LE 
JARDIN
DU CLIMAT :
« PRENDRE 
RACINE »
SUPPLÉMENT
L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT   LA VOGUE DES PISCINES PRIVÉES ­ UN APÉRO AVEC GARRY KASPAROV
DIMANCHE 4 - LUNDI 5 JUILLET 2021 · 77E ANNÉE · NO 23790 · 3,00 € · FRANCE MÉTROPOLITAINE · WWW.LEMONDE.FR
Covid­19 : les failles du contrôle aux frontières
▶ Malgré l’instauration du
passe sanitaire européen,
le début des vacances d’été
fait craindre une accéléra­
tion de la circulation
du variant Delta en France
GLYPHOSATE LA FIABILITÉ  vaisseau fantôme de la Macronie
DES ÉTUDES MISE EN CAUSE
▶ Des toxicologues indépendants
ont pu consulter les tests
confidentiels des industriels
sur la génotoxicité de l’herbicide
▶ La plupart de ces travaux,
qui ont guidé l’avis des autorités
sanitaires, ne respectent pas les
critères de qualité attendus
PAG E 8
Vivien Grandin, polyculteur à Montravers (Deux­Sèvres), a cessé d’utiliser du glyphosate en 2014. ADRIEN SELBERT/AGENCE VU’ POUR « LE MONDE »
Entretien Kevin Mayer : « Le sport,  Industrie
c’est une philosophie de vie »
A Marseille, en septembre 2020. PHILIPPE MILLEREAU/KMSP VIA AFP
vice­champion olympique du
décathlon en 2016 à Rio, cham­
pion du monde l’année suivante
à Londres, recordman du monde
de la discipline, Kevin Mayer re­
présente l’une des principales
chances françaises de titre olym­
pique en athlétisme aux Jeux de
Tokyo, cet été.
Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY · DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
▶ 30 000 personnes ont ▶ Alors que les règles d’en­ ▶ Une étude tout juste ▶ Du Royaume­Uni à la
été dépistées à leur arrivée trée sur le territoire va­ publiée montre que le Russie, les matchs de
dans les aéroports pari­ rient, les témoignages des tourisme estival a été une l’Euro de football sont
siens en juin, et les flux de voyageurs illustrent le cas­ source majeure de relance soupçonnés d’alimenter
visiteurs devraient bondir se­tête et le caractère très de la pandémie en Europe, la propagation du virus
de 60 % d’ici à la mi­juillet aléatoire de ces contrôles à l’automne 2020 PAGES 6 -7
Récit Heurs et malheurs de LRM, 
conçue en 2016 comme un
mouvement citoyen censé revita­
liser la démocratie, La République
ans pour lancer Emmanuel Ma­
cron dans la présidentielle est de­
venue « mortifère », et qu’il est
en marche enchaîne les déconve­ urgent d’en changer avant 2022.
nues électorales. Obsédée par le Le bureau exécutif devrait être
modèle de l’entreprise et la vo­ renouvelé, lundi 5 juillet. Mais le
lonté de faire de la politique chef de l’Etat lui­même semble se
« autrement », la formation a désintéresser d’un mouvement
manqué son implantation locale faiblement incarné, dont l’abso­
et donne, sur le terrain, l’image lue loyauté au président renforce
d’un parti virtuel. l’impression d’une coquille vide
Au lendemain de l’échec aux ré­ lisse et atone, sans colonne verté­
gionales, beaucoup estiment que brale idéologique.
la « marque » imaginée il y a cinq PAG ES 10-11
Extrême droite Israël
Au congrès du RN  En Cisjordanie, 
Marine Le Pen  l’évacuation en 
face aux doutes  trompe­l’œil des 
sur sa ligne colons d’Evyatar 
Une semaine après La colonie sauvage a été
l’échec aux régionales vidée vendredi 2 juillet,
et aux départementales, après un compromis avec
le Rassemblement le gouvernement Bennett,
national tient son mais ses habitants enten­
17e congrès à Perpignan dent revenir rapidement
PAG E 9 PAG E 2
Justice
Vers une cession ÉLECTRISANT, VIBRANT, PASSIONNANT
en douceur pour
Les psychiatres  Télérama
RÉJOUISSANT, ON EN REDEMANDE ! France inter
Ascoval et Hayange démontent la  PORTÉ PAR L’ÉNERGIE ET LA GRÂCE Première ★★★
PAGE 18
mécanique de 
Education l’affaire Troadec
Reports et Michel Dubec et Daniel
« couacs » pour Zagury ont décrit devant
les jurys du bac la cour d’assises le « délire
PAGE 1 5
à deux » et la « contagion
mentale » qui ont mené
au quadruple meurtre
PMA PAGE 15
René Frydman veut
une « task force Géopolitique
sur la fertilité »
PAGE 1 4 Comment 
l’Australie tient 
« J’ai toujours pris le sport É DITO RIAL
1 tête à la Chine
comme un jeu », revendique ce Confronté aux attaques
de Pékin, Canberra
touche­à­tout de 29 ans, né dans
une famille de sportifs. Il revient
LOI DE BIOÉTHIQUE : consolide son alliance
pour Le Monde sur son itinéraire
guidé par l’amour de l’effort, la
LES LIGNES ROUGES  avec les Etats­Unis
et renforce ses moyens
ACTUELLEMENT
peur de l’ennui et le refus de FONT DÉFAUT de défense
choisir.
PAG E 34
JE NE SERAIS PAS ARRIVÉ LÀ SI… P. 29 P. 20 À 23 E T IDÉES P. 3 2
 INTERNATIONAL
2|
En Cisjordanie, Bennett fait le jeu des colons
Le dirigeant israélien a ordonné l’évacuation, mais pas la destruction, d’une colonie dans les territoires occupés
beita (cisjordanie)
­ envoyée spéciale
J
uste avant de partir, les quel­
que cinquante familles qui
s’étaient installées illégale­
ment dans la colonie sau­
vage d’Evyatar ont érigé une
immense étoile de David, face à la
ville palestinienne de Beita, sur la
colline d’à côté, dans le nord de la
Cisjordanie occupée. « Nous re­
viendrons », ont­ils aussi inscrit.
Vendredi 2 juillet, l’évacuation
s’est déroulée exactement
comme le nouveau premier mi­
nistre israélien, Naftali Bennett,
en rêvait : sans heurts devant les
caméras. Son gouvernement a
forgé un compromis qui ressem­
ble à une capitulation en faveur
des colons : les baraques blanches,
mélange de construction en dur
et de préfabriqués, érigées en
quelques semaines dans les
champs d’oliviers au sud de Na­
plouse, resteront debout. Elles se­
ront gardées par des soldats, en at­
tendant que le gouvernement
étudie le statut des terres sur les­
quelles elles ont été construites.
L’évacuation de la colonie était
quasiment inévitable : l’adminis­
tration civile israélienne, chargée
de la Cisjordanie occupée et subor­
donnée à l’armée, avait déjà or­
donné la démolition des bâti­
ments. A la faveur du nouvel ac­
cord pourtant, cette dernière est
suspendue. Les colons pensent
qu’Evyatar sera bientôt légalisée
– selon la loi israélienne du moins,
car le droit international consi­
dère le transfert de populations ci­
viles d’une puissance occupante
vers un territoire occupé comme
un crime de guerre.
« C’était le meilleur compromis
qu’on pouvait trouver, dit Ayelet
Shlisel, porte­parole du mouve­
ment Nahala, qui supervise la
communauté, sa fille accrochée à
Mer
Méditerranée
Naplouse
Tel-Aviv
Beita
Evyatar
CISJORDANIE
ISRAËL Jérusalem
Mer
GAZA Morte
25 km
sa longue jupe noire. Nous allons
nous éclipser un moment, le temps
qu’ils finissent les arrangements
bureaucratiques, et nous allons re­
venir. » Entre­temps, elle retour­
nera dans « sa grande maison de
190 mètres carrés » à Ariel, une
autre colonie, avec ses cinq en­
fants. L’Israélienne de 36 ans avait
déjà tenté de s’installer à Evyatar,
il y a huit ans – des tentes, érigées
à la va­vite et démontées quelques
jours après.
Jeudi, alors que l’accord définitif
venait d’être conclu, personne
n’avait encore entamé les car­
tons. Dans les rues déjà goudron­
nées, enfants et adolescents pas­
saient d’une maison à l’autre,
sous un soleil de plomb, certains,
parmi les plus âgés, armés de fu­
sils automatiques. Des jeunes
filles transportaient des sacs de
ciment : jusqu’au bout, les colons
se sont affairés à construire. Quel­
ques baraques avaient déjà l’air
conditionné, comme celle de Se­
rah Lisson. Selon cette juive reli­
gieuse de 34 ans, mère de six en­
fants, installée ici dès le début, il y
a bientôt neuf semaines, Evyatar
a vite crû car « des dizaines de per­
sonnes sont venues prêter main­
forte, tous les jours ».
Sur la route en contrebas, une
pancarte en hébreu indiquait déjà
l’entrée de la colonie, gardée par
deux policiers sous une tente ; en
haut, la nuit, des projecteurs sur
des poteaux assuraient l’éclairage.
Vide politique
Chemise blanche et foulard noir
sur la tête, Daniella Weiss atten­
dait cela depuis plus de vingt ans.
Cette juive orthodoxe de 76 ans,
condamnée plusieurs fois pour
troubles à l’ordre public, milite
depuis des années pour l’établis­
sement de nouvelles colonies
sauvages en Cisjordanie occupée,
d’abord au sein du mouvement
messianique colon du Goush
Emounim, puis à la tête de Na­
hala. « Cet endroit est particulier
car nous ne sommes proches
d’aucune autre implantation déjà
existante, on est isolés. Cela
inaugure une nouvelle politique :
désormais, les juifs pourront
s’installer sur n’importe quelle col­
line » en Cisjordanie.
Son organisation n’a pas hésité
à instrumentaliser la mort d’un
Israélien, Yehuda Guetta, 19 ans,
tué par balles le 2 mai par un Pa­
lestinien au carrefour en bas de la
route qui mène à Evyatar, pour
établir la colonie quelques heures
plus tard, à la faveur de la nuit.
« L’armée recherchait les assas­
sins. Tant qu’elle ne les a pas trou­
vés, elle ne nous a pas empêchés
de construire ici », raconte Da­
niella Weiss d’une voix calme.
Les colons profitent aussi du
vide politique : début mai, les dis­
cussions pour former une coali­
tion contre Benyamin Nétanya­
hou après les élections de mars
sont alors au point mort. Le
10 mai, après que le Hamas en­
voie des roquettes sur Jérusalem
en réponse à l’attaque des forces
de sécurité israéliennes sur l’es­
planade des Mosquées, l’Etat hé­
breu entame une campagne in­
tensive de bombardements à
Gaza. En parallèle, le pays est en
proie à de violents affrontements
entre Juifs et Arabes dans les vil­
les dites « mixtes ». Les autorités
détournent le regard – Evyatar
croît de manière exponentielle,
protégée par l’armée.
La colonie sauvage devient un
point de friction avec l’avènement
de la nouvelle coalition, le 13 juin,
une alliance hétéroclite de la gau­
che à l’extrême droite, avec, pour
la première fois en Israël, le sou­
tien de députés arabes. Le parti de
gauche Meretz, qui défend la solu­
tion dite « à deux Etats », rappelle
qu’Evyatar doit être évacuée car
elle est illégale, tandis que
d’autres, dont la formation du
premier ministre Naftali Bennett,
en faveur de l’annexion de la Cis­
jordanie, tentent de donner des
gages à leur électorat colon.
Ce sont les seconds qui l’empor­
tent – illustrant les limites de ce
« gouvernement du change­
ment », tel qu’il a été baptisé, à se
distinguer de la politique de
Benyamin Nétanyahou, du
moins dans les territoires palesti­
niens occupés depuis 1967. C’est
« une décision grave prise par un
gouvernement qui n’apporte
aucun changement, a dénoncé
Ahmed Tibi, parlementaire élu de
l’autre liste arabe, dans l’opposi­
tion, c’est honteux, on perpétue un
crime de guerre et le vol de terres
palestiniennes. »
Sur la colline en face, depuis la
ville palestinienne de Beita, un pe­
tit groupe fixe les baraques blan­
ches au loin, assis à l’ombre sur des
chaises en plastique. En contrebas,
deux pneus brûlent et envoient
une épaisse fumée noire en direc­
tion de la colonie. Tous ou presque
ici ont été blessés par l’armée is­
raélienne lors des manifestations
quotidiennes contre l’installation
des colons. Mohamed Hamayel
est en convalescence après avoir
reçu une balle dans le cou mi­mai
par un soldat à « même pas
vingt mètres » de lui. Depuis, le
jeune Palestinien de 21 ans a du
mal à bouger l’épaule, il est resté
cinq jours à l’hôpital. « Ils font leur
cinéma, un coup “on part”, un coup
“on ne part pas”. Compromis ou
pas, nous seuls sommes les proprié­
taires de cette terre. »
Au cœur du compromis négocié
avec le gouvernement israélien, il
y a la question du statut de ces ter­
rains. Les colons affirment qu’ils
appartiennent à l’Etat, et peuvent
donc être saisis. Faux, rétorque
l’ONG anticolonisation israé­
lienne La Paix maintenant, qui as­
sure que les terres sont privées.
C’est aussi ce que clament les habi­
tants de Beita, qui ont de toute ma­
nière le droit international de leur
côté. Abou Jarah, 67 ans, pointe du
doigt les oliviers juste à côté
d’Evyatar. « Ces champs sont à moi,
dans quelques mois, ce sera la ré­
colte mais on n’y aura pas accès, af­
firme ce propriétaire de 12 hecta­
res. On a tous les papiers. »
Trois fois déjà, les habitants de
Beita avaient tenté d’empêcher
l’établissement d’une colonie sau­
vage sur les collines environnan­
tes ; le Jabal Sabih est stratégique
car il permet de rejoindre le nord
de la Cisjordanie. En soixante­sept
La colonie
sauvage est
devenue un
point de friction
politique avec
l’avènement
de la nouvelle
coalition
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
Dans la colonie
sauvage
d’Evyatar,
face à la ville
palestinienne
de Beita,
dans le nord
de la Cisjordanie
occupée,
le 1er juillet.
ODED BALILTY/AP
jours de manifestations, cinq
« martyrs » sont déjà tombés, dont
quatre de Beita, et on compte plus
d’un millier de blessés.
« L’armée protège les colons »
« Tous ceux qui s’approchent au
milieu de la colline, ils leur tirent
dessus, raconte Mohamed Ha­
mayel. L’armée protège les co­
lons. » Tous affirment qu’à part
des jets de pierres, les actions sont
pacifiques : des manifestations, le
vendredi, après la prière et tous
les soirs, une fois que l’obscurité a
enveloppé les collines. La journée,
ils brûlent des pneus, dégageant
une fumée qui asphyxie les co­
lons. La nuit, ils pointent des la­
sers dans les yeux des soldats.
L’armée a fermé divers accès de la
ville, et a mené plusieurs campa­
gnes d’arrestations, identifiant
les manifestants à partir des vi­
déos, selon les Palestiniens.
A l’évocation de l’Autorité pales­
tinienne, les regards se détour­
nent. Pareil pour la communauté
internationale. « On est seuls, heu­
reusement que nous sommes unis.
Aucune organisation ne nous sou­
tient, aucun parti politique,
aucune aide. Parfois, certains vien­
nent nous prêter main­forte, mais
ils ne sont pas assez nombreux, dé­
plore Akram Dweikat, qui a été
blessé par balle aux deux jambes,
et forcé d’interrompre ses études
en ingénierie civile. On ne sait pas
ce qui va se passer. » Près de lui,
depuis sa chaise, Thaer Hamayel
finit une cigarette. Il va avoir
40 ans mais en paraît bien plus. Il
a perdu son petit frère, Zakaria,
25 ans, tué le 28 mai d’une balle
dans le cœur. « Pourquoi vous
nous tuez ? Parce qu’on défend nos
terres ?, lance­t­il, le regard perdu
sur la colline en face. Je viens ici
tous les jours. Je n’ai plus d’autre
travail que de les déloger. » 
clothilde mraffko
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
« Les crises
potentielles sont
nombreuses en
Méditerranée »
Pour le vice­amiral d’escadre
Laurent Isnard, il existe un risque
accru de conflits en Méditerranée,
importés du golfe Persique et d’Asie
ENTRETIEN
L
e vice­amiral d’escadre
Laurent Isnard est préfet
maritime de la Méditer­
ranée et commandant de
la zone maritime Méditerranée
depuis septembre 2019. Ce com­
mando marine et nageur de com­
bat de formation connaît très
bien l’ensemble de l’espace médi­
terranéen. Il y a effectué de nom­
breuses missions et en a piloté
toutes les opérations spéciales de
septembre 2016 à août 2019.
Quelle est la situation en Médi­
terranée un an après l’incident
du « Courbet », qui avait vu
une frégate turque prendre
à partie une frégate française,
qui tentait de contrôler un
cargo turc soupçonné de violer
l’embargo sur les armes
à destination de la Libye ?
Un an après, les raisons qui ont
conduit à cette crise n’ont pas dis­
paru. Des Etats tels que la Russie
ou la Turquie continuent de se
placer dans une logique de com­
pétition et ils le font parfois en re­
courant au registre de la confron­
tation, quitte à ignorer, voire à
contester le droit international. En
cela, ils continuent de s’opposer à
la vision universaliste du droit
que nous défendons avec d’autres.
Ils maintiennent une certaine
pression. La Russie n’est pas rive­
raine directe de la Méditerranée,
mais elle opère aujourd’hui de­
puis sa porte d’entrée sur le littoral
qu’est le port de Tartous, en Syrie.
Elle a un accès pour ses navires de
guerre depuis 2019 pour cin­
quante ans. La Russie est aussi pré­
sente en Libye à travers la société
Renforcé en Arménie, Pachinian reste faible face à Moscou et Bakou
Le dirigeant arménien a su défaire une opposition désunie lors du récent scrutin, mais est fragilisé par la défaite dans le Haut­Karabakh
ANALYSE
C hef de guerre vaincu après
la défaite humiliante de
l’Arménie face à l’Azer­
baïdjan dans la guerre au Haut­
Karabakh, Nikol Pachinian a
pourtant été réélu haut la main,
sept mois plus tard, aux élections
législatives anticipées du diman­
che 20 juin. S’il était donné favori,
personne n’avait anticipé une
victoire aussi large : le premier
ministre arménien a obtenu près
de 54 % des voix dès le premier
tour, quand les analystes politi­
ques et sondages le créditaient,
au mieux, de 30 % à 40 %.
Son principal adversaire et en­
nemi juré, Robert Kotcharian, a
dû se contenter de 21 % des suffra­
ges, avec un taux de participation
de 49 %. L’ancien président a
beau dénoncer des « falsifications
planifiées à l’avance » et refuser le
reconnaître le résultat, les élec­
tions ont été qualifiées par les ob­
servateurs de l’Organisation pour
la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE) de « concurrentiel­
les et bien organisées », et le dé­
Wagner, employeur de mercenai­
res russes. La Turquie est égale­
ment toujours présente en Libye,
malgré les demandes des Libyens
et du Conseil de sécurité des Na­
tions unies concernant le départ
des troupes étrangères.
Qu’observez­vous d’autre ?
L’autre évolution importante
de ces dernières années, c’est le
risque d’importation en Médi­
terranée de plus en plus de crises
extérieures, notamment venant
du golfe Persique et d’Asie avec de
nouveaux acteurs non riverains
de la Méditerranée. Les fractures
politiques et religieuses autour
du mouvement des Frères mu­
sulmans, par exemple, se retrou­
vent aujourd’hui à travers un
soutien revendiqué de la part de
la Turquie alliée au Qatar d’un
côté, et une opposition frontale
de l’Egypte alliée aux Emirats
arabes unis de l’autre.
De même, on voit importées en
Méditerranée les tensions entre
l’Iran et Israël. Ainsi, quand un na­
vire pétrolier iranien se rend en
Syrie, il est escorté par des navires
russes. Les tensions entre la Chine
et les Etats­Unis en Indo­Pacifi­
que pourraient également avoir
des répercussions car les deux
pays ont des intérêts militaires ou
économiques en Méditerranée.
Quel est l’état des relations
entre la marine turque
et la marine française ?
Nous avons des relations fer­
mes, courtoises et professionnel­
les. Je me suis moi­même rendu à
Ankara au printemps. Dans le ca­
dre de l’OTAN, nous pouvons aussi
être amenés à travailler ensemble.
pouillement des bulletins « hau­
tement transparent ».
Arrivé au pouvoir en 2018 après
la pacifique et prodémocratique
« révolution de velours », Nikol Pa­
chinian s’était résolu à organiser
ce scrutin sous la pression crois­
sante de l’opposition, du prési­
dent, de l’Eglise et de l’armée. Plus
polarisés que jamais, les Armé­
niens avaient le choix entre quatre
blocs électoraux et 22 partis – un
record, mais la plupart étaient in­
connus. Parmi les opposants à
Nikol Pachinian, seul Robert Kot­
charian, qui compte le président
russe, Vladimir Poutine, parmi ses
amis, faisait figure de rival sérieux.
La campagne, véhémente, s’est
d’ailleurs résumée à un combat
entre les deux hommes.
La nette victoire du premier mi­
nistre sortant lui offre une nou­
velle légitimité après des mois de
crise politique et de démissions en
cascade au sein de son gouverne­
ment. A la surprise générale, il est
arrivé en tête dans toutes les ré­
gions du pays, y compris dans le
Siounik et le Guegharkounik, où
les problèmes de sécurité à la fron­
Sur le navire
français « La
Fayette », en
Méditerranée
orientale,
le 26 octobre
2020. THOMAS
COEX/AFP
Une clarification a été faite au sein
de l’Alliance à l’initiative de la mi­
nistre des armées, Florence Parly.
Nous avons par ailleurs des ba­
teaux français qui font escale en
Turquie et des bateaux turcs qui
font escale à Toulon. Chacun
connaît les limites de l’autre. On
ne se laisse pas intimider, nous
sommes prêts à toute éventualité.
Dans une zone surmilitarisée
comme la Méditerranée orien­
tale, il y a beaucoup de crises po­
tentielles, mais nous gardons no­
tre sang­froid. Nous entretenons
des relations avec tous les pays ri­
verains de la Méditerranée. Pour
un marin, la mer ce n’est pas une
tranchée, mais une passerelle.
Comment regardez­vous
ce qui se passe en mer Noire,
notamment les tensions entre
les marines britannique et
néerlandaise et l’armée russe ?
La mer Noire fait partie de ma
zone de responsabilité, mais ce
n’est pas le seul lieu sous tension.
Les rencontres que nous avons en
mer avec la Russie ont plus sou­
vent lieu au large de la Syrie et
elles sont professionnelles. Il y a
certes des avions qui volent par­
fois un peu près de nos bateaux,
mais cela se passe de manière
globalement satisfaisante. Nous
allons régulièrement en mer
Noire et nous n’avons pas été
confrontés au genre d’événe­
tière avec l’Azerbaïdjan laissaient
pourtant penser qu’il y ferait un
mauvais score. Comment expli­
quer un tel succès ?
Rejet de l’ancien régime
Loin d’être un vote d’adhésion
massive, la victoire de Nikol Pachi­
nian tient avant tout au rejet de
l’ancien régime, honni, qu’incarne
Robert Kotcharian. L’ex­président,
au pouvoir entre 1998 et 2008,
reste profondément impopulaire
auprès d’une grande partie des Ar­
méniens, qui se souviennent d’un
homme corrompu et autoritaire.
Face à lui, Nikol Pachinian ne fai­
sait pas figure de candidat idéal.
Considéré par de nombreux Ar­
méniens comme incompétent,
impulsif et imprudent, il est aussi
critiqué pour avoir martelé pen­
dant la guerre que la victoire était
proche, alors que les soldats se fai­
saient massacrer face à l’Azerbaïd­
jan, appuyé par la Turquie. Parmi
ses anciens soutiens, beaucoup ne
lui pardonnent pas d’avoir signé le
cessez­le­feu du 9 novembre 2020,
qui a scellé la défaite du pays et la
perte d’importants territoires.
ments qu’ont connus les Bri­
tanniques, même si nous n’avons
pas exactement emprunté les
mêmes routes maritimes. Là
aussi, nous appelons un strict res­
pect du droit international, qui in­
clut la liberté de navigation.
Quels sont les moyens français
déployés en Méditerranée ?
Depuis un an, la crise sanitaire
n’a pas eu d’impact sur le nombre
d’opérations. Elle a en revanche
eu des conséquences pour les
équipages, les escales ayant été
réduites. Aujourd’hui, nous avons
de manière quasi permanente
des bâtiments en Méditerranée
orientale, notamment dans le
canal de Syrie, pour garder une
appréciation autonome de la si­
tuation. Nous avons aussi réguliè­
rement des avions de patrouille
maritime ou des sous­marins. On
a aussi eu le porte­avions Charles­
de­Gaulle et son groupe aérona­
val au printemps.
Quel bilan faites­vous
de l’opération « Irini » lancée
par l’Union européenne
au printemps 2020 pour faire
respecter l’embargo sur
les armes imposé à la Libye ?
Le bilan est plutôt positif. Nous
avons contribué à l’opération en
fournissant régulièrement un ou
deux bâtiments et des avions de
patrouille maritime. « Irini » a
Dépités, plus d’un tiers des élec­
teurs ont hésité jusqu’au dernier
moment avant de savoir pour qui
ils allaient voter, avec l’impression
de devoir choisir le « moins pire »
des candidats. Cette grande pro­
portion d’indécis rendait le résul­
tat incertain. La peur et la haine
qu’inspire Robert Kotcharian ont
finalement poussé une grande
partie d’entre eux à voter pour
Nikol Pachinian, malgré leurs
griefs à son égard. Beaucoup con­
sidèrent également qu’il n’est pas
le seul responsable de la défaite
dans la guerre au Haut­Karabakh,
et que la faute incombe avant tout
à ses prédécesseurs : trente ans de
corruption sous leur règne ont
laissé l’armée exsangue.
Le premier ministre sortant a
aussi profité des divisions de l’op­
position. Outre Robert Kotcha­
rian, deux autres anciens prési­
dents, Levon Ter­Petrossian et
Serge Sarkissian, se présentaient
face à lui, chacun sur une liste dif­
férente. « Cette fragmentation de
l’opposition n’a fait que diluer et
diviser l’électorat antigouverne­
mental, explique Richard Girago­
international | 3
« Des Etats tels
que la Russie
ou la Turquie
continuent
de se placer
dans une logique
de compétition »
permis de montrer quels étaient
les bateaux qui ne se soumet­
taient pas au contrôle de l’em­
bargo, notamment en consti­
tuant des dossiers à charge.
Désormais, c’est aux autorités
politiques d’en tirer les consé­
quences. La coordination avec
l’opération de l’OTAN « Sea Guar­
dian » (qui fait notamment de la
sécurité maritime) est entravée
par la Turquie, mais ce n’est pas le
problème principal.
Le sujet est plus de savoir si l’em­
bargo voulu par les Nations unies
est un embargo complet, donc
avec pour conséquence d’arrêter
les bateaux dès qu’il y a un doute,
ou si l’on reste dans la situation
actuelle avec un contrôle qui
consiste à désigner les acteurs ne
respectant pas cet embargo, et en
faisant du « name and shame ».
On voit que la Chine s’ancre
aussi progressivement en Mé­
sian, directeur du centre de ré­
flexion Regional Studies Center.
Et comme les trois anciens prési­
dents n’ont pas réussi à s’unir ni
même à coopérer, cela n’a fait que
renforcer le faible attrait et le dis­
crédit de l’opposition. »
Soutien du monde rural
Nikol Pachinian n’a pas eu uni­
quement des votes par défaut. Le
monde rural, son socle électoral,
lui est resté fidèle. « Après des an­
nées de négligence, Pachinian est le
seul à lui avoir donné du gaz, de
l’eau et des routes. Cet investisse­
ment a été récompensé dans les ur­
nes », affirme M. Giragosian. De
son côté, Robert Kotcharian n’a
pas réussi à les convaincre. Même
sur les questions de sécurité, om­
niprésentes pendant la campa­
gne, il a échoué à montrer ce qu’il
ferait de différent pour mieux
protéger les Arméniens.
La victoire de Nikol Pachinian
est considérée comme une bonne
nouvelle pour la Russie et l’Azer­
baïdjan. Ni l’une ni l’autre n’ap­
précient l’homme, mais il leur est
utile. D’abord parce que c’est lui
diterranée, comment qualifie­
riez­vous cette présence ?
C’est un sujet d’attention. Cette
présence plutôt économique se
développe dans des ports de pays
riverains. Elle se fait en particulier
à travers des entreprises qui cher­
chent à être présentes dans les in­
frastructures maritimes. Sur un
plan strictement militaire, la
marine chinoise a fait un transit il
y a deux ans par la Méditerranée.
Désormais il faut envisager
l’option d’une sécurisation de
leurs investissements par une
présence militaire plus démons­
trative et permanente. La Chine
est donc un potentiel acteur de la
Méditerranée. Nous travaillons
sur cette hypothèse.
Comment la France travaille­
t­elle avec les Etats­Unis ?
Les moyens américains, navals
et aériens, sont prépositionnés
autour de la Méditerranée et en
Atlantique. Les Américains sont
toutefois moins présents qu’il y a
quelques années en raison du
transfert d’une partie de leurs ca­
pacités vers l’Asie. Cette présence
était plutôt stabilisatrice, mais
aujourd’hui on sait faire sans, et
on travaille en très bonne intelli­
gence. Il y a une forme de réparti­
tion des rôles, tout le monde ne
peut être présent partout. 
propos recueillis par
élise vincent
qui a signé le cessez­le­feu, et
qu’un changement de tête aurait
pu compromettre son applica­
tion, alors que plusieurs points
stratégiques restent en suspens,
comme la construction de nou­
velles voies de communication re­
liant l’enclave du Nakhitchevan à
l’Azerbaïdjan. Ensuite, parce qu’ils
le considèrent comme un interlo­
cuteur faible, donc plus facile­
ment manipulable et susceptible
de servir leurs intérêts. Depuis la
fin de la guerre, jamais l’Arménie
n’a été aussi dépendante de la
Russie, son alliée traditionnelle.
Qu’adviendra­t­il du Haut­Ka­
rabakh ? Pendant la campagne,
Nikol Pachinian s’est bien gardé
d’évoquer ce sujet brûlant.
« Bakou est satisfait, car l’Arménie
va finalement l’abandonner,
estime Benyamin Poghosyan,
président du Centre d’études stra­
tégiques, politiques et économi­
ques de l’Arménie. L’avenir de
l’enclave « sera désormais discuté
entre la Russie et l’Azerbaïdjan, as­
sure­t­il. L’Arménie, elle, n’aura pas
son mot à dire ». 
faustine vincent

4 | international
A l’ONU, l’emprise croissante
de la Chine sur les Etats africains
L’ambassadeur allemand dénonce « l’énorme pression de Pékin »
new york, nations unies ­
correspondante
Q
uand il est revenu de
Sierra Leone à la fin
du printemps, l’am­
bassadeur à l’ONU
Alie Kabba avait chan­
gé. Lui, le charismatique homme
politique aux ambitions présiden­
tielles, ministre des affaires étran­
gères en 2018 avant de représenter
son pays aux Nations unies un an
plus tard, est abattu. Coordinateur
du « Comité des dix » (C10) – un
groupe de dix pays africains cen­
sés défendre la position de l’Union
africaine (UA) sur une éventuelle
réforme du Conseil de sécurité –,
Alie Kabba était bien plus affable
quelques semaines plus tôt. Il de­
mandait alors aux Etats membres
de l’aider à convaincre les mem­
bres permanents du Conseil réti­
cents à une réforme. La Chine et la
Russie sont en effet ouvertement
opposées à tout changement, qu’il
s’agisse d’ajouter de nouveaux
membres permanents ou de mo­
difier le droit de veto.
Mais dans la dernière ligne
droite de cette discussion, an­
nuelle depuis 2008, l’ambassa­
deur de la Sierra Leone ne mettait
plus en avant que des positions
africaines datées. « Tout le monde
a compris qu’il avait subi des pres­
sions de sa capitale, sur ordre de
Pékin », lâche un diplomate euro­
péen. Cette bataille autour de la
réforme du Conseil de sécurité,
qui s’est terminée en juin sur un
statu quo et une reconduction
pour 2022, est le dernier épisode
où se cristallisent les relations
Chine­Afrique à l’ONU.
Réponse surprenante
« La Chine fait pression sur les pays
africains à plusieurs niveaux : sur
l’économie, avec les accords com­
merciaux ; sur le financement des
infrastructures – quelque chose
d’essentiel pour les pays africains,
note Paul Nantulya, expert Chine
au Centre d’études stratégiques de
l’Afrique, rattaché au Pentagone.
Souvent d’ailleurs en contrepartie
de son soutien, les Africains du
Arrestation d’un dirigeant néonazi grec
Le numéro deux d’Aube dorée, condamné par la justice, a été arrêté après une longue cavale
athènes ­ correspondance
A près neuf mois de cavale,
Christos Pappas, nu­
méro deux du parti néo­
nazi Aube dorée, condamné par
la justice grecque à treize ans et
trois mois de prison en octo­
bre 2020 pour direction d’une
« organisation criminelle », a été
arrêté jeudi 1er juillet en pleine
nuit par la police grecque.
Ce n’est ni dans un monastère
conservateur du mont Athos ni
dans un pays balkanique voisin
que l’idéologue d’ultradroite se
cachait, comme le laissaient
entendre certains médias grecs,
mais dans un appartement d’un
quartier tranquille d’une
banlieue d’Athènes, à Zografou. Il
était hébergé chez une femme de
52 ans, qui a été condamnée à
trente mois de prison en
comparution immédiate, ven­
dredi, pour avoir caché le fugitif.
Elle s’était présentée, lors des
dernières élections municipales
(en 2019), sur la même liste
électorale qu’Ilias Kassidiaris. Cet
autre dirigeant de la formation
s’était fait connaître du grand
public en giflant une députée
communiste, en direct sur un
plateau de télévision.
Des diplomates
chinois dirigent
maintenant
quatre des quinze
agences de l’ONU,
dont la FAO
Conseil votent la même chose que
la Chine. » Mais encore plus qu’un
miroir de la Chinafrique, « la rela­
tion entre Pékin et le continent afri­
cain est particulièrement asymé­
trique à l’ONU, continue l’expert.
Car Pékin peut accorder ou non
son aide diplomatique. »
Pourtant, ce rapport n’a pas tou­
jours été aussi déséquilibré. Si l’on
remonte l’histoire des Nations
unies, de 1946 à 1971, c’est le gou­
vernement chinois installé à
Taïwan dès 1949 qui occupe
d’abord l’un des sièges du P5
(membres permanents) au Con­
seil de sécurité. Mais le gouverne­
ment de Mao récupère le siège au
Conseil de sécurité, lorsque la ré­
solution 2 758 est votée le 25 octo­
bre 1971 par de nombreux pays
communistes, des non­alignés (y
compris l’Inde), la France et la
Grande­Bretagne… et de nom­
breux pays Africains. « La Républi­
que populaire de Chine se plaît à ré­
péter que ce sont les pays africains
qui ont fait la différence, permis le
retour de Pékin au sein de l’ONU, et
qu’elle a une dette morale envers
eux », analyse Paul Nantulya.
Si la Chine reconnaît cette dette,
elle ne se sent pas débitrice auprès
des pays africains – bien au
contraire. Sous couvert de les sou­
tenir économiquement, Pékin en­
tend obtenir des contreparties à
New York. L’exemple le plus visi­
ble tient dans la session annuelle
sur les droits de l’homme à l’As­
semblée générale de l’ONU. Cha­
que automne depuis deux ans, les
pays occidentaux y soulèvent la
question des droits de l’homme
au Xinjiang ou à Hongkong. Et la
réponse est surprenante : des heu­
res de séance où des dizaines de
diplomates africains prennent po­
Vendredi, le procureur d’Athènes
a ordonné le transfert de Christos
Pappas dans la prison de haute sé­
curité de Domokos, dans le centre
du pays, où se trouvent emprison­
nés d’autres leaders néonazis.
Christos Pappas était le dernier
des cadres d’Aube dorée à échap­
per à la justice. Le 15 mai, l’eurodé­
puté grec Ioannis Lagos, qui béné­
ficiait jusqu’à récemment de l’im­
munité parlementaire, avait été
extradé de Belgique vers la Grèce
pour purger sa peine.
Admirateur d’Hitler et Mussolini
Christos Pappas, 59 ans, ancien
propriétaire d’un magasin de
meubles, dont le père général de
l’armée a aidé Georgios Papado­
poulos à établir la dictature des co­
lonels en 1967, est un admirateur
de Benito Mussolini et d’Adolf Hit­
ler. Lors de la perquisition par la
police de son domicile ont été re­
trouvés des armes (sans permis),
des timbres à l’effigie de Musso­
lini, des casques militaires nazis,
des photos de lui habillé en uni­
forme SS, un portrait d’Hitler, ou
encore une vidéo où il apprend à
ses enfants à faire le salut nazi.
« La démocratie grecque a éli­
miné le poison toxique d’Aube do­
rée. Avec l’arrestation de Christos
sition publiquement pour Pékin,
en lisant des communiqués issus
de la rhétorique du Parti commu­
niste chinois (PCC).
« Je suis totalement contre ce
chantage », a déclaré au Monde
Christoph Heusgen. L’ambassa­
deur allemand, qui a pris sa re­
traite le 30 juin, était cette année à
la tête d’un groupe qu’il a fait pas­
ser de 23 à 39 pays « inquiets » de la
situation des droits de l’homme
au Xinjiang et à Hongkong. « Les
pays qui comprennent la réalité de
la situation sont de plus en plus
nombreux mais, jusqu’à mainte­
nant, aucun pays africain ne nous a
rejoints, déplore le diplomate. On
voit qu’ils sont soumis à une
énorme pression de Pékin. »
Le grand dossier qui fâche
La Chine a pu aussi faire des « pri­
ses » stratégiques au sein des ins­
tances onusiennes grâce aux vo­
tes africains. Des diplomates chi­
nois dirigent quatre des quinze
agences de l’ONU, dont l’Organisa­
tion pour l’alimentation et l’agri­
culture. Diriger ce domaine stra­
tégique permet un accès direct de
la Chine aux pays en développe­
ment. « A l’ONU, la Chine se consi­
dère elle­même comme un leader
des pays du Sud, résume Paul Nan­
tulya. Les diplomates chinois répè­
tent à l’envi leur puissance finan­
cière : d’ici six à neuf ans, la Chine
contribuera aux finances de l’ONU
autant que les Etats­Unis. Ils sa­
vent que cela impressionne leurs
homologues africains. »
La réforme du Conseil de sé­
curité est l’autre grand dossier qui
fâche. Cette année, les pays du G4
(Allemagne, Japon, Inde, Brésil),
qui militent pour obtenir chacun
un siège de membre permanent
au Conseil de sécurité, avaient
presque réussi à faire s’entendre
les partisans de la réforme sur un
nouveau texte commun. « Je
pense qu’un astronaute atterrira
sur Mars avant qu’une réforme sur
le Conseil soit adoptée, dit en sou­
riant Richard Gowan, directeur
ONU d’International Crisis
Group. Mais dès qu’il y a le moin­
dre signe de mouvement, la Chine
Pappas, le dernier chapitre de
cette organisation criminelle est
finalement fermé », s’est réjouie
Aristotelia Peloni, porte­parole
du gouvernement conservateur.
Mais le principal parti d’opposi­
tion, Syriza (gauche), a fustigé au
contraire la lenteur de cette arres­
tation : « Il a fallu neuf mois pour
arrêter Christos Pappas alors qu’il
était censé être surveillé par les
autorités avant son jugement »
pour éviter qu’il ne prenne la
fuite. Pour le mouvement antira­
ciste Keerfa, ce retard est la
preuve des liens encore subsis­
tants entre la police et le mouve­
ment néonazi : « Pendant des an­
nées, Aube dorée a bénéficié d’une
grande impunité et de la protec­
tion des forces de l’ordre. »
En octobre 2020, après un pro­
cès­fleuve de cinq ans et demi, la
justice grecque avait qualifié Aube
dorée d’« organisation crimi­
nelle », et une cinquantaine de ses
membres avaient alors été arrêtés.
Ils avaient été jugés pour le meur­
tre du rappeur antifasciste Pavlos
Fyssas en 2013, pour des tentatives
d’homicides contre des pêcheurs
égyptiens en 2012 et des syndica­
listes communistes en 2013, ainsi
que pour détention illégale d’ar­
mes et diverses agressions.
surgit et étrangle le processus de
négociation. » La Chine craint en
effet que le Japon et l’Inde puis­
sent avoir la moindre chance de
devenir membres permanents.
« Je déjeunais régulièrement avec
des diplomates chinois qui po­
saient sans cesse des questions sur
le processus. Ça les rendait très
nerveux », continue M. Gowan.
Les pays africains servent ainsi
à nouveau de porte d’entrée à la
Chine. « Les Chinois ont placé une
énorme pression sur l’Afrique. On
l’a vue faire bloquer des textes de
réformes par l’ambassadeur de
Jamaïque en 2013­2014, puis par
ceux de deux pays du C10, la
Zambie et la Sierra Leone, rap­
porte M. Heusgen. Un collègue
africain m’a demandé : “Chris­
toph, peux­tu m’aider à faire des­
cendre le gorille de 500 kg qui
s’agrippe à mon dos ?” »
Les pays du C10 se rencontrent
une fois par an en Afrique. « La
Chine est très présente en marge de
ces réunions, raconte un diplo­
mate à l’ONU. On nous a raconté
qu’il y a deux ans des délégations
chinoises avaient envahi les cou­
loirs de leur hôtel. » Alors que l’ob­
tention d’au moins deux sièges
permanents au Conseil de sécurité
leur permettrait de s’affranchir de
l’emprise chinoise, certains pays
africains cèdent aux pressions.
D’autres pourtant n’abandon­
nent pas comme, cette année,
l’Afrique du Sud ou le Nigeria.
« Nous devons soutenir les pays
africains à surmonter la pression,
présenter leurs ambitions et réflé­
chir à ce que les populations africai­
nes veulent, propose M. Heusgen.
Parce qu’elles veulent absolument
une meilleure représentation de
l’Afrique au Conseil de sécurité. »
D’autres Etats, tels l’Egypte,
l’Afrique du Sud, le Nigeria ou
l’Ethiopie, qui ont tous des parte­
nariats stratégiques avec la Chine,
pourraient encore mieux rééqui­
librer les relations au sein de
l’ONU. « Ces pays­là ont les moyens
de pousser vers une réforme, confie
Paul Nantulya. Cela mettrait la
Chine sous pression. » 
carrie nooten
Formation politique fondée
en 1985 par Nikos Michaloliakos,
Aube dorée a longtemps été mar­
ginale, mais a profité de la crise fi­
nancière de 2010, après la faillite
du pays, et du désamour des élec­
teurs grecs envers les partis tradi­
tionnels, pour s’imposer et obte­
nir en 2012 des sièges de députés –
ils en ont eu dix­huit.
Chasses aux migrants
Au début des années 1990, des
groupes d’hommes en noir sillon­
naient les rues d’Athènes, notam­
ment celles du Pirée, et tabas­
saient syndicalistes, militants de
gauche, homosexuels, en scan­
dant leur slogan « sang, honneur,
Aube dorée ». Puis, dans les années
2000, de nouveaux boucs émis­
saires sont apparus, les immigrés.
De véritables chasses aux mi­
grants sont alors orchestrées par
des « comités de défense des quar­
tiers ». Il aura fallu attendre l’as­
sassinat de Pavlos Fyssas pour
mettre fin à la quasi­impunité
dont a bénéficié l’organisation et
conduire à sa déroute électorale.
Aux dernières élections législati­
ves, de 2019, le parti n’a pas réussi
à atteindre les 3 % nécessaires
pour entrer au Parlement. 
marina rafenberg
Viktor Orban pactise
avec les extrêmes
droites européennes
Le Pen, Salvini, Meloni, Kaczynski ont signé
un texte commun avec le dirigeant hongrois
vienne, rome, bruxelles ­
correspondants
M arine Le Pen et une
quinzaine de partis
européens d’extrême
droite ou ultraconservateurs,
avec en tête le Fidesz du premier
ministre hongrois, Viktor Orban,
ont publié, vendredi 2 juillet, une
« déclaration commune » présen­
tée comme « la première pierre »
d’une « grande alliance au Parle­
ment européen » visant à « réfor­
mer l’Europe ». Parmi les signatai­
res figurent aussi le chef de la Li­
gue italienne, Matteo Salvini, ce­
lui du parti polonais Droit et
justice (PiS), Jaroslaw Kaczynski,
le patron de la formation espa­
gnole Vox, Santiago Abascal, et la
dirigeante des Fratelli d’Italia
(néofasciste), Giorgia Meloni.
L’Union européenne (UE) « ne
cesse de poursuivre dans la voie
fédéraliste qui l’éloigne inexora­
blement des peuples qui sont le
cœur battant de notre civilisation,
écrivent les seize signataires.
Forts de ce constat, les partis pa­
triotes les plus influents du conti­
nent ont compris toute l’impor­
tance de s’associer pour peser da­
vantage dans les débats et réfor­
mer l’UE », ajoutent­ils, en disant
vouloir dessiner « les contours
d’une action commune ».
Vendredi, M. Orban s’est mis en
scène dans une vidéo, signant le
document. « Cette déclaration
concerne l’avenir de l’UE, la protec­
tion des nations, des familles et des
valeurs chrétiennes traditionnel­
les », a­t­il expliqué. Le texte porte
sa marque, il appelle notamment
à la création « d’un mécanisme de
protection des Etats membres avec
la participation des cours constitu­
tionnelles nationales », une façon
de contourner la Cour de justice
de Luxembourg, qui a censuré
plusieurs lois hongroises et polo­
naises contraires à l’Etat de droit.
Quelques absents de marque
La « déclaration commune »
publiée vendredi comporte quel­
ques absents de marque. L’Alter­
native pour l’Allemagne (AfD),
mais aussi les Démocrates de
Suède ou l’extrême droite rou­
maine qui, contrairement à ce qui
avait été annoncé, n’a pas cosigné
le texte. JA21, petit parti souverai­
niste néerlandais, s’est aussi déso­
lidarisé. Le Parti de la liberté
d’Autriche, allié au Rassemble­
ment national (RN) à Strasbourg,
s’est joint à l’appel mais, à l’Est,
seul un petit parti bulgare a fait de
même. Le parti du premier minis­
tre slovène, Janez Jansa, un pro­
che de Viktor Orban, ne s’est pas
désolidarisé du PPE. De quoi indi­
quer que le Hongrois n’est pas for­
cément en capacité d’entraîner
beaucoup plus de monde que ses
traditionnels alliés polonais.
A ce stade, aucune fusion des
groupes en place à Strasbourg
n’est évoquée. « Une déclaration :
c’est la seule chose qu’ils sont fou­
tus de faire, ironise Philippe Lam­
berts, le président du groupe des
Verts. Comment voulez­vous que
Meloni et Salvini s’entendent ? » Si
la dirigeante de Fratelli d’Italia a
toujours défendu les positions du
Fidesz au nom d’une vision de
l’Europe chrétienne et conserva­
trice, la présence de M. Salvini
parmi les signataires semble dif­
ficilement conciliable avec le sou­
tien actuel de la Ligue à l’action
du gouvernement de Mario Dra­
ghi. Quant au RN, proche de Vla­
dimir Poutine, l’imagine­t­on co­
habiter avec les Polonais du PiS,
« qui vomissent le dirigeant
russe ? », interroge M. Lamberts.
En dépit des appels du pied de
Marine Le Pen, Jaroslaw Kac­
zynski, le président du PiS, a tou­
jours refusé de la rencontrer.
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
LE CONTEXTE
RUPTURE
Depuis que le parti du premier
ministre illibéral hongrois Viktor
Orban, le Fidesz, a quitté le
groupe politique des conserva-
teurs du Parti populaire euro-
péen (PPE) au Parlement euro-
péen, il est en quête de nouveaux
alliés et les rumeurs bruissent
quant à la composition d’un
nouveau groupe nationaliste.
Ces derniers mois, les tentatives
de recomposition semblaient
toutefois patiner et des déclara-
tions, parfois contradictoires,
émanaient des protagonistes.
« Je ne pense pas que cette al­
liance d’extrême droite, populiste
et nationaliste, durera longtemps.
Ceux qui sont incapables de coopé­
rer finissent par se battre entre
eux », commente, de son côté, la
présidente des sociaux­démocra­
tes (S&D), Iratxe Garcia Pérez.
La déclaration est la « base d’un
travail culturel et politique com­
mun », mais elle respecte « le rôle
des groupes politiques actuels », a
d’ailleurs tenu à préciser Marine
Le Pen, dans un document séparé.
En clair, pas question – ou pas en­
core – de créer une formation ras­
semblant tous les signataires, ac­
tuellement répartis dans deux
groupes au Parlement européen :
Identité et démocratie (ID) pour,
entre autres, le RN, La Ligue ita­
lienne et le Vlaams Belang fla­
mand ; les Conservateurs et réfor­
mistes (CRE) pour le PiS, Vox ou
les Fratelli d’Italia. « Cette alliance
leur permet juste de montrer qu’ils
existent encore », juge encore
M. Lamberts.
Certains des partis signataires
sont, il est vrai, dans une passe
difficile. C’est notamment le cas
de Marine Le Pen, après des élec­
tions régionales décevantes pour
le RN, mais aussi de Viktor Orban,
de la Ligue, ou de Vox.
« 80 % des partis européens
d’extrême droite, qui ont connu
leur apogée dans la décennie 2010,
sont en recul. Ils cherchent à créer
une dynamique européenne »,
considère l’eurodéputé libéral (Re­
new) Stéphane Séjourné, qui inter­
prète la publication précipitée de
cette déclaration – on l’attendait
plus tard dans l’année, au mo­
ment du démarrage de la confé­
rence sur l’avenir de l’Europe –
comme un aveu de faiblesse.
« Ont­ils les moyens de constituer
un groupe unique ? Je suis scepti­
que. Mais, si cela devait arriver, ce
serait un fait politique. Cela restruc­
turerait le débat entre les proeuro­
péens et les nationalistes, plus
qu’entre la gauche et la droite », es­
time l’élu macroniste. S’ils réussis­
saient, les signataires formeraient
effectivement le troisième groupe
de l’Assemblée européenne, der­
rière le PPE et les S&D. « Il n’y
aurait, en fait, pas plus de voix d’ex­
trême droite qu’aujourd’hui », tem­
père M. Lamberts.
Du côté du PPE, on a noté le si­
lence de Manfred Weber, le diri­
geant du groupe. Il estimait jus­
qu’ici que les nationalistes n’arri­
veraient jamais à s’entendre. « Il
reste que cette déclaration com­
mune est une réalité, même si elle
ne trace pas encore le cadre d’un
parti », souligne un cadre de la fa­
mille conservatrice. Qui estime
que son parti devra, lui aussi, inté­
grer l’hypothèse de la naissance
d’un courant fort à sa droite. 
jean­baptiste chastand,
jérôme gautheret,
virginie malingre
et jean­pierre stroobants
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présente :

COMMENT TOUS VOS PAPIERS TRIÉS

SONT-ILS TRANSFORMÉS POUR
ÊTRE RECYCLÉS ?
En 2019, grâce au geste de tri des Français, 57% des papiers graphiques ont été recyclés.
Découvrez les 5 étapes qui permettent cette transformation dans une usine papetière.

1.ARRIVÉE DES BALLES DE 2.TRANSFORMATION

PAPIERS DU CENTRE DE TRI EN PÂTE À PAPIER
Dans ces gros paquets appelés
balles, on retrouve tous les
papiers triés par les habitants.

t a ux
i
u rép de
d e s
s o urc
res a n è te
l
Les balles de papiers sont plongées la p
dans un gros mixeur : le pulpeur.
Ce brassage avec l’eau permet de
séparer les fibres de cellulose. 1,3 million
de tonnes de
es
3. NETTOYAGE ET 4. FABRICATION DES FEUILLES papiers recyclé
per mettent
FILTRAGE DES FIBRES
Cette étape permet d’éliminer d’écono miser
tous les indésirables (agrafes, annuellement :
spirales, encres, colles…).
La pâte recyclée peut maintenant
rejoindre le procédé habituel
de la fabrication des papiers.

Grâce à une machine à papier, la

pâte est aplatie, étirée et séchée sur
des cylindres chauffés à la vapeur
23 milliard s
de litres d’eau
pour devenir une immense feuille
de papier. On peut ainsi fabriquer
de la
jusqu’à 110 km de papier par heure. so it l’équivalent
d’une
conso m mation
5. MISE EN BOBINE DU NOUVEAU PAPIER ville co m me To
ulo use.

Les feuilles de papier recyclé sont mises en bobine et seront ainsi vendues
à des imprimeurs qui les utiliseront en tout ou partie pour la fabrication de
papiers graphiques (journaux, magazines, cahiers,…).

4 000 G W h,
valent
so it l’équi
de deux fo is
n
la conso m matio
d’électri ci té
me
d’une ville co m
Marseille.
© Getty/Citeo
 PLANÈTE
0123
6| DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021

C R I S E   S A N I TA I R E

Des contrôles aux 
frontières aléatoires 
pour les voyageurs
Alors que les autorités mettent en garde contre une
reprise de l’épidémie de Covid­19 au cours de l’été
en raison de la progression du variant Delta, l’entrée
sur le territoire n’obéit pas aux mêmes règles pour tous

L
e premier week­end des départs
en vacances, samedi 3 et diman­
che 4 juillet, n’annonce pas le
début de l’insouciance pour les
Français. Le pays pourrait être
confronté à une reprise de
l’épidémie de Covid­19 durant l’été en raison
de la progression du variant Delta, qui repré­
sente désormais près d’un tiers des nouvel­
les contaminations en France, selon les
estimations d’Olivier Véran vendredi, le mi­
nistre de la santé appelant une nouvelle fois
la population à se faire vacciner.
Et l’instauration du passe sanitaire euro­
péen, depuis le 1er juillet, ne suffit pas, pour
le moment, à fluidifier les déplacements
d’un pays à l’autre. D’autant que l’entrée
sur le territoire, en métropole, n’obéit pas
aux mêmes règles pour tous.
Du 1er au 30 juin, selon le ministère de l’inté­
rieur, 30 215 personnes ont été dépistées à
leur arrivée dans les aéroports parisiens,
16 746 mesures de quarantaine ont été pro­
noncées, de même que vingt­huit mises à
l’isolement – les quarantaines concernent
toute personne, même négative au test, arri­
vant d’un pays classé « rouge », alors que les
mises à l’isolement sont prononcées pour les
cas positifs. Le ministère précise aussi que les
voyageurs en transit, qui stationnent donc en
zone internationale, ne sont pas contrôlés.
Quant au passe sanitaire, il a pour objectif
« de permettre la reprise des voyages cet
été, de contrôler l’authenticité des documents
certifiés par les Etats membres et d’optimiser
la gestion des flux de voyageurs, car on
s’attend, d’ici à la mi­juillet, à une augmenta­
tion de 60 % des voyages », précise­t­on au
ministère des transports.
Selon l’heure d’arrivée, la destination d’ori­
gine aussi, ces voyageurs ne racontent pas la
même histoire. Qui, parfois, tourne au casse­
tête, comme pour Adrien d’Hondt. Tra­
vaillant au centre spatial de Kourou, en
Guyane, cet ingénieur de 36 ans est venu en
métropole, début mai, et a dû se mettre, sur
arrêté préfectoral, en quarantaine, soit dix
jours. Interdiction donc de sortir du loge­
ment qu’il a été tenu de notifier à la police,
au sortir de l’avion, dans le même temps
qu’était contrôlé son test PCR, effectué
moins de 72 heures avant, et qu’était attendu
le résultat du test antigénique réalisé, lui, à
l’aéroport d’Orly, à l’arrivée de l’avion.
« COMME DU BÉTAIL »
« Trois à quatre heures d’attente à l’aéroport
Felix­Eboué à Cayenne, neuf heures de vol et
trois heures entre le débarquement, le temps
pour rejoindre par bus le hall pour les tests, la
signature de l’arrêté de mise en quarantaine
et enfin le moment pour récupérer les baga­
ges. Avec l’impossibilité de respecter les dis­
tanciations physiques, pas d’accès aux toilet­
tes. Comme du bétail », dénonce le voyageur.
L’histoire ne s’arrête pas là. Adrien d’Hondt
n’ayant pas de famille à Paris, il avait réservé
un Airbnb, mais, au vu des dix jours de qua­
rantaine, il a dû changer de logement en
cours de séjour. Nouveau problème, car, cher­
chant à signaler le changement d’adresse,
pour ne pas risquer les 1 000 euros d’amende
prévus pour le non­respect de l’isolement, il
s’est entendu dire au commissariat voisin de
sa résidence qu’« ils n’étaient pas formés pour
ça, qu’ils ne savaient pas ce qu’il fallait faire ni
où il fallait signaler le changement ».
Finalement, l’ingénieur a reçu la visite, à
trois reprises, de policiers venus contrôler sa
présence dans le logement. « S’auto­isoler
ne me choque pas, faire des tests ne me pose
pas problème, mais ce qui est choquant, c’est
de voir des policiers en armes venir vous
contrôler chez vous, vous demander de des­
cendre dans la rue pour montrer vos papiers
d’identité. Le contrôle est extrême, d’autant
que les voisins, qui ne nous connaissaient pas,
c’était un Airbnb, nous regardaient bizarre­
ment en nous voyant contrôlés par la police »,
raconte Adrien d’Hondt.
D’autres témoignages font état d’une si­
tuation familiale rendue complexe du fait
de la réglementation. Pour Sophie Cauchois,
qui habite en Guyane française, l’envoi de
ses trois enfants, le 21 juin, chez leurs
« CE QUI EST  grands­parents dans le Val­d’Oise a été
CHOQUANT,  éprouvant. « Mon fils de 16 ans avait un
schéma vaccinal complet, ma fille de 14 ans
C’EST DE VOIR  une première vaccination seulement [les dé­
lais de l’ouverture de la vaccination aux plus
DES POLICIERS  de 12 ans n’ayant pas permis les deux injec­
tions] et ma plus jeune de 6 ans était trop
EN ARMES VENIR  jeune pour le schéma vaccinal. Pour ma fille
VOUS CONTRÔLER  de 14 ans, c’était très dur de voir frère et sœur
sortir, profiter des vacances, de respecter cette
CHEZ VOUS » quarantaine totale sous peine d’amende,
ADRIEN D’HONDT
alors que sa petite sœur pouvait sortir
ingénieur au centre comme elle le voulait et contaminer la terre
spatial de Kourou entière », s’émeut cette infirmière de 42 ans.
Comme de nombreux autres voyageurs ve­
nant de Guyane, dont les témoignages et les
recours ont été rassemblés sur une page Fa­
cebook, « Les indignés du parcours du com­
battant aérien Cayenne­Paris », Sophie Cau­
chois a déposé une requête auprès du juge
des libertés, car la situation était ingérable.
Les requérants, nombreux, qui font appel à
la justice mettent tous en avant une mesure
de mise en quarantaine « totalement dispro­
portionnée et portant gravement atteinte no­
tamment à la liberté individuelle d’aller et de
venir ». Dans le cas de la fille de Sophie, l’ar­
rêté de mise en quarantaine a été abrogé,
une issue heureuse loin d’être systématique.
Ces astreintes et contrôles durant la qua­
rantaine sont rarement bien vécus, quand ils
sont effectués, ce qui n’est pas toujours le
cas. Andrée Montagne n’a reçu aucune visite
durant son auto­isolement, à Toulouse, en
provenance de Turquie. Seuls deux coups de
téléphone de l’Assurance­maladie. Arrivant à
Roissy d’Istanbul, où elle réside, ayant ensei­
gné au lycée Pierre­Loti de la métropole tur­
que, cette retraitée de 69 ans est venue se
faire vacciner en France, la Turquie ayant re­
cours aux vaccins chinois non reconnus
pour l’établissement du passe sanitaire.
Andrée Montagne dit avoir été choquée
par la tension régnant à l’arrivée du vol.
« L’avion d’Istanbul était plein, ce 28 mai, no­
tamment de nombreux jeunes revenant de
vacances prises en Turquie. Ils ne s’étaient pas
renseignés sur le fait que ce pays était passé
en rouge, et qu’il fallait déclarer un lieu de
quarantaine pour dix jours. Le ton est monté
très vite, certains jeunes ne voulant pas don­
ner d’adresse, insultant les policiers, leur di­
sant “viens dans ma cité, tu te feras casser la
gueule”. En Turquie, vous ne pouvez rien dire
à un policier », témoigne­t­elle.

Le tourisme en Europe, source majeure de contamination

Une étude montre que la relance de la pandémie à l’automne 2020 a été largement alimentée par les déplacements estivaux au sein de l’UE

U n mois de juin marqué

par une circulation vi­
rale particulièrement
basse, des mesures de contrôles
allégées, des transports aériens
entre pays européens qui repar­
tent à la faveur des congés esti­
vaux, et une reprise épidémique à
l’automne. Prévision de prophè­
tes de malheur pour la ren­
trée 2021 ? Non, juste l’observa­
tion détaillée, par une équipe
d’épidémiologistes belges de
l’université de Louvain et de l’Uni­
versité libre de Bruxelles, des don­
nées de l’été 2020. L’article qu’ils
ont publié, mercredi 30 juin, dans
la revue Nature, montre en effet
que l’essentiel des chaînes de
contamination relevées à la mi­
août dans dix pays d’Europe occi­
dentale provenait de virus impor­
tés au cours des deux mois précé­
dents. « Ce n’est pas une très bonne
nouvelle, admet Simon Dellicour,
épidémiologiste à l’Université li­
bre de Bruxelles, un des deux
coordinateurs de l’étude. Ça mon­
tre que, sur une période de temps
relativement courte, un pays peut
massivement réimporter des chaî­
nes de transmission de l’étranger. »
Son laboratoire et celui de Phi­
lippe Lemey, à Louvain, font par­
tie des meilleures équipes mon­
diales dans le suivi génomique
des virus et de leur évolution.
Dans cette étude, ils ont utilisé
tout à la fois les données géogra­
phiques de circulation en Europe
(voyages aériens, Google, Face­
book) et les données génétiques
issues des bases de séquençage
pour reconstruire un arbre phylo­
génétique, autrement dit une car­
tographie dans le temps mais
aussi dans l’espace de ces virus.
« Ça nous permet de retracer l’his­
toire de la dispersion des différen­
tes lignées virales », poursuit Si­
mon Dellicour. Et donc des chaî­
nes de contamination.
Les chercheurs se posaient une
question principale : dans la
deuxième vague apparue à l’au­
tomne, quelle était la part des vi­
rus déjà présents avant l’été et
de ceux importés ? « Nous avons
été surpris par l’importance des
importations », admet l’épidé­
miologiste belge. En effet, dans
six des dix pays étudiés, plus de la
moitié des chaînes répertoriées
proviennent d’« événements d’in­
troduction uniques », autrement
dit d’entrées du virus dans les ba­
gages, ou plutôt le système respi­
ratoire des touristes. Belgique,
Suisse, Pays­Bas, Royaume­Uni,
Allemagne, Italie sont de ceux­là,
avec des chiffres variant de 50 %
à 75 %. « Ça montre l’impact ma­
jeur du parcours de personnes
infectées sur la réorganisation
d’une épidémie », poursuit Simon
Dellicour.
En France, le chiffre est de
« seulement » 25 %, un résultat
que le chercheur explique par
« la taille du pays mais aussi
probablement le fait qu’une pro­
portion plus ou moins impor­
tante de Français reste en France
lors des vacances d’été (par
opposition à de plus petits pays
comme la Belgique) ». Espagne et
Portugal, eux, apparaissent sur­
tout « exportateurs ».
« Protocoles stricts »
Le virus n’entretient pas seule­
ment des relations bilatérales.
Certaines chaînes peuvent ainsi
multiplier les passages de fron­
tière. Les chercheurs ont notam­
ment suivi le parcours de l’une
d’elles d’Espagne vers le Royau­
me­Uni. Outre­Manche, cette li­
gnée a connu un succès très ra­
pide, établissant de nombreux
foyers locaux dans le pays. Puis
elle est repartie en voyage, pour
essaimer vers d’autres pays, no­
tamment la France. Autre résul­
tat majeur de l’étude : plus l’inci­
dence locale était faible pendant
l’été, plus l’importation a joué un
rôle décisif dans l’alimentation
de l’épidémie. Ainsi s’explique­
rait la relative résistance à l’im­
portation de l’Espagne, du Portu­
gal et de la France, soulignent les
auteurs. Simon Dellicour l’expli­
que par une image : « Dans une
forêt en feu, craquer des allumet­
tes ne change pas grand­chose ;
en revanche s’il ne reste que quel­
ques foyers, ça peut contribuer au
redémarrage de l’incendie. »
Toute ressemblance avec la si­
tuation présente serait­elle for­
tuite et malvenue ? Les cher­
cheurs ne tentent pas de jouer les
naïfs. Avec une incidence redeve­
nue basse, l’envie des uns de
voyager, des autres de relancer le
tourisme, de tous de se libérer
des masques et autres gestes bar­
rières, les points communs ne
manquent pas. « Il y a deux diffé­
rences majeures, insiste toutefois
Simon Dellicour. L’une joue en
notre faveur, ce sont les campa­
gnes de vaccination, qui partout
en Europe avancent à grands pas
et protègent notamment les per­
sonnes les plus vulnérables. Mais
l’autre nous est défavorable : ce
sont les variants, et surtout le
variant Delta, qui va inéluctable­
ment devenir majoritaire. Où en
sera cette course de vitesse entre
vaccin et variant à la rentrée ?
Nous l’ignorons et ce n’était pas
l’objet de la recherche. »
L’article nous invite­t­il toute­
fois à limiter nos déplacements ?
« Ce n’est pas notre rôle de dire
qu’il faut empêcher les gens de
voyager en Europe pendant l’été,
conclut Simon Dellicour. En
revanche, il faut assurément des
protocoles stricts pour que, si les
gens voyagent, le virus n’en fasse
pas autant. » 
nathaniel herzberg
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
Thomas Puget, lui aussi, arrivait de Tur­
quie. De retour d’une semaine de vacances,
le 13 mai, il a suivi tout le processus, jusqu’au
confinement à Lyon chez lui. Un confine­
ment « plus dur » que ceux de 2020, juge­t­il,
car, lors de ces quarantaines, seules des sor­
ties entre 10 heures et 12 heures dans un
rayon d’un kilomètre pour acheter des pro­
duits de première nécessité ou la « réalisa­
tion de soins médicaux programmés » sont
autorisées. « Mon téléphone portable étant
en panne, je devais sortir en acheter un nou­
veau car il est indispensable pour mon travail
à distance, mais ce n’était pas dans les motifs
d’autorisation. Cette quarantaine était dure
à vivre, d’autant plus que l’ambiance était au
déconfinement », raconte l’homme de 36 ans
travaillant dans l’informatique.
« CONTRÔLES FAIBLARDS »
Ces mesures sont surtout complexes à
appréhender au vu des changements régu­
liers. Pour les pays ou territoires à risque fort,
en zone rouge, tels ceux d’Amérique latine,
l’Inde, l’Afrique du Sud, la Russie, la Guyane,
etc. – vingt­quatre étaient recensés au
28 juin –, il faut, outre un motif impérieux
pour venir en France, un test PCR négatif de
moins de 72 heures avant d’embarquer, subir
une « quarantaine volontaire de sept jours »
pour les personnes complètement vacci­
nées, et une « quarantaine forcée et contrôlée
de dix jours » pour les autres.
Encore faut­il que le contrôle soit effectif à
l’entrée sur le sol national. Nathalie (qui
a souhaité rester anonyme), 56 ans, est ren­
trée de Russie – elle a la double nationalité
qui lui a permis d’y aller –, en passant par la
Suisse. Au regard de la réglementation fran­
çaise, elle n’avait en effet pas le droit de s’y
rendre ou d’en revenir, et, ajoute­t­elle, le
vaccin russe n’est pas reconnu par la com­
munauté européenne. « Après de nombreux
contrôles avant le décollage, puis la de­
mande par les douaniers suisses du test PCR
de 72 heures, les Français ne m’ont rien de­
mandé lorsque je suis allé prendre le train de
Genève pour Lyon. S’ils avaient regardé mon
test, ils auraient vu que j’arrivais de Russie.
J’ai quand même fait attention et suis restée
plutôt chez moi dans les jours qui ont suivi
mon retour », raconte Nathalie.
De retour du Bénin, pays qui n’est pas en
liste rouge, Victorien Tronche, journaliste de
33 ans, témoigne aussi de « contrôles fai­
blards ». « J’avais fait mon test PCR au Bénin,
obligatoire pour sortir du pays, j’ai été
contrôlé trente­six fois là­bas, mais arrivé à
Roissy, au petit matin, on ne m’a rien de­
mandé, ni ce test ni la certification sur l’hon­
neur de mon isolement, tous ces documents
sont restés dans mon sac. Aucun des passa­
gers qui étaient dans la file “passeport euro­
péen” n’a été contrôlé », témoigne­t­il. 
rémi barroux
Euro 2021 : de Londres à Saint­Pétersbourg,
la menace du Covid­19 sur les stades
L’OMS s’inquiète de la hausse de la jauge de Wembley lors des demi­finales et de la finale
P our la quatrième journée
consécutive, vendredi 2 juil­
let, la Russie a enregistré
un record de décès dus au corona­
virus. En vingt­quatre heures,
le Kremlin a recensé 679 morts.
Avec un total d’environ 136 000
décès attribués au Covid­19, selon
les chiffres du gouvernement, et
au moins 270 000 d’après le Ser­
vice fédéral des statistiques de
l’Etat russe, Rosstat, qui en a une
définition plus large, la Russie est
le pays européen le plus endeuillé
par la pandémie. Et les cas de con­
tamination liés au variant Delta,
très contagieux, y sont actuelle­
ment en forte hausse.
Dans ce contexte sanitaire pré­
occupant, 30 000 spectateurs vont
garnir le stade de Saint­Péters­
bourg, vendredi. Pour ce premier
quart de finale de l’Euro 2021, op­
posant la Suisse à l’Espagne, la
jauge du stade a été maintenue à
50 % de sa capacité, au même ni­
veau depuis le début du tournoi.
« En tant que médecin, je suis bien
sûr opposé à l’organisation de tout
événement de masse, explique
Alexei Dmitriev, médecin à l’hôpi­
tal Mariinskaya, interrogé par
l’agence Reuters. Nous nous atten­
dons à une augmentation du nom­
bre de patients après l’organisation
de tels événements de masse. »
Cluster chez les Finlandais
Des passagers La deuxième ville la plus peuplée
arrivant de pays de Russie ne devait accueillir que
répertoriés quatre matchs du tournoi, qui se
« zone rouge » déroule dans onze pays. Mais en
s’inscrivent avril, Saint­Pétersbourg a ré­
pour un test cupéré les rencontres du premier
de dépistage tour prévues à Dublin, qui n’était
du Covid­19, alors pas en mesure de garantir
à l’aéroport un stade rempli à au moins 25 %,
Roissy­Charles­ comme l’imposait l’Union des
de­Gaulle, associations européennes de
le 25 avril.
IAN LANGSDON/AFP
Les personnes en grande précarité
« ont été les oubliées de la vaccination »
Des associations vont au­devant des populations les plus éloignées des services de santé
REPORTAGE
S ous la tente de la clinique
mobile installée par Méde­
cins sans frontières (MSF)
dans le 19e arrondissement de Pa­
ris, Sadar, un demandeur d’asile
afghan de 33 ans, vient tout juste
de recevoir sa première dose de
vaccin contre le Covid­19. « J’ai eu
le Pfizer. Je suis l’actualité et c’est ce
vaccin­là que je voulais », se ré­
jouit­il en attendant que s’écou­
lent les quinze minutes d’obser­
vation qui suivent l’injection.
Autour de lui, d’autres Afghans at­
tendent eux aussi d’être vaccinés.
Tous logent dans le bâtiment
d’en face, un centre d’expositions
situé près de la porte de la Villette,
qui accueille depuis plusieurs
mois des migrants sans solution
d’hébergement. La veille, les équi­
pes de MSF sont passées faire de la
sensibilisation afin d’expliquer
que le vaccin était gratuit et acces­
sible à tous. « Je l’ai fait pour moi et
pour protéger les autres », dit Sa­
dar. En quelques minutes à peine,
la clinique mobile permet aux per­
sonnes sans couverture sociale de
se faire vacciner et de prendre ren­
dez­vous pour la seconde dose.
Depuis le début du mois de juin,
les autorités sanitaires et des as­
sociations de terrain, comme
MSF et la Croix­Rouge, ont débuté
une campagne de vaccination à
l’intention des populations les
plus éloignées des services de
santé, à la fois les personnes sans­
abri et celles qui logent dans des
football (UEFA). Ainsi, avant la ve­
nue des supporteurs suisses et es­
pagnols, des Russes, Belges, Fin­
landais, Polonais, Slovaques et
Suédois s’y étaient déjà rendus.
Les 16 et 21 juin, l’équipe de
Finlande affrontait successive­
ment la Russie et la Belgique au
stade de Saint­Pétersbourg. A
moins de cinq heures de route
d’Helsinki, la destination était
propice au déplacement de plu­
sieurs milliers de supporteurs. De
retour au pays, près de 300 d’en­
tre eux ont été diagnostiqués po­
sitifs au SARS­CoV­2, ont fait sa­
voir les autorités le 28 juin.
Conséquence : le jour même, le
maire d’Helsinki renonçait à lever
les restrictions sanitaires dans la
capitale finlandaise.
La Russie n’est pas le seul pays
hôte où l’Euro est soupçonné
d’avoir accéléré la propagation du
virus. En Ecosse, trois matchs du
premier tour se sont disputés à
Glasgow devant 12 000 specta­
teurs, et une marée de kilts a en­
vahi Londres le 18 juin pour Angle­
terre­Ecosse. Si la jauge du stade de
Wembley était limitée à 25 % de sa
capacité (22 500 personnes), la ma­
jorité des supporteurs écossais
s’était déplacée sans billet pour le­
ver le coude dans la ville.
Dans un rapport publié cette se­
maine, l’agence de santé publique
écossaise, Public Health Scotland,
recense 2 000 contaminations
par le SARS­CoV­2 de personnes
ayant assisté à un ou plusieurs
matchs de l’Euro entre le 11 et le
18 juin. Parmi elles, deux tiers ont
voyagé à Londres le 18 juin, pen­
dant leur période infectieuse.
« Certains ont pu propager [le vi­
rus] avec eux à Londres, d’autres
ont pu le contracter en rentrant
chez eux », explique le professeur
structures d’habitat collectif. Ven­
dredi 25 juin au soir, les associa­
tions recensaient 706 personnes
ayant reçu une première injec­
tion à Paris et dans les départe­
ments de la petite couronne.
Bruno Morel, le président d’Em­
maüs Solidarité – qui gère des ma­
raudes, des accueils de jour et des
centres d’hébergement –, analyse
ce nombre comme une « nette
évolution » : « Nos indicateurs, qui
étaient très inquiétants au mois de
mars, se rétablissent. » A ce stade,
néanmoins, l’enjeu reste im­
mense : au total, d’après les chif­
fres du ministère de la santé, plus
de 350 000 personnes, qu’elles
soient françaises ou étrangères,
sont identifiées comme vivant à
la rue, dans un squat, en héberge­
ment d’urgence ou dans les loge­
ments pour demandeurs d’asile.
Promiscuité inévitable
Lors du lancement de la campa­
gne vaccinale, en janvier, les asso­
ciations ont réclamé, en vain, le
placement des personnes en si­
tuation de grande précarité sur la
liste des publics prioritaires. Seuls
les résidents des foyers de tra­
vailleurs migrants de plus de
60 ans ont pu être vaccinés dès le
mois de février. Pour les autres, il
fallait suivre le calendrier vaccinal
classique, en fonction des critères
d’âge et de comorbidité définis au
niveau national. Or, « les person­
nes à la rue n’atteignent générale­
ment pas 55 ans. Elles ont été les
oubliées de la pandémie et de la
Jason Leitch, directeur de la santé
et de la protection sociale de
l’Ecosse, interrogé par la BBC.
Les 6, 7 et 11 juillet, Wembley
sera le théâtre des deux demi­fi­
nales et de la finale de l’Euro.
Cette semaine, les autorités bri­
tanniques ont confirmé l’aug­
mentation de la jauge d’accueil à
75 % de la capacité du stade, soit
60 000 personnes, comme le
souhaitait l’UEFA. Un assouplis­
sement des restrictions sanitai­
res qui inquiète l’Organisation
mondiale de la santé (OMS).
Le directeur de la branche Eu­
rope de l’OMS, Hans Kluge, a re­
gretté, jeudi, « que quelques stades
accueillant le tournoi relèvent ac­
tuellement le nombre de specta­
teurs autorisés à voir un match ».
Outre le cas de Wembley, la jauge
du Parken Stadium de Copenha­
gue a également été revue à la
hausse de 16 000 à 25 000 specta­
teurs pour le huitième de finale
Croatie­Espagne, le 28 juin.
« C’est quand même une folie »
« Si on voulait ensemencer l’Eu­
rope de ce variant Delta, on ne s’y
prendrait pas autrement, tonne
l’épidémiologiste Antoine Fla­
hault, interrogé par l’AFP. En prin­
cipe, les zones à haut risque de
transmission sont considérées
comme des zones rouges avec les­
quelles les Etats ferment leurs fron­
tières sauf nécessités impérieuses
ou imposent des quarantaines
strictes au retour. Et là, parce que
c’est l’Euro, il y a une sorte d’excep­
tion », précise­t­il au Monde.
Le directeur de l’Institut de
santé globale (université de Ge­
nève) plaide pour une délocalisa­
tion des matchs prévus à Londres
et à Saint­Pétersbourg. Il rappelle
qu’au mois de mai l’UEFA avait
vaccination », estime Cristiana
Castro, responsable d’activité Co­
vid en Ile­de­France pour MSF.
Pourtant, de fait, ces populations
ont été fortement exposées au vi­
rus, notamment dans les structu­
res d’habitat collectif, des lieux où
la promiscuité est inévitable. En
novembre 2020, MSF publiait les
résultats d’une enquête épidémio­
logique menée dans différentes
structures franciliennes. Dans les
deux centres d’hébergement d’ur­
gence étudiés entre le 23 juin et le
2 juillet 2020, une personne sur
deux était positive au Covid­19.
Depuis le mois de mai, la situa­
tion évolue avec l’abaissement de
l’âge requis pour être éligible à la
vaccination. Les autorités et les as­
sociations, néanmoins, se heur­
tent encore à toute une série de
difficultés. « La vaccination est
vraiment un défi. Ce sont des
personnes qui ont d’autres priori­
tés : manger, être en sécurité, se soi­
gner, faire des démarches adminis­
tratives », poursuit Cristiana Cas­
tro. Il faut identifier les personnes
concernées, garantir un accès à
l’information suffisant, assurer
leur suivi… Pour ce faire, les asso­
ciations misent sur la sensibilisa­
tion et l’accompagnement.
En amont de la vaccination, des
séances de visioconférence sont
par exemple organisées dans les
structures gérées par Emmaüs So­
lidarité. Trois médecins bénévo­
les sont par ailleurs chargés de se
rendre dans ces lieux pour répon­
dre aux interrogations et aider à
planète | 7
déplacé la finale de la Ligue des
champions d’Istanbul à Porto.
« Cela montre que c’était possible
de changer de programme », note
l’épidémiologiste.
Dans la sphère politique aussi,
des voix s’élèvent contre l’assou­
plissement des restrictions sani­
taires dans les stades de l’Euro.
Margaritis Schinas, un des vice­
présidents de la Commission
européenne, juge incohérente la
tenue de ces événements à
l’heure où les déplacements à
l’étranger des ressortissants
britanniques sont encore limi­
tés. La semaine dernière, le prési­
dent du Conseil italien, Mario
Draghi, a plaidé pour que la fi­
nale « ne se déroule pas dans un
pays où les contagions sont en
train de croître rapidement ».
« La situation sanitaire étant
évolutive, l’Euro aux quatre coins
de l’Europe aurait pu être une ex­
cellente idée, y compris avec des
stades à pleine jauge comme à Bu­
dapest. Mais le choix des villes n’a
pas été fait avec des considéra­
tions sanitaires, regrette Antoine
Flahault. On envoie aujourd’hui
les supporteurs des différents pays
dans les endroits les plus dange­
reux de la planète en matière de
circulation du Covid­19. C’est
quand même une folie. »
Après dix semaines de recul de
la pandémie, le nombre de cas a
progressé de 10 % la semaine der­
nière en Europe, en raison « de
l’augmentation des brassages, des
voyages, des rassemblements et de
l’assouplissement des restrictions
sociales », souligne l’OMS. Hans
Kluge prévient : « Il y aura une
nouvelle vague dans la région
européenne, sauf si nous restons
disciplinés. » 
florian lefèvre
la prise de rendez­vous. « Tout
comme dans le reste de la popula­
tion, certaines personnes peuvent
exprimer une forme de défiance
à l’égard du vaccin. Petit à petit,
à force de discussion, on arrive à
les convaincre », explique Marie­
France Eprinchard, présidente
d’Emmaüs Solidarité et médecin.
Plusieurs contraintes logisti­
ques se posent, comme le suivi des
personnes sans abri pour l’admi­
nistration de la seconde dose. « Au
départ, on voulait vacciner avec
Janssen, qui a l’avantage d’être uni­
dose, mais il est réservé aux plus de
55 ans. Or, à la rue, la moyenne
d’âge se situe entre 30 et 40 ans, dé­
taille Cristiana Castro. On a fini par
se dire qu’il fallait utiliser les autres
vaccins et qu’une dose, c’était tou­
jours mieux que rien du tout. »
En parallèle, plusieurs dispositifs
sont mis en place pour tenter de
faire revenir les personnes pour la
seconde injection : par exemple,
les associations installent leur cli­
nique mobile toujours aux mê­
mes endroits, près des points de
distribution alimentaire comme
ceux des Restos du cœur, afin
d’être facilement identifiables.
« On a la trouille de la rentrée, il
faut absolument faire feu de tout
bois, ne pas baisser la garde et
continuer dans cette voie », dit
Bruno Morel, d’Emmaüs Solida­
rité. « Il faut éviter que la rentrée
soit un cauchemar avec la montée
du variant indien », abonde Marie­
France Eprinchard. 
juliette bénézit
 0123
8 | planète DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021

Glyphosate : des études réglementaires non fiables

La plupart des travaux ayant fondé la réautorisation du pesticide en Europe seraient de qualité insuffisante

C’
est un nouvel élé­
ment, décisif et LES DATES
explosif, dans la
controverse sur la
dangerosité du glyphosate. Le
Monde, aux côtés de plusieurs 2015
médias européens, dont The Mars Le Centre international
Guardian, Der Spiegel, De Stan­ de recherche sur le cancer classe
daard ou encore la télévision pu­ le glyphosate « cancérogène pro-
blique allemande, a pu consulter bable » pour l’homme.
la première évaluation indépen­ Octobre L’Autorité européenne
dante des cinquante­trois études de sécurité des aliments juge
réglementaires confidentielles de « improbable » le potentiel
génotoxicité, qui ont permis la cancérogène du glyphosate.
réautorisation de l’herbicide
controversé en Europe, en 2017.
Jamais, jusqu’à présent, des 2017
scientifiques indépendants Mars L’Agence européenne
n’avaient pu consulter le détail de des produits chimiques écarte
ces études et les commenter pu­ un classement du glyphosate
bliquement sans encourir de comme cancérogène.
poursuites judiciaires. Comman­ Décembre Réautorisation du gly-
dée par l’ONG SumOfUs à deux phosate en Europe, pour cinq ans
scientifiques autrichiens et ren­ au lieu des dix ans prévus.
due publique vendredi 2 juillet,
cette analyse éclaire les divergen­
ces de vue sur les propriétés de 2018
toxicité pour l’ADN (étape­clé de Le jardinier américain Dewayne
la cancérogenèse) de l’herbicide le Johnson, atteint d’un cancer
plus vendu au monde. qu’il attribue à son exposition
Les deux auteurs de cette éva­ au glyphosate, gagne en août
luation, Siegfried Knasmueller et le premier procès contre
Armen Nersesyan, sont cher­ Monsanto.
cheurs à l’Institut de recherche
sur le cancer du Centre hospitalo­
universitaire de Vienne (Autri­ 2020
che) et spécialistes internationa­ Bayer, nouveau propriétaire de
lement reconnus de toxicologie Monsanto, provisionne en juin
génétique. Selon eux, la grande 10 milliards de dollars pour sol-
majorité des cinquante­trois étu­ der 125 000 poursuites en justice
des réglementaires qui ont fondé d’utilisateurs américains de gly-
l’opinion des autorités sanitaires phosate atteints de cancer.
européennes sur la génotoxicité
du glyphosate ne remplissent pas
les critères de qualité attendus. 2021
« Parmi ces études, quelques­unes Les autorités sanitaires des qua-
sont acceptables, mais la majorité tre Etats européens rapporteurs
sont un désastre, dit le professeur (France, Suède, Pays-Bas,
Siegfried Knasmueller, égale­ Hongrie) annoncent en juin
ment rédacteur en chef de la re­ qu’elles ne jugent pas le glypho-
vue Mutation Research/Genetic sate cancérogène, ouvrant
Toxicology and Environmental la voie à sa réautorisation
Mutagenesis. Je me demande com­ en Europe, en 2022.
ment elles ont pu être considérées
comme acceptables par les autori­
tés sanitaires », ajoute­t­il.
Pour comprendre, il faut se sou­ (UE) rend un arrêt qui change la sont considérées par les deux ex­ test qui ne trouve pas de génotoxi­ Environment Alliance (HEAL),
venir que le Centre international
« Quelques-unes donne. Saisie par plusieurs perts comme « non fiables ». cité, cela ne signifie pas que le pro­ trente­huit des cinquante­trois
de recherche sur le cancer (CIRC), de ces études eurodéputés, la haute juridiction La dernière évaluation euro­ duit n’est pas génotoxique, mais études analysées figurent dans le
la principale autorité de classifica­ contraint l’EFSA à transmettre péenne du glyphosate, en 2015, que le test n’est pas informatif. » nouveau dossier d’homologa­
tion des agents cancérogènes
sont acceptables, les études confidentielles four­ avait été confiée à l’Institut fédéral Les griefs des deux chercheurs tion. Sur ces trente­huit études,
dans le monde, estime depuis mais la majorité nies par les industriels sur les­ d’évaluation des risques allemand, autrichiens sont nombreux : dé­ vingt­cinq sont jugées valides par
2015 que le glyphosate est un quelles elle s’est appuyée pour avant d’être finalisée par l’agence faut d’analyse statistique, indices les autorités sanitaires chargées
« cancérogène probable » et qu’il
sont un désastre » forger son expertise. européenne, l’EFSA. Ces mêmes de génotoxicité présents dans les de la réévaluation. Seulement
existe des « preuves fortes » de sa SIEGFRIED KNASMUELLER L’ONG SumOfUs a ainsi requis études avaient alors été évaluées données brutes mais non rappor­ deux sont jugées fiables par
génotoxicité. A l’inverse, les agen­ toxicologue de l’EFSA l’obtention de ces tra­ très différemment : 85 % d’entre tés, nombre de doses testées, type MM. Knasmueller et Nersesyan,
ces réglementaires en Europe et vaux jusqu’ici secrets, et les elles avaient été jugées accepta­ de cellules incluses, défaut de et quinze « partiellement fiables ».
aux Etats­Unis jugent que de tel­ a confiés pour analyse aux deux bles par ces autorités sanitaires. contrôle de l’exposition de cer­ De son côté, l’agrochimiste
les preuves n’existent pas. rité des aliments (EFSA), elles ont chercheurs du centre hospitalo­ Parmi les cinquante­trois étu­ tains tissus lors d’expériences sur Bayer, commanditaire de plu­
estimé non fiable la littérature universitaire de Vienne. M. Knas­ des analysées, la majorité s’écarte les rongeurs… En outre, ajoute sieurs des études analysées, dé­
Travaux jusqu’ici secrets scientifique sur le sujet, et ont es­ mueller dit avoir travaillé pro des lignes directrices, selon M. Knasmueller, certains types de fend « la rigueur scientifique et
L’une des raisons à cette diver­ sentiellement fondé leur exper­ bono, tandis que M. Nersesyan a M. Knasmueller. « Certaines ne test réputés ne pas mettre en évi­ procédurale suivie par l’entreprise
gence est la nature des travaux tise sur les études confidentielles été rémunéré 3 000 euros par une sont pas conformes aux critères de dence de génotoxicité au produit dans le cadre du processus d’ap­
considérés de part et d’autre. fournies par les firmes. Ces tests levée de fonds organisée par Su­ qualité qui étaient en vigueur au sont surreprésentés dans les cin­ probation au sein de l’UE et
D’un côté, le CIRC a fondé son réglementaires sont soumis à un mOfUs auprès du public. moment où elles ont été réalisées, quante­trois études. D’autres ty­ d’autres pays ». La firme rappelle
analyse sur les études publiées cahier des charges strict (dit « Ces tests sont menés par des précise le chercheur. D’autres pes de test sont absents. « Il a été que les autorités réglementaires
par des chercheurs du monde « bonnes pratiques de labora­ laboratoires privés qui sont sous étaient conformes lorsqu’elles ont montré que le glyphosate peut en Europe et ailleurs dans le
académique dans les revues sa­ toire », ou BPL), défini par une sé­ contrat avec les firmes agrochimi­ été réalisées, mais ne répondent causer des dommages à des orga­ monde « continuent d’aboutir à la
vantes. L’expertise collective de rie de « lignes directrices » établies ques, explique Helmut Burts­ plus aux critères actuels, car nes comme le foie, par exemple, même conclusion que le glypho­
l’Institut national de la santé et de notamment par l’Organisation cher, toxicologue à l’ONG Global ceux­ci sont régulièrement remis à mais aucun test réglementaire n’a sate est sûr dans son utilisation et
la recherche médicale (Inserm), pour la coopération et le dévelop­ 2000. La question de savoir à quel jour en fonction des nouvelles con­ cherché à connaître l’effet de la n’est ni génotoxique ni cancéri­
rendue publique le 30 juin, a pement économique (OCDE). point ces tests réglementaires naissances. » La précision est im­ substance sur cet organe, dit le gène ». La société ajoute avoir sa­
procédé de même et conclut que Les études industrielles sur la gé­ sont fiables s’est particulièrement portante : plus de la moitié de ces chercheur. Je ne comprends pas tisfait aux exigences de l’UE,
« de nombreuses études mettent notoxicité du glyphosate sont­el­ posée en 2019 avec la révélation tests ont été réalisés dans les an­ pourquoi les autorités sanitaires parmi les plus strictes au monde.
en évidence des dommages géno­ les plus fiables que les travaux aca­ que l’un de ces laboratoires nées 1990 ou avant. Seuls deux n’ont pas exigé de telles études. » « Dans le cadre de l’examen de
toxiques (cassures de l’ADN ou démiques ? Les premières étant s’était livré à des fraudes systéma­ ont été conduits il y a moins de Toutes ces critiques concernent réapprobation actuel, les autorités
modifications de sa structure) » couvertes par le secret industriel, tiques. Or il avait produit certains dix ans. la dernière évaluation du célèbre réglementaires de l’UE ont de­
induits par le glyphosate. uniquement accessibles aux ex­ des tests d’évaluation de la géno­ herbicide. Mais ces mêmes étu­ mandé au GRG [Glyphosate Re­
Quant aux agences sanitaires, perts des agences réglementaires, toxicité du glyphosate. » Nombreux griefs des ont été de nouveau soumises newal Group, la coalition indus­
en particulier l’Institut fédéral il était impossible de trancher. En l’espèce, MM. Knasmueller et « Par exemple, d’anciennes lignes aux autorités sanitaires, en 2020, trielle demandant le renouvelle­
d’évaluation des risques allemand Mais le 7 mars 2019, la Cour de Nersesyan n’ont pas cherché des directrices demandaient de n’éva­ dans le cadre du processus de réé­ ment du glyphosate] de soumettre
et l’Autorité européenne de sécu­ justice de l’Union européenne indices de fraude, mais simple­ luer que 1 000 cellules sur un test, valuation du produit, qui s’achè­ toutes les études de génotoxicité
ment la conformité des protoco­ mais des travaux de statistique ont vera en 2022. Selon un criblage qui ont été menées, y compris cel­
les suivis. Leur jugement est for­ montré que ce n’était pas suffisant réalisé par Angeliki Lyssimachou, les soumises lors des cycles d’exa­
Des indices dans les « Monsanto Papers » tement négatif. Parmi les cin­
quante­trois études analysées,
et de nouvelles lignes directrices re­
commandent d’en évaluer quatre
toxicologue à l’ONG Health and men d’approbation précédents,
ajoute­t­on chez Bayer. Le dossier
Rendus publics en 2017 dans le cadre d’actions en justice menées quarante portent sur le glypho­ fois plus », illustre M. Knasmueller. comprend également de nouvelles
aux Etats-Unis contre Monsanto, des documents internes de la sate pur et treize sur des formula­ Autre exemple. « Le glyphosate études de génotoxicité menées de­
firme, les « Monsanto Papers », indiquent que ses cadres avaient tions commerciales (des mélan­ est suspecté de produire des dom­
Plus de la moitié puis la précédente réapprobation
des soupçons, dès la fin des années 1990, sur la génotoxicité ges de glyphosate et de co­formu­ mages sur l’ADN par le biais d’un de ces tests ont du glyphosate et un vaste examen
du glyphosate. En 1999, ils avaient ainsi commandé un rapport lants). Selon MM. Knasmueller et mécanisme appelé stress oxydatif, de milliers de publications scienti­
à un spécialiste britannique de génotoxicité, James Parry, qui Nersesyan, seules deux (soit 7 %) explique le chercheur. Or plu­
été réalisés dans fiques concernant le glyphosate. »
concluait que « le glyphosate est un clastogène potentiel in vitro », de ces cinquante­trois études exa­ sieurs souches bactériennes [sur les années 1990 Contactée, l’EFSA attend la pu­
c’est-à-dire capable de casser l’ADN. Il suggérait de mener de minées suivent les critères de lesquelles les tests ont été menés] blication du rapport Knasmueller
nouvelles études. L’un des toxicologues de Monsanto écrit à ses qualité de l’OCDE les plus à jour. sont reconnues comme insensibles
ou avant. Seuls pour faire ses commentaires et
collègues que « Parry n’est pas la personne qu’il nous faut ». « Nous Dix­sept (25 %) d’entre elles sont au stress oxydatif : les nouvelles li­ deux ont été précise qu’elle lancera une
n’allons simplement pas conduire les études qu’il suggère », ajou- considérées comme « partielle­ gnes directrices exigent ainsi d’in­ consultation publique sur le su­
tait-il, concluant à propos de la génotoxicité possible du glypho- ment fiables » et toutes les autres, clure de nouvelles souches. Si cel­
conduits il y a jet, en septembre. 
sate : « Nous sommes actuellement très vulnérables. » soit plus des deux tiers (68 %), les­ci ne sont pas incluses dans un moins de dix ans stéphane foucart
 FRANCE
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
Marine Le Pen face aux doutes sur sa ligne
Une semaine après le second tour des régionales, le Rassemblement national réunit son congrès à Perpignan
perpignan – envoyé spécial
I
l n’y a guère qu’un enjeu,
pour Marine Le Pen, lors de
ce 17e congrès du Rassemble­
ment national (RN), les 3 et
4 juillet à Perpignan : remobiliser
les troupes. La présidente sera
réélue triomphalement diman­
che et, quelle que soit la nouvelle
configuration du conseil natio­
nal, le parlement du parti que
vont élire les militants, il n’a
guère de pouvoir. Elle peut y ajou­
ter sans vote ses candidats, et
tient fermement l’appareil : seul
compte le bureau national, où elle
a un droit de nomination discré­
tionnaire. Mais la présidente du
parti d’extrême droite est trop
fine pour ne pas sentir que l’en­
thousiasme est sérieusement re­
tombé dans le mouvement, et
que l’échec des régionales, après
le parachutage décevant de candi­
dats d’ouverture, a accru la gro­
gne des militants locaux. Per­
sonne n’osera au congrès contes­
ter son leadership, mais à neuf
mois de la présidentielle, les dou­
tes se font jour comme jamais.
Le congrès, qui se tient tous les
trois ans, tombe plutôt mal, trop
tôt en tout cas pour que la défaite
ait été digérée. Le RN a perdu 30 %
de ses élus et n’a gagné ni une ré­
gion, ni un département, alors que
Marine Le Pen avait répété pen­
dant toute la campagne que les
élections territoriales seraient le
marchepied de son succès
en 2022. « Il y a une séquence élec­
torale qui inclut les élections dépar­
tementales, régionales, présiden­
tielle, avait­elle assuré, le 21 mai.
Nous avons besoin que toutes les
collectivités soient tournées vers le
même objectif, en soutien à la poli­
tique d’Etat que je mènerai quand
je serai présidente de la République,
j’ai besoin que les départements ac­
compagnent ces changements. »
Il va bien falloir que Marine Le
Pen concède quelques décep­
tions, lors de son discours de di­
manche, mais l’autocritique n’est
pas la vertu cardinale du parti et il
n’y a guère de ligne politique al­
ternative. « A l’été 2016, Marine Le
Pen avait tenu un discours à ses
troupes qui avait été l’un de ses
meilleurs et les avait surmotivées
pour la présidentielle, rappelle Ni­
colas Lebourg, historien et spécia­
liste de l’extrême droite. Le pro­
blème est que même si elle tenait
un discours brillant, il y aura tou­
jours ce questionnement sur
« Il faut se méfier des annonces du déclin du parti d’extrême droite »
Malgré des doutes sur sa stratégie de dédiabolisation, Marine Le Pen reste la figure dominante du RN, rappelle le politologue Jean­Yves Camus
ENTRETIEN
L e politologue Jean­Yves Ca­
mus, directeur de l’Obser­
vatoire des radicalités poli­
tiques (Fondation Jean Jaurès),
analyse les scores en retrait du
Rassemblement national aux
élections régionales de juin.
Quelle est la situation du
Rassemblement national (RN) ?
Je continue à croire qu’il existe
un capital de sympathie pour Ma­
rine Le Pen supérieur à celui des
têtes de listes aux élections régio­
nales. C’est bien elle que les élec­
teurs RN veulent voir élue à la pré­
sidence de la République, et elle a
plus d’impact que les candidats de
juin. De plus, eux avaient l’incon­
vénient majeur de se présenter à
une élection qui n’est pas très
bien identifiée. Ce n’est pas parce
que le RN a objectivement échoué
aux régionales qu’il en sera de
même en 2022.
Le palais
des congrès
de Perpignan,
la veille
du congrès
du RN,
le 2 juillet.
CYRIL BITTON/
DIVERGENCE POUR
« LE MONDE »
l’après­mai 2022 : si elle échoue à la
présidentielle, que fera­t­elle et que
deviendra le parti ? »
Ajustements à huis clos
Le Front national, à l’époque,
avait fait son aggiornamento en
juillet 2017, au lendemain de
l’échec de l’élection présiden­
tielle, et a abandonné depuis plu­
sieurs lignes de force de son pro­
gramme : la sortie de l’euro, des
accords européens de Schengen,
de la Cour européenne des droits
de l’homme… Trop vite, trop bru­
talement peut­être pour son élec­
torat. « J’espère bien qu’il y aura un
débat, il faut bien analyser les cho­
ses et y répondre d’une manière ef­
ficace, a admis Louis Aliot, le
maire RN de Perpignan, le 2 juillet
sur Sud Radio. Parce que l’électo­
rat attend un certain nombre
d’évolutions, de réformes à enta­
mer, et ces élections présidentiel­
Il faut se méfier des annonces
du déclin du RN. La chercheuse en
sciences politiques Nonna Mayer
avait montré qu’après la profana­
tion de Carpentras, en 1990, im­
putée à tort au Front national
(FN), il y avait eu une baisse extrê­
mement importante des inten­
tions de vote pour le parti. Jean­
Marie Le Pen a reconquis ses élec­
teurs dans les six mois. Avec l’af­
faire des chambres à gaz, « point
de détail de l’histoire », en 1987,
chacun jugeait le propos si
odieux qu’il allait tuer le FN. L’en­
terrement n’a pas eu lieu et Jean­
Marie Le Pen a recommencé
en 1997. En 1998, il y a eu la scis­
sion mégrétiste, puis, en 2002, au
second tour de la présidentielle,
Jean­Marie Le Pen n’a obtenu que
17,8 %. Enfin, en 2007, Nicolas
Sarkozy l’a relégué à 10,4 % ; il
était alors évident que c’était la
fin du parti d’extrême droite. Il
faut se méfier des prophéties
concernant le RN.
les devraient être l’occasion de re­
voir un peu la manière de prati­
quer la politique. »
Mais les ajustements se feront à
huis clos. « Nous n’avons pas été
capables d’intéresser les élec­
teurs », a repris Louis Aliot, après
« cet accident électoral », « c’est
aussi notre responsabilité que de
le dire ». Il feint d’espérer que les
opposants, en interne, « vien­
dront publiquement nous expli­
quer pourquoi ils pensent ceci ou
que cela » au congrès. Mais il ad­
met aussitôt que s’« il y a beau­
coup de débats au sein du Ras­
semblement national, simple­
ment ils ne sont pas exposés sur la
place publique ».
L’un des tournants du week­
end, outre le discours de la prési­
dente, sera l’élection des cent
membres du conseil national : le
scrutin donne une idée du poids
des lignes et des personnalités à
Comment expliquer cet échec
aux régionales ?
Le taux d’abstention est tel que
les deux élections ne sont pas
comparables. Il est possible qu’un
certain nombre d’électeurs de
2017 se soient dit : « Ce sont des
élections intermédiaires, on verra
après. » D’autres estiment que le
RN est, d’une certaine manière,
partie prenante du système et
qu’il n’a plus la même force d’op­
position, de transgression, de cap­
tation des colères. Mais qu’est­ce
que Marine Le Pen peut faire
d’autre que de continuer dans la
voie de la dédiabolisation ? Cette
« virilisation » que son père sem­
ble appeler de ses vœux n’a ja­
mais amené Jean­Marie Le Pen
qu’à 16,9 % des voix en 2002.
Cette ligne politique n’a­t­elle
pas créé un trouble chez les
militants ?
Si, sans doute. Mais quelle est l’al­
ternative ? En vérité, ce congrès va
l’intérieur du parti. En 2018,
Louis Aliot était élu à la première
place par les militants, suivi de
Steeve Briois, le maire d’Hénin­
Beaumont (Pas­de­Calais), puis
de l’eurodéputé Nicolas Bay, en­
fin de David Rachline, le maire de
Fréjus. Bruno Gollnisch, candi­
dat malheureux à la présidence
du parti en 2011, était élu à la
5e place, Jordan Bardella,
aujourd’hui l’un des vice­prési­
dents du RN, au 13e rang, mais il
n’avait pas encore gagné pour le
parti aux européennes.
Un duo pour la succession
Marine Le Pen devrait quitter la
présidence du mouvement en
septembre, pour se concentrer
sur la campagne présidentielle et
tenter de rassembler au­delà du
RN. Il va lui falloir désigner un
successeur intérimaire, et deux
candidats sont en lice : Louis Aliot
être de nouveau un congrès pour
rien. Personne n’est capable de
porter une opposition structurée à
Marine Le Pen. L’appareil est entre
les mains de la présidente, même
si on constate sur les réseaux so­
ciaux que des cadres commencent
à exprimer leur mécontentement.
Gilbert Collard fait valoir sa diffé­
rence, mais il a un pied dedans et
un pied dehors. Marion Maréchal
n’est pas encore revenue au RN.
Bruno Gollnisch semblant avoir
jeté l’éponge, qui peut se lever pen­
dant ce congrès pour proposer
une autre voie ? Il y a de la grogne
contre l’entourage rapproché de
Marine Le Pen, mais peu d’alterna­
tives. Beaucoup de militants sou­
haiteraient que les choses soient
exprimées plus fortement, voire
plus crûment, sur l’immigration et
l’identité, qui sont, pour eux, la
question centrale. Mais com­
ment ? En refaisant du Jean­Marie
Le Pen ? Ce n’est pas envisageable.
Marine Le Pen ne parle jamais de
« J’espère bien
qu’il y aura
un débat, il faut
bien analyser
les choses »
LOUIS ALIOT
maire de Perpignan
et Jordan Bardella. Le maire de
Perpignan a trente ans de militan­
tisme dans le parti, est le seul à di­
riger une ville de plus de
100 000 habitants, et reste très
populaire. Jordan Bardella, qui n’a
que 25 ans, est semble­t­il le favori
de Marine Le Pen, il est cependant
affaibli par son maigre score aux
régionales en Ile­de­France. Leur
score au conseil national dira
quelque chose du soutien à la li­
gne de Marine Le Pen, même si
« grand remplacement », un con­
cept assez populaire à la base, mais
difficile à assumer, car cela vou­
drait dire aller plus loin, pas seule­
ment fermer la porte à toute nou­
velle immigration. Et cela ferait
douter de sa « dédiabolisation ».
A quoi le congrès sert­il alors ?
Il sert au Rassemblement natio­
nal à réélire la présidente, généra­
lement sans trop de contestation.
Un seul congrès a donné lieu à
une véritable compétition, celui
de 2011, où Marine Le Pen a pris la
tête du mouvement et gagné con­
tre Bruno Gollnisch. Le congrès,
c’est avant tout une grand­messe.
Il y a cette élection du conseil na­
tional par les militants, mais ce
n’est pas lui qui dirige le parti,
c’est le bureau politique, où Ma­
rine Le Pen dispose d’un quota
discrétionnaire de nominations.
La rivalité de Louis Aliot et
Jordan Bardella pour la prési­
|9
Louis Aliot n’est en rien un oppo­
sant, mais il a une certaine indé­
pendance et incontestablement
du poids dans le parti.
« Louis Aliot, c’est une ligne de fu­
sion des droites, conservatrices, li­
bérales, populistes et populaires,
un enracinement dans le parti où il
a connu tous les postes et est passé
dans toutes les fédérations, ob­
serve Nicolas Lebourg. C’est
l’homme qui a gagné une grande
ville après près de vingt ans à s’y
implanter. Jordan Bardella est un
très bon orateur de plateaux de té­
lévision, un homme jeune, comme
l’électeur type du RN, et il tient
scrupuleusement la ligne de
Marine Le Pen. Il n’est pas impossi­
ble qu’au vote des militants le pre­
mier l’emporte, mais que le second
ait l’avantage, pour les membres
de la direction, d’être exactement
dans le couloir attendu. » 
franck johannès
dence intérimaire est­elle
l’indice d’un problème de ligne
ou de personne ?
Les deux. Jordan Bardella est
poussé par Marine Le Pen, il colle
au plus près à la ligne de la prési­
dence, mais il est désormais dé­
savantagé par son mauvais score
aux régionales en Ile­de­France.
Louis Aliot reste auréolé par sa
victoire aux municipales à Perpi­
gnan, et sa grande plasticité idéo­
logique lui a permis de mordre
sur l’électorat de droite, mais on
ne peut pas extrapoler la situa­
tion de Perpignan à la France en­
tière. M. Aliot a d’autres avanta­
ges, d’abord l’expérience, il con­
naît parfaitement les rouages de
la maison, il est populaire dans le
parti, il a une municipalité et
c’est un vainqueur. Même si, à
l’échelle de sa région, le RN n’a
pas fait mieux qu’ailleurs aux
élections de juin. 
propos recueillis
par f. j.

10 | france
LA  RÉPUBLIQUE  EN  MARCHE
LRM, le vaisseau
fantôme
de la Macronie
Conçue il y a cinq ans comme un
mouvement citoyen censé revitaliser
la démocratie, La République en marche
enchaîne les déconvenues électorales.
Autopsie des heurs et malheurs de
ce nouveau venu sur la scène politique
RÉCIT
A
miens, 6 avril 2016. Le séna­
teur socialiste François Pa­
triat arrive en train dans la
ville natale d’Emmanuel
Macron. Ce dernier s’apprête
à lancer un mouvement po­
litique. Aux premières loges du quinquennat
de François Hollande, d’abord à l’Elysée puis
à Bercy, le ministre de l’économie a vu le
mandat du président parasité par les fron­
deurs, issus de sa propre famille politique.
Les partis ont failli, pense­t­il. Il propose une
offre politique nouvelle : un « mouvement ci­
toyen », ouvert sur la société civile, fondé sur
le dépassement du clivage droite­gauche. Le
jour du lancement, pas question d’aligner
une brochette d’élus blanchis sous le har­
nais. Seul Patriat, 73 ans, est invité. En avance,
le sénateur file à la cathédrale d’Amiens.
Dans la nef de l’édifice gothique, il allume un
cierge : « Mon Dieu, c’est un jour historique,
faites que ça marche… ! »
Cela fait des mois que Macron se prépare,
dans le plus grand secret. Il réunit ses pro­
ches au cœur de l’hiver, à la veille d’un week­
end, dans les appartements privés de Bercy.
Autour de la table, une poignée de jeunes
strauss­kahniens, Philippe Grangeon, ami
de François Hollande, et l’écrivain François
Sureau, proche de François Fillon. Adrien Ta­
quet, le publicitaire de l’agence Jésus et Ga­
briel, présente au ministre des paperboards.
Il propose un nom – En marche ! –, une typo,
un logo. Pour le site Internet, il s’est inspiré
de la marque américaine Apple, « centrée sur
le produit ». Sa campagne marketing est gui­
dée par trois principes : « Différenciation,
désintermédiation, prise de risque. »
Autour de la table, le nom fait débat. « C’est
un peu militaire, votre truc ! », lance Sureau,
qui rappelle la marche sur Rome menée par
les faisceaux italiens de Mussolini, en 1922.
Mais Brigitte Macron le trouve parfait. Ce
soir­là, l’équipe ne tranche pas. Et les paper­
boards sont rangés. François Hollande, qui
s’invite le lendemain à dîner avec Julie Gayet,
demande à visiter les appartements privés.
En ouvrant un placard, il manquera de peu
de tomber sur les planches cachées sous les
costumes du ministre, au grand dam du cou­
ple Macron. Au lendemain de l’élection pré­
sidentielle de 2017, Adrien Taquet, désormais
ministre, se félicite ainsi : « On a lancé Ma­
cron comme un produit ! »
Un parti virtuel, ou la difficile
implantation locale
Cinq ans plus tard, la marque a vieilli, démo­
nétisée. Et le jeune mouvement politique en­
chaîne les contre­performances électorales.
7 % aux régionales de 2021. Lundi 21 juin, au
lendemain du premier tour, se tient un bu­
reau exécutif tendu au siège, rue Sainte­Anne.
Le délégué général, Stanislas Guerini, relati­
vise le naufrage, avec son flegme habituel :
« Comment gagner des élections locales quand
on n’a pas d’ancrage local… » Le député de Pa­
ris, Gilles Le Gendre, aimerait bien que l’on
sorte du « déni » : « La question est plutôt de sa­
voir si nous avons un ancrage tout court ! »
Alfortville, dans le Val­de­Marne, illustre
cette dégringolade électorale : alors qu’Em­
manuel Macron avait rassemblé 25 % des
voix au premier tour de la présidentielle, la
liste La République en marche (LRM) a fait
20 % aux européennes, 13 % aux municipa­
les, 10 % aux législatives partielles et 8 % aux
régionales. « Putain, je croyais avoir lancé
Tony Blair, j’ai lancé Jean Lecanuet ! », a rigolé,
devant un proche, le patron de l’agence Jésus
et Gabriel, Gabriel Gaultier, qui a supervisé le
lancement d’En marche. A l’issue de ces scru­
tins locaux, LRM totalise 9 100 élus munici­
paux, 230 conseillers départementaux et
seulement 104 conseillers régionaux. « LRM
est un parti sans racines et on est au début de
l’aventure », relativise le ministre des outre­
mer, Sébastien Lecornu, qui rappelle que
l’Union pour la nouvelle République (UNR),
mouvement gaulliste fondé en 1958, avait
mis du temps à s’implanter. Les municipales
de 1965 avaient été mauvaises pour l’UNR,
distancée par les vieux partis.
Créée pour faire un « hold­up » à la prési­
dentielle, la formation macroniste a tâtonné
pour se structurer. A rebours des vieux par­
tis, où le député est patron chez lui, LRM a
préféré s’appuyer sur ses référents départe­
mentaux, nommés par le siège, plutôt que
sur ses députés, au nom de la philosophie du
non­cumul, chère aux « marcheurs ». Ce
choix a brouillé la lisibilité du mouvement et
entravé son implantation. « Ceux qui ont été
élus députés n’ont pas pu rester à la tête des
comités, se souvient la députée LRM Aurore
Bergé. Résultat : il y avait d’un côté le respon­
sable local de LRM et, de l’autre, les élus, qui se
sentaient à l’écart. » Dans plusieurs départe­
ments, les liens entre référents et élus s’avè­
rent d’ailleurs exécrables. Le ministre de l’in­
térieur, Gérald Darmanin, s’est ainsi plaint
pendant des années de la référente du Nord,
qui vient enfin d’être changée.
Aujourd’hui, LRM compte 140 référents dé­
partementaux, qui chapotent les 4 000 ani­
mateurs de comités locaux – élus par les ad­
hérents –, dont 2 500 actifs revendiqués. Si
elle a créé de l’émulation au départ, la multi­
plication de ces comités spontanés – n’im­
porte qui pouvait adhérer et fonder le sien –
a créé de la confusion. A Rennes, par exem­
ple, plus de 50 comités locaux ont été fondés
en 2016. Il n’en reste qu’une vingtaine, dont
des fantômes. Afin de renforcer son mail­
lage territorial, LRM a recruté une trentaine
de coordinateurs régionaux, payés par le
siège. Mais n’a pas installé de permanences
locales. Les rencontres se font dans des cafés
ou de manière dématérialisée sur la messa­
gerie cryptée Telegram. « Un parti virtuel »,
où des « cliqueurs » ont remplacé les mili­
tants, a déploré François Patriat, le 22 juin,
sur Public Sénat.
Dès le début du quinquennat, dans une note
confidentielle – synthèse d’une « étude
d’image » réalisée à la rentrée 2017 auprès
de sympathisants, que Le Monde s’est pro­
curée –, les cadres de LRM alertaient déjà sur
la nécessité de mener la « bataille de la visibi­
lité » : « Sur le terrain, le mouvement donne le
sentiment de s’être évaporé », écrivaient­ils.
Aujourd’hui, il revendique 400 000 « mar­
cheurs », dont un quart actifs. Le député de
Paris Pierre Person, ex­numéro deux de LRM,
qui a sillonné les comités locaux, estime à
« 10 000 seulement » le nombre d’adhérents
encore branchés. Au QG, on assure que les mi­
litants se sont remobilisés à la faveur des ré­
gionales. « Partout où j’allais, je trouvais plé­
thore de bonnes volontés pour tracter », dé­
fend le député de Paris Gilles Le Gendre.
Un mouvement « pur »
« LRM A ÉTÉ  à l’épreuve du réel
FAITE AVEC DES  Dès l’origine, LRM revendique de n’être pas
un parti mais un « mouvement », intégrant
PROFESSIONNELS  les codes du privé. Dans une note datée du
26 juin 2017, intitulée « La REM » – que Le
DE L’ÉCHEC  Monde s’est procurée –, le stratège du macro­
nisme Ismaël Emelien définit la « culture
POLITIQUE,  d’entreprise » (sic) : « liberté d’organisation »,
AUXQUELS SE  « bienveillance et honnêteté intellectuelle »,
« discipline de transparence », gratuité. Il
SONT MÊLÉS  s’agit de prendre « l’exact contre­pied de ce
qui est pratiqué par les partis traditionnels »,
DES MILITANTS  poursuit le spin doctor. Faire « disruptif ». On
PURS MAIS NAÏFS.  dit « helpers » pour bénévoles, « QG » pour
siège, « engagés » ou « marcheurs » pour mili­
UNE CATASTROPHE  tants. Fin 2018, à un ami qui lui demande
pourquoi l’Elysée a choisi Stanislas Guerini
AUX ÉLECTIONS  plutôt que Marlène Schiappa ou Pierre Per­
LOCALES » son, réputés plus politiques, pour diriger
LRM, le conseiller spécial Philippe Grangeon
PATRICK MIGNOLA répond : « Parce que c’est un chef d’entre­
patron des députés prise. » En sortant de HEC, le jeune strauss­
MoDem kahnien avait, en effet, créé une société de
vente de panneaux solaires.
Mais cette obsession de faire de la politique
« autrement », doublée d’un mépris à l’égard
des anciens partis, a fini par se retourner
contre les « marcheurs ». « Dans les comités lo­
caux, les trois quarts des “marcheurs” pensent
que la politique, c’est mal, note un haut gradé
LRM. Ils ont une obsession : ne pas avoir l’air
cyniques ou politiciens. Les boucles Telegram
ne sont pas canalisées. C’est à la fois une formi­
dable boîte à idées et une usine à conneries ! »
Soucieux de préserver la pureté des inten­
tions originelles, les référents départemen­
taux ou responsables de comités locaux
« jouent aux gardiens de la révolution »,
ajoute le macroniste. Même quand ils sont
partie intégrante de la majorité présiden­
tielle, ou qu’ils ont vocation à devenir des al­
liés pour des élections locales, les élus issus
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DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
des vieux partis (MoDem, UDI, Les Républi­
cains…) sont regardés avec méfiance par les
« marcheurs », qui multiplient propos para­
noïaques ou vengeurs dans leurs boucles.
Aux municipales, lorsque le mouvement
choisit d’investir ses candidats sous l’éti­
quette LRM, il subit de spectaculaires défai­
tes. Et cette stratégie exaspère les barons lo­
caux prêts à faire alliance. Ainsi le maire de
Toulon, Hubert Falco, qui a quitté Les Répu­
blicains (LR) en mai, a dû affronter la dépu­
tée LRM du Var, Cécile Muschotti, en 2020 : il
a fait 61 % ; la « marcheuse », 7 %. Mêmes ti­
raillements aux départementales. Conster­
né, Falco a appelé Macron à l’Elysée : « Je vais
te dire une chose, Emmanuel : En marche !, ça
ne marche pas ! »
Le ministre des affaires européennes et
macroniste de la première heure, Clément
Beaune, admet qu’il « aurait fallu essayer de
créer un socle local avec les grands élus ». « On
est plutôt boy­scouts à cet égard, poursuit­il.
Mais, a contrario, nous n’avons pas vingt­
cinq ans de haines et de crasses derrière nous,
moins de cicatrices. C’est un avantage. »
Au QG aussi, la méfiance des « marcheurs »
pour la politique a donné lieu à des situa­
tions baroques. Quand Christophe Castaner
est élu délégué général, à l’automne 2017, il
découvre les déjeuners du lundi, où les ca­
dres du siège convient un ministre à « plan­
cher » devant eux. Cette fois, c’est Stéphane
Travert (agriculture), qui est invité. Il se fait
bousculer : « Pourquoi n’imposez­vous pas le
repas végan dans toutes les cantines ? », lui re­
prochent les « marcheurs ». Gêné, M. Casta­
ner raccompagne le ministre avant de tancer
ses troupes : « D’où vous sortez toutes ces
idées ? Notre boulot, ce n’est pas de passer à
la question les ministres ! » A la tête du mou­
vement entre novembre 2017 et novem­
bre 2018, M. Castaner s’empresse de suppri­
mer ce déjeuner rituel. « Le système s’était
fermé, replié sur lui­même, raconte­t­il au­
jourd’hui. C’est une vraie difficulté consub­
stantielle à ce que nous sommes. »
Ces maladresses ont laissé des traces. « Sur
le terrain, le parti est mal compris, parfois
même rejeté par la population », constate
l’ex­député PS Gilles Savary, fondateur de
Territoires de progrès (aile gauche du macro­
nisme). Cette mauvaise image ne rejaillit pas
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DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
sur Macron, dont la popularité est découplée
de celle de LRM. « Ce qui frappe, c’est la diffé­
rence entre ce qu’est devenu Macron et la
structure porteuse, analyse un haut cadre du
parti. Le booster de la fusée n’est pas retourné
sur terre après avoir mis en orbite son satel­
lite. Il continue de tourner à côté. »
Les ressources humaines,
un talon d’Achille
Partie de rien, La République en marche a dû
recruter ses cadres et ses futurs élus de ma­
nière artisanale. En 2017, Guerini passe des
nuits à trier les 10 000 CV reçus pour les pos­
tes de référents. Avant de projeter des fi­
chiers PowerPoint à Macron, parfois assisté
de l’épouse du candidat à la présidentielle.
C’est lui qui tranche. Le résultat de ce travail
de fourmis est inégal. « Il y a eu une part de
spontanéité qui a parfois induit une fragilité,
admet le délégué général. Certains ont vrillé,
se sont retrouvés sur des listes RN, etc. Ce
n’était pas possible de tout maîtriser. »
Dans les comités locaux, LRM a d’abord at­
tiré des citoyens n’ayant jamais été encartés
dans un parti. Cadres supérieurs, diplômés,
représentants d’une France qui va bien. « Et
de bonne volonté », ajoute la cofondatrice
d’En marche ! Catherine Barbaroux. Des
nouveaux militants et des primo­députés
souvent sans la moindre culture politique.
« Soyez fiers d’être des amateurs », les encou­
rage même Macron.
Un amateurisme qui a coûté cher au mou­
vement. En pleine campagne des départe­
mentales, il a dû rétropédaler in extremis en
découvrant une affiche mettant en scène
une candidate voilée. « Personne n’avait
pensé à vérifier les candidats avant de les pré­
senter sur la liste, soupire le député Aurélien
Taché, qui a quitté LRM en 2020. C’est quand
même le b.a.­ba ! » A ces novices de la politi­
que se sont ajoutés d’anciens militants
n’ayant pas réussi à se faire une place au
Parti socialiste ou à LR. « LRM a été constituée
avec des professionnels de l’échec politique,
auxquels se sont mêlés des militants purs
mais assez largement naïfs, résume le patron
des députés MoDem, Patrick Mignola. Ça a
donné la catastrophe que l’on sait aux élec­
tions locales. »
A son arrivée, Stanislas Guerini s’est em­
ployé à « renforcer les RH » : 70 % des référents
ont été renouvelés, sous l’égide de la commis­
sion nationale des talents, présidée par Jean­
Marc Borello et Sibeth Ndiaye. De nombreux
référents ont claqué la porte d’eux­mêmes,
déçus par la réalité de la vie politique. Ainsi
Abdelkrim Rachedi, ancien référent à Ren­
nes. N’ayant jamais milité auparavant, me­
suré et de bonne volonté, cet ingénieur chez
Orange a vraiment cru à la promesse de dé­
passement portée par Macron et s’est en­
thousiasmé pour certaines réformes, comme
le dédoublement des classes. Mais il n’a pas
supporté la « droitisation » de la ligne, loin de
l’équilibre affiché. Le débat entre Marine Le
Pen et Gérald Darmanin, qui a reproché sa
« mollesse » à la patronne du Rassemblement
national, a été la goutte de trop.
La guerre des clans que se sont livrée les
deux bandes rivales de la Macronie – celle
de « la Planche », du nom de la rue où le QG
de campagne de DSK était sis en 2012, et celle
de « Poitiers », où une poignée de députés is­
sus du Mouvement des jeunes socialistes et
rompus à la tactique politique ont fait leurs
études – a également découragé certains
« marcheurs ».
Loyal, mais atone
A la rentrée 2018, Christophe Castaner dé­
clare vouloir « ouvrir une réflexion sans ta­
bou » sur la fiscalité des successions. Il est
aussitôt recadré par Macron : « On n’y tou­
chera pas tant que je suis là ! » Le délégué gé­
néral de LRM, qui venait de vanter devant la
presse un mouvement « bien vivant », est ul­
céré. Bis repetita au printemps suivant. En
plein grand débat, la députée LRM Bénédicte
Peyrol est missionnée par le mouvement
pour piloter un groupe de travail sur la fisca­
lité. Une remise à plat des droits de succes­
sion fait partie de ses propositions, mais la
direction de LRM lui demande d’expurger
cette partie, avant publication. Déçue, l’élue
a cessé de proposer ses services au parti. « Il
faut une indépendance du mouvement plus
grande, résume­t­elle. On est là aussi pour
faire vivre les débats dans la société. »
Revers de la médaille de cette absolue
loyauté au gouvernement, le parti est jugé, y
Le délégué général
de LRM, Stanislas
Guerini, à Amiens, le
11 septembre 2020. JEAN-
CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
compris au sein de la majorité, comme lisse
et atone, ne produisant aucune idée. « Si je
voulais avoir mon quart d’heure de gloire, je
dirais quelque chose qui n’est pas dans la ligne
de l’exécutif, mais ce ne serait pas utile au pré­
sident », assume M. Guerini, qui a musclé le
« pôle idées » de LRM, confié à Clément
Beaune et Sibeth Ndiaye, chargés de défri­
cher le programme présidentiel. Il revendi­
que, en outre, d’avoir alimenté le pro­
gramme des européennes, tout comme le
grand débat national. L’idée d’une conven­
tion citoyenne pour le climat est sortie du
QG, rappelle­t­il, tout comme celle d’un prêt
à taux zéro pour les jeunes. « On produit plus
que la plupart des autres partis, défend­il en­
core. Mais il est vrai que nos idées ne passent
pas toujours le mur du son, c’est frustrant. »
En attendant, le bureau exécutif de LRM se
trouve démonétisé, déserté par les poids
lourds de la Macronie. Un ancien conseiller
d’Edouard Philippe se souvient d’un appel
de Stanislas Guerini souhaitant y convier le
premier ministre. Il s’enquiert de l’ordre du
jour. « La bienveillance municipale », précise
M. Guerini. Réponse gênée du conseiller :
« Ecoute, le “PM” est un peu débordé, là… ce
sera pour une autre fois. » Jean Castex n’y va
pas davantage. « Il ne reconnaît pas une effi­
cacité folle au machin », confie un proche.
Les ministres issus de la droite, Bruno Le
Maire ou Gérald Darmanin, n’y vont jamais
non plus. En privé, ces derniers ironisent sur
le « happening permanent » d’un mouve­
ment « complètement déconnecté » qui se
complaît dans « l’autosatisfaction » et ne fait
pas de politique. « Le burex [bureau exécutif],
ce sont des mecs qui se réunissent dans la fo­
rêt et qui chantent du Brel autour du feu », ri­
gole un macroniste issu de LR. Même M. Cas­
taner, qui a dirigé le mouvement, n’y met
plus les pieds. Parmi ceux qui font l’effort d’y
aller, Jean­Michel Blanquer est l’un des plus
assidus. « On a besoin d’un mouvement. Je
joue le jeu », dit­il. Le ministre de l’éducation
nationale profite du bureau exécutif pour
pousser ses idées sur la laïcité.
Un mouvement gazeux
Mouvement d’un homme, LRM ne semble
avoir ni ligne politique claire ni colonne ver­
tébrale idéologique. Fondé sur le concept va­
gue de « progressisme » et le dépassement
du clivage droite­gauche, il n’a jamais défini
de corps de doctrine, en dépit de plusieurs
tentatives. Ses fondateurs, à l’instar de
Catherine Barbaroux, assument de n’avoir
« pas cherché à rebâtir une doctrine aussi en­
globante que celle qui a fait émerger les partis
du XXe siècle » pour plutôt « mobiliser les ci­
toyens sur des projets ».
Dernier exemple : les « causes », que vient
de lancer M. Guerini. Chaque adhérent peut
choisir une cause qui lui est chère et tenter
LE FAIT  d’y rallier d’autres. Une manière de faire vi­
QU’ÉDOUARD  vre le débat. Et d’identifier les « signaux fai­
bles » qui nourriront le programme de 2022,
PHILIPPE AIT  comme lors de la grande marche de 2016.
« Les jeunes d’aujourd’hui ne se posent pas de
D’EMBLÉE REFUSÉ  questions idéologiques, ils ne sont plus prêts à
penser global, veut croire le délégué général
D’ADHÉRER  adjoint de LRM, Jean­Marc Borello. Ils préfè­
À LRM A ÉTÉ  rent se mobiliser sur un sujet. » « La cause des
amoureux des cactus coexiste avec celle
UN « POISON  de ceux qui trouvent que les cactus piquent »,
s’amuse Christophe Castaner, pour qui
LENT » POUR  « la somme des intérêts individuels ne crée
LE MOUVEMENT,  pas un collectif ». Mêmes réserves chez la dé­
putée LRM Bénédicte Peyrol, selon laquelle
JUGENT  ce procédé renforce « l’individualisme » et le
« communautarisme ».
DE NOMBREUX  Le fait que l’ex­premier ministre Edouard
MACRONISTES Philippe ait d’emblée refusé d’adhérer à LRM
a été un « poison lent » pour le mouvement,
jugent par ailleurs de nombreux macronis­
tes. L’absence du chef de la majorité des ins­
tances dirigeantes a accrédité l’idée que le
mouvement était une coquille vide. Un pé­
ché originel qui aurait empêché que la re­
composition politique s’opère en son sein. Et
ouvert la voie au retour des chapelles, à l’ins­
tar de Territoires de progrès, mouvement
créé à l’initiative des ministres venant de la
gauche. « Nous, on devrait créer Territoires de
conservation ! », ironise un ministre issu de
la droite. Quoi qu’il en soit, le mouvement
n’a pas réussi à incarner le dépassement du
clivage droite­gauche. « Quand les problèmes
sont arrivés, les petites rivières qui avaient fait
ce grand ruisseau sont rentrées dans leur lit,
observe Patrick Mignola. La droite a repris
ses réflexes de droite. La gauche, aussi. »
Les anciens socialistes décrivent ainsi un
parti noyauté par la droite, alors que plu­
sieurs cadres du parti viennent de LR. Le di­
recteur général Paul Midy – qui devrait être
france | 11
remplacé par Grégoire Potton – a été formé
aux « Jeunes pop » de l’UMP. Son adjointe,
Déborah Pawlik, a affronté Benjamin
Grivaux aux législatives de 2017, sous l’éti­
quette LR. Eminence grise de la droite,
Jérôme Peyrat a été recruté comme conseil­
ler spécial de M. Guerini, qui s’est entouré
aussi de la juppéiste Marie Guévenoux. Mais
ceux qui viennent de la droite sont persua­
dés que le parti reste phagocyté par les ma­
cronistes historiques, tous anciens strauss­
kahniens. « Pour prendre le pouvoir, Macron
a dit à tout le monde ce qu’il voulait entendre,
analyse Aurélien Taché. Logiquement, LRM
est un parti attrape­tout. »
Cette faiblesse idéologique a pourtant été
pointée dès le départ comme un potentiel
danger. Dans l’« étude d’image » dressée
après la présidentielle, les dirigeants esti­
maient que « la difficulté à définir le position­
nement politique » de LRM était « plutôt un
atout ». « C’est ce qui change des vieux partis,
et c’est le signe de notre ouverture », écri­
vaient­ils. Mais ils mettaient en garde : « Ce
flou pourrait devenir problématique à terme,
car il laisse place à une lecture politique plus
individuelle qui empêche de faire société. » Ils
concluaient qu’« à défaut d’une idéologie » il
était urgent de définir un « récit collectif ».
« Le statu quo n’est plus
durable. » Mais encore ?
En claquant la porte du parti à la rentrée
2020, Pierre Person a établi un long diagnos­
tic détaillé, envoyé, via Telegram, aux plus
hautes autorités de la Macronie, dont le pré­
sident lui­même. Il décrivait un mouvement
« exsangue », un « astre mort », « sans projet,
ni idée ». « Le peu de militants qui restent ne
savent plus où ils habitent, à quoi ils servent »,
notait­il. Il concluait ainsi : « Soit on tue l’or­
ganisation, soit on la refonde. » Macron lui a
fait savoir qu’« une bonne partie de [son]
constat [était] juste », même s’il ne partageait
pas tant de sévérité. « Mais il est clair que le
statu quo n’est plus durable », ajoutait­il.
Rien n’a été fait depuis. Le chef de l’Etat, qui
déteste la politique partisane et les jeux d’ap­
pareil, même s’il se passionne pour la
« popol », la politique politicienne, ne s’est ja­
mais intéressé au mouvement. Ce président,
qui centralise toutes les décisions, n’est
d’ailleurs pas étranger aux difficultés de
LRM. La faible incarnation, tant au parti
qu’au gouvernement, est un choix volon­
taire de sa part : à défaut de s’appuyer sur des
poids lourds, il reste la seule tête qui dépasse.
Au lendemain de l’échec aux régionales,
beaucoup s’accordent à dire que la marque
est devenue « mortifère » et qu’il est urgent
d’en changer avant 2022. « Cette formidable
trouvaille marketing a vieilli, regrette Gilles Le
Gendre. On ne fait pas de la politique avec une
agence de création de logo, même si le produit
à vendre est formidable. » Stanislas Guerini,
lui, est persuadé d’avoir « mangé son pain
noir ». Il devait proposer, lundi 5 juillet, une
liste pour un nouveau bureau exécutif, com­
posée de poids lourds, dont des ministres
ayant été au feu électoral, le président de l’As­
semblée nationale, Richard Ferrand, l’ex­con­
seiller élyséen Stéphane Séjourné, ou encore
les présidents de groupes LRM à l’Assemblée
et au Sénat. Si les instances du parti seront re­
nouvelées fin juillet, le mandat du délégué gé­
néral court jusqu’en décembre, mais il sem­
ble acté, au sommet de l’Etat, qu’une élection
à la tête du parti en pleine campagne prési­
dentielle n’a pas de sens. L’affaire devra être
tranchée avant, assure­t­on au QG.
Outil parmi d’autres pendant la campagne,
le mouvement servira à tout le moins de base
arrière logistique pour le candidat. Depuis le
départ, LRM est avant tout un « trésor de
guerre » pour 2022. Le parti bénéficie d’un
budget annuel de 22 millions d’euros par an,
dont 20 millions de dotations publiques et
1,5 million de donations privés, le parti ayant
récupéré le réseau des donateurs de LR. Eco­
nome de ses deniers, au grand dam des comi­
tés locaux, qui le jugent « radin », il s’est en­
detté à hauteur de 16 millions d’euros pour
acheter son nouveau siège (34 millions), dans
lequel les équipes s’installeront durant l’été :
2 800 mètres carrés dans le 8e arrondisse­
ment de Paris. Le bâtiment est divisé en deux
parties, dont l’une pourra être louée en cas de
déconvenue électorale en 2022.
Avant la présidentielle, la bande de la Plan­
che a phosphoré des soirées entières dans la
cuisine de l’appartement d’Adrien Taquet,
autour d’une bouteille de rhum, rue des Mar­
tyrs. Cinq ans plus tard, LRM s’apprête à dé­
ménager rue du Rocher. Ce sera celui de Sisy­
phe. Ou alors celui qui ferme le tombeau. 
solenn de royer
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12 | france DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021

Pécresse veut aller vite avant A Marseille, l’enquête sur

l’affaire des procurations
de lancer sa campagne nationale frauduleuses avance
Le budget de la région Ile­de­France s’élève à 4,5 milliards d’euros par an Lors des municipales de 2020, un système
avait été mis au point dans des fiefs LR

C
e vendredi 2 juillet, Ba­ elle y est déjà », sourit un mem­ sions. Pas plus que La République
bette de Rozières rayon­ bre de son équipe.
« Je regrette que en marche (LRM) et ses 15 con­ marseille ­ correspondant gne de Julien Ravier, qualifié
ne. Pour un quart d’heu­ Cette machine, Valérie Pécresse les communistes seillers. « Nous voterons en fonc­ de « chef d’orchestre amnésique »,
re, la cuisinière et ani­
matrice de télévision préside le
conseil régional d’Ile­de­France.
Etant la plus âgée des élus, elle
s’installe au centre de l’hémicycle
la contrôle parfaitement. En 2015,
pour son premier mandat, elle
comptait 121 élus dans sa majo­
rité, sur un total de 209 con­
seillers régionaux. Cette fois­ci, ils
n’aient pas voulu
prolonger cette
alliance. Unis,
tion des délibérations, sans oppo­
sition systématique », indique son
chef de file, le député Laurent
Saint­Martin.
L es élections sont passées et
les « affaires » reprennent à
Marseille où le parquet
vient de boucler l’enquête sur les
procurations frauduleuses lors
et Claudine Hernandez, la direc­
trice générale des services de la
mairie de secteur. Le bureau de
cette dernière, à en croire Joëlle Di
Quirico, colistière et ancienne se­
et lance la première session du sont légèrement plus nombreux nous aurions Droite puissante des élections municipales de crétaire de la mairie, avait été
nouveau conseil. « En vous voyant (125), et répartis en deux blocs au La gauche, elle, ne compte plus mars 2020 dans deux secteurs de transformé en atelier de fabrica­
tous devant moi comme ça, je me lieu de trois : 102 membres de son
eu plus de force » que 53 élus, contre 66 auparavant. la ville aux mains du parti Les Ré­ tion des procurations.
dis : bon dieu, quand on est prési­ groupe (Libres !, LR et MoDem dis­ CLÉMENTINE AUTAIN « Jamais elle n’avait été aussi faible publicains. Ouvrant une phase de Confiés aux secrétaires, les « pe­
dent de région, c’est quelque sidents), plus 23 élus de l’UDI. élue LFI dans cet hémicycle », constate Cé­ contradictoire, le dossier a été tites mains », les formulaires
chose ! », s’exclame la conseillère line Malaisé, du Parti commu­ adressé aux avocats des mis en Cerfa portant juste le nom du
des Yvelines. Le privilège ne dure Modernisation de la région niste français (PCF). Alors qu’ils cause, la plupart placés en garde à mandant était complétés avec ce­
guère. Quelques minutes plus Parmi ces 125 soutiens, Valérie vient de démettre de ses fonc­ s’étaient rassemblés au second vue à l’automne. La procureure de lui d’un mandataire, un nom pris
tard, Valérie Pécresse est réélue à Pécresse a choisi 15 élus de tions d’ambassadeur de l’envi­ tour sous la houlette de l’écolo­ la République devrait prochaine­ sur une liste remise par M. Omi­
la tête de la première région de confiance pour devenir ses vice­ ronnement. La présidente du giste Julien Bayou, les élus de gau­ ment faire savoir quelles poursui­ ros. Parfois, des procurations
France par 125 voix sur 209, dans présidents. Jean­Didier Berger, le conseil régional a par ailleurs dé­ che se retrouvent qui plus est tes sont envisagées et contre qui. étaient remplies totalement en
le sillage du succès de sa liste aux maire (Libres !) de Clamart signé 18 « délégués spéciaux », éclatés de nouveau entre quatre Plus de 750 procès­verbaux, piochant d’un côté dans une liste
régionales du 27 juin. Babette (Hauts­de­Seine), qui avait dirigé chargés de missions diverses. Elle petits groupes, représentant les près de 5 000 pages et une conclu­ de mandants ayant adressé leur
de Rozières doit laisser le fauteuil sa campagne, devient premier vi­ pourra également s’appuyer sur socialistes, les écologistes, sion de la division économique et carte d’identité à un élu ou un mi­
si convoité. ce­président et prend le porte­ Vincent Jeanbrun, le jeune maire les communistes et La France financière de la police judiciaire : litant, de l’autre dans celle des
« Président de région, c’est quel­ feuille des finances. Il sera au pre­ (Libres !) de L’Haÿ­les­Roses (Val­ insoumise (LFI). « Des militants, fonctionnaires, mandataires.
que chose ! » Valérie Pécresse mier rang pour assurer la relève si de­Marne) qui avait tenté de ravir « Je regrette profondément que personnes politiques ont perdu
peut reprendre la formule à son la présidente lâche la région pour la présidence de la Métropole du les communistes, avec lesquels tout discernement dans cette « Mais tu le savais ! »
compte. Avec l’Ile­de­France, d’autres responsabilités. Grand Paris à Patrick Ollier. Ce fi­ nous avons mené une campagne course aux voix pour les élections Les colistiers étaient invités à pro­
l’ancienne ministre de Nicolas Le petit « gouvernement régio­ dèle de Valérie Pécresse obtient la commune dès le premier tour, municipales, allant même jusqu’à mouvoir ce système des procédu­
Sarkozy retrouve une machine nal » compte d’autres proches de présidence du groupe majori­ n’aient pas voulu prolonger cette “chasser” des procurations illéga­ res « simplifiées » sans passer de­
politique solide, bien huilée, do­ Valérie Pécresse, comme Othman taire. « Si Valérie brigue d’autres alliance, déplore Clémentine les dans un Ehpad. » vant un officier de police judi­
tée d’un budget de 4,5 milliards Nasrou ou Alexandra Dublanche, fonctions, on tiendra la maison de Autain (LFI). Unis, nous aurions Deux semaines avant le second ciaire, en adressant juste une pho­
d’euros par an. Une jolie base ar­ mais aussi trois membres de façon collective », assure­t­il. eu plus de force. » A l’approche de tour, un article de Marianne et un tocopie d’une pièce d’identité.
rière si elle se lance, comme elle l’UDI ainsi que Yann Wehrling, Avec toute cette équipe qui lui la présidentielle, à laquelle il reportage en caméra cachée de « On s’occupe du reste », s’enten­
l’envisage, dans la future campa­ ancienne figure des Verts puis du est acquise, la présidente entend compte présenter son propre can­ France 2 révèlent un système de daient­ils proposer.
gne présidentielle. « Dans sa tête, MoDem, qu’Emmanuel Macron poursuivre tambour battant la didat, le PCF a préféré ne plus faire recueil de procurations dites Lancée dans ce qu’elle a nommé
modernisation de la région qu’elle toujours cause commune avec le « simplifiées », mis en place dans sa « chasse aux trésors », Magali
a promise. « D’ici la fin de l’été, nous parti de Jean­Luc Mélenchon. Et il deux fiefs de la droite mar­ Devouge, conseillère d’arrondis­
Wauquiez donne une tonalité voterons et commencerons à appli­
quer 80 % de mes engagements »,
a obtenu de Valérie Pécresse l’as­
surance que le règlement sera
seillaise : les 6e et 8e arrondisse­
ments brigués par Martine Vas­
sement chargée de la culture,
avait ainsi contacté une associa­
sécuritaire au début de son mandat annonce­t­elle. Au programme, changé, de manière à pouvoir sal, prétendante à la succession de tion pour faire la promotion d’un
Laurent Wauquiez, 46 ans, a été réélu sous les acclamations et l’« effacement de la dette Covid constituer un groupe, même s’il Jean­Claude Gaudin, ainsi que les « service d’aide à la procuration »,
sans surprise président du conseil régional d’Auvergne-Rhône- pour 7 000 entreprises », une ne compte que 7 élus. 11e et 12e arrondissements que le évoquant même un « partena­
Alpes, vendredi matin 2 juillet, à Lyon. Le président sortant prime de 6 000 euros pour l’achat Les quatre formations envisa­ maire (LR) sortant Julien Ravier fi­ riat » avec le commissariat. Les en­
(Les Républicains, LR) a obtenu 134 voix des 204 conseillers d’un véhicule propre, ou encore la gent de créer une structure légère nira par remporter avec 352 voix quêteurs se sont intéressés à un
régionaux sortis des urnes en Auvergne-Rhône-Alpes. La droite création d’une mutuelle régionale pour se coordonner. Affaiblie et d’avance sur son challenger de commandant de police ayant va­
sort sensiblement renforcée des régionales, avec 136 élus, soit de santé et d’une agence régionale divisée, la gauche risque cepen­ gauche du Printemps marseillais. lidé 194 procurations qu’il récupé­
28 élus de plus par rapport au précédent mandat. La majorité des travaux d’intérêt général. La fi­ dant d’avoir du mal à faire enten­ rait auprès de Mme Di Quirico.
de droite comptait 108 élus dans l’assemblée sortante, répartis gure centrale de la droite en Ile­de­ dre sa voix face à une droite puis­ « Chef d’orchestre amnésique » Que savaient les élus, que la po­
entre les groupes LR (85 élus) et centre (UDI et centriste). Dès son France pourra ainsi se lancer à la sante. Et pugnace. Dès vendredi, C’est dans ces quartiers est de lice judiciaire qualifie de « bénéfi­
premier discours, Laurent Wauquiez a annoncé la création d’une conquête de l’Elysée en affirmant Valérie Pécresse a indiqué son in­ Marseille que la fraude est, aux ciaires » du système ? « Bénéficiaire
nouvelle commission régionale, consacrée à la sécurité. La pre- avoir déjà mis sur les rails l’essen­ tention de porter plainte au nom yeux des enquêteurs, la plus écla­ malheureux » que serait Yves Mo­
mière délibération, programmée avant fin juillet, porte égale- tiel de ses projets. de la région contre un conseiller tante. Mais aussi, écrivent­ils, la raine, maire sortant et battu des 6e
ment sur la sécurité, son thème prioritaire de campagne. Il pré- Face à cette machine Pécresse, écologiste sortant et réélu, accusé plus « abjecte », puisque 56 procu­ et 8e arrondissements où le systè­
voit une augmentation de 30 % des effectifs de police ferroviaire, l’opposition se révèle éparpillée. d’avoir divulgué dans la presse les rations ont été établies au nom de me des « procurations simplifiées »
ainsi que 10 000 caméras de vidéosurveillance supplémentaires. Avec 16 élus, le Rassemblement résultats encore confidentiels de résidents de l’Ehpad de Saint­Bar­ aurait aussi fonctionné. « Bénéfi­
Le chef de l’exécutif régional souhaite aussi déployer « un logiciel national de Jordan Bardella ne certains appels d’offres.  nabé, n’ayant jamais demandé à ciaire victorieux » qu’est aux yeux
de reconnaissance faciale ». pourra guère peser sur les déci­ denis cosnard voter par procuration ou n’ayant des enquêteurs Julien Ravier, de­
pas la capacité de le faire. venu, en octobre 2020, député en
L’enquête a montré que ces pro­ remplacement de Valérie Boyer,
curations avaient été établies sur élue au Sénat.
la base de copies de documents Un témoin rapporte aussi une

Evacuation violente d’un amphi à la fac d’identité des pensionnaires

transmis par l’établissement.
Quant aux mandataires qui
avaient voté pour les résidents de
scène à la mairie, alors que l’af­
faire fait les gros titres de la
presse, durant laquelle le maire de
secteur, s’adressant à Richard

de Montpellier : des peines de prison ferme l’Ehpad, ils ont avoué avoir été
contactés « par la mairie ».
L’un de ces 47 mandataires, sans
la connaître, a ainsi voté à la place
L’ex­professeur d’histoire du droit Jean­Luc Coronel de Boissezon et son épouse ont été de Juliette M., reconnue incapable
condamnés vendredi à six mois ferme, pour avoir lancé l’action en mars 2018 majeure : « J’étais au chômage. Je
suis chauffeur de benne à ordures.
En février 2020, lors de la grève des
éboueurs, la maire des 11­12 m’a
montpellier – correspondante déjà condamné à plusieurs repri­ En revanche, les avocats de Jean­ proposé un contrat. Puis ils m’ont
Le colonel ses, est condamné à un an ferme. Luc Coronel de Boissezon et son dit que si je voulais travailler à la
Omiros, lui lance : « Mais qu’est­ce
que tu as fait ! Tu te rends compte,
j’étais au courant de rien ! » Ce à
quoi son directeur de campagne
le renvoie dans ses cordes : « Mais
tu le savais ! » Placé en garde à vue
avant son entrée au Palais­Bour­
bon, M. Ravier a répété : « Je n’étais
pas au courant de ce système, je
n’ai jamais validé un tel procédé. »
Même ligne pour Martine Vassal,

L e tribunal correctionnel de
Montpellier a rendu son ju­
gement, vendredi 2 juillet,
dans l’affaire du commando de la
fac de droit de Montpellier. Les
sept prévenus ont été reconnus
coupables de violences volontai­
res en réunion et de complicité. En
mars 2018, un « commando »
d’une dizaine de personnes avait
délogé violemment des étudiants
grévistes d’un amphithéâtre de la
faculté de droit. Certains mem­
bres étaient cagoulés et armés de
planches ou d’un Taser. Plusieurs
étudiants avaient alors été bles­
sés. Les images, qui ont circulé sur
les réseaux sociaux, montrent la
violence de la scène.
Le doyen de la faculté, Philippe
Pétel, est condamné à 18 mois de
prison avec sursis. Tous les autres
prévenus sont condamnés à de la
prison ferme. C’est notamment le
cas de l’ancien professeur d’his­
toire du droit Jean­Luc Coronel de
Boissezon et de son épouse, Patri­
cia Margand, tous deux condam­
nés à 14 mois de prison, dont
à la retraite
Thierry Vincent
a expliqué être
intervenu parce
que l’Etat n’avait
pas fait son
devoir
6 mois ferme, peine qu’ils pour­
ront exécuter à domicile, sous
surveillance électronique. Ce sont
eux qui avaient fait appel à des
connaissances pour l’évacuation
musclée de l’amphithéâtre.
Sans surprise, ce sont les mem­
bres du commando qui écopent
des peines les plus lourdes :
Thierry Vincent et Thierry Puech,
deux anciens militaires, ainsi que
Mathieu Rolouis, un jouteur sé­
tois, ont été condamnés à six mois
de prison ferme, sous bracelet
électronique. Et Martial Roudier,
le fils du fondateur du groupe
identitaire de la Ligue du Midi,
Lors du procès, le colonel à la re­
traite Thierry Vincent avait expli­
qué être intervenu parce que l’Etat
n’avait pas fait son devoir : il visait
le préfet, qui avait refusé d’agir
pour évacuer l’amphithéâtre. Le
procureur lui avait alors répondu
que « personne ne peut se substi­
tuer à l’Etat pour exercer des violen­
ces ». Le juge a clairement suivi
cette analyse, étayée par le fait que
six des sept prévenus (tous mis à
part l’ex­doyen Pétel) avaient des
liens avérés avec l’extrême droite.
« Pression de la rue »
Maître Iris Christol, avocate de
l’ancien doyen Philippe Pétel, ne
compte pas faire appel, et estime
que le juge « a fait une distinction
claire entre mon client, qui a re­
connu sa faute en acceptant le pro­
jet qu’on lui avait présenté, et les
autres ». Selon elle, le juge a traité
différemment ceux qui ont pris
part à l’assaut, et celui qui s’est
laissé convaincre et a donné son
feu vert. « Il savait qu’il serait con­
damné. Il est lucide mais fatigué. »
épouse Patricia Margand disent
vouloir faire appel. Pour maître
Mickael Poilpré, « ma cliente crai­
gnait cette peine et n’est évidem­
ment pas satisfaite. Elle est tou­
jours dans le même état d’esprit :
comme Jean­Luc Coronel, elle es­
time qu’ils ont mené une action in­
dispensable et proportionnée à la
sauvegarde de la faculté. Le tribu­
nal n’a pas compris le caractère im­
périeux de leur action et a craqué
face à la pression de la rue. »
Les étudiants victimes avaient
choisi, au premier jour du procès,
de faire un coup d’éclat en se désis­
tant pour dénoncer une « justice
partiale », responsable d’une en­
quête qui n’avait pas permis de
poursuivre tous les membres du
commando. Le parquet peut déci­
der de retenir l’appel de ceux qui le
demandent ou demander de faire
appel pour tout le monde, y com­
pris pour l’ex­doyen Philippe Pétel,
afin que la nouvelle audience soit
aussi riche que possible. Réponse
dans les dix jours. 
anne devailly
mairie, ce serait bien que je rende
des petits services. »
Dessinant une architecture de la
fraude, les enquêteurs désignent
comme « organisateur du sys­
tème » Richard Omiros, directeur
de cabinet et directeur de campa­
JUSTI CE
Nouvelle condamnation
pour Dieudonné
Le polémiste Dieudonné
M’Bala M’Bala a été
condamné, vendredi 2 juillet,
à quatre mois de prison et à
une amende de 10 000 euros
dans deux affaires distinctes,
déclaré coupable d’« injure
publique » et de « provoca­
tion à la haine ». L’avocat du
polémiste indique que son
client va faire appel des deux
décisions. Dieudonné M’Bala
M’Bala a déjà été récemment
condamné en appel à trois
ans d’emprisonnement, dont
lors de son audition libre : « Je n’ai
pas participé à une réunion où j’ai
donné pour consigne de faire des
procurations illégales. Faire des
procurations oui, mais pas de ma­
nière illégale. » 
luc leroux
deux ferme, pour avoir no­
tamment détourné plus d’un
million d’euros de recettes
de ses spectacles. – (AFP.)
F ÉMI NICI D E
Une femme tuée
à Bordeaux par
son ex-conjoint
Une femme de 30 ans a été
tuée vendredi à Bordeaux
à l’arme blanche par un
ex­conjoint connu pour des
faits de violences conjugales.
Cet homme, né en 1984,
a été interpellé à son domi­
cile de Mérignac, où il s’était
retranché. – (AFP.)
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14 | france
René Frydman :
« Il faudrait
une task force
sur la fertilité »
Le spécialiste de la médecine de
la reproduction analyse le contenu
de la nouvelle loi de bioéthique,
avec ses avancées et ses manques
ENTRETIEN
D
ans son dernier ou­
vrage, Une histoire de
la naissance (Grasset
& Fasquelle et France
Culture, 288 pages, 20 euros),
René Frydman raconte les évolu­
tions de la médecine de la repro­
duction, dont il est un spécialiste
reconnu, avec 70 000 dossiers
d’accouchements passés entre
ses mains en quarante ans de
carrière.
Le désir d’enfant a été au cœur
des débats sur la loi de bioéthi­
que, qui vient d’être votée
définitivement. Quel doit être,
selon vous, le rôle de la méde­
cine pour permettre et enca­
drer la réalisation de ce désir ?
J’ai connu l’époque où les fem­
mes voulaient avoir la possibilité
de maîtriser l’arrivée ou non d’un
enfant. J’ai d’ailleurs participé au
combat en faveur de la contracep­
tion et de l’accès à l’IVG, symboles
pour les femmes de la liberté à
disposer de leur corps. Il faut avoir
en tête que la médecine de la re­
production ne s’est développée
que très récemment, il y a une cin­
quantaine d’années. Jusqu’alors,
nous ne savions même pas com­
ment les femmes ovulaient !
Sur le désir d’enfant, il s’accom­
pagne aujourd’hui de deux no­
tions nouvelles : d’une part, nous
répondons aujourd’hui à des cho­
ses qui étaient impossibles jus­
qu’à présent, grâce à des techni­
ques telles que le don d’ovocytes
et, très récemment, la greffe
d’utérus. D’autre part, sur le plan
sociétal, nous constatons que ce
désir d’enfant est incomparable­
ment plus tardif. J’y vois plusieurs
raisons : la contraception, le
mode de vie, les choix profession­
nels et amoureux. Aujourd’hui,
même dans les fécondations in
vitro (FIV), il y a beaucoup de pri­
ses en charge autour de 37 ans. Un
âge qui a nettement reculé par
rapport aux premiers temps.
De ce point de vue, sur la pré­
vention de l’infertilité,
la révision des lois de bioéthi­
que est­elle un rendez­vous
manqué ?
Le texte évoque la nécessité
d’une campagne d’information
sur l’infertilité, il faudra voir ce
qui est mis en œuvre. Cela fait des
années que je réclame la mise en
place d’une task force, afin de lan­
cer un véritable plan, comme le
plan cancer par exemple, qui réu­
nirait l’ensemble des acteurs
concernés : les médecins et biolo­
gistes de terrain, les associations
« Avec
l’élargissement
de l’auto-
conservation
des ovocytes, il
faudra libéraliser
davantage. Sinon
les femmes vont
continuer à aller
à l’étranger »
de patientes… Mais à ce jour, ce
n’est pas prévu. Et je le déplore.
Car aujourd’hui, les jeunes fem­
mes ne sont pas suffisamment
informées sur ce qui touche à la
fertilité. Il y a clairement un
manque de prévention et d’infor­
mation. La prévention, c’est tout
ce qu’il faut éviter en termes
d’alimentation, de comporte­
ments… et l’information, ce se­
rait d’avertir les jeunes femmes,
autour de 33­35 ans, que leur hor­
loge biologique va être affectée
dans les années à venir, et qu’il
faut qu’elles en soient conscien­
tes. Après, c’est à elles de décider,
soit, par exemple, d’examiner
leur situation ovarienne, soit de
procéder à une autoconservation
de leurs ovocytes.
Selon vous, l’autoconservation
des ovocytes, pour permettre
aux femmes de mettre de côté
leurs gamètes en vue d’une
grossesse ultérieure, que per­
met désormais la loi, répond­
elle à une demande de société ?
Je pense qu’il ne faut pas foncer
bille en tête sur l’autoconserva­
tion. C’est une possibilité, qui ne
marche pas à 100 %, et qui est tou­
jours complexe parce que ce sont
des médicaments à prendre et
une intervention chirurgicale.
Mais ce qui est important, c’est de
savoir que ça existe. Après il faut
décider, à l’aune du fonctionne­
ment ovarien de chaque femme,
s’il y a semi­urgence ou si on peut
attendre encore un peu et voir
comment évolue la vie. Cela né­
cessitera de créer des consulta­
tions pour expliquer et surtout
accompagner les femmes qui fe­
ront cette demande.
En fait, pour l’ouverture de
l’autoconservation comme pour
la PMA, le problème qui va se po­
ser est celui de la mise en œuvre
de la loi. Concernant l’autocon­
servation, le premier facteur li­
mitant, c’est que très peu de cen­
tres disposent de l’autorisation
nécessaire, jusqu’ici limitée à des
raisons médicales, pour en faire.
Demain, avec l’élargissement
pour motif sociétal, il faudra libé­
raliser davantage. Sinon les fem­
mes vont continuer de partir à
l’étranger. Il y a donc deux élé­
ments à prendre en compte : ex­
pliquer que l’autoconservation
n’est pas la panacée, et donc amé­
liorer l’information, et faire en
sorte que ça se passe de façon
fluide en autorisant davantage de
centres à la pratiquer.
Quelles sont vos réserves sur
la mise en œuvre de la loi
concernant la PMA ?
D’une façon générale, nous al­
lons rentrer dans le dur de l’orga­
nisation, avec une pénurie de
dons de gamètes qui se profile,
compte tenu de l’arrivée dans le
processus des femmes seules et
des femmes en couple. A l’heure
actuelle, il faut compter entre un
an et dix­huit mois d’attente
dans les Cecos [Centre d’étude et
de conservation des œufs et du
sperme humains]. Ces délais ris­
quent de s’allonger encore, sauf si
l’on parvient à mener des campa­
gnes d’information efficaces
pour avoir des donneurs et des
donneuses. C’est un enjeu impor­
René Frydman, à Paris, le 1er juillet. LAURA STEVENS POUR « LE MONDE »
tant, d’autant plus que l’évolu­
tion de l’anonymat des donneurs
va vraisemblablement boulever­
ser les choses.
Etes­vous favorable à la levée
de l’anonymat des donneurs ?
Pour prendre une image, je di­
rais que c’est une pièce de théâtre
qui se joue à vingt ans d’inter­
valle. Parmi les acteurs, on a le
couple, aujourd’hui l’homme et la
femme, et demain les couples de
femmes, qui ont recours à un
donneur ou une donneuse. Ce
sont les seuls responsables de le
dire ou pas à leur enfant, per­
sonne d’autre ne doit intervenir.
Le deuxième participant, c’est le
donneur, qui laisse donc son
identité, ce qui est la nouveauté.
Enfin, l’enfant qui, dix­huit, vingt
ou vingt­cinq ans plus tard, une
fois qu’il est informé, pourrait
souhaiter rencontrer le donneur
ou la donneuse. Je trouve que le
donneur devrait donner son ac­
cord, non pas pour que son iden­
tité soit transmise, mais pour ac­
cepter d’être recontacté si la per­
sonne née de son don en fait la de­
mande, et libre à lui alors de
répondre ou pas à cette demande.
Je suis favorable à ce qu’un maxi­
mum de liberté soit laissée à l’en­
semble des acteurs de la pièce.
Que pensez­vous du rejet de la
PMA post­mortem ?
Je trouve cela dommage. J’ai
déjà rencontré ces situations et
honnêtement elles touchent, il
faut bien le reconnaître, très peu
de femmes. On fait donc une his­
toire pour cinq cas par an. Et, pour
ces femmes qui se retrouvent
confrontées à cela, c’est une vraie
blessure. Personnellement, je
trouve que cela devrait pouvoir se
discuter, s’accompagner au cas
par cas. Mais si une femme veuve,
« Il y a des sujets
qui ne sont pas
véritablement
dans la loi,
comme le fait
que les taux de
succès de la FIV
ne sont pas
très bons »
donc seule, a la possibilité de re­
courir à un don de sperme d’un
inconnu, ce que prévoit désor­
mais la loi, c’est dur de lui dire
qu’elle doit renoncer à celui de
son mari, ou à l’embryon déjà créé
avec ses gamètes. C’est très com­
pliqué, rembarrer la possibilité
d’emblée me choque, l’accepter
de manière absolue aussi.
Mais n’est­ce pas difficile
pour des enfants d’être nés
d’un mort ?
C’est vrai, mais c’est aussi être
né d’une relation amoureuse qui
a survécu et c’est une façon de
prolonger cet engagement avec
cette personne.
Les débats sur la PMA ont­ils
occulté d’autres sujets
majeurs ?
Il y a des sujets qui ne sont pas
véritablement dans la loi, comme
le fait que les taux de succès de la
FIV ne sont pas très bons. Certes,
il y a des explications à cela :
comme c’est remboursé par la
Sécurité sociale, on a de nom­
breuses tentatives, et l’âge tardif
des femmes qui y recourent est
aussi une raison. Mais il n’empê­
che que si on regarde les résultats
sur le site de l’Agence de biomé­
decine, on a toujours dix centres
qui sont au top et dix qui sont en
queue de peloton. Est­ce une
question de formation, de condi­
tions de travail, d’enseignement ?
Je trouve que ce point­là n’est pas
pris en compte. Cela pourrait être
l’un des axes de travail d’une fa­
meuse task force sur l’infertilité,
qui examinerait les problèmes
qui ne sont pas forcément d’ordre
législatif, mais pourraient être
améliorés.
Les députés ont aussi aban­
donné le diagnostic préim­
plantatoire des embryons pour
rechercher des anomalies rela­
tives au nombre de chromoso­
mes (aneuploïdie), arguant des
risques d’eugénisme, le regret­
tez­vous ?
Pour rappel, il y a, en France, le
DPI et le DPI­A. J’aimerais juste
dire un mot sur le DPI, qui a été
voté lors de la première loi de
bioéthique, en 1994. Il a fallu at­
tendre cinq ans pour avoir les dé­
crets d’application, en raison
d’une forte opposition politique.
Et finalement, ce n’est qu’en 2000
qu’est né le premier enfant issu
d’un DPI. Le problème du DPI, en
France, c’est que si vous voulez
prendre rendez­vous à Paris, vous
devrez attendre un an et demi, et
que seuls cinq centres au plan na­
tional le pratiquent. Ce qui est to­
talement contre­productif, le suc­
cès d’une FIV étant lié à l’âge. De
plus, avec un DPI, il y a seulement
20 % de succès, du fait du risque
qu’il n’y ait pas d’embryon viable.
Ce sujet n’a pas du tout été abordé
pendant l’examen de la loi.
Venons­en au DPI­A. Il
s’adresse à des gens qui n’ont pas
de traits génétiques particuliers
qui expliqueraient une mauvaise
issue, c’est­à­dire pas de maladie
génétique en cours. Simplement,
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
« Les délais pour
la PMA risquent
de s’allonger
encore, sauf si
l’on parvient
à mener
des campagnes
d’information
efficaces »
on sait que 60 % des embryons
fabriqués ne parviendront pas à
s’implanter, un taux qui monte à
80 % si la femme a 40 ou 41 ans.
L’embryon ne s’implante pas
parce qu’il y a une anomalie de
nombre des chromosomes ou
une anomalie de réarrangement
au niveau des chromosomes qui
fait qu’il n’a pas le potentiel pour
se développer. Cela m’est arrivé
plusieurs fois d’avoir des couples
jeunes, qui fabriquent en plus
beaucoup d’embryons, et la
femme n’est jamais enceinte. Au
bout de plusieurs échecs, je les
envoie à l’étranger et là, on
s’aperçoit que les embryons
n’ont pas les compétences pour
se développer, donc tout ce qui a
été fait l’a été pour rien. Pour
moi, c’est une violence qui est
faite aux femmes et aux couples.
Quand il y a un taux de fausses
couches de ce type, cela ques­
tionne la médecine que l’on pra­
tique, puisqu’on aurait pu éviter
cette situation.
Pourquoi a­t­il été impossible
d’avoir un débat apaisé sur
cette question ?
Tout ceci est, à mon sens, une
question de choix politique. Les
artisans du texte se sont dit que ça
allait déjà être compliqué de faire
passer la PMA, alors ils ont craint
de voir apparaître une opposition
en robe pour le DPI­A !
Pour les adversaires du DPI­A,
l’argument, c’est l’eugénisme. Ils
disent “vous allez permettre aux
parents de choisir le sexe et d’éli­
miner les embryons qui sont por­
teurs de trisomie 21”. Pour moi, on
rejoint là un point­clé qui est celui
de l’information : en ce qui con­
cerne le sexe, un pays comme le
Canada interdit de faire un dia­
gnostic dans ce genre de situa­
tion. Et il n’y a pas, à ma connais­
sance, de dérapage.
Pour la trisomie 21, qui est un
sujet plus délicat, on devrait s’ap­
puyer sur ce qu’on sait du dia­
gnostic anténatal, qui permet
aujourd’hui de détecter les mala­
dies génétiques graves du fœtus
pendant la grossesse, et de de­
mander dès lors une interrup­
tion médicale de grossesse (IMG)
à un comité d’experts. Le bilan de
l’activité est assez intéressant : il
y a à peu près 5 000 demandes
d’avis chaque année. Sur ce total,
500 sont refusées par les comités
d’experts, parce que la raison in­
voquée ne paraît pas suffisam­
ment grave pour aboutir à une
IMG. Mais ce qui est étonnant,
c’est qu’il y a environ 500 deman­
des qui sont acceptées par les
médecins mais qui, finalement,
ne vont pas être réalisées par le
couple, qui préfère continuer la
grossesse malgré tout. C’est pour
moi une preuve forte de la liberté
de choix et du respect que l’on a
vis­à­vis de la volonté des uns et
des autres.
Quand nous avons mis en place
le diagnostic anténatal, il y a eu
des oppositions à n’en plus finir.
Maintenant que nous avons un
fonctionnement français très sa­
tisfaisant dans ce domaine, nous
ne le mettons pas assez en va­
leur. Et pourtant nous pourrions
mettre le même en place pour les
embryons. Mais dès que l’on tou­
che à l’embryon, on pense soit à
la religion, soit à l’eugénisme.
C’est une vigilance qui s’impose
pour l’eugénisme. Mais ce n’est
pas ce dont on parle ici, il s’agit
d’une des formes de libre choix
qui est une des marques de notre
société. 
propos recueillis par
nathalie brafman
et solène cordier
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
Au procès Troadec, le couple
décrypté par les psychiatres
Michel Dubec et Daniel Zagury ont décrit le « délire à deux »
et la « contagion mentale » qui ont mené aux meurtres d’Orvault
nantes ­ envoyée spéciale
D
eux lanternes s’appro­
chent dans le noir. El­
les viennent nous
cueillir là où l’effroi des
jours qui ont précédé nous avait
recroquevillés. On s’accroche à la
lueur, on se déplie, on se laisse gui­
der. Vendredi 2 juillet, devant la
cour d’assises de Loire­Atlantique,
à Nantes, les psychiatres Daniel Za­
gury et Michel Dubec, commis
pour expertiser les deux accusés
Hubert Caouissin et Lydie Troadec,
sont venus éclairer les gouffres.
Ils nomment, et déjà cela fait du
bien. Les quatre meurtres d’Or­
vault perpétrés en février 2017 par
Hubert Caouissin sont le fruit
d’un « délire à deux, d’une conta­
gion mentale ». « La psychiatrie
n’en a jamais connu d’aussi parfait
que celui­là. L’idée de l’un devient
celle de l’autre. Le moi de l’un in­
corpore une partie du moi de
l’autre », relève Michel Dubec.
Pour les deux accusés, les psychia­
tres ont retenu l’altération du dis­
cernement au moment des faits.
Au commencement est l’algo­
rithme d’un site de rencontres
qui, en mars 2006, met en rela­
tion « deux blessés de la vie », Hu­
bert Caouissin, 36 ans, et Lydie
Troadec, 37 ans. Frustrations, soli­
tude et ressentiment social en
sont le ciment. « Il s’appuie sur
elle, elle s’appuie sur lui. Tous deux
se réparent mutuellement. » Elle
doute, ressasse, accumule – « Chez
elle, tout est platitude » –, il la ras­
sure, va au bout de ses idées.
Un enfant naît après une gros­
sesse difficile, un cancer du sein
lui est diagnostiqué dans les mois
suivants, Lydie Troadec redoute
une fois de plus « de ne pas être au
niveau ». Son frère Pascal, fils pré­
féré du père défunt, et son épouse
Brigitte ont déjà deux enfants, en
Féminicide d’Hayange : une « nécessité
absolue de coordonner » police et justice
Un rapport rendu vendredi 2 juillet ne révèle « aucun manquement professionnel »
U n nouveau rapport d’ins­
pection, et toujours la
même question : le fémi­
nicide de Stéphanie D., poignardée
à mort à 22 ans par son compa­
gnon en pleine rue à Hayange (Mo­
selle), dans la nuit du 23 au 24 mai,
aurait­il pu être évité ? Pourquoi le
suspect, connu des services de po­
lice pour des faits de violences
conjugales, avait­il bénéficié d’un
aménagement de peine, de plus
au domicile du couple ? Pourquoi
la justice n’avait­elle aucune
connaissance de la plainte dépo­
sée par Stéphanie D. plus de six
mois avant son assassinat ?
S’il ne pointe aucun « manque­
ment professionnel dans les déci­
sions prises avant le meurtre », le
rapport de la mission conjointe de
l’inspection générale de la justice
et de l’administration insiste ce­
pendant sur « la nécessité absolue
de coordonner l’action des acteurs
locaux ». La mission estime égale­
ment que « la multiplication des
directives respectives des ministè­
res de l’intérieur et de la justice ris­
que de compliquer l’action des ser­
vices locaux en laissant subsister
une ambiguïté dans les comporte­
ments à tenir ». Dans leurs conclu­
sions, les inspecteurs généraux in­
vitent les ministères de Gérald
Darmanin et d’Eric Dupond­Mo­
retti à dialoguer davantage.
« Il s’appuie sur
elle, elle s’appuie
sur lui. Tous deux
se réparent
mutuellement »
MICHEL DUBEC
psychiatre
bonne santé. La rancœur de Lydie
Troadec s’accroît. Hubert Caouis­
sin rencontre pour sa part des dif­
ficultés professionnelles à l’arse­
nal de Brest. Il se sent déclassé
– ses deux frères et sœur sont plus
diplômés que lui – et souffre d’hy­
peracousie, une intolérance au
bruit. « Burn­out » diagnostique le
médecin, qui lui signe un long ar­
rêt de travail. « Préface au délire »,
traduisent les deux experts.
Sur ce terreau fragile, « une étin­
celle tombe comme sur un tonneau
de poudre » : l’hypothèse d’un tré­
sor caché, dont Lydie serait forcé­
ment spoliée. « L’or devient un dé­
lire partagé, conjoncturel. Il vient
en contrepoint de leur situation dif­
ficile tant sur le plan de la santé que
du travail. Ce qui apparaît comme
de la cupidité n’est qu’un élément
du délire. » Peu importe que cette
hypothèse ne repose sur rien, Hu­
bert Caouissin va en traquer les
« indices ». « Il se comporte comme
un enquêteur délirant qui cherche
les preuves de sa conviction. »
Tout donne lieu à interprétation.
« Une folie raisonnante » qui ne
laisse aucune place « au fortuit ».
Un portail fermé par Pascal et Bri­
gitte Troadec devient le signe d’un
« complot ». Un mot banal échangé
entre eux, la preuve d’un « code »
secret. Un chat posé sur les ge­
noux de Lydie, le signe que son
frère et sa belle­sœur, sachant
qu’elle n’est pas immunisée contre
Les violences conjugales au sein
du couple étaient en effet connues
des forces de l’ordre. De jan­
vier 2018 à janvier 2020, le com­
portement du compagnon de Sté­
phanie D. est à l’origine de nom­
breuses interventions policières.
Les comptes rendus de police évo­
quent des « violences verbales »,
une « bousculade », un « jet de
pierre dans le dos », des menaces
d’enlèvement de la petite fille du
couple. Ainsi, le 21 juin 2018, est
noté à 9 h 36 : « La mère nous expli­
que que depuis quelque temps elle a
subi des violences et des menaces.
Son compagnon la menaçait de lui
prendre l’enfant pour l’emmener au
Kosovo et de lui envoyer sa famille
pour lui faire la peau. » Puis, le
27 octobre 2020 : « Elle a peur des
représailles et la peur que son
[mari] lui enlève leur fille. »
« Signaux faibles »
Stéphanie D. avait même déposé
une main courante au poste de po­
lice d’Hayange le 14 janvier 2020
pour des violences verbales puis
une plainte à Thionville (Moselle),
le 3 novembre 2020, pour des me­
naces de mort réitérées et des ap­
pels téléphoniques malveillants.
Une plainte toujours « en attente
de traitement » au moment des
faits, souligne le rapport de la mis­
sion conjointe.
la toxoplasmose, veulent l’empê­
cher d’avoir un autre enfant.
« Il s’est formé une “prise” au sens
d’une mayonnaise qui prend et
dans laquelle il n’est plus possible
de distinguer les éléments qui
la composent, explique Daniel Za­
gury. Hubert Caouissin prend
comme thème l’histoire familiale
de Lydie Troadec, pour la réparer.
Elle ne pouvait que croire au délire
qu’elle avait elle­même inspiré. »
Un « brouillard »
A partir de là, aucun des deux ne
peut arrêter l’autre. « Lydie Troadec
a fourni à Hubert Caouissin les ins­
truments et Hubert a construit une
guerre. » Dans la genèse de la tragé­
die d’Orvault, observe Michel Du­
bec, Lydie Troadec est « une per­
sonnalité seconde. Elle a transmis
un brouillard dans lequel elle est el­
le­même engluée. Il n’y a pas de vo­
lonté manipulatrice. Elle ne finit
pas ses idées, Caouissin va se substi­
tuer à elle pour les amplifier ».
A la mécanique du couple
s’ajoute, selon Michel Dubec, un
troisième personnage : Renée
Troadec, la mère de Lydie et de Pas­
cal. Dans la salle d’audience, le
souvenir est encore vif de l’enre­
gistrement, diffusé la veille, de ce
déjeuner familial organisé chez
Renée Troadec en juillet 2014. De
sa voix à elle qui réclamait « la
moitié de ce qui a été pris » face à la
sidération de Pascal qui ne com­
prenait rien. Puis de l’apparition
en visioconférence de la vieille
dame et de ses réponses glaçantes
aux questions sur les meurtres de
son fils, de sa belle­fille et de ses
deux petits­enfants par le compa­
gnon de sa fille. « Renée Troadec
est une personnalité médisante,
qui a alimenté l’idée du trésor ca­
ché », relève l’expert. Il ajoute :
« Une mère, c’est fait pour rétablir
la paix entre ses enfants. »
Stéphanie D.
avait déposé
une plainte, le
3 novembre 2020,
pour des
menaces de
mort réitérées
Si l’intervenante sociale du com­
missariat de Thionville est bien
entrée en contact avec Stépha­
nie D. après sa plainte, conformé­
ment aux directives adoptées lors
du Grenelle contre les violences
conjugales, le rapport pointe « dif­
férentes causes [qui] n’ont pas per­
mis une bonne perception de la si­
tuation », sans jamais oser le
terme d’« erreur ». « Des signaux
faibles n’ont pas été interprétés »,
comme « l’inclusion des violences
verbales et psychologiques dans le
périmètre des violences conjuga­
les », la plainte a été « jugée non
prioritaire du fait de l’absence de
violences physiques », les effectifs
des différents services sont « ma­
nifestement insuffisants »… Sans
compter le « dysfonctionnement
inexpliqué à ce jour » du bracelet
électronique qui, arraché le soir du
meurtre, n’a déclenché « aucune
alarme au centre de surveillance ».
Les psychiatres s’approchent du
pire. Le massacre d’une famille, en
février 2017. « Hubert Caouissin
s’est convaincu que son fils, en tant
qu’ayant droit du magot, est me­
nacé dans son existence. Il se sent
en état de légitime défense déli­
rante », oppose Daniel Zagury
à ceux qui voient dans ces meur­
tres la décision longuement mûrie
d’un « manipulateur ».
Quant à l’horreur qui a suivi, des
corps découpés, dépecés, brûlés, et
des restes disséminés dont les dé­
tails et les images hantent la cour
et les jurés, le psychiatre lui donne
une double dimension : l’une ra­
tionnelle, qui consiste à faire dis­
paraître les traces de ses crimes.
L’autre, « fantasmatique : faire en
sorte qu’il n’en reste plus rien psy­
chiquement pour lui ». A l’expert,
Hubert Caouissin avait confié : « Je
sais ce qui est arrivé, mais je ne le
sens pas. » A la demande de la pré­
sidente de la cour, Karine Laborde,
les deux psychiatres ont revu les
accusés quelques mois avant
l’ouverture de leur procès. « Son
délire est intact. Il ne voit pas com­
ment il aurait pu faire autrement
que de se rendre à Orvault », ob­
serve Daniel Zagury à propos
d’Hubert Caouissin, qui encourt la
réclusion criminelle à perpétuité.
De Lydie Troadec, poursuivie
pour les seuls délits de « modifica­
tion d’un lieu de crime » et de « re­
cel de cadavres », punissables de
trois ans d’emprisonnement, Mi­
chel Dubec livre une autre ana­
lyse : celle qui a suivi son compa­
gnon « avec une solidarité de
scout », a « repris pied dans la réa­
lité ». Son délire a cessé, « car elle a
été séparée de la personne domi­
nante. Quand une voiture s’arrête,
la remorque qui est derrière s’ar­
rête aussi ». Le verdict est attendu
mercredi 7 ou jeudi 8 juillet. 
pascale robert­diard
Autre point d’achoppement,
l’aménagement de peine octroyé
au suspect. Condamné le 26 no­
vembre 2020 à un an de prison
pour délits routiers, port d’arme
blanche, usage de stupéfiants et
outrage à personne dépositaire
de l’autorité publique, il bénéfi­
ciait d’un aménagement de peine
avec une mesure de détention à
domicile depuis le 12 mai, soit
onze jours avant le meurtre.
Dans le dossier figurait une attes­
tation écrite de sa compagne qui
donnait son accord pour un re­
tour au domicile, sans que per­
sonne au sein de l’institution ju­
diciaire n’ait jamais auditionné la
jeune femme.
« Les services judiciaires mosel­
lans, jamais informés de violences
au sein du couple, n’ont pu mobili­
ser le dispositif de lutte contre les
violences conjugales en vigueur »,
conclut la mission. Quelques jours
après le féminicide, le procureur
de la République de Metz, Chris­
tian Mercuri, avait souligné que
s’il avait été « identifié comme [vio­
lent], le suspect n’aurait pas reçu un
aménagement de peine au domi­
cile conjugal ». Avant de préciser
que la main courante et la plainte
de la jeune femme auraient évi­
demment dû être signalées au par­
quet, « dans un monde idéal ». 
lucie soullier
Nouvelles difficultés
pour les jurys du bac
En Ile­de­France, notamment,
les commissions d’harmonisation ont
connu une série de « couacs » et de reports
L a « simplification » de la
grosse machine qu’est le
baccalauréat est l’une des
justifications de la réforme de
l’examen, qui connaît son bap­
tême du feu. Quelques jours avant
la publication des résultats du pre­
mier tour, mardi 6 juillet, il n’y a
pourtant rien de simple dans le
travail des membres des sous­ju­
rys d’harmonisation et des jurys
de délibération. Ce sont eux qui
épluchent, partout en France, les
livrets scolaires des candidats de
façon à veiller à la cohérence des
résultats. L’exercice, habituel, per­
met par exemple de remonter la
note d’élèves dont le dossier est fa­
vorable. Son enjeu prend un relief
particulier au terme d’une année
scolaire marquée par le Covid­19 et
d’une session du bac aménagée en
raison de la crise sanitaire.
En Ile­de­France, où, selon les es­
timations syndicales, près de 20 %
des 715 000 candidats ont passé
l’examen, les sous­jurys de délibé­
ration, dont la réunion était pré­
vue jeudi 1er juillet avant d’être re­
portée au lendemain, ont appris
vendredi matin que leur travail
était une nouvelle fois décalé…
au lundi 5 juillet. Soit la veille de
la proclamation des premiers ré­
sultats. Le rectorat de Paris a en­
voyé un courriel aux vice­prési­
dents des sous­jurys de délibéra­
tion pour leur demander de re­
layer au plus vite l’information.
« Trop tard », souffle Cédric, profes­
seur de lettres dans l’académie
de Versailles, convoqué à une
heure de transport de son domi­
cile. « J’ai été averti alors que j’arri­
vais sur place. »
« Les proviseurs sont fous fu­
rieux », rapporte Bruno Bob­
kiewicz, porte­parole des chefs
d’établissement du SNPDEN­
UNSA. « Ce nouveau report est l’il­
lustration d’un mode de pilotage
défaillant des examens », fait­on
valoir dans les rangs du SNES­FSU,
majoritaire parmi les enseignants
du secondaire. Le syndicat a dé­
posé un préavis de grève couvrant
la session. En guise d’explication,
le Service interacadémique des
examens et concours (SIEC), qui
organise la passation à Paris, Cré­
teil et Versailles, a fait état, entre
autres, de « retards dans la restitu­
tion de certaines copies ». Au mi­
nistère de l’éducation, on insiste
plutôt sur les difficultés dans
« l’appropriation de nouveaux
outils » liés aux nouvelles épreu­
ves et au remplacement d’une par­
tie d’entre elles par les moyennes
du contrôle continu (voire au
choix de la « meilleure des deux no­
tes » pour la philosophie, dont
l’écrit a été maintenu).
Soucis d’accès aux copies
Toute la semaine, les organisa­
tions représentatives ont fait état
de « couacs » en série. « Convo­
cations tardives, incomplètes, inco­
hérentes ou multiples, logiciels qui
dysfonctionnent, plate­forme inac­
cessible, absence de réponse aux
messages des personnels, ordres et
contre­ordres à foison », énumère­
t­on au SGEN­CFDT. « La litanie des
dysfonctionnements est terrible,
et donne à voir une institution à
bout de souffle », écrit ce syndicat
dans un communiqué diffusé
vendredi, en rappelant par ailleurs
les suppressions de postes interve­
nues au SIEC ces dernières années.
« Des difficultés de connexion
pour l’accès aux réseaux et aux ap­
plications ont touché l’ensemble du
territoire francilien », nous répon­
dait l’organisme francilien, mardi
29 juin. « Avec les bugs de Santorin
[un logiciel d’aide à la correction
décrié par des enseignants], beau­
coup de professeurs ont récupéré
les copies en retard ou ont eu des
soucis d’accès aux copies », expli­
quait alors Sophie Vénétitay, secré­
taire générale du SNES­FSU.
france | 15
« Ce nouveau
report est
l’illustration d’un
mode de pilotage
défaillant des
examens »,
fait-on valoir
dans les rangs
du SNES-FSU
La problématique n’est pas que
technique. Les enseignants appe­
lés à siéger dans ces commissions
évoquent aussi une « difficulté de
fond » : pour cette session hors­
norme de l’examen, les conditions
d’harmonisation ont été revues.
« Le jury peut décider de modi­
fier, à la hausse ou à la baisse, la
note prise en compte à partir de la
moyenne annuelle du candidat,
dans un ou plusieurs enseigne­
ments, notamment dans le cas de
discordances manifestes pour l’en­
semble des candidats d’un même
établissement au regard des ses­
sions précédentes », peut­on lire
dans un texte publié au Bulletin
officiel, le 11 mars. L’idée étant que
les résultats correspondent peu
ou prou à ceux de 2018 et 2019,
avant la crise sanitaire.
« Redressement statistique »
Dans un communiqué du 30 juin,
SUD­Education exprimait sa « si­
dération » des consignes données
aux jurys, à savoir la possibilité
d’ajouter 2,3 points ou de retirer
jusqu’à 2,2 points à un lot pour la
faire correspondre, « au point
près », à la note de référence de
l’établissement. « Une possibilité
sans précédent », rapporte Rachel
(qui a requis l’anonymat), ensei­
gnante à Aubervilliers, que cer­
tains jurys se refusent d’envisager.
Au lycée François­Truffaut de Bon­
doufle (Essonne), plusieurs jurys
ont pris la « décision de n’effectuer
aucune modification des notes de
contrôle continu », indique Jean­
Rémi Girard, président du Snalc.
« Comment effectuer des compa­
raisons avec des matières qui
n’existaient pas ou dont les conte­
nus ont été changés ? », questionne
François Mailloux (SUD­Educa­
tion), qui cite, par exemple, les en­
seignements de NSI (numérique
et sciences informatiques), de géo­
politique et de sciences politiques,
ou encore de mathématiques
complémentaires. « Pour établir
un redressement statistique, on
nous demande de faire du brico­
lage », déplore le syndicaliste.
L’exaspération des personnels dé­
passe l’Ile­de­France. A Lille, une
cinquantaine de professeurs de
philosophie et de lettres s’étaient
rassemblés devant le rectorat,
mardi 29 juin, pour protester.
Cela peut­il avoir une incidence
sur le calendrier ? « On est très in­
quiet parce qu’il y a un risque d’em­
bouteillage avec les jurys départe­
mentaux qui doivent aussi se tenir
lundi, répond Anna (qui a requis
l’anonymat), vice­présidente d’un
centre de délibération dans l’aca­
démie de Versailles. L’important
est d’évaluer correctement les élè­
ves et de prendre le temps pour
chacun des candidats. S’il y a du re­
tard, ce ne sera pas mon souci,
mais celui du ministère… »
Interrogé vendredi par l’AFP lors
d’un déplacement sur le service
national universel (SNU), le mi­
nistre Jean­Michel Blanquer a as­
suré que « les jurys ont lieu actuel­
lement, il y a eu parfois des problè­
mes d’organisation en Ile­de­
France », mais « dans le reste du
pays, ça s’est bien passé ». Selon
lui, « les résultats seront au rendez­
vous mardi ». 
mattea battaglia
et yassine bnou marzouk
 SPORTS
0123
16 | DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021

Le coup de théâtre du Morvan

L’étape­marathon de vendredi a modifié la physionomie d’une Grande Boucle que l’on pensait déjà figée

le creusot (saône­et­loire) ­ core promise, accuse un retard de

envoyés spéciaux 3 minutes 43 au général : « Je sais
que van Aert monte très bien et

L
a septième étape du Tour Van der Poel aussi, donc il ne faut
de France, qui s’est tenue pas leur laisser dix minutes, c’est
vendredi 2 juillet entre dangereux… », confiait­il à l’issue
Vierzon (Cher) et Le Creu­ de l’étape.
sot (Saône­et­Loire), était la plus
longue de ces vingt et une derniè­ Culot et sens du placement
res années. Surtout, ces quelque A la vérité, peu avaient imaginé
250 kilomètres sur les superbes que cette septième étape pouvait
routes du Nivernais et du Morvan, modifier un paysage que la vic­
au revêtement râpeux comme la toire du tenant du titre dans le
langue d’un chat, a livré une nou­ contre­la­montre avait pourtant Lors de la
velle lecture de la course une se­ quasiment gelé tant sa maîtrise septième
maine après son grand départ. fut ébouriffante de puissance étape du
L’étape du jour a été remportée (51 km/h de moyenne sur 27,2 ki­ Tour, entre
en solitaire par le Slovène Matej lomètres). Vierzon et
Mohoric (Bahrain Victorious), C’était compter sans le culot, le Le Creusot,
champion du monde espoir sur coup de pédale, le sens du place­ le 2 juillet.
route : un coureur assez mé­ ment, voire la rage d’un homme DANIEL COLE/AP
connu, mais définitivement dans qui avait en tête de tout faire ex­
la lumière. Le Néerlandais Ma­ ploser : Wout van Aert. Le maillot
thieu Van der Poel (Alpecin­Fenix) jaune, « VDP », dont les procédés
conserve le maillot jaune. « Je ne en selle sont aussi délicats que
suis pas là pour le classement gé­ ceux du Belge de la Jumbo­Visma,
néral, c’est assez clair, mais je vais s’y est immédiatement associé.
essayer de garder le maillot encore Il faut dire que les deux hom­
un jour », a réagi l’intéressé après mes, forts de leur culture com­
l’arrivée. mune du cyclo­cross, peuvent se
Le Slovène Tadej Pogacar (UAE soumettre mutuellement au mar­
Emirates) franchit la ligne vingt­ tyre – ils le font depuis l’âge de
sixième, ce vendredi, à 5 minu­ 12 ans –, avec la conséquence d’éti­
tes 15 de Matej Mohoric. Tandis rer par à­coups le groupe des
que le Belge Wout van Aert, arrivé échappés comme un élastique.
huitième, se profile comme le Jusqu’à la rupture. Avec une
nouveau leader de la Jumbo­ moyenne sur la première heure de d’arrivée, et avec le résultat at­ une épreuve de cyclo­cross sous diers doit­elle être pour autant en­
Visma, en l’absence de Primoz Ro­ 51,6 km/h. Le Tour cherchait une tendu : une démolition du pelo­
Le peloton l’impulsion des nouvelles coque­ terrée ? Hilaire Van der Schueren,
glic (plus « momie » que jamais), paire d’artificiers. C’est chose faite. ton qui a fini l’étape en pièces dé­ a fini l’étape en luches de la route –, la physiono­ directeur sportif de l’équipe belge
piégé tout comme son compa­ « J’avais deux coureurs proches de tachées. Les derniers coureurs mie des deux prochaines semai­ Intermarché­Wanty Gobert (qui,
triote dans la cassure du début moi au classement, c’était eux pointant à plus de 23 minutes.
pièces détachées, nes pourrait en être modifiée. l’hiver, retrouve son élevage de bo­
d’étape, qui a rebattu les cartes [Wout van Aert et le Danois Kas­ A Château­Chinon, au kilomè­ les derniers Ineos­Grenadiers, équipe impé­ vins) et expert en coureurs, achète
avant les deux étapes alpines de per Asgreen, de la Deceuninck­ tre 161, le groupe « van Aert­Van riale qui a enlevé sept des dix der­ à la baisse : « On n’en parle pas. Il se
samedi et de dimanche. Quick Step] que je devais tenir à der Poel », constitué de vingt­neuf
pointant à plus nières éditions de la Grande Bou­ fait discret. Mais je verrais bien
Tadej Pogacar, vainqueur l’œil. Je suis vraiment allé à la limite coureurs – outre Kasper Asgreen, de 23 minutes cle (Bradley Wiggins en 2012, Chris Porte. C’est un pari, mais, s’il a la
en 2020, l’a reconnu : « On a fait pour garder ce maillot », expliquait Vincenzo Nibali (Trek­Segafredo), Froome en 2013, 2015, 2016 et 2017, forme qu’il a eue dans le Dauphiné,
une erreur. Dans le peloton, on le Néerlandais ce vendredi soir. Mark Cavendish (Deceuninck­ Geraint Thomas en 2018, Egan alors pourquoi pas ? Pour le mo­
nous disait que c’était à nous de Tirer des bouts tout droits à tour Quick Step), Simon Yates (BikeEx­ d’épée dans l’eau : il sera repris par Bernal en 2019), se trouve­t­elle ment, Pogacar est une machine,
travailler parce que je suis le plus de rôle, se rendre coup pour coup, change), Philippe Gilbert (Lotto­ le peloton dix kilomètres avant déjà acculée ? mais elle peut se gripper. »
fort… Mais je ne suis pas toujours le Van der Poel et van Aert le font de­ Soudal), Brent Van Moer (Lotto­ l’arrivée. La formation britannique, qui Des propos recueillis juste avant
plus fort. » Le jeune Slovène, à qui puis l’enfance avec une sorte de fé­ Soudal) et le jeune breton Franck Julian Alaphilippe est à mettre était la plus en forme de la saison, l’étape du Creusot. Tout comme
la victoire finale semblait hier en­ licité masochiste. Jusqu’à la ligne Bonnamour (B & B Hotels­KTM) –, au rang des perdants du jour : le a débuté ce Tour avec le statut de ceux du coureur Belge Greg Van
possédait plus de sept minutes champion du monde était bien meilleure équipe au monde au Avermaet (AG2R­Citroën) : « Le
d’avance sur le peloton dans le­ dans l’échappée, mais il a cédé de­ classement de l’Union cycliste in­ Tour est joué uniquement quand il
Primoz Roglic, le grand perdant quel on retrouve notamment les
perdants du jour : Tadej Pogacar et
vant la terrible cadence imposée
par le duo van Aert­Van der Poel.
ternationale. Et elle faisait figure
d’épouvantail avec ses quatre cou­
est fini. On l’a bien vu l’an dernier…
Il y a un autre contre­la­montre,
Dauphin de Tadej Pogacar (UAE Emirates) en 2020, il était le son équipe UAE Emirates. Cette Sur les deux premières heures, ces reurs « protégés ». D’autant que tout peut encore se jouer. Surtout,
grand favori d’un 108e Tour de France que l’on annonçait comme dernière avait bien tenté de faire derniers ont en effet roulé à deux d’entre eux, l’Australien Ri­ là, comme tous les favoris sont dis­
celui de sa revanche. Mais le Slovène Primoz Roglic, leader de la rouler l’Américain Brandon Mc­ 49 km/h de moyenne, sans comp­ chie Porte et l’Equatorien Richard tancés, les choses vont s’ouvrir. Il va
Jumbo-Visma, a été lâché, vendredi 2 juillet, dans les vingt Nulty et le Suisse Mark Hirschi, ter les cinq difficultés en fin de Carapaz, s’étaient respectivement y avoir beaucoup plus d’attaques,
derniers kilomètres avant Le Creusot (Saône-et-Loire), perdant mais, toujours très amoindris par parcours. adjugé début juin le Critérium du notamment des Ineos et de la
plus de trois minutes sur les autres candidats à la victoire finale. les chutes des premiers jours, les Un directeur sportif pronosti­ Dauphiné et le Tour de Suisse, Jumbo, et c’est dur aujourd’hui de
Le trentenaire peine à se remettre de sa chute lors de la troi- deux rouleurs échouèrent. quait, lors de la reconnaissance de deux courses réputées pour être dire si les coéquipiers de Pogacar
sième étape entre Lorient et Pontivy (Morbihan), lundi. Vendredi Comme les Ineos­Grenadiers, l’étape il y a un mois, qu’elle serait les antichambres du Tour. sont suffisamment solides pour le
soir, il était 33e du classement général provisoire, à 9 minutes 11 presque absents ce vendredi, où « un véritable chantier ». On ne Affaiblie par les chutes de l’An­ défendre. » Visiblement Van Aver­
du maillot jaune Mathieu Van der Poel et à près de six minutes seul l’Equatorien Richard Carapaz, peut mieux la décrire. Après son glais Tao Geoghegan Hart et du maet a eu le nez creux. 
de Tadej Pogacar… Bien loin de lever les bras, en jaune, sur les un moment intercalé, a semblé déroulement, qui a pris un tour to­ Gallois Geraint Thomas, lors des aude lasjaunias
Champs-Elysées, le 18 juillet. avoir un peu de jambes. Un coup talement « flandrien » – comme premières étapes, Ineos­Grena­ et jean­louis le touzet

Les pieds sur la Grande Boucle, la tête aux JO de Tokyo

Le 24 juillet, six jours seulement après l’arrivée à Paris, nombre de coureurs du Tour s’aligneront sur l’épreuve olympique de course en ligne

le creusot (saône­et­loire) ­ t­il expliqué aux journalistes. Mais 24 juillet, sur l’épreuve de course qu’il soit à 100 % sur la Vuelta et maintenue, les organisateurs de­ je ne peux pas me dire que ce n’est
envoyée spéciale ça serait sympa de finir mon pre­ en ligne, longue de 230 kilomètres, c’était incompatible avec les Jeux, mandant seulement à l’ensemble qu’une préparation », avançait, en
mier Tour de France. » de l’ouest de l’agglomération to­ détaillait ainsi l’Alsacien en marge des athlètes de limiter leurs dépla­ revanche, le Belge Greg Van Aver­

L e Tour a démarré depuis

une semaine et, ce vendredi
2 juillet, à l’arrivée de la sep­
tième étape au Creusot (Saône­et­
Loire), non seulement Mathieu
Van der Poel (Alpecin­Fenix) est
toujours dans le peloton, mais il
est aussi toujours en jaune.
Le grand départ n’avait pas en­
core été donné à Brest que le pro­
dige néerlandais devait lever les
doutes en conférence de presse :
envisage­t­il de quitter prématuré­
ment la Grande Boucle ? Car la par­
ticipation du petit­fils de Ray­
mond Poulidor est l’un des événe­
ments de cette édition et il aurait
été dommage qu’elle se termine
prématurément. Surtout, si VDP a
dû maintes fois rassurer sur ses in­
tentions, c’est que cette année,
comme nombre de ses camarades
du peloton, il a déjà un œil rivé sur
le Japon. « Dans la perspective des
Jeux olympiques, je ne sais pas
combien d’étapes je vais disputer, a­
Le cycliste de 26 ans vise une mé­
daille d’or en VTT aux JO de Tokyo,
qui s’ouvrent le 23 juillet. Soit cinq
jours après l’arrivée du Tour de
France sur les Champs­Elysées. Et
cette échéance reste, de son pro­
pre aveu, « son objectif principal »
de l’année. Au point d’ailleurs que
le descendant de « Poupou »
aurait, un temps, envisagé de sé­
cher la Grande Boucle… avant de se
faire recadrer par sa formation. « Je
comprends très bien les intérêts
commerciaux de nos sponsors et
c’est l’équipe qui paie mon salaire à
la fin du mois. Il faut savoir mettre
de temps en temps de l’eau dans
son vin, avait­il justifié, début fé­
vrier 2021, auprès du magazine
néerlandais Wieler Revue. Et ce
n’est bien sûr pas une punition de
devoir participer au Tour. »
« VDP » n’est pas le seul à être
confronté à ce dilemme. Nombre
de coureurs qui ont pris le grand
départ le 26 juin s’aligneront, le
kyoïte aux contreforts du mont
Fuji. C’est notamment le cas de
son « meilleur ennemi », Wout
van Aert, dont la formation Jum­
bo­Visma espère remporter cette
édition du Tour, un an après la dé­
faite de son leader, le Slovène Pri­
moz Roglic, à la veille de l’arrivée.
« Pour moi, les deux compétitions
[le Tour de France et les JO] sont au
même niveau. Mais, pour l’équipe,
je pense que le Tour est plus impor­
tant », expliquait­il au Monde, mi­
juin, en marge d’un stage de pré­
paration à Tignes (Savoie). Le déca­
lage entre les objectifs des forma­
tions et les souhaits des coureurs,
le sélectionneur de la délégation
française, Thomas Voeckler, en a
fait les frais avec la défection de
Romain Bardet (Team DSM), at­
tendu sur le Tour d’Espagne, du
14 août au 5 septembre 2021. « Il
voulait être avec l’équipe de France
olympique, et je voulais également
qu’il y soit. Son équipe souhaitait
des championnats de France à Epi­
nal (Vosges), fin juin. Je respecte, ce
sont les employeurs qui décident.
J’ai compris leur position ferme.
J’aurais peut­être fait pareil. Même
si, pendant deux ou trois heures, ça
m’a fait chier. »
Ambitions à la baisse
Jusqu’à peu, plusieurs coureurs
craignaient, par ailleurs, de devoir
faire un choix entre les épreuves,
en raison des restrictions sanitai­
res mises en place par les autorités
japonaises. D’autant plus que le
parcours olympique profitera sur­
tout – du moins sur le papier – aux
bons grimpeurs, tandis que le
tracé du Tour de France, plus clas­
sique que lors des précédentes édi­
tions, compte, lui, deux contre­la­
montre qui compliquent leurs
chances de briller au général.
Mais la quarantaine précédem­
ment évoquée par les autorités
nippones n’a finalement pas été
cements au minimum tout au
long de l’événement – compren­
dre, ceux entre leur lieu de vie, que
ce soit le village olympique ou un
autre hébergement, et le lieu des
compétitions ou les installations
d’entraînement. Avec Tokyo en li­
gne de mire, certains coureurs ont
déjà décidé de lever le pied sur la
Grande Boucle et de revoir à la
baisse leurs ambitions. « Trois se­
maines de Tour à fond, c’est trop
énergivore avec cette échéance
[olympique] », fait valoir le Fran­
çais Guillaume Martin (Cofidis).
« Mon grand rendez­vous est au
Japon, fin juillet », rappelait le
Suisse Stefan Küng (Groupama­
FDJ), après sa deuxième place au
contre­la­montre entre Changé et
Laval, jeudi 1er juillet, derrière le
Slovène Tadej Pogacar (UAE Emira­
tes). « Je veux faire de mon mieux
ici, être à 100 % sur les étapes qui
me correspondent. Le Tour reste
une course tellement importante,
maet (AG2R­Citroën), champion
olympique en titre, vendredi, au
lendemain de sa longue échappée
lors de la sixième étape entre
Tours et Châteauroux.
Les slovènes Primoz Roglic et Ta­
dej Pogacar n’ont pas caché leur
appétit japonais : le duo sera pré­
sent sur la course en ligne, tandis
que Roglic défendra également les
couleurs de son pays dans le con­
tre­la­montre. « Mon souhait, c’est
de m’aligner sur le Tour et les Jeux
olympiques et de les faire à 100 %,
du moins à mon maximum, con­
fiait au Monde le premier. Je suis
quelqu’un qui vit dans l’instant.
Chaque chose en son temps. Ce
n’est qu’après le Tour que je me pen­
cherai sur les défis qui m’attendent
à Tokyo. » Affaibli par une chute
lors de la troisième étape dans le
Morbihan, il voit ses chances de
maillot jaune disparaître… Va­t­il
commencer à lorgner vers l’est ? 
au. l.

0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
Evénementiel : 
pour la reprise, 
rendez­vous 
à la rentrée
L’été sera encore difficile pour
une filière quasi à l’arrêt depuis le
début de la pandémie. De nombreux
intérimaires ont quitté le secteur
P
remiers à terre, derniers
à se relever ? Le secteur
de l’événementiel, qui
s’était effondré en quel­
ques jours à la survenue de la crise
sanitaire en mars 2020, sera cer­
tainement l’un des derniers à
monter dans le train de la reprise
économique. Un coup dur pour
une filière qui revendiquait avant
la crise 41 000 salariés et dix fois
plus d’emplois indirects, selon
l’Union française des métiers de
l’événement (Unimev). Depuis
l’irruption du Covid­19, 18,1 % des
postes ont été détruits, d’après
une enquête menée auprès
1 100 entreprises adhérentes.
Après une année catastrophi­
que pour le secteur, qui dans le
monde d’avant la pandémie orga­
nisait 1 200 salons et foires,
2 800 congrès et 380 000 événe­
ments d’entreprise et d’institu­
tion par an, la filière essaie tant
bien que mal de se relever, malgré
de nombreuses incertitudes.
Confusion pour les traiteurs
« Si reprise il y a, ça sera à la ren­
trée », estime Julie Failler, diri­
geante d’Oscar, une société nan­
taise de billetterie et de badges.
« L’été, c’est la période de la culture,
pas de l’événementiel. » Si la levée
progressive des mesures sanitai­
res aura permis à certains événe­
ments de se dérouler au mois de
juin, avec notamment la tenue en
format hybride (en présentiel et
sur Internet) du salon Viva Tech­
nology (VivaTech), seuls « environ
15 % des événements qui se font
habituellement en juin ont pu
avoir lieu », selon Xavier Albizzati,
Natacha Polony, martingale anti­CNews de BFM­TV
Avec la directrice de l’hebdomadaire « Marianne », la chaîne d’information en continu espère bien retrouver sa place de leader incontestée
N e leur dites surtout pas
qu’ils lancent l’offensive
contre CNews, ils pour­
raient prendre la mouche. Et
pourtant, en modifiant la pro­
grammation du début de soirée à
partir de la rentrée prochaine,
Marc­Olivier Fogiel, qui fête ses
deux ans à la tête de BFM­TV, et
Hervé Béroud, le directeur de l’in­
formation d’Altice Media, qui
coiffe aussi RMC, BFM Business et
les chaînes locales, réajustent le
tir face à la chaîne d’information
conservatrice dont les audiences
n’ont cessé de progresser tout au
long de la saison.
« Nous devons remonter
l’audience sur ces quatre fois deux
heures (entre 19 et 21 heures) où, du
lundi au jeudi, nous ne sommes
pas premiers », admet M. Béroud.
Sur ce créneau, BFM­TV attire en
moyenne 320 000 téléspecta­
teurs, soit moitié moins que
CNews. Portée par l’enchaîne­
ment de « Face à l’info », avec Eric
gérant d’EDDP. Ce spécialiste des
décors et mobiliers, qui a perdu
70 % de son activité depuis quinze
mois, mise sur septembre, octo­
bre et novembre pour se refaire
une santé.
Car si ces deux entreprises re­
commencent à recevoir des de­
mandes de devis, notamment
pour des gros congrès, « pour l’ins­
tant tout le monde reste très pru­
dent ». Quant aux conventions et
séminaires, « ils ne devraient pas
reprendre avant novembre », es­
time M. Albizzati.
Et encore, tout est suspendu à
l’arrivée « de nouveaux variants,
et de la météo changeante à cette
période, ce qui nous empêcherait
de programmer des grands événe­
ments dehors si les restrictions sa­
nitaires sont à nouveau impo­
sées », avance Mme Failler. Depuis
le 1er juillet, le passe sanitaire est
exigé pour tout événement ras­
semblant au même moment
800 visiteurs en intérieur ou
1 000 en intérieur, exposants non
compris. Les « mange­debout »
(cocktails ou petite restauration),
auparavant interdits, sont désor­
mais autorisés en extérieur. Le
gouvernement ne s’est toutefois
pas encore prononcé quant à leur
tenue en intérieur, entraînant la
confusion pour les traiteurs :
« Certaines personnes parlent de la
crise au passé, mais nous, on en
parle encore au présent. »
Les géants français du secteur
n’ont pas été épargnés. Le nu­
méro un, Comexposium, devrait
sortir d’un an de procédure de
sauvegarde − ce dispositif permet
de geler les créances de l’entre­
« Dans l’optique
de l’élection
présidentielle,
nous voulions
des incarnations
fortes »
HERVÉ BÉROUD
directeur de l’information
d’Altice Media
Zemmour, puis de « L’Heure des
pros 2 » de Pascal Praud, la chaîne
concurrente séduit chaque soir
620 000 personnes.
Pour organiser la riposte, M. Fo­
giel a d’abord fait le choix du clas­
sicisme en recrutant Yves Calvi,
dont le rendez­vous « L’Info du
vrai », chaque jour à 19 heures sur
Canal+, faisait pourtant un flop.
« Les gens existent par eux­mêmes.
C’est le Calvi de RTL [où il anime la
matinale] que je suis allé chercher,
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
prise − en septembre 2021, pé­
riode à laquelle l’organisateur, no­
tamment, du Salon de l’agricul­
ture et de la Foire de Paris espère
le vrai redémarrage du secteur.
En 2020, son chiffre d’affaires a
plongé de 75 % et le groupe a sup­
primé un quart de ses effectifs
dans l’Hexagone.
Reconversion
La situation n’est guère plus relui­
sante du côté de GL Events, l’autre
champion de l’événementiel, en
perte en 2020 pour « la première
fois de son histoire » (­ 77 millions
d’euros). En dépit des aides de
l’Etat et des collectivités locales
− le Centre de Congrès de Lyon a
par exemple accordé une ris­
tourne de 782 000 euros sur les
loyers − les licenciements se sont
multipliés dans plusieurs villes.
Dénonçant « un plan social dé­
guisé », la CFDT reproche au
groupe de morceler les départs
pour rester « en dessous du seuil
impliquant la mise en œuvre d’un
plan de sauvegarde de l’emploi
(PSE) ». « C’est scandaleux. Non
seulement, l’Etat soutient l’entre­
prise avec un PGE [le groupe a bé­
néficié de prêts garantis par l’Etat
de 249 millions d’euros], et prati­
quement tous les salariés étaient
en activité partielle, donc le groupe
pas celui de Canal+ », défend le di­
recteur de BFM­TV. Fidèle à son
style pédagogique, l’ancien pré­
sentateur de « C dans l’air »
(France 5) reviendra sur l’actualité
du jour avec des invités, avant de
laisser la place à une heure plus
polémique : une émission conçue
autour de Natacha Polony, la di­
rectrice de la rédaction de l’heb­
domadaire Marianne. Car c’est
bien la journaliste aux idées poli­
tiques tranchées et à la ligne sou­
verainiste, fidèle de l’émission
« Face à Duhamel », qui sera la star
de ce rendez­vous de 20 heures à
21 heures. Sa mission, commenter
et analyser l’actualité, n’a rien de
surprenant, mais « elle aura cha­
que jour des contradicteurs », in­
siste M. Fogiel.
Au coude-à-coude
S’il se défend d’avoir décliné
« Face à l’info » à la sauce BFM­TV,
le choix d’une émission autour
d’une personnalité engagée (dont
« L’entreprise
profite de la crise
pour nous jeter
comme
des malpropres »
DIDIER DAROQUE
salarié licencié de GL Events
ne sortait presque aucun salaire à
Reims », dénonce Paul Corré, se­
crétaire général CFDT Champa­
gne­Ardenne. « Je suis attristé, le
gouvernement fait tout pour pro­
téger les salariés, et l’entreprise
profite de la crise pour nous jeter
comme des malpropres », raconte
Didier Daroque, un des six sala­
riés licenciés pour motif écono­
mique à Reims, après avoir refusé
une rupture conventionnelle. Au
total, 12 % des effectifs français
− soit 364 personnes − ont quitté
GL Events en 2020. Au niveau
mondial, 866 postes ont été sup­
primés (15 %).
Reconversion en menuiserie,
jardinage, électricité… les intéri­
maires, rouages essentiels au sec­
teur, sont nombreux à avoir jeté
l’éponge faute de perspectives. « Ils
ne reviendront pas », affirme Andy
Leblanc, président de l’Organisa­
le nom inclura son patronyme)
rappelle pourtant furieusement
le programme­phare de CNews
autour de l’éditorialiste du Figaro.
« Dans l’optique de l’élection prési­
dentielle, nous voulions deux in­
carnations fortes », résume M. Bé­
roud. Yves Calvi et Natacha Po­
lony doivent séduire le public en
nombre, mais aussi le faire rester
le plus longtemps possible devant
BFM­TV, gage d’une meilleure
part de marché.
Car, en raison de ces débuts de
soirée stratégiques qui voient
CNews caracoler en tête, BFM­TV
s’est fait voler sa place de chaîne
d’info leader durant cinq jours ces
dernières semaines. « En juin,
nous avons de nouveau creusé
l’écart, qui était de 0,7 point avec
CNews, contre 0,4 point en mai,
défend M. Béroud. L’irruption de
CNews, ex­i­Télé, a arrêté la pro­
gression de LCI, pas celle de BFM. »
Il n’empêche, les jours où les
deux chaînes sont au coude­à­
tion du personnel de la restaura­
tion dans l’événementiel (OPRE),
une association regroupant les
maîtres d’hôtel et les chefs de cui­
sine en « extra » de l’événementiel.
Selon une enquête menée par
l’OPRE auprès d’un millier d’« ex­
tras », au moins 70 % seraient en
cours de reconversion, ou déjà re­
convertis. « Et ceux qui restent,
comment vont­ils faire pour survi­
vre aux mois de juillet et août ? Se­
ront­ils encore là à la rentrée ? »,
s’interroge M. Leblanc. Pour Yves
(il n’a pas souhaité donner son
nom), un intérimaire de la restau­
ration événementielle de 45 ans, la
situation n’est plus tenable : « Je
suis en train de passer des entre­
tiens pour trouver un emploi fixe. Je
ne peux pas attendre plus long­
temps, j’ai dû déposer un dossier de
surendettement, et j’ai reçu un avis
de procédure d’expulsion. »
Selon Ahcene, membre du col­
lectif des précaires de l’hôtellerie­
restauration et de l’événementiel,
les perspectives pour les « extras »
n’étant « pas du tout reluisantes »,
de plus en plus quittent le secteur.
« C’est malheureux car c’est une
vraie perte de compétences, qui
va entraîner un manque de
main­d’œuvre qualifiée, si reprise
il y a », regrette Ahcene. 
margot vermeylen
coude, l’une à 2,9 % de part
d’audience sur le public de 4 ans
et plus et l’autre à 2,7 % ou 2,8 %,
ne sont pas si rares. De quoi susci­
ter quelques interrogations au
sein de la rédaction de BFM­TV,
qui vient en outre de voir partir
pour LCI les journalistes Thomas
Misrachi et Stefan Etcheverry,
tandis que le directeur adjoint de
la rédaction, Frank Moulin, a an­
noncé son départ pour prendre la
tête de la rédaction de RTL.
Mais ni Marc­Olivier Fogiel ni
Hervé Béroud ne souhaitent prê­
ter attention aux Cassandre, et à
ceux qui, en interne, s’interro­
gent sur une ligne éditoriale qui
leur semble trop lisse. « BFM­TV
reste la chaîne de l’événement et
du direct, mais aussi celle qui
compte le plus de journalistes
[plus de 200] et qui réalise le plus
de reportages », rétorque M. Bé­
roud, pour qui la mission pre­
mière de la chaîne détenue par
Patrick Drahi est de « rendre ser­
| 17
LES CHIFFRES
16,8
C’est, en milliards d’euros,
la perte de retombées
économiques des entreprises
événementielles en 2020
selon l’Unimev.
76,8
C’était, en millions, le nombre
de participants aux salons, foires
et autres congrès avant la crise
liée au Covid-19.
18,1 %
C’est la part des emplois détruits
dans le secteur depuis le début
de la crise liée au Covid-19,
selon une enquête réalisée
par l’Unimev.
vice aux téléspectateurs ». Cette
mission s’accompagne d’un désir
d’apporter « une info vérifiée, la­
bellisée, validée ». Dans cette opti­
que, une émission présentée cha­
que samedi à 13 heures par Jean­
Baptiste Boursier prétendra dé­
mêler le vrai du faux de la
campagne électorale.
A entendre les deux dirigeants,
les 13 millions de téléspectateurs
(en audience cumulée) par jour,
contre 8,5 millions pour CNews et
5,6 pour LCI (meilleure saison de­
puis la création de la chaîne), suf­
fisent à leur bonheur. Même sa­
tisfaction du côté de l’âge des té­
léspectateurs : quand BFM­TV at­
tire 3,3 % des 25­49 ans (au cours
de la semaine du 21 juin), ils ne
sont que 1,2 % sur CNews et 0,4 %
sur LCI. Dans ce contexte, et alors
que les incartades de CNews atti­
rent les regards, BFM­TV compte
capitaliser sur sa respectabilité. 
sandrine cassini
et aude dassonville

18 | économie & entreprise
Vers une cession
en douceur
pour Ascoval
et Hayange
La reprise des sites sidérurgiques
devrait se faire sans casse sociale
metz ­ correspondant
A
près des semaines
d’incertitude sur le de­
venir de l’aciérie Asco­
val de Saint­Saulve
(Nord) et de l’usine Liberty Rail
d’Hayange (Moselle) détenues par
la société Liberty Steel, du groupe
GFG Alliance, en grande difficulté
financière, une série de commu­
niqués publiés jeudi 1er juillet et
vendredi 2 juillet ont enfin ras­
suré les salariés. Sans connaître
encore avec certitude le nom du
repreneur, ils savent désormais
que leurs entreprises ont toutes
les chances d’être transférées au
futur propriétaire dans le cadre
d’une procédure amiable, sans
casse sociale ni interruption de
l’activité. Echappant ainsi à la
faillite, et à la procédure collective.
Vendredi, le soulagement do­
minait chez les 270 salariés d’As­
coval comme chez les 450 de Li­
berty Rail Hayange. « Cela fait
trois mois qu’on ne savait pas à
quoi s’attendre. Cette procédure
était la meilleure option », confie
sur
Nacim Bardi, délégué syndical
CGT à Saint­Saulve. Jeudi soir,
Bercy a en effet annoncé que le
groupe sidérurgique allemand
Saarstahl avait trouvé un « accord
de principe » avec Liberty Steel
France (LSF) pour l’acquisition
des deux sites. Saarstahl a con­
firmé vendredi, mais pas Liberty.
« Nous avons identifié deux ache­
teurs crédibles, ArcelorMittal et
Saarstahl », a répondu au Monde
un porte­parole. Un jeu de dupes
pour qu’ArcelorMittal améliore
son offre, indique une source
proche du dossier, confirmant
que l’accord de principe avec
Saarstahl a « de très fortes chan­
ces » de se concrétiser.
La vente devrait aboutir dans les
prochaines semaines, moins d’un
an après la reprise des deux sites
par Liberty Steel, en août 2020 à la
barre du tribunal à l’issue d’un in­
terminable feuilleton industriel.
Le couplage d’Ascoval – qui
transforme la matière première
en produit semi­fini – et de l’usine
France Rail Industry d’Hayange –
qui transforme les produits finis
Un rendez-vous mensuel de débats et
d’échanges sur les grandes mutations
économiques.
Retrouvez le compte rendu
de la séance en ligne
du 1er juillet sur le thème
« Après la pandémie, comment
va la France ? »
avec :
JEAN VIARD,
sociologue, écrivain, éditeur
BRICE TEINTURIER,
politologue, directeur général
délégué d’Ipsos
NICOLAS BOUZOU,
économiste et fondateur
du cabinet Asterès
lemonde.fr/le-club-de-l-economie
en rails longue section, vendus à
la SNCF – a été poussé par Bercy et
le médiateur judiciaire, Marc Sé­
néchal, pour créer une filière
d’acier autonome. Depuis, Asco­
val a changé son procédé de cou­
lée pour produire des blooms (des
barres d’acier carrées), Hayange
devenant son principal client.
L’aciérie en difficulté a vu se rem­
plir les carnets de commande.
« Ascoval avait la capacité de pro­
duire de l’acier, mais peu de clients.
Nous, nous avions des clients, mais
pas d’acier. Nous avons su trouver
un partenariat intéressant », ré­
sume Gérard Glas, président de Li­
berty Rail Hayange.
Conciliation
Malgré cet essor, la cession des
deux sites était apparue inélucta­
ble depuis la faillite en mars du
principal partenaire financier de
GFG Alliance, Greensill. Elle a mis
en lumière ce que beaucoup devi­
naient : la grande fragilité finan­
cière de cet empire bâti en quel­
ques années, à coup d’acquisi­
tions, par l’Indo­Britannique San­
jeev Gupta. Le tout dans une
grande opacité.
En France, où le groupe compte
quelque 2 000 salariés, les usines
les plus fragiles ont vacillé les pre­
mières. D’abord, trois fonderies
automobiles, dans l’Indre et la
Vienne, placées en redressement
judiciaire dès avril. Ensuite Asco­
val, qui reste déficitaire. Dès la mi­
mars, le ministre de l’économie,
des finances et de la relance,
Bruno Le Maire, débloquait un
« Cette procédure
était la meilleure
option pour nous »
NACIM BARDI
délégué syndical
prêt de 20 millions d’euros. L’Etat
exigeait de GFG Alliance qu’il
mette aussi 20 millions d’euros.
L’argent n’est jamais arrivé. Paral­
lèlement, le médiateur judiciaire
a ouvert une procédure de conci­
liation et lancé un appel d’offres
pour une reprise à l’amiable des
deux sites au destin désormais
lié. Mi­juin, trois repreneurs se
sont fait connaître : Saarstahl,
l’italien Beltrame et le géant de
l’acier ArcelorMittal.
Les salariés d’Hayange avaient
affiché leur préférence pour
Saarstahl. « Il offre plus de garan­
ties. Arcelor dispose déjà de quatre
laminoirs à rails. Ils auraient très
rapidement dépouillé l’usine de
toutes ses fonctions support », in­
dique Grégory Zabot, secrétaire
du CSE, à Hayange, au nom de l’in­
tersyndicale. Les salariés, qui vont
connaître le cinquième action­
naire en douze ans, sont en quête
de stabilité : « Nous avons enfin
l’impression de réintégrer un
groupe industriel et pas un finan­
cier », confie M. Zabot.
Au sein des actifs français de
GFG Alliance, il faudra surveiller
la fonderie Alvance Aluminium, à
Dunkerque. Selon nos informa­
tions, des négociations pour une
vente de gré à gré de ce site, pre­
mier producteur européen d’alu­
minium primaire, sont en cours
avec un gros fonds de private
equity américain. Si la société va
bien côté opérationnel, le règle­
ment d’un litige lors du rachat à
Rio Tinto aurait plombé la tréso­
rerie. « Ils ont pris 25 millions
d’euros dans la trésorerie, accuse
Laurent Geeraert, secrétaire CGT
du CSE. On est repassé en négatif,
on nous refout la tête sous l’eau. Ce
qui va empêcher tous les investis­
sements des mois à venir. » La jus­
tice pourrait être saisie. 
aline leclerc
et anthony villeneuve
Un projet contesté de production
d’hydrogène pour Chapelle­Darblay
Le finlandais UPM a annoncé la cession de la papeterie rouennaise,
dernier site de recyclage de papier en France
rouen ­ correspondance
R este­t­il une infime chance
de sauver l’activité histori­
que de Chapelle­Darblay,
seule papeterie française qui fa­
briquait du papier journal totale­
ment recyclé ? A Grand­Couronne
(Seine­Maritime), dans la ban­
lieue portuaire de Rouen, malgré
les vents contraires, les derniers
salariés de la papeterie nonagé­
naire, mise en vente depuis sep­
tembre 2019 par son propriétaire,
le géant finlandais UPM, y croient
toujours. Vendredi 2 juillet, lors
d’un comité social et économique
(CSE) extraordinaire, le groupe pa­
petier leur a officiellement an­
noncé sa décision de céder l’usine
de 33 hectares, sa dernière en
France, à un projet d’unité de pro­
duction d’hydrogène, porté par la
société caennaise Samfi­Invest/
H2V Product. Selon le ministère
de l’économie, une activité de « tri
et de conditionnement de déchets
plastiques et papiers », pilotée par
le groupe Paprec, y serait adossée.
Les contours précis de ce volet, où
le mot recyclage n’est pas em­
ployé, ne sont pas connus.
Si le projet va à son terme, cela
tournerait définitivement une
page entamée en 1927 dans ce
coin de Normandie. « C’est la seule
offre industrielle ferme », assure le
président du conseil de sur­
veillance d’UPM France, Daniel
Schwab. Et de rappeler que le
groupe a « fait l’effort de maintenir
en l’état le site pendant un an, pour
se donner le maximum de chances
de trouver un repreneur ».
Fermée en juin 2020, en raison,
selon son propriétaire, d’un man­
que de compétitivité et du déclin
structurel du papier journal, la pa­
peterie normande, bien qu’en­
MATIÈRES PREMIÈRES
PAR LAURENCE GIRARD
Allez les blés !
Les Bleus ont mordu la pous­
sière. Ou plutôt le gazon. L’Euro
de football a tourné court pour
l’équipe de France, dont les
espoirs ont été ratiboisés par
les Suisses, lundi 28 juin. Pour
autant, le coq gaulois ne va pas
rester muet longtemps. « Allez les
blés ! », entend­on déjà dans nos
campagnes. Les grandes
manœuvres de la moisson se
préparent. Dans de nombreuses
régions, le bal des moissonneu­
ses­batteuses ne débutera pas
avant le 14 juillet. Les céréaliers
scrutent le ciel. Ils attendent
ardemment que le soleil darde
enfin ses rayons et ajoute la
dernière touche d’or dans les
champs. Pour l’heure, le tableau
est quasi idyllique et le moral
au beau fixe.
Spéculation et frustrations
« Sauf catastrophe de dernière mi­
nute, nous allons vers une très
belle année. Le gel d’avril a peu af­
fecté le blé tendre, et l’eau est tom­
bée à temps pour remplir le
grain », explique Jean­François
Loiseau, président de la coopéra­
tive Axéréal. Il se prête même à
l’exercice de prévisions : « Le ren­
dement pourrait atteindre
7,5 tonnes à l’hectare, et la pro­
duction nationale de blé tendre
être comprise entre 38 millions et
40 millions de tonnes. » A compa­
rer à la récolte peau de chagrin
de 2020, estimée à 29 millions de
tonnes de grain. Après une mois­
son morose, le sourire est peu à
peu revenu au gré de la soudaine
hausse des cours des céréales.
« Il y a un an, la tonne de blé ten­
Le site pouvait
absorber jusqu’à
480 000 tonnes
par an, soit
le résultat du tri
de 24 millions
d’habitants
core rentable, n’a pas été déman­
telée immédiatement. Ses machi­
nes, dormantes, et sa chaudière
biomasse restent utilisables. Près
de 230 salariés ont été licenciés
en 2020, mais trois d’entre eux,
syndicalistes et délégués du per­
sonnel, sont toujours en poste.
Appuyés par la CGT, ils se sont ac­
tivés, ces derniers mois, à trouver
une solution de reprise axée sur
le papier, émettant toutefois des
doutes quant à la volonté d’UPM
de vendre à un concurrent.
Rôle central dans la filière
Etat, région Normandie et Métro­
pole Rouen Normandie ont
œuvré dans le même sens, en
vain. Un acteur majeur du secteur,
le cartonnier belge VPK, s’était
pourtant positionné, avant de re­
noncer, début juin, et d’opter pour
le rachat d’une autre papeterie
normande, Double A, sise à Alizay,
dans l’Eure, et également en diffi­
culté. Dans la foulée du retrait de
VPK, la CGT a réuni un consor­
tium d’industriels intéressés. Une
lettre d’intention a été transmise
au groupe UPM ces derniers jours.
« Il y a le groupe Veolia et deux par­
tenaires, les groupes Tetu et Fibre
Excellence. C’est un projet sérieux,
cohérent et bien avancé. Il leur faut
simplement trois mois de plus pour
le finaliser », a révélé le secrétaire
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
dre rendue Rouen se négociait à
180 euros. On est monté à
235 euros en avril et aujourd’hui,
on avoisine les 210 euros », souli­
gne Arthur Portier, du cabinet
d’études Agritel. Sachant qu’il
faut enlever 20 euros pour
connaître le montant touché par
l’agriculteur. « Cette année, la
Chine a importé de manière mas­
sive du blé, de l’orge et du maïs
pour sécuriser son approvisionne­
ment. Ses importations de blé ont
doublé, passant de 5,4 millions à
10 millions de tonnes. Cette vague
d’achats a contribué à la hausse
des cours », explique M. Portier.
La décision des autorités russes
de taxer les exportations de blé
pour tenter de juguler l’inflation
des produits alimentaires a aussi
échauffé les salles de marché. La
spéculation a fait le reste. L’éco­
nomie déborde de liquidités, et
les investisseurs misent sur les
matières premières agricoles.
« On n’avait pas vu de tel niveau
de cours du blé tendre depuis
2012 », affirme Benoît Piètre­
ment, président du conseil
spécialisé grandes cultures de
FranceAgrimer. Mais, paradoxa­
lement, elle suscite aussi des
frustrations. Surtout pour les cé­
réaliers qui boursicotent et écou­
lent leurs grains au cours du jour.
M. Piètrement préfère confier la
commercialisation à sa coopéra­
tive et touche un prix moyen à la
fin de la campagne. « On nous dit
que c’est le prix du couillon », ra­
conte M. Piètrement, satisfait des
190 euros la tonne versés pour
2020. Pas question de jouer l’or
de son blé sur tapis vert. 
général de la CGT, Philippe Marti­
nez, venu vendredi devant la pa­
peterie en soutien des salariés. Ces
derniers ne croient pas en l’offre
hydrogène, jugée moins pour­
voyeuse d’emplois et économi­
quement incertaine. « Je n’ai rien
contre l’hydrogène, mais le sujet,
ici, c’est le savoir­faire en matière de
recyclage », estime le président de
la métropole rouennaise, Nicolas
Mayer­Rossignol, aussi présent.
La papeterie rouennaise, éten­
dard de l’économie circulaire,
jouait en effet un rôle central dans
la filière française de recyclage des
vieux papiers. Elle pouvait absor­
ber jusqu’à 480 000 tonnes par an,
soit le résultat du tri de 24 millions
d’habitants. Depuis sa fermeture,
ces tonnages sont transportés par
route vers l’est de la France et
l’étranger. « Que le gouvernement
tape du poing sur la table et laisse
du temps à Veolia », réclame désor­
mais M. Martinez. En face, le
groupe UPM dit ne pas y être dis­
posé. « On a une offre ferme et on
ne veut pas la perdre », avance Da­
niel Schwab. Le ministère de l’éco­
nomie tient peu ou prou le même
langage et ne semble pas enclin à
faire pression sur le géant finlan­
dais : « Nous pouvons comprendre
la déception. Mais nous avons une
solution pour les deux sites nor­
mands, à Chapelle­Darblay sur la fi­
lière prometteuse de l’hydrogène,
et à Alizay, où une activité de recy­
clage sera déployée. De plus, ce n’est
pas une offre qui est portée par Veo­
lia, c’est une lettre d’intention, sans
être engageante d’un point de vue
juridique. La procédure est dans les
mains d’UPM, cet arbitrage leur ap­
partient, mais il peut se compren­
dre. » Pas pour les salariés, qui
n’entendent pas désarmer. 
gilles triolier
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021 économie & entreprise | 19

REPORTAGE
el zonte (salvador) ­
envoyée spéciale

I
l aura fallu moins de cinq
heures à l’Assemblée légis­
lative, le 9 juin, pour voter
la loi, annoncée trois jours
plus tôt sur Twitter par le
président, Nayib Bukele :
ce jour­là, le Salvador est devenu
le premier pays à instaurer le bit­
coin comme monnaie officielle,
en plus du dollar étasunien
adopté vingt ans plus tôt. La loi
« Bitcoin » entrera en vigueur le
7 septembre. Dans ce petit pays
d’Amérique centrale de 6,5 mil­
lions d’habitants, commenta­
teurs, analystes, économistes ont
tenté pendant deux semaines,
faute d’explications officielles, de
décrypter le texte : quel impact
pour l’économie ? Sur l’inflation ?
Le fonds de 150 millions de dollars
(126 millions d’euros) annoncé
pour compenser l’extrême volati­
lité du bitcoin sera­t­il suffisant ?
Qui garantira que sa valeur ne
s’écrasera pas un jour, alors
qu’elle a été divisée quasiment
par deux en deux mois et demi,
passant de 65 000 dollars à la mi­
avril à 33 000 le 1er juillet ?
« Si c’est obligatoire, il faudra bien
s’y résigner, mais, pour l’instant, on
essaie juste de comprendre, sou­
pire Carmen Rodriguez, 59 ans, Distributeur Bitcoin Beach, à El Zonte (Salvador), le 9 juin. SALVADOR MELENDEZ/AP
vendeuse ambulante du centre de
San Salvador. Ce n’était peut­être
pas le plus urgent à faire… », alors
que 40 % de la population vit sous
le seuil de pauvreté, que 45 % seu­
lement a accès à Internet et que
PLEIN CADRE
plus de 70 % travaille de manière
informelle, sans compte en ban­
que et sans sécurité sociale. Ces
données sont pourtant avancées
par le président Bukele pour justi­
fier l’adoption de la cryptomon­
Le jour où le Salvador prises, en particulier depuis le
1er mai ». Ce jour­là, qualifié de
« coup d’Etat » par l’organisation
Human Rights Watch, l’Assem­
naie, qui permettra, selon lui,
« l’inclusion financière » des plus
défavorisés et l’arrivée d’investis­
sements étrangers. Autre argu­
ment, alors que les transferts d’ar­
s’est converti au bitcoin blée législative nouvellement
élue a destitué les magistrats du
tribunal constitutionnel et le pro­
cureur général qui enquêtait sur
des affaires de corruption tou­
gent de la diaspora aux Etats­Unis
vers leur famille restée au pays, les
Coup de com pour redorer l’image de ce pays d’Amérique centrale chant des proches du président.
Quelques jours plus tard, le nou­
remesas, représentent plus de
20 % du PIB : le paiement en bit­
ou révolution, la décision du président Nayib Bukele de faire de veau procureur nommé par le
pouvoir annonçait le démantèle­
coins évite les lourdes commis­
sions des intermédiaires bancai­
la cryptomonnaie une monnaie officielle inquiète la population ment de la commission interna­
tionale contre l’impunité au Sal­
res ou financiers. vador, la Cicies.

PORTEFEUILLE NUMÉRIQUE ÉNERGIVORE

Le 24 juin, deux semaines après le
vote et alors que toutes les spécu­
lations circulaient sur l’interpré­
tation de la loi, le président a fina­
lement expliqué son fonctionne­
ment. Lors d’une allocution d’une
heure transmise par toutes les
chaînes de télévision et de radio, il
a donné des précisions qui ont
parfois plus soulevé d’interroga­
tions que donné de réponses.
Contredisant, par exemple, l’arti­
cle 7, qui oblige tout agent écono­
mique à accepter le bitcoin
comme moyen de paiement, il a
assuré, de manière quelque peu
confuse, que ce serait en réalité
optionnel : « Le commerçant aura
l’obligation de les accepter, mais
pas de les recevoir, car il aura l’op­
tion de convertir instantanément
les bitcoins reçus en dollars, sans
commission. » Le gouvernement,
a détaillé le chef de l’Etat, utilisera
un portefeuille numérique (wal­
let) sous la forme d’une applica­
tion, baptisée « Chivo ». L’équiva­
lent de 30 dollars en bitcoins sera
offert à toute personne l’instal­
lant sur son smartphone, « pour
promouvoir l’utilisation du bit­
coin ». Plus de 200 distributeurs
Chivo permettront de retirer des
dollars, sans commission, depuis
le compte en bitcoins.
Utiliser cette cryptomonnaie
pour payer une pupusa (galette de
farine de maïs), une coupe de che­
veux ou la facture d’eau est déjà
une réalité à El Zonte, village cô­
tier à 40 kilomètres de San Salva­
dor, dont la plage attire les sur­
feurs. Une expérience commen­
cée il y a deux ans, lorsqu’un
Américain ayant fait fortune dans
ce secteur a décidé de contribuer,
en bitcoins, au financement de
projets communautaires déve­
loppés par une ONG locale, Hope
House. De l’identité de ce dona­
teur et du montant de sa généro­
sité, Roman Martinez, 30 ans, res­
ponsable de la communication de
Hope House, ne dira rien. Mais
ces dons ont financé bourses,
transport scolaire, allocations…
Le portefeuille numérique Bit­
coin Beach a été créé avec la
start­up américaine Strike pour
opérer avec la cryptomonnaie.
« On a reçu des bitcoins pour nous
encourager à continuer nos étu­
des. Et nos familles, l’équivalent de
25 dollars tous les quinze jours »,
explique, reconnaissante, Abigail
Menjibar, 18 ans, qui tient l’épice­
rie La Sonteña.
Depuis, même les poubelles ar­
borent le « B » orange du bitcoin.
Une quarantaine de commerces
l’acceptent. Un distributeur ins­
tallé à l’entrée du village permet
de retirer des dollars depuis le
wallet ou d’acheter des bitcoins.
« On a peur que
les bitcoins
disparaissent
du jour
au lendemain et
de tout perdre »
LIDIA TOBAR
employée dans un restaurant
Là, la différence avec les banques
ne saute pas aux yeux : pour cha­
que transaction, une commission
de 5 % est prélevée. « Le bitcoin a
changé la vie de cette commu­
nauté, donné des occasions aux
jeunes : le bitcoin, c’est l’or numéri­
que, l’espoir, la liberté ! », s’enthou­
siasme Roman Martinez,
oubliant que les projets ont été
rendus possibles par des dons. Il
reconnaît qu’il ne faut pas « met­
tre tous les œufs dans le même pa­
nier » : il dispose lui­même d’un
compte en banque en dollars,
même si les employés de Bitcoin
Beach sont intégralement payés
en bitcoins.
« UN LABORATOIRE RÉUSSI »
L’expérience du Zonte a été pré­
sentée par les autorités comme
un « laboratoire réussi ». Elle a
aussi été mise en avant lors de
l’annonce du projet de loi, le
5 juin, pendant une cérémonie un
peu particulière. Car ce n’est ni en
espagnol ni au Salvador que le
président Bukele a choisi de révé­
ler au monde qu’il avait décidé de
faire du bitcoin la monnaie natio­
nale. Il l’a fait lors d’une confé­
rence d’investisseurs américains
à Miami, organisée par Jack Mal­
lers, créateur du portefeuille
Strike, qui a informé, les larmes
aux yeux, que le Salvador lui avait
demandé de participer à la rédac­
tion d’un texte législatif, avant de
diffuser la vidéo de M. Bukele.
C’est « un petit pas pour bitcoin,
mais un pas de géant pour l’huma­
nité, je vous le promets ! », s’est
étranglé d’émotion M. Mallers, as­
surant, sous les vivats du public,
que le bitcoin permettrait de ré­
soudre la pauvreté au Salvador et
d’éviter que des milliers de per­
sonnes soient obligées de fuir le
crime et l’insécurité.
Au Zonte, pourtant, tous ne sont
pas convaincus. Certains com­
merces continuent de tourner le
dos au bitcoin, à l’instar du res­
taurant El Teco, dont la terrasse
borde le Pacifique. « On a peur que
les bitcoins disparaissent du jour
au lendemain et de tout perdre »,
souffle une employée, Lidia To­
bar. Elle reconnaît que des clients
sont repartis furieux de ne pas
pouvoir payer en bitcoin.
La plupart des économistes sal­
vadoriens s’inquiètent, eux aussi,
d’une loi aux contours flous et de
décisions qui ne respectent pas
forcément les procédures légales.
Sur le podcast « What Bitcoin
Did », le président Bukele a, par
exemple, expliqué, là encore en
anglais, que le portefeuille Chivo
serait développé par les créateurs
de Strike. Mais sur le coût, pour
l’Etat, d’une telle opération, et sur
le suivi ou pas du processus d’ap­
pel d’offres dans la sélection de
Strike, rien n’a été précisé. « Face à
la volatilité du bitcoin, les banques
pourraient augmenter les taux
d’intérêt, et les entreprises, leurs
prix », avance Ricardo Castaneda,
économiste de l’Institut centra­
méricain d’études fiscales.
L’agence Moody’s, la Banque mon­
diale et le Fonds monétaire inter­
national, avec lequel le Salvador
est en train de négocier un prêt,
ont aussi exprimé leurs craintes.
GUATEMALA HONDURAS
San Salvador
SALVADOR
El Zonte
NICARAGUA
Océa
n Pac
ifique
100 km
Le risque est grand que le pays de­
vienne un paradis fiscal pour le
blanchiment d’argent. « Qu’est­ce
qui va empêcher un narcotrafi­
quant d’acheter, avec ses bitcoins,
des propriétés ou des entreprises au
Salvador, sans que l’on puisse tra­
cer l’origine de cet argent ? », s’in­
terroge le journaliste Nelson
Rauda, du média en ligne El Faro.
Certains argumentent que la vo­
latilité du bitcoin ne serait pas
pire que celle de certaines mon­
naies latino­américaines, comme
le peso argentin ou le bolivar vé­
nézuélien, responsables d’infla­
tions galopantes. « Ce n’est pas
vrai au Salvador, où la monnaie lo­
cale, le colon, a disparu de la circu­
lation au profit du dollar depuis
2001 : ici, l’inflation est proche de
zéro », tranche M. Castaneda.
Pour l’économiste, la vraie rai­
son de cette décision « est à cher­
cher du côté des autres mesures la­
pidaires que le gouvernement a
La décision de Nayib Bukele sur le
bitcoin serait une tentative, esti­
ment de nombreux analystes, de
redorer à l’international son
image de président millénial et
« cool », écornée par ses dérives
autoritaires. « Et puis, glisse
M. Castaneda, face à la menace de
sanctions agitée par les Etats­Unis
après les atteintes à l’Etat de droit,
il est tentant de faciliter les conver­
sions en bitcoins pour y échap­
per. » Jeudi 1er juillet, le départe­
ment d’Etat américain a publié
une liste de fonctionnaires salva­
doriens qu’il accuse de corrup­
tion ou d’obstruction de la justice,
parmi lesquels sept collabora­
teurs proches du président Bu­
kele, qui seront privés de visa
pour les Etats­Unis.
Les craintes sont aussi environ­
nementales : le « minage » des bit­
coins, c’est­à­dire les calculs com­
plexes servant à authentifier les
transactions, est très énergivore.
Mais, là encore, Nayib Bukele a
plus d’un tour dans son sac : sur
Twitter et en anglais encore une
fois, il a ordonné à la compagnie
nationale qui exploite la géother­
mie des volcans du pays de met­
tre en œuvre un plan pour utiliser
une énergie « 100 % propre, 100 %
renouvelable et avec zéro émis­
sion ». « Ça va avancer très vite ! »,
assurait­il. Nayib Bukele sait tenir
ses promesses : deux heures plus
tard, il annonçait qu’un nouveau
puits géothermique venait juste­
ment d’être découvert, qui per­
mettrait de fournir 95 MW pour le
« minage » des bitcoins. 
angeline montoya
 GÉOPOLITIQUE
20 |
Australie
La Chine priée
de rester au large
Cible de représailles économiques massives depuis
le printemps 2020, l’île­continent tient tête au géant
en consolidant son alliance avec les Etats­Unis dans
l’Indo­Pacifique, tout en renforçant ses moyens de défense
sydney (australie) ­ correspondance
D
ans le café Art déco d’un
luxueux hôtel de Canberra,
le journaliste politique de la
chaîne de télévision 9News
Jonathan Kearsley a rendez­
vous, en ce mardi 17 no­
vembre 2020, avec une diplomate chinoise
pour, espère­t­il, négocier un entretien avec
Cheng Jingye, l’ambassadeur de la Républi­
que populaire en Australie. La relation sino­
australienne s’est brutalement dégradée six
mois plus tôt, après que Canberra a réclamé,
en avril, l’ouverture d’une enquête sur l’ori­
gine de la pandémie de Covid­19. Cela fait
déjà plusieurs mois que le journaliste sollicite
une entrevue pour évoquer ces tensions.
Dans le café, la diplomate a sorti de son sac à
main un papier, qu’elle lui glisse en disant :
« Je vous le donne parce que je veux que tout
soit clair. Voici ce qui préoccupe la Chine. »
Sur le document ne figure ni en­tête ni signa­
ture, mais une liste de quatorze points que les
Australiens appelleront bientôt les « quatorze
griefs » chinois. On y trouve, pêle­mêle, « l’ap­
pel à une enquête internationale indépendante
sur le Covid­19 ayant servi à une manipulation
politique faisant écho à l’attaque américaine
contre la Chine », « l’ingérence incessante et gra­
tuite dans les affaires chinoises du Xinjiang, de
Hongkong et de Taïwan » ou encore « la couver­
ture inamicale et hostile des médias [austra­
liens] ». Si Canberra souhaite améliorer sa rela­
tion avec Pékin, explique la jeune femme, il
doit commencer par répondre à cette liste.
« La Chine est en colère. Si vous faites de la
Chine l’ennemie, la Chine sera l’ennemie ! », lâ­
che­t­elle encore, avant de tourner les talons.
« J’ai été surpris par la violence du message,
mais aussi par cette façon extrêmement bi­
zarre de le délivrer », se souvient aujourd’hui
Jonathan Kearsley, qui a également reçu en
cadeau deux guides de voyage sur l’empire
du Milieu. En découvrant cet incroyable in­
ventaire qui s’étale bientôt à la « une » des
médias, les Australiens sont sidérés de se re­
trouver l’objet d’un tel chantage. « Nos valeurs
ne se négocient pas. Notre démocratie ne se
négocie pas. Notre souveraineté ne se négocie
pas ! », rétorque aussitôt le premier ministre
conservateur, Scott Morrison.
Le chef du gouvernement prône la « patience
stratégique » : ne pas provoquer, ne pas suren­
chérir, mais rester cohérent et ne jamais recu­
ler. L’île­continent assure ne pas vouloir attiser
les tensions avec le géant asiatique, devenu,
depuis 2006, son premier partenaire commer­
cial devant le Japon. Mais elle entend aussi pro­
téger sa souveraineté, ses intérêts et les valeurs
qu’elle partage avec Washington, son allié stra­
tégique et partenaire au sein de l’Australia,
New Zealand, United States Security Treaty,
l’Anzus. Ce traité de sécurité signé par l’Austra­
lie, la Nouvelle­Zélande et les Etats­Unis après
la seconde guerre mondiale, en 1951, visait à
l’origine à prémunir ces derniers contre une
éventuelle résurgence du militarisme japo­
nais. A la suite du retrait de la Nouvelle­
Zélande en 1985, l’Anzus est devenu de facto un
pacte bilatéral. Cependant, aiment à rappeler
les officiels australiens : « Entre les Etats­Unis et
la Chine, notre pays n’a pas à choisir. »
Cette posture est­elle tenable alors que la
République populaire du président Xi Jinping
affirme une volonté de puissance décom­
chinois, son premier partenaire commercial,
plexée, que Washington considère Pékin
comme son principal rival et que la zone In­
do­Pacifique est devenue l’épicentre de cette
compétition ? « L’environnement sécuritaire
favorable dont a bénéficié l’Australie depuis la
chute du mur de Berlin jusqu’à la crise finan­
cière mondiale [de 2008] a disparu », préve­
nait M. Morrison, le 1er juillet 2020, dans un
discours officiel. La « nouvelle dynamique de
concurrences stratégiques », relevait­il, s’est
encore « accélérée avec la pandémie ».
Dans un contexte d’incompréhension
grandissante entre les deux nations et face à
une menace chinoise que Canberra se garde
de désigner nommément, mais qui alimente
toutes les conversations, l’Australie œuvre à
mieux se protéger. A l’intérieur, en prenant
des mesures censées limiter les ingérences et
renforcer l’unité nationale ; à l’extérieur, en
augmentant ses dépenses militaires. Le pays
a aussi entrepris de diversifier ses marchés
d’exportation.
« TENTATIVES D’INTIMIDATION »
Depuis la crise majeure enclenchée en
avril 2020, c’est en effet sur l’économie aus­
tralienne que la Chine concentre ses atta­
ques, notamment contre le vin. A 450 kilo­
mètres de la capitale, au pied du massif
montagneux de Broken Back, Bruce Tyrrell,
directeur général d’un domaine viticole ré­
puté, en fait l’amère expérience. Désormais,
il perçoit Pékin comme un acteur hostile.
« Nous sommes une nation souveraine ; nous
n’aimons pas les tentatives d’intimidation »,
lâche­t­il devant la cahute de son bisaïeul,
Edward, qui fut l’un des premiers à planter
des cépages de syrah et de sémillon sous le
ciel austral, en 1864, à époque où l’Australie
n’était encore qu’une collection de six colo­
nies britanniques. Bruce Tyrrell a exporté ses
bouteilles partout dans monde, et surtout
vers la Chine. « Dans les années 1980, j’étais un
peu sceptique devant ce nouveau marché [chi­
nois], mais j’ai décidé d’attraper le dragon par
la queue ! J’ai découvert une clientèle excep­
tionnelle, payant rubis sur l’ongle », raconte ce
septuagénaire aux yeux pétillants.
La course folle a pris fin un matin de no­
vembre 2020, quand le régime communiste a
commencé à imposer des taxes antidum­
ping, allant jusqu’à 218 %, sur les vins austra­
liens. « Un prétexte pour nous punir ! », tran­
che le producteur qui, depuis, cherche de
nouveaux débouchés. Les exportations vers
le pays ont dégringolé, passant de 1,1 milliard
de dollars australiens (près de 700 millions
d’euros) à 20 millions de dollars australiens à
peine. Dénonçant une mesure de « coercition
économique », l’Australie a fini par déposer
une plainte contre la Chine sur les droits de
douane qu’elle impose à ses vins, le 19 juin,
auprès de l’Organisation mondiale du com­
merce. Une procédure similaire avait déjà été
engagée pour protester contre les droits de
douane chinois sur ses exportations d’orge.
Sur les côtes de Tasmanie, les pêcheurs de
langoustes sont moins loquaces. Ils expor­
taient pourtant 94 % de leurs crustacés vers
l’empire du Milieu, avant d’être balayés du
marché, fin octobre 2020 : les autorités chi­
noises avaient alors affirmé avoir trouvé « des
métaux lourds toxiques » dans une cargaison.
Ruinés, les pêcheurs nourrissent l’espoir, si ce
n’est d’un retour à la normale, d’une accalmie.
Aucune autre nation n’a autant profité de
la croissance de la Chine et de son industriali­
sation rapide que le « Lucky Country ». Entre
1992 et 2020, elles lui ont assuré vingt­huit
années consécutives de croissance. En 2019,
la deuxième puissance mondiale, aussi
vorace en minerais qu’en produits agricoles,
avalait encore plus d’un tiers de ses exporta­
tions. « Après l’accord de libre­échange de
2015, l’import­export a connu un boom, et no­
tre interdépendance économique a atteint
son paroxysme », souligne Michael Shoe­
bridge, directeur du programme de défense,
de stratégie et de sécurité nationale à l’Insti­
tut australien de politique stratégique (ASPI).
« Paradoxalement, c’est là que le pays a com­
mencé à se rendre compte que le gouver­
nement chinois pouvait utiliser le levier éco­
nomique pour atteindre des objectifs stratégi­
ques, sécuritaires ou politiques. »
A peine Canberra avait­il déposé sa requête
concernant les origines de la pandémie, le
18 avril 2020, que l’ambassadeur de Chine
agitait le spectre d’un boycott des produits
du pays. Une semaine plus tard, le 27 avril, Hu
Xijin, rédacteur en chef du Global Times, un
tabloïd porte­voix du Parti communiste chi­
nois (PCC), écrivait sur le réseau social
Weibo : « L’Australie ne cesse de créer des pro­
blèmes. C’est un peu comme un chewing­gum
collé sous la semelle des chaussures de la
Chine. Il faut parfois trouver une pierre pour
l’enlever. » Accusant l’île­continent de collu­
sion avec les Etats­Unis, il suggère alors à ses
compatriotes de réfléchir avant de « faire des
affaires avec l’Australie » et « lorsqu[’ils]
LE PREMIER  envo[ient] [leurs] enfants y étudier ». Passant
MINISTRE  des paroles aux actes, Pékin dégaine l’arme
des représailles quelques jours plus tard.
AUSTRALIEN, SCOTT  Le bœuf, l’orge, le charbon, le vin, le homard,
le bois, le cuivre, le coton, la laine, le sucre, le
MORRISON, PRÔNE  blé, l’agneau… les exportations australien­
nes sont frappées de plein fouet, en raison
LA « PATIENCE  de prétendus infractions « techniques »,
STRATÉGIQUE » :  « problèmes environnementaux » ou encore
« concurrence déloyale ».
NE PAS PROVOQUER,  zélandais, britanniques et américains.
« MAILLON FAIBLE »
NE PAS  Pourquoi l’Australie a­t­elle pris, seule, l’initia­
SURENCHÉRIR,  tive d’appeler à une enquête internationale,
s’exposant ainsi aux foudres de la Chine ? Si
MAIS RESTER  certains experts fustigent une décision « mal
pensée », « mal préparée », voire « idiote », tous
COHÉRENT ET  s’accordent à dire que les tensions s’étaient
NE JAMAIS RECULER accumulées et que cette démarche n’a été que
le détonateur d’une crise annoncée. Dans son
bureau du centre d’affaires de Sydney, l’ex­
premier ministre libéral Malcolm Turnbull
met l’accent sur la « réaction très excessive » de
Pékin. Au pouvoir entre septembre 2015 et
août 2018, c’est son gouvernement qui avait
amorcé le changement de la politique chi­
noise de Canberra. « Les activités d’espionnage
avaient atteint une ampleur sans précédent,
comme partout ailleurs dans le monde. Il y
avait aussi beaucoup d’opérations d’ingérence
étrangère, résume­t­il. Chaque pays doit dé­
fendre sa souveraineté. »
Avant ce tournant diplomatique, la puis­
sance asiatique s’appréhendait surtout sous
le prisme économique. A cette époque, tout
se vend et tout s’achète, jusqu’aux infrastruc­
tures stratégiques du port de Darwin, cédées
à l’entreprise Landbridge – propriété d’un
milliardaire chinois proche du PCC –, pour un
bail emphytéotique de 99 ans, en 2015, au
grand dam de Washington. Des rotations de
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DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
l’US Marine Corps y sont organisées depuis
que le président Barack Obama a lancé sa
politique du « pivot », en 2011, pour faire bas­
culer le centre de gravité de la diplomatie des
Etats­Unis vers l’Asie­Pacifique
L’histoire de Darwin est mêlée à celle de l’al­
liance australo­américaine. En 1942, la ville fut
bombardée par l’aviation japonaise, deux
mois après Pearl Harbor. Comprenant que
Londres n’assurerait pas sa protection, le
Commonwealth d’Australie s’était alors
tourné vers Washington, qu’il soutient désor­
mais dans toutes ses opérations extérieures.
Depuis la fin des années 1960, le « cœur
rouge » du continent abrite Pine Gap, une sta­
tion de surveillance cogérée par les deux Etats,
qui partagent aussi leurs informations au sein
des « Five Eyes » – une alliance des services de
renseignement australiens, canadiens, néo­
Au sein de ce « camp occidental », l’île­conti­
nent fait figure de « maillon faible » aux yeux
de Pékin, prévenait, en juin 2017, Chen Yon­
glin. Cet ex­diplomate chinois ayant fait dé­
fection, rejoignant Sydney en 2005, expli­
quait ainsi, dans un entretien accordé à The
Strategist, le site de l’ASPI, que la Chine avait
décidé d’user « de son influence économique
pour affaiblir l’alliance de l’Australie avec les
Etats­Unis ». « Pékin utilise les organisations
communautaires chinoises procommunistes
comme base pour rayonner dans la société (…),
ajoutait­il. [Celles­ci] peuvent surveiller et or­
chestrer les activités des étudiants chinois par
l’intermédiaire de l’ambassade à Canberra ou
du consulat général. »
« Ses objectifs sont autant politiques qu’éco­
nomiques », complète, dans son bureau aux
murs tapissés de livres, Feng Chongyi, spécia­
liste de l’histoire de la Chine contemporaine à
l’université de technologie de Sydney. Voilà
des années qu’il alerte l’opinion sur l’in­
fluence du PCC au sein de la communauté
d’origine chinoise, qui représente près de 5 %
de la population. Lors d’un séjour à Guang­
zhou, au printemps 2017, l’intellectuel avait
été détenu et interrogé par des agents du ren­
seignement au sujet, entre autres, de sa rela­
tion avec John Garnaut. Cet ancien corres­
pondant de presse à Pékin, nommé conseiller
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DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
politique de M. Turnbull, avait été chargé, fin
2015, d’un rapport classifié sur les opérations
d’ingérence chinoises en Australie.
« Quand M. Turnbull – un ancien avocat d’af­
faires, dont les propres petits­enfants ont des
origines chinoises – a été nommé chef du gou­
vernement, beaucoup s’attendaient à ce qu’il
se montre conciliant, raconte Rory Medcalf,
directeur du National Security College. Fina­
lement, ce sont les informations détenues
par les services de renseignement qui l’ont
convaincu d’agir. » Dès son entrée en fonc­
tions, le premier ministre est en effet pré­
venu que les activités d’espionnage, en parti­
culier dans le domaine cyber, et notamment
d’origine chinoise, atteignent une « échelle
industrielle ». Quelques mois plus tard, le
scandale Sam Dastyari, du nom d’un séna­
teur travailliste ayant bénéficié des largesses
du magnat de l’immobilier chinois Huang
Xiangmo, secoue le pays. A l’époque, rien
n’interdit aux milliardaires proches du Parti
communiste de financer les formations
politiques australiennes. « Shanghai Sam »,
comme il fut alors surnommé, n’avait pas
hésité à épouser la ligne stratégique du PCC
en appelant Canberra, en juin 2016, à « res­
pecter » les revendications territoriales de
Pékin en mer de Chine méridionale.
Pour limiter ces ingérences, le gouverne­
ment conservateur propose, le 7 décem­
bre 2017, d’interdire les donations étrangères
aux partis, de renforcer la répression des in­
fractions liées à l’espionnage et d’introduire
de nouveaux délits d’ingérence. Accusé par
Pékin d’empoisonner « l’atmosphère des rela­
tions sino­australiennes », M. Turnbull rétor­
que : « Le peuple australien s’est levé ! », détour­
nant la célèbre apostrophe de Mao Zedong
sur la place Tiananmen, en octobre 1949 – « Le
peuple chinois s’est levé ! » Le régime commu­
niste suspend les visites ministérielles. En
juin 2018, les lois sont votées par les députés
de la majorité et de l’opposition.
La colère de la République populaire va en­
core monter d’un cran. En août 2018, Can­
berra décide d’exclure les équipementiers
chinois Huawei et ZTE du marché australien
de la 5G. « Ce n’était pas une décision politi­
que, mais le résultat d’une évaluation des ris­
ques que nous ne pouvions pas atténuer par
des moyens techniques, affirme aujourd’hui
M. Turnbull. Autoriser Huawei, c’était don­
ner un immense pouvoir d’ingérence et de
perturbation à ceux qui, au final, contrôlent
cette société. Or, même si elle n’appartient
pas à l’Etat, il serait naïf de croire qu’elle n’est
pas tenue d’agir en accord avec la direction
du Parti communiste ! »
Sous la houlette de M. Morrison, l’arsenal
législatif est encore musclé en décem­
bre 2020. Le gouvernement fédéral a désor­
mais le pouvoir d’annuler tout accord conclu
par un Etat, un conseil municipal ou une ins­
titution australiens avec des pays étrangers,
si celui­ci est jugé contraire à l’intérêt natio­
nal. L’exécutif australien vient ainsi de révo­
quer, le 21 avril, deux accords signés par l’Etat
de Victoria, en 2018 et 2019, qui devaient le
lier au projet de Xi Jinping des « nouvelles
routes de la soie ». Et le ministère de la dé­
fense réexamine depuis le mois de mai la ces­
sion du port de Darwin à Landbridge.
EXERCICES MILITAIRES
« Ces dernières années, la Chine a eu l’impres­
sion que l’Australie s’alliait aux Etats­Unis
pour l’attaquer, mais elle n’en était pas
convaincue. Canberra envoyait des signaux
contradictoires. C’est la demande d’enquête
sur le Covid­19 qui a levé ses derniers doutes »,
estime James Laurenceson, directeur de
l’Institut des relations Australie­Chine
(ACRI). Le pays a­t­il finalement rallié un
camp contre l’autre ? « Non », insiste Can­
berra. « S’il se produisait – Dieu nous en pré­
serve ! – un conflit entre les Etats­Unis et la
Chine, nous serions avec les Etats­Unis : nous
sommes alliés ; nous avons le traité Anzus.
Mais est­ce que nous pensons qu’une politi­
que d’endiguement doit être adoptée ? Non.
Est­ce que nous pensons que l’essor économi­
que de la Chine doit être entravé ? Non, au con­
traire. Nous voulons simplement nous assurer
que la souveraineté, l’indépendance et la li­
berté des autres nations dans cette région ne
soient pas menacées », dit Malcolm Turnbull.
Estimant son environnement stratégique
dégradé, l’Australie a remis à jour son Livre
blanc sur la défense, dès juillet 2020, avec
géopolitique | 21
l’objectif d’augmenter ses moyens militaires
– notamment par l’acquisition de missiles à
longue portée – et de les concentrer dans sa
« région immédiate ». « Il ne s’agit pas d’atta­
quer qui que ce soit, mais de développer des ca­
pacités de dissuasion », précise Paul Dibb, pro­
fesseur émérite d’études stratégiques à l’uni­
versité nationale australienne.
En parallèle, Canberra veut approfondir ses
« S’IL SE  partenariats avec des Etats de la région parta­
PRODUISAIT  geant des « intérêts communs » et, toujours se­
lon le Livre blanc, « renforcer [son] alliance
– DIEU NOUS  avec les Etats­Unis ». « Les premiers mois de
l’administration Biden ont rassuré le pays.
EN PRÉSERVE ! –  Washington nous a clairement soutenus face
aux représailles économiques chinoises et a
UN CONFLIT ENTRE  proposé une politique ferme, exécutée de ma­
LES ÉTATS­UNIS  nière professionnelle, par des personnes qui
connaissent bien notre continent », détaille Ri­
ET LA CHINE, NOUS  chard McGregor, spécialiste de la Chine au
Lowy Institute.
SERIONS AVEC LES  Sous l’impulsion du président Joe Biden
ÉTATS­UNIS : NOUS  s’est aussi tenue, en mars, pour la première
fois, une réunion au plus haut niveau du Dia­
SOMMES ALLIÉS » logue quadrilatéral pour la sécurité (Quad).
Cet embryon d’alliance nouée, en 2007, entre
MALCOLM TURNBULL
l’Inde, les Etats­Unis, le Japon et l’Australie,
ancien premier ministre
qui a notamment pour objectif de contrecar­
australien
rer les ambitions chinoises dans l’Indo­Paci­
fique, a été comparé, non sans sarcasmes,
par le Global Times, à une « OTAN asiatique
au service des ambitions hégémoniques amé­
ricaines ». En novembre 2020, des navires
australiens s’étaient joints aux frégates et
aux hélicoptères des marines américaine, ja­
ponaise et indienne, lors des exercices « Ma­
labar » dans le golfe du Bengale. Alors qu’il
avait claqué la porte du Quad sous les pres­
sions chinoises en 2008, Canberra y opère
un retour remarqué.
Si l’Australie a pris acte de la montée en
puissance de Pékin dans l’Indo­Pacifique, elle
s’inquiète aussi pour le Pacifique Sud, son
traditionnel pré carré, où la Chine a engagé
une campagne de séduction auprès des mi­
cro­Etats de la région (Vanuatu, Fidji, Kiribati,
Salomon) à coups d’investissements et de
crédits. Canberra redoute qu’elle n’y établisse
des bases militaires. L’atoll kiribatien de Kan­
ton, où Pékin a entrepris de réhabiliter une
Des manifestants,
inquiets
de l’influence
croissante
de la Chine
en Australie,
affichent leur
soutien au
mouvement
prodémocratie
de Hongkong,
devant l’hôtel
de ville de
Sydney, le 12 juin.
STEVEN SAPHORE/ANADOLU
AGENCY VIA AFP
ancienne piste de l’armée américaine, pour­
rait bien en être le premier exemple. « Des in­
frastructures, proches de nous, pouvant servir
d’instruments de projection de puissance…
Cela changerait la donne », explique M. Dibb.
LES « TAMBOURS DE GUERRE »
L’autre sujet de préoccupation est le sort de
Taïwan, que la Chine considère comme l’une
de ses provinces. Le 25 avril, le ministre de la
défense, Peter Dutton, a affirmé qu’un conflit
« ne pouvait être exclu ». Le secrétaire d’Etat
aux affaires intérieures, Michael Pezzullo, a
même évoqué le « battement des tambours
de guerre ». Prononcés par deux hommes
partisans d’une ligne dure envers Pékin et
dans un contexte où l’affirmation du géant
asiatique inquiète l’opinion publique, ces
propos ont été dénoncés par l’opposition tra­
vailliste comme une « escalade de la rhé­
torique à des fins de politique intérieure », à
l’approche des élections législatives devant
se tenir avant mai 2022.
C’est là sans doute l’un des plus grands
échecs de la politique de la Chine en Australie,
où son agressivité a considérablement abîmé
son image. Les voix plus conciliantes se font
discrètes, tandis que les faucons ont le vent en
poupe. « Travailliste ou libéral, nul gouverne­
ment n’aurait pu céder sur aucun des “quatorze
griefs” », note le sénateur James Paterson, un
« dur » lui aussi. « Ces sujets sont au cœur de
notre identité en tant que démocratie libérale.
Cela signifie qu’il faut se montrer réaliste sur la
direction que prendra notre relation. » Sur le
plan économique, les mesures de rétorsion
chinoises n’ont pas non plus porté leurs fruits.
L’ensemble des exportations vers la Chine
n’ont baissé, en valeur, que de 2 % en 2020, par
rapport à 2019. La flambée du cours du mine­
rai de fer, dont Pékin, faute d’alternative, peut
difficilement se passer, a compensé les pertes.
Ce bilan poussera­t­il Xi Jinping à revoir sa
stratégie ? Les Australiens n’y croient pas.
Convaincus que la République populaire veut
faire de leur pays un exemple pour ceux qui
envisageraient de lui résister, ils se deman­
dent quelle sera la prochaine étape de cet in­
terminable bras de fer. 
isabelle dellerba
22 | géopolitique 0123
DIMANCHE 4 - LUNDI 5 JUILLET 2021

Le multilatéralisme selon Pékin

En s’impliquant dans nombre d’organisations
internationales, la Chine cherche à renforcer
son influence sur la scène mondiale, ainsi que
son leadership régional

Organisation des Nations unies

pour le développement industriel
Vienne, Li Yong en 2013

Organisation mondiale du commerce

Genève, en 2001 Ru ss i e

Union internationale B i é l o r u ss i
e
des télécommunications
Genève, Houlin Zhao en 2014 Ré p. tc h è
Au t r i c h e que
Su i sse Hongrie
Organisation des Nations unies Kazakhstan
I ta l i e
pour l’alimentation et l’agriculture Po r t u g a Se rbi e
l Mongolie
Rome, Qu Dongyu en 2019
G é o rg i e O u z b é k i s ta n
G rè c e
Turquie Ki r g h i z i s t a n
Az erbaï dj an Pékin
Tadjikistan
Malte Chypre
5 Liban Corée
419 A f g h a n i s ta n du Sud
I ra n CHINE
A lgérie
L i bye Bahreïn Pakistan Népal Shanghaï
Eg y pte
Qatar
Sahara
occidenta Arabie Emirats
l Bangladesh
15 saoudite arabes unis
Inde Birmanie
Hongkong
Mali Oman Laos
422
Soudan
Thaïlande
Darfour Vietnam
Guinée Cambodge
Bénin 373 Djibouti
Philippines
Côte Ghana Et h i o p i e
d'Ivoire République
centrafricaine Soudan Sri Lanka
Liberia 15
du Sud Malaisie Brunei
Maldives
Afr iqu e
e s G ra n d s La c s Singapour
d Kenya
Rwanda Voies maritimes et terrestres Papouasie-
du projet des « nouvelles routes Nouvelle-Guinée
R.D. du Congo Indonésie
230
de la soie » de Xi Jinping

T i m o r o r i e n ta l
O céan At l ant iqu e
O céa n I n di en
M oz am bi qu e

M ad a ga s c a r

Australie

d
Af r i q u e d u S u

L a Chine se rêve en nation puissante et

respectée, avec l’objectif affiché de de-
venir « leader mondial de l’innova-
tion » et d’« achever la modernisation de
[ses] forces armées » à l’horizon 2035, et de
se hisser « au premier rang en termes de
puissance mondiale et de rayonnement in-
ternational » en 2049, pour les 100 ans de la
fondation de la République populaire. Pour
y parvenir, Pékin mise avant tout sur les ins-
titutions internationales. Deuxième contri-
buteur au budget de fonctionnement des
Nations unies depuis 2019, il a surtout in-
vesti dans des agences de second rang spé-
cialisées dans les questions économiques et
de développement (aviation civile, alimen-
tation et agriculture, développement in-
dustriel…), à la tête desquelles se trouvent
souvent des Chinois, ou à des questions de
normes et de gouvernance mondiale.
Pékin n’hésite pas en outre à promouvoir
sa vision des droits de l’homme, très diffé-
rente de celle de l’Occident, dans des instan-
ces telles que le Conseil des droits de
l’homme de l’ONU. Cet « engagement fonc-
tionnel » vise à « élargir son espace politique,
de façon à ce que, multilatéralement et
bilatéralement, la Chine parvienne à gérer
l’évolution du système international en fa-
veur de ses intérêts », expliquait Paul Irwin
Crookes, directeur des études sur la Chine
contemporaine à l’Ecole d’études mondia-
les et régionales d’Oxford, lors d’un collo-
que organisé, en juin, à l’Institut national
des langues et civilisations orientales.
La République populaire a par ailleurs mis
au point, grâce à l’initiative des « nouvelles
routes de la soie » (Belt and Road Initiative,
BRI), lancée en 2013, un formidable outil
d’expansion commerciale, économique,
mais aussi financière, technologique et
géostratégique. Lors d’une conférence sur
la BRI en Asie-Pacifique, organisée le 21 juin,
le ministre des affaires étrangères, Wang Yi,
a rappelé que cent quarante pays ont signé
un accord-cadre avec la Chine, pour des in-
vestissements directs cumulés de plus de
130 milliards de dollars (110 milliards
d’euros) – un chiffre difficile à vérifier, tant
les investissements chinois sont « liés ».
Déconvenues
La BRI offre par exemple de nombreux dé-
bouchés pour les groupes d’Etat chinois
qui, en retour, sont sommés de remplir à
l’étranger leur mission de bons et loyaux
serviteurs du Parti communiste.
Si la Chine connaît parfois des déconve-
nues – le premier ministre italien, Mario
Draghi, a prévenu, lors du sommet du G7,
en juin, que le mémorandum sur la BRI,
signé par Rome en 2019, serait « réexaminé
avec attention » –, elle s’adapte et apprend
de ses erreurs. Ses méthodes suscitent
une certaine émulation : le président amé-
ricain, Joe Biden, a annoncé le lancement
du Build Back Better World (appelé « B3W »),
une initiative conçue pour contrecarrer
l’influence chinoise dans le développe-
ment mondial des infrastructures.
Enfin, Pékin ne cesse de créer de nou-
veaux forums, organisations, cours d’arbi-
trage – notamment dans le cadre de la BRI.
Ses think tanks sont incités à s’internatio-
naliser et à multiplier les coopérations :
là encore, il s’agit de veiller aux intérêts
chinois, tout en promouvant une vision et
un récit conformes aux exigences politi-
ques du parti. p
brice pedroletti
 CULTURE
24 |
Explosives étoiles de l’Opéra de Paris
Stéphane Bullion, Mathieu Ganio et Mathias Heymann sont à l’affiche du programme Roland Petit
DANSE
O
n a beau les voir et les
revoir, on s’emballe
encore, on tombe
sous le charme, pire,
on ne les reconnaît pas toujours
tant est grande leur capacité à
jouer leur peau en scène. Prises
de rôle à risque, ligne de danse
limpide, technique et jeu d’ac­
teur au beau fixe, les étoiles de
l’Opéra national de Paris Sté­
phane Bullion, 41 ans, Ma­
thieu Ganio, 37 ans, et Mathias
Heymann, 33 ans, rayonnent.
Rassemblés exceptionnellement
dans le programme Roland Petit –
ils ont tous les trois été élus pour
danser en alternance Le Jeune
Homme et la Mort –, mais aussi à
l’affiche de Roméo et Juliette, de
Rudolf Noureev, ils s’offrent une
fin de saison explosive, passant
du jour au lendemain du néoclas­
sique tendu de l’un à la virtuosité
ogresse de l’autre.
Saisi au vol dans sa loge, au Pa­
lais Garnier, Stéphane Bullion a le
regard bleu transparent au­des­
sus du masque. « Je préfère le gar­
der, car je ne veux pas gâcher mes
dernières représentations », glis­
se­t­il. Il survole son planning jus­
qu’au 10 juillet : avec trois rôles
dont celui complexe de Don José,
dans Carmen, pas vraiment le
temps de voir ses enfants, sauf
pour les emmener à l’école le ma­
tin. A un an de la retraite, fixée à
42 ans à l’Opéra de Paris, il libère
une énergie joyeusement juvé­
nile. « On m’a souvent dit que j’en
faisais trop, mais c’est mon métier
et j’en profite, car le temps file vite,
souligne­t­il. Par ailleurs, j’aime
me mettre en danger dans de nou­
veaux ballets. C’est grisant. Et puis,
il y a des choses qui ne se refusent
pas, et je ne sais pas dire non à
une proposition. »
S’effacer et briller
Stéphane Bullion, Mathieu Ganio,
Mathias Heymann ont tout
dansé : les classiques et les con­
temporains, les princes et les jeu­
nes premiers, les gentils et les mé­
chants. Leurs parcours sont des
concentrés d’histoire de la danse :
les grands ballets mais aussi des
œuvres de Pina Bausch, Maurice
Béjart, Mats Ek, William Forsy­
the… Et ils en veulent encore.
« Hugo Marchand, étoile de la nou­
velle génération, me demandait
récemment si je n’étais pas rassa­
sié, poursuit Bullion. Eh bien, non !
J’ai toujours de la curiosité. J’aime
tout. Jusqu’au combat à l’épée de
Tybalt, dans Roméo et Juliette ! Je
n’ai pas le contact facile dans la vie
mais, à travers le travail, je décou­
vre les autres et le plaisir d’aller en
scène avec eux. »
Aux antipodes les uns des au­
tres, Stéphane Bullion, Mathieu
Ganio et Mathias Heymann pos­
Le cinéma musical de Kyle Eastwood au Festival Django Reinhardt
Avec son quintette, le musicien revisite de belle manière des musiques de film, entre respect des originaux et improvisation
MUSIQUE
fontainebleau (seine­et­marne)
­ envoyé spécial
C omme pour d’autres festi­
vals qui peuvent accueillir
plus de 1 000 personnes,
l’accès à la prairie du Bois­d’Hyver
du parc du château de Fontaine­
bleau (Seine­et­Marne), où est
organisé, du jeudi 1er au dimanche
4 juillet, le Festival Django Rein­
hardt, nécessite, avec le billet d’ac­
cès, la présentation du passe sani­
taire. « Nous en avons informé le
public très tôt, et cela a été bien
reçu, indique Sébastien Vidal, di­
Le danseur étoile Mathieu Ganio, sur la scène du Palais Garnier, à Paris, le 27 juin. ANN RAY
Les trois garçons
ont tout dansé :
les classiques
et les
contemporains,
les princes et les
jeunes premiers,
les gentils
et les méchants
recteur artistique du festival. Et
1 200 forfaits pour les quatre jours
ont été vendus rapidement, plus
du double de d’habitude, ce que je
vois comme un signe de confian­
ce. » Avec, cette année, une capa­
cité d’accueil un peu réduite, de
5 000 personnes à 3 800, en de­
hors de quelques centaines pour
les équipes techniques, les béné­
voles, la presse, etc.
La silhouette de Steve McQueen
L’herbe est verte et grasse, les ar­
bres qui bordent la prairie bien en
feuilles, le site accueillant et
convivial. C’est avec Les Doigts de
sèdent au moins un point com­
mun : leur modestie palpable
sur un plateau, qui n’est pas re­
trait mais ciselage d’orfèvre de
chaque partition chorégraphi­
que. Ils font miroiter le paradoxe
du métier dont ils transmet­
tent les valeurs profondes. S’effa­
cer et briller. Interpréter et res­
pecter. « Nous nous connaissons
peu, mais je crois que nous parta­
geons tous les trois une sorte d’hu­
milité, poursuit Bullion. J’aime
voir danser Mathieu et Mathias. Je
m’enrichis à les regarder. Nous
cherchons d’abord à servir un bal­
let, en trouvant chacun notre
l’homme (trois guitares, contre­
basse, percussions) et la chanteu­
se Amélie­les­crayons que débute
le premier jour festivalier, jeudi
1er juillet. Plaisant voyage en jazz
manouche, avec des éléments
latinos, les trois temps de la valse,
de belles chansons, Mes très chers,
L’Errant, ou des fantaisies pim­
pantes comme La Garde­Robe
d’Elizabeth. Suit le quintette du
contrebassiste et bassiste Kyle
Eastwood, l’un des enfants du réa­
lisateur Clint Eastwood, pour un
programme de musiques de films
tirées de son album Cinematic
(2019, Jazz Village/PIAS), qui sera
identité et en restant nous­mêmes
avec honnêteté. »
Tirer son épingle du jeu sans ti­
rer la couverture à soi. Rien de
plus fascinant qu’un interprète
qui s’oublie dans son personnage
tout en irradiant. Rien de plus ex­
citant que de donner au public
l’impression de découvrir son
rôle en le déroulant pas à pas. « Il
s’agit de conserver un lien ténu en­
tre soi et la fidélité au ballet, expli­
que Mathieu Ganio. Je veille à être
lisible pour le public, à tenir le fil
rouge du personnage sans temps
mort. On a évidemment toujours
envie de proposer sa vision et be­
joué dans plusieurs festivals (à
Sète, Nice, Marciac…).
Avec Eastwood, le pianiste An­
drew McCormack, le trompettiste
et bugliste (superbe sonorité)
Quentin Collins, le saxophoniste
Brandon Allen, dans le lyrisme
coltranien, et le batteur Chris Hig­
ginbottom. Leur interprétation
parfaite, pleine de swing de Sky­
fall, qu’a chanté Adele pour le film
de la série des aventures de James
Bond, pose les choses. Immédia­
tement, le groupe est dans l’élan
musicien.
Tout a été parfait, l’esprit des ori­
ginaux en juste support à l’avan­
Ils font miroiter
le paradoxe
du métier dont
ils transmettent
les valeurs
profondes
soin de reconnaissance, mais en
étant à la hauteur de l’œuvre. Je
ne suis pas dans les effets, et plu­
tôt partisan d’un certain naturel
en scène. »
A 37 ans, Mathieu Ganio,
nommé étoile à 20 ans, relève le
défi de trois prises de rôle pour
conclure cette drôle de saison
tronquée. Le plus périlleux ? Le
Jeune Homme et la Mort, de Ro­
land Petit. « J’avais très peur de m’y
attaquer, confie­t­il. C’est telle­
ment énorme. Je ne suis pas casse­
cou et il a fallu vaincre ma peur
pour sauter, faire des acrobaties,
se confronter aux accessoires. C’est
Aurélie Dupont, directrice de la
danse, qui m’a proposé de passer
l’audition auprès de Luigi Bonino,
répétiteur et proche de Roland Pe­
tit. Ça a marché. Mais ça a été com­
pliqué, car on travaille sans musi­
que, d’abord, pour trouver son
rythme. J’ai construit mon person­
nage petit à petit. »
Le Jeune Homme et la Mort, cho­
régraphié en 1946 avec Jean Babi­
lée, est non seulement un mythe
mais un pic. Parallèlement au rôle
de Roméo dans Roméo et Juliette,
Mathias Heymann, étoile depuis
l’âge de 21 ans, se glisse aussi dans
la légendaire salopette bleue de
Babilée. Catégorisé « danseur no­
ble, en collant, interprétant une
histoire écrite dans la chorégra­
phie », comme il le résume, Hey­
mann s’est « battu pour l’interpré­
ter » : « Je ne suis pas le profil idéal
pour cette pièce. Et c’était la pre­
mière fois que je m’affrontais à un
ballet très théâtral. »
Contrairement à ses collègues,
Heymann n’a pas décrypté les vi­
déos de ceux, dont le fabuleux
Nicolas Le Riche, qui l’ont pré­
cédé. « Pour ne pas être intimidé »,
il a préféré avaler le livre Jean Ba­
bilée ou la danse buissonnière, de
Sarah Clair (Van Dieren, 1995). Et
les mots l’ont porté. « Quitte à se
rater, c’est très intéressant de sortir
de ses habitudes, affirme­t­il. J’ai
par ailleurs tendance à trop réflé­
chir, lorsque je danse, pour ne pas
me laisser surprendre par un inci­
dent de parcours, mais là, il a fallu
lâcher prise. Il est impossible d’an­
ticiper, tellement il y a d’imprévus
qui peuvent surgir. Il faut se fier au
hasard et s’y jeter à corps perdu. »
Mathias Heymann a emporté
l’adhésion. Il a aussi hypno­
tisé dans le personnage de Frollo,
a priori à l’opposé de son tempé­
rament et de son physique, dans
cée soliste, l’improvisation. Il y a
le rendu du motif inquiétant
composé par John Williams pour
le film d’espionnage La Sanction,
réalisé par Clint Eastwood en 1975.
L’atmosphère film noir, la mélan­
colie de la dernière partition de
Bernard Herrmann, celle où il
s’approcha le plus du jazz, pour
Taxi Driver (1976), de Martin
Scorsese. Des images de San
Francisco, la silhouette de Steve
McQueen surgissent de la réduc­
tion en quintette de la partition
orchestrale de Lalo Schifrin pour
le générique de début de Bullitt
(1968), de Peter Yates.
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
Notre­Dame de Paris, de Roland
Petit, présenté à huis clos, le
30 mars, à l’Opéra Bastille : la cap­
tation sera diffusée à partir du
9 septembre dans les cinémas. Il
est impérieux, sec, coupant, en
prêtre affolé par le sexe. « Je me
voyais plutôt dans le capitaine
Phoebus, le jeune premier, fait­il,
souriant. Et j’en ai bavé, à appren­
dre la partition très déstabilisante
de Frollo. Ce n’est pas le premier
rôle, mais c’est intéressant de ne
pas être toujours en haut de l’affi­
che. J’ai été nommé étoile sur un
second rôle, celui de Lenski, dans
Onéguine, de John Cranko, et je
n’ai pas de souci avec ça. A condi­
tion d’avoir un personnage subs­
tantiel à interpréter, c’est même
reposant. Car qui dit détente, dit
souvent belle danse. »
« Clou en titane »
Le Frollo de Mathias Heymann se
cognait au Quasimodo somp­
tueusement tordu de Stéphane
Bullion. Passion du travail, de la
recherche, besoin de se déborder,
pas question pour ces étoiles de
se crisper sur les premiers rôles.
Ils acceptent d’endosser les per­
sonnages secondaires et se faufi­
lent même dans des pièces de
groupe sans hiérarchie. Pour The
Male Dancer, d’Ivan Pérez, Ma­
thieu Ganio et Stéphane Bullion
se fondaient parmi les dix hom­
mes en scène. « Je ne veux pas
m’accrocher à un répertoire mais
m’ouvrir à un nouveau spectre
de langages chorégraphiques, in­
siste Ganio. J’ai accepté cette
saison de danser pour la première
fois Tybalt au lieu de Roméo et,
pour moi, ce n’est ni clivant
ni vexant en tant qu’étoile de le
faire. Je veux continuer à repous­
ser mes limites. »
Dans un contexte quotidien
chargé et pressant, conserver sa
forme physique et sa technique
est un enjeu. Si Stéphane Bullion a
subi peu de blessures, Mathieu
Ganio, en revanche, souvent fra­
gilisé, est très vigilant. « J’aurais
abordé mon métier avec plus de lé­
gèreté si j’avais été moins blessé,
dit­il. Il faut toujours veiller à ne
pas régresser techniquement et
garder son niveau sans faire le truc
de trop. Récupérer, surtout, est plus
compliqué aujourd’hui. » Quant à
Mathias Heymann, il n’oublie ja­
mais depuis dix ans son « clou en
titane » dans le tibia, dû à une frac­
ture de fatigue. « J’ai dû accepter,
et cela m’a permis de revenir à l’es­
sentiel : la joie de danser. » 
rosita boisseau
Programme Roland Petit,
au Palais Garnier (Paris 9e),
jusqu’au 7 juillet.
Roméo et Juliette,
à l’Opéra Bastille (Paris 12e),
jusqu’au 10 juillet.
La chanteuse Camille Bertault
les rejoint. Elle donne de la profon­
deur, du relief, aux Moulins de
mon cœur, version française du
thème un rien crème Chantilly de
Michel Legrand dans L’Affaire
Thomas Crown (1968), de Norman
Jewison (Steve McQueen bis), im­
provise talentueusement, en scat,
avec les vents. Et son Charade,
d’Henry Mancini (film de Stanley
Donen, 1963), est un bonheur. 
sylvain siclier
Festival Django Reinhardt,
à Fontainebleau (Seine­et­Marne).
Jusqu’au 4 juillet. 35 €.
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
Draguignan, nouvelle étape de l’errance d’Ulysse
L’Hôtel départemental des expositions du Var réunit des œuvres peu connues évoquant l’« Odyssée »
EXPOSITION
draguignan (var)
J
usqu’à cette année, la ville de
Draguignan (Var) était prin­
cipalement connue pour ses
deux écoles militaires, l’une
d’infanterie et l’autre d’artil­
lerie. Elle devrait l’être désormais
pour son Hôtel départemental
des expositions du Var, abrégé en
HDE Var. Ce nouveau lieu culturel
a été aménagé à partir d’un bâti­
ment construit en 1890 pour les
archives du Var, à proximité du
monumental palais préfectoral
élevé en 1830, au temps où Dra­
guignan était préfecture.
L’architecte Frédéric Pasqua­
lini a enveloppé l’immeuble de
pierre, dont la façade sur rue de­
meure intacte, d’un exosque­
lette de béton pour y loger l’esca­
lator qui relie les trois niveaux
de salles d’exposition, pour une
superficie totale de 650 mètres
carrés. Avec un budget plutôt mo­
deste de 6,8 millions d’euros,
la ville dispose donc désor­
mais d’un instrument culturel ef­
ficace. Bien des villes de même
taille suivraient avantageuse­
ment cet exemple.
Le bâtiment devait être inau­
guré en janvier mais, pandémie
oblige, il vient de l’être, et l’expo­
sition d’ouverture qui devait finir
en mai a été déplacée pour durer
tout l’été. Elle a pour héros Ulysse,
le voyageur infatigable et subtil
de l’Odyssée dont le retour jusqu’à
l’île d’Ithaque, dont il est roi, et à
son épouse Pénélope dure une
décennie : les vingt­quatre chants
écrits par Homère vers le VIIIe siè­
cle av. J.­C., œuvre majeure de la
littérature et foisonnement de su­
jets pour les arts, de l’Antiquité à
aujourd’hui.
Grèce et peinture symboliste
Cette abondance est à la fois la
raison, la difficulté et la chance
de l’exposition. La raison : l’ico­
nographie odysséenne est un su­
jet d’étude des plus consistants,
l’occasion d’observer les per­
sistances et les modifica­
tions des représentations inspi­
rées par le poème. La difficulté :
du XVIe au XIXe siècle, ces
représentations, par la peinture, la
gravure et la sculpture, sont
d’autant plus nombreuses que
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« Ulysse et les sirènes », Etrurie, IIe siècle av. J­C., urne cinéraire en albâtre polychrome. MUSEO ARCHEOLOGICO NAZIONALE, FLORENCE ‒ ITALIE
l’Odyssée, chef­d’œuvre universel­
lement connu et traduit, offre
quantité de situations intéressan­
tes à figurer, des métamorphoses
de Circé la magicienne aux ruses
de Pénélope tissant et détissant sa
tapisserie et au règlement de
comptes final, quand un Ulysse
peu enclin au pardon liquide tous
ceux qui prétendaient épouser sa
veuve supposée avec cet arc qu’il
est le seul à savoir tendre et dont il
fait un usage ravageur.
Un inventaire exhaustif est
donc impossible : il exigerait des
prêts difficiles à obtenir et une su­
perficie très supérieure à celle
dont disposait le commissaire de
l’exposition, l’historien de l’art
Milan Garcin. Mais, dans cette
abondance, il y avait à trouver
pour lui des œuvres peu connues
et il y est parvenu en puisant prin­
cipalement dans deux types de
représentations : les vases peints
et la sculpture de la Grèce an­
cienne d’une part, la peinture aca­
démique ou symboliste de la se­
conde moitié du XIXe siècle
d’autre part. De cette seconde ca­
tégorie relèvent quelques toiles
d’un pompiérisme plaisant à
force d’emphase : le dramatique
Ulysse reconnu par Euryclée
(1849), de Gustave Boulanger, la
Reconnaissance d’Ulysse et de Té­
lémaque (1880), du peu connu
Lionel Royer, ou Ulysse et les sirè­
nes (1909), d’Herbert James
Draper, aussi peu connu. Ils sont
la version cinématographique par
anticipation de l’Odyssée, dont les
œuvres de Johann Heinrich Füssli
ou Odilon Redon sont les ver­
sions oniriques, moins spectacu­
laires et plus émouvantes.
Quelques toiles
symbolistes de
la seconde moitié
du XIXe siècle
relèvent d’un
pompiérisme
plaisant à force
d’emphase
Les figures noires ou rou­
ges peintes en Grèce et en Asie
Mineure aux Ve et IVe siècles
av. J.­C. sont, stylistiquement, à
l’opposé de ces images. Elles se
passent de paysages et de détails,
elles suggèrent mouvements et
sentiments en peu de gestes, elles
concentrent le récit. Ce sont plutôt
des dessins que des peintures, au
sens moderne du mot : des des­
sins d’une sûreté, d’une acuité et
d’une rythmique simplement ad­
mirables. Devant le Vase de Nau­
sicaa, amphore modelée et ornée
vers 440 av. J.­C., ou cet autre, lécy­
the encore un peu plus ancien, où
Ulysse s’échappe de la caverne de
Polyphème, on ne sait qu’admirer
le plus, du sens de l’abréviation
narrative ou de l’élégance de styli­
sation de l’artiste.
Ellipse et sous-entendu
Elles sont d’autant plus remar­
quables que le texte d’Homère
pose souvent des problèmes diffi­
ciles. Comment dessiner ou mo­
deler un cyclope ? Où placer son
œil unique et donc son nez ?
Autres interrogations : comment
culture | 25
L’exposition
incite à
s’interroger sur
les possibilités
et les limites de
la représentation
visuelle, quand
celle-ci affronte
un texte
représenter ledit cyclope Poly­
phème dévorant un des compa­
gnons d’Ulysse, scène d’anthro­
pophagie scandaleuse ? Et la mé­
tamorphose d’un homme en
pourceau ? L’anatomie d’une si­
rène, sachant que celle­ci peut
être ailée ? Le monstre marin
Scylla pose moins de problèmes :
un dragon serpentin fait l’affaire.
Vue sous cet angle, l’exposition
est bien plus qu’un exercice d’ico­
nographie comparée. Elle incite à
s’interroger sur les possibilités et
les limites de la représentation vi­
suelle, quand celle­ci affronte un
texte – un poème qui plus est –
qui suffit par lui­même à mettre
en mouvement l’imagination. En
se fondant sur les œuvres ici ras­
semblées, on en conclut que la
suggestion, l’ellipse et le sous­en­
tendu valent mieux que toute
tentative de description littérale à
prétention réaliste, qui encombre
le regard et contrarie l’imaginaire.
Cette déduction se trouve confir­
mée par les artistes d’aujourd’hui
qui ont été invités à rejoindre
leurs lointains prédécesseurs,
Ange Leccia pour sa vidéo La Mer,
épure en noir et blanc, et Anne et
Patrick Poirier dont l’installation
Odysseia réactualise par allusions
enchaînées l’un des thèmes es­
sentiels de l’Odyssée : l’errance de
l’homme soumis à une nature in­
finiment plus puissante que lui. 
philippe dagen
« Ulysse, voyage dans une
Méditerranée de légendes »,
Hôtel départemental des
expositions du Var, 1, boulevard
du Maréchal­Foch, Draguignan
(Var). Du mardi au dimanche, de
10 heures à 19 heures Entrée de
3 à 5 €. Jusqu’au 22 août. Hdevar.fr
Victor Hugo, Paysage aux trois arbres, plume, lavis, crayon, encre, 1850 ©Maisons de Victor Hugo- Paris Musées

26 | culture
« Combattimento », entre héraldique et cygne noir
A Aix­en­Provence, Sébastien Daucé et Silvia Costa présentent un spectacle inédit autour de Monteverdi
REPORTAGE
aix­en­provence (bouches­
du­rhône) ­ envoyée spéciale
P
rêts à reprendre le com­
bat ? Ce 16 juin, après­
midi étouffant à Aix­en­
Provence, qui espère
l’orage et la pluie. Dans le frais
cocon du Théâtre du Jeu de
paume, l’horizon aussi se charge.
La pause n’est pas tout à fait ter­
minée mais Sébastien Daucé, le
patron de l’Ensemble Correspon­
dances, est déjà dans la fosse.
Idem à la régie pour Silvia Costa,
qui met en scène Combattimento,
la théorie du cygne noir. A eux
deux, les artistes ont construit un
spectacle inédit sur des musiques
baroques italiennes autour du fa­
meux Combat de Tancrède et
Clorinde, extrait de La Jérusalem
délivrée, du Tasse, qui clôt le hui­
tième livre des madrigaux de
Monteverdi. Un dernier siffle­
ment de visseuse à jardin : les
techniciens quittent le plateau.
Le filage de la première partie
est prévu à 16 h 30. Tête encapu­
chonnée de noir, la mezzo Lucile
Richardot ajuste ses genouillères
tandis que Tancrède et Clorinde,
alias le baryton Etienne Bazola et
la soprano Julie Roset, revêtent la
robe blanche des chevaliers du
Temple. « Mesure 106 », s’impa­
tiente le chef d’orchestre. Le noir a
laissé place à la première partie
du madrigal à six voix Hor che’l
ciel e la terra (« Maintenant que le
ciel et la terre »).
Une longue plage d’accords sta­
tiques évoquant la nuit et le som­
meil des éléments. Soudain re­
layés par de courtes exclama­
tions. Au cœur de l’obscurité, une
âme s’agite et guerroie – « veille »,
« pense », « brûle » et « pleure ».
« Guerra, guerra, guerra », chevau­
chent les voix en imitation tandis
que des points de lumière cons­
tellent peu à peu le rideau de nuit
telle une Grande Ourse. Le Com­
battimento peut commencer.
« Notre travail s’arc­boute sur ces
deux pièces majeures, explique
Sébastien Daucé. Au centre, Il
Combattimento, cette fulgurance
JOUEZ EN FAMILLE
AVEC « LE PETIT PRINCE »
POUR SAUVER LA PLANÈTE
Une façon ludique et originale de faire découvrir l’écologie
aux jeunes à partir des textes d’Antoine de Saint-Exupéry
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La trame
dramaturgique
imagine les suites
possibles du
« combattimento »
après la mort
de Clorinde
géniale de Monteverdi dans la re­
cherche des rapports texte­musi­
que. En amont et en aval, le madri­
gal roi qu’est Hor che’l ciel e la
terra, dont la première partie sert
de prologue tandis que la seconde
fournira, après les lamentations,
l’épilogue du spectacle – le retour
de l’espoir, une reconstruction
après les épreuves du deuil. »
La trame dramaturgique élabo­
rée par Silvia Costa imagine en
effet les suites possibles du « com­
battimento » après la mort de
Clorinde. Non sous la forme d’une
narration stricte, mais d’un par­
cours de sensations et d’images,
où la perte infligée à Tancrède es­
saime à toute la communauté qui
l’entoure. A l’œuvre, la « théorie
du cygne noir » de Nassim
Nicholas Taleb, selon laquelle un
événement tout à fait accidentel
peut provoquer une crise ma­
jeure ou briser un destin.
Grande partition recomposée
Ainsi la lutte sans merci qui op­
pose le chevalier chrétien et son
adversaire sarrasine, la femme
qu’il aime et tue pour ne l’avoir
point reconnue. « Tancredi che
Clorinda un uomo stima vuol
nell’armi provarla al paragone »
(« Tancrède qui croit voir en
Clorinde un homme digne de se
mesurer à sa valeur, veut l’éprou­
ver au combat ») énonce la voix ar­
dente du narrateur, le ténor Vale­
rio Contaldo. Les trois protagonis­
tes sont au centre de la scène, les
belligérants de part et d’autre du
Testo. Jamais ils ne se toucheront.
Toute la violence du combat est
dans la fosse, le galop du cheval, le
choc des armures, tandis que le
duel pavoise les costumes d’une
0123
HORS-SÉRIE JEUX
EN PARTENARIAT AVEC
La soprano Julie Rozet, le ténor Valerio Contaldo et le baryton Etienne Bazola, lors d’une répétition, à Aix­en­Provence. MONIKA RITTERSHAUS
héraldique imaginaire. « Mon ap­
proche, d’une manière générale,
n’est pas naturaliste, justifie Silvia
Costa. Je travaille à construire un
univers qui procède par images et
symboles, faisant des personnages
des entités traversées d’élans, d’im­
pulsions, de secousses. » Et voici
qu’au second assaut la blessure de
Clorinde a teinté de rouge la ban­
nière qui s’échappe de son col.
L’heure est désormais aux la­
mentations. A genoux, une
lourde enclume attachée aux
reins, Lucile Richardot a chanté de
sa voix tragique le magnifique La­
mento d’Ecuba tiré de La Didone,
de Cavalli, après la Première Leçon
« Falstaff », leçon d’humanité épicurienne
Les débuts scéniques de Barrie Kosky à Aix­en­Provence ont conquis le Théâtre de l’Archevêché
OPÉRA
aix­en­provence (bouches­
du­rhône) ­ envoyée spéciale
C’ est dans une scan­
sion d’applaudisse­
ments nourris que
s’est achevée la première du Fals­
taff mis en scène par Barrie Kosky
au Théâtre de l’Archevêché, jeudi
1er juillet, deuxième numéro de la
liste des huit spectacles présentés
par un Festival d’Aix­en­Provence
augmenté et très en verve après
une saison de sevrage forcé. C’est
que le fameux adage qui clôt l’ul­
time chef­d’œuvre d’un Verdi de
80 ans, « Tutto nel mondo è burla.
L’uom è nato burlone » (« Le
monde entier n’est qu’une farce.
L’homme est né bouffon »), rugi
par un plateau vocal survolté, a
sans doute trouvé une résonance
particulière dans ce soir idéale­
ment tiède et serein de Provence,
nous invitant non à tourner la
page de la pandémie qui fige le
monde depuis plus de dix­huit
mois, mais à vivre sans délai.
Une auberge de bout du monde,
carrelée d’azulejos verts et une ta­
ble jonchée de victuailles, fruits et
légumes : Falstaff, cul nu sous son
tablier de cuisine, est au fourneau,
maître queux et queutard galant
homme. Loin du gargantuesque
et répugnant personnage habi­
tuellement mis en scène, le héros
de Barrie Kosky est au contraire
un amoureux éperdu de la vie,
de ténèbres du premier jour, ex­
trait de la Musica super Threnos Je­
remiae prophetae, de Tiburtio
Massaino (1550­1608). « A partir
de l’onde de choc provoquée par Il
Combattimento, j’ai voulu faire la
radiographie des dix ans qui ont
suivi, entre 1638 et 1648, une épo­
que où tout est fou dans l’Italie du
Nord, s’exalte­t­elle, où tout coha­
bite, musique instrumentale et
grandes sonates, les premiers opé­
ras de Cavalli, sans oublier la poly­
phonie sacrée en style ancien. »
C’est cette grande partition re­
composée que défendront pied à
pied chanteurs et musiciens de
Correspondances, entre pièces
dévorée avec d’autant plus de
gloutonnerie que le terme s’en
rapproche à pas feutrés. Feuilletée
de recettes de cuisine complexes
et raffinées énoncées en voix off
entre chaque acte, la machinerie
théâtrale de Barrie Kosky déjoue
l’archétype et se plaît à multiplier
les visages de Falstaff que tenues
et perruques transformeront suc­
cessivement en guitar hero à la
chevelure blonde et au déhanché
suggestif, en play­boy de pacotille
– hilarité générale lorsqu’il débar­
que au domicile de sa belle en total
look vert azulejos, comme sorti
du décor –, enfin en vieux monar­
que déchu, couronné de deux cor­
nes en baguette de pain.
Savoureuse recette musicale
Le seul moment de vérité sera ce­
lui, où, tête nue, enveloppé d’une
couverture, il rumine son humi­
liation, après avoir été balancé par
les commères de Windsor comme
un paquet de linge sale dans les
eaux froides de la Tamise.
Réglée avec une science aiguë de
la direction d’acteurs, la proposi­
tion du talentueux Barrie Kosky
nous laisse paradoxalement sur
notre faim. Comme si le fait
d’avoir délesté son personnage de
toute distanciation, d’avoir si
ouvertement pris son parti, non
sans empathie, dénoncé un épicu­
risme de la solitude, avait grippé
les ressorts de la comédie, ren­
dant la vengeance des femmes
« Mon approche
n’est pas
naturaliste.
Je travaille
à construire
un univers
qui procède
par images
et symboles »
SILVIA COSTA
metteuse en scène
plus cruelle que drôle, la trahison
des serviteurs plus blessante que
vénale, les baisers volés des jeunes
amoureux un tantinet ridicules.
Seul le mari jaloux, également
affamé et seul, contraint au tra­
vestissement, semble à bien des
égards un alter ego. Plus vrai que
nature, le duo du madrigal, avec
son rythme valsé, dont l’inexpu­
gnable nostalgie d’amour fera se
lever et tournoyer ceux dont la
vie se confond avec les chaises des
bars. La scène finale, personnages
grimés de paillettes colorées et
voilés de noir, qui renvoie Falstaff
à son animalité, aura un avant­
goût de sévices dignes l’Enfer de
Dante. C’est sur une danse maca­
bre conjuratoire que s’achèvera le
chef­d’œuvre du « Vecchio Giu­
seppe », dont l’appétit créateur a
concocté un testament en forme
de savoureuse recette musicale.
Sous la direction vive et précise
de Daniele Rustioni, l’Orchestre de
l’Opéra de Lyon a mis les petits
plats dans les grands : couleurs,
acuité, lyrisme, rebondissements,
le théâtre est aussi dans la fosse,
cependant que le plateau vocal ne
concède aucun maillon faible. Il
faut un sacré don d’acteur pour in­
carner avec autant de naturel, de
truculence et d’émotion, le Fals­
taff protéiforme de Barrie Kosky :
Christopher Purves y parvient
avec maestria, lui dont la voix par­
fois se voile, mettant en évidence
l’humanité du personnage.
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DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
instrumentales et vocales, musi­
que spirituelle (en latin) et lamen­
tos (en italien), chœurs et airs so­
listes, à l’instar de l’émouvante
Canzonetta spirituale sopra alla
nanna, de Tarquinio Merula, ber­
ceuse finement interprétée par la
soprano Caroline Weynants, avec
laquelle s’achèvera la répétition,
repoussant au lendemain la sortie
des ténèbres et le retour à la vie. 
marie­aude roux
Combattimento, la théorie du
cygne noir au Festival d’Aix­en­
Provence. Théâtre du Jeu de
paume. Du 3 au 18 juillet.
De 9 à 90 euros. Festival­aix.com
Face à lui, Stéphane Degout
campe un Ford qui en a sous le ca­
pot : une projection puissante,
une autorité et une noirceur in­
quiétantes, comme dans ce sosie
de mafieux ou de tueur à gages,
tiré à quatre épingles. Les jeunes
amoureux sont al dente, la Na­
netta mutine et coquine de Giulia
Semenzato, le Fenton adolescent
et poète de Juan Francisco Gatell.
Le trio bouffe tire ses marrons du
feu, le Docteur Caïus glapissant de
Gregory Bonfatti, le Bardolfo rou­
blard de Rodolphe Briand, le Pis­
tola brut de décoffrage d’Antonio
di Matteo. Quant au trio des com­
mères, les voilà idéalement cas­
tées : la voluptueuse Alice Ford de
Carmen Giannattasio, voix au bal­
con et corsage à l’avenant, la Meg
Page années 1950 d’Antoinette
Dennefeld, et surtout la Mrs. Quic­
kly foldingue de Daniela Barcel­
lona, dont les graves et l’abattage
séduisent et impressionnent. 
m.­a.r.
Falstaff, de Verdi. Avec
Christopher Purves, Stéphane
Degout, Juan Francisco Gatell,
Carmen Giannattasio, Daniela
Barcellona, Giulia Semenzato,
Antoinette Dennefeld, Gregory
Bonfatti, Rodolphe Briand,
Antonio di Matteo, Barrie Kosky
(mise en scène). Théâtre de
l’Archevêché, au Festival d’art
lyrique d’Aix­en­Provence..
Jusqu’au 13 juillet.
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DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021 culture | 27

Jacques Vassal : « Aimer le folk,

S É L E C T I O N   A L B U M S
RO STA M
Changephobia
La virevoltante originalité de Vampire
Weekend, groupe­phare de la scène indie
pop des années 2000, a longtemps

c’était être boy­scout » reposé sur les personnalités du chanteur­

guitariste Ezra Koenig et du multi­
instrumentiste Rostam Batmanglij,
également producteur de leurs trois premiers albums.
Défenseur de Woody Guthrie, Pete Seeger et leurs héritiers dans « Rock Sous le nom de Rostam, ce dernier a choisi, depuis 2016,
de mener une carrière solo, dont Changephobia est le brillant
& Folk », le journaliste vient d’actualiser son « Folksong », sorti en 1971 deuxième témoignage. Si cet Américain d’origine iranienne
partage avec Koenig une admiration pour la délicatesse
mélodique et vocale de Paul Simon, il ne choisit par pour
autant d’ancrer son écriture dans le classicisme – au contraire
ENTRETIEN Par antiaméricanisme primaire.
J’avais à me battre sur deux fronts.
« Une folksong, de Pete Seeger : c’est une bonne
chanson qui a été adoptée par des
du quatrième album de Vampire Weekend, Father of the Bride
(2019), conçu par son ancien complice. Habitées d’harmonies

S
ous une belle image d’un
gamin banjoïste, photo­
graphié en 1959 dans le
Kentucky par John Co­
hen – membre fondateur du trio
The New Lost City Ramblers –, et
avec des illustrations de Nicolas
Moog, la maison d’édition tar­
naise Les Fondeurs de briques réé­
dite, dans une version augmentée,
Folksong, livre publié pour la pre­
mière fois en 1971 par Jacques Vas­
sal. Le journaliste fut le grand dé­
fenseur de cette cause dans les co­
lonnes de Rock & Folk, du troi­
sième numéro du magazine
(janvier 1967, avec une interview
de Graeme Allwright) au milieu
des années 1980, quand la guitare
acoustique et la mise en valeur du
répertoire traditionnel parais­
saient condamnées par le règne
des synthétiseurs.
Le folk vit pourtant une énième
résurgence, en ce IIIe millénaire,
qui a même été favorisée par le
confinement, à en juger par les ré­
centes productions de stars de la
pop, comme Taylor Swift ou Lana
Del Rey. C’est l’occasion de se pen­
cher, avec Jacques Vassal, sur le
curieux destin de cette musique
aux contours élastiques, qu’il
analyse des pow­wow indiens au
freak folk de Devendra Banhart –
et on ne tiendra pas grief à
l’auteur d’avoir passé sous silence
Elliott Smith et Cat Power.
Vous avez longtemps travaillé
à « Rock & Folk ». Curieux titre
puisque le second terme,
« folk », a été et reste très
marginal dans ce mensuel…
Dans les années 1970­1980, les
gens du milieu rock se foutaient
de la gueule de la musique folk –
et accessoirement de moi, parce
que je la défendais. Ils étaient par­
tisans d’un rock assez dur, vio­
On était minoritaires dans les
goûts des journalistes et dans le
goût supposé du lectorat.
Quelle était, en France,
la visibilité du folk quand vous
avez commencé à le raconter ?
Ce journal s’appelle Rock & Folk
parce que, à l’époque, il y avait
l’étiquette « folksong » sur cer­
tains disques qui sortaient en
France, comme les cinq volumes
d’American Favorite Ballads, de
Pete Seeger. Ceux du label Folk­
ways sortaient au Chant du
monde [maison de disques alors
financée par le Parti communiste
français], avec des pochettes dé­
pliantes comprenant les paroles
et leur traduction, une biographie
et une explication en quelques li­
gnes de chaque chanson.
Sur les premiers disques de Joan
Baez, je voyais, dans les crédits,
la mention « Child » avec un nu­
méro et m’étonnais, car il ne
s’agissait pas de chansons pour
enfants. J’ai su que c’était Sir Fran­
cis James Child [1825­1896], qui
avait collecté ces ballades et en
avait fait un recueil. Il y avait aussi
les émissions de radio sur les ne­
gro spirituals et le gospel de Sim
Copans [1912­2000], qui travaillait
au Centre culturel américain,
à Paris. Petit à petit, les pièces
du folk se sont assemblées.
Hugues Aufray a donc trouvé
place dans les premiers numéros
de Rock & Folk, avec Antoine, dont
Les Elucubrations est un démar­
quage du I Shall Be Free, de Bob
Dylan, qui lui­même s’était ins­
piré de Leadbelly [1888­1949]. Je
pense avoir transmis ma fascina­
tion à quelques milliers de gens.
Le seul auquel vous consacrez
un chapitre entier est Bob
Dylan. Vous ne lui en voulez
c’est une bonne
chanson qui a été
adoptée par des
gens du peuple
et s’est forgée
au fil du temps »
sept minutes ! Pour autant, Dylan,
qui a révolutionné la musique po­
pulaire, a une grande culture de la
musique traditionnelle. Ce n’est
pas par hasard qu’il est venu à New
York, où il a absorbé comme une
éponge quantité d’influences, les
ballades des colons blancs irlan­
dais ou écossais comme celles des
enfants d’esclaves, gospel et blues.
Quand j’ai commencé à m’inté­
resser à ces musiques­là, j’avais
une vision non seulement blan­
che, mais européenne : je croyais
naïvement que, avec la ségréga­
tion, les musiques des Blancs
et des Noirs étaient imperméa­
bles les unes aux autres. Alors que
les gens du Sud ont puisé dans le
blues, et c’est devenu un melting­
pot musical passionnant à suivre.
Avez­vous une idée plus
précise de ce que peut être le
folk, avec cette actualisation ?
Oui et non, pour faire une ré­
ponse de Normand. A force de fré­
quenter un sujet, on l’approfondit
et on en élargit les contours.
Le rap s’est ainsi emparé de la
fonction sociale qui s’exprimait
dans le folk – pour moi, le point de
bascule a été The Revolution Will
Not Be Televised [1970] de Gil
Scott­Heron. Les rappeurs les plus
politiques, dans les années 1985­
1990, écrivaient des textes sou­
vent satiriques et vindicatifs sur
une musique psalmodiée­parlée
gens du peuple et s’est forgée au fil gracieuses, les chansons évoluent dans un décor conciliant
du temps. Il reste une mélodie, dépouillement et foisonnement d’idées. Le folk de These Kids
on transforme les paroles ou on We Knew ou la pop de From the Back of a Cab se voient
en écrit de nouvelles parce qu’on ainsi perturbés par un troublant bricolage rythmique.
a une situation nouvelle. Pas A l’instar de nombreuses références jazz, dont les guitares
parce qu’on est un mauvais com­ aériennes et saxophone noctambule se frottent
positeur ou qu’on a la flemme, délicieusement à un breakbeat haletant (Kinney) ou à un
mais parce qu’on agit dans l’ur­ phrasé néo­soul (les formidables Unfold You et Bio18), inspiré
gence. Il y a cette volonté d’effica­ des audaces intimistes de Frank Ocean.  stéphane davet
cité qui existe aussi dans la chan­ 1 CD Secretly Distribution.
son satirique française. Pour pou­
voir apprendre les paroles et en M A RC D ESSE
faire une arme de lutte, par exem­ Marc Desse
ple sur les piquets de grève, il faut Lorsque paraît, en 2014, son premier
que la mélodie soit facile à retenir. album, Nuit noire, Marc Desse rejoint
Prenons l’exemple de Buddy les rangs d’une scène pop hexagonale
Can You Spare a Dime, une chan­ revigorée, déjà distinguée par les
son bouleversante interprétée par esthètes Lescop, Aline, Granville
Peter Paul & Mary (1965), qui ve­ ou encore La Femme. Ces nouveaux
nait de Broadway, mais a été adop­ « Jeunes Gens Mödernes » avaient pour modèle les aînés
tée par les folkeux. Elle remue aus­ de l’après­punk Elli et Jacno, Taxi Girl et Etienne Daho.
sitôt des images, les gens qui font Un peu plus dandy rock dans l’esprit, l’auteur, compositeur
la queue devant les soupes popu­ et interprète franco­espagnol exalte, pour sa part, une poésie
laires et n’ont plus de maison, romantique et ténébreuse, des mélodies au charme instantané
après la crise de 1929. Mais on chantées en français, imprégnées de guitares surf garage
peut l’écouter à l’aune de la crise et de synthétiseurs nostalgiques. Son deuxième album,
des subprimes de 2008. A la fin du portant simplement son nom, a été enregistré entre Paris
livre, je parle de George Floyd et Detroit (Etats­Unis) et cosigné principalement avec le
pour dire que, même si la ségréga­ multi­instrumentiste et arrangeur Gaël Etienne (Lescop,
tion a été abolie, il reste un fer­ Requin Chagrin…). Cette association fructueuse donne lieu
ment de racisme, même dans un à une belle moisson de refrains mémorables (On s’aime
Etat du Nord comme le Min­ et Si tu veux) ; au tube synthpop tout désigné Les Etoiles ;
nesota. Ce que disaient les folk sin­ à Paris je t’aime, dans une veine rock dissonante très Pixies ;
gers des années 1950­1960 a en­ à la ballade en clair­obscur Je ne pars pas sans amour ;
core toute sa vérité aujourd’hui. mais aussi à l’émouvant Si tu veux, composé avec Frédéric Lo
(Daniel Darc).  franck colombani
La chanteuse folk à guitare 1 CD Idol.
sèche et cheveux longs est un
stéréotype. Pourquoi ce genre  Lire aussi sur Lemonde.fr les critiques
attire­t­il autant les femmes ? de « Mozart, piano concertos 9 & 17 » d’Olga
Je pense que c’est lié au fonds Pashchenko et Il Gardellino, de « Trumpet »
important de comptines pour en­ de Wadada Leo Smith, de « L’Auvergnat chante
fants et de berceuses. Les chanter Brassens à la Coopérative de Mai »
était souvent dévolu aux femmes par un collectif de musiciens, de « Pensées
dans les sociétés traditionnelles. interlopes… » de Contrebrassens, et de « Similar
Il serait intéressant de demander & Different » de Dal :um.
leur avis à Joan Baez, Judy Collins,
Joni Mitchell, Alela Diane ou
Joanna Newsom.
Une partie de la tradition folk est
G A L E R I E

lent, cynique, désabusé, phallo­ pas ? Car c’est son concert qui rappelle le talking blues, sorte vécue individuellement, dans le RO G ER-ED GA R GI L L ET
crate. Aimer le folk, c’était être électrique, le 25 juillet 1965, d’ancêtre qui s’ignore du rap, que cercle familial, avec une transmis­ Galerie Nathalie Obadia
boy­scout, trop doux, trop paci­ au Newport Folk Festival, l’on retrouve au début des années sion. Mais beaucoup de femmes Le peintre Roger­Edgar Gillet
fiste, trop gentil… Je trouvais cela qui ringardise le folk. D’un 1960 autour de la revue améri­ se sont également battues, aux (1924­2004) avait un talent
particulièrement injuste et j’es­ coup, ce genre est accusé d’être caine Broadside, avec Phil Ochs, Etats­Unis, contre la ségrégation dangereux, celui d’aller à contre­
sayais de prouver le contraire. rétrograde et moralisateur… Tom Paxton, le jeune Bob Dylan. raciale, comme Rosa Parks, et dans courant. Celui­ci se manifesta
J’ai connu aussi une réaction de … et chiant ! Des guitares sèches, On s’interroge sur la vie en so­ les luttes sociales. L’hymne Which assez tôt. Ses compositions
rejet qui venait de gens d’extrême parfois même des voix a cappella ciété et les rapports intimes, la ré­ Side Are You on ? [1931] est dû à Flo­ FONDS ROGER-EDGAR GILLET ET GALERIE abstraites lui valent au début
gauche n’écoutant que de la chan­ qui chantent des mélodies tradi­ pression sociale et l’exploitation rence Reece, lors des grèves dans NATHALIE OBADIA PARIS/BRUXELLES des années 1950 plusieurs prix
son française, Léo Ferré d’abord, tionnelles… Quand ce sont d’am­ dans les usines… Cette dimension les mines de charbon du comté et une reconnaissance interna­
et fuyaient si vous mettiez ples ballades, il faut avoir de la pa­ politique et poétique est présente de Harlan, dans le Kentucky. tionale, Etats­Unis inclus. Au lieu de persévérer dans cette voie
du Woody Guthrie sur la platine. tience pour écouter ça pendant aussi chez certains artistes de qui s’annonce confortable, il s’en écarte au début de la décen­
country music, comme Johnny En comparaison, le folk actuel nie suivante et commet ce qui passe alors pour la trahison
Cash. Ce sont des connexions privilégie la sphère intime, suprême : figurer les êtres et les choses. Circonstances aggra­
Un art politique inattendues que symbolise l’in­ jusqu’au narcissisme. Il y a vantes : sa figuration est dure et brutale, ses couleurs sourdes
tronisation de Barack Obama à une réticence générale devant et terreuses, son expression gagnée par la satire et le grotesque.
Ce qu’on entend encore aujourd’hui du folk se réduit souvent la Maison Blanche, en 2009 : Pete la « chanson engagée »… Quand il s’attaque à des sujets religieux – ce qu’il est l’un des
à de jolies ballades chantées à la guitare sèche, privilégiant l’inti- Seeger et Bruce Springsteen chan­ Ce n’est plus tendance, de nos rares à risquer alors –, il les traite avec une violence sacrilège,
misme et l’introspection. Loin d’une tradition contestataire sinon tent en duo This Land Is Your jours. Peut­être parce que la so­ qui en rend la compréhension presque inaccessible, tant il
militante que rappelle Jacques Vassal dans son livre Folksong, Land, de Woody Guthrie, devant ciété est devenue de plus en plus ploie et presse les corps. Quand il se saisit de motifs contempo­
réédité et actualisé pour la quatrième fois depuis sa première une foule qui célèbre le premier individualiste. On peut aussi rains, il en maltraite aussi cruellement les figures. Baigneuses
version de 1971. C’est donc à une histoire musicale, longtemps président américain noir. penser que la chanson la plus po­ et baigneurs à la piscine ne sont plus que pantins désossés et
souterraine, des Etats-Unis que le lecteur est convié, une histoire litique qui soit est celle qui per­ mutilés. Les visages perdent leur structure et leur regard : on
qui se joue de la ségrégation, puisque le patrimoine folk puise Qu’est­ce qu’une folksong ? met de changer quelque chose croirait des enterrés vivants en voie de décomposition.
aussi bien dans les spirituals et le blues rural que la tradition Woody Guthrie s’interroge, dans en vous­même.  Cet art sans quartier n’a guère été compris en France du vivant
irlandaise et la musique hillbilly. Si le folk a connu son moment Cette machine tue les fascistes [re­ propos recueillis par de l’artiste, en un temps où il semblait entendu que peindre
de gloire avec le revival de la fin des années 1950, qui portera cueil de textes compilés par le jour­ bruno lesprit était désuet. Aujourd’hui, alors que de telles supposées certitu­
les figures les plus célèbres – le « couple royal » formé par Joan naliste américain Robert Shelton et des se sont effondrées et que les hiérarchies anciennes
Baez et Bob Dylan, les Britanniques Donovan et Incredible String traduits par Jacques Vassal, réédité Folksong. Racines et branches craquent, Gillet réapparaît et ses toiles imposent leur présence
Band, les Canadiens Joni Mitchell et Leonard Cohen… –, en 2018 par Les Fondeurs de bri­ de la musique folk anglo­ sévère et inquiétante.  philippe dagen
la « permanence du fleuve » se constate depuis les années 1990 ques], sur la chanson folk et arrive américaine, de Jacques Vassal, Les Galerie Nathalie Obadia, 3, rue du Cloître-Saint-Merri, Paris 4e.
dans ce creuset toujours vivace que l’on a nommé « americana ». à une conclusion proche de celle Fondeurs de briques, 688 p., 35 €. Jusqu’au 24 juillet, du lundi au samedi, de 11 heures à 19 heures.

COMMENT LES LIVRES CHANGENT LE MONDE ?

> Une série d’émissions produite par Régis Debray et Didier Leschi

Du lundi 5 au vendredi 23 juillet de 11h à 12h Disponible L’esprit

sur franceculture.fr d’ouver-
Il y a des livres qui font tomber des murs : écoutez et l’application Radio France ture.
28 | télévision
En tête à tête à Matignon avec Edouard Philippe
Troisième partie du passionnant documentaire de Laurent Cibien réalisé au cœur de l’exercice du pouvoir
FRANCE 5
DIMANCHE 4 - 20H50
DOCUMENTAIRE
P
our un documentariste
passionné par la politi­
que et l’exercice du pou­
voir, obtenir le feu vert
du premier ministre et se voir ac­
corder de fréquentes visites à
Matignon durant trois ans, agré­
mentées de tête­à­tête plus ou
moins longs avec le chef de l’exé­
cutif, est une opportunité excep­
tionnelle. De cette permission ac­
cordée par Edouard Philippe, son
vieux copain de prépa rencontré
à la fin des années 1980 à Paris,
Laurent Cibien a fait bon usage.
Long de presque trois heures, son
nouveau documentaire, passion­
nant, plonge au cœur de l’exercice
du pouvoir.
Des images parfois baroques,
presque décalées, prises dans le
calme des jardins de Matignon,
entre canards gambadant et petit
robot électrique tondant la pe­
louse dans un silence plus royal
que républicain. Et soudain
s’échappant d’un bureau des ri­
res, la voix de Piaf, de Brassens, les
riffs de Dire Straits ou des Pink
Floyd… Un premier ministre à
l’aise face caméra et doté d’un
sens de l’humour évident. Puis,
au fil du temps qui passe et des
crises à gérer, se révèlent les
stigmates d’un job exténuant sur
Gisèle Halimi, la « petite Tunisienne de La Goulette » devenue avocate
Ilana Navaro retrace le parcours, marqué par ses combats anticolonialistes et féministes, de la célèbre militante morte le 28 juillet 2020
FRANCE CULTURE
À LA DEMANDE
SÉRIE DOCUMENTAIRE
J e n’ai pas les caractéristiques
requises pour être une bonne
avocate, disait Gisèle Halimi
en 2012. Car, pour être une
bonne avocate, l’ordre vous le ré­
pète constamment, il ne faut sur­
tout pas vous identifier avec la
cause ou la personne que vous dé­
fendez. C’est impossible pour
moi. » Le parcours de l’illustre avo­
cate est pavé de victoires histori­
ques : le procès de Bobigny (1972),
GRILLE N° 21 - 153
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 3
II
III
IV
V 2
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 21 - 152
HORIZONTALEMENT I. Jours-amendes. II. Eprouvé. Oô. III. Apis. Ecaillé.
IV. Nones. Olé. Il. V. Fraternisent. VI. Otite. DB. Hie. VII. Uu. Essuie. Ms.
VIII. TNT. Tisanes. IX. Réarmer. One. X. Escarpements.
VERTICALEMENT 1. Jean-foutre. 2. Opportunes. 3. Urinai. Tac. 4. Rosette.
Râ. 5. Su. Sées. Mr. 6. Ave. Step. 7. Méconduire. 8. Alibis. 9. Noies. Ea.
10. Dol. Eh. Non. 11. Liniment. 12. Sveltesses.
Edouard Philippe, alors premier ministre, dans son bureau à Matignon. LAURENT CIBIEN
le visage de plus en plus marqué
d’un premier ministre qui, à plu­
sieurs reprises, ne cachera rien de
sa fatigue.
Echanges fructueux
Cibien et Philippe se connaissent
bien et ne partagent pas les mê­
mes opinions politiques. Mais
entre le « gauchiste », comme
Edouard Philippe surnomme son
ancien camarade en souriant, et
l’homme politique de droite rallié
au macronisme émergent, respect
qui ouvrira la voie à la légalisation
de l’avortement, en 1975 ; celui
d’Aix­en­Provence (1978), qui per­
mettra de criminaliser le viol.
« La militance anticoloniale de
cette figure du féminisme français
était méconnue, s’étonne Ilana
Navaro. Pourtant, son passé tuni­
sien et son engagement en Algérie
ont eu de grandes répercussions
sur son féminisme. » C’est le lien
entre tous ces combats, en appa­
rence – mais en apparence seule­
ment – différents, que l’autrice du
podcast sur Gisèle Halimi a creusé,
en cinq épisodes.
7 8 9 10 11 12
mutuel et humour partagé per­
mettent des échanges fructueux.
Un constat que l’on avait pu noter
lors de la diffusion en 2016 et 2018
des deux premiers épisodes de
leur projet commun intitulé
Edouard, mon pote de droite. Pro­
jet né lors des retrouvailles entre
les deux hommes qui s’étaient
perdus de vue depuis de longues
années. Laurent Cibien, devenu
grand reporter, allait suivre au
plus près la carrière politique du
prometteur, mais peu connu à
A l’aide de magnifiques archives
sonores, d’entretiens avec ses fils,
mais aussi avec des historiennes,
telles que Karima Dirèche, Mi­
chelle Perrot ou Bibia Pavard, elle a
retracé le parcours de la « petite
Tunisienne de La Goulette », deve­
nue icône du féminisme. Le pre­
mier épisode est consacré à son
enfance dans un pays colonisé et à
ses lectures qui l’amènent à trans­
gresser les règles. Puis c’est la nais­
sance d’une avocate « à la voix de
Comédie­Française » au barreau
de Tunis, en 1949, où elle est té­
moin de « la violence de la répres­
HORIZONTALEMENT
I. Balancements qui créent des écarts.
II. Différents. Soudaine, mais elle ne
durera pas. III. Point de départ.
Quand la faim annonce la fin.
IV. Grand d’Espagne un peu sec. Sta-
tion du Morbihan. V. Dans un loft.
Cours africain. Pleins de cailloux
dans le désert. VI. Nous sommes tous
passés par là. Article. Entrent en ac-
tion. VII. Dans les bourses des Nip-
pons. Tombée avec le Mur. Négligé et
altéré. VIII. Breton qui lutta contre les
Saxons. Haricot que l’on retrouve au
lit. IX. Rejetée. Recouvre le calice sur
l’autel. Conjonction. X. Fait mâle.
VERTICALEMENT
1. Un prétexte pour s’échapper.
2. Beaucoup plus de deux verres, chez
elle et sans danger. 3. Sur la portée.
Travailles pour des prunes.
4. Ne vend plus Le Monde. Elimine
dans le désordre. 5. Leurs contrac-
tions sont douloureuses. 6. Chez Joe.
Production céréalière. Parti à la re-
cherche de ses électeurs. 7. Arrivée
chez nous. Met à terre. 8. Un droit
pour chacun en principe. Tirée chez
les Anglais. 9. Associer aux résultats.
10. Les Alsaciens en font toute une
montagne. Carte. 11. Fait du neuf.
Médecin grec porté sur les humeurs.
12. Sur la pente d’un ralentissement
général.
l’époque, Edouard Philippe. Seule
limite : ne pas filmer la famille.
Le premier épisode sera consa­
cré à la campagne municipale de
2014 au Havre. On y découvre un
candidat Philippe capable d’avoir
du recul sur les événements. Sans
modestie excessive : élu avec 52 %
des voix, il lance à son copain : « Il
va être bien ton film ! » Le deuxiè­
me volet racontait les primaires de
la droite et du centre en 2016, la
campagne menée par Philippe,
proche soutien d’Alain Juppé, fa­
sion » des mouvements anticolo­
niaux et de l’iniquité de la justice
d’exception.
Archives incroyables
Dans le troisième épisode, Ilana
Navaro narre la lutte, avec l’aide de
Simone de Beauvoir, de Gisèle Ha­
limi auprès de la militante indé­
pendantiste algérienne Djamila
Boupacha, violée et torturée. « Elle
a forgé ses armes de féministe dans
le combat anticolonial, prenant sur
ses épaules de ramener à la raison
le pays auquel elle a choisi d’appar­
tenir, comme une petite fille qui se
SUDOKU
N°21­153
5 3
9 3 7
3 2 9 6
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LE GUIDE DES
TA C T I Q U E S & S T R AT É G I E S
6000 ANS
D’HISTOIRE
Comment l’homme a dominé la nature
vori croyait­on. Retour sur terre
après le choix de François Fillon
comme candidat à l’Elysée… « Deux
ans et demi de ma vie se terminent
par une défaite. Mais j’ai bien aimé
faire cette campagne, j’ai appris
plein de trucs ! », lançait à la fin du
film le futur premier ministre.
Troisième étape, Matignon. Un
nouveau défi pour Laurent Cibien.
Comment filmer son ami avec les
mesures de sécurité draconiennes
et l’emploi du temps dément qui
vont avec sa nouvelle fonction ?
C’est Edouard Philippe qui, une di­
zaine de jours après sa nomina­
tion, propose à Cibien de lui ren­
dre visite toutes les trois semaines
Rue de Varenne, pour une conver­
sation en tête à tête.
Le résultat est à la hauteur des es­
pérances. De juin 2017 à début juil­
let 2020, de crise en crise – réforme
des retraites, « gilets jaunes », Co­
vid­19… –, on suit un premier mi­
nistre jonglant entre réunions, dé­
placements, repas pris sur le pouce
avec ses proches collaborateurs,
rares moments de détente… Tren­
te­six mois au cœur du pouvoir.
Comme disait Edouard Philippe
en souriant face à la caméra, quel­
ques jours après son arrivée à Ma­
tignon : « Quelle histoire ! » 
alain constant
Edouard, mon pote de droite,
de Laurent Cibien.
Episode 3 : « Aux manettes ».
bat pour que la France continue à
être le pays de ses rêves d’enfance,
avec ses idéaux magnifiques, jus­
qu’à mettre l’Etat français sur le
banc des accusés. »
Le documentaire éclaire judi­
cieusement les zones laissées
dans l’ombre de ses vies de femme
et de mère. Dans le quatrième épi­
sode, nous plongeons dans les
grands procès des années 1970,
avant que le documentaire ne
pose la question de l’héritage de
l’avocate, en Tunisie et ailleurs.
La richesse de cette série réside
dans une réalisation très soignée,
2 6 4 7 3 1 8 5
1 7 3 8 5 9 2 4
5 9 8 2 6 4 3 1
7 1 9 3 2 8 5 6
6 8 2 4 7 5 1 9
4 2 7 6 4 3 5 9 1 6 7 8
9 2 1 6 8 3 4 7
3 5 6 1 4 7 9 2
8 8 4 7 5 9 2 6 3 1
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DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
0123
NOTRE
SÉLECTION
DI M AN C H E 4 J U IL L E T
Canal+
Formule 1 : Grand Prix
d’Autriche
15.00 Le spectacle s’annonce
intense à l’occasion de cette
neuvième course de la saison,
disputée sur le circuit du Red Bull
Ring de Spielberg. Audience élevée
garantie pour la chaîne cryptée.
Ciné+ Premier
Scandale
20.50 Film de Jay Roach de 2019,
avec Nicole Kidman et Charlize
Theron. L’histoire survenue à l’été
2016 au sein de la très conservatrice
chaîne Fox News. Accusé de
harcèlement sexuel, son patron,
Roger Ailes, doit démissionner.
LU N DI 5 J U IL L E T
France 3
Parasite
21.05 Film sud-coréen de Bong
Joon-ho, Palme d’or à Cannes
en 2019 et Oscar du meilleur film
en 2020. Dans un sous-sol humide, la
famille Kim vivote. Le fils va donner
des cours particuliers d’anglais à
la jeune fille d’une famille aisée.
Arte
Le Drôle de Drame
de Marcel Carné
22.30 Documentaire inédit de
François Aymé. Remarquable portrait
de celui qui fut, entre 1937 et 1945,
le plus prestigieux cinéaste français.
Juste avant, Arte programme l’un
de ses chefs-d’œuvre : Hôtel du Nord
(1938), avec Arletty et Louis Jouvet.
où des archives incroyables dialo­
guent avec des scènes reconsti­
tuées pour immerger l’auditeur
dans la modernité de l’existence
quasi romanesque de Gisèle Ha­
limi. Le concours de Françoise
Gillard, l’actrice de la Comédie­
Française qui interpréta en 2019
l’avocate dans Hors la loi (de et par
Pauline Bureau), est précieux. 
mouna el mokhtari
Gisèle Halimi, la fauteuse
de troubles, d’Ilana Navaro,
réalisé par Véronique Samouiloff
(Fr., 2021, 5 × 58 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
9
6 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
7 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
4 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
3 Par courrier électronique :
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2
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5
8 Courrier des lecteurs
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Laurence Bonicalzi Bridier PRINTED IN FRANCE
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L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
Kevin Mayer « J’ai toujours  en prenant des anti­inflammatoires. Je n’en
pris le sport comme un jeu »
JE NE SERAIS PAS ARRIVÉ LÀ SI…
« Le Monde » interroge une
personnalité sur un moment
décisif de sa vie. Cette semaine,
le recordman du monde du
décathlon raconte son parcours
sportif depuis l’enfance et
ses passions tous azimuts
ENTRETIEN
V ice­champion olympique du décath­
lon en 2016, à Rio, champion du
monde l’année suivante à Londres, re­
cordman du monde de la discipline, Kevin
Mayer représente l’une des principales chances
françaises de titre olympique en athlétisme
aux Jeux de Tokyo. Touche­à­tout de 29 ans, né
dans une famille de sportifs, il revient sur un
itinéraire guidé par l’amour de l’effort, la peur
de l’ennui et le refus de choisir.
Je ne serais pas arrivé là si…
…S’il n’y avait pas eu mes frères. Nous avions
toujours les mêmes centres d’intérêt. Leur pré­
sence multipliait toutes les découvertes. Mon
grand frère se prenait de passion pour quelque
chose et je le copiais. Il adorait sauter des falai­
ses, je le suivais, il se mettait au tir à l’arc, je ti­
rais, il partait courir, je courais. Il me faisait
même tester certains trucs avant lui. Une fa­
laise un peu exposée en Croatie, par exemple.
Thomas me laissait passer devant, je devais
avoir 11 ans, ma mère le raconte tout le temps.
J’y ai aiguisé mon mental et mon goût pour
cette poussée d’adrénaline que vous donnent la
compétition sportive et le dépassement de soi.
Le goût du sport, c’est donc eux ?
Non, dès que j’ai marché, j’ai couru. J’étais hy­
peractif. Et de mauvaise humeur si je ne me dé­
pensais pas. Avec un père éducateur sportif et
une mère prof d’EPS, je dirais que je suis tombé
sur les bons parents, vu mon profil. A 2 ans,
mes parents m’ont mis sur des skis, m’ont
donné une raquette de tennis. Je dévalais les
pentes dans ma voiture à pédales. Je ne me
souviens pas quand j’ai commencé à aimer le
sport. Je crois que c’était dans mes gènes.
Un jeu ou déjà une compétition ?
Un jeu. J’ai toujours pris le sport comme un
jeu. L’adversité permet de se dépasser et de
ressentir encore plus de plaisir à ce jeu. Et pas
l’inverse. Faire du sport pour gagner et trou­
ver là son seul plaisir, ce n’est vraiment pas
ma philosophie.
Une approche cool ?
Pas vraiment, non. Mon frère était cool, moi
je voulais toujours approfondir. Au tennis, je
n’arrêtais jamais. J’allais au club à pied, jouais
tout le week­end, contre n’importe qui. Dans
les rayons du supermarché, je répétais mes
coups droits. Je n’ai jamais été capable de faire
quelque chose à moitié.
Vos parents vous imaginaient­ils sportif
de haut niveau ?
Au tennis, oui, il y avait beaucoup d’attente de
leur part. Ils pensaient que je pouvais aller loin,
je le savais. J’en ai fait huit ans. Mais je m’éner­
vais trop, je perdais contre des joueurs moins
forts, je ne prenais plus de plaisir. Ils l’ont com­
pris et m’ont dit que j’avais le droit d’arrêter. J’ai
essayé d’autres sports : natation, rugby, bad­
minton, handball, gymnastique… Mes parents
m’accompagnaient en compétition mais
c’était juste pour que je m’éclate, il n’y avait plus
du tout l’idée de faire de moi un grand sportif.
Et l’athlétisme ?
C’est par hasard. Ma mère nous a amenés faire
des championnats départementaux UNSS
[sport scolaire] de cross. J’ai été premier. Je me
suis dit : « Pourquoi pas l’athlétisme ? » J’avais
aimé le plaisir né de l’effort que j’avais ressenti.
Pourquoi l’athlétisme vous séduit­il ?
L’entraînement y est beaucoup plus varié
qu’ailleurs. D’abord, on vous fait tout de suite
passer plusieurs épreuves. A 12 ans, les compé­
titions sont toujours sur des épreuves combi­
nées, une course, un lancer et un saut.
Lors de l’épreuve
du lancer de
disque, au
meeting
de Marseille,
le 3 septembre
2020. PHILIPPE
MILLEREAU/KMSP VIA AFP
Mais pourquoi choisissez­vous les épreuves
combinées plutôt qu’une carrière de demi­
fondeur ?
Ce n’est pas un choix. Ou plutôt le choix de
ne jamais me spécialiser. Je m’améliorais par­
tout. Même si le demi­fond était mon point
fort, je prenais du plaisir partout. Les coachs
spécialistes ont commencé à venir me voir,
mais je disais non à tout le monde, je voulais
tout faire. Et puis, un jour, le coach d’épreuves
combinées de mon club, à Tournon, m’a pro­
posé de s’occuper de moi. C’était le seul entraî­
nement qui me convenait, les autres étaient
trop répétitifs, je m’ennuyais. Le décathlon,
c’est dix fois plus de sensations à découvrir. Ça
s’est donc fait naturellement. Je n’ai jamais
choisi, j’ai juste éliminé inconsciemment les
autres disciplines.
Avec des découvertes ?
Tout le temps. Par exemple le premier jour
où j’ai plié une perche. Jusque­là, je m’ap­
puyais dessus pour passer la barre. La pre­
mière fois que je l’ai pliée, le potentiel de
renvoi éprouvé dans tout le corps, c’était
incroyable. Pour les autres disciplines, ça a plu­
tôt été progressif. Après le javelot et la hauteur,
il y a eu les haies, j’ai peu à peu compris. Et puis
les autres lancers : j’ai réalisé que je devais
lancer avec mes points forts, mes jambes, pas
avec mes bras, qui étaient tout fins – ils ne
sont toujours pas bien épais pour un décathlo­
nien. Aujourd’hui, je lance le poids à 17 mè­
tres : honnêtement, personne ne fait ça avec
mon physique. C’est la compréhension
technique qui me l’a permis.
L’atmosphère du décathlon est­elle vraiment
particulière ?
Unique. Dès le premier déplacement, la nuit
à l’hôtel avec la partie de cartes jusqu’à 4 heu­
res du matin entre les deux journées d’épreu­
ves et, le lendemain, on est tous alignés, on fait
le 1 000 mètres à la fin, épuisés mais heureux.
C’était une atmosphère d’adversité, mais bon
enfant. Et ce qui est hallucinant, c’est que je
retrouve la même ambiance en grand cham­
pionnat. Un peu plus de pression, mais cette
fraternité n’a pas changé. C’est dû au temps
que l’on passe ensemble, deux journées entiè­
res, l’attente, l’observation des autres. Et au
nombre d’épreuves : au bout de la quatrième
ou de la cinquième, vous êtes si fatigué que
vous ne vous battez plus contre les autres
mais contre vous­même. Et, là, vous avez be­
soin de vos adversaires. Ce sont presque des
partenaires. A la fin d’une compétition, c’est
rencontre | 29
ensemble que l’on a accompli quelque chose.
A Doha, quand je me suis blessé et que je n’ai
pas pu sauter à la perche alors que j’allais être
champion du monde, ils sont venus un par un
me réconforter alors qu’ils étaient en pleine
compétition eux aussi. On encourage les
adversaires parce que, quand ils réussissent,
ils vous aident vous aussi à vous dépasser.
C’est ça l’adversité dans notre sport.
Avez­vous toujours progressé partout ?
Presque. Je viens du demi­fond, discipline de
résistance. Or, le décathlon, c’est neuf épreuves
d’explosivité et une de résistance. Quand on
travaille la résistance, on perd en explosivité et
réciproquement. Le topo est vite fait. J’ai décidé
d’être bon dans neuf épreuves et moins bon
dans la dernière. Et, ça, j’avoue que c’est une
¶ énorme frustration. Le plaisir que j’avais au
Jeux olympiques début à faire mon 1 500 mètres en fin de
de Tokyo, décathlon, il n’est plus du tout là. Je n’ai plus la
du 23 juillet au 8 août fibre musculaire du demi­fond, plus la même
foulée. Je craque beaucoup plus vite. Ça m’est
arrivé, en finale de championnat du monde,
en 2017. Donc j’ai toujours peur que ça
recommence et je suis tout le temps dans le
contrôle. Vous avez tout un stade qui vous
encourage et vous ne pouvez jamais aller à
fond, vous guettez les signes de la catastrophe.
Cette épreuve, j’y vais toujours avec zéro envie.
Et, en même temps, c’est ce qui fait la beauté de
notre sport. Sans le 1 500 mètres, le décathlon
ne serait pas le même.
Quelles sont les rencontres qui ont façonné
cette vie de décathlonien ?
Mon premier coach, Bertrand Valcin, au
Creps de Montpellier, en 2009. J’étais aussi la
première personne qu’il coachait. On a appris à
se connaître, faire mutuellement des conces­
sions, progresser ensemble, se dire les choses.
Et mon préparateur physique, Jérôme Simian.
Lui aussi, je pourrais dire que je ne serais pas ar­
rivé là sans lui. On s’est rencontrés il y a six ans
et, grâce à lui, j’ai arrêté de me blesser. Il m’a
permis d’exploiter 100 % de mon potentiel.
C’est devenu un peu mon mentor. Il était venu
à Montpellier examiner Romain Barras, cham­
pion d’Europe 2010 de décathlon, qui souffrait
d’une pubalgie tenace. Moi je m’étais abîmé la
cheville. J’ai tout de suite senti que je pouvais
lui faire confiance. A l’entraînement, il ne cher­
chait pas seulement à me faire pousser des
charges, il pensait global, la diététique, l’équili­
bre, l’amplitude avant la puissance et la force.
J’avais déjà des convictions, avec lui elles ont ex­
plosé. Par exemple de ne pas cacher la douleur
prends plus du tout, ni d’antalgiques. Juste des
compléments alimentaires, des vitamines, du
zinc, tout ce qui fait défaut aux aliments qui ont
poussé dans les sols pauvres d’aujourd’hui et
dont mon corps a besoin.
Votre corps, c’est votre outil de travail…
Oui, je l’écoute tout le temps, je le connais de
mieux en mieux. C’est essentiel, un gain de
temps énorme. Le coach peut vous aider, mais
personne mieux que vous­même ne peut
ressentir ce qui se passe. Et c’est ce qui peut
permettre d’éviter les blessures. Or, les
blessures, c’est 90 % de ce qui fait la carrière
d’un athlète. Encore faut­il ensuite prendre les
bonnes décisions. Pour moi le sport, c’est aussi
une philosophie de vie.
Quelle est la vôtre ?
Elle a évolué. D’abord j’ai compris que plus je
passais par des moments désagréables, plus je
ressentirais des moments calmes et jouissifs
après. Ensuite, que les choses importantes, es­
sentielles mêmes, se trouvaient souvent de­
vant nos yeux. Par exemple pour trouver le bon
mouvement, il suffit parfois de regarder les en­
fants, leur souplesse, leur façon de s’accroupir,
leur placement quand ils retombent d’un saut,
leur respiration, leur résistance… Comment a­
t­on perdu ces facultés, comment les retrou­
ver ? C’est aussi cette philosophie qui m’a per­
mis, je crois, de continuer à m’améliorer sans
me blesser – sauf exception bien sûr. J’ai 29 ans
mais j’ai l’intention de continuer à grandir, à
progresser, encore longtemps. Quand je vois
Mélina Robert­Michon, vice­championne
olympique du disque, qui, à 41 ans, et après
avoir eu deux enfants, est plus forte que jamais,
j’ai envie de laisser un point d’interrogation sur
le temps de progression qu’il me reste.
Donc, au­delà des Jeux qui arrivent,
vous pensez aussi à Paris 2024 ?
Et Los Angeles 2028. Pour recopier Mélina,
j’aimerais faire aussi 2032. Six Jeux olympi­
ques, ça serait bien, non ?
Vous vous entraînez toute l’année pour
une ou deux compétitions que vous pouvez
perdre pour une erreur dans une épreuve.
N’est­ce pas cruel ?
C’est frustrant pour ceux qui n’aiment pas
l’entraînement. Moi, j’adore ça. Si je rate une
compétition, je n’ai rien gâché. J’ai commis
une erreur, j’ai des regrets, mais ça ne retire
rien à l’année écoulée. J’apprends, je deviens
plus fort. Et l’accomplissement de soi­même
est plus fort que la quête des médailles. Il faut
faire du sport pour les bonnes raisons. Si c’est
la quête de médailles, on ne peut pas être vrai­
ment heureux, il en manquera toujours une.
Pour moi, la compétition, c’est la possibilité de
se servir du public et de l’adversité pour trou­
ver des sensations nouvelles. Quand le niveau
est relevé, je peux éprouver des sensations fol­
les. On appelle ça « être dans la zone ». C’est
une sorte de transe. Une pression maîtrisée.
Vous avez la boule au ventre, puis vous sentez
qu’il y a plus d’énergie qui coule en vous. Que
tout est en place. Une hypersensibilité qui
n’arrive qu’en grand championnat.
C’est cette hypersensibilité qui vous fait
pleurer après chaque compétition,
de déception ou de bonheur ?
Je suis assez sensible, c’est vrai. Et puis s’il y a
bien des moments où pleurer, ce sont ceux­là,
même si je déteste pleurer de tristesse devant
les gens. J’ai un peu honte, je l’avoue. Mais je
n’arrive pas toujours à contrôler cela ou à m’en
cacher. De joie, en revanche, aucun problème.
En fait j’adore ça. Un dessin animé et c’est
parti ! J’ai hâte d’avoir des enfants pour ça :
pleurer avec eux devant La Reine des neiges.
Pleurer me donne un plaisir énorme. Alors
pleurer avec les autres ! Le record du monde, au
Décastar, honnêtement, sans vouloir me la
péter, je crois que j’ai fait chialer la moitié du
public. Pleurer avec eux d’un côté, mes pro­
ches de l’autre, c’était hallucinant.
Piano, astronomie, biologie, pêche
à la mouche, surf, ski, basket… Le décathlo­
nien ne cacherait­il pas un touche­à­tout ?
D’abord ce n’est pas la pêche à la mouche
mais la chasse sous­marine. Ensuite, toutes ces
activités, je les pratique à un petit niveau. Je me
prends de passion pour tout. Le plus difficile va
être de choisir ma reconversion. J’ai trop de
projets et j’aimerais les maîtriser comme je
maîtrise l’athlétisme. En particulier la physi­
que et le piano. Et le basket. Etre le meilleur du
monde dans ces disciplines, ça me rendrait fou.
C’est peut­être un peu tard, non ?
Je n’aime pas me mettre de limites. J’admets
que ce n’est pas gagné, mais c’est une histoire
de conviction et de travail. Je pars du principe
que je n’ai pas commencé à vieillir. Si je trouve
le mec très pédagogue qui m’éveille à la physi­
que quantique, qui me permette de rentrer là­
dedans comme je suis entré dans l’athlétisme,
je crois que c’est possible. Si au Monde vous
avez une idée, je prends. 
propos recueillis par nathaniel herzberg
 IDÉES
0123
30 | DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021

LES VRAIES-FAUSSES MUTATIONS DU TRAVAIL

Après quinze mois de pandémie, le télétravail est présenté comme
une nouvelle norme. Mais cette « révolution » risque surtout de creuser
les inégalités entre les secteurs, les professions et les entreprises

Laurent Assouly Les symboles de la

relation à l’entreprise volent en éclats
Pour l’ethnologue, l’essor du télétravail dessine Et pourquoi continuer à tra­
une nouvelle modernité où salariés et vailler en ville à l’heure du distan­
ciel ? Ces migrations urbaines en
employeurs jouent aux apprentis sorciers hausse s’accompagnent souvent
sur fond de nouvelles inégalités sociales de motivations écologiques, avec
en ligne de mire un retour vers la
nature, une forme de sobriété au
rant le télétravail comme un
avantage acquis, les salariés se
sentent moins légitimes à reven­
diquer bureaux et mètres carrés
dès lors qu’ils passent plus de
temps chez eux.
Entre télétravail et bureaux
sont, parmi les Européens, ceux
qui s’y investissent le plus, mal­
gré son caractère de plus en plus
précaire ; il est perçu comme un
refuge et le lieu par excellence
où l’on peut développer ses capa­
cités et se réaliser (« Quelle place

Le contexte
Depuis le 9 juin, les
entreprises s’efforcent
de faire revenir dans les
bureaux et les ateliers
ceux de leurs salariés qui
avaient pu, ou dû, faire
l’expérience du télétra-
vail. Rétablir les liens des
communautés de travail
n’est pas chose aisée
pour les manageurs et les
directions, d’autant que
les confinements ont été,
pour beaucoup, l’occa-
sion de s’interroger sur le
sens de leur activité pro-
fessionnelle. Le risque est
grand de voir s’étendre la
fragmentation du salariat
et de l’entreprise, sur le
modèle du « travailleur
isolé » prestataire de
grandes plates-formes
numériques. « L’ère post-
Covid », loin du « monde
d’après », aurait alors
renforcé la dualité
du monde du travail.
U
ne véritable crise de
l’autorité touche le
monde de l’entreprise.
Un certain nombre de
télétravailleurs rechi­
gnent à regagner leurs
lieux de travail et semblent vou­
loir dicter un retour sur le mode
du « plus jamais comme avant ».
Au sein des grands groupes,
l’heure est à l’incitation progres­
sive et au volontariat pour
retrouver le chemin du présen­
tiel à raison d’environ deux jours
sur site, mais les volontaires ne
sont pas légion. A proximité
d’un opérateur télécoms de
renom, une terrasse ensoleillée
retrouve un peu de la ferveur
d’antan, des directeurs heureux
de se retrouver bavardent et se
demandent, au détour de leurs
retrouvailles, comment faire
revenir leurs ouailles. « Les va­
cances, c’est fini ; en septembre,
tout le monde est de retour » ; un
autre lui rétorque : « Fais gaffe,
c’est beaucoup plus compliqué
que ça en a l’air : cette fois, il va
falloir par un moyen ou un autre
prendre en compte ces nouvelles
aspirations. » La difficulté de ce
retour s’explique en partie par
le fait que la productivité des
cadres n’a pas faibli durant tout
le confinement et que le télé­
travail a fait la preuve de son
efficacité pour peu qu’il soit ef­
fectué à dose raisonnable et avec
un minimum de préparation,
comme le souligne une étude de
l’OCDE (« Effets positifs poten­
tiels du télétravail sur la pro­
ductivité à l’ère post­Covid­19 »,
15 juillet 2020).
Comme pour mieux acter ce
nouvel acquis du télétravail, une
frange de ces télétravailleurs
urbains, souvent les mieux lotis,
a franchi le cap en migrant à la
campagne ou en province pour
assouvir le désir d’un nouvel
équilibre entre vie profession­
nelle, activité sociale et loisirs. Le
regain du marché de l’immobi­
lier des résidences secondaires
témoigne de cet engouement.
Le folklore de l’affect
Au­delà de la fragmentation des
lieux de travail, le télétravail à
marche forcée de ces derniers
mois aura mis la lumière sur un
monde du travail à deux
vitesses : les salariés éligibles au
télétravail et les autres. Un
remake, sans grande surprise,
des disparités sociales.
Au sein des télétravailleurs
aussi, la fracture est réelle, mais
moins perceptible. Les disparités
de revenus dessinent les condi­
tions d’un exercice du télétravail
très inégal, un moment délicieux
dans le cocon confortable de son
logement, ou, à l’inverse, une
promiscuité familiale difficile à
vivre, particulièrement dans les
zones urbaines exposées à l’exi­
guïté des logements.
sens d’un juste milieu. Pour ces
salariés­migrants à cheval entre
le siège social de leur entre­
prise, leur nouveau lieu de villé­
giature et leur pied­à­terre ur­
bain, c’est un télétravail aménagé
d’au moins trois à quatre jours
par semaine et une gestion mi­
nutieuse du temps qui sont ainsi
mis en œuvre. Un nouvel hédo­
nisme écolo­professionnel prend
forme. Au diable si l’empreinte
carbone est la grande oubliée !
Du côté des entreprises, le
retour espéré est ambivalent. Car
le pari est que, puisqu’il y aura
une diminution à long terme du
présentiel, le nouvel ordre du
jour est la réduction des surfaces
immobilières à taux de salariés
constant. Les bureaux partagés
(le « flex office ») se généralisent
sans la moindre contestation
(contrairement aux années pré­
cédentes) et jouent le rôle d’une
variable d’ajustement écono­
mique de premier rang. Considé­
POUR RETROUVER
LE CHEMIN
DU PRÉSENTIEL,
LES VOLONTAIRES
NE SONT
PAS LÉGION
mutualisés, les symboles d’appar­
tenance à l’entreprise volent ainsi
en éclats. L’entreprise peut amor­
cer sa réification et ouvrir l’ère du
tout­utilitarisme, où l’affect sera
bientôt vu comme un folklore. A
petits pas se construit ainsi un
monde du travail où salariés et
employeurs semblent prendre
leur distance comme pour mieux
préparer la face sombre de la
suite : celle du travail atomisé, du
remote working (« travail isolé »),
un 100 % télétravail imposé dans
le cadre d’un marché du salariat
à distance mondialisé et hyper­
concurrentiel.
Effet boomerang sur l’emploi
Débusquer la bonne compé­
tence au meilleur salaire en
mode distanciel est déjà le nou­
veau must des entreprises dans
le coup. Le prix de la liberté de
son lieu de travail a un coût, ce­
lui d’une plus grande précarité
de l’emploi pour les moins em­
ployables. Slasheurs, remote wor­
kers, télétravailleurs ne seront
pas tous logés à la même ensei­
gne. C’est ce risque social qui ex­
plique la réticence des syndicats
et du patronat à l’égard du télé­
travail de longue durée, car cette
liberté et ce temps réapproprié
pourraient se transformer en
boomerang sur un marché de
l’emploi devenu féroce.
Par effet rebond, l’essor du télé­
travail amorce la question de la
centralité du travail dans nos
temps d’existence. Les Français
le travail occupe­t­il dans la vie
des Français par rapport aux
Européens ? », Lucie Davoine et
Dominique Méda, Informations
sociales n° 153, 2009). Le senti­
ment souvent évoqué de perte
de sens du travail chez les Fran­
çais doit contre­intuitivement
être compris comme un déficit
de reconnaissance de leur travail
et non comme un désamour à
son égard (« Inutilité ou absence
de reconnaissance : de quoi souf­
frent les salariés français ? »,
Jérôme Fourquet, Alain Mergier
et Chloé Morin, Fondation Jean
Jaurès, 3 octobre 2018).
Toujours est­il que cet essor du
travail en distanciel aura au
moins fait reculer la culture du
présentéisme, très valorisée en
France, et incitera sans doute
nombre de cadres à ne rester au
bureau après 18 heures que par
nécessité et non plus par prin­
cipe. Ces premiers changements
de cette nouvelle modernité du
travail tracent les contours d’un
temps reconquis. A condition
que les travailleurs ne devien­
nent pas les commis de leur tra­
vail, mais en soient les acteurs. 
Laurent Assouly est
ethnologue et consultant. Il a
travaillé au sein d’entreprises
spécialisées dans l’aménage-
ment des espaces de travail

Pauline de Becdelièvre tielle. « J’étais manageur d’une équipe de

production de respirateurs, alors évidem­
ment, ce que je fais a du sens. J’étais indispen­
féré négocier avec leur entreprise des
projets plus intéressants.
Cependant, la conjoncture actuelle n’a
présentiel n’est pas souhaité : « Je ne peux
pas venir, je n’ai pas envie de prendre les
transports », ou encore : « Il fait trop chaud,

Un choc professionnel
La chercheuse rapporte les témoignages de cadres et
de manageurs sur la rupture de sens de la relation au
travail que beaucoup ont vécue lors des confinements
sable. C’était hypervalorisant. » Cette révéla­
tion n’a fait que confirmer le souhait de res­
ter à son poste : « Je savais que mon travail
avait du sens, mais aujourd’hui, c’est encore
plus fort. » Ces cadres restent satisfaits de
leur activité, mais une certaine lassitude
apparaît. Tenir dans la durée dans une acti­
vité intensive, même si elle a du sens, a
entraîné une fatigue importante. « On a
fonctionné à plein régime. Là, je suis crevée. »
Pour d’autres, en revanche, le manque de
pas permis à tous ceux qui le souhaitaient
de changer d’emploi. Si certains ont pu se
préparer à une transition professionnelle,
d’autres ont uniquement compté sur une
mobilité externe. La question est de
savoir si la reprise actuelle va accélérer
ces transitions professionnelles.
Transformations majeures
Confrontés à ces situations très opposées,
les manageurs ont eu un rôle essentiel. Cer­
je suis mieux chez moi. » Pour d’autres, au
contraire, revenir est essentiel : « On a vu
tous les parents demander à revenir le mer­
credi pour éviter d’avoir leurs enfants quand
ils travaillent », observe un manageur.
Revenir à une situation identique à celle
d’avant mars 2020 risquerait de faire partir
les plus engagés, tout en conservant uni­
quement ceux qui n’arriveraient pas à
changer d’emploi. Pour cela, des réorgani­
sations d’équipe doivent être mises en

L
a crise due au Covid­19 a été un tsu­
nami pour le monde du travail. Si le
premier confinement, en mars 2020,
avait conduit de nombreux tra­
vailleurs au télétravail, la nouvelle période
qui s’est ouverte le 9 juin, avec un recours
au télétravail assoupli, est porteuse d’incer­
titudes pour les cadres, les manageurs et les
directions des ressources humaines (RH).
Le doute pour les cadres porte sur leur
réelle utilité dans leur entreprise, et plus
LA NÉGOCIATION largement dans la société. Des enquêtes
de terrain, menées en mars puis en
QUI S’OUVRE SUR juin 2020, montrent que la pandémie a
LE TÉLÉTRAVAIL VA été vécue comme un choc professionnel
majeur (« Covid­19 : un choc de carrière
DEVOIR PRENDRE multidomaines restructurant le sens du
travail », Pauline de Becdelièvre et Fran­
EN COMPTE çois Grima, Revue française de gestion
DES SITUATIONS n° 293, novembre­décembre 2020).
Pour certains, la crise a été une révélation
DIVERSES de leur participation à une activité essen­
communication avec les manageurs et la
direction ainsi que l’absence de reconnais­
sance du travail par la société ont provo­
qué un électrochoc. « Je n’étais pas très heu­
reux dans ce que je faisais, mais là, travailler
à distance, c’est vraiment dur ! Je ne vois pas
l’intérêt de ce que je fais. » La mise au chô­
mage partiel brutale, sans réelle explica­
tion, et le manque d’utilité pour l’entre­
prise ont été vécus comme un désaveu.
« Du jour au lendemain, on m’a mis au chô­
mage partiel sans rien m’expliquer, alors
que d’autres collègues, non. C’était horrible,
j’avais l’impression de ne servir à rien. »
Une véritable réflexion sur le sens du
travail menée par nombre de ces cadres
aboutit parfois à un souhait de mobilité
externe à court ou moyen terme. Entre les
deux dates d’enquête – mars et juin –, des
ruptures conventionnelles sont en cours
de négociation, des projets de création
d’entreprise ou une recherche active
d’emploi ont été lancés. Certains ont pré­
tains d’entre eux ont su motiver les salariés
en leur faisant comprendre les décisions
prises par les directions ou en maintenant
un lien entre collègues. A l’opposé, d’autres
ont été absents et ont laissé seuls leurs
collaborateurs. Si, pour certains salariés,
cette absence de manageur a été très bien
accueillie, pour d’autres, elle a aggravé leur
introspection sur le sens de leur travail.
La nouvelle période qui s’ouvre est para­
doxale pour les manageurs. Elle les
conduit, en effet, à faire revenir des cadres…
pour qui le travail n’a plus de sens et qui
sont animés par un fort souhait de mobi­
lité, alors qu’ils sont essentiels à la reprise
de l’activité. Les manageurs voient aussi
revenir des cadres devenus très autono­
mes. « Revenir au bureau pour retrouver son
manageur qui vient me voir tous les jours
pour me dire ce que j’ai à faire, non, merci. »
La négociation qui s’ouvre sur le télétra­
vail va devoir prendre en compte des situa­
tions diverses. Pour certains, le retour au
place pour garantir l’autonomie des cadres
et aboutir à une réduction des niveaux de
management. Ensuite, l’accompagnement
des salariés souhaitant quitter l’entreprise
doit être préparé avec les services RH.
Si certaines entreprises ont pris la mesure
du phénomène par la mise en place de jours
de télétravail, d’autres ne souhaitent qu’un
retour à la normale sans prendre en compte
ces transformations. « On nous demande de
revenir comme avant. Fini, le télétravail. C’est
dommage, il pourrait y avoir un entre­deux.
Je ne sais pas si je vais tenir longtemps. » 
Pauline de Becdelièvre est maîtresse
de conférences en gestion à l’ENS Paris-
Saclay et membre du laboratoire Institu-
tions et dynamiques historiques de
l’économie et de la société (IDHES)
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021 idées | 31

LA  CHRONIQUE

Tessa Melkonian permet un partage émotionnel

de la situation vécue et redonne
un sens collectif aux expériences
breuses équipes dirigeantes ont
mis en place des cellules de crise
hebdomadaires qui leur ont per­
DE  PATRICK ARTUS

Quelles leçons Sait-on encore prévoir

individuelles, pourtant souvent
divergentes. Institutionnalisé dans
la plupart des organisations opé­
rant habituellement en contex­
pour les dirigeants ?
tes extrêmes, il était quasi inexis­
tant dans l’entreprise avant la
mis de discuter des modalités
d’action possibles face à la situa­
tion, de s’interroger sur leur per­
tinence dans l’après­coup et de
l’inflation ?
réajuster en temps réel leurs
actions. Ces lieux d’échange,

pandémie. Souvent perçu
comme improductif en termes
gestionnaires, ce temps de par­
tage et d’analyse était rarement
La professeure de sciences de gestion observe libéré, l’opérationnel captant
l’entièreté de la « bande pas­
que les outils pour gérer la crise utilisés sante » des équipes dirigeantes.
pendant la pandémie devraient être intégrés La seconde pratique est la
méthode des scénarios. Les
au fonctionnement normal des entreprises contextes extrêmes sont fami­
liers de cet exercice, car les entre­
prises savent d’expérience qu’af­
construits sur les logiques de
« retex » et de scénarios, ont per­
mis aux entreprises un ajuste­
ment plutôt rapide à la crise.
Toutefois, le risque est que le
recours à ces techniques soient
abandonnées dans l’après­crise.
Cela serait particulièrement
dommageable dans la mesure où
elles reposent sur des principes
(réflexivité, prospective) qui sont
fondamentaux pour naviguer
L
e débat sur le risque de retour de
l’inflation est aujourd’hui très vif.
Certains économistes craignent Patrick Artus
que les politiques massives de sti­ est conseiller
mulation de la demande conduisent au économique à
retour de l’inflation, à la hausse des taux la banque Natixis
d’intérêt et à la rechute de l’économie ;
d’autres économistes pensent que la
poussée de l’inflation est seulement
transitoire, et que les mécanismes qui ont fait disparaître l’infla­
tion depuis le début des années 1980 dans les pays de l’Organisa­

A
près seize mois de pandé­
mie, les entreprises s’in­
terrogent sur l’après, se
demandant si et comment
les collaborateurs souhaiteront
revenir sur site, et si le collectif
pourra reprendre sa place. Com­
ment distinguer ce qui a défi­
nitivement changé dans le rap­
port au travail de ce qui, au con­
traire, n’a été qu’adaptation
passagère ? Ces questionnements
visent en grande majorité les
salariés dans leur rapport au tra­
vail, mais assez peu les équipes
dirigeantes. Pourtant, elles aussi
ont fourni des efforts adaptatifs
majeurs pendant cette crise et
développé de nouvelles façons de
travailler. Quelles leçons peuvent­
elles en tirer ? Quelles pratiques
conserver pour l’après­Covid­19 ?
Un détour par ce que les spécia­
listes du management appellent
les « contextes extrêmes » peut
être éclairant. Les contextes sont
qualifiés d’ « extrêmes » lors­
qu’ils combinent incertitude,
changement permanent et ris­
que. Certaines organisations
opèrent dans ces contextes de­
puis longtemps, à l’instar du
monde militaire, des profession­
nels du secours d’urgence ou en­
core des centrales nucléaires. El­
les ont développé un certain
nombre de pratiques dont les
entreprises classiques, elles
aussi confrontés à des contextes
de plus en plus extrêmes, pour­
raient s’inspirer. Deux pratiques
particulières ont d’ailleurs été
développées spontanément par
beaucoup d’entreprises pendant
la crise due au Covid­19.
La première est le « retour d’ex­
périence » (le « retex », dans le jar­
gon des managers). Il consiste à
revenir sur la manière dont une
situation a été gérée, sur le plan
collectif et individuel, afin d’ap­
prendre des erreurs et de garder
les bonnes pratiques qui ont
émergé spontanément. Cet exer­
cice rétrospectif permet de reve­
nir sur des choix, décisions et
comportements, d’en analyser la
pertinence afin d’identifier ceux
qui seront à retenir et ceux qui ne
devront pas être répétés. Cet
exercice collectif exigeant peut se
pratiquer juste après la situation
(on parle de « retex à chaud »), ou
plus tard (on parle de « retex à
froid »). Au­delà d’une discussion
sur ce qui a été bien fait ou pas, il
DE NOMBREUSES
ÉQUIPES
DIRIGEANTES ONT
MIS EN PLACE DES
CELLULES DE CRISE
HEBDOMADAIRES
fronter l’incertitude sans s’y être
livré génère deux risques ma­
jeurs : celui de reconnaître la com­
plexité et l’incertitude, mais de
rester paralysé et incapable d’agir ;
ou, à l’inverse, celui de les sous­
estimer afin de continuer à utili­
ser d’anciens scénarios pourtant
déjà obsolètes. L’exercice consiste
à envisager différents futurs et
imaginer les scénarios d’actions
associés. Cet exercice prospectif
permet de libérer l’attention des
équipes des problèmes rencon­
trés dans le présent, et de l’orien­
ter vers ce qui pourrait advenir
dans le futur en matière d’oppor­
tunités comme de menaces.
L’occasion d’apprendre
La richesse de l’exercice provient
en grande partie du processus
collectif de discussion et de re­
mise en question qui se met en
œuvre, offrant, comme le « re­
tex », une possibilité de cons­
truction d’un sens collectif face à
l’incertitude. Bien que la techni­
que des scénarios soit bien
connue des stratèges de l’entre­
prise, elle restait encore peu uti­
lisée de manière systématique
par les équipes dirigeantes avant
la crise due au Covid­19. En effet,
elle requiert que les équipes y
consacrent du temps au détri­
ment de l’opérationnel, et qu’el­
les se prêtent à l’exercice collectif
ardu de discussion et de remise
en question des choix passés
comme des visions futures.
Durant cette période, de nom­
plus efficacement dans notre
contexte socio­économique tou­
jours plus incertain, au­delà des
moments de crise aiguë.
Malheureusement, la probabi­
lité d’occurrence de ce risque est
élevée. Lorsque les forces exogè­
nes qui ont amené les entreprises
à amender leurs pratiques auront
perdu en intensité, les forces qui
poussent au statu quo vont
s’exercer à plein régime : enjeux
opérationnels du quotidien,
agendas surchargés, pression
d’immédiateté, confort des habi­
tudes et du connu, biais de con­
firmation, illusion groupale…
En d’autres termes, les équipes
dirigeantes vont devoir investir
de l’énergie et réviser leur
agenda stratégique pour mainte­
nir ces pratiques et les ancrer au
plus profond de leurs fonction­
nements collectifs. A défaut,
elles auront manqué une occa­
sion d’apprendre de cette crise et
de développer une capacité stra­
tégique à anticiper et faire face à
l’incertitude. Elles n’auront alors
pas d’autre choix que de réagir
dans l’urgence aux boulever­
sements à venir, laissant leurs
salariés épuisés et privés de sens
collectif et stratégique. 
Tessa Melkonian est
professeure de sciences
de gestion à l’EM Lyon
tion de coopération et de développement économiques (OCDE)
sont encore présents. Ce débat révèle un problème : nous ne dis­
posons plus d’une théorie économique claire de l’inflation, que
ce soit à court terme ou à long terme.
La macroéconomie traditionnelle proposait une théorie claire,
mais elle n’est plus aujourd’hui conforme aux faits observés.
Selon cette approche traditionnelle, l’inflation peut résulter de la
hausse des prix des matières premières (au sens large : énergie,
matières premières alimentaires, métaux, semi­conducteurs,
transport maritime…). Cela est toujours mécaniquement le cas,
mais la théorie économique, elle, s’intéressait à l’inflation sous­
jacente, hors effet des prix des matières premières.
Selon cette théorie, l’inflation à court terme vient de ce qu’on
appelle la « courbe de Phillips », du nom de l’économiste néo­
zélandais Alban William Phillips (1914­1975), qui l’a formulée
en 1958 : une progression de la demande qui fait baisser le taux de
chômage est inflationniste, car la baisse du taux de chômage ren­
force le pouvoir de négociation des salariés sur le marché du tra­
vail. A long terme, l’inflation est, en revanche, un phénomène mo­
nétaire : il y a une relation stable à long terme entre l’offre de mon­
naie et le revenu en valeur, qui est le déterminant de la demande
de monnaie ; une progression plus rapide de l’offre de monnaie
conduit à une progression également plus rapide des prix.
Monnaie de placement
Dans cette théorie traditionnelle, une politique monétaire expan­
sionniste fait baisser les taux d’intérêt réels et soutient la de­
mande à court terme ; mais à long terme, elle n’a pas d’effet sur
l’économie réelle et conduit seulement à une inflation plus forte.
A long terme, les taux d’intérêt réels ne dépendent plus, selon
cette théorie, de la politique monétaire, mais permettent d’équili­
brer par l’épargne et l’investissement l’offre et la demande de
biens et services. Cette théorie traditionnelle (dite de « neutralité
monétaire ») joue un rôle politique très important. Elle explique,
par exemple, le choix de donner aux banques centrales leur indé­
pendance : puisque la politique monétaire n’a d’effet à long terme
que sur l’inflation, il est possible que la banque centrale mène cel­
le­ci indépendamment des autres politiques économiques si elle
n’a pour mission que la maîtrise de l’inflation. A court terme, les
politiques économiques arbitrent entre inflation et chômage, sui­
vant la courbe de Phillips. Si les gouvernements veulent un taux
de chômage plus bas, ils doivent accepter davantage d’inflation.
Le problème est que, depuis les an­
nées 1990, cette théorie n’est plus
NOUS NE  conforme aux faits observés. D’une

Pascal de Lima Le risque est de voir

part, le retour à un taux de chômage
DISPOSONS PLUS  très faible ne fait pas revenir l’infla­
tion. D’autre part, il n’y a plus de rela­
D’UNE THÉORIE  tion à long terme entre la croissance

se créer un monde à deux vitesses

L’économiste analyse très grande entreprise, on a déjà, de facto, l’ha­
bitude de travailler à distance ! Supprimer une
la disparité des usages place dans un open space d’une grande entre­
du travail à distance selon prise peut avoir un sens, mais fermer un
bureau dans une PME n’en a pas vraiment.
la taille de l’entreprise, mais En moyenne, 78 % des dirigeants interrogés
aussi selon l’échelle des anticipent des effets négatifs du télétravail sur
la productivité : 22 % prévoient un fort effet
revenus et les aires culturelles négatif, et seulement 15 % pensent qu’il n’y
aura aucun effet sur la productivité. Ce scepti­
cisme reflète plusieurs facteurs, qui restent
PERTINENTE  de l’offre de monnaie et l’inflation. Le
cas le plus frappant est celui du Japon
DE L’INFLATION,  où, depuis la fin des années 1990, l’in­
flation est en moyenne nulle alors
DE COURT TERME  que l’expansion monétaire a été con­
COMME DE  tinuelle et colossale. La disparition de
cette déformation traditionnelle de
les pays à faibles revenus. Les entreprises LONG TERME l’inflation, à court terme et à long
offrant le plus d’occasions de télétravail sont terme, explique l’évolution des politi­
dans le secteur de l’assurance et des tech­ ques monétaires. Elle permet aux
nologies de l’information : 74 % de leurs banques centrales de conserver une politique très expansionniste
salariés affirment avoir télétravaillé. Alors tout au long des périodes de croissance, puisque l’inflation ne re­
que les services à la personne, l’alimentaire, vient pas, même quand le chômage est faible.
l’agriculture, le commerce de détail, la cons­ La théorie traditionnelle de l’inflation n’est plus pertinente éga­
truction ou le transport offrent peu d’occa­ lement parce que les déréglementations des marchés du travail et
sions de pratiquer le télétravail. la désyndicalisation ont fait disparaître le pouvoir de négociation
Au­delà de l’impact que le télétravail aurait des salariés, qui ne peuvent plus obtenir des hausses plus rapides
sur la productivité, il dessine déjà le contour des salaires, même au plein­emploi. La monnaie est devenue

T
élétravail ! Télétravail ! Télétravail ! Le
monde entier va reprendre à l’unisson
la rhétorique du bien­être de l’ère post­
Covid­19. Le télétravail dépasse ainsi la
sphère de l’économie pour devenir un enjeu
de société. Mais le risque est alors de voir se
créer un monde à deux vitesses, entre petites
et grandes entreprises, entre l’élite du busi­
ness occidental et le reste du monde.
En France, seulement 29 % des dirigeants
d’entreprise disent vouloir pérenniser l’utilisa­
tion du télétravail (étude Viavoice pour Sopra
Steria, 23 avril). Mais ce chiffre atteint 80 %
parmi les dirigeants d’entreprises de plus de
1 000 salariés, et seulement 23 % parmi les pa­
trons de PME de moins de 100 salariés !
Ainsi, les PME ne bénéficieraient pas des
effets positifs de la numérisation sur la produc­
tivité. Pour certaines PME, le télétravail peut
être synonyme de rallongement des circuits de
décision, alors que c’est la proximité, la fluidité
des échanges et la réactivité qui font leur
richesse. D’autres déplorent des difficultés de
paiement clairement dues au télétravail,
quand ce n’est pas tout bonnement la qualité
du travail qui est remise en cause. Et dans une
spécifiques aux PME : les salariés doivent
aussi s’occuper des enfants en bas âge, en pre­
nant du temps non rémunéré ; le « stop and
go » lié à la garde d’enfants accroît le nombre
réel d’heures travaillées. Or c’est dans les PME
que les salariés disposent le moins de moyens
de garderie, contrairement aux grandes en­
treprises. Enfin, beaucoup de PME n’ont pas
encore de processus et d’outils de communi­
cation et de collaboration fondés sur le télé­
travail, ce qui réduit d’autant la productivité.
Projet de société
De même, si le Covid­19 a accéléré à marche
forcée l’usage du télétravail dans le monde,
des disparités importantes existent selon les
pays. Certes, selon les statistiques du Forum
économique mondial (« The Future of Jobs
Report », octobre 2020), 44 % des employés
de la planète déclarent avoir été en mesure
de travailler à distance pendant la pandémie,
tandis que 24 % déclarent ne pas avoir pu le
faire. Mais, parmi ces télétravailleurs, la plus
grande part (38 %) exercent leur métier dans
les pays à hauts revenus, 25 % dans les pays à
revenus moyens supérieurs, 17 % dans les
pays à revenus moyens inférieurs, 13 % dans
du marché du travail de demain dans le
monde. La plupart des études sur le sujet res­
tent circonscrites aux grandes entreprises des
pays occidentaux et aux activités des salariés
et des cadres du tertiaire, ce qui peut parfois
donner l’impression qu’il est très positif.
Finalement, l’amélioration de la productivité
par le télétravail reste circonscrite à certaines
populations, à certaines tâches, à certains pays,
à certaines cultures. En fin de compte, le télé­
travail est davantage un projet de société
qu’une affaire de productivité. Certains pour­
ront librement y adhérer ou pas selon certains
critères, mais ce n’est assurément pas un mo­
dèle d’activité que l’on pourrait généraliser à
des ensembles culturels éloignés de l’idéologie
de l’élite du business occidental. 
Pascal de Lima est chef économiste
du cabinet de conseil Harwell Management
et professeur en économie de l’innovation
à Aivancity (école d’enseignement supérieur
privée en intelligence artificielle)
aujourd’hui une monnaie de placement ; elle est une composante
de la richesse, des portefeuilles d’épargne ; elle a donc un lien avec
les prix des actifs qui les composent (actions, immobilier…) et non
plus avec les prix des biens et des services consommés.
Le problème est que, même si nous comprenons pourquoi,
nous ne disposons plus d’une théorie pertinente de l’inflation,
de court terme comme de long terme. Cela explique sans doute
la confusion du débat actuel sur le risque d’inflation. Pour les
uns, la théorie traditionnelle va à nouveau être valable : la stimu­
lation de la demande associée à une forte création monétaire va
faire réapparaître l’inflation. Pour les autres, la théorie tradition­
nelle n’est pas plus valable qu’il y a quelques années, et il ne peut
pas y avoir d’inflation autre que celle causée à court terme par la
hausse des prix des matières premières.
Ne faudrait­il pas alors construire une nouvelle théorie de l’infla­
tion ? Qu’est­ce qui détermine l’inflation si ce n’est ni, à court
terme, le chômage et les politiques de soutien à la demande, ni, à
long terme, la création monétaire ? L’inflation résulte­t­elle alors
d’une norme sociale de hausse des salaires ? Ou s’agit­il d’un équi­
libre autoréalisateur de l’inflation anticipée ? Ou faut­il adopter
une théorie « néo­fisherienne » ? Pour l’économiste américain
Irving Fisher (1867­1947), les taux d’intérêt réels reflétant à long
terme les caractéristiques structurelles des économies, c’est le
choix des taux d’intérêt nominaux par les banques centrales qui
détermine à long terme l’inflation. Une politique monétaire
durablement expansionniste ferait donc… baisser l’inflation ! Ce
qui est l’inverse des idées aujourd’hui en vigueur. 
 0123
32 | idées DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021

Ilhan Kyuchyuk Il est temps de comprendre

que la dictature chinoise représente une menace
pour la paix dans le monde
A l’occasion des 100 ans du Parti communiste res du XXe siècle. Il disait, dans un article
chinois, le député européen bulgare, qui a pris posté sur Internet en 2005, qu’il ne com­
prenait pas comment les intellectuels oc­
position contre la répression des Ouïgours, retrace cidentaux avaient pu s’enticher d’un dic­
l’histoire du régime totalitaire et les erreurs des pays tateur comme Staline. Pourquoi la France
et la Grande­Bretagne avaient­elles si
occidentaux à son égard aisément accepté de faire des compromis
avec l’Allemagne et l’Italie ? Après la se­
conde guerre mondiale, pourquoi les
criminations de la part du régime com­
muniste de Todor Jivkov. Nous avons dû
modifier les noms de nos villages et nos
noms de famille pour leur donner une to­
nalité chrétienne. Notre famille a donc
été rebaptisée Kyuchukov, et mon pré­
nom Ilhan fut transformé en Ilian. Dès le
retour de la liberté, les traces de cette op­
pression ont progressivement disparu. Ce
1980 a permis à la Chine de se hisser au
rang des plus grandes puissances écono­
miques. Mais, depuis que le président Xi
Jinping a pris le pouvoir en 2012, les ambi­
tions chinoises sont devenues délétères.
En lançant le vaste projet des « nouvelles
routes de la soie », la Chine n’a plus caché
son désir de dominer le monde. En pro­
posant des projets d’infrastructures pha­

L
a Chine fête en grande pompe le
100e anniversaire de la fondation
du Parti communiste chinois, créé
à Shanghaï le 1er juillet 1921. Pour le
peuple chinois, il y a de quoi se sentir fier :
une montée en puissance habilement
conçue et couronnée de succès le 1er octo­
bre 1949, puis une continuité sans faille. A
aucun moment la Chine n’aura connu
d’alternance à la tête de la Cité interdite, ni
même vu émerger un parti d’opposition.
Nous voyons à un bout de ce siècle le fu­
tur président Mao Zedong, bibliothécaire
à l’origine, s’imposer comme un chef poli­
tique puis comme un stratège militaire
sans états d’âme et enfin comme un dic­
tateur illuminé. Il a mené son pays en al­
ternant campagnes idéologiques force­
nées et périodes de répit indispensables
au redémarrage économique.
A l’autre bout de cette longue histoire,
l’héritier direct de Mao, Xi Jinping, qui re­
prend les méthodes du culte de la person­
nalité, et remet à l’honneur les méthodes
honnies de la Révolution culturelle telles
que l’arrestation des opposants, pen­
seurs, patrons d’entreprises trop ambi­
tieux, au nom de la stabilité sociale. Entre
ces deux extrémités, combien de Chinois
sacrifiés sur l’autel du parti unique ? Com­
bien d’options divergentes qui auraient
pu garantir à la Chine un développement
pacifique à l’égard de son peuple ?
Qui se souvient de Chen Duxiu, le pre­
mier secrétaire du tout nouveau Parti
communiste chinois ? Un homme qui,
dès les années 1910, prônait l’adaptation à
la Chine d’idées nouvelles venues de l’Oc­
cident, telles que le communisme, il est
vrai, mais aussi le rejet du conservatisme
confucéen qui avait fossilisé la Chine, et
l’égalité des sexes. Il mourut dans la soli­
tude en 1942, marginalisé et persécuté par
son grand rival Mao. Suivirent tous les
autres : Peng Dehuai, qui aurait voulu
tempérer les ardeurs de Mao durant la ré­
forme du Grand Bond en avant, initiative
brutale qui précipita 30 à 40 millions de
Chinois dans la famine, puis le fidèle bras
droit, Lin Biao, dont l’avion s’écrasa au sol
alors qu’il tentait de rejoindre la Russie.
Glorieuse tradition
Xi Jinping a renoué avec cette glorieuse
tradition en éliminant les proches de ses
prédécesseurs, Jiang Zemin et Hu Jintao,
sous prétexte de « corruption », puis les
avocats défenseurs des droits civiques,
qu’il fit enfermer par centaines en 2015.
N’oublions pas Liu Xiaobo, Prix Nobel
de la paix 2010, mort en détention
en 2017 pour avoir refusé d’oublier les vic­
times du massacre de la place Tiananmen
en 1989. Liu nous avait rappelé dans une
série d’articles les grands aveuglements
de l’Occident face à la montée des dictatu­
Etats­Unis et la Grande­Bretagne avaient­
ils fait de telles concessions à l’URSS ?
Dans les années 1960 et 1970, pourquoi
les intellectuels européens les plus
brillants se sont­ils entichés de la « pen­
sée Mao Zedong » ?
Ces questions restent d’actualité. Mais,
enfin, dans ces « pays libres », un nouveau
courant émerge qui s’insurge maintenant
contre la dictature chinoise, notamment
à cause du traitement qui est réservé aux
minorités ethniques du Xinjiang, les
Ouïgours, les Kazakhs, les Ouzbeks…
Né en Bulgarie, j’appartiens à une mino­
rité turcophone, qui a été victime de dis­
DE L’ASIE
À L’AMÉRIQUE LATINE,
LA CHINE LANCE
SES FILETS
ET PARVIENT À
S’IMPOSER COMME
UN INTERLOCUTEUR
INCONTOURNABLE
n’est pas le cas en Chine, dans la province
du Xinjiang, où les minorités musulma­
nes sont abominablement persécutées, et
contraintes à devenir de « bons Chinois »
sous peine de lourdes condamnations.
Contrôle absolu
Le Parlement européen a décerné le prix
Sakharov à Ilham Tohti, en 2019. Cet émi­
nent économiste, professeur à Pékin,
avait acquis un tel charisme qu’il devenait
menaçant aux yeux d’un pouvoir qui
veut mettre en place un contrôle absolu
sur tout le territoire chinois. Ilham Tohti
prônait le dialogue et la collaboration en­
tre Han et Ouïgours. Il fut accusé de sépa­
ratisme et condamné à la prison à vie.
Après lui, des dizaines d’intellectuels, de
scientifiques, d’acteurs de la société civile
en Chine ont été ainsi arrêtés et condam­
nés à de longues peines de prison.
Lorsque, le 22 mars 2021, l’Union euro­
péenne (UE) a sanctionné une organisa­
tion chinoise ainsi que quatre responsa­
bles chinois impliqués dans la répression
des Ouïgours, Pékin a immédiatement ré­
pliqué en visant quatre organisations
européennes ainsi qu’une dizaine de per­
sonnalités dont des parlementaires euro­
péens. Je fais partie de ceux qui peuvent
s’honorer d’avoir été reconnus comme
luttant contre ce régime totalitaire.
Le développement économique prôné
par Deng Xiaoping au début des années
raoniques à des pays plus ou moins déve­
loppés, elle a créé des situations inextrica­
bles : le Monténégro s’est ainsi endetté,
en 2014, à hauteur d’un milliard de dollars
pour une autoroute qui ne fonctionne
toujours pas, et ce pays appelle mainte­
nant l’UE à l’aide pour éviter la faillite.
Partout dans le monde, de l’Asie à l’Améri­
que latine, la Chine lance ses filets et par­
vient à s’imposer comme un interlocu­
teur incontournable.
Il est temps de comprendre qu’une dic­
tature qui s’appuie sur le contrôle de sa
société à l’aide de millions de caméras de
surveillance, qui, depuis sa création dans
la violence des années 1920, jusqu’à la ré­
pression du mouvement démocratique
de la place Tiananmen en 1989, et mainte­
nant encore en étouffant toute velléité de
contestation à Hongkong et en menaçant
Taïwan à coups de survols de son terri­
toire, représente une menace pour la paix
dans le monde. Nous devons nous armer
de courage et de lucidité pour éviter que
les erreurs du passé se répètent. 
Ilhan Kyuchyuk est membre
du Parlement européen, coprésident
du Parti de l’Alliance des libéraux
et des démocrates pour l’Europe

La ménagerie du Jardin des plantes peut-elle se vanter

de posséder Nénette, un orang-outan enfermé depuis 1972 ?
A des fins de divertissement du public, et en contradiction avec la mission scientifique du Muséum d’histoire naturelle de Paris, propriétaire
du zoo, des centaines d’animaux y vivent en captivité depuis des décennies, alerte un collectif de chercheurs, vétérinaires et éthologues

L
e 16 juin dernier, cela a fait
quarante­neuf ans que Né­
nette est à la ménagerie du
Jardin des plantes de Paris.
Propriété du Muséum national
d’histoire naturelle (MNHN), et
vieille de deux cent vingt­sept
ans, la ménagerie connut diver­
ses activités : le commerce des
animaux exotiques, leur exhibi­
tion en vue de divertir le public,
leur acclimatation à des fins
zootechniques, les travaux de
classification et d’anatomie
comparée par la dissection des
morts.
Faut­il rappeler ce que furent,
pour des millions d’animaux, la
soustraction à leur lieu de vie et
à leurs congénères, la traversée
des survivants par bateau du­
rant des trajets si longs et si
éprouvants qu’à la fin du
XIXe siècle, les deux tiers d’entre
eux mouraient avant d’arriver
dans l’institution ?
Aux collections vivantes
s’ajoutent les collections mor­
tes ; ainsi le Muséum national
d’histoire naturelle comptait
650 000 spécimens en 1858 et
8,5 millions en 1921. Les rapports
sur les conditions de vie des cap­
tifs durant ces quelque deux
cents ans révèlent que les cages
exiguës, une atmosphère sou­
vent insalubre, des températu­
res inappropriées sont fatales à
beaucoup d’entre eux.
Le jardin zoologique sera, du
reste, le lieu d’observation des
troubles du comportement dus
à l’enfermement, comprenant
automutilations et actes de dé­
sespoir conduisant souvent à la
mort, car la privation de mouve­
ment et de vie sociale doit être
saisie plus largement comme la
perte du monde propre, c’est­à­
dire des conditions de toute
existence.
L’illusion de la semi-liberté
Le public sait­il qu’aujourd’hui,
près de 2000 animaux sont tués
chaque année dans les zoos
européens dans le cadre des pro­
grammes d’échanges entre éta­
blissements, qui veillent ainsi à
éviter les problèmes de consan­
guinité ? C’est ce que les profes­
sionnels nomment « la gestion
des collections ».
Les directeurs de la ménagerie
voulurent très tôt offrir à leurs
pensionnaires une vie moins
confinée. Mais le décor crée sur­
tout l’illusion pour les visiteurs
d’une semi­liberté dans une
brousse peinte sur les surfaces
de fond. Aujourd’hui, le fait d’oc­
cuper les grands singes en dit
long sur l’ennui forcément en­
gendré par une vie captive. Les
éthologues savent parfaitement
que l’enrichissement des cages
est un leurre et que la visibilité
constante à laquelle les animaux
sont contraints est une épreuve.
La cage s’oppose au territoire
« non seulement parce qu’elle ne
comporte aucune possibilité de
fuite ou d’évasion, mais d’abord
parce qu’elle interdit le passage
de la visibilité à l’invisibilité, qui
est comme la respiration du vi­
vant », explique Jean­Christo­
phe Bailly dans Le Parti pris des
animaux (Christian Bourgois,
LE « BIEN-ÊTRE »
DES ANIMAUX,
MOT PASSE-
PARTOUT ET
RASSURANT, NE
PEUT EXISTER DANS
DES CONDITIONS
DE CAPTIVITÉ
2013). Il y a fort à parier que,
dans leur for intérieur, des cher­
cheurs, des soigneurs, ou
même des directeurs de zoos
éprouvent un malaise devant
les oiseaux en cage et les
orangs­outans sous verre.
Des distinctions s’imposent
Y a­t­il lieu, pour le Muséum na­
tional d’histoire naturelle, de se
vanter de posséder une femelle
orang­outan, désormais bien
connue du public, Nénette, « ar­
rivée directement de Bornéo
en 1972 » et, qui plus est, « mère
de quatre fils » destinés à leur
tour à alimenter des zoos ?
Selon les informations contra­
dictoires fournies par le site du
Muséum, 1 200 ou 600 animaux
sont tenus en captivité à la mé­
nagerie (dont 200 mammifères
et 300 oiseaux) sur un terrain de
5,5 hectares. A quelles fins ? A
des fins essentiellement récréa­
tives auprès d’un public par
ailleurs constamment rassuré
sur le « bien­être des animaux ».
Or ce « bien­être », mot passe­
partout dont on se garde bien de
préciser le contenu dans les do­
maines où il est parfois scanda­
leusement employé, ne peut
exister dans des conditions de
captivité.
Toutefois des distinctions et
des points de vue nuancés s’im­
posent s’agissant de certaines
espèces de petite taille dont le
monde propre est plus facile à
recréer ou qui sont moins sen­
tientes [capables de ressentir des
émotions, la douleur, le bien­être,
etc., et à percevoir de façon sub­
jective son environnement et ses
expériences de vie] que d’autres
(insectes et araignées, par exem­
ple). Il va cependant de soi que
nombre d’animaux qui sont dé­
tenus à la ménagerie font partie
d’espèces sentientes, dont les
orangs­outans, d’ailleurs désor­
mais rangés dans la famille des
Hominidæ.
Le rôle scientifique et pédago­
gique du Muséum national
d’histoire naturelle peut­il s’ac­
commoder d’une ménagerie de
captifs qui véhicule auprès du
public l’image d’animaux trans­
formés, voire brisés, en raison
de la piètre existence qui leur est
offerte ? Nul ne peut plus croire
à la mission de conservation et
de réinsertion d’espèces à
l’heure où les habitats disparais­
sent. La ménagerie du Jardin des
plantes abîme l’image du Mu­
séum national d’histoire natu­
relle, il est temps de planifier sa
transformation. 
Monique Bourdin, docteure vété-
rinaire comportementaliste, Ecole
nationale vétérinaire de Maisons-Al-
fort ; Georges Chapouthier, neu-
robiologiste, directeur de recherche
émérite, CNRS ; Sarah Jeannin,
psychologue et docteure en étholo-
gie, université Paris-Nanterre ;
Pierre Jouventin, éthologue, an-
cien directeur de recherche, CNRS ;
Michel Kreutzer, éthologue, pro-
fesseur émérite, universitaire ; Ra-
phaël Larrère, ancien directeur de
recherche, Inrae ; Bruno Lassalle,
vétérinaire, ancien directeur du
Parc zoologique de Paris ; Philippe
Léna, géographe, directeur de
recherche émérite, IRD/MNHN ; Fré-
déric Lévy, éthologue, directeur de
recherche, Inrae ; Sylvia Masson,
vétérinaire, spécialisée en médecine
du comportement ; Hélène Quach,
biologiste, ingénieure de recherche,
CNRS/MNHN ; Matthieu Ricard,
biologiste, fondateur de Karuna-
Shechen ; François Sarano, océa-
nographe ; Isabelle Vieira, vétéri-
naire comportementaliste, chargée
d’enseignement en éthologie dans
les Ecoles nationales vétérinaires.
0123
DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021
Le Carnet
Vous pouvez nous faire
parvenir vos textes
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L’équipe du Carnet
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Mme Rémy Bouteloup,
née Michèle Martin,
son épouse,
Renaud, Sabrina et Thomas,
ses enfants et petit-fils,
Geneviève (†) et Jean (†) Granier,
Jean (†) et Brigitte (†) Bouteloup,
Marie Antoinette Bouteloup,
François (†) et Jacqueline Bouteloup,
Alice Bouteloup (†),
Odile et Dominique Hazard,
ses frères et sœurs, beaux-frères et
belles-sœurs
Et tous ses neveux et nièces,
ont la douleur d’annoncer le décès
de
M. Rémy BOUTELOUP,
ingénieur de l’École Centrale
des Arts et Manufactures de Paris
promotion 1949,
survenu le 24 juin 2021.
Il reposera dans le caveau familial
à Clermont-l’Hérault (Hérault).
Hadrien Bouvier
et son épouse, Lili Anschütz,
Octave Bouvier,
ont la grande douleur de faire part
du décès de leur père et beau-père,
M. Pierre
BOUVIER DONNADIEU,
survenu le 28 juin 2021, à Sarcelles,
à l’âge de soixante-et-onze ans.
L’inhumation a lieu ce samedi
3 juillet, à 15 heures, au cimetière
parisien de Pantin.
Anne Chatauret, née Berthod,
son épouse,
Marine Chatauret,
Coralie Chatauret et Jean-Raymond
Jacob,
ses enfants,
Eliott, Ulysse, Laszlo,
ses petits-enfants,
Sylvie Albert,
sa sœur,
Jean Chatauret,
son frère,
leurs conjoints,
leurs enfants et petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Pierre CHATAURET,
architecte DPLG,
chevalier
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
survenu le 30 juin 2021,
à l’âge de soixante-quatorze ans,
des suites d’une longue maladie.
Ses obsèques auront lieu le jeudi
8 juillet, à Roquemaure (Gard).
La cérémonie d’adieu se déroulera
à 12 heures, en la chapelle du Prieuré
de Truel, chemin de Truel.
Des dons pourront être faits au
profit de la recherche médicale.
2305, chemin de Truel,
30150 Roquemaure.
10, rue Notre-Dame de Nazareth,
75003 Paris.
anne.chatauret@orange.fr
Paris.
Sa famille,
Ses ami(e)s
Et ses proches,
ont la douleur et le chagrin de faire
part du décès de
Mme Josette FARGEAS,
inspecteur général
de l’Education nationale
honoraire,
chevalier
de l’ordre national du Mérite,
officier
dans l’ordre des Palmes académiques,
survenu le 13 juin 2021,
à la Fondation Léopold-Bellan, Paris 14e,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
Un dernier hommage lui a été
rendu le vendredi 25 juin, au
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e, et au cimetière du
Montparnasse, Paris 14e, selon sa
volonté.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Véronique Affholder,
sa femme
Et les familles Fontaine et Affholder,
ont la tristesse de faire part de la
mort de
Jacques FONTAINE,
homme de théâtre,
le 29 juin 2021.
Une cérémonie sera célébrée en
l’église Saint-Roch, Paris 1er, le mardi
6 juillet, à 14 heures.
Annabel et Julien,
ses enfants,
Louise, Hortense, Pablo et Victoria,
ses petits-enfants,
ont le regret de faire part du décès de
Mme Liliane KERJAN,
agrégée d’anglais,
docteur ès lettres,
licenciée en droit,
professeur des Universités,
vice-présidente
de l’université Rennes 2
(1979-1998),
présidente de l’Association française
d’études américaines
(1997-2000),
recteur de l’Académie de Limoges
(2000-2005),
présidente de l’Institut
franco-américain de Rennes
(2007-2020),
administratrice
de la Maison des cultures du Monde
(2004-2021),
chroniqueuse
à la Quinzaine Littéraire
puis à En attendant Nadeau,
officier de la Légion d’honneur
et de l’ordre du Mérite,
commandeur
dans l’ordre des Palmes académiques,
survenu le 28 juin 2021, à Paris.
Un dernier hommage lui sera rendu
le lundi 5 juillet, à 16 h 30, au
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise. Accès par le 71, rue des
Rondeaux, Paris 20e (métro Gambetta,
ligne 3).
Contacts :
annabelkerjan@wanadoo.fr
jpkerjan@gmail.com
Paris. Saint-Raphaël.
Nathalie Laurent,
son épouse,
Ses enfants
Toute sa famille
Et ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Patrice LAURENT,
survenu le 16 juin 2021,
dans sa soixante-cinquième année.
Mme Marie-France Normand,
son épouse,
Claire et Jacques Tremoulet,
Eric et Simin Normand,
Charles et Marie-Ange Normand,
ses enfants, gendre et belles-filles,
Simon, Benoît et Louise Tremoulet,
Alexandre, Raphaël et Jasmine
Normand,
Louna et Sasha Normand,
ses petits-enfants,
Sa famille
Et ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès
brutal du
docteur Henri NORMAND,
28 octobre 1939 - 28 juin 2021,
neuropsychiatre,
psychanalyste membre honoraire
de l’Association Psychanalytique
de France.
La cérémonie aura lieu le mardi
6 juillet, à 10 h 30, au château Luchey
Halde, 17, avenue du Maréchal-Joffre,
à Mérignac (Gironde).
L’inhumation aura lieu à 12 heures,
au parc cimetière rive gauche, avenue
du Souvenir, à Mérignac.
Cet avis tient lieu de faire-part.
carnet | 33
Baillargues (Hérault).
Chalabre (Aude). Mémoire Concerts Éloges
Souvenir d’ À - venir,
André NOY,
maître de conférences (h.), Mémoire d’ À - venir,
officier
Jean CARDONNEL, J C,
dans l’ordre des Palmes académiques,
ex-responsable I-G Polytech’
Montpellier, pro - fête de ce temps,
cent Ans,
a fermé le livre de sa vie le 28 juin sous ton AiLe _ j’y sais _
2021. Aux radicales Ailes _
21e Festival européen Jeunes Talents Vous n’êtes plus seul.e.s !
du réel _
consubstantiel _
Les mots justes au juste moment
« J’ai beaucoup aimé, www.eloge.plus
j’ai peu haï, Le sens, Du 4 au 24 juillet 2021,
profitez de trois semaines
j’ai essayé de transmettre. » Remerciements
Je fête L’essentiel, de musique de chambre
Ses cendres seront dispersées à je fête ta présence (Éluard). au cœur du Marais,
Chalabre. aux Archives nationales.
Gilles Roca,
99, rue Bobillot,
Vous vivrez des grands moments
Marseille. Montpellier. d’évasion musicale
75013 Paris.
roca.maia.bba@gmail.com avec les musiciens
Mme Daniel Robequain, les plus talentueux
née Michèle Piette,
de leur génération
Hommage parfois accompagnés de leurs aînés :
fait part du décès de sa mère,
Jean-Paul Vermès, Susan Manoff, Thomas Enhco,
Denise PIETTE, président du conseil d’administration Romain Leleu,
d’HEC Paris, des membres du Quatuor Voce,
à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans, Olivier Sevillia, Jeanne Gérard, Joë Christophe, La Fédération des Aveugles
président de la Fondation HEC, le Quatuor Confluence, de France
veuve du Adrien Couret, Cet Etrange Eclat, rend hommage
président d’HEC Alumni, à ses généreux bienfaiteurs.
Yiheng Wang
colonel de gendarmerie Et toute la communauté HEC, et tant d’autres… En désignant notre association
Paul PIETTE, comme bénéficiaire
Saint-Cyr, rendent hommage à de leur patrimoine,
promotion Soldat inconnu,
du mardi au vendredi à 20 heures,
ils contribuent à améliorer
le samedi et dimanche la vie quotidienne
1936-1938. Philippe FORIEL-DESTEZET,
à partir de 16 heures. des personnes aveugles
Distanciation assurée, et malvoyantes.
Paris. Annecy. Lyon. décédé le 27 juin 2021. Leur mémoire restera à jamais
selon directives en vigueur,
ancrée dans nos souvenirs.
A ceux qui l’ont connu, aimé, masques à disposition Nous ne les oublierons jamais.
Diplômé de l’École en 1958,
estimé, nous faisons part, avec
entrepreneur au parcours exceptionnel,
Tarifs de 8 € à 20 €.
chagrin, du décès de Fédération des Aveugles
Philippe Foriel-Destezet a fondé en de France,
Informations et réservations sur
Olivier SGARZI, 1964 la société Ecco, qu’il fusionnera en 6, rue Gager-Gabillot,
www.jeunes-talents.org 75015 Paris.
1996 avec le groupe suisse Adia pour
Tél. : 01 40 20 09 20. Tél. : 01 44 42 91 91.
survenu le 19 juin 2021, donner naissance au groupe Adecco,
à l’âge de cinquante-cinq ans. n°1 mondial du travail temporaire, dont
il était Président honoraire. Humble et
De la part de Société éditrice du « Monde » SA
ambitieux, il était un véritable modèle Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
pour les élèves et tous les membres de Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Dominique, la communauté des diplômés HEC. Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard,
sa compagne, Philanthrope généreux et discret, il a Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Alexis Delcambre,
Claudette et Pierre,
très significativement contribué aux Marie-Pierre Lannelongue, Harold Thibault
ses parents, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Pascale, actions d’intérêt général de la Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo
Fondation HEC, notamment en faveur Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
sa sœur, Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
de l’Egalité des Chances, et a marqué
son conjoint, Nicolas Bergerot Rédaction en chef Laurent Borredon, Laetitia Clavreul, Michel Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie),
son évolution. Sabine Ledoux (chef d’édition), Christian Massol, Franck Nouchi (Débats et Idées)
et leurs enfants, Leo et Lila, Directrice du design Mélina Zerbib
Daniele Macqueron, Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Brigitte Ruggieri, Ils s’associent à la peine de sa Infographie Delphine Papin
ses tantes, Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
famille à laquelle ils présentent leurs Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Renée Havilland, sincères condoléances. Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
sa belle-sœur
et sa famille,
Marine et Damien, Justine et Abdel
avec Nëila, Meïssa, Hanna, Emmanuel,
Laure et leurs enfants,
Juliette, Vincent, Mathilde,
ses cousins,
Valou, Liroy et Manu, Etienne et
Fabienne à Paris, Nat et Claire à Lyon,
Clotilde et François à la Rochelle,
Ses amis proches,
Une cérémonie a eu lieu le
mercredi 30 juin au cimetière du
Père-Lachaise, Paris 20e, avec sa
famille et ses amis.
Anniversaires de décès VOUS PARTEZ EN VACANCES ?
Versailles. Paris.
Il y a un an disparaissait à Londres,
FAITES SUIVRE VOTRE JOURNAL ! *
à l’âge de trente-deux ans,
Guillaume
LÉONARD de JUVIGNY, Rendez-vous sur votre compte, à la rubrique
« Votre abonnement -Vacances et déplacements »
abattu en quelques mois par un mal
incurable. au moins 9 jours avant votre départ
Sophie,
sa mère,
Florence,
*
pour une durée minimale de 7 jours
sa sœur, et maximale de 3 mois, en France
Sa famille, métropolitaine
Ses nombreux amis,
se souviennent avec émotion de lui,
de sa curiosité, de son courage et de
son attachement à la vie.
Claude LANZMANN,
27 novembre 1925 - 5 juillet 2018.
Depuis trois ans, il nous manque
terriblement, tout comme son fils • C’EST VOTRE PREMIÈRE VISITE :
Felix,
créez votre compte au moyen de
votre numéro de client + votre code
mais reste tellement présent par son postal + votre adresse courriel sur
œuvre. lemonde.fr/sfuser/account
« Est-ce qu’il peut décrire ce • VOUS POSSÉDEZ DÉJÀ UN COMPTE
silence ? » fait demander Claude
SUR LE SITE LEMONDE.FR :
Lanzmann dans Shoah à l’ancien
chef de gare de Sobibor à propos du identifiez-vous
identifiez-vous directement avec votre
silence inexplicable qui suivait le adresse courriel sur secure.lemonde.fr/
tumulte après la volatilisation d’un sfuser/connexion, rubrique « Votre abon-
convoi entier. nement --Vacances
Vacances et déplacements »
dominique.lanzmann@orange.fr
À l’instant un lièvre passe et tu
remues les lieux célestes, mon cher
Claude LANZMANN.
Iris van der Waard.
 0123
34 | 0123 DIMANCHE 4 ­ LUNDI 5 JUILLET 2021

PLANÈTE  |   CHRONIQUE LOI DE 

par st é p hane f ou cart
BIOÉTHIQUE : LES  du quinquennat a étonnamment éclipsé un time de ces travaux consiste à faire dévelop­
autre volet du texte aux conséquences au per des organes humains par des animaux –
LIGNES ROUGES 
L’impossible FONT DÉFAUT
moins aussi considérables, mais aux méca­
nismes autrement plus difficiles à populari­
ser. Le nouveau texte lève l’interdit posé jus­
des pancréas par des porcs, par exemple –
afin de pallier la pénurie de greffons.
Il n’est pas question d’agiter les fantasmes
protection des abeilles qu’à présent sur la création d’embryons
transgéniques et allège le régime juridique
de l’usage des cellules souches embryonnai­
qu’évoque le mot de « chimère » – la créa­
tion d’êtres mi­hommes mi­animaux – ou
celui de greffes de cellules animales dans
res. Ce dernier passe d’un régime d’autorisa­ un embryon humain qui, elles, demeurent
tion à celui de simple déclaration préalable strictement interdites. Pourtant, il est clair

L
a protection des abeilles
domestiques est l’une
des causes environne­
mentales les plus popu­
laires et consensuelles ; elle est
aussi le sujet sur lequel la plus
grande part des politiques publi­
ques diverge le plus des recom­
mandations de la communauté
scientifique compétente. Une ré­
cente décision l’illustre à nou­
veau. Lundi 28 juin, au cours
d’une réunion des ministres de
l’agriculture de l’Union euro­
péenne, la Commission et les
Etats membres se sont accordés
sur des objectifs de protection des
abeilles domestiques. L’accord
trouvé tient en un chiffre, 10 %.
C’est le taux de mortalité jugé ac­
ceptable, au sein d’une ruche, en
conséquence d’une exposition à
un pesticide. La traduction régle­
mentaire de cet objectif est sim­
ple : pour être autorisé en Europe,
un agrotoxique ne devra pas dé­
truire plus de 10 % d’une colonie
d’abeilles domestiques qui y se­
rait exposée.
Banal en apparence, cet accord
marque en réalité l’aboutisse­
ment d’une saga qui dure depuis
plus de vingt ans – et qui n’est
d’ailleurs pas complètement ache­
vée. En 1994, une nouvelle généra­
POUR ÊTRE AUTORISÉ  instruite par l’Agence de la biomédecine, ce
EN EUROPE, UN  qui tendent à entraver la recherche.
AGROTOXIQUE NE  duites (iPS), auparavant non clairement ré­
DEVRA PAS DÉTRUIRE 
PLUS DE 10 % D’UNE 
COLONIE D’ABEILLES 
DOMESTIQUES
trentaine de reprises, sans jamais
être sérieusement discutés, adop­
tés ou rejetés. Au point que la
Commission finit par demander
à l’EFSA de revoir sa copie, de ma­
nière à « assouplir » ces principes
d’évaluation du risque. Lorsqu’il
n’est pas possible de mener une
politique fondée sur la science, il
est toujours envisageable de pro­
duire de la science fondée sur de
la politique.
Pourquoi autant de réticences ?
C’est l’industrie agrochimique el­
le­même qui donne la réponse.
Selon ses propres estimations, di­
vulguées en 2017 lors d’un collo­
que, la mise en place des principes
d’évaluation des risques initiale­
ment proposés par l’EFSA condui­
rait à exclure 79 % des usages
L a longue ovation qui a salué, mardi
29 juin à l’Assemblée nationale,
l’adoption définitive du projet de loi
de bioéthique était méritée. Après deux an­
nées d’une intense bataille de procédure, le
texte ouvre un droit nouveau tant aux cou­
ples de femmes qu’aux femmes célibatai­
res, celui de procréation médicalement as­
sistée (PMA). Largement attendue, contes­
tée par certains, cette avancée évoquée par
François Hollande en 2012 puis promise
par Emmanuel Macron en 2017 et finale­
ment votée à une large majorité, montre
que le pays, si divisé par ailleurs, peut par­
venir à des compromis équilibrés sur des
réformes de société aux enjeux complexes.
La focalisation logique sur cette réforme
sociétale présentée comme emblématique
qui devrait empêcher les recours judiciaires
Le travail sur les cellules pluripotentes in­
glementé, se trouve aussi soumis au même
régime déclaratif. Or ces iPS, fabriquées non
à partir d’embryons humains mais de sim­
ples cellules de peau ou de sang par exem­
ple, et capables de se spécialiser en n’im­
porte quel type cellulaire du corps humain,
se trouvent à la base de développements po­
tentiellement vertigineux : la médecine ré­
générative et les chimères animal­homme.
La technique, qui consiste par exemple à
injecter des cellules tumorales humaines
chez des souris pour étudier l’efficacité de
nouveaux traitements, n’est pas nouvelle.
Ce qui est nouveau, en revanche, est leur im­
plantation dans des embryons d’animaux,
comme lors de la création, annoncée en
avril, d’embryons chimères singe­homme,
une première réalisée par des chercheurs
français, chinois et américains. L’objectif ul­
que ces avancées scientifiques ouvrent
d’immenses perspectives, tout en compor­
tant le risque de terribles dérives, d’ailleurs
pointées par le Conseil d’Etat : l’émergence
de zoonoses (infections transmises des ani­
maux à l’homme), le développement chez
l’animal d’une forme de conscience hu­
maine, voire la production de gamètes hu­
mains. Si les chercheurs se disent cons­
cients de ces risques, de solides lignes rou­
ges, que la loi ne précise pas explicitement
s’agissant d’un domaine fluctuant, devront
être fixées par l’Agence de la biomédecine.
Dès 2018, ces questions étaient exposées
dans l’avis du Comité consultatif national
d’éthique, rédigé après de longs débats en
prévision de la discussion parlementaire. Il
est regrettable que les responsables politi­
ques n’aient pas pris soin d’associer et d’in­
former plus directement le public – tâche
ardue il est vrai en pleine pandémie – dans
un domaine aux enjeux éthiques, médi­
caux, sociétaux, voire civilisationnels si
considérables. 

tion d’insecticides systémiques,
utilisés en enrobage de semences,
fait son apparition en France en
grandes cultures. Immédiate­
ment, les apiculteurs riverains ob­
servent des mortalités anormales,
FESTIVAL
d’herbicides, 75 % des usages de
fongicides et 92 % des usages d’in­
secticides. Ces chiffres sont bien
sûr sujets à caution, mais en les te­
nant pour plausibles, quel respon­
sable politique accepterait de por­

des dépérissements, des effondre­
ments de certaines colonies.
Rideaux de fumée
Dix ans s’écoulent en vaines con­
troverses, en instrumentalisation
du débat scientifique, en faillite
INTERNA-
ter un si lourd préjudice économi­
que à un secteur aussi stratégique
que l’industrie chimique – aux
prises, de surcroît, avec la concur­
rence des firmes chinoises, de
plus en plus conquérantes ?
C’est donc sans surprise que plus

de l’expertise publique. De toutes
parts, des rideaux de fumée se
dressent. Le déclin des abeilles ?
Des virus, des parasites, des pré­
dateurs naturels, le changement
climatique, les mauvaises prati­
TIONAL
de deux décennies d’atermoie­
ments et de manœuvres dilatoi­
res ont abouti à une décision peu
protectrice, qui n’inversera sans
doute pas le déclin des abeilles et
des pollinisateurs sauvages. Et de

ques apicoles : tout cela aurait
brusquement conspiré pour faire
périr les butineuses, au moment
même où de nouveaux agrotoxi­
ques arrivaient dans les champs.
En 2003, un rapport d’experts
académiques commis par le mi­
DE JOUR-
toute la biodiversité qui en dé­
coule. Car l’objectif de 10 % de
mortalité acceptable par colonie
est annonciateur d’une poursuite
de la catastrophe. Ce n’est pas très
compliqué à comprendre : les
abeilles et les pollinisateurs ne

NALISME
nistère de l’agriculture établit au­ sont pas exposés à une seule subs­
delà du doute raisonnable, après tance, mais en permanence à plu­
trois années de travail, que les sieurs dizaines (plus de 300 sont
troubles relevés par les apicul­ autorisées dans l’Union euro­
teurs sur leurs cheptels sont ceux péenne), dont les effets conjugués
que l’on attend d’une intoxica­ sont largement inconnus.
tion aux produits incriminés. Et, Peu importe que la Commission
surtout, que les procédures d’éva­ et les Etats membres aient été
luation du risque des pesticides tancés pour leur laxisme, dès
sont aveugles, et qu’il faut les ré­
former. Cela aurait dû être l’his­
2015, par l’EASAC (European Aca­
demies Science Advisory Council,
9, 10, 11 juillet 2021
toire de quelques années. En réa­ la coalition des académies des
lité, ce processus est toujours en sciences européennes) puis, plus
cours, comme le rappelle la déci­
sion du 28 juin, sur les objectifs de
récemment, par la Cour des
comptes européenne. Les abeilles
Couthures-sur-Garonne
protection des abeilles. et les pollinisateurs apparaissent,
Une décennie après ce premier au vu des forces économiques en
rapport, l’Autorité européenne de présence, indéfendables.
sécurité des aliments (EFSA) Il serait simple, ici, d’en appeler
prend acte du problème. Elle pro­ à plus de démocratie dans la prise
pose un ensemble de principes de décision, à rendre aux objec­
nouveaux pour tester efficace­ tifs de protection de l’environne­
ment les risques des pesticides
sur les abeilles et certains pollini­
ment toute leur dimension politi­
que. Mais il n’est pas certain que
REJOIGNEZ-NOUS CET ÉTÉ !
sateurs sauvages. La procrastina­ les opinions soient prêtes à bous­
tion des Etats membres porterait culer les équilibres socio­écono­
à rire si le sujet n’était si impor­ miques pour protéger des bestio­ festivalinternationaldejournalisme.com
tant : en sept années, ces princi­ les bourdonnantes, fussent­elles
pes ont été mis à l’ordre du jour de aussi sympathiques et utiles que
la comitologie européenne à une les abeilles, les syrphes ou les pa­
pillons. Le contraire apparaît U N É V É N E M E N T PA R R A I N É PA R L E G R O U P E L E M O N D E
même de plus en plus probable.
La Suisse a ainsi été le premier
L’OBJECTIF DE 10 %  pays occidental à interroger di­
rectement sa population sur une
DE MORTALITÉ  fin progressive de la chimie de
ACCEPTABLE PAR  synthèse dans les pratiques agri­
coles. Des scientifiques se sont in­
COLONIE EST  vestis dans le débat et ont coura­
geusement participé à l’informa­
ANNONCIATEUR  tion du public. Le résultat est qu’à
D’UNE POURSUITE  une très forte majorité (environ
60 %), les Suisses ont préféré le
DE LA CATASTROPHE statu quo. 
 4 PA R EN TO LO G I E 7 J E U X E N LI GNE 8
U N AP É RO AV E C …
Le monde Exam’ de géo Garry
fait « pop » Un quiz, un challenge, un atlas…
trois moyens ludiques de booster
Kasparov
Quelques vidéos d’influenceurs vos connaissances en géographie. Le célèbre champion russe
ont suffi pour que les enfants Et de placer sans erreur Bandar d’échecs lance sa plate­forme
deviennent accros au Pop It. Seri Begawan sur le planisphère de jeu en ligne. Et aimerait
Jouer en pressant des petits infliger le mat au « roi » Poutine
dômes de silicone réduirait­il
le stress des mois confinés ?

Pour mieux
profiter
du cocon
domestique,
auquel ils sont
de plus en plus
attachés,
les Français
plébiscitent
la piscine… et
la bouée licorne E NQUÊ TE

Une pistoche
ÉRIC TABUCHI/ATLAS DES RÉGIONS NATURELLES

à tout prix
DIMA NCHE 4 - LU ND I 5 J UI LLE T 2021 C AHI ER DU « M ON DE » N O 23790 - N E PEU T ÊT R E VE ND U SÉ PA RÉ M EN T
2 0123
DIMA NC H E 4 - L UN D I 5 J U I L L E T 202 1
Par Isabelle Rey-Lefebvre
S’
il y en a qui n’ont pas le
temps de piquer une
tête, et encore moins
de canoter sur une
tranche de pastèque
gonflable, ce sont bien
les piscinistes, noyés sous les comman­
des. Plonger dans sa piscine est en effet
devenu, depuis quelques années, une
passion française. Avec trois millions de
bassins existants (soit un pour 27 habi­
tants), notre pays est le champion euro­
péen, loin devant l’Espagne et l’Italie, et
le deuxième mondial, derrière les Etats­
Unis. Les commandes ont décollé à par­
tir de 2014 et explosé lors du premier
confinement de 2020, faisant un bond
de 28 % par rapport à 2019, soit 197 000
piscines livrées, dont 60 000 bassins
enterrés. « Nous n’atteindrons pas les
200 000 par an, car l’outil industriel ne
suit pas, les 3 000 piscinistes de France
travaillent déjà au maximum de leurs ca­
pacités et manquent même de bras »,
constate Stéphane Figueroa, président
de la Fédération des professionnels de la
piscine (FPP).
Tout concourt au désir de bai­
gnade à domicile, pas seulement les ca­
nicules à répétition ou l’industrialisa­
tion du secteur, qui rend les prix plus ac­
cessibles, mais aussi un mouvement de
repli sur le foyer et la cellule familiale,
exacerbé par la pandémie de Covid­19 et
les restrictions de déplacement, loin des
piscines municipales bondées, chlorées,
bruyantes et parfois théâtres d’incivili­
tés (et on ne parle pas que de ceux qui
ont oublié de ramasser leurs Curly).
Les Français confirment, de son­
dage en sondage, l’attachement à la mai­
son et au jardin et, singulièrement de­
puis deux ans, envisagent de moins en
moins de s’en éloigner : « Le confine­
ment a bouleversé les habitudes et provo­
qué une chute inédite du taux de départs
en vacances, passé de 62 %, avant la crise,
à 42 %, en mai 2020, explique Sandra
Hoibian, du Centre de recherche pour
l’étude et l’observation des conditions
de vie (Credoc). Du jamais­vu en plus de
Un chapitre sera
consacré à la série
« Piscines verticales »
dans « Atlas des
régions naturelles »,
qui paraîtra en
octobre prochain
chez oursuite éditions.
Archive-arn.fr
ÉRIC TABUCHI/ATLAS
DES RÉGIONS NATURELLES
quarante ans puisque, à titre de compa­
raison, lors de la crise financière de 2008,
ce taux n’avait diminué que de 4 points.
Les raisons financières sont le premier
motif, mais il y a aussi la difficulté à s’or­
ganiser et, pour une fraction des Fran­
çais, la distance voire la détérioration des
liens que la crise a révélée entre eux et
leurs proches. » Ce désir de rester chez
soi, de bricoler, de jardiner, se traduit
donc aussi par l’envie de disposer d’une
piscine à soi, d’où l’envolée du marché.
« Le soleil et la chaleur sont nos
meilleurs commerciaux », clame David
Moreau, un des fondateurs d’Esprit Pis­
cine, un groupement de trente profes­
sionnels, spécialisé dans le sur­mesure
plutôt haut de gamme et les bassins
enterrés en béton, qui en livre environ
300 par an à des prix allant de 25 000 à
300 000 euros. « Fini, le haricot bleu
azur : la tendance est aux formes sim­
ples, rectangulaires, couleur gris torrent,
avec une large marche où les parents
peuvent s’asseoir, les pieds dans l’eau, et
surveiller les enfants, et parfois, un
espace à remous », explique M. Moreau.
Le rêve des Français n’est donc
pas la piscine hollywoodienne, avec cas­
cade, grotte artificielle, fosse à plongeons
et toboggan vertigineux que vantent des
programmes télévisés comme Les Rois
de la piscine (sur 6Play). Les bassins mo­
dernes n’ont, sauf couloir de nage, rien
de sportif : « Les jardins étant de plus en
plus petits, les bassins le sont aussi. En
moyenne, 8 mètres par 4, à fond plat, dans
1,30 mètre de profondeur », détaille Jean­
Louis Desjoyaux, PDG de l’entreprise sté­
phanoise du même nom, fondée par son
père en 1969 et devenue leader du sec­
teur, dont 40 % du chiffre d’affaires est
réalisé à l’export (Allemagne, Belgique,
Suisse…). Desjoyaux a mis au point des
procédés industriels de construction et
de filtration sans canalisation en sous­
sol, intégrés ou posés au bord, qui dispen­
sent de construire un local spécifique.
« Nos techniques participent à la baisse
des prix, et donc à la démocratisation de la
piscine privée, explique M. Desjoyaux.
Cela se fait souvent en deux étapes : une
première piscine hors sol, avant que le
client se décide pour un bassin enterré ou
semi­enterré. Nous avons encore de belles
années de croissance devant nous. »
Le bassin rétrécit, mais les équi­
pements se multiplient pour simplifier
l’entretien et en réduire le coût, notam­
ment ne jamais avoir à changer l’eau,
dont la consommation est ainsi rame­
née à 3 ou 4 mètres cubes par an, de
quoi compenser l’évaporation. Une cou­
verture du bassin permet, la nuit, de
conserver l’eau propre et à tempéra­
ture ; une pompe à chaleur allonge la pé­
riode d’utilisation avant et après l’été
(en région parisienne, elle pourrait, si­
non, se limiter à une trentaine de
jours) ; des robots nettoyeurs et des sys­
tèmes de contrôle de l’acidité de l’eau
assurent sa longévité sans abuser des
produits chlorés. Depuis la loi Raffarin
de 2003, un système de sécurité enfants,
« Je suis étonné
de voir les sommes
que les locataires
sont prêts à
débourser pour
un après-midi
de baignade »
Nicolas, propriétaire d’une piscine en Seine-et-Marne
alarme ou clôture, est, en outre, obliga­
toire (selon Santé publique France, 19 %
des 1 650 noyades annuelles ont encore
lieu dans des piscines privées).
« Si tout le monde veut sa piscine
privée, avec la douche attenante, ce n’est
pas, malgré les efforts techniques de ces
dernières années, soutenable en regard
de ce bien commun qu’est l’eau, estime
Jean­Claude Oliva, directeur de la Coor­
dination Eau bien commun, association
qui milite contre la privatisation de cette
ressource. La solution serait de pénaliser
cet usage que nous jugeons superflu, au­
delà du confort, par une tarification pro­
gressive », suggère­t­il.
« Les piscines étaient, autrefois,
un symbole de luxe et d’aisance finan­
cière et, comme souvent, les habitudes
des classes aisées se diffusent et sont
adoptées par les autres milieux », ob­
serve Monique Eleb, sociologue de l’ha­
bitat. Elle­même en a fait construire une
dans sa maison de vacances ardéchoise :
« Pour convaincre nos enfants qui, deve­
nus ados, ne voulaient plus y venir, se
souvient­elle. C’est indéniablement un
lieu de retrouvailles, de sociabilité où
amis, voisins et copains des enfants rap­
pliquent pour piquer une tête. »
« Mes enfants, qui ont largement
passé la trentaine, m’ont interdit, après le
décès de mon mari, de vendre notre mai­
son familiale avec piscine, raconte cette
hôtesse de l’air à la retraite. Ils adorent
que nous nous y retrouvions le dimanche
pour une baignade et un barbecue. »
« Quel bonheur de passer le confi­
nement dans une maison avec jardin pay­
sager de 1 000 mètres carrés et piscine »,
confie Nicolas, 40 ans, enseignant en
Seine­et­Marne, père de trois enfants de
2 à 6 ans. « C’est si agréable de nager à l’air
libre, dans le calme, entouré de nature… »
Il a fait construire la sienne en 2018 (ses
deux voisins ont, depuis, fait de même)
et la propose désormais en location à la
demi­journée sur la plate­forme spécia­
lisée Swimmy, jeune start­up créée
en 2017 qui, en 2020, a enregistré 16 000
locations et en envisage 40 000 en 2021,
dans les 3 000 piscines qu’elle propose.
 0123
DI MANCHE 4 - LUNDI 5 JUI LLET 2021 3
ENQUÊTE

L ES PI SCI NES PUBL I QUES À LA RECHERCHE D’ UN NOUVEAU M OD ÈLE

Mouvements de bassins
La piscine, A
l’époque où seuls les riches pouvaient s’offrir un bas­
sin, la piscine municipale, née dans les années 1930, a
longtemps symbolisé l’effort de la cité pour l’accès de
ses citoyens modestes à la baignade et à la pratique de la na­
tation. C’est au retour des Jeux olympiques de 1968, organi­
dans un rapport sévère de la cour régionale des comptes, de
février 2018. Les auteurs relevaient que la ville disposait,
en 2008, de 25 bassins dont seulement 15 étaient encore en
activité huit ans plus tard, en 2016, dont 5 ouverts l’été, et
pratiquement aucun dans les quartiers populaires.

nouveau totem sés à Mexico, les nageurs français n’ayant glané qu’une mé­
daille de bronze, que le gouvernement Pompidou, vexé, réa­
gissait en lançant le plan 1 000 piscines. Deux drames, à l’été
1969, un dans la Loire, l’autre dans le lac Léman, où des dizai­
nes d’adolescents se sont noyés, ont démontré par ailleurs
Les élus intercommunaux, puisque c’est souvent
leur compétence, doivent aussi faire face, dans leurs centres
aquatiques, aux incivilités, bagarres, refus de se doucher, de
porter un bonnet de bain, d’obéir aux consignes des maî­
tres­nageurs… « Les fortes chaleurs ont, chez tout le monde à

Les Français un grave déficit dans l’apprentissage de la natation.

La France a ainsi vu pousser, entre 1969 et 1977, de 600
à 700 bassins modèles Caneton (196), Tournesol (183, repé­
rable à sa coupole à hublots) ou encore Iris, Plein­Ciel, Plein­
la recherche d’un peu de fraîcheur, un effet amplificateur des
comportements d’irrespect des règles et des autres usagers »,
observe Cyril Cloup, délégué général de l’Andes. En juin 2019,
par exemple, les villes de Puteaux et de Neuilly réservaient

sont champions
Soleil. Ces équipements souvent petits, réservés au sport et à
l’enseignement plutôt qu’aux jeux, ont peu à peu lassé leur
public et ruiné les budgets communaux en frais d’entretien,
d’eau et d’énergie, rarement compensés par les recettes.
« Aujourd’hui, le parc des 6 646 bassins publics, soit
l’accès des bassins aux résidents et abonnés à la suite de
bousculades dues à une affluence record. « L’ambiance du
lieu et sa quiétude dépendent beaucoup du comportement
des maîtres­nageurs sauveteurs, qui en sont le visage, les ani­
mateurs, les pacificateurs, rappelle M. Rouleau. Malheureuse­

d’Europe… de
une surface d’eau de 26 mètres carrés pour 1 000 habitants,
est vieillissant, la moitié date d’avant 1985 », déplore Yves
Rouleau, expert auprès de l’Association nationale des élus
en charge du sport (Andes) et coauteur du guide Réussir sa
piscine publique. « Non seulement il ne répond pas aux nou­
ment, dans certains équipements, ils ne restent pas longtemps
et ne sont pas faciles à recruter. »
L’un des premiers objectifs de la piscine publique
est d’apprendre à nager à tous les enfants de moins de
12 ans et d’assurer aux plus jeunes ce que l’on appelle une

la piscine privée.
velles attentes, plus ludiques, du public, mais il s’avère énergi­
vore. » De nouveaux procédés, économes en énergie et en
eau, utilisant le solaire, facilitent l’équilibre économique.
Face à la vétusté de leurs équipements, certaines
communes les ont carrément fermés, le cas le plus embléma­
« aisance aquatique », une expérience de l’immersion. Mais
seuls 58 % des élèves de CM2 déclarent pouvoir parcourir
50 mètres dans l’eau, une proportion qui ne décolle pas
depuis des années. Cette activité pédagogique, civique,
citoyenne voire sanitaire, entièrement à la charge des com­

Une passion
tique étant la ville de Marseille sous l’ère Gaudin, épinglée munes ou des intercommunalités, occupe 20 % du temps
d’ouverture des équipements et de leurs grands bassins
d’au moins 25 mètres de long.
Les sportifs mobilisent 20 % du temps, le grand pu­
blic 50 % et 10 % sont réservés aux activités ludiques de

renforcée par
type bébés nageurs et aquagym, ou à des créneaux pour
seniors, une classe d’âge dont la fréquentation est en forte
hausse. « Ces piscines, ou plutôt ces centres aquatiques, sont
des lieux inégalés de mixité générationnelle et sociale à
condition que les élus aient adapté leurs équipements à ces

quinze mois
nouveaux usages », précise M. Rouleau.
Plus question d’aligner les nageurs dans des cou­
Le trampoline loirs de bouées ! Le public réclame plusieurs bassins aux
usages variés, dont certains en plein air – ce qui est le cas de
a su rebondir seulement 45 % d’entre eux, aujourd’hui –, voire en pleine

confinés. Et ceux
nature ou « nordiques » – c’est­à­dire proposant une eau à
26 degrés, été comme hiver –, des jeux (toboggans, jets
ans la France vue d’eau, pataugeoires pour les tout­petits, rivière animée,

D d’avion (ou du drone),

pentagliss pour débarouler à plusieurs…), des services (bar,
restaurant, voire espace beauté, spa, jacuzzi)… Le nouveau

qui n’ont pas

on voit depuis quel- parc aquatique de Limoges, ouvert en 2015, propose ainsi
ques années apparaître de un bassin de 50 mètres pour les sportifs, un petit bassin à
fond amovible pour l’ajuster à la taille des enfants en ap­
drôles de verrues rondes dans
prentissage, un espace de jeux, avec vagues, îlot et fontaine,
les jardins. Des trampolines et un espace beauté avec hammam, sauna, bain à remous,

les moyens de 3,60 m de diamètre, en

moyenne, sur lesquels rebon-
dissent joyeusement les enfants.
Comme dans cette maison de
masseur et esthéticienne. « Un bel équipement, très fonc­
tionnel, se félicite Sylvie Rozette, adjointe au maire chargée
des sports et vice­présidente de Limoges Métropole. Mon
seul regret est que la concession ne prévoie pas suffisamment
de créneaux pour accueillir des championnats. »

de s’offrir la leur Colombes, en région parisien-

ne. Trois jeunes enfants parta-
gent un trampoline, bondissent
« Disposer d’un beau centre aquatique reste un
atout, un projet structurant pour le territoire », assure Cyril
Cloup, de l’Andes. Surtout quand « sa gestion par l’inter­
communalité permet une offre plus cohérente sur le plan

peuvent louer
bras tendus vers le ciel, se met- géographique », renchérit Yves Rouleau. Moralité : le plouf
collectif n’a pas encore fait flop.
tent au défi de réaliser une fi-
gure ou tombent de tout leur
poids. Ce sont des cris, des rires

celle du voisin
« Avec ma femme qui travaille dans le so­
cial, nous voulions partager cet équipe­
ment pour le plaisir de rencontrer des
gens, mais dès la première année, en 2019,
nous avons été victimes de notre succès,
recevant, en haute saison, une vingtaine
de demandes par jour. J’ai doublé les ta­
rifs, aujourd’hui à plus de 40 euros par
personne, c’est toujours plein et je suis
étonné de voir les sommes que les locatai­
res sont prêts à débourser pour passer un
après­midi de baignade, confie­t­il. J’ai
trois types de clients : des mères de famille
avec enfants, des jeunes qui viennent
“entre potes” et un public plus commu­
nautaire, musulman, qui recherche un
lieu de baignade à l’abri des regards. C’est
très convivial, nous sommes souvent in­
vités à l’apéro ou à partager le gâteau
d’anniversaire », témoigne­t­il.
La location à la journée de pis­
cines privées connaît, depuis à peine
deux ans, un succès spectaculaire qui
fait celui d’une multitude de plates­for­
mes telles que We Peps, Louez­moi, Sa
piscine, Kiwiiz, MyPrivatePool, Louer
une piscine… L’activité est lucrative pour
tous : Nicolas, par exemple, en a tiré,
en 2020, plus de 1 000 euros chaque mois
d’été, ce qui lui permet d’amortir son
équipement, tandis que Swimmy perçoit
une commission de 37 %.
Thierry, infirmier de nuit, vit à
Sucy­en­Brie (Val­de­Marne) et a presque
fait de la location de sa piscine un
deuxième job, qui lui rapporte entre
2 000 et 2 500 euros par mois ouvré :
« J’adore m’en occuper. Tous les matins, ça
me détend et je l’équipe toujours plus, avec
bar, sauna, jacuzzi, sono, éclairage du bas­
sin, pour en faire un coin sympa. » Dans la
pool­house, les locataires trouvent toilet­
tes, congélateur, réfrigérateur et tout le
nécessaire à de petites réceptions, du vin
d’honneur aux fiançailles, en passant par
les enterrements de vie de jeune fille,
« qui peuvent être bruyants », soupire­t­il.
Plusieurs groupes de femmes maghrébi­
nes sont devenus des habituées. « Si ma
femme n’avait pas dit “stop”, je la louerais
tous les jours ! », assure Thierry.
Dans son grand jardin de pres­
que un hectare, avec une piscine semi­
enterrée de 9 mètres sur 5 et une terrasse
de 100 mètres carrés, à Chailly­en­Brie
(Seine­et­Marne), Joëlle, 70 ans, peut ac­
cueillir jusqu’à une trentaine de person­
nes à la fois. Elle loue par We Peps et cela
lui rapporte environ 20 000 euros par
an : « J’adore cela ! Je suis commerciale
dans l’âme et, bien sûr, cela m’aide à en­
tretenir cette grosse maison, un peu
lourde pour moi seule. »
« Une telle location est possible
partout en France, où l’offre et la de­
mande sont très bien réparties », se féli­
cite Benjamin Poutier, fondateur de la
plate­forme We Peps, qui, elle, perçoit
7 % de commission. La réouverture pro­
gressive des piscines municipales, après
quinze mois d’arrêt forcé, ne devrait pas
remettre en cause cet engouement pour
la piscine à usage privé, fût­ce un après­
midi de temps à autre.
aussi. Ces petits kangourous
enchaînent les rebonds, les
sauts d’arrêt, des combinaisons
plus acrobatiques, jouent à chat
ou à la balle à l’intérieur de cette
aire de jeu aussi attractive qu’un
pot de miel, été comme hiver.
« Ils ont une grande liberté de
mouvement, se dépensent, et
puis on sait où ils sont », souligne
Djamila Djennane, leur joviale
grand-mère, qui en a fait l’ac-
quisition en 2018. « S’il ne pleut
pas et qu’il fait plus de 10 degrés,
cette activité ludique et physique
qui améliore la coordination,
l’équilibre et l’agilité constitue un
excellent moyen de lutter contre la
sédentarité de l’enfant », confir-
me Ludovic Richard, respon-
sable gymnastique et sports
acrobatiques chez Decathlon.
Inventé à des fins sportives
par un gymnaste américain
en 1934, l’agrès s’aventure sur le
terrain des loisirs d’extérieur au
début des années 1970, avant
d’investir le jardin des particu-
liers à la fin des années 1980. Il
est composé d’une bâche de
plastique élastique tendue sur
une armature métallique, aux
différentes formes géométri-
ques, le plus souvent ceinte de
filets de sécurité pour éviter les
sorties de piste fracassantes.
« Chez les particuliers, le trampo-
line est acheté avant tout pour
les enfants, explique Grégory
Moreau, responsable commer-
cial de France Trampoline,
marque bordelaise spécialisée
depuis cinquante ans dans le
domaine. Nous avons assisté à
une démocratisation notable du
trampoline domestique et à de
belles progressions de nos ventes,
entre 2005 et 2010, avec des pics
saisonniers entre mars et juin,
avant une hausse sensible avec le
Covid-19, depuis 2020. » La
région parisienne et la Haute-
Savoie caracolent en tête de
leur clientèle. Même tendance
haussière observée chez De-
cathlon, ces trois dernières an-
nées (+ 10 % par an), sur un
marché concentré à 80 % en
Amérique du Nord et en Eu-
rope, quasi inexistant en Asie.
S’il a la cote auprès des enfants
voltigeurs, le trampoline n’in-
diffère pas les adultes, pour qui
il est régressif et idéal pour lâ-
cher prise et se muscler l’air de
rien. Attention cependant au
périnée, et surtout au ridicule
- qui heureusement ne tue pas.
Isabelle Tinoco en savoure tous
les bienfaits. « J’adore le trampo-
line, j’ai l’impression d’être une
petite fille qui saute sur son lit. Je
me détache du sol et de la réalité,
j’ai l’impression de voler un peu
jusqu’à ce que mes fessiers me
rappellent à l’ordre ! », confie l’as-
sistante fiscale quinquagénaire
adepte de Fly Yoga, qui, si elle
ne dispose pas d’un trampoline
– faute de place, c’est le pou-
lailler qui l’a emporté, dans son
jardin de Saint-Denis –, ne
manque jamais une occasion de
bondir sur celui de son amie
voisine. « Pour finir, je m’allonge
et regarde le ciel, ça fait un bien
fou ! Le trampoline, c’est mieux
que la piscine ! »
Marlène Duretz
4 0123
DIMA NC H E 4 - L UN D I 5 J U I L L E T 202 1

PARENTOLOGIE
Les confinements ont transformé en raz de marée le succès du Pop It, jeu qui consiste à presser de petits dômes
en silicone. Pour déstresser, le monde entier se met à faire « pop », constate Nicolas Santolaria dans sa chronique

Les rois du « pop »

PHILIPPE DE KEMMETER

V
HOR S ous vous souvenez
sans doute de la célè­
CON T E X T E bre phrase de Jacques
Séguéla : « Si à 50 ans
on n’a pas une Rolex,
« Mon cœur wesh. » c’est qu’on a raté sa
vie » ? Eh bien on
Le tweet de Benjamin Mendy, défenseur pourrait aisément la
de Manchester City et ancien de l’équipe détourner : car
de France de football de 2018, le 28 juin aujourd’hui si à 9 ans
à 22 h 42, alors que les Suisses viennent tu n’as pas un Pop It
de remonter au score contre les Bleus
à 2-3 dans un suspense insoutenable.
entre les mains, c’est
que tu as un peu raté
ta vie d’enfant. Véritable hit des cours d’école, trustant
quasiment toutes les premières places du catalogue
des ventes de jouets Amazon, cet objet malléable aux
formes diverses, pressé dans le silicone, pourrait faire
penser à du papier bulle réutilisable.
Comme avec le matériau d’emballage, il s’agit
ici de produire des « pop ! » en appuyant sur de petits
dômes, creux à l’intérieur. Après avoir rempli leur
office sonore, ces demi­bulles sont susceptibles de re­
venir à leur état convexe initial d’une simple pression
du doigt, l’explosion pouvant alors être répétée des cen­
taines de fois. « C’est satisfaisant ! », me dit mon fils
pour décrire le plaisir procuré par cette activité, utili­
sant là une formule que tous les enfants répètent,
comme si un kit lexical leur avait été fourni avec l’objet.
Sur la chaîne « Carla fait son show ! », une jeune
youtubeuse belge parlant comme une démonstratrice
du télé­achat affranchit ceux qui ne sont pas encore au
courant de ce bouleversement sociétal : « Hello tout le
monde, j’espère que vous allez bien. En tout cas, moi, ça
va ! Si vous êtes sur TikTok, vous pouvez savoir que le
nouveau jeu à la mode, c’est le Pop It. Mais attends, c’est
quoi le Pop It ? Le Pop It est un antistress pour se satis­
faire. Et vous pouvez entendre que si je pète une bulle, ça
fera moins de bruit que si j’en pète deux, ou trois. »
Même s’il rappelle une pratique récréative an­
cestrale qui consiste, à l’issue d’un déménagement, à
éclater du papier bulle pour se défaire de l’angoisse
qu’on a eu à convoyer de vieux vases de porcelaine, le
Pop It vient en réalité d’ailleurs. D’un XXe siècle se­
coué par d’autres types d’explosions. Avant de devenir
le concepteur de ce jeu étonnant, Theo Coster,
aujourd’hui défunt, fut d’abord le camarade de classe
d’Anne Frank à Amsterdam. Grâce à un changement
de prénom et aux bons soins d’une famille catholique
qui le cache durant le conflit dans le petit village néer­
landais de Vaassen, cet enfant d’origine juive survit à
la seconde guerre mondiale.
En 1955, après un long périple au guidon de sa
moto Batavus, ce fils d’imprimeur arrive en Israël, où
il fait la connaissance d’une enseignante d’arts plasti­
ques qui deviendra sa femme : Ora Rosenblat. En plus
d’une famille, le couple crée, à partir de la contraction
de leurs deux prénoms, la société Theora Design et se
lance dans l’invention de jouets et de jeux de société,
dont certains deviendront des succès internationaux,
comme le fameux Qui est­ce ?, qui se fonde sur l’esprit
de déduction. Cette approche créative, amusée, ludi­
que de l’existence a pour particularité de se prolonger
jusque dans les drames que le couple traverse.
Peu après que sa sœur
meurt prématurément d’un
cancer du sein, Ora se réveille
d’un rêve étrange et marquant, Ce qui m’a paru
dans lequel lui sont apparus des
champs de mamelons. Elle de­ tout de suite
mande alors à son mari de créer
un jeu feel­good à partir de sa étonnant, c’est
vision. De forme triangulaire,
constellé de bulles de caout­ que les enfants
chouc, le premier Pop It prend
forme par une nuit calme de revendiquaient
1975, à Tel­Aviv. Qu’un jeu pour
enfant soit la représentation ouvertement
schématique d’un substitut
mammaire a quelque chose de la dimension
merveilleusement psychanaly­
tique, figurant presque un ab­ thérapeutique
solu d’objet transitionnel. Pen­
dant trente ans, ce produit sur­ du Pop It
réaliste, que n’aurait sans doute
pas renié le pédiatre Donald
Winnicott, n’intéresse pourtant
aucun fabricant de jouets. Jus­
qu’au jour où le prototype atterrit sur le bureau de Da­
vid Capon, président de FoxMind Games, qui en flaire
tout de suite le potentiel.
Rebaptisé « Last One Lost » et reconceptua­
lisé, le jeu, qui consiste dès lors à ne surtout pas être
celui qui éclatera la dernière bulle, est lancé sur le
marché en 2013. Mais c’est à partir du moment où
des influenceurs en font la promotion sur TikTok
que le Pop It sort de l’anonymat. Tactile, fun, lavable,
adapté aussi bien au jeu solitaire que collectif, il sus­
cite d’innombrables délires ludiques, assortis de has­
htags contagieux (#popitchallenge), et accède aux
grandes plates­formes de vente en ligne. En 2020, les
confinements à répétition transforment ce début de
succès en raz de marée. Le monde entier se met à
faire « pop ! ».
« C’est devenu hors de contrôle. A partir de là,
on a vu apparaître des dizaines, des centaines, des mil­
liers de copies », confiait David Capon, dans « The Toy
Book Podcast ». Voilà comment le Pop It – qui fait
parfois penser à un drapeau LGBTQIA +, avec ses cou­
leurs arc­en­ciel – a fini par débarquer chez moi un
jour de juin 2021. Ce qui m’a paru tout de suite éton­
nant, c’est que les enfants en revendiquaient ouverte­
ment la dimension thérapeutique. « Ça permet de dés­
tresser, c’est un peu comme de
l’ASMR [autonomous sensory
meridian response] », m’a no­
tamment confié mon fils aîné,
faisant ici allusion à ces stimuli,
notamment sonores, censés
calmer l’esprit. Par son élasti­
cité, le Pop It va donc du diver­
tissement pur à la gestion émo­
tionnelle, rejoignant dans l’ima­
ginaire la grande cohorte de fid­
get toys (telle la célèbre toupie à
main qu’est le hand spinner), ces
jeux pensés pour apporter dé­
tente et concentration.
L’épidémie de Covid­19
aurait­elle accouché d’une gé­
nération souterrainement flip­
pée, qui a trouvé dans ce dou­
dou à bulles le parfait outil de
gestion de l’anxiété ? Avant de
conclure, on peut déjà noter
que les enfants sont effective­
ment angoissés. Comme le ré­
vélait l’étude E­Cocoon menée par le CHU de Tou­
louse à la sortie du premier confinement, 17 % des
8­15 ans souffrent de stress post­traumatique, cette
proportion se montant à 21 % chez les filles. « Même
pour ceux qui avaient de bonnes conditions de confi­
nement, le fait d’avoir eu un quotidien chamboulé, le
matraquage médiatique, la culpabilité de contaminer
les adultes, les décès possibles de proches, les parents
parfois dépassés : tout cela a pu jouer dans l’émergence
de ce stress aux manifestations diverses, dont le risque
d’apparition est quatre fois plus élevé chez l’enfant que
chez l’adulte », confie la professeure Isabelle Claudet,
qui a dirigé l’étude E­Cocoon.
Et les Pop It, peut­on les voir comme une ré­
ponse directe, spontanée à cette angoisse ? « Ç’a pu
être utilisé ponctuellement par certains comme un
moyen de se libérer d’une forme d’anxiété, mais, en­
suite, ça se diffuse surtout parce que ça devient un
phénomène de mode », nuance la chef de service des
urgences pédiatriques au CHU de Toulouse. Flop
pour ma théorie. Pop de fin.

L E S MO T S DU S E X E sandwich ou qu’ils veulent qu’on « a eu ce qu’il voulait » (selon que les femmes – ni que celles-ci
les laisse tranquilles. Au contraire la proverbiale formule). soient particulièrement joyeuses

Post-coïtum des femmes, qui voudraient

Maïa Mazaurette
« Chaque animal est triste après
le coït, à l’exception de la femme
et du coq », écrivait le médecin grec
Galien au IIe siècle de notre ère.
Aujourd’hui, le scénario a changé :
on dit qu’après l’amour les hommes
s’endorment, qu’ils ont besoin d’un
forcément faire des câlins. Ce qui se
dessine ici, c’est la réactivation de
stéréotypes de genre épais comme
des baobabs : les hommes ont des
besoins simples et zéro sentiment.
Seul le rapport sexuel les intéresse,
car, fondamentalement, ils sont
des bêtes. Pour les femmes, en
revanche, l’investissement est plus
cérébral. Peut-être ne peut-il
vraiment commencer que post-
coïtum – une fois que le partenaire
Depuis l’Antiquité grecque,
l’animalité ras des pâquerettes est
donc passée d’un genre à un autre.
Ce dont on tirera la règle suivante :
tout change dans les stéréotypes,
sauf le fait qu’ils existent – et que
siècle après siècle on les prend
pour argent comptant.
Et pourtant ! N’en déplaise
à Galien, rien ne prouve que
le blues post-coïtal (en langage
médical, la dysphorie post-coïtale)
touche plus souvent les hommes
après l’acte. A la rigueur, ce serait
plutôt l’inverse (mais les chiffres
varient considérablement d’une
étude à l’autre). Et notre coq, dans
cette histoire ? Il représentait dans
l’Antiquité le courage militaire.
De là à en conclure qu’il faut
faire la guerre pour apprécier
l’amour… mais ce serait, encore,
un autre stéréotype.
 0123
DI MANCHE 4 - LUNDI 5 J UILLET 2021 5

D
ans cette salle, même les réunions de comptabilité se dé­
roulent dans une atmosphère guillerette. L’effet apaisant,
euphorisant même, du cocon symbole d’évasion. C’est un
trimaran de 10 mètres qui tient lieu d’annexe, dans le jar­
din de Station­C, espace de travail partagé par quatorze

HISSEZ HAUT !
entreprises, à Saint­Barthélemy­d’Anjou (Maine­et­Loire).
Entre les flotteurs, la coque élargie accueille une terrasse. Une table pour
huit personnes a trouvé place à l’intérieur, un écran géant au fond, un petit
bar à l’entrée, de ce voilier qui fendit les flots durant vingt­cinq ans.
« Nous avions envisagé une extension bois de Station­C, retrace
Ivain Bignonet, qui en est le fondateur. Mais depuis que nous avons acheté
ce bateau, toutes les sociétés présentes
sont fières d’avoir évité l’enfouisse­
ment de 4 tonnes de déchets. » Entre­
preneur dans le nautisme, M. Bigno­ tous les partenaires possibles. » La ré­

On achève bien
net parle en spécialiste de « la catas­ gion, le groupe financier Amundi, la
trophe à venir qu’est l’absence de filière banque La Nef, le Crédit coopératif,
de recyclage de la plaisance ». « Nous France Active prêtent des sous.
héritons de quarante ans de produc­ Des bateaux sont promis par
tion industrielle en plastique ! » Au l’Association pour la plaisance éco­
Salon nautique de Paris, il y a deux responsable (APER), éco­organisme

les bateaux
ans, il a trouvé une ébauche de solu­ chargé de gérer leur fin de vie. Car,
tion en la personne de Didier Toqué, depuis 2019, l’industrie nautique
cofondateur du chantier naval d’in­ doit financer une filière de décons­
sertion Bathô. Tout près de Nantes, à truction, dotée de centres agréés.
Rezé, de vieux voiliers sont remaniés Soupir de Didier Toqué. « Ils n’ont pas
pour mettre le cap sur une seconde de solution de réemploi, seulement
vie, à terre, échappant à la casse, puis une économie négative de la destruc­
à l’enfouissement ou à l’incinération.
Vertueux réemploi qui a valu à l’en­
Depuis cinquante ans, le polyester permet tion. C’est environ 1,5 tonne de polyes­
ter par bateau qui est détruite au
treprise, fin 2020, le Prix national de
l’économie sociale et solidaire, caté­ de produire des bateaux de plaisance moins chers. grappin, broyée, puis mise en dé­
charge ou incinérée dans des fours de
gorie transition écologique.
Sur le fronton bleu azur, l’ins­ Mais on ne sait pas les recycler. Un chantier naval cimenterie. Ce n’est pas écologique. »
Sur son site, l’APER admet que 44 %
cription « Bathô, chantier naval inso­
lite ! » se dessine, au bout d’un par­
king où sont alignées les embarca­
solidaire leur offre une nouvelle vie. A terre des composites « partent en élimina­
tion », tandis que 56 % font l’objet
d’une « valorisation énergétique », de­
tions. D’autres encore s’entassent Pascale Krémer venant des combustibles – de faible
plus loin, partiellement dépecées. pouvoir calorique, selon l’Agence de
Sous le hangar de l’atelier, jeunes et l’environnement (Ademe).
moins jeunes se forment au travail du bois, du métal et des matériaux Aucun recyclage de la matière première issue des déchets, donc.
composites. La quille en fonte est ôtée, le bateau est posé au sol sur sup­ « Il n’existe pas encore de solution d’intégration de cette matière dans de
port bois. Le mât, raccourci mais conservé, soutient une toile d’ombrage nouveaux produits », explique l’APER, bien que ce soit « un enjeu prioritaire
flottant au vent, comme les anciennes voiles. La coque, le pont, les hu­ de la filière ». Qui n’a pourtant pas viré de bord, construisant toujours avec
blots, l’accastillage (ces accessoires servant aux manœuvres), le liston ce matériau composite dérivé du pétrole, solide, léger et peu coûteux.
protégeant le pourtour, les boiseries intérieures et coussins, en piteux L’écoconception que permettent les nouveaux composites biosourcés
état généralement, tout est refait à neuf. La barre devient porte d’entrée, (aux fibres et résines d’origine végétale), et qu’appelle de ses vœux le mi­
le coffre à moteur, un rangement. nistère de la transition écologique, n’est qu’un horizon lointain.
« Les architectes navals ont exploité le moindre recoin avec une in­ « Les démarches prennent du temps. Nous nous sommes associés
telligence folle. A partir de 6,50 mètres de long, il y a au moins quatre cou­ « UN MAGNIFIQUE à d’autres filières, comme l’automobile ou l’éolien, qui sont confrontées
chages, montre M. Toqué. Chez le client, nous construisons un dernier pon­ au même problème de réutilisation de la matière composite, nous de­
ton d’amarrage en bois, qui sert de terrasse. Une timonerie de bateau de CALIFE DE 1972 vrions avancer », assure Jean­Paul Chapeleau, président de l’APER et di­
pêche peut accueillir des toilettes sèches et une douche solaire. Nous nous À COQUE JAUNE recteur général du groupe Beneteau. « Par ailleurs, nous intégrerons d’ici
adaptons aux souhaits de chacun. Et nous laissons des petites histoires à à quelques mois jusqu’à 10 % de résines d’origine végétale dans certaines
bord. » Témoignages de navigation des anciens propriétaires, baromètre ET COCKPIT VERT pièces non structurelles. Et nous travaillons sur des résines d’origine pé­
et gilet de sauvetage, bouquins d’aventure, cartes postales de tel village SERT DE CHAMBRE trochimique mais recyclables. »
breton en 1979… Ambiance baby­boomeurs­sur­mer. D’AMIS, L’ÉTÉ. En attendant la mise à flot de la filière nautique durable d’après­
Fin des années 1960 : la construction en polyester permet la pro­ demain, les voiliers d’hier convergent vers Bathô, au point que l’entreprise
duction de bateaux en série, les infrastructures portuaires suivent. « C’est IL CRÉE UNE d’utilité sociale doit en refuser. Des Baroudeur, des Folie Douce, des Super
la démocratisation de la plaisance, la France devient leader mondial de la AMBIANCE Challenger, Love Love, Edel, Lotus… Les chantiers de gardiennage se débar­
fabrication de voiliers avec les Beneteau, les Jeanneau », rappelle M. Toqué. rassent de voiliers abandonnés. Les particuliers qui renoncent à naviguer
D’où le bon million de bateaux de plaisance actuellement immatriculés SPÉCIALE QUAND rêvent d’offrir à leur insubmersible compagnon une nouvelle destination
aux affaires maritimes, dont 200 000 voiliers, en grande partie fabriqués ON ARRIVE plutôt que l’anéantissement par concassage. Cher, l’entretien ; chère, la
il y a plus de quarante ans. D’où, aussi, l’âge moyen des propriétaires À LA MAISON » place au port : l’occasion se vend mal, certains amateurs renoncent à la
d’embarcations (avoisinant les 65 ans, en hausse d’un an chaque année), propriété pour l’usage. Quant au centre de déconstruction, encore faut­il
suffisamment avancé pour quitter ciré et bottes. « Mathématiquement, Thibault Pochon, acheminer à ses frais le bateau jusqu’à lui…
prévoit le patron de Bathô, il y aura une arrivée massive de vieux bateaux, architecte, île d’Yeu En deux ans et demi d’existence, Bathô a ainsi détourné 25 voi­
à 95 % construits en polyester, un matériau composite à base de plastique liers délabrés de leur vocation maritime, après quatre cent cin­
renforcé de fibres de verre, qui n’est quante heures de travail en
pas davantage recyclable aujourd’hui moyenne, et pour 16 000 à
que les bacs de douche. » 25 000 euros pièce. Le chiffre d’affai­
L’intarissable entrepreneur res est correct (200 000 euros
au regard océan et longues pattes de en 2019, 80 000 euros l’année du
barbe grise, style loup de mer sexagé­ Covid­19), mais les clients man­
naire, baigne dans l’économie sociale quent encore à l’appel du large sans
et circulaire depuis un bail. Jeune, il les vagues. Thibault Pochon, archi­
s’invente des activités prétextes à par­ tecte quadragénaire possédant une
courir le monde. Une fois père (de résidence secondaire sur l’île d’Yeu
trois enfants), lui vient le souci de (Vendée), a acheté le premier. Un
l’environnement, au sujet duquel il « magnifique Calife de 1972 à coque
organise moult congrès. Thème de jaune et cockpit vert, décrit­il amou­
prédilection ? Les déchets, puisque reusement, qui sert de chambre
« pour agir sur notre consommation d’amis l’été. Il séduit beaucoup, il crée
rien de plus pédagogique que de se une ambiance spéciale quand on ar­
plonger dans nos poubelles ». Il lance rive à la maison. » Dernier mérite : se
une première entreprise d’insertion, poser sans ambages sur un terrain
pour récupérer le papier des bureaux, non constructible, puisque le voilier
dont La Poste fait une filiale. « Cent est considéré comme bien meuble
employés, 10 millions de chiffre d’affai­ – exempté, par ailleurs, de permis
res », se flatte­t­il. Avant de s’ennuyer. de construire et de taxes foncières.
A peine débarqué pour sa Le camping de l’île d’Yeu
dulcinée sur les terres familiales de s’est équipé dans la foulée, prenant
Trentemoult, un quartier de Rezé, il le vent de l’hébergement insolite.
imagine avec un voisin quadragé­ Comme d’autres hôtelleries de plein
naire et tout aussi entreprenant, air. Benoît Poitiers, à la tête du cam­
Romain Grenon, de reconvertir un ping de Gennes (Maine­et­Loire), a
vieux bateau en gîte, pour une croi­ installé voilier et catamaran en bord
sière immobile, sans souci de naviga­ de Loire. « Ils sont devenus notre
tion ni mal de mer. Typiquement image de marque, sur les cartes de
une idée de fin d’apéro. Sauf que les visite. » Les touristes ne se font pas
deux compères récupèrent pour de prier pour embarquer. Ailleurs, les
bon « un Sangria de Jeanneau de navires à voile se sont fait cabane
35 ans d’âge, à 50 euros », s’installent pour enfants ou pièce en plus dans
sur un bout de terrain prêté en bord le jardin, jeux de plage, bureaux,
de Loire et manient l’outil deux mois salles de réunion dans un hôtel,
durant. « Les gens ont trouvé ça stand de vente d’huîtres… Attaché
chouette. On avait imaginé une mise au circuit court (matériaux et ba­
en scène et invité à l’inauguration teaux ne parcourent pas plus de
Posé dans 60 kilomètres), Didier Toqué, plutôt
la campagne que de gagner en envergure, aide à
angevine, un la reproduction du modèle Bathô sur d’autres façades maritimes, en
voilier Jouët Calife
Normandie, Bretagne et Nouvelle­Aquitaine.
1969, transformé
récemment pour
Pas loin de s’ennuyer de nouveau, le capitaine des mers de déchets
la terre ferme au ouvrira, un jour prochain, le premier tiers lieu consacré à l’économie circu­
chantier Bathô. laire du nautisme, sur une friche industrielle de Noirmoutier, en Vendée. Il
BATHÔ/LAURENT GIRAUD érigerait bien aussi un quartier d’affaires rien qu’avec de vieux gréements,
comme celui de De Ceuvel, à Amsterdam, constitué de péniches et barges
abandonnées. Et pourquoi pas des hébergements d’urgence pour sans­
abri ? Dans un voilier, sait­il, on résiste à bien des tempêtes.
6 0123
D I MA NCH E 4 - L UN D I 5 J UI L L E T 202 1

Le plus normand
Sur les pas de Guillaume
le Conquérant, à Caen
Comprendre la conquête de l’Angleterre
par Guillaume le Conquérant passe
nécessairement par Caen, duché qu’il
a développé au XIe siècle. La guide-
conférencière Coline Goret raconte tout
du passé médiéval de la ville aux deux
abbayes : elle débute ce parcours ludique,
qu’elle a conçu et pensé en trois temps,
par une présentation des protagonistes
de cette épopée, tout en brossant un
tableau vivant de la vie des Caennais
d’alors. La deuxième étape consiste en
un jeu de piste autonome par équipes au
cours duquel les pisteurs réunissent neuf
détails architecturaux disséminés dans
le centre-ville et en consignent l’adresse.
Une fois réunis, ces indices permettent
à l’équipe de trouver une enveloppe
Le plus parisien

à l’intérieur de laquelle chacun se voit

attribuer un rôle à jouer dans la conquête
de l’Angleterre, un rôle à mimer au pied
Un escape game en plein air, du château de Guillaume. Serez-vous l’un
dans le Quartier latin des charpentiers qui ont construit la flotte
normande ou un preux chevalier combat-
VOYAGE

C’est place Saint-Michel que l’aventure tant Harold à la bataille d’Hastings ?

commence. Notre guide nous donne un plan Conquérants dans l’âme, tous à Caen !
de Paris, un livret de questions, un calepin, un « 1066, à la conquête de l’Angleterre »,
stylo, une tablette… et soixante minutes pour
animation à réserver auprès
le retrouver quelque part dans le Quartier

Cinq villes
de l’office de tourisme de Caen.
latin. Chez les enfants, l’excitation est
à son comble : « C’est comme dans “Pékin A partir de 4 personnes, et dès 6 ans.
Express” ! » Le principe est simple : les indices 10 euros/adulte et 7 euros/enfant.
forment un mot de passe, et chaque mot Durée : 2 heures, environ 5 km.
de passe révèle une photo, qui nous aidera

à découvrir
Caenlamer-tourisme.fr
à pister notre guide. Première mission :
observer la fontaine Saint-Michel et ses
statues. Puis, rue de la Huchette, c’est sur
les panneaux d’informations historiques Le plus artistique

en jouant
de la ville qu’on trouve des indices. Tout
en jouant, on découvre l’arbre le plus vieux
de Paris, dans le charmant square Viviani,
A la recherche des Cézanne
les impacts de balle sur l’observatoire perdus, à Aix-en-Provence
de la rue Saint-Jacques. Et on raconte aux
Nous sommes le 24 juin 2139 : cet
enfants, en marchant, les années folles
de Saint-Germain-des-Prés, la Libération, Escape games et chasses escape game en extérieur dans les rues
d’Aix-en-Provence permet de visiter la
Mai 68 et la Sorbonne… Une heure déjà ?
On a les cinq photos, on sait où est le guide !
aux indices à Aix-en-Provence, ville natale de Paul Cézanne de façon lu-

Un dernier sprint pour coiffer sur le poteau
les trois autres équipes, qui ont un parcours
un peu différent du nôtre. Gagné !
My Urban Experience, escape game
« Les Mystères du Quartier latin », 80 euros
pour une équipe de 6 personnes
Bordeaux, Caen, Paris dique tout en pistant sept de ses œuvres
postimpressionnistes, dissimulées
ou Vincennes en 1902 par un certain Luc Panazene,
voleur venu du futur devenu amnésique.
Marlène Duretz et Yoanna Sultan-R’bibo
La police du temps ne peut donc rien
tirer de lui pour sauver les tableaux de
l’oubli. Cette mission géolocalisée, télé-
Le plus aquitain

maximum. Le parcours est accessible pour chargeable et jouable sur smartphone

les enfants dès 8 ans. Les escape games est confiée à l’agent que l’on incarne, seul
Un rallye dans les remparts, ou à plusieurs, en étroite collaboration
de Montmartre et des passages
virtuelle avec Lucas, responsable des
couverts proposent des parcours enfants à Bordeaux
opérations et précieux pourvoyeur d’in-
spécifiques pour les 5-8 ans. dices. Après une prise en main rapide
Et un, et deux, et trois ! C’est le nombre de remparts
qui ont été successivement construits autour de Bordeaux de l’appli, l’agent se retrouve à la fontaine
aux IIIe, XIIIe et XIVe siècles. Ce rallye en autonomie de la Rotonde. D’une fontaine à une
de 7 km, dont 2 km en tram, permet de découvrir la ville église du centre historique, d’indices en
Le plus zoologique

Une chasse aux petites bêtes, à Vincennes
Lorsqu’on évoque Vincennes, ville du Val-de-Marne qui doit son nom
au bois qui la borde au sud, on pense à l’imposant donjon de 52 mètres
de haut de son château royal et au Parc zoologique de Paris, communé-
ment appelé zoo de Vincennes. Le jeu de piste « Des Z’animaux
dans la ville » démontre aux enfants que la faune n’est pas cantonnée à un
enclos, qu’elle a aussi investi le centre-ville. A l’aide des indices fournis
dans le livret à compléter, les limiers de 5-7 ans accompagnés d’un adulte
sont invités à les prendre en filature, à résoudre rébus et charades,
et à dénicher leurs représentations (sculpture, photo, mosaïque,
pochoir…) dans les rues vincennoises. Après un crochet à l’office de
tourisme pour vérifier ses réponses et récupérer un lot, on peut rendre
visite aux quatre moutons d’Ouessant aux drôles de prénoms qui pais-
sent au pied du donjon : Sapristi, Saperlipopette, Sadépan et Sadépasse !
« Des Z’animaux dans la ville », fiche-parcours remise gratuitement
à l’office de tourisme de Vincennes, 28, avenue de Paris,
94300 Vincennes, ou à télécharger sur Vincennes-tourisme.fr/
fiche/jeu-de-piste-en-famille-des-z-animaux-dans-la-ville/
moyenâgeuse en pistant les vestiges de ses anciennes énigmes résolues, du collège du peintre
fortifications, ses portes, fossés et places fortes. Livret à la chapellerie familiale et de codes
et stylo en main, seul ou à plusieurs, le départ est donné en messages décryptés, il doit mettre
la main sur les tableaux volés, parfois
place de la Bourse pour vingt étapes à réaliser dans
protégés par un dispositif piégé qui ne
un ordre établi. A chaque étape, une question trouvera
ménagera pas ses nerfs. Une fois retrou-
sa clé dans l’observation de détails architecturaux
vés, Sucrier, poires et tasse bleue, Portrait
d’un monument, ou encore dans la lecture d’une plaque
d’Emile Zola et autre Montagne Sainte-
ou d’un panneau d’information. Aucun piège, un peu
Victoire pourront passer à la postérité.
de bon sens, et une bonne dose d’imagination pour ériger
le château Trompette place des Quinconces, compléter le « Un vol oublié », mission coconçue
mur du troisième rempart derrière le marché des Douves par Atlantide et Secrets d’ici, à
ou encore entrevoir le port gallo-romain qui précéda télécharger sur l’appli Atlantide, sous
la place Saint-Pierre, à quelques pas de la porte Cailhau
iOS et Android, 3,99 euros. A partir
– celle-ci et la Grosse Cloche restent les deux seules
de 10 ans. Durée de la mission : 1 h 15,
à témoigner des entrées de la ville du XIVe siècle. Cette
pour une distance d’environ 2,5 km.
dernière sonne six fois par an ainsi que tous les premiers
dimanches de chaque mois à midi. L’entendrez-vous ?
« Dans le secret des remparts, de Saint-Pierre
à Sainte-Croix », jeu de piste dès 12 ans, disponible
à l’office de tourisme de Bordeaux. 5 euros le livret.
Durée : 2 h 30, 7 km. Bordeaux-tourisme.com/ville-
patrimoine/jeux-piste.html
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DIMANCHE 4 - LUNDI 5 JUILLET 2021 7

CUISINE
Les ingrédients plus courants sont, eux, souvent cuisinés se­
lon le principe du « one pot » (pasta, riz, blé…), c’est­à­dire par absorp­
tion dans une casserole commune avec la garniture, de l’eau ou du
bouillon, en dissociant les temps de cuisson si besoin. Quant aux
œufs, fréquemment invités au camping ou en vanlife du fait de leur

Un van de liberté richesse en protéines et de leur nature caméléon, ils s’embarquent

dans l’aventure avec leur couvre­chef : un couvercle assurant une
cuisson homogène dans la poêle aux omelettes, frittatas, tortillas,
chakchoukas, clafoutis et tutti quanti. Bien dans son élément pour
cuire crêpes, galettes, pancakes et socca niçoise, cette même grande
poêle multi­usages comble aussi les frustrations en suppléant le
En camping-car, il faut faire toaster (club­sandwich) et le four (à couvert) pour une pizza, une
flammekueche, un cookie géant – une recette incontournable, à dé­
de la contrainte un atout, et cuisiner guster au coin du feu sous les étoiles…
« A la longue, les fromages et produits laitiers peuvent man­
autrement. De façon décontractée, quer, ou occasionner des kilos en trop si on les boulotte en entier pour
ne pas gâcher… », observe Dephine Lebrun. Faute de réfrigérateur, en
au plus proche de la nature règle générale, la cuisine nomade implique de faire l’impasse sur le
beurre, la crème, les yaourts, etc. – ce dont on se remet fort bien.
Stéphanie Noblet « Nous avons une petite glacière, branchée sur l’allume­cigare, qui nous
permet d’être autonomes en énergie grâce au panneau solaire ou au
moteur », témoigne Estelle, trentenaire qui a parcouru en couple le

V
iens chez moi, je cuisine au camping. Sous l’apparence continent américain du nord au sud pendant dix­huit mois dans un
d’une boutade, d’un plan foireux voire d’un concept
oxymorique, la proposition peut tenir ses promesses
van personnellement aménagé. Impec pour déguster une bière fraî­
che ! « Mais il suffit d’une semaine de mauvais temps ou d’immobilité
Chili con
et bien au­delà, en réservant des surprises insoupçon­ pour qu’elle devienne inutilisable… » carne
nées. Les adeptes de l’hôtellerie de plein air sous toutes La cuisine en van est ainsi, aléatoire et pleine d’imprévus, ryth­
ses formes le savent bien, qui n’ont pas attendu les mée par les rencontres et les pépins techniques, influencée par le ter­ – pour 4 personnes –
vidéos des influenceurs pour trouver du charme aux petits plats issus roir local et les surprises réservées par les sites… Çà et là, au détour d’un
de la cuisine tout­terrain, même avec trois fois rien. chemin, la cueillette sauvage (orties, mûres, pissenlits, myrtilles, noi­ Rincez et coupez
Portés par la pandémie et la sédentarité prolongée, l’aspira­ settes…) ou une partie de pêche miraculeuse peut infléchir le cours du 1 poivron rouge en
tion au grand air, la sécurité rassurante du cocon sur pneus, les véhi­ dîner. « On favorise la consommation immédiate de produits frais, ache­ deux, épépinez-le et
cules dits « de loisirs » séduisent comme jamais : les ventes de four­ tés ou cueillis, explique Estelle, fervente “vanlifer”. C’est très satisfaisant coupez-le en petits
gons aménagés ou vans ont enregistré un record en 2020 avec d’acheter moins et de minimiser sa consommation d’énergie du fait des dés. Epluchez 1 oignon
234 000 exemplaires vendus en Europe (+ 12 % sur un an), selon la ressources limitées. Certes, on réduit l’étendue des possibilités culinaires, rouge et coupez-le en
Fédération européenne du caravaning. Idem pour celles de camping­ mais cela invite à trouver des alternatives et, surtout, ça permet de man­ lamelles. Faites chauf-
cars (160 000 exemplaires, + 21 %). Ces compagnons de voyage cumu­ ger en totale liberté, sans la foule, dans des endroits extraordinaires !, se fer un filet d’huile dans
lent les atouts pour les vacanciers épris de liberté, en quête d’un mode remémore­t­elle avec enthousiasme. Même la corvée de vaisselle prend une poêle ou une cas-
de vie plus économe, plus proche de la nature, et d’un minimalisme une autre dimension quand on l’effectue dans une rivière ou au bord serole sur un réchaud.
assumé. Une démarche qui s’applique également à leur façon de s’ap­ d’un lac, dans le respect de l’environnement… » Tous à la plonge ! AMÉLIE LOMBARD Faites cuire 350 g de
provisionner, de s’alimenter, de cuisiner. Place à une popote de bouts POUR « LE MONDE » bœuf haché, les trois
de ficelle, peu transformée, laissant une part importante à l’inventi­ quarts des oignons
vité sans condamner ni à une trop grande frugalité, ni à la médiocrité et les dés de poivron
du tout­préparé. En résumé, une cuisine simple qui peut tout à fait pendant 5 minutes.
être saine et variée, pour peu que l’on sache dénicher des petites recet­ Ajoutez 1 boîte (420 g)
tes de derrière les fagots. de coulis ou concassée
« Nous sommes tellement habitués à la précision et à la fiabi­ de tomates, 1 boîte
lité de nos cuisines modernes que nous nous sentons libérés quand (500 g) de haricots
nous réussissons à cuisiner sans contraintes autour du feu », avancent, rouges et 1 boîte (140 g)
dans leur introduction, Marnie Hanel et Jen de maïs. Ajoutez du sel,
À LIRE Stevenson, les autrices américaines de La Cui­ du poivre et des épices
sine du vrai campeur, dont la version fran­ si vous en avez (cumin,
> « CUISINER EN VAN çaise vient de paraître. L’instrument de cuis­ piment, paprika…).
ET EN CAMPING » son, voilà le nerf de la guerre : les maisons Mélangez et laissez
de Delphine Lebrun, roulantes étant, sauf exception, dépourvues mijoter 5 à 10 minutes
photos de Claire Payen de l’équipement sédentaire ordinaire, ce sont à feu doux. Servez le
(Solar, 192 p., 13,95 €). les réchauds à gaz, barbecues compacts au chili parsemé du reste
charbon et feux de bois à l’ancienne qui pren­ de lamelles d’oignon
> « LA CUISINE nent le relais – le plus souvent, une combinai­ et de 1/2 botte de
DU VRAI CAMPEUR » son de deux ou trois d’entre eux. « Avec le coriandre ciselée.
de Marnie Hanel complément des papillotes, très utiles pour (Recette extraite
et Jen Stevenson (Marabout, obtenir un effet cocotte sur le feu, on dispose de « Cuisiner en van et
224 p., 19,90 €). d’un arsenal suffisant », explique Delphine en camping », Solar)
Lebrun, autrice de Cuisiner en van et en cam­
ping. « Pour plus de commodité, on évite cependant les cuissons
longues et mijotées et on adapte les temps de cuisson selon la source
– plus longs sur un réchaud. »
Une poêle et une casserole (en aluminium ou en fonte), un cou­
vercle polyvalent (passoire intermittente) et de petits ustensiles usuels
(couteau, économe, grande cuillère, spatule, pince…) suffisent pour
concocter un large éventail de recettes. Achetés au jour le jour, crus ou
cuits, parfois en association sucré­salé, les trésors légumiers et fruités
de l’été s’invitent tout naturellement au menu. Parmi l’épicerie mini­
male, l’autrice de Cuisiner en van recommande de faire une petite place
aux conserves de légumineuses, déjà cuites, qui forment une base pré­
cieuse et nourrissante pour des salades­repas du type haricots rouges­
tomate­mangue (ou pêche)­citron vert ou lentilles­poires­magret fumé
en tranches. A chaud, elles intègrent des plats complets express et voya­
geurs du type minestrone (haricots blancs, pâtes courtes, bouillon,
carottes, pesto, herbes), couscous (pois chiches, carottes, courgettes,
boîte de tomates concassées, raisins secs, semoule) ou chili con carne.

JEUX EN L IG NE

Quiz, challenge, atlas… tout pour devenir incollable en géo

Marlène Duretz

> « Quizzity », seul au monde
Localiser, qui plus est très précisément, une ville donnée sur
le planisphère tient à des connaissances solides, mais parfois aussi
à une approche pifométrique de la géographie. On sait peut-être
où placer Dakar, capitale du Sénégal et ville située le plus à l’ouest
du continent africain, où pointer Milan, Venise ou Naples sur la
Botte italienne, ou encore situer Tokyo, mégalopole la plus peuplée
au monde, sans se méprendre avec Sapporo, capitale de l’île mon-
tagneuse d’Hokkaido, plus au nord. Mais qu’en sera-t-il de Bandar
Seri Begawan, la capitale du micro-Etat de Brunei, ou de Managua
au Nicaragua ? Ce site en anglais met au défi le joueur de placer six
villes données sur une carte du monde, à zoomer si besoin pour po-
ser son marqueur au plus près de leur situation géographique
exacte. Des points lui sont attribués pour sa rapidité et sa précision
de localisation. Pas d’adversaire dans la place, mais l’envie de par-
faire son score personnel, et de minimiser sa marge d’erreur.
David-peter.de/quizzity
> « GeoGuessr », qui trouve gagne
Imaginez atterrir au beau milieu de nulle part, dans un pay-
sage qui vous est inconnu, sur une route que vous n’avez jamais
prise, et disposer de trois (toutes petites) minutes pour deviner où
vous venez de mettre les pieds. C’est le défi du site GeoGuessr,
conçu par le développeur suédois Anton Wallén en 2013, et qui
compte plus de 11 millions d’inscrits aujourd’hui. Addictif, ce jeu de
quête géographique s’appuie sur Google Street View dans lequel
on est catapulté : pour débusquer au mètre près le lieu précis où
l’on se trouve – et c’est le seul moyen de décrocher le cocotier des
25 000 points ! –, on doit faire appel à son sens de l’observation et
s’appuyer sur les indices alentour : pancartes, panneaux routiers,
alphabet utilisé, marques des véhicules, paysages, flore ou encore
habitat. Reconnaître Lodz (Pologne) ? Perdu. Deviner que l’on est à
Kuantan (Malaisie) ? A côté de la plaque. Les Petits Poucets ont ici la
vie dure. Persévérez qu’ils disaient.
The Daily Challenge, chaque jour 1 partie gratuite, comprenant 5 rounds.
Accès premium à partir de 1,67 euro/mois. Geoguessr.com/daily-challenges
> « Le Grand Atlas », apprendre en jouant
Il est plus d’un chemin à emprunter pour connaître la géo-
graphie sur le bout des doigts. Celui du jeu interactif est un itiné-
raire prisé des plus jeunes. A sa section « Géographie 6e », Lumni,
plate-forme éducative numérique, référence Le Grand Atlas de
FranceTV éducation, trois jeux en un à destination des 11 ans et
plus : un quiz pour découvrir un pays d’après sa capitale, ses
contours et son drapeau, un glisser-déposer pour retrouver un pays
sur le planisphère et, enfin, un jeu de précision consistant à cliquer
sur le pays demandé. Accompagné par un petit compagnon, une
chouette bleue à casquette et lunettes d’aviateur, l’enfant a un
temps donné – s’il s’endort sur ses lauriers, le voilà houspillé d’un
« plus vite ! » – pour parfaire ses connaissances en géographie et
attribuer la capitale à son pays, placer un drapeau sur l’un des
quatre Etats qui lui sont suggérés ou encore placer une punaise sur
le pays à localiser. Les scores personnels ne demandent qu’à at-
teindre des sommets.
Lumni.fr/jeu/le-grand-atlas
8 0123
DIMA NCH E 4 - L UN D I 5 J UI L L E T 202 1
Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. Le célèbre champion d’échecs russe rêve toujours de renverser le « roi »
Poutine. Et pour promouvoir sa plate-forme de jeu en ligne, il surfe sur le succès de la série « Le Jeu de la dame »
Garry Kasparov,
au bar Les Ambassadeurs
de l’Hôtel de Crillon,
à Paris le 23 juin.
LÉA CRESPI POUR « LE MONDE »
« La compétition ne laisse la place
à rien dans votre vie. C’est une guerre »
P
uisqu’on est nul aux échecs, jouons au Trivial Pursuit : qui
est le champion du monde d’échecs en titre ? A moins
d’être un adepte des 64 cases, parions que vous ne sa­
viez pas qu’il s’agit du Norvégien Magnus Carlsen.
Question de rattrapage : citez un seul nom de cham­
pion d’échecs ? Parions sans grande chance de se
tromper que c’est le nom de Garry Kasparov qui
sort vainqueur de ce petit sondage sans valeur
scientifique. Il est devenu synonyme du jeu qui lui
a tout donné – et réciproquement –, à l’instar de
Borg ou McEnroe pour le tennis, Pelé ou Maradona le
football, et Mohamed Ali la boxe. Il est devenu le jeu,
son incarnation et son synonyme.
C’est avec ces réflexions en tête et, avouons­le, un
brin d’appréhension que l’on se rend à un apéro avec
Garry Kasparov à l’Hôtel de Crillon, place de la Concorde
à Paris. Malgré l’heure propice et la carte tentante du bar,
il se contentera d’un cappuccino et d’une eau gazeuse.
On n’est pas là pour rigoler. Le grand maître russe est de
passage à Paris pour participer à un tournoi exhibition
et, surtout, faire la promotion de sa toute nouvelle plate­
forme en ligne, Kasparovchess.com, fruit d’une collabo­
PLAYLIST ration entre le groupe Vivendi et l’organisateur de tour­
nois Grand Chess Tour. Le site, qui diffuse des tournois,
> DERNIER LIVRE LU héberge également des tutoriels, des documentaires et
« Churchill », une master class de Kasparov en 46 épisodes. Il y raconte
d’Andrew Roberts son parcours, ses souvenirs de tournois, dissèque ses
(Perrin, 2020). meilleures parties. « Il existe pas mal de sites d’échecs très
« Quel bonhomme ! » bien faits. Mais celui­ci aura une touche plus person­
nelle », promet­il en guise de promotion.
> DERNIÈRE SÉRIE VUE La plate­forme espère bien tirer profit du regain
« Lucifer » de popularité des échecs consécutif à la diffusion de The
Queen’s Gambit (Le Jeu de la dame), la série de Netflix
> DERNIER DISQUE adaptée du roman éponyme de Walter Tevis paru
ÉCOUTÉ en 1983. Le succès de cette fiction – une semaine après sa
« Les Variations mise en ligne, elle est devenue la plus regardée des mini­
Goldberg », de J. S. Bach. séries sur Netflix – a pris tout le monde par surprise, y
« C’est fou à quel point compris ses concepteurs. Kasparov y a contribué en tant
sa musique ressemble que consultant, afin de s’assurer de la crédibilité des
aux échecs » parties montrées à l’écran, de la façon de se comporter
des joueurs en compétition ainsi que de l’emprise du
> DERNIER RÉSEAU système soviétique sur Vasily Borgov, le personnage de
SOCIAL CONSULTÉ champion du monde sortant.
« Twitter, définitivement, « Je suis content d’avoir participé à cette aventure,
j’y ai 640 000 abonnés, raconte­t­il. Le livre est un mythe et nombreux sont ceux
je ne vais quasiment plus qui ont voulu l’adapter sans y parvenir. Scott [Frank, le
sur Facebook » producteur] a compris qu’un long­métrage ne suffisait
pas et qu’il fallait faire une série. On s’est bien amusés,
mais jamais nous n’avions imaginé un tel succès. C’est
bien, parce que cela change l’image des échecs qui, jus­
que­là, dans les œuvres de fiction étaient associés à des gé­
nies torturés et à la limite de la folie. Là, c’est le contraire :
UN APÉRO AVEC…
GARRY KASPAROV
Christophe Ayad
les échecs sauvent l’héroïne de la folie et de ses addictions.
C’est une histoire de rédemption. »
Il est impossible de savoir si la série aura un im­
pact à long terme sur la popularité des échecs et sur la fé­
minisation d’un univers resté très masculin, mais Kaspa­
rov a noté une hausse du nombre de spectateurs sur les
chaînes Twitch de retransmission des compétitions en
live. Quand on lui demande s’il joue encore aux échecs, il
répond qu’il « pousse du bois », comme le capitaine
Achab, le héros de Moby Dick, répondrait qu’il taquine la
truite s’il avait pu prendre sa retraite. Kasparov ajoute,
avec un fond d’épouvante tapi au creux de la voix : « Les
échecs, c’est mon oxygène, ils m’ont tout donné. Je ne pour­
rai jamais m’en passer. Mais la compétition, c’est à part.
Cela ne laisse la place à rien dans votre vie. Il faut une moti­
vation absolue, l’obsession du jeu et la volonté permanente
de gagner, d’écraser votre adversaire. C’est une guerre. »
Le Russe s’est astreint à cette discipline de 1980 à
2005, date de son arrêt de la compétition. Pendant cette
période, il a été champion du monde de 1985 à 2000.
Dans le monde de 2021, il semble un anachronisme : cet
homme, dont le nom est associé à la guerre froide, à la
perestroïka et aux derniers feux de l’URSS, n’a en fait que
58 ans. Il n’a plus la tignasse noire et rebelle de ses débuts,
mais son visage, un mélange de Ben Gazzara et d’Azna­
vour en plus poupin, ne porte quasiment pas de rides.
Moins grand qu’on imaginait, il a une carrure de boxeur
ou de lutteur. Car, à haut niveau, les échecs sont un sport
de combat. Ses matchs contre Anatoli Karpov, son archi­
rival des années 1980, l’enfant chéri du système soviéti­
que qui ne lui pardonnera jamais de l’avoir détrôné, sont
entrés dans les annales. « Je ne pense pas que j’étais un
opposant au système soviétique au départ, raconte­t­il. J’ai
adhéré au Parti [communiste] comme tous ceux qui vou­
« LE DANGER, CE
N’EST PAS QUE LES
MACHINES NOUS
REMPLACENT. C’EST
QUE NOUS NOUS
METTIONS À PENSER
COMME ELLES.
MÉCANIQUEMENT »
laient accéder aux compétitions internationales. Mais, à
un moment, j’ai compris qu’ils ne voulaient pas de moi.
Est­ce que c’était à cause de mes origines [son père était
juif et sa mère arménienne], je ne sais pas. Je pense plutôt
que Karpov était le numéro un dans leur esprit et que je
dérangeais leurs plans. » Il voue à Karpov un mélange de
haine et de mépris qui ne s’est pas dissipé avec le temps :
« Il est aujourd’hui député à la Douma, toujours le même,
toujours aussi soumis au pouvoir quel qu’il soit. »
Depuis, Kasparov s’est bien rattrapé en matière
d’opposition. Adepte enthousiaste de la démocratie et
du capitalisme à la chute de l’URSS, en 1991, il est devenu
un opposant déclaré à Poutine à partir de 2007. En 2013,
il a quitté la Russie « pour raisons de sécurité » et n’y a pas
remis les pieds depuis, pas même à la mort de sa mère,
l’année dernière. « Quand j’ai refusé de me rendre dans
un consulat russe pour renouveler mon passeport
en 2016, on me disait : Garry, tu es parano, tu exagères. Je
pense que la suite m’a donné raison. » Toujours actif dans
l’opposition, il soutient Navalny et tous ceux qui pour­
raient renverser Poutine, qu’il ne voit aujourd’hui pas
seulement comme une malédiction pour la Russie,
mais comme « un danger pour la démocratie » dans le
reste du monde. « Les Européens creusent leur propre
tombe en lui achetant son gaz. Je ne comprends pas ces
gens qui l’idolâtrent en Occident. Qu’ils aillent vivre en
Russie, s’ils sont fatigués de la démocratie ! »
Kasparov partage son temps entre New York et
la Croatie, dont il est citoyen d’honneur. Il vit avec sa
troisième femme, Dasha, et ses deux derniers enfants
(sur quatre), Aida et Nickolas, qui semblent tous tout
droit sortis d’une nouvelle de Tchekhov : épouse aristo­
cratique et évanescente, petit garçon en culotte de
velours, belle­mère dans les bagages.
A part les échecs et la politique, sa troisième pas­
sion sont les « machines ». Depuis que l’ordinateur Deep
Blue l’a battu, en 1997, Kasparov a digéré et réfléchi à l’in­
teraction entre intelligence artificielle et êtres humains.
Il y a consacré un livre, Deep Thinking. Where Machine
Intelligence Ends and Human Creativity Begins (2017, non
traduit). En résumé, il ne supporte pas les discours alar­
mistes sur l’intelligence artificielle qui pourrait, à terme,
remplacer les humains. « Les machines sont meilleures
que nous car elles ne font pas d’erreurs. Mais ce qu’on at­
tend d’un humain, ce n’est pas cela, c’est de l’imagination,
des émotions, de la conscience. Les ordinateurs ne déci­
dent de rien, ce sont ceux qui les utilisent qui prennent les
mauvaises décisions. Le danger qui nous attend, ce n’est
pas que les machines nous remplacent, c’est que nous
nous mettions à réfléchir comme elles. Mécaniquement. »
Un apéro avec Kasparov, c’est un sport qui se joue à deux.
Et, à la fin, c’est toujours lui qui a le dernier mot.