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“CAILLOT-9782100737833-BAT” (Col. : Psychothérapie) — 2015/7/27 — 12:01 — page I — #1


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En hommage à Paul-Claude Racamier,


Didier Anzieu,
Janine Chasseguet-Smirgel,
Francis Pasche,
Salomon Resnik,
James Gammill,
avec toute mon admiration et ma gratitude.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 1
1. Freud : le couple, la famille et le groupe 7
Les formations de masse 8
État amoureux, hypnose et groupe 9
La formule de la constitution libidinale d’une foule 11
Les relations de pouvoir dans le groupe et la famille 12
La formule de la constitution libidinale de la famille 14
L’actepouvoir familial et l’agirpouvoir familial 14
La pulsion sociale et la famille 17
2. Ambiguïté et paradoxalité 21
L’inceste et l’incestualité 22
L’ambigu et le paradoxal 23
Fantasmes narcissiques d’autodésengendrement
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et d’auto-engendrement 26
L’incestuel et le meurtriel 34
3. Œdipe et antœdipe 43
Nature des conflits œdipien et antœdipien 43
La séduction narcissique et la séduction sexuelle 44
Les personnages de l’œdipe et de l’antœdipe 45
Les tabous 45
Les organisateurs de l’œdipe et de l’antœdipe 46
Les enjeux identitaires 47
Les énergies 47
Le Surmoi œdipien et le Surmoi paradoxal antœdipien 48

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“CAILLOT-9782100737833-BAT” (Col. : Psychothérapie) — 2015/7/27 — 12:01 — page VI — #6
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VI TABLE DES MATIÈRES

4. Une nouvelle sémiologie du fantasme 51


Le fantasme œdipien 52
Le fantasme-non-fantasme antœdipien pathologique 53
La toxicité des troubles de la représentativité paradoxale 58
Les productions fantasmatiques du traumatisme incestuel et
meurtriel 61
Les fantasmes antœdipiens 64
Scènes originaires imaginaires et scènes incestueuses ou incestuelles
réelles 69

5. La groupalité et les espaces de la subjectivité 79


L’appareil psychique groupal et familial 80
La troisième topique 81
L’intersubjectivite 81
L’espace transsubjectif transitionnel à polarite structurante 82
L’espace transsubjectif paradoxal à polarite degradee 85
La topique interactive, 86 • Les défenses primitives
hypernarcissiques, 87 • Les sur-défenses, 89 • Une topique
paradoxale transsubjective, 92 • Les défenses paradoxales
transsubjectives, 92
L’objet narcissique paradoxal traumatique transgénérationnel 96
Les resurgences traumatiques incestuelles et meurtrielles 98
L’intime, le privé, le public 105

6. Les objets 107


les objets collectifs 107
L’objet-groupe, 107 • L’objet-famille, 110 •
L’objet-couple, 113 • L’objet-fratrie, 113 • L’institution, 113
Les objets individuels 114
L’objet-individu, 114
Les modes d’investissements multiples d’objets 114
Regroupement, dégroupement 116
L’objet-sensation et l’objet-sensation hypernarcissique autogénéré 117
L’objet-excitation, 132 • L’objet-délire, 138 •
L’objet-addiction, 140

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TABLE DES MATIÈRES VII

7. La famille œdipienne normale et la famille antœdipienne


pathologique 145
La famille œdipienne normale 145
La famille antœdipienne pathologique 146
CONCLUSION 149
BIBLIOGRAPHIE 151
BIBLIOGRAPHIE DE L’AUTEUR 157
REVUES CITÉES 161
LISTE DES OBSERVATIONS CLINIQUES 165
LISTE DES RÉCITS MYTHOLOGIQUES ET DES CITATIONS LITTÉRAIRES 169
INDEX DES CONCEPTS 171
INDEX DES NOMS PROPRES CITÉS 177

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INTRODUCTION

’ ENSEMBLE DES SUJETS TRAITÉS dans ce livre correspond au pro-


L gramme que nous animons lors de la première année d’enseigne-
ment théorico-clinique de psychanalyse groupale et familiale dans le
cadre du Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale.
Pour faciliter l’usage de cet ouvrage, nous avons, outre la bibliogra-
phie, établi différents index regroupant les thèmes des revues signalées,
les concepts utilisés, les nombreuses observations cliniques, les récits
mythologiques et les citations littéraires illustrant notre propos et les
noms propres cités.
L’extension théorique et pratique de la psychanalyse est considérable,
notamment en France, depuis quelques décennies. Dès les années 1970,
les recherches de D. Anzieu et de R. Kaës concernant le groupe, puis
celles de J.-G. Lemaire et d’A. Ruffiot sur le couple et la famille, y ont
largement contribué.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’avènement du concept de transitionnalité et de paradoxe ouvert de


D.W. Winnicott en 1951 tout comme ceux de paradoxalité et de paradoxe
fermé, développés par D. Anzieu en 1975 et P.-C. Racamier en 1978, ont
introduit un profond changement dans le paysage théorique et pratique
de la psychanalyse contemporaine.
Longtemps, les psychanalystes ont pensé que seul le cadre psychana-
lytique individuel permettait le déroulement d’un processus psychanaly-
tique et l’analysabilité du transfert, qu’il n’existait qu’une seule lignée
de formations psychiques, à savoir la lignée œdipienne dont la caractéris-
tique essentielle est d’être centrée par le fantasme d’engendrement où les
parents sont nés avant leurs enfants, sont plus âgés qu’eux et sont plus
grands que leurs bébés.
Le rapport entre les générations est ici dans l’ordre naturel des choses.

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2 I NTRODUCTION

Nous soulignons ces évidences œdipiennes réelles et fantasmatiques.


En effet, elles se révèlent être des repères capitaux pour différencier
la structure du fantasme œdipien, de celles, d’une part du fantasme
appartenant au registre incestueux, c’est-à-dire à l’antœdipe pathologique
et d’autre part du fantasme transitionnel appartenant, lui, à la fois à
l’œdipe et à l’antœdipe normal.
En fait, nous pouvons constater aujourd’hui qu’il existe des cadres
psychanalytiques collectifs concernant le couple, la famille, le groupe et
l’institution à côté des cadres psychanalytiques individuels.
Avec la découverte révolutionnaire de la paradoxalité, de nouveaux
objets sont également apparus tels que l’objet ambigu ou transitionnel,
l’objet paradoxal à la fois bon et mauvais ; les travaux sur le couple, la
famille et le groupe permettent de conceptualiser les objets collectifs ; F.
Tustin décrit la sensation comme objet ; quant à la place et à l’importance
des objets autogénérés, elles nous semblent, aujourd’hui, à revisiter.
Les découvertes d’E. Bick concernant les angoisses primitives ago-
raphobiques et claustrophobiques sont essentielles et l’identification
adhésive est depuis repérée comme une nouvelle forme d’identification.
Les espaces de la subjectivité se sont diversifiés : désormais l’espace
intrapsychique est à comprendre dans ses rapports avec les espaces
interpsychiques et transpsychiques ; une troisième topique est ainsi
apparue.
La mise en lumière de la transitionnalité et de la paradoxalité nous
a permis de découvrir une position psychique nouvelle, en deçà de la
position schizo-paranoïde, la position narcissique paradoxale dans ses
formes normale et pathologique1 .
Aujourd’hui, nous comptons non pas deux modes de fonctionnement
mental, mais bien trois : en deçà des principes de réalité et de plaisir
existe un principe d’automation (P. Marty) et d’itération, principe de
répétition.
Nous pouvons aussi avancer – et ce fait est fondamental – qu’il
n’existe pas une seule lignée de formations psychiques pré-œdipiennes
et œdipiennes, mais bien deux lignées distinctes : la lignée œdipienne,
répétons-le, centrée par les fantasmes d’engendrement et la lignée
antœdipienne centrée, elle, par les fantasmes narcissiques d’autodésen-
gendrement et d’auto-engendrement.

1. Caillot J.-P., Decherf G., Thérapie familiale psychanalytique et paradoxalité, Paris,


Clancier-Guénaud, 1982.

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I NTRODUCTION 3

Aux névroses et psychoses, qui ne sont plus les seules références des
modes d’organisation psychique, se sont ajoutées les perversions, en
particulier la perversion narcissique ou perversion relationnelle.
Grâce aux travaux concernant la paradoxalité et les phénomènes
du registre de l’inceste, la compréhension du traumatisme psychique
s’en trouve très profondément bouleversée, de même que le travail de
transformation psychique des agirs et des somatisations traumatiques en
fantasmes transitionnels.
Ces cadres collectifs permettent l’utilisation des capacités d’inter-
fantasmatisation groupale et favorisent ainsi le développement d’un
processus analytique collectif, c’est-à-dire d’un travail non seulement
de transformation des agirs mais aussi d’interprétation des transferts
collectifs.
Cette nouvelle approche a permis en outre, la mise en place de
concepts spécifiques et de nouvelles pratiques à la famille et au groupe
ainsi que la prise en charge de problématiques individuelles et familiales
difficiles à traiter dans le cadre de prises en charge plus classiques.
Nous opposerons la famille œdipienne, où l’ordre des générations
est respecté, à la famille antœdipienne pathologique où cet ordre est
inversé. Le renversement générationnel est au cœur de la folie familiale :
l’antœdipe pathologique se compose de l’inceste et du meurtre auxquels
s’ajoute l’incestualité. L’incestuel et le meurtriel sont les deux formants
de celle-ci. L’incestualité, ce concept majeur et nouveau, n’est pas
l’œdipe, elle en est même le contraire. Fait essentiel, elle est aussi la
source du traumatique familial et sociétal.
Voici un bref exemple clinique qui introduit cet ouvrage, L’incestuel,
le meurtriel et le traumatique et illustre les fantasmes narcissiques
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

paradoxaux.

Nous nommerons Phénix, notre petit patient, en référence au mythe que


nous rappelons brièvement1 : le phénix est un oiseau fabuleux, de taille, de
couleur et de beauté extraordinaires. Lorsqu’il sent sa fin arriver, il amasse
des plantes aromatiques, de l’encens, de l’amome (plante d’Afrique tropicale,
appelée aussi graine de paradis) pour en faire un nid. Selon l’une des
traditions, le phénix met le feu à ce bûcher et renaît de ses cendres. Selon
l’autre tradition, le phénix se couche sur le nid et meurt en l’imprégnant de
sa semence. Le nouveau phénix naît alors.
Ce mythe de Phénix met clairement en scène les fantasmes narcissiques
d’autodésengendrement et d’auto-engendrement.

1. Grimal P., Dictionnaire de la mythologie, Paris, PUF, 1969, p. 365b-366a.

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4 I NTRODUCTION

Phénix donc, a 5 ans lorsqu’il consulte avec ses parents. Il dort avec sa
mère en l’absence de son père, prend ses douches avec elle et, aux dires
de sa grand-mère paternelle, est embrassé sur la bouche par sa mère. Au
début de la prise en charge de son petit-fils dont l’état psychique l’angoisse
énormément, cette grand-mère paternelle révèle lors d’un entretien familial
où sont présents Phénix et ses parents, que le père de son fils n’est pas son
mari.
Le père biologique de ce fils était retourné dans son pays d’origine lorsque
l’enfant était un tout jeune bébé ; elle s’était ensuite mariée et son mari avait
reconnu immédiatement son fils. Elle présenta en larmes ses excuses à
son fils, qui était bouleversé par la révélation de ce secret de famille. La
grand-mère paternelle de Phénix souhaitait aider de son mieux son petit-fils
avant de mourir et « dire tout ce qu’elle avait sur le cœur ».
À l’évidence l’organisation familiale était incestuelle.
Lors de son entrée dans le groupe de soins intensifs d’enfants, Phénix
est mutique et très angoissé ; nous apprendrons un peu plus tard qu’il est
encoprétique.
Le cadre est le suivant : le groupe est constitué de quatre thérapeutes et
de huit à dix enfants, âgés de quatre à dix ans environ parmi lesquels,
certains sont déscolarisés ou en voie de l’être. Chaque semaine ont lieu deux
séances de psychodrame, d’une heure chacune, regroupant l’ensemble des
enfants et l’ensemble des thérapeutes et plusieurs séances de deux heures
en sous-groupe, séances dites de socialisation avec différents médiateurs,
auxquelles participent une partie du groupe d’enfants et une partie des
thérapeutes.
Dans ces sous-groupes, les enfants y élaborent avec leurs thérapeutes
le nombre et la durée des diverses séquences successives de la séance
ainsi que leur contenu (dessiner, peindre, fabriquer différents objets, lire des
contes, etc) ; une part des séquences peut se dérouler en ville, par exemple,
aller acheter des bonbons ou aller au square. Une fois par semaine un repas
thérapeutique est organisé.
À ce dispositif s’ajoutent des entretiens familiaux et des entretiens avec les
professeurs d’école, les travailleurs sociaux car certains enfants sont séparés
de leurs parents par décision de justice.
Une fois par semaine, l’ensemble des thérapeutes se réunit pendant une
heure.
Habituellement, les enfants partagent donc leur temps entre l’institution, leur
famille ou leur foyer éducatif ou bien encore leur famille d’accueil et l’école,
pour ceux qui ne sont pas déscolarisés.
Pendant plus d’un mois, Phénix se réfugie sous les fauteuils des thérapeutes
durant les séances de psychodrame ; l’importance de ses angoisses nous
fait penser qu’il est préférable de tolérer son comportement. Puis, il sort de
ses abris et participe spontanément à tous les jeux en imitant un oiseau.
Phénix acquiesce lorsque nous lui proposons que cet oiseau est très grand,
très fort, qu’il vole très haut au-dessus de nous et nous domine tous ; il en
est même ravi et sourit.

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I NTRODUCTION 5

Nous reconnaissons ainsi sa défense mégalomaniaque contre ses angoisses


catastrophiques qui commencent à être contenues dans le groupe.
Puis, dans les mois qui suivent, il commence à parler et propose des jeux
où il est le roi des dinosaures, le plus grand des dinosaures et le premier
des dinosaures. Il ne mange pas, ne fait pas pipi, ne fait pas caca et n’a
pas de parents. Il ne se mariera pas et n’aura pas d’enfants. Phénix figure
clairement son fantasme d’autodésengendrement. Quant au fantasme d’auto-
engendrement, il est tout aussi clairement exprimé lorsqu’il énonce qu’il est
le premier des dinosaures et qu’il n’a pas de parents. Ses agirs d’autarcie,
d’autosuffisance totale, d’auto-engendrement prenaient certainement aussi
la forme de son mutisme et de son encoprésie en rapport avec un mégacôlon
fonctionnel que nous pouvons considérer comme une source de production
de sensations autogénérées par des manœuvres volontaires de rétention
et d’expulsion de matières fécales. Ce sont sa mégalomanie « furieuse » et
son agrippement à ces sensations autogénérées qui permettent à Phénix
la création d’une autocontenance pathologique, dont le corollaire est le
fantasme-non-fantasme d’auto-engendrement. Cet auto-agrippement produit
également des sentiments d’autarcie mégalomaniaque, d’ivresse d’autosuffi-
sance.
On voit apparaître dans le groupe psychodramatique un début de figuration
lorsque Phénix met en scène dans tous les jeux un grand oiseau volant très
haut au-dessus de nous. Un début de dramatisation, de représentation prend
forme avec l’oiseau qui figure progressivement la mégalomanie du fantasme
d’auto-engendrement.

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Chapitre 1

FREUD : LE COUPLE,
LA FAMILLE ET LE GROUPE

« L’opposition entre la psychologie individuelle et la psychologie de


groupe » écrit Freud « qui peut, à première vue, paraître très profonde,
perd beaucoup de son acuité lorsqu’on l’examine de plus près. Sans doute,
la première a pour objet l’individu et recherche les moyens dont il se sert
pour obtenir la satisfaction de ses motions pulsionnelles, mais dans cette
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

recherche, elle ne réussit que rarement, c’est-à-dire dans des cas tout à fait
exceptionnels, à faire abstraction des rapports qui existent entre l’individu
et les autres.
Dans la vie psychique de l’individu, c’est invariablement l’autre qui est
appréhendé comme modèle, objet, soutien et adversaire ; la psychologie
individuelle est donc, dès le départ, en même temps, psychologie sociale,
dans le sens élargi, mais pleinement justifié du terme [...]. L’opposition
entre les actes psychiques sociaux et narcissiques (autistiques selon la
terminologie de Bleuler) tombe ainsi pleinement dans le champ de la
psychologie individuelle ; il n’est donc pas approprié de séparer celle-ci
de la psychologie sociale ou groupale ».

Nous rejoignons entièrement ces vues générales de Freud sur la


psychologie individuelle et la psychologie groupale, en remarquant

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8 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

toutefois l’absence du concept psychanalytique de groupe ou de famille


comme objet.

L ES FORMATIONS DE MASSE
Pour Freud, le mot masse recouvre plusieurs acceptions : il a le sens
de foule, de groupe ou celui de collectif, mais il nous semble que le mot
masse connote aussi et avant tout celui d’indifférenciation. Ce sens paraît
évident lorsque l’auteur écrit, par exemple, à propos des formations de
masse (massenbildung) : « sans doute une foule ne se forme pas et ne
peut subsister sans un commencement d’organisation et c’est, dans ces
masses simples et rudimentaires, qu’apparaissent avec le plus de netteté,
quelques-uns des phénomènes les plus fondamentaux de la psychologie
de groupe.
Pour que les membres accidentellement réunis d’une foule humaine
forment une masse au sens psychologique du mot, il faut qu’il y ait
entre les individus quelque chose de commun, il faut qu’ils s’intéressent
tous au même objet, qu’ils éprouvent les mêmes sentiments, en présence
d’une situation donnée (et j’ajoute volontiers par conséquent) qu’ils
possèdent dans une certaine mesure la faculté d’influer les uns sur les
autres [...]. Plus cette homogénéité mentale et affective est forte, et plus il
y a de chances que les individus forment une masse psychologique douée
d’une âme collective dont les manifestations sont telles que leur nature
ne laisse place à aucun doute (...) Le phénomène le plus remarquable et
en même temps le plus important de la formation de masse consiste dans
l’exaltation et l’intensification de l’émotivité chez les individus qui la
composent ».
Plus loin, citant Mc Dougall, Freud ajoute : « On peut dire qu’il
n’existe guère d’autres conditions où les sentiments atteignent une
intensité égale à celle que l’on observe chez les hommes réunis en foule
[...]. Les hommes éprouvent certainement une sensation voluptueuse à
s’abandonner à ce point à leur passion, en se fondant dans la foule, en
perdant le sentiment de leur délimitation individuelle [...]. Cette réaction
automatique est d’autant plus intense que le nombre de personnes chez
lesquelles on constate la même émotion est plus grand ».
Ajoutons quelques commentaires à ces textes extraits de Massen-
psychologie und Ich-Analyse1 . Il faut que les membres du groupe
s’intéressent tous au même objet. Quel peut donc être cet objet capable

1. Freud S., Massenpsychologie und Ich-Analyse.

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F REUD : LE COUPLE , LA FAMILLE ET LE GROUPE 9

à la fois de représenter et de transcender le groupe ? Pour Freud, il


s’agissait du chef, mais ne pourrait-on pas supposer aujourd’hui qu’il
s’agisse également du groupe lui-même comme objet comprenant le
chef ? C’est cet objet-groupe avec le chef qui serait aussi ce « quelque
chose de commun » aux différents membres du groupe.
La perte de la limite corporelle et psychique individuelle souligne
l’importance de la relation d’objet narcissique au groupe comme objet,
et cela pour chacun des membres du groupe.
La réaction automatique montrerait qu’il s’agit bien là d’un niveau
d’organisation primitif, en rapport avec la quête d’un objet-contenant
comme E. Bick l’a décrit dans L’expérience de la peau dans les relations
d’objets précoces en 1968 : « Le besoin d’un objet-contenant semblerait,
dans l’état non intégré du premier âge, produire la recherche frénétique
d’un objet ».

É TAT AMOUREUX , HYPNOSE ET GROUPE


Dans le chapitre VIII de Massenpsychologie und Ich-Analyse (État
amoureux et hypnose) Freud énonce : « Il n’y a manifestement pas loin
de l’état amoureux à l’hypnose. Les concordances entre les deux sont
évidentes, même soumission humble, même docilité, même absence
de critique envers l’hypnotiseur comme envers l’objet aimé, même
résorption de l’initiative personnelle ; aucun doute, l’hypnotiseur a pris
la place de l’Idéal du Moi. Simplement, dans l’hypnose, les rapports
sont encore plus nets et plus intenses, si bien qu’il conviendrait plutôt
d’expliquer l’état amoureux par l’hypnose que l’inverse ».
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Plus loin, l’auteur ajoute : « Mais, d’un autre côté, on peut dire aussi
que la relation hypnotique représente, s’il est permis de se servir de cette
expression, une formation de masse à deux (Massenbildung). L’hypnose
se prête mal à la comparaison avec la formation de masse, car elle est
plutôt identique à celle-ci. De la structure compliquée de la foule, elle
isole pour nous un élément, le comportement de l’individu en foule
envers le meneur. L’hypnose s’écarte de la formation de masse en groupe
par cette limitation du nombre, comme de l’état amoureux par le manque
de tendance directement sexuelle. En ce sens, elle tient le milieu entre
les deux ».
Ajoutons d’ailleurs que Freud, dans son chapitre « Animisme, magie
et toute-puissance des idées », décrit les états amoureux comme « les
prototypes normaux de psychoses ».

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10 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Il semble évident que la formation de masse à deux de l’hypnose


et de l’état amoureux est un phénomène identique à la formation de
masse en groupe. La formation de masse est caractérisée par l’indif-
férenciation psychique et corporelle soi-objet des relations primitives
d’objet narcissique, l’objet narcissique étant un individu ou un groupe.
Les identifications narcissiques, dont l’identification adhésive, y jouent
un rôle central.
Dans le chapitre X de Massenpsychologie, (La foule et la horde ori-
ginaire), Freud tente de préciser la relation existant entre la psychologie
individuelle et la psychologie de groupe.
Il introduit le concept de reste-de-masse (Massenrest) : « De même
que l’homme des origines s’est maintenu virtuellement en chaque indi-
vidu pris isolément, de même la horde originaire peut se reconstituer à
partir de n’importe quel agrégat humain ; dans la mesure où la formation
de masse régit habituellement les hommes, nous reconnaissons en elle,
la persistance de la horde originaire. Nous devons en conclure que la
psychologie de groupe est la plus ancienne psychologie humaine ; ce
que nous avons isolé comme psychologie individuelle, en négligeant les
restes-de-masse a émergé de la vieille psychologie groupale seulement
plus tard, petit à petit, et pour ainsi dire encore très partiellement ». Un
peu plus loin, l’auteur ajoute :
« Nous devons notamment admettre que la psychologie individuelle
est plutôt aussi ancienne que la psychologie groupale, car, d’après ce que
nous savons il a dû y avoir dès le commencement, deux psychologies :
celle des individus-masse (Massenindividuum) et celle du père, du chef,
du meneur ».
À notre avis, en d’autres termes, on pourrait dire aujourd’hui qu’il
n’est pas possible d’isoler un fonctionnement psychologique individuel
sans tenir compte des restes d’indifférenciation subsistant d’un fonc-
tionnement familial originel. Par voie de conséquence, si les restes
d’indifférenciation à la famille et au groupe sont trop importants pour un
individu, il sera difficile de parler en ce qui le concerne d’une psychologie
individuelle très différenciée.
Ainsi, dès que cet individu sera en présence d’un groupe, il pourra être
envahi par ses restes d’indifférenciation à sa famille interne qui seront
projetés sur le groupe.
Par groupe primaire, Freud entend une institution temporaire et
instable comme la horde originaire et la foule.
Par groupe secondaire, il entend une institution stable et hiérarchisée
sur un mode complexe comme l’Armée et l’Église.

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F REUD : LE COUPLE , LA FAMILLE ET LE GROUPE 11

Il s’intéresse également au groupe naturel qu’est la famille en tant


que « formation naturelle de masse » (chapitre X : La foule et la horde
originaire). Il montre donc que les formations psychiques indifférenciées
groupales prennent leur source dans la famille.
La psychanalyse a évité jusqu’ici de travailler avec les groupes naturels
que sont la famille et l’institution ; certes nous pouvons penser que la
démarche scientifique préfère prendre pour commencer son étude l’objet
le plus simple possible, en l’occurrence l’individu. Mais, quels sont
les fantasmes qui auraient empêché les psychanalystes d’aborder plus
précocement le couple, la famille et les différentes formes de groupe
dont l’institution ?
S’agit-il des menaces d’indifférenciation soi-objet en rapport avec les
restes-de-masse familiaux, du danger de l’inceste ou des risques de casse
comme le disait D. Anzieu ?
Les difficultés à inventer un dispositif psychanalytique (Setting)
pour les groupes naturels, à comprendre et à maîtriser les processus
psychanalytiques spécifiques, seraient-elles liées, pour une part, à ces
formations de masse en groupe ?
En somme, Freud montre l’importance de l’investissement libidinal
dans les groupes, des phénomènes d’indifférenciation ou narcissiques
primaires et, d’un point de vue plus contemporain, de la relation d’objet
narcissique dans l’hypnose, l’état amoureux, la famille et le groupe.

L A FORMULE DE LA CONSTITUTION LIBIDINALE


D ’ UNE FOULE
Dans Massenpsychologie, Freud aborde un thème non moins fonda-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mental, celui de « la formule de la constitution libidinale d’une foule ».


Dès 1912, dans Totem et Tabou, il montre un grand intérêt pour les
relations de pouvoir dans le groupe et recherche la nature du lien groupal.
À propos de la communauté du clan (Kinship), il s’interroge : « mais
d’où vient cette force, ce pouvoir de lier qu’on attribue à l’acte de manger
et de boire en commun » ?
Il ajoute : « Nous savons que plus tard, tout repas en commun, toute
participation à la même substance ayant pénétré dans le corps, créait
entre les commensaux un lien sacré, mais aux époques plus anciennes,
cette signification n’était attribuée qu’à la consommation en commun
de la chair de l’animal sacré. Le mystère sacré de la mort de l’animal
se justifie par le fait que c’est ainsi seulement que peut s’établir le lien
unissant les participants entre eux et à leurs dieux ».

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12 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

L’incorporation par chaque membre du groupe d’une partie d’un


même animal ou de la même substance, représente symboliquement
le lien groupal, le corps commun groupal. L’identité commune, c’est
l’identification au corps commun groupal, au corps imaginaire commun
incorporé.
Environ dix ans plus tard : « Nous sommes toutefois pleinement
préparés, écrit Freud, à donner la formule de la constitution libidinale
d’une foule ou groupe primaire. Tout au moins d’une foule telle que nous
l’avons considérée, qui donc a un meneur, et non d’une foule secondaire
(groupe secondaire ou institution), qui, par excès « d’organisation », n’a
pu acquérir les propriétés d’un individu. Une telle foule primaire est une
somme d’individus, qui ont mis un seul et même objet à la place de leur
Idéal du Moi et se sont en conséquence, dans leur Moi, identifiés les uns
aux autres ».
Autrement dit, les relations de pouvoir bien différenciées d’une
institution empêcheraient la perception du groupe institutionnel en tant
qu’objet. Dans ce cas, à notre avis, l’investissement de l’institution en
tant qu’objet resterait inconscient.
Dans Après Freud en 1968, J.-B. Pontalis1 commente la formule de
Freud d’une façon très pertinente dans le chapitre de son livre « Le
petit groupe comme objet ». Il écrit : « Ce qui rendrait donc possible
l’identification réciproque ne serait pas une identification première que
chacun des membres du groupe ferait au leader, mais un processus
différent, presque opposé à l’identification par lequel chaque sujet met à
la place d’une instance de la personnalité, à savoir de son propre Idéal
du Moi, un objet : le leader, ou un trait unique de celui-ci.
L’idéal collectif tire en fait son efficacité d’une convergence des Idéals
du Moi individuels sur cet objet ».

L ES RELATIONS DE POUVOIR DANS LE GROUPE


ET LA FAMILLE
Pour résumer, nous pensons que Freud en recherchant la nature libidi-
nale du lien groupal a commencé à établir une connaissance théorique
des relations de pouvoir dans le groupe et la famille du point de vue du
fantasme.

1. Pontalis J.-B., Après Freud, Paris, 1968, Gallimard, 1968.

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F REUD : LE COUPLE , LA FAMILLE ET LE GROUPE 13

Rappelons qu’en 1973, D. Lagache1 conclut son article « Pouvoir et


Personne » par cette proposition : « Les relations de pouvoir constituent
sans doute le fil conducteur le plus efficace dans l’étude du développe-
ment et de la structuration de la personne ».
J.-B. Pontalis constate dans sa petite introduction à ce texte de D.
Lagache que « la littérature psychanalytique est singulièrement muette
sur la question du pouvoir et de ses enjeux ».
Les relations de pouvoir interpersonnelles et intrapsychiques sont, de
notre point de vue, consubstantielles à toutes relations humaines, que
celles-ci soient conjugales, familiales, groupales, institutionnelles ou
sociales.
Nous faisons l’hypothèse que les relations de pouvoir dans la famille
et le groupe participeraient de deux ordres d’organisation : d’une part,
un ordre fantasmatique, étudié par Freud dans sa formule libidinale du
groupe que nous pouvons étendre à la famille et, d’autre part, un ordre
appartenant au champ de la perception-conscience, à celui du réel et du
social lié à l’actepouvoir, décrit par G. Mendel2 .
G. Mendel définit l’actepouvoir social comme la quantité de pouvoir
social produit par l’acte social de travail. Son néologisme souligne le lien
indissociable existant entre ces deux formations – l’acte de travail et le
pouvoir – sachant qu’une certaine quantité de pouvoir social sécrétée à
un niveau hiérarchique peut être captée par les niveaux hiérarchiquement
supérieurs. Avec les connaissances que nous avons actuellement de la
perversion narcissique nous pouvons nous demander s’il ne faudrait pas
ajouter à côté du concept de l’actepouvoir celui de l’agirpouvoir ? Le
pouvoir produit par l’agir pervers, la manipulation perverse.
Les concepts d’actepouvoir familial et d’agirpouvoir familial peuvent-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ils nous aider à progresser dans la recherche concernant les relations de


pouvoir dans la famille ?

1. Lagache D., « Pouvoir et Personne », Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1973, 8, pp.


75-82.
2. Mendel G., Le vouloir de création, auto-histoire d’une oeuvre, ? L’aube, La Tour
d’Algues, 1999.
Mendel G., Une Histoire de l’autorité, Ed. La Découverte, Paris, 2002.

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14 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

L A FORMULE DE LA CONSTITUTION LIBIDINALE


DE LA FAMILLE
La formule libidinale du groupe nous donne certainement accès à la
formule libidinale de la famille.
Cette dernière impose une étude de la genèse du Surmoi de l’enfant.
Le Surmoi de l’enfant ne se forme pas à l’image du Surmoi de chacun
des parents. Il est la résultante des Surmois des parents, c’est-à-dire du
Surmoi du couple parental, résultat du travail de mise en commun des
idéaux et des interdits de l’appareil psychique du couple.
Dans le meilleur des cas, les Surmois des parents peuvent converger
pour exercer avec conviction l’autorité parentale dans le registre de
l’intersubjectivité avec l’enfant et favoriser la structuration des idéaux
et des interdits intrapsychiques de l’enfant. Les Surmois des parents
peuvent aussi diverger, dans le pire des cas, pour ne pas exercer dans le
registre de la transsubjectivité pathologique une autorité suffisante : c’est
alors le règne du laxisme ou à l’inverse celui de la tyrannie d’un pouvoir
abusif (l’autoritarisme et/ou la violence verbale ou/et physique), parfois
l’alternance du laxisme familial avec l’autoritarisme ou/et la violence
qui déstructurent les instances régulatrices du Moi, c’est-à-dire l’Idéal
du Moi et le Surmoi de l’enfant.
Dans la famille, la constitution du Surmoi de l’enfant est donc
directement liée au Surmoi parental.

L’ ACTEPOUVOIR FAMILIAL ET L’ AGIRPOUVOIR FAMILIAL


Tentons de définir l’actepouvoir familial : c’est la quantité de pouvoir
produite dans la famille par un ou plusieurs de ses membres par certains
actes psychiques ou/et concrets qui concourent par leur créativité à
favoriser la croissance psychique de chacun, du couple et de la famille.
Cette créativité concerne la relation affective du couple parental, sa
sexualité (séduction sexuelle et jouissance sexuelle) ; elle concerne aussi
la capacité contenante de chaque membre du couple pour son partenaire
et celle exercée par chacun des parents et le couple des parents envers
les enfants et la famille ; enfin, elle est liée à la capacité autoritaire et de
tendresse du couple envers les enfants et à la capacité ludique familiale,
à l’humour.
Ainsi une certaine quantité de pouvoir familial est produite par des
actes psychiques et/ou concrets familiaux de chacun des membres de la
famille et par le couple.

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F REUD : LE COUPLE , LA FAMILLE ET LE GROUPE 15

Les agirs pervers familiaux peuvent bien évidemment, sécréter une


importante quantité de pouvoir familial abusif comme nous pouvons
l’observer, par exemple, dans de nombreux secrets pathologiques de
famille. Nous parlerons alors d’agirpouvoir à l’instar de l’actepouvoir ;
celui-ci n’est pas au service de la croissance familiale, mais il est au
contraire source de destructivité familiale.
Ajoutons qu’il existe un lien évident entre l’actepouvoir social et l’ac-
tepouvoir familial ; le plus souvent on peut observer des modifications du
rapport de dépendance dans le couple lorsqu’un de ses membres possède
un pouvoir social supérieur à celui de son partenaire. Les travaux de
Freud concernant les instances de régulation du Moi (Idéal du Moi et
Surmoi) et ceux plus récents, portant sur les rapports d’autorité dans
l’intersubjectivité de l’enfant avec les parents, le père, la mère, les
représentants sociaux de l’autorité, n’ont peut-être pas été suffisamment
vus comme les premiers maillons d’une recherche au sujet d’une relation
spécifique que l’on peut appeler la relation de pouvoir dans la famille et
le groupe. Freud est, à notre connaissance, le premier auteur à avoir tenté
de montrer les fondements inconscients et fantasmatiques des relations
de pouvoir.
Freud établit aussi un rapport essentiel entre la nature libidinale du
lien groupal et les pulsions sexuelles inhibées quant au but. Ces dernières
doivent donc être considérées comme très importantes, notamment dans
les relations de pouvoir. Pour Freud, « ces pulsions inhibées quant au
but conservent toujours encore quelques-uns des buts sexuels originels ;
même le fidèle plein de tendresse, même l’ami, l’adorateur, cherchent la
proximité corporelle et la vue de la personne qui n’est plus désormais
aimée qu’au sens paulinien. Nous pouvons reconnaître dans ce détour-
nement quant au but, un début de sublimation des pulsions sexuelles,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mais nous pouvons reculer encore plus loin la frontière de cette dernière.
Les pulsions sexuelles inhibées quant au but ont sur les non inhibées un
grand avantage fonctionnel, comme elles ne sont pas susceptibles d’une
satisfaction totale à proprement parler, elles se montrent particulièrement
capables de créer des liens durables, alors que les pulsions directement
sexuelles perdent chaque fois de leur énergie, du fait de la satisfaction
et sont forcées d’en attendre le renouvellement par recharge de la libido
sexuelle, à l’occasion de quoi, l’objet peut entre-temps être changé.
Les pulsions inhibées sont susceptibles de se mélanger, selon toutes
les proportions possibles, avec les pulsions non inhibées et peuvent se
retransformer à rebours en celles-ci, tout comme elles en sont issues ».
Cette distinction entre d’une part pulsions sexuelles directes ou
pulsions non inhibées, et d’autre part pulsions sexuelles inhibées quant

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16 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

au but, c’est-à-dire sans satisfaction érotique, permet à Freud de mieux


différencier les phénomènes concernant l’état amoureux, l’hypnose et le
groupe.
« L’état amoureux repose sur la présence simultanée de tendances
sexuelles directes et de tendances sexuelles inhibées quand au but,
l’objet attirant sur lui une partie de la libido narcissique du Moi [...]
Il n’y a d’espace que pour le Moi et l’objet. L’hypnose partage avec
l’état amoureux la limitation à ces deux personnes, mais elle repose
intégralement sur des tendances sexuelles inhibées quant au but et met
l’objet à la place de l’Idéal du Moi ».
Freud fait preuve ici d’une intuition géniale quand il écrit « il n’y a
d’espace que pour le Moi et l’objet ». À la lumière des réflexions de
Freud sur le corps commun imaginaire, on peut voir apparaître l’idée du
corps commun du couple, à propos de l’hypnose et de l’état amoureux et
celle du corps commun du groupe au sujet de la foule.
À l’intérieur de ce corps commun, il montre un fonctionnement de
vases communicants où « l’objet attire sur lui une partie de la libido
narcissique du Moi ». On remarque là aussi, un phénomène narcissique
spécifique, l’antinarcissisme, décrit par F. Pasche : « Le sujet tend à se
dessaisir de lui-même, à se priver de sa propre substance ... à se déprendre
littéralement de lui-même ».
« La foule multiplie ce processus, elle concorde avec l’hypnose par
la nature des pulsions qui assurent sa cohésion et par la substitution de
l’objet à l’Idéal du Moi, mais elle y ajoute l’identification à d’autres
individus qui peut être fut possible à l’origine grâce à une même relation
à l’objet ».
En résumé, de ces différents textes extraits de Totem et Tabou et de
Psychologie des foules et analyse du Moi plusieurs idées essentielles
ressortent :
• En premier lieu, l’existence du fantasme des phénomènes narcissiques
d’indifférenciation, c’est-à-dire de masse et celle du fantasme de corps
et de psyché communs du couple, de la famille et du groupe.
• En second lieu, l’objet chef est mis à la place de l’Idéal du Moi de
chacun des membres du groupe ; les membres du groupe s’identifient
entre eux.
On distingue ainsi, d’une part le chef et d’autre part, à un niveau
inférieur dans la hiérarchie du pouvoir, les autres membres du groupe qui
se situent entre eux à un même niveau de pouvoir. Une hiérarchie apparaît.
La relation de pouvoir dans sa forme normale dans le groupe et la famille,
l’autorité, serait ainsi organisatrice de la différenciation hiérarchique dans

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F REUD : LE COUPLE , LA FAMILLE ET LE GROUPE 17

le registre de l’intersubjectivité, où les espaces psychiques de chacun sont


distincts et où existe un espace psychique intermédiaire partagé entre les
membres du groupe et de la famille, ambigu car, à la fois à chacun et à
tous ; cet espace intermédiaire assure une transition, un passage entre le
monde interne et l’externe, la compréhension individuelle et collective.
Nous distinguons l’autorité du laxisme et de l’autoritarisme ou de
la violence qui, eux, appartiennent au registre de la transsubjectivité
pathologique où « les espaces psychiques de chacun, non seulement sont
indistincts, mais sont transgressés en permanence » comme le souligne
R. Kaës dans sa préface au livre de J. Defontaine L’empreinte familiale.1

L A PULSION SOCIALE ET LA FAMILLE


L’idée de pulsion sociale a été développée brièvement par Freud dans
son introduction de Massenpsychologie : « Nous devons bien objecter,
écrit-il, qu’il serait difficile de concéder au facteur numérique une
importance aussi grande qu’à lui seul il lui soit possible d’éveiller dans la
vie psychique de l’être humain une pulsion nouvelle, non encore active en
d’autres circonstances. Notre attente est donc infléchie vers deux autres
possibilités : d’une part, cette pulsion sociale ne serait pas originaire et
irréductible, d’autre part, les débuts de sa formation seraient à trouver
dans un cercle plus étroit comme celui de la famille ».
Freud décrit la naissance de la pulsion sociale ou de l’instinct grégaire
chez l’enfant, dans le chapitre IX intitulé : la pulsion grégaire.
La formation de cette pulsion dont la fratrie est l’objet, implique
pour lui la distinction générationnelle parents-enfants : « Pendant long-
temps, on ne remarque chez l’enfant rien d’un instinct grégaire ou
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’un sentiment de masse. Un tel sentiment se forme d’abord dans la


nurserie aux nombreux enfants, à partir du rapport des enfants à leurs
parents, et il se forme en réaction à la jalousie initiale, avec laquelle
l’aîné accueille le plus jeune. L’aîné des enfants voudrait, c’est certain,
refouler jalousement celui qui vient après lui, le tenir à l’écart des parents
et le dépouiller de ses droits, mais en présence du fait que cet enfant
aussi – comme tous ceux qui suivront – est aimé par les parents d’une
égale façon et par suite de l’impossibilité de persévérer dans son attitude
hostile sans dommage personnel, il est contraint à l’identification aux
autres enfants et il se forme, dans le groupe d’enfants un sentiment de
masse ou de communauté qui, plus tard, connaît à l’école la suite de son

1. Defontaine J., L’empreinte familiale, Paris, l’Harmattan, 2007.

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18 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

développement. La première exigence de cette formation réactionnelle


est celle de justice, de traitement égal pour tous ».
Aussi, chez Freud, la structure familiale avec sa contrainte à l’iden-
tification des enfants entre eux, serait le prototype du groupe considéré
comme une somme d’individus qui ont mis « un seul et même objet à la
place de leur Idéal du Moi et se sont, en conséquence, dans leurs Mois,
identifiés les uns aux autres ».
Donc, à la différence parents-enfants dans la famille correspond la
différence chef-membres du groupe dans Massenpsychologie et celle
totem-membres du groupe totémique dans Totem et Tabou.
À propos du concept de masse en groupe ou en famille, ou bien encore
à propos de la pulsion sociale, Freud nous a souvent donné le sentiment
qu’il percevait le fantasme du groupe ou de la famille comme objet.
Cependant, il ne voit pas clairement que le groupe est investi comme un
objet par chacun des membres du groupe y compris par le chef ; que la
famille est investie aussi comme un objet, y compris par les parents ; que
le totem est une représentation d’objet-groupe commun, à la fois idéal et
répressif.
Dès 1929, dans Le Moi et le penser, une étude psychanalytique1 , I.
Hermann conçoit l’idée du groupe et de la famille comme objet ; il écrit :
« Un cas que Freud juge particulièrement digne d’attention à observer
dans la collectivité est celui de l’identification du Moi avec les membres
d’un ensemble. Là, on peut se demander à qui s’identifie le Moi ? avec
son voisin, avec quelques-uns des voisins, avec tous ? En fait, tout se
passe comme si le Moi s’identifiait à tous les membres de l’ensemble...
La solution la plus simple de l’énigme serait de poser l’existence d’un
schéma collectif dans chaque sujet, schéma qui permettrait l’identifica-
tion avec les membres de la collectivité ».
Ainsi, I. Hermann distingue-t-il un type particulier d’identification
qu’il appelle l’identification Moi-schéma collectif (attribution d’une
place dans la collectivité) :
« D’où vient le schéma collectif ? Il nous faut penser à la petite
enfance, à l’époque très précoce où l’enfant se sent membre de la famille.
La famille se compose de ses proches immédiats, le père, la mère, les
frères, les sœurs et aussi les domestiques. Je formule l’hypothèse que
la famille elle-même est l’objet d’un investissement libidinal ... C’est
la vie au sein de la famille qui fournit le premier modèle de ce schéma

1. Hermann I., Le Moi et le penser, une étude psychanalytique, Paris, Denoël, 1977.

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F REUD : LE COUPLE , LA FAMILLE ET LE GROUPE 19

collectif ; la famille serait ainsi le premier objet à remplir ce schéma


étant entendu que cela s’accomplit grâce à un investissement libidinal ».
En 1938, J. Lacan dans son article « Le complexe, facteur concret de la
psychologie familiale »1 écrit : « Tout ce qui constitue l’unité domestique
du groupe familial devient pour l’individu, à mesure qu’il est plus capable
de l’abstraire, l’objet d’une affection distincte de celles qui l’unissent à
chaque membre de ce groupe ».
En d’autres termes, J. Lacan distingue l’investissement de l’objet-
famille des investissements des différents objets-individus de la famille.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

1. Lacan J., « La famille », Encyclopédie-Médico-Chirurgicale, Section A, Chapitre 1,


Paris, Gallimard. 1973.

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Chapitre 2

AMBIGUÏTÉ
ET PARADOXALITÉ

OUS NOUS PROPOSONS , avant de comparer les caractéristiques de


N l’œdipe et de l’antœdipe et d’étudier leurs rapports qui sont, tantôt
complémentaires lorsque le développement psychique est normal, tantôt
opposés dans certaines formes d’organisations familiales pathologiques
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

appartenant au registre incestueux, de préciser un ensemble de concepts


avec des exemples cliniques nécessaires à la compréhension de l’antœ-
dipe et à sa comparaison avec l’œdipe.
Ainsi, il nous paraît important de définir et d’illustrer les notions
d’ambiguïté et de paradoxalité, de fantasmes narcissiques d’autodé-
sengendrement et d’auto-engendrement, d’incestualité (néologisme que
nous devons à M. Hurni et G. Stoll).
En effet, « l’œdipe n’est pas l’inceste, il en est même le contraire »
souligne P.-C. Racamier.
Nous pouvons ajouter que l’œdipe n’est pas non plus l’incestualité, il
en est aussi le contraire.

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22 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

L’ INCESTE ET L’ INCESTUALITÉ
Cliniquement l’antœdipe dans sa forme pathologique correspond à
l’inceste et à l’incestuel.
Le concept d’incestuel nous apparaît comme une découverte majeure,
soulignons-le, et révolutionnaire : « L’incestuel qualifie, dit P.-C. Raca-
mier, ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’em-
preinte de l’inceste non fantasmé ».
Il appartient au registre de l’inceste. L’incestuel est en quelque sorte
pris en tenaille entre l’inceste fantasmé, symbolisé et refoulé de l’œdipe
et l’inceste génitalement accompli1 .
L’agir incestuel se définit comme un équivalent d’inceste, comme
le substitut déguisé d’un acte de nature incestueuse. Son organisation
symbolique est de l’ordre des équations symboliques d’H. Segal.
Il est essentiel de distinguer l’inceste fantasmé de l’œdipe qui est
figuré, symbolisé, refoulé et inconscient, de l’inceste non fantasmé,
c’est-à-dire agi, soit sous la forme d’agirs incestueux, soit sous celles
d’agirs incestuels de l’antœdipe pathologique. Ces agissements sont
conscients.
Quant à l’antœdipe dans sa forme normale, c’est-à-dire l’antœdipe
tempéré, nous allons le trouver dans tous les phénomènes transitionnels
comme le jeu, le mot d’esprit, l’humour et la créativité.
En fait, il est au cœur des relations premières mère-bébé centrées par
le fantasme normal narcissique d’auto-engendrement mutuel.
L’antœdipe normal, fantasmé, figuré et symbolisé, coexiste avec les
formations œdipiennes. Cette coexistence caractérise le fantasme transi-
tionnel, les relations d’objet transitionnel et l’ensemble des phénomènes
transitionnels.
En revanche, les formes pathologiques de l’antœdipe s’opposent à
l’avènement de l’œdipe.
En effet, la mégalomanie agissante incestueuse et/ou meurtrière, les
agirs d’emprise et de séduction narcissique pathologique, l’excitation
sexuelle incestueuse et/ou meurtrière et les relations paradoxales sont
antifantasmatiques et antiœdipiennes.
Enfin, les relations d’objet paradoxales ont pour corollaire l’irrepré-
sentabilité ; ce fait est essentiel. Le fantasme-non-fantasme antœdipien

1. Vocabulaire de psychanalyse groupale et familiale, Paris, Ed. du Collège de Psycha-


nalyse Groupale et Familiale, 1998, tome 1, p. 147.

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A MBIGUÏTÉ ET PARADOXALITÉ 23

pathologique occupe alors la place du fantasme œdipien. Les agirs méga-


lomaniaques et l’excitation antœdipiens pathologiques court-circuitent
le fantasme, c’est-à-dire l’affect et la représentation traumatiques, insou-
tenables.
L’antœdipe pathologique s’oppose farouchement aux différenciations
structurantes et néanmoins redoutées qu’opère l’œdipe. Ces différencia-
tions essentielles portent sur l’individu, la génération, le sexe, le pouvoir
et la mort. Elles sont sources chacune d’angoisse spécifique telles que
les angoisses catastrophiques, persécutrices, dépressives et de castration.
Nous pouvons ajouter que la mégalomanie incestueuse ou incestuelle
a pour corollaire l’existence de phénomènes paradoxaux fermés carac-
térisés par l’irreprésentabilité, la non-opposabilité, c’est-à-dire la non-
contradiction et l’indécidabilité.
Ils s’opposent à la transitionnalité qui est fondamentalement définie
comme ambiguë. Elle permet la cœxistence pacifique de formations
antœdipienne et œdipienne caractérisant les phénomènes paradoxaux
ouverts.
La paradoxalité fermée est pathologique.
La paradoxalité ouverte est normale. Elle « est principe de la vie
psychique et condition de la santé du Moi ». Elle est nommée ambiguïté
par P.-C. Racamier1 .

L’ AMBIGU ET LE PARADOXAL

« L’ambigu et le paradoxal ressortissent ensemble à l’ordre de l’indé-


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

cidable. Mais différemment : sont ambigus des objets réunissant des


qualités opposées, entre lesquelles il n’est pas à choisir ; sont paradoxales
des opérations mentales ligaturant insolublement l’une par l’autre des
propriétés qui sans être opposables sont cependant inconciliables.
L’application de ces notions au champ psychanalytique, dans l’articulation
entre l’individuel et le groupal, enrichit, pour l’ambiguïté, la connaissance
des prémices et des bases de l’organisation psychique en sa double polarité
objectale et narcissique ».
« La paradoxalité », toujours selon P.-C. Racamier, « se définit tout à la
fois comme un fonctionnement mental, un régime psychique et un mode
relationnel dont le paradoxe est le modèle. Et le paradoxe se définit en
toute rigueur comme une formation psychique liant indissociablement

1. Racamier P.-C., Vocabulaire de psychanalyse groupale et familiale, Paris, Ed. du


Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale, 1998, p. 9.

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entre elles et renvoyant l’une à l’autre deux propositions, ou injonctions,


inconciliables et cependant non opposables1 (1978) ».

Le caractère de non-opposabilité est essentiel. Remarquons d’avance


et dès maintenant que l’ambiguïté, elle, « désigne la propriété de ce qui
réunit deux qualités opposées et participe de deux natures différentes.
Ambigus sont donc des objets, des représentations et des relations, qui
d’origine et foncièrement, participent de deux natures opposées ».
« C’est à Winnicott (1953) » dit P.-C. Racamier « que l’objet ambigu
doit d’être devenu célèbre sous le vocable d’objet transitionnel : cet objet,
souvent en peluche et en forme d’animal, qui joue un rôle si important
dans le développement de l’enfant, cet objet pour l’enfant est à la fois de
sa mère et de lui-même, à la fois lui et pas à lui, à la fois vivant et inanimé,
à la fois externe et interne. L’auteur qui le qualifie de transitionnel, le
dit paradoxal, mais il est typiquement ambigu ; fait notable, également
souligné, la double nature de cet objet n’est mise en question ni par
l’enfant ni par son entourage, et l’indécidable à son égard n’est pas
tranché. À partir de cet objet l’auteur a étudié l’aire transitionnelle et les
processus transitionnels, qui présentent les mêmes qualités d’ambiguïté
foncière et féconde ».
P.-C. Racamier ajoute :
« L’ambiguïté est en clinique psychanalytique un concept capable
de qualifier à la fois et conjointement le travail du Moi, l’organisation
de la pensée et l’organisation relationnelle, et cela tant pour l’individu
que dans le groupe et la famille. Comme on l’a vu l’ambiguïté peut
s’appliquer à des objets, des perceptions, des représentations, des mots,
des situations, des processus et des créations. Pour qu’il y ait ambiguïté
il faut que coexistent des qualités et propriétés de sens contraires, de
positions symétriques et de valeurs égales (externe/interne ; réel/irréel ;
mien/non mien ; étranger/familier ; animé/inanimé) dont le partage est
indécidable et – pour l’ambiguïté qui demeure « ouverte » – reste à
jamais indécidée.
Le caractère de double nature et l’indécidabilité sont des propriétés
nécessaires de toute véritable ambiguïté. Le cœur de l’ambigu se situe à
la jointure indécise entre le narcissique et l’objectal.
Ce que la pensée se refuse à comprendre n’est pas pour autant à mettre
au rang de l’ambiguïté. Surtout, l’ambiguïté n’est à confondre ni avec
l’ambivalence qui désigne la fusion des dérivés des pulsions d’amour

1. Racamier, op. cit., p. 5.

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A MBIGUÏTÉ ET PARADOXALITÉ 25

et d’agressivité ; ni avec la paradoxalité qui relie de manière insoluble


des propositions non opposables, et qui visent à forcer des décisions
foncièrement impossibles ».
« Dans la paradoxalité », précise P.-C. Racamier, « à la fois la pensée,
la défense et les transactions sont similairement engagées ; c’est pour-
quoi elle peut affecter le fonctionnement non seulement d’un individu,
mais d’une famille entière (J.-P. Caillot, 1982,1989) ou d’un groupe
institutionnel. C’est bien en cela que le concept de paradoxalité se situe à
la charnière de l’intrapsychique et de l’interactif ou de l’individuel et du
groupal. Par les insolubles contraintes qu’elle exerce et qu’elle traduit,
la paradoxalité organise donc des relations d’étreintes indénouables. La
contrainte paradoxale d’un schizophrène dit qu’il n’est qu’en n’étant
pas (P.-C. Racamier, 1978, 1980) ; la contrainte paradoxale de certaines
familles est que vivre ensemble tue et que vivre séparément est mortel
(J.-P. Caillot, 1982, 1989). Encore ces paradoxes à être formulés, sont-ils
déjà à moitié dénoués ; car les paradoxes cliniques, eux, tendent à se
rendre indiscernables »1 .
Ainsi, pour résumer, dans la paradoxalité fermée, pathologique, les
propositions du paradoxe sont inconciliables et non opposables, tandis
que dans la paradoxalité ouverte ou ambiguïté, c’est-à-dire dans la
transitionnalité, les propositions sont conciliables et non opposables.
L’ambiguïté est à différencier de l’ambivalence où les dérivés pul-
sionnels libidinaux et agressifs, tissés ensemble, sont conciliables et
opposables. Remarquons que l’ambiguïté et l’ambivalence partagent la
même caractéristique d’être conciliable ; elles appartiennent à la lignée
œdipienne.
La transitionnalité permet le passage de la toute-puissance infantile, de
l’illusion primaire de D. W. Winnicott, de l’auto-engendrement normal
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

à une position infantile progressivement plus réaliste ; elle transforme


la coexistence pacifique du Moi/non-Moi de l’objet en séparant le Moi
du non-Moi qui deviennent distincts, opposables. Ainsi, on observe un
déclin de la toute-puissance infantile, du fantasme narcissique d’auto-
engendrement au profit du fantasme d’engendrement et en même temps
une capacité nouvelle de contrôle de soi et de l’environnement.
En fait, les phénomènes transitionnels ne permettraient-ils pas des
mouvements de transformation dans les deux sens : d’une part, le passage
de l’ambiguïté à la différenciation, comme nous venons de le décrire, et

1. Racamier, op. cit, pp. 6-7.

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d’autre part, en sens inverse le retour vers l’ambiguïté, c’est-à-dire, l’évo-


lution d’une position d’opposabilité non ambiguë à celle de l’ambiguïté
comme par exemple dans le jeu ? En allant du registre du non-jeu à celui
du jeu les termes opposables personne et personnage entrent dans une
position ambiguë ; ils coexistent pacifiquement car il n’est pas question
dans le jeu de choisir ; ils deviennent conciliables alors que ces mêmes
termes ne l’étaient pas dans le registre du non-jeu. Ces faits sont majeurs.
L’ambiguïté est à différencier de la paradoxalité.

Dans certains cas, nous avons pu observer le passage de l’ambiguïté à


la paradoxalité pathologique. C’est au cours d’une première consultation
familiale où étaient présents un père et ses deux enfants (6 et 3 ans) que
nous assistons à une attaque perverse de la part du père envers son fils aîné
consistant à détruire le jeu proposé par son fils. L’agir meurtriel du père arrête
le processus ludique du fils ; il vise à produire une défantasmatisation des
fantasmes ludiques du jeune enfant. Voici la succession des faits cliniques :
pendant que le père parle et expose l’objet de sa consultation, son fils aîné
joue avec de la pâte à modeler et son fils cadet, agité, court d’un mur à
l’autre. Le fils aîné propose à son père de jouer avec lui et dit : « Tiens, Papa,
c’est pour toi, c’est des bonbons ! » Le père repousse la main de son fils et
dit : « Ce ne sont pas des bonbons, c’est de la pâte à modeler ! » Au même
moment, le fils cadet se heurte violemment contre le mur.
Nous assistons là à une déconstruction du jeu de ce jeune enfant, à une
désymbolisation et une défantasmatisation de l’activité ludique. L’agir pervers
du père, appartenant au registre du meurtriel, tente de faire passer son fils
aîné d’une position ludique ambiguë à une position paradoxale, tandis que le
fils cadet semble agir, en se cognant, une détresse en forme d’impasse où le
jeu est devenu brutalement impossible.

FANTASMES NARCISSIQUES
D ’ AUTODÉSENGENDREMENT
ET D ’ AUTO - ENGENDREMENT
Par engendrement, nous entendons la procréation d’un enfant par une
mère et un père.
Par « bigénérie », P.-C. Racamier désigne, « la qualité (peu connue)
consistant à se sentir intimement issu de deux parents de genres (ou
sexes) différents, et à participer d’au moins deux générations.
Bien au-delà la donnée factuelle qui constitue évidemment son assise,
la bigénérie est un principe fondamental d’organisation de la vie psy-
chique. Actrice majeure de la constitution de la troisième topique et de
la différenciation des êtres, elle n’est certainement pas moins importante,

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A MBIGUÏTÉ ET PARADOXALITÉ 27

quant à l’intégration de la psyché, que peut l’être la bisexualité. L’une


et l’autre vont généralement ensemble et sont en interaction constante ;
elles ne sauraient cependant se confondre ; il est à présumer que la
bisexualité, serait-elle privée de la bigénérie, ne tiendrait pas la route ».
Nous définissons l’auto-engendrement comme l’engendrement ima-
ginaire de soi par soi-même ou celui réalisé par une seule personne,
autrement dit un fantasme de parthénogénèse ; il s’agit le plus souvent
d’un fantasme-non-fantasme d’auto-engendrement. Par exemple, D.A.F.
Sade1 écrit « Ce n’est pas le sang de la mère d’ailleurs qui forme l’enfant,
c’est celui du père seul ».
Par autodésengendrement nous entendons la non-reconnaissance ima-
ginaire d’avoir été engendré ou bien encore la non-reconnaissance
d’engendrer ou d’avoir engendré. L’autodésengendrement désigne le
fantasme ou le fantasme-non-fantasme de se dé-créer soi-même ou de
ne pas avoir procréé ; il appartient dans ses formes pathologiques à
l’incestualité, au meurtriel.
Ces formations narcissiques d’autodésengendrement et d’auto-
engendrement, lorsqu’elles sont pathologiques ont pour corollaires le
déni des origines, le déni d’engendrement ainsi que le déni du fantasme
de la scène primitive. Ainsi, dans Les Euménides d’Eschyle, Athéna dit
« Je n’ai pas de mère qui m’ait enfantée ».
Auto-engendrement et autodésengendrement font intégralement partie
de la constellation antœdipienne : ces formations narcissiques contraires
peuvent avoir, soit un destin normal où le sujet s’institue cocréateur de
sa vie et ainsi se prépare à l’œdipe, soit un destin pathologique où il
s’intronise comme engendreur unique de soi-même et du monde, au lieu
et place des parents et des ancêtres, ce qui tend à évincer radicalement
l’œdipe et les générations.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’auto-engendrement réciproque normal désigne le processus psy-


chique originaire et spécifique faisant que le sujet auto-engendre l’objet
par lequel il est auto-engendré. Cette notion fait partie intégrante de
l’antœdipe normal, bien tempéré (P.-C. Racamier).
En effet, dans l’intimité de la construction antœdipienne, répétons-le,
normale, les deux créations sont parfaitement corrélatives et simultanées :
aucune des deux n’anticipe l’autre ni ne la commande ; le principe de
l’auto-engendrement réciproque est celui d’une cocréation mutuelle ;
toute idée d’enchaînement temporel ou causal en est exclue. « Il est

1. Sade D. Justine ou Les Malheurs de la vertu, Le livre de poche, coll. Les classiques
de poche, n° 3714, p. 105.

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certain en revanche », affirme P.-C. Racamier, « que la psyché ne saurait


vivre et se vivre semblablement selon qu’elle a ou non franchi ce
processus, car c’est en son sein que naît la pensée des origines ».
Dans l’antœdipe pathologique le lien devient paradoxal et se trans-
forme en ligature-rupture ; l’auto-engendrement réciproque vire à l’auto-
engendrement exclusif pathologique.
Présentons maintenant un bref exemple clinique pour illustrer ces
fantasmes-non-fantasmes narcissiques paradoxaux d’autodésengendre-
ment et d’auto-engendrement ; ils sont ici, évidemment pathologiques.
Voici maintenant un bel exemple proposé par Phénix : cette séance
marque une étape très importante dans l’évolution de cet enfant car, pour
la première fois, Phénix figure un couple de parents et la scène primitive ;
nous assistons ici à un certain déclin de sa mégalomanie antœdipienne
et de son déni des origines, de la scène primitive. Il passe du déni à la
dénégation.

Cette séance a eu lieu quelques jours avant mon départ à la retraite. Phénix,
mon grand professeur en antœdipologie – après P.-C. Racamier – met en
scène face à Antœdipe l’auto-engendré, Œdipe l’engendré par deux parents
de sexes différents.
J’éprouvai un très vif plaisir à jouer le lion avec lui dans cette scène car je
compris que Phénix se dégageait de cette mégalomanie dite furieuse par
P.-C. Racamier. Phénix faisait coexister auto-engendrement et engendrement.
Quel magnifique cadeau de la part de cet enfant que j’aimais beaucoup !
Il est alors âgé de 7 ans ; cela fait environ trois ans qu’il travaille avec nous,
à raison de cinq séances par semaine, dans ce groupe de soins intensifs.
Ce jour-là Phénix propose le jeu suivant : il serait un grand chimpanzé qui
rencontrerait dans la forêt un lion et une lionne.
Voici le jeu :
Le lion : « Comment ça va ? Tu vois, grand chimpanzé, je me promène dans
la forêt avec ma femme. On est amoureux. Nous avons décidé de faire un
bébé aujourd’hui » !
Le chimpanzé : « J’ai pas de femme et je ne veux pas de bébé ».
La lionne : « Veux-tu manger avec nous » ?
Le chimpanzé : « Je ne mange jamais ! Je ne fais ni pipi, ni caca » !
La lionne : « Tu es vraiment un chimpanzé extraordinaire ! Tu n’es pas
comme les autres, ni comme nous. Nous, on mange, on fait pipi, caca ».
Le chimpanzé : « Jamais » !
La lionne : « Si tes parents te laissent seul dans la forêt, pleures-tu » ?
Le chimpanzé : « Je n’ai pas de parents » !
Le lion : « Alors toi, tu ne pleureras donc pas comme nous à la mort nos
parents. Tu n’auras pas de chagrin puisque tu n’as pas de parents » !

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A MBIGUÏTÉ ET PARADOXALITÉ 29

La lionne : « Nous avons bien mangé. Maintenant nous allons faire un


nouveau bébé ».
Le chimpanzé : « Non ! Jamais » !
Et le chimpanzé se cache les yeux puis se bouche les oreilles avec ses
mains.
Le lion : « Tu ne veux rien entendre ni voir quand on te parle de faire un bébé.
C’est beau tu sais un bébé ! Nous aimons beaucoup les bébés ma femme
et moi et ils nous aiment. On reste des heures à les regarder jouer, dormir,
manger, se promener. On leur apprend à faire pipi, caca au bon endroit, à
chasser. Tu ne sais pas ce que tu perds en étant sans femme et sans bébé ».
Le chimpanzé : « Je ne veux pas de femme, de bébés, j’ai dit » !
La lionne : « T’as vu comme il est fort mon lion » !
Le chimpanzé : « Moi, je suis le chef des chimpanzés » !
Devant la dramatisation de la scène primitive, le chimpanzé a recours à
la mégalomanie. Il refuse la dépendance infantile œdipienne aux parents
pour se réfugier dans l’antœdipe pathologique et ses fantasmes narcissiques
d’autodésengendrement et d’auto-engendrement mégalomaniaques. Phénix
dénie l’engendrement, ses origines parentales et la scène primitive : il n’a
pas de parents et n’aura pas d’enfants.
L’antœdipe pathologique est bien défensif contre les processus de différen-
ciation générationnelle et sexuelle et contre le deuil, comme on peut le voir
au cours du jeu dans le questionnement des lions adressé au chimpanzé
concernant les générations et la douleur de la perte et du deuil. Il s’oppose
ainsi à la reconnaissance de la dépendance infantile introjective aux parents,
dépendance que Phénix estime non fiable, insécure, dangereuse. Phénix
n’a ni sécurité d’attachement, ni sécurité affective. Seul l’auto-engendrement
pathologique lui permet d’installer cette autarcie mégalomaniaque protectrice
contre l’attachement et toutes formes de dépendance aux objets vivants.
Il se produit au cours de cette séance un fait remarquable dans l’organisation
psychique de Phénix : des représentations d’engendrement apparaissent et
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

coexistent avec celles de l’auto-engendrement. Un fantasme transitionnel est


né ! Œdipe cohabite avec Antœdipe.

Voici un second exemple qui nous semble bien mettre en lumière le


déni d’engendrement et les fantasmes-non-fantasmes d’autodésengen-
drement et d’auto-engendrement :

Il s’agit d’une jeune femme qui vient d’accoucher d’une petite fille ; elle est
très angoissée car elle apprend que son mari a une relation extra-conjugale.
Soulignons qu’elle a été incestée dans sa petite enfance par sa mère et
à l’adolescence, a eu, avec la complicité de cette dernière, des relations
incestuelles avec son père. Selon ses dires, son mari dans son enfance
aurait été réellement abandonné et aurait été fréquemment disqualifié par
une mère décrite comme perverse narcissique.

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30 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Le cadre de notre travail est celui d’une thérapie psychanalytique individuelle


en face-à -face.
La révélation traumatique de la relation extra-conjugale de son mari provoque
une importante détresse d’abandon et de dévalorisation qui actualise son
vécu incestueux, contre lequel elle se défend en ayant recours aux fantasmes
narcissiques d’autodésengendrement et d’auto-engendrement : elle a alors
la conviction passagère et délirante qu’elle n’est pas la mère de sa fille, que
c’est son mari l’unique auteur de cet enfant, qu’il l’a faite seul. On assiste
bien ici à un autodésengendrement qui s’accompagne de la projection dans
son mari d’une représentation délirante d’auto-engendrement. « J’ai pensé »,
disait-elle, « que, si mon mari n’avait pas fait notre fille à lui seul, je l’aurais
faite avec mon père ».
Les fantasmes d’engendrement incestueux et d’auto-engendrement familial
sont combattus par l’autodésengendrement et l’auto-engendrement projeté.

Autre exemple : dans un groupe de psychanalyse d’adultes une patiente rêve


qu’elle tient l’un des participants contre elle, comme une mère tient son bébé
pour la tétée ; elle en éprouve une grande satisfaction. Elle est la mère du
groupe qu’elle auto-engendre. Enfant, cette jeune femme avait vécu dans un
milieu familial incestuel ; sa mère avait été incestée par son propre père, le
grand-père maternel de la patiente.

Une autre vignette clinique concerne une patiente que nous appel-
lerons Péro en référence à l’allégorie de la Charité Romaine : Cimon,
condamné à mourir de faim, reçu en prison la visite de sa fille Péro qui
l’allaita. Le subterfuge découvert, le père fut libéré et la fille admirée
pour sa piété filiale1 . La version de Cimon et Péro est illustrée par de
nombreux peintres dont P-P. Rubens.2

Dans une séance en face-à-face, Péro, incestualisée par ses parents, raconte
un rêve survenu dans les jours qui suivent la mort réelle de son père : elle
est enceinte, le fœtus qu’elle porte est son père, il est malade. Ainsi, la fille
est la mère de son père.

Continuons la comparaison entre Œdipe et Antœdipe en développant


certains concepts tels que ceux de mégalomanie, de fantasme-non-
fantasme et de traumatisme psychique.

1. Ce récit, présente des variantes selon les auteurs, c’est parfois la mère qui est allaitée
par sa fille (Solin, ch.1 ; Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, livre VII, 36...).
2. Cimon et Péro, 1612, Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg, Russie.

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A MBIGUÏTÉ ET PARADOXALITÉ 31

L’œdipe est fait de deux formants imaginaires : l’un libidinal et l’autre


agressif.
Dans la position dépressive de M. Klein, l’ambivalence tisse ensemble
ces deux courants ; ces deux formants coexistent et sont, comme nous
l’avons dit, opposables et conciliables.
L’antœdipe pathologique est lui aussi fait de deux formants, mais ils
sont agis : l’un, sexuel incestueux et l’autre, meurtrier.
Dans la tragédie de Sophocle Œdipe-Roi nous trouvons à côté de
l’inceste le meurtre. Inceste et meurtre sont du même registre, celui de
l’inceste.
Ainsi Œdipe tue son père, épouse sa mère Jocaste qui se suicide.
Œdipe s’automutile en se crevant les yeux ; la rivalité envieuse et
meurtrière des fils d’Œdipe, qui sont aussi ses frères, les pousse à
s’entre-tuer au cours d’une bataille ; la lutte héroïque sacrificielle de
sa fille Antigone, qui est aussi sa sœur, précipite celle-ci vers la mort en
exigeant que son frère soit dignement inhumé. Antigone est fiancée à son
cousin Hémon, fils de son oncle Créon, frère du père d’Œdipe. Hémon,
amoureux d’Antigone, est à la fois le cousin et le neveu d’Œdipe.
Nous constatons dans Œdipe-Roi, comme dans les familles inces-
tueuses ou incestuelles, que la violence meurtrière ou/et automeurtrière
se mêlent à l’inceste. Par violence automeurtrière nous entendons le sui-
cide et l’automutilation car on peut considérer l’automutilation comme
un équivalent suicidaire.
M. Hurni et G. Stoll dans L’amour de la haine1 se demandent si Œdipe
n’aurait pas été abusé. La question nous semble très pertinente.
« Nous n’avons pas la prétention », disent-ils, « de réenvisager ce
mythe central de la psychanalyse, mais simplement d’en donner quelques
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

brefs éclairages sous l’angle de nos découvertes ou réflexions cliniques


relatives à l’abus et aux perversions. Bien des auteurs ont d’ailleurs,
depuis Freud, repensé ce mythe dans une optique interactionnelle impli-
quant le désir des parents (G. Devereux, 1970).
On ne s’est jamais assez avisé que toute l’affaire d’Œdipe qui se
poursuit à la génération suivante, s’ouvre à la génération précédente dans
le déséquilibre du couple Laïos-Jocaste. Au reste, la mythologie grecque
fourmille de mères complices des fils pour châtrer et tuer le père, de
pères – Zeus lui-même – tuant l’épouse porteuse de l’enfant qui déjà
les menace » (Amado Lévy-Valensi, 1973). Les auteurs poursuivent :
« La compréhension de la logique perverse nous amènerait à considérer

1. Hurni M. et Stoll G., L’amour de la haine, Paris, l’Harmattan, 1996, p. 273.

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32 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

ce mythe non plus comme le modèle d’un fonctionnement psychique


individuel, mais comme un paradigme familial de lutte dramatique entre
la névrose et la perversion. Dans cette optique, les faits doivent être
considérés en fonction de leur impact interactionnel et non plus sur le
seul plan symbolique.
Laïos, père d’Œdipe, aurait-il été pervers ? Selon la légende, il semble
s’être agi du premier pédéraste ; pire, il séduisit le fils de son meilleur
ami, l’enleva, et l’enfant selon certaines versions du mythe, se suicida.
Nous retrouvons des thèmes familiers : des lois bafouées, l’abus d’un
enfant, la violence et la mort.
Jocaste serait-elle l’autre pôle d’un couple pervers ? En premier lieu,
bien qu’elle soit dépeinte comme souffrant de stérilité, on peut noter
qu’elle ne s’est pas opposée à son mari lorsqu’il a entrepris de tuer
l’enfant qu’ils avaient fini par avoir. De plus, beaucoup d’auteurs, dont
J. Lacan, ont relevé qu’elle savait vraisemblablement que le roi Œdipe
était en réalité son fils.
« De tout ce qu’on t’a dit, va, ne conserve même aucun souvenir. À
quoi bon ! » dit-elle. Manipulatrice et ancienne complice de l’infanticide
raté, elle tente à plusieurs reprises de décourager son fils de rechercher
le meurtrier de Laïos, puis enfin, elle banalise l’inceste :
« Bien des gens dans leurs rêves ont partagé la couche maternelle.
Celui qui attache la moindre importance à de telle chose est aussi celui
qui supporte le plus aisément la vie » !
Il apparaît donc assez légitime de considérer la relation de ce couple
comme perverse, centrée sur une logique narcissique grandiose, une
volonté de transgression, une recherche d’excitations et de plaisirs
pervers et un dessein de destruction de l’enfant ».
On peut dire de l’inceste et du meurtre qu’il s’agit de productions
psychiques essentiellement narcissiques primaires dominées par une
séduction narcissique pathologique qui « s’empresse de recruter la
pulsion sexuelle » comme le souligne P.-C. Racamier1 et une emprise
narcissique pathologique qui recrute, elle, la pulsion meurtrière.
Ainsi l’inceste est-t-il une formation à la fois sexuelle et narcissique,
sexuelle-non-sexuelle et le meurtre, une formation à la fois meurtrière et
narcissique, meurtrière-non-meurtrière.
Le sujet prédateur et abuseur, qui perpétue l’inceste et le meurtre sur
l’objet narcissique abusé, n’est pas ou peu différencié de cet objet.

1. Racamier P.-C., L’inceste et l’incestuel, Paris, Dunod, 2010, p. 49.

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A MBIGUÏTÉ ET PARADOXALITÉ 33

Ces deux formants incestueux et meurtrier ne sont pas séparables


même si l’un est au devant de la scène clinique de façon évidente : ils
sont dans un rapport paradoxal, l’inceste renvoie au meurtre et le meurtre
à l’inceste. Dans les deux cas, le contrôle pathologique d’autrui est exercé
par le moyen d’agirs de séduction et d’emprise narcissiques. Dans ces cas
cliniques, l’abuseur n’a évidemment pas renoncé à la possession totale
de l’objet, ni fait le deuil d’un unisson narcissique absolu ; le processus
du deuil originaire n’est pas enclenché.
Ce contrôle pathologique de l’objet est bien illustré par ce rêve d’un
homme venu consulter pour des troubles de l’érection et de l’éjaculation ;
il se plaignait également de ne pas pouvoir établir des relations durables
avec certaines femmes qu’il appréciait ; il rompait. Sa solitude, malgré
ses grandes capacités de séduction, n’était apparemment pas source de
souffrance consciente à la condition de fumer régulièrement d’impor-
tantes quantités de cannabis. Il avait vécu un traumatisme précoce vers
l’âge d’un mois : en effet, il avait alors été séparé pendant plusieurs
mois de sa mère chez qui on avait diagnostiqué une affection grave
pendant la grossesse ; cette maladie avait d’ailleurs fait discuter une
interruption thérapeutique de grossesse. Son père, qui avait perdu très
brutalement une première femme de maladie, avait rapporté à plusieurs
reprises au patient qu’il avait beaucoup hésité à se séparer de lui, à
demander l’avortement pour sauver sa femme. Ces propos réitérés de
son père étaient ressentis comme un souhait de mort à son égard, de
meurtre. Ainsi, lors de certains repas en famille son père pouvait lancer à
la cantonade sous la forme d’une boutade : « Tu n’aurais pas dû être là ! »
Sa mère pouvait alors répondre : « Nous n’avons pas fait un mariage
d’amour, mais de raison » ! Et son père ajoutait régulièrement : « Oui,
l’amour est venu après ».
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour lutter contre ses angoisses d’abandon et de disqualification, il


avait fugué plusieurs fois lors de son adolescence. Il semblait assez
évident qu’avec ses différentes compagnes, ses angoisses catastrophiques
d’abandon et de dévalorisation le poussaient à les quitter avant qu’elles
ne le quittent.

Le rêve qui va suivre chez ce patient agissant marquait, à notre avis,


un grand progrès car il réussissait à figurer et à symboliser ses parties
délinquantes, abandonniques et dévalorisées : trois délinquants attaquent
une jeune femme dans la rue, la tuent puis la violent. Le patient n’associe
pas. Il est très surpris par son rêve. Il nous apparaît et nous le lui disons
que les trois délinquants représentent ses parts agissantes et délinquantes,
addictives et abandonniques (l’addiction au cannabis, ses agissements de
rupture, ses grandes difficultés à contrôler ses dépenses, par exemple) ; le

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34 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

meurtre de la jeune femme, que l’on peut considérer comme la figure de


l’emprise absolue, lui assure une possession totale ; ainsi, il sera certain
qu’elle ne l’abandonnera jamais. Rappelons en effet que ce patient peut
avoir une relation sexuelle sans éjaculation précoce dans la mesure où
ses angoisses d’abandon sont apaisées. Dans ce rêve, ce patient en
psychanalyse individuelle figure clairement ses agirs d’emprise pathologique
exercée sur l’objet, défensivement contre ses angoisses catastrophiques
agoraphobiques primitives.

L’ INCESTUEL ET LE MEURTRIEL
L’incestualité qui appartient au registre de l’antœdipe pathologique,
comprend deux courants, l’un sexuel incestueux est l’incestuel et l’autre
meurtrier, le meurtriel comme l’avait proposé B. Defontaine. L’incestua-
lité est donc composée d’équivalents d’inceste et de meurtre.
Avant d’aborder le meurtriel, que nous avons nommé en 1996 « l’in-
cestuel meurtrier », il nous faut donner quelques exemples au sujet de
l’incestuel : à propos de Phénix et de sa famille, nous avons vu que
sa mère embrassait Phénix sur la bouche aux dires de sa grand-mère
paternelle et que lorsque son père s’absentait, Phénix dormait avec
sa mère régulièrement jusqu’à un âge avancé (6 ans), qu’il prenait
également ses douches avec elle.

Autre exemple : tel père invite sa fille pré-adolescente, avec l’accord de la


mère, à une soirée à Pigalle avec des amis du père ; la mère ne sort pas
avec eux. L’un des amis du père prendra l’adolescente sur ses genoux lors
de cette soirée.

Encore un exemple: au cours d’un placement familial décidé par le juge


des enfants, une mère téléphone à son fils de 8 ans, pour lui dire qu’elle a
prêté son réveil au voisin qui maintenant, ajoute-elle, vient souvent dormir
à la maison ! Cet échange verbal incestuel, à distance, va déclencher
d’importantes angoisses claustrophobiques chez cet enfant qui se croit
subitement enfermé dans la salle de bains dont il casse la porte. Nous serons
alors amené à demander l’intervention de l’éducatrice de l’Aide Sociale à
l’Enfance pour interrompre les communications téléphoniques et épistolaires
de cette mère avec son enfant ; les lettres seront désormais adressées à
l’Aide Sociale à l’Enfance qui estimera si celles-ci doivent ou non lui être
remises. Nous annonçons ce nouveau dispositif protecteur à l’enfant en
présence de son éducatrice ; nous lui expliquons que les propos de sa mère
sont angoissants pour lui et que nous comprenons ses réactions ; que nous
avons, le juge, l’éducatrice et nous, le devoir de le protéger de sa mère qui a

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A MBIGUÏTÉ ET PARADOXALITÉ 35

déjà eu avec lui des comportements que nous réprouvions lors de certaines
soirées où elle était ivre et allait se coucher avec lui.

Précisons que nous rencontrions cet enfant avec sa mère deux fois
par mois dans le cadre de visites médiatisées, dispositif créé par M.
David en 1960, puis développé par H. Rottman ; M. Berger, avec qui
nous partageons les points de vue qu’il énonce concernant la protection
de l’enfance, définit les objectifs des visites médiatisées de la façon
suivante : « protéger l’enfant, éviter que l’enfant ne soit envahi par
des angoisses d’abandon (ou d’autre nature, pourrions-nous ajouter),
observer et comprendre la relation parents-enfant (ajoutons aussi, le
repérage des manœuvres perverses et le travail de dévoilement de celles-
ci), évaluer la fragilité persistante de l’enfant face à ses parents ou au
contraire sa solidité »1 .

Il nous faut aussi souligner l’intérêt particulier que nous avons porté à
l’observation de Gethsémani où D. Anzieu découvre les particularités de
l’enveloppe olfactive dans Le Moi-peau2 ; l’auteur y apporte un abondant
matériel incestuel au sujet d’un patient qui « sentait fort », qui sécrétait son
agressivité par les pores de sa peau. C’est seulement à l’adolescence que
ce patient cessa de fréquenter la couche de sa « marraine », sa seconde
mère, qui avait une réputation de malpropreté. Elle « entassait pendant
plusieurs semaines, avant d’entreprendre une lessive, sa lingerie sale dans
la salle de bains, où Gethsémani allait clandestinement respirer l’odeur
forte des dessous de sa marraine, opération qui lui apportait le sentiment
narcissiquement rassurant d’être préservé de tout, même de la mort ». Plus
loin, Anzieu ajoute : « Quand un mauvais rêve l’avait réveillé et qu’il n’arrivait
pas à se rendormir, Gethsémani rejoignait le lit de sa marraine, finissant la
nuit auprès d’elle en entreprenant quelques prudents attouchements ».
D. Anzieu décrit ensuite un transfert paradoxal incestueux psychosomatique,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’après nous agi corporellement de la manière suivante : « l’émission de


mauvaises odeurs pendant les séances avait un caractère directement
agressif et aussi séducteur, sans aucune transformation symbolique : il me
provoquait, me sollicitait, me souillait ».
L’auteur conclut en parlant de son contre-transfert : « Je résistais à laisser
pénétrer dans ma conscience la représentation – qui me répugnait – d’un
adolescent cherchant à s’accoler à moi dans un bain d’odeurs douteuses
et à me faire prendre le rôle d’une vieille fille lubrique, jusqu’à ce que je
comprenne que c’était là l’érotisation secondaire du contact avec l’objet-
support primordial, garant originaire de l’assurance de pouvoir vivre ».

1. Berger M. et Rigaud C., « Les visites médiatisées », Groupal, 2000, 7, pp. 172-174.
2. Anzieu D., Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1985, pp. 181-190.

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36 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Cette problématique des mauvaises odeurs, des ligatures-ruptures


incestuelles olfactives imparables, est du registre de la paradoxalité ; elle
est très rarement traitée en psychanalyse. Nous la retrouvons également
dans l’encoprésie où nous sommes confronté, soit à supporter silencieu-
sement et répétitivement ces mauvaises odeurs en ne les nommant pas,
mais cette position pour l’analyste peut devenir olfactivement intolérable,
gêner sa pensée et engendrer une forte agressivité et d’éventuels senti-
ments de culpabilité, soit à en parler, à les nommer, avec la crainte de
rendre coupable le patient et sa famille, de les humilier. Dans tous les
cas, nous nous trouvons devant un dilemme que nous pouvons énoncer
de la façon suivante : si nous ne nommons pas ces mauvaises odeurs le
malaise est corporellement et psychiquement pour l’analyste, si nous les
nommons nous craignons qu’il ne le soit pour le patient.
Il s’agira alors d’une mise en mots d’un agir olfactif incestuel para-
doxal, premier temps d’un processus de transformation d’un agir en
fantasmes.
D. Anzieu souligne ainsi l’importance de « l’érotisation secondaire
du contact avec l’objet-support primordial, garant originaire de l’as-
surance de pouvoir vivre » ; en effet la sexualisation de la relation
d’objet de ce patient à sa « marraine » crée un fantasme-non-fantasme
de corps commun salvateur qui s’oppose à la détresse catastrophique, à
la mort ; cette sexualisation de la relation d’objet détermine la création
d’une relation d’objet incestuel ou incestueux narcissique paradoxal
et d’un corps commun paradoxal. Cette observation est aussi un bel
exemple d’agrippement à un objet-sensation olfactif : les mauvaises
odeurs seraient à la fois une répétition traumatique incestuelle et un
objet-sensation olfactif autogénéré protecteur. L’objet-sensation olfactif
aurait une structure paradoxale à la fois incestuellement excitante et
salvatrice.
Après tous ces exemples concernant l’incestuel, abordons maintenant
l’incestuel meurtrier.
Nous avons décrit en 1996, l’incestuel meurtrier et ses équivalents
meurtriers1 .
L’agir meurtriel est un équivalent de meurtre, il est le substitut déguisé
d’un acte de nature meurtrière. Son organisation symbolique est de
l’ordre des équations symboliques d’H. Segal.

1. Caillot J.-P., « L’incestuel meurtrier », Groupal, 1997, 3, pp. 17-25.

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A MBIGUÏTÉ ET PARADOXALITÉ 37

Pour notre part, nous disons que l’agressivité appartient au registre


ambivalent œdipien tandis que le statut métapsychologique de la vio-
lence, de la destruction et du meurtre fait partie du registre antœdipien
pathologique.
C. Pigott a remarquablement décrit, la clinique imagoïque de l’homi-
cide dans Les imagos terribles, le passage du meurtre d’âme à l’homicide
et l’importance des deuils non faits dans la famille décrite.
Lorsqu’une famille est essentiellement organisée sur un mode antœ-
dipien pathologique, il nous faut penser en l’absence d’équivalents
d’inceste à l’existence d’équivalents de meurtre dont nous allons décrire
différentes formes cliniques ; ultérieurement, le versant sexuel de l’in-
cestualité, l’incestuel, peut bien sûr apparaître et compléter le tableau
clinique.
Nous rapportons maintenant un exemple illustrant la clinique de la
violence et du meurtriel ainsi que le passage du meurtriel à l’incestuel.

Tel cet homme jeune qui consulte pour des phobies d’impulsions meurtrières :
il redoute de tuer sa femme et sa petite fille puis de se suicider avec une
arme à feu. Il présente alors une forte tendance dépressive de tonalité
mélancolique avec des pensées suicidaires. Après plusieurs années de
travail, apparaîtront des phobies d’impulsions d’inceste envers sa fille. Il
imagine qu’il se suicidera après l’acte incestueux. À cette époque, toutes
les informations entendues à la radio ou à la télévision concernant des
faits incestueux sont sources d’angoisses très importantes pour lui. Il décrit
dans son enfance un climat familial incestuel, violent et meurtrier : colères
fréquentes et terrifiantes de son père lors des disputes entre ses parents ;
pendant les repas, son père peut planter un couteau dans la table ; au cours
de ces scènes, il redoute que son père ne tue sa mère ; survenues de
bagarres très violentes et dangereuses avec son jeune frère colérique. À
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’âge de 8 ans, ce patient avait commencé la réalisation d’un acte suicidaire


en tentant de se noyer dans l’étang de la ferme familiale.

Autre exemple : c’est progressivement au cours d’une thérapie familiale


psychanalytique que nous prenons conscience d’un climat familial meurtriel,
d’une folie familiale meurtrière. Aucun équivalent d’inceste ici. Tous les
enfants ont fait des études supérieures. Le patient désigné, Henri, interrompt
son cursus dès son entrée à la faculté, après une scolarité brillante et une
formation musicale approfondie. Avant que la famille ne consulte, Henri est
resté de longues années reclus dans sa chambre. Plus tard, il nous fera part
d’un délire caché d’allure érotomaniaque.
Fait important, il était né avec une malformation osseuse d’un membre.
Elle avait été rapidement diagnostiquée et avait nécessité durant toute

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38 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

l’enfance et l’adolescence d’Henri de multiples interventions chirurgicales


orthopédiques avec son cortège de séparations familiales et de rééducations
physiques. Certaines interventions avaient entraîné de longues périodes
d’immobilisation avec un appareillage métallique sophistiqué.
Au cours de l’une de ses nombreuses hospitalisations, Henri, qui avait alors
environ 7 ans, s’était fortement déprimé. Sa mère avait demandé un retour
temporaire à la maison tant elle le trouvait psychiquement souffrant. Henri,
au cours de la thérapie familiale avait fait part de souvenirs très pénibles où
apparaissaient d’atroces angoisses de séparation lorsqu’il entrait à l’hôpital
et quittait sa famille.
D’emblée, lors des premières séances nous avons été surpris par les doutes
que ses parents manifestaient à son égard : « Henri est-t-il malade ? Menteur
ou paresseux » ? Les parents déniaient la psychose d’Henri et tout ressenti
de désespoir, haine, rejet ou honte lorsqu’à sa naissance, le chirurgien
leur avait annoncé la malformation et les nombreux projets d’intervention
chirurgicale réparatrice.
Les parents se demandaient, en effet, si Henri, comme son grand-père pater-
nel était menteur et paresseux. Ce grand-père alcoolique était décrit, fourbe,
manipulateur, profondément égoïste et indifférent à la misère matérielle et
psychique de sa famille nombreuse, à l’épuisement de sa femme obligée
de faire des travaux pénibles pour nourrir les enfants ; par exemple, ce
grand-père gardait pour son propre usage l’argent des allocations familiales
et des bourses d’étude payées par les services sociaux du département pour
ses enfants.
Dans le transfert familial, le patient désigné et moi-même étions vécus
comme des arnaqueurs paresseux et menteurs : pour le père, son fils était
identifié projectivement à son père interne ; pour la mère, en alliance avec
le père, son fils était aussi identifié projectivement à son propre père interne.
La mère présentait une pensée opératoire, parlait rarement de sa famille
d’origine, parfois de sa mère et exceptionnellement de son père. Un des rares
souvenirs évoqué par elle concernant son père était le suivant : « lorsque
mon père rentrait ivre à la maison, il devait aller dormir dans le cellier ».
Progressivement les attaques envieuses de la famille envers le travail
analytique, sauf de la part d’Henri, devinrent manifestes et furent montrées
en termes d’angoisse de dépendance dangereuse dans la relation transfé-
rentielle.
Un rêve de la mère illustrait bien ce phénomène : elle appelait son mari
depuis un garage (le lieu de la séance de psychanalyse familiale) où elle était
avec Henri ; elle y faisait réparer un des pneus crevé de leur voiture (nous
pensons que ce pneu crevé était Henri). Les parents doutaient que le prix
de la réparation soit justifié. Ils pensaient que le garagiste (le psychanalyste)
était malhonnête.
Un transfert familial envieux et dénigrant avec de nombreux agissements de
disqualification s’est progressivement développé à l’encontre de l’analyste,
d’Henri et du travail analytique. La part envieuse de chacun attaquait
violemment le cadre. L’analyste et Henri étaient alors confondus avec le père

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interne dévalorisé de chacun des parents. Le patient désigné était volontiers


associé pour le reste de la famille à l’analyste incapable. À plusieurs reprises,
Henri a fugué et menacé de se suicider.
Ce qui nous a semblé dominer dans cette famille, était la violence latente du
père, des parents vis-à-vis de leur fils, support d’importantes identifications
projectives du père interne de chacun des parents. Ces identifications
projectives étaient violemment injectées à l’aide de manœuvres disquali-
fiantes massives que l’on pouvait retrouver dans le transfert envieux et
destructeur. Les disqualifications massives ont dominé la clinique et le
transfert de cette famille. Ces manœuvres représentent dans notre hypothèse
des équivalents meurtriers, c’est-à-dire des agirs meurtriels transférentiels,
véritables résurgences traumatiques meurtrielles de l’enfance de chacun des
parents, qui s’actualisaient dans un transfert antœdipien agi et meurtriel.
À un moment de la thérapie nous avons demandé au père, non sans quelques
hésitations et peurs, s’il avait parfois pensé tuer son propre père. Nous
craignions alors que notre question ne soit déplacée et source d’une réaction
violente. Cependant, à notre grande surprise, le père dit alors : « Bien sûr,
j’ai pensé le tuer deux fois. Une fois, j’ai pensé le pousser dans l’eau lorsque
nous étions à la pêche, je savais qu’il ne savait pas nager et une autre fois,
au cours d’une promenade en montagne, j’ai hésité à le pousser dans le
ravin ».
Les identifications projectives massives, ou mieux, les injections projectives
aliénantes dans Henri semblent à l’origine de représentations antœdipiennes
pathologiques familiales où le fils était confondu avec le père interne de
chacun des parents et devenait alors un objet dévalorisé de haine, de
vengeance et de honte.

Voici différents autres exemples cliniques d’équivalents de meurtre


qui caractérisent le meurtriel : la violence physique familiale dans ces
différentes expressions est un équivalent d’inceste meurtrier.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il peut s’agir, soit de violence physique des parents à l’égard des enfants, soit
de violences intrafratries ou bien encore de violences conjugales auxquelles
assistent les enfants.
Ailleurs, ce sont des comportements violents de forçage alimentaire de la part
des parents ou bien des comportements de contrainte anale au cours de
lavements, tel ce petit garçon encoprétique effrayé car immobilisé entre les
genoux de son père pendant que sa mère le pénétrait analement à l’aide d’une
canule à lavement.

Ces exemples sont à rapprocher de la vue de scènes très violentes de


fictions ou réelles de films ou documentaires dont les effets peuvent être
traumatiques du fait du trop jeune âge de l’enfant.

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40 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Ainsi, un enfant de 8 ans, sodomisé par son frère aîné et un jeune adulte
voisin de la famille, regardait avec sa mère Le silence des agneaux, film
particulièrement violent et angoissant.

Les agirs d’autosensualité meurtrielle font partie de ce cortège clinique


du meurtriel.

Par exemple, cette adolescente qui vit dans un milieu familial incestuel,
s’automutile en se scarifiant les avant-bras et en se cognant la tête contre
les murs.

Il faut qualifier également l’abandon réel d’équivalent meurtrier. Dans


la mythologie, l’enfant abandonné par ses parents est exposé, c’est-à-dire
privé de soins jusqu’à ce que mort s’en suive. Sauf exceptions (Œdipe,
Romulus et Rémus...) l’abandon est alors un infanticide.
B. Steck1 considère que l’abandon réel est vécu comme un traumatisme
psychique :
« L’abandon est un meurtre » dit une jeune adoptée à B. Steck.
L’abandon réel fait donc partie du meurtriel2 .
Outre les angoisses catastrophiques d’abandon, il s’accompagne, le
plus souvent, d’un sentiment de dévalorisation massif, de nullité, de
honte. Ce fait est à souligner.
Il faut ajouter à cette redoutable énumération, les disqualifications de
perceptions, d’émotions, de pensées. Ces disqualifications sont obtenues
par des manœuvres perverses qui appartiennent au registre du meurtriel.
Cette notion nous paraît essentielle dans notre travail clinique. Anzieu,
dans son très remarquable chapitre « Le transfert paradoxal »3 donne un
bel exemple de disqualification que nous considérons comme un agir
meurtriel pervers appartenant au registre antœdipien pathologique.

Il s’agit d’Erronée : « Cette patiente tout au long de son enfance et souvent


encore à l’âge adulte doutait de ce qu’elle ressentait. Enfant, on la baignait
non pas en même temps que son petit frère, ce qui eut été indécent, mais
juste avant. Aussi, afin que le bain fut à la température convenable pour le
garçon, on préparait pour Erronée un bain brûlant dans lequel on la plongeait

1. Steck B., « Anmerkung zum intrafamilialen Trauma beim Kind » Schweiz Archiv fur
Neurologie und Psychiatrie, 1997, 148/6, pp. 222-238.
2. Steck B., « Rupture et création de filiation », Groupal, 1999, 5, pp. 136-155.
3. Anzieu D., Créer Détruire, Paris, Dunod, 1996.

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A MBIGUÏTÉ ET PARADOXALITÉ 41

de force. Si elle se plaignait de la chaleur excessive, la tante qui, les deux


parents travaillant, avait la charge des enfants la traitait de menteuse. Si
elle criait de malaise, la mère, appelée pour avis, l’accusait de simagrées.
Quand elle sortait de la baignoire rouge comme une écrevisse, titubante
et sur le point de défaillir, le père qui dans l’intervalle était venu en renfort,
lui reprochait de n’avoir ni tonus ni caractère. Elle ne fut prise au sérieux
que le jour où elle s’affaissa, prise de syncope. Quand elle fut plus grande,
elle fut interdite par son père de bain, « les bains chauds » disait-il, « sont
amollissants pour le corps et le caractère », et vouée à des douches froides
qu’elle avait obligation de prendre hiver comme été dans une cave non
chauffée de la maison où l’appareil avait été installé, de façon délibérée très
loin de la salle de bain ».

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Chapitre 3

ŒDIPE ET ANTŒDIPE

Œ DIPE ET A NTŒDIPE écrit P.-C. Racamier1 , « Il


C ONCERNANT
n’est pas de constellations conflictuelles plus importantes au ciel
de la psyché. Si l’une et l’autre sont également essentielles, seule
l’œdipienne est vraiment connue ; pour l’antœdipienne, sa mise au jour
est récente et sa carrière scientifique est encore en pleine jeunesse. C’est
donc au regard du plus connu que l’on s’efforcera de définir le plus
nouveau [...] Dans les cas les pires, les deux constellations entrent en
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

compétition, mais c’est au contraire dans un rapport de complémentarité


qu’elles se situent dans les destins heureux, qui sont les plus naturels ».

N ATURE DES CONFLITS ŒDIPIEN ET ANTŒDIPIEN


Les conflits œdipien et antœdipien sont de nature différente. En effet,
le conflit œdipien se noue envers les deux parents dans le registre
génital de la sexualité. « Alors que le conflit antœdipien », précise
P.-C. Racamier, « c’est celui des origines. Il oppose les forces visant
à l’unisson narcissique avec la mère primaire et celles visant au contraire

1. Racamier P.-C., L’inceste et l’incestuel, Paris, Dunod, 2010, p. 17.

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44 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

à la séparation puis à l’autonomie : les forces de la séduction narcissique


et celles de la croissance travaillent en opposition active : telle est la
nature du conflit ».

L A SÉDUCTION NARCISSIQUE ET LA SÉDUCTION


SEXUELLE
La séduction narcissique est ainsi définie par P.-C. Racamier : « Une
relation narcissique de séduction mutuelle originellement entre la mère
et le bébé, visant à l’unisson tout-puissant, à la neutralisation, voire à
l’éviction des excitations d’origine externe ou pulsionnelle, et à la mise
hors-circuit de la rivalité œdipienne.
Elle est un moteur essentiel de la construction de l’antœdipe. Elle
s’exerce avant tout dans les premiers temps de la vie du bébé avec sa
mère ; dans les conditions normales elle n’est ni exclusive, ni constante ;
mais elle tend à l’être du côté des psychoses (1975) ». Elle est fondamen-
tale dans les relations de narcissisation réciproques, de conarcissisation.
Lorsque les conditions sont pathologiques (psychose et perversion) la
séduction narcissique tend à être exclusive et constante ; la séduction
sexuelle se met alors au service de la séduction narcissique qui décuple sa
puissance et son pouvoir. Ici, point de conarcissisation ; c’est le contraire
qui survient : une relation d’objet narcissique s’établit selon le principe
des vases communicants, lorsqu’un vase se remplit, l’autre se vide.
L’abus narcissique, c’est le contrôle, le pillage et le saccage de l’objet
maltraité dans la relation d’objet narcissique paradoxale incestuelle ou/et
meurtrielle.
Pour notre part, nous avons décrit ce conflit dans la position nar-
cissique paradoxale située en amont de la position narcissique schizo-
paranoïde (1982). Nous y reviendrons. Dans sa forme normale, la posi-
tion narcissique paradoxale est caractérisée par l’ambiguïté, la transition-
nalité. Ainsi, elle est à l’origine d’un fantasme de corps commun ambigu,
dont les membres sont à la fois unis et séparés, ensemble et différenciés.
Chacun possède une identité en même temps individuelle et familiale.
Dans sa forme pathologique, la position narcissique paradoxale donne
naissance à un fantasme-non-fantasme de corps commun paradoxal, ni
réuni ni démembré, ni rassemblé ni morcelé ; la famille ne peut ni vivre
ensemble, ni vivre séparée.

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Œ DIPE ET ANTŒDIPE 45

L ES PERSONNAGES DE L’ ŒDIPE ET DE L’ ANTŒDIPE


Dans l’œdipe, il y a trois personnages : le père, la mère et l’enfant,
d’où la constitution du triangle œdipien.
Dans l’antœdipe, il n’y a que deux personnages, voire un seul car la
puissance de la séduction narcissique mutuelle fait que deux peut être
égal à un, qui peut être égal à l’infini. Deux, c’est souvent l’enfant et sa
mère, mais ce peut être un autre objet individuel ou collectif.

L ES TABOUS
Du côté de l’œdipe, les tabous sont connus, ce sont ceux de l’inceste
et du meurtre, du parricide et de l’infanticide. Remarquons que le
tabou n’est pas énoncé, mais il est cependant présent dans toutes les
organisations psychiques œdipiennes fonctionnelles, qu’elles soient
individuelles ou collectives.
Le tabou de l’inceste et du meurtre, ainsi que l’œdipe, traversent
l’individu, la famille et les groupes. Nous pouvons faire l’hypothèse dès
maintenant que le tabou se situe dans l’espace transsubjectif normal à
polarité structurante (voir plus loin les espaces de la subjectivité).
Dans l’éducation familiale normale, c’est par le biais des équivalents
d’interdit de l’inceste et du meurtre que s’exercent ces tabous ; ces
interdits symboliques sont fréquemment énoncés comme par exemple :
« Tu dois frapper à la porte avant d’entrer et attendre que l’on te réponde »
ou bien « tu ne tapes pas ta sœur », ou bien encore « on ne parle pas la
bouche pleine », etc.
Nous insistons sur le fait qu’il s’agit d’interdits symboliques de
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’inceste et du meurtre. Ils sont dits par les parents lors des relations
d’autorité avec leurs enfants, au travers des rappels ordinaires des choses
défendues.
Les divers interdits alimentaires observés dans différentes cultures ont,
à notre avis, la même fonction.
Enfin, soulignons que le discours explicite et non symbolisé en
famille du double interdit de l’inceste et du meurtre aurait une valeur
désorganisatrice pour la construction œdipienne individuelle et familiale
comme par exemple : « Tu ne coucheras pas avec ta mère » ! Ces
injonctions appartiendraient alors au registre de l’incestualité.

Nous avions été frappé, lors d’une première et unique consultation familiale
qui avait eu lieu à la demande du père, par la relation perverse de complicité

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46 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

anti-autoritaire que la mère établissait avec leur très jeune adolescent. Les
parents avaient divorcé et l’enfant était à la garde de la mère. Le père
s’inquiétait des mauvais résultats scolaires et des difficultés qu’il avait à se
faire obéir par son fils. La mère exerçait à l’encontre du père des agissements
anti-autoritaires évidents qui disqualifiaient et annulaient toutes injonctions
d’interdits, de limites formulées par le père. À la fin de la consultation, la
mère n’avait pas souhaité que l’on se revoie ; lorsque cet adolescent, fermé,
opposant, me précéda en se dirigeant vers la sortie, nous fûmes surpris de
lire au dos de son blouson de cuir offert par sa mère, les initiales du groupe
musical NTM (Nique Ta Mère).

Le nom de ce groupe appartient, à nos yeux, au registre de l’in-


cestualité sociétale. Cette incestualité familiale et sociétale s’oppose
à l’exercice de l’autorité des parents envers leurs adolescents, des adultes
envers les enfants ; dans notre exemple, la structuration de cette famille
alimente une pathologie de l’autorité qui favorise chez cet adolescent
une tendance à s’organiser psychiquement selon un mode pervers ou
psychopathique.
Rappelons que l’autorité et la tendresse sont les piliers essentiels de
structuration de la famille.
Du côté de l’antœdipe, pour P.-C. Racamier, le tabou est celui de
l’indifférenciation des êtres. Il interdit la confusion entre les êtres, les
générations, les genres, les pouvoirs, entre les vivants et les morts.
Rappelons que dans certaines cultures l’horreur de l’indifférenciation
oblige à tuer les jumeaux homozygotes. (R. Girard).

L ES ORGANISATEURS DE L’ ŒDIPE ET DE L’ ANTŒDIPE


Du côté de l’œdipe, l’organisateur est le complexe de castration.
Du côté de l’antœdipe, l’organisateur est le deuil originaire.
Ce dernier désigne, selon P.-C. Racamier, « le processus psychique
fondamental par lequel le Moi, dès ses prémices, avant même son
émergence et jusqu’à la mort, renonce à la possession totale de l’objet,
fait son deuil d’un unisson narcissique absolu et d’une constance de
l’être indéfinie et par ce deuil même, qui fonde ses origines, opère la
découverte ou l’invention de l’objet, et par conséquent de soi, grâce à
l’intériorisation. Le Moi établit donc ses origines en reconnaissant qu’il

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Œ DIPE ET ANTŒDIPE 47

n’est pas le maître absolu de ses origines. Il se découvre en se perdant :


tel est le paradoxe identitaire1 ».
C’est par le deuil originaire que s’instaure la différence entre l’autre
et soi. Dans une perspective kleinienne, ce processus trouve son achève-
ment dans la position dépressive située en aval de la position narcissique
schizo-paranoïde.

L ES ENJEUX IDENTITAIRES
La dualité œdipienne, c’est la bisexualité et l’enjeu, l’identité sexuelle.
La dualité antœdipienne met en présence et en rapport mutuel au
moins deux générations. Aussi, la bigénérie sera-t-elle ici la propriété
de provenir de deux parents de sexes différents et de relever de deux
générations distinctes.
L’enjeu est l’accession à une identité personnelle.

L ES ÉNERGIES
Les énergies dont dispose l’œdipe sont sexuelles. Elles irriguent les
zones érogènes notamment les zones sexuelles. La séduction est sexuelle.
Les forces motrices de l’antœdipe sont de deux types : d’une part, les
forces d’union de la séduction narcissique qui visent à l’indifférenciation,
à la construction d’un corps commun, d’autre part les forces de séparation
et d’autonomie qui sont celles de l’auto-conservation et de la croissance
(croissance corporelle et psychique).
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les énergies d’auto-conservation diffèrent des pulsions sexuelles, non


pas seulement par leur but, mais aussi de par leur économie. Elles sont
moins saillantes, plus étales, moins pulsionnelles et plus continues.
Quant aux zones investies spécifiquement sur un mode antœdipien,
elles sont naturellement plus diffuses : la peau et la respiration.
La peau enveloppe et sépare ; sa fonction est différenciatrice ; Anzieu
a montré qu’elle est un modèle pour le Moi.
Nous savons que vont étroitement de pair les limites du corps,
représentées par la peau et celles de la psyché, garants d’identité.
La respiration est un lieu d’échange entre le dedans et le dehors.

1. Racamier P.-C., Cortège conceptuel, Paris, Apsygée, 1993, pp. 33-34.

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48 L E MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

L E S URMOI ŒDIPIEN ET LE S URMOI PARADOXAL


ANTŒDIPIEN
L’héritier du complexe d’Œdipe est le Surmoi interdicteur et protecteur.
Au double sens du terme, le Surmoi défend. Le parent qui dit à l’enfant :
« Ne touche pas aux allumettes », interdit et protège. Il s’agit, selon
nous, d’un interdit symbolique du tabou de l’inceste et du meurtre.
L’interdiction implicite est « renonce à désirer ta mère et à coucher
avec elle sinon je te châtre » ou bien « renonce à tuer ton père sinon tu
seras châtré ».
Anzieu dans Le Moi-peau, au chapitre consacré « Au double interdit
du toucher, condition de dépassement du Moi-peau », décrit que l’interdit
du toucher est précurseur et annonciateur du complexe d’Œdipe : « Le
rôle structurant de l’interdit de l’inceste », dit l’auteur, « n’a-t-il pu
être explicité qu’après que l’interdit du toucher ait été implicitement
reconnu. L’histoire personnelle de la découverte freudienne récapitule
sur ce point l’histoire infantile universelle. L’interdit du toucher en tant
qu’acte de violence physique ou de séduction sexuelle, précède, anticipe,
rend possible l’interdit œdipien, qui prohibe l’inceste et le parricide ».
L’héritier de l’antœdipe tempéré, P.-C. Racamier le trouve dans l’idée
du moi. « Cette idée de soi, est en définitive une idée de l’espèce. C’est
l’identité humaine ». Il ajoute : « Elle exerce une double fonction de
limite et de sécurité. Elle me murmure que je ne suis qu’un homme
parmi les autres, mais que j’en suis bien un ». Bien différent et d’une
tout autre nature est le pseudo-surmoi de l’antœdipe pathologique : c’est
le surantimoi dont la structure est paradoxale. Le tabou de l’inceste
qui est du registre œdipien est remplacé dans l’antœdipe pathologique
par le tabou de la vérité sur l’inceste et le meurtre. Dans l’inceste
et l’incestuel, le tabou de l’indifférenciation des êtres de l’antœdipe
normal, qui nous interdit de confondre biologiquement, psychiquement et
sociologiquement les êtres, est transgressé ; « Le Surmoi d’incestualité »,
écrit P.-C. Racamier, « est d’une autre lignée que le Surmoi véritable,
qui est de lignée œdipienne ». Plus loin : « Le pseudo-surmoi incestuel
laisse passer, chapeau bas, les pulsions incestueuses : « Tu peux, sans te
faire de bile, coucher avec ton père, ta mère, ton fils, ta fille, ta nana, etc.
C’est même très bien comme ça, pourvu qu’on ne le dise pas trop1 ».
Ce pseudo-surmoi incestuel est à rapprocher du Surmoi envieux de
W. R. Bion qui ne tolère ni la frustration ni le plaisir. Ce pseudo-surmoi,

1. Caillot J.-P., Decobert S., Pigott C., « Trois questions à Paul-Claude Racamier »,
Groupal, 1997, 3, pp.55-73.

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Œ DIPE ET ANTŒDIPE 49

nommé par P.-C. Racamier surantimoi, atteint profondément le Moi du


sujet puisqu’il lui interdit de désirer, de penser, de savoir et d’apprendre.
Ainsi, ce surantimoi commande à l’autre de renoncer à désirer, à penser par
soi-même, sinon il tue, fait mourir et il en mourra lui-même. Les enjeux
sont ici absolument dramatiques. Cette forme d’interdiction latente peut
être reprise par une famille entière. Cette interdiction est l’héritière de la
séduction narcissique : « Nous ne pouvons pas être deux à parts égales.
Une seule personne existe et si nous ne sommes pas unis à tout jamais, tout
à fait et totalement, l’une des deux ne peut que disparaître ». Il s’agit d’une
interdiction narcissique fondamentale qui atteint l’identité du sujet à cœur.
C’est le Surmoi paradoxal de l’antœdipe pathologique. Le surantimoi, s’il
est au-dessus du moi, est contre. Tout mouvement d’autonomie est menace
de mort. Ce Surmoi paradoxal est tyrannique, totalitaire. Il interdit le plaisir
licite, encourage l’excitation incestueuse ou meurtrière et ne supporte pas
le déplaisir de la frustration nécessaire ; à la fois, il interdit tyranniquement
et excite incestuellement.

Ainsi, cette adolescente doit rentrer chez elle à une heure précise ; avant
l’heure ce n’est pas l’heure et cela lui est reproché, après l’heure ce n’est plus
l’heure (même avec un écart d’horaire minime) ; son père hurle, la menace
de ne plus sortir, la gifle et la traite de pute. Pour éviter ces débordements,
cette jeune fille attendait pour rentrer chez elle que le clocher de son village
sonne l’heure à laquelle elle devait rentrer. On le voit, le Surmoi paradoxal
de son père interdit selon un mode tyrannique et violent tout en créant une
excitation familiale au moyen de la violence et de propos injurieux de nature
disqualifiante et incestuelle. Le frère de cette jeune fille était, lui, surnommé
« belzépute ».

Le surantimoi est donc un Surmoi paradoxal. Il peut être à la fois


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

interdicteur et excitant ou porteur d’un idéal élevé de dévouement et


d’une recherche de satisfaction incestueuse comme on le voit dans
l’exemple de P.-C. Racamier « Incestueux dévouement maternel1 ». La
mère, dans cet exemple, a tendance à occuper à la fois une position
sacrifielle perverse et une position incestueuse. Idéal de dévouement et
incestualité sont amalgamés par le Surmoi paradoxal.
L’estime de soi paradoxale pourrait être pensée de la façon suivante :
être à la fois le plus grand et le plus nul, le plus grand des nuls ou le
premier des derniers. Au Surmoi paradoxal s’ajoute un Idéal du Moi, lui
aussi paradoxal.

1. Racamier P.-C., L’inceste et l’incestuel, Paris, Dunod, 2010, p. 58.

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50 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Nous développerons maintenant, les modes d’organisation fantas-


matique de l’œdipe et de l’antœdipe. Ces données nous paraissent
essentielles.

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Chapitre 4

UNE NOUVELLE
SÉMIOLOGIE DU FANTASME

une véritable sémiologie du fan-


N OUS AVONS CONCEPTUALISÉ
tasme où différentes caractéristiques doivent être prises en compte
pour distinguer les productions fantasmatiques de l’œdipe de celles de
l’antœdipe.
Il est certes classique de considérer la figuration et les émotions, la
symbolisation ainsi que la scénarisation comme des éléments constitutifs
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

fondamentaux du fantasme, mais il est nouveau d’ajouter l’ordre des


représentations générationnelles à cet ensemble des caractéristiques du
fantasme. Cette donnée nous paraît fondamentale.
En effet, les représentations générationnelles peuvent être dans l’ordre
des choses, les parents naissent avant les enfants, comme on l’observe
dans le registre œdipien, mais elles peuvent aussi être dans un ordre
inversé où les parents naissent après les enfants ou en même temps,
comme on le constate dans l’antœdipe pathologique.
L’ordre des représentations générationnelles est donc un élément
fondamental pour différencier un fantasme œdipien d’un fantasme
antœdipien.
Nous étudierons successivement le fantasme du registre œdipien puis
les productions fantasmatiques antœdipiennes qui se présentent sous

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52 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

deux aspects : le fantasme-non-fantasme antœdipien pathologique et le


fantasme antœdipien. Le fantasme-non-fantasme est un fantasme qui n’en
est pas un, tout en prenant la place du fantasme. Le fantasme antœdipien,
lui, est structuré selon deux formes : l’une immature, non symbolisée,
l’autre mature, symbolisée.
Le fantasme antœdipien symbolisé est un fantasme transitionnel,
précurseur de l’avènement de l’œdipe.

L E FANTASME ŒDIPIEN
Le mode d’organisation fantasmatique essentiel de l’œdipe, c’est le
fantasme.
« Il y a congruence entre le fantasme et l’œdipe. Ce n’est que dans
l’œdipe », écrit P.-C. Racamier, « que se rencontrent des fantasmes
véritables, dotés de leurs propriétés spécifiques, c’est-à-dire scénarisés.
Les fantasmes originaires appartiennent à cette lignée ».
Selon J. Laplanche et J.-B. Pontalis1 « Le fantasme est un scénario
imaginaire où le sujet est présent et qui figure de façon plus ou moins
déformée par les processus défensifs, l’accomplissement d’un désir, en
dernier ressort, d’un désir inconscient ».
La scénarisation du fantasme est encore soulignée ici par J. Laplanche
et J.-B. Pontalis, ainsi que par P.-C. Racamier : « Obéissant à un
déroulement, traduisant le jeu des désirs et des contre-désirs émanant de
l’inconscient, capables d’évoluer, doués d’une coordination réticulaire
qui associe chacun d’entre eux à l’ensemble de ses compagnons ».
Nous ajoutons que ce scénario est symbolisé.
Ainsi, il importe d’envisager, la nature des productions fantasmatiques
à la lumière, non seulement de la figuration et de l’émotion, du mode
de symbolisation et de la scénarisation, mais aussi de l’ordre des
représentations générationnelles.
Rappelons également que la compréhension d’un fantasme ou d’un
rêve est dépendante de la connaissance de l’émotion qu’il contient.
Le fantasme originaire de la scène primitive est une représentation
familiale organisatrice où les générations sont dans l’ordre des choses ;
générations et genres sont différenciés. La bigénérie y est représentée.
Le fantasme d’engendrement est au cœur de la scène et, fait important,

1. Laplanche J. et Pontalis J.-B., Vocabulaire de Psychanalyse, Paris, PUF, 1967, pp.


152-157.

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 53

cette scène primitive est symbolisée. Les symboles y sont secondaires :


ce sont des équivalents symboliques.
Ce fantasme de scène primitive serait-il transitionnel dans la mesure
où l’enfant assiste à la relation sexuelle de ses parents qui le procréerait ?
Engendrement et auto-engendrement coexisteraient-ils ?
Ainsi, la capacité organisatrice de la scène primitive serait liée, non
seulement à la coexistence pacifique de l’engendrement et de l’auto-
engendrement, mais aussi à celle des figurations d’objet-famille, d’objet-
couple parental et d’objet-individu.
Ce fantasme organisateur serait transitionnel et aurait une structure
ambiguë.

L E FANTASME - NON - FANTASME ANTŒDIPIEN


PATHOLOGIQUE
Nous traiterons des fantasmes-non-fantasmes antœdipiens patholo-
giques avant d’aborder les fantasmes antœdipiens immatures non sym-
bolisés et matures symbolisés.
Historiquement, nous devons à P.-C. Racamier (1978) le concept de
fantasme-non-fantasme, que nous estimons fondamental, et celui de
fantasme antœdipien à J-P Caillot (1990).
Dans l’antœdipe pathologique, c’est le fantasme-non-fantasme qui est
le mode d’organisation fantasmatique essentiel.
Le fantasme-non-fantasme central, c’est d’être le géniteur de sa propre
vie : l’engendreur de soi-même. L’envers et le corollaire de ce fantasme-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

non-fantasme est celui d’autodésengendrement.


L’antœdipe pathologique est marqué par l’importance des agirs inces-
tuels et meurtriels, de la non-figuration, de la non-symbolisation ou
de la symbolisation primaire faite de symboles primaires que sont les
équations symboliques d’H. Segal.
Le fantasme-non-fantasme de l’antœdipe pathologique est à diffé-
rencier du fantasme antœdipien qui caractérise l’antœdipe normal, dit
tempéré par P.-C. Racamier ; ainsi on peut opposer à la paradoxalité
antœdipienne pathologique la transitionnalité, l’ambiguïté du fantasme
antœdipien de l’antœdipe normal où coexistent engendrement et auto-
engendrement.
Dans les années 1960, W.R. Bion parle de la transformation psychique
d’éléments bêta en éléments alpha. On entend par élément bêta, les

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54 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

formations psychiques qui sont non ou mal figurées, non ou mal symbo-
lisées, non ou mal scénarisées, inintégrables au fantasme, au rêve, à la
rêverie et à la pensée, en opposition aux éléments alpha.
W.R. Bion soulignait l’importance du passage de l’inintégrable à l’inté-
grable, c’est-à-dire du fantasme-non-fantasme pathologique antœdipien
au fantasme antœdipien.
En un mot, il s’agit de la mutation d’éléments inintégrables psychi-
quement en éléments intégrables fantasmatiquement, mentalement.
Les éléments bêta qui ne sont pas intégrables aux fantasmes corres-
pondent, à notre avis, à l’excitation et/ou au vide incestueux et meurtrier
de l’antœdipe pathologique traumatique.
Nous pensons également que les éléments alpha correspondent au
passage de l’excitation (bêta) en émotion et représentation (alpha). Ainsi,
la formule de W.R Bion pourrait se traduire de la façon suivante : il s’agit
de la mutation d’agirs incestuels et meurtriels en fantasmes, c’est-à-dire
de la transformation de l’excitation incestueuse et meurtrière en émotions
et représentations psychiques. De quel type de fantasmes s’agit-il ici ?
Nous pensons que ce sont précisément des fantasmes antœdipiens que
nous définirons ultérieurement.
Rappelons qu’il n’est pas question chez W.R Bion comme chez les
autres auteurs post-kleiniens de la notion d’incestualité.
« Le fantasme-non-fantasme est quelque chose », écrit P.-C. Racamier,
« qui dans la vie psychique prend la place du fantasme, sans en posséder
toutes les vertus ».
Fait majeur, ce fantasme-non-fantasme est incestueux ou meurtrier,
incestuel ou meurtriel, donc antœdipien et pathologique ; il s’oppose à
l’avènement du fantasme œdipien.
« C’est un fantasme qui n’en est pas un », ajoute l’auteur dans le
Cortège conceptuel, « cet objet psychique, cet objet de pensée participe
de deux registres de l’activité psychique sans pleinement appartenir à
aucun des deux ».
La formulation de l’auteur est donc paradoxale : c’est un fantasme qui
n’en est pas un.
Il s’agit d’un objet psychique bien particulier qui appartient sans
appartenir à la fois à deux registres de l’activité psychique : un objet
paradoxal ?
P.-C. Racamier veut-il signifier que le fantasme-non-fantasme est à la
fois figuré et non figuré ? à la fois figuré et agi ? à la fois psychique et
comportemental ? à la fois psychique et somatique ?

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 55

« Peut-être », commente-t-il, « n’est-ce pas encore un fantasme formé,


peut-être n’est-ce qu’un germe de fantasme. Mais peut-être aussi est-ce
un fantasme dégradé, détourné de son but, privé de sa fonction naturelle :
en d’autres termes un raté, un avorton de fantasme ? Serait-ce un pré-
fantasme ? Peut-être et peut-être pas. Il est très proche du corps et du
vécu corporel ; proche de la peau avec son pouvoir de différenciation
entre le dehors et le dedans ; proche de la respiration. Dans cette situation
particulière entre le dedans et le dehors, entre la vie et la non-vie, entre
le corporel et la représentation ».
Serait-il, dirons-nous, entre la sensation comme objet et la représenta-
tion ? Ces fantasmes-non-fantasmes sont des fantasmes-agirs ou/et des
fantasmes-somatisations.

Dans l’exemple du jeu des bonbons, cité dans le chapitre « L’ambigu et le


paradoxal », le père en attaquant perversement le jeu de l’enfant « C’est pas
des bonbons », produit une défantasmatisation des fantasmes ludiques tran-
sitionnels de son fils. Non seulement ce père ne favorise pas la construction
fantasmatique mais il la disqualifie et produit du fantasme-non-fantasme.

Les agirs d’autosensualité incestuelle et meurtrielle sont des fantasmes-


non-fantasmes.

C’est le cas de cet enfant protégé par l’Aide Sociale à l’Enfance, abusé
sexuellement par son père et son frère aîné, qui suce sans cesse son index
et son médius de la main droite en pronation, à l’aide desquels il s’agrippe à
la partie antérieure et supérieure de sa bouche.
S’agit-il cliniquement d’un agir compulsif autosensuel et incestuel ?
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ces agirs d’autosensualité incestuelle, comme ceux d’autosensualité meur-


trielle dont nous avons déjà parlé, relèvent d’une autosensualité pathologique.
Elle s’oppose à l’auto-érotisme rêveur de l’œdipe qui intègre une autosensua-
lité normale à une activité fantasmatique ; cette autosensualité pathologique
est à l’origine de productions d’objets-sensation autogénérés.
Dès le début des soins de ce jeune garçon, son comportement évoquait
volontiers chez les soignants d’inavouables fantasmes de fellation. Cet
agrippement s’accompagnait d’écoulements salivaires sur son avant-bras ;
nous étions également frappés par le contraste existant entre la blancheur
blafarde des doigts sucés et la noirceur de sa main malpropre.
Il y avait donc induction chez les thérapeutes de fantasmes sexuels pédophi-
liques.
Nous pensons volontiers que cet agir est à considérer, à la fois, comme un
agir d’autosensualité incestuelle par la succion et une défense contre une
chute sans fin par l’agrippement à sa denture antérieure et supérieure.

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56 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Il s’agit, ici, d’un fantasme-non-fantasme appartenant au registre antœdipien


pathologique à l’origine d’une autoproduction d’objet-sensation à laquelle cet
enfant s’accrochait pour ne pas tomber indéfiniment et pour lutter contre ses
angoisses agoraphobiques primitives terrifiantes.
Cette autosensualité incestuelle lui permettait de ne pas dépendre d’un objet
vivant non fiable ; il ne pouvait faire confiance qu’à son agrippement à ses
sensations auto-générées.
Constatons que cet agir d’autosensualité incestuelle semble bien reproduire
et contenir les traumatismes psychiques initiaux tout en combattant les
angoisses de chutes ; ces agirs incestueux ont un effet anticontenant en
rapport avec les effractions corporelles et les attaques dilacérantes de la
peau psychique.
Ce comportement d’autosensualité selon le mode agi, à la fois répète les
scènes réelles traumatiques incestueuses et produit la défense contre une
perte d’hétérocontenance normale par la création d’une autocontenance
pathologique obtenue grâce à une autoproduction d’objet-sensation.
Le scénario agi autosensuel serait donc à la fois une reprise de l’agir
incestueux traumatique et une création autocontenante défensive.

Le fantasme-non-fantasme antœdipien, comme nous venons de l’ob-


server, présente les qualités requises pour accueillir les formations
narcissiques d’autodésengendrement et d’auto-engendrement. Ce fait
nous semble capital.

Cet autre adolescent, également protégé par l’Aide Sociale à l’Enfance, avait
partagé avec son père une situation de clochard pendant plusieurs années.
Il nous disait : « Quand c’est injuste, je sens la chair de poule monter sur
mon bras et je cogne » !
Puis, il mettra en scène au cours d’une séance de psychodrame individuel
un fantasme d’autodésengendrement : « Sa mère retourne dans le ventre
de sa grand-mère, qui retourne dans le ventre de son arrière grand-mère,
etc. ».

Ce fantasme d’autodésengendrement ne peut s’accompagner que d’un


fantasme d’auto-engendrement. Sur qui s’appuyer, en l’absence d’objets
contenants, sinon sur soi ? Cet adolescent très agissant décrivait dans
cette scène un sentiment d’injustice qui se convertissait immédiatement
en une réaction somatique (la chair de poule), suivie d’un agir meurtriel.
Il a pu aborder au cours de ce travail psychodramatique le noyau
fantasmatique de sa position antœdipienne pathologique.
Remarquons qu’il a illustré d’une manière extraordinairement simple
le fantasme-non-fantasme d’autodésengendrement qui évolue ici dans le
jeu vers un fantasme d’autodésengendrement.

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 57

Dans Le génie des origines, P.-C. Racamier1 écrit que le fantasme-


non-fantasme n’a pas non plus le statut de formation transitionnelle ou
paradoxale. Ce concept central souffre, à notre avis, d’une définition
insuffisante qui n’en facilite évidemment ni sa compréhension ni son
usage.
En fait, le fantasme-non-fantasme est de structure paradoxale.
Dans l’exemple que nous allons donner, ce fait, nous l’espérons, sera
mis en évidence.

Le cadre de cette psychothérapie est individuel en face-à-face ; il s’agit


d’une adulte jeune qui vivait, enfant, dans une famille que l’on peut qualifier
d’incestuelle, d’antœdipienne pathologique.
Elle recevait de sa mère chaque jour un suppositoire selon un rituel bien
précis : après le repas du soir et le brossage des dents, son frère et elle
devaient s’allonger sur un petit banc à plat ventre. La mère introduisait
un suppositoire et décidait ensuite du moment où ses enfants pouvaient
déféquer ; la première demande d’exonération était habituellement refu-
sée, seule la seconde pouvait être acceptée. Soulignons l’importance des
redoutables agirs d’emprise, exercés par la mère sur ses enfants, au cours
de ces séquences successives. Cette petite fille, entre la première et la
seconde demande d’exonération, se masturbait et obtenait une jouissance
très appréciée car ressentie comme structurante puisqu’elle était produite
par elle-même et non par sa mère. Cette masturbation génitale apparaît donc
défensive contre l’intrusion incestueuse corporelle anale et l’abus narcissique
maternels.
Avant de s’endormir cette enfant se représentait deux mantes religieuses qui
s’entre-dévoraient : chacune d’elle dévorait le front, puis les yeux puis le nez
de l’autre. À partir du moment où les bouches devaient s’entre-dévorer le
scénario imaginaire s’arrêtait ; elle était alors obligée de le recommencer et
les deux mantes religieuses reprenaient leur dévoration mutuelle.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Nous constatons que le scénario devient irreprésentable lorsque chaque


bouche des mantes, à la fois dévoreuse et dévorée, devient paradoxale.
C’est bien parce que ces bouches sont paradoxales que l’entre-dévoration
devient irreprésentable.
Soulignons que la patiente n’a jamais décrit de différence d’âge, de taille ou
de sexe entre les mantes religieuses. Il semble bien exister une indifférencia-
tion sexuelle et générationnelle.

Dans un premier temps, le scénario peut se dérouler et se présente


comme une scène de séduction sexuelle incestueuse et destructrice
entre la mère et sa fille ; la construction de cette première partie du

1. Racamier P.-C., Le génie des origines, Paris, Payot, 1992, p. 149.

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58 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

scénario d’entre – dévoration est celle d’un fantasme symbolisé mais


dans un deuxième temps, le scénario imaginaire est stoppé car la relation
paradoxale entre les bouches conduit à une impasse figurative, à de
l’irreprésentable. On le voit, si la non – opposabilité et l’indécidabilité
sont des caractéristiques fondamentales de la paradoxalité fermée, il faut
néanmoins lui ajouter la tendance à l’irreprésentabilité, comme on peut
l’observer dans cet exemple.
Une impasse circulaire se met en place sans début ni fin.
On peut donc penser que l’ensemble du scénario est incestueux :
sa première partie renvoie à une relation incestueuse, homosexuelle et
destructrice dont l’aspect paradoxal apparaît clairement dans la seconde
partie irreprésentable avec arrêt du scénario. Il s’agit là d’un bel exemple
d’activité antifantasmatique de l’antœdipe pathologique.
Ainsi, l’une des caractéristiques du fantasme-non-fantasme est qu’une
part plus ou moins importante de celui-ci est irreprésentable du fait de la
paradoxalité serrée et fermée. Le fantasme-non-fantasme est du point de
vue de la figuration une représentation-non-représentation. Dans notre
exemple, s’agit-il d’un fantasme-non-fantasme d’autodésengendrement
familial ? Il serait au centre de l’antœdipe pathologique de cette patiente.

L A TOXICITÉ DES TROUBLES DE LA REPRÉSENTATIVITÉ


PARADOXALE
Dès 1975, F. Pasche insiste dans son article « Réalités psychiques et
réalités matérielles1 » sur les troubles de la représentativité de l’objet para-
doxal que, selon P.-C. Racamier, l’on peut définir de la façon suivante :
« par sa nature même, l’objet-non-objet est paradoxal, en cela qu’il réunit
indissociablement des propriétés foncièrement inconciliables : il est en
n’étant pas, il est autre en étant soi, interne en étant externe, vivant en
étant désanimé, réel en étant irréel ».
Selon nous, le prototype de l’objet paradoxal est la mère incestueuse
ou le père incestueux, qui sont des objets-non-objets.
Dans l’exemple que nous allons donner, provenant d’une thérapie
individuelle en face-à-face, il apparaît que ce père-non-père est à la
fois père et abuseur sexuel, père et bébé, père et jumeau, voire père et
jumeau siamois. Dans cette description du père-non-père on observe le

1. Pasche F., « Réalités psychiques et réalités matérielles », Nouvelle Revue de Psycha-


nalyse, Automne 1975, 12, pp. 189-197.

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 59

double abus sexuel et narcissique où le père est à la fois abuseur sexuel


car il dispose sexuellement de l’enfant sur un mode ustensilitaire et
abuseur narcissique en détruisant toutes limites corporelles, psychiques
et générationnelles. Un corps commun paradoxal de jumeaux siamois
peut alors se constituer où être ensemble est impossible et ne pas l’être,
l’est tout autant.

Ainsi ce père ivre qui, lorsqu’il rentrait chez lui tard le soir, réveillait toute
sa famille composée de la mère et de leurs quatre enfants ; il éclairait toute
la maison, allumait la radio, la télévision... et attendait que sa femme ou sa
fille se décide à aller se coucher avec lui. « Souvent, je me sacrifiais » dit
la patiente, actuellement adulte. « Parfois, le simple fait d’être contre moi
l’endormait ; il n’y avait pas forcément de relations sexuelles. Voyez, je
découvre quelque chose aujourd’hui : je savais que j’étais sa fille et sa
femme, je vois que j’étais aussi sa mère ».

F. Pasche décrit que « certaines images archaïques correspondent à la


relation duelle du premier âge et, parmi elles, celles d’une mère dévorante
et intrusive qui à la fois menace de réintégrer dans son corps l’enfant
qu’elle a mis au monde et rencontre alors le désir réciproque de celui-ci
d’être absorbé en elle, en même temps qu’elle menace de le pénétrer
jusqu’à l’envahir en rencontrant alors le désir réciproque de l’enfant
de l’absorber tout entière. Faisons remarquer, dit l’auteur, que l’image
de la mère dévorante et intrusive est inductrice de non-figurabilité, car
il est impossible de se représenter un objet ou soi-même, à la fois
pénétrant dans un autre objet totalement, et pénétré totalement par lui.
La compénétration achevée ne peut même être imaginée : l’extinction
pulsionnelle par annulation réciproque est de ce fait pressentie ».
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

F. Pasche poursuit : « L’objet A n’a plus d’espace à lui, puisqu’il est


occupé par B ; mais l’objet B non plus, puisqu’il est occupé par A. Il n’y
a plus d’espace du tout, pour personne. Aucune représentation n’est pos-
sible. Cela ne peut être pensé que successivement et contradictoirement,
et ne peut être imaginé que comme la fusion mutuellement destructrice
de deux réalités psychiques en train de se faire, car la compénétration
achevée ne peut être même figurée ».
En 1988, dans son livre Le Sens de la Psychanalyse, F. Pasche consacre
un chapitre à « L’aporie ou l’angoisse et la première défense contre1 ».
Il y décrit l’irreprésentabilité : « Une aporie irreprésentable, impensable,
immatérialisable, puisqu’il faudrait réaliser dans la pensée l’occupation

1. Pasche F., Le Sens de la Psychanalyse, Paris, PUF, 1988, p.55.

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60 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

d’un même espace par deux corps pleins, le sujet devant être dans
« l’objet » alors que « l’objet » est en lui, hors de lui-même en l’autre,
alors qu’il est envahi par l’autre en lui-même ».
La toxicité des relations paradoxales qui caractérisent la famille
antœdipienne pathologique, maltraitante et traumatisante est liée à ces
troubles de la figurabilité que F. Pasche décrit si clairement ainsi qu’au
deuil originaire impossible.
Ce pan irreprésentable du fantasme-non-fantasme est à l’origine, selon
nous, de somatisations ou d’agirs incestuels et meurtriels divers dans les
registres psychotiques, pervers ou addictifs.
Le fantasme-non-fantasme présente donc une organisation paradoxale
au cœur de laquelle travaillent les formations psychiques d’autodésen-
gendrement et d’auto-engendrement.
La première partie représentée, symbolisée et scénarisée du fantasme-
non-fantasme des mantes religieuses par exemple, peut être qualifiée,
nous l’avons dit, de scène imaginaire incestueuse, homosexuelle et
destructrice ; cette représentabilité desserre l’étreinte paradoxale, tandis
que la seconde partie irreprésentable met en évidence l’importance de la
toxicité de l’irreprésentation paradoxale.
Au cours de notre travail avec cette patiente anorexique et addictive
apparaîtront à plusieurs reprises de nombreux agirs mégalomaniaques
addictifs, parfois violents avec intolérance à toute dépendance transfé-
rentielle infantile et affirmation farouche d’une autarcie absolue ; fait
très important pour illustrer notre propos, au décours de son accouche-
ment, sont survenus des fantasmes conscients d’autodésengendrement et
d’auto-engendrement que nous avons déjà décrits : son bébé, rappelons-
le, était né uniquement de son mari ; il était auto-engendré.

Des fantasmes d’auto-engendrement transférentiels étaient également appa-


rus défensivement lors de l’évocation d’un vécu d’abandon et de jalousie de
nature œdipienne : « Je vous ai vu l’autre jour discuter avec cette femme ;
je suis sûre que vous couchez avec elle ! Ça m’a fait mal ; je me suis sentie
abandonnée et très jalouse » !
Un très long silence s’installe, puis elle dit : « J’étais en train de penser que
vous étiez mon bébé » !
S’ajouteront dans l’histoire de cette patiente à l’adolescence des relations
incestuelles avec son père.

Le fantasme-non-fantasme avec sa part non représentée est en fait


une formation psychique typiquement traumatique. Il s’oppose, prend
la place du fantasme, il empêche la création du fantasme œdipien. Cet

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 61

antifantasme est source d’agirs incestuels ou meurtriels, de somatisations.


Il fait le lit des pathologies narcissiques individuelles et collectives
graves.
C. Balier1 en 1988 rapporte dans Psychanalyse des comportements
violents de nombreux cas cliniques de personnes agissantes qu’il situe
« par rapport aux grandes catégories nosographiques, sans toutefois
prétendre recouvrir tout le champ de la pathologie criminelle ». Les
fonctionnements mentaux que l’auteur observe sont la psychopathie, les
organisations narcissiques, les conduites d’addiction, la psychose froide ;
il ajoute l’amnésie et la violence, l’agression et le caractère phallique ; il
constate que le viol est l’équivalent d’un meurtre.
Dans tous les cas décrits par C. Balier, nous constatons que les familles
des patients sont organisées selon le mode antœdipien pathologique ;
nous y observons aussi l’importance du fantasme-non-fantasme, des
fantasmes d’autodésengendrement et d’auto-engendrement ainsi que l’ap-
parition de rêves et de fantasmes antœdipiens au cours du traitement. Ils
attestent d’une amélioration considérable en rapport avec une diminution
des agirs violents ; le cadre thérapeutique, ainsi que le travail de lien et
d’élaboration ont donc permis à certains de ces patients d’entreprendre la
transformation de leur part agissante en fantasmes antœdipiens corrélatifs
d’un déclin de leur Moi idéal mégalomaniaque.

L ES PRODUCTIONS FANTASMATIQUES DU TRAUMATISME


INCESTUEL ET MEURTRIEL
En 2001, M. Hurni et G. Stoll, dans leur article intitulé « Le trauma-
tisme, perspective moderne interactionnelle »2 proposent « une vision
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

du traumatisme beaucoup plus dynamique et réaliste, tel qu’il se présente


dans ces pathologies à la fois graves et beaucoup plus fréquentes qu’on
ne le pense. Loin d’être un acte isolé, subi dans un passé lointain par un
individu, il s’approche plutôt d’une constellation relationnelle patholo-
gique permanente. Alors que, dans un contexte familial névrotique, le
traumatisme représente un accident, il est, dans un contexte de relations
familiales perverses, une sorte de norme. Alors que dans un contexte
névrotique, le traumatisme sera surmonté grâce à l’élaboration symbo-
lique et pourra même, le cas échéant, être un élément de maturation du

1. Balier C., Psychanalyse des comportements violents, Paris, PUF, 1988.


2. Hurni M. et Stoll G., « Le traumatisme, perspective moderne interactionnelle »,
Groupal, 2001, 9, pp. 26-42.

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62 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

psychisme, il sera dans un contexte pervers une forme de poison toxique


paralysant le psychisme, sa créativité et son développement, tout du
moins dans ses voies intérieures. L’une des données fondamentales de
ces relations perverses est donc l’agir psychique. C’est vers ce registre
que tendent la plupart des mécanismes décrits par P.-C. Racamier dans
ces dernières années : extr-agir, transagir, expulsion du deuil, emprise,
inanité, etc.
Nos recherches nous ont aussi progressivement amené à percevoir,
en amont de ces stratagèmes dévastateurs utilisés par ces patients,
un vide intérieur saisissant, effrayant, consternant, tout à fait masqué
par une façade trompeuse d’adaptation sociale. C’était ce même vide
qu’avait aperçu P.-C. Racamier qui le décrivait ainsi : « La souffrance
de mes malades est un vide qui stérilise alentour, un vide qui centrifuge,
qui expulse, qui essaime, se multiplie : un vide empli d’antimatière
psychique, travaillant à ronger, à dilacérer, à stupéfier, travaillant à
détruire la vie de la psyché ».
Cette constellation relationnelle familiale incestuelle et/ou meurtrielle
permanente produit ces formations traumatiques à la fois intrapsychiques
et collectives que sont les fantasmes-non-fantasmes antœdipiens trans-
psychiques de nature perverse, psychotique ou addictive.

Donnons enfin un exemple de somatisation : Éric a 5 ans lorsqu’il consulte


avec son éducateur car il est sous la responsabilité de l’Aide Sociale à
l’Enfance. À l’école, avec une paire de ciseaux il a coupé le fourreau du pénis
de son petit voisin, ce qui a nécessité une intervention chirurgicale chez ce
dernier. Éric, outre ses agissements, présente un asthme qualifié de grave
par le pneumologue qui le suit. Il est recommandé d’hospitaliser l’enfant en
urgence si une crise d’asthme ne cédait pas rapidement et s’aggravait.
Nous apprendrons au cours des rares rencontres avec sa grand-mère
maternelle et sa mère, que cette dernière a été régulièrement abusée
sexuellement par son frère aîné, véritable tyran domestique. L’éducateur
de l’enfant nous révèlera que la mère est une jeune femme toxicomane,
prostituée. Les services sociaux, lors des vacances scolaires, organisent
des séjours de l’enfant chez sa mère. Cependant, parfois elle n’est pas aux
rendez-vous. Éric lors de ses retours de vacances est abattu, en état de
détresse.
Toutes nos propositions de protection de cet enfant auprès des services
sociaux ont échoué ; ces derniers (A.S.E. du lieu de l’institution de placement
de l’enfant et A.S.E. du lieu d’habitation de la mère) ne tenaient compte ni
de l’état clinique de sa famille ni de sa toxicité psychique pour cet enfant ;
ils autorisaient un hébergement le week-end chez sa grand-mère maternelle
où régnait un climat familial incestuel évident et à chaque vacance scolaire,
exposaient Éric à des angoisses et des déceptions insurmontables auprès de

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 63

sa mère. On peut d’ailleurs se demander s’il ne s’agit pas dans cet exemple
d’attaques perverses des soins de la part de ces institutions de protection de
l’enfance ? L’absence de protection et l’impossibilité d’organiser des visites
médiatisées à visée thérapeutique avec sa famille nous a contraint à refuser
la poursuite de notre travail avec cet enfant. Progressivement Éric devenait
froid, violent et manipulateur. Ces agirs pervers se multipliaient. Cet enfant
intelligent refusait ostensiblement d’apprendre à l’école et dans notre unité
de soins intensifs.
Lors de ses séjours chez ses grand-parents maternels, il assistait parfois
à des scènes violentes entre adultes en état d’ivresse ; il nous a parlé
d’une bagarre au couteau entre l’ami de sa grand-mère et un homme qui
accompagnait sa mère.
Il pratiquait aussi des massages des mollets et des cuisses de sa grand-mère.
En vacances chez sa mère, il nous faisait part d’un défilé d’hommes, de
longues heures passées devant la télévision ou en compagnie de jeux vidéo.
Lors d’une séance de psychodrame de groupe précédant les vacances
scolaires, Éric souffrait d’une crise d’asthme débutante. Dès l’installation
de la dyspnée, nous avons parlé des vacances et de la séparation entre les
enfants et nous pendant quinze jours.
Nous avons alors défini le thème d’un jeu psychodramatique autour des
préoccupations des enfants : il était question de séparation familiale, de la
peur de la mort des parents pendant la séparation et de l’angoisse que la
famille ne puisse plus jamais se retrouver. Le jeu, qui mettait en scène une
séparation familiale, fût évidemment ramené au groupe et interprété dans le
transfert : la peur de mourir des enfants pendant notre séparation, la peur
de notre mort et celle que nous ne nous réunissions pas après les vacances.
Éric s’est détendu, respirait bien et nous avons pu à la fin de la séance
rappeler la date de nos retrouvailles prochaines après les vacances.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Quelques années plus tard, Éric a environ 10 ans ; il présente des conduites
psychopathiques et perverses et proclamera à plusieurs reprises avec
jouissance « qu’il va découper des femmes en morceaux » !

Lors d’une séance de psychodrame, il propose de jouer le thème suivant :


« Je vais voir ma mère à l’hôpital. Elle est dans son lit, je la pelote, je lui
caresse les seins ».
Nous acceptons sa proposition de jeu. L’un de nous joue le rôle d’une mère
très chaleureuse qui l’accueille à l’hôpital en lui disant : « Viens près de moi,
viens mon petit bébé abandonné par sa vilaine maman, qui a été obligé
de partir à l’hôpital pour se faire soigner ! Regarde, mon bébé chéri, je t’ai
préparé un bon biberon bien sucré » !

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64 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

L’enfant est stupéfait d’entendre parler d’abandon et de tendresse alors qu’il


imaginait sexualiser outrageusement le jeu.

Pour nous résumer, les fantasmes-non-fantasmes sont des formations


traumatiques, intrapsychiques et transpsychiques, transfamiliales, de
structure paradoxale constitués à la fois d’une partie figurée et d’une
partie non figurée.
Il s’agit bien d’une représentation-non-représentation qui se traduit
cliniquement par des somatisations et des agirs incestuels ou meurtriels.
Ces fantasmes-non-fantasmes sont en circulation dans toutes patholo-
gies narcissiques graves individuelles et collectives, psychotiques ou per-
verses. Ils sont transagis, traversent les différents membres de la famille.
La constellation relationnelle familiale incestuelle produit ces formations
psychiques marquées du sceau de la paradoxalité fermée, c’est-à-dire de
l’indécidabilité, de la non-opposabilité et de l’irreprésentabilité toxique.
Ce sont des formations traumatiques. À ce titre, on peut dire que le
fantasme-non-fantasme contient la relation paradoxale familiale inces-
tuelle et traumatique. Répétons-le, il est un antifantasme œdipien et
caractérise l’antœdipe pathologique.
La paradoxalité irreprésentable empêche, s’oppose aux processus de
la représentation, de la fantasmatisation et de la symbolisation. Elle est
antiprocessuelle.

L ES FANTASMES ANTŒDIPIENS
Est-il certain que les fantasmes véritables ne se rencontrent que dans
l’œdipe ?
Depuis les années 1990, nous faisons l’hypothèse qu’il existe des
fantasmes antœdipiens de deux sortes : les uns non symbolisés, imma-
tures, figurent des scènes incestueuses ou meurtrières, incestuelles ou
meurtrielles, les autres symbolisés, matures, appartiennent au registre
transitionnel ; ils ont une valeur structurante.
Nous avons rappelé la définition du fantasme œdipien, précisé celle
du fantasme-non-fantasme antœdipien. Il nous reste à définir le fan-
tasme antœdipien puis à montrer qu’il existe un gradient de formations
fantasmatiques allant du fantasme-non-fantasme incestuel ou meurtriel
(parricide et infanticide) au fantasme œdipien en passant par le fantasme
antœdipien symbolisé. Ce dernier occupe une position intermédiaire de
transition entre l’antœdipe pathologique et l’œdipe.

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 65

Le fantasme antœdipien, ce fait est capital, annonce, selon nous, le


déclin de la mégalomanie incestuelle au profit de l’ambiguïté, de la
cœxistence pacifique de la lignée œdipienne et de la lignée antœdipienne
figurée.
Cette cœxistence définit la transitionnalité où se côtoient l’engendre-
ment et l’auto-engendrement.
Nous avons dans le jeu psychodramatique du chimpanzé et du couple
de lions avec Phénix un bel exemple de cœxistence d’auto-engendrement
du chimpanzé et d’engendrement du couple de lions.

Voici un autre exemple de fantasme antœdipien recueilli dans le cadre


d’une thérapie psychanalytique individuelle en face-à-face. Il s’agit du rêve
d’un jeune homme qui souffre d’accès graves de dépersonnalisation et
d’angoisses liées à son homosexualité. L’organisation de sa famille était
incestuelle ; un souvenir traumatique est fréquemment exprimé : il accom-
pagne dans ses rencontres avec ses amants sa mère endeuillée par la mort
de sa propre mère. Il assiste à une relation sexuelle. Il est pétrifié. Ces
vécus de pétrification de soi et des autres se retrouvent dans les moments
extrêmement angoissants de dépersonnalisation. Devant les ébats du couple,
il tente de ne pas regarder, ressent intensément un sentiment d’abandon, de
disqualification et d’humiliation.
Le rêve que nous allons citer survient après plusieurs années de travail
psychanalytique. Le patient rêve qu’il va chercher en voiture son père à sa
sortie de prison. Nous pensons que ce patient figure ici la fin de l’incarcération
psychique de son père et de l’analyste-père. Le père prend alors le volant de
la voiture et le fils se place à l’arrière. Dans l’exercice réel de sa profession,
le père a un chauffeur et s’assied à l’arrière de la voiture. On peut penser
que dans le rêve les positions du père et du fils dans la voiture rappellent
évidemment les différences hiérarchiques entre le père et le chauffeur de la
voiture, mais en même temps, nous constatons que le père dirige la voiture.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il y aurait, à la fois, une représentation antœdipienne où le fils est à l’arrière


de la voiture à la place du père et une représentation œdipienne, car c’est le
père qui conduit.
Elles marque le passage de l’antœdipe pathologique à deux à l’œdipe à trois.
Fait important, pendant son incarcération le père n’a pas vieilli, tandis que
pour le fils, c’est l’inverse, de telle sorte que le fils est devenu plus âgé
que son père. Un temps paradoxal est figuré dans ce rêve, ainsi qu’un
renversement générationnel : le père est plus jeune que le fils.

Dans le transfert, la relation patient-psychanalyste est renversée :


l’analyste est l’enfant et le patient, le parent. Il s’agit bien d’un transfert
antœdipien scénarisé, figuré et symbolisé, cependant un mouvement

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66 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

transférentiel œdipien se dessine, lorsque le père-analyste prend le volant


et conduit.
Ce type de fantasme antœdipien symbolisé figure une transitionnali-
sation car le père est à la fois père et fils et le fils à la fois fils et père ;
la relation est simultanément antœdipienne car elle est caractérisée par
la représentation d’un renversement générationnel et œdipienne par la
représentation de relation parent-enfant selon l’ordre des choses.
Nous ne saurions trop souligner l’importance de ces fantasmes antœdi-
piens de structure transitionnelle qui annoncent l’avènement des scènes
originaires et de la lignée œdipienne.
Ces fantasmes antœdipiens se rencontrent également dans les diverses
thérapies collectives (couple, famille et groupe) sous la forme de repré-
sentations de renversement générationnel.
Dans certains cas, l’enfant a pour origine un seul parent, ce qui
est un fantasme d’auto-engendrement ; un fantasme incestueux d’auto-
engendrement familial est mis en scène lorsque les parents sont représen-
tés frère et sœur ; c’est le cas également dans certaines représentations
antœdipiennes qui mettent en scène un seul couple de grands-parents fait
par exemple d’un grand-parent paternel avec un grand-parent maternel ;
ainsi, au lieu qu’il existe deux couples de grands-parents, il n’en existe
qu’un, réalisé à partir de l’un des membres de chaque couple. L’exemple
du rêve où le fils va chercher en voiture son père à la sortie de la prison
est à mettre au rang des représentations antœdipiennes symbolisées. Ce
sont des représentations particulièrement matures et structurantes.
À l’inverse, il existe des fantasmes antœdipiens figurés et non sym-
bolisés, immatures dont la capacité structurante se discute selon le
mouvement du travail psychanalytique : s’il s’agit d’un mouvement
régrédient, ce type de fantasme peut-être la marque d’une désym-
bolisation pathologique ; mais s’il s’agit d’un mouvement psychique
progrédient, on peut considérer que ces figurations non symbolisées
représentent un acquis positif car elles augmentent la surface de la
représentativité du fantasme-non-fantasme. Nous l’avons vu, la part non
figurée du fantasme-non-fantasme donne lieu à l’agir, à la somatisation,
aux pathologies narcissiques graves.

Au cours d’une thérapie individuelle un patient rêve qu’il fait l’amour avec sa
mère. L’acte sexuel terminé, il observe un vagin artificiel qu’il vient d’acheter
dans un sex-shop. Il s’agit ici d’un rêve où l’inceste mère-fils est représenté
dans la première partie de celui-ci. La figuration d’un vagin artificiel évoque
l’apparition d’une symbolisation. On peut parler ici d’un fantasme antœdipien

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 67

incestueux où, ni l’objet originel ni l’acte sexuel ne sont symbolisés dans la


première partie du rêve.
C’est aussi un fantasme incestueux qui effraie cette jeune femme d’une
trentaine d’années lorsqu’elle rend visite à ses parents qui partagent leur
domicile avec l’oncle maternel de la patiente : lorsqu’elle se promène avec
eux, elle pense qu’elle fait une fellation à son père et à son oncle ; surgit
alors une angoisse importante dont le souvenir l’empêche bien souvent
d’aller leur rendre visite. Là encore, on se trouve en présence d’un scénario
imaginaire incestueux sans symbolisation. Cette figuration incestueuse et
cette désymbolisation sont récentes ; elles s’inscrivent, pour cette patiente,
à ce moment-là, dans un mouvement psychique régrédient hypomaniaque.
Dans le registre meurtrier, un patient rêve que sa mère a assassiné ses trois
sœurs ; les objets originels et l’acte meurtrier ne sont pas symbolisés ; il y a
une figuration meurtrière sans symbolisation.

Les fantasmes antœdipiens non symbolisés scénarisent des actes


meurtriers et/ou sexuels où ni les objets originels ni les actes incestueux
ou meurtriers représentés ne sont symbolisés.
Ce sont les formes fantasmatiques antœdipiennes les moins évoluées
car si la représentation existe, répétons-le, la symbolisation, elle, est
absente.
Nous opposerons donc aux fantasmes antœdipiens non symbolisés
les fantasmes antœdipiens symbolisés qui présentent une complexité
scénique et imaginaire remarquable ; ce sont les formes fantasmatiques
les plus structurées et structurantes (exemple du rêve de la sortie de prison
du père). Ces dernières formes structurantes réalisent des fantasmes
transitionnels qui attestent d’un processus de transitionnalisation, du
passage de l’antœdipe pathologique à l’antœdipe normal et l’œdipe.
Ainsi la sémiologie du fantasme se déclinerait de la façon suivante :
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le fantasme-non-fantasme antœdipien est une représentation-non-


représentation paradoxale, traumatique, à la fois individuelle et collective,
intrapsychique et transfamiliale. Il contient les formations narcissiques
mégalomaniaques d’autodésengendrement et d’auto-engendrement. Sa
part non représentée donne place au vide et/ou à l’excitation, aux agirs
de l’incestualité et aux somatisations.
Le fantasme antœdipien non symbolisé figure l’inceste et le meurtre,
l’incestuel et le meurtriel ; il s’agit des formes du fantasme antœdipien
les moins évoluées et les plus immatures. Fait essentiel, le fantasme
antœdipien non symbolisé, s’il marque un progrès de mentalisation, n’a
pas la valeur du fantasme antœdipien scénarisé et symbolisé qui annonce
l’avènement des fantasmes originaires de la lignée œdipienne et le déclin
de la mégalomanie incestuelle.

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68 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Cette nouvelle sémiologie du fantasme doit nous permettre de dif-


férencier – ce qui est essentiel – les fantasmes de désir des fantasmes-
non-fantasmes traumatiques et de distinguer les rêves de désir des rêves-
non-rêves traumatiques. Les fantasmes et les rêves de désir obéissent au
principe de plaisir et de réalité, tandis que les fantasmes-non-fantasmes
antœdipiens traumatiques ainsi que les rêves de même nature sont
régis par le principe de répétition au cœur duquel se trouvent l’auto-
engendrement/autodésengendrement.
La transitionnalisation que l’on observe dans les fantasmes antœ-
dipiens symbolisés sont caractérisés par la coexistence des lignées
symbolisées antœdipienne et œdipienne. Ici, et ce fait est capital, l’auto-
engendrement coexiste avec l’engendrement ; c’est donc le passage
de l’autodésengendrement/auto-engendrement à l’engendrement/auto-
engendrement qui s’opère dans le processus de transitionnalisation, ainsi
que celui de la mégalomanie « furieuse » (P.-C. Racamier) à un processus
de déclin de cette dernière.
On assiste alors à la construction d’objets ambigus caractéristiques
de la paradoxalité ouverte, de l’ambiguïté et de la transitionnalisation.
Nous l’observons dans les formes les plus évoluées et structurantes du
fantasme antœdipien qui est scénarisé et symbolisé.
Quant au fantasme œdipien, il est, lui, on le sait, figuré, symbolisé et
scènarisé. Il est centré par l’engendrement. Les représentations généra-
tionnelles sont dans l’ordre des choses.
Il existe donc un gradient de formations fantasmatiques qui caractérise
le processus de la mentalisation dont le socle est la figuration des agirs
incestuels et meurtriels et la marque de la maturation psychique, la
transformation symbolique.
Le repère du niveau de symbolisation est évidemment important. Il y a
donc lieu de différencier les équations symboliques décrites par H. Segal
des équivalents symboliques signant l’accès à un niveau de symbolisation
plus mature et normal.
Si nous allons des formations fantasmatiques les moins évoluées vers
les plus matures, nous obtenons la succession suivante de formations
fantasmatiques antœdipiennes : le fantasme-non-fantasme peu ou pas
figuré, puis le fantasme-non-fantasme en partie figuré, vient ensuite le
fantasme antœdipien figuré et non symbolisé, puis, enfin le fantasme
antœdipien figuré, symbolisé et scénarisé.
À ces formations antœdipiennes s’opposent les formations œdipiennes
où les générations sont à leurs justes places : les parents sont plus âgés
que leurs enfants. Parmi les formations œdipiennes, nous distinguerons
tout particulièrement les fantasmes originaires, organisateurs de la lignée

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 69

œdipienne. J. Laplanche et J.-B. Pontalis préfèrent traduire « Urszene »


par scène originaire, mais les auteurs soulignent que l’expression géné-
ralement adoptée par les psychanalystes de langue française est scène
primitive.
Les fantasmes de scènes primitives présentent une maturité variable
selon leur appartenance positionnelle ; c’est dans la position dépressive
qu’elles deviennent plus réalistes. Soulignons qu’il s’agit de représenta-
tions familiales.

S CÈNES ORIGINAIRES IMAGINAIRES ET SCÈNES


INCESTUEUSES OU INCESTUELLES RÉELLES
J. Laplanche et J.-B. Pontalis définissent la scène originaire de la
façon suivante : « Scène de rapports sexuels entre les parents observée
ou supposée d’après certains indices et fantasmée par l’enfant. Elle est
généralement interprétée par celui-ci comme un acte de violence de la
part du père ».
Une telle définition constitue une entrée en matière pour discuter d’un
problème complexe.
Commentons cette définition :
Il peut s’agir d’une scène de rapports sexuels entre les parents,
observée par l’enfant : il s’agit alors d’une scène réelle perçue par
l’enfant.
Il peut aussi s’agir d’une scène de rapports sexuels entre les parents,
supposée par l’enfant d’après certains indices : cela évoque l’idée
d’évènements réels perçus, réélaborés fantasmatiquement.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Enfin, il peut s’agir d’une scène de rapports sexuels entre les parents,
imaginée, fantasmée par l’enfant.
Apportons quelques repères à l’évolution de la pensée freudienne
concernant les scènes originaires.
D’emblée, les scènes originaires sont situées par Freud comme des
événements traumatiques. Il s’agit alors, dans les années 1895-1900, de
conduites de séduction sexuelle d’adultes, adressées directement à l’en-
fant et de perception par l’enfant de rapports sexuels entre adultes. C’est
sur ces perceptions que se centrera le thème de la « scène primitive »,
puis s’estompera l’idée de la séduction en tant qu’évènement réellement
advenu.
Il est classique de considérer l’abandon par Freud de la théorie de la
séduction (1897) comme un pas décisif dans l’avènement de la théorie

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70 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

psychanalytique et dans la mise au premier plan des notions de fantasme


inconscient, de réalité psychique, de sexualité infantile, etc. Freud lui-
même, à plusieurs reprises, a affirmé l’importance de ce moment dans
l’histoire de sa pensée.
Cependant, cette vue d’ensemble mériterait néanmoins d’être nuan-
cée : Freud n’a cessé, jusqu’à la fin de sa vie, de soutenir l’existence,
la fréquence et la valeur pathogène des scènes abusives de séduction
sexuelle effectivement vécues par l’enfant. Il cherchera continuellement
derrière le fantasme ce qui a pu le fonder dans la réalité : indices perçus
de la scène originaire (L’homme aux loups), séduction du nourrisson par
la mère et, plus radicalement encore, la notion que le fantasme se fonde
en dernière analyse sur des « fantasmes originaires », restes mnésiques
transmis par l’hérédité d’expériences vécues dans l’histoire de l’espèce
humaine.
Freud insiste beaucoup, d’emblée et pendant longtemps, sur l’idée
que l’enfant victime de ces manœuvres de séduction ou spectateur de
ces faits, est « trop jeune » pour comprendre ; c’est de cette immaturité
même que découleraient les effets traumatiques des scènes originaires.
À mesure que se développe la pensée freudienne, on voit le thème des
scènes originaires s’enrichir d’autres éléments majeurs avec lesquels il
se tisse, en particulier la castration et le complexe d’Œdipe.
Pourquoi le fantasme originaire serait-il organisateur du complexe
d’Œdipe ?
Est-ce tout d’abord parce qu’il figure l’engendrement, la différence
des générations et des sexes ?
Est-ce aussi parce qu’il figure à la fois le couple parental, l’individu
et la famille ?
Est-ce enfin parce que cette figuration contient une relation sexuelle
des parents dont est relativement exclu l’enfant, et que, malgré l’inter-
prétation violente pouvant en être faite, il n’y a ni destruction d’individu,
ni du couple, ni de la famille ?
Les scènes originaires auraient-elles une structure transitionnelle ?
Le couple parental qui engendre un enfant est au contact de celui-ci.
Ne peut-on penser qu’il existe là une dimension de non-séparation, un
reste d’indifférenciation et de séduction narcissique mutuelle ?
Ainsi l’engendrement coexisterait avec l’auto-engendrement, l’enfant
assistant à son engendrement ?
L’utilisation du séjour utérin pour observer le coït parental, décrit par
Freud en 1908 dans Les théories sexuelles infantiles et en 1917 dans

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 71

Leçons d’introduction à la psychanalyse, réunit à la fois l’idée d’engen-


drement et celle d’auto-engendrement ; en effet, le coït engendreur du
couple parental est observé par l’enfant engendré déjà là ; un rapport
générationnel égalitaire s’instaure ; un temps paradoxal s’établit qui
milite en faveur de l’auto-engendrement comme dans le rêve de la sortie
de prison du père.
Cet ensemble fait penser à la coexistence de l’engendrement et de
l’auto-engendrement, ce qui plaide en faveur de la structure ambiguë,
transitionnelle du fantasme de scène primitive.
Il faut souligner l’hétérogénéité des exemples cliniques de Freud
allant de scènes sexuelles incestueuses réelles à des scènes sexuelles
imaginaires et symbolisées.
Les exemples prototypiques que nous allons reprendre vont du réel
perçu au fantasme.1

Au cours de l’été 1894, Freud, en vacances dans les Alpes italiennes,


rencontre une jeune fille qui lui demande son avis sur les troubles dont
elle souffre. C’est le cas Katharina des Études sur l’hystérie. Freud favorise
les confidences de Katharina en suggérant :
« Il y a deux ans, vous avez dû voir ou entendre quelque chose qui vous a
beaucoup gênée, que vous auriez préféré ne pas voir ».
Elle alors : « Ah ! Doux Jésus, c’est vrai. J’ai vu mon oncle avec cette jeune
fille, Franziska, ma cousine ».
« Qu’est-ce que c’est cette histoire ? Voudriez-vous me la raconter » ?
Suit le récit de Katharina : deux ans auparavant, des clients arrivent à
l’auberge de montagne que tiennent « son oncle » et « sa tante ». En 1924,
Freud ajoutera en note : « Katharina était non la nièce, mais la fille de
l’aubergiste ».
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La maladie de la jeune fille avait donc été causée par les tentatives de son
propre père. Donc « l’oncle » est le père et « la tante », la mère, Aloïs le
frère et Franziska la sœur, enceinte de leur père...
« On cherche partout l’oncle introuvable. Aloïs, « mon cousin » suggère qu’il
est dans sa chambre avec Franziska ; on trouve la chambre verrouillée.
Aloïs suggère qu’on peut regarder par une lucarne, mais refuse de le faire
lui-même, disant qu’il a peur. Je lui réponds qu’il est idiot, que je vais y aller
et que moi, je n’ai pas peur du tout. Je ne pensais à rien de vilain. Je regarde
à l’intérieur, la chambre était assez sombre, mais je vois mon oncle avec
Franziska, il était couché sur elle. J’ai tout de suite quitté la fenêtre pour
m’appuyer au mur, et j’ai étouffé comme je le fais depuis ; je me suis trouvée
mal, j’ai senti une pression sur les yeux, et dans ma tête, ça cognait et ça

1. Le Goues G., Perron R. (sous la direction de), « Scènes originaires » dans Monogra-
phies de la Revue Française de Psychanalyse, 1996.

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72 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

bourdonnait ... à ce moment-là je n’ai rien compris, je n’avais que seize ans.
Je ne sais pas pourquoi j’ai eu si peur ».
L’effet pathogène de la perception de rapports sexuels incestueux est donc
clairement indiqué : les symptômes hystériques apparaissent immédiatement.
On notera la déclaration de Katharina : « Je n’avais que seize ans... je ne sais
pas pourquoi j’ai eu si peur... » évidente dénégation, que Freud cependant
entérinera, en accord avec son idée du moment selon laquelle l’immaturité
de l’enfant rend compte de la genèse de l’hystérie.
Cette perception cependant, renvoie directement Katharina à ses propres
émois incestueux. Deux ans avant cette scène, donc à quatorze ans, elle avait
en effet été elle-même en butte à une tentative de séduction de « l’oncle »,
qui l’avait réveillée en venant dans son lit. Elle sauta hors du lit et lui fit des
reproches. « Qu’est- ce que vous faites, mon oncle, pourquoi ne restez-vous
pas dans votre lit » ? Il essaya de l’amadouer : « Tais-toi donc, petite sotte, tu
ne sais pas comme c’est bon » ! « Je n’en veux pas de vos bonnes choses,
vous ne me laissez même pas dormir » !
Et Freud commente : « La manière dont elle s’était défendue semble prouver
qu’elle ne s’était pas rendu compte qu’il s’agissait de tentatives sexuelles ».
Le père était pourtant coutumier du fait. Une autre fois, « toute la famille
avait passé la nuit, sans se dévêtir, dans un grenier à foin. Un bruit l’avait
soudain réveillée ; elle cru remarquer que son oncle, allongé entre Franziska
et elle-même, s’était reculé et que Franziska se redressai ». En une autre
occasion, elle se réveille et voit son « oncle » sur le point d’entrer dans la
chambre de Franziska. Le scénario se répète : elle se réveille, voit, entend.
Pour Freud les scènes traumatiques concernent donc à la fois des tentatives
réelles de séduction directe et des spectacles réels de relations sexuelles.
C’est leur conjonction qui, dans le cas de Katharina, déclenche les symp-
tômes hystériques : « Elle portait en elle deux séries de faits dont elle se
souvenait sans pouvoir les comprendre, ni en tirer quelque chose ; à la vue
du couple en train de coïter, une jonction de l’impression nouvelle avec les
deux chaînes de réminiscences s’établit immédiatement ; elle commence à
comprendre et en même temps à se défendre ».
Freud en donne l’interprétation à Katharina et essaie de lui faire dire que
ce qu’elle avait senti lorsque « l’oncle » était allongé prés d’elle, c’était son
pénis en érection ; mais la jeune fille « gênée », se récuse. Quelques années
plus tard, il réussira à le faire dire à Dora.

On saisit, dans le cas Katharina, la vivacité du thème à cette époque


chez Freud, cependant, il ne met nullement l’accent sur l’appartenance
au registre incestueux de ces situations sexuelles réelles. Dans notre
perspective, nous pourrions dire qu’il s’agissait avant tout de scènes
incestueuses réelles et traumatiques faites d’agirs incestueux et d’agirs de
séduction sexuelle incestueuse. Ce que Freud décrit, ce sont des relations

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 73

d’objet agies, paradoxales, incestueuses et traumatiques. Nous sommes


ici dans le registre antœdipien pathologique, antifantasmatique.
En effet le père incestueux est un objet paradoxal, un père-non-père, à
la fois père et objet sexuel réel, c’est-à-dire non-père, à la fois séduisant
sexuellement et terrorisant, autoritaire et transgressif.
Bien évidemment les filles sont, elles aussi, des objets paradoxaux
pour le père, des filles-non-filles car à la fois filles et objets sexuels réels
du père.
Les relations d’objet narcissique paradoxal incestueux sont des liga-
tures/ruptures que l’on pourrait résumer de différentes façons : « Ni avec
l’objet ni sans l’objet » ou « être ensemble est mortel, se séparer tue ».
Ou bien « il n’y a que deux places pour trois » ou encore « qu’une place
pour deux ».
En effet, dans l’antœdipe pathologique, ici l’inceste, la rivalité réelle
élimine la mère : le couple est constitué par le père et la fille.
À l’opposé, dans une famille œdipienne, le tabou de l’inceste est
établi ; cette formation majeure de l’espace transsubjectif normal de la
famille œdipienne n’est pas énoncée, en revanche les interdits symbo-
liques de l’inceste le sont et s’exercent. Ainsi, il y a une place pour
chacun et la place des parents est bien différenciée de celles des enfants.
Dans l’antœdipe pathologique se pose souvent l’existence « d’une
place pour deux » selon le modèle incestueux de « deux places pour
trois » précédemment décrit. C’est une figure transférentielle agie ou
fantasmatique antœdipienne fréquente.
À côté de ces scènes incestueuses réelles, Freud décrit des scènes
sexuelles imaginaires et symbolisées. Anzieu1 consacre tout un chapitre
à la découverte de la scène primitive chez Freud et situe les origines
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

personnelles de son intérêt pour celle-ci dans ce rêve fait par Freud
lorsqu’il avait sept ou huit ans. Il est relaté dans L’interprétation des
rêves (1900) et intitulé « Mère chérie et personnages à becs d’oiseaux ».
Voici le rêve de Freud :

« Il était extrêmement net et me montrait ma mère chérie avec une expression


du visage particulièrement tranquille et endormie, portée dans sa chambre et
étendue sur le lit par deux (ou trois) personnages munis de becs d’oiseaux.
Je me réveillais, pleurant et criant, et troublais le sommeil de mes parents ».

1. Anzieu D., L’auto-analyse de Freud et la découverte de la psychanalyse, tome 1, Paris,


PUF, 1975.

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74 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Freud associe avec un camarade d’enfance, Philippe, qui parlait du


coït en usant d’un terme vulgaire « baiser », Vögeln, ce qui signifie aussi
« oiseaux », au pluriel.

Dans L’interprétation des rêves, Freud rapporte l’un de ses propres rêves1 (Le
rêve Hollthurn) : il passe une nuit pénible dans un compartiment de chemin
de fer avec un couple d’inconnus d’un certain âge et revêches ; il se venge
d’eux en rêvant. Parmi les interprétations vient celle-ci :
« La seconde scène de mon rêve est due à ce fantasme, bien impertinent,
que mes deux compagnons de voyage, bien qu’un peu vieux déjà, manquent
de politesse à mon égard parce que mon arrivée les a empêchés d’échanger
pendant la nuit les tendresses qu’ils s’étaient promises. Cette idée fantaisiste
n’est qu’un écho d’une scène de la première enfance : l’enfant, poussé
probablement par une curiosité sexuelle, pénètre dans la chambre de ses
parents et en est chassé par un mot énergique du père ».

Le petit Hans (1909) se demandent d’où viennent les enfants. Le mythe des
cigognes lui paraît peu crédible. Du ventre des mamans, représenté par les
« voitures de cigogne » ? Voilà qui est mieux. Mais qu’est-ce qui les y met ?
Il se peut qu’il s’agisse d’une scène violente entre les parents : en témoigne
la terreur du « charivari que font les chevaux avec leurs pieds », le fantasme
des girafes, etc. Hans soupçonne que son père sait tout cela : « Mais le père
ne savait pas seulement d’où venaient les enfants, il faisait aussi quelque
chose pour les faire venir, cette chose que Hans ne pouvait que obscurément
pressentir. Le « fait-pipi » devait avoir quelque chose à faire là-dedans, car
celui de Hans éprouvait une excitation chaque fois que Hans pensait à ces
choses et ce devait être un grand « fait-pipi », plus grand que celui de Hans.
Si Hans prêtait attention à ces sensations prémonitoires, il devrait supposer
qu’il s’agissait d’un acte de violence à faire subir à sa mère ».

Le texte de Freud, largement appuyé sur les notes prises au jour le


jour par le père de Hans, montre quelle intense activité intellectuelle se
développe chez l’enfant sur la base de ces interrogations. Comme l’on
sait, le thème est développé par Freud dans l’article connexe de 1908,
« Les théories sexuelles infantiles ».

Voici un autre exemple de fantasmes originaires symbolisés rapportés par


Freud dans L’interprétation des rêves : « Le rêve d’un jeune homme qui a
imaginé d’utiliser le séjour intra-utérin pour observer les relations sexuelles de
ses parents... Il se trouve dans une fosse profonde, qui a une fenêtre comme

1. Freud S., L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1967, pp. 388-391.

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 75

le tunnel de Semmering. À travers celle-ci, il voit d’abord des paysages


vides, puis il imagine un tableau qui entre aussitôt et remplit le vide. Le
tableau représente un champ profondément labouré par un instrument, et
le beau ciel, l’idée du travail bien fait, les mottes de terre bleu-noir font une
impression magnifique. Puis il continue, voit un manuel de pédagogie ouvert...
et s’étonne que l’on prête une telle attention aux impressions sexuelles de
l’enfant ; à ce sujet il pense à moi ».

Le fantasme de retour dans le sein maternel pour y observer le coït


parental est réévoqué par Freud (1917) dans Leçons d’introduction à la
psychanalyse1 : « De même, il n’est nullement exclu que le petit enfant,
tant qu’on ne lui prête aucune compréhension ni aucune mémoire, soit
témoin, même dans d’autres familles que celles des prolétaires, d’un
acte sexuel entre les parents ou bien d’autres adultes, et on ne doit pas
écarter l’idée que l’enfant puisse comprendre après coup cette impression
et réagir à elle. Mais lorsque ce commerce est décrit jusque dans
les moindres détails, détails dont l’observation réserve des difficultés,
ou lorsqu’il se révèle être, comme c’est presque toujours le cas, un
commerce sexuel par derrière, more ferarum (à la manière des animaux),
il ne subsiste certainement aucun doute sur le fait que cette fantaisie
s’étaye sur l’observation du commerce entre animaux (chiens) et qu’elle
est motivée par l’insatisfaction, chez l’enfant du plaisir-désir de regarder
dans les années de puberté. Ce qui se fait de plus extrême dans ce genre
c’est la fantaisie de l’observation du coït parental, alors qu’on se trouvait
encore dans le ventre de la mère, avant que d’être né ».
R. Perron2 souligne que « La connotation de violence apparaît dès
L’interprétation des rêves où Freud ayant rapporté l’un de ses propres
rêves, le rêve de « Mère chérie et personnages à becs d’oiseau », poursuit
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

avec un rêve d’angoisse d’un patient qui évoque un souvenir de sa


neuvième année :
« Ses parents étaient rentrés tard, ils se mirent au lit tandis qu’il
feignait de dormir, et il entendit bientôt des soupirs et d’autres bruits qui
l’effrayèrent, il put aussi deviner leur position dans le lit ... il rangea ce
qu’il surprit entre ses parents sous le concept « violences et batailles ».
Il en voyait une preuve dans le fait qu’il avait souvent remarqué du sang
dans le lit de sa mère ».

1. Freud S., Oeuvres complètes, Psychanalyse XIV, 1915-1917, Paris, PUF, 2000, p. 383.
2. Perron R., « Scènes Originaires », Monographies de la Revue Française de Psychana-
lyse, 1996, p. 27.

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76 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

L’idée est prévalente dans la discussion du cas du petit Hans (1909).


Hans développe des fantaisies relatives à des transgressions que Freud
rattache aux fantasmes de scène primitive : en particulier la fantaisie (ou
le rêve ?) dans laquelle une girafe qui représente le père assis sur une
« girafe chiffonnée » figurant la mère ; mais il est aussi question d’entrer
malgré l’interdit dans l’enclos des moutons à Schönbrunn ou de casser
une vitre dans le train et dans les deux cas d’êtres arrêtés (son père et lui)
par l’agent de police.
Constatons donc que les descriptions de scènes originaires chez Freud
vont des souvenirs de scènes incestueuses réelles à ceux de scènes de
coït parental imaginaires symbolisées.
Pour notre part, nous placerons au rang des fantasmes originaires
tous les scénarios imaginaires symbolisés figurant une scène de rapports
sexuels entre les parents : il se peut que soient symbolisés les parents et
pas l’acte sexuel ; il se peut aussi que ce soit l’inverse. Dans certains cas,
évidemment, objets originels et acte sexuel sont symbolisés.
Dans tous les cas, la différenciation générationnelle est présente et
dans l’ordre des choses : il s’agit d’un ou de plusieurs enfants qui voient
leurs parents dans un rapport sexuel, dans une situation d’engendrement.
Répétons-le, dans ces représentations les parents sont plus âgés, plus
grands que leurs enfants.
Nous insistons sur la valeur structurante de tels fantasmes dans la
mesure où ils sont symbolisés.
Cette valeur structurante des fantasmes originaires est vraisembla-
blement liée aux diverses identifications introjectives possibles avec le
couple parental sexué et sexuel comme objet, la famille comme objet
et la mère et le père comme objet individuellement ; ici se jouerait la
position féminine ou masculine dominante.
Soulignons aussi la coexistence des investissements d’objet-famille,
d’objet-couple parental sexué et sexuel et d’objets-individus sexués ;
on constate, en présence de l’enfant, l’existence d’une relation sexuelle
permise entre les parents et interdite pour l’enfant ; les parents sont
unis, l’enfant est séparé ; les parents engendrent l’enfant qui assiste à sa
procréation.
La scène réelle incestueuse soutient la tendance à l’indifférenciation et
la paradoxalité ; elle s’oppose à la coexistence pacifique des différentes
catégories d’objets et des générations, au processus de différenciation de
la scène primitive qui génère les angoisses œdipiennes, notamment les
angoisses dépressives et de castration.

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U NE NOUVELLE SÉMIOLOGIE DU FANTASME 77

La scène incestueuse réelle est défensive contre la scène primitive


imaginaire. A. Ruffiot1 n’oppose pas la scène incestueuse réelle à la scène
primitive imaginaire et symbolisée ; il distingue la scène primitive de vie
à celle de mort, et reste ainsi, dans la lignée œdipienne, dans le clivage
bonne et mauvaise scène primitive de la position schizo-paranoïde.
En distinguant clairement les productions œdipiennes des productions
antœdipiennes, nous pouvons différencier les fantasmes originaires, non
seulement des agirs incestueux ou incestuels, mais surtout des fantasmes
incestueux ou incestuels figurant diverses scènes sexuelles ou meurtrières
sans symbolisation.
Ces fantasmes incestueux ou incestuels révèlent indéniablement, du
fait de leur figuration, une maturation du processus de mentalisation par
rapport au fantasme-non-fantasme. Cependant ces fantasmes ne peuvent
pas avoir le statut de fantasmes originaires. En effet, l’indifférenciation
générationnelle (égalité ou renversement des générations) et le caractère
paradoxal pathologique des relations et des représentations d’objet non
symbolisées s’opposent à la potentialité organisatrice des fantasmes
originaires. Ce sont des fantasmes antioriginaires.
R. D. Hinshelwood2 écrit dans « Figure du parent combiné » : « Pour
Klein le fantasme, la figure du parent combiné consiste en ce que les
parents ou plutôt leurs organes sexuels sont unis (locked together) dans
un rapport sexuel permanent. Il s’agit du fantasme le plus précoce et
le plus primitif de la situation œdipiene : « Le fait qu’il s’agit d’une
union des parents, imprime à cette situation de danger une intensité
particulière... Ces parents unis sont extrêmement cruels et sont des
assaillants très redoutés » (Klein, 1929).
La figure du parent combiné est représentée sous la forme de la mère
ayant le père à l’intérieur d’elle : l’idée d’un pénis maternel comme un
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pénis caché dans le vagin (M. Klein, 1923).


Les rapports sexuels auxquels les parents se livrent sont dangereux
pour eux-mêmes et il existe une terrible hostilité entre l’enfant et
cette figure particulièrement menaçante. Cette figure du parent combiné
est l’un des persécuteurs les plus terrifiants des chantais personae de
l’enfance.
La notion de parent combiné, l’une des premières conceptions de M.
Klein, fût ensuite considérée comme la source de cette violence et de

1. Ruffiot A., « Famille recherche scène primitive ... tolérable », Gruppo, 1991, 7, pp.
99-114.
2. Hinshelwood R. D., Dictionnaire De La Pensée Kleinienne, Paris, PUF, 2000, pp.
346-347.

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78 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

ce sadisme particulièrement intense reliés à cette figure fantasmatique


infantile provenant de l’envie que suscite le rapport sexuel parental et
l’exclusion du nourrisson en tant qu’objet séparé de celui-ci.
D. Meltzer (1973) a décrit le développement de la sexualité et de
la créativité sous l’angle de la lutte pour dépasser cette figure d’objet
partiel et la reconstruire en des objets totaux comportant des versions
plus réalistes de la mère et du père, processus inhérent à la position
dépressive. Ce rapport sexuel parental réaliste constitue un objet interne
qui représente la base ou est ressenti comme la source de la créativité
personnelle sexuelle, intellectuelle et esthétique. Selon M. Klein, les
fantasmes de scènes primitives apparaissent très tôt dans la vie, dès les
stades oral et anal.
L’auteur se trouva ainsi amenée à décrire des formes prégénitales du
complexe d’Œdipe et à fixer la date de ses origines, de plus en plus tôt.
Précisons que dans la position schizo-paranoïde, il existe une bonne
et une mauvaise scène primitive comme le souligne S. Resnik, une scène
libidinale et une scène destructrice.
Fait notable, M. Klein ne parle que de fantasmes, cependant dans
Envie et Gratitude elle utilise le mot « promiscuité » pour décrire une
réalité relationnelle.
Pour nous résumer, les agirs incestueux et incestuels, leurs souvenirs
ainsi que les fantasmes antœdipiens non symbolisés sont antioriginaires,
antiœdipiens. Les fantasmes antœdipiens symbolisés annoncent le déclin
de la mégalomanie maligne antœdipienne pathologique et l’avènement
des fantasmes originaires, organisateurs de la lignée œdipienne.

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Chapitre 5

LA GROUPALITÉ
ET LES ESPACES
DE LA SUBJECTIVITÉ

différents concepts concernant


N OUS ABORDERONS MAINTENANT
le groupe externe et interne, la famille externe et interne, ainsi que
les espaces différenciés de la psyché, c’est-à-dire l’espace intrapsychique,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’espace interpsychique et l’espace transpsychique normal ; quant à


l’espace transpsychique pathologique, il a un statut bien particulier
lié à la paradoxalité et aux phénomènes d’indifférenciation. L’espace
intrapsychique est conceptualisé par Freud selon ses deux topiques ;
elles concernent l’individu. Le concept d’espace transitionnel, d’espace
intermédiaire intersubjectif, c’est l’idée d’un espace psychique appar-
tenant à la fois à soi et aux autres. Il est commun, partagé. Il est à
la fois du registre de l’individuel et du groupal. Ce concept va donner
naissance à une troisième topique avec la notion d’espace interpsychique,
intersubjectal, puis à son dérivé pathologique, nommé par P.-C. Racamier
topique interactive. Ces espaces de la subjectivité peuvent se penser selon
deux vertex : celui du groupe ou celui de l’individu, c’est-à-dire selon la
perspective de l’appareil psychique groupal ou selon celle de l’appareil
psychique individuel.

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80 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

L’ APPAREIL PSYCHIQUE GROUPAL ET FAMILIAL


Selon le vertex du groupe, celui-ci, en tant qu’ensemble spécifique,
nous permet de parler avec R. Kaës (1975) d’appareil psychique grou-
pal et par extension d’appareil psychique familial (A. Ruffiot). « J’ai
proposé », dit R. Kaës1 , « le modèle de l’appareil psychique groupal
dans le but d’introduire une intelligibilité du fonctionnement psychique
à partir de l’hypothèse de l’inconscient et de ses effets dans les espaces
intra, inter et transsubjectifs que le groupe mobilise ». Le concept
d’appareil psychique groupal (APG) a été pensé par R. Kaës comme un
modèle théorique destiné à rendre compte du « processus d’appareillage
intersubjectif entre les sujets constituant un groupe et des formations
psychiques qui en dérivent. Le processus de l’appareillage psychique
groupal se présente comme la création de contenants et de contenus
psychiques originaux, étayés sur certaines structures organisatrices de la
psyché individuelle », structures auxquelles R. Kaës a donné le nom de
groupes internes qui fonctionnent comme organisateurs de l’appareillage.
Ce sont par exemple, des imagos, des fantasmes originaires. De ce
point de vue, l’appareil psychique groupal est un appareil de formation,
de transformation et de liaison de la réalité psychique entre les sujets
constituant le groupe. Il est aussi l’appareil construit pour produire,
contenir, lier, transformer et traiter la réalité psychique qui spécifie le
groupe comme configuration de liens intersubjectifs isolables en tant que
tels. L’appareil psychique groupal décrit les rapports entre un groupe
interne individuel et un groupe externe. L’espace situé entre le groupe
interne et le groupe externe est appelé intermédiaire. Lorsqu’il existe
une différenciation suffisante, R. Kaës parle d’homomorphie entre les
groupes interne et externe. Il se crée alors un espace intersubjectif, « un
groupe intersubjectif » selon l’expression de R. Kaës.
Cet espace intersubjectif est, selon D. Anzieu et R. Kaës2 , « le lieu
d’un processus groupal inconscient qui tend à la mise en commun
d’images mentales et à leur assemblage dans une organisation commune.
Si ce processus aboutit, son produit est une représentation imaginaire
préconsciente ou consciente de leur groupe, de ses origines, de ses buts,
partagée par la plupart des membres. Le groupe se met alors à exister

1. Kaës R., Le Groupe et le Sujet du groupe, Paris, Dunod, 1993, p. 114.


2. Anzieu D. et Kaës R., « Imaginaire Groupal » dans Vocabulaire de Psychanalyse
Groupale et Familial, 1998, t. 1, Paris, Les Editions du Collège de Psychanalyse Goupale
et Familiale, pp. 139-145.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 81

comme tel dans la psyché des participants (fondation imaginaire du


groupe) ».
Deux investissements simultanés s’observent, l’un pouvant prévaloir
sur l’autre selon les moments : l’un a le groupe dans sa globalité pour
objet (l’objet-groupe), l’autre le groupe intersubjectif.
Lorsqu’il n’existe pas une différenciation suffisante, R. Kaës parle
d’isomorphie entre les groupes interne et externe, c’est-à-dire de confu-
sion.

L A TROISIÈME TOPIQUE
Selon le vertex de l’individu, la relation entre deux ou plusieurs sujets
individués est conceptualisée par la troisième topique (P.-C. Racamier,
1980) en une organisation du réel en trois registres : interne, externe et
intermédiaire.

L’ INTERSUBJECTIVITE
Le lien intersubjectif suppose une individuation suffisante, une recon-
naissance implicite de l’altérité de l’autre.
Les limites des espaces intrapsychiques individuels sont respectées ;
elles ne sont pas perforées, traversées, transgressées. Dans l’intersub-
jectivité il existe un espace psychique commun entre les individus ;
après D. W. Winnicott, il sera appelé transitionnel car il appartient à
la fois chacun et à tous, qu’il s’agisse d’un couple, d’une famille ou d’un
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

groupe, voire d’une institution. Lorsque l’autorité s’exerce et les interdits


symboliques fondamentaux du meurtre et de l’inceste sont énoncés,
un processus de différenciation entre les êtres et les générations se
développe permettant la création d’un espace intersubjectif intermédiaire.
Cet espace intermédiaire contenant est le lieu d’une mise en commun
entre les membres (couple, famille ou groupe) des pensées, des fantasmes
concernant l’origine, les buts et les représentations de l’entité ; il contient
également les idéaux et les interdits de l’ensemble des membres. C’est
le Surmoi et l’Idéal collectifs du groupe, de la famille, du couple ou
de l’institution. Le groupe intersubjectif, soutenu par l’investissement
en arrière-plan du groupe ou de la famille comme objet, construit tous
ces contenus fantasmatiques grâce à la résonance fantasmatique et à
l’interfantasmatisation. Cet espace intersubjectif en tant que contenant est
ambigu car il est issu de chacun des membres et de tous les membres. Il

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82 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

est à la fois du registre de l’individuel et du groupal. Il est un espace allant


de l’individu au groupe et du groupe à l’individu. Il crée des contenus
issus de l’individu et de l’ensemble, une transition entre la pensée de
l’individu et celle du groupe ; il est le produit de l’interfantasmatisation.
Les contenus de cet espace sont les fantasmes et les pensées partagés
par tous les membres du groupe intersubjectif qui en constituent l’unité
grâce à l’interfantasmatisation et à la confrontation des idées, aux accords
et désaccords concernant l’appréhension de la réalité du groupe et de
ses rapports avec le monde extérieur. Il s’agit donc bien d’un espace
transitionnel organisé selon l’ordre œdipien.
À côté de cet espace intersubjectif nous décrirons un espace psychique
transsubjectif selon les acceptions de R. Kaës et de P.-C. Racamier.

L’ ESPACE TRANSSUBJECTIF TRANSITIONNEL À POLARITE


STRUCTURANTE
Pour R. Kaës1 « Le niveau de la réalité transpsychique décrit des
formes et des processus psychiques sollicités et créés dans les états de
foule ou de masse, mais aussi dans les organisations institutionnelles. Ce
niveau intègre des formes psychiques universelles ou transindividuelles,
des constantes psychiques anthropologiques. Les formations psychiques
transindividuelles prototypiques sont, par exemple, les fantasmes origi-
naires, le complexe d’Œdipe. Ce sont des formations impersonnelles,
transversales aux sujets singuliers ». Remarquons que cette conception
du transpsychique chez R. Kaës renvoie au complexe d’Œdipe. « Les
formations psychiques anthropologiques », précise l’auteur, « corres-
pondent à des montages de structurations psychiques et à des schémas de
représentation propres à l’espèce, transmis de génération en génération :
interdits fondamentaux, schémas de représentation des énigmes sur
l’engendrement, la différence de sexes, la sexualité, la mort. C’est dans
ces configurations anthropologiques invariantes que prennent souche les
variantes et les versions individuelles qui forment l’ancrage de chaque
subjectivité. Le niveau transpsychique est spécifiquement celui où se
nouent les liens entre chacun et l’ensemble, dans leurs valeurs et leurs
fonctions psychiques (narcissique, d’étayage, de défense, de signifiance,
de dépôt, de contention). Ces nouages constituent donc l’arrière-fond
des espaces interpsychiques ... » Plus loin R. Kaës ajoute : « Les liens de
continuité entre chacun et l’ensemble, l’ensemble et chacun sont assurés

1. Kaës R., Le Groupe et le Sujet du groupe, Paris, Dunod, 1993, p. 111.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 83

par les formations transsubjectives qui sont des liens de communauté,


d’appartenance, d’interprétation, de représentation, de croyance, de
certitude, sont entretenus par les investissements psychiques requis de
ses sujets, qui, en échange, y trouvent des repères identificatoires, et
d’abord les fonctions d’identification à l’humain, à la communauté d’ap-
partenance, à l’espèce, fondement de l’étayage narcissique originaire ».
R. Kaës rappelle ici la notion « d’idée du Moi » proposée par P.-C.
Racamier (1978) pour définir ce qui, dans l’objet « est fait de la même
pâte que nous, de la glaise commune » ; l’idée du Moi est le résultat
d’une identification à l’espèce, elle soutient une « représentation fonda-
mentale de l’humain ». Elle fonde la possibilité des liens interhumains.
« J’ai naguère proposé une idée du Moi, écrit P.-C. Racamier (1992) dans
Le génie des origines1 , qui en vérité n’est pas une idée proprement dite,
mais plutôt un pressentiment, ni du Moi individuel proprement dit, mais
plutôt du Moi de l’espèce humaine. Je continue de croire, » ajoute-t-il
« que cette formulation, parce qu’elle situe le Moi dans un entre-deux,
lui reste fidèle en toute sa féconde ambiguïté ».
Les diverses illusions fondatrices des fantasmes de corps commun et
de peau commune appartiennent à cet espace transsubjectif structurant.
On peut certainement écrire que l’idée de masse de Freud est à
l’origine du fantasme de corps commun.
Ainsi nous observons dans les différents textes précédemment cités,
extraits de Totem et Tabou et de Psychologie des Foules et Analyse du
Moi que Freud dans la Kinship, l’état amoureux, l’hypnose ou la foule,
souligne l’importance de l’investissement narcissique de l’objet qu’il soit
individuel ou groupal.
On peut dire aujourd’hui qu’une formation narcissique d’indifféren-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ciation se crée par le moyen des identifications narcissiques adhésives et


projectives donnant naissance à un phénomène de masse avec perte des
limites individuantes. Dans tous ces cas se créent des représentations de
corps commun de couple, de famille, de groupe, d’institution. La place
du fantasme de corps commun y est donc centrale.
Il nous faut voir désormais l’importance du concept de corps commun
ainsi que celui de peau commune, la place qu’occupe ce fantasme
dans les relations humaines. Il nous semble bien que ces phénomènes
concernant l’espace transsubjectif dans sa polarité structurante sont à
observer dans certaines manifestations de groupes sociaux, tels que les
accents d’une langue et ses variations selon les régions, les gestuelles et

1. Racamier P.-C., Le génie des origines, Paris, Payot, 1992, p. 382.

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84 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

les mimiques de communication et certains choix sociétaux concernant


l’organisation familiale comme la monogamie, la polygynie, la polyan-
drie. La polarité structurante de l’espace transsubjectif est à comprendre
à la lumière des différentes illusions, en premier lieu l’illusion primaire
de D. W. Winnicott et différentes autres, ultérieurement décrites, comme
l’illusion groupale et familiale ou l’illusion conjugale.
C’est dans le couple mère-bébé que s’originent ces phénomènes. Dans
toutes ces formes d’illusion, nous assistons à la naissance d’un corps
commun imaginaire doté d’une peau commune.
Ici œdipe et antœdipe tempéré vont être à l’œuvre ensemble ; l’engen-
drement et l’auto-engendrement vont coexister et caractériser la structure
ambiguë de l’espace transsubjectif transitionnel à l’origine du corps
commun transitionnel à la fois uni et séparé, à la fois un et multiple,
réuni et différent. En effet, le modèle de la genèse du corps commun
est, n’en doutons pas, celui du corps commun mère-bébé. La dyade
est constituée, à la fois, d’un corps commun et de deux êtres et cela
est indécidable.1 D. Anzieu (1993) écrit : « Le fantasme d’une peau
commune à la mère et au bébé m’est apparu constitutif d’un appareil
psychique originaire dont l’enfant doit ensuite s’arracher pour acquérir
une peau psychique propre. Une forme de ce fantasme est le fantasme
gémellaire qui fonde un premier type de couple amoureux : les deux
membres se vivent comme des doubles imaginaires, des êtres identiques
ou symétriques inversés, de toute façon complémentaires par rapport à
une peau commune et à l’intérieur d’une enveloppe utérine. Le couple
est uni par les mêmes sensations, les mêmes sentiments et les mêmes
pensées, éprouvés par chacun de ses membres. L’illusion gémellaire a
pour corollaire le fantasme d’auto-engendrement du couple. Ce fantasme
peut se rencontrer aussi dans une famille où les membres collés les uns
aux autres constituent une famille égalitaire, formée de jumeaux, tous
pareils (J.-P. Caillot, G. Decherf, 1989) ? ».
Dans l’adhésivité se crée, en famille, une autre forme de ce fantasme ;
il s’agit d’une peau commune familiale dont le corollaire est le fan-
tasme d’auto-engendrement familial. Ce fantasme de peau commune se
retrouve également dans les groupes et coïncide avec l’illusion groupale
et le fantasme d’auto-engendrement groupal. Il s’agit d’un corps commun
transitionnel où, à la fois, chaque membre est séparé et relié à l’ensemble
des membres, c’est-à-dire à l’unité, à l’objet collectif ; il s’agit bien de
« lien de communauté, d’appartenance » pour reprendre l’expression de

1. Caillot J.-P., « La position narcissique paradoxale », Groupal, 2004, 15, pp. 181-197.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 85

R. Kaës, ce que nous pouvons formuler de la manière suivante : chacun


appartient à la fois à lui-même et à l’ensemble.

L’ ESPACE TRANSSUBJECTIF PARADOXAL À POLARITE


DEGRADEE

« À la polarité structurante de l’espace transsubjectif », écrit R. Kaës1


« s’oppose sa polarité régressive ou dégradée vers des formes et des
processus psychiques dédifférenciés ». L’auteur ajoute : « La disparition
de l’espace intersubjectif, l’impossibilité de l’accès subjectal et intersub-
jectal entraînent une disparition des limites individuantes, soutiennent le
régime des identifications associées à la sensation océanique, abolissent
les médiations représentationnelles qui peuvent lier les affects à des
groupes de représentation : les paniques, les manifestations de l’hystérie
collective, mais aussi l’opinion compacte et indifférenciée (ce que Freud
nomme die Menge) signent ce régime de lien transsubjectif, asympto-
tique à l’état a-subjectif. Ces formes sont des contenants défaillants par
défaut ou par excès, elles prévalent quand les idéaux et les idées sont
devenus précaires, non fiables et trop conflictuels ; elles se soumettent
alors à une idole cruelle, tyrannique et archaïque ».
R. Kaës décrit donc deux organisations possibles de cet espace
transsubjectif : l’une, structurante, est l’arrière-fond des espaces interpsy-
chiques, l’autre, régressive ou dégradée, est à l’origine de la disparition
de l’espace intersubjectif. Cette polarité régressive ou dégradée de
l’espace transsubjectif décrite par R. Kaës est à rapprocher de la topique
interactive de P.-C. Racamier (1992) que l’auteur définit comme un
dérivé pathologique de la troisième topique. C’est la forme pathologique
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

perforante de la transsubjectivité qui s’oppose à la polarité structurante ;


les limites de l’espace corporel et psychique de l’individu sont franchies,
transpercées. Nous faisons l’hypothèse que la polarité structurante de
l’espace transsubjectif est organisée selon l’ordre œdipien et antœdipien
tempéré alors que la polarité dégradée correspond à l’antœdipe patholo-
gique, à la topique interactive de P.-C. Racamier.
Ainsi, l’antœdipe pathologique est anticontenant, antijeu, anti-autorité,
antitendresse, antifantasme et antiprocessuel.
La transsubjectivité dégradée est transgressive, abusive. Nous propo-
sons donc de qualifier de transitionnel la polarité structurante de l’espace

1. Kaës R., Le Groupe et le Sujet du groupe, Paris, Dunod, 1993, p. 113.

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86 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

transsubjectif et de nommer paradoxal l’espace transsubjectif dégradé.


Dans ses formes œdipienne et antœdipienne tempérée, structurantes,
l’espace transsubjectif a un caractère ambigu, tandis que dans ses formes
pathologiques, il est paradoxal.
Après l’étude de la forme dégradée de l’espace transsubjectif de
R. Kaës, abordons la topique interactive de P.-C. Racamier, dérivé
pathologique de la troisième topique (1980,1992).

La topique interactive1
Elle « désigne l’organisation particulière qui seule permet de rendre
compte de processus psychiques dont l’unité (qui ne peut s’aperce-
voir dans la seule enceinte intrapsychique) s’accomplit entre plusieurs
personnes (couple, famille, groupe, société) en vertu d’interactions
inconscientes obligées. Illustrée par les processus d’engrènement et de
participation confusionnelle, ainsi que par les défenses interactives, cette
topique est celle qui émerge et prévaut dans le jeu des fantasmes-non-
fantasmes qui sont en circulation dans toute pathologie narcissique grave.
La topique interactive est un dérivé de la troisième topique, laquelle
désigne l’organisation du réel en trois registres : interne, externe et
intermédiaire ». En fait, ces processus inconscients obligés étudiés par
P.-C. Racamier ne sont pas de l’ordre de l’action, de la réaction ou de
l’interaction, ils sont de l’ordre de l’agir et du faire-agir. P.-C. Racamier
parle en effet d’agir psychique, de transagir, d’agir transcorporel. L’agir
psychique et l’expulsion psychique2 désignent « le processus par lequel
un sujet exerce ou tente d’exercer une influence ou action sur autrui
par voie essentiellement psychique. La « communication par les incons-
cients » est du ressort de l’action psychique. Des sentiments, émois et
conflits indésirables peuvent être émis par voie d’action psychique ; ils
seront ainsi évacués au dehors plutôt que d’être élaborés au dedans ;
l’agir prend la place du travail mental. Dans ces cas d’expulsion, l’agir
psychique est insidieusement imposé à autrui au moyen d’injections pro-
jectives et d’impositions paradoxales. Les regards, postures et inflexions
de voix jouent un rôle essentiel et difficilement repérable. Il faut toutefois
retenir que l’amour, s’il est mal supporté par l’intéressé, peut également
être le moteur d’actions psychiques ». Notons que dans sa définition,
P.-C. Racamier met sur le même plan action et agir, ce qui peut entraîner

1. Racamier P.-C., Cortège Conceptuel, Paris, Ed. Apsygée, 1993, pp. 65-66.
2. Op. cit., p. 21.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 87

une confusion. Notons aussi l’importance qu’il donne très justement aux
comportements, aux agissements.
Le verbe et le substantif transagir définissent, à notre avis, particuliè-
rement bien cette topique interactive ainsi que l’adjectif transcorporel.
Transagir1 « désigne le fait d’agir au travers de quelqu’un, d’exercer un
agir défensif et offensif qui passe à travers la frontière du Moi pour être
capté et mis en œuvre par une autre personne. Exemple : deuil expulsé
transagi par un proche ; clivage « calfaté » par voie de transagir ».
Le transcorporel2 « désigne et qualifie le passage de dérivés pulsion-
nels et d’affects expulsés par la psyché et directement envoyés à travers
le corps.
Il désigne en vérité le processus essentiellement en œuvre dans les
effets psychosomatiques (l’autre voie d’expulsion, étant quant à elle,
transpersonnelle, et concernant les effets interactifs véhiculés par voie
de transagir) ».
Ces processus psychiques spécifiques n’apparaissent que si plusieurs
personnes communiquent ensemble ; elles établissent alors entre elles,
nécessairement, des agissements, des transagirs, des interagirs. Ce peut
être un couple, une famille, un groupe, une institution, une société.
« Les processus d’engrènement et de participation confusionnelle
ainsi que les défenses interactives » peuvent être de nature perverse
ou psychotique, voire mêlée ; ce sont alors les manœuvres perverses et
les injections projectives qui sont à l’origine de ces engrènements et de
ces confusions.
Les défenses primitives hypernarcissiques et les sur-défenses consti-
tuent les défenses interactives.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les défenses primitives hypernarcissiques

Les défenses primitives hypernarcissiques sont communément consi-


dérées comme uniquement intrapsychiques, mais c’est oublier qu’elles
ont aussi une dimension paradoxale transagie les faisant appartenir à la
fois à l’espace intrapsychique et transsubjectif pathologique.
Elles appartiennent donc aux défenses transsubjectives.
Quelles sont les diverses défenses primitives hypernarcissiques ? Elles
sont diverses :

1. Op. cit., p. 66.


2. Op. cit., p. 66.

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88 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

– Les agirs d’emprise paradoxale peuvent être mutuels et donner nais-


sance à une relation engrénée de nature sado-masochique, par exemple.
Cette emprise, source de jouissance, mêlée au mensonge est constitu-
tive des manœuvres perverses.
– Le sacrifice et l’envie primaires1 sont exacerbés en climat antœdipien
pathologique et deviennent des défenses hypernarcissiques. Si l’envie
est bien connue depuis les célèbres travaux de M. Klein, en revanche,
le sacrifice n’a pas encore de statut psychanalytique clairement défini.
– Il faut y ajouter la mégalomanie.
– Le clivage de l’objet et/ou du Soi avec déni et idéalisation massive
sont aussi des défenses fréquentes. « L’injection projective désigne
une forme d’identification projective en sa toute-puissance d’injection
dans l’objet » écrit P.-C. Racamier. Elle est liée au clivage. C’est
une projection dans l’objet, sans retour, qui s’effectue par la voie du
comportement, voire celle de la manipulation perverse ; la part agie,
comportementale accompagne, favorise la pénétration de l’identifica-
tion projective massive. « Il ne s’agit plus », ajoute P.-C. Racamier,
« comme dans l’identification projective de faire éprouver à l’autre
des sentiments ou des affects que l’on refuse de reconnaître comme
étant siens, mais il s’agit d’intruser un psychisme afin de le pousser
à commettre des actions ou à se comporter d’une certaine façon
comme mû par une force qu’il ne maîtrise pas ». Ainsi, quelqu’un
annexe la psyché de quelqu’un d’autre afin que celui-ci accomplisse
la tâche psychique que lui-même ne peut réaliser. On assiste ici
à un phénomène d’engrènement. L’injection projective a un effet
paradoxant comme on peut l’observer lors de certains deuils non faits
d’enfants chez des parents qui injectent dans l’un de leurs enfants
vivants, né après la mort d’un frère ou d’une sœur, l’image idéalisée
du mort ou de la morte. Cet enfant de remplacement (H. Vermorel)
vient dans le vœu de ses parents ou de sa mère remplacer un enfant
précédemment décédé et à qui parfois on donnera le prénom du mort.
Cette injection projective est aliénante parce qu’elle est paradoxante et
source d’irreprésentabilité identitaire : l’enfant vivant est aussi l’enfant
mort. Son identité est paradoxale, il est lui-même en étant un autre.

1. Caillot J.-P., « Le sacrifice et l’envie », Gruppo, 1994, 10, pp. 41-57 ;


Caillot J.-P., « L’envie et la perversion », Groupal, 2003, 12, pp. 22-28 ;
Caillot J.-P., « Envie, sacrifice et manoeuvres perverses narcissiques », Revue Française
de Psychanalyse, 2003, 3, pp. 819-838.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 89

Tel est le cas de ce jeune adulte en thérapie familiale psychanalytique avec


ses parents et sa sœur cadette ; Jean présente une importante dépression
associée à des troubles alimentaires sévères d’allure anorexique. Un deuil
traumatique est survenu 18 mois avant sa naissance, elle-même traumatique.
Voici les faits : l’aîné de cette fratrie, âgé d’environ 2 ans est décédé
brutalement, en quelques heures d’une infection respiratoire aiguë, non
diagnostiquée à temps ; l’enfant est mort dans les bras de son père lorsque
les parents arrivent à l’hôpital. Un avortement spontané survient 6 mois après
ce décès et Jean naît un an après celui-ci ; sa naissance est traumatique pour
ses parents car il est rapidement hospitalisé pour insuffisance respiratoire,
séparé de sa mère qui présente une grave hémorragie utérine menaçant
un moment sa vie. La réanimation respiratoire de Jean dans ce contexte de
deuil non fait de la mort de leur premier enfant fait vivre aux parents des
angoisses de séparation catastrophiques d’avec leur nouveau – né. Jean ne
portera pas le prénom du défunt. Des liens paradoxaux vont se développer
entre Jean et ses parents, entre lui et sa famille. Lorsque nous abordons
les fantasmes-non-fantasmes d’enfant de remplacement Jean dira qu’il se
sent dans une impasse mortelle formulée de la manière suivante : « si je
remplace pour mes parents mon frère mort je leur évite de faire un deuil
mortel mais je dois alors renoncer à croître et à mon autonomie ; je vais en
arrière, vers la mort. Si je suis moi – même et autonome, je les tue ».

Les sur-défenses
Elles désignent1 « des défenses destinées à renforcer, confirmer,
verrouiller une défense déjà construite afin d’en assurer l’étanchéité. Les
principales super-défenses sont mobilisées dans le registre psychotique.
Elles n’atteignent une organisation achevée que dans le registre pervers.
Exemples : érotisation des défenses ; paradoxalité sur-défensive ;
délégation de défense ; mobilisation interactive « d’opérateurs externes
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de défense ».
Le déni et le clivage sont des défenses qui nécessitent le plus de
« mises en agir » et de verrouillages surdéfensifs (1992) ».
Les sur-défenses assurent donc l’occultation, le verrouillage d’une
première ligne de défense en utilisant ou non un opérateur externe de
défense. Au fond, l’occultation porte avant tout sur l’incestualité fami-
liale que l’on peut nommer folie familiale. Les sur-défenses font partie
des défenses transsubjectives. Nous allons donner plusieurs exemples
cliniques où l’emprise paradoxale, le déni et le clivage sont occultés
par ces sur-défenses : le scindage, le verrouillage, les communautés
défensives.

1. Op. cit., p. 64.

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90 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Pour P.-C. Racamier le scindage désigne1 « la mise en œuvre, acti-


vement extériorisée envers des personnes de l’entourage, de la scis-
sion intérieurement établie entre deux images de soi opposées (sur
le mode, décrit par les kleiniens, du bon et du mauvais et de leurs
dérivés). S’observe en particulier dans l’entourage institutionnel des
psychotiques ». Nous pensons que ce mécanisme peut aussi s’observer
dans le registre pervers où à la division bon/mauvais se substitue la
division nul/compétent ou méprisable/admirable. Le scindage peut alors
être à l’origine d’importants conflits entre les personnes dépositaires de
ces injections projectives clivées et/ou qui sont la cible de manœuvres
perverses.

Voici quelques exemples de scindage : une patiente anorectique2 jette par


la fenêtre de son logement des sacs remplis de ses vomissures. Celles-ci
souillent l’entrée du bâtiment. La patiente va ainsi, par ses agirs, provoquer
une enquête de la part du voisinage, ce qui va bientôt créer une situation
conflictuelle entre le syndic de l’immeuble et sa mère. Il y a bien là, semble-
t-il, une exportation d’un conflit interne intolérable de la patiente vers des
personnes de son entourage, à savoir sa mère et les voisins qui vont ainsi
entrer en conflit.

Autre illustration : un conflit s’installe dans une équipe soignante opposant


deux médecins qui travaillent régulièrement avec la famille d’un jeune autiste
et trois éducateurs qui lui prodiguent leurs soins. Ces derniers se sentent
tellement dévalorisés et méprisés par les parents qu’ils envisagent de
renoncer à continuer à prendre en charge ce garçon. Le cadre de la thérapie
est celui d’un groupe de soins intensifs d’enfants où ceux-ci viennent au
CMPP de trois à cinq fois par semaine. Ces éducateurs s’occupent de ce
jeune autiste depuis plusieurs années ; c’est dire l’importance de la relation
qui a pu se développer. L’hostilité des trois éducateurs, lors d’une réunion
d’élaboration du conflit, se manifestera ouvertement : « Puisque vous êtes
si bons, disent les éducateurs aux psychiatres, occupez-vous en, nous n’en
pouvons plus d’être ainsi méprisés ! Ces parents ne nous disent même
pas bonjour et avec vous deux, ce sont des bonjours docteurs par-ci et
des sourires d’admiration par-là » ! Le scindage, à notre avis, obtenu par
le moyen de manœuvres perverses disqualifiantes et dévalorisantes pour
les éducateurs, séductrices et qualifiantes positivement pour les médecins,
a créé les conditions d’un conflit à l’intérieur de l’équipe soignante où les
uns sont porteurs d’une part disqualifiée des parents et les autres de leur

1. Op. cit., p. 64
2. « Discussion autour de deux concepts de P.-C. Racamier : la topique interactive et les
sur-défenses », Groupal, 2005, 18, pp. 26-52.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 91

part mégalomaniaque et triomphante. La mise à jour de ce scindage a fait


immédiatement cesser le faire-agir conflictuel.

Nous avions observé un phénomène analogue dans une fratrie placée par
ordonnance de justice dans une institution d’accueil. La mère que nous
n’arrivions pas à rencontrer avait offert à sa fille aînée, pour son anniversaire,
un pot de miel en exigeant de cette dernière qu’elle ne le partage pas avec
ses frères et sœurs. Un conflit violent a rapidement surgi au petit déjeuner
entre les enfants. Il nous apparaît ici, comme dans l’exemple précédent, que
le scindage s’opère par le moyen de manœuvres perverses d’emprise, de
séduction et de disqualification.

Le verrouillage défensif1 « désigne une méthode employée par le


Moi pour verrouiller une organisation de défense afin de la rendre
imperméable et irréversible (si elle est une organisation de défense, elle
comporte donc un mécanisme de base et des mécanismes de complé-
ment ; si elle est imperméable, elle l’est donc aux sollicitations tant
d’origine interne que d’origine externe). Ce verrouillage éminemment
« sur-défensif » s’effectue surtout sur des organisations défensives à base
de déni ; recourant à l’érotisation des défenses et des symptômes, et à
l’utilisation de tierces personnes comme « opérateurs de défense », il
débouche sur une transformation « perversive » de la vie relationnelle. Il
barre la route au changement, y compris au changement thérapeutique.
Si jamais le verrou se brise, c’est le Moi qui éclate ».
« L’opérateur de défense2 désigne toute personne extérieure utilisée
comme instrument au service de la défense du Moi et de son verrouillage
par une opération sur-défensive ». Ainsi, le figurant prédestiné3 peut
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

être à la fois le dépotoir et l’obturateur de l’incestualité familiale qui


est le secret de famille. Il est « celui ou celle, dans une famille de
régime antœdipien, qui est prédestiné à figurer les versants bénéfique
et maléfique de l’idéal familial de toute-puissance. Incarnant cet idéal
même alors qu’il a été démenti, le figurant, ce héros, paiera son exploit
du prix de sa propre individualité et de sa santé ».
Les communautés de défense sont des verrous.
À l’instar de la communauté de déni de M. Fain, on peut décrire des
communautés d’excitation, de mensonge, de projection, de mégalomanie.

1. Racamier P.-C., Cortège Conceptuel, Paris, Ed. Apsygée, 1993, pp. 67-68.
2. Op. cit., p. 55.
3. Op. cit., p. 41.

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92 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Cela concerne autant le couple, la famille, le groupe, l’institution que la


société.
Le secret de famille et le secret d’institution pathologiques qui sont
de nature incestuelle, réalisent une forme achevée de ces constructions
pathologiques communautaires.

Une topique paradoxale transsubjective

En 2004, lors du Congrés du Collège de Psychanalyse Groupale et


Familiale sur « La folie familiale », nous avions organisé une discus-
sion entre A. Carel, B. Defontaine, J. Defontaine, M. Hurni, G. Stoll,
S. Taccani et moi-même, autour de deux concepts élaborés par P.-C.
Racamier, la topique interactive et les sur-défenses.1 La définition que
P.-C. Racamier donnait de la topique interactive nous était apparue
éminemment pertinente, mais l’idée d’une topique ne semblait pas plus
convenir que celle d’interaction. Était-ce bien une topique ? L’idée d’agir,
de transagir, d’interagir n’était-elle pas préférable à celle d’action et
d’interaction ?
Nous y exprimions l’idée d’une topique paradoxale, d’une topique-
non-topique comportant des zones indifférenciées prévalantes, riches
d’excitations et d’agissements, d’engrènements, de somatisations, de
confusions et de défenses transagies « dont la mécanique propre »,
selon P.-C. Racamier, « met nécessairement en œuvre des interactions
interindividuelles, leur trajectoire étant destinée à aboutir dans autrui
et à s’accomplir de par la participation d’autrui ». Si l’indifférenciation
est très marquée, il y a prise en masse des espaces psychiques interne
et externe dont le corollaire est la disparition de l’espace transitionnel
intersubjectif au profit du vide ou de l’excitation incestuelle et/ou
meurtrielle, du corps à corps, des relations aux sensations comme objets.
C’est un fantasme-non-fantasme de corps commun paradoxal qui se crée
dans ce cas, où les membres du couple, de la famille ou du groupe ne
sont ni ensemble ni séparés.

Les défenses paradoxales transsubjectives

On le voit la ligature/rupture paradoxale transsubjective s’oppose au


lien ambigu intersubjectif qui à la fois lie et permet la séparation corpo-
relle et psychique, la différenciation, le deuil originaire, l’individuation.
Quelles sont les caractéristiques de cette ligature transsubjective ? Il

1. Racamier P.-C., Groupal, 2005, 18, pp. 26-52.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 93

s’agit d’un ensemble de mécanismes de défense inconscients obligés qui


ne s’accomplissent qu’avec la participation d’autrui, comme le souligne
P.-C. Racamier, au sein d’une famille ou d’un couple, d’un groupe
ou bien encore de la société. Il en résulte un champ d’intrication et
d’empiètement relationnel dans lequel la séparation, l’altérité et les diffé-
rences inhérentes au lien intersubjectif ne peuvent être reconnues. Cette
intrication relationnelle est illustrée par les processus d’engrènement et
de participation confusionnelle ainsi que par les défenses paradoxales
transsubjectives.
C’est ainsi que nous nommerons désormais les défenses interac-
tives de P.-C. Racamier. Rappelons qu’en 1985, S. Wainrib1 a proposé
d’appeler ces défenses qui ligotent mutuellement leurs protagonistes
les défenses transsubjectives. Nous allons tenter de réunir sous l’ap-
pellation de défenses paradoxales transsubjectives un ensemble de
défenses transagies qui se déploient dans le registre antœdipien patho-
logique, centré, comme on le sait déjà, par le fantasme-non-fantasme
d’auto-engendrement. Ces défenses peuvent être transgénérationnelles.
En premier lieu, on est autorisé à penser que les relations d’objet
narcissique paradoxal incestuel ou meurtriel contiennent des défenses
paradoxales transagies qui tentent de lutter contre des angoisses de mort,
des angoisses catastrophiques à la fois, de séparation et d’union. Dans
ces relations incestuelles ou meurtrielles, la paradoxalité serrée y prend
une valeur de verrouillage défensif contre le dévoilement de l’incestualité
familiale.
Nous pouvons maintenant affirmer que les défenses paradoxales
transsubjectives regroupent les défenses primitives hypernarcissiques et
les sur-défenses ; elles sont incluses dans les relations d’objet paradoxal.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Par exemple, à propos de l’histoire très connue du cadeau des deux cravates
d’une mère à son fils. La mère dit à son fils2 : « Mets cette cravate », ce qu’il
fait. Elle ajoute : « Tu n’aimes donc pas l’autre » ! et quand il met la seconde,
elle souligne : « Je me doutais bien que tu n’aimais pas la première » !
Puis le garçon porte les deux cravates en même temps et elle lui dit (c’est
un ajout de D. Anzieu) : « Ce fils me rendra folle !» On voit bien qu’il y a
dans un premier temps un agir pervers d’emprise paradoxale de la part
de la mère envers son fils à propos des cravates. Il s’agit d’une défense
primitive hypernarcissique maternelle. Puis, dans un deuxième temps la mère
exerce une manœuvre perverse de culpabilisation et de disqualification qui

1. Wainrib S., « Le trans-subjectif », Groupal, 2004, 16, pp. 127-140.


2. Caillot J.-P.,Groupal, 2005, 18, pp. 37-40.

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94 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

va occulter son étreinte paradoxale et verrouiller les manœuvres d’emprise :


c’est lui l’unique responsable. Il s’agit d’une sur-défense maternelle.

Ces deux défenses maternelles sont paradoxales et transsubjectives.

J. Defontaine donne un très bel exemple de clivage et d’injection projective


dans une famille, suivi d’un verrouillage sur-défensif réalisé par un déni.
Notons le caractère transgénérationnel de ces phénomènes. J. Defontaine1
expose ainsi cette situation : « Il s’agit d’une famille, où un adolescent, un
agissant prédestiné, se met à agir dans la réalité la délinquance déniée et
clivée de son père, ce qui permet au père de conserver son statut social
et de s’épargner un travail psychique tout en lui permettant de vivre par
procuration une délinquance qu’il dénie, mais qu’il va, dans un second temps,
reprocher activement et violemment à son fils en allant consulter. C’est ce
second temps qui suit la projection qui constitue véritablement le verrouillage
défensif ».

Dans le même sens, au cours de cette discussion M. Hurni2 va lui


aussi parler de matériel psychique expulsé (défenses primitives hypernarcis-
siques) et de verrouillage sur-défensif à l’aide d’un opérateur de défense :
« Nous souhaiterions illustrer simplement un mécanisme qui appartient à
cette topique du « transagir », celle de l’opérateur de défense. Cet opérateur
de défense, nous dit P.-C. Racamier, est la personne qui va endosser le
matériel psychique expulsé par l’autre. Ce faisant, il va « verrouiller » la
défense. Le matériel ainsi expulsé peut être de différente nature : angoisses,
désirs, mais aussi, dans des cas plus graves, conflits (chez les schizophrènes)
ou délires. Nous pensons que, en faisant vivre en lui cette partie expulsée
du psychisme de l’autre, cet « opérateur de défense » va non seulement
empêcher le retour d’un matériel forclos, mais aussi permettre à ce matériel
de continuer à exister, en lui. Ce qui pourrait s’avérer important dans
l’éventuel souci de préserver certains secrets impensables. Du point de vue
de cet opérateur de défense, on note qu’il va se trouver ainsi dépositaire
d’une partie essentielle du psychisme de l’autre, qui lui confère un pouvoir
qui pourra lui servir d’éventuel levier de manœuvre. Il pourra en user à
sa guise, soit pour vitaliser une relation déficitaire, soit pour combler un
vide psychique personnel angoissant. Les reproches qu’il subira pourront
paradoxalement jouer un rôle de renforcement narcissique. On voit donc
qu’entre l’agent expulseur et l’opérateur de défense se noue une dynamique

1. Defontaine J., Groupal, 2005, 18, pp. 26-37.


2. Hurni M., Groupal, 2005, 18, pp. 46-48.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 95

étroite toujours réciproque, sorte de danse acrobatique et macabre sans


grand plaisir, mais essentielle à la survie de chacun d’eux.

Notre exemple est celui d’un couple d’enseignants dans la quarantaine,


avec deux enfants. Monsieur a eu une aventure extra-conjugale avec une
amie de son épouse. Cette femme, nous dira Madame, est « très belle, très
séduisante ».
On peut donc imaginer sans mal qu’elle éprouvait à son égard un désir, désir qui
aurait amené son mari à agir à sa place (transagir). Mais cette externalisation
du désir homosexuel fait ensuite retour comme une obsession : Madame ne
cesse de penser à cette aventure, bien qu’elle soit terminée de longue date.
Elle veut en connaître tous les détails, ce qui à la fois la rassure, l’excite et
la désespère. Monsieur se prête de bonne grâce à ce jeu ; il veut, dit-il, être
transparent et argue de sa bonne foi. « Tout cela est fini depuis longtemps »,
prétend-il, mais dès qu’elle fait mine d’abandonner le sujet, c’est bien lui qui la
relance. Ainsi, au cinéma, alors qu’ils voient un film dramatique, il scrute son
visage, pense y discerner de la tristesse et lui demande si ce film lui évoque
son infidélité. Madame n’est pas en reste dans cet engrènement pervers à
deux. Tout est prétexte pour y repenser ; est-il en retard ? « Il est avec l’autre »
pense-t-elle. Monsieur écrit des poèmes : « Je suis sûre que c’est à l’autre qu’il
pense ». Chacun, pourrait-on dire, vit des émotions qu’il arrive à susciter chez
l’autre. Plus qu’à un simple « jeu » sur le thème de l’homosexualité, c’est à une
dynamique de survie que nous assistons. Grâce à ce jeu, ils peuvent maintenir
et poursuivre des activités, comme leur métier, leurs responsabilités de parents
et bien d’autres facettes de leur vie apparemment sans histoire.

Par leurs projections divergentes, mais sur un même objet, ils arrivent
à maintenir une sorte de pont relationnel très précaire, toujours à la
merci des mouvements de l’humeur de l’autre (ou des interventions d’un
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

thérapeute) ! nécessitant donc d’être constamment stimulés et renforcés.


Comme ce pont n’est pas une véritable relation, ce substitut ne les nourrit
pas, il les viderait plutôt ; il leur faut donc la tension intersubjective
perverse (M. Hurni et G. Stoll), pour compenser par de l’excitation ce
qu’ils n’ont pas comme contenu affectif et symbolique. Ces conflits et
ces agirs continuels leur épargnent certainement des décompensations
psychotiques beaucoup plus graves, qui affleurent parfois dans certaines
formulations, comme celles de Madame lorsqu’elle parle de sa « peur de
mourir » et de ses paniques nocturnes, ou celles de Monsieur qui avoue sa
« peur de déconner » ou de « péter les plombs ». Mais cette relation (cette
relation-non-relation) est constamment menacée de s’éteindre. Les deux
conjoints peinent à la perpétuer, avec des moyens de plus en plus coûteux.
C’est ce que Monsieur exprime, d’une façon ma foi assez directe : « Ce

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96 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

bordel de crises sont toujours pires, on se bouffe, putain, pour trouver le


calme » !

L’ OBJET NARCISSIQUE PARADOXAL TRAUMATIQUE


TRANSGÉNÉRATIONNEL
Nous avons précédemment énoncé que l’objet incestueux/incestuel
ou meurtrier/meurtriel était un objet paradoxal tendant à lier indissocia-
blement entre eux deux aspects de l’objet, inconciliables et cependant
non opposables. Nous avions donné pour exemple la mère incestueuse,
mère-non-mère ou le père incestueux, père-non-père ; nous avions
également affirmé que l’objet incestueux/incestuel paradoxal était un
objet traumatique.
En 2001, lors du congrés1 intitulé « Le générationnel et le familial »,
organisé par le Collège, nous formulions l’idée que l’objet transgénéra-
tionnel avait une structure paradoxale et que cet objet paradoxal était un
objet interne-non-interne, à l’image de la bande de Moebius2 où, ce qui
est externe est aussi interne et réciproquement.
Fait capital, ce serait le mode paradoxal de la relation d’objet trau-
matique qui, par le comportement et les injections projectives, par les
manœuvres perverses, se transmettrait d’une manière automatique sans
fantasme de transformation.
Cette transmission traumatique est en rapport avec le caractère
de non-opposabilité des faces antagonistes de la représentation-non-
représentation de l’objet traumatique paradoxal dont le corollaire
est l’absence de limite. Cette absence de limite et la tendance à
l’irreprésentabilité sont à l’origine de l’indistinction soi-objet par le
moyen des identifications narcissiques, de l’inexistence d’un clivage
stable.
En 1914, dans Totem et Tabou Freud établit une distinction entre la
transmission par identification aux modèles parentaux et la transmission
génétique constituée des traces mnésiques issues des générations anté-
rieures. R. Kaës (1997) constate que le premier processus se rapporte à
l’histoire, le second à la préhistoire du sujet. Cet auteur ajoute : « Freud
met l’accent, dans Pour introduire le narcissisme sur les investissements

1. Caillot J.-P., « La relation narcissique paradoxale transgénérationnelle », Groupal,


2002, 11, pp. 65-77.
2. Caillot J.-P., Decherf G., Thérapie familiale psychanalytique et paradoxalité, Paris,
Clancier, 1982.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 97

et les discours d’anticipation, c’est-à-dire sur les affectations de place


et de prédispositions signifiantes dans le processus de transmission :
l’infans est le dépositaire, le serviteur et l’héritier des rêves de désirs
irréalisés des parents ; à lui de prendre place et sens dans ces prédisposi-
tions qui le précèdent, qui lui font violence, mais qui sont les conditions
de sa conception proprement psychique. Dans Psychologie des masses et
analyse du Moi Freud nous montre comment s’effectue le passage d’un
objet individuel à un objet devenu commun pour tous les membres d’une
institution : ce qui se transmet est essentiellement transmis par la voie
des identifications ».
En 1993, R. Kaës considère l’identification comme le processus
majeur de la transmission. En 1995, A. Ciccone soutient que la nature
de l’objet détermine son mode de transmission et que, corrélativement,
le mode de transmission est constitutif de la nature de l’objet.
Reprenons avec ces deux auteurs la distinction qu’ils opèrent entre la
transmission non traumatique, transitionnelle et la transmission trauma-
tique.
Pour R. Kaës et A. Ciccone, la transmission transitionnelle respecte
l’illusion du « trouvé-créé ». En 1997, A. Ciccone écrit1 : « L’objet est
placé par l’environnement de telle sorte que le sujet croit l’avoir créé.
L’objet de la transmission créé pour la propre fin du sujet est hérité du
discours d’un ensemble qui le précède, et le sujet a « oublié » que cet
objet a été trouvé. La transmission non traumatique use des processus de
la transitionnalité. L’objet à transmettre ne perd son potentiel traumatique
que s’il a pu faire l’épreuve de la transitionnalité ».
En 1995, J. Guyotat établit un lien étroit entre la filiation narcissique,
centrée par l’auto-engendrement de notre point de vue, et la répétition du
même à travers les générations. « On peut constater l’inflation de ce lien
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

narcissique », écrit l’auteur, « non seulement lorsqu’il y a déficit du lien


institué, mais aussi lorsque surviennent dans une lignée des événements
répétitifs tels que suicide, affection psychiatrique, mort violente ou
prématurée, accidents à répétition, mort d’enfant ... génocide ».
La coïncidence mort-naissance, par exemple la mort d’un grand-père
et simultanément la naissance d’un bébé augmente la potentialité inces-
tuelle ; en effet, cette situation peut être à l’origine d’un affect paradoxal
qui tend à lier deux affects inconciliables et cependant non opposables.
L’affect paradoxal serait fait ici d’un amalgame entre la douleur du deuil

1. Ciccone A., « Fantasme de transmission et appropriation du générationnel », Groupal,


2002, 11, pp.47-63.

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98 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

et la joie de la naissance. Le paradoxe serait « la mort assassine la joie


de la naissance et la naissance tue la douleur du deuil » ou bien « la vie
donne la mort et la mort la vie ».
L’objet paradoxal issu d’une relation traumatique se transmet selon
le mode traumatique. Ainsi, la filiation narcissique, la transmission
traumatique du fait de l’auto-engendrement des relations paradoxales
déterminent la répétition du même à travers les générations. C’est le
principe de répétition. L’auto-engendrement pathologique est au cœur de
ce principe.

L ES RESURGENCES TRAUMATIQUES INCESTUELLES


ET MEURTRIELLES
Ces résurgences infiltrantes sont, soit du registre comportemental
(les agirs), soit du registre émotionnel ou/et représentationnel, parfois
hallucinatoire. L’auto-engendrement occupe une place centrale.
Donnons plusieurs exemples :
Dans Le génie des origines (1992), P.-C. Racamier décrit « L’enfant
paradeuil » « l’enfant conçu à seule fin d’occlure le vide laissé chez les
parents par la mort d’un enfant précédent, cet enfant que j’appelle un
« paradeuil » est paradoxal en ce qu’il n’existe qu’au lieu d’un autre : il
n’est lui qu’en n’étant pas lui ; et s’il n’est pas un autre que lui, alors il
fait mourir à nouveau et plutôt fait mourir en vérité celui qu’il remplace
et de qui son existence sert surtout à nier la non-existence de l’autre ».
L’enfant de remplacement (H. Vermorel) est le réceptacle de la part de
ses parents d’une injection projective dont le contenu est l’objet interne
de leur enfant perdu ; de ce fait la perte est déniée.

Une mère qui avait été violée par son père à l’âge de 13 ans s’écrit, lors de
la naissance de sa fille, en voyant son bébé pour la première fois : « Elle
sera violée quand elle aura 13 ans » ! La mère s’identifie projectivement et
massivement à sa fille. Elle projette son Soi infantile abusé dans sa fille. Il
s’agit d’une injection projective aliénante ; adolescente cette fille fuguera à
plusieurs reprises.

Une autre mère pense à son fils qui vient de naître : « Je ne veux pas qu’il
aille en prison » ! Elle redoutait pour son fils le même destin que celui de son
jeune frère psychopathe, délinquant. Elle identifiait projectivement son frère
interne à son fils.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 99

Dans la revue Groupal1 intitulée « Anorexie et Boulimie », B. Picaud décrit


dans son article « Un cas clinique d’anorexie », une symptomatologie d’une
gravité impressionnante chez une pré-adolescente de 11 ans : « La particu-
larité de ce cas pourrait résider dans le fait que les troubles des conduites
alimentaires remontent à trois générations dans la lignée maternelle, comme
à la suite d’un traumatisme psychique supposé à l’endroit de l’arrière-grand-
mère maternelle, laquelle vécut une mise en scène traumatique avec son
défunt père quand, âgée de 8 ans, et censée être condamnée, comme son
ascendant, par la même infection, elle fut étendue côte à côte avec le mort,
pour recevoir l’onction divine, appelée extrême-onction ».

Il semble bien s’agir ici d’un fantasme-non-fantasme de nécrophilie


incestueuse qui traverse la lignée maternelle et produit une anorexie
mentale à chaque génération. Il pourrait s’agir, selon l’expression de S.
Decobert, d’une transmission traumatique en entonnoir.

Voici un autre exemple : Gisèle, âgée de 30 ans, décide de consulter devant


le malaise qu’elle éprouve en pensant à son père depuis la naissance récente
de sa fille ; elle a peur de rester seule avec son père dans une même pièce
depuis qu’elle est enfant ; elle dit qu’il tripote les petites filles de la famille.
Il la dégoûte. Depuis la puberté, Gisèle présente d’importantes infections
urinaires à répétition sans cause organique décelable. Elle est parfois
hospitalisée pour pyélonéphrite : « Les antibiotiques ne font plus rien »
dit-elle. Les médecins lui ont donc conseillé de consulter un psychanalyste.
Depuis une quinzaine d’années, elle subit ces infections qui ont rapidement
cédé après le début de la psychothérapie psychanalytique en face-à-face à
raison d’une séance par semaine. Gisèle a des doutes, se demande si des
attouchements paternels auraient eu lieu sur elle dans sa petite enfance ;
elle ne laisserait pour rien au monde sa fille à garder par son père ; elle
n’a pas confiance en lui. Elle interrompt subitement son travail analytique
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et revient un mois après. Elle a fait un rêve bouleversant : « Elle a des


relations sexuelles avec une jeune femme, ce qui lui rappelle la relation
homosexuelle fugace et honteuse avec sa cousine lorsqu’elle avait 8 ans.
Tout à coup, le visage de cette femme se transforme en celui de sa petite
fille avec laquelle elle fait l’amour ». Lorsqu’elle se réveille, elle éprouve un
sentiment d’horreur et pleure. On peut se demander si les infections urinaires
à répétition ne seraient pas liées à une rétention volontaire d’urine, comme
on peut l’observer selon le même mode pour les matières fécales dans le
mégacôlon fonctionnel. Nous constatons que ce sont les zones uro-génitales
qui sont concernées depuis la puberté. Les sensations autogénérées par la
rétention volontaire d’urine auraient-elles eu une fonction auto-contenante
pathologique défensivement contre l’inceste à valeur intrusive, persécutrice
et anticontenante ? En faveur de cet abus, nous pouvons retenir le dégoût de

1. Groupal, 2000, 7.

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100 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Gisèle envers son père, sa peur de se trouver seule avec lui dans la même
pièce, son rêve traumatique avec la répétition de la relation narcissique
paradoxale incestueuse avec sa fille ; après avoir été la fille-non-fille de
son père-non-père, elle devient dans son rêve la mère-non-mère de sa
fille-non-fille. Gisèle s’identifie projectivement à sa fille ; elle projette dans sa
fille son Soi infantile abusé et s’identifie projectivement à son père-non-père
interne.
À l’inverse, la sécurité affective, la confiance et les effets de l’hétéroconte-
nance qui apparaissent au début de la relation analytique semblent bien
déterminer l’arrêt des infections urinaires.
La supposée rétention volontaire d’urine, les infections urinaires mettraient-
elles en scène à la fois sur un mode peu ou pas symbolisé, transcorporel,
le scénario incestueux traumatique de la petite enfance et la défense contre
les angoisses catastrophiques que celui-ci engendrait ? L’attaque infectieuse
intrusive uro-génitale tendrait à répéter l’abus alors que les sensations liées
à la rétention et à l’infection urinaires représenteraient la défense contre
l’abus et la perte d’une contenance normale par agrippement aux sensations
uro-génitales autogénérées.
Le sentiment d’horreur qui apparaît au décours du rêve semble bien être une
résurgence émotionnelle traumatique de son enfance.

Voici un autre exemple extrait d’une thérapie psychanalytique de couple


qui consulte pour tristesse, conflits fréquents et surtout perte des relations
sexuelles depuis la naissance de leur fils ; il est alors âgé de 5 ans. Cette
situation leur paraît incompréhensible. Ils ont, depuis qu’ils sont devenus
parents, évincé toute sexualité de leur couple.
Petite fille, dans sa famille d’origine, la mère avait été corrigée et sermonnée
par sa mère, la grand-mère maternelle de leur fils, qui lui disait : « Tiens-toi
bien devant ton père ! Baisse ta jupe et sers les jambes quand tu t’assieds !
Tu sais, ton père est un homme » !
Lorsqu’elle allait se coucher, sa mère lui rappelait qu’elle devait fermer sa
chambre à clé.
Ce climat incestuel s’expliquait par le fait que la mère de la patiente,
lorsqu’elle avait seize ans, avait subi une tentative de viol de la part de
son père.
Quant au mari, il n’avait pratiquement pas connu son propre père car ses
parents s’étaient séparés très tôt. Lorsque sa mère se disputait avec son
second mari, elle mettait ce dernier à la porte et invitait son fils à venir dormir
avec elle ; ces agirs incestuels ont duré jusqu’à l’âge de quinze ans, âge
auquel il quitta sa famille pour vivre seul dans un studio appartenant à ses
parents. Tout se passa comme si vivre ensemble devenait dangereux, la
menace incestueuse augmentant avec l’arrivée de l’adolescence.
L’incestualité est présente dans les familles d’origine de chacun des parents ;
la naissance de leur fils, les rend père et mère, donc dangereux pour leur

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 101

fils car potentiellement incestueux à l’instar de leurs propres relations à leurs


parents dans leur enfance ; émergent alors des fantasmes-non-fantasmes
incestueux dans le couple et la famille. Devant le danger incestueux, mari
et femme tentent de n’être plus qu’un couple de parents. Le mari identifie
projectivement sa femme à sa mère-non-mère interne, tandis que la femme
identifie projectivement son mari à son père-non-père interne. Leur couple
sexuel peut donc leur apparaître comme dangereux incestueusement pour
le couple et la famille. Seul le couple parental leur paraît valable, mais
l’importance des frustrations sexuelles et des conflits les conduit néanmoins
à envisager la séparation.
Un transfert groupal incestuel leur fait redouter le retour d’agissements dans
notre groupe thérapeutique vécu comme une famille incestueuse.

S. Taccani1 , dans le cadre d’une thérapie psychanalytique individuelle,


met en évidence le fonctionnement d’une famille où, à la suite d’un deuil
non fait de la grand-mère maternelle, les morts et les vivants ne sont pas
différenciés ; en effet, la mère de cette grand-mère, l’arrière-grand-mère
maternelle donc, est morte à l’âge de 28 ans après une longue agonie
lors de la naissance de cette grand-mère. Pour mieux comprendre la
succession des générations, rappelons que la patiente âgée de 42 ans
s’appelle Martha et sa fille Viola. C’est la mère de Martha qui est
née de cette arrière-grand-mère morte lors de l’accouchement. L’ordre
des générations est donc le suivant : Viola (fille de Martha), Martha
(la patiente), la grand-mère maternelle de Viola, l’arrière-grand-mère
maternelle de Viola. Pour notre part, nous attachons une importance
capitale à cette situation familiale intriquant mort et naissance ; nous
pensons que se crée alors dans la psyché de la grand-mère de Viola un
objet paradoxal traumatique transgénérationnel, porteur à la fois de vie
et de mort, de vie par la naissance et de mort par l’abandon ; il nous
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

semble que la mort de l’arrière-grand-mère a pu être vécue comme un


abandon réel par le bébé et être à l’origine d’un fantasme-non-fantasme
de meurtre commis par l’arrière-grand-mère sur la grand-mère. Ainsi,
se constituerait dans la psyché de la mère de Martha une représentation
paradoxale de mère « donnant à la fois la vie et la mort ». Cet objet
traumatique paradoxal est ensuite injecté dans Martha qui l’injecte dans
Viola.
Le décès de Viviane, sœur de Martha, produit également un deuil
paradoxal : la morte est à la fois morte et vive comme la représentation
maternelle de la mère de Martha est à la fois pourvoyeuse de vie et
de mort. Le deuil impossible nous semble donc lié à cette structure

1. Taccani S., Groupal, 2005, 18, pp. 49-52.

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102 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

paradoxale de l’objet transgénérationnel. Il s’agit d’un deuil paradoxal,


comme nous avons pu le montrer en 19951 , où la relation narcissique
incestueuse d’une fille à son père se transformait après la mort de ce
père-non-père en une relation paradoxale au mort, un mort-non-mort, un
mort vivant, un fantôme.
La nature paradoxale de l’objet traumatique transgénérationnel nous
paraît tout à fait essentielle ; elle explique le caractère instable de ce type
d’objet, à la fois dedans et dehors ; la représentation-non-représentation
de l’objet paradoxal favorise tout particulièrement l’injection projective,
la transmission traumatique transgénérationnelle. Nous réaborderons
ces thèmes en étudiant la transmission psychique traumatique lors
de la description de la position narcissique paradoxale pathologique.
Pour le moment, contentons-nous de montrer les ligatures qui se sont
développées dans cette famille à partir de ce deuil paradoxal où les morts
et les vivants sont confondus, où la folie familiale incestuelle vient au
secours de la catastrophe familiale, de l’agonie mélancolique familiale.
S. Taccani nous présente la vignette clinique suivante :

« Martha, âgée de 42 ans, a une fille de 6 ans, Viola. Elle me consulte à


cause de ses angoisses devenues obsédantes et intolérables concernant
Viola. À tout moment, Martha craint que sa fille puisse se trouver en danger
de mort. L’évocation de la mort de sa fille est permanente, mais constamment
non dite, non nommée dans le discours. Par exemple, elle peut à peine se
dire : « Je crains qu’elle ne rentre pas à la maison ce soir, je crains que la
fièvre monte sans s’arrêter, je crains qu’à la montagne le mauvais temps
subitement arrive, je crains qu’à la mer Viola n’ait plus pied en s’avançant
dans l’eau » « Mon problème », dit-elle, « c’est de vivre liée en permanence
à la mort. Dans mon âme et mes pensées les morts et les vivants sont
tellement unis que parfois je n’arrive plus à les distinguer. Ils sont tous là :
ma grand-mère, mon grand-père, mon père, ma sœur ».
« Ma grand-mère est la sainte qui est morte à 28 ans après une longue
agonie lors de l’accouchement de ma mère.
Mon grand-père est celui qui a vécu et fait vivre à ma mère (mère de Martha)
un deuil impossible. En effet, sur son lit de mort il donna à ma mère (mère
de Martha) le journal de la longue agonie de son épouse. Martha pense que
le deuil de son père est le seul deuil qu’elle a pu faire parce que sa mère le
lui a permis, car, pour sa mère, son père ne comptait guère » !
« Ma sœur enfin, Viviane, est morte en deux jours à l’âge de 20 ans d’une
méningite foudroyante lorsqu’elle était au loin en mission. Et pour finir, dit
Martha, il y a ma mère, moi-même et ma fille Viola ».

1. Caillot J.-P., Groupal, 1995, 1, pp. 78-84.

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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 103

« La mort de sa sœur », ajoute S. Taccani, « signe l’incident critique, l’évè-


nement catastrophique. Martha entre dans un état qu’elle appelle de folie
qui durera plusieurs années jusqu’à ce qu’elle connaisse son ami actuel.
« Ma folie », dit-elle, « était de faire des excès de vie pour me soustraire à la
crise mortifère ». En effet, Martha entre dans un groupe politique extrémiste
de gauche en Italie, touche aux armes et pendant ces années-là fait neuf
interruptions de grossesse en 4 ans ».
Ces avortements évoquent pour nous le fantasme-non-fantasme de création
continuée et d’avortement perpétuel décrit par B. Defontaine et J. Defontaine1 ,
qui consiste à recréer continuellement un bébé continuellement détruit et
avorté.
Martha poursuit : « Ma folie s’arrête quand je connais Pierrot ». Elle rentre
dans le rang, sort de la lutte armée et participe activement à la folie
incestuelle maternelle autour de sa sœur morte Viviane. Sa mère s’adonne à
toute une série de scénarios fous et pervers. Par exemple, elle aménage une
fois par mois une promenade qu’elle appelle « la promenade de Viviane »
avec deux ou trois amies de sa fille morte ; elle organise une balade, un
repas dans un petit bistrot pour ne parler que de Viviane. L’anniversaire
de Viviane est fêtée avec tartes et champagne. Martha est témoin obligé
et complice ; elle n’arrive en aucun cas à se soustraire à ce que sa mère
demande ; en même temps elle est une cible pour sa mère qui lui dit sans
cesse : « Toi, tu es bien vivante ! Toi, tu te portes toujours bien ! Toi, tu n’as
jamais de fièvre » !
Les hommes sont tout à fait bannis de ce circuit. Martha opère une sorte
de scission psychique : d’un côté, il y a sa vie et sa relation de couple avec
Pierrot, de l’autre, celle avec sa mère. Martha deux ans après la mort de
sa sœur accouche de sa fille Viola. « Je vais vous révéler un secret » dit
Martha, « Les violettes (Viola, en italien), ce sont les fleurs préférées de
Viviane. Le premier jour du printemps Maman et moi, nous allons chaque
année les planter sur son tombeau ».
Le violet est aussi la couleur du deuil en Italie.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Après 8 mois de thérapie, en vacances avec Pierrot, Martha se rappelle


avec anxiété de ne pas avoir encore envoyé la carte postale quotidienne
qu’elle a l’habitude d’adresser à sa mère. Elle prend une carte et y écrit :
« Aujourd’hui, au lever du soleil, j’ai vu un merveilleux papillon blanc ».
Dans le langage fou et secret des deux femmes, cette phrase de Martha
indique la présence vivante de Viviane, sa sœur morte. À l’inverse, lorsque
la mère s’éloigne, ce qui est plus rare, c’est à son tour d’envoyer la carte
journalière à sa fille.
Martha, en relisant ce qu’elle vient d’écrire se surprend à dire : « Je suis
folle, je délire » ! Et finalement, elle ne glisse pas la carte postale dans la
boîte aux lettres.

1. Defontaine B., Defontaine J., « Effets traumatiques de la diaspora. Filiation para-


doxale, avortement perpétuel et création continuée », Groupal, 2002, 11, pp. 79-95.

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104 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

S. Tacanni conclue ce bref exposé de la façon suivante : « Je vous ai donc


parlé de folie familiale et d’incestualité, de deuil impossible, d’exportations
transgénérationnelles, d’agirs et de faire-agirs et du délirer dans le concret
que je préfère à délirer dans le réel. Il s’agit de ce que j’appelle un deuil
continu qui annule la temporalité. On ne distingue plus ce qui est mort de
ce qui est vivant. Et paradoxalement on est vivant pour apporter la mort :
je reviens à la lutte armée, aux interruptions de grossesses et aux pensées
obsédantes à propos de sa fille Viola ».

La mythologie nous apporte aussi quelques illustrations du mélange


des morts et des vivants. En voici plusieurs : à Rome, les Lémures sont
les fantômes des morts et on les nourrit en leur jetant des fèves1 . Autre
exemple : Aéropé fut aimée d’Arès (dieu de la guerre). Elle mourut en
mettant au monde un fils. Arès, fit que l’enfant put continuer à boire au
sein de la morte2 .
Je rappellerai cette citation de P.-C. Racamier qui provient d’une note
manuscrite non publiée intitulée « Guide pour servir à l’évaluation du
délire et ses alentours ».
« Le double regard corrélatif », écrit Racamier, « est un regard sur
l’intrapsychique et un regard sur l’interpsychique et même sur l’interactif.
Vous devez à tout moment connecter le regard que vous tournez vers
l’intimité psychique du patient avec l’observation que vous faites de
son entourage et de ses relations ambiantes. C’est tout un travail. Nous
sommes des constructeurs de connexions ».
Pour conclure, il nous apparaît que les relations d’objet traumatique
se confondent avec les relations d’objet narcissique paradoxal inces-
tueux et meurtrier ou incestuel et meurtriel. Le caractère traumatique
fait partie des relations paradoxales. La transmission traumatique est
transpsychique et automatique ; elle est transgénérationnelle et appartient
au registre antœdipien pathologique centré par l’auto-engendrement
producteur du même. C’est la répétition traumatique pathologique. Les
identifications narcissiques sont au service de cette répétition.
Pour résumer, nous avons opposé une forme structurante de la trans-
subjectivité à une forme pathologique décrite dans la topique para-
doxale transsubjective ou topique interactive. Ainsi, nous avons opposé
les défenses ambiguës transsubjectives contribuant à la création d’un
fantasme de corps commun transitionnel aux défenses paradoxales

1. Grimal P., Dictionnaire de la mythologie, Paris, PUF, 1969, p. 258a.


2. op. cit., p. 16a.

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“CAILLOT-9782100737833-BAT” (Col. : Psychothérapie) — 2015/7/27 — 12:01 — page 105 — #113
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LA GROUPALITÉ ET LES ESPACES DE LA SUBJECTIVITÉ 105

transsubjectives participant à la fabrication d’un fantasme-non-fantasme


de corps commun paradoxal.

L’ INTIME , LE PRIVÉ , LE PUBLIC


A. Carel en soulignant la distinction entre l’intime, le privé et le
public fourni un outil thérapeutique très intéressant permettant aux
psychanalystes et aux patients de mieux différencier cliniquement les
espaces de la subjectivité.1
« À un pôle », dit-il, « l’intime est l’espace intrapsychique du sujet,
celui de son quant-à-soi, où s’applique le droit au secret, implicite dans
l’expression « jardin secret », voire même le droit au mensonge, espace
dont les limites sont du même ordre que celles du Moi et du corps.
L’autre pôle le public, espace sociétal dont les enjeux et les règles ont
à être connus et appréhendés dans la transparence. Entre deux, le privé,
espace de la famille et du groupe, un espace régi par la discrétion ».
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

1. Carel A. « L’intime, le privé et le public », Gruppo, 1992, 8, pp. 23-38.

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Chapitre 6

LES OBJETS

les objets collectifs, les


N OUS ABORDERONS SUCCESSIVEMENT
objets individuels et les objets narcissiques autogénérés.

LES OBJETS COLLECTIFS

L’objet-groupe
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le concept d’objet-groupe permet de donner une place importante au


groupe dans le fonctionnement de la psyché : c’est à ce titre que nous
pouvons parler d’un fonctionnement groupal de l’appareil psychique. Ce
concept est déterminant pour la pratique psychanalytique des groupes.
La notion de groupe comme objet, c’est-à-dire la croyance partagée
par les membres d’un groupe en l’existence d’un groupe comme réalité
transcendant les individus a été proposée en France en 1963 par J.-B.
Pontalis1 dans son article « Le petit groupe comme objet ».
Le fantasme du groupe comme un tout, une unité, comme une
personne ou mieux une partie de personne (par exemple, le groupe

1. Pontalis J.- B., « Le petit groupe comme objet » dans Après Freud, Paris, Gallimard,
1968.

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108 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

comme un sein ou une bouche), c’est l’objet-groupe. Le groupe est


considéré dans son statut d’objet, au sens psychanalytique de corrélat de
la pulsion.
Dès 1961, W.R. Bion montre qu’une régression est induite par la
situation de groupe et il évoque le fantasme de l’existence du groupe :
« une partie essentielle de cette régression est constituée par la convic-
tion qu’il existe un groupe distinct de l’agrégat des individus qui le
composent, ainsi que par les caractères attribués par les individus à ce
groupe hypothétique. Le fantasme de l’existence du groupe est étayé
par le fait que la régression entraîne pour l’individu une perte de son
« individualité distincte » (Freud, Massenpsychologie) identique à une
dépersonnalisation, c’est ce qui l’empêche d’observer qu’il s’agit d’un
agrégat d’individus ».
J.-B. Pontalis écrit : « Or Bion, spécialiste de dynamique des groupes,
parle de groupe – bravant Durkheim ou Lewin – distinct de l’agrégat
d’individus et qualifie ingénument de fantasme la croyance en l’exis-
tence d’un groupe comme réalité transcendant les individus, avec les
comportements et les attitudes qu’elle engendre en chacun, fantasme
capable d’entraîner, au niveau de l’individu, quelque chose comme
une dépersonnalisation. Bion ne s’explique pas sur ce qu’il entend ici
comme fantasme, mais il est trop analyste (et Kleinien par surcroît) pour
l’assimiler à une illusion qu’une progressive épreuve de réalité viendrait
heureusement dissiper : le fantasme est bien une réalité structurée,
agissante, capable d’informer non seulement des images ou des rêveries,
mais tout le champ du comportement humain. Or – psychosociologue ou
pas – nul ne peut tenir pour scientifique la définition du groupe comme
agrégat d’individus : il est bien certain qu’un groupe peut être objet
d’observation ou d’analyse. L’originalité de Bion serait alors de tenir les
deux bouts de la chaîne : même si, dans le champ sociologique il est bien
vrai que le groupe soit une réalité spécifique, quand il fonctionne comme
tel, dans le champ de la psyché individuelle – modalité et croyance
que toute la psychologie tend précisément à fortifier – il opère alors
effectivement comme fantasme ».
L’auteur ajoute : « On décrit, on reconstruit des effets de groupe sans
jamais s’interroger sur ce qui les détermine, sur la forme imaginaire
qui en suscite le déploiement. Il ne suffit pas de déceler les processus
inconscients qui opèrent au sein du groupe, quelle que soit l’ingéniosité
dont on sache alors faire preuve : tant qu’on place hors du champ de
l’analyse l’image même de groupe, avec les fantasmes et les valeurs
qu’elle porte, on élude en fait toute question sur la fonction inconsciente
du groupe ».

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L ES OBJETS 109

En 1964, S. H. Foulkes parle du concept de groupe comme un tout :


« Ce concept particulièrement caractéristique de l’approche analytique
de groupe, semble difficile à saisir et les gens semblent peu disposés
à l’utiliser opérationnellement. Ce que nous avons à l’esprit n’est pas
limité à l’interaction des individus dans un groupe. Ce que nous avons
à l’esprit, c’est une entité psychologique, une psyché de groupe, pour
employer le terme d’Hélène Jennings ».
Plus loin, l’auteur précise : « Ainsi, ces individus de notre groupe
analytique, tout en demeurant des étrangers dans la vie réelle, se fondent
en une structure unifiée, la psyché de groupe ».
D. Anzieu souligne l’importance pour le groupe de se trouver un
corps imaginaire commun : « L’hypothèse fondamentale de Freud selon
laquelle toutes les fonctions psychiques dérivent par étayage des fonc-
tions organiques ne saurait évidemment s’appliquer à l’appareil groupal.
Celui-ci souffre du manque d’un corps réel et il cherche à se doter
d’un corps imaginaire ». Il ajoute ensuite : « Les métaphores du groupe
comme « corps » et des individus qui en font partie comme « membres »
visent entre autres, à réaliser ce désir du soi du groupe de trouver
sa résidence dans un organisme vivant : un groupe n’existerait pas
comme tel, tant qu’il n’a pas un « esprit de corps ». L’appartenance à un
groupe impose souvent aux membres des marques corporelles (peintures,
maquillages, tatouages, scarifications, circoncision, brassards, etc) qui
signifient la participation à un corps commun ».
Ces différents concepts ne sont-ils pas déjà contenus dans l’œuvre
de Freud quand il écrit « Le groupe primaire (temporaire, instable, peu
hiérarchisé) acquiert les « propriétés d’un individu » tandis que le groupe
secondaire (institution stable et hiérarchisée) ne peut les acquérir par
« excès d’organisation » ?
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il faut rapprocher de cette idée du groupe comme un individu, le


concept de masse en groupe. Mais déjà, en 1912, Freud montre que le
totem est l’ancêtre commun du groupe et représente, à notre avis, le
groupe en tant qu’objet idéal commun à tous les membres du groupe
et surtout le corps imaginaire idéal du groupe totémique. Il donnera un
exemple très éclairant à propos de la communauté du clan (Kinship) :
« Les membres de cette communauté sont solidaires les uns des autres ;
un Kin est un groupe de personnes dont la vie forme une unité physique
telle qu’on peut considérer chacune d’elle comme un fragment d’une vie
commune. Lorsqu’un membre du Kin est tué, on ne dit pas : « le sang de
tel ou tel a été versé », mais on dit : « notre sang a été versé ». La phrase
hébraïque, par laquelle est reconnue la parenté tribale dit : « tu es l’os
de mes os et la chair de ma chair ». Kinship signifie donc faire partie

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110 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

d’une substance commune. Aussi, la Kinship n’est-elle pas seulement


fondée sur le seul fait d’être une partie de la substance de la mère dont
on est né et du lait dont on s’est nourri, mais aussi sur cet autre fait que
la nourriture qu’on absorbe ultérieurement et par laquelle on entretient et
renouvelle son corps est de nature à conférer et à renforcer la Kinship. En
partageant un repas avec son dieu, on exprime par là-même la conviction
qu’on est fait de la même substance que lui, et on ne partage jamais de
repas avec celui que l’on considère comme un étranger ».
Pour G. Mendel à propos du concept de totem « le pseudo-corps
social », c’est le « nous » du groupe des chasseurs, à la condition d’y
inclure le gibier, mais dans la mesure où seul le gibier possède un corps
matériel, on peut comprendre la tendance de l’image de ce pseudo-corps
social à se déplacer vers le gibier. Le gibier générique va incarner,
matérialiser ainsi le corps du pseudo-corps social ».
Plus loin, l’auteur ajoute : « Ainsi, bien avant l’existence d’un Moi
idéal ou d’un Surmoi, un gibier idéal aurait existé comme garant unitaire
du groupe, comme garant de l’identité collective du groupe, comme
la véritable matérialité du corps social imaginaire, et aussi comme
reviviscence non consciente de la mère originelle qui préside à la relation
mère-petit ».
En résumé, il existe un lien fondamental entre l’objet-groupe et le
fantasme de corps groupal qui sont indissociables l’un de l’autre.
Le fantasme de corps groupal aurait son origine dans le fantasme de
corps familial narcissique, prolongement narcissique du corps propre.
Nous avons déjà démontré que le corps familial imaginaire pouvait être
fantasmé comme un corps maternel. Ce corps familial fantasmé, serait
alors le prolongement narcissique de l’individu comme le corps maternel
est fantasmé par le bébé comme le prolongement narcissique de son
propre corps. Le fantasme de corps familial peut être considéré, à notre
avis, comme un fantasme originaire, qui jouera donc, en tant que tel, un
rôle inconscient essentiel.

L’objet-famille
L’objet-famille, c’est le fantasme de la famille comme objet au sens
psychanalytique du terme, c’est-à-dire au sens de corrélat de la pulsion.
L’objet-famille peut être considéré comme le prototype des objets
collectifs. Voici quelques exemples cliniques de représentation de famille
comme objet.

Il s’agit d’une thérapie familiale psychanalytique.

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L ES OBJETS 111

La famille est au complet : le père, la mère, le fils aîné Alain et le fils cadet
Jacques. Il y a trois psychanalystes.
La séance débute par un assez long silence.
Alain : « Vous nous posez des questions ? À quoi ça sert de venir ici ? Il y a
d’autres familles qui viennent » ?
Après un silence, il ajoute : « il y a différentes sortes de silence... est-ce que
c’est bon de rester comme ça dans le silence » ?
Psy : « Est-ce inquiétant pour vous l’idée que vous seriez la seule famille à
venir ici » ?
Jacques : « Papa, tu ne dis rien » ?
Il ajoute en parlant de son père : « Il va nous cogner Alain et moi, l’un contre
l’autre » ?
Simultanément, il mime le choc en se cognant les deux poings et gesticule.
Le père commence à s’énerver et lui intime l’ordre de se calmer.
Alain : « Je ne vois pas pourquoi mon père me cognerait, je ne suis pas dans
le coup ».
Le père : « Je ne suis pas le nombril du monde, je parle assez souvent, je
suis peut-être responsable comme ça ...» (il applique alors son index droit
sur son index gauche, comme pour signifier une petite mesure, une partie)
« Il faudrait tout reprendre, parler des parents... des morts... et si on déterrait
les morts, ils diraient que ce n’est pas vrai ».
Jacques : « Une fille arabe m’a jeté mon steak par terre... elle m’a dit merde.
Je lui ai dit : ma merde est aussi belle que la tienne ».
La mère : « Jacques est raciste, ce sont ces histoires...»
Alain : « C’est pas propre... qu’est-ce qu’il faut lui faire s’il parle comme ça ?
Il faut le cogner ? Un coup de poing bien placé, une bonne raclée » ?
Alain s’énerve
La mère : « Alain, t’es raciste... »
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Alain : « Quand tu as été attaquée par un nègre dans le jardin public, tu étais
bien contente que je sois là » !
La mère : « Les blancs font la même chose » !
Le père : « Ce n’est pas le petit balayeur qui est dangereux... Ce sont les
grosses têtes silencieuses à petits bras, les généraux, les PDG. Je n’ai rien
contre l’enfant ».
La mère : « Jacques est grossier en ce moment. C’est des mots qu’on
connaît, que vous connaissez aussi, mais on ne les dit pas. Ce matin, c’était
la comédie parce qu’il ne voulait pas s’habiller...»
Alain : « Qu’est-ce qu’il faut lui faire, le cogner » ?
L’atmosphère est très tendue. Il s’agit alors d’une tension transsubjective
familiale.
Psy : « Vous recherchez d’où vient le mal : des étrangers, de vos parents,
des morts, de ce qui se passe entre vous et ici avec nous... »

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112 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

À la fin de la séance, Alain dit qu’il ne viendra peut-être pas la prochaine


fois : « Je travaille... j’ai besoin de me reposer... »
Psy : « Nous vous attendrons tous les quatre ».
Alain : « Si je ne peux pas venir » ?
Psy : « Nous en parlerons ».
Le père ajoute qu’il sera également absent, mais la mère intervient : « Tu te
trompes, c’est l’autre semaine que tu devras t’absenter ...»
Le climat émotionnel de la séance est avant tout de type persécutoire
et le fantasme individuel énoncé par le père, « ce sont les grosses têtes
silencieuses à petits bras qui sont dangereuses, les généraux, les PDG » est
partagé par l’ensemble de la famille comme nous avons pu aussi le constater
au cours des séances ultérieures.
Les interventions de la mère et du fils aîné, qui font suite au fantasme du
père, font diversion afin d’éviter à la famille d’y être confrontée. Dans le
même sens, à la fin de la séance, le père et le fils aîné disent d’ailleurs
qu’ils ne pourront pas venir la semaine suivante. Le fantasme transférentiel
familial des grosses têtes silencieuses, des généraux, des PDG apparaît
donc très chargé d’angoisse paranoïde en rapport avec la recherche d’un
objet persécuteur familial représenté inconsciemment par le groupe des
psychanalystes. Les grosses têtes silencieuses à petit bras, les généraux, les
PDG correspondent à plusieurs représentations différentes d’objets-famille
projetées sur le groupe des psychanalystes et ayant entre elles des points
communs. Les grosses têtes silencieuses sont persécutoires et symbolisent
les analystes omnipotents, silencieux et mauvais objets. Elles pourront êtres
reliées ultérieurement aux représentations persécutoires de la famille des
grands-parents paternels et maternels.
Leurs petits bras sont dangereux car ils ne peuvent pas contenir de façon
satisfaisante la famille qui ressent une angoisse catastrophique de chute
dans le vide en rapport avec les fantasmes de contenant insuffisant, projetés
sur le groupe des psychanalystes. Par le mécanisme d’identification projec-
tive, ils déposent ainsi dans le groupe d’analystes leurs parties persécutrices
omnipotentes et leurs parties-bébé insuffisamment contenues.
Comme nous l’avons déjà remarqué, le père et le fils envisagent de ne
pas venir à la séance suivante pour éviter d’être confrontés à une relation
persécutrice avec les psychanalystes. Ils souhaitent en fait recourir au
registre comportemental en exerçant leur pouvoir de ne pas venir à la séance
pour des motifs variés. On voit, du même coup, qu’ils opposent au travail
psychanalytique basé sur l’imaginaire des agissements concernant la réalité
du cadre psychanalytique. En attaquant le cadre, ils tentent de modifier
la relation de pouvoir instituée initialement entre les psychanalystes et la
famille, lors de la mise en place de ce cadre. En définissant les éléments
invariants du cadre psychanalytique : éléments temporo-spatiaux, mode de
paiement, mode de fonctionnement (cure verbale, association verbale libre
en groupe et règle d’abstinence), le psychanalyste impose ses conditions
de travail auxquelles il devra se soumettre lui-même, dès qu’il y aura accord
entre la famille et lui. En posant le cadre, il exerce son pouvoir lié à son

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L ES OBJETS 113

savoir et à sa pratique psychanalytique, mais il nous semble que la situation


psychanalytique cherche à réduire au minimum les phénomènes de pouvoir
pour en faire une situation privilégiant la vie imaginaire, le fantasme. Freud
soulignait déjà cette nécessité du travail psychanalytique dans son article
« Remémoration, répétition et élaboration » (1914) : « Afin de maintenir sur
le terrain psychique les pulsions que le patient voudrait transformer en actes,
il (le psychanalyste) entreprend contre ce dernier une lutte perpétuelle... »
Une autre représentation d’objet-famille apparaît lors de la septième séance
de la façon suivante :
Le père dit : « Que faut-il faire? Faut-il prendre des médicaments ? Nous
sommes dans un bateau à voiles sans voile, sans gouvernail ».
On peut comprendre ce fantasme de la façon suivante : « Vous ne voulez
pas nous conseiller, vous ne voulez pas nous guider, vous ne semblez pas
souhaiter être un modèle idéal pour nous, alors que faire ? Notre famille-
bateau ne peut qu’aller à la dérive et à sa perte et notre groupe thérapeutique
aussi ».
Le fantasme de bateau à voiles sans voile et sans gouvernail est une
représentation d’objet-famille et d’objet-groupe thérapeutique partagée par
les membres de la famille. Ce bateau symbolise le groupe familial et le
néo-groupe-famille thérapeutique indifférencié, en particulier sans chef, sans
objet phallique qui ne permettrait pas une différenciation générationnelle
parents-enfants et l’exercice de l’autorité parentale.
Une autre famille, citée par S. Decobert, se décrit de la façon suivante :
« Notre famille est une pieuvre dont nous sommes les bras, avec toutes nos
bouches comme ventouses ».
La famille est représentée comme un tout indifférencié.

L’objet-couple
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

C’est la représentation unitaire du couple qui a un corps commun


et une psyché commune imaginaires. Le fantasme de scène primitive
contient une représentation d’objet-couple ainsi que le fantasme de
parents combinés.

L’objet-fratrie

C’est la fratrie investie comme une unité, une personne.

L’institution
Elle peut également être investie comme un objet.

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114 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

L ES OBJETS INDIVIDUELS
Le dénominateur commun de toute représentation d’objet, c’est son
aspect unitaire, c’est la notion de totalité, d’unité, d’entité, de personne.
La bouche ou le sein, comme une personne, c’est l’objet partiel. La
famille comme un tout, une unité, une personne, c’est l’objet-famille
(exemple de la pieuvre).
Un autre dénominateur commun à tous les objets, c’est le fait d’être
investis pulsionnellement. On parle d’objet réel et d’objet fantasmatique,
d’objet externe et d’objet interne.

L’objet-individu

C’est donc la personne en tant qu’objet ou une partie de la personne


(par exemple la bouche) investie comme un tout, comme une personne.
Récemment, avec W. R. Bion, est apparu le concept de contenant comme
objet, et avec F. Tustin, celui de la sensation comme objet.

L ES MODES D’ INVESTISSEMENTS MULTIPLES D’ OBJETS


Les investissements multiples d’objets peuvent se déployer pacifique-
ment lorsqu’existe la possibilité d’établir une position ambiguë comme
dans la lignée œdipienne ; en revanche, si cette condition n’est pas
accessible, les investissements multiples d’objets ont lieu dans une posi-
tion paradoxale, comme on peut l’observer dans la lignée antœdipienne
pathologique.
L’ambiguïté, on le voit clairement, est une caractéristique de l’œdipe.
Donnons l’exemple du fonctionnement paradoxal d’un patient qui
présente une grande souffrance en rapport avec ses différents investisse-
ments d’objets ; il se sent contraint de choisir entre une vie en couple avec
sa maîtresse ou sa famille, ou bien encore de vivre en famille ou de mener
une vie solitaire, sans couple ni famille ; ses difficultés sont à rapporter à
ses importantes angoisses catastrophiques primitives claustrophobiques
et agoraphobiques qui l’empêchent d’accéder à un mode ambigu d’inves-
tissements, de faire coexister différents investissements d’objets, comme
cela s’observe dans la scène primitive où l’individu peut investir en même
temps soi, l’individu, le couple et la famille. Les investissements de ce
patient sont tellement instables qu’il ne peut maintenir aucune relation
d’objet car toute relation l’étouffe et toute séparation est insoutenable,

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L ES OBJETS 115

en somme vivre ensemble le tue et se séparer est mortel. Ses relations


d’objet sont paradoxales.

La première consultation se déroule à une époque où il a décidé de quitter


sa famille pour vivre seul à l’hôtel pendant plusieurs mois, afin de prendre du
recul. Il projette d’acheter une maison en pleine campagne, loin de son amie
et de sa famille, dans laquelle il pourra tour à tour recevoir tout le monde, y
compris les enfants d’un premier mariage.
La veille de la signature de l’acte d’achat, il fait le rêve suivant : « Je me
trouvais avec plusieurs personnes, un groupe de personnes et on avait
décidé de mourir tous ensemble. Ce n’était pas du tout angoissant, c’était
plutôt comme un état suprême, idéal. Chacun devait respirer une poudre
blanche au-dessus d’un lavabo. On devait tous mourir à huit heures du matin.
Puis, d’un seul coup, je me dis qu’il ne faut pas mourir, que c’est stupide et
j’entends une voix de femme qui m’appelle au dehors. Je me précipite vers
la salle de bain car il est moins vingt et il faut que je boive avant huit heures
pour être sauvé. Mais la salle de bain, qui ressemble à une salle de bain
d’entreprise avec beaucoup de lavabos est fermée. Je me réveille ...»
Le patient décide alors de ne pas acheter la maison, dans laquelle il s’est vu
mourir, de revenir dans sa famille et de revoir au moins une deuxième fois
son psychanalyste.
Il explique, au cours de ce deuxième entretien, son retour, la joie de ses
enfants.
« Je suis content » dit-il, « mais je ne sais pas si c’est pour moi ou mes
enfants. Je ne sais jamais si ce que je fais est bon pour moi et si c’est une
décision personnelle et profonde. Et puis, je ne peux pas non plus laisser
mourir en moi mon amie ».
Il précise que « sa femme est également heureuse de son retour, mais qu’elle
est très fusionnelle ; il hésite encore à rester ou partir ».
Le psychanalyste lui demande s’il a peur de se sentir coincé dans l’une ou
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’autre de ces situations, comme cela s’est produit plusieurs fois dans sa vie
quand, notamment, il s’est sauvé de chez ses parents et, plus tard, quand il
a quitté sa première femme. S’agit-il d’un choix entre deux femmes ?
Le patient dit : « Ce n’est pas un choix entre deux femmes : c’est un choix
entre une femme et une famille, mais aucun des éléments du choix ne
me satisfait complètement. Cela me fait penser aussi que quand j’achète
un disque il m’en faut deux ; non pas deux fois le même, mais deux
enregistrements différents ».
En ce début de traitement, le patient est dans l’impossibilité d’investir
simultanément sur un mode ambigu les trois types d’objets, à savoir : la
famille, le couple et l’individu.
Il est contraint de se dégager de sa famille, vécue comme une fratrie et
comme une institution (lavabos d’entreprise) pour échapper à d’intenses
angoisses claustrophobiques primitives qu’il ressent également quand il est
en couple avec sa maîtresse. À l’opposé, quand il fait le choix de l’hôtel seul

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116 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

ou de la maison isolée, ses angoisses agoraphobiques primitives s’expriment


dans le rêve où il met en place des défenses en rapport avec l’objet-famille :
il rêve d’une famille définitivement unie dans la mort. L’élation, ressentie dans
cette non-séparation est cependant mortifère. Il échappe à la claustrophobie
mortifère (suicide collectif) en sortant de la maison, appelé par une voix de
femme.

R EGROUPEMENT, DÉGROUPEMENT
On peut constater qu’une personne peut être représentée par un groupe
de personnes. Différentes parties du sujet sont ainsi projetées dans chacun
des membres constituant le groupe. Il en est couramment ainsi dans le
psychodrame psychanalytique.

Dans un rêve, un patient en psychanalyse individuelle montre ce processus


de groupalisation : « Je suis chez un tailleur, trois femmes s’occupent de
moi pour la prise des mesures ; je suis debout, jambes écartées ; l’une
des femmes prend les mesures du dos, l’autre du côté droit et la troisième
agenouillée face à moi, la tête au niveau de mon sexe, mesure les jambes ».
Dans les associations du patient la femme du dos représente une mère
contenante et celle du devant exprime ses désirs érotiques à son égard. Sur
le côté, c’est une image condensée d’une tante maternelle et de sa propre
sœur.

À l’inverse de ce mécanisme de groupalisation d’une personne, on


peut se trouver en présence d’un mécanisme de dégroupalisation ou
d’individualisation d’un couple ou d’un groupe, lorsque ceux-ci sont
vécus et représentés comme des objets individuels.
Autrement dit, on voit qu’un individu peut être représenté par un
groupe ou un couple et qu’à l’inverse, un couple, une famille ou un
groupe peuvent être représentés par une personne.
On constate donc à côté des objets-individu l’apparition d’objets
collectifs.
De nouveaux objets ont été conceptualisés depuis quelques décennies.
Après avoir insisté sur l’objet transitionnel de D. W. Winnicott, l’objet
paradoxal de P.-C. Racamier, nous proposons de nous arrêter sur le
concept de sensation-objet, mis en évidence par F. Tustin. Nous abor-
derons également les notions d’autosensualité normale et pathologique.
Enfin, nous nous interrogerons sur les rapports qu’entretient la sensation
comme objet avec la genèse de la contenance normale et pathologique.

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“CAILLOT-9782100737833-BAT” (Col. : Psychothérapie) — 2015/7/27 — 12:01 — page 117 — #125
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L ES OBJETS 117

L’auto-contenance, c’est-à-dire se contenir soi-même, s’oppose à


l’hétérocontenance qui est l’action de contenir un objet. Il convient pour
ces deux formes de contenance de distinguer le normal du pathologique.

L’ OBJET- SENSATION ET L’ OBJET- SENSATION


HYPERNARCISSIQUE AUTOGÉNÉRÉ
Ce sont essentiellement les auteurs anglo-saxons qui ont développé
la notion d’objet-sensation au cours de leurs investigations sur les
états autistiques chez l’enfant. En 1981, F. Tustin émet l’idée qu’il
existe une période extrêmement précoce du développement, appelée
l’autisme primaire normal, durant laquelle la mère est vécue comme
« sensation-objet ». Il s’agit donc de l’investissement par la psyché d’une
sensation vécue puis hallucinée dans la relation à la mère. Elève de
W.R. Bion, F. Tustin pose l’hypothèse que les capacités acquises avec
les « sensations-objets » sont indispensables à l’établissement du rapport
aux objets perçus comme « non-soi » dans un développement normal.
Historiquement, c’est en 1968 qu’E. Bick met l’accent sur l’expérience
de la peau dans les relations d’objet précoces. Elle écrit : « Le besoin
d’un objet contenant apparaît dans l’état infantile non intégré, comme
la recherche effrénée d’un objet – une lumière, une voix, une odeur
ou tout autre objet sensuel – qui peut tenir l’attention, et de ce fait
être expérimenté, comme tenant ensemble les parties de la personnalité.
L’objet optimal est le mamelon dans la bouche, accompagné du portage,
des paroles et de l’odeur familière de la mère ». À partir de son
observation clinique des bébés et de son travail thérapeutique auprès
d’enfants schizophrènes, l’auteur montre que cet objet contenant est
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

expérimenté concrètement comme une peau. En 1972, F. Tustin décrit et


définit des « objets autistiques » puis des « formes autistiques » (shapes
en anglais) constitués à partir des substances corporelles, investis pour
les sensations qu’ils procurent, dures ou molles ; les objets autistiques
« moi » doivent éloigner le « non-moi » dangereux qui menace l’enfant.
Il ne faut pas confondre les objets autistiques avec les objets transition-
nels décrits par D. W. Winnicott comme la première possession non-moi
dans un espace d’illusion entre la mère et l’enfant.
Par une description minutieuse du comportement de ses petits patients,
F. Tustin éclaire les différences entre la psychose symbiotique décrite
par M. Mahler (1968) et les états autistiques. Relatant le cas de John,
elle écrit qu’il vivait l’absence de la thérapeute comme un « trou noir
avec un méchant piquant ». En 1974, L. Kreisler, M. Fain et M. Soulé

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118 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

dans L’enfant et son corps font l’hypothèse, à partir des observations


du mérycisme du nourrisson, du spasme du sanglot et de l’encoprésie
du mégacôlon fonctionnel, que ces déviations psycho-fonctionnelles du
jeune enfant sont des préformes de la perversion. Nous saluons leur
perspicacité pour avoir établi ce lien entre une activité autosensuelle
pathologique et la perversion. Nous admirons aussi ces auteurs pour avoir
compris que cette autosensualité pathologique s’exerçait au moyen d’une
emprise sur des objets-sensations autogénérés, source de mégalomanie
maligne et d’auto-contenance pathologique. À propos du mérycisme
du nourrisson, L. Kreisler1 , « ne cesse d’être surpris » dit-il, « face à
cette activité alimentaire contre-nature, d’un mécanisme physiologique
compliqué, mis en place et entretenu à des fins psychiques de la part d’un
enfant aussi jeune. Le mérycisme survient électivement dans le second
semestre et se développe surtout dans la deuxième année, mais avec des
différences chronologiques notables. Il est une pratique solitaire aussitôt
suspendue en présence d’autrui, l’enfant abîmé dans son exercice en
un isolement dit parfois autistique. En contraste, il se montre avide de
contacts humains, mais cette quête est anonyme. Les déterminismes
pathogènes sont hautement carentiels ou éprouvés comme tels. Le
potentiel létal de ce jeu aberrant ne saurait être oublié. La mortalité
était, dit-on, de 20 % du temps de Kanner.

Notre observation princeps concernait une fillette de 10 mois, Martine,


hospitalisée à Saint-Vincent-de-Paul, dans les années cinquante. La mère,
une obsessionnelle imbue de principes de puériculture rigides alors en
cours, astreignait la fillette à un système d’élevage ritualisé, littéralement
abandonnée à elle-même en dehors des soins qui étaient tout matériels.
Pour M. Fain et P. Marty2 les incitations auto-érotiques se développent
dans ce trouble en compensation d’un manque d’apport narcissique dont la
source principale est l’instinct maternel. Lorsque le manque est important
l’auto-érotisme se développe en comportement moteur refermé sur lui-même
rejoignant la notion de plaisir du fonctionnement d’E. et J. Kestemberg.

De notre point de vue, il conviendrait de parler ici, non pas d’auto-


érotisme mais d’autosensualité pathologique, défensive contre le manque
d’apport narcissique maternel.
« Une petite fille de 8 mois et demi nous fut présentée à l’Institut
de Psychosomatique (IPSO), peu après sa sortie d’un service où elle

1. Kreisler L., Groupal, 2000, 6, pp. 29-41.


2. Kreisler L., Fain M., Soulé M., « Le mérycisme », L’enfant et son corps, Paris, PUF.,
1974, 6e édit. 1999, pp. 105-129.

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L ES OBJETS 119

avait été admise pour un mérycisme qui l’avait conduite au bord de la


catastrophe. À peine installée sur les genoux de sa mère dont elle ne
se souciait pas, elle provoquait instantanément du regard les personnes
présentes, voulait aller vers son père puis filait à quatre pattes de l’un à
l’autre avec une agilité surprenante, en un comportement d’accrochage
instantané et fugitif. On comptait cinq gardiennes depuis le troisième
mois, une vie de bébé hachée d’intermittences, une relation maternelle
incertaine.1
Cette brève séquence suggère le comportement vide, auquel appartient
le mérycisme en proportion significative de notre expérience. Peut-on
attribuer au mérycisme la qualité d’un auto-érotisme face à une praxie
alimentaire anarchique, vide de halo hallucinatoire, exercée, peut-on dire,
en pur plaisir d’organe ? Une question digne d’intérêt pour un compor-
tement pervers, chargé d’un potentiel autodestructeur. La notion de pro-
cédés autocalmants de C. Smadja2 et G. Szwec3 peut, nous semble-t-il,
apporter une avancée notable dans la qualification de l’activité méryciste.
« Les procédès autocalmants, selon ces auteurs, sont équivalents à des
fonctionnements de type opératoire. Ils se caractérisent par la répétition
d’une certaine excitation motrice ou perceptivo-sensorielle n’apportant
pas la décharge de l’excitation ni la satisfaction, mais un calme précaire
qui cesse avec le procédé ou encore avec l’auto-épuisement... lorsque
l’érotisation d’une fonction est insuffisante, une perversion plus mortifère
est possible. On l’observe chez des enfants ayant un faible développe-
ment des auto-érotismes, auquel se substitue un comportement mécanisé
ayant une visée autocalmante. Le mérycisme serait dans cette optique
un procédé d’auto-nourissage autocalmant et l’auto-bercement du petit
insomniaque un procédé d’endormissement autocalmant... Le procédé
autocalmant devient alors un faux-semblant du jeu de la bobine, un
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ersatz de celui-ci parce qu’il n’a pu instaurer une conservation des traces
maternelles »4 . Le comportement mécanisé ayant une visée autocalmante
semble bien être un comportement manipulatoire corporel dont le but est

1. Kreisler L., Le nouvel enfant du désordre psychosomatique, Paris, Dunod, 1992, obs
n°7, pp. 109-123.
2. Smadja C., « Les procédés autocalmants », Revue Française de Psychosomatique,
1993, 4, pp. 9-26.
3. Szwec G.,. « Les procédés autocalmants par la recherche répétitive de l’excitation.
Les galériens volontaires », Revue Française de Psychosomatique,1993, n° 4, 1993, pp.
27-51.
4. Szwec G., Kreisler L., « Psychosomatique et expressions corporelles dans l’enfance »
in Propositions théoriques par G. Szwec, Psychiatrie, 37404-A10, Encyclopédie médico-
chirurgicale, 1988.

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120 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

l’obtention d’objets-sensations autogénérés se substituant à la mère et à


sa fonction contenante.
L’autosensualité autogénérée et pathologique évite toute dépendance
à l’objet.
Le spasme du sanglot1 , toujours selon L. Kreisler est décrit de la façon
suivante :

« un jeune enfant contrarié qui tombe en une pâmoison dépassée jusqu’à


perdre le souffle et la conscience et qui, rapidement revenu à lui, paraît
avoir tout oublié.
Incident courant en pratique pédiatrique, le spasme du sanglot est facile-
ment identifié cliniquement par la réunion de trois traits essentiels : une
perte de conscience coupant court au sanglot, souvent accompagné de
mouvements convulsifs (la plus bénigne des convulsions de l’enfance,
peut-on affirmer) ; une cause provocatrice constante, génératrice d’un
affect brusque, intense et déplaisant ; la présence directe de la personne
élective de l’attachement, mère, grand-mère ou substitut maternel, la
plus impressionnable de l’entourage ; ce trépied symptomatique assure le
diagnostic. Le mécanisme neurophysiologique est une anoxie cérébrale
transitoire de nature asphyxique ou syncopale, de cause respiratoire,
« forme bleue » du spasme, ou cardiaque sa « forme blanche ». Sa période
élective, entre 6 et 18 mois-2 ans, se déroule en pleine phase critique
d’autonomie-dépendance. Cette manifestation commune de l’enfance, plus
spectaculaire que grave en elle-même devait offrir à mes collègues, un
champ diversifié de réflexion au concept des préformes de la perversion ».

« L’appareil respiratoire », ajoute L. Kreisler, « lieu érotique de


l’investissement déplacé des zones érogènes régulières, « choisi » en
transgression de sa fonction vitale, une fonction à destinée symbolique
multiple.
Le vertige ébrieux de l’anoxie d’abord ressenti puis recherché pour
son ivresse, sans omettre la provocation auto-stimulante des convulsions,
l’un et l’autre mutés en décharges orgastiques.
La présence maternelle immédiate, sexualisée en simulacre de coït ».
Une préforme incestueuse, ajoutons-nous.
« La perte de conscience », poursuit L. Kreisler, « phénomène essen-
tiel à reflets composites : on tombe dans la chute de la connaissance
comme dans une trappe où disparaît l’affect pénible ; on s’envoie en l’air
dans une petite mort ; on fait le mort, on provoque l’angoisse de sa mort.

1. Kreisler L., « Déviances perverses originaires », Groupal, 2000, 6, pp. 29-41.

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L ES OBJETS 121

La proximité maternelle : elle est immédiate et constante. Elle est


déterminante du syndrome et de son évolution ; l’ombre de la mort subite
plane sur la suspension du souffle ; la disparition des crises est courante
dans les suites immédiates d’une consultation qui a bien marché (une
guérison symptomatique dont on ne saurait se contenter). Une distinction
psychologique a pu être faite entre la forme bleue cyanotique, d’enfants
volontaires, insoumis, impatients, pour lesquels les aspects de la maîtrise
perverse sont les plus évidents et la forme pâle qui touche des enfants
passifs, impressionnables, sensibles à la douleur qui ont évolué vers une
organisation névrotique de la série hystéro-phobique.
À quelle catégorie de somatisations les spasmes du sanglot
appartiennent-ils ?
Pathologie fonctionnelle d’évolution critique symptomatique d’un
malaise épisodique, une mentalisation défectueuse ne saurait être mise
en cause non plus que la plénitude affective relationnelle : le processus
réside en débordements de surplus d’excitation ».
Les formes anales de déviances perverses1 furent déduites de l’enco-
présie et d’une étude princeps de M. Soulé sur le mégacôlon fonctionnel.
« Dans la diversité psychologique de l’encoprésie il est, selon la
suggestion pittoresque de M. Fain, à côté d’un type « délinquant » d’une
agressivité concertée, parfois psychopathique et du type « clochard » en
laisser-aller d’évacuations passives, un type « pervers » où l’enfant se
livre dans l’isolement à une activité masturbatoire d’expulsions dosées2 .
En rappel de la célèbre opposition entre névrose et perversion, M.
Fain développe « l’encoprésie en négatif de la névrose obsessionnelle.
Consécutif à une constipation par rétention intentionnelle, le mégacôlon
fonctionnel réalise une distension parfois gigantesque, étendue de l’am-
poule rectale à la zone sigmoïdo-colique. Il peut être de début précoce,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dès le second semestre, à partir de la période où la défécation est réglée


par une certaine maîtrise. Le mécanisme est une rétropulsion de la selle,
une défécation à rebours, peut-on dire, un dysfonctionnement a contrario
de l’exonération physiologique. Les composantes pathogènes se trouvent
séparément ou conjointement dans un conflit de propreté (un dressage
prématuré conduit en forcing ou en perfectionnisme) ; un incident anal
douloureux ayant éveillé une phobie de la défécation ; un fantasme de
vidage corporel ; une situation conflictuelle ou carentielle « compensée »

1. Kreisler L., « Déviances perverses originaires », Groupal, 2000, 6, pp. 29-41.


2. Kreisler L., Fain M., Soulé M., « L’encoprésie, le mégacôlon fonctionnel, obs. 4 :
Une recherche concertée d’excitation anale », L’enfant et son corps, Paris, PUF, 1974,
sixième édition 1999, pp. 389-466.

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en satisfaction auto-érotique déviée. Ce sont des interférences relation-


nelles directes et de subtiles préoccupations anales excessives de la mère
et/ou du père dont l’intervention directe est loin d’être rare.
Pour ces formes anales, il pourrait s’agir d’activités perverses précoces
authentiques et non pas de préformes de la perversion comme dans le
mérycisme et les spasmes du sanglot.
C’est à l’occasion du mégacôlon fonctionnel, ce dysfonctionnement
de toute-puissance sur le corps et sur l’environnement, que M. Soulé
devait introduire la notion de la pulsion d’emprise déjà évoquée dans
le mérycisme et dont l’importance devait s’affirmer dans l’anorexie
d’opposition du nourrisson et d’autres manifestations de la clinique
psychosomatique ».
L. Kreisler dans son article « Déviances perverses originaires1 »
décrit : « Des formes d’idéalités déviantes qui désignent des valeurs
érigées en systèmes, liées à la dominance d’un Moi-idéal de toute-
puissance narcissique, tel qu’il a été reconnu dans le domaine de la
psychosomatique par P. Marty et développé par certains de ses adeptes
(A. et A. Dingli).
« Il s’agit », ajoute l’auteur « d’un Moi qui se prend pour son propre
modèle ; n’est-il pas en soi un fondement de perversion ?
Les influences caractérielles de ce système se trouvent dans la rigidité
inflexible des comportements, l’outrance des préceptes et des conduites,
une démesure qui oblitère les besoins d’autrui, l’inauthenticité des
valeurs revendiquées, l’adhésion à des modèles factices. La diversité
étonne d’un sujet à l’autre depuis les hautes valeurs affichées jusqu’aux
comportements pervers. Une patiente de P. Marty qui avait entretenu des
relations sexuelles avec son frère aîné s’indignait d’être interrogée à ce
sujet pour son puîné, tant il est scandaleux pour une femme de coucher
avec un plus jeune. Une observation, reprise en raison de son exemplarité,
nous servira de détour.

Pierre, un jumeau nous avait été conduit à l’IPSO (Institut de Psychosoma-


tique) dans sa troisième année pour des rythmies de balancement et des
chocs répétés de la tête, auxquels il s’adonnait une bonne partie des nuits,
depuis des mois. Les troubles se situaient dans un contexte d’inorganisation
structurale du type du « comportement vide ». La grossesse était entourée
de circonstances singulières, obtenue par une procréation assistée de
pure convenance personnelle. Célibataire à 36 ans c’était, disait-elle, le
moment ou jamais d’avoir un enfant. L’insémination artificielle par donneur

1. Kreisler L., op. cit

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L ES OBJETS 123

anonyme, expliquait-elle en termes techniques, lui parut idéale ; elle en avait


eu connaissance à la télévision, la trouvait sans obstacle et sans doute
répandue. Elle avait ouvert l’annuaire à la rubrique des gynécologues, le
quatrième de la liste répondit à son attente, un médecin merveilleux devenu
un véritable ami. Il avait fallu quatre tentatives, quatre donneurs choisis
anonymes, peu importait le prix. L’annonce de jumeaux fut un triomphe, des
enfants bien à elle. Seul des deux, le garçon la tracassait. Elle n’en pouvait
plus de ses heurts accompagnés de halètements sonores ; si on pouvait au
moins le faire taire. Cette mère avait une conception nivelée de la différence
des sexes, reflet d’une névrose de caractère, coulée dans un Moi-Idéal de
maîtrise, mise en actes jusqu’aux limites dépassées du concevable ».
L’auteur précise que Pierre était entouré d’une sollicitude privilégiée ; en
fait, il était la cible de déviances maternelles, électives et profondes où,
semble-t-il, l’emprise et la séduction narcissique de la mère, son intolérance
aux heurts bruyants accompagnés d’halètements sonores créait un climat
incestuel avec une part agie d’abandon. La place dans l’observation des
agirs d’auto-engendrement de cette mère incestueuse (inceste avec son
frère aîné) est centrale.

Ainsi, dans ces observations le concept d’objet-sensation autogénéré


par le bébé ou le jeune enfant permet de comprendre le renversement
actif de la relation contenant-contenu selon un procédé précoce pervers
qui consiste à remplacer la mère abandonnante, absente ou/et trop
excitante, intrusive, par une sensation autogénérée substitutive de la
mère et contrôlable par le sujet. La conséquence de ces manipulations
sensuelles est dominée par l’inflation omnipotente, c’est-à-dire par la
mégalomanie maligne et son corollaire, l’auto-contenance pathologique
et son cortège de dénis : celui de la dépendance infantile à l’objet et
ceux des générations et des origines. Ainsi, l’auto-contenance patholo-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

gique aurait pour corollaire les fantasmes-non-fantasmes narcissiques


d’autodésengendrement et d’auto-engendrement.
Les manifestations d’autosensualité incestuelle chez ce petit enfant
sont à comprendre comme à la fois la répétition du scénario incestueux de
la mère avec son frère aîné et la défense contre les angoisses produites par
la relation incestuelle de la mère avec son fils. L’actualisation traumatique
est le fait de la projection de l’objet interne – frère aîné incestueux de la
mère dans son fils Pierre. Il s’agit d’une transmission traumatique trans-
générationnelle paradoxale. La défense contre les angoisses intrusives,
persécutrices et celles liées aux agirs d’emprise et d’abandon maternels,
c’est-à-dire claustrophobiques et agoraphobiques primitives est obtenue
par l’agrippement aux objets-sensation autogénérés ; cet agrippement

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produit une autocontenance pathologique certes insuffisamment rassu-


rante devant cette détresse mais néanmoins ultime recours devant la
catastrophe.
L’autosensualité pathologique serait à relier aux relations antœdi-
piennes pathologiques et traumatiques situées en amont, centrées par
l’auto-engendrement.
M. Soulé, en 1974, introduit donc la notion de préforme de l’acte
pervers et celle de perversion dans la mesure où l’enfant tire jouissance
d’un mécanisme contre-nature.
Ainsi, nous pouvons répertorier divers tableaux cliniques où l’enfant
est producteur d’objets-sensation autogénérés, à la fois témoins d’une
répétition traumatique et sources d’autarcie psychique, car l’emprise
exercée sur l’objet-sensation assure une auto-contenance pathologique
protectrice.
Il nous apparaît que toutes les pathologies hypernarcissiques, psy-
chose, perversion, somatose, addiction, anorexie, boulimie, présentent
des sensations autogénérées paradoxales comme objets hypernarcis-
siques. La relation narcissique à ces objets paradoxaux à la fois répète le
traumatisme et défend contre les angoisses produites par celui-ci.
Voici quelques autres exemples de relations narcissiques d’objets-
sensation autogénérés.
Dans la psychose, les sensations autogénérées hallucinatoires sont à
la fois persécutrices, catastrophiques par la répétition traumatique et pro-
tectrices, défensives contre l’abandon par la présence d’un persécuteur.
Dans les perversions narcissiques et sexuelles, que ce soit le versant
sadique ou masochique, c’est la jouissance d’emprise qui domine et
qui est en même temps défensive contre les angoisses catastrophiques
d’abandon.
Dans les somatoses, nous observons au cours d’une psychanalyse par
exemple dans un cas d’eczéma, des sensations autogénérées de grattage,
à la fois jouissives et douloureuses qui créent une enveloppe cutanée
paradoxale.
Dans l’addiction, l’ivresse, les sensations extatiques autarciques
alternent avec les sensations agoraphobiques ou claustrophobiques
mortifères d’hyperdépendance à l’objet.

Voici un exemple : un patient gravement addictif à l’alcool décrit dans son


enfance des comportements à risques qui lui procuraient des sensations
extatiques. Vers l’âge de dix ans, il montait sur un immeuble élevé, marchait
dans la gouttière puis regagnait le toit. Il passait ainsi de la mort à la vie,

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des peurs de tomber et de mourir à l’extase. Dans cette observation, nous


soulignons ce lien mort/extase des addictions.

Dans l’anorexie, « l’érotisation de la faim » décrite par S. Decobert, E.


et J. Kestemberg1 évoque une sensation paradoxale faite de jouissance
et de souffrance ; les sensations de plein2 (être plein/e, être rempli/e),
en rapport avec l’ingestion d’aliments, s’accompagnent volontiers d’une
sensation de dégoût, d’un sentiment d’impureté, de culpabilité et de
honte ; à l’inverse, les sensations de vide génèrent un sentiment de libé-
ration, de pureté rédemptrice. Toutes ces pathologies peuvent produire
des sensations d’excitation sexuelles incestueuses ou/et meurtrières.
Dans différentes pathologies hypernarcissiques précoces, nous retrou-
vons ces phénomènes d’autosensualité pathologique :
Les sensations ébrieuses du spasme du sanglot qui sont une véritable
toxicomanie asphyxique.
Les sensations liées à la rumination dans le mérycisme ou celles des
vomissements provoqués et de certaines anorexies du nourisson, déjà
citées.
Les sensations créées par l’aspiration volontaire des joues collées à la
langue dans l’insuffisance faciale décrite par B. Bonnet où la rétention
linguo-jugale par les mâchoires, est à l’origine d’importants troubles
du développement de la face et des orifices aériens. En effet, dans
l’insuffisance faciale, joues et langue se rejoignent horizontalement entre
les arcades dentaires et les mâchoires les enserrent verticalement pour
créer cette rétention, qui fait obstacle à la verticalisation linguale source
de croissance verticale de la face et aux rapports dynamiques inter-
maxillaires à l’origine d’avancée bimaxillaire simultanée. L’insuffisance
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

faciale a pour corollaire des défauts de croissance antéro-postérieure et


en hauteur du massif facial ; ceux des orifices aériens sont à l’origine des
apnées obstructives du sommeil.
Signalons aussi les morsures volontaires de la face internes des joues.
À côté des sensations créées par l’inversion volontaire de la défécation
dans le mégacôlon fonctionnel, celles de l’inversion volontaire de la
miction dans les rétentions volontaires d’urine sont moins connues.
Nous avons déjà cité l’activité masturbatoire d’expulsions dosées du
mégacôlon fonctionnel.

1. Decobert S., Kestemberg E. et J., La faim et le corps, PUF., Paris, 1972.


2. Caillot J.-P., « Incestualité et troubles des conduites alimentaires », Groupal, 2000, 7,
pp. 18-32.

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126 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Les masturbations pathologiques compulsives chez l’enfant en famille


ou à l’école appartiennent à ce registre pathologique.
Citons aussi les sensations dues aux rythmies compulsionnelles, par
exemple de balancement. Il faut ajouter à cette liste, les sensations des
agirs d’arrachage de la peau (autour des doigts, au niveau de différentes
lésions cutanées) ou des phanères tels que les ongles, les cheveux, les
cils ou les sourcils.
Enfin, les sensations liées à la perte de conscience de l’épilepsie
photogénique par auto-stimulation lumineuse1 .

L. Kreisler observe qu’une fillette âgée de 4 ans est atteinte d’une épilepsie
photogénique par auto-stimulation lumineuse. « Véronique avait été normale
jusqu’à 2 ans. Elle était alors une petite fille éveillée, gaie, avec un langage
bien évolué. Ce passé authentifié, tranchait avec la réalité de l’enfant
présente, manifestement psychotique ; ses seules activités organisées, émer-
geant d’une agitation majeure, étaient réduites à quelques stéréotypies, ne
communiquant plus par le langage, réduit à des écholalies et des fragments
de ritournelles. On relate que vingt, trente fois par jour, dans le but de se
procurer une crise, elle se précipitait vers les sources de lumière : le soleil,
une lampe ; en voiture, elle se penchait pour regarder le ciel. Alors, elle
s’immobilisait avec un sourire extatique, perdait conscience et tombait dans
une crise comitiale tonico-clonique. Selon la mère, « la naissance a été
normale, elle a crié tout de suite, cependant ses yeux étaient injectés de
sang. Elle cria beaucoup les jours qui suivirent et vomissait ses biberons en
jet. Elle n’était bien que sur moi, recroquevillée, calée contre mon épaule.
Ce n’était qu’ainsi qu’elle arrivait à se consoler et il en est ainsi encore
actuellement. Bientôt, je m’aperçus qu’au soleil, elle clignait des yeux et
les fermait à moitié. Vers deux ans, elle a eu pour la première fois, en se
réveillant, des petits tremblements très brefs, que l’on a pris pour des frissons.
Ses yeux se tournaient du côté droit, elle se tenait la tête de la main droite,
puis allait se mettre sur son lit pour se reposer. J’étais alors enceinte de mon
troisième enfant. Deux mois avant la naissance, Véronique avait alors deux
ans et demi, je dus me coucher et me séparer des enfants, car j’étais épuisée.
Les enfants partirent en province chez ma mère. Là-bas, tout se passe bien
d’abord, mais à la fin du séjour, on sépara les enfants. Véronique alla chez
ses grands-parents paternels, tandis que sa sœur rentrait à Paris. Véronique
sombra alors dans le désespoir, pleura sans cesse trois jours et trois nuits
et on dut la ramener d’urgence auprès de sa grand-mère maternelle. Quand
celle-ci la reprit, elle se comporta comme si elle ne la reconnaissait pas, elle
était prostrée, inerte, lointaine. Elle rentra à Paris, le bébé était né et les crises
commencèrent ; tout d’abord trois à quatre fois par jour puis de plus en plus
nombreuses... Dès qu’elle fut en contact avec le nouveau-né, elle régressa ;

1. Caillot J.-P., et Decherf G., Thérapie familiale psychanalytique et paradoxalité, Paris,


Clancier-Guénaud, 1982.

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L ES OBJETS 127

elle agissait comme lui, réclamait des brassières et des couches, urinait sous
elle et dans son lit. À trois ans et demi, elle entra dans une longue période de
mutisme. Elle s’accrochait à quiconque, mais de façon brève, superficielle,
instantanée, suivait n’importe qui dans la rue. À la moindre contrariété, elle
se blottissait contre sa mère, ou bien se précipitait vers une source lumineuse
pour provoquer une crise. Le père dira : « elle fait comme une intoxiquée
avec sa drogue ». Parallèlement, elle devenait de plus en plus confuse et
renfermée, s’isolait pour se livrer à ses activités ritualisées, ouvrait et fermait
inlassablement une porte ou bien se faisait passer sans cesse le même
disque ».

L. Kreisler rapporte également un autre cas d’épilepsie photogénique par


auto-stimulation lumineuse où l’on observe également cette quête frénétique
de l’objet-sensation substitutif de l’objet maternel : « Il s’agissait d’un petit
garçon psychotique de 3 ans, entièrement accaparé par cette activité. À
l’hôpital, si on ne voulait pas l’attacher, il fallait faire dans sa chambre une
obscurité complète. Attiré par le moindre rai de lumière au travers des
rideaux, il s’y précipitait. Alors, il s’immobilisait avec un sourire de béatitude
et commençait à passer sa main devant ses yeux en réalisant un mouvement
de va-et-vient vertical, rythmé à la seconde, jusqu’au déclenchement de la
convulsion. Si on le remettait dans le noir, il pleurait ou geignait. Dans la
lumière, les accès pouvaient être reproduits sans cesse, dès qu’il reprenait
conscience, jusqu’à sombrer parfois dans un coma prolongé ».

Il est intéressant de noter1 que M. Soulé a eu recours aux entretiens


familiaux pour dévoiler les manœuvres perverses compulsives d’enfants
présentant un mégacôlon fonctionnel. L’auteur insiste sur la nécessité de
révéler le mécanisme volontaire et conscient de lutte contre la défécation
utilisé par l’enfant. « Il faut » dit-il « que les parents entendent de l’enfant
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’il est d’accord avec les thérapeutes sur le mécanisme révélé afin
qu’ils n’attribuent plus la constipation et le mégacôlon à un défaut
physiologique dont l’enfant serait victime, mais à un mode actif de lutte
contre le réflexe normal ».
F. Tustin rejoint le point de vue des auteurs précédents en insistant
sur les tendances psychopathiques et perverses dans l’autisme, point
de départ de l’observation des sensations autogénérées2 : « Tout en
arrêtant le développement de la vie intellectuelle et affective, l’autisme
psychogénique a empêché celui du sens moral... Les enfants autistes se
sont sentis séparés psychologiquement de leur mère. Il en est résulté

1. Caillot J.-P., « Le faux et le renversement générationnel », Gruppo, 1992, 8, pp. 9-21.


2. Tustin F., Le trou noir de la psyché, Paris, Seuil, 1986.

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128 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

chez eux une tendance psychopathique ». L’auteur ajoute : « Tout ce que


J. Chasseguet-Smirgel (1983) dit de la perversion s’applique au compor-
tement inauthentique et tortueux qui caractérise l’autisme... souvent, on
ne prend pas garde aux tendances à la cruauté chez ces patients... il y a là
une part arriérée, endurcie de la personnalité. Elle est dangereuse parce
qu’elle s’accompagne souvent d’un charme incontestable ».
Dans la perversion, la faillite de l’autocontenance normale est com-
battue par l’emprise pathologique sur l’objet-sensation autogénéré sub-
stitutif de l’objet contenant, maternel ; cette emprise réalise une auto-
contenance pathologique ; elle est obtenue par des agirs compulsifs
qui s’exercent soit sur des choses (certains objets autistiques), soit sur
le corps propre (les manœuvres antiphysiologiques, par exemple). La
description que donne F. Tustin de l’objet autistique fournit le prototype
de l’obtention de l’objet-sensation substitutif : « Pour l’enfant », dit-elle,
« ce ne sont pas des objets comme nous les voyons. Il n’en retient
que les sensations qu’ils font naître. Comme il n’a pas à attendre pour
obtenir les sensations qu’il veut, l’enfant peut avoir l’impression que ces
objets font partie de son corps. Au moyen de ces sensations-objets, il se
sent complètement autosuffisant et n’a pas besoin d’autres personnes ;
ces enfants font pivoter ou tortillent des objets durs, par exemple une
petite voiture ; ils s’agrippent énergiquement à ces objets et on ne les
en séparera pas. Chez les enfants autistes, la manipulation d’objets
autistiques pathologiques les a empêchés de sucer les objets autosensuels
normaux comme le pouce, le poing ou les doigts... Au lieu de sucer, les
enfants autistes manipulent des parties cachées de leur corps.
Ces manipulations interdisent tout accès à la terreur du « non-moi »
peu familier ».

Voici un exemple de recherche frénétique de sensations substitutives chez


un adulte jeune, homosexuel, atteint du sida, qui décrit ses tragiques
préoccupations d’adolescent : « Adolescent, j’étais très angoissé par l’état
de ma peau. Je consultais de nombreux dermatologues pour des petits
boutons... pour un rien. Je n’arrêtais pas. Un professeur m’a même foutu à
la porte de son cabinet. Je me disais tout le temps : « Il faut que tu marches
devant ta peau, pense à passer devant ta peau » ! J’avais la sensation que
ma peau était devant moi. Mon problème, c’était d’avoir ma peau derrière
moi pour me sentir aller et venir. La peau devant, c’était me sentir enfermé !
puis il associe : quand j’étais dans un garçon, j’avais une sensation de froid,
mais si j’étais pénétré, c’était chaud. Le froid, c’est l’absence de sensualité,
le chaud, c’est l’inverse ». Il semble bien s’agir ici d’une quête extrêmement
angoissante d’un objet-sensation chaud et sécurisant du dos, d’un objet
contenant d’arrière-plan.

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L ES OBJETS 129

Cette vignette clinique corrobore les exemples littéraires cités par


D. Anzieu : Le jardin des supplices d’O. Mirbeau où un homme dépiauté
traîne sa peau derrière lui et le mythe de Marsyas1 qui défie Apollon
dans un concours de musique. Il est alors convenu que le gagnant pourra
choisir le traitement qu’il infligera au perdant. Dans un premier temps,
les deux concurrents sont à égalité. Apollon qui joue de la lyre propose
alors à Marsyas qui joue de la flûte à deux tuyaux, de se départager
en jouant avec l’instrument à l’envers. Apollon gagne évidemment. Il
suspend Marsyas à un pin et l’écorche.
Il nous semble judicieux d’inclure dans ce chapitre concernant les
objets-sensations hypernarcissiques autogénérés de nouveaux objets tels
que l’objet-excitation, l’objet-délire et l’objet-addiction.
Ces objets autogénérés ont une structure paradoxale que nous détaille-
rons pour chacun d’eux. La relation narcissique paradoxale à ces objets
à la fois répète les scénarios incestuels/meurtriels transgénérationnels et
défend le sujet contre les angoisses catastrophiques primitives claus-
trophobiques et agoraphobiques liées à l’union/confusion et la dés-
union/perte avec l’objet vivant individuel, familial ou groupal.
I. Maillard2 dans son historique de l’objet-sensation cite D. Meltzer
(1975) qui souligne les difficultés de communication avec l’enfant autiste
et met en lumière l’obstacle que représente pour le développement de la
pensée l’investissement de la répétition incessante de sensations toujours
identiques. Il constate dans le même temps qu’une extrême sensualité
envahit la relation avec les thérapeutes, au point de créer un type de
dépendance particulier « en se collant » (l’identité adhésive d’E. Bick).
D. Meltzer suppose un démantèlement de l’appareil perceptif en ses
composants sensuels et sensoriels qui rend impossible tout type de
relation émotionnelle.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

En 1981, F. Tustin3 avance l’hypothèse suivante : « Afin de rétablir


la situation primaire d’unicité débordante qui a été douloureusement
perturbée par une impression de rupture sensuelle d’avec la mère,
pourvoyeuse de sensations et vécue comme faisant partie de son corps,
l’enfant développe des réactions autosensuelles qui produisent un délire
de fusion avec la sensation-objet ».
Entretenir ou retrouver la sensation-objet mobilise dès lors toute
l’activité psychique.

1. Grimal P., Dictionnaire de la mythologie, Paris, PUF, 1969, p. 278B.


2. Maillard I., « L’objet-sensation », Groupal, 2002, 11, pp. 139-150.
3. Tustin F., Les états autistiques chez l’enfant, Paris, Seuil, 1981.

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130 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

À cette époque, F. Tustin s’inscrit dans la ligne des travaux de M.


Mahler ; elle pense qu’une période précoce nommée « autisme primaire
normal » durant laquelle « la mère est alors vécue comme sensation-
objet » domine le début de la vie. Les objets autistiques normaux sont
des sensations-objets normales qui constituent le noyau du soi. Aider
l’enfant passe par un apprentissage des différences élémentaires entre
des sensations telles que dur/mou, mouillé/sec, doux/rugueux ... Ces
distinctions tracent le chemin d’une élaboration future de la séparation
corporelle de la mère et de l’enfant. En dehors de cette élaboration,
l’enfant a le sentiment que lorsque la sensation née du contact avec la
mère cesse, une partie de lui a été amputée, arrachée, emportée ; il en est
anéanti.
Mais peu satisfaite de cette formulation, F. Tustin la remet en cause
à plusieurs reprises en raison du problème suivant : les enfants autistes
ont-ils régressé à un stade précoce du développement ou ont-ils mis en
place des mécanismes très pathologiques impliquant un accrochage aux
sensations ?
En mars 1984, D. Meltzer donne une conférence dans le cadre d’un
week-end organisé par le GERPEN1 . Il introduit un bouleversement dans
la théorie psychanalytique en situant « l’objet esthétique » comme la
première expérience développementale : c’est l’expérience explosive
de la beauté de l’objet définie par l’impact des qualités sensorielles de
surface de l’objet alors que son intérieur reste inaccessible. En mettant
l’accent sur l’impact émotionnel de la rencontre avec l’objet, D. Meltzer
donne une ampleur nouvelle aux théories de W.R. Bion.
L’interrogation « Est-ce aussi beau à l’intérieur » ? motiverait toute
l’investigation épistémophilique de l’enfant. Cette question porte sur
les qualités internes de l’objet et notamment sur l’intérieur du corps
maternel.
D. Meltzer2 y voit l’essence même de la position dépressive qu’il situe
comme première par rapport à la position schizo-paranoïde décrite par M.
Klein en 1966. Le thérapeute doit donc porter son attention sur les traces
des impacts d’objets esthétiques et sur les défenses contre ces impacts.

Nous avions été frappé par l’exclamation de Jacques lors de la visite d’une
exposition de peinture dans le cadre de notre groupe d’enfants de soins
intensifs. Ce garçon de 5 ans, psychotique, souvent sale et malodorant

1. Groupe d’Etudes et de Recherches Psychanalytique pour le Développement de


l’Enfant et du Nourrisson.
2. Melzer D. et al., Le monde de l’autisme, Paris, Payot, 1980, p. 1388.

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L ES OBJETS 131

donnait l’impression d’avoir un vocabulaire extrêmement pauvre fait de


quelques mots : cadeau, pas cadeau, ta gueule, merde... Il nous surprit
profondément : au mois de juin, ce matin là, nous avions décidé avec les
enfants d’aller visiter une abbaye romane où se tenait une exposition de
Fernand Léger.
Je serrais bien la main de Jacques car il était capable soudainement de se
sauver et de traverser la rue sans regarder. Nous entrons dans l’abbaye.
Une belle lumière tombait sur les grands tableaux de Léger. Immédiatement
Jacques s’écria : « C’est pas beau » !
J’étais alors stupéfait de son jugement esthétique que j’imputerai plus tard à
une attaque envieuse contre la beauté.

S’agissait-il d’une défense comme le dit D. Meltzer contre les traces


des impacts d’objets esthétiques ?
D’ailleurs, cela ne nous semble pas contradictoire avec l’attaque
envieuse contre la dépendance à la beauté et à l’admiration de la mère
primaire décrite par M. Klein.
Suivre le matériel de nature schizo-paranoïde, poursuit D. Meltzer,
constitue « presque une complicité secrète avec le patient pour res-
ter dans l’ignorance du phénomène dépressif ». En 1985, D. Anzieu
développe son idée du Moi-peau, enveloppe narcissique indispensable
à la différenciation entre Moi psychique et Moi corporel. Il repère le
fantasme originaire d’une peau commune à la mère et à l’enfant, qui
a pu se constituer à partir des contacts corporels transmettant parfois
une excitation, parfois une information. La séparation peut être vécue
comme un arrachage de cette peau commune. Il est nécessaire de rendre
l’excitation tolérable pour que les prémices d’une activité psychique se
mettent en place. D. Anzieu se tourne vers la question de la constitution
des enveloppes psychiques. Il constatera ensuite la similitude de ses
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

propositions avec celles d’E. Bick.


La même année, P. Aulagnier poursuit ses recherches. Son intérêt pour
les patients schizophrènes la conduit à s’interroger sur la qualité émotion-
nelle du vécu contre-transférentiel de l’analyste lorsqu’elle a le sentiment
d’être frappée d’un verdict de non-existence, alors que le patient a
brusquement été envahi par une sensation, une proprioception, au point
de n’être plus qu’une fonction percevante indissociablement liée au
perçu ; il est la sensation et conjointement le fragment du corps sensoriel
stimulé par le perçu. Pour l’auteur, nous assistons à une mise hors-circuit
de la représentation idéique et de la représentation fantasmatique au profit
de la représentation pictographique d’un objet-zone complémentaire. Ce
type d’expérience s’accompagne d’un éprouvé affectif particulier, celui
de la chute en abîme :

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132 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

« Imaginez quelqu’un qui tombe brusquement dans un précipice, et


qui ne tient que raccroché par une seule main à l’unique et fragile saillie
d’un rocher. Pendant ce temps, il ne sera plus que cette union paume de
la main-morceau de pierre », et il doit n’être que cela s’il veut survivre.
Tant que cette perception tactile persiste, il est assuré qu’il vit ».
En 1986, F. Tustin établit un lien entre les sensations-objets et le
sentiment d’exister ; le recours aux sensations-objets est conçu comme
un mécanisme de survie, destiné à lutter contre « le trou noir de la
psyché ». Les illusions liées aux objets autistiques auraient pour fonction
de bloquer les trous par lesquels le « Moi » risquerait de se déverser.
Le thérapeute qui envisagerait d’entrer en contact avec l’enfant autiste
au travers des formes ou des objets autistiques ferait une grande erreur ;
la terreur du petit patient serait amplifiée par une telle approche et aurait
pour conséquence d’augmenter le recours aux objets et aux formes
autistiques en rendant encore plus improbable la relation à autrui. Une
défaillance dans l’établissement de l’objet contenant serait à l’origine
de l’autisme. Dans la lignée de D. W. Winnicott, F. Tustin suggère que
l’illusion qui anime l’échange entre la mère et l’enfant est celle d’un flux
et d’un reflux rythmiques continus. La rupture du rythme serait vécue
comme une catastrophe violente.
La même année, D. Meltzer propose sa théorisation du « conflit
esthétique », reformulation de l’objet esthétique énoncé comme le conflit
psychique de base lié à la mise en œuvre des pulsions libidinales et
épistémophiliques envers la mère. Les organes des sens sont l’organe
de perception des qualités de l’objet libidinal. L’impact esthétique est
d’une violence telle qu’il suscite une tension insupportable s’il n’est pas
contenu dans une relation d’intimité émotionnelle avec la mère.

L’objet-excitation
C’est l’excitation perverse comme objet hypernarcissique commun
autogénéré dans le couple ou la famille ou bien encore dans le groupe.
L’exemple familial suivant met en évidence, à notre avis, une autosen-
sualité incestuelle familiale où l’objet autosensuel incestuel est commun
à tous les membres de la famille. Cet objet est l’excitation sexuelle
et meurtrière perverse. On voit en effet, combien une sexualisation
antœdipienne perverse est active dans cette famille et dans le transfert
familial.
Cet objet-excitation possède une structure paradoxale : il est à la
fois fascinant et effrayant, attirant et repoussant, à la fois facteur de
soudure et de rupture familiales, de survie et d’attaques violentes de la

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L ES OBJETS 133

croissance individuelle et familiale, d’hyperdépendance à l’objet vivant


et d’autarcie, pris entre le collage à l’objet vivant et l’affirmation de
l’auto-engendrement.
Dans la cure se développe un transfert paradoxal où s’affrontent les
tendances antagonistes suivantes : l’une, liante tend à l’hyperdépendance
à l’objet vivant et son corollaire est le collage à celui-ci, tandis que l’autre,
déliante tend vers l’autarcie vis-vis du même objet et son corollaire, ici,
est l’auto-engendrement.
Cet objet-excitation s’oppose à l’émergence des émotions, des figura-
tions et des pensées.
L’agrippement à celui-ci permet de lutter défensivement à la fois
contre les angoisses primitives agoraphobiques et clautrophobiques.
L’objet-excitation est à la fois bouée de sauvetage et air-bag.
Ainsi, cet objet paradoxal autogénéré par ses faces antagonistes favo-
rise la création d’un fantasme-non-fantasme de corps familial paradoxal
ou de corps groupal paradoxal transférentiel ni soudé ni démembré.
Voici un exemple familial1 :

Les parents consultent au CMPP lorsque Maximilien a 3 ans. C’est leur


deuxième enfant. Maximilien ne parle pas, bouge beaucoup, n’obéit pas, fait
de terribles colères au cours desquelles il lance rageusement tout ce qui
lui tombe sous la main, se cogne la tête violemment par terre ou contre les
murs, se mord ou mord les autres, s’expose aux coups des enfants agressifs.
Il est également encoprétique.
L’examen pédiatrique qui a précédé la consultation n’a pas révélé de surdité.
Signalons dans l’anamnèse que la mère s’est gravement déprimée pendant
la grossesse du fait d’une prescription d’alitement, de deux cerclages et d’un
isolement en province lié à des changements professionnels de son mari.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Enfin, Maximilien a présenté de nombreuses infections ORL et un eczéma


qui a beaucoup inquiété ses parents.
Nous concluons alors à un autisme secondaire à carapace, l’enveloppe
autistique étant une enveloppe d’agitation.
Nous posons l’indication d’une hospitalisation à temps partiel, de son entrée
dans un groupe de soins intensifs pour enfants, dont nous avons défini
le cadre à propos de Phénix ; cette prise en charge groupale de l’enfant
(7 demi-journées réparties en 5 jours) a été associée à une thérapie
familiale psychanalytique à raison d’une séance par semaine. Le traitement
a duré plusieurs années, de l’âge de 3 ans aux 16 ans de Maximilien ; il
a pu fréquenter l’école vers l’âge de 8 ans ; une thérapie psychanalytique
individuelle a été proposée vers l’âge de 12 ans devant ses améliorations de

1. Caillot J-P, « L’érotisation familiale », Gruppo, 1991, 7, pp. 41-48.

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134 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

comportement et de langage. Maximilien est entré ensuite dans un hôpital de


jour pour adolescents, se déplaçait seul avec beaucoup de plaisir en prenant
les transports en commun, était très satisfait de cette nouvelle situation.
L’importance des agirs des parents et des enfants, la pensée opératoire de
la mère, nous ont contraint à proposer rapidement un psychodrame familial
psychanalytique où nous insistions sur la règle du double interdit du toucher
(on ne se fait pas mal, on ne se touche pas) tant les relations incestuelles,
violentes et adhésives étaient importantes.
André, le fils aîné, alors âgé de 8 ans, dira : « Si on ne se touche plus, alors
c’est plus la vie » ! Il est déprimé.
Voici une séance de ce psychodrame familial qui a lieu après des vacances
d’été. Toute la famille est présente. Maximilien a 5 ans.
Maximilien : « Attends » ! dit-il en entrant. Rapidement il s’installe à la table,
prend un crayon et dit : « Rouge » !
La mère : « Oui, il a fait beaucoup de progrès de langage ».
Le père coupe la parole à sa femme : « Oui, il dit beaucoup de mots » !
J.-P. C. (avec humour) : « Notre absence a dû faciliter les choses » !
Le père : « Oui, d’autant que le premier mot a été papa » ! (rivalité envieuse
du père avec nous.)
La mère : « Il a commencé à parler sans mon mari, j’étais en vacances avec
les deux enfants. Il disait les prénoms des différents membres de la famille
et les mots usuels. Son père est arrivé, Maximilien a couru vers lui en disant
papa » !
André nous montre son dessin : c’est une anguille électrique ; si on lui touche
le dos, elle envoie de l’électricité.
Nous proposons alors un jeu à partir de cette idée : une anguille électrique.
Maximilien dit alors papa en nous désignant puis bébé en se désignant.
André ne souhaite pas jouer.
Nous convenons donc que Maximilien sera le bébé-anguille d’un père-
anguille joué par son père.
La mère et J.-P. C. seront des pères-anguilles.
A. Cukierman sera le meneur du jeu.
Le jeu :
Le bébé-anguille touche d’emblée son père-anguille, puis les autres pères-
anguilles.
Le père dit à son bébé-anguille ravi qu’il veut le manger (avant le jeu,
Maximilien a mordu André pendant qu’il dessinait) ; tous les deux sont
d’accord pour se toucher...
Les deux autres pères-anguilles disent qu’il est interdit de se toucher et de se
manger et ils ajoutent : « Ce père et son bébé sont comme deux bébés. On
dirait que se sont nos bébés, qu’on est leurs parents. Il faut punir ce père...
on va lui envoyer des secousses électriques...» Ils miment alors l’action de
coincer le père et de lui infliger des décharges électriques.

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L ES OBJETS 135

Le père du bébé-anguille ajoute : « Ça me laisse indifférent, ça me fait même


plaisir » !
Le post-jeu :
« À aucun moment les pères et le bébé-anguille ne se sont préoccupés de la
mère », remarque A. Cukierman.
Le père fait aussitôt part de son plaisir à transgresser l’interdit du toucher. Au
cours d’une précédente séance, il s’était décrit enfant dans un défi constant
à son père. Il fut énurétique jusqu’à l’âge de 15 ans, mais se pissait dessus
avec plaisir lorsque le matin il se réveillait sans avoir uriné dans son lit. Il
marquait ainsi la famille de son odeur. Au petit déjeuner son père l’appelait
« Général-qui-pue » ! Son « énurésie » cessa lorsqu’il eut ses premières
relations sexuelles avec une femme d’une quarantaine d’années.
Ce matin-là, il répondit à son père, qui le traitait comme à l’habitude de
« Général-qui-pue » : « Colonel-tu-me-fais-chier, je sors de la hiérarchie » !
Le père nous explique alors : « Il y a en moi deux personnes. Surtout, je
voudrais que Maximilien soit la perpétuation de moi, que je sois la mère ou
la mère et le père à la fois. Je l’aurais fait moi, tout. Vous comprenez, c’est
un problème de prolongement, de perpétuation. Je transgresse un interdit
de base : je suis à la fois père et mère. C’est compliqué, des fois je me
sens mère protectrice ou père interdicteur, des fois mère castratrice ou père
protecteur. À certains moments je m’en défends, je ne veux être que père, à
d’autres moments je fais ce que je veux et je me dis : « Ils m’emmerdent » !
Maximilien essaie de reprendre ses anciennes conduites transgressives :
jeter les crayons, déchirer les dessins, monter sur la table, renverser les
chaises, mordre son frère, toucher les uns et les autres. À un moment, il
obéira à la parole autoritaire de son père. Maximilien, au cours de cette
séance reste agité, même lorsqu’il paraît content.
Le père parle ensuite de son besoin de contact corporel avec Maximilien ;
« J’ai le cordon ombilical comme un yoyo », ajoute-t-il. Puis il nous prévient
que nous ne sommes pas au bout de nos peines.
J.-P. C. : « Auriez-vous peur du développement du langage de Maximilien,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’un éloignement corporel entre vous » ?


Le père : « Un éloignement serait comme une perte de Maximilien. Je suis
assuré (sourire) qu’il y a d’autres moyens d’établir ce lien avec lui. Même la
secousse électrique devient plaisante si elle est détournée de son but de
punition, même la douleur devient agréable ».
J.-P. C. : « Qu’en pensez-vous, Madame » ?
La mère : « C’est compliqué. J’ai fait le deuil, moi, de toucher Maximilien. Le
soir, par exemple, je lui lis une histoire puis je sors de sa chambre. Mon mari,
lui, fait un câlin, se couche avec lui jusqu’à ce qu’il s’endorme et des fois il
s’endort avec lui ».
Le père : « Avec André je n’ai pas ce problème de prolongement. Ce n’est
pas sexuel ce lien... »
À la fin de la séance, André nous montre son second dessin : un lion, blessé
par un chasseur, tue le chasseur.

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136 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Le père : « Je serais le chasseur ou le lion » ?


Maximilien renverse brutalement la chaise qui le cogne en tombant. Il hurle,
se frappe deux fois le front violemment sur la table. Nous le contenons
physiquement. Il se calme vite. Le père regarde Maximilien en souriant.
Debout, alors que nous disons au revoir, le père annonce qu’il ne pourra
peut-être pas être là à chaque séance, car il doit changer de travail. Il
envisage aussi de commencer une psychanalyse individuelle ...
J.-P. C. : « C’est le jeu de l’anguille qui va continuer » ?
Le père : « Peut-être bien » !
Les fantasmes d’auto-engendrement, les agirs et les fantasmes de couvade
sont énoncés très clairement par le père qui affirme avec jouissance sa
mégalomanie perverse et incestuelle.
Les dessins de Maximilien sont des balayages ou de nombreuses spirales
horaires.

À la séance suivante, le thème du jeu sera : un groupe d’hommes avec


son chef (joué par le père) se réunit « pour promouvoir la grossesse chez
l’homme, en inversant l’ordre du monde pour un siècle ou deux », dit le chef.
Cette fantaisie de grossesse chez l’homme trouve un écho dans la mytholo-
gie : un oracle prédit à Zeus que s’il avait une fille avec Métis, il engendrerait
ensuite un fils qui lui ravirait son pouvoir. Pour empêcher la réalisation de
cette funeste annonce, Zeus avala Métis qui était alors enceinte. Quand le
temps de la délivrance fut venu, Zeus demanda qu’on lui ouvrît le crâne.
C’est ainsi qu’Athéna vit le jour1 .
Différents agissements pervers nous sont racontés par le père : les repas à
la romaine le dimanche dans sa famille d’origine, où ils étaient tous allongés ;
le repas était suivi de vomissements volontaires puis reprenait. Les relations
incestueuses que le père avait eu avec sa propre mère lorsqu’il avait 17 ans,
étaient racontées sur un mode cynique. Il faut ajouter les très nombreuses
disqualifications réciproques entre le père et le grand-père paternel. Nous
les avons déjà décrites.
Maximilien apparaît comme le figurant prédestiné, à la fois obturateur et
dépotoir de l’incestualité familiale. Son père établissait avec lui, pour le moins,
des relations incestuelles homosexuelles et meurtrielles (« je lui ai mis une
bonne branlée pour le calmer » !) ; nous avons d’ailleurs hésité, à plusieurs
reprises, à faire un signalement devant certains propos de Maximilien, mais
avons renoncé car ceux-ci étaient contradictoires et auraient été irrecevables
pour le Procureur de la République. Cependant, ils étaient cliniquement
plutôt en faveur de l’inceste, car les allégations paradoxales de Maximilien
contenaient, à la fois, une affirmation et une négation.

1. Grimal P., Dictionnaire de la mythologie, Paris, PUF, 1969, pp. 57-58.

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L ES OBJETS 137

L’excitation de Maximilien (tantôt Maximilien mordait, crachait, griffait, tantôt


il se cognait le front contre le sol, déchirait ses vêtements et ses chaussures)
surgissait volontiers après les propos pervers du père comme s’il s’identifiait
à son père transgresseur, destructeur des limites et, à la fois demandait
secours, des limites protectrices et que cesse cette excitation ; au début du
traitement Maximilien touchait les seins, les jambes et les cuisses de sa mère
sans interventions interdictrices des parents.

Ces sensations autogénérées incestuelles ou meurtrielles sont des


objets hypernarcissiques puisqu’ils ne dépendent que du sujet et/ou de la
famille. Cette constatation nous paraît extrêmement importante car les
objets autogénérés hypernarcissiques attestent d’un déni de dépendance à
l’objet et d’un déni des différences des êtres et des générations comme on
peut l’observer dans l’auto-engendrement pathologique de cette famille.
En effet, le fantasme central de l’antœdipe n’est pas de prendre
la place des parents, mais de se mettre avant les parents et de les
rendre inutiles. Ce fantasme d’auto-engendrement n’a pas non plus
pour but de changer la scène primitive, mais vise bien à l’annuler. Ces
sensations autogénérées hypernarcissiques sont constitutives de relations
narcissiques paradoxales incestuelles et meurtrielles en tant qu’objet ; ces
relations, nous l’avons déjà dit, auraient donc les mêmes caractéristiques
dans le fond que les relations narcissiques paradoxales incestuelles et
meurtrielles.
L’autosensualité incestuelle naît de l’incestualité familiale et répète
l’autarcie de la famille antœdipienne pathologique, née d’elle-même.
Ainsi se dégage une lignée conceptuelle homogène faite de l’objet-
sensation autogénéré, de l’agrippement à celui-ci, source d’autoconte-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

nance pathologique, de renversement de la relation contenant/contenu ;


on pourrait d’ailleurs parler d’auto-engendrement sensuel à rapprocher
évidemment du fantasme-non-fantasme d’auto-engendrement.
L’exemple, que nous avons déjà rapporté de Pierre, le jumeau, décrit
par L. Kreisler dans son article « Déviances perverses originaires »
montre bien, nous semble-t-il, le lien existant entre l’auto-engendrement
maternel et l’auto-engendrement sensuel à partir des rythmies de balan-
cements et des halètements de l’enfant qui était lui-même la cible de
déviances perverses maternelles : des agissements faits d’omnipotence,
de séduction narcissique, d’emprise et d’abandon de la part de la mère.
Dans le cas de Maximilien, on retrouve l’association d’un auto-
engendrement paternel de l’enfant avec des sensations autogénérées de
ce dernier.

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138 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

Un autre exemple, issu d’une psychanalyse individuelle, illustre bien


ces phénomènes :

Ce patient, adulte jeune, éprouvait régulièrement et compulsivement « le


besoin de se faire un petit délire » ; alors, il s’isolait pour fumer du hachisch,
boire de la bière et se travestir en arborant un porte-jarretelles avec des bas
et des chaussures de femme à talons aiguilles.
Il évitait soigneusement que les bas sur ses jambes ne fissent des plis. C’est
pourquoi, après les avoir enfilés, il les humectait, les laissait sécher sur ses
jambes et obtenait ainsi une sensation visuelle satisfaisante : les jambes
étaient lisses.
Ce scénario pervers, à la fois narcissique et érogène, se produisait devant
un miroir avec des scènes de masturbations génitale et anale. Apparaissait
alors un manège rapide d’images successives d’allure hallucinatoire dans
lequel il était homme en haut, femme en bas, père en haut, mère en bas ;
il coïtait avec sa mère devant, son père derrière ... Le scénario se terminait
donc par la création de relations incestueuses sur un mode hallucinatoire.
Ce patient, dès son plus jeune âge, recevait de la part de sa mère et de sa
grand-mère paternelle leurs collants et leurs bas usagés, afin qu’il puisse
jouer et s’endormir avec, le soir, en guise d’objet transitionnel. Ce patient se
souvenait également de remarques de sa mère concernant leur femme de
ménage en train de laver à quatre pattes par terre : « T’as vu », disait-elle à
son fils, « ses bas sont tournés ». On ne peut évidemment s’empêcher de
penser à sa technique antiplis des bas portés au moment des scénarios.
Sa mère pouvait aussi lui demander avant de sortir ce qu’il pensait de sa
mini-jupe !

Nous retrouvons bien ici, pendant les scénarios pervers, à la fois


cette tendance protectrice par l’auto-engendrement, source d’autocon-
tenance pathologique et d’autarcie, de déni de dépendance infantile
à l’objet vivant et celle traumatique de la répétition incestuelle trans-
générationnelle (les fantasmes-non-fantasmes d’inceste homosexuel et
hétérosexuel).

L’objet-délire

C’est le délire comme objet hypernarcissique commun autogénéré par


la famille.
Cet objet-délire a lui aussi une structure paradoxale. Il est à la
fois espace individuel et familial, rassurant et persécuteur, salvateur et
effrayant, bouée de sauvetage et noyade, écran et révélateur de la folie
familiale incestuelle, obturateur et dépotoir de l’incestualité familiale,

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L ES OBJETS 139

obstacle à la dépendance à l’objet vivant et protection contre la chute


sans fin.
Comme avec l’objet-excitation nous pouvons constater que l’objet-
délire permet de lutter à la fois contre les angoisses primitives opposées
claustrophobiques et agoraphobiques en s’y agrippant : l’objet-délire,
en s’interposant entre le sujet délirant et l’objet vivant, protège le sujet
délirant contre les angoisses claustrophobiques ; à l’inverse, l’agrippe-
ment à l’objet-délire le protège de la chute abyssale, contre les angoisses
agoraphobiques. Il contient en même temps les scénarios traumatiques
incestuels et meurtriels transgénérationnels.
Désormais nous voyons plus clairement le rôle du délire pour la
famille : il cache et enfouit l’incestualité familiale. Si la famille souffre
d’angoisse primitive de mort, elle est néanmoins sauvée par le dépôt de
cette incestualité dans le patient délirant. Le délire se présente comme
un objet hypernarcissique commun autogénéré par la famille.
Voici un exemple :

Bernard est âgé d’une vingtaine d’années lorsqu’il consulte avec sa mère.
Son père est mort brutalement 8 ans auparavant. Bernard n’aurait pas
manifesté d’émotions au moment de sa mort, n’aurait pas pleuré. D’emblée,
il nous dit qu’il est en mission sur Terre, qu’il est venu en vaisseau spatial
depuis Vénus pour permettre le mariage entre frères et sœurs, entre cousins
et cousines ; sa mission est de promouvoir l’inceste. Son père n’est pas mort,
il habite sur Vénus avec sa femme et ses enfants. Bernard se dit âgé de 4362
ans. Il communique avec son père la nuit par téléphone. Les ordres qu’il reçoit
de Vénus l’obligent à ne participer à aucune tâche domestique ; il doit être
servi. Sa mère le décrit parfois très opposant ; elle est très surprise lorsque
Bernard lui dit qu’elle n’est pas sa mère : « Je suis qui alors » demande-t-elle
« Une mère porteuse » ?
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La mère de Bernard raconte les grandes difficultés qu’elle a rencontrées


à la naissance de son fils ; son mari est immédiatement entré dans un
état maniaque tel qu’elle a dû fuir avec son nouveau-né pendant plusieurs
mois ; elle avait redouté que son mari ne devienne violent, meurtrier. Au fil
des ans, le père de Bernard a présenté plusieurs épisodes maniaques et
mélancoliques avec des hospitalisations ; au cours de l’une de ses crises
maniaques, Bernard avait alors sept ans, son père l’obligea à apprendre par
cœur en verlan une fable de La Fontaine. Son père lui demanda aussi un
jour de lui mettre un suppositoire, ce qui choqua énormément Bernard.
Nous posâmes alors l’indication d’une thérapie familiale psychanalytique en
proposant d’y adjoindre des séances où nous pourrions jouer psychodrama-
tiquement.
Après un travail de plus de 15 ans, à raison d’une séance par semaine,
l’importance du déni de la mort du père par le fils et la mère a manifestement
diminué ; Bernard accepte beaucoup mieux l’autorité ; le délire s’estompe,

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140 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

mais réapparaît lorsqu’il est menacé d’abandon par sa mère dans certaines
situations conflictuelles ou bien lorsque sa mère le disqualifie.
Ainsi Bernard s’agrippe au délire comme à un objet lorsqu’il se sent aban-
donné et/ou dévalorisé ; l’objet-délire est alors une bouée de sauvetage
contre la détresse-noyade. Cet adhésivité, cet agrippement à l’objet-délire
réapparaît également lorsque Bernard se sent menacé d’obéir, ce qui
semble lui faire vivre des angoisses catastrophiques claustrophobiques et de
disqualification ; par exemple, Bernard refusa de se faire cuire de la viande
car il doit être servi par sa mère : « C’est ainsi sur Vénus » dit-il. Alors,
l’objet-délire s’interpose entre les autres et lui-même comme un bouclier.
Bernard exerce ainsi sa tyrannie.

Le délire comme objet a donc une valeur à la fois de répétition


traumatique incestuelle et meurtrielle et de défense contre les angoisses
catastrophiques d’union et de rupture ; l’objet-délire, en s’interposant
entre le sujet et l’objet, protège le sujet de la promiscuité incestuelle ;
l’agrippement au délire comme objet défend aussi le sujet contre l’aban-
don et l’humiliation. Il protège la famille contre l’incestualité.

Lorsque Bernard se sent « trop serré » dans la relation transférentielle par


les terriens (les deux analystes et sa mère) ou trop dépendant d’eux, il
s’accroche à son objet-délire. S’il se sent transférentiellement « trop lâché »,
il s’agrippe également à ce même objet. Dans son délire est inclus un groupe
d’amis constituant son armée céleste placée sous le commandement du
diable : l’investissement de ce groupe-armée céleste permet à Bernard de
lutter à la fois contre sa dépendance infantile à notre groupe de terriens insuf-
fisamment fiable et contre l’abandon et l’humiliation. Ce transfert paradoxal
est actuellement en train de se desserrer, devient clairement repérable et
interprétable.
Le concept de corps commun dans ses formes pathologiques nous aide
certainement à mieux comprendre les deuils pathologiques qui sont à relier
évidemment au deuil originaire non fait.
Cette notion de corps commun est souvent mise en image dans des
tableaux ayant pour thème Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant (Metterza).
Les personnages y sont intriqués et semblent n’en former qu’un1 .

L’objet-addiction

C’est l’addiction comme objet hypernarcissique commun autogénéré


par le couple, la famille.

1. Green A, Révélations de l’inachèvement – À propos du carton de Londres de Léonard


de Vinci, Paris, Flammarion, 1992.

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L ES OBJETS 141

La structure de cet objet est aussi paradoxale : l’objet-addiction est à la


fois excitant et apaisant, liant et déliant, adhésif et arrachant, séduisant et
transgressif, sexualisant et violent, salvateur et meurtriel et/ou incestuel.
La relation narcissique paradoxale d’objet-addiction répète les scènes
réelles incestuelles et meurtrielles transgénérationnelles et défend le
sujet contre les angoisses catastrophiques claustrophobiques et agorapho-
biques.
Cet objet appartient au registre incestueux comme les objets précé-
dents : l’objet-excitation et l’objet-délire.

Gérard et sa femme consulte pour des difficultés relationnelles et sexuelles


majeures avec violence, disqualifications réciproques et scènes réelles sado-
masochistes psychologiques et physiques. C’est dans le cadre d’une thérapie
psychanalytique de couple à raison de deux séances par mois que nous
recueillons ce matériel clinique : lorsque Gérard se retrouve ivre avec ses
amis, il se déshabille volontiers, s’exhibe nu en dansant sur la table... Il dit se
sentir bien ainsi ; il fait la fête, se lâche. « Il ne voit pas », dit sa femme, « le
malaise des autres induit par ce comportement ; il est tout seul au centre du
groupe sans nous ». Il peut même être très violent avec elle, si elle critique
sa conduite. Gérard nous fait alors part de ses fantasmes de partouze.
Les familles d’origine de chaque membre de ce couple peuvent être qualifiées
de meurtrielles et d’incestuelles : dans la famille de l’épouse des liens étroits
d’emprise existent entre le père et sa fille aînée, la mère et notre patiente,
fille cadette ; le deuil non fait de sa mère suicidée est à l’origine chez elle de
nombreux agirs tels que des vols irrépressibles dans les magasins. Dans la
famille du mari, il pouvait par exemple observer sa mère danser nue.
Nous lui demandons s’il ne chercherait pas dans ces moments d’excitation à
créer un corps commun groupal paradoxal (nous ne faisons qu’un, tout en se
sentant terriblement seul) pour se défendre contre ses angoisses d’abandon
liées au démembrement de sa famille, à la mort de son père et la psychose
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de sa mère. Nous lui demandons aussi s’il ne souhaiterait pas constituer


une famille paradoxale à la fois respectueuse des espaces de chacun et
incestueuse, sans limite transgressive ?

Voici un autre exemple issu d’une psychothérapie psychanalytique


individuelle. Cette patiente consulte pour dépression et addiction à
l’alcool et au tabac.

Nous la nommerons Fille-de-Loth en référence au texte biblique suivant1 :


« Loth quitta Tsoar pour la hauteur et se fixa sur la montagne avec ses deux
filles car il craignait de rester à Tsoar. Il habita dans une caverne, lui et ses

1. Bible, Genèse, 30-36.

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142 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

deux filles. L’aînée dit à la plus jeune : « Notre père est vieux et il n’y a point
d’homme dans la contrée pour venir vers nous, selon l’usage de tous les
pays. Viens, faisons boire du vin à notre père et couchons avec lui afin que
nous conservions la race de notre père ». Elles firent donc boire du vin à
leur père cette nuit-là et l’aînée alla coucher avec son père : il ne s’aperçut ni
quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Le lendemain, l’aînée dit à la plus
jeune : « Voici, j’ai couché la nuit dernière avec mon père ; faisons-lui boire
du vin encore cette nuit et va coucher avec lui afin que nous conservions la
race de notre père ». Elles firent boire du vin à leur père encore cette nuit là;
et la cadette alla coucher avec lui : il ne s’aperçut ni quand elle se coucha,
ni quand elle se leva. Les deux filles de Loth devinrent enceintes de leur
père ».
Dans ce récit, ni la femme ni les filles de Loth ne portent de noms personnels.
Jeune adulte, Fille-de-Loth, accompagne seule son père à l’enterrement
de sa grand-mère paternelle ; après les obsèques, elle et son père dînent
ensemble, boivent une bouteille d’un bon vin offerte par la patiente. Elle
proposera ensuite à son père de dormir avec lui...
Le comportement incestuel de séduction sexuelle et narcissique – la séduc-
tion sexuelle nous paraît être au service de la séduction narcissique – de
consolation et de transgression à l’égard de son père avec lequel existait
depuis la petite enfance une relation incestuelle, semble avoir pour but de ne
faire qu’un seul corps avec lui.

On retrouve ici l’idée de créer un corps commun incestueux excitant


et consolant, défensif contre le deuil, la perte et la différenciation mort-
vivant.
Ces objets autogénérés ne sont-ils pas avant tout à comprendre dans
leurs rapports au fantasme-non-fantasme de corps commun paradoxal ?
L’objet-excitation crée un corps commun groupal transférentiel para-
doxal à la fois uni et démembré.
L’objet-délire et l’objet-addiction produiraient le même phénomène :
un corps commun paradoxal ni réuni ni séparé.
Pour conclure ce chapitre sur les objets, soulignons l’intérêt de la
connaissance des conflits d’investissement concernant l’objet-individu,
l’objet-couple et l’objet-famille liés à la paradoxalité.
On observe fréquemment l’apparition d’importantes angoisses claus-
trophobiques ou agoraphobiques primitives qui créent un conflit d’in-
vestissement lorsque le couple ou la famille se constitue ; l’individu
anticouple peut, à cause de ses angoisses primitives, redouter le lien
de couple qui lui apparaît étouffant ou à l’inverse, lui font redouter un
abandon imaginaire futur.

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L ES OBJETS 143

Il en est de même pour le couple antifamille qui peut se sentir étouffé


par la famille et développer un rejet familial ou à l’opposé, craindre
d’être abandonné, par exemple, lors du départ des enfants de la famille
lorsqu’ils seront de jeunes adultes ; il peut aussi s’agir de couples pris
dans une tension intersubjective perverse (M. Hurni et G. Stoll) qui
négligent l’investissement de leurs enfants, de leur famille.
Le sur-investissement de la famille par le couple pourra avoir pour
conséquence un désinvestissement sexuel dans le couple des parents ; on
parlera alors de famille anticouple ; les angoisses de séparation catastro-
phiques en sont volontiers la cause. L’importance de ces angoisses prend
ses sources dans l’incestualité.

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Chapitre 7

LA FAMILLE ŒDIPIENNE
NORMALE ET LA FAMILLE
ANTŒDIPIENNE
PATHOLOGIQUE

ÉSORMAIS , la nosographie des pathologies mentales n’est plus


D uniquement individuelle ; elle est aussi familiale : Il y a lieu de
distinguer les fonctionnements familiaux du registre œdipien de ceux du
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

registre antœdipien.

L A FAMILLE ŒDIPIENNE NORMALE


Dans la famille œdipienne où le tabou de l’inceste et du meurtre opère
et les interdits symboliques de ces deux formants – véritables équivalents
du tabou de l’inceste et du meurtre construits selon le mode des équations
symboliques – s’exercent, la tendance à la différenciation trouve alors de
bonnes conditions de développement ; la résultante des Surmois paren-
taux est un Surmoi œdipien/post-œdipien. Cette différenciation donne
naissance à une aire commune fantasmatique familiale transitionnelle,
ambiguë, à la fois à chacun et à tous, intermédiaire et articulaire entre la

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146 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

famille interne de chacun des membres de la famille et la famille externe.


C’est l’espace intersubjectif familial. La communication y est fluide, la
spontanéité, l’humour et le jeu sont possibles, voire fréquents. Il existe
un processus familial de narcissisation mutuelle, de conarcissisation.
Dans cet espace imaginaire commun aux différents membres de la
famille, les idéaux et les interdits communs s’élaborent ainsi que des
représentations d’objet-famille, d’objet-couple et d’objet-individu. Il
en est ainsi dans les familles normalement névrotiques où il existe
une tendance prévalente à la différenciation des espaces psychiques
de l’individu, du couple, de la fratrie et de la famille ; peuvent alors
coexister d’une manière ambiguë les espaces différenciés intrapsychique,
interpsychique et transpsychique normal (en opposition au transpsy-
chique pathologique des familles antœdipiennes). Les conditions sont
rassemblées pour un fonctionnement névrotique avec, pour chaque
enfant, la possibilité de mettre en place un processus de refoulement
et d’autonomie qui permettra, le moment venu, de sortir du ventre de
la famille. Les fantasmes œdipiens, porteurs d’émotions, figurent des
représentations générationnelles qui sont dans l’ordre des choses, comme
nous l’avons déjà souligné. L’ambivalence et l’intrication pulsionnelle
de la position dépressive individuelle ou familiale est au devant de
la scène psychique ; le processus de deuil originaire est à l’œuvre.
L’engendrement est au centre de la constellation familiale œdipienne
qui cohabite avec l’auto-engendrement normal de l’antœdipe modéré ;
dans la triade œdipienne il y a une place pour chacun et trois places pour
trois ; l’individu, le couple et la famille coexistent sans inceste et sans
meurtre. L’autorité et la tendresse organisent la famille.
L’agressivité n’est pas source de violence ni de rupture. Elle est
assumée, parlée, voire élaborée. L’ambiguïté et l’ambivalence dominent
la scène psychique.

L A FAMILLE ANTŒDIPIENNE PATHOLOGIQUE


Introduisons ce thème par l’extraordinaire histoire d’une famille
mythologique antœdipienne pathologique, typique, celle de Gaia et
d’Ouranos.
Nous aurions également pu prendre pour exemples dans la littérature
les tragédies grecques ou shakespeariennes ou bien encore raciniennes.
Familles mythologiques ou littéraires, toutes sont traversées par le
meurtre et l’inceste.
Revenons à la famille de Gaia et Ouranos :

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LA FAMILLE ŒDIPIENNE NORMALE ET LA FAMILLE ANTŒDIPIENNE PATHOLOGIQUE 147

Gaia,1 déesse de la Terre, lasse de sa fécondité et des assauts de son


mari, Ouranos, le dieu du ciel, le seul suffisamment grand pour la couvrir,
demande à ses enfants de la protéger de son époux. Tous refusent sauf
Cronos. Elle l’arme alors d’une faucille et il coupe les testicules de son
père. « Une fois maître du monde », il épouse sa sœur Rhéa.
Un oracle ayant prédit à Cronos que l’un de ses enfants le détrônerait,
il avale tous ses nouveaux-nés. Rhéa, irritée de se voir privée de ses
enfants, accoucha secrètement de Zeus. Elle mit une pierre dans un
lange, que Cronos avala pensant qu’il s’agissait du dernier-né.
Plus tard, Zeus aidé, selon les traditions, soit par Gaia (sa grand-mère)
soit par Métis (son épouse) fit absorber une drogue à Cronos (son père)
qui le força à restituer tous les enfants qu’il avait avalés. Tous les enfants
firent la guerre à leur père.
L’histoire n’est pas finie.
Un oracle ayant prédit à Zeus que s’il avait une fille avec Métis, il
engendrerait ensuite un fils qui lui enlèverait son pouvoir, Zeus avala
alors Métis qui était enceinte. Lorsque le temps de la délivrance fut venu,
Zeus demanda qu’on lui ouvrît le crâne et c’est ainsi qu’Athéna vit le
jour et pu dire dans les Euménides d’Eschyle : « Je n’ai point de mère
qui m’ait enfantée ».
Dans la famille antœdipienne pathologique le tabou de l’inceste et du
meurtre n’opère pas ou peu et les interdits symboliques de ceux-ci ne
s’exercent que peu ou pas du tout. En l’absence d’autorité, le laxisme
ou/et l’autoritarisme, la violence psychique et physique vont dominer
la scène familiale ; la paradoxalité du Surmoi et de l’Idéal du Moi des
parents va favoriser l’épanouissement des relations d’objet narcissique
paradoxal incestuelles/meurtrielles et traumatiques et la tendance à
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’indifférenciation familiale trouve alors un terrain favorable à son déve-


loppement. La constitution d’un espace familial transitionnel est entravée.
Il n’y a d’espace psychique propre ni pour le couple parental ni pour
la fratrie ni pour l’individu ; les empiètements sont constants. L’espace
transsubjectif paradoxal pathologique est prévalent, les processus pervers
et/ou psychotiques d’engrènement et de participation confusionnelle
occupent cet espace. La tension transsubjective familiale perverse et/ou
psychotique y est fréquente. Les fantasmes-non-fantasmes prennent la
place du fantasme ; ils ont une place essentielle dans cet espace trans-
subjectif paradoxal dont les représentants principaux sont les fantasmes-
non-fantasmes d’autodésengendrement et d’auto-engendrement familial

1. Op. cit. p. 334a pour Ouranos et pp. 104b-105B pour Cronos.

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148 LE MEURTRIEL , L’ INCESTUEL ET LE TRAUMATIQUE

sources de la répétition transgénérationnelle. L’engendrement et la scène


primitive sont évincés.La désintrication pulsionnelle y est maximale. La
communication familiale n’est pas fluide : la spontanéité est altérée,
l’humour et le jeu inexistants ; tantôt règne un silence pesant, « en
chappe de plomb », assourdissant, tantôt la communication est abondante
avec de nombreux empiétements : on se coupe la parole. L’ensemble
peut devenir inaudible. Le pillage narcissique est à l’œuvre selon le
principe des vases communicants ; les objets abusés narcissiquement
sont individuels, conjugaux et familiaux.
En l’absence de cadre familial adéquat et d’autorité, le refoulement est
empêché ; l’adhésivité paradoxale et la projectivité dominent ; les proces-
sus de symbolisation sont entravés et l’espace familial est saturé d’agisse-
ments pervers et/ou psychotiques. L’excitation incestueuse et meurtrière
est importante et constante, volontiers expansive. L’ordre des générations
est pathologiquement modifié, personne n’est à sa place : il existe divers
renversements générationnels où l’un des parents ou les deux parents sont
dans une place d’enfant ; fait majeur, les enfants précèdent les parents :
ce fantasme-non-fantasme de renversement générationnel est le produit
des fantasmes-non-fantasmes narcissiques d’autodésengendrement et
d’auto-engendrement. Il n’existe qu’une place pour deux, que deux
places pour trois dans cet espace incestuel car la rivalité y est agie et
réelle ; les empiétements sont constants. Les sentiments d’impasse et
d’impuissance, d’abandon, de persécution, de culpabilité et surtout de
honte occupent une surface très importante dans cet univers incestuel et
meurtriel. Les fantasmes-non-fantasmes d’hyperdépendance infantile et
d’autarcie sont constants. Le fantasme-non-fantasme d’usurpation y est
fréquent.
La famille antœdipienne occupe une position narcissique paradoxale
pathologique. Sur le plan manifeste, une telle indifférenciation engendre
un comportement familial particulier.

Il en est ainsi pour cette famille de six personnes, constituée des deux parents
et de quatre enfants, deux garçons et deux filles. Leur logement est situé
au-dessus de leur commerce et il comprend trois chambres à coucher. Les
lits à deux places sont occupés indifféremment par les membres de la famille
selon leur ordre d’arrivée dans l’appartement le soir, en commençant par
les chambres les plus éloignées de l’entrée. Ainsi, l’adolescente qui est à
l’origine de la consultation, peut-elle dormir avec l’un de ses frères ou sa
sœur ou sa mère ou encore son père.

On l’aura compris nous opposons les caractéristiques de la famille


œdipienne à celles de la famille antœdipienne pathologique.

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CONCLUSION

à souligner l’importance des bouleverse-


N OUS AVONS CHERCHÉ
ments apportés par la création nouvelle de cadres psychanaly-
tiques collectifs et la découverte récente de l’existence, « au ciel de
la psyché », de deux lignées psychiques, la lignée œdipienne et la lignée
antœdipienne, tantôt complémentaires et créatrices de transitionnalité,
tantôt opposées, sources de productions paradoxales qui empêchent la
figuration des fantasmes originaires et œdipiens.
L’extension théorique et pratique actuelle de la psychanalyse, que nous
décrivons dans cet ouvrage, annonce le développement d’un nouveau
mouvement psychanalytique qui prend en compte, bien évidemment
l’individu, mais aussi le couple, la famille, le groupe, l’institution et la
société.
N’en doutons pas, cette révolutionnaire et prometteuse extension de
la psychanalyse contribue et contribuera à modifier notre travail de soin,
de psychanalyse et de recherche.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Dans ce livre, nous avons aussi voulu définir et hiérarchiser de grands


repères psychanalytiques, approfondir les rapports d’Œdipe avec Antœ-
dipe, notamment en précisant la sémiologie du fantasme, la structure du
Surmoi paradoxal et l’importance de la place des fantasmes narcissiques
d’autodésengendrement et d’auto-engendrement dans le développement
normal et pathologique de l’individu et de la famille.
Il faut y ajouter notre définition et caractérisation des différents
espaces de la subjectivité et celles, en particulier, de la troisième topique
et son dérivé pathologique, la topique paradoxale transsubjective.
Nous avons aussi précisé le contour de nouveaux objets collectifs.
Nous avons cherché à rendre plus lisible la très intéressante relation
d’agrippement à l’objet hypernarcissique paradoxal autogénéré. Nous
avons montré qu’il est en même temps défense paradoxale et répétition

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150 C ONCLUSION

traumatique : défense paradoxale contre à la fois la vertigineuse chute


sans fin en l’absence de l’objet et l’étouffement dans le rapproché avec
celui-ci ; répétition traumatique en tant que nouvelle édition des trauma-
tismes incestuels et meurtriels transgénérationnels. Défense paradoxale
et répétition traumatique sont en rapport direct avec l’auto-engendrement,
source à la fois d’autocontenance défensive et de reproduction du même
traumatique transgénérationnel.
Dans notre futur et prochain ouvrage, qui correspond à la seconde
année d’enseignement théorico-clinique de psychanalyse groupale et
familiale du Collège, nous développerons les positions psychiques
individuelles, familiales et groupales, notamment la position narcissique
paradoxale normale et pathologique, les phénomènes envieux et sacri-
ficiels dans la perversion et la psychose ; nous exposerons également
le concept de deuil paradoxal. Nous approfondirons le travail clinique
avec les manœuvres perverses et les identifications projectives, prélude
à la transformation des agirs incestuels et/ou meurtriels en fantasmes
antœdipiens transitionnels qui annoncent le déclin de la mégaloma-
nie « furieuse » et l’avènement des fantasmes originaires.
Nous décrirons la mise en place et le maintien des différents cadres
collectifs, les indications et les contre-indications de la psychanalyse
individuelle et de la psychanalyse collective ; nous terminerons enfin
par l’étude des transferts qui se déploient dans ces différentes situations
psychanalytiques.

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BIBLIOGRAPHIE
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111, dans Vocabulaire de psychanalyse.
C AILLOT J.-P., C AREL A., C HÉNÉ
groupale et familiale, Tome 1, Paris,
A., D EFONTAINE B., D EFONTAINE
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avec Groupe, Marseille, Hommes et chodrames », Groupal, 8, pp. 25-43.
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B IBLIOGRAPHIE DE L’ AUTEUR 159

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organisateurs psychiques du groupe de
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Didier Anzieu à la lumière du rapport
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cissique paradoxale », Groupal, 15, pp.
181-197.

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REVUES CITÉES

Bulletin de Psychologie
Bulletin de Psychologie 363 : Théorie psychanalytique des groupes.
Devenir, publiée par les Editions Eshel et les Editions Médecine et
Hygiène.
Devenir 1-4 : Rythmie de sommeil.
Dialogue, publiée par l’association française des centres de consultation
conjugale.
Dialogue 78 : Violence et Famille.
Gruppo, publiée par les Editions Apsygée
Gruppo 1 : Psychanalyse familiale.
Gruppo 2 : Folie et secret en famille.
Gruppo 3 : Perversité dans les familles.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Gruppo 4 : Le corps familial.


Gruppo 5 : Le transfert familial.
Gruppo 6 : Techniques d’aujourd’hui.
Gruppo 7 : Le familial et le sexué.
Gruppo 8 : Secrets de famille et pensée perverse.
Gruppo 9 : Travail de soin et attaques des soins.
Gruppo 10 : Les fixations précoces et leur devenir.
Groupal, publiée par les Editions du Collège de Psychanalyse Groupale
et Familiale.
Groupal 1 : Deuils dans la famille.
Groupal 2 : Folie et secrets en famille.

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162 R EVUES CITÉES

Groupal 3 : L’incestuel.
Groupal 4 : Paul-Claude Racamier. Hommage.
Groupal 5 : Rupture et séparation familiales.
Groupal 6 : Le bébé et sa famille.
Groupal 7 : Anorexie et Boulimie.
Groupal 8 : Les psychodrames psychanalytiques.
Groupal 9 : Maltraitance familiale et maltraitance institutionnelle.
Groupal 10 : Le processus d’autorité.
Groupal 11 : Le générationnel et le familial.
Groupal 12 : Les perversions 1.
Groupal 13 : Les perversions 2.
Groupal 14 : Le couple et l’incestualité.
Groupal 15 : Périnatalité psychique et renaissance du familial.
Groupal 16 : La groupalité. Œdipe et Antœdipe.
Groupal 17 : Le ludique et le familial.
Groupal 18 : La folie familiale.
Journal de la Psychanalyse de l’Enfant, publié par les Éditions Bayard
25 : La séduction.
Nouvelle Revue de Psychanalyse, publiée par les Editions Gallimard.
2 : Objets du fétichisme.
8 : Pouvoirs.
10 : Aux limites de l’analysable.
12 : La psyché.
21 : La passion.
24 : L’emprise.
25 : Le trouble de penser.
Psychologie Clinique et Projective, publiée par les Éditions Dunod
Revues.
1 : Violences.
Revue Française de Psychanalyse, publiée par les Editions des Presses
Universitaires de France.
1972, 1. : Tome XXXVI, janvier.
1982, 2 : Le travail du psychanalyste. De la technique à l’éthique
psychanalytique.

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R EVUES CITÉES 163

1983, 1 : La perversion.
1984, 6 : Variations du cadre.
1985, 3 : Le statut de la représentation dans la théorie psychanalytique
en 1984.
1986, 5 : Psychoses.
2003, 3 : La perversion narcissique.
Revue Française de Psychosomatique, publiée par les Éditions des
Presses Universitaires de France.
1993, 4 : Les procédés autocalmants.
Perspectives Psychiatriques
2012, 3 : Hommage à Paul-Claude Racamier.

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LISTE DES OBSERVATIONS


CLINIQUES

Observation n°1. Phénix à 5 ans : les fantasmes d’autodésengen-


drement et d’auto-engendrement. p. 3
Observation n°2. La consultation familiale – une déconstruction
du jeu de l’enfant : « C’est pas des bonbons ». p. 26
Observation n°3. Elle n’est pas la mère de sa fille, c’est son mari
l’unique auteur de cet enfant. p. 29
Observation n°4. Dans un groupe de psychanalyse, elle rêve qu’elle
donne la tétée à l’un des participants. « Je suis la mère du groupe ». p. 30
Observation n°5. Péro rêve qu’elle est enceinte d’un fœtus qui est
son père. p. 30
Observation n°6. Il rêve de meurtre et de viol. L’érection n’est
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

possible que si l’on est certain de ne pas être abandonné. p. 33


Observation n°7. En accord avec la mère, un père sort incestuelle-
ment avec sa fille. p. 34
Observation n°8. Des communications téléphoniques incestuelles. p. 34
Observation n°9. Gethsémanie, un patient qui sentait fort
(D. Anzieu). p. 35
Observation n°10. Il redoute de tuer sa femme et leur fille puis de
se suicider. p. 37
Observation n°11. « Deux fois, j’ai pensé à tuer mon père ». p. 37
Observation n°12. Les comportements violents de forçage. p. 39
Observation n°13. Le silence des agneaux. p. 40

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166 L ISTE DES OBSERVATIONS CLINIQUES

Observation n°14. L’abandon est un meurtre. p. 40


Observation n°15. Erronée ou la disqualification meurtrière.
(D. Anzieu). p. 40
Observation n°16. « Nique ta mère ». p. 45
Observation n°17. « Avant l’heure, c’est pas l’heure, après l’heure,
c’est plus l’heure ». p. 49
Observation n°18. Monstrueux dévouement maternel (P.-
C. Racamier). p. 49
Observation n°19. « C’est pas des bonbons ». p. 55
Observation n°20. Les inavouables fantasmes de fellation des
soignants. p. 55
Observation n°21. « Ma mère retourne dans le ventre de ma grand-
mère qui retourne dans le ventre de mon arrière-grand-mère... » p. 56
Observation n°22. Deux mantes religieuses s’entre-dévorent. p. 57
Observation n°23. « Je savais que j’étais sa fille et sa femme, je
découvre que j’étais aussi sa mère ». p. 59
Observation n°24. « J’étais en train de penser que vous étiez mon
bébé ». p. 60
Observation n°25. Asthme grave, incestualité et échec de la pro-
tection de l’enfant. p. 62
Observation n°26. « Je vais découper des femmes en morceaux ». p. 63
Observation n°27. Dans le cadre d’un psychodrame un jeune
patient propose : « Je vais voir ma mère à l’hôpital. Je la pelote,
je lui caresse les seins ». p. 63
Observation n° 28. Le temps paradoxal. p. 65
Observation n°29. Il rêve que sa mère assassine ses trois sœurs. p. 66
Observation n°30. Katharina, patiente de S. Freud. p. 71
Observation n°31. Rêve de Mère chérie et personnages à becs
d’oiseaux (S. Freud). p. 73
Observation n°32. Le rêve Hollthurn (S. Freud). p. 74
Observation n°33. Le petit Hans (S. Freud). p. 74
Observation n°34. Le rêve du séjour utérin (S. Freud). p. 74
Observation n°35. Un deuil traumatique. p. 89

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L ISTE DES OBSERVATIONS CLINIQUES 167

Observation n°36. Une patiente anorectique jette par la fenêtre des


sacs remplis de ses vomissures. p. 90
Observation n°37. Un conflit d’origine perverse dans une équipe
soignante. p. 90
Observation n°38. Le pot de miel de la discorde. p. 91
Observation n°39. L’histoire des deux cravates. p. 93
Observation n°40. Un agissant prédestiné. p. 94
Observation n°41. Cette femme est très belle, très séduisante. p. 95
Observation n°42. « Elle sera violée quand elle aura 13 ans ». p. 98
Observation n°43. « Je ne veux pas qu’il aille en prison ». p. 98
Observation n°44. Un cas clinique d’anorexie. p. 99
Observation n°45. Une rétention volontaire d’urine. p. 99
Observation n°46. « Tu sais, ton père est un homme ». p. 100
Observation n°47. Morts et vivants sont confondus. p. 102
Observation n°48. Séance de thérapie familiale psychanalytique –
les grosses têtes à petits bras. p. 110
Observation n°49. Un impossible choix d’objets. p. 115
Observation n°50. Rêve de la prise de mesures chez le tailleur. p. 116
Observation n°51. Un cas de mérycisme. p. 118
Observation n°52. Un autre cas de mérycisme. p. 118
Observation n°53. Rythmies de balancement et agirs d’auto-
engendrement d’une mère incestueuse. p. 122
Observation n° 54 p. 124
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Observation n°55. Un cas d’épilepsie photogénique par autostimu-


lation lumineuse. (L. Kreisler). p. 126
Observation n°56. Une quête frénétique de l’objet. p. 127
Observation n°57. « Il faut que tu marches devant ta peau ». p. 128
Observation n°58. C’est pas beau p. 130
Observation n°59. Un enfant autiste dans une famille agrippée à
l’excitation. p. 133
Observation n°60. Promouvoir la grossesse chez l’homme en
inversant l’ordre du monde pour un siècle ou deux. p. 136
Observation n°61. Se faire un petit délire. p. 138

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168 L ISTE DES OBSERVATIONS CLINIQUES

Observation n°62. « Ma mission sur Terre est de promouvoir


l’inceste ». p. 139
Observation n°63. Un corps commun paradoxal anti-deuil. p. 140
Observation n°64. Des fantasmes-non-fantasmes de partouze. p. 141
Observation n°65. Fille-de-Loth offre du vin à son père. p. 141
Observation n°66. Les lits à deux places occupés indifféremment
par les membres de la famille, selon l’ordre d’arrivée dans l’appar-
tement. p. 148

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LISTE DES RÉCITS


MYTHOLOGIQUES
ET DES CITATIONS
LITTÉRAIRES

Phénix p. 3
Les Euménides d’Eschyle p. 27
Péro ou l’allégorie de la Charité Romaine p. 30
Les enfants exposés p. 40
Les Lémures p. 104
Arès et Aéropé p. 104
Le jardin des supplices d’Octave Mirbeau p. 129
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le mythe de Marsyas p. 129


Zeus donne naissance à Athéna p. 136
Zeus est enceint p. 136
Loth et ses filles p. 141
Cronos épouse sa sœur p. 147
La famille mythologique antœdipienne pathologique d’Ouranos
et de Gaia p. 147

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INDEX DES CONCEPTS

A auto-engendrement 2, 3, 5, 21, 22, 27,


29, 30, 53, 56, 60, 61, 65, 67, 68,
abus narcissique 44, 57 70, 84, 123, 133
actepouvoir 13–15
du couple 84
agirpouvoir 13, 14
familial 30
ambiguïté 21, 23–26, 44, 53, 65, 83, 114
groupal 84
ambivalence 24, 25, 31, 146
normal 25, 146, 149
analysabilité 1
pathologique 28, 29, 98, 137, 149
angoisse
réciproque 27, 28
agoraphobique primitive 2, 34, 56,
114, 116, 123, 129, 133, 139, 142 autocontenance
catastrophique 112, 114, 140, 141 normale 128
catastrophique de séparation et pathologique 5, 56, 124, 128, 137,
d’union 89, 93, 143 138
claustrophobique primitive 2, 114, autodésengendrement 2, 3, 5, 21, 27, 29,
115, 123, 129, 139, 142 53, 56, 58, 60, 61, 67, 123, 147,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

antifantasme 61, 64, 85 148


antinarcissisme 16 normal 149
antioriginaire 77, 78 pathologique 28, 149
antœdipe autoritarisme 14, 17, 147
pathologique 29, 65 autorité 14, 15, 17, 45, 46, 81, 113, 139,
antœdipe 146–148
normal 2, 22, 27, 48, 53, 67 autosensualité
pathologique 2, 3, 22, 23, 28, 31, 34, normale 55, 116
48, 51, 53, 58, 64, 67, 73, 85 pathologique 55, 118, 124, 125
appareil psychique
du couple 14
B
familial 80
groupal 79, 80 bigénérie 26, 27, 47, 52
auto-agrippement 5 bisexualité psychique 27

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172 I NDEX DES CONCEPTS

C E
cadre collectif 2, 3, 149, 150 élément bêta 53, 54
clivage 77, 87–89, 94, 96 emprise
communauté défensive 89 paradoxale 88, 89, 93
conarcissisation 44, 146 pathologique 32, 34, 128
corps commun 16, 36, 47, 83, 84, 104, emprise sado-masochique 88
109, 113, 140, 142 enfant de remplacement 88, 89, 98
ambigu 44 engendrement 1, 26, 28, 29, 53, 65, 68,
du couple 16, 83 70, 84, 146, 148
engrènement 86–88, 92, 93, 95, 147
groupal 12, 141, 142
envie 31, 38, 48, 78, 88
paradoxal 36, 44, 59, 92, 105, 141,
142 équation symbolique 22, 36, 53, 68, 145
équivalent
corps imaginaire 12, 109
d’inceste 22, 34, 37, 39
de meurtre 34, 36, 37, 39
D de tabou de l’inceste et du meurtre
45
d’auto-engendrement familial 66, 84, du tabou de l’inceste et du meurtre
147 145
défantasmatisation 26, 55 érotisation des défenses 89, 91
défaut de mentalisation 121 espace
défense intersubjectif 79–82, 85
paradoxale transsubjective 92, 93, transitionnel 82, 92
105 transsubjectif normal 45, 73
primitive hypernarcissique 87, 93, transsubjectif pathologique 86, 87
94 espace transsubjectif 82–85
dégroupement 116 excitation
délégation de défense 89 meurtrière 22, 125
déni 88, 89, 91, 94, 137, 139 sexuelle incestueuse 22, 125
d’engendrement 27, 29 extase 125
de la dépendance infantile 123, 138
des origines 27, 28 F
du fantasme de la scène primitive 27
famille
deuil
antœdipienne 137, 145–148
originaire 33, 46, 47, 60, 92, 140,
fratrie égalitaire 84
146
interne 79, 146
pathologique 140
œdipienne 145, 148
deux places pour trois 73, 148
fantasmatisation 64
différenciation fantasme 1, 3, 5, 12, 16, 18, 22, 26, 27,
des êtres 26, 81 44, 51, 70, 71, 108, 110, 113, 147,
des générations 29, 76, 113 149
des morts et des vivants 142 antœdipien 51–53, 61, 64, 66, 67, 78
des sexes 29 œdipien 2, 23, 51, 52, 64

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I NDEX DES CONCEPTS 173

originaire 52, 67, 68, 70, 74, 76–78, incorporation 12


80, 82, 110, 131, 150 indécidabilité 23, 24, 58, 64
fantasme-non-fantasme antœdipien 22, indifférenciation 8, 10, 11, 47, 48, 57,
52, 53, 56, 62, 64, 67 70, 76, 79, 83, 92
fantasme transitionnel 2, 3, 22, 67 corporelle 10
fantasmes familiale 147
antœdipiens 53, 66 psychique 10
fantasmes-non-fantasmes antœdipiens injection projective 39, 86–88, 90, 94,
68 96, 98, 102
fasntasme interdit symbolique de l’inceste et du
originaire 149 meurtre 45, 48, 81
formation de masse 8, 9, 11 interfantasmatisation 3, 81, 82
interpsychique 104
G intrapsychique 25, 104
irreprésentabilité 22, 23, 58, 59, 64, 88,
gémellité 84 96
groupe
externe 79, 80
interne 79, 80 J
intersubjectif 80, 81 jouissance 14, 57, 63, 88, 124, 125, 136

H
K
hétérocontenance 100, 117
Kinship 11, 83, 109, 110
hétérocontenance normale 56
hypnose 9, 11, 16, 83
L
I laxisme 14, 17, 147
idéal du Moi lien groupal 11, 12, 15
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

paradoxal 49
parental 147 M
identification
narcissique adhésive 10, 83 manœuvre narcissique perverse 93
narcissique projective 83 manœuvre narcissique perverse 87
projective pathologique 39 masse 8–10, 16–18, 82, 83, 109
identité commune 12 mégalomanie 5, 22, 23, 28–30, 65, 67,
illusion duelle et gémellaire 84 68, 78, 88, 118, 123, 150
inceste 3, 11, 21, 22, 31, 32, 45, 48, 66, mentalisation 67, 68, 77, 121
67, 81, 99, 123, 136, 138, 139, meurtre 3, 31–33, 37, 45, 48, 67, 101,
145, 146 145, 146
incestualité 3, 21, 22, 27, 34, 37, 45, 46, meurtriel 3, 26, 27, 34, 37, 39, 40, 61, 67
48, 49, 54, 67, 89, 91, 93, 100, mise en commun 14, 80, 81
104, 136–140, 143 mise en mots 36
incestuel 3, 22, 34, 36, 37, 48, 61, 67 Moi-peau 48, 131

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174 I NDEX DES CONCEPTS

N peau 47, 55, 56, 83, 84, 117, 128, 129,


131
narcissisation réciproque ou mutuelle
perversion
44, 146
érogène 138
non-opposabilité 23, 24, 64, 96
narcissique 3, 13, 124, 138
sexuelle 124
O position dépressive 31, 47, 69, 78, 130,
objet 146
ambigu 2, 23, 24, 68 position narcissique
autogénéré 2, 129, 137, 142 normale 2
collectif 2, 84, 107, 110, 116, 149 paradoxale normale 150
contenant 9, 56, 117, 128, 132 paradoxale pathologique 102, 148,
150
paradoxal 2, 22, 54, 58, 73, 93, 96,
98, 101, 102, 116, 124, 133 pathologique 2
partiel 78 schizo-paranoïde 44, 47
transgénérationnel 96, 102 principe de répétition 2, 68, 98
transitionnel 22, 24, 116, 117, 138 processus psychanalytique 1, 11
traumatique 96, 101, 104 psychologie
objet-addiction 129, 140–142 de groupe 7, 8, 10
objet-couple 53, 76, 113, 142, 146 individuelle 7, 10
objet-délire 129, 138–142 sociale 7
objet-excitation 129, 132, 133, 139, 141, pulsion sociale 17, 18
142
objet-famille 19, 53, 76, 110, 112–114, R
116, 142, 146
objet-groupe 9, 18, 81, 107, 108, 110, réaction automatique 8, 9
113 recherche frénétique d’un objet 9
objet-non-objet 58 regroupement 116
objet-sensation 36, 56, 117, 124, relation
127–129, 137 d’objet narcissique 9–11, 44, 73, 93,
objet-sensation autogénéré 55, 117, 118, 104, 147
120, 123, 124, 128 de pouvoir 11–13, 15, 16
œdipe normal 2 répétition transgénérationnelle 138, 148
opérateur de défense 91, 94 résonance fantasmatique 81
originaire 10, 11, 35, 36, 66, 83, 84, 137 reste-de-masse 10, 11
rythmie 122, 126, 137
P
S
paradoxalité 1–3, 21, 23, 25, 26, 36, 53,
58, 64, 76, 79, 89, 93, 142, 147 sacrifice 88
fermée 23, 25, 58, 64 scène
ouverte 23, 25, 68 originaire 66, 69, 70, 76
paradoxe 1, 23, 25, 47, 98 primitive 27–29, 52, 53, 69, 71, 73,
parents combinés 113 76–78, 113, 114, 137, 148

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I NDEX DES CONCEPTS 175

scindage 89–91 transitionnalisation 66–68


secret de famille pathologique 15 transitionnalité 1, 2, 23, 25, 44, 53, 65,
sensation voluptueuse 8 97, 149
sur-défense 87, 89, 92–94 transpsychique 2, 62, 64, 79, 82, 104,
surantimoi 48, 49 146
Surmoi transsubjectivité pathologique 14, 17,
paradoxal 48, 49, 149 104
parental 14, 145 traumatisme psychique 3, 30, 40, 56, 99
trois places pour trois 146
troisième topique 2, 26, 79, 81, 85, 86
T
tabou 45, 46, 48, 73, 145, 147
U
tension
intersubjective perverse 95, 143 une place pour deux 73, 148
transsubjective du couple et de la usurpation 148
famille 111, 147
topique
interactive 79, 85–87, 92, 104
V
paradoxale transsubjective 92, 104, vases communicants 16, 44, 148
149 verrouillage 89, 91, 93, 94
transagir 62, 86, 87, 92, 94, 95 violence 14, 17, 31, 32, 37, 39, 48, 49,
transcorporel 86, 87, 100 61, 69, 74, 75, 77, 97, 132, 141,
transfert paradoxal 35, 40, 133, 140 146, 147

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INDEX DES NOMS PROPRES


CITÉS

A Devereux G. 31
Dingli A. 122
Anzieu D. 1, 11, 35, 47, 48, 73, 80, 84,
93, 109, 129, 131
Aulagnier P. 131 E
Eschyle 27
B
Balier C. 61 F
Berger M. 35 Fain M. 91, 117, 118
Bick E. 2, 9, 117, 129 Foulkes S. H. 109
Bion W. R. 48, 53, 108, 114, 130 Freud S. 7, 9, 11, 12, 15, 17, 31, 69,
Bonnet B. 125 71–73, 75, 79, 83, 85, 96, 108,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

113

C
G
Caillot J.-P. 25, 53, 84
Girard R. 46
Carel A. 92, 105
Green A. 153
Chasseguet-Smirgel J. 128
Grunberger B. 153
Chéné A. 157
Guyotat J. 97
Cukierman A. 134, 135

H
D
Haag G. 151, 153
Decobert S. 99, 113, 125 Haag M. 153
Defontaine B. 34, 92, 103 Heimann P. 153
Defontaine J. 17, 92, 94, 103 Hermann I. 18

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178 I NDEX DES NOMS PROPRES CITÉS

Hinshelwood R. D. 77 R
Hurni M. 21, 31, 61, 92, 94, 143
Racamier P.-C. 1, 21–23, 25, 26, 32, 43,
44, 46, 48, 52, 53, 58, 62, 68, 79,
K 81–83, 86, 88, 90, 92, 98, 116
Resnik S. 78
Kaës R. 1, 17, 80, 82, 85, 96
Kestemberg E. 154 Rottman H. 35
Kestemberg J. 118, 125 Ruffiot A. 1, 77, 80
Klein M. 31, 77, 88, 130
Kreisler L. 117, 120, 126, 127, 137 S
Sade D. A. F. 27
L
Searles H. 156
Lacan J. 19, 32 Segal H. 22, 36, 53, 68
Lagache D. 13 Smadja C. 119
Laplanche J. 52, 69 Sophocle 31
Le Barbier C. 154 Soule M. 152
Le Gouès G. 154 Steck B. 40
Lemaire J.-G. 1 Stoll G. 21, 31, 61, 92, 95, 143
Lévy-Valensi A. 31 Szwec G. 119

M
T
Mahler M. 117, 130
Taccani S. 92, 101, 102
Maillard I. 129
Tustin F. 2, 114, 116, 117, 130
Marty P. 2, 118, 122
Meltzer D. 78, 129, 132
Mendel G. 13, 110 V
Vermorel H. 88, 98
P
Pasche F. 16, 58
W
Perron R. 75
Picaud B. 99 Wainrib S. 93
Pigott C. 37 Winnicott D. W. 1, 24, 81, 116, 117
Pontalis J.-B. 12, 13, 52, 69, 107 Wittenberg I. 154

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