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ACCIDENTS D’EXPOSITION AU SANG

CHEZ LES ETUDIANTS EN MEDECINE

BLOOD EXPOSURE ACCIDENT AMONG MEDICAL STUDENTS

O. Meunier, N. de Almeida, C. Hernandez, M. Bientz

correspondance à :

Dr. Olivier Meunier


Institut d’Hygiène
Faculté de Médecine
4, rue Kirschleger
67085 Strasbourg cedex
tél : 03 88 21 27 31
fax : 03 88 36 97 52
email : omeunier@sdv.fr

Remerciements : Monsieur P. Gerlinger, Doyen de la Faculté de Médecine de Strasbourg pour


son soutien à la réalisation de cette étude et les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg dans le
cadre de la convention signée avec les laboratoires universitaires.

Titre courant : AES chez les étudiants en médecine


Résumé

Objectifs
Nous proposons les résultats d’une enquête réalisée chez les étudiants en médecine de
Strasbourg à propos de leurs connaissances des précautions standard, leurs habitudes dans le
domaine de la prévention des accidents d’exposition au sang (AES) et des AES dont ils ont
éventuellement déjà été victimes.
Patients et méthodes
Un questionnaire anonyme est remis aux étudiants en médecine des 2, 3 et 4èmes années du
second cycle des études médicales, au cours de la réunion des choix de stage.
Résultats
30 % des étudiants de DCEM 3 et 4 signalent avoir été victime d’un AES à l’occasion de
soins qu’ils donnaient au cours d’un stage clinique. Les sutures sont à l’origine de la plupart
de ces accidents (45%) puis la ponction artérielle pour gaz du sang (24 %). Seulement 45 %
de ces accidents sont déclarés, mais 71 % des étudiants feront une surveillance sérologique
post exposition. Parallèlement , les étudiants sont interrogés sur le port de gants lors de la
réalisation des gestes invasifs (près de 50 % n’en portent pas). Les aiguilles utilisées sont
encore trop souvent recapuchonnées avant d’être éliminées (67 % des étudiants le font
« toujours » ou « souvent ») et le conteneur à aiguille n’est utilisé que par 30 % des
personnes interrogées.
Conclusion
Les AES chez les étudiants sont particulièrement fréquents. Un effort d’information et de
sensibilisation des étudiants en médecine est nécessaire afin que le geste technique sécurisé,
tant pour le soignant que pour le patient, soit enseigné.

Mots-clefs : accident d’exposition au sang, étudiants en médecine, prévention


Summary

Objective
We expose the results of a questionnaire survey among medical students in Strasbourg
medical school about the standard precaution knowledge, the prevention of blood exposure
accident methods they usually applied and the circonstances of the possible blood exposure
accident they already have been victims.
Design
Anonymous questionnaire is delivered to second, third and fourth years studies of the second
cycle of medical study students.
Results
30 % of student of third and fourth years studies who already have clinical practice described
blood exposure accident during their hospital activities. Sutures was the first accident
circonstance described (45 %), blood drawing for gas measurment was the second in
frequency (24 %). Only 45 % of these accidents were reported but serology control was
purchased in 71 % cases.
Students were questioned about gloves wearing during invasive medical care, 50 % of them
don’t used any protective gloves. 67 % of students resheathed needles and only 30 %
personnally disposed of needles in sharps bins.
Conclusions
The incidence of blood-exposure accidents in hospital medical students is high. Measures
should rapidly implemented to inform and train students on prevention and learn safety
technical action.

Key words : Blood exposure accident, medical student, prevention


Introduction

L’accident d’exposition au sang ou AES est défini dans les circulaires ministérielles du mois
d’avril 1998 [1, 2] comme “ toute exposition accidentelle à du sang ou à un liquide biologique
contaminé par du sang, comportant une effraction cutanée lors d’une coupure ou d’une piqûre,
ou une projection sur des muqueuses ou sur une peau lésée ”. Le risque réside dans la
transmission possible de virus véhiculés par le sang, dont le VIH et les virus des hépatites B et
C. Ces risques sont évalués selon la nature du produit biologique et le type de lésion [2].

Par ailleurs, le ministère expose le principe des « précautions standard » comme étant la
nécessité de considérer le risque de transmission de virus quel que soit le statut sérologique de
la personne source [3].
En effet, le statut sérologique des patients vis-à-vis de l’un ou l’autre de ces trois virus est
souvent inconnu par le patient lui-même ou peut avoir changé. D’ailleurs lorsque le statut
sérologique est inconnu, il est considéré comme positif jusqu’à preuve du contraire. Pour s’en
convaincre, il suffit de s’intéresser à l’épidémiologie de l’hépatite C : 1 % de la population
française est infecté par le virus, ce qui correspond à près de 500.000 personnes en France, or
25 % d’entre elles ignorent leur statut sérologique vis-à-vis de ce virus. Si on ajoute que pour
30 % des personnes infectées, le mode d’acquisition du virus reste inconnu, la prudence
s’impose pour tous les gestes invasifs reconnus comme à risque de transmission virale ou lors
de certains gestes non invasifs comme la projection de sang sur une muqueuse lors d’un
accouchement, ou lors d’un contact d’une excoriation cutanée avec une blessure sanglante. Le
risque de transmission du VHC par piqûre d’aiguille, à partir d’un patient source VHC positif,
est estimé à 4 % [4] ce qui est inférieur au risque de transmission du VHB lorsque le sujet
source est AgHbs positif (25 %) mais très supérieur au risque de transmission du VIH dans les
mêmes circonstances (0,32 %) [2].

Alors que de nombreuses enquêtes sur les AES sont conduites régulièrement chez les
médecins et les infirmières [5 – 8], il est apparu que les étudiants des secteurs de soins, dont
les étudiants des facultés de médecine, ne sont pas interrogés. Il nous est donc paru nécessaire
de recenser les AES dans cette population estudiantine précise, de déterminer les
circonstances de survenue de ces accidents ainsi que la connaissance et l’application des
précautions standard par les étudiants.

Parallèlement, il nous semble que cette enquête peut apporter une prise de conscience du
risque d’AES et qu’elle donne, par l’intermédiaire des questions posées, des notions sur la
conduite à tenir tant sur le plan médical (évaluation du risque et prophylaxie antirétrovirale,
suivi sérologique, par exemple) qu’administratif (déclaration de l’AES).

Population et méthode

Un questionnaire, élaboré sur la base de celui proposé par Keita-Perse et coll [5], a été
distribué aux étudiants en médecine (Annexe 1) à l’occasion de leur réunion pour le choix de
stage clinique, au début de l’année universitaire. Un questionnaire a été remis à chaque
étudiant de DCEM2, DCEM3 et DCEM4 en début de réunion pour être récupéré
immédiatement après avoir été complété.

L’enquête s’est déroulée au mois de septembre 1999, elle est représentative, d’une (pour les
étudiants en DCEM3) ou de deux années (étudiants en DCEM4) de stage. Les étudiants inscrit
en DCEM2, n’ont effectué qu’un stage dit « infirmier », au moment de la distribution du
questionnaire.

Les effectifs sont de 159 étudiants en DCEM2, 160 DCEM3 et 211 DCEM4, soit un total de
530 étudiants inscrits à la Faculté de Médecine de Strasbourg pour les années d’étude
concernées.

Le questionnaire comporte 23 questions. Les données administratives relevées concernent


l’année d’étude et le nombre de stages effectués par spécialité depuis le début du cursus. Les
données relatives aux gestes habituellement pratiqués par l’étudiant ainsi qu’au respect des
précautions standard lors des soins invasifs sont aussi étudiées. Plusieurs questions abordent
l’accident d’exposition au sang proprement dit : le nombre d’AES dont a été victime
l’étudiant, la description du geste responsable, le lieu de stage dans lequel il est survenu, les
circonstances et suites données par l’étudiant tant sur le plan administratif (déclaration) que
sur le plan médical (mesures immédiates de désinfection et surveillance sérologique
ultérieure). Enfin, le questionnaire aborde des questions plus générales telles que l’influence
de la connaissance du statut sérologique du patient sur le respect des précautions standard, le
choix du stage ou la vaccination de l’étudiant contre l’hépatite B.

Les réponses aux questionnaires ont été saisies sur le logiciel Excel® et exploitées sur le plan
statistiques par le logiciel Epi Info version 6. Après dichotomisation des variables
quantitatives, la relation entre les différents facteurs a été étudiée à l’aide du test du Chi 2 ou
du test exact de Fischer lorsque les conditions de validité du Chi2 n’étaient pas remplies.

Résultats

120 questionnaires complétés par les étudiants de DCEM2 ont été récupérés, soit une
participation de 75,5 %. Mais, à la lecture des réponses à la question 23 proposant un
commentaire libre sur la pertinence de cette enquête, il s’avère que les DCEM2 ne se
considèrent pas concerné par les AES, n’ayant pour la grande majorité d’entre eux pas encore
pratiqué de gestes invasifs ni dans le cadre de leur stage, ni à l’occasion de gardes d’infirmier
ou d’aide soignant qu’ils pourraient faire en dehors du cursus normal de leurs études. En effet,
en début d’année, ils n’ont pas encore effectué de stage clinique mais uniquement un stage dit
« infirmier » pendant lequel ils ne sont pas autorisés à pratiquer des gestes de soins.
Néanmoins, nous retiendrons que 8 étudiants, parmi les DCEM2 interrogés, signalent avoir
été victimes d’un AES. Les circonstances de survenues en sont : ponctions veineuses (4 fois),
ponction lombaire (3 fois) et « autre ponction » (1 fois).

93 questionnaires complétés par les étudiants en DCEM3 (participation de 58,1 %) et 139 en


DCEM4 (participation de 65,8 %) ont été rendus. L’enquête ne sera exploitée que pour
l’ensemble DCEM3 et DCEM4 compte tenu des remarques précédentes : soit un total de 232
questionnaires pour une participation moyenne de 62,5 %.

92 % des étudiants se déclarent vaccinés contre l’hépatite B, 3 % ont une vaccination en cours
mais, 1 % n’ont reçu aucune dose vaccinale ce qui représente 2 ou 3 personnes dans cette
population particulièrement exposée au risque de contracter cette infection. Enfin, 4 % des
étudiants n’ont pas répondu à la question .

La majorité des étudiants (67 %) ne connaissent pas les précautions standard et déclarent n’en
avoir jamais entendu parler, ni pendant leurs études, ni en stage.

Nous avons interrogé les étudiants sur le respect du port des gants à l’occasion d’un geste de
soin. Pour la réalisation d’une ponction artérielle (gaz du sang), geste pratiqué « souvent » ou
« parfois » par 99 % des étudiants interrogés, le port des gants est systématique seulement
pour 34 % des étudiants, alors que 24 et 25 % n’en portent respectivement que « parfois » ou
« jamais ».
La suture est un autre geste pratiqué par la quasi-totalité des étudiants à ce stade de leur
formation. Les gants sont alors portés par 84 % d’entre eux. 3 % n’en portent « jamais » et 3
% n’en portent que « parfois ».
Les autres gestes techniques, comme l’injection intramusculaire, sous-cutanée ou
intradermique, sont moins souvent réalisés par les étudiants. A la question « portez-vous des
gants lorsque vous pratiquez l’un de ces gestes, la réponse est « toujours » dans seulement 13
à 17 % des cas,10 à 11 % répondent « souvent », 14 à 16 % « parfois » mais 45 à 46 %
répondent « jamais ».
Pour les ponctions intraveineuses, les gants sont systématiquement portés dans 31 % des cas.
Mais 13 % des personnes interrogées n’en portent jamais, 17 % n’en portent que parfois.

Deux autres questions abordent de façon directe la connaissance et l’application des


précautions standard, notamment à propos du devenir des objets piquants ou tranchants
souillés de sang. A la question relative au recapuchonnage des aiguilles utilisées, 39 % des
étudiants interrogés prétendent recapuchonner systématiquement ou « souvent » les aiguilles,
alors que seulement 35 % d’entre eux semble avoir banni définitivement ce geste dangereux.
A la question relative à la bonne utilisation d’un containeur à aiguilles, 40 % des étudiants
n’apportent pas le containeur à proximité des soins, 28 % y pensent parfois, alors que
seulement 17 % le font systématiquement.

Une réflexion générale sur le principe des précautions standard est abordée par les questions
19 et 20. La connaissance du statut sérologique du patient pour telle ou telle maladie virale
influence beaucoup la décision des étudiants de porter des gants : 71 % d’entre eux répondent
OUI lorsque l’on demande si la décision de porter des gants pour la pratique d’un geste est
influencée par la connaissance du statut sérologique du patient. Même si 28 % des étudiants,
bien que vaccinés contre l’hépatite B, sont réticents à choisir certains stages, la majorité des
étudiants ne choisissent pas le stage clinique en fonction du risque de contamination
professionnelle.

Le nombre d’accidents dont ont été victimes les étudiants en médecine ayant répondu au
questionnaire est de 45 pour les DCEM4 (32 %) et de 26 pour les DCEM3 (28 %). Les
réponses ne nous permettent pas de dire s’il s’agit d’accident survenu au cours de l’année
écoulée où sur l’ensemble des deux années de stage pour les étudiants de DCEM4. Au total,
un tiers des étudiants a déjà été victime d’au moins un AES. De plus, 8, 4 et 1 étudiants
signalent respectivement avoir été victimes de 2, 3 ou 4 AES au cours de leurs stages.

62 % de ces AES sont survenus sur le lieu de stage habituel de l’étudiant et 35 % à l’occasion
des gardes. Le questionnaire ne permet pas de préciser les circonstances exactes de l’accident,
ni dans quel service (médecine ou chirurgie) l’accident a eu lieu.

Les circonstances de survenue, détaillées dans le tableau 1, montrent que la suture est un acte
à haut risque d’AES (32 AES sur 71) ainsi que la réalisation des ponctions artérielles pour gaz
du sang (17 AES sur 71). Les actes plus techniques, regroupés dans la rubrique « autre
ponction » du questionnaire, ont été signalés comme étant à l’origine de 8 AES.

Dans notre étude, nous ne mettons pas en évidence de différence significative entre le risque
de survenue des AES pour les étudiants qui utilisent les containeurs à aiguilles par rapport à
ceux qui ne les utilisent pas (p = 0,57). De même, les étudiants qui ne recapuchonnent
« jamais » ou « parfois » les aiguilles ne semblent pas se blesser moins que ceux qui
recapuchonnent « toujours » ou « souvent » (p = 0,11).

Si l’on s’intéresse aux deux types d’AES les plus fréquents :


• Pour l’AES survenu à l’occasion de suture il n’y a pas de différence significative entre le fait
que l’étudiant ait pris, par ailleurs, l’habitude ou non de recapuchonner les aiguilles (p = 0,16)
ou d’utiliser les containeurs à aiguilles (P = 0,49). Nous notons que les AES survenus à
l’occasion de la réalisation d’une suture sont tous survenus alors que l’étudiant porte
systématiquement des gants pour ce type de geste.
• Pour l’AES survenu à l’occasion de la réalisation de gaz du sang, il n’y a pas de différence
significative entre le fait que l’étudiant porte ou non des gants pour la réalisation de ce geste
(p = 0,45). A l’inverse, il semble moins fréquent lorsque l’étudiant à l’habitude de ne pas
recapuchonner les aiguilles (p = 0,07, proche de la significativité) et utilise habituellement les
containeurs à aiguilles (p = 0,02).

La déclaration administrative des AES n’est faite que dans 55 % des cas, 41 % des étudiants
blessés ne déclarent pas l’AES (4 % n’ont pas répondu à la question). Lorsqu’il y a
déclaration, elle est presque toujours effectuée (92,3 % de cas) dans les 48 heures suivant
l’AES et généralement au médecin du service. Le service de médecine du travail et les
services référents en matière de VIH ne sont que très peu consultés au moment de l’accident.
La « non déclaration » (29 personnes) est argumentée essentiellement par la notion de
personne source non à risque (12 fois). Dans les autres cas, c’est par manque d’information (6
fois), manque de motivation (6 fois) ou de temps (4 fois).

Le statut sérologique des patients sources vis-à-vis des virus des hépatites et du VIH, n’est pas
documenté dans 18 à 20 % des cas, non connu de l’étudiant blessé dans 14 à 16 % des cas,
positif une fois pour le VIH, 4 fois pour le VHB et 10 fois pour le VHC. Globalement, le
patient source ne serait effectivement pas à risque de transmission dans 54 et 55 % des cas
pour les hépatites B et C respectivement et dans 62 % des cas pour le VIH.

Néanmoins, 71 % des étudiants, qu’ils aient déclaré ou pas l’AES, font un contrôle
sérologique 3 mois après.

Discussion

Les AES sont particulièrement fréquents chez les étudiants en médecine. Nos résultats
semblent correspondre à ceux de l’étude de Keita-Perse et coll [5] puisque pour les DCEM4,
ils notent 37 % d’AES et 24 % pour les DCEM3 (32 et 28 % respectivement à Strasbourg). La
formation des étudiants en matière d’hygiène hospitalière et de prévention individuelle des
AES a plusieurs sources : les cours magistraux théoriques mais aussi et surtout la pratique à
l’occasion des stages infirmiers et cliniques. Dans le premier cas, on peut certainement
regretter que cet enseignement ne donne pas matière à questions au concours de l’internat
notamment, car l’assiduité des étudiants pour ces cours s’en ressent. Pour la formation
pratique, elle est généralement confiée aux infirmières et surveillantes du service qui n’ont
pas le temps matériel nécessaire pour former les étudiants en médecine, en plus des élèves
infirmières par exemple. L’étude des AES et de leurs conséquences étant relativement
récentes, les médecins « séniors » dans les services ne sont pas les meilleurs exemples en la
matière, n’ayant pas non plus reçu la formation spécifique au cours de leurs études. Les
statistiques montrent d’ailleurs le peu d’intérêt pour la prévention des médecins hospitaliers
installés dans la profession, puisqu’ils ne sont que très peu protégés contre l’hépatite B par
exemple.

Un effort est donc indispensable pour inculquer la notion de « précautions standard »,


précautions nécessaires à mettre en oeuvre pour se protéger et protéger son entourage familial
et professionnel. Les précautions standard sont à appliquer pour tous les contacts avec du sang
ou liquide biologique, quel que soit le statut du patient vis-à-vis des virus à transmission
sanguine. Ces précautions consistent avant tout à porter des gants lors de tout geste
susceptible d’occasionner un contact avec du sang, à revêtir une surblouse et des lunettes de
protection pour tous les gestes à risque de projection de sang ou de liquide biologique.

Un des éléments essentiels des précautions standard est le « non recapuchonnage » des
aiguilles. Lors de la manipulation d’objets coupant ou piquant, tous les gestes rapprochant les
deux mains de l’opérateur, ou plus grave encore, les mains de deux personnes
différentes (opérateur et son assistant) sont des gestes à risque de blessures [9]. Le
recapuchonnage est l’exemple type du geste dangereux. Si notre étude ne précise pas les
circonstances exactes des AES, il apparaît que le recapuchonnage reste un geste fréquent qu’il
serait important d’interdire dès l’apprentissage des gestes techniques. Nos résultats sont un
peu meilleurs que ceux obtenus par Keita-Perse et al. [5] qui réalisaient leur enquête en 1996.
Cette différence résulte certainement d’une prise de conscience générale qui se traduit par une
amélioration de l’observance des gestes de sécurité. L’enquête réalisée par Sullivan et al. [10]
chez les étudiants en médecine de Birmingham en 1999 semble refléter cette tendance même
si les cultures et les enseignements sont différents. Les résultats d’une prochaine enquête
française pourraient confirmer nos espoirs dans ce domaine.

Le non recapuchonnage des aiguilles est lié à la nécessité d’utiliser sur le lieu même des soins
un containeur à aiguilles et objets tranchants dont les caractéristiques sont rappelées dans la
lettre-circulaire DH/EM 1 N°98-9548 [11]. Outre la limite maximale de remplissage du
containeur à respecter impérativement, il est évident que celui-ci doit être disposé à proximité
de l’endroit où se pratique les soins afin d’éliminer sans manipulation ultérieure dangereuse,
tous les objets tranchants souillés. Cette mesure de bon sens n’est que très partiellement
respectée par nos étudiants. Il est fréquent de constater dans les services que l’aiguille utilisée
est déposée dans le plateau de soins et rapidement masquée par les compresses souillées ou
tout autre matériel à éliminer, le tri se faisant ultérieurement, loin du patient, dans la salle de
soins par exemple. La manipulation des déchets à trier par une tierce personne qui ne connaît
pas le contenu du plateau, est une faute grave car particulièrement dangereuse.

Les précautions ne sont pas comprises ou volontairement non appliquées par les étudiants qui
modifient leur comportement lorsqu’ils connaissent, ou pensent connaître, le statut
sérologique des patients dont ils ont la charge. Cette attitude va à l’encontre même du principe
et de la définition des précautions standard.

Il est courant d’évaluer « l’évitabilité » des AES, mais la lecture seule des réponses à un
questionnaire rend cet exercice difficile. Notre questionnaire n’aborde pas de façon précise les
circonstances précises de l’accident qui sont détaillées dans le questionnaire proposé dans la
circulaire ministérielle et qu’utilise le service de médecine du travail de notre hôpital pour
chaque accident déclaré. Notre démarche est un peu différente, elle ne vise qu’à sensibiliser
les étudiants par la lecture d’un questionnaire plus général et tente de chiffrer l’importance du
problème des AES chez cette population particulière. Néanmoins, les gestes à l’origine des
AES dans notre enquête sont essentiellement les sutures pour lesquelles les étudiants portent
presque toujours des gants (84 %) et la réalisation de ponction artérielle pour gazométrie.
Dans cette dernière circonstance, les gants ne sont portés que par la moitié des étudiants (34
% d’entre eux en portent systématiquement et 16 % « souvent »). De plus, il est intéressant de
constater que les étudiants qui utilisent volontiers un containeur à aiguilles ou qui ont banni le
recapuchonnage de leur gestes déclarent significativement moins d’AES que les autres. Il
semblerait que les étudiants qui ont pris conscience du risque occasionné par les gestes
techniques qu’ils pratiquent soient victimes de moins d’AES que les autres. Cette information
est rassurante dans le sens où elle permet d’imaginer la filiation chronologique : information –
prise de conscience – diminution des AES, même si les délais entre les étapes sont plus ou
moins longs. A propos de « l’évitabilité », Bouvet et al. [12] signalent des taux variant de 30 à
70 % dans les enquêtes étudiées et 64 % dans l’enquête de Assery et al. [13].

Les circonstances de survenue que nous décrivons sont les mêmes que celles régulièrement
décrites dans la littérature [5, 9, 10, 13 – 15]. Rappelons que les AES surviennent aussi à
l’occasion du démontage et du nettoyage des instruments souillés, ainsi que lors de la
manipulation de poubelles [14].

On pourrait espérer une diminution du nombre d’AES chez les étudiants en relation avec
l’acquisition progressive d’une expérience professionnelle, la multiplication du nombre de
stages, du nombre de gestes... Or, nos résultats ne permettent pas de conclure quand à une
diminution éventuelle du nombre d’AES en fonction de l’année d’étude et par conséquent de
l’ »expérience professionnelle » acquise. Une année d’étude supplémentaire ne constitue
certainement pas une expérience professionnelle importante, mais d’une façon générale, dans
la littérature, l’expérience ne semble pas être un facteur modifiant le risque de survenue des
AES [15] tant pour les chirurgiens que les infirmières.

Les habitudes et les gestes répétitifs sont extrêmement difficiles à modifier [13], ils ont été
acquis par l’individu pour répondre à certains impératifs, dont la rapidité et la facilité
d’exécution, sans nécessairement inclure la notion de sécurité. Les gestes professionnels
doivent donc impérativement être enseignés en insistant sur le geste sécurisé tant pour le
patient que pour le praticien et en utilisant, dès l’apprentissage, le matériel de protection et de
sécurité adapté. Malheureusement, les protections individuelles sont considérées comme
difficilement compatibles avec la charge de travail et les gestes d’urgence, leur utilisation est
souvent contraignante. C’est une nouvelle et double tâche pour les enseignants, qui doivent
changer leurs habitudes et enseigner les bonnes pratiques à leurs étudiants, puisque la
situation épidémiologique des infections transmissibles s’est considérablement modifiée
depuis quelques années.

Au 30 juin 1998, on déplorait 42 cas d’infection professionnelle par le VIH en France [16]
dont 13 confirmés, les autres étant présumés d’origine professionnelle. Depuis 1994, leur
incidence diminue pour se limiter à quelques cas annuels : 1 cas en 1994, aucun en 1995, 2
cas en 1996 et 1 cas en 1997. La Circulaire DGS/DH N°98/249 du 20 avril 1998 [2] précise
les risques de transmission des virus véhiculés par le sang et demande aux responsables
d’établissement de soins de mettre en place une véritable politique de prévention des AES,
avec en parallèle la nécessité de réaliser un recensement des accidents et de leurs
circonstances de survenue, afin d’adapter au mieux les mesures préventives.

Depuis plusieurs années, certains établissements pratiquent cette politique de recensement,


Bouvet et al. [12] évaluent de 0,3 à 0,4 le nombre d’accident par infirmière et par an. En effet,
52 % des infirmières interrogées, dans l’étude citée, ont été victimes d’un AES, par piqûre
dans la grande majorité des cas (85 %). Les chirurgiens sont aussi couramment concernés
puisqu’il est recensé 0,5 à 2,7 piqûres pour 100 personnes acte. Cleveland et al. [15] évaluent
le nombre d’AES à 3 par an et par chirurgien dentiste, mais constatent une diminution
progressive des accidents dans cette spécialité depuis 1986. Ces AES restent néanmoins très
fréquents malgré les efforts d’information [13].

Il est évident que la déclaration des AES constitue une base de données permettant
d’identifier leurs circonstances de survenue et sert de référentiel pour le choix des dispositifs
de sécurité, du matériel. Cette déclaration est officialisée par la circulaire DGS/DH/DRT
n°99/680 du 8 décembre 1999. Elle devrait également permettre de proposer des procédures
de soins qui prennent en compte les impératifs de qualité et d’hygiène hospitalière pour éviter
la transmission des infections nosocomiales et assurer la sécurité du personnel soignant.
Néanmoins, les AES ne sont pas déclarés [9, 13], par sous estimation du risque et en raison du
caractère très contraignant de la procédure qui comprend le suivi sérologique et une
éventuelle chimioprophylaxie antirétrovirale. La déclaration est synonyme, pour le sujet, de la
prise de conscience du risque de contracter une infection virale chronique, avec toutes les
conséquences qui en découlent, notamment sur la vie de couple.

Cette enquête, telle que nous avons souhaité la réaliser auprès des étudiants en médecine,
permet de chiffrer les AES, les circonstances de leur survenue et leur taux de prise en charge
administrative et clinique. Ces résultats pourront alors être comparés à ceux d’enquêtes
ultérieures réalisées dans les mêmes circonstances, après mise en place de mesures correctives
dans l’organisation des soins (mise à disposition de matériel adapté), l’information des
étudiants et des enseignants, la mise en place d’une réelle politique de sensibilisation.

Ces résultats nous incitent à revoir immédiatement le “ discours ” d’accueil des nouveaux
étudiants à la faculté et à proposer au corps enseignant de modifier le contenu des cours en
insistant, sur les risques d’AES liés à leur spécialité et les mesures générales et
éventuellement spécifiques à mettre en œuvre. Le rôle capital des services de médecine du
travail des établissements doit être enseigné aux étudiants afin qu’ils connaissent leurs
interlocuteurs pour la vaccination contre l’hépatite B mais aussi en cas d’AES pour la
déclaration et la surveillance sérologique post exposition.

Dans le seul but de sensibiliser les étudiants et d’induire une réflexion personnelle à propos
des conséquences d’un AES, nous avons souhaité introduire une question (question 18)
relative à la modification éventuelle du comportement sexuel d’une personne victime d’un
AES et dans l’attente des résultats du suivi sérologique. Il est difficile de chiffrer l’impact
exact de cette question sur le comportement des étudiants qui ont pratiquement tous répondu
« abstinence » ou « préservatifs ». Nous espérons que cette question permettra une prise de
conscience du risque éventuel engendré par une attitude non responsable.

Le taux de participation des étudiants à l’enquête est moyen et témoigne d’un faible intérêt
pour une démarche qui s’intéresse pourtant à leur sécurité. L’étude de Nice [5] rapporte un
taux de participation de 84 %. Le questionnaire autorisait un certain nombre de réponses
libres dont les commentaires nous confortent dans cette interprétation des faits.
Conclusion

Les AES sont particulièrement fréquents chez les étudiants en médecine. L’évitabilité est
difficile à évaluer mais la connaissance et le respect des précautions standard sont très
insuffisants et nécessitent une réelle campagne d’information. Les infirmières et les aides
soignantes dans les services hospitaliers ont pris conscience des risques et ont généralement
modifié leurs habitudes : depuis quelques années déjà, la manipulation du sang et des liquides
biologiques se fait avec une grande prudence. En revanche, les médecins ne semblent pas
encore suffisamment informés ou motivés pour changer des comportements souvent à risque.
Or, la sécurité doit impérativement être une préoccupation quotidienne et doit être intégrée
dès l’apprentissage des gestes techniques en considérant qu’il est très difficile de changer une
mauvaise habitude une fois acquise.
Bibliographie

[1] Circulaire DGS/DH N°98/228 du 9 avril 1998 relative aux recommandations de mise en
œuvre d’un traitement antirétroviral après exposition au risque de transmission du VIH.

[2] Circulaire DGS/DH N°98/249 du 20 avril 1998 relative à la prévention de la transmission


d’agents infectieux vehiculés par le sang ou les liquides biologiques lors des soins dans les
établissements de santé.

[3] CTIN, Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Isolement septique, recommandations


pour les établissements de soins. Paris : Edition du Service de l’Information et de la
Communication : 1998.

[4] Hamid SS, Farooqui B, Rizvi Q, Sultana T, Siddiqui AA. Risk of transmission and
features of hepatitis C after needlestick injuries. Infect Control Hosp Epidemiol 1999 : 20 :
63-64.

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Tableau I : circonstances de survenue des accidents d’exposition au sang

nombre %
Suture 32 45
Ponction artérielle pour Gaz du sang 17 24
Injection intramusculaire 2 3
Injection intraveineuse 5 7
Ponction lombaire 5 7
Autre ponction 8 11
Non précisée 2 3
Total 71 100

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