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Publication Mensuelle N" 4 Janvier 1938

Brochures
d’Education Nouvelle
Populaire

ÉLISE FREINET

Principes d’Alimentation
Rationnelle

VENCE (ALPES-MARITIMES)
l’imprimerie a l’école

PRIX : 7 fr-
BROCHURES
D’EDUCATION NOUVELLE POPULAIRE
1. La technique Freinet................................................... 15. »
2. La Grammaire française en 4 pages .... 7.»
3. Plus de leçons................................................................ 7. »
4. Principes d’Alimentation Rationnelle .... 7.»
5. Fichier Scolaire Coopératif.......................................... 7. »
6. Loisirs dirigés................................................................ 7. »
7. Lecture idéale ............... 10.»
8. L’Imprimerie à l’Ecole........................................ 7. »
9. Le dessin libre................................................................ 7. »
10. La gravure du lino....................................................... 10. »
11. La classe exploration..................................................... 7. »
12. Technique d’étude du milieu local................................ 7. «
13. Phonos et disques.......................................................... 7. »
14. Premières réalisations d’éducation moderne. 7.»
15. 16. 17. Pour fout classer............................................. 20. »
La série des quinze premiers numéros.. .. 100.»

BROCHURES
BIBLIOTHEQUE DE TRAVAIL
1. Chariots et Carrosses.................................................. 10. »
2. Diligences et Malles-poste.......................................... 10. »
3. Derniers progrès.......................................................... 10. »
4. Dans les Alpages.............. 10. »
6. Les anciennes mesures............................................... 10. »
10. La forêt....................................................................... 10. »
23. Histoire du livre........................................................... 10. »
24. Histoire du pain........................................................... 10. »
26. Les abeilles.................................................................. 10. »
27. Histoire de la navigation............................................. 10. »
28. Histoire de l’aviation................................................... 10. »
29. Les débuts de l’auto..................................................... 10. »
30. Le sel............................................................................ 10. »
31. L’or .................... 10. »
32. La Hollande................................................................. 10. »
33. Le Zuyderzée................................................................ 10. »
La collection de seize brochures............................... 140. »

Editions de l’Imprimerie à l’Ecole


VENCE (a.-m.)
ÉLISE FREINET

Principes d’Alimentation
Rationnelle

Issu de l’évolution biologique, l’homme est physiquement un animal qui a à compter


avec sa nature charnelles. Cette nature charnelle a, selon l’expression d’Engels, « une
histoire dans le temps » et les progrès des sciences naturelles ne permettent plus aux
biologistes spiritualistes de détrôner les données du transformisme.
Lamarck et Darwin ont. malgré les lacunes, donné une démonstration irréfutable
de ce transformisme. Désormais, il devient impossible de nier que la vie, tout comme
l’Univers, est une évolution permanente et non une entité immuable créée par Dieu
dès la Genèse.
L’Histoire paléontologique montre rigoureusement que l’homme et le singe ont eu,
au cours des âges, un ancêtre commun. Il n’est certes pas question d’affirmer sous une
forme trop simpliste que « l’homme descend du singe » et qu’il est, anatomiquement
parlant, semblable à lui. Mais, en dépit des différences que l’on a pu relever, il n’en
reste pas moins que les oranges et les gorilles s’apparentent énormément à l’homme
et tout porte à croire que les premiers anthropoïdes du milieu du tertiaire sont les
ancêtres communs do l’homme et du singe.
Dans son ouvrage « Biologie et Marxisme » (1), le Professeur Marcel Prenant a
résumé de façon rapide et nette les étapes successives qui attestent l’origine animale
de l’homme et la naissance progressive de son génie.
Ce génie, il est sans doute excessif d’en faire une exclusivité humaine, car il ne
fait pas de doute que la cellule elle-même a la compréhension de ses besoins et que les
sociétés animales d’insectes, de castors ou de singes donnent des preuves irréfutables de
l’intelligence des bêtes.
Mais, quoi qu’il en soit, l’homme a sur l’animal l’avantage d’avoir réalisé un outillage
magnifique, robuste, subtil et souple dont la perfection semble lui assurer vis à vis de
la Nature une manière d’indépendance.
La science, aspect magistral de la technique, a-t-elle donné à l’homme une plus grande
sécurité ?
Dans une certaine mesure, il ne faut point nier que la science moderne et sec
applications pratiques ont modifié le monde au profit de l’homme :
La lutte biologique pour la vie a disparu; l’agriculture a fertilisé les zones désertiques;
des essences nouvelles sont créées ; l’industrie alimentaire stocke des produits innom­
brables pour les périodes de disette. Les distances sont abolies, les régions polaires con­
quises et sous les doigts du nouveau Dieu, la Nature docile semble vouloir livrer ses
secrets.

(1) Editions Sociales Internationales.


2 La Technique Freinet

A la réflexion cependant, des ombres marquent le tableau. L’on s’aperçoit, en effet,


que, jusqu’ici, la science, pour si désintéressée qu’elle soit, n’a été entre les mains du
capitalisme qu’une arme dangereuse au service de la plus-value. La. physique, la chimie
industrielles, l’industrie alimentaire ont pris dans la civilisation actuelle des propor­
tions inquiétantes parce qu’elles sont à l’origine de bénéfices scandaleux. La science qui
doit libérer l’homme, l’affame on réalité, l’abâtardit, l’assassine. Si les sciences chi­
miques ont, en matière d’explosifs, fait des découvertes les plus grandioses pour des
œuvres de mort, la biologie n’en est qu’aux tout premiers balbutiements de l’œuvre
de vie.
On ne manque pas de faire valoir que la physiologie, la chirurgie, l’hygiène et la
médecine ont fait, ces dernières années, des progrès remarquables, mais il ne fait aucun
doute que ces améliorations sont fonction d’un mercantilisme qui, d’avance, en fausse
les données. •
La science capitaliste est revisible en sa totalité, car elle, n’est point l’aboutissant
loyal du génie de l’homme ; le génie de l’homme travaillant pour le bien de l’homme
n’engendrerait pas à grande échelle la misère, la maladie, et la mort.
Il est à peu près certain qu’une organisation plus rationnelle de la production et
des richesses pourrait éviter la misère et la guerre, mais il n’est pas très sûr que l’on
puisse, jusqu’ici, entrevoir la fin de la maladie.
Malgré les hôpitaux, les cliniques particulières, les facultés de plus en plus renom­
mées, la maladie persiste et revêt des formes de plus en plus inquiétantes.
La maladie caractérise l’homme tout comme l’intelligence. Certes, il arrive bien que
les animaux domestiques asservis, dénaturés, soient soumis à des épidémies caractérisées,
mais de tels accidents semblent être plus imputables au chef d’écurie qu’aux pauvres
bêtes qui ne sont entre ses mains qu’un instrument de profit. Suralimentés, castrés,
immobilisés, les animaux de la ferme sont les victimes innocentes d’une production
intensive, dont le gros porc de 200 kgs, obèse et rhumatisant, est le chef-d’œuvre.
Mais, même victime d’erreurs imposées, l’animal domestique reste peu sujet à la
maladie, parce qu’il a le grand avantage de garder presque intacts ses instincts alimen­
taires. Certes, l’on peut bien forcer l’animal à la suralimentation en lui faisant avaler
de fortes doses d’aliments cuits et concentrés, mais l’on sait qu’à l’exception du porc,
les animaux de ferme sont très exigeants sur la qualité des aliments qu’on leur propose.
La vache peut bien avaler du tourteau dilué dans son breuvage, mais elle exige en
réparation de ce mauvais tour, l’herbe tendre du pré ou le bon foin de montagne.
Quant à la chèvre, presque toujours exempte de maladie, elle ne doit son élégance
et sa souplesse nerveuse qu’aux pousses tendres qu’elle recherche infatigablement aux
heures de patine.
Bien qu’il soit difficile de vérifier expérimentalement si les animaux sauvages sont
atteints eux aussi de malaises épidémiques, il n’apparaît pas que les chasseurs, pourtant
si avisés, aient pu jamais rencontrer un chamois atteint de fièvre aphteuse ou un coq
de bruyère rhumatisant.
Pourquoi est-on malade ?
Une question vient à l’esprit le plus simple. mastication, des matières animales avec
Pourquoi l’humanité est-elle de plus en plus poils, plumes et écailles comme le font les
ravagée par des calamités désespérantes dont carnivores nés. Nos sucs digestifs sont d’ail­
la syphilis, la tuberculose et le cancer sont leurs très différents des sécrétions des carni­
les formes les plus tragiques ? vores qui ont la possibilité de réduire l’acide
urique en produits ammoniacaux éliminables
Il ne fait pas de doute que la maladie, par les reins.
quelle qu'elle soit, est conséquence d’erreurs
d’hygiène alimentaire, corporelle, mentale, Notre intestin n’est point fait pour rece­
quand elle n’est pas le résultat conjugué de voir les fermentations putrides des viandes
toutes ces erreurs. On incrimine très souvent qui dégénèrent en produits excessivement
le manque de propreté, on incrimine le froid, toxiques (leucomaïnes et ptomaïnes), que
le chaud mais, très certainement, on ne notre intestin trop long doit conserver pen­
donne jamais au facteur alimentaire le quo­ dant 24 ou 36 heures avant de les expulser
tient déterminant qui lui revient dans la sous forme de selles fétides.
maladie. La langue lisse de l'homme, riche en ter­
Seul de tous les animaux, l'homme n’a minaisons nerveuses, paraît le prédestiner
à des aliments subtils et acqueux de préfé­
point d’instinct alimentaire caractérisé. L’une rence, dont la succulence semble jouer un
de ses gloires est de pouvoir manger de tout, rôle déterminant dans le phénomène de di­
même sans faim et sans appétit. gestion.
Il semble normal en zoologie de faire re­
marquer combien chaque espèce possède une
morphologie conditionnant son genre de vie
La physiologie de l’homme
alimentaire. Il est courant de démontrer que correspond-elle à un régime herbacé ?
les carnivores ont des griffes et des crocs
pour dépecer leur proie, un intestin très Evidemment non. Il y a de nombreuses
court pour éviter la fermentation putride, différences entre la dentition d’un ruminant
un foie trois fois plus irrigué que le foie et la nôtre et la simplicité de notre estomac
humain pour faire la synthèse de l’urée. et la brièveté de notre intestin ne sont point
organisés pour réduire les celluloses coriaces
On remarque de même que la dentition, dont se repaissent les ruminants à estomacs
l’estomac, l’intestin des ruminants les prédis­ multiples et intestins interminables.
posent à manger les celluloses végétales; que
les gallinacés ont un bec pour picorer les S’il est exact que les végétaux sélectionnés
graines et un gésier pour les triturer; mais de nos jardins sont tolérés par la majorité
l’on ne découvre aucune caractéristique qui des hommes, il ne fait pas de doute que
puisse de quelque façon rétrécir le champ l’on n’éprouverait aucun plaisir et aucun
des goinfreries de l’homme et l’on a décrété avantage à brouter les herbes dures des
sans ambage qu’il était né omnivore tout pâturages.
comme son frère inférieur le porc, que l’on
a la sagesse de tuer avant l’échéance fatale
de l’apoplexie. La physiologie de l’homme
correspond-elle à un régime fruitarien?
La physiologie de l’homme
Certainement, oui. Notre anatomie est
correspond-elle à un régime carnivore? identique à celle des singes mangeurs de
fruits. Nous avons, avec eux, malgré les dif­
Sans nul doute non.
férences manifestes, certaines similitudes de
Notre dentition n’est point faite pour dépe­ bipédie et bimanie. et une conformation
cer les proies ; notre faiblesse à la course bucale identique. Nos mains sont, comme cel­
nous rend impropres à la poursuite et à la les du singe, constituées pour la préhension
chasse. Nos mains sans griffes ne nous pré­ et la flexion arrière de la tète nous permet
destinent pas à la tuerie. Il nous est impos­ d’inspecter les arbres du regard pour y
sible d’avaler par quartiers, sans véritable choisir le fruit qui répond à notre odorat
4 La Technique Freinet

subtil. L'analyse du sang des grands singes 1º La viande est un mauvais excitant ali­
possède une grande analogie avec la com­ mentaire :
position du sang humain et la faible lon­ Elle donne, tout d’abord, une sensation
gueur d'intestin de l’homme et des anthro­ d’euphorie mais le coup de fouet passé, elle
poïdes semble tirer tous avantages de la épuise les forces cellulaires par l’effort qu’elle-
digestion des fruits qui ne laissent aucuns leur demande dans l’évacuation des toxines
déchets putrides dans l’organisme. azotées.
Mais l’homme n’est jamais à bout d’argu­
ments. 2º La viande est un mauvais combustible :
— Bien sûr, disent les défenseurs de l’om­ Elle ne contient pas, en effet, de substan­
nivorisme. l’homme n’est en fait ni un carni­ ces hydrocarbonées et de plus, les déchets
vore, ni un ruminant, mais il tient du carni­ de son métabolisme sont toxiques et difficile­
vore parce qu’il a des canines et du rumi­ ment décomposés.
nant parce qu’il a des molaires presque pla­
tes ; comme par ailleurs il ressemble au 3º La viande est un mauvais réparateur :
singe, nul doute qu’il peut bénéficier de tous
les régimes. L’homme peut manger de tout, Elle n’apporte pas, directement, d’énergie
cela se passe tous les jours et l’on n’en meurt solaire. Cette énergie est épuisée par le méta­
pas. bolisme animal. De plus, la viande est dé­
Que cela se passe tous les jours, c’est cer­ pourvue de sels minéraux vitalisateurs.
tainement exact, mais que l’on n’en meure 4° La viande est un poison lent mais sûr :
point, c’est sûrement discutable, car les faits
nous prouvent que si l’on n’en meurt pas Elle renferme des poisons préformés qui
tout de suite, l’on en meurt progressivement proviennent de la vie de l’animal (animaux
en passant par les étapes cruelles de la contaminés, déchets vitaux, prurines, créa-
maladie. tines, etc.) Aussitôt après la mort de l’animai
elle perd sa vitalisation et la décomposition,
cadavérique commence .
L’omnivorisme est néfaste A Chicago, le Dr Kellog a fait de sensa­
par la prédominance qu’il donne tionnelles expériences sur la décomposition
au régime camé putride des viandes destinées à la consom­
mation.
La base de l’omnivorisme est la viande L’analyse démontra une moyenne de :
sous ses aspects les plus variés. Le rôti, le 70.000 bactéries putrides par gramme de
bouilli ou la fricassée sont le centre de tous viande consommée et ramenées par la cuis­
les repas considérés comme normaux et tout son à 25.000.
ce qui les accompagne se rattache à eux par
les sauces qui en découlent. 870.000 microbes pour le poisson ;
La Faculté admet qu’il faut une ration 14 millions pour les sardines en boîte ;
azotée suffisante pour faire du muscle et 120 millions pour la saucisse fraîche qui,
avoir de la force et que cette ration azotée après 20 heures de fabrication, passe à 490
ne saurait être mieux choisie que dans le millions ;
bifteack ou l’escalope. 43.120.000 pour le jambon fumé qui, après
Or, la viande engendre de nombreux dé­ 20 heures, a 750.000.000 de bactéries !
chets, fait un sang riche en résidus nutri­ Le record est battu par le saucisson :
tifs, pléthorise l’organisme. La vérité est à 635.600.000 quand il est frais et qui, après
peu près faite là-dessus, même par la méde­ 20 heures, passe à 1.036.000.000 ! (1) Un mil­
cine classique et la sagesse conseille au doc­ liard de bactéries par gramme ! Et l’on se
teur de proscrire la viande dans tous acci­ demande d’où provient la maladie.
dents digestifs.
5° La viande est une source de putréfaction
et d’infections intestinales :
La viande est plus que tout autre
un mauvais aliment Ce qui est facilement démontré par ce qui
précède. Des expériences ont montré que la
Carton a fait contre la viande un réqui­
sitoire magistral qu’il nous suffira de résu­
mer : | (1) La réforme alimentaire, avril 1908.
La Technique Freinet 5

proportion des germes pathogènes par milli­ L’omnivorisme est néfaste


mètre cube de matières alimentaires intes­ parce qu’il justifie l’industrie
tinales était de 2000 pour les végétariens et
de 65.000 pour les carnivores. alimentaire toxique
L’industrie alimentaire semble à première
La viande transmet des maladies conta­ vue avoir acquis une perfection inégalée à ce
gieuses et parasitaires : jour. Le frigorifique paraît conserver les
Tuberculose, charbon, morve, fièvres di­ denrées les plus fragiles, les viandes les plus
verses.... délicates, les pâtisseries les plus légères. On
mûrit le fruit vert ; on arrête l’évolution du
La viande est acidifiante : fruit mûr; on dissèque, on pulvérise ,on con­
La fixité du déchet que constitue l’acide centre toute matière comestible, de la viande
urique est cause de ravages humoraux à au lait, des céréales aux fruits. L’autoclave
réaction acide. n’a plus de secrets pour la conservation de
toutes denrées comestibles : les flageolets,
8º La viande déminéralise : la choucroute et jusqu’aux pâtes alimentai­
Le muscle est pauvre en matière minérale. res sont mis en boîte, prêts à être consom­
Or, nous ne consommons pas. à l’instar des més, garnis de la saucisse dodue, enroulée
carnassiers, le sang et les os des animaux. en leur profondeur saumâtre... Les fruits
les plus riches mijotent dans des sirops de
9° La viande surexcite les instincts d’immo­ sucre ou de saccharine et les biscottes les
ralité : plus friables peuvent se conserver des an-
Le carnivorisme nous pousse, en effet, à nés entières rivalisant avec le gruyère qui,
des actes de cruauté et, par ses toxines, dit-on, peut durer la vie d’un homme....
brouille nos humeurs et notre lucidité. Chef-d’œuvre du produit alimentaire indus-
triel. le pain se fait de plus en plus léger,
de plus en plus blanc et doré. Qui dira la
L’omnivorisme est dangereux malfaisance d’un tel produit consommé en
par les associations alimentaires excès, servi sur toutes les tables et mangé
en quantités impressionnantes par les gens
qu’il engendre et par leur abondance du peuple ?
Bien manger est la source, il faut le re­ Les trusteurs du blé jettent sur les mar­
connaître, de nombreux plaisirs : Nul doute chés les blés les plus suspects, conservés dans
que les convives d’un bon repas de famille, des silos humides, dénaturé par des subs­
d’un banquet, ne soient, à l’heure du sacri­ tances toxiques, reblanchis aux gaz délétè­
fice, dans les meilleures dispositions d’hu­ res. Les grands minotiers ont certainement
meur et d’esprit. gagné la palme des « tripatouillages » dans
le commerce des farines. Il faut avoir reçu
L’art culinaire a atteint, dans tous les les confidences d’ouvriers minotiers pour
pays, un relief impressionnant et l’art de savoir combien peut être dangereuse à la
manger une majesté toute puissante. L’éclat santé la farine impondérable et blanche je­
d’une table servie, le décor des fleurs et des tée sur les marchés. Si l’on ajoute à ces
fruits, l’arome des mets, la présentation des dangers les méfaits des procédés modernes
plats, le bouquet des vins, tout concourt à de panification, l’on comprendra pourquoi
provoquer 1a série des réflexes conditionnés, la race humaine s’abâtardit dans de si im­
chers à Pawlov... pressionnantes proportions.
La rançon en est « la gueule de bois » En apparence, il semble que l’industrie
des lendemains de fête et l’échéance inévi­ alimentaire qui stocke les produits, les ré­
table de la maladie. partit à la surface du globe jusqu’aux coins
Quand on consulte les menus des banquets les plus inaccessibles des pôles, qui les livre
et à l’ordinaire, les menus quotidiens des à domicile, les sélectionne et les ordonne
maisons bourgeoises, on est effrayé des pro­ en colis « scientifiquement » composés, il
portions qu’y prennent la ration azotée, les semble que l’industrie alimentaire si ingé­
mélanges nocifs et les concentrés et l’on se nieuse à servir le client et à favoriser sa
demande comment les organismes qui les gourmandise, soit un avantage incontestable.
absorbent peuvent résister aux accidents con­ Avantage de temps, certes, car il est plus
gestifs que préparent un sang pléthorique, pratique de consommer des tripes en boîtes
des humeurs acidifiées et des organes séni- que de les cuire à la maison (songez donc,
lisés par l’envahissement graisseux. 6 heures de cuisson !) et pas plus cher bien
6 La Technique Freinet

souvent et mieux présenté et plus relevé en — Vaniline, éthylvaniline pour confiseurs—


épices. — Anhydride sulfureux pour conservation
Mais comme ombre à ces avantages, l’avi­ des produits alimentaires.
taminose et ses formes diverses, dont le Les colorants semblent de même d’un ex­
cancer est certainement la plus horrifiante. cellent rapport: on les mentionne sans réti­
Nous n’hésitons pas à dire très haut que cence :
le plus grand danger de l’alimentation ac­
tuelle vient des procédés techniques qui en — Colorants végétaux, organiques, minéraux.
assurent la conservation et la vente et que — Colorant jaune végétal.
c’est un crime d’imposer à l’enfant un ali­
— Extrait de grenadine, pure COCHENILLE.
ment toxique qui prépare en son organisme
la déchéance cellulaire. — Colorants pour bières, cidres, vinaigres.
Il faut comprendre, en effet, que pour — Carmins pour sirops, boissons, confiserie-
conserver un aliment naturel, il faut le sous­ — Acide carminique.
traire à la fermentation vers laquelle il — Carminite de soude.
tend, c’est-à-dire il faut dénaturer cet ali­
ment, en détruire le pouvoir de vie. Or, — Colorants pour bouillons, potages.
c’était justement en égard de ce pouvoir — Colorants pour beurres et fromages.
de vie que l’aliment nous était salutaire et Passons sur les produits spécialement des­
qu’instinctivement nous l’avions choisi. A tinés à l’industrie du vin et redisons aux
ce potentiel de vie, l’industriel a substitué le mères de familles :
toxique qui arrête le rancissement des grais­
ses, qui inhibe la fermentation des sucres, Devenez conscientes de vos devoirs vis a
et dénature l’alubumine des aliments azotés. vis de l’enfant que vous avez créé. Le bon­
L’industrie alimentaire toute entière repose bon, le biscuit, le gâteau que vous avez tant
sur l’usage du toxique et quel toxique ! de joie à lui offrir attentent à sa vie et
Consultez le « grand annuaire industriel » préparent sa misère physiologique et men­
rayon de l'Alimentation et vous aurez un tale.
modeste aperçu des trafics et fraudes qui se On ne manque pas de faire valoir que
commettent ouvertement à l’écart, de la loi. l’autoclave et le frigo sont, dans ce domaine,
Il nous suffira de relever les titres de quel­ moins dangereux que les préparations indus­
ques produits très franchement appelés « pro­ trielles courantes (1). Il ne faut pourtant
duits pour industrie alimentaire ». p. 258-2. pas oublier que le scorbut, la pelagre, le
— Glucose cristal massé de fécule pour in­ béri-béri sont des maladies caractéristiques
dustrie alimentaire. de l’usage des conserves et que les empoi­
— Albumine d’œufs. sonnements provoqués par les denrées con­
gelées ne se comptent plus. Le frigo, tout
— Colles comestibles et gélatines pour gelées. comme l'autoclave, modifie et détruit la el-
— Vaseline pour graissage des moules de lule vivante parce qu’il la plonge dans un
confiserie. milieu extrême qui décharge son potentiel
— Gomme arabique pour industrie alimen­ de vie.
taire. C’est parce que l’homme omnivore a voulu
— Nitrate de potasse pour industrie alimen­ manger de tout, sous toutes les latitudes et
taire. en toutes saisons de l’année qu’il se doit
— Caséine industrielle. d’accepter des aliments de valeur alimentaire
non seulement diminuée mais, qui plus est,
Les essences ont un relief de tout pre­ d’aliments toxiques destructeurs de santé
mier plan. Elles sont innombrables : et de vie.
— Essences ARTIFICIELLES, produits de
chimie organique pour limonades, si­
rops et confiseries.... (1) En réalité, la malfaisance de l’une s’ajoute
à la malfaisance des autres, car les sucres, les
— Essences de café, thé, menthe, cacao, colorants, les produits chimiques divers entrent
rhum, amandes amères, etc... dans toutes les conserves alimentaires en boîtes.
Les hydrates de carbone
sont la nourriture idéale
de l’homme
Devant un tel ostracisme, dira-t-on, que « Par leur vue, leur parfum, par leur pre­
peut-on vraiment manger ? Comment vivre mier contact avec nos papilles gustatives,
dans les contrées déshéritées où l’hiver est les aliments sont dynamogènes, excitants de
long et le climat rude ? Comment se nour­ nos forces musculaires et des activités glan­
rir dans les villes où toute denrée est com­ dulaires » (1). Si bien que, avant même
mercialisée, où le restaurant offre ses menus l’absorption de l’aliment, nous devrions sa­
suspects, où la hâte de vivre exige une voir la valeur énergétique de son apport
alimentation excitante ? et la dépense vitale de notre organisme pour
Nous n’avons jamais voulu dire qu’il était se l’assimiler.
d’une grande facilité de résoudre tous les Il ne fait pas de doute que la viande crue
grands problèmes humains et de concilier ne fait aucune impression agréable à l’hom­
dans une vie personnelle les exigences pro­ me, bien qu’il se réclame carnivore. Il ne
fessionnelles, les erreurs de vie et la santé. vient à l’idée de personne de goûter à l’es­
Mais nous disons qu’il est toujours néces­ calope, au rôti... cru. à la cervelle de mouton
saire de situer dans la logique matérialiste comme l’on goûte à une cerise, à une pomme,
des données essentielles susceptibles d’orien­ à une noisette, tout en faisant son marché.
ter notre comportement humain vers un La viande crue écœure à l’ordinaire les
mieux et nul doute qu’acquérir une santé gourmets les plus raffinés parce qu’elle ne
meilleure c’est aller vers un mieux. répond à aucune sécrétion instinctive; elle
Et comment acquérir une santé meilleure? doit être enrobée d’excitants artificiels, avoir
En diminuant les risques de maladie, c’est- provoqué par répétition les réflexes de l’ha­
à-dire en faisant d’abord une alimentation bitude digestive pour être un pré-excitant
convenant aux possibilités digestives de no­ du palais.
tre organisme. Le fruit a ses parfums naturels, excitants
La pratique de l’omnivorisme donne à normaux de nos sécrétions buccales et gas­
l’homme une idée tout à fait fantaisiste de triques ; la vue d’un fruit réjouit l’enfant qui
l’aliment. Est aliment toute denrée man­ est resté plus instinctif que l’homme et sa
geable. Est aliment tout ce qui plaît au dégustation est pour lui un vrai régal.
palais ; est aliment tout ce qui procure du Si nous voulions situer plus scientifique­
bien-être. Le verre d’absinthe qui satisfait ment le problème de l’alimentation préféra­
l’alcoolique, les viandes épicées qui éveillent ble, il nous serait facile de nous reporter aux
la gaîté du joyeux « 100 kilos », sont-ils vrai­ observations d’ordre chimique que le labo­
ment des aliments ? ratoire croit avoir établies dans les phéno­
L’aliment normal doit apporter à l’orga­ mènes de digestion.
nisme une énergie capable d’entretenir sa Voici, en fait, ce qu’il semble classique
vie et permettre l’évolution de cette vie. Il d’admettre :
est reconnu que cet apport énergétique se
fait au détriment de nos ressources vitales 1° Les matières azotées ou protéines (com­
et que chaque acte digestif entame notre posées d’azote, d’hydrogène, d’oxygène et de
potentiel vital: nous usons nos forces à man­ carbone) sous l'action combinée de l’acide
ger, c’est pourquoi nous n’accumulons pas chlorydrique et de la pepsine (suc gastrique)
impunément de la vitalité en réserve. Dès sont transformées en albuinoses et peptones,
lors, l’aliment le meilleur sera celui qui ap­ puis, sous l’effet de la bile, à réaction alca-
portera le plus d'énergie en demandant pour
prix de son assimilation le minimum de
dépenses vitales. (1) CARTON : Enseignements et Traité de Mé­
Quels considérants vont donc nous guider decine, d’alimentation et d’hygiène naturistes.
dans le choix du meilleur aliment ? Edit. Maloine, Paris.
8 La Technique Freinet

line, en acides aminés. Un des derniers abou­ excitants et dangereux pour l’équilibre cel­
tissants de l’albumine est l’urée. Il existe de lulaire.
l'urée dans le sang, la salive, l’urine, la bile, 4°) Les aliments minéraux se trouvent en
c’est-â-dire dans tous les liquides d’élimi­ état très subtil dans les fruits et les céréales
nation. ou en dissolution dans l’eau. Ils semblent
Des expériences faites par Bureau et indispensables au processus de la nutrition,
Schier ont montré que le foie de l’homme ne spécialement dans les échanges osmotiques
détruit que la moitié de l’acide urique circu­ entre cellules.
lant dans le sang et que le foie des carnas­ De toutes ces constatations, il découle
siers est capable de détruire proportionnel­ qu’un aliment est d’autant moins dangereux
lement dix ou quinze fois plus d’acide urique qu’il se résoud dans l’organisme en produite
que le foie de l’homme. facilement éliminables (les hydrates de car­
bone par exemple) et qu’il est d’autant plus
L’urée apparaît comme le plus grand poi­
nocif qu’il engendre des produits stables et
son du métabolisme digestif. Un régime ali­
difficilement éliminés (les albuminoïdes et
mentaire ne sera convenable que s’il abaisse
au minimum la proportion d’urée. les graisses).
Il apparaît donc naturel que les hydrates
2° Les graisses : Elles sont composées de carbone dont les sous-produits ne sont
d’hydrogène, d’oxygène et de carbone. Dans pas susceptibles d’encrasser l’organisme
l'estomac, les graisses ne font que retarder parce que facilement éliminables par les
l’effet de la digestion gastrique. Dans l’in­ fonctions de respiration et transpiration,
testin, sous l’effet de la bile et de la lipase soient pour l’homme la base d’une alimen­
(suc pancréatique), les graisses sont émul­ tation rationnelle.
sionnées et dédoublées en acides gras et gly­ Une discrimination est cependant indis­
cérine. La glycérine, par ses fonctions alcool pensable à faire pour la grande famille des
est susceptible de donner par oxydation des amylacées : Les végétaux divers avec leurs
sels et éthers-sels très toxiques qui produi­ enveloppes cellulosiques résistantes sont,
sent la dégénérescence graisseuse. nous le verrons, un danger pour les orga­
3°) Les hydrates de carbone : Ils contien­ nismes affaiblis. Il en est de même des
nent les mêmes éléments que les graisses, fruits et céréales complets pour lesquels aux
mais sous une forme moins concentrée et méfaits de la cellulose s’ajoutent ceux des
plus subtile. Dans l’amande verte, par exem­ diastases irritantes. De même les fruits dans
ple, se trouvent des hydrates de carbone qui, lesquels les sucres atteignent un degré de
progressivement, se transforment en graisse concentration excessif (dattes, fruits séchés)
au fur et à mesure que mûrit et rancit l’a­ doivent être considérés comme suspects pour
mande. les organismes tarés. Le maximum de bien­
Les hydrates de carbone sont saccharifiés faits sera apporté par les fruits frais aux
par la ptialine (salive) et par l’amylase (suc sucres dilués, vitalisés par le soleil, aux sels
pancréatique) .Leur digestion commence dans subtils, aux eaux douces de végétation qui
la bouche, d’où la nécessité d’une bonne mas­ procurent à l’organisme une excitation de
tication. Sous l’effet des diastases sus-nom­ bon aloi, sans risques d’intoxication grave.
mées, les hydrates de carbone se résolvent
en maltose et dextrines (sortes de sucres La ration calorique
organiques), en eau et gaz carbonique. Ainsi est une invention de laboratoire
la digestion des hydrates de carbone semble La Faculté fait au régime fruitarien la
se résoudre en un apport de sucre, l’eau et critique essentielle de n’être pas calorique.
le gaz carbonique étant éliminés par la trans­ Tout comme un poêle qui brûle, disent-ils,
piration et la respiration. le corps a besoin de calories pour résister au
Les sucres sont des hydrates de carbone froid ambiant ,pour produire un certain tra­
concentrés. II en existe une infinité variant vail, et poussant l’analogie jusqu’à l’invrai­
par leur teneur en carbone. Par oxydation, semblance, ils tentent d’assimiler l’organisme
ils sont réduits en eau et gaz carbonique. au calorimètre Berthelot. « Le pouvoir éner­
Solubilisés dans les jus de fruits naturels, gétique d’un aliment se traduit par le nom­
ils sont des vitalisateurs parfaits, mais quand bre de calories qu’il peut dégager ;peu im­
ils se présentent sous une forme condensée portent les mutations intermédiaires, le ré­
(les fructoses des fruits séchés par exemple) sultat final seul compte » (1).
eu minéralisés (sucre industriel), ils acquiè­
rent des propriétés alcool qui les rendent (1) ROGER : Digestion et nutrition.
La Technique Freinet 9

Le malheur est évidemment qu’il paraît que, concentré, source première de la ma­
très difficile de déterminer le résultat final ladie.
des combustions organiques et que très sou­ Il n’y a pas de ration calorique. Tout ali­
vent les mutations intermédiaires absorbent ment normal qui répond à notre instinct
pour leur profit une ration importante de alimentaire et qui est adapté à notre mor­
calories et le malheur est aussi que sur des phologie est générateur de vie. c’est-à-dire de
suppositions plus ou moins fantaisistes on vigueur, de chaleur, de forces spirituelles,
établisse des lois soi disant scientifiques. car l’explosion de la vie est une irradiation
Mais nos scientistes n’en sont pas à une infinie qui ne se résoud ni en calories ni
extravagance près : Ils ont évalué les dépen­ en aucune unité de mesure.
ses caloriques de l’homme assis, debout, cou­
ché, de l’homme au repos, de l’homme au Il n’y a pas de syndrome
travail et naturellement, ils en ont conclu
qu’il devait y avoir une ration calorique. de déminéralisation
Sur rétablissement de cette ration, il y a eu La médecine classique et, davantage en­
de chaudes discussions... et qui durent en­ core, la médecine naturiste, ont voulu voir
core. Qui faut-il croire, de Richet qui reven­ dans les diètes fruitariennes les causes pri­
dique 3.100 calories, ou de Pascault qui n’en mordiales de déminéralisation.
maintient que 1900 pour la même ration La déminéralisation est très à la mode.
calorique de repos ? Après les cures de sels calciques sont pro­
Quand le génie s'aventure dans les do­ posées contre elle les concentrés de graines
maines de l’abstraction, il n’est guère possi­ germées, les blés de toute étiquette débor­
ble de lui conserver ses prérogatives. Disons dant de sels vitaminés. Et la déminéralisa­
que de telles innovations sont faussement tion n’a point disparu.
scientifiques et résumons rapidement les Les praticiens sont, d’ailleurs, très divisés
critiques que tout esprit sensé peut leur sur ses causes. Pour Ferrier, tout se résume­
faire : rait à « une perte calcique » qui se ferait
1° La théorie calorimétrique ignore tout de au détriment des sels de chaux du sque­
la transformation de l’énergie universelle en lette. D’où l’emploi à hautes doses de sels
énergie vitale. Elle ignore tout du principe calcaires.
de vie et des conditions biologiques de l’exis­ Pour la majorité des praticiens naturistes,
tence humaine. Elle substitue à l’instinct l’acidification des sécrétions serait une éli­
spécifique l’artificiel élément scientifique. mination salutaire provoquée par les fruits
2° Elle réduit l'énergie potentielle de l’ali­ acides. Ces fruits mobiliseraient les réserves
ment à un effet calorique, forme banale de toxiques acides et les feraient s’éliminer. En
l’énergie, ignorant ainsi les pouvoirs vitali- compensation de cet appauvrissement miné­
sateurs de l’aliment cru. ral, on conseille la suralimentation minérale,
3° Elle crée dans la valeur des aliments sous forme de bouillons de légumes concen­
une hiérarchie arbitraire qui donne la pré­ trés, de céréales crues, de légumes cuits à l’é-
pondérance à des préparations industrielles, tuvée.
à des toxiques sur des produits naturels. Le Docteur Carton se fait une conception
Ainsi le sucre industriel, l’alcool apparais­ plus intellectuelle du problème : pour lui, la
sent comme plus caloriques que les céréales déminéralisation résulterait d’une insuffis-
ou les noix. sance métabolique des acides. Sous l’effet des
4° Elle ignore les transformations succes­ débilités, des défaillances viscérales, l’orga­
sives que subissent les aliments dans l’orga­ nisme deviendrait inapte à éliminer les sous-
nisme. Les déchets produits par les graisses produits acides résultant de la transforma­
et les azotés absorbent plus d’énergie vitale tion des aliments gras, azotés, acides. Cet
qu’ils n’en libèrent, puisqu’ils nous condui­ état de fait serait accru par la privation
sent à la maladie, c’est-à-dire à l’engorge­ d’aliments minéralisants naturels (chloro­
ment de l’organisme par mauvais fonction­ phylles, fruits doux) et par l’emploi de ma­
nement d’assimilation. tériaux acides apportés par légumes et fruits
5° Elle ne tient pas compte des insuffisan­ acides (tomates, oranges, citrons, oseille) et
ces digestives proposant à des tarés du foie par les légumes blancs (aubergines, topinam­
par exemple des doses brutales qui assom­ bours, fenouils, salsifis...) Cette acidification
ment les dernières résistances hépatiques. humorale entraînerait une déchéance des
6° Elle a tendance à substituer à l’aliment tissus minéraux (os, dents) ou autres tissus
naturel l’aliment industriel arbitraire, toxi­ conjonctifs, épithéliaux qui, pour neutrali­
10 La Technique Ereinet

ser les déchets acides divers, se désagrége­ la portée de tout le monde. La vache, la
raient progressivement. chèvre, le lapin de garenne ne sont point
Et voici exposés avec abondance les symp­ déminéralisés parce qu’ils suivent leur ins­
tômes de déminéralisation : asthénie et irri­ tinct en broutant les herbes qui répondent
tabilité, troubles trophiques cutanés (irrita­ à leur constitution physiologique. En l’occu­
tions et fissures cutanées), amaigrissement, rence, il ne s’agit pas de poser le problème
perte de poids spécifique, frilosité, lympha­ sous une forme intellectuelle séduisante, il
tisme, chlorose, rachitisme, débâcles intes­ s’agit tout simplement de le résoudre : Une
tinales... angine.... tuberculose et nous n’au­ pratique de dix années d’une diète presque
rons garde d’oublier « l’agacement aux col­ exclusivement fruitarienne nous a donné les
lets dentaires »... meilleurs résultats et qui sont à la portée
de chacun comme l’air pur et la lumière
Devant une avalanche aussi impression­ du soleil.
nante de disgrâces, il est à prévoir que la
thérapeutique reminéralisante sera sévère et
nuancée. Et tout d’abord seront nocifs les Faut-il manger l' aliment cru ?
excès de viande (les excès seulement? et où
commence l'excès ?) poissons, corps gras, Il est maintenant admis par toutes les
sucres et aliments condensés, stérilisés, lait facultés du monde que l’aliment crû contient
caillé, miel, vinaigres, fruits pas mûrs, ceri­ sous forme impondérable des réserves de vie
ses, citrons, oranges, rhubarbe, cresson, lé­ indispensables à la santé. On a donné à ces
gumes blancs. principes le nom de vitamines, et c’est sur
elles que l’Ecole Naturiste a édifié son triom­
Sont favorables : Les fruits doux pris en phe.
quantité raisonnable. Ces fruits sont remi- Essayons de voir avec bon sens quelle réa­
néralisants, mais au cours d’années ensoleil­ lité se cache sous cette sensationnelle dé­
lées. il faut les peler car leurs peaux sont couverte :
acidifiantes. Les légumes cuits sont de mê­ Et d’abord que sont les « vitamines » ?
me reminéralisants, mais il faut éviter les « Ce sont, vous dira la Faculté, des prin­
bouillons concentrés. Les œufs sont aussi cipes que l’organisme animal est incapable
recommandés, mais pas toujours assimilables d’élaborer de lui-même, principes qui, à des
tels que. Sont salutaires encore, et surtout, doses infinitésimales (de l’ordre du million-
les salades vertes crues, les fruits entiers, nième, voire du dix-millionnième de la ra­
les céréales intégrales, le pain complet, en tion quotidienne), sont indispensables à l’en­
ne perdant pas de vue toutefois que ces tretien et au fonctionnement de l’organisme.
aliments éminemment recommandables con­ Leur absence détermine des troubles et des
tre les carences de minéraux organiques, lésions caractéristiques ».
sont susceptibles de nous exposer aux mé­ On connaît, à l’heure actuelle, huit vita­
faits dé la suralimentation minérale ou sur­ mines, mais comme la science progresse à
minéralisation, dont les symptômes ressem­ pas de géants, on nous en promet d’autres
blent comme des frères aux symptômes de encore... Il y a les vitamines hydro-solubles
déminéralisation : érythèmes, eczémas, trou­ et lipo-solubles qui se répartissent en :
bles intestinaux, diarrhées... sans oublier... Vitamines lipo-solubles :
« l'agacement des collets dentaires »... Vitamine de croissance ou antixérophtal-
Quant à nous, nous dirons : Il n’y a pas mique : vitamine A.
de syndrome de déminéralisation, pas plus Vitamine antirachitique ou vitamine D.
qu’il n’y a syndrome de surminéralisation et Vitamine de la reproduction ou vitamine E.
de dénutrition. Il n’y a que des symptômes Vitamines hydro-solubles :
d’arthritisation généralisée, c’est-à-dire d’en­ Vitamine antiscorbutique ou vitamine C.
gorgement par les déchets toxiques; et puis- Vitamine antinévrétique ou vitamine Bl.
qu’aussi bien Carton reconnaît que les ali­ Vitamine d’utilisation nutritive ou vita­
ments azotés, gras, acides sont à l’origine mine B2.
des ravages de déminéralisation, le plus sim­ Vitamine d’utilisation cellulaire ou vita-
ple est de les supprimer et d’avoir recours à . mine B3.
une nourriture qui n’entraîne pas de sous- Vitamine antipellagreuse ou vitamne P.
produits acides dangereux. Le fruit semble Naturellement, chacune de ces vitamines
répondre admirablement à ce désidérata. La a des effets spécifiques, encore qu’il soit dif­
thérapeutique en est simple, radicale et à ficile de préciser ces effets vu l’impossibilité
La Technique Freinet II

où l’on se trouve d’isoler ces principes oc­ pératures de 120º, supportant héroïquement
cultes. l’intervention de l'autoclave. On n’a même
L’absence de la vitamine A provoque des pas pu détruire les vitamines E et P les
troubles de la cornée transparente de l’œil. plus stables de toutes ! Quant à la vitamine
La vitamine B assure de plus la croissance. antiscorbutique, la vitamine C, considérée
La vitamine D est antirachitique, la vita­ comme la plus fragile» elle est détruite certes
mine E assure le développement du fœtus ; par l'intervention du feu, mais en milieu
la vitamine C est antiscorbutique et fac­ alcalin seulement; elle résiste à tout chauf­
teur d’équilibre ; la vitamine B2, indispensa­ fage en milieu acide puisqu’aussi bien elle
ble à l’utilisation des glucides, etc., etc. reste intacte dans les confitures d'oranges
Des recherches incessantes ont montré que et de tomates au point que ces produits les
le béri-béri, la polynévrite, le scorbut, la plus industralisés qu’ils soient, conservent
pellagre, le hikau, la xérophtalmie, le rachi­ un pouvoir antiscorbutique étonnant ! (Et
tisme, la stérilité sont des maladies d’origine l’on médira encore des oranges et des toma­
alimentaire dues à l’absence de vitamines tes !)
dans le régime. Heureusement pourtant, Ainsi donc, l’intervention du feu est pres­
l’absence d’aucune vitamine n’entraîne la que sans effet sur la stabilité vitaminique.
mort, si bien que l'on peut toujours avoir Plus décisive semble être le phénomène
l’espoir de s’en tirer par correction alimen­ d’oxydation produit aux températures nor­
taire convenable, car il nous est enseigné males. sous la simple intervention de l’oxy­
que ces précieuses vitamines sont localisées gène de l’air. C’est ainsi que sont détruites
dans les fruits et légumes crus, ainsi que par oxydation : Les vitamines A (rapide­
dans les produits animaux et humains. On ment réduites), C (rapidement détruites),
vend même, dans certaines pharmacies, des Bl.
tables de références destinées à l’usage des La vitamine C est détruite lentement par
vitamines. Vous saurez ainsi que les fruits, oxydation. Les autres sont plus résistantes.
et parmi eux la tomate et l’orange, sont les Le temps d'ailleurs semblerait jouer un rôle
plus riches en vitamines. Elles contiennent sur la fixité des vitamines, mais celles-ci
les vitamines : semblent conserver leurs pouvoirs si l’on a
Antiscorbutique ; le soin de leur éviter l’action d’agents des­
Antipellagreuse ; tructeurs ; à l’abri de l’air, la vitamine A
Les antinévrétiques (Bl, B2. B3) ; est de longue conservation, de même que la
Liposoluble A ; vitamne D en dissolution huileuse, et que la
Liposoluble E. vitamine C en milieu acide.
Une seule vitamine leur manque : la vita­ Il n’est point besoin de faire preuve d’un
mine antirachitique. (Et Carton nous affirme grand esprit crtique pour s’apercevoir que
que tomates et oranges sont des fruits démi­ la question des vitamines repose sur la plus
néralisants à rejeter !) grande fantaisie. En étudiant dans le détail
Toutes les vitamines se trouvent en grande les symptômes de carences vitaminiques spé­
majorité dans les légumes et fruits frais. ciales, on s’aperçoit qu’il n’y a pas plus de
Une seule ,1a vitamine antirachitique semble­ syndrome d’avitaminose que de syndrome de
rait faire défaut dans le règne végétal. On déminéralisation ou de dénutrition. Qu’est-
la trouve dans le lait frais et ses dérivés ce à dire ? Le béribéri, le scorbut, la polyné­
(crème, beurre très frais, fromage gras) et vrite, le rachitisme. etc..., sont guéris par
dans tous les tissus animaux ! Si donc, nous l’intervention de vitamines !
fabriquons de la vitamine D. tout comme La belle affaire ! La pratique fruitarienne
M. Jourdain faisait de la prose, il n’est nous apprend que toute dégénérescence est
point besoin de devenir carnivore pour plé- de même atténuée et guérie par la consom­
thoriser notre organisme par surcharge de mation de l’aliment normal qu’est le fruit.
vitamine D. Pourquoi isoler le scorbut, la pellagre, le hi­
Comment se comportent ces principes vi- kau et autre béribéri des maladies ordinaires
talisants vis-à-vis des températures élevées ? engendrées par le camivorisme ? La tuber­
L’expérience nous prouve que ces énergies culose, le cancer, la syphilis sont produits
impondérables sont, dans l’ensemble, d’une par erreur alimentaire tout comme la xéro­
résistance remarquable à la chaleur : phtalmie ou le rachitisme et tout comme la
Les vitamines A, E. B2, P. (c’est-à-dire xérophtalmie ou le rachitisme elles sont
5 vitamines sur huit) résistent à des tem- curables par correction alimentaire et retour
12 La Technique Freinet

à la pratique fruitarienne. Point n’est besoin d’orange ou la salade verte !


de nous torturer les méninges pour établir Si les fruits sont les aliments les plus
des menus convenablement vitaminés, en largement vitalisés, tant mieux pour nous,
«équilibrant». Dieu sait au prix de quels mangeons des fruits, même si les divinités
calculs !, le veau rôti, le hareng grillé, la vitamines ne devaient être que la survi­
cervelle de porc, le beurre frais, le jus vance d’un ancestral paganisme !

Le Naturisme et les récentes


découvertes biologiques
Bien que le plaidoyer en faveur du frugi- Ces cultures vivantes ont permis de faire
vorisme ne soit plus à faire, puisqu’aussi deux constatations que nous jugeons exces­
bien les découvertes scientifiques confèrent sivement importantes :
aux principes vivants du fruit vitaminé, mi­ 1º Dans un milieu trop riche en matières
néralisé, une supériorité établie, les apôtres nutritives, c’est-à-dire dans un milieu plé­
de l’omnivorisme ne sont pas à bout d’argu­ thorique, la multiplication des cellules est
ments pour justifier leur cause. Et d’abord trop intense, et « celles-ci perdent plus ou
ils vous disent avec bonhomie : moins les caractères spéciaux qui les mar­
— Regardez-les, ces mangeurs de racines ! quaient comme cellules d’un tissu ou d’un
C’est maigre ! péchère ! Ni devant, ni der­ organe déterminé, à tel point que l’on a
rière et des appétits de carême ! Chez nous, cru qu’elles se dédifférenciaient, c’est-à-dire
au moins, on a du poids, des formes et des devenaient des cellules banales qui ne gar­
couleurs... , daient plus de traces de leur histoire de cel­
S’il est exact, en effet, que l’on trouve lules de foie, ou d’os, ou d’épiderme... »
dans la gent naturiste beaucoup trop de Mais heureusement il n’en est rien, car
« ligne », il est, hélas ! encore plus exact « si ces mêmes cellules sont mises dans
que l’on trouve chez les carnivores beaucoup d’autres conditions », si le milieu est moins
trop de rondeurs ! Nous savons que le rêve riche en matières nutritives, si les cellules
n’est ni la forme trop débordante, ni le pro­ sont « mal nourries, elles reprennent leur
fil trop exigu, mais peut-être, s’il nous fallait aspect et leur activité de cellules osseuses,
choisir entre deux maux, nous choisirions hépathiques, etc. »
le moindre, c’est-à-dire la maigreur. Là-des­ Qu’est-ce à dire? Sinon qu’un milieu plé-
sus, les récentes découvertes de la biologie thorisé détruit les caractéristiques de la cel­
nous donnent raison : lule. la fait proliférer au-delà de ses possi­
On sait que l’on peut réaliser des cultures bilités instinctives et l’abâtardit.
de tissus, fragments d’organes que l’on con­ Mieux vaut une cellule mal nourrie qu’une
serve dans des milieux nutritifs à la condi­ cellule trop nourrie.
tion de les débarrasser très régulièrement 2° La culture artificielle de ces tissus en
de leurs déchets de désassimilation. laboratoire a permis de faire une autre
« Il y a 25 ans, dit Prenant (1), Cartel constatation essentielle : un fragment d’or­
découvrit le moyen de réaliser une véritable gane vit plus longtemps que s’il faisait par­
culture de tissus, avec survie illimitée et tie intégrante de l’animal vivant, mais tout
accroissement, c’est-à-dire avec multiplica­ espoir de le conserver est perdu le jour où
tion de cellules. On conserve, depuis lors, des globules graisseux apparaissent dans les
certaines de ses premières cultures issues cellules. La graisse est un signe manifeste
d’embryons de poulets qui, si on ne les avait de dégénérescence.
tués, seraient en tous cas aujourd’hui morts
de vieillesse. » La pratique clinique, d’ailleurs, prouve
cette réalité. Un malade maigre, même très
(I) Marxisme et biologie. Editions Sociales In­ maigre, a des résistances beaucoup plus
ternationales. grandes à la maladie qu’une personne char­
La Technique Freinet 13’

gée en matière graisseuse et beaucoup moins preuves ne peut être valable parce qu’elle a
atteinte. La maladie peut miner progressi­ contre elle les droits de la logique et de
vement un organisme taré et amaigri, elle l’expérience
terrasse toujours en coup de massue l’orga­ Essayons de poser plus dialectiquement le
nisme pléthorique. problème de la santé.
En chirurgie, les praticiens redoutent tou­ Le fait essentiel est que la matière orga­
jours les malades dont les chairs sont péné­ nique participe tout comme l’Univers à des
trées de graisse. Leurs sutures sont laborieu­ changements successifs. Ces changements-
ses, purulentes et souvent impossibles. Les sont tout d’abord :
opérés maigres, au contraire, réalisent des 1°) Conditionnés par le milieu. Ainsi, le
cicatrisations parfaites, rapides sans risques topinambour cultivé en montagne est sans-
d’éventrations. Le muscle pur conserve à la feuille et s’étale sur le sol; dans la vallée, au
cellule toutes ses propriétés plastiques et contraire, il possède une tige dressée et
vivantes. feuillue. Les moutons d’une même espèce
Des formes ? Sans doute, modelées par un pâturant en Ohio ou au Texas ont des lai­
exercice quotidien, en un tissu maître de sa nes de qualités différentes. L’hermine des
destinée. Des rondeurs ? non. Mieux vaut la régions Scandinaves est blanche l’hiver et
jambe maigre du chamois de montagne que rousse l’été. « De même que l’eau, sans chan­
la cuisse informe et croulante du porc de ger de composition, peut prendre des aspects-
Noël et mieux vaut la maigreur, même exces­ différents selon les conditions de tempéra­
sive à l’académie débordante des pléthorés ture, les animaux, les végétaux sont poly­
carnivores. morphes selon les conditions de milieu » (1).
2° Ces changements semblent dépendre-
Hors les vedettes d’Hollywood, l’opinion aussi d’interractions matérielles dans l’orga­
vulgaire se fait un type de l’homme et de nisme. On a démontré expérimentalement-
la femme qui ne correspond pas exactement que des sécrétions internes appelées hormo­
au canon de la forme classique. Il faut que nes, déversées dans le sang, exerçaient sur
le squelette soit noyé dans un avantageux le métabolisme et sur la forme de l’orga­
tissu graisseux pour qu’une académie soit nisme une influence caractérisée. Ainsi, c’est,
décrétée normale. paraît-il, une hormone secrétée par le pan­
Il n’en est pourtant rien. Le parfait créas qui règle la sécrétion du foie en ce
athlète n’est point gras et son squelette im­ qui concerne le taux du sucre dans le sang.
peccable transparaît sous le muscle élégant. Une poule privée d’ovaires et traitée par
Nous ne voulons pas dire que tous les natu­ des hormones sexuelles mâles, prend l’allure-
ristes sont des athlètes parfaits. Reconnais­ du coq, des ergots, une crête et la voix clai­
sons, au contraire, que la proportion d’orga­ ronnante.
nismes tarés est ici en proportions assez Laquelle de ces deux influences semble être
grandes. Mais reconnaissons, en retour, que la plus décisive; l’influence du milieu ou celle
ces organismes débiles ne sont point de ceux des interractions organiques? A notre hum­
qui encombrent les sanas et les hôpitaux. ble avis, il nous paraît que ce doivent être-
Le naturiste malade vit sa vie, travaille, pro­ les influences du milieu qui, à l’aube de la
duit et n’est-ce pas déjà un miracle que vie et avant même que les organismes aient
l’être condamné par la Faculté et dont les leur synthèse parfaite, ont pesé sur la ma­
perspectives de vie n’étaient qu’une lamen­ tière subtile pour l’animer.
table dégénérescence, se retrouve au moins S’il est exact que des expériences de labo­
aussi normal que ceux qui prétendent lui ratoire soient susceptibles d’établir des lois,
donner des leçons de santé ? il est manifeste aussi que le laboratoire est
Si l’on devient naturiste d’ailleurs, c’est en un grand assassin de vie.
général parce qu’il n’était plus possible de L’on démontre que la poule amputée de
rester carnivore et pourquoi ne point vouloir ses ovaires et traitée par des hormones mâ­
admettre que celui qui fit l’expérience des les tend à prendre l’aspect extérieur du coq.
méfaits de l’omnivorisme et des avantages Mais pourquoi lui enlever les ovaires puis­
du fruitarisme n’en tire pas les conclusions? qu’elle naît avec? Et pourquoi lui injecter
Deux expériences valent mieux qu’une. des hormones de coq puisqu’elle vit de grai­
Quand la Faculté aura scientifiquement nes ? La poule est née poule et le coq est
réalisé une tentative végétarienne, elle pour­
ra, en toute connaissance de cause, en pro­ (1) Paul Brieu : Signification biologique de
clamer les méfaits. Une condamnation sans l'Education.
l4_____________ La Technique Freinet

né coq. avec une organisation interne et un l'a conservée avec les fluctuations heureuses
comportement instinctif répondant à des ou malheureuses des conditions favorables
lois naturelles. Poussant la fantaisie de l’ex­ ou péjoratives.
périence plus loin (et Dieu sait que les chi­ « Il y a, dit Marx, une loi de la nécessité
rurgiens de la vivisection en sont capables!) que l’on ne saurait dépasser », et c’est con­
qu’arriverait-il si sur le cou de la poule déca­ trecarrer la nécessité que de substituer à la
pitée la chirurgie assez habile greffait une vie triomphale, la vie abâtardie des labora­
tête de crapaud ? Quelles lois sur l’instinct, toires où les poules sans ovaire absorbent les
les réflexes ou l’intelligence des bêtes ne hormones du coq qui semblaient destinées à
tirerait-on pas d’une telle réussite ! prendre une toute autre voie.
On connaît le procédé : détruire la syn­ Dès lors, le génie de l’homme consiste :
thèse naturelle initiale et, partant des restes 1° A déterminer scientifiquement dans le
de cette synthèse et de l’intervention de fac­ milieu naturel les conditions propices à la
teurs extérieurs et fantaisistes, tirer des vie.
conséquences qui ne correspondent nulle­ 2» Connaissant ces conditions propices, à
ment à la réalité antérieure. L’expérience modifier le milieu insalubre dans le sens fa.
abracadabrante n’est plus une expérience vorable.
scientifique même si elle se passe dans le Ainsi se réaliseraient les prévisions de
laboratoire et vraiment il n’y a pas de raison Marx vis à vis de la destinée de l’homme et
pour que l’homme substitue son génie gro­ que le professeur Prenant résume en ceci :
tesque aux fatalités naturelles qui ont fait L’homme est un animal qui a conquis dans
éclore la vie organisée, durable et transmis­ la Nature une place maîtresse par son tra­
sible, la vie qui, à l’instant où elle explose, vail. Grâce à ce travail, il jouit vis à vis du
délivre le miracle de la sensibiité harmo­ monde, d’une certaine liberté non pour agir
nieuse. arbitrairement, mais pour s’orienter selon
Pour nous, le facteur milieu nous paraît les lois naturelles. Dans la mesure où ces
avoir une action éternelle sur la vie et les lois naturelles sont connues et utilisées dans
lois biologiques. C’est lui qui l’a déterminée cette mesure exactement, l’homme et la
parce qu’il lui fut antérieur, c’est lui qui société humaine sont libres.

Le milieu social capitaliste


est défavorable à l’homme
Et maintenant, essayons de déterminer à les métros, les tramways ; habitations insa­
quelles nécessités de milieu, l’homme du lubres, manque d’air, de lumière, de repos ;
20e siècle est soumis, et si ces conditions lui vie précipitée et tapageuse; abrutissement
sont toutes éminemment salutaires : des spectacles, de la presse; tout concourt à
On a dit et répété que notre époque est faire de 1'homme actuel un être affolé, su­
l’époque de la machine. Ce n’est pas forcé­ rexcité, dépravé et dont les désirs sans cesse
ment un mal. car la machine en elle-même se ramènent aux besoins immédiats de l’a­
est certainement la gloire de l’intelligence mour et de la nourriture.
humaine. Le mal vient non de la machine, Faisons-nous grâce du problème de l’amour
mais de l’usage qu’on en fait. Nul doute dont la prostitution à grande échelle a pour-
que le capitalisme en fasse un mauvais usa­ tant des répercussions si désastreuses sur la
ge, car elle apparaît entre ses mains comme santé qui nous occupe et donnons au facteur
le plus formidable instrument de profit et nourriture tout le poids qui lui revient.
d'exploitation. Dans les villes modernes, L’homme, en fait, travaille surtout, pour
l'homme est l’esclave du machinisme irra­ manger : manger à sa faim d’abord ; man­
tionnel : Conditions cruelles de l’usine, de ger le mieux possible ensuite.
l’atelier, entassements dans les immeubles, Et qu’entend-on par manger à sa faim ?
La Technique Freinet 15

C’est, à l'ordinaire, satisfaire un instinct L’opéré reste un mutilé ; le typhoïdique


exaspéré par tous les excitants que dispen­ un aspirant perpétuel à la neurasthénie ; le
sent la tabagie, le café, le bistrot et qui pulmonaire un candidat à la tuberculose.
transforment l’appétit en voracité insatiable. Les résultats sont à ce point décevants que
On est obsédé de nourriture et les plus l’on se demande s'ils auraient été pires en
grandes victoires consistent dans la majorité laissant agir, sans intervention arbitraire,
des cas en goinfreries savamment calculées ce qu’Hypocrate appelait : la Nature médi­
dont les conséquences ne se font hélas ! pas catrice.
attendre.
Nous avons montré les dangers de l’omni- Erreurs de la Médecine classique
vorisme : surcharge azotée des repas où les
viandes, les fromages, les entremets aux œufs Il apparaît que là-dessus les praticiens
déterminent les plats de résistance ; mélan­ eux-mêmes ne se font pas grande illusion ;
ges arbitraires d’aliments concentrés dan­ « Erigeant en principe leur indifférence
gereux (dont les graisses et les sucres), toxi­ thérapeutique, dit le Dr Allendy (1). les mé­
ques divers des aliments commercialisés, decins officiels ont tacitement décidé de se
excitants des condiments tout concourt à borner au rôle d’experts capables de donner
charger le sang en excès nutritifs, déchets un avis sur la nature des lésions anatomi­
toxiques et à surexciter le système nerveux ques qu’on trouverait à l’autopsie, la place
à bout de résistance. exacte de la manifestation morbide dans la
Le résultat de telles pratiques, ce sont les nosographie admise... La thérapeutique
foules tarées qui envahissent les hôpitaux et n’est enfin qu’une concession faite à l’at­
les maisons de santé. Jamais le commerce tente du client. Beaucoup constatant la va­
médical ne fut aussi prospère ; l’on retient nité des moyens dont ils disposent et l’inef­
à 1'avance son tour « au billard » ou à sa ficacité de leurs prescriptions, en concluant
chambre de torture, heureux d’être parmi qu’il n’existe pas de méthode pour guérir
les favorisés et de verser des tarifs prohibi­ et ne tardent pas à mépriser comme indigne
tifs. d’eux ce qui devrait être l’idéal suprême
Mais, du moins, en retour de ces débours de la médicine. »
exhorbitants, reconquiert-on la santé dans En général, les docteurs s’étonnent eux-
ces salles blanches à l’atmosphère désespé­ mêmes des succès de leurs cures et s’émer­
rante et sans humanité ? veillent sans réserves devant les possibilités
Il est un fait depuis longtemps établi, de la Nature.
c’est qu’ici, la science toute puissante n’a de Constatant en leur état d’esprit cette con­
compte à rendre à personne. Même si tout fiance en la Nature, on est étonné de leur
se termine par la dernière note du cercueil, voir pratiquer une thérapeutique aussi arbi­
le malade ou les héritiers n’ont, dans l’aven­ traire et brutale sans essayer de tenir compte
ture, aucun droit de critique, les honoraires de ces possibilités réactionnelles de l’orga­
étant proportionnels au nombre des visites nisme.
et point à leur qualité. Dans son ouvrage remarquable, « Essai
Il serait certainement exagéré de dire que sur la guérison », le Dr Allendy dont la per­
tous ceux qui franchissent le seuil de l’hô­ sonnalité médicale est empreinte de tant de
pital en sortent morts. On ne meurt logique et d’intelligence, situe avec une to­
pas toujours à l’hôpital, on en sort même tale compréhension, l’œuvre médicale.
très souvent heureux et content. « Quand on passe en revue toute la thé­
Mais heureux et content surtout de qui- rapeutique courante, on s’aperçoit qu’éga­
ter ces lieux de désolation où les minutes rée par l’idée de la maladie locale ou par
sont comptées une à une dans la solitude la croyance à l’étiologie suffisante par le
des détresses personnelles. Et qu’advient-il de microbe, elle se borne à être presque tou­
la santé ? Ma foi, c’est toujours chez soi, en jours simplement palliative, dirigée non
famille, que l’on se remet de ce mauvais contre l’entité morbide qui est dynamique,
passage. On dit, en général, qu’une opéra­ centrale, générale, mais contre tel ou tel
tion a réussi quant on n’en est pas mort... symptôme gênant. Elle se borne à supprimer
Ce que l’on sait pourtant, c’est que les gran­ la douleur par les narcotiques, à inhiber les
des épreuves de l’hôpital laissent toujours diarrhées en paralysant l’intestin par l'o­
ceux qui en ont triomphé dans une grave
fragilité organique, un état de santé dimi­ (1) Essai sur la guérison, Denoël et Stecle,
nué. Paris.
16 La Technique Freinet

pium, à irriter le colon constipé par des concerne la vaccination antituberculeuse, les
drastiques. Elle lutte contre l’insomnie par accidents ne se comptent plus, tant ils sont
des soporifiques, contre l’anorexie par les légion et les événements de Lubeck ont heu­
amers qui brûlent la muqueuse gastrique et reusement ouvert les yeux à beaucoup de
requièrent des substances neutres pour les gens.
diluer. La plus absurde invention est peut- On finit par considérer la vaccination
être l’emploi des antithermiques, comme si comme un tabou légal, exigé dans les écoles
l’hyperthermie était une maladie et non et les administrations, à tel point que par­
une réaction de défense... C’est parce qu’on tout on la subit sans aucun sens critique.
a une vision trop rétrécie de la maladie Nombreux sont pourtant les usagers qui
qu’on tombe dans l’erreur palliative. » protestent contre cet état de fait et nom­
Faire de l’agent microbien la cause essen­ breux sont les praticiens qui, à l’heure ac­
tielle de détermination morbide, alors qu’il tuelle, s’insurgent contre de tels procédés.
n’en est que la conséquence, c’est commet­ Le grand reproche que font à la vacci­
tre peut-être la plus lourde faute dans le nation les docteurs naturistes, c’est de rui­
traitement curatif. ner l’immunité native de l’organisme.
« La grande erreur, dit Carton (2), c’est « Les vaccinations multiples dont la rage
d’avoir cru à l’exclusivité des agents micro­ sévit à l’heure actuelle en médecine infan­
biens et d’avoir négligé à la suite des dé­ tile, dit Carton, constituent un danger pour
couvertes pasteuriennes le facteur principal la résistance future de l’enfant et de la
de la santé : l’état de résistance et d’immu­ race. En effet, toute injection d’un poison
nité naturelle du terrain, de l’organisme hu­ microbien ou. d’une albumine hétérogène ap­
main. » porte une tare humorale, désorganise la
Or, que prouvent les expériences de Pas­ spécificité individuelle, salit le sang, fatigue
teur, antérieures à la pratique des vaccins ? les émonctoires et prépare des épuisements
Elles prouvent essentiellement que le terrain et des transformations morbides plus graves
est tout et que ce n’est qu’à la faveur d’un que celles que l’on supprime artificiellement.»
terrain taré que le microbe s’installe et pro­ Et c’est, en effet, la séquelle des accidents
lifère. morbides consécutifs aux vaccinations pré­
Redonner au terrain sa pureté, c’est-à-dire ventives que le Dr Allendy dénonce : (1)
son immunité naturelle, tel apparaît être « Les vaccinations préventives, pratiquées
d’abord la première tentative qui sera la systématiquement comportent le maigre
gloire de l’Ecole Naturiste. avantage d’être préservé, si tant est que
Agir sur le microbe par les pratiques de la vaccination soit parfaitement efficace,
la sérothérapie, c’est agir avec autant d’in­ pendant un temps donné, d’une maladie
telligence que de proposer des gobe-mouches dont on n’aurait eu que peu de chances
dans les cuisines malpropres où les restes d’être atteint... Par contre, c’est un terrible
alimentaires, les relents, la crasse entretien­ inconvénient que d’être, par cette vaccina­
nent, malgré tous les palliatifs possibles, tion. prédisposé à une autre affection plus
des nuées d’insectes. chronique, donc plus mortelle... »
On allèguera que le vaccin détermine dans Il ne fait aucun doute que, malgré les
l’organisme une immunité au microbe et que vaccinations intempestives, le nombre de
l’expérience montre que les vaccins préven­ maladies augmente dans des proportions in­
tifs ont diminué dans de très grandes pro­ quiétantes. La responsabilité des vaccins en­
portions le nombre des contaminés. tre-t-elle en ligne de compte ? C’est l’opinion
Est-ce vraiment très exact? En ce qui du Dr Héricourt :
concerne la diphtérie, par exemple, les faits « Les méfaits causés par la vaccination
ne semblent pas donner raison aux préten­ antityphoïdique consistent en réactivations
tions médicales. Car jamais les cas de diph­ d’infections chroniques entrées dans l’état
térie n’ont été aussi fréquents et aussi aigus de sommeil et en aggravation de troubles
que depuis ces dernières années où la vac­ liés à des insuffisances organiques chez les
cination antidiphtérique est obligatoire. Pour cardiaques, les rénaux, les hépatiques... La
notre part, nous avons vu des enfants vac­ conclusion rigoureuse à déduire de ces ob­
cinés prendre la diphtérie et en mourir servations, c’est que les vaccinations peu­
malgré une seconde vaccination. Pour ce qui vent provoquer des modifications du terrain

(2) Traitements naturistes pratiques. Maloine. (1) Essai sur la guérison. Dr Allendy, Denoël
éditeur. et Steele, Paris
La Technique Freinet

organique se traduisant par un fléchissement 6 mois. On n’a publié depuis 20 ans, dit Car­
de ses dépenses normales c’est-à-dire, en ton, que 7 cas de diphtérie avant l’âge de
réalité, par la creation d’aptitudes morbi­ 2 mois...
des nouvelles... Dans les 25 dernières années, De cela il ressort que l’enfant au sein est
nous avons vu naître deux nouvelles mala­ peu vulnérable aux épidémies et la raison en
dies : la méningite cérébro-spinale et l’en­ est dans le régime alimentaire approprié. Au
céphalite léthargique...», la polyomiélithe et sevrage commencent les erreurs de régime
le pourcentage impressionnant de maladies qui vicient le sang et les humeurs et dé-
mentales. clenchent l’infection organique. En un mot,
Il apparaît d’ailleurs que le problème de la maladie vient à la suite des erreurs du
la contagion n’ait pas été posé sous un as­ milieu alimentaire.
pect vraiment scientifique. De bonnes rai­ Et dès lors, le problème de la santé se
sons semblent postuler contre l'idée de la pose de façon très simple en dehors de la
contagion par simple transmission d’agents Faculté et de ses vaccins, de ses rayons plus
pathogènes. Il y a surtout des conditions ou moins X.... puisqu’il se résoud en un
de milieu qui déclanchent des maladies gé­ milieu alimentaire convenable.
néralisées. Nul doute que le froid et les Nous avons donné toutes les raisons qui
goinfreries de Noël prédisposent à la grippe; nous faisaient postuler pour un régime frui-
que l’eau souillée, l’alimentation échauf­ tarien ; nous y ajouterons le poids de notre
fante, la canicule ne déclenchent des con­ expérience personnelle qui s’échelonne sur
gestions intestinales dont la typhoïde est dix ans de pratique et qui se généralise
l'appellation générale. La contagion apparaît quotidiennement sur quelque cinquante en­
en somme comme le résultat de deux ca­ fants, venus de tous les milieux et chargés
rences combinées : carence du milieu et flé­ d’hérédités différentes.
chissement des immunités naturelles. Et notre conclusion sera celle-ci :
Il est possible de réparer ce fâcheux con­ La vie est un phénomène banal et simple.
tretemps. Et tout d’abord il faut admettre Il n’est pas difficile de vivre. Cela ne de­
que l’immunité est une propriété de la cel­ mande aucun génie puisque la taupe la plus
lule normale. La preuve en est que les nour­ obtuse, la linote la plus écervelée s’en tirent
rissons sont rebelles aux maladies infectieu­ de façon remarquable. Mais à défaut de
ses à leur naissance et ont peu de risques génie, cela demande tout au moins le cou­
de les contracter pendant la première an­ rage de renoncer à des habitudes, à des
née de leur vie, c’est-à-dire pendant l’allai­ plaisirs incontrôlés, à un conformisme facile
tement. et le simple désir de faire honneur à l’in­
telligence humaine et à son bon sens. A
Des enquêtes ont montré que la fièvre tout prendre, l’homme qui joue avec la ma­
typhoïde est exceptionnelle avant deux ans; ladie jusqu’au jour où il en est la victime,
que la tuberculose est toujours négative à n’est pas tellement malin.
la naissance et ne donne à 1 an que 12 % Mais si le génie s’allie à la santé, de quel­
de résultats positifs. La scarlatine est exces­ les conquêtes ne sera-t-il pas capable pour
sivement rare après 6 mois. Une mère scar­ faire de celui qui marche droit, l’être vrai­
latineuse peut même nourrir son enfant ment le plus privilégié du monde parce que
sans le contaminer. La coqueluche est ex­ le plus uniformément heureux.
ceptionnelle avant 6 mois ; la rougeole est
rare avant 1 an. La diphtérie est rare à Elise FREINET.

A paraître prochainement :
Elise Freinet : La santé de l'enfant
Editions de l’imprimerie à l’Ecole
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POUR
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