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Revue d'histoire et de philosophie

religieuses

La connaissance de Dieu au miroir de l'âme et de la nature


Hans Leisegang

Citer ce document / Cite this document :

Leisegang Hans. La connaissance de Dieu au miroir de l'âme et de la nature. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses,
17e année n°2, Mars-avril 1937. pp. 145-171;

doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1937.2993

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1937_num_17_2_2993

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DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 145

La connaissance de Dieu

au miroir de l'âme

et de la nature.

Dans un sermon de Maître Eckhart on trouve la


comparaison suivante : « J'en reviens à ce que j'ai dit :
Dieu se goûte lui-même en toutes choses. Le soleil répand
sa claire lumière sur toutes créatures, et tout ce qu'il
baigne ainsi de sa lumière, il se l'intègre, sans rien perdre
pourtant de son éclat. — Je prends un bassin plein d'eau,
j'y mets un miroir et je l'expose au soleil. Du fond
comme du bord le soleil lance alors ses rayons de lumière
vers le dehors et lui-même n'en est pas diminué. Le reflet
du miroir dans la lumière du soleil est dans le soleil; et
pourtant le soleil et le miroir restent ce qu'ils sont. Il en
est de même pour Dieu : il se trouve dans l'âme avec
sa nature, avec son essence et avec sa divinité (et pour¬
tant il n'est pas dans l'âme). C'çst le reflet de l'âme qui
est en Dieu. Dieu et l'âme restent cependant ce qu'ils
sont. Dieu devient par cela toute créature. » (1)

«II.Nû
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unde
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ss.
ver-
alle
Got
ist
in:
146 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

Il paraît évident que, par cette comparaison, Maître


Eckhart veut expliquer comment Dieu, qui est au delà
du monde et transcendant, se révèle tout à la fois dans
l'âme et dans toutes les créatures, et se fait connaître en
elles. Mais le sens propre de cette comparaison ne se
comprend que si, d'une part, nous faisons cette petite
expérience nous-mêmes, et si, d'autre part, nous nous
efforçons de la comprendre en fonction des idées médié¬
vales sur la nature de la lumière, sur la vision et sur le
phénomène optique de la réflexion.
Quand la lumière éblouissante du soleil de midi
tombe sur un miroir placé dans l'eau, l'image du soleil
apparaît dans ce miroir comme un tout petit disque
étincelant, mais infiniment éloigné, de sorte que l'œil
peut le regarder sans en être ébloui; car les rayons du
soleil, que les yeux ne peuvent supporter, en arrivant à
travers l'eau au miroir et de celui-ci à nos yeux sont
réfractés par la surface de l'eau, réfléchis par le miroir
et encore une fois réfractés en sortant de l'eau, et de plus
absorbés par l'eau, si bien que de tout le faisceau lumi¬
neux ce qui parvient à nos yeux n'est qu'une faible
partie; et c'est pourquoi nous pouvons regarder sans
peine l'image du soleil dans le miroir.
Mais dans notre comparaison le soleil représente
Dieu lui-même, et l'expérience illustre parfaitement les
paroles de saint Paul : « Nous voyons aujourd'hui con¬
fusément et comme dans un miroir, mais alors nous
verrons face à face » (2) ; car directement — face à face

Paulus
mantie
voir (2)
Reformation,
Leben?,
rum
derung
christlichen
191'6,
Göttingen,
les
und
pp.
bei
und
(Nachrichten
1915,
I Historia
recherches
48
Corinth.
phil.-hist.
Paulus
Literatur
Drachenkampf
10),
ss.;
4e-5e Die
Lausiaca,
1911,
éd.
XIII
de
(Theol.
Klasse),
1926.
Formel
der
R.pp.
(Festschrift
12.
Seeberg
Gesellschaft
Pour
1916,
Festschrift
137
R.
in
1916,
« Reitzenstein
der
ss.,
Glaube,
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pp.
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F.
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411.
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Wissenschaften
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Historia
262;
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Nathanael
Hoffnung
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ce
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Monacho-
Katoptro-
: passage,
Ewiges
»früh¬
Bon-
(Die
bei
zu

wetsch), 1918, pp. 56 ss. Tout cela résumé, critiqué et enrichi


de nouveaux matériaux par J. Behm : Das Bildwort vom Spiegel,
ΐ. Kor. 13, 12 (ReinholdnSeeberg-Festschrift), 1929, pp. 315 ss.
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 147

— nous ne pouvons pas voir le soleil, mais indirectement


nous le voyons dans ce miroir.
Le miroir, chez Maître Eckhart, c'est l'âme humaine,
et ce qui se passe dans cette âme — la réflexion (au sens
physique) — n'est qu'un symbole signifiant l'immanence
de l'image de Dieu dans toutes les créatures, par les¬
quelles elle est irradiée de la même manière que la
lumière du soleil est réfléchie par le miroir.
Tout cela se comprend dans un sens plus profond
encore, si nous tenons compte des idées — bien diffé¬
rentes des nôtres — que les savants médiévaux ont
empruntées à la science de l'antiquité. Selon les an¬
ciennes théories, l'œil n'est pas seulement un organe
réceptif pour les rayons de lumière venus du dehors,
mais il prend part aussi à la vision et à la production
des images qu'il reconnaît (3). Il produit lui-même de la
lumière, ce que Plotin croyait établi, par le fait que l'œil
voit de la lumière même pendant la nuit, et aussi quand
on le ferme en le pressant avec la main (4). L'œil est
donc de même nature que le soleil ( ήλωειδής ), et «< il
n'aurait jamais vu le soleil, s'il n'était pas lui-même
lumineux, et l'âme n'aurait jamais vu le beau, si elle
n'était pas devenue belle; aussi chacun doit-il devenir
d'abord divin (άεοειδής) et beau, s'il veut voir la bonté
et la beauté » (5). Donc, tout ce que nous voyons par
nos yeux tire son origine des efforts combinés de la
lumière qui émane de l'œil et de celle du soleil qui
éclaire les objets.
En ce qui concerne la comparaison de l'âme vivante,
qui, par les yeux, reconnaît les objets éclairés par le
soleil, avec un miroir, notons bien qu'il s'agit alors d'un
miroir vivant, actif et productif, qui produit lui-même
les images des objets éclairés par les rayons du soleil,
tandis que le miroir matériel ne les reflète que mécani-

l'Histoire
(3) Voir
de l'Optique,
les passages
parextraits
E. Wilde,
des 1838-43,
écrivains 1"anciens
partie. d>ans
(4) Enn. V, 5, 7.
(5) Enn. I, 6, 9. Plotin a puisé dans Platon Polit. VI, 508 Β :
"Άλληλιοειδίστατόν ye οϊμαι (το ομμα) των neqi της ο ιΐαθ-ήοεις οργάνοιν.
148 revue d'histoire et de philosophie religieuses

quement. Parmi les physiciens du moyen âge, Witelo a


bien précisé la différence entre le miroir vivant, repré¬
senté par l'œil, et le miroir matériel. L'œil a la faculté
de produire des images appelées : virtus exemplaris.
Il explique : « J'appelle virtus exemplaris la force selon
laquelle les espèces des choses peuvent apparaître en
elle. Par là elle possède une lumière propre comme on
le voit en considérant un miroir matériel, qui par la
nature même de la lumière reçoit les images des choses,
et pourtant ne les connaît pas parce qu'en lui ne se
trouve aucune force de vie qui corresponde actuellement
aux types des choses; aussi ne se peut-il tourner au delà
des images reçues pour former sur elles un jugement,
ce qui, par contre, est possible à une substance simple
vivante. » (6) Remarquons que « substantia simplex
vivens » est l'ancienne définition scolastique de l'âme.
En outre, nous y trouvons toutes les notions et tous
les concepts dont nous avons besoin pour l'interprétation
de quelques passages dans les œuvres de Leibniz, lui-
même très au courant de la science scolastique, où il
parle des Monades comme de « miroirs vivants »; car
dans ce passage de Witelo il est question de la « sub¬
stantia vivens », et la Monade est elle aussi une substance
vivante et simple. Elle est encore un « miroir vivant »,
qui se distingue du miroir matériel par la « virtus vivi-
ficans ». Enfin la Monade renferme un principe d'ordre
qui correspond à l'ordre des choses dans l'univers :
« actualiter ordinata ad rerum exemplaria ». Dès lors,
on comprend les propositions suivantes de Leibniz :

manifestum
rerum
non
Witelo:
Licht
Prinzip
et ideo
iudicet,
träge
1900,
und
nis, est
(6)
die
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p.
—intuitiones
species
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Liber
der
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quod
14.
und
Geschichte
Virtutem
Erkenntniskraft,
Erkenntniskraft
est
Voir
vivificans
depossibile
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intelligentia,
snscipit,
l'interprétation
Kraft.
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dieses
exemplarem
se der
non
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Das
sed
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Philosophie
materiali,
sondern
selber.
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X,
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tamen
1substantia

apnello
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vereinigt
supra
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Baeumker,
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quod
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cognoscit,
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recepta
Mittelalters,
Träger
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C.
nicht
rerum
in Baeumker
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quia
ut
463
quod
exemplaria,
lucis,
vivente.
die
Erkennt¬
de
äusseres
: III,
inaktive
«in
sicut
(Bei¬
lucis
ipsis
ipso
Das
2),
ea»
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURB 149

« Comme a cause de la plenitude du Monde tout est


lie, chaque corps agit sur chaque autre corps, plus ou
moins, selon la distance, et en est affecte par reaction;
il s'ensuit que chaque Monade est un miroir vivant, ou
doue d'action interne, représentatif de l'univers, suivant
son point de veue, et aussi regie que l'univers luy
meme. » (7) — « Pour ce qui est de l'Ame raisonnable
ou de l'Esprit, il y a quelque chose de plus que dans les
Monades, ou meme dans les simples Ames. Il n'est pas
seulement un Miroir de l'univers des Creatures, mais
encore une image de la Divinité. L'Esprit n'a pas seule¬
ment une perception des ouvrages de Dieu, mais il est
meme capable de produire quelque chose qui leur res¬
semble, quoyqu'en petit. » (8) — « Toute Monade étant
un miroir de l'univers a sa mode, et l'univers étant regle
dans un ordre parfait, il faut qu'il y ait aussi un ordre
dans le représentant, c'est a dire dans les perceptions
de l'ame et par consequent dans le corps, suivant lequel
l'univers y est représente. » (9) — « Ce consentement (des
perceptions des substances apercevantes) vient de l'Har¬
monie préétablie dans ces substances, parceque chaque
substance simple est un miroir du meme Univers, aussi
durable et aussi ample que luy, quoyque ces perceptions
des Creatures ne sauroient etre distinctes qu'a l'égard
de peu de chose a la fois et qu'elles sont diversifiées par
les rapports ou pour ainsi dire, par les points de veue
des miroirs, ce qui fait qu'un meme Univers est multiplie
d'une infinite de façons par autant de miroirs vivants,
chacun se représentant a sa mode. » (10) — « Chaque
Monade est un miroir vivant de l'Univers suivant son
point de vue. » (11)
Mais bien que Leibniz affirme que les monades
reflètent l'univers ou, quand il s'agit de monades d'un
rang supérieur, c'est-à-dire des esprits, qu'ils reflètent

§ 3. (10)
(7)
(8)
(9)
(11)
Ed. Monadfologie,
Principes
Ibid.,
Gerhardt,
Leibniz
Lettre§ à14,
àde
VI,
Remond,
Remond
VI,
la§p.63,
Nature
p.599.
604.
VI,
1,1,
(brouillon),
etII,de
p. 618.
1715.
la Grace,
III,
Ill,p.p.
fondés
623.
636. en raison,
150 REVUE D'HiSÏOIftB ÉT £>E PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

Dieu, il ne dit jamais que cet univers ou Dieu lui-même


soient des miroirs. C'est ce que prétendaient les néo¬
platoniciens. Selon leur doctrine, ce n'est pas seulement
l'œil vivant qui produit de la lumière, mais Dieu aussi
est source de lumière, il est même la lumière de la vie,
et notre soleil n'est qu'une image de la lumière proto¬
typique qui émane de Dieu (12). Donc, si Dieu se mire
dans l'âme humaine, il s'y regarde lui-même, et de même
l'âme se mire en Dieu et se reconnaît en lui. Ainsi chez
les mystiques l'âme est le miroir de Dieu, mais aussi Dieu
est le miroir de l'âme.
Le document le plus ancien où il est question de ce
« miroir » de l'âme est un passage du Grand Alcibiade
de Platon, omis dans les manuscrits, mais cité par
Eusèbe et d'après lui par Stobée, passage dont l'authen-
cité est fort discutée (13). En tout cas, ces idées étaient
considérées par les savants du moyen âge comme une
doctrine platonicienne. Il y était question de la connais¬
sance de soi-même, de la formule : Γνώ&ι σαυτόν » que
l'on peut établir par l'exemple de l'œil qui se contemple
lui-même. Quand l'œil veut se voir, il lui faut regarder
dans un miroir. Et Socrate dit : « Dans notre œil, par
lequel nous regardons, n'y a-t-il pas une espèce de
miroir ? T'es-tu déjà aperçu que la figure de celui qui
regarde dans l'œil y apparaît comme dans un miroir ?

jusqu'au
Lichte
ausgehende
gefangen
la
Il
hafte
das
Substanzen,
Auch
schen
beruht
« Gott
lichem
lumière,
résume
mitgeteilte
(12)
Licht
die
hat
Ordnung
ist
die
und
moyen
Räumlichkeit
bis
V.alles
Licht,
toute
Möglichkeit
dont
die
Licht
Platon,
die
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Licht
universale
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höchsten
C.
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begründet.
Sein
tradition
Polit.,
Baeumker
Räume
dans
der
den
der
bloss
der
und
ersten
son
Sinne;
gegenseitigen
intellektiven.
1. Erkenntnis,
Wirkung
Körper
wird
das
c.,
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Das
in
édition
a et
Substanz
Leben.
bildlichem,
Platon
décrit
Licht
und
durch
suivant,
in de
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allem
l'histoire,
»Wie
àEinfluss
ist
von
Witelo,
Teilnahme
das
hervorgegangen
Erhaltung
Witelo
la
Leben,
Gott
sondern
der
ausübt,
von
métaphysique
1.sinnlichen
als
zwischen
de
comme
c.,
der
und
das
so
der
an
l'antiquité
in
p.Gottheit
bedingt
in
seinem
357
eigent¬
wesen¬
kosmi¬
suit
sind.
ihm
den
an¬
de:
ss.

(li3) Piaton Alcib., H3i2, D ss. Voir F. Friedländer: Piaton,


II, 1930, pp. 243 ff. R. Wiggers: Zum grossen Alkibiades, p. 132 D
aà 133
entrepris
C (Philologische
de prouverWochenschrift,
l'authenticité de
52, ce1932,
passage.
n° 25, pp. 700 ff.)
£>IÉU AU MIROIR DE L'AME ET DÉ LA NATURE 151

Aussi appelons-nous cela la pupille, c'est-à-dire une


petite poupée, parce qu'il y a une petite image de celui
qui y regarde ? Donc, quand l'œil regarde dans un autre
œil, principalement dans la partie la plus précieuse, où
se trouvent les facultés visuelles, il se reconnaît lui-
même.. De même, mon cher Alcibiade, l'âme aussi,
quand elle veut se connaître, ne doit-elle pas regarder
dans l'âme, et surtout dans cet endroit en elle, où naît
sa meilleure faculté, la sagesse, et dans quelqu'autre
chose qui est de la même espèce ? Pouvons-nous alors
trouver une partie de l'âme qui soit plus spirituelle que
celle dans laquelle demeurent la science et la raison ?
Cette partie égale le divin, et celui qui y regarde et recon¬
naît tout le divin, Dieu et la raison, se reconnaîtra ainsi
lui-même. » Eusèbe ajoute encore : « De même que les
miroirs ont une plus grande clarté que l'œil qui reflète,
sont plus purs et plus clairs, de même Dieu n'est-il pas
aussi plus clair et plus pur que la meilleure partie de
notre âme ? Donc quand nous regardons Dieu, il est
notre meilleur miroir, et il reflète nos efforts pour acqué¬
rir la vertu de l'âme. Et de cette manière nous arriverons
le mieux à la connaissance et à l'examen de nous-
mêmes. »

Dans la littérature mystique de l'époque hellénis¬


tique, nous retrouvons cette doctrine développée dans
une grandiose métaphysique dont le point culminant est
la vision de Dieu. De ce passage de Platon, où il est
question de l'œil qui, en se mirant dans un autre œil,
arrive à la connaissance de lui-même et en même temps
à la connaissance de Dieu, on peut rapprocher le verset
du livre de la Sagesse, où la Sagesse en tant que Saint-
Esprit est appelée « une splendeur de la lumière éter¬
nelle et un miroir sans tache de la majesté de Dieu et
une image de sa bonté » (14). Dans un livre de l'alchi¬
miste Zosime, qui ne nous est transmis que dans une
version syriaque (15), l'endroit où se trouve ce miroir
divin, est indiqué avec précision, et, ce qui est plus
important, ce miroir placé au delà du ciel se présente
comme l'œil de Dieu, de telle sorte que l'œil de l'âme
152 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

se mire dans l'œil de Dieu : « Ce miroir est placé au-


dessus des Sept portes, du côté de l'Orient, de telle sorte
que celui qui y regarde voit l'Orient, là où brille la
lumière intellectuelle, qui est au-dessus du voile. C'est
pourquoi il est placé aussi du côté sud, au-dessus de
toutes les portes qui répondent aux Sept cieux, au-dessus
de ce monde visible, au-dessus des Douze maisons et des
Pléiades, qui sont le monde des treize. Au-dessus d'eux
existe cet œil des sens invisibles, cet œil de l'esprit, qui
est présent là et en tous lieux. On y voit cet esprit parfait,

bonitatis
votre
du moyen
lucis
omnia
amicos
Odes
Ouvrez
soi-même
(14)
aeternae,
deinnovet,
figure.
Dei
les
illius.
Salomon,
Sap.
avec
âge
yeux
et» prenaient
VII,
etOn
Et
prophetas
le
etet
speculum
cum
miroir
per
26.
y13
regardez-les
trouve
:sit
Cf.
nationes
pour
« constituit.
una,
de
leVoilà,
sine
aussi
texte
l'œil
point
omnia
macula
in
en
notre
de
combinée
et
animas
de
—lui
potest
la
ladépart
Cf.
Dei
miroir
et
Vulgate
connaissance
sanctas
apprenez
aussi
:majestatis,
la
et: Candor
in
connaissance
est
que
lesele
se
passage
les
permanens
ceSeigneur.
transfert
de
est
etsavants
qui
imago
Dieu.
enim
d«es
est
de,

D'autres passages ont été recueillis par J. Behm, 1. c., p. 326 :


spiegelt
« Der
in der Gedanke,
altchristlichen
und dadurch
dass sich
Literatur
verherrlicht,
der Mensch
und Gott
darüber
in einem
ähnlich
hinaus
göttlichen
wird,
noch
lässt
Spiegel
weiter
sich

verfolgen, als Reitzenstein es getan hat. Ps. Clem. Horn. XIII, 16,
heisst es von der βώφ ων γυνη καλώ ίαόπτρω οοά, εις &εον ιμβλίπονοα
In
verwiesen:
(III,der117,
pseudocyprianischen
4 ita
ff.me
Härtel)
in vobis
wird
videte,
Schrift
auf quomodo
ein
De angebliches
niontibus
quis vestrum
Sina
Wort
et Sion,
seChristi
videt
13

auf
in aquam
Christus
aut bezogenen
in speculumSpruches
und dies Sap.
Agraphon
Sal. 7,als26Bestätigung
gedeutet. Die
des
epistola Johannis diseipuli (sc. Christi) aus der das Herrenwort
stammen soll (Z. 4), sind wahrscheinlich die acta Johannis, und
gemeint sein wird trotz der Verschiebung des Bildes (Z. 2 f.:
nos qui illi credimus Christum in nobis tanquam in speculo
videmus) der Spruch aus c. 95 : εοοπτρον είμΐ αοι τω νοοϋντι με.
Von Christus als dem Spiegel der Seele spricht Clemens ΑΙ., Quis
dives salvetur, 21, 7 (p. 174, 7 ff. Stählin): τοντο γάρ άκολον&εΐν

προς
όντως
δια
vomπάντων
εκείνον
Bischof:
τω <5ωτη
ομοίως
ωοπερ
ρί,
he κάτοπτρον
α,ναΐ'Μτηα
όιατι
becomes
,9ίντα.κοσμονντα
ίαν
as Der
aκαιmirror
Syrer
τελειότητα,
και ρν&μίοντα
to
Narses
theεκείνον
eyes
sagt
τηνof
μετερχομενον
ψυχην
in being
Homil.
και glori¬
πάντα
XXI
και

fied (The liturgical homilies of Narsai, transi, by R. H. Connolly,


kehrt
in : Texts
in der
and
nestorianischen
Studies, VIII, Liturgie
1, 1909, in
p. dem
49). Segen
Derselbe
wieder,
Gedanke
den
der Bischof dem Diakonen erteilt, der den Apostolos lesen soll :
Christ make thee wise by holy teaching and make thee as a
beautiful mirror to those who hearken unto thee (F. E. Bright-
man, Liturgies eastern und western, I, 1906, 257). »
(15) Voyez M. Bertholet : La Chimie au moyen âge, 1893,
vol. II, p. 263 ss.
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 153

en la puissance duquel tout se trouve, dès maintenant


et jusqu'à la mort. »
Avec cette idée du miroir, qui est l'œil de Dieu, est
encore combiné le passage de l'Alcibiade cité par Eusèbe,
où il est question de la connaissance de soi-même.
L'auteur continue : « Qu'est-ce donc que ce miroir ?
Ecoute. Le miroir représente l'esprit divin; lorsque l'âme
s'y regarde, elle voit les hontes qui sont en elle, et elle
les rejette; elle fait disparaître ses taches et demeure
sans blâme (16). Lorsqu'elle est purifiée, elle imite et
prend pour modèle l'Esprit-Saint; elle devient elle-même
esprit; elle possède le calme et se reporte sans cesse à cet
état supérieur, où l'on connaît (Dieu) et où l'on en est
connu. » On voit la référence au texte de saint Paul
concernant la connaissance indirecte de Dieu au moyen
d'un miroir, texte qui se termine ainsi : « Présentement
je connais imparfaitement, mais alors je connaîtrai
comme j'ai été connu. » Dans le livre de Zosime nous
lisons encore : « Alors devenue sans tache (sans ombre),
elle se débarrasse de ses liens propres et de ceux qui
lui sont communs avec le corps, et elle (s'élève) vers
l'Omnipotent. Que dit en effet la parole du philosophe ?
Connais-toi toi-même. Elle indique par là le miroir spiri¬
tuel et intellectuel. Qu'est donc ce miroir, sinon l'esprit
divin et primordial (du Père ?). A moins qu'on ne dise
que c'est le principe des principes, le fils de Dieu, le
Verbe, celui dont les pensées et les sentiments procèdent
aussi de l'Esprit-Saint. »
On voit que tout ce texte combine les données que
nous avons trouvées dans le passage de l'Alcibiade cité
par Eusèbe, où la connaissance de soi-même rejoint celle
de Dieu dans le miroir de l'œil, dans les paroles de saint
Paul sur la connaissance indirecte de Dieu comme par
un miroir et dans les versets du livre de la Sagesse, où
la Sagesse est elle-même le miroir de Dieu sans tache
et le Saint-Esprit. Zosime n'y ajoute que la conception

vions(16)
notre
l'âme, meilleur
chez
etc.Ce» Eusèbe:
n'est
miroir,
qu'une
« Donc
et il
paraphrase
reflète
quand nos
nous
duefforts
passage
regardons
pour
que la
Dieu,
nous
vertu
iltrou¬
est
de
154 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

de Dieu non seulement comme miroir, mais aussi comme


œil se mirant lui-même, conception facile à interpréter,
car l'auteur n'a fait que reprendre l'idée qu'on se faisait
de l'œil humain reflétant la lumière à la manière d'un
miroir en l'appliquant à Dieu qui est la lumière primor¬
diale et par conséquent le miroir de son propre esprit
de sagesse. Il n'y a pas de raison de faire appel aux
doctrines orientales sur les miroirs magiques ou mythi¬
ques.
Cette conception de Dieu sous forme d'un miroir,
dans lequel l'âme se mire et se regarde, était bien connue
au moyen âge. Nous la retrouvons aussi chez
Dante, là où il nous présente Rachel comme le symbole
de la vie contemplative et Léa comme celui de la vie
pratique. Celle-ci dit :
Per piacermi a lo specchio, qui m'adorno;
ma mia suora Rachel mai non si smaga
dal suo miraglio, e siede tutto giorno.
Ell'è de* suoi belli occhi veder vaga,
com'io de Uadornarmi con le mani;
lei lo vedere, e me l'ovrare appaga. (17)
Les interprétations des commentateurs (18) convien¬
nent qu'il faut entendre par « specchio » et « miraglio >
le miroir divin. Il est évident qu'ils suivent une tradition
nourrie aux sources anciennes, que nous rencontrons
aussi dans d'autres poèmes, par exemple dans le dialogue
« Der Ackermann und der Tod », où se trouvent vers
la fin les mots suivants : « Accorde-lui, Seigneur misé¬
ricordieux, de se voir, de se contempler et de se réjouir
éternellement dans le miroir de Ta divinité toute puis¬
sante et éternelle, miroir dans lequel tous les chœurs
des anges retrouvent leur lumière. » Ces chœurs des
anges nous font penser à Denys l'Aréopagite, dont nous
parlerons tout à l'heure. Le poète lui aussi connaît l'œil
comme un miroir. En décrivant la tête de l'homme,

(17) Purgatorio, XXVII, 103-108.


(18) Les opinions des commentateurs se trouvent résumés
dans vol.
1825, la traduction
II, p. 271. allemande par K. L. Kannegiesser, 2e éd.,
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 155

« cette petite boule artistique » (die künstliche kleine


Kugel), il dit : « Là sont des forces riches de sens, incon¬
nues à tous les démons, là dans l'œil réside le sens de
la vue, le témoin le plus sûr qui d'un maître a reçu la
forme d'un miroir; — il atteint même jusqu'à la clarté
du ciel. » (19)
Dans une de ses visions, Hildegarde de Bingen dit
que Dieu contenait en lui, comme dans un miroir, les
images de toutes les choses, avant de les avoir créées :
« Tout ce que Dieu a fait, il l'avait en sa présence avant
le commencement du temps. Car toutes choses, les
visibles et les invisibles, ont apparu avant le commence¬
ment des âges en dehors de la durée et du temps dans
sa divinité pure et sainte, de même que les arbres, ou
toute autre créature, placés au bord de l'eau sont vus en
elle, bien qu'ils ne soient pas corporellement en elle,
mais toute leur forme apparaît dans cette eau. Mais
quand Dieu a dit : « Qu'elles soient », toutes ces créatures
que Sa prescience considérait avant les âges alors
qu'elles n'avaient aucun corps, ont revêtu leur forme.
Car de même que tout ce qui est devant un miroir se
reflète en lui, ainsi ont apparu dans la sainte Divinité
toutes ses œuvres en dehors de l'âge et du temps. » (20)

Divinitale
pium
freuen.
sunt,
operum
p.
tigen
Licht
Kräfte,
Himmels
alia
ret.
intuebatur.
radiant,
lemporum
sigste
religiöse
Sitzungsberichte
tempore
raliter
674.
20Quando
cretura
(19)
(20)
quae
temporis
und
et
finden,
Zeuge,
non
»simplicis
da
ss.
sic

und·
Klarheit
ante
«cuncta
praescientia
ewigen
liegt
apparuerunt.
Sicut
sint
Gönne
Omnia
aquis
«in
autem
meisterhaft
persönliche
sich
Darin
in
aevum
sancta
im
sed
visibilia
enim
hominis
praesentia
vicina
der
reicht
Gottheit
ihr,
ewiglich
Augapfel
quidem
Deus
tarnen
sind
apparuerunt
ipsius
Divinitate
Preuss.
in
gnadenreicher
»in
er.
et
sinnreiche,
in
dixit
Züge
Patrologia
speculo
omnis
Sanctae
Spiegel,
quae
ipsis
invisibilia
»zu
sua
der
Spiegelform
ante
—: sehen,
im
Akademie
videntur,
Deus
habuit.
Gesichtssinn,
Fiat,
K.
formatio
omnia
aevum
omnia
«Hildegardis
in
quemadmodum
Burdach
allen
Ackermann
Latina
absque
Herr,
zu
operatus
statim
dem
In
opera
gebildet
nulla
quae
beschauen
quamvis
Dämonen
d.
earum
pura
alle
ed.
in
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:formatione
Wiss.,
der
Platonische,
corpora
coram
Deiner
ejus
liber
est,
Migne,
Engelchöre
enim
aus

inallerzuverläs-
inante
arbores
unbekannte
und
sine
ipsis
Böhmen
1933,
bis
divinorum
eis
ipso
etvol.
allmäch¬
habentia
an
princi-
absque
sancta
induta
zu
corpo-
aetate
appa-
XIV,
frei¬
sunt
197,
des
ihr
vel
er¬
»,
156 revue d'histoire et de philosophie religieuses

Mais que Dieu même soit non seulement un miroir,


mais aussi un œil se mirant, c'est ce que je ne peux
retrouver que chez Jacob Böhme, sous une forme nou¬
velle et originale. Pour lui, Dieu même est « l'œil de
l'éternité, c'est-à-dire un miroir, et c'est un cercle, rond
comme un globe, non comme un anneau, que nous ne
pouvons pas décrire autrement. Il faut donc entendre
par cela le globe de l'éternité, où se trouve le fondement
du ciel et de la terre et des éléments avec la couronne
des étoiles. Car c'est un globe semblable à l'œil, et c'est
l'œil miraculeux de Dieu, dans lequel chaque être a été
vu depuis l'éternité, mais sans substance, comme dans
un miroir. Le miroir ou l'œil, c'est la même chose; car
l'œil c'est l'œil de l'abîme, et nous n'avons pas de plume
et pas de langue pour le décrire ou en parler. Ce n'est
que l'Esprit de l'éternité qui conduit l'œil de l'âme là-
dedans, et ainsi nous le voyons; autrement tout cela
resterait indicible et je ne l'aurais pas écrit de ma
main. » (21)
Toute la création a son origine dans cet œil mira¬
culeux de Dieu. C'est là que naît la volonté de Dieu et
son désir qui soudain comme un éclair allume dans cet
œil une flamme et produit la lumière, éclairant l'œil du
dedans en même temps qu'il pénètre à l'extérieur dans
les ténèbres. Cette lumière fait apparaître d'abord le
monde intelligible des idées, prototype spirituel du
monde terrestre, et c'est alors une première image dans
le miroir divin, ou en termes de Böhme : « Ainsi le désir

(21) J. Böhme : Psychologia vera, dans l'édition des œuvres


de Böhme,
keit Auge, par
das K.
macht
W. Schiebler,
und ist ein
1846,Spiegel,
vol. VII,und
p. 8ist
: « ein
Derrunder
Ewig¬

Zirkel
nicht
der
und Aeternität,
der
können
gleich
Elemente
einer
anders
darinnen
mitKugel,
schreiben.
demder
Sternenrade
nicht
Grund
Also
einem
Himmels
versteht
stehet.
Ringe,Denn
'hiemit
und
wie das
der
wir's
dieist
Erden,
Kugel
denn
eine

Kugel gleich einem Auge, und ist Gottes Wunderauge, da von


Ewigkeit ist alles Wesen darinne gesehen worden, aber ohne
denn
Wesen,
dasgleich
Auge als
ist des
im Ungrundes
Spiegel oder
Auge,
im da
Spiegel
wir denn
oder dazu
im Auge
keine:
Feder noch Zunge zu schreiben oder zu reden haben, alleine
der Geist der Ewigkeit führet der Seele Auge dahinein, und also
sehen wir's, sonst
ungeschrieben bleiben.
würde
» es wohl stumm und von dieser Hand
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 157

de la lumière lui présente un modèle qui lui est sem¬


blable et où l'éternité se révèle présente, comme tout ce
que l'Esprit dans l'éternelle puissance de Dieu trouve
en lui d'éternité en éternité. » (22) Selon la parole de
l'Ecriture désignant la Sagesse par « Miroir sans tache
de la majesté de Dieu », ce modèle est « une image de
Dieu, une vierge pure et chaste, qui n'enfante pas; car
le Saint-Esprit n'opère les miracles que dans la puis¬
sance. Mais cette vierge est le symbole de Dieu, sa
sagesse, dans laquelle l'Esprit se regarde... Elle est le
cercle et le modèle que notre âme nous fait voir, afin que
nous la regardions et voyions Dieu en elle. » (23)
Une seconde image reflétée par ce « Modèle » est
le monde terrestre. Dieu s'y manifeste dans les sept jours
de la création sous forme de « figures » de cette lumière
ou de ce feu, l'une étant toujours le reflet de l'autre :
« Et cela jusqu'au nombre dix; alors la dernière figure
retrouve en elle-même la première, et ainsi la dernière
et le modèle et le miroir de la première, et la première
de la dernière, et c'est une chaîne éternelle composée
de volonté, de désir, de recherche et de découverte; et
dans tout cela le Grand Mystère se trouve enfermé. » (24)
Mais la dernière, qui est le modèle et le miroir de la
première, c'est l'âme de l'homme, et elle doit être, comme
la première, un œil : « L'âme est un œil dans l'éternel
insondable, un symbole de l'éternité, une figure et une
image complète du premier principe et semblable à Dieu
le Père selon sa personne et selon la nature éternelle. »
(25) L'âme est, comme Dieu lui-même, une « boule de
feu » ou un « œil de feu ». Elle aussi peut produire une
« image », et c'est alors une « imagination ». Quand

vor,
alles
Ewigkeit
des
ist
findet
und
schlossen.
als
Ersten
(22)
(23)
(24)
Finden;
dasjenige,
seines
ein
dasin
p.
ewiges
«Letzte
p.
»Modell
So
Ewigkeit
13
gleichen,
40
und
s.welches
stellet
: Band,
wieder
« in
und
Und
in
dies
ihm
darin
und
Spiegel,
der
sich
das
dasWesen
nun
steht
Geist
Erste
findet.
gehet
diedes
und
im
in
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inbis
ist
Willen,
Lichts
der
»sich,
das
Mysterium
L.inewigen
c.,
Erste
und
die
Begehren
im
offenbar
p. Begehren,
1(3.
zehen
ist
des
'Kraft
Magnum
also
Letzten,
Zahl,
ein
stehet,
Gottes
dasSuchen
Modell
Letzte
einge¬
dann
und
von
als
158 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

l'âme « tourne son imagination vers elle-même en sa


forme terrifiante au tourment du feu, et non vers la
source de l'amour à la lumière de Dieu, alors son propre
tourment s'amplifie de sa dureté, de son âpreté et de son
amertume, et devient confusion de l'image de Dieu, et
dévore la ressemblance de Dieu dans les affres de la
terreur ». Mais quand elle sort d'elle-même et « se fraie
à nouveau un passage jusqu'à l'amour de Dieu, elle
reçoit alors à nouveau l'image de Dieu » (26).
Il faut tenir compte de tout cela pour comprendre
ce que Goethe dit du « miroir créateur » dans le brouil¬
lon d'une dispute entre Faust et Méphistophélès, que
nous trouvons dans les Paralipomena du « Faust » :
« F(aust). Γνω&ι σεαντον im schönen Sinne. Fordert
den Gegner auf, Fragen aus der Erfahrung vorzulegen.
Die F(aust) alle beantworten wolle. M(ephisto). Gletscher.
Bolog. Feuer . Charibdis . Fata Morg. Thier Mensch.
F(aust). Gegenfrage wo der schaffende Spiegel sey.
M(ephisto). Compliment die Antwort einandermal. (27)
Renvoyer à Leibniz (28) et à son « miroir vivant »,
la monade, dans laquelle se mire l'univers, est ici insuf¬
fisant. Goethe a changé le miroir vivant en un miroir
créateur. Outre l'œil de l'homme et l'âme humaine
comme miroirs et outre la connaissance de soi-même
(Γνώ&ι σεαντόν), que nous trouvons toujours combinée
avec ce miroir de l'œil ou de l'âme, il doit avoir en vue

grunde,
Bildnisz
nach (25)
seiner
nach
eine
p. Person,
144
Gleichnisz
dem
: « ersten
Die
nachSeele
der
Principio,
der Ewigkeit,
ist ein und
ewigen Auge
Natur.
eine
gleich
in»ganze
dem
Gott ewigen
Figur
dem Vater
und
Un-

(26) (Quand l'âme) « imaginiert in sich selber in ihre


grimmige Gestalt zur Feuersquaal, und nicht in den Brunnen der
Liebe imHerbigkeit
gigkeit, Lichte Gottes
und: Bitterkeit
so gehet ihre
auf, eigene
und wird
Quaal der
ihrer
Bildnisz
Stren-
Gottes Turba, und verschlingt das Gleichnisz Gottes im Grimm...»
(Quand elle) « drängt sich in Gottes Liebe wieder ein, so krieget
sie wieder Gottes Bildnisz. » p. 147.
(27) Weimarer Ausgabe, vol. XIV, p. 291. Cf. l'interprétation
de la scène entière qu'a donnée K. Burdach dans son traité: Die
Disputationsszene
p. 11 ss. in Goethes Faust, Euphorion XXVII, 1926,
(28) Chez Burdach, 1. c., et chez D. Mahnke : Leibniz und
Goethe, 1924, p. 13 et 22.
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 159

avant tout Dieu comme miroir créateur, plein de puis¬


sance productive, tel que nous l'avons rencontré chez
Zosime et chez Jacob Böhme. Méphistophélès n'avait pas
de raison d'éluder la question de savoir où se trouve
l'œil ou l'âme reflétant l'univers. Mais quand Faust le
questionne sur l'endroit où se trouve le principe créateur
du monde, c'est-à-dire Dieu, le diable avait les meilleurs
motifs de refuser une réponse. Ajoutez à cela que
Goethe, dans le grand monologue de son Faust, avait
lui-même parlé de Dieu comme du « miroir de la vérité
éternelle » :
Ich, Ebenbild der Gottheit, das sich schon
Ganz nah gedünkt dem Spiegel ew'ger Wahrheit,
Sein selbst genoss in Himmelsglanz und Klarheit,
Und abgestreift den Erdensohn;
Ich, mehr als Cherub , dessen freie Kraft
Schon durch die Adern der Natur zu fliessen
Und, schaffend, Götter/eben zu gemessen,
Sich ahnungsvoll vermass, wie muss ich's büssen !
Ein Donnerwort hat mich hinweggerafft.
Faust était donc tout près de Dieu, tout près du
miroir de la vérité éternelle. Ce n'est pas son âme ni son
propre « miroir », mais le miroir de Dieu par lequel il
voulait acquérir la puissance de création et de produc¬
tion, pour jouir d'une vie de dieu. Il s'agit de la connais¬
sance de Dieu face à face, dont il avait trouvé une
description chez son ami Herder (29) : « L'âme de Moïse
parle avant sa mort au Seigneur : « Je te voyais dans les
flammes et je montais et j'allais au chemin du ciel... Je
demeurais sous le trône de feu (unter dem feurigen
Thron) et je parlais avec toi face à face ( von Angesicht
zu Angesicht), comme l'ami parle avec son ami. » A ces
mots Burdach a comparé les vers du Faust :
Erhabener Geist, du gabst mir alles,
Worum ich bat. Du hast mir nicht umsonst
Dein Angesicht im Feuer zugewendet.

Preuss.
(29)Akad.
Selond. Burdach
Wiss., 1912,
: Faust
p. 387.
und Moses, Sitzungsbericht der
160 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

Par suite, la renonciation de Méphistophélès à pour¬


suivre la conversation au moment où il est question de
Dieu comme d'un miroir créateur, prend un sens encore
plus profond. Burdach a donné le commentaire suivant :
« Faust répond à toutes les questions en vainqueur. Mais
alors il ne pose lui-même que cette seule question : Où
est le miroir créateur ? Il reprend l'ancien projet qu'il
avait commencé à réaliser par l'évocation du Démon de
la Terre, sans l'achever. Ce qu'il ne pouvait pas atteindre
par ces moyens, il espère l'acquérir par Méphistophélès.
Celui-ci doit lui montrer l'endroit où se trouve le miroir
créateur; ou plutôt, si nous parlons sans allégorie, il doit
l'aider à trouver les moyens de devenir un miroir créa¬
teur de l'univers. Mais Méphistophélès, pour le rabaisser,
met dans la cuisine de la Sorcière un autre miroir qui
lui présente une image séduisante de la beauté, destinée
dans la pensée de Méphistophélès à éloigner Faust de sa
bonne nature et à l'étouffer dans les plaisirs sensuels et
vulgaires. » (30) Au lieu de cela, je dirais : Faust
demande : Où est le miroir créateur ? Méphistophélès
comprend tout de suite que Faust parle de Dieu, qu'il
veut le voir face à face et retourner à cette « origine »,
d'où il s'était engagé à le retirer. C'est pourquoi il élude
la question de Faust et ne le conduit pas au miroir de
Dieu, mais au miroir de la sorcière, où — au lieu de
l'esprit divin — apparaît la beauté sensuelle, moyen le
plus efficace pour détourner l'esprit de son origine.

Revenons encore une fois à Jacob Böhme, pour nous


initier davantage aux mystères du miroir divin. A la
conception qui fait de Dieu le grand œil, « l'œil de l'éter¬
nité » ou « l'œil miraculeux de Dieu », le miroir créateur,
il joint celle qui fait du monde une chaîne de créatures
spirituelles et matérielles, dont l'une est toujours le
« modèle » des autres, et qui ne sont que des images ou
des reflets. Là encore la source dernière est la doctrine
de Platon, selon laquelle les idées se rapportent aux
objets du monde visible comme ces objets à leurs images

(30) L. c. Euphorion, XXVII, p. ltë s.


DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 161

terrestres. « J'appelle images », dit Platon (31), « d'abord


les ombres, ensuite les reflets dans l'eau et dans tout ce
qui a une surface solide, polie et réfléchissante ». C'est
ainsi que la participation du monde sensible aux idées
est conçue comme réflexion des prototypes spirituels
dans la matière. Et c'est Philon qui a transporté tout ce
monde intelligible ( κόσμος νοητός ) des idées dans le
« Logos », qui contient les idées ou les pensées créatrices
de Dieu, et d'où elles émanent, pour créer notre monde
visible (32). Mais ce « Logos » est l'image de Dieu (33)
ou son ombre (34), et le monde visible est de son côté
l'image du monde intelligible contenu dans le Logos (35).
Et le même Logos est, chez Philon, en même temps l'ar¬
change (36) et le Fils de Dieu premier-né (37), qui con¬
tient en lui tous les autres anges, c'est-à-dire toutes les
idées et toutes les puissances de Dieu.
Chez les néo-platoniciens nous trouvons cette doc¬
trine de Platon combinée avec le mythe orphique de
Dionysos, qui regarde dans un miroir, y reconnaît sa
propre image et façonne le monde visible conformément
à ce modèle, puisque, selon les derniers mots du Timée
de Platon, le monde « devient un être vivant et visible
comprenant en soi toutes les choses visibles, image du
monde intelligible et comme tel un dieu visible ».
Proclus explique cela dans son commentaire du Timée :
« Autrefois les théologiens (c'est-à-dire les Orphiques)
voyaient dans le miroir le meilleur symbole pour expri¬
mer de quelle manière les idées sont contenues dans le
monde visible. C'est pourquoi, ils disaient aussi que
Vulcain avait forgé un miroir à Dionysos, et quand le
dieu y regardait et voyait une image de lui-même, il se
mettait à former toute cette création particulière ( δλην

cyclopédie
p. 1074
(33)
(31)ss.De
(32)
(34)
(35)
(36)
(37) Polit.
Opif.
Leg.
De de
opif.
confus,
all.
mundi,
VI,
l'antiquité
mundi,
III,
509
ling.
ling.
96.
24
E. s.10
97
146;
Cf.
classique
ss.
et De
mon
Quis
147 agric.,
ss.
article
rer,
de
; De
div.
Pauly-Wissowa,
51ι.
«spec.
Logos
her. leg.
205.
» dans
I, 81. XIII,
l'En¬
162 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

τήν μεριστήν δημιουργίαν) · » (38). Par le dieu Dionysos


il faut entendre le Démiurge de Platon, et par le miroir
de Dionysos, Orphée doit avoir pensé à la même chose
que Platon dans l'épilogue du Timée. Proclus écrit : « De
même qu'Orphée, dans ses poèmes, fait mention
d'images de Dionysos qui gouvernent la création et qui
ont reçu la forme complète des prototypes, de même le
philosophe (Platon) appelle notre monde l'image du
monde intelligible, semblable à son propre modèle. » (39)
Cette théologie néo-platonicienne et ce que Philon
avait dit des anges de Dieu comme représentants du
monde intelligible et hypostases vivantes, se retrouvent
dans les œuvres de Denys l'Aréopagite, la source la plus
importante pour les idées mystiques du moyen âge. Pour
lui, Dieu est la lumière primordiale et en même temps la
source de toute vie. Toutes les formes dans lesquelles
il se montre comme Père, Fils, Esprit, Vérité, Vie,
Amour, ne sont que des déploiements de cette lumière
unique en beaucoup de lumières : « Car, pour employer
une image, quand il y a dans une maison beaucoup de
lampes, dont les lumières se réunissent toutes dans une
lumière unique et font luire un seul rayon de clarté,
personne ne peut, à mon avis, distinguer la lumière
d'une certaine lampe de celle des autres dans l'air qui
entoure toutes les lampes, parce que ces lumières se
sont réunies ensemble, sans se mêler. » (40) Mais ces
lumières ne sont autre chose que les anges de Dieu, qui
rayonnent de la source divine de la lumière en trois
hiérarchies, dont chacune est de nouveau divisée en
trois groupes se rangeant en cercle autour de la Divi¬
nité. Ces anges sont les miroirs de la splendeur divine
et « le but de la hiérarchie, c'est la ressemblance et
l'union de Dieu; elle l'a comme guide dans chaque
opération sainte, elle fixe ses regards sur sa beauté
divine et en fait le portrait, elle perfectionne ses initiés

Orphicorum
sage (40)
(39)
(38)
et d'autres
Dion.
Proclus
In fragmenta,
Plat.
Areop.
semblables
in
Tim.,
Plat.
De
1922,
29Tim.,·
divin,
AB
se p.trouvent
(I,33
227,
nom.,
336,
Β n°
(II,
29,
recueillis
§209.
80,
4.Diehl).
19, Diehl)
chez O.
; ce
Kern
pas¬:
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 163

afin qu'ils deviennent des miroirs clairs et sans taches,


qui reçoivent le rayon divin de la lumière originelle; et
pleins de ce rayon qu'ils recueillent avec vénération, ils
le rejettent de nouveau largement sur ceux qui les
suivent selon les lois divines et éternelles. » (41) Et dans
la hiérarchie terrestre, les hommes réunis dans l'église
sont de leur côté des miroirs de ces anges célestes.
Quand ils auront purifié leurs âmes des impressions
sensuelles et seront parvenus à la spiritualisation, « des
visions de Dieu plus claires les entoureront de leurs
rayons, parce que la splendeur céleste peut mieux faire
pénétrer ses rayons dans la clarté de miroirs qui sont
de même espèce. » (42)
On sera bien étonné de retrouver toute cette doc¬
trine des lumières divines ou des anges de Dieu, qui
sont des miroirs de la divinité groupés en cercle autour
de la lumière primordiale, chez Goethe dans les vers
du Divan :
Werdet ihr in jeder Lampe Brennen
Fromm den Abglanz höhern Lichts erkennen,
Soll euch nie ein Missgeschick verwehren,
Gottes Thron am Morgen zu verehren.
Da ist unsers Daseins Kaisersiegel,
Uns und Engeln reiner Gottesspiegel,
Und was nur am Lob des Höchsten stammelt,
1st in Kreis' um Kreise dort versammelt. (43)
Et Schiller connaît aussi ces miroirs divins. Il dit
dans son hymne à l'amitié :
Freundlos war der grosse Weltenmeister,
Fühlte Mangel — darum schuf er Geister,
Sel'ge Spiegel seiner Seligkeit.
Quand on a égard à tout cela, la doctrine des mys-

(41) De cael. hier., § 2.


(42) De eccles. hier., § 10.
(43) Diwan. XI, 1: Vermächtnis altpersischen Glaubens. Le
sens du terme « Kaisersiegel » sera expliqué vers la fin de notre
analyse
et celui où
du nous
« sceau
montrerons
». le lien entre le symbole du « miroir »
164 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

tiques, d'après laquelle Dieu se mire dans l'âme


humaine de la même manière que dans toutes les créa¬
tures de la nature visibles et invisibles, acquiert son vrai
sens. Déjà Nicolas de Cusa parle de la propagation
universelle de ses idées dans son œuvre. « De docta igno-
rantia » : « Tous nos docteurs les plus sages et les plus
savants sont d'accord pour affirmer que les choses
visibles sont des images véridiques des choses invisibles
et que l'on peut voir le Créateur dans ses créations aussi
clairement que s'il était vu dans un miroir et en
énigme. » (44)
Et Suso explique : « Voyez, cet être divin dont nous
parlons, est une substance spirituelle telle que l'œil mor¬
tel ne peut pas la voir. Mais on la voit bien dans ses
effets, comme on reconnaît un bon maître dans ses
œuvres. Car, comme dit Paul : Les créatures sont un
miroir (speculum), dans lequel Dieu se reflète. Et c'est
pourquoi cette manière de connaître est dite spéculer
{spekulieren). » (45) Thomas d'Aquin, en citant Augus¬
tin (46), fait aussi dériver l'expression « speculatio » du
mot « speculum » et y ajoute : « Or, voir quelque chose
par le moyen d'un miroir, c'est voir une cause par son
effet dans lequel sa ressemblance se reflète : d'où l'on
voit que la spéculation se ramène à la méditation. » (47)
Mais l'âme humaine, qui reçoit et produit de la
lumière, est à proprement parler le miroir de toutes les
créatures. C'est de ces âmes que Képler dit dans les

doctores
creatorem
speculo
Hofmann
p. 22,(44)
4 et
ss.«et
visibîUa
îta
in
Consensere
R.aenigmate.
cognoscibiliter
Klibansky,
veraciter
omnes
» I,Nicolai
1932
invisibilium
asapientissimi
creaturis
: De
de docta
Cusa
videre
imagines
nostri
opera
ignorantia,
posse
et
omnia
divinissimi
esse
quasi
cap.
ed.
atque
XI,
in
Ε.

(45) Der Dom, Deutsche Schriften von Heinrich Seuse, aus¬


gewählt und übertragen von A. Gabele : Des Dieners Leben,
p. 136 s.
(46) Ut Glossa Augustini (ord., lib. 15 de Trin., cap. 8
a princ.) dicit ibidem, cHcitur a speculo, non a specula.

permeditationem
ad (47) « Videre
effectum, in reduci
quo
autemejus
videtur.
aliquid
similitude
»per
Summae
speculum,
relucet
theol.
:estunde
secunda
videre
speculatio
causam
secun-
dae quaestio CLXXX, art. HI.
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 165

« Harmonices mundi » : « Pour nous, chrétiens les âmes


sont des images de Dieu maintenues par lui à chaque ins¬
tant, pour ainsi dire, par une irradiation du visage
divin. » (48) On doit comparer avec ce passage les mots
que Goethe a écrits à Madame de Stein : « Vous savez
que je n'apprends jamais rien que par irradiation »
(«Sie wissen, dass ich nie etwas als durch Irradiation
lerne ») (49). Lui aussi parle de l'âme comme d'un miroir
qui reçoit les rayons divins, et il fait dire à son Werther :
« Pourrais-tu insuffler au papier ce qui vit en toi, si
plein, si chaud, au point qu'il devienne le miroir de ton
âme, comme ton âme est le miroir du Dieu infini. » (50)
Toutes ces idées forment un ensemble, de sorte que
l'une ne peut être comprise que par l'autre; et elles
viennent toujours des mêmes sources et de la même tra¬
dition. On le comprend surtout quand on jette un regard
sur les sentences de l'Angelus Silesius, où nous les trou¬
vons toutes réunies (51).
La connaissance de soi-même est en même temps
pour lui la connaissance de Dieu, comme nous l'avons
trouvé tout à l'heure dans le passage de l'Alcibiade de
Platon :
Wie ist mein Gott gestalt? Geh , schau ihn selber an,
Wer sich in Gott beschaut, schaut Gott wahrhaftig an.
Il connaît aussi l'irradiation de Dieu dans l'âme :
Nimm hin der Sonnen Licht; Jehova ist die Sonne,
Die meine Seel erleucht und macht sie voller Wonne .
Ce que Dieu fait irradier dans l'âme, c'est sa propre
image :

tragen
(48)vonJohann
W. Harburger,
Kepler: Kosmische
1924, p. 129,
Harmonie,
1. hrsg. und über¬
(49) Lettre, le 11 mars 1771. Cf. mon livre : Goethes Den¬
ken, 1932, p. 103 ss.
(50) « Könntest du dem Papier das einhauchen, was so voll,
so warm
deine Seele
in ist
dir der
lebt,Spiegel
dass esdeswürde
unendlichen
der Spiegel
Gottes.
deiner
» Die
Seele,
Leiden
wie
des jungen Werthers, 2 lettre, le 10 mai. Cf. aussi l'essai : « Wie¬
derholte Spiegelungen ».
(51) Edition de H. L. Held : Angelus Silesius, Sämtliche
Ipoetische
115; III Werke,
164; V 335;
1924, I vol.
166.III, livre III 157; I lli3; I 105; Y 81;
166 revue d'histoire et de philosophie religieuses

Ich trage Gottes Bild: wenn er sich will besehen,


So kann es nur in mir und wer mir gleicht geschehen.
Dans cette image, l'âme reconnaît Dieu :
Mensch, denkst du Gott zu schauen, dort oder hier auf
[Erden,
So muss dein Herz zuvor ein reiner Spiegel werden.
Il sait encore que l'œil non seulement est un miroir
réceptif, mais encore possède une puissance productive
de création :
Ich selbst muss Sonne sein, ich muss mit meinen Strahlen
Das farbenlose Meer der ganzen Gottheit malen.
En outre, il parle de la connaissance de Dieu dans
le miroir de la nature et de toutes les créatures :
Ich weiss Gotts Konterfei; er hat sich abgebildt
In seinen Kreaturn, wo dus erkennen wilt.
Das Licht der Herrlichkeit lass ich die Sonne sein,
Die Gnade gleicht den Strahln, Natur dem Widerschein.
Et enfin il nous présente aussi la Sagesse de Dieu
comme un miroir :
Die Weisheit schauet sich in ihrem Spiegel an.
Was ists? Sie selber und wer Weisheit werden kann.
A tous ces mystères de la « réflexion » s'en ajoute
encore un autre, qui est peut-être le plus intéressant de
tous. Il a lui aussi son origine dans la philosophie de
Platon et dans sa doctrine des idées. Puisque les objets
particuliers du monde visible sont des reflets d'idées
incorporelles, il faut se demander comment il est pos¬
sible que tant d'objets de la même espèce puissent par¬
ticiper à une seule idée, de manière que celle-ci soit
contenue dans chaque exemplaire avec son caractère
entier et toutes ses qualités. C'est le problème de l'Un et
du Multiple, traité par Platon dans le « Parménide »,
par Proclus dans son « Institutio theologica », qui servait
de modèle à l'auteur des écrits de Denys l'Aréopagite, de
même qu'à celui du « Liber de causis », problème qui
eut dans la science scolastique une grande importance
sous le nom de la « multiplicatio specierum » et qui fut
un des points de controverse entre les Nominalistes et
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 167

les Réalistes. Car c'était un problème dont la solution


était décisive pour cette question de la Théologie : Com¬
ment se fait-il que Dieu, sans se partager en plusieurs
parties, soit présent tout entier et non divisé, partout, et
en particulier dans chaque âme ? Elle était encore de la
plus haute importance en ce qui concerne la communion
et le sacrifice de la messe; comment se fait-il que le
corps de Jésus-Christ, sans se partager ni se diminuer,
soit présent dans chaque hostie avec sa puissance entière
et indivise ?
Platon en avait donné la solution, non par le sym¬
bole du miroir, mais par celui du sceau ou du cachet.
De même qu'on peut imprimer un cachet mille fois dans
la cire et que chaque impression nous montre toujours
la même image, de même chaque exemplaire de la même
espèce participe à son « idée » et nous montre tous ses
traits caractéristiques. Chez les néo-platoniciens, l'âme
est aussi une idée de ce genre, et selon la doctrine de
Plotin, l'âme universelle du monde est en même temps
particulière ( μεριστή), parce qu'elle est présente tout
entière et non divisée {αμέριστος) dans toutes les parties
du corps (52). Elle est une image ( είδωλον ) de l'âme uni¬
verselle et unique : « comme si plusieurs cachets por¬
taient la même empreinte reçue d'un seul anneau »
(oïov ei εκ δακτύλου ενός πολλοί κηροι τον αυτόν τύπον
άπομαξάμενοι φέροιεν) (53). Quand on veut se représenter
la manière d'exister de l'idée, de l'âme et de Dieu, on
rencontre toujours le même problème : il faut les penser
comme des êtres transcendants qui sont en même temps
immanents aux créatures dont ils « participent » et dans
lesquelles ils sont présents entiers et non divisés, de
même que l'image d'un sceau s'imprime complètement
et une infinité de fois dans des matières différentes.
Mais comme les créatures de notre monde sont aussi
des images de miroir qui reflètent les idées, les âmes et
Dieu même, on commença bientôt à confondre le sym-

(52) Enn. IV, 1, 1.


(53) Enn. IV, 9, 4.
168 revue d'histoire et de philosophie religieuses

bole du sceau ou du cachet et celui du miroir (54). Ceci


se remarque sous la forme la plus frappante chez Luther
dans son traité « Vom Abendmahl Christi » (55), où il
dit : « Déjà sous le Papisme on nous a enseigné que
quand un miroir serait cassé en mille morceaux, il reste¬
rait pourtant dans chaque morceau l'image entière, qui
d'abord n'apparaissait que dans le miroir entier. Et voilà
devant eux un seul visage qui s'y reflète, et pourtant
dans tous les fragments à la fois il y a le même visage
tout entier. Et si le Christ était lui aussi partout présent
à la fois dans le pain et dans le vin. Car si Dieu peut
faire qu'un visage soit au même instant dans mille mor¬
ceaux ou dans mille miroirs, pourquoi n'aurait-il pas pu
créer aussi le corps unique du Christ de telle façon que
non seulement son image, mais aussi lui-même fût en
même temps à plusieurs endroits, quoiqu'il soit en un
seul endroit dans le ciel, puisqu'il est plus facile de
comprendre que son corps passe dans le pain et le vin
qu'un visage dans le miroir, puisqu'il traverse aussi la
pierre et le fer. »
Luther dit lui-même qu'il a appris cela « sous le
papisme » : c'était donc une doctrine de l'ancienne théo¬
logie catholique. Déjà Thomas d'Aquin la rapporte en
ajoutant « quidam dîcunt » et en la critiquant: « De

éd. speculatione
Mittelalters,
materia,
formae
ex par
(54)in
C.
quando
Cf.speculo
Baeumker,
I,par2-4,
!).advenit
exemple
quando
1895,
Beiträge
ei
lep.résultat
apassage
330
voluntate,
zur
: Sigillatio
in
du
Geschichte
eo
Fons
estex tamquam
vitae
inspectore
autem
derd'Avencebrol,
Philos,
formae
resultatio
(Var.
des
in:

(55) Weimarer Ausgabe, XXVI, p. 338, 18 : Also hat man


auch unter dem Papsttum gelehrt: Wenn ein Spiegel in tausend
Stücke gebrochen wurde, dennoch bliebe in einem jeglichen
Stücke-dasselbe
erschien. Hier istganze
ein einziges
Bild, das
Antlitz,
zuvordas
im davor
ganzenstehet
Spiegel
undalleine
drein

siehet,
und
wärevöllig
inund
Brot
in
ist einem
und
doch Wein
in
Augenblicke:
allen
allenthalben?
Stücken
Wie
gleich
wenn
Denndasselbe
Christus
kann Gott
Antlitz
auch
solches
ganz
also
mit dem Antlitz und Spiegel tun, dass ein Antlitz augenblicklich
in tausend Stücken oder Spiegeln ist, warum sollte er nicht auch
Christus einigen Leib also machen, dass nicht allein sein Bild,
sondern
im Himmeler selbst
an einem
an vielen
Ort sei,Oertern
weil sein
zugleich
Leib wäre,
viel leichter
ob er gleich
ist zu
fahren ins Brot und Wein, denn ein Antlitz in den Spiegel, als
der auch durch Stein und Eisen fähret...
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE J69

fait il est manifeste que le Christ tout entier est sous


n'importe quelle partie des espèces du pain, même quand
l'hostie reste entière et non pas seulement quand elle est
brisée comme le disent certains en prenant pour exemple
l'image qui apparaît dans un miroir entier et qui, ce
miroir une fois brisé, apparaît autant de fois dans chaque
morceau; mais la similitude n'est pas complète parce
que la multiplication de telles images se produit, quand
le miroir se brise, à cause de leur réflexion dans les
différents morceaux du miroir; tandis qu'ici il n'y a rien
que la seule consécration, à cause de laquelle le corps
du Christ est dans ce sacrement. » (56) A un autre
endroit, il attribue le symbole du miroir cassé à Augus¬
tin (57). Alexandre de Haies le connaît et dit lui aussi
qu'il l'a trouvé chez Augustin (58). Nicolas de Cusa
attribue à Augustin la doctrine du « Deus totus in omni¬
bus » (59). Mais dans les oeuvres d'Augustin ne se
trouvent ni le symbole du miroir cassé, ni le texte du
passage cité par Nicolas (60).

et
qualibet
exemplum
autera
quidem
imaginum
ad non
cratio,
Summae
diversas
(56)propter
fracto
solum
non
parte
theol.
«accidit
deEt
partes
imagine
estIII,
ideo
specierum
apparent
cum
quam
omnino
inquaestio
speculi;
manifestum
speculo
frangitur,
quae
corpus
singulae
panis,
simile,
apparet
LXXVI,
hic
fracto
Christi
sicut
est
autem
etiam
quia
in
propter
art.
quod
speculo
quidam
est
singulis
multiplicatio
non
hostia
III.
totus
indiversas
est
hoc
integro,
dicunt,
intégra
Christus
partibus;
nisi
sacramento.
reflectiones
una
huiusmodi
inponentes
manente,
speculo
est
conse-
quod
sub>

(57) IV Sent. dist. X, art. III, qu. 3 : et ponunt exemplum


de speculo, quia Augustinus dicit...
(58) Dans sa Summa pars IV, qu. X, membr. 7, art. 3, § 5.
R. Klibansky,
(59) Nicolai
1932,
de Cusa
p. 32,apologia
14 : Subiunxit
doctae ignorantiae,
Augustinuméd.Deum
par
sed totus insicomnibus,
mensuram attigisse sive
: « Deus
illa sint
est magna
in omnibus
sive parva.
non perIn partes,
omni¬
bus
sima.igitur
» cum sit aequaliter, ipse est omnis mensura aequalis-

(60) Dans l'Editio Leonina des œuvres de Thomas, on


trouve une annotation, au passage cité de la Summa theol.
d'après laquelle Thomas a en vue Guillaume d'Autun (Summa,
lib.
formae,
IV, tract,
cap. 4),
de etSacramento
ces auteurs
Eucharistiae,
mentionnés cap.
par De
Innocent
fractione
III
J.
dans
Lechner
son œuvre
: Die De
Sakramentenlehre
S. Altaris Mysterio,
des Richard
lib. IV, cap.
von 8.Mediavilla,
Cf. aussi
170 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

Aussi ce symbole du miroir cassé n'a pas été oublié


et l'on peut le poursuivre jusqu'à Leibniz. Ce dernier en
a entendu parler par son ami Mercurius van Helmont,
qui, dans son livre curieux : « Paradoxal Discourse,
oder : Ungemeyne Meynungen von dem Macrocosmo und
Microcosmo, Das ist : Von der grossen und kleinen
Welt » (61), a modifié le symbole du miroir cassé en le
remplaçant par l'expérience suivante :
« En fait, on peut prouver cela clairement par
l'exemple du mercure, qui est comme un miroir, car c'est
de l'eau métallique qui se présente sous forme de boule.
Si nous prenons une assez grande partie de ce mercure
et la plaçons quelque part à l'air libre, nous pouvons
y voir représenté bien distinctement l'horizon entier avec
toutes ses parties et tous ses objets; si l'on fait une
sublimation de ce mercure, il est alors divisé en une
infinité de petites boules ou de petits corps sphériques
(qu'on ne peut discerner que par un verre grossissant) et
nous trouverons qu'on peut voir l'horizon entier dans
chacune d'elles en même temps et de la même manière
qu'on le voyait dans la grande masse de mercure; et si
on la divisait en des parties encore plus petites, comme

1925,
Strasbourg
et
(Contra
Guillaume
p. haer.
186,(Comp,
d'Auxerre
note
lect. 3,
1,theol.
qui
cap.
(Summa
aver.
58,trouvé
Migne
li,aurea,
6, cecap.
Patrol.
symbole
fol. 12),
259
Lat.d).
Alain
chez
211, Hugo
de
p. Lille
862)
de

(61) Hamburg 1691·, p. 17 s. : Es ist in der That also / und


mag klärlich genug durch ein Exempel vom Quecksilber er¬
wiesen
oder 1 Kugelförmiges
werden / welches
Metallisches
wie ein Wasser
Spiegel ist.
ist /Soalswirda von
ein diesem
rundes
Mercurio einen guten Theil nehmen / und es an einem Ort
unter den mit
Horizont f regen
allen
Himmel
seinenhinlegen
Theilen / und
so können
Objectis wirsehrden deutlich
gantzen
in demselben fürgestellet sehen / und wenn ausz diesem Mer¬

zertheilet
grösserungs
maszen
curio
in
werden
unzehlich
ein
in
wir
wird
sublimât
einem
Glas
befinden
viel
(welche
jedweden
müssen
kleine
gemacht
/ wegen
dass
Kügelein
unterschiedlich
derselben
/ der
und
ihrergantze
oder
vermittelst
zugleich
Kleinigkeit
Kugelrunde
erkennet
Horizont
auff
der
durch
gleiche
Sublimation
werden)
vorbesagter
Leiberlein
einWeise
Ver-
so

silbers
wird zuzu sehen
sehen seyn
gewesen
/ wieundinimder
fallgrössern
gemeldteMenge
Zertheilung
des Queck¬
noch
weiter in noch kleinere Theilgen / als diese in dem Sublimat
allezeit
selten gebracht
in demselben
werden
zu sehen
/ würdeseyn.dennoch diese Erscheinung
DIEU AU MIROIR DE L'AME ET DE LA NATURE 171

on ne peut le faire que rarement par une telle subli¬


mation, on y verrait toujours le même phénomène. »
Ces petites boules de mercure, qu'on peut diviser
sans fin et dont chaque partie forme de nouveau une
boule entière, qui — si petite soit-elle — reflète l'horizon
entier, ne sont autre chose que les monades de Leibniz,
à ceci près qu'elles ne sont pas vivantes. Mais tout ce
qui est, chez Leibniz, si difficile à comprendre, tout ce
monde composé d'individus complets, non divisibles en
atomes, mais en monades et formant une continuité d'in¬
dividus, dont chacun porte en soi le tout ainsi que l'uni¬
vers entier, qui est la plus grande monade, se comprend
tout de suite, si nous pensons à ces petites boules de
mercure, par lesquelles van Helmont a montré l'univers
se mirant dans toutes les monades qui le remplissent et
qu'on peut diviser sans fin en d'autres monades, sans
qu'elles cessent d'être des miroirs du monde entier.
Voilà les différentes modifications de la connais¬
sance de Dieu au miroir de l'âme et de la nature que
j'ai trouvées en cherchant une interprétation de l'expé¬
rience décrite par Maître Eckhart. Les sources en sont
facile à reconnaître. On s'est borné à combiner certains
passages des œuvres de Platon avec la parole de Paul
sur la connaissance indirecte de Dieu comme dans un
miroir et avec celle du Livre de la Sagesse, où la Sagesse
est dite une splendeur de la lumière éternelle et un
miroir sans tache de la majesté de Dieu. Et ce qui a
conduit les penseurs à s'occuper toujours à nouveau du
miroir et de ses phénomènes, ce furent les problèmes
profonds de la métaphysique platonicienne et de la théo¬
logie chrétienne, qui exigeaient une solution et en même
temps un exemple simple et facile à comprendre, pour
montrer que Dieu est contenu dans l'âme et dans la
nature et reste pourtant le Dieu transcendant, qui est
au delà du ciel et de toute créature.
lêna. Hans LEISEGANG.

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