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ANALYSE
POLITIQUE DE
L’ÉCONOMIE
[1/4]
Inégalité et Hiérarchie
[Les cahiers de vacances de
Jacques Fradin]
Jacques Fradin - paru dans lundimatin#348 (Aout-2022), le 23 août 2022
Premier épisode
L’élimination radicale de
l’aspect physique, « valeur d’usage »,
des biens, élimination par laquelle
nous commencerons, tellement ce
sujet est hérétique (et para-doxique),
cette élimination est le résultat du
déploiement de la déconstruction (et,
ici, de la casse) de l’idéologie
individualiste échangiste du
consommateur « libre ».
Le fameux sujet consommateur
« libre » (la nouvelle �gure époquale
du consommateur touriste) n’est
qu’un agent de circulation.
Cette critique, au-delà du fétichisme,
qui fait fond sur la DÉNÉGATION
(symptôme d’une maladie mentale),
et analyse la déréliction
consumériste (avec les sauveurs
oligarchiques), cette critique est
nécessaire pour la critique
écologiste.
L’écologie politique doit commencer
par analyser la marchandise
abstraite, la valeur d’échange sans
valeur d’usage, ou, la valeur
d’échange qui constitue la valeur
d’usage.
Un démarrage en trombe
Travail Abstrait &
Marchandise Abstraite
Reformulation de la théorie de
la valeur
En termes anthropologiques,
plus classiques, la proposition de
l’identité du capitalisme et de
l’économie signi�e : il n’existe pas
d’invariants anthropologiques.
Invariants qui, justement,
dé�niraient l’économie
fondamentale, le gros invariant an-
historique.
Tout le monde sait qu’il faut
travailler pour vivre et que, donc,
l’économie (l’organisation technique,
l’artisanat, le boulot, etc.) est
universelle. Il y a toujours eu de
l’économie, même les hommes
préhistoriques pensaient
économiquement (sans le savoir).
Nous soutenons (à charge de
l’expliciter) que l’institution du
capitalisme produit une rupture, la
rupture de l’économie, et introduit
l’économicisation (ou la
colonisation) des formes de vie non
économiques (anté-économiques, si
l’on veut).
Le capitalisme, comme forme
élaborée du despotisme le plus
archaïque, déploie l’ordre
hiérarchique qui dé�nit tout
despotisme ; il déploie cet ordre
archaïque en le rendant
systématique ou total. Et c’est cette
systématicité ou totalité
(l’interrelation comptable générale,
« la �nance ») qui dé�nit l’économie.
Le capitalisme doit être envisagé
comme systématique (comme
économie), comme formation sociale
politique totale. Tous les éléments
que l’on peut imaginer voir dans des
formations despotiques antérieures
(comme le travail des esclaves, ou la
monnaie pour payer les mercenaires,
ou des marchés locaux, etc.), tous ces
éléments composants forment
désormais une structure et ne
prennent sens que par cette
systématique.
Si l’on était rigoureux, il faudrait
distinguer entre les éléments non
interreliés (le travail esclave n’est
pas salarié, la monétisation n’a
qu’une emprise in�me, l’impôt
monétaire n’existe pas, etc., les
termes travail ou monnaie ou impôt
devant être soigneusement redé�nis)
et leur systématisation ou leur
interrelation générale.
Ainsi la valeur, l’évaluation
monétaire universalisée, est la
caractéristique centrale du
capitalisme, justement parce qu’elle
est universelle ; de tous les
despotismes, seul le capitalisme est
devenu une énorme machine
comptable, bientôt mécanisable, avec
des agents mécanisés, avec la
pensée devenant du travail cognitif
(le travail étant dé�ni par sa
monétisation, le salariat – le travail
concret est dé�ni par le travail
abstrait).
Il faut donc dire, radicalement, la
valeur est un élément du capitalisme
et n’est qu’un élément du
capitalisme ; il n’y a pas de valeur
hors du capitalisme. De même la
monnaie, la base numérique
comptable de la valeur, son écriture,
est et n’est qu’un élément du
capitalisme ; il n’y a pas de monnaie
hors du capitalisme.
Si l’on parle rapidement, et avec
erreur, de « monnaies non
capitalistes », des monnaies
archaïques, comme l’or des sauvage
(Keynes), il faut toujours avoir en tête
qu’il s’agit d’une facilité de langage
(qui mène à l’erreur de l’invariant
trans-historique et à la téléologie
métaphysique) et que ces dites
monnaies primitives n’ont rien à voir
avec la monnaie (comptable
�nancière) du capitalisme. À ce sujet
il est essentiel de comprendre que la
monnaie est une simple écriture ;
qu’il ne peut y avoir de « monnaie
matérielle », que la monnaie n’est pas
de l’or (revenir à Keynes dont nous
développerons certains thèmes dans
le deuxième épisode).
Pour distinguer soigneusement
lesdites monnaies primitives de la
monnaie capitaliste, la seule
monnaie de compte (ou �nancière), il
faudrait utiliser des mots différents.
Mais il semble que les sciences
sociales, trop pressées de passer
« aux applications », n’ont pas la
patience de la conceptualisation
rigoureuse.
Au moins pour qu’il y ait monnaie
(du) capitalisme, il faut un système
bancaire développé, c’est-à-dire un
réseau de comptes interreliés (les
banques sont des teneurs de comptes
qui tiennent la comptabilité de ceux
qui ne tiennent pas de
comptabilité !).
Le capitalisme est dé�ni par cette
interrelation des écritures
comptables : il est donc toujours
« �nancier ».
Notons le décalage que nous opérons
par rapport à la théorie néoclassique
(et par rapport au marxisme
métaphysique) : les néoclassiques
traitent aussi des interrelations, mais
uniquement des interrelations
techniques entre des marchés
naturalisés, ce qui est l’expression
parfaite de l’économie fondamentale
mythique (avec des « prix relatifs »
non monétaires).
La monnaie étant une écriture,
l’écriture de la valeur, la monnaie ne
se dé�nissant que par les virements
de compte à compte, des écritures
comptables, le capitalisme est un
système abstrait d’écriture ; une
vaste �ction réalisée.
Notons encore que le rejet de la
dialectique hégélienne (téléologique)
contient le refus de l’idée de
« germe » : la monnaie primitive
serait « le germe » de la monnaie (du)
capitalisme, chercher l’erreur !
Et, bien sûr, mais nous le répétons
sans cesse, il faut dire : le travail,
toujours mort, est et n’est qu’un
élément du capitalisme.
Le travail esclave (si l’on conserve le
terme travail) n’est pas « le germe »
du travail salarié : ce n’en est que
l’analogue structural ; l’homologie
esclave – salarié trouve sa place
dans une rétroprojection, celle du
despotisme déployé vers le
despotisme ancien (l’anatomie de
l’homme est la clé de l’anatomie du
singe : il s’agit d’homologie, non pas
de téléologie, même inversée).
Sur ce sujet du travail, nous
partageons la critique de Moishe
Postone ou la doctrine de la
WertKritik (en particulier son
Manifeste contre le Travail).
Mais, curieusement, la WertKritik
continue de partager une version
ancienne du marxisme, celle de la
théorie ricardienne de la valeur
travail, et, donc, commet une erreur
sur la dé�nition de la valeur en
parlant de mesure de la valeur et en
continuant de se référer à la
substance travail (qui est une bonne
substance métaphysique). La critique
de la WertKritik n’est donc pas allée
assez loin ; ce qui amène cette
doctrine à continuer à soutenir les
idées les plus éculées sur « l’auto-
destruction » du capitalisme, ici
« auto-destruction » due à
l’évanouissement du supposé
contenu travail de la valeur. Mais
l’analyse de la crise (�nale !), par
cette WertKritik n’est que la
conséquence d’une mauvaise
reformulation de la valeur ; malgré la
splendide critique du travail.
Nous pouvons écrire :
Doctrine de la valeur travail
substantialiste = doctrine du
capitalisme sotériologique ou
téléologie économiste de la
croissance (il faut passer par le
capitalisme pour récupérer
l’économie substantielle).
Insistons : la doctrine de la valeur
travail contient trois erreurs :
(1) Une mauvaise dé�nition de la
mesure : non pas mesure de la valeur
(ce qui est métaphysique) mais
valeur mesure ;
(2) L’incompréhension de la
signi�cation de l’opération politico-
policière de mesure : la mesure est
« abstraction », colonisation,
canalisation, réi�cation ; erreur de la
réduction de la mesure à la
recherche d’une « substance
commune numérique » ;
(3) Cercle vicieux de la substance
travail qui doit être numérique et,
donc, doit être informée par sa
forme : la substance a la forme de sa
forme, et, donc, cette forme
détermine la substance.
Le seul travail, ayant un sens
économique, est le travail salarié, le
travail évalué, le travail couché dans
des livres de compte.
Avec l’impôt, le salariat est un des
éléments d’un système comptable
monétaire.
L’idée même de « travail mesurable »,
selon n’importe quelle dimension,
temps, chaleur, énergie, n’a de sens
que pour le capitalisme
universellement comptable.
Rétroprojeter cette propriété
historiquement spéci�que comme
« invariant an-historique » est
simplement une erreur
« européanocentriste », c’est du
racisme pur et dur.
La reformulation de la théorie
de la valeur en termes directement
politiques de despotisme autoritaire,
cette reformulation est liée à un
projet politique émancipatoire non
économique de formes de vie
indistinctement anti-capitalistes &
anti-économiques.
L’émancipation est l’émancipation
HORS de l’économie ; et non pas
l’émancipation PAR LA VOIE de
l’économie.
Changeons alors de registre ; pour
parler du capitalisme comme
religion.
La nouvelle laïcité doit être anti-
économique et non pas simplement
anti-religieuse ; à moins de
comprendre que l’économie est la
nouvelle religion.
L’émancipation est l’émancipation
hors du travail ; et non pas
l’émancipation par la généralisation
du taylorisme.
SORTIE de l’économie, économie vue
comme systématique monétaire
comptable, capitalisme, et non pas
économie vue comme économie
fondamentale physiocratique (cette
économie fondamentale n’étant
qu’un mythème métaphysique).
Rejet de l’emprise des systèmes
techno-scienti�ques qui ne sont que
des supports matériels des réseaux
comptables, la connexion
informatique des banques (notons
encore que la monnaie est une
écriture et que son support est
indifférent, le papier étant le plus
classique – mais un support
d’écriture n’est pas l’écriture, la
monnaie n’est pas de l’or).
Le communisme de SORTIE de
l’économie sera donc anti-
économique, anti-travailliste ;
comme il est anti-démocrate (« la
démocratie » n’étant que le prête nom
du despotisme).
Résumons la reformulation.
Pour dé�nir le concept de
Marchandise-H en termes de
grandeur mesurable évaluable ou
pour dé�nir le travail comme travail
abstrait salarié et inscriptible en
compte monétaire, il faut d’abord
dé�nir un champ de mesure, le
chant de la valeur.
Le chant de la valeur est un espace
de mesure constitué par
géométrisation.
La géométrisation est une géo-
maîtrisation politique.
Cet espace de mesure peut être écrit
comme un triplet (E, F, m) où E le
domaine des grandeurs abstraites
politico-sociales symbolique (la
marchandise abstraite est un objet
symbolique à la Baudrillard), donc où
E est homogène au domaine F des
comptes.
Il est important de noter que cet
espace F de mesure, de
comptabilisation, est préalable : c’est
cela que signi�e colonisation. Le
compte vient toujours avant l’objet.
Dans le triplet (E, F, m) les grandeurs
mesurables, marchandises abstraites
social-politiques symboliques, ne
sont plus que des objets comptables
dé�nis et constitués par leur mesure
comptable.
Il est donc impossible, comme nous
l’avons expliqué plus haut,
d’envisager les marchandises
abstraites, dont le travail, comme des
objets « doubles ».
Dans le chant de la valeur il n’y a pas
de place pour des choses
« empiriques concrètes ».
C’est pourquoi un « capitalisme vert »
est une impossibilité.
Nous pouvons présenter la géo-
maîtrisation, l’abstraction réalisée ou
incarnée, au moyen d’une critique de
la dialectique du travail.
Mais nous pouvons également la
présenter en termes de processus
historique, le processus de la
colonisation capitaliste,
l’accumulation primitive
permanente.
Bien entendu, ces deux
présentations, critique de la
dialectique du travail et analyse
historiale non téléologique,
auxquelles nous pourrions ajouter
une reformulation de l’anthropologie
politique manière Alain Testart, ces
présentations appartiennent à des
ordres totalement différents qui ne
sont combinés que pour leur effet de
rupture.
Ce que cache l’analyse
substantialiste de la valeur, en
termes de substance travail, est le
processus historial de colonisation
ou de réduction de l’agir au travail,
travail enrégimenté, organisé,
calculable ; la théorie de la valeur
travail refoule l’opération militaro-
politique de réduction de l’invention
institutionnelle, comment composer
une forme de vie communiste, à la
techno-politique du pouvoir
hiérarchisé. Ce que cache le soi-
disant universel technique du « il
faut toujours travailler » est un
processus politique de renforcement
de la domination.
La possibilité même de l’évaluation
sans limites, de l’extension illimitée
du champ de la valeur, exprime le
renforcement de l’autoritarisme du
despotisme économique. Ce
despotisme que nous nommons
toujours éco-Nomique ou étho-
Nomique processus de normalisation
de tous les aspects de la vie,
processus nomothétique et
performatif, « la civilisation ».
Et pour �nir par l’École de Francfort :
tout progrès de la civilisation est un
progrès de la barbarie.
Copule
Mathèmes de la Domination
Mesure : le schématisme
énergétique