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La fonction sémantico-pragmatique de la métaphore dans le discours

politique yéménite

The semantico-pragmatic function of metaphor in Yemeni


political discourse

Hesham Ali Abdullah Hamzah


Doctorant en Sciences du langage,
Université Mohammed V, FLSH, Rabat.
Doctoral Student in Language Sciences
Mohammed V University, FLSH, Rabat.

Abstract

Cet article se propose d’étudier le phénomène de la métaphore, avec ses dimensions


sémantique et pragmatique, dans un corpus constitué de trois discours politiques prononcés à
la Conférence du dialogue national, tenue au Yémen au cours de la période du 18 mars 2013
au 25 janvier 2014. L’analyse du corpus a démontré que les locuteurs-politiciens ont accordé
à ce phénomène un rôle majeur, au niveau sémantique autant que pragmatique, dans leurs
allocutions.

Mots clés : métaphore, discours, persuasion, représentation, fonction sémantico-


pragmatique

Abstract

This article aims at shedding light on the borrowing phenomenon in both perspectives
including the meaningful one as well as the practical one in a sample composed of three
political speeches and declaim it in a conference about national dialogue which was
presented in Yemen during the extended period from March 18th, 2013 until January 25th,
2014. It is shown from a study of analysis that the spokesmen politicians give equally a very
important rule to this phenomenon in their speeches in both levels meaningful and practical.

Key words: metaphor, speech, persuasion, representation, meaningful and practical


function.

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Texte intégral
La Conférence du dialogue national, tenue au Yémen entre le 18 mars 2013 et le 25
janvier 2014, suite aux événements du « Printemps arabe », a représenté un événement
exceptionnel dans l’histoire contemporaine du Yémen du fait qu’il a réuni, pour la première
fois, presque toutes les composantes politiques et sociales du pays. En fait, cette période
était une période délicate, mouvementée et pleine de complexités. Ce qui a exigé des acteurs
politiques qu’ils optaient pour des stratégies discursives caractéristiques d’un degré élevé
d’expressivité et de persuasion, en vue de faire passer leurs points de vue et visions,
proposés comme solutions aux problèmes dans lesquels sombrait le pays. Parmi ces
stratégies discursives chères aux hommes politiques vient la métaphore, qui a une grande
capacité à éveiller l’imagination et à susciter les émotions et les sentiments.

Ainsi, cet article se propose d’étudier le rôle sémantico-pragmatique qui pourrait être
joué par ce phénomène dans le discours des acteurs politiques yéménites ayant participé à
cette Conférence de dialogue. Notre problématique peut se formuler sous les interrogations
suivantes : comment la métaphore contribue-t-elle à la construction de la réalité politique ?
Quels sont les domaines sources dans lesquels on puise pour construire ses expressions
métaphoriques ? Pourquoi les locuteurs empruntent-ils davantage d’unités linguistiques à
certains domaines sources qu’à certains autres ? Quels enjeux persuasifs accordent-ils à ces
expressions ?

Notre corpus d’étude est constitué de trois discours prononcés lors de la première
séance de la Conférence du dialogue national tenue au 19 mars 2013 : le premier discours
(D1) est prononcé par le représentant du parti du Congrès populaire général, Ahmed Obaïd
Ben Daghr ; le deuxième (D2) par celui du parti socialiste yéménite, Yassine Saïd Nohman ;
le troisième (D3) par celui du parti du Rassemblement yéménite pour la réforme,
Mohammed El Yadoumi. Ce choix de corpus a été fait par souci de garantir la
représentativité de doctrines politiques existantes dans l’échiquier politique yéménite. En
fait, ces partis représentent respectivement le centre, la gauche et la droite1.

Dans notre analyse, nous partirons du postulat que le discours politique est un texte, au
même titre que le texte littéraire, se caractérisant par l’intertextualité, et que la métaphore est
l’un des moyens pragmatiques qui contribuent à sa création. D’ailleurs, une communication
politique se présente généralement comme une argumentation apparemment objective et

1
Ce corpus est choisi à partir du site web officiel de la Conférence, Url :
https://www.youtube.com/user/ndcye/videos, et traduit de l’arabe en français par nous-même.

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fondée sur des lois logiques, afin d’effectuer sa fonction principale de persuader. Or, cette
apparente objectivité cache derrière elle le positionnement particulier du locuteur. Dès lors,
l’étude de la métaphore peut permettre, en grande mesure, de dévoiler et divulguer ce
positionnement.

1. Le cadre théorique

Notre étude reposera sur un cadre théorico-méthodologique constitué d’un outillage


conceptuel émanant de différents domaines : de la rhétorique classique et nouvelle (Aristote,
1457, 1991 et Perelman, 1958, 1977), de la théorie cognitive (Lakoff et Johnson, 1985), de
la théorie de l’argumentation (Ducrot et Anscombre, 1983), de la pragmatique (Austin, 1970
et Searle, 1972) et de la sémantique des points de vue (Raccah, 2005). Les théories de la
rhétorique et de la pragmatique nous permettront de détecter les dimensions persuasives de
la métaphore ; la sémantique des points de vue, de sa part, pourra nous aider à comprendre le
rôle du lexique dans la construction de la métaphore dans la mesure où le choix d’une unité
linguistique n’est pas neutre mais reflète forcément un certain point de vue, et laisse
entendre le positionnement du locuteur vis-à-vis de ce qu’il dit. La théorie cognitive, à son
tour, nous aidera à déterminer la fonction de la métaphore en tant qu’outil de concevoir et de
comprendre le monde.

2. La métaphore : définition et approches

Nombreuses sont les théories qui se sont préoccupées de la métaphore et de


délimitation de son champ. De là, on a obtenu plusieurs prises de position : certains
théoriciens, par exemple, séparent la métaphore et le sens figuré du sens littéral tandis que
certains d’autres les considèrent indifféremment ; certains voient qu’elle est purement
linguistique, d’autres par contre estiment qu’elle est encore cognitive.

Dans la rhétorique classique, la métaphore, basée sur une ressemblance entre deux
éléments, est considérée comme une comparaison abrégée ; elle porte fondamentalement sur
un mécanisme d’analogie. C’est ce que traduit la formule traditionnelle de la logique
formelle : A est pour B ce que C est pour D.

Cette conception, on la trouve apparemment dans cette définition d’Aristote : « la


métaphore est le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport du genre
à l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce ou d’après le rapport
d’analogie » (1921 : 1457 1 : 6-9).

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A l’époque contemporaine, la métaphore a eu de multiples définitions dont chacune
met l’accent sur l’un ou l’autre de ses aspects et ce, suivant le cadre théorique dans lequel
elle a été traitée. Ainsi, par exemple, pour C. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca (1958), la
métaphore est « une analogie condensée, résultant de la fusion d’un élément du phore avec
un élément du thème » (1958 : 535).

P. Fontanier (1968) estime que la métaphore consiste « à présenter une idée sous le
signe d'une autre idée plus frappante ou plus connue, qui, d'ailleurs ne tient à la première par
aucun lien que celui d'une certaine conformité ou analogie » (1968: 99).

G. Kleiber (1994), quant à lui, voit que la métaphore est un phénomène se fondant
« sur une incompatibilité entre les deux termes ou une déviance » (1994 : 36).

Il est à remarquer que ces trois auteurs cherchent à mettre en évidence la nature de
rapport établi entre les éléments de domaine source et ceux de domaine cible.

Dans le cadre de la linguistique cognitive, ce phénomène prend une perspective


« globalisante ». En effet, G. Lakoff et M. Johnson (1985) l’envisagent comme un
mécanisme cognitif donnant lieu à notre compréhension du monde. Ces deux auteurs
montrent à cet égard que cette figure « fait partie de notre raisonnement quotidien, [et que]
le système de notre raisonnement est aussi métaphorique » (1985 : 4).

Or, cette conception n’est pas nouvelle, on la trouve déjà chez R. Jakobson (1973) qui
affirme que « les métaphores ne sont pas uniquement des mots. Ce sont des concepts sur
lesquels, en théorie, et souvent en pratique, on agit. En tant que telles, elles définissent de
manière significative ce que l’on considère comme la "réalité" » (1973 : 22). Telle est
également l’idée de P. Ricoeur ((1975)1997) qui signale que «la métaphore ne figure pas
dans le dictionnaire, mais elle demeure omniprésente dans le langage » (1997 : 45).

La linguistique cognitive envisage, alors, la métaphore comme un outil d’action sur le


monde et sur les hommes : elle voit en elle un moyen élémentaire contribuant à forger les
visions du monde et les systèmes de pensée et « à inventer le réel autant que de le révéler ».

Globalement, nous pouvons dire que la plupart des réflexions contemporaines sur la
métaphore se préoccupent de deux points principaux :

(i) de la dimension cognitive, et là on a essayé de faire valoir que ce phénomène est la


clé de nos idées et de notre vision du monde, ainsi que le guide qui conduit vers notre
conscience ;

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(ii) de la dichotomie entre désignation et référence, et dans ce contexte, l’accent est mis
sur sa double fonction : la fonction sémantique et la fonction référentielle. Précisons que
cette conception de double fonction, soutenue notamment par Ricoeur (1975), a permis de
dépasser le cadre d’analyse purement sémantique de la métaphore en s’étendant à la nature
de rapport entre elle et « notre être dans le monde ».

Dans le champ politique l’étude de la référence relative à la métaphore est un sujet


primordial dans la mesure où le discours politique peut aider à percevoir les rapports que la
métaphore peut entretenir, d’une part, avec la subjectivité et, d’autre part, avec la réalité, car
il suppose que le sujet et le monde, considérés comme deux déclinaisons de l’être,
s’interagissent et se constituent de manière réciproque. A cet égard, Lakoff et Johnson
(1985) voient que les idéologies politiques se veulent des « cadres » métaphoriques ayant la
capacité de masquer certains aspects de la réalité.

3. L’analyse du corpus

Si nous observons le corpus d’étude dans son ensemble, nous pouvons nous rendre
compte que les expressions métaphoriques sont construites à partir des unités tirées de
différents domaines sources : la construction, la maladie, la famille, la guerre, l’art, la
nature, le chemin, et qu’elles sont presque toutes conventionnelles, à l’exception d’une seule
occurrence figurée dans le discours (2) qui peut être qualifiée de créative. En fait, les
métaphores dites conventionnelles, ou semi-lexicalisées d’après la terminologie de P. J.
Chamizo (1998), suggèrent souvent des sens et des images courantes de façon à être plus
compréhensibles et plus faciles à interpréter. C’est ce qui justifie probablement leur
récurrence bien remarquable dans notre corpus.

Il est à remarquer, d’ailleurs, que c’est le domaine de la construction qui constitue le


domaine source auquel on emprunte le plus d’éléments en créant les expressions
métaphoriques. Les exemples sont nombreux, nous nous contentons d’en citer quelques-
uns :
(1) « … pour construire un avenir meilleur et prospère » (D1)
(2) « … soit il (l’Etat) demeure et ainsi demeure le Yémen uni, soit il s’effondre
et par conséquent tombe notre rêve d’une identité… » (id.)
(3) «… pour jeter les bases d'un partenariat et d’une coopération fructueuse »
(id.)
(4) « Ils placent leurs espoirs en vous pour constituer un pont vers la sécurité,
la stabilité et la paix sociale » (D3)
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(5) « … il y a la cause du Sud et la constitution des fondements de l’Etat national
basé sur la démocratie […] afin de construire un Yémen nouveau » (id.)
(6) « Et dans ce contexte, notre accord et désaccord devraient être autour de la
Construction de notre pays » (D2)

En examinant ces exemples du point de vue sémantique, on peut constater que pour
parler de la même réalité (la sécurité et la stabilité du pays) les locuteurs identifient
l’élément du domaine cible (en italique) à une construction ou à l’un de ses éléments (en
gras). A ce niveau d’analyse, on peut parler, d’après M. Le Guern (1973), de la fonction
docere de la métaphore en ce sens que celle-ci « offre au langage des possibilités
d’économie en fournissant la formulation synthétique des éléments de signification » (1973 :
71). Cette fonction docere de Le Guern, « explicative » chez Pappas (2003 : 41), a, donc,
comme objectif d’assurer la transmission de l’information.

Sur le plan de réception, la caractéristique conventionnelle, fortifiée par des


expériences aussi bien physiques que socio-culturelles, de ces métaphores peut le plus
souvent entraîner une interprétation similaire pour tous les utilisateurs de la langue en
question.

Donc, on peut dire que la fonction de la métaphore dans les énoncés ci-dessus consiste
en somme à conceptualiser ce que la désignation ne peut faire comprendre. En d’autres
termes, considérée comme une auxiliaire linguistique, et vu sa capacité à conceptualiser, elle
se veut un outil étant en mesure de combler le manque de la grammaire et du lexique en ce
sens qu’elle aide effectivement les locuteurs à représenter une réalité dont ces deux
composantes linguistiques ne peuvent pas rendre compte.

Cependant, il est évident que le rôle de ces figures métaphoriques ne s’arrête pas au
niveau sémantique, mais le dépasse en s’étendant encore pour assumer une fonction
argumentative. A cet égard, Perelman et Olbrechts-Tyteca (1988), en insistant sur l’aspect
persuasif de la métaphore, vont jusqu’ à dire que « toute conception qui ne jette pas de
lumière sur l’importance de la métaphore dans l’argumentation ne peut nous satisfaire »
(Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1988 : 172). Ils ajoutent encore que « même dans sa
dimension poétique, la métaphore, peut, telle une argumentation, fonder des thèses nouvelles
de manière plus ou moins convaincante par la “qualification” des données » (Perelman et
Olbrechts-Tyteca, 1958 : 169-174).

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En effet, la force persuasive de la métaphore est double : premièrement pour son
caractère d’ornement qui peut susciter une sorte de plaisir, et donc une certaine supposition à
réagir, deuxièmement pour son aptitude à cacher ou à souligner des aspects du monde.

Donc, la conception de la situation politique en question par la métaphorisation ne peut


pas ne pas être persuasive : elle implique bel et bien le fait de manipuler le récepteur « et de
guider son avis vers une direction précise » du simple fait qu’elle est positive ou négative
(Carl Schmitt 1988 :122).

A ce niveau d’analyse, les énoncés métaphoriques cités ci-dessus, sauf l’énoncé (2),
cherchent à susciter comme effet persuasif l’enthousiasme et l’esprit de responsabilité chez
les récepteurs-congressistes. Cela nous amène à dire que les métaphores mobilisées
manifestent l’optimisme des locuteurs-manipulateurs à l’égard de la situation politique
compliquée du Yémen, fait qui peut stimuler les allocutaires et aviver leurs espoirs. Cela se
voit encore par d’autres unités que celles du domaine de la construction, unités qui
paraissent carrément euphoriques, telles que « avenir », « rêve », « meilleur », « prospère »,
« fureteuse », « nouveau », « sécurité », « stabilité ».

Pour l’énoncé (2), la visée persuasive y est tout autre ; le destinateur-argumentateur


cherche à susciter la peur et la crainte chez les récepteurs en les faisant penser à des
conséquences dysphoriques en cas de l’échec du dialogue. C’est ce que dénotent
explicitement les deux verbes « s’effondrer » et « tomber ».

Notre corpus renferme également un certain nombre de figures métaphoriques ayant


trait à la nature conflictuelle du dialogue de l’activité politique : il s’agit en fait de la
métaphore dite « guerrière ». En voici quelques exemples :

(7) « …la lutte pour le pouvoir a commencé et ne finira jamais sans dialogue »
(D1)
(8) « Nous nous engageons ensemble à lutter contre tout ce qui perturbe notre
vie et embarrasse notre voie nationale » (id.)
(9) « … pour ouvrir les portes à la lutte contre la pauvreté et le chômage… »
(D 3).

Si nous observons ces énoncés, nous pouvons constater que les locuteurs construisent
leurs expressions métaphoriques en puisant dans le domaine de la guerre. En fait, c’est
généralement notre expérience socio-culturelle qui nous permet d’appliquer les
caractéristiques de la guerre, en tant que domaine source, aux autres domaines sémantiques.

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Le recours par les locuteurs à la métaphorisation guerrière tend à mettre en évidence la
nécessité de la solidarité de tous, et encore à inciter le public à être plus sérieux car évoquer
la guerre et ses caractéristiques connote que la situation est compliquée et grave, et qu’il
faudrait, pour s’en sortir, de la détermination, de la volonté, de la fermeté et du sacrifice.
Notons que pour rendre la situation plus dynamique et plus vive on a employé des verbes
plutôt que d’autres formes linguistiques.

Le domaine de la maladie est aussi une source importante pour la métaphorisation dans
notre corpus. Prenons-en quelques exemples :

(10) « … sans eux nous ne serions pas ici aujourd’hui pour panser nos profondes
blessures et déterminer la voie de notre vie » (D1)
(11) « … nous jetons encore les bases d’une expérience que nous croyons être
efficace pour guérir nos blessures » (id.)
(12) « Certes, notre croyance au dialogue […] nous oblige à dépasser nos
souffrances et nos plaies … » (D3)
(13) « Nous devons saluer respectueusement la jeune génération qui a apporté le
changement et rendu la vie à la politique » (D2).

A observer ces énoncés, on se rend compte que les expressions métaphoriques sont
construites sur des présuppositions, servant de prémisses de l’argumentation et étant admises
par le public : ainsi « panser » ou « guérir » une « blessure » présuppose déjà l’existence
d’une blessure.

C’est ce que montre bien Perelman (1977) en affirmant que puisque l’argumentation
est centrée sur l’homme et vise l’assentiment de l’auditoire, elle présuppose une « rencontre
d’esprits ». Contrairement à Stephen Toulmin (1950) qui voit en le message le pivot des
usages de l’argumentation, Perelman (1977) souligne que l’argumentation doit être liée à
l’idée d’auditoire : «il faut qu’un discours soit écouté, qu’un livre soit lu, car, sans cela, leur
action serait nulle » (Perelman, 1977 : 23-24). En précisant l’importance de l’auditoire dans
le champ argumentatif, Perelman (1977) en identifie deux types : l’auditoire particulier et
l’auditoire universel. Le premier constitue certaines personnes existant à une époque donnée,
tandis que le second représente « l’humanité toute entière, du moins ceux de ses membres
qui sont compétents et raisonnables » (id. : 28). Ainsi, l’auditoire universel peut se définir
comme un concept mental qui s’impose à l’argumentateur préalablement à toute
argumentation.

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Avant de passer aux autres domaines sources de la métaphorisation dans les textes
étudiés, il est pertinent de s’arrêter quelque peu sur un autre aspect de ce phénomène,
tellement employé par les locuteurs, qu’est la personnification. En effet, cette dernière est
une technique fort persuasive car le fait d’accorder des caractéristiques humaines à des
concepts abstraits ou objets inanimés permet de les charger par des émotions et sentiments
qui peuvent pénétrer l’inconscient du public, fait qui pousse souvent ce dernier à agir dans le
sens souhaité par l’énonciateur :

(14) « Je salue en particulier nos camarades de la Réunion commune […] qui ont
répondu à l’appel du dialogue » (D 1)
(15) « … peuple qui attend que le Congrès réalise ce que nous avons échoué à
atteindre au cours des longues décennies… » (id.)
(16) « Certes, notre croyance au dialogue comme principe et méthode civile,
comme valeur nationale, politique et éthique, nous oblige à dépasser… »
(D2)
(17) « L’amertume nous tue… » (D3)
(18) « …ce beau pays dont les dirigeants n’ont pas été au niveau de sa beauté ni
au niveau de la bonté de son peuple » (D2)
(19) « … la vie offre la dernière chance pour mettre à l’épreuve la sagesse des
Yéménites » (id.).

A l’examen de ces énoncés, nous pouvons nous apercevoir que les expressions
métaphoriques attribuent des caractères humains à des objets inanimés (« le dialogue », « le
Congrès », « le pays ») ou à des abstractions (« l’amertume », « notre croyance », « la vie »).
Au niveau structural, la personnification est généralement une figure qui est sous-tendue
souvent par une comparaison ou une métaphore explicite ou implicite. Ainsi dans l’énoncé
(14), « le dialogue » est doté de faculté de parler et comparé à une personne appelant les
acteurs politiques à se réunir pour discuter les problèmes du pays. « Appeler » est un fait
que l’on effectue souvent par nécessité ou par urgence. Notons que le locuteur met
davantage l’accent sur le comparé « le dialogue » afin d’attirer l’attention sur cet événement.

Dans l’énoncé (15), on assimile « le Congrès » à une personne compétente et apte à


réaliser les missions difficiles face auxquelles les acteurs politiques sont impuissants. En
réalité, par cette opposition on cherche d’une part à mettre en valeur le rôle virtuel du
Congrès dans la résolution des problèmes du Yémen et d’autre part à inciter les récepteurs à
s’employer davantage à assurer le succès de cet événement. Pour l’énoncé (16), la

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« croyance » est assimilée à une personne puissante qui exerce son autorité sur les
congressistes, c’est ce qui est assumé apparemment par le verbe « obliger ». Dans l’énoncé
(17), l’installation de la figure de personnification tend à représenter et manifester l’état
d’âme du locuteur, qui souhaite par là contaminer celui de ses destinataires. Pour l’exemple
(18), on assimile le comparé (« le pays ») à un individu beau et bon dans le but de mettre en
évidence la « laideur » et la « méchanceté » de ses dirigeants et d’inciter, donc, les
récepteurs à éviter d’adopter une telle conduite.

Dans la dernière occurrence, « la vie » se présente comme un examinateur qui éprouve


« la sagesse » des Yéménites. Si l’on décompose syntaxiquement cet énoncé, on peut
remarquer que nous avons deux éléments personnifiés que sont « la vie » (=agent) et « la
sagesse » (=objet), que l’expression « la dernière chance » présuppose que les Yéménites ont
échoué à plusieurs épreuves précédentes, et que le syntagme « la sagesse des Yéménites »
n’est pas choisi gratuitement par le locuteur, mais a une charge culturelle évidente. En fait,
ce syntagme fait partie d’un hadith du Prophète dit lors de la conversion de quelques tribus
yéménites à l’islam. Sur le plan rhétorique, cette citation « sacrée » peut avoir un effet
persuasif tellement fort dans le sens où les récepteurs peuvent se faire sentir leur
responsabilité religieuse et historique à l’égard de cet événement et encore éviter de
contredire la parole et l’éloge du Prophète.

Dans ce contexte, Perelman (1958 : 257) souligne que la métaphore est l’une des
techniques de liaison qui vise à fonder la structure du réel par le fait d’établir un lien entre
les prémisses d’un argument et la thèse défendue par l’argumentateur. Ainsi les
énonciateurs, dans les énoncés (15) et (19) prennent comme prémisses les valeurs de loyauté
et de sagesse et créent alors un lien entre ces valeurs et la thèse qu’ils défendent, en
l’occurrence, la réalisation des attentes du peuple (15) et la prévention des conflits (19).

Comme nous l’avons dit précédemment, ces expressions métaphoriques ne nécessitent


pas souvent d’explications du fait qu’elles émanent d’une connaissance commune de
données culturelles, à tel point de devenir quelquefois, à force d’utilisation, des clichés.

En plus des domaines sources de la métaphorisation que nous avons mentionnés plus
haut, nous en avons trouvé également d’autres, qui ont moins d’importance, tels que :

- le domaine du fruit :
(20) « … pour jeter les bases d'un partenariat et d’une coopération
fructueuse… » (D1)

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(21) « … un dialogue national fructueux ne sera atteint sauf si l’on reste loin
de la polémique … » (D3)

- le domaine du théâtre et de l’art :


(22) « Devant cette scène douloureuse que je ne peux décrire ni exprimer »
(id.)
(23) « … nous voulons aboutir à une belle peinture reflétant la beauté dans
laquelle nous aimerions voir ce pays » (D2)

- le domaine de la nature :
(24) « … donc ils sont allés se débattre dans les cryptes de différend et de
conflit » (D2)
(25) « …. nous ne voyons pas Chamssan ", nous ne voyons pas " Aïban"
non plus, et est-il tout à fait simple de ne pas voir " Saber "
éminent ? » (D3)

- le domaine de l’automobile et de la mécanique :


(26) « Les fins religieuses et nationales nobles en étaient les raisons et le
moteur de leur mouvement » (id.)
(27) « Ils ont fait face tout courageusement à la machine de tyrannie et de
guerre à poitrines nues » (id.)

- le domaine du temps et des étapes de la vie :


(28) « …cette Conférence, qui fait suite d’une longue route des
transformations nationales, forme une étape importante dans
l’histoire de la crise » (D1)
(29) « … expérience qui est en train de se créer dans l'utérus d'une vie
troublée » (id.).

Il s’avère nettement que les métaphores installées se présentent comme des expressions
imagées génériques ou des clichés, en ce sens que l’on peut les trouver presque dans toutes
les langues naturelles, c’est-à-dire qu’elles sont communes à l’humanité. Nous en exceptons
uniquement l’énoncé (25) qui constitue une métaphore propre à la société yéménite. En
effet, les éléments en majuscules sont des montagnes dont leurs noms sont attachés à la lutte
contre le régime monarchique dans le Nord du Yémen et contre la colonisation anglaise dans
son Sud, dans les années soixante du siècle dernier. Le locuteur assimile les jeunes
« révolutionnaires » à ces trois montagnes tout en profitant de leur dimension symbolique

143
enracinée dans la mémoire collective des Yéménites dans le but de persuader le public du
rôle majeur de ces jeunes dans la chute du régime d’Ali Abdullah Saleh, et encore d’assurer
le trait révolutionnaire de leur œuvre contestée par certains.

Ces arguments par métaphore, que Perelman et Olbrechts-Tyteca (1958) incluent dans
les procédés de liaison, « rapprochent des éléments distincts et permettent d’établir entre ces
derniers une solidarité visant soit à les structurer, soit à les valoriser positivement ou
négativement l’un par l’autre » (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1958 : 255).

Du point de vue pragmatique, il est à remarquer que l’effet persuasif varie en fonction
du domaine source en question. Ainsi, par exemple, la métaphore fondée sur le domaine du
théâtre est mise en scène dans l’intention de susciter le regret et la tristesse chez les
récepteurs et ce, en présentant la situation comme une scène tragique dont l’horreur est
indescriptible.

Pour la métaphore puisée dans le domaine de l’art, on cherche à rassurer le public que
la différence d’opinions est quelque chose de normal à condition qu’il existe un respect
mutuel entre les interlocuteurs. En effet, le fait d’assimiler le dialogue à un tableau et les
congressistes, récepteurs du discours, à ses auteurs fait en sorte que ceux-ci sortent du
monde réel à un monde idéel où l’on est plus libre et loin de contraintes. Du coup, ils
obtiennent une sorte de satisfaction et donc répondent mieux au faire persuasif.

Pour ce qui est des figures métaphoriques créées à partir des domaines du temps et des
étapes de la vie, on les a mises en place afin de souligner que la tenue de la Conférence est
un fruit de grands efforts et vient après une série de difficultés ayant absorbé une longue
période pour être surmontées. Par là on sous-entend donc que cet événement est une
opportunité qui n’arriverait plus si on la laissait passer.

Conclusion

Pour conclure, nous pouvons affirmer, au terme de cette modeste étude, que la
métaphore a une présence bien forte dans le corpus étudié et paraît être un des outils
rhétoriques les plus exploités par les locuteurs-politiciens, du fait qu’elle se caractérise par
un degré élevé d’expressivité et de figurativité qui la rend en mesure d’exprimer les
concepts les plus abstraits et de changer l’état de croyance du destinataire et donc de le faire
agir. Ainsi les expressions métaphoriques mises en scène sont construites soit à partir
d’éléments puisés dans des domaines susceptibles de susciter des émotions négatives
(guerre, maladie,…), pour mettre en évidence la gravité de la situation, soit à partir de

144
domaines pouvant éveiller des émotions positives (construction, art, …), pour mettre en
valeur le rôle favorable que pourrait assumer la Conférence du dialogue et aussi faire
miroiter un avenir sûr et stable. De plus, l’opération de la métaphorisation, qui consiste à
redessiner un champ d’expérience au moyen des termes relevant d’autres champs, a paru
avoir pour effet cognitif de produire un certain impact dans la conscience du public.

Finalement, la métaphore demeure un phénomène tellement riche qu’il n’est pas facile
de le traiter sous tous ses aspects. Ainsi, une étude pourrait en faire ressortir d’autres formes
et manifestations, d’autant plus qu’il est question d’une étape historique pleine
d’événements.

Bibliographie

- Anscombre, J.-C., Ducrot, O. (1983), L’argumentation dans la langue. Liège-Paris,


Mardaga.

- Aristote (1961), Poétique (trad. Hardy). Paris, Les Belles Lettres.

- Aristote (1991), Rhétorique, Livres I et II. Texte établi et traduit par Médéric Dufour.
Paris, Gallimard, coll. « Tel ».

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Corpus d’étude

/Discours 1/

Discours du parti du Congrès populaire général


présenté par Ahmed Obaïd Ben Daghr 2

Au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux et que les Prières et la


Paix soient sur notre prophète Mȗhammad.

Frère le président de la séance, frères les vice-présidents et frères les participants à la


Conférence.

Au début je vous félicite pour le grand succès de la Conférence du dialogue national


général. Cette Conférence, qui fait suite d’une longue route des transformations nationales,

2
Le corpus étudié est traduit de l’arabe en français de manière personnelle par nous-même.

146
forme une étape importante dans l’histoire de la crise, pour construire un avenir meilleur et
prospère, un Etat sûr et uni, et une société qui rattrape son retard et reprend place aux côtés
des pays du monde contemporain et développé.

Nous vous félicitons et nous félicitons également notre grand peuple yéménite pour
cette occasion, ce grand événement, peuple qui attend que le Congrès réalise ce que nous
avons échoué à atteindre au cours des longues décennies, Congrès qui met fin à nos
douleurs et qui nous aide à réaliser nos espoirs.

Salut à vous et à tous les gens sages dans la grande patrie yéménite qui ont tiré des
leçons des expériences des autres et sauvé notre pays du spectre de la guerre civile et des
cycles de violence, ceux qui nous ont conduits, sous les auspices de nos frères et par le
soutien international illimité, à la signature de l’Initiative du Golfe et ses mécanismes
exécutifs. Ces gens sages qui ont favorisé le Yémen à leurs personnes, et sans eux nous ne
serions pas ici aujourd’hui pour panser nos profondes blessures et déterminer la voie de
notre vie. Et pour cela ils ont mérité notre appréciation et notre grand remerciement.

Salut encore à nos camarades venant de toutes les couches de l’action nationale et ses
aspects, ceux que nous avons étreints hier, et avec lesquels nous mènerons un long dialogue
sur l’avenir de notre pays. Je salue en particulier nos camarades de la Réunion commune et
nos bien-aimés frères dans le Mouvement et à Saada qui ont répondu à l’appel du dialogue,
ainsi que tous les participants des partis et des organisations, et les personnalités, qu’elles
soient hommes, femmes ou jeunes.

Nous croyons que nous mettons aujourd’hui au point une voie à suivre, voie qui n’était
pas prise auparavant, et nous jetons encore les bases d’une expérience que nous croyons être
efficace pour guérir nos blessures. C’est une expérience à voie pacifique qui confirme la
crédibilité du hadith : « la foi est yéménite et la sagesse est aussi yéménite », expérience qui
est en train de se créer dans l'utérus d'une vie troublée.

Mon frère président de la séance, frères les vice-présidents, frères les participants, nous
sommes devant une occasion historique qui ne se répétera peut-être pas si elle est perdue.
Nous croyons que le fait de la saisir représente une réponse nationale sincère face aux défis
du présent. Nous sommes effectivement devant un moment historique et important du
processus de la transition pacifique du pouvoir, moment où se fait une nouvelle histoire du
Yémen comme il l’a dit dans son discours, hier, notre frère, le Représentant du Secrétaire
général de l'Organisation des Nations Unies monsieur Jamal Ben Ameur, avec qui nous

147
sommes tout à fait d’accord sur cette phrase contenue dans son discours. Nous soutenons ses
efforts inlassables tant qu’ils se conforment à l’Initiative du Golfe et ses mécanismes
exécutifs, ainsi qu’aux résolutions du Conseil de sécurité.

Nous tournerons, par la permission de Dieu, les pages d’une histoire sombre dont les
événements nous ont séparés. Elle était sur le point d’anéantir tous les exploits et surtout
l’unité du pays et de la société yéménite. Oui, nous sommes réunis ici sous un même toit qui
est tellement ouvert à tous les espaces, il n’y a ni limites ni obstacles ni interdictions autres
que le toit, seul, de l'unité dont nous ambitionnons à consolider les fondements et à enraciner
la présence dans notre vie et dans celle des générations futures de nos enfants.

Certes, nous dialoguons aujourd'hui et nous espérons, tous, que nous reconstruirons un
Etat qui est encore en train de subir de dures perturbations ; soit il demeure et ainsi demeure
le Yémen uni, soit il s’effondre et par conséquent tombe notre rêve d’une identité nous
unissant. Cette identité envers laquelle nous ressentons un attachement profond, et qui est
notre histoire et notre origine comme le disent les Arabes, identité dont aucun ne doute et
contre laquelle personne ne se retourne si ses intérêts changent ou si les jours le trahissent.
Nous nous engageons ensemble à lutter contre tout ce qui perturbe notre vie et embarrasse
notre voie nationale.

Et je suis ici au nom de mes camarades représentant le Congrès populaire général et


ses alliés, hommes et femmes, et conformément aux orientations de leur direction politique,
j’assure notre désir sincère pour la compatibilité avec les autres qui sont différents, pour
trouver des solutions communes aux problèmes nationaux, dont nous sommes tous d'accord
sur la gravité et la priorité. Nous sommes ici, aujourd'hui, pour coopérer avec tout le monde.
Nos cœurs, nos esprits et notre volonté, nous les mettons tous au service de la patrie chargée
de blessures et hantée par des préoccupations innombrables.

Mon frère président, frères les membres et participants, en observant les expériences
des autres qui laissent couler des fleuves de sang et où le frère poursuit son frère, la lutte
pour le pouvoir a commencé et ne finira jamais sans dialogue. Pour cela, nous avons
conscience d’être au bon endroit et au bon moment, et dans le sens recherché. Je crois que
nous, et vous aussi, sommes concernés par l’étude des causes de la crise et de toutes les
crises qu’a connues notre pays pendant les dernières décennies et qui ont légué l’ignorance,
la pauvreté et la maladie, et à cause desquelles nous sommes passés d’une guerre à une
autre. Leur motif premier était certes le pouvoir, qui a appelé à la haine et à la rancune. C’est
ce qui nous a enlevé le pouvoir de bien raisonner.
148
C’est le moment de rendre le pouvoir un droit pour tous et ce, par le biais des urnes.
Nous faisons confiance aux présents qui représentent le Yémen, tout le Yémen, et qui
peuvent atteindre de tels résultats. Nous espérons aussi mettre fin aux conflits concernant la
richesse ; nous trouverons sans doute la meilleure façon de la distribuer équitablement. Nous
nous attendrons certainement à un Etat civil, moderne, démocratique et décentralisé fondé
sur une base solide de justice, d’égalité et de liberté. Nous serons à l’appui des solutions
justes dans l’affaire de Saada et nous soutiendrons les décisions qui empêchent la répétition
de ce qui s’est produit. Nous ferons ensemble tous nos efforts pour arriver à une
réconciliation nationale globale qui peut être considérée comme l’entrée habituelle à une
transition juste. Nous en avons vraiment besoin pour assurer la stabilité et la sécurité de
notre pays.

Et certes, nous attendons avec impatience un nouvel accord sur le développement


global, intégré et durable, et une vie décente pour notre peuple, c’est ce que nous essayons,
activement, de réaliser en coopération avec tous les secteurs de l'économie nationale et tous
les habitants du Yémen. La voie conduisant au développement passe par la réalisation de la
stabilité et de la sécurité du pays. Sans sécurité le débat sur le développement représente un
luxe et une parole qui n'a pas de sens.

Frère le Président, frères les membres, nous sommes avec toutes les conceptions
ciblées et contenues dans le discours du frère le Président. Nous pourrions presque dire que
nous sommes d'accord avec lui sur la forme et le contenu de chaque phrase si nous ne
parlions pas au nom du Congrès et de ses alliés des partis d’Alliance nationale
démocratique. Pourtant, il est bon de réitérer notre appui à tout pas qu’il a fait ou va faire. Il
est l'espoir de la nation, et nous faisons confiance à sa sagesse, sa discrétion et sa capacité à
concilier les éléments contradictoires.

Notre soutien actuel est certainement une confirmation de la crédibilité de nos


positions engagées, comme d’habitude, envers les intérêts supérieurs de la patrie qui
constituent fondamentalement une nation unie, un peuple uni et une volonté commune, et
une confirmation de notre soutien à sa légitimité s’appuyant sur des élections libres et
équitables. À notre avis, la conservation de l’unité de l’Etat du Yémen est la première cause
de cette Conférence et l’essence de nos différends, d’une part, et le noyau de notre accord à
l’avenir, d’autre part, si Dieu le veut.

149
Notre performance et tâche pour atteindre cet objectif est dans notre capacité à
comprendre les revendications de notre population dans les gouvernorats du Sud et de l'Est.
Résoudre la question du Sud de manière juste est notre entrée et voie vers cette finalité
qu’est la merveilleuse unité, notre réalisation la plus grande dans l'histoire moderne. Nous
devons leur créer un Etat dans lequel ils acceptent de vivre sous le toit de l’unité, Etat
attirant par sa forme et son contenu, et notre succès au Congrès du dialogue commence là.

Ô présents, oui ces jours-ci sont semblables aux jours où « le père des libres » a rédigé
son célèbre poème avec son vers sentencieux : « c’est un jour dont le Soleil de la matinée
n’a pas fait les rayons, mais c’est nous qui les avons créés avec nos propres mains ». Oui,
nous faisons aujourd'hui avec nos propres mains, nos esprits et toutes nos compétences
nationales et historiques notre expérience particulière, dans une harmonie unique, pour
établir un consensus et jeter les bases d'un partenariat et d’une coopération fructueuse ; jour
qui nous aide à défier notre temps et à tracer la voie à suivre.

« Seigneur ! Ne laisse pas dévier nos cœurs après que Tu nous aies guidés ; et accorde-
nous Ta miséricorde. C’est Toi, certes, le Grand Donateur ! »

Que la Paix, la Miséricorde et les Bénédictions de Dieu soient sur vous !


/Discours 2/

Discours du parti Socialiste yéménite


présenté par Yassine Saïd Nohman

Louange à Allah qui nous a guidés vers ce bien, sans lui nous n’aurions pu arriver à
cela.

Frère président de la Conférence du dialogue national, frères et sœur Nadia ; la seule


femme à la présidence de la Conférence du dialogue national, sœurs et frères, les membres
présents, tous.

Que la Paix, la Miséricorde et la Bénédiction de Dieu soient sur vous !

Je vous salue dans ce matin qui nous réunit dans cette salle, nous tous qui venons
de toutes les régions du Yémen ; ce beau pays dont les dirigeants n’ont pas été au niveau de
sa beauté ni au niveau de la bonté de son peuple. Un beau et rayonnant matin plein d’espoir
nous réunit. C’est là où l’ambition se dessine à la grandeur de ce pays. Les habitants de

150
celui-ci attendent ce Congrès avec optimisme. Ce dernier est toutefois brouillé par la peur de
revoir l’habitude se reproduire dans des âmes que nous espérons avoir appris à lâcher du lest
pour le bien du pays quand c’est nécessaire et quand les circonstances les obligent à lire
avec profondeur la nécessité du changement au moment qui porte en lui toute une éternité.
Et sa négligence ne signifie que rester hors de l’histoire.

Nous entrons en conflit, nous nous entretuons, nous nous arriérons et nous nous
déconstruisons. Nous avons déjà beaucoup parlé hors de cette salle, nous avons dit beaucoup
de parole inutile et peu de choses utiles. C’est le moment d’inverser l’équation dans cette
salle où l’on ne doit faire entendre que la parole utile. C’est une responsabilité historique
que ne peuvent porter que ceux qui croient au fait que l’heure du changement est venue dans
ce pays et qu’il est impossible de revenir en arrière.

Le fait de penser au futur ne doit parier sur aucun outil du passé politique. La
révolution populaire et pacifique de la jeunesse, qui a apporté le souffle du changement, et,
avant elle, la révolution du Mouvement pacifique au Sud avaient l’avantage d’évacuer le
marasme politique dans lequel s’est noyé le pays et d’annoncer les premières lueurs d’une
lumière que nous attraperons si nous tenons les pas et les pieds fermes.

Notre pays doit être fier aujourd’hui des martyres de la révolution des jeunes du 11
février, de ceux du Mouvement pacifique et des autres qui sont morts dans le chemin de la
liberté et la défense de la dignité face aux dictateurs et aux systèmes tyranniques.

La méthode basée sur la force et la guerre dans la gestion des affaires de ce pays a
fait preuve de son échec. Elle a mené à des catastrophes dont les retombées politiques,
économiques et nationales ne s’effaceront pas dans une courte durée dans ce pays. Cette
méthode n’a laissé que l’injustice et la servitude à plusieurs forces sociales qui sont restées à
la marge de la vie politique et économique ; le problème de la pauvreté s’est accru donc de
façon inégalée. La situation actuelle et sa résistance resteront gravées dans la mémoire d’une
génération qui devra prendre sa place dans la direction de ce pays. C’est une génération qui
est venue au moment opportun pour sauver le pays et le sortir de sa crise. Certes, nous
devons saluer respectueusement la jeune génération qui a apporté le changement et rendu la
vie à la politique. Et il n’est pas possible pour les autres de le faire autant qu’eux.

Le fait d’accepter le dialogue par tout le monde veut dire que tout le monde rejette la
violence et délaisse la méthode de la force et de la guerre. Le dialogue a sa propre logique et
ses conditions différentes, et lui, ne veut pas dire à ce moment décisif de l’histoire de ce

151
pays la recherche des intérêts entre les forces différentes et l’absence de l’intérêt général du
peuple. C’est le bien du peuple qui doit figurer de façon authentique et unique dans ce
dialogue. Certes, le peuple ne s’intéresse ni à l’accord ni au désaccord de ces forces. Ce qui
l’intéresse est l’accord sur son bien et ses intérêts. Hormis cela n’est que bavardage
politique. Pour cette raison, nous devons dans notre dialogue partir des problématiques
fondamentales et les résoudre de façon qui satisfera le peuple, ses ambitions et ses espoirs.
Et ce sera un début pour résoudre les autres problèmes.

La question du Sud n’est pas seulement une des questions importantes de ce congrès
de dialogue, mais la première question qui doit susciter son intérêt. Pour cela, nous voyons
que le Congrès doit laisser ses portes ouvertes aux autres forces du Mouvement pacifique
pour qu’elles rejoignent le dialogue. Nous voyons aussi que le Congrès doit assumer sa
responsabilité de trouver un mécanisme pour communiquer avec ces forces et les consulter
en vue de pouvoir discuter cette cause vitale et importante.

Il est nécessaire que cette Conférence ouvre ses bras à tous les projets politiques et il
est indispensable, aussi, de porter un grand intérêt à la question de Saada et de trouver des
solutions afin d’empêcher la répétition des guerres dans le cadre d'un Etat juste pour tous. Et
dans ce contexte notre accord et désaccord devraient être autour de la construction de notre
pays, de la méthode et de l'outil favorisant sa réalisation. Certes, la construction réunit et ne
disperse pas, et selon la logique des faits historiques, notre chemin vers cela réside à
l’origine dans la création d’un Etat capable de mener à bien cette mission, et notre tâche est
donc de dialoguer autour de la création de cet Etat et de son système politique et sociale,
système qui permet au peuple de gérer ses affaires, de sauvegarder sa liberté et sa dignité, et
de protéger ses droits.

Certainement, les Yéménites ne se sont dispersés que quand ils ont négligé ce noble
objectif, et de ce fait ils sont allés se débattre dans les cryptes de différend et de conflit. Et
aujourd'hui la vie offre la dernière chance afin de mettre à l’épreuve la « sagesse » des
Yéménites et c’est vous qui sont retenus pour ce choix historique important, soit nous
prouvons que ce choix était correct soit nous prouvons qu’il était erroné, et comme ça nous
aurions trompé notre peuple et laissons passer une occasion historique au profit de notre
patrie. Nous ne voulons pas qu’aucun de vous, bien sûr, soit enregistré dans cette case de
l'histoire.

Enfin, frères, même si le dialogue sérieux apparaît pénible, car nous devons y
entendre ce que nous aimons et ce que nous n’aimons pas. Mais quand il varie, il est
152
comparable à un beau tableau dans lequel les couleurs diverses, loin de diverger,
s’harmonisent bien les unes avec les autres, et c’est ce que nous voulons pour notre
dialogue ; nous voulons aboutir à une belle peinture reflétant la beauté dans laquelle nous
aimerions voir ce pays.

Que la Paix, la Miséricorde et les Bénédictions de Dieu soient sur vous.

153
/Discours 3/

Discours du parti du Rassemblement yéménite pour la réforme


présenté par Mohammed El Yadoumi

Frères et sœurs,

L’inauguration du Congrès du dialogue national a constitué, hier, et en coïncidence avec


l’anniversaire des martyres du « vendredi de la dignité », un moment crucial dans l’histoire
moderne du Yémen. Il représente, et doit représenter, le début d’un changement véritable et
concret pour considérer les valeurs de coexistence, de tolérance et de respect mutuel. Tous les
Yéménites attendent avec beaucoup d’intérêt cette Conférence nationale et cette réunion
honorable. Ils placent leurs espoirs en vous pour constituer un pont vers la sécurité, la stabilité
et la paix sociale, pour ouvrir les portes à la lutte contre la pauvreté et le chômage, pour
réaliser le développement global et durable et pour insérer le Yémen dans le XXI e siècle.

Frères et sœurs,

Certes, notre croyance au dialogue comme principe et méthode civile, et comme valeur
nationale, politique et éthique, nous oblige à dépasser nos souffrances et plaies, à être au
dessus de nos profits et émotions partiales et subjectives. Nous devons travailler dans l’esprit
de groupe comme partenaires à ce pays, discuter et débattre en s’écoutant les uns les autres
loin des prétentions de détenir la vérité et loin de tenir aux opinions et émotions basées sur le
principe de « après moi le déluge ». Nous devons mettre le Yémen, et le Yémen seul en tête,
et ne renoncer à aucune condition préalable à part le travail pour concrétiser les aspirations et
les attentes de notre peuple au niveau de la justice, de la liberté et de la vie digne.

Le dialogue sérieux signifie écouter et prendre en considération les points de vue divers,
les avis, les thèses et les propositions, sur la base du respect mutuel, loin des méthodes de
violence et loin de porter les armes pour imposer les attitudes et les avis avec force. C’est
dans l’objectif de voir les points communs et de chercher les meilleures solutions et voies au
traitement des différents problèmes et affaires nationales. En tête, il y a la cause du Sud et la
constitution des fondements de l’Etat national basé sur la démocratie et les principes de bonne
gouvernance afin de construire un Yémen nouveau, démocratique et unifié qui s’ouvrira à
tous ses citoyens et où se concrétisent la citoyenneté égale et le partenariat national.

Nous aspirons à un Yémen qui chassera l’injustice, la répercussion, l’exclusion, le


despotisme, l’égoïsme et la domination pouvant venir d’une région, une tribu, une famille, un

154
individu ou un parti, un Yémen où tous les citoyens deviennent égaux et où le pouvoir et la
richesse se partagent, un Yémen dont rêvent tous les Yéménites libres depuis les années trente
du siècle dernier jusqu’à la révolution populaire pacifique des jeunes en février 2011.

Un dialogue national fructueux ne sera atteint sauf si l’on reste loin de la polémique, des
batailles verbales et des escarmouches intellectuelles insignifiantes. Les Yéménites ne
supportent plus aujourd’hui les idéologies que cachent les termes et expressions, car pour eux
l’essentiel est le contenu, la signification de ces expressions et leur concrétisation dans la vie
des gens.

Frères et sœurs,

Ce que nous regrettons vraiment, et qui nous rend trop triste, est le fait de ne pas avoir
dans ce Congrès de dialogue très important les jeunes, hommes et femmes, de la révolution
populaire pacifique qui ont donné leurs sangs et leurs âmes bon marché pour ce pays. Il est
frustrant de ne pas avoir parmi nous les gens opprimés qui étaient aux places de liberté et de
changement attendant avec beaucoup de patience et recevant à poitrines nues les balles et les
projectiles de l’injustice et de la persécution.

Ces jeunes vertueux ne sont sortis ni pour des profits personnels, ni par motivations et
désirs subjectifs, mais par de nobles fins, religieuses et nationales. Ils ne cherchaient que la
liberté, la dignité et la justice pour tous les citoyens de leur pays. Ils ont fait face, tout
courageusement, à la machine de tyrannie et de guerre à poitrines nues. Ils n’ont d’objectif
que de voir ce pays devenir démocratique, où règne la justice et gouverne la loi. Morts ou
encore vivants, ils sont vraiment les plus vertueux et les plus nobles de notre société yéménite
: aussi bien pour ceux qui sont restés aux places de liberté et de changement que pour ceux
qui se sont intégrés dans la société attendant avec détermination et fermeté la victoire et la
concrétisation des objectifs de la révolution.

Frères et sœurs,

Les jeunes hommes et jeunes femmes de la révolution, avec leurs mains pures, leurs
ventres propres, leurs raisons fines, leurs esprits clairs et leurs grands sacrifices pour Dieu et
pour la patrie, sont notre présent lumineux, le rêve de notre futur et notre gloire dont nous
sommes fiers. Ils sont notre image par laquelle nous défions les autres peuples et nations. Nous
n’oublierons jamais les martyres du « vendredi de la dignité » ni ceux qui les ont précédés ou
qui les ont suivis. L’amertume nous tue, l’amertume nous tue, l’amertume nous tue, l’amertume
nous tue, l’amertume nous tue et le grand chagrin nous couvre à cause de la faible présence des

155
jeunes hommes et jeunes femmes de la révolution dans ce Congrès de dialogue national.
Comment cela s’est-il produit alors que ce Congrès est fait particulièrement pour eux ? Que
s’est-il passé ? Pourquoi a-t-on éliminé ceux qui ont renversé la table sur le régime de
succession dynastique, d’exclusion et de despotisme ? Pourquoi nous ne voyons pas dans cette
assemblée les grandes figures du Yémen qui ont marqué les places de liberté et de changement
? Nous ne voyons pas "Chamssan ", nous ne voyons pas " Aïban" non plus, et est-il tout à fait
simple de ne pas voir " Saber " éminent ? Ce sont des questions intrigantes auxquelles on n’a
pas encore de réponse et qui ne laissent que l’amertume et la douleur.

Frères et sœurs,

Devant cette scène douloureuse que je ne peux décrire ni exprimer, je ne peux que
déclarer que je cède ma place en tant que membre du Congrès du dialogue national à l’un des
jeunes de la révolution stationnés dans les places de liberté et de changement. Ainsi mon âme
attristée trouverait en cela quelque salut.

Mes frères représentant le Congrès yéménite pour la réforme continueront les séances
de ce Congrès de dialogue. Je prie Dieu le Tout-Puissant de vous accorder, tous, le succès.

Que la Paix, la Miséricorde et les Bénédictions de Dieu soient sur vous !

156

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