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Études
offertes à
JACQUES Études
COMBRET
Jacques Combret
offertes à
JACQUES
COMBRET
Nathalie BAILLON-WIRTZ Jérôme JULIEN
Bernard BEIGNIER Hugues KENFACK
Sonia BEN HADJ YAHIA François LETELLIER
Gilles BONNET Hélène MAZERON-GABRIEL
Damien BRAC DE LA PERRIÈRE Marie-Hélène MONSÈRIÉ-BON
Eloi BUAT-MÉNARD Marc NICOD
Jérôme CASEY Henri PALUD
Pascal CHASSAING Jean-François PILLEBOUT
Études offertes à
Fabrice COLLARD Matthieu POUMARÈDE
Cécile DAVÈZE Jean PRIEUR
Alain DELFOSSE Bernard REYNIS
Philippe DELMAS SAINT HILAIRE Gilles ROUZET
Sylvie FERRÉ-ANDRÉ Jean-Dominique SARCELET
Gérard FLORA François SAUVAGE
Éric FONGARO Sarah TORRICELLI-CHRIFI
Éliane FRÉMEAUX Bernard VAREILLE
Florence FRESNEL
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Études offertes à
Jacques Combret
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AVANTPROPOS
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matières de prédilection. Sont abordées par les contributeurs des questions d’actua-
lité en droit des personnes, de la famille, des successions et des libéralités, des obli-
gations – matières en vive et incessante évolution. Le lecteur y trouvera également
quelques réflexions sur le notariat de demain.
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REPÈRES BIOGRAPHIQUES :
JACQUES COMBRET
Curriculum vitae
Formation
Diplômes
Distinctions
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Carrière professionnelle
Activités d’enseignement
Responsabilités professionnelles
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Bibliographie
– Mineurs et incapables majeurs en droit des affaires, mémoire DSS droit des
affaires, 1991, Université Toulouse 1 Capitole.
– « Le droit de préemption du locataire, contrainte pour l’investisseur
immobilier », Defrénois 1997, art. 36513.
– « Le recours à des locations dérogeant au statut des baux d’habitation », JCP N,
21 mars 1997, n° 12, prat. 3994.
– « Investissement locatif et bail verbal : attention danger ! », Droit et patrimoine,
mai 1997, n° 49.
– « Investissement immobilier et rapports locatifs : à la recherche d’un équilibre »,
Réflexions Immobilières, avril 1997, IEIF n° 17.
– « Le Pacs. Rencontres notariat Université Toulouse 24 janvier 2002 », LPA 2002.
– « La donation entre époux, utile à tout âge », avec P J.-F., Conseils des
notaires, juillet 2003, n° 318.
– « Entretien sur le projet de réforme des successions et libéralités », RJPF, octobre
2003, n° 10.
– « Le Pacs. Point de vue d’un notaire », Dr. famille, déc. 1999, p. 54, hors-série.
– « Le notaire et le Pacs », in Études offertes à Jacqueline Rubellin-Devichi, 2002,
Litec.
– « Pacs : quelques aspects pratiques du volet patrimonial », Lamy Droit
immobilier, avril 2000, n° 68.
– « Pacte civil de solidarité et indivision : formule de convention », avec B B.
et F A., Defrénois 2000, art. 37176. Dr. famille 2000, chron. n° 9.
– « Donation entre époux et testament depuis la loi du 3 décembre 2001 », avec
P J.-F., JCP N 2003. 1376.
– « Le règlement des successions depuis la loi du 3 décembre 2001 », avec
P J.-F., JCP N, 1er août 2003, n° 31-35.
– « Les réactions de la pratique notariale aux réformes du droit de la famille.
XIIe Rencontres Notariat-Université, Paris, 25 novembre 2002 », LPA,
7 août 2003, n° 157.
– « La liquidation forcée de l’indivision : le rôle du notaire commis », Les cahiers
de droit et procédure, colloque du 17 octobre 2003.
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PREMIÈRE PARTIE
JACQUES COMBRET
Jean-François P, Jacques Combret et le législateur................................. 3
Bernard R, Pour l’Honneur ....................................................................... 9
DEUXIÈME PARTIE
PERSONNES ET FAMILLES
Jean-Dominique S, Nathalie B-W, L’état civil à l’épreuve
d’une identité sociale....................................................................................... 17
Florence F, Le notaire et le majeur, une mise à jour des années
2015 et 2016................................................................................................. 37
Bernard B, Sarah T-C, Du pacs au mariage :
transition ou mutation ? ................................................................................. 53
Éloi B-M, Réflexions sur l’acquisition immobilière au profit
du conjoint et l’obscurcissement de la distinction entre les créances entre époux
et les créances de l’indivision............................................................................ 71
Jérôme C, Articulation des régimes matrimoniaux et du droit du divorce :
une logique à retrouver ? ................................................................................. 83
Sonia B H Y, Les droits successoraux du concubin survivant ............... 97
Gilles B, Les méandres fiscaux de la représentation successorale .................. 109
Philippe D S H, Le testament, pour quoi faire ? ...................... 115
François S, Le legs de somme d’argent...................................................... 129
Sylvie F-A, Hélène M-G, La réduction en valeur
des libéralités : évolution ou révolution ? .......................................................... 141
Marc N, Le traitement liquidatif d’un don manuel entre époux :
retour sur l’arrêt Veuve Barrat ........................................................................ 157
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TROISIÈME PARTIE
BIENS ET CONTRATS
Gérard F, La tontine… et sa mystérieuse application à l’usufruit ................. 209
Henri P, Un rapide aperçu sur 35 ans de pratique de la division
en volumes à la Défense .................................................................................. 221
Jérôme J, Dogmatisme et pragmatisme dans le nouveau droit des contrats...........225
Cécile D, La faculté de substitution dans les avant-contrats ........................ 241
Gilles R, L’action interrogatoire ................................................................ 253
Alain D, Le régime dérogatoire des cessions de titres sociaux au sein
du groupe familial .......................................................................................... 277
Hugues K, Bref retour sur la transaction issue de la loi Justice
du e siècle................................................................................................... 287
Marie-Hélène M-B, Le mineur, dirigeant d’entreprise :
une fausse bonne idée….................................................................................. 297
Jean P, La gestion de patrimoine du chef d’entreprise : le rôle du notaire.....305
Éliane F, Le crowdfunding : nouvel outil de financement,
décomplexé par le numérique .......................................................................... 327
QUATRIÈME PARTIE
NOTARIAT
Matthieu P, Le devoir de conseil du notaire sur l’opportunité
économique des actes....................................................................................... 347
Damien B P, Un acteur authentique de justice amiable :
Jacques Combret............................................................................................. 361
Pascal C, Notariat : histoire récente et perspectives dans l’économie
numérique...................................................................................................... 375
Fabrice C, Le notaire à l’heure de la pensée algorithmique....................... 381
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Nathalie B-W
Maître de conférences à l’Université de Reims Champagne Ardenne
Bernard B
Professeur des Universités, Institut de droit privé, EA-1920
Doyen honoraire de la Faculté de droit et de science politique de l’Université
Toulouse 1 Capitole
Recteur de l’Académie d’Aix-Marseille
Recteur de la région académique Provence-Alpes-Côte-d’Azur
Sonia B H Y
Maître de conférences, HDR, Université de Corse Paquale Paoli
Gilles B
Docteur en droit
Notaire associé
Damien B P
Notaire honoraire
Directeur des Affaires juridiques au Conseil supérieur du notariat
Éloi B-M
Magistrat
Diplômé notaire
Jérôme C
Avocat au Barreau de Paris
Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
Pascal C
Notaire
Président de la Chambre des notaires de Paris
Fabrice C
Maître de conférences associé, Université de Lorraine
Membre de l’Institut François Gény, éditeur du JurisClasseur Notarial Formulaire
Cécile D
Notaire
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Alain D
Notaire honoraire
Directeur honoraire des affaires juridiques du Conseil supérieur du notariat
Philippe D S H
Professeur à l’Université de Bordeaux (IRDAP)
Directeur scientifique du Cridon Sud-Ouest
Sylvie F-A
Agrégée des Facultés de droit
Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Gérard F
Docteur en droit
Notaire honoraire
Éric F
Maître de conférences, HDR, Université de Bordeaux
Membre de l’IRDAP
Co-directeur du Master 2 Droit et gestion du patrimoine privé
Éliane F
Notaire honoraire
Membre de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat
Florence F
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris
Jérôme J
Professeur, IDP – Université Toulouse 1 Capitole – F. 31000
Hugues K
Professeur à l’Université de Toulouse
Doyen de la faculté de droit et science politique
François L
Notaire
Docteur en droit
Hélène M-G
Diplômée notaire
Chargée d’enseignement à l’Université d’Auvergne et de Jean Moulin Lyon 3
Marie-Hélène M-B
Professeur Université Toulouse 1 Capitole
Centre de droit des affaires
Marc N
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole
Directeur de l’Institut de droit privé (EA 1920)
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Henri P
Notaire honoraire
Vice-président du 102e Congrès des notaires de France (2006)
Jean-François P
Docteur en droit, notaire honoraire
Matthieu P
Professeur à l’Université de Toulouse 1 Capitole
Jean P
Professeur émérite des universités
Bernard R
Conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire
Président honoraire du Conseil supérieur du notariat
Notaire honoraire
Gilles R
Conseiller honoraire à la Cour de cassation
Jean-Dominique S
Avocat général honoraire à la Cour de cassation
François S
Professeur à l’Université d’Évry-Val d’Essonne
Sarah T-C
Maître de conférences
Institut de droit privé, Université Toulouse 1 Capitole, EA-1920
Bernard V
Professeur à l’Université de Limoges
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PREMIÈRE PARTIE
JACQUES COMBRET
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Jean-François P
Docteur en droit, notaire honoraire
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4. Les deux lois successorales et la loi du divorce. – Deux ans après le congrès,
la loi du 3 décembre 2001 modifie les droits du conjoint survivant, établit l’égalité
entre les descendants quelle que soit leur filiation, aménage diverses dispositions
comme l’indignité, supprime la règle des « comourants »2. Il faut attendre la loi du
23 juin 2006 pour qu’une véritable réforme soit enfin adoptée avec aussi de sen-
sibles avancées en droit des libéralités3. Entre-temps, la loi du 26 mai 2004 a réfor-
mé le divorce non sans avoir quelques effets en droit successoral4.
5. Une offre de loi. – Avant de poursuivre par l’énoncé de quelques exemples
illustrant l’influence de l’expérience notariale sur le législateur des premières
années du e siècle, il convient de rendre un hommage mérité à l’équipe du
doyen Carbonnier dont l’influence a été déterminante. Pierre Catala, grand fami-
lier de nos congrès, sut montrer avec talent et conviction l’intérêt des propositions
émises par divers congrès et notamment par le groupe animé par Jacques Com-
bret à Marseille. Cela a donné une offre de loi en matière de libéralités dont le
législateur de 2006 s’est largement inspiré5.
6. Propositions du congrès de Marseille. – Voyons maintenant quelques-
unes des propositions votées, souvent avec enthousiasme, par les congressistes à
Marseille au printemps 1999. Nous les prenons dans l’ordre de leur présentation
et nous voyons, comme un reflet, ce qui est passé dans les trois lois de 2001,
2004 et 2006. C’est une démonstration de ce que peut faire la pratique notariale
éclairée par la Faculté, reçue par les faiseurs de lois et adoptée par le Parlement.
7. Changement de régime matrimonial. – La quatrième proposition de la
première commission suggère que l’homologation du changement de régime
matrimonial soit supprimée et que l’action en retranchement soit ouverte aux
enfants adultérins. La loi du 23 juin 2006 supprime l’homologation sauf présence
d’enfant mineur ou opposition des enfants majeurs, des parties au contrat de
mariage et des créanciers6. Heureuse simplification sauf à regretter l’inopportune
obligation de liquider le régime sous peine de nullité. La liquidation et le partage
sont sans doute souvent nécessaires mais le conseil du notaire eût suffi.
La loi du 3 décembre 2001 établit l’égalité des enfants quelle que soit leur
filiation7.
8. Prestation compensatoire du divorce. – Conscients des inconvénients pra-
tiques des rentes viagères, les notaires, dans la quatrième proposition de la troisième
commission, souhaitent que la rente ne soit qu’une modalité de paiement de la
2. Loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001.
3. Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006.
4. Loi n° 2004-439 du 26 mai 2004.
5. C J., C P., B S-A J. et M G., Des
libéralités, une offre de loi, Defrénois, 2003.
6. C. civ., art. 1397, rédaction de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, modifié par la loi
n° 2007-308 du 5 mars 2007.
7. C. civ., art. 733 et art. 1527. La France se soumet ainsi aux injonctions de la Cour
européenne des droits de l’homme, notamment CEDH, 1er févr. 2000, JCP N 2001, n° 5,
p. 245, obs. Le Guidec R. ; Defrénois, 2000, p. 654, obs. Massip J.
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JEANFRANÇOIS PILLEBOUT 5
11. Au fil des rapports. – Tout l’apport de l’équipe ne se trouve pas dans les
propositions dont le nombre est nécessairement limité pour le bon ordre des
débats. Les rapports rédigés avant le congrès sont riches d’observations et d’idées
qui ont inspiré les auteurs de l’offre de lois et le législateur lui-même de la loi de
2006. Pour s’en tenir à l’essentiel, retenons deux réalités, la première, évidente, est
l’allongement de l’espérance de vie, la seconde, plus subtile, est la nécessité de la
réversibilité. Les deux sont liées au temps, là c’est la croissance de l’âge de ceux qui
viennent à la succession, ici les changements qui peuvent intervenir pendant une
longue période dans la situation de ceux qui ont été gratifiés.
12. Accélération des transmissions. – « On succède tard : quand on hérite à
cinquante ans, la transmission à cause de mort n’est plus un mode d’établisse-
ment, c’est une façon d’entrer en préretraite », écrit le professeur Philippe Rémy
dans un rapport souvent cité par les auteurs de la quatrième commission11. Pour
répondre à l’allongement de l’espérance de vie, il convient de favoriser les
8. C. civ., art. 270, rédaction loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, art. 18.
9. C. civ., art. 738-2 et art. 757-3.
10. Pour une critique argumentée, D M., « Réflexions sur le droit à maintenance prévu
dans le projet de loi modifiant le Code civil et relatif aux successions », JCP N, 1994, p. 153.
11. R P., « Rapport français sur l’évolution du droit patrimonial de la famille », in
Aspects de l’évolution récente du droit de la famille, t. XXXIX, 1988, Travaux de l’Association
Henri Capitant.
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12. C. civ., art. 1075-1. « Des donations-partages faites à des descendants de générations
différentes » d’après « Une offre de loi », préc., note 5.
13. C. civ., art. 1094-1 (conjoint survivant) et 1002-1 (légataire).
14. C. civ., art. 754.
15. D C., Cours de Code Napoléon, t. XXVI, 1880 ; G M.-J., « Les
obligations alternatives », RTD civ., 1969, p. 1.
16. L H., « Donation alternative ou facultative », JCl. Notarial Formulaire,
V° Donation entre vifs, fasc. 32.
17. C P., La réforme des liquidations successorales, 3e éd., 1982, Defrénois, n° 129 ;
M G., La loi du 3 juillet 1971 sur les rapports à succession, la réduction des libéralités et les
partages d’ascendant, 5e éd., 1984, Defrénois ; D M., Les règlements successoraux après la loi
du 3 juillet 1971, 2e éd., 1979, Librairies techniques.
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JEANFRANÇOIS PILLEBOUT 7
18. V. aussi R P., « Rapport français sur l’évolution du droit patrimonial de la famille »,
op. cit., note 11.
19. Articles 1027 à 1043 d’« une offre de loi », préc., note 5.
20. La question est souvent évoquée dans les congrès. L’exemple suisse du pacte de
renonciation est décrit lors du congrès de 2004 consacré au bicentenaire du Code civil
(rapports du 100e Congrès des notaires de France, Paris, 2004, n° 4369 et s.).
21. T-C S., La pratique notariale, source de droit, op. cit., note 1. V. aussi
S J.-L., Recherches sur le rôle de la formule notariale en droit positif, thèse, 1967, Paris ;
C J., La participation du notaire à la création de la règle de droit, thèse, 1981, Lyon.
22. B-W N. et C J., « Liquidation et partage après divorce. L’appel à une
clarification a-t-il été entendu ? », JCP N 2015, 1220 ; P Y., « Le nouvel article 267 du
Code civil, un compromis entre tradition et innovation », Dr. famille 2016, dossier 3.
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De façon optimiste plus compatible avec le genre d’ouvrage dont cet écrit fait
partie, nous terminons par un espoir : que le législateur réagisse devant le désordre
actuel, qu’il s’empresse moins d’écrire, qu’il ne saute pas sur le moindre prétexte,
qu’il abandonne toute préoccupation médiatique, qu’il prenne son temps, qu’il
consulte davantage les juristes et les praticiens. Les lois auront alors une meilleure
facture, à l’image de la loi du 23 juin 2006 qui fait figure d’heureuse exception
dans notre législation récente. Les plus anciens d’entre nous se souviennent de
l’élaboration des belles lois des années 1960-1970 : Jean Foyer et François Terré
étaient à la Chancellerie, Jean Carbonnier et Pierre Catala fourbissaient leurs
projets rue de Vaugirard.
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Pour l’Honneur
Bernard R
Conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire
Président honoraire du Conseil supérieur du notariat
Notaire honoraire
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10 POUR L’HONNEUR
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BERNARD REYNIS 11
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12 POUR L’HONNEUR
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BERNARD REYNIS 13
Droits réservés.
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DEUXIÈME PARTIE
PERSONNES ET FAMILLES
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Jean-Dominique S
Avocat général honoraire à la Cour de cassation
Nathalie B-W
Maître de conférences à l’Université de Reims Champagne Ardenne
1. G P., 1897, Boston, Museum of Fine Arts, huile sur toile.
2. Pour une définition de l’identité sociale, v. not. : L G., « L’identité… finitude
ou infinitude », in M-B B. et F T. (dir.), L’identité, un singulier au pluriel,
2015, Dalloz, p. 29 : « L’identité sociale, plus floue sous l’œil du droit, est l’individu vu par
lui-même et par la collectivité. C’est l’être saisi dans son individualité, sa singularité ».
V. également : P-P (dir.), L’identité de la personne humaine. Étude de droit français
et de droit comparé, 2002, Bruylant.
3. B J.-M., « À propos de l’identification des personnes dans la cité athénienne
classique », in C J.-C. et M S. (dir.), Individus, groupes et politique à Athènes
de Solon à Mithridate, 2007, Presses universitaires François-Rabelais.
4. Ordonnance de Villers-Cotterêts, août 1539, articles 50, 51 et 52.
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4. Il ne restait plus qu’à parfaire cet état civil naissant. L’ordonnance de Blois de mai
1579 (art. 181) impose alors ces registres pour tous les décès et pour les mariages, afin
de lutter contre les mariages clandestins, le consentement des parents étant exigé en
toutes circonstances (art. 40). Puis l’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye en 1667
impose la tenue des registres en double exemplaire et le dépôt de l’un des exemplaires
au greffe, ce que l’ordonnance de Villers-Cotterêts avait vainement exigé pour l’exem-
plaire unique, alors conservé par le clergé. Avec la Révolution, une laïcisation de l’état
civil s’est opérée, la tenue des registres étant confiée aux officiers municipaux.
5. Par ses origines religieuses, l’état civil ne pouvait ignorer la famille. Aussi la filia-
tion a-t-elle naturellement trouvé sa place dans cette construction. Mieux, les incen-
dies successifs de l’Hôtel de ville et du Palais de Justice de Paris au cours de la seconde
moitié du e siècle ont suscité la création d’un troisième registre d’état civil, confié
aux familles : le livret de famille5. Et sa remise aux époux lors du mariage a fait de
celui-ci un élément incontournable6. D’autant qu’à partir du 1er décembre 1950, il lui
a été conféré la force probante qui s’attache aux extraits d’actes d’état civil7.
6. Le livret de famille n’est pas resté étranger à l’évolution des mœurs. En
1974, deux modèles de livret de famille voient le jour, selon que les parents sont
mariés ou non8. Mais cette distinction ne résistera pas à la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme et, depuis, le modèle redevenu unique
du livret de famille a été modifié à plusieurs reprises pour prendre en compte la
diversité des situations juridiques autour desquelles la famille peut se construire9.
7. Ceci n’empêche nullement la filiation de demeurer l’axe central des actes de
l’état civil, ce que souligne l’ordonnance du 4 juillet 2005 en retenant que la filia-
tion est établie à l’égard de la mère par la désignation de celle-ci dans l’acte de
naissance de l’enfant10, cependant que la présomption de paternité de l’époux de
la mère se voit écartée par la loi du 16 janvier 2009, lorsqu’il n’est pas désigné en
qualité de père dans l’acte de naissance de l’enfant11.
Cette approche différenciée de la filiation maternelle et paternelle témoigne
d’un recul du mariage dans la construction de l’état civil dont l’acte de nais-
sance et l’acte de décès constituent les deux pièces maîtresses dressées sur le
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13. Lorsque l’enfant naît et qu’est dressé le premier et principal des actes de
l’état civil – l’acte de naissance –, son identité individuelle est fixée au nom de
l’ordre public, par des données en principe immuables aux fins d’identification.
Un nom et un prénom lui sont attribués. Son sexe est déterminé et son apparte-
nance familiale signifiée par la désignation dans l’acte de ses père et mère selon les
règles d’établissement du lien de filiation. L’enfant est ainsi juridiquement appré-
hendé17 par un état civil qui reflète une identité par principe imposée selon des
critères objectifs et limitativement énumérés par la loi.
14. Si par principe « tout le droit repose sur une conception de la personne
envisagée comme un être stable, continu, égal à lui-même »18, la montée crois-
sante durant ces cinquante dernières années de l’individualisme, de l’autonomie
de la volonté et de l’égalité dans les rapports personnels et familiaux, confortés par
les jurisprudences interne et européenne, a fait de l’état civil un point de tension
pour ceux qui revendiquent de passer d’un statut assigné à un statut choisi. Iden-
tité et identification, par principe liées, en viennent à s’opposer. « L’identité, c’est
le ciel, l’identification c’est la terre » dit-on19 afin de distinguer ce qui, d’un côté
(l’identité), relèverait du subjectif20 ou de l’affirmation d’un « droit à être soi-
même » et, de l’autre (l’identification), s’appuierait sur des éléments objectifs et
utilitaires, sorte de repères fixes qui échappent aux changements21.
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16. La recherche d’un équilibre entre vie privée et vie publique, entre l’indi-
vidu et l’État, portée par l’objectif de complaire au souci d’épanouissement de
chacun, a conduit à laisser aux parents d’un enfant une large place à l’affirmation
de choix personnels dans le contenu de l’acte de naissance. Les éléments d’identi-
fication sont, dans les limites de ce qu’autorise l’institution, personnalisés. Le
« droit à l’état civil » que revendiquent les parents dans certaines situations,
connaît également un important développement.
17. L’autodétermination des éléments de l’état civil. – Si les énonciations de
l’acte de naissance sont limitativement déterminées par la loi22, les parents se sont
vus progressivement offrir par le droit la possibilité de faire de l’état civil un dis-
positif de libre expression de leurs choix au moment d’attribuer un nom et un
prénom à leur enfant.
18. On sait combien « être » et « être nommé » sont deux éléments indisso-
ciables de la personnalité de l’individu. Le nom signe l’appartenance sociale et
inscrit l’enfant dans son environnement familial. Le prénom, quant à lui, sou-
ligne sa singularité dans cet environnement et associe à celui qui le porte des
caractéristiques individuelles et également collectives23.
Les deux ont pour point commun d’être des projections parentales et il sem-
blait logique, dans l’esprit du législateur à compter des années 1990, de donner
aux parents la possibilité d’appréhender, dans un rapport subjectif, le nom et le
prénom plus comme des éléments d’identité que d’identification, quitte à en faire
un « acte de la vie privée »24.
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19. C’est en effet exclusivement sur la volonté des père et mère que repose
l’attribution du ou des prénoms à la naissance25, sans référence obligée à la tradi-
tion culturelle et nationale qu’incarnaient la loi du 11 germinal an XI et les
« noms en usage dans les différents calendriers » comme les personnages de
« l’Histoire ancienne ». Leur liberté ne trouve désormais de limite que dans l’inté-
rêt de l’enfant ou face au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille26.
20. Le choix est, en revanche, dirigé à la transmission du nom. Signe visible de
l’appartenance familiale, le nom est un effet de la filiation. Ce qui justifie que l’on
ne puisse choisir librement un nom individuel – sans rapport avec la parenté –, en
lieu et place d’un nom de famille, au risque de briser l’unité de cette dernière.
Traditionnellement, la dévolution du nom était un mécanisme sur lequel la volon-
té individuelle n’avait aucune influence ; elle s’opérait de jure, principalement gouver-
née par le principe patronymique selon lequel l’enfant prenait à la naissance le nom de
son père. La loi du 4 mars 2002, fréquemment critiquée27 et amendée28, lui a substitué
un principe inverse, plaçant la transmission du nom sous l’empire des « volontés
accordées »29 des père et mère30. « À une dévolution légale » a succédé « une dévolu-
tion volontaire »31 qui « consomme, dans une vision intimiste, une certaine privatisa-
tion du nom »32. Induite principalement du principe d’égalité des sexes et des filia-
tions, la loi du 4 mars 2002 tendait à imposer la dévolution d’un nom double33 afin
d’exprimer l’origine duale – paternelle et maternelle – de la filiation de l’enfant.
Plus d’une décennie après cette grande réforme, le constat opéré à la vue des statis-
tiques de l’INSEE publiées en 2015 sur le choix du nom, est que l’usage prédomine
sur la loi34. En 2014, seulement un enfant sur dix porte, à sa naissance, le nom de ses
deux parents. Pour 83 % des naissances, l’enfant reçoit uniquement le nom de son
père. Cette proportion s’élève à 95 % pour les enfants nés au sein d’un couple marié.
L’aspiration à la liberté mise en avant par le législateur n’est finalement pas si détermi-
nante face aux us et coutumes ; en tout cas, elle ne vise pas le plus grand nombre.
21. À la naissance de l’enfant, l’état civil questionne également sur son sexe35
qui est objectivé selon les données anatomiques constatées après l’accouchement
et déterminé de manière élémentaire à partir des deux catégories reconnues. Ne
25. Loi n° 93-22 du 8 janvier 1993, article 3.
26. C. civ., art. 57, al. 3.
27. V. not. : F J., « Du nom patronymique au nom de famille. Progrès ou régression »,
in Une certaine idée du droit. Mélanges offerts à André Decocq, 2004, Litec, p. 241 et s.
28. Cinq fois au total, le plus récemment par l’article 11 de la loi n° 2013-404 du 17 mai
2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
29. C G., Droit civil. Les personnes, op. cit., p. 112, n° 49.
30. C. civ., art. 311-21.
31. C G., Droit civil. Les personnes, op. cit.
32. Ibid., p. 134, n° 59 : « Le nom devient la chose des parents. (…) Cette contractualisation
domestique vaut un déclassement ». V. également : M J., Le nom de famille, 2005, Defrénois.
33. La loi en vient même à recourir à l’ordre alphabétique pour régler le cas du désaccord
parental dans la transmission du nom (C. civ., art. 311-21 modifié par la loi du 17 mai 2013).
34. Insee, Statistiques de l’état civil, 1er sept. 2015, Insee Focus, n° 33.
35. La loi en impose la mention dans l’acte de naissance (C. civ., art. 57).
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concevant pas le sexe autrement que de manière binaire, l’état civil ne connaît pas
de troisième sexe et l’ambiguïté morphologique à laquelle les parents d’un enfant
intersexué sont confrontés à sa naissance ne peut justifier, en l’état des textes36,
l’expression d’un droit de choisir librement son sexe, de revendiquer, au moment
de l’établissement de l’acte et même ultérieurement37, l’existence d’un sexe neutre
ou indéterminé38, voire de supprimer des actes de l’état civil la mention du sexe39.
22. L’affirmation d’un « droit à l’état civil »40. Outre l’autodétermination des
éléments constitutifs de l’état, la revendication d’un droit à l’identité s’illustre égale-
ment par l’affirmation d’un « droit à l’état civil ». Le besoin de donner une existence
sociale est ainsi exprimé dans certains cas, pour les enfants nés sans vie mais aussi pour
les enfants nés d’une gestation pour le compte d’autrui pratiquée à l’étranger.
23. Dans la logique d’une politique d’identification de la personne, l’enregis-
trement d’un enfant mort-né semble être inutile dès lors que la venue au monde
de cet être dépourvu des conditions de vie ou de viabilité essentielles à l’acquisi-
tion de la personnalité, n’emporte aucune conséquence juridique. Cet enfant n’a
pas d’état qui puisse et doive être publiquement constaté. Mais cette logique cède
devant la logique concurrente d’épanouissement personnel et de reconnaissance
identitaire. La défaillance de l’une des conditions d’attribution de la personnalité
juridique n’empêche pas de reconnaître la spécificité d’une existence humaine,
fût-elle brève ou avortée. Il y a en effet dans l’inscription à l’état civil « une sauve-
garde contre le néant qui découle de l’emprise du droit sur l’homme, sur sa nais-
sance, sa vie, sa mort »41, mais surtout une garantie offerte aux parents endeuillés
d’obtenir de la société civile un comportement en accord avec l’humanité du
fœtus et le respect qui lui est dû. Aussi le législateur a-t-il modifié les modalités
d’inscription à l’état civil de l’enfant sans vie42 afin de lui donner l’apparence
36. L’admission d’un sexe neutre a été retenue notamment en Australie à la suite de l’affaire
Norrie May Welby qui a été inscrit en 2010, sous l’indication no specified gender. Plus récemment,
pour la première fois aux États-Unis, une américaine de 55 ans, Sara Keenan, a obtenu en
décembre 2016 que son certificat de naissance soit modifié avec la mention « sexe neutre ».
37. Le tribunal de grande instance de Tours avait reconnu la validité de la mention « sexe
neutre » à l’état civil pour une personne intersexuée : TGI Tours, 20 août 2015, D. 2015.
2295, note Vialla F. Cette décision a été censurée par un arrêt du 22 mars 2016 de la cour
d’appel d’Orléans et un pourvoi en cassation a été formé : D. 2016, 1915, note Reigné P.
38. C M.-X., « La mention du sexe à l’état civil », in H-V S.,
P M. et R D. (Dir), La loi et le genre. Études critiques de droit français, 2014,
CNRS éditions, p. 29 et s.
39. L A.-M., « L’état civil au prisme du genre : un révélateur des discriminations »,
in B S. et P E. (dir.), L’identité à l’épreuve de la mondialisation, t. 72, 2016,
IRJS éditions, p. 129, spéc. p. 137.
40. H J., « Synthèse intermédiaire, Identité-Identités », op. cit.
41. M P., « Décès périnatal et individualisation de l’être humain », RDSS 1995, p. 451.
42. Tirant les conséquences d’arrêts rendus par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 6 février
2008, n° 06-16498, n° 06-16499 et n° 06-16500), le gouvernement a pris deux décrets et
deux arrêtés qui prévoient notamment que la délivrance d’un acte d’enfant sans vie est
conditionnée par l’existence d’un certificat d’accouchement de la mère dont la réalité relève de
l’appréciation médicale des praticiens : décrets n° 2008-798 et n° 2008-800 du 20 août 2008,
JO 22 août 2008 ; arrêtés du 20 août 2008.
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d’une existence juridique (même si dans la réalité, elle n’est que mémorielle43). Il
est également permis de lui attribuer un prénom et, si les parents en émettent le
souhait, d’inscrire dans le livret de famille préexistant une mention relative à
l’enfant ou, pour les parents non mariés, de demander lorsque leur premier enfant
est un enfant déclaré sans vie, qu’un livret de famille leur soit remis.
24. Bien que facultative, la transcription d’un acte d’état civil étranger est un enjeu
majeur pour les parents qui recourent à une convention de gestation pour le compte
d’autrui car elle permet d’inscrire l’événement intéressant l’état civil de leur enfant
dans les registres français44 et ainsi de masquer les circonstances dans lesquelles il a été
conçu et est né. Néanmoins, la transcription d’un acte d’état civil étranger n’est pas
une simple opération de consignation sur les registres français d’un acte élaboré par un
officier public ou un juge étranger. Elle consiste dans l’établissement d’un acte d’état
civil conçu pour assurer une représentation fidèle des faits perçus par le droit. La
revendication d’un droit à l’état civil français est forcément sans effet lorsque les faits
qui sont déclarés dans l’acte étranger (notamment l’identité de la mère d’intention et
non de la femme ayant accouché) ne correspondent pas à la vérité45.
25. En définitive, la revendication d’un « droit à l’état civil » comme du droit
à en maîtriser le contenu illustre le fait que l’identité personnelle de l’enfant est
avant tout construite : d’abord par le droit, de manière abstraite selon un cadre
prédéfini d’énonciations obligatoires et objectives, ensuite par les parents qui
peuvent exprimer, dans les limites de ce cadre, leurs choix personnels par le libre
jeu de leurs volontés.
Cependant, l’acte d’état civil peut au fil des années ne plus correspondre à la
réalité et cette identité construite, même avec sa part de liberté, ne plus convenir
face à l’identité subjective que l’enfant devenu adulte aura affirmée. Le « droit de
devenir soi-même »46 s’affirme alors et il n’est plus aujourd’hui aucun élément de
l’état d’une personne qui ne soit susceptible de changement.
43. Si l’enfant sans vie est bien individualisé, il n’a pas pour autant un état familial, un
nom de famille et une filiation. V. à ce sujet, nos développements dans B-W N. et
a., L’enfant sujet de droits, 2010, Lamy, coll. Axe droit, p. 93 et s., n° 128 et s.
44. C. civ., art. 47.
45. Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, n° 14-21323 et n° 15-50002 ; CEDH, 26 juin 2014,
n° 65192/11, Mennesson, et n° 65941/11, Labassée. Les actes d’état civil dressés à l’étranger
peuvent être transcrits sur les registres français d’état civil dès lors que les filiations paternelle
et/ou maternelle qu’ils constatent sont conformes à la vérité, c’est-à-dire que l’homme qui y est
mentionné en qualité de père est le père biologique de l’enfant et que la femme qui est déclarée
être la mère de l’enfant est bien celle qui a accouché.
46. C B., Changer de prénom. De l’identité à l’authenticité, op. cit.
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conscience qu’en éprouve cet officier d’état civil. Après la réforme de 1993, non seu-
lement le choix du prénom est libre, mais son changement le devient pareillement.
29. Changement de nom. – S’agissant du nom, dont l’inscription dans
l’acte de naissance n’était pas obligatoire avant 2002, il ne peut être modifié
que dans deux hypothèses. Soit cette modification n’est qu’une conséquence
du lien de filiation établi par cet acte, soit elle procède d’une demande du
titulaire de l’acte.
30. L’acte de naissance énonce le nom de famille de l’enfant déclaré. Déter-
miné sur le fondement d’un rapport de filiation, hormis lorsque les parents de
l’enfant ne sont pas connus, ce nom peut être affecté par les aléas de la vie fami-
liale. Nous ne reviendrons pas sur les choix qui s’offrent aux parents lors de la
naissance ou de l’adoption de leur premier enfant. Mais ce choix instauré par la
loi du 4 mars 2002 a incontestablement contribué à étoffer les procédures de
changement de nom.
31. Ainsi, l’enfant né à l’étranger dont l’un au moins des parents est français,
peut-il voir son nom modifié, sur le fondement du choix du nom par les parents
pour le premier enfant commun, dans les trois ans de sa naissance51. L’établisse-
ment de la filiation par l’effet de la loi et la règle posée par la loi du 16 janvier
2009 qui écarte la présomption de paternité lorsque l’acte de naissance de l’enfant
ne désigne pas le mari en qualité de père en donnent d’autres exemples.
32. Cette évolution témoigne d’une distance créée entre le nom et la famille.
Précédemment réservé aux hypothèses d’une famille en rupture, l’abandon de la
présomption procède aujourd’hui de la volonté de la mère. L’unité familiale
autour du nom est encore plus compromise lorsqu’on constate que dans un
couple de même sexe dont chaque mère aura un enfant à la suite d’une assistance
médicale à la procréation, la fratrie, par le jeu d’une présomption de paternité
nécessairement écartée, ne portera pas un même nom choisi au sein du couple qui
en assure l’éducation, sauf à recourir à l’adoption.
33. L’établissement d’un second lien de filiation est encore une source de
remise en cause du nom attribué, sans que l’intérêt de l’enfant soit pris en compte
autrement que par un consentement personnel exigé s’il a plus de treize ans52.
À cet égard, le législateur n’a pas porté la même attention à l’attribution du nom
selon qu’il s’agit d’établir une filiation ou de la contester. Pour les actions aux fins
d’établissement de la filiation, le tribunal statue s’il y a lieu sur l’attribution du
nom53, alors que la juridiction qui accueille l’action en contestation fixe, dans
l’intérêt de l’enfant, les modalités des relations de celui-ci avec la personne qui
l’élevait. Perd-il le nom de celui qui n’est plus son auteur ?
34. La liberté de choix du nom qu’offre l’adoption simple a trouvé avec la loi
du 17 mai 2013 une nouvelle terre d’élection dans la famille des couples de même
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sexe. Ainsi l’enfant adoptif du père pourra être adopté en la forme simple par le
conjoint de celui-ci et les règles d’attribution du nom, fixées par l’article 363 du
Code civil, ne seront pas identiques à celles qu’exigent les articles 311-21, 311-
23 et 357 du Code civil pour des enfants communs.
35. La demande de changement de nom du titulaire de l’acte n’a pas connu
semblable évolution. La loi du 8 janvier 1993 a introduit dans le Code civil ce
que la loi du 11 germinal an XI avait déjà admis, et le décret du 20 janvier 1994
n’a fait qu’actualiser une procédure plus que séculaire. Seule la francisation du
nom qui relève des dispositions de la loi du 25 octobre 1972 demeure hors du
Code civil. Cet ordonnancement est aujourd’hui remis en cause puisque la loi du
18 novembre 2016 autorise l’officier d’état civil à substituer, au nom inscrit sur
l’acte de naissance dont il est dépositaire, le nom acquis dans un autre État par le
titulaire de cet acte, sur sa demande54.
Il aurait pu l’être davantage encore si le Conseil constitutionnel n’avait pas
censuré, au motif d’une adoption selon une procédure contraire à la Constitu-
tion, la disposition de la même loi qui prévoyait qu’une demande de changement
de nom puisse être justifiée par la volonté, pour un enfant majeur, d’adjoindre le
nom de l’un ou l’autre de ses parents à son nom de naissance55.
36. En définitive, la loi du 4 mars 2002 n’a pas seulement modifié les règles
de dévolution du nom. Elle a inscrit celui-ci dans l’acte de naissance et a subs-
titué à l’appellation « nom patronymique » celle de « nom de famille ». Ce
faisant, là où le législateur souhaitait renforcer la place tenue par la filiation
dans l’attribution du nom, la fragilité des familles autant que l’ouverture du
mariage pour tous ont contribué à faire reculer les principes qui régissaient le
droit au nom.
37. Changement de sexe. – Le respect de la vie privée a conduit, sous l’impul-
sion de la Cour européenne des droits de l’homme56, à accepter la remise en cause
de cette mention de l’acte de naissance. Alors que l’indétermination du sexe à la
naissance conduisait le ministère public à agir avec la plus extrême prudence pour
permettre à l’enfant d’être reconnu « une fois les traitements appropriés ache-
vés »57, la revendication des transsexuels et l’émergence d’une théorie du genre ont
appelé à un assouplissement du principe d’indisponibilité de l’état des personnes
auquel cette mention est attachée.
38. C’est en référence au principe du respect dû à la vie privée que la Cour de
cassation a admis que l’état civil indique le sexe dont une personne a l’apparence,
lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeu-
tique, cette personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus
54. Article 57 de la loi du 18 novembre 2016, insérant un article 61-3-1 dans le Code
civil.
55. Décision n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016, n° 55 à 58.
56. CEDH, 11 juill. 2002, Christine Goodwin c/ Royaume-Uni (Grande chambre).
57. Rép. min., JOAN, 2 sept. 2014, n° 48696, Rouillard M. G., p. 7440.
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tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rap-
prochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social58.
39. Le but thérapeutique a été remis en cause après la publication du décret
n° 2010-125 du 8 février 2010 supprimant les troubles précoces de l’identité de
genre de la liste des affections psychiatriques de longue durée. Mais la Cour de
cassation a maintenu l’exigence de preuve, au regard de ce qui est communément
admis par la communauté scientifique, de la réalité du syndrome transsexuel et
du caractère irréversible de la transformation d’apparence59.
40. Alors que le caractère irréversible de la transformation d’apparence ne
pouvait que laisser dubitatif60, eu égard aux évolutions de la chirurgie, cette obs-
tination de la Cour de cassation n’a pas résisté aux vœux du législateur et la loi du
18 novembre 2016 met brutalement un terme à cette exigence de preuve. Les
articles 61-5 et 61-6 nouveaux du Code civil (qui composent une nouvelle sec-
tion intitulée « De la modification de la mention du sexe à l’état civil »61) limitent
l’exigence de preuve au comportement social et prohibent le rejet de la demande
sur le fondement d’une absence de traitements médicaux, d’une opération chirur-
gicale ou d’une stérilisation.
41. D’élément constitutif de l’état des personnes, la mention du sexe devient
un élément d’identification sociale, ouvrant ainsi la voie à une remise en cause
plus générale de l’état civil. En l’absence d’opération chirurgicale, la femme qui
aura obtenu la modification de son sexe, sur le fondement des articles 61-5 et 61-6
du Code civil, pourra toujours enfanter. Quel lien de filiation pourra revendiquer
l’enfant dont elle aura accouché après ce changement de sexe ? Devra-t-on renon-
cer à l’adage « mater semper certa est... » et réduire à néant la seule règle intangible
du droit de la filiation ?
42. En laissant l’état civil à la disposition des sujets concernés pour forger ou
modifier l’identité qui leur convient62, le législateur en a changé les contours et les
fonctions. Cette aspiration à une plus grande malléabilité ne doit cependant pas
lui faire perdre les impératifs qui le fondent, et oblige à une réflexion renouvelée
sur la préservation de sa dimension mémorielle.
58. Cass. ass. plén., 11 décembre 1992, n° 91-11900, JCP G 1993, II, 21991, concl. Jéol M.
59. Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 11-22490.
60. En ce sens l’avis de l’avocat général, non publié. D’ailleurs, dans son arrêt rendu le
6 avril 2017 dans l’affaire A. P., Garçon et Nicot c. France (requêtes n° 79885/12, 52471/13
et 52596/13), la Cour européenne des droits de l’homme estime que le fait de conditionner
la reconnaissance de l’identité sexuelle des personnes transgenres à la réalisation d’une
opération ou d’un traitement stérilisant qu’elles ne souhaitent pas subir, revenait à
conditionner le plein exercice du droit au respect de la vie privée à la renonciation au plein
exercice du droit au respect de l’intégrité physique. La Cour juge dès lors que la condition
d’irréversibilité de la transformation de l’apparence s’analyse en un manquement par l’État
défendeur à son obligation positive de garantir le droit au respect de la vie privée prévu à
l’article 8 de la Convention.
61. Section 2 bis du chapitre II du titre II du livre I du Code civil.
62. Les articles 3 à 5 du décret n° 2017-450 du 20 mars 2017 (préc.) en constituent
l’exemple le plus récent.
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II – LA DIFFICILE PRÉSERVATION
DE LA DIMENSION MÉMORIELLE DE L’ÉTAT CIVIL
43. Depuis plus de deux siècles, l’état civil fixe et assure la mémoire des événe-
ments liés à l’état de la personne. Par et à travers les actes qu’il instrumente, il rem-
plit un rôle fondamental à la fois d’ordre probatoire et publicitaire des principaux
faits et actes juridiques qui ponctuent la vie humaine, notamment la naissance, le
mariage et la mort. Cette fonction première est la raison d’être de ce service public
rendu à la personne et l’évolution des rapports que cette dernière entretient avec
l’état civil par la libre détermination de certains éléments de son identité (même si
elle aboutit, comme on l’a vu, à faire de l’état civil le siège juridique de l’identité
sociale) ne saurait devoir remettre en question cette mission mémorielle.
Cependant, on ne peut nier – et nombreux font ce même constat63 –, combien
l’État s’est désengagé64 de l’institution au gré des réformes. Les innovations dans
le sens de la simplification, la désolennisation progressive des actes de l’état civil
et la dispersion d’outils d’identification concurrents (carte d’identité, livret de
famille, etc.) ont fragilisé l’état civil (A) et rendent nécessaire sa refondation (B).
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67. Conseil supérieur du notariat, Livre blanc des simplifications du droit, 2014, proposition
n° 28. En revanche, la proposition d’inscrire dans un registre spécial les mandats conclus
n’ayant pas encore pris effet, a été retenue (C. civ., art. 477-1).
68. Il en est ainsi, par exemple, de la mention en marge relative à l’enregistrement d’un pacs.
69. Circulaire du 6 avril 2012 présentant les tableaux récapitulatifs des formules de
mentions apposées en marge des actes de l’état civil, BOMJL, 30 avril 2012, n° 2012-04
– JUSC1204252C.
70. Article 51 de la loi, modifiant l’article 40 du Code civil.
71. Article 53 de la loi, créant l’article 101-2 du Code civil.
72. P A., « Sur quelques aspects de l’évolution du droit des actes de l’état civil »,
in Mélanges offerts à René Savatier, 1965, Dalloz, p. 779.
73. N C. , « L’état civil, une notion incomprise », in N C. (dir.), L’État
civil dans tous ses états, op. cit., p. 10.
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pratique courante d’une utilité appréciable lorsqu’il s’agit, notamment face aux
administrations et praticiens, de faire la preuve de l’état familial d’une personne,
son régime probatoire ne saurait être aligné sur celui des copies intégrales et
extraits. En effet, c’est oublier que le soin de la mise à jour du livret de famille
incombe uniquement à son détenteur que l’on peut légitimement présumer
moins diligent qu’un officier public74.
49. Un élargissement des pouvoirs de l’officier de l’état civil. – Enfin, on
constate un élargissement des fonctions premières de l’officier d’état civil. Certains
pourraient y voir un détournement ou une cause d’engorgement de l’institution75 ;
d’autres, en revanche, y verront l’expression opportune d’une mesure de simplifica-
tion ou, plus largement, d’une promotion de la valeur et de l’efficacité du service
rendu. Il est en effet très probable que les dispositions consistant à transférer à l’offi-
cier d’état civil l’appréciation de l’intérêt légitime à changer de prénom ou encore,
à compter du 1er novembre 2017, à enregistrer la déclaration conjointe de pacte civil
de solidarité en lieu et place du greffe du tribunal d’instance, soient bien accueillies
par les usagers. Cependant, au-delà du fait que les différences entre le mariage et le
pacs s’amenuisent, la mesure instaurée par la loi du 18 novembre 2016 attribue
finalement à l’officier d’état civil une fonction symbolique76 détachée de son rôle
premier, ce que l’on peut malgré tout regretter. Recevoir des déclarations et leur
conférer un caractère authentique, en les rédigeant en la forme d’actes déterminés
par la loi, sont ses missions essentielles. Or aucun acte d’état civil (« acte de pacte
civil de solidarité »), support de la déclaration des comparants77, ne sera ici établi78
et son rôle ne se limitera plus seulement à assurer la publicité de la convention mais
aussi à en déclencher la prise d’effet par son visa.
74. C’était la raison pour laquelle le décret du 26 septembre 1953 (article 3) limitait les
hypothèses dans lesquelles la production du livret de famille tenait lieu de celles d’extraits des
actes qui y sont portés : P A., « Sur quelques aspects de l’évolution du droit des actes
de l’état civil », op. cit. Le décret du 29 mars 2017 précité pose à ce sujet des difficultés
supplémentaires en cas de modification de la mention du sexe à l’état civil. L’article 5 qui
rétablit un article 16-1 dans le décret du 15 mai 1974, ne semble en effet prévoir la délivrance
d’un nouveau livret de famille qu’à la demande des époux ou d’un des parents, et uniquement
dans les seuls cas où une modification des prénoms de l’intéressé est ordonnée ; ce qui est très
restrictif. Or, dans le livret de famille, les extraits d’actes de naissance des enfants portent
mention du sexe. Peut-on imaginer que demeurent en circulation des livrets de famille portant
mention d’un sexe qui n’est plus celui de la personne qu‘il concerne, l’enfant ne disposant pas
d'autre livret de famille que celui de ses parents, à défaut de vie en couple ou de maternité ?
75. Saisine du Conseil constitutionnel, Assemblée nationale, sur la loi de modernisation
de la justice du e siècle, p. 4 et s.
76. Faisant référence à la célébration du mariage. Nombre de mairies acceptent d’ailleurs
sur le modèle des baptêmes civils, d’organiser des cérémonies de pacs.
77. Ce qui est par exemple le cas pour la déclaration conjointe du choix du nom de
l’enfant reçue par l’officier d’état civil du lieu de naissance, dont l’existence est mentionnée en
marge de l’acte de naissance.
78. Solution qui se situe dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel
n° 99-419 du 9 novembre 1999 (JO, 16 nov. 1999, p. 16962) : « La conclusion d’un pacte
civil de solidarité ne donne pas lieu à l’établissement d’un acte d’état civil, l’état civil des
personnes qui le concluent ne subissant aucune modification ».
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50. Au travers des illustrations qui viennent d’être données, on constate que le
législateur assigne, au fur et à mesure des textes – sans qu’il y ait malheureuse-
ment de cohérence à l’ensemble –, une fonction symbolique à l’état civil, soit
directement (notamment pour l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ou
encore l’enregistrement du pacs), soit indirectement en permettant à l’individu
d’en faire l’instrument et le miroir de son identité sociale. C’est finalement beau-
coup exiger d’une institution conçue à l’origine comme un outil d’identification
et de contrôle. Devant ce bilan, quelles propositions raisonnables peut-on faire ?
Il semble que l’effort pourrait se manifester dans deux directions.
51. Pour un état civil et un répertoire civil rénovés. – La première proposi-
tion n’est pas inédite. Le souhait a depuis longtemps été émis (notamment par le
Congrès des notaires de France en 2006 que présidait Jacques Combret79) d’une
transformation du régime de la publicité de l’état de la personne par la rénovation
du répertoire civil ou, plus largement, par l’institution d’un « casier civil »80, ana-
logue au casier judiciaire, où seraient concentrées en un support unique toutes les
indications relatives à l’état ainsi qu’à la capacité de la personne.
Même si la généralisation des mentions en marge peut faire douter de l’utilité
d’une telle proposition (et explique finalement qu’elle n’ait jamais été concréti-
sée81), il n’empêche que les renseignements relatifs à l’état civil de la personne
restent inscrits dans des répertoires (dont le répertoire civil) et documents paral-
lèles multiples qui ajoutent à l’effet de dispersion.
On pourrait également envisager que la concentration des informations dans
un registre unique n’interdise pas que leur diffusion, notamment aux tiers, soit
différenciée selon leur nature et leur portée82.
52. Pour la création d’un « acte mémoriel ». – Au détour de la reconnais-
sance juridique d’une conversion sexuelle, l’analyse de la Cour européenne des
droits de l’homme pour remettre en cause le système d’enregistrement des nais-
sances du Royaume-Uni mérite attention. Dans l’affaire Ch. Goodwin c. Royaume-
Uni, la Cour ne remet pas en cause l’importance que l’on peut accorder à la
nature historique d’un système d’enregistrement des naissances. Mais la fragilité
du système britannique, qu’elle condamne sur le fondement d’un juste équilibre
rompu entre la reconnaissance du droit d’une transsexuelle à sa vie privée et la
79. ACNF, Les personnes vulnérables. 102e Congrès des notaires de France, op. cit.,
spéc. p. 366, n° 2228.
80. S R. et J., Traité pratique de droit civil français par M. Planiol et G. Ripert, t. I,
1952, LGDJ, n° 176 ; B-L G. et H-F M., Traité théorique
et pratique de droit civil. t. 1. Des personnes, 1902, Librairie de la société du recueil gal des lois
et des arrêts, n° 792 ; G R., La publicité de l’état des personnes : éléments d’une
organisation rationnelle, thèse, 1943, Lyon.
81. De L, Travaux de la Commission de réforme du Code civil, 1951-1952,
p. 32-35.
82. ACNF, Les personnes vulnérables. 102e Congrès des notaires de France (…), op. cit.
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marge d’appréciation laissée aux États contractants, repose sur les exceptions que
connaît ce caractère historique et sur les propositions du gouvernement britan-
nique pour permettre la modification des données relatives à l’état civil.
53. L’équilibre recherché entre le droit pour chacun d’établir les détails de
son identité d’être humain, en obtenant la pleine reconnaissance juridique
d’une nouvelle identité sexuée, et l’intérêt public de la nature historique d’un
système d’enregistrement des naissances ne peut donc pas être réalisé par un
système qui associe à l’enregistrement des naissances, l’identité sociale des per-
sonnes sous tous ses aspects.
54. Les modifications qui peuvent être apportées à l’acte de naissance traduisent
ce souci d’une prise en compte de l’identité sociale, cependant qu’une aspiration
nouvelle se fait jour pour reconnaître un droit d’accès à ses origines. Reconnu par la
Convention internationale des droits de l’enfant, sa revendication, concrétisée en
droit interne par la loi du 22 janvier 2002 créant le Conseil national pour l’accès
aux origines personnelles, se trouve aujourd’hui relayée dans quelques instances
auxquelles les réponses apportées témoignent d’un réel embarras.
55. La Cour de cassation a ainsi eu à connaître d’une action tendant à la
reconnaissance d’une ascendance génétique par voie d’expertise83. Pour déclarer
l’action irrecevable et casser sans renvoi l’arrêt attaqué, la Cour relève d’office la
fin de non-recevoir tirée de l’absence de mise en cause des ayants droit du défunt
dont l’exhumation était demandée aux fins d’expertise génétique. Une doctrine
avisée y a vu la reconnaissance d’une action étrangère au droit de la filiation84 – la
fin de non-recevoir, alors que le décès datait de près de soixante ans –, n’ayant
pour objet que de ne pas donner suite à cette revendication que l’article 8 de la
Convention européenne, invoqué au moyen et repris au visa de la cassation, ne
permettait pas d’éluder.
C’est encore un moyen pris de la violation de l’article 8 de la Convention qui
a contraint la Cour de cassation à une appréciation in concreto de l’absence d’at-
teinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, au regard
du but légitime poursuivi par la fixation du délai de prescription de l’action en
recherche de paternité85. Ce qui l’a conduit à approuver qu’en remettant en cause
une situation stable depuis cinquante ans, l’action engagée porte atteinte à la
sécurité juridique et à la stabilité des relations familiales.
56. C’est enfin sur le fondement de ce même article 8 que le Conseil d’État86
a rejeté le pourvoi par lequel il lui était demandé de se prononcer sur la levée de
l’anonymat d’un donneur de gamètes. Le Conseil retient que cette règle de l’ano-
nymat « n’implique par elle-même aucune atteinte à la vie privée et familiale de la
personne ainsi conçue, d’autant qu’il appartient aux seuls parents de décider de
lever ou non le secret sur sa conception », ce que le droit d’accès aux origines
83. Cass. 1re civ., 13 nov. 2014, n° 13-21018.
84. F H., sous Cass. 1re civ., 13 nov. 2014, D. 2015, 1070.
85. Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-25068.
86. CE, 12 nov. 2015, n° 372121.
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87. S J.-D. et B C., « Filiation et famille : une vérité qui dérange »,
Dalloz Actualité 2009, n° 43, p. 2876.
88. CEDH, 13 juill. 2006, n° 58757/00, § 40, Jäggi c/ Suisse.
89. CEDH, 5 mai 2009, n° 21046/07, Menendez Garcia c/ Espagne.
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61. Seul l’enfant qu’il concerne et ses géniteurs pourraient avoir accès à cet
acte, dont le seul objectif serait mémoriel, aucune action de nature patrimoniale
ne pouvant y être attachée, cet acte ne pouvant en aucun cas constituer un élé-
ment de preuve dans une quelconque instance judiciaire. On comprendrait dès
lors mieux les diverses adaptations sollicitées pour rendre l’état civil plus vivant et
plus apte à satisfaire aux contingences de la vie en société.
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Le notaire et le majeur,
une mise à jour des années 2015 et 2016
Florence F
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris
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Tout y a été écrit, tout y a été dit en ces quelques phrases : « Les notaires res-
sentent ainsi fortement les évolutions de notre société, les besoins nouveaux et les
domaines sur lesquels il convient de porter une attention particulière. Ne pas
laisser fragiliser la protection des plus faibles d’entre nous… ».
Monsieur Jacques Combret a été le président de ce magnifique congrès et son
rapporteur général était Philippe Potentier, docteur en droit. À eux deux, le tra-
vail accompli avec leurs équipes soudées a permis la modification de 5 % du Code
civil, soit plus de cent articles.
Je ne dirai jamais assez ma gratitude pour ce pharaonique travail effectué dans
la simplicité et l’humilité. Mais ce congrès est comme un jour de mariage. Il n’est
que le premier jour. Dix ans plus tard, nous pouvons admirer les conséquences de
ce congrès sur la législation actuelle5. L’œuvre du notaire, quand on l’examine
dans son étude, est double en face de son client : en premier lieu, avec patience,
il l’écoute (I) ensuite et, avec tact, il le conseille au vu de l’actualité (II).
C’est donc à partir de cette double activité que sera fait ici le bilan de dix années
en se focalisant sur l’actualité, c’est-à-dire sur les années 2015 et surtout 2016,
fécondes en nouveautés6, au service des majeurs vulnérables qui sont ensuite
protégés.
I – L’ÉCOUTE
rappellerons simplement la loi du 17 décembre 2008 sur l’assurance-vie qui a modifié la loi
indiquée alors qu’elle ne serait mise en application qu’au 1er janvier 2009. Ceci simplement pour
illustrer l’importance de cette matière qu’est le droit des majeurs vulnérables et protégés.
5. Les personnes vulnérables dans la jurisprudence de la Cour de cassation, rapport 2009
de la Cour de cassation, La Documentation française.
6. Par C J. et B-W N., « Qu’apporte la loi du 16 février 2015 au
droit des personnes et de la famille », JCP N 2015, 20 févr. 2015, n° 8-9, p. 5.
7. K J.-C., « La Carpa et la protection du secret professionnel en matière
juridique », D. 2016, Point de vue, p. 2006.
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A. La qualité du majeur
1. Pour lui-même
Cette démarche peut avoir une double entrée : ou prévoir qu’un jour on
mesure qu’on ne pourra plus être suffisamment alerte psychologiquement pour se
prendre en charge, ou en prendre déjà conscience et demander sur-le-champ une
mesure de protection.
Dans le premier cas, le notaire saura expliquer l’intérêt du mandat de protec-
tion future8 qui sera bientôt inscrit à un fichier9 et qui, sur le principe de la sub-
sidiarité, empêche une mesure de protection10. S’inscrivant aussi dans le cadre de
la réforme du droit des contrats par application du nouvel article 1153 du Code
civil, « ce mandat s’inscrit au rang du droit spécial »11.
Cette solution est la preuve de l’application du principe de la volonté de son
client. Certes, elle ne place pas le mandant, quand le mandat est exécuté, sous
mesure de protection12, mais seul le juge peut modifier la charge du mandataire
quand le contrat est exécuté13. Le notaire alors en rappelle le contenu, c’est-à-dire
les conditions, puis l’exécution et en dernier lieu la fin.
Il arrive en revanche que le client demande, ayant pris conscience qu’il a com-
mis des erreurs et qu’il va en commettre d’autres, à vouloir se mettre à l’abri de
lui-même en demandant à bénéficier d’une mesure de protection. En effet, le
client a conscience que le mandat de protection future, en le laissant juridique-
ment capable, ne l’empêchera pas d’accomplir des actes qui pourraient nuire à ses
intérêts. Le notaire lui explique les différences entre tutelle et curatelle14, et lui
indique que la procédure devant le tribunal d’instance du lieu de sa résidence, et
non de son domicile, se fait sans procédure obligatoire d’avocat.
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L’avocat n’est donc pas nécessaire, mais s’il pense qu’il peut exister un conflit,
qui est différent du conflit d’intérêts15, sur le choix du protecteur qu’il veut voir
choisi, le notaire saura lui indiquer que l’avocat16 peut lui être utile, et même
parfois nécessaire17.
4. Pour un tiers
C’est souvent la démarche la plus classique, le tiers peut être un parent ou un
ami âgé18, un frère ou une sœur, un enfant majeur. Ce sont là les cas les plus sou-
vent rencontrés, mais ce peut-être aussi un beau-parent, âgé aussi, ou un oncle ou
15. M-B J., « Le conflit d’intérêts », D. 2011, n° 16, p. 100.
16. Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 15-11002 QPC en se fondant sur le principe
d’autonomie de la personne ; Cass. 1re civ., 27 janv. 2016 en se fondant sur l’information à
pouvoir demander à être assisté d’un avocat.
17. Cf. le rapport du Défenseur des droits de septembre 2016 préconisant de rendre la
présence obligatoire de l’avocat quand il y a une difficulté, UCL.
18. Dans son rapport au président de la République, sur la loi sur l’adaptation de la
société au vieillissement n° 2015–1776 du 28 décembre 2015 sont donnés les chiffres suivants :
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une tante, un parrain ou une marraine ou tout autre personne avec laquelle le
client entretient des liens constants et stables.
Le notaire écoutera comme d’habitude attentivement son client pour saisir
l’environnement du tiers, ses enjeux patrimoniaux et les conflits éventuels.
1. L’habilitation familiale19
Applicable depuis le 1er janvier 2016, elle est inscrite dans le Code civil aux
articles 494-1 à 494-1220 et dans le Code de procédure civile aux articles 1260-1
à 1260-12. Tous les membres de la famille, en ce compris le conjoint, peuvent
être requérants, mais pas les neveux ni les nièces. Elle se fait sous le contrôle du
juge des tutelles ; c’est donc un mandat judiciaire familial21 pour une personne
vulnérable reconnue comme telle. La procédure est calquée sur celle de la mise
sous protection classique : saisine du parquet par un membre de la famille, requête
avec certificat médical circonstancié, audition du majeur sauf contre-indication
médicale indiquée dans le certificat médical circonstancié du médecin inscrit de
l’article 431 du Code civil, du requérant et de la personne qui sera habilitée, des
membres de la famille qui n’ont pas d’opposition légitime ni à l’habilitation ni au
choix de la personne habilitée (article 494-4 du Code civil, avis du Parquet). On
observera que plusieurs personnes peuvent être choisies ensemble comme per-
sonne habilitée.
L’habilitation peut être soit simple soit générale.
Dans le premier cas, la personne habilitée peut accomplir seule les actes d’ad-
ministration listés et, avec l’autorisation du juge des tutelles, les actes de disposi-
tion. Aussi, la personne conserve pour les autres droits que ceux attribués à la
personne habilitée, qu’ils soient d’administration ou de disposition22, sa capacité
juridique, et les accomplit seule.
15 000 000 personnes ont actuellement plus de 60 ans, elles seront 18 900 000 en 2025 et
près de 24 000 000 en 2060 (Insee). Actuellement 1 400 000 personnes ont plus de 85 ans,
elles seront 4 800 000 en 2050.
19. Le texte définitif résulte de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016. N D.,
« Les pouvoirs de la personne habilitée sur les biens du majeur protégé et les sanctions
applicables », LPA, 25 nov. 2016, n° 236, p. 7 et s.).
20. Et aux articles 1260-1 à 1260-12 du Code de procédure civile pour cette procédure
particulière.
21. N D., « Les conditions de mise en œuvre de l’habilitation familiale »,
D. 2016, n° 26, p. 1510.
22. Telle que la classification résulte du décret 2008-1484 du 22 décembre 2008.
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Dans le second cas, l’habilitation porte sur l’ensemble des actes ou sur une
catégorie d’actes (d’administration ou de disposition). Si elle est totale, la per-
sonne placée sous le système de l’habilitation se trouve sans droit d’exercice ; en
revanche dans les autres cas, elle garde l’exercice de ses droits sur ceux qui ne sont
pas confiés à la personne habilitée.
En conséquence, la plus grande prudence s’impose dans le cadre de l’habilita-
tion et le notaire veillera, s’il doit recevoir un acte, à demander là aussi une copie
certifiée conforme de la décision rendue par le juge des tutelles, s’il a connaissance
que la personne bénéficie d’une habilitation.
La mesure ne peut être prononcée pour plus de dix ans. La publicité de la
mesure est faite ici comme pour la mesure de protection classique (curatelle et
tutelle).
Enfin l’habilitation familiale peut aussi porter sur les actes relatifs à la per-
sonne à protéger. Dans cette hypothèse, la personne habilitée devra appliquer les
articles 457-1 à 459-2 du Code civil, étant fait ici observer qu’une réforme est en
cours qui a pour objet d’harmoniser le Code civil et le Code de la santé publique
sur les droits des majeurs protégés et vulnérables.
L’habilitation familiale est donc ici classée comme une mesure plus invali-
dante, mais pas incapacitante comme la tutelle ou la curatelle. La personne habi-
litée est toujours un membre de la famille, qui exerce sa mission à titre gratuit.
23. Avec l’obligation maintenant pour le médecin d’un établissement social ou médico-
social de faire une déclaration de sauvegarde de justice au Procureur de la République (CSP,
art. L. 3211-6).
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La seconde hypothèse n’est pas rare : c’est le cas où le majeur refuse catégorique-
ment alors qu’il a reçu trois courriers du médecin fixant des rendez-vous différents de
se faire examiner par ce dernier. La jurisprudence récente s’est positionnée puisque
dans cette circonstance particulière, le médecin aura délivré un certificat de carence.
La rédaction de ce certificat est intéressante. En effet, ou le médecin indique
simplement qu’il n’a pu examiner la personne, c’est-à-dire qu’il se trouve sans
aucun élément pour souligner ou non une altération des facultés mentales, ou le
médecin choisi souligne que, dans le certificat de carence, il a pu téléphoner au
médecin référent, ou à d’autres psychiatres, ou à tout autre spécialiste lui fournis-
sant des éléments médicaux pour étoffer son certificat.
Il est donc utile pour le notaire d’interroger son client pour connaître les noms et
adresses des thérapeutes qui gravitent auprès du majeur vulnérable afin que ces infor-
mations soient aussi portées à la connaissance du Parquet dans le signalement.
C’est là la garantie d’éviter un certificat de carence sec qui empêcherait le par-
quet de saisir ensuite le juge des tutelles, afin d’ouvrir l’instruction du dossier qui
ne peut excéder un an, à peine de caducité.
La possession de ce moyen procédural est nécessaire pour donner au client
toute l’étendue de son conseil. C’est pourquoi nous l’avons développé. Il est la
pierre angulaire de la mesure de protection. Actuellement ce moyen est très sou-
vent usité, il est même maintenant recommandé aux directeurs des EHPAD par
la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 ; aussi la rédaction du signalement
demande un soin égal à celui de la requête.
Donc éclairé sur le « comment faire », le client demandera ensuite au notaire
« mais que faire » avec cette mesure de protection en 2016.
La loi du 5 mars 2007, qui fut portée sur les fonts baptismaux par le notariat
grâce à son congrès de 2006 à Strasbourg, se trouve modifiée pour être enrichie
dans son esprit par de nombreux textes depuis deux ans.
Nous pouvons évoquer la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, l’ordonnance
n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 sur
l’adaptation de la société au vieillissement, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016
sur la modernisation du système de santé, la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 sur
les directives anticipées, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 sur la
réforme du droit des contrats applicable au 1er octobre 2016.
Nous avons assisté en 2015 et en 2016 à un foisonnement de textes nouveaux
qui impactent aussi le droit des majeurs protégés. La jurisprudence a pour sa part
donné aussi des réponses importantes qu’il est bon d’avoir à l’esprit.
Le protecteur familial est un néophyte dans cette matière, mais armé de bonne
volonté. Il saura donc classer les demandes du majeur protégé en deux groupes,
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les actes patrimoniaux (A) et les actes extrapatrimoniaux (B) pour remplir sa mis-
sion judiciaire. Là encore, le notaire saura l’éclairer.
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Le notaire est souvent le rédacteur d’une SCI, ou des statuts de toute autre
société, il aura donc eu à cœur à ce moment-là de ne pas omettre dans les statuts que
toute mesure de protection aura pour conséquence de dessaisir le gérant de ses fonc-
tions, à peine de voir un jour sa responsabilité engagée pour manque de conseils.
Aussi si le majeur protégé est parfois un gérant, beaucoup plus souvent, il est
souvent aussi un employeur (de sa femme de ménage, d’une assistante de vie,
etc.). La question qui est souvent posée est celle de savoir qui a le droit de signer
une embauche et un licenciement.
3. Le curateur employeur
Le décret n° 2008-1484 classe la conclusion d’un contrat de travail en qualité
d’employeur. Aussi la conclusion de ce contrat est-elle signée par le curatelaire
seul (fut-il sous curatelle renforcée comme dans le cas d’espèce), conformément
aux articles 467, 496 et 504 du Code civil. En conséquence, l’employeur ne peut
se retrancher derrière l’absence de l’assistance du curateur pour ne pas s’acquitter
de son son obligation de régler les salaires (CA Toulouse, ch. soc., sect. 1, 11 mars
2016, n° 15/05382, JurisData n° 2016-004634).
Cet arrêt illustre donc bien les droits et les pouvoirs du curatelaire qui sont
souvent occultés ou ignorés. On note ici que le curateur qui règle les dépenses est
tenu d’exécuter le règlement des salaires non versés sans pouvoir exciper d’aucune
exception. Sa compétence est liée. Ce cas d’espèce est donc très intéressant à sou-
ligner et rappelle que, dès lors qu’un doute s’installe dans l’esprit du curateur, il
est sage qu’il se tourne vers son conseil. La règle de droit peut être différente de ce
que le bon sens pourrait suggérer.
Enfin, le notaire est naturellement le maître des successions. Celles-ci génèrent
un nombre important de questions. Dans le cadre d’une mise sous protection,
déjà les ayants droit, héritiers réservataires ou non, posent déjà deux sortes de
questions ; la première a trait au testament, la seconde aux assurances-vie.
a) Le testament
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Dans le cadre d’une tutelle, le tutélaire peut le rédiger avec l’accord préalable
du juge des tutelles, mais hors la présence du tuteur (article 476 du Code civil).
La forme du testament est indifférente, qu’elle soit authentique, mystique ou
sous seing privé.
De plus, la personne protégée, quelle que soit sa mesure de protection, seule
et sans aucune autorisation, peut l’annuler. Ce point si exceptionnel ne peut être
oublié du monde notarial.
Les ayants droit, pour leur part, souvent soucieux de défendre leurs intérêts
futurs, sont prêts à intenter du vivant du testateur une action en nullité fondée sur
l’insanité d’esprit. Il est bon de leur rappeler que tant que le majeur protégé est
vivant, cette action ne saurait perdurer, car le testament est révocable ad nutum.
Enfin, le notaire saura rappeler aussi le nouvel article L. 116-4 du Code de
l’action sociale et des familles qui enrichit l’interdiction de tester en faveur de
différentes personnes, et qui enrichit ainsi l’article 909 du Code civil. Cette inter-
diction s’étend à l’acquisition d’un bien, et y est enfin accolée l’interdiction de la
personne interposée qui est le conjoint, la personne pacsée, le concubin, les ascen-
dants et les descendants.
Les ayants droit se placent aussi sur un autre plan : les assurances-vie.
b) Les assurances-vie
25. L J.-J., N D. et P J.-M., « Majeurs protégés (juillet 2015-juin
2016) », Dalloz 2016, n° 26, p. 1523 et s.
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On fera aussi observer que se trouvent aussi titulaires de l’action en nullité les
légataires universels sur le fondement des articles 414-2 et 414-1 du Code civil
(Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-17768, même note que ci-dessus).
Ces quelques points évoqués illustrent souvent les questions que le client pose.
Mais quand il interroge aussi pour lui-même, il n’omet pas de demander d’avoir
des réponses concernant la mesure de la protection sur sa personne ou pour la
personne « in personam » pour laquelle il prend des conseils.
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2. La personne de confiance
Au préalable, nous devrons ici souligner que ce vocable a deux contenus diffé-
rents qui peuvent maintenant prêter à confusion :
– le premier a été institué par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 à l’ar-
ticle L. 1111-6 du Code de la santé publique et a pour objet d’accompagner le
patient dans le cadre de ses entretiens médicaux, de ses hospitalisations et de lui
retranscrire les dires des thérapeutes avant qu’il ne prenne sa décision. Mais
jamais, au grand jamais, la personne de confiance ne se substitue au patient dans
les rapports avec les thérapeutes ;
– le second ressortit de la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement du
28 décembre 201530et a pour objet d’accompagner la personne qui réside en
EHPAD pour recueillir son consentement auprès du médecin coordonnateur, et
en s’assurant de sa compréhension de lui indiquer ses droits, mais comme la pré-
cédente jamais de se substituer à elle.
Ces contenus brièvement esquissés, se pose donc toujours la question de la
nomination de ces deux personnes.
Les textes, comme pour la rédaction des directives anticipées, ne concernent
que la personne sous tutelle, soit, il faut le rappeler, environ plus de 250 000 per-
sonnes31 actuellement. Deux hypothèses doivent être examinées : soit le tutélaire
avant sa mise sous protection avait désigné la personne de confiance, soit il ne
l’avait pas fait.
Dans la première hypothèse, le juge des tutelles dans le jugement de tutelle
peut soit confirmer soit infirmer la désignation de la personne de confiance. S’il
ne statue pas sur ce point, la personne de confiance conserve sa mission. Dans la
seconde hypothèse, le tutélaire maintenant autorisé par le juge des tutelles ou le
conseil de famille s’il a été constitué peut nommer la personne de confiance.
L’appréciation par le magistrat est faite selon son intime conviction. Seul, il
donne, en vertu de son pouvoir souverain, l’autorisation de désigner sur ce point
une personne de confiance, mais dont il ignore le nom.
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Il est ici fait observer que l’article L. 1111-2, alinéa 5 du Code de la santé
publique dispose que le tuteur est naturellement la personne de confiance.
Dans le cadre d’un conflit entre le tuteur (comme tuteur à la personne) et la
personne de confiance, la loi dispose dorénavant en coupant court aux polé-
miques antérieures que c’est le témoignage de la personne de confiance qui pré-
vaudra devant le corps médical sur l’intervention du tuteur.
Nous voyons donc ici sur ces deux points précités une extension des cas de
l’article 458, alinéa 2 du Code civil (actes personnels) apportant donc ainsi la
preuve que la liste n’a jamais été limitative.
32. CA Douai, 31 mars 2016, n° 15/06749, AJ fam., mai 2016, p. 271, note
Raoul-Cormeille G.
33. R C., « Le majeur protégé visé par une accusation en matière pénale, neuf années
de construction jurisprudentielle », AJ fam., mai 2016, p. 247.
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FLORENCE FRESNEL 51
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Bernard B
Professeur des Universités, Institut de droit privé, EA-1920
Doyen honoraire de la Faculté de droit et de science politique
de l’Université Toulouse 1 Capitole
Recteur de l’Académie d’Aix-Marseille
Recteur de la région académique Provence-Alpes-Côte-d’Azur
Sarah T-C
Maître de conférences
Institut de droit privé, Université Toulouse 1 Capitole, EA-1920
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replacé dans cette chronologie évoquée. Il importe de restituer cet objet d’étude
dans la vie réelle. Le pacs étant souvent conçu comme une étape avant le mariage,
c’est dans cette configuration qu’il sera ici traité.
Pourquoi les partenaires passent-ils du pacs au mariage ? Il s’agit souvent d’un
choix moral, affectif, voire symbolique, même si l’on ne peut que constater
aujourd’hui que le mariage a perdu de sa superbe avec l’avènement du divorce par
consentement mutuel sans juge. Les motifs sont parfois plus matériels tels que la
protection du conjoint survivant que ne permet pas le pacs, sauf à tester au profit
de son partenaire4.
2. Fréquemment dans l’esprit des partenaires, le passage du pacs vers le mariage ne
nécessite pas de formalité particulière. Outre l’aspect symbolique et festif, il pourrait
presque passer inaperçu. Soulignons au passage que la loi du 18 novembre 2016 de
modernisation de la justice du e siècle5 a poussé le mimétisme à son paroxysme en
permettant la constitution d’un pacs devant l’officier d’état-civil6, marginalisant un
peu plus le pacs notarié. Cette nouvelle disposition accroît l’absence de prise de
conscience des conséquences patrimoniales du contrat de pacs, le faisant basculer vers
une désinformation juridique certainement préjudiciable aux partenaires.
Du point de vue civil, les textes sont clairs : l’article 515-7 du Code civil pré-
voit que le mariage est une des causes de dissolution du pacs, aux côtés du décès,
de la déclaration conjointe ou de la rupture unilatérale. Il peut s’agir du mariage
des partenaires ou seulement de l’un d’eux. La dissolution du pacs est immédiate.
Mais si le pacs prend fin, les créances entre partenaires et l’indivision demeurent…
Au vrai, passer d’un contrat de pacs à un mariage sans choix de régime matri-
monial ou bien en faisant un contrat de mariage, consiste en réalité à changer de
régime juridique applicable aux rapports pécuniaires entre les membres du couple.
Porté par le vent d’un droit commun des couples7, la problématique n’est-elle pas
en réalité celle du changement de régime patrimonial ? La modification de l’état
de partenaires vers celui d’époux, implique inéluctablement des changements
quant au corps de règles régissant désormais leurs biens. Cependant, il n’existe pas
de procédure de changement patrimonial à l’image de celle existant du point de
vue matrimonial (I). Ainsi, les partenaires peuvent être surpris par les consé-
quences des nouvelles règles qui leur sont applicables, qui ne se révéleront parfois
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que lors de la dissolution du régime matrimonial. Voilà pourquoi il doit leur être
utilement conseillé d’être actifs lors de ce changement, même si la loi leur permet
de rester passifs (II).
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10. B W. et N M., « La rupture volontaire du Pacs et le notaire », JCP N 2013,
n° 17, 1104, p. 27 ; L M., « Brèves remarques sur la nature de l’indivision d’acquêts des
partenaires liés par un Pacs », Defrénois 2010, 2093 ; D Y., « Le nouveau régime des
biens dans le Pacs », AJ fam. 2007, 15.
11. D’où un souhait de clarification de ce régime, émis par le notariat : 106e Congrès des
notaires de France, Couples, Patrimoine : les défis de la vie à deux, Bordeaux, 2010. La première
proposition de la deuxième commission souhaitait « que la loi clarifie le régime de l’indivision
spéciale de l’article 515-5-1 du Code civil en interdisant toute convention visant à aménager
son périmètre ». V. également, G-D C., « 106e Congrès des notaires de France :
quelles propositions pour le pacs ? », RDC 2010, p. 1381.
12. P N., Les régimes matrimoniaux, 3e éd., 2012, Dalloz, coll. Hypercours, n° 54 ;
D Y., « Le nouveau régime des biens dans le Pacs », AJ. fam. 2007. 12 ; L-
T V., « L’amélioration du Pacs : un vrai contrat d’union civile », Dr. famille 2007, chron. 1,
p. 9 ; S P. et H P., « Le nouveau visage du Pacs : un quasi-mariage », JCP G 2006. I. 161,
n° 28 ; L X., « Pacs : encore un tout petit effort », AJ fam. 2007. 8 ; B W., Les effets
patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, Defrénois 2013, n° 130. En particulier, pour la possibilité
d’aménagements : F H., « Le nouveau Pacs est arrivé », Defrénois 2006, 1621 ;
D A., « Le Pacs, aspects patrimoniaux », Dr. et patr. 2008, p. 74. Pour une vision
intermédiaire, permettant de réduire l’indivision, mais non de l’étendre : G M. (dir.), Droit
patrimonial de la famille 2015-2016, 2014, Dalloz, n° 51183 ; J.-B. D et M.-G. M-
C, « Les partenaires communautaires », AJ fam. 2011, p. 144 et 145 ; L M., « Brèves
remarques sur la nature de l’indivision d’acquêts des partenaires liés par un Pacs », op. cit. ;
D Y., « Le nouveau régime des biens dans le Pacs », op. cit.
13. Sur la mutabilité au sein même du Pacs : B W., Les effets patrimoniaux du Pacte
civil de solidarité, op. cit., p. 77 et s., n° 72 et s.
14. Cass. 1re civ., 6 janv. 1979, Alessandri, D. 1976.253, note Ponsard ; JCP 1976.
II. 18461, note Patarin J. ; Defrénois, 1976. 787, note Ponsard ; RTD civ. 1978. 123,
obs. Nerson ; Cass. 1re civ., 17 juin 1986, Bull. civ. I, n° 279, JCP N 1986. II. 250 ; 22 juin
2004, Dr. fam. 2004, note B. B., n° 182.
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15. G S., « L’intérêt de la famille, élément d’un ordre public familial », in Mélanges
en l’honneur du professeur Gérard Champenois, Defrénois 2012, p. 287, spéc. n° 16 à 20.
16. Cf. infra, n° 7.
17. K A., « Les mutations des créances entre époux », in Mélanges en l’honneur du
professeur Gérard Champenois, op. cit., p. 453, spéc. n° 6 ; B W., Les effets patrimoniaux du
Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 130.
18. Cf. supra, n° 3 ; G M., « Les biens du couple », Gaz. Pal. 30 mars 2013,
n° 89, dossier « 9es États généraux du droit de la famille ».
19. Exemple : la fraude aux droits successoraux de l’enfant dissimulé ne suffit pas à
remettre en cause la convention sur ce fondement, Cass. 1re civ., 17 févr. 2010, n° 08-14441 ;
Defrénois 2010, 1159, note Massip J. ; D. 2010, 582, obs. Egéa V. ; JCP N 2010, n° 23,
1220, note Vassaux-Barège J. ; JCP G. 2010, doctr. 487, Simler P. ; AJF 2010, 191, Hilt P. ;
LEFP 2010-4, p. 4, obs. Peterka N. ; Cass. 1re civ., 19 déc. 2012, n° 11-25288 ; JCP G 2013,
doctr. 721, Wiederkehr G.
20. Ce qui se comprend aisément lorsqu’on observe en parallèle le déclin de l’ordre
public successoral, ce qui a fait dire à un auteur que ces hypothèses « se raréfient à proportion
que s’érode l’ordre public en droit des successions » : P N., « Le changement de régime
matrimonial à l’heure du jubilé de la réforme du 13 juillet 1965 », op. cit., n° 12.
21. Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 12-10027, JCP N 2013, n° 1221, Le Guidec R. ;
JCP G 2013, n° 38, 1679, Lagelée-Heymann M. ; D. 2013, 2088, Souhami J. ; Dr. famille
2013, focus 3, Lamarche M. ; LEFP juill. 2013, p. 6, obs. Peterka N. ; D. 2013, 2245,
obs. Brémond V. ; Defrénois 2013, 1146, obs. Champenois G. ; R E., « La nature
contractuelle du changement de régime matrimonial », Defrénois 2014, 14.
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22. En l’absence d’enfant mineur ou d’opposition d’un enfant majeur ou d’un créancier,
car sinon, le contrôle réapparaît lors de l’homologation judiciaire.
23. V. avant même cette jurisprudence, B M., « Le nouvel article 1397 du
Code civil : un texte transitoire ? », Defrénois 2007, p. 95, spéc. n° 5.
24. V F., « Changement de régime matrimonial : la question de la liquidation »,
RJPF, mars 2009, 19 ; D M., « Changement de régime matrimonial et liquidation »,
JCP N 2008, n° 23, 1217 ; B B., C J. et F E., « Le changement de
régime matrimonial depuis le 1er janvier 2007 », JCP N 2007, n° 17, 1163.
25. Rappelons que l’article 515-5-3 du Code civil permet aux partenaires de conclure
une convention d’indivision, qui, si elle est en principe alignée sur la durée du pacs, peut aussi
s’en détacher et continuer après sa dissolution (alinéa 3).
26. Cons. const., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, JO, 16 nov. 1999, p. 16962, consid.
n° 87 ; mais le partage de l’indivision au cours du pacs peut être discuté en raison de sa
spécificité : B-P H., « Indivision et communauté dans le régime des biens du pacs
aujourd’hui », in Mélanges en l’honneur du professeur Gilles Goubeaux, 2009, LGDJ, p. 51.
27. Par exemple : indemnité pour jouissance privative ; indemnité relative à la gestion
du bien indivis ; indemnité relative à une dépense d’amélioration ou de conservation d’un
bien indivis, etc.
28. G M., « Les biens du couple », op. cit.
29. En son premier sens, c’est l’idée de partage qui ressort (C G. (dir.), Vocabulaire
juridique, 2016, PUF). Il faut alors s’en tenir à un sens plus large (sens 2) : « Opération par laquelle
on apure, règle et solde des comptes après en avoir déterminé le montant de manière définitive ».
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30. V F., « La fin du pacte civil de solidarité », Dr. et patr., mars 2001, n° 91,
p.26 ; G O., L H. et V F., « Liquidation d’un pacs (conseil et
formule) », Defrénois, 2010, 84 ; B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité,
op. cit., p. 281 et s., particulièrement n° 242 et 243 ; B W. et N M., « La rupture
volontaire du pacs et le notaire », op. cit.
31. Certains considèrent cependant que la liquidation et le partage seraient inutiles :
B A., Droit de la famille, 2013, LGDJ, p. 319, n° 687 ; G O., L H. et
V F., « La liquidation conseillée suite à la séparation des couples non mariés »,
LPA, 21 mai 2010, n° 101, p. 28.
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La question est ici essentielle : un couple peut sans difficulté aucune souscrire
un pacs, puis se marier, sans avoir bénéficié d’aucun conseil patrimonial. Le pacs
est alors victime de son enveloppe contractuelle. Souplesse n’est pas synonyme de
simplicité patrimoniale et les situations générées pourront donner lieu à bon
nombre de contentieux.
Le problème est d’ordre structurel, plus sociologique que juridique, puisqu’il
met en cause les nouveaux codes de notre société induisant une sorte d’affranchis-
sement de l’intermédiaire substitué par de nouvelles technologies, tel qu’inter-
net. Lorsque l’intermédiation est d’ordre intellectuelle, le néophyte peut penser
trouver sur différents sites le savoir retranscrit et donc accessible. Mais ce n’est là
qu’un leurre et l’accessibilité de la règle de droit doit certes s’entendre de sa diffu-
sion et son intelligibilité, mais ne peut rester dans certains domaines qu’un mirage
en l’absence d’intermédiaire juridique. Dans la matière qui nous occupe, c’est le
notaire qui occupe le premier rang. Il a souvent été relevé que la profession souf-
frait de certains préjugés, en particulier concernant sa rémunération. La recherche
de l’optimisation du moindre coût pour les partenaires peut susciter une certaine
défiance vis-à-vis du notaire, quoique injustifiée, lui préférant alors des modèles
de pacs trouvés sur divers moteurs de recherche, optant malencontreusement
pour l’indivision spéciale32. Les partenaires passent alors à travers les mailles du
filet de protection du conseil professionnel, ce qui peut réserver certaines sur-
prises lors de la dissolution. Pour renforcer la protection des partenaires – contre
eux-mêmes – en exigeant la pleine conscience des conséquences résultant de leur
convention de pacs, les notaires militent pour le pacs authentique33. C’est le parti
inverse qui a malgré tout été retenu par le législateur34.
Le notaire ne réapparaît que si les partenaires le consultent spontanément, ou
choisissent de faire un contrat de mariage. Qu’ils choisissent un régime nommé,
ou qu’ils assortissent simplement la communauté réduite aux acquêts de clauses
particulières, ils reprennent la maîtrise de leur situation patrimoniale grâce aux
conseils du professionnel. Cependant, ils ne pourront aménager le régime impé-
ratif de base que constitue le régime primaire.
7. Le régime incompressible. – En ce qui concerne le régime primaire du
pacs, il ne pose guère de difficulté. Calqué sur le régime primaire matrimonial, les
époux seront loin d’être dépaysés…
De l’imprégnation à l’assimilation, il n’y a qu’un pas. D’où l’intérêt de la doc-
trine actuelle pour un possible droit commun des couples, qui transcenderait les
différents modes de conjugalité. Les partenaires se doivent une aide matérielle et
32. B B. et B W., « Le Pacs authentique ou l’aventure à deux sans l’aventure
en droit », JCP N 2012, n° 17, 1207 ; C J. et G X., « Le notaire et le Pacs », in
Mélanges J. Rubellin-Devichi, 2002, Litec, p. 253 et s.
33. En particulier, le 111e Congrès des notaires de France (« La sécurité juridique, un
défi authentique », Strasbourg, 2015) a proposé « que toute conclusion d’un Pacs autre que
soumis au régime supplétif et toute modification d’un Pacs soient obligatoirement réalisées par
acte notarié », deuxième proposition de la deuxième commission.
34. Loi du 19 novembre 2016, préc.
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une assistance réciproque (C. civ., art. 515-4). La première prend tous les traits de
la contribution aux charges du mariage, d’autant que selon le Conseil constitu-
tionnel, elle est d’ordre public35. Quant à l’assistance réciproque, elle s’identifie au
devoir de secours entre époux. Le calque s’étend à la solidarité ménagère, qui
bénéfice d’une assise textuelle au même article 515-4 du Code civil36.
La singularité du pacs tient désormais à peu de choses : le logement familial ne
bénéficie pas de la même protection que celle accordée aux époux par l’article 215,
alinéa 3 du Code civil. Mais les dispositions applicables au bail d’habitation ont
été étendues aux partenaires (C. civ., art. 1751)37, de même que le droit tempo-
raire au logement en cas de décès (C. civ., art. 515-6, al. 3). L’absence de devoir
de fidélité penche vers une absence de moralisation du pacs, bien que cet aspect
puisse être relativisé du point de vue du mariage38.
Toutefois, en abordant le régime primaire, on peut déceler une certaine inquié-
tude relative à la jurisprudence actuelle portant sur le financement d’un bien immo-
bilier par des époux séparés de biens. En effet, la contribution aux charges du mariage
permet de refuser toute indemnité à l’époux ayant financé intégralement le logement
indivis39. Quels sont les effets d’une telle jurisprudence sur la situation de partenaires
souhaitant se marier sous un tel régime ? Vraisemblablement aucun. Ici comme ail-
leurs40, l’on se trouve face à un paradoxe : alors même que le pacs s’affiche comme un
contrat révélant un engagement plus faible que celui du mariage, le régime primaire
s’y fait plus présent. Ce pouvoir d’attraction vers la contribution aux charges du
35. Cons. const., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC ; JO, 16 nov. ; JCP 2000. I, 261,
obs. Mathieu et Verpeaux ; LPA, 1er déc. 1999, note Schoettl.
36. La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (art. 50) a étendu au pacs l’exception relative à
la pluralité d’emprunts après que la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 (art. 9) a aligné
parfaitement cette solidarité sur celle du mariage par l’exception relative aux achats en
tempérament et aux emprunts.
37. Réd. L. n° 2014-366, 24 mars 2014.
38. L’imputation d’une infidélité conjugale ne serait pas de nature à porter atteinte, à elle
seule, à l’honneur ou à la considération : Cass. 1re civ., 17 déc. 2015, n° 14-29549 ; RTD civ.,
2016, 81, obs. Hauser ; D. 2016, 277, obs. Dreyer ; AJ fam. 2016, 109, obs. de Boysson ;
JCP 2016, 285, note Latil.
39. Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-21892 ; JCP N 2013, n° 49, p. 28, Roman B. ;
JCP N 2014, 1003, Storck M. ; RTD civ. 2013, p. 821, note Hauser ; AJF 2013, p. 647,
obs. Hilt P. ; RJPF 2013, n° 12, 6, Vassaux J. ; D. 2013, p. 2682, Molière A. ; RLDC 2013,
n° 110, 53, Paulin A. ; Cass. 1re civ., 15 mai 2013, n° 11-26933, Dr. fam. 2013, n° 7-8,
comm. 110 et la note ; RJPF, 2013/7-8/19, note Vauvillé F. ; RLDC 2013, 107, note Revel J. ;
Cass 1re civ., 16 sept. 2014, RTD civ., 2014, 867, obs. Hauser ; Cass. 1re civ., 1er avril 2015,
n° 14-14349 ; RTD civ., 2015, 362, obs. Hauser ; ibid. 687, obs. Vareille. La solution est la
même concernant une résidence secondaire : Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, n° 12-17420,
RTD civ., 2014, 698 et 704, obs. Vareille ; D. 2014, 527, note Viney ; ibid. 1342,
obs. Lemouland et Vigneau ; AJ fam., 2014, 129, obs. Hilt ; Defrénois 2014, 752, note
Mouly-Guillemaud ; JCP N 2014, n° 1117, obs. Vauvillé ; Dr. famille 2014, n° 4, comm. 61 et
la note. V. également, K A., « Financement du logement de la famille et contribution des
époux séparés de biens aux charges du mariage », in Mélanges en l’honneur du professeur
Raymond Le Guidec, 2014, LexisNexis.
40. Cf. supra, n° 3 et infra, n° 14.
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ménage tel que conçu par la jurisprudence est presque dénoncé, quand il est légale-
ment prévu dans le régime du pacs. L’article 515-7 du Code civil énonce in fine que
les créances des partenaires « peuvent être compensées avec les avantages que leur
titulaire a pu retirer de la vie commune, notamment en ne contribuant pas à hauteur
de ses facultés aux dettes contractées pour les besoins de la vie courante ». La recherche
de l’équité est loin d’être l’apanage des juges. En voici l’illustration.
Dans une vision non contentieuse, cette disposition instaure une meilleure sou-
plesse pour le notaire, lui permettant de procéder aux réajustements que nécessite-
raient les prévisions des parties. Il peut être utilement dressé un état des lieux à
l’occasion d’un contrat de mariage. Le contexte diffère puisqu’il ne s’agit pas de
procéder à un « partage » en raison d’une séparation du couple, mais de contracter
un nouvel engagement. Celui-ci peut d’ailleurs être plus important (vers la commu-
nauté) ou plus faible (vers la séparation au départ d’une indivision d’acquêts).
8. Quelle évolution ? – Ainsi, embrasser le mariage n’apporte que peu de
changement du point de vue du régime primaire. Cet état de fait interroge : ce
socle de règles impératives était souvent revendiqué comme témoignant de la
force symbolique du mariage. Dès lors qu’il peut se targuer d’une existence dans
la sphère exclusivement contractuelle du pacs, n’est-il pas devenu un succédané de
cet ordre public matrimonial ?
À l’évidence, le réel changement résultant du passage du pacs au mariage ne
réside pas dans le régime primaire.
La nouveauté résiderait-elle alors dans la dimension symbolique de l’institu-
tion ? « Symbolique » au sens moral du terme, sans nul doute, le mariage faisant
figure d’acte d’engagement ultime pour les partenaires en scellant leurs senti-
ments. Mais « symbolique » au sens civil à travers le concept d’institution, il est
permis d’en douter. À l’heure du divorce contractuel, le mariage est relégué au
rang de contrat dès lors que l’onction du juge est supprimée. Ce n’est donc pas là
non plus que se trouve l’évolution.
Vraisemblablement, du point de vue pécuniaire et non plus essentiellement
intime, l’évolution se trouverait dans le corpus juridique du droit des régimes
matrimoniaux que les partenaires embrasseront. En cas de décès, c’est sur le plan
de la protection du conjoint survivant que l’apport est considérable par l’existence
d’avantages matrimoniaux, ou d’autres faveurs telle la pension de réversion. En
cas de divorce, la prestation compensatoire apporte également sa part d’équité.
Ce passage vers le mariage consiste bien en une démarche volontaire du couple
visant à inscrire leur relation patrimoniale dans le droit. Mais s’ils ne reçoivent pas
les conseils d’un notaire, ils risquent de passer à travers ce droit sans même avoir
conscience des conséquences néfastes futures. Soumis au régime légal, qu’advien-
dra-t-il des biens acquis précédemment ? Pensant être acteur de leur situation
juridique, ils sont en réalité passifs : c’est un lieu commun de dire que les subtili-
tés du régime « pacsimonial » sont d’appréhension difficile pour le néophyte. Ils
peuvent alors être surpris au moment de la dissolution de devoir procéder à une
liquidation de leurs intérêts. Peut-être alors se tourneront-ils vers leur notaire…
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41. Pour les difficultés suscitées par la seule référence aux dépenses d’acquisition posant
la question de l’élargissement aux dépenses d’amélioration ou de conservation, V. B W., Les
effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 212.
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à une récompense, dès lors qu’il sera effectué au moyen des revenus. Si chaque ex-
partenaire, devenu époux, remboursait le prêt au moyen de ses revenus, il devra dès
le mariage une récompense au profit de la communauté, en raison de la qualifica-
tion commune des deniers. Si l’emprunt était remboursé par l’un seul des parte-
naires, la récompense générée au profit de la communauté aura de quoi le déconte-
nancer. Le raisonnement est le même si l’un des partenaires avait coutume d’utiliser
ses revenus personnels pour régler les dépenses d’entretien relatives à un bien qui lui
appartenait ou encore pour payer une dette personnelle.
Les dissonances se révèlent également relativement au traitement jurispruden-
tiel de l’industrie personnelle. Lorsque l’un des membres du couple a amélioré un
bien appartenant à l’autre par le fruit de son labeur, ou simplement collaboré à
l’activité de celui-ci, peut-il en obtenir une compensation au moment de la
dissolution ?
Embrasser le mariage vaut là encore renoncement à réclamer toute forme d’in-
demnité sur ce fondement, si l’on suit la jurisprudence42. Point de récompense en
l’absence d’appauvrissement de la communauté, même si ce critère peut appa-
raître contestable. La solution est la même43 dans le droit commun de l’indivi-
sion44. Seule la séparation de biens semble entrevoir cette possibilité de voir
récompensée la sueur investie45. Dans le pacs, la solution n’apparaît pas pour
l’heure en jurisprudence. Il peut donc être utilement raisonné en comparaison du
régime de séparation de biens46, laissant un espoir pour le partenaire laborieux.
10. Chronos : cloisonnement ? – Le second écueil tient à la chronologie. Ce
« saucissonnage juridique de la vie en couple »47 exige-t-il de mobiliser chaque
corps de règle à la période qui lui correspond ? Ainsi, de créances entre partenaire
indivisaire, on parle de récompenses au profit ou contre la communauté. Au
temps de la liquidation, faudra-t-il considérer ces deux périodes distinctement ?
42. Cass. 1re civ., 30 juin 1992, RTD civ., 1993, 410, obs. Lucet et Vareille ; Cass. 1re civ., 5 avr.
1993, B. I, n° 137 ; Defrénois 1993, 800, obs. Champenois ; RTD civ., 1993, 638, obs. Lucet et
Vareille ; Cass. 1re civ., 28 févr. 2006. B. I., n° 106 ; AJ fam. 2006, 208, obs. Hilt ; RTD civ., 2006,
360, obs. Vareille ; Cass. 1re civ., 26 oct. 2011, B. I., n° 187 ; D. 2012, 971, obs. Lemouland et
Vigneau ; RTD civ., 2012, 140, obs. Vareille ; Defrénois 2012, 291, note Champenois.
43. Toutefois, en la matière, il faut aussi compter avec l’article 815-12 visant la
rémunération de l’indivisaire gérant : Cass. 1re civ., 29 mai 1996, Bull. civ. I, n° 222 ;
JCP N 1997, II, 702, note Piedelièvre J. ; JCP 1996, I, 3968, n° 4, obs. Le Guidec ; ibid.
1997, I, 4008, n° 17, obs. Tisserand ; ibid. 3972, n° 11, obs. Périnet-Marquet ; RTD civ.,
1997, 713, obs. Patarin.
44. Cass. 1re civ., 23 juin 2010, Bull. civ. I, n° 146 ; Defrénois 2010, 2380, obs. Fiorina ;
JCP N 2011, n° 1001, obs. Tisserand-Martin ; RLDC 2010/74, n° 3945, obs. Pouliquen ;
comp. Cass. 1re civ., 13 mars 2007 ; Bull. civ. I, n° 109 ; Defrénois 2008, 1093, note Fiorina ;
RTD civ., 2007, 801, obs. Vareille ; JCP 2007, I, 197, n° 4, obs. Périnet-Marquet ; LPA 19 mars
2008, obs. Chamoulaud-Trapiers.
45. Cass. 1re civ., 12 déc. 2007, Bull. civ. I, n° 390 ; Defrénois 2008, 2204,
obs. Champenois ; RTD civ., 2008, 695, obs. Revet ; JCP N 2008, 1252, note Le Guidec ;
AJ fam. 2008, 85, obs. Hilt.
46. B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 212.
47. Ibid., p. 265, n° 227 et s.
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Pour répondre à cette question, il faut en mesurer les incidences pratiques. Celles-
ci résident tant dans l’établissement que dans l’évaluation de ces flux de valeurs
exprimés soit en créance, soit en récompense.
Voilà que la question substantielle apparaît : quelles distinctions dans ces
règles d’évaluation ? Si l’on se concentre sur le régime légal, tant du pacs que du
mariage, point de différence à ce niveau. En effet, l’article 515-7 renvoie en son
dernier alinéa aux règles prévues à l’article 1469 du Code civil48.
Cette règle vaut également pour l’indivision d’acquêts. Il faut cependant gar-
der à l’esprit que ce régime ne donnera lieu que de façon marginale à des créances
entre partenaires. Tout réside dans l’article 515-5-1 du Code civil. Ce texte cris-
tallise l’essentiel des maux de l’indivision spéciale. Il prévoit que les biens acquis
ensemble ou séparément par les partenaires « sont alors réputés indivis par moitié,
sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution iné-
gale ». Le financement intégral d’un bien indivis par l’un seul des partenaires ne
peut donc donner lieu à une créance. Il faut cependant réserver l’hypothèse de
l’emploi lors de l’acquisition d’un bien de deniers appartenant au partenaire anté-
rieurement à la conclusion de la convention de pacs ou reçus par donation ou
succession (art. 515-5-2)49. Les textes prévoient qu’un tel investissement doit
pouvoir potentiellement être récupéré par le partenaire.
11. Les règles d’évaluation sont donc vouées à rester les mêmes. Cependant,
c’est plus certainement sur l’établissement de la créance ou de la récompense que
la différence sera ressentie. Le régime légal de la communauté donne une défini-
tion générale des cas de récompense, selon qu’elles sont dues par la communauté
à l’un des époux (C. civ., art. 1433) ou inversement (C. civ., art. 1437). En
revanche, le pacs ne bénéficie pas des mêmes précisions notionnelles. Ces flux
financiers pouvant être observés lors de la vie à deux représentent des créances
entre partenaires. Ces créances susceptibles d’être revendiquées à la dissolution du
pacs relèvent du droit commun de la preuve. S’ensuivent en cas de litige les fré-
quentes contestations fondées sur l’existence d’une donation, à laquelle le parte-
naire opposera l’existence d’un prêt… C’est là que la question de l’interprétation
du renvoi à l’article 1469 du Code civil réapparaît. Certes, l’article 1469 du Code
civil pose une règle de calcul des récompenses, mais ne convient-il pas d’en faire
une interprétation extensive afin de préciser l’établissement des créances entre
partenaires ? Peut-on plus globalement, tel qu’il est de coutume en la matière,
raisonner par analogie aux règles du régime matrimonial légal ? De la sorte, l’on
pourrait transposer le fondement de l’établissement des récompenses, autrement
48. Sur lequel : V B., « Brèves réflexions critiques à propos de l’article 1469 du
Code civil », Mélanges en l’honneur du professeur R. Le Guidec, op. cit., p. 279.
49. D’ailleurs, le texte présente sur ce point des difficultés d’interprétation souvent
pointées, concernant par exemple l’hypothèse du remploi non envisagée ou encore la
notion d’acquisition. V.G M. (dir.), Droit patrimonial de la famille 2015-2016,
op. cit., n° 51182 ; B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit.,
n° 217 et 212, pour lequel ces dispositions peuvent être élargies aux dépenses d’amélioration
et de conservation.
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dit le profit retiré par l’autre masse de biens (C. civ., art. 1437 et 1433)50. Il en est
de même s’agissant de l’opération concernée : qu’il s’agisse d’une dépense d’acqui-
sition, de conservation ou d’amélioration (art. 1469, al. 3) ainsi que de toute
autre dépense (al. 1 et 2). Dans toutes ces situations, la créance devrait pouvoir
bénéficier d’une réévaluation.
Du côté de l’indivision, démontrer l’utilité de l’emploi de deniers par un indivi-
saire au profit de l’indivision pourrait suffire à l’établissement d’une telle créance.
Reste en outre les possibles contestations fondées sur l’intention libérale.
Sur ce point, le mariage pourrait apporter une clarification utile dans ces mou-
vements de fonds. Il est vrai que les époux devront faire avec une nouvelle masse
de biens que représente pour eux la communauté, mais la qualification de récom-
pense suscitera certainement moins de difficultés probatoires, en raison des
diverses présomptions assortissant le régime de communauté légale. Malgré les
apparences, passer au mariage ferait ici perdre en complexité.
12. La question reste en suspens : faut-il fractionner le corps de règles juridiques
qui s’appliqueront à ces différents flux financiers au moment de la dissolution ? Ce
qui est certain, c’est qu’il ne peut y avoir de qualification de récompense alors même
que la communauté n’a pas existé. Avant le mariage, les règles du pacs s’applique-
ront. Cependant, concernant une opération recouvrant les deux périodes de la vie
couple, tel qu’un emprunt remboursé pendant le pacs et durant le mariage, s’il
n’existe pas de changement de qualification de biens ni des règles d’évaluation s’y
rapportant, il est inutile de mobiliser sur le plan pratique deux fondements juri-
diques différents. Lorsque la situation emporte un renvoi à l’article 1469 du Code
civil, il est inutile de cloisonner. Cependant il n’en sera pas toujours ainsi en raison
de la qualification des biens qui n’impliquera pas le même mouvement de flux, mais
surtout, en raison de l’existence de règles d’évaluation différentes résultant du droit
commun de l’indivision51. En effet, la notion de créance entre époux rencontre une
nouvelle problématique. Seul l’article 515-5-2 in fine vise expressément l’existence
d’une créance entre partenaires en cas d’emploi de deniers personnels. Or, dès lors
que les biens acquis par les partenaires sont indivis, ne s’agit-il pas de créances envers
l’indivision ? Le terme de créances entre partenaires devient-il alors impropre ?
Cette question nous occupera plus particulièrement s’agissant du passage vers un
régime séparatiste52. La qualification donnée, si elle semble de prime abord subtile,
emporte des effets conséquents sur le plan du régime.
Pour remédier à cela, il suffit d’insérer une clause dans un contrat de mariage
réglant le sort de ces créances53. Mais encore faut-il que les futurs époux prennent
en main leur situation matrimoniale.
50. En ce sens : B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit.,
n° 213, p. 255 et n° 200.
51. Cf. infra, n° 15.
52. Cf. infra, n° 13.
53. Par exemple, une clause excluant toute récompense lorsque les revenus d’un bien
propre ont été utilisés pour améliorer ce bien propre. G M. (dir.), Droit patrimonial
de la famille, op. cit.
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54. S P., « L’indivision entre époux séparés de biens, une quasi-communauté ? », in
Mélanges Colomer, 1993, Litec, p. 461 ; P. C, « L’indivision entre époux », Mélanges
Hébraud, 1981, Toulouse, p. 185.
55. G X. et L F., « L’absence d’uniformité du régime des créances
conjugales, source d’insécurité juridique », JCP N 2015, n° 18, 1144, p. 32. V. également,
T F. et S P., Droit civil, Les régimes matrimoniaux, 6e éd., 2011, Dalloz, coll. Précis,
p. 501, note 1.
56. T F. et S P., Droit civil, Les régimes matrimoniaux, op. cit.
57. G M., « Commentaire de la loi du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des
époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants
mineurs », Gaz. Pal. 1996, I, p. 529 ; F J. et C G., Les régimes matrimoniaux,
2e éd., 2001, Armand Colin, n° 681 ; F H., « Le nouveau Pacs est arrivé ! », op. cit. ;
H P., « Les créances au sein du couple : des créances ordinaires ? », AJF, juin 2006,
p. 21 et s. ; M E., « Le pacs : un nouveau mode de conjugalité », RJPF, avril 2007,
p. 8 et s. ; C S., « Mariage, pacs, concubinage, Analyse comparative », JCP N 2008,
n° 46, 1325.
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un couple marié. Les auteurs divergent sur la portée qu’il faut donner à cet article58.
Faut-il appliquer strictement le texte ou raisonner par analogie avec le régime de sépa-
ration de biens ? Les textes laissent circonspect. Mais quelle interprétation en fait la
jurisprudence ? Il semblerait qu’elle suive la lettre de la loi59.
Quoiqu’il en soit, le doute est permis. Il est donc préférable, lors du passage
du régime de séparation « pacsimonial » vers la séparation de biens matrimoniale,
d’insérer une clause prévoyant le renvoi à l’intégralité de l’article 1469 du Code
civil et non simplement à son troisième alinéa. Quant au régime de participation
aux acquêts, il peut utilement se prêter à ces mêmes aménagements60.
15. Le second point de réflexion porte sur le chevauchement avec le droit
commun de l’indivision61. C’est la question du champ d’application de l’ar-
ticle 815-13 du Code civil. Le droit commun de l’indivision s’applique-t-il aux
créances entre partenaires pacsés ? Quelle distinction entre les créances entre par-
tenaires et celles envers l’indivision ?
La jurisprudence relative au pacs n’est pas suffisamment dense sur ce point pour
apporter une réponse certaine. Le raisonnement peut donc encore emprunter au régime
de la séparation de biens qui rencontre nécessairement la même problématique. La
solution semble a priori claire en jurisprudence : dès lors qu’est en jeu un bien indivis,
les créances sont régies par l’article 815-13 du Code civil et non plus par l’article 1543
renvoyant à l’article 1479 du Code civil62. Il devrait en être pareillement des créances
entre partenaires. Cette position est également celle d’une grande part de la doctrine63.
Si l’on suit cette voie, le mode d’évaluation est alors sensiblement différent. En
effet, l’article 815-1364, s’il permet de retenir le profit subsistant65, vise expressément
58. Au point que le professeur Grimaldi a proposé le renvoi à l’entier article 1469 du
Code civil, dont les alinéas ne peuvent être compris indépendamment, relayé ensuite par le
111e Congrès des notaires (comm. sous Cass. 1re civ., 20 févr. 1996, D. 1996, somm. p. 392).
59. Cass. 1re civ., 24 sept. 2008, n° 07-19710, Bull. civ. I, n° 213 ; RTD civ., 2009,
p. 162, obs. Vareille B ; D. 2008, p. 3050, note Barabé-Bouchard V. ; JCP G 2008, I, 202,
n° 18, obs. Storck M. ; JCP N 2009, n° 5, 1053, note Douville T. ; comp. B W., Les effets
patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 203, p. 247.
60. G X. et L F., G X. et L F., « L’absence d’uniformité du
régime des créances conjugales, source d’insécurité juridique », op. cit., n° 7 et s. ; P J.-F.,
La participation aux acquêts, 2014, LexisNexis, n° 186. Il faut à cet égard particulièrement
considérer la situation des biens conventionnellement exclus de la participation aux acquêts tels
que les outils de travail.
61. V B., « L’indivision et les couples », in Association Henri Capitant, L’indivision.
Journées nationales. t. VII. Bordeaux, 2005, Dalloz, p. 7, n° 20.
62. Cass. 1re civ., 14 oct. 2009, AJ fam. 2010. 90, obs. Hilt.
63. F H., « Le nouveau Pacs est arrivé ! », op. cit ; M P. (dir.), Droit de la
famille, éd. 2014/2015, Dalloz action, n° 153.33.
64. Sur l’interprétation extensive de cet article permettant de faire entrer le financement
d’un emprunt pour l’acquisition du bien indivis dans les dépenses dites de conservation visées
par l’article : Cass. 1re civ., 7 juin 2006, Bull. civ. I, n° 284 ; JCP 2006. I. 193, n° 23,
obs. Tisserand-Martin ; Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-24659 P ; D. 2015. 429.
65. Selon la formulation de l’alinéa 1er : « Eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve
augmentée au temps du partage ou de l’aliénation ».
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66. B W., Les effets patrimoniaux du Pacte civil de solidarité, op. cit., n° 209, n° 226 ;
P J.-F., V° Pacte civil de solidarité. Rupture du pacte, JCl. Notarial Formulaire,
fasc. 30, n° 39 ; G-L F., V° Pacte civil de solidarité, JCl. Notarial Répertoire,
fasc. 10, n° 125 ; R E., « Ombres et lumières autour du financement de l’acquisition
indivise », Cahiers du Cridon de Lyon, n° 55-2009.
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de l’article 515-4 du Code civil », lequel vise la solidarité à l’égard des dettes
contractées pour les besoins de la vie courante.
Du côté du régime communautaire, les futurs époux devront garder à l’esprit
que l’article 1413 du Code civil fait de la communauté le gage général des créan-
ciers de chaque époux, pour ce qui est du régime légal. La situation est bien plus
alarmante lorsque le choix des futurs époux se porte sur la communauté univer-
selle puisque celle-ci « supporte définitivement toutes les dettes des époux pré-
sentes et futures » (C. civ., art. 1526). La stipulation d’avantages matrimoniaux
peut présenter ici son revers.
17. Si passer du pacs au mariage ne consiste dans les esprits qu’à une simple
transition, la réalité juridique rattrapera rapidement les époux en les plongeant
dans les profondes mutations qui peuvent en découler. À défaut d’obtenir une
uniformisation des règles d’évaluation des créances conjugales, à défaut d’avoir
un pacs authentique systématique, gageons au moins d’avoir un contrat de
mariage ! En somme, la solution repose toute entière sur le comportement des
partenaires futurs époux, dont on sait qu’il contient sa part d’aléas.
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Éloi B-M
Magistrat
Diplômé notaire
Ayant d’abord connu Jacques Combret par ses écrits, qui témoignaient de
la convergence de nos vues sur notre sujet d’étude commun1, notre a priori
favorable ne fut que renforcé par une première rencontre, puis l’animation en
commun d’une formation sur les liquidations après divorce à l’attention d’un
public composé de membres de nos deux professions qui fut de ces moments
rares de parfaite osmose intellectuelle et éthique avec quelqu’un que l’on
connaît à peine : nous aurions pu finir ses propos et lui les nôtres. Nous avons
par la suite renouvelé cet exercice pédagogique à deux voix chaque fois que
l’occasion nous en fut donnée et le plaisir se dégageant de ces instants partagés
ne s’est jamais démenti.
À la réflexion, nous pensons que l’estime que nous inspire la personnalité de
Jacques Combret tient, entre autres choses, à un heureux mariage de modestie et
de passion, de rigueur et de pragmatisme, ainsi qu’à ce qu’il nous apparaît mani-
feste qu’en droit, comme certainement en toute chose, c’est d’un homme de
convictions et de principes, dans la meilleure acception de ces termes, qu’il s’agit :
de ceux pour qui les principes au fondement des règles que se donnent les com-
munautés humaines assignent une limite aux accommodements pratiques dont
elles peuvent faire l’objet2.
C’est à ce souci d’une pratique assise sur des principes clairs, partagés et res-
pectés lui servant de guide que nous souhaitons plus particulièrement rendre
hommage par les quelques réflexions qui suivent que nous avons voulu consacrer
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à la zone frontière passablement troublée séparant les créances entre époux et les
créances de l’indivision3 en présence de dépenses d’acquisition d’immeubles indi-
vis entre conjoints. Cette situation, d’une grande occurrence pratique, mériterait
d’être aussi balisée que possible, de manière que les époux, au besoin éclairés par
les conseils de professionnels avisés, puissent en anticiper raisonnablement les
suites prévisibles si, malheureusement, leur histoire devait mal tourner. De même,
en cas de réalisation de ces tristes augures, une règlementation stable et suffisam-
ment cohérente pour être acceptée apparaît indispensable pour permettre de
démêler sans trop de heurts les patrimoines de ceux qui ne souhaitent plus arpen-
ter de concert les chemins de l’existence. L’état de la question paraît malheureu-
sement de nature à égarer un peu plus ceux que la rupture a déjà fragilisés.
La compréhension de la difficulté que nous désirons mettre en lumière néces-
site quelques rappels sur les principes4 gouvernant les conséquences liquidatives
pouvant être attachées à une classique opération d’acquisition immobilière au
sein d’un couple marié lorsque celle-ci ne bénéficie pas en tout ou partie à la
masse appauvrie5. Claire sur le terrain des récompenses, la situation se complexifie
nettement lorsque l’on tente de l’appréhender par le prisme des créances entre
époux, pour s’obscurcir franchement quand on gagne les rives de l’indivision.
3. Nous employons ici cette expression dans le sens générique de créances intervenant
entre la masse indivise et un indivisaire au bénéfice ou au débit de l’indivision ; mais dans le
cas de figure dont nous allons traiter, c’est de créances d’un indivisaire à l’encontre de
l’indivision qu’il s’agit plus précisément.
4. Les développements qui suivent ne concernent que l’établissement des créances ou
récompenses en leur principe, et non la détermination de leurs montants. Les questions qui
nous retiendront seront celles, d’une part, de la qualification de la créance susceptible de
résulter du mouvement de valeur observé et, d’autre part, du régime probatoire permettant
d’établir l’existence de la créance en fonction de sa nature.
5. Nous nous attacherons aux seuls régimes de la communauté légale et de la séparation
de biens qui représentent la très grande majorité des situations pratiques.
6. Vareille B., Rép. civ., janv. 2011, Dalloz, V° Communauté légale (5° liquidation et
partage), n° 106.
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duquel « toutes les fois que l’un des deux époux a tiré un profit personnel des
biens de la communauté, il en doit la récompense ». Dans le cas qui nous préoc-
cupe, ces principes sont simples à mettre en œuvre : l’acquisition au moyen de
deniers propres, en tout ou partie, d’un immeuble commun générera une récom-
pense à la charge de la communauté et celle d’un bien propre réalisée grâce à des
fonds communs une récompense au profit de celle-ci.
Sur le terrain probatoire, la clarté demeure. S’agissant d’une récompense due
par la communauté, à défaut de reconnaissance du droit à récompense par les
époux, la preuve doit en être rapportée par celui qui en réclame le bénéfice. Ce
dernier doit alors établir, d’une part, l’existence de biens ou de fonds propres
(s’agissant de combattre la présomption de communauté, la preuve devra être
apportée conformément à l’article 1402, alinéa 2 du Code civil) et, d’autre part,
que ces biens ou fonds propres ont profité à la communauté (il s’agit là d’un fait
juridique qui se prouve par tout moyen). S’agissant maintenant d’une récom-
pense due à la communauté, et toujours à défaut de reconnaissance par les deux
époux du droit à récompense de la communauté, la preuve doit en être rapportée
par celui qui en réclame le bénéfice pour le compte de la communauté. Les deux
éléments énoncés ci-dessus doivent également être établis, mais en sens inverse
(existence de biens ou de fonds communs et profit personnel tiré par l’époux des
biens ou deniers communs). Une différence essentielle résulte, toutefois, de ce
que la preuve du premier élément (caractère commun des biens ou fonds utilisés)
est présumée en application de la présomption générale de communauté posée
par l’article 1402 du Code civil.
Pour la situation qui nous retient, la preuve du profit de la communauté ou
du profit personnel de l’époux résultera directement de l’acquisition, respective-
ment, d’un immeuble commun ou propre financé partiellement ou en totalité par
une autre masse. Ce sur quoi nous souhaitons insister à ce stade est qu’il ne sera
rien exigé d’autre de celui sur qui pèse la preuve de la récompense que la double
démonstration de l’utilisation de fonds propres (ou communs) et du profit qu’en
aura tiré la communauté (ou la masse propre) ayant réalisé l’acquisition, lequel
découlera le plus souvent du simple constat de cette acquisition au bénéfice d’une
masse qui ne s’est pas appauvrie. Nul besoin, donc, de rechercher un fondement
à l’obligation de restitution en valeur que constitue la récompense, puisqu’il s’agit
d’une obligation qui découle de la loi elle-même (les articles 1433 et 1437 du
Code civil) aux fins de préservation de l’équilibre des masses propres et commune
et de garantie d’effectivité du principe d’immutabilité du régime de communau-
té. Nul besoin, non plus, de démontrer le caractère injustifié de l’enrichissement
procuré à la masse bénéficiaire de l’opération – et notamment d’établir un excès
contributif, cf. infra – puisque, si la théorie des récompenses est bien une appli-
cation spéciale de l’enrichissement sans cause7, elle répond à une réglementation
propre qui déroge à celle gouvernant la mise en œuvre du quasi-contrat. Il en
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résulte une situation probatoire particulièrement propice à celui qui entend récla-
mer une récompense et une relative prévisibilité des opérations de liquidation
consécutives à une éventuelle rupture du mariage : dans la majorité des cas, le
conjoint commun en biens qui aura financé de ses deniers propres l’acquisition
du logement commun aura droit à récompense et « récupérera sa mise » augmen-
tée de l’éventuelle plus-value prise par le bien financé. Situation bien plus enviable
que celle de l’époux qui se prétend titulaire d’une créance entre époux.
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aura une créance entre époux au bénéfice du patrimoine prêteur qui sera évaluée au
profit subsistant12. Il se pourra également qu’aucune justification du mouvement de
valeur ne puisse être caractérisée, ce qui ouvrirait la voie à une action de in rem
verso13. La détermination de l’intention des époux relève de l’interprétation souve-
raine des juges du fond. Elle pourra se révéler fort délicate au regard de la com-
plexité de l’administration de la preuve en de telles situations.
Il appartiendra au conjoint qui invoque la créance, et donc réclame l’exécu-
tion d’une obligation, de prouver celle-ci en application de l’article 1353 du Code
civil (ancien article 1315), étant précisé que la jurisprudence considère qu’il ne
suffit pas au demandeur de prouver la remise de fonds pour justifier l’obligation
de restitution de la somme14, mais qu’il faut également établir l’existence du
contrat de prêt ou d’une reconnaissance de dette15, l’absence d’intention libérale
du demandeur n’étant pas susceptible d’établir à elle seule l’obligation de restitu-
tion de la somme16. La preuve du contrat de prêt, s’agissant d’un acte juridique,
devra se faire par écrit pour toute obligation d’un montant supérieur à 1 500 euros17
mais pourra, cependant, se faire par tous moyens si l’on considère que l’époux
prêteur peut être considéré comme s’étant retrouvé dans l’impossibilité morale de
se procurer un écrit en raison de l’existence d’un lien d’affection18, ce qu’il lui
reviendra d’établir. L’obligation de restitution peut également résulter de la preuve
d’une intention libérale – dont l’appréciation relève des juges du fond19 et qui
doit être démontrée par celui qui l’allègue20 – caractérisant une donation et de la
révocation concomitante de cette dernière lorsque le transfert de fonds est anté-
rieur au 1er janvier 2005 (cf. note 11). L’obligation de restitution peut, enfin, être
d’origine quasi-contractuelle : le transfert de valeur survenu sans contrepartie
peut caractériser un enrichissement injustifié permettant l’exercice d’une action
de in rem verso dont le succès suppose que soient établis l’enrichissement de l’un
des époux, l’appauvrissement corrélatif de l’autre et l’absence de justification de
12. Cf., par ex., Cass. 1re civ., 11 juin 1991, Bull. 1991, I, n° 191, n° 90-12142.
13. Action fondée sur la théorie d’origine prétorienne de l’enrichissement sans cause (Cass. req.,
15 juin 1892, DP 1892, 1, p. 96) aujourd’hui consacrée sous le nom d’enrichissement injustifié aux
articles 1303 et s. du Code civil issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
14. Cass. 1re civ., 17 mai 1978, Bull. 1978, I, n° 192, n° 76-13176 ; Cass. 1re civ., 5 avr.
1993, Bull. 1993, I, n° 141, n° 90-21734 ; Cass. 1re civ., 22 avr. 1997, n° 95-13975 ; Cass. 1re civ.,
19 oct. 2004, n° 01-03812 et plus récemment Cass. 1re civ., 17 nov. 2010, Bull. 2010, I, n° 239,
n° 09-16964.
15. Cass. 1re civ., 23 janv. 1996, Bull. 1996, I, n° 40, n° 94-11815.
16. Cass. 1re civ., 19 juin 2008, Bull. 2008, I, n° 176, n° 07-13912 ; Cass. 1re civ., 8 avr.
2010, Bull. 2010, I, n° 89, n° 09-10977.
17. Article 1359 du Code civil (ancien article 1341). Ce sera très généralement le cas en
présence d’une acquisition immobilière.
18. Article 1360 du Code civil (ancien article 1348, alinéa 1) ; Cass. civ., 13 avril 1923,
DP 1926, I, p. 40.
19. Cf., notamment, Cass. 1re civ., 6 janv. 2004, n° 01-00160 ; Cass. com., 15 mars
2011, n° 10-14886 ; Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, Bull. 2015, I, n° 255, n° 14-24926.
20. Cf. Cass. 1re civ., 28 févr. 1984, Bull. 1984, I, n° 78, n° 83-10310 et plus récemment
Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, Bull. 2012, I, n° 189, n° 11-10960.
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ce flux patrimonial. Cette dernière condition se comprend fort bien : s’il est établi
qu’une cause déterminée fonde le flux patrimonial, ce dernier trouve explication
et la condition défaille21. Ces trois conditions étant remplies, l’appauvri ne pourra
intenter l’action que s’il ne jouit d’aucune autre action née d’un contrat, d’un
quasi-contrat, d’un délit, d’un quasi-délit ou de la loi22. Concevable théorique-
ment, une telle action de l’époux solvens se heurtera le plus souvent à l’obligation
contributive de l’article 214 du Code civil. En effet, il est désormais acquis que la
contribution aux charges du mariage peut inclure le financement de l’acquisition
d’un immeuble. Dès lors, l’article 214 du Code civil apparaîtra souvent comme
l’obligation justifiant le transfert lorsque le bien acquis est le logement de la
famille23, et ce, même si le bien acquis ou amélioré n’est pas indivis mais person-
nel à l’époux accipiens24. Une décision récente a même étendu le champ de l’obli-
gation contributive, lorsque le train de vie du ménage le permet, à l’acquisition
d’une résidence secondaire25. Ainsi, s’il est admis que l’objet de la dépense entre
dans le champ de l’article 214, l’action de in rem verso ne pourra prospérer que s’il
est établi en sus que le transfert de fonds a excédé l’obligation contributive de
l’époux solvens26. Outre qu’une telle preuve est fort difficile puisque le conjoint
accipiens aura presque toujours contribué a minima en industrie (par des travaux
du foyer ou en s’occupant des enfants), elle ne peut, de surcroît, être apportée
lorsque, d’une part, a été insérée au contrat de mariage des époux la clause selon
laquelle chacun d’entre eux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contri-
butive en sorte qu’aucun compte ne doit être fait entre eux à ce sujet et, d’autre
21. Ce que les nouveaux articles 1303-1 et 1303-2, alinéa 1 du Code civil – issus de
l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui consacre dans la loi l’action de in rem verso
sous le nom d’enrichissement injustifié aux articles 1303 et s. – caractérisent clairement :
« L’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation
par l’appauvri ni de son intention libérale » ; « il n’y a pas lieu à indemnisation si
l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel ».
22. C. civ., art. 1303-3.
23. Cass. 1re civ., 15 mai 2013, Bull. 2013, I, n° 94, n° 11-26933 ; Cass. 1re civ., 12 juin
2013, Bull. 2013, I, n° 126, n° 11-26748 ; Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, Bull. 2014, I, n° 152,
n° 13-21005 ; Cass. 1re civ., 5 nov. 2014, n° 13-23557.
24. Cass. 1re civ., 14 mars 2006, Bull. 2006, I, n° 160, n° 05-15980 ; Cass. 1re civ.,
19 nov. 2014, n° 13-26388 ; Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-13795.
25. Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, Bull. 2013, I, n° 249, n° 12-17420 : la contribution aux charges
du mariage, distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation alimentaire, peut en effet
inclure des dépenses d’investissement ayant pour objet l’agrément et les loisirs du ménage. Mais le
financement d’un investissement locatif destiné à constituer une épargne ne relève pas de la
contribution aux charges du mariage : Cass. 1re civ., 5 oct. 2016, n° 15-25944 en cours de publication.
S’agissant non plus de l’objet de la dépense mais de ses modalités, on peut également douter que la
contribution aux charges du mariage puisse se faire au moyen d’apports en capitaux personnels du
conjoint : l’excès contributif serait alors manifeste, sauf à envisager une « capitalisation » de la
contribution qui cadre mal avec son objet que sont les dépenses généralement récurrentes assurant le
train de vie du ménage (en ce sens, cf. C J., « Les acquisitions immobilières, la contribution aux
charges du mariage et les régimes matrimoniaux », AJ fam. 2015, p. 324).
26. Ce qu’il appartient à ce dernier de prouver : Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, n° 13-21005,
préc. ; Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-13795.
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part, les juges du fond ont souverainement estimé cette présomption irréfragable
et, partant, interdisant de prouver que l’un ou l’autre des conjoints ne s’est pas
acquitté de son obligation contributive27.
À ce stade, le conjoint de l’époux solvens ne restera généralement pas inactif :
il tentera de contester l’existence même de la créance en établissant :
– soit le caractère « rémunératoire » du prêt ou de la donation invoqué28 ;
pour ce faire, et en toute rigueur, il faut que l’activité accomplie au bénéfice de
son conjoint ou du ménage soit antérieure au « paiement » de l’époux solvens si
l’on veut pouvoir qualifier ce dernier de rémunératoire ; dit autrement, il s’agit de
démontrer que le soi-disant prêt ou la prétendue donation était destiné à éteindre
une créance antérieure en sens inverse ;
– soit l’existence d’une « cause »29 fondant le prétendu enrichissement invo-
qué ; le plus souvent, il s’agira de l’obligation contributive de l’article 214 du
Code civil, à la condition, naturellement, que soit visée une période à laquelle
cette obligation n’a pas disparu (c’est-à-dire, semble-t-il, antérieure à l’ordon-
nance de non-conciliation).
Il nous paraît résulter de ce qui précède que rapporter la preuve d’une créance
entre époux consécutive au financement par l’un d’eux de tout ou partie d’une
acquisition immobilière au bénéfice de l’autre relève d’un véritable parcours du
combattant que le conjoint solvens aura le plus grand mal à mener à son terme, à
tout le moins lorsque les paiements effectués auront porté sur les échéances de
l’emprunt contracté pour l’acquisition30. Sa situation est donc nettement moins
favorable que celle de l’époux commun en biens qui entend obtenir récompense
pour le financement d’un immeuble commun au moyen de ses fonds propres. La
raison en est qu’aucun dispositif spécial du droit des régimes matrimoniaux com-
parable à l’article 1433 du Code civil ne vient faciliter l’établissement d’une créance
27. Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, Bull. 2013, I, n° 189, n° 12-21892 ; Cass. 1re civ.,
25 juin 2014, n° 13-14326 ; Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-14349, Bull. 2015, I, n° 78 ;
Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-13795, préc.
28. Il est retenu par la jurisprudence lorsque le conjoint bénéficiaire du transfert a collaboré
à la profession de l’époux qui a fourni les fonds dans la mesure où cette activité a excédé la
contribution normale aux charges du mariage (Cass. 1re civ., 24 oct. 1978, n° 76-12557,
Bull. 1978, I, n° 316 ; Cass. 1re civ., 19 oct. 2016, n° 15-25879, en cours de publication). Le
conjoint bénéficiaire peut également faire valoir le caractère indemnitaire du financement par
son conjoint lorsque son activité au foyer a dépassé nettement la contribution aux charges du
mariage (Cass. 1re civ., 3 juill. 1996, n° 94-11990 – il faut alors caractériser la « suractivité
ménagère » du conjoint). Il peut, enfin, invoquer ses sacrifices professionnels, s’il a renoncé à sa
propre carrière pour se consacrer à la gestion des ressources du ménage (Cass. 1re civ., 20 mai
1981, n° 80-11544, Bull. 1981, I, n° 175). L’excès contributif antérieur invoqué en défense par
le conjoint accipiens, de même que ses sacrifices professionnels, doivent être établis par ce dernier.
Si le caractère rémunératoire est retenu, aucune créance n’est due au solvens.
29. Il faudrait plutôt parler de « justification » selon la nouvelle terminologie retenue par le
Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, cf. article 1303 et suivants du Code civil.
30. La situation devrait être plus favorable en cas de paiement en capital de l’apport du
conjoint, cf. note 25.
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entre époux qui se trouve soumise au seul droit commun en son principe. En
effet, nous avons vu que l’article 1479 du Code civil ne déroge au droit commun
que pour l’évaluation des créances entre époux.
À ce point de notre raisonnement, nous pensons avoir suffisamment montré
l’importance fondamentale que revêt l’opération de qualification de la créance en
récompense ou créance entre époux quant à la probabilité pour le conjoint solvens
de recouvrer les sommes investies au profit de l’autre. Mais à bien y réfléchir, ne
devrions-nous pas traiter spécifiquement les situations où la masse enrichie n’est
ni la communauté, ni la masse propre ou le patrimoine personnel du conjoint,
mais l’indivision existant entre les époux ?
Là où tout se mélange
La question posée est a priori incongrue, à s’en tenir à la lettre du Code civil :
nulle part on y trouve trace de la notion de dépense d’acquisition au profit de
l’indivision. Le code ne connaît, en effet, que la notion d’impenses, c’est-à-dire de
dépenses liées soit à l’amélioration, soit à la conservation d’un bien indivis31. Et,
à dire vrai, il n’y a là aucune anomalie : au moment où l’on acquiert un bien
indivis, il n’y a pas encore d’indivision quant à ce bien particulier. La dépense
d’acquisition d’un bien indivis ne profite donc nullement à l’indivision qu’elle
crée mais aux indivisaires dont les patrimoines se trouvent enrichis des quotes-
parts du bien acquis leur revenant respectivement. En toute rigueur, les fonds
avancés par un époux à son conjoint pour l’acquisition d’un bien indivis entre
eux ne devraient donner lieu, le cas échéant, qu’à une créance entre époux et non
à une créance à la charge de l’indivision32. Et ce, que l’avance ait eu pour objet
l’apport des époux au moment de l’achat ou le remboursement des échéances du
prêt souscrit pour cette acquisition.
Et pourtant, en apparente contradiction avec sa jurisprudence assimilant, pour
le calcul des récompenses, le remboursement de l’emprunt contracté pour acquérir
un bien commun à une dépense d’acquisition33, la première chambre civile consi-
dère que les remboursements de l’emprunt contracté pour l’acquisition d’un
immeuble indivis ou devenu par la suite indivis effectués par un époux au cours de
l’indivision constituent des dépenses nécessaires à la conservation de l’immeuble et
donnent lieu à indemnité sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil34.
31. Article 815-13, alinéa 1 du Code civil : « Lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais
l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la
valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être
pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour
la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés ».
32. C’est d’ailleurs précisément ce que dit l’article 515-5-2 in fine dans la situation de
partenaires, et il n’y a aucune raison qu’il en soit autrement entre époux.
33. Cass. 1re civ., 5 nov. 1985, n° 84-12572, Bull. 1985, I, n° 284 ; Cass. 1re civ., 25 mai
1992, n° 90-18931, Bull. 1992, I, n° 155.
34. Cass. 1re civ., 4 mars 1986, n° 84-15071, Bull. 1986, I, n° 51 ; Cass. 1re civ., 7 juin
1988, n° 86-15090, Bull. 1988, I, n° 174 ; Cass. 1re civ., 7 juin 2006, n° 04-11524, Bull. 2006,
I, n° 284 ; Cass. 1re civ., 26 janv. 2011, n° 09-72422 ; Cass. 1re civ., 11 oct. 2012, n° 11-17484.
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ÉLOI BUATMÉNARD 79
Cette jurisprudence ne nous paraît pas devoir être étendue au cas de l’apport
fait par l’un des époux au moment de l’acquisition du bien indivis qui dépasse ses
droits dans l’indivision. En effet, si une décision récente a soumis à l’article 815-
13 la créance d’un époux résultant tant du financement d’une partie de l’apport
de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis que de celui d’une partie
des mensualités de l’emprunt contracté pour le paiement du solde du prix dudit
bien35, un arrêt postérieur36 a, à l’inverse, été rendu au visa des articles 1543,
1479 et 1469, alinéa 3 du Code civil s’agissant de la créance d’un époux séparé de
biens au titre de son apport lors de l’acquisition d’un bien indivis. De plus, et
surtout, une telle extension du champ de l’article 815-13 apparaîtrait pour le
moins discutable à un double titre :
– d’une part, le financement par un indivisaire de tout ou partie de la part de
l’autre indivisaire par des deniers personnels ne peut être assimilé, même théori-
quement, à une dépense de conservation en l’absence de risque « juridique » lié au
non-paiement du prix d’acquisition qui, par hypothèse, a été payé ;
– d’autre part, si l’article 815-13 ignore les dépenses d’acquisition pour ne
connaître que celles de conservation et d’amélioration du bien indivis, c’est, ainsi
que nous l’avons vu, parce que la créance liée à l’acquisition du bien indivis naît
avant la naissance de l’indivision qui ne peut donc être tenue pour débitrice d’une
telle créance37.
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39. Idem.
40. Pour un panorama, cf. C J., « Les acquisitions immobilières, la contribution aux
charges du mariage et les régimes matrimoniaux », op. cit., et D S., « Les créances entre
époux séparés de biens : une neutralisation échevelée ou maîtrisée ? », AJ fam. 2015, p. 452.
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ÉLOI BUATMÉNARD 81
d’acquisition du logement indivis, on lui signifie qu’il n’a pas droit à créance en
ce qu’il n’a fait que payer sa propre dette, ce qui revient à dire que l’enrichisse-
ment procuré avait une justification au sens de l’article 1303-1 du Code civil. Dès
lors, en sollicitant du solvens qu’il démontre son excès contributif, en sus de la
réalité de l’enrichissement procuré (l’économie réalisée par la masse enrichie en ne
réglant pas l’emprunt) et de son appauvrissement (les échéances payées), pour se
voir ouvrir la voie d’une indemnisation, que fait-on si ce n’est exiger de lui la
réunion des conditions propres à l’exercice de l’action de in rem verso ? Et s’il s’agit
bien de cela, il devient évident que le caractère subsidiaire de l’action implique
que le solvens devra invoquer, le cas échéant, à titre principal l’obligation contrac-
tuelle ou légale qui fonde sa créance. Le jeu de l’article 815-13 du Code civil se
trouve donc bien cantonné à une simple règle d’évaluation spéciale des créances
dues par l’indivision, à l’instar de l’article 1479 pour les créances entre époux.
Ainsi, en passant de la lettre de l’article 815-13 à l’analyse de la jurisprudence, le
modèle de référence glisse du mécanisme des récompenses à celui des créances
entre époux.
Mais si 815-13 n’est plus qu’une simple règle d’évaluation des créances à exer-
cer contre l’indivision pour les situations qu’il vise (les impenses), pourquoi n’en
serait-il ainsi qu’entre époux alors que le texte a une portée générale ? L’onde de
choc de la jurisprudence sur la neutralisation de la créance de l’époux solvens par
l’obligation contributive de l’article 214 est donc potentiellement plus impor-
tante qu’il n’y paraît car susceptible d’excéder le cadre de la seule contribution aux
charges du mariage et, par ses présupposés sous-jacents, d’atteindre le fonctionne-
ment de toute indivision en conditionnant le rétablissement des impenses à la
démonstration par l’indivisaire solvens de l’existence d’une obligation de restitu-
tion. Ce qui pourrait heurter les habitudes les mieux ancrées des praticiens.
41. Cf. C J., « Les acquisitions immobilières, la contribution aux charges du mariage
et les régimes matrimoniaux », op. cit.
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dont la mise en œuvre devrait se faire sur le modèle de celle de l’article 1433 :
redevenue une disposition fondant en droit les créances dues par l’indivision en
cas d’impenses, et ce en toutes situations, sa mise en jeu ne pourrait dès lors être
paralysée par l’article 214 du Code civil. Autrement dit, seules les créances entre
époux devraient pouvoir être compensées par l’obligation de contribution aux
charges du mariage. On objectera à raison qu’une dépense relative à un bien
indivis peut paraître relever plus naturellement de la contribution aux charges
du mariage qu’une dépense réalisée sur un bien personnel, notamment du
conjoint accipiens42, ce que montre à loisir la prédominance de ce cas de figure
dans la jurisprudence sur la neutralisation des créances par l’obligation contri-
butive. C’est pourquoi l’application littérale de l’article 815-13 devrait inclure
l’exclusion des dépenses d’acquisition de son champ d’application, y compris
– et surtout – de celles réalisées par le truchement d’un emprunt. Retournant
ainsi dans le giron des créances entre époux, qu’elles n’auraient jamais dû quit-
ter à notre sens, les créances réclamées en raison du remboursement de l’em-
prunt ayant financé l’achat du logement de la famille indivis continueraient à
pouvoir être neutralisées par le jeu de l’obligation contributive de l’article 214.
Corrélativement, l’article 815-13 pourrait jouer pleinement sa fonction régula-
trice des masses indivises et personnelles des indivisaires sans risquer de voir son
fonctionnement général perturbé par la problématique contributive propre aux
relations entre époux.
Une telle évolution serait possible sans modification des textes, puisqu’il ne
s’agirait là que de revenir sur certains aspects de jurisprudences existantes, sans en
remettre en cause les principaux acquis. Elle serait, à notre avis, de nature à faci-
liter la vie des professionnels du droit appelés à intervenir en ces matières en
favorisant un dispositif global plus intuitif – les mêmes formulations de la loi
générant le même régime juridique, les mêmes opérations matérielles recevant la
même qualification juridique – et, partant, mieux partagé et mieux anticipé en
ses conséquences.
42. En ce sens, C P.-J. et D S., Droit et pratique du divorce, 2015, Dalloz référence,
n° 235-36.
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Jérôme C
Avocat au Barreau de Paris
Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
S’il existe bien une question que ni le législateur, ni la Cour de cassation, n’ont
contribué à résoudre, ni même à clarifier, c’est bien celle de l’articulation entre
procédure de divorce, fixation de la prestation compensatoire, et procédure de
liquidation du régime matrimonial. Elle demeure pourtant centrale dans la plu-
part des divorces contentieux, et c’est avec un réel étonnement que l’on constate
que son traitement n’est pas satisfaisant, en dépit de lois prétendant simplifier et
moderniser le droit de la famille. Le constat est d’ailleurs aussi simple à faire que
sévère à énoncer sur le fond : rien n’a été modernisé, rien n’a été simplifié.
Le but de ces quelques lignes, dédiées à un ami notaire dont la clairvoyance et
la qualité de civiliste ne sont plus à démontrer, est de tracer les contours des
grandes questions qui compliquent, plus qu’elles ne simplifient, l’articulation
entre divorce et liquidation du régime, et de proposer, chemin faisant, quelques
solutions pour y remédier, en précisant que ces solutions ne coûtent rien au plan
budgétaire. Le droit civil du e siècle étant un droit étouffé par les considéra-
tions politiques et financières, il n’est pas inutile de souligner que l’on peut encore
faire du droit civil de façon pragmatique et simple, sans vider les poches du
contribuable. Encore faut-il en avoir la volonté.
Trois grandes questions, au moins, nous semblent se détacher lorsque l’on
cherche à identifier les difficultés liées à l’articulation entre le divorce et la liqui-
dation du régime matrimonial1 :
– d’une part, au plan processuel, est-il raisonnable de vouloir maintenir un
lien entre les deux procédures (I) ?
– d’autre part, sous tous les régimes, est-il normal que les créances entre époux aient
un régime si flou et variable, au risque de mal fixer la prestation compensatoire (II) ?
– enfin, en régime de communauté, pourquoi continuer à affirmer que la liquida-
tion du régime est sans incidence sur la fixation de la prestation compensatoire (III) ?
Ces questions sont évidemment liées entre elles, et nous verrons qu’il est pos-
sible de leur apporter une réponse individuelle tout en veillant à ce que chacune
contribue à la création d’un ensemble plus cohérent.
1. Cette liste n’est évidemment pas limitative, mais elle correspond aux questions les
plus évidentes, car les plus sensibles.
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I – DIVORCE ET LIQUIDATION :
LA FARCE DU CONTINUUM PROCÉDURAL
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JÉRÔME CASEY 85
va des magistrats comme des avocats : tous n’ont pas d’appétence pour ces ques-
tions liquidatives, et ceux qui s’investissent dans la matière (avec grand talent le
plus souvent) ne sont pas la majorité. La liquidation est vue comme une spécialité
à part (ce qui n’est pas faux), laquelle doit être traitée à part du divorce.
Par conséquent, il est manifeste que cette jurisprudence de la Cour de cassa-
tion a été superbement ignorée par les juridictions du fond, créant un exemple
peu courant, mais bien réel, de rupture complète entre les juges du fait et les juges
du droit. Semblable hiatus au sein de la magistrature constitue évidemment un
indice majeur de l’existence d’un gros problème de fond, trahissant ainsi la totale
inadéquation de la position arrêtée par la Cour de cassation5. C’est donc sans
surprise que le législateur s’est emparé de la question, ce qu’il a fait en réformant
les articles 267 du Code civil et 1116 du Code de procédure civile6. Il a été écrit
un peu partout que ces textes sont une forme de compromis entre la position des
juges du fond et celle de la Cour de cassation. Cela est sans doute vrai de la posi-
tion du législateur, mais ne correspond à aucune réalité judiciaire postérieure.
Comment s’en étonner ? Aucun compromis n’existe en pratique, car aucun com-
promis n’est possible. Soit on divorce les époux en les renvoyant dans la nature
pour trouver un accord sur leur liquidation, laquelle n’est toujours pas faite, soit
on impose à tout le monde une liquidation complète au moment du prononcé. Il
n’y a pas de voie moyenne possible. D’ailleurs, le système incroyablement com-
plexe issu des articles 267 et 1116 se révèle être, jour après jour, un échec cinglant
en pratique, preuve que les « voies moyennes » n’existent pas. Après plus d’une
année d’application de la réforme, et comme cela était prévisible, la montagne a
accouché d’une souris : personne n’a jamais vu de déclaration commune des
points de désaccords liquidatifs contresignée par avocats7, de même que nul ne
connaît de cas d’un « tranchage » fondé sur une preuve « par tous moyens » des
désaccords subsistants8. Ces nouveautés sont restées au rayon des amusements
cabinet soit spécialisé. La même chose se retrouve à hauteur de cour : les chambres de la famille
apprécient peu, en général, de voir arriver un divorce qui traine quatorze récompenses et
quatre créances entre époux à trancher, alors que ces mêmes juridictions traitent fort bien ces
questions une fois le divorce prononcé. Il s’agit d’un contentieux purement liquidatif, au
demeurant marginal au regard du nombre des divorces, et l’on peut comprendre les réticences
constatées puisqu’il retarde le traitement du contentieux du divorce alors que ce contentieux
liquidatif ne pose de problème majeur lorsqu’il est traité tout seul, post-divorce.
5. V., C J. et B-W N., « Liquidation et partage après divorce. Appel
pour une nécessaire clarification », JCP N 2012, 1302 ; C J. et B-W N,
« Liquidation et partage après divorce : une réforme urgente s’impose », JCP N 2013, 1036.
6. Pour l’article 267, v. ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 – article 2,
entré en vigueur le 1er janvier 2016. Pour l’article 1116 du Code de procédure civile,
v. D. n° 2016-185 du 23 février 2016 – article 3, entré en vigueur le 26 février 2016. Pour
une étude des deux textes, v., C J. et B-W N., « Liquidation et partage
après divorce : l’appel à une clarification a-t-il été entendu ? », Dr. famille 2016, dossier, 2 ;
C J., « Articulation du divorce et de la liquidation : beaucoup de bruit pour rien ? »,
AJ fam. 2016, 294.
7. V., C. civ., art. 267, al. 3 et CPC, art. 1116, al. 2.
8. C. civ., art. 267, al. 2.
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législatifs, les seuls cas de prononcés du divorce avec « tranchage » étant ceux où
un notaire « 255,10° » a été désigné. Et encore… Même dans ce cas, on constate
partout une baisse du nombre de désignations de notaires « 255,10° », preuve
patente de ce que les JAF de France et de Navarre ont bien compris que le justi-
ciable veut avant tout divorcer vite, et que les dossiers à problèmes liquidatifs sont
une minorité dans la masse du contentieux à traiter9.
De sorte qu’aujourd’hui, et en dépit d’une réforme prétendant « moderniser
et simplifier », la situation est revenue à ce qu’elle était avant cette réforme, et
encore cette description correspond-elle sans doute à une vision assez optimiste
de la situation. Plus objectivement, avec des désignations « 255,10° » en berne,
voire purement et simplement abandonnées dans nombre de juridictions de
France10, on liquide certainement moins, au jour du prononcé du divorce, qu’il y
a dix ans. Cette loi n’a donc rien simplifié, et elle n’a rien modernisé non plus
pour ce qui est des questions ici examinées. C’est donc une loi pour rien...
Comment ne pas songer ici au vœu du doyen Carbonnier qui admettait volon-
tiers que l’on ne puisse tout attendre du législateur, ni qu’il soit omniprésent, et
pas davantage omniscient, mais qui demandait cependant que l’on puisse attendre
de lui qu’il soit « un honnête homme »11 ? Où en sommes-nous en 2017 ?
Omniprésent, le législateur l’est, avec une avalanche de textes (lois, ordonnances,
décrets, circulaires…), jusqu’à l’excès. Mais pour quel résultat ? Une réforme pour
rien, véhiculant un compromis dont tout « honnête homme » savait, dès l’ori-
gine, qu’il était voué à l’échec. C’est au fond « l’art de ne pas choisir » érigé en
principe législatif. Le symbole d’une époque fort triste pour notre droit civil.
Alors, que proposer pour l’avenir ? Imaginons qu’un garde des Sceaux coura-
geux et pragmatique veuille constituer un petit groupe de travail (non rémunéré
bien sûr), pour réfléchir à ces questions. Que lui répondrait « l’honnête homme »
(ou femme) civiliste ? Il nous semble qu’il faudrait au législateur faire un choix
clair entre deux idées : soit il affirme l’impossibilité de liquider en même temps
que de divorcer, soit il affirme qu’au contraire cela est possible, mais alors il faudra
qu’il en donne les moyens aux professionnels concernés. Mais la voie moyenne,
on l’a vu, est à proscrire. L’heure serait donc au choix.
L’affirmation selon laquelle le tempo du divorce est trop rapide pour per-
mettre au tempo de la liquidation de s’accorder avec lui possède de solides argu-
ments. À l’heure du désamour, les justiciables veulent aller vite, même dans les
9. Secondairement, preuve est aussi faite de ce que les JAF eux-mêmes n’aiment pas se
percevoir comme des juges de la liquidation. Certains ont l’appétence pour et se sont spécialisés
avec honneur et bonheur, mais ce n’est pas là une tendance générale. Nombre de tribunaux ont
d’ailleurs désigné des cabinets « spécialisés », au rebours de l’esprit des différentes réformes
récentes qui supposent plutôt que chaque cabinet soit spécialisé.
10. Les « jafferies » d’Île-de-France désignent encore des notaires sur 255, 10°, et elles
sont sans doute les dernières du pays à le faire aussi souvent. Mais même dans leurs ressorts, le
nombre de ces désignations est nettement en baisse.
11. C J., Essai sur les lois, 1992, Defrénois, p. 11, rééd. 2013, LGDJ,
coll. Anthologie du droit.
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travail du notaire ne sera pas payé en vain puisque les parties seront assurées
d’avoir un acte de liquidation-partage en même temps que le divorce18. Bien
entendu, ce système suppose que les JAF aient les moyens de travailler sereine-
ment, qu’ils soient formés à l’exercice liquidatif (lequel deviendrait obligatoire
pour chaque cabinet et abolirait la pratique actuelle du « cabinet spécialisé ») et
qu’ils veillent de près au bon déroulement des opérations. Il est évident que nos
magistrats sont capables de tout ceci. Mais pas dans le système actuel… Et sauf
changement radical dans la dotation budgétaire de la Magistrature, nous ne pen-
sons pas ce système tenable à moyens constants. Lier les deux procédures est un
objectif ambitieux, mais sans doute hors de portée aujourd’hui.
Le bilan est donc assez simple : l’idéal serait de lier les deux procédures,
mais il est sûrement hors de portée, non seulement pour des questions budgé-
taires, mais aussi en raison de la révolution procédurale, et donc de la réorga-
nisation des services, que cela impliquerait19. Ceci écarté, reste la coupure
franche entre le divorce et la liquidation, c’est-à-dire le retour à ce qui a fait ses
preuves, et que l’on peut encore améliorer ainsi que nous allons le voir. Mais
l’entre-deux est un échec, ce que la pratique actuelle prouve amplement. Exit
donc le continuum procédural…
18. C’est l’une des critiques les plus fortes contre l’actuel système « 255, 10 » où les
parties paient un émolument qui représente 50 % de celui d’un acte de partage complet, alors
que dans la vaste majorité des cas elles devront recommencer les opérations après le divorce…
Certes, en cas d’accord, on impute cet émolument sur l’acte final de partage rédigé par le
notaire (même si le législateur a temporairement fait disparaître la règle, il l’a heureusement
rétablie), mais cette situation reste hélas minoritaire.
19. En outre, on retrouvera toujours la même difficulté fondamentale : le contentieux
du divorce et de l’autorité parentale est très différent du contentieux liquidatif, lequel est
infiniment plus technique et constitue une spécialité à part. Il est illusoire de vouloir faire de
chaque JAF un spécialiste des régimes matrimoniaux, et ceci, d’une part, parce que tous ne le
veulent pas et, d’autre part, parce que l’investissement requis pour devenir spécialisé impose de
rester en fonction longtemps. Enfin, les dossiers liquidatifs sont bien plus longs à traiter que
des dossiers « divorce/enfant ». Les cabinets JAF sont donc forcés de se répartir la tâche entre
eux (hypothèse du cabinet spécialisé), au risque sinon de les voir tous couler à pic. Ce n’est pas
pour rien que les choses se sont organisées ainsi au fil des ans…
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d’appel23. Fort heureusement, en mai 2013, cette dernière a clarifié sa position24, ren-
dant ensuite toute une série de décisions par lesquelles elle a précisé l’incidence de la
clause du contrat de mariage relative à cette contribution25, puis le domaine de cette
jurisprudence, en y incluant (dans une affaire un assez exceptionnelle il est vrai) la
résidence secondaire26, mais en décidant d’en exclure les investissements locatifs27.
Autant dire que fixer une prestation compensatoire lors du prononcé du divorce dans
l’une ou l’autre de ces circonstances est devenu un exercice effectué à l’aveugle si ces
questions ne sont pas purgées en même temps. Il est manifeste que la logique la plus
élémentaire commande de jouer cartes sur table et de ne fixer la prestation compensa-
toire qu’en connaissance de cause, c’est-à-dire en fixant aussi la situation au plan des
créances entre époux28. Cela semble d’autant moins extravagant que l’article 271 du
Code civil dispose en son alinéa 8 que le juge prend en compte, notamment, « leurs
droits existants ou prévisibles ». L’idée d’une concentration des demandes au stade du
prononcé du divorce peut donc s’appuyer sur la lettre même de l’article 271, ce qu’il
importe de souligner. Reste juste à le décider…
Enfin, on ajoutera que s’il nous paraît juste de décider que le choix du régime
de séparation de biens ne doit pas être dénaturé par une prestation compensatoire
qui prendrait des allures de communauté rétroactive29, en toute logique l’inverse
23. Pour une étude sur dix ans de la position des juges du fond et de celle, plus fluctuante,
de la Cour de cassation, v. C J., « Le financement du logement de la famille en séparation
de biens », Gaz. Pal., 24 août 2013, n° 236.
24. Cass. 1re civ., 15 mai 2013, n° 11-26933, AJ fam. 2013. 383, obs. Blanc-Pelissier S. ;
D. 2013. 1208 ; ibid. 2242, obs. Brémond V., Nicod M. et Revel J. ; ibid. 2014. 1342,
obs. Lemouland J.-J. et Vigneau D. ; ibid. 1905, obs. Brémond V., Nicod M. et Revel J. ;
RTD civ. 2013. 582, obs. Hauser J. ; ibid. 2014. 698, obs. Vareille B. ; 15 mai 2013,
n° 11-24322 ; 15 mai 2013, n° 11-22986 ; 1er avr. 2015, n° 14-13795 et n° 14-12938,
AJ fam. 2015. 297, obs. Casey J. ; 22 juin 2016, n° 15-21543, AJ fam. 2016. 443,
obs. Casey J. Sur l’ensemble de la question, v. C J., « Les acquisitions immobilières, la
contribution aux charges du mariage et les régimes matrimoniaux », AJ fam. 2015, 324.
25. Cass. 1re civ. 25 juin 2014, n° 13-14326, RTD civ. 2014. 624, obs. Hauser J. ;
25 sept. 2013, n° 12-21892, D. 2013. 2682, note Molière A. ; ibid. 2014. 1342,
obs. Lemouland J.-J. et Vigneau D. ; ibid. 1905, obs. Brémond V., Nicod M. et Revel J. ;
AJ fam. 2013. 647, obs. Hilt P. ; RTD civ. 2013. 821, obs. Hauser J. ; ibid. 2014. 698,
obs. Vareille B. ; ibid. 703, obs. Vareille B.
26. Cass. 1re civ., 18 déc. 2013, n° 12-17420, D. 2014. 527, note Viney F. ; ibid. 1342,
obs. Lemouland J.-J. et Vigneau D. ; ibid. 1905, obs. Brémond V., Nicod M. et Revel J. ;
AJ fam. 2014. 129, obs. Hilt P. ; RTD civ. 2014. 698, obs. Vareille B. ; ibid. 704, obs. Vareille B.
27. Cass. 1re civ., 5 oct. 2016, n° 15-25944 ; AJ fam. 2016, 544, obs. Casey J.
28. Lorsqu’il n’y a qu’une créance sur laquelle statuer, on pourrait douter de la pertinence
même de permettre au demandeur d’agir post divorce sur le fondement d’une action en compte-
liquidation et partage puisque, précisément, il n’y a rien… à partager ! Mais la Cour de cassation
est d’un avis contraire et approuve une cour d’appel de soumettre une telle action aux conditions
de l’action en partage et donc de dire que le PV de difficulté du notaire est interruptif de
prescription dès lors qu’une demande en paiement est clairement formulée, v. Cass. 1re civ.,
23 nov. 2016, n° 15-27497 ; AJ fam. 2017, p. 34, obs. Casey J. Rien ne dit que le juge du divorce
ait pu prendre en compte cette revendication au jour où il a fixé la prestation compensatoire…
29. V., not., Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-20480 ; Cass. 1re civ., 9 déc. 2009, n° 08-16180 ;
Cass. 1re civ., 26 janv. 2011, n° 10-30262 ; RTD civ. 2011, 332, obs. Hauser J.
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doit être vrai aussi : la prestation compensatoire ne devrait jamais être dénaturée
par une créance entre époux qui jouerait les effaceurs de prestation compensatoire
rétroactifs, surtout quand on se souvient que ladite créance ne constitue pas une
opération de partage…
Pour être très concret, il est bien évident que décider du montant de la presta-
tion compensatoire ne se fait pas de la même façon selon que l’on décide en
même temps que le créancier potentiel de cette prestation n’aura rien à rembour-
ser au titre de financement de tel immeuble, ou non… Or, si la jurisprudence de
2013 est très claire quant au logement de la famille, elle possède encore de larges
zones d’ombre, tel que le sort du capital personnel investi, ou la nature des autres
immeubles, le cas des investissements locatifs manifestant une certaine forme
d’empirisme, pour ne pas dire d’arbitraire, sans compter que ces différents cas
peuvent s’additionner les uns aux autres sans que l’on sache si l’époux créancier
les revendiquera tous en même temps ou certains d’entre eux seulement… Il est
donc manifeste qu’un souci de cohérence élémentaire conduit à de ne pas fixer la
prestation compensatoire sans avoir préalablement tranché la question d’éven-
tuelles créances quant à ces biens. Mais ce n’est pas ce qui se fait actuellement…
Le législateur serait donc bien inspiré de le dire à l’occasion d’une énième
(mais cette fois utile) réforme. Et dans l’intervalle, la Cour de cassation pourrait
parfaitement le décider par une décision de principe de large portée. Cela ne
coûterait rien au plan budgétaire, mais constituerait une mesure de rationalisa-
tion du divorce plus que bienvenue…
30. V., not., Cass. 2e civ., 14 janv. 1998, n° 95-22059, RTD civ. 1999. 172, obs. Vareille B. ;
Cass. 1re civ., 17 juin 1998, n° 96-18648, Bull. civ. II, n° 194 ; Cass. 1re civ., 7 mai 2002,
n° 00-21536, RTD civ. 2002. 791, obs. Hauser J. ; Dr. famille 2002, n° 87, note Lécuyer H. ;
Cass. 1re civ., 30 nov. 2004, n° 03-18158, Bull. I, n° 293 ; AJ fam. 2005, 275, obs. David S.
31. V. Cass. 1re civ., 1er juill. 2009, n° 08-18486 ; Bull. civ. I, n° 146. Jurisprudence répétée
avec le même motif depuis lors, v. Cass. 1re civ., 11 mai 2012, n° 11-10558 ; Cass. 1re civ.,
11 sept. 2013, n° 12-21195 ; Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n° 14-17534 ; Cass. 1re civ. 31 mars
2016, n° 15-18065 ; Cass. 1re civ., 21 sept. 2016, n° 15-14986.
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non moins vrai, en bonne logique, que cette même PC < prestation compensa-
toire > ne peut conduire à « aggraver » le choix de la communauté en faisant
payer deux fois le même avantage à l’un des époux. Or, en affirmant brutalement
que le résultat de la liquidation n’est pas à prendre en compte parce qu’il est
égalitaire, et donc neutre en termes de disparité, on oublie que chaque époux
bénéficie, grâce au choix de ce régime, des acquêts de l’autre, quand bien même
le bénéficiaire n’a strictement rien fait pour aider à les constituer. Certes, une vie
de ménage ne se résume pas à créer des acquêts, c’est bien entendu. Il y a la part
de ce qui s’évanouit avec le temps qui passe : faire les courses, aller chercher les
enfants à l’école, les amener à leurs activités extra-scolaires, etc. Pendant que tout
cela se fait, sans engendrer d’acquêts en dépit du réel travail que cela représente,
l’autre époux aura sans doute mené une activité rémunérée, créatrice d’acquêts,
lesquels ont permis d’acquérir une maison, de faire des économies… Cependant,
le choix du régime matrimonial compense structurellement la distorsion qui
apparaît peu à peu, car celui qui n’a pas « créé » d’acquêts par son travail (ou son
oisiveté !), profite quand même des acquêts créés par l’autre. C’est là un effet
mécanique du choix du régime de communauté36. Celui qui s’est plus sacrifié
professionnellement, celui qui s’est davantage consacré au foyer, celui qui a été
malade, n’est pas laissé sans rien, son régime matrimonial lui garantissant de
recevoir la moitié de la richesse commune née du mariage du chef de son
conjoint. Dans ces conditions, il est assez évident que le régime de communauté
empiète largement sur le domaine de l’article 271 du Code civil, spécialement
quant aux critères relatifs au sacrifice de carrière, des choix professionnels, du
temps consacré à l’éducation des enfants, et l’incidence de tout ceci sur les droits
à retraite. Faire comme si le boni de communauté vaut zéro, c’est implicitement
admettre que ces éléments seront payés deux fois. Une première fois par le par-
tage des acquêts. Une seconde fois par la prestation compensatoire. C’est évi-
demment absurde et très injuste. Mais surtout, cela consacre un dévoiement de
la prestation compensatoire, laquelle devient alors une machine à dénaturer le
régime de communauté et donc à déjouer les choix initiaux des époux. Répétons-
le : si la prestation compensatoire ne doit pas dénaturer le régime de la sépara-
tion de biens, elle ne doit pas davantage dénaturer le régime de communauté. Ce
qui est vrai d’un régime, doit forcément l’être de l’autre. Naturellement, ceci ne
signifie pas que l’existence d’un boni de communauté doit conduire à exclure
tout droit à prestation compensatoire37. Mais l’on ne peut davantage dire que la
liquidation de la communauté n’a pas à être prise en compte, parce qu’elle est
égalitaire. L’excès est le même dans les deux cas.
36. La discussion est la même en régime de participation aux acquêts, encore que la
Cour de cassation n’ait jamais jugé (à notre connaissance) qu’il ne fallait pas tenir compte de
la créance de participation pour fixer la prestation compensatoire. Sans doute n’en a-t-elle pas
eu l’occasion… Mais face à cette communauté en valeur, nul doute que le raisonnement de
nos hauts magistrats serait identique à celui qu’ils tiennent face à une communauté en nature,
ou alors c’est à n’y rien comprendre…
37. Et ceci indépendamment de la question de savoir de la disparité constatée du fait des
différences entre masses propres, de revenus, de perspectives d’avenir, etc.
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depuis quelques années déjà. À cet égard, ses arrêts du 7 novembre 2012 pou-
vaient passer pour des provocations législatives, comme on en a connu dans
d’autres matières. Ils n’en demeurent pas moins des décisions qui ont inquiété la
pratique et isolé nos hauts-magistrats de leurs collègues du fond. Le Quai de
l’Horloge ne peut pas être une île juridique, même s’il est physiquement situé sur
une île… Quand le législateur est un piètre juriste, que ses lois balaient le vide,
c’est alors que ce que Demolombe appelait « la partie dramatique de la législa-
tion », c’est-à-dire la jurisprudence, doit venir peu à peu affirmer des solutions
claires, simples et cohérentes entre elles, en attendant que la loi ne retrouve une
qualité suffisante pour être utile et opérante. La question de l’articulation du
divorce et de la liquidation du régime matrimonial ne pourrait fournir meilleur
exemple de ce débat. Dans cette perspective, la Cour de cassation ne peut dura-
blement se couper de sa base et affirmer des solutions que les juges du fond ne
suivent pas. Elle ne peut être dogmatique, mais doit au contraire être pragma-
tique et organiser un système cohérent à défaut d’un droit positif qui le soit. De
ce point de vue, la dure réalité quotidienne des JAF ne peut être ignorée. Elle ne
peut qu’être entendue, afin que ce travail de terrain soit simplifié et rationnalisé,
et non compliqué à l’extrême. Le justiciable a tout à gagner à cela, et tout à perdre
dans un système doctrinaire et abstrait.
Dans un monde idéal, il serait évidemment préférable que prestation compen-
satoire et partage marchent au même pas, et que le divorce n’intervienne que
partage fait, avec un notaire désigné dès le début de la procédure, avec un calen-
drier strict et des moyens d’action renforcés. Mais nous avons vu que ce système
idéal n’est pas pour demain, les insuffisances budgétaires pesant leur poids, certes,
mais sans doute moins que la sociologie, qui voit des époux divorçant être des
gens pressés, bien plus que ne le seront jamais des copartageants.
Dans un monde moins idéal, mais bien réel, il serait possible d’avancer quand
même, ne serait-ce qu’en imposant le principe de la concentration des demandes
lors du prononcé du divorce, et en tirant toutes les conséquences du choix du
régime des époux, y compris celui de communauté, contrairement à ce que décide
la Cour de cassation, ainsi que cela a été vu. Faire cela ne coûterait strictement
rien au budget de l’État, ce qui doit être souligné. Cela obligerait aussi les époux
à faire de vraies projections liquidatives, au point de densifier considérablement
les « PRIPP »41, afin d’identifier d’éventuelles créances qui risqueraient d’être per-
dues dans le cas contraire, ou encore de faire apparaître la réalité d’une belle
communauté, afin de diminuer le choc de la prestation compensatoire. Dans ce
système rénové et « aiguisé », le notaire aurait toute sa place. Sans doute pas
comme « 255,10 », dont nous avons vu que le système est à bout de souffle, mais
comme allié objectif des époux. Certes, il est des cabinets d’avocats pour faire
seuls de vraies belles liquidations, mais l’immense majorité de ceux qui font du
JAF ne liquident pas eux-mêmes le régime matrimonial des époux. Le notaire
pourrait ici amener une vraie expertise, un savoir-faire indiscutable, au service des
41. C. civ., art. 257-2, « Proposition de règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux ».
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parties, et en concours avec leurs conseils. Au lieu d’un système judiciaire rigide
et entravant, on peut imaginer un système souple et extra-judiciaire. Quelque
chose qui pourrait même prendre la forme d’une procédure participative…
L’articulation du droit du divorce et du droit des régimes matrimoniaux peut
donc être aisément améliorée, sans même bouleverser les textes existants. La Cour
de cassation peut y contribuer très fortement en modifiant deux jurisprudences
anciennes, mais contestées. Le notariat, auquel le dédicataire de ces lignes a tant
donné, y a toute sa place aussi, dans le rôle de juge de paix dans lequel il brille le
plus. Avec en son sein des professionnels, hommes et femmes, de la trempe de
Jacques Combret, nul doute que l’articulation entre divorce et liquidation sera
demain moins arthrosique et plus déliée qu’elle ne l’est aujourd’hui…
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légitimement continuer à maintenir cette même sévérité, alors que la diversité des
modes de conjugalité est légalement consacrée7 et que le législateur n’ignore plus
le concubinage8, lui faisant produire certains effets juridiques ?
Aussi, pour contourner le statut prohibitif de succession et afin de protéger le
concubin survivant, se développent-ils des mécanismes contractuels. L’on assiste
ainsi à des modes alternatifs de succession (II).
I – LE CONCUBIN SURVIVANT,
SOUMIS À UN STATUT PROHIBITIF DE SUCCESSION
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II – LE CONCUBIN SURVIVANT,
BÉNÉFICIAIRE D’UN STATUT ALTERNATIF DE SUCCESSION
13. Afin de remédier à l’exclusion d’un droit successoral, l’on assiste à des
modes alternatifs de règlement de la succession. Il y a une volonté de pacifier et
de contractualiser la transmission du patrimoine du concubin décédé.
Les concubins usent de techniques juridiques multiples de prévoyance, fon-
dées sur la protection du concubin survivant36. Un droit « para successoral »
émerge et se développe, encouragé tant par le législateur que par les pratiques
contractuelles.
14. Le droit « para successoral » est préalablement un droit d’impulsion légale.
Le législateur n’est pas resté insensible à la volonté de protéger le membre survi-
vant du couple. Pour cela, il favorise des techniques contractuelles protectrices,
comme le contrat d’assurance vie, le testament ou les libéralités.
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valeur du service rendu »51. C’est un devoir de conscience et de gratitude qui est à
l’origine de cette donation52. Elle s’observe généralement entre membres de la famille53,
ou au sein du couple, entre époux54 ou entre concubins55. Cette forme de donation
permet au donataire survivant de ne pas être laissé dans le besoin.
À travers ces diverses techniques, le concubin survivant peut bénéficier d’un
régime protecteur.
18. Il peut être renforcé par un dispositif « para successoral » d’ordre conven-
tionnel. La contractualisation du couple est une réalité comme peut l’être la
contractualisation de la famille.
Cette contractualisation répond à diverses finalités.
19. D’une part, elle peut permettre d’organiser la vie du couple. Des conven-
tions entre concubins sont régulièrement conclues pour organiser leur patrimoine
commun56 ou pour faciliter la gestion de leurs ressources.
Ces conventions sont d’une grande utilité. En effet, l’on sait qu’en l’absence
de telles conventions, la jurisprudence est contrainte, pour liquider le patrimoine
commun du couple, lors d’une séparation, de recourir à diverses théories telles
que la société de fait57, l’enrichissement sans cause58, l’indivision59…
20. D’autre part, cette contractualisation peut être dictée par une volonté de
protéger le concubin survivant. À ce titre, si certains contrats sont conclus pour
envisager la vie conjugale des concubins, ils peuvent prévoir la vie endeuillée.
Certains contrats ou techniques obéissent à ce double objectif. On le voit avec le
recours à la société civile immobilière60, à l’utilisation d’un compte bancaire en
commun61, à un prêt accompagné d’une promesse post mortem62.
51. B B., note sous Cass. 1re civ., 2 avr. 2014, n° 13-11025, Dr. famille 2014,
comm. 101.
52. B J.-P., « Précisions sur les éléments caractéristiques et probatoires de la
donation rémunératoire », RLDC, mars 2015, p. 43.
53. Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, n° 13-14745 ; Cass. 1re civ., 21 nov. 2012, n° 11-21325.
54. CA Paris, 9 avr. 1996, Dr. famille 1996, comm. 29, note Beignier B. ; Cass. 1re civ.,
8 févr. 2000, n° 96-10846, Bull. civ. I, comm. 44 ; Dr. fam. 2000, n° 43, note Beignier B. ;
CA Besançon, 14 avr. 2004, Dr. famille 2006, comm. 152, note Beignier B. ; Cass. 1re civ.,
26 sept. 2012, n° 11-21084.
55. CA Toulouse, 15 déc. 2015, op. cit.
56. S P., « Le “régime matrimonial” des concubins », in Mélanges Rubellin-Devichi,
2002, Litec, p. 75 et s.
57. S M., « Concubinage et société créée de fait : pour un nouveau quasi-contrat
adapté au couple de concubins », Dr. et patr., oct. 2015, p. 20.
58. C F., « La gestion d’affaires intéressée : la réforme du droit des quasi-contrats
au secours des concubins ? », D. 2017, p. 71.
59. P S., « Difficultés juridiques et fiscales d’une liquidation d’indivision entre
concubins », Defrénois, 2014, p. 130.
60. L M., « La constitution de revenus au profit du concubin modeste », Gaz. Pal.,
3 févr. 2015, p. 11 ; M R., « Comment la société civile permet de contourner le droit
successoral ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Jean Prieur, 2014, LexisNexis, p. 443.
61. CA Toulouse, 15 déc. 2015, op. cit.
62. Cass. 1re civ., 9 juill. 2014, n° 13-10710.
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21. Il en est de même avec la tontine. Une clause de tontine, dite également
clause d’accroissement ou encore clause d’acquisition sous condition de survie, est
une clausesouvent conclue entre concubins63, lors des acquisitions immobilières64.
Clause sui generis, elle repose sur une double nature. Durant la vie commune des
concubins, le bien acquis est réputé être un bien en indivision dans la jouissance65.
Partant, l’un des concubins ne peut en disposer librement sans l’accord de l’autre.
En revanche, lorsque l’un des concubins décède, le bien est réputé appartenir au
concubin survivant depuis son acquisition. Il en devient seul propriétaire, de
manière rétroactive. Cette présomption de propriété permet de protéger le concu-
bin survivant contre toute action revendicative des tiers ou des héritiers.
22. Ce faisant, à travers l’ensemble de ce dispositif « para successoral », d’ordre
légal ou conventionnel, le concubin survivant n’est pas démuni.
Néanmoins, tous les concubins ne recourent pas à ces mécanismes. Inévitable-
ment, on assiste à une inégalité de fait entre concubins. Certains concubins pour-
raient bénéficier de droits « para successoraux », d’autres en seraient privés.
Il serait, dès lors, utile de protéger de manière identique l’ensemble des concu-
bins survivants. Seule la loi est en mesure d’y répondre.
23. Par ailleurs, ces mécanismes ne sont que des modes alternatifs au bénéfice
d’une succession.
Le terme de succession a pour étymologie latine « successio » signifiant prendre
la place.
Les successeurs ou les héritiers sont ainsi ceux qui ont pour vocation de
prendre la place du défunt.
Mais il y a un rejet du concubin survivant et un refus de lui accorder une telle
prérogative.
24. Il suscite une certaine crainte et appréhension. On voit certaines décisions
qui n’hésitent pas à briser les dernières volontés du défunt, pour protéger la
famille du défunt. L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 15 décembre 2015 est
assez révélateur. En l’espèce, le concubin, de son vivant, avait délibérément ouvert
un compte joint, afin que sa concubine puisse librement en disposer. Quatre ans
plus tard, il décède. Les héritiers réclament le capital du compte joint. La juridic-
tion leur donne raison. Elle requalifie le compte joint en l’assimilant à un compte
personnel du défunt. Le capital est restauré aux héritiers.
Il est vrai que le compte joint peut favoriser une facile transmission des fonds finan-
ciers lors du décès du concubin, et ce en dehors des règles communes de succession.
63. Cass. 1re civ., 11 janv. 1983, n° 81-16307, Bull. civ. I, n° 15 ; D. 1983. 501, note
Larroumet C. ; Defrénois 1983, art. 33114, note Morin G. ; Cass. 1re civ., 27 mai 1986,
n° 85-10031, Bull. civ. I, n° 186 ; JCP N 1987.II. 166, note Raffray J.-G. et Sénéchal J.-P ;
JCP N 1988. II. 45, note Dagot M. ; Defrénois 1987, art. 33888, note Morin G.
64. C M., « La clause tontinière », Dr. et patr., oct. 1994. 22.
65. Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, n° 10-21710, Bull. civ. I, n° 199, Dr. fam. 2012, comm. 10,
note Beignier B.
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66. Cass. 1re civ., 28 juin 1988, n° 88-13639, Bull. civ. I, n° 209.
67. B B., « Recomposer un Code civil », Dr. famille 2016, repère 11.
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Gilles B
Docteur en droit
Notaire associé
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faire valoir au soutien d’un tel arbitrage, dans la mesure où, par hypothèse, les
vocations légales ou testamentaires se superposeront de manière identique ?
À partir du moment où l’abus de droit est défini comme un acte inspiré « par
aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales », la réponse
paraît aller de soi6.
Il nous semble pourtant que la solution n’est pas aussi clairement acquise. Le
choix de la vocation légale peut déjà relever du désir d’échapper aux formalités
d’envoi en possession. Supposons deux neveux issus chacun des deux seules souches
existantes prédécédées7, institués légataires universels conjoints : dans tous les cas, la
moitié de l’actif successoral leur revient. Mais pour faire valoir leurs droits testamen-
taires, ils seront obligés, par application des articles 1006 et 1007 du Code civil, de
demander l’envoi en possession auprès du président du tribunal de grande instance
du lieu de l’ouverture de la succession8. Nul n’ignore que cette formalité est dispen-
dieuse en temps, au point même qu’elle puisse mettre en péril le paiement des droits
dans le délai imparti. Ces considérations suffisent à notre sens à écarter l’intention
exclusivement fiscale qui causerait le choix de décliner la qualité de légataire. Ces
propos perdront probablement de leur force une fois la réforme de l’envoi en pos-
session entrée en vigueur, dans la mesure où le glissement des attributions du juge
vers le notaire permettra une réduction sensible des coûts et des délais.
Dans le cas où la vocation testamentaire ne coïncide pas avec celle qui découle
de la loi, la difficulté nous paraît s’évanouir : choisir la vocation légale, c’est vou-
loir sans doute préférer et assurer une égalité entre tous les héritiers dont le testa-
teur ne voulait pas, mais que le bénéficiaire institué entend faire prévaloir pour
des raisons d’équité qu’il lui paraît essentiel sur un plan moral de respecter.
La deuxième remarque liée à cette exclusion du bénéfice de la représentation
aux légataires institués par testament porte sur la généralité des termes employés
par la doctrine fiscale, comme si toute disposition se substituait nécessairement
entièrement aux droits légaux de l’héritier appelé. Une telle interprétation est en
pratique fausse à un double titre. D’une part, le testateur peut, sans modifier la
vocation héréditaire, exprimer la volonté que tel ou tel bien revienne à un des
héritiers, par imputation sur ses droits dans la succession. Il s’agit ici d’un legs
rapportable, sorte d’attribution préférentielle décidée par le testateur pourrait-on
dire. Refuser la représentation aux motifs que l’héritier tient ses droits du testa-
teur et non de la loi parait ici inadapté : la vocation légale donne à l’héritier
l’exacte mesure de ses droits, à comparer au montant de son legs, le testament lui
offrant simplement la possibilité de s’affranchir de l’accord de ses cohéritiers pour
recueillir dans son lot tel ou tel bien que le testateur a mentionné.
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sur la liquidation des droits de donation devant être rappelées au titre de l’ar-
ticle 784 du Code général des impôts.
Concernant le premier point, l’enjeu, quoique simple, est essentiel sur le plan
du calcul des droits. Il peut être formulé de la façon suivante : les représentants
d’une souche, qu’ils soient petits-enfants ou neveux ou nièces, bénéficient-ils cha-
cun de tranches intermédiaires propres, ou au contraire celle de leur auteur repré-
senté se partage-t-elle entre eux tous ?
La réponse paraît devoir s’appuyer sur l’article 777 du Code général des impôts,
qui dispose que les droits de mutation à titre gratuit sont fixés au taux indiqué pour
la part nette revenant à chaque ayant droit. Chacun d’entre eux utilise les tranches
qui lui sont propres et bénéficie ainsi de la progressivité des droits : de fait, par le jeu
de la progressivité, la pluralité de représentants diminuera mathématiquement l’im-
position à percevoir13. Au surplus, il a été relevé à juste titre que l’Administration
avait déjà, au moins en ligne directe, opté pour ce mode de liquidation, et qu’il
n’existe aucune raison logique pour que la solution fût différente au regard des
neveux ou nièces représentés14. Le simple bon sens permet donc, malgré l’absence
de précision formelle de la doctrine administrative, de tenir la solution pour acquise.
L’enjeu du second point est tout aussi simple que le premier, et tient à l’exis-
tence d’une donation antérieure, justiciable du rappel fiscal dans le délai de réfé-
rence actuel de 15 années, rappel qui a pour fonction d’assurer la progressivité des
droits sur les biens transmis dans ledit délai. La question se dédouble alors, et
porte, d’une part, sur l’utilisation de l’abattement par le représenté, et, d’autre
part, en cas de dépassement de cet abattement, sur le sort des tranches utilisées et
éventuellement perdues pour le représentant.
Relativement à l’abattement, la doctrine posée par l’Administration est dénuée
de toute équivoque : le représentant reprend l’abattement disponible laissé par
son auteur. En d’autres termes, il doit être diminué des donations dont ce dernier
aurait bénéficié de la part du disposant ou du défunt15 et il se divise en fonction
du nombre de représentant16.
En revanche, lorsque le représenté a reçu des libéralités qui absorbent et
excèdent l’abattement auquel il pouvait prétendre dans le délai de référence de
15 ans, l’Administration n’a jamais indiqué une quelconque solution.
Une voie a priori logique, dans la continuité de celle dégagée pour la question de
l’abattement serait de considérer que d’une part, ce dépassement retentit sur les
tranches basses auxquelles peuvent prétendre les représentants, mais que, d’autre
part et corrélativement, il se répartira entre tous les représentés en cas de pluralité de
ceux-ci. Pourquoi en effet appliquer un régime différent à l’abattement et aux
tranches basses, alors qu’il s’agit de deux éléments d’un même tarif17 ?
13. F F., JCl. Notarial Formulaire, fasc. 110, n° 7.
14. F F., JCl. Notarial Formulaire, fasc. 110, n° 34.
15. BOI-ENR-DMTG-20-30-20-20140929, n° 40.
16. BOI-ENR-DMTG-20-30-20-1020140929, n° 40.
17. En ce sens : Cridon Paris, 15 avr. 2013, n° 806321.
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Pour autant, de sérieuses objections existent. À notre sens, ce n’est pas la même
chose de venir aux droits du représenté dans le bénéfice des abattements auxquels
il peut prétendre et de subir un taux d’imposition au regard de donations aux-
quelles le représentant est resté étranger (sur la « déconnexion » entre abattement
et taux, il peut être ainsi remarqué que certaines recettes des impôts, lorsqu’il
s’agissait de calculer le taux moyen d’imposition qui permettait sous l’empire de
l’ancien régime du paiement fractionné, de déterminer le nombre des versements,
ne tenaient pas compte de l’abattement).
Force est de constater, par ailleurs, que d’une part, l’Administration ne s’est
pas prononcée. En l’état actuel, on ne voit pas sur quelles bases textuelles elle
pourrait marquer son désaccord sur une liquidation de droits qui ne respecterait
pas cette logique, à part justement lui reprocher son incohérence supposée.
D’autre part, la solution évoquée aboutit à des résultats pour le moins curieux.
Admettons qu’un enfant prédécédé ait reçu dans le délai de référence de son
auteur décédé des biens pour une valeur de 120 000 euros. Il laisse lui-même trois
enfants venant par représentation. La tranche à 20 % qui était normalement
atteinte, sera du même coup rétroactivement libérée ainsi que celle de 10 et 15 %
du fait de la multiplicité des représentants et pourront donc à nouveau être utili-
sées. Comment concilier cette solution avec le principe suivant lequel une impo-
sition antérieure n’est jamais remise en cause ? Et admettre par ailleurs que cha-
cun des petits-enfants soient taxés à partir de la tranche à laquelle en était arrivé
leur auteur conduit à un résultat particulièrement injuste et incohérent, au regard
du montant réel de l’actif donné.
Enfin, il nous semble que le résultat contrevient frontalement à la lettre de
l’article 784 du Code général des impôts, qui impose aux héritiers et donataires
de rappeler les donations dont ils ont eux-mêmes bénéficiées dans le délai de
référence. Or, il est patent que ce ne sont pas les représentés qui ont reçu des
donations, mais leur auteur : leur imposer de les révéler, sous couvert de représen-
tation, nous paraît devoir contrevenir directement au principe d’interprétation
stricte des textes fiscaux, qui s’oppose à l’établissement d’une imposition par un
raisonnement analogique.
Il existe à l’évidence un vide juridique, mais il revient manifestement au légis-
lateur de le combler, et non à la doctrine fiscale. Le représentant ne devrait donc
être comptable, au regard de la progressivité des droits et vis-à-vis du Trésor
public, que de l’abattement du représenté, à l’exclusion des donations dont ce
dernier aurait pu bénéficier.
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victime. Point de théorie générale de l’acte unilatéral dans le Code civil, qui
n’aborde cette figure qu’à travers ses principales illustrations que sont les testa-
ments, les reconnaissances d’enfant… Carbonnier, dénonçant cette obsession
contractuelle, proposait de rapprocher le testament et la loi : « S’il fallait cher-
cher pour la loi une analogie dans le droit civil, pourquoi avoir ressassé des
schémas de contrat ? Le testament, c’était bien plus vrai »2. La technique testa-
mentaire est bâtie sur la référence d’une loi : le testateur est un législateur
successoral privé, dès lors qu’il engage les autres sans lui-même être tenu. La
lecture du testament réserve des surprises et marque de son sceau l’ambiance
régnant au banquet successoral. Le peu d’enthousiasme du droit successoral
français pour le testament tient aussi à la trop grande sophistication des règles
en droit des successions, comme en témoignent les réformes du 3 décembre
2001 et du 23 juin 2006, et qui créent l’illusion que l’anticipation volontaire
devient inutile, le législateur ayant tout prévu. L’instauration systématique de
dispositions supplétives participe d’une certaine façon à aseptiser la créativité
par des actes juridiques adaptés. Pourtant, signe sensible d’une évolution, le
testament ciblé dans de nombreux textes contemporains. Le règlement euro-
péen du 4 juillet 2012 relatif aux successions internationales lui rend un hom-
mage indirect avec la clause « electio juris » afin de choisir sa loi nationale. Le
législateur français lui-même favorise, depuis peu, le recours au testament soit
en le rendant obligatoire – par exemple pour écarter par testament authentique
le droit viager au logement de l’article 764 du Code civil –, soit en ouvrant le
testament authentique aux personnes muettes et sourdes ou en le rendant pos-
sible en langue étrangère avec possibilité de recourir à un interprète (loi du
16 février 2015) ou enfin en simplifiant ses formalités, par exemple par la
suppression de l’envoi en possession de l’ancien article 1008 du Code civil (loi
du 18 novembre 2016).
De manière plus générale, le législateur contemporain a multiplié dans le droit
patrimonial de la famille la référence à des options, dont on oublie trop souvent
la nature d’acte juridique unilatéral. Ces indices invitent à redécouvrir le testa-
ment dans toutes ses dimensions pour en percevoir une richesse insoupçonnée en
tant qu’outil de gestion, d’adaptation et de transmission de patrimoine, au service
de stratégies diversifiées, tant civiles que fiscales. Sa fonction originelle est d’amen-
der la dévolution légale successorale. Dans cette perspective, le testateur peut être
animé de deux préoccupations inverses et pourtant complémentaires : éliminer
tout ou partie de la dévolution légale et /ou augmenter la part dévolue à certains,
en les rendant légataires. À cet égard, le support testamentaire est doué d’une
ubiquité fonctionnelle. Il est, à ce jour, la seule libéralité à permettre une élimina-
tion par anticipation des droits successoraux légaux, en évitant les foudres de la
prohibition des pactes sur succession future (I). Par ailleurs, et cette fois comme
les autres libéralités, il peut revêtir une portée augmentative ouvrant à son auteur
la faculté d’avantager un héritier ou un tiers (II).
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I – LE TESTAMENT ÉLIMINATOIRE
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3. En ce sens : Cass. 1re civ., 25 mars 2009, RJPF 2009, 6/47, obs. Delmas Saint Hilaire P.
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Certes, il est des cas où les juges acceptent d’apprécier la volonté exprimée dans le
testament à l’aune d’une modification législative. Ainsi une stipulation testamentaire
rédigée en 2006 – époque où s’appliquait le cumul des vocations légale et testamen-
taire jusqu’au paradis successoral que sont les quotités disponibles entre époux – pré-
cisait que le testateur confirmait la donation entre époux d’usufruit universel, tout en
maintenant au gratifié son quart en pleine propriété. Le décès du testateur intervenant
en 2007, c’est-à-dire après l’entrée en application de la loi du 23 juin 2006 suppri-
mant la règle du cumul pour lui substituer celle de l’imputation des libéralités entre
époux sur les droits légaux, évoquée à l’article 758-6 du Code civil, une discussion
était née sur la validité, au moment de l’ouverture de la succession, d’une telle combi-
naison de l’usufruit libéral et du quart légal. Une application rigoureuse ou régoriste
du nouveau dispositif législatif aurait conduit à exclure ce cumul, la libéralité entre
époux ne pouvant qu’amputer la vocation légale et non plus s’y ajouter.
Les juges, pour « sauver le soldat testament » et les dernières volontés expri-
mées sous l’empire de la loi du cumul de 2001, ont accepté de nier la soumission
de ladite succession testamentaire à la loi de 2006 et sa règle d’imputation, pour-
tant applicables eu égard à la date du décès4. En reconnaissant au conjoint survi-
vant la faculté de se prévaloir de la quotité disponible spéciale composée du quart
en pleine propriété et de l’usufruit universel, les juges n’ont-ils pas implicitement
considéré que la référence faite dans le testament au maintien du quart légal
valait, en réalité, novation en un legs du quart ?
Le cumul, à l’évidence recherché par le testateur, serait alors obtenu par une
combinaison, elle licite, même sous l’empire de la loi de 2006, entre la confirma-
tion d’une institution contractuelle d’usufruit et un legs du quart en propriété.
La sagesse demeure de conseiller, le plus régulièrement possible, aux auteurs de
testament de réviser le contenu de leurs dernières volontés, avec l’aide précieuse
d’un notaire afin d’en assurer la pleine efficacité au fil des fluctuations législatives.
4. Cass. 1re civ., 17 déc. 2014, Dr. famille, févr. 2015, n° 36, obs. Beignier B. et Nicod M.
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En premier lieu, un testament constitue un moyen efficace pour revenir sur une
transmission onéreuse. Il est parfaitement possible de prévoir dans un testament
une remise de dette. La solution n’est pas nouvelle mais son utilisation, dans la
sphère familiale s’avère innovante. En présence d’époux ou de partenaires séparés de
biens, il est opportun à l’occasion d’une acquisition, notamment immobilière, révé-
lant un hiatus entre l’indivision voulue sur le bien acquis et la faculté contributive
de chacun dans son financement, de titriser dans l’acte même d’acquisition ce déca-
lage ; le bailleur de fonds justifie la fourniture de deniers à son partenaire ou époux,
co-acquéreur par la reconnaissance d’un prêt, puis s’il le souhaite en prévoit la
remise dans un testament. Outre que le conjoint ou le partenaire financeur conserve
la main sur le sort de la dette en fonction des fluctuations de son couple, l’insertion
d’une remise de dette dans un testament lui permet in fine d’accorder à sa moitié
une libéralité mortis causa, dont on ne manquera pas d’observer qu’elle est exonérée
fiscalement en raison de la loi TEPA du 21 août 2007.
En second lieu, une même correction par voie testamentaire d’une transmission
à titre gratuit déjà intervenue peut avoir lieu, mais en respectant ici le caryotype de
la libéralité corrigée. En effet, la règle drastique de l’irrévocabilité spéciale des dona-
tions limite des éventuelles modifications de celles-ci. Il en est une pourtant prévue
par le législateur et peu utilisée en pratique : celle évoquée à l’article 919 alinéa 2 du
Code civil, autorisant postérieurement et par voie testamentaire de rendre hors part
une donation consentie à un héritier. Si le législateur a autorisé un tel amendement
unilatéral d’une donation, c’est qu’il a présumé que cet ajout ne pouvait que consti-
tuer pour le donataire un complément de libéralité et donc ne jouer qu’en sa
faveur. Une telle vision est bien simpliste. Il suffit de rappeler qu’en devenant hors
part la donation s’impute exclusivement sur la quotité disponible de telle sorte que
tout débordement entraîne une indemnité de réduction. La question de la date
d’imputation pour la donation devenue hors part par testament devient essentielle ;
selon nous, c’est la date du testament qui doit être retenue.
Au-delà de cette limite liée à l’irrévocabilité, il reste envisageable de modifier, de
compléter ou révoquer par testament toute disposition antérieure à titre gratuit, dès
lors que celle-ci était révocable ad nutum. À cet égard, l’auteur d’un testament,
d’une donation au dernier vivant ou d’une réversion d’usufruit entre époux – actes
par nature révocables –, a la faculté d’amender sa volonté en recourant à un testa-
ment modificatif. Dans cette optique, le testateur pourrait ajouter aux libéralités
révocables déjà intervenues une clause de non-divorce, s’il s’agit d’une transmission
entre époux afin de révoquer automatiquement la libéralité en cas de turbulence
matrimoniale. Le testament est aussi un outil efficace pour révoquer expressément
un testament antérieur, et là peu importe la forme du testament révoqué5, ou encore
pour supprimer une réversion d’usufruit entre époux contenue dans une donation
de la nue-propriété d’un bien avec réserve d’usufruit.
Si la révocation expresse d’un testament ne peut avoir lieu que par testament,
pour autant une révocation tacite, à hauteur de l’incompatibilité des dispositions,
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II – LE TESTAMENT AUGMENTATIF
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aux quotités disponibles, c’est-à-dire l’une des quotités spéciales si le gratifié est
un conjoint, la quotité ordinaire en présence d’un tiers avantagé.
Depuis la réforme du 23 juin 2006, une approche renouvelée du testament
doit être conduite, notamment en raison de l’émergence du principe de la réduc-
tion en valeur des libéralités excessives. La référence à la quotité disponible a
perdu de sa superbe car elle ne constitue plus, en cas de dépassement, une source
inéluctable de création d’une indivision entre le sur-gratifié et l’héritier réserva-
taire. Cette conséquence résultait du mécanisme de la réduction en nature, créa-
trice d’indivision. D’ailleurs, la suppression de la caducité des dispositions testa-
mentaires prévue à l’ancien article 925 du Code civil, par épuisement de la quo-
tité disponible par les donations entre vifs en est le témoin privilégié. Aujourd’hui,
un légataire, peut recevoir au-delà de la quotité disponible, sans avoir à restituer
des biens ou subir une indivision, dès lors qu’il dispose de moyens financiers suf-
fisants pour désintéresser l’héritier réservataire. L’ancienne caducité de l’article 925
du Code civil est, d’une certaine façon, novée depuis la loi de 2006, en une sorte
d’attribution préférentielle au profit du légataire, à même de conserver le bien
légué en dépit du dépassement de quotité disponible, en payant une indemnité
de réduction. Un bémol s’impose sur cette partition testamentaire : l’indemnité
due se détermine au regard des règles de la réduction et non comme l’attribution
préférentielle à l’aune de celles du partage. Le financement peut même lui être
fourni par le défunt au moyen du bénéfice d’une assurance-vie, par principe non
comptabilisée dans la succession9. Cet aspect de la réforme de 2006 n’a pas été
suffisamment mis en exergue alors qu’il symbolise un renouveau dans l’utilisation
du testament, comme support d’expression des dernières volontés.
Le recours au testament, dès lors qu’il est bien orchestré, permet de déplacer
les discussions lors du banquet successoral, de la propriété des biens vers une
simple préoccupation de flux financiers à l’aune des rétablissements institués par
le législateur. Dans cette optique, le testament occupe une place primordiale, au
même titre d’ailleurs qu’une institution contractuelle pour les époux. Le légataire
bénéficiant depuis la réforme de 2006 d’une faculté de cantonnement – sauf si le
testateur l’a supprimée –, il lui est loisible, lors de l’option relative au testament,
de cantonner l’émolument reçu, en fonction de ses besoins du moment et de ses
moyens financiers en vue de l’indemnité de réduction qu’il pourrait avoir à hono-
rer ; mais aussi, dans une démarche plus altruiste, il peut vouloir anticiper sa
propre succession en permettant à ses héritiers de récupérer déjà les biens succes-
soraux délaissés. Cette approche renouvelée des règlements de succession invite à
reconsidérer la notion même d’universalité dans une libéralité, et notamment
celle du legs universel. Au fond, l’universalité, après la loi de 2006, a gagné en
volume ; c’est plus qu’auparavant, car aujourd’hui le défunt, par testament, a la
faculté de tout transmettre, certes à condition que le légataire institué dispose de
moyens financiers suffisants alors qu’auparavant l’universalité se cantonnait à la
quotité disponible, le débord suscitant en principe une indivision, si du moins
l’héritier réservataire exerçait l’action en réduction.
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16. Pour les testaments, C. civ., art. 1002-1 ; pour les institutions contractuelles, C. civ.,
art. 1094-1, al. 2.
17. V. les articles 384 et 386-4-2° du Code civil dans la rédaction issue de l’ordonnance
du 16 février 2015.
18. Pour une acceptation large de la notion de legs : v. Cass. 1re civ., 11 févr. 2015, Dr.
famille 2015, n° 75, obs. Nicod M. ; RTD civ. 2015, 354, obs. Hauser J.
19. V. D S H P., « À propos de la clause d’exclusion de l’administration
légale », in Mélanges en l’honneur du professeur Raymond Le Guidec, 2014, LexisNexis,
p. 333 et s.
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François S
Professeur à l’Université d’Évry-Val d’Essonne
1. Un legs universel ou à titre universel peut également avoir pour objet des sommes
d’argent laissées par le défunt à son décès. Mais son exécution n’a rien de spécifique comparée
à celle du legs particulier de somme d’argent.
2. V. A C. et R C., Droit civil français, t. XI, 6e éd. par E P., 1956,
Librairies techniques, § 722, p. 378 : « Le légataire n’est point, à proprement parler, un
successeur du défunt, et n’a qu’un droit de créance contre les héritiers ou légataires chargés du
paiement du legs ».
3. V. not. Lucet F., JCl. Civil, art. 1014 à 1017 ou JCl. Notarial Répertoire, V° Legs,
fasc. I, n° 109.
4. R G. et B J., Traité de droit civil, 1954, LGDJ, n° 2523. On
comprend dès lors mieux l’assimilation du legs du prix de vente d’un corps certain à un legs
de somme d’argent : v. Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, Bull. civ. I, n° 190 ; AJ fam. 2012, 558,
obs. Vernières C. ; RTD civ. 2012, 763, obs. Grimaldi M. ; RDC 2013, 561,
obs. Libchaber R.
Plus généralement, L V., Principes de droit civil, t. XIV, 3e éd., 1878, Bruylant-
Christophe et A. Durand et Pedone-Lauriel, n° 170, p. 182 qui distingue les legs avec assignat
démonstratif (le testateur désigne dans la clause d’exécution du legs la chose devant
préférentiellement servir à l’acquitter) et les legs avec assignat limitatif (le testateur désigne
dans la substance du legs la chose devant obligatoirement servir à acquitter le legs), pour
conclure qu’en l’absence de deux clauses testamentaires dissociant substance et exécution du
legs, tout est affaire d’interprétation de la volonté du testateur…
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Elle se distingue d’abord de l’obligation aux dettes du défunt, car elle ne peut
être transmise à son décès à défaut de l’avoir obligé de son vivant5. Comme
Jacques Flour l’a lumineusement écrit, ce qui différencie les légataires de sommes
d’argent des créanciers successoraux, est qu’ils ne réclament pas leur dû mais
« luttent pour obtenir un gain »6.
Elle se différencie ensuite de l’obligation aux charges de la succession, car si
elle trouve sa cause dans le décès du défunt, elle en est moins la conséquence
directe et nécessaire qu’un effet de la volonté libérale du testateur.
5. Il est vrai que ce particularisme n’est pas étranger au succès pratique du legs
de somme d’argent, dont le dédicataire de ces lignes, fin connaisseur du droit
patrimonial de la famille, pourrait aisément témoigner. D’une part, ce legs est
d’une chose d’un genre généralement apprécié ; le legs de corps certain est évincé
par le disposant qui n’ignore pas que le gratifié est souvent moins sensible à la
satisfaction lointaine d’un héritage perpétué qu’aux plaisirs immédiats de l’argent
consommé ou investi. D’autre part, des dispositions de dernières volontés dont
l’effet est différé et monétisé peuvent provoquer chez leur auteur un sentiment
pour ainsi dire d’innocuité patrimoniale7.
6. Mais il est non moins vrai que cette singularité risque de donner naissance
à des difficultés d’exécution importantes puisqu’il met face à face un héritier
inquiet de devoir exécuter un paiement sur ses deniers personnels et un légataire
exposé au risque d’insolvabilité8.
7. À la différence du legs de corps certain qui transfère un droit réel sanctionné
par l’action en revendication, le legs de somme d’argent ne fait acquérir qu’un
droit de créance sanctionné par une action en paiement9.
Le droit du légataire particulier à la chose léguée (C. civ., art. 1014) étant jus
in re, simple créance de somme d’argent, et non jus ad rem, il n’acquiert la pro-
priété des deniers dont il a été gratifié qu’au moment de leur individualisation,
laquelle résulte en temps ordinaire de la tradition10. En d’autres termes, il en
devient propriétaire non à partir du décès mais à compter du paiement.
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10. Lorsque le legs a une somme d’argent pour objet, le légataire devient
créancier de l’héritier légal ou testamentaire. Encore faut-il que celui-ci ne renonce
pas à la succession, car il serait alors libéré de son obligation aux dettes du défunt
et aux charges de la succession (C. civ., art. 806). A fortiori, serait-il déchargé de
son obligation au paiement des legs de somme d’argent11.
En revanche, s’il accepte la succession, la première question est de savoir dans
quelle mesure l’héritier est tenu d’acquitter un legs de somme d’argent12. La
réponse a évolué au fil du temps : en principe, son obligation était hier ultra vires
successionis (A) ; elle est aujourd’hui intra vires successionis (B).
11. En ce sens C A. et C H., Cours élémentaire de droit civil français, t. 3,
4e éd., 1925, Dalloz, p. 899.
12. B C., Cours de droit civil français, op. cit., n° 317, p. 67.
13. D C., Traité des successions, t. 2, 1857, Auguste Durand, n° 521, p. 608.
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14. F J.-B., Des testaments, chap. 10, sect. 3, § 1 et § 90 cité par Guillouard, note
sous Cass. civ., 1er août 1904, DP 1904, 1, 513.
15. F J., Cours de droit civil approfondi (…), op. cit., p. 221.
16. L. 30 ventôse an XII, art. 7.
17. Guillouard, note précitée.
18. V. par exemple A C. et R C., Droit civil français, op. cit., § 611 ;
D C., Traité des successions, op. cit., n° 521 et s. ; M V., Explication théorique
et pratique du Code Napoléon, op. cit., n° 135.
19. B C., Cours de droit civil français, op. cit., n° 318, p. 68.
20. F J., Cours de droit civil approfondi (…), op. cit., p. 223.
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Enfin, il était parfois ajouté que si l’article 783 du Code civil autorise à
l’époque l’héritier à rescinder son acceptation pure et simple de la succession en
cas de découverte tardive d’un testament absorbant au moins la moitié de la suc-
cession, c’est qu’il risque d’être tenu indéfiniment des legs qu’il contient.
17. Une seconde opinion a ultérieurement contesté un tel « système de béné-
fice d’inventaire obligatoire »21 et prétend que la solution des pays coutumiers
doit être maintenue dans une logique rationnelle de succession aux biens : les legs
de somme d’argent ne sont dus qu’intra vires22.
Plusieurs raisons invitent à condamner la thèse de l’obligation ultra vires.
18. Il est d’une part incohérent dans un système de la succession à la personne
que l’héritier soit tenu d’une dette à laquelle le défunt n’était pas obligé.
Il est d’autre part inadmissible qu’un testateur puisse consentir des libéralités à
exécuter non sur les biens de la succession mais sur ceux de ses successeurs23. Le
testament est un acte par lequel son auteur dispose de tout ou partie de son patri-
moine et non de celui d’autrui (C. civ., art. 895). De même qu’il ne peut pas léguer
le bien en nature d’autrui (C. civ., art. 1021)24, il ne peut disposer à cause de mort
de la valeur d’un bien qui ne lui appartient pas25. Planiol pouvait ainsi écrire avec
humeur : « Il n’y pourtant aucune bonne raison pour permettre aux testateurs de
faire des legs avec l’argent de leurs héritiers. Les legs ont été inventés pour permettre
aux mourants de disposer de leurs propre actif et non pas de celui des autres »26.
En outre, les arguments de textes invoqués ne convainquent pas les tenants de
cette seconde thèse : en particulier ils contestent l’assimilation des legs à des
charges que postulent les articles 724, 873, 1009 et 1012 précités du Code civil
et la portée prêtée à l’article 1017 du Code civil interprété à tort comme une règle
d’obligation et non de contribution à la dette.
Ce à quoi on peut ajouter qu’une obligation illimitée au legs de somme
d’argent trahit vraisemblablement à la fois la volonté du défunt qui n’a pas voulu
21. Planiol, note sous Cass. civ., 29 mai 1894, DP 1894, 1, 545.
22. V. Planiol, note précitée, qui cite pêle-mêle au soutien de son opinion : l’adage
« nemo liberalis esse debet ex alien », des arrêts du Parlement de Paris du 28 mai 1626 et du
30 mars 1656 ainsi que des auteurs anciens.
23. B C., Cours de droit civil français, op. cit. Ce à quoi on peut ajouter qu’il est
tout autant inadmissible de consentir des libéralités avec des biens de son créancier. Or, une
jurisprudence ancienne considérait que si les légataires de sommes d’argent étaient payés après
les créanciers du défunt en vertu de l’adage « nemo liberalis nisi liberatus », dès lors que l’héritier
accepte la succession purement et simplement, ils deviennent, par l’effet de la confusion des
patrimoines, des créanciers de l’héritier auxquels l’adage ne peut être opposé, en dépit d’une
pratique notariale contraire : ils sont donc en concours avec les créanciers de la succession, sauf
à ce que ces derniers demandent le privilège de la séparation des patrimoines (T F.,
L Y. et G S., Les successions, les libéralités, 4e éd., 2013, Dalloz, n° 923,
p. 823 ; Cass. req., 2 prairial an XII, D. jur. gen., V° Successions, n° 1497 ; Cass. civ., 9 déc.
1823 : S. chr. ; Grenoble, 21 juin 1841, S. 184, 2, 355).
24. Sauf le recours à la technique du legs avec charge.
25. F J., Cours de droit civil approfondi, op. cit., p. 230.
26. Planiol, note précitée.
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ruiner son héritier par ses libéralités à cause de mort, et celle de l’héritier qui n’a
pas voulu se ruiner en acceptant d’honorer les dernières volontés du défunt27.
19. Les juges du fond étant divisés sur la question28, la Cour de cassation s’est
prononcée en faveur de la première opinion doctrinale en 1904 :
« D’une part, de la combinaison des articles 724, 783 et 1017 du Code civil, il
résulte qu’à défaut d’acceptation bénéficiaire, l’hériter est obligé personnellement d’ac-
quitter non seulement les dettes mais les legs ; comme conséquence de cette obligation
personnelle, il est tenu sur ses propres biens, même au-delà des forces de la succession.
D’autre part, le légataire universel, lorsqu’il n’est pas en concours avec des héri-
tiers à réserve, est assimilé par l’article du même code à l’héritier légitime »29.
Cette consécration de l’obligation illimitée de l’héritier continuateur de la personne
du défunt y compris lorsqu’il est l’auteur d’un legs de somme d’argent, est aujourd’hui
justifiée par la protection du légataire contre les pouvoirs de l’héritier sur l’actif30.
20. Depuis lors, en dépit des vigoureuses critiques doctrinales dont cette solu-
tion jurisprudentielle a été l’objet de la part de la doctrine moderne largement
favorable à la seconde thèse31, elle n’a pas été remise en question, que l’héritier
responsable sans limitation des legs de somme d’argent soit ab intestat ou intestat,
universel ou à titre universel32.
Il faudra attendre la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des
successions et des libéralités pour que la rigueur de l’obligation illimitée de l’héri-
tier acceptant pur et simple au legs de somme d’argent soit atténuée33.
21. L’article 785 issu de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 dispose en effet
désormais :
« L’héritier universel ou à titre universel qui accepte purement et simplement
la succession répond indéfiniment des dettes et charges qui en dépendent.
27. Comp. D C., Traité des successions, op. cit., n° 521, p. 610.
28. V. not. CA Poitiers, 16 mars 1864, DP 1864, 2, 117 ; S 1865, 2, 63 ; CA Angers,
1er mai 1867, DP 1867, 2, 85 ; S 1867, 2, 395, en faveur de l’obligation ultra vires ; CA
Orléans, 14 mai 1891, DP 1891, 2, 313 ; S 1893, 2, 1, en faveur de l’obligation intra vires.
29. Cass. civ., 1er août 1904, DP 1904, 1, 513 note Guillouard ; S 1905, 1, 13 ; v. également
Cass. civ., 29 mai 1894, DP 1894, 1, 545, note Planiol ; S. 1898, 1, 446 mais le successeur universel
chargé d’acquitter le legs de somme d’argent ne pouvait pas prétendre n’être tenu que dans la limite
de l’actif recueilli à défaut d’inventaire et en raison de la confusion de fait entre les actifs du testateur
et ceux du légataire ; CA Paris, 13 déc. 1965, D 1966, 275 note Malaurie P. ; Cass. 1re civ., 28 mai
1968, JCP 1969, II, 15714 note Dagot M. ; RTD civ. 1969, p. 365, note Savatier R.
30. G M., Successions, 6e éd., 2001, Litec, n° 496.
31. V. not. G M., Successions, op. cit. n° 525 ; F J. et S H., Les
successions, 3e éd., 1991, Armand Colin, n° 359.
32. Lucet F., JCl., préc., n° 116.
33. V. not. B V., « Les nouveaux tempéraments à l’obligation ultra vires
successionis », JCP N 2006, 1366.
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Il n’est tenu des legs de sommes d’argent qu’à concurrence de l’actif successoral
net des dettes ».
Dans les successions ouvertes à compter du 1er janvier 200734, l’alinéa 2 de
l’article 785 précité brise donc la jurisprudence de la Cour de cassation lorsqu’elle
juge que les successeurs tenus des dettes ultra vires sont dans la même mesure
obligés de payer les legs de somme d’argent35.
22. Surtout, la thèse de l’obligation intra vires successionis aux legs de sommes
d’argent (v. supra nos 17 et s.) est désormais consacrée par ce texte. Les travaux
préparatoires de la loi du 23 juin 2006 attestent que le législateur n’est pas resté
insensible aux arguments développés par la critique doctrinale de la jurisprudence
de la Cour de cassation. De leur propre aveu, en rejetant l’obligation illimitée au
legs de somme d’argent, les auteurs de la loi du 23 juin 2006 n’ont pas voulu
autoriser le défunt à disposer des biens de son héritier en procédant à des legs de
sommes d’argent36 excédant son patrimoine successoral37. Les légataires sont dès
lors considérés comme des héritiers et non comme des créanciers38.
23. Un tel retour aux sources du droit coutumier soulève cependant quelques
questions relatives à la portée actuelle de la nouvelle protection offerte par l’obli-
gation intra vires successionis, laquelle peut, à tout le moins, être mesurée en trois
dimensions : au regard de l’héritier débiteur du legs, au regard des créanciers de la
succession, et au regard de la réserve héréditaire.
24. En premier lieu, l’héritier acceptant n’est tenu d’acquitter un legs de
somme d’argent qu’à concurrence de l’actif successoral – en vertu de la disposi-
tion spéciale de l’article 785, alinéa 2 du Code civil s’il a accepté la succession
purement et simplement39, et en vertu de la disposition générale de l’article 791,
3° du même code s’il l’a acceptée à concurrence de l’actif net40.
25. Trois conséquences pratiques s’infèrent de cette protection offerte à l’héritier.
D’abord, il n’a pas à accepter la succession à concurrence de l’actif net pour
éviter d’être tenu sur son patrimoine personnel des legs de sommes d’argent consen-
tis par le défunt. Il y a là un facteur de simplification du règlement successoral, tant
les règles de cette branche de l’option successorale sont contraignantes.
Ensuite, il peut s’opposer à ce qu’un légataire de somme d’argent exerce une
voie d’exécution sur un de ses actifs personnels, car il est obligé à concurrence de
34. L. n° 2006-728, 23 juin 2006, art. 47.
35. Cass. civ., 1er août 1904, préc.
36. Et non à des legs d’autres biens fongibles.
37. D R H., rapport Sénat, n° 343, sessions ord. 2005-2006, p. 73 ;
H S., rapport Assemblée nationale, n° 2850, enregistré le 8 février 2006, p. 92.
38. D R H., rapport Sénat, préc. p. 74 ; H S., rapport Assemblée
nationale, préc. ; Circ. min. justice 73-07/C1/5-2/GS du 29 mai 2007, p. 22.
39. En conséquence, la rescision de l’acceptation pure et simple en cas de découverte
postérieure d’un testament privant l’héritier d’au moins la moitié de la succession de l’ancien
article 783 du Code civil est abrogée.
40. L’obligation intra vires en cas de succession vacante (C. civ., art. 810-4) ou en
déshérence (C. civ., art. 724, al. 3 et art. 811 et s.) ne sera pas traitée en raison de sa spécificité.
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l’actif successoral en nature et non pas seulement en valeur (obligation cum viri-
bus et non pro viribus)41. En contrepartie, si l’héritier détournait ou dissipait les
actifs successoraux, le légataire disposerait d’un recours sur son patrimoine per-
sonnel selon les travaux préparatoires et la circulaire d’application de la loi du
23 juin 2006, lesquels demeurent cependant muets sur le fondement de cette
déchéance de l’obligation intra vires42.
Enfin, si plusieurs héritiers sont chargés d’exécuter le legs, ils s’en acquitteront
au plan contributoire au prorata de la part et portion dont ils profiteront dans la
succession (C. civ., art. 1017, al. 1).
26. En deuxième lieu, les créanciers successoraux sont payés par l’héritier
avant les légataires de sommes d’argent. En pratique, le paiement des legs sera
refusé si l’actif est épuisé par le paiement des créanciers du défunt et de la succes-
sion, et sera différé à la liquidation de la succession qui en révélera les forces43, 44.
27. Deux arguments justifient cet ordre de paiement.
Un argument de texte : l’article 785, alinéa 2 du Code civil précise que l’héri-
tier n’est tenu d’acquitter les legs de somme d’argent que sur l’actif net de dettes.
En limitant le droit des légataires non à l’actif brut mais à l’actif net, le législateur
entend par conséquent que les dettes du défunt (voire les charges successorales)
soient payées avant ses legs.
Un argument rationnel : le payement des créanciers de la succession doit être
préalablement déduit du patrimoine successoral avant la distribution des legs.
L’adage « nemo liberalis nisi liberatus » commande en effet que les libéralités
consenties par le défunt ne soient servies qu’après que ses dettes oent été réglées.
28. Au demeurant, un argument d’analogie tiré de l’ordre des paiements du
régime de l’acceptation à concurrence de l’actif net pourrait également être
exploité45, puisque l’héritier y bénéficie de l’obligation intra vires et cum viribus
(v. C. civ., art. 791, 3°).
La limitation de son obligation aux dettes et de son obligation aux legs placées
sur un même pied doit alors être combinée avec d’autres effets de la branche de
l’option successorale qu’il a choisie : l’ordre des paiements (C. civ., art. 796) et la
séparation des patrimoines (C. civ., art. 791, 1° et 2°).
29. L’ordre des paiements pendant la période de quinze mois prévue à l’article 792
du Code civil autorise l’héritier à délivrer les legs de sommes d’argent après paiement
41. Que la succession soit acceptée purement et simplement ou à concurrence de l’actif net.
42. D R H., rapport Sénat, préc., p. 74 ; H S., rapport Assemblée
nationale ; Circ. min. justice, préc.
Comp. C. civ., art. 800, dernier al., en matière de déchéance de l’acceptation à concurrence
de l’actif net.
43. B C., JCl. civil, art. 870 à 877, n° 20.
44. En cas de pluralité de légataires de sommes d’argent, ils nous semblent devoir être
payés au prix de la course par l’héritier acceptant pur et simple.
45. Même s’il est vrai que la situation n’est pas identique, ne serait-ce que parce que
l’héritier acceptant pur et simple est tenu ultra vires des dettes de la succession à la différence
de l’héritier acceptant à concurrence de l’actif net.
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46. Dans l’ancienne acceptation sous bénéfice d’inventaire (v. not. Lucet F., JCl. préc.,
n° 152 et s.), il fallait distinguer selon qu’il existait ou non des créanciers opposants. En leur
absence, les créanciers et légataires étaient payés au fur et à mesure qu’ils se présentent (C. civ.,
art. 808 ancien), alors qu’en leur présence, une procédure d’ordre judiciaire était mise en œuvre
– sauf le recours des créanciers non opposants contre les légataires (C. civ., art. 809 ancien).
47. La circulaire d’application de la loi du 23 juin 2006 en tire la conséquence que « les
legs de sommes d’argent… ne peuvent, sous réserve de l’interprétation souveraine des juges du
fond, être délivrés qu’après que l’héritier a pris définitivement connaissance de l’état du passif
de la succession, ce qui ne peut intervenir qu’après l’expiration du délai de 15 mois prévu pour
la déclaration des créances, et ce afin d’éviter la remise en cause de la délivrance des legs
(article 796 alinéa 4 du Code civil) » (Circ. min. just., préc., p. 19).
48. Pothier cité par F J., Cours de droit civil approfondi (…), op. cit., p. 222.
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33. Si les légataires de sommes d’argent ont perdu une garantie d’exécution
générale dès lors que les héritiers ne sont plus tenus ultra vires mais intra vires de
les payer, leur droit est néanmoins toujours assorti de garanties particulières, véri-
tables sûretés réelles, qui protègent désormais les légataires contre le mauvais vou-
loir de l’héritier plus que contre son insolvabilité49 : le privilège de la séparation
des patrimoines (A) et une hypothèque légale (B).
49. Comp. B C., Cours de droit civil français, op. cit., n° 320, p. 72.
50. Sur son caractère d’ordre public, ibid., n° 320, p. 73.
51. On ne doit pas y avoir renoncé préalablement (v. C. civ., art. 880).
52. Dans les quatre mois du décès pour pouvoir rétroagir à cette date. Si l’inscription est
effectuée plus tard, le privilège dégénère en hypothèque conventionnelle.
53. La confusion de fait est présumée après deux ans à compter de l’ouverture de la
succession relativement aux meubles (v. C. civ., art. 881).
54. V. C. civ., art. 878, al. 2 : « Les créanciers personnels de l’héritier peuvent demander
à être préférés à, tout créancier du défunt sur les biens de l’héritier non recueillis au titre de la
succession » (v. not. B V., « Les nouveaux tempéraments à l’obligation ultra vires
successions », op. cit. ; P S., « Crédit et successions : la sécurité de l’héritier passe
avant les droits des créanciers successoraux », Dr. et patr., mars 2007, n° 157).
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et, d’autre part, plus discrètement, aux légataires de sommes d’argent, même si
la jurisprudence l’avait déjà admis55, 56.
37. Cette dernière extension aux légataires de sommes d’argent, assimilés à des
créanciers du défunt, est surprenante57.
Les créanciers du défunt sont titulaires d’un privilège car leur gage constitué
du patrimoine du défunt doit leur être maintenu après son décès.
Or, une telle justification ne peut être étendue au privilège des légataires de
sommes d’argent, qui n’ont jamais été créanciers du défunt lorsqu’il était en vie.
Il ne saurait donc être question de leur préserver le gage que constituait le patri-
moine du défunt, puisque ce gage n’a jamais été le leur58.
Une autre explication s’infère de la nature singulière de ce legs : s’il a pour objet la
valeur d’un actif successoral dont il est la contrepartie à concurrence d’un certain mon-
tant (v. supra n° 3), il n’est pas anormal que ces créanciers de cette contrevaleur d’un
actif successoral soient privilégiés par rapport aux créanciers personnels de l’héritier59.
38. En tout état de cause, ce privilège ne remet pas en cause l’ordre des paie-
ments : les créanciers successoraux seront payés avant les légataires de sommes
d’argent (v. supra n° 26 et s.).
Le privilège de la séparation des patrimoines est par ailleurs complété par une
hypothèque légale pour garantir le paiement des légataires de sommes d’argent.
B. Hypothèque légale
39. Les légataires de sommes d’argent sont en effet armés d’une hypothèque
légale sur les immeubles de la succession, dont le principe est posé implicitement
par l’article 1017, alinéa 2 du Code civil en ces termes60 :
« Ils [les héritiers du testateur ou autre débiteurs d’un legs] en seront tenus
hypothécairement pour le tout jusqu’à concurrence de la valeur des immeubles de
la succession dont ils seront détenteurs ».
55. Selon les travaux préparatoires de la loi, v. de R H., rapport Sénat, préc.,
p. 188 et H S., rapport Assemblée nationale, p. 229 ; v. aussi par exemple en ce sens
Lucet F., JCl. préc., n° 120.
56. Sur le sort des créanciers de l’indivision dont la créance est née de la conservation ou de la
gestion du bien indivis, v. L Y., « Le privilège de la séparation des patrimoines à l’épreuve
de l’article 815-17 du Code civil », in Mélanges Alex Weill, 1983, Dalloz-Litec, p. 380 et s.
57. On débat de l’extension du privilège des créanciers du défunt aux créanciers de la succession
au titre des charges successorale, alors qu’ils semblent déjà devoir bénéficier de la bilatéralisation au
profit des créanciers personnels de l’héritier (sur la discussion sur ce double privilège
v. not. B V., « Les nouveaux tempéraments à l’obligation ultra vires successions », op. cit. ;
T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit., n° 926, p. 826).
58. T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit.
59. Ibid.
60. V. égal. C. civ., art. 2400 4° : « Indépendamment des hypothèques légales résultant
d’autres codes ou de lois particulières, les droits et créances auxquels l’hypothèque légale est
attribuée sont : 4° Ceux du légataire, sur les biens de la succession en vertu de l’article 1017 ».
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40. Cette hypothèque légale est principalement justifiée par la crainte que les
héritiers rechignent voire refusent d’exécuter des legs de sommes d’argent61.
Soumise au droit commun62, elle doit être inscrite, prend rang au jour de son
inscription, et confère au légataire un droit de préférence et un droit de suite sur
les immeubles successoraux.
41. Si cette hypothèque légale accorde un droit de préférence au légataire à
l’égard des créanciers de l’héritier, elle ne lui accorde aucun droit de préférence à
l’encontre des créanciers du défunt63 : les légataires de sommes d’argent doivent
être payés après les créanciers successoraux (v. supra n° 26 et s.), et l’hypothèque
légale est impuissante à inverser cet ordre des paiements. Somme toute, cette
sûreté réelle ne peut être opposée aux créanciers du défunt64.
42. Le légataire bénéficie toutefois de l’indivisibilité de l’hypothèque, ce qui
rend parfois sa situation préférable à celle du créancier du défunt et peut être
critiqué à ce titre.
En théorie, le legs d’une créance de somme d’argent garantie par une hypo-
thèque légale est assimilé à une dette du défunt garantie par une hypothèque,
alors que la première est née divise et que la seconde a été contractée pour le tout
avant d’être divisée au décès du débiteur entre ses héritiers ; en pratique, le créan-
cier chirographaire de la succession supporte le risque de l’insolvabilité de l’un des
héritiers acceptant pur et simple s’il doit diviser ses poursuites65.
61. C A. et C H., Cours élémentaire de droit civil français, op. cit., p. 900.
62. Il est admis que le testateur peut améliorer la situation de l’héritier en privant le
légataire de l’hypothèque légale, comme il aurait pu tout aussi bien le priver de son legs :
l’hypothèque légale du légataire de somme d’argent n’est pas d’ordre public (en ce sens
B C., Cours de droit civil français, op. cit., n° 320 p. 73).
63. A C. et R C., Droit civil français, op. cit., § 722 p. 380.
64. B C., Cours de droit civil français, op. cit., loc. cit.
65. V. not. C A. et C H., Cours élémentaire de droit civil français, op. cit., loc. cit.
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Sylvie F-A
Agrégée des Facultés de droit
Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Hélène M-G
Diplômée notaire
Chargée d‘enseignement à l’Université d'Auvergne
et de Jean Moulin Lyon 3
La réduction en valeur n’est pas nouvelle. Elle existait bien avant la loi du
23 juin 2006, qui n’a fait que la généraliser.
Aussi, dans une première approche, la réduction en valeur pourrait-elle se
présenter comme une simple évolution et non une rupture radicale. Un certain
nombre d’arguments peuvent être présentés en ce sens, en reprenant les étapes et
les effets de cette évolution qui se sont produits avant l’entrée en vigueur de la loi
du 23 juin 2006.
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un morcellement des exploitations (C. civ., art. 832) ; ce n’était que lorsque cette
condition était satisfaite qu’il était possible de revenir au principe d’égalité en nature
dans la composition des lots. Le développement de l’attribution préférentielle, par
étapes successives, devait accompagner cette évolution (L. n° 61-1378, 19 déc. 1961,
L. n° 70-1265, 23 déc. 1970, puis plus tard celle la L. n° 80-502, 4 juill. 1980).
Comme a pu le souligner le professeur Catala4, « si l’on met l’accent sur l’attri-
bution préférentielle, c’est qu’elle s’inscrit à l’extrême pointe de l’égalité en valeur
et qu’elle exerce un retentissement profond sur le droit à la réserve, lorsque les
cohéritiers de l’attributaire sont eux-mêmes réservataires. Ils peuvent, à la limite,
recevoir leur entière réserve sous la forme d’une soulte : d’où l’on voit bien,
comme on l’a précédemment souligné, que le droit à la réserve, dans les relations
entre cohéritiers, se ramène à un problème d’égalité du partage, plus précisément
du partage de la réserve ».
Par la suite, la loi n° 71-523 du 3 juillet 1971 relative aux rapports, à la réduc-
tion et aux partages d’ascendants, allait faire une large place au rapport en moins
prenant, et à la réduction en valeur des libéralités adressées à un successible
(C. civ., art. 866, 867 et 924 combinés). Sur les raisons de cette modification,
laissons encore la parole à Pierre Catala :« Partant de là, tout s’enchaîne dans
l’agencement des mécanismes satellites que sont le rapport et la réduction des
libéralités faites aux successibles. L’un et l’autre ont pour fonction de reconstituer
la masse partageable. Pourquoi rétablirait-on en nature ce que l’on va répartir par
équivalent ? La généralisation du rapport en moins prenant est inscrite sans res-
triction dans le principe de l’égalité en valeur du partage. Quant à la réduction,
l’analyse doit être un peu plus nuancée. Lorsque le gratifié vient au partage, il est
normal d’envisager à son encontre une réduction en valeur : qu’est-ce qu’en effet
que la libéralité réductible sinon une attribution préférentielle opérée par le de
cujus au lieu d’avoir été décidée par le juge ?... Lorsqu’à l’inverse, le gratifié est
étranger au partage… les mêmes considérations ne sauraient jouer. Contre le tiers
étranger à la succession, il faut d’abord rétablir la réserve en nature, pour la répar-
tir ensuite en valeur entre les cohéritiers acceptants : pour cette raison et dans
cette mesure, parce que la réserve demeure une “pars hereditatis” la réduction en
nature conserve une place nécessaire »5.
La réduction en valeur, corolaire du partage en valeur, n’était donc admise aux
termes de ces textes que dans des hypothèses limitées, soit qu’il s’agisse de dons
adressés à un successible excédant la portion disponible, soit qu’il s’agisse de legs
à lui adressés, lorsqu’ils portaient sur un bien ou sur plusieurs biens composant
un ensemble, dont la valeur excédait la portion disponible.
Si ces atteintes à la réserve pars hereditatis étaient tolérées, ce n’était pas seule-
ment parce qu’elles avaient été voulues par le de cujus mais parce qu’elles profi-
taient d’abord à un héritier à réserve, et que la sécurité de ce dernier était en cause.
En d’autres termes, la réduction en valeur telle qu’elle avait été conçue par la loi
4. Ibid., § 3, p. 24.
5. Ibid.
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du 3 juillet 1971 ne trahissait pas les finalités de la réserve en nature, mais les
servait, en assurant un juste équilibre entre la volonté du disposant, la sécurité du
gratifié et le droit de ses cohéritiers qu’un partage aurait pu évincer en nature.
Surtout la réduction en valeur maintenait intacte la réserve, droit en nature,
lorsqu’il s’agissait de libéralités adressées à des tiers.
Pierre Catala, toujours, de conclure6 que « la réserve répond à une double
finalité : familiale, elle protège la cohérie des légitimaires contre des libéralités
faites à des tiers ; sous cet aspect collectif elle se réalise en nature ; individuelle,
elle doit procurer à chaque réservataire acceptant le minimum intangible que la
loi lui assigne ; sous ce second aspect elle subit l’incidence des règles nouvelles qui
gouvernent le partage : la réduction en valeur, dans les rapports entre coparta-
geants, n’est qu’un règlement indemnitaire parmi d’autres ».
Dès lors, posons-nous la question de savoir quels étaient les effets concrets de
la réduction en valeur, avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006.
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12. Cass. 1re civ., 3 mars 2008, JCP 2008, IV, 1632.
13. C P., La réforme des liquidations successorales, op. cit., § 83, p. 203-204.
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14. C P., « Prospective et perspectives en droit successoral », JCP 2007, n° 26-1206,
n° 12.
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Aucun actif héréditaire, aussi imprégné soit-il d’une mémoire familiale, d’un tra-
vail mis en commun, n’a plus vocation à leur revenir. Transmettre ses biens à ses
héritiers n’est plus un « devoir » pour le de cujus, les recevoir par succession n’est
plus un « droit » pour l’héritier à réserve. À telle enseigne que l’on peut raisonna-
blement se demander s’il est encore possible de considérer que « le pouvoir de la
volonté s’exerce dans les limites de la quotité disponible »15, bien que l’article 912,
alinéa 2 du Code civil l’affirme encore.
On ne peut nier que, désormais, c’est dans le patrimoine du gratifié que l’héri-
tier réservataire doit aller chercher sa réserve, sous forme d’une créance, et non
plus dans le patrimoine du défunt. Ce passage « obligé » par le patrimoine du
gratifié interpelle au point que l’on peut même se demander s’il ne viderait pas de
son sens le terme de « successeur », tant la technique juridique semble trahir ici
les principes sociologiques et historiques de l’institution successorale.
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18. G M., Successions, op. cit., § 332, note 9 qui rappelle également les origines
et les effets de l’article 917 du Code civil.
19. Ibid., § 735 et 766 et s.
20. Ibid., § 767.
21. V. aussi D N., « Démembrement de propriété et libéralités : recherche d’un
système cohérent d’imputation », RTD civ. 2001, p. 295 ; V B., « Réflexion sur
l’imputation en droit des successions », RTD civ. 2009, p. 1 et s. ; V B., « Nouveau
rapport, nouvelle réduction », D. 2006, 2565.
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La réserve, droit en nature, doit à notre avis se maintenir pour les imputations
car une chose est la réserve – telle qu’elle est définie à l’article 912 du Code civil –,
une autre est la sanction de l’atteinte portée à la réserve – telle qu’elle est prévue
par l’article 924 du Code civil22.
Malgré tout, on est en droit de se demander si la réserve héréditaire corres-
pond encore à la même réalité juridique lorsqu’elle ne confère plus au réservataire
qu’un simple droit de créance23.
Aujourd’hui, les praticiens doivent insister auprès de l’héritier réservataire
pour qu’il agisse « rapidement » en réduction dans la mesure où la libéralité
qui porte atteinte à sa réserve n’est pas réduite de plein droit, sa réduction
devant être demandée par l’héritier réservataire. Surtout, les délais de l’action
en réduction prévus au nouvel article 921, alinéa 2 du Code civil ont été consi-
dérablement réduits. De trente ans, le délai de principe est passé à cinq ans à
compter de l’ouverture de la succession, sauf si l’héritier réservataire n’a pas eu
connaissance de l’atteinte à sa réserve, auquel cas il peut disposer d’un délai
supplémentaire de deux ans à compter de cette connaissance24 mais sans jamais
pouvoir agir plus de dix ans après l’ouverture de la succession. Soulignons
également que le délai de l’action en réduction n’est pas suspendu lorsque le
conjoint survivant a été laissé en jouissance des biens dépendant de la succes-
sion, contrairement à ce que prévoit la loi dans le nouvel article 780, alinéa 3
en matière d’option successorale.
La plus grande vigilance est dès lors nécessaire pour l’héritier réservataire, afin
que l’action en réduction ne s’éteigne pas par prescription à son insu.
Dans ce nouveau contexte, l’on doit vraiment se demander de quels pouvoirs
l’héritier réservataire peut-il encore se prévaloir ?
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31. C’est seulement en présence d’une réduction en nature que le nouvel article 928 du
Code civil prévoit la « restitution des fruits de ce qui excède la portion disponible, à compter
du jour du décès du donateur, si la demande en réduction est faite dans l’année, sinon du jour
de la demande ».
32. V. note 30.
33. Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 14-16967.
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Marc N
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole
Directeur de l’Institut de droit privé (EA 1920)
1. Afin de rendre hommage à Jacques Combret, l’idée nous est assez rapide-
ment venue d’envisager les conséquences liquidatives d’un don manuel entre
époux. On se demandera sans doute – et le dédicataire de ses lignes le premier –
quel a été notre cheminement. La réponse est à rechercher dans la genèse de l’ar-
ticle 758-5 du Code civil.
Chacun sait que le législateur de 2001 n’a pas fait preuve de beaucoup d’in-
ventivité pour fixer la méthode de calcul des droits en propriété octroyés au
conjoint survivant en présence des enfants (C. civ., art. 757) ou des parents du
défunt (C. civ., art. 757-1). Il s’est contenté de reproduire les prévisions de la loi
du 9 mars 1891, qui figuraient à l’ancien article 767 pour la fraction en usu-
fruit. Ce qui est peut-être moins connu, c’est que le promoteur de ce système
liquidatif complexe, qui oblige à déterminer une masse de calcul, puis une masse
d’exercice, est un juriste et politicien ruthénois : Pierre Lacombe1.
2. La loi du 9 mars 1891, qui a modifié « les droits de l’époux sur la succession
de son conjoint prédécédé », doit assurément beaucoup au département de
l’Aveyron… Car celui qui a initié la réforme et qui l’a porté ensuite à bout de bras
pendant de longues années, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, est un autre
homme politique aveyronnais, un enfant de Saint-Christophe-Vallon : Jean
Delsol2. On peut dire que sans le talent et la persévérance de ce parlementaire
pugnace, cette évolution de la législation successorale – qui n’a abouti qu’au bout
de dix-neuf ans3 – se serait fait encore plus longuement attendre.
1. Pierre Edmond Eugène Lacombe est né à Rodez le 5 novembre 1840. Cet avocat
monarchiste a été sénateur de l’Aveyron de 1885 à 1894. Au cours de son mandat, il a été très
présent sur toutes questions juridiques abordées devant la Haute assemblée : responsabilité des
accidents du travail, syndicats professionnels, rupture du contrat de travail moyennant
indemnité, sociétés coopératives, droit de la presse… et droits successoraux du conjoint
survivant. Battu aux élections de 1894, il est mort à Rodez le 15 septembre 1918.
2. Jean Joseph Delsol est né à Saint-Christophe le 27 octobre 1827. Brillant étudiant
en droit, il a d’abord été avocat au barreau de Paris. Puis la passion politique l’a emporté : il a
été élu député de l’Aveyron de 1871 à 1876, et enfin sénateur de l’Aveyron de 1876 à 1894. Il
est mort à Paris le 29 janvier 1896.
3. La proposition de loi Delsol avait été présentée à l’Assemblée nationale dès le 21 mai
1872.
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4. Les legs étaient, à l’époque, présumés rapportables (C. civ., anc. art. 843 – avant la
loi du 24 mars 1898).
5. JO Sénat ,18 nov. 1890, p. 1042.
6. L’expression est du garde des Sceaux de l’époque, Armand Fallières.
7. Sur les différentes péripéties de la future loi du 3 décembre 2001, v. notamment
C P., JCl. Civil, art. 756-767, fasc. 10, n° 21 et s.
8. Sur les critiques de fond pouvant être adressées à cette reproduction trop fidèle,
notamment quant à la référence aux legs rapportables, V. tout spécialement, T F.,
L Y. et G S., Les successions, les libéralités, 4e éd., 2013, Précis Dalloz, n° 174,
note 3.
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Mais il faut une certaine maîtrise de l’art notarial pour comprendre qu’il
importe d’établir des droits théoriques, puis de les comparer avec la masse d’exer-
cice, pour retenir finalement, au titre des droits effectifs, la plus faible des deux
sommes. En effet, depuis 1891, les droits légaux du conjoint survivant, en
concours avec les descendants ou les père et mère, sont enfermés dans une double
limite : d’un côté de la fraction légale appliquée à la masse de calcul, de l’autre de
l’intégralité de la masse d’exercice9.
5. Parmi d’autres lacunes (rien notamment sur la soustraction du passif, ni sur
la date d’évaluation des biens…), on remarque que l’article 758-5 du Code civil
ne précise pas si les libéralités consenties au conjoint survivant par le défunt
doivent, ou non, être incluses dans la masse de calcul. Il existe, toutefois, une
vieille décision de la Cour cassation qui a apporté, de manière incidente, une
réponse positive à cette interrogation : l’arrêt Veuve Barrat.
6. Dans cette affaire, jugée par la Chambre civile en 1898, une veuve était
soupçonnée de s’être rendue coupable de recel successoral. Elle avait dissimulé, au
détriment des enfants du premier lit, une importante somme d’argent reçue par
don manuel de son mari mourant. Le débat judiciaire s’était alors s’engagé sur la
notion « d’effets de la succession »10 et, conséquemment, sur la nature rapportable
de la donation entre époux. Afin d’écarter le risque d’une condamnation pour
recel, le pourvoi faisait habilement valoir, « d’une part, que ce don manuel était
dans la cause dispensé de rapport et aurait pu être seulement réductible » ;
« d’autre part, que, d’après l’arrêt lui-même, la quotité disponible n’était pas épui-
sée par les libéralités antérieures » ; « enfin, que l’époux survivant ne doit pas le
rapport aux héritiers de son conjoint ».
De manière inédite, la Haute juridiction avait répondu sur le terrain de l’arti-
culation des vocations légale et libérale. Elle avait expliqué, sur le fondement de
l’article 767 ancien, que « pour calculer ce qui revient à l’époux sur la masse à
partager, on réunit fictivement à cette masse toutes les libéralités qu’il aurait déjà
reçues du défunt, même celles qui lui auraient été faites à titre de préciput et hors
part, et on les impute sur le montant de sa part héréditaire ». Ce qui lui permet-
tait d’en déduire que « ces libéralités dont l’époux, successeur irrégulier, doit ainsi
tenir compte aux autres successibles par un rapport en moins prenant, sont des
effets de la succession au sens de l’article 792 du Code civil »11.
7. L’arrêt Veuve Barrat, quoique rendu sous l’empire de la législation de 1891,
continue d’alimenter la réflexion doctrinale. C’est une référence régulièrement
citée12, spécialement par les auteurs qui prennent le parti d’ajouter les libéralités
entre époux à la masse de calcul des droits légaux.
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Partant de cette décision fondatrice, nous souhaitons, à notre tour, revenir sur
deux questions toujours en débat :
– Est-il pertinent, s’agissant de donations de biens présents entre époux, d’op-
poser les donations rapportables et les donations hors part ?
– Quelle est l’influence de l’imputation des libéralités entre époux sur la déter-
mination des droits légaux du conjoint survivant ?
13. Par exemple, G M., Successions, 5e éd., 1998, Litec, n° 664, note 15.
14. G M., Successions, op. cit.
15. V. en ce sens, pour une succession ouverte en 1984, Cass. 1re civ., 3 déc. 2008,
n° 07-17145.
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16. Par exemple, M P. et B C., Les successions, les libéralités, op. cit.,
n° 879, qui expliquent, à propos du conjoint survivant en concours avec les descendants ou les
père et mère du défunt, que « sa condition successorale est à part et (que) lui imposer le
rapport au bénéfice de la parenté serait le nier ».
17. V B., « Réflexions sur l’imputation en droit des successions », RTD civ. 1999,
p. 10.
18. C. civ., art. 857 : « Le rapport n’est dû que par le cohéritier à son cohéritier ; il n’est
pas dû aux légataires, ni aux créanciers de la succession ».
19. M M., « La donation entre vifs consentie au conjoint survivant est-elle
rapportable ? », JCP N 2003, 1482, n° 4.
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surprenant que la fréquence des libéralités conjugales l’avait conduit, par ailleurs,
à édicter un principe du non-cumul des vocations légale et libérale. L’alinéa 8 de
l’ancien article 767 du Code civil précisait, en ce sens, que le conjoint « cessera de
l’exercer [son usufruit légal] dans le cas où il aurait reçu du défunt des libéralités
même faites par préciput et hors part, dont le montant atteindrait celui des droits
que la présente loi lui attribue, et, si ce montant était inférieur, il ne pourrait
réclamer que le complément de son usufruit ».
Après l’épisode malencontreux d’une abrogation involontaire (du 1er juil-
let 2002 au 1er janvier 2007), la loi du 23 juin 2006 a repris cette règle d’équité,
destinée notamment à la sauvegarde de la réserve des enfants. L’imputation des
libéralités entre époux figure désormais, sous une formulation renouvelée, à l’ar-
ticle 758-6 du Code civil : « Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survi-
vant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités
ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint
survivant peut réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des
biens supérieure à la quotité définie par l’article 1094-1 ».
16. La législation contemporaine ne dit rien d’un rapprochement éventuel
entre le calcul des fractions légales et la règle d’imputation. Les articles 758-5
et 758-6 du Code civil se suivent au sein de la même rubrique (§ 1er, De la
nature des droits, de leur montant et de leur exercice) ; ils ne comportent
cependant aucun lien apparent, ni grammatical, ni par renvoi. Dès lors, faut-il
renouer avec les principes de l’arrêt Veuve Barrat – qui prenait appui sur l’im-
putation – et décider d’inclure dans le calcul des fractions légales toutes les
libéralités conjugales ?
17. Depuis 1891, la doctrine s’interroge sur l’influence que pourrait exercer
l’imputation des libéralités entre époux sur la détermination de la vocation légale
du conjoint survivant. Trois thèses principales s’affrontent : celle de l’indépen-
dance des techniques ; celle de leur articulation ; et celle de leur inclusion. Ces
diverses analyses prennent appui sur des conceptions divergentes de la règle d’im-
putation (s’agit-il d’un procédé étranger ou comparable au rapport ?). Mais elles
correspondent aussi à une progression des idées, de plus en plus favorables à la
reconnaissance des droits héréditaires du conjoint survivant.
18. Au lendemain de l’adoption de la loi du 9 mars 1891, l’existence d’une
relation entre le calcul des droits légaux et l’imputation des libéralités n’était pas
clairement établie.
S’il est vrai que cette législation envisageait dans un article unique, l’ancien
article 767 du Code civil, les deux procédés comptables, elle n’imposait nulle-
ment de les combiner. L’imputation, introduite à l’alinéa 8, apparaissait comme
une limite au bénéfice de l’usufruit légal, déterminé à partir des alinéas 6 et 7 ;
mais elle ne semblait pas, a priori, devoir en affecter le mode de calcul24.
24. Selon cette lecture autonomiste, « le conjoint doit simplement, une fois sa part
successorale déterminée d’après une masse dont sont exclus les biens, objet des dispositions
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Pour les premiers commentateurs de la loi de 1891, soit les libéralités entre
époux n’avaient aucune raison de figurer dans la masse de calcul25, soit si elles y
entraient c’est uniquement parce qu’il s’agissait de libéralités rapportables26. En
toute hypothèse, ils ne songeaient pas à relier la détermination des droits légaux
en usufruit à l’imputation des libéralités sur l’usufruit légal. C’est, sans conteste,
l’apport de l’arrêt du 8 février 1898 que d’avoir mis en lumière leur interaction.
19. L’arrêt Veuve Barrat associe, dans un raccourci saisissant, les principes de
composition de la masse de calcul et d’imputation. C’est parce que toutes les
libéralités entre époux s’imputent sur les droits légaux, qu’elles doivent toutes
figurer dans la masse qui permet de les déterminer. Il n’y a donc plus lieu de dis-
tinguer entre les donations conjugales soumises au rapport et celles qui ont béné-
ficié d’une clause de préciput.
Toutefois, la portée de l’arrêt de 1898 doit être bien comprise. La réunion des
libéralités préciputaires entre époux qu’il propose n’est jamais qu’une extension
du rapport fictif, imposé à l’ensemble des libéralités rapportables. En consé-
quence, si la présence d’un don manuel entre époux, voulu préciputaire pour le
donateur, augmente la masse de calcul, ce n’est que de manière provisoire pour la
détermination des droits théoriques. Au stade de la masse d’exercice, le montant
du don manuel doit être soustrait, comme pour tous les biens dont le défunt a
disposé, afin que les droits effectifs du conjoint survivant demeurent conformes
au solde de la quotité disponible27.
20. De nos jours, on trouve encore quelques auteurs favorables à la thèse auto-
nomiste. Ainsi, selon Marc Jussaume, « les libéralités imputables ne devraient figu-
rer ni dans la masse de calcul ni dans la masse d’exercice des droits légaux du
conjoint survivant », au motif que « ces masses, visant à composer la vocation légale
du conjoint, ne peuvent comprendre les libéralités qui tendent à l’exclure »28.
À en croire une seconde opinion, il convient de s’en tenir à l’arrêt de 1898 et
au principe d’un rapport fictif. C’est notamment le parti adopté par les membres
de la quatrième commission du 106e Congrès des notaires de France, en 2010. Ils
estiment que les libéralités entre époux doivent être successivement intégrées la
masse de calcul, puis soustraites de la masse d’exercice. Pour justifier cette seconde
opération, ils relèvent que « le deuxième alinéa de l’article 758-5 impose d’ex-
traire de la masse théorique toutes les libéralités entre vifs ou à cause de mort que
dont il a été gratifié, imputer sur cette part les dons et legs reçus par lui » : F-
P E., Des droits de l’époux survivant dans la succession de son conjoint, exposé théorique
et pratique de la loi du 9 mars 1891, 1894, éd. Rousseau, n° 138, p. 123 et s.
25. Ibid.
26. V. par exemple, Sarrut L., dans sa note sous l’arrêt Veuve Barrat, préc.
27. V. en ce sens, pour l’application de la loi du 9 mars 1891, M G. et V M.,
Recueil de solutions d’examens professionnels, 15e éd. par L G R., 2015, Defrénois,
thème 35 (liquidation de succession, conjoint survivant bénéficiaire d’un don manuel…),
p. 507, note 15.
28. J M., « Analyse de la nouvelle règle d’imputation de l’article 758-6 du Code
civil au regard des règles du rapport », LPA, 21 févr. 2008, n° 38, p. 4.
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le défunt a pu consentir : la loi ne distinguant pas, cette règle vaut également pour
les libéralités que le conjoint a lui-même reçues »29.
21. Mais la doctrine aujourd’hui majoritaire va au-delà des propositions de
l’arrêt Veuve Barrat. Suivant cette troisième analyse30, les libéralités consenties au
conjoint survivant entrent dans la masse de calcul de l’article 758-5, alinéa 1er du
Code civil et doivent être maintenues dans la masse d’exercice prévue à l’alinéa 2.
Car il ne serait pas cohérent de déduire la libéralité d’une masse « où ne figure-
raient pas les biens sur lesquels elle porte »31.
L’inclusion des biens donnés ou légués dans les masses de calcul et d’exercice
est bénéfique à l’époux survivant, dont les droits légaux se trouvent, par suite,
mécaniquement augmentés.
22. Illustration : imaginons que le défunt, qui laisse pour lui succéder son
conjoint et trois enfants d’un premier lit, ait consenti un don manuel entre époux
portant sur une toile de maître, évaluée à 20 000 euros au décès. Les biens exis-
tants sont de 200 000 euros.
Méthode n° 1 : le don manuel n’est pas pris en compte pour la fixation du
quart légal en propriété. Soit une masse de calcul de 200 000, on lui applique le
quantum d’un quart, les droits théoriques sont de 50 000 euros. La masse d’exer-
cice est de 200 000 – 165 000 de réserve (3/4 de 220 000) = 35 000. Le quart
légal est donc évalué à 35 000 euros.
Méthode n° 2 : le don manuel est inclus dans la masse de calcul du quart en
propriété. Soit une masse de calcul de 220 000, on lui applique le quantum d’un
quart, les droits théoriques sont de 55 000 euros.
S’agissant d’un rapport fictif, on exclut le don manuel de la masse d’exercice.
Celle-ci est de 220 000 – 165 000 – 20 000 = 35 000 euros. Le quart légal est
alors évalué à 35 000 euros.
Méthode n° 3 : On maintient la libéralité entre époux dans la masse d’exer-
cice. Celle-ci est de 220 000 – 165 000 de réserve = 55 000. Le quart légal est
alors évalué à la plus faible des deux sommes, soit 55 000 euros.
Conclusion : Dans les trois cas, le conjoint survivant conserve le tableau reçu
par don manuel et reçoit un complément de droit légal. Mais celui-ci est appelé à
varier de 15 000 euros dans les méthodes n° 1 et n° 2 à 35 000 euros dans la
méthode n° 3. Cette dernière renforce indéniablement la vocation légale de
l’époux donataire32.
29. G F. et B G., Couples, patrimoine : les défis de la vie à deux.
106e Congrès des notaires, Bordeaux, 2010, 2010, LexisNexis, n° 4202, p. 1005.
30. V. notamment, G M., Successions, op. cit., n° 207 ; T F., L Y. et
G S., Les successions, les libéralités, op. cit., n° 178 ; L A.-M., Droit des
successions, 3e éd., 2014, Dalloz, n° 145.
31. Catala P., préc., n° 78.
32. Comp. toujours avec un don manuel entre époux, C F., « Liquidation de
communauté et de succession en présence d’une renonciation à succession et d’une clause
obligeant au rapport (Diplôme supérieur du notariat, Dijon, 2015) », JCP N 2016, 1311.
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23. Sous l’empire des lois de 2001 et de 2006, le calcul des fractions légales en
propriété mérite d’être opéré de la manière la plus favorable au conjoint survi-
vant. En conséquence, la motivation de l’arrêt Veuve Barrat, sans doute novatrice
à l’extrême fin du e siècle, apparaît à présent dépassée. Les libéralités entre
époux n’obéissent plus à une réunion provisoire, mais à une réunion définitive,
justifiée par les contraintes imposées par l’article 758-6 du Code civil.
De la même façon, la solution adoptée en 1898, en matière de recel de dona-
tion, prête désormais à discussion. Le nouvel article 778, alinéa 2 du Code civil,
dans sa version issue de la loi du 23 juin 2006, n’admet le recel qu’en cas de dis-
simulation d’une libéralité susceptible d’affecter la masse partageable au titre du
rapport ou de la réduction33. Pourrait-on étendre les prévisions de la loi à une
donation de biens présents entre époux au seul motif qu’elle est sujette à imputa-
tion (forme particulière de rapport) ? Il est permis d’hésiter…
33. V. en ce sens, pour une première application du texte, Cass. 1re civ., 25 mai 2016,
n° 15-14863 ; RTD civ. 2016, 910, obs. Grimaldi M. ; D. 2016, 2092, obs. Brémond V. ;
AJ fam. 2016, 394, obs. Vernières C. ; Gaz. Pal., 13 sept. 2016, p. 66, note Vergara O. ; Dr.
famille 2016, comm. 183, note Nicod M.
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L’ouverture de la donation-partage
à des bénéficiaires autres que les descendants1
Bernard V
Professeur à l’Université de Limoges
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certaines conditions, dans une transmission qui descend pas à pas, dans chaque
souche, les degrés de la ligne descendante6.
On s’est moins attardé sur cette autre innovation infiniment plus discrète,
mais majeure : l’ouverture du bénéfice de la donation-partage à des bénéficiaires
autres que les propres descendants du disposant. Voilà qui banalise considérablement
cet acte juridique cependant très singulier, en l’accueillant de façon subreptice
dans le cercle des libéralités de droit commun. Sans qu’il y paraisse, en ouvrant à
tous les héritiers cet acte qui restait jusque-là l’apanage de la lignée, la loi du
23 juin 2006 a rénové plus profondément encore l’institution.
3. Nature. – Considérons d’abord sa nature. La donation-partage développe
une double finalité, expression de sa nature ambivalente : donner et répartir. C’est
une libéralité et un instrument de partage, tout en un7.
C’est pourquoi la donation-partage représente clairement, du fait qu’elle est
conclue entre vifs, un pacte sur succession future autorisé. Bien sûr, la prohibition
des pactes sur succession future n’a plus la même fermeté que naguère. Si le prin-
cipe reste aujourd’hui édicté de manière explicite à l’article 722 du Code civil, ce
texte suggère aussitôt à mots couverts l’ampleur des exceptions, par une formula-
tion à la fois élégante et réaliste 8.
Or, aujourd’hui, le caractère de pacte sur succession future des donations-partages
se trouve de toute évidence accentué, du fait que les donataires copartagés ne sont plus
exclusivement des héritiers réservataires. L’empire de la volonté du disposant sur sa suc-
cession non encore ouverte s’est ainsi étendu. La donation-partage est devenue un acte
d’anticipation successorale de portée générale, plastique et pragmatique.
4. Économie. – Voyons son économie. En ouvrant grand la liste des attribu-
taires de la libéralité-partage, la loi du 23 juin 2006 a mis dans cet acte collectif
une diversité toute nouvelle.
La donation-partage était restée en 1971 l’exclusivité des père et mère de
famille. Par conséquent, l’autorité naturelle qui préside habituellement aux
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rapports entre celui qui se dépouille et celui qui reçoit était ici redoublée de façon
systématique de l’autorité morale du géniteur sur sa progéniture : c’est le cas de
dire qu’il continuera toujours d’exercer sur eux un certain ascendant.
Un disposant ordinaire ne saurait prétendre à pareille influence sur son
conjoint, ses propres ascendants ou ses collatéraux : son autorité est dans ces dif-
férents cas simplement celle du propriétaire, qui a toute liberté de conserver son
bien ou de s’en défaire gratuitement. Dans cette figure de la donation-partage, on
n’est pas loin de la relation banale qui unit donateur et donataire à l’occasion
d’une libéralité de droit commun, si ce n’est la magie de ce qui a été très judicieu-
sement dénommé le « cérémonial d’une donation collective »9.
5. Cas particulier. – On dira délibérément peu de chose d’une exception qui
n’avait pas rencontré un succès spectaculaire lorsqu’elle avait été introduite par la
loi du 5 janvier 1988 : la donation-partage dans laquelle un gratifié étranger à la
succession se voit attribuer pour lot une entreprise. Désormais, l’article 1075-2
autorise au dirigeant la transmission anticipée par cette voie de n’importe quelle
entreprise, qu’elle soit en forme individuelle ou sociale.
Toutefois, ce dispositif séduisant souffre peut-être d’un inévitable talon
d’Achille : l’entrepreneur qui n’a pas de repreneur parmi ses enfants est davantage
porté à vendre qu’à donner ; et pour peu qu’il ait trouvé un candidat dans son
entourage professionnel, il n’est pas naturellement enclin à associer ce dernier à
un acte qui met au grand jour sa situation patrimoniale personnelle.
Bien que cette dérogation insigne repose sur le souci louable d’assurer la
pérennité des nombreuses entreprises à transmettre, on hésite donc à parier que
l’élargissement de son champ d’application lui vaudra un second souffle…
6. Triple innovation. – Beaucoup plus intéressantes sont les trois innovations
marquantes qu’implique l’ouverture de la donation-partage à d’autres bénéficiaires
que les propres descendants du disposant : la donation-partage faisant intervenir un
conjoint donataire copartagé (I), la donation-partage conjonctive aux enfants de
différents lits (II), la pré-succession en l’absence de tout réservataire (III).
I – L’OUVERTURE DE LA DONATION-PARTAGE
AU CONJOINT DONATAIRE COPARTAGÉ
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10. V. Cass. 1re civ., 10 mai 1960, D. 1963. 38, note Vidal J.
11. En ce sens : P-M N., Le déclin du principe de l’immutabilité des régimes
matrimoniaux, 2004, Pulim, n° 169, p. 217 et n°s 246 et s., p. 314 et s. ; L F., Des rapports entre
régime matrimonial et libéralités entre époux, thèse dactyl., 1987, Paris II, note 44, sous n° 314.
12. C. civ., art. 1096, al. 2 du Code civil.
13. C. civ., art. 1397.
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civil, d’autre part de donataire copartagé qui prend part à la donation-partage. Ces
exigences sont indispensables au dépouillement qui fait l’élément matériel carac-
téristique de toute libéralité. Pourquoi interdire au donateur de gratifier son
conjoint, même à l’aide d’un bien commun, du moment que c’est à charge d’une
récompense à la masse commune ? Le risque pour les créanciers n’est pas supérieur
à celui qui résulte pour eux d’une donation de propre à quiconque. Le consente-
ment de chacun à l’opération est avéré. La solennité est acquise. On ne voit pas
d’obstacle décisif à une pareille opération14.
10. Évaluation du lot. – Une fois levé ce doute, l’enjeu est de savoir si l’attri-
bution ainsi opérée au bénéfice de l’époux sera susceptible d’être réunie fictive-
ment pour sa valeur au jour de l’acte libéral selon l’article 1078, ou au contraire
condamnée à être traitée dans les conditions ordinaires de l’article 922 du Code
civil, en vue du calcul de la réserve de la quotité disponible.
Rien dans la loi ne borne les effets de l’unanimité aux seuls biens reçus par les
réservataires acceptants. Par conséquent, la lettre du texte ne s’oppose pas à une
pareille extension de l’évaluation dérogatoire.
Mieux : son esprit l’impose, qui encourage désormais très clairement à l’ou-
verture de la libéralité-partage en direction des héritiers présomptifs de toutes
sortes.
B. Conjoint réservataire
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On n’en dira pas autant des collatéraux privilégiés en concours avec le conjoint
survivant : en bonne logique, leur lot ne saurait porter sur des biens autres que
ceux spécifiquement visés à l’article 757-3 sans qu’ils cessent ipso facto d’avoir la
qualité d’héritiers présomptifs, qui n’est liée qu’à la provenance des biens en ques-
tion ; et encore, pour les mêmes raisons, on ne voit pas comment leur lot pourrait
excéder la moitié en valeur des biens successoraux en question. Pour autant, l’exis-
tence même de la donation-partage suppose que chacun reçoive un lot divis. Le
disposant âgé peut trouver là le moyen de réaliser par lui-même le partage des
biens d’origine ascendante entre ses collatéraux et son conjoint, en leur attribuant
divisément certains d’entre eux, dans la mesure de la moitié du tout en valeur. C’est
dire que, pour ce qui concerne les collatéraux privilégiés, l’objet de la donation-
partage est étroitement circonscrit. Le cas présente davantage de piquant intellec-
tuel que d’utilité pratique…
12. Évaluation. – Le premier mouvement porte à admettre que la répartition
sera consolidée par une évaluation des lots au jour de donation-partage en vue du
calcul de la réserve selon l’article 1078, lorsque les conditions en sont réunies, du
moment que l’unique réservataire vivant au décès du de cujus, en la personne du
conjoint du donateur copartageant, y a consenti.
Pourtant, à bien y regarder, l’article 1078 exige que « tous » les héritiers réser-
vataires vivants ou représentés au décès de « l’ascendant » eussent été gratifiés, ce
qui semblerait bien, dans la logique du texte, viser le seul cas du partage d’ascen-
dant stricto sensu. Dans ces conditions, le consentement du conjoint réservataire
pourrait-il suffire à l’évaluation dérogatoire ?
Une difficulté analogue se présente, mutatis mutandis, dans la donation-par-
tage transgénérationnelle faite entre le fils unique du donateur copartageant et les
propres enfants de ce dernier. En ce cas, l’unique réservataire ayant consenti,
l’évaluation dérogatoire a sans aucun doute lieu de jouer, en dépit de la lettre de
l’article 1078-8, alinéa 3, du Code civil, qui, évoquant « tous » les réservataires,
suggère une pluralité.
Pour ce qui est du conjoint, la question reste à trancher en fonction de l’esprit
du texte, le traitement liquidatif de ce cas de figure n’ayant manifestement pas été
envisagé par le législateur ; mais, au fond, pourquoi ne pas conférer une plus
grande stabilité à l’acte unanime dès l’instant qu’il recueille le consentement de
l’unique réservataire ?
C. Conjoint divorcé
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la valeur du bien s’impute sur la quotité disponible ne changera rien dans le prin-
cipe, puisqu’il en irait déjà ainsi en cas d’acceptation, faute pour le conjoint d’être
titulaire d’une réserve en pareil cas. Simplement, le conjoint perdra, du fait du
divorce, le bénéfice de la quotité disponible spéciale, et se trouvera ramené à la
quotité disponible ordinaire comme n’importe quel tiers à la succession.
Ensuite, dans la seconde hypothèse, celle où le conjoint est réservataire, en perdant
sa qualité d’héritier présomptif par l’effet du divorce, il ne saurait conserver sa part de
réserve. Pour autant, l’attribution qui lui est faite ne sera pas remise en question.
II – LA DONATION-PARTAGE CONJONCTIVE
BÉNÉFICIANT À DES ENFANTS DE LITS DIFFÉRENTS
16. V. par exemple Morin G., formule d’application n° 16 in C P., La réforme des
liquidations successorales, 3e éd., 1982, Defrénois.
17. Dagot M., note sous Cass. 1re civ., 14 oct. 1981, JCP N. 1982, II, 146.
18. En ce sens : C P., La réforme des liquidations successorales, op. cit., n° 111 ;
G M., « Droit civil. Libéralités, partages d’ascendants », 2000, Litec, n° 1766.
19. Cass. 1re civ., 14 oct. 1981, Bull. I, n° 292 ; D. 1982. IR 236, obs. Martin D. ;
JCP N 1982. II. 146, note Dagot M. ; ibid. 1983. II. 54, note Rémy P. ; Defrénois 1982. 431,
obs. Champenois G. ; RTD civ. 1982. 646, obs. Patarin J.
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20. Cass. 1re civ., 16 juin 2011, n° 10-17499, Bull. civ. I, n° 114 ; D. 2011. 1759 ;
AJ fam. 2011. 443, obs. Vernières C.; RTD civ. 2011. 789, obs. Grimaldi M. ; JCP N 2011.
1237, note Zalewski V.
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réserve héréditaire de l’un ou l’autre de ses demi-frères : mais celui-ci trouvera peut-
être une compensation dans le lot que lui a fait le survivant.
17. Logique de branche. – La donation-partage conjonctive aux enfants de
lits différents combine en réalité deux libéralités de natures différentes21.
Elle comporte tout d’abord une donation-partage véritable, c’est-à-dire opérée
entre deux enfants communs au moins, pour que l’opération se pare d’une irréfu-
table qualification de partage22.
Ensuite, pour ce qui est du lot fait à l’enfant exclusif du prédécédé, il est for-
cément apprécié dans la masse de calcul de cette succession par comparaison
exclusive avec la fraction de la donation-partage que les enfants communs ont
trouvée dans cette même branche.
18. Singularités de la réduction. – Cela se voit bien si l’on songe aux deux
particularités concernant une telle action réduction.
Tout d’abord, cela ne signifie d’ailleurs pas que les enfants communs aux deux
époux disposants doivent être systématiquement allotis au double. En particulier, toutes
les fois qu’on aura affaire à une donation-partage unanime remplissant les conditions de
l’article 1078, le temps qui passe consolidera les attributions faites, en minorant les
différences entre les lots. Reste que le risque serait grand, si les attributions sont exacte-
ment identiques, qu’un décès prématuré du disposant ne pousse à une réduction inopi-
née. Et cependant, il y aura sans doute quelque difficulté psychologique à persuader les
enfants non communs qu’ils ne valent que pour moindre portion…
Au surplus, il est permis de se demander ce qu’il adviendra si tous les enfants d’un
premier lit ne sont pas appelés à cette donation-partage d’un nouveau type. La règle
de l’article 1078 ne sera assurément pas applicable dans la première succession
ouverte, si c’est celle à laquelle ils concourent avec les enfants communs. Pour
autant, si tous les enfants communs ont été allotis dans la donation-partage conjonc-
tive, à l’ouverture de la seconde succession, il n’y aura pas de raison d’écarter entre
eux l’évaluation dérogatoire selon les valeurs au jour de l’acte libéral. Par consé-
quent, à ce jeu, la règle de l’article 1078 risque de prendre un tour relatif, applicable
qu’elle sera de façon distributive dans une succession et pas dans l’autre.
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23. V. en ce sens : Cass. 1re civ., 16 juill. 1997, n° 95-13316, Bull. civ. I, n° 252 ; D. 1997,
somm. 370, obs. Grimaldi M.
24. Rappelons que les lots sont évalués en vue de la réunion fictive pour leur valeur au
jour de la donation-partage lorsque sont réunies les exigences de l’article 1078 du Code civil
(sur ce texte, v. notamment S P. et V B., « Mérites et maléfices de l’article 1078
du Code civil », Defrénois 2014, p. 356.
25. La qualification d’avance de part appliquée à une série de donations ne réaliserait en
rien une pré-succession, puisque le rapport en serait systématiquement dû.
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partage, déjà fort lourd, de 2,5 %, qui caractérise cette opération lorsqu’elle est
réalisée à la faveur d’une donation-partage26.
Quant aux incidences psychologiques de l’acte, il n’est pas dit qu’elles soient
équivalentes dans l’esprit même des parties : tant pour le disposant qui y préside
que pour les gratifiés copartagés, le climat du partage anticipé n’est pas nécessai-
rement le même que celui d’une juxtaposition de plusieurs donations ordinaires.
En dehors même des incorporations, en effet, l’intérêt d’une pareille donation-
partage consiste surtout dans la faculté pour le disposant d’allotir27. À lui d’adap-
ter la répartition des biens au climat dans la cohérie, en désamorçant les compé-
titions successorales.
22. Anticipation efficace. – Assuré que le rapport ne viendra pas en ce cas
perturber l’ordonnancement de la distribution choisie, le de cujus peut présider à
un véritable pacte d’anticipation.
Contrairement au partage lui-même, pareille donation-partage ne pourra pas
être remise en question pour cause de lésion d’outre-quart de l’article 889 du
Code civil : l’article 1075-3 écarte en pareil cas l’action en complément de
part. En d’autres termes, ce ne sera pas l’inégalité des lots qui contrecarrera le
partage anticipé.
Le titre d’héritier présomptif suffit pour être appelé à recevoir un lot, sans qu’il
y ait de corrélation nécessaire entre les vocations successorales théoriques et l’équi-
libre des lots. On pourra gratifier les collatéraux privilégiés et ascendants privilé-
giés ensemble, voire les uns ou les autres séparément, ou encore les ascendants
ordinaires, ou enfin les collatéraux ordinaires, à cette seule condition désormais
qu’ils soient successibles en rang utile.
23. Limite potentielle. – Un point reste en doute. Qu’en est-il de l’héritier
qui viendrait à être conçu après la donation-partage ? Ainsi, la survenance d’un
frère supplémentaire est-elle de nature à remettre en question la donation-partage
que le disposant aurait consentie entre ses ascendants privilégiés et collatéraux
privilégiés, à défaut de descendance et de conjoint survivant ?
L’article 1077-2, alinéa 3, modifié sur ce point par la loi du 23 juin 2006, fait
suite à la description de l’action en réduction selon les modalités spécifiques en
présence d’une donation-partage28 : il énonce désormais que « l’héritier présomp-
tif » non encore conçu au moment de la donation-partage dispose d’une « sem-
blable action » pour composer sa « part héréditaire ». Le neveu tardif sera peut-
être tenté de prendre appui sur ce texte pour exiger sa part de la succession.
Il est vrai que ce passage est à replacer dans son contexte : l’article 1077-2,
alinéas 1 et 2, vise étroitement l’hypothèse où il existe des héritiers réservataires.
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Observons d’ailleurs qu’aux mains d’un collatéral, cette action soi-disant « sem-
blable » à l’action « en réduction » nous viendrait d’une autre galaxie, puisqu’elle
existerait en l’absence même de toute réserve, et viserait à procurer à l’intéressé toute
sa part de succession ordinaire… Or un collatéral n’est-il pas d’emblée exclu de
toute action en réduction ?
À quoi l’on objectera cependant que le titre du § 1, qui coiffe notamment
l’article 1077-2, ainsi que le début de l’alinéa 3 de ce texte, tous deux modifiés en
ce sens par la loi du 23 juin 2006, visent explicitement « l’héritier présomptif »
pour agiter cette sanction. Ubi lex non distinguit… Il n’est pas à exclure, par
conséquent, que le juge reconnaisse une portée générale à l’action prévue à l’ar-
ticle 1077-2, alinéa 3, du Code civil, en considérant que l’héritier non encore
conçu ne peut pas avoir été exhérédé. Cette action permettrait à l’héritier conçu
tardivement de prélever des biens existants pour composer les droits que lui pro-
cure sa vocation ab intestat ; et, si cela n’y suffit pas, ne serait-il pas fondé, bien
que non réservataire, à parfaire en réduisant les libéralités à cause de mort, puis
entre vifs ?
Au demeurant, l’enjeu pratique est bien mince. En effet, à l’âge de consentir
une donation-partage entre ses frères et sœurs, du vivant de ses parents, le dispo-
sant sera faiblement exposé à la survenance ultérieure d’un nouveau collatéral
privilégié. Or, en l’absence de réservataire, ce sont ces successibles-là qui seront le
plus fréquemment concernés par de telles libéralités-partages.
24. Perspectives. – En définitive, libéral qu’il est, le nouveau régime des dona-
tions-partages laisse place à l’imagination créative de la pratique. En ouvrant cet
acte à d’autres bénéficiaires que les descendants, le législateur lui a donné une
autonomie conceptuelle. Qui sait ? Ce sera peut-être le laboratoire d’une future
vraie pré-succession, à tout jamais affranchie de la liquidation successorale...
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François L
Notaire
Docteur en droit
1. P M. et R G., Traité pratique de droit civil français, t. V par T A.,
1933, LGDJ, n° 818.
2. Le partage d’ascendant est traditionnellement conçu comme un acte d’autorité du
disposant (S J.-F., Pour une nouvelle lecture de l’article 1075 du Code civil,
Defrénois 2003, 1302). On l’admet sans sourciller pour le testament-partage, mais s’agissant
de la donation-partage, laquelle doit être acceptée par les copartagés, on peut être plus
hésitant. Et c’est sans doute lorsque cette autorité répartitrice aura été mal vécue, car
inéquitable par l’un ou l’autre des présomptifs héritiers qu’elle donnera lieu à contentieux.
Si les partagés étaient davantage auteurs du partage en y étant véritablement associés, alors
le contentieux serait moindre.
3. Notamment lorsqu’il s’agit de « bricoler » les valeurs pour leur donner un semblant
d’égalité, attitude logiquement sanctionnée par la jurisprudence : Cass. 1re civ., 25 mai 2016,
n° 15-160, JCP N 2016, 1277, obs. Nicod M. En ce cas, mieux vaut procéder par voie de
donation-partage inégalitaire même si, selon nous, elle présente certains risques (cf. infra).
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4. Sur la donation-partage : T F., L Y. et G S., Les successions, les
libéralités, 4e éd., 2013, Dalloz, n° 1246 et s., M P. et B C., Les successions, les
libéralités, 6e éd., 2014, LGDJ, n° 1040 et s. ; G M., Droit patrimonial de la famille,
éd. 2015-2016, Dalloz, n° 41100 et s. ; G M., Libéralités partages d’ascendants, 2001,
Litec, n° 1740 et s. ; S F., « Libéralités-partages » Rép. civ. ; J C., Les successions
les libéralités, 2e éd., 2010, Montchrestien, n° 861 et s.
5. Ces décisions publiées au Bulletin et énoncées en des termes généraux ne peuvent
être considérées comme de simples arrêts d’espèce. Ils montrent à l’évidence la volonté de la
Haute juridiction d’affirmer sa position sur la qualification de l’acte de donation-partage.
6. Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21892, Defénois, 15 mai 2013, p. 463, note Sauvage F.,
RTD civ. 2013, p. 424, obs. Grimaldi M., JCP N 2013 1162, obs. Garcon J.-P., AJ fam. 2013
301, obs. Vernières C. ; Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25681, G M., « Pas de
donation-partage sans partage », Defrénois, 30 déc. 2013, p. 1259 ; P P., « La donation-
partage à propos de deux arrêts de la Cour de cassation : consonances et dissonances »,
JCP N 2014, p. 1168, M P., « Turbulences sur la donation-partage avec attribution de
quotités indivises : le sens de la jurisprudence », JCP N 2014 1183 ; B C. et
B A., « Disposer en indivision par voie de donation-partage », JCP N 2015, 1140.
7. G M., Libéralités partages d’ascendants, op. cit.
8. C. civ., art. 838.
9. S F., « Libéralités-partages », op. cit., M P., « Turbulences sur la donation-
partage (…) », op. cit., n° 41 et s.
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– certains des droits indivis et une soulte (somme d’argent) et les autres des
biens divis ;
– chacun des biens divis et tous ou seulement certains d’entre eux en plus des
droits indivis sur d’autres biens10 ;
– tous des droits divis et des droits indivis11.
Autant le premier modèle ne réalise aucun partage et mérite sans objection
possible cette déqualification12, autant les suivants intègrent des opérations de
partage et gagneraient à être confortés en tant que donation-partage.
3. Les conséquences de cette conception restrictive (de la déqualification)13 –
La relégation de la donation-partage en donation simple a pour conséquences
non négligeables que :
– la donation devient sujette au rapport et chacun des héritiers devra rappor-
ter son lot alors qu’en principe la donation-partage n’est pas rapportable. Ce n’est
a priori pas le plus gênant si l’on s’arrête là, car si les lots ne sont pas équivalents
en valeur au jour du partage de la succession alors il y aura des indemnités de
rapport à verser par certains ;
– l’article 1078 ne pourra s’appliquer et les biens donnés seront réunis fictivement
pour le calcul de la quotité disponible pour leur valeur au jour du décès (C. civ., art. 922)
cela devient un peu plus ennuyeux car celui qui pensait être relativement tranquille dans
son attribution est menacé de réduction si son bien a bénéficié de fortes plus-values ;
– la prescription abrégée de cinq ans à compter du décès spécifique aux libé-
ralités-partage (C. civ., art. 1077-2) ne s’appliquera pas et le délai de droit com-
mun porté à dix années maximum aura vocation à jouer ;
– le partage successoral qui sera fait suite à cette disqualification sera lui-
même sujet à lésion alors que la donation-partage ne l’est pas ;
– les éventuelles réincorporations figurant dans la donation-partage seront
remises en cause14.
On peut également se demander si le consentement à l’aliénation donné en
application de l’article 924-4, alinéa 2 du Code civil n’est pas entaché dans la
mesure où il avait été donné parce qu’au plan du calcul de la quotité disponible
et de la réserve, la valeur des lots de chacun était considérée comme figée et donc,
en principe, égalitaire15 ?
10. Quel serait le sort de l’acte qui attribuerait à un des donataires des droits indivis avec
d’autres personnes que ses codonataires ?
11. Exemple cité par M P., « Turbulences sur la donation-partage (…) », op. cit.,
n° 16 qui parle de « zone grise », pour le juriste et plus spécialement le notaire, le « gris » se lit
comme dangereux parce qu’exclusif de toute sécurité juridique.
12. Laquelle, au plan de ses conséquences, n’est pas bien grave parce que chacun a eu la
même chose !
13. C M., « La pratique notariale et la nouvelle position de la Cour de cassation
en matière de donation-partage », JCP N 1182, spéc. n° 24 et s.
14. G M., La nature et les enjeux de l’incorporation, 2016, Defrénois, p. 991 et s.
15. Sur la donation-partage inégalitaire, cf. infra, n° 7 et 10.
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16. Avant le 1er avril 1996, seules les donations-partages bénéficiaient d’une réduction de
droits d’enregistrement qui était fonction de l’âge du donateur et la doctrine fiscale admettait
cette qualification de donation-partage même lorsque les attributions étaient faites en
indivision. V. Documentation fiscale Francis Lefebvre ENR. X, n° 46860, Rép. min., JOAN,
15 août 1994, n° 14614, Valleix, p. 4150 ; BOI-ENR-DMT-20-20-10, n° 80.
17. G M., Que faire au lendemain des arrêts de mars et novembre 2013 ?, 2014,
Defrénois, p. 355, n° 5 ; G M. et V C., De quelques clauses des donations-
partages, 2014, Defrénois, p. 386, Bonnet G. et Vincent D. dans le rapport du 111e Congrès
des notaires de France Strasbourg 2015, n° 3427.
18. La qualification des actes étant de la compétence exclusive du juge, celle donnée par
les parties est totalement inopérante.
19. La jurisprudence récente prive d’efficacité les clauses pénales comme portant atteinte
au droit d’ester en justice. L V., Quel avenir pour les clauses pénales insérées dans les
libéralités, Defrénois 2016, p. 683.
20. C M., « La pratique notariale et la nouvelle position de la Cour de cassation
en matière de donation-partage », op. cit., spéc. n° 40 et s.
21. Bonnet G. et Vincent D., rapport du 111e Congrès des notaires de France Strasbourg
2015, précité, n° 3428, B C. et B A., « Disposer en indivision par voie de
donation-partage », op. cit., n° 17.
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22. T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit.,
n° 1246 ; S F., « Libéralités-partages », op. cit., n° 16 et s.
23. Si, par le passé, les deux types de partages d’ascendant que sont la donation-partage et le
testament-partage étaient traités ensemble et analysés sous un même angle de vue, aujourd’hui il
paraît nécessaire de les dissocier et de leur refuser cette gémellité tant ces deux modes de
transmission se sont écartés l’un de l’autre dans leur véritable nature. La facette libérale du
testament-partage étant à son faible niveau d’origine alors que pour la donation-partage, elle n’a
cessé de croître. Le testament-partage est l’émanation la plus visible de l’autorité du de cujus sur
la répartition de ses biens. Sur le testament-partage : N M., « Les perspectives du testament-
partage », JCP N 2014, n° 1186 ; sur la nature du testament-partage : B C., Les volontés
des morts, t. 557, préf. G M., 2014, LGDJ, n° 216 et s.
24. Sur la nature hybride de la donation-partage : N M., La fonction de partage de
la donation-partage, 2014, Defrénois, p. 348.
25. T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit., n° 1256.
26. Ibid., n° 1257.
27. Loi du 7 février 1938.
28. Loi n° 71-523.
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6. Une véritable donation. – « La donation entre vifs est un acte par lequel le
donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur
du donataire qui l’accepte »35. Tous les traits caractéristiques de la libéralité et plus
spécialement de la donation sont présents dans la donation-partage : appauvrissement
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B. Un partage édulcoré
36. P M. et R G., Traité pratique de droit civil français, op. cit., n° 17,
T F., L Y. et G S., Les successions, les libéralités, op. cit., n° 254 et s.
37. N M., La fonction de partage de la donation-partage, op. cit.
38. Sur l’attachement au principe d’égalité voire d’égalité en nature dans le partage
v. Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 15-18993, RTD civ. 2016, p. 671, obs. Grimaldi M.
39. C. civ., art. 1075-1 anc.
40. C. civ., art. 1075-3.
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réduction41. La donation-partage fige donc les valeurs et écarte la prise en compte des
évolutions économiques des biens entre la donation-partage et le décès. Pourtant, ces
règles de réévaluation n’ont pour autre but que de maintenir une certaine justice, un
équilibre ou une équité entre les héritiers42. D’ailleurs, cette règle dont l’effet est si
recherché est-elle juste ? Si les copartagés ont participé à l’élaboration de l’acte et n’ont
pas simplement subi la volonté autoritaire de l’ascendant, on peut admettre, à juste
titre, que l’égalité ou l’équilibre de l’acte se reportera au jour du décès. En revanche, si
les attributions sont le fruit d’un diktat du donateur, est-il juste que celui qui s’est vu
attribuer malgré lui un lot d’une valeur moindre ne puisse demander un rééquilibrage
lors du règlement successoral ? Le législateur, dans un but de sécurité juridique et pour
éviter que toutes les donations-partages ressurgissent dans les prétoires après le décès du
donateur, a, sous certaines conditions, tranché par la négative. Il faut s’en féliciter !
Rappelons toutefois que l’article 1078 n’est pas d’ordre public.
9. Accroissement de la liberté. – Pacte sur succession future par excellence, la
donation-partage, admise à titre exceptionnelle, se concevait dans un domaine
plutôt restreint avec des marges de manœuvres limitées. La réforme récente des
libéralités du 23 juin 2006 a fait tomber certaines barrières et a accru la liberté en
la matière43. Depuis, sont permises par exemple les renonciations anticipées à
l’action en réduction44, ou à agir en réduction contre les tiers acquéreurs45. Les
libéralités-partages transgénérationnelles ont également fait leur apparition46. Il
est également possible, dans une donation-partage, que les donateurs aban-
donnent leurs droits sur des récompenses oubliant ainsi quelques principes fon-
damentaux des régimes matrimoniaux47.
10. Paradoxe. – D’un côté on soutient que l’essence de la donation-partage
réside dans sa fonction pacificatrice procurée par le partage, la partition des
biens48 ; d’un autre côté on admet volontiers que cet allotissement puisse être
inégalitaire. Est-il vraiment certain qu’une donation-partage inégalitaire est de
nature à procurer cette paix tant recherchée dans les règlements successoraux49 ?
Nous affirmons le contraire et en cas d’une telle donation-partage, il y a fort à
parier qu’au décès du donateur, cette inégalité surgira telle une hache de guerre
qui serait déterrée longtemps après, et les héritiers lésés invoqueront une compen-
sation sur l’actif existant.
41. C. civ., art. 1028.
42. L F., La proportionnalité liquidative, 2016, Defrénois, p. 429.
43. L L., « Les nouveaux visages des libéralités-partage », in Mélanges Jacques
Foyers, 2008, Economica, p. 637.
44. C. civ., art. 929 et s.
45. C. civ., art. 924-4, al. 2.
46. Sagaut J.-F., JCP N 2006, 1321, H-V E., « La donation-partage
transgénérationnelle : état des lieux dix ans après », JCP N 1193, v. dossier « Pratique de la
donation-partage transgénérationnelle », Defrénois 2016, n° 19, p. 991 et s.
47. C G. et K M., Les donations-partages cumulatives et conjonctives, 2014,
Defrénois, 381.
48. M P., « Turbulences sur la donation-partage (…) », op. cit., n° 25 et s.
49. Sur la donation-partage inégalitaire : C P., « La donation-partage
inégalitaire : mythe ou réalité ? », JCP N 2014, 1185.
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Ainsi, la donation-partage semble avoir pris ses distances avec ses géniteurs,
l’enfant a pris de l’indépendance pour sortir de la tutelle de ses parents. Ce déta-
chement ne lui permettrait-il pas de s’affranchir de certaines règles originelles
comme la nécessité d’une partition totale ?
II – L’AUTONOMIE DE LA DONATION-PARTAGE
Il ne fait aucun doute que la donation-partage est bien une institution juri-
dique autonome (A) qui autoriserait d’être appréhendée avec souplesse en lui
appliquant des règles moins strictes (B).
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L’autonomie est donc l’emprunt à une matière, à une branche, à une règle, à
un mécanisme connu d’un ou plusieurs de ses traits, caractères ou règles tout en
les utilisant avec indépendance, en les modifiant soit dans leur application, soit
dans leurs effets. Cette autonomie n’est donc qu’un emprunt partiel de règles à
une institution établie. Elle est partielle en deux niveaux :
– la branche ou l’institution autonome n’emprunte qu’une partie, qu’un
nombre déterminé de règles, de préceptes ou de caractères à l’institution de réfé-
rence ;
– l’élément emprunté (pris isolément) est susceptible d’une modification dans
sa réception par l’institution autonome, il subit une mutation.
L’autonomie peut exister par rapport à plusieurs systèmes de référence, elle résul-
tera alors d’un contact entre deux ou plusieurs systèmes, matières, mécanismes ou
règles. L’autonomie est omniprésente en droit privé dont elle est le signe de son
évolution. Il suffit de penser à la garantie autonome laquelle a pris ses distances avec
certaines règles du cautionnement54 dont elle est issue mais continue à s’en voir
appliquer d’autres. Le même constat peut être fait avec la promesse de porte-fort
exécution55 ou la faculté de substitution dans les promesses unilatérales de vente56.
On peut aussi évoquer l’autonomie du régime de la participation aux acquêts par
rapport à la séparation des biens ou à la communauté d’acquêts. On peut également
rappeler l’autonomie de la faculté de substitution dans les promesses de vente par
rapport à la cession de créance ou à la cession de contrat57. On peut, de la même
manière, penser à l’autonomie de l’article 1099-1 du Code civil58 ou à l’autonomie
du mandat de protection future ou du mandat successoral.
Cette autonomie qui confère la richesse et l’attrait de tous ces nouveaux
contrats ou mécanismes juridiques est le fruit conjugué de l’œuvre du législateur,
de la jurisprudence et de l’imagination des praticiens, mêlant ainsi l’expérience du
passé et du connu à l’audace de l’innovation. Cette autonomie témoigne de la
vivacité de notre droit et de la fertilité de nos juristes.
12. Les signes de l’autonomie de la donation-partage : emprunts à la
donation et au partage. – Il ne fait aucun doute que la donation-partage n’est
plus un partage, elle n’est plus non plus une donation. Elle n’est pas une donation
parce qu’elle contient une répartition. Elle n’est pas un partage car elle est aussi
une libéralité. La donation-partage n’est ni l’un ni l’autre mais revendique un
régime juridique propre avec des règles propres.
54. S P., « Garantie autonome », JCl. Notarial Répertoire, Cautionnement, fasc. 80.
55. S M., « Promesse de porte-fort », JCl. Notarial Répertoire, Contrats et
obligations, fasc. 7-2, spéc. n° 44 et s.
56. B P., « Nature juridique de la clause de substitution dans le bénéfice d’une
promesse unilatérale de vente : une autonomie de circonstance ? », RTD civ. 1996, p. 29.
57. Sur l’éventuelle remise en cause de cette autonomie par la réforme des obligations
v. C G. et L M., La réforme du droit des obligations, 2016, Dalloz, n° 602.
58. Martin D. R., Gaz. Pal. 1973, II, 901 (5 déc. 1973), note sous Paris, 1re ch., 17 mai
1973.
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63. L F., La proportionnalité liquidative, op. cit. ; L F., Transmission successorale
et mise en œuvre de la proportionnalité par les notaires et le juge, 2016, Defrénois, p. 946.
64. S P. et V B., Mérites et maléfices de l’article 1078 du Code civil, 2014,
Defrénois, p. 356.
65. B C. et B A., « Disposer en indivision par voie de donation-
partage », op. cit., n° 22.
66. Cass. 1re civ., 25 mai 2016, préc.
67. Sur la contractualisation du droit de la famille, v. M-Z S.,
RTD civ. 2016, p. 773, spéc. n° 30.
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*
* *
16. Conclusion – S’accrocher à la bouée de l’autonomie pour éviter à l’acte
litigieux de sombrer dans une disqualification qui noierait les parties dans les
abysses du contentieux et de la revalorisation peut paraître sinon farfelu au moins
tiré par les cheveux. Mais combien d’enfants ont été sauvés de la noyade par le
cuir chevelu ? Cela permettrait de conforter une pratique notariale qui, gageons-
le, ne s’arrêtera pas et continuera à résister non pas par volonté de s’opposer à cette
jurisprudence mais simplement pour répondre à un besoin majeur des familles.
Il arrive que les notaires, par leur persévérance réfléchie et la proximité avec
leurs clients, poursuivent une pratique pourtant contraire à la jurisprudence ou
même à la loi, jusqu’à ce que le droit évolue dans le sens souhaité69. La clause
commerciale ou la clause alsacienne en sont de belles illustrations.
Jacques Combret, par son engagement et les fonctions qu’il a exercées, est un bel
exemple d’implication des praticiens dans l’évolution du droit, mettant le doigt sur
ses imperfections et ses lacunes. Mais son œuvre ne se limite pas à la simple critique
puisqu’elle comprend toujours des propositions constructives pour un droit meil-
leur et plus proche des personnes. Qu’il en soit ici vivement remercié !
Janvier 2017
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Éric F
Maître de conférences, HDR, Université de Bordeaux
Membre de l’IRDAP
Co-directeur du Master 2 Droit et gestion du patrimoine privé
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dès lors qu’il va s’agir de mettre en œuvre une stratégie de transmission pouvant
porter sur des biens situés à l’étranger, il convient d’appeler le droit comparé au
soutien de la réflexion afin de vérifier si la stratégie élaborée dans un pays déter-
miné sera reconnue dans le pays étranger de situation des biens. Enfin, il ne faut
jamais perdre de vue que les stratégies de transmission constituent un terreau
assez fertile aux taxations de différentes natures, de sorte que l’aspect fiscal ne doit
jamais être négligé en la matière, quand bien même s’agirait-il de protéger le
conjoint survivant. C’est dire qu’avant de mettre en œuvre quelque stratégie que
ce soit de neutralisation de la loi successorale, il importe de passer celle-ci dans un
crible au maillage très serré, seul garant de la qualité du résultat escompté. Seul
cet effort permet d’atteindre des objectifs que le droit international privé des libé-
ralités ne peut atteindre.
Si l’on prend pour point de départ de la réflexion l’analyse du droit interne
français, il est permis de constater que toutes les stratégies de transmission hors
libéralités ne sauraient être placées sur un pied d’égalité. Si toutes sont destinées à
éviter l’entrée de biens dans l’actif successoral, certaines ne permettent que la
transmission d’une somme d’argent au conjoint survivant, sous la forme d’un
capital ou d’une rente, d’autres doivent être mises en œuvre à l’occasion d’acqui-
sitions déterminées, afin que les biens ainsi acquis ne figurent pas dans l’actif
successoral de l’époux prédécédé, d’autres enfin permettent parfois de constituer
une universalité, transmise au conjoint survivant au décès du prémourant, avant
même que les biens composant ladite universalité tombent dans l’actif successo-
ral. Ces dernières stratégies sont spécifiques aux époux : elles reposent sur des
gains de survie. Les autres, en revanche, ne sont pas spécifiques aux personnes
mariées, mais la pratique révèle qu’elles sont très fréquemment utilisées entre
époux. De fait, si certaines stratégies, en droit interne, permettent de protéger le
conjoint survivant, alors même qu’elles sont détachées du mariage, d’autres ne
permettent de le protéger qu’en sa qualité de conjoint. Comment ces stratégies,
bien connues en droit interne, peuvent-elles être mises en œuvre en droit interna-
tional privé ? Pour répondre à cette question, il semble permis d’étudier, dans un
premier temps, les stratégies de transmission détachées du mariage (I), puis, dans
un second temps, les stratégies de transmission rattachées au mariage (II).
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Les stratégies fondées sur l’aléa quant au moment du décès sont celles qui
découlent d’une stipulation pour autrui. L’aléa porte sur la date du décès du sti-
pulant. Sont ici visés les contrats d’assurance-vie qu’un époux peut conclure au
bénéfice de son conjoint survivant. En droit international, le contrat d’assurance-
vie soulève des difficultés relatives, d’une part, à la loi applicable au contrat d’as-
surance-vie (1), d’autre part, à la fiscalité du contrat d’assurance-vie (2).
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compagnie d’assurance est situé en France12. Bien entendu, les dispositions avan-
tageuses de la loi TEPA s’appliqueront si la loi fiscale française est applicable.
On observera, pour conclure sur l’assurance-vie, que si rien n’interdit à deux
époux de souscrire l’un et l’autre un ou plusieurs contrats instituant le survivant
d’eux comme bénéficiaire, la conclusion d’un contrat d’assurance-vie procède,
par essence, d’une stratégie unilatérale de protection du conjoint survivant. Sans
doute est-ce là une différence importante entre l’assurance-vie et les stratégies
fondées sur l’aléa quant à l’ordre des décès.
Les stratégies fondées sur l’aléa quant à l’ordre des décès consistent, pour des
époux, à recourir au pacte tontinier à l’occasion d’acquisitions déterminées. Même
si la tontine peut constituer un carcan pour les cotontiniers, qui ne peuvent en
sortir qu’au prix d’un accord de volonté, cette modalité d’acquisition, qui repose sur
une condition suspensive de survie et une condition résolutoire de prédécès, pré-
sente de nombreux avantages dans une perspective de protection du conjoint survi-
vant. Grâce à la clause de tontine, le survivant des coacquéreurs est considéré comme
ayant toujours été seul propriétaire du bien acquis, depuis le jour de l’acquisition13.
Il s’ensuit que lorsque la tontine développe son effet, le bien acquis ne figure pas
dans l’actif successoral. La tontine permet ainsi d’éviter une indivision entre le sur-
vivant et les héritiers du prédécédé ; elle permet d’éluder les règles sur la réserve, ou
encore, si les cotontiniers sont des époux et que les enfants du prédécédé sont issus
des deux époux, de retarder au second décès la transmission auxdits enfants du bien
acquis en tontine14. En présence d’éléments d’extranéité, la tontine soulève deux
séries de questions : comment apprécier la validité de la tontine, d’une part (1),
quelle est la fiscalité applicable à la tontine, d’autre part (2) ?
1. La validité de la tontine
La validité de la tontine soulève d’emblée un problème de détermination de la
source de droit applicable. En droit interne français, la tontine constitue un pacte sur
succession future autorisé. La tontine semble également répondre à la définition du
pacte successoral telle qu’envisagée par le règlement « successions », savoir : « un accord
qui confère, modifie ou retire, avec ou sans contre-prestation, des droits dans la
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2. La fiscalité de la tontine
La fiscalité de la tontine est régie, en droit fiscal français, par l’article 754 A du
Code général des impôts. Le texte dispose : « Les biens recueillis en vertu d’une
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18. Pour un tableau des régimes légaux dans le monde, v. R M., Droit
international privé et européen : pratique notariale, op. cit., p. 288 et s., n° 570 et s.
19. En pratique, si le changement de loi a lieu en France, il doit prendre la forme d’un
contrat de mariage. Il s’agira donc d’établir un acte authentique et solennel.
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20. R M., Droit international privé et européen : pratique notariale, op. cit.,
p. 530, n° 982.
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21. Cass. req., 4 juin 1935, Rev. crit. DIP 1936, p. 755, note Basdevant ; S. 1936,
p. 377, rapport Pilon, note Niboyet ; DP 1936, 1, 7, rapport Pilon, note Savatier R. ; A B.
et L Y., Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 5e éd.,
2006, Dalloz, n° 15, p. 128 et s.
22. F E., « Le changement de régime matrimonial en droit international privé
– entre présent et avenir », Dr. et patr., déc. 2012, n° 220, p. 87 ; v. également, sur le sujet,
F J., « Le changement de régime matrimonial en droit international privé entre règles
internes et règles internationales », in Mélanges Gérard Champenois, 2012, Defrénois, p. 273.
23. Pour des éléments de droit comparé, v. R M., Droit international privé et
européen : pratique notariale, op. cit., p. 208, n° 407 ; R M., JCl. Notarial Formulaire,
V° Législation comparée.
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homologation, dont le coût pourrait s’avérer élevé pour les clients. Toutefois, on
se souviendra que la Convention de La Haye du 14 mars 1978 n’étant entrée en
vigueur que dans trois États – la France, le Luxembourg et les Pays-Bas –, les actes
établis sur le fondement de l’article 6 pourront ne pas être reconnus dans les États
non contractants, notamment dans ceux qui retiennent le principe d’une muta-
bilité contrôlée du régime matrimonial, et, a fortiori, dans les pays consacrant
l’immutabilité du régime matrimonial. À l’inverse, un changement « classique »
de régime matrimonial pourra, dans certaines situations, mieux circuler dans
l’ordre international qu’un changement de loi. Ainsi, si l’on souhaite qu’un avan-
tage matrimonial soit reconnu dans un État non contractant à la Convention de
La Haye, par exemple parce que les époux y ont conservé des biens, la solution la
plus prudente consisterait à recourir à un changement « classique » de régime
matrimonial plutôt qu’à un changement de loi. À cet égard, cette stratégie pourra
continuer de prospérer même après l’entrée en application du règlement euro-
péen relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des
décisions en matière de régimes matrimoniaux. En effet, le règlement, pour
autant qu’il exclue toute possibilité de mutabilité automatique de la loi applicable
au régime matrimonial, maintient la possibilité d’un changement volontaire de
loi, dont la portée se trouve toutefois limitée par rapport à celle de l’article 6 de la
Convention de La Haye. Certes, le règlement, en matière de conflit de lois, revêt
un caractère universel. La loi désignée s’appliquera même si elle n’est pas celle
d’un État membre. Mais s’il ne fait aucun doute que les changements de lois sur-
venus dans un État membre seront reconnus dans les autres États membres, il est
tout aussi certain que ces mêmes changements de lois ne seront pas reconnus dans
tous les États tiers, ne connaissant pas, a priori, cette façon induite de changer de
régime matrimonial. Les stratégies de protection du conjoint survivant fondées
sur le vieil arrêt Zelcer ont donc encore de beaux jours devant elles.
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TROISIÈME PARTIE
BIENS ET CONTRATS
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Gérard F
Docteur en droit
Notaire honoraire
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Il y a lieu tout d’abord de rappeler qu’il n’est nullement fait référence à la ton-
tine dans notre Code civil, seul le législateur fiscal, dans un souci de réalisme
budgétaire, y fait allusion mais seulement pour en tirer les conséquences
financières3.
3. Sont, sur le plan fiscal réputés transmis à titre gratuit, les biens recueillis en vertu
d’une clause de tontine, dans la mesure où le pacte tontinier a été conclu après le 5 septembre
1979 ; toutefois l’exigibilité des droits de mutation à titre gratuit ne s’applique pas à l’habitation
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En réalité, c’est la pratique qui l’a créée, sous diverses formes au cours de
l’histoire, comme nous l’avons rappelé en introduction, mais c’est à sa forme
moderne que nous limiterons notre analyse.
Force est de constater que c’est à l’orfèvre du contrat qu’est le notaire que l’on
doit la tontine sous son aspect actuel. Le pragmatisme juridique conduit en effet
souvent ce praticien à faire preuve d’une imagination que la doctrine lui envie et
que la jurisprudence tente d’encadrer4.
D’ailleurs, même sous sa forme moderne, la tontine a évolué au gré des appré-
ciations de la doctrine et des sanctions de la jurisprudence.
Il convient donc d’examiner les techniques juridiques successives qu’a pu
prendre la tontine, de celles-ci découleront ses caractéristiques techniques et les
conditions de sa validité.
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La tontine est donc un contrat à titre onéreux, aléatoire et, semble-t-il, exclusif
d’indivision.
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2. Un contrat aléatoire
C’est une des conditions de validité de la tontine, elle résulte des dispositions
de droit commun relatives aux obligations conditionnelles, notamment le respect
de la réalité de l’aléa.
C’est ainsi qu’une trop grande différence d’âge entre les tontiniers, un état de
santé déséquilibré de l’un par rapport à l’autre ou encore un financement inégali-
taire de l’immeuble mettra à mal l’aléa.
La clause sera alors, en fonction des causes de son invalidité, soit requalifiée en
libéralité, sauf à prouver l’intention libérale, soit considérée comme non écrite,
entraînant le retour à l’indivision entre les tontiniers.
En revanche, lorsque les exigences d’un contrat aléatoire, à titre onéreux, sont
respectées, la jurisprudence n’hésite pas à tirer toutes les conséquences de cette
validité.
Ainsi elle a pu admettre que n’était pas une donation de biens communs
l’achat par le mari, marié sous le régime de la communauté, d’un immeuble avec
sa maîtresse11.
11. Cass. 1re civ., 11 janv. 1983, Dalloz 1983, p. 501, obs. Larroumet C.
12. Cass. 1re civ., 9 nov. 2011, n° 10-21710.
13. Larroumet C., obs. sous Cass. 1re civ., 11 janv. 1983, D. 1983, p. 501 et s.
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peuvent que demander le partage pour se payer sur la quote-part du prix de leur
créancier (C. civ., art. 815-17, al. 3) or sous l’empire de la tontine les tontiniers
n’ayant pas le droit de demander le partage pour cause d’inexistence d’une indi-
vision, les créanciers ne l’ont pas non plus14.
De même elle a dénié aux créanciers personnels d’un tontinier le droit de saisir
les droits du tontinier sur le bien15.
Pourtant, et malgré la logique implacable de la haute juridiction, certains
auteurs16 soulignent que « le statut du bien acquis en tontine au cours de cette
période constitue certainement l’énigme la plus troublante17 de la tontine. Il
semble néanmoins que la nature des droits des tontinier ne soit pas différente de
celle de droits indivis… » et, allant jusqu’au bout de leur logique, ils démontrent
que l’acquisition du bien en tontine est une acquisition en indivision.
Le raisonnement, se fondant sur la technique conditionnelle, est le suivant :
« D’évidence, la condition dont il s’agit ne peut être suspensive, car alors l’im-
meuble serait vacant pendente conditione et le contrat en définitive nul. Elle ne
saurait d’avantage être une condition résolutoire, en ce que le bien pendente condi-
tione ne peut être simultanément la propriété exclusive de chacun des tontiniers…
on ne voit pas quel autre statut qu’indivis le bien acquis en tontine pourrait avoir,
dès lors que le bien appartient collectivement aux tontiniers ».
Mais, respectant bien sûr la jurisprudence de la Cour de cassation relative à
l’interdiction faite aux tontiniers de demander le partage, l’auteur de conclure
« au final la tontine créerait une indivision spéciale, dérogeant au droit commun
de l’indivision sur ce point ».
Ainsi aujourd’hui, ce « monstre juridique » « qui sacrifie sur son passage les
principes les mieux établis de notre droit : prohibition des pactes sur succession
future (article 1130, ancien, du Code civil) droit de demander le partage
(article 815 du Code civil) droit de gage général des créanciers (article 2093
(ancien) du Code civil) interdiction de disposer d’un bien commun sans le
consentement du conjoint (article 1424 du Code civil)… »18 est né et vit dans
notre droit des contrats, en toute impunité !
Mais ce « monstre juridique » peut-il se développer, repousser les barrières de
l’interdit et, défiant toute logique, ne porter que sur une partie démembrée du
droit de propriété, l’usufruit, dont on sait que lui-même disparaît, en principe,
avec la vie de l’usufruitier ?
14. Cass. 1re civ., 27 mai 1986, Bull. civ., n° 133, D. 1987, 139, note Morin G.,
JCP 1987. II. 20763, note Dagot M.
15. Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, Bull. civ. I, n° 315 ; JCP N 1998, II, n° 10051, p. 605,
obs. du Rusquec E.
16. G C. « Mystérieuse tontine », in Mélanges en l’honneur du professeur Gérard
Champenois, 2012, Defrénois.
17. Ibid., citant J. Patarin, obs. sous Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, RTD civ. 1998, p. 432.
18. M. Arrault, CRIDON Bordeaux-Toulouse, « pratique de l’usufruit », mise à jour,
septembre 1993.
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A. La pratique prétorienne
Les praticiens du contrat que sont les notaires ont eu à se pencher sur la ques-
tion afin de répondre à une attente de leurs clients dans une hypothèse, somme
toute, banale :
Deux époux ou deux concubins pacsés ou non19 qui ont chacun des enfants
d’une première union, envisagent d’acquérir leur logement. Ils souhaitent bien
sûr que le survivant d’eux en ait la « jouissance », mais ne veulent en aucun cas
« déshériter » leurs enfants.
Or, nous le savons, la tontine portant sur la pleine propriété aura pour consé-
quence, au décès de l’un des acquéreurs, de voir le bien revenir la propriété du
survivant et évincer ainsi les ayants droit du prémourant. Elle est donc, au cas
d’espèce, à proscrire, mais alors par quoi la remplacer pour atteindre le résultat
escompté ?
Certes les acquéreurs peuvent faire tout simplement un achat en indivision
et, par dispositions testamentaires, léguer l’usufruit de leur quote-part du
bien à l’autre. Oui, mais le risque d’atteinte à la réserve est d’autant plus grand
que le bien acquis sera peut-être le seul que posséderont les acquéreurs lors de
leur décès.
La sanction de la réduction les menace et même si celle-ci ne s’exerce désor-
mais qu’en valeur, encore faut-il trouver les capitaux permettant de « désintéres-
ser » les réservataires.
Alors pourquoi ne pas tout simplement faire acquérir le bien, pour la nue-
propriété indivisément entre les acquéreurs, dans des proportions égales ou iné-
gales d’ailleurs, en fonction de leurs apports financiers respectifs et, pour l’usu-
fruit, stipuler une clause de tontine ?
Au premier décès les enfants du prémourant recueilleront la quote-part de
nue-propriété que possédait leur auteur, le survivant l’usufruit de l’entier
bien. Puis au second décès les enfants du prémourant seront plein-proprié-
taires de la part de leur auteur par suite de l’extinction de l’usufruit du survi-
vant et les enfants du second défunt hériteront de la pleine-propriété de la
part de leur auteur.
Solution idéale, oui mais voilà une clause de tontine ne portant que sur l’usu-
fruit du bien résiste-t-elle à l’analyse juridique ?
19. Il convient de rappeler que la clause de tontine n’est envisageable qu’entre époux
mariés sous un régime séparatiste et/ou entre partenaires d’un pacs exclusif d’indivision.
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droit en propriété accru, mais augmenté d’un droit d’usufruit sur la part qui n’est
pas la sienne ; autrement dit, à un droit en propriété vient s’ajouter un autre, mais
de nature différente, puisque portant uniquement sur un démembrement. Celui
qui prédécède, contrairement au schéma classique, n’est donc pas considéré
comme n’ayant jamais été propriétaire, mais comme ayant été uniquement nu-
propriétaire de la part par lui acquise.
Et de rajouter que l’on ne peut, sans contradiction, démembrer la propriété
d’un bien sur la tête d’une même personne qui cumulerait à la fois les qualités de
nu-propriétaire et d’usufruitier.
Pour autant cette analyse ne fait pas l’unanimité en doctrine et, pour notre
part, n’emporte pas la conviction.
Un auteur24 notamment fait remarquer que la première réponse ministérielle
se fonde sur le fait que la tontine portant sur l’usufruit « apparaît incompatible
avec la nature des droits indivis. L’indivision implique en effet que les droits de
chacun des acquéreurs soient individualisés ». Or cet auteur rappelle que, pour la
jurisprudence de la Cour de cassation, c’est précisément l’absence d’indivision
qui caractérise la tontine pendente conditione.
Par ailleurs, balayant l’argument fondé sur le fait que pour éviter au prémou-
rant une restitution des fruits la tontine ne pourrait s’accorder avec un droit
d’usufruit, ce même auteur fait très justement valoir que l’acquéreur prédécédé a
pu être considéré comme possesseur de bonne foi tant que la condition n’était pas
levée. À ce titre il peut conserver les revenus qu’il a perçus durant cette période ;
en effet et aux termes de l’article 549 du Code civil, « le simple possesseur ne fait
les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi… ».
Quant à la seconde réponse ministérielle, ses arguments sont également réfu-
tés par cet auteur25 : « Le caractère temporaire de l’usufruit suffirait de le rendre
impropre à une acquisition en tontine. En réalité ce qui dérange, c’est qu’un
même événement (le décès du prémourant des acquéreurs) soit cause d’extinction
de l’usufruit mais aussi cause du dénouement de la tontine au profit du survi-
vant. La rétroactivité attachée à la condition permet de dépasser cette difficulté :
celui qui décède en premier est censé ne jamais avoir eu de droit sur l’immeuble,
et l’autre acquéreur se trouve, rétroactivement, considéré comme ayant été ab
initio usufruitier pour la totalité ».
Pour notre part, nous rajouterons que l’on ne voit pas pourquoi qui peut le plus,
faire disparaitre rétroactivement son droit en propriété par son prédécès, ne puisse
faire le moins, faire disparaitre uniquement les prérogatives d’usus et de fructus.
En effet, la rétroactivité qui fait disparaitre les droits initiaux qu’avait le pré-
mourant sur la pleine propriété du bien est une pure fiction de la loi et l’on ne
voit pas ce qui ferait obstacle à l’application de cette fiction à l’usufruit.
24. D S-H P., « Tontine : Réponse… à une réponse ministérielle », Dr.
et patr., mai 1999, p. 24.
25. D S-H P., « Tontine : Réponse… à une réponse ministérielle »,
op. cit.
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C’est ainsi que la cour d’appel de Toulouse, le 20 mai 200826, et la cour d’ap-
pel de Rennes, le 3 janvier 201227, ont, sans ambiguïté, validé la tontine portant
sur l’usufruit d’un bien.
La dernière de ces décisions est d’ailleurs très claire dans ses motifs et n’élude
nullement les objections de la doctrine, c’est ainsi qu’elle déclare : « Considérant
que la clause relative à la condition de survie est d’abord contestée au motif que
cette clause qui repose sur le mécanisme de la double condition suspensive et
résolutoire est incompatible avec l’usufruit qui s’acquiert au jour le jour.
Mais considérant que si du vivant des deux usufruitiers, ceux-ci disposent de
leur droit d’usufruit en commun, il n’est pas interdit qu’ils conviennent à l’avance
qu’au décès du prémourant qui emporte extinction de son usufruit, ce droit sera
censé n’avoir jamais existé, le survivant étant considéré comme le seul usufruitier
de l’immeuble depuis son acquisition.
Considérant qu’il est également soulevé qu’il n’est pas possible de démembrer
un droit de propriété sur la tête de la même personne ;
Considérant cependant que les acquéreurs ont acquis la moitié indivise de la
nue-propriété, mais ont séparément acquis le droit à usufruit dont ils ont décidé
que de leur vivant il s’exercerait en commun ;
Qu’il s’en suit qu’au décès du prémourant son droit à usufruit s’éteignant,
l’indivision ne porte que sur la nue-propriété entre les héritiers, seule
Madame C. demeurant usufruitière jusqu’à son décès ».
La Cour de cassation, quant à elle, n’a pas eu à se prononcer sur la question,
laissant ainsi le praticien désemparé devant tant d’incertitudes.
*
* *
Que conclure de cette brève étude sur la tontine et sur sa mystérieuse applica-
tion à l’usufruit ?
« Monstre juridique » pour les uns28, « roulette russe juridique » pour les
autres29, la tontine est comparable à l’hydre de Lerne, cette bête à sept têtes de la
mythologie Grecque, que le praticien a créé, mais que la doctrine et la jurispru-
dence n’ont cessé de vouloir décapiter.
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Chaque fois qu’une tête tombait une autre renaissait, sous des formes diverses,
la dernière empruntant celle de l’usufruit.
Une telle résistance à ces coups de sabre répétés est la preuve que cette création
ex nihilo de la pratique correspond manifestement à un besoin de nos concitoyens
que le législateur a pourtant ignoré.
Sa forme ancienne, traditionnelle, portant sur la pleine propriété a atteint ses
limites, tant ses inconvénients sont nombreux.
Alors la pratique a inventé la tontine en usufruit qui, du moins dans l’esprit,
réalise une sorte de compromis entre rigueur juridique et nécessité économique :
« Elle permet au tontinier survivant de s’assurer d’un droit minimum sur le bien
– un droit d’usufruit – tout en ménageant les droits des indivisaires, des héritiers
et des créanciers qui, pour l’essentiel – la nue-propriété –, conservent leurs pré-
rogatives. De surcroît, la limitation de la tontine à l’usufruit permet d’endiguer
les effets de l’atteinte à la réserve qu’elle consacre »30.
Alors, pourquoi vouloir s’en priver ?
30. D S-H P., « Tontine : Réponse… à une réponse ministérielle », op. cit.
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Henri P
Notaire honoraire
Vice-président du 102e Congrès des notaires de France (2006)
Lors de mes recherches à l’effet d’alimenter mes réflexions, je relis dans les
Mélanges en l’honneur de Patrick Serlooten, une introduction, écrite de la main de
Jacques Combret, qui s’applique plus à mon cas qu’à celui de mon ami Jacques,
lui qui domine l’expression juridique et dont les connaissances lui permettaient
sans aucune prétention de rédiger son texte.
C’est pourquoi je m’en inspire presque mot pour mot :
« Lorsque j’ai réalisé que j’avais accepté d’apporter une modeste contribution
au Liber amicorum destiné à rendre hommage à Maître Jacques Combret, j’ai pris
conscience que j’avais été pour le moins présomptueux ! Ma réponse spontanée
était liée tant à l’amitié que j’éprouve envers lui, que le souhait de lui manifester
tout le respect que j’ai devant tant de connaissances que devant ses qualités de
cœur ». Le temps de réflexion venu, cette justification ne suffirait pas pour joindre
ma plume aux brillants auteurs réunis en vue de réaliser cet ouvrage. Il était tou-
tefois trop tard et je n’avais plus qu’à assumer !
Choisir un thème tiré de mon expérience de praticien semblait le plus raison-
nable. Très vite un cadre de réflexion s’est naturellement imposé :
Trente-cinq ans au service de l’Établissement public d’aménagement de la
défense (EPAD), aujourd’hui Établissement public d’aménagement de la défense
Seine Arche (EPADESA), m’ont immergé dans la technique de la volumétrie.
Je dois préciser que mon but n’est pas d’ajouter ma pierre aux nombreux
articles rédigés par de brillants auteurs qui mieux que moi auront su analyser la
notion de volumétrie. Je me contenterai de narrer par un simple exemple com-
bien cette technique m’a été utile tout en notant qu’il y a lieu de ne l’utiliser qu’à
bon escient.
Mais en premier lieu quelques mots sur mes premiers pas dans la technique de
la volumétrie.
Deux personnages m’ont permis de m’initier à cette technique appliquée aux
ensembles immobiliers complexes lors de mon arrivée à la Défense. Il s’agit de
mon Maître Claude Thibierge et de Monsieur Jean Cumenge alors directeur juri-
dique de l’EPAD.
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Les cahiers des charges précisent les modalités d’utilisation des volumes d’équi-
pements collectifs, de la sécurité, de la reconstruction, de la répartition des charges.
Servitudes : seul lien juridique entre les propriétaires des volumes et qui
doivent rendre les volumes indépendants et autonomes de leur fonctionnement.
Si la création de servitudes entre volumes dépendants du domaine privé ne
soulève pas de problème particulier, il en va différement lorsque les volumes
dépendent du domaine public.
Ainsi qu’en est-il de la gestion et de l’exploitation des emplacements de sta-
tionnement à la Défense ? De la notion du droit d’utilisation permanente (DUP)
s’appliquant à un emplacement de stationnement déterminé et physiquement
identifié ? Notion générée au cours de l’expérimentation juridique qui a présidé à
la construction de la Défense.
Au résultat de consultations du professeur Yves Gaudemet, à qui j’ai eu
maintes fois recours à ma plus grande satisfaction, nous avons pu analyser l’évo-
lution de cette notion et sa compatibilité ou non avec celle de domanialité
publique et en tirer les conséquences.
Il est dommage que l’article L. 2122-4 du Code général de la propriété des
personnes publiques, qu’appelait de ses vœux ledit professeur Gaudemet, appuyé
par la pratique notariale, ne soit apparu qu’en 2006 ; cet article reconnaît la pos-
sibilité de constituer des servitudes réelles de l’article 639 du Code civil sur le
domaine public dès lors qu’elles sont compatibles avec l’affectation de la dépen-
dance domaniale occupée et moyennant une contrepartie financière.
En conclusion, rendons hommage à ces hommes qui ont su faire évoluer le
droit. À nous praticiens de faire bon usage de cette nouvelle technique en ne
l’utilisant qu’à bon escient. Ainsi il serait incohérent de s’adonner à un effet de
mode en soumettant à cette technique la division d’un immeuble haussmannien
pour qui la loi de 1965 a été rédigée ; de même comment soumettre au statut de
la copropriété un ensemble immobilier complexe tel que celui, susmentionné, de
la Grande Arche ?
Si l’on recherche des décisions jurisprudentielles sur l’application erronée de
l’une ou de l’autre de ces techniques, nous nous apercevons qu’elles sont si peu
nombreuses que nous pouvons en conclure que les praticiens les ont parfaitement
assimilées en ne les utilisant qu’à bon escient.
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Jérôme J
Professeur, IDP – Université Toulouse 1 Capitole – F. 31000
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remodeler. Ces influences peuvent venir d’en haut, directement via le droit de
l’Union européenne qui, sur certains points, a conduit à des modifications de pans
entiers (comme en ce qui concerne le contrat de consommation) ou indirectement
via certains aspects du droit international dont l’influence est certes plus diffuse
mais pas moins réelle (ainsi en est-il de la Convention de Vienne sur la vente inter-
nationale de marchandises, ou même des principes Unidroit qui proposent une
vision parfois différente du contrat et de ses règles essentielles). Mais ces influences
peuvent également venir d’en bas, et de la pratique à laquelle le droit des contrats
ne peut être sourd. Si les exemples d’onction législative de pratiques contractuelles
ne sont pas légion, ils n’en demeurent pas moins remarquables, qu’il s’agisse de la
clause de réserve de propriété1, de la lettre d’intention2 ou encore du processus de
conclusion du contrat électronique, le législateur ayant ici consacré la pratique de la
fenêtre de confirmation3. Ainsi, il est indéniable que le droit des contrats, formelle-
ment par quelques petites retouches, et plus fondamentalement par le biais de la
jurisprudence, a continué d’évoluer et de se modifier, traduisant cependant une
nouvelle approche, une nouvelle conception du contrat et des relations entre
contractants. Dès lors, c’est un décalage profond qui se fit jour entre la mise en
œuvre de ce droit et les textes, pour la plupart inchangés et traduisant une certaine
vision du contrat. En d’autres termes, le dogmatisme – inhérent à toute législa-
tion – sur lequel était fondée la lettre du Code subissait de plus en plus les coups
de butoir d’une pratique, notamment jurisprudentielle, évoluant vers de nouveaux
modèles. Plus précisément, ce sont les postulats du droit contrat qui apparurent en
décalage de plus en plus profond avec la réalité contractuelle, justifiant assurément
de remettre l’ouvrage sur le métier.
Trois exemples peuvent en être donnés. Le premier postulat – et sans doute le
plus important – résidait dans l’égalité entre contractants. En effet, 1804 ne pou-
vait faire moins que 1789 et l’égalité entre les hommes ne pouvait que se retrouver
en la matière : le Code civil, code des citoyens, ne pouvait reposer sur autre chose
qu’une égalité entre contractant4. La formule de Fouillée, si souvent décriée, « qui
dit contractuel dit juste » n’en était pas moins exacte, du moins dans cette vision.
Dans une perspective de stricte égalité, comment imaginer qu’un contractant (à
moins que sa volonté soit altérée, ou que son consentement ne soit pas libre ou
éclairé, mais dans ce cas les règles relatives à la capacité ou aux vices du consente-
ment remplissent leur office de protection) qui a été en mesure de défendre ses
propres intérêts, consente à un contrat qui leur serait contraire ? Cela n’était tout
simplement pas imaginable, et s’il a été imprudent ou négligent, le juge n’est pas là
pour le suppléer. De non vigilantibus non curat prætor ou, pour reprendre les mots
de Portalis : « l’office de la loi est de nous protéger contre la fraude d’autrui, mais
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non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison. S’il en était autre-
ment, la vie des hommes, sous la surveillance des lois, ne serait qu’une longue et
honteuse minorité ; et cette surveillance dégénérerait elle-même en inquisition »5. Il
en résulte que le lecteur aurait en vain cherché dans le code des références à la partie
faible et la partie forte, au contrat déséquilibré… Pourtant, la pratique ne tarda pas
à faire émerger des situations très éloignées de cette vision idéale6, et ce dès la fin du
e siècle. Les déséquilibres sont omniprésents et, serait-on tenté d’ajouter, n’ont
fait que s’accroître au fil du temps. Dès lors, le travail du juriste s’apparenta rapide-
ment à la quadrature du cercle : comme gérer ces déséquilibres de fait avec des ins-
truments juridiques pensés pour une égalité en droit ? Le contractant faible est une
réalité : faiblesse liée à l’objet du contrat (unissant un sachant et un profane) ; fai-
blesse liée à leurs forces respectives (un professionnel et un non professionnel, une
personne morale et une personne physique) ; faiblesse liée à l’emprise sur le contrat
(rédigé par l’un et accepté par l’autre)…
Le deuxième postulat découle directement du premier, et il concerne le rôle
du juge. Dès lors que le contrat était considéré comme la chose des parties, le juge
n’avait finalement qu’un rôle résiduel : s’assurer de la validité du contrat et en
garantir l’exécution. À bien des égards, le Code civil était le code du créancier.
Que les choses ont changé ! Presque toute l’histoire du droit du contrat au
e siècle peut se résumer à l’immixtion de plus en plus grande du juge dans le
contrat, grâce il est vrai aux outils qu’il trouva dans le code lui-même, à l’image
de son pouvoir d’interprétation.
Le troisième postulat découlait du lien d’obligation (contractuel ou extra-
contractuel) tel qu’envisagé par les rédacteurs, à savoir unissant un seul créancier
à un seul débiteur. La singularité de ce lien ne conduisait pas naturellement à
envisager des relations plus complexes, à de rares exceptions près7. Le droit de la
responsabilité fut peut-être le premier à être confronté aux difficultés posées par
la pluralité de sujets, avec l’apparition des dommages de masse8. Mais le même
phénomène apparut également en droit des contrats, en raison de la complexité
croissante des relations et des figures contractuelles, qu’il s’agisse de contrats com-
plexes ou d’opérations conduisant à articuler entre eux plusieurs contrats. Qu’il
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fondamentales. Et que dire de la bonne foi, issue d’un texte somme toute circonscrit
à une hypothèse (celle de l’exécution du contrat) et qui prit une importance consi-
dérable ? Il y avait incontestablement là matière à un enrichissement salutaire. En
deuxième lieu, il est tout aussi évident que certaines approches du droit du contrat
avaient vieilli, et sans doute mal vieilli. Ses concepts, voire ses fondements, méri-
taient d’être modernisés pour prendre en considération certains traits marquants de
l’évolution des contrats, comme le contrat-cadre ou encore le contrat d’adhésion.
À cet égard, le contrat d’adhésion, et la réalité qu’il sous-tend, ne pouvait guère
demeurer plus longtemps hors de la sphère du Code civil. Bien que la question ne
soit pas si simple que cela, et puisse être discutée dans son principe ou ses modalités,
comment admettre qu’un code, qui forme le droit commun, puisse laisser de côté
la situation… la plus commune ? Et ne parlons pas de la cause, accusée – à tort ou
à raison – de tous les maux ? En troisième et dernier lieu, c’est bien un objectif de
sécurité qui est poursuivi. Là est sans doute l’essentiel, et le moins aisé à atteindre.
Certes, une réforme est l’occasion d’assurer certaines solutions, en consacrant cer-
taines jurisprudences ou en les brisant. L’idée est ici double : non seulement rendre
les solutions sûres, c’est-à-dire prévisibles pour les acteurs, mais également les rendre
accessibles, lisibles : ici, l’objectif interne de sécurité juridique se double d’un d’ob-
jectif externe, de renforcement de l’attractivité de notre modèle juridique.
5. Derrière ces raisons, ces finalités, point déjà une tension, entre la volonté d’an-
crer la réforme des contrats dans la réalité des situations contractuelles, tendant à une
certaine forme de casuistique12, et celle de ne pas renoncer pour autant à donner une
vision du contrat, une conception dogmatique des relations contractuelles. Certes, il
est sans doute vain de vouloir opposer dogmatisme et pragmatisme tant il est vrai
qu’une conception dogmatique, préétablie du contrat ne peut qu’avoir des consé-
quences pratiques et, l’inverse, que des solutions pragmatiques peuvent révéler certains
partis pris. Tout au plus peut-on noter l’existence de cette tension entre les deux, dans
une matière où l’un et l’autre sont inéluctablement associés, liés : le contrat n’existe pas
en tant que tel, il n’y a que des contrats. Toute règle, fut-elle la plus générale possible,
ne s’exprime ici que par le biais des contrats spéciaux. L’incorporation du principe
dogmatique, traduisant un postulat structurant, dans une situation contractuelle par-
ticulière ne peut faire l’impasse sur la réalité, sous peine d’être désincarné, et la solution
pragmatique ne peut ignorer le fondement sur lequel elle assoit sa justification, sous
peine d’être incohérente. Délicat exercice de funambule que de vouloir adapter un
vieux droit plein de présupposés à la réalité contemporaine, mais cependant nécessaire
pour éviter deux écueils : celui d’un droit fondé uniquement sur des vérités proclamées
(au premier rang desquelles figure la force obligatoire du contrat) qui risque d’être en
décalage avec la réalité, et celui d’un droit uniquement fondé sur la pratique, qui risque
de révéler ses incohérences et ses contradictions. La réforme entend concilier les deux,
et elle ne le fait pas si mal. Mais les tensions entre ces deux pôles ne peuvent être évitées,
tant au regard de la méthode adoptée, que des résultats obtenus13.
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I – LA MÉTHODE
6. Toute réforme commence par une méthode. Celle mise en œuvre par l’ordon-
nance tente de concilier dogmatisme et pragmatisme, approche générale et spéciale,
par le biais d’instruments qui sont liés au discours comme aux moyens de sa réalisa-
tion, de sa mise en œuvre. Ils sont à la fois structurels et fonctionnels.
7. La remise à plat des règles contractuelles doit, déjà dans sa forme, tenter de
répondre aux objectifs de la réforme, et concilier le maintien d’un cadre notionnel
important avec l’apport de plus d’un siècle de jurisprudence, laquelle permet de
manière heureuse une évolution du modèle, apte à le rendre « compatible » avec
la réalité contemporaine du contrat. Cette conciliation, cette complémentarité
apparaît grâce à plusieurs instruments, dont le principal réside dans la présenta-
tion, la structure générale de la réforme. Mais pour essentielle qu’elle soit, elle ne
doit pas occulter d’autres voies, plus subtiles, dont le langage, porteur de sens.
8. La présentation, la structure générale, traduit la volonté de donner du contrat
une vision à la fois réelle et complète14. La vision générale du contrat ne surprend
pas, et elle reprend la présentation qui est généralement faite de la matière. Mais
alors que le plan du Code de 1804 laissait sur le bord du chemin certaines ques-
tions, en évoquant successivement, après des dispositions préliminaires, les condi-
tions de validité, les effets des obligations et les diverses espèces d’obligation15, la
nouvelle structure, guère différente d’un point de vue général, s’enrichit de nom-
breuses rubriques complémentaires (la conclusion du contrat, la nullité et la cadu-
cité, la durée du contrat, la cession) ou réorganisées (à l’image des sanctions de
l’inexécution). L’ensemble est incontestablement plus clair et plus lisible à la fois.
Au sein de cette structure, ce sont avant tout les dispositions liminaires qui tra-
duisent cet effort de complémentarité. Alors que le chapitre correspondant dans la
version originelle se contentait d’une définition du contrat, suivie d’une série de
définitions et de classifications, deux séries de dispositions apparaissent clairement
dans les nouveaux articles 1101 et suivants. Bien que le rapport au président de la
République s’en défende16, c’est bien de principes essentiels (quoique non direc-
teurs) et structurants qu’il s’agit. Sont ainsi placés en exergue les principes de liberté
contractuelle, de force obligatoire et de bonne foi, qui acquiert enfin droit de cité
au fronton du temple contractuel. Leur place est significative, comme en témoignent
14. V. infra, n° 14.
15. Pour s’en tenir au strict contrat, la suite étant consacrée à l’extinction des obligations
et à leur preuve.
16. « Contrairement à certains projets européens, l’ordonnance n’a pas opté pour un
chapitre préliminaire consacré aux “principes directeurs” du droit des contrats ». Ces règles
« bien que destinées à donner des lignes directrices au droit des contrats, ne constituent pas
pour autant des règles de niveau supérieur à celles qui suivent ». L’objectif est d’éviter « un
interventionnisme accru » du juge.
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manifeste d’ancrer le droit des contrats dans la réalité, en consacrant une notion
déjà ancienne et qui reflète sans doute la majorité des situations. Pragmatique si elle
en est – le droit commun pouvait-il continuer d’ignorer dans sa lettre ce qui forme
la majorité des cas ? – cette disposition va bien entendu au-delà et, d’un point de
vue dogmatique, change sans doute le modèle de référence sur lequel tout le reste se
construit20. Structurante par excellence, cette opposition entre contrat d’adhésion et
contrat de gré à gré n’est-elle pas en passe de devenir l’une des lignes de partage des
autres dispositions du droit des contrats, bref une nouvelle clé de compréhension et
de lecture des textes ?
9. Au-delà de la présentation, c’est également le langage utilisé qui est intéres-
sant21. Se voulant plus moderne, plus proche des réalités, au point de délaisser
certains aspects traditionnels (comme la distinction entre le contrat et la conven-
tion), il est également porteur de sens, même s’il faut sans doute se garder de
vouloir donner une signification à tout. Pour autant, s’agissant par exemple des
conséquences de l’inexécution contractuelle, et alors que la première version du
texte évoquait les « remèdes », le terme de « sanctions » fut finalement choisi22.
Derrière l’aspect faussement technique du terme (et peut-être limité : l’exception
d’inexécution est-elle fondamentalement une sanction, tout comme l’exécution
forcée en nature23 ?), n’y a-t-il pas là le choix d’un modèle, lié notamment au rôle
du juge et des parties face à l’inexécution ? Sanctionner le contrat, ou au contraire
tout mettre en œuvre pour lui permettre d’offrir aux parties l’utilité qu’elles espé-
raient ? À titre d’exemple, là où le droit français de la vente impose l’existence
d’un prix dès la conclusion du contrat, et sanctionne son absence de diverses
façons24, la Convention de Vienne précise que l’absence de prix peut ne pas affec-
ter sa validité, les parties étant présumées s’être tacitement référées au prix habi-
tuellement pratiqué au moment de la conclusion du contrat. Dans un autre ordre
d’esprit, comment ne pas remarquer que la réforme, si elle maintient la référence
à l’ordre public, notamment à l’article 116225, a rayé de sa lettre les bonnes
mœurs ? Là encore, la suppression est-elle porteuse de sens et doit-elle conduire à
la disparition du contrôle de moralité des contrats, lesquels seraient seulement
perçus comme de simples instruments d’échanges, de circulation des richesses ?
Mais l’article 6 veille toujours… Enfin, dernier exemple de cette tension entre
20. V. infra, n° 15.
21. V. C-P S., « Le vocabulaire », RDC 2016, n° 3, p. 581 ;
G T., « La grammaire dans la réforme du droit des contrats », RDC 2016.751.
22. O P., « Des remèdes aux sanctions : le retour de la faute au galop ! »,
JCP G 2016, 769 ; M M., « Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat », RDC 2016,
n° 2, p. 400.
23. M D., « L’exécution forcée en nature dans la réforme du droit des contrats »,
D. 2016. 2477.
24. Nullité du contrat si le prix est inexistant ou vil, voire requalification si cette absence
est motivée par une intention libérale. V. M J., « La détermination du prix dans le
“nouveau” droit commun des contrats », D. 2016. 1013 ; L F., « La fixation unilatérale
du prix dans les contrats cadre et prestations de service », JCP G 2016, 642.
25. « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but,
que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ».
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10. S’agissant des moyens fonctionnels utilisés par la réforme, ils prennent
souvent la forme d’une transcription dans l’ordre légal de solutions ou de ques-
tions développées en jurisprudence. À ce titre, la réforme fait œuvre utile, ou en
tout cas conforme à l’objectif de lisibilité du droit. Mais là encore, la tension se
fait jour : la lisibilité est-elle assurée par le principe ou par l’exemple ? Les deux,
bien entendu, même si pour l’essentiel les nouveaux textes s’intéressent à des
questions pratiques, auxquelles il tente d’apporter des réponses claires. Tel est le
cas lorsqu’ils consacrent purement et simplement des jurisprudences bien éta-
blies. De nombreux exemples pourraient être pris de ce que le législateur des-
cend du haut de ses principes pour aborder des questions concrètes, mais
importantes. Tel est le cas de la période précontractuelle, heureusement intégrée
dans la réforme, qu’il s’agisse du processus d’échange des consentements (offre
et acceptation), des négociations contractuelles ou encore de certains avant-
contrats. On peut ici songer à l’article 1112 quant à la rupture abusive des
pourparlers et au préjudice que peut invoquer (ou plutôt que ne peut pas invo-
quer) la victime de ce comportement, à l’article 1116 et au régime de la rétrac-
tation de l’offre et bien entendu au pacte de préférence ou à la promesse unila-
térale. Dans toutes ces hypothèses, l’intérêt pratique d’une solution légale est
évident et ici le pragmatisme remplit pleinement son office, lorsque la loi
consacre des jurisprudences établies, mais même lorsqu’elle les condamne, à
l’image de la solution donnée par l’article 1124 en matière de promesse unila-
térale. Au fond, peu importe la solution donnée, du point de vue de la lisibilité
de la règle, et de sa sécurité, soit qu’elle consacre soit qu’elle condamne : l’essen-
tiel est qu’elle fixe un cap.
11. Pourtant dans certains cas, la réforme prend position sur des questions
– certes intéressantes – mais dont il n’est pas certain qu’elles donnent lieu à un
contentieux très important, du moins devant la Cour de cassation. Ainsi en est-il
de la caducité de l’offre par le décès du pollicitant, même lorsqu’elle est assortie
d’un délai, ou encore de la consécration de la théorie de la réception, qu’il s’agisse
de déterminer le lieu ou le moment de conclusion du contrat. Il n’est certes pas
illégitime de poser ces questions – et de leur apporter une solution – mais leurs
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conséquences pratiques semblent tout de même moindres que dans d’autres cas.
Parfois encore, la réforme prend position sur des questions très commentées, si ce
n’est controversées, alors pourtant que les arrêts de la Cour de cassation semblent
se compter sur les doigts d’une main. Tel est le cas de l’imprévision consacrée par
l’article 119526. La question est certes d’importance, et elle a donné lieu à des
débats doctrinaux passionnés. Pour autant, on ne peut s’empêcher de penser que
les implications théoriques de la solution nouvelle dépassent largement les enjeux
pratiques. Finalement, l’hypothèse de travail n’est-elle pas celle d’un contrat à
durée déterminée (sinon les parties ont le loisir d’y mettre un terme de manière
unilatérale) et souvent d’assez long terme (hypothèse qui permet à l’imprévision
de produire ses effets néfastes) ? Mais dans ce cas, n’est-il pas tout aussi simple
pour les parties de prévoir, par des clauses idoines, une solution à cette difficulté ?
Devant une hypothèse somme toute assez restreinte, la réforme prévoit une solu-
tion contraire à plus d’un siècle de jurisprudence27 et non dénuée d’incertitudes.
La portée dogmatique l’emporte ici largement sur la portée pragmatique de la
solution. En d’autres termes, cette hypothèse méritait-elle de porter atteinte à un
principe si essentiel que celui de la force obligatoire des contrats ? Derrière l’appa-
rence d’une solution purement pragmatique, n’est-ce pas là, encore, un choix de
modèle qui est opéré ?
12. Derrière cette question en apparaît une autre, qui est relative aux places respec-
tives du juge28 et des parties. La vision de 1804 était finalement assez simple, offrant à
chacun une place précise. Aux parties le soin de conclure et de déterminer le contenu
du contrat, au juge celui d’être garant de sa validité et surtout de son exécution telle
qu’elle a été voulue. Il est au demeurant exact que pratiquement toute l’histoire du
droit contractuel, surtout au e siècle, peut se résumer à une immixtion de plus en
grande du juge pour finalement aboutir à cette situation : le contrat n’est plus depuis
longtemps la chose des parties, c’est-à-dire tel qu’elles l’ont voulu, mais tel que le juge
estime qu’elles l’ont voulu, ce qui n’est pas tout à fait la même chose… Plusieurs dis-
positions de la réforme tracent en creux une nouvelle répartition des fonctions, qui
n’est toutefois pas exempte d’incertitudes ou de contradictions. En effet, d’un certain
point de vue, l’intervention du juge s’en trouve renforcée, de manière naturelle
lorsqu’il est question de prononcer la substitution de la partie à un tiers en cas de
violation d’un pacte de préférence ou d’une promesse unilatérale ou de manière par-
fois plus surprenante, comme en matière d’imprévision. En effet, l’article 1195 crée
un système à plusieurs niveaux, prévoyant in fine l’intervention du juge qui pourra
mettre un terme au contrat, ou le réviser. Ce pouvoir de révision semblait, au-delà du
cas de l’imprévision, un peu plus général dans la première version du texte. Ainsi, dans
l’hypothèse d’une détermination unilatérale du prix dans les contrats d’application
26. V. R T., « Le juge et la révision du contrat », RDC 2016, n° 2, p. 373 ; S-
M P., « L’imprévision et la réforme des effets du contrat », RDC 2016, hors-série p. 30.
27. Même si quelques décisions, remarquables mais finalement peu nombreuses,
offraient un contre-modèle.
28. V. M D., « La place du juge en droit des contrats », RDC 2016, n° 2, p. 353 ;
A L., « Le juge et le contrat : nouveaux rôles ? », RDC 2016, hors-série, p. 14.
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29. Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, nos 91-15578, 91-15999, 91-19653 et 93-13688,
JCP G 1996, II, 22565, note Ghestin J. ; D. 1996. 13, note Aynè L.
30. V. C G. et L M., La réforme du droit des obligations (…), op. cit.,
n° 421.
31. Confirmé par l’article 1226.
32. Comme avec les actions interrogatoires. V. J E., « Les actions interrogatoires
en question », JCP G 2016, 737 ; F M., « Les nouvelles actions interrogatoires »,
D. 2016. 1665.
33. Comme avec l’exception d’inexécution par anticipation : v. infra, n° 17.
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II – LES RÉSULTATS
34. V. B H., « Les grands mouvements du droit commun des contrats après
l’ordonnance du 10 février 2016 », RTD civ. 2016. 247.
35. Art. 1352 et s. P S., « Les restitutions : et si le dogmatisme avait du bon ? »,
JCP G 2016, 676.
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peu importe, serait-on tenté de dire, que le Rubicon ait été franchi armes à la main par
une personne ou une légion entière, à partir du moment où il l’a été. Cette disposi-
tion, qui n’a pas fini d’être débattue, trace les contours d’un nouveau modèle de réfé-
rence à partir duquel le droit des contrats se structure. Mais ce renouvellement de
l’archétype permet-il le maintien d’une cohérence globale ?
16. Dogmatisme et pragmatisme sont les deux pôles d’un ensemble qui doit,
dans l’idéal, demeurer harmonieux et cohérent. Ainsi le pragmatisme a-t-il natu-
rellement vocation à compléter le dogmatisme, et même à le renforcer. Mais il
peut arriver également que la solution pragmatique admise dans telle hypothèse
vienne contredire la règle fondatrice. Comment dès lors sortir de la contradic-
tion ? Avec, il faut bien l’avouer, quelques difficultés. Plusieurs approches sont
alors possibles. Dans une première approche, résolument optimiste, il sera possible
de voir dans la solution pratique contraire au principe préalablement énoncé la
manifestation d’une volonté du législateur : c’est sciemment, en toute connais-
sance de cause, qu’il a posé deux règles apparemment contraires. Il restera alors au
juge et à l’interprète de cantonner précisément le champ de l’exception et d’en
justifier l’existence. Ici, pragmatisme et dogmatisme se complètent dans la
construction d’un modèle juridique voulu. Dans une deuxième approche, plus réa-
liste, l’incohérence ainsi créée pourra être reconnue en tant que telle, mais justi-
fiée par des circonstances particulières. Le principe est certes remis en cause, mais
cette remise en cause est elle-même justifiée par certaines raisons : d’un certain
point de vue, le principe demeure donc, mais pas dans cette hypothèse45. Ici le
pragmatisme s’extrait du dogmatisme. Enfin, dans une troisième approche, beau-
coup plus pessimiste, aucune signification particulière ne sera donnée à la pré-
sence de solutions contradictoires : ni volonté de construire un système entier et
harmonieux mais dont toutes les clés ne sont pas données ; ni recherche d’une
cohérence a posteriori par le fait de circonscrire certaines hypothèses, mais le
simple constat de solutions différentes et juxtaposées. Ici, le pragmatisme prend
le pas sur le dogmatisme. Tout ne sera bien entendu qu’affaire d’interprétation, et
de liberté dans cette interprétation. Ainsi, lorsque le législateur pose une règle
particulière contraire à une règle plus générale, que faut-il en déduire ? Que l’ex-
ception est par nature d’interprétation stricte et que c’est pour cela qu’elle est
expressément mentionnée46 ? Ou bien qu’il s’agit là de la manifestation expresse
d’un principe général sous-jacent47 ?
17. Plusieurs exemples de ces tensions sont perceptibles dans la réforme. Le
premier, déjà évoqué, est relatif à un point pourtant essentiel : le respect du
45. Mais il conserve son rang de principe pour les autres situations.
46. Ce qui est une analyse classique.
47. Ce qui est là une analyse moins classique, mais qui n’est pas sans précédent. Il n’est
qu’à évoquer la responsabilité générale du fait d’autrui découlant de l’alinéa premier de
l’article 1242 (anciennement 1384).
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contrat. Le contrat doit-il être respecté tel qu’il est ou bien tel qu’il devrait être ?
Doit-il avoir une force obligatoire ou peut-on s’en extraire ? Ici encore, la réforme
semble ventiler certains rôles, entre force obligatoire et respect du contenu, et
possibilités d’adaptation par le juge dans certains cas. Le maintien des anciennes
dispositions, que l’on retrouve aujourd’hui par exemple à l’article 110348, 119349
ou 119450 côtoie les nouvelles prérogatives soit des parties, soit du juge : révision
du contrat en cas d’imprévision à l’article 1195, réduction du prix à l’article 122351,
résolution unilatérale à l’article 122652, exception d’inexécution préventive à l’ar-
ticle 122053… Quel est le modèle de contrat qui est proposé ? Un modèle contrai-
gnant ou, au contraire, évolutif ?
Le deuxième exemple réside dans les notions d’équilibre et d’équivalence. Là
encore, certaines dispositions peuvent apparaître de prime abord comme tradui-
sant des idées divergentes. D’un côté, reprenant les canons traditionnels de la
matière, la réforme rappelle que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut
d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins
que la loi n’en dispose autrement »54. La règle est en effet classique – celle d’un
refus de principe de la lésion comme vice du consentement – et en réalité sans
doute inévitable : l’équilibre n’est pas une condition de validité des contrats. Mais
de quel équilibre s’agit-il ? L’équilibre dans le contrat et non pas l’équilibre des
contractants. Car pour ces derniers, du moins dans un contrat d’adhésion, la
réforme a reconnu la possibilité de sanctionner les clauses déséquilibrantes. Deux
visions contraires se font donc jour : le contrat est par définition équilibré dans
ses prestations (puisque leur déséquilibre n’est pas une cause de nullité), mais il
peut être déséquilibré au regard de son contenu précis (hors prix et objet). Équi-
libre matériel et déséquilibre juridique en quelque sorte : il n’y aurait pas de prin-
cipe d’équilibre dans le premier cas55, mais bien dans le second.
Le troisième exemple, enfin, est relatif à la sanction de l’inexécution du
contrat, ce qui traduit en filigrane la place qu’occupe la force obligatoire du
contrat. Il s’agit bien entendu de la question de l’exécution forcée et de cette idée,
somme toute assez simple : le créancier est-il en droit d’obtenir ce qui lui avait été
promis ? A priori, les textes nouveaux sont clairs, et c’est à une restauration de la
force obligatoire qu’il s’agit, dont l’une des manifestations les plus claires réside
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Cécile D
Notaire
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jurisprudence aidée par la pratique et la doctrine. Bien qu’en 1999, Cyril Nourrissat1
relevait que la cession conventionnelle de contrat paraissait inconcevable pour cer-
tains auteurs, les rédacteurs de l’ordonnance se sont inspirés des solutions consa-
crées par la jurisprudence et la doctrine.
La cession de contrat relève du droit des contrats contrairement aux cessions
de créances et de dettes qui relèvent de l’étude du régime général des obligations2.
Le nouvel article 1216 du Code civil dispose désormais qu’« un contractant, le
cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec
l’accord de son cocontractant, le cédé. Cet accord peut être donné par avance,
notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la
cession produit effet à l’égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et
le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu’il en prend acte. La cession doit être consta-
tée par écrit, à peine de nullité ».
La définition de l’article 1216 du Code civil est donc conforme à celle donnée
jusqu’ici par la doctrine à savoir « une substitution d’une personne à une autre
dans les liens d’un contrat »3. Avec cette définition, on remarque que la cession
porte finalement moins sur le contrat en son entier que sur la position contrac-
tuelle. C’est ce qui avait déjà, bien avant la réforme, été prôné par la doctrine.
Ainsi, pour Alain Sériaux : « Ce que l’on cède n’est pas le contrat mais la qualité
de cocontractant avec ses droits et ses obligations » et pour Laurent Aynès4 : « La
cession de contrat a pour objet de changer l’une des parties à ce rapport contrac-
tuel, sans en altérer l’efficacité et sans en modifier l’identité ». C’est donc tout
naturellement que les auteurs d’aujourd’hui avancent, sans contradiction, que « le
contrat est autre chose qu’une addition de créances et de dettes, puisqu’il s’agit de
transmettre une position contractuelle faite non seulement de liens d’obligation,
mais encore de prérogatives contractuelles »5.
L’effet de la cession est donc de substituer le cessionnaire au cédant dans le
rapport contractuel existant. Logiquement, si la cession était parfaite, le cédant
devrait quitter le rapport contractuel qui ne subsisterait plus qu’entre le cédé et le
cessionnaire. Cependant, le cédé peut ne pas avoir intérêt à libérer le cédant de ses
obligations envers lui. Même si le contrat n’a pas été conclu intuitu personae, il
peut ne pas avoir la même confiance envers le cessionnaire que celle qu’il avait
envers le cédant qu’il avait choisi comme cocontractant initial. Le texte de l’ar-
ticle 1216 du Code civil maintient donc l’exigence d’un consentement du cédé
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Les promesses de vente étant des contrats, leur cessibilité apparaît comme une
évidence. Mais au-delà des limites d’origine soit légale, soit conventionnelle, il
faut distinguer suivant que la promesse de vente est une promesse dite « unilaté-
rale » ou « synallagmatique ».
En ce qui concerne les limites légales, il faut rappeler que, pour des raisons
notamment fiscales, la possibilité de céder une promesse unilatérale de vente
moyennant une contrepartie est, en effet, formellement interdite aux profession-
nels de l’immobilier. Ainsi en vertu de l’article 52 de la loi n° 93-122 du 29 jan-
vier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie
économique et des procédures publiques8, « est frappée d’une nullité d’ordre
public toute cession à titre onéreux des droits conférés par une promesse de vente
portant sur un immeuble lorsque cette cession est consentie par un professionnel
de l’immobilier ». Il est à noter que cette prohibition, qui va dans le sens d’une
moralisation économique des échanges, s’appliquait déjà antérieurement aux
agents immobiliers.
Par ailleurs, la volonté des parties peut également restreindre, voire supprimer
la cessibilité du contrat de promesse : soit parce qu’une clause du contrat interdit
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purement et simplement la cession, soit parce que le contrat a été conclu intuitu
personae, c’est-à-dire en considération de la personne du bénéficiaire (compte
tenu de sa solvabilité par exemple).
Mais, au-delà de ces limites légales ou conventionnelles, c’est au regard de la
nature unilatérale ou synallagmatique qu’il faut apprécier la cessibilité de ce contrat.
Dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente, on distingue selon que la
cession est consentie par le promettant ou par le cessionnaire. Du côté du pro-
mettant, celui-ci ne peut céder la promesse à un tiers sans céder, en même temps,
à ce tiers la propriété du bien promis au bénéficiaire. La cession de la promesse
unilatérale de vente par le promettant n’est donc, ni plus, ni moins qu’une cession
de l’immeuble objet de la promesse laquelle se trouve être désormais interdite
pendant toute la durée du délai d’option consenti au bénéficiaire de la promesse9.
Concernant le bénéficiaire, jusqu’à ce qu’il lève éventuellement l’option qui lui a
été consentie, le promettant demeure propriétaire de la chose promise. En consé-
quence, pendant cette période, le bénéficiaire n’a aucun droit réel sur la chose. Il
bénéficie seulement d’un droit à l’encontre du promettant. Ce droit peut être
transmis. Cela n’a jamais été contesté et, bien avant la consécration légale de la
cession de contrat, la cession par le bénéficiaire des droits qu’il détient à l’encontre
du promettant était, en principe, possible. En effet, dès 1866, la Cour de cassa-
tion avait affirmé que « rien ne s’oppose à ce qu’une promesse de vente devienne
l’objet d’une cession ». Cet arrêt est parfois présenté comme allant jusqu’à recon-
naître le principe d’une cessibilité de plein droit par le bénéficiaire d’une pro-
messe de vente. Pourtant, cette affirmation ne saurait perdurer avec l’entrée en
vigueur de l’article 1216 du Code civil : la cessibilité doit être, on l’a vu, acceptée
par le promettant. On ne peut, bien évidemment, imposer une cession au pro-
mettant car la règle en droit français n’est pas la libre cession des contrats mais
bien plutôt leur effet relatif.
Dans le cadre d’une promesse synallagmatique de vente, dont le « compromis
de vente » constitue l’illustration la plus courante en pratique, on peut difficile-
ment envisager une cession d’un contrat dans lequel les parties sont d’ores et déjà
vendeur et acquéreur et non pas seulement promettant et bénéficiaire. Du côté du
vendeur, tout d’abord, la cession ne paraît pas possible si l’on considère que la
promesse synallagmatique vaut vente et que c’est seulement la mise en œuvre du
contrat qui est suspendue à la réalisation de certaines conditions suspensives. Ce
n’est que si la promesse synallagmatique de vente n’est qu’un simple contrat pré-
paratoire en vue de la conclusion d’un contrat « cible » que l’on pourrait envisager
une cession par le promettant, qui ne pourrait alors plus être considéré comme
vendeur, de ses droits dans la promesse. Concernant l’acquéreur : sur le principe,
la Cour de cassation a semblé admettre la cession de promesse synallagmatique10
en déclarant que la clause de cessibilité ne préjuge pas de la nature, unilatérale ou
synallagmatique, de la promesse. Mais en dehors du cadre de la déclaration de
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L’usage de la clause de substitution est très répandu en pratique dans les pro-
messes de vente, qu’elles soient unilatérales ou synallagmatiques, avec une rédaction
évidemment différenciée pour éviter les écueils que nous venons de soulever. Dans
une promesse unilatérale de vente, cette clause autorise le bénéficiaire à se substituer
la personne de son choix dans le bénéfice de la promesse. Dans une promesse synal-
lagmatique de vente, elle autorise l’acquéreur à désigner un autre acquéreur, pourvu
que cette faculté de substitution soit exercée avant la réalisation de toutes les condi-
tions suspensives prévues par les parties. La licéité de ces clauses n’a jamais été
contestée mais comme il n’existe aucune définition légale de la clause de substitu-
tion, l’exercice de la faculté de substitution n’est lui-même régi par aucun texte.
De nombreux auteurs ont affirmé que le nouvel article 1216 du Code civil, en
consacrant la cession conventionnelle de contrat, pourrait donner un cadre juridique à
la clause de substitution. Ainsi, pour Romain Boffa12, avec la consécration de la cession
de contrat, la clause de substitution est « validée par l’ordonnance » et il est possible de
permettre au cédant, dès la formation de la promesse de vente, de céder sa position
contractuelle à un tiers. Plusieurs CRIDON ont abondé en ce sens. Et pourtant, l’or-
donnance ne dit pas clairement que l’exercice de la faculté de substitution est une
forme de cession de contrat. Au regard des conséquences sur le formalisme applicable,
dont le non-respect sera inévitablement source d’insécurité juridique pour nos actes,
quel serait donc l’intérêt de restreindre les possibilités qui s’ouvrent à la pratique en
enfermant nos clauses de substitution dans une qualification juridique déterminée ?
En effet, différentes qualifications apparaissent possibles. Elles ont toutes leurs
avantages et leurs inconvénients. Reste à savoir si la réforme du droit des obliga-
tions a véritablement changé la donne…
11. Une clause de la promesse ou de la vente définitive, par exemple dans le cadre des
ventes par adjudication, peut prévoir que l’acquéreur pourra faire une déclaration de command
dans un certain délai (très court) suivant la conclusion de l’acte.
12. B R., « Les clauses relatives aux opérations translatives », JCP N 2016, n° 13,
1115.
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13. Cass. 3e civ., 2 juill. 1969, Bull. civ. 1969, III, n° 541.
14. G J., Traité des contrats. La vente, 1990, LGDJ, p. 171.
15. Note sous CA Lyon, 15 mai 1997, Rev. arb. 1997, n° 3, p. 404.
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bien conseillé, exige que la qualification de stipulation pour autrui soit expressé-
ment écartée par le rédacteur de l’acte.
Par la suite, il a été proposé d’assimiler l’exercice de la faculté de substitution
à une cession de créance mais cette qualification a été formellement rejetée par la
Cour de cassation qui a indiqué clairement que la mise en œuvre de cette clause
« n’a pas le caractère d’une cession » et « n’entre pas dans le domaine d’application
de l’article 1840 A du CGI »16 (devenu C. civ., art. 1589-2). Puis, elle a écarté
l’application de l’article 1690 du Code civil en utilisant la même argumentation :
« le fait pour les bénéficiaires d’une promesse de vente de se substituer un tiers ne
constitue pas une cession de créance et n’emporte pas d’obligation d’accomplir les
formalités prévues à l’article 1690 du Code civil »17. Sans doute, cette solution
était-elle davantage guidée par la volonté d’assigner un domaine d’application
restrictif à une sanction jugée exorbitante : la nullité civile d’un contrat pour
sanctionner une fraude fiscale présumée apparaît effectivement disproportionnée
au regard de l’enjeu réel. Mais, comme le soulignait Philippe Brun : « À la vérité,
faut-il vraiment chercher à justifier juridiquement une solution si nettement tein-
tée d’opportunisme ? Peut-être n’est-elle en définitive qu’une marque de plus de
l’hostilité de la Cour de cassation à l’égard des nullités fiscales »18.
Qu’à cela ne tienne, Laurent Aynès et bien d’autres ont, quant à eux, proposé
de substituer à la qualification de cession de créance, celle de cession de contrat
ou cession de position contractuelle. Suivant en cela la jurisprudence de la Cour
de cassation19, qui dans le cadre d’une promesse synallagmatique de vente avait
décidé que « lorsque la substitution intervient dans le cadre d’une promesse synal-
lagmatique de vente, elle présente la nature d’une cession de contrat », certains
auteurs ont proposé d’analyser la substitution de bénéficiaire dans la promesse
unilatérale de vente comme une cession de contrat au motif qu’il convient de
proposer une solution uniforme car la nature juridique de la clause de substitu-
tion ne diffère pas selon qu’elle est insérée dans une promesse unilatérale de vente
ou dans une promesse synallagmatique de vente.
Pour Cyril Nourissat, il ne faisait aucun doute, ainsi qu’il l’a exprimé dès 1999,
que la clause de substitution devait être qualifiée de cession conventionnelle de
contrat20. Or, si l’exercice de la faculté de substitution prévue dans une promesse
unilatérale de vente était analysé en une cession de contrat, le formalisme attaché à
la cession de promesse unilatérale de vente lui serait applicable et, en particulier, le
respect de l’article 1589-2 du Code civil. En effet, en vue de lutter contre la fraude
pouvant résulter de la cession occulte de promesses de vente, la loi n° 64-1241 du
19 décembre 1963 a prévu que toute cession de promesse unilatérale de vente
immobilière qui n’aurait pas fait l’objet d’un acte authentique ou d’un acte sous
16. Cass. 3e civ., 19 mars 1997, Defrénois 1997, p. 1351, note Mazeaud D.
17. Cass. 3e civ., 1er avr. 1987, Bull. civ. 1987, III, n° 68.
18. B P., D. 1997, som., p. 341.
19. Cass. 3e civ., 7 juill. 1993.
20. N C., « La clause de substitution insérée dans une promesse unilatérale de
vente : une cession conventionnelle de contrat », JCP N 1999, n° 21, p. 874.
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seing privé enregistré dans les dix jours de sa date serait nulle et de nul effet (CGI,
art. 1840-A devenu C. civ., art. 1589-2). L’article 1589-2 du Code civil sanctionne
donc par la nullité absolue l’inobservation de la formalité d’enregistrement des ces-
sions de promesses unilatérales de ventes dans un délai de dix jours et cette nullité
ne peut pas être couverte par une renonciation des parties.
En pratique, se pose ici aussi la question de l’exercice de la faculté de rétracta-
tion. Si la substitution s’analyse en une cession de contrat, et puisque c’est le
substituant qui cède sa position contractuelle au substitué et que le contrat a déjà
été purgé du droit de rétractation, le promettant ne devrait plus avoir à effectuer
cette opération. Ce n’est pourtant pas la solution adoptée actuellement par la
Cour de cassation. Par ailleurs, sur le sort de l’indemnité d’immobilisation, on
note également une incohérence : lorsque l’option n’est pas levée et si la substitu-
tion est analysée en une cession de contrat, le consentement du cédé à la cession
ne préjuge pas de sa libération. Une manifestation expresse de volonté est requise
pour libérer le cédant pour l’avenir. À défaut, la cession est « imparfaite » et le
cédant reste tenu solidairement avec son cessionnaire à l’exécution du contrat. Or,
la faculté de substitution telle qu’elle existe en pratique, prévoit toujours une
solidarité entre le substituant et le substitué.
On voit bien que l’analyse théorique de la pratique de la substitution dans les
avant-contrats ne permet pas de lui donner une qualification juridique satisfai-
sante qui répondrait aux préoccupations des praticiens. Faut-il alors modifier nos
pratiques pour tenir compte de la réforme du droit des obligations ? En d’autres
termes, la réforme doit-elle entraîner un changement de la pratique ?
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La rédaction des clauses de substitution doit donc faire l’objet d’une attention
particulière et différenciée selon le contenu et la nature juridique de la promesse
de vente elle-même. À nous de faire en sorte de rendre nos formulations claires
pour que la clause de substitution ne puisse pas s’analyser en une cession de
contrat quand cela ne nous paraît pas opportun, voire à écarter expressément
dans l’acte la cession de contrat car, pour reprendre les mots de Boileau : « Ce qui
se conçoit bien s’énonce clairement »…
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L’action interrogatoire
Gilles Rouzet
Conseiller honoraire à la Cour de cassation
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Parallèlement, quel notaire prétendra à l’issue d’un long exercice n’avoir pas
traité de règlement de succession qualifié pudiquement de difficile ? Autrement
dit, lequel soutiendra avoir échappé à la nécessité de recourir aux dispositions
des articles 771 et suivants du Code civil, substituées par la loi du 23 juin 2006
à celles de l’article 795 ancien des trois mois et quarante jours pour faire inven-
taire et délibérer ?
Les changements intervenus cette dernière décennie confèrent notamment au
cohéritier ou au créancier successoral la possibilité, après expiration d’un délai
semblable de quatre mois et prorogeable1 judiciairement, de sommer l’héritier
« inerte »2 de prendre parti, d’accepter la succession ou d’y renoncer. À défaut, ce
dernier sera réputé acceptant pur et simple3. Soit un processus et une sanction
comparables à ceux de l’« action interrogatoire » puisque le silence gardé équivaut
alors à présumer un choix tacite.
C’est pourquoi le texte impose que la sommation soit faite par acte extrajudi-
ciaire. C’est-à-dire qu’il y soit procédé par exploit d’huissier de justice ou, dans un
proche avenir lorsque la réforme adoptée de son statut sera intervenue, de com-
missaire de justice.
Il n’est plus fait état de « notification », c’est-à-dire de lettre recommandée
avec demande d’avis de réception comme pour l’assentiment au mariage de
mineur ; encore moins d’écrit. Le législateur a préféré recourir à la voie plus for-
melle mais aussi plus fiable, de l’acte extrajudiciaire. Les intérêts en jeu méritent
de lever toute incertitude tenant à la personne réellement interrogée et à la date
où elle l’est effectivement. La voie choisie y concourt.
Ces deux premiers4 exemples justifient que l’« action interrogatoire » n’est pas
nouvelle en soi5. Elle était connue et maîtrisée en pratique notariale avant l’or-
donnance du 10 février 2016, quoique rarement évoquée comme telle en doc-
trine6. En fait, le nouveau texte la duplique en l’introduisant en diverses hypo-
thèses avec un objectif commun : augmenter la sécurité des contrats en offrant la
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Est-il utile de répéter que l’« action interrogatoire » a pour objet non contesté,
dans ses trois nouvelles orientations, de sécuriser7 les opérations contractuelles ?
La doctrine est unanime sur ce point, même si certains auteurs constatent des
zones d’ombre et prédisent un recours au juge pour les lever.
Cette réflexion en évoquera certaines ; mais elle n’a pas pour objet de s’y attar-
der, ni de solliciter l’aménagement des règles posées en revendiquant l’adjonction
de textes nouveaux. Prendre une orientation négative ou critique, par exemple sur
l’effet « rétroactif » de ces dispositions puisqu’elles s’appliquent quoi qu’on en dise
aux contrats en cours ou sur la portée juridique du silence gardé8 lorsqu’il est le
fait d’une personne dont les facultés mentales sont plus ou moins altérées9, serait
vain puisque l’ordonnance est entrée en application depuis quelques mois à peine
et que l’éclairage de la jurisprudence reste à venir.
Comme la professeure Lucie Mayer l’écrit10 pour introduire son commentaire
de l’ordonnance du 10 février 2016 en affichant l’indulgence qu’une construction
juridique nouvelle réclame nécessairement à ses débuts, « La présente étude a
pour objet exclusif de défendre la légitimité des nouveaux mécanismes ».
C’est dans cet esprit positif, volontairement exempt de critiques de fond, que
les trois nouvelles « actions interrogatoires » seront examinées ici.
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Une discussion aurait pu s’ouvrir sur la qualification exacte à donner aux trois
créations intervenues. Sont-elles réglementaires, légales ou législatives ?
M. François11 a examiné en détail la nature que l’ordonnance revêt aux diffé-
rentes phases de son élaboration. Convenant toutefois, en se référant à l’opinion
du professeur Chagnollaud12, que « le refus de ratification d’une ordonnance par
le Parlement est toutefois une hypothèse hautement improbable, qualifiée par les
constitutionalistes de ‘‘cas d’école’’ », on anticipera sur le processus engagé en
supposant cette étape franchie.
On retiendra donc que l’adjectif « légal » est le plus adapté à la situation et aux
développements qui suivent, même s’il demeure juridiquement discutable en l’état.
11. F C., « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure
de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D. 2016, n° 9, p. 506 évoque à bon droit
l’hypothèse où « le projet de loi de ratification de l’ordonnance est déposé au bureau de lune
des deux chambres du Parlement, mais n’est jamais inscrit à l’ordre du jour de celle-ci. (…)
Concrètement, cela signifie que le Conseil d’État sera seul compétent pour contrôler à la fois
la légalité et la constitutionnalité de l’ordonnance, le Conseil constitutionnel ne pouvant
statuer sur un texte à valeur réglementaire ».
12. C S D., Droit constitutionnel contemporain. t. 2. La
Constitution de la Ve République, 2015, Dalloz, p. 336, n° 444.
13. M P., A L. et G P.-Y., Les contrats spéciaux, 2003, Defrénois, p. 5,
n° 3.
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« Lorsqu’un contrat est conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préfé-
rence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi » poursuit-elle en
un deuxième alinéa, ajoutant que « Lorsque le tiers connaissait l’existence du pacte
et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en
nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu ».
C’est le troisième alinéa, disposant que « le tiers peut demander par écrit au
bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable,
l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir », qui permet de
le soumettre à l’« action interrogatoire » nouvellement créée.
Le quatrième alinéa de l’article 1123 nouveau du Code civil précise, pour une
nécessaire information du destinataire sur sa portée juridique, que « l’écrit men-
tionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus
solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat ».
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14. L C P. et D B., Droit des sociétés, 2012, LGDJ, p. 238, n° 392
dépeignent le mécanisme appliqué à ce droit, sous le titre évocateur de « durcissement
d’exercice de l’action en nullité d’une société ».
15. D P., « Les renonciations à recours », in Études offertes au doyen Philippe
Simler, 2006, Dalloz/Litec, p. 566, n° 7.
16. Cass. 1re civ., 4 oct. 2005, n° 03-13375, au visa qu’elle a forgé faute de texte d’un
principe général de droit, constant et non écrit, juge que « la renonciation à un droit ne se
déduit pas de la seule inaction ou du silence de son titulaire ».
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Les explications citées sont celles que les rédacteurs du texte ont cru utile
d’apporter parallèlement à la publication de l’ordonnance et que l’institution
notariale a confiées en interne à ses auteurs une fois le texte connu.
En l’espèce, il s’agit donc du rapport au président de la République joint à
l’ordonnance du 10 février 2016, tous deux publiés au Journal officiel le lende-
main18, et de l’analyse que le Conseil supérieur du notariat a diffusée à l’au-
tomne dans sa revue officielle19 en vue de constituer un guide d’application
pour la profession.
17. F C., « Application dans le temps (…) », op. cit., p. 507.
18. JO, 11 févr. 2016, texte 113.
19. CSN, « Réforme du droit des contrats. Quel impact sur la pratique notariale ? »,
NVP, sept.-oct. 2016, n° 320, cahier spécial, sous dir. de J M.
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20. D R., « Les principes de la philosophie », 1642, selon lequel, « pour
examiner la vérité il est besoin, une fois dans sa vie, de mettre toutes choses en doute autant
qu’il se peut ».
21. L A., « La jurisprudence de la troisième chambre civile affaiblit-elle
l’efficacité des avant-contrats ? », RDC, 2012-2, p. 629 et s. ; R G., « La jurisprudence
de la troisième chambre civile : une politique des petits pas ? », RDC, 2012-2, p. 672 et s.
22. Cass. 3e civ., 15 déc. 1993, n° 91-10199.
23. Cass. 3e civ., 27 mars 2008, n° 07-11721, jugeant que « les parties à une promesse
unilatérale de vente étaient libres de convenir que le défaut d’exécution par le promettant de
son engagement de vendre pouvait se résoudre en nature par la constatation judiciaire de la
vente » retenait la liberté contractuelle que certains commentateurs de l’article 1124 nouveau
du Code civil revendiquent une fois sanctionnée la jurisprudence Cruz de 1993.
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b) La réalité du mandat
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Maître Herrnberger, commentant le domaine qui lui est familier25 des avant-
contrats, voit dans cette « action interrogatoire » le moyen pour le contractant
éprouvant un doute sur l’intention du bénéficiaire du pacte le moyen de l’inviter
à prendre position. Plus précisément, c’est sur l’existence et l’intention de s’en
prévaloir que le bénéficiaire supposé du pacte est interrogé. Comme l’auteur le
souligne, l’intérêt de la question est d’éviter tout débat sur la bonne foi du tiers
qui contracte avec le promettant.
En cas de réponse négative ou de silence du bénéficiaire, la bonne foi du tiers sera
retenue et la substitution possible. À charge, prévient Me Herrnberger, pour le débi-
teur du pacte de payer des dommages-intérêts au premier. À la condition, toutefois,
qu’une faute causant un préjudice soit démontrée, ce qui tempère l’affirmation.
À l’inverse, ajoute-t-il à bon escient, en cas de manifestation du bénéficiaire de
s’en prévaloir, le tiers qui passe outre sera censé être de mauvaise foi. La règle
précédente de dédommagement du préjudice éventuellement subi s’appliquera
dans les mêmes conditions.
Ce commentateur s’est interrogé opportunément sur la portée de l’action
interrogatoire. Particulièrement sur la possibilité de l’utiliser pour préciser le péri-
mètre d’un pacte de préférence. C’est-à-dire, selon l’exemple qu’il en donne, pour
faire dire au bénéficiaire si l’opération projetée relève ou non du pacte.
La réponse au problème soulevé paraît devoir être moins affirmative que celle
proposée. En effet, le bénéficiaire de la stipulation est certainement invité à
répondre sur « l’existence » du pacte et sur son intention de s’en prévaloir. En
revanche, le texte ne lui fait pas obligation de se prononcer sur son « applicabili-
té » en cas de doute du bénéficiaire au cas considéré. Celui-ci ne saurait se voir
imposer l’interprétation de la convention conclue, jugée ambiguë par un tiers
désireux de contracter, et nécessite un accord tripartite auquel le promettant est
appelé si la voie amiable est choisie.
En revanche, il y a lieu de considérer avec Me Herrnberger qui rejoint le pro-
fesseur Cyril Grimaldi26, que l’action interrogatoire vise uniquement à demander
au bénéficiaire d’un pacte de préférence supposé, de confirmer son existence et s’il
entend s’en prévaloir ; non d’y satisfaire.
Aussi, dans l’hypothèse d’une réponse affirmative – voire dubitative en raison
de l’absence d’informations suffisantes pour se prononcer – l’interrogation ne
saurait valoir purge du pacte de préférence. Comme l’auteur précité le souligne,
25. H O., « La période précontractuelle, les actes préparatoires », in
99e Congrès des notaires de France. La vente d’immeuble, sécurité et transparence, 2003, ACNF,
p. 321, proposait en qualité de rapporteur un très intéressant questionnaire au vendeur sur les
contrats obérant son immeuble qui poursuivait, avant la lettre, le même objet (mais sans la
sanction que la loi apporte).
26. G C., Le pacte de préférence et le notaire après la réforme du droit des contrats,
2016, Defrénois, p. 1070, n° 20.
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27. B-W N., « La capacité et la représentation », NVP, 2016, p. 13, n° 320, encart.
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28. M L., « Défense des “actions interrogatoires” (…) », op. cit., p. 47 et s. auquel
l’entière analyse est consacrée.
29. C H., « Une vision procédurale de la réforme des obligations », Procédures 2016,
étude 3, n° 11, la juge « d’une grande utilité », appréciation pondérée et guère contestable en l’état.
30. J E., « Les actions interrogatoires en question », JCP G 2016, 737, repris
dans Libres propos sur la réforme du droit des contrats, 2016, LexisNexis, p. 37 et s.
31. F M., Les nouvelles actions interrogatoires, Dalloz, 2016, n° 28, p. 1672
(notamment).
32. B H., « Les grands mouvements du droit commun des contrats après
l’ordonnance du 10 février 2016 », RTD civ. 2016, n° 2, p. 257.
33. D A. et M-B B., « Législation française », RTD civ. 2016, n° 2,
p. 465, lui préfère « demande interpellative » ou « interpellation préventive » ; F M.,
« Les nouvelles actions interrogatoires », D. 2016, n° 28, p. 1667, propose de retenir la
qualification d’ « interpellation », de « sommation » ou de « mise en demeure » et invite à « veiller
désormais à faire la distinction entre les actions interrogatoires judiciaires et extrajudiciaires ».
34. C A. et L S., « Le rôle du juge dans la réforme du droit des contrats »,
Gaz. Pal. 2016, n° 41, p. 12.
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sera mal aisé de la révéler et plus difficile encore d’obtenir la réponse souhaitée sur
un mode consensuel. Il sera donc nécessaire de faire courir les délais prévus, mais
sans coup férir, pour éviter de finir devant les tribunaux.
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qu’il lui appartient d’interroger pour consolider son droit, fragilisé par la stipula-
tion supposée qui minerait le titre de son co-contractant éventuel ? N’en est-il pas
de même pour le bénéficiaire de la promesse si, interrogé sur l’existence de cet
engagement, il s’abstenait de répondre ?
Le droit ne dit pas tout ; l’ordonnance non plus. Peut-être est-ce volontaire,
comme le professeur Michel Grimaldi le suggérait à l’occasion d’une autre grande
réforme de l’année 201646.
42. Ibid., n° 189 et 379, l’exclut expressément de l’« incombance » en raison des
obligations statutaires de l’officier public, ce qui assoit cette distinction et ses conséquences.
43. R G., « Les droits des tiers », in La vente volontaire d’immeuble, à la recherche
d’un équilibre. 77e Congrès national des notaires, 1981, Publiteam, justifie que la protection des
tiers se conçoit dans les deux sens avec l’intervention du notaire.
44. Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-13840, obs. Grayot-Dirx S., « Réaffirmation de l’absence
de subsidiarité de la responsabilité civile des professionnels du droit », JCP G, 2016, n° 47, 1239.
45. D O., « La responsabilité des professionnels du droit : nouvelle conséquence
étonnante de l’absence de subsidiarité », Defrénois 2016, n° 23, p. 1268.
46. Colloque « Voici venu le temps du divorce sans juge », Defrénois 2016, n° 24, p. 1342,
à propos duquel le professeur Michel Grimaldi relevait « une ambiguïté fondamentale mais
voulue » pour sa mise en œuvre et que le décret du 28 décembre 2016 ne dissipe pas.
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a) La recherche de l’information
47. H O., « La période précontractuelle, les actes préparatoires », op. cit.,
p. 299, n° 1386 et s. en décrit la procédure.
48. L C. et B S., Les obligations. Le contrat, 2016, Economica, p. 259,
n° 296.
49. Mi M., « Réforme des contrats et des obligations : le pacte de préférence »,
op. cit., p. 11 et 12.
50. G C., Le pacte de préférence et le notaire après la réforme du droit des contrats,
op. cit., p. 1070.
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b) Le recours à la sommation
Les textes nouveaux ont passé sous silence les précautions à prendre ; si ce n’est
de recourir à l’écrit. Le droit des sociétés, qui dispose d’une action semblable pour
couvrir certaines nullités, apporte d’utiles précisions avec l’article R. 235-1 du
Code de commerce. Il prescrit que la mise en demeure prévue notamment par
l’article L. 235-6 dudit code est faite par acte extrajudiciaire ou par lettre recom-
mandée avec demande d’avis de réception.
Celle-ci constitue un minimum indispensable pour valoir notification. Elle
est cependant source d’incertitudes sur l’effectivité de la remise du pli au des-
tinataire désigné56 ou sur la date à prendre en considération (présentation,
distribution ou retrait) pour point de départ du délai constitutif ou extinctif
du droit. Elle assure seulement jusqu’à preuve du contraire qu’elle a été distri-
buée, refusée ou non retirée à une date déterminée. Ne donnant guère de cer-
titude sur la personne à laquelle elle a été remise, elle doit être écartée dans la
mesure du possible.
Il est préférable de recourir à une sommation, mode d’interrogation que fixe
par exemple le législateur du 23 juin 2006 avec l’article 771, alinéa 2 du Code
civil pour priver l’héritier resté silencieux à l’expiration du délai de quatre mois
pour opter. Quoique les professeurs Le Guidec et Chabot57 suggèrent que
« pourrait donc être utilisé aux fins de sommation l’exploit d’huissier ou sim-
plement la lettre recommandée avec avis de réception », c’est une lecture
inverse58 qui conduira à conseiller par souci de sécurité la sommation là où
l’écrit est seulement exigé.
Celle-ci constitue un gage de sécurité, comme l’intervention à un acte authen-
tique en vertu de l’article 1690 du Code civil pour valoir signification. L’exploit
d’huissier de justice59, plus onéreux mais d’un coût modique au regard de l’opéra-
tion envisagée, apporte une fiabilité quasi-absolue tant sur la personne à laquelle
l’acte est délivré que sur la date de la remise.
L’« action interrogatoire » peut alors se comparer à la « sommation interpella-
tive », née de la pratique judiciaire, dont elle serait le clone légal. Laquelle consiste,
56. A. 21 mai 2013, modifiant l’art. R. 4-1 du Code des postes et télécommunications,
autorise sous certaines conditions l’employé qui la distribue à ne plus se faire représenter une
pièce d’identité.
57. L G R. et C G., « Succession (2° transmission) », Encycl. Dalloz,
2012, p. 15, n° 95.
58. S A., « Successions. L’option de l’héritier. Dispositions générales », JCl.
Notarial Répertoire, 2014, fasc. 20, p. 4, n° 9.
59. Futur « commissaire de justice » (1er juillet 2022) selon l’article 1er de l’ordonnance
n° 2016-728 du 2 juin 2016.
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a) La purge de la nullité
60. S O., « Sommations », Rép. proc. civ., 2012, Dalloz, n° 15.
61. Cass. 1re civ., 19 nov. 2002, n° 01-10169 ; Cass. 3e civ., 4 févr. 2004, n° 02-18208.
62. V E., V G. et L O., Droit de la preuve, 2015, PUF, coll. Thémis,
p. 342, n° 345.
63. C M., V A. et D F., Droit des sociétés, 26e éd., 2013, LexisNexis,
p. 88, n° 165.
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Dans les deux cas considérés il y a réduction du délai de prescription, cinq ans
en droit commun, trois ans en vertu de l’article 1844-14 du Code civil pour les
sociétés. Si les conditions d’ouverture ne sont évidemment pas les mêmes, la
conséquence est identique dans un premier temps. Ce sera la forclusion, sanction
rigoureuse car le délai est préfix, les six mois écoulés ; mais, non pas trop court,
comme le regrette la professeure Mayer64.
La sanction est plus explicite pour le droit des contrats que celui des sociétés. Le
second alinéa de cette disposition qui impose de recourir à un écrit mentionne expres-
sément qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois,
le contrat sera réputé confirmé. La règle a donc un effet confortatif, positif.
Dans ces conditions, l’objection65 dénonçant l’atteinte au droit à prescription
quinquennale du justiciable mérite d’être écartée, puisqu’il s’agit seulement d’une
réduction de délai, non de la perte d’un droit.
c) La réalité du mandat
64. M L., « Défense des “actions interrogatoires” (…) », op. cit., p. 50.
65. D O, G T. et L Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime
général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2016, LexisNexis, p. 337.
66. D P., « La représentation dans le nouveau droit des obligations », op. cit., p. 995.
67. Cass. 1re civ., 31 janv. 2008, n° 05-15774 ; Cass. 1re civ., 5 juin 2008, n° 04-16368 ;
Cass. 3e civ., 13 mai 2009, n° 08-16720, Defrénois 2010, p. 616, n° 39087, n° 2,
obs. Champenois G. ; Cass. 1re civ., 31 mars 2010, n° 08-19649, Dr. famille 2010, comm. 83,
obs. Beignier B. ; Cass. 3e civ., 15 juin 2011, n° 10-21085 ; Cass. 1re civ., 2 déc. 2015, n° 14-17211.
68. B J.-J., « Nouveau recul de la théorie de l’apparence », JCP N 2009, n° 43,
1296 ; T M., « Intermédiaires immobiliers : confirmation de l’abandon de la théorie du
mandat apparent », AJDI 2011, p. 721 ; L A., « Le devoir de vigilance opposé à
l’apparence », Rev. sociétés, 2012, p. 226.
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c) Le délai raisonnable
69. M M., « Réforme du droit des obligations : la représentation (C. civ.,
art. 1153 et s. nouv.) », JCP N 2016, n° 47, p. 11.
70. R G., « Partenariat entre notaires : pas de mandat apparent », Defrénois 2013,
n° 12, p. 670 et s., 112y4.
71. Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 12-11567.
72. Cass. 3e civ., 29 sept. 2016, n° 15-18238.
73. Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41359 ; Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 10-17945.
74. Cass. soc., 30 sept. 2014, n° 13-21385.
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Que faut-il proposer ? Sans revenir aux délais extrêmement brefs de quatre75 ou
cinq76 jours que la Cour de cassation a pu admettre historiquement pour recon-
naître que la rétractation d’une offre était intervenue dans un « délai raisonnable »,
celui d’un à deux mois le serait, semble-t-il, pour accorder une portée juridique
au silence dans les deux cas considérés. D’autant, qu’il ne s’agit là que de lever un
doute du tiers sur l’existence d’un pouvoir ou d’un pacte, et à la condition de
procéder à une sommation qui donne toutes assurances quant à la date d’effet de
l’« action interrogatoire » engagée et sur le destinataire qu’elle a atteint.
*
* *
Conclure sur l’« action interrogatoire » dès l’année où elle a été conceptualisée
conduit à souligner sa multiplication raisonnée, mais aussi à pressentir qu’elle se
diversifiera. Son clone se dessine déjà avec l’article 653 de l’avant-projet de loi que
la Commission du professeur Périnet-Marquet a élaboré en 2008 sous l’égide de
l’Association Henri Capitant à propos de la réforme du droit des biens.
Le texte envisagé dispose que « le propriétaire qui n’a pas accepté une propo-
sition de bornage amiable contradictoire établie par un professionnel agréé doit
intenter l’action en bornage judiciaire, dans les six mois77 de la signification, par
son voisin, du projet de bornage. À défaut, la limite proposée est réputée lui être
opposable et définitive ».
En pareil cas, le silence gardé vaudrait, ici encore, consentement ou renonciation.
En un mot le silence « parle », ce qui n’est pas nouveau.
L’innovation tient à ce qu’il devient de plus en plus bavard.
Décembre 2016
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Alain D
Notaire honoraire
Directeur honoraire des affaires juridiques du Conseil supérieur du notariat
Les plus-values réalisées par les particuliers1, 2, dans le cadre de la gestion de
leur patrimoine privé, lors de la cession3 à titre onéreux de valeurs mobilières ou
de droits sociaux, soit directement, soit par personne interposée, sont en principe
prises en compte, selon certaines modalités et conditions, pour la détermination
du revenu global imposé au barème progressif de l’impôt sur le revenu4.
Afin de limiter la progressivité de l’impôt sur le revenu, ces plus-values mobilières
sont réduites, le cas échéant, d’un abattement pour durée de détention de droit com-
mun ou, dans certains cas, d’un abattement pour durée de détention renforcé5.
Parmi les trois catégories d’opérations susceptibles de bénéficier de cet abatte-
ment renforcé figurent les plus-values de certaines cessions de titres au sein du
groupe familial6.
Avant d’examiner les conditions d’application de ce régime dérogatoire, nous
effectuerons un bref rappel de certaines modalités d’imposition des plus-values de
cessions de valeurs mobilières de droits sociaux fixées aux articles 150-0A et sui-
vants du Code général des impôts7, 8.
1. V. BOI-RPPM-PVBMI-10-30-10.
2. Aux termes de l’article 244 bis C du Code général des impôts, les dispositions de
l’article 150-0A ne s’appliquent pas, sauf cas particuliers, aux gains réalisés à l’occasion de
cessions à titre onéreux de valeurs mobilières ou de droits sociaux effectuées par les personnes
qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B dudit code :
v. BOI-RPPM-PVBMI-10-30-20
3. Sur la nature des cessions et opérations assimilées imposables :
v. BOI-RPPM-PVBMI-10-10-10.
4. Conformément aux dispositions du 2 de l’article 200 A du Code général des impôts.
5. Ils sont également soumis aux prélèvements sociaux dus sur les revenus du patrimoine
(au taux de global de 15,5 %) pour leur montant avant application des abattements. La
CSG est déductible à hauteur de 5,1 points du revenu imposable l’année de son paiement
(art. 154 quinquies du Code général des impôts).
6. En application du 3° du B du 1 quater de l’article 150-0D du CGI.
7. Pour plus de détails : v. BOFIP-RPPM-PVBMI-(10)(20)(30)(40).
8. Toutefois, l’article 150-0 A du CGI ne fait pas obstacle aux dispositions du 1° du 2
de l’article 92 du Code général des impôts, qui prévoient l’imposition dans la catégorie des
bénéfices non commerciaux (BNC) des produits des opérations de bourse effectuées par des
particuliers dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une
personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations.
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indirectement par personne interposée (par exemple, cession de titres par une
société civile de portefeuille)15.
Cet abattement ne s’applique qu’en matière d’impôt sur le revenu. En
revanche, les prélèvements sociaux restent dus sur le montant total du gain net
réalisé avant l’application dudit abattement.
Pour la détermination du revenu fiscal de référence16 sur lequel est assise
notamment la contribution additionnelle à l’impôt sur le revenu17, le mon-
tant de l’abattement pour durée de détention renforcé est ajouté aux revenus
nets et plus-values le composant et retenus pour l’établissement de l’impôt sur
le revenu.
Par ailleurs, pour le calcul du plafonnement de l’ISF prévu à l’article 885 V bis
du CGI, les plus-values sont prises en compte sans considération des
abattements.
15. V. BOI-RPPM-PVMBI-10-30-20, § 30 et s.
16. Mentionné au IV de l’article 1417 du Code général des impôts.
17. Prévue à l’article 223 sexies du Code général des impôts.
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1. Le fait générateur
Le fait générateur de l’imposition est, sauf cas particuliers, constitué par le
transfert de propriété à titre onéreux des titres ou droits, sauf cas de sursis ou de
report d’imposition20.
L’imposition est donc établie au titre de l’année au cours de laquelle la cession
est intervenue, quelles que soient les modalités retenues pour en acquitter le prix21.
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Pour l’imposition à l’impôt sur le revenu, les gains nets réalisés par les particuliers
lors de la cession de certains titres sociaux au profit de l’un des membres de leur groupe
familial sont réduits27 de l’abattement pour durée de détention renforcé mentionné au
A du 1 quater de l’article 150-0D du CGI lorsque certaines conditions sont remplies.
L’abattement pour durée de détention renforcé s’applique aux cessions réali-
sées à compter du 1er janvier 2014. Jusqu’au 31 décembre 2013, ces cessions
bénéficiaient, sous des conditions identiques au dispositif actuel, d’un régime
d’exonération prévu par l’article 150-0A, I-3 du CGI abrogé par l’article 17 de la
loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013.
Les conditions d’application de cet abattement renforcé sont les suivantes28.
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qu’une telle société est dotée d’une personnalité juridique distincte de celle de ses
membres. Une telle opération, selon l’administration, ne garantirait pas, en effet, le
respect de l’obligation de conservation des droits sociaux puisqu’elle permettrait en
pratique d’éluder cette condition par le biais d’une cession des titres de la société33.
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G. Exemples38
• Monsieur A détient 20 % des titres de la société X acquis le 1er janvier
N pour 20 000 euros.
• Madame A, son épouse, possède 15 % des titres de la même société
acquis à la même date pour 15 000 euros.
1. Première cession
• Monsieur A cède en N+ 10, ses 20 % de titres de la société X à son
fils B pour 40 000 euros.
• Monsieur A possède avec son épouse plus de 25 % des droits dans les
bénéfices sociaux et la cession est faite à un membre de son groupe
familial
• Les titres cédés, acquis depuis plus de huit ans à la date de la cession,
bénéficient donc de l’abattement pour durée de détention renforcé au
taux de 85 % (toutes autres conditions étant réunies)
• Montant de la plus-value :
– imposable au barème progressif de l’IR :
3 000 euros[(40 000 – 20 000) – (85 % de 20 000)]
– soumise aux prélèvements sociaux : 20 000 euros (non-application
de l’abattement renforcé)
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Hugues K
Professeur à l’Université de Toulouse
Doyen de la faculté de droit et science politique
1. La transaction est assurément un contrat qui devrait être notarial2. Il est même
surprenant de constater que c’est grâce à la loi et non à la pratique contractuelle que
ce contrat, considéré par Bartole, l’un des post glossateurs, comme un des plus utiles
de la compilation justinienne3, a prospéré. En effet, la loi dite « Justice du e siècle »4
a développé une conception large des modes alternatifs de règlement des différends
(MARD) dont un titre entier a pour objectif de les favoriser. Cette conception
englobe l’arbitrage, la médiation, la conciliation, la procédure participative, la tran-
saction. Assurément, un vent de faveur souffle sur les contrats relatifs aux différents,
parfois « encouragés », parfois « imposés », et dans tous les cas de plus en plus utili-
sés. Aujourd’hui, de nombreux contrats sont conclus pour anticiper les litiges ou les
régler. Parmi ces contrats, la transaction occupe une place à part.
2. Le contrat de transaction présente un intérêt considérable. Son étude permet de
mieux comprendre et surtout de favoriser un règlement plus paisible puisqu’il est
porteur d’un bien et extinctif d’un mal selon les mots du doyen Carbonnier, le règle-
ment amiable étant a priori supérieur au règlement contentieux. L’accord reste une
force positive de règlement du contentieux et en cela il est supérieur aux formes
1. Ces quelques lignes sont en hommage à un grand ami de la faculté de droit de Toulouse.
2. Sur l’ensemble de la question, v. not. L. B, La notion de transaction, thèse, Toulouse,
1947, Sirey ; M R., Essai de contribution à la théorie générale de l’acte déclaratif, thèse
Toulouse, 1948, Rousseau ; B C., La transaction et le juge, préf. L C P., 2003, PU
Clermont-Ferrand ; H. K, « Actualité de la transaction », LPA, 30 juin 2004 ; P L.,
Transaction et protection des parties, 2005, LGDJ ; M-B B. et N C. (dir.),
La transaction dans toutes ses dimensions, 2006, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires ;
M P., A L. et G P.-Y., La transaction, 2010, Defrénois, art. 39081 ; D W.
et M-B B., La transaction. Propositions en vue de la réforme du titre XV, livre troisième
du Code civil, 2014, La Documentation française ; P B., « Contrat de transaction, Solutions
transactionnelles, Conciliation-Médiation-Procédure participative », 2014, 2015, Dalloz action ;
F N., B-C C., B L., G-G B. et P G., Le guide
des modes amiables des résolution des différends (MARD), 2014-2015, Dalloz ; C L. et
C T., Les modes alternatifs de règlement des conflits, 2016, Dalloz ; K H. et R S.,
Contrats spéciaux, 2017, Monchrestien, à paraître).
3. B, In primam Codicis partem. Commentaria. Augustae Tavrinorum, 1589,
spéc. vol. 1er, p. 63, « De transactionibus, lex prima », § 1er.
4. « Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du
e siècle », JO, 19 nov. 2016, texte n° 1.
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négatives dans lesquels « le litige va se perdre dans les sables, les sables de la résignation,
de l’inertie et finalement de la prescription extinctive »5. Historiquement déjà6, le
droit romain prévoyait que les transactions doivent être accueillies favorablement par
les tribunaux7. Dans le même sens, l’un des rédacteurs du Code civil, Bigot de Préa-
meneu a relevé dans l’exposé des motifs de la loi sur la transaction : « de tous les
moyens de mettre fin aux différends que font naître entre les hommes leurs rapports
variés et multipliés à l’infini, le plus heureux dans tous ses effets est la transaction. Ce
contrat par lequel sont terminées les contestations existantes ou par lequel on prévient
les contestations à naître »8. Cette faveur de principe ne s’est pas démentie depuis lors,
même si le Code civil ne lui a consacré que quelques articles, ce qui lui a valu la qua-
lification de « petit contrat »9, ce qui n’est sans doute plus le cas aujourd’hui étant
donné son importante. Toutefois, il s’agit d’un contrat complexe, au carrefour de
plusieurs droits, notamment le droit des obligations, le droit des contrats spéciaux et
le droit judiciaire privé. Cette complexité explique sans doute pourquoi la transaction
donne lieu à un contentieux important, ce qui est contradictoire avec l’objectif visé10.
3. Le contrat de transaction est utilisé aujourd’hui dans plusieurs domaines du
droit : droit civil, droit commercial – par exemple dans les baux commerciaux11
– droit de la concurrence12, droit du commerce international, droit financier,
droit fiscal, droit douanier, droit administratif. Il se retrouve sous diverses formes
même si la qualification de transaction peut être discutable13. Ces régimes spé-
ciaux ne seront pas envisagés dans cet article.
4. Le Code civil comportait 14 articles sur la transaction. Ces derniers avaient
été souvent critiqués en doctrine, notamment les conditions de leur élaboration14.
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6. Une des questions les plus importantes de la transaction est son identifica-
tion. En effet, il s’agit d’un contrat nommé (C. civ., articles 2044 et s.). Il est par
conséquent nécessaire de bien la caractériser en vue de la qualifier et de « bénéfi-
cier » de son régime. Les articles 2044 et suivants du Code civil ont une double
utilité : définir la transaction et en préciser le régime juridique. Cette identifica-
tion n’est pas facile, le contrat de transaction suscitant des risques de confusion.
D’une part, la distinction entre la transaction et les notions voisines n’est pas
n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 », JCP G 2016, 1295 ; M L., « Libres propos sur la
réforme annoncée de la transaction », Gaz. Pal., 30 août 2016, p. 43 ; P B., « Contrat de
transaction et Justice du e siècle : de l’objectif de simplification au risque de dé-sécurisation »,
Gaz. Pal., 2 févr. 2016, n° 5, p. 18.
15. À l’exception de l’article 2045 qui a été modifié par la loi n° 2011-525 du 17 mai
2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit : JO, 18 mai 2011, p. 8537.
16. Désormais le titre XV du livre troisième relatif aux transactions comporte désormais
uniquement sept articles au lieu de quatorze.
17. Sur l’opportunité de réformer le régime de la transaction, C T., « La simplification
de la transaction et de l’arbitrage dans le Code civil », JCP 2014, 492 ; D W. et M-
B B., La transaction, op. cit. ; M L., « La transaction, un contrat spécial ? »,
RTD civ. 2014, 523.
18. V. M P., A L. et G P.-Y., La transaction, op. cit., note 76,
spéc. n° 1099 fustigeant le « démantèlement » du droit de la transaction
19. C L., audition devant la commission des lois (Détaigne Y., rapport, commission
des lois, Sénat, 28 oct. 2015, spéc. p. 47).
20. M L., « La transaction, un contrat spécial ? », op. cit., p. 523, spéc. n° 16-29.
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290 BREF RETOUR SUR LA TRANSACTION ISSUE DE LA LOI JUSTICE DU XXI SIÈCLE
évidente21. D’autre part, ce serait une erreur de croire que tout accord des parties
sur la solution du litige constitue une transaction. Pour caractériser la transaction,
il est opportun d’en revenir à la définition de l’article 2044 du Code civil tel que
complété par la loi dite « Justice du e siècle » : « un contrat par lequel les par-
ties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent
une contestation à naître ». Cette exigence de concessions réciproques qui, jusqu’à
présent était uniquement jurisprudentielle22, est désormais légale. Elles com-
plètent désormais la nature contractuelle, et l’existence d’un différend pour iden-
tifier la transaction.
Est-ce vraiment important d’apporter ce complément ? Change-t-il fonda-
mentalement la nature de la transaction ? Une réponse négative doit apportée. Il
était évident que la transaction avait pour trait caractéristique des concessions. Et
cette évidence est simplement désormais consacrée par la loi.
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24. Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, n° 03-19895, Contrats, conc. consom. 2006, n° 23, note
Leveneur L.
25. Cass. 1re civ., 30 mai 2000, Bull. civ. I., n° 169, D. 2000, 879, note Chazal J.-P.,
D. 2001, somm. 2001, somm. 1140, obs. Mazeaud D. ; v. refusant d’admettre la violence
Cass. 1re civ., 3 avr. 2002, D. 2002, somm. 2844, obs. Mazeaud D.
26. Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-25921.
27. Cass. 1re civ., 29 mai 2001, n° 99-16753, Bull. civ. I., n° 156 ou Cass. 1re civ., 19 déc.
2000, D. 2001, p. 2194, note Soustelle P. qui semblent contradictoires à propos du maintien
d’une transaction sur jugement erroné.
28. Cass. 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-12015, Bull. civ. I., n° 334.
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292 BREF RETOUR SUR LA TRANSACTION ISSUE DE LA LOI JUSTICE DU XXI SIÈCLE
L’article 2053 lui aussi supprimé disposait qu’une « transaction peut être res-
cindée lorsqu’il y a erreur dans la personne ou sur l’objet de la contestation ».
L’abrogation de cet article ne change rien. D’ailleurs, le contrat de transaction
n’étant pas en principe un contrat intuitu personae, cette erreur sur la personne est
difficilement possible en pratique.
L’article 2054 n’était qu’une redite du droit commun de la nullité pour erreur.
En outre, l’article 2058 aujourd’hui abrogé prévoyait la prise en compte de
l’erreur de calcul29 dans une transaction qui doit être réparée, précision bien inu-
tile dans un texte de droit spécial tant le droit commun le prévoit30.
10. En outre, un autre article tout aussi inutile et abrogé aujourd’hui disposait
que la transaction ne peut être attaquée pour cause de lésion (article 2052, alinéa 2
du Code civil). Mais encore fallait-il que le contrat de transaction soit conclu dans
un domaine où la lésion est admise et là encore le droit commun suffit.
11. Par ailleurs, le contrat de transaction doit avoir un contenu licite et cer-
tain. Est concernée ici notamment l’objet de la transaction, c’est-à-dire la nature
des droits à propos desquels il est transigé et diffère donc des obligations issues de
la transaction que sont les concessions réciproques. Deux points importants sont
à envisager en matière d’objet de la transaction : la possibilité de conclure une
transaction et son contenu. Ces deux points sont conformes au droit commun
des contrats et rien n’a vraiment changé.
12. Sur les conditions de forme, le contrat de transaction est également de
retour dans le droit commun des contrats, ce qui peut être regretté. D’après l’an-
cien 2044, alinéa 2 du Code civil, le contrat de transaction devait être rédigé par
écrit. Malgré cela, il a toujours été admis que ce contrat était en principe consen-
suel, les règles de droit commun de la preuve s’appliquant à lui. La Cour de cassa-
tion avait considéré comme une simple règle de preuve cette exigence d’écrit. Plu-
sieurs décisions avaient essayé d’aligner le régime probatoire de la transaction sur
celui du droit commun de la preuve. Ainsi, l’écrit n’était pas exigé en matière
commerciale31 et lorsqu’il existait un commencement de preuve par écrit ou en cas
d’impossibilité morale de se procurer un écrit, la preuve testimoniale était rece-
vable32. Avec la suppression du second alinéa de l’article 2044, le droit commun
s’applique sans aucun doute, ce qui est critiquable. Est-ce vraiment le régime pro-
batoire le plus adapté au contrat de transaction en pratique ? Il est possible d’en
douter et les parties seraient avisées de toujours rédiger un écrit, spécialement un
acte notarié, car l’objectif visé par le contrat de transaction, à savoir terminer une
contestation née ou en prévenir une à naître, ne sera pas vraiment atteint en l’ab-
29. On entend par erreur de calcul celle qui enferme les opérations arithmétiques qui
peuvent être commises soit par les parties en commun, soit par l’une d’elle, soit par les tiers
rédacteurs de l’acte.
30. Loysel disait déjà : « Erreur de calcul ne passe jamais en force de chose jugée » (Cf.
R H. et B L., Adages du droit français, 1992, Litec, n° 115.
31. Cass. civ., 26 déc. 1950, S. 1952, I., note Meurisse R.
32. Cass. 3e civ., 6 févr. 1973, Bull. civ. III., n° 104 ; Cass. 1re civ., 10 oct. 1995,
Bull. civ. I., n° 360, RTD civ. 1996, 643, obs. Gautier P.-Y.
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sence d’un écrit. La contestation pourrait même renaître par l’intermédiaire des
questions de preuve alors que la transaction entendait y mettre fin33.
13. Pour terminer sur ces suppressions d’ampleur importante divisant la
doctrine, deux points sont à évoquer. D’une part, ces suppressions ont-elles
porté atteinte au régime de la transaction ? Il s’agissait bien là de reprendre une
thématique soulevée de façon remarquée par le professeur Lucie Mayer34. Le
débat parlementaire aura abouti à une réponse négative.
D’autre part, ce processus parlementaire n’a-t-il pas été la seule spécificité de cette
problématique ? Il a en tous cas été remarqué35. Dans un premier temps, il est instructif
de relever les échanges en séance publique au Sénat entre Madame Christiane Taubira,
alors garde des Sceaux et le sénateur Yves Détaigne. La première précise que ces articles
sont « superfétatoires par rapport aux fondements mêmes de notre droit des obliga-
tions ». Elle ajoute que « les dispositions spécifiques relatives à la transaction sont
maintenues, elles ne font pas partie des articles que nous souhaitons supprimer »36.
Malgré cette explication, le Sénat vote pour le maintien des articles proposés à la sup-
pression en rejetant l’amendement gouvernemental. Mais le gouvernement ne lâche
rien malgré le changement de garde des Sceaux, l’Assemblée nationale adoptant plus
tard l’amendement déposée en ce sens par le rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec.
Ainsi, la suppression tant discutée de ces articles aura été proposée par le gouverne-
ment, écartée en commission des lois au Sénat, reproposée dans un amendement par
le gouvernement, rejetée par le vote des sénateurs et enfin rétablie à l’Assemblée natio-
nale. Et pour défendre les articles « superfétatoires » à l’Assemblée nationale, Monsieur
Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, a cité Planiol : « Le gouvernement est favorable
à cet amendement qui vise à supprimer des dispositions dont le professeur Marcel
Planiol, auteur du Traité élémentaire de droit civil, disait déjà en 1899 qu’elles sont
inutiles. La patience est récompensée »37. Comment ne pas relever le fait que Planiol est
appelé à la rescousse à l’Assemblée nationale ? La question de cette suppression ne
reviendra pas en débat devant la commission mixte.
14. L’article 2052 du Code civil, deuxième article central de la transaction, dis-
pose désormais « la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre
les parties d’une action en justice ayant le même objet »38. Cet article a été critiqué :
33. Cf. S B., R H. et B L., Obligations, t. 3, 6e éd., 1999, LexisNexis.
34. M L., « La transaction, un contrat spécial », RTD civ. 2014, p. 523 et s.
35. C T., « L’arbitrage (…) », op. cit.
36. JO Sénat, CR, 4 nov. 2015, p. 10352.
37. Urvoas J.-J., Audition devant la commission des lois, Assemblée nationale, 3 mai
2016, p. 36.
38. L’ancien article 2052, alinéa 1 disposait : « Les transactions ont, entre les parties,
l’autorité de la chose jugée en dernier ressort ».
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294 BREF RETOUR SUR LA TRANSACTION ISSUE DE LA LOI JUSTICE DU XXI SIÈCLE
simple « périphrase »39 pour l’un, « amputation sans justification évidente » pour
l’autre40, il y avait sans doute d’autres voies pour améliorer l’ancienne formulation41.
Mais le nouvel article peut être salué tant sur la forme que sur le fond42.
15. Sur la forme, est rayée d’un trait de plume la désastreuse expression d’au-
torité de la chose jugée attribuée à la transaction alors qu’elle n’est pas une déci-
sion de justice, ni judiciaire43 ni même arbitrale44. N’est-ce pas plutôt de l’autorité
de la chose transigée45 ?
16. Sur le fond, le nouvel article 2052 maintient la véritable nature de la tran-
saction. D’une part, il ne modifie pas vraiment le droit antérieur. La transaction fait
toujours naître une fin de non-recevoir s’opposant à l’exercice de l’action et si elle
est judiciaire, elle opère l’extinction de l’instance, le litige étant privé d’objet46. Dans
la nouvelle rédaction comme dans l’ancienne, l’exception de transaction demeure.
Elle se rapproche toujours de l’exception de chose jugée. Elle constitue bien une fin
de non-recevoir et peut donc être invoquée en tout état de cause et cela tant pour
l’introduction de l’action en justice que pour sa poursuite. Plus précisément, elle
empêche toute introduction ou toute poursuite de l’action judiciaire. La nouvelle
rédaction traduit bien ces idées47 et continue à conforter le rapprochement entre
transaction et jugement. La partie litigante peut faire tenir en échec la tentative de
renouvellement de l’action en justice en opposant l’autorité de la chose jugée et la
partie contractante peut de même bloquer la violation de la transaction en relevant
l’exception de transaction. Encore faut-il que les conditions exigées soient réunies et
elles sont les mêmes en matière de transaction et de jugement48.
39. P L., Transaction et protection des parties, préf. L Y., 2005, LGDJ,
coll. Bibliothèque de droit privé, spéc. n° 363-395.
40. G P.-Y., « Le cas Bettencourt au regard du droit des obligations », D. 2016,
p. 1752.
41. Des auteurs avaient proposé une formulation plus détaillée et répartie entre plusieurs
articles. V. M-B B., « Les concessions réciproques », in D W. et M-
B B., La transaction, op. cit., note 75, p. 145.
42. Dans le même sens, C T., « L’arbitrage (…) », op. cit.
43. C. civ., art. 1351.
44. CPC, art. 1484.
45. W L., La liberté procédurale du contractant, préf. M J., 2004, PUAM,
spéc. n° 540 ; D D., « L’autorité de chose transigée », Gaz. Pal., 30 nov. et 1er déc. 2005, p. 2.
46. Un auteur avait proposé une autre rédaction qui aboutissait au même résultat
(D W., « Effets du contrat de transaction », in D W. et M-B B., La
transaction, op. cit., note 75, p. 171).
47. S B., R H. et B L., Les obligations, op. cit., n° 510 ; Paris,
23 oct. 1987, D. 1987.
48. La première condition concerne les personnes : l’exception de transaction comme
celle de chose jugée suppose l’identité des personnes agissant en la même qualité. L’article 2051
du Code civil le précise expressément. Seuls les signataires d’une transaction sont liées par cette
dernière. La seconde concerne l’objet de la transaction. Plusieurs textes du Code civil le
précisent, notamment l’article 2048 disposant « les transactions se renferment dans leur objet :
la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions ne s’entend que de ce qui est
relatif au différend qui y a donné lieu ». S’applique donc ici la relativité quant aux parties, à la
cause et à l’objet.
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Reste une question qui soulève des difficultés : la fin de non-recevoir tirée de
la transaction peut-elle être relevée d’office par le juge alors que le texte ne le pré-
voit pas expressément ? Certains auraient voulu que le nouveau texte le précise49
éliminant ainsi tout débat. Était-ce indispensable ? L’article 125 du Code de pro-
cédure civile ne précise-t-il pas que le juge peut relever d’office les fins de non-
recevoir tirées de l’autorité de la chose jugée ? Or, sauf à relever qu’il s’agit ici
d’intérêts privés, on reste bien dans une autorité de la chose jugée malgré le nou-
vel article50. La chose transigée comme la chose jugée s’impose aux parties comme
aux juges car elle est immuable, intangible, et ne peut plus être remise en cause.
D’autre part, malgré cet effet important qu’est l’exception de transaction, le
contrat de transaction demeure un contrat avec tous les effets d’un tel acte51. Il
n’est donc pas revêtu, contrairement au jugement, de la force exécutoire. Pour
l’obtenir, les parties à une transaction doivent passer par un juge52 ou alors recou-
rir à un notaire pour faire établir leur transaction par acte authentique. Dans tous
les cas, il s’agit une procédure non contentieuse et plus précisément gracieuse53.
Un arrêt récent a montré que cette procédure elle-même pouvait soulever des
difficultés ce qui est paradoxal54.
*
* *
49. V. sur cette question D W., « Effets du contrat de transaction », op. cit.
50. C T., « L’arbitrage (…) », op. cit.
51. Le contrat de transaction n’est pas assorti de l’hypothèque judiciaire, garantie accordée
par la loi aux décisions de justice et il n’est pas non plus, contrairement à un jugement, susceptible
de voies de recours. Il demeure un contrat et est donc sujet à l’action en nullité ou même en cas
d’inexécution à la résolution pour inexécution dès lors qu’elle fait naître des obligations
réciproques. Enfin, il obéit aux règles d’interprétation du droit commun des contrats.
52. Si la transaction est conclue en cours d’instance, c’est le juge déjà compétent pour régler le
litige au fond qui a compétence pour lui accorder une telle force. Si elle est obtenue en dehors de
toute instance, l’ancien article 1441-4 du Code de procédure civile prévoyait que c’est le président
du tribunal de grande instance qui lui accordait force exécutoire. C’était une particularité du régime
de la transaction. Cet article a été supprimé et remplacé par le renvoi au juge « compétent pour
connaître du contentieux en la matière » (CPC, art. 1567). Ce n’est donc pas le président, mais la
juridiction compétente pour connaître la question au fond qui est concernée, gommant ainsi la
différence sur cette question que la transaction soit ou non extrajudiciaire. Sur la question,
K H., « Bref retour sur la force exécutoire de la transaction devant le président du tribunal
de grande instance et le juge administratif », AJDA 2004, études, 242.
53. C C., F F. et G S., Procédure civile, 33e éd., 2016, Dalloz,
n° 1862 et s. ; C L. et J E., Droit judiciaire privé, 9e éd., 2016, LexisNexis,
n° 654 et s.
54. Cass. 2e civ., 1er sept. 2016, n° 15-22915, D. 2016, 1758, RTD civ. 2016, p. 883,
obs. Gautier P.-Y.
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Marie-Hélène M-B
Professeur Université Toulouse 1 Capitole
Centre de droit des affaires
1. Faut-il rappeler que Jacques Combret a présidé le 102e Congrès des notaires qui a eu
lieu en 2006 sur le thème des personnes vulnérables.
2. R A., M-B M.-H. et C J., « Régimes matrimoniaux et
sociétés », Actes pratiques et ingénierie sociétaire, sept. 2016.
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ce qui laisse un goût amer de réforme baclée et/ou inopportune. Un constat qui
devrait conduire les notaires à privilégier une position prudente car le mineur
dirigeant d’entreprise sera dangereusement exposé (I) alors que l’exercice de l’acti-
vité économique s’en trouvera compliqué (II).
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suppose de respecter certaines obligations quant aux biens affectés lors de sa consti-
tution et qu’il faut ensuite respecter notamment des obligations comptables et ban-
caires afin d’assurer la connaissance du patrimoine et la séparation patrimoniale. De
même, les dirigeants de société, le mineur assumera le plus souvent cette fonction
dans la société unipersonnelle, encourent en droit français une responsabilité dont
il ne faut pas négliger les conséquences. Si la responsabilité civile sera difficilement
mise en œuvre dans le cas des sociétés unipersonnelles, les autres cas de responsabi-
lité ne sont pas à écarter ainsi que les causes de responsabilité en cas d’ouverture
d’une procédure collective. Dans les deux situations, EIRL ou société uniperson-
nelle, l’ouverture d’une procédure collective pourra produire des conséquences
désastreuses pour le mineur. Il faut tout de même signaler que le statut d’EIRL n’ex-
clut pas l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale et n’interdit pas de
procéder à une déclaration d’insaisissabilité. Cela permettra ainsi de sécuriser encore
un peu plus le patrimoine immobilier dont pourrait être titulaire le mineur.
La particularité des statuts offerts par le Code civil au mineur réside dans la
présence de son ou de ses parents qui soit l’autorisent à faire des actes d’adminis-
tration soit réalisent les actes de disposition qu’ils sont les seuls à pouvoir faire. Le
même mécanisme est transposé lorsque le mineur n’a plus ses parents ; c’est alors
le conseil de famille qui autorise directement le mineur à réaliser les actes d’admi-
nistration ou le tuteur à accomplir les actes de disposition. Ainsi, les parents
devront agir conformément aux principes régissant l’administration légale et ils
engageraient leur responsabilité pour faute au regard de l’article 386 du Code
civil s’ils causaient un dommage dans la gestion des biens du mineur.
Pour assurer une situation plus clémente au mineur qui souhaite se lancer
dans la vie économique, les notaires en charge de la protection des personnes
vulnérables pourront conseiller de choisir le statut d’EIRL ou de constituer une
société unipersonnelle. Cette protection renforcée se fera au prix d’un exercice de
l’activité plus complexe qui pourrait soulever, en outre, des déconvenues juri-
diques au regard de l’organisation des pouvoirs prévue par les textes. De ce point
de vue, l’exercice en société paraît peu conciliable avec le système retenu.
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mais également en cas de tutelle en vertu des articles 401 et 408 du Code civil qui
donnent la main au conseil de famille et au tuteur.
Cette organisation des pouvoirs repose ainsi sur deux piliers. D’une part, les
parents ou le conseil de famille doivent décider de la liberté de gestion laissée au
mineur, puisqu’une liste des actes d’administration doit être dressée sous la forme
d’un acte sous seing privé ou d’un acte notarié. D’autre part, tous les actes quali-
fiés de disposition sont impérativement réalisés par le ou les parents ou le tuteur. Il
est donc possible d’en déduire que seuls les actes conservatoires échappent à ce
système. La rédaction du texte implique une intervention des deux parents ce qui
est plus contraignant que la règle classique, l’article 382-1 du Code civil indi-
quant que chacun d’eux est réputé, à l’égard des tiers, avoir reçu le pouvoir de
faire seul les actes d’administration portant sur les biens du mineur. En cas de
désaccord des parents sur l’étendue des autorisations ou sur la réalisation des actes
de disposition, à défaut de règle spéciale, il faudra revenir à l’article 387 du Code
civil qui impose l’intervention du juge des tutelles pour autoriser l’acte.
Plusieurs interrogations surgissent à l’examen de cette organisation. Comme
toujours lorsque sont utilisées les notions d’actes d’administration et de disposi-
tion, leurs périmètres respectifs doivent être déterminés. En ce domaine, les pro-
fessionnels qui devront dresser les listes d’actes pourront se référer au décret du
22 janvier 2008. Il conviendra de viser les actes de gestion nécessaires à l’activité
menée par le mineur EIRL ou à la réalisation de l’objet social s’il exerce sous
forme de société unipersonnelle, EURL ou SASU. Dans ce dernier cas, il sera
également souhaitable de viser les décisions relatives au fonctionnement de la
société que l’associé unique peut prendre. Ainsi l’affectation du résultat de la
société pourra peut-être relever du pouvoir des parents afin d’éviter que le mineur
ne se comporte en cigale alors que la pérennité de l’exploitation suppose généra-
lement de constituer des réserves. Ensuite, le mécanisme d’autorisation mis en
place et l’établissement d’une liste soulève la question de leur connaissance par les
tiers qui vont traiter avec le mineur. La question est d’importance, car même si la
loi ne le précise pas, il y a fort à parier que les actes passés en violation de l’auto-
risation donnée au mineur d’agir seul seront frappés de nullité12. Or, la lecture du
Code civil et la lecture des textes du Code de commerce relatifs au RCS font
apparaître un vide juridique total, aucune publicité n’a été organisée13, alors qu’en
raison de l’immatriculation requise de l’EIRL et de la société, cette mesure de
publicité ne semble pas délicate à mettre en œuvre. Tout l’enjeu est alors la pro-
tection des tiers qui vont traiter avec le mineur directement s’il est EIRL ou avec
la société qu’il dirige. La sécurité juridique risque d’être sérieusement remise en
cause à moins que le droit des sociétés ne fournisse des pare-feu…
12. Cass. 1re civ., 7 nov. 2006, n° 04-15799, D. 2006, 3069, note Bouteiller ;
RTD civ. 2007, 88, obs. Hauser : dans cet arrêt la nullité d’une souscription de parts de
SCPI réalisée par l’administrateur légal a été prononcée faute d’autorisation du juge.
13. Le même constat alarmant est fait par les auteurs en ce qui concerne la mise en
œuvre des autorisations judiciaires prévues à l’article 387-3 (C J. et B-
W N., « Quand modernisation rime avec confusion […] », op. cit.).
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14. C. com., art. L. 223-18 (SARL et EURL) ; art. L. 227-6 (SAS et SASU).
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Jean P
Professeur émérite des universités
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Après avoir rappelé les risques encourus par l’entrepreneur individuel, quelle
que soit son activité, il faudra dresser inventaire des principaux dispositifs qui
peuvent être proposés par les notaires.
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ou réalise une vente à prix dérisoire, ces actes pourront être annulés à la demande
du mandataire judiciaire ou du liquidateur. Il suffit qu’ils entrent dans la catégorie
des actes annulables dont la liste est de plus en plus longue (douze aujourd’hui)
dont certains intéressent les notaires (les actes à titre gratuit, les contrats commu-
tatifs déséquilibrés, la prise de garantie pour des dettes antérieures et, dernière-
ment, la déclaration notariée d’insaisissabilité1.
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L’observation a montré que la majorité des chefs d’entreprise n’a pas conclu
de contrat de mariage préalablement à leur union. Ils sont donc exposés au
régime légal, particulièrement à l’article 1413 du Code civil selon lequel les
dettes contractées par les époux, à quelque titre que ce soit, peuvent toujours
être poursuivies sur les biens communs. On pense à la liquidation judiciaire du
conjoint ou à sa condamnation en insuffisance d’actif prévue par l’ar-
ticle L. 651-2 du Code de commerce. D’autant plus que la jurisprudence inclut
désormais les gains et salaires dans l’assiette de la procédure collective18. À l’in-
verse, le notaire pourra proposer, lors du mariage ou pendant sa vie, l’efficacité
du régime de séparation de biens ou de participation aux acquêts. Dans les deux
cas, chacun des époux reste seul tenu des dettes nées en sa personne, avant ou
pendant le mariage19.
Il reste qu’il faut poursuivre la réflexion sur la cohérence entre un régime
matrimonial protecteur et l’organisation de l’entreprise. Dans le cadre de l’entre-
prise individuelle, le conjoint de l’exploitant travaillant dans l’entreprise doit
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opter pour un des statuts de l’article L. 121-4 du Code de commerce pour éviter
la qualification d’exploitation en commun20. En droit des sociétés, il est impé-
rieux que les époux ne soient pas dirigeants de droit ou de fait de la même entre-
prise, co-gérants, administrateurs, membres du directoire ; en cas de défaillance
de l’entreprise, les époux seront actionnés sur leur patrimoine propre.
Cette voie sera surtout précieuse pour le dirigeant de société qui ne peut béné-
ficier de l’insaisissabilité de ses actifs immobiliers, sur le fondement de l’ar-
ticle L. 526-A1 du Code de commerce, mesure réservée à l’entrepreneur indivi-
duel. Face aux appétits des créanciers, la séparation des actifs et leur apport ou
acquisition au profit de sociétés civiles présente des intérêts non négligeables. La
résistance de la société civile face à l’action des créanciers mérite d’être rappelée
sous réserve que ces derniers ne remettent pas en cause l’organisation.
20. V. notamment Cass. com., 15 mars 2005, JCP E, 2005, n° 49, p. 2098, note Lebon.
21. C. civ., art. 1851.
22. C. civ., art. 1867 et 1868.
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• L’action paulienne
Si l’action paulienne est visée expressément, par exemple en matière d’assu-
rance-vie23 ou en cas de changement de régime matrimonial24, l’article 1167 du
Code civil permet aux créanciers d’attaquer tous les « actes faits par leur débiteur
en fraude de leurs droits »25. Une jurisprudence significative intéresse les notaires ;
elle met en échec des opérations patrimoniales concernant les sociétés civiles.
C’est, tout d’abord, l’apport d’un immeuble à une SCI qui est visé. Parmi les
conditions requises pour le succès de l’action, la jurisprudence requiert un acte
d’appauvrissement du débiteur, celui qui « fait sortir du patrimoine du débiteur
un bien ou une valeur sans contrepartie »26.
Ce sera le cas en cas d’apport sous-évalué. Mais qu’en serait-il de l’apport d’un
bien évalué à sa juste valeur ? En réalité, la Cour de cassation caractérise la condition
d’appauvrissement dès lors qu’il apparaît que le débiteur a voulu substituer à des
biens aisément saisissables de son patrimoine des biens difficilement saisissables27.
Récemment, la sanction a été étendue à la vente à soi-même, particulière-
ment tendance. Selon les juges, la fraude paulienne est caractérisée dès lors
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qu’en cédant leur immeuble à une SCI dont ils étaient les seuls associés, alors
qu’ils avaient connaissance du principe certain de créance dont disposait un
créancier à leur encontre, les débiteurs avaient permis de faire échapper ce bien
aux poursuites de leur créancier en le remplaçant par des fonds plus difficiles à
appréhender que représentaient les parts sociales de la SCI dont la valeur est
désormais dépréciée28. Les cessions de parts de SCI ont également été constitu-
tives de fraude paulienne. Le prix de cession était inférieur à la valeur réelle et
la cessionnaire, la fille du cédant, étant réputée complice de la fraude29.
28. Cass. 3e civ., 9 févr. 2010, n° 09-10639, Dr. sociétés, 2010, comm. 68, obs. Hovasse H.
29. CA Paris, 17 sept. 2009, JurisData, n° 2009-012501, Dr. Sociétés, 2010, comm. 4,
obs. Mortier R.
30. C. com., art. L. 631-8.
31. On pourra agir à leur encontre sur le fondement de l’action paulienne. V. supra.
32. V. le commissaire à l’exécution du plan ou le ministère public : C. com.,
art. L. 632-4.
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puisque quatre des six associés disposaient des mêmes droits que lui, cependant qu’ils
n’avaient fait qu’un apport en numéraire 2 700 fois inférieur au sien33.
Les apports soumis à une nullité facultative : l’apport se situe toujours en
période suspecte, mais il n’est pas lésionnaire. Il peut toutefois être annulé sur
le fondement de l’article L. 632-2 du Code de commerce si les autres associés
avaient connaissance de la cessation de paiements de l’apporteur. Il est de
règle que cette connaissance doit être constatée au jour de la signature des
statuts, date à laquelle le contrat de société est conclu. Il faut toutefois
admettre que cette preuve par tous moyens peut être aisément établie pour
des SCI constituées dans la précipitation, le plus souvent avec le conjoint du
débiteur. Un arrêt de la Chambre commerciale du 1er avril 201434 illustre bien
ce type de situation : l’accumulation des dettes impayées ne pouvait être igno-
rée du conjoint ; les statuts signés par ce dernier mentionnaient les sûretés
inscrites en garantie des dettes impayées et il ne pouvait ignorer que l’im-
meuble était le seul bien susceptible de répondre des engagements profession-
nels du débiteur.
La nullité prononcée35, le bien apporté par le débiteur est réintégré dans son
patrimoine et peut donc être liquidé. Il pourrait, par ailleurs, en résulter la nullité
de la SCI si l’apport était déterminant pour les autres associés car le défaut de
consentement des associés est une cause de nullité de la société, voire la dissolu-
tion pour non-respect de ses engagements par un associé36.
Pour conclure sur ce point, il faut également ajouter que l’organisation pour-
rait être mise en échec en cas de relations financières anormales entre la SCI et la
société d’exploitation, sanctionnée par la confusion des patrimoines37.
Les clauses d’inaliénabilité sont fréquentes dans la vie des affaires. On les
observe dans les donations-partages ou les legs de droits sociaux, dans les pactes
d’actionnaires, dans les statuts de société, notamment dans ceux de SAS intro-
duites sur le fondement de l’article L. 227-13 du Code du commerce. Les condi-
tions de validité des clauses contenues dans une donation ou un legs sont visées
par l’article 900-1 du Code civil ; un caractère temporaire et la justification par
un intérêt sérieux et légitime. Exigence reprise par le droit commun à l’égard des
33. Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-17011, JurisData, n° 2011-007706, Bull. civ., 2011,
IV, n° 64, Dr. sociétés, 2011, comm. 179, RJDA, août-septembre 2011, n° 722.
34. Cass. com., 1er avril 2014, n° 2014086, JurisData, n° 2014-006540, Dr. Sociétés,
2014, comm. 132.
35. Notons qu’en cas d’annulation d’un apport fait par des époux communs en biens,
l’acte d’apport est nul en son entier, alors qu’un seul est soumis à une procédure collective.
V. Cass. com., 3 mai 2011, préc., note 12.
36. C. civ., art. 1844-7, 5°.
37. Sur cette question, v. C M., V A. et D F., Droit des sociétés,
2016, LexisNexis, § 176.
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clauses contenues dans des actes à titre onéreux38. Mais l’intérêt sérieux et légitime
n’est pas requis pour les clauses insérées dans les statuts d’une SAS.
La discussion a essentiellement porté sur l’insaisissabilité du bien visé par les
clauses d’inaliénabilité contenues dans les actes à titre gratuit. À dire vrai, l’insai-
sissabilité dépend de la nature de l’inaliénabilité. Pour certains, la clause donne-
rait naissance à un droit personnel, à une créance ayant pour objet un droit sub-
jectif39. Pour d’autres, l’inaliénabilité constituerait une indisponibilité objective
traduisant une indisponibilité réelle des biens, opposable erga omnes et opérant
une véritable « décomposition du droit de propriété »40. Cette position est renfor-
cée par la possibilité offerte par la jurisprudence de créer des droits réels par l’exer-
cice de la volonté individuelle41.
C’est cette seconde thèse qui a été accueillie par la jurisprudence en admettant
l’insaisissabilité comme complément nécessaire de la clause d’inaliénabilité. Ce
caractère réel de l’indisponibilité a été pour la première fois affirmé en ces termes :
« Attendu que le donateur, libre de ne pas donner, était libre d’attacher une
pareille restriction à sa propre libéralité et de retenir une partie de la propriété,
d’où il suit que les créanciers ne pouvaient puiser que dans la personne de leur
débiteur le droit de poursuivre la vente de ses immeubles, et le droit lui man-
quant, leur manque également »42. La jurisprudence a, par la suite, confirmé,
voire accentué, sa position initiale en annulant par exemple un commandement
de saisie immobilière43 et en accueillant le droit pour les intéressés de demander
la radiation de ce commandement44. Par ailleurs, renforçant le dispositif, la Cour
de cassation a déclaré purement et simplement irrecevable toute action oblique
des créanciers tendant à obtenir la mainlevée de la clause d’inaliénabilité sur le
fondement de l’article 900-1 du Code civil45.
Dans l’état actuel de la jurisprudence, tous les biens donnés ou légués au diri-
geant comportant une clause d’inaliénabilité ne peuvent faire l’objet d’une saisie
tant que cette clause est en vigueur, notamment tant que le donateur est en vie46.
En revanche, l’insaisissabilité n’a jamais été consacrée s’agissant des clauses
contenues dans des actes à titre onéreux47 (pactes d’actionnaires, statuts de société).
38. Sur la question, v. M R., « La nouvelle aire des clauses d’inaliénabilité »,
JCP N, 2008, n° 5, 1064.
39. R B., La stipulation d’indisponibilité, 2004, PUF Clermont-Ferrand, p. 171.
40. T F. et S P., Droit civil. Les biens, 8e éd., 2010, Dalloz, n° 135.
41. V. Cass. 3e civ., 23 mai 2012, Bull. III, n° 159 ; v. K C., « Volonté individuelle
et droits réels, la tentation du sui generis », JCP N 2014, n° 45-46.
42. Cass. req., 27 juill. 1863, DP, 1864, I, 494.
43. V. Cass. 1re civ., 30 juin 1993, D. 1995, somm. p. 50, obs. Grimaldi M. ; v. également
Cass. 1re civ., 15 juin 1994, Bull. civ., 1994, I, n° 211.
44. V. Cass. 1re civ., 8 févr. 2000, n° 97-20727, JurisData, n° 2000-000517, Bull. civ.,
2000, I, n° 43.
45. V. Cass. 1re civ., 29 mai 2001, n° 99-15776, JurisData, n° 2001-009836, Bull. civ.,
2001, I, n° 150.
46. V. en ce sens, Cass. 1re civ., 8 janv. 1975, JCP N, 1976, II, 18240, note Thuillier H.
47. V. sur ce point, R B., La stipulation d’indisponibilité, op. cit., n° 263.
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48. Ibid., n° 263. Il faut noter, il est vrai, en dehors d’une clause d’inaliénabilité, que la
jurisprudence décide que l’insaisissabilité de parts sociales ne peut résulter que d’un texte de
nature législative. V. Cass. 1re civ., 4 nov. 2003, n° 99-13965, JurisData, n° 2003-020796, D.,
2004, p. 521, note G. Taormina.
49. Cass. 1re civ., 18 nov. 1997, n° 95-20842, JurisData, n° 1997-004561, Bull. civ.,
1997, I, n° 315, JCP G, 1998, II, 10051, note Du Rusquec E., JCP G, 1998, IV, 1035, Dr.
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La tontine peut viser toute sorte de biens immeubles, meubles, par exemple
des parts de société civile. Dans ce cas, les associés conviennent, à titre aléatoire,
que le premier mourant d’entre eux sera considéré comme n’ayant jamais eu la
propriété des parts sociales qui seront censées avoir appartenu au survivant.
Chacun des associés sera donc propriétaire de ses parts sociales, sous condition
suspensive de la survie et sous condition résolutoire de son prédécès. Et en vertu
de la rétroactivité de la condition, le survivant sera réputé être propriétaire des
parts du prédécédé.
Tant qu’ils seront en vie, aucun d’eux ne pourra disposer de ses parts sociales
sans le concours et le consentement du ou des autres associés.
Toutes ces clauses emportant insaisissabilité pourraient, à l’évidence, être
exposées à la nullité si elles sont établies en période suspecte. Encore faudrait-il
que le bénéficiaire de la clause soit soumis à une procédure collective, ce qui reste
exceptionnel pour un dirigeant de société. Enfin, ces clauses, en cas de fraude
fiscale, resteraient opposables à l’Administration car non sanctionnées par l’ar-
ticle 42 de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale.
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50. M D., « Cession de contrôle et sort des contrats de la société cédée », Rev. sociétés
1996, p. 17.
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aux intéressés : soit prohiber toutes modifications de la situation, soit les soumettre
à agrément. Les clauses de « prohibition »51 interdisent toute mutation des condi-
tions ayant présidé à la conclusion du contrat en visant des opérations déterminées :
cession de contrat, sous-licence, cession d’actions par le jeu d’une clause d’inaliéna-
bilité, en vigueur jusqu’à parfait remboursement d’un prêt52. Le plus souvent, c’est
une clause d’agrément qui est prévue, exigeant de la société cocontractante, en pre-
mier lieu, d’informer l’autre partie, par exemple de « toute modification dans sa
direction ou son conseil d’administration, ou encore dans la répartition du capital
social » et, en second lieu, de solliciter son accord préalable et par écrit. L’opération
réalisée au mépris de ces clauses, le bénéficiaire, si bon lui semble, peut mettre fin
au contrat par le jeu d’une simple clause résolutoire dont l’application est notifiée
par lettre recommandée, et sans que la société victime « puisse prétendre à quelque
réparation que ce soit ». Dans un contrat de prêt, il sera stipulé que la cession de
contrôle non agréée constituera un cas de remboursement anticipé.
La cession de contrôle, la modification d’actionnariat, réalisées au mépris de
ces clauses peut donc constituer une cause de résiliation du contrat53. Or si on
songe, par exemple, à la résiliation d’un contrat de franchise dans la grande distri-
bution avec, pour conséquences, rupture d’approvisionnement, dépôt des
enseignes, c’est l’existence même de la société cédée qui est en jeu. Sans doute, en
raison du caractère exorbitant de ces clauses, le juge va sanctionner la mise en
œuvre abusive du droit de résiliation par les dommages-intérêts54, mais en pra-
tique l’agrément du cocontractant doit être sollicité avant la cession de contrôle.
51. M J.-M., Technique contractuelle, 4e éd., 2000, Francis Lefebvre, coll. Traités
pratiques, n° 1200.
52. CA Paris, 11 mai 1982, Gaz. Pal., 1983, 1, p. 152.
53. CA Paris, 25 janv. 1995, RJDA, 10/95, n° 1103.
54. Cass. com., 5 oct. 2004, RJDA, 2/05, n° 120.
55. Cass. com., 15 oct. 2002, RJDA, 2/03, n° 190 ; CA Aix-en-Provence, 15 janv. 2015,
RJDA, 5/15, n° 351.
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profit pour les dirigeants, allotissement des enfants non-repreneurs dans le cadre
d’une transmission à titre gratuit. Dans le contexte d’une cession de contrôle, les
cédants peuvent y voir une source de revenus appréciable pour leur retraite en
conservant les parts de la SCI. Si cet objectif peut être validé lorsqu’il s’agit de
locaux à destination commerciale, l’hésitation est permise à l’égard des locaux
industriels. Songeons à une PME qui exerce son activité dans les locaux situés en
zone rurale ou en zone à faible employabilité. Si l’acquéreur de l’entreprise achète
en réalité une part du marché, le risque est avéré d’une fermeture à terme de
l’entreprise sans relocation possible. Un scénario catastrophe peut se dessiner :
friches industrielles, dépollution. Un actif devient un passif. Face à cette situa-
tion, il peut être prudent, en temps opportun, de faire basculer les parts de la SCI
à l’actif de la société d’exploitation.
56. Cass. com., 12 mars 1985, JCP G, 1985, II, 20400, note Bonet.
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57. Sur ces questions, V. C M. et D F., Précis de fiscalité des entreprises,
2016, LexisNexis, § 601 et s.
58. Ibid., § 616 et s.
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qu’elle ait été faite dans un but exclusivement fiscal. Ce n’est, en principe, pas le
cas d’une donation qui est motivée par une intention libérale. En revanche, si les
fonds issus de la vente reviennent par la suite entre les mains du donateur,
l’intention libérale est difficilement caractérisée et l’opération peut être considérée
comme abusive. Sur cette question, le Conseil d’État a été amené à se prononcer
et a considéré que, même lorsque la donation était assortie de conditions strictes
pour le donataire, celles-ci n’étaient pas de nature à remettre en cause la réalité du
dessaisissement du donateur, et donc, l’intention libérale ayant motivé la
donation, validant ainsi la stratégie mise en place de donation avant cession59.
Lorsque la donation précédant la cession est consentie avec réserve d’usufruit,
la question de la réalité du dessaisissement est parfois plus délicate. Ces donations
ne sont pas considérées comme abusives, mais il convient d’être particulièrement
attentif aux clauses et conditions contenues dans l’acte de donation, ainsi qu’à
l’emploi qui est fait du produit de cession. À cet égard, l’utilisation du quasi-usu-
fruit doit se faire avec beaucoup de précaution. Il arrive, en effet, qu’à la suite de
la cession de titres dont la nue-propriété avait été préalablement transmise, l’usu-
fruit se reporte sur une somme d’argent. Lors de la vente des titres, le donateur
usufruitier reçoit le produit de la cession du bien démembré, à charge de le rendre
aux nus-propriétaires à l’extinction de l’usufruit60.
Bien souvent, la restitution pèsera donc sur la succession du donateur, qui aura
donc bénéficié de tous les avantages de son vivant : la fiscalité de la cession et de la
transmission envers ses enfants aura été allégée, tout en conservant tout pouvoir sur
le produit de cession. Cette situation pousse l’administration fiscale à affirmer que
le donateur ne s’est alors pas réellement dessaisi par la donation, rendant sa stratégie
abusive. Du point de vue du Comité de l’abus de droit fiscal, c’est notamment
l’existence de cette dette de restitution qui permet de conclure à l’absence d’abus de
droit61. Mais encore faut-il que la constitution du quasi-usufruit soit prévue à temps.
L’unique exemple jurisprudentiel du Conseil d’État se prononçant sur une opéra-
tion de donation-cession accompagnée d’une convention de quasi-usufruit a inva-
lidé la stratégie62. Les conditions de l’espèce étaient particulières : le donateur ne
s’était pas réservé la possibilité de constituer un quasi-usufruit dans l’acte de dona-
tion, la convention de quasi-usufruit n’avait été conclue qu’après la vente des titres
afin de permettre l’appréhension de la totalité du prix de cession par le donateur.
La question de savoir si l’abus de droit aurait été écarté si le quasi-usufruit
avait été stipulé ab initio dans l’acte de donation reste entière. La prudence s’im-
pose, mais il n’est pas exclu que la réponse soit affirmative. La Cour administra-
tive d’appel de Lyon s’est prononcée en ce sens, alors même qu’aucune garantie en
59. CE, 30 déc. 2011, n° 330940, JurisData, n° 2011-031693, JCP N, 2012, n° 16,
1191, concl. Escaut N., note Mortier R.
60. C. civ., art. 587.
61. V. notamment, rapport CCRAD (année 2007), BOI 13 L-4-08, 16 mai 2008,
aff. n° 2006-18, p. 21.
62. CE, sect. S, 14 oct. 2015, n° 374440, RFP, 2016, jur. 5, note Deboissy F. et
Wicker G.
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69. Notamment dans la SNC : C M., V A. et D F., Droit des
sociétés, op. cit., note 26, n° 88.
70. D H., « Les clauses de non-garantie dans les cessions de droits sociaux en
droit français », BJS 1995, p. 1043.
71. Mémento Lefebvre sociétés commerciales, 2016, § 1762.
72. V. sur ces questions, M P., Les conventions de garantie du passif dans les
cessions de droits sociaux, 2e éd., 1997, Nouvelles éditions fiduciaires.
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73. Cass. com., 9 oct. 2012, n° 11-21528, JurisData n° 2012-022670, Dr. sociétés,
2013, comm. 2.
74. CA Riom, 12 déc. 2012, JurisData n° 2012-029407, Dr. Sociétés, 2013, comm. 63,
note Gallois-Cochet D. et Roussille M.
75. Cass. com., 6 févr. 1990, BJS, 1990, p. 353.
76. C. com., art. L. 223-23 et L. 225-254.
77. Cass. com., 16 avr. 1991, Bull. civ. IV, n° 144.
78. G L. et W R., « L’assurance responsabilité civile des mandataires sociaux
(RCMS) », Actes prat. et strat. patrimoniale, 2012, n° 3, dossier 25.
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acquittées sont déductibles79. Il est, bien sûr, important que la souscription du contrat
soit antérieure à la cession de contrôle et que les acquéreurs s’engagent à le maintenir
pendant le délai de prescription des actions en responsabilité.
Sans doute, lors de la cession de contrôle, on peut envisager une renonciation
du cessionnaire à exercer un recours en responsabilité contre le cédant mais l’effi-
cacité de cette stipulation reste limitée, un actionnaire minoritaire peut toujours
agir comme la société elle-même.
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Éliane F
Notaire honoraire
Membre de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat
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L’émergence du crowdfunding
Dès la fin des années 1990 des souscriptions sont ouvertes pour le finance-
ment de films et d’albums de musique mais c’est La Grande-Bretagne qui est
pionnière dans la désintermédiation financière numérique. En 2004, le site
« Zopa », devant la situation des exclus du crédit à la consommation, propose à
toute personne de solliciter le public pour obtenir un crédit, puis le site « Just
Giving » s’impose dans la collecte de fonds pour les ONG.
Les américains ont suivi de très près les britanniques. Il faut citer l’embléma-
tique site « KIVA » qui permet à une communauté de plus d’un million d’inter-
nautes de contribuer à prêter de l’argent à des micro-entrepreneurs et de partici-
per à la lutte contre la pauvreté dans le monde.
Il s’agissait encore de prêts à la consommation, de micro-crédits, d’humani-
taire ou de projets culturels mais dès 2008 les financements vont se diversifier. Les
sites commencent à proposer le financement des entreprises pour les besoins de
leurs investissements ou en fonds de roulement. Pour encadrer cette nouvelle
forme de financement, les États Unis mettent en place le « Jumpstart Our Business
StartupsAct (JOBS Act) ». Cette loi fait notamment la distinction entre le finance-
ment participatif à vocation caritative et le financement investissement.
La France n’est pas restée en dehors de ces nouveaux outils de financement. Dès
2008, des plates-formes se déploient et facilitent le financement de plusieurs pro-
jets artistiques. Le plus emblématique de ces financements reste le premier disque
du chanteur Grégoire. Le succès rencontré a largement contribué au développe-
ment en France de ce nouveau mode de production.
Le législateur français a pris conscience qu’il devait accompagner le finance-
ment participatif, ne pas en casser la dynamique, en conserver le potentiel, tout en
répondant aux problématiques que soulève ce mode alternatif de financement.
Il a dû faire face aux réticences des banques, des établissements financiers et aux
inquiétudes des associations de consommateurs de même qu’aux difficultés tenant à
la diversité des modèles juridiques utilisés sous le terme « financement participatif ».
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5. Outre le régime fiscal du mécénat, certains dons peuvent relever des dispositions de
l’article 200 du Code général des impôts qui énumère les associations, fondations et autres
organismes reconnus d’utilité publique qui permettent de bénéficier d’un avantage fiscal
(instruction fiscale du 18 décembre 2006). Certains sites proposent le calcul de l’avantage fiscal.
6. Tel pourrait être le cas lorsque la contrepartie consiste en une place de spectacle.
7. Ce pourcentage est annoncé par les plates formes car il satisfait à une instruction
fiscale relative aux réductions d’impôt au titre des dons.
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Le financement en equity
Le crowdfunding-equity ouvre à un grand public la possibilité de devenir
« actionnaire-citoyen », privilège plutôt réservé à des personnes averties. Pour les
entreprises, c’est une possibilité nouvelle de se constituer des fonds propres.
Certains ont ainsi qualifié de mini-bourse le crowdfunding-equity.
L’investisseur qui souscrit à une augmentation de capital dans le cadre d’un
financement participatif devient associé via la plate-forme. Dès lors qu’il a
souscrit à des actions, il devient titulaire des droits attachés à sa qualité d’asso-
cié : droits pécuniaires (dividendes) et extra-pécuniaires (droit de vote, droit à
l’information, pacte d’actionnaire, clause de sortie conjointe…). Les investis-
seurs doivent être suffisamment qualifiés pour apprécier l’étendue de leurs
droits. Ils doivent être conscients de leurs risques et de l’absence de liquidité
de leur épargne.
L’investissement participatif n’étant pas sans risque, le législateur est intervenu
pour mettre fin à l’insécurité juridique sur le statut des plates-formes, leur sou-
mission aux dispositions du Code monétaire et financier concernant l’offre de
titres au public, leur agrément en tant qu’intermédiaire financier.
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Le cadre réglementaire
L’ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participa-
tif8 a donné un cadre juridique au financement participatif visant principalement
à créer un régime sui generis applicable aux intermédiaires que sont les plates-
formes de financement participatif et à encadrer les investissements réalisés au
moyen d’un site internet.
Le rapport au président de la République du projet d’ordonnance présente la
finance participative comme porteuse de valeurs nouvelles : transparence, choix,
responsabilité de son investissement et de ses placements, désintermédiation et
démocratisation de l’investissement dans l’économie française.
Jusqu’au 1er octobre 2014, date d’application de l’ordonnance du 31 mai 2014, les
plates-formes de financement participatif étaient soumises à des règles inadaptées rele-
vant du statut bancaire ou financier et donc très souvent contournées9. L’activité de
conseil en investissement financier ou de prestataire de services d’investissement avec
ou sans paiement pour le compte de tiers s’avérait notamment soumise à des contraintes
fortes, de sorte que les intervenants contournaient les dispositifs existants.
Attendue afin de favoriser le développement du financement participatif dans un
environnement juridique plus sécurisé pour les différents contributeurs, l’ordonnance
du 30 mai 2014 vise surtout à encadrer les activités de « crowdfundinglending » (prêts
à titre gratuit ou rémunéré) et de « crowdfunding-equity » (titres financiers).
L’ordonnance a sécurisé la situation des plates-formes en précisant que les statuts exis-
tants des établissements de crédit et des conseils en financement ne s’appliquaient pas
aux plates-formes de financement participatif10. Elle a en contrepartie soumis les
plates-formes à un statut réglementé pour l’exercice de leur activité et adapté à la
nature du financement proposé aux internautes.
Une plate-forme de financement participatif proposant le financement d’un
projet sous la forme d’un prêt avec ou sans intérêt doit être immatriculée auprès
de l’Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et
finance (ORIAS)11 en tant qu’intermédiaire en financement participatif (IFP) et se
conformer aux exigences prévues pour ce statut en tenant compte de la nature des
opérations effectuées.
Une plate-forme de financement participatif par souscription de titres finan-
ciers d’une société non cotée doit être immatriculée auprès du registre de
l’ORIAS en tant que conseiller en investissement participatif (CIP). Elle peut égale-
ment opter pour le statut de prestataire en services d’investissement (PSI) fournis-
sant le service de conseil et être dans ce cas, agréée par l’Autorité de contrôle pru-
dentiel et de résolution (ACPR).
8. La loi n° 14-1 du 2 janvier 2014 a habilité le gouvernement à prendre par ordonnance les
mesures destinées à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises.
9. Beaucoup de plates-formes sont de plus enregistrées hors de France.
10. M J.-M., « Régulation du crowndfunding : de l’ombre à la lumière »,
Bull. Joly Bourse 2014.
11. Association loi 1901 sous tutelle de la Direction générale du Trésor créée en 2007.
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La plate-forme CIP est régulée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et
la plate-forme PSI est régulée par l’AMF et l’ACPR conjointement. Outre les
pouvoirs donnés à l’AMF et à l’ACPR, le contrôle des plates-formes entre dans les
missions de la DGCCRF.
Une plate-forme ne proposant que des financements sous forme de dons n’a
pas l’obligation d’immatriculation à l’ORIAS mais, elle doit néanmoins respecter
les règles imposées aux intermédiaires en financement participatif (IFP).
Toute plate-forme encaissant des fonds pour le compte de tiers dans le cadre
de financement participatif doit être agréée a minima en qualité d’établissement
de paiement par l’ACPR ou être enregistrée en tant qu’agent de prestataire de
services de paiement (PSI).
Il est possible de vérifier l’immatriculation de la plate-forme en consultant le
site www.orias.fr de même que son appartenance au réseau des plates-formes
labellisées. Un label a été créé pour les plates-formes de financement participatif
ayant le statut d’IFP, de CIP ou de PSI afin d’identifier les plates-formes régulées
par les autorités françaises.
En l’absence de prise en compte par l’ordonnance du 30 mai 2014 de l’activité
transfrontalière des plates-formes, les statuts d’IFP et de CIP ne semblent pas per-
mettre aux plates-formes enregistrées en France de proposer leurs services au sein de
l’Espace économique européen (EEE).De même, l’accès au marché français du finan-
cement participatif des conseillers et intermédiaires en financement établis à l’étranger
ne devrait pas leur être ouvert s’ils ne relèvent pas de l’un des statuts réglementés, soit
en bénéficiant d’un passeport européen et en étant titulaire d’un agrément dans leur
État d’origine faisant partie de l’EEE, soit en créant une filiale en France.
L’absence de règles communes au sein de l’Union européenne se concilie mal
d’une part avec le principe de libre prestation de services à l’intérieur de l’EEE et
d’autre part avec les activités transfrontalières des plates-formes de crowndfunding
et n’est pas sans poser de problèmes.
L’ordonnance du 30 mai 2014 et les différents textes qui l’ont accompagnée12
ont fixé les règles d’organisation et d’exercice des activités des plates-formes : inter-
médiaires en financement participatif (IFP), prestataire de services d’investissement
(PSI) ou conseiller en investissement participatif (CIP). Le règlement AMF définit
les obligations fortes qui leur sont imposées sous forme de « règles de bonne conduite ».
L’obligation d’information et de transparence s’impose mais si le PSI est res-
ponsable de l’exactitude et de la complétude des informations communiquées sur
le site, pour le CIP l’obligation est moindre : il doit contrôler les informations du
porteur du projet.
Le statut de CIP se révèle plus souple que celui de PSI, lequel doit obtenir un
agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, dont la délivrance
est subordonnée à des conditions de ressources humaines et financières, à une
organisation comptable et financière et à un dispositif de contrôle.
12. Liste des principaux textes règlementaires en fin d’article.
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Par ailleurs, le décret élargit la palette des titres financiers. En complément des
actions et des obligations à taux fixe, il peut être proposé aux investisseurs des obli-
gations convertibles et des titres participatifs sous certaines conditions. Cette mesure
a élargi le public intéressé par ces produits et répond à certains besoins de finance-
ment, notamment celui des coopératives (coopératives agricoles, SCOP…).
Ce même décret prévoit aussi la possibilité pour les personnes morales de
prêter à des entreprises en créant les « minibons » émis via les plates-formes de
crowdfunding ayant le statut de CIP ou de prestataire de services d’investissement
(PSI). Si le montant des sommes investies par les prêteurs n’est pas plafonné,
l’émission des « minibons » par une entreprise est plafonnée à 2,5 millions d’eu-
ros sur une période de douze mois.
Les limites de l’engagement fixées par le législateur peuvent paraître protectrices
mais certains particuliers seront tentés de prêter au-delà de leur capacité financière.
Il faut donc compter sur le bon sens et la prudence des investisseurs, difficiles à
garantir face à un engagement financier souvent plus émotionnel que rationnel.
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ou participation au capital d’une société porteur de projet. Ils sont aussi différents
selon la qualité des parties : personne physique ou personne morale.
La fiscalité peut imposer des obligations déclaratives. Elle peut aussi présenter
des avantages selon les situations. Ces avantages peuvent être liés à la nature de
l’investissement, au respect de certaines conditions, notamment de durée. Le
législateur a soutenu le financement participatif aux entreprises en accordant
notamment aux prêteurs l’entrée des titres dans un PEA et le bénéfice du disposi-
tif ISF/PME. Il a pris également des dispositions pour prendre en compte dans
certaines situations les pertes constatées par le contributeur.
Les plates-formes de financement participatif sont tenues d’informer les utilisa-
teurs (contributeurs et porteurs de projet) des obligations fiscales pesant sur eux.
La doctrine fiscale est précisée au BOFIP22.
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23. Déclaration de Mme Castagnet, directrice en charge des relations avec les épargnants à
l’AMF, Figaro économie, 20 janvier 2017.
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24. www.tousnosprojets.fr
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QUATRIÈME PARTIE
NOTARIAT
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Matthieu P
Professeur à l’Université de Toulouse 1 Capitole
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l’instar de tout rédacteur d’actes4. Telle est la finalité des obligations professionnelles
(devoir d’investigation et devoir de conseil) imposées aux rédacteurs d’actes, y compris
le notaire5, et dont il résulte une convergence des responsabilités. Le notaire, rédacteur
d’actes, est-il tenu veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence
impliquant qu’il conseille les deux parties6 ? Il en va également ainsi de l’avocat7, de
l’expert-comptable8 et depuis longtemps du conseil juridique9. La jurisprudence a-t-
elle inaugurée au milieu des années 1990 une solution selon laquelle « le notaire n’est
pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences personnelles de son client »10
ou à raison de la présence d’un conseiller à ses côtés11 ? C’est une solution identique
que les juges ont appliquée aux avocats12 et aux experts-comptables13, et gageons que
le temps venu, la formule selon laquelle le notaire n’a pas « à renseigner son client sur
l’existence de données de fait dont celui-ci a connaissance »14 leur sera applicable. Le
notaire a-t-il un devoir d’investigation ? Il en va également ainsi de l’huissier15 et de
l’agent immobilier16. Encore, le notaire n’est, « en principe, pas tenu à une obligation
de conseil et de mise en garde en ce qui concerne l’opportunité économique de l’opé-
ration à laquelle il prête son concours »17. Il en va également ainsi de l’avocat18, voire
plus généralement de tout rédacteur d’actes si l’on en croit la cour d’appel de Lyon19.
4. Pour un avocat Cass. 1re civ., 21 févr. 2006, n° 04-10314 ; CA Versailles, 12 sept. 2013,
JurisData n° 2013-019912 ; adde l’article 7.2 du RIN de la profession d’avocat. Pour un conseil
juridique, Cass 1re civ., 13 févr. 1996, n° 94-11473 ; CA Versailles, 8 déc. 1994, n° 1994-603764.
Pour un expert-comptable : Cass. 1re civ., 16 nov. 1999, n° 97-14280 ; 4 déc. 2012, n° 11-27454.
Pour un huissier, CA Paris, 28 févr. 2000, JurisData, n° 2000-119600.
5. Cass. 1re civ., 12 avr. 2005, Bull. civ. I, n° 178 ; D. 2005. IR. 1180 ; AJDI 2005.
592 : visant « les obligations du notaire qui ne tendent qu’à assurer l’efficacité d’un acte
instrumenté par lui et qui ne constituent que le prolongement de sa mission de rédacteur
d’acte » ; Cass. 1re civ., 22 nov. 2007, n° 05-11350.
6. Cass. 1re civ., 4 janv. 1973, Bull. civ. I, n° 1 ; Defrénois, 1973, 1110, obs. Aubert J.-L.
7. Cass. 1re civ., 21 févr. 2006, n° 04-10314 ; Cass. 1re civ., 27 nov. 2008, 07-18142 ; Cass. 1re civ.,
25 févr. 2010, n° 09-11591. Pourtant, « l’avocat qui est intervenu comme rédacteur unique d’un acte
n’est pas présumé avoir été le conseil de toutes les parties signataires » (art. 7.3 du RIN).
8. Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, JurisData, n° 2004-025549 ; CA Paris, 2 mars 2010, n° 09-1129.
9. Cass. 1re civ., 1er oct. 1986, n° 84-13800.
10. Cass. 1re civ., 12 déc. 1995, n° 93-18753 ; Cass. 1re civ., 25 nov. 1997, n° 95-18618 :
Bull. civ. I, n° 238 ; 11 juin 1998, n° 96-13785 : Bull. civ. I, n° 205 ; 22 mai 2001,
n° 98-15847 ; 12 juill. 2005, n° 03-19321. ; 30 mai 2013, n° 12-22252.
11. Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14192.
12. Cass. 1re civ., 7 juill. 1998, n° 96-14192 ; 19 mai 1999, n° 96-20332 ; 7 mai 2002,
n° 99-12907 ; 27 nov. 2008 ; 25 févr. 2010, n° 09-11591.
13. Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, JurisData n° 2004-025549 ; Bull. civ. II, n° 256 ;
Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-27454.
14. Cass. 1re civ., 11 déc. 2013, n° 12-28432 ; Cass. 1re civ., 11 janv. 2017, n° 16-10607
– déjà 26 nov. 1996, Bull. civ. 1996, I, n° 423 ; 5 avr. 2012, n° 11-10321.
15. Cass. 1re civ., 25 mars 2010, n° 09-12294.
16. Cass. 1re civ., 16 oct. 2013, n° 12-24267.
17. Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-19942.
18. Cass. 1re civ., 22 sept. 2011, n° 10-19003.
19. CA Lyon, 5 mars 2015, JurisData n° 2015-005150 : « Le devoir de conseil du
rédacteur d’acte exclut toute appréciation sur l’opportunité économique de l’opération
envisagée et sur les conditions financières dans lesquelles elle intervient ».
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Voilà, en effet, plusieurs années que la première chambre civile, rejointe par
nombre de juridictions du fond20, décide inlassablement, et comme pour mieux
conjurer le sort, que le notaire n’est pas tenu d’un devoir de conseil et de mise en
garde en ce qui concerne l’opportunité économique de l’opération à laquelle il
prête son concours. Ces décisions entendent circonscrire le devoir de conseil du
notaire à la validité et à l’efficacité juridique de l’acte21, tandis qu’il n’est pas tenu
à une obligation de conseil et de mise en garde concernant l’opportunité écono-
mique de ce même acte22.
Aux parties l’opportunité économique, au notaire la validité et l’efficacité juri-
dique, pourrait-on écrire selon une répartition des rôles qui paraîtrait satisfaisante
si les frontières de l’opportunité et de l’efficacité, mais également du droit et de
l’économie, n’étaient pas davantage poreuses que le simple énoncé de cette limite
au devoir de conseil de notaire le fait candidement paraître. Le doyen Aubert avait
déjà montré que la frontière entre « conseil de droit et conseil d’opportunité est en
réalité difficile à tracer »23. Au surplus, les aspects économiques des actes recouvrent
à l’évidence et plus que jamais des aspects financiers et fiscaux dont les enjeux
sont désormais tels qu’ils sont parfois souvent la raison d’être des actes instrumen-
tés par le notaire : ce n’est pas pour rien si le contentieux lié aux actes conclus
« aux fins de défiscalisation »24 a augmenté considérablement. Y compris s’agis-
sant d’actes « simples ». Le notaire peut-il toujours demeurer extérieur à la faisa-
bilité financière d’une opération de défiscalisation immobilière dès lors qu’elle est
l’objectif poursuivi ? Certainement pas. Pas davantage que le notaire ne pouvait
rester totalement extérieur aux objectifs plus traditionnels que les acquéreurs
d’immeuble, par exemple, pouvaient (et peuvent encore) poursuivre : se loger,
louer, exercer une activité professionnelle…
Et c’est précisément ce que décident les juges. En effet, au-delà de l’« effet
d’annonce » qui conduit à ne retenir que la seule idée selon laquelle le notaire
n’est pas, en principe, tenu à une obligation de conseil et de mise en garde concer-
nant l’opportunité économique de l’acte, il convient de ne pas négliger que dans
un arrêt de principe, publié au bulletin, et dont l’attendu a été plusieurs fois repris
tant par la Cour de cassation25 que par les juges du fond26, la première chambre
civile a précisé que « s’il n’est pas tenu d’une obligation de conseil et de mise en garde
concernant l’opportunité économique d’une opération en l’absence d’éléments
d’appréciation qu’il n’a pas à rechercher, le notaire est, en revanche, tenu d’une
20. V. par ex CA Rennes, 2 févr. 2017, n° 13/05880 : le notaire n’a pas « d’obligation
d’information et de renseignement (…) sur l’opportunité économique de l’opération
immobilière de défiscalisation ». CA Riom, 30 janv. 2017, n° 15/00190 ; CA Paris,
13 sept. 2011, n° 09/20749 ; CA Rennes, 1er févr. 2011, n° 09/07952 ; CA Toulouse,
9 janv. 2001, n° 1999/03114 ; JurisData, n° 2001-138768.
21. Par ex., Cass. 1re civ., 28 juin 2007, n° 06-11988.
22. Par ex. Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 14-11557 et 14-11558.
23. A J.-L., La responsabilité civile des notaires, 4e éd., 2002, Defrénois, n° 90.
24. Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 14-11557 et 14-11558.
25. Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14192.
26. CA Riom, 30 janv. 2017, n° 15-00190.
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telle obligation pour que les droits et obligations réciproques légalement contrac-
tés par les parties répondent aux finalités révélées de leur engagement, soient
adaptés à leurs capacités ou facultés respectives et soient assortis des stipulations
propres à leur conférer leur efficacité »27.
Ce faisant, la première chambre civile pose non pas une seule mais deux
« règles » qui, a priori, paraîtraient contradictoires si elles n’avaient, en réalité,
pas le même domaine. D’une part, le notaire n’est en principe pas tenu d’une
obligation de conseil et de mise en garde concernant l’opportunité économique
de l’acte. Autrement dit, il ne saurait être le garant de la pertinence économique
de l’acte. Les parties demeurent maître de ce qui est économiquement « bon »
pour elles, de ce qui leur convient en fonction de leur situation. D’autre part,
le notaire est tenu d’une obligation de conseil et de mise en garde « pour que les
droits et obligations réciproques légalement contractés par les parties répondent
aux finalités révélées de leur engagement, soient adaptés à leurs capacités ou
facultés respectives et soient assortis des stipulations propres à leur conférer leur
efficacité ». En d’autres termes, il conviendrait de distinguer la pertinence éco-
nomique d’un acte de l’efficacité, notamment économique, de ce même acte.
Alors que la première, la pertinence économique, est la chose des parties à
l’acte, l’efficacité juridique mais également économique est de la compétence
du notaire : dès lors que le notaire assure l’efficacité de l’acte, il n’a pas à s’assu-
rer de son opportunité. Au regard de cette distinction entre la pertinence éco-
nomique (I) et l’efficacité économique (II), telle qu’elle est posée par la Cour de
cassation, la jurisprudence prend sens.
27. La Cour ajoutait : « Quand bien même leur engagement procéderait d’un accord
antérieur, dès lors qu’au moment de l’authentification cet accord n’a pas produit tous ses effets
ou ne revêt pas un caractère immuable ». Cette incise procède semble-t-il d’une confusion. Le
fait que l’accord ait produit tous ses effets ou qu’il soit immuable conduit à décider que le
notaire authentificateur n’a pas de devoir d’efficacité. En revanche, cela ne devrait pas avoir
nécessairement d’impact sur l’obligation de conseil et de mise en garde du notaire (v. infra) qui
subsiste : l’immuabilité de l’accord ne dispense en rien le notaire de mettre en garde les parties.
28. V. infra, II.
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Le tempérament, s’il en est un, est un peu moins aisé à appréhender. La Cour de
cassation, en effet, décide que le notaire n’est pas tenu à une obligation de conseil et
de mise en garde « en l’absence d’éléments d’appréciation [de l’opportunité écono-
mique] qu’il n’a pas à rechercher ». Est-ce à dire que si le notaire détient des éléments
d’appréciation qui lui permettent de penser que l’opération n’est pas économique-
ment opportune, il doit alors sortir de son silence et conseiller ou mettre en garde ses
clients ? Cela n’est pas certain ; ou du moins, pas nécessairement, souhaitable… (B).
29. Par ex. : Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14192 ; CA Riom, 30 janv. 2017,
n° 15-0190.
30. CA Paris, 13 sept. 2011, n° 09-20749, préc. ; CA Paris, 8 nov. 2000, JurisData,
n° 2000-127661.
31. CA Besançon, 20 sept. 2016, n° 15/00439 ; CA Aix-en-Provence, 10 mai 2007,
n° 2007/349.
32. CA Toulouse, 9 janv. 2001, JurisData, n° 2001-138768.
33. Cass. 1re civ., 20 janv. 2011, n° 10-10174, préc.
34. CA Paris, 4 avr. 2006, n° 05-01218.
35. CA Aix-en-Provence, 3 janv. 2017, n° 15-10466.
36. Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 10-18954.
37. CA Rennes, 1er févr. 2011, n° 09-07952.
38. CA Rennes, 2 févr. 2017, n° 13-05880.
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aucunement de dire que le droit est un système fermé, dont les praticiens devraient
aveuglement se contenter pour exercer leur art, il n’en demeure pas moins que la
compétence du notaire n’est pas sans limite. Notamment, le notaire se distingue donc
du professionnel du chiffre, l’expert-comptable. Alors que le notaire n’est pas tenu,
par exemple, « de se livrer à l’étude comptable approfondie qu’appelait le conseil en
matière fiscale, démarches qui excédaient les limites de sa mission d’officier ministé-
riel »39, les juges n’hésitent pas à faire peser sur les épaules de l’expert-comptable40 une
obligation d’informer ses clients sur la pertinence économique des choix retenus et sur
les risques fiscaux auxquels exposent tels ou tels montages41.
Professionnel du droit, le notaire n’a donc pas à mener d’investigations42 ni de
recherches43 ou encore de vérifications44 particulières concernant l’opportunité
économique de l’acte45, ainsi que l’arrêt rendu le 28 mai 2009 l’a décidé : profes-
sionnel du droit, il n’a pas à rechercher d’éléments d’appréciation de l’opportu-
nité économique de l’acte qu’il instrumente46. En conséquence de quoi, il n’a pas
d’obligation de conseil et de mise en garde sur l’opportunité économique. Tel est
le raisonnement tenu par les juges dont il résulte, concrètement que, par exemple,
le notaire le « n’a pas à se substituer aux banques dans la recherche de solvabilité
des acquéreurs »47 et qu’il n’a pas, non plus, à s’assurer de la solvabilité des cau-
tions48. De même, le notaire ne saurait être responsable d’un défaut de conseil
concernant le prix de vente d’un fonds de commerce, dès lors qu’il ne disposait
pas d’éléments d’appréciation, tel que le résultat d’exploitation49.
Mais se pose alors la question suivante : le notaire ayant des éléments d’appré-
ciation lui permettant de conclure au caractère inopportun de l’acte, doit-il
conseiller les parties et les mettre en garde ?
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alors que leur intention, connue du notaire, était de construire sur ce terrain !
Dans ce cas, cet acte est inefficace tant économiquement que juridiquement. Le
notaire, connaissant « les finalités de leur engagement » aurait dû attirer leur
attention sur le caractère non-constructible du terrain alors que son prix d’acqui-
sition était sans commune mesure avec la valeur d’un terrain non-constructible54.
A contrario, si le terrain avait été constructible, le notaire n’aurait certainement
pas eu l’obligation de conseiller ou de mettre en garde l’acquéreur contre un prix
excessif : il ne s’agissait là que de pertinence économique.
Aussi, sous réserve du secret professionnel du notaire55, trop peu souvent invo-
qué en défense mais qui doit demeurer intangible, le notaire doit donc conseil et
mise en garde aux parties afin que l’acte instrumenté soit non seulement valide, ce
qui constitue une sorte de minima requis, mais encore réponde « aux finalités révé-
lées de leur engagement, soit adapté à leurs capacités ou facultés respectives et soit
assorti des stipulations propres à leur conférer leur efficacité ». En d’autres termes,
le devoir de conseil du notaire doit participer à l’élaboration d’un acte efficace.
Or, l’efficacité peut certainement être juridique. Par exemple, n’est pas efficace
en droit un acte de vente qui ne pourrait être publié. Mais l’efficacité est aussi
économique. Parfois, il existe ainsi, un risque de remise en cause totale ou par-
tielle de l’acte en raison d’une inefficacité économique objective de l’acte (A).
Mais, ainsi que le décide la Cour de cassation, l’efficacité économique peut égale-
ment être subjective, le notaire n’ayant pas conseillé utilement les parties qui
n’ont pu atteindre les finalités révélées de leur engagement (B).
L’acte efficace, du point de vue économique, est celui qui, ne contenant pas de
vices économiques (1), pas davantage qu’il ne rencontre d’obstacles écono-
miques (2), peut déployer ses effets conformément aux prévisions des parties.
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même de l’inefficacité de l’acte, c’est donc la nullité que peut engendrer la lésion,
le notaire ne manquant pas d’engager sa responsabilité.
Au surplus, l’inefficacité économique d’un acte peut se manifester au regard
des capacités financières des parties. La Cour de cassation le décide nettement :
l’acte doit être adapté aux capacités et facultés respectives des parties. Sans doute,
ne s’agit-il pas seulement des capacités économiques et financières des parties.
Mais, rien ne semble devoir les exclure dès lors qu’il s’agit d’en faire une applica-
tion mesurée ne conduisant pas nécessairement le notaire à devenir l’arbitre de
contrats strictement équilibrés. D’une telle directive résulte d’ailleurs, en réalité,
le réflexe Bodacc.fr auquel la Cour de cassation a enfin, au cours de l’année 2016,
offert une place dans le Bulletin des arrêts en décidant qu’« il appartenait au
notaire de vérifier les déclarations des vendeurs sur leur capacité de disposer libre-
ment de leurs biens, notamment en procédant à la consultation des publications
légales afférentes aux procédures collectives »56. Mais au-delà, le notaire ne saurait
certainement pas prêter son concours à des engagements manifestement dispro-
portionnés pris par ses clients. Il ne s’agit pas de dire ici que le notaire doit, en
l’absence de procédure collective, vérifier systématiquement la solvabilité de ses
clients. Il n’a pas ce devoir, ainsi que la Cour de cassation l’a parfois décidé57.
D’autres, tels les prêteurs, s’en chargent. Il s’agit simplement de rappeler au
notaire qu’il est garant de l’efficacité des actes qu’il instrumente et qu’elle ne peut
être assurée s’il prête son concours, sans conseiller et mettre en garde ses clients, à
des opérations compromises58 ab initio ou manifestement vouée à l’échec59.
Ainsi, lorsque le mari étant atteint de cécité et l’épouse ne sachant ni lire ni
écrire, le notaire prend pourtant une part active à la souscription de prêts d’un
montant considérable sans procéder à aucune vérification sur la valeur des biens
qu’ils déclaraient posséder en garantie de leurs engagements, cependant que l’éva-
luation qui lui avait été fournie apparaissait dépourvue de sérieux, il ne peut être
que responsable. Le notaire aurait dû non seulement refuser de prêter son concours
actif à ce montage financier mais également, à tout le moins, mettre en garde ses
clients contre ses conséquences financières qui, relèvent les juges, « ne pouvaient
qu’être désastreuses »60. De même, manque à son devoir de conseil le notaire qui
avait omis de mettre en garde les parties du risque du défaut de transfert des
contrats de crédits afférant à divers matériels permettant l’exploitation d’un fonds
de commerce cédé. En effet, l’acte de cession comportait un simple engagement
de l’acquéreur de réaliser auprès des prêteurs les diligences nécessaires au transfert
des contrats de crédit ! Néanmoins, le notaire n’avait pas pris soin de mettre en
garde les parties contre un éventuel refus des prêteurs, eu égard notamment à la
situation financière de l’acquéreur. Or, les préteurs ayant continué de solliciter le
56. Cass. 1re civ., 29 juin 2016, n° 15-17591 ; précédement Cass. 1re civ., 16 oct. 2013,
n° 12-24267, inédit ; Cass. 1re civ., 2 juill. 2014, n° 13-20576, inédit.
57. Cass. 1re civ., 17 oct. 2012, n° 11-24551 ; Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 14-11558.
58. Par ex. Cass. 1re civ., 2 juin 2004, n° 01-01082.
59. CA Rennes, 1er févr. 2011, n° 09-07952.
60. Par ex. Cass. 1re civ., 28 sept. 2004, n° 03-12036.
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68. Cass. 1re civ., 6 juill. 2004, n° 02-10620 (le notaire n’avait pas participé à l’élaboration
du plan de financement) ; Cass. 1re civ., 20 janv. 2011, n° 10-10174, préc ; Cass. 1re civ., 12 mai
2011, n° 10-14183 ; comp. Cass. 1re civ., 28 mai 2009, n° 07-14075, préc.
69. Cass. 1re civ., 15 mars 2005, Bull. civ. 2005, I, n° 132 ; Cass. 1re civ., 12 mai 2011,
n° 10-18954.
70. Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 14-11558.
71. Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 12-24750.
72. Cass. 1re civ., 6 juill. 2004, n° 02-10620.
73. Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-14192.
74. Cass. 1re civ., 17 juin 2015, n° 13-19759.
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drait-il mieux que le notaire du programme immobilier n’en arrive pas à cette situa-
tion de blocage et, en amont, ait résolu la difficulté avec le promoteur. Mais à
défaut, sa connaissance des obstacles économiques et financiers doit le conduire à
conseiller et mettre en garde ses clients. Tel est le cas du notaire qui ne saurait être
responsable puisqu’il avait satisfait à son obligation de conseil. Il avait en effet, selon
les juges dont la décision est maintenue par la Cour de cassation, informé son client
de la portée de ses engagements et des risques pesant sur son patrimoine familial,
fussent-ils extrêmement importants puisque l’opération consistait dans un prêt
d’un montant de 1 700 000 euros garanti par une hypothèque sur un immeuble
constituant la résidence familiale, les sommes prêtées ayant été investies dans des
obligations islandaises ayant perdu, in fine, toute valeur75 !
De même, c’est un raisonnement similaire que les juges retiennent au sujet de
l’efficacité économique des sûretés réelles. En effet, l’insuffisance du gage doit
conduire le notaire, lorsqu’il est en mesure de la connaître ou, au moins de la
suspecter, à « appeler l’attention des préteurs sur cette situation »76. Et cette insuf-
fisance s’apprécie en fonction de la valeur des biens au moment des actes de prêt,
sans que puisse être prise en considération une plus-value éventuelle pouvant
résulter d’opérations à venir dont le notaire ne maîtrise aucun des aspects77.
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Une des difficultés de notre exercice sera d’établir des hypothèses en fonc-
tion du personnage tel qu’il apparaît en public et tel qu’on ne le connaît pas en
privé.
Chut ! Jacques Combret n’a pas accepté son rôle, puisqu’il n’était pas au cou-
rant de cette mise en scène. Nous pardonnera-t-il de lui créer un costume sur
mesure de médiateur ?
*
* *
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Médiateur et notaire, ce n’est pas un seul et même métier, et ce, même si une
personne peut exercer la fonction de notaire dans son office et réaliser des média-
tions pour des « médiés » qui ne sont pas ses clients et qui ne le deviendront pas
par la suite, même en cas de réussite de la médiation (la déontologie rend cela
incompatible).
Après avoir affirmé que le notaire est « pré-disposé » à être un médiateur, les précé-
dentes considérations nous conduisent à nous interroger sur le fait de savoir si un
notaire est, parce qu’il est notaire, automatiquement un médiateur professionnel ?
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Lui-même est certainement disponible à cette idée d’apprendre, conforté par l’avis
de Jean Carbonnier sur le rôle de médiateur qui est « dans l’ADN de tout notaire ».
Toute la difficulté sera de « mettre de côté son savoir sur le droit » afin d’être
disponible pour écouter les solutions des « médiés » et les mettre en œuvre (à
l’exception des solutions qui porteraient atteinte à l’ordre public naturellement).
Le notaire, s’il souhaite se « mettre en condition », doit donc faire son appren-
tissage des techniques de dialogue, d’écoute, d’analyse et de reformulation.
La conduite du dialogue entre les « médiés », qu’ils soient ou non accompa-
gnés d’avocats, est une toute autre approche que la conduite d’un rendez-vous
classique « client » chez le notaire où le monologue l’emporte le plus souvent.
En médiation, c’est le temps de l’écoute, non plus du notaire, mais des
« médiés » entre eux, d’une façon réciproque, qui est important.
Comme l’écrivait Alfred de Musset : « Aujourd’hui, on ne sait plus parler
parce que l’on ne sait plus écouter ». Quel message d’actualité ! Cet auteur, sans
le savoir, a qualifié avec juste raison la médiation.
L’écoute ne suffit pas pour autant. Dans le cadre de l’apprentissage de la
médiation, la question centrale est de s’assurer que les « médiés » ont bien com-
pris leur désaccord.
Il s’agit ici du temps nécessaire et primordial de la « reformulation », science
que tous les instituteurs, professeurs utilisent.
Ce n’est pas à Jacques Combret que l’on va apprendre quelque chose sur l’art de
la « reformulation », art qu’il utilise régulièrement dans ses propres formations.
L’action « reformulation » se situe donc après l’écoute. L’écoute doit être faite
avec respect, par chacun des médiés, des griefs formulés à son encontre, par l’autre.
Des moments de « crispation » sont fréquents. Il s’agit de la période la plus
tendue de la médiation.
Puis, le médiateur va amener peu à peu les « médiés » à leur faire re-formuler
les reproches compris de l’autre.
L’objectif poursuivi est de parvenir à un accord des « médiés » sur leur désac-
cord. La formule n’est pas neutre. Elle est reprise systématiquement dans toutes
les formations sur le sujet. Toute la science de la médiation est ici.
Nous admettrons facilement que nous nous éloignons ici complètement du
rôle du notaire, du conseil. Cela ne signifie pas pour autant qu’un juriste ne puisse
pas prendre appui sur la technique de la médiation dans certains dossiers, mais
cela ne caractérise pas une médiation.
Une fois parvenu à l’accord sur le désaccord, le médiateur constatera par lui-
même que les « médiés » vont spontanément proposer des portes de sortie à leur
situation.
Ce sont eux maintenant les acteurs. Chacun va présenter une offre en y inté-
grant ce à quoi il renonce.
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De nouvelles discussions ont alors lieu, mais elles sont déjà plus apaisées.
Si les médiés dégagent une ou plusieurs issues favorables, le metteur en scène
pourra rédiger l’accord final.
Ce rapide aperçu de la technique de la médiation ne doit pas occulter un autre
rôle que doit avoir le notaire.
S’il croit au processus de médiation, alors il doit en devenir le prescripteur.
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Nous sommes ici sur le chemin de l’acte authentique de justice amiable sou-
haité par les parties, et ce, avec toutes les caractéristiques d’un jugement sans être
pour autant un jugement, bien au contraire.
En cela, le notaire imprime à la fois le droit et la sécurité, reposant sur la tra-
çabilité de cet acte authentique.
Il n’y a pas de contresens. Le notaire n’est pas un juge et il n’est pas question
de créer une nouvelle catégorie de magistrat. Le notaire est dans son rôle de
médiateur. L’acte authentique est l’œuvre de rédaction de « la justice des médiés ».
« Lex est quodcumque notamus », c’est-à-dire : ce que le notaire écrit fait loi.
Ce texte est essentiel. En effet, on ne peut comprendre l’acte authentique de
justice amiable sans avoir saisi qu’il s’agit de la traduction de l’intime conviction
des parties, des médiés, qui forme leur loi entre eux, et donc leur justice. L’acte
authentique est la convention de la « justice des parties ou des médiés ».
Ceci résulte des dispositions de la délibération du Conseil européen du 21 mai
2008 en référence à la directive européenne 2008/52 précitée.
La force exécutoire attachée ou inhérente à l’accord de médiation reçu par acte
notarié aura son plein effet.
Les parties s’étant mises d’accord dans la médiation, on peut supposer qu’il
n’y aura pas de problème dans l’exécution de leur accord de médiation mais on
ne sait jamais.
En recevant l’acte de médiation, le notaire constate la solution trouvée par les
parties lesquelles sont elles-mêmes « juges » de leur accord. C’est pourquoi on
peut se risquer à parler d’« acte authentique de justice amiable ».
Le notaire ne décide pas d’une justice, il constate l’accord des médiés sur leur
solution et retrace cet accord dans un acte notarié qui, par nature, est revêtu du
sceau de l’État.
L’acte authentique de justice amiable ne prend pas naissance aujourd’hui, il a
toujours existé, mais c’est à la lumière du développement de la médiation qu’il est
mis en relief.
Fort de l’idée qu’une solution amiable est une voie à suivre dans la plupart des
cas, encore faut-il que le notaire, acteur de médiation, soit aussi le prescripteur de
ce mode alternatif de règlement des différends.
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C’est vrai et vérifié pour la famille, c’est vrai et vérifié pour l’entreprise. Dans
cette optique de maintien ou d’amélioration du climat familial ou social, savoir
identifier et gérer les conflits, constitue un enjeu majeur pour la société laquelle
peut compter sur ses notaires.
La médiation facilite la paix sociale. Elle est le ciment de la poursuite ou de la
reprise des relations entre les « médiés ». C’est pourquoi il y a lieu de faire vivre
cet instrument de déjudiciarisation, et d’utiliser, sans modération, l’acte authen-
tique dans le cadre de l’apaisement des conflits.
À cette occasion, nous pourrons assurément compter sur Jacques Combret
pour être l’un de nos meilleurs ambassadeurs de l’acte authentique de justice
amiable.
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Pascal C
Notaire
Président de la Chambre des notaires de Paris
En marque d’amitiés à Jacques Combret et d’intérêt sur toutes les idées qu’il a
portées au cours de sa vie professionnelle, on évoquera ici quelques reflexions
inspirées par les deux dernières années passées touchant le notariat, accompagnées
d’éventuels objectifs futurs. À quel avenir peut prétendre le notariat, à quelles
activités et dans quels aspects renouvelés ?
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notariaux de France avec les services de l’État pour parvenir à une publicité fon-
cière du e siècle, fiable et adaptée à l’ère numérique.
C’est à la fois une manifestation de confiance et d’appui sur le conseil délivré par
chaque notaire, que la capacité pour la profession notariale à être le relai de l’État,
alléger son administration et faciliter l’avènement des échanges dématérialisés.
Ce programme d’actions voulu par l’État repose sur la confiance dans une
institution contrôlée grâce à son numerus clausus permettant la garantie collec-
tive et dotée d’une responsabilité civile rassurante, modèle économique libéral
porté par un tarif suffisant et maîtrisé.
Ici ou là de nouveaux gisements ou secteurs d’activités sont investis. Le service
notarial aux entreprises de taille intermédiaire est fortement assuré dans de nom-
breuses régions, là où ailleurs des offices audacieux vont investir le secteur de la
financiarisation de l’immobilier d’entreprise ou le conseil aux collectivités locales
avec un remarquable succès. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et certains font jeu
égal avec les plus grands cabinets de juristes des grandes capitales.
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entreprises. Il convient de surveiller jour après jour, les projets de loi à venir sur
l’économie numérique11 et veiller à la place que le notaire doit prendre dans ce
nouvel environnement.
Le notariat en a les outils. Les notaires peuvent être ces tiers de confiance.
C’est un horizon fuyant et toujours à chercher à atteindre qui s’ouvre aux
notaires et auquel nous invite le jeune essayiste Robin Rivaton : « Avant toute
chose il faut proposer un nouvel horizon, au-delà du réglage des curseurs… »12.
Janvier 2016
11. Exemples de la loi Noé sans suite ou la loi Pour une République numérique.
12. R R., Quand l’État tue la nation, 2016, Plon, p. 185.
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Fabrice C
Maître de conférences associé, Université de Lorraine
Membre de l’Institut François Gény,
éditeur du JurisClasseur Notarial Formulaire
« Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur »1.
Si le notariat traverse les âges, c’est que son rôle immuable et essentiel dans la
société a su épouser chaque époque lorsque les faits l’exigeaient. Sachant antici-
per l’avenir, il sait être force de proposition. Le dédicataire de ces lignes y a
largement œuvré, et y contribue aujourd’hui encore, que ce soit au travers des
congrès, des écrits ou de son travail au sein des instances. Pour ne pas se laisser
dépasser, le notaire doit sans cesse être aux aguets, qu’il s’agisse des textes, de la
jurisprudence dont il doit percevoir les frémissements d’un revirement2, de la
doctrine, mais aussi des évolutions de la société annonciatrices de réformes
sociales et technologiques.
Comme la première Révolution industrielle, née avec l’arrivée des technologies
mécaniques utilisant la vapeur d’eau qui ont permis, par l’intermédiaire de l’impri-
merie et des transports, une accélération de l’information et de la communication,
ou la deuxième, qui a vu la convergence du moteur à combustion avec la commu-
nication électrique, nous assistons à la troisième Révolution industrielle qui est le
fruit de la jonction de la communication par internet et des énergies renouvelables3.
Parmi les innovations majeures de ce début du siècle, la blockchain4 figure parmi les
1. C J., Les Mariés de la Tour Eiffel, 1977, Gallimard, coll. Folio (n° 908).
2. Il n’est toutefois pas encore fautif si son acte a été conclu alors qu’une nouvelle solution
le privant d’efficacité, n’a été portée à sa connaissance que postérieurement (Cass. 1re civ.,
12 oct. 2016, n° 15-18659, JCP N 2016, n° 46, act. 1237).
3. R J., La Troisième Révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer
l’énergie, l’économie et le monde, 2012, Les Liens qui libèrent ; sur ce phénomène voir aussi
notamment, S M., Petite Poucette, 2012, Le Pommier ; C S. et E P.,
Bienvenue dans le capitalisme 3.0, 2015, Albin Michel.
4. Sur le sujet voir notamment, Plateforme de transformation digitale. Comprendre la
Blockchain, livre blanc, janv. 2016 ; L D., « La blockchain », RTD com. 2016, p. 830 ;
D S., « La révolution Blockchain. La redéfinition des tiers de confiance »,
RTD com. 2016, p. 893 ; C-H Y., Blockchain : révolution ou évolution ?, 2016,
Dalloz IP/IT, p. 537 ; M Y. et D C., « Enjeux de la technologie de
blockchain », D. 2016, p. 1856 ; H O., « La technologie Blockchain : une révolution aux
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technologies les plus avancées. Certains annoncent une mutation comparable à la créa-
tion du web5. Apparue en 2008 et développée par un inconnu se présentant sous le
pseudonyme de Satoshi Nakamoto6 qui est le premier théoricien du système
Bitcoin7, la blockchain est un système de stockage et de transmission d’informations
de façon décentralisée8, sans passer par un tiers de confiance (avocat, notaire,
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banque, assurance, etc.). Les utilisateurs accèdent à une base de données en open
source qui enregistre les échanges réalisés directement entre eux sans organe de
contrôle9. Le code informatique, à travers les algorithmes, est seul régulateur. Les
transactions effectuées entre les utilisateurs sont reliées entre elles par blocs, chacun
d’eux étant validé par les nœuds du réseau grâce à des techniques cryptographiques.
Dès que le bloc est validé, il prend date (Time stamping) et vient s’agglomérer à la
chaîne de blocs. Le protocole est décentralisé et cohérent en ce sens où l’ensemble
de l’information est disponible en chaque nœud du réseau ; la structure centrale
cède au profit de la seule communication entre machines10. Pour ses promoteurs,
par ce moyen, et compte tenu du caractère visible sur l’ensemble du réseau, cette
technologie présenterait un caractère immuable et infalsifiable, et assurerait aussi
une traçabilité de toute la chaîne11. Le stockage de l’ensemble étant rendu public,
sauf à manipuler l’ensemble (ce qui suppose de disposer de la complicité de la majo-
rité des nœuds du réseau), le contrôle et la certification de la chaîne se trouverait
ainsi assurée12. Les plateformes dites intermédiaires tel « Uber » s’effacent également
au profit de l’ensemble des membres du réseau. Ce sont les individus eux-mêmes
qui collaborent directement les uns avec les autres. Le système « ubérise Uber ».
L’accès à certaines chaînes peut être restreint, selon un processus d’admission. Ce
sont ces blockchain fermées, même si c’est contre l’esprit des pionniers, qui connaî-
tront le développement le plus important.
L’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 (JO, 29 avr.), relative aux bons
de caisse, décrit pour la première fois la blockchain comme étant un dispositif
d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opéra-
tions, notamment de sécurité. L’adoption de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre
2016 (JO, 10 déc.)13 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à
la modernisation de la vie économique qui a suivi constitue une nouvelle étape
dans le développement en France de cette technologie en prévoyant une disposi-
tion visant à offrir un cadre juridique aux opérations sur les titres non cotés effec-
tuées au moyen de cette technologie14. La loi Sapin 2 a annoncé une ordonnance
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à venir avant la fin de l’année 2017 laquelle devra « adapter le droit applicable aux
titres financiers et aux valeurs mobilières afin de permettre la représentation et la
transmission, au moyen d‘un dispositif d’enregistrement électronique partagé,
des titres financiers qui ne sont pas admis aux opérations d‘un dépositaire central
ni livrés dans un système de règlement et de livraison d’instruments financiers »15.
Ces premières applications ne font qu’en annoncer d’autres.
Parce que ce système est susceptible de l’évincer, le notaire doit s’en emparer pour
le réduire à l’état d’outil et non lui donner une autonomie. La blockchain bouleverse
notre approche des transactions spécialement lors de la confection de l’acte (I), et si
elle ne remet pas en cause l’acte authentique, ses champs d’investigations et ses pos-
sibles évolutions l’invite à l’appréhender pour mieux l’organiser (II).
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20. À propos de l’économie de la connaissance et ses enjeux pour le notariat, v. 47e Congrès
du Mouvement jeune notariat, « La connaissance, Le knowtaire », 2016, Buenos Aires.
21. C L., « L’authenticité et le notariat », JCP N 1985, doctr. p. 125, spéc. p. 126.
22. Sans doute est-ce la fonction anglo-saxonne du notary public qui a induit en erreur
les promoteurs de la blockchain.
23. V. S C., « Blockchain et propriété immobilière : une technologie qui prétend
casser les codes », op. cit.
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difficilement à cette technologie sous sa pratique actuelle car les relations juri-
diques reposent nécessairement sur des droits nationaux ou supranationaux29.
À propos des contrats, la Cour de cassation a pu rappeler qu’ils sont obligatoire-
ment rattachés au système juridique d’un État30. La difficulté pour appliquer les
règles du droit international privé réside dans le caractère anonyme des utilisa-
teurs. Il est donc nécessaire que l’identification devienne la norme. Mais ainsi
qu’il a pu être relevé, sauf le consommateur qui peut se prévaloir de son droit
national si les actes essentiels du contrat ont été accomplis dans leur pays de rési-
dence, en pratique, pour une blockchain privée ou publique, la loi retenue par les
parties sera fréquemment celle du droit de New York ou de la Californie, là où les
principaux acteurs de la chaîne ont leurs activités31.
Et derrière l’affichage de principe et enjoué, la réalité de la blockchain est moins
idyllique. L’été dernier un premier scandale a mis en évidence des difficultés juri-
diques non encore résolues. Ethereum, qui est une chaîne de blocs publique per-
mettant la création par les utilisateurs de smart contracts (contrats intelligents), a fait
l’objet d’un « cyber-casse »32. Les hackers ont détourné un morceau du code infor-
matique leur permettant d’appréhender la somme de 50 millions de dollars33. Pour
favoriser son développement et rassurer les utilisateurs, les promoteurs du système
souhaitent se doter d’une véritable reconnaissance juridique. Un projet d’amende-
ment présenté le 13 mai 2016, dans le cadre de la loi relative à la transparence, à la
lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, allait dans ce
cens puisqu’il prévoyait que « les opérations effectuées au sein d’un système organisé
selon un registre décentralisé permanent et infalsifiable de chaine de blocs de tran-
sactions constituent des actes authentiques au sens du deuxième alinéa de l’ar-
ticle 1317 du Code civil ». Ce dernier dispose qu’« il (l’acte authentique) peut être
dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans des conditions fixées
par décret en Conseil d’État ». La motivation de cet amendement était la suivante :
« [Il] vise à permettre à la France de prendre une avance juridique en ce qui concerne
la reconnaissance des effets juridiques de l’utilisation de la “blockchain” dans les
opérations sur instruments financiers et devises. À l’heure où un projet de fusion
géante entre bourses (…) risque de marginaliser la Place de Paris, celle-ci se doit
d’innover en mettant en avant ses atouts, au risque sinon de disparaître… Il est
donc nécessaire de permettre à la Place de Paris de reconnaître les effets juridiques
de la technologie de la “blockchain” dans les opérations de règlement-livraison. Plus
largement, le recours de la technologie de la “blockchain” constitue un enjeu de
29. V T., « Technologies de registre distribué (blockchain) : premières pistes de
régulation », RLDI, août 2016.
30. Cass. civ., 21 juin 1950, Rev. crit. 1950, p. 609, note Batifol ; D. 1951, p. 749,
note Hamel ; S. 1952, 1, 1, note Niboyet ; JCP G 1950, II, 5812, note Lévy P.-Ph.
31. H., « La Blockchain et la loi », in Les échos.fr publié le 21 février 2016
(pour une consultation en ligne [http ://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-154276-
la-blockchain-et-la-loi-1201704.php#hpz8IbHXGjBGoxyB.99]).
32. En ligne [http ://www.lemonde.fr/economie/article/2016/09/26/apres-un-cyber-
casse-la-technologie-blockchain-se-cherche-un-avenir_5003434_3234.
html#RISdU4BqOiepVrwc.99].
33. Le Wall Street Journal parle lui de l’équivalent de 60 millions de dollars.
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souveraineté pour la France ». Cet amendement n’a pas été consacré, sauf à réappa-
raître dans un prochain projet. L’intention est là, mais oublie l’essentiel : l’alinéa
premier de l’article 1317 prévoit que « l’acte authentique est celui qui a été reçu par
officier public ayant le droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a été rédigé, et avec
les solennités requises ». Pour le professeur Flour, c’est là l’élément le plus important
de la définition34. L’acte authentique est la traduction d’une stabilité des actes dans
un monde en perpétuel mouvement auquel il sait s’adapter35. L’internationalisation
et le libéralisme des échanges, dont la blockchain est la forme la plus aboutie, rend
donc plus que nécessaire, au contraire, l’intervention du notaire.
Si le maintien de l’acte authentique ne fait pas de doute, l’environnement quant à
lui va évoluer. Pour rester au cœur du processus contractuel, le notaire doit appréhen-
der les mécanismes introduit par la blockchain comme les smart contracts.
B. L’art du code
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d’encoder des obligations prédéfinies avec les clients lesquels s’exécuteront de façon
instantanée dès la réalisation de l’événement programmé (paiement, livraison, etc.).
Dès lors que l’exécution du contrat s’adosse à du traitement de données, il peut être
modélisé. La difficulté de ces actes d’un nouveau genre réside dans le fait de tout
prévoir, d’anticiper tous les choix des utilisateurs (pacte de préférence, condition
suspensive, droit de préemption, etc.) en y adossant systématiquement une action
puisqu’il s’agit ensuite d’un engrenage. Le paramétrage du programme devra aussi
prendre en compte l’application de règles impératives qu’imposent certains actes
(délai de réflexion ou de rétractation en matière immobilière, etc.).
L’enchaînement automatique a aussi pour conséquence d’écarter pour partie la
mauvaise volonté des parties car aujourd’hui, une fois l’acte signé, elles sont libres
de leurs actions et partant de décider de ne pas s’exécuter (pacte de préférence, pacte
d’actionnaire, etc.) sauf à recourir au juge. Le programme, en se substituant au
contrat classique signé entre les parties, prévoit les effets de celui-ci avec une mise en
œuvre directe. Pour autant, une des parties pourrait toujours refuser de s’exécuter
en ne quittant pas les lieux par exemple. La technologie ne résout pas cette difficulté
qui nécessitera toujours de recourir à un tiers de confiance.
Les applications sont nombreuses pour le notariat39. En identifiant dès l’origine
le libellé d’un compte bancaire (ou séquestre), il sera aisé de programmer, par
exemple, qu’en cas de mise en œuvre d’une clause pénale que le montant des dom-
mages-intérêts dont le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale
sera directement prélevé sur celui-ci. En cas de retard dans la livraison d’une
construction d’une maison individuelle, le programme diligentera un prélèvement
direct sur un compte identifié du constructeur des indemnités dues au profit de
l’acheteur. La technologie autorise à affiner les critères du prélèvement. Relié à un
système de météorologie, il pourra savoir si le retard est dû à des intempéries ou tout
autre cas de force majeur. Tout est dans le codage. Lors de l’établissement d’un
avant-contrat de vente d’immeuble, le prêt immobilier (et l’assurance) pourrait être
aussi automatiquement accordé si le profil de l’acquéreur remplit les conditions
objectives posées par les établissements prêteurs (durée, taux, âge, sexe, garantie
proposée, etc.). Et par un effet en chaîne, dès l’acte de vente définitif, le programme
diligenterait l’ordre à un tiers séquestre de remettre les clefs. Les différents comptes
de répartition entre les parties (charge de copropriété, taxe foncière, etc.) seront
aisément modélisables, le calcul et son paiement pourraient être automatisés. Des
développements en matière successorale sont aussi à prévoir. En entrant dans le
programme les règles de dévolution, le logiciel pourra établir instantanément un
acte de notoriété et une déclaration de succession avec paiement immédiat des
droits au profit du Trésor. Le calcul de la réserve et de la quotité disponible peut être
déterminé par une machine ; ce ne sont que des chiffres. En étant connecté au
fichier immobilier, aux banques et autres organismes, il est aisé de synthétiser le
patrimoine du défunt ; l’utra-transparence et la traçabilité qu’à introduit internet et
39. À propos des changements que la technologie peut apporter dans les différents
métiers, v. rapport du UK Government Chief Scientific Adviser, décembre 2015 [https ://
fr.scribd.com/doc/295987915/Distributed-Ledger-Technology-beyond-block-chain].
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solennels dont le formalisme est imposé à peine de nullité. Pour ceux-là, le notaire
n’est pas substituable. Il en va de l’intérêt des parties et de l’intérêt général car
certains actes nécessitent une attention particulière par les enjeux qu’ils sou-
lèvent. Et il est manifeste que le formalisme protecteur se développe, certaines
mentions sont en effet rendues obligatoires dans certains actes, parfois à peine de
nullité, afin de s’assurer que les parties ont eu connaissance de la portée de leur
engagement. Or ce formalisme informatif n’a de portée que s’il y en a lecture43 et
donc explication, c’est d’ailleurs pourquoi le législateur met parfois à contribu-
tion la partie qui s’oblige pour qu’elle en prenne pleinement conscience44. La
blockchain, par essence, ne répond pas à cette préoccupation. La protection du
consentement ne peut être atteinte que par l’entremise d’un tiers (impartial) de
confiance, autrement dit un notaire. En attirant l’attention des parties sur l’im-
portance et la portée de leur engagement, l’officier public favorise l’accouchement
de la pensée ; la décision est plus réfléchie45.
S’agissant du negocium, il s’agit d’un contrat qui devra répondre aux condi-
tions de droit commun (consentement des parties, capacité à contracter, contenu
licite et certain)46 et si c’est un contrat nommé : au droit spécial qui lui est réservé.
En ce sens, si un utilisateur n’est pas sain d’esprit, le smart contract sera remis en
cause par le juge. L’obligation pourra avoir une prestation présente ou future,
mais celle-ci devra être possible et déterminée ou déterminable47. Et dans tous les
cas, le programme ne pourra pas se soustraire à l’ordre public, spécialement les
règles protectrices du consommateur.
Le smart contract modélise l’accord des parties. Il l’encode. Mais cette nou-
velle matérialité n’est que la représentation sous une forme nouvelle d’un
contrat classique. Or en pratique, compte tenu de l’importance de l’acte qu’est
amené à recevoir le notaire, le contrat résulte fréquemment d’un long processus
de discussion48. À cette occasion, le notaire joue un rôle central puisqu’il accom-
pagne les parties. Il les aide à rapprocher leurs intérêts jusqu’à parvenir à un
43. C G., « Les finalités et les sanctions du formalisme », Defrénois, 2000,
art. 37209, spéc. p. 886.
44. G J., L G. et S Y.-M., Traité de droit civil. La formation du
contrat, op. cit., n° 906.
45. Sur les avantages du formalisme et de l’intérêt de l’intervention du notaire
v. notamment, T F., S P. et L Y., Les obligations, 11e éd., 2013, Dalloz,
n° 132 ; à propos de l’évolution du formalisme v. F J., « Quelques remarques sur
l’évolution du formalisme in Le droit français au milieu du XXe siècle », in Études offertes à Georges
Ripert, t. I, 1950, LGDJ, p. 93.
46. C. civ., art. 1128.
47. C. civ., art. 1163.
48. À propos des négociations précontractuelles, B B., « La conduite des
négociations », RTD com. 1998, p. 463 ; C A., La formation progressive du contrat :
étude comparée sur les procédures de la négociation contractuelle, thèse, 2002, Paris X ; C A.,
Des obligations naissant des pourparlers préalables à la formation des contrats, thèse, 1939, Paris ;
A F., Les pourparlers, thèse, 1996, CNAM ; D O., « Les parties aux négociations
contractuelles (réflexions dans le sens de l’acte de négocier) », in D O. (dir.), L’avant-
contrat. Actualité du processus de formation du contrat, 2008, PUF, p. 43.
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accord définitif. C’est pourquoi, l’officier public ne sera sans doute pas évincé
du processus contractuel. À condition d’être en capacité de proposer des pro-
grammes sur-mesure à ses clients, parce qu’il maîtrise l’art de la clause, il pourra
proposer des programmes complexes porteurs de fortes plus-values, encore plus
proches de la volonté des clients. Plutôt qu’un concurrent, le smart contract
apparaît davantage comme un nouvel outil au service du notariat, mais à condi-
tion de s’en saisir et de l’exploiter dans sa plus grande plénitude. La blockchain
n’est pas un modèle alternatif du notariat, sauf à méconnaître son véritable rôle,
celui de tiers de qualité.
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l’officier public, simple condition de forme. Car il s’agit ici de donner pleine
force aux éléments constatés par lui52. La force probante attachée à l’acte de ce
que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté (C. civ.,
art. 1371) n’existe pas dans la blockchain. L’acte authentique crée une réalité qui
sécurise la transaction et en réduit les coûts, notamment sur le plan proba-
toire53. Le notaire exerce un contrôle de légalité de l’acte qu’il instrumente54 afin
de prévenir tout contentieux. En voulant évincer ce tiers, la blockchain ne fait
que reporter cette obligation sur le juge à l’occasion d’un litige ; la vitesse et
partant le renforcement du présentéisme sont autant d’ennemies de la sécurité
juridique55. Un contrôle a priori répond davantage aux attentes des parties et de
la société ; et la volonté continue de désengorger les tribunaux va à l’encontre
de cette pratique. Et ensuite la gravité de certains actes, par les conséquences
qu’ils impliquent pour celui qui s’oblige ou parce qu’ils touchent aux intérêts de
la famille, impose la solennité sous peine de nullité. Ils ne doivent pas être sous-
crits de manière impulsive, sous le coup d’une volonté insuffisamment réfléchie,
voire sous l’influence d’un tiers56. Assurant une constatation officielle, l’officier
public est une garantie de la liberté du consentement comme à la régularité de
l’acte57, et favorise cette prise de conscience pour les parties à l’acte en les
accompagnants dans leur réflexion.
Le notaire est le créateur de l’acte, c’est son œuvre58. Outre l’absence de
délégation de la force publique, cette dimension n’existe pas avec la blockchain
qui, au contraire, joue un rôle passif puisqu’elle ne fait qu’encoder une conven-
tion établie directement entre les parties. Elle n’intervient qu’après l’accord des
parties, elle ne participe pas à la gestation de l’acte. Et le fait qu’il n’y ait pas de
support matériel n’est pas en soi une révolution, le notariat connaît déjà l’acte
dématérialisé59 et la « clé Réal » est déjà une forme d’encodage permettant la
certification de la signature. En revanche, dans les pays où le notariat ne joue
pas ce rôle, il est manifeste que la blockchain risque de s’y substituer. C’est le cas
du Japon, par exemple, où le notaire ne doit pas interférer dans l’accord des
parties, leur volonté domine. Dénué de tout devoir de conseil, il est en retrait
et reste passif à l’égard des parties ; il faut éviter qu’il intervienne lors de la
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formation de l’acte60. Pour attirer des capitaux, l’Estonie n’a pas hésité à avoir
recours à la blockchain et a ouvert des services, dits notariés, de Bitnation à
l’effet de signer des certificats de naissance ou encore des contrats de mariage,
dès lors que l’on a la qualité d’e-résident61.
La plus-value du notariat se situe dans le sur-mesure, c’est là où se concentre
sa compétence62 et cela correspond pleinement aux aspirations contemporaines
en quête de proximité et qui rejettent le produit industriel. Et l’officier public,
contrairement aux nœuds du réseau, fait consensus par lui-même. Par le
contrôle de sa personne et de ses actions, la sécurité juridique est pleinement
assurée. La valeur ajoutée procurée par le notaire doit sans doute être mieux mis
en avant et l’idée de rédaction d’acte automatique sous forme industrielle com-
battue. Le traitement automatique ne doit pas être au détriment de l’art de la
clause sous peine d’être évincé par la rédaction codée qu’offre la blockchain, plus
rapide et moins coûteuse.
En contrepartie de cette charge, le notaire est responsable de ses actes et les
motifs sont nombreux63. Son défaut de conseil est aussi fortement sanctionné.
Comme le relève le professeur Mathias Latina, la Cour de cassation a même parfois
laissé entendre que c’est parce qu’il devait conseiller les parties qu’il devait assurer la
validité et l’efficacité des actes pour lesquels son concours était requis64. Or, par la
dilution induite par la blockchain on peut se demander comment et sur qui pèsera
cette responsabilité là où, pour le notaire, elle se concentre en sa personne. Dès lors
que les opérations sont accomplies de façon autonome et anonyme, quel utilisateur
endossera la responsabilité de l’ouverture d’un réseau illicite ? Et même si le créateur
de la blockchain est identifié, la chaîne sera difficilement arrêtable puisque les opé-
rations sont réalisées de manière autonome. Même si cela va à l’encontre de son
esprit, le développement du système passe par une régulation et une clarification
juridique. Quant au devoir de conseil, il est ici sans objet, si ce n’est la mise en place
de protocole d’avertissement lors de chaque choix. Seulement, la volonté des parties
est rarement binaire, le choix optionnel se fera donc à son détriment.
Plus largement, la blockchain est une démonstration supplémentaire de la glo-
balisation des échanges et de la fragilisation d’un système centralisé, même si
60. Spéc. Y M., in L’avenir du notariat, op. cit., spéc. p. 282.
61. V. la page d’accueil [https ://e-estonia.com/e-residents/about/].
62. M M. et H O. (dir.), « L’art de la clause », JCP N 2015.
63. V. par ex : Me E, La responsabilité civile des notaires, thèse, 1952, Toulouse ;
P J., La responsabilité civile et disciplinaire des notaires, LGDJ, 1974 ;
A J.-L. et C R., La responsabilité civile des notaires, 2008, Defrénois ; S J.-F.
et L M., Manuel de déontologie notariale, 2014, Defrénois ; P J.-F. et Y Y.,
Droit professionnel notarial, 2015, LexisNexis.
64. L M., « Le notaire et la sécurité juridique », JCP N 2010, n° 42, 1325 ; v. par ex.
Cass. 1re civ., 22 avr. 1981, n° 80-11398, Bull. civ. 1981, I, n° 126 : « Alors que le devoir de conseil,
destiné à assurer la validité et l’efficacité des actes » ; Cass. 1re civ., 9 nov. 1999, n° 97-14521 :
JurisData n° 1999-003915 ; Bull. civ. 1999, I, n° 299 ; Gaz. Pal. 2000, 1, p. 21 ; Cass. 1re civ.,
12 déc. 1995, n° 93-18.753, Bull. civ. 1995, I, n° 459 ; Cass. 1re civ., 4 avr. 2001, n° 98-19925,
JurisData n° 2001-009013 ; Bull. civ. 2001, I, n° 104 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. 227.
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65. À propos du divorce sans juge introduit par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre
2016, B C., « La fonction du notaire dans le divorce déjudiciarisé », JCP N 2017,
n° 1, 1002 ; F H., « Le divorce sans juge, c’est maintenant. Et après ? (observations sur
l’après divorce sans juge) », Dr. famille 2017, dossier 4 ; C J., « Le nouveau divorce par
consentement mutuel, une réforme en clair-obscur », AJ fam. 2017, p. 14 ; F-A S.,
« Nouveau regard sur le divorce après la loi du 18 novembre 2016 », Defrénois 2017,
art. DEF125k6, p. 125 ; C-S N., « Réflexions pratiques sur le divorce sans juge »,
Defrénois 2017, art. DEF125m5, p. 131.
66. M M. (dir.), L’avenir du notariat, op. cit., spéc. p. 8.
67. JCl. Communication, fasc. 9815, par Cordier G.
68. JCl. Communication, fasc. 4700, par Manara C.
69. Pour des formules, JCl. Communication, fasc. 9800, par Cordier G.
70. L F., « Le notaire 2.0 ou comment éviter l’Uberisation du notariat ? », JCP N 2015,
spéc. n° 37.
71. La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 crée notamment le droit à « l’oubli
numérique » pour les jeunes majeurs et la « mort numérique » est organisée (pour une
présentation de la loi, G L., « Loi “pour une République numérique”. Ouverture des
données et nouvelles contraintes », JCP G 2016, n° 43-44, 1129 ; M-B N., « Les
nouveaux droits des individus consacrés par la loi pour une République numérique. Quelles
innovations ? Quelle articulation avec le règlement européen ? », D. IP/IT 2016, p. 525).
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75. Comme l’a écrit Antoine Garapon, pour les big data le droit et la jurisprudence
sont des faits au même titre que les caractéristiques du dossier ou le tempérament d’un juge.
Alors que le droit était censé ordonner le réel en distinguant ce qui résulte d’une obligation
légale et ce qui relève de la liberté, pour la justice prédictive, tous les faits sont mis sur le même
plan dès lors qu’ils déterminent la décision (dans « Justice. Les enjeux de la justice prédictive »,
JCP G 2017, n° 1-2, doctr. 31).
76. Interview accordée au Figaro.fr tech et web, le 13 mars 2015 [http ://www.lefigaro.
fr/secteur/high-tech/2015/03/13/32001-20150313ARTFIG00159-michel-serres-la-
question-est-de-savoir-qui-sera-le-depositaire-de-nos-donnees.php]. 90 % des données
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immatériel, que constitue le big data77, est sans nul doute un axe de développement
pour le notariat car il jouit d’un véritable savoir-faire78. Les notaires sont déjà déposi-
taires des secrets de famille, des testaments, des contrats de mariage, etc. Fort de ce
constat, l’intellectuel invite à créer des « dataires », des notaires des données. La multi-
plication des données pose aussi des questions de sécurité et d’éthique. La gouvernance
de la cité numérique reste à inventer79 ; le notaire 2.0 doit l’investir. C’est pourquoi le
notariat a raison de proposer, d’une part, de mettre en place, en partenariat avec l’État,
l’identification numérique certifiée grâce à la fiabilité technique et à la sécurité qu’il
offre sur l’ensemble du territoire, d’autre part, de garantir l’exactitude des informa-
tions, dans tous domaines jugés utiles par l’état, autrement dit constituer une véritable
« blockchain notariale » à destination des pouvoirs publics et des utilisateurs.
Face à l’amélioration exponentielle de la technologie, les notaires doivent
redéfinir leur moyen d’action et repenser leur valeur ajoutée en matière de conseil
et de création d’acte pour répondre aux grands enjeux qui s’annoncent. Cette
exigence nécessite d’être formé et entouré de collaborateurs 2.0. Aucune refonda-
tion de la formation ne pourra faire l’économie d’intégrer ces nouveaux savoirs ;
c’est l’économie future, les conflits de demain auront assurément un lien étroit
avec l’informatique. De même, la déontologie de la profession est difficilement
applicable en l’état. La compatibilité de l’usage de cette technologie avec le secret
professionnel et l’obligation de confidentialité pose aussi interrogation, comme
les questions de responsabilité qui en découleront. Tout reste à penser.
*
* *
produites depuis le début de l’histoire de l’humanité l’ont été dans les deux dernières années
[http ://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-165149-le-big-data-une-vaste-machine-a-
fantasmes-2058498.php#MVMCVvSZRRqSoJ32.99].
77. G G., Big Data, penser l’homme et le monde autrement, 2015, Le Passeur.
78. L F., « Le notaire 2.0 ou comment éviter l’Uberisation du notariat ? », op. cit.,
spéc. n° 40.
79. V. L C. et B E., « Comment le big data change les villes en
chiffres », Lemonde.fr, 22 nov. 2016 [http ://www.lemonde.fr/smart-cities/video/2016/11/22/
comment-le-big-data-change-les-villes-en-chiffres_5035621_4811534.
html#bCOi7SPCDlfhHYzQ.99].
80. http ://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20170110IPR57613/
robots-vers-des-r %C3 %A8gles-europ %C3 %A9ennes.
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81. Le phénomène touche aussi les avocats : 59 % des TPE et PME et un Français sur
deux n’ont jamais eu recours à ce professionnel (Étude Ifop/Image & Stratégie réalisée pour
l’Ordre des avocats de Paris). Pour une consultation, http ://www.ifop.com/media/poll/2792-
1-study_file.pdf.
82. http ://www.challenges.fr/start-up/testamento-la-start-up-qui-veut-rendre-tendance
-le-testament_31202.
83. Pour Me Luzu, toutefois, ce site n’est pas véritablement un concurrent pour le
notaire (pour les arguments avancés lesquels sont convaincants, « Le notaire 2.0 ou comment
éviter l’Uberisation du notariat ? », op. cit., n° 45, 1195).
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cv- Etudes-offertes Page 1
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Jacques Combret
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offertes à
COMBRET
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Bernard BEIGNIER Hugues KENFACK
Sonia BEN HADJ YAHIA François LETELLIER
Gilles BONNET Hélène MAZERON-GABRIEL
Damien BRAC DE LA PERRIÈRE Marie-Hélène MONSÈRIÉ-BON
Eloi BUAT-MÉNARD Marc NICOD
Jérôme CASEY Henri PALUD
Pascal CHASSAING Jean-François PILLEBOUT
Études offertes à
Fabrice COLLARD Matthieu POUMARÈDE
Cécile DAVÈZE Jean PRIEUR
Alain DELFOSSE Bernard REYNIS
Philippe DELMAS SAINT HILAIRE Gilles ROUZET
Sylvie FERRÉ-ANDRÉ Jean-Dominique SARCELET
Gérard FLORA François SAUVAGE
Éric FONGARO Sarah TORRICELLI-CHRIFI
Éliane FRÉMEAUX Bernard VAREILLE
Florence FRESNEL
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