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Préface de Patrick Philipon

Nicolas Hulot
avec Yuna Chiffoleau

ET SI ON
et Frédéric Wallet

MANGEAIT
LOCAL ?

Ce que les circuits courts vont


changer dans
Et si on mangeait local ?
Ce que les circuits courts vont changer dans mon quotidien
Patrick Philipon
avec Yuna Chiffoleau et Frédéric Wallet

Et si on
mangeait
local ?
Ce que les circuits courts vont
changer dans

éditions Quæ
© Éditions Quæ, 2017
ISBN : 978-2-7592-2527-9

Éditions Quæ
RD 10
78026 Versailles Cedex, France
www.quae.com

Le code de la propriété intellectuelle interdit la photocopie à usage collectif sans autorisation des
ayants droit. Le non-respect de cette disposition met en danger l'édition, notamment scientifique,
et est sanctionné pénalement. Toute reproduction, même partielle, du présent ouvrage est interdite
sans autorisation du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC), 20 rue des Grands-
Augustins, Paris 6e.
Cette collection s'adresse à un large public, non spécialiste des sujets traités, mais
curieux de comprendre l’actualité. Sous la direction d’un expert scientifique, chaque
ouvrage est écrit par un journaliste dans un style vivant et très accessible, et couvre
des questions de société variées, comme l’alimentation, la santé, l’environnement,
les nouvelles technologies...
Une collection originale par son choix d’aborder ces problématiques sous l’angle de
leur impact dans notre vie quotidienne.

L’eau en péril ?
Une ressource à préserver au quotidien
Denis Lefèvre, avec Vazken Andréassian
2016, 168 pages

Des insectes au menu ?


Ce qui va changer dans mon alimentation au quotidien
Vincent Albouy, avec Jean-Michel Chardigny
2016, 184 pages

Des drones à tout faire ?


Ce qu'ils vont changer dans ma vie au quotidien
Isabelle Bellin, avec Sylvain Labbé
2016, 200 pages

Alzheimer, Parkinson, sclérose…


Les maladies neurodégénératives. Prévenir, traiter, aider au quotidien
Corinne Soulay, avec Bernard Bioulac
2016, 208 pages

Les maladies émergentes


Zika, Ébola, chikungunya... Comprendre ces infections et les traiter au quotidien
Jean-Philippe Braly, avec Yazdan Yazdanpanah
2016, 160 pages

Vivons plus vieux en bonne santé !


Des conseils au quotidien pour préserver son capital santé
Sophie Cousin, avec Véronique Coxam
2017, 192 pages

Encore carnivores demain ?


Quand manger de la viande pose question au quotidien
Olivier Néron de Surgy, avec Jocelyne Porcher
2017, 184 pages
Sommaire

Remerciements 9
Cultivons la solidarité : mangeons local et de qualité
(préface de N. Hulot) 11

Il était une (nouvelle) fois 13

Les circuits courts : une nouvelle mode ? 17


Après-guerre : de l’enchantement
à la désillusion 18
Pourquoi ce retour en force ? 29
Finalement, qu’est-ce qu’un « circuit court »
aujourd’hui ? 35
Des circuits pour tous les goûts 42
Quels sont les acteurs en présence ? 46

Comment m’y retrouver en pratique ? 52


Où les trouver ? 53
Mais qu’est-ce qu’on mange ? 73
Que signifient tous ces labels ? 77
Est-ce plus cher ? 83
Qui vais-je rencontrer ? 89
Mon boucher est-il en circuit court ? 94
Et à la cantine des enfants
(ou de mon entreprise) ? 100
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ? 108
Un effet tangible sur l’économie des fermes
et des territoires ? 109
Où vont les euros ? 115
Un véritable impact social ? 117
Un bienfait pour l’environnement ? 126
Circuits courts et territoires :
des proximités à construire 135

Quel(s) futur(s) pour les circuits courts ? 145


Business as usual, ou le triomphe
de la concentration financière 146
Changeons de paradigme :
la transition durable 150

Un avenir à construire ensemble 157

Contribuer à un renouveau démocratique


autour de l'alimentation locale (Y. Chiffoleau) 160
Innover pour perpétuer la vie de nos territoires (F. Wallet) 162
Bibliographie 165
Remerciements

Yuna Chiffoleau et Frédéric Wallet, conseillers scientifiques de cet


ouvrage, ont partagé leurs connaissances, en valorisant en particulier
l’expertise du réseau mixte technologique Alimentation locale, et m’ont
orienté vers les bons interlocuteurs durant l’enquête. Ils ont également
procédé à des relectures attentives. Merci de leur patience.
Je remercie vivement les experts, chercheurs et acteurs de terrain
qui ont accepté d’être interviewés et dont l’aide a été précieuse :
Olivier Dauvers, consultant — spécialiste de la grande distribution —
et éditeur (Éditions Dauvers)
François Léger, enseignant-chercheur à AgroParisTech, membre de l’UMR
SAD-APT Inra/AgroParisTech, équipe Agriculture urbaine
Gilles Maréchal, conseiller systèmes alimentaires territoriaux - Civam
de Bretagne et réseau mixte technologique Alimentation locale, consultant
du cabinet Terralim (Territoires et alimentation), chercheur associé
au laboratoire ESO - Espaces et sociétés (CNRS)
Philippe Moati, professeur d’économie à l’université Paris-Diderot
et cofondateur de l’Obsoco (Observatoire société et consommation)
Dominique Olivier, directeur de Fermes de Figeac, coopérative agricole
et de territoire
Dominique Paturel, chercheuse à l’UMR Innovation (Inra - Cirad - 
Montpellier SupAgro), membre du comité de direction de la chaire
Unesco en Alimentations du monde
Jean-Louis Rastoin, professeur honoraire à Montpellier SupAgro,
chaire Unesco en Alimentations du monde
Audrey Rimbaud, chargée de mission « Alimentation de proximité »
à l’Assemblée permanente des chambres d’Agriculture
Florence Vignal, présidente du Syndicat des bouchers-charcutiers-traiteurs
de Lozère, présidente de la chambre des métiers et de l’artisanat
de la Lozère
Enfin, je n’oublie pas les producteurs que je rencontre toutes les semaines
au marché. Certains sont devenus de vrais amis qui m’ont initié aux
réalités de la vie d’agriculteur et de la vente directe. Merci en particulier
à Guy et Sophie.
Cultivons la solidarité : mangeons local
et de qualité

Appel ou incantation ? Interpellation ou invitation ?


Et si on mangeait local ? replace l’alimentation au cœur
d’une quête. Celle d’une société désireuse de davantage
de transparence, de confiance, de liens. Une société en
quête de sens.
Nous avons hérité d’un modèle agricole issu d’une
politique européenne mise en place au sortir de la seconde
guerre mondiale. La modernisation de l’agriculture
couplée à la spécialisation des régions devait sortir les
paysans de la misère et permettre de proposer une
alimentation à bas prix pour tous. Le but est atteint… tout
comme, très vite, les limites écologiques, éco­­nomiques et
sociales de ce modèle.
Ainsi la transparence est mise à mal. Peu à peu, les
consommateurs perdent de vue les producteurs qui les
nourrissent, puis l’origine et la spécificité des produits. Ils
sont déçus de la qualité gustative et de la qualité tout
court. Et enfin ils perdent confiance. Cette crise de
confiance s’est ainsi construite sur une méfiance crois-
sante du consommateur face aux industries agroalimen-
taires. Triste bilan… si quelques scandales sanitaires et
environnementaux de l’agriculture n’avaient pas fini par
installer dans l’esprit de certains le besoin de faire évoluer
les choses.

11
Et si on mangeait local ?

La conséquence — positive ! — est donc le sursaut


citoyen que nous observons, qui tisse partout en France,
des liens de solidarité culturelle, territoriale, environ­
nementale. Reconnecter les besoins et les attentes des
citoyens, consommateurs, producteurs, artisans, devient
une nécessité.
La multiplicité des formes que prend le « manger
local » est une preuve de la créativité présente dans les
territoires et de l’appropriation par les acteurs agricoles
de ce besoin. On ne peut que s’en réjouir, sans oublier
toutefois que l’enjeu n’est pas de choisir le local au détri-
ment de la qualité. Les deux vont de pair car l’agriculture
doit répondre aux besoins alimentaires locaux tout en se
tournant vers l’agroécologie.
Cet ouvrage donne donc à comprendre la dynamique
actuelle des circuits courts en s’appuyant sur l’expérience
des acteurs de terrains. Utile et pédagogique, il offre des
clés à chacun pour entretenir cette proximité avec notre
alimentation et notre agriculture.
Ne verrait-on pas là poindre du nez ce que certains
nomment la démocratie alimentaire ? J’en suis convaincu.
Une partie de la société bouge et propose, soucieuse de
mettre notre alimentation au cœur du débat. C’est tout
le sens du Grenelle de l’Alimentation que j’appelle de
mes vœux.

Nicolas Hulot
Président de la Fondation Nicolas Hulot
pour la Nature et l’Homme

12
Il était une (nouvelle) fois

Avril 2001, sur une place de parking de la petite ville


d’Aubagne, toute proche de Marseille. Un couple d’agri-
culteurs livre des paniers de légumes à des consom­
mateurs récemment rencontrés, avec lesquels il vient de
créer ce qui deviendra la toute première Association pour
le maintien d’une agriculture paysanne (Amap). Passé
inaperçu sur le moment, cet évènement somme toute
modeste peut être considéré maintenant comme le
symbole d’un mouvement plus général. En ce début de
xxie siècle, la vente directe des denrées agricoles, du
producteur au consommateur, une pratique que l’on
croyait disparue dans les pays développés, vit un renou-
veau en France. Comme d’ailleurs dans d’autres pays
développés, qui ont même bien souvent précédé le nôtre
dans cette voie.
Les « circuits courts », comme on les appelle
aujourd’hui, ont en fait toujours existé. Depuis les débuts
de l’agriculture, les paysans échangent ou vendent eux-
mêmes leurs produits aux consommateurs, que ce soit à
la ferme ou sur le marché voisin. Dans les grandes cités,
ils approvisionnent souvent des boutiquiers. En France,
la commercialisation directe, sur les marchés, est demeu-
rée importante jusqu’aux années 1950 pour certains
produits comme les fruits et légumes, le lait et ses dérivés,
les œufs, les volailles... De même, beaucoup de bouchers
choisissaient et achetaient leurs animaux directement
chez l’éleveur. Aujourd’hui encore, dans une vaste partie
du monde (Afrique, Inde, Chine, etc.), la plupart des
produits alimentaires se vendent — ou s’échangent — de
cette manière traditionnelle. Sans compter le circuit le

13
Et si on mangeait local ?

plus court qui soit : le cas de l’agriculteur qui consomme


lui-même ce qu’il produit, pratique longtemps majo­
ritaire dans les campagnes... L’autoconsommation n’a
d’ailleurs pas totalement disparu des pays développés où
elle perdure sous la forme des potagers particuliers en
zone rurale ou périurbaine. Plus récemment, et de façon
croissante, des jardins collectifs apparaissent dans les
villes, sans compter les cultures sur terrasses et balcons.
Que signifie le renouveau actuel de ce mode de dis­­
tribution ? La suprématie des grandes surfaces serait-elle
menacée ? Globalement non, car les circuits courts restent
peu développés et n’ont pas vocation à devenir hégémo-
niques, mais à l’évidence un mouvement se dessine. Un
mouvement de plus en plus important, concernant
désormais toutes sortes de gens et non plus seulement les
militants purs et durs des premiers temps. Rendus
méfiants par différents scandales alimentaires, en parti-
culier par l’épisode de la « vache folle », les consom­
mateurs veulent aujourd’hui savoir d’où provient ce
qu’ils mangent et comment cela a été produit. Les circuits
courts peuvent justement offrir cela : des aliments frais et
de qualité, d’origine garantie, à un prix juste pour les
acheteurs comme pour les producteurs. Outre les ventes
à la ferme ou sur le marché, qui elles-mêmes ont évolué,
de nouvelles formes apparaissent. Les Amap, très média-
tisées ces dernières années, n’en sont qu’un exemple
saillant mais minoritaire. Bien d’autres initiatives appa-
raissent ou se renouvellent : points de vente collectifs,
marchés de producteurs, systèmes de commande sur
Internet, approvisionnement local des cantines scolaires...
Pourquoi ne pas aller voir de quoi il retourne ? C’est si
simple : le premier pas consiste généralement à faire un
tour sur le marché le plus proche de chez soi... Pour
accéder à une alimentation de qualité, d’abord, à condition

14
Il était une (nouvelle) fois

d’avoir quelques repères pour s’y retrouver. Et ce, à des


prix qui surprendront les profanes persuadés qu’il s’agit
d’une lubie de bobos aisés. Pour renouer un lien social,
ensuite. Enfin, pour participer, même modestement, à
l’économie locale et à l’évolution de l’agriculture. Les
plus convaincus y apporteront en outre des valeurs
comme la défense de l’environnement, la solidarité
sociale... Des sujets qui nous concernent finalement tous,
militants ou citoyens « ordinaires ».
Les circuits courts constituent un champ en peine
évolution, difficile à définir du fait de sa multiplicité et
n’ayant pas encore fait l’objet d’études statistiques à
grande échelle. Si les informations quantitatives générales
— et à jour — font encore défaut, les études partielles,
parfois très détaillées, ne manquent pas. Cet ouvrage
s’appuie sur les données disponibles et surtout sur l’expé-
rience de chercheurs et d’acteurs de terrain. Il décrit
également de nombreuses initiatives dans les territoires.
Il ne s’agit en aucun cas de sélectionner les « bonnes
adresses » mais de tenter de présenter la diversité et les
perspectives du mouvement à partir d’exemples concrets.
Après un rapide tour d’horizon historique et une
présentation des acteurs en présence, ce livre se place
délibérément du côté du consommateur, et en particulier
du novice qui se demande « dans quoi vais-je mettre les
pieds ? ». Il aborde les questions très pratiques — où ? à
quel prix ? comment ? — puis élargit le propos aux
implications plus générales de ce type d’achat : pratiques
agricoles, économie locale, impact environnemental, lien
ville/campagne. Il tente, enfin, de cerner le futur possible
de ce mouvement.

15
1
Les circuits courts :
une nouvelle mode ?

Si les circuits courts ont « toujours » existé, ils ont


disparu du paysage au lendemain de la seconde guerre
mondiale. En effet, en France et plus généralement en
Europe et au Japon, il fallait alors tout reconstruire. Et en
priorité nourrir la population. On s’est inspiré pour cela
du modèle agricole américain, fait de mécanisation,
d’agrandissement et de spécialisation des fermes, d’inten-
sification à base d’intrants chimiques, de concentration
de l’industrie agroalimentaire et des circuits de distri­
bution entre les mains de quelques grands opérateurs. Les
modes de production et de commercialisation des
produits de la terre ont ainsi radicalement changé. Pour
le meilleur ou pour le pire ? Après des décennies de
contestation plutôt marginale, un mouvement beaucoup
plus général de remise en cause de ce système agricole et
alimentaire émerge depuis une vingtaine d’années. Un
mouvement parti des consommateurs, inquiets au sujet
de la qualité ou de l’origine des aliments, insatisfaits de
la nature même de l’acte de vente, devenu déshumanisé,
et désireux de retrouver un lien avec la réalité de la

17
Et si on mangeait local ?

production. Certains vont plus loin, assumant une


démarche militante plus globale : le choix du circuit court
répond alors également à une opposition à la concentra-
tion de la distribution entre les mains de quelques firmes
géantes, à un modèle économique où le producteur ne
reçoit pas la juste rétribution de son travail, et souvent à
un type d’agriculture néfaste pour l’environnement. C’est
l’histoire de cette renaissance que nous allons d’abord
esquisser, dévoilant ce faisant en quoi les circuits courts
ne sont pas une simple mode.

Après-guerre : de l’enchantement
à la désillusion

Agriculture « moderne » et supermarchés

Après la phase de reconstruction de l’immédiat après-


guerre, l’heure est à la modernisation d’une France restée
très rurale, et aux gains de productivité. À partir des
années 1960, il ne s’agit plus seulement de nourrir la
population mais d’augmenter encore les rendements afin
d’être désormais en mesure d’exporter. Ce sera d’ailleurs
une réussite, la France devenant rapidement un des plus
grands exportateurs mondiaux de produits agricoles et
agroalimentaires. Dans le même temps, le métier d’agri-
culteur change du tout au tout. L’exploitant agricole
— c’est ainsi qu’on l’appelle maintenant — est désormais
intégré à une filière économique allant des producteurs
de semences, de produits phytosanitaires (engrais, pesti-
cides) ou d’aliments pour animaux d’élevage, en amont,
aux distributeurs, en aval, en passant par les différents
acteurs de la transformation, du négoce et du transport.

18
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

Finalement, les aliments atteignent le consommateur via


des « formes modernes de distribution », ou GMS
(grandes et moyennes surfaces). Autrement dit des supé-
rettes et supermarchés, eux aussi importés des États-Unis.
Le concept est en effet né à Memphis (Tennessee) en
1916, lorsque l’épicier Clarence Saunders a ouvert le
Piggly Wiggly, le tout premier magasin en libre-service.
L’idée attendra l’après-guerre pour traverser l’Atlantique.
En 1948, la société Goulet Turpin, qui possède une chaîne
de magasins d’alimentation alors très connue, ouvre à
Paris le premier libre-service de France. L’année suivante,
Michel-Édouard Leclerc transforme en libre-service son
épicerie de Landerneau, dans le Finistère. Désormais les
aliments sont préemballés, étiquetés, standardisés,
souvent déjà transformés... et en général vendus moins
chers que chez le commerçant de proximité, en s’appuyant
notamment sur l’achat direct aux producteurs plutôt
qu’auprès de grossistes. Les supermarchés, inventeurs du
circuit court ? Il n’est pas rare d’entendre leurs représen-
tants s’en revendiquer. En tout cas, ils en avaient déjà
compris l’intérêt en termes de réduction des coûts. En
1958, Goulet Turpin ouvre son Express-Marché, le
premier supermarché français avec parking, dans la
région parisienne. En 1960, Carrefour lance son premier
magasin à Annecy, Auchan fait de même à Roubaix
en 1961. Les deux enseignes créent très vite des hyper-
marchés : des magasins de plus de 2 500 m2 de surface,
souvent implantés en périphérie des villes pour d’évi-
dentes raisons foncières. En quelques années, les GMS
telles qu’elles existent encore aujourd’hui surgissent donc
en France. Dans le même temps, les coopératives de
consommateurs, souvent nées à la fin du xixe siècle, enta-
ment leur déclin. Les magasins Coop disparaissent ainsi
peu à peu du paysage français, absorbés par les grands

19
Et si on mangeait local ?

groupes de distribution. Les coopératives de consom­


mateurs restent cependant florissantes dans des pays
comme la Suisse. Bientôt commence la course à la concen-
tration : en 1979, Goulet Turpin sera racheté par Promodès
pour les supérettes et Euromarché pour les grandes
surfaces. Un mouvement financier invisible pour les
consommateurs — l'enseigne du magasin reste souvent la
même — et qui ne les intéresse guère. Pour leur part, ils
adhèrent au concept sans restriction : partie de zéro, la part
des GMS dans les ventes de produits alimentaires (hors
tabac) dépasse encore les 70 % en 2015, selon l’Insee,
malgré un net tassement depuis les années 20001.
Enthousiasmés par l’offre apparemment infinie des
rayons des grandes surfaces, les clients ont l’impression
de changer d’époque. Même les plus modestes ont enfin
accès à des produits jusque-là rares (bananes, oranges)
voire inconnus : les pamplemousses, kiwis et autres
avocats font leur apparition. Les repas se diversifient, la
consommation de protéines animales augmente — la
viande est devenue un symbole de richesse alimentaire.
Une abondance souvent trompeuse car les matières
premières agricoles tendent en fait à se standardiser. Pour
chaque plante cultivée, pour chaque espèce animale
élevée, les innombrables variétés ou races locales existant
jusqu’alors cèdent la place à quelques souches omni­
présentes, sélectionnées pour leur adaptation à ce
nouveau mode de production et de distribution. Finies
les multiples et savoureuses pommes locales, voici venu
le règne de la Golden qui a partout le même goût...
Au rayon des produits transformés, la variété n’a d’égale
que la technicité des industriels — et des ingénieurs —
pour fractionner toujours plus les matières premières et

1  Il existe aujourd’hui environ 2 000 hypermarchés et 10 000 supermarchés en France.

20
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

leur créativité pour composer de « nouveaux » aliments.


Seules varient en fait les recettes d’assemblage de matières
premières produites en masse. Et l’emballage, bien
entendu. Au-delà de sa fonction propre, celui-ci devient
un support publicitaire, un vecteur pour les marques qui
cherchent à fidéliser les consommateurs.
Dans le même temps, la société dans son ensemble
change et devient plus urbaine. C’est une nouvelle époque
d’exode rural en France. Les modes de vie et de travail
évoluent, le temps consacré à l’acte alimentaire — courses,
préparation et consommation du repas — se contracte.
Les réfrigérateurs se généralisent, bientôt suivis des
congélateurs puis des fours à micro-ondes. L’industrie
agroalimentaire propose justement des produits adaptés
à cette vie nouvelle, jusqu’à l’exemple extrême : le plat
cuisiné tout prêt, combinant viande et légumes, à la
composition souvent complexe, difficile à décrypter, que
l’on réchauffe et consomme en quelques minutes. Le fin
du fin, vécu à l’époque comme un symbole de modernité,
de libération des femmes qui peuvent ainsi passer moins
de temps à cuisiner. En France, la première firme impor-
tante d’aliments surgelés, Findus, apparaît en 1962. Dans
le même ordre d’idée, la généralisation des hypermarchés
a suivi l’évolution du nombre de véhicules particuliers,
indispensables pour s’y rendre, qui a été multiplié par
douze entre 1950 et 1990. Cette période qu’on appellera
rétrospectivement les Trente Glorieuses2 voit en effet
les ménages accéder à de nouveaux modes de consom­
mation, acheter des automobiles et de l’électroménager,
investir dans les loisirs... La part de l’alimentation dans le

2  C’est l’économiste Jean Fourastier qui forge l’expression en 1979, dans son ouvrage :
Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975 (Fayard, Paris, 1979,
rééd. Hachette Pluriel no 8363).

21
Et si on mangeait local ?

budget familial baisse continuellement, passant de près


de la moitié dans l’immédiat après-guerre à moins d’un
tiers en 1960, et arrivant aujourd’hui à moins de 15 %3.
Résultat de toute cette évolution : le lien entre le
producteur initial et le consommateur est rompu.
Certains agriculteurs, parmi les plus anciens, vivent
d’ailleurs cela comme une libération, se souvenant des
contraintes et avatars de la vente au consommateur final.
Quoi qu’il en soit, vers les années 1990, il n’est pas rare
d’entendre affirmer que « la vente directe, c’est du passé ».
Sauf peut-être dans certaines régions du Sud-Est de la
France, où la variété des produits disponibles autorise la
survivance de la vente à la ferme ou sur les marchés
locaux, qu’on appelle officiellement « de plein vent »
pour les distinguer des halles4 présentes en centre-ville.
La messe est dite, alors ? Non, car depuis le début des
années 2000, la vente directe, et plus largement les
« circuits courts », font un retour en force en France. Bien
entendu, un tel mouvement de société ne naît pas de rien.
Dès les années 1960-1970, des pionniers ont, à leur
manière, ouvert la voie.

Société de consommation et premières alternatives


en France

Durant la deuxième moitié des années 1960, une vague


de contestation parcourt le monde occidental — au sens
large puisque le Japon est également touché. Même s’ils
ne participent pas directement aux mouvements sociaux,
nombreux sont ceux qui s’interrogent sur leur mode de

3  Ce taux reste cependant plus élevé que dans d’autres pays (il est de 7 % en Alle-
magne) et tend à remonter.
4  Ces halles sont en général le fief quasi exclusif de revendeurs, souvent spécialisés
dans des produits haut de gamme pour capter la population aisée des centres-villes.

22
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

vie (« métro, boulot, dodo ») et sur ce que l’on appelle


désormais la « société de consommation ». Cela se
traduit, surtout à partir du début des années 1970, par
l’envie d’un retour à la terre. Beaucoup en rêvent, une
minorité franchit le pas. Des citadins, jeunes et éduqués
pour la plupart, et en général porteurs de visions alter­
natives de la vie en société, se réfugient à la campagne,
espérant pouvoir y vivre d’une manière plus conforme à
leurs idéaux. Ceux que l’on n’appelle pas encore des néo-
ruraux ou des « alters » — on les nomme plus volontiers
hippies ou « baba cools » — se mettent à l’agriculture ou
à l’artisanat pour survivre. Ils apportent avec eux une
conception différente du rapport à la nature — le mot
« écologie » est alors sur toutes les lèvres — et s’inspirent
des préceptes de l’agriculture biologique5. Beaucoup
échouent assez rapidement pour diverses raisons (incom-
pétence en matière agricole, méconnaissance des réalités
sociales du milieu rural, problèmes internes) mais ceux
qui réussissent leur reconversion s’implantent durable-
ment et proposent des produits de qualité en vente
directe. Les emblématiques fromages de chèvre, par
exemple...
Dès les années 1970, et plus encore dans les années
1980, certains agriculteurs établis se tournent eux aussi
vers la vente directe. Pas question ici d’activisme ou de
vision alternative de la société : il s’agit essentiellement de
producteurs en proie — déjà — à des difficultés éco­­
nomiques et qui cherchent à diversifier leurs débouchés.
Ils exploitent en général de petites fermes peu adaptées
aux exigences du système agro-industriel et voient dans

5  Après de premières formulations dans les années 1920-1930, souvent teintées de


spiritualisme, le concept d’une agriculture sans intrants de synthèse s’est établi dans
les années 1940-1950.

23
Et si on mangeait local ?

cette commercialisation directe une manière de survivre,


voire de reconquérir une autonomie. La vente directe
représente pour eux un espoir de solution anticrise.
Outre des initiatives individuelles, on voit apparaître les
premiers points de vente collectifs, en particulier dans la
région Rhône-Alpes. La vente directe progresse ainsi
— marginalement — durant les années 1980, avant que
la disparition accélérée des petites fermes mette fin à cette
avancée durant la décennie suivante.
Et les consommateurs, qu’en pensent-ils ? Le grand
public reste évidemment très éloigné du mode de pensée
alternatif, même durant les années 1970. Une inter­
rogation sur ce que l’on appellera bientôt la « malbouffe6 »
émerge toutefois : une remise en cause des produits
transformés trop sucrés, trop gras, trop salés, pauvres en
fibres végétales, voire « trafiqués ». Films et chansons,
entre autres, brocardent cette nourriture insipide ou
même supposée dangereuse. Dès 1964, Jean Ferrat évoque
l’exode rural et le « poulet aux hormones » dans sa chan-
son « La montagne ». Dans la décennie suivante, le sujet
devient courant, même dans des comédies grand public
(L’Aile ou la cuisse de Claude Zidi en 1976, par exemple).
Dans un pays à forte tradition gastronomique, attaché au
goût des aliments des différents terroirs, les produits
industriels et uniformisés ont mauvaise presse. Paradoxa-
lement, le succès commercial de ce type de nourriture ne
se dément pas. Il reste en effet difficile de changer ses
habitudes d’approvisionnement, surtout en l’absence de
propositions alternatives pratiques et adaptées au mode
de vie contemporain. Une minorité de convaincus se

6  Le terme apparaîtra en 1979 dans l’ouvrage de Joël et Stella de Rosnay : La


Malbouffe : Comment se nourrir pour mieux vivre (Éditions Olivier Orban, Paris,
1979).

24
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

tourne vers les produits « bio », créant dans les années


1970 et surtout 1980 des coopératives d’approvision­
nement — le réseau Biocoop se constituera en 1984.
Cependant, la question du circuit de commercialisation
ne se pose pas en tant que telle dans les Biocoop : seuls
importent le mode de culture et la qualité supposée des
produits. Même si celle-ci, sur le plan gustatif et de la
praticité, en dissuade plus d’un : céréales complètes, légu-
mineuses… L’offre bio, souvent austère, exige à cette
époque une solide volonté militante. De plus, dans une
société qui s’individualise, le développement de ces
magasins s’accompagne souvent de la promotion de
thérapies « alternatives » en tous genres, d’accompagne-
ment au développement personnel, contribuant à forger
une image sectaire de ce type d’alimentation7. L’insatis-
faction diffuse des consommateurs « lambda », quant à
elle, ne débouche sur rien. Elle ne se concrétise pas encore
en une demande assez forte pour modifier les termes de
l’échange et susciter l’émergence de nouveaux circuits. Il
faudra attendre encore quelques années pour cela, tout
au moins en France.

Un mouvement qui gagne le monde

Si la contestation du modèle agro-industriel, avec ses


conséquences en termes de qualité de la nourriture, de
dégâts environnementaux et de situation sociale des
agriculteurs, reste marginale en France, ce n’est pas
forcément le cas ailleurs dans le monde. Dès les années
1960, des initiatives réunissent consommateurs et
producteurs pour inventer de nouvelles manières de

7  Le régime « macrobiotique », souvent prôné dans ces milieux, fait effectivement


partie d’un système philosophique plus global créé par le Japonais Georges Ohsawa.

25
Et si on mangeait local ?

produire, de distribuer et d’acheter des aliments, et


finale­ment de vivre ensemble. Ce mouvement aura des
répercussions concrètes dans notre pays au début du
xxie siècle, lorsque la situation s’y prêtera. Aussi est-il
nécessaire de lui consacrer quelques lignes.
Tout a commencé au Japon, un pays particulièrement
affecté par la pollution industrielle durant les décennies
d’après-guerre. Les images de la tragédie de Minamata,
en particulier des enfants nés malformés et déficients
mentaux du fait de l’intoxication de leurs mères, ont fait
le tour du monde. Une usine pétrochimique de la société
Chisso a en effet rejeté en mer, durant des années,
plusieurs centaines de tonnes de mercure. Celui-ci s’est
accumulé dans les tissus des poissons, empoisonnant
ceux qui les consommaient — et en particulier les familles
de pêcheurs — autour de cette baie du Sud du Japon.
Cette catastrophe a profondément marqué les esprits. Les
années 1960 voient monter dans le pays une forte inquié-
tude quant à la qualité de la nourriture (riz, poissons,
etc.), en lien avec la pollution industrielle des eaux et
l’usage immodéré des pesticides chimiques en agri­
culture. Car, au lendemain de la guerre, l’agriculture
japonaise a suivi le même chemin que celle de l’Europe.
C’est dans ce contexte qu’en 1965 un collectif de mères
de famille de Tokyo crée un groupement d’achat, en
col­laboration avec des médecins et des chercheurs en
agronomie. L’initiative commence avec le lait. L’idée est de
s’adresser aux producteurs pour obtenir des garanties sur
la qualité de ce qu’elles donnent à boire à leurs enfants. Le
contrat est clair : le groupe de citadines s’engage à acheter
par avance, à l’année, la production de l’éleveur ; en retour
celui-ci n’utilisera pas de produits chimiques. Les fonda-
mentaux du mouvement qui traversera le monde sont
posés : engagement réciproque entre consommateurs et

26
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

producteurs, choix d’une agriculture respectueuse de


l’environnement et de la qualité des produits. Le concept
de teikei — c’est ainsi que s’appelle ce type de circuit au
Japon, que l’on prononce là-bas « têkê » — est né. Il sera
très vite étendu à d’autres produits que le lait, en particu-
lier les fruits et légumes. En octobre 1971, une association
nationale rassemble producteurs et consommateurs pour
promouvoir le développement de l’agriculture biologique
et les teikei en tant que système commercial indépendant
du marché agricole conventionnel : la Japan Organic Agri-
culture Organization (JOAA). En 1978, celle-ci publiera
une charte énonçant les dix principes des teikei. Retenons
ici l’essentiel, qui sera repris partout dans le monde :
l’achat à l’avance (généralement à l’année) de paniers
hebdo­madaires, de la part d’un groupe de citadins, auprès
d’un producteur qui s’engage pour sa part à pratiquer une
agriculture d’inspiration « biologique » et à distribuer lui-
même, directement, ses produits. En achetant à l’avance,
les consommateurs s’engagent à accepter les conséquences
d’éventuels problèmes rencontrés pendant la production.
En agriculture, en effet, les aléas ne sont pas rares :
imprévisibilité de la météo, attaques de ravageurs, etc.
L’établissement de telles relations, dans la durée, repose
sur la confiance réciproque. Le mot teikei reste difficile à
appréhender dans notre langue. Certains proposent la
notion de « copartenariat » et l’idée de « mettre un visage
derrière un produit », mais différentes autres traductions
surgissent çà et là. L’important pour les participants
semble être la recherche active d’une forme d’harmonie
au sein du groupe formé par le producteur et les acheteurs
d’une part, avec la nature d’autre part. Un concept propre
à la culture japonaise. Quoi qu’il en soit, le mouvement va
franchir dans les années 1980 une deuxième étape en
s’élargissant au reste du monde.

27
Et si on mangeait local ?

La première initiative européenne inspirée des teikei,


Les Jardins de Cocagne, voit le jour en 1978 près de
Genève sous le nom d’« agriculture contractuelle de
proximité ». Un agriculteur américain venu se former en
Suisse découvre ce système innovant. De retour dans le
Massachussetts, en 1985, il importe le principe, qui se
répand via les conférences sur l’agriculture biologique. Le
système de la Community Supported Agriculture (CSA)
vient de naître. Formellement, les groupes agissent de la
même manière que les teikei : un collectif de consom­
mateurs citadins achète à l’avance la production d’un
agriculteur qui livre directement des paniers d’aliments
produits sans intrants chimiques. Un fonctionnement
comparable, donc, mais dans un contexte culturel dif­­
férent. À la recherche de l’harmonie se substitue ici
l’accent sur la communauté, au sens américain de
community, défini par les gens habitant une même unité
géo­graphique — petite ville, quartier, etc. — et parta-
geant souvent certains intérêts communs, allant parfois
jusqu’à la prise en charge collective de la solidarité. Le
mouvement touche très vite le Canada, où il prospère
sous le nom de Community Shared Agriculture (CSA
également), ou « agriculture soutenue par la com­­
munauté » au Québec où le mouvement est très actif. En
1999, un couple d’agriculteurs du Sud de la France
— informé par leur fille ayant séjourné aux États-Unis —
assiste à une distri­bution de produits via un CSA de la
région de New York. En 2001, il créera une initiative de ce
type à Aubagne. Avec l’appui de l’association Alliance
PEC8, l’expérience débouchera très vite sur la création du

8  L’Alliance paysans-écologistes-consommateurs, proche de la Confédération paysanne


(syndicat agricole, voir plus loin), veut « promouvoir une agriculture respectueuse de
l’environnement, des territoires, des hommes » et « favoriser le développement des
productions de qualité reflétant la diversité des terroirs et la variété des savoir-faire ».

28
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

réseau des Amap (Association pour le maintien d’une


agriculture paysanne). C’est ainsi qu’un mouvement né
au Japon dans les années 1960 puis arrivé en Amérique
du Nord dans les années 1980, via la Suisse, atteint finale­
ment la France au début de ce siècle.

Urgenci : fédérer à travers le monde


Depuis 2004, le réseau Urgenci fédère toutes les formes de
« partenariats locaux solidaires entre producteurs et consom­
mateurs » à travers le monde. Autrement dit toutes les initiatives
de type teikei, Amap, CSA et autres Reciproco (le mot en usage au
Portugal), qui visent à instaurer un soutien collectif à l’agri­culture,
dans des productions aujourd’hui très diverses (légumes, exemple
le plus connu, mais aussi viande, fromage, produits de la mer…).
Au menu : recueil et diffusion d’information, conférences inter­
nationales, formation pour les agriculteurs, lobbying, etc.
À noter : des partenariats se construisent maintenant sur tous
les continents, des pays les moins avancés aux pays émergents,
en lien avec la croissance et les nouvelles attentes des
classes moyennes.

Pourquoi ce retour en force ?

Quand la vache et l’industrie agroalimentaire


deviennent folles
L’apparition des Amap, au début des années 2000, n’est
que l’aspect le plus médiatisé d’un engouement général
pour les circuits courts en France. Que s’est-il passé pour
qu’une préoccupation jusqu’ici marginale prenne d’un
seul coup une telle ampleur dans notre pays ? Une très
grave crise de confiance alimentaire, répondent la plupart
des observateurs. Sur un fond de méfiance généralisée,
l’épisode de l’encéphalopathie spongiforme bovine
(ESB), mieux connue sous le nom de « vache folle »,

29
Et si on mangeait local ?

survient en 1996. La transmission de la maladie à


l’homme, reconnue officiellement en mars par le Parle-
ment britannique, met le feu aux poudres. Non seulement
l’ESB fait peur en elle-même — elle peut entraîner chez
l’homme une forme de neurodégénérescence mortelle,
proche de la maladie de Kreutzfeld-Jacob — mais ce que
les circonstances de sa propagation révèlent des modes de
production de la viande renforce la méfiance vis-à-vis de
l’industrie agroalimentaire. Ainsi donc on nourrit de
grands herbivores, élevés « hors-sol », avec des sous-
produits animaux plus ou moins bien stérilisés ! Les
fameuses « farines de viande et d’os » seront par la suite
interdites dans l’alimentation des ruminants mais le mal
est fait. L’opposition aux organismes génétiquement
modifiés (OGM), qui tentent de débarquer en Europe à
la même époque, va dans le même sens. D’une manière
symptomatique, l’opinion publique s’émeut avant tout
d’une éventuelle dangerosité des produits alimentaires en
contenant. À tel point que d’autres enjeux autrement plus
pressants — socioéconomiques, agronomiques, voire
environnementaux — soulevés par les OGM passent
souvent au second plan, mais ceci est une autre histoire...
Quoi qu’il en soit, la méfiance alimentaire s’accroît,
d’autant que les crises sanitaires et scandales se succèdent :
fièvre aphteuse chez les porcs en 2001, grippe aviaire chez
les volailles en 2004-2006 (avec des alertes récurrentes
depuis), etc. En 2013, encore, l’affaire des « lasagnes à la
viande de cheval »9, si elle ne présente a priori aucun
risque sanitaire, met de nouveau en évidence la complexité
et l’opacité des circuits commerciaux en matière de

9  Des lasagnes « à la viande de bœuf » fabriquées en France (ainsi que d’autres
produits fabriqués et vendus en Europe) contenaient en fait de la viande de cheval
provenant, via un circuit complexe, d’abattoirs roumains.

30
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

nourriture. Toute la filière agroalimentaire (abattoirs,


inter­médiaires, négociants, transformateurs), à l’échelle
européenne, est concernée. Tout cela incite les consom-
mateurs à se tourner vers des sources qu’ils estiment plus
sûres. Certains se fient aux labels de qualité ou aux appel-
lations d’origine, d’autres, de plus en plus nombreux,
préfèrent se rapprocher des producteurs, donc fréquenter
ou recréer ce que l’on appelle désormais des circuits courts.

Teneur en méfiance garantie


De nombreux sondages d’opinion ont été lancés suite à la crise de
la vache folle, afin de mesurer le degré de confiance de la popu­
lation dans son alimentation. À titre d’exemple, en novembre
2000, le Journal du dimanche rapporte les résultats d’un sondage
de l’Ifop : 70 % des personnes interviewées sont « inquiètes » ou
« très inquiètes » et 75  % souhaitent l’interdiction des farines
animales. De plus, 60 % des sondés approuvent l’idée de ne plus
mettre de viande au menu des cantines scolaires.
Une fois la crise passée, la confiance ne revient pas vraiment.
Ainsi, selon deux sondages Ipsos de 2013 et 2014, 62  % des
Français estiment manquer d’information sur les produits alimen­
taires et 70 % s’inquiètent des effets de l’alimentation sur leur
santé. En 2013, ils s’affirment rassurés par la connaissance de
l’origine des ingrédients et la mise en place d’une démarche de
suivi de la qualité. En 2014, 23 % des personnes interrogées citent
« le fait que le produit soit vendu directement par le producteur »
comme un critère de sécurité.

Les agriculteurs en voie de disparition

À cela s’ajoute une autre crise, celle-ci économique et


sociale, dans le monde agricole. Les manifestations
parfois violentes, les opérations « coup de poing » qui
font régulièrement la Une des journaux reflètent un
profond malaise. Les agriculteurs ont pourtant adhéré,
pour la plupart, au mode de production agro-industriel,

31
Et si on mangeait local ?

encouragés par les organismes techniques — et formés,


pour ceux qui y passent, par le lycée agricole. Et les résul-
tats étaient là, pendant des décennies, que ce soit en
termes de revenus pour les exploitants qui « suivaient le
mouvement » ou de performance à l’exportation. Mais le
modèle issu des Trente Glorieuses arrive à bout de souffle.
Intégrés à des filières économiques sur lesquelles ils n’ont
aucun contrôle, prisonniers des critères d’attribution des
aides de la PAC10, les agriculteurs se voient imposer des
choix techniques reposant sur l’agrandissement constant
des exploitations et l’investissement en matériel et en
intrants. Résultat : un endettement devenu difficilement
supportable, surtout pour les jeunes qui démarrent et
dans certaines filières très concurrencées par d’autres
pays (lait, porc, fruits et légumes). L’installation hors
cadre familial — c’est-à-dire sur une exploitation non
transmise par la parentèle du nouvel agriculteur — est
d’ailleurs devenue quasiment impossible dans certaines
productions comme le lait ou la viande. Les producteurs
ont également de plus en plus de mal à répondre aux
exigences des centrales d’achat des quelques grands
groupes de distribution qui se partagent aujourd’hui le
marché de l’alimentation, en termes de caractéristiques
des produits (régularité des calibres et des apparences),
de volumes, de délais de livraison... Les prix de vente,
imposés par l’aval, ne permettent plus de faire face aux
échéances des prêts. Nombre d’exploitations disparaissent
— il en reste moins de 350 000 en France métropolitaine
en 2017, au lieu de 1 600 000 en 1970 (voir la figure).

10  Politique agricole commune, une politique de l’Union européenne. Il faut noter
qu’en 1999 est apparu le « deuxième pilier » de la PAC, le Fonds européen agricole
pour le développement rural (Feader), qui finance des projets de développement
territorial et reconnaît la notion de circuits courts. Celui-ci est cependant beaucoup
moins bien doté que le premier pilier.

32
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

Déclin du nombre des exploitations agricoles en France

1 600 000

1 007 000

700 000
515 000 475 000
350 000

1970 1988 2000 2010 2013 2017

Il reste aujourd'hui moins de 350 000 exploitations agricoles individuelles


(d'après la MSA). À l'opposé, le nombre d'entreprises agricoles sous forme
sociétaire (par ex., EARL) est en très forte augmentation.
Sources : Agreste (ministère de l'Agriculture) et MSA.

L’hécatombe touche en priorité les petites et moyennes


fermes. Et ceux qui restent souffrent : au début des années
2000, quand émergent les circuits courts, près d’un
ménage agricole sur quatre vit en dessous du seuil de la
pauvreté, et 40 % des exploitations dégagent un revenu
inférieur au Smic. Cette situation se traduit, entre autres,
chez les exploitants et ouvriers agricoles, par le taux de
suicides le plus élevé de toutes les catégories socio­
professionnelles. Or les quelques producteurs pionniers
qui, dès les années 1980, se sont tournés vers les circuits
courts de distribution semblent mieux s’en sortir, que ce
soit financièrement ou en termes d’autonomie.

Une consommation en quête de sens

Ces deux crises n’expliquent pas forcément tout. L’épi-


sode de la vache folle a certainement débouché sur une

33
Et si on mangeait local ?

exigence de traçabilité, mais les circuits courts comportent


d’autres dimensions. Leur émergence correspond égale-
ment à un mouvement plus vaste de remise en question
du modèle économique dominant. Rejet d’un mode de
vie purement consumériste, importance accordée aux
conditions sociales des travailleurs — par exemple refus
du travail des enfants dans les filiales délocalisées de
groupes internationaux — ou au bien-être animal, montée
en puissance des préoccupations environnementales,
soutien à une économie locale par opposition à ce que
l’on appelle désormais la mondialisation marchande...
Acheteurs et agriculteurs se rejoignent pour dépasser
leurs intérêts propres, donner du sens à leur action et
poser des choix porteurs de valeurs collectives nouvelles.
Ce n’est pas un hasard, par exemple, si le mouvement de
renouveau des circuits courts entretient des liens avec
celui de l’agriculture biologique alors que, strictement
parlant, les deux logiques sont indépendantes. Ce n’est
pas un hasard, non plus, si bien des points de vente parti-
cipant à des circuits courts proposent aussi des produits
d’origine beaucoup plus lointaine mais issus du
commerce équitable. Depuis son origine japonaise (les
teikei), en passant par les CSA nord-américains, l’émer-
gence de formes nouvelles de circuits courts s’appuie
ainsi sur des valeurs écologiques et de solidarité. Ces
considérations ont aussi leur place dans le renouveau
d’intérêt des consommateurs français pour ces modes de
vente au début de ce siècle.
Les grands distributeurs ont bien entendu senti le vent.
Ils ont adapté leurs arguments publicitaires, multipliant
les rayons « terroir » et les allégations plus ou moins
fiables d’origine des produits. En juin 1996, le groupe
Promodès (Continent, Champion, Codec, etc.) crée Reflets
de France, la première marque « territoriale » de la grande

34
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

distribution. La marque se vend toujours dans les


enseignes du groupe Carrefour (Carrefour, Dock, Promo-
cash, Proxi, 8 à Huit...) — aujourd’hui le troisième acteur
mondial de la grande distribution — qui a avalé Promo-
dès en 1999. Autre tendance forte, celle-ci due à l’indus-
trie agroalimentaire et non aux distributeurs : de
nombreux produits industriels arborent fièrement un
portrait de « producteur », de préférence en situation
champêtre et sans la moindre machine à l’horizon. Des
images mises en scène avec des mannequins et qui ne
reflètent en aucun cas la réalité des conditions de produc-
tion... La question des « circuits courts » ou des produits
vantés comme locaux que l’on peut trouver en grande
distribution exige donc un certain décryptage. Nous y
reviendrons.

Finalement, qu’est-ce qu’un « circuit court »


aujourd’hui ?

La définition officielle

Mouvement spontané né d’initiatives de citoyens, croi-


sant des formes traditionnelles et des innovations, le
renouveau des circuits courts s’est opéré indépendam-
ment des — et souvent en opposition aux — structures
institutionnelles régissant l’agriculture : Ministère,
chambres d’Agriculture, syndicats agricoles majoritaires,
politique agricole européenne, etc. À l’automne 2007, le
Grenelle de l’Environnement marque cependant les
prémisses d’une prise de conscience officielle puisque le
groupe de travail consacré aux « modes de production
et de consommation durables » recommande de
« promouvoir fortement les circuits courts ». Les Assises

35
Et si on mangeait local ?

de l’agriculture (2007-2008) enfoncent le clou, le groupe


Alimentation proposant de renforcer le lien entre
producteur et consommateur par le biais d’actions
locales. En 2009, le ministère français de l’Alimentation,
de l’Agriculture et de la Pêche se saisit finalement de la
question. Il met en place un groupe de travail regroupant
une cinquantaine de structures représentant toutes les
parties concernées, qui aboutit à une définition et propose
un « plan d’action pour développer les circuits courts »
(voir encadré). Ce sera le plan Barnier, du nom du
ministre de l’époque. Quelles qu’en soient les motivations
et les retombées concrètes, il s’agit là, indéniablement,
d’une forme de reconnaissance officielle d’un mouve-
ment qu’il est devenu impossible d’ignorer ou de consi-
dérer comme marginal ou éphémère. Comme dans
d’autres pays développés, les circuits courts se sont
solidement implantés dans le paysage français, prennent
de l’ampleur et créent ou maintiennent des emplois

Un plan en quatre axes


Issu d’un groupe de travail mis en place début 2009, le plan
Barnier s’articule en quatre grands axes :
• améliorer les connaissances sur les circuits courts et les
diffuser. Cela passera, entre autres, par l’inclusion de questions
relatives aux circuits courts dans le recensement général agricole
suivant, celui de 2010. Mais aussi par l’ouverture de fonds spéci­
fiques pour des projets de recherche-développement sur ce
thème, qui contribuent à la reconnaissance et au soutien d’asso­
ciations de développement « alternatives » aux organisations
dominant le secteur ;
• former les agriculteurs de la production à la vente ;
• favoriser l’installation d’agriculteurs en circuits courts ;
• mieux organiser les circuits courts.
Il s’agit toutefois d’un texte essentiellement incitatif : peu de
financements y sont directement attachés.

36
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

agricoles et ruraux. Les autorités en tirent les consé-


quences. Les circuits courts feront même bientôt leur
apparition dans les textes de deux lois, celle du 10 juillet
2010 « portant engagement national pour l’environ­
nement » et celle du 27 juillet 2010 sur « la modernisation
de l’agriculture et de la pêche ».
À l’occasion de son plan, le Ministère a donc avancé
une définition :
« Un circuit court est un mode de commercialisation des
produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du
producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à
condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire. » 

L’accent est ainsi mis sur le nombre de transactions


commerciales entre le producteur et le consommateur
final, sans autre critère. Cette définition assez floue peut
donner lieu à diverses interprétations. L’intermédiaire
peut tout aussi bien être une coopérative agricole, une
association engagée dans un projet militant de circuit
court, une plateforme Internet... ou un supermarché.
Dans tous les cas, il n’y a effectivement qu’un seul inter-
médiaire. Mais peut-on vraiment toujours parler de
« circuit court » ?

« Local », ça va jusqu’où ?

Sur le terrain, les acteurs utilisent d’autres critères pour


déterminer ce qui, à leurs yeux, relève — ou pas — du
circuit court. Plusieurs aspects, pourtant essentiels pour
la plupart des intéressés, sont en effet absents de la défi-
nition officielle. Tout d’abord la proximité géographique :
s’approvisionner en circuit court, c’est pour beaucoup
« manger local », l’idée étant de rapprocher producteurs
et consommateurs d’une même région et de minimiser

37
Et si on mangeait local ?

les transports. Le circuit court est alors entendu comme


un circuit de proximité, une appellation que certains
acteurs préfèrent car elle reflète mieux des préoc­cupations
comme le soutien à l’économie locale ou la (re)création
de liens sociaux. Cette dimension intéresse particulière-
ment les décideurs locaux ou les structures d’aide au
développement territorial. Mais jusqu’à quelle distance
peut-on parler d’un circuit de proximité ? Les frontières
départementales ou régionales, si elles correspondent
souvent aux territoires de compétence de ces inter­
venants, ne sont pas toujours pertinentes en pratique. Les
autorités françaises ne fixent aucune limite kilométrique.
L’idée de « 80 km au maximum » est parfois évoquée. Il
s’agit en réalité de la distance de livraison en dessous de
laquelle, pour de petites quantités de produits animaux
transformés à la ferme et remis directement au consom-
mateur, les règles de transport sont plus simples. Sans
pour autant remettre en cause les exigences sanitaires,
évidemment. Il s’agit donc d’une pure question d’agré-
ment sanitaire, transcrite du droit européen, et en aucun
cas d’une définition des circuits de proximité. L’idée
d’une distance maximale pour les circuits courts suscite
d’interminables débats. Les « locavores » anglo-saxons
— un terme né en 2005 à San Francisco — ont décidé
pour leur part de consommer préférentiellement des
denrées produites dans un rayon de 100 miles, soit envi-
ron 160 km. Avec eux, pas d’ambiguïté : ils ont clairement
adopté une démarche citoyenne de soutien à l’agriculture
locale. Cependant la limite retenue tient plus de la fasci-
nation du chiffre rond que d’une quelconque pertinence
agronomique ou économique. Si les Anglo-Saxons
avaient adopté le système métrique, ils revendiqueraient
sans doute 100 km... En 2012, dans son « Avis sur les
circuits courts alimentaires de proximité », l’Ademe

38
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

choisit le critère de 150 km pour définir les circuits courts.


En France, une récente plateforme de commande sur
Internet, La Ruche qui Dit Oui ! (voir plus loin), fixe pour
sa part la limite à 250 km. Un débat sans fin, donc,
d’autant qu’arrêter autoritairement un nombre maximal
de kilomètres se heurterait à la réalité. Les régions fran-
çaises ne proposant pas toutes la même gamme de
produits, et les consommateurs étant de plus en plus
citadins, la notion de proximité adopte nécessairement
des contours élastiques. Serait-il sensé, par exemple,
d’exclure des circuits courts un éleveur de bovins du
Massif central au motif que ses terres sont trop éloignées
des villes où l’on consomme la viande ? De même, un
Ardennais désirant de l’huile d’olive ou un Breton voulant
manger des pêches s’intéressera certainement plus au
nombre et à la nature des intermédiaires, au mode de
culture, à la traçabilité jusqu’au producteur et à la rému-
nération de ce dernier qu’à la distance parcourue... Cela
dit, sans fixer de limite kilométrique, tous les acteurs des

« Le local peut différer selon l’échelon »


« Il n’existe [...] pas de définition officielle des « circuits de proxi­
mité » dans la mesure où le droit européen, appliquant le principe
de l’absence de préférence nationale, n’y est pas favorable. Il est
vrai que le local peut différer selon l’échelon auquel on se place.
Ainsi, une commune qui approvisionne sa cantine avec des
produits locaux entend en général les produits des exploitations
immédiatement environnantes. Mais quand la communauté
urbaine de Bordeaux décide d’organiser un approvisionnement
local de l’ensemble de sa restauration collective, il est naturel que
le local puisse s’entendre à une échelle quasi régionale, ne serait-
ce que pour garantir des quantités suffisantes. […] La définition
d’un seuil kilométrique strict ne paraît donc pas nécessaire
puisqu’intrinsèquement variable. »
Brigitte Allain, Rapport d’information sur les circuits courts et la relocalisation
des filières agricoles et alimentaires, Assemblée nationale, 2015.

39
Et si on mangeait local ?

circuits courts s’accordent sur l’importance d’une


certaine proximité géographique dans leur démarche.
L’idée étant de participer à une économie locale, sur
laquelle les acteurs de terrain ont une prise et dont ils
voient les retombées.

D’autres critères oubliés : identité ou détails


des circuits courts ?

L’exigence d’un mode de production agricole respec-


tueux de l’environnement ne figure pas non plus dans la
définition de 2009. Techniquement, il n’existe certes
aucun lien nécessaire entre type d’agriculture pratiquée
(biologique, paysanne ou autre) et distribution en circuit
court. Il n’empêche, et nous y reviendrons, que cet aspect
de durabilité environnementale est un critère essentiel
pour les partisans des circuits courts. Autres aspects
importants qui n’apparaissent pas dans la définition : la
transparence, le partage de la gouvernance et la réparti-
tion équitable de la valeur ajoutée. Un circuit comprenant
deux intermédiaires techniquement utiles (un transfor-
mateur et un transporteur, par exemple) rémunérant
correctement le producteur et attentifs à des notions de
qualité et de durabilité, est certainement plus proche de
la notion de « circuit court » qu’une distri­bution à un
seul intermédiaire lorsque ce dernier est, par exemple, un
supermarché imposant ses conditions.

Des préoccupations partagées

Arrêter une définition stricte des circuits courts


masquerait donc la diversité des systèmes locaux et des
motivations. Aucun critère — nombre d’intermédiaires,
distance géographique, mode de production — n’est

40
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

pleinement satisfaisant à lui seul. Reste que toutes ces


initiatives répondent a minima à quelques préoc­cupations
communes, d’ailleurs clairement évoquées dans le plan
de soutien du Ministère. La définition officielle n’était
— peut-être — qu’un artifice pratique mais l’exposé des
motifs, si l’on peut dire, reprend clairement les enjeux
évoqués dans toutes les études consacrées à ce sujet. Tout
d’abord, répondre à une attente des consommateurs
quant aux produits eux-mêmes. Des critères comme la
fraîcheur, le goût, la qualité nutritionnelle, l’origine,
la réduction des emballages inutiles mais aussi l’informa-
tion sur les aliments et leur mode de production apparais­
sent ainsi. En achetant « local », et autant que possible
directement au producteur, le consommateur recherche
des produits différents de ce qu’il trouve en supermarché
mais aussi veut savoir d’où ça vient, comment cela a été
produit, etc. Autre grande préoccupation partagée par
tous : une plus juste rétribution de l’agriculteur. Des
marges supérieures puisqu’il n’y a plus (ou moins) d’inter­
­médiaire, un paiement immédiat — voire à l’avance dans
les systèmes de type Amap — sont censés améliorer ses
revenus, parfois même assurer la survie de l’exploitation.
Enfin, acheteurs comme producteurs cherchent dans la
plupart des cas à renouer un lien social, loin de l’anony-
mat des grandes surfaces pour les premiers et des centrales
d’achat pour les seconds. Une relation qui bien entendu
reste marchande mais dont la dimension sociale a disparu
dans les circuits longs.
Pour les agriculteurs qui s’y lancent, que ce soit inté-
gralement ou à titre de diversification de leurs débouchés,
il s’agit non seulement de capter une plus grande part de
la valeur ajoutée de leurs produits mais aussi, et peut-être
surtout, de retrouver un sens et une autonomie dans leur
travail, de s’affranchir des contraintes des filières. D’autres

41
Et si on mangeait local ?

sont à la recherche d’un lien social distendu ou d’une


meilleure reconnaissance de leur métier par les citadins.
Au total, différentes logiques sont à l’œuvre et concourent
à la fois au renouveau des formes anciennes — vente
directe à la ferme ou sur le marché de plein vent — et à
l’émergence de nouveaux types de circuits courts répon-
dant à des attentes particulières.

Des circuits pour tous les goûts


Si l’éclosion des Amap symbolise le renouveau des
circuits courts, la vente directe à la ferme et celle sur les
marchés de plein vent restent les modes de commerciali-
sation les plus utilisés par les producteurs. De nouvelles
formes surgissent cependant sans arrêt dans un paysage
en constante reconfiguration : magasins de producteurs,

Points de vente en circuits courts les plus fréquentés

€ €
4% Amap

Revendeurs
5% sur les marchés Magasins bio
4%
GMS
8%
Producteurs sur les
marchés de plein vent
37 %
Petits commerçants
8%
Marchés Fermes
9% de producteurs 16 %
Magasins
9% de producteurs

Source : projet Codia, financé par le Casdar (2013). Base : 603 acheteurs Infographie Inra
en circuits courts (sur 1 425 interviewés). © Véronique Gavalda

42
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

marchés paysans, vente de paniers sur Internet, drives


fermiers, etc. Il existe ainsi aujourd’hui des systèmes
répondant à toutes les motivations, des plus pratiques
aux plus militantes, ou correspondant à différents
moments de la vie… ou de la semaine. De leur côté, les
producteurs panachent souvent leurs débouchés, uti­lisant
plusieurs canaux de commercialisation — y compris des
circuits longs pour une partie de leur production. Il ne
s’agit pas de dresser un catalogue complet des formes de
circuits courts existantes (voir la figure ci-dessus) mais de
souligner quelques lignes de force. Chacun, producteur
comme consommateur, fait son choix en fonction de
ses priorités, du moment, de ses contraintes et de l’offre
disponible localement.

Achat direct ou indirect ?

Longtemps, la question ne s’est pas posée : que ce soit


à la ferme ou sur le marché, producteur et consommateur
se rencontraient personnellement et procédaient à la
transaction. C’est précisément ce contact direct, ce lien
social perdu que beaucoup d’acteurs des circuits courts
veulent récréer. Formes traditionnelles ou nouvelles
venues comme les Amap, les marchés de producteurs ou
les points de vente collectifs (PVC, voir plus loin) s’ap-
puient sur ce principe du face-à-face. Cela implique
toutefois que l’agriculteur consacre à la distribution et la
commercialisation, activités particulièrement chrono-
phages, un temps qu’il ne pourra plus investir dans la
production. Il lui faut de plus déployer ou acquérir des
compétences nouvelles : organiser la logistique, présenter
un produit, fixer un prix, vendre au détail... Le consom-
mateur doit pour sa part aller à la rencontre de plusieurs
producteurs s’il veut accéder à une certaine diversité

43
Et si on mangeait local ?

alimentaire. Une démarche aisée quand il existe un


marché de producteurs ou un PVC à proximité, mais
moins évidente s’il s’agit de fréquenter plusieurs circuits
différents ou de circuler entre les exploitations (avec en
plus le coût environnemental que cela suppose). Surtout
pour un citadin.
C’est en partie en réponse à ces préoccupations
pratiques que sont apparues de nouvelles formes de
médiation : vente par correspondance, groupements ou
réseaux d’achats s’appuyant sur Internet, intermédiaires
fonctionnant sur un mode associatif, boutiques en dépôt-
vente, plateformes d’approvisionnement des collectivi-
tés... Selon les cas, le produit reste ou non la propriété de
l’agriculteur jusqu’à sa cession au consommateur final.
Les distributeurs classiques eux-mêmes n’ont pas tous
disparu du paysage. Même si le petit commerçant s’ap-
provisionnant directement chez le producteur tend à
devenir rare, certains restaurateurs et artisans des métiers
de bouche, à l’instar des bouchers abatteurs, restent
attachés à la formule. De plus, comme nous l’avons
mentionné plus haut, les GMS elles-mêmes commencent
à proposer des produits achetés localement et directe-
ment, sous la responsabilité de chaque magasin. Ou
simplement les valorisent, car cette pratique est parfois
ancienne, mais dans tous les cas restreinte à une très
petite partie de leur gamme. À ce stade, la notion de lien
social devient toutefois problématique.

Acte militant ou démarche consumériste ?

Image souvent caricaturale, méconnaissance, aspect


effectivement militant des formes les plus médiatisées :
un acheteur potentiel peut hésiter à se fournir en circuit
court de peur d’avoir à adhérer à un mouvement de

44
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

pensée, comme dans le cas de certains réseaux bio. Alors


qu’il désire simplement s’approvisionner en produits
sains, dans une relation équilibrée avec le producteur...
En fait, c’est le consommateur qui apporte — ou pas —
ses propres valeurs. À chacun ses motivations, qui
peuvent être multiples et évolutives.
Les études sociologiques auprès des consommateurs
font émerger trois grands types de motivations pour aller
vers les circuits courts. D’une part la réassurance, que ce
soit par la recherche d’une alimentation plus sûre ou, de
manière plus diffuse, en mettant en avant des notions
comme la « naturalité » ou la « tradition » afin de se
rassurer face à un monde de plus en plus inquiétant.
D’autre part l’hédonisme, dimension plus personnelle :
les produits sont en général plus frais, ont souvent
meilleur goût. Enfin l’envie de donner un sens à sa
consommation : soutien à l’agriculture locale et/ou prise
en compte de préoccupations environnementales.
La pondération entre ces trois motivations dépend
de chacun, voire du moment. Elle intervient dans
l’orientation vers tel ou tel circuit d’approvisionnement,
en gardant à l’esprit que les contingences pratiques
— accessibilité, emploi du temps, information, prix —
restent importantes.
Du côté de l’offre, les formes existantes de circuits
courts diffèrent par le degré d’engagement qu’elles
supposent de la part des participants, ou par la cohérence
entre leur mode de fonctionnement et les valeurs
affichées. Certaines, dont les Amap, reposent effective-
ment sur la volonté de producteurs désireux de changer
leurs rapports avec les consommateurs et leur empreinte
environnementale. D’autres correspondent à une logique
plus strictement commerciale. Entre ces deux extrêmes,
on trouve toute la palette des attitudes possibles vis-à-vis

45
Et si on mangeait local ?

du mode de production des aliments ou du modèle


économique de distribution, entre autres.

Quels sont les acteurs en présence ?


Il n’est pas inutile de présenter ici quelques-uns des
principaux protagonistes actuels puisqu’ils reviendront
au fil de ces pages. Les circuits courts, tout au moins leur
renouveau, sont nés d’un foisonnement d’initiatives
locales, d’engagements de producteurs en marge du
modèle dominant ou essayant juste de s’en sortir, de
démarches de citoyens engagés ou simplement inquiets.
Les intervenants plus organisés à l’échelle nationale ont
pris le train en marche, plus ou moins vite, alors que
certains de leurs relais locaux avaient déjà pu jouer un
rôle important dans ces dynamiques. Dans tous les cas, ils
apportent leur contribution, chacun à sa façon.

Les Civam : une réflexion collective

Nés à la fin des années 1950, dans le Sud de la France,


les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le
milieu rural, ou Civam11, sont des groupes d’agriculteurs
qui se constituent en mouvement d’éducation populaire.
Soutenus par la Ligue de l’enseignement et le ministère
de l’Agriculture, ils sont au départ très liés à la moderni-
sation de l’agriculture d’après-guerre. Leur particularité :
il s’agit d’initiatives locales, parties de la base et privilé-
giant la réflexion collective. Revendiquant des principes
d’autonomie, d’échange entre agriculteurs (y compris
avec les non-membres du groupe) et de dialogue avec la

11  Dans le Nord, les Foyers de progrès agricole jouent le même rôle.

46
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

société en général, les Civam offrent des formations et de


l’appui technique.
Dès les années 1970-1980, des groupes perçoivent les
limites du modèle agro-industriel et se mettent à
promouvoir des pratiques alternatives comme l’agri­
culture biologique. C’est donc tout naturellement que
certains d’entre eux accompagnent les expériences pion-
nières de vente en circuit court qui surgissent alors.
Parfois en se heurtant à la culture technique dominante
dans le milieu, comme en Bretagne, une région très
engagée dans l’agriculture intensive où les Civam se
dévelop­pent pourtant dans les années 1980-1990. La
Fédération nationale des Civam prend le virage des
circuits courts au début des années 2000, constatant que
des groupes de plus en plus nombreux s’y sont engagés.
Aujourd’hui très impliquée, la Fédération porte par
exemple le RMT Alimentation locale (voir plus loin), en
valorisant la longue expérience de la délégation bretonne,
en charge de co-animer ce réseau avec l’Inra.

Les chambres d’Agriculture, institutions reflétant


les tendances locales

Instituées par une loi du 3 janvier 1924, les chambres


d’Agriculture (CA) régionales et départementales sont
des établissements publics économiques, au même titre
que les chambres de Commerce ou les chambres des
Métiers. Les CA, gérées par des élus professionnels,
perçoivent entre autres des recettes fiscales assises sur la
production des fermes. Elles représentent la profession
agricole auprès des instances publiques et organisent
un conseil technique auprès des exploitants. Dans la
quasi-totalité des départements et des régions, leurs diri-
geants émanent de la Fédération nationale des syndicats

47
Et si on mangeait local ?

d’exploitants agricoles (FNSEA, voir plus loin). Pas


étonnant donc que la plupart d’entre elles aient long-
temps été réticentes, pour dire le moins, vis-à-vis de
l’émergence de pratiques agricoles « différentes » remet-
tant en cause le modèle soutenu par ce syndicat majo­
ritaire. Agriculture biologique, agrotourisme, circuits
courts : autant d’in­novations que pendant longtemps,
elle n'ont que peu considérées.
Il convient cependant de nuancer. L’Assemblée perma-
nente des chambres d’Agriculture (APCA), instance
nationale des CA, a infléchi ces dernières années son
discours initialement réticent sur les circuits courts.
Certaines chambres locales, confrontées à la réalité du
terrain, ont en effet poussé en ce sens… Dès 1988, l’APCA
déposait ainsi la marque Bienvenue à la Ferme (voir plus
loin) suivie en 2007 des Marchés des Producteurs de Pays,
à l’initiative de chambres locales. Les chambres d’Agri­
culture portent également des innovations telles que les
drives fermiers et les « paniers fraîcheurs » distribués par
des producteurs dans certaines gares de France.
Une CA reflète la sensibilité de ses électeurs et donc le
type d’agriculture pratiqué localement. C’est pourquoi
certaines sont actives, et parfois depuis longtemps, dans
le domaine des circuits courts. C’est le cas dans le Pas-de-
Calais mais surtout dans les régions du Sud de la France,
des territoires aux productions diversifiées et peu
touchées par l’intensification. Sans vouloir dresser un
tableau d’honneur, des CA en Rhône-Alpes, Aveyron,
Drôme, Ariège, entre autres, ont lancé, parfois depuis
longtemps, des initiatives en faveur des circuits courts.
Certaines seront évoquées au fil des pages suivantes.
Aujourd’hui encore, les CA abordent les circuits courts
avant tout sous l’angle de la diversification des débouchés,
privilégient la vente directe et insistent — c’est évident —

48
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

sur la dimension professionnelle. Pour elles, les circuits


courts sont essentiellement des modes de distribution et
d’autres aspects, comme l’agriculture durable ou l’éco­
nomie solidaire, n'ont pas à y être associés directement.

Les syndicats agricoles : deux visions de l’agriculture

La Fédération nationale des syndicats d’exploitants


agricoles, ou FNSEA, est née en 1946 de deux organisa-
tions opposées mises en place sous l’Occupation : la
Confédération générale de l’agriculture et la Corporation
paysanne. Seule représentation syndicale significative de
la profession durant des décennies, elle demeure
aujourd’hui encore largement majoritaire. Très engagée
dans le modèle d’agriculture défini durant l’après-guerre,
elle est longtemps restée méfiante vis-à-vis de toute
remise en question, en particulier de l’impact environ­
nemental de ce type de pratique. La FNSEA rassemble
cependant sous sa bannière des syndicats différents, qu’ils
soient locaux ou spécialisés par filière. Leur position vis-
à-vis des circuits courts, voire leur engagement, peut
donc varier. Au niveau central, la FNSEA a suivi une
évolution comparable à celle des chambres d’Agriculture,
ce qui n’a rien d’étonnant compte tenu du mode de
constitution de ces dernières.
La Confédération paysanne est née en 1987 de la
réunion de deux syndicats agricoles minoritaires : la
Fédération nationale des syndicats paysans et la Confédé-
ration nationale des syndicats de travailleurs paysans. Elle
est aujourd’hui membre du réseau international paysan
Via Campesina. Le mot « paysan » est ici revendiqué. Il
signale une agriculture qui se veut respectueuse de l’envi-
ronnement et attentive aux conditions sociales de
production et de commercialisation, s’opposant ainsi

49
Et si on mangeait local ?

clairement au modèle agro-industriel dominant. La


« Conf ’ » est donc naturellement proche des initiatives de
circuits courts, en particulier des Amap.

Le RMT Alimentation locale, une initiative fédératrice

Les organisations professionnelles agricoles (Civam,


chambres d’Agriculture, Organismes nationaux de
vocation agricole et rurale, réseau des Coopératives d’uti-
lisation de matériel agricole, etc.), de même que les
instituts techniques agricoles, sont aujourd’hui investis
dans les circuits courts, mais de manière encore peu coor-
donnée. De plus, les circuits courts impliquent bien
d’autres structures, avec lesquelles le lien reste à construire
ou doit être renforcé : collectivités locales, associations de
consommateurs mais aussi laboratoires de recherche et
organismes de formation.
D’où la création, en janvier 2015, du réseau mixte
technologique (RMT) Alimentation locale — ou plus
précisément « Chaînes alimentaires courtes de proximité
pour une alimentation durable » — visant à fédérer tous
ces acteurs pour échanger leurs expériences et surtout,
construire une expertise collective sur ces circuits,
dévelop­per des outils, des formations, afin d’appuyer les
acteurs et initiatives locales.
Soutenu par le ministère de l’Agriculture, porté par la
Fédération nationale des Civam12, co-animé par la fédé-
ration des Civam de Bretagne et l’Inra, il rassemble près
de 80 structures et est ouvert à tout organisme voulant
contribuer à la production collective.

12  La Fédération nationale des Civam a fusionné avec d’autres réseaux de dévelop­
pement pour former, fin 2016, le Réseau Civam. C’est donc sous ce nouveau nom
qu’on peut aujourd’hui la trouver.

50
Les circuits courts : une nouvelle mode ?

Au menu, donc : travaux de groupe, synthèses à


destination des professionnels et du grand public,
production d’outils et de méthodes, conception de
modules de formation, identification de questions émer-
gentes et construction de nouveaux projets de recherche-
développement.

Les différents types de circuits courts

Chez Mimi

Vente directe Circuits courts


(vente par le producteur lui-même) (vente à un intermédiaire et/ou
absence du producteur lors de la vente)

En En collectif En En En
individuel producteur/ collectif de collectif individuel
consommateurs producteurs

Avec
engagement

Foires Amap Foires Magasin de Panier sur


Paniers (marché à producteurs Internet
la ferme)

Vente Marchés Intermédiaire Restaurateurs


à la ferme paysans ou de associatif
ou stand producteurs (par ex., épicerie
associative)
Marchés Panier/stand Intermédiaire Commerces
classiques collectif coopératif (détaillant,
de plein vent (par ex., magasin GMS)
de coopérative)

Paniers Point de vente Collectivités (par ex., cantines)


collectif et
drive fermier

51
2
Comment m’y retrouver
en pratique ?

Beaucoup de Français aujourd’hui connaissent et


peuvent décrire au moins une forme de circuit court.
Pourtant, la fréquentation régulière reste l’affaire d’une
minorité de la population et les achats ne représentent
encore qu’une faible part du marché alimentaire total.
Pourquoi ? Pour des raisons d’accessibilité, d’abord. On
ne trouve pas partout ces types de circuit. De plus, même
si les points de vente de toutes natures se multiplient,
l’information est encore mal diffusée. Encore faut-il enfin
ne pas s’arrêter à ce qu’en disent certains médias, lesquels
propagent une image simpliste et souvent biaisée. Entre
accusations d’élitisme (« des produits de luxe pour bobos
parisiens ») et angélisme naïf (« sauvez la planète en
faisant vos courses »), comment le consommateur, et
surtout le novice, peut-il s’y retrouver ? Les pages qui
suivent tentent d’apporter une réponse à des questions
pratiques comme « où chercher ? » et bien sûr « que
vais-je trouver ? ».

52
Comment m’y retrouver en pratique ?

Où les trouver ?
En pratique, le novice désireux de manger local ne sait
pas toujours vers où se tourner pour trouver un point de
vente près de chez lui. Les collectivités locales, syndicats
d’initiative, associations et autres acteurs multiplient les
annuaires, plaquettes, guides ou sites Internet. Même le
ministère de l’Agriculture consacre une page à la ques-
tion13. Ce qu’a fait aussi par exemple l’ex Languedoc-
Roussillon, entre autres régions, à travers un site Internet
indiquant où « manger local »14. Ces supports recouvrent
toutefois des conceptions assez disparates du circuit court
et, surtout, ne peuvent pas suivre la rapide évolution du
paysage. Autrement dit, l’information n’y est pas forcé-
ment à jour et mérite pour le moins une vérification. Les
plus habitués à la recherche sur Internet sauront trouver
eux-mêmes directement les adresses proches de chez eux.
Attention, là encore, à la « fraîcheur » de l’information.
Des initiatives disparaissent mais leur site Web demeure.
Ne pas hésiter, donc, à téléphoner ou envoyer un message...
L’explorateur peut aussi miser sur le fait que les acteurs
locaux de ce type de circuits se connaissent, au moins de
proche en proche. Il suffit donc de trouver un point
d’entrée, poser quelques questions au bon endroit, pour
démarrer. Pour beaucoup d’acheteurs réguliers en circuit
court, le premier pas a souvent consisté à se rendre au
marché, tout simplement, même si certains se sont
ensuite orientés vers d’autres formes plus adaptées à leurs
besoins ou leurs envies. Ou à s’adresser directement à un
producteur en zone rurale ou périurbaine, puisque les
circuits courts s’y développent aussi largement ces

13 http://agriculture.gouv.fr/consommation-manger-local-partout-en-france.
14 www.manger-local.fr/ou-trouver.

53
Et si on mangeait local ?

dernières années. Cela posé, comment se présentent les


différents types de circuits courts disponibles, et où les
trouve-t-on généralement ?

La vente à la ferme

Les ruraux ou les citadins se rendant à la campagne pour


le week-end ou les vacances peuvent acheter directement à
la ferme. Beaucoup de producteurs le proposent et
signalent cette possibilité, ne serait-ce que par des pancartes
en bord de route. Bien entendu, la vente directe sur place
se pratique depuis toujours dans les campagnes. Avant-
guerre, les citadins venaient ainsi volontiers s’approvision-
ner à la ferme, et ce type de vente est resté très important
pour un produit comme le vin. L’avènement des formes
modernes de distribution a changé la donne mais la vente
à la ferme reste, aujourd’hui encore, un des circuits courts
les plus fréquentés par les consommateurs, avec les
marchés. Elle a toutefois beaucoup évolué : le visiteur est
en général accueilli dans un lieu dédié, répondant aux
normes sanitaires et pourvu de tous les équipements d’un
magasin, comme par exemple des étals réfrigérés pour les
produits laitiers ou carnés. Les trans­actions sont enregis-
trées, ou font au moins l’objet d’une facture. Bien souvent,
les producteurs vendant sur place proposent un site Inter-
net : une recherche sur le Web avant de partir en week-end
ou en vacances peut donc se révéler fructueuse.
En 1977, La Ferme du Logis, à Jumeauville dans les
Yvelines, lançait déjà une variante ludique : la cueillette
par le client. En l’occurrence, il s’agissait de pommes, et
cela se pratique encore surtout pour des fruits et légumes
faciles à récolter à la main. Le produit roi étant la fraise,
qui attire tant les enfants... Par ailleurs, un producteur
seul ne pouvant proposer toute la gamme des produits

54
Comment m’y retrouver en pratique ?

que pourraient souhaiter les clients, une autre formule


est apparue ces dernières années : le marché à la ferme. Il
rassemble, régulièrement ou occasionnellement, produc-
teurs et transformateurs « du coin » sur une même
exploitation, et fait en général l’objet d’une publicité.

De l’agrotourisme à la vente directe


En 1988, les chambres d’Agriculture déposaient la marque Bien-
venue à la Ferme, visant à promouvoir les agriculteurs accueillant
des hôtes à la ferme. Cette diversification dans l’agrotourisme est
une des premières que ces institutions aient envisagées — après
quelques réticences car ce n’était pas « le métier ». Bien entendu,
lorsqu’on accueille des visiteurs, on peut aussi vendre des
produits en direct, même si à l’origine ce n’était pas le but princi­
pal. Aujourd’hui, avec le succès des circuits courts, le site de
Bienvenue à la ferme est devenu une page orientant l’internaute
vers diverses formules de vente directe — vente à la ferme, maga­
sins de producteurs, drives fermiers (depuis 2012), Marchés des
Producteurs de Pays — soutenues par les chambres d’Agriculture15.
Dès 1987, la Confédération paysanne avait créé un réseau simi­
laire, Accueil Paysan, accompagné d’une charte. Le principe reste
clair : « L’accueil paysan doit être pensé et organisé par ceux qui
en vivent. » Le modèle a aujourd’hui essaimé dans une trentaine
de pays sur tous les continents16.

Une démarche de vente sur place, seule ou combinée à


d’autres modes de commercialisation directe, peut même
sauver une exploitation. Par exemple à Saint-Pern, dans
l’Ille-et-Vilaine, un éleveur de truies décidait en 1984 de
ne plus suivre la course à l’intensification — qui le menait
à une ruine annoncée — mais au contraire de réduire son
cheptel et miser sur une production de qualité en plein
air (labellisée « Agriculture biologique » en 1998). Son fils

15 www.bienvenue-a-la-ferme.com.
16 www.accueil-paysan.com.

55
Et si on mangeait local ?

s’est formé pour assurer la transformation sur place et, en


1992, la ferme a commencé à diffuser directement ses
produits dans un point de vente collectif (voir plus loin),
Le Brin d’Herbe, à Vezin-le-Coquet, en périphérie de
Rennes. Le Gaec (groupement agricole d’exploitation en
commun) du Pressoir a ensuite monté un véritable maga-
sin à la ferme qui, outre sa propre charcuterie, propose des
aliments bio ou équitables. Il organise de plus tous les
samedis un marché à la ferme avec des producteurs voisins
et utilise d’autres circuits courts, comme Le Brin d’Herbe
ou des paniers, pour écouler sa production.

Quand les producteurs arrivent en ville

Pour la majorité des consommateurs, désormais cita-


dins, la question se pose autrement. Comment acheter
directement les produits agricoles lorsqu’on vit loin des
fermes et que l’on n’a pas le temps — ni forcément le
désir — de s’y rendre ? En allant au marché, tout d’abord.
C’est en effet là que se réalise, encore aujourd’hui, la majo-
rité des ventes en circuit court hors de la ferme. Forme
traditionnelle de commerce, connue de tous, les marchés
de plein vent se maintiennent dans les villes malgré la
concurrence des GMS. Attention toutefois : dans un
marché classique, les places — attribuées par la mairie —
sont pour la plupart occupées par des revendeurs s’ap­
provisionnant aux marchés de gros. Ces derniers, bien sûr,
proposent aussi des produits de qualité et incluent des
« carreaux de producteurs », permettant aux profes­
sionnels du commerce et de la restauration d’acheter
directement des produits. Le gros des échanges provient
cependant de circuits longs et ce qui se retrouve sur les
marchés de plein vent n’est pas toujours de première
qualité. Même si certains revendeurs, à grand renfort de

56
Comment m’y retrouver en pratique ?

chapeau et de tablier, jouent l’apparence de producteurs et


trompent de nombreux clients, en fromage ou charcuterie
notamment... Comment faire la dif­­férence ? Pas toujours
simple ! Regarder les étiquettes sur les stands17, poser des
questions, se renseigner auprès de clients réguliers… Assez
souvent, ces étals cohabitent avec ceux de véritables agri-
culteurs. Ceux-ci, venus vendre directement leurs produits,
trouvent aussi sur le marché l’opportunité de créer un lien
social avec des clients urbains qu’ils auraient peu de
chances de rencontrer autrement. Le consommateur
trouve là pour sa part les avantages habituels des circuits
courts : fraîcheur, qualité, garantie d’origine, contact.
De cette difficulté à identifier les véritables agriculteurs
— et de leur nombre souvent limité sur les marchés clas-
siques, qui restreint le choix — sont nés les marchés de
producteurs, un phénomène en forte progression, en
particulier dans le Sud de la France. Les municipalités y
voient en effet de plus en plus une façon de valoriser leur
territoire. Tout en en conservant la responsabilité, elles
confient souvent la gestion d’un marché à une association

Marchés de producteurs ou « Marchés paysans » ?


Dans le principe, c’est exactement la même chose, à cela près que
les marchés de producteurs sont souvent associés au réseau des
Marchés des Producteurs de Pays des chambres d’Agriculture.
Pour sa part, le terme « paysan », qui n’est pas une appellation
officielle, suggère souvent que les producteurs (ou l’association)
à l’origine de ce marché ont au moins une sensibilité commune
avec la Confédération paysanne et le modèle d’agriculture qu’elle
défend. Liés à deux réseaux, et finalement à deux syndicats aux
valeurs contrastées, les marchés de producteurs ne sont donc
pas organisés au niveau national. Pour en trouver un près de chez
soi, s’il existe, le plus simple reste donc de s’adresser à la mairie
— ou de visiter son site Internet.

17  Avec l’aide de la démarche Ici.C.Local par exemple, nous y reviendrons.

57
Et si on mangeait local ?

de producteurs et/ou de citoyens, qui établit les règles de


participation. Un tel marché n’est en principe accessible
qu’aux véritables producteurs ayant signé une charte
excluant les revendeurs. Dans certains cas, cette charte
implique également le respect de règles quant au type
d’agriculture pratiqué. Des artisans comme des boulangers
ou des charcutiers y sont souvent présents. Ils sont cepen-
dant tenus de respecter le principe du circuit court, soit en
étant eux-mêmes producteurs de leur matière première (à
l’image des paysans-boulangers ou des charcutiers-
éleveurs), soit parce qu’ils en achètent l’essentiel directe-
ment à des producteurs. Agriculteurs et artisans retrouvent
ici les avantages classiques de la vente directe sur un marché
traditionnel — contact avec les clients, marge supérieure
du fait de l’absence d’intermédiaire — avec en plus la
garantie d’une clientèle acquise aux valeurs des circuits
courts. Il en va de même pour le consommateur qui béné-
ficie de plus de la variété des produits disponibles au même
endroit. Ce type de marché peut même faire jouer la
concurrence puisque souvent plusieurs étals proposent le
même type de produit. Après tout, on peut préférer le
fromage ou le vin d’un producteur à celui d’un autre...

Les Marchés des Producteurs de Pays


En 1989, la chambre d’agriculture de l’Aveyron créait les premiers
Marchés des Producteurs de Pays, dont le réseau couvre aujourd’hui
environ un tiers des départements français. Ces marchés
rassemblent des producteurs — qui paient pour avoir accès à cette
marque déposée en 2007 par l'APCA, en échange de services
(accompagnement, prise en charge de la communication...) — sur
des manifestations souvent occasionnelles, surtout estivales, dans
des régions très touristiques. Il s’agit en général plus d’actions de
promotion que d’outils de vente pérennes18.

18 www.marches-producteurs.com.

58
Comment m’y retrouver en pratique ?

La vente directe mutualisée

Les points de vente collectifs (PVC) constituent une


autre manière de proposer en un seul et même endroit les
produits de différents agriculteurs. Considérés comme un
« nouveau » circuit court, ils ont pourtant presque 40 ans !
Le premier point de vente collectif a en effet vu le jour en
1978 à Saint-Andréol-le-Château, à proximité de Lyon. La
formule permet d’offrir un véritable choix au consom­
mateur, tout en assurant la présence d’un agriculteur lors
de la vente. Aujourd’hui, les PVC et d’autres types de
magasins de producteurs se développent fortement. Ils
apparaissent essentiellement dans les petites villes rurales
ou sur les zones commerciales périurbaines d’agglomé­
rations plus importantes. On en comptait environ 200 lors
du dernier recensement en 2010, un nombre qui selon les
experts a beaucoup augmenté depuis.
Une dizaine ou une vingtaine de producteurs, en géné-
ral, s’allient pour mettre sur pieds un magasin de vente
directe où ils assurent à tour de rôle une permanence
commerciale. Leur présence est indispensable pour obte-
nir le statut particulier de PVC avec le régime fiscal qui y
est attaché. Dans un « magasin de producteurs » au sens
large, leur présence physique n’est en revanche pas obli-
gatoire : des salariés peuvent assurer la vente mais le
magasin reste souvent majoritairement approvisionné et
géré par les producteurs, ou un petit noyau parmi eux,
qui en ont la propriété collective. Les consommateurs
apprécient de pouvoir trouver en un même endroit toute
la palette des produits alimentaires, avec les avantages de
la vente directe : fraîcheur et qualité, origine garantie,
transparence, contact avec le producteur (systématique-
ment dans les PVC et souvent dans les magasins de
producteurs). Pour ce dernier, le système représente un

59
Et si on mangeait local ?

Le PVC : un modèle réglementé


La loi relative à la consommation du 17 mars 2014 a posé le cadre
des PVC en introduisant un nouvel article L. 6119-8 dans le Code
rural et de la pêche maritime :
« Art. L. 611-8. — Dans une optique de valorisation de leur exploitation
et de leur terroir, les producteurs agricoles locaux peuvent se réunir dans
des magasins de producteurs afin de commercialiser leurs produits
dans le cadre d’un circuit court organisé à l’attention des consom­
mateurs. Ils ne peuvent y proposer que des produits de leur propre
production, qu’elle soit brute ou transformée. Ces produits doivent
représenter en valeur au moins 70 % du chiffre d’affaires total de ce
point de vente. Pour les produits transformés ou non, non issus du
groupement, les producteurs peuvent uniquement s’approvisionner
directement auprès d’autres agriculteurs, y compris organisés en
coopératives, ou auprès d’artisans de l’alimentation, et doivent afficher
clairement l’identité de ceux-ci et l’origine du produit. »

volume de vente régulier, une meilleure marge en l’absence


d’intermédiaire et un gain de temps puisque les tâches de
collecte et de commercialisation sont mutualisées. Autre
dimension importante : le partage d’un projet commun est
l’occasion de nouer ou renouer des liens avec d’autres
producteurs, d’échanger des savoir-faire, etc. L’échelle de
ces magasins permet souvent de faire appel à des trans­
formateurs professionnels (bouchers, charcutiers) qui
deviennent salariés du magasin. Au-delà de créer de
l’emploi, cette démarche ajoute de la valeur aux produits
et étoffe le choix pour les clients. Le PVC prélève un pour-
centage du chiffre d’affaires (entre 8 et 20 %) pour assurer
le fonctionnement du magasin.

Quelques initiatives qui font boule de neige

Les quelques exemples qui suivent n’épuisent pas la


variété des magasins de producteurs mais montrent ce
qu’il est possible de réaliser en conservant le principe

60
Comment m’y retrouver en pratique ?

de base. En 2012, après plusieurs mois de réflexion et


d’études, quatre producteurs du Béarn s’associent et créent
le magasin Ferm’envie19 à Serres-Castet, près de Pau. La
chambre d’Agriculture locale soutient financièrement le
démarrage et celle de l’Ain, avec sa longue expérience des
PVC, a apporté son expertise lors de la phase d’étude.
Afin de proposer aux clients une gamme complète de
produits, les quatre fondateurs contactent d’autres agri-
culteurs et artisans. Ces « apportants » — 45 au début, le
double maintenant — signent un contrat de mandat.
Autrement dit, ils restent propriétaires de leurs produits
dont ils fixent les prix, chargeant simplement Ferm’envie
de les vendre pour eux. La plupart des fermes sont situées
dans un rayon de 30 km, le reste vient d’un peu plus loin.
Du Gers par exemple pour l’ail et l’oignon qui s’accom-
modent mal de l’humidité du climat palois, voire des
environs de Toulouse pour un blé dur transformé en
pâtes alimentaires. Le magasin peut ainsi proposer
1 200 références tout en respectant un principe de non-
concurrence : jamais deux apportants ne sont placés en
compétition sur un même produit. Les quatre associés
visitent les fermes pour s’assurer des méthodes de travail,
et goûtent les produits avant de les référencer. L’idée
initiale tenait de la survie : il s’agissait de trouver une
solution pour installer les enfants des quatre fondateurs
sur des exploitations qui subissaient la crise agricole. Le
pari est aujourd’hui gagné, et même au-delà. Non seule-
ment les exploitations sont pérennisées, et d’autres fermes
— celles de producteurs « apportants » — consolidées,
mais les magasins employaient quatorze personnes fin
2016 (plus quatre apprentis). Un second magasin a en
effet été créé à Bizanos, dans l’aire urbaine de Pau.

19 www.fermenvie.com/qui-sommes-nous.

61
Et si on mangeait local ?

Délibérément local, Ferm’envie assume le fait de présenter


des rayons peu garnis en mauvaise saison plutôt que de
faire venir des légumes espagnols (par exemple) cultivés
sous serre. À tour de rôle, les agriculteurs sont présents
dans le magasin, ne serait-ce que pour expliquer les aléas
saisonniers ou les particularités de tel ou tel produit
— par exemple la Williams rouge, une poire délicieuse
mais de manipulation délicate.
À une autre échelle, la Sicaseli, une coopérative d’ap-
provisionnement et de services aux éleveurs du Quercy,
au nord-est du Lot, a lancé deux expériences. En 1994, la
coopérative — connue maintenant sous le nom de Fermes
de Figeac20 — décide d’utiliser sa jardinerie pour commer-
cialiser directement des produits de ses adhérents, qu’ils
vendaient jusqu’ici surtout en circuit long en dehors du
territoire. La Sicaseli possède en effet en franchise le
magasin Gamm Vert de Figeac. Rappelons que Gamm
Vert est une enseigne de jardineries appartenant à InVivo,
un réseau regroupant la plupart des grandes coopératives
agricoles françaises21. Les magasins Gamm Vert — plus de
1 000, principalement en France et quelques-uns au
Luxembourg — sont implantés en zone rurale ou en
périphérie de petites villes. Un rayon « terroir » apparaît
donc en 1995 dans celui de Figeac.
L’expérience reste locale de 1995 à 2000, dégageant tout
de même un chiffre d’affaires suffisant pour payer un
salarié, et en croissance continue à mesure que la gamme
de produits s’étoffe. En 2001, Fermes de Figeac dépose la
marque Sens du Terroir. Sa charte de qualité exige des

20  Société d’intérêt collectif agricole du Ségala-Limargue sise à Lacapelle-Marival


dans le département du Lot.
21  InVivo (www.invivo-group.com) peut être considéré comme le réseau commercial
des coopératives, alors que Coop de France en est le représentant institutionnel.
Fermes de Figeac, comme beaucoup de coopératives, adhère aux deux.

62
Comment m’y retrouver en pratique ?

fournisseurs identifiés, des produits de qualité (goûtés) et


locaux pour au moins 70 % du linéaire, le reste venant de
producteurs ou de coopératives partenaires (par exemple,
la coopérative de Guérande pour le sel) ou du commerce
équitable (café et chocolat de la marque Éthiquable). En
2003, une boucherie est installée dans le magasin.
Le concept Sens du Terroir s’étend bientôt, de gré à gré,
à quelques autres coopératives — Foix, Cahors,
Castel­naudary — elles aussi propriétaires d’un Gamm
Vert. En 2005, InVivo, initialement réservé, s’intéresse
finalement à l’initiative et décide de l’endosser au niveau
central. Le réseau rachète la marque Sens du Terroir et,
avec l’appui technique de Fermes de Figeac, ouvre une
cinquantaine de rayons Sens du Terroir dans des Gamm
Vert en France. L’objectif d’InVivo, qui les développe
désormais seul, est d’en créer environ 400.
Quelques années plus tard, en 2010, deux très grosses
coopératives agricoles du Sud-Ouest nourrissent un
projet encore plus ambitieux : créer un véritable super-
marché de produits frais locaux, en vente directe, dans la
zone urbaine de Toulouse. Elles se tournent vers Fermes
de Figeac pour bénéficier de son expérience des magasins
de producteurs. Après deux années d’études prélimi-
naires, contact est de nouveau pris avec InVivo, qui
entame deux nouvelles années d’études encore plus
poussées. Finalement, en 2014, InVivo lance le concept
Frais d’Ici et décide de le tester sur trois ou quatre maga-
sins. Le premier ouvre à Portet-sur-Garonne, près de
Toulouse, puis un autre en 2015 à Chenôve, près de Dijon,
suivi en 2016 d’un magasin à Auch et bientôt un deuxième
à Toulouse. Tous offrent une gamme complète de produits
locaux — pour plus de 70 % — ou d’origine identifiée,
autant que possible coopérative même pour les produits
exotiques comme les bananes. Des producteurs sont

63
Et si on mangeait local ?

régulièrement présents dans le magasin pour des échanges


avec les consommateurs et des visites dans les fermes
organisées pour les clients. Une trentaine de coopératives
en France ont d’ores et déjà fait acte de candidature,
et InVivo espère installer à terme environ 200 super­
marchés Frais d’Ici, essentiellement en « franchisant »
des co­opératives locales et en prenant appui sur le
réseau Gamm Vert. Les Halles de l’Aveyron, fondées par la
coopéra­tive Unicor, suivent une logique similaire.

Les Amap, une formule qui évolue…

Tous les citadins n’ont pas la chance d’habiter à proxi-


mité d’un marché ou d’un magasin de producteurs. Les
plus motivés pourront aller d’eux-mêmes vers les agri-
culteurs, choisissant la solution des paniers sur abon­
nement, dont la plus emblématique reste les Amap. Une
fois par semaine, généralement en soirée, l’adhérent va
chercher son panier dans un lieu de distribution fixé.
L’imagination des « Amapiens » est ici sans limite : cela
peut se passer dans une salle municipale ou associative,
dans un café « sympathisant », chez un adhérent ou à
l’extérieur dans les régions bénéficiant d’un climat assez
clément — sur une place par exemple, si la municipalité
est d’accord. Moment de socialisation, la récupération du
panier peut occuper une partie de la soirée. Même pour
les moins communicatifs ou les plus pressés, elle demande
tout de même un peu plus de temps que le simple passage
en caisse dans une supérette. Lorsqu’on choisit d’adhérer
à une Amap, il faut donc être prêt à consacrer, une fois
par semaine, un peu de temps et d’attention à l’acte
même d’achat de ses aliments. Pour des consommateurs
habitués à la disponibilité immédiate, inconditionnelle et
anonyme de n’importe quel produit à n’importe quel

64
Comment m’y retrouver en pratique ?

moment, cela peut surprendre. Mais aussi, peut-être,


rappeler à une certaine réalité quant à l’importance de
l’alimentation et aux conditions de sa production. Il n’est
pas inutile de souligner ici qu’il en va de même pour les
marchés classiques de plein vent, qui se tiennent en géné-
ral une fois par semaine. Quant à la visite hebdomadaire
à l’hypermarché pour « remplir le coffre de la voiture »,
une pratique très répandue, elle implique une contrainte
temporelle encore supérieure... et s’apparente rarement à
une partie de plaisir ou une occasion de rencontres.
En pratique, pour trouver une Amap près de chez soi,
le plus simple est de consulter l’annuaire des Amap22.
Il faut toutefois garder à l’esprit qu’on ne peut pas adhé-
rer à n’importe quel moment puisqu’il s’agit d’un enga-
gement annuel, ou au moins saisonnier. Et pour les plus
motivés, si aucune place n’est disponible dans une Amap
existante, rien n’empêche d’en lancer une ! Le mouve-
ment interrégional des Amap (Miramap, voir encadré
plus loin) fournit tout le soutien nécessaire aux volon-
taires. Ce type d’essaimage correspond justement à la
philosophie des Amap, censées demeurer des structures
de taille modérée — quelques dizaines de familles adhé-
rentes — afin de conserver la possibilité de liens sociaux
réels. Elles ne grandissent pas outre mesure, elles se
multiplient si nécessaire. Il en existerait environ 2 000 en
France, représentant quelque 250 000 « amapiens » et un
chiffre d’affaires annuel de 150 millions d’euros23. Après
une période de forte croissance, le nombre d’Amap
augmente aujourd’hui plus lentement mais les structures
existantes se pérennisent : le turn over des adhérents

22 http://miramap.org/-Trouver-une-Amap-.html.
23  Initiatives pour une agriculture citoyenne et durable (InPact), « Propositions du
collectif InPact pour les systèmes alimentaires territorialisés », 11 février 2015, cité
par Brigitte Allain dans son rapport d’information à l’Assemblée nationale.

65
Et si on mangeait local ?

diminue. Ce qui pouvait être perçu comme une rigidité


— périodicité, prix et contenu du panier non choisis —
est en train d’évoluer. D’une part parce que les Amap se
développent au-delà des légumes (on trouve maintenant
des Amap pain, fromage de chèvre, pomme de terre,
viande, etc.) et d’autre part parce que les producteurs en
Amap s’organisent de plus en plus pour proposer aux
consommateurs le même lieu et moment de distribution.
Néanmoins, cette forme de vente, et la convivialité qu’elle
encourage, font toujours hésiter les consommateurs les
moins engagés, ce qui a contribué à faire émerger de
nouvelles formes de circuits courts.

Les Amap : un mouvement organisé


La toute première Amap est née en 2001 à Aubagne (Bouches-
du-Rhône) d’une discussion entre deux producteurs maraîchers,
Denise et Daniel Vuillon, inspirés par les CSA américaines, et un
groupe de participants à un « café éco-citoyen » du mouvement
Attac, sur le thème de la malbouffe24.
Dès 2001, est créée une section d’Alliance PEC en Provence, une
structure chargée d’accompagner les porteurs de projets de
nouvelles Amap25. Outre Attac, l’Alliance rassemble des organi­
sations agricoles (Confédération paysanne, Bio de Provence) et
de consommateurs, ainsi que des individus volontaires. Le terme
Amap devient en mai 2003 une marque déposée à l’Institut natio­
nal de la propriété industrielle. Des initiatives surgissent dans
tout le pays, menant en février 2010 à la naissance du Mouvement
inter-régional des Amap (Miramap) qui a édité une charte26.

24  Créée en 1998, l’Association pour la taxation des transactions financières et pour
l’action citoyenne (Attac) se présente comme un mouvement d’éducation populaire
visant à affranchir la société du « pouvoir de la sphère financière ».
25  Alliance PEC est une association créée en 1991 pour fédérer et coordonner les
associations de défense de l’environnement, d’éducation populaire et de consom­
mateurs qui s’opposaient aux dérives du GATT (General Agreement on Tariffs and
Trade), l’ancêtre de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce.
26 http://miramap.org/IMG/pdf/charte_des_amap_mars_2014-2.pdf.

66
Comment m’y retrouver en pratique ?

Des paniers dans les gares (ou ailleurs)

D’autres systèmes de distribution basés sur des paniers


existent, moins « rigides » que les Amap originelles (qui
ont toutefois beaucoup évolué, répétons-le). Certaines
initiatives associent plusieurs producteurs et artisans afin
de proposer un choix plus important et une certaine
souplesse de composition du panier. C’est le cas par
exemple de L’Arbre à Légumes, à Vaulx-en-Velin près de
Lyon, qui s’inscrit dans la continuité de l’histoire locale
de la distribution de produits bio. Le consommateur
s’engage pour une durée de six mois à acheter un panier
hebdomadaire, qu’il peut récupérer à différents endroits
de l’agglomération lyonnaise.
En région parisienne au départ, la SNCF et les chambres
d’Agriculture se sont associées pour proposer les Paniers
Fraîcheur vendus dans les gares du Transilien, le réseau
des trains de banlieue (qui comprend le RER). Cela reste
une formule de type paniers dans le sens où le producteur
décide lui-même de l’assortiment qu’il proposera à tous
les consommateurs. Les Paniers Fraîcheur ne nécessitent
en revanche aucun engagement car il n’y a pas d’abon­
nement. Ils représentent un effort particulier de la part
des producteurs pour s’adapter aux très fortes contraintes
des passagers du Transilien. Des projets similaires ont été
développés dans d’autres régions de France, avec, en
Bourgogne par exemple, un système un peu différent :
engagement de un, deux, trois ou six mois mais une
possibilité de libre-service.

Le panier virtuel

Que ceux qui n’ont ni l’opportunité de fréquenter un


marché ou un magasin de producteurs, ni la motivation

67
Et si on mangeait local ?

suffisante pour adhérer à une formule de paniers ne


désespèrent pas. De nouveaux circuits apparaissent, en
particulier ceux exploitant Internet. Les consommateurs
bénéficient ainsi à la fois des avantages classiques des
circuits courts et de la souplesse d’utilisation d’un site de
commande sur Internet. Ce genre de formule n’implique
en général aucun engagement, sinon le choix initial d’un
circuit de proximité. Le principe : soit à l’initiative d’un
intermédiaire associatif, soit directement, un groupe de
producteurs et d’artisans s’organise pour ouvrir un
magasin virtuel et garnir régulièrement les « rayons »
avec la récolte ou les produits transformés du moment.
Les clients visitent le site Web quand ils le souhaitent
pour faire leur choix, passer commande, payer et décider,
parmi les possibilités proposées, du moment et du lieu de
retrait des marchandises. Car évidemment, il faut bien
passer au concret au moment de récupérer ses provi-
sions ! Certains de ces sites proposent même également la
livraison à domicile. C’est le cas par exemple de Terroir
Direct, un des pionniers du genre, créé en 2002 à Mont-
pellier par une association regroupant des producteurs et
des consommateurs. De telles formules commencent à
apparaître dans la plupart des villes, notamment à travers
les « drives fermiers » créés en 2012 par le réseau des
chambres d’Agriculture. Un tour sur Internet devrait
donc donner des résultats (taper par exemple « drive
fermier », « panier fermier », « panier paysan » ou
« panier légumes » et le nom de la ville).
Il est impossible d’évoquer Internet sans présenter un
acteur devenu « incontournable » : La Ruche qui Dit Oui !
Plateforme d’achat en ligne de produits agricoles en
circuit court, La Ruche qui Dit Oui ! a lancé son site en
2011, pour une première distribution en septembre dans
la région de Toulouse. Le fonctionnement, assez original,

68
Comment m’y retrouver en pratique ?

repose sur l’investissement de particuliers appelés


« Responsables de ruche » qui se chargent localement de
tous les aspects pratiques : recruter des producteurs,
organiser un lieu de distribution, proposer les produits
sur le site Internet, contacter les clients et animer chaque
semaine, en général, la distribution sous forme d’un
« marché éphémère ». Les producteurs fixent le prix des
aliments dont ils restent propriétaires jusqu’à la vente
finale. Ils apportent directement à la Ruche lorsque la
quantité commandée atteint un seuil qu’ils ont déter-
miné. Présente essentiellement en France, la Ruche
s’installe désormais dans d’autres pays européens
(Belgique, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Italie). La
société revendique aujourd’hui plus de 800 « Ruches »,
5 000 producteurs et 130 000 clients réguliers.

La grande distribution à l’affût

Et qu’en est-il des grandes surfaces ? En règle générale,


les grands distributeurs achètent une partie de leurs
produits frais aux producteurs, et de plus en plus souvent
dans la région où est implanté le super/hypermarché
— sauf évidemment pour les produits exotiques
(bananes, ananas) ou hors saison (fraises ou tomates en
hiver). La salade, qui voyage très mal, en est l’exemple le
plus extrême. Dans le cas d’enseignes coopératives regrou-
pant des indépendants (Leclerc, Intermarché ou Super U),
le propriétaire du magasin peut même, s’il le souhaite,
court-circuiter la centrale d’achat et s’adresser lui-même
au producteur de son choix. C’est plus difficile dans les
groupes intégrés comme Auchan, Carrefour, Casino, Lidl
ou Cora, bien que cela se pratique assez souvent pour
quelques fruits et légumes. Quoi qu’il en soit, les GMS
ont beau jeu d’affirmer qu’elles s’approvisionnent depuis

69
Et si on mangeait local ?

toujours en circuit court pour les produits frais. Histori-


quement, comme nous l’avons déjà mentionné, leur
création a en effet correspondu au raccourcissement de
certains circuits de vente, constitués de multiples petits
intermédiaires qu’elles ont rapidement fait disparaître. Et
techniquement, c’est encore vrai aujourd’hui, pour une
partie minime27 de leur gamme toutefois. De plus, les
conditions imposées aux producteurs et les critères de
qualité des produits — qui privilégient l’aspect et l’apti-
tude à la conservation en chambre froide plutôt que le goût
ou la durabilité des méthodes agricoles — ne répondent
guère à ce que les consommateurs entendent aujourd’hui
par circuit court ni aux valeurs qu’ils y attachent.
S’appuyant sur leurs moyens d’analyse marketing, les
groupes distributeurs ont toutefois bien senti les aspira-
tions nouvelles d’une partie de leurs clients. D’où par
exemple l’apparition dans les rayons de produits bio ou
issus du commerce équitable. En matière de proximité,
ou au moins de territorialité, les enseignes avancent aussi
de nouvelles offres, souvent adossées à des marques.
Promodès (aujourd’hui Carrefour) a donné le signal de
départ en 1996 en lançant les produits Reflets de France.
Leclerc a emboîté le pas avec la marque Nos Régions ont du
Talent, puis ont suivi Cora avec Patrimoine Gourmand,
Intermarché avec Itinéraires de nos Régions, etc. Toutes ces
marques de distributeurs proposent des produits « terri-
torialisés », à l’origine identi­fiée. L’idée n’est donc pas de
créer un circuit court mais de pouvoir acheter, par
exemple, du cassoulet de Castelnaudary à Strasbourg,

27  Elles privilégient les produits transformés, sur lesquels elles réalisent des marges
plus importantes (notamment via leurs propres marques) et pour lesquels
l’approvision­nement n’est plus local. Les fruits et légumes hors saison ne peuvent pas
non plus être locaux (ou alors ils sont produits sous serre chauffée).

70
Comment m’y retrouver en pratique ?

ce qui n’a rien de blâmable en soi. Ces produits sont


effective­ment élaborés dans la région indiquée, par des
PME revendiquant un certain savoir-faire, ce que les
enseignes soulignent en insistant sur des notions mal
définies mais à profonde résonnance émotionnelle
comme la « tradition », l’« authenticité », le « terroir », le
« goût », le « vrai », etc. Et en règle générale, la qualité
gustative est au rendez-vous, tout au moins si l’on
compare ces produits à leurs équivalents industriels
proposés un peu plus loin dans le même rayon. Reste
qu’aucune garantie n’est donnée sur l’origine géo­­
graphique des matières premières utilisées ni sur le type
d’agriculture dont elles sont issues. Un cassoulet peut fort
bien être élaboré dans la région Sud-Ouest de la France...
avec du canard polonais et des haricots argentins.
La marque Le Petit Producteur, créée en 2007 par un
collectif d’agriculteurs et artisans, ne joue pas non plus
sur la proximité géographique avec le lieu de vente. En
revanche, elle affiche sur chaque produit le nom et la
photo du producteur, afin de renouer un lien de confiance
forcément affaibli lorsqu’on passe par un distributeur. La
marque insiste sur la qualité des produits et le respect de
la saisonnalité. Proposée au départ dans des boutiques de
luxe comme Fauchon, elle est maintenant présente chez
Monoprix, à des prix assez élevés toutefois.
Plus en phase avec de l’idée du circuit court, certaines
enseignes de grande distribution proposent depuis peu
des produits assortis d’une promesse de proximité
géographique — voire d’une limite kilométrique — et
parfois de l’identification de l’agriculteur ou de l’artisan.
Qui plus est, cette démarche repose souvent sur une
contractualisation avec un producteur ou un groupe de
producteurs locaux. On est là réellement dans un circuit
court, auquel s’ajoute une proximité géo­­­graphique.

71
Et si on mangeait local ?

Leclerc, avec ses Alliances Locales, semble le mieux orga-


nisé. Casino a répondu avec Le Meilleur d’Ici, garantissant
un approvisionnement à moins de 80 km du magasin.
Les autres groupes sont aujourd’hui moins présents, en
tout cas en font moins état.
O’Tera : une expérience mitigée en lien avec
la grande distribution
Les magasins O’Tera, lancés par un membre de l’association
familiale Mulliez28 se présentent comme des supermarchés de
produits frais en « circuit court » — avec un seul intermédiaire et
des producteurs essentiellement locaux.
Le premier, O’Tera du Sart, a été créé en 2006 à Villeneuve-d’Ascq,
près de Lille. Photos des producteurs, affichage du prix d’achat et
du taux de produits en circuits courts proposés dans le magasin :
l’enseigne joue la transparence. Reste que le capital et les déci­
sions demeurent entre les mains du propriétaire, les producteurs
étant ramenés au rang de fournisseurs comme dans les circuits
habituels. Rien à voir, par exemple, avec les magasins Frais
d’Ici (voir plus haut) appartenant à et gérés par des coopératives
de producteurs.
Il faut noter que des magasins O’Tera devraient être implantés
dans les « villages » Décathlon, sortes d’hybrides entre le parc à
thème et la zone commerciale, regroupant essentiellement des
enseignes du groupe Mulliez.
Le concept O’Tera peine toutefois à décoller, avec seulement quatre
magasins ouverts — tous dans le Nord — une dizaine d’années
après sa création. Certains observateurs attribuent cette lenteur
à la réticence des producteurs. Ceux-ci seraient peu enclins à
col­laborer avec un acteur très lié à un groupe qui par ailleurs leur
impose des conditions qu'ils considèrent désavantageuses dans
ses hyper­marchés classiques. D’autres estiment au contraire que
cela résulte d’une demande structurellement minoritaire chez
les consommateurs. Peut-être l’avenir du tout jeune Frais d’Ici
apportera-t-il une réponse...

28  Propriétaire du groupe Auchan et de nombreuses autres enseignes comme


Décathlon ou Saint-Maclou, ce n’est pas une association à but non lucratif mais un
classique groupement d’intérêt économique.

72
Comment m’y retrouver en pratique ?

Ces initiatives impliquent en général — et cela vaut aussi


pour la marque Le Petit Producteur — des exploitations
agricoles de taille intermédiaire, spécialisées, aptes à
répondre aux exigences de volume de la grande distri­
bution. On est donc assez loin du petit producteur prati-
quant une agriculture diversifiée, mis en avant de manière
plus ou moins explicite par la promotion. Cette agriculture
« du milieu » trouve ici une niche : trop grosse et pas assez
diversifiée pour fonctionner en vente directe, elle est en
effet condamnée à la disparition dans le modèle agro-
industriel dominant, où la concurrence est désormais
internationale. Nous y reviendrons dans la troisième partie
de ce livre. Pour les groupes distributeurs, ces démarches
en circuit court constituent un atout de premier ordre en
termes d’image mais leur poids économique reste négli-
geable. Elles représentent en effet une part infime de la
gamme des produits proposés dans leurs rayons. Ils
peuvent donc se permettre de proposer des contrats plus
avantageux aux producteurs, qui y trouvent souvent leur
compte. De la part du client en GMS, il y a donc un sens à
se diriger vers ces produits plutôt que vers ceux de l’indus-
trie agroalimentaire de masse. Cela dit, la GMS ne modifie
pas son fonctionnement sur le reste du magasin et conti-
nue d’exercer sa pression sur ses fournisseurs.

Mais qu’est-ce qu’on mange ?

Qu’as-tu donc dans ton panier ?

Fruits et légumes, produits laitiers, viandes, charcuterie,


pain, miel, vin, voire épicerie : on trouve de tout sur un
marché de producteurs, dans un point de vente collectif
(PVC) ou auprès d’une plateforme d’achat sur Internet.

73
Et si on mangeait local ?

Rien n’oblige à changer de régime alimentaire si l’on opte


pour les circuits courts. Certaines particularités de l’offre
peuvent toutefois inciter le consommateur à reconsidérer
son alimentation et à se rapprocher sans douleur des
préconisations des nutritionnistes, c’est-à-dire d’un
régime varié et comportant des produits frais. Tout
d’abord la découverte de produits locaux, de légumes
oubliés (topinambours, panais, etc.) ou, pour les légumes
plus courants, de variétés locales très savoureuses mais
inadaptées aux contraintes de la grande distribution.
Leur abondance, leur variété et leur goût incitent l’habi-
tué des circuits courts à manger plus de fruits et légumes
frais. Ensuite, les produits sont en général vendus bruts
ou peu transformés, ce qui favorise la cuisine à la maison
et limite le recours aux plats tout prêts de l’industrie
agroalimentaire, dont certains sont devenus de véritables
cauchemars pour les diététiciens. En vente directe, les
producteurs ne se font d’ailleurs pas prier pour indiquer
des recettes simples de préparation. Enfin, et c’est sans
doute l’aspect le plus important : dans un « vrai » circuit
court, les produits sont vendus exclusivement en saison.
Autrement dit, s’approvisionner ainsi peut ne rien chan-
ger à la palette des produits consommés mais affecte
certainement le moment où on les déguste. Lorsque l’on
joue le jeu du circuit court, on ne mange pas de tomates
fraîches en hiver — celles que l’on trouve alors en GMS
ont poussé sous serre chauffée, souvent hors sol, et n’ont
de tomate que l’apparence mais pas le goût. Il n’y a pas de
poivron ou de haricot vert frais qui vaille au mois de
janvier, qu’on se le dise ! Par contre, il existe de
nombreuses manières de conserver les produits récoltés
en pleine saison pour les consommer ensuite. Les
consommateurs, au départ, peuvent regretter la redon-
dance des produits de saison mais ils déclarent vite que

74
Comment m’y retrouver en pratique ?

le goût compense ! Et les producteurs font beaucoup


d’efforts pour les diversifier.
Une autre question revient souvent : les produits vendus
en circuit court sont-ils plus sains ? Soulignons tout
d’abord que, contrairement à une opinion répandue, ils ne
sont pas nécessairement issus de l’agriculture bio­logique.
Les deux mouvements entretiennent cependant des liens
assez étroits : la proportion d’agriculteurs bio est net­tement
plus élevée que la moyenne parmi ceux pratiquant la vente
directe, et inversement. De plus, sans nécessairement suivre
le cahier des charges de l’agri­culture bio, et payer pour la
certification, la plupart des producteurs vendant
en circuits courts adhèrent à une certaine idée de leur
métier, très éloignée du modèle intensif à base d’intrants
chimiques. Quoi qu’il en soit, bio ou pas, les produits
vendus en direct ont un avantage indéniable sur ceux que
l’on trouve en circuit long : la fraîcheur. Peu manipulés,
récoltés souvent la veille ou le jour de la vente, ils ont
conservé toutes leurs qualités nutritionnelles, en parti­
culier les vitamines qui se dégradent très vite lors du

Top 10 des produits achetés en circuits courts

Pain Yaourts
5% 4%
Vins, alcools 2%
6% Œufs

Produits de la mer
2%
9% Volailles

Légumes
Fromages 67 %
13 %
Fruits
23 % Viandes 45 %

Source : projet Codia, financé par le Casdar (2013). Base : 603 acheteurs en circuits courts (sur 1 425 interviewés). Infographie Inra
67 % des clients des circuits courts y ont acheté des légumes pendant le mois précédant l'enquête ; 45 % des fruits, etc. © Véronique Gavalda

75
Et si on mangeait local ?

stockage, au froid en particulier. À l’opposé, il n’est pas rare


de trouver en GMS des produits entreposés durant une
semaine ou deux en chambre froide.

Les contrôles de qualité sont-ils équivalents ?

Les circuits courts ne sont pas un marché clandestin. Quel


que soit son canal de distribution, tout aliment com­­
mercialisé est soumis aux mêmes normes, règles et contrôles.
Cela commence d’ailleurs dès la production : registre phyto­
sanitaire en culture végétale, plan de maîtrise sanitaire en
élevage, déclaration auprès de la Direction départementale
de la protection des popu­lations (ex-DDSV), etc.
Pour mieux saisir les enjeux, suivons le trajet d’un
produit particulièrement délicat : la viande. L’élevage et
l’abattage des animaux obéissent exactement aux mêmes
règles quel que soit le circuit ultérieur de commercialisa-
tion. Ensuite, durant le transport et la distribution, l’obli-
gation de respecter à tout moment la chaîne du froid
s’impose également à tous, industriels de la viande
comme éleveurs pratiquant la vente directe. Mais alors
quid de la fameuse dérogation des 80 km ? La différence
tient en peu de mots : en dessous d’une certaine quantité
de viande (non précisée dans le décret français) et de
80 km de distance, et uniquement en cas de remise directe
au consommateur, les éleveurs proposant leurs propres
produits sont autorisés à utiliser un véhicule isotherme
(voire des glacières) plutôt que frigorifique. Durant ce
court trajet, cela suffit en effet pour maintenir la tempé-
rature de consigne à l’intérieur de la caisse. Autrement
dit, par rapport aux transporteurs opérant à plus grande
échelle, voire entre différents pays de l’Union européenne,
ils obéissent aux mêmes normes (température imposée),
subissent les mêmes contrôles inopinés en cours de route

76
Comment m’y retrouver en pratique ?

pour s’assurer du respect de ces normes mais bénéficient


d’une dérogation concernant les moyens techniques à
mettre en œuvre pour parvenir à ce résultat.
Il en va de même pour les ateliers de transformation à
la ferme (confiture, viande découpée, fromage...) : en
dessous d’une certaine quantité et pour une remise directe
au consommateur, ils sont dispensés d’agrément sanitaire
CE29. Cette dispense ne signifie pas un relâchement des
exigences en termes de sécurité sanitaire pour le consom-
mateur, elle tient simplement compte du fait que la petite
taille permet une maîtrise de l’hygiène sans forcément
suivre les mêmes procédures ou déployer les mêmes
moyens humains. Nul besoin d’un ingénieur qualiticien
pour tenir les registres, par exemple... C’est l’engagement
personnel du producteur, la volonté de faire reconnaître
son savoir-faire directement auprès des consommateurs et
le développement de relations dans la durée qui vont le
conduire à respecter des démarches de qualité.
Au moment de la vente, et quel que soit le circuit ou la
quantité, la Direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes n’accorde
quant à elle aucune dérogation sur l’étiquetage ou l’infor-
mation sur le produit.

Que signifient tous ces labels ?


« Poulet fermier », « Porc de Haute-Loire », « Petit
producteur » : les allégations tendant à signifier une
origine géographique et/ou une production de qualité

29 Cet agrément résulte de l’application d’une réglementation européenne de


2006 dite « Paquet hygiène ». On en trouvera une description, par exemple à
http://agri­culture.gouv.fr/un-agrement-sanitaire-quest-ce-que-cest.

77
Et si on mangeait local ?

pullulent, et le consommateur a bien du mal à s’y retrou-


ver. Les marques d’enseignes s’y ajoutent. Malgré les
promesses apparentes, l’ensemble est plutôt opaque. Pour
s’orienter dans cette jungle, quelques repères sont donc
nécessaires.

Démêler le vrai du flou

Les consommateurs sont censés connaître la différence


entre un label, reconnu par les pouvoirs publics, et une
marque, d’origine privée (voir cependant l’encadré). Les
deux se côtoient d’ailleurs souvent sur le même embal-
lage. Si les labels représentent effectivement la garantie du
respect d’un cahier des charges officiellement reconnu et
public, les marques demandent un effort de décodage.
Un des pièges les plus fréquents des marques est
l’ambiguïté savamment entretenue par les termes « produit
en telle ou telle région ». Certes, le produit est trans-
formé dans la région mentionnée mais cela ne donne

Marque et label, quelle différence ?


En matière alimentaire, il n’existe que quatre labels reconnus par
les pouvoirs publics —  État ou Europe  — et contrôlés par des
organismes indépendants :
• Appellation d’origine contrôlée (AOC), le plus connu car le plus
ancien en France. On le trouve par exemple sur des vins ou des
fromages, et désormais sur des aliments de plus en plus variés.
Ce label garantit à la fois une origine géographique précise et un
savoir-faire spécifique : le produit répond à un cahier des charges
validé par l’Institut national de l’origine et de la qualité, ancien­
nement Institut national des appellations d’origine (Inao). Il a
aujourd’hui deux déclinaisons européennes : Appellation d’origine
protégée (AOP, équivalent d’AOC) et Indication géographique
protégée (IGP), avec les mêmes critères qu’AOP et AOC mais un
lien moins fort entre le produit et son origine. Par exemple, le

78
Comment m’y retrouver en pratique ?

jambon de Bayonne est une IGP (la zone où est autorisé l’élevage
est vaste, tandis que celle de transformation et de séchage du
jambon est beaucoup plus réduite) alors que le Comté est une
AOC (toutes les étapes de production du lait et de transformation
en fromage ont lieu sur la même zone) ;
• Label rouge, qui signale des produits « de qualité supérieure ».
Toutes les étapes de la production et de la transformation
répondent à un cahier des charges homologué par l’Inao et
assurent une qualité gustative supérieure aux produits courants ;
• AB pour les produits issus de l’agriculture biologique, répon­
dant à un cahier des charges devenu en 2007 un règlement
européen axé sur l’impact environnemental et le bien-être animal ;
• Spécialité traditionnelle garantie (STG). Ce label européen,
moins connu, consacre un savoir-faire, une méthode de produc­
tion sans lien avec une origine géographique. Les moules de
bouchot sont le seul produit STG en France. En Italie, le label sert
entre autres à protéger la mozzarella, un fromage dont les
multiples contrefaçons sont produites en masse.
Rien n’empêche un produit de combiner plusieurs labels : un vin
AOC peut fort bien être également AB, par exemple.
Certaines marques privées mais indépendantes des distributeurs
et des agro-industriels s’adossent également à des cahiers des
charges dont elles contrôlent l’application, avec souvent l’appui
d’un organisme certificateur extérieur. C’est le cas de Nature et
Progrès (agriculture biologique) ou Fairtrade / Max Havelaar
(commerce équitable). Des marques d’enseigne, comme Reflets
de France, se réfèrent également à une charte mais ce sont les
distributeurs eux-mêmes qui en contrôlent l’application.
Enfin, il existe des marques gérées par des collectivités ter­­
ritoriales : Marques Parc, Goûtez l’Ardèche, Sud de France, Produit
en Bretagne, etc. Les cahiers des charges sont difficilement
accessibles et les conditions sur l’origine de la matière première
et la transformation variables30.

30  Le lecteur curieux pourra se référer à une brochure de l’Ademe, « Les logos
environ­nementaux sur les produits » (sur www.ademe.fr), à un document synthétique
de l’Inao sur les labels (sur www.inao.gouv.fr) et/ou à une page du ministère en charge
de l’Agriculture sur l’ensemble des signes de qualité (http://agriculture.gouv.fr/signes-
de-qualite-0). Enfin, pour apprendre à « lire » une étiquette de produit alimentaire en
général, consultez www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-
pratiques/Etiquetage-des-denrees-alimentaires.

79
Et si on mangeait local ?

aucune indication sur la provenance de la matière


première ni sur la façon dont elle est produite. En clair,
un saucisson « ardéchois », par exemple, peut être salé
dans cette région... à partir de viande provenant de porcs
élevés en batterie de manière industrielle en Bretagne
— lorsqu’il est précisé « origine France » — ou ailleurs
(Europe du Nord ou de l’Est par exemple, voire Chine !).
Certains marchés dits « de producteurs », en particulier
dans les régions touristiques, ne sont pas exempts de ce
genre de manipulation.

La démarche Ici.C.Local

Qu’en est-il pour les circuits courts ? Pour beaucoup


d’acteurs, instaurer un label identifiant les produits issus
de ce type de commercialisation ne serait pas nécessaire-
ment une bonne idée. Consommateurs et producteurs
s’engagent en effet dans cette démarche sur la base d’une
relation de confiance, impliquant le contact interperson-
nel et, souvent, la possibilité de se rendre sur l’exploita-
tion. Un label « imposé d’en haut », avec de plus les coûts
de certification et de contrôle que cela suppose, a donc
longtemps semblé inutile voire contraire à l’esprit des
circuits courts. La question s’est cependant posée dès
le plan Barnier, puis à la Commission européenne, et
l’engouement actuel pour ces circuits ne fait que renfor-
cer le débat. De plus en plus de revendeurs tendent à
surfer sur la vague et vendre ce qu’ils prétendent être leur
production. Dès lors, comment concilier l’autonomie des
acteurs et l’information du consommateur, sans ruiner
pour autant la relation de confiance ?
Une démarche mise en œuvre à Grabels, petite commune
du nord de l’agglomération de Montpellier, apporte une
réponse originale. Voulant soutenir l’agriculture locale

80
Comment m’y retrouver en pratique ?

mais ne pouvant se permettre d’avoir un marché aux


étals trop peu garnis durant l’hiver, l’équipe municipale,
en collaboration avec l'Inra de Montpellier31, a opté en
2008 pour un marché non pas strictement de producteurs
mais en circuit court. Les producteurs y sont tout de
même majoritaires. Le marché est géré par un comité
consultatif regroupant des élus de Grabels, des consom-
mateurs et des exposants. En 2010, pour répondre aux
questions des consommateurs quant à l’origine des
produits, un système d’étiquetage très simple a été mis en
place. Une étiquette verte signale une vente directe :
l’exposant a lui-même cultivé (ou élevé ou fabriqué) cette
denrée. L’étiquette orange marque un produit que l’expo-
sant a acheté directement à un autre agriculteur local,
qu’il connaît personnellement et dont il se porte garant,
par exemple sur le carreau des producteurs du MIN32.
L’étiquette violette est apposée sur un produit acheté en
circuit long — que ce soit à un grossiste sur le MIN ou en
dehors — pour compléter l’offre, et sur lequel l’exposant
ne peut apporter aucune garantie supplémentaire. De
plus, les produits étiquetés en vert et en orange doivent
respecter une distance maximum — en ce cas, 150 km —
et certains critères de durabilité, définis collectivement et
communiqués aux consommateurs en toute transpa-
rence : produits de saison, interdiction des serres chauf-
fées.... Outre la couleur, l’étiquette mentionne le lieu de
culture, de fabrication et le nom du producteur.
La démarche, toujours vivante à Grabels, a donné nais-
sance en 2014 à la marque Ici.C.Local — pour « Innovation
pour la coopération et l’information en circuit local » —

31 Département Sciences pour l'action et le développement, unité mixte de


recherche Innovation.
32  Marché d’intérêt national, un marché de gros approvisionnant en général une
grande agglomération. Il y a 17 MIN en France, dont le célèbre Rungis.

81
Et si on mangeait local ?

co-déposée par l’Inra et la ville de Grabels. Elle est adossée


à un cahier des charges comportant des exigences de
proximité et de durabilité33. La marque concerne les
produits frais mais aussi les aliments transformés, ce qui
devrait éviter les tromperies comme la « charcuterie
locale » fabriquée avec du porc industriel d’origine incon-
nue. Première particularité, c’est une marque gratuite :
l’exposant n’a rien à payer pour en bénéficier. Autre parti-
cularité, encore plus importante : c’est un comité de suivi
local, composé d’usagers de la marque (les vendeurs), de
consommateurs et de partenaires, qui fixe sur chaque
marché les critères d’étiquetage. La définition du local et
du durable peut en effet varier selon les territoires, selon
l’offre disponible et les attentes de leurs habitants. Cet
étiquetage est surtout le moyen, pour les habitants, de se
reconnecter à l’agriculture, de se réap­proprier leur
alimentation et de décider, collectivement, de ce qu’ils
souhaitent soutenir. Informés des enjeux associés, les
consommateurs préfèrent en effet souvent acheter vert et
orange. En cohérence, le contrôle de l’étiquetage, essentiel
pour crédibiliser la démarche, est aussi participatif, réalisé
par les acteurs eux-mêmes et non pas par un organisme
payant pour le compte d’une autorité centrale.
La démarche Ici.C.Local se diffuse dans plusieurs
communes de France34, malgré la résistance initiale plus
ou moins déclarée de certaines instances locales ou agri-
coles qui ont voulu y voir une concurrence. Fera-t-elle
évoluer les politiques publiques en matière d’étiquetage
des circuits courts ou des produits « locaux » ? Cela ne
semble pas à l’ordre du jour actuellement. Toutefois,

33  La notion de durabilité inclut des considérations à la fois environnementales,


économiques et sociales.
34  La démarche a également été présentée dans d’autres pays d’Europe.

82
Comment m’y retrouver en pratique ?

l’idée fait son chemin. Par exemple, les syndicats de


commerçants non sédentaires s’y sont opposés au départ,
ne tenant pas particulièrement à ce que le consommateur
puisse connaître d’un coup d’œil l’origine des produits
proposés sur les marchés de plein vent. Certains, toute-
fois, comprennent aujourd’hui l’intérêt de « recadrer »
certains marchés, notamment dans les zones touristiques
où les dérives se multiplient. Ici.C.Local sera d’ailleurs
un des sujets présentés lors de l’assemblée générale de la
Fédération des marchés de France en 2017. Certaines
chambres d’Agriculture et surtout un nombre croissant
de collectivités territoriales, cherchant un moyen de
redynamiser les marchés de plein vent dans les territoires,
s’y intéressent aussi.

Est-ce plus cher ?


C’est LA question. En tout cas, celle qui revient le plus
souvent, alimentée par une image médiatique souvent
déformée ou par des comparaisons inadéquates. Les
circuits courts seraient une filière de produits de luxe pour
bobos aisés. C’est du moins ainsi que les perçoivent souvent
les non-acheteurs. Les habitués des circuits courts
soutiennent le contraire. Ils estiment les produits moins
chers, ou en tout cas pas plus chers, que dans les circuits
traditionnels et soulignent un rapport qualité/prix imbat-
table. Mauvaise foi ? Non. Simplement la question du prix
est plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.
Comparer le montant de deux étiquettes sans savoir sur
quoi elles sont apposées n’a guère de sens. Pour tenter de
répondre à cette question faussement simple, suivons une
démarche en trois étapes : comparer ce qui est comparable,
savoir ce qui se cache derrière le montant affiché et enfin
cerner la notion d’un échange économique « juste ».

83
Et si on mangeait local ?

Comparer ce qui est comparable

Autant le poser d’emblée : à qualité égale, un produit


vendu en circuit court n’est pas plus cher, et bien souvent
moins, qu’en circuit long. Tout simplement parce qu’il
n’y a pas d’intermédiaire commercial ni de frais annexes
(promotion, emballage, marketing, publicité). C’est,
rappelons-le, le principe même de ces circuits : éliminer
les frais inutiles afin de dégager une marge décente pour
le producteur. Encore faut-il s’accorder sur ce qu’est un
produit identique. La grande distribution propose par
exemple des prix imbattables sur certaines viandes,
comme le porc industriel ou le poulet de batterie,
produits qui n’existent tout simplement pas en circuit
court. Les mêmes GMS proposent également de la viande
de qualité à la découpe, comme du porc ou des poulets
Label rouge. Or ces produits, qui ne font pas l’objet de
promotions, sont vendus plus cher en GMS qu’en circuit
court ! Il en va de même pour la viande bovine. On peut
certes trouver du « bœuf » à des prix imbattables en
grande surface, mais il s’agit en fait de viande de vaches
de réforme35. Les producteurs ou bouchers vendant en
circuit courts ne proposent que des animaux de race à
viande (Charolais, Limousine…), élevés selon des critères
plus exigeants. Une viande que l’on peut aussi trouver en
GMS mais, là encore, vendue au moins aussi cher qu’en
circuit court.
Quant aux fruits et légumes en pleine saison, ils sont
en moyenne moins chers sur les marchés. Une fois encore,
il s’agit de savoir ce que l’on compare. Les primeurs
— fruits et légumes vendus en avance sur la saison —

35  Des vaches laitières ou reproductrices abattues pour des raisons d’âge ou de santé
car elles ne produisent plus assez.

84
Comment m’y retrouver en pratique ?

Prix cassés en grande surface : « Dans ce genre d’offre,


c’est l’éleveur qui meurt »
« Il faut savoir que nous sommes cernés par des grandes
surfaces. Les relevés que nous avons effectués chez ces concur­
rents montrent que nous sommes moins chers. Mais, attention,
nous ne sommes pas moins chers que le standard qu’ils mettent
en avant. Chez nous, vous ne trouverez pas un poulet gratuit pour
un poulet acheté ou le kilo de porc à 2 €. Dans ce genre d’offre,
c’est l’éleveur qui meurt. Nous comparons par rapport à des
produits de qualité, car la grande distribution propose aussi des
produits de qualité. Comparé à ces produits, nous sommes moins
chers. Un exemple : dans notre magasin, le poulet est vendu
8 €/kg. Le même poulet, nommé « fermier » ou Label rouge, est à
9,5 €/kg en grande surface. La chipolata affiche 8,5 €/kg chez
nous, 9,80 chez eux. Si l’on prend les bons repères pour comparer,
nous sommes moins chers. Mais évidemment, beaucoup ont la
tentation de comparer nos produits avec ceux étalés sur des
affiches en 4×3, proposant des prix imbattables jusqu’au lende­
main midi. Là, nous ne pouvons pas lutter. »
Pierre Moureu, un des associés de Ferm’envie. Table ronde de l’INP-Ensat du 18 oct. 2013,
Une alimentation de proximité pour couper court aux crises.

seront évidemment moins chers en GMS : ils proviennent


d’Espagne ou du Maroc où ils sont produits, sous serre,
par des travailleurs sous-payés et soumis à des conditions
de travail plus que difficiles (confinement en serre à des
températures très élevées, exposition prolongée aux
produits phytosanitaires, entre autres). Ou bien d’Europe
du Nord, produits hors-sol et sous serre chauffée. Les
circuits courts ne proposent au contraire que des fruits et
légumes de pleine saison... qui ne sont alors pas plus
chers, voire moins, que dans les circuits longs. Il y a là une
stratégie d’achat à revoir. Habitués par les formes
modernes de distribution à disposer de tout à n’importe
quelle saison, les clients ont parfois du mal à attendre
l’été pour manger des tomates fraîches. Rappelons encore

85
Et si on mangeait local ?

une fois qu’il existe bien des manières d’utiliser pendant


l’hiver des tomates mises en conserve — entières, en
coulis, en sauce, en concentré — au moment du pic de
production.

Le revers de l’étiquette

Deux euros le kilo de viande de porc ! Un prix de vente


presque irréel et que l’on rencontre pourtant en GMS
(voir l’encadré plus haut). Mais qu’y a-t-il derrière ce
montant ? Comment est-il possible de l’atteindre, même
pour des animaux élevés en batterie de façon intensive ?
La grande distribution joue sur deux leviers. D’une part,
un prix d’achat ridiculement faible qui mène beaucoup
de producteurs à la ruine. D’autre part, l’artifice des
« promotions » ou des produits d’appel. Une grande
surface vendant des milliers de références différentes peut
se permettre de mettre en avant un produit sur lequel elle
ne réalise aucune marge, afin d’attirer les consommateurs
qui iront ensuite dans les autres rayons. Elle répartit alors
les frais fixes de personnel, d’entretien du magasin, de
commissions bancaires, etc., sur les autres produits. En
toute rigueur, il s’agit bien de vente à perte sur le produit
considéré. Un principe assumé dès les années 1950 par un
des théoriciens de la grande distribution, l’Américain
Bernardo Trujillo, qui préconisait « un îlot de perte dans
un océan de profits ».
Par ailleurs, un produit de qualité implique un mode
de production différent, plus coûteux, sur des exploita-
tions en général peu subventionnées — en France, les
aides du premier pilier de la PAC sont orientées vers
l’agriculture de type industriel, celle qui fournit les
circuits longs. Cela se reflète sur l’étiquette. Le prix des
haricots verts en circuit court a par exemple soulevé des

86
Comment m’y retrouver en pratique ?

polémiques. Pourquoi sont-ils vendus de 6 à 8 €/kg à


l’étal des producteurs, alors qu’on peut les trouver à 1,50 € en
GMS ? Quiconque a déjà cueilli des haricots verts connaît
la réponse. Ce travail long et délicat exige beaucoup de
main-d’œuvre. Les haricots vendus « cher » en circuit
court sont cueillis à la main. Ceux bradés en GMS ont été
récoltés à la machine. La différence de prix recouvre alors
une réalité autre que le produit lui-même : de l’emploi
local, des sols moins dégradés, moins de pollution, etc.
Sans parler du haricot vert disponible l’hiver en GMS,
également à 1,50 €, qui vient en ce cas du Kenya.
En résumé, un prix en circuit court reflète les coûts
d’une production de qualité, non subventionnée, et la
légitime rétribution du producteur. Il faut à cet égard
noter que beaucoup d’entre eux, qui pratiquent une agri-
culture très diversifiée, ont du mal à tout simplement
déterminer leur coût de production. Les prix affichés en
circuit long, outre le prix d’achat au producteur, souvent
très faible, représentent les marges des différents inter­
médiaires, les coûts de logistique (conservation, trans-
port), de marketing et de publicité. Tout en gardant à
l’esprit qu’une GMS peut fort bien proposer un produit
à prix « coûtant », à titre promotionnel. Le prix ne repré-
sente alors absolument plus rien.

Qu’est-ce qu’un prix « juste » ?

Si l’on intègre tout ce qui compose réellement un prix,


en particulier les conditions de production des aliments
et de rémunération des travailleurs agricoles, la notion de
prix juste, qui est une des motivations des circuits courts,
devient prédominante. Les systèmes de paniers par abon-
nement en sont la meilleure illustration. Au sein d’un
panier vendu 10, 15, 20 €, selon le contrat initial, quel est

87
Et si on mangeait local ?

le prix des brocolis et celui des pommes ? Impossible


de le savoir. Chaque semaine, le producteur compose à
l’estime un panier type, en fonction de ce dont il dispose
et des prix qu’il constate lui-même dans les circuits tradi-
tionnels. Puis il répartit sa récolte entre les X caisses
à garnir. En règle générale, une fois l’opération terminée,
il lui reste toujours des produits. Comme ils sont
potentiellement perdus, il les rajoute aux paniers déjà
constitués, dont le prix ne change pas pour autant. Sans
compter les « petits plus » ajoutés pour faire plaisir (un
bouquet de persil, par exemple). Des chercheurs se sont
toutefois astreints à vider des paniers proposés en Amap,
peser soigneusement tous les composants et comparer
aux prix de vente dans les circuits longs. Les Amap se sont
alors révélées très compétitives, contrairement à leur
image publique.
L’adhérent à un système de paniers ne se livre pas à un
tel exercice. Il a fait un choix et considère que le panier est
« juste » ou non. Dans un système d’abonnement, cette
idée de justice s’établit même sur le long terme, des
périodes de paniers généreusement garnis justifiant que
le panier soit parfois un peu « maigre » au moment des
creux de production. Le prix est alors une pure construc-
tion sociale, fruit d’une relation où la confiance s’établit
sur une appréciation subjective dans le temps long. Il
s’agit d’un échange accepté par les deux parties car
chacune y trouve son compte et reconnaît l’autre. C’est
finalement depuis toujours la base du commerce : aucun
produit ne possède une valeur intrinsèque, un prix
d’échange indépendant des circonstances. Il suffit d’ail-
leurs d’attendre la braderie de fin d’un marché de plein
vent classique pour s’en convaincre.

88
Comment m’y retrouver en pratique ?

Qui vais-je rencontrer ?

Un repère de bobos, les circuits courts ?

Non, même si on en rencontre effectivement. Des cher-


cheurs ont analysé la population fréquentant ces circuits
d’alimentation. Il en ressort que les militants, certes plus
visibles que les autres, sont en fait minoritaires. Une
bonne part des clients peut être qualifiée d’« héritiers »,
c’est-à-dire des personnes qui s’approvisionnent ainsi
depuis toujours, en général sans penser explicitement aux
enjeux des circuits de proximité. La figure typique en est
une personne relativement âgée qui fréquente un marché
de plein vent et sait reconnaître les bons produits — ce
que les jeunes urbains ne savent plus forcément faire.
Assez nombreux également sont ceux que les chercheurs
ont appelés des « fonctionnels sympathisants ». Derrière
ce jargon se cache une population plus jeune et prag­
matique. Par exemple, un couple qui, au moment de
l’arrivée des enfants, commence à s’inquiéter de la qualité
de l’alimentation, se met à lire les étiquettes, s’enquiert de
l’origine des produits et finit par fréquenter un (ou des)
circuit(s) court(s). L’habitude se prend alors très vite
puisque, si l’on se débrouille bien, on y a accès à des
produits de qualité pas plus chers qu’ailleurs.
À ces études qualitatives réalisées au niveau régional
s’est ajoutée en 2013 une enquête quantitative nationale36.
Il en ressort que près de la moitié des Français affirment
acheter plus ou moins régulièrement des produits en
circuit court, une fois qu’ils ont compris ce que recouvre
le terme. Avec un tel niveau de fréquentation, il devient

36 Menée dans le cadre du projet Casdar Codia (voir la bibliographie en fin


d’ouvrage).

89
Et si on mangeait local ?

difficile d’évoquer une population particulière. Il existe


certes des spécificités mais elles ne sont guère marquées.
Par exemple, parmi les acheteurs en circuits courts, les
cadres et professions intellectuelles sont légèrement
surreprésentés par rapport à la moyenne nationale (16 %
contre 12 % dans la population générale), ce qui semble
cohérent avec les origines du mouvement. Les circuits
courts vivent cependant une évolution rapide, de même
que leur clientèle. L’enquête montre ainsi que les
nouveaux acheteurs sont plus jeunes et que les employés,
et dans une moindre mesure les ouvriers, jusqu’ici sous-
représentés, sont de plus en plus nombreux à fréquenter
ces circuits. De manière générale, tous les observateurs
soulignent la diversification croissante des acheteurs en
circuits courts.
Il ne faut pas oublier non plus que les expressions
« circuits courts » ou « circuits de proximité » recouvrent
aujourd’hui des réalités diverses. Si les Amap attirent une
encore population relativement homogène et plutôt mili-
tante, bien qu’en cours de diversification, les clients
fréquentant les producteurs présents sur les marchés de
plein vent, par exemple, n’ont rien de particulier.
Malgré tout, il reste du chemin à faire pour que ces
circuits prennent toute leur place. Les obstacles à franchir
tiennent parfois d’une représentation sans grand rapport
avec la réalité, parfois d’une inadaptation réelle des
structures aux contraintes de certains consommateurs,
parfois d’une attitude des consommateurs eux-mêmes.
L’image de lieux chers et réservés à des militants relève
de la carence d’information ou du focus médiatique
sur certains circuits. En revanche, et malgré la diversi­
fication de l’offre, les circuits courts ne peuvent pas lutter
contre la grande distribution sur certains aspects
pratiques. Ils ne proposeront jamais tous les produits

90
Comment m’y retrouver en pratique ?

courants — y compris la lessive, les produits de toilette


ou les vêtements, par exemple, même si certains produits
du quotidien se développent aujourd’hui en circuits
courts — à tout moment et au même endroit. Cela, seuls
les circuits longs sont aujourd’hui à même de le faire.
Séparer les courses alimentaires des autres achats est-il
possible pour tout le monde ? Cela reste à discuter même
si le Credoc, institut qui observe nos comportements de
consommation, montre que les Français diversifient
durablement leurs lieux d'achat. Enfin, des choix person-
nels parfaitement légitimes peuvent également intervenir.
Certains veulent ou doivent minimiser le temps consacré
à l’approvisionnement, ou allouer à leur alimentation le
budget le plus serré possible, donc utiliser les promotions
de la grande distribution sans se préoc­cuper de la qualité
des produits. D’autres souhaitent éviter les contacts inter-
personnels lorsqu’ils font leurs courses — bien que de
nouvelles formes de circuits courts reposant sur Internet
les réduisent déjà sérieusement.

Profil des acheteurs en circuits courts

ANCIENNETÉ D’ACHAT ACHETEURS PAR SEXE


Renouvellement et progression du nombre des consommateurs

33 % 67 %
13 % 44 % 31 % D’HOMMES DE FEMMES

Depuis – d’1 an Depuis 1 à 5 ans Depuis + de 10 ans 42 % des personnes interrogées avaient acheté
un produit en circuit court au cours du dernier mois

ACHETEURS PAR ÂGE 7% 18/24 ACHETEURS PAR PROFESSION


Artisan, commerçant 6%
25/39 25 % Cadre 16 %

Prof. intermédiaire 16 %
30 % 40/54
Employé 15 %

55/64 19 % Ouvrier 11 %
Retraité 26 %
20 % 65 et + Inactif 10 %

Source : projet Codia, financé par le Casdar (2013). Base : 603 acheteurs Infographie Inra
en circuits courts (sur 1 425 interviewés). © Véronique Gavalda

91
Et si on mangeait local ?

Suis-je tenu(e) de militer ?

Que le lecteur se rassure : il ne risque pas l’embrigade-


ment en allant acheter ses courgettes ! Personne n’est
tenu de montrer patte blanche — ou d’adhérer à quelque
idéologie que ce soit — en allant faire ses courses. Et ce
même dans les formes de distribution les plus militantes
à l’origine, comme les Amap. À chacun de décider à quoi
il veut participer, de savoir quelle signification il attribue
à sa décision d’acheter là ou ailleurs. De plus, au moment
même de l’achat, tout un chacun passe des compromis
entre ses intentions et les contingences pratiques, comme
le montrent les études réalisées auprès des clients en
circuit court comme en circuit long. Bref, on est loin du
carcan idéologique que certains se complaisent à dénon-
cer. Dans la variété des formes actuelles, chacun peut
aussi choisir le type de circuit court qu’il fréquente en
fonction de ses aspirations — et des possibilités concrètes.
Les quelques exemples suivants ne sont qu’indicatifs de la
variété des options : il n’est pas question ici de délivrer
des brevets de légitimité.
Associations sans but lucratif, les Amap reposent
incontestablement sur le militantisme. Au-delà même de
l’idée de base, qui consiste à soutenir une forme d’agri-
culture opposée au modèle agro-industriel dominant, le
mouvement s’inscrit dès son origine dans un projet social
« alternatif » plus large. Organisées en un réseau national
(Miramap, le Mouvement interrégional des Amap), les
Amap respectent des principes généraux d’ordre écono-
mique, social ou environnemental édictés dans une
charte publique. Publié en 2014, ce texte constitue une
version actualisée de la charte initiale adoptée par Alliance
PEC Provence. Il affirme cinq principes :
–– une démarche d’agriculture paysanne ;

92
Comment m’y retrouver en pratique ?

–– une pratique agroécologique37 ;


–– une alimentation de qualité et accessible ;
–– une participation active dans une démarche d’éduca-
tion populaire ;
–– une relation solidaire contractualisée sans intermédiaire.
À l’autre extrémité du spectre, le très classique marché,
ou le magasin de producteurs, n’impliquent aucun enga-
gement particulier, tout au moins de la part du consom-
mateur. Il en va de même pour la plupart des systèmes de
commande sur Internet.
La Ruche qui Dit Oui !, acteur de poids déjà évoqué,
propose à cet égard un modèle hybride combinant la
souplesse et le non-engagement de la commande par
Internet avec un militantisme au moins affiché, sinon
bien réel. Le site Internet revendique en effet des préoc-
cupations environnementales et une volonté de soutien à
l’agriculture locale, sans doute partagées par une bonne
part des clients et des « responsables de ruche ». Dans les
faits, la Ruche est une sorte de franchise dont la société-
mère, Equanum SAS, maintient le site. Cette très classique
société par actions appartient majoritairement à trois
fondateurs qui ne sont pas des producteurs. Le reste du
capital est réparti entre divers investisseurs privés ayant
injecté plusieurs millions d’euros. La plateforme prélève
16,7 % sur les ventes de chaque « ruche », répartis égale-
ment entre le « responsable de ruche » et Equanum SAS.
Agréés par Equanum, lesdits « responsables de ruche » ne
sont pas ses salariés mais des « indépendants » au statut
variable — essentiellement des micro-entrepreneurs.
Les consommateurs, bien qu’appelés « membres », n’ont

37 L’agroécologie promeut des systèmes de production valorisant la diversité


bio­logique et les processus naturels (cycles de l’azote, du carbone, de l’eau, équilibres
biologiques entre organismes ravageurs et auxiliaires des cultures…). Elle prend en
compte les potentialités écologiques, économiques et sociales d’un territoire.

93
Et si on mangeait local ?

aucun engagement particulier. Si chaque « ruche » con­­


serve une échelle modeste, Equanum SAS poursuit pour
sa part une logique typiquement capitaliste de croissance
indéfinie.

Mon boucher est-il en circuit court ?


Les artisans bouchers n’assurent plus que 30 % environ
du commerce de la viande en France. Le reste se vend en
grande distribution, qui certes salarie des bouchers de
métier pour la découpe mais s’approvisionne selon ses
modalités habituelles. Et parmi les artisans, seuls 8 %
sont encore des bouchers abatteurs qui vont choisir et
acheter leurs bêtes directement chez l’éleveur, les mènent
à l’abattoir et rapportent les carcasses à la boutique. La
viande est une filière alimentaire particulière, ne serait-ce
qu’à cause de ce passage obligatoire par l’abattoir. Et aussi
parce que, contrairement à ce qui se pratique en maraî-
chage, on n’élève pas de gros animaux dans toutes les
régions. Il faut donc relativiser la notion de proximité en
matière de viande, aussi n’est-il pas inutile d’entrer un
peu dans les détails.

Il y a boucher et boucher

Il existe trois catégories d’artisans bouchers. D’une


part ceux, largement majoritaires, qui s’approvisionnent
auprès de grossistes. La viande provient alors de bêtes
d’origine inconnue, et il n’est évidemment pas question
de circuit court. À l’autre extrémité, on trouve un nombre
faible mais stable de bouchers abatteurs, surtout présents
en zone rurale dans les régions d’élevage car ce type de
pratique n’est viable que sur de courtes distances. De

94
Comment m’y retrouver en pratique ?

plus, le choix des bêtes sur pied exige un savoir-faire qui


se transmet de génération en génération mais n’est plus
enseigné lors de la formation professionnelle. On relève
là clairement du circuit court, au sens de la définition
officielle, puisque l’artisan est le seul intermédiaire
commercial entre le producteur et le consommateur.
Il s’agit aussi d’un circuit de proximité, ces bouchers
s’engageant pour l’élevage de leur territoire. Enfin, ils
tiennent à vendre des animaux de race à viande — les
vaches laitières de réforme sont essentiellement vendues
en GMS — correctement élevés et « finis », c’est-à-dire
engraissés durant un certain nombre de mois, générale-
ment au pré, avant l’abattage. Les critères de qualité
et d’agriculture respectueuse de l’environnement sont
donc remplis.
La troisième catégorie est constituée d’artisans tout
aussi exigeants quant à la provenance de leurs animaux et
la qualité de leur viande mais exerçant dans des villes
éloignées des régions d’élevage, ou bien n’ayant pas la
connaissance nécessaire pour l’achat sur pied. Ceux-là
passent par un négociant en bestiaux qui achète pour eux
les animaux vivants. Techniquement, ils ne relèvent donc
pas de la définition officielle du circuit court mais vendent
tout de même de la viande de bêtes de race bouchère,
matures et provenant d’un élevage qu’ils ont choisi. Le
nombre de ces artisans tend à augmenter avec l’exigence
actuelle de traçabilité de la part des consommateurs.
Dans les deux derniers cas, ces bouchers connaissent
l’éleveur... mais n’ont pas le droit de le mentionner ! En
pratique, il n’est tout de même pas rare de trouver des
panneaux indiquant l’élevage d’origine dans leur
boutique. L’administration ferme les yeux, consciente de
l’absurdité de cette règle imposée par les filières officielles
de qualité de type Label rouge.

95
Et si on mangeait local ?

Les intermédiaires : des partenaires ?


L’exemple des bouchers représente l’occasion de revenir sur le
rôle des intermédiaires dans les filières d’approvisionnement.
Certains partisans du circuit court entretiennent plus ou moins
consciemment l’idée qu’un intermédiaire, quel qu’il soit, est
systématiquement inutile, qu’il agit en quelque sorte comme un
parasite prélevant « au passage » une marge indue sans rendre
de service à la collectivité.
Or certains remplissent un rôle indispensable, comme les
bouchers, pour commencer, mais aussi les négociants en
bestiaux. L’intervention de ces derniers n’a pas grand-chose à
voir avec celle des sociétés grossistes en viande qui opèrent à
une tout autre échelle, achètent de gros abattoirs, font venir et
distribuent de la viande d’origine lointaine et non précisée, etc.
D’autres professionnels, par exemple des transporteurs spécia­
lisés, permettent une optimisation logistique et minimisent en fait
l’empreinte environnementale du circuit d’approvisionnement.
Leur intervention est donc justifiée mais leur rôle est sans doute
à redéfinir. Il est souhaitable qu’ils deviennent de véritables
partenaires, engagés dans le soutien à l’agriculture locale et
aidant à mieux répondre aux nouvelles attentes des consom­
mateurs (fraîcheur, transparence…).
Par ailleurs, l’abattoir constitue un passage obligé en boucherie.
Il convient ici de souligner que ces établissements sont en
général des prestataires de service et non des intermédiaires
commerciaux comme on le lit trop souvent : ils n’achètent ni ne
vendent les animaux. Il en va de même, par exemple, pour les
moulins et pressoirs dans les filières de la boulangerie ou des
huiles alimentaires.

Dans les deux cas aussi, et contrairement aux bouchers


qui s’adressent à des grossistes, ces artisans achètent des
bêtes entières. Ce qui signifie qu’ils ont « sur les bras » les
quartiers arrière et avant et doivent valoriser tous les
morceaux. Le consommateur doit donc se remettre en
question, admettre qu’il n’y ait pas toujours d’entrecôte
ou de filet en boutique, accepter que son steak soit parfois
taillé dans l’épaule — la « surprise » ou le « merlan » sont

96
Comment m’y retrouver en pratique ?

d’ailleurs des morceaux parfaitement savoureux — et se


décider à cuisiner de la viande à braiser. Ce n’est pas aussi
compliqué qu’il n’y paraît et des chefs cuisiniers diffusent
aujourd’hui des recettes pour faire simple et bon avec des
« bas morceaux ». Pour un consommateur se voulant
conscient, il est peut-être plus sensé de se réapproprier
une certaine culture de la viande, et de la cuisiner, que de
se focaliser sur le nombre d’intermédiaires. Et sans doute
aussi d’en manger moins en privilégiant la qualité.

En direct de l’éleveur, à prendre ou à laisser

Mais si l’on recherche à tout prix le circuit court, pour-


quoi ne pas se fournir directement auprès de l’éleveur ?
Certains pratiquent en effet la vente au consommateur,
même si cela ne représente qu’une part infime du marché.
Ils ne constituent pas vraiment une concurrence38 pour
les artisans bouchers au sens où ils ne proposent pas le
même produit. Les éleveurs vendent en effet des colis de
5, 10 voire 20 kg, en général composés de morceaux variés
— un peu l’équivalent des paniers pour les fruits et
légumes — puisqu’ils doivent eux aussi valoriser intégra-
lement leurs animaux. Une telle quantité a de quoi faire
réfléchir le consommateur pour des raisons de montant
à débourser et/ou de place pour le stockage. De plus, ces
colis contiennent souvent de la viande d’animaux jeunes,
non « finis » au sens boucher du terme. Certains consom-
mateurs s’en accommodent, d’autres non. Précisons aussi
que, contrairement à ce que pourraient imaginer certains
citadins, l’éleveur est lui aussi tenu de passer par un abat-
toir. Seuls les volailles, moutons et cochons destinés
à l’autoconsommation peuvent être tués hors abattoir.

38  En revanche, la disparité des régimes fiscaux fait tiquer les artisans bouchers.

97
Et si on mangeait local ?

De plus, l’éleveur doit recourir aux services — payants — 


d’un atelier de découpe. Souvent implanté près de l’abat-
toir et, selon les cas, propriété d’un grossiste en viande ou
d’une coopérative, cet établissement représente un inter-
médiaire technique de plus, alors que les artisans
bouchers font eux-mêmes ce travail. Résultat, selon les
morceaux, la viande en caissette n’est pas forcément
moins chère qu’en boutique même si, là aussi, la compa-
raison est difficile : en caissette, paleron et rosbeef sont au
même prix moyen, alors qu’ils vont du simple au triple
dans le commerce traditionnel. De plus, la viande peut
être mal découpée, dans la mesure où les animaux dédiés
à la vente directe n’ont souvent pas les formats standards.
Leur découpe suppose un savoir-faire spécifique que
n’aura pas le salarié d’abattoir habitué à découper des
animaux homogénéisés par l’élevage industriel. Les éle­­
veurs essaient ainsi d’avoir leur propre salle de découpe,
parfois en collaboration avec un boucher.

Mutualisation ou concentration au pays de la viande

Maintenir des circuits de proximité en matière de


viande nécessite un maillage dense du territoire par des
abattoirs locaux39. Or ces derniers disparaissent les uns
après les autres, victimes d’une course à la concentration
au profit d’énormes unités industrielles — elles-mêmes
en difficulté car surdimensionnées. Cela amène parfois
les acteurs de terrain à s’unir pour reprendre à leur
compte ces outils de travail. C’est ce qui vient de se passer
par exemple à Saint-Chély-d’Apcher, en Lozère. L’abattoir

39  Le bien-être des animaux a aussi tout à y gagner, le transport étant un moment
particulièrement pénible et stressant. À tel point que les animaux perdent en général
du poids durant le trajet.

98
Comment m’y retrouver en pratique ?

municipal, en très mauvaise posture depuis des années,


était menacé de fermeture. Bouchers (qui représentaient
la moitié du tonnage de l’abattoir) et éleveurs pratiquant
la vente directe étaient donc condamnés à terme à acheter
ou mener leurs bêtes plus loin. En 2016, 25 éleveurs et
12 bouchers se sont constitués en société coopérative
d’intérêt collectif40 (SCIC), ont obtenu la délégation de
service public et repris cet outil. Pourquoi ? Pour mainte-
nir une activité de proximité, tout d’abord, et limiter
autant que possible les transports d’animaux vivants et
de carcasses qui, en plus de stresser les animaux, ont un
impact réel sur la qualité de la viande. Mais aussi pour
des raisons liées au mode de fonctionnement des abat-
toirs. Les grosses unités sont en général utilisées par les
grossistes en viande, qui ont tendance à s’accaparer l’outil
— quand ils ne l’achètent pas, tout simplement — au

Quel statut pour les abattoirs ?


Selon les territoires, la taille, les spécificités locales, les abattoirs
peuvent être des établissements publics en régie (communale,
par exemple) ou exploités en délégation de service public par une
coopérative ou une SARL. Certains sont des sociétés d’économie
mixte. Dans les régions d’élevage industriel, beaucoup ont été
purement et simplement privatisés, en général au profit des
grossistes en viande.
Notons qu’en France, la réglementation impose les mêmes règles
sanitaires aux abattoirs industriels et à ceux de proximité, alors
qu’ils n’ont ni la même activité, ni les mêmes risques. Dans
d’autres pays d’Europe comme l’Allemagne ou l’Autriche, pourtant
très sourcilleux en matière de sécurité alimentaire, il existe deux
réglementations différentes. Il ne s’agit pas de déroger aux
normes sanitaires mais d’adapter leurs modalités d’application à
la réalité des pratiques.

40  Voir par exemple ce qu’est une SCIC sur www.les-scic.coop.

99
Et si on mangeait local ?

détriment des autres utilisateurs. De plus, une initiative de


type coopératif peut mettre en place des services connexes
à l’abattoir, comme ici un atelier de découpe, dont les
recettes viennent combler l’éventuel déficit de tonnage.
Profitant éventuellement aux éleveurs pour la vente
directe en colis, un tel atelier peut aussi rendre service aux
bouchers en cas de carence en personnel, de forte saison-
nalité de l’activité, de maladie, etc. Une histoire similaire
s’est déroulée à Rostrenen, en Bretagne. L’abattoir inter-
communal était même déjà fermé lorsqu’en 2013, des
bouchers locaux ont lancé l’idée de le reprendre en SCIC.
Des éleveurs et même des consommateurs se sont joints à
l’initiative et l’abattoir a pu redémarrer.

Et à la cantine des enfants


(ou de mon entreprise) ?

Un effet d’entraînement

Les cantines scolaires, restaurants d’entreprise, maisons


de retraite, hôpitaux, prisons et centres de vacances
servent une dizaine de millions de repas chaque jour en
France. La restauration collective proprement dite41
achète chaque année pour environ 4 milliards d’euros de
produits alimentaires. Rapporté aux quelque 240 milliards
annuels du marché alimentaire français, le chiffre paraît
modeste. Néanmoins, elle peut lancer un exemple en
choisissant son mode d’approvisionnement, ne serait-ce
que parce qu’il lui est possible de conduire une politique

41  Dans la restauration « hors foyer », il faut bien distinguer la restauration commer-
ciale (le « restaurant » proprement dit) et la restauration collective (la cantine scolaire,
le restaurant d’entreprise, le service à l’hôpital...).

100
Comment m’y retrouver en pratique ?

délibérée et cohérente d’achats, ce qui est bien entendu


inimaginable pour la consommation particulière. Une
telle action aurait une visibilité importante. Mais surtout,
la restauration collective peut constituer un outil pédago-
gique — et pas seulement pour les enfants — en familia-
risant les convives avec des produits qu’ils n’ont pas
l’habitude de manger, en leur réapprenant la saisonnalité,
en les éduquant au goût, au non-gaspillage, à la pos­sibilité
de « bien manger » sans nécessairement surconsommer
de la viande, etc. Autant d’habitudes qu’ils reprendront
ensuite dans leur consommation personnelle.
Dès 2009, la Fondation pour la nature et l’homme,
créée par Nicolas Hulot, lançait un travail sur ce thème,
qui débouche aujourd’hui sur une initiative que nous
détaillerons plus loin. La loi de « modernisation de l’agri-
culture et de la pêche » de 2010, avec la reconnaissance des
circuits courts, ainsi que la modification du code des
marchés publics en 2012, ont posé des jalons dans ce sens.
Enfin, en 2015, la députée Brigitte Allain a déposé un
projet de loi portant explicitement sur cette question (voir
l’encadré). À l’heure actuelle, l’approvisionnement des
restaurants collectifs et cuisines centrales en circuit court
en est encore au stade de l’expérimentation, de l’échange
d’expérience. S’appuyant sur un travail préalable de la
région Rhône-Alpes, le ministère de l’Agri­culture a d’ail-
leurs édité, à l’attention des donneurs d’ordres publics, un
« guide pratique pour favoriser l’approvisionnement local
et de qualité en restauration collective ».
De manière générale, le gestionnaire d’établissement
envisageant de réorienter son approvisionnement devra
surmonter plusieurs obstacles :
–– la confusion entre alimentation bio et circuit de proxi-
mité, qui amène certains établissements à se fournir en
produits bio... venant d’autres continents ;

101
Et si on mangeait local ?

–– l’inadaptation des règles publiques d’appel d’offre aux


contraintes des producteurs (commande par lots,
marchés pouvant être remis en cause d’une année sur
l’autre, ce qui fragilise les investissements parfois néces-
saires pour répondre à la commande initiale, calendrier
des commandes déconnecté des réalités agricoles) ;
–– des prix d’achat insuffisants pour les producteurs,
d’autant que des grossistes se mettent sur les rangs ;
–– le nécessaire agrément CE des ateliers de transforma-
tion, qui exclut de fait beaucoup de petits producteurs et
d’artisans ;
–– la complexité logistique car un producteur isolé ne peut
pas répondre à la demande en termes de volume ou de
variété, d’où la nécessaire multiplication des fournisseurs ;
–– l’inadaptation des cuisines et des menus, le manque de
formation ou de temps du personnel pour traiter des
produits bruts (peler des légumes) ;
–– les réticences de beaucoup de parents d’élèves, par
exemple, pensant que le repas va coûter plus cher.

Une équation pas si coûteuse

Sur la crainte d’une explosion du prix du repas, qui


constitue un argument souvent entendu, précisons que
l’achat des denrées, ce que les professionnels appellent le
« coût matière », ne représente que 20 à 25 % du prix de
revient d’un repas en restauration collective. Le reste est
dévolu au personnel (surtout), aux frais de fonction­
nement et à l’investissement (équipements et bâtiments).
Une augmentation du prix des matières premières
n’aurait donc qu’un impact minime sur le prix total42.

42  De plus, les convives ou parents d’élèves ne règlent qu’une partie de ce prix total,
le reste étant pris en charge par la collectivité ou l'entreprise directement.

102
Comment m’y retrouver en pratique ?

Et cela si rien ne changeait par ailleurs, ce qui n’est en


général pas le cas. Le choix d’un approvisionnement local
s’accompagne en effet d’une remise en question de l’en-
semble des pratiques. En particulier, le gestionnaire s’at-
tache à choisir des produits de saison, donc moins chers.
De plus, la prise de conscience du gaspillage alimentaire
conduit à ajuster les portions à la consommation réelle,
ce qui diminue à la fois le budget d’achat et celui de la
gestion des déchets. La réflexion peut même s’étendre à
la quantité et la fréquence des produits carnés, chers à
l’achat, dans le menu. Cette quantité est en effet bien
souvent supérieure aux recommandations du Groupe
d’étude des marchés Restauration collective et nutrition
(GEM RCN). Ce groupe, qui dépend du ministère chargé
de l’Économie, édite des recommandations nutrition-
nelles en phase avec les objectifs du Programme national
nutrition santé. Tout cela sans compter des « astuces »
comme le choix de cuissons lentes, qui diminuent la
facture énergétique et la perte de poids des portions.

Quelques initiatives comme autant d’idées

Les initiatives concrètes décrites ci-après ne suffisent


pas à constituer un mouvement mais tracent néanmoins
quelques pistes. Des producteurs organisés en associa-
tions ou coopératives, des collectivités ou des pres­­ta­­
taires ont par exemple mis sur pied des plateformes,
physiques ou virtuelles, regroupant les produits issus
des exploi­tations locales. Ces outils logistiques permettent
de répondre, en termes de volume, de régularité et de
diversité, à la demande des collectivités territoriales,
administrations ou entreprises privées. Ils constituent des
points uniques d’approvisionnement auxquels peuvent
s’adresser les gestionnaires de restaurants collectifs, donc

103
Et si on mangeait local ?

structurent également la demande. Là encore, le Minis-


tère a édité un guide méthodologique pour la cons­titution
d’un tel outil. Parmi les réalisations, on peut citer, entre
autres, la plateforme Agrilocal, fondée en 2013 par les
conseils généraux de la Drôme et du Puy-de-Dôme, que
de nombreux autres départements ont rejoint depuis. Ou
bien Terroirs Ariège Pyrénées, créée en 2011, qui a pris la
forme juridique d’une coopérative regroupant la chambre
d’Agriculture, des collectivités et des producteurs et arti-
sans ariégeois. Quelque 70 producteurs proposent ainsi
près de 300 produits aux gestionnaires de restaurants
collectifs du département. Le modèle économique de ces
dispositifs reste cependant fragile, et ils ne pourront se
maintenir que si davantage de gestionnaires de restau-
rants collectifs leur passent commande.
À son échelle, la municipalité de Mouans-Sartoux,
dans les Alpes-Maritimes, a imaginé une solution origi-
nale pour fournir les cuisines de ses deux écoles, qui
servent 1 000 repas par jour43. Cette petite commune
rurale, engagée depuis 2005 dans le Plan national nutri-
tion santé, veut proposer aux élèves des repas équilibrés,
sains et respectueux de l’environnement, à base de
produits bruts frais. Malgré la définition de lots de
commande soigneusement adaptés aux possibilités de
l’agriculture locale, la municipalité ne trouvait pas de
producteurs à même répondre à ses appels d’offre. Elle en
venait donc, par le biais des marchés publics, à acheter
des aliments bio venus d’Argentine, d’Afrique du Sud,
etc. Changeant son fusil d’épaule, elle a décidé de créer
tout bonnement une légumerie municipale ! En 2011,
elle a installé sur un terrain de 4 hectares un agriculteur
chargé de fournir les cuisines scolaires. Mouans-Sartoux

43  Il existe une vidéo sur YouTube (taper Mouans-Sartoux).

104
Comment m’y retrouver en pratique ?

est aujourd’hui autonome à 80 % pour les légumes, sans


augmentation du prix de revient des repas.
Une expérience particulière, certes, mais qui apporte
des enseignements facilement transposables ailleurs. Tout
d’abord, l’ajustement des lots commandés aux pos­sibilités
de l’agriculture locale, qui suppose une démarche amont
de connaissance mutuelle. Ensuite, un menu des cantines
décidé chaque vendredi, après visite du chef à la légumerie,
en fonction de la récolte prévue la semaine suivante. En
règle générale, c’est l’inverse qui se produit, obligeant les
producteurs à « suivre » des calendriers arbitraires, déci-
dés longtemps à l’avance sans tenir compte des réalités et
aléas agricoles. Enfin, la chasse au gaspillage alimentaire.
Les portions servies ont été revues à la lumière d’une
pesée soigneuse de ce qui était jeté en fin de repas. Résul-
tat, les déchets ont diminué de 80 %. Une manière, d’une
part, de compenser — plus que totalement dans le cas de
Mouans-Sartoux — l’éventuel surcoût d’un approvision-
nement local et de qualité et, d’autre part, d’améliorer
l’impact environnemental du restaurant.
Des villes nettement plus importantes, comme Rennes,
Saint-Étienne, Besançon ou Albi, entre autres, se sont
également lancées de leur propre chef dans des politiques
d’approvisionnement local de leurs cantines.
Pour aider les gestionnaires de restaurants collectifs
à franchir le pas, la fondation Nicolas Hulot lançait
officiel­­­lement, en juin 2016, l’initiative « Mon restau
responsable ». L’idée est d’aller vers une réduction des
gaspillages, l’utilisation de produits plus sains (exempts
de pesticides, en particulier) et provenant de l’agriculture
locale, le tout sans augmenter le prix des repas. La
démarche, participative, commence par une auto­
évaluation du restaurant à l’aide d’un questionnaire en
ligne. Puis un professionnel déjà engagé dans la démarche

105
Et si on mangeait local ?

Le difficile parcours de la loi « Allain » 


Déposée à l’Assemblée nationale le 25 novembre 2015 par Brigitte
Allain (députée de la Dordogne) et plusieurs de ses collègues,
cette loi vise à « favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation ».
Elle propose notamment :
• d’introduire dans la restauration collective publique, dès 2020,
40  % de produits issus de l’alimentation durable, locaux, de
saison, sous signes de qualité, dont 20 % de produits bio ;
• d’intégrer dans la Responsabilité sociétale des entreprises
(RSE)44 des exigences en matière de consommation alimentaire
durable (choix de produits bio et locaux, cuisine sur place, lutte
contre le gaspillage alimentaire et le suremballage) ;
• d’étendre le dispositif « fait maison » aux restaurants collectifs
qui s’impliquent dans la démarche45.
Adoptée à l’unanimité par les députés le 16 janvier 2016, elle a été
modifiée et adoptée le 19 mai 2016 au Sénat puis redéposée à
l’Assemblée nationale en mai. Estimant cependant que le Sénat
l’avait dénaturée en supprimant la mention des 20 % de produits
d’origine bio, ses promoteurs, avec l’aval du Gouvernement,
proposent durant l’été ses principales dispositions sous formes
d’amendements à la future loi Égalité et citoyenneté. Ce dernier
texte, adopté à l’Assemblée le 22 décembre 2016, rétablit les
obligations de 40 % de produits « sous signe d’identification de
la qualité et de l’origine ou sous mentions valorisantes » dont
20 % de produits « issus de l’agriculture biologique ou de surfaces
agricoles en conversion ». Ces dispositions s’appliquent aux
restaurants relevant de l’État, des collectivités territoriales et des
établissements publics. Dernier épisode en date (au moment où
nous écrivons ces lignes) : en janvier 2017, le Conseil constitu­
tionnel a supprimé l’obligation d’une proportion minimale de
produits bio.

44  La RSE est une démarche d’adhésion volontaire qui consiste, pour les entreprises
qui y adhèrent, à intégrer les préoccupations sociales, environnementales et écono-
miques dans leurs actions.
45  Voir www.economie.gouv.fr/fait-maison, pour ce qui entoure la mention « fait
maison », laquelle désigne, dans les lieux de restauration, les plats cuisinés sur place, à
partir de produits bruts, c’est-à-dire crus et sans assemblage avec d’autres produits
alimentaires.

106
Comment m’y retrouver en pratique ?

vient sur place discuter les pratiques avec l’équipe du


restaurant (ou de la cuisine). Ensuite, cette dernière choi-
sit collectivement des pistes d’amélioration puis organise
une « séance publique d’engagement ». À cette occasion,
elle expose ses projets à une assemblée de convives (ou de
parents pour une cantine scolaire), de producteurs
locaux, d’élus et d’associations. Elle reçoit alors (ou non)
le logo « Mon restau responsable » et dispose de six
mois à deux ans pour mettre en place les améliorations
annoncées. Au terme de ce délai, elle doit procéder à une
nouvelle auto-évaluation, recevoir de nouveau la visite
technique d’un professionnel et organiser alors une
« séance participative de garantie ». L’établissement est
censé recevoir à cette occasion une garantie mais ne doit
pas pour autant se reposer sur ses lauriers puisqu’il s’agit
d’une garantie temporaire, renouvelable tous les deux
ans. Tout cela n’est pour l’instant qu’un schéma théorique
dont l’application dépendra, entre autres, des évolutions
législatives. Quatre établissements se sont cependant déjà
lancés dans le parcours. Parmi eux, depuis plusieurs
années, le lycée Jeanson-de-Sailly (Paris) qui a aidé à
définir la démarche.
Les usagers des restaurants collectifs, ou les parents
d’élèves, et bien évidemment leurs autorités de tutelle
(municipalité par exemple pour les cantines de l’école
primaire) ont un rôle essentiel à jouer pour inciter les
gestionnaires de ces établissements à modifier leur mode
d’approvisionnement. Une telle démarche ne peut se
développer pleinement que dans le cadre d’une politique
plus ambitieuse d’alimentation territoriale, ce qui
suppose un engagement fort et durable des pouvoirs
locaux. Nous y reviendrons au chapitre suivant.

107
3
Manger local : repli sur soi
ou acte citoyen ?

L’acte de consommation reste individuel, pourrait-on


penser. Après tout, il s’agit juste d’acheter de quoi
manger ! À ceci près que, quel que soit le circuit de distri-
bution fréquenté, les produits alimentaires — comme
tous les autres — n’arrivent pas à portée de main par
magie. Ils résultent de processus de production, de trans-
formation et de distribution qui affectent l’environ­
nement, s’inscrivent dans des mécanismes économiques
et participent au jeu social. Qu’il en ait conscience ou
non, le consommateur est aussi un citoyen. Même quand
il achète ses légumes... Ici le « moi » devient donc « nous ».
C’est cette dimension collective que ce chapitre essaie de
cerner. Quand j’achète en circuit court, quel effet cela
a-t-il sur l’économie locale ? Vais-je contribuer à changer
les rapports sociaux, par exemple entre producteurs et
consommateurs, ou entre citadins et ruraux ? Est-ce
bénéfique pour l’environnement ? Rappelons qu’il s’agit
là des trois composantes du développement durable. Elles
seront d’abord exposées séparément mais, et c’est avant
tout ce qui les différencie des circuits longs, les circuits

108
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

courts cherchent à intégrer ces trois dimensions. À titre


d’illustration, nous verrons comment ils peuvent parti­
ciper à des politiques locales dédiées au développement
de l’agriculture périurbaine et à la mise en œuvre de
projets alimentaires territoriaux.

Un effet tangible sur l’économie des fermes


et des territoires ?

Contribuer à une meilleure rémunération des produc-


teurs et au maintien d’une agriculture non industrialisée,
valoriser les produits locaux et par là même les emplois
de proximité : autant d’effets économiques souvent
revendiqués par les partisans des circuits courts. Mais
qu’en est-il des résultats ? Manger « local » a-t-il vraiment
un effet sur l’économie agricole ou sur l’emploi local ? Il
n’existe pas à l’heure actuelle d’étude d’ampleur nationale
consacrée à l’impact des circuits courts sur le maintien ou
l’installation des exploitations agricoles. Les premières
enquêtes, encore partielles, ainsi que les observations des
acteurs de terrain — comme par exemple les techniciens
des chambres d’Agriculture — et des chercheurs,
suggèrent cependant qu’ils modifient déjà quelque peu la
donne, en particulier chez les jeunes agriculteurs. Ils ont
aussi un impact avéré sur l’économie locale. Plus qu’aux
chiffres, encore sujets à caution et en pleine évolution, le
lecteur s’intéressera donc surtout aux mécanismes en jeu,
aux ordres de grandeur et à la dynamique qui se fait jour.

Le renouveau des petites fermes

Pour leurs détracteurs, la cause est entendue : les


circuits courts sont un phénomène marginal, sans grand

109
Et si on mangeait local ?

avenir dans le monde agricole. Leurs partisans, eux,


prédisent évidemment leur extension jusqu’à représenter
une part significative de la production agricole et influen-
cer l’ensemble des pratiques, même en filières indus­
trialisées. Plus objectivement, la pénétration des circuits
courts a pour la première fois fait l’objet d’une étude
nationale en 2010, lors du dernier Recensement général
agricole (RGA). Résultat : un exploitant agricole sur
cinq écoule au moins une partie de sa production via un
tel circuit. Ce type de commercialisation concerne
même la moitié des apiculteurs et des producteurs de
légumes, qu’ils soient exclusivement maraîchers ou
exploitants en grande culture ou polyculture ayant une
surface plantée en légumes. De même, un producteur de
fruits sur quatre utilise les circuits courts pour écouler
une partie de sa récolte. La proportion reste moindre en
élevage... sauf pour les produits laitiers, en particulier
ovins et caprins. Le fromage de chèvre en vente directe,
emblématique du retour à la terre des années 1970, s’est
donc solidement implanté ! Au total, l’adhésion aux
circuits courts reste minoritaire dans le monde agricole,
mais très loin d’être marginale. Sans surprise, cela
concerne surtout des exploitations de taille inférieure à la
moyenne, précisément les plus menacées par le système
agro-industriel dominant.
Il convient ici d’apporter quelques précisions. En
France, trois catégories d’exploitations agricoles vivent
des évolutions très différentes. Les petites fermes, comp-
tant moins de 10 hectares de surface agricole utilisée
(SAU), semblent effectivement bénéficier du renouveau
des circuits courts puisque leur nombre a progressé entre
2005 et 2015. Les grandes exploitations, celles de plus de
50 hectares de SAU, adhèrent au modèle agro-industriel
et y prospèrent. Leur surface moyenne croît sans cesse.

110
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

Entre les deux, les fermes « moyennes » vivent des temps


très difficiles et leur nombre diminue constamment. Elles
sont en effet trop petites pour concurrencer les grandes
exploitations dans les filières longues, en particulier sur
le marché international, et trop grandes pour pratiquer la
vente directe aux consommateurs. À titre d’exemple,
imaginons une exploitation laitière moyenne, d’une
quarantaine d’hectares de SAU, avec un troupeau de
30 vaches produisant environ 250 000 litres par an.
L’éleveur ne peut pas lutter par les prix avec des unités
beaucoup plus importantes fonctionnant en filière
longue. D’autre part, s’occuper d’un tel troupeau ne lui
laisse pas vraiment de temps disponible pour la transfor-
mation (yaourts, fromages) et la commercialisation en
vente directe. Certains dans ce cas cherchent alors à
s’associer avec d’autres producteurs, ou bien avec un
membre de leur famille, pour faciliter la diversification.
La transition, toutefois, n’est pas simple. Le dévelop­
pement de circuits de distribution comprenant un inter-
médiaire, transformateur et/ou distributeur qui soit
réellement un partenaire, peut alors permettre à ces
fermes moyennes de tirer plus facilement leur épingle du
jeu. De tels partenaires, toutefois, manquent encore. Les
fermes « du milieu », ainsi, sont acculées à disparaître.
La situation a encore évolué depuis le dernier Recense-
ment général agricole. En attendant le prochain, en 2020
puisque c’est une opération décennale, il faut se fier aux
observations des acteurs de terrain. Tous confirment une
forte progression de la commercialisation en circuits
courts, parlant parfois de « véritable engouement »,
évidemment variable selon les territoires. Le mouvement
concerne en premier chef les nouvelles installations. En
Bretagne, quatre nouveaux agriculteurs sur dix envisage-
raient ainsi de recourir — à un degré ou un autre — aux

111
Et si on mangeait local ?

circuits courts, contre un exploitant déjà installé sur dix.


La proportion est encore bien supérieure dans des régions
comme la vallée du Rhône ou le Sud-Est. Une étude de
2012, réalisée conjointement par les Jeunes agriculteurs
et le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC),
donne des chiffres également très élevés parmi les candi-
dats à l’installation.
Pour l’exploitant installé, le passage, même partiel, aux
circuits courts reste plus difficile, dans certaines filières
en particulier. Tout d’abord parce qu’il a investi et donc
s’est endetté, souvent à long terme, sur du matériel
correspondant à une pratique en circuit long. Ensuite
parce que ce changement suppose un important travail
de réorganisation de l’exploitation et d’acquisition de
nouvelles compétences. Enfin, cela représente une remise
en cause, parfois déstabilisante, de sa propre représenta-
tion du « bon agriculteur ». Le poids du milieu et des
opinions dominantes se fait ici sentir, même si les lignes
bougent depuis quelques années et que le soutien des
consommateurs peut l’encourager. Un exploitant réussis-
sant économiquement dans le système classique n’a donc
guère de raisons de changer. En revanche, parmi ceux de
plus en plus nombreux qui se trouvent en difficulté,
certains passent aux circuits courts. Pour des raisons
économiques, certes, mais aussi pour retrouver un sens à
leur activité.

Maintenir des emplois ruraux

En 2007, le Centre technique interprofessionnel des


fruits et légumes (CTIFL) a passé en revue les disparitions
de fermes constatées entre 2000 et 2005. Il est apparu que
les exploitations vendant majoritairement en circuits
courts ont mieux résisté que les autres. Pourquoi ? D’une

112
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

part grâce à des marges supérieures, et dans certains cas


— comme les systèmes d’Amap — à des avances de tréso-
rerie en début d’exercice. D’autre part grâce à une meilleure
adaptation aux attentes des consommateurs. Libérés des
impératifs fixés par l’aval des filières, et en relation directe
avec les clients finaux, ces exploitants connaissent très
finement leur marché. Ils peuvent donc à la fois proposer
le type de marchandise qu’attend la clientèle et faire décou-
vrir de nouveaux produits ou variétés. C’est par ce biais
que le grand public a redécouvert la saveur du topin­
ambour, ou que les tomates « anciennes » sont devenues
un must depuis quelques années46. Finalement, les circuits
courts permettent aux exploitants de mettre en œuvre des
productions très variées, difficiles à écouler dans le circuit
général et pourtant assurées du succès commercial.
Les éleveurs de bovins sont moins enclins à pratiquer les
circuits courts du fait de leurs contraintes spécifiques : fort
investissement initial, longueur du cycle économique pour
la viande, nécessité de la transformation. Et pourtant, dans
le Massif central, des éleveurs de races à viande y viennent.
Ils mènent des fermes comprenant peu de surface labou-
rable — donc ne se prêtant pas à la culture de fourrage
comme le maïs — mais de vastes « parcours », c’est-à-dire
des étendues de prairies, de pâtures de montagne. La seule
solution économiquement viable pour eux consiste à valo-
riser l’herbe, gratuite, pour nourrir le troupeau. Or les
animaux à la pâture mettent plus de temps à atteindre le
format requis par les filières classiques de distribution que
ceux élevés au maïs ou aux aliments concentrés pour bétail.

46  À tel point d’ailleurs qu’on peut désormais trouver en GMS des tomates hybrides
rappelant certaines de ces variétés anciennes (les fameuses « cœur de bœuf »), au
moins pour l’aspect général. Le goût n’y est pas, cependant, ces variétés modernes
étant d'abord créées pour leurs performances en agriculture industrielle (rendement,
durée de conservation...).

113
Et si on mangeait local ?

Cela représente un handicap économique pour ces exploi-


tations. Certains de ces éleveurs se tournent donc vers les
circuits courts, où le format des carcasses a moins d’impor-
tance et où ils peuvent faire valoir l’argument de la qualité
de leur viande. Finalement, ils obtiennent des résultats
économiques supérieurs à leurs collègues restés en circuit
long et obligés de « forcer » la croissance des animaux avec
des aliments achetés.
Les circuits courts créent-ils pour autant des emplois
agricoles ? Les données du RGA de 2010 suggèrent que les
fermes pratiquant la vente directe emploient plus de
personnel que les autres. Elles mobilisent en moyenne
2,2 unités de travail annuel, contre 1,4 pour les autres
exploitations. Il faut cependant tenir compte des biais dus
à la surreprésentation des fermes de faible surface et
consacrées au maraîchage, très gourmand en main-
d’œuvre47, parmi celles utilisant des circuits courts. Aux
dires des observateurs, l’impact bénéfique des circuits
courts sur l’emploi rural découle surtout de la survie
d’exploitations qui sinon auraient disparu, condamnées
par le système dominant. Il s’agit donc moins, pour l’ins-
tant, de créer de nouveaux emplois que d’en sauver ! Ou
d’en officialiser, car le développement de la vente directe
a aussi permis à des femmes d’exploitants agricoles de
valoriser leurs compétences et d’accéder à un statut
officiel. Reste qu’écouler des produits agricoles en circuit
court suppose de se lancer dans des activités nouvelles
(distribution, vente, éventuellement transformation) qui
mobilisent de la main-d’œuvre, qu’elle soit déjà présente
ou non. L’aventure du Gaec du Pressoir à Saint-Pern,
précédemment décrite, en est un bon exemple : non
seulement le producteur a sauvé une exploitation vouée

47  Reste que ces emplois peuvent être précaires et peu rémunérés.

114
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

à la disparition s’il était resté dans le système intensif,


mais celle-ci emploie maintenant sept personnes, sur la
même surface qu’au départ. Cette exigence en main-
d’œuvre représente d’ailleurs parfois une limite des
circuits courts, surtout pour les agriculteurs s’y engageant
seuls. C’est aussi une des raisons de l’émergence des
formes non traditionnelles (PVC, plateformes, etc.) qui
créent des emplois salariés locaux.

Où vont les euros ?

Une part encore faible des achats

Inversons maintenant la perspective pour nous intéres-


ser aux consommateurs. Quelle part du marché alimen-
taire les circuits courts représentent-ils ? La première
enquête d’ampleur nationale, déjà évoquée, a montré que
42 % des personnes interrogées — des personnes de plus
de 18 ans faisant des courses alimentaires — avaient acheté
au moins un produit en circuit court durant le mois précé-
dent. Outre cette pénétration importante, l’étude a
confirmé ce que le Centre de recherche pour l’étude et
l’observation des conditions de vie (Credoc) avait constaté
l’année précédente : les acheteurs multiplient de plus en
plus leurs lieux d’approvisionnement en produits alimen-
taires. Qu’une telle proportion de consommateurs ait
fréquenté au moins un circuit court dans le mois précédant
montre que ces derniers sont désormais largement acces-
sibles. Cela donne également un indice de leur notoriété
mais ne dit pas grand-chose de leur poids économique.
Plus concrètement, dans cette enquête, les personnes
fréquentant les circuits courts disent y dépenser en
moyenne 25 € par semaine, soit un quart de leurs dépenses

115
Et si on mangeait local ?

alimentaires. De fait, quelles que soient les méthodes de


calcul et les sources, il apparaît que les circuits courts
représentent aujourd’hui, en valeur, de l’ordre de 10 % du
marché total de l’alimentation en France48, avec de fortes
disparités entre régions (beaucoup plus autour de Lyon
qu’en Bretagne, par exemple), même si certains observa-
teurs estiment que ce chiffre est en croissance. Quoi qu’il
en soit, il reste une forte marge de progression...

Un bonus pour l’économie locale

À quoi sert un euro dépensé dans un circuit court ? La


question n’est pas anodine. Il existe en effet, en économie,
un concept appelé effet multiplicateur : un euro dépensé
est réinvesti par celui qui le reçoit, et ainsi de suite. Il
s’agit donc, en l’occurrence, de savoir si un euro dépensé
en circuit court aura les mêmes effets sur l’économie
locale qu’un euro dépensé en GMS. Un récent rapport
européen49 a passé en revue les études économiques sur le
sujet. Il en ressort que les circuits de proximité ont bel et
bien un effet multiplicateur avantageux sur l’économie
locale. Et cela sans compter le maintien des emplois
ruraux ou les synergies avérées avec le secteur du
tourisme. Un euro dépensé dans un circuit court sert en
effet à rémunérer le producteur et d’éventuels inter­
médiaires locaux : artisans transformateurs, employés
des PVC, etc. Il est donc intégralement réinvesti dans
le territoire. Alors qu’un euro dépensé en GMS sera
essentiellement — sauf la part réservée aux employés du
magasin — distribué ailleurs, pour rémunérer (bien peu)

48  Le pourcentage varie selon les produits et les gammes : il est bien plus élevé pour
le bio, par exemple.
49 http://agrilife.jrc.ec.europa.eu/documents/SFSChainFinaleditedreport_001.pdf.

116
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

un producteur mais aussi beaucoup d’intervenants plus


ou moins socialement utiles (agences de publicité,
actionnaires des firmes). Aucune étude de ce type n’a été
menée en France mais les mécanismes et structures
économiques sont comparables au reste de l’Europe.

Un véritable impact social ?


Les circuits courts sont-ils porteurs d’une dimension
sociale ? Cet aspect fait partie intégrante de la définition du
développement durable, on a parfois tendance à l’oublier.
Au-delà des aspects alimentaires, économiques ou envi-
ronnementaux, les consommateurs et producteurs se
dirigent aussi vers ce type de circuit de distribution pour
se rencontrer, pour sortir de l’anonymat propre aux grands
circuits de distribution, pour redonner du sens à leur acte
d’achat ou de vente, pour valoriser une culture alimentaire
locale... ou tout simplement pour se rassurer. Soutien
aux petits producteurs locaux, instauration de nouvelles
relations interpersonnelles, participation à une action
économique territoriale, redéfinition des relations ville-
campagne, valeurs partagées : autant d’objectifs à colora-
tion indéniablement sociale. Plus que les motivations des
participants, déjà abordées, c’est toutefois l’effet collectif
de ces initiatives que nous examinons ici. Et de fait, les
analyses de diverses réalisations concrètes tendent à confir-
mer, à leur échelle, une influence sur le « vivre ensemble ».

Lien social, nouveaux réseaux et participation à la vie collective

Malgré la difficulté à définir et mesurer l’impact social


de ces initiatives, les observateurs — essentiellement des
sociologues et économistes — mettent en avant trois

117
Et si on mangeait local ?

grands effets. Les circuits courts, tout au moins ceux qui


ont été étudiés, semblent contribuer d’une part à renouer
le lien social, d’autre part à susciter l’émergence de
nouveaux réseaux, et enfin à favoriser la participation de
chacun à la vie collective. L’échange direct avec le produc-
teur — explications sur la saisonnalité, sur les denrées,
éventuellement sur la manière de les cuisiner — permet
de créer un lien basé sur la confiance, pour peu que les
consommateurs soient fidèles, ce qui est généralement le
cas. Chacun comprend alors mieux les réalités et
contraintes de l’autre : aléas climatiques, valeur du travail,
aspects logistiques... Les citadins prennent conscience des
modes de production et des conditions de travail des
agriculteurs, qu’ils ignoreraient largement sinon. Pour
leur part, les producteurs perçoivent mieux les inquié-
tudes ou les attentes des consommateurs, ainsi que leurs
contraintes comme les horaires, les déplacements, les
limites du stockage des aliments en appartement... Bien
entendu, dans le cas de circuits courts comportant un
intermédiaire, l’établissement d’un tel lien suppose une
réelle transparence — identification des producteurs avec
leur contact — et une volonté de médiation, par exemple
via l’organisation de rencontres avec les agriculteurs.
Par ailleurs un circuit court ne se crée jamais seul.
L’initiative individuelle ne suffit pas. Une telle opération
suppose la mise en commun des efforts de différents
acteurs : producteurs, groupe de consommateurs plus ou
moins organisés (jusqu’à l’association en bonne et due
forme), parfois autorités locales (la commune pour la
mise sur pied d’un marché paysan, par exemple),
éventuel­­­lement intermédiaires et/ou employés. D’où, et
c’est le deuxième effet constaté, la création de réseaux
interpersonnels inédits sur le territoire, d’alliances
souvent nouvelles entre collectivités locales, producteurs

118
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

et artisans, auxquels s’ajoutent parfois des parents d’élèves


lorsqu’il s’agit d’alimenter les cantines scolaires, voire des
travailleurs sociaux, etc. Cela vaut également entre
producteurs. C’est d’autant plus important que les agri-
culteurs, en particulier ceux qui sont insérés dans des
filières longues, souffrent d’un véritable isolement
relationnel. La simple participation hebdomadaire à un
marché permet à la fois de rencontrer des consommateurs
et de discuter avec des collègues. En vente directe, ces
relations s’établissent de manière informelle, ne serait-ce
que parce que les innovations nécessaires (aspect
commercial, logistique, relationnel...) amènent souvent à
des échanges de conseils et de savoirs, voire de « coups de
main », par exemple pour la distribution ou la vente,
qui n’existeraient pas autrement. La mise en place
d’un marché ou d’un PVC implique quant à elle l’établis-
sement de relations de coopération plus formalisées
et durables.
Finalement, chacun, producteur comme consomma-
teur, participe à un projet collectif sans forcément y avoir
investi une volonté militante. En s’approvisionnant
auprès d’un circuit court, même le consommateur le plus
éloigné de toute préoccupation politique se trouve en
position d’agir, de participer à son échelle à l’activité d’un
territoire. Loin de la passivité obligée face à la grande
distribution, où clients comme producteurs n’ont aucun
poids, cette nouvelle possibilité d’action contribue à ce
que les Anglo-Saxons appellent l’empowerment. Autre-
ment dit l’accès à une forme d’autonomie, à une certaine
prise de pouvoir des individus sur les conditions sociales,
économiques et politiques, au moins locales, de leur vie.
Cette dimension d’engagement, même si elle se résume à
fréquenter un lieu de vente toutes les semaines, est une
condition sine qua non de la durabilité des projets.

119
Et si on mangeait local ?

Les circuits courts au défi de la précarité alimentaire

Tout cela est bel et bon mais, même si la fréquentation


tend à se diversifier aujourd’hui, les circuits courts
concernent surtout une partie plutôt éduquée, et insérée
économiquement, de la population. Comment faire pour
aller plus loin ? En particulier, quelle est la pertinence des
circuits courts, ou de proximité, pour les personnes les
plus démunies ? C’est entendu, les aliments proposés en
circuit court sont vendus moins cher à qualité égale...
mais ils restent toujours plus chers que la nourriture
industrielle bradée en GMS ou en hard discount. Or
plusieurs millions de personnes en France doivent
« rogner » même sur leurs dépenses alimentaires. De
plus, elles ne peuvent pas toujours accéder aux points de
distribution des circuits de proximité et manquent
souvent d’information, quand elles n’ont pas tout simple-
ment le sentiment que « ce n’est pas pour nous »... En
conséquence, elles n’ont pas accès à une nourriture de
qualité, et en particulier à des produits frais comme les
fruits et légumes de saison. Beaucoup d’habitants de ce
pays en sont réduits au régime « pâtes-riz », plus des
aliments manufacturés trop gras et sucrés, avec les consé-
quences que l’on connaît en termes de santé publique :
un taux élevé de diabète, d’hypertension et d’obésité — et
de maladies cardiovasculaires qui en résultent — dans la
partie la plus pauvre de la population. Comment faire
pour surmonter cela, tout en préservant la juste rémuné-
ration des producteurs ? Les circuits de proximité ont-ils
un rôle à jouer, en particulier, dans l’aide alimentaire ?
Dans l’autre sens, les structures d’aide alimentaire
peuvent-elles s’abstraire du débat général sur l’alimenta-
tion durable et continuer à s’approvisionner exclusive-
ment auprès de la grande distribution ?

120
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

Avant d’évoquer plusieurs initiatives concrètes visant à


impliquer des circuits courts dans ce que l’on pourrait
appeler une solidarité alimentaire, il convient de rappeler
quelques données de base. Tout d’abord, en 2013, l’aide
alimentaire a concerné, de façon passagère ou durable,
3,9 millions de personnes en France selon le ministère de
l’Agriculture. Et le chiffre ne fait qu’augmenter... La
réponse collective s’organise de façon pour le moins
complexe. Précisons simplement que l’aide alimentaire est
financée par des fonds nationaux (le Plan national d’aide
alimentaire, ou PNAA) et européens (depuis 2001 le Fonds
européen d’aide aux plus démunis, ou FEAD). À cela
s’ajoutent bien entendu les dons directs, en nature ou en
argent, provenant de la société civile mais aussi des produc-
teurs, de l’industrie agroalimentaire, de la grande distribu-
tion ou de petits commerces. Tout est collecté puis redis-
tribué par les Restos du cœur, le Secours populaire, la Croix
rouge ou la Fédération des banques alimentaires. À ces
quatre opérateurs historiques se sont ajoutés en 2013 huit
autres associations habilitées par le ministère de l’Agri­
culture50. L’aide alimentaire s’adosse donc à une logistique
à grande échelle, où les achats se font de manière centra­
lisée au niveau national, ou tout au moins régional. Sur le
terrain, les aliments achetés ou collectés sont redistribués
selon deux modalités principales. La distribution gratuite
de repas ou colis, que pratiquent par exemple le Secours
populaire ou les Restos du cœur, représente une réponse
d’urgence absolue. Elle concerne des gens qui en général ne
peuvent se nourrir autrement. Les épiceries sociales et
solidaires s’adressent pour leur part à des personnes en

50  L’Association nationale de développement des épiceries solidaires, la Fédération


de l’entraide protestante, la Fédération nationale des paniers de la mer, la Fondation
de l’Armée du Salut, Imagine 84, le Réseau Cocagne, Revivre dans le monde et la
Société de Saint-Vincent-de-Paul.

121
Et si on mangeait local ?

situation économique précaire mais non totalement


démunies. Elles vendent donc les produits, à des prix
toutefois très inférieurs à ceux du marché. À la liberté de
choix qu’elles procurent s’ajoute souvent une action d’in-
sertion ou d’information sur les aliments et la nutrition.
Classiquement, les acteurs de l’aide alimentaire s’ap-
provisionnent auprès des filières longues, avançant de
solides arguments de logistique, d’échelle et de prix. Les
observateurs remarquent également que les volontaires
n’ont pas forcément conscience des enjeux — sociaux,
économiques, environnementaux — des circuits courts,
ou estiment que l’urgence à laquelle ils répondent ne peut
s’embarrasser de telles considérations. Au double risque
de ne pas pouvoir proposer des produits frais de qualité
et de se retrouver assimilés à une filière insérée dans un
système pérenne, bien pratique pour écouler les surplus
ou les produits de troisième choix, voire les défiscaliser.
On assiste ainsi, en quelque sorte, à un cloisonnement des
problématiques sociales.
Le Programme national pour l’alimentation insiste
pourtant sur « l’accès de tous à une alimentation de
qualité ». À l’évidence, ce « tous » doit inclure les quelque
4 millions de personnes en grande difficulté économique.
Plusieurs projets ont défriché le terrain d’une parti­
cipation des circuits courts à l’aide alimentaire.

La solidarité alimentaire s’organise

En 2011, l’Inra de Montpellier51, les Restos du cœur de


l’Hérault et Mercadis, société mixte qui gère le marché
d’intérêt national (MIN) de Montpellier, lançaient un
dispositif expérimental soutenu par la direction régionale

51  Département SAD, unité mixte de recherche Innovation et développement.

122
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DRAAF)


du Languedoc-Roussillon52 dans le cadre du Programme
régional pour une offre alimentaire sûre, diversifiée et
durable. Il s’agissait d’approvisionner l’entrepôt départe-
mental des Restos du cœur — et donc leurs 33 centres
distributeurs — en fruits et légumes frais de producteurs
locaux. Durant le printemps et l’été 2011, les différents
acteurs ont élaboré ensemble les modalités et buts du
projet, pour un démarrage effectif en novembre. Les
« campagnes » des Restos du cœur durent en effet
17 semaines chaque hiver, de novembre à mars. L’idée
générale était à la fois d’améliorer la qualité de la nour­
riture distribuée aux bénéficiaires — 22 000 personnes
l’hiver précédent, soit 2 % de la population du départe-
ment — et de soutenir l’agriculture locale, en particulier
les producteurs en difficulté. S’y ajoutaient des considé-
rations comme le mode de production respectant l’envi-
ronnement ou la diminution des transports.
Pour des raisons de logistique, il était difficilement envi-
sageable de s’approvisionner directement auprès de
producteurs. Le choix s’est donc porté sur un circuit de
proximité — la plupart des exploitations agricoles concer-
nées sont situées dans le département, et toutes dans la
région — comportant un échelon intermédiaire53. Deux
grossistes, habitués à travailler avec la restauration collec-
tive, ont répondu à l’appel d’offre. Deux parmi la vingtaine
de grossistes en fruits et légumes présents sur le carreau du
MIN. Le passage par ces intermédiaires garantit le volume
et la régularité de l’approvisionnement. Pas question en

52  Cette région est intégrée à l’Occitanie depuis le 1er janvier 2016.


53  Certaines antennes du Secours populaire et épiceries solidaires ont travaillé par la
suite directement avec des producteurs locaux — plusieurs expériences en
témoignent — mais à une échelle beaucoup plus réduite que cette opération qui
concernait un département entier.

123
Et si on mangeait local ?

effet d’interrompre l’aide alimentaire — c’était une condi-


tion sine qua non pour les Restos du cœur — ni de compli-
quer le travail des bénévoles. Par ailleurs, la distribution
doit être optimisée pour obtenir le meilleur rapport
qualité/prix possible. Les premiers bilans suggèrent toute-
fois aujourd’hui que le recours aux grossistes a permis de
recruter des producteurs plus petits, qui n’auraient pas eu
accès à ce marché sans cela. Une vingtaine de producteurs,
présents ou non (pour la plupart) sur le carreau du MIN,
ont participé au projet durant la première campagne.
L’analyse des cinq années écoulées depuis le début de
l’opération était en encore en cours à l’heure où nous
écrivions ces lignes. Néanmoins un premier bilan des
campagnes 2011-2012 et 2012-2013 donne quelques
indications sur les effets et limites de l’exercice. En ce qui
concerne les produits distribués, les bénéficiaires ont
vu arriver des aliments jusqu’ici inédits aux Restos du
cœur, comme des salades fraîches non conditionnées
— impensable avec le mode d’approvisionnement clas-
sique pour des raisons de conservation — ou des kiwis.
Pour les bénévoles, et contrairement aux craintes initiales,
cela a représenté un certain allègement du travail. En
effet, la fraîcheur des fruits et légumes a beaucoup réduit
la fastidieuse étape de tri des produits avariés, nécessaire
lorsque l’on reçoit un lot en provenance d’un circuit long,
qui a transité par plusieurs lieux de stockage. Les limites
de l’approvisionnement local sont celles du bassin maraî-
cher concerné. Par exemple, les Restos du cœur de
l’Hérault distribuent en général 70 tonnes de pommes de
terre par campagne. Un légume peu présent, ou trop cher,
dans la région de Montpellier. Il a donc fallu recourir à
l’approvisionnement central. On peut certes imaginer
des systèmes de réciprocité entre centres des Restos du
cœur implantés dans des régions agricoles différentes et

124
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

s’approvisionnant chacun en circuit court. La faisabilité


logistique d’un tel système reste cependant à approfondir.
Le prix fixé en début de saison — le même que celui de
l’approvisionnement central des Restos du cœur — était
en général plus faible que celui du marché, ce qui repré-
sentait un écueil pour les producteurs. N’étant pas
contractualisés, ces derniers se sont tout naturellement
saisis de chaque opportunité et se sont tournés, à chaque
moment, vers le marché le plus rémunérateur. Le prix
proposé a ainsi pu devenir intéressant en période de
surabondance d’un légume ou d’un fruit, que le produc-
teur devait alors brader ou jeter. Les fortes variations des
prix de certains légumes — salade, céleri branche, ou
blette, fortement dépendants des aléas climatiques — ont
compliqué la donne. L’opération a toutefois représenté
une opportunité d’écouler des produits hors calibre, en
l’occurrence des carottes ou des pommes trop grosses, ou
au contraire des kiwis trop petits pour le marché ordi-
naire. Il convient de préciser qu’il s’agissait de produits
hors calibre, certes, mais de premier choix et tout aussi
frais que les autres. Au total, la contractualisation étant
impossible avec les prix offerts par les Restos du cœur, et
par l’aide alimentaire en général, ce type de d’opération
constitue surtout un débouché d’appoint, parfois très
utile, pour les producteurs locaux.
Enfin, que conclure de l’opération en termes d’impact
social ? Une première enquête auprès des bénéficiaires a
mis en évidence, plus encore qu’auprès d’autres consom-
mateurs fréquentant les circuits courts, l’importance
qu’ils accordent au fait de pouvoir aider des producteurs
locaux et contribuer ainsi à « donner du travail aux
jeunes d’ici ». À l’évidence, leurs propres difficultés les
rendent plus sensibles à cette problématique. En ce sens,
l’approvisionnement de l’aide alimentaire en circuit

125
Et si on mangeait local ?

court représente pour les bénéficiaires une manière de


participer de nouveau à une vie sociale dont ils ont
tendance à être exclus. L’opération de l’Hérault s’est
poursuivie durant la campagne 2016 des Restos du cœur
et ses promoteurs envisagent désormais de l’étendre à
d’autres départements.
Les initiatives locales se multiplient aujourd’hui54, et
certains conseils généraux commencent à réfléchir eux
aussi à des manières de combiner aide alimentaire et
soutien à l’agriculture locale. Ne nous leurrons pas pour
autant. Aussi « vertueux » soient-ils, les circuits courts ne
résoudront pas le paradoxe français : celui d’un pays
riche, doté d’une agriculture très performante, où pour-
tant tous n’ont pas accès à une alimentation de qualité.
Faire que ce pays — et d’autres de richesse comparable —
n’ait plus à organiser une aide alimentaire permanente
suppose des changements autrement plus radicaux que
l’éventuelle montée en puissance des circuits courts de
distribution. Cela repose sur une remise en question
globale des systèmes de production et de distribution des
aliments, ainsi que de la répartition des richesses au sein
de notre société. L’échelle de telles transformations
dépasse le propos de ce livre.

Un bienfait pour l’environnement ?


L’alimentation représente une part très importante de
l’impact environnemental de la consommation d’une
population. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise
de l’énergie (Ademe) a ainsi récemment établi un bilan

54  Voir par exemple le projet Solalter ou les Anges Gardins (et non « gardiens » !), qui
ont des sites sur le Web.

126
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

de l’empreinte environnementale de la consommation


alimentaire des Français. Il en ressort que la production,
la transformation et la distribution des produits alimen-
taires comptent aujourd’hui pour près d’un tiers de nos
émissions de gaz à effet de serre (GES), ou « empreinte
carbone », un tiers également de la pollution photo­
chimique55 et plus de la moitié de l’acidification56. À ces
indicateurs de pollution globale s’ajoutent des effets
locaux sur les sols, l’eau et la biodiversité. Il serait absurde
de jeter la pierre aux agriculteurs ou à la filière agro­
alimentaire en général : il est indispensable de se nourrir,
il faut en accepter les conséquences. Reste qu’il existe
d’autres manières de produire et distribuer les aliments,
moins dommageables pour l’environnement. L’adoption
des circuits courts par une proportion significative des
consommateurs est-elle susceptible d’améliorer ce bilan ?
C’est bien souvent la conviction de leurs partisans, et une
des motivations de leur choix. Aujourd’hui, la dispersion
des initiatives locales empêche d’établir un bilan environ-
nemental chiffré, basé sur des mesures et des compa­
raisons fiables à une échelle significative. Les études sur
l’existant donnent toutefois assez d’éléments pour
esquisser ce que pourrait être un « bilan écologique » des
circuits courts, que ce soit en termes d’impact global ou
d’environnement local.

Un impact global difficile à établir

Intuitivement, beaucoup d’acteurs des circuits courts


estiment que la distribution de proximité, en limitant les

55  Des polluants organiques volatils (oxydes d’azote, par exemple) sont transformés
en composés oxydants, comme l’ozone, par la lumière solaire.
56  Des composés acides de soufre et d’azote envoyés dans l’atmosphère et qui
retombent, sous forme de « pluies acides », sur le sol, les forêts ou les eaux de surface.

127
Et si on mangeait local ?

transports, améliore l’empreinte carbone des aliments. Et


de fait, les produits alimentaires industriels parcourent
souvent des distances élevées, des trajets absurdes qu’au-
cune nécessité agronomique ne justifie. Des milliers
de kilomètres pour un simple yaourt57 que l’on peut
parfaitement produire localement, par exemple. Il s’agit
essentiellement de se procurer une matière première au
moindre coût, où qu’elle se trouve dans le monde et
quelles que soient ses conditions de production, en parti-
culier sociales. Pour autant, les circuits courts sont-ils
vraiment plus efficients en matière d’émission de gaz à
effet de serre ? Rien n’est moins sûr si l’on se cantonne au
seul aspect du transport. La livraison de quelques cagettes
de marchandise par une camionnette qui repartira à vide
n’est pas nécessairement moins dommageable pour
l’environnement que le transport de grandes quantités
dans des véhicules dédiés — qui de plus repartiront
chargés. Une étude allemande58, souvent citée, a ainsi
montré que la viande d’agneau de Nouvelle-Zélande
ayant parcouru plus de 20 000 km, d’abord en cargo puis,
une fois arrivée au port, en camion, a un bien meilleur
bilan carbone que la viande locale transportée par
camionnette. L’Ademe explique aussi que « les émissions
par kilomètre parcouru et par tonne transportée sont
environ 10 fois plus faibles pour un poids lourd de
32 tonnes et 100 fois plus faibles pour un cargo trans­
océanique que pour une camionnette de moins de
3,5 tonnes car ils permettent de parcourir de plus grandes
distances à impact gaz à effet de serre équivalent ». Par

57  En 1993, une chercheuse allemande a ainsi relevé un total de plus de 9 000 km
pour les différents ingrédients d’un yaourt aux fraises !
58  Schlich E., Biegler I., Hardtert B. et al., 2006. La consommation d’énergie finale de
différents produits alimentaires : Un essai de comparaison. Courrier de
l’environnement de l’Inra, 53, 111-120.

128
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

ailleurs, il ne faut pas oublier que le consommateur se


déplace lui aussi pour aller acheter ses aliments — et le
reste. Là encore, les GMS, qui proposent tous les produits
au même endroit, ont leur mot à dire. En matière de
circuits courts, la vente à la ferme représente un cas
extrême. Mieux vaut ne pas chercher à établir le bilan
carbone du transport dans ce cas-là : quelques dizaines
de kilomètres en véhicule individuel pour chaque panier
de légumes ! Les bénéfices sont évidemment à chercher
ailleurs, en particulier dans le renforcement du lien social
ou la meilleure connaissance des réalités de la production
de la part du consommateur. Il existe toutefois des pos­­
sibilités d’optimisation logistique pour les circuits courts
— tournées, mutualisation, recours à des transporteurs
spécialisés, plateformes, PVC... — dont certaines sont
déjà mises en place, avec un effet bénéfique réel sur le
bilan carbone. Une meilleure adaptation des infra­
structures (abattoirs à proximité, par exemple) et de la
réglementation (transports) aux réalités des circuits de
proximité améliorerait également ce bilan. Rappelons
tout de même que ces circuits concernent surtout des
aliments pas ou peu transformés, ce qui évite de multi-
plier les transports pour faire converger des matières
premières d’origines diverses jusqu’à l’usine ou l’atelier.
C’est une des limites de cet exercice comparatif.
Alors, les circuits courts seraient-ils une « fausse bonne
idée » en matière d’émissions de gaz à effet de serre ? Pas
nécessairement car le bilan carbone des aliments ne se
limite pas à leur transport, loin de là. Il englobe aussi les
modes de production, de transformation, de stockage,
d’emballage et de consommation. De fait, le transport ne
représente qu’une part minoritaire des émissions de GES
d’un aliment, la part du lion — plus de la moitié — reve-
nant à la production des matières premières. Et là, les

129
Et si on mangeait local ?

circuits courts peuvent reprendre l’avantage, à plusieurs


étapes du processus. Suivons donc les produits du champ
à l’assiette… ou à la poubelle.
Puisque la production des aliments représente la
majeure partie de leur empreinte carbone, c’est d’abord
là qu’il faut rechercher des améliorations. Par exemple en
limitant la mécanisation et l’utilisation d’intrants, en
particuliers les engrais chimiques dont la fabrication est
particulièrement gourmande en énergie, donc émettrice
de GES. Sans compter le fait que ces intrants doivent eux
aussi être transportés et distribués jusqu’aux exploita-
tions. Or les circuits courts s’appuient expressément sur
des types d’agriculture moins industrialisés que les filières
longues59. Vient ensuite l’emballage, lui aussi source non
négligeable d’émissions de GES, que ce soit pour sa fabri-
cation ou son transport. Là encore, avantage aux circuits
courts, où l’emballage est absent ou réemployé (cagettes).
Pas de fruits sous blister ici, ni d’emballages sophistiqués
— triple couche papier-plastique-carton imprimé entou-
rant une simple tranche de Roquefort, par exemple —
destinés à supporter les rigueurs du transport et du
stockage à grande échelle. De même, et contrairement
aux filières longues, les circuits courts n’impliquent
souvent pas de stockage en chambre froide, source de
consommation d’énergie.
Autre dimension importante, tenant à la fois de la
production et de la consommation : la saisonnalité.
Disposer de fruits et légumes hors saison implique de les
stocker longuement en chambre froide (ce qui, outre la
consommation d’énergie, détruit leurs qualités nutri-
tionnelles), de les faire venir de pays chauds, ou bien de

59  Il faut toutefois souligner que le fameux agneau néo-zélandais est élevé en condi-
tions extensives et très peu consommatrices en énergie.

130
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

les cultiver sous serres chauffées, elles aussi énergivores. Il


peut alors être plus intéressant, en termes de bilan
carbone, de consommer en hiver des tomates venues du
Maroc que celles cultivées sous serre chauffée en Europe.
Une pierre dans le jardin des produits locaux, alors ? Oui,
si l’on s’obstine à manger des salades de « tomates » fraîches
en février ! Il est évidemment beaucoup plus judicieux de
s’en abstenir. Or cette logique correspond précisément à
la démarche des circuits courts, où l’on ne vous proposera
pas de produits hors saison.
Produire, transformer, transporter des aliments, tout
cela entraîne donc une empreinte environnementale,
quel que soit le circuit considéré. Encore faut-il que cela
serve à quelque chose... Or, en matière d’alimentation, il
existe une importante source d’émission de GES (entre
autres pollutions), parfaitement inutile et évitable : le
gaspillage. Dans les pays occidentaux, environ un tiers
des aliments produits est jeté à une étape ou l’autre de la
chaîne. Un tiers de l’empreinte environnementale totale
de l’alimentation pour rien ! En filière longue, ces gaspil-
lages peuvent intervenir dès la production (masses de
produits invendables car surabondants, et donc détruits,
en période de plein rendement), puis à l’occasion du rejet

« Nous avons peu de déchets. Pourquoi ? »


« Tout simplement parce que nous ne recevons pas un semi-
remorque de pommes. Par définition, les producteurs locaux ne
sont pas basés très loin. Ils nous livrent donc, tous les jours ou
tous les deux jours, des produits frais : dix cageots de pommes,
trois de tomates... Pendant ce temps, la grande distribution, elle,
reçoit à 3 h du matin un semi-remorque de pommes ou autre. Pas
étonnant qu’elle ait tant de déchets. »
Pierre Moureu, un des associés de Ferm’envie. Table ronde de l’INP-Ensat du 18 oct. 2013,
Une alimentation de proximité pour couper court aux crises.

131
Et si on mangeait local ?

des produits hors calibre ou « présentant mal », enfin lors


du transport, du stockage et du nécessaire tri des produits
avariés. À cet égard, les circuits courts semblent mieux
lotis puisqu’ils distribuent des produits frais non stockés,
sans exigence de calibre ou d’apparence, avec une durée
de transport réduite au minimum et des quantités récol-
tées adaptées à la possibilité de vente immédiate.
Impossible cependant de passer sous silence le fait que
le gaspillage se produit également à la maison. Une part
parfois importante des denrées achetées, voire cuisinées,
finit à la poubelle60. Et là, que peuvent apporter les circuits
courts ? A priori pas grand-chose car cet état de fait ne
relève pas directement du circuit de distribution. Et
pourtant... Les promotions, lots préemballés, « cadeaux »
et autres types de vente en quantités inadaptées, fréquents
en GMS, participent à ce gaspillage après achat. Or les
circuits courts impliquent la vente au détail de produits
frais, sans opération promotionnelle : le client n’y achète
que les quantités qu’il peut consommer rapidement. De
plus, les produits venant d’être récoltés resteront plus
longtemps consommables que ceux de la grande
distribution, qui ont en général déjà séjourné en enceinte
réfrigérée.
Les circuits de proximité sont-ils donc vraiment syno-
nymes de moindre empreinte environnementale globale ?
Après une revue des différentes publications disponibles

60  En France, dans un rapport de 2016, l’Ademe évalue le gaspillage alimentaire à


10 millions de tonnes par an, du champ à l’assiette, soit 150 kg/an et par habitant. Les
produits perdus ou gaspillés seraient à l’origine de 15 millions de tonnes équivalent CO2
par an, ce qui représente près de 5 % des émissions annuelles nationales. La part gaspil-
lée par les ménages est de 33 %, soit 50 kg par habitant par an en incluant la restauration
à domicile et hors du domicile. Le gaspillage serait quatre fois plus important en restau-
ration collective ou commerciale (restaurants et cantines) qu’au domicile. Un tiers
environ des pertes se produit lors de la phase de production, le solde des gaspillages étant
dû aux pertes lors des opérations de transformation et de distribution.

132
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

sur le sujet, le rapport déjà évoqué de la Commission


européenne sur les circuits courts conclut... qu’on ne peut
pas conclure. Trop de paramètres entrent en jeu, qui ne
sont pas tous pris en compte de manière équivalente dans
les études passées en revue. Soulignons simplement ici
que cette empreinte dépend très fortement du mode de
production agricole, du produit lui-même — le bilan
environnemental des pommes néo-zélandaises n’est pas
forcément aussi avantageux que celui de la viande
d’agneau de même provenance — ainsi que des modes
d’organisation collectifs et des choix des consommateurs
(saisonnalité, gaspillage).

Un soutien aux bonnes pratiques agricoles

L’empreinte environnementale d’une activité humaine


ne se résume pas à ses impacts globaux. La production
des aliments entraîne également des effets locaux très
marqués sur la qualité des eaux et des sols, ainsi que sur
la biodiversité. L’agriculture industrielle est indiscutable-
ment responsable d’une bonne part de la pollution des
eaux (présence de pesticides, nitrates et eutrophisation)
et des milieux humides. Elle contribue également à l’éro-
sion de la biodiversité, que ce soit directement par l’usage
des pesticides ou indirectement via l’agrandissement
incessant des exploitations, qui supprime haies, bosquets
et autres refuges. Pour les plantes cultivées elles-mêmes,
elle utilise un nombre très restreint de variétés de
semences, vendues par quelques très grandes firmes, au
détriment des multiples variétés locales. À titre d’exemple,
l’agro-industrie a écarté 95 % de la biodiversité du blé.
Ces variétés n’existent plus, parfois, que sous forme de
graines conservées dans des banques de sauvegarde d’ini-
tiative publique. Il en va de même pour les animaux :

133
Et si on mangeait local ?

quelques races sélectionnées et améliorées pour leurs


performances en élevage intensif supplantent toutes les
autres. Quel impact pourraient avoir les circuits courts
sur le mode de production agricole, et donc sur l’environ­
nement local ? Théoriquement aucun puisqu’il s’agit
essentiellement d’un système de distribution des produits
alimentaires. Et pourtant, les consommateurs considèrent
souvent que les produits achetés en circuit sont « sans
traitement », « écologiques », voire « bio », même si non
labellisés. Et ils n’ont pas vraiment tort. Les circuits courts
entretiennent une proximité indubitable61 avec une agri-
culture durable, moins gourmande en intrants, plus
diversifiée, basée sur des exploitations de plus petite taille,
quelle que soit par ailleurs son appellation : bio, paysanne,
de proximité...
Les quelques chiffres suivants, datant de 2010, en
témoignent. En Bretagne par exemple, que ce soit autour
de l’agglomération de Rennes ou en milieu plus rural
(pays de Dinan), un tiers des producteurs alimentant des
circuits courts (marchés, paniers ou PVC) sont certifiés
bio. Or de manière générale, dans cette région fortement
engagée dans un modèle agricole intensif, seuls 3 % des
exploitations sont en bio. Dans l’autre sens, 38 % des
agriculteurs « biologiques » bretons vendent leurs
produits en circuit court, contre moins de 7 % de la
population agricole de la région. Le recensement général
agricole de 2010 confirme cette tendance à l’échelle
nationale. Les producteurs vendant en circuit court
pratiquent une agriculture moins intensive, sur des
surfaces plus réduites. Globalement, 10 % d’entre eux

61  Pour les Amap, le lien est même formel puisque le producteur s’engage sur le type
d’agriculture pratiquée, souvent inspiré de la charte de l’agriculture paysanne ou du
cahier des charges de l’agriculture biologique.

134
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

sont certifiés bio — contre 2 % des exploitants vendant


en circuit long — et les enquêtes montrent que beaucoup
d’autres estiment leurs pratiques « proches du bio ».
Et ces chiffres vont croissant selon tous les obser­
vateurs. Ne serait-ce que parce qu’une proportion élevée
des installations de nouveaux agriculteurs, surtout sur de
petites surfaces, se fait explicitement avec le double souci
d’une agriculture durable et d’un mode de distribution
local, indépendant des filières traditionnelles. D’autre
part, il existerait un « effet retour » des circuits courts sur
les pratiques agricoles. Certaines études réalisées auprès
d’agriculteurs déjà installés, et écoulant jusqu’ici leur
récolte dans les filières longues, montrent en effet qu’une
partie de ceux qui se sont réorientés vers les circuits
courts ont dans le même temps modifié leurs pratiques
sur toute l’exploitation. Sous l’influence des consom­
mateurs ou à la suite de discussions avec des collègues, ils
« écologisent » leur mode de travail : diversification des
productions, moindre utilisation d’intrants chimiques,
etc. Des changements parfois subis plutôt que choisis,
toutefois, par manque de temps pour tout gérer (produire,
vendre), si bien qu’on supprime un traitement pour
aller plus vite. Dans tous les cas, des transitions qui
mériteraient un accompagnement technique que les
organisations professionnelles ne proposent pas encore
assez souvent.

Circuits courts et territoires :


des proximités à construire

Les circuits courts d’approvisionnement ne se déve-


loppent pas « hors sol ». Bien au contraire, ils soulignent
l’ancrage territorial de l’échange entre les agriculteurs et

135
Et si on mangeait local ?

les acheteurs. Ils s’inscrivent donc dans le rapport


complexe qu’entretiennent depuis toujours la ville, où
résident aujourd’hui la plupart des consommateurs, et la
campagne, où sont produits les aliments. Bien que néces-
saire, la définition d’une politique agricole périurbaine
concertée a peiné à émerger en France. Et encore s’est-elle
longtemps cantonnée au seul domaine de l’aménagement
du territoire.
« Quel est le rapport avec les circuits courts ? » deman-
dera le lecteur. En fait, au tournant de ce siècle, ce sont
précisément les crises et questionnements ayant entraîné
le renouveau des circuits courts qui ont aussi réorienté la
gestion du rapport ville-campagne. Il est alors devenu
évident aux yeux des décideurs que les politiques agricole,
alimentaire, sanitaire, urbaine et économique devaient
localement converger. Au point qu’est récemment née, au
moins dans les textes de loi, une politique alimentaire
territoriale englobant toutes ces dimensions, et où les
circuits courts prennent leur place légitime. Les collecti-
vités locales se sont emparées de ces questions et les ont
intégrées dans leurs politiques. Les territoires, et notam-
ment les villes, veulent désormais se mêler de l’agriculture
et se réapproprier leur alimentation. Mais qu’en est-il
aujourd’hui de la réalité sur le terrain ?

Deux mondes antagonistes

De tout temps, les hommes ont préféré établir leurs


villes près des rivières, en plaine, donc précisément là où
la terre est la plus fertile. Autant dire que dès les débuts
du fait urbain, un conflit avec l’agriculture était en germe.
Cette tension devient évidente en France durant les
années 1960-1970. L’extension des villes, voire la création
de villes nouvelles, ainsi que le développement des

136
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

« Les relations villes-campagnes sont complexes » 


« Elles peuvent être concurrentielles pour l’usage des sols et des
ressources naturelles, l’activité agricole comme secteur de produc­
tion est notamment subordonnée à des questions foncières, mais
elles doivent aussi être réfléchies en termes de complémentarité.
En effet, les zones rurales fournissent des biens et services à tous :
biens alimentaires et non alimentaires, réserves de biodiversité,
ressources naturelles, espaces de qualité pour vivre, de loisir et
d’attractivité touristique [...]. En contrepartie, ces mêmes zones
rurales bénéficient des bassins d’emplois des aires urbaines, des
différents services des zones urbaines [...] ».
APCA, « Contribution des chambres d’Agriculture aux réflexions sur l’avenir des territoires ruraux :
la ruralité est l’avenir de la France », janvier 2015.

infra­structures de transport (autoroutes, périphériques,


réseaux ferrés comme le RER, aéroports...) empiètent
alors de plus en plus sur le foncier agricole. Deux logiques
indépendantes — construire des logements pour tous
et assurer l’indépendance alimentaire nationale —
s’opposent sur un terrain nouveau : l’espace périurbain.
Durant les années 1970, des programmes pionniers de
développement territorial concerté, entre agriculture et
ville, apparaissent à l’initiative d’autorités locales, en
particulier en région Rhône-Alpes. Il faudra toutefois
attendre les années 1990 pour que l’État s’empare de la
question périurbaine, qui devient alors un enjeu national.
De multiples études sont lancées. Il en ressort l’idée que
villes et campagne doivent « fonctionner » ensemble,
jusqu’à accepter le fait que les agriculteurs et leurs orga-
nisations sont à part entière des acteurs de la vie urbaine,
et non des partenaires extérieurs à qui il suffirait de
réserver des espaces. Toutefois rien ne se concrétise. Les
logiques urbaine et rurale semblent encore trop distinctes,
les points de vue trop difficiles à rapprocher.
La fin de cette décennie voit portant surgir une véritable
rafale de textes législatifs favorables à une conception

137
Et si on mangeait local ?

plus intégrée des projets d’aménagement et de dévelop-


pement des territoires :
–– loi d’orientation pour l’Aménagement et le dévelop­
pement durable du territoire du 25 juin 1999 ;
–– loi d’orientation agricole (LOA) du 09 juillet 1999, qui
crée en particulier les zones agricoles protégées (ZAP) ;
–– loi relative au renforcement de la coopération inter-
communale du 12 juillet 1999 ;
–– loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains
du 13 décembre 2000, qui crée en particulier les schémas
de cohérence territoriale (Scot).
Cependant, tous ces textes se consacrent encore
essentiel­­lement à l’aménagement du territoire, considé-
rant l’agriculture essentiellement sous l’angle de l’occu-
pation du foncier et de la préservation d’espaces face à
l’extension urbaine. La question des systèmes locaux
d’approvisionnement, dans toutes leurs dimensions, n’est
pas encore mûre.

L’alimentation entre en scène

Le contexte bascule au début des années 2000, sous


l’effet de plusieurs facteurs concomitants. Tout d’abord,
la reconnaissance du phénomène de métropolisation.
Le territoire national est désormais structuré, en termes
de démographie, d’économie et de flux, autour d’ag­­­­­­­­glo­
mérations ancrant des bassins de vie, d’emploi, de
consommation, de formation, d’activité culturelle...
Environ 80 % des Français vivent dans des villes de plus
de 10 000 habitants. Ensuite l’évidence du changement
climatique, et de manière plus générale de la non-
dura­­­bi­lité du mode dominant de développement, s’im-
pose à tous. À cela s’ajoutent, enfin, les scandales alimen-
taires. Autrement dit, très précisément, les facteurs qui

138
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

Terres en villes : de l’agriculture aux politiques alimentaires


En juin 2000, plusieurs territoires (villes, « pays » voire régions
comme l’Île-de-France) précurseurs, engagés dans des politiques
agricoles périurbaines axées sur le développement durable,
s’associaient pour créer Terres en villes. Ce réseau, émanation
des chambres d’Agriculture et des collectivités locales, regroupe
aujourd’hui 26 agglomérations.
Terres en villes apporte un soutien méthodologique à des
ag­glomérations soucieuses soit d’approfondir ou évaluer leur
démarche, soit de rejoindre le mouvement, c’est-à-dire de définir
et mettre sur pieds leur propre politique agricole et alimentaire.
L’association intervient dans trois domaines principaux :
• la co-construction des politiques agricoles périurbaines ;
• la protection et la gestion concertée des espaces agricoles,
forestiers et naturels périurbains ;
• l’économie agricole et la gouvernance alimentaire des
ag­glomérations.
S’y ajoutent la prise en compte de ces questions par les politiques
européennes et la question de la forêt périurbaine.

contribuent au même moment à la réémergence des


circuits courts. La question des politiques agricoles
d’agglomé­ration vient de changer d’ère. Il s’agit désor-
mais, pour un nombre croissant de décideurs, de penser
con­­jointement l’alimentation, l’agriculture et le dévelop­
pement des territoires (surtout autour des aggloméra-
tions), en prenant en compte leurs dimensions sanitaire,
éco­­nomique, environnementale et sociale, voire cultu-
relle. La répartition du foncier, toujours aussi cruciale
dans un contexte de fort étalement urbain, n’est désor-
mais qu’un des paramètres de l’équation.
En 2007, le Grenelle de l’Environnement voit ap­paraître
officiellement la notion de ville durable, mais c’est en
2010 que le législateur entérine le changement de
perspective. La loi du 27 juillet de cette année, dite de
« modernisation de l’agriculture et de la pêche », introduit

139
Et si on mangeait local ?

en effet deux nouveautés. D’une part, elle définit une


politique publique de l’alimentation déclinée en un
Programme national de l’alimentation (PNA)62. Révisé
tous les cinq ans, il comprend explicitement, entre autres,
« le développement des circuits courts et l’encourage-
ment de la proximité géographique entre producteurs et
transformateurs ». D’autre part, la loi vise à inscrire
l’agriculture et la forêt dans le cadre d’un développement
durable des territoires. C’est la naissance des Plans régio-
naux d’agriculture durable (PRAD).
Cette fois, ça y est. Les problématiques du dévelop­
pement durable, de l’alimentation, de l’agriculture, des
territoires et des circuits courts sont mentionnées dans
un même texte légal. Le premier PNA63, associé au
Programme national Nutrition santé, voit le jour en 2011.
Il sera renouvelé dès 2014 et décliné en autant de plans
régionaux qu’il y a désormais de régions selon la Nouvelle
organisation territoriale de la République (NOTRe)
promulguée le 7 août 2015.

Les acteurs locaux aux manettes

Ces politiques sont définies à l’échelle nationale et


impulsées par le pouvoir central. Les circuits courts,
cependant, répondent à des nécessités locales et résultent
d’initiatives d’acteurs de terrain. C’est aussi à cette échelle,
et avec ce type d’acteurs, que peuvent émerger des actions
concrètes concourant plus généralement à une politique
alimentaire territoriale.

62  Il fait suite au Programme national Nutrition santé, lancé en 2001 et prolongé en
2006, qui a été décliné en 2008 en plans régionaux pour une offre alimentaire sûre,
diversifiée et durable.
63  Pour un survol de ce plan, consulter http://agriculture.gouv.fr/alimentation/
un-oeil-sur-le-programme-national-pour-lalimentation.

140
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

L'acte de naissance des PAT


Les projets alimentaires territoriaux naissent officiellement en
2014, au détour d’un article inséré dans le Code rural :
« Art. L. 111-2-2. — Les projets alimentaires territoriaux mentionnés au
III de l’article L. 1 sont élaborés de manière concertée avec l’ensemble
des acteurs d’un territoire et répondent à l’objectif de structuration de
l’économie agricole et de mise en œuvre d’un système alimentaire
territorial. Ils participent à la consolidation de filières territorialisées et
au développement de la consommation de produits issus de circuits
courts, en particulier relevant de la production biologique.
À l’initiative de l’État et de ses établissements publics, des collectivités
territoriales, des associations, des groupements d’intérêt économique
et environnemental définis à l’article L. 315-1, des agriculteurs et
d’autres acteurs du territoire, ils répondent aux objectifs définis dans le
plan régional de l’agriculture durable et sont formalisés sous la forme
d’un contrat entre les partenaires engagés.
Ils s’appuient sur un diagnostic partagé de l’agriculture et de l’alimenta­
tion sur le territoire et la définition d’actions opérationnelles visant la
réalisation du projet.
Ils peuvent mobiliser des fonds publics et privés. Ils peuvent également
générer leurs propres ressources. » 

Promulguée le 13 octobre 2014, la loi d’avenir pour


l’Agriculture, l’alimentation et la forêt en prend acte en
instituant les Projets alimentaires territoriaux (PAT).
Leur définition (voir encadré) reprend exactement toutes
les dimensions d’une véritable politique alimentaire
locale, y incluant explicitement les circuits courts.
Nouveauté essentielle : elle confie l’initiative de ces plans
aux acteurs locaux. Cela ne signifie pas que les pouvoirs
publics se retirent du jeu. Ils interviennent en effet sous
forme de commande publique, par exemple pour l’appro-
visionnement des cantines, mais aussi en fournissant
support technique, mise à disposition d’agents ou finan-
cements pour ces plans. Le ministre de l’Agriculture a par
exemple lancé, à l’automne 2016, un nouvel appel à
projets du Programme national pour l’alimentation
(PNA). Doté d’une enveloppe de deux millions d’euros

141
Et si on mangeait local ?

(dont 500 000 € provenant de l’Ademe), cet appel met


l’accent sur l’aide à l’émergence de PAT. Les Directions
régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt
(DRAAF), émanations décentralisées du Ministère, parti-
cipent à la sélection et au financement des projets. Le
ministère de l’Agriculture a mis en place un groupe de
concertation fin 2016 pour élaborer un dispositif de
reconnaissance officielle des PAT.

Villes et villages en quête d’autonomie alimentaire

Il est encore trop tôt, évidemment, pour ne serait-ce


qu’esquisser un bilan des PAT. Ils ont incité les acteurs
locaux à se mettre en marche, et il faudra quelques années
pour en mesurer les effets. Toutefois, bien avant l’émer-
gence du concept dans les textes de loi, des villes se sont
associées avec des représentants du monde agricole (en
particulier les chambres d’Agriculture) et de la société
civile pour définir des politiques coordonnées d’alimen-
tation locale, souvent avec l’aide du réseau Terres en
villes. Des expériences très diverses, tant par la taille des
villes concernée que par leurs ambitions. Certaines se
résument à l’approvisionnement des cantines scolaires,
d’autres veulent aborder toutes les dimensions du
problème. À titre d’exemple, en voici trois.
Le 25 février 2008, Rennes Métropole (430 000 habitants)
lance son Programme local de l’agriculture64, qui sera élargi
en 2010 à toutes les communautés de communes du pays
de Rennes. Les signataires — Rennes Métropole, chambre
d’agriculture d’Ille-et-Vilaine, Safer Bretagne et Pays de
Rennes — s’engagent à mettre sur pieds un observatoire de
l’agriculture, maîtriser et partager le foncier, préserver le

64 www.paysderennes.fr/Le-Programme-Local-de-l.html.

142
Manger local : repli sur soi ou acte citoyen ?

bocage, prendre en compte le changement climatique et


renforcer le lien citadins/agriculteurs. Ce qui passe par le
soutien actif aux circuits de proximité, l’approvisionnement
des restaurants collectifs en produits bio locaux, etc. La
fédération régionale des Civam de Bretagne a beaucoup
contribué à la définition du projet et des méthodes.

Et ailleurs, quelles politiques alimentaires ?


Les politiques alimentaires territoriales ne sont pas une spécificité
française. Depuis quelques années, des projets de « relocalisa­
tion » de l’alimentation, le plus souvent d’initiative locale, fleuris­
sent un peu partout en Europe. La ville de Londres se dote ainsi en
2006 d’une stratégie alimentaire, la London Food Strategy. Plus
largement, une cinquantaine de villes britanniques, d’importances
diverses, participent au réseau des Sustainable Food Cities65. Les
pouvoirs publics locaux, entreprises, organismes de recherche et
ONG décident alors de promouvoir ensemble une alimentation
saine, durable et ancrée localement. De nombreuses autres villes
européennes ont pris des initiatives similaires.
De l’autre côté de l’Atlantique, Toronto (Canada) s’est dotée dès
1991 d’un Conseil de citoyens et experts, le Toronto Food Policy
Council, qui conçoit la politique alimentaire de la ville. Au menu :
santé, nutrition, environnement, développement, accès de tous à
une nourriture de qualité.
Concrétisation de ce mouvement : à Milan, le 15 octobre 2015, les
maires d’une centaine de grandes villes du monde signaient
l’Urban Food Policy Pact. Les signataires (plus de 130 aujourd’hui)
s’engagent sur des principes de durabilité des systèmes alimen­
taires et de justice sociale.

En juin 2016, la ville d’Albi (50 000 habitants) décide


de parvenir à l’autosuffisance alimentaire d’ici 2020. Elle
s’associe avec le mouvement les Incroyables comestibles,
d’origine britannique, qui promeut la mise à disposition
gratuite de légumes cultivés par des volontaires du

65 http://sustainablefoodcities.org.

143
Et si on mangeait local ?

mouvement sur de petits espaces concédés par la ville.


S’y ajoute, moins anecdotique, le rachat de terrains en
périphérie (dans la zone de Canavières) qui seront loués
à des agriculteurs s’engageant à vendre localement une
production biologique, et une politique tendant à favo­
riser les circuits courts et les formes d’agriculture respec-
tueuses de l’environnement.
La métropole de Montpellier (410 000 habitants) lance
également une « politique agroécologique et alimen-
taire »66, après avoir commandé des études préliminaires
à des instituts de recherche (Inra, Cirad, SupAgro). Il
s’agit, entre autres actions, de consolider un tissu de
fermes périphériques fonctionnant en agroécologie et
vendant directement leurs produits, d’approvisionner
la restauration collective en produits locaux et de déve-
lopper des jardins familiaux et des jardins partagés.
Montpellier est également une des villes signataires du
pacte de Milan (voir encadré).
De nombreuses autres initiatives fleurissent un peu
partout, et pas seulement dans les grandes villes : des
villages ou bourgs ruraux s’y engagent également.

66  www.montpellier3m.fr/vivre-environnement/agro %C3 %A9cologie-alimentation.

144
4
Quel(s) futur(s)
pour les circuits courts ?

Bien qu’encore minoritaire aujourd’hui, le mouvement


s’est installé dans la durée, et les circuits courts sont appe-
lés à prendre de l’importance. Jusqu’à quel point ? Sous
quelle forme ? Pour représenter quelle part du marché
alimentaire, par exemple vers 2030 ? C’est ce que nous
allons essayer d'entrevoir, sans jouer les devins mais en
traçant des avenirs possibles. Comme l’ont montré les
paragraphes précédents, tenter d’estimer l’impact global
des circuits courts débouche inévitablement sur des
questions générales dépassant le seul problème de la
distribution des produits alimentaires. C’est pourquoi les
deux scénarios envisagés ici67 font appel à des considéra-
tions générales d’ordre socio-économique ou politique.
Ils sont construits en poussant à bout, à la limite de la
caricature, les tendances observées aujourd’hui. Il s’agit
en effet dans un premier temps de décrire des situations
très tranchées, des « idéaux-types » très différents.

67  Gilles Maréchal (voir les remerciements en début d’ouvrage) a beaucoup contri-
bué à l’élaboration de ces scénarios.

145
Et si on mangeait local ?

Ces modèles ont vocation à servir de base à une réflexion


et non à décrire des faits à venir. Ils prennent cependant
pour point de départ une même réalité : la nôtre.

Business as usual, ou le triomphe


de la concentration financière

Nous sommes en 2030. Les scandales alimentaires se


succédant, la méfiance des consommateurs s’accroît : ils
se préoccupent de plus en plus de l’origine géographique
des produits, y voyant une garantie de sécurité. S’ap-
puyant sur leurs services marketing, l’industrie agro­
alimentaire et la grande distribution surfent sur cette
vague et multiplient les marques et logos évoquant
l’« origine » ou l’« authenticité » des produits. L’image
l’emporte cependant sur la réalité : en particulier, seul le
lieu de la transformation finale est mentionné, sans indi-
cation de la provenance des matières premières (sauf
pour la viande par obligation légale) ni, bien évidem-
ment, de leur mode de production. Il en va de même sur
la plupart des marchés plus ou moins folkloriques fonc-
tionnant pendant la période estivale dans les régions
touristiques. Les aliments porteurs d’une image « locale »
représentent toutefois moins de 5 % de l’offre en GMS : ce
sont essentiel­­­lement des produits d’appel. L’essentiel des
produits proposés reste d’origine industrielle. Au total, le
réseau des GMS (y compris les supérettes de proximité)
et du hard discount contrôle à lui seul près de 90 % des
ventes de produits alimentaires. Les détaillants tradition-
nels (boulangeries, boucheries, primeurs) survivants
s’instal­lent dans les mêmes zones commerciales que les
GMS, souvent accessibles uniquement par voiture. Les
plats tout préparés dominent un régime alimentaire

146
Quel(s) futur(s) pour les circuits courts ?

fortement carné, reposant sur un élevage industriel conçu


sans tenir compte du bien-être des animaux. À côté de ce
régime de base, les industries agroalimentaires et la
grande distri­bution multiplient les produits spécifiques
(sans gluten, sans lactose, renforcé en oméga-3, etc.) et les
pseudo-alicaments, tendant à segmenter l’offre pour
donner au consommateur l’impression de trouver là
« son » régime idéal. Lequel peut d’ailleurs arriver direc-
tement à domicile après commande sur Internet, une
modalité en plein boom. La part de l’alimentation reste
faible — de l’ordre de 10 % — dans le budget familial,
tout au moins pour les ménages solvables. Les dépenses
s’orientent plutôt vers des objets connectés.
En termes de production, le modèle agro-industriel
assoit sa domination. La PAC, ainsi que sa déclinaison
nationale, reste essentiellement orientée vers le soutien à
la compétitivité des filières intégrées, en particulier
exportatrices. Le système agricole dans toutes ses compo-
santes — filières, syndicats, chambres d’Agriculture et
instituts techniques, grandes firmes agrochimiques et
semencières — résiste à toute évolution : la course à
l’intensification, à la technologie et à la concentration se
poursuit. La productivité maximale à l’hectare et la
compétitivité restent le seul horizon, quels qu’en soient
les coûts sociaux et environnementaux. Les fermes
moyennes ont disparu au profit de grandes unités indus-
trielles, de plus en plus souvent propriétés de grands
groupes économiques, qui créent peu d’emploi mais
accaparent l’espace agricole. Qui plus est, la filière des
biocarburants se développe, accentuant encore la
pression sur les terres arables disponibles. Le cahier
des charges de l’agriculture biologique étant devenu
moins exigeant, de grandes exploitations bio se montent
pour répondre à la demande des consommateurs en

147
Et si on mangeait local ?

GMS. Lorsqu’elles sont situées sur le territoire national,


elles emploient une main-d’œuvre immigrée peu
rémunérée et souvent saisonnière, ou des travailleurs
détachés avec les salaires et conditions sociales de leur
pays d’origine.
À l’autre extrémité du spectre subsistent de petites
fermes à haute valeur ajoutée et forte intensité de main-
d’œuvre. Ces producteurs minoritaires ont fait le choix
d’une agriculture durable — véritablement biologique
ou en agroécologie — et d’une distribution via des
circuits courts, y compris vers certains rayons particuliers
dans les GMS. Ils s’adressent à une minorité convaincue
de consommateurs.
En termes économiques, les grandes firmes agro­
alimentaires et distributrices poursuivent leur concen­
tration. Elles sont devenues tellement puissantes qu’elles
orientent la décision publique : normes sanitaires adap-
tées à leurs besoins, intervention dans les négociations
internationales, traités de libre-échange alignés sur les
normes qualitatives et environnementales les moins
exigeantes. Les projets législatifs d’étiquetage compré-
hensible des aliments échouent. L’information des
consommateurs reste de ce fait limitée au strict néces-
saire. La réglementation sanitaire pour les transports,
abattoirs et ateliers de transformation reste conçue exclu-
sivement pour les grandes unités, sans prendre en compte
les particularités des circuits courts.
D’un point de vue politique, en l’absence d’intérêt
central pour les enjeux de l’alimentation durable, seules
les grandes métropoles peuvent s’organiser en ce sens.
Elles contrôlent leur espace périphérique pour leurs
propres besoins nutritionnels, récréatifs et commerciaux.
Leurs Projets alimentaires territoriaux se résument
cependant le plus souvent au simple approvisionnement

148
Quel(s) futur(s) pour les circuits courts ?

de la restauration collective en produits locaux dénués de


risque sanitaire, en application des obligations légales.
S’y ajoutent quelques espaces d’autoproduction et
jardins urbains à vocation essentiellement récréative. Des
« fermes verticales » et des unités de production en
hydroponie apparaissent également dans les villes. Il
s’agit d’installations très technologiques, requérant des
investissements massifs et appartenant à des opérateurs
privés. Le reste — soit en fait la quasi-totalité —
de l’approvisionnement des urbains est organisé selon les
modes de production et de distribution dominants.
Sur le front social, les inégalités s’accroissent. N’ayant
plus accès à la consommation ordinaire, les ménages
pauvres s’approvisionnent auprès de circuits spéciaux,
qu’il s’agisse du hard discount ou de l’aide alimentaire
parapublique alimentée par les produits invendables
en magasin et le gaspillage défiscalisé. De manière géné-
rale, la prévalence des maladies liées à l’alimentation
(pathologies cardiovasculaires, diabète, obésité) devient
telle que le système d’assurance maladie s’essouffle.
Les campagnes d’éducation alimentaire ne rencontrent
en effet guère d’écho face à la publicité des firmes agro­
alimentaires.
Dans un tel contexte, les circuits courts, extrêmement
segmentés, restent cantonnés à des marchés de niche. Ils
ne peuvent pas lutter contre le pouvoir de persuasion des
marques agroalimentaires. Quelques formes dominent :
–– l’approvisionnement de la restauration collective
par des fermes concentrées et spécialisées, installées en
périphérie des métropoles, souvent sur un foncier alloué
par la ville, avec des cahiers des charges axés sur la
sécurité sanitaire ;
–– la distribution de produits d’appel dans les GMS. Les
fermes spécialisées qui les alimentent restent dans un

149
Et si on mangeait local ?

premier temps indépendantes, puis sont intégrées en


filière pour répondre à la concurrence par les prix ;
–– des réseaux financés par de grands investisseurs privés
sur le modèle de l’actuelle Ruche qui Dit Oui ! ;
–– des supermarchés intégrés à des parcs à thème propo-
sant aussi loisirs, parcours-santé, etc., sur le modèle des
actuels magasins O’Tera dans les « villages » Décathlon ;
–– des artisans spécialisés qui proposent des produits
locaux de qualité à des prix élevés, donc réservés à des
occasions exceptionnelles ou une clientèle très aisée.
Dans le même esprit, certaines chaînes de restaurants
possèdent leurs propres unités de production en agri­
culture biologique.
Des formes alternatives, de type Amap par exemple,
continuent à exister, reposant sur les engagements poli-
tiques et sociaux affirmés d’une minorité d’acteurs. Ce
mouvement reste très limité, et discrédité à la fois par les
médias et les acteurs du système agroalimentaire clas-
sique. Au total, les ventes en circuit court (tous types
confondus) représentent bien moins de 10 % du marché
alimentaire.

Changeons de paradigme :
la transition durable

Nous sommes (toujours) en 2030. Cette fois-ci, une


prise de conscience généralisée des limites du modèle de
développement actuel — pas seulement en matière
alimentaire — a imposé un changement radical de l’éco-
nomie et de l’organisation des sociétés, à une échelle
internationale. L’intérêt des consommateurs pour
l’origine géographique de leur alimentation ne résulte
plus de la crainte sanitaire mais devient l’expression d’un

150
Quel(s) futur(s) pour les circuits courts ?

engagement dans cette transition. Leurs motivations


associent santé, plaisir gustatif, convivialité, conscience
environ­nementale et solidarité sociale. Les habitudes
d’achat et les modes d’alimentation ont changé, sous
l’effet de campagnes d’éducation (y compris dans les
écoles) écoutées mais aussi de la transmission informelle
d’une culture de la nourriture, que ce soit entre généra-
tions ou entre producteurs et consommateurs. Les
régimes alimentaires évoluent vers une plus grande part
de protéines d’origine végétale et l’utilisation de produits
plus bruts, ou bien transformés en circuit court dans le
respect des matières premières et sans additifs inutiles. Le
gaspillage a beaucoup diminué. Le commerce de proxi-
mité réinvestit le centre des villes. La part de l’alimen­
tation dans le budget des ménages augmente quelque peu
mais reste soutenable grâce à la réduction du gaspillage et
à la diminution d’autres postes de dépenses.
En termes de production, le système agricole privilégie
désormais une voie plus sobre énergétiquement et plus
respectueuse de l’environnement et des équilibres
sociaux. Des pratiques alliant faible niveau d’émissions et
d’intrants et forte productivité (permaculture, agro­
écologie, agroforesterie...) se diffusent. Le bien-être
des animaux d’élevage — à la ferme mais aussi lors du
transport et de l’abattage — est devenu une exigence
partagée par tous. L’emploi agricole augmente car ces
techniques demandent plus de main-d’œuvre que l’agri-
culture industrielle, mais les métiers de la chaîne alimen-
taire sont désormais attractifs, économiquement viables
et reconnus socialement. L’organisation de la production
par filières intégrées n’est plus la règle unique. De ce
fait, le tissu productif se diversifie et des exploitations
de toutes tailles, fermes moyennes comprises, trouvent
leur place.

151
Et si on mangeait local ?

La Politique agricole commune est abandonnée en


2027, après une réforme en 2020 visant à plafonner
et conditionner les aides. Elle est remplacée par une
Politique alimentaire commune croisée avec le Fonds
européen de développement économique et régional
(Feder) et le Fonds social européen (FSE). Cette nouvelle
PAC vise à satisfaire les besoins alimentaires du
continent en prenant en compte des impératifs de justice
sociale et d’efficacité environ­nementale, tout en préser-
vant la dimension culturelle et les enjeux de santé de
l’alimentation.
En termes économiques, les grandes firmes doivent
désormais s’adapter à une harmonisation internationale
des politiques fiscales, lesquelles prennent désormais
en compte les coûts sociaux et environnementaux.
Ces firmes se réorganisent donc et adoptent des
stratégies de décentralisation. Les décisions publiques
(régle­m en­t ations, normes, traités internationaux)
échappent à leur influence.
D’un point de vue politique, les grandes organisations
internationales révisent leurs objectifs. Les échéances
environnementales — changement climatique, érosion
de la biodiversité, épuisement des ressources fossiles —
deviennent des axes majeurs des politiques mondiales,
ainsi que les enjeux de santé des populations. En termes
alimentaires, l’Organisation des Nations unies pour l’ali-
mentation et l’agriculture (la FAO) soutient encore plus
fortement qu’aujourd’hui l’agriculture vivrière. À l’instar
de la culture, l’alimentation est reconnue comme une
activité inaliénable qui n’est pas tenue d’obéir systémati-
quement aux « lois du marché ». Les politiques urbaines
s’inspirent de l’approche ville-région pour la sécurité
alimentaire, présentée en octobre 2016 à la conférence
Habitat III de Quito (Équateur).

152
Quel(s) futur(s) pour les circuits courts ?

Au niveau national et européen, les pouvoirs décentra-


lisés favorisent l’expérimentation économique et socié-
tale. L’équilibre des pouvoirs se réalise au sein de régions
et d’intercommunalités correspondant à des bassins de
vie et, entre autres, de production et de consommation
alimentaires. Ces échelons décentralisés ont acquis des
compétences législatives en termes, par exemple, de santé
publique ou de lutte contre la pauvreté. Ils gèrent la
répartition du foncier agricole, favorisent les techniques
agroécologiques et la préservation des variétés locales.
Les pratiques sociales coopératives, inspirées de l’actuelle
économie sociale et solidaire, se développent. Des
chambres alimentaires régionales et des conseils alimen-
taires locaux, représentatifs de toutes les parties prenantes,
sont institués. Ils élaborent des Projets alimentaires
ter­ritoriaux, ouvrant la voie au moins à petite échelle à
une véritable démocratie alimentaire, et considérant
l’alimentation dans toutes ses dimensions : sanitaire,
économique, environnementale, sociale et culturelle.
Sur le front social, les inégalités sont contenues. Les
collectivités territoriales participent à la mise en place de
dispositifs, intégrés dans le projet local, favorisant l’accès
des plus pauvres à une alimentation de qualité. La préva-
lence des maladies liées l’alimentation régresse dans
toutes les classes sociales.
Dans ce contexte, les circuits courts constituent un
versant de la transition générale (alimentaire mais aussi
énergétique et environnementale). La confiance inter­
personnelle et la transparence remplacent les marques et
logos d’origine, les populations locales se réapproprient
leur système d’alimentation. Une multitude de formes
cohabitent :
–– des systèmes de type Amap, à l’initiative de groupes de
consommateurs-citoyens ;

153
Et si on mangeait local ?

–– des groupements coopératifs de producteurs montant


des PVC et magasins de producteurs à différentes échelles,
de la boutique ou du rayon spécialisé jusqu’au super­
marché, que ce soit en zone rurale, périurbaine ou en
centre-ville ;
–– des plateformes de groupage-dégroupage servant la
restauration collective ;
–– différents types de marchés (traditionnels, paysans, de
soirée, etc.) créés ou soutenus par les collectivités pour
répondre aux besoins de toutes les catégories de consom-
mateurs. Il est aussi possible d’y manger ;
–– des formes de distribution « connectée » s’appuyant
sur Internet, contrôlées par les producteurs et/ou les
consommateurs eux-mêmes
–– des restaurants de toutes gammes faisant appel à des
chaînes d’approvisionnement locales ;
–– des formes multiples d’agriculture urbaine, comme des
jardins ouvriers ou partagés, associant les fonctions
productive, récréative et pédagogique ;
–– l’approvisionnement en produits de proximité des
dispositifs d’aide aux personnes les plus démunies ;
–– des GMS valorisant des produits véritablement locaux
dans un rapport équilibré avec les producteurs.
À cela s’ajoutent des circuits comprenant des inter­
médiaires — artisans transformateurs, transporteurs,
traiteurs — devenus des partenaires « jouant le jeu »,
c’est-à-dire engagés dans le soutien à l’agriculture locale
et attentifs à la rémunération des producteurs, à la qualité
des produits et à l’information des consommateurs,
ainsi que des commerces de proximité privilégiant la
qualité. C’est précisément cette diversité de débouchés
qui permet à tous les types de fermes de trouver leur
raison d’être. Globalement, l’ensemble de ces formes
de commercia­lisation représente le quart du marché

154
Quel(s) futur(s) pour les circuits courts ?

ali­­mentaire, soit de 50 à 60 milliards d’euros par an, sans


compter l’auto­production et le troc. La grande distribu-
tion garde une place prépondérante mais ses pratiques
ont évolué sous l’influence de différents facteurs :
changement de cadre réglementaire, pression des
consommateurs et des initiatives locales, arrivée de
nouveaux acteurs, etc.

155
Un avenir à construire ensemble

Aucun des deux scénarios décrits dans le chapitre


précédent ne se réalisera tel quel. La réalité suivra un
chemin imprévisible, empruntant à l’un et à l’autre, pas
forcément simultanément. Il est donc impossible de
prédire où se situera le curseur en 203068. Les exercices
de prospective passés ont souvent montré, rétro­­­spec­tive­
ment, que le scénario moyen, celui qui apparaissait
comme « le plus raisonnable » à un moment donné, ne
s’est pas réalisé. Nous ne sommes pas à l’abri de surprises,
d’évènements fondateurs et imprévisibles. Et ce d’autant
plus que les facteurs susceptibles d’influencer l’avenir des
circuits courts dépassent de loin l’action locale des parties
prenantes. Les conditions économiques et politiques à
grande échelle — nationale ou inter­nationale — sont
également déterminantes.
Deux constats s’imposent ici. Tout d’abord la crise
agricole s’est encore aggravée par rapport au début des
années 2000. Les fermes moyennes, endettées pour se
moderniser et s’agrandir, ne peuvent plus résister à la
volatilité des cours, par exemple ceux du lait ou du porc.
Leur disparition s’accélère, avec les conséquences que
l’on imagine en termes économiques et sociaux (dispari-
tion d’un pan entier de l’agriculture, perte de centaines

68  Le Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture a cependant


publié un « regard prospectif sur la mondialisation des systèmes alimentaires » en
2030 (mars 2017).

157
Et si on mangeait local ?

de milliers d’emplois ruraux), voire environnementaux


(retour des friches). Inadaptées à la vente directe, elles
auraient besoin d’intermédiaires et d’infrastructures
de proximité — abattoirs, légumeries, laiteries — pour
valoriser leurs produits. Les collectivités locales ont ici un
rôle à jouer.
Ensuite l’attitude des consommateurs a évolué. Si
la méfiance sanitaire reste forte, de nouvelles préoc­
cupations moins « égoïstes » sont également devenues
des critères importants de choix des produits, comme par
exemple une agriculture respectueuse de l’environ­
nement et du bien-être animal (conditions décentes
d’élevage et d’abattage, ou de pêche). À une échelle plus
importante, la mondialisation marchande et l’uniformi-
sation planétaire de l’alimentation et des modes de
production inquiètent toujours plus.
Les circuits courts constituent-ils une solution ? Ils
peuvent en tout cas y participer, à condition de s’inscrire
dans des Projets alimentaires territoriaux ne se limitant
pas à l’approvisionnement des cantines scolaires. Mais
l’échelle locale reste insuffisante. De telles initiatives
pourraient fort bien, en effet, se muer en confortables
niches, créer de petits îlots de pratiques durables au sein
d’un paysage inchangé par ailleurs. À plus grande échelle,
celle de la région, du pays, voire de l’Europe ou du monde
pour certains produits, c’est le système alimentaire69 en
général qu’il convient de repenser, en intégrant des
exigences à la fois environnementales, économiques,
sociales et culturelles.
Certes, mais que peut faire le « simple » consom­
mateur ? Tout d’abord consommer intelligent : préférer,

69  Souvent défini comme la manière dont les hommes s’organisent dans l’espace et
dans le temps pour obtenir et consommer leur nourriture.

158
Un avenir à construire ensemble

lorsque c’est possible, les produits locaux à leurs équiva-


lents de provenance lointaine voire inconnue, privilégier
les produits de saison au lieu de manger « ce que je veux
quand je veux et au diable les conséquences ». Mais aussi
ne pas se laisser embarquer, par crainte, désarroi ou effet
de mode70, dans l’extrême segmentation, voire l’indivi-
dualisation des régimes, qui profite essentiellement à
l’industrie agroalimentaire. Laquelle, grâce à ses moyens
d’analyse marketing, peut très vite repérer les dernières
tendances et répondre à toutes les inquiétudes, volontés
d'indépendance — voire lubies — en proposant des
produits transformés correspondant à chaque créneau.
Ensuite, et peut-être surtout, ne pas oublier qu’il est
aussi un citoyen, qu’il peut à ce titre participer — par
l’action locale personnelle ou par le choix de représen-
tants — aux décisions collectives concernant les modes
de production agricole, l’organisation des filières et les
circuits de distribution alimentaire. Bref à la naissance
d’une « démocratie alimentaire ». Certains en appellent
même à la naissance d’une notion internationale d’exception
alimentaire71 équivalente à celle d’exception culturelle, ce
qui reviendrait à reconnaître au niveau de l’ONU que
l’alimentation peut être soustraite aux dictats des pures
« lois du marché ».

70  Voir la recrudescence récente d’« allergies » ou d’intolérances au gluten ou/et au


lactose, par exemple.
71  Voir la plateforme Alimentation générale (www.alimentation-generale.fr).

159
Contribuer à un renouveau démocratique
autour de l’alimentation locale

Originaire du Nord-Ouest de la France, j’ai des racines


à la fois agricoles et ouvrières. Après avoir envisagé une
carrière dans l’humanitaire, j’ai suivi une formation
d’ingénieur agronome pour travailler dans le domaine du
développement local. Mes premières expériences en
Afrique et au Vietnam m’ont toutefois fait comprendre
que les solutions techniques ne suffisaient pas. J’ai donc
complété ma formation par une thèse en sociologie et je
me suis intéressée, à partir des coopératives viticoles du
Sud de la France, aux conditions sociales de l’innovation
collective en agriculture. J’ai été recrutée à l’Inra en 2001,
au sein du département SAD, aujourd’hui « Sciences
pour l’action et le développement », dont la mission est
d’observer les transformations du monde agricole et
rural mais aussi de les accompagner. Très proche des
acteurs, j’ai ainsi pu observer l’augmentation de la préca-
rité chez les agriculteurs mais aussi le manque de recon-
naissance que beaucoup ressentaient, en particulier les
nouveaux venus ne suivant pas le modèle de l’agriculture
industrielle.
En collaboration avec un animateur des Civam, je me
suis alors intéressée aux circuits courts comme un moyen
possible de lutter contre la fragilisation, économique et
sociale, du monde agricole. C’était en 2005, bien avant
que ces circuits ne deviennent à la mode. Au contraire,

160
Contribuer à un renouveau démocratique autour de l'alimentation locale

à cette époque, ces circuits étaient décrédibilisés, margi-


nalisés, y compris au sein du monde de la recherche,
parce que peu importants économiquement et/ou consi-
dérés comme trop militants. Pour moi, en revanche, il
s’agissait de « signaux faibles », qui témoignaient de
nouvelles dynamiques sociales et économiques, dans le
monde agricole comme dans la société, allant dans le sens
d’une économie à la fois plus juste et plus écologique.
Depuis 2005, j’ai coordonné ou participé à une dizaine
de projets de recherche-développement sur ces circuits, et
encadré de nombreux travaux d’étudiants. J’ai également
été associée aux dispositifs de politiques publiques mis
en place par l’État pour soutenir leur développement,
à commencer par le groupe de travail du ministère
de l’Agriculture, qui, en 2009, a établi leur définition
officielle. Mon expérience m’a amenée à être retenue
comme expert pour la Commission européenne et je
co-anime, depuis 2015, le réseau mixte technologique
Alimentation locale, qui fédère l’ensemble des organismes
contribuant au développement de ces circuits.
J’observe finalement que les effets des circuits courts
vont bien au-delà de ce qu’on en dit ou attend. Bien sûr,
pas dans tous les cas ni dans n’importe quelles conditions.
Mon métier est justement de porter sur eux un regard
exigeant, pour éclairer les choix, éviter les désillusions.
Néanmoins, face à ceux qui n’y voient qu’un repli identi-
taire, ce qui m’intéresse avant tout, c’est l’espoir démo-
cratique que les circuits courts font naître, ou renaître.

Yuna Chiffoleau

161
Innover pour perpétuer la vie de nos territoires

Né dans le Nord, une région marquée par la crise écono-


mique, et issu d’une famille d’urbains, je me suis d’abord
intéressé aux processus de reconversion des territoires
industriels. Mes réflexions portaient alors sur la capacité
différenciée des systèmes productifs locaux à modifier leur
organisation, leurs règles de fonctionnement et leurs
pratiques pour éviter de sombrer dans une crise durable et
s’inscrire dans une trajectoire de revitalisation du territoire.
Les bases étaient posées pour déboucher entre autres sur
une thèse en économie régionale, portant en particulier
sur l’influence des dispositifs de gouvernance et les proces-
sus d’innovation sur les territoires.
Au tournant des années 2000, je suis recruté comme
enseignant-chercheur en économie à l’école d’ingénieurs
de Purpan à Toulouse, assurant également l’animation de
la spécialisation dédiée au développement rural. J’y
acquiers une culture plus large des problématiques agri-
coles et rurales, à une époque où l’on commence à sentir
quelques frémissements en faveur d’une évolution des
modèles agricoles et du développement des territoires, en
réponse aux impasses et aux crises associées aux principes
dominants. Notamment influencé par des échanges régu-
liers avec quelques professionnels agricoles aujourd’hui
reconnus comme précurseurs et des collègues d’expé-
rience, je m’oriente vers les processus de développement
durable des territoires ruraux, et les systèmes agricoles
visant à renforcer la création d’activités et d’emplois à

162
Innover pour perpétuer la vie de nos territoires

partir d’une meilleure valorisation des ressources locales.


Il s’agit également d’explorer des pistes de compréhen-
sion nouvelles en soulignant le rôle des relations de
proximité dans les coordinations économiques. Si à
l’époque on nous laisse faire, ces approches restent
cependant considérées comme marginales.
En 2005, souhaitant approfondir ma réflexion dans
une perspective internationale, j’entre à l’Inra Toulouse
pour y piloter un projet de recherche européen consacré
à la comparaison des systèmes de protection des indica-
tions géographiques (AOC, IGP…) dans le monde. La
volonté de valoriser et de protéger des produits locaux
apparaît comme un trait commun à de nombreux col­­
lectifs d’agriculteurs à travers le monde. Toutefois, ces
démarches restent limitées à des produits à forte dimen-
sion patrimoniale alors que le besoin de confiance des
consommateurs concerne toute la gamme de l’alimen­
tation quotidienne.
Mon intérêt pour les circuits de proximité viendra
d’un concours de circonstances. D’abord le suivi d’un
mémoire de master consacré au développement des poli-
tiques agricoles urbaines dans plusieurs agglomérations
du Sud-Ouest européen ; et plusieurs sollicitations,
notamment une conférence effectuée dans le cadre du
projet Casdar Interval sur la comparaison des systèmes
de protections des indications géographiques et des
circuits courts. Parallèlement, ma fonction d’animateur
national des programmes « Pour et sur le développement
régional » (PSDR) depuis 2008 m’avait permis d’acquérir
une connaissance précise de quelques projets de recherche
structurants sur la thématique des circuits courts.
Depuis 2015, la création du réseau mixte techno­­
logique Alimentation locale et les nouvelles orientations
scientifiques du département SAD de l’Inra, ont été une

163
Et si on mangeait local ?

opportunité nouvelle pour accompagner les acteurs agri-


coles et les territoires, et chercher à renforcer la résilience
de modèles souvent considérés dans l’impasse. Mon
engagement de chercheur consiste ainsi à apporter des
connaissances et à appuyer l’expérimentation de solu-
tions innovantes en matière de circuits de proximité, sur
les enjeux logistiques ou la gouvernance alimentaire
territoriale, mais aussi sur la place des problématiques
agricoles et alimentaires dans le développement des villes
en transition.

Frédéric Wallet

164
Bibliographie

Toutes les adresses Internet citées dans cette bibliographie ou dans le cours de
cet ouvrage étaient fonctionnelles en février 2017.
Amemiya H. (ed.), 2011. Du teikei aux Amap, le renouveau de la vente directe de
produits fermiers, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2011.
Ademe, 2012. Les circuits courts alimentaires de proximité, avis publié en avril
2012, www.ademe.fr.
Ademe, 2015. Alléger l’empreinte environnementale de la consommation des
Français en 2030 : Vers une évolution profonde de modes de production et de
consommation, rapport publié en novembre 2015, www.ademe.fr.
Ademe, 2016. Alimentation et environnement : Champs d’actions pour les
professionnels, www.ademe.fr/alimentation-environnement.
Agreste primeur, 2011. Recensement agricole 2010 : Premières tendances, 266,
septembre 2011, http://agreste.agriculture.gouv.fr.
Agreste primeur, 2012. Un producteur sur cinq vend en circuit court, 275,
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Bonnefoy S., 2011. La politisation de la question agricole périurbaine en
France : Points de repère. Urbia, 12, www.unil.ch.
CERD (ed.), Chambre d’agriculture de Rhône-Alpes, Trame, 2013.
Innovations dans les circuits courts. Facteurs de réussite et points de
vigilance, fascicule réalisé dans le cadre du projet RCC financé par le Casdar,
www.centre-diversification.fr.
CERDD, 2016, Un guide pour une approche territoriale des projets de circuits
courts : Explorer le développement territorial durable avec les circuits courts
alimentaires, www.cerdd.org.
Cese, 2016. Les circuits de distribution des produits alimentaires
(A. Ritzenthaler, rapporteur), www.lecese.fr.
Chambre d’agriculture de Franche-Comté, 2014. Coût global du repas, étude
menée dans le cadre du projet Réalisab, Restauration collective et approvision-
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circuits courts et de proximité dans les territoires. Guide pratique d’utilisation,
http://www.sad.inra.fr/Partenariat-innovation/Ici.C.Local-Valoriser-les-
circuits-courts-dans-les-territoires.

165
Et si on mangeait local ?

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projet Codia, financé par le Casdar, www.gret.org.
Maréchal G. (ed.), 2008. Les Circuits courts : Bien manger dans les territoires,
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Ministère de l’Agriculture, 2014. Le nouveau Programme national pour
l’alimentation (PNA), http://agriculture.gouv.fr.
Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 2015. Utiliser
les plateformes collectives pour développer l’approvisionnement local en
restauration collective, http://agriculture.gouv.fr.

166
Bibliographie

Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie /


Commissariat général au Développement durable, 2013. Consommer local,
les avantages ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Le Point sur, 158,
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Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé. Le Programme national
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Mundler P., 2013. Le prix des paniers est-il un frein à l’ouverture sociale des
Amap ? Une analyse des prix dans sept Amap de la région Rhône-Alpes.
Économie rurale, 336, mis en ligne le 15.07.2015, http://economierurale.
revues.org.
Mundler P., Rouchier J., 2016. Alimentation et proximités : Jeux d’acteurs et
territoires, Éducagri, Dijon, 462 p.
Mutualité sociale agricole (MSA) / Direction des études, des répertoires et des
statistiques, 2016. Tableau de bord de la population des chefs d’exploitations
agricoles ou des chefs d’entreprises agricoles en 2015, www.msa.fr.
Paturel D., 2013. Aide alimentaire et accès à l’alimentation,
https://www.academia.edu.
Paturel D., 2014. Rapport d’évaluation de la seconde campagne d’approvision-
nement en fruits et légumes du Languedoc-Roussillon pour les Restos du
cœur de l’Hérault, https://www.academia.edu.
Prigent-Simonin A.-H., Hérault-Fournier C. (eds), 2012. Au plus près de
l’assiette : Pérenniser les circuits courts alimentaires, Éducagri, Dijon, 262 p.
Région Rhône-Alpes, 2011. Favoriser une restauration collective de proximité et
de qualité : Guide pratique, hwww.achatlocal-consorhonealpes.com.

Principaux textes de lois et règlements évoqués dans l’ouvrage


Sauf mention contraire, l’ensemble de ces textes est à retrouver sur
https://www.legifrance.gouv.fr (consultés dans leur état de février 2017)
France
Loi d’avenir pour l’Agriculture, l’alimentation et la forêt, 2014.
Loi d’orientation agricole, 1999.
Loi d’orientation pour l’Aménagement et le développement durable du
territoire, 1999.
Loi de modernisation de l’Agriculture et de la pêche, 2010.
Loi Égalité et citoyenneté, 2016. http://www.assemblee-nationale.fr.
Loi portant sur la Nouvelle organisation territoriale de la République, 2015.
Loi relative à la Solidarité et au renouvellement urbains, 2000.
Loi relative au Renforcement et à la simplification de la coopération
intercommunale, 1999.
Europe
Règlement Feader, 2013. http://eur-lex.europa.eu.

167
En couverture :
© WavebreakmediaMicro - Fotolia.com (n° 79493138)

Coordination éditoriale : Véronique Véto-Leclerc


Responsable de la collection : Anne-Lise Prodel
Édition : Mickaël Legrand / www.vivante-passerelle.net
Création maquette intérieure et couverture : Gwendolin Butter
Mise en page : Gwendolin Butter

Imprimé en France par CPI Firmin Didot


N° d'impression : xxx
Dépôt légal : juin 2017
D epuis une quinzaine d’années, les « circuits courts » de
commercialisation de produits alimentaires font leur
grand retour en France.
La vente directe par le producteur et l’approvisionnement local
des artisans et petits commerces, pourtant millénaires, avaient
en effet quasiment disparu au profit des supermarchés.
Crises alimentaires aidant, et en particulier celle de la « vache
folle », les consommateurs veulent aujourd'hui savoir d’où
viennent leurs aliments et comment ils ont été produits. D’où
un renouveau des pratiques anciennes, comme les marchés ou
la vente à la ferme, mais aussi l’apparition de formes inédites,
reposant par exemple sur Internet. Un mouvement finalement
très divers et assez éloigné de l'image souvent réductrice
véhiculée dans certains médias.
Après avoir planté le décor historique, cet ouvrage se place
délibérément du côté du consommateur curieux. Il répond à
des questions quotidiennes : où puis-je trouver ces produits ?
Sont-ils plus chers, moins chers, vraiment meilleurs de goût ?
Quelle différence entre une Amap et la vente à la ferme ?
Il élargit ensuite la réflexion aux implications de cette forme
d’achat : quel effet sur l’emploi et l'économie locale ? Quel impact
sur l’environnement et sur le paysage périurbain ? Quelles pistes
pour toucher aussi les plus démunis ?
Manger local : une « bonne idée » ou pas, finalement ?

Patrick Philipon est journaliste et auteur, spécialisé en vulgarisation


scientifique. Il s’intéresse particulièrement aux problématiques environ­
nementales.
Yuna Chiffoleau, agronome et sociologue à l’Inra, travaille sur les systèmes
alimentaires durables. Très impliquée dans l’appui aux organisations
professionnelles, elle coanime le réseau mixte technologique (RMT)
Alimentation locale.
Frédéric Wallet, économiste à l’Inra, anime l’équipe Proximités. Auteur
de plusieurs ouvrages sur les nouvelles dynamiques territoriales, il est aussi
membre du RMT.
Nicolas Hulot (préfacier) est président de la Fondation Nicolas Hulot pour
la Nature et l’Homme.

17 €
ISBN : 978-2-7592-2526-2

Éditions Cirad, Ifremer, Inra, Irstea


www.quae.com Réf. : 02547

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