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Source : Actu 29 novembre 2021

Économie bleue : Une alternative durable pour


le développement
Conférence à la CCISM de Gunter Pauli, expert de l'économie bleue et verte.

Pour Gunter Pauli, expert en économie


bleue et verte, « prétendre protéger la
nature, sans l’aider à se régénérer, ne
sert à rien ». (©JR)
Par Jennifer RofesPublié le 29 Nov 21
à 8:46
La Dépêche de Tahiti
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La commission innovation, digitale et
économie bleue de la Chambre de
commerce, d’industrie, de services et
des métiers (CCISM) de Polynésie française ambitionne d’impulser et de
structurer une économie bleue et verte en s’appuyant sur les concepts de
Gunter Pauli, expert mondialement reconnu de cette économie. Pour atteindre
cet objectif, la CCISM l’a invité à venir exposer lors de deux conférences
publiques comment, grâce à nos écosystèmes naturels, il est possible de
révolutionner notre consommation et nos moyens de production tout en
protégeant la nature. Selon Gunter Pauli, il faudrait observer les phénomènes
naturels, en comprendre le fonctionnement et les imiter afin d’apprendre à
mieux cultiver et consommer ce que notre planète produit déjà. Car selon lui,
la clé du futur est de comprendre que l’économie bleue ne se recycle pas,
mais qu’elle se régénère. Rencontre avec cette économiste d’un autre genre.
Quels sont les messages que vous comptez développer lors de vos
conférences publiques ?
Tout d’abord que toute transition, qu’elle soit industrielle, écologique ou
sociale, démarre toujours dans la périphérie car c’est là qu’il existe une plus
grande flexibilité et liberté pour engager une transition rapide et profonde afin
de s’adapter aux nouvelles réalités qui s’imposent, comme le changement
climatique ou d’autres formes de concurrence. Et la Polynésie est dans la
périphérie. Le deuxième message sera de dire que l’innovation, ce n’est pas la
nouvelle technologie, la génétique, la chimie ou l’intelligence artificielle. La
vraie nouvelle technologie, ce sont des modèles d’affaires capables de
répondre aux besoins de tous.
Troisièmement, prétendre protéger la nature, sans l’aider à se régénérer, ne
sert à rien. Si vous ne faites que de la protection, dans 50 ans, vous devrez
vous rendre à l’évidence que vous avez failli car il y aura une perte de la
biodiversité. Il faut insuffler la vie à la nature en changeant de logique. On ne
protège pas, on régénère.
Et le dernier message, c’est qu’il faut toujours faire la découverte de ce que
l’on possède. Cessez de me dire que vous avez des poissons ou des fruits,
car vous me parlez de produits. La question que je pose est quels sont les
modèles d’affaires que vous pourriez développer, autour desquels vous
pourriez réellement créer ? Car ce qui fait fonctionner une économie, c’est la
valeur ajoutée.
Comment traduiriez-vous ces modèles d’affaires économiques dont vous
parlez ?
Eh bien, une économie qui est bien pour vous et pour la nature, mais qui est
chère, est à mon sens une économie bidon. Aujourd’hui, on est dans un
modèle économique où on trouve normal de payer, 10, 20 ou 30 % plus cher
parce que c’est bio ou parce que c’est bien pour la nature. Mais il s’agit d’une
économie pour les riches, pour ce 1 % de la population qui peut se le
permettre. Ce n’est pas mon économie car elle n’est pas pour tout le monde.
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Un exemple concret. Vous avez un commerce et vendez des jus de fruits frais.
Si vous faites du bio, vous me direz que la productivité n’est pas la même et
donc que vous avez moins de fruits que votre voisin. Mais si c’est bio, avec les
écorces de vos fruits, vous pouvez faire du vinaigre et puisque c’est bio, vous
pouvez produire deux fois plus de vinaigre qu’avec des fruits non bio. Du
coup, en réfléchissant autrement, vous avez un meilleur rendement, plus de
produits, moins de perte et vous devenez moins cher.
Vous dites que vous avez soutenu plusieurs projets sur des îles similaires
aux nôtres, quels modèles pourraient donc s’apparenter à la Polynésie ?
Quand on parle de Polynésie, on parle bien sûr de tourisme. Mais la Covid
nous a enseigné que le tourisme n’a pas de résilience. Lorsque la crise est
arrivée, vous n’avez plus eu de touristes et de la pêche à la perle, tout s’est
arrêté. On ne peut pas construire une économie sur un visiteur qui vient de
loin. Je ne dis pas que je suis contre le tourisme, mais je dis que je suis en
faveur d’une résilience économique capable de répondre au besoin de tout le
monde. Et pour cela, il faut inclure le travail quand il y a la crise.
Je ne viens pas seulement donner une conférence. Je vais faire le tour de
quatre îles afin de dresser l’inventaire et un portefeuille de toutes les
opportunités que vous avez.
Pourriez-vous nous donner un exemple concret du travail que vous avez
réalisé ailleurs ?
À La Réunion, nous avons trouvé du géranium bourbon, plante choisie par
Napoléon pour son parfum. D’une qualité exceptionnelle, cette plante dont on
extrait de l’huile essentielle, était cultivée de manière éparse sur des rochers
situés en face du volcan. Avec une faible production, même exceptionnelle,
impossible de concurrencer le géranium monoculture égyptien.
De plus, grâce aux subventions versées par les Américains aux Égyptiens,
ceux-ci avaient un bien meilleur prix de revient que nos amis réunionnais qui
ne bénéficiaient que d’une subvention européenne.
Alors on a réfléchi autrement et on s’est dit, si nous avions une biomasse qui
nous permettait d’extraire de l’huile essentielle, alors celle-ci était hygiénisée
et donc idéale pour en faire un substrat pour cultiver des champignons. On a
donc cherché le type de champignons existants dans la région et on a
commencé à les cultiver. Aujourd’hui, on gagne plus avec la culture de ces
champignons que l’on gagne avec le géranium. Car désormais, ces
champignons tropicaux sont exportés par dizaines de tonnes. Et avec le gain
des exportations, on peut vendre le géranium bourbon à un tiers du prix. Cela
permet donc d’être meilleur marché avec un produit de meilleure qualité.
Tubuai est une île qui produit beaucoup de pommes de terre.
Malheureusement, à cause des transports, une partie de cette production
n’arrive pas jusqu’au consommateur et est parfois gâchée. Que pourriez-
vous proposer ?
Je suis un économiste de base. Cela veut dire que je dois connaître le prix de
revient au départ et le prix de vente. Avec mon assistant, on peut rapidement
faire des calculs. Encore faut-il savoir de combien de tonnes on parle pour
dimensionner la totalité de la production. Mais le cas de la pomme de terre est
très connu. On peut faire de l’alcool de très haute qualité avec, qui est idéal
pour produire du gel hydroalcoolique.
Aujourd’hui, l’alcool utilisé dans le gel hydroalcoolique se vend environ 6 800
euros la tonne. La pomme de terre coûte environ 100 fois moins cher. L’écart
entre les deux vont me convaincre de regarder ce marché-là car la demande
va continuer encore quelques années. Et comme en plus, une fois que l’alcool
est produit, il ne se dégrade pas et se bonifie avec le temps, pourquoi ne pas
produire de la vodka. Mais je dis toujours que lorsque vous voulez faire un
marathon, il est préférable d’avoir deux jambes. Avec une seule, vous pourrez,
mais pas longtemps. Et quelle pourrait être la deuxième jambe ? Les bio
plastiques ! Parce que la pomme de terre avec l’amidon est idéale pour faire
des bio plastiques. Si vous avez le luxe d’avoir un excédent de pommes de
terre, alors on peut monter une unité de production de bio plastiques et avec le
problème des nanoparticules plastique que l’on retrouve dans l’océan, cela
paraît idéal.
Enfin, moi je suis belge, donc j’aime les frites. Le plus grand problème avec la
pomme de terre c’est sa conservation. Si je prépare des frites précuites et
congelées, quel sera mon coût de revient ? Ça ne sera pas la pomme de terre
mais l’énergie.
Et avec votre climat, pourquoi ne pas lancer la première production de
pommes frites solaires ? Je suis convaincu que cela va intéresser beaucoup
de monde. Voilà ce que j’appelle un portefeuille d’opportunités.

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