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LE POUVOIR EN DEVENIR:
TARDE ET L'AcruALITÉ
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Les transformations du pouvoir
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Le pouvoir en devenir: Tarde et l'actualité
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Les transformations du pouvoir
1. TP, 150. Cette phrase montre bien, par-delà l'emploi équivoque du mot • décentra-
lisation .. dans la même page, que le problème n'est pas celui de la décentralisation, c'est-à-
dire de l'abandon par l'Etat de certaines de ses prérogatives au profit de pouvoirs locaux.
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Les transformations du pouvoir
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Le pouvoir en devenir: Tarde et l'actualité
* * *
1. OF, 115.
2. TP,247.
3. TP, 193. Bien entendu, le lecteur ne peut s'empêcher de penser à certains démen-
tis apportés par le xxe siècle. Mais on dirait que Tarde les indique lui-même: « il y a des
moments où un parti aurait intérêt à croire qu'il fait nuit en plein jour »•••
4. TP, 256-258.
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transformations du pouvoir
1. TP,59.
2. TP, 58 et 106.
3. TP, 82-83.
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Tel est le prestige, qui institue la relation de pouvoir. Par là, Tarde
ne déréalise nullement cette relation; il montre au contraire la
force de la croyance, et combien la réalité en est elle-même consti-
tuée.
Le champ social suppose une multitude d'individus mais n'est
pas constitué par eux. Les individus ne valent eux-mêmes qu'en
tant qu'auteurs ou propagateurs d'innovations de tous ordres
(inventions ou découvertes). Chacun d'entre eux, à un degré ou à
un autre, fait preuve d'originalité, émet de la nouveauté dans des
proportions variables, mais seules certaines innovations rencon-
trent la faveur qui fera d'elles autant de ({ foyers de rayonnement
imitatif» : la nouveauté ne suffit pas, il faut encore qu'elle intéresse.
Or l'imitation a sans doute pour condition nécessaire la sympathie
qui, en retour, en élargit et en approfondit le domaine en produi-
sant de la similitude; mais la véritable expliçation de la propaga-
tion d'une innovation est le débouché nouveau qu'elle offre au
désir et à la croyance, soit en répondant mieux ou autrement à la
demande, soit en modifiant cette demande dans le sens d'un
accroissement de croyance et de désir. Circulent alors, d'individu
en individu, des « courants d'exemples» qui tantôt se croisent et
se superposent, tantôt interfèrent, tantôt encore rivalisent et se
heurtent: là seulement apparaît le champ social, conditionné par
la distribution des « foyers», remaniable par conséquent chaque
fois qu'émerge un foyer nouveau qui entraînera une modification
du rapport de forces entre les différents « courants». Son tissu,
inégalement dense et traversé de lignes de fracture partielles, est
fait d'imitations (l'échange, d'après Tarde, ne suffit pas à lier les
individus).
On voit que le champ social, si l'on suit Tarde dans sa définition
du pouvoir, est aussi bien un champ de pouvoir!. Une société, c'est
d'abord le découpage et l'enchevêtrement de différentes aires de
prestige, d'une multiplicité de rones d'emprise dont le sociologue
déchiffre l'émergence, la ptogression, les conflits qui les opposent
1. Ce pourquoi Tarde s'arrache à montrer que, si route imirarion esr une forme
d'obéissance, réciproquement route obéissance s'enracine dans l'imitation: TP, 154 sq.
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* * *
1. TP,67.
2. TP,85.
3. Fustel, en définitive, • a eu raison de dire que les idées mènent le monde» (TP,
104).
4. Sans doute le marxisme reconnaît pour son compte la mutation des intérêts mais
dans la dépendance d'une mutation économique. Or ce lien, comme on sait, est obscur.
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1. TP, L08 (et le développement déjà cité sur l'auto-limitation du pouvoir même
despotique, L93: «On n'est pas toujours maître de croire ce qu'on désirerait croire, ce
qu'on aurait intérêt à croire ..... ).
2. TP, L85.
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1. Tf>, 82.
2. Tf>. 115 et 216-217.
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Les transf()rmati()llS du p()uv()ir
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1. LI, 279.
2. TP,67.
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Les tralHformations du pouvoir
1. EMS, 392.
2. EMS, 393.
3. TP. 85 sq.
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* * *
On n'accusera pas Tarde d'angélisme, sous prétexte qu'il fonde
le pouvoir sur le prestige et l'amour. Pas plus qu'un autre, il
n'ignore la violence et l'injustice: ses allusions aux moyens mili-
taires de l'État et à la cruauté dont il peut faire preuve 2, à la
« répartition monstrueusement inégale» de la propriété 3, au « can-
nibilisme » des nations civilisées et aux: campagnes de colonisation
portées par « une sorte de devoir de la force qui nous inspire hypo-
critement nos exactions» 4, montrent assez que la violence est chez
lui reléguée au second plan par un parti pris. méthodologique des-
tiné à faire apparaître le pouvoir dans sa vraie nature. C'est que la
collusion factuelle du persuasif et du coercitif, du pouvoir et de la
simple puissance, dispose à reconnaître le pouvoir là même où il
rencontre ses limites, et favorise l'emploi métonymique du terme.
Le souhait de Tarde est de montrer qu'aucune domination ne se
fonde sur un simple rapport de forces, contrainte nue ou même
terreur. De la même façon, on ne lui reprochera pas d'identifier
pouvoir et autorité: loin d'être une marque d'imprécision ou de
confusion, cette synonymie est le fond même, revendiqué, de sa
conception du pouvoir (on peut seulement, si l'on y tient, rejeter
celle-ci en bloc). Tarde juge très improbable que la puissance soit
en mesure d'usurper durablement le pouvoir; ce qui demande à
être compris, c'est que la fonction inhérente au pouvoir politique
puisse ainsi s'écarter des conditions de son émergence.
1. TP, 252-253.
2. TP, 95, 235, 238, etc.
3. TP, 110 (on remarquera qu'il ne la justifie qu' historiquement, dans la mesure où,
compre tenu de la loi de propagation du supérieur à l'inférieur, il y voir la condition
dialectique de l'. égalisation relative des fonunes »).
4. TP, 206. En revanche, Tarde milire pour le droit d'ingérence: cf. Les Transfoririil-
tions du droit, rééd. Paris, Berg International, 1994, p. 157.
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1. Comme il le fait dans LI, 260, où il parle des «dépenses inouïes d'amour, et
d'amour malheureux, à l'origine de toutes les grandes civilisations». Les fameuses scènes
d'affliction et d'anxiété de la place Rouge, à la mort du «père des peuples », auraient
sans doute frappé Tarde, qui prévoyait pour le xx e siècle des formes inédites de pouvoir
personnel, tirant parti des nouvelles possibilités de répression et de propagande
(cf. infta).
2. Tarde s'approche d'une synthèse de la terreur et de l'amour lorsqu'il donne des
exemples de pouvoir primitif, même s'ils relèvent de la crédulité pure et simple: le bien-
faiteur y est cllaque fois terrorisant. Cf. TP, 82.
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1. TP,203.
2. PsE, II, 408.
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1. TP,53.
2. TP,58.
3. TP.59.
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«(
officielle, l'autre officieuse poètes, artistes, littérateurs, orateurs,
journalistes, apôtres, hommes illustres de tout genre» recrutés dans
ces sphères de prestige que sont noblesses et capitales). Cette division,
qui laisse entier pour le moment le mystère de l'origine de l'État, est
aussi celle de deux modes de propagation ou de « rayonnement imi-
tatif» - « peu à peu et de proche en proche », « brusquement et par-
tout à la fois». Elle porte ainsi en elle tout le problème du volonta-
risme politique. Car il est clair, encore une fois, que l'imitation
rendue obligatoire serait une chimère: l'État ne peut donner à imiter
que des exemples qui se répandent déjà dans le champ social, sauf à
s'avouer impuissant. L'efficacité de l'État est donc d'abord ryth-
mique: « il excelle à précipiter » l, parfois à freiner. Gouverner, c'est
manier les croyances et les désirs, et « ce maniement consiste à agir
sur l'un des mille bras du grand fleuve de l'Imitation dont les
hommes d'État ont à surveiller et utiliser sans cesse le cours» 2.
Comment comprendre cette scission apparente du concept
d'autorité? Tarde part de la famille, où il repère la formation d'un
certain régime affectif - « plaisir et désir d'être protégé et dirigé» -
qui rend intelligible à ses yeux le pouvoir politique. Il s'agit moins
là d'une tendance innée que de possibilités de jouissance que la vie
fàmiliale révèle et qui, par habitude, se muent en besoins cardi-
naux, appelés à subsister bien au-delà de la forme initiale que leur
donne la nécessité naturelle. Ce double besoin trouve à se satisfaire
dans l'habitude connexe d'obéir et d'imiter. On peut donc conjec-
turer que, sans l'institution familiale, le pouvoir politique n'aurait
jamais existé, et qu'une éventuelle crise de l'autorité paternelle,
a contrario, se répercuterait vraisemblablement sur l'autorité de
l'État 3. La difficulté est que si ce besoin est à l'origine de l'obéis-
sance en général, on ne voit pas comment il pourrait rendre
compte de la soumission particulière à l'autorité politique.
Comment Tarde échappe-t-il à ce cercle? L'autorité publique
n'est pas une simple extension de l'autorité paternelle. Pour que
1. TP,60.
2. TP, 255 n. 1 (Tarde souligne).
3. TP, 68 cr 74.
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1. TP,73.
2. TP, 72-73-
3. TP, 79 - Tarde souligne.
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qu'il tenait concentrées dans une seule main révèlent ou créent une
vacance, un lieu inoccupé pour une autorité inédite. Encore une
fois, l'enclos familial ne s'ouvre que dans la perspective d'un endos
élargi et par conséquent complexe, dont la consistance demande
que soit résolu un problème nouveau, celui de la coordination.
Réciproquement, le pouvoir d'État commence nécessairement par
prendre le déguisement des puissances disponibles (paternelle,
sacerdotale, patronale, militaire) 1. Mais comme ce jeu de masques
est déjà le fait du père, selon que prédomine en lui telle fonction
plutôt que telle autre, le lecteur en vient à la conclusion que l'iden-
tité du pouvoir politique se joue dans le destin de la fonction
paternelle hors de la famille, et dans le rapport de cette fonction
vide à la pluralité variable des fonctions émancipées. Doit-on
croire que l'autorité publique conquiert un jour sa forme propre?
Mais d'où le gouvernement tirerait-il son prestige, lui qui ne fait
que coordonner? Où donc puise-t-il ce pouvoir même, si ce n'est
en s'alimentant à ce qu'il coordonne? N'est-il en somme que la
reconnaissance d'une hégémonie temporaire?
La réponse est dans la forme que prend nécessairement en
société la satisfaction du « besoin de protection et de direction» :
mon intérêt n'est protégé qu'à condition de s'harmoniser avec celui
des autres. Cette harmonisation peut prendre deux formes: limita-
tion mutuelle et orientation commune. Tantôt un équilibre ou un
compromis donne à l'intérêt la forme du droit; tantôt l'intérêt, par
coïncidence ou conformation, se présente comme un but commun
que l'État propose à la nation ou qu'il sait reconnaître et prendre
en charge (on retrouve ici la dualité de la croyance et du désir).
L'État gagne ainsi son prestige de ce qu'il sait pourvoir aux intérêts
communs, c'est-à-dire convergents, et l'on ne confondra pas ces
derniers avec la similitude des intérêts particuliers, qui divergent
les uns des autres. C'est pourquoi « la politique est l'ensemble des
activités quelconques d'une société en tant qu'elles collaborent ou
s'efforcent de collaborer en dépit de leurs mutuelles entraves », si
bien que « l'État, détenteur du pouvoir, a pour tâche de diriger ou
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* * *
1. TP,49.
2. TP, 94-95 et 243.
3. TP,244.
3S
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tant incertain entre tous. Car aussi délicat qu'il soit à circonscrire,
ila le pouvoir de priver ou de doter de sens, de changer la portée
d'une disposition, d'une solution. Reste que la difficulté du travail
de déchiffrement qu'il requiert se redouble de ce que, pris lui-même
dans la mutation, ce travail a aussi impérativement à se déchiffrer
lui-même.
François Zourabichvili