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Ph. Sp .
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< 13

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< 13
ESSAIS THEOSOPHIQUES
traduits

DE L'ALLEMAND .

When per temaak hemen de fan Bola


2 yon Gear

I 7 92
i

Bayerische
Staatsbibliothek
München

A
AVERTISSEMENT.

1 a paru'depuis peu un Livre Allemand,


intitulé : Hérefies Metaphyſiques,
Jamais aucun ouvrage n'a développé
autant d'idées neuves ingénieuſes et har
dies,

L'auteur attaque une infinité de véa


rités reçues , rend ſenſibles une quantité
de choſes qu'on croit inconcevables , et
s'exprime avec une clarté extraordinaire,
en traitant les matiéres les plus abſtraites.
Comme le moment préſent n'eſt guére
favorable à la Métaphyſique, nous ne
donnons que le premier Cahier de ce Livre
fingulier. Si cet Echantillon eſt accueilli
nous
AVERTISSEMENT.

nous fournirons le reſte , qui eſt beaucoup


plus intereſſant par la varieté des objets
et la profondeur des details qu'il pré
ſente *)

Quoique ce premier Cahier ſemble an


noncer un Eſprit tant ſoit peu myſtique ,
nous pouvons aſſurer ceux qui n'aiment
1

pas la Théologie , qu'ils trouveront dans 1

la fuite de l'ouvrage , tous les objets les


plus importans et les plus cachés de la
Métaphyſique, de la logique et de la Phy
fique , traités d'une maniere nouvelle et
recherchés juſque dans leur principe .
Pour donner une idée générale de ce
que nous oſons promettre , nous joignons
ici un petit Proſpectus des fix Cahiers
reſtans.
Le

*) La Tradu & tion en eſt dejà faite par la main


de l'auteur , qui pofféde également les deux
langues, ce qui la reuil plus exacte et plus
originale que ne font ordinairement les Tra .
ductions.
AVERTISSEMENT

Le premier prouve l'impoſſibilité du


néant et du vuide, démontre l'Eternité né
ceſſaire d'un Etre Tout, ſubſtance de Dieu,
examine différens fyſtemes de création et
nous preſente celleci , comme ayant été
une ſéparation de la plénitude divine ,
operée par le moyen des formes,
Deux articles ſe diſtinguent ſurtout
dans ce Cahier: l'un , aufti hardi, qu’ab
ftrait diſcute le prémier objet de la pre
miere idée en Dieu ; l'autre eſt une dif
fertation infiniment curieuſe ſur la Magie
la Cabale et les ſocietés ſecretes.. ,

Dans le ſecond Cahier l'auteur produit


l'objet principal , ſur lequel fon ſyſtème
eft fondé.

Il montre qu'une ſubſtance unique,


univerſelle, élaſtique, ſuffit à tout, qu'elle
eſt le corps et l'ame de toutes choſes : que,
fa diviſion en deux forces oppoſées conſti
tué le jeu de toute la nature: que cette
fubſtance eſt enſemble tout ce que nous
**
nom
AVERTISSEMENT.

nómmons, force, puiſſance, énergie, vertus,


facultés, mouvement et ſenſibilité, et que
tout cela eſt ſynonyme de l'Efprít , ce qui
rend ſa nature beaucoup plus concevable
qu'elle ne l'a été jusqu'ici. Delà l'auteur
paſle à la formation de la matiere qui n'eſt
qu'un compoſé de forces fpirituelles , ce
qui explique facilement l'action réciproque
entre elle et l’Eſprit. " Les articles du
mouvement , de la ſenſibilité et de la
vérité font infiniment intereffans ; mais
le plus curieux de tous eſt le dernier qui
prouve d'une maniere victorieuſe : qu'il
n'y a que l'Eſprit et l'unité qui ſoyent
diviſibles à l'infini.

Le zme, Cahier , après avoir traité de


l'élaſticité et des forces oppoſées entre
elles , examine la nature de l'air , du feu
et de la lumière , démontre que ces deux
dernieres ſubſtances ſont les deux prin
cipales forces phyſiques, qui animent la
matiére , et nous indique la ſubſtance du
froid ,
Le
AVERTISSEMENT.

Le 4me, Cahier entre dans le détail des


forces materielles et mécaniques. Il ap
profondit les cauſes eſſentielles de la pe
fanteur, de la projection , de la cohéſion
de la réaction , et de l'irritabilité.

Le 5me. Cahier analyſe les facultés de


l'ame, et fait voir comme elles dérivent
toutes du mouvement et de la ſenſibilité ,
qui conſtituent la ſubſtance univerſelle
dont notre Eſprit eſt une Partie Les ar
ticles de l'Eſſence des choſes , de la mé.
moire , de la ſenſation et de la confcience
de nous même font des efforts pour de
couvrir les myſteres de l'ame , qui vont
un peu plus loin que ceux de notre logique
ordinaire.

Le fixiéme Cahier eſt un mélange de


divers fragmens phyſiologiques et moraux .
Il contient un Examen des ſens et de
l'harmonie , une Digreſſion ſur la muſique,
des diſſertations ſur les nerfs , le ſommeil,
l'inſtinct , les paſſions et la ſemence , un
article bizarre et touchant ' fur les ani.
naux ,
AVERTISSEMENT.

maux , l'échelle de la loi principale du


créateur, qui tend à la réunion de tout
ce qui eſtdiviſé , et enfin une récapitula
tion pleine de traits , qui finit l'ouvfage
*d'une maniere brillante. :

Ce dernier Cahier eſt le moins abftrait,


et le plus amuſant par la varieté, le ſtyle
et un certain interêt qui parle au coeur .

En general ce livre nous parait avoir:


trois mérites aſſés rares : celui de préſenter
les objets les plus graves et les plus arides,
d'une maniere vive, piquante et ſouvent
enjouée , celui de ne point s'arrêter à
l'écorce des choſes , mais de pénétrer
juſqu'à leur eſſence la plus intime et celui.
de mettre les matiéres les plus abſtraites
à la portée de tous ceux, qui font capables
de lier avec attention ,

:
De L ' in fi ni.
1

Le beſoin qu'a notre efprit de chercher uno


origine au commencement , et l'impoſſibilité de
la trouver , développent en nous la plus grande
de toutes les penſées - celle de l'Infini.
Nous connoiffons trois eſpéces d'infini : l'é.
ternité , l'immenſité , et les nombres.

Des nombres,

Une convi&tion intime nous enſeigne que la


progreſſion des nombres va à l'infini. Nous
n'en avons pu acquérir la certitude poſitive ni
par les ſens ni par l'expérience , et cependant
nous n'en doutons pas ; c'eſt une verité dont
le contraire ne peut abſolument pas ſe penſer.

A Dc
10 De L'infini.

Les nombres nous donnent la perception la.


plus claire de l'infini, et c'eſt par eux , que
nous pouvons nous convaincre de la manière
la plus évidente de la réalité de ſon exiſtence.
Si nous conſidérons les nombres comme des
unités, nous voyons, que nous pouvons les mul.
tiplier à l'infini, et que leur progreſſion n'a pas 1

de termes ; que ſi nous les regardons comme


fractions d'unité , nous pourrons également di
1
viſer celle ci à l'infini , et cet infiniment petit 1

fira toujours fans bornes. i

Prétendre limiter la progreſſion des nombres


eſt donc une vaine entrepriſe , lans but comme 1

fäns poſſibilité.
1

De ľ immenſité.
L'immenſité eſt la plus étonnante de toutes
les repréſentations , que notre ame puiſſe fe
former. " 1

Auſli ſouvent , que nous penſons un eſpace 1


1

ou une fgure , il y a au dedans de nous une


étendue infinie , ſur laquelle cette répreſentation
fe fait. Nous taillons, pour ainſi dire, en plein
drap, et 1 étoffe ne nous manque jamais. Nous
pollo
De L'infini. II

pouvons placer dans toutes les directions poffi


bles des diamètres ſolaires à la ſuite les uns
des autres et duffions nous prolonger pendant
des milliers d'années cette énorme operation
nous ne laiſſerions pas que d'être convaincus,
par un ſentiment irréſiſtible que nous n'attein
drons jamais de, bornes.

Qu'eſt ce donc, que cette inconvenable idée ,


ce ſentiment d'un domaine , qui embraſſe tou
tes les images et toutes les relations , cette trace
d'un attribut divin ?

Il y a eu des obſervateurs ſubtils , qui ont


cru , que la négation abfolue de certains objets
réellement exiſtans , avoit produit en nous des
idées obſcures de poſſibilités vagues , que nous
leur avions enſuite attribué de la réalité, et que
nous leur avions donné de l'importance , en les
révétiffant du voile reſpectable de l'incompre
henſible. Voyons donc avant tout , fi l'idée de
l'immenſité ne ſeroit pas peut - être le reſultat
de la négation abſolue de tout ce qu'on appelle
meſure ? Cette operation abſtraite et fans for
me de l'ame pourroit tout au plus avoir pro
duit le mot d'immenſité, mais jamais ne faire naî
tre en nous le ſentiment interieur que nous
en avons réellement; car lorſque notre imagina .
A 2 tion
12 De L'infint.

tion affemble une ſérie de grandeurs déméfu .


rées et lans nombre , nous voyons pour ainſi
dire , au dedans de nous un fond , qui cn don
ne étoffc. Nous ſuivons une impulfiotr qur
cherche des bornes , vous ſentons l'impoffibilité
de les trouver , et notre raiſon nous dit enfin ;
qu'elle n'entrevoit , ni pourquoi , ni comment is
devroit y en avoir.
}
Mais peut - être dira - t - on l'idée de l'ima
menfité ne ſeroit elle pas provenue de l'affem
blage multiplié de grandeurs connues, que nous
penfons ſucceſſivement , et que nous répétons
enſuite dans notre penſée d'une manière innom
brable ? Sans doute ; que cette opération nous,
inet ſur la voie de preſſentir l'immenſité , car
il en réſulte un eſſai manque de méfurer , ce
qui n'étoit point moſurable. Mais cette chole
incommenſurablc qu'eſt - elle ?
Ce n'eſt qu'après avoir inutilement tenté
d'avancer avec une meſure determinée, et après
avoir fenti, que l'cmploi progreffif , que nous
pourrions en faire devoit aller à l'infini ſur le
plan de l'immenſité " que nous avons en nous ,
qu'il nous eſt poſſible de parvenir à une répré.
fentation exacte de cette grande idée.

Mais ,
De l'infini, 13

$ Mais , dira - t - on enfin , notre eſprit a in.


conteſtablement le pouvoir d'aggrandir un objet,
ou de l'atténuer idéalement juſqu'à ce que
manquant ou de tems ou de patience tous
abandonnions ce vain et fatigant travail ; nô .
tre répréſentation de l'immenſité ne tiendroit el.
le donc pas peut- être à l'infinité purement idéa.
le de cette faculté ? Non fans doute ; car aufii
peu qu'il faut confondre le lieu où une alion
fe paſſe avec la force, active , qui l'a produiten
autant il importe de diſtinguer notre pouvoir
d'aggrandir les objets d'avec l'efpace immenſe,
Hans lequel il s'épuife . Ce pouvoir eft limités
mais c'eſt notre ame elle même qui 1emble d'a.
· voir pas de bornes.

L'idée de l'immenſité n'eſt donc ni une nc


gation , ni une aggrégation de grandeurs con.
nues, ni le pouvoir d'aggrandir à l'infini , mais
Ja repréſentation réelle d'une étendue ſans fin ,
que nôtre amè fent au dedans d'elle même,

La progreſſion infinie des nombres eſt une


de ces vérités ., qu'on ne ſatiroit démontrer par
la raiſon et qui n'a pas beſoin de démonſtra .
tion, elle nous manifefte l'exiſtence réelle de l'in
fini, et c'eſt l'infini qui eſt le myſtère eſſential
de l'immensité,
Lori.
14 Dé L'infini.

Lorſque nôtre ame ſent qu'elle peut ſur fon


propre fond arpenter avec les plus grandes mé.
fures connues, cette baſe qui eſt toujours en elle
ſans eſpoir d'arriver jamais à un terme, ne doit
elle pas être aufli convaincuë de l'immenſité ,
que nôtre raiſon eft perſuadée de l'infinité des
nombres ?

Or , ſi nôtre ame applique cette double


convition à la totalité des choſes , elle ne pour
ra s'empêcher d'avouer , qu'elle n'entrevoit ni
pourquoi ni comment, ce qui cſt borné, peut ren
fermer le tout et finira par convenir , qu'il eſt un
être, qui ſe trouve en contradi& tion directe avec
tout ce qui s'appelle meſure où eſpace détermi
né; car enfin il n'y a rien de ſi abſurde, que de
vouloir appliquer une échelle à l'incommenſura
ble : l'échelle eſt la diviſion arbitraire et ſans fra
{ tion d'un diamètre connu; or il implique con
tradiction que l'immenſité ait un diamètre , la
conſtruction de ſon échelle eſt donc une chofe
tout à fait impoflible,

De 1 Eternité.
Guidés par l'idée de l'immenſité nous nous
élevons avec plus de facilité à celle de l'Eternitês
de laquelle nous avons un ſentiment moins man
teriel ,
De l'infini.
1

115

teriel, quoique très convaincant; en ce qu'après


avoir joint des milliers de fiécles paſſés ou futurs
nousne trouvons d'autre raiſon de nous arréter que
la laſſitude ; nous pouvons tracer dans cette ré
préſentation de Péternité , des périodes de tems
auſſi conſidérables , que nous le voudrons , et
des nombres de fiécles, que la parole ne ſauroit
énoncer , deviendront un inſtant pres d'elle,

Nous nous éfforcons communément à arri.


ver à la penſée de l'Eternité en étendant la du.
rée du tems aufli loin que poſſible,

Mais le tems eſt aulli peu de la nature de


l'éternité , que l'eſpace de celle de l'immenfita
tous les deux ſe contrediſent l'une et l'autre aur.
fi directement que ce qui eſt eſſentiellement de
terminé contredit ce qui eſt eſſentiellement in
déterminable . Nous pêchons en ce que nous ne
diſtinguons pas affès exactement le déterminé , de
Pindéterminé et de l'indéterminable,

n y a des eſpaces et des tems déterminés et


indéterminés , mais c'eſt l'impoffibilté abſolue
de la détermination , qui conſtitue l'effence de
l'éternité et de l'immenſité. Ainſi il ne faut
pas penſer, qu’un nombre prodigieux de ſiécles
puiffe compoſer un peu d'éternité , ni qu'une
mul .
16 De L'infini.

multiplication de ſyſtèmes ſolaires faſſe une par


celle d'immenfité. Cela féroit auſſi abfurde, que
ſi l'on s'imaginoit de pouvoir former le plus petit
nombre avec beaucoup de zéros ou de produire un
rayon de lumière. par l'épaiſtiſſement des téné
bres. De même ne faut - il pas ſe permettre
d'attribuer au tems et à l'eſpace l'impoſſibilité
d'une détermination et dire : Le tems infini eft
l'éternité , l'eſpace infini, l'immenſité. Cela fe .
roit confondre les mots et les idées , étouffer
deux grandes penſées qui ſe réveillent en nous,
identifier les idées de déterminé et d'indétermi.
nable , et ſoutenir , qu'une choſe peut - être et
n ?être pas à la fois.

Il ſuit de tout ceci , que fi même l'éternité


étoit pour bien des perſonnes une penſée ab
ſtraite du tems , elle ne le ſeroit cependant pas
de ſa nature , mais qu'elle nous eſt venue d'ail
leurs. Elle ſemble liée à l'idée de l'immenſité
et tenir à l'effence divine de l'ame.

Là faculté, que nous avons de multiplier et


a'étendre à l'infini les périodes du tems, et l'im
poſſibilité , que nous éprouvons d'atteindre
les profondeurs de la divinité prodviſent en
nous
De L'infinin

nous l'idée de l'exiſtence de l'éternité. Elle ſe


peint ſans doute moins ſenſiblement à nôtre
imagination , que celle de l'immenſité , parce
que la répréſentation d'une période , que nous
soulons au dedans de l'abyme de la penſée, eſt
obſcure en elle -même, et ne nous offre rien de
ſenſible, comme celle d'une figure, que nous tra
çons dans l'étendue infinie.

C'eſt auffi pour cette raiſon , qu'il nous eſt plus


aiſé de combiner l'idée de l'infiniment grand et de
l'infiniment petit avec l'eſpace qu'avec le tems; mais
ce qui ſurtout me paroît remarquable , c'eſt que
nous ayons une ſenſation plus claire d'une choſe fans
fin , que d'une , qui n'a pas de commencement:
Nous ſentons mieux , pour ainſi dire , le futur
de l'Eternité , que fon paſſé ; ce qui eſt peut
être une preuve , que nous avons commencé ,
mais que nous ne finirons jamais.

Un fauvage, ou un enfant, ſont portés à croi.


.

re , que toutes les choſes , qu'ils ont toujours


vues , ne ceſſeront jamais. La croyance d'une
durée éternelle leur fernble naturelle. Ils ne
penferoientni à leur mort , ni à celle de leurs
ſemblables, s'ils n'avoient pas vu de corps pri
vé de la vie, et s'ils ne l'avoient pas pourſuivi dans
fa deſtru & ion, L'opinion de l'immortalité , des
B ani.
18 De L'infini .

animaux, dont on n'auroit pas retrouvé les ca.


davres , ſeroit très pardonnable à des peuples
ſauvages.
Avant de terminer cet article il faut que
j'éclairciſſe encore une penſée ſur l'éternité. La
pature du tems et l'enchainement des choſes ,
nous ont accoutumé , à croire que le préſent
ſuccéde néceſſairement au paſſé , et que l'avenir
vient à la ſuite du préſent ; mais dans l'origine
cette marche étoit toute differente : Le préſent
doit originairement et effentiellement avoir été
8
avant le paſſé ; car comment ſeroit il paſſé , s'il
n'avoit été préſent ?
De même il eſt certain , que c'eſt unique
ment le préſent qui réaliſe l'avenir et le ſuit en
quelque forte.
Celui qui pourra approfondir cette véritable
grammaire trouvera , qu'il n'y a que le préſent,
qui ait de la réalité , et ſaura ce que c'eſt que
la réalité abſolne ; il verra que c'eſt le préſent
ſans aucun paſſé : - une préſence éternelle ; il
parviendra à concevoir ; que la Subſtance univerſelle
l'Etre - Tout, la Réalité univerſelle font éternels , et
que l'éternité eſt une prétence continuclle 1 ).
Ce. 1

1) Le paſſé fe joint ſi promptement au futur , que la


pen
De L'infini. 19

Cependant comment combiner cette continuite


de préſent, qu'on regarde comme l'eſſence de l’E.
ternité avec cette variété de choſes, qui doivent
naitre et diſparaitre dans fon domaine - et
qu'on peut, en les, confiderant dans leur rélation
mutuelle , caractériſer par les épithètes de paf
fé et de futur ?

Pour moi je crois que , quoiqu'il y ait nécer.


lairement une fucceffion dans l'éternité , les
êtres quien jouiſſent, ne s'apperçoivent ni du pat
fé, ni de l'avenir ; je crois, que ces êtres ne s'occil
pent , ni de ſouvenirs, ni de prévoyances , mais
uniquement de ſenſations , parcequ il vaut
mieux ſentir , qu'avoir fenti où vouloir ſentir. 1. S'il
en eſt ainſi, l'avenir et le paſſé dans l'éternité fe
réduiſent à une ſimple relation entre des étres qui
ne penſent pas et qui n'en ont aucune connoif
B2 fan

penſée peut à peine ſaiſir le moment du dpréſent


tant on diroit que la jouiſſance de cette idée ap
partient à l'eilence de l'Eternité.

Il eſt remarquable, que dans la Langue hébraïque,


qui ſemble approcher le plus d'une langue primiti.
ve ', l'on ne puifTe exprimer que le tems paſſé et
futur , et non le tems préſent.
30 De L'infine.
dance. Cette rélation n'eſt pas une vérité qu'on
puiffe réconnoître , puisqu'il n'y a perſonne là,
qui la veuille connoitre. Il nous eft dėslors
permis à nous qui vivons dans le tems , de
penfer que l'état de ceux qui habitent dans l'és
ternité doit être plus heureux et plus parfait
que le nôtre ; que des ſenſations préſentes va
lent mieux que des ſenſations à venir , ou que
des ſenſations paſſées , et qu'une jouiſſance a {tuel.
le rend plus heureux, que l'eſpoir et la rémini.
ſcence , que le répentir et la crainte. Nous pou
vons conſéquemment préſumer , que des êtres
parvenus à l'état le plus parfait, pourroient bien
ſe contenter d'une jouiſſance variée et perpétuel.
le de la préſence fucceffive de diverſités innom
brables , s'il ne leur eſt pas donné comme à
Dieu de les fentir toutes à la fois , ce qui eſt
fans doute la ſeule manière de ſupporter une
uniformité éternelle. C'eſt par cette railor,
et fous ce point de vue que je ſoutiens , que
la jouiſſance de l'éternité eſt celle du préſent ,
quand même de ſucceſſions infinies devroient s'y
écouter.

Il eſt évident , que l'éternité a du précédet


le tems , et qu'elle fubfiftera après lui : On
ſent, que l'immenſité renferme tous les elpaces;
l'éternité et l'immenfité étoient par confequent
né.
De L'infini.

néceſſaires à l'origine du tems et de l'eſpace.


Les prémiéres ſont des baſes néceſſaires , im.
muables, eſſentielles et exiftantes par elles mê.
mes ; - mais le tems et l'eſpace n'en forit que
des modifications accidentelles, paſſagères et ar.
bitraires. Nôtre marche eft donc plus exacte
forſque nous dérivons le tems et l'efpace de l'é.
ternité et de l'immenſité, que lorfque nous tui?
rons la route inverſe .

C 3 Le
22 (0 - .

Site Le tems et Peſpace.

Pour mieux approfondir la nature de l'éter .


nité et de l'immenfité , nous allons examiner leurs
degenerations: Le tems et l'eſpace .

Qu'eſt ce que l'eſpace ? On attache commu


nément deux fortes d'idées à ce mot.

On le conſidère où comme une poſſibilité de


ſe mouvoir et déslors on part de la fuppofi.
tion abfurde du vide ; car l'on croit , que la
matière la plus ſubtile aufli bien que le globe
doivent nager dans le néant, afin de pouvoir ſe
mouvoir. J'en appelle à ce que je dirai dans
la fuite du rien , de la force en général , et de
la plénitude divine , et je me fiatte , qu'on trou
vera , dans l'action et dans la réaction des for
ces élaſtiques et dans la néceſſité qu'il y a que
l'extenſion infinie et non arrêtée de l'Etre Tout
ſe faffe elle même fon eſpace infini , une pofli
bilité plus raiſonnable au mouvement que dans
la ridicule affcrtion d'un rien local , qui em
braffe tout.

Ou
Le tems et Pespart. 23

Ou bien l'on conſidère l'eſpace comme une


enceinte et l'on fe te répréfente alors comme :
un moule concave . L'on croit , par exemple ,
qu'une forme à modeler en platre eſt l'idée la
plus parfaite qu'on puiſſe ſe faire de l'eſpace.
Sans doute que la figure moulée remplit ſon eſpa
ce dans cette forme, mais avec elle , combien
de grains de pouſſière , d'infc&tes , de particules
d'air, de lumière et de feu n'y ont - ils pas auf
fi leur place .
Si l'on veut ſe faire une idée nette et ex
acte de l'eſpace, il faut le regarder, comme une
ſéparation de forces fufceptibles d'extenſioni, fé.
paration faite par des cercles impénétrables , au
tour desquels les forces s'ajuſtent. L'enceinte
de l'eſpace eſt la ligne de démarcation entre
l'infini et le fini c'eſt le rapport d'une
chofe qui céde , à une chofe impénétrable --
la forme exacte d'une figure. Il fuit delà, quc l'cfpa.
ce matériet n'eſt rélatif ni à nos ſens , lorfque
le corps qui l'occupe , peut exiſter fans nous, ni à
d'autres corps par juxtapofition ; car l'univers n'a
pas de corpsplacés à côté de lui et dans l'intervalle ,
qu'il y a entre deux corps il exiſte toujours
une ſubſtance ou une force élaſtique , qui ſert
de rempliſſage et qui céde et fait place aux
corps en ſe rétréciſſant. L'eſpace eſt toujours
rèlatif à des forces où ſubſtances élaſtiques , et
B 4 ellen .
24 Le tems et Pefpace. i

efientiellement propre à la forme qui lui donne


de la réalité par ſon extenſion . S'il y a des
eſpaces immatériels , ce ſeraient des cercles
impénétrables à des forces non circonfcrites
et qui n'ont aucune eſpèce d'entraves.

Qu'eſt ce que le tems ? Le tems n'eft cer .


tainement pas un aſſemblage d'années , car les
années font une méſure et la méſure n'eſt pas 1
la chofe . On pourroit d'ailleurs méfurer le
tems d'une autre manière. Comme il eſt de fa
nature d'être déterminé, il a ſans doute fa mé
fure ; mais nous ne la connoiſſons pas , parce .
que nous ignorons fon circuit. Nous ne meſtie
rons avec l'échelle que nous avons adoptée que
des parties du terns . * )

Mais

* ) La diſtance des retours eſt la baſe de la meſure du


tems. On l'a vraiſemblablement inventé lors du re
tour répété d'une choſe défixée où appréhendéc.
La longueur ou la briéveté de nos attentes font les
premiers élémens de l'échelle du tems.

Suppoſons un homme , qui ne connoiſſe pas les


heures, et qui ait « chaque heure un accés doulou +

reux : Au ſecond il craint le troiſième et au troi.


dème i comparo déjt la reffemblance de l'interval
le
Le remis et refpace, 25

Mais exiſte - t - il hors de cette meſure faz


Etice quelque choſe que nous puiſſions appeller
le tems , et qui ne ſoit pas uniquement relatif
à nous ? Sans doute ; car chaque événement et
même chaque choſe a fon tems à elle, qui n'eſt
pas relatif à nous , dèsqu'elle peut exifter inde
pendamment de nous. Elle a, conſiderte en elle
même , un commencement et une fin. Ce qui
eſt entre deux, s'appelle la durée, et c'eſt là , ce
que je crois être l'eſſence du tems.

On m'objectera que je donne à la même


chofe deux dénominations différentes ; que la
durée n'eſt pas le tems ; mais comment déter.
mine , toon chaque durée ? n'eſt -ce pas par
Péchelle que nous nous ſommes faite du tems ,
et peut - on avec cette méfure méſurer autre
chofe , que la durée ? Il s'en ſuit : que nôtre
échelle cefferoit d'être une meſure du tems , fi
la durée et le tems n'étoient pas abſolument la
même choſe.
BS La

lc du ſecond accés au premier, avec l'intervalle du


troiſième au ſecond . Et s'il retrouve au quatrième
la même reſſemblance , il voudra déterminer cette
durée d'une manière plus préciſe, et cherchera dés
lors une chofs hors de lui , avec laquelle il puiffe
comparer et affimiler fon obſervation .
36 , Le tems et Pespace

La durée de chaque choſe forme ſon tems,


et la durée de la totalité de toutes les choſes
finies eſt le tems.

S'il n'y avoit pas de durée, le commencement


et la fin ſe toucheroient ; il n'y auroit alors
ni paſſé, ni futur, conféquemment pas de tems;
il n'y auroit que le préſent ou l'Eternité.

Si donc la durée eſt ce qui fépare lc com .


ment de la fin , il faut fans contredit qu'il y ait
un obſtacle , qui empêche le commencement et
la fin de ſe reunir , et l'on ne ſauroit concevoir, 1

un pareil obſtacle fans réſiſtance. - C'eſt donc 1

une réſiſtance par rapport à l'Eternité un 1


!

empéchement, qui l'arrête , qui donné de la


réalité et de l'exiſtence au tems.

Les vraies parties du tems ſont des époques,


des grands événemens remplis par de plus pe-,
tits , et puisqu'il nous eſt permis de conclure
des parties au tout, pourquoi ne devrions nous
pas croire , que le tems dans la totalité eft un
grand événement , une époque dans l'éternité ?

De
00) 27

De Porigine du Tems et de lEſpace.


Nous avons vũ que le tems n'a pû naître
que dans l'éternité , que la nature du tems eſt
une durée et la nature de la durée une réſi
Itance .

La queſtion , qui ſe préſente ici , eft de la


voir ; ce qui a reſiſté a un Etre tout puiſſant, et
ce qui a pů lui réſiſter ?

Nous ne connoifions qu'une ſeule choſe ,


dont il ne ſoit pas l'auteur , qui répugne à ſa
perfe &tion , qui ſoit en contradi tion avec la vé.
Tité et le bien et cette choſe eſt le
Mal.

Avant le tems Dieu a exiſte et l'immenſité


en lui, c'eſt à dire , cette plénitude infinie dans
laquelle le créateur tout puiſſant pouvoit former
tous les mondes poſſibles. Mais au commen
cement du tems, l'action unique du principe de
tout bien fut arrêtée par l'origine d'un fecond
principe , par la naiſſance du mal. Voili une
époque dans l'éternité , un événement , une du.
rée , une réſiſtance - le temas.

D'S
28 De l'originte da Tems'et de l'Efpact.

Dés que le mal fut là , il dût être réparé de


Dieli , et contenu dans de certaines bornes.
Mais comment tirer une ligne de démarcation
au travers de l'immenſe ? Il n'y cut qu'un ſeul
moyen pour opérer cet inveſtiſſement , ce fut
de lier enſemble le commencement et la fin de
cette ligne * ). Voilà l'origine du premier eſpa.
ce et de toutesles formes , l'exiſtence du pre
mier cercle , l'archétype de tous les mondes.
L'éternité infinie confinoit avec ce cercle
primitif , et l'immenfité fut en quelque forte
.
la première forme qui enferma la première
de toutes les figures par le moyen d'une li
gne circulaire , qui fe rejoint. - Cette ligne
à par fa proximité avec l'infini, obtenu l'Konra
incur non mérité d'être l'emblême de l'éter
Bité , dont elle étoit originairement l'oppoſition:
Car un cercle , un roue qui tourne , un ſerpent,
qui ſe mord la queue , font des repréſentations
aufli anciennes qu'impropres de l'éternité.
Mais ne ſe pourroit- il pas qu'avant l'origi
ne du mal il y ait eu un tems et un efpace ?
Sans

* ) Comme il n'y a ordinairement aucune opinion ſans


quelque fondement , ni aucune erreur fans un peu
de vérité , il féroit poflible qu'une tradition de cet
1
événement eut produit l'idée des circles magiques .
De l'origine du Tems 'er de l'Eſpaci. 20

Sans doute: Mais comme il eſt au moins indif.


férent d'en fixer le commencement lors ou avant
l'origine du mal, il me -paroît raiſonnable de le
placer là , où il devient en même tems expli
cable .

Si la réſiſtance cít vefſence du tems, comme


nous venons de l'indiquer , il faut que la pré.
mière réſiſtance ait produit pour la prémière fois
le tems ; et ſi le mal eſt la ſeule poflibilité d'op
poſer une réſiſtance à Dieu , il s'en ſuit que le
mal eſt également la ſeule poflibilité à l'origine
du tems, et qu'il eſt le point de ſon commencement.
Le tems démontre donc l'exiſtence du mal , et
celui - ci nous dévoile la nature du tems. On
peut de même appliquer ce raitonnement à l'e .
ſpace , qui tient de fi près au tems. Si la fie
gne circulaire eſt teffence de l'eſpace et fi elle
eſt le ſeul moyen de féparation dans l'immenfi
tė ; il faut que la première ſéparation ait pro
duit le prémier eſpace : or il ne peut guére
y avoir une raiton plus probable , pourquoi
Dieu ent feparé et écarté de lui des forces, que
leur réſiſtance : conſéquerament la première réfi .
ſtance a occafionné la prémière ſéparation , la
prémière figure , le prémier eſpace. L'eſpace
prouve donc la réalité du mal , et celui - ci ex.
plique la nature de l'eſpace,
Le
30 De Porigine du Tems er de l'Eſpace.

Le tems et l'eſpace font peut - être les deux


plus grands artifices , que Dieu ait employés dans
ſa création , pour combattre et pour faire ceſſer
le désordre ſans violence. Ainli voyons nous dans
la mécanique, la force épargnée par le tems, et
la ſageſle reſſemble au mouvement intenſible du
lévier , qui placé dans l'immenſité, pourrait fou .
lever la preſlion d'un monde.

Oro
31

Origine du mal expliquée par la


liberté .

Ce que Dieu operoit lors de la première ré.


Tiſtance , et ce que celle - ci a voulu faire pour
s'y oppoſer , font des myſtères!, que nôtre mé
ditation n'a pas pu pénétrer. L'on peut ſe con
vaincre toute fois que la force qui a oſé réſi
fter à Dieu , devoit étre un Etre puiſſant.
Etoit ce un inſtrument de Dieu, deſtiné à pen
fer et à vouloir , et formé de forces qui ne ſe
connoiſloient pas elles mêmes ou êtoit - ce
une émanation de la divinité provenue de ſon ef.
fence ? C'eſt ce que nous ignorons aulli; nous
pouvons fuppofer toute fois avec affés de vrai .
ſemblance, qu’un eſprit auſſi puiſſant avoit dans
un dégré bien ſupérieur les qualités les plus
prètieuſes et les plus diſtinguécs , que nous ſen
tons en nous. Mais qu'eſt ce qu'il y a de plus
noble et de plus puifant dans un Etre penſant ?
C'eſt ſans doute la force , qui produit les
actions : - La volonté
et en quoi conſiſte le
pouvoir de la volonté ? Dans la liberté. La
raiſon nous condujt ici à une tradition connue,
ſavoir que le mal eſt provenu d'un abus de la
liberte.
Com
32 Origine du mal etc.

Comme tout ce que nous connoiffons eſt un


enchainement de conſéquences, et que toutes
nos réſolutions dépendent toujours d'un motif ,
qui eft ou préſent , ou trop éloigné pour étre
diſtingué, nous ne pouvons pas nous faire une
idée claire d'une volonté libre; mais il me ſem . '
ble inconteſtable , que ſi elle doit être libre, ek
le ne peut tenir à aucune cauſe . Or il faut
néceſſairement qu'une choſe foit ou cauſe ou
effet; la volonté libre eſt donc de la nature
saufe ; elle ſeule produit des effets , fans en être
un elle même , elle ſeule fait baſe ; elle eſt
ſource et créateur . Il a donc fallu une volon
té exactement libre pour produire une choſe
tout à fait nouvelle et pour fonder la cauſe de
ces effets , que nous pouvons ſuppoſer comme
contraires à la volonté de l'Etre infiniment bon.
Cette volonté libre étoit une puiſſance créatri.
ce , que Dieu avoit confiée a cet eſprit puiſſant
dont nous avons parlé , ſoit comme à ſon éma.
.nation , ſoit comme à fon inſtrument mais tou .
jours ſans doute pour en faire un autre uſage ,
que celui , au quel l'a induit l'incalculable na .
ture de la liberté.

Dien
33

Dieu a - t - il prévu Porigine du mal?


Les ſceptiques en théologie ont coutume de
dire : Dieu a prèvu l'exiſtence du mal et il ne
l'a pas pu empêcher , ou il l'a prévu et ne l'a
pas voulu empêcher , ou enfin il ne l'a pas pré
vu. Dans le prémier cas il n'eſt pas tout puif
fant , dans le ſecond il n'eſt pas bon , et dans
le troifiéme il n'eſt pas omniſcient.

On pourrait fort bien admettre queDieu a prévu


la poſſibilité du mal, et qu'il a néanmoins doué la vo
lonté de liberté ; car il eſt aiſé de penſer, ou qu'il lui
falloit une volonté libre dans ſes agens , ou qu'elle
eſt néceſſairement l'apanage de ſes émanations -
on peut ſuppoſer : qu'il connoiſſoit les moyens de
remédier aux ſuites d'un désordre , que la pré
vilion avoit entièrement approfondi, et de ga
rantir un jour la liberté de la volonté de tout
abus. Mais je crois étre en état de démontrer
que Dieu n'a pas prévu l'exiſtence du mal.

Si nous bornons la liberté de la volonté à


dire oui ou non , il paroît fans doute , que Dieu
ait dû voir qu'un Etre , auquel il avoit donné
la faculté de contredire, en pourroit une fois fai.
re uſage. Mais į la volonté n'avoit eu par la
с liber
34 Dies a - t- il prève Porigine

liberté d'autre prérogative , que la faculté de ré


fifter à la volonté de Dieu, c'eut été une vérita
ble imperfection et Dieu auroit fourni par la
production d'une faculté auſſi équivoque la por
libilité la plus prochaine au mal. D'ailleurs une
volonté purement affirmative ou negative n'eut
pas été libre , car elle eut été liée à la raiſon qui
choiſit toujours le meilleur, * )
Mais

*) Nous fommes habitués à envitager la volonté libra ,


et le choix libre , comme étant ſynonymes. Un
choix libre eſt une chore , qui ne fauroit exiſter , il
faudroit qu'il fut toujours déraiſonnable, s'il Eroit
libre ; mais ſi le choix adopte ce que la raiſon regarde ,
comme le meilleur , il n'eſt plus libre. La volonté
libre eſt donc toute autre choſe . Elle ne veut pas
le meilleur mais le nouveau ; elle crée des penſées,
et ces penſées doivent auſi être libres , et tout à fait
différentes des notres qui ne dépendent jamais de
nous , niais que les ſens ou la ruémoire excitent en
nous. C'eſt des idées confules , que nous avons de,
la volonté libre et du choix libre qu'elt provenue la
doctrine erronnée de la métaphyſique de l'école fa.
voir, que Dieu n'a pas de choix libre, parcequ'il de,
vroit toujours choiſir de meiileur. Cette erreur n'eſt
pas fans quelque vérité nul choix n'eſt libre , et
Dieu ne choiſit jamais ! Il crée des diverlités à l'in .
fini, les meilleures dans leur efpèce."
Com
du mal ? 35

Mais la volonté libre doit être conçue d'une


manière tout à fait différente. Elle eſt une puiſ
fance créatrice, qui produit des cauſes avec tou
te la ſerie de leurs conſéquences. Sa nature ne
conſiſtoit pas à faire le bien ou le mal , mais
elle pouvoit par la force de la nature produire
la ſource du mal. Ce n'eſt pas Dieu, mais c'eſt
elle , qui en a donné la poſſibilité * ). La vo
€ 2 lon:

Comment peut on ſe répréſenter un Dieu , qui in .


vente une quantité de mauvaiſes choſes , pour les com
parer avec des meilleures , qui font auſſi de ſon in.
vention , et pour choiſir ces dernières.

- La crainte , que Dieu devienne, comme auteur de


la volonté libre , la cauſe prémière du mal, pro
vient de ce que nous confondons les idées d'inſtru .
ment et d'ouvre. Auroit-on exactement analyſé une
chaine de cauſes et d'effets, ſi l'on diſoit, le couteau ,
avec lequel on a coamis 'un meurtre en a été la cau.
ſe; l'auteur du couteau eſt le coutelier , et par con.
ſéquent c'eſt lui, qui eſt la cauſe fondamentale de ce
meurtre. Cette analyſe feroit fans doute on ne peut
pas plus fauſſe. La véritable cauſe du meurtre
écoit la penſée de le commettre. C'uſt cette
penſée qu'il faut ſuivre dans toutes fes détermina
tions , et celles ci dans leur cauſes , et c'eſt ainſi,
que nous ſerons conduits par une longue fuite de
pallions, d'erreurs , de folics et de fautes, à décou .
yrir
30 Dies a - t - il prévu l'origine

lonté libre n'eſt donc pas la cauſe qui com


mence la chaine du mal , puisqu'elle feroit alors
une même chofe avec lui , mais elle eſt le créai
teur de cette cauſe. En elle n'étoit pas méme
l'idée de vouloir inventer cette cauſe ou de nc
la pas inventer ; mais le fimple pouvoir d'avoir
une pareille penſée créatrice , de la créer , c'eſt
à dire de l'avoir indépendamment de toute au .
tre penſée — * ). Comment eut- il été dèslors
poſli

vrir au moins dansl'éloignement une ſource abſolue


du mal. La volonté libre étoit l'inſtrument, quia d'a
bord formé la penſée libre , laqueile inventa après la
ſcience du mal . L'abus de cet inſtrument ſur l'ou
vrage de celui , à qui il avoit été confié .

) Afin de re &tifier l'idée de la liberté de la volonté,


il eſt neceſſaire que nous nous clévions jusqu'aux
hauteurs tranſcendantes , ou il faut examiner , fi
chez un Etre libre la volonté précéde la penſée, ou
si la penſée eſt avant la volonté. Dans le dernier
cas la penſée ſemble déterminer la volonté, et nous
avons encore toujours la queſtion, comment la penſée
a été produite, à réſoudre. Il faudroit admettre fans
fin des idées d'idées fans pouvoir néanmoins ſe fatis.
faire ſur l'origine des penſées. Mais ſi l'on confi.
dere la volonté libre comme créatrice de nouvelles
penſées , ou trouve dans cette force ſuprême le
principe de la penfée. Les penſées proviennent des
ren
dut mal ? 37

poſſible , que Dieu s'occupât à découvrir les


penſées d'un Etre , qu'il avoit doué de la liber
té d'en avoir de nouvelles et d'incalcula .
bles ? Commentauroit -il ſcruté cette penſée
avant l'exiſtence de l'Etre , qui ſeul pouvoit la
produire ? Auroit - elle été libre cette penſée,
auroit elle appartenu à ſon auteur, fi Dieu l'avoit
prévue ? Il écoit donc effentiellement impoſſible
de ſavoir la choſe et la Toute - fcience peut auſſi
peu s'occuper de ce qu'il eſt impoſſible de lavoir,
que la Toute-puiſſance de ce qu'il eſt impoſſible
de faire. Quand je conſidère les diverſes et
importantes diſpoſitions qui ont été faites con
tre le mal, il me ſemble que ſon origine doit
s'appuyer ou ſur une grande ſcience , ou ſur
une action puiſſante .
C 3 Je

ſenſations , et celles · ci des mouvemers divers.


Des ébranlenens arbitraires de ſa propre ſubſtance
peuvent, lorsqu'ils font tout à fait neufs, donner au
ſentiment d'un Etre penſant des fenfations tout à
fait pouvelles et capables de produire la première
penſée d'une invention . Mais qu'eſtce que c'eſt que cet
1 ébranlement arbitraire , ſi non la volonté libre , qui
s'agite et poufle son mouvement ſubſtantiel dans tou
tes ſortes de directions ? - Je veux inventer !
Voila la baguette divinatoire avec laquelle on peut
chercher et découvrir de nouvelles ſources dans la
région des poſſibilités !

)
38 Dieu a - t- il prévia l'origine

Je puis même donner ici une preuve plus


convaincante et plus préciſe , que Dieu n'a pu
prévoir l'origine du mal : celui qui penſe une
choſe pour la première fois , n'en eſt - il pas l'in
venteur ? Si donc Dieu avoit prévu le mal, il
'en auroit eu la première penſée – il l'auroit
conſéquemment inventé. Une préviſion aunti
monſtrueuſe eſt donc abſolument impoſſible, non
ſeulement ſelon la nature de la choſe mais auſi
d'après l'eſſence de la divinité.

Quoique je n'écrive pas pour les Théologiens,


je prends néanmoins la liberté de leur dire
que je ne vois pas , pourquoi la Toute - Science
ne devroit pas être conçue dans un même rap
port avec la Toute - puifiance. Celle - ci peut tout,
hors le mal ; celle - là fait tout , hors la ſcience
du mal. La Toute - ſcience fait tout ce que la
Toute - puiſſance peut faire - tout ce dont
Dieu a produit le principe , mais non ce dont
il n'eſt pas l'auteur. Car la préviſion la plus
parfaite ne ſauroit même être autre choſe , que
la détermination de toutes les fuites d'une cau .
ſe connue ; il eſt impoſſible qu'elle puiſſe agir
indépendamment de la connoiſſance de la cauſe .
1

Si nous voulons nous occuper à étendre nos


idées ſur la Toute - puiſſance et ſur la Toute -
Science , il est ſans doute plus conforme à la
rai,
du mal ? 39

raiſon , et plus conſolant de penſer que la Tou.


te - puiſſance pourra ramener le mal au bien ,
et que la Toutc-ſcience pourra inventer les
moyens néceſſaires à réaliſer ce but. Nous
voyons un combat entre le bien et le mal ;
la vi&toire ne devroit pas être douteuſe. Elle
eft plus belle et plus conforme àla bonté divi
He , fi elle corrige, que ſi elle le perd dans l'é.
ternité d'une vengeance inutile *).

* ) L'Ecriture fe fert de l'expreſſion d'érernité. Mais


comme il n'y en a certainement qu'une cette maniè.
1 re de s'exprimer ne peut ſignifier qu'un tems illimi.
! .. té, et dont Dieu n'a pas encore manif, fté la détermi:
nation . L'éternité me ſemble être le plus haut at
tribut de la perfection ; comment donc le mal , qui
eſt l'imperfection même , pourroit . il durer éternel,
lement ?

CA Lé
40

Le mal exiſte-t-il réellement ?


Le mélange de bien et de mal , d'ordre
et de désordre , de bonté et de cruauté -

que
nous avons devant nous eſt un ſpectacle fingu
lier, énigmatique et qui nous fait héfiter d'éton
mement. Ce combat entre deux puiſſances oppoſées
eſt {i véhément, que des nations entières ont
erth, qu'il y avoit un bon et un mauvais Dieu ,
tous les deux également puiffans. Une longue
7
expérience et des obſervations faites avec ſoin
ont appris au contraire , que fouvent le bien
nait du mal , que la douleur guérit, que la cor
ruption produit une vie nouvelle et que certaines
loix principales , immuables , et au deſſus de
toute atteinte , ne peuvent être renverſées par
aucun désordre. Ceci a engagé d'autres philo
ſophes , et furtout les modernes å penfer qu'il
n'y a pas du tout de mal, que le mal n'eſt que
rélatif, et que tout eſt bien dans fon eſpéce.
Mais la maladie et la mort , les paſſions et les
crmes , l'ignorance et la folie ſont des maux
de la non exiſtence desquels cette philoſophie
aura de la peine à nous convaincre.

On
? Le mal exifte - 'il réellement ?

. On n'a pas tout à fait tort de dire , que le


mal eft relatif ; mais à quoi ? Aux êtres ſenſi
bles ; perſonne n'en fouffre qu'eux . S
Peut,
on imaginer dans la nature quelque choſe
au deffus des êtres fonſibles, et le mal peut - il
nous donner des preuves plus fortes et plus
cruelles de la réalité de ſon exiſtence , que des
ſenſations , qui rendent malheureux ?

Toute la nature ſemble être compoſée de


forces contraires l'une à l'autre , fe mouvoir
et ſe former par elles. Il ſera difficile de dé
montrer que des forces eſſentiellement contraires
ſoient iſſues d'un même auteur , et ſurtout
de Dieu dans lequel on ne peut penſer au
cune contradi&tion et qui peut-être ne peut agir
que par une force ſimple. Il eſt donc plus
vraiſemblable de croire , que ces forces oppoſées
proviennent des deux ſources principales de tou
tes les poſſibilités , ſavoir de la bonne et de la
mauvaiſe , et qu'elles ont été ordonnées à un
but par une force ſupérieure. Ce but qui ra
méne tout ce qui eſt mal au bien , cette bonté
puiflante qui contraint les cauſes les plus mau
vaiſes de produire de bons effets ; voilà ce qui
confond notre fubtilité et nous entretient dans
l'idée que tout eſt bien. Ce que le créateur
corrige, devient bon , mais ce qu'il a à corriger
CS eft
42 * Le mal existe- t-il réellement ?

eſt mauvais , et les hommes ſont vraiment pa .


yés pour dire que leurs ſouffrances , qui les
tourmentent fouvent jusqu'à les conduire au des
eſpoir, ſont un mal réel.

¿ CES
is ‫فر‬

De
43

De la perfectibilité.

C'eſt ici le lieu de m'expliquer ſur le ſyſtem


me de la perfe £ tibilité qui eſt actuellement en
Vogue. La propoſition principale de cette do
Strine eft : que tous les êtres partent du dernier
dégré de l'exiſtence déterminée pour monter du .
rant toute l'éternité l'échelle immenſe de la per
fection

Si l'on prétend affirmer par là que les êtres


fe perfe &tionnent en paſſant à des eſpéces plus
élevées , il eſt évident que l'expérience nous
démontre le contraire : Nulle ſemence ne pro.
duit des êtres d'une autre forte que la ſienne ,
'et les eſpèces ſunt tellement gardées par des
loix phyſiques, qu'elles ne peuvent jamais le
confondre. Mais ſi l'on veut dire par là ; que cha
que individu devient plus parfait dans fon eſpè
ce par une progreſſion lente , il faut que les
deux extrémités de cette ligne de perfe £tibilité
toient ſans comparaiſon infiniment au delà de ce
que nous connoiſſons maintenant de plus parfait
'et de plus abjeét: alors il s'en ſuivroit , queDieu
auroit commencé dans l'ordre de ſes productions
avec de l'ordure , des plantes envénimées , des
animaux ſans mouvement , des fots et des mé.
chants
De la perfe&tibilité.

chants pour finir avec de l'or , des diamants ,


des fruits exquis , des Cherubins et des Sera
phins.

' Mais pourquoi Dieu auroit - il commence


comme un écolier pour ſe montrer maitre à la
fin ? Seroit-ce parceque la nature procède quelques
4
fois ainſi ? Mais voilà ce qui préciſément prouve la
décadence et l'influence d'une force contraire.,

Il me paroít que l'erreur de ce ſyſtéme git,


en ce que l'on adopte une fauſſe progreſſion à .
la place de la vraje . L'on deſcend de l'idée de
la perfection divine jusqu'à l'imperfe &tion fans
ſonger à la diſtance infinie qui eſt établie invae
riablement entre Dieu et ſes créatures les plus
parfaites,et ſans conſidérer que même le moindre de
gré de la perfe&tion eſt en contradiction avec l'im
perfection , qu'il ne peut jamais confiner avec
elle, et qu'enfin la plus petite perfection ne fau
roit être perfeétible , parceque ce qui eſt parfait
n'eſt plus ſuſceptible d'accroiſſement quelqne in.
ferieure, qu'en ſoit l'eſpèce. La perfectibilité n'a
lieu que dans l'échelle de l'imperfe &tion.
L'on devroit dire : Dieu unique dans ſon
cſpèce eſt l'Etre le plus parfait : il n'a pu pro.
duire que des eſpèces moins parfaites que la
fienge: la diverſité des eſpèces et des individus
pro
De la perfeaibilisa 45

produit la varieté infinic de toutes les perfea


Etions poſſibles : 'toutes les productions étoient
les meilleures poſſibles dans leurs eſpèces, lors
qu'elles ſont ſorties de la inain du Créateur.
Elles ont toutes êté corrompues, et elles ſe trou.
vent dans un état de purification pour réacqué
rir leur perfection précédente..
Cette marche du perfectionnement des cho
Yes , et l'emploi qui ſe fait fouvent du mal au
bien ont conduit au ſyſtème de la perfeétibilité.
Mais qu'on ſe repréſente deux horlogers , l'un
qui fait la plus mauvaiſe montre poffible , pour
y rafiner fans cefler , et lapitre qui ayart pro .
duit un chef d'oeuvre d'horlogerie , le trouve
fortuitement gaté par un enfant , et ſe met à le
raccommoder parfaitement : ne réconoitra-t- on
pas le dernier pour un plus grand ouvrier , et
ne regardera -t - on pas l'autre comme un éco
lier qui a voulu apprendre ſon métier ?
Si le monde marchoit ſucceſſivement vers la
perfection , le but de la divinité eut donc été
d'avoir un monde parfait. Mais pourquoi au
roit- il fallu qu'il commençat fi bas ? et quand
atteindra - t - il fon but ?

On voit clairement que l'on 2. cherche


par ce fyfteme detrouver une choſe qui put
rem
46 . De la perfe & ibilité

remplir l'éternité - un cuvre éternel de Dieu ,


mais on aurait beau attenuer la perfection à
l'infini , cette dégradatior. ne ſuffirait pas à oc.
cuper une éternité ſans commencement, et dans
l'autre ſens , ſi la perfectibilité du monde étoit
infinie, Dieu n'arriveroit jamais à le rendre par,
fait par conséquent il manquerait son but. 1

37

ので 、

De
47

De la liberté de la volonté
humaine.

Nous obſervons non ſeulement dans le mou.


vément des altres , dans la ſucceſſion des tems ,
dans la claſification principale des eſpèces, dans
le développement des ſciences, dans les proprié.
tés des corps , et en général dans toutes les
loix phyſiques , un ordre immuable et détermi
nē , mais nous le remarquons méme dans nos
fenfations, et dans la forme des fyllogifmes.
Tout cela eſt déterminé et lié à des loix inva
riables. Rien ne ſenible être libre que les rė.
ſolutions que prennent les êtres penfans. Mais
le font-elles en effet ? Leur liberté ne feroit-clle
pas une illuſion ? Comment peut- on concevoir
I une détermination raiſonnable ſans qu'elle ſoit
amenée par une cauſe quelconque et ſommes
1
nous les maitres de cette cauſe ?. Un motif fort
éloigné eſt - il donc moins urgent parceque nous
ne l'entrevoyons plus ?

Qu'on réfléchiſſe à ce que j'ai déja dit ſur la


liberté de la volonté , qu'on conſidère la néceſſi
té mécanique d'un ſyllogiſme ; Qu'on liſe lè 15
yre
48 De La liberté de la volonté humaine.

vre d’Alexandre de Joch *), et nous ſerons plus


que convaincus que nous n'avons pas de libre
volonté.

Je ne veux citer ici qu'un ſeul paſſage de ce


profond ouvrage pour tranquillifer ceux qui vo
yent dans cette doctrine le renverſement de la
morale. « Il n'y auroit pas du tout de morale ,
„ dit notre auteur, fi la volonté étoit libre. Les pu .
nitions et les récompenſes, les bonnes ou les mau .
vai

.) Le Profeſſeur Hommel à Leipzig ayant défendu la


doctrine du fataliſme dans une differtation latino
fut accuſe d'héréſie par les Theologiens et ſur lo
point de perdre la chaire,
Il repondit en publiant un livre entier écrit en
Allemand fous le titre barocque d'Alexandre de fech
des Peines et des Recompenſes ſuivant les loix Tur
ques , dans lequel il prouva de la manière la plus
vi&toricufe que la volonté de l'homme n'eſt ni ne :
peut être libre et comme il appuya ſes preuves phi.
fophiques de l'opinion de Luther, manifeſtée dans fon
Traité de ſervo arbitrio il reduiſit les prêtres Lų.
thériens au filence.

Le Livre que je viens de citer eſt le feul ouvra ,


ge métaphyſique qui me paroiffe décider la queſtion
qu'il traite et prouver fans replique te qu'il avan
cé,
De la liberté de la volonté humaine, 49

fuites de nos aétions produiſent : toutes nos


reſolutions morales. Si nous avions réelle
ment la liberté de choiſir , il faudroit , quo
les punitions et les récompenſes n'euflcnt aucu .
ne influence ſur notre choix , et comment nous
conduirions nous alors ? Nous n'avons donc
en effet nul beſoin de la liberté de la volonté.
Elle nous ſeroit au contraire dangereuſe et met
troit tout en désordre.

5. Les peines et les récompenſes ne font ce ..


pendant pas les ſeuls contrepoids de nos paf
fions. Nous agiffons fouvent fans égard, ni aux
chatimens , ni aux récompenſes, quand pos
actions fe patient en fecret

La conſcience et l'amour de l'humanité font


deux puiſſans et peut être les seuls véritables
reffortsmoraux que nous ayons. L'homme
qui a coutume de faire les plus belles actions
par intérêt, n'eſt pas ce que j'appelle un homme
de bien , c'eſt un homme prudent. Celui- là feul
cft vertueux, qui ſuit la confcience, et l'homme
bon , eſt celui , qu’un ſentiment de tendreſſe
pour les fem blables met en mouvement. Rien
D n'eſt
De la liberté de ta volonté humaine,

n'eft fi beau , que d'être heureux par le bon


heur d'autrui , mais il faut être plus qu'un
Homme pour fe facrifier au bonheur du genre
humain.

Cependant l'amour de l'humanité et la coa


fciencé ne ſont pas libres.

Le prémier naît dans le temperament, eſt for


mé par l'éducation , et mis en exercice par" les
circonſtances ; trois choſes qui ne dépendent pas
de nous. Quant à la conſcience, nous en fom
mes encore bien moins les maîtres. La con .
ſcience eſt la répréſentation d'une loi morale
avec les conſequences , que nous mettons en op
poſition avec un motif, que nous prenons au
dedans de nous même ; ni ce dernier ( car au
cun motif n'eft libre ni la repréſentation que
nous nous formons de la loi morale , ne font
arbitraires. Cette répréſentation eſt différente
chez chaque homme, puisque chacun varie dans
le plus ou le moins de connoiflance qu'il a de
cette loi dans le degré de ſouvenir qu'il en a , et
dans le plaiſir ou la difficulté qu'il y trouve. Si
tous les hommes avoient les mêmes forces intel
lec
De la liberté de la volonté bumaine, SL

lectuelles , le méme temperament , la même ex .


périence, et la même éducation, s'ils pouvoient
tous exactement ſe trouver dans la même pofi
tion , ils auroient tous la même conſcience
mais la moindre circonſtance l'altére, la fortifie ,
l'affoiblit , l'éclaire ou l'obſcurcit , et aucune de
ces circonſtances n'a dependu d'eux . Nous vo
yons donc , que nous ſommes , foit par rapport
à l'état de notre conſcience , foit à l'égard de
fon influenceſur nos actions, dans une ſituation
entièrement paffive et qu'il n'y a pas là une
ombre de liberté.

Nous éprouvons cependant dans notre inte


rieur un mouvement de l'ame, qui accompagne
La conſcience , qui conſtitue peut-être ſon effence,
et qu'il eſt important de confidérer. Je veux
parler de cette triſteſſe , ou de ce répentir qui
fuit une mauvaiſe action , mais ſurtout de ce con
tentement joyeux , que nous ſentons à la ſuite
d'une bonne action. Ce rétentiffement intérieur
pourroit bien indiquer la meture de bonté ou
de dégradation , dans laquelle chaque ame lë
trouve ; car il ne paroît pas toujours être l'effet
de la repréſentation des fuites bonnes ou mau ,
raiſes , que peut avoir une action, Je conçois
Da bien ,
52 De la liberté de la vdontë Lumiaine.?

bien, comment il eſt poftible de dériver l'anxién?


të qui eſt attachée au crime, de la crainte d'un
chatimefit qu'on prefſentit obſcurement; mais
d'ou vient la ſatisfaétion , qu'on éprouve après
un bienfait exercé en fecret, et qui eſt d'au
tant plus grande qu'on avoit moins de récompen
fe à attendre ? d'ou vient le contentement intém
rieur ) que riffent même un voleur de grands
chemins, lorsqu'il a mis des bornes à fa cruau
té ? Je regarde ce plaiſir , dont tous les hommes
ont le Ventiment dans un degré different , com
me le mouvement d'une volonté libre - fortement
empriſonnée, et comme la meſure de fa moindre
dégradation originelle. Je vois dans ce ſenti
ment une trace de ſa liberté, parcequ'il n'eſt
pas “ produit par les moyens coercitifs ordinaia
rés des peines et des récompenſes , mais qu'il
eſt le réſultat d'un inſtinê inné pour le biex
moral.

I.
Pour rendre la réalité d'une deſtinée à laquel
le on ne peut réſiſter encore plus ſenſible , je
tais mettre Tous les yeux du lecteur deux ta
bleaux oppoſés , qui développeront d'une maniès
re pratique les vérités , que je viens d'expoſer
Le fils d'un brigand naît dans une caverne de
roo
De la liberté de la volonté bumaine. -
53

voleurs ; il apprend le métier de fes parens


• dans cette ſecurité innocente avec laquelle un
autre enfant ſuit la profeſſion de ſon père. Elé
vé à faire la guerre à la ſociété, il ne reconnoit
d'autres loix que celles du droit naturel de fa
petite horde. Il peut , dans le cercle étroit de
- fes camérades , étre honnête, fenfible , même un
héros ; car des vertus romaines Ini font quelque
fois analogues. Il trouve dans l'intérêt commun
( de la troupe, dans la vengeance jurée à la mort
de ſes amis et dans ſon propre péril , dequoi
excuſer toutes ſes actions : l'amour de la gloi.
re eſt fon unique paffion ; une organiſation heu
reure l'apelle à être fenfible et il devient le
meilleur des brigands ;: fi au contraire ſon tem .
pérament eut été violent, inflexible , il ne fe fe
roit exercé quc dairs les meurtres , et le com
ble de la cruauté eut été le dégré le plus haut
de fon développement. Dans l'une et l'au .
- tre de ces fuppoſitions, l'ignorance, les préjugés,
l'habitude , fa liaiſon avec ſes camerades l'em
pêchent irreſiſtiblement d'entrevoir les torts
envers l'humanité, d'adopter nos loix et de con
idamner fa manière de vivre. Et fi même
un rayon de lumière, ou le voeu de mener une
vie plus tranquille pouvoient l'ébranler ', il n'en
féroit pas moins empêché par: le ſentiment de
D3 12
54 De la liberté de la volonté humaine.

fa propre conſervation , par la crainte du ſup


plice, ou du mépris, de venir fe livrer à la mer.
ci de la juſtice ; mais moins s'il ſe décidoit à
accepter une récompenſe pour trahir les fiens il
fe feroit encore moins corrigé , car le plus vil
de tous les crimes l'emporterait alors dans ton
ame ſur les horribles devoirs de fon affocia .
tion précédente , et ne lui laiſſeroit pas même
le ſentiment pur d'avoir rempli ſon devoir ; con
folation que même un voleur de grands chemins
peut avoir .

Pallons maintenant au fecond tableau :


Un autre homme naît de parens excellens.
Son temperament eſt modéré , fa raiſon lu.
mineuſe , fon efprit plein de fagacité. Une
religion ſans préjugés donne aux principes
de morale qu'on lui imprime plus d'élévation.
On ſaiſit dans ſon éducation la véritable mar .
che ; on le guide d'une manière inſenſible , ſans
violenter ſon propre développement. Des amis
vertueux contribuent encore dans la ſeconde édu.
cation à le former d'une manière plus ſolide ;
d'heureuſes occafions l'exercent dans la bienfai
fance. La réconnoiſſance et le fuffrage de ſes amis
augmentent ſans ceſſe ſon amour envers les hom
mes ,
De la liberté de la volonté bumaine, 55

mes , et ce dernier ſentiment devient dans le


-

filence de toutes les paflions fon uniqué pen.


chant; il ne s'eſt jamais vu dans la vie réduit
à choiſir entre la vertu et le vice , et c'eſt ainſi
que protégé par les circonſtances il parcourt
dans une innocence néceſſaire d'un pas léger,
fans peines et ſans combats la carrière de la
vie humaine.

Ce vertueux privilégié et ce brigand hérédi


taire éprouveront ſans doute avant et après la
: mort les ſuites de leurs actions et un fort dif .
férent..

Tous les deux ont dû exiſter puisqu'ils


étoient là ; tous les deux ont dû agir , comme
ils l'ont fait, parcequ'ils ont agi ainſi. Mais comº
ment ſont- ils en qualité d'êtres ſenſibles et pen
ſans parvenus à une deſtinée fi différente ? Qu'a
voit commis l'ame de l'un pour être appellé à
devenir un voleur de grands chemins , et quel
a été le mérite de l'autre pour être deſtiné à
devenir un homme parfait? Comment concilier
D4 ces
56 De la liberté de la volonte bumaine ,

ces exemples avec la bonté et la juſtice divie


ne ? * )

.).Dans l'euvre de la redemption la mere du fauveur


et le diſciple qui le trahit , écoienr deux perſonna
ges prévus , prédits et néceſſaires. La queſtion de
vient donc ici encore plus preſſante : Comment
une ame innoeente a - t - elle pu être crée et deſti
née à remplir le role. de Judas , et pourquoi une
autre ame devoit elle avoir la prérogative infinie -
d'être Marie .

De
Power on 000 57

De la Providence,

Si des Etres libres par la penſée et par la


volonté ont produit une réſiſtance dans l'éterni.
té , fi par cette réfiſtance ils ont amené le tems
et 'inventé la ſcience du mal ; il eſt poſſible ,
qu'il y en ait eu d'autres, qui ſe ſoyent attachés
à cette invention par erreur ou par féduction . Si
nous ne ſomines par les premiers , il eſt poffi.
ble et même vraiſemblable , que nous ſoyons,
les derniers, et j'admets que nous avons tous été
préſens à la chute qui eſt cauſe que nous
fommes devenus hommes , que nous avons tous
pris part à cet événement, les uns plus les au
tres moins , et que la perfeétion de notre être a
ſouffert parlà dans des degrés différens * ).
DS Dans

Mais d'ou vient, que nous de nous ſouvenions


pas d'avoir été préfens: & cet événement ? Nous
27wns
58 De La previdence.

Dans une révolte il y a des agens ſubalter.


nes, des enrôleurs et des conſeillers, pires quel.
ques fois que leur chef ; la diverſité des def
ſeins multiplie les crimes des revoltés ; beau
coup fuivent pár légereté , foibleſſe , ou bêtile ;
d'autres réſiſtent, voudroient empêcher ; mais fc
voicnt entrainés ou forcés.

Apparemment que les choſes ſe paſſèrent ain


fi à la chute des eſprits et nous nous ſommes
vrai.

al favons que l'on ſent plus fortement le mal.


heur en raiſon dut bonheur que l'on a perdu.
Nous étions fans doute infiniment heureux auf.
fi longtems , que nous étions des agens puiffans ,
parfaits , et en rapport avec la divinité . Peut - être
le ſentiment d'une différence ſi énorme féroit - il in
fupportable à notre exiſtence actuelle ? Peut être
aufte cette connoiffance en fuppoferoit - elle d'autres
que nous n'oſerions.. ou que nous ne pourrions pas
avoir dans cette vie materielle ? La bonté et la fa
gefſe divines ont pourvu à l'un et à l'autre, en pous
retirant un reminiſcence , qui nous feroit ou trop
douloureuſe , ou même dangereuſe.
1 De la providence, 59

vraiſemblablement corrompus dans des degrés


très différens fuivant notre différente participa .
tion . Le deffein de la bonté divine ne pouvoit
être que de corriger le mal tout comme le but
principal d'un étre parfait devoit être le rétá
bliffement univerſel de l'ordre . Mais comment
des êtres moraux peuvent - ils ſe corriger , 'à
moins qu'ils n'y foyent conduits par le répen
tir ; or le répentir ne peut - être opéré que
par une ſenſation d'effets malheureux : donc , fi
nous nous fommes corrompus dans degrés dif.
férens', il faut que notre correction ſoit produi
te par des espèces et des meſures différentes de
repentirs; ce qui préſuppoſe des ſenſations dou
loureuses , proportionnées à la nature et à la
grandeur des différens genres de corruption .
Dislors il falloit à Dieu une méfure déterminée
et choiſie d'effets douloureux , pour exciter le
répentir et produire la correction ; de manière
que fi d'un côté il paroft inconcevable et con
tradidtoire que la ſource du bien ait inventé le
malheur et les tourmens qui appartiennent au
désordre , il eſt évident de l'autre que la vo
jonté de Dieu n'ayant d'autre but que la félici
té de ſes créatures, toutes les fois, qu'on s'écar
te de fa volonté , on s'éloigue dans la imême
Pro
60 De: t& ' providente,

proportion de ce but, et que la multiplicité des


manières , dont on trangreffe fes lois , entraine
différens maux à la ſuite. Nous entre voyons
déslors la poflibilité à une mélue déterminée
de peines , dont Dieu fe fert coinme de mo.
yens propres à exciter le répentir, fans.que pour
celà il ſoit l'auteur ou inventeur de ces tour
mens ; puisqu'au contraire il cherche à corriger
le mal par ſes propres effets. Cet arrangement,
fondé ſur une proportion exacte , je l'appelle
la juſtice de Dieu , parceque je ne connois pas
pour cette expreſlion d'autre idée, plus compa
tible avec la bonté divine.

Notre Juſtice voudroit corriger , mais elle


de le peut pas : elle ne corrige, ni lcs mauvai
fes ſuites d'une a &tion , parcequ'elle ne peut pas
l'annuller , ni le coupable , qu'elle enferme, ' ou
qu'elle livre à la mort, ni les ſpectateurs qu'el.
le cherche à gagner par la crainte ou par l'e
ſpérance. Elle tourmente également le criminet
qui le répent et celui qui reſte codurci , et elle
le punit non par rapport à lui , mais à cauſe
du foin qu'elle doit prendre
voit évidemment z'combién une telle juſtice eſt
ex .
Deta' provideneet

expoſée à être imparfaite et cruelle. Doit?


on calquer fur'un ſemblable modéle l'idée
que nous nous faiſons de la juſtice divine ? Sa
benté n'eft:e.He pas -affés juſte , lorsque la punim
tion ſe trouve d'elle même et fans qu'il ait
penie, dans une exacte proportion à côté de la
transgreſſion de ſes loix bienfaiſantes , et fa
puiffance n'eſt-elle pas fuffifamment juſte , lors
qu'il aime mieux détruire le mal , que le mén
chant , lorsqu'il expulſe la maladie cť conferve
lé malade , lorsqu'il anéantit les fuites du mal,
excite le répentir et l'acceptes lorsqu'il corrige
fi complètement , que les peines et les récom
penſes peuvent ceffer , puisque tout eft rede.
venu bon.
2

Après tout ce que je viens de dire , voici


Comme je me répréſente la marche de la Pro .
vidence. Dans le moment , ou Dieu inventa le
cercle matériel, et y renferma le bicn et le
mal qui étoient en combat, fon Omniſcience
avoit vu d'un coup d'oeil tout ce que fa: Toute
puiſſance pouvoit faire. Il conſtruiſit une gran
de machine dont le mouvement eſt pouſſé par :
une chaine de cauſes et d'effets et dans laquel
le la refiftance du mal fert. de reffort. Des
for
62 De la providence.

forces contraires devinrent les moyens d'effecó


tuer partout l'ordre , la beauté , la varieté , et
la direction morale car tous les eſprits renfermés
dans ce cercle furent ſoumis à des loix pbyli.
ques et invariables.

Nous vivonsici dans cette grande et merveilleu


fe priſon , et nous la conſiderons au travers des
Quvertures de cachots , dont chacun de nous a
le fien. Ces ouvertures font nos ſens, qui font
liés aux qualités des corps. Leurs repréſenta
tions ſont confiées à notre raiſon pour ſon ufa.
ge unique ; celle ci guidée par elles ne peut
produire nulle autre penſée de ſon propre fond ;
car nous ne pouvons pas parvenir à connoître l'ef.
fence ſimple des choſes , elle eſt cachée dans
des formes , qui la préſervent de tout abus : ce
voile myſtérieux detourne et trompe l'influence
originelle et immédiate du mal ſur notre volon
té : cette infuence , contrainte de ſe partager
daus différentes paſſions;eſt par la même raiſon affois
blie et n'opère plus pour ainſi dire , que d'une:
manière figurative et par images. Ce n'eſt que
fous ce rapport qu'il eſt permis aux êtres pen
fans, à cauſe de leur liberté primitive, de réſiſtec
aux loix morales de Dieu ; tandis que tous
les
Do I'd providence . 63

les autres êtres obéifient néceſſairement et ſans


réſiſtance à leur créateur * ). Ils paroiſſent quels
ques fois exercer encore quelque pouvoir ſur la:
nature , et ſemblent déranger par ci par là l'or
dre des choſes , et produire des nouveaux mea
langes de mal , en ce qu'ils ont la faculté de
rompre certains liens phyſiques , d'augmenter
les forces, de réunir des objets éloignés des uns
des 17

pa ‫و‬

) Les loix de Dieu font autant que nous les con :


noillons, ou phyſiques , ou logiques, ou morales,
Les Etresdépourvus de ſentiment obéiſſent aux pré.
mières, ceux qui penſent, aux ſecondes, et x
é
ſont doués de la volont , aux troiſi s qui
etèmeceu
. Les
deux premières fortes de loix ſont invariablement
ſuivies , mais non les dernières. Cependant comme
ce ſont auſſi des loixdivines, quidevroient néceſſaire
ment s'accomplir , mais qui par la permiflion de
Dieu ne peuvent ſouvent pas être executées , il pa
roit , ou que leur accompliſſement appartient à un
autre ordre de choſes , , ou que ces loix elles mêmes
pourroient bien n'avoir qu'une néceſſité hypothétique,
et n'être que des exercices utiles, et propres à nous
préparer pour un meilleur monde , fans appartenir
intimement i la véritable eflence des choſes,
64 De la providente:

des autres , d'agiter des maſies inertes, de di


viſer et d'aggrandir ; mais les loix invariables
tant phyſiques que logiques arrêtentces écarts etles
tournent même vers un but utile ; elles ſont les
lifières, dans lesquelles la foible humanité chan
cèle de côté et d'autre ; cles (font la chaine , les
long de laquelle l'eſprit captit ſe promene , et
le fil conducteur , à l'aide duquel il eſt mené à
: travers le Labyrinthe de la captivité.

C'eſt d'après les plans , l'arrangement et les


vues de correction que nous venons de déve
lopper , que je crois que Dieu a arrangé l'entrée
fucceffive des eſprits dans le monde matériel,
et a aſſigné à chacun fa place. Chaque role ,
qui ſe joue ſur le thèatre du monde , le plus
mauvais comme le meilleur , eſt devenu nécef
faire par le combat du bien avec le mal, et devient
utile par la correćtion que Dieu s'eſt propoſe
d'en tirer ; mais il étoit tout à fait arbitraire et il
dépendoit de la fagefle et de la bonté divines,
de charger tel ou tel eſprit de tel ou tel role.
L'inſtant de la conception d'un homme déter
mine toutes ſes actions dans un eſpace de tems
donné : le climat, ſous lequel il vit , les uſages
de la patrie, le meurs de fon ſiècle , ſes parens,
tul fes
De 14 providence , 65

fes amis , ſes affaires domeſtiques , les devoirs


de la place , fon temperament , et tous les ob
jets qui l'entourent font les cauſes , qui font de
ſa vie entière le rôle qu'il doit remplir. Dieu
choiſit désors , pour l'eſprit qui a beſoin pour
la correction d'une telle eſpèce de peine, et d'un
tel dégré de repentir , ſuite naturelle de certai
nos transgreſſions, préciſement le rôle de la per
Tunne qui commettra toutes ces transgreſſions.
Ceux d'entre les eſprits , qui dans la chute uni
verſelle ſe font corrompus le plus , ſeront donc
les plus grands des criminels qui entrent nécef
fairement dans la compoſition de ce monde , et
ceux qui ont participé le moins à cette chûte
font peut - être ceux , qui quittent le monde ,
prèsqu'a leur naiſſance : Ils n'avoient beſoin que
de naître et de mourir pour réacquérir leur
perfeétion primitive.

L'emploi fage et plein de bonté que Diep


fait ici bas des fuites malheureuſes de la trans
greſſion de ſes loix pour opérer notre réintégra.
tion , eſt ce que j'appelle la miſéricorde .
.
De la providencé.

Ce que nous louffrons, et ce que nous avong


encore à ſouffrir n'eſt donc pas une vengeance
infructueute qui ſe plait à nous tourmenter ;
mais ce ſont les ſeuls moyens ſalutaires poſibles
que la bonté divine employe pour nous montrer
les fuites du mal dans toute leur étendue, pouc
nous convaincre que le but de les loix oft de
nous rendre heureux , et enfin pour éprouver
notre volonté par le répentir. Dieu ne rendra
fans doute à la volonté fa liberté, que lorsqu'une
purification complette l'aura garanti à jamais de
tout abus.

Bien des perſonnes diront, que cette doétri


ne renverſe entièrement la morale, et peut nous
engager à nous répréſenter tous les crimes, que
nous foushaitons de commettre , comme nécéſ .
faires , fans nous embaraſſer d'un avenir qui
conduit tôt ou tard à la felicité. Je re.
ponds , conſéquen
ces étoient vraies , la réalité de la chofe , fi
elle exiſte , n'en feroit pas du tout ebranlée , et
que tout ce qu'on pourroit en conclure , feroit
que celui chès qui cette doétrine fait une fi dan
gereuſe inipreſſion , a du être originairement un
eſprit

/
De ta providence .! 67

1
eſprit extrémennent corrompu. Cependant com .
me cette doctrine eft cntièrement fondée ſur les
fuites heureuſes et malheureuſes do nos actions
dans ce monde ci et dans l'autre, on voit qu'el
le répoſe, comme tout ordre moral, fur des peie
Des et des récompenſes ; c'eſt par leur moyen
feulement que nous fommes néceffités au bien
parceque nous ne Tommes pas libres ; et ſuppo:
té même que nous ſoyons convaincus, qu'aucll.
ne de nos actions ne dépende de nous a cette
opinion n'empêcheroit pourtant pas l'impreffion
irréſiſtible , que l'attente de bonnes et de mau,
vaiſes ſuites fait ſur la crainte et ſur l'eſperan
ee ; au contraire, plus nous entreverrons leur
utilité moins nous douterons de leur avenir in
évitable .

Mais peut - être dira.t.ol , la doEtrine des


peines éternelles eſt - elle néceflaire pour épou.
vanter les fcelerats ? J'en doute ; car quelle idée
Phomme pcut: il ſe faire de peines éternelles ?
L'obſcure "répréſentation d'une choſe incom .
préhenſible et contraire à la raiſon pourra-t elle
produire une plus forte impreſſion , que l'i.
dée diſtincte d'une durée énorme mais déter .
E 2 mi ,
08 De l'ai providence.

minée de peines vraiſemblables et effrayantes


dans cette vie et dans l'autre ?

Dans tous les ſyſtêmes théoſophiques la bon .


té de Dieu eſt toujours en contradiction avec
ſa juſtice , et dans toutes les ames fenfibles l'i
dée du chatiment doit faire uaitre une crainte
bien oppoſée à l'amour.

Les théologiens ont beau l'appeller une


crainte filiale, pour moi je n'ai jamais aimé mon
pere lorsqu'il me chậtioit, et dans l'excès de
ma crainte , je ſouhaitois , qu'il ne fut pas.
Quels peuvent être déslors les terribles ef
fets de la répréſentation de peines éternelles !
Le déſeſpoir , qui conduiroit à hair Dieu
auroit une influence épouvantable ſur notre
avenir et ſur la purification que nous devons
ſubir Car lorsqu'après la mort , abandonnés
de tous les objets qui nous étoient chers , ſans
fecours, ſans ſoulagement, nous nous ſentons li
vrés aux malheureuſes fuites de nos transgref
fions , la pluspart de nous éprouveront une
eſpe.
De la providence,

efpèce de déſeſpoirs mais quidans chaque individu


ne peut croître , que jusqu'à un certain point:
il doit ſe terminer par le defir qu'il y ait
un être, qui puiſſe et veuille aider ; de ce defic
naîtra l'esperance ; et de l'eſperance le prèſ
fentiment du ſecours : Celui - ci joint à un
répentir parfait opére la confiance et enfin l'a.
mour envers Dieu , et voilà la réunion , faite.
Tel eſt le chemin que prendra vraiſemblable
ment la réintégration myſtérieuſe de Phumanité.

Il eſt par conſéquent aiſé de comprendre,


combien l'inſtant defire , qui ſépare le comble
du malheur de la plus haute felicité , ſeroit recule
par la répréſentation de peines éternelles, qui en
augmentant le déſeſpoir , rendroit notre retour vers
Dieu plus difficile : une connoiffance plus vraic
de la juſtice et de la bonté divines femble au
contraire être l'appanage d'êtres moins corrom
pus qui arriveront plus promptement par fon mo.
1
yen à la confiance, et a l'amour qui feur ſont
néceſſaires.

Enfin , m'obje £tera - t -on , fi tout eft irrévo.


cablement déterminés kiprièreeſt donc inuti.
le ?

1
70 De ta providence.

le ? Je ne fais quel auteur a dit: -fans doutes


que Dieu n'a pas beſoin de nos prières; mais
si c'eſt l'homme qui en a beſoin. Au moins nous
tert - elle d'exerciee pour perfe &tionner notre
confiance en Dieu . Cependant il ne me ſemble.
pas impoſſible , que les choſes ayent été arran
gées de manière , que la providence ait préparé
pour ſervir d'exemples, des récompenſes tempos,
relles à une prière faite avec ferveur. Si cette
vive confiance rétablit la perfection de la velonté
il ſeroit encore poſſible, que le pouvoir captif de
la volonté créatrice fut mis pour quelques in
fans en liberté. C'eſt ainſi , qu'on pourroit le
faire une idée raiſonnable , de ce que nos Théo .
lugiens diſent des miracles de la foi. 3

- Il y a apparence , qu'à la ſuite de la pério


de , qui renferme la réintégration de tous les
eſprits devenus hommes , Dieu en déterminera
une autre , dans laquelle les auteurs du mal
pourront être ramenés à leur perfection origi
nelle. Après quoi il n'y aura plus de reſiſtance ;
le tems ceſſera et l'eternité ne ſera plus inter
rompuë dans ſon unité.
ERRATA
à la dernière ligne de l'avertiſſement : liſes : line
au lieu de lier.

pag. 20. ligne 22. de fucceffiions liſes : des fucceffions


"item ligne 23. ecouter lités : ecouler.
p. 26. ligne 8. com- ment liſés : commencement,
pag. 54. ligne 3. mais moins effacés : moins.
pag. 59. ligne 11.. dans degrés liſés : dans des degrés,
pag. 61. ligne 8. fa puiſſance n'eſt - elle par fuffifammeno
juſte -
liſés : fa Juſtice ſeroit . elle trop douce.
pag: 164. ligne. 10. et a • liſés : et qu'il a . item lie
1 gae 25. le moeurs - liſés : les moeurs.
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