Vous êtes sur la page 1sur 3

CHAPITRE 1

Émergence du domaine
de l’évaluation des apprentissages
des élèves

Sommaire
1. D’ABORD, DES PRATIQUES DE CLASSEMENT ET DE NOTATION
E
2. LA DOCIMOLOGIE, PREMIÈRE PARTIE DU 20 SIÈCLE
3. L’ÉVALUATION DEVIENT « PÉDAGOGIQUE » DÈS LES ANNÉES 1970
E
4. UNE SPÉCIALISATION DES FONCTIONS DE L’ÉVALUATION, DEUXIÈME PARTIE DU 20 SIÈCLE
5. EN CONTINU, UN ÉLARGISSEMENT CONCEPTUEL DE L’ÉVALUATION FORMATIVE DANS LE MONDE
FRANCOPHONE
E
6. MISE EN CAUSE DE LA THÉORIE DES OBJECTIFS, FIN DU 20 SIÈCLE

Ce premier chapitre expose un aperçu de la constitution du domaine de


l’évaluation des apprentissages des élèves en Science de l’éducation et de
l’émergence d’une problématique évaluative. On ne parlait pas d’évaluation
initialement, mais de pratiques de notation et de classement des élèves. C’est
seulement courant du 20e siècle que la conception d’une évaluation
pédagogique s’est développée. Après un bref rappel de ce point, le chapitre
expose les principaux courants théoriques et de recherche qui ont participé à
la constitution du domaine de l’évaluation des apprentissages : les travaux
docimologiques, l’émergence de la distinction entre évaluation sommative et
formative, la spécialisation des différentes fonctions de l’évaluation des
apprentissages, l’élargissement conceptuel de l’évaluation formative à des
fins de régulation des apprentissages et de l’enseignement. Le chapitre se clôt
avec la mise en question de la théorie des objectifs et le renouveau apporté
par les approches par compétences depuis les années 2000 dans le monde de
l’école.

1. D’abord, des pratiques de classement


et de notation
Peu de travaux scientifiques se sont attelés à faire « l’histoire de
l’évaluation » comme l’a signalé Antoine Prost lors de son intervention aux
Journées de l’évaluation à Paris en décembre 2014 17. Les quelques auteurs
qui ont mené cette réflexion constatent que l’évaluation à l’école est d’abord
appréhendée comme une question de notes et d’examens liées à des
représentations fortement connotées : la note est associée à une « sentence »
délivrée par un « jury ». Dans sa conférence, à partir d’exemples pris dans
l’histoire en France, Prost rappelle qu’au 19e siècle les épreuves étaient orales
et c’est le jury – tel un jury du tribunal ou des assises, compare le
conférencier – qui décidait. Il n’utilisait pas de notes pour décider et, de l’avis
même de Prost, « le passage de la sentence à la notation est extrêmement
compliqué ».
Bugnard (2004) identifie deux mouvements principaux à l’origine de ce
passage. Le premier est associé à un moyen disciplinaire : les notes et les
examens remplacent les punitions et les châtiments corporels. Foucault
(1975) compare l’examen à un dispositif de surveillance qui permet de
qualifier, de classer et de punir. Les notes chiffrées « se sont peu à peu
substituées aux châtiments corporels à l’issue d’une phase de transition
centrée sur les motivations extrinsèques “douces” (punitions/récompenses ;
honneurs/déshonneur) » (Bugnard, 2004, p. 94). La note récompense l’élève
qui a bien travaillé ; elle punit le cancre.
Le deuxième mouvement est lié à un besoin social de différencier les
élèves en fonction de leurs niveaux d’excellence. Maulini (1996) souligne
que, dès le 16e siècle, les écoles des Jésuites ont proposé une éducation
gratuite mais élitiste. L’éducation est rendue accessible autrement que par le
seul critère de la naissance. Il s’agissait alors de « privilégier les plus
méritants et d’éliminer les autres ». Placés en situation de concurrence
perpétuelle (par le moyen de joutes oratoires, de récitations, de compositions,
de concours, de prix, etc.), les élèves étaient répartis en des groupes
hiérarchisés. Des plus méritants aux cancres, ces derniers étaient renvoyés.
Les « thèmes », « versions » et autres « vers » que les élèves devaient
produire faisaient l’objet d’une indication de rang (par ex. Xème sur Y élèves)
qui, peu à peu, a été remplacée par une appréciation chiffrée, autrement dit
une note. Des « billets », des prix, des tableaux récapitulatifs ponctuaient
différentes périodes de formation (semaine, mois, trimestre, année) et
contribuaient à redéfinir ou confirmer la catégorisation hiérarchisée des
élèves. Si les pratiques variaient, comme l’observe Maulini, ces principes de
notation chiffrée et de découpage temporel (note ponctuelle, appréciation
globale après une période donnée) seront repris au 19e siècle par l’école
républicaine. Malgré l’opposition de cette dernière à l’enseignement
confessionnel des Jésuites, l’époque d’alors réclamait « un besoin de
différenciation visible des personnes » (Bugnard, 2004, p. 95) qui s’est
poursuivi jusque dans nos sociétés actuelles.
Ce bref aperçu historique souligne qu’on parle, dans ce cas-ci, de notes et
d’examens. C’est seulement ensuite qu’on les associera à des moyens dits
d’évaluation, parmi d’autres moyens, et au regard aussi d’autres buts que la
sanction et le classement. Ce regard historique permet également de souligner

Vous aimerez peut-être aussi