et Ghislaine Stora
Direction éditoriale : Élodie Bourdon
Édition : Mélissa Lagrange
Conception de la couverture : François Lamidon
Conception de la maquette intérieure et mise en pages :
Nord Compo
Préparation de copie : Isabelle Chave
Relecture : Céline Haimé
Fabrication : Émilie Mortier
© Larousse 2020
ISBN : 978-2-03-597647-5
Ma famille,
mon amour ?
« Pourquoi nous ne partons pas ? Pourquoi nous ne quittons
pas nos foyers rassurants où l’ennui nous fixe plus sûrement
qu’aucun élan nous transcende ? Pourquoi nous ne filons
pas un soir avec trois chemises dans une valise ? Parce
que nous avons peur, parce qu’il nous a été enseigné qu’il
n’y a point de salut hors du foyer, de la famille, de la société,
d’un emploi stable, et pourtant il n’y a rien de plus faux. »
Lorette NOBÉCOURT
Qu’est-ce qu’une famille ?
Le dictionnaire Larousse propose sept définitions complémentaires.
• Un ensemble formé par le ou les parents avec leurs enfants. On parle
alors de « fonder une famille ».
• Les enfants d’un couple constituent une famille.
• La famille désigne également un ensemble de personnes unies par un
lien de parenté ou d’alliance.
• Une famille peut correspondre à une lignée, à travers la succession
des générations descendant des mêmes ancêtres.
• Elle peut aussi être caractérisée par un métier qui se perpétue de
génération en génération : une famille de jardiniers ou de
pharmaciens.
• Une famille idéologique ou un courant de pensée correspondent à un
ensemble de personnes ayant des caractères semblables, comme une
famille littéraire ou politique.
• Plus largement, il peut s’agir de catégories homogènes, regroupant
des choses ou des êtres vivants ayant des caractéristiques communes,
comme des arbres ou des insectes.
En plus de ces diverses définitions, de très nombreuses expressions du
langage courant sont forgées autour de l’idée de famille ; par exemple,
« avoir l’esprit de famille », lorsque les membres d’une tribu se
privilégient entre eux, au détriment des personnes n’appartenant pas à leur
famille. « Grande famille » ou « bonne famille » sont des dénominations
qui insistent sur le prestige social, la fortune ou l’éducation, laissant
entendre aussi l’importance que certains accordent à leur réputation plutôt
qu’à leur liberté ou leur bonheur. Il existe aussi des familles
mythologiques comme la « sainte famille », les familles royales, les
familles de vedettes, qui fascinent, dégoûtent ou laissent indifférent, selon
l’histoire et les croyances de chacun. Enfin, les sectes et les mafias se
définissent elles-mêmes comme des « familles », aussi sinistres,
contraignantes, violentes ou terrifiantes soient-elles. N’oublions pas les
familles de cœur, souvent les plus joyeuses, les plus légères et les plus
douces, qui regroupent des amis avec lesquels nous pouvons partager la
chaleur de la convivialité confiante.
Bien entendu, au-delà des définitions, chaque famille est unique. Certaines
familles ont l’habitude de se réunir, d’autres pas. Se réunir ne signifie pas
forcément faire la fête, s’entendre bien ou réussir à communiquer… Pour
certaines, la communication est facile ; pour d’autres, elle est pénible, si
ce n’est chaotique, voire inexistante. Quand certaines familles paraissent
assez tranquilles, d’autres se révèlent explosives. Etc.
Nous vous invitons à vous poser ces questions dès maintenant pour
bénéficier au mieux de la lecture de ce livre.
1. Toute famille est un système
L’inconscient comme
héritage familial
« Le nous est une résistance du sujet. »
Jacques LACAN
Certaines complications relationnelles dans la famille peuvent sembler
inextricables. En dehors de l’approche systémique, un éclairage
complémentaire grâce à l’écoute de l’inconscient peut s’avérer nécessaire
pour essayer de mieux comprendre les enjeux masqués et les forces
aveugles qui sont à l’œuvre dans un groupe.
L’inconscient désigne, en chacun de nous, le trésor que sont les
informations sensibles porteuses d’énergie, comme les sensations et les
images, qui peuvent devenir des idées puis des paroles. Le plus souvent,
nos rêves, nos intuitions, les étrangetés qui surgissent de façon surprenante
au cours de nos journées et le déroulement spontané de l’association libre
nous aident à découvrir progressivement les processus inconscients sous-
jacents à nos relations familiales, nos sentiments, nos croyances, etc.
Néanmoins, certaines questions appropriées à la situation du moment, à
l’expérience sensible que nous en faisons, permettent de mieux repérer ce
qui émerge en soi, de le laisser surgir et de l’exprimer, à partir de ses
sensations et images intérieures, avec ses propres mots.
• Pour repérer les sensations qui me traversent : qu’est-ce que je
ressens, là maintenant ? Est-ce une sensation dans mon corps ? À quel
endroit précisément ? Quelle image, quelle couleur ou quel son
peuvent exprimer cette sensation ?
• Pour faire le tri dans mes émotions : est-ce que l’émotion qui monte
en moi correspond à ce que je vis moi, là, maintenant ? Est-ce qu’elle
émane de mon histoire ? Est-ce qu’elle vient d’un proche pour lequel
je ressens de l’empathie ?
• Pour mieux préciser ma pensée, lorsqu’une intuition ou une idée
nouvelle commencent à poindre : comment pourrais-je la formuler
concrètement ? Sur quoi est-ce que je m’appuie pour étayer ce que
j’affirme ? Est-ce un souvenir qui remonte de ma mémoire ou est-ce
un évènement que racontait un membre de mon entourage ?
Ces questions, et bien d’autres, peuvent favoriser un meilleur
discernement sur nos relations familiales.
3. L’inconscient dans les groupes
Rester en surface
Les familles les plus dramatiques ne sont pas forcément celles dont la
problématique inconsciente agit le plus puissamment à leur insu. Au
contraire, il arrive que certaines familles légères et apparemment lisses
soient celles qui évitent le plus la confrontation avec leur inconscient.
Dans ces familles, les moqueries et les jeux de mots sont une façon de
refuser d’écouter vraiment les autres, de tout mettre à distance pour ne pas
être touchés.
Agnès déplore le manque d’authenticité de ses proches. « Dans ma famille,
j’ai l’impression que personne ne me prend au sérieux. Dès que je
commence à parler de façon un peu plus profonde, il y a toujours
quelqu’un pour changer de conversation. Cela se fait automatiquement,
presque aussitôt. J’ai beau y être habituée, à chaque fois, cela me
désespère. Si ce n’est pas pour parler de la pluie et du beau temps ou de
politique, ce qui revient au même pour eux, ils se lancent dans un concours
de jeux de mots ou de moqueries, en déformant mes propos et en les
tournant en dérision. Lorsque je rentre chez moi, je suis complètement
déprimée. »
Après quelque temps d’exploration, Agnès découvre que, dans sa famille,
tout ce qui ne correspond pas à leurs habitudes et à leur mode de vie est
désigné comme mauvais, sans intérêt, ridicule ou même dangereux.
Lorsqu’elle parle de façon trop personnelle à leurs yeux, elle perturbe leur
équilibre. Ses proches font tout pour éviter de se remettre en question.
Leur mépris n’est qu’un mécanisme de défense mis en place par le groupe
pour se protéger de tout ce qui pourrait venir interroger leurs habitudes.
Visiblement différente de ses frères et sœurs, et ne sachant comment être
acceptée, Agnès s’est efforcée de se rendre aimable à leurs yeux.
« Depuis que je suis toute petite, je croyais avoir trouvé la parade.
Puisque je ne pouvais pas m’exprimer vraiment, je m’étais mise à les
aider, à rendre service le plus possible. C’était ma façon à moi d’exprimer
mon affection et ma tendresse envers eux. Une façon invisible qui était
acceptée. Pourtant, aujourd’hui, je crois qu’ils ne s’en rendent pas
compte. Ils y sont tellement habitués depuis toutes ces années que mes
efforts pour les aimer passent inaperçus. Je me demande maintenant si je
ne suis pas trop différente d’eux. Ils me tolèrent tant bien que mal car je
suis du même sang qu’eux, mais ils ne s’intéressent pas à moi et ne
m’acceptent pas. Quand je suis avec eux, j’ai l’impression d’être l’ombre
de moi-même, une petite chose qui a peur de tout. »
Poussant son observation, Agnès remarque que ses parents essaient
principalement de ne pas être confrontés aux émotions, les leurs autant
que celles des autres. En parlant avec une des sœurs de son père, elle
comprend qu’exprimer ses sentiments est considéré comme une faiblesse
dans leur clan. Ils croient que si elle n’est pas ignorée, une émotion
pourrait leur faire perdre la face. Plaisanter, passer d’un sujet à un autre,
parler pour ne rien dire est devenu leur sport favori : une forme
d’acrobatie pour ne surtout pas vivre d’émotions. Ils préfèrent entretenir
des relations superficielles, plutôt que de courir le risque de vaciller, s’ils
prenaient la mesure de leur fragilité.
Qui de nous brille le plus ?
L’ego – ou le moi social – est d’autant plus actif et plus fort qu’il y a
beaucoup de personnes en présence. Chacun cherche alors à se mettre en
valeur. Certaines réunions familiales peuvent tourner aux concours de bons
mots, ou aux joutes oratoires, avec une sorte de compétition permanente
pour briller plus que les autres.
Dans une très large mesure, la famille de Nadège évite aussi la
communication authentique et profonde. À cet art de l’esquive s’ajoute
une contrainte supplémentaire qui est l’obligation de réussite. Sa mère
prononce très régulièrement une phrase emblématique qui glace le sang de
Nadège : « Dans notre famille, personne n’a le droit à l’erreur. »
La jeune femme aurait, au contraire, tellement besoin d’être acceptée avec
ses imperfections, ses échecs aussi et ses maladresses, mais son système
familial ne cède sur rien. Chacun de ses membres doit se montrer vaillant,
volontaire et, surtout, irréprochable.
« Le maître mot dans la bouche de ma mère est d’être digne. La dignité
revient sous de nombreuses formes, parfois inattendues : être propre,
rangé, bien s’habiller, parler de façon châtiée, être tout le temps poli, ne
pas parler fort, ne surtout jamais parler d’argent et de sexualité, manger
la bouche fermée… C’est très étonnant, car nous sommes une famille
populaire très modeste, qui lutte depuis toujours contre la pauvreté, mais
ma mère a voulu faire de nous une famille bourgeoise comme il faut et cela
nous empoisonne l’existence. »
La croyance d’être supérieur engendre des mythologies familiales en
décalage flagrant avec la réalité et beaucoup de rigidité dans les relations.
Nadège étouffe littéralement quand elle assiste à une réunion familiale.
Qui plus est, les disputes sont d’autant plus violentes que tout le monde
cherche à imposer ses idées ou son point de vue. Nadège se réfugie alors
aux toilettes ou à la cuisine. Elle n’a qu’une hâte : partir, se retrouver
seule, échapper aux pesanteurs du système. Elle a l’impression d’une
fatalité car elle craint que rien ne puisse changer tant sa famille est rigide,
comme figée dans le marbre ou gelée dans la glace.
Identifier
ce qui nous fait souffrir
« À quoi ça sert d’avoir une famille si elle n’a pas le temps
de s’occuper de vous et de vous aimer ? »
Gilles PARIS
Savoir que l’inconscient circule aussi dans un groupe, donc dans une
famille et entre ses membres, est une information fondamentale qui
permet de mieux percevoir la complexité des relations. Pour autant, le plus
important est de réussir à repérer peu à peu ce qui nous fait vraiment
souffrir. Ce sera le point de départ d’un regard plus clair et plus précis sur
nos relations avec notre famille. Alors nous pourrons inventer de
nouvelles façons d’être, de parler ou de nous comporter avec nos proches.
De très nombreux paramètres personnels ou collectifs peuvent agir sur le
membre d’une famille et le faire souffrir. Par exemple :
• la différence entre notre génération et celles des autres membres de
la famille ;
• le flou, la rigidité ou l’instabilité de notre propre identité ;
• la manière dont nous communiquons ou dont notre famille
communique ;
• les valeurs de notre tribu, ses rituels, ses secrets, ses mensonges, ses
peurs, ses habitudes ;
• son incapacité à rebondir après une crise ou un conflit, sa manière
d’agir ou de non agir ;
• la nature des liens entre les membres, trop fusionnels, trop distants,
voire indifférents ;
• l’histoire de notre famille ou celle que l’on se raconte (les idées
implicites, les attentes tues, les croyances et les mythes familiaux) ;
• les conjoints avec leur propre famille, leur culture, leur histoire, leurs
valeurs, etc.
Nous pouvons ressentir de la souffrance dans notre famille d’origine, mais
aussi dans la famille que nous avons créée.
Avant d’aborder cette partie, nous vous invitons à répondre à quelques
questions préliminaires.
Être en paix avec ses proches ou trouver la paix dans sa famille peut
sembler une tâche incessante, nécessitant de s’y consacrer encore et
encore, dans une tension sans fin. Les malentendus entre les personnes
d’une même famille sont augmentés par de nombreuses
incompréhensions, petites ou grandes, qui naissent de la complexité de nos
personnalités, de plus en plus mouvantes, pouvant même nous sembler
être devenues de vrais mystères ou des énigmes sans réponses ; ce qui
laisse chacun perplexe.
Et vous, où en êtes-vous ? Êtes-vous à l’aise avec vos sensations, vos émotions, vos
sentiments ? La sensibilité est-elle valorisée dans votre famille ? Votre sensibilité personnelle a-
t-elle été bien accueillie ? Pouvez-vous exprimer librement et facilement ce que vous
ressentez ?
Nous avons beau tenir à ce fantasme, la famille idéale n’existe pas. Entre
autres, même dans une famille saine, où tout le monde s’entend
relativement bien, existe une certaine dose de fusion. Être fusionnel avec
ses proches n’est pas un problème en soi. La dépendance affective fait
partie de toute relation humaine. C’est l’excès de fusion et de dépendance
qui peut devenir angoissant ou fragilisant pour les uns et envahissant ou
étouffant pour les autres. Pareillement, on entend souvent dire que la
famille est une « convention sociale » contraignante, ce qui est
probablement vrai d’un certain point de vue, mais cette idée n’a encore
libéré personne de ses difficultés relationnelles avec les membres de sa
famille.
• Nous sommes en attente d’amour, de reconnaissance, de soutien et de
tendresse de la part de nos proches.
• Nos problématiques avec nos sœurs, nos frères ou nos parents ne sont
pas résolues définitivement, même après des années de thérapie.
• Les retrouvailles familiales nous confrontent précisément à cet écart
entre notre famille réelle et la famille idéale que nous fantasmons,
car nous aspirons réellement, au fond de nous, à connaître
durablement de bonnes relations.
Ces trois réalités fondamentales des relations familiales entretiennent une
histoire complexe qui se répète à chaque rencontre avec notre clan, même
lorsque nous en sommes conscients et que nous nous efforçons de changer
la donne avec bienveillance. Dans les familles, quelque chose résiste.
L’inconscient familial n’est ni aussi accessible ni aussi malléable que nous
le souhaiterions, et nettement moins familier et flexible que le nôtre,
lorsque nous sommes habitués à le fréquenter. Que se passe-t-il donc pour
que l’interdépendance naturelle dans une tribu puisse virer à la fusion
intrusive, à la dépendance vampirique ou à l’emprise toxique ?
En lisant les propositions que vous trouverez dans le tableau ci-dessous, essayez de définir
spontanément dans quelle mesure elles vous correspondent, en utilisant la grille suivante : A
(jamais), B (rarement), C (parfois), D (souvent), E (toujours). N’hésitez pas à ajouter vos
observations personnelles dans le tableau et à les évaluer également.
Observation A B C D E
Totaux
Si vous avez répondu honnêtement et que vous obtenez une majorité de A ou de B, vous avez
probablement un tempérament très indépendant, à moins que vous ne vous protégiez pour ne
pas trop souffrir de votre famille ? Avec une majorité de C, vous êtes relativement fusionnel
avec vos proches, mais vous avez trouvé un équilibre, peut-être en mettant en place la distance
qui vous convient le mieux, pour l’instant. Vous avez une majorité de D ou de E ? Vous vous
connaissez bien : vous êtes habitué à votre forte dépendance à l’égard de vos proches. Êtes-
vous sûr que vous ne pesez pas trop sur eux ? Votre besoin de fusion est-il plus fort avec une
personne en particulier ?
Enfin, vous pouvez vous demander si votre proximité avec les membres de votre famille est
source de félicité, d’allégresse, de légèreté et d’épanouissement, ou bien dans quelle mesure
elle génère plutôt stress, anxiété, doutes, tensions, malaises, incompréhensions et frustrations.
Et chez vous ? Comment les autres étaient-ils considérés dans votre famille ?
Quand l’autre est regardé comme bon et fiable, les relations sont saines, la
communication est fluide et les échanges sincères sont autant valorisés
que facilités. Le seul écueil pourrait résider dans un excès de crédulité,
puisque tous les êtres que nous croisons dans nos vies ne sont pas
forcément bienveillants et bienfaisants.
Dans tous les autres cas de figure, les relations sont biaisées par un
présupposé négatif à l’égard d’autrui, soit pour en profiter, s’en servir ou
le dominer, soit pour l’ignorer ou l’éviter. La tendance, lorsque l’autre
n’existe pas, est de chercher à le happer dans son propre monde pour le
rendre conforme à ce que nous sommes, à notre façon de vivre.
Diego prend conscience que sa famille était très fermée sur l’extérieur.
Personne ne venait chez eux, même pour parler un moment. Il n’y avait ni
dîner ni fête. Aucune copine, aucun copain n’était invité, même pour les
anniversaires. Les parents ne semblaient pas avoir d’amis. Les vacances
d’été dans la famille d’origine au Portugal étaient la seule occasion de
fréquenter d’autres personnes, mais avec la même fermeture et la même
suspicion envers les autres. Conditionné à être méfiant, Diego n’accordait
pas sa confiance aux autres. Il fallait qu’ils la méritent et elle n’était
jamais tout à fait gagnée. Heureusement, son épouse n’avait pas hérité du
même modèle relationnel. Sa famille étant plus ouverte et confiante, elle a
pu inciter leurs enfants à développer des amitiés. Elle était heureuse
d’inviter leurs amis à la maison. Elle a su accueillir les relations
amoureuses de ses enfants avec douceur et délicatesse…
Les familles qui rejettent tout ce qui leur est étranger sont fréquemment
convaincues de leur supériorité. On retrouve cette croyance dans certaines
sectes ou communautés, convaincues d’être une élite. Elles imaginent que
leur mission est soit de dominer le reste de la population soit de s’en
protéger, en prenant des distances très marquées, en ne se mélangeant pas
ou en se repliant dans un espace interdit d’accès.
Au fond, nous comprenons que le modèle relationnel d’une famille résulte
essentiellement de ses croyances ou de la mythologie qu’elle a inventée
pour raconter son histoire. C’est ce que nous allons approfondir à présent.
11. Croyances et mythes familiaux
Les croyances, les religions et les mythes ont chacun leurs propres limites. Quelles sont vos
croyances ? Sont-elles motrices ou limitantes ? Comment est vécue la religion dans votre
famille ? Est-elle l’objet de discorde, de discussions enrichissantes ou de réunions
chaleureuses ? Quels sont les mythes auxquels vous faites référence ? Sont-ils accessibles,
favorables ?
Voyons maintenant quelles peuvent être les nombreuses répercussions de
nos croyances sur notre vie intime, relationnelle, professionnelle, etc.
12. Les ravages de l’altruisme
Les répercussions des croyances familiales sur nos existences peuvent être
lourdes, pénibles ou perturbantes. Lorsqu’elles sont sournoises, elles se
révèlent même parfois profondément désastreuses.
Dans Just a Kiss, un film très réussi sur ce thème1, le réalisateur Ken
Loach montre patiemment comment le choc des cultures entre Pakistanais
et Britanniques, autant que le poids des religions, ici musulmanes et
chrétiennes, rendent impossibles l’émancipation des jeunes autant que
leurs libres choix existentiels, jusqu’à leur vie amoureuse. La majorité
d’entre eux se soumettent à la tradition, par peur de décevoir leurs
parents ou d’être rejetés par leurs communautés. Certains font semblant
en mentant à leurs familles et se contentent de vivre une double vie. Plus
rares sont ceux, comme Casim et Roisin, qui tiennent bon face à
l’adversité, malgré la rudesse des obstacles et des tempêtes, grâce à la
force de leur amour…
En dehors de l’intégrisme et du fanatisme, qui provoquent des ravages
partout dans le monde, et de façon plus simple ou moins visible,
l’altruisme prôné par beaucoup de religions et d’idéologies peut mener
insidieusement à la débâcle, s’il est mal compris.
Chaque personne a des relations particulières avec sa belle-famille. Vous, quelles sont vos
relations avec votre belle-famille ? Sont-elles envahissantes ou retirées ?
Comment est la communication ? Est-elle assez franche et claire ? Votre parole est-elle
respectée ?
La distance entre vous est-elle la bonne ? Les relations sont-elles saines et agréables ?
Votre belle-famille est-elle un soutien ou un poids ?
Une fois que vous aurez répondu à ces questions, nous vous invitons à
aller plus loin en partant à la recherche des nombreuses sources de nos
souffrances en famille.
Partie IV
Ces questions vont vous permettre d’établir un premier état des lieux de
votre situation familiale et de votre niveau de souffrance.
14. Quelle était ma place d’enfant ?
La place dans une fratrie a toute son importance. Que l’on soit arrivé en
première, deuxième ou troisième position n’a pas des conséquences
identiques sur notre existence. Même si, à première vue, tous les enfants
d’une même famille sont éduqués de la même manière, il y a des
exigences implicites selon la place que, peut-être, seul le membre de cette
famille perçoit.
En concevant un ou plusieurs enfants, nos parents ont un souhait ou un
projet pour chacun. Ne serait-ce que celui qu’il soit heureux ou en bonne
santé. C’est déjà un projet. Quels sont les effets de ces projets sur les
enfants ? Nous verrons en détail un peu plus loin certaines de ces
conséquences.
Que nous en soyons conscients ou pas, notre famille nous a confié un rôle,
voire une mission, qui influence le cours de nos existences.
Un patient d’une trentaine d’années, né dans une famille pauvre d’Europe
de l’Est, confie comment sa mère lui répétait très souvent quand il était
enfant : « Tu deviendras riche, tu auras un château, tu seras servi par des
domestiques. » Même s’il n’habite pas de château et n’a pas de
domestiques, il a commencé à remplir sa mission aux yeux de sa mère, car
il a fait fortune, habite une grande maison, passe de belles vacances, etc.
Pour autant, en lui, la part infantile soumise aux vœux et aux fantasmes de
sa mère n’est pas en paix. Pour cet enfant obéissant, il n’a pas encore
suffisamment réussi à tenir son rôle. Il se sent donc fréquemment en échec.
Il imagine des stratégies pour honorer la demande de sa mère, ce qui lui
fait perdre beaucoup de temps, d’énergie et même de confiance en lui.
De très nombreux enfants sont poussés, plus ou moins ouvertement, à
réaliser les fantasmes et les ambitions de leurs parents. Pendant
longtemps, la tradition dans les familles fortunées était que l’aîné des
garçons reprenne les affaires du père, les autres fils devenant militaires ou
religieux. Les filles, surtout les premières, devaient se marier
avantageusement pour maintenir le statut social de la famille. Les
dernières restant célibataires ou se repliant dans des institutions
religieuses. D’énormes contraintes pesaient donc sur les enfants devenant
adultes.
De nos jours, ce schéma traditionnel perd de sa force, mais la puissance
des légendes familiales, des croyances des parents, ou leur volonté
d’ascension sociale, impactent encore lourdement les enfants dès leur plus
jeune âge. Les parents attendent de certains enfants qu’ils accomplissent
des études brillantes dès leurs premières années d’école ; ils peuvent aussi
leur demander de les faire rire, de les distraire ou encore de les protéger,
de les défendre, etc. Certains enfants peuvent également devenir les boucs
émissaires de leur famille1. Malgré les apparences, aucun rôle n’est facile
à jouer, aucune charge agréable à porter, car ces impératifs exigent des
enfants (même lorsqu’ils sont adultes) de sacrifier leur personne, leur
désir et, parfois, leur vie pour satisfaire leurs parents et rester dignes
d’eux.
Avant d’aller plus loin dans votre lecture, nous vous conseillons de prendre un petit temps de
recul pour répondre à quelques questions. Vous pouvez le faire par écrit ou simplement en y
pensant pour vous-même.
Cette démarche vous aidera à activer vos capacités de compréhension personnelle profonde, de
prise d’initiative aussi, donc vos possibilités d’évolution dans votre existence en général autant
que dans vos relations avec votre clan.
— Comment s’est passée ma naissance ?
— Suis-je né à un moment particulier pour mes parents ?
— Ai-je été désiré, attendu dans la confiance et la joie ?
— Ma venue au monde a-t-elle été bien accueillie ? Par tout le monde ?
— Qui était la ou le préféré(e) dans ma famille ?
— En ai-je souffert ?
— De quelle façon ?
— Une sœur ou un frère a-t-elle/il bénéficié de privilèges plutôt que moi ?
— Comment cela m’a-t-il affecté ou impacté ?
— Ai-je un rôle particulier dans ma famille ?
— Ai-je toujours eu ce rôle ou a-t-il évolué ?
— Est-ce que je l’ai joué volontiers ? Facilement ?
— Au contraire, a-t-il été pesant voire étouffant pour moi ?
— Comment ce rôle sert-il les autres membres de ma famille ?
— Comment me sert-il aussi ?
Que constatez-vous ? Étiez-vous conscient de ce rôle ? de son importance dans le déroulement
de votre existence ? de son influence sur vos relations ?
Trahir ou ne pas trahir ? Telle est la question… Quelles sont nos loyautés
envers nos parents, ou l’un d’eux plus que l’autre ? envers nos sœurs et
nos frères aussi ? nos grands-parents, nos tantes et oncles ? le clan familial
en entier ou une partie de ce clan ?
La pression de nos efforts pour être ou sembler loyaux à l’égard de telle
personne ou telle autre nous place forcément en porte à faux, et plus nous
ignorons cette tension, plus les conflits de loyauté se font aussi puissants
que dévastateurs en nous et autour de nous. D’autant que nos loyautés sont
particulièrement compliquées et alourdies par le poids des héritages, la
virulence des suppositions que nous faisons rapidement sur telles
situations ou telles personnes, les idées toutes faites que nous avons sur les
uns ou les autres, les rivalités qui déchirent les fratries, les guerres
intestines, les non-dits qui étouffent, les secrets qui suintent…
Comment faire alors pour ne pas trahir ? Que nous le voulions ou non,
nous trahirons forcément l’un si nous sommes loyaux à l’autre, et
réciproquement. Il ne peut pas en être autrement, et les tribus qui se
prétendent indéfectiblement unies ou parfaitement harmonieuses se
révèlent capables des pires trahisons.
« Tu me dois tout »
Le sentiment désagréable d’être éternellement redevable peut être
engendré puis entretenu par des parents ou des grands-parents qui se
montrent aux petits soins, attentifs et généreux. Ils espèrent plus ou moins
consciemment que tous les cadeaux qu’ils ont offerts, tous les bienfaits
qu’ils ont prodigués leur vaudront une reconnaissance infaillible de la part
de leurs descendants.
Est-il si difficile de se faire aimer, de se savoir aimé et de maintenir cette
garantie d’amour une vie durant pour que tant d’efforts soient consacrés à
nous assurer l’affection de nos proches ? Nos demandes de loyautés sont-
elles des demandes d’amour déguisées, en priant l’autre de nous savoir gré
de tout ce que nous faisons pour elle ou pour lui ?
Nous ferions ainsi très fréquemment pression sur nos proches sous la
forme de chantages affectifs aussi peu visibles que peu reluisants.
Effectivement, il est si facile d’enchaîner quelqu’un que l’on a aidé en lui
laissant entendre, même très indirectement et implicitement : « Avec tout
ce que j’ai fait pour toi » ou « N’oublie pas tout ce que tu me dois »…
Lors de ses études universitaires, Omar a connu une professeure de
management qui expliquait clairement aux étudiants les bénéfices de ce
principe de gouvernement : en rendant service à quelqu’un, on le rend
redevable, il nous est lié sans pouvoir se dégager, et nous pouvons exiger
de lui un service lorsque nous en avons besoin !
« Tu es coupable »
Se sentir débiteur envers ses parents ou sa fratrie, se croire redevable, peut
facilement devenir une croyance sourde qui nous ronge : craindre d’être
coupable, d’être en faute, et ne connaître ni la faute réelle ni le remède qui
permettrait de se libérer d’un tel poids.
Extrêmement scrupuleuse et méticuleuse, attentive au moindre de ses faux
pas ou de ses petites maladresses, Mathilde a passé toute son existence à
se croire coupable. D’abord sans même s’en rendre compte, puis au fur et
à mesure de sa psychanalyse, en mesurant le poids de ce fardeau qu’elle
porte au quotidien depuis qu’elle est toute petite. Quoi qu’il arrive, elle
croit que c’est elle la coupable et qu’elle doit se faire pardonner, voire
expier : en s’excusant pour les autres, en rendant service, en trouvant des
solutions à tous les problèmes qui se présentent, etc.
Parfois, il s’agit aussi de ne pas faire d’ombre à un parent qui veut briller
plus que les autres pour rester le meilleur quoi qu’il arrive, ou de se
montrer fidèle à une sœur, un frère dans le malheur, en étant aussi malade,
dépressif ou misérable qu’eux : « Si l’autre ne va pas bien, je ne peux pas
aller bien non plus. Si elle ne réussit pas, comment pourrais-je réussir sans
lui faire de peine ? » Ainsi de suite…
Enfin, certains enfants se sont vus obligés de protéger leur mère qui avait
un amant ou leur père qui fréquentait une maîtresse, en devant garder leur
secret, dans une sorte de double loyauté envers chaque parent, du fait de la
honte de celui qui « trahit » et de la peine de celui qui est « trahi », comme
si leur prétendue trahison pouvait être la pire, dans l’histoire, celle d’avoir
fait voler en éclats la façade trop parfaite du couple idéal de leurs parents.
Cette question des loyautés dans les familles mériterait un livre à elle
seule. Retenons que nos loyautés nous enchaînent autant qu’elles nous font
souffrir, qu’elles sont sources de très nombreux malentendus ou conflits
en nous et avec nos proches, et que nous avons tout intérêt à les observer
de très près pour nous en libérer, autant et dès que possible !
Parfois, cette libération n’est réellement possible qu’en prenant ses
distances…
Partie V
Prendre de la distance :
l’issue de secours
« La grâce, c’est peut-être de voir ce qu’il faut choisir
et ce à quoi il faut renoncer. »
La réconciliation mutuelle
Chaque personne accueille l’autre, reconnaît ses propres erreurs et accepte
que l’autre aussi ait pu faire une erreur. Humilité, écoute et bienveillance
sont les capacités nécessaires pour réussir la réconciliation. Cela ne veut
pas dire que l’on s’écrase ou que l’on se soumet face à l’autre, mais qu’un
terrain d’intelligence et d’entente est trouvé, où chacun peut s’affirmer. Ce
qui s’est joué pour chacun est reconnu, voire compris.
Dans notre famille adoptive, Magali et Alice sont deux jeunes filles très
différentes. Magali est timide et réservée, tandis qu’Alice est expansive et
audacieuse. Il leur arrive très souvent de ne pas être d’accord et de se
disputer pour toutes sortes de raisons qui les séparent. Pourtant, à chaque
fois, après un temps de réflexion, il y en a une qui revient vers l’autre en
s’excusant de ne pas avoir été plus ouverte et à l’écoute, reconnaissant
que son point de vue est valable aussi. Chacune accueille le point de vue
de l’autre sans renoncer au sien. Aucune des deux ne se sent écrasée par
l’autre, mais au contraire grandie dans sa compréhension du monde et des
autres.
Dans cette situation, les deux personnes se réconcilient, sans qu’aucune ait
le sentiment de renoncer à ce qui est important pour elle. La capacité de se
remettre en question, d’accepter que l’autre puisse avoir une opinion
différente, la flexibilité et la bienveillance permettent à chacune de
dépasser leurs mésententes.
Les réconciliations dans les familles sont rarement aussi idéales. Il arrive
qu’une personne souhaite se rapprocher des siens, enterrer la hache de
guerre et favoriser de meilleures relations. Pour autant, son désir peut ne
pas éveiller chez ses proches le même vœu de pacification.
Dans les premiers temps de sa psychanalyse, Édouard a sincèrement cru
que sa franchise permettrait aux membres de sa famille d’aller mieux et,
surtout, de s’entendre mieux. « Je leur ai dit certaines vérités sur notre
histoire et sur notre façon conflictuelle, et parfois violente, de
communiquer entre nous. Au lieu de me remercier, ils se sont
complètement braqués. Ils se sont serré les coudes et regroupés contre
moi. J’ai osé désigner des problèmes intouchables. Cela les pousse à me
rejeter. Depuis, ils se voient sans moi. Lorsque je suis là, c’est-à-dire très
rarement, je sens clairement qu’ils m’en veulent. Ils me font payer ma
franchise. » Les années passent. Édouard continue sa thérapie.
Progressivement, il comprend que ses parents n’étaient pas prêts à
l’entendre, probablement pour se protéger, ne pas voir leurs erreurs et,
surtout, ne pas rouvrir leurs blessures. Édouard s’apaise, puis il se dit
qu’il souhaite se rapprocher de ses parents, de ses frères et sœurs. Il fait
de nombreux efforts, change sa façon de communiquer avec eux, ne leur
parle que de ce qui les intéresse, etc. Il exprime un vrai désir de
réconciliation, s’exprime dans ce sens, calme sincèrement le jeu et pose
des actes qui manifestent clairement sa bonne volonté. Cependant, ni sa
fratrie ni ses parents ne changent fondamentalement d’attitude à son
égard. « Les réunions de famille sont plus calmes, c’est tout, reconnaît
Édouard philosophe, et c’est déjà beaucoup ! »
Pour des raisons obscures, majoritairement inconscientes, les souhaits de
réconciliation ne sont pas si faciles à partager, et encore moins aisés à
mettre en œuvre…
Et si un seul se braque
Un enfant (ou un parent) peut décider de ne pas se réconcilier parce que
ses parents ou l’un d’eux (ou son enfant) a commis un acte irréparable ou
est coupable d’une dérive inacceptable à ses yeux, comme nous l’avons
déjà mentionné.
Dans de nombreuses familles, des disputes se produisent fréquemment
sans que cela atteigne les liens qui unissent les êtres. Dans d’autres
familles, le même conflit de fond semble interminable. La rupture cache
quelque chose de plus profond, de plus personnel. Même si certains
membres de la famille sont capables d’écouter et de dialoguer, d’autres
restent bloqués en refusant toute confrontation ou, pire, toute évolution.
Peut-être parce que, même tendue, la situation semble plus confortable
ainsi. L’orgueil ou la peur peuvent aussi empêcher de faire le premier pas,
de prononcer les paroles qui permettraient la réconciliation, en
commençant déjà par se rapprocher et se faire de nouveau confiance.
Bien souvent, l’entourage contribue à entretenir cette cassure, par exemple
en évitant que deux personnes fâchées puissent se rencontrer de nouveau…
Avec le temps, l’absence de relation entre elles devient une nouvelle
« norme » dans les relations familiales, présentée comme une « fatalité ».
Chacun poursuit son chemin et l’entourage ne s’en mêle pas.
Nicolas et Georges sont deux frères d’une famille de trois enfants. Ils
travaillent tous les deux comme agents immobiliers dans deux agences
différentes en Bretagne depuis plus de dix ans. Ils se voient habituellement
pour fêter Noël chaque année ou certains anniversaires. Pour la réussite
au bac de sa fille, Nicolas décide d’organiser une grande fête où sont
invitées de très nombreuses personnes. Georges s’excuse auprès de son
frère de ne pouvoir être présent à sa fête et lui explique qu’avec sa femme,
ils ont déjà tout réservé pour aller rendre visite à leur fils qui est en stage
à Toulon. Cette absence, Nicolas ne l’encaissera pas. Elle sera le point de
départ de difficultés relationnelles ostensibles entre les deux frères.
Nicolas n’aura de cesse de la faire payer à son frère. Il l’exclut petit à
petit des réunions familiales pour progressivement l’en bannir. Toutefois,
le comportement de Nicolas n’est pas la conséquence directe de l’absence
de son frère à la fête. Cette absence n’est que la partie émergée d’un
iceberg, qui représente une douleur bien plus profonde pour lui, faite de
rivalités de la part de son frère, de mépris aussi. Elle permet de révéler les
véritables sentiments de chacun des frères vis-à-vis de l’autre.
Dans cette situation, les relations sociales vont progressivement s’éteindre
puis mourir. Cela peut faire penser au conflit meurtrier entre Caïn et Abel,
avec une mort sociale des liens familiaux. Certains événements réactivent
des sentiments de jalousie ou d’animosité provenant de l’enfance.
Lorsqu’une seule personne décide de ne pas se réconcilier, c’est rarement
la conséquence d’une seule absence à une fête, mais bien de sentiments
plus anciens, plus profonds et plus personnels.
Dans de nombreuses familles, les disputes sont saines, voire souhaitables.
Elles permettent à chacun de s’affirmer, de poser des limites, d’expliquer
son point de vue et de mettre en lumière ses besoins. Toutes les relations
humaines passent par des moments de conflit ; les relations familiales
encore plus que les autres. C’est le dépassement des désaccords qui permet
de tisser des liens solides plus authentiques avec l’entourage et d’acquérir
des compétences relationnelles. Le véritable risque se produit quand les
frères et sœurs s’ignorent. Ils subissent moins de heurts sur le moment,
mais devenus adultes, leurs rapports sont froids et distants, ils n’ont plus
rien à partager qui soit vraiment personnel.
Être capable de se réconcilier ne signifie pas se résigner ou se soumettre.
Accepter de se réconcilier est un acte qui s’apprend dès les premières
relations de l’enfance. Après une dispute, chacun peut continuer à
apprécier l’autre, communiquer avec lui sans pour autant se plier à son
avis ou exiger que l’autre se plie au sien. Néanmoins, dans certaines
familles, il n’est pas permis d’avoir un avis propre ou d’avoir un avis
différent : seule l’obéissance est autorisée, ce qui favorise l’accumulation
des sentiments néfastes, créant une rancune croissante. Aussi certains
individus se trouvent-ils exclus de leur propre clan et finissent par
comprendre que la réconciliation n’est pas souhaitable ou est tout
bonnement impossible.
21. Trouver la bonne distance
Les méthodes pour prendre soin de sa santé et les remèdes pour se soigner
sont nombreux. Des divergences entre les membres d’une même famille
peuvent générer des confrontations, d’autant plus pénibles que chacun
cherche à prouver aux autres la plus grande validité des méthodes qu’il
met en pratique.
Loïc explique le combat qui l’oppose à son père dans ce domaine : « Je
m’entends très bien avec mes parents. Nos seuls orages concernent la
politique et encore plus la santé. Mes parents sont des gauchistes
convaincus, toujours prêts à descendre dans la rue et à faire la révolution,
peu importe le prétexte, participant dès le début au mouvement des gilets
jaunes. Je n’ai rien contre les mouvements sociaux, au contraire même,
mais lors des épisodes de grèves qui s’installent et bloquent le pays, nous
sommes très rapidement en désaccord. Ils ne peuvent rien entendre d’autre
que leur discours idéologique tout fait, avec les mêmes revendications
stéréotypées qui reviennent en boucle. En tout cas, ce qui me surprend le
plus, c’est la passion farouche avec laquelle mon père défend la médecine
et les médicaments classiques. Pour lui, c’est la seule méthode rationnelle,
scientifique, la seule qui – selon lui – serait efficace. Tout le reste ne
serait que du placebo, un truc de riches… De mon côté, depuis
l’adolescence, je suis écologiste dans l’âme. Je me soigne avec les plantes,
les huiles essentielles, l’homéopathie et l’acupuncture, et ça fonctionne
vraiment très bien. Tout cela fait rugir mon père et le rend dingue. Il
prétend que ces remèdes naturels n’ont aucune efficacité et ne sont que
des placebos. »
Loïc a construit sa propre famille, à partir des valeurs et des pratiques
auxquelles il croit. Il se sent en harmonie avec ses choix, « heureux de
vivre d’une façon naturelle et citoyenne ». C’est seulement avec ses
parents qu’il éprouve encore des difficultés à faire respecter son mode de
vie.
« Depuis que je vis avec Jila, ma femme, et que nous avons des enfants, je
trouve l’acharnement de mon père déplacé. Je suis grand, je veux dire je
suis un adulte, je fais mes choix, je soigne mes enfants et je me soigne
comme je veux. Jila partage complètement mon point de vue, ce qui facilite
les choses entre nous. Elle ne comprend pas que mes parents interviennent
tant dans notre vie. Je regrette quelquefois notre décision, mais nous
avons préféré changer de région et partir habiter suffisamment loin pour
ne pas devoir sans cesse faire face aux emportements de mon père en ce
qui concerne l’écologie et la santé. »
De l’extérieur, nous ne pouvons pas tout comprendre. Les préférences de
chacun découlent de leurs valeurs, de leurs croyances et de leurs
expériences. Nous n’avons donc pas à juger les décisions des uns et des
autres pour trouver la bonne distance avec leur famille d’origine. Dans de
nombreux cas, il vaut d’ailleurs mieux trop de distance que pas assez pour
assurer son autonomie et l’indépendance de sa propre famille, celle que
l’on a créée.
Dans d’autres situations, plus rares, il arrive que la relation soit également
perturbée par les pressions volontaires ou involontaires que peuvent
exercer les enfants sur leurs parents.
Albert EINSTEIN
Dans toutes les familles, les relations sont complexes. Elles peuvent
devenir ardues, voire tendues ou carrément incompréhensibles. Nous
avons constaté qu’il existe des situations douloureuses qui empêchent de
faire la paix avec son clan ou avec l’un de ses proches. Il s’agit donc
d’envisager, lorsque c’est réellement possible, différentes façons d’apaiser
ces relations. En effet, il existe de nombreux scénarios d’apaisement et de
nombreuses formes de paix. Aucune n’est plus valable qu’une autre.
Comme nous allons le découvrir, la paix est d’abord et surtout en soi. Il
s’agit d’être soi-même en paix avec la situation telle qu’elle est.
Certaines personnes ont réussi à trouver un compromis viable. Elles
affirment, par exemple : « Je ne m’accorde pas bien avec ma sœur, ou mes
frères ne s’entendent pas avec moi, mais on reste liés. En fait, ça va, je
suis tranquille, ça ne m’empêche pas de vivre ma vie »…
Et vous, où en êtes-vous dans vos relations avec votre famille ?
Bouddha, repris par Gandhi puis par le Dalaï-Lama, affirme que la paix
n’est possible avec les autres que si nous la mettons déjà en œuvre avec
nous-mêmes. Il semble donc illusoire de chercher à se réconcilier avec sa
famille si nous ne nous réconcilions pas d’abord avec nous-mêmes.
D’autant que, encore pour Bouddha, cette paix, avec soi puis avec les
autres, n’est possible que si nous nous libérons de nos ressentiments, donc
aussi de nos revendications…
Peut-être faites-vous partie de ces personnes qui préfèrent prendre en
considération ce qui va bien en chacun ? Vous tenez à cette façon de vivre
avec les autres, car elle est tellement plus sereine, même si cela peut vous
empêcher de résoudre les problèmes qui se posent à vous ou qui perturbent
vos relations.
En pensant et en affirmant par exemple : « Oui, je comprends, mais tout de
même ils sont gentils », les personnes accommodantes tentent d’éviter les
conflits. Leur compagnie est très agréable, mais en procédant ainsi, les
choses n’avancent pas forcément ou très peu. L’affectif prend chaque fois
le pas sur la raison, ce qui peut limiter l’observation factuelle des réalités
familiales. Néanmoins, d’une certaine façon, cette insouciance leur permet
d’être en paix avec elles-mêmes et avec leur famille, puisqu’elles
choisissent de ne prendre en compte que le bon côté des personnes, même
pénibles, et des situations, même conflictuelles.
Faire la paix avec soi puis avec sa famille demande donc de laisser nos
visions idéales et de nous intéresser au réel de chaque situation. Ce n’est
pas facile, nous vous l’accordons !
D’autant que plus nous restons accrochés à nos idéaux, plus nous fuyons le
corps et les sensations qui nous informent sur les réalités que nous vivons
– et plus nous risquons de rester sourds aux propositions d’évolution qui
nous sont faites par nos proches.
En effet, une personne qui habite vraiment son corps, qui part de sa réalité
vécue à partir de ses sensations corporelles, recueille des informations sur
les expériences qu’elle fait. Elle peut alors rencontrer de grandes
difficultés à se faire comprendre par des personnes qui ne sont pas dans
leur corps, car celles-ci restent dans le mental, en privilégiant le virtuel,
les fantasmes, les suppositions, les jugements, les concepts, les idéaux, les
dogmes, les idéologies, etc.
Il s’agit d’une clé essentielle pour mieux comprendre les malentendus et
les dialogues de sourds qui empoisonnent tant de familles. Traduisons-la
autrement : tant que je reste persuadé que j’ai raison en continuant à
croire en mes certitudes au détriment de la réalité, je ne peux pas entendre
ce que me dit un proche sur la réalité de ce qu’il vit avec moi !
Cette loi relationnelle est à prendre au sérieux. Observer qu’elle existe et
repérer comment elle empêche de comprendre ses proches, ou de se faire
comprendre d’eux, permet de mieux appréhender les disputes, les crises et
les conflits en famille. Dans certaines circonstances, cela peut faciliter une
meilleure communication. Dans les autres cas, cela aide au moins à ne pas
s’acharner inutilement en acceptant que les autres ne peuvent pas nous
entendre, et trouver la paix au moins en soi, pour soi-même. Ce n’est pas
si facile de trouver cet apaisement, car nous voudrions avoir été plus
aimés et surtout mieux aimés, de façon plus juste, plus en accord avec ce
que nous ressentions, nous.
Se respecter soi-même
Si nous nous heurtons répétitivement aux surdités des membres de notre
tribu, si nous ne réussissons pas à faire comprendre notre point de vue, il
vaut mieux réviser nos attentes à la baisse pour retrouver, au moins pour
nous-mêmes dans notre quotidien, une vie plus paisible. Il ne s’agit pas ici
de simple confort, ou de frilosité, mais bien de respect de soi, de ses
limites et d’un choix de vie sans stress inutile. Pourquoi devrions-nous
nous infliger des moments de stress toxique, si nous pouvons les éviter ?
Marina sait maintenant prendre les décisions qui la protègent. « Ma
famille est à la fois très sympathique et très orgueilleuse. Elle peut se
montrer envahissante pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est la
bonne humeur, la rigolade, ou cette impression, illusoire bien sûr, que rien
ne peut nous résister ! Le pire concerne les moments de disputes pour des
petits riens, car chacun est très susceptible, ou l’angoisse de mes parents
qui finit par gagner tout le monde… Déjà en temps de grippe, ils ont très
peur de mourir, et se barricadent chez eux, alors avec le coronavirus, je ne
vous dis même pas ! Au début de la période de confinement pour enrayer
la pandémie, ma mère a voulu créer un groupe WhatsApp pour toute la
famille. Je sais bien que l’intention était bonne, mais toutes ces
discussions croisées et ces blagues plus ou moins plaisantes m’ont très
vite fatiguée. Leur agitation m’a débordée. Je me sentais troublée, mon
sommeil devenait moins bon. Et ça n’a pas loupé : un jour, une de mes
sœurs a cru bien faire en donnant à tout le monde une information
alarmante, non vérifiée, et la panique nous a tous submergés. Après mûre
réflexion, je me suis retirée du groupe. Je me suis sentie vraiment désolée,
mais je devais me protéger, et je l’ai fait. C’est vital pour moi. Je ne le
regrette pas. »
L’exemple que donne Marina est particulièrement instructif, car il illustre
une surcharge affective générée par un fonctionnement familial fusionnel,
donc sans limite et potentiellement intrusif. Tout le monde baigne dans le
même bain et participe à tout, de façon indifférenciée, ce qui provoque ces
moments de trop-plein déstabilisants, de plus en plus difficiles à
supporter1.
Intuitivement, Marina et Antoine, comme beaucoup d’autres, ont senti
qu’ils n’arrivaient pas à se faire comprendre par leurs proches. Cette prise
de conscience et son acceptation les aident à mieux communiquer avec
leur famille, en repérant ce qui est bon pour eux, tout en se préservant de
ce qui les fait souffrir.
Réussir à s’écouter pour décider de ce qui est le mieux pour soi, donc faire
les bons choix pour poser des limites saines qui nous protègent, est déjà
une très bonne façon de calmer le jeu… Ainsi, faire la paix avec soi-même
pour être en mesure de faire la paix avec sa famille requiert d’être en paix
avec ses idéaux, ses attentes et ses désirs. Cela demande également
d’accepter les conflits féconds, ceux qui résolvent les problèmes, et de se
dégager réellement des conflits stériles, ceux qui nous enlisent dans nos
problèmes.
23. Déceler et désamorcer les scénarios relationnels répétitifs
Où en suis-je ?
Nous vous invitons à répondre aux questions suivantes afin de mieux
évaluer votre situation relationnelle familiale.
Qu’en pensez-vous ?
Qu’est-ce que vous ressentez en lisant vos réponses ?
Avez-vous une possibilité d’action pour améliorer cette situation ?
Que décidez-vous pour trouver plus de paix (au moins pour vous-même) ?
Comme nous l’avons évoqué dans notre premier livre commun sur la
charge affective, nous pouvons observer qu’il se passe la même chose dans
nos relations sociales que dans nos familles. Très souvent, tout l’entourage
est au courant de ce qu’une personne reproche à une autre, sans qu’elle en
parle directement à la personne intéressée.
La toute première règle en communication est de s’adresser à la personne
directement concernée en priorité. On communique de quelque manière
que ce soit, par téléphone, par courriel, par lettre, par conversation en tête
à tête, mais on s’adresse à la personne directement concernée par la
situation sans passer par un intermédiaire.
Déjà par respect pour cette personne, mais aussi pour éviter :
• d’amplifier le problème ;
• de se laisser influencer par les projections et peurs des autres ;
• d’installer le problème en l’aggravant,
enfin parce que seules les personnes concernées sont à même de trouver
une solution selon leurs ressentis et leurs ressources…
Dans un très beau livre, le philosophe allemand Michael Bordt nous invite
à nous libérer durablement en acceptant de décevoir nos parents1. D’après
nos observations, nous pouvons ajouter qu’il s’agit aussi d’être capable de
décevoir nos proches, notamment nos sœurs et frères, ainsi que d’autres
membres de notre famille.
Dans les faits, beaucoup d’entre nous accordons une grande importance au
regard que nos parents et notre fratrie peuvent porter sur notre vie et sur
nous, même si en apparence nous prétendons ne pas en tenir compte et tout
faire pour ne pas leur ressembler. Parallèlement, même devenus adultes,
nos parents continuent à exercer des pressions plus ou moins fortes sur
nous, concernant notre santé, notre alimentation, notre travail, nos
voyages, l’éducation de nos enfants, nos idées politiques et, même, nos
pratiques ou non-pratiques religieuses ! Nous avons donc très souvent peur
de les décevoir.
Cependant, en cherchant à répondre aux demandes ou aux souhaits de nos
proches, nous prenons le risque de nous abandonner nous-mêmes : nous
délaissons nos désirs profonds, nos aspirations personnelles, et nous avons
de plus en plus le sentiment de passer à côté de notre vie.
Il est donc vital de prendre un autre risque, certes moins confortable mais
beaucoup moins coûteux à terme : celui de décevoir notre famille.
Vous imaginez le temps et l’énergie que vous demande la course à l’enfant parfait ?
Si c’est le cas pour vous, pourriez-vous envisager d’arrêter cette compétition inutile ?
Si vous n’y êtes pas prêt, en quoi cela vous arrange-t-il de jouer ce jeu-là ?
Comment je vis
Nous vous invitons à répondre aux questions suivantes afin de mieux
comprendre votre situation relationnelle familiale et vos difficultés
présentes avec une personne en particulier.
Mes
Questions
réponses
Est-ce que je fais régulièrement des remarques, des reproches, des critiques ?
Est-ce que j’ai l’impression que l’autre ne tient pas compte de moi ?
Est-ce que nous sommes en froid sans n’avoir jamais parlé de rien ?
Quelle est l’émotion qui me traverse le plus souvent quand je pense à cette
personne ?
Questions Mes
réponses
Est-ce que j’en veux à cette personne pour quelque chose de précis ?
Comment je l’envisage ?
Questions Mes
réponses
Questions Mes
réponses
Je me dis qu’elle (il) n’est pas comme je voudrais qu’elle (il) soit ?
Mes
Questions
réponses
Que m’a-t-on déjà dit que j’ai évité d’entendre ?
Nous venons de voir qu’il est possible de sortir d’un conflit et d’apaiser
une relation difficile, au moins pour un certain temps. Notre souhait est
maintenant de vous aider à changer la donne à plus long terme, en
améliorant en profondeur vos relations avec votre famille.
Dans une situation bien précise, surtout si elle est chargée émotionnellement, demandez-vous :
— « Quelles sont mes émotions ? »
— « Quelles sont les émotions de mes proches ? »
— « Comment m’affectent-elles ? »
Prenez le temps d’accueillir ce que vous ressentez vraiment et laissez les autres faire de même
avec leurs propres ressentis. Encore une fois, nous ne sommes pas obligés de porter les
émotions les autres. Nous les constatons, nous éprouvons de l’empathie, mais ce ne sont pas
nos sentiments.
… aux 3F
Des relations plus respectueuses, plus libres sont souhaitables, et sont
possibles. En effet, les familles qui sont suffisamment saines, donc aussi
plus faciles et plus agréables à vivre, procèdent tout autrement. Leurs
membres développent des relations qui privilégient la bienveillance, les
approbations, les encouragements, la sollicitude, etc.
Voici donc les attitudes fondamentales à développer :
• Féliciter : se réjouir des réalisations de ses proches permet de les
féliciter. Prendre l’habitude de faire des compliments valorise l’autre,
le stimule, tout en le motivant et en le rendant plus heureux.
• Faciliter : lorsque chacun est libre d’exprimer ses idées et de prendre
des initiatives, le groupe en bénéficie et la bonne humeur est au
rendez-vous. Nous avons donc intérêt à encourager les autres le plus
possible. Nous recevons leur gratitude en retour.
• Favoriser : la bienveillance et la bonne volonté sont présentes chez
la plupart d’entre nous. Il suffit donc de les réveiller, les entretenir,
les mettre en pratique. Elles deviennent contagieuses. Il est alors
possible de soutenir les projets des uns et des autres.
Ces attitudes bénéfiques permettent un réel empuissancement familial.
L’augmentation des capacités d’action est valable individuellement, puis
collectivement. Ce type de système relationnel génère moins de conflit,
accepte plus facilement les discussions et les améliorations. Bref, il y fait
bon vivre : le bonheur des uns fait le bonheur des autres !
La communication y devient plus fluide, plus légère, plus facile aussi ; à la
fois plus respectueuse et plus authentique.
27. Communiquer autrement
Et si, pour créer un lien plus sain avec notre famille, nous prêtions
réellement attention à l’autre ? Dans une intervention télévisée1, Zineb El
Rhazoui, survivante de l’attentat de Charlie Hebdo, parle de la relation
qu’elle a nouée avec ses gardes du corps.
« C’est la présence bienveillante, professionnelle de mes officiers de
sécurité qui m’a contrainte de me rattacher à la vie, qui m’a contrainte à
respecter des horaires. Parfois, ils se sont souciés de savoir si j’avais
mangé ou pas, et grâce à cette présence saine, j’ai pu surmonter les
premières semaines. C’est une relation assez atypique parce que ce sont
fondamentalement des inconnus, des gens que l’on vouvoie, et qui sont là
éventuellement pour mourir pour vous. Et ça crée un lien de sang. Les
attentats de Charlie m’ont fait découvrir que les liens de sang, que les
liens des personnes pouvaient se faire autrement qu’en étant issus de la
même fratrie. Par exemple, avec mes collègues de Charlie Hebdo, nous
avons entre nous aujourd’hui un lien de sang qui nous lie de façon
indéfectible. »
Ce témoignage bouleversant nous apprend beaucoup. Tandis que, dans de
nombreuses familles naturelles, on se déchire sans réussir à prendre soin
de l’autre, Zineb El Rhazoui nous explique comment d’autres liens
profonds peuvent nous lier aux êtres. Elle nous montre comment, par une
présence bienveillante et saine, des personnes nous relient à la vie.
Ouvrir le dialogue
Tout au long de notre exploration, nous avons observé que c’est
majoritairement dans notre propre tribu, dans ce huis clos d’individus liés
par la naissance, que la communication est plus fréquemment
malheureuse, pernicieuse et parfois cruelle.
De notre naissance à notre maturité, qu’est-ce qui fait que nous devenons
nous-mêmes ? Non plus un nourrisson parmi tant d’autres, mais nous,
uniques et particuliers ? La famille a certainement un rôle crucial dans
notre développement et notre épanouissement. Si certains d’entre nous
font face à des pensées suicidaires, à des temps de dépression, si certains
sont rejetés, n’est-ce pas en partie à cause d’une famille qui n’arrivait pas
à nous entendre ou à nous écouter ?
Si des individus sont mis au ban de leur famille à cause de leur orientation
sexuelle, si d’autres sont raillés ou vus comme des ovnis, c’est en partie
parce que, quelque part, le dialogue s’est refermé, desséché.
Lorsqu’il s’agit des gens de notre tribu, nous devrions être plus aimants,
plus protecteurs, plus bienveillants et plus humains. Oui, les familles ont
besoin d’évoluer vers plus d’ouverture, plus de communication, plus de
dialogue, d’intelligence et d’humanité.
Questions Mes
réponses
J’adopte une position haute (de savoir, d’autorité, de domination), basse (de
soumission) ou égale (d’équité) par rapport à l’autre ?
Que pensez-vous de vos réponses ? Avez-vous découvert quelque chose d’important pour vous
dans votre communication avec les autres ?
Comme nous l’avons vu dans la première partie, il n’est pas simple de
communiquer avec des personnes d’une autre génération. Il se peut aussi
que cela soit une personne de notre génération avec laquelle nous ayons
des divergences. Le temps passe très vite et les années ne se rattrapent pas.
Il vaut mieux chercher à communiquer dès aujourd’hui…
Il existe des méthodes pour réussir à assouplir et transformer le regard que
nous avons sur un membre de notre famille avec lequel nous sommes en
désaccord. Changer notre regard, c’est changer nos ressentis. Même si
nous ne le faisons pas pour l’autre, faisons-le pour nous, parce qu’il est
meilleur pour soi de ressentir des émotions agréables.
Voici différentes méthodes thérapeutiques pour vous accompagner dans
l’amélioration de votre communication et vous aider à choisir un
accompagnement qui vous convient :
• La psychanalyse : pour découvrir notre manière d’être au monde, nos
croyances et nos limitations, accepter nos spécificités, chercher
l’enfant que l’on a été, affirmer et mettre en œuvre notre désir.
• La TCC (thérapie comportementale et cognitive) : pour mieux
comprendre les schémas de pensées négatives à l’origine de
comportements inadaptés.
• La thérapie brève systémique et stratégique : pour résoudre les
problèmes et mettre fin à la souffrance par des changements apportés
au sein de la famille.
• La thérapie familiale : pour favoriser les échanges entre les membres
d’une famille.
Questions Mes
réponses
Qu’est-ce que je dis le plus souvent à mes parents ?
Est-ce que j’ai tendance à déverser mes problèmes, mes soucis, mes
difficultés, mes plaintes ?
J’accueille mes proches aussi bien que mes amis lorsque je les reçois chez
moi ?
Je les ménage et je réfléchis à ce qui est bon à dire ou non lorsque je les
retrouve ?
« On aime ses amis sans intérêt, on les aime pour en être aimé. Ils font partie de notre
famille : un ami est un frère que nous avons choisi. »
Joseph DROZ,
Essai sur l’art d’être heureux
L’idée que l’on choisit ses parents, donc sa famille, avant de venir
s’incarner circule de plus en plus. Alors que rien ne prouve que ce soit
vrai, ou faux, les adeptes des vies antérieures en sont persuadés, opposant
cette croyance avec beaucoup d’autorité, voire de virulence, aux personnes
qui se plaignent de leurs parents ou regrettent d’appartenir à une famille
pénible. Selon cette optique, nous serions donc responsables de ce choix
originaire et de tout ce que nous avons vécu depuis.
D’autres, très nombreux aussi, expliquent que, chacun créant sa réalité,
celles et ceux qui rencontrent des problèmes avec leur famille ont bien dû
le chercher d’une façon ou d’une autre. Ils devraient donc se
« programmer » ou « reprogrammer » pour ne plus se confronter aux
mêmes problèmes et les résoudre.
Quelles que soient nos croyances, la vie affective et relationnelle dans une
communauté, un groupe, et à plus forte raison dans une famille, est
difficile à équilibrer, à comprendre aussi, à transformer, malgré les bons
moments, qui peuvent être nombreux pour les plus chanceux. D’ailleurs, la
psychogénéalogie prouve que l’histoire de notre famille au fil des
générations pèse sur nous, que nous le voulions ou non, autant qu’il est
ardu et long d’en démêler l’écheveau. Il vaut donc mieux être humble, là
encore…
Dans le très beau film Love Is All You Need, réalisé par la Danoise
Susanne Bier, l’humour continu permet de faire passer les vérités
déplaisantes avec délicatesse. « C’est ça la famille, déclare Astrid, la
jeune fille sur le point de se marier, il y a toujours des cinglés ! » Quant à
sa mère Ida, pour justifier le mariage raté, elle s’excuse platement : « On
est une famille de fous. » Philip, l’homme qui l’aime, lui répond
enthousiaste : « C’est super, c’est super ! » De même, nos familles n’ont
rien d’idéal, elles sont bien réelles, et c’est ainsi : inutile de nous raconter
des histoires pour les embellir ou s’aveugler sur ce qui ne tourne pas
rond.
Nous avons présenté différents témoignages de personnes appartenant à
des familles très variées, des plus agréables ou sereines aux plus
douloureuses, qu’elles soient mutiques ou explosives. S’il est important de
comprendre comment fonctionne notre système familial, il est nécessaire
de faire d’abord la paix avec nous-mêmes, donc de soigner nos blessures,
avant de nous engager dans un processus de pacification avec notre
famille, en commençant par communiquer de façon plus consciente, donc
plus juste. Il arrive que ce processus soit long, plus compliqué à mettre en
œuvre que nous le pensions ou souhaiterions, voire impossible à réaliser.
Quoi qu’il en soit, chercher à se libérer des fardeaux familiaux requiert
d’apprendre autant à trouver la bonne distance avec les siens que
d’accepter les imperfections, les nôtres comme les leurs, donc de décevoir,
d’être déçu et de prendre le risque de se décevoir soi-même. Oui, en nous
confrontant au réel et à l’inattendu, la vie nous pousse inlassablement à
abandonner nos idéaux. Notamment celui de l’amour « inconditionnel »,
qui n’existe pas en réalité. Nous aimons imparfaitement, comme nous
pouvons, et c’est déjà beaucoup !
L’exploration de nos relations familiales se fait dans trois directions, au
moins :
• une meilleure connaissance du système que constitue notre famille,
avec ses coutumes, ses tabous et ses règles de fonctionnement ;
• une attention portée aux manifestations de l’inconscient au sein de ce
groupe si particulier ;
• l’observation fine de notre charge affective personnelle et de celle de
notre famille lorsque nous sommes réunis, car les enjeux y sont
particulièrement puissants.
Cette recherche globale nous permettra d’éclairer la plupart des
évènements, surtout les conflits, d’un jour nouveau porteur d’allègement
et de transformations possibles.
En chemin, nous avons découvert une loi que nous pourrions appeler la loi
de l’entente relationnelle, selon laquelle nous ne pouvons entendre l’autre
que si nous accueillons la réalité dont il nous parle, même si elle diffère de
la nôtre et, surtout, en l’écoutant à partir de nos sensations actuelles, donc
de notre corps, et pas en référence à nos conceptions abstraites, mentales :
nos croyances, nos principes, nos valeurs, ou même nos interprétations et
nos projections. Pratiquer cette écoute libre est bien plus difficile qu’il n’y
paraît. Il s’agit de l’horizon de notre évolution personnelle et relationnelle,
un but vers lequel nous approcher de plus en plus.
Enfin, que vous vous entendiez bien, moyennement ou pas vraiment avec
votre famille d’origine, nous ne pouvons que vous inviter à vous créer une
famille de cœur : quelques amis intimes, vraiment sincères, proches et
aimants, autour de vous, qui vous rendront la vie douce, avec lesquels être
en paix ne sera pas un vain mot ou une folle illusion, et qui vous
apporteront la félicité à laquelle vous aspirez tant, à travers ces bonheurs
et ces joies que vous méritez de savourer ensemble !
Index
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1. S. Tomasella, C. Wils, La Charge affective, Larousse, 2020.
1. W. R. Bion, Recherches sur les petits groupes, PUF, 2002.
2. Dans une famille, ce binôme peut être le couple parental, mais pas
forcément.
3. Lors des états généraux de la psychanalyse à Paris en juillet 2000.
1. Parmi eux, Didier Anzieu, René Kaës, Claude Nachin, Serge Tisseron,
Pierre Benghozi.
1. Colloque « L’identité et la différence », 2 avril 2015, à Hyères.
2. Virginia Woolf (1927), La Promenade au phare, Le Livre de poche,
1983..
1. Le héraut, aussi, puisque Diego était implicitement désigné comme le
porte-parole de la famille, celui qui sait et peut parler à la place de tous et
du groupe.
1. Certaines familles pratiquent plusieurs religions.
1. K. Loach, Grande-Bretagne, 2004.
1. Insee, Statistiques et Études, Mariages, Pacs, Divorces, 2018.
2. Ibid.
1. Se reporter aux passages sur les abus et les maltraitances, plus
particulièrement partie V, chapitre 18.
2. Interrogée par Tifaine Cicéron, dans Psychologie positive, janvier 2020,
no 29, p. 92-97.
1. Alice Miller, C’est pour ton bien. Racines de la violence dans
l’éducation de l’enfant, Flammarion, 2015.
2. Ibid., p. 24.
1. Nous parlons d’une écologie personnelle et relationnelle pour définir
un équilibre d’entretien et de protection de l’être humain, entendu dans sa
globalité corporelle, sensible, affective, cognitive et spirituelle.
1. S. Tomasella, C. Wils, La Charge affective, op. cit.
1. Voir partie V, chapitre 19.
1. M. Bordt, L’Art de décevoir ses parents, First, 2018.
2. Partie V, chapitre 19.
1. Pour plus de détails, lire La Charge affective, op. cit.
2. Le « développement personnel » est beaucoup moins intéressant
lorsqu’il consiste en une série de recettes superficielles qui flattent l’ego
et renforcent l’individualisme.
3. B. Jouve, « Politiques publiques et empowerment : l’exception
française », Économie & humanisme, no 379, décembre 2006, p. 99-101.
4. M.-H. Bacqué, C. Biewener, L’Empowerment, une pratique
émancipatrice ?, La Découverte, 2015.
5. A. Bandura, Auto-efficacité : le sentiment d’efficacité personnelle, De
Boeck, 2007.
1. Interview de Zineb El Rhazoui dans l’émission « Salut les Terriens », le
11 mai 2019.
2. Voir partie III, chapitre 5.
3. Partie V, chapitre 19.