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Revue économique

Note sur La violence de la monnaie de M. Aglietta et A. Orléan


Monsieur Jean Cartelier

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Cartelier Jean. Note sur La violence de la monnaie de M. Aglietta et A. Orléan. In: Revue économique, volume 34, n°2, 1983.
pp. 395-401;

https://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_1983_num_34_2_408720

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notes bibliographiques

NOTE SUR «LA VIOLENCE DE LA MONNAIE» *

Michel Aglietta et André Orléan viennent de publier un ouvrage remarquable


notamment par l'ampleur de son propos. La violence de la monnaie ne s'annonce
pas seulement comme une tentative de renouvellement de la réflexion économique ;
il s'agit aussi de la fonder de façon radicalement neuve sur la violence mimétique,
concept importé de l'œuvre de R. Girard. En ce sens, M. Aglietta et A. Orléan
entreprennent une critique de l'économie politique.
Le spectre de Marx hante à l'évidence ce livre. Non que les analyses tirées
du Capital y foisonnent, bien au contraire. Mais un esprit voisin l'anime et le
lecteur ne peut manquer de noter certains aspects significatifs.
Dans la forme tout d'abord, il faut souligner l'abondance des développements
d'impétueuse éloquence, entremêlant les arguments historiques, les positions épisté-
mologiques et philosophiques, les considérations anthropologiques et les évocations
scientifiques. S'y ajoute ici la psychanalyse. Comme Marx, M. Aglietta et A. Orléan
veulent convaincre ou plutôt emporter le lecteur, balayer ses réticences éventuelles
par l'accumulation, la diversité et la richesse des présomptions qui leur paraissent
favorables. Le résultat est un livre résolument et totalement engagé dont le ton
particulier, lyrique et inspiré, irritera les uns et enchantera les autres.
Sur le fond ensuite, la volonté de M. Aglietta et A. Orléan de présenter leurs
thèses économiques comme découlant d'une anthropologie générale fait également
partie de l'héritage de Marx. Le désir comme rapport humain fondamental (p. 34)
remplace le travail comme relation essentielle entre l'homme et la nature et l'idée
que « les institutions sont issues de la violence du désir humain et que leur action
normalisatrice sur ce désir provient de leur extériorité vis-à-vis du choc des désirs
qui se contrarient » (p. 29) se substitue à celle de l'Etat comme effet et
médiatisation nécessaire de la lutte des classes. Mais le plus important demeure : non
seulement l'économie politique doit être fondée sur une hypothèse extérieure qui
lui donne tout son sens mais surtout c'est cette hypothèse qui permet d'atteindre
des résultats scientifiquement pertinents. Marx pensait que l'économie politique ne
* Michel Aglietta et André Orléan, La violence de la monnaie, Paris, PUF,
1982.

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Revue économique — N° 2, mars 1983
Revue économique

pouvait déterminer la grandeur du taux de profit faute d'avoir l'idée de


l'exploitation (limitation de l'horizon bourgeois). M. Aglietta et A. Orléan se donnent pour
objectif de « démontrer qu'il est possible de construire une théorisation des rapports
économiques aussi rigoureuse que celle de l'équilibre général, mais qui rompt
radicalement avec le primat du sujet rationnel pour lui substituer l'hypothèse de
la violence sociale » (p. 20). Ceci permet d'analyser la crise monétaire comme
« crise de souveraineté » (p. 21), interprétation inaccessible pour l'économie
politique, selon les auteurs.
Les discussions auxquelles a donné lieu la théorie économique de Marx ont
montré combien ses énoncés (transformation et baisse du taux de profit par
exemple), en dépit des nombreux efforts faits pour les soustraire à la critique
ordinaire dont est passible l'économie bourgeoise, relèvent, pour l'appréciation de leur
validité, de critères indifférents à l'inspiration philosophique. Le bien-fondé
éventuel du matérialisme historique ne remédie en aucune façon aux incohérences de
la transformation ni à l'arbitraire de la baisse tendancielle du taux de profit. La
pauvreté supposée des positions épistémologiques de Ricardo n'empêche pas que
c'est de son œuvre qu'est issue la seule théorie cohérente de la détermination du
niveau du taux de profit.
Il convient de se demander si, de même, les thèses économiques de M. Aglietta
et A. Orléan dépendent vraiment du fondement général qui est invoqué et dans
quelle mesure elles peuvent être acceptées indépendamment d'une adhésion aux
thèses de R. Girard. Le point crucial de cet examen est évidemment la théorie de
la genèse de la monnaie, construite comme une réinterprétation de la théorie des
formes de la valeur de Marx en termes de violence essentielle (pour la forme
simple), de violence réciproque (pour la forme développée) et de violence
fondatrice (pour la forme générale).
Avant d'examiner ce point, il faut préciser que ce qui est en cause ici n'est
pas le fait qu'une théorie économique soit associée, chez un auteur donné, à des
convictions idéologiques ou philosophiques particulières — cela est nécessairement
vrai pour chaque auteur — mais plutôt qu'elle puisse tirer sa validité d'une
interprétation extra-économique (conformité à une « juste méthode scientifique » par
exemple). Parce qu'elle est une discipline rationnelle, l'économie politique se prête
à des discussions de cohérence interne, selon des règles susceptibles d'être
acceptées, à un moment donné, indépendamment de divergences plus fondamentales.
Même s'il est vrai que ce genre de débat n'est pas nécessairement le plus
significatif au regard de l'histoire — ni même le plus fréquent ! — il est le seul qui
puisse ne pas être un dialogue de sourds. Pour cette raison, il paraît raisonnable,
dans tous les cas où une proposition peut être établie en demeurant sur le terrain
balisé par l'économie politique, de s'y tenir et de considérer le recours à d'autres
arguments, sinon comme un supplément d'âme, comme une simple interprétation
d'un résultat énoncé indépendamment d'elle.
L'esprit de la présente lecture de leur ouvrage n'aura probablement pas
l'approbation des auteurs. Il est cependant le plus sûr moyen de dépasser
l'alternative que le ton général du livre et sa vocation totalisante risquent de proposer :
à prendre ou à laisser. Opérer une disjonction entre les développements relevant
d'élaborations distinctes et soumis de ce fait à des critères différents d'appré-

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Notes bibliographiques

ciation est, il est vrai, reconnaître que l'esquisse d'une science sociale unique
et globale fondée sur la violence mimétique n'est pas acceptée. Mais c'est aussi
reconnaître que le débat n'est pas clos et que La violence de la monnaie constitue
une contribution importante parce que discutable.
Les trois thèses essentielles du livre paraissent tout à la fois fondées et
importantes :
(i) il n'existe pas, au-delà de la règle de paiement comptant qui implique la
nécessité de compenser les encaissements et les décaissements, une détermination
de grandeurs économiques servant de référence, telle que l'équilibre ou une règle
de répartition spécifiée a priori ; il n'y a pas de norme utilisable, soit pour
caractériser une situation économique donnée, soit pour agir et concevoir une politique
de régulation ;
(ii) l'enjeu des crises — qui se présentent comme crises monétaires — n'est
autre que l'existence de la monnaie elle-même, c'est-à-dire, pour M. Aglietta et
A. Orléan, le mode provisoire de pacification des relations violentes entre sujets,
potentiellement fatales à l'ordre social ; cela est la conséquence de ce que la
monnaie est l'institution primordiale de l'ordre social marchand ;
(iii) l'analyse du fonctionnement de la société est celle de l'oscillation non réglée
entre le fractionnement (résolution privée des déficits) et la centralisation
(résorption sociale) ; le premier est interprété par les auteurs comme tentative de
régulation privée du désir d'appropriation, tandis que la seconde renverrait à
l'indifférenciation et à l'homogénéisation de l'objet du désir.

Il est également significatif et important que ces thèses soient soumises à


l'épreuve de l'histoire. La seconde partie du livre est consacrée à cette tâche
à travers l'examen de problèmes particuliers : la formation de la monnaie
contemporaine (succession et entremêlement du sacré, de la loi et du rapport marchand),
l'hyperinflation allemande des années vingt et la politique monétaire américaine de
l'après-guerre. Ces deux derniers points sont remarquablement traités et de façon
fort convaincante. Mais cela ne vas pas sans danger pour la cohérence du livre
dans la mesure où la qualité de ces analyses semble tenir davantage au talent
personnel des auteurs et à l'application judicieuse d'instruments traditionnels qu'à
l'application fort discrète des concepts liés à la violence mimétique...

Les brèves pages qui suivent ne peuvent rendre compte de la richesse et de


l'intérêt de ce livre pas plus qu'elles ne font justice des nombreuses intuitions qui
y sont contenues. Le plaisir que procure sa lecture ne peut qu'être rappelé et il
serait fastidieux de relever les nombreux points de convergence avec une approche
développée par ailleurs 1. De façon plus ingrate, mais sans doute plus utile, elles
se proposent d'esquisser une discussion de la théorie proposée par M. Aglietta

1. C. Benetti, J. Cartelier, Marchands, salariat et capitalistes, Paris, Maspero,


1980.

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et A. Orléan de la genèse de la monnaie, dont le point préalable lui conférant son


importance est l'idée que « la monnaie précède l'économie marchande et la fonde
et non l'inverse » (p. 143).
Cette dernière thèse est fondamentale. Elle n'est évidemment pas nouvelle ;
elle appartient à la tradition hétérodoxe, dont Keynes est, avec la Théorie générale,
le représentant le plus typique à l'époque moderne. B. Schmitt est, en France,
l'auteur qui a le plus contribué à lui donner une expression systématique.
Ce courant hétérodoxe s'oppose à la théorie de la valeur ou se mêle à elle de
façon complexe. En tout état de cause, il n'est pas extérieur à l'économie
politique. La thèse de l'antériorité logique de la monnaie, loin d'être liée à une position
épistémologique particulière, peut être considérée comme le résultat plus ou moins
inévitable d'un examen des théories orthodoxes, considérées du point de vue de
leur capacité à rendre compte en principe du fonctionnement d'une économie
décentralisée. C'est d'ailleurs grâce aux travaux de certains théoriciens de
l'équilibre général — dont plusieurs sont cités par M. Aglietta et A. Orléan — que ce
point essentiel a pu être éclairci et établi. L'impossibilité de se passer d'une
instance extérieure aux échangistes dans la procédure de conclusion des contrats et
d'une agence centrale pour leur exécution — l'échec récent de la théorie du
déséquilibre à produire l'image de la coordination non centralisée des activités
économiques est exemplaire — peut s'interpréter a contrario comme une nécessité
absolue de postuler un objet social avant d'évoquer les individus et leurs
relations. La monnaie est le nom de cette institution sociale primordiale.
Une critique interne de la théorie de la marchandise de Marx aboutit très
exactement au même résultat 2, ce qui ne peut surprendre que ceux qui accordent
plus d'importance aux intentions des auteurs qu'aux contraintes du travail
théorique.
Une fois admis que l'antériorité logique de la monnaie peut être une
proposition de l'économie politique, le problème se pose de savoir s'il est possible de
reculer les limites de ce domaine : au lieu de présupposer la monnaie — ce qui
interdit de formuler à son égard autre chose que des interprétations difficilement
contrôlables — n'est-il pas souhaitable de faire de la monnaie le résultat nécessaire
d'un processus instituant le social. Ce serait accomplir, selon le mot de Marx, « ce
que l'économie politique n'a jamais fait ». Tel est le sens de la tentative de
M. Aglietta et A. Orléan.
Brièvement résumée — et donc déformée — la thèse des auteurs s'appuie sur
une interprétation en termes de violence mimétique de la théorie des formes de
la valeur de Marx.
La forme simple est analysée comme « violence essentielle », expression
immédiate de la « capture » qui est « le rapport le plus général et le plus essentiel du
monde vivant parce qu'il désigne l'incomplétude de tout organisme vivant » (p. 37).
Le rapport contradictoire entre la proie et le prédateur, « confusion des actants »,
renvoie à la contradiction marxienne entre valeur d'usage et valeur d'échange,
dont elle indiquerait le sens.

2. C. Benetti, J. Cartelier, op. cit.

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Notes bibliographiques

Au lieu d'aboutir à la destruction réciproque des sujets, la violence essentielle


peut trouver une « forme sociale qui la supporte ». Ceci passe par la généralisation
de ce rapport ; est ainsi définie la « violence réciproque » qui correspond à la forme
développée de la valeur chez Marx. « De l'antagonisme élémentaire du désir, on
est passé à la violence généralisée de la concurrence universelle » (p. 40).
Ce stade prépare la transformation de la violence réciproque en violence
fondatrice. « Ce moment engendre une réalité sociale entièrement nouvelle, l'institution,
qui discipline les rapports des échangistes rivaux parce qu'elle leur est extérieure.
Dans l'ordre économique, cette institution est la monnaie » (p. 40). On aura reconnu
là l'évocation de la forme équivalent général, issue chez Marx comme chez
M. Aglietta et A. Orléan d'une procédure d'« élection-exclusion ».
M. Aglietta et A. Orléan s'appuient sur la théorie marxienne des formes, « ce
joyau de l'esprit humain » (p. 34), avec une grande confiance. Elle n'est
cependant pas sans faiblesses. Les auteurs semblent toutefois penser qu'il est possible
d'y remédier par une interprétation adéquate. « A partir de cette hypothèse que
Girard appelle la mimésis, il est possible de fonder une conception générale de
la valeur d'usage dont une conséquence importante est de soustraire la théorie
marxienne des formes de la valeur aux critiques des partisans de la théorie
subjective de la valeur » (p. 28).
Cette prise de position laisse perplexe. Si les critiques auxquelles M. Aglietta
et A. Orléan font allusion (mais qu'ils n'explicitent pas) sont fondées, est-il
concevable qu'une interprétation philosophique ou anthropologique les rende
caduques ? Si elles ne le sont pas — ou si elles sont purement idéologiques — à
quoi bon s'en soucier ?
Il paraît plus convenable de se demander si les critiques dont la théorie des
formes peut être l'objet- s'étendent ou non à la théorie avancée par M. Aglietta et
A. Orléan.
La difficulté centrale, pour Marx comme pour la théorie subjective, semble
être la suivante : ou bien l'égalité x marchandise A = y marchandise B est censée
décrire un échange réalisé et disparaît la possibilité de rendre compte, à partir de
la forme simple, du processus par lequel se noue l'échange ; ou bien l'égalité est
considérée, comme le suggère M. Aglietta et A. Orléan (p. 33), comme exprimant
le point de vue de l'un des échangistes ; le second formulerait alors la proposition
y' marchandise B = x' marchandise A ; si x = x' et y = y' alors l'échange a
lieu ; mais ceci s'effectue sur la base du troc et la monnaie ne pourra apparaître
qu'après l'échange (ce qui infirme la thèse de l'antériorité logique de la monnaie) 3,
si, par contre x 9^ x' ou y 7^ y' l'échange se révèle impossible. La situation qui
en résulte, quand bien même conflictuelle et violente, ne saurait échapper au
domaine qui a servi à la définir et lui donner sont intelligibilité, à savoir la règle de
l'échange. Dans un cas on s'efforcera de bâtir un processus d'ajustement (théorie
orthodoxe), dans l'autre on imaginera d'autre modalités. Mais c'est la possibilité ou
non de l'échange qui sert toujours de référence.

3. En fait, la monnaie n'apparaîtra pas : elle n'aura plus aucun rôle à jouer,
tout étant accompli.

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En d'autres termes, l'analyse des formes de la valeur parce qu'elle part de x


marchandise A = y marchandise B, loin d'être antérieure à la relation marchande
lui est nécessairement logiquement postérieure. C'est du reste ce que reconnaît
implicitement Marx lui-même, quand il remarque que la question de la commen-
surabilité est déjà résolue à ce stade (Pléiade, I, p. 578-579).
Pour que la théorie de M. Aglietta et A. Orléan échappe à cette critique, il
convient de la considérer comme indépendante de toute référence à l'échange et
aux formes de la valeur. Mais il est bien difficile de combler le vide créé par
l'éviction de l'échange. Quelles règles assigner à la violence ? Quel statut ont les
protagonistes de la violence mimétique ? Sont-ils déjà socialisés ? Si oui la recherche
d'un processus fondateur devient sans objet ; si non le mystère demeure. Quelles
sont notamment les règles qui font que le passage de la violence essentielle à la
violence fondatrice débouche sur la monnaie et non sur le sacré ou sur la loi (qui
sont les deux autres modalités de socialisation retenues par les auteurs) ?
Rien ne nous est dit à ce sujet. Les références historiques sont évidemment
impuissantes, leur interprétation étant suspendue à l'élaboration des concepts qui
seuls peuvent leur donner un sens.
Exprimée autrement, la difficulté rencontrée par les auteurs est la suivante :
— ou bien la formation de la monnaie est conçue comme un processus
permanent (reproduction des conditions d'existence des relations monétaires) et elle ne
peut être que l'effet de la non-transgression d'un ensemble de règles postulées et
non démontrées ; ces règles (modalités de la division du travail, contrainte
monétaire, etc.) forment le cadre à partir duquel l'interprétation du fonctionnement de
la société est possible ; sa transgression implique certes la remise en cause
radicale des institutions — la crise au sens fort — mais il n'est pas possible d'en dire
plus puisque l'existence de l'institution est la condition du discours ;
— ou bien la formation de la monnaie est conçue comme une origine (la
chiquenaude ou le « big bang » initial) ; ceci signifie que le mode de surgissement
de la monnaie concerne un monde qui n'est plus ; son opacité vient précisément
de ce que c'est sa disparition qui est la condition de construction du discours
économique. Ge monde des origines se situe de l'autre côté du miroir ; il ne peut faire
l'objet d'une théorie mais seulement être le thème d'une métaphysique. Le mythe
de l'origine se substitue à la démonstration théorique.
La capacité de tels mythes à interpréter n'est nullement négligeable. Du
pouvoir coercitif de Hobbes — qui est, bien avant Girard, la mauvaise conscience de
l'économie politique — au contrat social de Rousseau en passant par l'état
primitif de Turgot et Smith, les exemples ne manquent pas. On peut assez
raisonnablement soutenir que chaque auteur a recours à l'un d'entre eux et que c'est
finalement ce qui confère son sens à la théorie qu'il défend. Dans le cas présent,
la notion de violence mimétique enrichit l'analyse d'arrière-plans très suggestifs
et donne plus de poids à l'idée que les crises peuvent être mortelles.
Mais il faut se garder de mettre tout cela sur le même plan. Céder aux
mirages de la « super-théorie », permettant de penser en un même mouvement et
de la même façon le fonctionnement d'une société et sa genèse mythique, peut
conduire à une stérilité théorique : le débat méthodologique paraît toujours plus
rentable — son issue ne faisant aucun doute par hypothèse —- que les investiga-

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Notes bibliographiques

tions méticuleuses et incertaines de questions précises et subalternes. Le marxisme


y a perdu probablement le plus clair de sa capacité à intervenir activement dans
les débats théoriques contemporains. Certains passages de La violence de la
monnaie peuvent laisser penser que les auteurs ne sont pas indemnes d'une telle
tentation.
Lorsqu'ils reprochent à la théorie orthodoxe de ne pas produire la socialite —
« elle n'est pas l'aboutissement d'un processus de socialisation ; elle est toujours
donnée au départ « (p. 31) — ne laissent-ils pas entendre par là qu'il serait
possible de construire une théorie dont les conclusions ne soient pas implicitement
contenues dans les prémisses ? Comment et selon quelles règles pourrait-on les
produire ?
Il faut se consoler de ne pas avoir encore de théorie de la genèse de la
monnaie et se contenter de l'idée que la monnaie est l'institution primordiale de nos
économies. Elle suffit à justifier l'idée défendue par M. Aglietta et A. Orléan que
la crise monétaire peut ne pas être résolue et que nos économies comme nos
civilisations sont mortelles. L'effet de résonance dû à l'évocation de la violence
mimétique est appréciable mais secondaire. Les auteurs le montrent bien au demeurant
dans l'étude qu'ils présentent de l'hyperinflation allemande — qui paraît un cas
particulièrement favorable à la dramatisation. Or, bien loin d'y trouver les
ravages de la violence mimétique, on y rencontre un affrontement réglé de certaines
couches sociales dont l'issue paraît contrôlée par l'oligarchie industrielle. « Dans
ces conditions (changement de pouvoir vers la fin de 1923), les groupes
dominants n'avaient plus à craindre une socialisation des richesses par la fiscalité.
Simultanément, un consensus se créa au sein de ces couches sociales pour mettre
fin aux conditions spéculatives de l'émission monétaire. Car il est clair à partir
de l'été 1923 que la crise économique frappait de plein fouet l'ensemble du
capital. Du jour où elle ne présentait plus d'intérêt pour personne, l'inflation était
condamnée » (p. 20)...

Jean CARTEIJER

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