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Voie du Milieu

Fang Song 放松 - Détendre et relaxer l'esprit et le corps


Fang Song et le travail interne du Taiji Quan

FANG SONG

Ce texte est une traduction et une adaptation du texte original écrit par Maître
Yang Cheng Long en décembre 1999. Par Fabian Cretton, Octobre 2015.

1) Qu’est-ce que Fang Song ?


Pour comprendre correctement Fang Song, on peut commencer par le concept de “se
reposer”, dans la vie quotidienne. Même s’il ne s’agit pas d’une action précise,
c’est une notion très importante dans la vie de tous les jours. Pour les
travailleurs stressés, le repos consiste en général à faire un arrêt de travail
pour une autre activité comme écouter de la musique, regarder la télévision,
prendre des vacances, s'amuser ou encore dormir. On ne peut pas nier que ce genre
de repos joue un très grand rôle. Mais ces activités ne sont pas le repos ou la
détente optimale. En accord avec la compréhension scientifique, Fang Song consiste
à stopper momentanément le train des pensées, et à n'utiliser qu'une seule pensée
pour détendre simultanément tous les tissus de l’ensemble du corps (toutes les
articulations, muscles, etc.). Seule la combinaison simultanée de ces deux états
permet de réaliser le véritable Fang Song du Taiji Quan.

2) Pour quelles raisons Fang Song est primordial pour le travail interne du Taiji
Quan
Il ne faut pas confondre Fang Song et “mou”. Lorsqu'on est endormi, notre corps est
“mou”, mais il ne s’agit pas du vrai Fang Song. Le Fang Song du Taiji Quan
s'obtient en stoppant momentanément la réflexion pour entrer dans un état où l'on
utilise aussi peu de force que possible pour atteindre le plus haut niveau de
détente, de décontraction/douceur (sembler ne pas avoir de squelette dur), mais
aussi de sensibilité et d’agilité.
Le niveau le plus élevé dans le Taiji Quan est un état d’extrême légèreté et
sensibilité, un état de vide mental et physique : le Vide/Rien (空无所有 kōng wú
suǒyǒu). Cet état d’extrême légèreté et habileté nécessite le plus haut degré de
Fang Song. Ce n'est qu'en utilisant fortement la conscience du corps (意识 yìshí)
que l'on peut commencer par utiliser peu de force, puis s'entraîner à utiliser de
moins en moins de force, jusqu’à être le plus détendu possible. Finalement, comme
pour tout apprentissage, ce savoir-faire devient inconscient et on n’utilise même
plus la pensée pour entrer dans cet état, on est sans effort dans le Vide/Rien.
Il est écrit dans le manuel de boxe :
“Pour émettre l'énergie il faut être totalement décontracté et calme, ne prêter
attention qu'à une seule chose.”
Ceci signifie bien totalement décontracté, sans une trace de tension. La moindre
tension, dans le corps partiellement relâché, empêche d'entrer dans l'état de
Vide/Rien.
Pourtant, c’est seulement dans cet état interne qu’on réalise le “tout pouvoir
conquérir” des arts martiaux internes.

3) Fang Song améliore la vitesse et la puissance.


Fang Song consiste à étirer dans la détente (舒展 shūzhǎn)
On pourrait se moquer de l'efficacité martiale en étant complètement décontracté.
Peut-il encore y avoir de la puissance ?
La vitesse et la force de frappe se développent au changement d’état des muscles,
de leur décontraction à leur contraction.
La capacité de contraction est déterminée par la capacité de décontraction.
Par conséquent la capacité de contraction sera décuplée si l’on améliore la
capacité de décontraction, et ainsi le seront la vitesse et la puissance.

4) Comment connaître la nature de Fang Song dans le Taiji Quan ?


Il faut donc commencer par la notion de “léger et agile”.
En pratiquant la forme, il est nécessaire de développer un ressenti profond de
légèreté et d’agilité.
Un moyen de le faire est d’utiliser la résistance de l’air. Lorsqu’on bouge les
mains et les bras, ou même le corps, on peut développer le ressenti du frottement
de l’air.
Ainsi, la pratique de la forme de Taiji Quan permet d’améliorer notre capacité de
“légèreté” sur le point de contact avec un opposant lors de l’échange martial, et
même de développer notre savoir-faire pour transformer l’énergie (dissoudre la
force que l’adversaire cherche à émettre sur nous).

La première phrase du Taiji Quan Lun, attribué à Zhang San Feng, le dit
clairement :
“Dès l'entrée en mouvement, chaque partie du corps doit être légère et agile”.
C’est donc un standard fondamental pour la pratique Taiji Quan. En partant de
“léger et agile”, on peut créer l’état de Fang Song. Attention à ne pas faire
fausse route et se perdre dans les techniques du Taiji Quan (comme Peng/Lu/Ji/An,
ou encore travail à deux trop technique lors du Dalu, du TuiShou, etc.). De la même
manière, les autres arts martiaux développent une grande habileté, mais on y donne
de l’importance à la force brute et à l'agilité technique, plutôt qu’à l’agilité
légère et minutieuse.
Légèreté et agilité sont les points fondamentaux du Taiji Quan. Et ce n’est qu’à
partir de l’esprit et de la conscience que l’on peut développer ce ressenti et cet
état de sensibilité.
Si l’on s’éloigne de la légèreté et de l’agilité, il n’est pas possible de bien
étudier le Taiji Quan.

5) Le Taiji Quan est un des meilleurs arts martiaux pour entraîner le travail
interne.
Le Taiji Quan n’est pas un entraînement démonstratif.
Ce n’est pas une habileté externe (comme des techniques de bras ou de corps ou
encore de la souplesse).
C'est un travail interne où l’on donne de l’importance à l’esprit (精神 jīngshén),
la conscience (意识 yìshí) et l’énergie interne (内气 nèi qì), tous trois appliqués à
l'ensemble du corps.
On ne privilégie pas le mouvement lui-même, mais l’essence du mouvement.
On développe alors un mouvement de qualité, car il est unifié et harmonisé sur
l’ensemble du corps, pour rejoindre ainsi le Tao (lui-même symbole d’unité : le
Un).
Privilégier le contenu et alléger l’apparence, c’est la connaissance de choses
profondes et abstraites.
Bouger lentement et sans force, calmement et d’une seule pensée, simplement et sans
ornement.
À l’intérieur les choses changent de mille manières, et on ne peut pas le
comprendre juste en regardant.
Si les gens qui regardent applaudissent et crient bravo, il y a de fortes chances
pour que le travail interne ne soit pas très développé, au profit du travail plus
externe (le mouvement lui-même, la souplesse, la technique, etc.).

Le livre “Les chansons des fonctions du corps” (周身大用歌) dit :


“Premièrement le cœur est agile et l’esprit calme, par conséquent, on est
naturellement sensible et agile.
Deuxièmement le Qi circule dans tout le corps, il doit être continu et sans
interruption.
Troisièmement la tête est stable et il faut demander à apprendre de tous les héros
du monde (des grands maîtres).”
Ce livre décrit clairement que durant la pratique du Taiji Quan, la pensée est
concentrée, le souffle sans secousse, le sommet de la tête comme suspendu dans
l’air.
Ces idées sont relativement connues.
Par contre, et c’est moins bien compris même de nos jours, il faut donner de
l’importance à l’unité de la pensée et du mouvement (la conscience, le Yi, atteint
toutes les parties du corps, et ainsi tout bouge ou rien ne bouge : le Qi circule
alors dans l’ensemble du corps), l’uniformité et l'harmonie de la pensée et du
mouvement (la conscience est uniformément répartie dans l’ensemble du corps dont
toutes les articulations bougent à la même vitesse et même amplitude, au même
moment : le Qi circule dans tout le corps, de manière harmonieuse et équilibrée).
Cet état est entretenu sans interruption. Lle Yi maintient cet état dans le temps
et la durée, sans coupure, et ceci peu importe les facteurs externes ou si l'on
pratique avec un partenaire.
Il est à noter que, contrairement au FangSong, ces éléments-là peuvent se voir, et
force est de constater qu’ils sont rarement entraînés.
Ces caractéristiques montrent que le Taiji Quan fait entraîner complètement
l’esprit, le Qi, les tendons, les os, la peau, tous les tissus. Pour l’entraînement
du travail interne, c’est l’un des meilleurs arts martiaux.

6) Méthode spécifique d’exécuter Fang Song


Choisir un endroit calme, propre, sec, à l’abri du vent. A l’intérieur cela
convient aussi. Etre calme, à l’aise (porter des vêtements confortables), se tenir
debout, les yeux clos ou mi-clos, la respiration naturelle, tout le corps aussi
détendu que possible.
Alors, dans le calme, utiliser la pensée pour guider la conscience du sommet de la
tête (BaiHui) vers le bas et détendre petit à petit tous les muscles du corps:
visage, cou, épaules, bras et avant-bras, paumes, doigts, poitrine, dos, côtes,
taille, abdomen, fesses, cuisses, mollets, orteils, plantes des pieds. Lentement,
un par un, complètement détendu, jusqu’au point YongQuan (ceci est une liste
d'exemple, non exhaustive, et plus on pratique, plus l'on est capable d’aller dans
le détail avec un vrai ressenti lié à chaque partie du corps). On est alors dans un
état où l’on tient la posture en utilisant le moins de force possible.

Cette même méthode, décrite ci-dessus au niveau des muscles, est aussi utilisée
pour détendre au niveau des organes, des tissus conjonctifs et des méridiens, ou
encore des os. Ceci de la même manière, en travaillant minutieusement de BaiHui à
YongQuan pour chaque type de tissus.

Il s’agit ici d’un travail particulier qui s’exécute dans le calme, sans bouger
(non pas durant la pratique de la forme de Taiji Quan).

7) Travail interne lors de la pratique de la forme


Lors de l'entraînement du Taiji Quan, il est très tentant de se concentrer sur la
manière d’exécuter le mouvement, les gestes d’attaque et de défense, ou simplement
se sentir bien et calme, plutôt détendu.
Ou dans le travail à deux, on peut se concentrer sur le partenaire, sur la
direction des énergies et leur utilisation.
Dans ces approches il manque le retour sur soi, le vide et l’habileté des énergies
internes du Taiji Quan.
Ne prêter attention qu’aux énergies d’échange entre partenaires ou aux mouvements
externes, c’est passer à côté du travail interne. Finalement, on ne pratique pas de
manière optimale, et l’entraînement devient plutôt une gymnastique ou un art
martial relativement externe.
Cette manière de pratiquer, bien qu’elle permette déjà d’obtenir des bénéfices très
intéressants, ne touche pas vraiment au cœur du Taiji Quan. C’est dommage.

LaoZi dit dans le DaoDeJing :


“le ciel s’unifie et est clair, la terre s’unifie et est calme”.
Le Taiji Quan contient énormément d’aspects, mais il y a une importance
fondamentale de l’unité, revenir au Tao, revenir au caractère «un» chinois. Pour le
faire il faut donc unifier minutieusement le mouvement. Il dit encore “toutes les
choses sur terre sont nées de l'être, et l'être est né du non-être, finalement il y
a le retour au Vide/Rien”.
Il est facile d’entraîner le plein (être, substantiel), c’est donc ce que l’on fait
si l’on reste au niveau du mouvement, de la technique, d’une position bien
“structurée”, d’une détente en recherche de lourdeur (on semble difficile à
bouger), voir encore d’un peng bien “plein” mais plutôt grossier.
Comment efficacement entraîner le vide (non-être, insubstantiel), c’est encore peu
compris.
Et justement, pour entraîner le vide, il faut améliorer l’essence du mouvement (nos
capacités motrices et le ressenti) et commencer par appréhender la légèreté et
l’agilité, bouger avec un geste extrêmement bien harmonisé et distribué (vitesse et
amplitude), hautement unifié (tout bouge ou rien), profondément relaxé et enraciné
(si on se détend, le Qi descend, on s’enracine). On peut alors atteindre un haut
niveau de légèreté et sensibilité, développer une minutieuse coordination, ce qui
permet de créer les liens profonds entre la pensée et le corps ainsi que des liens
entre toutes les parties du corps. Il est alors possible de développer le FangSong
et de détendre d’une seule pensée l’ensemble du corps, pour finalement entrer dans
le Vide/Rien. Il ne s’agit pas ici de belles paroles ou d’une description “imagée”,
mais d’un vrai savoir-faire que l’on peut ressentir lorsque l’on pose nos mains sur
un maître en la matière.

De manière pratique, étant donné que l’être humain ne peut penser consciemment qu’à
une seule chose à la fois, on pratique la forme une fois en pensant à la légèreté,
une autre fois en pensant à l’unité, une autre fois à l’uniformité, et ainsi de
suite. En s’entraînant ainsi avec constance et patience, il est inévitable
d’obtenir de grands résultats.

8) Pour bien étudier le Taiji Quan, il faut renforcer notre propre volonté
Si nous avons la santé, nous pouvons vivre pleinement.
Ceci est difficile lorsqu’on est malade ou perturbé par des événements
défavorables. Nous savons aussi que le stress, fléau des temps modernes, a une
grande incidence sur notre santé.
Les gens qui pratiquent régulièrement le Taiji Quan éprouvent un sentiment de
relaxation et de bien-être durant la forme, mais aussi une fois la forme terminée.
Si l’on pratique souvent, alors ce ressenti s’installe durablement et profondément.
Les bienfaits de ce genre de pratique, notamment pour rétablir la paix intérieure
(qui peut se mesurer par des effets physiologiques qui sont l’inverse de ceux
induits par le stress), ont été prouvés scientifiquement [1].
En plus du plaisir de la pratique, ces bénéfices valent la peine d’entretenir
notre volonté pour s’entraîner convenablement. Bien sûr la vie est complexe,
variable, et beaucoup de facteurs que l’on ne peut influencer peuvent perturber
notre plan d’entraînement ou carrément notre santé. Ceci est normal, il ne faut pas
s’en inquiéter, l’important est de faire de notre mieux pour mettre toutes les
chances de notre côté.

9) Où il y a la volonté, il y a la réussite. La clé est de persister.


Le processus d’entraînement au Taiji Quan est sans fin, malgré l’avancée dans
l’âge, et les fruits sont à récoltés durant toute une vie de pratique.
Mais il est vrai que l’entraînement peut sembler peu attrayant, morne et
douloureux, on peut même se sentir bien seul dans ce travail personnel et
individuel basé sur le calme.
Le Poète LouYou de la dynastie Song dit
“La senteur des pruniers en fleurs vient du froid extrême (lorsque la douceur du
printemps succède à la rigueur de l’hiver), l’épée à double tranchant s’aiguise sur
une meule”.
Être patient, supporter les difficultés de l'entraînement, persister : tous ces
éléments contribuent eux aussi au renforcement de notre volonté et de notre corps.
C’est vraiment une épreuve pour chaque personne qui s’entraîne au Taiji Quan, mais
la réponse est riche et généreuse.
Dès que l’hiver est arrivé, est-ce que le printemps est encore loin ? Si l’on
insiste dans la bonne direction, on ne peut qu'atteindre son but.

[1] Voir par exemple “The Relaxation Response” du Dr. Herbert Benson, dont la
première publication date de 1975.

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