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L’esprit cartésien (et pourquoi je ne suis pas cartésien)

En dehors du fait que je sois matérialiste au sens philosophique du terme et non pas idéaliste, comme
l’est Descartes en nous présentant l’âme ou l’esprit séparé du corps, je n’intègre pas la démarche
cartésienne.

Quant à ce fameux « esprit cartésien », j’ai posé la question à plusieurs personnes quant à ce qu’ils
entendaient par « esprit cartésien ». J’ai eu comme réponses : 1°) Une personne qui ne croit en rien, qui
doute de tout ce qu’on lui dit. 2°) Une personne incrédule. 3°) Un esprit rationnel et logique. 4°) Une
personne méthodique. 5°) Un incrédule, un athée. 6°) Quelqu’un qui réévalue tout selon son propre
jugement. 7°) Une personne qui ne croit que ce qu’elle voit. 8°) Une personne terre à terre.

L’expression esprit cartésien peut même être utilisée dans un sens plutôt péjoratif.

Dans une émission sur France Inter, le 13 juin 2003, « 2000 ans d’histoire », thème : « Descartes, c’est la
France », on pouvait entendre une assez bonne définition : « Qu’ils aient lu ou non le « Discours de la
méthode », qu’ils l’admirent, qu’ils le détestent, ou qu’ils l’ignorent, les Français, c’est bien connu, sont
cartésiens. Et chacun d’entre eux connaît par cœur les cinq mots : « Je pense, donc je suis », sur lesquels
Descartes a fondé sa philosophie ; et en les écrivant, notre philosophe national ignorait peut-être toutes
les passions qu’il allait déchaîner. »

« Sceptiques et raisonneurs par principe, sûrs de leur bon sens, se méfiant toujours des dogmes et des
autorités établies, les Français se reconnaissent volontiers dans ce personnage. »

C’est peut-être Descartes lui-même qui nous donne la bonne définition en parlant de lui dans cet extrait
de la Règle N° X dans les Règles pour la direction de l’esprit : « Je suis né, je l’avoue, avec un esprit tel
que le plus grand plaisir des études a toujours consisté pour moi, non pas à entendre les raisons des
autres, mais m’ingénier moi-même à les découvrir. »

On peut penser que moins d’un Français sur mille a lu en entier un jour une œuvre de Descartes. Ainsi se
retrouve-t-il affublé, estampillé « d’esprit cartésien » à « l’insu de son bon gré ». C’est là une fois de plus
une de ces ruses de l’histoire.

D’Alembert, dans l’Encyclopédie, évoque la « secte » des Cartésiens, disant (dans le préliminaire du
traité de dynamique) qu’elle n’existe presque plus et que cette opinion paraît absurde. Les philosophes
des Lumières ne retiennent pas les théories de Descartes ; Voltaire lui-même se moquera gentiment de
Descartes, rappelant que, s’il s’est trompé, il s’est du moins « trompé avec méthode » ; Molière, dans
Dom Juan, va faire rire avec cette vérité cartésienne que deux et deux font quatre, parce que Dieu l’a
voulu ainsi.

Ce n’est qu’à partir du milieu du 19ème siècle que les textes de Descartes sont remis à la mode. Les
nombreux écrits débutent dans les années 1860 et ce sera surtout Victor Cousin qui va beaucoup écrire
sur Descartes (18 volumes) ; on le donne même comme le promoteur de cet esprit cartésien attribué
aux Français.

Cette notion d’esprit cartésien va diviser les Français. Les royalistes, qui ont été éduqués essentiellement
par les Jésuites, vont haïr Descartes, car, pour ces derniers, la seule idée de vouloir prouver l’existence
de Dieu est de l’ordre du blasphème, du parjure. Pour cette même raison, curieusement, certains
acteurs de la Révolution française vont vouloir ériger Descartes en symbole de la « raison ». La raison
sera un certain temps pratiquement divinisée ; on rendra hommage à la déesse « Raison ».
Comment une démarche, qui, des dires de Descartes lui-même, vise à créer (je cite) « une physique
métaphysique » (bel oxymore, au passage), comment une méthode qui s’appuie sur (je cite toujours
Descartes) « des semences de vérité » reçues de Dieu, ce dont Leibniz va se moquer, évoquant « un tour
de cartes », comment celui qui nous dit que l’esprit, l’âme échappe à toute détermination du corps (le
dualisme cartésien), comment quelqu’un qui sans vergogne déclare que tous les philosophes avant lui
n’ont rien écrit qui vaille, comment ce savant si doué en mathématique, qui s’est trompé dans de
multiples domaines, peut–il être ainsi passé à la postérité et être la référence des Français ? Voilà une
question qui intéresse encore les historiens de la philosophie.

Si on s’était arrêté aux vérités spéculatives, nous serions encore au Moyen Âge sous l’autorité des
scolastiques. Descartes, avec son intuition scientifique, « vérité de Dieu », pose une simple pétition de
principe. Le doute cartésien, la logique cartésienne, en ce sens, me paraissent, vus de nos jours et avec
l’éclairage de toute la philosophie, être proches de l’imposture intellectuelle.

Par ailleurs, Descartes est à ce point infatué de lui-même qu’il écrit dans la lettre à Beeckman du 21 août
1634 (publiée dans le livre Descartes Geneviève Rodis-Lewis, page 129). : « …que si l’on pouvait prouver
la fausseté de ses propos, il serait prêt à confesser sa totale ignorance en philosophie. ».

Il s’est grandement trompé quant à la circulation du sang ; il soutient que la lumière nous arrive en
instantané, etc. Comment, après tout cela, nous a-t-on affublés de cet « esprit cartésien », j’en reste
pantois. Si être cartésien, c’est être aussi suffisant que Descartes, je ne veux pas être catalogué «
cartésien » et cela m’ennuie qu’en tant que Français, je sois réputé comme tel.

Débat du Café-philo du 26 mars 2014 à Chevilly-Larue

Café-philo.org/2014/05/descarte-et-lesprit-cartesien

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