers dépendant de la
succession de sa mère adoptive, vit sa demande rejetée au motif, à notre sens irré-
prochable, que « la congrégation religieuse du S, ayant vocation à appréhender la
totalité du patrimoine successoral en sa qualité de légataire universel, il n’y a pas
d’indivision successorale et par conséquent pas de partage judiciaire ». Suivant la
même logique, la juridiction le débouta également de sa demande d’expertise des
immeubles successoraux.
Par la suite, la Cour de cassation devait confirmer l’analyse et la préciser. Dans
un arrêt fort remarqué du 11 mai 201633, elle précisa clairement qu’« il n’existe
aucune indivision entre un légataire universel et l’héritier réservataire », de sorte
que ce dernier « ne pouvait prétendre ni à l’attribution préférentielle, ni à la lici-
tation des parcelles dépendant de la succession ».

31. C’est seulement en présence d’une réduction en nature que le nouvel article 928 du
Code civil prévoit la « restitution des fruits de ce qui excède la portion disponible, à compter
du jour du décès du donateur, si la demande en réduction est faite dans l’année, sinon du jour
de la demande ».
32. V. note 30.
33. Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 14-16967.

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SYLVIE FERRÉANDRÉ, HÉLÈNE MAZERONGABRIEL 153

La même solution a été consacrée tout récemment par la Cour de cassation à


la suite d’une action en retranchement34, dans laquelle elle précise qu’il n’existe
pas d’indivision entre le conjoint attributaire de la communauté universelle et les
enfants agissant en retranchement. Contrairement à la précédente, on pourrait
considérer que cette solution est plus discutable, dans la mesure où l’article 1527
du Code civil, non retouché en 2006, dispose que l’avantage « est sans effet »
pour tout ce qui excède la quotité disponible spéciale entre époux. On aurait pu
penser que le texte spécial de l’article 1527 du Code civil, avait ici laissé subsister
un cas de caducité, et dérogeait ainsi à la règle générale de l’article 924. Il semble
cependant qu’il n’en soit rien.
Mais alors continuons à nous interroger. Dès lors que l’accès au partage et à la
liquidation qui en est le préalable, est refusé à l’héritier réservataire, quel juge sera
compétent pour fixer le montant de son indemnité de réduction ?
La question tourne à l’absurde lorsque l’on lit, à l’article 924-3, que « l’indem-
nité de réduction est payable au moment du partage » dont l’accès est refusé à
l’héritier évincé faute d’être titulaire de droit indivis.
Doit-on en conclure que l’héritier réservataire reste livré à lui-même ?
Peut-être...
Quoiqu’il en soit, il est au moins certain que cette rupture avec le passé qu’est la
réduction en valeur, intervenue en fin de travail législatif par voie d’amendement,
n’a pas été accompagnée du dispositif nécessaire qui aurait permis de l’intégrer avec
cohérence dans notre système successoral. Les textes – si ce n’est l’article 924 –,
restent pour la plupart écrits pour la mise en œuvre d’une réduction en nature, c’est-
à-dire pour une caducité de la libéralité qui n’est plus de droit positif. Surtout, faute
de partage pour l’héritier réservataire évincé, son indemnité de réduction ne peut
plus être fixée qu’au décès, alors qu’il pourrait arriver qu’elle lui soit payée bien
longtemps après. Dans ce contexte, la question se posera de savoir sur quel texte
fonder la revalorisation, l’article 924-2 n’étant plus susceptible d’être invoqué...
Dans ce contexte, la seule garantie que la loi accorde à l’héritier réservataire
consiste en l’inscription d’un privilège sur les immeubles donnés ou légués – s’il
s’agit d’immeubles bien évidemment (C. civ., art. 2374 3°) – mais ce privilège
doit être inscrit dans les deux mois de l’acte fixant l’indemnité de réduction
(C. civ., art. 2381), surtout, il ne règle pas le problème du désaccord qui pourrait
exister sur son montant.
Aussi la meilleure garantie, pour l’héritier réservataire, réside-t-elle dans les dispo-
sitions de l’article 924-4 du Code civil qui permet aujourd’hui encore35 un recours
contre les tiers détenteurs des immeubles faisant partie des libéralités et aliénés par le
gratifié, en cas d’insolvabilité de ce dernier, et plus rarement contre les tiers détenteurs
de meubles lorsque l’article 2276 du Code civil ne peut être invoqué.

34. Cass. 1re civ., 7 déc. 2016, n° 16-12216.


35. Bien que la survie de cette action récursoire puisse paraître incongrue face à la
généralisation de la réduction en valeur.

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154 LA RÉDUCTION EN VALEUR DES LIBÉRALITÉS : ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?

À ce jour, d’autres questions sont susceptibles d’inquiéter l’héritier évincé totale-


ment des biens du défunt, telle la présence d’une clause bénéficiaire d’un contrat
d’assurance-vie désignant « mes héritiers ». Faut-il, dans une telle situation, appliquer
ce terme aux seuls successeurs aux biens, c’est-à-dire au légataire universel, ou bien
considérer que l’héritier réservataire évincé est encore, malgré tout un héritier, dans la
mesure de la valeur économique qu’il recueille au titre de son indemnité de réduc-
tion ? À notre sens, la logique de la réduction en valeur devrait servir le légataire.

4. Vers un retour à la réduction en nature


Certes, on pourrait tenter de se rassurer face à cet horizon de noirceur, en
rappelant que le gratifié dispose à son choix d’une option pour la réduction en
nature. Comme le prévoit l’article 924-1 du Code civil, « le gratifié peut exécuter
la réduction en nature, par dérogation à l’article 924, lorsque le bien donné ou
légué lui appartient encore et qu’il est libre de toute charge dont il n’aurait pas
déjà été grevé à la date de la libéralité, ainsi que de toute occupation dont il
n’aurait pas déjà fait l’objet à cette même date ». Encore faut-il que le gratifié, qui
est le seul à se voir offrir cette option, accepte de l’exercer.
S’il venait à être frappé d’une mesure de protection des majeurs, cette option,
qui semble de nature patrimoniale, devrait pouvoir être exercée pour lui par son
représentant légal. S’il venait à décéder avant d’avoir exercé ce choix, celui-ci
devrait pouvoir se transmettre à ses héritiers, mais il restera à savoir si ceux-ci
pourront opter chacun pour leur part distinctement, ou si l’option restera indivi-
sible, ce qui nous paraîtrait plus logique.
Bien sûr, on n’occultera pas le fait que l’héritier réservataire peut tenter de
mettre le gratifié en demeure de prendre parti, mais alors cette faculté s’éteindra
si le gratifié n’exprime pas son choix pour cette modalité de réduction dans un
délai de trois mois (art. 924-1, al. 2).
Surtout, à supposer que le gratifié veuille bien opter pour la réduction en nature,
encore faudra-t-il qu’il le puisse. Le danger résidant dans le fait que le bien lui appar-
tient pleinement depuis le décès, alors même que la libéralité serait entièrement réduc-
tible. Par conséquent, les créanciers du gratifié auront pu s’en emparer sans délai, sans
même attendre la délivrance de legs dont l’objet consiste seulement à retarder l’entrée
en possession du bien légué, pas son transfert de propriété. Le bien, ainsi grevé de
sûreté ou objet d’une saisie, ne répondra plus alors aux conditions qui permettaient la
réduction en nature. Il en sera de même également lorsque le bien objet de la libéralité
aura été donné à bail depuis l’ouverture de la succession.
Conscient de ces difficultés, le plus simple serait encore que la réduction en
nature soit imposée par la volonté du disposant. En droit, rien ne s’y oppose.
Cette solution déjà proposée pour la réduction des donations entre vifs adressées
à un successible avant le 1er janvier 2007 (v. supra) nous paraît transposable
aujourd’hui à toutes libéralités entre vifs ou à cause de mort consenties par le

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SYLVIE FERRÉANDRÉ, HÉLÈNE MAZERONGABRIEL 155

défunt. Ce que le gratifié peut imposer à l’héritier réservataire, le disposant doit


pouvoir à plus forte raison, l’imposer au gratifié. Ainsi, par la libre expression de
la volonté du défunt, l’ordre public successoral s’en trouverait-il rétabli.

*
* *

Au terme de ces propos, nous sommes malheureusement dans l’obligation de


conclure que la réserve héréditaire, présentée par la loi comme un droit en nature,
ne revient en tant que telle aux héritiers réservataires que dans des cas résiduels,
soit que le disposant n’ait pas disposé de ses biens – mais alors la notion de
réserve est sans utilité –, soit que le gratifié opte pour cette modalité de réduc-
tion, soit enfin que le disposant l’ait imposé au gratifié.
Parce qu’elle devient le principe, la réduction en valeur nous semble consacrer
une véritable rupture avec le passé, ainsi qu’avec les prérogatives dont pouvaient
se prévaloir le successeur, tant à travers la saisine dont il est investi qu’à travers son
éventuelle qualité d’indivisaire.
Hériter, c’est être lié au défunt par un puissant lien symbolique, le continuer dans
sa personne, être mis à sa place et dans ses droits. Hériter, c’est être une continuité, une
mémoire, un lien, un lieu, tel est le sens de la saisine, qui d’une certaine manière nie
le décès, pour investir immédiatement les héritiers légaux de tous les pouvoirs du
défunt, tel est le sens de l’adage « le mort saisit le vif, son hoir le plus proche ».
On peut alors se demander si, véritablement, l’héritier réservataire évincé par des
libéralités est encore un héritier lorsque le seul droit dont il dispose se résume à
exercer l’action en réduction en valeur. Réduire en valeur consiste à transformer un
acteur – l’héritier saisi, également indivisaire – en un quémandeur, simple créancier
d’une somme, dont la situation est d’autant plus pathétique que l’on ne sait même
pas à quel juge il va devoir adresser sa demande, faute de pouvoir accéder au partage
lorsque la libéralité consentie ne laisse subsister aucune indivision.
La réduction en valeur instaurée par la loi du 23 juin 2006 n’est donc pas une
simple évolution du droit antérieur. Elle a ébranlé, par sa logique comptable
implacable, tous les fondements du droit successoral, dans un contexte juridique
qui n’a pas été pensé pour elle.
Réduire en valeur, c’est aussi transformer le « successeur » en « simple créancier »
du gratifié. La somme qu’il reçoit, par le détour qu’impose l’action en réduction
engagée contre le patrimoine du légataire ou du donataire, a perdu toute la valeur
symbolique de la transmission successorale. Réduire en valeur postule que toute
chose possède un équivalent économique, alors pourtant que le notaire sait com-
bien ce postulat est faux dans les choses de famille, où les biens qui ont le plus de
valeur sont bien souvent sans prix. Réduire en valeur, c’est substituer aux solidarités
familiales une approche purement monétaire, comme si l’avenir du droit était de se
désincarner, pour laisser place à la volonté toute puissante de l’individu, comme si
ce dernier pouvait exister sans le groupe social duquel il est issu.

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Le traitement liquidatif d’un don manuel entre époux :


retour sur l’arrêt Veuve Barrat

Marc N
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole
Directeur de l’Institut de droit privé (EA 1920)

1. Afin de rendre hommage à Jacques Combret, l’idée nous est assez rapide-
ment venue d’envisager les conséquences liquidatives d’un don manuel entre
époux. On se demandera sans doute – et le dédicataire de ses lignes le premier –
quel a été notre cheminement. La réponse est à rechercher dans la genèse de l’ar-
ticle 758-5 du Code civil.
Chacun sait que le législateur de 2001 n’a pas fait preuve de beaucoup d’in-
ventivité pour fixer la méthode de calcul des droits en propriété octroyés au
conjoint survivant en présence des enfants (C. civ., art. 757) ou des parents du
défunt (C. civ., art. 757-1). Il s’est contenté de reproduire les prévisions de la loi
du 9 mars 1891, qui figuraient à l’ancien article 767 pour la fraction en usu-
fruit. Ce qui est peut-être moins connu, c’est que le promoteur de ce système
liquidatif complexe, qui oblige à déterminer une masse de calcul, puis une masse
d’exercice, est un juriste et politicien ruthénois : Pierre Lacombe1.
2. La loi du 9 mars 1891, qui a modifié « les droits de l’époux sur la succession
de son conjoint prédécédé », doit assurément beaucoup au département de
l’Aveyron… Car celui qui a initié la réforme et qui l’a porté ensuite à bout de bras
pendant de longues années, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, est un autre
homme politique aveyronnais, un enfant de Saint-Christophe-Vallon : Jean
Delsol2. On peut dire que sans le talent et la persévérance de ce parlementaire
pugnace, cette évolution de la législation successorale – qui n’a abouti qu’au bout
de dix-neuf ans3 – se serait fait encore plus longuement attendre.

1. Pierre Edmond Eugène Lacombe est né à Rodez le 5 novembre 1840. Cet avocat
monarchiste a été sénateur de l’Aveyron de 1885 à 1894. Au cours de son mandat, il a été très
présent sur toutes questions juridiques abordées devant la Haute assemblée : responsabilité des
accidents du travail, syndicats professionnels, rupture du contrat de travail moyennant
indemnité, sociétés coopératives, droit de la presse… et droits successoraux du conjoint
survivant. Battu aux élections de 1894, il est mort à Rodez le 15 septembre 1918.
2. Jean Joseph Delsol est né à Saint-Christophe le 27 octobre 1827. Brillant étudiant
en droit, il a d’abord été avocat au barreau de Paris. Puis la passion politique l’a emporté : il a
été élu député de l’Aveyron de 1871 à 1876, et enfin sénateur de l’Aveyron de 1876 à 1894. Il
est mort à Paris le 29 janvier 1896.
3. La proposition de loi Delsol avait été présentée à l’Assemblée nationale dès le 21 mai
1872.

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158 LE TRAITEMENT LIQUIDATIF D’UN DON MANUEL ENTRE ÉPOUX

3. À la fin de l’année 1890, le Sénat et la Chambre des députés s’opposaient


toujours sur l’assiette du quart légal. D’après le texte initialement voté par les
sénateurs, en 1877, le droit d’usufruit du conjoint survivant ne pouvait s’exercer
que sur les biens existants au jour du décès. Au contraire, les députés considé-
raient qu’il fallait suivre la logique de la dévolution légale et, en conséquence,
comptabiliser également les biens donnés ou légués4 par le défunt, sans clause de
préciput, à ses successibles. Afin de sortir de l’impasse, le sénateur Pierre Lacombe
a eu l’idée, en commission des lois du Sénat, d’une combinaison des deux propo-
sitions. Sur son initiative5, une solution transactionnelle a été trouvée : les droits
légaux du conjoint se calculent sur les biens existants et sur les biens donnés ou
légués en avancement d’hoirie, que l’on fait rentrer fictivement dans la succes-
sion ; mais ils ne s’exercent que sur les biens existants.
Ce mécanisme en deux temps, qui introduit un rapport fictif, est assurément
« ingénieux »6. Adopté en 1891, il est toujours de droit positif, à cette réserve près
qu’il ne s’applique plus aujourd’hui à l’usufruit légal, mais aux fractions en
propriété.
4. Au seuil du e siècle, le système Lacombe a permis une seconde fois – à
cent dix ans de distance – de concilier les vœux contradictoires des deux chambres
du Parlement7. S’il a été conservé par la loi du 3 décembre 2001, c’est qu’il a
rendu possible l’accroissement des droits du survivant en propriété, voulu par
l’Assemblée nationale, sans préjudicier, trop gravement, à ceux des plus proches
parents du défunt, que le Sénat entendait protéger. Il en résulte qu’en dépit de la
place prépondérante qu’il occupe dans la dévolution légale, le conjoint survivant
n’est toujours pas un héritier comme les autres. En particulier, il ne lui est pas
permis de se prévaloir du rapport des libéralités.
L’article 758-5 du Code civil reprend les termes l’ancien article 767 ; c’est un
décalque presque parfait du texte de 18918. Pourtant, on ne peut pas dire que la
formulation retenue soit très explicite. Certes, l’alinéa 1er indique que « le calcul…
sera opéré sur une masse faite de tous les biens existant au décès de son époux
auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aura disposé, soit par acte entre
vifs, soit par acte testamentaire, au profit de successibles, sans dispense de rap-
port ». Et l’alinéa deux ajoute : « le conjoint ne pourra exercer son droit que sur
les biens dont le prédécédé n’aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testa-
mentaire, et sans préjudicier aux droits de réserve ni aux droits de retour ».

4. Les legs étaient, à l’époque, présumés rapportables (C. civ., anc. art. 843 – avant la
loi du 24 mars 1898).
5. JO Sénat ,18 nov. 1890, p. 1042.
6. L’expression est du garde des Sceaux de l’époque, Armand Fallières.
7. Sur les différentes péripéties de la future loi du 3 décembre 2001, v. notamment
C P., JCl. Civil, art. 756-767, fasc. 10, n° 21 et s.
8. Sur les critiques de fond pouvant être adressées à cette reproduction trop fidèle,
notamment quant à la référence aux legs rapportables, V. tout spécialement, T F.,
L Y. et G S., Les successions, les libéralités, 4e éd., 2013, Précis Dalloz, n° 174,
note 3.

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MARC NICOD 159

Mais il faut une certaine maîtrise de l’art notarial pour comprendre qu’il
importe d’établir des droits théoriques, puis de les comparer avec la masse d’exer-
cice, pour retenir finalement, au titre des droits effectifs, la plus faible des deux
sommes. En effet, depuis 1891, les droits légaux du conjoint survivant, en
concours avec les descendants ou les père et mère, sont enfermés dans une double
limite : d’un côté de la fraction légale appliquée à la masse de calcul, de l’autre de
l’intégralité de la masse d’exercice9.
5. Parmi d’autres lacunes (rien notamment sur la soustraction du passif, ni sur
la date d’évaluation des biens…), on remarque que l’article 758-5 du Code civil
ne précise pas si les libéralités consenties au conjoint survivant par le défunt
doivent, ou non, être incluses dans la masse de calcul. Il existe, toutefois, une
vieille décision de la Cour cassation qui a apporté, de manière incidente, une
réponse positive à cette interrogation : l’arrêt Veuve Barrat.
6. Dans cette affaire, jugée par la Chambre civile en 1898, une veuve était
soupçonnée de s’être rendue coupable de recel successoral. Elle avait dissimulé, au
détriment des enfants du premier lit, une importante somme d’argent reçue par
don manuel de son mari mourant. Le débat judiciaire s’était alors s’engagé sur la
notion « d’effets de la succession »10 et, conséquemment, sur la nature rapportable
de la donation entre époux. Afin d’écarter le risque d’une condamnation pour
recel, le pourvoi faisait habilement valoir, « d’une part, que ce don manuel était
dans la cause dispensé de rapport et aurait pu être seulement réductible » ;
« d’autre part, que, d’après l’arrêt lui-même, la quotité disponible n’était pas épui-
sée par les libéralités antérieures » ; « enfin, que l’époux survivant ne doit pas le
rapport aux héritiers de son conjoint ».
De manière inédite, la Haute juridiction avait répondu sur le terrain de l’arti-
culation des vocations légale et libérale. Elle avait expliqué, sur le fondement de
l’article 767 ancien, que « pour calculer ce qui revient à l’époux sur la masse à
partager, on réunit fictivement à cette masse toutes les libéralités qu’il aurait déjà
reçues du défunt, même celles qui lui auraient été faites à titre de préciput et hors
part, et on les impute sur le montant de sa part héréditaire ». Ce qui lui permet-
tait d’en déduire que « ces libéralités dont l’époux, successeur irrégulier, doit ainsi
tenir compte aux autres successibles par un rapport en moins prenant, sont des
effets de la succession au sens de l’article 792 du Code civil »11.
7. L’arrêt Veuve Barrat, quoique rendu sous l’empire de la législation de 1891,
continue d’alimenter la réflexion doctrinale. C’est une référence régulièrement
citée12, spécialement par les auteurs qui prennent le parti d’ajouter les libéralités
entre époux à la masse de calcul des droits légaux.

9. V. en particulier, F J. et S H., Les successions, 1982, Armand Colin,


n° 101.
10. Effets visés par l’ancien article 792 du Code civil, qui définissait le recel.
11. Cass. civ., 8 févr. 1898, DP 1899. 1. 153, note Sarrut L.
12. Par exemple, M P. et B C., Les successions, les libéralités, 7e éd., 2016,
Defrénois, n° 99, note 20.

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160 LE TRAITEMENT LIQUIDATIF D’UN DON MANUEL ENTRE ÉPOUX

Partant de cette décision fondatrice, nous souhaitons, à notre tour, revenir sur
deux questions toujours en débat :
– Est-il pertinent, s’agissant de donations de biens présents entre époux, d’op-
poser les donations rapportables et les donations hors part ?
– Quelle est l’influence de l’imputation des libéralités entre époux sur la déter-
mination des droits légaux du conjoint survivant ?

I – DONATION DE BIENS PRÉSENTS ENTRE ÉPOUX


ET OBLIGATION AU RAPPORT

8. La généralité des termes de l’article 843 du Code civil ne permet pas de


dispenser, par principe, les donations de biens présents entre époux du rapport
successoral. Aussi est-on d’abord enclin à penser que le conjoint survivant est
tenu de rapporter à la succession toute donation entre vifs reçue du défunt, en
l’absence de clause de hors part, à l’instar des autres successibles.
Cependant, avant même les réformes de 2001 et de 2006, la doctrine domi-
nante estimait déjà qu’il convenait de distinguer suivant que l’époux survivant
succédait en usufruit ou en propriété13. Dans le premier cas, l’obligation au rap-
port venant en concours avec l’imputation des libéralités conjugales sur les droits
légaux, prévue par l’ancien article 767 du Code civil, le conjoint donataire ne
pouvait pas être redevable de la même libéralité à un double titre. La donation
imputée sur le quart en usufruit se trouvait donc dispensée de rapport ; seul le
surplus restait éventuellement rapportable14.
En revanche, lorsque le conjoint survivant venait à la succession en pleine
propriété, puisqu’il n’y avait pas d’imputation, le rapport était dû, sauf volonté
contraire du disposant, conformément au droit commun15.
9. Bien que les lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006 n’aient pas direc-
tement tranché la question du rapport des donations de biens présents entre
époux, force est de constater qu’elle ne se présente plus comme sous l’empire de
la loi de 1891.
De nos jours, l’imputation des libéralités conjugales imposée par l’article 758-6
du Code civil n’est plus liée à l’exercice des droits légaux en usufruit. Elle concerne
également l’époux gratifié qui vient à la succession en pleine propriété, sur le
fondement des articles 757 et 757-1 du Code civil. Ainsi, en présence d’enfants
d’un premier lit, la veuve bénéficiaire d’un don manuel n’est pas en droit de
cumuler cette libéralité entre vifs et son quart en propriété ; en pratique, il faut
imputer la valeur du bien donné sur la valeur du quart légal – jusqu’à, le cas
échéant, l’absorber complètement. Il n’y a donc plus de raison, sur ce terrain,

13. Par exemple, G M., Successions, 5e éd., 1998, Litec, n° 664, note 15.
14. G M., Successions, op. cit.
15. V. en ce sens, pour une succession ouverte en 1984, Cass. 1re civ., 3 déc. 2008,
n° 07-17145.

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MARC NICOD 161

d’opposer la succession en usufruit à la succession en propriété. Les solutions


peuvent désormais être uniformisées. Mais il reste à les définir.
10. En matière de rapport, la situation du conjoint survivant gratifié présente
une double originalité. D’une part, l’article 758-5, alinéa 2 du Code civil lui
interdit d’exercer ses droits légaux en propriété sur les biens donnés ou légués
rapportables ; d’autre part, l’article 758-6 lui impose de précompter sur sa part
successorale le montant de toutes les libéralités conjugales, y compris celles qui
sont consenties hors part. En d’autres termes, il y a ici au moins deux bonnes
raisons de ne pas s’en tenir au principe de l’article 843 du Code civil.
La doctrine dominante s’accorde à considérer que la dispense spéciale de rapport
des donations de biens présents entre époux résulte du traitement liquidatif déroga-
toire des libéralités conjugales16. À titre personnel, il nous semble que cette solution
particulière doit plus à l’absence de réciprocité qu’à l’exigence d’imputation.
11. Sans doute l’imputation des libéralités entre époux sur la vocation légale du
conjoint survivant est-elle, suivant l’heureuse formule de Bernard Vareille, « un suc-
cédané de rapport »17. Techniquement, elle s’opère comme celui-ci en moins pre-
nant : l’époux reçoit sa part successorale diminuée de ce qu’il a déjà reçu.
Mais, même sur ce terrain, l’imputation se distingue du rapport. Contraire-
ment à lui, elle ne peut jamais donner lieu au versement d’un complément en
numéraire. Lorsque le montant de la libéralité dépasse le montant des droits
légaux, le conjoint gratifié n’est pas débiteur envers la succession au titre de l’ar-
ticle 758-6 du Code civil. Il conserve l’excédent de libéralité – quitte à être tenu,
par ailleurs, d’une indemnité de réduction si la libéralité excède, en outre, la
quotité disponible spéciale (C. civ., art. 1094-1). Car ces deux mécanismes, l’un
et l’autre au confluent du droit des libéralités et du droit des successions, ne pour-
suivent pas le même but : l’imputation interdit au survivant de se prévaloir cumu-
lativement de ses vocations légale et libérale ; le rapport des libéralités tend à
préserver une certaine conception, sans doute idéalisée, de la dévolution légale.
12. Comme en témoigne l’article 857 du Code civil18, la réciprocité est à la base
de la théorie du rapport. Le successible qui a bénéficié d’une donation de biens
présents en est, sauf clause contraire, redevable à ses cohéritiers. Dès lors, en cas de
pluralité de donations, chaque gratifié « se trouve à la fois débiteur de son propre
rapport et créancier du rapport dû par ses cohéritiers »19. Il en va de l’objectif pour-
suivi par le législateur : maintenir l’équilibre inhérent à la dévolution légale.

16. Par exemple, M P. et B C., Les successions, les libéralités, op. cit.,
n° 879, qui expliquent, à propos du conjoint survivant en concours avec les descendants ou les
père et mère du défunt, que « sa condition successorale est à part et (que) lui imposer le
rapport au bénéfice de la parenté serait le nier ».
17. V B., « Réflexions sur l’imputation en droit des successions », RTD civ. 1999,
p. 10.
18. C. civ., art. 857 : « Le rapport n’est dû que par le cohéritier à son cohéritier ; il n’est
pas dû aux légataires, ni aux créanciers de la succession ».
19. M M., « La donation entre vifs consentie au conjoint survivant est-elle
rapportable ? », JCP N 2003, 1482, n° 4.

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162 LE TRAITEMENT LIQUIDATIF D’UN DON MANUEL ENTRE ÉPOUX

Rien de tel ne se rencontre plus lorsqu’il s’agit du conjoint survivant. Depuis


1891, le système Lacombe lui refuse la qualité de créancier de rapport – essentiel-
lement afin de ne pas pénaliser les enfants du premier lit qui ont pu recevoir des
donations entre vifs de leur auteur. Par suite, l’époux donataire ne peut être assu-
jetti, de manière asymétrique, à une obligation de rapport. Sans quoi, c’est la
finalité même du rapport successoral qui serait dévoyée.
13. Ce lien traditionnel entre la créance et la dette a été récemment rappelé dans
un arrêt de la cour d’appel de Paris. En la cause, des enfants nés d’une précédente
union réclamaient le rapport de donations de biens présents que leur père, décédé
le 28 octobre 2004, avait consenti à son épouse. Pour repousser cette demande, les
conseillers parisiens ont fait valoir « qu’il résultait de l’article 758-5, alinéa 2 du
Code civil, que les droits du conjoint survivant se calculaient sur une masse qui
comprenait tous les biens existant au décès de son époux auxquels devaient être
réunis fictivement ceux dont il aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte
testamentaire, au profit de successibles, sans dispense de rapport, et s’exerçaient sur
une masse qui comprenait les biens dont le prédécédé n’aurait disposé ni par acte
entre vifs, ni par acte testamentaire, et sans préjudicier aux droits de réserve ni aux
droits de retour ; que le conjoint survivant ne bénéficiait donc jamais des rapports
de ses cohéritiers, de sorte que, corrélativement, il ne devait pas le rapport »20.
Le pourvoi formé contre cette décision n’en a pas contesté l’affirmation
finale21. On peut le regretter, car cette affaire aurait pu fournir à la Haute juridic-
tion une occasion de reconnaître que « l’époux survivant ne doit pas le rapport
aux héritiers de son conjoint »22.
14. Si l’on accepte l’idée que les donations de biens présents entre époux ne
sont pas assujetties au rapport, le problème de la composition de la masse de
calcul de l’article 758-5 apparaît sous un jour nouveau. Il ne dépend plus de la
lettre de la loi, mais d’une réflexion qu’il convient de mener praeter legem23. Les
libéralités conjugales doivent-elles être comptabilisées avec les biens existants et
avec les libéralités rapportables (les deux seules prévisions du texte) ?

II – IMPUTATION DES LIBÉRALITÉS ENTRE ÉPOUX


ET CALCUL DES FRACTIONS LÉGALES

15. Le législateur de 1891 n’avait pas songé – les travaux parlementaires en


témoignent – au sort des libéralités consenties au conjoint survivant, lorsqu’il a
déterminé la méthode de calcul des droits légaux. Ce silence est d’autant plus

20. CA Paris, 15 mai 2013.


21. Cass. 1re civ., 16 sept. 2014, n° 13-21126, Dr. famille 2014, comm. 165,
obs. Nicod M.
22. Selon la formulation retenue par le pourvoi en cassation, dans l’affaire Veuve Barrat.
23. Cette réflexion concerne également – mais nous ne les avons pas retenues comme
objet d’étude – les libéralités à cause de mort entre époux (institutions contractuelles et legs).

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MARC NICOD 163

surprenant que la fréquence des libéralités conjugales l’avait conduit, par ailleurs,
à édicter un principe du non-cumul des vocations légale et libérale. L’alinéa 8 de
l’ancien article 767 du Code civil précisait, en ce sens, que le conjoint « cessera de
l’exercer [son usufruit légal] dans le cas où il aurait reçu du défunt des libéralités
même faites par préciput et hors part, dont le montant atteindrait celui des droits
que la présente loi lui attribue, et, si ce montant était inférieur, il ne pourrait
réclamer que le complément de son usufruit ».
Après l’épisode malencontreux d’une abrogation involontaire (du 1er juil-
let 2002 au 1er janvier 2007), la loi du 23 juin 2006 a repris cette règle d’équité,
destinée notamment à la sauvegarde de la réserve des enfants. L’imputation des
libéralités entre époux figure désormais, sous une formulation renouvelée, à l’ar-
ticle 758-6 du Code civil : « Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survi-
vant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités
ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint
survivant peut réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des
biens supérieure à la quotité définie par l’article 1094-1 ».
16. La législation contemporaine ne dit rien d’un rapprochement éventuel
entre le calcul des fractions légales et la règle d’imputation. Les articles 758-5
et 758-6 du Code civil se suivent au sein de la même rubrique (§ 1er, De la
nature des droits, de leur montant et de leur exercice) ; ils ne comportent
cependant aucun lien apparent, ni grammatical, ni par renvoi. Dès lors, faut-il
renouer avec les principes de l’arrêt Veuve Barrat – qui prenait appui sur l’im-
putation – et décider d’inclure dans le calcul des fractions légales toutes les
libéralités conjugales ?
17. Depuis 1891, la doctrine s’interroge sur l’influence que pourrait exercer
l’imputation des libéralités entre époux sur la détermination de la vocation légale
du conjoint survivant. Trois thèses principales s’affrontent : celle de l’indépen-
dance des techniques ; celle de leur articulation ; et celle de leur inclusion. Ces
diverses analyses prennent appui sur des conceptions divergentes de la règle d’im-
putation (s’agit-il d’un procédé étranger ou comparable au rapport ?). Mais elles
correspondent aussi à une progression des idées, de plus en plus favorables à la
reconnaissance des droits héréditaires du conjoint survivant.
18. Au lendemain de l’adoption de la loi du 9 mars 1891, l’existence d’une
relation entre le calcul des droits légaux et l’imputation des libéralités n’était pas
clairement établie.
S’il est vrai que cette législation envisageait dans un article unique, l’ancien
article 767 du Code civil, les deux procédés comptables, elle n’imposait nulle-
ment de les combiner. L’imputation, introduite à l’alinéa 8, apparaissait comme
une limite au bénéfice de l’usufruit légal, déterminé à partir des alinéas 6 et 7 ;
mais elle ne semblait pas, a priori, devoir en affecter le mode de calcul24.

24. Selon cette lecture autonomiste, « le conjoint doit simplement, une fois sa part
successorale déterminée d’après une masse dont sont exclus les biens, objet des dispositions

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164 LE TRAITEMENT LIQUIDATIF D’UN DON MANUEL ENTRE ÉPOUX

Pour les premiers commentateurs de la loi de 1891, soit les libéralités entre
époux n’avaient aucune raison de figurer dans la masse de calcul25, soit si elles y
entraient c’est uniquement parce qu’il s’agissait de libéralités rapportables26. En
toute hypothèse, ils ne songeaient pas à relier la détermination des droits légaux
en usufruit à l’imputation des libéralités sur l’usufruit légal. C’est, sans conteste,
l’apport de l’arrêt du 8 février 1898 que d’avoir mis en lumière leur interaction.
19. L’arrêt Veuve Barrat associe, dans un raccourci saisissant, les principes de
composition de la masse de calcul et d’imputation. C’est parce que toutes les
libéralités entre époux s’imputent sur les droits légaux, qu’elles doivent toutes
figurer dans la masse qui permet de les déterminer. Il n’y a donc plus lieu de dis-
tinguer entre les donations conjugales soumises au rapport et celles qui ont béné-
ficié d’une clause de préciput.
Toutefois, la portée de l’arrêt de 1898 doit être bien comprise. La réunion des
libéralités préciputaires entre époux qu’il propose n’est jamais qu’une extension
du rapport fictif, imposé à l’ensemble des libéralités rapportables. En consé-
quence, si la présence d’un don manuel entre époux, voulu préciputaire pour le
donateur, augmente la masse de calcul, ce n’est que de manière provisoire pour la
détermination des droits théoriques. Au stade de la masse d’exercice, le montant
du don manuel doit être soustrait, comme pour tous les biens dont le défunt a
disposé, afin que les droits effectifs du conjoint survivant demeurent conformes
au solde de la quotité disponible27.
20. De nos jours, on trouve encore quelques auteurs favorables à la thèse auto-
nomiste. Ainsi, selon Marc Jussaume, « les libéralités imputables ne devraient figu-
rer ni dans la masse de calcul ni dans la masse d’exercice des droits légaux du
conjoint survivant », au motif que « ces masses, visant à composer la vocation légale
du conjoint, ne peuvent comprendre les libéralités qui tendent à l’exclure »28.
À en croire une seconde opinion, il convient de s’en tenir à l’arrêt de 1898 et
au principe d’un rapport fictif. C’est notamment le parti adopté par les membres
de la quatrième commission du 106e Congrès des notaires de France, en 2010. Ils
estiment que les libéralités entre époux doivent être successivement intégrées la
masse de calcul, puis soustraites de la masse d’exercice. Pour justifier cette seconde
opération, ils relèvent que « le deuxième alinéa de l’article 758-5 impose d’ex-
traire de la masse théorique toutes les libéralités entre vifs ou à cause de mort que

dont il a été gratifié, imputer sur cette part les dons et legs reçus par lui » : F-
P E., Des droits de l’époux survivant dans la succession de son conjoint, exposé théorique
et pratique de la loi du 9 mars 1891, 1894, éd. Rousseau, n° 138, p. 123 et s.
25. Ibid.
26. V. par exemple, Sarrut L., dans sa note sous l’arrêt Veuve Barrat, préc.
27. V. en ce sens, pour l’application de la loi du 9 mars 1891, M G. et V M.,
Recueil de solutions d’examens professionnels, 15e éd. par L G R., 2015, Defrénois,
thème 35 (liquidation de succession, conjoint survivant bénéficiaire d’un don manuel…),
p. 507, note 15.
28. J M., « Analyse de la nouvelle règle d’imputation de l’article 758-6 du Code
civil au regard des règles du rapport », LPA, 21 févr. 2008, n° 38, p. 4.

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MARC NICOD 165

le défunt a pu consentir : la loi ne distinguant pas, cette règle vaut également pour
les libéralités que le conjoint a lui-même reçues »29.
21. Mais la doctrine aujourd’hui majoritaire va au-delà des propositions de
l’arrêt Veuve Barrat. Suivant cette troisième analyse30, les libéralités consenties au
conjoint survivant entrent dans la masse de calcul de l’article 758-5, alinéa 1er du
Code civil et doivent être maintenues dans la masse d’exercice prévue à l’alinéa 2.
Car il ne serait pas cohérent de déduire la libéralité d’une masse « où ne figure-
raient pas les biens sur lesquels elle porte »31.
L’inclusion des biens donnés ou légués dans les masses de calcul et d’exercice
est bénéfique à l’époux survivant, dont les droits légaux se trouvent, par suite,
mécaniquement augmentés.
22. Illustration : imaginons que le défunt, qui laisse pour lui succéder son
conjoint et trois enfants d’un premier lit, ait consenti un don manuel entre époux
portant sur une toile de maître, évaluée à 20 000 euros au décès. Les biens exis-
tants sont de 200 000 euros.
Méthode n° 1 : le don manuel n’est pas pris en compte pour la fixation du
quart légal en propriété. Soit une masse de calcul de 200 000, on lui applique le
quantum d’un quart, les droits théoriques sont de 50 000 euros. La masse d’exer-
cice est de 200 000 – 165 000 de réserve (3/4 de 220 000) = 35 000. Le quart
légal est donc évalué à 35 000 euros.
Méthode n° 2 : le don manuel est inclus dans la masse de calcul du quart en
propriété. Soit une masse de calcul de 220 000, on lui applique le quantum d’un
quart, les droits théoriques sont de 55 000 euros.
S’agissant d’un rapport fictif, on exclut le don manuel de la masse d’exercice.
Celle-ci est de 220 000 – 165 000 – 20 000 = 35 000 euros. Le quart légal est
alors évalué à 35 000 euros.
Méthode n° 3 : On maintient la libéralité entre époux dans la masse d’exer-
cice. Celle-ci est de 220 000 – 165 000 de réserve = 55 000. Le quart légal est
alors évalué à la plus faible des deux sommes, soit 55 000 euros.
Conclusion : Dans les trois cas, le conjoint survivant conserve le tableau reçu
par don manuel et reçoit un complément de droit légal. Mais celui-ci est appelé à
varier de 15 000 euros dans les méthodes n° 1 et n° 2 à 35 000 euros dans la
méthode n° 3. Cette dernière renforce indéniablement la vocation légale de
l’époux donataire32.

29. G F. et B G., Couples, patrimoine : les défis de la vie à deux.
106e Congrès des notaires, Bordeaux, 2010, 2010, LexisNexis, n° 4202, p. 1005.
30. V. notamment, G M., Successions, op. cit., n° 207 ; T F., L Y. et
G S., Les successions, les libéralités, op. cit., n° 178 ; L A.-M., Droit des
successions, 3e éd., 2014, Dalloz, n° 145.
31. Catala P., préc., n° 78.
32. Comp. toujours avec un don manuel entre époux, C F., « Liquidation de
communauté et de succession en présence d’une renonciation à succession et d’une clause
obligeant au rapport (Diplôme supérieur du notariat, Dijon, 2015) », JCP N 2016, 1311.

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166 LE TRAITEMENT LIQUIDATIF D’UN DON MANUEL ENTRE ÉPOUX

23. Sous l’empire des lois de 2001 et de 2006, le calcul des fractions légales en
propriété mérite d’être opéré de la manière la plus favorable au conjoint survi-
vant. En conséquence, la motivation de l’arrêt Veuve Barrat, sans doute novatrice
à l’extrême fin du e siècle, apparaît à présent dépassée. Les libéralités entre
époux n’obéissent plus à une réunion provisoire, mais à une réunion définitive,
justifiée par les contraintes imposées par l’article 758-6 du Code civil.
De la même façon, la solution adoptée en 1898, en matière de recel de dona-
tion, prête désormais à discussion. Le nouvel article 778, alinéa 2 du Code civil,
dans sa version issue de la loi du 23 juin 2006, n’admet le recel qu’en cas de dis-
simulation d’une libéralité susceptible d’affecter la masse partageable au titre du
rapport ou de la réduction33. Pourrait-on étendre les prévisions de la loi à une
donation de biens présents entre époux au seul motif qu’elle est sujette à imputa-
tion (forme particulière de rapport) ? Il est permis d’hésiter…

33. V. en ce sens, pour une première application du texte, Cass. 1re civ., 25 mai 2016,
n° 15-14863 ; RTD civ. 2016, 910, obs. Grimaldi M. ; D. 2016, 2092, obs. Brémond V. ;
AJ fam. 2016, 394, obs. Vernières C. ; Gaz. Pal., 13 sept. 2016, p. 66, note Vergara O. ; Dr.
famille 2016, comm. 183, note Nicod M.

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L’ouverture de la donation-partage
à des bénéficiaires autres que les descendants1

Bernard V
Professeur à l’Université de Limoges

1. Réforme. – La donation-partage a fait l’objet d’une réforme remarquable


par la loi du 23 juin 20062, qui en a renouvelé de façon spectaculaire aussi bien
la portée que le régime3. Il y a là de quoi aiguillonner l’imagination du notaire,
familier de cet acte propice à une transmission stable dans un climat d’harmo-
nie familiale. L’universitaire y trouve son compte, car tout ce qui déplace les
équilibres entre volonté et ordre public dans les pactes successoraux est pour lui
pure gourmandise.
2. Ouverture. – La loi a ouvert largement le champ d’application de la dona-
tion-partage, en allongeant la liste de ses bénéficiaires potentiels.
Certes, subsiste la donation-partage classique, celle à la faveur de laquelle un
ascendant, voire les deux, distribuent et partagent plusieurs biens de leur vivant
entre deux ou plusieurs de leurs enfants communs, qui y consentent. Ce modèle
était jusque-là le seul consacré par la loi4 ; il demeurera à n’en pas douter, pour
bien des années encore, la variété la plus répandue.
La principale nouveauté tient à la donation-partage transgénérationnelle, très
remarquée5 : des descendants autres que les enfants peuvent y prendre part, sous

1. Qu’il soit permis à l’auteur de saluer amicalement le dédicataire de ces quelques


réflexions, humaniste distingué et chaleureux qui aura toujours su faire le lien entre notariat et
université, entre pratique et recherche.
2. Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités,
JO 24 juin 2006, p. 9513.
3. V. G M., « Des donations-partages et des testaments-partages au lendemain
de la loi du 23 juin 2006 », JCP N 2006 1320 ; G M., « L’évolution de la pratique de
la libéralité-partage », Defrénois 2017. 69 ; B P. et R R., « Le droit des libéralités et
l’entreprise. Les nouvelles donations-partages », ibid. 1303 ;  G R., « Les libéralités-
partages », D. 2006, dossier réforme des successions, 2584 ; T A., « La nouvelle
dynamique de la donation-partage », AJ fam. 2006. 349 ; V D., « La nouvelle donation-
partage », Dr. famille 2006, étude 46.
4. Si l’on excepte le cas de l’allotissement du repreneur de l’entreprise, sur lequel v. infra
n° 5.
5. H-V E., « La donation-partage transgénérationnelle : état des lieux dix
ans après », JCP N 2016, 1193 ; S J.-F., « La donation-partage transgénérationnelle
(C. civ., art. 1078-4 et s.). Formules commentées », JCP N 2006, 1321 ; G X.,
« Donation-partage transgénérationnelle : quelques aspects du régime juridique et fiscal »,
JCP N 2016, 1147.

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168 L’OUVERTURE DE LA DONATIONPARTAGE

certaines conditions, dans une transmission qui descend pas à pas, dans chaque
souche, les degrés de la ligne descendante6.
On s’est moins attardé sur cette autre innovation infiniment plus discrète,
mais majeure : l’ouverture du bénéfice de la donation-partage à des bénéficiaires
autres que les propres descendants du disposant. Voilà qui banalise considérablement
cet acte juridique cependant très singulier, en l’accueillant de façon subreptice
dans le cercle des libéralités de droit commun. Sans qu’il y paraisse, en ouvrant à
tous les héritiers cet acte qui restait jusque-là l’apanage de la lignée, la loi du
23 juin 2006 a rénové plus profondément encore l’institution.
3. Nature. – Considérons d’abord sa nature. La donation-partage développe
une double finalité, expression de sa nature ambivalente : donner et répartir. C’est
une libéralité et un instrument de partage, tout en un7.
C’est pourquoi la donation-partage représente clairement, du fait qu’elle est
conclue entre vifs, un pacte sur succession future autorisé. Bien sûr, la prohibition
des pactes sur succession future n’a plus la même fermeté que naguère. Si le prin-
cipe reste aujourd’hui édicté de manière explicite à l’article 722 du Code civil, ce
texte suggère aussitôt à mots couverts l’ampleur des exceptions, par une formula-
tion à la fois élégante et réaliste 8.
Or, aujourd’hui, le caractère de pacte sur succession future des donations-partages
se trouve de toute évidence accentué, du fait que les donataires copartagés ne sont plus
exclusivement des héritiers réservataires. L’empire de la volonté du disposant sur sa suc-
cession non encore ouverte s’est ainsi étendu. La donation-partage est devenue un acte
d’anticipation successorale de portée générale, plastique et pragmatique.
4. Économie. – Voyons son économie. En ouvrant grand la liste des attribu-
taires de la libéralité-partage, la loi du 23 juin 2006 a mis dans cet acte collectif
une diversité toute nouvelle.
La donation-partage était restée en 1971 l’exclusivité des père et mère de
famille. Par conséquent, l’autorité naturelle qui préside habituellement aux

6. C. civ., art. 1078-4 et s. V. notamment sur la question G M., « Des


donations-partages et des testaments-partages au lendemain de la loi du 23 juin 2006 », préc. ;
G M., « L’évolution de la pratique de la libéralité partage », préc.
7. Comme l’avait abondamment souligné Pellegrin dans sa thèse De la nature juridique du
partage d’ascendant, préf. H P., 1961, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, passim. Cela
explique et justifie une jurisprudence récente concernant la donation-partage qui a fait couler
beaucoup d’encre (Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21892, Bull. civ. I, n° 34 ; D. 2013. 706 ;
AJ fam. 2013. 301, obs. Vernières C. ; RTD civ. 2013. 424, obs. Grimaldi M. ; Defrénois 2013.
463, note Sauvage F. ; RLDC 2013/108, n° 5170, obs. Nicod M. ; Cass. 1re civ., 20 nov. 2013,
n° 12-25681, Bull. civ. I, n° 223 ; D. 2013. 2772 ; AJ fam. 2014. 54, concl. Chevalier ;
JCP 2014, n° 92, note Sauvage F. ; Defrénois 2013. 1259, note Grimaldi M. ; Dr. famille
2014, n° 25, obs. Nicod M. ; JCP N 2014, n° 1002, obs. Garçon J.-P. ; adde le commentaire
des deux arrêts ensemble au JCP N 2014. 1147, n° 10, obs. Le Guidec R. et au Defrénois 2014.
767, obs. B. Vareille).
8. On rencontre désormais une formule comparable à l’article 896, concernant la
prohibition de principe des substitutions fidéicommissaires.

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BERNARD VAREILLE 169

rapports entre celui qui se dépouille et celui qui reçoit était ici redoublée de façon
systématique de l’autorité morale du géniteur sur sa progéniture : c’est le cas de
dire qu’il continuera toujours d’exercer sur eux un certain ascendant.
Un disposant ordinaire ne saurait prétendre à pareille influence sur son
conjoint, ses propres ascendants ou ses collatéraux : son autorité est dans ces dif-
férents cas simplement celle du propriétaire, qui a toute liberté de conserver son
bien ou de s’en défaire gratuitement. Dans cette figure de la donation-partage, on
n’est pas loin de la relation banale qui unit donateur et donataire à l’occasion
d’une libéralité de droit commun, si ce n’est la magie de ce qui a été très judicieu-
sement dénommé le « cérémonial d’une donation collective »9.
5. Cas particulier. – On dira délibérément peu de chose d’une exception qui
n’avait pas rencontré un succès spectaculaire lorsqu’elle avait été introduite par la
loi du 5 janvier 1988 : la donation-partage dans laquelle un gratifié étranger à la
succession se voit attribuer pour lot une entreprise. Désormais, l’article 1075-2
autorise au dirigeant la transmission anticipée par cette voie de n’importe quelle
entreprise, qu’elle soit en forme individuelle ou sociale.
Toutefois, ce dispositif séduisant souffre peut-être d’un inévitable talon
d’Achille : l’entrepreneur qui n’a pas de repreneur parmi ses enfants est davantage
porté à vendre qu’à donner ; et pour peu qu’il ait trouvé un candidat dans son
entourage professionnel, il n’est pas naturellement enclin à associer ce dernier à
un acte qui met au grand jour sa situation patrimoniale personnelle.
Bien que cette dérogation insigne repose sur le souci louable d’assurer la
pérennité des nombreuses entreprises à transmettre, on hésite donc à parier que
l’élargissement de son champ d’application lui vaudra un second souffle…
6. Triple innovation. – Beaucoup plus intéressantes sont les trois innovations
marquantes qu’implique l’ouverture de la donation-partage à d’autres bénéficiaires
que les propres descendants du disposant : la donation-partage faisant intervenir un
conjoint donataire copartagé (I), la donation-partage conjonctive aux enfants de
différents lits (II), la pré-succession en l’absence de tout réservataire (III).

I – L’OUVERTURE DE LA DONATION-PARTAGE
AU CONJOINT DONATAIRE COPARTAGÉ

7. Portée. – La présence potentielle du conjoint parmi d’autres donataires


copartagés doit beaucoup à l’évolution du régime juridique des donations de
biens présents entre époux : tant qu’elles étaient révocables ad nutum, il eût été
illusoire de prétendre associer le conjoint à une telle convention. L’article 1096,
alinéa 2 nouveau répute en principe irrévocable la donation de biens présents faite
entre époux prenant effet au cours du mariage. Par ailleurs, le conjoint est de

9. G M., « Des donations-partages et des testaments-partages au lendemain de


la loi du 23 juin 2006 », op. cit., n° 6.

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170 L’OUVERTURE DE LA DONATIONPARTAGE

longue date un héritier à part entière10. Il y a donc quelque cohérence, dans un


système qui ouvre la donation-partage à tout héritier présomptif, à prétendre y
associer le conjoint lui-même.
Pourtant, l’intrusion de ce nouveau convive fait aujourd’hui figure de révolu-
tion, dans des proportions qui varient suivant qu’il est en présence des descen-
dants, ce qui le prive de toute réserve, ou au contraire en concours avec des non-
réservataires, et par conséquent lui-même seul réservataire ; encore faut-il faire la
part d’un possible divorce.

A. Conjoint non réservataire

8. Concours avec des descendants. – Lorsque le conjoint appelé n’est pas


réservataire, pour la bonne raison qu’il se trouve en concours avec des descen-
dants, il peut occuper dans une donation-partage la position du donataire copar-
tagé, mais aussi celle du donateur copartageant.
Un conjoint est-il susceptible de recevoir, à la faveur d’une donation-partage
conjonctive, ces deux qualités distinctes ? Par exemple, dans le même temps où les
deux conjoints communs en biens répartissent entre leurs enfants communs diffé-
rents effets de communauté, leur est-il loisible de s’attribuer mutuellement, au titre
de la même donation-partage, tels ou tels bien propres à celui qui donne et partage,
voire, de façon plus audacieuse, un bien de communauté à charge de récompense ?
9. Attribution d’un lot. – La donation de bien propre par un époux à l’autre
est incontestable. Rien ne s’oppose donc à un allotissement dans une
donation-partage.
La seule objection concernant une donation de biens de communauté est
d’ordre très général : ne se heurte-t-elle pas au principe de l’immutabilité des
régimes matrimoniaux ? À vrai dire, ce qui s’opposait naguère à toute donation de
bien de communauté par un époux à son conjoint, c’était, en pratique, sa révoca-
bilité et, en théorie, l’immutabilité du régime11. Or désormais, d’un côté, les
donations de biens présents entre époux sont irrévocables si elles prennent effet
sur-le-champ12 et, d’un autre côté, le changement de régime peut passer par la
convention des parties dans les conditions que l’on sait13.
Subsiste-t-il encore une raison quelconque de refuser pleine validité à un tel
pacte de famille ? On veillera simplement à ce que chaque conjoint prenne de
façon distributive la position exclusive de donateur, et son conjoint attributaire du
lot seulement celles, distinctes, d’une part, de conjoint qui consent préalablement
à la donation par l’autre d’un bien de communauté selon l’article 1422 du Code

10. V. Cass. 1re civ., 10 mai 1960, D. 1963. 38, note Vidal J.
11. En ce sens : P-M N., Le déclin du principe de l’immutabilité des régimes
matrimoniaux, 2004, Pulim, n° 169, p. 217 et n°s 246 et s., p. 314 et s. ; L F., Des rapports entre
régime matrimonial et libéralités entre époux, thèse dactyl., 1987, Paris II, note 44, sous n° 314.
12. C. civ., art. 1096, al. 2 du Code civil.
13. C. civ., art. 1397.

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BERNARD VAREILLE 171

civil, d’autre part de donataire copartagé qui prend part à la donation-partage. Ces
exigences sont indispensables au dépouillement qui fait l’élément matériel carac-
téristique de toute libéralité. Pourquoi interdire au donateur de gratifier son
conjoint, même à l’aide d’un bien commun, du moment que c’est à charge d’une
récompense à la masse commune ? Le risque pour les créanciers n’est pas supérieur
à celui qui résulte pour eux d’une donation de propre à quiconque. Le consente-
ment de chacun à l’opération est avéré. La solennité est acquise. On ne voit pas
d’obstacle décisif à une pareille opération14.
10. Évaluation du lot. – Une fois levé ce doute, l’enjeu est de savoir si l’attri-
bution ainsi opérée au bénéfice de l’époux sera susceptible d’être réunie fictive-
ment pour sa valeur au jour de l’acte libéral selon l’article 1078, ou au contraire
condamnée à être traitée dans les conditions ordinaires de l’article 922 du Code
civil, en vue du calcul de la réserve de la quotité disponible.
Rien dans la loi ne borne les effets de l’unanimité aux seuls biens reçus par les
réservataires acceptants. Par conséquent, la lettre du texte ne s’oppose pas à une
pareille extension de l’évaluation dérogatoire.
Mieux : son esprit l’impose, qui encourage désormais très clairement à l’ou-
verture de la libéralité-partage en direction des héritiers présomptifs de toutes
sortes.

B. Conjoint réservataire

11. Absence de descendants. – Lorsque le conjoint est réservataire, le dona-


teur copartageant peut l’inviter à concourir à la donation-partage avec les seuls
héritiers présomptifs en sa présence : toujours avec les ascendants privilégiés du de
cujus ; parfois, à défaut de ces derniers, avec les collatéraux privilégiés, lorsque le
patrimoine du donateur copartageant comporte des biens d’origine familiale
demeurés en nature15.
Si le conjoint donataire copartagé est appelé soit en concours avec des ascen-
dants privilégiés, soit encore, à défaut d’ascendants privilégiés, avec des collaté-
raux privilégiés susceptibles de prétendre à des droits sur des biens d’origine
ascendante, il est concevable pour le disposant d’opérer une répartition qui
prenne en compte, dans le premier cas, la vocation ab intestat qui naît pour les
parents de l’article 738 du Code civil, et dans le second, la surprenante vocation
anomale que l’article 757-3 ménage aux collatéraux privilégiés.
Il est assurément admissible de gratifier en ce cas les ascendants privilégiés, à
la faveur d’une telle donation-partage, au-delà de la vocation que la loi leur
confère, puisqu’ils ont une vocation normale, quitte à vérifier en son temps que le
conjoint survivant a bien reçu sa réserve du quart.

14. En ce sens, C G. et K M., « Les donations-partages conjonctives et


cumulatives », Defrénois, 2014, p. 374 et s.
15. Art. 757-3.

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172 L’OUVERTURE DE LA DONATIONPARTAGE

On n’en dira pas autant des collatéraux privilégiés en concours avec le conjoint
survivant : en bonne logique, leur lot ne saurait porter sur des biens autres que
ceux spécifiquement visés à l’article 757-3 sans qu’ils cessent ipso facto d’avoir la
qualité d’héritiers présomptifs, qui n’est liée qu’à la provenance des biens en ques-
tion ; et encore, pour les mêmes raisons, on ne voit pas comment leur lot pourrait
excéder la moitié en valeur des biens successoraux en question. Pour autant, l’exis-
tence même de la donation-partage suppose que chacun reçoive un lot divis. Le
disposant âgé peut trouver là le moyen de réaliser par lui-même le partage des
biens d’origine ascendante entre ses collatéraux et son conjoint, en leur attribuant
divisément certains d’entre eux, dans la mesure de la moitié du tout en valeur. C’est
dire que, pour ce qui concerne les collatéraux privilégiés, l’objet de la donation-
partage est étroitement circonscrit. Le cas présente davantage de piquant intellec-
tuel que d’utilité pratique…
12. Évaluation. – Le premier mouvement porte à admettre que la répartition
sera consolidée par une évaluation des lots au jour de donation-partage en vue du
calcul de la réserve selon l’article 1078, lorsque les conditions en sont réunies, du
moment que l’unique réservataire vivant au décès du de cujus, en la personne du
conjoint du donateur copartageant, y a consenti.
Pourtant, à bien y regarder, l’article 1078 exige que « tous » les héritiers réser-
vataires vivants ou représentés au décès de « l’ascendant » eussent été gratifiés, ce
qui semblerait bien, dans la logique du texte, viser le seul cas du partage d’ascen-
dant stricto sensu. Dans ces conditions, le consentement du conjoint réservataire
pourrait-il suffire à l’évaluation dérogatoire ?
Une difficulté analogue se présente, mutatis mutandis, dans la donation-par-
tage transgénérationnelle faite entre le fils unique du donateur copartageant et les
propres enfants de ce dernier. En ce cas, l’unique réservataire ayant consenti,
l’évaluation dérogatoire a sans aucun doute lieu de jouer, en dépit de la lettre de
l’article 1078-8, alinéa 3, du Code civil, qui, évoquant « tous » les réservataires,
suggère une pluralité.
Pour ce qui est du conjoint, la question reste à trancher en fonction de l’esprit
du texte, le traitement liquidatif de ce cas de figure n’ayant manifestement pas été
envisagé par le législateur ; mais, au fond, pourquoi ne pas conférer une plus
grande stabilité à l’acte unanime dès l’instant qu’il recueille le consentement de
l’unique réservataire ?

C. Conjoint divorcé

13. Perte de la qualité d’héritier. – La stabilité en question pourrait tout de


même être mise à mal en cas de divorce.
Tout d’abord, si le conjoint est en concours avec des réservataires, il est clair
que le bien attribué lui restera acquis. À son égard, l’évaluation du bien selon
l’article 922 du Code civil reprendra donc force, et l’article 1078 sera écarté. Que

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BERNARD VAREILLE 173

la valeur du bien s’impute sur la quotité disponible ne changera rien dans le prin-
cipe, puisqu’il en irait déjà ainsi en cas d’acceptation, faute pour le conjoint d’être
titulaire d’une réserve en pareil cas. Simplement, le conjoint perdra, du fait du
divorce, le bénéfice de la quotité disponible spéciale, et se trouvera ramené à la
quotité disponible ordinaire comme n’importe quel tiers à la succession.
Ensuite, dans la seconde hypothèse, celle où le conjoint est réservataire, en perdant
sa qualité d’héritier présomptif par l’effet du divorce, il ne saurait conserver sa part de
réserve. Pour autant, l’attribution qui lui est faite ne sera pas remise en question.

II – LA DONATION-PARTAGE CONJONCTIVE
BÉNÉFICIANT À DES ENFANTS DE LITS DIFFÉRENTS

14. Discussion ancienne. – L’article 1076-1 consacre explicitement cette institu-


tion, dont la validité était jusque-là discutée. De fait, il y avait sur cette question, avant
la loi du 23 juin 2006, un flottement perceptible, aussi bien dans la pratique notariale
que dans l’opinion doctrinale et dans la jurisprudence, tenant à ce que l’enfant d’un
autre lit est un étranger pour le conjoint codonateur copartageant à l’acte unique.
Les notaires étaient malgré tout encouragés par diverses formules notariales16
à pratiquer ce type d’acte. De plus, tant que la donation-partage s’honorait de
faveurs fiscales importantes, l’intérêt bien compris de l’enfant d’un lit différent
était évidemment d’être associé à une pareille répartition. On murmurait que le
procédé n’était pas inconnu des praticiens ; et cependant, certains proches de la
pratique notariale émettaient quelques doutes sur la fréquence réelle de telles
libéralités-partages17.
De son côté, la doctrine se montrait divisée. Une opinion classique affirmait que
la présence d’enfants de plusieurs lits interdisait le recours à une donation-partage
conjonctive, au motif que la confusion des biens en une masse indistincte dût inter-
dire aux enfants non communs d’y trouver les droits ordinaires du donataire copar-
tagé. Au contraire, la doctrine moderne admettait la validité de la donation-partage
conjonctive en présence d’enfants de lits différents, au prix de deux précautions :
que le descendant non issu des deux époux ne fût aportionné que du seul chef de
son auteur, et qu’il ne fût jamais alloti sur les biens propres de l’autre conjoint18.
Un important arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 198119 avait fait
l’objet d’analyses contradictoires en raison d’une formulation équivoque. La

16. V. par exemple Morin G., formule d’application n° 16 in C P., La réforme des
liquidations successorales, 3e éd., 1982, Defrénois.
17. Dagot M., note sous Cass. 1re civ., 14 oct. 1981, JCP N. 1982, II, 146.
18. En ce sens : C P., La réforme des liquidations successorales, op. cit., n° 111 ;
G M., « Droit civil. Libéralités, partages d’ascendants », 2000, Litec, n° 1766.
19. Cass. 1re civ., 14 oct. 1981, Bull. I, n° 292 ; D. 1982. IR 236, obs. Martin D. ;
JCP N 1982. II. 146, note Dagot M. ; ibid. 1983. II. 54, note Rémy P. ; Defrénois 1982. 431,
obs. Champenois G. ; RTD civ. 1982. 646, obs. Patarin J.

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174 L’OUVERTURE DE LA DONATIONPARTAGE

Cour de cassation s’y bornait à déclarer nulle la donation-partage conjonctive


« portant indistinctement sur les biens des deux époux ». Les uns y voyaient la
condamnation générale de toute donation-partage conjonctive en présence d’en-
fants de plusieurs lits. Les autres y lisaient a contrario une invite à distinguer sui-
vant la provenance des biens et leurs destinataires.
15. Solution incontestable. – La discussion est désormais close.
Énonçant clairement les conditions de validité d’une telle libéralité-partage lorsque
les époux sont mariés sous le régime de la communauté, l’article 1076-1 exige que
l’enfant non commun soit alloti du chef de son auteur, soit en biens propres de celui-
ci, soit en biens communs dont le conjoint ne se porte pas codonateur. En somme,
l’enfant d’un lit différent ne peut rien recevoir d’autre au partage conjonctif d’ascen-
dants que ce qu’il espère trouver dans la succession de son auteur en qualité d’héritier
présomptif. Le donateur copartageant commun en biens ne peut donner à ses enfants
exclusifs que les éléments de son patrimoine : ceux qui lui sont propres, et ceux qu’il
donne pour son compte, à charge d’une récompense à la communauté.
L’article 1077-2, alinéa 2 précise le régime de cette figure particulière de dona-
tion-partage. Si tous les enfants étaient communs, suivant la règle classique, l’action
en réduction ne serait ouverte qu’après le décès du survivant des deux disposants,
masse faite des deux successions confondues et évaluées ensemble au second décès20.
Au contraire, dès lors qu’il existe pour donataire un enfant non commun, ce dernier
peut agir dès le décès de son auteur, sous le délai de prescription de cinq ans.
16. Démarche liquidative. – L’exercice de cette action en réduction isolée ne
manque pas d’originalité.
En effet, quoiqu’il ne soit pas question de partager la succession du conjoint
prédécédé, il est indispensable de la liquider pour procéder au calcul de la réserve
et de la quotité disponible, ainsi qu’à l’imputation des libéralités, et notamment
de la donation-partage.
La singularité de cette opération tient à deux facteurs. Tout d’abord, s’il y a lieu
de liquider un régime de communauté, ce sera compte tenu des valeurs au jour de
l’ouverture de la première succession, afin de déterminer notamment le demi boni
de communauté et les soldes des comptes de récompenses. Ce compte récapitulera
notamment les récompenses dues par la succession du prédécédé à raison des attri-
butions faites dans la libéralité-partage au bénéfice de son enfant exclusif sur des
biens de communauté. Ensuite, si les imputations dénoncent une atteinte à la
réserve héréditaire de l’enfant non commun, ce dernier, tout en respectant la
démarche particulière qui caractérise la réduction en matière de donation-partage,
sera fondé à exiger pour son compte la réduction des libéralités excessives. Pourtant,
lui seul pourra le faire, et encore pour son compte exclusif, même si les libéralités en
question sont également, dans l’absolu, de nature à paraître porter atteinte à la

20. Cass. 1re civ., 16 juin 2011, n° 10-17499, Bull. civ. I, n° 114 ; D. 2011. 1759 ;
AJ fam. 2011. 443, obs. Vernières C.; RTD civ. 2011. 789, obs. Grimaldi M. ; JCP N 2011.
1237, note Zalewski V.

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BERNARD VAREILLE 175

réserve héréditaire de l’un ou l’autre de ses demi-frères : mais celui-ci trouvera peut-
être une compensation dans le lot que lui a fait le survivant.
17. Logique de branche. – La donation-partage conjonctive aux enfants de
lits différents combine en réalité deux libéralités de natures différentes21.
Elle comporte tout d’abord une donation-partage véritable, c’est-à-dire opérée
entre deux enfants communs au moins, pour que l’opération se pare d’une irréfu-
table qualification de partage22.
Ensuite, pour ce qui est du lot fait à l’enfant exclusif du prédécédé, il est for-
cément apprécié dans la masse de calcul de cette succession par comparaison
exclusive avec la fraction de la donation-partage que les enfants communs ont
trouvée dans cette même branche.
18. Singularités de la réduction. – Cela se voit bien si l’on songe aux deux
particularités concernant une telle action réduction.
Tout d’abord, cela ne signifie d’ailleurs pas que les enfants communs aux deux
époux disposants doivent être systématiquement allotis au double. En particulier, toutes
les fois qu’on aura affaire à une donation-partage unanime remplissant les conditions de
l’article 1078, le temps qui passe consolidera les attributions faites, en minorant les
différences entre les lots. Reste que le risque serait grand, si les attributions sont exacte-
ment identiques, qu’un décès prématuré du disposant ne pousse à une réduction inopi-
née. Et cependant, il y aura sans doute quelque difficulté psychologique à persuader les
enfants non communs qu’ils ne valent que pour moindre portion…
Au surplus, il est permis de se demander ce qu’il adviendra si tous les enfants d’un
premier lit ne sont pas appelés à cette donation-partage d’un nouveau type. La règle
de l’article 1078 ne sera assurément pas applicable dans la première succession
ouverte, si c’est celle à laquelle ils concourent avec les enfants communs. Pour
autant, si tous les enfants communs ont été allotis dans la donation-partage conjonc-
tive, à l’ouverture de la seconde succession, il n’y aura pas de raison d’écarter entre
eux l’évaluation dérogatoire selon les valeurs au jour de l’acte libéral. Par consé-
quent, à ce jeu, la règle de l’article 1078 risque de prendre un tour relatif, applicable
qu’elle sera de façon distributive dans une succession et pas dans l’autre.

III – LA PRÉ-SUCCESSION EN L’ABSENCE DE TOUT RÉSERVATAIRE

19. Nouveauté. – En l’absence de réservataire, la donation-partage consentie


au bénéfice des héritiers présomptifs reçoit une valeur toute nouvelle qui déve-
loppe, sous l’apparence anodine d’un acte insignifiant, une portée théorique sin-
gulière, illustrée par des conséquences pratiques originales.

21. En ce sens, C G. et K M., « Les donations-partages conjonctives et


cumulatives », op. cit.
22. V., en ce sens, Rép. min., n° 12920 : JO AN Q, 11 mars 2008, p. 2135, Defrénois 2008,
p. 1248, n° 38786 ; JCP N 21 mars 2008, n° 12, act. 313.

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176 L’OUVERTURE DE LA DONATIONPARTAGE

20. Portée théorique. – D’un point de vue strictement théorique, tout


d’abord, voici venue au monde juridique une notion jusqu’alors inconnue : la
pré-succession.
Dans le droit positif issu de la loi du 3 juillet 1971, et contrairement à une opi-
nion trop répandue, la donation-partage ne représentait pas un véritable partage
anticipé, une pré-succession digne de ce nom. Bien sûr, toute donation-partage est
par essence dispensée de rapport23. Pourtant, les biens qui y sont distribués à des
enfants ne sont jamais complètement soustraits à la succession. En effet, quoi qu’il
arrive, leur valeur est par la suite soumise à réunion fictive en vue du calcul de la
réserve de la quotité disponible ; les lots de la donation-partage sont ainsi voués à
demeurer en compte avec les biens existants. La donation-partage unanime est
certes à cet égard beaucoup mieux protégée, par la grâce de l’évaluation dérogatoire
de l’article 1078 du Code civil24. Il n’empêche : l’objet de la donation-partage tradi-
tionnelle ne peut en aucun cas être considéré comme sorti à tout jamais du patri-
moine de l’ascendant donateur, car le risque de réduction plane toujours sur la
situation du donataire copartagé.
Au contraire, lorsque, en l’absence de tout réservataire, la donation-partage béné-
ficie à des donataires copartagés simples héritiers présomptifs, les lots d’une telle dona-
tion-partage restent en principe acquis à chacun. Répartis ou pas dans des proportions
conformes à la vocation successorale de ceux qui les reçoivent, quelque inégaux qu’ils
soient, ils sont dispensés de rapport, bien qu’en avance sur la part successorale des
gratifiés copartagés. C’est en cela que s’ouvre une véritable pré-succession.
21. Utilité pratique. – Un esprit pragmatique observera peut-être qu’on
pourrait obtenir le même résultat avec une collection de donations hors part suc-
cessorale25. Pourtant, il y manquerait le trait distinctif caractéristique de la pré-
succession : l’existence d’un acte collectif unitaire réalisant un véritable partage,
dans sa valeur technique et sa vertu psychologique.
D’un point de vue technique, l’utilité de ce pacte est surtout de permettre la
redistribution, à la faveur d’une incorporation, de certaines libéralités entre vifs
déjà consenties à des héritiers présomptifs : si je veux reprendre à mon neveu ce
que ma nièce eût aimé recevoir, pour l’attribuer en définitive à cette dernière, la
donation-partage offre une possibilité unique et synthétique, qui tient à sa nature
de partage anticipé. Sinon, la nécessaire révocation conventionnelle préalable par
mutuum dissensus, toujours licite, serait exposée à la requalification en une pre-
mière donation indirecte en retour, suivie d’une seconde donation en faveur du
bénéficiaire définitif. Le fisc y convoiterait la part du lion, au lieu du droit de

23. V. en ce sens : Cass. 1re civ., 16 juill. 1997, n° 95-13316, Bull. civ. I, n° 252 ; D. 1997,
somm. 370, obs. Grimaldi M.
24. Rappelons que les lots sont évalués en vue de la réunion fictive pour leur valeur au
jour de la donation-partage lorsque sont réunies les exigences de l’article 1078 du Code civil
(sur ce texte, v. notamment S P. et V B., « Mérites et maléfices de l’article 1078
du Code civil », Defrénois 2014, p. 356.
25. La qualification d’avance de part appliquée à une série de donations ne réaliserait en
rien une pré-succession, puisque le rapport en serait systématiquement dû.

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BERNARD VAREILLE 177

partage, déjà fort lourd, de 2,5 %, qui caractérise cette opération lorsqu’elle est
réalisée à la faveur d’une donation-partage26.
Quant aux incidences psychologiques de l’acte, il n’est pas dit qu’elles soient
équivalentes dans l’esprit même des parties : tant pour le disposant qui y préside
que pour les gratifiés copartagés, le climat du partage anticipé n’est pas nécessai-
rement le même que celui d’une juxtaposition de plusieurs donations ordinaires.
En dehors même des incorporations, en effet, l’intérêt d’une pareille donation-
partage consiste surtout dans la faculté pour le disposant d’allotir27. À lui d’adap-
ter la répartition des biens au climat dans la cohérie, en désamorçant les compé-
titions successorales.
22. Anticipation efficace. – Assuré que le rapport ne viendra pas en ce cas
perturber l’ordonnancement de la distribution choisie, le de cujus peut présider à
un véritable pacte d’anticipation.
Contrairement au partage lui-même, pareille donation-partage ne pourra pas
être remise en question pour cause de lésion d’outre-quart de l’article 889 du
Code civil : l’article 1075-3 écarte en pareil cas l’action en complément de
part. En d’autres termes, ce ne sera pas l’inégalité des lots qui contrecarrera le
partage anticipé.
Le titre d’héritier présomptif suffit pour être appelé à recevoir un lot, sans qu’il
y ait de corrélation nécessaire entre les vocations successorales théoriques et l’équi-
libre des lots. On pourra gratifier les collatéraux privilégiés et ascendants privilé-
giés ensemble, voire les uns ou les autres séparément, ou encore les ascendants
ordinaires, ou enfin les collatéraux ordinaires, à cette seule condition désormais
qu’ils soient successibles en rang utile.
23. Limite potentielle. – Un point reste en doute. Qu’en est-il de l’héritier
qui viendrait à être conçu après la donation-partage ? Ainsi, la survenance d’un
frère supplémentaire est-elle de nature à remettre en question la donation-partage
que le disposant aurait consentie entre ses ascendants privilégiés et collatéraux
privilégiés, à défaut de descendance et de conjoint survivant ?
L’article 1077-2, alinéa 3, modifié sur ce point par la loi du 23 juin 2006, fait
suite à la description de l’action en réduction selon les modalités spécifiques en
présence d’une donation-partage28 : il énonce désormais que « l’héritier présomp-
tif » non encore conçu au moment de la donation-partage dispose d’une « sem-
blable action » pour composer sa « part héréditaire ». Le neveu tardif sera peut-
être tenté de prendre appui sur ce texte pour exiger sa part de la succession.
Il est vrai que ce passage est à replacer dans son contexte : l’article 1077-2,
alinéas 1 et 2, vise étroitement l’hypothèse où il existe des héritiers réservataires.

26. CGI, art. 746.


27. Il se prête beaucoup mieux, dans la phase d’élaboration, à une négociation, à des
tirages au sort suivis de propositions compensatoires, mieux servis par la logique du partage
anticipé.
28. C. civ., art. 1077-1.

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178 L’OUVERTURE DE LA DONATIONPARTAGE

Observons d’ailleurs qu’aux mains d’un collatéral, cette action soi-disant « sem-
blable » à l’action « en réduction » nous viendrait d’une autre galaxie, puisqu’elle
existerait en l’absence même de toute réserve, et viserait à procurer à l’intéressé toute
sa part de succession ordinaire… Or un collatéral n’est-il pas d’emblée exclu de
toute action en réduction ?
À quoi l’on objectera cependant que le titre du § 1, qui coiffe notamment
l’article 1077-2, ainsi que le début de l’alinéa 3 de ce texte, tous deux modifiés en
ce sens par la loi du 23 juin 2006, visent explicitement « l’héritier présomptif »
pour agiter cette sanction. Ubi lex non distinguit… Il n’est pas à exclure, par
conséquent, que le juge reconnaisse une portée générale à l’action prévue à l’ar-
ticle 1077-2, alinéa 3, du Code civil, en considérant que l’héritier non encore
conçu ne peut pas avoir été exhérédé. Cette action permettrait à l’héritier conçu
tardivement de prélever des biens existants pour composer les droits que lui pro-
cure sa vocation ab intestat ; et, si cela n’y suffit pas, ne serait-il pas fondé, bien
que non réservataire, à parfaire en réduisant les libéralités à cause de mort, puis
entre vifs ?
Au demeurant, l’enjeu pratique est bien mince. En effet, à l’âge de consentir
une donation-partage entre ses frères et sœurs, du vivant de ses parents, le dispo-
sant sera faiblement exposé à la survenance ultérieure d’un nouveau collatéral
privilégié. Or, en l’absence de réservataire, ce sont ces successibles-là qui seront le
plus fréquemment concernés par de telles libéralités-partages.
24. Perspectives. – En définitive, libéral qu’il est, le nouveau régime des dona-
tions-partages laisse place à l’imagination créative de la pratique. En ouvrant cet
acte à d’autres bénéficiaires que les descendants, le législateur lui a donné une
autonomie conceptuelle. Qui sait ? Ce sera peut-être le laboratoire d’une future
vraie pré-succession, à tout jamais affranchie de la liquidation successorale...

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Donation-partage et indivision : le mariage impossible ?


De l’autonomie de la donation-partage

François L
Notaire
Docteur en droit

1. Mal-aimée donation-partage ! – En 1933, dans le traité de Planiol et


Ripert1, ouvrage inégalé par sa qualité et son étendue, on pouvait lire : « Le par-
tage d’ascendant est d’une utilité sociale incontestable. Aussi, le législateur lui
a-t-il concédé des faveurs fiscales, ce qui n’est pas un de ses moindres facteurs de
succès dans la pratique moderne. Malheureusement il ne remplit que d’une
manière très imparfaite le rôle pour lequel il a été créé. Au lieu d’éviter des procès,
il en est une source abondante (…). La faute en est partie au législateur qui n’a
réglé ce procédé que d’une manière insuffisante, et en partie aux particuliers eux-
mêmes qui ne font pas ces partages avec l’impartialité nécessaire. La jurispru-
dence a aussi une grande part de responsabilité et bien souvent n’a pas montré
dans l’interprétation des textes toute la souplesse désirable ; dans une certaine
mesure elle a fait manquer au partage d’ascendant son but social ». On connais-
sait le talent d’éminents juristes de ces grands auteurs mais on ne leur soupçon-
nait pas celui de devins, car aujourd’hui rien n’a changé et on pourrait faire exac-
tement le même constat2.
Nous ne nous attarderons pas sur le mauvais usage par les parties du partage
d’ascendant ou de la donation-partage et leur part de responsabilité dans ce triste
constat que nous faisons nôtre3. C’est plutôt cette jurisprudence récente de la
Cour de cassation qui adopte une conception restrictive de la donation-partage
qui retiendra, dans ces lignes, notre attention.

1. P M. et R G., Traité pratique de droit civil français, t. V par T A.,
1933, LGDJ, n° 818.
2. Le partage d’ascendant est traditionnellement conçu comme un acte d’autorité du
disposant (S J.-F., Pour une nouvelle lecture de l’article 1075 du Code civil,
Defrénois 2003, 1302). On l’admet sans sourciller pour le testament-partage, mais s’agissant
de la donation-partage, laquelle doit être acceptée par les copartagés, on peut être plus
hésitant. Et c’est sans doute lorsque cette autorité répartitrice aura été mal vécue, car
inéquitable par l’un ou l’autre des présomptifs héritiers qu’elle donnera lieu à contentieux.
Si les partagés étaient davantage auteurs du partage en y étant véritablement associés, alors
le contentieux serait moindre.
3. Notamment lorsqu’il s’agit de « bricoler » les valeurs pour leur donner un semblant
d’égalité, attitude logiquement sanctionnée par la jurisprudence : Cass. 1re civ., 25 mai 2016,
n° 15-160, JCP N 2016, 1277, obs. Nicod M. En ce cas, mieux vaut procéder par voie de
donation-partage inégalitaire même si, selon nous, elle présente certains risques (cf. infra).

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180 DONATIONPARTAGE ET INDIVISION : LE MARIAGE IMPOSSIBLE ?

Malmenée et mal-aimée, la donation-partage4 l’est. Mais son succès en pratique


n’est pas pour autant remis en question et elle reste fréquemment utilisée. Cette
pratique qui, nous en convenons, a pris quelques libertés dans l’application des
principes, s’oppose en quelques points à une jurisprudence qui peut paraître un peu
trop sévère dans certaines hypothèses. Le risque d’une trop grande rigidité dans
l’application de ces principes est d’annihiler les bienfaits de la donation-partage.
N’y aurait-il pas place à un certain assouplissement de ces règles afin de ne pas
réduire la donation-partage à un acte rare en pratique ? À défaut, la donation-
partage serait-elle une espèce en voie de disparition ?
2. L’indivision chasse la donation-partage – Par deux arrêts importants5, la Cour
de cassation6 a disqualifié (ou déqualifié7) des actes conçus comme « donations-
partages » en donations simples les actes dans lesquels tout ou partie des copartagés se
sont vus attribués des biens en indivision. La première espèce ne faisait aucun doute et
la sanction s’imposait dans la mesure où tous les copartagés étaient attributaires de
quotes-parts indivises. Il n’y avait là aucun allotissement et bien évidemment, l’acte
n’avait rien d’une libéralité-partage. La seconde espèce était plus nuancée car l’un des
trois présomptifs héritiers avait reçu un bien divis et les deux autres demeuraient en
indivision. La sanction fut identique alors que l’acte en lui-même comprenait une attri-
bution divise partielle laquelle constitue véritablement une opération de partage8. Cette
décision a pu surprendre une partie de la doctrine et émouvoir les praticiens. En effet,
pour beaucoup d’entre eux, la libéralité-partage pouvait, sans risquer la moindre remise
en cause, ne procéder qu’à un partage partiel9. Les hypothèses exposées à cette remise en
cause sont nombreuses. Ce sera le cas lorsque nos « faux attributaires » auront :
– chacun dans son lot des droits indivis sur des mêmes biens (quotités iden-
tiques ou non) ;
– les uns des droits indivis sur des biens, les autres des biens divis ;

4. Sur la donation-partage : T F., L Y. et G S., Les successions, les
libéralités, 4e éd., 2013, Dalloz, n° 1246 et s., M P. et B C., Les successions, les
libéralités, 6e éd., 2014, LGDJ, n° 1040 et s. ; G M., Droit patrimonial de la famille,
éd. 2015-2016, Dalloz, n° 41100 et s. ; G M., Libéralités partages d’ascendants, 2001,
Litec, n° 1740 et s. ; S F., « Libéralités-partages » Rép. civ. ; J C., Les successions
les libéralités, 2e éd., 2010, Montchrestien, n° 861 et s.
5. Ces décisions publiées au Bulletin et énoncées en des termes généraux ne peuvent
être considérées comme de simples arrêts d’espèce. Ils montrent à l’évidence la volonté de la
Haute juridiction d’affirmer sa position sur la qualification de l’acte de donation-partage.
6. Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21892, Defénois, 15 mai 2013, p. 463, note Sauvage F.,
RTD civ. 2013, p. 424, obs. Grimaldi M., JCP N 2013 1162, obs. Garcon J.-P., AJ fam. 2013
301, obs. Vernières C. ; Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25681, G M., « Pas de
donation-partage sans partage », Defrénois, 30 déc. 2013, p. 1259 ; P P., « La donation-
partage à propos de deux arrêts de la Cour de cassation : consonances et dissonances »,
JCP N 2014, p. 1168, M P., « Turbulences sur la donation-partage avec attribution de
quotités indivises : le sens de la jurisprudence », JCP N 2014 1183 ; B C. et
B A., « Disposer en indivision par voie de donation-partage », JCP N 2015, 1140.
7. G M., Libéralités partages d’ascendants, op. cit.
8. C. civ., art. 838.
9. S F., « Libéralités-partages », op. cit., M P., « Turbulences sur la donation-
partage (…) », op. cit., n° 41 et s.

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FRANÇOIS LETELLIER 181

– certains des droits indivis et une soulte (somme d’argent) et les autres des
biens divis ;
– chacun des biens divis et tous ou seulement certains d’entre eux en plus des
droits indivis sur d’autres biens10 ;
– tous des droits divis et des droits indivis11.
Autant le premier modèle ne réalise aucun partage et mérite sans objection
possible cette déqualification12, autant les suivants intègrent des opérations de
partage et gagneraient à être confortés en tant que donation-partage.
3. Les conséquences de cette conception restrictive (de la déqualification)13 –
La relégation de la donation-partage en donation simple a pour conséquences
non négligeables que :
– la donation devient sujette au rapport et chacun des héritiers devra rappor-
ter son lot alors qu’en principe la donation-partage n’est pas rapportable. Ce n’est
a priori pas le plus gênant si l’on s’arrête là, car si les lots ne sont pas équivalents
en valeur au jour du partage de la succession alors il y aura des indemnités de
rapport à verser par certains ;
– l’article 1078 ne pourra s’appliquer et les biens donnés seront réunis fictivement
pour le calcul de la quotité disponible pour leur valeur au jour du décès (C. civ., art. 922)
cela devient un peu plus ennuyeux car celui qui pensait être relativement tranquille dans
son attribution est menacé de réduction si son bien a bénéficié de fortes plus-values ;
– la prescription abrégée de cinq ans à compter du décès spécifique aux libé-
ralités-partage (C. civ., art. 1077-2) ne s’appliquera pas et le délai de droit com-
mun porté à dix années maximum aura vocation à jouer ;
– le partage successoral qui sera fait suite à cette disqualification sera lui-
même sujet à lésion alors que la donation-partage ne l’est pas ;
– les éventuelles réincorporations figurant dans la donation-partage seront
remises en cause14.
On peut également se demander si le consentement à l’aliénation donné en
application de l’article 924-4, alinéa 2 du Code civil n’est pas entaché dans la
mesure où il avait été donné parce qu’au plan du calcul de la quotité disponible
et de la réserve, la valeur des lots de chacun était considérée comme figée et donc,
en principe, égalitaire15 ?

10. Quel serait le sort de l’acte qui attribuerait à un des donataires des droits indivis avec
d’autres personnes que ses codonataires ?
11. Exemple cité par M P., « Turbulences sur la donation-partage (…) », op. cit.,
n° 16 qui parle de « zone grise », pour le juriste et plus spécialement le notaire, le « gris » se lit
comme dangereux parce qu’exclusif de toute sécurité juridique.
12. Laquelle, au plan de ses conséquences, n’est pas bien grave parce que chacun a eu la
même chose !
13. C M., « La pratique notariale et la nouvelle position de la Cour de cassation
en matière de donation-partage », JCP N 1182, spéc. n° 24 et s.
14. G M., La nature et les enjeux de l’incorporation, 2016, Defrénois, p. 991 et s.
15. Sur la donation-partage inégalitaire, cf. infra, n° 7 et 10.

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182 DONATIONPARTAGE ET INDIVISION : LE MARIAGE IMPOSSIBLE ?

Les minutiers des notaires sont garnis de ces « fausses donations-partages »


dont la pratique a été fortement incitée par le législateur fiscal lequel, brandissant
la fameuse autonomie de sa matière, admet sans rechigner la donation-partage de
biens indivis16. Au plan de la sécurité juridique, cette solution jurisprudentielle,
théoriquement fondée, nous place dans une certaine angoisse dans la mesure où
elle menace des situations que l’on croyait définitivement acquises par le jeu de
l’article 1078 du Code civil. Ces arrangements de familles pourraient être remis
en cause, même si les actes en question remontent à plusieurs décennies avant la
survenance du décès du donateur.
Cette jurisprudence que nous estimons un peu sévère, exclut du domaine
de la donation-partage toutes les familles dont le patrimoine ne comprend pas
suffisamment de biens distincts de valeurs équivalentes. Si les parents ont trois
enfants, il leur faut être propriétaires de trois biens de valeurs approximative-
ment égales. Consentir une donation-partage en attribuant à l’un le bien de
moindre valeur et aux deux autres enfants l’autre bien en indivision ne semble
plus possible.
D’éminents auteurs et des praticiens aguerris17 ont proposé des remèdes18 pour
corriger les effets d’une déqualification comme la donation d’excédents de lots,
conditions de ne pas attaquer l’acte ou autres clauses pénales19, clause de rapport
forfaitaire…
Aucun de ces « remèdes » ne donne pleinement satisfaction20 et ne procure toute
l’efficacité de la donation-partage et plus spécialement celle de l’article 1078 du
Code civil à l’exception peut-être de la constitution d’une SCI et d’une répartition
des parts21 entre les copartagés. Si, au plan théorique la solution est imparable, au
plan pratique elle est à consommer avec modération. Si l’on refuse cette qualifica-
tion de donation-partage aux donations de biens avec attributions indivises, c’est
justement parce qu’elle ne procure pas cette partition et que l’on n’évite pas les

16. Avant le 1er avril 1996, seules les donations-partages bénéficiaient d’une réduction de
droits d’enregistrement qui était fonction de l’âge du donateur et la doctrine fiscale admettait
cette qualification de donation-partage même lorsque les attributions étaient faites en
indivision. V. Documentation fiscale Francis Lefebvre ENR. X, n° 46860, Rép. min., JOAN,
15 août 1994, n° 14614, Valleix, p. 4150 ; BOI-ENR-DMT-20-20-10, n° 80.
17. G M., Que faire au lendemain des arrêts de mars et novembre 2013 ?, 2014,
Defrénois, p. 355, n° 5 ; G M. et V C., De quelques clauses des donations-
partages, 2014, Defrénois, p. 386, Bonnet G. et Vincent D. dans le rapport du 111e Congrès
des notaires de France Strasbourg 2015, n° 3427.
18. La qualification des actes étant de la compétence exclusive du juge, celle donnée par
les parties est totalement inopérante.
19. La jurisprudence récente prive d’efficacité les clauses pénales comme portant atteinte
au droit d’ester en justice. L V., Quel avenir pour les clauses pénales insérées dans les
libéralités, Defrénois 2016, p. 683.
20. C M., « La pratique notariale et la nouvelle position de la Cour de cassation
en matière de donation-partage », op. cit., spéc. n° 40 et s.
21. Bonnet G. et Vincent D., rapport du 111e Congrès des notaires de France Strasbourg
2015, précité, n° 3428, B C. et B A., « Disposer en indivision par voie de
donation-partage », op. cit., n° 17.

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FRANÇOIS LETELLIER 183

difficultés et les contentieux liés à l’indivision. La SCI, si conflit il y a, n’arrangera


rien, bien au contraire elle aura tendance à pérenniser les situations conflictuelles.
L’objectif de cette étude dont le dédicataire pardonnera l’audace maladroite,
n’est pas de procéder à une critique théorique et serrée de cette jurisprudence qui
s’avérerait être une mission impossible pour l’auteur, mais plutôt d’essayer de
trouver dans la libéralité-partage une piste qui permettrait d’écarter cette solution
jurisprudentielle trop radicale. Nous donc allons tenter de démontrer qu’au-
jourd’hui, avec l’évolution de la donation-partage et plus spécialement dans sa
nature (I), une réponse différente et plus nuancée peut être trouvée (II).

I – LA NATURE HYBRIDE DE LA DONATION-PARTAGE

4. Définition et passé de l’acte de donation-partage. – La donation-partage


désigne le contrat par lequel une personne procède à la donation et au partage de
ses biens entre ses présomptifs héritiers22. Elle est la forme entre vifs de la libérali-
té-partage, dont le modèle mortis causae est le testament-partage23. À la seule lec-
ture de la définition de la donation-partage, son caractère hybride apparaît. Elle
est à la fois une donation et un partage24. Ces deux concepts, ces deux méca-
nismes et ces deux actes influencent la donation-partage dans son régime juri-
dique, qu’il s’agisse de ses règles de forme25 ou de fond26. Autrefois, la donation-
partage n’était ouverte qu’à l’ascendant au profit de ses enfants. On parlait de
partage d’ascendant et cet acte devait cumulativement respecter les règles propres
à la donation et au partage. Ainsi, il pouvait faire l’objet de rescision pour lésion,
il devait également respecter la parité des lots et l’omission d’un enfant pouvait le
remettre complètement en cause. Ces règles successorales ont été écartées en
193827. La donation-partage se voyait ainsi « attribuer » une sécurité juridique
complémentaire. La loi du 3 juillet 197128 est allée plus loin en permettant

22. T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit.,
n° 1246 ; S F., « Libéralités-partages », op. cit., n° 16 et s.
23. Si, par le passé, les deux types de partages d’ascendant que sont la donation-partage et le
testament-partage étaient traités ensemble et analysés sous un même angle de vue, aujourd’hui il
paraît nécessaire de les dissocier et de leur refuser cette gémellité tant ces deux modes de
transmission se sont écartés l’un de l’autre dans leur véritable nature. La facette libérale du
testament-partage étant à son faible niveau d’origine alors que pour la donation-partage, elle n’a
cessé de croître. Le testament-partage est l’émanation la plus visible de l’autorité du de cujus sur
la répartition de ses biens. Sur le testament-partage : N M., « Les perspectives du testament-
partage », JCP N 2014, n° 1186 ; sur la nature du testament-partage : B C., Les volontés
des morts, t. 557, préf. G M., 2014, LGDJ, n° 216 et s.
24. Sur la nature hybride de la donation-partage : N M., La fonction de partage de
la donation-partage, 2014, Defrénois, p. 348.
25. T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit., n° 1256.
26. Ibid., n° 1257.
27. Loi du 7 février 1938.
28. Loi n° 71-523.

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184 DONATIONPARTAGE ET INDIVISION : LE MARIAGE IMPOSSIBLE ?

l’incorporation à une donation-partage de donations antérieures29 ou de fusion-


ner dans une même donation-partage les biens des deux parents (donation-
partage conjonctive). En permettant qu’un « non-descendant » soit attributaire
d’une entreprise dans un acte de donation-partage, le législateur de 1988 a trans-
figuré cet acte qui s’est mué de partage d’ascendant en véritable libéralité-
partage30. La réforme des successions et des libéralités de 2006 a accentué cette
tendance en prévoyant la possibilité de procéder à des donations-partages trans-
générationnelles31 dans l’ordre des descendants ou de procéder à des donation-
partages entre présomptifs héritiers et non entre les seuls descendants32.
5. Le partage : le fondement historique de la jurisprudence de la Cour de
cassation. – La définition de la donation-partage nous montre son côté hybride. La
donation-partage est à la fois donation et partage. Cette double nature exerce une
influence certaine dans son régime juridique. L’examen rapide de l’histoire de la
donation-partage nous montre qu’à son origine l’aspect partage était prédominant,
les règles propres au partage successoral lui étaient applicables pour lui être les unes
après les autres écartées. Corrélativement, l’aspect libéral de la donation-partage a
été accru. Une telle évolution permet de justifier que quelques distances soient
prises avec les règles du partage et que la fonction répartitrice de la donation-partage
soit minimisée33. Il est plus que jamais nécessaire, au plan pratique, de se libérer de
ces carcans théoriques qui, quelque part, apportent de l’eau au moulin de l’insécu-
rité juridique et écartent d’un vent puissant des rivages de la pratique, la possibilité
de procéder à ces arrangements auxquels tous les membres de la famille
consentent. En effet, dans cette évolution de la donation-partage, nous pouvons
constater qu’une place croissante a été donnée à la volonté des parties34.
Essayons de voir si la donation-partage n’est pas aujourd’hui plus libéralité (A)
que partage (B), ce qui permettrait de s’écarter de cette nécessité de partition
appréciée strictement.

A. La donation-partage : plus qu’une donation !

6. Une véritable donation. – « La donation entre vifs est un acte par lequel le
donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur
du donataire qui l’accepte »35. Tous les traits caractéristiques de la libéralité et plus
spécialement de la donation sont présents dans la donation-partage : appauvrissement

29. C. civ., art. 1078-1.


30. L. n° 88-15 du 15 janv. 1988.
31. C. civ., art. 1075-1, 1078-4 et s.
32. C. civ., art. 1075, al. 1.
33. Contra N M., La fonction de partage de la donation-partage, op. cit., p. 349 : « Le
partage l’emporte sur la libéralité ».
34. Sur cette évolution lire l’éclairante démonstration de B C., « Dévolution et
répartition successorale dans les partages d’ascendants à la fin du e siècle », in Mélanges Pierre
Catala, 2001, Litec, p. 367.
35. C. civ., art. 894.

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FRANÇOIS LETELLIER 185

irrévocable du donateur, enrichissement corrélatif des donataires et intention libé-


rale36. La donation-partage n’est pas seulement un partage effectué du vivant du dona-
teur/de cujus, elle n’est pas une simple anticipation successorale. En effet, une fois
l’acte signé, les biens abandonnés ne figurent plus dans le patrimoine du donateur. Il
ne peut plus en disposer, en jouir librement comme avant. Il ne peut plus les aliéner
ou les consommer ou même prendre des dispositions à cause de mort sur eux. Il y a
un réel abandon sans contrepartie. Cela est d’autant plus vrai que la donation-partage
s’est progressivement détachée de la réserve héréditaire. Aussi, la donation, dans la
donation-partage, n’est pas qu’un outil, un support ou un instrument37. L’intention
libérale et la générosité sont au cœur de l’acte de donation-partage qui, dès lors, ne
peut plus être considéré comme un simple acte répartiteur dans lequel se manifesterait
la seule autorité de l’ascendant.
7. Encore plus libérale qu’une donation simple. – La donation-partage, par
sa nature même, est exemptée du rapport à succession, elle se heurte à la seule
limite de la réserve héréditaire. Aussi, le présomptif héritier qui a reçu par dona-
tion-partage, dès lors que ses cohéritiers sont remplis de leur réserve, n’a aucun
compte à leur rendre. Il est à l’abri des remises en cause futures de son héritage.
Une donation-partage peut ainsi parfaitement être inégalitaire et rompre avec le
principe sacro-saint de l’égalité dont tout partage devrait être empreint. L’acte se
démarque ici des règles dévolutives. De même, dans une donation-partage, le
donateur peut trancher les litiges entre ses héritiers quant à l’attribution des biens
et marquer sa préférence pour l’un d’entre eux ; là encore apparaît cette volonté
de gratifier du « donateur-partageant ».

B. Un partage édulcoré

8. L’abandon progressif de bon nombre de règles du partage et des liquidations


successorales. – À ses débuts, la donation-partage partait de l’idée que l’ascendant
puisse procéder de son vivant au partage de ses biens au lieu de le reporter à son décès.
D’ailleurs dans les familles, on parlait de « faire son partage ». La donation-partage col-
lait donc à la réserve héréditaire et à la dévolution légale. Aujourd’hui tel n’est plus le cas.
Les règles du partage, orientées vers le principe d’égalité38, ont été progressivement
abandonnées au bénéfice de la libre volonté des parties. Ainsi, nous l’avons déjà dit, la
donation-partage peut être inégalitaire. L’action en rescision pour lésion a été écartée
pour la donation-partage39 et elle ne saurait non plus aujourd’hui fonder une action en
complément de part40. Sous certaines conditions, la donation-partage dérogera aux
règles d’évaluation édictée pour le calcul de la quotité disponible et l’éventuelle

36. P M. et R G., Traité pratique de droit civil français, op. cit., n° 17,
T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit., n° 254 et s.
37. N M., La fonction de partage de la donation-partage, op. cit.
38. Sur l’attachement au principe d’égalité voire d’égalité en nature dans le partage
v. Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 15-18993, RTD civ. 2016, p. 671, obs. Grimaldi M.
39. C. civ., art. 1075-1 anc.
40. C. civ., art. 1075-3.

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186 DONATIONPARTAGE ET INDIVISION : LE MARIAGE IMPOSSIBLE ?

réduction41. La donation-partage fige donc les valeurs et écarte la prise en compte des
évolutions économiques des biens entre la donation-partage et le décès. Pourtant, ces
règles de réévaluation n’ont pour autre but que de maintenir une certaine justice, un
équilibre ou une équité entre les héritiers42. D’ailleurs, cette règle dont l’effet est si
recherché est-elle juste ? Si les copartagés ont participé à l’élaboration de l’acte et n’ont
pas simplement subi la volonté autoritaire de l’ascendant, on peut admettre, à juste
titre, que l’égalité ou l’équilibre de l’acte se reportera au jour du décès. En revanche, si
les attributions sont le fruit d’un diktat du donateur, est-il juste que celui qui s’est vu
attribuer malgré lui un lot d’une valeur moindre ne puisse demander un rééquilibrage
lors du règlement successoral ? Le législateur, dans un but de sécurité juridique et pour
éviter que toutes les donations-partages ressurgissent dans les prétoires après le décès du
donateur, a, sous certaines conditions, tranché par la négative. Il faut s’en féliciter !
Rappelons toutefois que l’article 1078 n’est pas d’ordre public.
9. Accroissement de la liberté. – Pacte sur succession future par excellence, la
donation-partage, admise à titre exceptionnelle, se concevait dans un domaine
plutôt restreint avec des marges de manœuvres limitées. La réforme récente des
libéralités du 23 juin 2006 a fait tomber certaines barrières et a accru la liberté en
la matière43. Depuis, sont permises par exemple les renonciations anticipées à
l’action en réduction44, ou à agir en réduction contre les tiers acquéreurs45. Les
libéralités-partages transgénérationnelles ont également fait leur apparition46. Il
est également possible, dans une donation-partage, que les donateurs aban-
donnent leurs droits sur des récompenses oubliant ainsi quelques principes fon-
damentaux des régimes matrimoniaux47.
10. Paradoxe. – D’un côté on soutient que l’essence de la donation-partage
réside dans sa fonction pacificatrice procurée par le partage, la partition des
biens48 ; d’un autre côté on admet volontiers que cet allotissement puisse être
inégalitaire. Est-il vraiment certain qu’une donation-partage inégalitaire est de
nature à procurer cette paix tant recherchée dans les règlements successoraux49 ?
Nous affirmons le contraire et en cas d’une telle donation-partage, il y a fort à
parier qu’au décès du donateur, cette inégalité surgira telle une hache de guerre
qui serait déterrée longtemps après, et les héritiers lésés invoqueront une compen-
sation sur l’actif existant.
41. C. civ., art. 1028.
42. L F., La proportionnalité liquidative, 2016, Defrénois, p. 429.
43. L L., « Les nouveaux visages des libéralités-partage », in Mélanges Jacques
Foyers, 2008, Economica, p. 637.
44. C. civ., art. 929 et s.
45. C. civ., art. 924-4, al. 2.
46. Sagaut J.-F., JCP N 2006, 1321, H-V E., « La donation-partage
transgénérationnelle : état des lieux dix ans après », JCP N 1193, v. dossier « Pratique de la
donation-partage transgénérationnelle », Defrénois 2016, n° 19, p. 991 et s.
47. C G. et K M., Les donations-partages cumulatives et conjonctives, 2014,
Defrénois, 381.
48. M P., « Turbulences sur la donation-partage (…) », op. cit., n° 25 et s.
49. Sur la donation-partage inégalitaire : C P., « La donation-partage
inégalitaire : mythe ou réalité ? », JCP N 2014, 1185.

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FRANÇOIS LETELLIER 187

Ainsi, la donation-partage semble avoir pris ses distances avec ses géniteurs,
l’enfant a pris de l’indépendance pour sortir de la tutelle de ses parents. Ce déta-
chement ne lui permettrait-il pas de s’affranchir de certaines règles originelles
comme la nécessité d’une partition totale ?

II – L’AUTONOMIE DE LA DONATION-PARTAGE
Il ne fait aucun doute que la donation-partage est bien une institution juri-
dique autonome (A) qui autoriserait d’être appréhendée avec souplesse en lui
appliquant des règles moins strictes (B).

A. Le constat de l’autonomie de la donation-partage

11. L’autonomie : rappels préalables nécessaires. – L’autonomie est une


notion juridique. Elle sert principalement à qualifier une branche du droit, un
domaine de la science juridique, un concept qui par certains de ses aspects,
s’éloigne du droit commun. L’autonomie est « une indépendance – concep-
tuelle et/ou fonctionnelle – par rapport à d’autres branches du droit qui
recoupent son champ d’intervention »50. Mais l’autonomie n’est pas réservée au
positionnement des diverses branches du droit, des matières de la science juri-
dique51. À un niveau inférieur, elle est susceptible de s’appliquer à des méca-
nismes juridiques, à des règles internes aux branches du droit. L’autonomie est,
dans ce cas, un détachement interne d’une ou plusieurs règles de droit, des
principes généraux52.
La notion d’autonomie peut être présentée ainsi : « L’autonomie se ren-
contre lorsqu’aux relations initiales de hiérarchie succède une relation d’indé-
pendance, en vertu de laquelle le droit spécial ne se contente plus de reproduire
scrupuleusement les notions et les mécanismes de droit commun qu’il n’édicte
pas lui-même et emprunte donc à ce droit commun, mais se montre au contraire
capable de se les approprier en modifiant le contenu ou en adaptant le fonction-
nement pour les accorder à sa nature propre (…). Elle [la manifestation d’auto-
nomie] consiste abstraitement en un phénomène matériel toujours identique
par lequel une règle, quel que soit son rang au sein de l’ordre juridique, ne se
contente plus de reproduire les notions et les mécanismes de la norme de réfé-
rence qui recoupe sa compétence mais au contraire les transforme pour les
accorder à ses fins »53.
50. « Autonomie » in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit,
2e éd., 1993, LGDJ.
51. Il suffit d’évoquer la « célèbre » autonomie du droit fiscal ou celle plus discrète du
droit de l’urbanisme.
52. Sur la notion d’autonomie : R D., « De la responsabilité contractuelle du fait
d’autrui et de son caractère autonome », Revue de recherche juridique 1996, p. 409, n° 1 à 11.
53. Ibid., n° 4.

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188 DONATIONPARTAGE ET INDIVISION : LE MARIAGE IMPOSSIBLE ?

L’autonomie est donc l’emprunt à une matière, à une branche, à une règle, à
un mécanisme connu d’un ou plusieurs de ses traits, caractères ou règles tout en
les utilisant avec indépendance, en les modifiant soit dans leur application, soit
dans leurs effets. Cette autonomie n’est donc qu’un emprunt partiel de règles à
une institution établie. Elle est partielle en deux niveaux :
– la branche ou l’institution autonome n’emprunte qu’une partie, qu’un
nombre déterminé de règles, de préceptes ou de caractères à l’institution de réfé-
rence ;
– l’élément emprunté (pris isolément) est susceptible d’une modification dans
sa réception par l’institution autonome, il subit une mutation.
L’autonomie peut exister par rapport à plusieurs systèmes de référence, elle résul-
tera alors d’un contact entre deux ou plusieurs systèmes, matières, mécanismes ou
règles. L’autonomie est omniprésente en droit privé dont elle est le signe de son
évolution. Il suffit de penser à la garantie autonome laquelle a pris ses distances avec
certaines règles du cautionnement54 dont elle est issue mais continue à s’en voir
appliquer d’autres. Le même constat peut être fait avec la promesse de porte-fort
exécution55 ou la faculté de substitution dans les promesses unilatérales de vente56.
On peut aussi évoquer l’autonomie du régime de la participation aux acquêts par
rapport à la séparation des biens ou à la communauté d’acquêts. On peut également
rappeler l’autonomie de la faculté de substitution dans les promesses de vente par
rapport à la cession de créance ou à la cession de contrat57. On peut, de la même
manière, penser à l’autonomie de l’article 1099-1 du Code civil58 ou à l’autonomie
du mandat de protection future ou du mandat successoral.
Cette autonomie qui confère la richesse et l’attrait de tous ces nouveaux
contrats ou mécanismes juridiques est le fruit conjugué de l’œuvre du législateur,
de la jurisprudence et de l’imagination des praticiens, mêlant ainsi l’expérience du
passé et du connu à l’audace de l’innovation. Cette autonomie témoigne de la
vivacité de notre droit et de la fertilité de nos juristes.
12. Les signes de l’autonomie de la donation-partage : emprunts à la
donation et au partage. – Il ne fait aucun doute que la donation-partage n’est
plus un partage, elle n’est plus non plus une donation. Elle n’est pas une donation
parce qu’elle contient une répartition. Elle n’est pas un partage car elle est aussi
une libéralité. La donation-partage n’est ni l’un ni l’autre mais revendique un
régime juridique propre avec des règles propres.

54. S P., « Garantie autonome », JCl. Notarial Répertoire, Cautionnement, fasc. 80.
55. S M., « Promesse de porte-fort », JCl. Notarial Répertoire, Contrats et
obligations, fasc. 7-2, spéc. n° 44 et s.
56. B P., « Nature juridique de la clause de substitution dans le bénéfice d’une
promesse unilatérale de vente : une autonomie de circonstance ? », RTD civ. 1996, p. 29.
57. Sur l’éventuelle remise en cause de cette autonomie par la réforme des obligations
v. C G. et L M., La réforme du droit des obligations, 2016, Dalloz, n° 602.
58. Martin D. R., Gaz. Pal. 1973, II, 901 (5 déc. 1973), note sous Paris, 1re ch., 17 mai
1973.

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FRANÇOIS LETELLIER 189

La donation-partage va se voir appliquer des règles propres aux donations : ce


seront les règles de formes et de capacité lesquelles sont particulièrement lourdes
eu égard à sa nature d’acte unilatéral. En ce qui concerne son aspect liquidatif, la
donation-partage va emprunter à la donation simple notamment s’agissant de la
réduction mais sous réserve des particularités de l’article 1078 qui, dans certaines
conditions, fige les valeurs des biens donnés. La donation-partage jouit également
de règles de prescription abrégées par rapport aux donations simples. En revanche,
la donation-partage n’est pas, par essence, sujette au rapport.
Les règles du partage qui sont appliquées à la donation-partage sont peu nom-
breuses et nous l’avons vu plus haut. Beaucoup d’entre elles ont été peu à peu
écartées comme l’obligation de respecter l’égalité en nature ou en valeur59. Cette
égalité était pourtant de l’essence du partage ; voilà pourquoi la donation-partage,
si elle est un acte de répartition, n’est plus un acte de partage. Toutefois quelques-
unes de ses règles accessoires continuent à lui être appliquées comme la revalori-
sation des soultes payables à terme60.
13. Un détachement des régimes juridiques de référence. – La conséquence
principale de l’autonomie d’un mécanisme est une application différente des
règles de ses modèles qui, pourtant, en sont à l’origine. Ce détachement, cette
émancipation se traduit par des règles tantôt plus strictes tantôt plus souples en
fonction de l’objectif assigné à l’institution autonome. Ainsi, on a vu à juste titre
la Cour de cassation corriger les valeurs fictives d’un acte de donation-partage,
puisqu’il y avait atteinte à cet élément essentiel qu’est l’équilibre du pacte.
À l’inverse, d’autres règles ont été assouplies. Une donation-partage peut donc
être inégalitaire à la condition que cette inégalité soit acceptée par tous et qu’il
n’y ait pas d’atteinte à la réserve individuelle des héritiers sous-allotis. De la
même manière, la donation-partage s’est détachée de la donation en ce sens
qu’elle n’est jamais rapportable.
Mais c’est surtout dans l’article 1078 du Code civil que réside la manifes-
tation principale de l’autonomie de la donation-partage. Ainsi, Pierre Catala
écrivait : « Le partage entre vifs se charge d’autonomie et développe toute son
originalité lorsqu’il rassemble tous les présomptifs réservataires. C’est leur
unanimité qui donne au pacte familial sa pleine signification. La donation-
partage échappe alors au droit commun sur un point capital : l’évaluation des
biens donnés pour le calcul de la réserve et l’imputation »61. C’est donc dans
sa nature même que se concentre toute l’autonomie de la donation-partage,
parce qu’elle est un « super pacte » sur succession future, elle échappe au prin-
cipe de prohibition62.
59. G M., Droit patrimonial de la famille, op. cit., n° 411-160.
60. C. civ., art. 828.
61. La réforme des liquidations successorales, préf. C J., 3e éd., 1982, Defrénois,
n° 118.
62. Sur le principe de prohibition des pactes sur succession future et son amoindrissement
lire : T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit., n° 682 et s.,
spéc. n° 688.

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190 DONATIONPARTAGE ET INDIVISION : LE MARIAGE IMPOSSIBLE ?

Cette autonomie dans le traitement successoral de la donation-partage una-


nime est une réponse aux déséquilibres auxquels les règles de réévaluation dans le
rapport et la réduction63 peuvent éventuellement aboutir.
Cette règle de l’article 107864 du Code civil, attrait majeur de la donation-
partage, trouve-t-elle son fondement dans la partition faite par le donateur ?
Sans doute, mais pour une infime part car ce qui compte surtout c’est l’assenti-
ment de tous les héritiers à la libéralité-partage65. Toutes les exceptions aux
régimes des donations ou du partage perdent de leur portée dès lors que les
biens reçus seront réévalués pour le calcul, au décès du donateur, des droits
réservataires de chacun. Cette unanimité fait présumer de manière irréfragable
(sauf évaluation fictive66) l’équilibre du pacte. L’existence de quelques, mais non
toutes, attributions en indivision ne remet pas en cause cette présomption.
L’importance est attachée non à la nature des lots mais à leurs valeurs acceptées
par tous les présomptifs héritiers. L’efficacité de ce pacte de famille résulterait de
sa force contractuelle67. Il est évident qu’en ce cas les biens attribués en indivi-
sion devraient, en raison de cette nature indivise et des contraintes qu’elle
implique, subir une décote, une moins-value.

B. L’autonomie : une voie de secours pour la donation-partage

14. L’autonomie : source de liberté juridique. – Dès lors que la donation-


partage est empreinte d’une très forte autonomie par rapport à l’acte de partage,
il serait sans doute possible, par la souplesse qu’implique l’autonomie, d’admettre
qu’elle puisse contenir des lots avec des droits indivis à condition que ces attribu-
tions demeurent équilibrées. Bien évidemment les attributaires en indivision ne
doivent pas supporter des charges trop lourdes ou qui limiteraient trop fortement
leur droit de propriété fût-il indivis comme le maintien dans une indivision ou la
stipulation de pénalités en cas de volonté d’y mettre fin.
Cette autonomie consacrée de la donation-partage permettrait d’assouplir cette
jurisprudence dont les effets pourraient s’avérer catastrophiques si elle devait être
poursuivie. En effet, la donation-partage, institution autonome du partage, ne sau-
rait être plus partage que le partage lui-même. Tous les effets de la donation-partage
notamment ceux de l’article 1078 devraient produire leurs effets même si un ou
certains des lots comprennent des attributions indivises. Tout comme l’effet décla-
ratif du partage joue pour les partages comprenant de tels lots indivis.

63. L F., La proportionnalité liquidative, op. cit. ; L F., Transmission successorale
et mise en œuvre de la proportionnalité par les notaires et le juge, 2016, Defrénois, p. 946.
64. S P. et V B., Mérites et maléfices de l’article 1078 du Code civil, 2014,
Defrénois, p. 356.
65. B C. et B A., « Disposer en indivision par voie de donation-
partage », op. cit., n° 22.
66. Cass. 1re civ., 25 mai 2016, préc.
67. Sur la contractualisation du droit de la famille, v. M-Z S.,
RTD civ. 2016, p. 773, spéc. n° 30.

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FRANÇOIS LETELLIER 191

15. L’autonomie : seule véritable piste ? – Cette autonomie maintiendrait le


pacte de famille dans les effets souhaités. D’autres auteurs68, pour sauver cette
pratique des donations-partages en indivision, ont appelé le législateur à la res-
cousse et l’ont invité à détacher l’article 1078 du Code civil de la donation-par-
tage en permettant son application à de nouveaux pactes de familles qui provo-
queraient, de la même manière, un gel des valeurs. Cette idée séduisante ne fonc-
tionnerait en pratique que si on allait un peu plus loin en empruntant également
à la donation-partage la possibilité de réincorporer des donations antérieures. Ce
nouveau type de pacte aurait un succès évident qui dépasserait l’actuel succès de
la donation-partage alors reléguée à un acte de second ordre… Aussi, autant faire
l’économie d’une nouveauté législative de plus et faire évoluer dans le sens voulu,
en se fondant sur cette autonomie juridique, la donation-partage.

*
* *
16. Conclusion – S’accrocher à la bouée de l’autonomie pour éviter à l’acte
litigieux de sombrer dans une disqualification qui noierait les parties dans les
abysses du contentieux et de la revalorisation peut paraître sinon farfelu au moins
tiré par les cheveux. Mais combien d’enfants ont été sauvés de la noyade par le
cuir chevelu ? Cela permettrait de conforter une pratique notariale qui, gageons-
le, ne s’arrêtera pas et continuera à résister non pas par volonté de s’opposer à cette
jurisprudence mais simplement pour répondre à un besoin majeur des familles.
Il arrive que les notaires, par leur persévérance réfléchie et la proximité avec
leurs clients, poursuivent une pratique pourtant contraire à la jurisprudence ou
même à la loi, jusqu’à ce que le droit évolue dans le sens souhaité69. La clause
commerciale ou la clause alsacienne en sont de belles illustrations.
Jacques Combret, par son engagement et les fonctions qu’il a exercées, est un bel
exemple d’implication des praticiens dans l’évolution du droit, mettant le doigt sur
ses imperfections et ses lacunes. Mais son œuvre ne se limite pas à la simple critique
puisqu’elle comprend toujours des propositions constructives pour un droit meil-
leur et plus proche des personnes. Qu’il en soit ici vivement remercié !
Janvier 2017

68. B C. et B A., « Disposer en indivision par voie de donation-


partage », op. cit., n° 22.
69. T-C S., La pratique notariale, source du droit, thèse, 2015, Toulouse,
Defrénois, coll. Doctorat et notariat, vol. 55, spéc. n° 61 et s.

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La protection du conjoint survivant


en droit international privé
De quelques stratégies de transmission hors libéralités

Éric F
Maître de conférences, HDR, Université de Bordeaux
Membre de l’IRDAP
Co-directeur du Master 2 Droit et gestion du patrimoine privé

En un instant, le décès place le conjoint survivant face au mystère de la mort et


le soumet au fardeau, parfois écrasant, de la solitude. Le droit est inapte à appré-
hender la dimension psychologique du deuil. Tout au plus – mais ce n’est pas
négligeable à une époque douloureuse de la vie – peut-il permettre d’assurer une
protection matérielle du conjoint survivant. Différentes matières peuvent à cet
égard être mobilisées : le droit des successions bien sûr, mais également le droit des
régimes matrimoniaux ou encore les règles relatives aux pensions alimentaires. Le
droit interne français en fournit une bonne illustration, mais chaque système juri-
dique a sa propre cohérence. Des comparatistes ont ainsi mis en évidence la préoc-
cupation des législateurs « d’assurer et de maintenir le statut patrimonial des époux
par-delà le décès de l’un d’eux », en faisant « du survivant l’héritier du train de vie
que lui ménageait le de cujus ou qu’il partageait avec lui. Pour cela, c’est alternati-
vement sur les régimes matrimoniaux et sur les successions que l’on met l’accent »1.
Cependant, les différents systèmes légaux peuvent ne pas pleinement satisfaire le
sujet de droit désireux de protéger son conjoint survivant au-delà des règles légales
supplétives2. Le droit des libéralités peut alors permettre d’accroître les droits du
conjoint survivant dans une succession. Certaines stratégies de transmission au
moyen de libéralités, bien connues en droit interne, se trouvent ainsi assez fré-
quemment mises en œuvre en présence d’éléments d’extranéité. Il n’est pas rare,
par exemple, que dans une succession internationale, le conjoint survivant soit
institué légataire universel. Il peut également advenir, dans une succession présen-
tant des points de contacts avec un ou plusieurs État(s) étranger(s), que le conjoint
survivant soit gratifié au moyen d’une donation entre époux. Dans cette perspec-
tive, il a pu être observé que l’esprit libéral qui anime le nouveau droit

1. A E., « Le droit comparé des successions et des régimes matrimoniaux », in


F E. (dir.), Droit patrimonial européen de la famille, 2013, LexisNexis, Actualité,
p. 97 et s., spéc. p. 102 et s., n° 272 et s.
2. Pour un tableau des droits du conjoint survivant en présence de descendants dans
quelques pays d’Europe, v. R M., Droit international privé et européen : pratique
notariale, 8e éd., 2014, Defrénois, p. 457 et s., n° 879.

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194 LA PROTECTION DU CONJOINT SURVIVANT EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

international privé des successions, tel qu’issu du règlement n° 650/2012, serait


propre, au travers notamment des différentes possibilités de professio juris, à valider,
beaucoup plus souvent que par le passé, certains types de libéralités, telles les dona-
tions au dernier vivant3. Plus avant, le droit international privé des libéralités per-
met parfois de reconnaître en France les effets de libéralités ignorées ou prohibées
en droit interne français, et consenties au bénéfice d’un conjoint survivant. L’ordre
public international, en raison de son effet atténué, ne s’oppose pas à ce qu’un
pacte successoral germanique, ou un trust testamentaire anglo-saxon, consenti au
bénéfice du conjoint survivant, développe ses effets en France, sur les biens qui y
sont situés, dès lors que la loi successorale est une loi étrangère connaissant ces
institutions4. De surcroît, au moyen d’un effort d’adaptation, il n’est pas rare de
faire produire des effets en France à un pacte successoral étranger, ou à un trust,
alors même que la loi successorale se trouve être la loi française5.
Cependant, le droit des libéralités, y compris lorsque celles-ci visent la protec-
tion du conjoint survivant, atteint ses limites lorsqu’est envisagé le traitement
successoral de ces modes de transmission. En droit international privé, le traite-
ment successoral des libéralités relève de la loi successorale6. À cet égard, il ressort
de l’article 23 points h) et i) du règlement « successions », que la loi successorale
s’applique à la quotité disponible, à la réserve héréditaire, et aux autres restrictions
à la liberté de disposer à cause de mort. Relèvent également de la loi successorale
le rapport et la réduction des libéralités lors du calcul des parts des différents
bénéficiaires. Il s’ensuit que, même consenties au conjoint survivant, les libérali-
tés, en droit international privé, se trouvent enserrées dans le carcan de la loi
successorale, avec son arsenal de règles d’ordre public, et sa cohorte de disposi-
tions relatives aux restitutions. Existe-t-il, alors, des stratégies de transmission,
hors les libéralités, permettant de protéger efficacement le conjoint survivant, en
s’affranchissant de l’emprise de la loi successorale ? Est-il possible, afin de protéger
au mieux le conjoint survivant, de neutraliser la loi successorale ? En droit interne,
la réponse est positive. La stipulation pour autrui, les gains de survie, certaines
modalités d’acquisition, permettent de contourner la loi successorale ; mais ces
stratégies peuvent-elles aisément être mises en œuvre dans l’ordre international ?
Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord se demander s’il existe des
règles de conflits de lois, en droit international privé français, permettant de s’as-
surer de la validité de ces stratégies en présence d’éléments d’extranéité. Ensuite,
3. V. F E., « L’anticipation successorale à l’épreuve du “règlement successions” »,
JDI 2014, p. 477 et s., spéc. p. 492 et s.
4. P H. et F E., Droit international privé patrimonial de la famille, 2017,
Litec, LexisNexis, Pratique notariale, p. 362 et s.
5. Ibid. Cet effort d’adaptation se trouve d’ailleurs imposé, pour certains modes de
transmission, dont le trust, pour les successions ouvertes à compter du 17 août 2015, en
application de l’article 31 du règlement « successions ». On rappellera en outre, pour mémoire,
que, s’agissant des trusts, sur le plan fiscal, l’institution se trouve définie par l’article 792-0 bis
du Code général des impôts, et appréhendée par les règles de territorialité de l’article 750 ter
du même code.
6. F E., « L’anticipation successorale à l’épreuve du “règlement successions” »,
op. cit., p. 499 et s.

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ÉRIC FONGARO 195

dès lors qu’il va s’agir de mettre en œuvre une stratégie de transmission pouvant
porter sur des biens situés à l’étranger, il convient d’appeler le droit comparé au
soutien de la réflexion afin de vérifier si la stratégie élaborée dans un pays déter-
miné sera reconnue dans le pays étranger de situation des biens. Enfin, il ne faut
jamais perdre de vue que les stratégies de transmission constituent un terreau
assez fertile aux taxations de différentes natures, de sorte que l’aspect fiscal ne doit
jamais être négligé en la matière, quand bien même s’agirait-il de protéger le
conjoint survivant. C’est dire qu’avant de mettre en œuvre quelque stratégie que
ce soit de neutralisation de la loi successorale, il importe de passer celle-ci dans un
crible au maillage très serré, seul garant de la qualité du résultat escompté. Seul
cet effort permet d’atteindre des objectifs que le droit international privé des libé-
ralités ne peut atteindre.
Si l’on prend pour point de départ de la réflexion l’analyse du droit interne
français, il est permis de constater que toutes les stratégies de transmission hors
libéralités ne sauraient être placées sur un pied d’égalité. Si toutes sont destinées à
éviter l’entrée de biens dans l’actif successoral, certaines ne permettent que la
transmission d’une somme d’argent au conjoint survivant, sous la forme d’un
capital ou d’une rente, d’autres doivent être mises en œuvre à l’occasion d’acqui-
sitions déterminées, afin que les biens ainsi acquis ne figurent pas dans l’actif
successoral de l’époux prédécédé, d’autres enfin permettent parfois de constituer
une universalité, transmise au conjoint survivant au décès du prémourant, avant
même que les biens composant ladite universalité tombent dans l’actif successo-
ral. Ces dernières stratégies sont spécifiques aux époux : elles reposent sur des
gains de survie. Les autres, en revanche, ne sont pas spécifiques aux personnes
mariées, mais la pratique révèle qu’elles sont très fréquemment utilisées entre
époux. De fait, si certaines stratégies, en droit interne, permettent de protéger le
conjoint survivant, alors même qu’elles sont détachées du mariage, d’autres ne
permettent de le protéger qu’en sa qualité de conjoint. Comment ces stratégies,
bien connues en droit interne, peuvent-elles être mises en œuvre en droit interna-
tional privé ? Pour répondre à cette question, il semble permis d’étudier, dans un
premier temps, les stratégies de transmission détachées du mariage (I), puis, dans
un second temps, les stratégies de transmission rattachées au mariage (II).

I – LES STRATÉGIES DE TRANSMISSION DÉTACHÉES DU MARIAGE

Les stratégies de transmission détachées du mariage présentent plusieurs


points communs. Premier point commun : ces stratégies ont un objet limité ; la
transmission porte sur un immeuble ou sur un meuble déterminé. Second point
commun : ces stratégies reposent toutes sur un aléa. Pour certaines, l’aléa réside
dans l’incertitude quant au moment du décès. Pour d’autres, l’aléa porte sur
l’ordre des décès. Seront envisagées, en premier lieu, les stratégies fondées sur
l’aléa quant au moment du décès (A) et, en second lieu, les stratégies fondées sur
l’aléa quant à l’ordre des décès (B).

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196 LA PROTECTION DU CONJOINT SURVIVANT EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

A. Les stratégies fondées sur l’aléa quant au moment du décès

Les stratégies fondées sur l’aléa quant au moment du décès sont celles qui
découlent d’une stipulation pour autrui. L’aléa porte sur la date du décès du sti-
pulant. Sont ici visés les contrats d’assurance-vie qu’un époux peut conclure au
bénéfice de son conjoint survivant. En droit international, le contrat d’assurance-
vie soulève des difficultés relatives, d’une part, à la loi applicable au contrat d’as-
surance-vie (1), d’autre part, à la fiscalité du contrat d’assurance-vie (2).

1. La loi applicable au contrat d’assurance-vie


La loi applicable au contrat d’assurance-vie dépend de la date de souscription du
contrat. Pour les contrats conclus avant le 17 décembre 2009, le Code des assu-
rances contient une règle de conflit spéciale, figurant à l’article L. 183-1 du Code,
complétée par l’article L. 183-2 relatif à l’application des lois de police en matière
d’assurance-vie7. L’article L. 183-1 est issu d’une loi transposant une directive euro-
péenne, et ne s’applique qu’aux risques situés sur le territoire de l’Espace écono-
mique européen. Le principe posé par le texte est celui du rattachement du contrat
d’assurance-vie à la loi de l’État membre de l’engagement, entendu comme l’État
membre où le preneur d’assurance a sa résidence habituelle, sauf à ce que le preneur,
personne physique, ait sa résidence dans un État membre autre que celui dont il est
ressortissant, auquel cas il peut choisir la loi de l’État membre de sa nationalité.
Dans les situations échappant au champ d’application de l’article L. 183-1 du Code
des assurances, et pour les contrats conclus avant le 17 décembre 2009, la détermi-
nation de la loi applicable doit être réalisée conformément aux stipulations de la
Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contrac-
tuelles8. Ces règles de conflits de lois, applicables aux contrats conclus avant le
17 décembre 2009, ne doivent pas être négligées car nombre de ces contrats ne sont
pas dénoués à ce jour. La validité d’une clause bénéficiaire stipulée au profit du
conjoint survivant devra ainsi s’apprécier au regard des règles précitées.
Pour les contrats conclus après le 17 décembre 2009, le texte permettant de
déterminer la loi applicable au contrat d’assurance-vie est le règlement Rome I,
dont l’article 7 est consacré aux contrats d’assurance. En substance, l’article 7,
§ 3, offre aux parties au contrat d’assurance-vie le choix entre trois lois diffé-
rentes : la loi de tout État membre où le risque est situé au moment de la conclu-
sion du contrat, c’est-à-dire l’État membre de l’engagement ; la loi du pays dans
lequel le preneur d’assurance a sa résidence habituelle ; ou la loi de l’État membre
dont le preneur d’assurance est ressortissant. À défaut de choix, le contrat est régi
par la loi de l’État membre où le risque est situé au moment de la conclusion du
contrat, c’est-à-dire par la loi de l’État de l’engagement, envisagée comme la loi

7. L P., « Le contrat d’assurance-vie face aux problématiques internationales »,


Dr. et patr., mai 2008, p. 72.
8. Cass. 1re civ., 22 mai 2007, n° 05-12243.

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ÉRIC FONGARO 197

de la résidence habituelle du souscripteur personne physique. On observera tou-


tefois que, selon l’article 7, § 1, du règlement, le texte ne s’applique, en matière
d’assurance-vie, que pour les risques situés à l’intérieur du territoire des États
membres. Dans les autres situations, il faut en revenir aux règles du droit com-
mun des contrats.
En toutes hypothèses, que le contrat d’assurance-vie ait été conclu avant ou
après le 17 décembre 2009, il semble permis de penser que l’article L. 132-13 du
Code des assurances, qui dispose que « le capital ou la rente payable au décès (…)
ne sont soumis ni aux règles du rapport, ni à celles de la réduction, sauf pour les
primes manifestement exagérées », répond davantage à une qualification succes-
sorale que contractuelle. Le texte devrait donc s’appliquer, quelle que soit la loi du
contrat, dès lors que la succession est soumise à la loi française.

2. La fiscalité du contrat d’assurance-vie

La fiscalité du contrat d’assurance-vie est extrêmement complexe en droit


interne, et l’est encore plus en présence d’éléments d’extranéité, tout particulière-
ment en ce qui concerne la fiscalité des rachats ; mais la fiscalité en cas de décès
n’est pas en reste. En droit fiscal français, l’assurance-vie bénéficie d’un régime
fiscal de faveur. En présence d’éléments d’extranéité, la détermination de la loi
fiscale applicable en cas de décès suppose de distinguer entre l’impôt prévu par
l’article 757 B du Code général des impôts, qui est un impôt de succession, et le
prélèvement spécial institué par l’article 990 I du Code général des impôts9. Le
second de ces textes fixe lui-même son propre champ d’application spatial. En
revanche, l’impôt de l’article 757 B, étant un impôt de succession, va dépendre de
la loi fiscale applicable à la succession, c’est-à-dire des règles de territorialité de
l’article 750 ter du CGI. Sous réserve du jeu des conventions fiscales destinées à
éviter les doubles impositions en matière de successions, le contrat d’assurance
sera soumis à l’impôt prévu par l’article 757 B si le souscripteur défunt était fisca-
lement domicilié en France au moment de son décès10, à défaut, si le bénéficiaire
était fiscalement domicilié en France pendant au moins six années au cours des
dix dernières années précédant celle au cours de laquelle il reçoit les sommes de la
compagnie d’assurance11, à défaut, si le siège social ou l’établissement stable de la

9. L P., « Le contrat d’assurance-vie face aux problématiques internationales »,


op. cit. ; T-M M., « La fiscalité des contrats d’assurance vie souscrits par des non-
résidents », RGDA 2009, p. 41 ; C V., « Le sort du contrat d’assurance vie dans le
cadre des transferts de résidence fiscale », RFP 2013, n° 7-8 ; H-W W., S-
M V. et T-M M., « Fiscalité de l’assurance et territorialité. Analyse
critique de l’article 990 I du Code général des impôts », RGDA 2013, p. 23 ; C V. et
J F.-X., « Le contrat d’assurance vie en droit international : aspects civils et fiscaux »,
RFP 2014, n° 5, p. 7 ; S G., L’estate planning Optimisation civile et fiscale d’une succession
internationale, 2011, LexisNexis, Pratique notariale, p. 118 et s., n° 157 et s., spéc. n° 160 et s.
10. CGI, art. 750 ter 1°.
11. CGI, art. 750 ter 3°.

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198 LA PROTECTION DU CONJOINT SURVIVANT EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

compagnie d’assurance est situé en France12. Bien entendu, les dispositions avan-
tageuses de la loi TEPA s’appliqueront si la loi fiscale française est applicable.
On observera, pour conclure sur l’assurance-vie, que si rien n’interdit à deux
époux de souscrire l’un et l’autre un ou plusieurs contrats instituant le survivant
d’eux comme bénéficiaire, la conclusion d’un contrat d’assurance-vie procède,
par essence, d’une stratégie unilatérale de protection du conjoint survivant. Sans
doute est-ce là une différence importante entre l’assurance-vie et les stratégies
fondées sur l’aléa quant à l’ordre des décès.

B. Les stratégies fondées sur l’aléa quant à l’ordre des décès

Les stratégies fondées sur l’aléa quant à l’ordre des décès consistent, pour des
époux, à recourir au pacte tontinier à l’occasion d’acquisitions déterminées. Même
si la tontine peut constituer un carcan pour les cotontiniers, qui ne peuvent en
sortir qu’au prix d’un accord de volonté, cette modalité d’acquisition, qui repose sur
une condition suspensive de survie et une condition résolutoire de prédécès, pré-
sente de nombreux avantages dans une perspective de protection du conjoint survi-
vant. Grâce à la clause de tontine, le survivant des coacquéreurs est considéré comme
ayant toujours été seul propriétaire du bien acquis, depuis le jour de l’acquisition13.
Il s’ensuit que lorsque la tontine développe son effet, le bien acquis ne figure pas
dans l’actif successoral. La tontine permet ainsi d’éviter une indivision entre le sur-
vivant et les héritiers du prédécédé ; elle permet d’éluder les règles sur la réserve, ou
encore, si les cotontiniers sont des époux et que les enfants du prédécédé sont issus
des deux époux, de retarder au second décès la transmission auxdits enfants du bien
acquis en tontine14. En présence d’éléments d’extranéité, la tontine soulève deux
séries de questions : comment apprécier la validité de la tontine, d’une part (1),
quelle est la fiscalité applicable à la tontine, d’autre part (2) ?

1. La validité de la tontine
La validité de la tontine soulève d’emblée un problème de détermination de la
source de droit applicable. En droit interne français, la tontine constitue un pacte sur
succession future autorisé. La tontine semble également répondre à la définition du
pacte successoral telle qu’envisagée par le règlement « successions », savoir : « un accord
qui confère, modifie ou retire, avec ou sans contre-prestation, des droits dans la

12. CGI, art. 750 ter 2°.


13. Il importe de souligner que, depuis l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, de la réforme
du droit des obligations, la réalisation d’une condition suspensive ne présente plus un effet rétroactif
de plein droit. Cette évolution présente une importance capitale pour la tontine. En effet, pour que
la tontine puisse effectivement développer ses effets, il faudra que les parties à l’acte d’acquisition y
stipulent que la réalisation de la condition suspensive aura bien un effet rétroactif.
14. Sur la question, v. S G., L’estate planning Optimisation civile et fiscale d’une
succession internationale, op. cit., p. 95.

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ÉRIC FONGARO 199

succession future d’une ou de plusieurs personnes parties au pacte ». Il serait donc


permis d’imaginer, dans une première approche, que la validité de la tontine ressortisse
à la loi désignée par l’article 25 du règlement n° 650/2012. Il n’en est rien. Le texte
européen exclut en effet de son champ d’application matériel « les droits et biens créés
ou transférés autrement que par succession, par exemple au moyen de libéralités, de la
propriété conjointe avec réversibilité au profit du survivant, de plans de retraite, de
contrats d’assurance et d’arrangements analogues »15. La tontine, acte de transfert hors
succession, ne saurait donc voir sa validité régie par le règlement « successions »16, mais
par le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Plus préci-
sément, en tant que modalité d’acquisition, la tontine sera valide si elle répond aux
conditions de fond et de forme de la loi applicable à l’acquisition elle-même.
La pratique notariale s’interroge parfois quant à la validité de la tontine à l’occa-
sion d’acquisitions immobilières réalisées en France par des non-résidents. En théo-
rie, en vertu de l’article 3 du règlement Rome I, vendeur et acquéreur peuvent
choisir la loi applicable à la vente. En pratique, si choix de loi il y a, celui-ci ne
saurait porter, dès lors que la vente a pour objet un immeuble situé en France, que
sur la loi française. Le choix de toute autre loi pourrait conduire à un morcellement
inopportun de la loi du contrat si les lois de police françaises de situation de l’im-
meuble devaient trouver à s’appliquer. Par ailleurs, à défaut de choix, l’article 4, § 1,
c), du règlement Rome I, dispose que la loi applicable au contrat, lorsque celui-ci a
pour objet un droit réel immobilier, est régie par la loi du pays où l’immeuble est
situé, soit, par hypothèse, la loi française. La tontine étant une modalité d’acquisi-
tion du droit français, la clause sera ainsi valide si elle respecte les conditions du
droit français, et notamment si l’aléa se trouve bien caractérisé quant à l’ordre des
décès. Ceci étant observé, si les coacquéreurs sont des époux, il importera également
de s’assurer que la clause de tontine ne heurte pas les principes régissant leur régime
matrimonial, et notamment, le cas échéant, le principe de l’immutabilité du régime
matrimonial. Aussi bien une clause de tontine ne sera-t-elle envisageable, entre
époux, que si les conjoints sont séparés de biens, ou bien si leur régime matrimonial
est soumis à la loi d’un État qui consacre le principe de la mutabilité absolue du
régime matrimonial, ou encore si, communs en biens, ils achètent l’un et l’autre le
bien en remploi ou en emploi de fonds propres.
Si la tontine est valide, tant au regard du droit de la vente que du droit des
régimes matrimoniaux, le conjoint survivant sera considéré comme seul proprié-
taire du bien depuis son acquisition.

2. La fiscalité de la tontine
La fiscalité de la tontine est régie, en droit fiscal français, par l’article 754 A du
Code général des impôts. Le texte dispose : « Les biens recueillis en vertu d’une

15. Règlement n° 650/2012, art. 1, § 2, g).


16. B A. et W P., Le droit européen des successions. Commentaire du
règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012, 2e éd., 2016, Bruylant, p. 73 et s., n° 39 et s.,
spéc. p. 95 et s.

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200 LA PROTECTION DU CONJOINT SURVIVANT EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

clause insérée dans un contrat d’acquisition en commun selon laquelle la part du


ou des premiers décédés reviendra aux survivants de telle sorte que le dernier
vivant sera considéré comme seul propriétaire de la totalité des biens sont au
point de vue fiscal, réputés transmis à titre gratuit à chacun des bénéficiaires de
l’accroissement. Cette disposition ne s’applique pas à l’habitation principale com-
mune à deux acquéreurs lorsque celle-ci a une valeur globale inférieure
à 76 000 euros, sauf si le bénéficiaire opte pour l’application des droits de muta-
tion par décès ». Ce texte pose une présomption, assortie d’une exception, à
laquelle il reste possible d’échapper au moyen d’une option. Par principe, le jeu
de la clause de tontine génère des droits de mutation à titre gratuit à la charge du
bénéficiaire de la clause. Si ce bénéficiaire est le conjoint survivant, en vertu des
dispositions issues de la loi TEPA, ledit conjoint n’aura aucun droit à verser à
l’administration fiscale française. Cependant – hypothèse rarissime en considéra-
tion du marché de l’immobilier –, si le bien acquis en tontine par les deux époux
constituait leur habitation principale, et avait une valeur inférieure à 76 000 euros,
le conjoint survivant serait tenu des droits de mutation à titre onéreux. Cette
solution, qui pouvait être avantageuse avant la loi TEPA, ne l’est plus pour le
conjoint survivant, exonéré de droits de mutation à titre gratuit depuis l’entrée en
vigueur de cette loi ; telle est la raison pour laquelle le législateur a assorti l’excep-
tion de l’article 754 A, alinéa 2, du CGI, d’une option, permettant notamment
au conjoint survivant de se soumettre à l’application des droits de mutation par
décès, qui sont plus avantageux pour ledit conjoint. Il importe d’observer, pour
conclure sur la tontine, que ladite option pourrait aussi profiter à des partenaires
puisque le pacte tontinier, pas plus que le contrat d’assurance-vie, ne constitue
une stratégie de transmission hors succession spécifique aux époux.
Cependant, à côté de ces deux stratégies qui ne peuvent porter que sur des
biens déterminés, pour la tontine, ou qui ne donnent lieu qu’au versement d’un
capital ou d’une rente, pour l’assurance-vie, existent d’autres stratégies qui, à la
différence de celles qui viennent d’être évoquées, ne peuvent être mises en œuvre
que par des personnes mariées. C’est la raison pour laquelle, après avoir présenté
les stratégies de transmission détachées du mariage, il convient d’étudier, dans un
second temps, les stratégies de transmission hors libéralités rattachées au mariage.

II. LES STRATÉGIES DE TRANSMISSION RATTACHÉES AU MARIAGE

Les stratégies de transmission hors libéralités rattachées au mariage


consistent, pour les époux, à se consentir des avantages matrimoniaux et,
notamment, à prévoir dans leurs conventions matrimoniales des gains de sur-
vie. Par exemple, la stipulation pour des époux communs en biens d’une clause
d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant sera de nature
à éviter que les biens de communauté ne tombent dans l’actif successoral, à
éluder les règles sur la réserve, à éviter une indivision entre le conjoint survivant
et les enfants du défunt, ou bien permettra de retarder au second décès la

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ÉRIC FONGARO 201

transmission des biens de communauté aux enfants du prémourant. Pour


atteindre ces objectifs, les époux peuvent bien sûr, dans les limites posées par la
loi applicable à leur régime matrimonial, se consentir des avantages matrimo-
niaux, ab initio, dans une convention matrimoniale conclue avant leur union,
et prenant effet à compter du mariage. Néanmoins, sans doute n’est-il pas tou-
jours opportun de conseiller ce type de stratégie à de futurs époux relativement
jeunes, dont on ne sait, avant le mariage, quel sera l’avenir, tant de leur vie de
couple que de leurs patrimoines. La constitution d’avantages matrimoniaux
peut en revanche s’avérer nettement plus opportune pour des époux plus avan-
cés en âge, lorsque, en cours de mariage, la question de la protection du conjoint
survivant se présentera de façon plus concrète. À cet égard, en cours de mariage,
deux techniques peuvent être mises en œuvre pour protéger le conjoint survi-
vant, hors succession et hors libéralités. L’une consiste à changer de loi appli-
cable au régime matrimonial, l’autre consiste à changer de régime matrimonial.
Seront présentées, en premier lieu, les stratégies fondées sur un changement de
loi applicable au régime matrimonial (A) puis, en second lieu, les stratégies
fondées sur un changement de régime matrimonial (B).

A. Les stratégies fondées sur un changement de loi applicable au régime


matrimonial

Les stratégies fondées sur un changement de loi applicable au régime matri-


monial reposent à ce jour – en attendant l’entrée en application du règlement
n° 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération
renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la recon-
naissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimo-
niaux17 –, sur les possibilités offertes par l’article 6 de la Convention de La Haye
du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, entrée en
vigueur le 1er septembre 1992.
Cet article peut être mis en œuvre par des époux, quelle que soit la date de leur
mariage – avant ou après le 1er septembre 1992 –, qu’ils aient ou non fait précéder
leur union d’une convention matrimoniale. Le texte stipule que « les époux
peuvent, au cours du mariage, soumettre leur régime matrimonial à une loi
interne autre que celle jusqu’alors applicable ». Dans la perspective de la protec-
tion du conjoint survivant au moyen d’un avantage matrimonial, l’article 6 sou-
lève d’emblée une difficulté d’interprétation dès lors que la plupart des régimes
légaux, de par le monde, n’octroie pas de gain de survie au profit du conjoint

17. Sur ce texte, v. G-P S., « Commentaire du règlement du 24 juin 2016


relatif aux régimes matrimoniaux : le changement dans la continuité », D. 2016, p. 2292 ;
P-S L., « Le nouveau règlement européen “Régimes matrimoniaux” »,
JCP G 2016, 1116 ; N C. et R M., « Règlements européens du 24 juin
2016 sur les régimes matrimoniaux et les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés »,
Defrénois 2016, art. 12494 ; P H., « Le nouveau règlement européen sur les régimes
matrimoniaux », JCP N 2016, 1241.

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202 LA PROTECTION DU CONJOINT SURVIVANT EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

survivant18. Le nouveau régime matrimonial s’appliquant aux époux, par l’effet


du changement de loi, s’entend-il seulement du régime légal de la loi désignée, ou
bien les époux, au sein du système juridique choisi, peuvent-ils directement adop-
ter un régime conventionnel, protecteur notamment du conjoint survivant ?
En droit international privé français, une réponse a été apportée à cette ques-
tion par une loi du 28 octobre 1997, qui a inséré dans notre Code civil un nouvel
article 1397-3, alinéa 3, aux termes duquel, « à l’occasion de la désignation de la
loi applicable, avant le mariage ou au cours de celui-ci, les époux peuvent désigner
la nature du régime matrimonial choisi par eux ». Des époux mariés sous l’empire
d’un régime matrimonial étranger pourront ainsi, dans le respect des critères de
rattachement de l’article 6 de la Convention de La Haye, choisir la loi française
et, directement, au sein du système juridique français, le régime conventionnel
adapté à leur situation, sans passer par le détour de l’article 1397 du Code civil.
En théorie, il serait également permis de penser que des époux puissent, en cours
de régime, changer de loi au bénéfice d’une loi étrangère, et choisir en son sein un
régime conventionnel permettant la protection du conjoint survivant. Toutefois, si
une telle possibilité semble acquise lorsque la loi choisie est celle du Luxembourg ou
des Pays-Bas, États contractants à la Convention de La Haye du 14 mars 1978, qui
excluent toute homologation judiciaire en cas de changement de loi, la prudence
s’impose si la loi choisie est celle d’un État non contractant soumettant les change-
ments de régime matrimonial à homologation judiciaire. Dans cette perspective,
pour autant que l’acte établi en France soit valide, il pourrait ne pas être reconnu à
l’étranger, dans l’État dont la loi a été choisie. Dans la même veine, un changement
de loi au bénéfice de la loi française, avec choix d’un régime conventionnel, pourrait
demeurer lettre morte à l’étranger, dans un État non contractant de situation des
biens du couple, si le régime matrimonial des époux venait à être liquidé par un
juriste local. C’est dire que la grande souplesse de mise en œuvre du changement de
loi quant à la forme, qui peut intervenir sans délai, et surtout sans homologation
judiciaire, dès lors que sont respectées les prescriptions des articles 11 et 13 de la
convention19, trouve sa principale limite dans le risque de non-reconnaissance de
l’acte, pourtant valide en France, à l’étranger.
Plus avant, sur le fond, il convient d’observer que la volonté des époux quant
au système juridique choisi se trouve encadrée par les critères de rattachement de
l’article 6 : « Les époux ne peuvent désigner que l’une des lois suivantes :
– la loi d’un État dont l’un des époux a la nationalité au moment de la désig-
nation ;
– la loi d’un État sur le territoire duquel l’un des époux a sa résidence habi-
tuelle au moment de la désignation.
La loi ainsi désignée s’applique à l’ensemble de leurs biens ».

18. Pour un tableau des régimes légaux dans le monde, v. R M., Droit
international privé et européen : pratique notariale, op. cit., p. 288 et s., n° 570 et s.
19. En pratique, si le changement de loi a lieu en France, il doit prendre la forme d’un
contrat de mariage. Il s’agira donc d’établir un acte authentique et solennel.

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ÉRIC FONGARO 203

En dépit de ce cadre assez strict, l’article 6 constitue un excellent outil de


protection du conjoint survivant. Des époux anglais, mariés sous le régime
anglais de la séparation de biens et résidant en France, pourront choisir, pour
l’ensemble de leurs biens, le régime français de la communauté universelle avec
clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant. Par ail-
leurs, l’article 6, in fine, prévoit qu’en ce qui concerne les immeubles ou certains
d’entre eux, les époux peuvent désigner la loi du lieu où ces immeubles sont
situés. Ils peuvent également prévoir que les immeubles qui seront acquis par la
suite seront soumis à la loi du lieu de leur situation.
Au regard de ces éléments, deux remarques s’imposent. On observera d’abord que
si la possibilité de choix de la loi de situation offre d’intéressantes perspectives en vue
de la protection du conjoint survivant, un tel choix conduit à un dépeçage de la loi
applicable au régime matrimonial, compliquant les opérations de liquidation à la fin
de l’union. Deuxième remarque : il ne faut jamais perdre de vue que la constitution
d’un avantage matrimonial peut être battue en brèche, en présence d’enfants non issus
des deux époux, lorsque la loi successorale est la loi française, si ces enfants se prévalent
de l’action en retranchement de l’article 1527, alinéa 2, du Code civil20.
En considération de ce qui précède, il importe de souligner que le règlement
n° 2016/1103 prévoit, comme la Convention de La Haye, la possibilité de chan-
ger de loi applicable au régime matrimonial en cours d’union. L’article 22 du
texte dispose en effet :
« 1. Les époux ou futurs époux peuvent convenir de désigner ou de modifier
[c’est nous qui soulignons] la loi applicable à leur régime matrimonial, pour
autant que ladite loi soit l’une des lois suivantes :
– la loi de l’État dans lequel au moins l’un des époux ou futurs époux a sa
résidence habituelle au moment de la conclusion de la convention ; ou
– la loi d’un État dont l’un des époux ou futurs époux a la nationalité au
moment de la conclusion de la convention.
2. Sauf convention contraire des époux, le changement de loi applicable au
régime matrimonial au cours du mariage n’a d’effet que pour l’avenir ».
Si le texte nouveau s’inspire des stipulations de la Convention de La Haye,
notamment en ce qu’il reprend les deux principaux critères de rattachement du
traité – la résidence habituelle et la nationalité –, force est de constater que le
règlement se démarque de la convention sur plusieurs points. Ainsi, le texte euro-
péen ne prévoit plus, pour les immeubles, la possibilité de choisir la loi du lieu de
leur situation. Fini donc le dépeçage, pourtant tant utilisé en pratique par les
notaires, après l’entrée en application du règlement, et pour les époux relevant de
son champ d’application. Par ailleurs, alors que sous l’empire de la Convention
de La Haye le changement de loi revêtait un caractère rétroactif, sauf à liquider le
régime antérieurement applicable, c’est la solution inverse qui se trouve consacrée

20. R M., Droit international privé et européen : pratique notariale, op. cit.,
p. 530, n° 982.

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204 LA PROTECTION DU CONJOINT SURVIVANT EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

au sein du règlement du 24 juin 2016. Le changement de loi n’aura d’effet que


pour l’avenir. Ce n’est que par une convention contraire que les époux pourront
conférer un caractère rétroactif à leur changement de loi.

B. Les stratégies fondées sur un changement de régime matrimonial

Les stratégies fondées sur un changement de régime matrimonial consistent,


elles aussi, à ce que les époux se consentent des avantages matrimoniaux et, plus
particulièrement, des gains de survie. Cependant, à la différence du changement
de loi applicable au régime matrimonial, ces stratégies ne découlent pas d’un
changement de système juridique, mais s’inscrivent au sein d’un même système
juridique, au moyen d’un changement « classique » de régime matrimonial. La
mise en œuvre de ces stratégies n’est pas toujours aussi aisée que la mise en œuvre
de l’article 6 de la Convention de La Haye, mais le changement de régime matri-
monial peut présenter certains avantages par rapport au changement de loi.
L’on sait, depuis le fameux arrêt Zelcer21, que la possibilité de changer ou non
de régime matrimonial, en droit international privé, dépend de la loi applicable
au régime22. Que la loi applicable au régime consacre le principe de l’immutabi-
lité du régime matrimonial, et les époux ne pourront pas changer de régime, ni
donc se consentir des avantages matrimoniaux autres que ceux qui pourraient,
éventuellement, résulter de leur régime initial. En revanche, si la loi du régime
autorise les conventions matrimoniales en cours d’union, les époux pourront, soit
changer de régime, soit modifier le régime jusqu’alors applicable et, le cas échéant,
se consentir des gains de survie. Certes, les conditions posées par la loi applicable
au changement de régime matrimonial peuvent parfois représenter un frein à la
constitution d’un gain de survie. Si certaines lois consacrent le principe de la
mutabilité sans conditions particulières, beaucoup prévoient que les conventions
matrimoniales conclues en cours d’union ne sauraient résulter que d’un acte
notarié, quand elles ne doivent pas, en outre, faire l’objet d’une homologation
judiciaire ou d’un contrôle administratif23. Il s’agit là, incontestablement, d’une
faiblesse des stratégies fondées sur le changement de régime matrimonial par rap-
port à celles qui reposent sur un changement de loi, jamais soumises à homologa-
tion judiciaire. À résultat strictement équivalent, un praticien devra donc propo-
ser un changement de loi plutôt qu’un changement « classique » soumis à

21. Cass. req., 4 juin 1935, Rev. crit. DIP 1936, p. 755, note Basdevant ; S. 1936,
p. 377, rapport Pilon, note Niboyet ; DP 1936, 1, 7, rapport Pilon, note Savatier R. ; A B.
et L Y., Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 5e éd.,
2006, Dalloz, n° 15, p. 128 et s.
22. F E., « Le changement de régime matrimonial en droit international privé
– entre présent et avenir », Dr. et patr., déc. 2012, n° 220, p. 87 ; v. également, sur le sujet,
F J., « Le changement de régime matrimonial en droit international privé entre règles
internes et règles internationales », in Mélanges Gérard Champenois, 2012, Defrénois, p. 273.
23. Pour des éléments de droit comparé, v. R M., Droit international privé et
européen : pratique notariale, op. cit., p. 208, n° 407 ; R M., JCl. Notarial Formulaire,
V° Législation comparée.

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ÉRIC FONGARO 205

homologation, dont le coût pourrait s’avérer élevé pour les clients. Toutefois, on
se souviendra que la Convention de La Haye du 14 mars 1978 n’étant entrée en
vigueur que dans trois États – la France, le Luxembourg et les Pays-Bas –, les actes
établis sur le fondement de l’article 6 pourront ne pas être reconnus dans les États
non contractants, notamment dans ceux qui retiennent le principe d’une muta-
bilité contrôlée du régime matrimonial, et, a fortiori, dans les pays consacrant
l’immutabilité du régime matrimonial. À l’inverse, un changement « classique »
de régime matrimonial pourra, dans certaines situations, mieux circuler dans
l’ordre international qu’un changement de loi. Ainsi, si l’on souhaite qu’un avan-
tage matrimonial soit reconnu dans un État non contractant à la Convention de
La Haye, par exemple parce que les époux y ont conservé des biens, la solution la
plus prudente consisterait à recourir à un changement « classique » de régime
matrimonial plutôt qu’à un changement de loi. À cet égard, cette stratégie pourra
continuer de prospérer même après l’entrée en application du règlement euro-
péen relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des
décisions en matière de régimes matrimoniaux. En effet, le règlement, pour
autant qu’il exclue toute possibilité de mutabilité automatique de la loi applicable
au régime matrimonial, maintient la possibilité d’un changement volontaire de
loi, dont la portée se trouve toutefois limitée par rapport à celle de l’article 6 de la
Convention de La Haye. Certes, le règlement, en matière de conflit de lois, revêt
un caractère universel. La loi désignée s’appliquera même si elle n’est pas celle
d’un État membre. Mais s’il ne fait aucun doute que les changements de lois sur-
venus dans un État membre seront reconnus dans les autres États membres, il est
tout aussi certain que ces mêmes changements de lois ne seront pas reconnus dans
tous les États tiers, ne connaissant pas, a priori, cette façon induite de changer de
régime matrimonial. Les stratégies de protection du conjoint survivant fondées
sur le vieil arrêt Zelcer ont donc encore de beaux jours devant elles.

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TROISIÈME PARTIE
BIENS ET CONTRATS

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La tontine… et sa mystérieuse application à l’usufruit

Gérard F
Docteur en droit
Notaire honoraire

La tontine, voilà un mot qui, ignoré du législateur, perturbe la jurisprudence


et interpelle la doctrine.
De quoi s’agit-il ?
La tontine est une convention aux termes de laquelle « les acquéreurs d’un
même bien conviennent que l’acquisition sera réputée faite pour le survivant
d’eux, dès le jour d’acquisition, à l’exclusion des prémourants qui seront ultérieu-
rement censés n’avoir jamais été propriétaires »1.
Par quel miracle cela est-il possible ?
Pour bien comprendre le mécanisme il faut, comme bien souvent, l’éclairer à
la lumière de son histoire.
Un auteur2 a fort bien résumé les origines multiples de cette curieuse création
de la pratique :
« La tontine apparaît sous sa forme moderne au e siècle sous l’impulsion
d’un banquier Italien, Lorenzo Tonti.
En 1653, celui-ci propose à Mazarin, qui cherche de nouvelles sources de
financement des dépenses militaires, une combinaison d’emprunt et de loterie
fondée sur la durée de la vie humaine, qui devait d’autant mieux réussir, disait son
inventeur, “que chacun croit vivre beaucoup plus longtemps que les autres”.
Concrètement, il s’agissait d’un emprunt d’état en contrepartie de rentes via-
gères versées au taux de 5 % dans lesquelles les souscripteurs étaient divisés d’après
leur âge en dix classes distinctes, par intervalles de 7 ans jusqu’à 63 ans et au-des-
sus. L’emprunt quant à lui se décomposait de dix fonds de 125 000 livres de
rentes chacun, correspondant à chacune des dix classes d’âge.
Chaque préteur devait ainsi payer une somme de 300 livres sur lequel il rece-
vait un revenu de 5 % annuel. Surtout, au sein de chaque classe d’âge, à chaque
décès, la fraction de capital du prémourant accroissait d’autant celle des survi-
vants, augmentant ainsi pour tous la base de calcul de la rente.

1. C G. (dir.), Vocabulaire juridique, 2016, PUF, V° Accroissement.


2. C C P., « Du bon usage de la roulette Russe dans le contrat de société :
tontine, aléa et abus de droit », Dr. fisc., 14 juill. 2016, n° 28, p. 13.

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210 LA TONTINE… ET SA MYSTÉRIEUSE APPLICATION À L’USUFRUIT

Au décès du dernier titulaire de chaque classe, la réversion s’effectuait alors au


profit du Trésor.
Ce mode de financement connut un succès croissant à partir de la fin du
e siècle et tout au long du e. Des études estiment ainsi qu’entre 1733 et 1759
la France leva 104 millions de livres de capital sous forme de tontines apportés par
environ 102 000 personnes. Mais, revers de la médaille, le système de rente viagère
ainsi mis en place ne fut pas étranger à la crise des finances publiques des années
1780 en raison du coût exorbitant des intérêts servis, ce que Diderot avait synthétisé
en écrivant dans l’Encyclopédie “mais de tous les expédients de finances, les tontines
sont peut-être les plus onéreuses à l’État”.
Cet engouement se poursuivit néanmoins après la Révolution puisque la
Convention prit le 26 messidor de l’an III (14 juillet 1795) un décret instituant
une tontine nationale.
Il faut dire que la perspective de décrocher le premier prix de cette loterie
financière attirait de nombreux candidats : on trouve ainsi la trace d’une tontine
ouverte en 1683, et qui se termina en 1726 par le décès de sa dernière survivante,
une veuve âgée de 96 ans : au moment de sa mort l’État lui servait une rente
annuelle phénoménale de 73 500 livres ! »
On le voit, ce sont les nécessités économiques de l’État ou des particuliers qui
ont procédé à l’invention de ce « phénomène ».
Pour autant le juriste ne peut se satisfaire de cette approche pragmatique, il lui
appartient d’analyser son mécanisme pour en appréhender ses subtilités, les
approuver ou les contredire.
Cette brève étude rappellera dans un premier temps comment et pourquoi la
clause de tontine a obtenu droit de cité dans nos techniques contractuelles (I).
Mais, toujours poussé par des contingences d’efficacité, les praticiens se sont
demandé si une telle convention ne pouvait s’appliquer à une partie démembrée
du droit de propriété : l’usufruit.
Et là nous allons voir que le résultat bouscule les concepts traditionnels de
notre droit (II).

I – LA TONTINE PORTANT SUR LA PROPRIÉTÉ DU BIEN

Il y a lieu tout d’abord de rappeler qu’il n’est nullement fait référence à la ton-
tine dans notre Code civil, seul le législateur fiscal, dans un souci de réalisme
budgétaire, y fait allusion mais seulement pour en tirer les conséquences
financières3.

3. Sont, sur le plan fiscal réputés transmis à titre gratuit, les biens recueillis en vertu
d’une clause de tontine, dans la mesure où le pacte tontinier a été conclu après le 5 septembre
1979 ; toutefois l’exigibilité des droits de mutation à titre gratuit ne s’applique pas à l’habitation

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GÉRARD FLORA 211

En réalité, c’est la pratique qui l’a créée, sous diverses formes au cours de
l’histoire, comme nous l’avons rappelé en introduction, mais c’est à sa forme
moderne que nous limiterons notre analyse.
Force est de constater que c’est à l’orfèvre du contrat qu’est le notaire que l’on
doit la tontine sous son aspect actuel. Le pragmatisme juridique conduit en effet
souvent ce praticien à faire preuve d’une imagination que la doctrine lui envie et
que la jurisprudence tente d’encadrer4.
D’ailleurs, même sous sa forme moderne, la tontine a évolué au gré des appré-
ciations de la doctrine et des sanctions de la jurisprudence.
Il convient donc d’examiner les techniques juridiques successives qu’a pu
prendre la tontine, de celles-ci découleront ses caractéristiques techniques et les
conditions de sa validité.

A. Les techniques juridiques de la tontine

La tontine a pris tout d’abord la forme d’une clause d’accroissement.


On la rencontrait fréquemment au e siècle dans les contrats d’acquisition
en commun notamment utilisés par les congrégations religieuses qui n’avaient
pas la personnalité juridique et qui ne pouvaient donc acquérir.
Les membres de ces congrégations achetaient en commun les biens nécessaires
à leur usage et, par le jeu d’une véritable clause d’accroissement, au décès de
chaque membre sa part accroissait aux autres membres ; or, sachant que tous les
membres de la communauté devaient ratifier la clause, les biens ainsi acquis
étaient affectés définitivement à la congrégation alors même que les fondateurs de
la tontine étaient décédés.
Dans un premier temps, la Cour de cassation5 censura cette technique au motif
qu’en cas de décès de chaque acquéreur, sa part accroissait aux autres, d’où le terme de
« clause d’accroissement ». Elle en tirait l’inévitable conséquence qu’une telle conven-
tion tombait sous le coup de la nullité entachant les pactes sur succession future.
La pratique revint alors à la charge, transformant la clause d’accroissement en
véritable clause de tontine6. Cette clause conférait à chacun des acquéreurs la
commune à deux acquéreurs lorsque celle-ci a une valeur inférieure à 76 000 euros,
l’accroissement est alors passible des droits de mutation à titre onéreux, sauf au redevable, dans
le cadre des successions ouvertes à compter du 1er janvier 2010 , à opter pour les droits de
succession, si cette taxation lui est plus favorable (hypothèse du conjoint ou du partenaire du
Pacs) (CGI, art. 754-A).
4. V. en ce sens : T-C S., « La pratique notariale source du droit » thèse,
6 déc. 2013, Toulouse.
5. Cass. req., 24 janv. 1928, S. 1929, I, p. 137, note Vialleton H. ; DP 1928, I, p. 157,
rapporteur Célice ; RTDC 1928, p. 458, obs. Savatier R.
6. Les termes « clause d’accroissement et « clause de tontine » sont souvent, à tort, nous
semble-t-il, employés indistinctement, or l’accroissement est antinomique du mécanisme
actuel de la tontine.

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212 LA TONTINE… ET SA MYSTÉRIEUSE APPLICATION À L’USUFRUIT

propriété de l’immeuble tout entier sous condition suspensive de sa survie et sous


condition résolutoire de son décès et, en raison de la rétroactivité des conditions,
le prémourant était censé ne jamais avoir été propriétaire du bien.
Ainsi, les tontiniers n’ayant nullement la disposition de leurs droits « pendente
conditione », ils échappaient à la prohibition des pactes sur succession future.
De sorte que la Cour de cassation, dans un arrêt du 3 février 19597, valida
cette convention au motif que « le contrat litigieux (…) conférait au survivant la
propriété de l’immeuble tout entier à partir du jour de son acquisition, sous
condition suspensive de sa survie ».
La haute juridiction confirma sa position dans un arrêt de la Chambre mixte
du 27 novembre 19708en des termes très explicites : « Mais attendu que loin de
constituer, comme le soutient le pourvoi, une clause attribuant au survivant un
droit privatif sur une partie de la succession du prémourant, le contrat litigieux,
tel qu’il est analysé par l’arrêt attaqué, conférait à chacun des acquéreurs la pro-
priété de l’immeuble tout entier, à partir du jour de son acquisition, sous condi-
tion du prédécès de son cocontractant ; que dès lors une telle convention ne
pouvait tomber sous la prohibition des pactes sous succession future ».
C’est donc par le jeu de la double condition et de son effet rétroactif9 que la
tontine échappe à la prohibition des pactes sur succession future parce que le bien
est réputé, pour cette raison, n’avoir jamais fait partie du patrimoine du prémou-
rant et donc de sa succession.
Enfin la Cour de cassation, tirant les conséquences de sa propre analyse, pré-
cisa, dans un arrêt de la première chambre civile du 14 décembre 200410, que
« l’acquisition d’un bien avec une clause d’accroissement (sic) constitue un contrat
aléatoire et non une libéralité ».
De l’évolution rédactionnelle de la convention et de son « bornage » par la
jurisprudence on peut tirer les conditions de validité de la tontine.

B. Les caractéristiques techniques et les conditions de validité de la tontine

La tontine est donc un contrat à titre onéreux, aléatoire et, semble-t-il, exclusif
d’indivision.

7. Cass. com., 3 févr. 1959, Bull. civ. 1959, I, n° 66.


8. Cass. ch. mixte, 27 nov. 1970, Bull. ch. mixte 1970, n° 3, p. 5.
9. À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février
2016, portant réforme du droit des contrats et des obligations, créant un article 1304-6 dans le
Code civil, a supprimé tout effet rétroactif à la condition suspensive ; en effet l’alinéa 1er de cet
article déclare que l’accomplissement de la condition suspensive rend l’obligation pure et simple.
Les praticiens seront donc désormais bien inspirés de stipuler clairement que par dérogation à
l’article précité, la condition suspensive de survie de chacun des acquéreurs aura un effet rétroactif,
ainsi que le permet le deuxième alinéa de ce même article (v. en ce sens Montoux D., JCP N,
10 févr. 2017, n° 6-7, art. 1099, p. 40).
10. Cass. 1re civ., 14 déc. 2004, Bull. civ. 2004, I, n° 313, p. 262.

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GÉRARD FLORA 213

1. Un contrat à titre onéreux


La Cour de cassation l’a clairement affirmé, il échappe donc aux règles rela-
tives aux libéralités, plus particulièrement aux règles du rapport à la succession du
prémourant, ainsi qu’ aux règles protégeant la réserve héréditaire.

2. Un contrat aléatoire
C’est une des conditions de validité de la tontine, elle résulte des dispositions
de droit commun relatives aux obligations conditionnelles, notamment le respect
de la réalité de l’aléa.
C’est ainsi qu’une trop grande différence d’âge entre les tontiniers, un état de
santé déséquilibré de l’un par rapport à l’autre ou encore un financement inégali-
taire de l’immeuble mettra à mal l’aléa.
La clause sera alors, en fonction des causes de son invalidité, soit requalifiée en
libéralité, sauf à prouver l’intention libérale, soit considérée comme non écrite,
entraînant le retour à l’indivision entre les tontiniers.
En revanche, lorsque les exigences d’un contrat aléatoire, à titre onéreux, sont
respectées, la jurisprudence n’hésite pas à tirer toutes les conséquences de cette
validité.
Ainsi elle a pu admettre que n’était pas une donation de biens communs
l’achat par le mari, marié sous le régime de la communauté, d’un immeuble avec
sa maîtresse11.

3. Un contrat exclusif d’indivision


La Cour de cassation estime que « la clause d’accroissement est exclusive
d’indivision dès lors qu’il n’y aura jamais eu qu’un seul titulaire du droit de
propriété et que, tant que la condition du prédécès de l’une des parties n’est pas
réalisée, celles-ci n’ont que des droits concurrents, tel le droit de jouir indivisé-
ment du bien »12.
La doctrine en a bien sûr tiré les conséquences logiques, ainsi un auteur sou-
tient que « la clause d’attribution de l’entière propriété au survivant implique, de
par sa nature même, une indivision voulue jusqu’au prédécès et, par conséquent,
il ne saurait y être mis fin par un partage provoqué par l’un des indivisaires »13.
La haute juridiction a d’ailleurs incidemment, mais en toute logique, confir-
mée cette position : l’article 815-17, alinéa 1 du Code civil nous rappelle en effet
que les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir le bien, ils ne

11. Cass. 1re civ., 11 janv. 1983, Dalloz 1983, p. 501, obs. Larroumet C.
12. Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, n° 10-21710.
13. Larroumet C., obs. sous Cass. 1re civ., 11 janv. 1983, D. 1983, p. 501 et s.

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214 LA TONTINE… ET SA MYSTÉRIEUSE APPLICATION À L’USUFRUIT

peuvent que demander le partage pour se payer sur la quote-part du prix de leur
créancier (C. civ., art. 815-17, al. 3) or sous l’empire de la tontine les tontiniers
n’ayant pas le droit de demander le partage pour cause d’inexistence d’une indi-
vision, les créanciers ne l’ont pas non plus14.
De même elle a dénié aux créanciers personnels d’un tontinier le droit de saisir
les droits du tontinier sur le bien15.
Pourtant, et malgré la logique implacable de la haute juridiction, certains
auteurs16 soulignent que « le statut du bien acquis en tontine au cours de cette
période constitue certainement l’énigme la plus troublante17 de la tontine. Il
semble néanmoins que la nature des droits des tontinier ne soit pas différente de
celle de droits indivis… » et, allant jusqu’au bout de leur logique, ils démontrent
que l’acquisition du bien en tontine est une acquisition en indivision.
Le raisonnement, se fondant sur la technique conditionnelle, est le suivant :
« D’évidence, la condition dont il s’agit ne peut être suspensive, car alors l’im-
meuble serait vacant pendente conditione et le contrat en définitive nul. Elle ne
saurait d’avantage être une condition résolutoire, en ce que le bien pendente condi-
tione ne peut être simultanément la propriété exclusive de chacun des tontiniers…
on ne voit pas quel autre statut qu’indivis le bien acquis en tontine pourrait avoir,
dès lors que le bien appartient collectivement aux tontiniers ».
Mais, respectant bien sûr la jurisprudence de la Cour de cassation relative à
l’interdiction faite aux tontiniers de demander le partage, l’auteur de conclure
« au final la tontine créerait une indivision spéciale, dérogeant au droit commun
de l’indivision sur ce point ».
Ainsi aujourd’hui, ce « monstre juridique » « qui sacrifie sur son passage les
principes les mieux établis de notre droit : prohibition des pactes sur succession
future (article 1130, ancien, du Code civil) droit de demander le partage
(article 815 du Code civil) droit de gage général des créanciers (article 2093
(ancien) du Code civil) interdiction de disposer d’un bien commun sans le
consentement du conjoint (article 1424 du Code civil)… »18 est né et vit dans
notre droit des contrats, en toute impunité !
Mais ce « monstre juridique » peut-il se développer, repousser les barrières de
l’interdit et, défiant toute logique, ne porter que sur une partie démembrée du
droit de propriété, l’usufruit, dont on sait que lui-même disparaît, en principe,
avec la vie de l’usufruitier ?
14. Cass. 1re civ., 27 mai 1986, Bull. civ., n° 133, D. 1987, 139, note Morin G.,
JCP 1987. II. 20763, note Dagot M.
15. Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, Bull. civ. I, n° 315 ; JCP N 1998, II, n° 10051, p. 605,
obs. du Rusquec E.
16. G C. « Mystérieuse tontine », in Mélanges en l’honneur du professeur Gérard
Champenois, 2012, Defrénois.
17. Ibid., citant J. Patarin, obs. sous Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, RTD civ. 1998, p. 432.
18. M. Arrault, CRIDON Bordeaux-Toulouse, « pratique de l’usufruit », mise à jour,
septembre 1993.

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GÉRARD FLORA 215

II – LA MYSTÉRIEUSE APPLICATION DE LA TONTINE À L’USUFRUIT


Comment la pratique a-t-elle pu seulement envisager cette hypothèse (A),
qu’en pensent la doctrine (B) et la jurisprudence (C) ?

A. La pratique prétorienne

Les praticiens du contrat que sont les notaires ont eu à se pencher sur la ques-
tion afin de répondre à une attente de leurs clients dans une hypothèse, somme
toute, banale :
Deux époux ou deux concubins pacsés ou non19 qui ont chacun des enfants
d’une première union, envisagent d’acquérir leur logement. Ils souhaitent bien
sûr que le survivant d’eux en ait la « jouissance », mais ne veulent en aucun cas
« déshériter » leurs enfants.
Or, nous le savons, la tontine portant sur la pleine propriété aura pour consé-
quence, au décès de l’un des acquéreurs, de voir le bien revenir la propriété du
survivant et évincer ainsi les ayants droit du prémourant. Elle est donc, au cas
d’espèce, à proscrire, mais alors par quoi la remplacer pour atteindre le résultat
escompté ?
Certes les acquéreurs peuvent faire tout simplement un achat en indivision
et, par dispositions testamentaires, léguer l’usufruit de leur quote-part du
bien à l’autre. Oui, mais le risque d’atteinte à la réserve est d’autant plus grand
que le bien acquis sera peut-être le seul que posséderont les acquéreurs lors de
leur décès.
La sanction de la réduction les menace et même si celle-ci ne s’exerce désor-
mais qu’en valeur, encore faut-il trouver les capitaux permettant de « désintéres-
ser » les réservataires.
Alors pourquoi ne pas tout simplement faire acquérir le bien, pour la nue-
propriété indivisément entre les acquéreurs, dans des proportions égales ou iné-
gales d’ailleurs, en fonction de leurs apports financiers respectifs et, pour l’usu-
fruit, stipuler une clause de tontine ?
Au premier décès les enfants du prémourant recueilleront la quote-part de
nue-propriété que possédait leur auteur, le survivant l’usufruit de l’entier
bien. Puis au second décès les enfants du prémourant seront plein-proprié-
taires de la part de leur auteur par suite de l’extinction de l’usufruit du survi-
vant et les enfants du second défunt hériteront de la pleine-propriété de la
part de leur auteur.
Solution idéale, oui mais voilà une clause de tontine ne portant que sur l’usu-
fruit du bien résiste-t-elle à l’analyse juridique ?

19. Il convient de rappeler que la clause de tontine n’est envisageable qu’entre époux
mariés sous un régime séparatiste et/ou entre partenaires d’un pacs exclusif d’indivision.

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216 LA TONTINE… ET SA MYSTÉRIEUSE APPLICATION À L’USUFRUIT

B. Qu’en pense la doctrine ?

Deux réponses ministérielles ont clairement rejeté cette possibilité.


Aux termes de la première, le garde des Sceaux, interrogé sur le point de savoir
si deux concubins qui envisagent de procéder à l’acquisition de leur logement
peuvent avoir recours au pacte tontinier en usufruit seulement afin de pouvoir assu-
rer la protection du concubin survivant quant au maintien de son cadre de vie, le
tout en garantissant les droits des héritiers de chacun, apporte la réponse suivante :
« Le recours au pacte tontinier en usufruit pour deux concubins, qui décideraient
d’acheter en commun le logement, apparaît incompatible avec la nature des droits
indivis. L’indivision implique, en effet, que les droits de chacun des acquéreurs
soient individualisés. Or le pacte tontinier n’attribue pas au survivant un droit pri-
vatif sur une partie de la succession du prémourant, mais confère à chacun des
acquéreurs la propriété de l’immeuble tout entier à partir du jour de son acquisition
sous condition de prédécès de son cocontractant. Alors que l’usufruit est un droit
sur la chose d’autrui un indivisaire ne peut être usufruitier de la quote-part de son
coïndivisaire, car chaque indivisaire est copropriétaire du tout »20.
Le garde des Sceaux confirma sa position peu de temps après dans une seconde
réponse21 aux termes de laquelle, pour écarter la licéité du procédé, il estime que
l’opération ne correspond pas à l’esprit du pacte tontinier dans la mesure où le
caractère temporaire de l’usufruit, droit réel de jouissance lorsqu’il est dissocié de
la nue-propriété, n’apparaît pas compatible avec un pacte de tontine ayant pour
objet ce seul usufruit.
La grande majorité de la doctrine des centres de recherche, d’information et
documentation notariale (CRIDON), à l’exception de celui du CRIDON Sud-
Ouest, retient l’analyse de la chancellerie22, en effet, pour les tenants de cette
doctrine l’analyse est la suivante :
D’une part, admettre la possibilité de stipuler une tontine en usufruit heurte
la jurisprudence actuelle qui estime que pendente conditione, indivision et tontine
ne peuvent être cumulées. La coexistence en droit positif d’une indivision en
jouissance et d’une double condition excluant rétroactivement toute indivision
en propriété rend impossible l’hypothèse d’une tontine en usufruit : comment
admettre en effet que le prémourant qui a joui du bien jusqu’à son décès doive
rétroactivement être considéré comme n’en ayant jamais joui23 ?
D’autre part et surtout, dans la figure classique de la clause de tontine portant
sur la propriété, l’acquéreur survivant devient propriétaire lorsque le droit de
l’autre disparaît, sans qu’il y ait la moindre transmission. Or la tontine en usufruit
s’inscrit dans une configuration différente : l’acquéreur survivant ne voit pas son

20. Rép. min., JOAN, 19 oct. 1998, n° 1485, p. 5733.


21. Rép. min., JOAN, 14 juin 1999, n° 23836, p. 3692.
22. V. notamment D B.-H., JCl. Civil code, app. art. 1964, 2014, n° 58 ;
D B.-H., journées du Cridon Nord, sept. oct. 1992, p. 135.
23. V. Notamment D B.-H., précité.

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GÉRARD FLORA 217

droit en propriété accru, mais augmenté d’un droit d’usufruit sur la part qui n’est
pas la sienne ; autrement dit, à un droit en propriété vient s’ajouter un autre, mais
de nature différente, puisque portant uniquement sur un démembrement. Celui
qui prédécède, contrairement au schéma classique, n’est donc pas considéré
comme n’ayant jamais été propriétaire, mais comme ayant été uniquement nu-
propriétaire de la part par lui acquise.
Et de rajouter que l’on ne peut, sans contradiction, démembrer la propriété
d’un bien sur la tête d’une même personne qui cumulerait à la fois les qualités de
nu-propriétaire et d’usufruitier.
Pour autant cette analyse ne fait pas l’unanimité en doctrine et, pour notre
part, n’emporte pas la conviction.
Un auteur24 notamment fait remarquer que la première réponse ministérielle
se fonde sur le fait que la tontine portant sur l’usufruit « apparaît incompatible
avec la nature des droits indivis. L’indivision implique en effet que les droits de
chacun des acquéreurs soient individualisés ». Or cet auteur rappelle que, pour la
jurisprudence de la Cour de cassation, c’est précisément l’absence d’indivision
qui caractérise la tontine pendente conditione.
Par ailleurs, balayant l’argument fondé sur le fait que pour éviter au prémou-
rant une restitution des fruits la tontine ne pourrait s’accorder avec un droit
d’usufruit, ce même auteur fait très justement valoir que l’acquéreur prédécédé a
pu être considéré comme possesseur de bonne foi tant que la condition n’était pas
levée. À ce titre il peut conserver les revenus qu’il a perçus durant cette période ;
en effet et aux termes de l’article 549 du Code civil, « le simple possesseur ne fait
les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi… ».
Quant à la seconde réponse ministérielle, ses arguments sont également réfu-
tés par cet auteur25 : « Le caractère temporaire de l’usufruit suffirait de le rendre
impropre à une acquisition en tontine. En réalité ce qui dérange, c’est qu’un
même événement (le décès du prémourant des acquéreurs) soit cause d’extinction
de l’usufruit mais aussi cause du dénouement de la tontine au profit du survi-
vant. La rétroactivité attachée à la condition permet de dépasser cette difficulté :
celui qui décède en premier est censé ne jamais avoir eu de droit sur l’immeuble,
et l’autre acquéreur se trouve, rétroactivement, considéré comme ayant été ab
initio usufruitier pour la totalité ».
Pour notre part, nous rajouterons que l’on ne voit pas pourquoi qui peut le plus,
faire disparaitre rétroactivement son droit en propriété par son prédécès, ne puisse
faire le moins, faire disparaitre uniquement les prérogatives d’usus et de fructus.
En effet, la rétroactivité qui fait disparaitre les droits initiaux qu’avait le pré-
mourant sur la pleine propriété du bien est une pure fiction de la loi et l’on ne
voit pas ce qui ferait obstacle à l’application de cette fiction à l’usufruit.
24. D S-H P., « Tontine : Réponse… à une réponse ministérielle », Dr.
et patr., mai 1999, p. 24.
25. D S-H P., « Tontine : Réponse… à une réponse ministérielle »,
op. cit.

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218 LA TONTINE… ET SA MYSTÉRIEUSE APPLICATION À L’USUFRUIT

C. La jurisprudence des cours d’appel a d’ailleurs validé à deux reprises la


tontine ne portant que sur l’usufruit du bien

C’est ainsi que la cour d’appel de Toulouse, le 20 mai 200826, et la cour d’ap-
pel de Rennes, le 3 janvier 201227, ont, sans ambiguïté, validé la tontine portant
sur l’usufruit d’un bien.
La dernière de ces décisions est d’ailleurs très claire dans ses motifs et n’élude
nullement les objections de la doctrine, c’est ainsi qu’elle déclare : « Considérant
que la clause relative à la condition de survie est d’abord contestée au motif que
cette clause qui repose sur le mécanisme de la double condition suspensive et
résolutoire est incompatible avec l’usufruit qui s’acquiert au jour le jour.
Mais considérant que si du vivant des deux usufruitiers, ceux-ci disposent de
leur droit d’usufruit en commun, il n’est pas interdit qu’ils conviennent à l’avance
qu’au décès du prémourant qui emporte extinction de son usufruit, ce droit sera
censé n’avoir jamais existé, le survivant étant considéré comme le seul usufruitier
de l’immeuble depuis son acquisition.
Considérant qu’il est également soulevé qu’il n’est pas possible de démembrer
un droit de propriété sur la tête de la même personne ;
Considérant cependant que les acquéreurs ont acquis la moitié indivise de la
nue-propriété, mais ont séparément acquis le droit à usufruit dont ils ont décidé
que de leur vivant il s’exercerait en commun ;
Qu’il s’en suit qu’au décès du prémourant son droit à usufruit s’éteignant,
l’indivision ne porte que sur la nue-propriété entre les héritiers, seule
Madame C. demeurant usufruitière jusqu’à son décès ».
La Cour de cassation, quant à elle, n’a pas eu à se prononcer sur la question,
laissant ainsi le praticien désemparé devant tant d’incertitudes.

*
* *

Que conclure de cette brève étude sur la tontine et sur sa mystérieuse applica-
tion à l’usufruit ?
« Monstre juridique » pour les uns28, « roulette russe juridique » pour les
autres29, la tontine est comparable à l’hydre de Lerne, cette bête à sept têtes de la
mythologie Grecque, que le praticien a créé, mais que la doctrine et la jurispru-
dence n’ont cessé de vouloir décapiter.

26. CA Toulouse, 20 mai 2008, ch. 1, sect. 2, JurisData, n° 2008-373254.


27. CA Rennes, 3 janv. 2012, ch. 1, JurisData, n° 2012-004373.
28. A M., op. cit.
29. C C P., « Du bon usage de la roulette Russe dans le contrat de société
(…) », op. cit.

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GÉRARD FLORA 219

Chaque fois qu’une tête tombait une autre renaissait, sous des formes diverses,
la dernière empruntant celle de l’usufruit.
Une telle résistance à ces coups de sabre répétés est la preuve que cette création
ex nihilo de la pratique correspond manifestement à un besoin de nos concitoyens
que le législateur a pourtant ignoré.
Sa forme ancienne, traditionnelle, portant sur la pleine propriété a atteint ses
limites, tant ses inconvénients sont nombreux.
Alors la pratique a inventé la tontine en usufruit qui, du moins dans l’esprit,
réalise une sorte de compromis entre rigueur juridique et nécessité économique :
« Elle permet au tontinier survivant de s’assurer d’un droit minimum sur le bien
– un droit d’usufruit – tout en ménageant les droits des indivisaires, des héritiers
et des créanciers qui, pour l’essentiel – la nue-propriété –, conservent leurs pré-
rogatives. De surcroît, la limitation de la tontine à l’usufruit permet d’endiguer
les effets de l’atteinte à la réserve qu’elle consacre »30.
Alors, pourquoi vouloir s’en priver ?

30. D S-H P., « Tontine : Réponse… à une réponse ministérielle », op. cit.

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Un rapide aperçu sur 35 ans de pratique de la division


en volumes à la Défense

Henri P
Notaire honoraire
Vice-président du 102e Congrès des notaires de France (2006)

Lors de mes recherches à l’effet d’alimenter mes réflexions, je relis dans les
Mélanges en l’honneur de Patrick Serlooten, une introduction, écrite de la main de
Jacques Combret, qui s’applique plus à mon cas qu’à celui de mon ami Jacques,
lui qui domine l’expression juridique et dont les connaissances lui permettaient
sans aucune prétention de rédiger son texte.
C’est pourquoi je m’en inspire presque mot pour mot :
« Lorsque j’ai réalisé que j’avais accepté d’apporter une modeste contribution
au Liber amicorum destiné à rendre hommage à Maître Jacques Combret, j’ai pris
conscience que j’avais été pour le moins présomptueux ! Ma réponse spontanée
était liée tant à l’amitié que j’éprouve envers lui, que le souhait de lui manifester
tout le respect que j’ai devant tant de connaissances que devant ses qualités de
cœur ». Le temps de réflexion venu, cette justification ne suffirait pas pour joindre
ma plume aux brillants auteurs réunis en vue de réaliser cet ouvrage. Il était tou-
tefois trop tard et je n’avais plus qu’à assumer !
Choisir un thème tiré de mon expérience de praticien semblait le plus raison-
nable. Très vite un cadre de réflexion s’est naturellement imposé :
Trente-cinq ans au service de l’Établissement public d’aménagement de la
défense (EPAD), aujourd’hui Établissement public d’aménagement de la défense
Seine Arche (EPADESA), m’ont immergé dans la technique de la volumétrie.
Je dois préciser que mon but n’est pas d’ajouter ma pierre aux nombreux
articles rédigés par de brillants auteurs qui mieux que moi auront su analyser la
notion de volumétrie. Je me contenterai de narrer par un simple exemple com-
bien cette technique m’a été utile tout en notant qu’il y a lieu de ne l’utiliser qu’à
bon escient.
Mais en premier lieu quelques mots sur mes premiers pas dans la technique de
la volumétrie.
Deux personnages m’ont permis de m’initier à cette technique appliquée aux
ensembles immobiliers complexes lors de mon arrivée à la Défense. Il s’agit de
mon Maître Claude Thibierge et de Monsieur Jean Cumenge alors directeur juri-
dique de l’EPAD.

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222 35 ANS DE PRATIQUE DE LA DIVISION EN VOLUMES À LA DÉFENSE

À mon humble avis, c’est la démarche de Monsieur Cumenge, préoccupé par


l’imbrication des domanialités publique et privée, faite auprès de Maître Claude
Thibierge, dont les compétences étaient reconnues tant par la profession que par
les conservateurs des hypothèques, que les notions de volume et de droit de
superficie ont vu le jour.
S’en sont suivies de longues discussions, souvent dans un baraquement de la
Défense à Nanterre, au cours desquelles ils ont su se remémorer toutes les techniques
juridiques anciennes et faire évoluer l’interprétation de l’article 552 du Code civil.
Au cours de ces quelques années de pratique, j’ai pu m’appuyer sur quelques
grands personnages qui ont su me rassurer. Je ne m’attarderai pas sur mes associés
Georges Daublon et André Pône qui ont maîtrisé, l’un comme l’autre, parfaitement
cette notion, même s’ils ont pu se confronter à propos de la description du lot de
volume : est-ce le volume dans lequel s’inscrivent les ouvrages avec cette définition1 :
« LOT…
Un volume dont l’assiette est figurée sous teinte « … » au plan n° « … »
ci- « annexé et dont la limite basse se situe à la cote « x » NGF et dont
la limite haute se situe « à la cote « y » NGF.
Et tous les ouvrages susceptibles d’être identifiés au sein de ce volume et
notamment les ouvrages ci-après désignés consistant en : (préciser ici leur
nature, exemple : appartements, bureaux…) »
Ou les ouvrages eux-mêmes avec cette définition :
« Lot numéro « x »
Les ouvrages ci-après désignés, consistant en :
(Préciser ici leur nature, exemple : appartements, bureaux…)
Lesdits ouvrages inscrits au sein d’un volume dont l’assiette est figurée
sous teinte « … » au plan « … » ci-annexé, et dont la limite basse se situe
à la cote « x » NGF et dont la limite haute se situe à la cote « y » NGF » ?

En tant que praticien, j’ai toujours appliqué la première désignation, en effet,


dans la quasi totalité des cas, le volume constituant le lot n’est pas limité à l’espace
qui est effectivement occupé par les ouvrages décrits, car il existe des espaces rési-
duels qui dépendent du volume qui pourront éventuellement être construits, par
la suite, par le propriétaire du volume.
De plus les constructions, lors de l’élaboration de l’état descriptif de division
en volumes, ne sont pas encore précisément définies ou encore leur définition
pourra encore évoluer.
Autre personnage : à l’occasion de l’opération de la Grande Arche, j’ai eu le
privilège de travailler, de concert, avec Monsieur Daniel Sizaire qui nous a donné
la définition de la division en volumes de référence :
« La division en volumes est une technique juridique consistant à diviser
la propriété d’un immeuble en fractions distinctes, sur le plan horizontal
comme sur le plan vertical, à des niveaux différents, qui peuvent se situer

1. Contribution d’André Pône au Liber amicorum Georges Daublon.

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HENRI PALUD 223

au-dessus comme en dessous du niveau naturel, chaque fraction s’inscri-


vant, respectivement, dans l’emprise des volumes définis géométrique-
ment (en trois dimensions, par référence à des plans, des coupes et des
cotes NGF) sans qu’il existe de parties communes entre ces différentes
fractions ou volumes ».

Lors du montage de cette opération se sont confrontés les partisans du statut


de la copropriété (s’agissant d’un bâtiment monolitique…) et ceux de la tech-
nique de la volumétrie (imbrication et superposition de domaines différents, élé-
ments hétérogènes…).
En effet, il est généralement admis qu’il soit possible de choisir entre ces deux
techniques en fonction de ses besoins, car :
– la loi de 1965 dans son article 1er ne soumet au statut de la copropriété que
les seules divisions d’immeubles bâtis par lots comprenant chacun, en plus d’une
partie privative, une quote-part de partis communes ;
– et par ailleurs ledit article n’est pas d’ordre public.
C’est ainsi qu’il est loisible d’opter pour un mode de division différent dès lors
que les lots créés ne comportent pas de parties communes.
Le choix s’est porté, avec bonheur, sur la technique de la volumétrie ; le statut de la
copropriété s’étant révélé inadapté à la gestion de cet ensemble immobilier complexe.
Nous avons donc, notamment :
– créé trois états descriptifs de division en volumes :
– l’EDDV Tête Défense (modifié 14 fois),
– l’EDDV Tête Défense Nord (modifié 24 fois),
– l’EDDV Tête Défense la Nef,
– créé sept associations syndicales libres ;
– créé trois réglements de copropriété ayant pour assiette divers volumes :
– celui de la Paroi Nord du Cube (dénomination initiale de la Grande Arche)
(modifié deux fois),
– celui de la Paroi Sud du Cube (modifié 2 fois),
– et celui de la Colline Nord de la Tête Défense…
Les États descriptifs de divisions en volumes divisent l’espace sous forme de
volumes repérés sur des plans en coupe et en élévation au moyen de cotes NGF ;
ils insèrent les volumes dans un réseau de servitudes, chaque volume étant assi-
milé à un immeuble.
Les associations syndicales peuvent être libres ou foncières urbaines libres et
ont pour objet l’entretien et la gestion d’ouvrages collectifs : voieries, chauffage,
espaces verts, aires de stationnement…
Mais nous avons dû également, ce qui peut s’avérer délicat, élaborer des cahiers
des charges et créer des servitudes.

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224 35 ANS DE PRATIQUE DE LA DIVISION EN VOLUMES À LA DÉFENSE

Les cahiers des charges précisent les modalités d’utilisation des volumes d’équi-
pements collectifs, de la sécurité, de la reconstruction, de la répartition des charges.
Servitudes : seul lien juridique entre les propriétaires des volumes et qui
doivent rendre les volumes indépendants et autonomes de leur fonctionnement.
Si la création de servitudes entre volumes dépendants du domaine privé ne
soulève pas de problème particulier, il en va différement lorsque les volumes
dépendent du domaine public.
Ainsi qu’en est-il de la gestion et de l’exploitation des emplacements de sta-
tionnement à la Défense ? De la notion du droit d’utilisation permanente (DUP)
s’appliquant à un emplacement de stationnement déterminé et physiquement
identifié ? Notion générée au cours de l’expérimentation juridique qui a présidé à
la construction de la Défense.
Au résultat de consultations du professeur Yves Gaudemet, à qui j’ai eu
maintes fois recours à ma plus grande satisfaction, nous avons pu analyser l’évo-
lution de cette notion et sa compatibilité ou non avec celle de domanialité
publique et en tirer les conséquences.
Il est dommage que l’article L. 2122-4 du Code général de la propriété des
personnes publiques, qu’appelait de ses vœux ledit professeur Gaudemet, appuyé
par la pratique notariale, ne soit apparu qu’en 2006 ; cet article reconnaît la pos-
sibilité de constituer des servitudes réelles de l’article 639 du Code civil sur le
domaine public dès lors qu’elles sont compatibles avec l’affectation de la dépen-
dance domaniale occupée et moyennant une contrepartie financière.
En conclusion, rendons hommage à ces hommes qui ont su faire évoluer le
droit. À nous praticiens de faire bon usage de cette nouvelle technique en ne
l’utilisant qu’à bon escient. Ainsi il serait incohérent de s’adonner à un effet de
mode en soumettant à cette technique la division d’un immeuble haussmannien
pour qui la loi de 1965 a été rédigée ; de même comment soumettre au statut de
la copropriété un ensemble immobilier complexe tel que celui, susmentionné, de
la Grande Arche ?
Si l’on recherche des décisions jurisprudentielles sur l’application erronée de
l’une ou de l’autre de ces techniques, nous nous apercevons qu’elles sont si peu
nombreuses que nous pouvons en conclure que les praticiens les ont parfaitement
assimilées en ne les utilisant qu’à bon escient.

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Dogmatisme et pragmatisme dans le nouveau droit


des contrats

Jérôme J
Professeur, IDP – Université Toulouse 1 Capitole – F. 31000

« Il faut changer, quand la plus funeste de toutes les innovations


serait, pour ainsi dire, de ne pas innover.
On ne doit point céder à des prétentions aveugles.
Tout ce qui est ancien a été nouveau. »
(P, Discours préliminaire au premier projet de Code civil)

1. Aboutissement d’un long processus de maturation des idées, l’ordonnance


du 10 février 2016, portant notamment réforme du droit des contrats a, c’est peu
de le dire, bouleversé l’ordonnancement de notre vieux Code civil. La question de
savoir s’il est opportun et utile de réformer la matière n’a en soi plus lieu d’être
posée, même si l’évidence d’une évolution de nos textes semblait apparaître clai-
rement. Longtemps envisagé, espéré même, le processus de réforme du droit des
contrats s’est en fin de compte déroulé dans un temps bref, et au terme d’une
procédure « ouverte », caractérisée notamment par la publication d’un avant-pro-
jet d’ordonnance soumis si ce n’est à la discussion en tant que telle, du moins à un
appel à contributions. Les évolutions, notables sur certains points, entre l’avant-
projet et le projet, puis finalement le texte de l’ordonnance, ont montré que des
ajustements (parfois non sans conséquence, comme pour l’article autorisant la
sanction des clauses abusives) étaient possibles et que le marbre était finalement
un matériau plus tendre qu’on aurait pu le croire. Le texte est à présent là, mais il
n’est pourtant pas inutile, dans la présente perspective, de revenir brièvement sur
deux questions qui révèlent en creux la nature profonde du droit des contrats :
fallait-il réformer, et à quelles fins ?
2. La nécessité de la réforme apparaissait pour beaucoup comme une évidence,
tant le décalage entre la lettre du texte et la réalité contractuelle contemporaine était
devenu grand. Pourtant, la lettre du Code ne recouvre pas la réalité entière du droit
du contrat, et ce depuis bien longtemps. Nourrie par la doctrine, enrichi par la
jurisprudence, il est bien évident que la seule lecture des articles du Code ne per-
mettait pas de se faire une idée précise de ce qu’est devenu le droit des contrats.
Droit vivant, mouvant s’il en est, le droit français des contrats subit depuis bien
longtemps des influences extérieures qui contribuent, par touches successives, à le

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226 DOGMATISME ET PRAGMATISME DANS LE NOUVEAU DROIT DES CONTRATS

remodeler. Ces influences peuvent venir d’en haut, directement via le droit de
l’Union européenne qui, sur certains points, a conduit à des modifications de pans
entiers (comme en ce qui concerne le contrat de consommation) ou indirectement
via certains aspects du droit international dont l’influence est certes plus diffuse
mais pas moins réelle (ainsi en est-il de la Convention de Vienne sur la vente inter-
nationale de marchandises, ou même des principes Unidroit qui proposent une
vision parfois différente du contrat et de ses règles essentielles). Mais ces influences
peuvent également venir d’en bas, et de la pratique à laquelle le droit des contrats
ne peut être sourd. Si les exemples d’onction législative de pratiques contractuelles
ne sont pas légion, ils n’en demeurent pas moins remarquables, qu’il s’agisse de la
clause de réserve de propriété1, de la lettre d’intention2 ou encore du processus de
conclusion du contrat électronique, le législateur ayant ici consacré la pratique de la
fenêtre de confirmation3. Ainsi, il est indéniable que le droit des contrats, formelle-
ment par quelques petites retouches, et plus fondamentalement par le biais de la
jurisprudence, a continué d’évoluer et de se modifier, traduisant cependant une
nouvelle approche, une nouvelle conception du contrat et des relations entre
contractants. Dès lors, c’est un décalage profond qui se fit jour entre la mise en
œuvre de ce droit et les textes, pour la plupart inchangés et traduisant une certaine
vision du contrat. En d’autres termes, le dogmatisme – inhérent à toute législa-
tion – sur lequel était fondée la lettre du Code subissait de plus en plus les coups
de butoir d’une pratique, notamment jurisprudentielle, évoluant vers de nouveaux
modèles. Plus précisément, ce sont les postulats du droit contrat qui apparurent en
décalage de plus en plus profond avec la réalité contractuelle, justifiant assurément
de remettre l’ouvrage sur le métier.
Trois exemples peuvent en être donnés. Le premier postulat – et sans doute le
plus important – résidait dans l’égalité entre contractants. En effet, 1804 ne pou-
vait faire moins que 1789 et l’égalité entre les hommes ne pouvait que se retrouver
en la matière : le Code civil, code des citoyens, ne pouvait reposer sur autre chose
qu’une égalité entre contractant4. La formule de Fouillée, si souvent décriée, « qui
dit contractuel dit juste » n’en était pas moins exacte, du moins dans cette vision.
Dans une perspective de stricte égalité, comment imaginer qu’un contractant (à
moins que sa volonté soit altérée, ou que son consentement ne soit pas libre ou
éclairé, mais dans ce cas les règles relatives à la capacité ou aux vices du consente-
ment remplissent leur office de protection) qui a été en mesure de défendre ses
propres intérêts, consente à un contrat qui leur serait contraire ? Cela n’était tout
simplement pas imaginable, et s’il a été imprudent ou négligent, le juge n’est pas là
pour le suppléer. De non vigilantibus non curat prætor ou, pour reprendre les mots
de Portalis : « l’office de la loi est de nous protéger contre la fraude d’autrui, mais

1. C. civ., art. 2367.


2. C. civ., art. 2322.
3. C. civ., art. 1127-2.
4. Devise de la République, mais aussi celle du code : v., pour une nouvelle devise
M D., « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? », in Mélanges
François Terré, 1999, Dalloz, PUF, JCl., p. 603.

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JÉRÔME JULIEN 227

non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison. S’il en était autre-
ment, la vie des hommes, sous la surveillance des lois, ne serait qu’une longue et
honteuse minorité ; et cette surveillance dégénérerait elle-même en inquisition »5. Il
en résulte que le lecteur aurait en vain cherché dans le code des références à la partie
faible et la partie forte, au contrat déséquilibré… Pourtant, la pratique ne tarda pas
à faire émerger des situations très éloignées de cette vision idéale6, et ce dès la fin du
e siècle. Les déséquilibres sont omniprésents et, serait-on tenté d’ajouter, n’ont
fait que s’accroître au fil du temps. Dès lors, le travail du juriste s’apparenta rapide-
ment à la quadrature du cercle : comme gérer ces déséquilibres de fait avec des ins-
truments juridiques pensés pour une égalité en droit ? Le contractant faible est une
réalité : faiblesse liée à l’objet du contrat (unissant un sachant et un profane) ; fai-
blesse liée à leurs forces respectives (un professionnel et un non professionnel, une
personne morale et une personne physique) ; faiblesse liée à l’emprise sur le contrat
(rédigé par l’un et accepté par l’autre)…
Le deuxième postulat découle directement du premier, et il concerne le rôle
du juge. Dès lors que le contrat était considéré comme la chose des parties, le juge
n’avait finalement qu’un rôle résiduel : s’assurer de la validité du contrat et en
garantir l’exécution. À bien des égards, le Code civil était le code du créancier.
Que les choses ont changé ! Presque toute l’histoire du droit du contrat au
e siècle peut se résumer à l’immixtion de plus en plus grande du juge dans le
contrat, grâce il est vrai aux outils qu’il trouva dans le code lui-même, à l’image
de son pouvoir d’interprétation.
Le troisième postulat découlait du lien d’obligation (contractuel ou extra-
contractuel) tel qu’envisagé par les rédacteurs, à savoir unissant un seul créancier
à un seul débiteur. La singularité de ce lien ne conduisait pas naturellement à
envisager des relations plus complexes, à de rares exceptions près7. Le droit de la
responsabilité fut peut-être le premier à être confronté aux difficultés posées par
la pluralité de sujets, avec l’apparition des dommages de masse8. Mais le même
phénomène apparut également en droit des contrats, en raison de la complexité
croissante des relations et des figures contractuelles, qu’il s’agisse de contrats com-
plexes ou d’opérations conduisant à articuler entre eux plusieurs contrats. Qu’il

5. Discours préliminaire au premier projet de Code civil.


6. Du reste pleinement assumée par les rédacteurs. Relisons une fois encore Portalis :
« C’est un autre principe, que les lois, faites pour prévenir ou pour réprimer la méchanceté des
hommes, doivent montrer une certaine franchise, une certaine candeur. Si l’on part de l’idée
qu’il faut parer à tout le mal et à tous les abus dont quelques personnes sont capables, tout est
perdu. On multipliera les formes à l’infini, on n’accordera qu’une protection ruineuse aux
citoyens ; et le remède deviendra pire que le mal. Quelques hommes sont si méchants, que,
pour gouverner la masse avec sagesse, il faut supposer les plus mauvais d’entre les hommes,
meilleurs qu’ils ne sont ».
7. Comme les mécanismes à trois personnes à l’image de la stipulation pour autrui. En
revanche, le régime général de l’obligation n’était pas insensible, loin s’en faut, à ce type de
mécanisme.
8. V. G-L A., Dommages de masse et responsabilité civile, t. 472,
préf. J P., 2006, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé.

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228 DOGMATISME ET PRAGMATISME DANS LE NOUVEAU DROIT DES CONTRATS

s’agisse de chaînes de contrats, ou d’ensembles contractuels, la difficulté apparut


toujours de manière identique : comment gérer la pluralité avec des instruments
juridiques conçus pour la singularité ?
3. Mettre ainsi en lumière le décalage de plus en plus persistant entre la lettre du
code (la vente ayant manifestement été l’archétype au regard duquel l’ensemble fut
construit) et la réalité contractuelle n’implique cependant pas nécessairement de
réformer les textes. En effet, ne peut-on pas dire que c’est précisément là le rôle de
la jurisprudence et de la doctrine de faire évoluer le droit, avec le texte et parfois
malgré lui ? Et n’est-ce pas ce qui est précisément fait depuis plus d’un siècle ? La
création de la responsabilité contractuelle, et de son bras armé qu’est l’obligation de
sécurité, les multiples adaptations de la cause, la possibilité d’une résiliation unila-
térale du contrat à durée déterminée, la possibilité d’une caducité pour imprévision,
la détermination unilatérale du prix dans les contrats cadres ne prouvent-elles pas
de manière éclatante les possibilités d’évolution et d’adaptation du droit des contrats
à son environnement pratique, sans recours à une réforme textuelle ? Et si l’on
songe à la jurisprudence permettant au sous-acquéreur d’agir en garantie des vices
cachés à l’encontre du premier vendeur9, il faut bien admettre que la Cour de cassa-
tion fut consciente de cette nécessité d’adaptation très tôt… Mais en réalité, la dif-
ficulté est bien là : la jurisprudence peut être lente à se fixer, n’est pas exempte de
contradictions et certaines questions, donnant lieu à peu de décisions, conduisent
parfois la doctrine elle-même à surestimer, ou sous-estimer, la portée de tel ou tel
arrêt. Devant la complexité d’un droit devenu plus un droit de professeurs que de
praticiens, la nécessité d’une réforme recueillait progressivement une large part des
suffrages. Mais alors se posait une autre question : s’il faut réformer, à quelles fins ?
4. Il y a là sans doute plusieurs considérations qui s’entremêlent10, et qui sont
présentées par le rapport fait au président de la République11 : modernisation, sim-
plification, lisibilité, accessibilité, efficacité, sécurité… L’ensemble de ces finalités
paraissent pouvoir être ordonnées autour de trois idées : compléter, moderniser,
sécuriser. En premier lieu, il est indiscutable que la lettre du code comportait des
manques qui apparaissent aujourd’hui majeurs. Ainsi, rien n’était dit du processus
de conclusion du contrat, celui-ci n’étant pris en considération par les textes qu’au
jour de sa naissance. Or, la période précontractuelle est devenue d’une importance
majeure et nombre de difficultés se posent en pratique ; pareillement, le modus
operandi de la conclusion du contrat, c’est-à-dire de l’échange des consentements,
était laissé à l’œuvre de la jurisprudence et de la doctrine. Il en était de même, par
exemple, de la durée des contrats, ainsi que de leur régime, des dispositions éparses
et partielles ne permettant guère de se faire une juste idée de ces questions pourtant

9. Cass. civ., 2 nov. 1884, DP 1885, 357 ; S. 1886, 1, 149.


10. V., notamment, C G. et L M., La réforme du droit des obligations,
commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2016, Dalloz, nos 25 et s.
11. Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du
10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations : JO, 11 févr. 2016. V. sur le rapport, notamment C F., Le nouveau droit
des obligations et des contrats, consolidations, innovations, perspectives, 2016, Dalloz, n° 62-11.

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JÉRÔME JULIEN 229

fondamentales. Et que dire de la bonne foi, issue d’un texte somme toute circonscrit
à une hypothèse (celle de l’exécution du contrat) et qui prit une importance consi-
dérable ? Il y avait incontestablement là matière à un enrichissement salutaire. En
deuxième lieu, il est tout aussi évident que certaines approches du droit du contrat
avaient vieilli, et sans doute mal vieilli. Ses concepts, voire ses fondements, méri-
taient d’être modernisés pour prendre en considération certains traits marquants de
l’évolution des contrats, comme le contrat-cadre ou encore le contrat d’adhésion.
À cet égard, le contrat d’adhésion, et la réalité qu’il sous-tend, ne pouvait guère
demeurer plus longtemps hors de la sphère du Code civil. Bien que la question ne
soit pas si simple que cela, et puisse être discutée dans son principe ou ses modalités,
comment admettre qu’un code, qui forme le droit commun, puisse laisser de côté
la situation… la plus commune ? Et ne parlons pas de la cause, accusée – à tort ou
à raison – de tous les maux ? En troisième et dernier lieu, c’est bien un objectif de
sécurité qui est poursuivi. Là est sans doute l’essentiel, et le moins aisé à atteindre.
Certes, une réforme est l’occasion d’assurer certaines solutions, en consacrant cer-
taines jurisprudences ou en les brisant. L’idée est ici double : non seulement rendre
les solutions sûres, c’est-à-dire prévisibles pour les acteurs, mais également les rendre
accessibles, lisibles : ici, l’objectif interne de sécurité juridique se double d’un d’ob-
jectif externe, de renforcement de l’attractivité de notre modèle juridique.
5. Derrière ces raisons, ces finalités, point déjà une tension, entre la volonté d’an-
crer la réforme des contrats dans la réalité des situations contractuelles, tendant à une
certaine forme de casuistique12, et celle de ne pas renoncer pour autant à donner une
vision du contrat, une conception dogmatique des relations contractuelles. Certes, il
est sans doute vain de vouloir opposer dogmatisme et pragmatisme tant il est vrai
qu’une conception dogmatique, préétablie du contrat ne peut qu’avoir des consé-
quences pratiques et, l’inverse, que des solutions pragmatiques peuvent révéler certains
partis pris. Tout au plus peut-on noter l’existence de cette tension entre les deux, dans
une matière où l’un et l’autre sont inéluctablement associés, liés : le contrat n’existe pas
en tant que tel, il n’y a que des contrats. Toute règle, fut-elle la plus générale possible,
ne s’exprime ici que par le biais des contrats spéciaux. L’incorporation du principe
dogmatique, traduisant un postulat structurant, dans une situation contractuelle par-
ticulière ne peut faire l’impasse sur la réalité, sous peine d’être désincarné, et la solution
pragmatique ne peut ignorer le fondement sur lequel elle assoit sa justification, sous
peine d’être incohérente. Délicat exercice de funambule que de vouloir adapter un
vieux droit plein de présupposés à la réalité contemporaine, mais cependant nécessaire
pour éviter deux écueils : celui d’un droit fondé uniquement sur des vérités proclamées
(au premier rang desquelles figure la force obligatoire du contrat) qui risque d’être en
décalage avec la réalité, et celui d’un droit uniquement fondé sur la pratique, qui risque
de révéler ses incohérences et ses contradictions. La réforme entend concilier les deux,
et elle ne le fait pas si mal. Mais les tensions entre ces deux pôles ne peuvent être évitées,
tant au regard de la méthode adoptée, que des résultats obtenus13.

12. Pouvant aboutir à une « théorie de la pratique » : R F., « Apologie de la


casuistique juridique », D. 2017. 118.
13. V. L M., « Apprécier la réforme », RDC 2016, n° 3, p. 615.

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230 DOGMATISME ET PRAGMATISME DANS LE NOUVEAU DROIT DES CONTRATS

I – LA MÉTHODE

6. Toute réforme commence par une méthode. Celle mise en œuvre par l’ordon-
nance tente de concilier dogmatisme et pragmatisme, approche générale et spéciale,
par le biais d’instruments qui sont liés au discours comme aux moyens de sa réalisa-
tion, de sa mise en œuvre. Ils sont à la fois structurels et fonctionnels.

A. Les moyens structurels

7. La remise à plat des règles contractuelles doit, déjà dans sa forme, tenter de
répondre aux objectifs de la réforme, et concilier le maintien d’un cadre notionnel
important avec l’apport de plus d’un siècle de jurisprudence, laquelle permet de
manière heureuse une évolution du modèle, apte à le rendre « compatible » avec
la réalité contemporaine du contrat. Cette conciliation, cette complémentarité
apparaît grâce à plusieurs instruments, dont le principal réside dans la présenta-
tion, la structure générale de la réforme. Mais pour essentielle qu’elle soit, elle ne
doit pas occulter d’autres voies, plus subtiles, dont le langage, porteur de sens.
8. La présentation, la structure générale, traduit la volonté de donner du contrat
une vision à la fois réelle et complète14. La vision générale du contrat ne surprend
pas, et elle reprend la présentation qui est généralement faite de la matière. Mais
alors que le plan du Code de 1804 laissait sur le bord du chemin certaines ques-
tions, en évoquant successivement, après des dispositions préliminaires, les condi-
tions de validité, les effets des obligations et les diverses espèces d’obligation15, la
nouvelle structure, guère différente d’un point de vue général, s’enrichit de nom-
breuses rubriques complémentaires (la conclusion du contrat, la nullité et la cadu-
cité, la durée du contrat, la cession) ou réorganisées (à l’image des sanctions de
l’inexécution). L’ensemble est incontestablement plus clair et plus lisible à la fois.
Au sein de cette structure, ce sont avant tout les dispositions liminaires qui tra-
duisent cet effort de complémentarité. Alors que le chapitre correspondant dans la
version originelle se contentait d’une définition du contrat, suivie d’une série de
définitions et de classifications, deux séries de dispositions apparaissent clairement
dans les nouveaux articles 1101 et suivants. Bien que le rapport au président de la
République s’en défende16, c’est bien de principes essentiels (quoique non direc-
teurs) et structurants qu’il s’agit. Sont ainsi placés en exergue les principes de liberté
contractuelle, de force obligatoire et de bonne foi, qui acquiert enfin droit de cité
au fronton du temple contractuel. Leur place est significative, comme en témoignent
14. V. infra, n° 14.
15. Pour s’en tenir au strict contrat, la suite étant consacrée à l’extinction des obligations
et à leur preuve.
16. « Contrairement à certains projets européens, l’ordonnance n’a pas opté pour un
chapitre préliminaire consacré aux “principes directeurs” du droit des contrats ». Ces règles
« bien que destinées à donner des lignes directrices au droit des contrats, ne constituent pas
pour autant des règles de niveau supérieur à celles qui suivent ». L’objectif est d’éviter « un
interventionnisme accru » du juge.

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JÉRÔME JULIEN 231

les variations observées entre les différentes moutures du texte et l’introduction de


la force obligatoire, qui n’y figurait pas à l’origine. Élire, c’est exhéréder, dit-on en
droit patrimonial de la famille. Ainsi, d’autres principes, qui paraissent tout aussi
structurants, auraient pu également y figurer, à l’image de la prohibition des enga-
gements perpétuels ou encore du consensualisme qui ne se retrouvent que plus loin
exposés17. Ce chapitre liminaire se poursuit ensuite par les incontournables défini-
tions18 et classifications des contrats, ou du moins des principaux d’entre eux. Là
encore, la complémentarité entre l’ancien et le nouveau est manifeste. Même si le
triptyque obligation de faire, de ne pas faire et de donner disparaît dans la nouvelle
mouture, se retrouvent les « grands classiques » que sont le contrat synallagmatique
ou unilatéral, à titre onéreux ou à titre gratuit, commutatif ou aléatoire et même la
distinction – formellement nouvelle – entre contrat consensuel, solennel et réel.
Cependant, la première version du texte avait omis ce qui formait l’ancien
article 1107, à savoir la distinction entre les contrats nommés et les contrats inno-
més. La copie fut réécrite sur ce point, et l’article 1105 nouveau en est désormais le
siège. Derrière l’aspect peut-être un peu suranné de cet article, qui dispose que « les
contrats, qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles
générales, qui sont l’objet du présent sous-titre. Les règles particulières à certains
contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux », il pose en réa-
lité l’une des règles les plus structurantes du droit des contrats, moins d’ailleurs en
termes d’opposition que de complémentarité : celle de l’existence d’un véritable
droit commun des contrats, non pas subsidiaire, mais fondamentalement sous-
jacent à tous les contrats. Ce qui n’empêche pas l’existence de régimes spéciaux,
dont l’articulation est du reste précisée par le texte : « Les règles générales s’ap-
pliquent sous réserve de ces règles particulières ». Est ainsi résumée toute la subtilité
et toute la richesse du droit des contrats : de la même façon que le contrat n’existe
pas (il n’y a que des contrats), le droit commun ne s’exprime en réalité qu’au travers
des contrats spéciaux car seuls eux sont conclus en pratique ; le droit du contrat ne
s’exprime que par le droit des contrats, et ne peut exister sans, et le droit des contrats
ne trouve son fondement que dans le droit du contrat. Au-delà, les définitions, la
liste des contrats ne peut être bien entendu exhaustive dans la mesure où, fruit de
l’union du consensualisme et de la liberté contractuelle, de nouvelles figures appa-
raissent régulièrement, au gré des besoins d’une pratique inventive. La réforme est
là encore l’occasion de moderniser ce droit en lui ajoutant quelques touches plus
précises : tel est l’objectif notamment de la consécration légale du contrat-cadre (et
des contrats d’application) ainsi que de la notion de conditions générales et particu-
lières, dont le nouvel article 1119 donne quelques clés de leur régime. C’est égale-
ment, et peut-être surtout, le cas de l’article 1110 qui oppose le contrat de gré à gré
au contrat d’adhésion19. Par la reconnaissance du contrat d’adhésion, la volonté est
17. Aux articles 1210 et 1172.
18. Sur l’importance des définitions, v. S L.-M., Les définitions en droit privé,
thèse, 2015, Toulouse.
19. R T., « Les critères du contrat d’adhésion, article 1110 nouveau du Code civil »,
D. 2016. 1771 ; C F., « Le contrat d’adhésion de l’article 1110 du Code civil »,
JCP G 2016, 776 ; R T., « Une philosophie générale ? », RDC 2016, hors-série, p. 5.

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232 DOGMATISME ET PRAGMATISME DANS LE NOUVEAU DROIT DES CONTRATS

manifeste d’ancrer le droit des contrats dans la réalité, en consacrant une notion
déjà ancienne et qui reflète sans doute la majorité des situations. Pragmatique si elle
en est – le droit commun pouvait-il continuer d’ignorer dans sa lettre ce qui forme
la majorité des cas ? – cette disposition va bien entendu au-delà et, d’un point de
vue dogmatique, change sans doute le modèle de référence sur lequel tout le reste se
construit20. Structurante par excellence, cette opposition entre contrat d’adhésion et
contrat de gré à gré n’est-elle pas en passe de devenir l’une des lignes de partage des
autres dispositions du droit des contrats, bref une nouvelle clé de compréhension et
de lecture des textes ?
9. Au-delà de la présentation, c’est également le langage utilisé qui est intéres-
sant21. Se voulant plus moderne, plus proche des réalités, au point de délaisser
certains aspects traditionnels (comme la distinction entre le contrat et la conven-
tion), il est également porteur de sens, même s’il faut sans doute se garder de
vouloir donner une signification à tout. Pour autant, s’agissant par exemple des
conséquences de l’inexécution contractuelle, et alors que la première version du
texte évoquait les « remèdes », le terme de « sanctions » fut finalement choisi22.
Derrière l’aspect faussement technique du terme (et peut-être limité : l’exception
d’inexécution est-elle fondamentalement une sanction, tout comme l’exécution
forcée en nature23 ?), n’y a-t-il pas là le choix d’un modèle, lié notamment au rôle
du juge et des parties face à l’inexécution ? Sanctionner le contrat, ou au contraire
tout mettre en œuvre pour lui permettre d’offrir aux parties l’utilité qu’elles espé-
raient ? À titre d’exemple, là où le droit français de la vente impose l’existence
d’un prix dès la conclusion du contrat, et sanctionne son absence de diverses
façons24, la Convention de Vienne précise que l’absence de prix peut ne pas affec-
ter sa validité, les parties étant présumées s’être tacitement référées au prix habi-
tuellement pratiqué au moment de la conclusion du contrat. Dans un autre ordre
d’esprit, comment ne pas remarquer que la réforme, si elle maintient la référence
à l’ordre public, notamment à l’article 116225, a rayé de sa lettre les bonnes
mœurs ? Là encore, la suppression est-elle porteuse de sens et doit-elle conduire à
la disparition du contrôle de moralité des contrats, lesquels seraient seulement
perçus comme de simples instruments d’échanges, de circulation des richesses ?
Mais l’article 6 veille toujours… Enfin, dernier exemple de cette tension entre
20. V. infra, n° 15.
21. V. C-P S., « Le vocabulaire », RDC 2016, n° 3, p. 581 ;
G T., « La grammaire dans la réforme du droit des contrats », RDC 2016.751.
22. O P., « Des remèdes aux sanctions : le retour de la faute au galop ! »,
JCP G 2016, 769 ; M M., « Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat », RDC 2016,
n° 2, p. 400.
23. M D., « L’exécution forcée en nature dans la réforme du droit des contrats »,
D. 2016. 2477.
24. Nullité du contrat si le prix est inexistant ou vil, voire requalification si cette absence
est motivée par une intention libérale. V. M J., « La détermination du prix dans le
“nouveau” droit commun des contrats », D. 2016. 1013 ; L F., « La fixation unilatérale
du prix dans les contrats cadre et prestations de service », JCP G 2016, 642.
25. « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but,
que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ».

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JÉRÔME JULIEN 233

dogmatisme et pragmatisme, les articles 1231 nouveaux forment une sous-sec-


tion intitulée « la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ».
Tranchant le débat pouvant exister sur l’existence de la responsabilité contrac-
tuelle, la formulation invite à une pleine reconnaissance de cette notion : il s’agit
bien d’une réparation, et l’inexécution est présentée comme le fait générateur
d’une responsabilité. Notons tout de même que la première version du texte inti-
tulait cette sous-section « des dommages et intérêts résultant de l’inexécution de
l’obligation ». Là encore, les mots sont sans doute porteurs d’un sens qui dépasse
largement le cadre restreint de la technique, ou la volonté de disposer d’un texte
à finalité seulement pratique…

B. Les moyens fonctionnels

10. S’agissant des moyens fonctionnels utilisés par la réforme, ils prennent
souvent la forme d’une transcription dans l’ordre légal de solutions ou de ques-
tions développées en jurisprudence. À ce titre, la réforme fait œuvre utile, ou en
tout cas conforme à l’objectif de lisibilité du droit. Mais là encore, la tension se
fait jour : la lisibilité est-elle assurée par le principe ou par l’exemple ? Les deux,
bien entendu, même si pour l’essentiel les nouveaux textes s’intéressent à des
questions pratiques, auxquelles il tente d’apporter des réponses claires. Tel est le
cas lorsqu’ils consacrent purement et simplement des jurisprudences bien éta-
blies. De nombreux exemples pourraient être pris de ce que le législateur des-
cend du haut de ses principes pour aborder des questions concrètes, mais
importantes. Tel est le cas de la période précontractuelle, heureusement intégrée
dans la réforme, qu’il s’agisse du processus d’échange des consentements (offre
et acceptation), des négociations contractuelles ou encore de certains avant-
contrats. On peut ici songer à l’article 1112 quant à la rupture abusive des
pourparlers et au préjudice que peut invoquer (ou plutôt que ne peut pas invo-
quer) la victime de ce comportement, à l’article 1116 et au régime de la rétrac-
tation de l’offre et bien entendu au pacte de préférence ou à la promesse unila-
térale. Dans toutes ces hypothèses, l’intérêt pratique d’une solution légale est
évident et ici le pragmatisme remplit pleinement son office, lorsque la loi
consacre des jurisprudences établies, mais même lorsqu’elle les condamne, à
l’image de la solution donnée par l’article 1124 en matière de promesse unila-
térale. Au fond, peu importe la solution donnée, du point de vue de la lisibilité
de la règle, et de sa sécurité, soit qu’elle consacre soit qu’elle condamne : l’essen-
tiel est qu’elle fixe un cap.
11. Pourtant dans certains cas, la réforme prend position sur des questions
– certes intéressantes – mais dont il n’est pas certain qu’elles donnent lieu à un
contentieux très important, du moins devant la Cour de cassation. Ainsi en est-il
de la caducité de l’offre par le décès du pollicitant, même lorsqu’elle est assortie
d’un délai, ou encore de la consécration de la théorie de la réception, qu’il s’agisse
de déterminer le lieu ou le moment de conclusion du contrat. Il n’est certes pas
illégitime de poser ces questions – et de leur apporter une solution – mais leurs

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234 DOGMATISME ET PRAGMATISME DANS LE NOUVEAU DROIT DES CONTRATS

conséquences pratiques semblent tout de même moindres que dans d’autres cas.
Parfois encore, la réforme prend position sur des questions très commentées, si ce
n’est controversées, alors pourtant que les arrêts de la Cour de cassation semblent
se compter sur les doigts d’une main. Tel est le cas de l’imprévision consacrée par
l’article 119526. La question est certes d’importance, et elle a donné lieu à des
débats doctrinaux passionnés. Pour autant, on ne peut s’empêcher de penser que
les implications théoriques de la solution nouvelle dépassent largement les enjeux
pratiques. Finalement, l’hypothèse de travail n’est-elle pas celle d’un contrat à
durée déterminée (sinon les parties ont le loisir d’y mettre un terme de manière
unilatérale) et souvent d’assez long terme (hypothèse qui permet à l’imprévision
de produire ses effets néfastes) ? Mais dans ce cas, n’est-il pas tout aussi simple
pour les parties de prévoir, par des clauses idoines, une solution à cette difficulté ?
Devant une hypothèse somme toute assez restreinte, la réforme prévoit une solu-
tion contraire à plus d’un siècle de jurisprudence27 et non dénuée d’incertitudes.
La portée dogmatique l’emporte ici largement sur la portée pragmatique de la
solution. En d’autres termes, cette hypothèse méritait-elle de porter atteinte à un
principe si essentiel que celui de la force obligatoire des contrats ? Derrière l’appa-
rence d’une solution purement pragmatique, n’est-ce pas là, encore, un choix de
modèle qui est opéré ?
12. Derrière cette question en apparaît une autre, qui est relative aux places respec-
tives du juge28 et des parties. La vision de 1804 était finalement assez simple, offrant à
chacun une place précise. Aux parties le soin de conclure et de déterminer le contenu
du contrat, au juge celui d’être garant de sa validité et surtout de son exécution telle
qu’elle a été voulue. Il est au demeurant exact que pratiquement toute l’histoire du
droit contractuel, surtout au e siècle, peut se résumer à une immixtion de plus en
grande du juge pour finalement aboutir à cette situation : le contrat n’est plus depuis
longtemps la chose des parties, c’est-à-dire tel qu’elles l’ont voulu, mais tel que le juge
estime qu’elles l’ont voulu, ce qui n’est pas tout à fait la même chose… Plusieurs dis-
positions de la réforme tracent en creux une nouvelle répartition des fonctions, qui
n’est toutefois pas exempte d’incertitudes ou de contradictions. En effet, d’un certain
point de vue, l’intervention du juge s’en trouve renforcée, de manière naturelle
lorsqu’il est question de prononcer la substitution de la partie à un tiers en cas de
violation d’un pacte de préférence ou d’une promesse unilatérale ou de manière par-
fois plus surprenante, comme en matière d’imprévision. En effet, l’article 1195 crée
un système à plusieurs niveaux, prévoyant in fine l’intervention du juge qui pourra
mettre un terme au contrat, ou le réviser. Ce pouvoir de révision semblait, au-delà du
cas de l’imprévision, un peu plus général dans la première version du texte. Ainsi, dans
l’hypothèse d’une détermination unilatérale du prix dans les contrats d’application

26. V. R T., « Le juge et la révision du contrat », RDC 2016, n° 2, p. 373 ; S-
M P., « L’imprévision et la réforme des effets du contrat », RDC 2016, hors-série p. 30.
27. Même si quelques décisions, remarquables mais finalement peu nombreuses,
offraient un contre-modèle.
28. V. M D., « La place du juge en droit des contrats », RDC 2016, n° 2, p. 353 ;
A L., « Le juge et le contrat : nouveaux rôles ? », RDC 2016, hors-série, p. 14.

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JÉRÔME JULIEN 235

d’un contrat-cadre, prérogative reconnue par la jurisprudence depuis 1995 et les


arrêts Alcatel29, le texte d’origine prévoyait que, en cas d’abus dans la fixation de ce
prix, le juge pouvait être saisi d’une demande tendant à voir réviser le prix « en consi-
dération notamment des usages, des prix du marché ou des attentes légitimes des
parties ». Cette prérogative fut cependant supprimée de la version finale, l’article 1164
prévoyant seulement la possibilité d’obtenir des dommages-intérêts et, le cas échéant,
la résolution du contrat. Derrière l’aspect purement pratique de la solution, c’est bien
d’une délimitation des pouvoirs du juge qu’il était question30. D’un autre point de
vue, le rôle du juge semble en repli, celui des parties allant augmentant, à la manière
de vases communicants. Ainsi, la présentation des sanctions à l’inexécution, faite par
l’article 1217, évoque bien entendu la résolution du contrat. Il faut consulter les
articles 1224 et suivants pour en voir les mécanismes. Là où l’ancien article 1184
disposait sobrement, mais clairement, que « la résolution doit être demandée en jus-
tice », le nouvel article 1224 use d’une formule plus complète : « la résolution résulte
soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment
grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice ». L’as-
pect pragmatique de la solution apparaît clairement : il s’agit de consacrer la pratique
contractuelle, via la clause résolutoire, ainsi que la jurisprudence autorisant depuis
quelques années la résolution unilatérale pour inexécution grave, aux risques et périls
de celui qui la met en œuvre31. Cependant, l’ordre dans lequel ces moyens sont pré-
sentés est intéressant : d’abord le jeu de la volonté commune des parties (par la clause
résolutoire), ensuite le jeu de la volonté unilatérale de l’une d’elles (par la notification),
enfin la résolution judiciaire. Certes, aucun lien hiérarchique n’est visible dans le texte,
et du reste l’article 1227 prend soin de préciser que « la résolution peut, en toute
hypothèse, être demandée en justice », mais il n’en demeure pas moins vrai que la
manière de présenter les choses traduit, si ce n’est une volonté clairement affichée, du
moins le sentiment qu’il appartient d’abord aux parties de prévoir ou de régler elles-
mêmes leur différend. Et finalement de se poser la question suivante : le juge est-il le
recours naturel ou le dernier recours ? L’article 1230 reprend du reste cette idée, en
précisant que « la résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des diffé-
rends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses
de confidentialité et de non-concurrence ». En d’autres termes, les parties peuvent
prévoir les conséquences de la disparition du contrat, ou du moins certaines d’entre
elles. Allant même plus loin, la réforme invite les parties, dans certains cas, à anticiper
les difficultés, soit en provoquant d’une personne une réponse ou une prise de posi-
tion32, soit en mettant en œuvre des sanctions « préventives »33.

29. Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, nos 91-15578, 91-15999, 91-19653 et 93-13688,
JCP G 1996, II, 22565, note Ghestin J. ; D. 1996. 13, note Aynè L.
30. V. C G. et L M., La réforme du droit des obligations (…), op. cit.,
n° 421.
31. Confirmé par l’article 1226.
32. Comme avec les actions interrogatoires. V. J E., « Les actions interrogatoires
en question », JCP G 2016, 737 ;  F M., « Les nouvelles actions interrogatoires »,
D. 2016. 1665.
33. Comme avec l’exception d’inexécution par anticipation : v. infra, n° 17.

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236 DOGMATISME ET PRAGMATISME DANS LE NOUVEAU DROIT DES CONTRATS

II – LES RÉSULTATS

13. La tension entre dogmatisme et pragmatisme se ressent également dans les


résultats obtenus. Par les solutions pratiques et concrètes qui sont proposées par
la réforme, c’est bien, par touches successives, une nouvelle vision du contrat qui
est proposée, laquelle peine cependant parfois à apparaître clairement.

A. Une nouvelle vision du contrat

14. La vision du contrat qui se dégage de l’ensemble des dispositions nou-


velles34 n’est pas aisée à dégager. Chaque solution est en elle-même justifiable, par
la volonté d’apporter une vision pragmatique à la matière ; mais la juxtaposition
de toutes ces règles précises dessine en creux un nouveau modèle contractuel sur
lequel repose désormais la matière.
La première idée, très simple et en même temps heureuse, est de proposer du
contrat une vision aussi complète que possible. Il s’agit tout d’abord de présenter la
matière presque de manière chronologique, depuis les négociations jusqu’aux effets
en passant par la conclusion. Même les conséquences de la disparition du contrat
– par nullité ou résolution – sont précisées dans un chapitre consacré aux restitu-
tions35. Mais il s’agit aussi, et peut-être surtout, de présenter une vision globale, si ce
n’est globalisée du contrat, tant dans une dimension temporelle que dans une dimen-
sion spatiale. Dans sa dimension temporelle bien entendu, ainsi qu’il vient d’être dit,
en appréhendant tous les instants de vie, et de mort, du contrat. De plus en plus,
mais cela était déjà en germe dans la jurisprudence, le contrat n’est plus envisagé
uniquement à l’instant t de sa création, figé par un échange des consentements qui
demeurerait insensible aux évolutions, ne serait-ce qu’au temps qui s’écoule, sourd à
tout ce qui serait postérieur à ce big-bang contractuel. En quelque sorte, la volonté
des parties repose sur la vision qu’ils ont eue du contrat, non seulement au moment
de sa formation, mais encore dans l’avenir ; consentir ne signifie pas que l’on projette
dans l’avenir la situation présente, mais bien que l’on souhaite maintenir l’utilité
présente dans l’avenir, ce qui n’est pas exactement la même chose. L’article 1166 en
offre une excellente illustration, en précisant que « lorsque la qualité de la prestation
n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une
prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de
sa nature, des usages et du moment de la contrepartie ». Les attentes légitimes font
ainsi une entrée remarquée dans le Code civil et traduisent bien cette idée de projec-
tion dans l’avenir, non de la situation présente, mais de la situation espérée. La glo-
balisation du contrat s’opère également dans sa dimension spatiale. Le contrat n’est
plus ce vase clos, déconnecté de son environnement. Certes, les principes demeurent,

34. V. B H., « Les grands mouvements du droit commun des contrats après
l’ordonnance du 10 février 2016 », RTD civ. 2016. 247.
35. Art. 1352 et s. P S., « Les restitutions : et si le dogmatisme avait du bon ? »,
JCP G 2016, 676.

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JÉRÔME JULIEN 237

celui de la relativité de l’effet obligatoire36 et celui, consacré de manière heureuse par


la réforme, de l’opposabilité du contrat37, par les tiers et aux tiers. Mais il est bien
évident que le contrat qui s’exécute sur une échelle de temps plus ou moins longue,
subit inévitablement des influences liées à son environnement. Toute une série d’évé-
nements peut alors exercer des contraintes ou des infléchissements au contrat. Rester
arc-bouté sur un contrat figé au moment de sa conclusion, et sourd à tout ce qui
advient à l’extérieur ne pouvait que rigidifier un instrument pourtant destiné à la
souplesse. Ainsi faut-il désormais prendre en considération l’existence éventuelle de
plusieurs contrats liés entre eux et permettant ensemble la réalisation d’une opéra-
tion économique unique38, la contrainte exercée par l’environnement économique
sur le consentement39 ou sur l’exécution du contrat40.
15. La seconde idée, plus manifeste voire spectaculaire, réside dans l’abandon de
certains des postulats sur lesquels reposait classiquement le droit des contrats41 et au
premier rang desquels celui d’égalité entre les contractants. Apparemment promue
dans notre droit commun au nom d’un pragmatisme incontournable, la clause abu-
sive a fait une entrée remarquée dans le Code civil42. L’article 1171, désormais voué à
un avenir qui sera peut-être grand, dispose que « dans un contrat d’adhésion, toute
clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligation de parties au
contrat est réputée non écrite »43. Là encore, derrière un choix qui semble pragma-
tique (comment le droit commun pourrait-il ne pas s’intéresser à la situation la plus
courante ?) se dissimule, à peine, un choix véritablement dogmatique par la recon-
naissance des contrats déséquilibrés44. Et si les contrats déséquilibrés sont reconnus
pour tels, et combattus en tant que tels (par la suppression de la clause déséquili-
brante), n’est-ce pas affirmer, en creux, une exigence d’équilibre dans les contrats ?
Certes, alors que la première version du texte ne faisait ici aucune distinction entre les
contrats, l’ordonnance limite le champ du texte aux seuls contrats d’adhésion. Mais

36. Art. 1199.


37. Art. 1200.
38. Art. 1186, al. 2 : « Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la
réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont
l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du
contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie ». V. B S.,
« Les contrats interdépendants dans l’ordonnance du 10 février 2016 », JCP G 2016, 975.
39. Via la violence économique, évoquée à l’article 1143 : « Il y a également violence
lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant,
obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et
en tire un avantage manifestement excessif ». B H., « La violence par abus de
dépendance », JCP G 2016, 421.
40. Via la théorie de l’imprévision, consacrée à l’article 1195.
41. V. supra, n° 2.
42. V. F D., « Le juge et les clauses abusives », RDC 2016, n° 2, p. 358.
43. B-T M., « Le déséquilibre significatif dans le Code civil », JCP G 2016, 391 ;
L X., « Questions autour de l’article 1171 du Code civil », D. 2016. 2174 ; H A.,
« 1171 contre L. 442-6, I, 2° : la prescription dans la balance », D. 2016. 2180.
44. L V., Les contrats déséquilibrés, préf. S-A H C., 2000,
PUAM ; R T., « Le projet de réforme et les contrats structurellement déséquilibrés »,
D. 2015. 1217.

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238 DOGMATISME ET PRAGMATISME DANS LE NOUVEAU DROIT DES CONTRATS

peu importe, serait-on tenté de dire, que le Rubicon ait été franchi armes à la main par
une personne ou une légion entière, à partir du moment où il l’a été. Cette disposi-
tion, qui n’a pas fini d’être débattue, trace les contours d’un nouveau modèle de réfé-
rence à partir duquel le droit des contrats se structure. Mais ce renouvellement de
l’archétype permet-il le maintien d’une cohérence globale ?

B. Une vision paradoxale

16. Dogmatisme et pragmatisme sont les deux pôles d’un ensemble qui doit,
dans l’idéal, demeurer harmonieux et cohérent. Ainsi le pragmatisme a-t-il natu-
rellement vocation à compléter le dogmatisme, et même à le renforcer. Mais il
peut arriver également que la solution pragmatique admise dans telle hypothèse
vienne contredire la règle fondatrice. Comment dès lors sortir de la contradic-
tion ? Avec, il faut bien l’avouer, quelques difficultés. Plusieurs approches sont
alors possibles. Dans une première approche, résolument optimiste, il sera possible
de voir dans la solution pratique contraire au principe préalablement énoncé la
manifestation d’une volonté du législateur : c’est sciemment, en toute connais-
sance de cause, qu’il a posé deux règles apparemment contraires. Il restera alors au
juge et à l’interprète de cantonner précisément le champ de l’exception et d’en
justifier l’existence. Ici, pragmatisme et dogmatisme se complètent dans la
construction d’un modèle juridique voulu. Dans une deuxième approche, plus réa-
liste, l’incohérence ainsi créée pourra être reconnue en tant que telle, mais justi-
fiée par des circonstances particulières. Le principe est certes remis en cause, mais
cette remise en cause est elle-même justifiée par certaines raisons : d’un certain
point de vue, le principe demeure donc, mais pas dans cette hypothèse45. Ici le
pragmatisme s’extrait du dogmatisme. Enfin, dans une troisième approche, beau-
coup plus pessimiste, aucune signification particulière ne sera donnée à la pré-
sence de solutions contradictoires : ni volonté de construire un système entier et
harmonieux mais dont toutes les clés ne sont pas données ; ni recherche d’une
cohérence a posteriori par le fait de circonscrire certaines hypothèses, mais le
simple constat de solutions différentes et juxtaposées. Ici, le pragmatisme prend
le pas sur le dogmatisme. Tout ne sera bien entendu qu’affaire d’interprétation, et
de liberté dans cette interprétation. Ainsi, lorsque le législateur pose une règle
particulière contraire à une règle plus générale, que faut-il en déduire ? Que l’ex-
ception est par nature d’interprétation stricte et que c’est pour cela qu’elle est
expressément mentionnée46 ? Ou bien qu’il s’agit là de la manifestation expresse
d’un principe général sous-jacent47 ?
17. Plusieurs exemples de ces tensions sont perceptibles dans la réforme. Le
premier, déjà évoqué, est relatif à un point pourtant essentiel : le respect du

45. Mais il conserve son rang de principe pour les autres situations.
46. Ce qui est une analyse classique.
47. Ce qui est là une analyse moins classique, mais qui n’est pas sans précédent. Il n’est
qu’à évoquer la responsabilité générale du fait d’autrui découlant de l’alinéa premier de
l’article 1242 (anciennement 1384).

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JÉRÔME JULIEN 239

contrat. Le contrat doit-il être respecté tel qu’il est ou bien tel qu’il devrait être ?
Doit-il avoir une force obligatoire ou peut-on s’en extraire ? Ici encore, la réforme
semble ventiler certains rôles, entre force obligatoire et respect du contenu, et
possibilités d’adaptation par le juge dans certains cas. Le maintien des anciennes
dispositions, que l’on retrouve aujourd’hui par exemple à l’article 110348, 119349
ou 119450 côtoie les nouvelles prérogatives soit des parties, soit du juge : révision
du contrat en cas d’imprévision à l’article 1195, réduction du prix à l’article 122351,
résolution unilatérale à l’article 122652, exception d’inexécution préventive à l’ar-
ticle 122053… Quel est le modèle de contrat qui est proposé ? Un modèle contrai-
gnant ou, au contraire, évolutif ?
Le deuxième exemple réside dans les notions d’équilibre et d’équivalence. Là
encore, certaines dispositions peuvent apparaître de prime abord comme tradui-
sant des idées divergentes. D’un côté, reprenant les canons traditionnels de la
matière, la réforme rappelle que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut
d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins
que la loi n’en dispose autrement »54. La règle est en effet classique – celle d’un
refus de principe de la lésion comme vice du consentement – et en réalité sans
doute inévitable : l’équilibre n’est pas une condition de validité des contrats. Mais
de quel équilibre s’agit-il ? L’équilibre dans le contrat et non pas l’équilibre des
contractants. Car pour ces derniers, du moins dans un contrat d’adhésion, la
réforme a reconnu la possibilité de sanctionner les clauses déséquilibrantes. Deux
visions contraires se font donc jour : le contrat est par définition équilibré dans
ses prestations (puisque leur déséquilibre n’est pas une cause de nullité), mais il
peut être déséquilibré au regard de son contenu précis (hors prix et objet). Équi-
libre matériel et déséquilibre juridique en quelque sorte : il n’y aurait pas de prin-
cipe d’équilibre dans le premier cas55, mais bien dans le second.
Le troisième exemple, enfin, est relatif à la sanction de l’inexécution du
contrat, ce qui traduit en filigrane la place qu’occupe la force obligatoire du
contrat. Il s’agit bien entendu de la question de l’exécution forcée et de cette idée,
somme toute assez simple : le créancier est-il en droit d’obtenir ce qui lui avait été
promis ? A priori, les textes nouveaux sont clairs, et c’est à une restauration de la
force obligatoire qu’il s’agit, dont l’une des manifestations les plus claires réside

48. Force obligatoire.


49. Intangibilité du contrat.
50. Valeur contraignante des suites au contrat.
51. G P.-Y., « La réduction proportionnelle du prix, exercices critiques de
vocabulaire et de cohérence », JCP G 2016, 947.
52. V. également, S Y.-M., « La constatation de la nullité par les parties : une
entorse limitée au caractère judiciaire de la nullité », JCP G 2016, 845.
53. B J.-D., « Les conditions de l’exception d’inexécution par anticipation »,
JCP G 2016, 999.
54. Art. 1168.
55. Et encore, la lecture de l’article 1143 sur la violence économique, visiblement
inspirée de l’idée de lésion qualifiée, gravite autour de l’idée d’« avantage manifestement
excessif ».

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240 DOGMATISME ET PRAGMATISME DANS LE NOUVEAU DROIT DES CONTRATS

dans l’article 1224 en matière de promesse unilatérale56. Forcer l’exécution,


contraindre le débiteur – lorsque cela est possible – n’est-il pas le meilleur moyen
d’assurer tout à la fois la satisfaction du créancier et l’autorité du contrat ? Et
pourtant, l’article 1221, après avoir proclamé que « le créancier d’une obligation
peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature », apporte
immédiatement une série d’exceptions, l’une classique (« sauf si cette exécution
est impossible »), l’autre beaucoup moins (« ou s’il existe une disproportion mani-
feste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier »). Cette
dernière précision a été abondamment et diversement appréciée57, perçue comme
une manifestation d’une analyse économique appliquée au contrat, ou simple-
ment comme la transcription d’un pouvoir d’appréciation du juge dans le contrôle
des demandes manifestement abusives. Mais il n’en demeure pas moins vrai que
la seule lecture des textes n’apporte pas véritablement de réponse, en dépit de
l’objectif affiché par la réforme.
La tension finalement relevée entre dogmatisme et pragmatisme ne doit pas
surprendre et, du reste, elle n’est pas propre à la réforme du contrat. Elle est même
inhérente à toute œuvre de législation : la loi, générale, a toujours vocation à
s’appliquer à des situations particulières. La volonté de rehausser celles-ci est
incontestablement une bonne chose, même si l’ensemble paraît perdre un peu en
cohérence. Mais il serait vain de la rechercher dans la seule lettre du texte : en
dépit de toutes les bonnes intentions affichées par les rédacteurs de la réforme, le
droit des contrats, vivant s’il en est, ne se révélera que par la pratique qu’en auront
les juridictions, et les analyses qu’en fera la doctrine58. Puisque nous avons com-
mencé par Portalis, laissons-lui le mot de la fin : « Les codes des peuples se font
avec le temps, à proprement parler on ne les fait pas ». Pourquoi en irait-il diffé-
remment de la réforme des contrats ?

56. Et la condamnation de la jurisprudence de la Cour de cassation. V. N I., « La


sanction de la promesse de contrat », D. 2016. 848.
57. M D., « L’exécution forcée en nature dans la réforme du droit des contrats »,
D. 2016.2477.
58. V. M D., « Imaginer la réforme », RDC 2016, n° 3, p. 610.

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La faculté de substitution dans les avant-contrats

Cécile D
Notaire

L’exercice de la faculté de substitution dans le bénéfice d’une promesse est-il


une forme de cession de ce contrat de promesse ou s’agit-il d’une institution juri-
dique autonome ? Cette question rejoint celle, plus vaste, de la nature juridique
de l’exercice de la faculté de substitution qui a déjà fait couler beaucoup d’encre.
Instrument pourtant courant de la pratique, la question théorique de la nature
juridique de l’exercice de la faculté de substitution insérée dans les avant-contrats
est toujours discutée. Certes, ce débat sur la nature juridique de la clause de subs-
titution dans le bénéfice d’une promesse n’est pas nouveau mais l’entrée en
vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a remis le
sujet sous les feux des projecteurs. Ces clauses de substitution n’ont pourtant pas
fait l’objet d’une attention particulière de la part des auteurs de l’ordonnance. Et
il n’y a, finalement, rien d’anormal à cela car la réforme engagée concerne le droit
des contrats et non celui des contrats spéciaux, dont la vente et ses avant-contrats
font partie. Mais depuis la publication de l’ordonnance, l’idée s’est répandue que
cette clause trouverait désormais une assise légale dans la définition que le Code
civil consacre aujourd’hui à la cession de contrat.
Qu’en est-il exactement ? S’il est bien évident que les promesses de vente
peuvent, comme tout contrat, faire l’objet d’une cession, est-il judicieux de
réduire la faculté de substitution à une cession de contrat ?

I – LA CESSIBILITÉ INCONTESTABLE DES PROMESSES DE VENTE

La cession de contrat a fait l’objet d’une consécration récente par le législa-


teur (A) et il paraît évident qu’une promesse de vente, comme tout contrat, peut
faire l’objet d’une cession (B).

A. La consécration de la cession de contrat en général

Avant la publication de l’ordonnance, la cession de contrat n’était pas ignorée du


droit français mais compte tenu de l’absence de dispositions spécifiques dans le
Code civil, sa nature et son régime juridique avaient été déterminés par la

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242 LA FACULTÉ DE SUBSTITUTION DANS LES AVANTCONTRATS

jurisprudence aidée par la pratique et la doctrine. Bien qu’en 1999, Cyril Nourrissat1
relevait que la cession conventionnelle de contrat paraissait inconcevable pour cer-
tains auteurs, les rédacteurs de l’ordonnance se sont inspirés des solutions consa-
crées par la jurisprudence et la doctrine.
La cession de contrat relève du droit des contrats contrairement aux cessions
de créances et de dettes qui relèvent de l’étude du régime général des obligations2.
Le nouvel article 1216 du Code civil dispose désormais qu’« un contractant, le
cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec
l’accord de son cocontractant, le cédé. Cet accord peut être donné par avance,
notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la
cession produit effet à l’égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et
le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu’il en prend acte. La cession doit être consta-
tée par écrit, à peine de nullité ».
La définition de l’article 1216 du Code civil est donc conforme à celle donnée
jusqu’ici par la doctrine à savoir « une substitution d’une personne à une autre
dans les liens d’un contrat »3. Avec cette définition, on remarque que la cession
porte finalement moins sur le contrat en son entier que sur la position contrac-
tuelle. C’est ce qui avait déjà, bien avant la réforme, été prôné par la doctrine.
Ainsi, pour Alain Sériaux : « Ce que l’on cède n’est pas le contrat mais la qualité
de cocontractant avec ses droits et ses obligations » et pour Laurent Aynès4 : « La
cession de contrat a pour objet de changer l’une des parties à ce rapport contrac-
tuel, sans en altérer l’efficacité et sans en modifier l’identité ». C’est donc tout
naturellement que les auteurs d’aujourd’hui avancent, sans contradiction, que « le
contrat est autre chose qu’une addition de créances et de dettes, puisqu’il s’agit de
transmettre une position contractuelle faite non seulement de liens d’obligation,
mais encore de prérogatives contractuelles »5.
L’effet de la cession est donc de substituer le cessionnaire au cédant dans le
rapport contractuel existant. Logiquement, si la cession était parfaite, le cédant
devrait quitter le rapport contractuel qui ne subsisterait plus qu’entre le cédé et le
cessionnaire. Cependant, le cédé peut ne pas avoir intérêt à libérer le cédant de ses
obligations envers lui. Même si le contrat n’a pas été conclu intuitu personae, il
peut ne pas avoir la même confiance envers le cessionnaire que celle qu’il avait
envers le cédant qu’il avait choisi comme cocontractant initial. Le texte de l’ar-
ticle 1216 du Code civil maintient donc l’exigence d’un consentement du cédé

1. N C., « La clause de substitution insérée dans une promesse unilatérale de


vente : une cession conventionnelle de contrat », JCP N 1999, n° 21, p. 874.
2. Ce qui permet d’expliquer que la cession de contrat trouve sa place à l’article 1216
du Code civil alors que les cessions de créances et de dettes sont visées respectivement par les
articles 1321 et 1327 du Code civil.
3. S A., Droit des obligations, 2e éd., 1998, PUF, n° 180.
4. A L., La cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes, 1983,
Economica.
5. B R., « Les clauses relatives aux opérations translatives », JCP N 2016, n° 13,
1115.

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CÉCILE DAVÈZE 243

pour procéder à la cession de contrat ce qui s’explique, bien évidemment, au


regard du respect de la force obligatoire du contrat : le contractant ne peut se voir
imposer un changement de cocontractant dans la mesure où l’exécution de ce
contrat dépend nécessairement de la personne du contractant. Ce consentement
peut alors être donné dans le contrat initial. Rien de nouveau en cela car comme
le relevait Laurent Aynès, à propos de la cession des contrats en général, alors qu’il
commentait deux arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de cassa-
tion6 : « La cession du contrat est une faculté inhérente à la qualité de partie au
contrat ; la chambre commerciale décide aujourd’hui qu’en l’absence de disposi-
tions légales son exercice nécessite l’accord du co-contractant. Le rôle de cet
accord n’est pas de rendre le cédé partie à la convention mais de lever un obstacle
à l’exercice de la faculté de substitution. Il s’agit d’une autorisation (...). Aussi
cette autorisation peut-elle être donnée généralement (dans le contrat initial) ou
spécialement (au moment de la cession) »7. Que dire alors de la cession des pro-
messes de vente ?

B. La cession des promesses de vente

Les promesses de vente étant des contrats, leur cessibilité apparaît comme une
évidence. Mais au-delà des limites d’origine soit légale, soit conventionnelle, il
faut distinguer suivant que la promesse de vente est une promesse dite « unilaté-
rale » ou « synallagmatique ».
En ce qui concerne les limites légales, il faut rappeler que, pour des raisons
notamment fiscales, la possibilité de céder une promesse unilatérale de vente
moyennant une contrepartie est, en effet, formellement interdite aux profession-
nels de l’immobilier. Ainsi en vertu de l’article 52 de la loi n° 93-122 du 29 jan-
vier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie
économique et des procédures publiques8, « est frappée d’une nullité d’ordre
public toute cession à titre onéreux des droits conférés par une promesse de vente
portant sur un immeuble lorsque cette cession est consentie par un professionnel
de l’immobilier ». Il est à noter que cette prohibition, qui va dans le sens d’une
moralisation économique des échanges, s’appliquait déjà antérieurement aux
agents immobiliers.
Par ailleurs, la volonté des parties peut également restreindre, voire supprimer
la cessibilité du contrat de promesse : soit parce qu’une clause du contrat interdit

6. Cass. com., 6 mai 1997, Bull. civ. IV, n° 117 et 118.


7. A L., « Cession de contrat : nouvelles précisions sur le rôle du cédé », D. 1998,
chron., p. 145.
8. Loi dite « Sapin ». Cette prohibition vise les marchands de biens qui, sans attendre
d’avoir acheté pour revendre, se faisait consentir sur un immeuble une promesse, avec clause
de substitution, et cédaient cette promesse avec un prix plus élevé que celui figurant dans la
promesse afin d’assurer leur rémunération. Cette pratique favorisait la hausse des prix de
l’immobilier et faisait échapper à la fiscalité immobilière une partie du prix global de
l’immeuble tel que payé par l’acquéreur final.

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244 LA FACULTÉ DE SUBSTITUTION DANS LES AVANTCONTRATS

purement et simplement la cession, soit parce que le contrat a été conclu intuitu
personae, c’est-à-dire en considération de la personne du bénéficiaire (compte
tenu de sa solvabilité par exemple).
Mais, au-delà de ces limites légales ou conventionnelles, c’est au regard de la
nature unilatérale ou synallagmatique qu’il faut apprécier la cessibilité de ce contrat.
Dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente, on distingue selon que la
cession est consentie par le promettant ou par le cessionnaire. Du côté du pro-
mettant, celui-ci ne peut céder la promesse à un tiers sans céder, en même temps,
à ce tiers la propriété du bien promis au bénéficiaire. La cession de la promesse
unilatérale de vente par le promettant n’est donc, ni plus, ni moins qu’une cession
de l’immeuble objet de la promesse laquelle se trouve être désormais interdite
pendant toute la durée du délai d’option consenti au bénéficiaire de la promesse9.
Concernant le bénéficiaire, jusqu’à ce qu’il lève éventuellement l’option qui lui a
été consentie, le promettant demeure propriétaire de la chose promise. En consé-
quence, pendant cette période, le bénéficiaire n’a aucun droit réel sur la chose. Il
bénéficie seulement d’un droit à l’encontre du promettant. Ce droit peut être
transmis. Cela n’a jamais été contesté et, bien avant la consécration légale de la
cession de contrat, la cession par le bénéficiaire des droits qu’il détient à l’encontre
du promettant était, en principe, possible. En effet, dès 1866, la Cour de cassa-
tion avait affirmé que « rien ne s’oppose à ce qu’une promesse de vente devienne
l’objet d’une cession ». Cet arrêt est parfois présenté comme allant jusqu’à recon-
naître le principe d’une cessibilité de plein droit par le bénéficiaire d’une pro-
messe de vente. Pourtant, cette affirmation ne saurait perdurer avec l’entrée en
vigueur de l’article 1216 du Code civil : la cessibilité doit être, on l’a vu, acceptée
par le promettant. On ne peut, bien évidemment, imposer une cession au pro-
mettant car la règle en droit français n’est pas la libre cession des contrats mais
bien plutôt leur effet relatif.
Dans le cadre d’une promesse synallagmatique de vente, dont le « compromis
de vente » constitue l’illustration la plus courante en pratique, on peut difficile-
ment envisager une cession d’un contrat dans lequel les parties sont d’ores et déjà
vendeur et acquéreur et non pas seulement promettant et bénéficiaire. Du côté du
vendeur, tout d’abord, la cession ne paraît pas possible si l’on considère que la
promesse synallagmatique vaut vente et que c’est seulement la mise en œuvre du
contrat qui est suspendue à la réalisation de certaines conditions suspensives. Ce
n’est que si la promesse synallagmatique de vente n’est qu’un simple contrat pré-
paratoire en vue de la conclusion d’un contrat « cible » que l’on pourrait envisager
une cession par le promettant, qui ne pourrait alors plus être considéré comme
vendeur, de ses droits dans la promesse. Concernant l’acquéreur : sur le principe,
la Cour de cassation a semblé admettre la cession de promesse synallagmatique10
en déclarant que la clause de cessibilité ne préjuge pas de la nature, unilatérale ou
synallagmatique, de la promesse. Mais en dehors du cadre de la déclaration de

9. C. civ., art. 1124.


10. Cass. 3e civ., 28 juin 2006, Bull. civ. III, n° 166.

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CÉCILE DAVÈZE 245

command11, si la promesse synallagmatique considérée vaut effectivement vente


et que les conditions suspensives sont réalisées au moment de la constatation de
la cession, il n’en reste pas moins que la cession peut s’avérer risquée sur un plan
fiscal puisque l’administration sera fondée à considérer qu’il y a là une double
mutation ! La cession de promesse synallagmatique de vente par l’acquéreur
mérite donc de prendre certaines précautions rédactionnelles...
Quoi qu’il en soit, et dans les cas où la promesse de vente apparaît cessible,
faut-il pour autant réduire impérativement l’exercice de la faculté de substitution
à une cession de contrat ?

II – LA FACULTÉ DE SUBSTITUTION INSÉRÉE DANS LES PROMESSES


DE VENTE : UNE SIMPLE CESSION DE CONTRAT ?

L’usage de la clause de substitution est très répandu en pratique dans les pro-
messes de vente, qu’elles soient unilatérales ou synallagmatiques, avec une rédaction
évidemment différenciée pour éviter les écueils que nous venons de soulever. Dans
une promesse unilatérale de vente, cette clause autorise le bénéficiaire à se substituer
la personne de son choix dans le bénéfice de la promesse. Dans une promesse synal-
lagmatique de vente, elle autorise l’acquéreur à désigner un autre acquéreur, pourvu
que cette faculté de substitution soit exercée avant la réalisation de toutes les condi-
tions suspensives prévues par les parties. La licéité de ces clauses n’a jamais été
contestée mais comme il n’existe aucune définition légale de la clause de substitu-
tion, l’exercice de la faculté de substitution n’est lui-même régi par aucun texte.
De nombreux auteurs ont affirmé que le nouvel article 1216 du Code civil, en
consacrant la cession conventionnelle de contrat, pourrait donner un cadre juridique à
la clause de substitution. Ainsi, pour Romain Boffa12, avec la consécration de la cession
de contrat, la clause de substitution est « validée par l’ordonnance » et il est possible de
permettre au cédant, dès la formation de la promesse de vente, de céder sa position
contractuelle à un tiers. Plusieurs CRIDON ont abondé en ce sens. Et pourtant, l’or-
donnance ne dit pas clairement que l’exercice de la faculté de substitution est une
forme de cession de contrat. Au regard des conséquences sur le formalisme applicable,
dont le non-respect sera inévitablement source d’insécurité juridique pour nos actes,
quel serait donc l’intérêt de restreindre les possibilités qui s’ouvrent à la pratique en
enfermant nos clauses de substitution dans une qualification juridique déterminée ?
En effet, différentes qualifications apparaissent possibles. Elles ont toutes leurs
avantages et leurs inconvénients. Reste à savoir si la réforme du droit des obliga-
tions a véritablement changé la donne…

11. Une clause de la promesse ou de la vente définitive, par exemple dans le cadre des
ventes par adjudication, peut prévoir que l’acquéreur pourra faire une déclaration de command
dans un certain délai (très court) suivant la conclusion de l’acte.
12. B R., « Les clauses relatives aux opérations translatives », JCP N 2016, n° 13,
1115.

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246 LA FACULTÉ DE SUBSTITUTION DANS LES AVANTCONTRATS

A. Les qualifications juridiques possibles

En premier lieu, on a pu se demander si la faculté de substitution ne serait pas


une stipulation pour autrui. En effet, la Cour de cassation a commencé par écar-
ter l’application de l’article 1589-2 du Code civil en analysant la clause de substi-
tution en une stipulation pour autrui13. D’éminents auteurs ont approuvé cette
solution jurisprudentielle et, comme le soulignait Jacques Ghestin14, « il est per-
mis de penser que la Cour de cassation, quelle que soit sa politique, n’écarterait
pas l’application d’un texte impératif sans avoir la justification d’une qualification
permettant une telle solution. En l’espèce, cette qualification existe, c’est la stipu-
lation pour autrui ». Pascal Ancel15 avouait également, il y a déjà vingt ans de cela,
avoir une « préférence irrationnelle pour [l’analyse] plus traditionnelle fondée sur
la stipulation pour autrui ».
D’autres auteurs, en revanche, ont pu considérer que la qualification de stipu-
lation pour autrui devait être écartée car le propre de la stipulation pour autrui est
de faire naître un droit direct dans le patrimoine du tiers bénéficiaire. Avec la
stipulation pour autrui, le tiers bénéficiaire est, dès sa désignation et son accepta-
tion, le titulaire de la créance et il est considéré comme l’ayant été dès l’origine.
Le droit de ce dernier doit naître dans son patrimoine et ne doit pas naître dans
celui du bénéficiaire initial. Or, la jurisprudence a admis que le bénéficiaire initial
pourrait lever l’option après la rétractation du substitué, ce qui démontre qu’il a
été titulaire de l’option avant de la céder.
En pratique, si la substitution s’analyse en une stipulation pour autrui, ce
serait au promettant de faire bénéficier le substitué du délai de rétractation ou de
réflexion. Si le substitué exerçait cette faculté de se rétracter, on devrait alors
considérer que la promesse est devenue caduque et le bénéficiaire initial serait
libéré. Or, ce n’est pas ce qui est prévu dans les clauses de substitution utilisées par
la pratique : les clauses insérées dans les promesses de vente prévoient que le subs-
tituant sera toujours tenu en cas de rétractation du bénéficiaire substitué et la
Cour de cassation a admis, en cas de rétractation du substitué, que le bénéficiaire
initial puisse retrouver sa qualité pour lever l’option.
Un inconvénient majeur de la qualification de stipulation pour autrui réside
enfin dans le fait que le tiers bénéficiaire peut se prévaloir de la créance qui a été
stipulée à son profit, et être éventuellement tenu des dettes corrélatives qu’il
accepte, mais il ne se trouve pas placé dans la situation contractuelle du stipu-
lant. Par conséquent, une clause compromissoire, par exemple, ne lui serait pas
opposable. La qualification de stipulation pour autrui n’est donc pas à l’avantage
du promettant : s’il accepte la substitution, ce n’est pas pour voir remettre en
cause l’existence des clauses figurant dans l’avant-contrat qui ne seraient pas
transmises au bénéficiaire substitué. Il y a donc fort à parier qu’un promettant,

13. Cass. 3e civ., 2 juill. 1969, Bull. civ. 1969, III, n° 541.
14. G J., Traité des contrats. La vente, 1990, LGDJ, p. 171.
15. Note sous CA Lyon, 15 mai 1997, Rev. arb. 1997, n° 3, p. 404.

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CÉCILE DAVÈZE 247

bien conseillé, exige que la qualification de stipulation pour autrui soit expressé-
ment écartée par le rédacteur de l’acte.
Par la suite, il a été proposé d’assimiler l’exercice de la faculté de substitution
à une cession de créance mais cette qualification a été formellement rejetée par la
Cour de cassation qui a indiqué clairement que la mise en œuvre de cette clause
« n’a pas le caractère d’une cession » et « n’entre pas dans le domaine d’application
de l’article 1840 A du CGI »16 (devenu C. civ., art. 1589-2). Puis, elle a écarté
l’application de l’article 1690 du Code civil en utilisant la même argumentation :
« le fait pour les bénéficiaires d’une promesse de vente de se substituer un tiers ne
constitue pas une cession de créance et n’emporte pas d’obligation d’accomplir les
formalités prévues à l’article 1690 du Code civil »17. Sans doute, cette solution
était-elle davantage guidée par la volonté d’assigner un domaine d’application
restrictif à une sanction jugée exorbitante : la nullité civile d’un contrat pour
sanctionner une fraude fiscale présumée apparaît effectivement disproportionnée
au regard de l’enjeu réel. Mais, comme le soulignait Philippe Brun : « À la vérité,
faut-il vraiment chercher à justifier juridiquement une solution si nettement tein-
tée d’opportunisme ? Peut-être n’est-elle en définitive qu’une marque de plus de
l’hostilité de la Cour de cassation à l’égard des nullités fiscales »18.
Qu’à cela ne tienne, Laurent Aynès et bien d’autres ont, quant à eux, proposé
de substituer à la qualification de cession de créance, celle de cession de contrat
ou cession de position contractuelle. Suivant en cela la jurisprudence de la Cour
de cassation19, qui dans le cadre d’une promesse synallagmatique de vente avait
décidé que « lorsque la substitution intervient dans le cadre d’une promesse synal-
lagmatique de vente, elle présente la nature d’une cession de contrat », certains
auteurs ont proposé d’analyser la substitution de bénéficiaire dans la promesse
unilatérale de vente comme une cession de contrat au motif qu’il convient de
proposer une solution uniforme car la nature juridique de la clause de substitu-
tion ne diffère pas selon qu’elle est insérée dans une promesse unilatérale de vente
ou dans une promesse synallagmatique de vente.
Pour Cyril Nourissat, il ne faisait aucun doute, ainsi qu’il l’a exprimé dès 1999,
que la clause de substitution devait être qualifiée de cession conventionnelle de
contrat20. Or, si l’exercice de la faculté de substitution prévue dans une promesse
unilatérale de vente était analysé en une cession de contrat, le formalisme attaché à
la cession de promesse unilatérale de vente lui serait applicable et, en particulier, le
respect de l’article 1589-2 du Code civil. En effet, en vue de lutter contre la fraude
pouvant résulter de la cession occulte de promesses de vente, la loi n° 64-1241 du
19 décembre 1963 a prévu que toute cession de promesse unilatérale de vente
immobilière qui n’aurait pas fait l’objet d’un acte authentique ou d’un acte sous

16. Cass. 3e civ., 19 mars 1997, Defrénois 1997, p. 1351, note Mazeaud D.
17. Cass. 3e civ., 1er avr. 1987, Bull. civ. 1987, III, n° 68.
18. B P., D. 1997, som., p. 341.
19. Cass. 3e civ., 7 juill. 1993.
20. N C., « La clause de substitution insérée dans une promesse unilatérale de
vente : une cession conventionnelle de contrat », JCP N 1999, n° 21, p. 874.

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248 LA FACULTÉ DE SUBSTITUTION DANS LES AVANTCONTRATS

seing privé enregistré dans les dix jours de sa date serait nulle et de nul effet (CGI,
art. 1840-A devenu C. civ., art. 1589-2). L’article 1589-2 du Code civil sanctionne
donc par la nullité absolue l’inobservation de la formalité d’enregistrement des ces-
sions de promesses unilatérales de ventes dans un délai de dix jours et cette nullité
ne peut pas être couverte par une renonciation des parties.
En pratique, se pose ici aussi la question de l’exercice de la faculté de rétracta-
tion. Si la substitution s’analyse en une cession de contrat, et puisque c’est le
substituant qui cède sa position contractuelle au substitué et que le contrat a déjà
été purgé du droit de rétractation, le promettant ne devrait plus avoir à effectuer
cette opération. Ce n’est pourtant pas la solution adoptée actuellement par la
Cour de cassation. Par ailleurs, sur le sort de l’indemnité d’immobilisation, on
note également une incohérence : lorsque l’option n’est pas levée et si la substitu-
tion est analysée en une cession de contrat, le consentement du cédé à la cession
ne préjuge pas de sa libération. Une manifestation expresse de volonté est requise
pour libérer le cédant pour l’avenir. À défaut, la cession est « imparfaite » et le
cédant reste tenu solidairement avec son cessionnaire à l’exécution du contrat. Or,
la faculté de substitution telle qu’elle existe en pratique, prévoit toujours une
solidarité entre le substituant et le substitué.
On voit bien que l’analyse théorique de la pratique de la substitution dans les
avant-contrats ne permet pas de lui donner une qualification juridique satisfai-
sante qui répondrait aux préoccupations des praticiens. Faut-il alors modifier nos
pratiques pour tenir compte de la réforme du droit des obligations ? En d’autres
termes, la réforme doit-elle entraîner un changement de la pratique ?

A. Quels changements pour la pratique ?

La réforme du droit des obligations donne-t-elle un cadre juridique à l’exer-


cice de la faculté de substitution ? C’est ce qui a été affirmé par certains CRIDON
suivant en cela la position adoptée par les premiers commentateurs de la réforme.
Ainsi, pour Mustapha Mekki, « le régime juridique [de la cession de contrat]
étant clairement déterminé par les articles 1216 et suivants du Code civil, les
rédacteurs d’actes auraient probablement tout intérêt, pour éviter toute contesta-
tion, de choisir formellement dans leur acte de qualifier la substitution de cession
de contrat ». Ce simple changement de dénomination pourrait paraître anodin
dans la mesure où, si le nouveau régime de la cession de contrat impose, à peine
de nullité, un écrit, cet écrit était déjà entériné par la pratique. Mais peut-on
véritablement utiliser le terme cession ? Lorsqu’une somme est versée par le ces-
sionnaire au cédant pour lui avoir cédé sa position contractuelle, on peut, sans
état d’âme qualifier l’opération de cession. Cependant, ce genre d’opérations qui,
on l’a vu, ne peut concerner des professionnels de l’immobilier car elle leur est
interdite, n’est pas franchement courante entre particuliers… En revanche, dans
les relations commerciales ou d’affaires, en dehors des opérations réalisées moyen-
nant un prix et constituant, de fait, une cession à titre onéreux, il existe des

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CÉCILE DAVÈZE 249

transactions qui appartiennent au domaine juridique de la « gratuité commer-


ciale ». On entend par là une situation contractuelle où le service rendu ne com-
porte pas de prix convenu, mais qui n’a rien à voir avec une libéralité inspirée par
un sentiment d’affection ou de reconnaissance. Ce cas est finalement le plus cou-
rant, en pratique, mais correspond-il véritablement à une cession ?
En outre, en rebaptisant eux-mêmes la faculté de substitution en « cession de
contrat », les rédacteurs d’actes risquent d’encourager les tribunaux à appliquer un
texte que, jusqu’ici, la Cour de cassation avait pris soin d’exclure. Or, une éventuelle
volonté de limiter l’application d’une règle fiscale n’explique pas entièrement la
position adoptée par la Cour de cassation. Certes, la difficulté n’en sera plus une
chaque fois que les parties signeront l’acte authentique de vente qui constatera la
substitution intervenue entre le bénéficiaire initial et le substitué acquéreur. Le dan-
ger existe en revanche qu’un promettant de mauvaise foi conteste la validité de la
levée d’option par le bénéficiaire substitué au motif que les formalités de l’ar-
ticle 1589-2 du Code civil n’auront pas été respectées. Ce serait un comble alors que
l’ordonnance du 10 février 2016 consacre la force obligatoire des promesses unila-
térales de vente21 et le principe de bonne foi à tous les stades du contrat22 ! Comme
le soulignait Gérard Cornu23, « La fidélité à la loi n’exige pas qu’une présomption de
fraude fiscale soit civilement l’instrument de la mauvaise foi contractuelle ! » et
« L’ensemble de l’ordre juridique fait corps pour ne pas permettre qu’en l’absence
d’une fraude réelle à l’encontre du fisc, l’un des cocontractants se serve d’une sanc-
tion inadéquate pour ne pas tenir sa parole envers l’autre ».
Par ailleurs, la définition que l’ordonnance a retenue de la cession de contrat
n’est pas différente de l’idée que s’en faisaient, jusqu’à présent, la doctrine majori-
taire et la jurisprudence. Par conséquent, le fait que le Code civil consacre une
définition à la cession de contrat ne change pas vraiment les termes du débat qui
existait déjà auparavant à propos de la cession de créance. Ainsi, il a été soulevé que
la requalification en cession de contrat de l’exercice de la faculté de substitution
prévue aux termes d’une promesse unilatérale de vente pourrait déstabiliser la pra-
tique des substitutions en la faisant tomber sous le coup du formalisme fiscal appli-
cable aux cessions de promesses unilatérales de vente. L’enregistrement d’une telle
cession de contrat devra se faire dans les dix jours si elle a été constatée par acte sous
seing privé. Là aussi, la pratique notariale répondra qu’il suffit de constater la subs-
titution dans l’acte authentique et on évitera ainsi le formalisme de l’enregistre-
ment. C’est satisfaisant sur le plan intellectuel mais, dans la réalité, même si cette
substitution est constatée dans l’acte authentique, n’a-t-elle pas été exercée antérieu-
rement à la date de signature de cet acte ? Le dépôt par la société civile immobilière
« Tartempion » d’une demande de prêt en vue de l’acquisition d’un immeuble ayant
fait l’objet d’une promesse de vente dont les bénéficiaires sont Monsieur et
Madame Tartempion, par ailleurs seuls associés de la SCI, ne suppose-t-il pas que la
faculté de substitution se soit exercée avant la réalisation de la vente par acte
21. C. civ., art. 1124, al. 2.
22. C. civ., art. 1104.
23. Cornu G., obs. sous Cass. 3e civ., 10 oct. 1968, RTD civ. 1969, p. 349 et s.

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250 LA FACULTÉ DE SUBSTITUTION DANS LES AVANTCONTRATS

authentique ? Il est certes prudent de recommander aux praticiens de prévoir que la


mise en œuvre de la faculté devra être constatée par écrit à peine de nullité mais est-
ce vraiment la réforme du droit des obligations qui nous y incite ?
Si la Cour de cassation devait finalement décider que la substitution est une
cession de contrat, il semble, de toute façon, que cette décision ne pourrait être
fondée sur l’idée que la cession de contrat est dorénavant définie dans le Code
civil puisqu’il y a longtemps qu’une partie de la doctrine analyse l’exercice de la
faculté de substitution comme une cession de contrat. Mais cela importe peu
finalement. La question qui se pose est plutôt de savoir si l’article 1216 du Code
civil s’applique, de façon impérative, à toutes les clauses de substitution figurant
dans nos contrats.
Puisque la cession de contrat est admise depuis longtemps par la jurisprudence
et reconnue aujourd’hui par le législateur, il est permis de se demander à quoi servi-
raient les clauses de substitution si elles entraient impérativement dans le domaine
des cessions de contrat. En quoi serait-il nécessaire de stipuler une cessibilité
conventionnelle si la nature de la promesse lui permet de faire l’objet d’une cession
de contrat laquelle a été reconnue par le législateur ? Comme le soulignait Jacques
Ghestin24, « la stipulation accordant la faculté de substitution n’a de véritable portée
que si elle ne se borne pas à accorder un droit que le bénéficiaire de la promesse ne
possédait pas déjà ». Par conséquent, si l’on considère que l’exercice de la faculté de
substitution dans une promesse de vente est, dans tous les cas, une cession de
contrat, il faudrait purement et simplement supprimer les clauses de substitution de
nos promesses au motif que la cession de contrat est organisée par le Code civil…
Dans l’attente d’un hypothétique changement de cap de la Cour de cassation
dont on ne perçoit pas vraiment les raisons, il semble qu’on ait intérêt à maintenir
le statu quo en ne modifiant pas la rédaction actuelle des clauses de substitution.
Force est alors de constater qu’il faut continuer de croire au pouvoir créateur de la
pratique notariale25 ! En effet, la clause de substitution est une pure invention de la
pratique. Il faut donc garder confiance dans notre capacité à rédiger et ne pas négli-
ger « l’art de la clause » ! En effet, comme le soulignait Mustapha Mekki, les notaires
« sont, en qualité de rédacteurs d’actes, les premiers relais du législateur »26. À ce
titre, et comme le soulignait Gilles Pillet dans sa thèse27 : « La clause de substitution,
comme toute clause, doit être comprise dans le sens que les parties ont voulu lui
donner et il ne fait aucun doute, s’agissant d’un mécanisme issu de la pratique, que
ce sens peut varier au gré des besoins qu’elle est appelée à satisfaire ». L’autonomie
de la clause de substitution est utile aux praticiens car elle leur offre une plus grande
liberté dans ses modalités et dans son régime juridique en la faisant échapper au
formalisme désormais légal de la cession de contrat.

24. C G., obs. sous Cass. 3e civ., op. cit.


25. T-C S., La pratique notariale source du droit, thèse, 2015, Defrénois.
26. M M., « Nouveau droit, nouvelles clauses », JCP N, 1er avril 2016, n° 13,
n° 1110, p. 29.
27. P G., La substitution de contractant à la formation du contrat en droit privé,
thèse, 2004, LDGJ.

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CÉCILE DAVÈZE 251

La rédaction des clauses de substitution doit donc faire l’objet d’une attention
particulière et différenciée selon le contenu et la nature juridique de la promesse
de vente elle-même. À nous de faire en sorte de rendre nos formulations claires
pour que la clause de substitution ne puisse pas s’analyser en une cession de
contrat quand cela ne nous paraît pas opportun, voire à écarter expressément
dans l’acte la cession de contrat car, pour reprendre les mots de Boileau : « Ce qui
se conçoit bien s’énonce clairement »…

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L’action interrogatoire

Gilles Rouzet
Conseiller honoraire à la Cour de cassation

Peut-on écrire, en échappant au risque de se contredire, que l’« action interro-


gatoire » est une innovation de l’ordonnance du 10 février 2016 sans qu’elle
constitue pour autant une nouveauté ? Soutenir, sans être démenti, qu’elle existait
déjà tapie dans notre Code civil sous des dénominations diverses et des formes
différentes, visant la même approche ?
La réponse est affirmative puisque tout privatiste l’a rencontrée, au moins en
théorie, sur les bancs de l’Université ; mais plus fréquemment encore dans la pra-
tique notariale qui fut celle du dédicataire de cette contribution.
D’où l’orientation qui lui est donnée.
Quel civiliste n’a pas conservé le souvenir amusé du fameux « acte respec-
tueux » de son immersion dans ses études de droit ? Cette interrogation intrafa-
miliale, quoique passée de mode en raison de l’abaissement graduel de l’âge de la
majorité, demeure ancrée depuis son origine à l’article 148 du Code civil. Le
procédé venu de la nuit des temps conditionne, de nos jours encore, le mariage
du mineur au consentement de ses géniteurs du premier degré, parfois du second.
Elle veut qu’en cas de dissentiment dûment constaté entre eux, le partage des
opinions emporte consentement.
L’article 154 prévoit en son premier alinéa que leur désaccord peut être établi
par un notaire requis par le futur époux, instrumentant sans le concours d’un
second notaire ni de témoins, qui notifie l’union projetée à celui ou à ceux de ses
ascendants dont le consentement requis n’est pas encore obtenu.
En sus de certaines énonciations prescrites, cette disposition impose, selon le
troisième alinéa de l’article considéré, de déclarer que la notification est faite en
vue d’obtenir le consentement non encore accordé ; et surtout que, à défaut, il
sera passé outre à la célébration du mariage.
L’article suivant énonce que le dissentiment des ascendants peut être aussi
constaté, soit par une lettre dont la signature est légalisée, adressée à l’officier
d’état civil devant célébrer le mariage, soit par un acte dressé dans la forme prévue
par l’article 73, second alinéa, du Code civil.
C’est-à-dire par un notaire, par l’officier de l’état civil du domicile ou de la
résidence de l’ascendant interrogé ou, s’il y a lieu parce que ce dernier demeure à
l’étranger, par un agent diplomatique ou consulaire français.

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254 L’ACTION INTERROGATOIRE

Parallèlement, quel notaire prétendra à l’issue d’un long exercice n’avoir pas
traité de règlement de succession qualifié pudiquement de difficile ? Autrement
dit, lequel soutiendra avoir échappé à la nécessité de recourir aux dispositions
des articles 771 et suivants du Code civil, substituées par la loi du 23 juin 2006
à celles de l’article 795 ancien des trois mois et quarante jours pour faire inven-
taire et délibérer ?
Les changements intervenus cette dernière décennie confèrent notamment au
cohéritier ou au créancier successoral la possibilité, après expiration d’un délai
semblable de quatre mois et prorogeable1 judiciairement, de sommer l’héritier
« inerte »2 de prendre parti, d’accepter la succession ou d’y renoncer. À défaut, ce
dernier sera réputé acceptant pur et simple3. Soit un processus et une sanction
comparables à ceux de l’« action interrogatoire » puisque le silence gardé équivaut
alors à présumer un choix tacite.
C’est pourquoi le texte impose que la sommation soit faite par acte extrajudi-
ciaire. C’est-à-dire qu’il y soit procédé par exploit d’huissier de justice ou, dans un
proche avenir lorsque la réforme adoptée de son statut sera intervenue, de com-
missaire de justice.
Il n’est plus fait état de « notification », c’est-à-dire de lettre recommandée
avec demande d’avis de réception comme pour l’assentiment au mariage de
mineur ; encore moins d’écrit. Le législateur a préféré recourir à la voie plus for-
melle mais aussi plus fiable, de l’acte extrajudiciaire. Les intérêts en jeu méritent
de lever toute incertitude tenant à la personne réellement interrogée et à la date
où elle l’est effectivement. La voie choisie y concourt.
Ces deux premiers4 exemples justifient que l’« action interrogatoire » n’est pas
nouvelle en soi5. Elle était connue et maîtrisée en pratique notariale avant l’or-
donnance du 10 février 2016, quoique rarement évoquée comme telle en doc-
trine6. En fait, le nouveau texte la duplique en l’introduisant en diverses hypo-
thèses avec un objectif commun : augmenter la sécurité des contrats en offrant la

1. B B. et T-C S., Libéralités et successions, 2015, LGDJ, p. 262,


n° 562.
2. M P., Les successions. Les libéralités, 2008, Defrénois, p. 102, n° 86.
3. M-L S., « Les conséquences du silence de l’héritier sur l’option
successorale », JCP N, 2012, 1399.
4. On pourrait citer une troisième hypothèse, notariale aussi, avec l’article 1844-12 du
Code civil qui, en résumé, permet à un tiers intéressé de mettre celui qui est susceptible
d’opérer une régularisation en matière de société d’y procéder ou d’agir en nullité dans les six
mois à peine de forclusion. Elle est très semblable à celle de l’article 1183 nouveau qui la
généralise et servira de base de comparaison pour l’étude de cette nouvelle action.
5. D P., « La représentation dans le nouveau droit des obligations », JCP G, 2016,
n° 20-21, p. 993, distingue les nouveautés relatives de celles absolues dans son étude et classe
l’action interrogatoire en matière de mandat dans les premières.
6. G M., « Le contrat et le tiers », in Libres propos sur les sources du droit. Mélanges
en l’honneur de Philippe Jestaz, Dalloz, 2006, p. 174, n° 13 et s., ou plus généralement la thèse
de D S-H P., Le tiers à l’acte juridique, t. 333, 1998, LGDJ, coll. Bibliothèque
de droit privé, ne l’envisageaient, semble-t-il, pas.

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GILLES ROUZET 255

possibilité de les purger préventivement des germes de contentieux précédem-


ment inoculés, volontairement ou non.
Les explications que les institutions politiques ou professionnelles ont appor-
tées dans leurs commentaires respectifs sur cette entité nouvelle, innommée dans
le texte, ciblent et détaillent cet objectif de sécurisation renforcée des contrats (I).
Elles méritent toutefois d’être complétées, dans ce même souci d’amélioration,
des observations doctrinales et des remèdes pratiques déjà apportées dans les
situations comparables (II).

I – LES EXTENSIONS APPORTÉES

Est-il utile de répéter que l’« action interrogatoire » a pour objet non contesté,
dans ses trois nouvelles orientations, de sécuriser7 les opérations contractuelles ?
La doctrine est unanime sur ce point, même si certains auteurs constatent des
zones d’ombre et prédisent un recours au juge pour les lever.
Cette réflexion en évoquera certaines ; mais elle n’a pas pour objet de s’y attar-
der, ni de solliciter l’aménagement des règles posées en revendiquant l’adjonction
de textes nouveaux. Prendre une orientation négative ou critique, par exemple sur
l’effet « rétroactif » de ces dispositions puisqu’elles s’appliquent quoi qu’on en dise
aux contrats en cours ou sur la portée juridique du silence gardé8 lorsqu’il est le
fait d’une personne dont les facultés mentales sont plus ou moins altérées9, serait
vain puisque l’ordonnance est entrée en application depuis quelques mois à peine
et que l’éclairage de la jurisprudence reste à venir.
Comme la professeure Lucie Mayer l’écrit10 pour introduire son commentaire
de l’ordonnance du 10 février 2016 en affichant l’indulgence qu’une construction
juridique nouvelle réclame nécessairement à ses débuts, « La présente étude a
pour objet exclusif de défendre la légitimité des nouveaux mécanismes ».
C’est dans cet esprit positif, volontairement exempt de critiques de fond, que
les trois nouvelles « actions interrogatoires » seront examinées ici.

7. Cass. 3e civ., 3 nov. 2011, n° 10-20297 a pu admettre au vu des éléments


circonstanciés relevés par les juges du fond « une renonciation tacite, certaine et non
équivoque » par un locataire au bénéfice d’un pacte de préférence qui lui profitait.
8. Cass. 1re civ., 4 juin 2009, n° 08-14481, obs. Amrani-Mekki S. ; F-
C B., « Droit des contrats », D. 2010, p. 224 et s., posant pour principe par un « chapeau
intérieur » à l’occasion d’une réponse au rejet « que si le silence ne vaut pas à lui seul acceptation,
il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la
signification d’une acceptation », de même que Cass. 1re civ., 24 mai 2005, n° 02-15188 sont
confortées par les nouvelles dispositions légales alors que la doctrine le repoussait encore ces
derniers temps.
9. Au sens large que J. Klein évoque, dans le rapport de la deuxième commission du
Congrès national des notaires de France, « Les personnes vulnérables », présidé par Combret J.,
ACNF 2006, p. 268, n° 2033.
10. M L., « Défense des “actions interrogatoires” introduites par la réforme du droit
des contrats », Gaz. Pal. 2016, n° 42, p. 47.

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256 L’ACTION INTERROGATOIRE

A. Les dispositions légales

Une discussion aurait pu s’ouvrir sur la qualification exacte à donner aux trois
créations intervenues. Sont-elles réglementaires, légales ou législatives ?
M. François11 a examiné en détail la nature que l’ordonnance revêt aux diffé-
rentes phases de son élaboration. Convenant toutefois, en se référant à l’opinion
du professeur Chagnollaud12, que « le refus de ratification d’une ordonnance par
le Parlement est toutefois une hypothèse hautement improbable, qualifiée par les
constitutionalistes de ‘‘cas d’école’’ », on anticipera sur le processus engagé en
supposant cette étape franchie.
On retiendra donc que l’adjectif « légal » est le plus adapté à la situation et aux
développements qui suivent, même s’il demeure juridiquement discutable en l’état.

1. Les règles introduites


Que propose cette ordonnance avec l’« action interrogatoire » ? Qu’un tiers
puisse questionner tel ou tel un contractant précédent pour purger dans un cas
prédéfini un droit susceptible d’entraver l’opération qu’il se propose de réaliser.

a) L’existence d’un pacte de préférence

Une double démarche a été nécessaire pour mettre en place de ce dispositif.


D’abord, définir le pacte de préférence afin de déterminer précisément le
contrat spécial sur lequel l’« action interrogatoire » nouvellement introduite est
susceptible de porter. Ceci, pour faire glisser cette promesse sui generis dans la
catégorie des contrats nommés alors que désignée en pratique sous le vocable
précité de pacte de préférence elle était juridiquement qualifiée d’innommée, car
inconnue de la législation13.
L’ordonnance du 10 février 2016 en a retenu pour définition avec l’article 1123
nouveau du Code civil que « le pacte de préférence est le contrat par lequel une
partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui
pour le cas où il déciderait de contracter ».

11. F C., « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure
de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D. 2016, n° 9, p. 506 évoque à bon droit
l’hypothèse où « le projet de loi de ratification de l’ordonnance est déposé au bureau de lune
des deux chambres du Parlement, mais n’est jamais inscrit à l’ordre du jour de celle-ci. (…)
Concrètement, cela signifie que le Conseil d’État sera seul compétent pour contrôler à la fois
la légalité et la constitutionnalité de l’ordonnance, le Conseil constitutionnel ne pouvant
statuer sur un texte à valeur réglementaire ».
12. C  S D., Droit constitutionnel contemporain. t. 2. La
Constitution de la Ve République, 2015, Dalloz, p. 336, n° 444.
13. M P., A L. et G P.-Y., Les contrats spéciaux, 2003, Defrénois, p. 5,
n° 3.

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GILLES ROUZET 257

« Lorsqu’un contrat est conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préfé-
rence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi » poursuit-elle en
un deuxième alinéa, ajoutant que « Lorsque le tiers connaissait l’existence du pacte
et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en
nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu ».
C’est le troisième alinéa, disposant que « le tiers peut demander par écrit au
bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable,
l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir », qui permet de
le soumettre à l’« action interrogatoire » nouvellement créée.
Le quatrième alinéa de l’article 1123 nouveau du Code civil précise, pour une
nécessaire information du destinataire sur sa portée juridique, que « l’écrit men-
tionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus
solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat ».

b) La justification de la réalité d’un mandat

L’article 1156 nouveau du Code civil s’applique à un contrat dénommé cette


fois-ci, au sens de son article 1107, inscrit en bonne place au titre XIII du livre III :
le mandat. Il donne la fausse impression d’énoncer la sanction encourue avant de
procurer le remède, en disposant que « l’acte accompli par un représentant sans
pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers
contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notam-
ment en raison du comportement ou des déclarations du représenté ».
Toutefois, modère-t-il en son alinéa 2, « lorsqu’il ignorait que l’acte était
accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers
contractant peut en invoquer la nullité ».
On conviendra que la partie à un acte juridique se trouve bien embarrassée lorsqu’elle
apprend être seulement en droit d’en demander la nullité parce que le soi-disant repré-
sentant conventionnel de son cocontractant supposé était dépourvu de mandat.
Il n’est qu’à envisager la situation d’un acquéreur ou d’un locataire qui a pris
ses dispositions pour aménager dans son nouvel appartement et qui se voit inter-
dire son accès par son légitime propriétaire ou de celui qui a obtenu une servitude
de son voisin en vue d’élever une construction et qui apprend tardivement qu’il a
contracté à tort avec un individu totalement ou partiellement dépourvu de pou-
voirs, pour imaginer leur désarroi.
C’est donc l’article 1158 nouveau du Code civil qui pare à ce danger. Il énonce
que « le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à
l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au repré-
senté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le
représentant est habilité à conclure cet acte.
L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est
réputé habilité à conclure cet acte ».

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258 L’ACTION INTERROGATOIRE

c) La purge d’une nullité en germe

L’article 1183 nouveau du Code civil, vraisemblablement calqué sur le droit


des sociétés14 et qui aurait pu trouver place dans le Code de procédure civile si
celui-ci n’avait seulement valeur réglementaire inadaptée au droit des contrats,
ouvre une voie nouvelle. Il dispose qu’« une partie peut demander par écrit à
celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat, soit
d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. La cause de la
nullité doit avoir cessé.
L’écrit mentionne expressément qu’à défaut d’action en nullité exercée avant
l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé ».
Le principe que le professeur Delebecque15 énonçait pourtant à bon droit16
voici une dizaine d’années, selon lequel la volonté de renoncer à un recours « ne
se déduit pas de l’inaction ou du silence ou encore d’un acte qui ne traduit aucune
volonté abdicative », est largement mis à mal aujourd’hui.

2. La date de prise d’effet

a) L’entrée en application de l’ordonnance

Le gouvernement a déposé le projet de loi de ratification de l’ordonnance du


10 février 2016 sur le bureau du président de l’Assemblée nationale le 6 juil-
let 2016. Elle a donc valeur légale puisque la formalité a été accomplie dans le
délai imparti qui expirait le 1er octobre 2016. Elle est applicable dans son intégra-
lité à compter de cette dernière date.
En revanche, l’ordonnance acquerra le caractère de disposition législative le
jour où le Parlement l’aura ratifiée. On peut réitérer, sans grand risque d’être
démenti dans les faits, que le texte le sera. C’est une question de calendrier parle-
mentaire, mais aussi de patience.
À la mi-décembre 2016 où cette contribution est arrêtée, le projet de loi com-
posé d’un article unique, d’une ligne à peine, précédé de plusieurs pages d’expli-
cations dénuées de toute réfutation des observations formulées à la suite de la
publication de l’ordonnance, était encore entre les mains pour avis de la commis-
sion des lois de l’Assemblée nationale.

14. L C P. et D B., Droit des sociétés, 2012, LGDJ, p. 238, n° 392
dépeignent le mécanisme appliqué à ce droit, sous le titre évocateur de « durcissement
d’exercice de l’action en nullité d’une société ».
15. D P., « Les renonciations à recours », in Études offertes au doyen Philippe
Simler, 2006, Dalloz/Litec, p. 566, n° 7.
16. Cass. 1re civ., 4 oct. 2005, n° 03-13375, au visa qu’elle a forgé faute de texte d’un
principe général de droit, constant et non écrit, juge que « la renonciation à un droit ne se
déduit pas de la seule inaction ou du silence de son titulaire ».

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GILLES ROUZET 259

b) La prise d’effet de l’« action interrogatoire »

L’article 9 de l’ordonnance, qui a fixé son entrée en vigueur le 1er octobre


2016, apporte sous l’intitulé de dispositions transitoires et finales des précisions
intéressant en particulier l’« action interrogatoire » :
La première, classique, retient que les contrats conclus avant cette date
demeurent soumis à la loi ancienne.
La seconde, innovante, créé une exception pour l’« action interrogatoire ». Le
texte énonce que « toutefois les dispositions des troisième et quatrième alinéas de
l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en
vigueur de la présente ordonnance ».
La soumission de tous les contrats, passés comme futurs, à ces dispositions
dérogatoires traduit l’importance que le gouvernement y attache, sans les rendre
pour autant véritablement rétroactives17. Peut-être est-ce avec en arrière plan l’ob-
jectif d’anticiper sur les mesures d’allègement que la loi sur la modernisation de la
justice du e siècle instaure. D’où cette référence curieuse faite à « des dispositifs
d’ordre procédural » dans le rapport au président de la République.
Elle est d’autant plus étonnante que l’« action interrogatoire » a pour objet
d’éviter la procédure… c’est-à-dire le procès !

B. Les explications institutionnelles

Les explications citées sont celles que les rédacteurs du texte ont cru utile
d’apporter parallèlement à la publication de l’ordonnance et que l’institution
notariale a confiées en interne à ses auteurs une fois le texte connu.
En l’espèce, il s’agit donc du rapport au président de la République joint à
l’ordonnance du 10 février 2016, tous deux publiés au Journal officiel le lende-
main18, et de l’analyse que le Conseil supérieur du notariat a diffusée à l’au-
tomne dans sa revue officielle19 en vue de constituer un guide d’application
pour la profession.

1. Les justifications officielles du rapport au président


de la République
Le rapport remis au président de la République à l’occasion de la parution
d’un texte est censé éclairer le chef de l’État sur la philosophie et le contenu des
règles posées. Il émane de magistrats détachés à la Chancellerie, en particulier à la

17. F C., « Application dans le temps (…) », op. cit., p. 507.
18. JO, 11 févr. 2016, texte 113.
19. CSN, « Réforme du droit des contrats. Quel impact sur la pratique notariale ? »,
NVP, sept.-oct. 2016, n° 320, cahier spécial, sous dir. de J M.

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260 L’ACTION INTERROGATOIRE

direction des affaires civiles et du Sceau, et du cabinet du ministre. Il entend jus-


tifier leurs choix et compenser l’absence d’explications dont les débats parlemen-
taires et les amendements enrichissent habituellement les textes législatifs.
Faute pour le commentaire de faire une présentation générale de l’« action
interrogatoire » expliquant cette émergence cartésienne du doute20 et l’accentua-
tion de l’immixtion des tiers en droit des contrats, alors que les articles 1199
nouveau (ex-1165) et suivants du Code civil énoncent le principe contraire,
seules seront reprises les explications ponctuelles qu’il apporte pour chacune des
« actions interrogatoires ».

a) L’existence d’un pacte de préférence

Cette nouvelle « action interrogatoire » ressortit à la volonté, selon le rapport


au président de la République, de mettre fin aux inconvénients résultant des fluc-
tuations jurisprudentielles sur des questions majeures. Le commentaire vise pré-
cisément les conséquences de la « révocation » – on dirait plutôt de la rétracta-
tion – durant le délai de levée de l’option de la promesse unilatérale de vente.
L’exemple est surprenant dès lors que la réforme a pour objectif affiché de
combattre la jurisprudence21 constante mais souple, et non pas fluctuante, repro-
chée à tort à la suite de l’arrêt consorts Cruz22. La Cour de cassation s’est conten-
tée de reconnaître en 200823 comme une évidence, au titre de la liberté contrac-
tuelle, la possibilité pour les parties de convenir du contraire, mais n’a jamais
abandonné le principe qu’elle avait rappelé en 1993.
Cette illustration reprend un cours normal pour dépeindre le mécanisme de
mise en œuvre du pacte de préférence. L’article 1123 nouveau du Code civil
l’aligne en l’adaptant sur la position que la Cour de cassation avait retenue voici
dix ans en assemblée plénière, formation qui rendait cette orientation intangible
en jurisprudence. Devenu principe légal, il constitue une avancée, à laquelle celle-
ci ne pouvait pas prétendre, fondée sur la stabilité du droit écrit.
Le rapport relève que cette disposition a vocation à écarter les situations ambi-
guës. Elle est destinée, détaille-t-il, à permettre au tiers de faire cesser une situa-
tion d’incertitude. Elle lui ouvre la possibilité de mettre en demeure le

20. D R., « Les principes de la philosophie », 1642, selon lequel, « pour
examiner la vérité il est besoin, une fois dans sa vie, de mettre toutes choses en doute autant
qu’il se peut ».
21. L A., « La jurisprudence de la troisième chambre civile affaiblit-elle
l’efficacité des avant-contrats ? », RDC, 2012-2, p. 629 et s. ; R G., « La jurisprudence
de la troisième chambre civile : une politique des petits pas ? », RDC, 2012-2, p. 672 et s.
22. Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, n° 91-10199.
23. Cass. 3e civ., 27 mars 2008, n° 07-11721, jugeant que « les parties à une promesse
unilatérale de vente étaient libres de convenir que le défaut d’exécution par le promettant de
son engagement de vendre pouvait se résoudre en nature par la constatation judiciaire de la
vente » retenait la liberté contractuelle que certains commentateurs de l’article 1124 nouveau
du Code civil revendiquent une fois sanctionnée la jurisprudence Cruz de 1993.

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GILLES ROUZET 261

bénéficiaire supposé d’une convention le privilégiant, d’en confirmer l’existence


et, dans l’affirmative, d’exprimer son intention de s’en prévaloir.
On aurait toutefois préféré qu’il explique pourquoi avoir choisi d’interroger
le bénéficiaire supposé du pacte présumé et non le promettant soumis à une
obligation de bonne foi et d’information précontractuelle. Ou, mieux encore,
qu’il justifie ce qui s’oppose à rendre obligatoire à peine d’inopposabilité la
publication d’un pacte de préférence au service de publicité foncière ou au
greffe du tribunal de commerce.
L’exemple que le service communication de la Chancellerie donne de cette
disposition le 6 décembre 2016 sur son site informatique pour en montrer l’inté-
rêt et l’utilité pratiques laisse perplexe24.

b) La réalité du mandat

Les rédacteurs de l’ordonnance entendent clarifier avec l’article 1156 nouveau


du Code civil les sanctions du dépassement de pouvoir, jugées par eux incertaines
en jurisprudence.
La première sanction retenue n’est pas la nullité de l’acte accompli, mais son
inopposabilité au représenté. Ceci afin d’éviter que le représentant supposé puisse
se dégager de ses obligations. Seul le pseudo représenté, envisagent-ils à bon
escient, doit se voir reconnaître la possibilité soit de contester la portée de l’acte
conclu, soit de le ratifier.
Ils conviennent toutefois, en consacrant la théorie de l’apparence, que si le
représenté n’est en principe pas obligé envers le tiers pour ce que le mandataire a
fait au-delà des pouvoirs qui lui ont été donnés, il en va autrement lorsqu’il résulte
des circonstances que ce tiers a pu légitimement croire que le représentant agissait
en vertu de pouvoirs et dans leurs limites.
Le rapport dégage une seconde sanction en cas de dépassement des pouvoirs. Faute
de ratification par le soi-disant représenté, le tiers contractant a la possibilité d’agir en
nullité quand il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoirs.
Lorsqu’il s’agit non plus d’un dépassement mais d’un détournement de pou-
voirs, le texte opte pour la nullité en faveur du représenté. Ceci, à la condition que
le tiers soit de mauvaise foi. Il faut alors que celui-ci ait eu connaissance ou n’ait
pu ignorer le détournement. C’est la situation dans laquelle le représentant agit
effectivement dans la limite de ses pouvoirs, mais qu’il les utilise dans un autre
but que celui convenu ou prévu par la loi.

24. Defrénois-Flash, 2016, n° 50-52, p. 9, reproduit l’exemple pratique du pacte de


préférence que la Chancellerie propose au titre des « actions interrogatoires » : « Je m’apprête
à acheter une maison, et j’entends dire que la personne qui me la vend avait promis à un voisin
que s’il la vendait, il lui proposerait en premier de l’acheter. Je peux demander à ce voisin de
me confirmer l’existence d’un tel accord et s’il entend s’en prévaloir. S’il ne le fait pas dans un
délai raisonnable, il ne pourra contester la vente » (sic).

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262 L’ACTION INTERROGATOIRE

En revanche, le rapport se borne à expliquer, à propos de cette interpellation


abdicative, que l’article 1158 nouveau du Code civil introduit, à l’instar des pro-
jets d’harmonisation européens et de certaines législations étrangères, une « action
interrogatoire » en faveur de tiers, afin de purger les doutes qu’il pouvait avoir sur
l’étendue des pouvoirs du représentant ; ce qui viserait à assurer une plus grande
sécurité juridique.
Il n’apporte malheureusement pas de précision sur ce qui doit s’entendre par
délai raisonnable ni ce qu’il faut comprendre par absence de réponse, laissant au
rédacteur d’acte le soin de faire au mieux et aux juridictions d’en juger.

c) La purge d’une nullité en germe

Comme en matière de pacte de préférence, est-il écrit dans le rapport, une


action interrogatoire est introduite à l’article 1183 nouveau du Code civil, afin de
pouvoir purger le contrat de ses vices potentiels et de limiter le contentieux.
Ses auteurs se contentent d’ajouter, ce que son libellé fait suffisamment ressortir,
qu’elle permet à une partie d’enjoindre à son cocontractant de prendre position
dans un délai de six mois entre une action en nullité et la confirmation du contrat.
Le texte aurait plutôt mérité de la rapprocher de celle en vigueur en droit des
sociétés en vertu de dispositions du Code civil et du Code de commerce ; proces-
sus qui sera envisagé ultérieurement et, surtout, de déterminer si cette « action
interrogatoire » a une efficacité limitée aux seules nullités relatives ou si elle s’étend
à celles qualifiées d’absolues.

2. L’analyse officieuse du Conseil supérieur du notariat


Le Conseil supérieur du notariat a diffusé un « cahier pratique » sous forme
d’encart dans sa revue « Notaires Vie Professionnelle » à l’automne 2016. Rédigé
sous la direction du professeur Julienne, cette brochure d’une trentaine de pages
offre à certains membres ou proches de la profession, vraisemblablement consul-
tants de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat, de s’expri-
mer sur la réforme.
Le « cahier pratique » du notariat diffère du rapport au président de la République
par son esprit. N’étant pas l’œuvre des concepteurs et rédacteurs de l’ordonnance, il
n’a pas pour objet de la justifier. Il ne constitue pas non plus, à l’inverse du docu-
ment qui l’a accompagnée, une prise de position officielle du notariat sur les ques-
tions étudiées, mais seulement un avis officieux et parfois individuel.
En revanche, il entend expliquer le champ et les modalités d’application du
texte publié. Il trouve en conséquence sa place dans l’appréciation de l’« action
interrogatoire » dont deux ont été commentées, celle sur la renonciation à une
nullité ne l’étant pas spécifiquement peut-être parce que le notariat l’appliquait
déjà en droit des sociétés ; mais qui sait ?

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GILLES ROUZET 263

a) La révélation d’un pacte de préférence

Maître Herrnberger, commentant le domaine qui lui est familier25 des avant-
contrats, voit dans cette « action interrogatoire » le moyen pour le contractant
éprouvant un doute sur l’intention du bénéficiaire du pacte le moyen de l’inviter
à prendre position. Plus précisément, c’est sur l’existence et l’intention de s’en
prévaloir que le bénéficiaire supposé du pacte est interrogé. Comme l’auteur le
souligne, l’intérêt de la question est d’éviter tout débat sur la bonne foi du tiers
qui contracte avec le promettant.
En cas de réponse négative ou de silence du bénéficiaire, la bonne foi du tiers sera
retenue et la substitution possible. À charge, prévient Me Herrnberger, pour le débi-
teur du pacte de payer des dommages-intérêts au premier. À la condition, toutefois,
qu’une faute causant un préjudice soit démontrée, ce qui tempère l’affirmation.
À l’inverse, ajoute-t-il à bon escient, en cas de manifestation du bénéficiaire de
s’en prévaloir, le tiers qui passe outre sera censé être de mauvaise foi. La règle
précédente de dédommagement du préjudice éventuellement subi s’appliquera
dans les mêmes conditions.
Ce commentateur s’est interrogé opportunément sur la portée de l’action
interrogatoire. Particulièrement sur la possibilité de l’utiliser pour préciser le péri-
mètre d’un pacte de préférence. C’est-à-dire, selon l’exemple qu’il en donne, pour
faire dire au bénéficiaire si l’opération projetée relève ou non du pacte.
La réponse au problème soulevé paraît devoir être moins affirmative que celle
proposée. En effet, le bénéficiaire de la stipulation est certainement invité à
répondre sur « l’existence » du pacte et sur son intention de s’en prévaloir. En
revanche, le texte ne lui fait pas obligation de se prononcer sur son « applicabili-
té » en cas de doute du bénéficiaire au cas considéré. Celui-ci ne saurait se voir
imposer l’interprétation de la convention conclue, jugée ambiguë par un tiers
désireux de contracter, et nécessite un accord tripartite auquel le promettant est
appelé si la voie amiable est choisie.
En revanche, il y a lieu de considérer avec Me Herrnberger qui rejoint le pro-
fesseur Cyril Grimaldi26, que l’action interrogatoire vise uniquement à demander
au bénéficiaire d’un pacte de préférence supposé, de confirmer son existence et s’il
entend s’en prévaloir ; non d’y satisfaire.
Aussi, dans l’hypothèse d’une réponse affirmative – voire dubitative en raison
de l’absence d’informations suffisantes pour se prononcer – l’interrogation ne
saurait valoir purge du pacte de préférence. Comme l’auteur précité le souligne,
25. H O., « La période précontractuelle, les actes préparatoires », in
99e Congrès des notaires de France. La vente d’immeuble, sécurité et transparence, 2003, ACNF,
p. 321, proposait en qualité de rapporteur un très intéressant questionnaire au vendeur sur les
contrats obérant son immeuble qui poursuivait, avant la lettre, le même objet (mais sans la
sanction que la loi apporte).
26. G C., Le pacte de préférence et le notaire après la réforme du droit des contrats,
2016, Defrénois, p. 1070, n° 20.

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264 L’ACTION INTERROGATOIRE

elle ne constitue pas « l’exercice de la renonciation ». Sans quoi les dispositions du


pacte relatives à ses modalités d’exécution n’auraient aucune portée. De plus,
l’interpellation n’émane pas du débiteur de la promesse, mais d’un tiers au
contrat. Lequel, censé en ignorer le contenu puisqu’il était étranger à sa conclu-
sion, n’a en outre pas qualité pour se substituer à l’obligé dans sa mise en œuvre.
Cette position appelle, à l’inverse, des réserves dans l’hypothèse d’une réponse
négative à la double question : existe-t-il un pacte de préférence et son bénéfi-
ciaire entend-il s’en prévaloir ? Une réfutation pure et simple de l’intéressé est
alors duale ; donc extinctive. On ne peut considérer raisonnablement qu’il faut,
quelle que soit la réplique, mettre en œuvre la totalité des formalités prévues par
le pacte dès lors que son applicabilité est niée. Une réponse négative et non ambi-
guë d’une personne en mesure de s’exprimer suffit à priver le pacte supposé de
toute portée à son égard.
Ce qui nécessite évidemment de prendre des précautions quant à la formula-
tion et au contenu de l’écrit que le texte exige « ad probationem ».

b) La justification de pouvoirs conventionnels

Mme Baillon-Wirtz s’attache dans le même cadre27 à souligner que l’existence


d’une action interrogatoire doit attirer l’attention du notaire sur la nécessité de
s’assurer de la validité et de la pleine efficacité de l’acte qu’il reçoit. Elle en tire
deux conséquences :
– d’une part, que la possibilité de faire une sommation au représenté est la
meilleure solution pour se faire confirmer le pouvoir du représentant ;
– d’autre part, que le juge pourrait corrélativement être conduit à examiner
avec, écrit-elle, encore plus de sévérité, les diligences du professionnels en
cas de difficultés.
On observera toutefois que, si l’auteure recourt directement à la sommation alors
que le texte ne vise que l’utilisation d’un écrit, c’est vraisemblablement parce qu’il
s’agit d’orienter le praticien vers la voie la plus sécurisante. C’est celle qu’il convient de
préconiser, quoique la formulation de la question et de la réponse par un simple écrit
sous signature privée ou, mieux encore authentique, reste toujours possible.

II – LES PERSPECTIVES PROPOSÉES


L’objectif recherché ici étant d’analyser le fonctionnement de l’« action inter-
rogatoire » dans le but de sécuriser les contrats, les questions processuelles que la
professeure Mayer développe avec pertinence ne seront pas abordées. Non qu’elles
puissent être ignorées du juriste, mais elles sont sans portée immédiate et directe
pour le rédacteur d’acte.

27. B-W N., « La capacité et la représentation », NVP, 2016, p. 13, n° 320, encart.

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GILLES ROUZET 265

Savoir si les articles 1123 et 1158 nouveaux du Code civil constituent ou


non une fin de non-recevoir ou si son article 1183 nouveau transforme un délai
de prescription en celui de forclusion concerne plus l’avocat que le notaire.
L’essentiel est pour les deux de retenir avec cette auteure28 qu’« aucune des trois
actions interrogatoires introduites par l’ordonnance du 10 février 2016 ne nous
paraît heurter une quelconque liberté fondamentale, tout au moins dans leur
principe de fonctionnement ».

A. Les interrogations doctrinales

La doctrine universitaire s’est intéressée, nombreuse, à l’émergence de l’« action


interrogatoire ». Elle n’a guère fait preuve d’enthousiasme29 sur cette innovation,
ni sur les modalités de sa mise en œuvre.
Elle s’est montrée souvent dubitative30, parfois même critique31.

1. Une dénomination hasardeuse


La doctrine a été quasi-unanime à s’étonner de la dénomination d’« action inter-
rogatoire »32 retenue – reprise comme intitulé de cette contribution, faute de vou-
loir choisir33 ou en proposer d’autres – pour ces mesures préventives nouvelles.
On ne peut pas dire que le choix du mot « action » soit particulièrement heu-
reux. Le substantif est certes couramment utilisé dans le Code civil. Il existe l’ac-
tion civile, l’action directe, l’action estimatoire, l’action à fin de subsides, l’action
en garantie, l’action oblique, l’action paulienne, l’action possessoire, l’action réd-
hibitoire, l’action résolutoire, etc. On en trouverait d’autres emplois encore, ren-
contrés au hasard des lectures.
Cependant, toutes annoncent un contentieux relevant du Code de procé-
dure civile, tandis que l’« action interrogatoire » vise à l’éviter. Celle-ci n’a rien
de juridictionnel, bien au contraire. Comme deux praticiens34 l’ont relevé

28. M L., « Défense des “actions interrogatoires” (…) », op. cit., p. 47 et s. auquel
l’entière analyse est consacrée.
29. C H., « Une vision procédurale de la réforme des obligations », Procédures 2016,
étude 3, n° 11, la juge « d’une grande utilité », appréciation pondérée et guère contestable en l’état.
30. J E., « Les actions interrogatoires en question », JCP G 2016, 737, repris
dans Libres propos sur la réforme du droit des contrats, 2016, LexisNexis, p. 37 et s.
31.  F M., Les nouvelles actions interrogatoires, Dalloz, 2016, n° 28, p. 1672
(notamment).
32. B H., « Les grands mouvements du droit commun des contrats après
l’ordonnance du 10 février 2016 », RTD civ. 2016, n° 2, p. 257.
33. D A. et M-B B., « Législation française », RTD civ. 2016, n° 2,
p. 465, lui préfère « demande interpellative » ou « interpellation préventive » ;  F M.,
« Les nouvelles actions interrogatoires », D. 2016, n° 28, p. 1667, propose de retenir la
qualification d’ « interpellation », de « sommation » ou de « mise en demeure » et invite à « veiller
désormais à faire la distinction entre les actions interrogatoires judiciaires et extrajudiciaires ».
34. C A. et L S., « Le rôle du juge dans la réforme du droit des contrats »,
Gaz. Pal. 2016, n° 41, p. 12.

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266 L’ACTION INTERROGATOIRE

pertinemment à la lecture du rapport au président de la République, l’objectif


de ces actions est de « pouvoir purger le contrat de [ses] vices potentiels et de
limiter le contentieux »35.
En réalité, ce serait chercher une mauvaise querelle que de s’arrêter à l’intitulé
donné à ce mode de sécurisation des contrats. L’ordonnance n’utilise l’expression
d’« action interrogatoire » dans aucun des trois cas visés. Chacun des articles 1123,
1158 et 1183 nouveaux du Code civil emploie et répète le seul terme d’« écrit ».
Les trois textes envisagent de « demander par écrit », non d’interpeller, d’interro-
ger, de questionner, etc.
C’est uniquement le rapport au président de la République qui utilise l’expres-
sion d’« action interrogatoire ». Encore met-il ostensiblement cet adjectif entre
guillemets pour montrer qu’il ne l’adopte pas. Le site informatique précité du
ministère de la Justice prend soin de viser l’« action “dite” interrogatoire », non
pas l’« action interrogatoire » dans sa communication du 6 décembre 2016.
Car, comme le relève opportunément M. de Fontmichel36, le droit judiciaire
utilise déjà la notion pour désigner stricto sensu celle dont l’objet est de recourir au
juge pour contraindre une personne qui dispose d’une faculté d’option, soit de
déclarer si elle entend ou non user d’un droit, soit d’opter entre plusieurs partis
qui s’offrent à elles dans l’exercice de son droit.
Ce n’est pas le cas en l’espèce. L’« action interrogatoire » a pour objet principal
d’éviter le contentieux, de pacifier les relations contractuelles plutôt que de les
judiciariser.
Dans ces conditions, l’ordonnance recourt à bon escient à l’emploi et au
concept d’« écrit ». Elle offre par là un libre accès à toutes les formes qu’il peut
revêtir ; tant pour la demande que la réponse apportée. Il appartient au rédacteur
de l’acte à conclure de choisir en fonction des circonstances et du degré de sécu-
rité recherché, à quel écrit recourir.
Ce peut être un écrit sous forme de missive, d’acte sous signature privée,
simple ou contresigné par avocat, ou un écrit authentique, notamment notarié.
Peu importe son support, papier ou électronique, pourvu qu’il fasse état, séparé-
ment ou non, de la question posée et de la réponse apportée, si nécessaire de la
sanction encourue, et engage réciproquement ses signataires. Il peut être incor-
poré au contrat (à raison d’une intervention, par exemple dans la promesse de
vente, mais aussi figurer en annexe) ou lui demeurer extérieur, sous forme d’acte
séparé (sous signature privée ou authentique).
Tout est question de circonstances, dans la question comme dans la réponse.
Certaines laissent présager des difficultés, notamment lorsqu’il s’agira de pur-
ger une nullité latente, ignorée de la personne questionnée. Il est probable qu’il

35. « Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-31 du


10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations », JO, 11 févr. 2016, texte 25.
36.  F M., « Les nouvelles actions interrogatoires », op. cit., p. 1667.

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GILLES ROUZET 267

sera mal aisé de la révéler et plus difficile encore d’obtenir la réponse souhaitée sur
un mode consensuel. Il sera donc nécessaire de faire courir les délais prévus, mais
sans coup férir, pour éviter de finir devant les tribunaux.

2. Une contrainte dédoublée

Si la doctrine s’est déclarée surprise que le rapport au président de la République


intitule « action interrogatoire » les trois mesures nouvelles de consolidation des
droits contractuels, que dire alors de reconnaître en elles une « incombance » ?

a) Une simple « incombance » pour les contractants

Il s’agit là d’une proposition que Mme Mangematin a développée à l’occasion


d’un article traitant de l’« action interrogatoire » en matière de pacte de préfé-
rence37. Elle a suggéré d’appliquer la notion d’« incombance » à l’espèce, mais
avec quelques réserves38.
Elle tire sa proposition de la thèse de doctorat en droit de Mlle Freleteau39 qui,
retenant que ce mot entré dans le vocabulaire juridique en 2003 bien qu’il ne
figure pas dans le Code civil, envisage de distinguer ce concept émergent que le
professeur Mustapha Mekki a repris40, de celui de devoir.
L’« incombance » contractuelle serait, selon cette auteure41, une contrainte
purement comportementale. Sa particularité tient à ce qu’elle ne pèserait sur le
contractant que dans la mesure où il désirerait obtenir l’avantage qu’elle condi-
tionne. Il s’agit, selon son analyse, d’une exigence préalable, adventice à l’exercice
d’un droit. Laquelle est sanctionnée par la déchéance du droit en question.
L’acquéreur qui désire obtenir la garantie du vice caché doit en dénoncer l’appa-
rition au vendeur, explique-t-elle pour l’illustrer.
Le « devoir » serait en revanche une règle de comportement que le contractant doit
observer lors de la conclusion et au cours de l’exécution du contrat, sous peine de com-
mettre une faute de cette nature. L’auteure cite pour exemple l’exigence de bonne foi,
laquelle est un devoir ou une obligation en ce qu’elle impose une certaine attitude au
contractant de manière continue, au-delà des obligations qu’il s’impose d’exécuter.
Pourquoi n’en serait-il pas de même avec le nouveau texte pour le tiers qui se
propose de contracter alors qu’il a un doute sur la libre disposition du bien
convoité ? Ne serait-il pas alors tenu d’une « incombance » envers le bénéficiaire

37. M C., « L’action interrogatoire en matière de pacte de préférence : une


incombance ? », Dr. et patr. 2016, n° 261, p. 39.
38. Ibid., p. 46.
39. F B., Devoir et incombance en matière contractuelle, thèse, Bordeaux, LGDJ,
2017, coll. Droit privé.
40. M M., « Réforme des contrats et des obligations, le pacte de préférence »,
JCP N 2016, n° 41, p. 11.
41. F B., Devoir et incombance en matière contractuelle, op. cit.

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268 L’ACTION INTERROGATOIRE

qu’il lui appartient d’interroger pour consolider son droit, fragilisé par la stipula-
tion supposée qui minerait le titre de son co-contractant éventuel ? N’en est-il pas
de même pour le bénéficiaire de la promesse si, interrogé sur l’existence de cet
engagement, il s’abstenait de répondre ?

b) Un devoir prégnant pour le notaire


Que dire lorsque l’obligation n’est pas seulement contractuelle, mais
fonctionnelle ?
Le notaire42 est pour sa part statutairement – pas seulement contractuelle-
ment – soumis à un « devoir » ; celui, incontournable, qui lui impose de dispen-
ser ses conseils à l’ensemble des parties, voire aux tiers, au long de son interven-
tion... et peut-être même au-delà. Il est donc exclu de qualifier son obligation de
simple « incombance »43.
Son devoir prend une coloration nouvelle à la lecture d’un arrêt de la première
chambre civile du 22 septembre 201644, publié au Bulletin de la Cour de cassa-
tion. Laquelle juge, sur le moyen relevé d’office, « que la responsabilité des profes-
sionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire (…), que doit être réparé
par le notaire qui a failli à son devoir d’assurer l’efficacité juridique de l’acte qu’il
a reçu, le dommage directement causé par sa faute, quand bien même la victime
aurait disposé (…) d’un moyen de défense de nature à limiter les effets préjudi-
ciables de la situation dommageable ».
Quoique critiquée par le professeur Deshayes45, cette extension de la respon-
sabilité du rédacteur d’acte professionnel devrait attirer l’attention du notaire
prudent sur les conséquences d’une « action interrogatoire » malencontreusement
délaissée ou ignorée.

B. Les modalités de mise en œuvre

Le droit ne dit pas tout ; l’ordonnance non plus. Peut-être est-ce volontaire,
comme le professeur Michel Grimaldi le suggérait à l’occasion d’une autre grande
réforme de l’année 201646.
42. Ibid., n° 189 et 379, l’exclut expressément de l’« incombance » en raison des
obligations statutaires de l’officier public, ce qui assoit cette distinction et ses conséquences.
43. R G., « Les droits des tiers », in La vente volontaire d’immeuble, à la recherche
d’un équilibre. 77e Congrès national des notaires, 1981, Publiteam, justifie que la protection des
tiers se conçoit dans les deux sens avec l’intervention du notaire.
44. Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-13840, obs. Grayot-Dirx S., « Réaffirmation de l’absence
de subsidiarité de la responsabilité civile des professionnels du droit », JCP G, 2016, n° 47, 1239.
45. D O., « La responsabilité des professionnels du droit : nouvelle conséquence
étonnante de l’absence de subsidiarité », Defrénois 2016, n° 23, p. 1268.
46. Colloque « Voici venu le temps du divorce sans juge », Defrénois 2016, n° 24, p. 1342,
à propos duquel le professeur Michel Grimaldi relevait « une ambiguïté fondamentale mais
voulue » pour sa mise en œuvre et que le décret du 28 décembre 2016 ne dissipe pas.

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GILLES ROUZET 269

Le bon sens du professionnel du contrat sera particulièrement utile, même s’il


convient de ne pas en abuser, dans la mise en œuvre de l’« action interrogatoire ».
La comparaison avec des processus approchants d’interpellation protectrice per-
mettra aussi de lever quelques doutes dans son application.

1. Donner place au bon sens

a) La recherche de l’information

La clause de confidentialité. Une première difficulté peut naître de


conventions conclues entre les contractants d’origine en vue de limiter la dif-
fusion de stipulations leur profitant. Elles sont parfois extérieures et posté-
rieures au contrat d’origine, telle celle qu’une partie ou un intermédiaire
entend imposer pour son seul profit à un tiers, par exemple à l’occasion d’une
data-room47.
Il s’agit des clauses dites de confidentialité dans les deux cas. L’effet est appré-
cié diversement dans les ouvrages publiés après la réforme intervenue :
– les professeurs Larroumet et Bros48 écrivent par exemple que « lorsque le
pacte contient une clause de confidentialité, son existence ne peut évidemment
pas être révélée ». Est-elle réellement opposable en matière d’« action interroga-
toire » ? L’adverbe est-il adapté ? On peut en douter ;
– les professeurs Mustapha Mekki49 et Cyril Grimaldi50 expriment en deux
articles distincts une opinion contraire à la précédente qui séduit.
Le premier des deux se fonde sur la modification intervenue entre le projet
d’ordonnance du 25 février 2015 et sa version définitive adoptée le 10 février 2016.
Le texte nouveau créé une obligation manifestement incontournable. Il impose au
bénéficiaire du pacte de préférence, interrogé dans les règles, d’en confirmer ou d’en
infirmer l’existence au tiers et d’indiquer s’il entend s’en prévaloir.
La clause de confidentialité ne saurait le priver, même si la disposition n’est pas
d’ordre public, du droit de procéder à l’« interpellation du bénéficiaire potentiel
dans une vente » selon la formule que le professeur Mekki propose. En revanche
la « clause de confidentialité rappelant son efficacité limitée » paraît superféta-
toire, dans la mesure où la restriction est tenue pour inopposable au tiers qui
interroge le bénéficiaire.

47. H O., « La période précontractuelle, les actes préparatoires », op. cit.,
p. 299, n° 1386 et s. en décrit la procédure.
48. L C. et B S., Les obligations. Le contrat, 2016, Economica, p. 259,
n° 296.
49. Mi M., « Réforme des contrats et des obligations : le pacte de préférence »,
op. cit., p. 11 et 12.
50. G C., Le pacte de préférence et le notaire après la réforme du droit des contrats,
op. cit., p. 1070.

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270 L’ACTION INTERROGATOIRE

De plus, ainsi qu’un avocat aux Conseils51 le relève, le manquement à l’obliga-


tion de ne pas faire, instaurée par la clause de confidentialité, est sanctionné par
l’allocation de dommages-intérêts, conformément à l’article 1142 du Code civil.
Son opinion incite à passer stratégiquement outre à la restriction, dans la mesure
où il serait illusoire pour le bénéficiaire de vouloir démontrer qu’il a été victime
d’une faute de la part du tiers et de revendiquer dans ces circonstances une indem-
nisation du juge.
Le secret professionnel. Une seconde difficulté peut tenir à ce que le troi-
sième alinéa de l’article 1123 nouveau du Code civil, disposant que le tiers a la
possibilité de demander par écrit au bénéficiaire confirmation de l’existence d’un
pacte de préférence, implique que son identité lui est connue. C’est là une source
non négligeable de complications puisque c’est plutôt celle du promettant avec
lequel il se propose de contracter qui lui a été révélée.
Aussi, peut-on supposer que le tiers envisagera d’interroger soit le débiteur du
pacte qui se propose de conclure avec lui, donc son propre promettant, soit le
notaire détenteur de la minute, sur l’existence de la clause présumée susceptible
d’entraver l’opération d’achat qu’il projette.
Le premier devra répondre en vertu de l’obligation de bonne foi ou d’informa-
tion précontractuelle auxquelles il est aujourd’hui soumis ; mais on conçoit que
son interlocuteur préfère se rassurer au moindre doute auprès du notaire déten-
teur du titre de propriété.
Le respect du secret professionnel52 interdisant au second de donner connais-
sance de ses actes à d’autres qu’aux parties, leurs héritiers ou leurs ayants droit53,
s’oppose à ce que l’officier public en révèle – même partiellement – le contenu.
Le tiers pourra en revanche être orienté au titre du devoir de conseil vers le service
de publicité foncière54 s’il s’agit d’une opération immobilière, ou le greffe du tri-
bunal de commerce pour des titres de société.
L’introduction de l’« action interrogatoire » dans le Code civil n’apporte pas
de dérogation aux principes généraux de droit en vigueur. Elle ne déroge évidem-
ment pas à l’article 226-13 du Code pénal relatif au secret professionnel qui n’est
pas remis en cause55. Ainsi, le notaire questionné sur l’existence d’un pacte de
préférence est-il tenu de refuser de répondre sans l’accord de son client. Il a

51. V G., « La clause de confidentialité », RLDC 2016, n° 139, p. 41.


52. R G., Mémento sur le secret professionnel notarial, 1978, Presses universitaires
de Bordeaux, p. 21, n° 9.
53. L. 25 ventôse an XI, art. 23, modifié par L. n° 73-546 du 25 juin 1973.
54. L J., « Pacte de préférence », in Guide de la publicité foncière, 2015, LexisNexis,
p. 1286, n° 5548 à 5550, explique non seulement que la publication du pacte de préférence
n’est pas obligatoire, mais qu’il doit faire l’objet d’une réquisition expresse de publication
lorsqu’il figure dans un acte publié.
55. R G., « L’avenir du secret professionnel » in Les règles déontologiques au service
des usagers du droit, 2013, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, p. 101, subit suffisamment
d’agressions sans devoir ajouter celle-là.

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GILLES ROUZET 271

seulement l’obligation, en raison de ses fonctions, de lui transmettre la demande


faite et, par prudence, de s’en réserver la preuve.

b) Le recours à la sommation

Les textes nouveaux ont passé sous silence les précautions à prendre ; si ce n’est
de recourir à l’écrit. Le droit des sociétés, qui dispose d’une action semblable pour
couvrir certaines nullités, apporte d’utiles précisions avec l’article R. 235-1 du
Code de commerce. Il prescrit que la mise en demeure prévue notamment par
l’article L. 235-6 dudit code est faite par acte extrajudiciaire ou par lettre recom-
mandée avec demande d’avis de réception.
Celle-ci constitue un minimum indispensable pour valoir notification. Elle
est cependant source d’incertitudes sur l’effectivité de la remise du pli au des-
tinataire désigné56 ou sur la date à prendre en considération (présentation,
distribution ou retrait) pour point de départ du délai constitutif ou extinctif
du droit. Elle assure seulement jusqu’à preuve du contraire qu’elle a été distri-
buée, refusée ou non retirée à une date déterminée. Ne donnant guère de cer-
titude sur la personne à laquelle elle a été remise, elle doit être écartée dans la
mesure du possible.
Il est préférable de recourir à une sommation, mode d’interrogation que fixe
par exemple le législateur du 23 juin 2006 avec l’article 771, alinéa 2 du Code
civil pour priver l’héritier resté silencieux à l’expiration du délai de quatre mois
pour opter. Quoique les professeurs Le Guidec et Chabot57 suggèrent que
« pourrait donc être utilisé aux fins de sommation l’exploit d’huissier ou sim-
plement la lettre recommandée avec avis de réception », c’est une lecture
inverse58 qui conduira à conseiller par souci de sécurité la sommation là où
l’écrit est seulement exigé.
Celle-ci constitue un gage de sécurité, comme l’intervention à un acte authen-
tique en vertu de l’article 1690 du Code civil pour valoir signification. L’exploit
d’huissier de justice59, plus onéreux mais d’un coût modique au regard de l’opéra-
tion envisagée, apporte une fiabilité quasi-absolue tant sur la personne à laquelle
l’acte est délivré que sur la date de la remise.
L’« action interrogatoire » peut alors se comparer à la « sommation interpella-
tive », née de la pratique judiciaire, dont elle serait le clone légal. Laquelle consiste,

56. A. 21 mai 2013, modifiant l’art. R. 4-1 du Code des postes et télécommunications,
autorise sous certaines conditions l’employé qui la distribue à ne plus se faire représenter une
pièce d’identité.
57. L G R. et C G., « Succession (2° transmission) », Encycl. Dalloz,
2012, p. 15, n° 95.
58. S A., « Successions. L’option de l’héritier. Dispositions générales », JCl.
Notarial Répertoire, 2014, fasc. 20, p. 4, n° 9.
59. Futur « commissaire de justice » (1er juillet 2022) selon l’article 1er de l’ordonnance
n° 2016-728 du 2 juin 2016.

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272 L’ACTION INTERROGATOIRE

selon la professeure Olivia Sabard60, à confier à un huissier de justice le soin de se


rendre au domicile d’une personne afin de lui poser des questions et de recueillir
ses éventuelles réponses.
Peu importe dès lors que les chambres civiles de la Cour de cassation lui
accordent une efficacité relative en jugeant en termes identiques61 qu’elle ne
constitue pas le commencement de preuve par écrit62 qui serait requis en justice.
L’« action interrogatoire » constitue à l’inverse une « incombance » assortie des
effets juridiques tirés de l’ordonnance. Elle échappe à cette jurisprudence
puisqu’elle annihile le droit susceptible de fragiliser l’opération que le tiers se
propose d’engager.

2. Comparer à des mécanismes éprouvés


L’« action interrogatoire » tirée de l’ordonnance du 10 février 2016 n’étant pas
une nouveauté, le praticien sera bien inspiré de se reporter aux règles que la loi et
la jurisprudence ont précédemment posées ou dégagées. Elles leur sont transpo-
sables, au moins dans un premier temps.

a) La purge de la nullité

L’action en nullité de l’article 1183 nouveau du Code civil en constitue le


champ d’expérimentation caractéristique. N’annonce-t-elle pas l’heureuse exten-
sion en droit des contrats des dispositions spécifiques de celui des sociétés, avec
ses articles 1844-12 dudit code et L. 235-6 du Code de commerce en leurs pre-
miers alinéas ; ressemblance qui aurait mérité d’être mentionnée dans le rapport
au président de la République ?
L’assimilation est suffisante pour que d’éminents commercialistes n’aient pas
hésité à écrire, avant l’ordonnance du 10 février 2016, que la couverture de la
nullité fondée sur un vice du consentement ou l’incapacité est facilitée « par le
biais d’une action interrogatoire »63.
Quoique n’utilisant pas lui-même l’expression, le texte de 2016 dispose en
effet que dans les cas spécifiques fondés sur un vice du consentement, « toute
personne y ayant intérêt peut mettre en demeure celui qui est susceptible de
l’opérer, soit de régulariser, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine
de forclusion ». À la condition que la régularisation puisse intervenir et que la
cause de la nullité ait cessé, ajoute-t-il.

60. S O., « Sommations », Rép. proc. civ., 2012, Dalloz, n° 15.
61. Cass. 1re civ., 19 nov. 2002, n° 01-10169 ; Cass. 3e civ., 4 févr. 2004, n° 02-18208.
62. V E., V G. et L O., Droit de la preuve, 2015, PUF, coll. Thémis,
p. 342, n° 345.
63. C M., V A. et D F., Droit des sociétés, 26e éd., 2013, LexisNexis,
p. 88, n° 165.

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GILLES ROUZET 273

Dans les deux cas considérés il y a réduction du délai de prescription, cinq ans
en droit commun, trois ans en vertu de l’article 1844-14 du Code civil pour les
sociétés. Si les conditions d’ouverture ne sont évidemment pas les mêmes, la
conséquence est identique dans un premier temps. Ce sera la forclusion, sanction
rigoureuse car le délai est préfix, les six mois écoulés ; mais, non pas trop court,
comme le regrette la professeure Mayer64.
La sanction est plus explicite pour le droit des contrats que celui des sociétés. Le
second alinéa de cette disposition qui impose de recourir à un écrit mentionne expres-
sément qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois,
le contrat sera réputé confirmé. La règle a donc un effet confortatif, positif.
Dans ces conditions, l’objection65 dénonçant l’atteinte au droit à prescription
quinquennale du justiciable mérite d’être écartée, puisqu’il s’agit seulement d’une
réduction de délai, non de la perte d’un droit.

c) La réalité du mandat

Le professeur Didier66 observe que la nouveauté ne relève pas de la possibilité


d’interroger le représenté. Il est d’ores et déjà loisible à qui se propose de contrac-
ter, de s’adresser au mandant dans le cadre d’une représentation conventionnelle.
La nouveauté, écrit-il à juste titre, tient à l’obligation que la loi impose au man-
dant supposé de répondre. La réforme confère une signification spécifique au
silence gardé par celui censé être représenté conventionnellement : le mutisme
vaut reconnaissance de pouvoir donné.
L’auteur en déduit que le statut de rédacteur d’acte impose au professionnel
visant un mandat de s’assurer de sa validité et de sa pleine efficacité. Il ne peut invo-
quer à son profit la théorie de l’apparence, ce qui nuira à son client. Il en tire pour
conséquence, à l’égal de Mme Baillon-Wirtz dans son étude précitée, que le juge
peut être enclin à se montrer plus sévère que par le passé dans l’appréciation des
circonstances susceptibles de justifier une absence de vérification des pouvoirs.
Le droit positif avait déjà pris cette orientation empreinte de sévérité en
refusant ces dernières années d’appliquer la théorie du mandat apparent aux
professionnels du droit67. La doctrine s’en est émue68, sans plus de

64. M L., « Défense des “actions interrogatoires” (…) », op. cit., p. 50.
65. D O, G T. et L Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime
général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 337.
66. D P., « La représentation dans le nouveau droit des obligations », op. cit., p. 995.
67. Cass. 1re civ., 31 janv. 2008, n° 05-15774 ; Cass. 1re civ., 5 juin 2008, n° 04-16368 ;
Cass. 3e civ., 13 mai 2009, n° 08-16720, Defrénois 2010, p. 616, n° 39087, n° 2,
obs. Champenois G. ; Cass. 1re civ., 31 mars 2010, n° 08-19649, Dr. famille 2010, comm. 83,
obs. Beignier B. ; Cass. 3e civ., 15 juin 2011, n° 10-21085 ; Cass. 1re civ., 2 déc. 2015, n° 14-17211.
68. B J.-J., « Nouveau recul de la théorie de l’apparence », JCP N 2009, n° 43,
1296 ; T M., « Intermédiaires immobiliers : confirmation de l’abandon de la théorie du
mandat apparent », AJDI 2011, p. 721 ; L A., « Le devoir de vigilance opposé à
l’apparence », Rev. sociétés, 2012, p. 226.

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274 L’ACTION INTERROGATOIRE

conséquences69. La Cour de cassation a étendu sa jurisprudence aux notaires


en partenariat70 alors que l’application de cette fiction se justifiait par leurs
règles d’exercice internes, fondées sur une confiance réciproque.
« Le mandat apparent, a-t-elle jugé en 201371, ne peut être admis pour l’éta-
blissement d’un acte par un notaire instrumentaire avec le concours d’un confrère,
les deux officiers publics étant tenus de procéder à la vérification de leurs pouvoirs
respectifs ».
À l’avenir, l’introduction de l’« action interrogatoire » interdira à quiconque
de s’en prévaloir, que ce soit entre particuliers ou entre professionnels. Faute
d’avoir une justification à toute épreuve des pouvoirs dont le représentant argue,
il deviendra indispensable d’interroger le soi-disant représenté dans la forme pres-
crite sur la réalité des pouvoirs supposés délégués. Seul son silence, passé le délai
fixé et à la condition qu’il ait été dûment averti dans l’interpellation de la consé-
quence qui en serait tirée, sera exonératoire.

c) Le délai raisonnable

Qu’est-ce qu’un « délai raisonnable », soit pour confirmer l’existence d’un


pacte de préférence et déclarer son intention de s’en prévaloir, soit pour présumer
par le silence conservé de l’existence d’une habilitation à conclure un acte ?
Les chambres civiles de la Cour de cassation jugent traditionnellement qu’il
revient aux juges du fond de déterminer ce qu’est un délai raisonnable au regard
d’une affaire déterminée. C’est ainsi que s’agissant d’un accord sur la date de début
de travaux, la troisième chambre civile a confirmé récemment encore par un arrêt
publié72 que « la juridiction de proximité, qui a retenu à bon droit, que le point de
départ du délai pris en compte était la date du devis et souverainement que le délai
de trois mois écoulé entre la date du devis et celle de la dénonciation du contrat,
était un délai raisonnable au cours duquel M. X… était en mesure de réaliser les
travaux, tout au moins de les débuter » avait légalement justifié sa décision.
En revanche, il arrive exceptionnellement que, selon une jurisprudence constante
de sa formation compétente73 en droit du travail, la chambre sociale décide aux lieu
et place du juge du fond de ce qui est « déraisonnable ». C’est ainsi qu’un arrêt du
30 septembre 201474 retient « qu’est déraisonnable, au regard de la finalité de la
période d’essai et d’exclusion des règles du licenciement durant cette période, une
période d’essai dont la durée est de douze mois » et censure l’arrêt entrepris.

69. M M., « Réforme du droit des obligations : la représentation (C. civ.,
art. 1153 et s. nouv.) », JCP N 2016, n° 47, p. 11.
70. R G., « Partenariat entre notaires : pas de mandat apparent », Defrénois 2013,
n° 12, p. 670 et s., 112y4.
71. Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 12-11567.
72. Cass. 3e civ., 29 sept. 2016, n° 15-18238.
73. Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41359 ; Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-17945.
74. Cass. soc., 30 sept. 2014, n° 13-21385.

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GILLES ROUZET 275

Que faut-il proposer ? Sans revenir aux délais extrêmement brefs de quatre75 ou
cinq76 jours que la Cour de cassation a pu admettre historiquement pour recon-
naître que la rétractation d’une offre était intervenue dans un « délai raisonnable »,
celui d’un à deux mois le serait, semble-t-il, pour accorder une portée juridique
au silence dans les deux cas considérés. D’autant, qu’il ne s’agit là que de lever un
doute du tiers sur l’existence d’un pouvoir ou d’un pacte, et à la condition de
procéder à une sommation qui donne toutes assurances quant à la date d’effet de
l’« action interrogatoire » engagée et sur le destinataire qu’elle a atteint.

*
* *

Conclure sur l’« action interrogatoire » dès l’année où elle a été conceptualisée
conduit à souligner sa multiplication raisonnée, mais aussi à pressentir qu’elle se
diversifiera. Son clone se dessine déjà avec l’article 653 de l’avant-projet de loi que
la Commission du professeur Périnet-Marquet a élaboré en 2008 sous l’égide de
l’Association Henri Capitant à propos de la réforme du droit des biens.
Le texte envisagé dispose que « le propriétaire qui n’a pas accepté une propo-
sition de bornage amiable contradictoire établie par un professionnel agréé doit
intenter l’action en bornage judiciaire, dans les six mois77 de la signification, par
son voisin, du projet de bornage. À défaut, la limite proposée est réputée lui être
opposable et définitive ».
En pareil cas, le silence gardé vaudrait, ici encore, consentement ou renonciation.
En un mot le silence « parle », ce qui n’est pas nouveau.
L’innovation tient à ce qu’il devient de plus en plus bavard.

Décembre 2016

75. Req., 28 févr. 1870, D. P. 1871, I, 61.


76. Req., 27 juin 1894, S. 1898, I, 434.
77. L-L S., « Pour une modernisation du bornage », rapp. dactyl. p. 13,
établi sous l’égide de l’Ordre des géomètres-experts, propose même de le réduire en ce sens que
« dès lors que l’une des parties a agréé le projet de délimitation proposé par le géomètre-expert,
l’autre est réputée avoir donné son accord si elle n’a pas notifié dans un délai de deux mois la
saisine du juge afin d’obtenir un bornage judiciaire ».

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Le régime dérogatoire des cessions de titres sociaux


au sein du groupe familial

Alain D
Notaire honoraire
Directeur honoraire des affaires juridiques du Conseil supérieur du notariat
Les plus-values réalisées par les particuliers1, 2, dans le cadre de la gestion de
leur patrimoine privé, lors de la cession3 à titre onéreux de valeurs mobilières ou
de droits sociaux, soit directement, soit par personne interposée, sont en principe
prises en compte, selon certaines modalités et conditions, pour la détermination
du revenu global imposé au barème progressif de l’impôt sur le revenu4.
Afin de limiter la progressivité de l’impôt sur le revenu, ces plus-values mobilières
sont réduites, le cas échéant, d’un abattement pour durée de détention de droit com-
mun ou, dans certains cas, d’un abattement pour durée de détention renforcé5.
Parmi les trois catégories d’opérations susceptibles de bénéficier de cet abatte-
ment renforcé figurent les plus-values de certaines cessions de titres au sein du
groupe familial6.
Avant d’examiner les conditions d’application de ce régime dérogatoire, nous
effectuerons un bref rappel de certaines modalités d’imposition des plus-values de
cessions de valeurs mobilières de droits sociaux fixées aux articles 150-0A et sui-
vants du Code général des impôts7, 8.
1. V. BOI-RPPM-PVBMI-10-30-10.
2. Aux termes de l’article 244 bis C du Code général des impôts, les dispositions de
l’article 150-0A ne s’appliquent pas, sauf cas particuliers, aux gains réalisés à l’occasion de
cessions à titre onéreux de valeurs mobilières ou de droits sociaux effectuées par les personnes
qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B dudit code :
v. BOI-RPPM-PVBMI-10-30-20
3. Sur la nature des cessions et opérations assimilées imposables :
v. BOI-RPPM-PVBMI-10-10-10.
4. Conformément aux dispositions du 2 de l’article 200 A du Code général des impôts.
5. Ils sont également soumis aux prélèvements sociaux dus sur les revenus du patrimoine
(au taux de global de 15,5 %) pour leur montant avant application des abattements. La
CSG est déductible à hauteur de 5,1 points du revenu imposable l’année de son paiement
(art. 154 quinquies du Code général des impôts).
6. En application du 3° du B du 1 quater de l’article 150-0D du CGI.
7. Pour plus de détails : v. BOFIP-RPPM-PVBMI-(10)(20)(30)(40).
8. Toutefois, l’article 150-0 A du CGI ne fait pas obstacle aux dispositions du 1° du 2
de l’article 92 du Code général des impôts, qui prévoient l’imposition dans la catégorie des
bénéfices non commerciaux (BNC) des produits des opérations de bourse effectuées par des
particuliers dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une
personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations.

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278 LE RÉGIME DÉROGATOIRE DES CESSIONS DE TITRES SOCIAUX

I – RAPPEL DE QUELQUES PRINCIPES

On peut sommairement rappeler les principes suivants.

A. Le calcul du gain net de cession

Le gain net de cession est déterminé par différence9 entre :


– le prix effectif de cession des valeurs, titres ou droits nets des frais et taxes
acquittés par le cédant10 ;
– et leur prix effectif d’acquisition ou de souscription, le cas échéant diminué
de certaines réductions d’impôt11 ou en cas d’acquisition à titre gratuit, leur va-
leur retenue pour la détermination des droits de mutation.
Le gain net imposable est calculé après imputation, le cas échéant, sur la plus-
value réalisée, avant application de tout abattement12, des moins-values de même
nature subies au cours de la même année ou d’une année antérieure13. Le contri-
buable a la possibilité de répartir l’imputation de cette moins-value sur une ou
plusieurs plus-values imposables de son choix.
Lorsque le résultat de cette imputation génère un solde positif, c’est-à-dire un
reliquat de plus-values imposables, ce solde est, le cas échéant, réduit des abatte-
ments pour durée de détention.
Des règles particulières ou précisions sont prévues notamment en présence de
compléments de prix reçus en exécution d’une clause d’indexation, de versements
reçus ou effectués en exécution d’une clause de garantie de passif, en présence de
titres démembrés ou encore en cas de cession de titres de même nature acquis à
des prix différents.

B. L’abattement pour durée de détention renforcé14

L’abattement pour durée de détention renforcé s’applique, toutes autres


conditions étant réunies, aux gains nets réalisés dans le cadre de la gestion
privée d’un portefeuille de titres, directement par le contribuable, ou

9. Conformément au 1 de l’article 150-0D du Code général des impôts.


10. V. BOI-RPPM-PVBMI-20-10-10.
11. V. BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20.
12. Dans sa décision du 12 novembre 2015, le Conseil d’État considère que les
abattements pour durée de détention prévus aux articles 150-0D et 150-0D ter
s’appliquent, toutes autres conditions étant remplies, aux seules plus-values subsistant
après prise en compte des moins-values de même nature imputables dans les conditions
prévues au 11 de l’article 150-0D du Code général des impôts (BOI-RPPM-
PVBMI-20-10-40, § 420 et s.).
13. En application du 11 de l’article 150-0D du Code général des impôts.
14. A du 1 quater de l’article 150-0D du CGI.

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ALAIN DELFOSSE 279

indirectement par personne interposée (par exemple, cession de titres par une
société civile de portefeuille)15.
Cet abattement ne s’applique qu’en matière d’impôt sur le revenu. En
revanche, les prélèvements sociaux restent dus sur le montant total du gain net
réalisé avant l’application dudit abattement.
Pour la détermination du revenu fiscal de référence16 sur lequel est assise
notamment la contribution additionnelle à l’impôt sur le revenu17, le mon-
tant de l’abattement pour durée de détention renforcé est ajouté aux revenus
nets et plus-values le composant et retenus pour l’établissement de l’impôt sur
le revenu.
Par ailleurs, pour le calcul du plafonnement de l’ISF prévu à l’article 885 V bis
du CGI, les plus-values sont prises en compte sans considération des
abattements.

1. Le taux de l’abattement pour durée de détention renforcé


Les gains nets éligibles sont réduits d’un abattement égal à :
– 50 % de leur montant lorsque les titres sont détenus depuis au moins un an
et moins de quatre ans à la date de la cession ;
– 65 % de leur montant lorsqu’ils sont détenus depuis au moins quatre ans et
moins de huit ans à la date de la cession ;
– 85 % de leur montant lorsqu’ils sont détenus depuis au moins huit ans à la
date de la cession.
En cas de versement d’un complément du prix reçu par le cédant en exécution
d’une clause d’indexation (ou clause d’earn out) en relation directe avec l’activité
de la société dont les titres sont cédés, le taux de l’abattement applicable à ce
complément de prix est, sauf cas particuliers, le même que celui applicable à la
date de cession des titres, et ce indépendamment de la date de versement dudit
complément de prix.
Pour bénéficier de l’abattement pour durée de détention renforcé, le cédant
doit notamment justifier la durée de détention des titres cédés et le caractère
continu de cette durée de détention ainsi que le respect des conditions d’applica-
tion de cet abattement.

2. Les modalités de calcul de la durée de détention


La durée de détention est décomptée à partir de la date de souscription, même
si les souscriptions sont libérées ultérieurement, ou d’acquisition, à titre gratuit
ou à titre onéreux, des titres cédés.

15. V. BOI-RPPM-PVMBI-10-30-20, § 30 et s.
16. Mentionné au IV de l’article 1417 du Code général des impôts.
17. Prévue à l’article 223 sexies du Code général des impôts.

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280 LE RÉGIME DÉROGATOIRE DES CESSIONS DE TITRES SOCIAUX

La date constituant le terme de la durée de détention est celle du fait géné-


rateur de l’imposition, c’est-à-dire la date de transfert de la propriété juridique
des titres18.
À ce titre, l’administration détaille un certain nombre de situations particu-
lières de calcul de la durée de détention19.

C. Les modalités d’imposition

1. Le fait générateur
Le fait générateur de l’imposition est, sauf cas particuliers, constitué par le
transfert de propriété à titre onéreux des titres ou droits, sauf cas de sursis ou de
report d’imposition20.
L’imposition est donc établie au titre de l’année au cours de laquelle la cession
est intervenue, quelles que soient les modalités retenues pour en acquitter le prix21.

2. Les obligations déclaratives


Les contribuables22, les personnes morales interposées23 et les intermédiaires
financiers24 sont chacun, en ce qui les concerne, soumis à certaines obligations
déclaratives25.
Les contribuables qui réalisent des opérations mentionnées à l’article 150-0A du
Code général des impôts sont ainsi tenus de souscrire, dans le même délai que la
déclaration d’ensemble des revenus, une déclaration des plus ou moins-values26.
Ils doivent produire notamment, sur demande de l’administration, tous les
documents leur permettant de justifier du respect des conditions d’application de
l’abattement pour durée de détention.

18. V. BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20, § 20.


19. V. BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-20, § 30 et 40 et BOI-RPPM-PVBMI-20-30-40-30,
§ 90. Des précisions sont apportées en cas notamment : de cessions de titres démembrés, de
cessions de titres acquis ou souscrits à des dates différentes ou encore de titres cédés non éligibles
aux mêmes abattements pour durée de détention.
20. V. BOI-RPPM-PVBMI-30-20.
21. Ces règles générales s’appliquent en l’absence de dispositions spécifiques de différé
d’imposition (notamment prévues en cas d’échange de titres : article 150-OB et 150-OB ter
du Code général des impôts).
22. Sur les obligations déclaratives incombant aux contribuables,
v. BOI-RPPM- PVBMI-40-10.
23. Sur les obligations déclaratives incombant aux personnes morales interposées,
v. BOI-RPPM-PVBMI-40-20.
24. Sur les obligations déclaratives incombant aux intermédiaires financiers,
v. BOI-RPPM-PVBMI-40-30.
25. En vertu des dispositions des articles 74-0F et 74-0O de l’annexe II au Code général
des impôts.
26. Cette déclaration porte le numéro 2074 (CERFA, n° 11905).

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ALAIN DELFOSSE 281

II – LES CONDITIONS D’APPLICATION DE L’ABATTEMENT


POUR DURÉE DE DÉTENTION RENFORCÉ AUX GAINS DE CESSION
DE TITRES À L’INTÉRIEUR DU GROUPE FAMILIAL

Pour l’imposition à l’impôt sur le revenu, les gains nets réalisés par les particuliers
lors de la cession de certains titres sociaux au profit de l’un des membres de leur groupe
familial sont réduits27 de l’abattement pour durée de détention renforcé mentionné au
A du 1 quater de l’article 150-0D du CGI lorsque certaines conditions sont remplies.
L’abattement pour durée de détention renforcé s’applique aux cessions réali-
sées à compter du 1er janvier 2014. Jusqu’au 31 décembre 2013, ces cessions
bénéficiaient, sous des conditions identiques au dispositif actuel, d’un régime
d’exonération prévu par l’article 150-0A, I-3 du CGI abrogé par l’article 17 de la
loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013.
Les conditions d’application de cet abattement renforcé sont les suivantes28.

A. La détention d’une participation substantielle par le cédant ou les


membres de son groupe familial

1. La notion de participation substantielle


Les droits cédés, détenus par le cédant, seul ou avec les membres de son groupe
familial, doivent avoir dépassé ensemble 25 % des droits dans les bénéfices sociaux
de la société concernée à un moment quelconque au cours des cinq années précé-
dant la cession. Peu importe le pourcentage de titres cédés.
Sont à prendre en considération non seulement les participations directes du
cédant et des membres du groupe familial dans les bénéfices sociaux de la société
dont les titres sont cédés, mais également des participations indirectes29 détenues
par l’intermédiaire d’une personne morale dont ils sont membres.

2. La notion de groupe familial


Pour l’application du présent dispositif, il est indispensable de définir au pré-
alable la notion de « groupe familial du cédant ».
Cette définition entre en ligne de compte non seulement pour l’appréciation
des conditions tenant à la détention d’une participation substantielle (objet du
présent A) mais également pour l’appréciation des conditions tenant à la per-
sonne du cessionnaire (voir ci-après C).

27. En application des dispositions du 3° du B du 1 quater de l’article 150-0D du Code


général des impôts.
28. BOI-RPPM-PVBMI-20-30-20.
29. Sur l’appréciation des participations indirectes à prendre en compte, v. « Plus-values
sur valeurs mobilières et droits sociaux », dossiers Pratiques Francis Lefebvre, 2e éd., 2014,
n° 5864, p. 169.

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282 LE RÉGIME DÉROGATOIRE DES CESSIONS DE TITRES SOCIAUX

Sont considérés comme appartenant au groupe familial du cédant :


– son conjoint (ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité : pacs ;
– ses ascendants et descendants ;
– les ascendants et les descendants de son conjoint (ou de son partenaire lié
par un pacs). La cession de droits sociaux effectuée au profit du conjoint d’un
ascendant ou d’un descendant soumis à une imposition commune peut égale-
ment bénéficier de l’abattement pour durée de détention renforcée si l’ensemble
des conditions sont remplies ;
– ses frères et sœurs à l’exclusion des descendants des frères et sœurs du cédant30 ;
– les frères et sœurs de son conjoint (ou de son partenaire lié par un pacs).
Les titres détenus par les frères et sœurs du cédant ainsi que ceux de son conjoint
sont à prendre en compte pour la détermination du pourcentage minimal de 25 %
des droits dans les bénéfices sociaux de la société concernée. Il s’agit des titres déte-
nus appartenant en propre aux frères et sœurs du cédant ou à ceux de son conjoint
et des titres dépendant de la communauté conjugale des frères et sœurs du cédant
ou de ceux de son conjoint qui, conformément aux règles du droit civil, leur appar-
tiennent conjointement ou pour le tout avec leur époux ou épouse. En revanche, les
titres appartenant en propre aux conjoints des frères et sœurs du cédant ou à ceux
de son conjoint ne sont pas retenus pour l’appréciation de ce pourcentage31.

B. La société dont les titres sont cédés

La société dont les titres sont cédés doit :


– être soumise à l’impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent32 ;
– avoir son siège social en France ou dans un autre État de l’Union euro-
péenne (UE) ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) ayant
conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter
contre la fraude et l’évasion fiscale.
Cette condition est présumée remplie lorsque la société est cotée sur un mar-
ché réglementé d’un de ces États.

C. Une cession à un membre du groupe familial du cédant

Pour bénéficier de l’abattement pour durée de détention renforcé, la cession


doit être consentie à un membre du groupe familial du cédant (au sens défini
ci-dessus).
En revanche, l’abattement pour durée de détention renforcé ne s’applique pas en
cas d’apport ou de cession consenti à une société, même de structure familiale, dès lors

30. Rép. min., JOAN, 21 avr. 2015, n° 41115, p. 3069.


31. V. BOI-RPPM-PVMBI-20-30-20 , § 5.
32. V. BOI-ANNX-000071.

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ALAIN DELFOSSE 283

qu’une telle société est dotée d’une personnalité juridique distincte de celle de ses
membres. Une telle opération, selon l’administration, ne garantirait pas, en effet, le
respect de l’obligation de conservation des droits sociaux puisqu’elle permettrait en
pratique d’éluder cette condition par le biais d’une cession des titres de la société33.

D. Les obligations du cessionnaire

1. Principe : absence de revente à un tiers dans les cinq ans


Les droits sociaux ne doivent pas être revendus à un tiers dans un délai de cinq
ans suivant la cession entrant dans le champ de l’abattement pour durée de déten-
tion renforcé. Ce délai est calculé de date à date.
En conséquence, pour remplir cette condition, le cessionnaire doit, en prin-
cipe, conserver l’intégralité des droits sociaux acquis, pendant un délai de cinq
ans suivant la cession.
Passé ce délai de cinq ans, l’abattement renforcé n’est pas remis en cause en cas
de cession à un tiers étranger au groupe familial du cédant.

2. Les cessions possibles


L’application de l’abattement pour durée de détention renforcé n’est pas
remise en cause dans certaines situations.
Il en est ainsi en cas de transmission à titre gratuit de tout ou partie des droits
sociaux en cause pendant le délai de cinq ans. Néanmoins, l’administration
conserve la possibilité de démontrer, en recourant à la procédure de l’abus de
droit fiscal prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, que cette
mutation déguise en fait une véritable mutation à titre onéreux.
L’abattement pour durée de détention renforcé n’est pas non plus remis en
cause en cas de nouvelle cession à titre onéreux dans le délai de cinq ans de tout
ou partie des droits sociaux à un autre membre du groupe familial du premier
cédant (voir ci-après).
L’administration fiscale serait toutefois en droit de restituer aux opérations
leur véritable caractère en utilisant la procédure de l’abus de droit fiscal s’il appa-
raissait que les cessions successives de droits sociaux au sein du groupe familial
défini ci-dessus n’avaient d’autre but que de faire échec aux dispositions régissant
les droits de mutation à titre gratuit.

E. Le régime fiscal du gain réalisé lors de la revente des titres par le


cessionnaire
Le gain net réalisé est imposé dans les conditions des articles 150-0A et suivants
du CGI. Il peut, le cas échéant, bénéficier de l’abattement pour durée de détention
(de droit commun ou renforcé) si les conditions d’application sont remplies.
33. BOI-RPPM-PVBMI-20-30-20, § 70.

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284 LE RÉGIME DÉROGATOIRE DES CESSIONS DE TITRES SOCIAUX

Si la cession est consentie au profit de l’un des membres du groupe familial du


« second cédant », l’application de l’abattement pour durée de détention renforcé
au gain net réalisé lors de cette nouvelle cession ouvre alors un nouveau délai de
cinq ans distinct du premier. Ce premier délai de cinq ans continue par ailleurs à
courir si le membre du groupe familial du « second cédant » est également un
membre du groupe familial du « premier cédant »34.

F. Remise en cause de l’abattement pour durée de détention renforcé


1. Imposition de l’intégralité de la plus-value réalisée par le premier
cédant : un nouveau calcul
Si le cessionnaire cède, à titre onéreux, à un tiers étranger au groupe familial
du « premier cédant » tout ou partie des titres moins de cinq ans après leur acqui-
sition, l’abattement pour durée de détention renforcé dont a bénéficié le premier
cédant est remis en cause.
L’intégralité de la plus-value réalisée par le « premier cédant » est alors soumise
à son nom au barème progressif de l’impôt sur le revenu même si une partie seu-
lement des titres a été revendue.
La plus-value imposable est déterminée selon les règles d’assiette en vigueur
l’année de sa réalisation. Cette assiette correspond à la différence entre le prix de
cession consenti par le « premier cédant » et le prix d’acquisition payé par lui. Le
montant obtenu peut être réduit, le cas échéant, de l’abattement pour durée de
détention de droit commun35, toutes conditions d’application de cet abattement
étant remplies. Ces conditions (champ, taux, durée de détention) s’apprécient à
la date de la cession réalisée par le « premier cédant ».
La plus-value ainsi déterminée est toutefois imposée au titre de l’année de la
revente des droits sociaux par le cessionnaire selon les modalités d’imposition en
vigueur au titre de l’année de la revente36.

2. Restitution d’une fraction de l’impôt sur le revenu


Afin d’éviter la double imposition de la plus-value réalisée par le « premier
cédant », l’impôt sur le revenu établi au titre de l’année de la cession des droits
sociaux par celui-ci est restitué au contribuable pour sa fraction correspondant à
la plus-value nette réduite de l’abattement pour durée de détention renforcée
(voir l’exemple ci-après)37.

34. BOI-RPPM-PVBMI-20-30-20, § 110.


35. L’abattement de droit commun est prévu au 1 ter de l’article 150-0D du CGI. Il est égal à :
– 50 % du montant du gain net réalisé ou de la distribution perçue lorsque les actions, parts, droits
ou titres sont détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans à la date de la cession ou de la
distribution ; – 65 % du montant du gain net réalisé ou de la distribution perçue lorsque les actions,
parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution.
36. Cette modalité est prévue par le 3° du B du 1 quater de l’article 150-0D du Code
général des impôts.
37. BOI-RPPM-PVBMI-20-30-20, § 135.

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ALAIN DELFOSSE 285

G. Exemples38
• Monsieur A détient 20 % des titres de la société X acquis le 1er janvier
N pour 20 000 euros.
• Madame A, son épouse, possède 15 % des titres de la même société
acquis à la même date pour 15 000 euros.

1. Première cession
• Monsieur A cède en N+ 10, ses 20 % de titres de la société X à son
fils B pour 40 000 euros.
• Monsieur A possède avec son épouse plus de 25 % des droits dans les
bénéfices sociaux et la cession est faite à un membre de son groupe
familial
• Les titres cédés, acquis depuis plus de huit ans à la date de la cession,
bénéficient donc de l’abattement pour durée de détention renforcé au
taux de 85 % (toutes autres conditions étant réunies)
• Montant de la plus-value :
– imposable au barème progressif de l’IR :
3 000 euros[(40 000 – 20 000) – (85 % de 20 000)]
– soumise aux prélèvements sociaux : 20 000 euros (non-application
de l’abattement renforcé)

2. Revente par le cessionnaire


Première variante : la revente a lieu au profit d’un membre du groupe familial
du premier cédant et du second cédant
• En N+ 12, B revend pour 30 000 euros la moitié de ses titres
(soit 10 %) à son fils C (petit-fils de A) acquis en N+ 10.
• B possède avec sa mère plus de 25 % des droits dans les bénéfices
sociaux de la société X.
• Cette revente ne remet pas en cause l’abattement pour durée de
détention renforcé appliqué à la plus-value du premier cédant A dans
la mesure où C fait partie du groupe familial de A, premier cédant.
• Par ailleurs, la seconde cession (entre B et C) bénéficie, toutes autres
conditions réunies, de l’abattement pour durée de détention renforcé
au taux de 50 % (détention depuis au moins un an et détention d’au
moins 25 % par B et son groupe familial) ; cette cession faisant ainsi
courir un nouveau délai de cinq ans.
Deuxième variante : la revente à lieu au profit d’un membre du groupe fami-
lial du premier cédant mais le cessionnaire est étranger au groupe familial du
deuxième cédant
• En N+ 13, B revend la totalité de ses droits (20 %) à la sœur de Mon-
sieur A (Madame D).

38. Exemples repris (avec aménagements) du BOI-RPPM-PVBMI-20-30-20, § 150.

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286 LE RÉGIME DÉROGATOIRE DES CESSIONS DE TITRES SOCIAUX

• B possède avec sa mère, Madame A, plus de 25 % de droits dans les


bénéfices sociaux de la société X.
• Conséquences de la revente :
– Madame D faisant partie du groupe familial du premier cédant,
Monsieur A (qui est le frère de Madame D), l’abattement pour
durée de détention renforcé appliqué à la plus-value réalisée par A
lors de la première cession n’est pas remis en cause ;
– Madame D n’appartenant pas au groupe familial de Monsieur B
(au sens du présent dispositif ), la plus-value réalisée par B est
imposable au barème progressif de l’IR après application de l’abat-
tement pour durée de détention de droit commun (au taux de
50 %, les titres étant détenus depuis au moins deux ans).
Troisième variante : la revente a lieu au profit d’une personne qui ne fait pas
partie du groupe familial du premier et du deuxième cédant
• En N+ 13, B revend la totalité de ses droits (soit 20 %) à E qui ne fait
pas partie du groupe familial de Messieurs A et B.
• Conséquences de la revente :
– l’abattement pour durée de détention renforcé appliqué à la plus-
value réalisée par Monsieur A lors de la première cession en N+ 10
est remis en cause en N+ 13 ;
– la plus-value réalisée par Monsieur A en N+ 10 (20 000 euros) est
donc imposée à son nom au titre de N+ 13 après application de
l’abattement de droit commun dont le montant est égal à 20 000
euros x 65 % = 13 000 euros, soit un montant de plus-value égal
à 7 000 euros (20 000 euros – 13 000 euros) ;
– corrélativement, l’impôt sur le revenu établi au titre de l’année de la
première cession (par Monsieur A en 2010) lui est restitué pour sa
fraction correspondant à la plus-value nette de l’abattement pour
durée de détention renforcé soit 3 000 euros39 ;
– la cession consentie par B à E n’ouvre pas droit au bénéfice de
l’abattement pour durée de détention renforcé. La plus-value est
imposable au barème progressif de l’impôt sur le revenu après
application de l’abattement de droit commun dont le taux
est 50 %. Les prélèvements sociaux sont dus sur l’assiette de la
plus-value avant application de l’abattement.

39. BOI-RPPM-PVBMI-20-30-20, § 150 in fine.

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Bref retour sur la transaction issue


de la loi Justice du XXIe siècle1

Hugues K
Professeur à l’Université de Toulouse
Doyen de la faculté de droit et science politique

1. La transaction est assurément un contrat qui devrait être notarial2. Il est même
surprenant de constater que c’est grâce à la loi et non à la pratique contractuelle que
ce contrat, considéré par Bartole, l’un des post glossateurs, comme un des plus utiles
de la compilation justinienne3, a prospéré. En effet, la loi dite « Justice du e siècle »4
a développé une conception large des modes alternatifs de règlement des différends
(MARD) dont un titre entier a pour objectif de les favoriser. Cette conception
englobe l’arbitrage, la médiation, la conciliation, la procédure participative, la tran-
saction. Assurément, un vent de faveur souffle sur les contrats relatifs aux différents,
parfois « encouragés », parfois « imposés », et dans tous les cas de plus en plus utili-
sés. Aujourd’hui, de nombreux contrats sont conclus pour anticiper les litiges ou les
régler. Parmi ces contrats, la transaction occupe une place à part.
2. Le contrat de transaction présente un intérêt considérable. Son étude permet de
mieux comprendre et surtout de favoriser un règlement plus paisible puisqu’il est
porteur d’un bien et extinctif d’un mal selon les mots du doyen Carbonnier, le règle-
ment amiable étant a priori supérieur au règlement contentieux. L’accord reste une
force positive de règlement du contentieux et en cela il est supérieur aux formes
1. Ces quelques lignes sont en hommage à un grand ami de la faculté de droit de Toulouse.
2. Sur l’ensemble de la question, v. not. L. B, La notion de transaction, thèse, Toulouse,
1947, Sirey ; M R., Essai de contribution à la théorie générale de l’acte déclaratif, thèse
Toulouse, 1948, Rousseau ; B C., La transaction et le juge, préf. L C P., 2003, PU
Clermont-Ferrand ; H. K, « Actualité de la transaction », LPA, 30 juin 2004 ; P L.,
Transaction et protection des parties, 2005, LGDJ ; M-B B. et N C. (dir.),
La transaction dans toutes ses dimensions, 2006, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires ;
M P., A L. et G P.-Y., La transaction, 2010, Defrénois, art. 39081 ; D W.
et M-B B., La transaction. Propositions en vue de la réforme du titre XV, livre troisième
du Code civil, 2014, La Documentation française ; P B., « Contrat de transaction, Solutions
transactionnelles, Conciliation-Médiation-Procédure participative », 2014, 2015, Dalloz action ;
F N., B-C C., B L., G-G B. et P G., Le guide
des modes amiables des résolution des différends (MARD), 2014-2015, Dalloz ; C L. et
C T., Les modes alternatifs de règlement des conflits, 2016, Dalloz ; K H. et R S.,
Contrats spéciaux, 2017, Monchrestien, à paraître).
3. B, In primam Codicis partem. Commentaria. Augustae Tavrinorum, 1589,
spéc. vol. 1er, p. 63, « De transactionibus, lex prima », § 1er.
4. « Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du
e siècle », JO, 19 nov. 2016, texte n° 1.

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288 BREF RETOUR SUR LA TRANSACTION ISSUE DE LA LOI JUSTICE DU XXI SIÈCLE

négatives dans lesquels « le litige va se perdre dans les sables, les sables de la résignation,
de l’inertie et finalement de la prescription extinctive »5. Historiquement déjà6, le
droit romain prévoyait que les transactions doivent être accueillies favorablement par
les tribunaux7. Dans le même sens, l’un des rédacteurs du Code civil, Bigot de Préa-
meneu a relevé dans l’exposé des motifs de la loi sur la transaction : « de tous les
moyens de mettre fin aux différends que font naître entre les hommes leurs rapports
variés et multipliés à l’infini, le plus heureux dans tous ses effets est la transaction. Ce
contrat par lequel sont terminées les contestations existantes ou par lequel on prévient
les contestations à naître »8. Cette faveur de principe ne s’est pas démentie depuis lors,
même si le Code civil ne lui a consacré que quelques articles, ce qui lui a valu la qua-
lification de « petit contrat »9, ce qui n’est sans doute plus le cas aujourd’hui étant
donné son importante. Toutefois, il s’agit d’un contrat complexe, au carrefour de
plusieurs droits, notamment le droit des obligations, le droit des contrats spéciaux et
le droit judiciaire privé. Cette complexité explique sans doute pourquoi la transaction
donne lieu à un contentieux important, ce qui est contradictoire avec l’objectif visé10.
3. Le contrat de transaction est utilisé aujourd’hui dans plusieurs domaines du
droit : droit civil, droit commercial – par exemple dans les baux commerciaux11
– droit de la concurrence12, droit du commerce international, droit financier,
droit fiscal, droit douanier, droit administratif. Il se retrouve sous diverses formes
même si la qualification de transaction peut être discutable13. Ces régimes spé-
ciaux ne seront pas envisagés dans cet article.
4. Le Code civil comportait 14 articles sur la transaction. Ces derniers avaient
été souvent critiqués en doctrine, notamment les conditions de leur élaboration14.

5. C J., Sociologie juridique, 1re éd., 1978, PUF, p. 171.


6. Sur cet historique, v. J C., D. 1997, chron. p. 267 ; Gautier P.-Y., obs. dans
RTD civ. 1992, p. 783.
7. Code de Justinien, livre II, titre IV.
8. Cf. définition article 2044 du Code civil. F P.-A., Recueil complet des travaux
préparatoires du Code civil, 1836, Vidcoq, spéc. t. XV, p. 103.
9. C J., Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 2013, LGDJ,
spéc. p. 339.
10. V. récemment Cass. 1re civ., 17 mars 2016, D. 2016, 1231, note Mayer L.
11. Pour un exemple CA Aix-en-Provence, 11e ch., sect. A, 1re ch., 1er déc. 2015,
n° 13/18741, V c/R., Juris-Data n° 2015-027179.
12. V. récemment l’affaire orange, Aut. Conc. 17 déc. 2015, n° 15-D-20, relative à des
pratiques mises en œuvre dans le secteur des communications électroniques, RTD com. 2016,
p. 279, obs. Claudel E. ; K H., « Le prix de la transaction en droit de la concurrence »,
RLDA 2004, n° 69, n° 4298 ; K  M M. et B K., « La procédure
de transaction devant le conseil de la concurrence », JCP E 2005, 1222.
13. Consacrant une pratique ancienne, la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de
circulation oblige l’assureur à offrir à la victime une indemnisation (article L. 211-9 et suivants
du Code des assurances). Dans le même sens, on peut citer les lois du 9 décembre 1986 et du
6 juillet 1990 qui ont imposé la même obligation au fonds de garantie des victimes du tourisme
et d’autres infractions (article L. 126-1 et suivants du Code des assurances). Aucun des régimes
spéciaux ne sera envisagé dans cet ouvrage.
14. Sur l’ensemble de la question, v. récemment C T., « L’arbitrage, les modes
alternatifs de règlement des différends et la transaction dans la loi “Justice du e siècle”, loi

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HUGUES KENFACK 289

Depuis deux siècles, on attendait une modification de ce régime de la transac-


tion15. C’est l’œuvre de la loi dite « Justice du e siècle » qui a abrogé un certain
nombre d’articles, faisant de ce contrat, si l’on s’en tient uniquement au nombre
d’articles, un très petit contrat16. Cette simplification était la bienvenue tant cer-
tains articles n’étaient plus adaptés17. Pourtant, la doctrine est partagée sur la
nécessité de modifier ces articles, que ce soit sur le principe de cette modification
ou son ampleur. Des auteurs ont invoqué le démantèlement de la transaction18.
Un autre auteur a relevé le risque de « faire tomber la transaction dans le droit
commun des contrats, gommant ainsi sa spécificité, notamment en ce qui
concerne la nullité et risquant de réduire le degré de sécurité juridique qui s’at-
tache à cet outil »19. Un autre auteur a tout simplement proposé l’abrogation de
tous les articles relatifs à la transaction car il le considérait comme un contrat de
droit commun20. Toujours est-il qu’il en ressort un régime plus simple de la tran-
saction épuré des règles de droit commun et qui doit être clairement caractérisé.
5. La loi justice du e siècle a apporté des précisions confirmant la jurispru-
dence sur la définition de la transaction (I). Elle a procédé à des suppressions qui
rapprochent la transaction du droit commun des contrats (II). Enfin, elle a main-
tenu les effets importants de la transaction (III).

I – UN AJOUT NÉCESSAIRE À LA DÉFINITION DE LA TRANSACTION

6. Une des questions les plus importantes de la transaction est son identifica-
tion. En effet, il s’agit d’un contrat nommé (C. civ., articles 2044 et s.). Il est par
conséquent nécessaire de bien la caractériser en vue de la qualifier et de « bénéfi-
cier » de son régime. Les articles 2044 et suivants du Code civil ont une double
utilité : définir la transaction et en préciser le régime juridique. Cette identifica-
tion n’est pas facile, le contrat de transaction suscitant des risques de confusion.
D’une part, la distinction entre la transaction et les notions voisines n’est pas

n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 », JCP G 2016, 1295 ; M L., « Libres propos sur la
réforme annoncée de la transaction », Gaz. Pal., 30 août 2016, p. 43 ; P B., « Contrat de
transaction et Justice du e siècle : de l’objectif de simplification au risque de dé-sécurisation »,
Gaz. Pal., 2 févr. 2016, n° 5, p. 18.
15. À l’exception de l’article 2045 qui a été modifié par la loi n° 2011-525 du 17 mai
2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit : JO, 18 mai 2011, p. 8537.
16. Désormais le titre XV du livre troisième relatif aux transactions comporte désormais
uniquement sept articles au lieu de quatorze.
17. Sur l’opportunité de réformer le régime de la transaction, C T., « La simplification
de la transaction et de l’arbitrage dans le Code civil », JCP 2014, 492 ; D W. et M-
B B., La transaction, op. cit. ; M L., « La transaction, un contrat spécial ? »,
RTD civ. 2014, 523.
18. V. M P., A L. et G P.-Y., La transaction, op. cit., note 76,
spéc. n° 1099 fustigeant le « démantèlement » du droit de la transaction
19. C L., audition devant la commission des lois (Détaigne Y., rapport, commission
des lois, Sénat, 28 oct. 2015, spéc. p. 47).
20. M L., « La transaction, un contrat spécial ? », op. cit., p. 523, spéc. n° 16-29.

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290 BREF RETOUR SUR LA TRANSACTION ISSUE DE LA LOI JUSTICE DU XXI SIÈCLE

évidente21. D’autre part, ce serait une erreur de croire que tout accord des parties
sur la solution du litige constitue une transaction. Pour caractériser la transaction,
il est opportun d’en revenir à la définition de l’article 2044 du Code civil tel que
complété par la loi dite « Justice du e siècle » : « un contrat par lequel les par-
ties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent
une contestation à naître ». Cette exigence de concessions réciproques qui, jusqu’à
présent était uniquement jurisprudentielle22, est désormais légale. Elles com-
plètent désormais la nature contractuelle, et l’existence d’un différend pour iden-
tifier la transaction.
Est-ce vraiment important d’apporter ce complément ? Change-t-il fonda-
mentalement la nature de la transaction ? Une réponse négative doit apportée. Il
était évident que la transaction avait pour trait caractéristique des concessions. Et
cette évidence est simplement désormais consacrée par la loi.

II – DES SUPPRESSIONS RÉINTÉGRANT LA TRANSACTION


AU DROIT COMMUN DES CONTRATS

7. La loi « Justice du e siècle » a abrogé plusieurs articles relatifs à la transac-


tion. On est passé de 14 à 7 articles. Outre l’alinéa 2 de l’article 2044, il faut
ajouter à ces suppressions les articles 2052 alinéa 2, 2053, 2054, 2055, 2056,
2057 et 2058. Ces modifications ont entraîné un changement important de
numérotation, laissant un espace vacant au numéro 2056 puis six autres, de l’ar-
ticle 2053 à l’article 2059 et les articles relatifs à la convention d’arbitrage. Ce
n’est certes pas très élégant. Les articles supprimés concernent pour l’essentiel les
conditions de fond et de forme de la transaction, avec pour trait caractéristique le
retour de la transaction dans le droit commun des contrats.
8. S’agissant des conditions de fond, le contrat de transaction, comme tout
contrat, doit respecter les règles de droit commun prévues par les articles 1128 et
suivants du Code civil tel qu’issus de la réforme du droit des contrats23. D’après
ce texte, trois éléments sont nécessaires à la validité d’un contrat : le consente-
ment des parties, la capacité à contracter et le contenu licite et certain du
contrat. Ces règles sont complétées par celles propres à la transaction, prévues
désormais uniquement par les articles 2045 et 2046 du Code civil.
9. On laissera ici de côté la capacité. L’article 2045, alinéa 1 du Code civil, qui
n’a pas été modifié, dispose que pour « transiger, il faut avoir la capacité de dispo-
ser des objets compris dans la transaction ». Étant un acte grave, la transaction

21. K H., « Transaction et autres risques de confusion », in M-B B.


et N C. (dir.), La transaction dans toutes ses dimensions, op. cit.
22. Jurisprudence constante depuis Cass. civ., 3 janv. 1883, DP 1883, I., 457 ; Cass. civ.,
13 mars 1922, DP 1925, I, 139 décidant que la transaction est synonyme de concessions réciproques.
23. Ord. n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du
régime général et de la preuve des obligations, entrée en vigueur le 1er octobre 2016.

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HUGUES KENFACK 291

nécessite une capacité d’aliéner. Pourquoi avoir maintenu plus particulièrement


cet article alors qu’il n’existe pas de véritable particularisme de la capacité en
matière de transaction, certaines autorisations étant nécessaires ?
On s’intéressera plus particulièrement aux règles relatives aux vices du consen-
tement. Même si le contrat de transaction bénéficie d’une grande faveur de la part
du législateur en raison de son objet qui permet d’apaiser les esprits en évitant le
contentieux, il reste attaquable sur le terrain des vices du consentement. S’il est le
résultat d’une erreur, d’un dol ou d’une violence, la transaction peut être annulée
car la théorie des vices du consentement lui est applicable.
Le droit commun s’applique lorsque le consentement a été obtenu par dol24
ou par violence25. La suppression de l’article 2053 du Code civil n’y change
rien26.
Le régime de l’erreur est aujourd’hui rentré dans le droit commun avec la loi
« Justice du e siècle ». Avant cette dernière, la situation était curieuse. Outre
l’usage malheureux du terme rescindable par l’article 2053 du Code civil en cas
d’erreur sur la personne ou sur l’objet de la contestation, une série d’articles soit
faisait doublon avec le droit commun des contrats, soit créait un particularisme
au régime de l’erreur en matière de transaction en effectuant une distinction entre
l’erreur de droit et l’erreur de fait.
En principe, en doit commun, l’erreur de droit devrait être retenue au même
titre que l’erreur de fait. Or, l’article 2052, alinéa 2 du Code civil, aujourd’hui
supprimé, disposait que la transaction ne peut être attaquée pour cause d’erreur
de droit, ni pour cause de lésion. Les raisons de ce particularisme tenaient notam-
ment à la finalité et à la nature de la transaction dont l’objet est d’éviter le conten-
tieux. Cet objectif ne serait pas atteint si on devait permettre facilement à une
partie de faire renaître le litige. La suppression de cet article va-t-elle se traduire
par une remise en cause simplifiée du contrat de transaction sur le terrain de
l’erreur de droit ainsi rétablie ? Il convient d’espérer une réponse négative. La
suppression a-t-elle eu lieu parce qu’il était devenu très difficile de distinguer
erreur de fait et erreur de droit en matière de transaction27 ? La jurisprudence
analysait l’erreur de droit non comme une erreur sur les droits subjectifs des par-
ties – qui aurait pu être considérée comme une erreur de fait – mais comme une
erreur sur la règle de droit applicable28 ou sur « sa portée et qui a déterminé la
conclusion de la convention pour la partie qui l’invoque ».

24. Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, n° 03-19895, Contrats, conc. consom. 2006, n° 23, note
Leveneur L.
25. Cass. 1re civ., 30 mai 2000, Bull. civ. I., n° 169, D. 2000, 879, note Chazal J.-P.,
D. 2001, somm. 2001, somm. 1140, obs. Mazeaud D. ; v. refusant d’admettre la violence
Cass. 1re civ., 3 avr. 2002, D. 2002, somm. 2844, obs. Mazeaud D.
26. Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-25921.
27. Cass. 1re civ., 29 mai 2001, n° 99-16753, Bull. civ. I., n° 156 ou Cass. 1re civ., 19 déc.
2000, D. 2001, p. 2194, note Soustelle P. qui semblent contradictoires à propos du maintien
d’une transaction sur jugement erroné.
28. Cass. 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-12015, Bull. civ. I., n° 334.

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292 BREF RETOUR SUR LA TRANSACTION ISSUE DE LA LOI JUSTICE DU XXI SIÈCLE

L’article 2053 lui aussi supprimé disposait qu’une « transaction peut être res-
cindée lorsqu’il y a erreur dans la personne ou sur l’objet de la contestation ».
L’abrogation de cet article ne change rien. D’ailleurs, le contrat de transaction
n’étant pas en principe un contrat intuitu personae, cette erreur sur la personne est
difficilement possible en pratique.
L’article 2054 n’était qu’une redite du droit commun de la nullité pour erreur.
En outre, l’article 2058 aujourd’hui abrogé prévoyait la prise en compte de
l’erreur de calcul29 dans une transaction qui doit être réparée, précision bien inu-
tile dans un texte de droit spécial tant le droit commun le prévoit30.
10. En outre, un autre article tout aussi inutile et abrogé aujourd’hui disposait
que la transaction ne peut être attaquée pour cause de lésion (article 2052, alinéa 2
du Code civil). Mais encore fallait-il que le contrat de transaction soit conclu dans
un domaine où la lésion est admise et là encore le droit commun suffit.
11. Par ailleurs, le contrat de transaction doit avoir un contenu licite et cer-
tain. Est concernée ici notamment l’objet de la transaction, c’est-à-dire la nature
des droits à propos desquels il est transigé et diffère donc des obligations issues de
la transaction que sont les concessions réciproques. Deux points importants sont
à envisager en matière d’objet de la transaction : la possibilité de conclure une
transaction et son contenu. Ces deux points sont conformes au droit commun
des contrats et rien n’a vraiment changé.
12. Sur les conditions de forme, le contrat de transaction est également de
retour dans le droit commun des contrats, ce qui peut être regretté. D’après l’an-
cien 2044, alinéa 2 du Code civil, le contrat de transaction devait être rédigé par
écrit. Malgré cela, il a toujours été admis que ce contrat était en principe consen-
suel, les règles de droit commun de la preuve s’appliquant à lui. La Cour de cassa-
tion avait considéré comme une simple règle de preuve cette exigence d’écrit. Plu-
sieurs décisions avaient essayé d’aligner le régime probatoire de la transaction sur
celui du droit commun de la preuve. Ainsi, l’écrit n’était pas exigé en matière
commerciale31 et lorsqu’il existait un commencement de preuve par écrit ou en cas
d’impossibilité morale de se procurer un écrit, la preuve testimoniale était rece-
vable32. Avec la suppression du second alinéa de l’article 2044, le droit commun
s’applique sans aucun doute, ce qui est critiquable. Est-ce vraiment le régime pro-
batoire le plus adapté au contrat de transaction en pratique ? Il est possible d’en
douter et les parties seraient avisées de toujours rédiger un écrit, spécialement un
acte notarié, car l’objectif visé par le contrat de transaction, à savoir terminer une
contestation née ou en prévenir une à naître, ne sera pas vraiment atteint en l’ab-

29. On entend par erreur de calcul celle qui enferme les opérations arithmétiques qui
peuvent être commises soit par les parties en commun, soit par l’une d’elle, soit par les tiers
rédacteurs de l’acte.
30. Loysel disait déjà : « Erreur de calcul ne passe jamais en force de chose jugée » (Cf.
R H. et B L., Adages du droit français, 1992, Litec, n° 115.
31. Cass. civ., 26 déc. 1950, S. 1952, I., note Meurisse R.
32. Cass. 3e civ., 6 févr. 1973, Bull. civ. III., n° 104 ; Cass. 1re civ., 10 oct. 1995,
Bull. civ. I., n° 360, RTD civ. 1996, 643, obs. Gautier P.-Y.

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HUGUES KENFACK 293

sence d’un écrit. La contestation pourrait même renaître par l’intermédiaire des
questions de preuve alors que la transaction entendait y mettre fin33.
13. Pour terminer sur ces suppressions d’ampleur importante divisant la
doctrine, deux points sont à évoquer. D’une part, ces suppressions ont-elles
porté atteinte au régime de la transaction ? Il s’agissait bien là de reprendre une
thématique soulevée de façon remarquée par le professeur Lucie Mayer34. Le
débat parlementaire aura abouti à une réponse négative.
D’autre part, ce processus parlementaire n’a-t-il pas été la seule spécificité de cette
problématique ? Il a en tous cas été remarqué35. Dans un premier temps, il est instructif
de relever les échanges en séance publique au Sénat entre Madame Christiane Taubira,
alors garde des Sceaux et le sénateur Yves Détaigne. La première précise que ces articles
sont « superfétatoires par rapport aux fondements mêmes de notre droit des obliga-
tions ». Elle ajoute que « les dispositions spécifiques relatives à la transaction sont
maintenues, elles ne font pas partie des articles que nous souhaitons supprimer »36.
Malgré cette explication, le Sénat vote pour le maintien des articles proposés à la sup-
pression en rejetant l’amendement gouvernemental. Mais le gouvernement ne lâche
rien malgré le changement de garde des Sceaux, l’Assemblée nationale adoptant plus
tard l’amendement déposée en ce sens par le rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec.
Ainsi, la suppression tant discutée de ces articles aura été proposée par le gouverne-
ment, écartée en commission des lois au Sénat, reproposée dans un amendement par
le gouvernement, rejetée par le vote des sénateurs et enfin rétablie à l’Assemblée natio-
nale. Et pour défendre les articles « superfétatoires » à l’Assemblée nationale, Monsieur
Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, a cité Planiol : « Le gouvernement est favorable
à cet amendement qui vise à supprimer des dispositions dont le professeur Marcel
Planiol, auteur du Traité élémentaire de droit civil, disait déjà en 1899 qu’elles sont
inutiles. La patience est récompensée »37. Comment ne pas relever le fait que Planiol est
appelé à la rescousse à l’Assemblée nationale ? La question de cette suppression ne
reviendra pas en débat devant la commission mixte.

III – UNE REFORMULATION QUI MAINTIENT L’EFFET PRINCIPAL


DE LA TRANSACTION

14. L’article 2052 du Code civil, deuxième article central de la transaction, dis-
pose désormais « la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre
les parties d’une action en justice ayant le même objet »38. Cet article a été critiqué :

33. Cf. S B., R H. et B L., Obligations, t. 3, 6e éd., 1999, LexisNexis.
34. M L., « La transaction, un contrat spécial », RTD civ. 2014, p. 523 et s.
35. C T., « L’arbitrage (…) », op. cit.
36. JO Sénat, CR, 4 nov. 2015, p. 10352.
37. Urvoas J.-J., Audition devant la commission des lois, Assemblée nationale, 3 mai
2016, p. 36.
38. L’ancien article 2052, alinéa 1 disposait : « Les transactions ont, entre les parties,
l’autorité de la chose jugée en dernier ressort ».

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294 BREF RETOUR SUR LA TRANSACTION ISSUE DE LA LOI JUSTICE DU XXI SIÈCLE

simple « périphrase »39 pour l’un, « amputation sans justification évidente » pour
l’autre40, il y avait sans doute d’autres voies pour améliorer l’ancienne formulation41.
Mais le nouvel article peut être salué tant sur la forme que sur le fond42.
15. Sur la forme, est rayée d’un trait de plume la désastreuse expression d’au-
torité de la chose jugée attribuée à la transaction alors qu’elle n’est pas une déci-
sion de justice, ni judiciaire43 ni même arbitrale44. N’est-ce pas plutôt de l’autorité
de la chose transigée45 ?
16. Sur le fond, le nouvel article 2052 maintient la véritable nature de la tran-
saction. D’une part, il ne modifie pas vraiment le droit antérieur. La transaction fait
toujours naître une fin de non-recevoir s’opposant à l’exercice de l’action et si elle
est judiciaire, elle opère l’extinction de l’instance, le litige étant privé d’objet46. Dans
la nouvelle rédaction comme dans l’ancienne, l’exception de transaction demeure.
Elle se rapproche toujours de l’exception de chose jugée. Elle constitue bien une fin
de non-recevoir et peut donc être invoquée en tout état de cause et cela tant pour
l’introduction de l’action en justice que pour sa poursuite. Plus précisément, elle
empêche toute introduction ou toute poursuite de l’action judiciaire. La nouvelle
rédaction traduit bien ces idées47 et continue à conforter le rapprochement entre
transaction et jugement. La partie litigante peut faire tenir en échec la tentative de
renouvellement de l’action en justice en opposant l’autorité de la chose jugée et la
partie contractante peut de même bloquer la violation de la transaction en relevant
l’exception de transaction. Encore faut-il que les conditions exigées soient réunies et
elles sont les mêmes en matière de transaction et de jugement48.

39. P L., Transaction et protection des parties, préf. L Y., 2005, LGDJ,
coll. Bibliothèque de droit privé, spéc. n° 363-395.
40. G P.-Y., « Le cas Bettencourt au regard du droit des obligations », D. 2016,
p. 1752.
41. Des auteurs avaient proposé une formulation plus détaillée et répartie entre plusieurs
articles. V. M-B B., « Les concessions réciproques », in D W. et M-
B B., La transaction, op. cit., note 75, p. 145.
42. Dans le même sens, C T., « L’arbitrage (…) », op. cit.
43. C. civ., art. 1351.
44. CPC, art. 1484.
45. W L., La liberté procédurale du contractant, préf. M J., 2004, PUAM,
spéc. n° 540 ; D D., « L’autorité de chose transigée », Gaz. Pal., 30 nov. et 1er déc. 2005, p. 2.
46. Un auteur avait proposé une autre rédaction qui aboutissait au même résultat
(D W., « Effets du contrat de transaction », in D W. et M-B B., La
transaction, op. cit., note 75, p. 171).
47. S B., R H. et B L., Les obligations, op. cit., n° 510 ; Paris,
23 oct. 1987, D. 1987.
48. La première condition concerne les personnes : l’exception de transaction comme
celle de chose jugée suppose l’identité des personnes agissant en la même qualité. L’article 2051
du Code civil le précise expressément. Seuls les signataires d’une transaction sont liées par cette
dernière. La seconde concerne l’objet de la transaction. Plusieurs textes du Code civil le
précisent, notamment l’article 2048 disposant « les transactions se renferment dans leur objet :
la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions ne s’entend que de ce qui est
relatif au différend qui y a donné lieu ». S’applique donc ici la relativité quant aux parties, à la
cause et à l’objet.

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HUGUES KENFACK 295

Reste une question qui soulève des difficultés : la fin de non-recevoir tirée de
la transaction peut-elle être relevée d’office par le juge alors que le texte ne le pré-
voit pas expressément ? Certains auraient voulu que le nouveau texte le précise49
éliminant ainsi tout débat. Était-ce indispensable ? L’article 125 du Code de pro-
cédure civile ne précise-t-il pas que le juge peut relever d’office les fins de non-
recevoir tirées de l’autorité de la chose jugée ? Or, sauf à relever qu’il s’agit ici
d’intérêts privés, on reste bien dans une autorité de la chose jugée malgré le nou-
vel article50. La chose transigée comme la chose jugée s’impose aux parties comme
aux juges car elle est immuable, intangible, et ne peut plus être remise en cause.
D’autre part, malgré cet effet important qu’est l’exception de transaction, le
contrat de transaction demeure un contrat avec tous les effets d’un tel acte51. Il
n’est donc pas revêtu, contrairement au jugement, de la force exécutoire. Pour
l’obtenir, les parties à une transaction doivent passer par un juge52 ou alors recou-
rir à un notaire pour faire établir leur transaction par acte authentique. Dans tous
les cas, il s’agit une procédure non contentieuse et plus précisément gracieuse53.
Un arrêt récent a montré que cette procédure elle-même pouvait soulever des
difficultés ce qui est paradoxal54.

*
* *

Pour une transaction notariée


La transaction a, comme montré dans ces quelques lignes de très importantes
vertus. Ces dernières sont encore renforcées lorsqu’elle est authentique. Dans un

49. V. sur cette question D W., « Effets du contrat de transaction », op. cit.
50. C T., « L’arbitrage (…) », op. cit.
51. Le contrat de transaction n’est pas assorti de l’hypothèque judiciaire, garantie accordée
par la loi aux décisions de justice et il n’est pas non plus, contrairement à un jugement, susceptible
de voies de recours. Il demeure un contrat et est donc sujet à l’action en nullité ou même en cas
d’inexécution à la résolution pour inexécution dès lors qu’elle fait naître des obligations
réciproques. Enfin, il obéit aux règles d’interprétation du droit commun des contrats.
52. Si la transaction est conclue en cours d’instance, c’est le juge déjà compétent pour régler le
litige au fond qui a compétence pour lui accorder une telle force. Si elle est obtenue en dehors de
toute instance, l’ancien article 1441-4 du Code de procédure civile prévoyait que c’est le président
du tribunal de grande instance qui lui accordait force exécutoire. C’était une particularité du régime
de la transaction. Cet article a été supprimé et remplacé par le renvoi au juge « compétent pour
connaître du contentieux en la matière » (CPC, art. 1567). Ce n’est donc pas le président, mais la
juridiction compétente pour connaître la question au fond qui est concernée, gommant ainsi la
différence sur cette question que la transaction soit ou non extrajudiciaire. Sur la question,
K H., « Bref retour sur la force exécutoire de la transaction devant le président du tribunal
de grande instance et le juge administratif », AJDA 2004, études, 242.
53. C C., F F. et G S., Procédure civile, 33e éd., 2016, Dalloz,
n° 1862 et s. ; C L. et J E., Droit judiciaire privé, 9e éd., 2016, LexisNexis,
n° 654 et s.
54. Cass. 2e civ., 1er sept. 2016, n° 15-22915, D. 2016, 1758, RTD civ. 2016, p. 883,
obs. Gautier P.-Y.

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296 BREF RETOUR SUR LA TRANSACTION ISSUE DE LA LOI JUSTICE DU XXI SIÈCLE

tel cas, elle est immédiatement revêtue de la force exécutoire et le rapprochement


avec le jugement est accentué. En outre, sont éliminées toutes les difficultés liées
par exemple aux exigences du Code civil car le professionnel qu’est le notaire
s’assure de leur respect. Outre qu’il garanti la bonne rédaction de ce contrat, il y
insère les clauses nécessaires à son efficacité, par exemple celles relatives à son
inexécution. La transaction n’est d’ailleurs pas la seule dans ce cas. Les avant-
contrats, notamment les pactes de préférence ou les promesses, sont dans le même
cas et la sécurité des transactions est renforcée.

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Le mineur, dirigeant d’entreprise :


une fausse bonne idée…

Marie-Hélène M-B
Professeur Université Toulouse 1 Capitole
Centre de droit des affaires

Le temps du droit s’accélère et les dernières évolutions le démontrent… Les


délais de prescription fondent comme neige au soleil, l’entrée dans la vie juri-
dique intervient de plus en plus tôt. Un temps raccourci qui ne laisse plus le
temps au temps... pourrait-on dire.
Le phénomène peut avoir de quoi inquiéter lorsque l’on examine les dernières
évolutions relatives à l’entrée du mineur dans la vie économique. Il est alors appa-
ru opportun d’aborder ce thème pour rendre hommage à Jacques Combret,
notaire, passeur de savoirs, homme et professionnel très attentif à la situation des
personnes vulnérables1. C’est donc au complice avec lequel j’anime des sémi-
naires de droit des affaires dans le diplôme supérieur du notariat, des formations
professionnelles pour les notaires et avec lequel je croise la plume2 qu’il me plaît
de dédier ces quelques réflexions sur un thème transversal qui nous réunit. Qu’il
y trouve le témoignage du plaisir toujours renouvelé d’échanger avec lui et de
bénéficier de son immense expérience au service des chefs d’entreprise.
Longtemps, par sagesse ou par peur, les mineurs ont été écartés de la vie des
affaires. Personnes vulnérables, il fallait les protéger de ce monde dur et sans pitié…
Mais les évolutions récentes ont considérablement modifié le paysage et d’un prin-
cipe d’exclusion on semble s’orienter vers une possible participation active du
mineur à la vie économique. Un tel changement de perspective a de quoi surprendre
et inquiéter, notamment les notaires qui ont toujours pour objectif la protection des
personnes. Or, il semble quand même que le mineur reste une personne vulnérable
et cela d’autant plus qu’il va intervenir dans le monde économique dans un contexte
et à une période qui ne sont pas des plus propices au succès.
Pour avoir souvent échangé sur ces questions avec Jacques Combret qui n’a
pas abandonné la voie de la sagesse tout en accompagnant, dans son activité de
conseil notamment, ses clients sur les chemins des évolutions de la vie écono-
mique, il semble que le législateur lance le mineur sur des pistes bien hasardeuses,

1. Faut-il rappeler que Jacques Combret a présidé le 102e Congrès des notaires qui a eu
lieu en 2006 sur le thème des personnes vulnérables.
2. R A., M-B M.-H. et C J., « Régimes matrimoniaux et
sociétés », Actes pratiques et ingénierie sociétaire, sept. 2016.

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298 LE MINEUR, DIRIGEANT D’ENTREPRISE : UNE FAUSSE BONNE IDÉE…

ce qui laisse un goût amer de réforme baclée et/ou inopportune. Un constat qui
devrait conduire les notaires à privilégier une position prudente car le mineur
dirigeant d’entreprise sera dangereusement exposé (I) alors que l’exercice de l’acti-
vité économique s’en trouvera compliqué (II).

I – UN MINEUR DANGEREUSEMENT EXPOSÉ

La situation réservée au mineur actuellement en droit des affaires se dessine à


la lecture de textes dispersés dans le Code de commerce et le Code civil, preuve
de l’écartèlement de la situation du mineur, personne vulnérable mais acteur éco-
nomique en puissance. D’une part, l’article L. 121-2 du Code de commerce per-
met au mineur émancipé de devenir commerçant, le législateur ayant pris soin de
répéter cette règle dans l’article 413-8 du Code civil dans le chapitre sur l’éman-
cipation. D’autre part, l’article 388-1-2 du Code civil prévoit la possibilité pour
un mineur d’adopter le statut d’EIRL ou de constituer une société uniperson-
nelle3. Des opportunités nouvelles qui ont été offertes au mineur par la loi du
15 juin 2010 sur l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, légèrement
retouchées par l’ordonnance du 15 octobre 2015, dont on peine à comprendre
l’articulation au regard de l’intérêt du mineur et qui laisse subsister des risques
importants pour le mineur, acteur de la vie économique.

A. Intérêt de la coexistence des divers statuts offerts au mineur ?

Lors de l’introduction en droit français du statut d’entrepreneur individuel à res-


ponsabilité limitée, le législateur a modifié les conditions d’exercice par un mineur
d’une activité économique lui offrant désormais le choix entre trois statuts, à condi-
tion que ce mineur soit âgé de seize ans révolus4, qu’il soit ou non émancipé.
En premier lieu, et il s’agit d’une nouveauté de taille en droit français, un
mineur émancipé peut être commerçant selon l’article L. 121-2 du Code de com-
merce qui rompt ainsi avec un des grands principes du droit commercial ayant
jusque-là éloigné les mineurs de l’activité commerciale en raison des risques
encourus5. Certes, le texte entoure cette possible acquisition de la qualité de com-
merçant de conditions qui assurent une certaine sécurité et un contrôle. En effet,
seul peut devenir commerçant un mineur émancipé sous réserve d’obtenir une
autorisation du juge des tutelles lors de la décision d’émancipation ou du pré-
sident du tribunal de grande instance si cette demande d’autorisation est formu-
lée après la décision d’émancipation. Cette autorisation devra faire l’objet d’une

3. H H. et G A., « Incapacité et société », Actes pratiques et ingénierie


sociétaire, mai-juin 2012.
4. Cette condition a été introduite par l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015.
5. E J.-F., « La capacité commerciale du mineur émancipé », RTD com. 2013,
203.

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MARIEHÉLÈNE MONSÈRIÉBON 299

déclaration lors de la demande d’immatriculation en vertu de l’article R. 123-37


du Code de commerce. Ainsi, les portes du droit commercial s’entrouvrent pour
les mineurs qui souhaitent exercer le commerce ou qui, en raison de circonstances
particulières, vont décider de conserver et d’exploiter un commerce, souvent
après le décès des parents qui menaient cette activité. Jusque-là, il convenait de
rechercher dans le droit des sociétés essentiellement des solutions assurant la pré-
servation de l’activité que le mineur souhaitait exercer lors de sa majorité. Les
notaires étaient souvent en première ligne dans un tel contexte qui se situe à la
croisée du droit des successions et du droit des affaires. La solution pouvait alors
consister à constituer une société dont le mineur était associé mais dont la direc-
tion était nécessairement confiée à un tiers6. Aujourd’hui, si ce mineur peut être
émancipé, il pourra se lancer dans une activité commerciale avec tous les risques
qui en découlent et qui ne lui seront pas épargnés. Le mineur devient donc un
commerçant comme les autres, il en assume pleinement les responsabilités et les
obligations très lourdes pour un jeune adulte.
En second lieu, les conseils, lorsque la situation le permet, se tourneront plus
naturellement vers l’article 388-1-2 du Code civil qui instaure de nouvelles
mesures, plus favorables au mineur que l’article 121-2 du Code de commerce.
Alors que ce dernier texte fait entrer le mineur dans le statut classique du com-
merçant, le premier taille un costume sur mesure pour le mineur, même si on le
verra ensuite, il n’est pas parfaitement ajusté… Ce texte a clairement pour ambi-
tion d’offrir au mineur qui souhaite intervenir dans la vie économique un mode
d’exercice plus protecteur prenant la forme soit du statut d’entrepreneur indivi-
duel à responsabilité limitée, soit des sociétés unipersonnelles.
Les modalités d’accès à ce statut sont diamétralement différentes de celles posées
à l’article L. 121-2 pour l’acquisition de la qualité de commerçant puisqu’elles sup-
posent que les parents du mineur ou l’un d’eux l’autorise à faire des actes d’admi-
nistration nécessaires à la création et la gestion de la société unipersonnelle ou à
l’exercice d’une activité indépendante sous le statut d’entrepreneur individuel à res-
ponsabilité limitée7. Lorsque le mineur n’a plus ses parents, le conseil de famille
interviendra8. Le texte ajoute que les actes de disposition ne peuvent être effectués
que par le ou les administrateurs légaux ou le tuteur autorisé par le conseil de
famille9. La rédaction de l’article 388-1-2, issue de l’ordonnance du 15 octobre
2015, est marquée, comme beaucoup d’autres, par la volonté du législateur de
mettre un terme aux discriminations frappant les familles monoparentales pour
lesquelles l’intervention du juge des tutelles avait été généralisée pour les actes qui
supposaient le consentement des deux parents10. Toutefois, les deux parents devant

6. M-B M.-H., « Personnes protégées : une articulation entre droit des


sociétés et droit civil non satisfaisante », RLDC 2013, 103.
7. J F., « Le mineur, acteur de la vie économique », Dr. famille 2010, étude 31.
8. C. civ., art. 401.
9. C. civ., art. 408.
10. C J. et B-W N., « Quand modernisation rime avec confusion :
l’administration légale selon l’ordonnance du 15 octobre 2015 », JCP N 2015, p. 41.

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300 LE MINEUR, DIRIGEANT D’ENTREPRISE : UNE FAUSSE BONNE IDÉE…

intervenir en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale pour cette création


de l’activité économique par le mineur, il apparaît, comme précédemment pour
l’exercice de l’activité commerciale, que le législateur a considéré qu’il s’agissait
d’actes graves, ce que l’on ne peut que confirmer au regard des risques encourus
dans les deux situations même si leurs conséquences ne sont pas parfaitement iden-
tiques. Ce second statut aura assurément la préférence des conseils lorsqu’un mineur
souhaitera se lancer dans l’exercice d’une activité économique.
La comparaison des deux statuts, commerçant et entrepreneur individuel à
responsabilité limitée, fait surgir une interrogation. En effet, le mineur ayant
choisi le statut d’EIRL qui exerce une activité commerciale est commerçant, qua-
lité qu’il obtient alors en dehors de tout contrôle judiciaire contrairement à l’ar-
ticle 121-2 du Code de commerce. Cependant, cette divergence ne peut pas
conduire à décider à notre sens, sur le fondement de l’article 388-1-2 du Code
civil, que l’activité commerciale soit exclue11. Simplement, comme les risques
sont réduits pour le mineur EIRL, ses parents peuvent décider de cette création
en lui donnant le pouvoir d’agir. Si le principe est clair, en pratique les contraintes
liées au statut d’EIRL qui conditionnent la limitation de responsabilité, peuvent
se révéler de véritables pièges pour le mineur qui verra alors disparaître la protec-
tion patrimoniale espérée.

B. Des risques plus ou moins persistants pour le mineur

À n’en pas douter, l’adoption du statut de commerçant par un mineur


devrait demeurer une solution résiduelle intervenant lorsque la solution propo-
sée par l’article 388-1-2 du Code civil n’est pas envisageable. Les risques seront
alors réels puisqu’aucune mesure d’accompagnement n’a été prévue pour les
minimiser, ce qui justifie amplement l’intervention du juge qui devra apprécier
la situation du mineur. Les risques pour le mineur sont avant tout patrimo-
niaux et dans ce cas, s’il est également titulaire d’un patrimoine immobilier, il
conviendra d’en assurer la protection sauf s’il s’agit de sa résidence principale,
insaisissable de plein droit depuis la loi du 6 août 2015. De plus, on sait aussi
que des sanctions professionnelles ou pénales peuvent frapper les commerçants
et ainsi hypothéquer l’avenir du mineur.
L’adoption du statut d’EIRL par le mineur ou la création d’une société uniper-
sonnelle dont il sera le dirigeant comme le prévoit l’article 388-1-2 du Code civil a
pour conséquence immédiate de réduire les risques liés à l’exercice de l’activité éco-
nomique. Dans le premier cas, seul le patrimoine affecté sera engagé dans l’activité
économique et en cas de constitution d’une société unipersonnelle, une EURL ou
une SASU, la responsabilité limitée aux apports pourra être utilement cantonnée.
Ce tableau assez encourageant doit tout de même être un peu obscurci, aucune
solution n’étant sans danger. On sait que la protection du patrimoine d’affectation

11. B-C E., « Mineur entrepreneur : où est le problème ? », LPA, 31 mai


2011, p. 6.

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MARIEHÉLÈNE MONSÈRIÉBON 301

suppose de respecter certaines obligations quant aux biens affectés lors de sa consti-
tution et qu’il faut ensuite respecter notamment des obligations comptables et ban-
caires afin d’assurer la connaissance du patrimoine et la séparation patrimoniale. De
même, les dirigeants de société, le mineur assumera le plus souvent cette fonction
dans la société unipersonnelle, encourent en droit français une responsabilité dont
il ne faut pas négliger les conséquences. Si la responsabilité civile sera difficilement
mise en œuvre dans le cas des sociétés unipersonnelles, les autres cas de responsabi-
lité ne sont pas à écarter ainsi que les causes de responsabilité en cas d’ouverture
d’une procédure collective. Dans les deux situations, EIRL ou société uniperson-
nelle, l’ouverture d’une procédure collective pourra produire des conséquences
désastreuses pour le mineur. Il faut tout de même signaler que le statut d’EIRL n’ex-
clut pas l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale et n’interdit pas de
procéder à une déclaration d’insaisissabilité. Cela permettra ainsi de sécuriser encore
un peu plus le patrimoine immobilier dont pourrait être titulaire le mineur.
La particularité des statuts offerts par le Code civil au mineur réside dans la
présence de son ou de ses parents qui soit l’autorisent à faire des actes d’adminis-
tration soit réalisent les actes de disposition qu’ils sont les seuls à pouvoir faire. Le
même mécanisme est transposé lorsque le mineur n’a plus ses parents ; c’est alors
le conseil de famille qui autorise directement le mineur à réaliser les actes d’admi-
nistration ou le tuteur à accomplir les actes de disposition. Ainsi, les parents
devront agir conformément aux principes régissant l’administration légale et ils
engageraient leur responsabilité pour faute au regard de l’article 386 du Code
civil s’ils causaient un dommage dans la gestion des biens du mineur.

II – UN EXERCICE DE L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE MALAISÉ

Pour assurer une situation plus clémente au mineur qui souhaite se lancer
dans la vie économique, les notaires en charge de la protection des personnes
vulnérables pourront conseiller de choisir le statut d’EIRL ou de constituer une
société unipersonnelle. Cette protection renforcée se fera au prix d’un exercice de
l’activité plus complexe qui pourrait soulever, en outre, des déconvenues juri-
diques au regard de l’organisation des pouvoirs prévue par les textes. De ce point
de vue, l’exercice en société paraît peu conciliable avec le système retenu.

A. Organisation des pouvoirs issue de l’article 388-1-2 du Code civil

Ce texte qui cherche légitimement à protéger le mineur, dirigeant d’entre-


prise, retient un système relativement inédit de réalisation des actes de la vie
économique, aussi bien dans le domaine du droit des affaires que dans celui des
personnes vulnérables.
Le mécanisme adopté par le législateur concernant le mineur s’appliquera
dans le cas de l’administration légale, que les deux parents ou un seul l’exercent,

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302 LE MINEUR, DIRIGEANT D’ENTREPRISE : UNE FAUSSE BONNE IDÉE…

mais également en cas de tutelle en vertu des articles 401 et 408 du Code civil qui
donnent la main au conseil de famille et au tuteur.
Cette organisation des pouvoirs repose ainsi sur deux piliers. D’une part, les
parents ou le conseil de famille doivent décider de la liberté de gestion laissée au
mineur, puisqu’une liste des actes d’administration doit être dressée sous la forme
d’un acte sous seing privé ou d’un acte notarié. D’autre part, tous les actes quali-
fiés de disposition sont impérativement réalisés par le ou les parents ou le tuteur. Il
est donc possible d’en déduire que seuls les actes conservatoires échappent à ce
système. La rédaction du texte implique une intervention des deux parents ce qui
est plus contraignant que la règle classique, l’article 382-1 du Code civil indi-
quant que chacun d’eux est réputé, à l’égard des tiers, avoir reçu le pouvoir de
faire seul les actes d’administration portant sur les biens du mineur. En cas de
désaccord des parents sur l’étendue des autorisations ou sur la réalisation des actes
de disposition, à défaut de règle spéciale, il faudra revenir à l’article 387 du Code
civil qui impose l’intervention du juge des tutelles pour autoriser l’acte.
Plusieurs interrogations surgissent à l’examen de cette organisation. Comme
toujours lorsque sont utilisées les notions d’actes d’administration et de disposi-
tion, leurs périmètres respectifs doivent être déterminés. En ce domaine, les pro-
fessionnels qui devront dresser les listes d’actes pourront se référer au décret du
22 janvier 2008. Il conviendra de viser les actes de gestion nécessaires à l’activité
menée par le mineur EIRL ou à la réalisation de l’objet social s’il exerce sous
forme de société unipersonnelle, EURL ou SASU. Dans ce dernier cas, il sera
également souhaitable de viser les décisions relatives au fonctionnement de la
société que l’associé unique peut prendre. Ainsi l’affectation du résultat de la
société pourra peut-être relever du pouvoir des parents afin d’éviter que le mineur
ne se comporte en cigale alors que la pérennité de l’exploitation suppose généra-
lement de constituer des réserves. Ensuite, le mécanisme d’autorisation mis en
place et l’établissement d’une liste soulève la question de leur connaissance par les
tiers qui vont traiter avec le mineur. La question est d’importance, car même si la
loi ne le précise pas, il y a fort à parier que les actes passés en violation de l’auto-
risation donnée au mineur d’agir seul seront frappés de nullité12. Or, la lecture du
Code civil et la lecture des textes du Code de commerce relatifs au RCS font
apparaître un vide juridique total, aucune publicité n’a été organisée13, alors qu’en
raison de l’immatriculation requise de l’EIRL et de la société, cette mesure de
publicité ne semble pas délicate à mettre en œuvre. Tout l’enjeu est alors la pro-
tection des tiers qui vont traiter avec le mineur directement s’il est EIRL ou avec
la société qu’il dirige. La sécurité juridique risque d’être sérieusement remise en
cause à moins que le droit des sociétés ne fournisse des pare-feu…

12. Cass. 1re civ., 7 nov. 2006, n° 04-15799, D. 2006, 3069, note Bouteiller ;
RTD civ. 2007, 88, obs. Hauser : dans cet arrêt la nullité d’une souscription de parts de
SCPI réalisée par l’administrateur légal a été prononcée faute d’autorisation du juge.
13. Le même constat alarmant est fait par les auteurs en ce qui concerne la mise en
œuvre des autorisations judiciaires prévues à l’article 387-3 (C J. et B-
W N., « Quand modernisation rime avec confusion […] », op. cit.).

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MARIEHÉLÈNE MONSÈRIÉBON 303

B. Compatibilité du mécanisme de l’article 388-1-2 avec le droit des


sociétés

Lorsque le mineur aura, avec l’autorisation de ses parents, choisi de constituer


une société unipersonnelle – EURL ou SASU – pour exercer son activité, la com-
binaison avec les principes du droit des sociétés semble bien délicate. En effet,
l’article 388-1-2 du Code civil mentionne expressément que ce n’est que s’il y est
autorisé que le mineur peut réaliser seul les actes d’administration nécessaires à la
gestion de la société. Il semble à la lecture du second alinéa du texte que cette
autorisation ne peut être générale puisqu’une liste des actes pouvant être accom-
plis par le mineur est imposée avec toujours le risque d’une énumération incom-
plète qui sera source de blocage au cours de la vie sociale. Ainsi, il y aura très
certainement des actes d’administration que le mineur ne pourra pas réaliser seul
et il est privé du pouvoir de faire les actes de disposition qui sont nécessaires dans
le cadre de son activité. Alors comment concilier cette protection du mineur qui
ne paraît pas forcément inopportune avec la protection des tiers que consacre le
droit des sociétés ? Dans les sociétés à responsabilité limitée, faut-il le rappeler, le
dirigeant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circons-
tances au nom de la société qui est engagée même par les actes qui ne relèvent pas
de l’objet social14. On comprend aisément que la conciliation des deux règles
suppose un numéro d’équilibriste périlleux entre des objectifs légitimes mais
antagonistes. Il n’est pas sûr que les rédacteurs de l’ordonnance du 15 octobre
2015 aient bien perçu la délicate articulation des pouvoirs. Peut-on imaginer de
remettre en cause les règles de pouvoirs au sein des sociétés en intégrant les pou-
voirs variables que peut avoir le mineur ? De plus, les actes de disposition sont
nécessairement du pouvoir des parents ou du tuteur autorisé par le conseil de
famille sans aménagement possible. À notre sens, les professionnels qui conseillent
l’adoption d’un tel statut doivent être bien conscients des difficultés à venir dans
le fonctionnement de la société dirigée par le mineur. De plus, l’article 1146 du
Code civil pose une incapacité de contracter pour le mineur non émancipé, hypo-
thèse de l’article 388-1-2, ce qui rend également fragile la situation des tiers qui
traiteront avec le mineur ayant adopté le statut d’EIRL qui s’engage à titre per-
sonnel, à défaut de personnalité morale.
Après ce rapide tour d’horizon, la situation du mineur dirigeant d’entreprise
étant encore quelque peu hasardeuse et risquée, les conseils seront prudents d’uti-
liser les diverses options offertes par le législateur avec modération. Les notaires
soucieux de la protection des personnes vulnérables resteront assurément attentifs
pour éviter aux mineurs les tracas d’une vie des affaires qui ne semble pas toujours
à leur portée… Tout sera alors affaire de maturité !

14. C. com., art. L. 223-18 (SARL et EURL) ; art. L. 227-6 (SAS et SASU).

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La gestion de patrimoine du chef d’entreprise :


le rôle du notaire

Jean P
Professeur émérite des universités

Traditionnellement, le patrimoine professionnel permet de constituer, de


consolider, d’accroître le patrimoine privé. Aujourd’hui, lorsqu’on contemple la
liste des 500 premières fortunes françaises, cherchez l’intruse. Quelles sont
celles qui sont étrangères aux profits issus d’une entreprise ? À l’inverse, le patri-
moine privé peut être rudement affecté, voire anéanti par les risques liés à son
activité professionnelle. On sait, en effet, que l’entrepreneur individuel doit
répondre de ses engagements professionnels sur la totalité de son patrimoine
considéré comme unique. Quant au dirigeant, il peut subir de lourdes condam-
nations à payer l’insuffisance d’actif de la société, en cas de faute de gestion ;
pèsent également sur lui des menaces en matière de responsabilité civile, en
matière fiscale…
Il en résulte qu’à l’égard d’un chef d’entreprise, en matière de gestion de patri-
moine, il serait vain et intellectuellement faux de se limiter à la seule contempla-
tion de son patrimoine privé. Le notaire, dans cette démarche, doit se livrer à une
approche globale « patrimoine privé-patrimoine professionnel » en dégageant
menaces et opportunités d’un tel couple. Ce qu’il importe, en premier lieu, c’est
d’éviter qu’à l’échec d’une entreprise, succède l’échec d’une vie. Il faut donc
rechercher si des protections appropriées du patrimoine familial peuvent offrir
une résistance efficace à l’action des créanciers. Après avoir fait l’inventaire des
risques, le notaire devra utiliser, dans le respect de la loi, sa boîte à outils pour
constituer des îlots de résistance à l’action des créanciers. À l’inverse, il faut égale-
ment enrichir le patrimoine privé grâce aux ressources du patrimoine profession-
nel. Forme de la société, statut fiscal et social des dirigeants, rémunération ou
dividendes, prévoyance et régimes de retraites, localisation des immeubles dans
une SCI, les choix sont multiples. Dans le cadre limité de notre exercice, la
réflexion sera consacrée à l’optimisation de la transmission d’entreprise à titre
onéreux. D’emblée, sur le plan patrimonial, on ressent une belle opportunité,
après avoir été exposé pendant des années au risque d’entreprise, le chef d’entre-
prise entend que le prix de la cession d’entreprise soit sanctuarisé dans son patri-
moine privé. Là, le notaire, conseil du chef d’entreprise, doit se poser plusieurs
questions. Tout d’abord, à l’épreuve du droit fiscal, du régime des plus-values,
quel est le montant net qui va revenir au chef d’entreprise ? Ensuite, l’audit du
patrimoine professionnel contient-il en germe des risques de contestations de

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306 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

déconvenues ? Enfin, face à un repreneur déçu, le cédant peut-il craindre de sa


part des réactions pouvant durement affecter le prix reçu ? Pour répondre à ces
questions, la démarche sera ordonnée comme suit : après avoir examiné le dispo-
sitif de la neutralisation des menaces sur le patrimoine privé du chef d’entreprise,
pourra être envisagée l’optimisation et la transmission d’entreprise.

I – LA NEUTRALISATION DES MENACES SUR LE PATRIMOINE PRIVÉ


DU CHEF D’ENTREPRISE

Après avoir rappelé les risques encourus par l’entrepreneur individuel, quelle
que soit son activité, il faudra dresser inventaire des principaux dispositifs qui
peuvent être proposés par les notaires.

A. Les risques menaçant le patrimoine privé

1. Les risques encourus par l’entrepreneur individuel


C’est évidemment lorsque l’entrepreneur est en procédure collective que le
risque est le plus grand, en particulier en cas de liquidation judiciaire.
La première raison, c’est que tout l’actif du débiteur sera vendu afin d’apurer
tout le passif, y compris les biens communs.
La seconde raison, c’est le dessaisissement. Dès le prononcé de la liquidation
judiciaire et pendant toute la procédure de liquidation, le débiteur perd tout pou-
voir sur son patrimoine, y compris privé, et tout acte de disposition et d’adminis-
tration lui est interdit. Ils passent nécessairement par le liquidateur qui le représente.
Lorsqu’un acte est passé au mépris du dessaisissement, il est inopposable à la procé-
dure. Les conséquences peuvent être très graves pour le tiers contractant qui pourra
être conduit à payer deux fois, même s’il est de bonne foi, et ce parfois des années
plus tard lorsque le liquidateur est informé de l’acte irrégulier. Dans ce cas, c’est la
responsabilité du notaire qui sera le plus souvent recherchée.
Cette conséquence est d’autant plus grave que le dessaisissement se poursuit
tant que dure la liquidation judiciaire. Les conditions légales de clôture sont telles
que la liquidation judiciaire peut durer des années, tant que des actifs irréalisables
se trouvent dans l’actif. Nous connaissons encore de liquidations judiciaires
ouvertes dans les années 1990. L’ordonnance du 12 mars 2014 a pris quelques
dispositions qui devraient raccourcir le temps de la procédure.
Par ailleurs, si le débiteur est en procédure collective, il doit avoir à l’esprit que
certains actes sont annulables de plein droit lorsqu’ils auront été conclus pendant
la période suspecte, c’est-à-dire entre la date réelle de la cessation des paiements et
l’ouverture officielle de la procédure. Si le débiteur passe des actes devant notaire
alors qu’il est déjà en état de cessation des paiements (ce qu’il se gardera bien de
mentionner, mais le sait-il lui-même ?), par exemple il fait une donation-partage,

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JEAN PRIEUR 307

ou réalise une vente à prix dérisoire, ces actes pourront être annulés à la demande
du mandataire judiciaire ou du liquidateur. Il suffit qu’ils entrent dans la catégorie
des actes annulables dont la liste est de plus en plus longue (douze aujourd’hui)
dont certains intéressent les notaires (les actes à titre gratuit, les contrats commu-
tatifs déséquilibrés, la prise de garantie pour des dettes antérieures et, dernière-
ment, la déclaration notariée d’insaisissabilité1.

2. Les risques encourus par le dirigeant


À première vue, la situation du dirigeant est plus satisfaisante que celle de
l’entrepreneur individuel puisque les créanciers de la société à risque limité n’ont
aucun droit sur son patrimoine personnel. Toutefois, le bouclier de la personne
morale cède dans plusieurs situations. D’abord, dans le cadre d’une procédure
collective conduisant à une liquidation judiciaire, toute faute de gestion pouvant
avoir contribué à l’insuffisance d’actif peut entraîner la condamnation du diri-
geant à supporter tout ou partie de cette insuffisance d’actif2. L’article L. 651-2
du Code de commerce permet cependant au tribunal de moduler la sanction
d’une manière proche de l’arbitraire, de condamner tel dirigeant et pas l’autre, de
choisir librement le montant de l’indemnité. Par ailleurs, en dehors de la procé-
dure collective, le dirigeant peut être condamné solidairement au passif fiscal de
la personne morale, notamment en cas d’inexécution grave et répétée de ses obli-
gations fiscales3, de manœuvres frauduleuses ou de fraude fiscale4. Le même dis-
positif est prévu pour le recouvrement des cotisations sociales5.
Dans tous ces cas, il s’agit d’une condamnation en paiement non éligible à la
procédure de surendettement qui peut faire l’objet de mesures d’exécution illimi-
tée dans le temps… À tous ces risques, il faut ajouter la pratique des cautions
demandées par les banques, les fournisseurs, l’administration fiscale, l’URSSAF,
dont l’efficacité est néanmoins limitée par l’article L. 341-4 du Code de la
consommation, en cas de disproportion de la caution par rapport aux biens et
revenus de l’intéressé.
À l’échec d’une entreprise peut succéder l’échec d’une vie et il importe, pour
le notaire, de rechercher les moyens de protection appropriés du patrimoine privé
du chef d’entreprise.

B. Les protections du patrimoine privé

Il importe d’envisager les protections offertes à l’entrepreneur individuel pour


s’intéresser ensuite à celles dont peuvent disposer tous les dirigeants.

1. C. com., art. L. 622-1 et L. 632-2.


2. C. com., art. L. 651-2.
3. LPF., art. L. 267.
4. CGI, art. 1745.
5. CSS, art. L. 133-4.

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308 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

1. La protection des entrepreneurs individuels : l’insaisissabilité


des actifs immobiliers
L’article L. 526-1 du Code de commerce proclame insaisissable l’immeuble
où est fixée la résidence principale de l’entrepreneur individuel. Il s’agit d’une
insaisissabilité de droit. Mais le dispositif peut être étendu à tout bien foncier non
affecté à un usage professionnel6. Dans ce cas, il faut une déclaration notariée qui
n’est opposable qu’aux créanciers d’exploitation postérieurs à sa publicité.
Autrement dit, elle ne peut porter préjudice aux créanciers dits domestiques et
aux créanciers d’exploitation antérieurs à sa publicité. En cas d’emprunt privé, la
banque pourra faire saisir l’immeuble. Cependant, lorsque l’entrepreneur est en
liquidation judiciaire, il résulte d’un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour
de cassation du 28 juin 20117 qu’« en dépit de la règle du dessaisissement prévue
par l’article L. 641-9 », le liquidateur ne peut réaliser le bien, alors même que
certains créanciers de la procédure sont des créanciers domestiques. Le juge-com-
missaire qui autorise une telle vente commet un excès de pouvoir. La solution a
été réitérée par deux arrêts du 13 mars 20128 pour une déclaration d’insaisissabi-
lité qui n’avait pas régulièrement été publiée avant l’ouverture de la procédure.
Ajoutons que le liquidateur judiciaire a qualité pour agir au nom des créanciers
en invoquant l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité non publiée au
RCS afin de reconstituer le gage commun9.
La déclaration notariée d’insaisissabilité paraît donc être la meilleure protection
du patrimoine immobilier de l’entrepreneur individuel. Le notaire doit malgré tout
être vigilant lorsqu’il la proposera. En effet, l’ordonnance du 12 mars 2014, qui a
réformé le droit des entreprises en difficulté10, a ajouté la déclaration notariée d’in-
saisissabilité à la liste des actes dits de la période suspecte11 et donc annulables de
plein droit lorsqu’ils sont passés après la date réelle de cessation des paiements. Le
texte ajoute que peut également être annulée la déclaration notariée d’insaisissabi-
lité constituée dans les six mois précédant la cessation des paiements.
Toutefois, la Cour de cassation vient de juger qu’un créancier, titulaire d’une
sûreté réelle, à qui la déclaration d’insaisissabilité d’un immeuble appartenant à

6. C. com., art. L. 526-1, al. 2.


7. Cass. com., 11 juin 2011, n° 10-15482, JurisData, n° 2011-012491 ; Act. proc. coll.,
2011/13, comm. 203, obs. Fin-Langer I. ; JCP E, 2011, act., 375, obs. Lebel C. ; JCP E,
2011, 1368 ; JCP E, 2011, 1551, note Pérochon F. ; JCP E, 2011, 1596, n° 4, obs. Pétel P. ;
D. 2011, p. 1751, obs. Lienhard A. ; R M., « Le logement à l’abri de la liquidation
judiciaire », JCP E, 2011, act. 412.
8. Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15438, JurisData, n° 2012-004300, Act. proc. coll.,
2012/7, n° 105, obs. Vallansan J., JCP E, 2012, n° 21, 1325, p. 27. Le Corre P.-M., JCP N,
2012, n° 1281, obs. Lebel C. ; Bull. Joly, Entreprises en difficulté, 2012, n° 88, p. 147,
obs. Camensuli-Feuillard L.
9. Cass. com., 15 nov. 2016, BRDA, 2016, n° 22, p. 7.
10. Ord. n° 2014-326, 12 mars 2014. Entrée en vigueur le 1er juillet 2014, D. n° 2014,
30 juin 2014.
11. C. com., art. L. 632-1.

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JEAN PRIEUR 309

un entrepreneur en liquidation judiciaire est inopposable, peut faire procéder à sa


vente sur saisie, sans devoir suivre les règles de la procédure collective12.

2. Les protections offertes à tous les entrepreneurs


Les protections sont multiples. On peut citer l’insaisissabilité du contrat d’as-
surance-vie, plus précisément de la valeur de rachat en application des
articles L. 132-14, L. 132-9 et L. 132-12 du Code des assurances, consacrée par
la Cour de cassation13. Cette insaisissabilité cède néanmoins en cas de fraude
paulienne14, de versement de primes en période suspecte15 et en matière fiscale16.
La responsabilité civile du dirigeant peut être également couverte par l’assurance
responsabilité civile mandataires sociaux (RCMS) qui couvrira les condamna-
tions du dirigeant, même en cas d’insuffisance d’actif sous la réserve de l’absence
de faute intentionnelle17. Au-delà de ces mesures, le notaire peut proposer trois
dispositifs à ses clients : le changement de régime matrimonial, le recours à la
société civile et la prévision de clauses d’inaliénabilité et d’insaisissabilité.

a) Le choix d’un régime matrimonial protecteur

L’observation a montré que la majorité des chefs d’entreprise n’a pas conclu
de contrat de mariage préalablement à leur union. Ils sont donc exposés au
régime légal, particulièrement à l’article 1413 du Code civil selon lequel les
dettes contractées par les époux, à quelque titre que ce soit, peuvent toujours
être poursuivies sur les biens communs. On pense à la liquidation judiciaire du
conjoint ou à sa condamnation en insuffisance d’actif prévue par l’ar-
ticle L. 651-2 du Code de commerce. D’autant plus que la jurisprudence inclut
désormais les gains et salaires dans l’assiette de la procédure collective18. À l’in-
verse, le notaire pourra proposer, lors du mariage ou pendant sa vie, l’efficacité
du régime de séparation de biens ou de participation aux acquêts. Dans les deux
cas, chacun des époux reste seul tenu des dettes nées en sa personne, avant ou
pendant le mariage19.
Il reste qu’il faut poursuivre la réflexion sur la cohérence entre un régime
matrimonial protecteur et l’organisation de l’entreprise. Dans le cadre de l’entre-
prise individuelle, le conjoint de l’exploitant travaillant dans l’entreprise doit

12. Cass. com., 5 avr. 2016, BRDA, 2016, n° 9, p. 5.


13. Cass. 1re civ., 28 avr. 1998, JCP G, 1998. II, n° 10112, note Bigot ; v. sur ces
questions, Lamy assurances, 2016, n° 4181 et s.
14. C. ass., art. L. 132-14.
15. C. ass., art. L. 132-14.
16. LPF, art. L. 263-A.
17. Sur cette question, v. G L. et W R., « L’assurance RCMS dans un contexte
porteur », Actes prat. et strat. patr., 2012, n° 2, § 28.
18. Sur ces questions, v. D A. et H M., « La protection du patrimoine
conjugal du dirigeant », Actes prat. et strat. patr. 2012, n° 3, § 26.
19. C. civ., art. 1536, al. 2, et art. 1569.

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310 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

opter pour un des statuts de l’article L. 121-4 du Code de commerce pour éviter
la qualification d’exploitation en commun20. En droit des sociétés, il est impé-
rieux que les époux ne soient pas dirigeants de droit ou de fait de la même entre-
prise, co-gérants, administrateurs, membres du directoire ; en cas de défaillance
de l’entreprise, les époux seront actionnés sur leur patrimoine propre.

b) Le recours à la société civile

Cette voie sera surtout précieuse pour le dirigeant de société qui ne peut béné-
ficier de l’insaisissabilité de ses actifs immobiliers, sur le fondement de l’ar-
ticle L. 526-A1 du Code de commerce, mesure réservée à l’entrepreneur indivi-
duel. Face aux appétits des créanciers, la séparation des actifs et leur apport ou
acquisition au profit de sociétés civiles présente des intérêts non négligeables. La
résistance de la société civile face à l’action des créanciers mérite d’être rappelée
sous réserve que ces derniers ne remettent pas en cause l’organisation.

La société civile et le droit de gage des créanciers


Si un dirigeant de société apporte à des sociétés civiles sa maison d’habitation,
sa résidence secondaire, son portefeuille titre, les créanciers pourront, il est vrai,
saisir les parts reçues en rémunération des apports. Toutefois, l’examen de la réa-
lité démontre que l’entreprise n’est pas aisée. La première difficulté est de trouver
un adjudicataire intéressé. Il ne s’agit pas, ici, de devenir propriétaire d’un
immeuble net de tout passif mais de parts sociales d’une société titulaire d’un
patrimoine comportant des éléments d’actif et de passif, régie par des statuts
dotés de clauses parfois dissuasives, comme celles conduisant à l’irrévocabilité du
gérant21, l’existence d’une clause de tontine sur les parts ou d’un bail consenti au
dirigeant. Si, malgré tout, un candidat adjudicataire est trouvé, il n’est pas au bout
de ses peines. La vente sur saisie ne le rend pas automatiquement associé. Il doit,
en effet, être agréé par les associés puisque ceux-ci peuvent se substituer à lui dans
un délai de cinq jours à compter de la vente22.
L’ensemble de ces observations permet de considérer que la détention d’ac-
tifs par des sociétés civiles met le débiteur dans une situation particulièrement
favorable comparée à la détention directe d’immeubles ou de valeurs mobilières
et biens dont la saisie est aisée. Certes, la saisie de parts de sociétés civiles est
juridiquement possible mais, en pratique, on constate que l’îlot de résistance du
dispositif permettra au débiteur d’être en situation de proposer une transaction
à ses créanciers où ceux-ci, face à la situation, seront conduits à consentir des
concessions significatives.
Encore faut-il que la constitution des sociétés soit le fruit de l’habileté et non
de la fraude et que leur fonctionnement ne prête pas à contestation.

20. V. notamment Cass. com., 15 mars 2005, JCP E, 2005, n° 49, p. 2098, note Lebon.
21. C. civ., art. 1851.
22. C. civ., art. 1867 et 1868.

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JEAN PRIEUR 311

La remise en cause de l’organisation


La « boîte à outil du notaire » comporte toute une série d’instruments propres
à préserver le patrimoine du chef d’entreprise parmi lesquels figure la mise en
place de sociétés civiles propriétaires de l’immobilier d’entreprise, de la résidence
principale ou secondaire, d’un portefeuille-titres…
On sait, en effet, que les parts de sociétés civiles sont difficilement saisissables.
L’habileté doit être saluée ; il n’est pas interdit de faire le choix de mesures
protectrices résultant du jeu de la liberté contractuelle. Ce qui est condamnable,
c’est de prendre ces dispositions lorsque l’incendie est déclaré, que le débiteur à la
situation obérée entend mettre son patrimoine à l’abri.
Là, les montages sont illégitimes et sont sanctionnés par l’action paulienne, les
nullités en période suspecte, le principe fraus omnia corrumpit et parfois le droit
pénal.
Les sanctions encourues doivent inciter les notaires à s’interroger sur la situa-
tion financière de leurs clients et les mobiles des opérations pour lesquelles leur
concours est sollicité, au risque de voir leur responsabilité engagée.

• L’action paulienne
Si l’action paulienne est visée expressément, par exemple en matière d’assu-
rance-vie23 ou en cas de changement de régime matrimonial24, l’article 1167 du
Code civil permet aux créanciers d’attaquer tous les « actes faits par leur débiteur
en fraude de leurs droits »25. Une jurisprudence significative intéresse les notaires ;
elle met en échec des opérations patrimoniales concernant les sociétés civiles.
C’est, tout d’abord, l’apport d’un immeuble à une SCI qui est visé. Parmi les
conditions requises pour le succès de l’action, la jurisprudence requiert un acte
d’appauvrissement du débiteur, celui qui « fait sortir du patrimoine du débiteur
un bien ou une valeur sans contrepartie »26.
Ce sera le cas en cas d’apport sous-évalué. Mais qu’en serait-il de l’apport d’un
bien évalué à sa juste valeur ? En réalité, la Cour de cassation caractérise la condition
d’appauvrissement dès lors qu’il apparaît que le débiteur a voulu substituer à des
biens aisément saisissables de son patrimoine des biens difficilement saisissables27.
Récemment, la sanction a été étendue à la vente à soi-même, particulière-
ment tendance. Selon les juges, la fraude paulienne est caractérisée dès lors

23. C. assur., art. L.132-14.


24. C. civ., art. 1397.
25. V. en matière de tontine, CA Paris, 10 sept. 1993, JurisData, n° 1993-023741,
JCP E, 1994, II, p. 584, note D B.-H., JCP N, 1994, n° 25, p. 213, note Garcon J.-P.
26. T F., S P. et L Y., Droit civil : les obligations, 10e éd., 2009, Dalloz, 1070.
27. V. not. Cass. com., 3 déc. 2002, n° 99-18580, JurisData, n° 2002-016940, RJDA,
mai 2003, n° 495 ; Cass. 3e civ., 20 déc. 2000, n° 98-19343, 99-10338, JurisData, n° 2000-
007487, JCP G, 2001, n° 7, 1326, Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 305, note Le Nabasque J. ;
Cass. com., 12 oct. 2010, n° 09-16754, JurisData, n° 2010-018493, RJDA, janv. 2011, n° 40.

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312 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

qu’en cédant leur immeuble à une SCI dont ils étaient les seuls associés, alors
qu’ils avaient connaissance du principe certain de créance dont disposait un
créancier à leur encontre, les débiteurs avaient permis de faire échapper ce bien
aux poursuites de leur créancier en le remplaçant par des fonds plus difficiles à
appréhender que représentaient les parts sociales de la SCI dont la valeur est
désormais dépréciée28. Les cessions de parts de SCI ont également été constitu-
tives de fraude paulienne. Le prix de cession était inférieur à la valeur réelle et
la cessionnaire, la fille du cédant, étant réputée complice de la fraude29.

• L’apport à une SCI en période suspecte


Qui est exposé à l’annulation par le tribunal d’actes juridiques accomplis en
période suspecte, c’est-à-dire postérieurement à la date de cessation des paie-
ments (elle peut être fixée jusqu’à dix-huit mois30 avant le jugement d’ouver-
ture) ? Tous les entrepreneurs individuels soumis à une procédure collective,
quelle que soit l’activité, sont visés, à l’exception des dirigeants31, sauf si ceux-
ci font l’objet d’une procédure d’extension sur le fondement de la confusion
des patrimoines.
L’opération habituellement sanctionnée par le juge, c’est l’apport d’un immeuble,
souvent la maison d’habitation, à une société civile. On comprend l’intérêt pour le
débiteur de la constitution d’une société civile. L’immeuble détenu en vif est aisé-
ment saisissable ; les parts d’une société civile, même si elles peuvent être saisies,
constituent un îlot de résistance à l’égard des créanciers. Le stratagème découvert,
qui peut agir ? L’action est exercée par l’administrateur, le mandataire judiciaire ou
le liquidateur, en cas de liquidation judiciaire32, sur le fondement de deux textes : les
articles L. 632-1 et L. 632-2 du Code de commerce.
Les apports nuls de plein droit : le premier concerne l’annulation de plein droit des
apports. Cela signifie que, si le juge constate, en période suspecte, une opération
répondant à l’hypothèse légale visée par le texte, il n’a aucun pouvoir d’appréciation ; il
doit prononcer la nullité. À cet égard, l’article L. 632-1 du Code de commerce dispose
que « sont nuls, lorsqu’ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements
(…) 2° Tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent nota-
blement celles de l’autre partie ». On réintroduit la lésion comme cause de nullité de
l’apport, c’est-à-dire lorsque la valeur de ce dernier excède « notablement » celle des
parts remises en contrepartie. La jurisprudence a ainsi sanctionné par la nullité un
apport de deux biens immobiliers effectué par un débiteur au profit d’une SCI consti-
tuée avec son conjoint et ses enfants. En l’espèce, il a été constaté par les juges que le
débiteur n’avait pas reçu attribution de droits sociaux proportionnels à son apport

28. Cass. 3e civ., 9 févr. 2010, n° 09-10639, Dr. sociétés, 2010, comm. 68, obs. Hovasse H.
29. CA Paris, 17 sept. 2009, JurisData, n° 2009-012501, Dr. Sociétés, 2010, comm. 4,
obs. Mortier R.
30. C. com., art. L. 631-8.
31. On pourra agir à leur encontre sur le fondement de l’action paulienne. V. supra.
32. V. le commissaire à l’exécution du plan ou le ministère public : C. com.,
art. L. 632-4.

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JEAN PRIEUR 313

puisque quatre des six associés disposaient des mêmes droits que lui, cependant qu’ils
n’avaient fait qu’un apport en numéraire 2 700 fois inférieur au sien33.
Les apports soumis à une nullité facultative : l’apport se situe toujours en
période suspecte, mais il n’est pas lésionnaire. Il peut toutefois être annulé sur
le fondement de l’article L. 632-2 du Code de commerce si les autres associés
avaient connaissance de la cessation de paiements de l’apporteur. Il est de
règle que cette connaissance doit être constatée au jour de la signature des
statuts, date à laquelle le contrat de société est conclu. Il faut toutefois
admettre que cette preuve par tous moyens peut être aisément établie pour
des SCI constituées dans la précipitation, le plus souvent avec le conjoint du
débiteur. Un arrêt de la Chambre commerciale du 1er avril 201434 illustre bien
ce type de situation : l’accumulation des dettes impayées ne pouvait être igno-
rée du conjoint ; les statuts signés par ce dernier mentionnaient les sûretés
inscrites en garantie des dettes impayées et il ne pouvait ignorer que l’im-
meuble était le seul bien susceptible de répondre des engagements profession-
nels du débiteur.
La nullité prononcée35, le bien apporté par le débiteur est réintégré dans son
patrimoine et peut donc être liquidé. Il pourrait, par ailleurs, en résulter la nullité
de la SCI si l’apport était déterminant pour les autres associés car le défaut de
consentement des associés est une cause de nullité de la société, voire la dissolu-
tion pour non-respect de ses engagements par un associé36.
Pour conclure sur ce point, il faut également ajouter que l’organisation pour-
rait être mise en échec en cas de relations financières anormales entre la SCI et la
société d’exploitation, sanctionnée par la confusion des patrimoines37.

C. Les causes d’inaliénabilité et d’insaisissabilité

Les clauses d’inaliénabilité sont fréquentes dans la vie des affaires. On les
observe dans les donations-partages ou les legs de droits sociaux, dans les pactes
d’actionnaires, dans les statuts de société, notamment dans ceux de SAS intro-
duites sur le fondement de l’article L. 227-13 du Code du commerce. Les condi-
tions de validité des clauses contenues dans une donation ou un legs sont visées
par l’article 900-1 du Code civil ; un caractère temporaire et la justification par
un intérêt sérieux et légitime. Exigence reprise par le droit commun à l’égard des

33. Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-17011, JurisData, n° 2011-007706, Bull. civ., 2011,
IV, n° 64, Dr. sociétés, 2011, comm. 179, RJDA, août-septembre 2011, n° 722.
34. Cass. com., 1er avril 2014, n° 2014086, JurisData, n° 2014-006540, Dr. Sociétés,
2014, comm. 132.
35. Notons qu’en cas d’annulation d’un apport fait par des époux communs en biens,
l’acte d’apport est nul en son entier, alors qu’un seul est soumis à une procédure collective.
V. Cass. com., 3 mai 2011, préc., note 12.
36. C. civ., art. 1844-7, 5°.
37. Sur cette question, v. C M., V A. et D F., Droit des sociétés,
2016, LexisNexis, § 176.

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314 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

clauses contenues dans des actes à titre onéreux38. Mais l’intérêt sérieux et légitime
n’est pas requis pour les clauses insérées dans les statuts d’une SAS.
La discussion a essentiellement porté sur l’insaisissabilité du bien visé par les
clauses d’inaliénabilité contenues dans les actes à titre gratuit. À dire vrai, l’insai-
sissabilité dépend de la nature de l’inaliénabilité. Pour certains, la clause donne-
rait naissance à un droit personnel, à une créance ayant pour objet un droit sub-
jectif39. Pour d’autres, l’inaliénabilité constituerait une indisponibilité objective
traduisant une indisponibilité réelle des biens, opposable erga omnes et opérant
une véritable « décomposition du droit de propriété »40. Cette position est renfor-
cée par la possibilité offerte par la jurisprudence de créer des droits réels par l’exer-
cice de la volonté individuelle41.
C’est cette seconde thèse qui a été accueillie par la jurisprudence en admettant
l’insaisissabilité comme complément nécessaire de la clause d’inaliénabilité. Ce
caractère réel de l’indisponibilité a été pour la première fois affirmé en ces termes :
« Attendu que le donateur, libre de ne pas donner, était libre d’attacher une
pareille restriction à sa propre libéralité et de retenir une partie de la propriété,
d’où il suit que les créanciers ne pouvaient puiser que dans la personne de leur
débiteur le droit de poursuivre la vente de ses immeubles, et le droit lui man-
quant, leur manque également »42. La jurisprudence a, par la suite, confirmé,
voire accentué, sa position initiale en annulant par exemple un commandement
de saisie immobilière43 et en accueillant le droit pour les intéressés de demander
la radiation de ce commandement44. Par ailleurs, renforçant le dispositif, la Cour
de cassation a déclaré purement et simplement irrecevable toute action oblique
des créanciers tendant à obtenir la mainlevée de la clause d’inaliénabilité sur le
fondement de l’article 900-1 du Code civil45.
Dans l’état actuel de la jurisprudence, tous les biens donnés ou légués au diri-
geant comportant une clause d’inaliénabilité ne peuvent faire l’objet d’une saisie
tant que cette clause est en vigueur, notamment tant que le donateur est en vie46.
En revanche, l’insaisissabilité n’a jamais été consacrée s’agissant des clauses
contenues dans des actes à titre onéreux47 (pactes d’actionnaires, statuts de société).

38. Sur la question, v. M R., « La nouvelle aire des clauses d’inaliénabilité »,
JCP N, 2008, n° 5, 1064.
39. R B., La stipulation d’indisponibilité, 2004, PUF Clermont-Ferrand, p. 171.
40. T F. et S P., Droit civil. Les biens, 8e éd., 2010, Dalloz, n° 135.
41. V. Cass. 3e civ., 23 mai 2012, Bull. III, n° 159 ; v. K C., « Volonté individuelle
et droits réels, la tentation du sui generis », JCP N 2014, n° 45-46.
42. Cass. req., 27 juill. 1863, DP, 1864, I, 494.
43. V. Cass. 1re civ., 30 juin 1993, D. 1995, somm. p. 50, obs. Grimaldi M. ; v. également
Cass. 1re civ., 15 juin 1994, Bull. civ., 1994, I, n° 211.
44. V. Cass. 1re civ., 8 févr. 2000, n° 97-20727, JurisData, n° 2000-000517, Bull. civ.,
2000, I, n° 43.
45. V. Cass. 1re civ., 29 mai 2001, n° 99-15776, JurisData, n° 2001-009836, Bull. civ.,
2001, I, n° 150.
46. V. en ce sens, Cass. 1re civ., 8 janv. 1975, JCP N, 1976, II, 18240, note Thuillier H.
47. V. sur ce point, R B., La stipulation d’indisponibilité, op. cit., n° 263.

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JEAN PRIEUR 315

En décider autrement en dehors de tout transfert de patrimoine « reviendrait à


porter une atteinte intolérable au droit de gage des créanciers sur le patrimoine de
leur débiteur »48.
Pour être complet sur cette question, on doit relever que le régime des procé-
dures d’exécution comporte une hypothèse de stipulation d’insaisissabilité auto-
nome des clauses d’inaliénabilité. L’article L. 112-2-4° du Code des procédures
civiles d’exécution dispose que « ne peuvent être saisis (…) les biens disponibles
déclarés insaisissables par le testateur ou le donateur, si ce n’est avec la permission
du juge et pour la proportion qu’il détermine, par les créanciers postérieurs à
l’acte de donation ou de l’ouverture du legs ». On voit bien qu’à la différence de
la prohibition de saisir consécutive à une clause d’inaliénabilité, la clause d’insai-
sissabilité n’est opposable de façon absolue qu’aux seuls créanciers du bénéficiaire
dont la créance est antérieure au don ou au legs. C’est tout à fait logique : un
créancier ne peut raisonnablement pas compter, au moment de la naissance de sa
créance, sur une libéralité qui profitera éventuellement plus tard à son débi-
teur. Mais, à l’égard des « créanciers postérieurs à l’acte de donation ou à l’ouver-
ture du legs », la situation n’est pas la même. En application de la théorie de
l’apparence au moment où leur créance a pris naissance, ils ont pu légitimement
croire que les éléments du patrimoine de leur débiteur étaient saisissables, confor-
mément au droit commun. C’est la raison pour laquelle la loi décide qu’avec la
« permission du juge » et pour la « portion » que celui-ci détermine, les créanciers
postérieurs peuvent être admis à pratiquer une saisie a priori sur une partie seule-
ment – les exceptions étant d’interprétation stricte – des biens déclarés insaisis-
sables. Dans l’état actuel de la jurisprudence, ce régime est moins protecteur pour
le dirigeant qualifié que celui qui s’applique aux clauses d’aliénabilité.
Enfin, dernière ressource bien connue des notaires, la clause de tontine qui
peut porter sur des immeubles, des produits financiers, ou être insérée dans les
statuts d’une société civile. On sait qu’il s’agit d’une « clause par laquelle les
acquéreurs d’un même bien conviennent que l’acquisition sera réputée faite pour
le compte du seul survivant d’entre eux dès le jour de l’acquisition, à l’exclusion
des prémourants qui sont rétroactivement censés n’avoir jamais été propriétaires ».
Il s’agit d’un contrat à titre onéreux et aléatoire, et qui est insaisissable selon la
jurisprudence de la Cour de cassation. Celle-ci a, en effet, décidé que le droit de
gage général des créanciers ne pouvant s’exercer que sur les biens dont le débiteur
est propriétaire, doit être annulé, le commandement aux fins de saisie immobi-
lière délivré à l’un des acquéreurs d’un bien qui, en raison d’une clause de tontine,
n’est pas titulaire d’un droit privatif de propriété sur ce bien tant que la condition
suspensive de survie n’est pas réalisée49.

48. Ibid., n° 263. Il faut noter, il est vrai, en dehors d’une clause d’inaliénabilité, que la
jurisprudence décide que l’insaisissabilité de parts sociales ne peut résulter que d’un texte de
nature législative. V. Cass. 1re civ., 4 nov. 2003, n° 99-13965, JurisData, n° 2003-020796, D.,
2004, p. 521, note G. Taormina.
49. Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, n° 95-20842, JurisData, n° 1997-004561, Bull. civ.,
1997, I, n° 315, JCP G, 1998, II, 10051, note Du Rusquec E., JCP G, 1998, IV, 1035, Dr.

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316 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

La tontine peut viser toute sorte de biens immeubles, meubles, par exemple
des parts de société civile. Dans ce cas, les associés conviennent, à titre aléatoire,
que le premier mourant d’entre eux sera considéré comme n’ayant jamais eu la
propriété des parts sociales qui seront censées avoir appartenu au survivant.
Chacun des associés sera donc propriétaire de ses parts sociales, sous condition
suspensive de la survie et sous condition résolutoire de son prédécès. Et en vertu
de la rétroactivité de la condition, le survivant sera réputé être propriétaire des
parts du prédécédé.
Tant qu’ils seront en vie, aucun d’eux ne pourra disposer de ses parts sociales
sans le concours et le consentement du ou des autres associés.
Toutes ces clauses emportant insaisissabilité pourraient, à l’évidence, être
exposées à la nullité si elles sont établies en période suspecte. Encore faudrait-il
que le bénéficiaire de la clause soit soumis à une procédure collective, ce qui reste
exceptionnel pour un dirigeant de société. Enfin, ces clauses, en cas de fraude
fiscale, resteraient opposables à l’Administration car non sanctionnées par l’ar-
ticle 42 de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale.

II – L’OPTIMISATION DE LA TRANSMISSION D’ENTREPRISE

Ici, notre propos n’est pas de rappeler tout le mécanisme de la cession de


contrôle, marqué souvent par l’existence d’un rapport de forces entre cédant et
cessionnaire qui va s’exprimer dans l’économie des protocoles. Ici, l’enjeu, c’est de
veiller au respect de l’intégrité du prix de la cession qui représente, le plus sou-
vent, la part la plus importante du patrimoine du cédant. Plus précisément, l’ob-
jectif est de préserver cette valeur en optimisant la fiscalité par la recherche de la
solution la plus appropriée pour réduire a minima les taxations. Le notaire sera
souvent requis pour établir une donation avant cession. Par ailleurs, l’opération
même de cession de contrôle n’est pas non plus sans embûches, et il importe de
conjurer la survenance de tout passif nouveau. Il ne faudrait pas que la cession
porte en germe la ruine du cédant. Le notaire doit également s’interroger sur
l’opportunité du changement du régime matrimonial du chef d’entreprise. Mais
préalablement, il doit se livrer à un audit patrimonial.

A. L’audit patrimonial par le notaire

Le projet de cession de contrôle de l’entreprise doit impérativement conduire


les cédants à s’interroger sur une approche patrimoniale portant sur différents

affaires, 1998, p. 110, obs. S. P. V. également D B.-H., « Le tontinier face à la


saisie ou comme se révèle l’indivision », JCP N, 1998, n° 42, p. 14998 ; M H., « Un
bien acquis en tontine peut-il être saisi par le créancier de l’un des acquéreurs », Defrénois,
1998, art. 36761.

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JEAN PRIEUR 317

points permettant d’éviter de sévères déconvenues inhérentes aux opérations de


cession. Sans avoir la prétention d’être complet, quatre illustrations justifient la
pertinence de la démarche.

1. L’audit des contrats


Il importe de neutraliser les risques de contestation qui pourraient survenir
avec le cessionnaire concernant par exemple l’existence de contrats conclus par la
société cédée : contrats d’assurances, baux commerciaux, contrats de distribu-
tions… L’examen des contrats d’assurance sera utile pour mesurer la couverture
de l’entreprise sur les risques relatifs à son activité. Le bail commercial conclu avec
une SCI détenue par les cédants devra faire l’objet d’une attention particulière en
raison de l’opposition d’intérêt qui pourra naître avec la société cédée et ses nou-
veaux maîtres ; la révision de certaines clauses, l’ajout de nouvelles dispositions
seront souvent nécessaires. Mais c’est à propos des contrats conclus intuitu perso-
nae confrontés à la cession de contrôle que les risques sont les plus étendus.
Lors de la conclusion de « contrats d’affaires » où une société est partie, la prise en
considération de la qualité de ses actionnaires, de ses dirigeants, voire de ses anima-
teurs salariés (directeur marketing, ingénieur…) peut être déterminante du consente-
ment de l’autre partie. Pourtant, lors de la cession, la disparition de ce « motif » du
contrat ne peut affecter, en principe, l’existence de ce dernier. Par exemple, face à une
cession de contrôle bouleversant une situation considérée comme essentielle par le
cocontractant, la force obligatoire du contrat à durée déterminée s’impose. L’écran de
la personnalité morale joue pleinement son rôle et le contrat survivra à l’événement
inopportun car c’est la société qui est contractante, non les associés.
Les enjeux ont nourri la réflexion. La disparition d’une force de vente, la
démission de « l’homme-clef » de l’entreprise qui sait mobiliser une équipe,
convaincre ses banquiers, le retrait d’un actionnariat disposant d’une surface
financière particulièrement significative, l’intrusion d’un concurrent devenu
associé sont autant de vulnérabilités qui, impérieusement, ont appelé une
parade. On a vu ainsi surgir, dans nombre de contrats de prêt, de licence de
marque ou de brevet, de distribution, dans des pactes d’actionnaires, des
« clauses intuitu personae » visant expressément les qualités requises au jour de
la conclusion du contrat et dont l’énergie est assurée, en cas de violation, par
des clauses de « résiliation sauvegarde »50.
D’emblée, il est loisible aux contractants d’afficher le caractère intuitu personae
du contrat par une stipulation appropriée : « Le présent contrat est conclu notam-
ment en considération de la structure de la société d’exploitation et de la personne
des dirigeants et des actionnaires, la conclusion d’un tel contrat reposant en grande
partie sur la confiance inspirée au concédant par ceux-ci ». Ensuite, un choix s’offre

50. M D., « Cession de contrôle et sort des contrats de la société cédée », Rev. sociétés
1996, p. 17.

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318 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

aux intéressés : soit prohiber toutes modifications de la situation, soit les soumettre
à agrément. Les clauses de « prohibition »51 interdisent toute mutation des condi-
tions ayant présidé à la conclusion du contrat en visant des opérations déterminées :
cession de contrat, sous-licence, cession d’actions par le jeu d’une clause d’inaliéna-
bilité, en vigueur jusqu’à parfait remboursement d’un prêt52. Le plus souvent, c’est
une clause d’agrément qui est prévue, exigeant de la société cocontractante, en pre-
mier lieu, d’informer l’autre partie, par exemple de « toute modification dans sa
direction ou son conseil d’administration, ou encore dans la répartition du capital
social » et, en second lieu, de solliciter son accord préalable et par écrit. L’opération
réalisée au mépris de ces clauses, le bénéficiaire, si bon lui semble, peut mettre fin
au contrat par le jeu d’une simple clause résolutoire dont l’application est notifiée
par lettre recommandée, et sans que la société victime « puisse prétendre à quelque
réparation que ce soit ». Dans un contrat de prêt, il sera stipulé que la cession de
contrôle non agréée constituera un cas de remboursement anticipé.
La cession de contrôle, la modification d’actionnariat, réalisées au mépris de
ces clauses peut donc constituer une cause de résiliation du contrat53. Or si on
songe, par exemple, à la résiliation d’un contrat de franchise dans la grande distri-
bution avec, pour conséquences, rupture d’approvisionnement, dépôt des
enseignes, c’est l’existence même de la société cédée qui est en jeu. Sans doute, en
raison du caractère exorbitant de ces clauses, le juge va sanctionner la mise en
œuvre abusive du droit de résiliation par les dommages-intérêts54, mais en pra-
tique l’agrément du cocontractant doit être sollicité avant la cession de contrôle.

2. La mainlevée des cautions


Il est fréquent, surtout dans les PME, que le dirigeant, les associés garantissent les
engagements de la société envers la banque, les fournisseurs, le fisc… par des cautions.
La cession de leur participation reste sans effet sur l’efficacité de la caution55. Il importe
donc, pour le cédant, soit de résilier la caution, soit d’en obtenir mainlevée avec subs-
titution, le cas échéant, de l’acquéreur qui reprend le cautionnement.

3. Le traitement de l’immobilier : le cas des SCI


La détention de l’immobilier d’entreprise par une SCI détenue par les associés
de la société d’exploitation présente, à première analyse, de nombreux avantages :
soustraction de l’immobilier au risque de l’entreprise, constitution d’un centre de

51. M J.-M., Technique contractuelle, 4e éd., 2000, Francis Lefebvre, coll. Traités
pratiques, n° 1200.
52. CA Paris, 11 mai 1982, Gaz. Pal., 1983, 1, p. 152.
53. CA Paris, 25 janv. 1995, RJDA, 10/95, n° 1103.
54. Cass. com., 5 oct. 2004, RJDA, 2/05, n° 120.
55. Cass. com., 15 oct. 2002, RJDA, 2/03, n° 190 ; CA Aix-en-Provence, 15 janv. 2015,
RJDA, 5/15, n° 351.

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JEAN PRIEUR 319

profit pour les dirigeants, allotissement des enfants non-repreneurs dans le cadre
d’une transmission à titre gratuit. Dans le contexte d’une cession de contrôle, les
cédants peuvent y voir une source de revenus appréciable pour leur retraite en
conservant les parts de la SCI. Si cet objectif peut être validé lorsqu’il s’agit de
locaux à destination commerciale, l’hésitation est permise à l’égard des locaux
industriels. Songeons à une PME qui exerce son activité dans les locaux situés en
zone rurale ou en zone à faible employabilité. Si l’acquéreur de l’entreprise achète
en réalité une part du marché, le risque est avéré d’une fermeture à terme de
l’entreprise sans relocation possible. Un scénario catastrophe peut se dessiner :
friches industrielles, dépollution. Un actif devient un passif. Face à cette situa-
tion, il peut être prudent, en temps opportun, de faire basculer les parts de la SCI
à l’actif de la société d’exploitation.

4. Maintenir ou non le patronyme dans la dénomination sociale


L’observation montre que les dénominations sociales peuvent comporter le nom
du fondateur, d’un associé. En cas de cession, il a été décidé que le patronyme est
devenu un signe distinctif qui s’est détaché de la personne physique qui le porte
pour s’appliquer à la personne morale et constitue un objet de propriété incorpo-
relle56. L’associé concerné ne peut donc interdire, dans l’avenir, l’usage de son nom,
la convention contraire étant bien sûr possible. Il est également possible, avant la
cession, de modifier la clause statutaire comportant la dénomination sociale.

B. Optimiser sur le plan fiscal : la donation avant cession

Les incidences fiscales de la transmission doivent être regardées au premier plan.


Bien plus qu’une préoccupation évidente pour le vendeur, il s’agit d’anticiper la ces-
sion en tenant compte, au-delà du seul coût fiscal, des objectifs de vie du cédant. Une
cession mal préparée de ce point de vue peut avoir de lourdes conséquences.
Le plus souvent, le cédant doit par ailleurs arbitrer entre deux objectifs patri-
moniaux qui dépassent l’axe fiscal d’une cession et qui peuvent même, parfois,
être contradictoires : financer sa retraite ou initier la transmission de son patri-
moine. Il peut également avoir l’ambition de continuer une activité profession-
nelle. Tous ces objectifs doivent être clairement établis en amont de la cession
pour mettre en place la stratégie la mieux adaptée.
Préalablement, il importe de rappeler que la cession d’une entreprise rime
bien souvent avec plus-value. La fiscalité de ce revenu a été profondément revisi-
tée en 2013. Ainsi, les plus-values réalisées depuis le 1er janvier 2013, à l’occasion
de la cession de valeurs mobilières, sont systématiquement imposables au barème
progressif de l’impôt sur le revenu, après application, le cas échéant, d’un abatte-
ment pour durée de détention. S’ajoutent à cette imposition les prélèvements

56. Cass. com., 12 mars 1985, JCP G, 1985, II, 20400, note Bonet.

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320 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

sociaux, au taux global de 15,5 %, ainsi que, le cas échéant, la contribution


exceptionnelle sur les hauts revenus, au taux de 3 ou 4 %.
En fonction des situations, on peut être imposé à l’impôt sur le revenu majoré
des prélèvements sociaux jusqu’à 64,50 %, le taux décroissant en raison de la
durée de détention et plusieurs variables dont les cessions de titres de PME de
moins de 10 ans57.
Pour neutraliser tout ou partie des plus-values, le cédant, préalablement à la
cession, peut avoir recours au mécanisme du report d’imposition par le jeu d’une
holding et du mécanisme de l’apport cession58.
Mais ce sont les donations avant cession pour lesquelles le concours du notaire
sera le plus souvent requis.
Les donations avant cession consistent à donner, soit en pleine propriété, soit en
nue-propriété, des actifs préalablement à leur cession, permettant ainsi d’éviter tout
ou partie de l’imposition de la plus-value réalisée dès lors que les actifs sont cédés à
la valeur à laquelle ils ont été donnés. L’opération présente, en plus, l’avantage d’an-
ticiper et d’initier la transmission du patrimoine afin d’en alléger le coût à terme.
C’est pourquoi il est souvent conseillé à l’entrepreneur qui envisage d’initier ou de
poursuivre la transmission de son patrimoine à l’occasion de la cession de son entre-
prise, d’envisager au préalable une donation sur une quote-part de ses titres, plutôt
que de consentir des donations une fois la cession effectuée.
L’exemple suivant matérialise le différentiel d’imposition applicable selon l’en-
chaînement des opérations.
Au regard de ces avantages, l’administration fiscale a tenté à plusieurs reprises
de requalifier certaines de ces opérations en abus de droit. En effet, depuis les
années 1990, le Comité consultatif pour la répression des abus de droit – deve-
nu, en 2009, le Comité de l’abus de droit fiscal – puis les juridictions adminis-
tratives, ont été appelés à se prononcer sur ce type d’opérations. Il résulte de ces
avis et de la jurisprudence qu’une donation avant cession n’est pas abusive dès lors
que deux conditions cumulatives sont respectées.
– La première condition tient à la date de la donation : elle doit intervenir
avant que la vente ne devienne parfaite, et donc définitive. Ainsi, les donations
peuvent intervenir avant l’envoi des lettres d’intention, avant la signature du
protocole de cession assorti de conditions suspensives et impérativement avant la
levée des conditions suspensives stipulées dans le protocole de vente. Il est
recommandé, à cet égard, de prévoir dans le protocole de cession la possibilité
pour le cédant de donner les titres visés avant la levée des conditions suspensives,
permettant ainsi de s’assurer que la chronologie des opérations est respectée.
– La seconde condition tient à l’intention libérale qui doit animer le
donateur. Pour qu’il y ait abus de droit, il faut que l’opération soit fictive ou

57. Sur ces questions, V. C M. et D F., Précis de fiscalité des entreprises,
2016, LexisNexis, § 601 et s.
58. Ibid., § 616 et s.

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JEAN PRIEUR 321

qu’elle ait été faite dans un but exclusivement fiscal. Ce n’est, en principe, pas le
cas d’une donation qui est motivée par une intention libérale. En revanche, si les
fonds issus de la vente reviennent par la suite entre les mains du donateur,
l’intention libérale est difficilement caractérisée et l’opération peut être considérée
comme abusive. Sur cette question, le Conseil d’État a été amené à se prononcer
et a considéré que, même lorsque la donation était assortie de conditions strictes
pour le donataire, celles-ci n’étaient pas de nature à remettre en cause la réalité du
dessaisissement du donateur, et donc, l’intention libérale ayant motivé la
donation, validant ainsi la stratégie mise en place de donation avant cession59.
Lorsque la donation précédant la cession est consentie avec réserve d’usufruit,
la question de la réalité du dessaisissement est parfois plus délicate. Ces donations
ne sont pas considérées comme abusives, mais il convient d’être particulièrement
attentif aux clauses et conditions contenues dans l’acte de donation, ainsi qu’à
l’emploi qui est fait du produit de cession. À cet égard, l’utilisation du quasi-usu-
fruit doit se faire avec beaucoup de précaution. Il arrive, en effet, qu’à la suite de
la cession de titres dont la nue-propriété avait été préalablement transmise, l’usu-
fruit se reporte sur une somme d’argent. Lors de la vente des titres, le donateur
usufruitier reçoit le produit de la cession du bien démembré, à charge de le rendre
aux nus-propriétaires à l’extinction de l’usufruit60.
Bien souvent, la restitution pèsera donc sur la succession du donateur, qui aura
donc bénéficié de tous les avantages de son vivant : la fiscalité de la cession et de la
transmission envers ses enfants aura été allégée, tout en conservant tout pouvoir sur
le produit de cession. Cette situation pousse l’administration fiscale à affirmer que
le donateur ne s’est alors pas réellement dessaisi par la donation, rendant sa stratégie
abusive. Du point de vue du Comité de l’abus de droit fiscal, c’est notamment
l’existence de cette dette de restitution qui permet de conclure à l’absence d’abus de
droit61. Mais encore faut-il que la constitution du quasi-usufruit soit prévue à temps.
L’unique exemple jurisprudentiel du Conseil d’État se prononçant sur une opéra-
tion de donation-cession accompagnée d’une convention de quasi-usufruit a inva-
lidé la stratégie62. Les conditions de l’espèce étaient particulières : le donateur ne
s’était pas réservé la possibilité de constituer un quasi-usufruit dans l’acte de dona-
tion, la convention de quasi-usufruit n’avait été conclue qu’après la vente des titres
afin de permettre l’appréhension de la totalité du prix de cession par le donateur.
La question de savoir si l’abus de droit aurait été écarté si le quasi-usufruit
avait été stipulé ab initio dans l’acte de donation reste entière. La prudence s’im-
pose, mais il n’est pas exclu que la réponse soit affirmative. La Cour administra-
tive d’appel de Lyon s’est prononcée en ce sens, alors même qu’aucune garantie en

59. CE, 30 déc. 2011, n° 330940, JurisData, n° 2011-031693, JCP N, 2012, n° 16,
1191, concl. Escaut N., note Mortier R.
60. C. civ., art. 587.
61. V. notamment, rapport CCRAD (année 2007), BOI 13 L-4-08, 16 mai 2008,
aff. n° 2006-18, p. 21.
62. CE, sect. S, 14 oct. 2015, n° 374440, RFP, 2016, jur. 5, note Deboissy F. et
Wicker G.

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322 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

faveur du nu-propriétaire n’était prévue63. Une décision du Conseil d’État est


attendue sur cette affaire. Dans cette attente, le bon conseil, en fonction des pro-
jets familiaux, reste de prévoir un report de l’usufruit sur des biens acquis en
remploi, et notamment des parts de société civile, permettant une gestion uni-
forme et centralisée du patrimoine, mais aussi d’organiser les pouvoirs de chacun
– y compris du donateur, qui pourra avoir des pouvoirs très étendus – au sein de
la structure64. Il est même possible de reporter l’usufruit sur les titres d’une société
contrôlée par le donateur sans que le dessaisissement ne soit remis en cause65.

C. Réduire a minima le risque de passif ultérieur

L’objectif du cédant, on le comprend, consiste à jouir pleinement du prix de la


cession sous réserve de la taxation des plus-values. À dire vrai, le sort du prix peut
être rudement affecté par le repreneur déçu. Ce dernier reste exposé à un risque
imminent : il a acheté en fonction notamment d’un bilan de référence, véritable
photo du patrimoine de la société à un « instant t ». Or, postérieurement à l’acqui-
sition, peut survenir un événement dépréciant l’actif ou augmentant le passif qui
prend sa source antérieurement à la cession. L’acquéreur a payé trop cher et légiti-
mement entend être indemnisé de la moins-value constatée. La difficulté résulte de
l’indigence des recours légaux du droit de la vente. Face à un redressement fiscal,
social, un procès, l’insuffisance de provision, la garantie d’éviction du fait personnel
des cédants reste d’application marginale66. Le recours à la garantie des vices cachés
s’annonce également décevant. Il ne faut pas perdre de vue que la chose vendue, ce
sont les droits sociaux et non les éléments actifs et passifs du bilan. Il s’ensuit que la
Cour de cassation considère que seul peut être admis le vice rendant les titres
impropres à leur destination : si le vice n’interdit pas à la société de poursuivre son
activité économique, la garantie ne joue pas67. Ainsi, l’apparition de pertes sociales
importantes supérieures de dix fois aux prévisions ne constitue pas un vice caché dès
lors que la société n’était pas dans l’impossibilité de poursuivre l’activité écono-
mique constituant son objet68. Face aux risques encourus par l’acquéreur, la pra-
tique a recours à des garanties contractuelles, le cas échéant, la responsabilité civile
du dirigeant cédant peut être également recherchée.

63. CAA Lyon, 16 déc. 2014, n° 13LY02119, JurisData, n° 2014-034902.


64. V. M R., « La donation avant cession in extenso », Dr. fisc., 2014, n° 39,
étude 540.
65. V. pour illustration, CE, 9e et 10e sous-sect., 9 avr. 2014, n° 353822, JurisData,
n° 2014-008219 : « L’octroi aux donateurs usufruitiers de pouvoirs étendus de gestion et de
décision au sein des sociétés civiles financières, dès lors qu’il n’altère pas l’obligation de
restitution en fin d’usufruit en vertu de l’article 578 du Code civil, n’est pas de nature, par
lui-même, à remettre en cause le constat de leur dépouillement immédiat et irrévocable dès la
signature des actes de donation ».
66. V. infra.
67. C M., V A. et D F., Droit des sociétés, 28e éd., 2015, LexisNexis,
n° 813.
68. Cass. com., 16 nov. 2004, RJDA 2005, n° 563.

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JEAN PRIEUR 323

1. Les garanties contractuelles


Ici, tout est contractuel, donc soumis à la négociation, au rapport de forces. Si je
vends à un dirigeant de la société cédée, à un salarié, on envisagera une garantie a
minima, voire une classe de non-garantie69. Il est ainsi possible de prévoir une clause
exclusive de garantie des vices cachés au profit du cédant, notamment en cas de
cession à un dirigeant de la société cible70. À l’inverse, si je n’ai qu’un seul candidat
repreneur, extérieur à l’entreprise, la négociation peut être rude, la garantie étendue,
la jurisprudence montre que, dans certains cas, l’enjeu peut être la ruine du cédant.
Fruit de la liberté contractuelle, la typologie des clauses de garantie est mar-
quée par sa diversité. Toutefois, on peut distinguer deux mécanismes différents :
– la clause de garantie de passif stricto sensu, l’engagement du cédant porte
sur la reconstitution du patrimoine social, on parle parfois de garantie de bilan :
le cédant s’oblige à prendre en charge l’intégralité du passif nouveau et/ou de la
diminution d’actif. On vise souvent la garantie de situation nette71 ;
– la classe de révision de prix ou clause de garantie de valeur : le cédant indem-
nise alors le cessionnaire des moins-values affectant les droits sociaux cédés par
rapport à la valeur résultant du bilan de référence.
Le choix de l’une ou l’autre de ces garanties est lourd de conséquences pour le
cédant :
– en cas de garantie de reconstitution du patrimoine social72, l’engagement du
cédant ne sera pas plafonné au prix de cession, sauf clause contraire. Le bénéfi-
ciaire en sera la société ou un tiers créancier ;
– pour les garanties de valeur financière des droits sociaux ; l’engagement du
cédant sera limité au montant du prix de cession, les tribunaux, sauf clause
contraire, ignorent la possibilité d’une valeur négative. Au pire des cas, la mise en
œuvre de la garantie peut aboutir à la restitution intégrale du prix au bénéficiaire
qui est l’acquéreur.
Notre propos, ici, c’est la protection du cédant, les clauses en question doivent
donc être envisagées restrictivement en tenant compte de l’activité de la société
cédée. On ne rédige pas de telles clauses de la même façon selon que la société
cédée exerce une activité industrielle, commerciale, de service, une profession
libérale…
Il importe de :
– fixer une durée limitée à la garantie (prescriptions fiscales et sociales) ;

69. Notamment dans la SNC : C M., V A. et D F., Droit des
sociétés, op. cit., note 26, n° 88.
70. D H., « Les clauses de non-garantie dans les cessions de droits sociaux en
droit français », BJS 1995, p. 1043.
71. Mémento Lefebvre sociétés commerciales, 2016, § 1762.
72. V. sur ces questions, M P., Les conventions de garantie du passif dans les
cessions de droits sociaux, 2e éd., 1997, Nouvelles éditions fiduciaires.

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324 LA GESTION DE PATRIMOINE DU CHEF D’ENTREPRISE : LE RÔLE DU NOTAIRE

– prévoir un plafond de la garantie, dégressif avec le temps, première année


100 000 euros, seconde année 50 000 euros… ;
– insérer une franchise par sinistre ;
– exclure de la garantie certains postes ou bilan, par exemple le stock lorsque
c’est un concurrent au fait de l’activité qui rachète ;
– interdire la transmission de la garantie et de droits au profit du sous acqué-
reur73 ;
– exclure la solidarité des cédants s’appliquant en l’absence de prévisions
contraires74 ;
– prévoir à peine de déchéance une obligation d’information du cessionnaire
en cas de survenance de sinistre.
Conventionnellement, on peut donc atteindre, de façon équilibrée, une limi-
tation acceptable du risque encouru par le cédant. Mais pour le cas où le sinistre
qui affecte la société ne rentre pas dans le champ de la garantie, le repreneur peut
engager la responsabilité civile des anciens dirigeants, voire attaquer les cédants
sur le fondement de l’inexécution de l’obligation d’information.

2. La responsabilité des dirigeants


Les repreneurs déçus qui observent la survenance d’un dommage trouvant son
origine dans une faute du dirigeant antérieure à la cession, événement exclu des clauses
de garantie, peuvent engager une action en responsabilité à l’encontre des anciens
dirigeants, par exemple pour une mauvaise gestion75, dans le délai de prescription de
trois ans76. L’action sociale est alors exercée par les nouveaux représentants légaux
contre les anciens qui, préalablement, peuvent engager une expertise in futurum77.
L’intérêt patrimonial pour le cédant consiste à bénéficier d’une assurance respon-
sabilité civile des mandataires sociaux (RCMS). La question n’est pas théorique
puisque, chaque année, on recense plus de 2 000 dirigeants condamnés – sur le plan
civil – à verser des dommages-intérêts78. Ces assurances ont pour objet de garantir les
dirigeants des condamnations prononcées à leur encontre pour fautes dans l’exercice
de leurs missions. Sont couvertes, toute inexécution des obligations légales ou statu-
taires, toute faute de gestion même dans le cadre d’une action en insuffisance d’actif.
C’est la société qui souscrit le contrat pour le compte de ses dirigeants et les cotisations

73. Cass. com., 9 oct. 2012, n° 11-21528, JurisData n° 2012-022670, Dr. sociétés,
2013, comm. 2.
74. CA Riom, 12 déc. 2012, JurisData n° 2012-029407, Dr. Sociétés, 2013, comm. 63,
note Gallois-Cochet D. et Roussille M.
75. Cass. com., 6 févr. 1990, BJS, 1990, p. 353.
76. C. com., art. L. 223-23 et L. 225-254.
77. Cass. com., 16 avr. 1991, Bull. civ. IV, n° 144.
78. G L. et W R., « L’assurance responsabilité civile des mandataires sociaux
(RCMS) », Actes prat. et strat. patrimoniale, 2012, n° 3, dossier 25.

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JEAN PRIEUR 325

acquittées sont déductibles79. Il est, bien sûr, important que la souscription du contrat
soit antérieure à la cession de contrôle et que les acquéreurs s’engagent à le maintenir
pendant le délai de prescription des actions en responsabilité.
Sans doute, lors de la cession de contrôle, on peut envisager une renonciation
du cessionnaire à exercer un recours en responsabilité contre le cédant mais l’effi-
cacité de cette stipulation reste limitée, un actionnaire minoritaire peut toujours
agir comme la société elle-même.

D. L’abandon des fonctions de dirigeant et le changement de régime


matrimonial

Exposé aux risques de responsabilité, l’entrepreneur, bien conseillé par son


notaire, aura fait choix, le plus souvent, d’un régime de séparation de biens, voire
de participation aux acquêts. Le temps est venu de la retraite et, après avoir
recueilli le fruit de la cession dans le patrimoine privé, d’envisager autrement la
protection du conjoint par une modification du régime matrimonial qui peut, à
l’extrême, aller jusqu’à l’adoption d’un régime de communauté universelle avec
attribution intégrale en cas de décès au survivant. En réalité, c’est le moment de
la transformation du régime qui doit poser question.
Trois propositions peuvent être présentées :
– avant la cession de l’entreprise, s’il est prévu une donation avant cession, ce
qui permet notamment de doubler les abattements et renforcer la progressivité du
barème ;
– en l’absence de transmission anticipée, immédiatement après la cession pour
équilibrer le patrimoine des époux ;
– à l’issue du délai de prescription, en cas d’exposition de l’ancien dirigeant à
une action en responsabilité. Ainsi, si une procédure collective est ouverte après la
cession, les anciens dirigeants ne sont pas à l’abri d’une action en insuffisance d’ac-
tif80 si, à la date de leur départ, l’insuffisance d’actif existait déjà. La prescription est
de trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire81.

79. Mémento Lefebvre sociétés commerciales, 2016, § 14710.


80. C. com., art. L. 651-2.
81. C. com., art. L. 651-2, al. 2.

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Le crowdfunding : nouvel outil de financement,


décomplexé par le numérique

Éliane F
Notaire honoraire
Membre de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat

Quelques mots sur ce qui m’a conduit à participer à ce liber amoricum et à


choisir ce thème.
Jacques Combret est un personnage, c’est un « Maître » dans son activité de
notaire qu’il a toujours exercée au carrefour de la pensée et de l’action ; dans
l’enseignement qu’il dispense avec le souci de transmettre la connaissance ; dans
la liberté d’esprit qui est la sienne.
Mais ce que j’apprécie le plus chez Jacques Combret, c’est son empathie natu-
relle et son désir d’être utile aux autres.
Il a ses convictions, mais il ne les érige jamais en vérité. Il a le souci de mieux
comprendre les autres et il recherche l’équité, la justice. Il continue de contribuer
à la diffusion d’un droit moderne en phase avec l’évolution de notre société mais
aussi respectueux des valeurs de la raison.
Dans le cadre de ses multiples activités, il a su allier théorie et pratique en
maintenant une certaine idée du notariat et de sa fonction dans notre société.
Au moment d’apporter ma contribution à cet hommage à Jacques, il m’est reve-
nu en mémoire une conversation que nous avions eue, il y a plus de trois ans, sur les
possibilités de financement d’un projet collectif, très social, quelque peu insolite et
par là même ne pouvant entrer dans les standards des financements traditionnels.
J’avais alors évoqué avec lui le crowdfunding qui commençait à se développer
en France et qui pouvait répondre au financement recherché.
En souvenir de ces échanges et dans une certaine croyance que nous parta-
geons sur la solidarité et la capacité des hommes à résoudre collectivement cer-
taines situations, voilà pourquoi, assez loin de mes sujets favoris, j’ai choisi de
porter un certain regard sur le crowdfunding : graal ou miroir aux alouettes ! ! ! !
Le crowdfunding, dont la traduction littérale est « financement par la foule »,
est un mode de financement qui repose sur l’appel à un grand nombre de per-
sonnes pour financer des projets sans l’aide des acteurs traditionnels du finance-
ment. Il est dit « désintermédié » et doit son essor à internet et aux réseaux
sociaux : outils de rencontre entre le porteur d’un projet et une communauté de
personnes qui le soutiennent.

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328 LE CROWDFUNDING : NOUVEL OUTIL DE FINANCEMENT

Il s’inscrit dans un mouvement plus global en lien avec la consommation col-


laborative et la production participative. C’est pour l’internaute un moyen de
responsabiliser son épargne et de participer à l’économie réelle et d’appartenir à
une communauté.
Traduit en France sous la terminologie quelque peu réductrice de prêt partici-
patif, le crowdfunding recouvre des secteurs bien différents : le don avec ou sans
contrepartie (crowdgiving), le prêt (crowdlending) et le capital-investissement
(qualifié de crowdfunding-equity ou de crowdinvesting).
Le crowdfunding secoue indiscutablement les esprits, « bouscule l’économie
pour en libérer la créativité ! »1, interpelle les juristes et conduit à s’interroger sur
les origines, la nature, la portée et l’avenir de ce financement.

D’où vient le financement participatif ?


Il existe depuis fort longtemps nous apprend Wikipedia, depuis l’origine de la
socialisation humaine comme aide à son développement par la mutualisation et
la coopération. On cite souvent l’évergétisme des cités grecques, puis romaines.
Les citoyens étaient sollicités pour contribuer au développement de l’agriculture,
la mutualisation et la coopération contribuaient au financement d’édifices publics,
de cérémonies publiques, à l’effort de guerre.
Le crowdfunding est donc connu depuis longtemps dans tous les pays et ce, dès
lors que l’homme était en capacité de mobiliser une communauté d’intérêts
autour d’un projet.
Les exemples de mobilisation de fonds pour la réussite de projets, emprunts de
rêve ou au service d’une cause, sont nombreux : Canal de Suez, Statue de la
Liberté, financement de guerres ou d’expéditions lointaines, actions de
charité…
L’initiative de l’homme a revêtu et revêt toujours de multiples facettes2, mais
le développement du crowdfunding est lié au numérique « puissante courroie de
transmission entre le financeur et le financier »3.
D’autres facteurs contribuent à ce développement : les difficultés d’accès au crédit
mais aussi le souhait de nombre d’entre nous de participer, d’être acteur, d’assumer
une démarche philanthropique au regard de projets humanitaires ou culturels.
L’outil informatique qu’est internet où chacun se reconnaît consommateur et
acteur en permettant à tous l’accès à des opérations jadis intermédiées et réservées
à des professionnels, a permis l’émergence d’une nouvelle finance ouverte à tous,
démocratisée, d’où la qualification par certains de « finance citoyenne » ou
« finance collaborative ».

1. R V., Crowdfunding : le financement participatif bouscule l’économie pour


en libérer la créativité !, 2013, Édition Fyp.
2. Clubs d’investissement, cafés citoyens en Afrique, aides chinoises dans la communauté.
3. R V., Crowdfunding (…), op. cit.

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ÉLIANE FRÉMEAUX 329

L’émergence du crowdfunding
Dès la fin des années 1990 des souscriptions sont ouvertes pour le finance-
ment de films et d’albums de musique mais c’est La Grande-Bretagne qui est
pionnière dans la désintermédiation financière numérique. En 2004, le site
« Zopa », devant la situation des exclus du crédit à la consommation, propose à
toute personne de solliciter le public pour obtenir un crédit, puis le site « Just
Giving » s’impose dans la collecte de fonds pour les ONG.
Les américains ont suivi de très près les britanniques. Il faut citer l’embléma-
tique site « KIVA » qui permet à une communauté de plus d’un million d’inter-
nautes de contribuer à prêter de l’argent à des micro-entrepreneurs et de partici-
per à la lutte contre la pauvreté dans le monde.
Il s’agissait encore de prêts à la consommation, de micro-crédits, d’humani-
taire ou de projets culturels mais dès 2008 les financements vont se diversifier. Les
sites commencent à proposer le financement des entreprises pour les besoins de
leurs investissements ou en fonds de roulement. Pour encadrer cette nouvelle
forme de financement, les États Unis mettent en place le « Jumpstart Our Business
StartupsAct (JOBS Act) ». Cette loi fait notamment la distinction entre le finance-
ment participatif à vocation caritative et le financement investissement.
La France n’est pas restée en dehors de ces nouveaux outils de financement. Dès
2008, des plates-formes se déploient et facilitent le financement de plusieurs pro-
jets artistiques. Le plus emblématique de ces financements reste le premier disque
du chanteur Grégoire. Le succès rencontré a largement contribué au développe-
ment en France de ce nouveau mode de production.
Le législateur français a pris conscience qu’il devait accompagner le finance-
ment participatif, ne pas en casser la dynamique, en conserver le potentiel, tout en
répondant aux problématiques que soulève ce mode alternatif de financement.
Il a dû faire face aux réticences des banques, des établissements financiers et aux
inquiétudes des associations de consommateurs de même qu’aux difficultés tenant à
la diversité des modèles juridiques utilisés sous le terme « financement participatif ».

Les différents modèles juridiques du financement participatif


Il faut déjà distinguer le financement à titre gratuit et le financement à titre
onéreux.

Le financement à titre gratuit


Le financement à titre gratuit utilise la technique juridique du don. Cette
technique est très populaire en France et draine des sommes importantes notam-
ment dans les domaines humanitaires et culturels.
Certains grands projets, tels que l’acquisition d’un tableau4 par le Musée du
Louvre, ou la restauration du Panthéon par appel aux dons du Centre des monu-
ments nationaux ont été financés par le crowdfunding.
4. Les Trois Grâces de Lucas Cranach.

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330 LE CROWDFUNDING : NOUVEL OUTIL DE FINANCEMENT

Le don est en principe désintéressé et le donateur n’attend pas de retour sur


investissement. Toutefois certaines contributions ne sont pas totalement désinté-
ressées, l’internaute-donateur recevant une récompense ou contrepartie en
échange d’une valeur en général modique et qui est aussi appelée contre-don.
Les plates-formes de financement participatif, dans un souci de valorisation,
qualifient de mécénat le financement de projets sans intention d’en retirer un
bénéfice pécuniaire. On peut s’interroger sur cette qualification : le mécénat, bien
que n’ayant pas une qualification juridique propre, est caractérisé d’une part par
un financement désintéressé et d’autre part par un avantage fiscal5.
La référence au mécénat ne correspond pas toujours à la situation présentée
sur le site et il peut exister une incertitude sur la possibilité ou non d’appliquer à
certains dons le régime du mécénat. L’intention libérale n’est pas toujours désin-
téressée notamment s’agissant de dons-récompenses destinés à lancer un produit,
un service, un spectacle, voire un film. En échange de sa contribution, l’inter-
naute reçoit parfois un bonus dont la valeur est variable selon le type de projet
financé : cela peut être l’inscription du nom du donateur, la remise d’un cadeau
(porte-clefs, clé USB…) ou la délivrance d’un produit à un tarif préférentiel.
Mais le don-récompense est aussi devenu une technique de financement de
l’entreprise notamment pour les petites start-up en devenir qui ne peuvent pas
avoir recours au crédit bancaire. Le financement par dons repose alors en grande
partie sur la capacité à convaincre du porteur de projet et crée souvent un lien
entre les contributeurs et le porteur de projet.
La communauté d’internautes qui croit au projet, se mobilise et opère un
véritable effet de levier sur la collecte, même en l’absence de toute contrepartie.
La qualification juridique du don-récompense n’est pas sans ambiguïté lorsque
la récompense n’est pas symbolique : don manuel, libéralité avec charge, contrat
de bienfaisance, contrat de consommation ou encore contrat de préachat ou
contrat d’entreprise6.
On voit dans cet essai de qualification que les règles applicables ne sont pas les
mêmes selon les situations mais la réalité permet en l’état de ne pas s’attarder plus
avant sur cet essai de qualification compte tenu des sommes en jeu : la moyenne des
dons est de 60 euros et la contrepartie dépasse rarement 25 % du montant du don7.
Le traitement fiscal tant au niveau du contributeur que du porteur de projet
n’est pas clairement établi. L’explication à ce manque de précision tient à la fois à
la qualification juridique support de la fiscalité et à la faiblesse du montant du
don et de la récompense.

5. Outre le régime fiscal du mécénat, certains dons peuvent relever des dispositions de
l’article 200 du Code général des impôts qui énumère les associations, fondations et autres
organismes reconnus d’utilité publique qui permettent de bénéficier d’un avantage fiscal
(instruction fiscale du 18 décembre 2006). Certains sites proposent le calcul de l’avantage fiscal.
6. Tel pourrait être le cas lorsque la contrepartie consiste en une place de spectacle.
7. Ce pourcentage est annoncé par les plates formes car il satisfait à une instruction
fiscale relative aux réductions d’impôt au titre des dons.

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ÉLIANE FRÉMEAUX 331

Les pratiques du mécénat populaire reposent sur un financement désintéressé


même si l’avantage fiscal reste souvent sous-jacent. Il semble souhaitable qu’une
certaine souplesse reste de mise dans ce domaine du don avec ou sans récom-
pense, car un cadre trop strict risquerait de freiner l’initiative des internautes.

Le prêt solidaire à titre gratuit


Classé dans le financement à titre gratuit, le prêt solidaire à titre gratuit permet
à un porteur de projet de mobiliser une communauté de financiers qui croient en
l’avenir du projet. La plate-forme propose aux internautes de faire un prêt non
rémunéré amortissable sur une certaine durée. Il s’agit du financement de projets
sociétaux forts ou relevant de l’intérêt général. Quelques plates-formes, à l’instar de
sites américains, se sont spécialisées en France dans ce secteur afin de financer des
start-up, des PME ou des micro-entreprises. Le prêt solidaire non rémunéré permet
à ces entreprises de se constituer des quasi-fonds propres. Une collecte réussie est un
signe de confiance pour l’entreprise et lui permet de démarrer.
Le prêt solidaire n’est pas rémunéré mais peut être assorti d’un bonus sous forme
de « success fee » compris entre 2 à 5 % de la somme prêtée. Le prêt solidaire est
consenti dans une logique d’aide et de solidarité mais reste un prêt qui doit être
remboursé. Le risque de défaillance existe mais se trouve quelque peu atténué par
les faibles montants des sommes engagées. La moyenne des sommes prêtées est de
65 euros et la moyenne des fonds collectés par projet est de l’ordre de 15 000 euros.
Le financement à titre gratuit sous la forme de don philanthropique ou avec
récompense, ou encore de prêt solidaire, est basé sur la technique de l’auto-collecte
par le porteur de projet : c’est lui qui mobilise sur une plate-forme un réseau (une
communauté) de donateurs ou de contributeurs à son projet.
Le financement à titre onéreux
Les autres catégories de financement participatif : crowdlending (prêts rémunérés)
et crowdfunding-equity (investissement en titres financiers) sont classés dans les finan-
cements à titre onéreux et relèvent de la technique de l’épargne. Des préteurs ou des
investisseurs, au vu de la présentation qui est faite sur un site, décident d’affecter leur
épargne à tel ou tel projet ou encore à un panier de projets. Le site doit convaincre les
épargnants de la qualité des dossiers présentés et donc procéder à leur sélection.
La démarche des contributeurs épargnants s’inscrit dans une logique d’opti-
misation de leur épargne. Les risques encourus sont plus élevés d’autant que les
sommes investies sont plus importantes.
Le prêt aux entreprises
Le crowdlending ou financement participatif sous forme de prêt répond à des
besoins non satisfaits par le système traditionnel d’intermédiation bancaire. Plusieurs
facteurs ont contribué à son émergence : les récentes crises financières, les critères
purement financiers des banques dans l’octroi du crédit accentués par les règles pru-
dentielles qui leur sont imposées, le besoin de fonds propres des entreprises.

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332 LE CROWDFUNDING : NOUVEL OUTIL DE FINANCEMENT

Les sites de prêts rémunérés aux États-Unis et en Grande-Bretagne se sont


révélés des vecteurs importants de financement des entreprises. Leur succès ne
s’est pas démenti en France.
La France est aujourd’hui en Europe considérée comme l’un des premiers pays
dans le développement du financement participatif des entreprises avec plus de
140 plates-formes. Ces sites permettent donc aux entreprises de lever des fonds à
court ou moyen terme. Le préteur n’est plus une banque mais une communauté
d’internautes qui placent ainsi une partie de leur épargne.
Les montants levés par projet sont en moyenne de 70 000 euros et la
moyenne des fonds prêtés par dossier et par investisseur de l’ordre de 650 euros.
Les entreprises ainsi financées relèvent majoritairement des secteurs commerce
et services.
Les financements d’une durée moyenne souvent assez courte sont offerts à
un taux moyen de l’ordre de 8 %. Ils sont adaptés aux besoins de trésorerie des
entreprises et viennent se substituer au découvert autorisé par les banques
apparemment plus onéreux. Ils constituent une réponse à une partie des
besoins de trésorerie des entreprises et viennent donc en complément du finan-
cement bancaire.
Les arguments pour le recours à un prêt participatif sont forts pour une entre-
prise : rapidité, absence de garantie personnelle ou réelle, diversification des
créanciers et aussi communication valorisante.
Vu du côté des prêteurs, l’attrait est certain : la très faible rémunération de
l’épargne conduit les épargnants vers des produits plus rémunérateurs mais aussi
plus risqués.

Le financement en equity
Le crowdfunding-equity ouvre à un grand public la possibilité de devenir
« actionnaire-citoyen », privilège plutôt réservé à des personnes averties. Pour les
entreprises, c’est une possibilité nouvelle de se constituer des fonds propres.
Certains ont ainsi qualifié de mini-bourse le crowdfunding-equity.
L’investisseur qui souscrit à une augmentation de capital dans le cadre d’un
financement participatif devient associé via la plate-forme. Dès lors qu’il a
souscrit à des actions, il devient titulaire des droits attachés à sa qualité d’asso-
cié : droits pécuniaires (dividendes) et extra-pécuniaires (droit de vote, droit à
l’information, pacte d’actionnaire, clause de sortie conjointe…). Les investis-
seurs doivent être suffisamment qualifiés pour apprécier l’étendue de leurs
droits. Ils doivent être conscients de leurs risques et de l’absence de liquidité
de leur épargne.
L’investissement participatif n’étant pas sans risque, le législateur est intervenu
pour mettre fin à l’insécurité juridique sur le statut des plates-formes, leur sou-
mission aux dispositions du Code monétaire et financier concernant l’offre de
titres au public, leur agrément en tant qu’intermédiaire financier.

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ÉLIANE FRÉMEAUX 333

Le cadre réglementaire
L’ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participa-
tif8 a donné un cadre juridique au financement participatif visant principalement
à créer un régime sui generis applicable aux intermédiaires que sont les plates-
formes de financement participatif et à encadrer les investissements réalisés au
moyen d’un site internet.
Le rapport au président de la République du projet d’ordonnance présente la
finance participative comme porteuse de valeurs nouvelles : transparence, choix,
responsabilité de son investissement et de ses placements, désintermédiation et
démocratisation de l’investissement dans l’économie française.
Jusqu’au 1er octobre 2014, date d’application de l’ordonnance du 31 mai 2014, les
plates-formes de financement participatif étaient soumises à des règles inadaptées rele-
vant du statut bancaire ou financier et donc très souvent contournées9. L’activité de
conseil en investissement financier ou de prestataire de services d’investissement avec
ou sans paiement pour le compte de tiers s’avérait notamment soumise à des contraintes
fortes, de sorte que les intervenants contournaient les dispositifs existants.
Attendue afin de favoriser le développement du financement participatif dans un
environnement juridique plus sécurisé pour les différents contributeurs, l’ordonnance
du 30 mai 2014 vise surtout à encadrer les activités de « crowdfundinglending » (prêts
à titre gratuit ou rémunéré) et de « crowdfunding-equity » (titres financiers).
L’ordonnance a sécurisé la situation des plates-formes en précisant que les statuts exis-
tants des établissements de crédit et des conseils en financement ne s’appliquaient pas
aux plates-formes de financement participatif10. Elle a en contrepartie soumis les
plates-formes à un statut réglementé pour l’exercice de leur activité et adapté à la
nature du financement proposé aux internautes.
Une plate-forme de financement participatif proposant le financement d’un
projet sous la forme d’un prêt avec ou sans intérêt doit être immatriculée auprès
de l’Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et
finance (ORIAS)11 en tant qu’intermédiaire en financement participatif (IFP) et se
conformer aux exigences prévues pour ce statut en tenant compte de la nature des
opérations effectuées.
Une plate-forme de financement participatif par souscription de titres finan-
ciers d’une société non cotée doit être immatriculée auprès du registre de
l’ORIAS en tant que conseiller en investissement participatif (CIP). Elle peut égale-
ment opter pour le statut de prestataire en services d’investissement (PSI) fournis-
sant le service de conseil et être dans ce cas, agréée par l’Autorité de contrôle pru-
dentiel et de résolution (ACPR).

8. La loi n° 14-1 du 2 janvier 2014 a habilité le gouvernement à prendre par ordonnance les
mesures destinées à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises.
9. Beaucoup de plates-formes sont de plus enregistrées hors de France.
10. M J.-M., « Régulation du crowndfunding : de l’ombre à la lumière »,
Bull. Joly Bourse 2014.
11. Association loi 1901 sous tutelle de la Direction générale du Trésor créée en 2007.

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334 LE CROWDFUNDING : NOUVEL OUTIL DE FINANCEMENT

La plate-forme CIP est régulée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et
la plate-forme PSI est régulée par l’AMF et l’ACPR conjointement. Outre les
pouvoirs donnés à l’AMF et à l’ACPR, le contrôle des plates-formes entre dans les
missions de la DGCCRF.
Une plate-forme ne proposant que des financements sous forme de dons n’a
pas l’obligation d’immatriculation à l’ORIAS mais, elle doit néanmoins respecter
les règles imposées aux intermédiaires en financement participatif (IFP).
Toute plate-forme encaissant des fonds pour le compte de tiers dans le cadre
de financement participatif doit être agréée a minima en qualité d’établissement
de paiement par l’ACPR ou être enregistrée en tant qu’agent de prestataire de
services de paiement (PSI).
Il est possible de vérifier l’immatriculation de la plate-forme en consultant le
site www.orias.fr de même que son appartenance au réseau des plates-formes
labellisées. Un label a été créé pour les plates-formes de financement participatif
ayant le statut d’IFP, de CIP ou de PSI afin d’identifier les plates-formes régulées
par les autorités françaises.
En l’absence de prise en compte par l’ordonnance du 30 mai 2014 de l’activité
transfrontalière des plates-formes, les statuts d’IFP et de CIP ne semblent pas per-
mettre aux plates-formes enregistrées en France de proposer leurs services au sein de
l’Espace économique européen (EEE).De même, l’accès au marché français du finan-
cement participatif des conseillers et intermédiaires en financement établis à l’étranger
ne devrait pas leur être ouvert s’ils ne relèvent pas de l’un des statuts réglementés, soit
en bénéficiant d’un passeport européen et en étant titulaire d’un agrément dans leur
État d’origine faisant partie de l’EEE, soit en créant une filiale en France.
L’absence de règles communes au sein de l’Union européenne se concilie mal
d’une part avec le principe de libre prestation de services à l’intérieur de l’EEE et
d’autre part avec les activités transfrontalières des plates-formes de crowndfunding
et n’est pas sans poser de problèmes.
L’ordonnance du 30 mai 2014 et les différents textes qui l’ont accompagnée12
ont fixé les règles d’organisation et d’exercice des activités des plates-formes : inter-
médiaires en financement participatif (IFP), prestataire de services d’investissement
(PSI) ou conseiller en investissement participatif (CIP). Le règlement AMF définit
les obligations fortes qui leur sont imposées sous forme de « règles de bonne conduite ».
L’obligation d’information et de transparence s’impose mais si le PSI est res-
ponsable de l’exactitude et de la complétude des informations communiquées sur
le site, pour le CIP l’obligation est moindre : il doit contrôler les informations du
porteur du projet.
Le statut de CIP se révèle plus souple que celui de PSI, lequel doit obtenir un
agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, dont la délivrance
est subordonnée à des conditions de ressources humaines et financières, à une
organisation comptable et financière et à un dispositif de contrôle.
12. Liste des principaux textes règlementaires en fin d’article.

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ÉLIANE FRÉMEAUX 335

A contrario, le statut de CIP s’applique à des personnes morales exerçant à titre


habituel l’activité de conseil en investissement au moyen d’un site internet et
remplissant les caractéristiques fixées par le règlement général de l’AMF13. L’accès
au site internet est par ailleurs limité aux internautes, investisseurs potentiels
acceptant de communiquer leurs coordonnées, ayant pris connaissance des risques
et les acceptant expressément14.
Le statut de CIP a été créé spécifiquement pour favoriser le développement du
financement par souscription de titres financiers mais au-delà, ce statut permet
sous certaines conditions le cumul avec l’activité d’intermédiaire en financement
participatif (IFP)15 lequel a l’avantage de déroger au monopole bancaire16.
La protection des internautes contributeurs est-elle suffisamment assurée ?
En cas de litige, le financement participatif n’est pas sans soulever de nom-
breux problèmes. Le législateur français a essayé d’y répondre en règlementant
l’activité des conseillers et des intermédiaires en financement participatif, mais la
protection est-elle vraiment suffisante ?
Il est difficile de répondre globalement à cette question tant les formes de
financement sont différentes. Qu’y a-t-il de commun entre les internautes prati-
quant le don ou le prêt à titre gratuit ou onéreux ou encore investissant par entrée
en capital dans une entreprise ? Les motivations sont bien différentes même si à la
base les contributeurs sont presque tous animés d’un grand élan de solidarité à
l’idée de participer avec d’autres, donc ensemble à un projet.
Sont-ils suffisamment avertis des risques qu’ils encourent notamment lorsque
les plates-formes sont situées hors du territoire français, voire hors de l’Espace
économique européen ? Sont-ils des consommateurs utilisateurs du commerce
électronique ? Peuvent-ils devant la difficulté d’agir seuls, se regrouper et exercer
une action de groupe ?
Autant de questions délicates ne trouvant pas la même réponse selon qu’il
s’agit d’un financement participatif par don, avec ou sans récompense, d’un prêt
avec intérêt ou de la souscription de titres financiers d’une société.
Les enjeux sont importants. Si le droit de la consommation est applicable,
alors le contributeur pourra se prévaloir des dispositions protectrices de ce droit
et faire valoir des pratiques trompeuses, une publicité mensongère, notamment
s’il y a prospection commerciale par courrier électronique.
S’il effectue un don avec récompense, le contributeur n’est pas un consomma-
teur17. S’il prête de l’argent, ce sont les règles du Code civil et du Code monétaire
13. C. mon. fin., art. L. 547-2 et C. assur., art. L. 512-1.
14. Les informations requises sont énumérées au 6° de l’article L. 547-9 du Code
monétaire et financier.
15. C. mon. fin., art. L. 547-III.
16. C. mon. fin., art. L. 511-6 6° qui déroge à l’article L. 511-5 du même code.
17. Le Code de la consommation définit comme consommateur « toute personne qui
agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale
ou libérale ».

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336 LE CROWDFUNDING : NOUVEL OUTIL DE FINANCEMENT

et financier qui doivent s’appliquer. Quant à la situation de l’investisseur de pro-


duits financiers relève-t-elle de la réglementation des services financiers souscrits
à distance18 ? La réponse devrait être affirmative, si l’on considère qu’il contracte
bien à distance un produit financier.
Ainsi, même si le droit de la consommation ne s’applique pas directement, les
risques encourus par les internautes dans certaines opérations sont suffisamment
réels pour que les mécanismes protecteurs du droit de la consommation puissent
trouver à s’appliquer.
Enfin, peut-on considérer que les plates-formes de crowdfunding puissent être
poursuivies via l’action de groupe introduite en France par la loi n° 2014-344 du
17 mars 2014 ? Cette action des contributeurs saisissant une association de défense
des consommateurs en vue de former une action de groupe à l’encontre des plates-
formes en raison de leur service d’intermédiaire et de conseil semble recevable. Cette
même action est moins évidente à l’égard du porteur du projet, notamment lorsqu’il
s’agit d’un financement par don sans contrepartie. Dans ce cas, les contributeurs
devraient agir dans le cadre d’une procédure mettant en cause la responsabilité du
professionnel. Le coût d’une action judiciaire les dissuadera très certainement.
La réponse est moins tranchée s’agissant d’une action de groupe à l’encontre d’un
porteur de projet dans le cadre de financements par souscription de titres financiers.
Les risques existent. Les contributeurs-internautes sont en quelque sorte un
peu joueurs mais ne sont certainement pas prêts à perdre leur épargne. Il faudra
attendre quelques affaires difficiles et leur médiatisation pour apprécier la portée
de la couverture juridique dont disposent les épargnants.
À titre anecdotique, il faut préciser que plusieurs opérations de crowdfunding
ont financé des actions en justice ainsi que des articles de presse contre des projets
gouvernementaux ou locaux.

Un garde-fou : le plafonnement des sommes engagées


La protection des contributeurs internautes passe très certainement par le pla-
fonnement des sommes engagées.
Le décret n° 2014-1053 du 16 septembre 2014 pris en application de l’ordon-
nance du 30 mai 2014 avait fixé les plafonds applicables aux prêts et aux emprunts.
Ces plafonds ont été modifiés par un décret n° 2016-1453 du 28 octobre 2016 :
– pour les prêts sans intérêt : la limite est de 5 000 euros par prêteur et par
projet ;
– pour les prêts avec intérêt : la limite est de 2000 euros par prêteur et par
projet, la durée du prêt ne peut être supérieure à sept ans ;
– pour les dons avec ou sans récompense, il n’existe aucun plafond.
Disposition importante : le plafond de l’emprunt que peut solliciter un por-
teur de projet est passé d’un million d’euros à 2,5 millions d’euros.

18. C. consom., art. L. 121-26 et s.

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ÉLIANE FRÉMEAUX 337

Par ailleurs, le décret élargit la palette des titres financiers. En complément des
actions et des obligations à taux fixe, il peut être proposé aux investisseurs des obli-
gations convertibles et des titres participatifs sous certaines conditions. Cette mesure
a élargi le public intéressé par ces produits et répond à certains besoins de finance-
ment, notamment celui des coopératives (coopératives agricoles, SCOP…).
Ce même décret prévoit aussi la possibilité pour les personnes morales de
prêter à des entreprises en créant les « minibons » émis via les plates-formes de
crowdfunding ayant le statut de CIP ou de prestataire de services d’investissement
(PSI). Si le montant des sommes investies par les prêteurs n’est pas plafonné,
l’émission des « minibons » par une entreprise est plafonnée à 2,5 millions d’eu-
ros sur une période de douze mois.
Les limites de l’engagement fixées par le législateur peuvent paraître protectrices
mais certains particuliers seront tentés de prêter au-delà de leur capacité financière.
Il faut donc compter sur le bon sens et la prudence des investisseurs, difficiles à
garantir face à un engagement financier souvent plus émotionnel que rationnel.

L’obligation d’information des plates-formes


Les plates-formes doivent une information présentant un caractère « exact, clair
et non trompeur ». Elles ont l’obligation de « s’enquérir auprès de leurs clients ou de
leurs clients potentiels de leurs connaissances et de leur expérience en matière d’in-
vestissement ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d’investisse-
ment, de manière à s’assurer que l’offre proposée est adaptée à leur situation »19.
Les sanctions disciplinaires qui leur sont applicables en cas de manquement
aux règles de bonne conduite et les infractions liées à la régulation du marché
bancaire et financier – démarchage, lutte contre le blanchiment d’argent, conflits
d’intérêts… – doivent les conduire à être vigilantes sans oublier leur intérêt à
justifier de leurs bonnes performances.
Un article récent du magazine de l’association UFC-Que Choisir consacré à la
finance participative relève que les plates-formes de prêts se livrent à une sous-
estimation des gains potentiels des consommateurs. En période de taux faible,
UFC-Que Choisir craint que les épargnants ne se laissent attirer par la perspective
de gains élevés. Elle demande au « gendarme bancaire de s’assurer du respect par
les plates-formes de leurs obligations légales d’information et de sanctionner les
manquements persistants ».

La reglementation applicable aux entreprises pouvant offrir des titres


financiers ?
La réglementation mise en place par l’ordonnance du 30 mai 2014 et les
textes subséquents permet à des sociétés d’offrir des titres financiers sans que
cela constitue une offre au public et sans avoir à publier un prospectus d’infor-
mations soumis à l’AMF. L’opération doit être faite par l’intermédiaire d’un site

19. C. mon. fin., art. L. 533-13, 1 et L. 547-9, 6.

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338 LE CROWDFUNDING : NOUVEL OUTIL DE FINANCEMENT

internet PSI ou CIP satisfaisant aux caractéristiques fixées par le règlement


général AMF. L’offre doit être inférieure au montant déterminé par décret
(actuellement 2,5 millions d’euros).
L’article L. 411-21 bis du Code monétaire et financier précise que « ne constitue
pas une offre au public au sens de l’article L. 411-1 l’offre qui porte sur des titres
financiers mentionnés au 1 ou au 2 du II de l’article L. 211-1 qui ne sont pas admis
aux négociations sur un marché réglementé ou un système multi latéral de négocia-
tions ». Les dispositions du 1 et 2 de l’article L 211-1 dudit code visent d’une part les
titres de capital émis par les sociétés par actions et d’autre part les titres de créances :
obligations, effets de commerce à l’exception des bons de caisse exclus expressément.
C’est donc par la nature des titres financiers pouvant être offerts que se déter-
minent les sociétés éligibles au crowdfunding-equity.
La question de l’éligibilité de la société par actions simplifiée (SAS) a été lon-
guement discutée car il est apparu clairement que ce serait la société la plus utili-
sée par les jeunes entreprises. Pour avoir accès au crowdfunding-equity, les statuts
d’une SAS doivent prévoir impérativement de nouvelles règles relatives au droit
de vote des actionnaires20. L’objectif du législateur a été de renforcer la protection
des internautes-investisseurs en diminuant la liberté contractuelle d’organisation
qui caractérise la SAS.
L’entreprise recourant au crowdfunding-equity doit aussi étudier l’impact sur la
maîtrise du capital. Elle doit accepter la contrainte de l’information à « sa com-
munauté » sur l’évolution de l’entreprise.
Les conséquences sont d’autant moins maitrisables que le nombre d’action-
naires nouveaux est important, ce qui conduit à l’utilisation de plusieurs tech-
niques juridiques pour maitriser la gouvernance résultant d’une ouverture du
capital. Ainsi certaines plates-formes regroupent les investisseurs en une holding
ce qui autorise un investissement personnel de base très faible. Les petits por-
teurs21 sont alors représentés au sein de la holding actionnaire en charge de les
représenter au niveau de l’entreprise.
Les spécificités du crowdfunding-equity conduisent à reconnaître des droits à
des investisseurs mais leur font aussi courir des risques qu’ils maitrisent peu s’ils
ne sont pas avertis. Au premier rang de ces risques figure l’absence de liquidités
des titres souscrits trop souvent gommée par l’attrait de ce financement des
PME et notamment les avantages fiscaux qu’il peut procurer.

Les aspects fiscaux du financement participatif


Le financement participatif repose sur des transferts de valeurs, ce qui entraîne,
tant au niveau du contributeur que du bénéficiaire, des conséquences fiscales. Les
aspects fiscaux sont différents selon la nature juridique du financement : don, prêt

20. Les articles L. 225-123, L. 224-124 et L. 225-125 du Code du commerce sont


applicables de plein droit aux SAS ayant recours au crowdfunding.
21. Les petits porteurs sont parfois appelés micro business angels (MBA).

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ÉLIANE FRÉMEAUX 339

ou participation au capital d’une société porteur de projet. Ils sont aussi différents
selon la qualité des parties : personne physique ou personne morale.
La fiscalité peut imposer des obligations déclaratives. Elle peut aussi présenter
des avantages selon les situations. Ces avantages peuvent être liés à la nature de
l’investissement, au respect de certaines conditions, notamment de durée. Le
législateur a soutenu le financement participatif aux entreprises en accordant
notamment aux prêteurs l’entrée des titres dans un PEA et le bénéfice du disposi-
tif ISF/PME. Il a pris également des dispositions pour prendre en compte dans
certaines situations les pertes constatées par le contributeur.
Les plates-formes de financement participatif sont tenues d’informer les utilisa-
teurs (contributeurs et porteurs de projet) des obligations fiscales pesant sur eux.
La doctrine fiscale est précisée au BOFIP22.

Le développement du crowdfunding près de trois ans après l’ordonnance


est-il acquis ?
L’ambition manifestée par les pouvoirs publics ne semble pas se tarir malgré
une réglementation considérée comme source de contraintes par les structures des
plates-formes de financement.
Cette dynamique est le fruit de plusieurs facteurs liés à l’impact sociologique
d’internet, la qualité des solutions mises en place, l’accès peu coûteux et direct à
l’information, la rapidité de décision. Il faut aussi retenir un goût prononcé de
l’internaute pour une autonomie de décision, un souhait de participer à une
cause, à des projets porteurs de sens et parfois de passion. À cela s’ajoute un recul
de la confiance dans les institutions établies.
Ce qui apparaissait donc en 2008 comme un produit typiquement anglo-
saxon a aujourd’hui largement percé en France. Il semble avoir trouvé la confiance
du public et s’est mis au service de tous les secteurs d’activité.
À côté de plates-formes généralistes, dites aussi « communautaires », se sont
développés des sites très spécialisés dans les domaines les plus variés comme la
culture, le divertissement (cinéma, musique, spectacles, jeux de société et vidéo),
les arts plastiques, l’édition, l’agriculture, l’environnement, le sponsoring pour le
sport, le tourisme, la restauration…
Des sites se sont spécialisés dans l’économie sociale et solidaire et favorisent le
financement d’associations ou de structures sociales. D’autres ont une approche
locale centrée sur un territoire ou une région. Les collectivités territoriales sont
très intéressées par le lancement d’initiatives de « crowdfunding local ». Cela leur
permet de proposer à une population déterminée d’être associée au financement
de projets territoriaux. Il en est de même dans le secteur de l’environnement et
notamment dans l’accompagnement de la transition énergétique.

22. BOI-RPPM-RCM-20-10-20-30 et BOI-RPPM-RCM-20-10-20-70, en ligne


[www.bofip.impots.gouv.fr].

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340 LE CROWDFUNDING : NOUVEL OUTIL DE FINANCEMENT

La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique comporte diverses


dispositions en faveur du financement participatif dans le secteur des énergies
renouvelables. Ces mesures visent notamment la participation des collectivités
territoriales au capital de sociétés commerciales dont l’objet initial est la produc-
tion d’énergies renouvelables par des installations situées sur leur territoire.
Parmi les sites très spécialisés, il faut aussi citer ceux développant le « crowd-
funding immobilier » qui s’est développé très rapidement dans les pays anglo-
saxons, puis a retenu l’attention des internautes français (rendement annuel
élevé : de 8 à 10 % ; durée de retour sur investissement relativement courte : de
24 à 36 mois).
Ce financement peut intervenir dans le cadre de prêt mais également en equity.
Plusieurs solutions sont proposées aux investisseurs dans le financement en equity :
souscription d’obligations ou d’actions ou parts d’une société holding constituée
par le promoteur. La holding est elle-même associée de la société de construction-
vente assurant la réalisation du programme et la vente par lots. À travers leur parti-
cipation à la société holding, les investisseurs participent aux bénéfices de l’opéra-
tion immobilière.
Cette solution n’est pas sans risque car en cas de défaut de la société du promo-
teur, les associés d’une SCI holding peuvent se retrouver responsables des dettes de
la société mère. Cette situation a récemment fait l’objet d’observations de la part de
l’AMF à l’attention des investisseurs de « crowdfunding immobilier »23.
La souscription d’obligations est une solution moins risquée dont la rentabilité est
connue. L’investisseur peut être en risque si la vente des lots ne se réalise pas comme
prévu, mais il n’est pas susceptible d’engager sa responsabilité dans l’opération.
Le secteur immobilier intéresse aussi des investisseurs qui se regroupent par
l’intermédiaire d’une plate-forme, à travers une structure dans l’objectif de réali-
ser en commun des opérations d’acquisition, de rénovation de divers biens afin de
les louer et d’en retirer une plus-value. Cet investissement collectif n’est pas sans
risque lorsqu’à côté de professionnels se retrouvent des épargnants parfois inexpé-
rimentés et ce, d’autant que ces opérations interviennent par l’intermédiaire de
plates-formes non réglementées.
Dans tous les cas, financement en equity ou sous forme de prêt, les contribu-
teurs doivent être particulièrement attentifs à la qualité des programmes immobi-
liers financés et être conscients des risques qui pèsent sur leur investissement.

Les chiffres du financement participatif en France


Après avoir connu une hausse depuis octobre 2014, le nombre de plates-
formes en France semble s’être stabilisé. Il n’est pas facile de comptabiliser le
nombre de plates-formes car certaines ne sont pas enregistrées à l’ORIAS.

23. Déclaration de Mme Castagnet, directrice en charge des relations avec les épargnants à
l’AMF, Figaro économie, 20 janvier 2017.

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ÉLIANE FRÉMEAUX 341

Il y aurait actuellement environ 140 plates-formes dont 31 plates-formes de


crowd-equity disposant du statut de conseiller en investissements participatifs
(CIP) et 58 plates-formes de crowdlending disposant du statut IFP dont seule-
ment 38 actives.
Selon les chiffres du baromètre de croissance 2016 en France réalisé par
KPMG pour le compte de l’Assurance financement participatif France (FPF), la
collecte aurait atteint 233,8 millions d’euros tous secteurs confondus contre
166,8 millions d’euros en 2015, soit une augmentation des fonds collectés de 40 %.
La foule a accueilli 200 000 nouveaux financiers en 2016 (chiffre en baisse par
rapport à 2015).
Le secteur du prêt a recueilli 96,6 millions d’euros, soit 46 % de plus qu’en
2015, alors que le don et l’investissement font jeu égal avec 68,6 millions d’euros
de nouveaux encours chacun ce qui correspond à un taux de croissance de + 37 %
et + 36 % pour ces deux secteurs.
Un focus sur le financement des entreprises permet de constater que la croissance du
secteur a été essentiellement portée par les levées en obligations (+ 86 %) dont 45 mil-
lions d’euros concernant majoritairement des opérations de promotion immobilière.
L’apparition des « minibons » destinés à faciliter et à sécuriser les prêts a drainé 8,4 mil-
lions d’euros.et le prêt rémunéré a collecté 40,2 millions d’euros (+ 27 %).
Dans le financement en equity, l’apport en capital reste majoritaire et la contri-
bution moyenne est en augmentation de 4 342 à 6 343 euros.

Quelques chiffres à comparer


Les dons versés par les Français s’élèveraient à 2 milliards d’euros à comparer
aux 68,6 millions collectés par les plates-formes de crowdfunding.
Les jeux de hasard drainent plus de 23 milliards d’euros.
En 2016 le financement bancaire représenterait environ 180 milliards d’euros.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le crowdfunding n’est pas en compétitivité
avec le financement bancaire qui repose sur des règles et des contraintes spécifiques,
mais sa dynamique interpelle les organisations de l’économie sociale et solidaire
tout comme les prêteurs institutionnels qui ont très vite pris en compte la création
des plates-formes et l’intérêt qu’elles représentent pour l’économie.
La France se veut pilote dans ce domaine de la finance participative et les
pouvoirs publics en soutiennent la promotion. Ainsi BPIFrance, banque publique
d’investissement, a mis en place un portail permettant d’accéder à un ensemble
des projets présentés par les différentes plates-formes et triés selon certains cri-
tères24. Des associations, des rencontres comme les assises de la finance participa-
tive sont initiées pour promouvoir le financement participatif. Ces manifestations
invitent les acteurs à faire évoluer le cadre réglementaire actuel.

24. www.tousnosprojets.fr

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342 LE CROWDFUNDING : NOUVEL OUTIL DE FINANCEMENT

*
* *

Le crowdfunding est-il aujourd’hui un phénomène incontournable ? Peut-être


pas, mais il reste indéniable que le financement participatif affiche un dynamisme
incontestable pour toutes les raisons évoquées ci-dessus.
Faut-il lui accorder toutes les vertus face au système bancaire traditionnel ?
Certainement pas, car il n’a pas toutes les contraintes des banques, mais le crowd-
funding a et aura un impact sur les relations de la banque avec les entreprises.
Devant son succès, les acteurs de la finance traditionnelle s’y intéressent aussi, au
point de changer certains modèles de leur activité.
L’élan de générosité, de solidarité qui était le fondement de base du crowdfun-
ding est-il toujours là ? Si à l’origine le crowdfunding s’est développé dans la soli-
darité, la culture et la créativité, c’est le financement de l’entreprise, autrefois
réservé à la banque, qui en est devenu le vecteur le plus important.
Le financement participatif a de l’utilité et aussi du sens si les règles du jeu sont
respectées : une démarche collaborative, solidaire, interactive. La multiplication des
sites, l’engouement pour les start-up, de même que l’ouverture à un public non initié de
forme d’investissements complexes n’est pas sans danger. Les plates-formes doivent
assumer pleinement leur rôle de conseil professionnel : l’information loyale et complète
pour les contributeurs et les porteurs de projet, la transparence sur les dossiers, une
sélection efficace des projets. À défaut de prévenir les dérives, quelques opérations mal-
heureuses mais bien médiatisées pourraient très vite ternir l’image des sites d’épargne.
Une certitude, à l’heure où j’écris, le succès du financement participatif ne se dément
pas. Les chiffres sont là, l’attrait demeure. La vigilance doit toutefois rester la règle.
Mais peut-être faut-il aussi considérer que « la foule » a du bon sens et une
prudence naturelle, qu’elle est responsable, volontairement engagée et entend être
utile en contribuant à l’innovation et à la création dans notre pays.

Liste des principaux textes applicables au financement participatif


– Ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif.
– Décret n° 2014-1053 du 16 septembre 2014 relatif au financement participatif.
– Arrêté du 22 septembre 2014 portant homologation des modifications du
règlement général de l’Autorité de marchés financiers concernant le financement
participatif.
– Arrêté du 24 septembre 2014 portant homologation des statuts de l’orga-
nisme en charge de la tenue du registre unique des intermédiaires en assurance,
banque et finance.
– Arrêté du 24 septembre 2014 modifiant l’arrêté du 20 décembre 2012 fixant
le montant des frais d’inscription annuels au registre unique des intermédiaires
mentionnés à l’article L 546-1 du Code monétaire et financier.
– Arrêté du 30 septembre 2014 relatif à la capacité professionnelle des inter-
médiaires en financement participatif.

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– Arrêté du 30 septembre 2014 modifiant l’arrêté du 1er mars 2012 relatif au


registre unique.
– Position AMF (DOC 2014-10) et position ACPR (2014-P*08) sur le place-
ment non garanti et le financement participatif.
– Instruction AMF relative au processus d’examen par l’AMF de la demande
d’immatriculation des CIP et à la transmission d’informations annuelles (DOC
2014-11).
– Instruction AMF relative au processus d’examen par l’AMF de la demande d’im-
matriculation des CIP et à la transmission d’informations annuelles (DOC 2014-11).
– Instruction AMF relative aux informations aux investisseurs à fournir par l’émet-
teur et le conseiller en investissement participatif ou le prestataire de service d’investis-
sement dans le cadre d’une offre de financement participatif (DOC 2014-12).
– Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une république numérique.
– Décret n° 2016-1453 du 28 octobre 2016.
Bibliographie
– N A. et V D., La finance participative au service des entreprises,
oct. 2016, Economica.
– R V., Crowdfunding : le financement participatif bouscule
l’économie !, 2013, Éditions Fyp.
– Guide du financement participatif à destination du grand public, AMF.
– S P., « Le droit nouveau du crowdfunding par prêts ou par dons »,
Revue Banque, juillet-août 2014, n° 774.
– G T. et C-G N., « Le crowdfunding ou financement
participatif, révélateur des limites actuelles du système financier », in Mélanges
Paul Le Cannu, 2014, LGDJ.
– D D. et B B., « La foule au secours du financement, éclairage
sur le crowdfunding », Dr. et patr., n° 235/2014.
– LG.,AL.etLC.,« Crowdfunding,peut-onraisonnablement
être associé avec la foule », JCP E 2013, 1709.
– L F A.V., « Enfin un cadre juridique pour le crowdfunding, une première
étape dans la réglementation », D. 2014, Dechaux, 183.
– D D., « La vérité sur… la folle croissance du crowdlending », en
ligne [http ://www.challenges.fr/finance-et-marche/20160616].
– M F. et S D., Les fonds de capital investissement : principes
juridiques et fiscaux, 3e éd., déc. 2014, Gualino.
– P D., « Quand le crowdfunding s’allie à l’énergie solaire et à la
blockchain », en ligne [http ://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/
energie-environnement].
–  V H., « Rifkin rattrapé par Adam Smith ou comment la finance
de marché est en train de phagocyter l’économie collaborative ? », Alternatives
économiques, 2014.

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QUATRIÈME PARTIE
NOTARIAT

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Le devoir de conseil du notaire


sur l’opportunité économique des actes

Matthieu P
Professeur à l’Université de Toulouse 1 Capitole

Le devoir de conseil du notaire constitue depuis de longues années, et peut-


être à ses dépens, un terrain d’élection lorsqu’il s’agit, pour les juges, d’en délimi-
ter les avancées et les frontières. Sans doute, le notaire n’est pas le seul profession-
nel du droit tenu à un devoir de conseil. Il n’est d’ailleurs, à ce titre, et contraire-
ment à une croyance plus ou moins partagée, pas tenu plus sévèrement que ces
autres professionnels, rédacteurs d’actes.
Mais, il est également vrai que, souvent, c’est une action en responsabilité
pour manquement au devoir de conseil du notaire qui donne aux juges l’occasion
d’en tracer les contours, d’en poser les conditions et d’en façonner le régime.
Avant, étape suivante, de s’exporter vers les autres professionnels du droit1, le
devoir de conseil est ainsi, pourrait-on écrire, façonné par le notariat.
La Cour de cassation, d’ailleurs, ne rejette pas une telle analyse, en décidant
que « lorsqu’une décision de justice emporte vente, l’avoué du vendeur est
tenu, au même titre qu’un notaire, d’une obligation de conseil pour la préser-
vation des droits de son client jusqu’à la parfaite exécution du jugement ». Plus
avant, l’on constate en effet que nombre de solutions éprouvées par les juges à
l’occasion d’un litige concernant un notaire, s’étendent par la suite, peu à peu
et méthodiquement, aux autres professionnels du droit, dessinant, non sans
hésitation et circonvolutions, un droit uniforme de la responsabilité du rédac-
teur d’acte2.
L’obligation de conseil du notaire ne serait alors peut-être pas tant liée à l’authen-
ticité elle-même3 qu’à son rôle de rédacteur d’actes, professionnel du droit, ainsi que
nombre de décisions le soulignent : « Tenu professionnellement », « en sa qualité de
notaire rédacteur d’actes », il doit assurer, à ce titre, leur efficacité et leur validité, à

1. L M., « L’efficacité et les nouvelles compétences du notaire », JCP N, 8 juin


2012, 8 juin 2012, 1252.
2. Cass. 1re civ., 24 juin 1997, Bull. civ. 1997, I, n° 214, p. 142 : JCP N 1998, II,
p. 54, note Leveneur L.
3. Comp. S J.-F. et L M., « La responsabilité du notaire en matière de
sûretés », Defrénois, 30 mai 2011, n° 10, p. 976 : « Même si l’on ne peut ignorer qu’il existe,
dans la jurisprudence, une tendance lourde à la convergence des responsabilités des différents
professionnels du droit, il n’est pas impossible de penser que la rigueur de la responsabilité
notariale puise sa source dans l’authenticité elle-même » ; adde A J.-L. et C R., La
responsabilité civile des notaires, 5e éd., 2008, Defrénois, n° 75, p. 89 et 90.

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348 LE DEVOIR DE CONSEIL DU NOTAIRE

l’instar de tout rédacteur d’actes4. Telle est la finalité des obligations professionnelles
(devoir d’investigation et devoir de conseil) imposées aux rédacteurs d’actes, y compris
le notaire5, et dont il résulte une convergence des responsabilités. Le notaire, rédacteur
d’actes, est-il tenu veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence
impliquant qu’il conseille les deux parties6 ? Il en va également ainsi de l’avocat7, de
l’expert-comptable8 et depuis longtemps du conseil juridique9. La jurisprudence a-t-
elle inaugurée au milieu des années 1990 une solution selon laquelle « le notaire n’est
pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences personnelles de son client »10
ou à raison de la présence d’un conseiller à ses côtés11 ? C’est une solution identique
que les juges ont appliquée aux avocats12 et aux experts-comptables13, et gageons que
le temps venu, la formule selon laquelle le notaire n’a pas « à renseigner son client sur
l’existence de données de fait dont celui-ci a connaissance »14 leur sera applicable. Le
notaire a-t-il un devoir d’investigation ? Il en va également ainsi de l’huissier15 et de
l’agent immobilier16. Encore, le notaire n’est, « en principe, pas tenu à une obligation
de conseil et de mise en garde en ce qui concerne l’opportunité économique de l’opé-
ration à laquelle il prête son concours »17. Il en va également ainsi de l’avocat18, voire
plus généralement de tout rédacteur d’actes si l’on en croit la cour d’appel de Lyon19.

4. Pour un avocat Cass. 1re civ., 21 févr. 2006, n° 04-10314 ; CA Versailles, 12 sept. 2013,
JurisData n° 2013-019912 ; adde l’article 7.2 du RIN de la profession d’avocat. Pour un conseil
juridique, Cass 1re civ., 13 févr. 1996, n° 94-11473 ; CA Versailles, 8 déc. 1994, n° 1994-603764.
Pour un expert-comptable : Cass. 1re civ., 16 nov. 1999, n° 97-14280 ; 4 déc. 2012, n° 11-27454.
Pour un huissier, CA Paris, 28 févr. 2000, JurisData, n° 2000-119600.
5. Cass. 1re civ., 12 avr. 2005, Bull. civ. I, n° 178 ; D. 2005. IR. 1180 ; AJDI 2005.
592 : visant « les obligations du notaire qui ne tendent qu’à assurer l’efficacité d’un acte
instrumenté par lui et qui ne constituent que le prolongement de sa mission de rédacteur
d’acte » ; Cass. 1re civ., 22 nov. 2007, n° 05-11350.
6. Cass. 1re civ., 4 janv. 1973, Bull. civ. I, n° 1 ; Defrénois, 1973, 1110, obs. Aubert J.-L.
7. Cass. 1re civ., 21 févr. 2006, n° 04-10314 ; Cass. 1re civ., 27 nov. 2008, 07-18142 ; Cass. 1re civ.,
25 févr. 2010, n° 09-11591. Pourtant, « l’avocat qui est intervenu comme rédacteur unique d’un acte
n’est pas présumé avoir été le conseil de toutes les parties signataires » (art. 7.3 du RIN).
8. Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, JurisData, n° 2004-025549 ; CA Paris, 2 mars 2010, n° 09-1129.
9. Cass. 1re civ., 1er oct. 1986, n° 84-13800.
10. Cass. 1re civ., 12 déc. 1995, n° 93-18753 ; Cass. 1re civ., 25 nov. 1997, n° 95-18618 :
Bull. civ. I, n° 238 ; 11 juin 1998, n° 96-13785 : Bull. civ. I, n° 205 ; 22 mai 2001,
n° 98-15847 ; 12 juill. 2005, n° 03-19321. ; 30 mai 2013, n° 12-22252.
11. Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14192.
12. Cass. 1re civ., 7 juill. 1998, n° 96-14192 ; 19 mai 1999, n° 96-20332 ; 7 mai 2002,
n° 99-12907 ; 27 nov. 2008 ; 25 févr. 2010, n° 09-11591.
13. Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, JurisData n° 2004-025549 ; Bull. civ. II, n° 256 ;
Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-27454.
14. Cass. 1re civ., 11 déc. 2013, n° 12-28432 ; Cass. 1re civ., 11 janv. 2017, n° 16-10607
– déjà 26 nov. 1996, Bull. civ. 1996, I, n° 423 ; 5 avr. 2012, n° 11-10321.
15. Cass. 1re civ., 25 mars 2010, n° 09-12294.
16. Cass. 1re civ., 16 oct. 2013, n° 12-24267.
17. Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-19942.
18. Cass. 1re civ., 22 sept. 2011, n° 10-19003.
19. CA Lyon, 5 mars 2015, JurisData n° 2015-005150 : « Le devoir de conseil du
rédacteur d’acte exclut toute appréciation sur l’opportunité économique de l’opération
envisagée et sur les conditions financières dans lesquelles elle intervient ».

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MATTHIEU POUMARÈDE 349

Voilà, en effet, plusieurs années que la première chambre civile, rejointe par
nombre de juridictions du fond20, décide inlassablement, et comme pour mieux
conjurer le sort, que le notaire n’est pas tenu d’un devoir de conseil et de mise en
garde en ce qui concerne l’opportunité économique de l’opération à laquelle il
prête son concours. Ces décisions entendent circonscrire le devoir de conseil du
notaire à la validité et à l’efficacité juridique de l’acte21, tandis qu’il n’est pas tenu
à une obligation de conseil et de mise en garde concernant l’opportunité écono-
mique de ce même acte22.
Aux parties l’opportunité économique, au notaire la validité et l’efficacité juri-
dique, pourrait-on écrire selon une répartition des rôles qui paraîtrait satisfaisante
si les frontières de l’opportunité et de l’efficacité, mais également du droit et de
l’économie, n’étaient pas davantage poreuses que le simple énoncé de cette limite
au devoir de conseil de notaire le fait candidement paraître. Le doyen Aubert avait
déjà montré que la frontière entre « conseil de droit et conseil d’opportunité est en
réalité difficile à tracer »23. Au surplus, les aspects économiques des actes recouvrent
à l’évidence et plus que jamais des aspects financiers et fiscaux dont les enjeux
sont désormais tels qu’ils sont parfois souvent la raison d’être des actes instrumen-
tés par le notaire : ce n’est pas pour rien si le contentieux lié aux actes conclus
« aux fins de défiscalisation »24 a augmenté considérablement. Y compris s’agis-
sant d’actes « simples ». Le notaire peut-il toujours demeurer extérieur à la faisa-
bilité financière d’une opération de défiscalisation immobilière dès lors qu’elle est
l’objectif poursuivi ? Certainement pas. Pas davantage que le notaire ne pouvait
rester totalement extérieur aux objectifs plus traditionnels que les acquéreurs
d’immeuble, par exemple, pouvaient (et peuvent encore) poursuivre : se loger,
louer, exercer une activité professionnelle…
Et c’est précisément ce que décident les juges. En effet, au-delà de l’« effet
d’annonce » qui conduit à ne retenir que la seule idée selon laquelle le notaire
n’est pas, en principe, tenu à une obligation de conseil et de mise en garde concer-
nant l’opportunité économique de l’acte, il convient de ne pas négliger que dans
un arrêt de principe, publié au bulletin, et dont l’attendu a été plusieurs fois repris
tant par la Cour de cassation25 que par les juges du fond26, la première chambre
civile a précisé que « s’il n’est pas tenu d’une obligation de conseil et de mise en garde
concernant l’opportunité économique d’une opération en l’absence d’éléments
d’appréciation qu’il n’a pas à rechercher, le notaire est, en revanche, tenu d’une
20. V. par ex CA Rennes, 2 févr. 2017, n° 13/05880 : le notaire n’a pas « d’obligation
d’information et de renseignement (…) sur l’opportunité économique de l’opération
immobilière de défiscalisation ». CA Riom, 30 janv. 2017, n° 15/00190 ; CA Paris,
13 sept. 2011, n° 09/20749 ; CA Rennes, 1er févr. 2011, n° 09/07952 ; CA Toulouse,
9 janv. 2001, n° 1999/03114 ; JurisData, n° 2001-138768.
21. Par ex., Cass. 1re civ., 28 juin 2007, n° 06-11988.
22. Par ex. Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 14-11557 et 14-11558.
23. A J.-L., La responsabilité civile des notaires, 4e éd., 2002, Defrénois, n° 90.
24. Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 14-11557 et 14-11558.
25. Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14192.
26. CA Riom, 30 janv. 2017, n° 15-00190.

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350 LE DEVOIR DE CONSEIL DU NOTAIRE

telle obligation pour que les droits et obligations réciproques légalement contrac-
tés par les parties répondent aux finalités révélées de leur engagement, soient
adaptés à leurs capacités ou facultés respectives et soient assortis des stipulations
propres à leur conférer leur efficacité »27.
Ce faisant, la première chambre civile pose non pas une seule mais deux
« règles » qui, a priori, paraîtraient contradictoires si elles n’avaient, en réalité,
pas le même domaine. D’une part, le notaire n’est en principe pas tenu d’une
obligation de conseil et de mise en garde concernant l’opportunité économique
de l’acte. Autrement dit, il ne saurait être le garant de la pertinence économique
de l’acte. Les parties demeurent maître de ce qui est économiquement « bon »
pour elles, de ce qui leur convient en fonction de leur situation. D’autre part,
le notaire est tenu d’une obligation de conseil et de mise en garde « pour que les
droits et obligations réciproques légalement contractés par les parties répondent
aux finalités révélées de leur engagement, soient adaptés à leurs capacités ou
facultés respectives et soient assortis des stipulations propres à leur conférer leur
efficacité ». En d’autres termes, il conviendrait de distinguer la pertinence éco-
nomique d’un acte de l’efficacité, notamment économique, de ce même acte.
Alors que la première, la pertinence économique, est la chose des parties à
l’acte, l’efficacité juridique mais également économique est de la compétence
du notaire : dès lors que le notaire assure l’efficacité de l’acte, il n’a pas à s’assu-
rer de son opportunité. Au regard de cette distinction entre la pertinence éco-
nomique (I) et l’efficacité économique (II), telle qu’elle est posée par la Cour de
cassation, la jurisprudence prend sens.

I – LE NOTAIRE ET LA PERTINENCE ÉCONOMIQUE DE L’ACTE

Le principe est net : le notaire n’est pas juge de l’opportunité économique de


l’acte, tel qu’il est envisagé par les parties. Il ne s’agit pas de dire que le notaire
n’aurait pas à conseiller tel acte plutôt que tel autre : il ne saurait instrumenter des
actes inutiles, dès lors que ce serait contraire au principe d’efficacité28. Il s’agit
simplement, pour les juges, de rappeler que le notaire n’est pas le garant de l’op-
portunité économique des actes qu’il instrumente (A) et dont on sait par ailleurs
que l’ordonnance du 10 février 2016 a opportunément rappelé ce qui doit
demeurer une évidence : « Dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équiva-
lence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat ».

27. La Cour ajoutait : « Quand bien même leur engagement procéderait d’un accord
antérieur, dès lors qu’au moment de l’authentification cet accord n’a pas produit tous ses effets
ou ne revêt pas un caractère immuable ». Cette incise procède semble-t-il d’une confusion. Le
fait que l’accord ait produit tous ses effets ou qu’il soit immuable conduit à décider que le
notaire authentificateur n’a pas de devoir d’efficacité. En revanche, cela ne devrait pas avoir
nécessairement d’impact sur l’obligation de conseil et de mise en garde du notaire (v. infra) qui
subsiste : l’immuabilité de l’accord ne dispense en rien le notaire de mettre en garde les parties.
28. V. infra, II.

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MATTHIEU POUMARÈDE 351

Le tempérament, s’il en est un, est un peu moins aisé à appréhender. La Cour de
cassation, en effet, décide que le notaire n’est pas tenu à une obligation de conseil et
de mise en garde « en l’absence d’éléments d’appréciation [de l’opportunité écono-
mique] qu’il n’a pas à rechercher ». Est-ce à dire que si le notaire détient des éléments
d’appréciation qui lui permettent de penser que l’opération n’est pas économique-
ment opportune, il doit alors sortir de son silence et conseiller ou mettre en garde ses
clients ? Cela n’est pas certain ; ou du moins, pas nécessairement, souhaitable… (B).

A. Le notaire n’est pas le garant de la pertinence économique de l’acte

De l’énoncé du principe encore récemment réaffirmé selon lequel « le notaire n’est


pas tenu d’une obligation de conseil et de mise en garde concernant l’opportunité éco-
nomique d’une opération »29, les juges en ont par exemple déduit que le notaire n’est
pas tenu de renseigner l’acquéreur sur une surestimation30 ou le vendeur sur une sous-
estimation31 du prix du bien, de mettre en garde un coacquéreur sur un prétendu risque
d’engagement avec un autre coacquéreur dont la santé financière était néanmoins
bonne32, d’alerter les acquéreurs sur les pénalités, selon eux, exorbitantes imposées par
l’établissement de crédit en cas de rachat des prêts qu’ils avaient souscrits33, d’attirer
l’attention du bailleur sur la mention du bail selon laquelle le locataire ne doit pas four-
nir de caution34, de s’immiscer dans la vérification de la capacité financière d’une partie
à laquelle une banque a apporté son concours financier35, de mettre en garde un ven-
deur contre les prorogations demandées par les acquéreurs pour le versement du dépôt
de garantie et pour l’obtention de leur emprunt36 ou encore, et plus généralement, de
mettre en garde un acquéreur sur les conséquences économiques de son acquisition37,
notamment lorsqu’il s’agit d’une opération immobilière de défiscalisation38.
Les parties, à un moment ou un autre du processus contractuel, réalisent des choix
économiques : vendre, acheter, emprunter, négocier, etc. Or, si le notaire doit assurer
les parties de l’efficacité de leurs choix (au-delà même de leur légalité), il n’a pas néces-
sairement à les assurer de leur opportunité économique qui reste la chose des parties.
L’explication de cette limite, opportune, au devoir de conseil du notaire, réside certai-
nement au premier chef dans la compétence du notaire. En effet, le notaire est, les
juges le rappellent suffisamment, un « professionnel du droit ». S’il ne s’agit

29. Par ex. : Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14192 ; CA Riom, 30 janv. 2017,
n° 15-0190.
30. CA Paris, 13 sept. 2011, n° 09-20749, préc. ; CA Paris, 8 nov. 2000, JurisData,
n° 2000-127661.
31. CA Besançon, 20 sept. 2016, n° 15/00439 ; CA Aix-en-Provence, 10 mai 2007,
n° 2007/349.
32. CA Toulouse, 9 janv. 2001, JurisData, n° 2001-138768.
33. Cass. 1re civ., 20 janv. 2011, n° 10-10174, préc.
34. CA Paris, 4 avr. 2006, n° 05-01218.
35. CA Aix-en-Provence, 3 janv. 2017, n° 15-10466.
36. Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 10-18954.
37. CA Rennes, 1er févr. 2011, n° 09-07952.
38. CA Rennes, 2 févr. 2017, n° 13-05880.

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352 LE DEVOIR DE CONSEIL DU NOTAIRE

aucunement de dire que le droit est un système fermé, dont les praticiens devraient
aveuglement se contenter pour exercer leur art, il n’en demeure pas moins que la
compétence du notaire n’est pas sans limite. Notamment, le notaire se distingue donc
du professionnel du chiffre, l’expert-comptable. Alors que le notaire n’est pas tenu,
par exemple, « de se livrer à l’étude comptable approfondie qu’appelait le conseil en
matière fiscale, démarches qui excédaient les limites de sa mission d’officier ministé-
riel »39, les juges n’hésitent pas à faire peser sur les épaules de l’expert-comptable40 une
obligation d’informer ses clients sur la pertinence économique des choix retenus et sur
les risques fiscaux auxquels exposent tels ou tels montages41.
Professionnel du droit, le notaire n’a donc pas à mener d’investigations42 ni de
recherches43 ou encore de vérifications44 particulières concernant l’opportunité
économique de l’acte45, ainsi que l’arrêt rendu le 28 mai 2009 l’a décidé : profes-
sionnel du droit, il n’a pas à rechercher d’éléments d’appréciation de l’opportu-
nité économique de l’acte qu’il instrumente46. En conséquence de quoi, il n’a pas
d’obligation de conseil et de mise en garde sur l’opportunité économique. Tel est
le raisonnement tenu par les juges dont il résulte, concrètement que, par exemple,
le notaire le « n’a pas à se substituer aux banques dans la recherche de solvabilité
des acquéreurs »47 et qu’il n’a pas, non plus, à s’assurer de la solvabilité des cau-
tions48. De même, le notaire ne saurait être responsable d’un défaut de conseil
concernant le prix de vente d’un fonds de commerce, dès lors qu’il ne disposait
pas d’éléments d’appréciation, tel que le résultat d’exploitation49.
Mais se pose alors la question suivante : le notaire ayant des éléments d’appré-
ciation lui permettant de conclure au caractère inopportun de l’acte, doit-il
conseiller les parties et les mettre en garde ?

B. La pertinence économique de l’acte est la chose des parties

Un raisonnement a contrario est-il admissible ? La Cour de cassation a-t-elle


voulu décider que le notaire, ayant connaissance de l’inopportunité économique

39. Cass. 1re civ., 17 oct. 2012, n° 11-24551.


40. Mais non du banquier, tenu d’une obligation de non-immixtion dans les affaires de
son client : CA Toulouse, 9 mars 2016, n° 14-05035.
41. CA Angers, 10 janv. 2017, n° 14-02086.
42. Cass. 1re civ., 21 mars 2006, n° 04-12734 ; Cass. 1re civ., 13 mars 2007, JurisData,
n° 2007-037915 ; Bull. civ. 2007, I, n° 115 en matière de solvabilité de la caution.
43. Cass. 1re civ., 11 juill. 2001, n° 98-21495 ; Cass. 1re civ., 28 mai 2009, n° 07-14075.
44. Cass. 1re civ., 31 mai 2007, n° 05-20437, JurisData n° 2007-039057.
45. Sur cette question, v. P M., « Les contours du devoir d’investigation du
notaire », JCP N 2011, n° 9, 1091.
46. Cass. 1re civ., 28 mai 2009, n° 07-14075 ; Cass. 1re civ., 20 janv. 2011, n° 10-10174 ;
Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14192.
47. Cass. 1re civ., 28 juin 2007, n° 06-11.076 ; adde Cass. 1re civ. 17 oct. 2012, n° 11-24551.
48. Cass. 1re civ., 13 mars 2007, JurisData n° 2007-037915 ; Bull. civ. 2007, I, n° 115.
49. Cass. 1re civ., 21 mars 2006, n° 04-12734 ; adde Cass. 1re civ., 31 mai 2007,
n° 05-20437, JurisData n° 2007-039057.

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MATTHIEU POUMARÈDE 353

de l’acte qu’il instrumente, a l’obligation de sortir de son silence et d’intervenir en


conseillant les parties ? Par exemple, le notaire qui sait que le prix demandé par le
vendeur n’est pas celui du marché doit-il intervenir ? Doit-il (peut-il ?) conseiller
une augmentation du prix en conséquence dans un souci de rééquilibrer le
contrat ? Par exemple, lorsque la Cour de cassation décide que « le notaire n’était
pas tenu d’une obligation de conseil concernant l’opportunité économique d’une
opération [de cession de fonds de commerce] sur laquelle il ne disposait pas d’élé-
ments d’appréciation [du prix] tels que le résultat d’exploitation et qu’il n’avait
pas à procéder à des investigations sur de tels éléments »50, cela signifie-t-il a
contrario que s’il avait détenu des éléments, il aurait dû conseiller les parties sur
le prix, les mettre en garde contre un prix excessif ?
Il ne le semble pas. Si la Cour de cassation n’a, à notre connaissance, jamais
énoncé un principe de non-immixtion du notaire dans les affaires de ses clients, il
n’en demeure pas moins que la pertinence économique doit rester avant tout l’af-
faire des parties à l’acte, le notaire étant, en principe, étranger aux choix écono-
miques de ses clients. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut, si nécessaire, conseiller les
parties, y compris sur la pertinence économique de leurs choix. Dès lors qu’il
conseille utilement chacun de ses clients, rien ne pourra lui être reproché. Mais cela
signifie aussi que le notaire n’est pas le garant de l’économie des actes qu’il instru-
mente et de leurs éventuels déséquilibres. Ainsi que l’a justement décidé la cour
d’appel de Paris, « l’acquéreur reste maître de l’opportunité économique de l’opéra-
tion »51, tandis que la cour d’appel d’Aix-en-Provence décidait, en écho, que « le
notaire n’avait pas à fixer le prix, n’avait pas à interférer sur le prix »52.
In fine, « le contrat doit demeurer la “chose” des parties et il convient de veiller
à ne pas exiger du notaire une ingérence excessive dans l’économie du contrat
dans le but d’atteindre un équilibre contractuel qui risque fort de n’être qu’un
leurre »53. Toutefois, l’intervention du notaire devient nécessaire dès que l’effica-
cité économique de l’acte est en cause.

II – LE NOTAIRE ET L’EFFICACITÉ ÉCONOMIQUE DE L’ACTE

Assurément, le passage de l’opportunité laissée à l’appréciation des parties à


l’efficacité dont le notaire est redevable est ténu, ce qui rend le conseil du notaire
d’autant plus délicat et la jurisprudence incertaine. Un exemple permet de s’en
convaincre. Si le notaire ne doit pas de conseil concernant une surévaluation du
prix d’un terrain, qui relève de l’opportunité économique laissée à l’appréciation
des parties, il engage néanmoins sa responsabilité si, en définitive, les acquéreurs
ont acquis à ce prix un terrain non-constructible (et qui ne le deviendra jamais),

50. Cass. 1re civ., 21 mars 2006, n° 04-12734, préc.


51. CA Paris, 13 sept. 2011, n° 09-20749.
52. CA Aix-en-Provence, 2 déc. 2010, n° 2010-741.
53. C N., « Responsabilité notariale : la jurisprudence 2004 de la Cour de
cassation », JCP N 2005, 1370.

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354 LE DEVOIR DE CONSEIL DU NOTAIRE

alors que leur intention, connue du notaire, était de construire sur ce terrain !
Dans ce cas, cet acte est inefficace tant économiquement que juridiquement. Le
notaire, connaissant « les finalités de leur engagement » aurait dû attirer leur
attention sur le caractère non-constructible du terrain alors que son prix d’acqui-
sition était sans commune mesure avec la valeur d’un terrain non-constructible54.
A contrario, si le terrain avait été constructible, le notaire n’aurait certainement
pas eu l’obligation de conseiller ou de mettre en garde l’acquéreur contre un prix
excessif : il ne s’agissait là que de pertinence économique.
Aussi, sous réserve du secret professionnel du notaire55, trop peu souvent invo-
qué en défense mais qui doit demeurer intangible, le notaire doit donc conseil et
mise en garde aux parties afin que l’acte instrumenté soit non seulement valide, ce
qui constitue une sorte de minima requis, mais encore réponde « aux finalités révé-
lées de leur engagement, soit adapté à leurs capacités ou facultés respectives et soit
assorti des stipulations propres à leur conférer leur efficacité ». En d’autres termes,
le devoir de conseil du notaire doit participer à l’élaboration d’un acte efficace.
Or, l’efficacité peut certainement être juridique. Par exemple, n’est pas efficace
en droit un acte de vente qui ne pourrait être publié. Mais l’efficacité est aussi
économique. Parfois, il existe ainsi, un risque de remise en cause totale ou par-
tielle de l’acte en raison d’une inefficacité économique objective de l’acte (A).
Mais, ainsi que le décide la Cour de cassation, l’efficacité économique peut égale-
ment être subjective, le notaire n’ayant pas conseillé utilement les parties qui
n’ont pu atteindre les finalités révélées de leur engagement (B).

A. L’efficacité économique objective de l’acte

L’acte efficace, du point de vue économique, est celui qui, ne contenant pas de
vices économiques (1), pas davantage qu’il ne rencontre d’obstacles écono-
miques (2), peut déployer ses effets conformément aux prévisions des parties.

1. Les vices économiques de l’acte


Si les vices du consentement, y compris la violence « économique » (C. civ.,
art. 1143), sont des vices juridiques, l’acte peut également, dès l’origine, être
affecté de vices économiques intrinsèques qui l’empêcheront de déployer ses
effets. Le notaire, tenu d’assurer tant la validité que l’efficacité de l’acte, ainsi que
le ressassent les cours et les tribunaux, ne saurait y être insensible, devant tout au
contraire conseiller et mettre en garde.
Bien entendu, l’on pensera au premier chef à l’acte lésionnaire. Faut-il souli-
gner que le notaire ne saurait prêter son concours à un tel acte dont le vice écono-
mique, la lésion, peut le conduire à la rescision (C. civ., art. 1674) ? Au-delà

54. CA Pau, 31 mai 2016, n° 16-2246.


55. Cf. l’article 23 de la loi du 25 ventôse, an XI modifiée.

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MATTHIEU POUMARÈDE 355

même de l’inefficacité de l’acte, c’est donc la nullité que peut engendrer la lésion,
le notaire ne manquant pas d’engager sa responsabilité.
Au surplus, l’inefficacité économique d’un acte peut se manifester au regard
des capacités financières des parties. La Cour de cassation le décide nettement :
l’acte doit être adapté aux capacités et facultés respectives des parties. Sans doute,
ne s’agit-il pas seulement des capacités économiques et financières des parties.
Mais, rien ne semble devoir les exclure dès lors qu’il s’agit d’en faire une applica-
tion mesurée ne conduisant pas nécessairement le notaire à devenir l’arbitre de
contrats strictement équilibrés. D’une telle directive résulte d’ailleurs, en réalité,
le réflexe Bodacc.fr auquel la Cour de cassation a enfin, au cours de l’année 2016,
offert une place dans le Bulletin des arrêts en décidant qu’« il appartenait au
notaire de vérifier les déclarations des vendeurs sur leur capacité de disposer libre-
ment de leurs biens, notamment en procédant à la consultation des publications
légales afférentes aux procédures collectives »56. Mais au-delà, le notaire ne saurait
certainement pas prêter son concours à des engagements manifestement dispro-
portionnés pris par ses clients. Il ne s’agit pas de dire ici que le notaire doit, en
l’absence de procédure collective, vérifier systématiquement la solvabilité de ses
clients. Il n’a pas ce devoir, ainsi que la Cour de cassation l’a parfois décidé57.
D’autres, tels les prêteurs, s’en chargent. Il s’agit simplement de rappeler au
notaire qu’il est garant de l’efficacité des actes qu’il instrumente et qu’elle ne peut
être assurée s’il prête son concours, sans conseiller et mettre en garde ses clients, à
des opérations compromises58 ab initio ou manifestement vouée à l’échec59.
Ainsi, lorsque le mari étant atteint de cécité et l’épouse ne sachant ni lire ni
écrire, le notaire prend pourtant une part active à la souscription de prêts d’un
montant considérable sans procéder à aucune vérification sur la valeur des biens
qu’ils déclaraient posséder en garantie de leurs engagements, cependant que l’éva-
luation qui lui avait été fournie apparaissait dépourvue de sérieux, il ne peut être
que responsable. Le notaire aurait dû non seulement refuser de prêter son concours
actif à ce montage financier mais également, à tout le moins, mettre en garde ses
clients contre ses conséquences financières qui, relèvent les juges, « ne pouvaient
qu’être désastreuses »60. De même, manque à son devoir de conseil le notaire qui
avait omis de mettre en garde les parties du risque du défaut de transfert des
contrats de crédits afférant à divers matériels permettant l’exploitation d’un fonds
de commerce cédé. En effet, l’acte de cession comportait un simple engagement
de l’acquéreur de réaliser auprès des prêteurs les diligences nécessaires au transfert
des contrats de crédit ! Néanmoins, le notaire n’avait pas pris soin de mettre en
garde les parties contre un éventuel refus des prêteurs, eu égard notamment à la
situation financière de l’acquéreur. Or, les préteurs ayant continué de solliciter le

56. Cass. 1re civ., 29 juin 2016, n° 15-17591 ; précédement Cass. 1re civ., 16 oct. 2013,
n° 12-24267, inédit ; Cass. 1re civ., 2 juill. 2014, n° 13-20576, inédit.
57. Cass. 1re civ., 17 oct. 2012, n° 11-24551 ; Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 14-11558.
58. Par ex. Cass. 1re civ., 2 juin 2004, n° 01-01082.
59. CA Rennes, 1er févr. 2011, n° 09-07952.
60. Par ex. Cass. 1re civ., 28 sept. 2004, n° 03-12036.

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356 LE DEVOIR DE CONSEIL DU NOTAIRE

remboursement des prêts auprès du vendeur, celui-ci sollicita la résolution du bail


et rechercha la responsabilité du notaire. Celle-ci fut admise par les juges : « l’im-
portance des engagements acceptés par l’acquéreur rendait l’opération, dans son
ensemble, dangereuse pour les deux parties » relève la cour d’appel. Pourtant,
alors qu’il était manifeste que l’acte ne serait pas, du point de vue économique,
efficace, le notaire n’a pas conseillé ni mis en garde utilement les parties, son man-
quement contribuant, avec la faute de l’acquéreur ayant accepté un engagement
excessif, au dommage subi par le vendeur du fonds61. Encore, et dans la même
veine, il a pu être décidé qu’engage sa responsabilité professionnelle le notaire
ayant reçu sept actes de vente, avec des prêts consentis par sept banques diffé-
rentes, sans jamais interroger l’acquéreur par tous moyens à sa convenance sur sa
situation pécuniaire et patrimoniale62. Là encore, les risques d’inefficacité écono-
mique des actes étaient trop importants pour que le notaire ne mette pas en garde
son client63 ou, à tout le moins, sollicite des explications.
Mais l’efficacité économique de l’acte dépasse la seule question des vices éco-
nomiques. En effet, alors même que l’acte ne serait pas affecté de tels vices, des
obstacles peuvent se dresser, empêchant l’acte de déployer tous ses effets et donc,
in fine, d’être efficace.

2. Les obstacles économiques à l’acte


Le notaire n’est pas devin. La Cour de cassation l’a reconnu dès 199764 en des
termes plutôt nets dont il ressort que l’on ne saurait reprocher à un notaire « de
n’avoir pas anticipé un éventuel revirement de jurisprudence » car les « manque-
ments d’un notaire à ses obligations professionnelles s’apprécient au regard du
droit positif existant à l’époque de son intervention »65. Mais il doit être attentif,
ce dont il résulte qu’il doit néanmoins être en mesure d’anticiper une évolution
promise ou annoncée66 et de conseiller en conséquence ses clients.
D’une certaine manière la situation du notaire au regard, non plus des revire-
ments de jurisprudence, mais des obstacles pouvant se dresser à l’encontre de l’effi-
cacité économique des actes qu’il instrumente est proche. En effet, le notaire ne sera
pas tenu à une obligation de conseil concernant l’efficacité économique d’un acte à
chaque fois que sa mission ne lui a pas permis de prendre connaissance des risques
économiques67 pesant sur l’opération, parce que l’opération litigieuse a été opérée

61. Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-19942, JurisData, n° 2011-024369.


62. CA Paris, 25 mars 2003, n° 2003-208839 ; dans le même sens v. Cass. 1re civ.,
28 sept. 2004, n° 03-12036.
63. V. égal. Cass. 1re civ., 28 sept. 2004, n° 03-12036.
64. Cass. 1re civ., 25 nov. 1997, n° 95-22240 ; comp. Cass. 1re civ., 7 mars 2006, n° 04-10101.
65. Comp. Cass. 1re civ., 12 oct. 2016, n° 15-18659.
66. Cass. 1re civ., 7 mars 2006, n° 04-10101.
67. A contrario, le fait que le notaire a seulement pour mission d’authentifier l’acte ne
le dispense pas de son devoir de conseil s’il avait connaissance d’un élément de nature à en
compromettre l’efficacité économique : par ex., Cass. 1re civ., 7 déc. 1999, n° 97-14621.

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MATTHIEU POUMARÈDE 357

sans son concours, soit antérieurement68, soit postérieurement à l’acte69. Dans ce


dernier cas, plus particulièrement, l’acte instrumenté échappe au notaire. Il déploie
ses effets, se confronte au monde dans lequel il s’insère. Or, ce monde est fait d’obs-
tacles, d’aléas qui ne pouvaient tous être prévus au jour de l’acte. Si le notaire ne
peut en avoir connaissance à ce jour, il n’existe aucune raison qu’il conseille ou
mette les acquéreurs en garde contre ces obstacles. Le notaire, ne saurait en effet
« informer les acquéreurs du risque d’échec du programme immobilier, qu’il ne
pouvait suspecter au jour de la signature de la vente »70, pas davantage qu’il ne devait
déconseiller de conclure une vente assortie d’une garantie intrinsèque, dès lors que
« toutes les conditions d’application avaient été réunies et que rien ne pouvait laisser
supposer que la garantie fournie, qui existait bien, ne pourrait être utilement mise
en œuvre »71. Encore, le notaire qui n’avait pas participé à l’élaboration du plan de
financement ne peut être tenu de l’échec financier d’une opération dès lors qu’il
« n’était ni établi ni soutenu que le notaire eût connaissance, lors de l’établissement
de l’acte, de données de fait révélatrices d’une difficulté »72. L’efficacité de l’acte peut
ainsi dépendre d’éléments extrinsèques et postérieurs à l’acte que le notaire ne
connaît ni ne maîtrise nécessairement au jour où il instrumente l’acte ; il ne saurait
en résulter une responsabilité du notaire, ainsi que nombre de décisions rejetant les
actions dirigées contre les notaires par les investisseurs (le plus souvent des particu-
liers) déçus des lois de défiscalisation successives le démontrent. En effet, relèvent les
juges, au moment où le notaire a instrumenté les actes, il ne pouvait pas savoir que
l’opération, du point de vue de sa rentabilité (et donc de son opportunité) écono-
mique, serait un échec, ou du moins ressenti comme tel par les acquéreurs.
En revanche, si l’obstacle économique à l’efficacité de l’acte est connu ou à
tout le moins prévisible par le notaire au moment où il instrumente l’acte, il n’y a
aucune raison qu’il ne conseille pas les parties ou qu’ils les mettent en garde contre
les risques encourus, même s’il n’a fait qu’authentifier l’acte.
Par exemple, si les circonstances démontrent que le notaire avait une parfaite
connaissance des risques financiers et économiques très importants attachés à une
opération d’investissement en raison de l’absence de marché locatif local, il ne peut
garder le silence, sauf à tromper ses clients73. De même, lorsque les circonstances
sont de nature à alerter le notaire sur la faisabilité juridique et financière d’une opé-
ration de défiscalisation immobilière, il lui incombe certainement d’en informer les
acquéreurs, voire de leur déconseiller de souscrire au programme74. Sans doute vau-

68. Cass. 1re civ., 6 juill. 2004, n° 02-10620 (le notaire n’avait pas participé à l’élaboration
du plan de financement) ; Cass. 1re civ., 20 janv. 2011, n° 10-10174, préc ; Cass. 1re civ., 12 mai
2011, n° 10-14183 ; comp. Cass. 1re civ., 28 mai 2009, n° 07-14075, préc.
69. Cass. 1re civ., 15 mars 2005, Bull. civ. 2005, I, n° 132 ; Cass. 1re civ., 12 mai 2011,
n° 10-18954.
70. Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 14-11558.
71. Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 12-24750.
72. Cass. 1re civ., 6 juill. 2004, n° 02-10620.
73. Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14192.
74. Cass. 1re civ., 17 juin 2015, n° 13-19759.

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358 LE DEVOIR DE CONSEIL DU NOTAIRE

drait-il mieux que le notaire du programme immobilier n’en arrive pas à cette situa-
tion de blocage et, en amont, ait résolu la difficulté avec le promoteur. Mais à
défaut, sa connaissance des obstacles économiques et financiers doit le conduire à
conseiller et mettre en garde ses clients. Tel est le cas du notaire qui ne saurait être
responsable puisqu’il avait satisfait à son obligation de conseil. Il avait en effet, selon
les juges dont la décision est maintenue par la Cour de cassation, informé son client
de la portée de ses engagements et des risques pesant sur son patrimoine familial,
fussent-ils extrêmement importants puisque l’opération consistait dans un prêt
d’un montant de 1 700 000 euros garanti par une hypothèque sur un immeuble
constituant la résidence familiale, les sommes prêtées ayant été investies dans des
obligations islandaises ayant perdu, in fine, toute valeur75 !
De même, c’est un raisonnement similaire que les juges retiennent au sujet de
l’efficacité économique des sûretés réelles. En effet, l’insuffisance du gage doit
conduire le notaire, lorsqu’il est en mesure de la connaître ou, au moins de la
suspecter, à « appeler l’attention des préteurs sur cette situation »76. Et cette insuf-
fisance s’apprécie en fonction de la valeur des biens au moment des actes de prêt,
sans que puisse être prise en considération une plus-value éventuelle pouvant
résulter d’opérations à venir dont le notaire ne maîtrise aucun des aspects77.

B. L’efficacité économique subjective de l’acte

Dans certaines circonstances, la responsabilité du notaire peut être retenue,


parce que, averti de la finalité économique poursuivie par ses clients, il ne les a pas
conseillés ou mis en garde utilement. C’est ainsi que la Cour de cassation rappelle
que le devoir de conseil et de mise en garde doit avoir pour objectif de répondre
aux « finalités révélées de leur engagement »78. Par exemple, aux termes d’un arrêt
rendu le 10 avril 200879, le notaire est susceptible d’engager sa responsabilité s’il
omet de vérifier que l’immeuble était achevé à la date à laquelle il instrumentait,
la date d’achèvement étant une condition de l’obtention de l’avantage fiscal que
les parties entendaient obtenir, ainsi que le notaire le savait. Ainsi, dès lors que les
parties révèlent au notaire un dessein particulier, par exemple le montage d’une
opération de défiscalisation, celui-ci leur doit un conseil adapté et une mise en
garde circonstanciée, à défaut de quoi l’efficacité subjective de l’acte pourrait ne
pas être atteinte et sa responsabilité recherchée. A contrario, et l’on en revient à la
première règle étudiée plus haut, le notaire ne peut donc être tenu de conseiller
ou de mettre en garde ses clients lorsqu’ils ne l’ont pas informé de leurs objectifs
au regard de l’opportunité économique de l’opération envisagée80.

75. Cass. 1re civ., 24 mars 2014, n° 13-10813.


76. Cass. 1re civ., 21 mai 1985, Bull. civ. I, n° 155.
77. Cass. 1re civ., 21 mai 1985, Bull. civ. I, n° 155.
78. Cass. 1re civ., 28 mai 2009, n° 07-14075, préc.
79. Cass. 1re civ., 10 avr. 2008, n° 07-10107.
80. En ce sens par ex. CA Paris, 15 mars 1999, n° 1998-06272.

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MATTHIEU POUMARÈDE 359

Pour conclure, et si l’étude de la jurisprudence conduit naturellement à insis-


ter sur le devoir de conseil du notaire, il serait vain de croire que la relation du
notaire à son client se réduirait à un monologue. Bien au contraire, ainsi que le
dédicataire de ces lignes l’a si bien dit : les clients ont besoin de dialogue. Le
notaire certainement aussi.

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Un acteur authentique de justice amiable :


Jacques Combret
Damien B   P
Notaire honoraire
Directeur des Affaires juridiques au Conseil supérieur du notariat

La justice amiable est au cœur de l’actualité du droit.


– La loi du 18 novembre 2016 dite de « modernisation de la justice du
e siècle », promulguée le 19 novembre dernier s’inscrit dans une volonté poli-
tique de déjudiciarisation.
À y réfléchir de près, on remarquera que la « déjudiciarisation » se dévoile sous
un angle résolument budgétaire, le but sous-jacent étant d’obtenir des économies
financières pour la justice.
Ainsi, le justiciable est légitime à se poser la question de savoir si cette déjudi-
ciarisation est bien dans son intérêt ou dans celui de l’État.
Le divorce « sans juge » illustre un transfert du budget de la justice sur la pro-
fession notariale : « Pour 50 euros t’as plus rien ? Si ! Un divorce avec la bénédic-
tion du notaire ! ». Toutefois, qui s’inquiéterait aujourd’hui de charges supplé-
mentaires pour un office notarial ?
– L’ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016 portant
réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations est le
fruit du travail de la Jurisprudence de la Cour de cassation, compte tenu du nombre
de décisions intégrées dans le Code civil. Ce nouveau droit laisse dubitatif sur la déju-
diciarisation prônée. Certains observateurs ne manquent pas d’insister sur le fait que
les actions judiciaires pour des interprétations de textes ne manqueront pas : « défini-
tion du délai raisonnable, du déséquilibre significatif, du contrat d’adhésion… ».
Quant aux modes amiables de règlements des conflits, ils sont mis en avant et
s’ils participent, certes, à une forme de déjudiciarisation, ils sont moins comman-
dés par un impératif économique que par une utilité sociale, pour ne pas dire, par
une certaine humanité.
D’où viennent ces « MARC », ces « MARD » ?
– tantôt identifiés sous les termes : modes alternatifs de règlements des conflits
(le mot « alternatif » choisi par rapport au choix d’une action judiciaire) ;
– tantôt définis comme modes appropriés de règlements des conflits (les mots
« approprié » ou « adapté » semblent plus justes car ce mode est parfois imposé,
soit par les conventions, soit par le juge lui-même) ;
– tantôt reconnus comme modes adaptés de règlements des différends (le mot
« différends » sonne moins fort que « conflits »).

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362 UN ACTEUR AUTHENTIQUE DE JUSTICE AMIABLE : JACQUES COMBRET

Le législateur a finalement choisi : la définition sera « les modes alternatifs de


règlement des différends » (article 11 de la loi du 18 novembre 2016 précitée).
Qu’elle est l’origine de ce régime d’apaisement des conflits ?
Ce mode cède-t-il à une mode ? La réponse est non, il ne s’agit pas d’une mode.
Il y a une prise de conscience sur la nécessité de désengorgement des tribunaux afin
de fluidifier les décisions judiciaires et de les rendre plus efficaces notamment en
faisant en sorte que certains conflits puissent se résoudre par l’amiable.
La volonté politique est forte sur ce point et dépasse nos frontières.
Il y a déjà presque dix ans qu’une directive européenne a mis en avant les pro-
cessus de systèmes « hors juge » de règlements des conflits.
La directive européenne n° 2008/CE/52 du Parlement européen et du Conseil
du 21 mai 2008 a promu l’acte authentique dont la force exécutoire qui le carac-
térise, dans les pays de l’Union européenne connaissant un tel acte, et ce afin de
rendre efficaces les accords de médiation.
Il y est précisé ni plus ni moins : « Le contenu de l’accord peut être rendu
exécutoire par une juridiction ou une autre autorité compétente au moyen d’un
jugement ou d’une décision ou dans un acte authentique, conformément au droit
de l’État membre dans lequel la demande est formulée ».
C’est l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 qui a porté la
transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil
du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et
commerciale.
Le décret d’application n’est intervenu qu’en 2012 (décret n° 2012-66 relatif
à la résolution amiable des différends du 20 janvier 2012).
Si, dans ce contexte politique et juridique, certains pensent encore que les offi-
ciers publics, et particulièrement les notaires, ne doivent pas s’intéresser à la média-
tion considérant qu’ils n’ont pas de rôle à jouer, ils sont dans l’erreur historique.
Nous allons donc tenter d’explorer le monde de la médiation en mettant en
exergue sa pertinence, son intérêt et l’optimisation que peut en apporter le nota-
riat par la délégation de service public qui lui a été conférée par l’État.
Pour nous faciliter la tâche, il nous fallait un guide, mais aussi un acteur.
C’est pourquoi, au travers de l’analyse de la médiation, de son intérêt social,
de sa portée non juridictionnelle, nous nous poserons la question de savoir si
Jacques Combret, notaire honoraire, serait ou non un bon médiateur.
Lui à qui l’on donne toute notre confiance, lui auprès de qui sourire, gentil-
lesse, humanité ont trouvé leur incarnation, a-t-il vraiment les qualités requises
d’un médiateur ?
Ne sera-t-il pas plutôt tenté d’imposer son point de vue, même avec délicatesse,
ne va-t-il pas rester dans le droit rien que pour le droit sans chercher l’équité ?

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DAMIEN BRAC DE LA PERRIÈRE 363

Une des difficultés de notre exercice sera d’établir des hypothèses en fonc-
tion du personnage tel qu’il apparaît en public et tel qu’on ne le connaît pas en
privé.
Chut ! Jacques Combret n’a pas accepté son rôle, puisqu’il n’était pas au cou-
rant de cette mise en scène. Nous pardonnera-t-il de lui créer un costume sur
mesure de médiateur ?

*
* *

La médiation est-elle une activité facilement accessible pour un notaire ?


Nous tenterons de répondre à cette première question qui donne lieu à un
véritable débat au sein de la profession notariale (I).
En tout état de cause, accessible ou pas, l’officier public a certainement un rôle
à jouer dans la promotion de ce mode alternatif de règlement des différends. C’est
ce qu’il y aura lieu de démontrer dans une deuxième partie (II).

I – LA MÉDIATION DANS L’ADN DU NOTAIRE

Classiquement, le notaire est considéré comme un « acteur » de l’amiable


lorsqu’il authentifie l’accord des parties.
C’est ainsi que certains affirment que le notaire agit comme « médiateur » au
quotidien (A). Cependant, cette affirmation se heurte à l’exigence d’une qualifi-
cation pour être un médiateur-professionnel (B).
Contrairement aux habitudes rédactionnelles, nous commencerons par une
affirmation avant de poser une interrogation.

A. Le notaire, un médiateur au quotidien

La médiation est un espace de liberté, d’écoute, de respiration dont l’objectif


est ni plus ni moins que de permettre aux parties de retrouver la paix.
Ainsi, il semble que le notaire puisse en être un des acteurs naturels.
En effet, dans le cadre de ses fonctions, le notaire participe à l’administration
non contentieuse de la règle de droit. Il agit dans l’intérêt d’une situation juri-
dique souhaitée par les parties et non dans l’intérêt exclusif d’une partie contre
une autre. Le notaire est le conseil désintéressé et impartial de toutes les parties,
défini ainsi par le conseiller d’État Réal lors de la présentation au corps législatif
du projet de loi sur l’organisation du notariat qui devait devenir la loi du 25 ven-
tôse an XI, déclaration qui a largement inspiré le règlement national.

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364 UN ACTEUR AUTHENTIQUE DE JUSTICE AMIABLE : JACQUES COMBRET

Alain Moreau, président honoraire de l’Institut international de l’histoire du


droit, souligne à cet égard : « véritable – Code du notariat – la loi du 25 ventôse
an XI (16 mars 1803), adoptée à la quasi-unanimité des suffragants, constitue
tout d’abord le rappel que le notaire exerce, qu’on le veuille ou non, une véritable
“magistrature de prévention” »1.
Sa neutralité, son impartialité et surtout son indépendance créent ce lien de
confiance entre lui et les parties.
Dans le cadre de la médiation, le notaire se doit de rechercher l’adhésion des parties.
Lorsque la médiation donne naissance à un acte, l’authenticité lui confère une
plus-value notariale précieuse. L’acte notarié, revêtu de la force exécutoire, apporte
tous les éléments d’efficacité à l’accord en lui procurant les effets d’un jugement.
Le notaire, homme du contrat, garantit la paix sociale. Cette affirmation nous
permet de rencontrer pour la première fois Jacques Combret.
Incontestablement les qualités connues de notre personnage conjuguent
« savoir » et « pédagogie ».
Son savoir n’a plus à être démontré : outre ses nombreux articles dédiés au
droit de la famille, Jacques Combret a été rapporteur général et un guide sûr en
dirigeant l’équipe « intellectuelle » du Congrès des notaires de France en 1998 qui
avait pour thème « Demain la famille ».
Puis il a présidé avec brio le 106e Congrès dans lequel était approfondie la
question des « personnes vulnérables ». On observera qu’il s’agit de sujets tou-
jours d’actualité et portant sur la vie quotidienne de chacun.
Quant à la pédagogie de Jacques Combret, il suffit à chacun, pour en être
convaincu, de s’inscrire à un de ses cours ou à une de ses formations qu’il distille
ici ou là sur toutes les problématiques liées à la personne : mariage, séparation,
succession, donation…
Jacques Combret a les capacités intellectuelles pour être un médiateur « hors
pair », personne n’en doutait. Cependant, avant de trop vite conclure, retenons
plutôt le principe de lui reconnaître ici ses qualités humaines d’écoute, ce qui est
primordial dans la matière étudiée.
En effet, c’est dans le cadre de l’exercice de la médiation par un notaire qu’il y
a lieu de ne pas confondre le rôle d’écoute et le rôle de conseil.
C’est pourquoi on comprend que le notaire ne peut être médiateur de ses
clients. S’il doit à ses clients un service de haute qualité scientifique, ce n’est pas
de la même science dont il s’agira devant des « médiés ».
Devant ses clients, la mission du notaire est de dire le droit, de conseiller, de pro-
poser des solutions. Devant des « médiés », le notaire conduit certes le dialogue, mais
doit surtout susciter de la part des parties l’émergence de solutions à leur conflit.

1. M A., « Le Premier consul, fondateur du notariat moderne », Revue du souvenir


napoléonien, 2003, n° 449.

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DAMIEN BRAC DE LA PERRIÈRE 365

Médiateur et notaire, ce n’est pas un seul et même métier, et ce, même si une
personne peut exercer la fonction de notaire dans son office et réaliser des média-
tions pour des « médiés » qui ne sont pas ses clients et qui ne le deviendront pas
par la suite, même en cas de réussite de la médiation (la déontologie rend cela
incompatible).
Après avoir affirmé que le notaire est « pré-disposé » à être un médiateur, les précé-
dentes considérations nous conduisent à nous interroger sur le fait de savoir si un
notaire est, parce qu’il est notaire, automatiquement un médiateur professionnel ?

B. Le notaire, un médiateur inné ?

Avant de définir les conditions qui s’imposent à un médiateur pour s’appro-


prier la connaissance de la pratique de la médiation, le postulat est que personne
ne peut se dire médiateur de façon spontanée.
La réponse est donc immédiate : non, quelle que soit la qualité des notaires, et,
malgré la haute technicité notariale que pourra développer un Jacques Combret.
Être médiateur, cela ne s’invente pas. L’art de la médiation n’est pas une tech-
nique innée, c’est une science.
Il en irait même de la responsabilité du notaire s’il s’engageait dans une voie
de médiation sans se former.
Le non-respect de la confidentialité, l’imposition voire la simple proposition
de solutions, ne font pas du notaire un réel médiateur.
C’est pourquoi, on pourrait même être tenté de dire qu’à être trop « juriste »
un notaire pourrait difficilement s’extirper d’une situation de conflit. Un notaire
voudra conseiller une sortie amiable, et donc amener les clients vers une situation
qu’il proposera.
La difficulté est identique pour tous les professionnels du droit. Si l’on prend
la situation de l’avocat, il aura en outre la crainte que des solutions émises par les
parties ne soient pas équivalentes aux gains qu’il aurait pu obtenir dans un procès.
Il redoutera également l’absence du principe du respect du « contradictoire ».
Pour autant, que ce soit le notaire ou l’avocat, ou d’autres juristes encore,
toute la technicité requise de règlement amiable des différends est accessible sous
réserve d’accepter de suivre une formation.
La formation justement : elle est devenue une obligation si l’on s’en tient aux
termes mêmes du décret du 20 janvier 2012 portant transposition en France de la
directive européenne du 21 mai 2008 du parlement européen : « le médiateur doit
posséder (…) la qualification requise au regard et à la nature du différend ou justifier
(…) d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation ».
C’est en tout cas ce que nous préconiserons pour Jacques Combret que l’on
imagine futur excellent médiateur.

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366 UN ACTEUR AUTHENTIQUE DE JUSTICE AMIABLE : JACQUES COMBRET

Lui-même est certainement disponible à cette idée d’apprendre, conforté par l’avis
de Jean Carbonnier sur le rôle de médiateur qui est « dans l’ADN de tout notaire ».
Toute la difficulté sera de « mettre de côté son savoir sur le droit » afin d’être
disponible pour écouter les solutions des « médiés » et les mettre en œuvre (à
l’exception des solutions qui porteraient atteinte à l’ordre public naturellement).
Le notaire, s’il souhaite se « mettre en condition », doit donc faire son appren-
tissage des techniques de dialogue, d’écoute, d’analyse et de reformulation.
La conduite du dialogue entre les « médiés », qu’ils soient ou non accompa-
gnés d’avocats, est une toute autre approche que la conduite d’un rendez-vous
classique « client » chez le notaire où le monologue l’emporte le plus souvent.
En médiation, c’est le temps de l’écoute, non plus du notaire, mais des
« médiés » entre eux, d’une façon réciproque, qui est important.
Comme l’écrivait Alfred de Musset : « Aujourd’hui, on ne sait plus parler
parce que l’on ne sait plus écouter ». Quel message d’actualité ! Cet auteur, sans
le savoir, a qualifié avec juste raison la médiation.
L’écoute ne suffit pas pour autant. Dans le cadre de l’apprentissage de la
médiation, la question centrale est de s’assurer que les « médiés » ont bien com-
pris leur désaccord.
Il s’agit ici du temps nécessaire et primordial de la « reformulation », science
que tous les instituteurs, professeurs utilisent.
Ce n’est pas à Jacques Combret que l’on va apprendre quelque chose sur l’art de
la « reformulation », art qu’il utilise régulièrement dans ses propres formations.
L’action « reformulation » se situe donc après l’écoute. L’écoute doit être faite
avec respect, par chacun des médiés, des griefs formulés à son encontre, par l’autre.
Des moments de « crispation » sont fréquents. Il s’agit de la période la plus
tendue de la médiation.
Puis, le médiateur va amener peu à peu les « médiés » à leur faire re-formuler
les reproches compris de l’autre.
L’objectif poursuivi est de parvenir à un accord des « médiés » sur leur désac-
cord. La formule n’est pas neutre. Elle est reprise systématiquement dans toutes
les formations sur le sujet. Toute la science de la médiation est ici.
Nous admettrons facilement que nous nous éloignons ici complètement du
rôle du notaire, du conseil. Cela ne signifie pas pour autant qu’un juriste ne puisse
pas prendre appui sur la technique de la médiation dans certains dossiers, mais
cela ne caractérise pas une médiation.
Une fois parvenu à l’accord sur le désaccord, le médiateur constatera par lui-
même que les « médiés » vont spontanément proposer des portes de sortie à leur
situation.
Ce sont eux maintenant les acteurs. Chacun va présenter une offre en y inté-
grant ce à quoi il renonce.

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DAMIEN BRAC DE LA PERRIÈRE 367

De nouvelles discussions ont alors lieu, mais elles sont déjà plus apaisées.
Si les médiés dégagent une ou plusieurs issues favorables, le metteur en scène
pourra rédiger l’accord final.
Ce rapide aperçu de la technique de la médiation ne doit pas occulter un autre
rôle que doit avoir le notaire.
S’il croit au processus de médiation, alors il doit en devenir le prescripteur.

II – LE NOTAIRE PROMOTEUR DE LA MÉDIATION

Avant de déterminer comment le notaire peut prescrire des médiations (B), il


est important de décrire les apports que peut faire le notaire pour ce mode amiable
de règlement des conflits (A).

A. Le notaire : ses apports à la médiation

Dans sa fonction habituelle, le notaire est un acteur de confiance pour ses


clients. Dans le cadre de la médiation, le notaire intervient en qualité de « tiers-
témoin ». Il accomplit l’une ou l’autre de ces missions avec impartialité.
Formé aux techniques de médiation, il agit en tant que « catalyseur » d’idées
permettant d’aboutir à une solution commune choisie par les parties.
Ne nous leurrons pas, le notaire, pas plus qu’un autre professionnel du droit,
pas plus qu’une autre personne, est le « mieux placé » pour exercer une activité de
médiateur. Tout est une question de technique de médiation qui doit être acquise.
Il y a lieu de le répéter « Urbi et Orbi ».
Certes, et nous l’avons déjà exprimé avec le professeur Carbonnier : l’« amiable »
est dans l’ADN du notaire. Toutefois cela n’est pas suffisant.
Si les qualités naturelles du notaire, quant aux choix de solutions pacifiques
notamment dans les conflits entre héritiers, comme dans la conduite d’un dossier
immobilier, le placent comme un amiable compositeur, il n’est pas médiateur
dans l’exercice de la profession.
Jacques Combret qui nous accompagne involontairement depuis le début de
cet article, sait parfaitement dire le droit. L’amiable composition n’est pas forcé-
ment sa priorité d’ailleurs. C’est par sa connaissance et sa pédagogie qu’il va
convaincre ses clients de respecter tout simplement la loi.
Est-ce à dire que la médiation, ce n’est pas la loi ? Non, ce n’est pas ce qu’il
faut comprendre, car la médiation ne doit pas aboutir à des solutions contraires
à l’ordre public. Cependant, lorsque l’équité le commande, les « médiés »
reconnaissent eux-mêmes l’utilité d’en faire l’usage. Ainsi, il est utile pour les
« médiés » de savoir à quoi ils renoncent.

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368 UN ACTEUR AUTHENTIQUE DE JUSTICE AMIABLE : JACQUES COMBRET

Prenons un exemple de partage après succession. Les héritiers ne s’entendent


pas sur l’attribution des biens (maison, entreprise, titres boursiers, etc.).
Reviennent même à la mémoire de certains les avantages non monétaires dont
l’un a pu profiter plus que les autres.
L’histoire familiale peut être longue et il n’est pas rare que des conflits fami-
liaux remontent jusqu’à l’enfance. C’est dire le degré psychologique fort que peut
atteindre la tension familiale.
Le médiateur, après avoir fait exprimer chacun sur leur ressenti, après avoir usé
de la technique de la reformulation, amènera les « médiés » à proposer une solu-
tion qui supposera un renoncement de la part de chacun, tout le monde ne pou-
vant rester en indivision éternellement.
Le renoncement à se voir attribuer la maison, alors que financièrement, le
capital transmis est le même pour tout le monde, peut être vu comme un déchi-
rement, ne serait-ce que moral.
Dans un partage après succession, l’entreprise a une valeur beaucoup plus
importante que tous les autres biens. Le processus engagé de médiation se heurte
ici, non seulement aux sensibilités des uns et des autres des héritiers, mais à une
réalité de droit qui peut ne pas permettre d’accepter la solution des parties.
L’appui d’un expert facilitera la sortie. Cet expert pourra rechercher les moyens
de financement des écarts pour permettre que la répartition ne soit pas inégale.
Ainsi, on notera que le médiateur, dans certaines situations, pourra se faire
accompagner d’un homme de l’art.
Pour autant, il est assez rare qu’une solution trouvée par les « médiés » eux-
mêmes ne puisse trouver application.
Cela sera peut-être plus facile en matière de conflit d’entreprise qu’en matière
de conflit familial. Par exemple, un fournisseur pourra faire plus facilement un
geste pour son client qu’il tient à préserver. L’équité trouvera plus souvent sa place
dans ce domaine.
Dans le cadre de la procédure amiable, le notaire, par son statut d’officier
public, apportera une valeur ajoutée supplémentaire essentielle.
En effet, l’acte de médiation pourra être reçu par le notaire en charge de la
médiation. Après avoir accompli sa mission de médiateur dans le respect des règles,
le notaire pourra témoigner de la solution née de la seule volonté des personnes.
Conduisant les parties, que l’on désigne sous les termes « médiés », à former
leur propre accord et à élaborer une solution acceptable pour eux, le notaire, sans
être lui-même juge, constate de fait la justice amiable des parties.
Ainsi, lorsqu’une solution aboutit à la reconnaissance d’une dette avec un
échelonnement du paiement de celle-ci, le notaire, recevant l’acte de médiation,
conférera à l’accord de médiation, comme le lui autorise et lui recommande la
directive européenne, la force exécutoire.

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DAMIEN BRAC DE LA PERRIÈRE 369

Nous sommes ici sur le chemin de l’acte authentique de justice amiable sou-
haité par les parties, et ce, avec toutes les caractéristiques d’un jugement sans être
pour autant un jugement, bien au contraire.
En cela, le notaire imprime à la fois le droit et la sécurité, reposant sur la tra-
çabilité de cet acte authentique.
Il n’y a pas de contresens. Le notaire n’est pas un juge et il n’est pas question
de créer une nouvelle catégorie de magistrat. Le notaire est dans son rôle de
médiateur. L’acte authentique est l’œuvre de rédaction de « la justice des médiés ».
« Lex est quodcumque notamus », c’est-à-dire : ce que le notaire écrit fait loi.
Ce texte est essentiel. En effet, on ne peut comprendre l’acte authentique de
justice amiable sans avoir saisi qu’il s’agit de la traduction de l’intime conviction
des parties, des médiés, qui forme leur loi entre eux, et donc leur justice. L’acte
authentique est la convention de la « justice des parties ou des médiés ».
Ceci résulte des dispositions de la délibération du Conseil européen du 21 mai
2008 en référence à la directive européenne 2008/52 précitée.
La force exécutoire attachée ou inhérente à l’accord de médiation reçu par acte
notarié aura son plein effet.
Les parties s’étant mises d’accord dans la médiation, on peut supposer qu’il
n’y aura pas de problème dans l’exécution de leur accord de médiation mais on
ne sait jamais.
En recevant l’acte de médiation, le notaire constate la solution trouvée par les
parties lesquelles sont elles-mêmes « juges » de leur accord. C’est pourquoi on
peut se risquer à parler d’« acte authentique de justice amiable ».
Le notaire ne décide pas d’une justice, il constate l’accord des médiés sur leur
solution et retrace cet accord dans un acte notarié qui, par nature, est revêtu du
sceau de l’État.
L’acte authentique de justice amiable ne prend pas naissance aujourd’hui, il a
toujours existé, mais c’est à la lumière du développement de la médiation qu’il est
mis en relief.
Fort de l’idée qu’une solution amiable est une voie à suivre dans la plupart des
cas, encore faut-il que le notaire, acteur de médiation, soit aussi le prescripteur de
ce mode alternatif de règlement des différends.

B. Le notaire : prescripteur de la médiation

Le conseil notarial sera parfois de ne pas « forcer » un partage familial mal


vécu par les frères et sœurs. Dès lors, le notaire préconisera la médiation et orien-
tera ses clients vers un centre de médiation.
En effet, il ne s’agit pas pour le notaire ayant la responsabilité d’un partage
familial, de tenter lui-même une médiation.

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370 UN ACTEUR AUTHENTIQUE DE JUSTICE AMIABLE : JACQUES COMBRET

Le notaire peut être un promoteur de la médiation qu’il ne traitera pourtant


pas, son rôle n’étant plus le même à ce moment-là et les incompatibilités, pour ne
pas dire la déontologie elle-même, bien que non écrite ici, lui interdisant de
prendre cette fonction.
L’acte authentique au service du développement de la médiation est un des titres
du rapport de la 4e commission du 111e Congrès des notaires de France à Strasbourg
(comme par hasard, Strasbourg, cela doit dire quelque chose à Jacques Combret !).
• Le notaire peut proposer dans ses actes authentiques d’organiser le
recours à la médiation conventionnelle
Ainsi, dans le cadre de son devoir de conseil, il informe les parties de l’intérêt
d’une clause de médiation et les incite à recourir à un médiateur professionnel qui
pourra être un autre confrère.
Sur le plan rédactionnel, il veillera à insérer un délai pour la réalisation du processus
de médiation (deux à trois mois), et renverra les parties vers un médiateur ou un centre
de médiation afin de faciliter le dénouement d’une situation conflictuelle. Exception
faite des procéduriers dans l’âme, et il en existe, personne ne dira le contraire.
Il faut admettre que chaque occasion donnée pour exprimer son courroux
devant la justice est autant de perte de temps, d’enlisement, de contraintes bud-
gétaires qui nourrissent à eux-seuls la promotion de la médiation.
Une réelle volonté de trouver une ou plusieurs solutions pour continuer à
« vivre ensemble » est indispensable. Cela ne se vérifie pas uniquement dans le
domaine familial. Le monde de l’entreprise, dont les enjeux économiques sont
forts est un des lieux où la médiation trouve un excellent terrain d’expression.
L’entreprise, c’est surtout l’endroit où des emplois sont à protéger.
Anticiper l’insertion d’une clause de médiation au sein même des contrats ou
des conventions est accessible à tous.
Ici, nous noterons différents secteurs ouverts à la médiation pour les entre-
prises (statuts, pactes d’associés, cession d’entreprise, conflits salariés, garantie de
passif, contrat de fournitures, baux commerciaux, etc.).
À propos des baux commerciaux notariés, une question se pose pour l’Officier
Public de la parfaite compatibilité de la clause de médiation insérée dans un acte authen-
tique à exécution successive. Jacques Combret soulèverait la difficulté avec raison.
En effet, la force exécutoire attachée à l’acte notarié, qui par sa qualification
d’acte authentique, contient toutes les attributions de puissance publique, assure
le respect des droits, et ce, en matière de baux commerciaux comme en matière
de paiement à termes d’une créance.
C’est parce qu’elle concerne le recours à la force publique que la force exécutoire
est à la disposition de la loi, et non des parties. Les belligérants ne peuvent donc
priver de son caractère exécutoire un acte auquel la loi reconnaît cette qualité.
Ainsi, une clause de médiation ne doit pas avoir un impact sur l’efficacité de
l’acte lui-même en imposant un règlement amiable avant tout acte d’exécution

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DAMIEN BRAC DE LA PERRIÈRE 371

forcée. La raison juridique doit être recherchée au travers des caractéristiques


mêmes de l’acte authentique qui se rapproche de la nature d’un jugement.
C’est comme si on opposait à une personne détentrice d’un titre exécutoire
par le jugement favorable qu’elle vient d’obtenir une clause de médiation insérée
dans le jugement. Cela n’aurait pas de sens et serait inadapté.
Il y a donc lieu de donner aux parties une parfaite connaissance de la portée
de la force exécutoire dans un acte à exécution successive avant d’insérer une
clause de médiation qui pourrait aboutir à annihiler les effets de la force de l’acte
notarié et, donc à affaiblir l’acte lui-même.
Si aucune clause n’a été insérée dans l’acte, la voie amiable de la médiation
peut être choisie par la signature d’une convention spontanée (« ad hoc ») au
moment où le litige est apparu.
• La médiation non prévue initialement par les parties
La rédaction d’une convention de médiation peut intervenir dans le cadre
d’un litige né à l’occasion d’un contrat mais également lors de situations de fait
(divorce difficile, partage conflictuel…).
Le notaire est parfois confronté à ces litiges sans que lui-même ne puisse imposer
une solution aux parties. C’est le cas déjà cité des partages après succession.
En cas d’impossibilité de conclure, et bien avant qu’on ne lui reproche de ne
pas « terminer la succession », le notaire aurait tout intérêt à diriger les parties vers
un centre de médiation.
On retrouve également des situations de blocage en matière d’entreprises.
Ce sera le cas d’un conflit entre un fournisseur de produits ou de machines avec
un client distributeur ou fabriquant. Les parties ont besoin l’une de l’autre pour la
poursuite de leurs activités. Ainsi est-il primordial qu’elles arrivent à un accord.
C’est pourquoi il est généralement conseillé puis conclu une convention « ad
hoc », et ce, avec le soutien des avocats respectifs des parties. Cette convention
permet de fixer un accord sur le principe de la médiation, sur sa durée, sur son
cadre général, tout en rappelant aux parties leurs obligations de confidentialité.
Lorsqu’une clause de médiation a été introduite dans une convention, celle-ci
fait souvent référence à un centre de médiation en renvoyant à ce centre pour la
mise en place de la médiation.
Beaucoup de centres, comme celui de la Chambre interdépartementale des
notaires de Paris, proposent d’excellentes conventions qui ont l’avantage d’expli-
quer sobrement mais clairement aux futurs médiés en quoi consiste la médiation
et dans quel cadre elle se déroule.
Les rédacteurs de conventions « ad hoc » auront avantage à s’inspirer des outils
procurés par ces centres.
La médiation, en dehors de toute clause préexistante et de toute convention
« ad hoc » peut aussi intervenir de façon judiciaire.

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372 UN ACTEUR AUTHENTIQUE DE JUSTICE AMIABLE : JACQUES COMBRET

• Une médiation prescrite par le juge


À l’initiative du juge et avec l’accord des parties ou à la demande de celles-ci
ou de leurs conseils, une médiation peut être prescrite avant tout débat au fond
de l’affaire.
Enfin, on relèvera quelques initiatives facilitatrices.
• Une déclaration d’intention aux fins d’anticipation
Certains dirigeants d’entreprise acceptent de signer une déclaration d’inten-
tion selon laquelle s’ils rencontrent une difficulté avec un client ou un fournisseur,
ils s’engagent à proposer et entrer en médiation.
Ainsi, même en l’absence de clause de médiation dans les contrats avec leurs
fournisseurs ou leurs clients, les chefs d’entreprise rechercheront au préalable un
accord amiable avant toute démarche judiciaire.
Une dernière question se pose : le notaire médiateur peut-il recevoir lui-même
le ou les actes qui en découlent ?
Par exemple, lors d’un partage complexe, les héritiers sont parvenus à un
accord sur les biens à partager et leur valeur. Le notaire-médiateur pourrait-il
recevoir l’acte de partage ?
La réponse nous semble négative. Il n’est pas recommandé que le notaire-
médiateur puisse recevoir les actes qui sont la suite et la conséquence de la média-
tion dans lequel il est intervenu.
Nous ne nous trouvons pas ici dans le cas du notaire qui propose directement une
médiation par lui-même à ses clients, mais dans une situation où le notaire qui a œuvré
comme médiateur, entendrait rédiger le partage successoral, résultat de la médiation.
Dans ce cas, il y a lieu de se placer sur le plan de l’impartialité. En effet, celle-ci
pourrait être remise en cause par l’une des parties. Certains y verraient également
un conflit d’intérêts pouvant conduire à l’annulation de l’accord de médiation.
La rédaction de l’acte authentique par un notaire différent de celui qui a
concilié les médiés dans une fonction de médiateur garantit le respect des prin-
cipes de déontologie.

*
* *

Quelques mots pour ne pas conclure mais pour construire :


Les conflits sont inhérents à toute organisation humaine et font malheureuse-
ment souvent partie de la vie des familles et des entreprises.
Pour autant, les différends, lorsqu’ils sont traités dans le cadre d’une média-
tion peuvent être l’occasion, par une démarche constructive, de permettre aux
belligérants de repartir sur de nouvelles bases, de poser de nouvelles règles.

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DAMIEN BRAC DE LA PERRIÈRE 373

C’est vrai et vérifié pour la famille, c’est vrai et vérifié pour l’entreprise. Dans
cette optique de maintien ou d’amélioration du climat familial ou social, savoir
identifier et gérer les conflits, constitue un enjeu majeur pour la société laquelle
peut compter sur ses notaires.
La médiation facilite la paix sociale. Elle est le ciment de la poursuite ou de la
reprise des relations entre les « médiés ». C’est pourquoi il y a lieu de faire vivre
cet instrument de déjudiciarisation, et d’utiliser, sans modération, l’acte authen-
tique dans le cadre de l’apaisement des conflits.
À cette occasion, nous pourrons assurément compter sur Jacques Combret
pour être l’un de nos meilleurs ambassadeurs de l’acte authentique de justice
amiable.

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Notariat : histoire récente et perspectives


dans l’économie numérique

Pascal C
Notaire
Président de la Chambre des notaires de Paris

En marque d’amitiés à Jacques Combret et d’intérêt sur toutes les idées qu’il a
portées au cours de sa vie professionnelle, on évoquera ici quelques reflexions
inspirées par les deux dernières années passées touchant le notariat, accompagnées
d’éventuels objectifs futurs. À quel avenir peut prétendre le notariat, à quelles
activités et dans quels aspects renouvelés ?

Permanences et évolutions du notariat


Fort de son histoire, de son secteur d’activités réservée et assuré de son tarif
protecteur, le notariat a évolué sereinement et fortement à la période charnière
des deux siècles, période étonnante à la suite des trente glorieuses qui prit fin
avec la crise financière de 2009 et l’avènement d’une étonnante agressivité poli-
tique à son égard.
Une période de confiance avec l’État a ainsi vu le notaire, officier public
empreint de la mission de service public notarial, rayonner et prétendre à une
pérennité sans faille.
Le législateur, au cours des années 2000, a ainsi confié par une série de lois
assez impressionnante des missions fortes et nécessaires. On peut en juger rapi-
dement : les actes de notoriété dans les successions1, la liquidation et le recou-
vrement des plus-values immobilières2, la mission d’expert pour les divorces3, le
mandat posthume, la renonciation anticipée à l’action en réduction, les contrats
de partenariat (pacs)4, le mandat de protection future aux pouvoirs étendus5
pour en venir aujourd’hui à une étape encore plus stupéfiante qui est celle du
divorce sans juge6.
Parallèlement s’installait la dématérialisation des actes et des échanges avec son
aspect le plus visible qu’est le programme tele@cte, relation de tous les offices

1. L. n° 2001-1135 du 3 décembre 2001.


2. Loi de finances 2004.
3. L. n° 2004-439 du 26 mai 2004.
4. L. n° 2006-728 du 23 juin 2006.
5. L. n° 2007-309 du 5 mars 2007.
6. L. n° 2016-1547 du 18 novembre 2016.

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376 NOTARIAT : HISTOIRE RÉCENTE ET PERSPECTIVES DANS L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

notariaux de France avec les services de l’État pour parvenir à une publicité fon-
cière du e siècle, fiable et adaptée à l’ère numérique.
C’est à la fois une manifestation de confiance et d’appui sur le conseil délivré par
chaque notaire, que la capacité pour la profession notariale à être le relai de l’État,
alléger son administration et faciliter l’avènement des échanges dématérialisés.
Ce programme d’actions voulu par l’État repose sur la confiance dans une
institution contrôlée grâce à son numerus clausus permettant la garantie collec-
tive et dotée d’une responsabilité civile rassurante, modèle économique libéral
porté par un tarif suffisant et maîtrisé.
Ici ou là de nouveaux gisements ou secteurs d’activités sont investis. Le service
notarial aux entreprises de taille intermédiaire est fortement assuré dans de nom-
breuses régions, là où ailleurs des offices audacieux vont investir le secteur de la
financiarisation de l’immobilier d’entreprise ou le conseil aux collectivités locales
avec un remarquable succès. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et certains font jeu
égal avec les plus grands cabinets de juristes des grandes capitales.

Une confiance subitement malmenée


Apparut une série d’attaques et de projets de réformes sans cohérence, au gré
des événements politiques sans vraie concertation avec la profession.
Le rapport Attali sur la libéralisation de la croissance en 2007, où le notariat
est initialement décrit comme une caste abritée des règles de la concurrence,
conclura principalement à une augmentation du nombre de notaires, ce à quoi la
profession s’est engagée mais sera gênée pour sa mise en œuvre par la crise finan-
cière de 2008 et ses conséquences sur l’immobilier.
Vinrent le rapport Darrois et la loi sur la modernisation des professions juri-
diques, initiés sur l’équivoque de voir confier aux notaires la compétence pour pro-
noncer les divorces. Un an de travaux fut nécessaire pour reconnaître, au terme
d’une analyse objective et précise, la pertinence de notre système français, l’intérêt
du notariat, de conserver son statut et ses domaines d’intervention, sous réserve
d’adaptations destinées à lui permettre de mieux coopérer avec les avocats.
Puis ce fut le projet Montebourg-Macron, sous la poussée d’un prétendu pro-
gramme de réformes structurelles imposé par l’Union européenne et la norme de
déficit public de 3 %. Projet justifié à la hâte sur la base d’un rapport IGF de 2012-
2013 ayant analysé en quelques semaines pas moins de quarante-sept professions
réglementées, travail non contradictoire et sans aucune concertation des profes-
sions. Le rapport ne s’est interrogé ni sur les missions ni sur les contraintes des
professions mais a posé deux postulats : placer les professions en situation de
concurrence et plafonner leurs revenus par référence à celui de certaines catégories
de fonctionnaires. Apparaît alors la montée en charge des attributions de l’Autorité
de la concurrence avec son rôle nouveau de tuteur de la profession qu’elle entend
s’arroger. Curieuse institution mal identifiée qui s’apparente de plus en plus à une
administration parallèle et à une force politique autonome, cumulant de

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PASCAL CHASSAING 377

nombreuses attributions pourtant difficilement compatibles, coauteur de nom-


breux textes, autorité quasi juridictionnelle disposant d’un pouvoir de sanction.
Une telle agressivité de la part du monde politique, de l’État et en partie de la
société civile, conduit à s’interroger sur la bonne adaptabilité des notaires, du
notariat et de sa mission de service public, dans le cadre de l’entreprise libérale
délégataire d’une parcelle de l’autorité de l’État. Il est bien curieux de voir à la fois
l’État exercer sa confiance puis manifester sa défiance en bouleversant par la loi du
6 août 2015 les conditions d’exercice du notariat.

Au-delà des turbulences, le bien-fondé de l’activité notariale


Un enseignement doit être tiré de cette période troublée : l’activité notarial et
ses compétences réservées ne sont pas remises en cause7.
Le service des mutations immobilières et de la publicité foncière qui y est
attachée, pourtant très convoitée par tous les professionnels du droit et de l’im-
mobilier, trouve une vraie justification à être maintenu au notariat par sa sécurité
et les relations dématérialisées avec les services de l’administration.
Sécurité confirmée par une quasi absence de contentieux du droit de la pro-
priété immobilière, garantie de la situation hypothécaire assurant une fluidité des
échanges et l’inutilité d’avoir recours à un système d’assurance des titres de pro-
priété, contrairement à de nombreux systèmes étrangers. Le rôle d’assembleur du
notaire dans les dossiers complexes est souvent souligné.
Le droit patrimonial de la famille trouve lui aussi sa place dans le paysage juri-
dique français de la transmission des biens et de la sécurité. Le secteur réservé des
donations ne répond-il pas au souci d’être capable de donner de la mesure aux actes
gratuits de dépouillement à l’heure de situations familiales de plus en plus éclatées,
complexes, et devant affronter la grave question de l’allongement de la vie humaine ?
Avec ces deux exemples traditionnels, on touche ici à la densité du conseil
notarial enchâssée dans les actes établis par chaque notaire grâce à la force et à la
puissance de l’authenticité.
Mais l’acte authentique et ses sujétions seront-ils adaptés pour remplir les
mêmes missions et fonction qu’au siècle dernier ? Le client, éloigné le plus sou-
vent de la connaissance des avantages de l’acte authentique, acceptera-t-il les
inconvénients de son formalisme pourtant protecteur ? Quels aménagements
chaque notaire sera-t-il à même de proposer et considérer les demandes de ses
clients comme des priorités ?
Les exigences de nos clients deviennent impératives à satisfaire en termes de
compréhension, facilité d’exécution et rapidité en toute chose. Les déplacements
imposés, la tenue de rendez-vous, le recours aux procurations authentiques sont aux
yeux des clients d’aujourd’hui des contraintes non compatibles avec une simplicité
des échanges dématérialisés et une mobilité concourant aux éloignements subis.
7. Propos du ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, devant le CSN en 2015.

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378 NOTARIAT : HISTOIRE RÉCENTE ET PERSPECTIVES DANS L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

Les réponses apportées par l’acte authentique dématérialisé, notamment, donnent


un début de réponse mais de nouvelles étapes sont à imaginer et à franchir.
Si le notaire doit toujours poursuivre la recherche d’une adaptation de son acti-
vité à l’ère du temps qu’il vit, sa vraie force est toujours dans le conseil qu’il est à
même de donner, largement installé au cœur des actes authentiques qu’il établit. En
cela la distinction malicieusement envisagée par l’Autorité de la concurrence entre
le conseil et l’authenticité dans ses divers avis, imaginant une authentification dont
le conseil pourrait être confié à un autre professionnel concurrent, illustre bien la
méconnaissance par ladite Autorité de ce qu’est l’authenticité véritable.
Le notaire est un acteur de l’accès au droit : peu lui contestent ce visage d’ins-
tituteur du droit auquel on allie traditionnellement la qualité de magistrat de
l’amiable. Pourtant le notaire contribue à la réforme et à l’adaptation de l’État par
la reprise de certaines de ses missions de gestion. La fin de l’année 2016 a enfin vu
installée la mise en place du service public de l’information immobilière créée par
la loi du 28 mars 2011. De même la déjudiciarisation de l’envoi en possession du
légataire, la réforme de l’option successorale8 confirment ce relais incontournable
que constitue le notariat entre le citoyen, sa justice et les services de l’État.
L’apparition du divorce sans juge est d’autant plus significative que le législa-
teur, avec un texte préparé à la hâte, touche ici à des fondamentaux que sont le
mariage et le divorce, l’authenticité, la force exécutoire, sans grand ménagement
et beaucoup d’imprécisions bien regrettables.
On retient par-là une pente naturelle de la désaffection de l’État pour ses mis-
sions premières, leur substituant le recours à ses officiers publics notaires.
Pour autant le notariat ne doit-il pas rechercher par lui-même la direction de
ses activités à horizon des années 2050 qui pourra paraître lointain à certains,
alors qu’il ne s’agit que d’une génération.

Pérennité du notariat et nouvel horizon : un notariat au cœur de l’écono-


mie numérique
Le vent de Bruxelles, l’échauffement des esprits réformistes ont installé les
notaires dans une perspective de concurrence, entre eux ce qu’ils connaissent déjà,
mais aussi à l’égard des autres professions du droit comme du chiffre ou du conseil.
L’inscription du notariat dans le Code de commerce par la loi du 10 août 2015
entend placer l’activité notariale dans la perspective de sa participation à l’activité
économique de la France. Après avoir vilipendé le déplacement de la tutelle his-
torique du ministère de la Justice vers le ministère de l’Économie sous la houlette
de l’Autorité de la concurrence, ne serait-ce pas ici une opportunité à saisir ?
Il convient avant toute chose de croire à la pérennité du notariat et l’imaginer
dans des habits nouveaux qui restent encore à tailler, mais dont on peut entrevoir
que l’ère numérique constituera un patron de couture incontournable.

8. L. n° 2016-1547 de modernisation de la justice du e siècle.

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PASCAL CHASSAING 379

Au-delà des échanges dématérialisés, des plates-formes de communication et


autres accélérations des moyens, le notaire a pour lui la chance d’être au cœur des
données de tous ordres et notamment autour du logement, venant abonder les
données publiques, accessibles par tous de la même manière. maîtriser la donnée,
de tous types mais particulièrement pour le logement, constitue un enjeu fonda-
mental qui conduit certains à considérer que le paysage professionnel sera ordon-
né autour de celui qui aura su s’assurer de cette maîtrise9.
Apparaît alors le rôle incontournable du tiers de confiance qui constituera le
costume idéal revenant au notariat autant qu’une nouvelle mission bienvenue
pour en relayer d’autres en risque d’affaiblissement. Qu’il s’agisse de l’État, du
citoyen ou des entreprises, la confiance sera exigée tant pour la collecte des don-
nées que pour leur stockage dans l’open data ou la technique des blockchains.
Avec l’ère numérique, la dématérialisation transforme les relations sociales,
mais peut aussi les fragiliser faute d’encadrement.
La définition du tiers de confiance a été récemment précisée par le règlement
européen eIDAS n° 910/2014 sur l’identification électronique et les services de
confiance pour les transactions électroniques, en ces termes : garantir l’identité des
personnes, assurer la preuve des transactions, conserver un accord et son contenu.
Sur l’identité des personnes, le face-à-face du notaire et des personnes
garantira l’« identification forte » et également la capacité de l’interlocuteur et
sa faculté à s’engager par sa compréhension des termes de la transaction. La
preuve de la transaction est assurée par sa qualité d’officier public et par le
caractère non contestable que la loi reconnaît à ses constatations personnelles
et donc aux actes qui les rapportent (actes authentiques). Le notaire est égale-
ment un professionnel de la conservation des actes, papier ou électroniques : il
peut aujourd’hui garantir sa mission d’identification des personnes, de certifi-
cation de la date, de la garantie de l’intégrité des données et de traçabilité des
consultations de celles-ci lorsque des données électroniques lui sont confiées
aux fins de conservation.
Une note de la Chambre des notaires de Paris sur le notaire et l’économie numé-
rique concluait en ces termes : « ainsi, entre l’identification des personnes, la preuve
et la conservation des données, l’accès au droit, la résolution des conflits en ligne et
l’exécution de ses actes par voie dématérialisée, le notariat ouvre la voie d’une sécu-
rité et d’une justice adaptée à l’économie numérique et de nature à favoriser son
développement. Son savoir-faire pourrait permettre à la France d’imposer certaines
normes de sécurité dans l’espace numérique international »10.
Le rôle du notariat peut être majeur en matière d’identité numérique, de
conservation et de transmission du patrimoine numérique des particuliers et des

9. V B., La révolution numérique et le marché du logement : nouveaux usages,


nouveaux acteurs, nouveaux enjeux, Rapport France stratégie, nov. 2016, www.stratégie.gouv.fr.
10. Chambre des notaires de Paris, 10 propositions notariales pour la sécurisation de
l’économie numérique, octobre 2015.

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380 NOTARIAT : HISTOIRE RÉCENTE ET PERSPECTIVES DANS L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

entreprises. Il convient de surveiller jour après jour, les projets de loi à venir sur
l’économie numérique11 et veiller à la place que le notaire doit prendre dans ce
nouvel environnement.
Le notariat en a les outils. Les notaires peuvent être ces tiers de confiance.
C’est un horizon fuyant et toujours à chercher à atteindre qui s’ouvre aux
notaires et auquel nous invite le jeune essayiste Robin Rivaton : « Avant toute
chose il faut proposer un nouvel horizon, au-delà du réglage des curseurs… »12.
Janvier 2016

11. Exemples de la loi Noé sans suite ou la loi Pour une République numérique.
12. R R., Quand l’État tue la nation, 2016, Plon, p. 185.

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Le notaire à l’heure de la pensée algorithmique

Fabrice C
Maître de conférences associé, Université de Lorraine
Membre de l’Institut François Gény,
éditeur du JurisClasseur Notarial Formulaire

« L’ouvrier sera remplacé soit par la machine, soit par l’artiste. »


(Gabriel TARDE, 1843-1904)

« Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur »1.
Si le notariat traverse les âges, c’est que son rôle immuable et essentiel dans la
société a su épouser chaque époque lorsque les faits l’exigeaient. Sachant antici-
per l’avenir, il sait être force de proposition. Le dédicataire de ces lignes y a
largement œuvré, et y contribue aujourd’hui encore, que ce soit au travers des
congrès, des écrits ou de son travail au sein des instances. Pour ne pas se laisser
dépasser, le notaire doit sans cesse être aux aguets, qu’il s’agisse des textes, de la
jurisprudence dont il doit percevoir les frémissements d’un revirement2, de la
doctrine, mais aussi des évolutions de la société annonciatrices de réformes
sociales et technologiques.
Comme la première Révolution industrielle, née avec l’arrivée des technologies
mécaniques utilisant la vapeur d’eau qui ont permis, par l’intermédiaire de l’impri-
merie et des transports, une accélération de l’information et de la communication,
ou la deuxième, qui a vu la convergence du moteur à combustion avec la commu-
nication électrique, nous assistons à la troisième Révolution industrielle qui est le
fruit de la jonction de la communication par internet et des énergies renouvelables3.
Parmi les innovations majeures de ce début du siècle, la blockchain4 figure parmi les

1. C J., Les Mariés de la Tour Eiffel, 1977, Gallimard, coll. Folio (n° 908).
2. Il n’est toutefois pas encore fautif si son acte a été conclu alors qu’une nouvelle solution
le privant d’efficacité, n’a été portée à sa connaissance que postérieurement (Cass. 1re civ.,
12 oct. 2016, n° 15-18659, JCP N 2016, n° 46, act. 1237).
3. R J., La Troisième Révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer
l’énergie, l’économie et le monde, 2012, Les Liens qui libèrent ; sur ce phénomène voir aussi
notamment, S M., Petite Poucette, 2012, Le Pommier ; C S. et E P.,
Bienvenue dans le capitalisme 3.0, 2015, Albin Michel.
4. Sur le sujet voir notamment, Plateforme de transformation digitale. Comprendre la
Blockchain, livre blanc, janv. 2016 ; L D., « La blockchain », RTD com. 2016, p. 830 ;
D S., « La révolution Blockchain. La redéfinition des tiers de confiance »,
RTD com. 2016, p. 893 ; C-H Y., Blockchain : révolution ou évolution ?, 2016,
Dalloz IP/IT, p. 537 ; M Y. et D C., « Enjeux de la technologie de
blockchain », D. 2016, p. 1856 ; H O., « La technologie Blockchain : une révolution aux

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382 LE NOTAIRE À L’HEURE DE LA PENSÉE ALGORITHMIQUE

technologies les plus avancées. Certains annoncent une mutation comparable à la créa-
tion du web5. Apparue en 2008 et développée par un inconnu se présentant sous le
pseudonyme de Satoshi Nakamoto6 qui est le premier théoricien du système
Bitcoin7, la blockchain est un système de stockage et de transmission d’informations
de façon décentralisée8, sans passer par un tiers de confiance (avocat, notaire,

nombreux problèmes juridiques », D. actualité, 31 mai 2016 ; C É. A., « La blockchain


ou la confiance dans une technologie », JCP G 2016, n° 23, 672 ; Ordonnance du 28 avril
2016 relative aux bons de caisse : Comm. com. électr. 2016, comm. 58 ; B M., « Les
crypto-monnaies, une application des blockchains technologies à la monnaie », RD bancaire et
fin. 2016, comm. 8 ; C A. et S K., « Blockchain et autres registres distribués : quel
avenir pour les marchés financiers ? », Opinions et débats, mai 2016, n° 15, en ligne [www.
louisbachelier.org/wp-content/uploads/2016/05/02-05-16-OD-15-BD-1.pdf ] ; Blockchain
France, La Blockchain décryptée. Les clefs d’une révolution, 2016, Netexplo, en ligne [https ://
blockchainfrance.net/decouvrir-la-blockchain/la-blockchain-decryptee-les-clefs-dune-
revolution] ; ESMA, Discussion Paper, 2 juin 2016, sur l’application des DLT aux marchés
financiers, en ligne [www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/2016-773_dp_dlt.pdf ] ;
V F., « Monnaie et paiement à l’ère du numérique : innovations et défis in La stabilité
financière à l’ère du numérique », RSF, avr. 2016, n° 20, en ligne [www.banque-france.fr/
fileadmin/user_upload/banque_de_france/publications/Revue_de_la_stabilite_financiere/
RSF20/RSF20_10_Velde.pdf ] ; R D., Throwing rocks at the Google bus, 2016,
Portfolio, en ligne [www.rushkoff.com/books/throwing-rocks-at-the-google-bus]. De
nombreuses manifestations ont déjà été consacrées à ce sujet. Par exemple, le 12 juillet 2016
était organisée par Florence G’sell, professeur de droit au sein de l’université de Lorraine, et
Jérôme Deroulez, avocat, en collaboration avec le Centre de recherches interdisciplinaires
(CRI), une table ronde sur le thème « La blockchain et le droit : de nouveaux défis ». À Bruxelles
s’est également tenu en juin 2016 un colloque intitulé « Blockchain for social good » relatif à
l’application de la blockchain dans le cadre européen à l’horizon 2020.
5. V. D F., « Blockchains. La deuxième révolution numérique », Les échos weekend,
29 avr. 2016, en ligne [http ://www.lesechos.fr/29/04/2016/LesEchosWeekEnd/00029-009-
ECWE_blockchains-la-deuxieme-revolution-numerique.htm]. The Economist a consacré
plusieurs articles à la blockchain, dont un intitulé « The next big ding ? », en ligne [http ://www.
economist.com/news/briefing/21677228-technology-behind-bitcoin-lets-people-who-do-not-
know-or-trust-each-other-build-dependable], ce qui a accéléré la démocratisation du sujet. Pour
l’américain Jeremy Rifkin, parfois même sans le savoir, nous assistons à « la troisième révolution
industrielle » (in La troisième révolution industrielle. Les liens qui libèrent, 2012).
6. À propos de ce personnage qui se manifeste sous pseudonyme, v. en ligne [http ://www.
telegraph.co.uk/technology/2016/05/08/satoshi-nakamoto-whoever-that-is-will-not-rescue
-bitcoin/].
7. S. Nakamoto a décrit le système dans un article publié en 2008 (A peer-to-peer
Electronic Cah System, 31 oct. 2008).
8. Pour aller plus loin : [https ://blockchainfrance.wordpress.com. La devise virtuelle
Bitcoin constitue un moyen de paiement au même titre que les devises traditionnelles, dès lors
que cette devise a été acceptée par les parties comme moyen de paiement alternatif aux moyens
de paiements légaux et n‘a pas une finalité autre que celle de moyen de paiement. C’est une
sorte de monnaie contractuelle (v. CJUE, 22 oct. 2015, aff. C-264/14, Skatteverket c/ David
Hedqvist, Dr. fisc. 2015, act. 608 ; RDC 2007-1, p. 54, note Huet J. V. également sur le sujet,
G T., « Quel régime fiscal pour les bitcoins ? », Dr. fisc. 2015, act. 514 ; M N.,
« La nature juridique des monnaies alternatives à l’épreuve du paiement », RD bancaire et
fin. 2016, dossier 41 ; B M., « Les crypto-monnaies, une application des blockchain
technologies à la monnaie », RD bancaire et fin. 2016, étude 8. Plus généralement, D G.,
« Bitcoin : bulle ou révolution ? », Esprit, juin 2015, p. 88).

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FABRICE COLLARD 383

banque, assurance, etc.). Les utilisateurs accèdent à une base de données en open
source qui enregistre les échanges réalisés directement entre eux sans organe de
contrôle9. Le code informatique, à travers les algorithmes, est seul régulateur. Les
transactions effectuées entre les utilisateurs sont reliées entre elles par blocs, chacun
d’eux étant validé par les nœuds du réseau grâce à des techniques cryptographiques.
Dès que le bloc est validé, il prend date (Time stamping) et vient s’agglomérer à la
chaîne de blocs. Le protocole est décentralisé et cohérent en ce sens où l’ensemble
de l’information est disponible en chaque nœud du réseau ; la structure centrale
cède au profit de la seule communication entre machines10. Pour ses promoteurs,
par ce moyen, et compte tenu du caractère visible sur l’ensemble du réseau, cette
technologie présenterait un caractère immuable et infalsifiable, et assurerait aussi
une traçabilité de toute la chaîne11. Le stockage de l’ensemble étant rendu public,
sauf à manipuler l’ensemble (ce qui suppose de disposer de la complicité de la majo-
rité des nœuds du réseau), le contrôle et la certification de la chaîne se trouverait
ainsi assurée12. Les plateformes dites intermédiaires tel « Uber » s’effacent également
au profit de l’ensemble des membres du réseau. Ce sont les individus eux-mêmes
qui collaborent directement les uns avec les autres. Le système « ubérise Uber ».
L’accès à certaines chaînes peut être restreint, selon un processus d’admission. Ce
sont ces blockchain fermées, même si c’est contre l’esprit des pionniers, qui connaî-
tront le développement le plus important.
L’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 (JO, 29 avr.), relative aux bons
de caisse, décrit pour la première fois la blockchain comme étant un dispositif
d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opéra-
tions, notamment de sécurité. L’adoption de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre
2016 (JO, 10 déc.)13 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à
la modernisation de la vie économique qui a suivi constitue une nouvelle étape
dans le développement en France de cette technologie en prévoyant une disposi-
tion visant à offrir un cadre juridique aux opérations sur les titres non cotés effec-
tuées au moyen de cette technologie14. La loi Sapin 2 a annoncé une ordonnance

9. M Y. et D C., « Enjeux de la technologie de Blockchain »,


D. 2016, p. 1856.
10.  V H. in JCP E 2016, n° 37, 1480.
11. Dans le cadre de la légalisation du cannabis, le Colorado, aux États-Unis, a eu
recours à cette technologie par le truchement de l’outil « potchain » afin de contrôler la chaîne
de la plantation à la commercialisation.
12. The economist a même pu titrer en octobre 2015 à propos de la Blockchain : « The trust
machine » (« la machine à confiance »), ce qui a renforcé la confiance du milieu des affaires.
Pour une consultation de l’article en ligne [http ://www.economist.com/news/
leaders/21677198-technology-behind-bitcoin-could-transform-how-economy-works-trust-
machine].
13. C. mon. fin., art. L. 223-12, issu de l’ordonnance du 28 avril 2016. M. Jean
Launay a organisé le 24 mars 2016 à l’Assemblée nationale une journée d’information et de
débats autour de la blockchain (pour un compte rendu : http ://bitconseil.fr/
blockchain-a-lassemblee-nationale-compte-rendu/).
14. Son article 120 autorise le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures
nécessaires pour adapter le droit applicable aux titres financiers et aux valeurs mobilières afin de

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384 LE NOTAIRE À L’HEURE DE LA PENSÉE ALGORITHMIQUE

à venir avant la fin de l’année 2017 laquelle devra « adapter le droit applicable aux
titres financiers et aux valeurs mobilières afin de permettre la représentation et la
transmission, au moyen d‘un dispositif d’enregistrement électronique partagé,
des titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d‘un dépositaire central
ni livrés dans un système de règlement et de livraison d’instruments financiers »15.
Ces premières applications ne font qu’en annoncer d’autres.
Parce que ce système est susceptible de l’évincer, le notaire doit s’en emparer pour
le réduire à l’état d’outil et non lui donner une autonomie. La blockchain bouleverse
notre approche des transactions spécialement lors de la confection de l’acte (I), et si
elle ne remet pas en cause l’acte authentique, ses champs d’investigations et ses pos-
sibles évolutions l’invite à l’appréhender pour mieux l’organiser (II).

I – RÉVOLUTION DANS LA MATÉRIALISATION DES ACTES

La technologie blockchain renferme beaucoup d’atouts, même si de nom-


breuses questions restent en suspens (A). Liée à cette révolution annoncée, l’émer-
gence des smart contracts oblige à repenser la matérialité des actes (B).

A. Le bouleversement des codes

Par sa force décentralisatrice, la blockchain, plus que de se substituer à l’acte authen-


tique, entend s’en approprier les vertus et évincer le tiers de confiance de la création de
la convention16. Se prévalant d’une sécurité sans faille, elle sous-entend que les parties
n’ont plus besoin d’intermédiaire, la rencontre des algorithmes, qui représentent de
façon codée la volonté des parties, faisant le contrat. « Le code fait loi »17. Et la conser-
vation des transactions est assurée par l’ensemble des utilisateurs, grâce à des mineurs
et des nœuds issus d’un réseau d’ordinateur reliés entre eux18, ce qui démultiplie la
sécurité plutôt qu’une centrale unique. La sécurité est entre les mains d’une majorité de
nœuds censés être animés de bonnes intentions. D’une certaine manière, cette archi-
tecture s’apparente à l’effet relatif contenu dans les actes notariés, sauf qu’ici la traçabi-
lité de la transaction intervient sans l’intervention d’un tiers19.

permettre la représentation et la transmission, au moyen d’un dispositif d’enregistrement


électronique partagé, des titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d’un dépositaire
central ni livrés dans un système de règlement et de livraison d’instruments financiers.
15. Pour l’introduction de la Blockchain dans le droit des sociétés, D B., « Les (r)
évolutions du droit des sociétés », Gaz. Pal., 21 mars 2017, n° 12, p. 64.
16. S C., « Blockchain et propriété immobilière : une technologie qui prétend
casser les codes », Dr. et patr., oct. 2016.
17. L L., « Code is Law. On Liberty in Cyberspace », Harvard Magazine,
janv. 2000 [http ://harvardmagazine.com/2000/01/code-is-law-htm].
18. V. C-H Y., « Blockchain : révolution ou évolution ? », D. IP/IT 2016, p. 537.
19. V. obs. S C., « Blockchain et propriété immobilière : une technologie qui
prétend casser les codes », op. cit.

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FABRICE COLLARD 385

Il est vrai que la technologie blockchain ne manque pas d’atouts, notamment


son exécution instantanée et la réduction de coût qu’elle induit. Les gestes méca-
niques du notaire seraient désormais pris en charge par la machine, seule subsis-
terait la plus-value procurée. Cette évolution aurait pour mérite de recentrer le
notaire sur ses activités fondamentales. Libéré de ses tâches chronophages, le
notaire pourrait de nouveau placer le savoir au cœur de son métier20 et aurait plus
de temps pour être à l’écoute des clients.
L’ère numérique introduit un nouveau langage, celui de l’algorithme. Alors
qu’aujourd’hui le notaire transcrit en langage juridique la volonté des parties, l’acte
de demain pourrait se construire clause par clause, de façon codée, par la rencontre
des algorithmes dès qu’il y a constat d’un accord entre les parties, au fur et à mesure,
sur les points essentiels à la formation de l’acte. Après avoir sondé la volonté des
parties et les avoir éclairées sur la portée de celle-ci et ses effets, il la retranscrit en
langage juridique21 qui demain s’opérera à l’aide des algorithmes. Par cette intelli-
gence artificielle, il est possible de créer une clause en temps réel qui traduit l’échange
des consentements, l’ensemble formant un tout cohérent. L’acte prend la forme
d’un programme informatique. Seulement, la matérialisation par la seule blockchain
est utopique pour les actes ressortant du champ d’intervention du notaire tant
celui-ci, par son devoir de conseils, intervient à chaque instant de la formation de
l’acte et même plus généralement les actes auxquels il prête son concours puisqu’il
est aussi responsable pour l’acte sous seing privé qu’il rédige. Partir du postulat que
les parties sont aptes à dresser elles-mêmes un acte notarié est méconnaître son rôle
et ne pas rendre compte des difficultés rencontrées par le rédacteur. La blockchain ne
doit donc pas être rejetée par le notaire car il ne s’agit pas d’un véritable concurrent22
– ce n’est pas un tiers de confiance comme les autres –, mais il doit au contraire
s’en saisir pour en faire un outil à son service ; le développement de blockchain pri-
vées trouvera nécessairement des applications dans le milieu notarial, comme le
paiement à l’aide de Bitcoin, les arbres décisionnels ou encore les échanges avec le
service de la publicité foncière.
Ensuite, l’apport annoncé ne doit pas tromper. Rapporter par exemple la preuve
du titre en tant que tel, ce que promeut la blockchain, ne doit pas être confondu avec
la preuve des droits et obligations que l’instrumentum véhicule ; les deux ne convergent
pas toujours23. Et l’algorithme ne modifie pas le régime de la preuve. Le possesseur
d’un bien (fonds de commerce, immeuble, etc.) ne doit pas devoir être mis en échec
par un utilisateur se prévalant du dernier bloc de la chaîne ; la blockchain repose sur le
caractère exhaustif des informations contenues dans la chaîne, ce qui fragilise cette
procédure en matière immobilière par exemple où cohabitent plusieurs modes

20. À propos de l’économie de la connaissance et ses enjeux pour le notariat, v. 47e Congrès
du Mouvement jeune notariat, « La connaissance, Le knowtaire », 2016, Buenos Aires.
21. C L., « L’authenticité et le notariat », JCP N 1985, doctr. p. 125, spéc. p. 126.
22. Sans doute est-ce la fonction anglo-saxonne du notary public qui a induit en erreur
les promoteurs de la blockchain.
23. V. S C., « Blockchain et propriété immobilière : une technologie qui prétend
casser les codes », op. cit.

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386 LE NOTAIRE À L’HEURE DE LA PENSÉE ALGORITHMIQUE

d’acquisition de la propriété24. L’acte authentique est placé au sommet de la hiérarchie


des preuves. Pour autant, cela ne signifie pas non plus que l’écrit électronique est
dénué de force probatoire. Le nouvel article 1366 du Code civil issu de l’ordonnance
n° 2016-131 du 10 février 2016 prévoit qu’il a la même force probante que l’écrit sur
support papier – sous réserve que la personne soit pleinement identifiée. L’horodatage
ne semble pas contestable ; ce que ne garantit pas la blockchain, c’est l’intégrité et le
caractère éclairé des consentements. Et comme la création de l’algorithme est le pro-
duit (pour l’heure) de l’action humaine, la source d’erreur demeure. En outre, sur le
plan de la preuve du contrat électronique, le caractère anonyme du cocontractant est
un obstacle à l’application de l’article 1367 du Code civil qui prévoit que la personne
dont elle émane doit pouvoir être identifiée et que la signature identifie son auteur.
La blockchain, parce qu’elle accélère le temps en générant un transfert immé-
diat, ne doit pas souffrir d’hésitation. Les parties doivent avoir la certitude que
leur volonté sera assurée car se défaire de la chaîne n’est pas aisé. Et mettant face
à face les parties, il est à craindre qu’un rapport de force s’établisse au détriment
du plus faible, d’autant que la mise en œuvre des règles de protections des consom-
mateurs interroge. Le développement de contrats d’adhésion est aussi à craindre,
car en pratique peu de parties discuteront les termes du programmes comme elles
le font aujourd’hui avec les contrats et la tentation sera grande pour les vendeurs
professionnels d’imposer leur smart contract modélisé dans leur intérêt, même si
l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 permet de lutter contre ces clauses ;
la clause générée par le programme qui créerait un déséquilibre significatif entre
les droits et obligations et parties au contrat serait réputée non écrite25.
Dans son rapport public 200626, le Conseil d’État relève que « le principe de
sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur
part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce
qui est défendu par le droit applicable ». Cette sécurité « constitue l’un des fonde-
ments de l’État de droit ». Depuis l’arrêt Bosch du 6 avril 1962 de la Cour de
justice des Communautés européennes (CJCE), le principe de sécurité juridique
constitue un principe général du droit communautaire27. Le notaire est le parfait
garant de la sécurité juridique, son rôle est donc déterminant à une époque où le
droit est de moins en moins audible pour le particulier, et où la loi du marché
place le plus faible sous le joug du plus fort28. Et notre système s’acclimate
24. Sur ces différents points, ibid.
25. À propos des contrats-types et des clauses abusives, C P.-A., « Contrat
d’adhésion et contrat type », in P A. (dir.), Problèmes de droit contemporain. Mélanges
Louis Baudouin, 1974, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 67.
26. Rapport public 2006. Sécurité juridique et complexité du droit, mars 2006, La
Documentation française, Études et documents, Conseil d’État.
27. En France, le Conseil constitutionnel reconnaît une valeur constitutionnelle à
l’objectif « d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi » (Cons. const., 16 déc. 1999, déc.
n° 99-421 DC, Codification : Rec. Cons. const. 1999, p. 136). Toutefois, sa méconnaissance
ne peut pas être invoquée par un justiciable dans le cadre d’une QPC (Cons. const., 22 juill.
2010, n° 2010-4/17 QPC, Alain C., rec. Cons. const. 2010, p. 156).
28. Sur cet aspect v. aussi, Le notaire garant de la sécurité juridique. Examen de clauses.
Association des licenciés et master en notariat, 2016, Larcier.

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FABRICE COLLARD 387

difficilement à cette technologie sous sa pratique actuelle car les relations juri-
diques reposent nécessairement sur des droits nationaux ou supranationaux29.
À propos des contrats, la Cour de cassation a pu rappeler qu’ils sont obligatoire-
ment rattachés au système juridique d’un État30. La difficulté pour appliquer les
règles du droit international privé réside dans le caractère anonyme des utilisa-
teurs. Il est donc nécessaire que l’identification devienne la norme. Mais ainsi
qu’il a pu être relevé, sauf le consommateur qui peut se prévaloir de son droit
national si les actes essentiels du contrat ont été accomplis dans leur pays de rési-
dence, en pratique, pour une blockchain privée ou publique, la loi retenue par les
parties sera fréquemment celle du droit de New York ou de la Californie, là où les
principaux acteurs de la chaîne ont leurs activités31.
Et derrière l’affichage de principe et enjoué, la réalité de la blockchain est moins
idyllique. L’été dernier un premier scandale a mis en évidence des difficultés juri-
diques non encore résolues. Ethereum, qui est une chaîne de blocs publique per-
mettant la création par les utilisateurs de smart contracts (contrats intelligents), a fait
l’objet d’un « cyber-casse »32. Les hackers ont détourné un morceau du code infor-
matique leur permettant d’appréhender la somme de 50 millions de dollars33. Pour
favoriser son développement et rassurer les utilisateurs, les promoteurs du système
souhaitent se doter d’une véritable reconnaissance juridique. Un projet d’amende-
ment présenté le 13 mai 2016, dans le cadre de la loi relative à la transparence, à la
lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, allait dans ce
cens puisqu’il prévoyait que « les opérations effectuées au sein d’un système organisé
selon un registre décentralisé permanent et infalsifiable de chaine de blocs de tran-
sactions constituent des actes authentiques au sens du deuxième alinéa de l’ar-
ticle 1317 du Code civil ». Ce dernier dispose qu’« il (l’acte authentique) peut être
dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans des conditions fixées
par décret en Conseil d’État ». La motivation de cet amendement était la suivante :
« [Il] vise à permettre à la France de prendre une avance juridique en ce qui concerne
la reconnaissance des effets juridiques de l’utilisation de la “blockchain” dans les
opérations sur instruments financiers et devises. À l’heure où un projet de fusion
géante entre bourses (…) risque de marginaliser la Place de Paris, celle-ci se doit
d’innover en mettant en avant ses atouts, au risque sinon de disparaître… Il est
donc nécessaire de permettre à la Place de Paris de reconnaître les effets juridiques
de la technologie de la “blockchain” dans les opérations de règlement-livraison. Plus
largement, le recours de la technologie de la “blockchain” constitue un enjeu de
29. V T., « Technologies de registre distribué (blockchain) : premières pistes de
régulation », RLDI, août 2016.
30. Cass. civ., 21 juin 1950, Rev. crit. 1950, p. 609, note Batifol ; D. 1951, p. 749,
note Hamel ; S. 1952, 1, 1, note Niboyet ; JCP G 1950, II, 5812, note Lévy P.-Ph.
31.   H., « La Blockchain et la loi », in Les échos.fr publié le 21 février 2016
(pour une consultation en ligne [http ://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-154276-
la-blockchain-et-la-loi-1201704.php#hpz8IbHXGjBGoxyB.99]).
32. En ligne [http ://www.lemonde.fr/economie/article/2016/09/26/apres-un-cyber-
casse-la-technologie-blockchain-se-cherche-un-avenir_5003434_3234.
html#RISdU4BqOiepVrwc.99].
33. Le Wall Street Journal parle lui de l’équivalent de 60 millions de dollars.

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388 LE NOTAIRE À L’HEURE DE LA PENSÉE ALGORITHMIQUE

souveraineté pour la France ». Cet amendement n’a pas été consacré, sauf à réappa-
raître dans un prochain projet. L’intention est là, mais oublie l’essentiel : l’alinéa
premier de l’article 1317 prévoit que « l’acte authentique est celui qui a été reçu par
officier public ayant le droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a été rédigé, et avec
les solennités requises ». Pour le professeur Flour, c’est là l’élément le plus important
de la définition34. L’acte authentique est la traduction d’une stabilité des actes dans
un monde en perpétuel mouvement auquel il sait s’adapter35. L’internationalisation
et le libéralisme des échanges, dont la blockchain est la forme la plus aboutie, rend
donc plus que nécessaire, au contraire, l’intervention du notaire.
Si le maintien de l’acte authentique ne fait pas de doute, l’environnement quant à
lui va évoluer. Pour rester au cœur du processus contractuel, le notaire doit appréhen-
der les mécanismes introduit par la blockchain comme les smart contracts.

B. L’art du code

Parmi le cortège de nouveaux concepts liés à la blockchain qui bouleversent la


pratique36, les smart contracts occupent une place primordiale37. Ce sont des
« contrats » capables de s’exécuter de manière automatique, de façon intelligente,
par la réalisation d’un événement ou par une récurrence temporelle qui a été insé-
rée dans le programme. Ce sont des enchaînements de « contrats », le premier
étant l’exécution technique du second. Il existe une véritable économie, le notaire
doit donc les comprendre et demain en proposer ; le notaire du millénaire maîtri-
sera la règle de droit et celle de l’encodage. Car pourquoi ne pas imaginer des
smart contracts authentiques programmés et exécutés par-devant notaire ?
L’intérêt de cet outil est d’accélérer et de fluidifier la gestion contractuelle. Par
son intermédiaire, les parties peuvent confirmer la réalisation d’un événement prévu
dans la convention, par exemple l’obtention d’un prêt immobilier pour l’acquisi-
tion d’un appartement, ce qui aura pour effet, dans ce cas précis, de déclencher
automatiquement le paiement du prix. C’est le système lui-même qui assure l’exé-
cution du « contrat » ou plutôt du programme38. La blockchain permet ainsi

34. F J., « Sur la notion nouvelle de l’authenticité (commentaire des


articles 11 et 12 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971) », Defrénois 1972, art. 30159,
p. 977, spéc. n° 4, p. 980.
35. M M., in M M. (dir.), L’avenir du notariat, 2016, LexisNexis, spéc. p. 34.
36. Sur les bouleversements sectoriels induits par la technologie du blockchain v. notamment,
A P., « Blockchain, la clé “anglaise” de l'ubérisation », LenouvelEconomist.fr
[http ://www.lenouveleconomiste.fr/blockchain-la-cle-anglaise-de-luberisation-29517/].
37. Le 23 mars 2016, l’association Open law, Le droit ouvert, a organisé en collaboration
avec l’association France FinTech un meetup sur le thème les « Smart contracts et blockchain :
unerévolution juridique ? ». V. aussi l’article de R A. et de H T., « Smart
Contracts : the Next Frontier ? », in Oxford Business Law Blog, en ligne [https ://www.law.
ox.ac.uk/business-law-blog/blog/2016/05/smart-contracts-next-frontier].
38. V. P F., Smart contract ou le contrat auto-exécutant, publié sur le site Ethereum
France, le 20 mars 2016 [https ://www.ethereum-france.com/smart-contract-ou-le-contrat-
auto-executant/].

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FABRICE COLLARD 389

d’encoder des obligations prédéfinies avec les clients lesquels s’exécuteront de façon
instantanée dès la réalisation de l’événement programmé (paiement, livraison, etc.).
Dès lors que l’exécution du contrat s’adosse à du traitement de données, il peut être
modélisé. La difficulté de ces actes d’un nouveau genre réside dans le fait de tout
prévoir, d’anticiper tous les choix des utilisateurs (pacte de préférence, condition
suspensive, droit de préemption, etc.) en y adossant systématiquement une action
puisqu’il s’agit ensuite d’un engrenage. Le paramétrage du programme devra aussi
prendre en compte l’application de règles impératives qu’imposent certains actes
(délai de réflexion ou de rétractation en matière immobilière, etc.).
L’enchaînement automatique a aussi pour conséquence d’écarter pour partie la
mauvaise volonté des parties car aujourd’hui, une fois l’acte signé, elles sont libres
de leurs actions et partant de décider de ne pas s’exécuter (pacte de préférence, pacte
d’actionnaire, etc.) sauf à recourir au juge. Le programme, en se substituant au
contrat classique signé entre les parties, prévoit les effets de celui-ci avec une mise en
œuvre directe. Pour autant, une des parties pourrait toujours refuser de s’exécuter
en ne quittant pas les lieux par exemple. La technologie ne résout pas cette difficulté
qui nécessitera toujours de recourir à un tiers de confiance.
Les applications sont nombreuses pour le notariat39. En identifiant dès l’origine
le libellé d’un compte bancaire (ou séquestre), il sera aisé de programmer, par
exemple, qu’en cas de mise en œuvre d’une clause pénale que le montant des dom-
mages-intérêts dont le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale
sera directement prélevé sur celui-ci. En cas de retard dans la livraison d’une
construction d’une maison individuelle, le programme diligentera un prélèvement
direct sur un compte identifié du constructeur des indemnités dues au profit de
l’acheteur. La technologie autorise à affiner les critères du prélèvement. Relié à un
système de météorologie, il pourra savoir si le retard est dû à des intempéries ou tout
autre cas de force majeur. Tout est dans le codage. Lors de l’établissement d’un
avant-contrat de vente d’immeuble, le prêt immobilier (et l’assurance) pourrait être
aussi automatiquement accordé si le profil de l’acquéreur remplit les conditions
objectives posées par les établissements prêteurs (durée, taux, âge, sexe, garantie
proposée, etc.). Et par un effet en chaîne, dès l’acte de vente définitif, le programme
diligenterait l’ordre à un tiers séquestre de remettre les clefs. Les différents comptes
de répartition entre les parties (charge de copropriété, taxe foncière, etc.) seront
aisément modélisables, le calcul et son paiement pourraient être automatisés. Des
développements en matière successorale sont aussi à prévoir. En entrant dans le
programme les règles de dévolution, le logiciel pourra établir instantanément un
acte de notoriété et une déclaration de succession avec paiement immédiat des
droits au profit du Trésor. Le calcul de la réserve et de la quotité disponible peut être
déterminé par une machine ; ce ne sont que des chiffres. En étant connecté au
fichier immobilier, aux banques et autres organismes, il est aisé de synthétiser le
patrimoine du défunt ; l’utra-transparence et la traçabilité qu’à introduit internet et

39. À propos des changements que la technologie peut apporter dans les différents
métiers, v. rapport du UK Government Chief Scientific Adviser, décembre 2015 [https ://
fr.scribd.com/doc/295987915/Distributed-Ledger-Technology-beyond-block-chain].

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390 LE NOTAIRE À L’HEURE DE LA PENSÉE ALGORITHMIQUE

les moyens technologiques laissent à penser que, par regroupement d’informations


(déclaration des revenus, bulletins de salaires, loyers encaissés, etc.), peu de choses
échapperaient au logiciel. Et en intégrant cette technologie dans les banques et les
entreprises, la mise en place d’un système de calcul avec un paiement direct des
impôts à une date programmée (TVA, IS, IR, etc.) limiterait les retards de paie-
ment, la fraude, le blanchiment et la cavalerie.
Le droit international profite également de cette nouvelle technologie puisque
les difficultés soulevées par la langue notamment et l’interprétation des formules
lorsque le rapport est multilatéral, se trouve contourné : le codage informatique
comme représentation de la volonté deviendrait l’Espéranto du juriste.
Cette vision idyllique du smart contract ne doit toutefois pas masquer ses
défauts. Pour se passer d’un tiers de confiance, ce qui est la volonté affichée, cela
présuppose que les parties aient une maîtrise de leurs droits et obligations, qu’elles
soient capables de s’accorder entre elles sans le recours d’un tiers qualifié comme
le notaire. L’exécution est automatique. Il n’est plus possible d’arrêter le système
ou de faire machine arrière. Cette technologie ne souffre pas d’hésitation, contrai-
rement à celle des parties qui est parfois contradictoire ; le notaire fait œuvre
d’équilibrisme lorsqu’il rédige un acte, l’accord tient souvent à un fil. Pour que le
programme s’exécute convenablement, il est nécessaire que les parties aient une
pensée claire, l’ambiguité comme l’imprécision n’y a pas sa place. Pour contour-
ner cet écueil, il est à craindre que s’installent des programmes standards40, sauf à
payer du sur-mesure ; l’informatique favorise l’essor de modèles contractuels41.
Pareil à des InCoTerms (International Commercial Terms), les parties auraient le
choix entre différents programmes représentés par des lettres (A, B, C, etc.), cha-
cun d’eux prévoyant des droits et obligations distincts entre les parties et qui
seraient classés selon le type d’acte (vente, donation, etc.). Ensuite, il est vain de
penser que parce qu’il y a exécution instantanée qu’il n’y aura pas de contentieux.
Des actions sont à prévoir, notamment sur la mauvaise traduction algorithmique
de la pensée d’une partie, des contestations sur la formule mathématique elle-
même, etc. Et quelle est la valeur juridique de ces programmes ? Comment les
articuler avec les règles de protection offertes à l’acheteur par exemple (purge du
délai de rétractation, etc.) qui au contraire font place au temps ? Est-ce que l’ac-
cord codé a force de loi entre les parties comme un contrat classique ? Lorsque la
transaction est soumise au consensualisme et où donc la rencontre des volontés
suffit à faire contrat, on peut le penser. Le comportement des parties vient seule-
ment conforter l’accord qu’elles ont exprimé en formulant une offre d’un côté et
une acceptation de l’autre42. Seulement, il existe encore de nombreux contrats

40. À propos des contrats-types v. notamment, Léauté J., « Les contrats-types »,


RTD civ. 1953, p. 429 ; G J., L G. et S Y.-M., Traité de droit civil. La
formation du contrat, t. 1, 4e éd., 2013, par Ghestin J. et Loiseau G., LGDJ, n° 699.
41. C P., « L’informatique et l’évolution des modèles contractuels », JCP G 1993,
I, 3867.
42. G J., L G. et S Y.-M., Traité de droit civil. La formation du
contrat, op. cit., n° 838.

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FABRICE COLLARD 391

solennels dont le formalisme est imposé à peine de nullité. Pour ceux-là, le notaire
n’est pas substituable. Il en va de l’intérêt des parties et de l’intérêt général car
certains actes nécessitent une attention particulière par les enjeux qu’ils sou-
lèvent. Et il est manifeste que le formalisme protecteur se développe, certaines
mentions sont en effet rendues obligatoires dans certains actes, parfois à peine de
nullité, afin de s’assurer que les parties ont eu connaissance de la portée de leur
engagement. Or ce formalisme informatif n’a de portée que s’il y en a lecture43 et
donc explication, c’est d’ailleurs pourquoi le législateur met parfois à contribu-
tion la partie qui s’oblige pour qu’elle en prenne pleinement conscience44. La
blockchain, par essence, ne répond pas à cette préoccupation. La protection du
consentement ne peut être atteinte que par l’entremise d’un tiers (impartial) de
confiance, autrement dit un notaire. En attirant l’attention des parties sur l’im-
portance et la portée de leur engagement, l’officier public favorise l’accouchement
de la pensée ; la décision est plus réfléchie45.
S’agissant du negocium, il s’agit d’un contrat qui devra répondre aux condi-
tions de droit commun (consentement des parties, capacité à contracter, contenu
licite et certain)46 et si c’est un contrat nommé : au droit spécial qui lui est réservé.
En ce sens, si un utilisateur n’est pas sain d’esprit, le smart contract sera remis en
cause par le juge. L’obligation pourra avoir une prestation présente ou future,
mais celle-ci devra être possible et déterminée ou déterminable47. Et dans tous les
cas, le programme ne pourra pas se soustraire à l’ordre public, spécialement les
règles protectrices du consommateur.
Le smart contract modélise l’accord des parties. Il l’encode. Mais cette nou-
velle matérialité n’est que la représentation sous une forme nouvelle d’un
contrat classique. Or en pratique, compte tenu de l’importance de l’acte qu’est
amené à recevoir le notaire, le contrat résulte fréquemment d’un long processus
de discussion48. À cette occasion, le notaire joue un rôle central puisqu’il accom-
pagne les parties. Il les aide à rapprocher leurs intérêts jusqu’à parvenir à un

43. C G., « Les finalités et les sanctions du formalisme », Defrénois, 2000,
art. 37209, spéc. p. 886.
44. G J., L G. et S Y.-M., Traité de droit civil. La formation du
contrat, op. cit., n° 906.
45. Sur les avantages du formalisme et de l’intérêt de l’intervention du notaire
v. notamment, T F., S P. et L Y., Les obligations, 11e éd., 2013, Dalloz,
n° 132 ; à propos de l’évolution du formalisme v. F J., « Quelques remarques sur
l’évolution du formalisme in Le droit français au milieu du XXe siècle », in Études offertes à Georges
Ripert, t. I, 1950, LGDJ, p. 93.
46. C. civ., art. 1128.
47. C. civ., art. 1163.
48. À propos des négociations précontractuelles, B B., « La conduite des
négociations », RTD com. 1998, p. 463 ; C A., La formation progressive du contrat :
étude comparée sur les procédures de la négociation contractuelle, thèse, 2002, Paris X ; C A.,
Des obligations naissant des pourparlers préalables à la formation des contrats, thèse, 1939, Paris ;
A F., Les pourparlers, thèse, 1996, CNAM ; D O., « Les parties aux négociations
contractuelles (réflexions dans le sens de l’acte de négocier) », in D O. (dir.), L’avant-
contrat. Actualité du processus de formation du contrat, 2008, PUF, p. 43.

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392 LE NOTAIRE À L’HEURE DE LA PENSÉE ALGORITHMIQUE

accord définitif. C’est pourquoi, l’officier public ne sera sans doute pas évincé
du processus contractuel. À condition d’être en capacité de proposer des pro-
grammes sur-mesure à ses clients, parce qu’il maîtrise l’art de la clause, il pourra
proposer des programmes complexes porteurs de fortes plus-values, encore plus
proches de la volonté des clients. Plutôt qu’un concurrent, le smart contract
apparaît davantage comme un nouvel outil au service du notariat, mais à condi-
tion de s’en saisir et de l’exploiter dans sa plus grande plénitude. La blockchain
n’est pas un modèle alternatif du notariat, sauf à méconnaître son véritable rôle,
celui de tiers de qualité.

II – ÉVOLUTION DANS LES FONCTIONS DE NOTAIRE

La tentative d’évitement par la blockchain ne rend pas compte de la fonction


de notaire au sein du système juridique français (A). Cette technologie est un
outil au service du notariat qui dynamise son offre par la capacité de stockage et
de traitement de données qu’elle induit (B).

A. Le notaire : sûrement et pour longtemps

Le développement de l’authenticité a été encouragé par le recours croissant de


l’écrit pour combler l’écueil de l’oralité, mais également pour répondre à un fort
besoin de sécurité suscité par l’expansion économique et la multiplication des
échanges au Moyen Âge49. Il fallait assurer le caractère définitif et incontestable de
la transaction50. L’histoire fait écho. Ce qui a généré les besoins d’hier, le sera aussi
demain ; aux mêmes causes les mêmes effets.
Les promoteurs de la blockchain voient dans le notaire un simple scribe que
la technologie peut effacer en mettant les parties en relation directe. C’est
oublier qu’il n’est pas un simple témoin privilégié. Comme l’a rappelé le
ministre de la Justice lors du Congrès des notaires de Nantes en 2016, « parce
que l’acte authentique n’est pas qu’une procédure, la blockchain ne pourra pas se
substituer à lui. Cette technologie de stockage numérique et de transmission à coût
minime n’est qu’une technique et ce n’est pas cela qui fait l’acte authentique. C’est
l’intervention du détenteur d’une parcelle d’autorité publique. Et ceux que l’on
appelle les mineurs, ouvriers de la blockchain, n’en sont pas pourvus »51. La récep-
tion par lui qui est imposée par l’article 1317 du Code civil sous peine de rendre
l’acte informe, ne signifie pas seulement que la convention est reçue par-devant

49. A L. (dir.), L’authenticité, 2e éd., 2013, La Documentation française, n° 16.


50. V. R F., « Les origines canoniques de la notion moderne d’acte authentique
ou public », in R F., S M. et C O. (éd.), Der Einfluss der Kanonistik
auf die europäische Rechtskultur. t. II. Öffentliches Recht, 2011, Köln-Weimar-Wien, Böhlau,
p. 333, spéc. p. 339.
51. Extrait du discours de Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice à la
séance solennelle d’ouverture du 112e Congrès des notaires de France à Nantes le lundi 6 juin 2016.

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FABRICE COLLARD 393

l’officier public, simple condition de forme. Car il s’agit ici de donner pleine
force aux éléments constatés par lui52. La force probante attachée à l’acte de ce
que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté (C. civ.,
art. 1371) n’existe pas dans la blockchain. L’acte authentique crée une réalité qui
sécurise la transaction et en réduit les coûts, notamment sur le plan proba-
toire53. Le notaire exerce un contrôle de légalité de l’acte qu’il instrumente54 afin
de prévenir tout contentieux. En voulant évincer ce tiers, la blockchain ne fait
que reporter cette obligation sur le juge à l’occasion d’un litige ; la vitesse et
partant le renforcement du présentéisme sont autant d’ennemies de la sécurité
juridique55. Un contrôle a priori répond davantage aux attentes des parties et de
la société ; et la volonté continue de désengorger les tribunaux va à l’encontre
de cette pratique. Et ensuite la gravité de certains actes, par les conséquences
qu’ils impliquent pour celui qui s’oblige ou parce qu’ils touchent aux intérêts de
la famille, impose la solennité sous peine de nullité. Ils ne doivent pas être sous-
crits de manière impulsive, sous le coup d’une volonté insuffisamment réfléchie,
voire sous l’influence d’un tiers56. Assurant une constatation officielle, l’officier
public est une garantie de la liberté du consentement comme à la régularité de
l’acte57, et favorise cette prise de conscience pour les parties à l’acte en les
accompagnants dans leur réflexion.
Le notaire est le créateur de l’acte, c’est son œuvre58. Outre l’absence de
délégation de la force publique, cette dimension n’existe pas avec la blockchain
qui, au contraire, joue un rôle passif puisqu’elle ne fait qu’encoder une conven-
tion établie directement entre les parties. Elle n’intervient qu’après l’accord des
parties, elle ne participe pas à la gestation de l’acte. Et le fait qu’il n’y ait pas de
support matériel n’est pas en soi une révolution, le notariat connaît déjà l’acte
dématérialisé59 et la « clé Réal » est déjà une forme d’encodage permettant la
certification de la signature. En revanche, dans les pays où le notariat ne joue
pas ce rôle, il est manifeste que la blockchain risque de s’y substituer. C’est le cas
du Japon, par exemple, où le notaire ne doit pas interférer dans l’accord des
parties, leur volonté domine. Dénué de tout devoir de conseil, il est en retrait
et reste passif à l’égard des parties ; il faut éviter qu’il intervienne lors de la

52. À propos de la présomption de véracité v. notamment, N M., « La force


probante de l’acte notarié », JCP N 1014, n° 5, 2013.
53. M M. (dir.), L’avenir du notariat, op. cit., spéc. p. 29.
54. A L. (dir.), L’authenticité, op. cit., p. 85.
55. R H., Accélération. Une critique sociale du temps, 2010, La Découverte,
spéc. p. 36 ; v. aussi M M. in L’avenir du notariat, op. cit., spéc. p. 5.
56. V. G J., L G. et S Y.-M., Traité de droit civil. La formation du
contrat, op. cit., nos 941 et 942.
57. F J., A J.-L. et S E., Les obligations. t. I. L’acte juridique, 16e éd.,
2014, Sirey, n° 306.
58. V.  P J., in JCl. Notarial Formulaire, V° Responsabilité notariale,
fasc. 1, n° 11 ; M P., « L’acte notarié : rédaction et réception. Rapport de synthèse des
XXIes rencontres notariat et université », JCP N 2012, n° 4, 1062, spéc. n° 9, p. 61.
59. V. R B., « Actualité et avenir de l’acte authentique électronique »,
Defrénois 2013, p. 1022.

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394 LE NOTAIRE À L’HEURE DE LA PENSÉE ALGORITHMIQUE

formation de l’acte60. Pour attirer des capitaux, l’Estonie n’a pas hésité à avoir
recours à la blockchain et a ouvert des services, dits notariés, de Bitnation à
l’effet de signer des certificats de naissance ou encore des contrats de mariage,
dès lors que l’on a la qualité d’e-résident61.
La plus-value du notariat se situe dans le sur-mesure, c’est là où se concentre
sa compétence62 et cela correspond pleinement aux aspirations contemporaines
en quête de proximité et qui rejettent le produit industriel. Et l’officier public,
contrairement aux nœuds du réseau, fait consensus par lui-même. Par le
contrôle de sa personne et de ses actions, la sécurité juridique est pleinement
assurée. La valeur ajoutée procurée par le notaire doit sans doute être mieux mis
en avant et l’idée de rédaction d’acte automatique sous forme industrielle com-
battue. Le traitement automatique ne doit pas être au détriment de l’art de la
clause sous peine d’être évincé par la rédaction codée qu’offre la blockchain, plus
rapide et moins coûteuse.
En contrepartie de cette charge, le notaire est responsable de ses actes et les
motifs sont nombreux63. Son défaut de conseil est aussi fortement sanctionné.
Comme le relève le professeur Mathias Latina, la Cour de cassation a même parfois
laissé entendre que c’est parce qu’il devait conseiller les parties qu’il devait assurer la
validité et l’efficacité des actes pour lesquels son concours était requis64. Or, par la
dilution induite par la blockchain on peut se demander comment et sur qui pèsera
cette responsabilité là où, pour le notaire, elle se concentre en sa personne. Dès lors
que les opérations sont accomplies de façon autonome et anonyme, quel utilisateur
endossera la responsabilité de l’ouverture d’un réseau illicite ? Et même si le créateur
de la blockchain est identifié, la chaîne sera difficilement arrêtable puisque les opé-
rations sont réalisées de manière autonome. Même si cela va à l’encontre de son
esprit, le développement du système passe par une régulation et une clarification
juridique. Quant au devoir de conseil, il est ici sans objet, si ce n’est la mise en place
de protocole d’avertissement lors de chaque choix. Seulement, la volonté des parties
est rarement binaire, le choix optionnel se fera donc à son détriment.
Plus largement, la blockchain est une démonstration supplémentaire de la glo-
balisation des échanges et de la fragilisation d’un système centralisé, même si

60. Spéc. Y M., in L’avenir du notariat, op. cit., spéc. p. 282.
61. V. la page d’accueil [https ://e-estonia.com/e-residents/about/].
62. M M. et H O. (dir.), « L’art de la clause », JCP N 2015.
63. V. par ex : Me E, La responsabilité civile des notaires, thèse, 1952, Toulouse ;
 P J., La responsabilité civile et disciplinaire des notaires, LGDJ, 1974 ;
A J.-L. et C R., La responsabilité civile des notaires, 2008, Defrénois ; S J.-F.
et L M., Manuel de déontologie notariale, 2014, Defrénois ; P J.-F. et Y Y.,
Droit professionnel notarial, 2015, LexisNexis.
64. L M., « Le notaire et la sécurité juridique », JCP N 2010, n° 42, 1325 ; v. par ex.
Cass. 1re civ., 22 avr. 1981, n° 80-11398, Bull. civ. 1981, I, n° 126 : « Alors que le devoir de conseil,
destiné à assurer la validité et l’efficacité des actes » ; Cass. 1re civ., 9 nov. 1999, n° 97-14521 :
JurisData n° 1999-003915 ; Bull. civ. 1999, I, n° 299 ; Gaz. Pal. 2000, 1, p. 21 ; Cass. 1re civ.,
12 déc. 1995, n° 93-18.753, Bull. civ. 1995, I, n° 459 ; Cass. 1re civ., 4 avr. 2001, n° 98-19925,
JurisData n° 2001-009013 ; Bull. civ. 2001, I, n° 104 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. 227.

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FABRICE COLLARD 395

celui-ci n’est pas en voie de disparition, mais plutôt de réorganisation. Lorsque


l’État prend du recul sur des sujets fondamentaux tel que le droit de la famille, il
aime à se reposer sur le notariat (comme auxiliaire de justice ou substitut au juge)
qui est le délégataire de la puissance publique – et son percepteur d’impôts –,
ainsi le nouveau divorce sans juge introduit par la loi de modernisation de la jus-
tice du e siècle65. Ancré au cœur de la société civile, le notaire, par sa média-
tion, veille au maintien de l’intérêt général et des intérêts particuliers66. Il est le
garant d’un certain ordre social et le trait d’union entre l’État et le citoyen. Le
réduire à un rédacteur ne rend pas compte de son rôle dans la société.
Si l’acte notarié ne sera pas ébranlé, même s’il devra faire sa mue, les nouvelles
technologies introduisent de nouvelles fonctions et fonctionnalités. Le dévelop-
pement du droit sera toujours croissant. Seulement, dans ses modalités d’applica-
tion la technologie sera de plus en plus prégnante.

B. La technologie comme source de nouvelles fonctions et fonctionnalités

La révolution numérique transforme les métiers du droit et oblige à se former.


Pour perdurer, il faut être au contact des problématiques émergentes et des
moyens technologiques mis à disposition. Inconnus hier, la cession d’un site
internet67, l’établissement d’un contrat de réalisation d’un site web68 ou d’héber-
gement69 sont autant de contrats devenus courants. Le service succession d’une
étude est aujourd’hui confronté à des problématiques contemporaines suscitées
par la nouvelle économie comme la gestion de la « mort numérique » : dévolution
du patrimoine numérique de l’utilisateur d’un compte Twitter, Facebook,
Linkedln, etc.70, et le respect du droit moral de l’auteur. Le sort des « actifs numé-
riques » (digital assets) après le décès devient un enjeu majeur71.

65. À propos du divorce sans juge introduit par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre
2016, B C., « La fonction du notaire dans le divorce déjudiciarisé », JCP N 2017,
n° 1, 1002 ; F H., « Le divorce sans juge, c’est maintenant. Et après ? (observations sur
l’après divorce sans juge) », Dr. famille 2017, dossier 4 ; C J., « Le nouveau divorce par
consentement mutuel, une réforme en clair-obscur », AJ fam. 2017, p. 14 ; F-A S.,
« Nouveau regard sur le divorce après la loi du 18 novembre 2016 », Defrénois 2017,
art. DEF125k6, p. 125 ; C-S N., « Réflexions pratiques sur le divorce sans juge »,
Defrénois 2017, art. DEF125m5, p. 131.
66. M M. (dir.), L’avenir du notariat, op. cit., spéc. p. 8.
67. JCl. Communication, fasc. 9815, par Cordier G.
68. JCl. Communication, fasc. 4700, par Manara C.
69. Pour des formules, JCl. Communication, fasc. 9800, par Cordier G.
70. L F., « Le notaire 2.0 ou comment éviter l’Uberisation du notariat ? », JCP N 2015,
spéc. n° 37.
71. La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 crée notamment le droit à « l’oubli
numérique » pour les jeunes majeurs et la « mort numérique » est organisée (pour une
présentation de la loi, G L., « Loi “pour une République numérique”. Ouverture des
données et nouvelles contraintes », JCP G 2016, n° 43-44, 1129 ; M-B N., « Les
nouveaux droits des individus consacrés par la loi pour une République numérique. Quelles
innovations ? Quelle articulation avec le règlement européen ? », D. IP/IT 2016, p. 525).

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396 LE NOTAIRE À L’HEURE DE LA PENSÉE ALGORITHMIQUE

Avec la blockchain, l’homme sera remplacé là où la tâche s’exécute de façon


mécanique, sans plus-value (demande de pièces, purge des droits de préemption,
paiement des droits, etc.). Ce sera aussi un formidable outil pour résoudre les
problèmes liés à l’absence de registres et de cadastres. Le notaire y sera donc
confronté aussi par ce biais. Le Ghana, par exemple, y a eu recours72. En Afrique
où 90 % des zones rurales ne sont pas répertoriées. Mais pour l’heure, elle ne peut
pas se substituer au capital humain car un automate informatique ne connaît pas
la fonction de débateur et conciliateur. Or, c’est tout l’art de la fonction de
notaire. L’humain reste le garde-fou de l’automaticité de l’encodage.
L’optimisation du conseil client passe par l’apprentissage de cette nouvelle
langue. Car si les missions fondamentales du notaire demeurent, elles vont devoir
s’adapter aux nouvelles exigences des clients. Il doit se poser en garant de la bonne
exécution des algorithmes. Aussi, le rédacteur 2.0 doit dompter les nouveaux
outils et être à même d’en tirer profit pour prendre une décision optimale. Ce sera
un « juriste programmateur ». Faisant de la technologie blockchain un outil privi-
légié, le notaire va démultiplier ses offres de service et renforcer la précision de ses
analyses. Pour autant, sa fonction ne sera pas aisée car lors de l’élaboration d’un
smart contrat il devra prévoir toutes les conditions générales et particulières mais
aussi les modalités de réalisation du programme dont les effets seront instantanés
et en chaîne. Tout étant imbriqué, chaque événement emportant une consé-
quence, il devra anticiper toutes les situations pouvant se présenter et prévoir une
action pour chacune d’elles. L’intelligence artificielle est une aide au pouvoir déci-
sionnel, un accélérateur. Par le traitement et l’analyse instantanée de milliers de
documents que permet la blockchain, le notaire sera à même d’accompagner son
client en lui fournissant une consultation détaillée comprenant les éléments
déterminants. L’expérience, l’expertise technique du sujet et de l’environnement,
l’intuition et la créativité sont autant de qualités propres au notaire qui échappent
encore au robot73. Par sa connaissance et sa capacité à traiter l’information, le
notaire, grâce à cette nouvelle technologie, pourrait davantage épauler les entre-
prises pour leur assurer, par exemple, qu’elles respectent la législation en vigueur
et les règles professionnelles qu’impose leur segment d’activité. Le notaire pour-
rait ainsi assurer un contrôle qualité et conformité, sorte de compliance officer.
Le notariat doit se saisir de cette opportunité pour offrir une prestation com-
plémentaire à ses clients et pour gérer au mieux ses offices. L’innovation est pri-
mordiale pour rester au cœur des enjeux de demain. Plusieurs cabinets d’avocats
américains74 proposent déjà des applications allant dans ce sens qui peuvent être
72. B T., « Le cadastre au Ghana avec la technologie blockchain » Info Afrique,
12 févr. 2016, en ligne [https ://www.info-afrique.com/cadastre-ghana-blockchain/].
L’initiative se démultiplie puisque le Costa Rica, également, a lancé un programme pilote
tentant de réaliser un cadastre sur une blockchain.
73. V. l’étude de l’université de Caroline du Nord et du MIT à propos des avocats qui
développent les composantes qui pourraient être automatisées, R D. et L Fr. S., « Can
Robots Be Lawyers ? Computer, Lawyer and the Practice of Law », 2015.
74. Le Barreau de Paris a également créé un incubateur interne réfléchissant à ces
problématiques [www.tendancedroit.fr, 27 juill. 2015].

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FABRICE COLLARD 397

source d’inspiration. Au congrès EUROJURIS de 2017, Brian Kuhn, représen-


tant d’IBM Watson For Legal, a présenté : « Personnality insights » qui propose
l’analyse détaillée de la personnalité d’un individu (candidat à un poste, client,
etc.) grâce à l’analyse de ses prestations ; « Argumentator » qui permet la création
d’un argumentaire, à partir de la recherche de cas similaires précédents et de
l’extraction de données tout en proposant les arguments les plus efficaces en fonc-
tion des régions ; « Expertise » qui aide à rechercher un expert dans un domaine
particulier, celui qui présente les meilleurs résultats. En France, LexisNexis a créé
par exemple « Donnée quantifiées JurisData » qui permet, par un traitement de
données, au vu d’un profil, de déterminer le montant d’une prestation compen-
satoire ou du prix à obtenir dans le cadre d’une expropriation. C’est le développe-
ment d’une justice dite « prédictive »75. Connaissance prise par le notaire du
montant qu’elles pourraient obtenir par voie contentieuse, les parties seront plus
enclines à accéder à un accord. C’est une aide à la décision, véritable base de
réflexion pour les clients. Et comme le logiciel est en capacité d’établir un profil
de chaque magistrat au regard des décisions qu’il a déjà rendu sur le même pro-
blème de droit, choisir son juge en fonction de son dossier pourrait vite devenir
une réalité, comme cela existe déjà en matière artisanale, civile, ou économique.
Face à l’intelligence grandissante des robots dits « cognitifs » qui enregistrent
des connaissances sur le principe du deep learning, et qui donc consolidera en
temps réel ses données juridiques, l’organisation et les méthodes de travail dans
une étude vont nécessairement évoluer. Par sa force de calcul, le robot sera à
même de déterminer l’impact d’un texte ou d’une jurisprudence sur les dossiers
de l’étude (loi de finances, réforme du droit des contrats, réforme du droit de la
responsabilité, etc.) pour proposer ensuite de nouvelles options dans l’intérêt du
client. L’art du notaire sera donc en amont, au moment du paramétrage des
recherches. L’accès à l’information devenant plus aisé, l’attente du client dans le
traitement des données et l’optimisation de celles-ci ira croissant. Le conseil du
client va se renforcer et obligera à une analyse des risques plus accrue.
En matière de traitement de données et de conservation, le notariat a de nombreux
atouts. Il faut les exploiter et les mettre en avant car la multiplication des échanges,
cumulée à la dématérialisation des actes, interroge quant à leur sort et à leur protection.
Un capital est en train de se former, celui d’un capital de données. La question est alors
de savoir, pour le philosophe Michel Serres76, qui sera le dépositaire de nos données. Le
notaire est sans doute le professionnel qui remplit le mieux cette mission ; ce capital

75. Comme l’a écrit Antoine Garapon, pour les big data le droit et la jurisprudence
sont des faits au même titre que les caractéristiques du dossier ou le tempérament d’un juge.
Alors que le droit était censé ordonner le réel en distinguant ce qui résulte d’une obligation
légale et ce qui relève de la liberté, pour la justice prédictive, tous les faits sont mis sur le même
plan dès lors qu’ils déterminent la décision (dans « Justice. Les enjeux de la justice prédictive »,
JCP G 2017, n° 1-2, doctr. 31).
76. Interview accordée au Figaro.fr tech et web, le 13 mars 2015 [http ://www.lefigaro.
fr/secteur/high-tech/2015/03/13/32001-20150313ARTFIG00159-michel-serres-la-
question-est-de-savoir-qui-sera-le-depositaire-de-nos-donnees.php]. 90 % des données

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398 LE NOTAIRE À L’HEURE DE LA PENSÉE ALGORITHMIQUE

immatériel, que constitue le big data77, est sans nul doute un axe de développement
pour le notariat car il jouit d’un véritable savoir-faire78. Les notaires sont déjà déposi-
taires des secrets de famille, des testaments, des contrats de mariage, etc. Fort de ce
constat, l’intellectuel invite à créer des « dataires », des notaires des données. La multi-
plication des données pose aussi des questions de sécurité et d’éthique. La gouvernance
de la cité numérique reste à inventer79 ; le notaire 2.0 doit l’investir. C’est pourquoi le
notariat a raison de proposer, d’une part, de mettre en place, en partenariat avec l’État,
l’identification numérique certifiée grâce à la fiabilité technique et à la sécurité qu’il
offre sur l’ensemble du territoire, d’autre part, de garantir l’exactitude des informa-
tions, dans tous domaines jugés utiles par l’état, autrement dit constituer une véritable
« blockchain notariale » à destination des pouvoirs publics et des utilisateurs.
Face à l’amélioration exponentielle de la technologie, les notaires doivent
redéfinir leur moyen d’action et repenser leur valeur ajoutée en matière de conseil
et de création d’acte pour répondre aux grands enjeux qui s’annoncent. Cette
exigence nécessite d’être formé et entouré de collaborateurs 2.0. Aucune refonda-
tion de la formation ne pourra faire l’économie d’intégrer ces nouveaux savoirs ;
c’est l’économie future, les conflits de demain auront assurément un lien étroit
avec l’informatique. De même, la déontologie de la profession est difficilement
applicable en l’état. La compatibilité de l’usage de cette technologie avec le secret
professionnel et l’obligation de confidentialité pose aussi interrogation, comme
les questions de responsabilité qui en découleront. Tout reste à penser.

*
* *

Si beaucoup de questions restent en suspens, force est de constater que les


tentacules de cette technologie émergente envahissent petit à petit notre espace à
l’image des rhizomes de Gérard Fromanger. Seulement, son développement passe
sans doute par une régulation. Et d’ailleurs, s’agissant des robots, le 12 janvier
dernier, la Commission des affaires juridiques du Parlement européen a adopté
une résolution incitant la Commission européenne à préparer un texte pour enca-
drer l’essor de la « robolution » et « créer de toute urgence un cadre juridique
européen »80. Les algorithmes doivent faire œuvre de lisibilité, d’indépendance et

produites depuis le début de l’histoire de l’humanité l’ont été dans les deux dernières années
[http ://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-165149-le-big-data-une-vaste-machine-a-
fantasmes-2058498.php#MVMCVvSZRRqSoJ32.99].
77. G G., Big Data, penser l’homme et le monde autrement, 2015, Le Passeur.
78. L F., « Le notaire 2.0 ou comment éviter l’Uberisation du notariat ? », op. cit.,
spéc. n° 40.
79. V. L C. et B E., « Comment le big data change les villes en
chiffres », Lemonde.fr, 22 nov. 2016 [http ://www.lemonde.fr/smart-cities/video/2016/11/22/
comment-le-big-data-change-les-villes-en-chiffres_5035621_4811534.
html#bCOi7SPCDlfhHYzQ.99].
80. http ://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20170110IPR57613/
robots-vers-des-r %C3 %A8gles-europ %C3 %A9ennes.

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FABRICE COLLARD 399

d’intégrité. L’utilisateur doit connaître ses droits et obligations, notamment ses


recours en cas de dysfonctionnement ou de mauvais codage, comme ne représen-
tant pas l’expression de sa volonté. Mais son avènement ne doit pas faire peur. Le
notariat a trop d’atouts. Véritable tiers de confiance désintéressé, le notaire ne
devrait pas en pâtir, même si une adaptation est nécessaire. L’encodage, qui est
une nouvelle forme de langage, n’est que l’exécution, certes instantanée, d’un
accord qui sera discuté sous l’autorité du notaire.
Force est de constater que nombre de personnes n’osent toujours pas franchir
la porte d’une étude ou pire préfèrent s’en affranchir. Le particulier n’est pas le
seul concerné, les entreprises le sont aussi81. Le réflexe est de lancer un moteur de
recherche plutôt que de recourir à ce professionnel dont on présuppose un coût
exorbitant (mais la sécurité a-t-elle un prix ?). Le site Testamento.fr dont l’objectif
affiché est de « démocratiser les testaments en France » en est le parfait exemple82.
Même si ce site draine davantage de personnes « non-usagers » des offices, le
notaire ne doit pas se laisser dessaisir de la matière dont il est le pivot, qu’im-
porte le support83. Le notariat doit être plus visible en ligne et être un réflexe
lorsqu’une personne s’interroge sur un problème de droit. Il faut être présent là
où le citoyen cherche à résoudre une difficulté juridique. Le notaire ne doit pas
avoir honte de son savoir.
Paris, 26 janvier 2017

81. Le phénomène touche aussi les avocats : 59 % des TPE et PME et un Français sur
deux n’ont jamais eu recours à ce professionnel (Étude Ifop/Image & Stratégie réalisée pour
l’Ordre des avocats de Paris). Pour une consultation, http ://www.ifop.com/media/poll/2792-
1-study_file.pdf.
82. http ://www.challenges.fr/start-up/testamento-la-start-up-qui-veut-rendre-tendance
-le-testament_31202.
83. Pour Me Luzu, toutefois, ce site n’est pas véritablement un concurrent pour le
notaire (pour les arguments avancés lesquels sont convaincants, « Le notaire 2.0 ou comment
éviter l’Uberisation du notariat ? », op. cit., n° 45, 1195).

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Liste des souscripteurs

ABRIAL Claude, Notaire honoraire.


ASTORGUE Claire, Notaire à Massiac.
AUBRY-MARAIS Gilles, Notaire à Moutiers.
AUREP.
BABY Wilfried, Docteur en droit, Notaire associé à Pamiers.
BARCQ Martial, Avocat au Barreau de La Rochelle.
BARNIER Jean-Pierre, Notaire à Bellême.
BARRAU Jean-Luc, Notaire à Saint-Affrique.
BARRIÈRE André, Notaire honoraire, Président des Notaires honoraires
et retraités des Alpes-Maritimes.
BAUGUIL Jean-Pierre, Docteur en droit, Avocat honoraire.
BEN HADJ YAHIA Sonia, Maître de conférences, HDR, Université de Corse
Pasquale Paoli.
Bibliothèque Cujas, Paris.
Bibliothèque de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
Bibliothèque nationale de France, Paris.
BOUQUEMONT Antoine, Notaire à Reims.
BOUQUILLARD Roland, Docteur en droit, Notaire à Limoges.
BRAC DE LA PERRIÈRE Damien, Notaire honoraire, Directeur des affaires
juridiques du Conseil Supérieur du Notariat.
BRICCA Jérôme, Notaire à Clamart.
CAMOZ Jean-Yves, Directeur pédagogique du Centre National d’Enseignement
Professionnel Notarial (CNEPN).
CAMPELS Christian, Docteur en droit, Notaire honoraire.
CAVAIGNAC Dominique et Catherine, Notaires à Montbazens.
CEDCACE – Centre de droit des affaires et du contentieux économique,
Université Paris Nanterre.

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402 ÉTUDES OFFERTES À JACQUES COMBRET

Centre de Formation Notariale de Toulouse.


Centre de Formation Professionnelle de Notaires de Nîmes et Montpellier.
Centre de Recherche Droits et Perspectives du droit (CRDP) de l’Université
de Lille 2 Droit & Santé.
CERDP Faculté de Droit et Science politique, Université Nice Sophia Antipolis.
CEVAER Éric, Notaire à Cap-d’Ail.
Chambre des Notaires de l’Aveyron.
Chambre des Notaires de la Gironde.
Chambre des Notaires de Toulouse.
Chambre des Notaires des Bouches-du-Rhône.
CHAMPENOIS Gérard, Professeur émérite de l’Université Paris II
Panthéon-Assas.
CHESNELONG Jean-Didier, Notaire à Toulouse.
CHIGOT Christian, Responsable du service juridique de la Société GENAPI.
CHINCHOLE Jean, Notaire à Luzy.
CLAVEL Jean-Pierre, Notaire à Orange.
CLÉMENT Antoine.
COIFFARD Didier, Notaire, Président du Conseil Supérieur du Notariat.
Conseil Régional des Notaires du ressort de la Cour d’Appel de Bordeaux.
Conseil Supérieur du Notariat.
CRIDON de Paris.
CRIDON Nord-Est.
CRIDON Ouest.
CRIDON Sud-Ouest.
CROCQ Pierre, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
CRONE Richard, Notaire honoraire.
DAGOT Michel, Professeur, Notaire.
DASSY Jean-Brice, Notaire à Bayonne.
DAUDE Xavier, Directeur du Centre National d’Enseignement Professionnel
Notarial (CNEPN).
DEJOIE Antoine, Vice-président du Conseil Supérieur du Notariat.
DEJOIE Laurent, Président honoraire du Conseil Supérieur du Notariat.
DETEIX Patrice, Doyen de la Faculté de médecine de Clermont-Ferrand.
DOIREAU Sidonie, Directrice éditoriale LGDJ, Lextenso.
DUFRENE-ROUCHY Caroline, Notaire à Cadours.
DUPOUY Nicolas, Notaire à Ossun.
DURET Ludovic, Notaire, Groupe MONASSIER Melun.

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LISTE DES SOUSCRIPTEURS 403

ESCARGUEIL Étienne, Notaire à Paris.


ESTÈVE François-Xavier, Notaire assistant à Toulouse.
Étude CARNEJAC, CHATEAUNEUF, BANDERA-TOULOUSE, SEMPÉ
& TOULOUSE, Notaires associés à Tarbes.
Étude CAROW & JUNGER, Notaires associés à Hagondange.
Étude CATHOU & Associés, Notaires à Rennes.
Étude CHALLEIL & FABRE, Notaires associés à Castres.
Étude GASCHIGNARD, MENANTEAU & VOELKER, Notaires associés
à Nantes.
Étude KERNEUR, Huissiers de justice associés à Saint-Maur-des-Fossés.
Étude LACAZEDIEU & ALBOUY, Notaires associés à Graulhet.
Étude LALANNE-CAMMAN, DAVÈZE, DESPEYROUX-JOLIVET
& GIBAULT, Notaires associés à Toulouse.
Étude LILLAZ, BURTET, COSTE & MOUGEL, Notaires associés à Nouméa.
Étude MAHÉ, TIXERONT & LE GALL, Notaires associés à Aubervilliers.
Étude PRADAYROL, CLAVIÈRE & CAIGNAULT, Notaires associés à Tulle.
Étude VERCOUSTRE, ATZEMIS & MARTINAT, Notaires associés à Limoges.
Faculté de Droit de l’Université de Poitiers.
Faculté de Droit, d’Économie et des Sciences sociales de l’Université de Tours –
Institut d’Études Judiciaires.
FAVREAU Dominique, Notaire associé à Gençay.
FILIBERTI Emmanuelle, Président-Directeur général, Lextenso.
FONLUPT François, Évêque, diocèse de Rodez.
FORSANS Hanne, Notaire à Gif-sur-Yvette.
FOULQUIÉ Alain, Conseiller honoraire à la Cour de cassation, Membre
de la Cour de Justice de la République.
FRESNEAU Jérôme, Notaire associé à Limours.
GARONNAIRE Jean-Éric, Notaire à Saint-Étienne.
GAUDEMET Sophie, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
GAUDEMET Yves, Membre de l’Institut.
GAYOUT Stéphane, Notaire à Vendôme.
GELOT Bertrand, Rédacteur en chef du Defrénois.
GIOVANNANGELI Christian, Avocat, Maître de conférences associé
à l’Université de Corse.
GRAVILLOU Jacques-Antoine, Docteur en droit, Notaire à Peyriac-Minervois.
GRIMOND Édouard, Notaire associé à Lille.
Groupe MONASSIER, Joué-lès-Tours.
GUEZ Philippe, Professeur à l’Université Paris X Nanterre.

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404 ÉTUDES OFFERTES À JACQUES COMBRET

GUILLAUME Éric, Directeur Librairie Duchemin, Paris.


HATANO Hiroki, Professeur à l’Université Rikkyo (Japon).
HÉBERT Frédéric, Secrétaire général du Conseil Régional des Notaires
de la Cour d’appel de Grenoble, Professeur associé à la Faculté de droit
de Grenoble.
HUMBERT Jean-François, Notaire à Paris.
Institut des Métiers du Notariat de Clermont-Ferrand.
IUT de Rodez.
JONQUET-VALLAT Christine, Notaire à Montpellier.
KANEKO Yoshiaki, Professeur à l’Université de Nagoya (Japon).
KLEIN Jérôme, Notaire associé à Lille.
KOYANAGI Shunichiro, Professeur de droit à l’Université Dokkyo (Japon).
Laboratoire de droit civil, Université Panthéon-Assas Paris II.
LABORDE Philippe, Notaire honoraire, Membre honoraire du Bureau
du Conseil Supérieur du Notariat.
LAFOND Jacques, Docteur en droit, Avocat honoraire au Barreau de Paris.
LAMBOLEY Annie, Professeur émérite de l’Université de Montpellier.
LAROZE-LE PORTZ Isabelle, Avocat au Barreau de Vannes.
LAVAYSSIÈRE Colette, Notaire à Figeac.
LAVILLE Régis, Notaire honoraire.
LE GUIDEC Raymond, Professeur émérite de l’Université de Nantes.
LE LEVIER Yann, Notaire à Quessoy.
LE PAVEC Joseph, Notaire honoraire.
LEGRAIN-MERCIER Marie-Aude, Notaire associé à Bourges, Ex-étudiante
des Écoles de notariat et Facultés de droit de Clermont-Ferrand et Toulouse.
LENOUVEL Henri, Notaire à Marseille.
LETELLIER François, Notaire à Clermont-Ferrand.
LEVENEUR Laurent, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
Librairie Dalloz, Paris.
Librairie de Provence, Aix-en-Provence.
Librairie Duchemin, Paris.
Librairie LGDJ, Paris.
Librairie Patrimoine, Bruxelles.
Librexpert, Librairie de la Cour de cassation, Paris.
LOTZ Vincent & Claudine, Notaires associés à Pfaffenhoffen.
LOUSTALET François, Notaire à Pau.
MANNA Caryle, Notaire à Saint-Pargoire.

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LISTE DES SOUSCRIPTEURS 405

MANRY Luc-Bertrand, Avocat.


MARC Jean-Pascal, Notaire à Capestang.
MAUGER-VIELPEAU Laurence, Professeur à l’Université de Caen-Normandie.
MAZEAUD-LEVENEUR Sabine, Professeur à l’Université Paris XII Paris-Est
Créteil.
MEIER-BOURDEAU Alice, Avocat aux Conseils.
MEYSSAN Pierre-Jean, Notaire à Bordeaux.
MIKALEF-TOUDIC Véronique, Maître de conférences, HDR, Faculté de droit
et sciences politiques de l’Université de Caen-Normandie.
MOSSERI Franck, Notaire associé à Hyères.
NALLET Gérard, Notaire honoraire.
NOURISSAT Didier, LEGATIS Notaires à Dijon.
PANAYE Philippe, Notaire retraité, et PANAYE Delphine, Notaire à Piolenc.
PETERKA Nathalie, Professeur à l’Université Paris XII Paris-Est Créteil.
PETIT Frédéric, Notaire à Taverny.
PIEFFET Christian, Notaire à Antibes.
PIERRET Christophe, Notaire associé, Étude CLOVIS à Reims.
PIQUET Jacques-Raymond, Notaire à Saint-Gély-du-Fesc.
POTENTIER Philippe, Notaire à Louviers.
POURCIEL Jacques, Notaire à Venerque.
RABAT Daniel, Notaire associé à Bergerac.
RABBE Georges, Notaire à Jargeau.
RAMES François, Notaire à Villeneuve d’Aveyron.
RAOUL-CORMEIL Gilles, Maître de conférences à la Faculté de droit
de l’Université de Caen-Normandie.
RASCALOU Jean, Avocat honoraire.
RINGEISEN Claude, Notaire à Oberschaeffolsheim.
RIVOIRE-LETELLIER Brigitte, Notaire à Clermont-Ferrand.
ROTH Armand, Président honoraire du Conseil Supérieur du Notariat.
ROUZET Vincent, Notaire stagiaire.
SAGAUT Jean-François, Notaire à Paris.
THIBAULT Chantal, Notaire associé, Étude CLOVIS à Reims.
THOMAS Luc, Notaire à Chaville.
VARVENNE-LITAIZE Catherine, Notaire honoraire.
VERDIER Émilie, Doctorante.
YOSHIDA Katsumi, Professeur à l’Université Waseda (Japon).

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Imprimé en France - JOUVE, 1, rue du Docteur Sauvé, 53100 MAYENNE


N° 2584344V - Dépôt légal : septembre2017

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cv- Etudes-offertes Page 1

Études
offertes à
JACQUES Études
COMBRET

Jacques Combret
JACQUES
offertes à

COMBRET
Nathalie BAILLON-WIRTZ Jérôme JULIEN
Bernard BEIGNIER Hugues KENFACK
Sonia BEN HADJ YAHIA François LETELLIER
Gilles BONNET Hélène MAZERON-GABRIEL
Damien BRAC DE LA PERRIÈRE Marie-Hélène MONSÈRIÉ-BON
Eloi BUAT-MÉNARD Marc NICOD
Jérôme CASEY Henri PALUD
Pascal CHASSAING Jean-François PILLEBOUT

Études offertes à
Fabrice COLLARD Matthieu POUMARÈDE
Cécile DAVÈZE Jean PRIEUR
Alain DELFOSSE Bernard REYNIS
Philippe DELMAS SAINT HILAIRE Gilles ROUZET
Sylvie FERRÉ-ANDRÉ Jean-Dominique SARCELET
Gérard FLORA François SAUVAGE
Éric FONGARO Sarah TORRICELLI-CHRIFI
Éliane FRÉMEAUX Bernard VAREILLE
Florence FRESNEL

www.lextenso-editions.fr

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