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Le vin en quête de spiritualité

Longtemps aliment puis objet culturel, le vin entre dans un « troisième âge », celui du sujet
spirituel. Pour les adeptes de la biodynamie, la vigne est une liane qui s'élève vers le cosmos.
Chacun à leur manière, de plus en plus de vignerons cherchent un sens supérieur : éthique,
religieux, esthétique… Une métaphysique du vin se dessine.
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Vins
Viticulture
« La fermentation crée un état entre la vie et la mort, il faut que meure le raisin pour que
naisse le vin, fils de la Création. » (Shutterstock)
Publié le 13 déc. 2019 à 9:02
Longtemps aliment puis objet culturel, le vin entre dans un « troisième âge », celui du sujet
spirituel. Pour les adeptes de la biodynamie, la vigne est une liane qui s'élève vers le
cosmos. Chacun à leur manière, de plus en plus de vignerons cherchent un sens supérieur :
éthique, religieux, esthétique… Une métaphysique du vin se dessine.
«  Bois du vin, c'est lui la vie éternelle.  » C'était à Nishapur, faubourg de l'Orient, dans le
jardin d'Omar Khayyam. Le poète, astronome persan (1048 ? - 1131), appelait à lui le
mystère du vin et sa force sacrée. Dix siècles plus tard, le mystère demeure.

Est-il besoin de l'élucider, l'évoquer ne suffit-il pas à donner du sens ? Caviste atypique et
philosophe du vin, Bruno Quenioux, publie aux éditions du Cherche Midi « La Vie
mystérieuse du vin », miroir fascinant de notre quête de sens. «  Mon livre est un message
que j'espère intemporel, où je remets le vin dans sa dimension originelle, fil conducteur de
notre civilisation.  »

« Boire du vin nous humanise »

Pour Bruno Quenioux, la vigne est parmi toutes les plantes, la seule à exprimer une
dimension sacrée. Dans cette logique, le vin le devient. Les religions ont pour le vin un
respect inquiet.  «  Quand le vin entre, le secret sort  », pointe un verset du Talmud…

L'Islam recommande que le vin ne soit bu que dans l'au-delà et voici que les soufis le
pensent en éternel présent et le consomment. Il irrigue l'Ancien et le Nouveau Testament
depuis l'ivresse de Noé qui se met nu devant ses fils…

Boire du vin nous humanise, nous extrait de notre condition animale, nous élève au
spirituel, nous expulse de notre conscience rationnelle, son éternité nous change. « L'eau
répond à la soif du corps, le vin à la soif de l'âme », dit Bruno Quenioux.

Il nous renvoie à nous-même, nous plonge en « enstase », revers de l'extase. Cet état nous
rend présent aux autres dans un mouvement de reconnaissance qui mène à la paix. « Le
jour où les musulmans acceptent le vin, la guerre est finie », confiait à l'auteur, le régisseur
d'un kibboutz lors d'un voyage en Israël : « Il y a des vins qui t'emmènent ailleurs, car le vin
est transculturel. Deux individus qui ne parlent pas la même langue sont en communion
grâce au vin partagé. Une humanité se recrée, réunie par ce patrimoine universel.
Aujourd'hui, les chefs en Corée trinquent avec du vin !  »

« La fermentation crée un état entre la vie et la mort »

Pascaline Lepeltier, qui cumule en 2018 les titres de meilleur ouvrier de France et meilleur
sommelier de France, ose la thèse de l'« Homo imbibens », développée par Patrick
McGovern, directeur scientifique du Laboratoire d'archéologie biomoléculaire au musée
de l'Université de Pennsylvanie : après l'Homo sapiens sapiens, l'Homo imbibens est
poussé par des impératifs biologiques, sociaux et religieux à absorber du vin.

Répondant à cette conscience du vin, de la plante, un nouveau monde agricole se dessine


avec des vignerons respectueux du vivant invisible : le lieu. L'homme a relevé la liane,
vigne originelle, l'a étirée vers le cosmos tout en la faisant plonger dans les profondeurs de
la terre perçant sous l'humus (humilis, humble). Bruno Quenioux pose : « Le vin est le seul
aliment reçu dans notre corps qui soit produit dans la loi d'unicité des 4 éléments : terre,
eau, feu (fermentation) et air. La vinification les fédère.  »

La fermentation crée un état entre la vie et la mort, il faut que meure le raisin pour que
naisse le vin, fils de la Création. Une seule voie conduit au respect de cette loi : celle du
terroir, mais plusieurs chemins y mènent. Le vin est l'incarnation d'une transcendance, il
peut exprimer un temps, un homme, un endroit se référant à la mythologie d'un sol.

L'identité du lieu s'est perdue à partir des années 1970 dans l'utilisation de la chimie, une
étape de l'évolution vers d'autres directions : l'agriculture biologique et la biodynamie de
Rudolph Steiner dont la visée tend à redonner vie à la terre. Mais dans cinquante ans
parlera-t-on encore de Steiner ? « Je cherche maintenant des solutions différentes. La
biodynamie ne fait pas assez référence aux hommes. Aujourd'hui, on veut tout connaître, il
faut surtout réapprendre à se connaître pour utiliser nos sens et remettre de l'humain au
centre de la vigne dans une approche goethéenne », glisse Thierry Germain, qui emploie en
Saumurois 14 personnes sur les 28 hectares du domaine des Roches Neuves.

« La nature nous parle, nous devons l'écouter »

Le paradigme scientifique opère un retour à la « naturphilosophie » prônée par Goethe.


Elle consiste en un dialogue avec la nature qu'il considérait comme un « secret révélé »,
non-voilé. La nature nous parle, nous devons l'écouter, observer le développement des
phénomènes, juger de la santé d'un sol lorsqu'au printemps l'intégralité des couleurs de
l'arc-en-ciel se retrouve dans celle des fleurs en lien avec le cosmos : « Pour connaître une
vigne, il faut vivre avec, la côtoyer, comme une femme », ajoute le vigneron qui travaille
ses sols au cheval et s'autorise ainsi de la lenteur et du silence.

Ailleurs la kinésiologie est utilisée pour contrôler les énergies de la vigne et pallier ses
faiblesses : on encense au moyen de tisanes, de préparâts, de décoctions…

L'énergie de la plante est liée à son environnement, la vie microbienne de la rhizosphère


autour des racines n'est pas tout, la plante se nourrit de son écosystème fait d'arbres, de
haies, d'insectes, d'animaux. L'agroforesterie, telle qu'elle était pratiquée autrefois
lorsque la vigne n'était pas encore une monoculture ouvre une voie d'avenir, les arbres
illuminent le sol et communiquent avec la vigne par les racines.

Passée l'impérieuse nécessité de la consommation, au-delà de l'exploit gustatif des vins


bien faits mais trop souvent sans âme, voici que s'avance un autre vin, produit spirituel
revenu de la profondeur du temps où les hommes le vénéraient.

Karine Valentin

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