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LES FILLES FACE AUX PROGRAMMES SCOLAIRES

DE SCIENCES ET TECHNOLOGIE EN AFRIQUE

Etude socio-psychologique

Alphonsine BOUYA

UNESCO
Bureau régional de Dakar
Les opinions exprimées par l'auteur ne sont pas nécessairement celles de l'UNESCO
et n'engagent pas l'Organisation.

Publié en 1993 par le Bureau régional de l'UNESCO pour l'éducation en Afrique


(BREDA)
BP 3311, Dakar, Sénégal.

©UNESCO 1993
AVANT-PROPOS

Promouvoir l'égalité entre les sexes et l'amélioration de la condition des


femmes est une préoccupation constante de l'UNESCO. Le troisième Plan à moyen
terme (1990-1995) met l'accent sur la participation des femmes, condition sine qua
non d'un développement réussi. L'attention est accordée en premier lieu à l'éducation
des femmes et des jeunes filles, clé de leur participation, sur un pied d'égalité, à tous
les domaines de la vie économique, sociale et culturelle. Par ailleurs, la lutte contre
les violences physiques et morales exercées sur les femmes, l'appréciation du rôle
des femmes dans le secteur informel, la contribution des femmes dans les média et
dans la sauvegarde du patrimoine, constituent autant de champs d'action dans
lesquels l'UNESCO s'est engagée au cours des années et dans un effort sans cesse
renouvelé.
Ce sont là autant de raisons qui ont conduit le Bureau Régional de l'UNESCO
pour l'Education en Afrique (BREDA) à publier un certain nombre de textes, rédigés
à l'occasion des activités menées dans ce domaine d'action prioritaire.
La plupart des auteurs, des femmes: femmes africaines de différentes
nationalités, femmes engagées à plusieurs niveaux dans le développement de leurs
pays. C'est là déjà un choix: donner la voix au monde académique, au monde de la
recherche, au monde de la politique, pour leur faire exprimer un point de vue africain
et "féminin". En plus, à travers leurs actions, ces femmes intellectuelles visent à mettre
en relief et valoriser le rôle précieux mais trop souvent méconnu de leurs soeurs: les
millions de femmes et jeunes filles engagées jour après jour dans la lutte pour assurer
une meilleure existence à leurs familles et à elles-mêmes, pour affirmer leur droit à
l'éducation, pour améliorer à travers la participation à la base le niveau de vie de leurs
communautés. Ces femmes et jeunes filles représentent, dans leur silence actif, l'une
des grandes ressources du continent.
La publication de cette série vise à favoriser la diffusion des connaissances et
des informations sur la situation réelle des femmes africaines, notamment dans le
secteur de l'éducation; les obstacles rencontrés, les échecs essuyés et les succès
remportés marquent comme autant de jalons le chemin vers une égalité réelle et la
valorisation de la différence.
Mais il ne s'agit pas uniquement de connaître et de comprendre. Ces textes se
veulent des documents de travail qui donnent des orientations pour l'action.
En effet, encore aujourd'hui "les femmes constituent, parmi les laissés pour
compte, le groupe le plus important dans le monde". Et comment le monde pourrait-il
s'épanouir sans la moitié de lui-même?
TABLE DES MATIERES

Page

INTRODUCTION

LES TROIS FACES D'UN CURRICULUM 8


Le curriculum officiel 9
Le curriculum pratiqué ou exécuté 11
Evaluation du curriculum réalisé ou acquis 13

LES CENTRES D'INTERET DES FILLES DANS LES CURRICULA


OFFICIELS DE SCIENCES ET DE TECHNOLOGIE 15

NIVEAU DE RECEPTIBILITE DES FILLES VIS-VIS


DE L'ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE 17
Participation des femmes à l'enseignement des sciences
et de la technologie 17
Les attitudes des enseignants 19
Les intérêt et les attentes des filles 20

LES PERFORMANCES DES FILLES DANS LES SCIENCES,


LES MATHEMATIQUES ET LA TECHNOLOGIE 21

POUR UNE PLUS GRANDE PARTICIPATION DES FILLES


AUX SCIENCES ET A LA TECHNOLOGIE 25

CONCLUSION 28

BIBLIOGRAPHIE 29
INTRODUCTION

La Conférence mondiale sur l'Education pour tous qui s'est tenue à Jomtien en
1990 et Ia42ème session de la Conférence internationale sur l'éducation (1990) ont
reconnu comme priorité des priorités, l'amélioration de la qualité de l'éducation des
filles et l'élimination des stéréotypes et préjugés défavorables à l'éducation des filles.
La Convention sur les droits de l'enfant de 1989 et le Sommet mondial des
enfants de 1990 ont souligné l'importance de l'éducation des filles dans le processus
de changement du statut des femmes et la reconnaissance de leur participation au
développement.
En Afrique, pratiquement tous les pays ont adhéré aux principes des Nations
Unies et, particulièrement de l'UNESCO, sur l'égalité des chances dans l'éducation et
l'emploi et sur l'élimination de toutes formes de discrimination et d'injustices basées
sur le sexe.
Toutefois, la question se pose de savoir si, dans le court et le moyen termes,
l'application de ces principes sera effective, dans un contexte socio-culturel
particulièrement réticent, récalcitrant et dans un contexte socio-économique
contraignant.
C'est dans le but d'analyser et de mieux comprendre les contraintes et facteurs
qui participent à la limitation de l'accès des filles à l'éducation scientifique et
technologique que cette étude a été entreprise.
Seule une bonne appréhension de ces contraintes et facteurs peut conduire à
la mise en oeuvre des voies et moyens susceptibles de remédier à une situation qui,
si elle n'est pas combattue, entraînerait l'exclusion définitive de plus de la moitié des
populations africaines et constituerait un handicap de taille pour le développement du
continent.
Notre étude1 porte sur les questions suivantes:
1) Quelles sont les trois faces d'un curriculum? Ce premier chapitre examine le
curriculum officiel ou visé, le curriculum pratiqué ou opéré et enfin le curriculum atteint.
2) Quels sont les centres d'intérêt des filles dans les curricula officiels des sciences,
des mathématiques et de la technologie?
3) Quel est le niveau d'acceptabilité féminine par rapport aux pratiques dans les salles
de classe pour l'enseignement et l'apprentissage des sciences et de la technologie?
4) Quel est le rendement scolaire des filles en sciences et en technologie?
5) Que faire pour améliorer la participation des filles à l'enseignement scientifique et
technologique?
La présentation de la structure de cette étude pourrait susciter l'attente d'un
étalage de statistiques et de chiffres. Il convient de signaler dès maintenant qu'elle se
propose surtout d'aborder les problèmes en mettant l'accent sur les facteurs
psychologiques, socio-culturels et socio-pédagogiques qui affectent les filles dans
l'enseignement et les programmes scolaires des sciences et de la technologie en
Afrique. Cela n'exclut pas l'utilisation de certains chiffres pour l'illustration de nos
arguments.
Nous avons voulu retenir l'Afrique francophone comme champ de l'étude, avec,
toutefois, une préférence marquée pour le Sénégal, lieu de notre résidence
permanente. La situation en Afrique francophone reste, à peu de chose près, la

Une première version de c e t t e étude a é t é présentée à la Conférence


p a n a f r i c a i n e sur l'éducation des f i l l e s (Ouagadougou, 28 mars-1 a v r i l 1993).
l'héritage colonial français continue à s'exercer sur cette partie de l'Afrique de façon
assez particulière. Alors qu'en Afrique anglophone les tendances et les politiques
éducatives mises en place semblent se pencher du côté des femmes et réduire, un
tant soit peu, les écarts entre hommes et femmes, filles et garçons dans
l'enseignement, en Afrique francophone, tout se passe comme si l'héritage culturel
colonial et les pratiques culturelles africaines s'étaient liées dans une sorte de mariage
et d'union où le divorce serait difficilement envisageable.
Dans le cadre particulier de la discrimination sexiste, la coopération
internationale et, en particulier, la coopération Nord-Sud, a trouvé un champ
d'expression et un cadre de manifestation sans pareil.
Mais, comme cela se voit dans tous les autres domaines, l'Afrique reste, malgré
tout et toujours, la grande consommatrice. Dans le domaine de l'éducation, elle
s'avère être à la fois consommatrice et conservatrice.
Or, la société étant en perpétuelle évolution, en constant mouvement,
l'éducation doit, par conséquent, s'adapter au mouvement et à l'évolution de la société
pour permettre à l'être humain de bien maîtriser son cadre de vie.
La maîtrise du cadre de vie exige la participation de tous, hommes et femmes;
elle nécessite une solide formation de base dans tous les domaines: littéraire,
scientifique et technologique. Maintenir les barrières et les obstacles à l'accès des
femmes à l'enseignement scientifique et technologique revient donc à limiter leur
participation au développement du continent africain. Nous allons à présent analyser
ces obstacles.

LES TROIS FACES D'UN CURRICULUM

Si, comme l'écrit le professeur Obanya (1992), "l'école peut bien être un des
lieux probables de l'acte et des processus de l'éducation, mais l'éducation peut se
passer de l'école", il n'en demeure pas moins que l'école est le milieu le plus propice
à l'acquisition des compétences cognitives générales comme la lecture, l'écriture, le
calcul et à la compréhension des principes scientifiques.
En Afrique, l'un des problèmes majeurs de l'école est celui de son inadéquation
aux exigences du développement du continent. Les gouvernements africains, pour
répondre à ces exigences, élaborent par le biais des différents ministères de
l'Education nationale des programmes nationaux d'enseignement. Ces programmes
tiennent compte de l'enchaînement des connaissances selon les niveaux et les âges
des élèves.
Nous pouvons distinguer trois aspects ou faces dans un curriculum. Le
curriculum est ici défini comme l'ensemble des indications relatives à l'enseignement,
aux diplômes et aux activités éducatives (scolaires) formelles ou non-formelles d'un
individu. Les trois aspects ou faces du curriculum sont:
- le curriculum officiel ou visé;
- le curriculum pratiqué ou exécuté; et
- le curriculum atteint ou réalisé.
Le curriculum officiel

Le curriculum officiel est donc celui défini par les organes officiels ou

8
gouvernementaux. Il a pour objectif principal la transmission par les enseignants et
l'acquisition par les apprenants des connaissances, aptitudes et attitudes susceptibles
de favoriser et de faciliter la participation de chacun à la vie économique, sociale et
culturelle du pays et du continent.
Il s'agit, en l'espèce, d'armer les citoyens de moyens d'action intellectuels et
matériels pour leur épanouissement personnel et pour le développement de leur pays
et de leur continent.
En Afrique francophone, dans l'enseignement du premier degré ou
enseignement primaire, on retrouve invariablement les matières suivantes:
orthographe, lecture, grammaire, conjugaison, vocabulaire, expression écrite et orale,
exercices d'éveil (scientifique et manuel), poésie, etc. Cela pour les deux ou trois
premières années du primaire.
Aux cours moyens première et deuxième années, les programmes de
mathématiques deviennent plus difficiles; il ne s'agit plus pour les élèves d'apprendre
de simples opérations d'addition, de soustraction, de multiplication ou de division, mais
ces opérations font désormais partie de problèmes plus complexes qui nécessitent la
compréhension, la réflexion et une certaine logique.
C'est au cours de ces dernières années du primaire que se fait l'introduction
aux sciences naturelles appelées aussi, à ce stade, sciences de l'observation. Les
élèves étudient alors la matière et ses différents états et formes, le corps humain, son
fonctionnement et son entretien, les maladies et leurs causes, les animaux
domestiques et sauvages, carnivores, herbivores et insectivores, vertébrés et
invertébrés, les mollusques, les insectes, les végétaux et les plantes, etc.
Le cours moyen première année est considéré comme une classe d'initiation
et le cours moyen deuxième année comme une classe d'approfondissement et de
révision des connaissances.
A ce stade de l'enseignement, la participation des élèves à l'école semble
indifférenciée. En 1988, le taux de scolarisation des filles dans l'enseignement primaire
était de 59% sur un taux total de scolarisation de 67% pour toute l'Afrique
subsaharienne. Pour certain pays francophones, les taux de scolarisation dans le
primaire en 1990 se présentaient comme l'indique le tableau 1.

TABLEAU 1 Taux de scolarisation brut au niveau primaire (1990)


Pavs MF F
BENIN 67 45
BURUNDI 73 66
CAMEROUN 103 95
COTE D'IVOIRE 69 58
RCA 68 52
SENEGAL 58 49
TCHAD 57 35
ZAIRE 76 64
Source. UNESCO, Rapport mondial sur l'éducation 1993

9
Comme cela apparaît sur le tableau, les taux de scolarisation des filles dans
l'enseignement primaire sont, grosso modo, acceptables sauf pour quelques pays
comme le Sénégal, le Bénin ou le Tchad.
Au niveau de l'enseignement secondaire, les programmes commencent à se
spécialiser. Des disciplines comme la physique, la chimie et la biologie font leur
apparition. En mathématiques, les calculs algébriques et les théorèmes sont insérés
dans les programmes. Avec ces nouvelles disciplines commencent la différenciation
et les écarts entre filles et garçons sur le plan de l'apprentissage et de l'orientation
scolaire. Cette différenciation s'accentuera au fur et à mesure que les élèves
avanceront dans le cycle secondaire et deviendra définitive à partir de la classe de
seconde ou de première.
Dans certains pays comme le Sénégal, la classe de seconde, c'est-à-dire la
cinquième année du cycle secondaire, est une sorte de tronc commun ou de carrefour
à partir duquel se fera l'orientation définitive vers le cycle littéraire, économique ou
scientifique. Dans d'autres pays comme le Congo, l'orientation se fait à la fin de la
dernière année du premier cycle du secondaire, c'est-à-dire à la fin de la classe de
troisième. Les élèves sont alors orientés vers les séries A (littéraire), B (économie),
C (mathématiques) ou D (sciences naturelles). En fin de premier cycle du secondaire,
les élèves passent un examen sanctionné par le Brevet d'études moyennes générales
pour le Congo; au Sénégal, c'est le Brevet de fin d'études moyennes (BFEM). Les
notes obtenues au cours de l'année et celles de l'examen sont déterminantes pour
l'orientation. Il faut signaler que les matières restent les mêmes dans les programmes
mais que c'est l'importance accordée à leur enseignement qui varie. L'importance
accordée à la matière se mesure donc à la plage horaire retenue dans le programme
et au caractère plus poussé de l'enseignement de la matière prédominante.
L'orientation et la répartition des élèves en séries A, B, C ou D déterminent le diplôme
visé et plus tard le choix du métier ou de la profession.
Alors qu'au Sénégal l'initiation technologique commence dans les classes de
quatrième et de troisième de l'enseignement moyen depuis l'année scolaire 1976-
1977, dans certain pays, les élèves n'ont la possibilité de suivre une formation
technologique qu'à partir de la classe de seconde. Ils sont alors orientés vers les
lycées et collèges techniques où l'enseignement est basé sur l'apprentissage des
technologies comme l'électricité, la mécanique, la menuiserie.
L'examen des programmes sénégalais de l'enseignement primaire et
secondaire ne révèle aucun caractère sexiste quant à leur contenu. Toutefois, on
retrouve encore dans les livres scolaires des allusions pernicieuses qui renvoient à la
séparation des sexes, en rapport avec les activités sociales et professionnelles.
En parcourant, atout hasard, un livre de calcul du CM1 (Cours moyen première
année), nous avons constaté, par exemple, que certains énoncés des problèmes
renvoient aux références traditionnelles sexistes entre filles et garçons, hommes et
femmes. Bien que des efforts aient été accomplis et des progrès enregistrés, certains
textes continuent à véhiculer des images sexistes plus difficiles à déceler au premier
coup d'oeil mais présentes.
La présentation en soi des programmes officiels de science et de technologie,
si elle ne contient pas d'éléments sexistes à proprement parler, renferme des
éléments pouvant provoquer un rejet de ces disciplines par les filles, parce que faisant
ressortir l'idée de force physique jugée à priori comme un attribut des hommes.

10
Le curriculum pratiqué ou exécuté

Il s'agit, ¡ci, de voir si les enseignants exécutent effectivement les programmes


définis et formulés officiellement.
En premier lieu, l'unanimité est acquise quant à la surcharge des programmes
d'enseignement, aussi bien dans les écoles primaires que dans les écoles secondaires
des pays d'Afrique francophone. Aussi, la préoccupation de l'enseignant, lorsqu'il
détient le programme, est-elle de le boucler au cours de l'année scolaire. Si cette
volonté de couvrir le programme est légitime, peut-être même indispensable en classe
d'examen et un tant soit peu réalisable pour les disciplines littéraires, il semble plus
difficile aux enseignants des sciences et de la technologie de boucler leur programme.
Pour différentes raisons.
Ici, un exemple s'impose: le but de l'enseignement des mathématiques en
classe de quatrième (4ème) est, selon les textes en vigueur au Sénégal, de faire
comprendre aux élèves ce que sont les démonstrations et de leur apprendre à en
rédiger. Par conséquent, les prémisses devront donc être précisées avec soin, si l'on
veut atteindre ce but. A la fin de l'année scolaire, on s'attend à ce que "la géométrie,
née de l'expérience, apparaisse aux élèves comme une véritable théorie
mathématique; c'est-à-dire que des faits ayant été admis (axiomes), d'autres en sont
déduits (théorèmes)". Et, il est "absolument indispensable que de nombreuses
manipulations, des exercices pratiques utilisant les instruments de dessin aient
précédé à la fois l'énoncé des axiomes et tout raisonnement' (Le pédagogue, mai
1984). Or, le système scolaire hérité par les pays francophones est plutôt favorable
à la théorie qu'à la pratique. Il est évident, comme cela vient d'être souligné, que
l'enseignement des sciences et de la technologie, pour être efficace, doit
nécessairement comporter un volet pratique et s'appuyer sur des supports
expérimentaux. Une des raisons qui font que les enseignants ne couvrent pas tout leur
programme est le manque de matériel expérimental. Très peu d'écoles d'Afrique
francophone disposent d'un laboratoire, d'une salle spécialisée ou simplement
d'instruments pour assurer le volet pratique de l'enseignement. Et, la crise
économique n'a fait qu'aggraver une situation qui, déjà, était déplorable.
Il faut, malheuresement, également noter la mauvaise formation des
enseignants eux-mêmes, la vétusté du matériel quand il y en a, la non maîtrise du
vocabulaire scientifique et technologique par les enseignants. D'aucuns ont voulu
minimiser l'obstacle épistémologique en se basant sur l'idée selon laquelle la
technologie et son enseignement doivent refléter le milieu de vie, l'environnement
socio-culturel des individus. Cette assertion, tout en étant valable, n'en exclut pas
moins l'importance de la maîtrise du vocabulaire scientifique d'autant plus que les
langues d'enseignement en Afrique sont des langues étrangères. Il est également vrai
que les réformes éducatives ont introduit dans les pays africains des volets pratiques
liés à la production agricole ou autres pour tenter d'ajuster l'enseignement aux réalités
nationales. Ces volets pratiques comportent dans leur majorité: le maraîchage,
l'élevage, la lutte contre l'invasion acridienne, le creusage de puits, etc. Mais ils sont
surtout développés dans les zones rurales alors que la majorité des lycées et collèges
se trouvent en zone urbaine.
En ville, l'accent étant mis sur les technologies dites modernes, le problème du
matériel expérimental se pose avec acuité. Le matériel faisant souvent défaut, les
enseignants se contentent de dispenser un enseignement théorique et descriptif et,
bien entendu, laissent de côté certaines leçons qui nécessitent des expériences

11
pratiques. Lorsque ce matériel est disponible c'est-à-dire lorsqu'il a été importé, il se
pose le problème de son entretien, celui du manque des pièces de rechange ou de
l'obstacle épistémologique. La science et la technologie étant en constante
progression, il s'ensuit que le vocabulaire scientifique subit à son tour des
transformations, voire une évolution. Le recyclage des enseignants, afin qu'ils
s'adaptent au nouveau vocabulaire, devient alors nécessaire. Malheureusement, la
situation présente de l'Afrique fait que très peu d'enseignants ont la possibilité de
s'informer et de suivre l'évolution scientifique, technologique et épistémologique.
Nous nous sommes amusée à demander à dix enseignants du secondaire le
sens du mot Sida. Seuls deux des dix enseignants interrogés ont été en mesure de
nous le donner exactement. Un seul enseignant a été capable de nous dire que la
mortalité est la fréquence des décès au sein d'une population donnée. Quand on sait
qu'aujourd'hui les problèmes que pose le Sida (Syndrome immuno-déficitaire acquis)
et ceux liés à l'étude de la population (mortalité, morbidité, fécondité, fertilité) sont à
l'ordre du jour en Afrique, on se rend compte de l'étendue des problèmes que peut
entraîner l'obstacle épistémologique: on voit également pourquoi certains sujets du
curriculum ne sont pas convenablement traités ou sont purement et simplement
laissés de côté par certains enseignants.
Cet exemple peut paraître extrême. Nous partons, toutefois, de l'idée que tout
enseignant, qu'il soit de sciences, de mathématiques, de technologie ou même de
disciplines littéraires, devrait avoir un fonds de culture générale et scientifique qui lui
permette d'évoluer aisément, sur le plan théorique du moins, d'un domaine à un autre.
D'où, la nécessité d'une formation pluridisciplinaire et d'une information permanente
en direction des enseignants. Un enseignant devrait, par principe, être une personne
de culture; et, à un certain niveau, la culture va au-delà des spécialisations
disciplinaires. Maintenir les connaissances de l'enseignant à sa seule discipline revient
à réduire les chances de l'élève quant à l'acquisition d'une culture générale et
scientifique susceptible d'en faire un être de valeur.
L'information des enseignants requiert la collaboration de tous et les plus
grands efforts. Certes, elle exige des moyens financiers et c'est à ce niveau que
l'accent doit être mis sur la collaboration de tous: gouvernements, parents, institutions
privées et publiques, etc. L'information ne saurait se borner à un simple commentaire
des programmes. Elle nécessite une explication des motivations de ces programmes,
un recyclage, une mise à jour et à niveau des connaissances, un renouvellement
épistémologique régulier.
Toujours dans le document de présentation des programmes d'enseignement
moyen général du Sénégal (Le Pédagogue, mai 1984), il est écrit: "Les différentes
parties du programme sont étroitement interdépendantes et devront être traitées en
liaison les unes avec les autres. En particulier, les idées de la première partie devront
être utilisées dans l'étude de toutes les autres qui en fourniront des motivations et des
applications".
Plus loin, on peut lire dans le même document: "les professeurs ont toute
liberté pour choisir l'ordre dans lequel les différentes parties du programme sont
étudiées. L'importance de chacune d'elles et le temps à y consacrer ne sont pas
proportionnels à la longueur de leur libellé".
Si le premier texte cité exhorte les enseignants à suivre scrupuleusement les
programmes et peut favoriser l'assimilation graduelle des enseignements par les
élèves, pour susciter en fin de compte l'apparition chez eux d'un raisonnement logique
et rationnel, le second texte cité, quant à lui, laisse la possibilité aux enseignants de

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ne pas aborder certaines leçons du programme et même occasionne certaines
"lacunes" dans l'acquisition des connaissances et le raisonnement des élèves.
Aborder les programmes dans un ordre différent de celui dans lequel ils ont été
conçus, surtout si les leçons se succèdent selon un ordonnancement précis, peut
effectivement produire des effets autres que ceux attendus au départ.

Evaluation du curriculum réalisé ou acquis

C'est à la fin des classes de 3ème et de terminale que se vérifie la réalisation


ou non d'un curriculum défini officiellement. C'est aussi à la fin de ces classes que l'on
peut vérifier si l'objectif fixé par les gouvernements de lutter contre toute discrimination
sexiste dans le domaine de l'éducation a été atteint. D'abord, parce que ce sont des
classes d'examens, ensuite ce sont des classes d'orientation vers les filières littéraire,
technologique ou scientifique.
Selon une étude des Nations Unies (1991), on compte en Afrique moins de 30
étudiantes pour 100 étudiants et cela, même dans les domaines où les femmes
semblent prédominer dans d'autres continents (lettres, sciences humaines et sociales,
etc.); dans l'agriculture et la foresterie, on note la présence d'une étudiante pour cinq
étudiants et, moins de 30% d'étudiantes dans les autres filières scientifiques.
Dans une école de Dakar (Sénégal) réputée pour la qualité de son
enseignement et son combat bien déclaré pour l'égalité des sexes dans l'éducation,
nous avons pu avoir les effectifs suivants dans les classes de terminale des sections
A (littéraire), B (économique), C (mathématiques) et D (sciences naturelles).

TABLEAU 2: Répartition des effectifs dans les classes de terminale dans


une école de Dakar
Programme Programme
sénégalais français
F MF F MF
Terminale A 21 29 6 9
Terminale B 10 27 13 28
Terminale C 8 23 0 11
Terminale D 13 36 5 12

Signalons que la distinction "programme français" et "programme sénégalais"


ne se situe pas au niveau de l'enseignement des matières scientifiques, mais au
niveau de l'histoire et de la géographie. Dans le programme sénégalais, on apprend
plus l'histoire et la géographie du Sénégal et de l'Afrique, alors que dans le
programme français, l'accent est surtout mis sur l'histoire et la géographie de la
France et de l'Europe.
Ces chiffres révèlent le penchant des filles pour les disciplines littéraires même
dans un cadre scolaire où tout est mis en oeuvre pour une co-éducation, c'est-à-dire
une éducation égalitaire entre filles et garçons.
Le peu d'engouement des filles pour les sections scientifiques trouve sa
justification ailleurs que dans les politiques officielles des gouvernements ou la

13
pratique des écoles. Il est intéressant de noter qu'aucune fille n'est inscrite en classe
de terminale C du programme français. La raison évoquée par les filles interrogées
à ce sujet est que l'histoire et la géographie de l'Europe et de la France ne leur sont
d'aucune utilité, mais aussi que les mathématiques enseignées dans cette classe
seraient plus complexes. Cette deuxième raison avancée n'est, toutefois, pas valable,
le contenu des programmes de mathématiques étant le même.
En 1990, les filles inscrites dans l'enseignement de troisième degré étaient
reparties de la façon suivante, dans un échantillon de pays africaines.

TABLEAU 3: Répartition des filles dans les filières de l'enseignement de


troisième degré en 1990 (en %).
Pays Sciences Sciences Agronomie Sciences Autres
naturelles et médicales sociales filières
ingénierie

BENIN 11.2 3.5 0.5 80.5 4.3


CONGO 3.5 3.9 2.5 73.6 16.5
MALI 1.3 15.5 18.8 44.0 20.4
NIGER 5.8 16.4 1.5 54.2 22.1
RCA 3.1 53.7 0.0 36.8 6.4
SENEGAL 14.4 24.1 0.4 57.5 3.6
TOGO 2.4 10.9 1.6 76.0 9.1
Source: UNESCO, Anr uaire statistique 1993

En examinant ces effectifs, on se rend compte de la faible implication des filles


dans les études scientifiques. A l'exception du Mali qui atteint un taux de 18.8% en
agronomie, tous les autres pays ont un taux compris entre 0 et 5%, ce qui est grave
pour un continent où l'agriculture joue le rôle principal et où l'auto-suffisance
alimentaire reste une des priorités essentielles, sinon la plus importante.
Il est reconnu que le progrès de l'humanité en général et le développement, en
particulier, sont conditionnés par la maîtrise de la science et de la technologie. De
même, tout le monde s'accorde pour reconnaître le rôle primordial des femmes dans
le développement du continent africain. En d'autres termes, le développement de
l'Afrique est conditionné par la maîtrise par les femmes de la science et de la
technologie. Et, tant que les femmes resteront minoritaires dans ces domaines, il sera
difficile à l'Afrique de parvenir à un développement durable.
L'enseignement des sciences et de la technologie doit viser chez les filles
(comme chez les garçons, du reste) le développement de l'esprit d'analyse réaliste de
tous les phénomènes et manifestations de la nature, de l'environnement, de la société.
Cet enseignement doit inculquer chez les élèves de sexe féminin le respect des
métiers et professions techniques et scientifiques et, surtout, la volonté d'acquérir des
compétences et des méthodes de travail nécessaires à leur épanouissement et leur
développement personnel ainsi qu'à ceux de leur pays.
Or, le curriculum réalisé présente une désaffection de la part des filles. Les
résultats attendus de l'enseignement des sciences et de la technologie sont en deçà

14
des espérances et ne concordent pas avec les besoins des sociétés africaines.
Les valeurs de rigueur analytique, curiosité intellectuelle, esprit critique,
objectivité scientifique, etc. que l'on pourrait attendre de l'enseignement des sciences
et de la technologie font souvent défaut chez nombre de filles l'ayant reçu, à cause,
d'une part, du caractère superficiel des méthodes d'enseignement et, d'autre part, du
manque de matériel expérimental. Quant aux connaissances scientifiques à
proprement parler, elles restent également superficielles et finissent par s'estomper
avec le temps, faute de renouvellement. L'esprit de créativité est pratiquement absent
chez un grand nombre de filles ayant suivi un enseignement scientifique.
Le rôle de l'enseignant est déterminant pour l'évaluation du curriculum achevé.
Outre les barrières culturelles et la perception des sciences par la société (absence
de culture scientifique), l'attitude de l'enseignant compte beaucoup pour les
performances féminines en sciences et technologie. Il se pose un problème de
pédagogie. Mais l'enseignant appartient à une société, en l'occurrence, la société
africaine, dont on ne saurait nier le poids des pressions culturelles sur la perception
des femmes et celle des sciences.
De plus, dans l'apprentissage des sciences et de la technologie, les attitudes
et comportements des filles dénotent une sorte de timidité, d'inhibition et de manque
de confiance en soi qui peuvent conduire à l'échec scolaire.
Au cours d'une enquête réalisée pour les besoins de cette étude, nous avons
rencontré une jeune femme qui a abandonné les études de pharmacie en 2ème année
de l'université pour s'adonner à la couture. La seule raison qu'elle a avancée est
qu'elle ne pouvait plus suivre ses études parce qu'elle avait oublié les formules et que
"cela devenait plus difficile".
On observe donc des différences comportementales et cognitives entre
hommes et femmes, entre garçons et filles, devant ce que nous nommons difficulté
de la discipline scientifique. Or, qui dit comportement dit aussi milieu, donc culture et
éducation. On ne peut pas dire que les cultures africaines aujourd'hui aient changé
au point de pousser les filles vers les domaines scientifiques et technologiques.
Nous retenons donc que les taux des effectifs féminins tendent vers la baisse
au fur et à mesure que l'on avance dans les cycles de formation et, plus
particulièrement, dans l'enseignement scientifique et technologique.
A noter également: le manque d'un climat général de culture scientifique, qui
fait que même lorsqu'elles excellent dans les sciences et la technologie, les jeunes
filles conservent des comportements et attitudes d'indifférence, voire
d'incompréhension face aux phénomènes et événements scientifiques et face à
l'environnement technologique. Bien que s'intéressant aux sciences, nombre de filles
n'achèteraient pas un document (livre, revue, instrument d'expérimentation) d'une
valeur de 10.000 francs CFA, alors qu'elles mettraient facilement 50.000 francs CFA
pour l'achat d'une robe.

LES CENTRES D'INTERET DES FILLES DANS LES CURRICULA


OFFICIELS DE SCIENCES ET DE TECHNOLOGIE

Ce chapitre, comme son titre l'indique, tente de répondre à la question suivante:


qu'est-ce qui intéresse les filles dans les programmes de sciences et de technologie?
En d'autres termes, quels sont leurs centres d'intérêt?

15
Pour répondre à cette question, nous nous sommes rendue dans différentes
écoles publiques et privées de la ville de Dakar.
Comme nous l'avons signalé plus haut, les sciences dont il est question dans
le système d'enseignement francophone sont ce que José Mariano Gago appelle "les
sciences les plus internationales", c'est-à-dire les sciences naturelles comme la
physique, la chimie ou la biologie, auxquelles s'ajoutent, bien entendu, les
mathématiques.
Au niveau du primaire, il ne semble pas y avoir de difficultés notables pour les
mathématiques (calculs, arithmétique et géométrie). Filles et garçons ont presque les
mêmes résultats avec un léger avantage pour les garçons quand il s'agit de calcul
mental.
En classe de sixième, les filles parviennent à mieux comprendre un énoncé et
à mettre en application des théorèmes. C'est à partir des classes de troisième et de
seconde que les filles "décrochent" parce que les mathématiques deviennent, semble-
t-il, plus abstraites. Il faut ajouter que l'apparition des mathématiques dites modernes
n'a pas arrangé les choses.
Comme il est quasiment impossible d'évoquer une quelconque faiblesse
congénitale ou biologique ou encore atavique des filles pour les disciplines
scientifiques et pour les mathématiques, c'est sur le plan psychologique qu'il convient
de rechercher les causes de la désaffection et de la déficience des filles concernant
les disciplines scientifiques. D'où, l'importance des centres d'intérêt.
La première constatation est que les sciences, telles qu'elles sont enseignées
à partir des programmes scolaires, ne répondent pas aux attentes des filles qui, elles,
aimeraient ne plus être renvoyées encore et toujours aux activités dites féminines. Les
mentalités évoluent et les filles recherchent de plus en plus leur émancipation des
pesanteurs sociales.
En outre, les filles ne comprennent pas pourquoi on leur demande de retenir
des formules de chimie et de physique qui ne servent pas dans la vie de tous les
jours. Ce constat n'est pas fait qu'en Afrique mais aussi, en Europe, où les formules
mathématiques et scientifiques constituent, avec les théorèmes mathématiques, la
bête noire des enseignés qui n'en voient ni la nécessité, ni l'utilité.
Un groupe de lycéennes a avoué avoir demandé au boutiquier du coin de leur
fournir du H20 (formule chimique de l'eau) et du NaCI (formule du sel). Mais le brave
boutiquier n'a rien compris. A juste titre du reste. Cette boutade qui fait certainement
rire n'en renferme pas moins une signification profonde. Elle révèle simplement ce que
nous venons de dire plus haut, c'est-à-dire, le fait que les formules scientifiques ne
sont pas comprises par les élèves qui n'en voient pas l'utilité ni le sens et ne
comprennent pas non plus pourquoi elles doivent les retenir. Mais au-delà de tout
cela, le fait pour ce groupe d'élèves de demander du H20 et de NaCI peut contenir
un fond très significatif et relève d'un symbolisme très intéressant lié aux rôles que la
société réserve aux femmes. En effet, l'eau et le sel entrent dans la préparation des
aliments et, comme tout le monde le sait, la préparation des aliments renvoie aux
tâches domestiques exécutées par les femmes.
Cette boutade révèle également le problème de la mémorisation des formules.
En principe, les formules chimiques, physiques et mathématiques ne devraient être
que l'aboutissement d'un cheminement et devraient être retrouvées par le
raisonnement. Il s'avère, malheureusement, que la référence aux formules dans le
raisonnement est absente et que l'on fait plus souvent appel à la mémorisation.
Les enseignants, quant à eux, avancent l'idée selon laquelle la mémorisation

16
n'est pas obligatoire. Cependant, il est écrit à la fin de la présentation du programme
de quatrième: "On s'abstiendra de toute interprétation ionique pour s'en tenir à la
seule équation-bilan: HCl + NaOH = NaCI + H20 + chaleur". La seule présentation
des équations-bilans n'encouragerait-elle pas la mémorisation sans compréhension
du phénomène par les élèves? En plus, les faits montrent que les méthodes
d'évaluation de la progression dans l'apprentissage exigent des élèves non pas le
raisonnement mais, bel et bien, la mémorisation. Il est évident qu'un élève qui ne
reproduit pas exactement le symbole du zinc ou du plomb au cours d'un contrôle oral
ou écrit, ne saurait s'en sortir avec une bonne note. C'est que, quelque part, la priorité
dans l'enseignement des sciences est encore et toujours accordée à la mémorisation.
Notre enquête a révélé aussi que la biologie et la médecine étaient bien
acceptées par les filles. L'intérêt pour la biologie réside en ceci qu'elle permet de
comprendre les êtres vivants et plus particulièrement le corps humain et son
fonctionnement. Dans les écoles que nous avons visitées, les cours d'économie
familiale font toujours le plein d'élèves. A regarder de près les programmes
d'économie familiale des blocs scientifiques, lycées et collèges du Sénégal (Le
Pédagogue, Mai 1984), l'impression qui se dégage est que ces cours semblent avoir
été conçus plus à l'intention des filles que des garçons.
L'intérêt très marqué des filles pour la biologie et l'économie familiale met en
relief un profond besoin de confirmation de l'identité de la femme et de la
connaissance de son corps, pour une éventuelle maîtrise de celui-ci.
Le choix des sciences médicales (médecine, pharmacie, analyses médicales,
etc.) peut se justifier par une sorte d'altruisme, de désir de s'occuper et de se mettre
au service des autres. Ce choix ramène encore, en fin de compte, aux rôles et au
statut de la femme dans les sociétés aussi bien traditionnelles que modernes.
La physique, en revanche, ne semble pas intéresser les filles que nous avons
rencontrées. Ce total désintérêt se justifie par la tendance qu'elles ont à se juger
incapables de comprendre les lois de la physique et de la technologie qui, pour elles,
renvoient toujours à l'idée de force et d'utilisation de la force musculaire, malgré les
progrès enregistrés dans le domaine de la technologie et qui font qu'aujourd'hui on
peut déplacer d'énormes charges en appuyant simplement sur un minuscule bouton.
Or, "l'enseignement des mathématiques et des sciences trouve son principal
fondement dans la conviction que ce sont des disciplines utiles, et que les méthodes
et les pratiques qu'elles inculquent, contribueront au bien-être et à la prospérité de
chacun" (Jacobsen, 1991). Cette conviction est, malheureusement, absente de l'esprit
des filles africaines, mais aussi de celui des concepteurs des programmes scolaires
et de certaines enseignants.
Si les sciences peuvent parfois, et pour celles qui les ont choisies, être perçues
comme une des voies menant à une profession bien rémunérée et à une insertion
dans la vie active, la technologie, surtout lorsqu'elle s'accompagne du qualificatif
"appropriée", est perçue par les filles comme un recul, un retour en arrière, à la vie
paysanne. Simplement, parce que ce terme a été introduit en Afrique francophone en
relation avec les projets dits de développement rural.
Les mathématiques, elles, semblent ne pas intéresser vraiment les filles, qui
les jugent trop difficiles, trop compliquées, trop abstraites, inutiles et surtout parce
qu'elles jouent le rôle de filtre pour sélectionner les meilleurs. Perçues donc comme
un instrument de sélection, les mathématiques semblent constituer un grand blocage
dans l'orientation des filles vers les sciences et dans le choix d'un futur métier.
En résumé de ce chapitre, nous pouvons dire que les centres d'intérêt des filles

17
pour les sciences, les mathématiques et la technologie sont très limités, ce qui
explique leur tendance à choisir des filières et options plutôt littéraires.

NIVEAU DE RECEPTIBILITE DES FILLES VIS-VIS


DE L'ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE

A ce stade, nous allons aborder trois questions principales.


- Qui enseigne les mathématiques, les sciences et la technologie?
- Comment se fait l'enseignement?
- Cet enseignement cadre-t-il avec les intérêts et attentes des filles?
Participation des femmes à l'enseignement des sciences
et de la technologie

Le problème des femmes dans les filières scientifiques se pose en amont et en


aval du système éducatif. L'Annuaire statistique de l'UNESCO montre qu'en 1991 les
femmes représentaient 38% des effectifs du corps enseignant du primaire et 36% du
secondaire, dans toute l'Afrique au Sud du Sahara.
En consultant le Rapport mondial sur l'éducation 1993 de l'UNESCO, nous
avons pu tirer les pourcentages suivants pour certains pays et, cela, pour les années
1980 et 1990.

TABLEAU 4: Pourcentage des femmes parmi les enseignants dans le


primaire et le secondaire pour quelques pays africains
Pays Premier degré Deuxième degré
1980 1990 1980 1990

BENIN 23 25 - -

BURKINA FASO 20 27 - -

BURUNDI 47 46 20 21
CAMEROUN 20 30 20 22
CONGO 26 33 8 -

COTE-D'IVOIRE 15 - - -

GABON 27 - 24 -

MALI 20 23 - 14
MAURITANIE 9 18 8 10
NIGER 30 33 21 17
RCA 25 26 16 -

SENEGAL 24 26 - 16
Sources: UNESCO, Rapport mondi al sur l'éducation 1993

18
Ces chiffres, qui se situent en dessous de la moyenne, concernent
l'enseignement en général. Et, s'il fallait les spécifier et les distinguer selon les
disciplines, il est évident que la participation des femmes à l'enseignement des
sciences, des mathématiques et de la technologie s'avérerait presque nulle.
Donc, comme nous le disions, en amont déjà se pose un problème pour les
femmes. La même situation se présente en aval et se traduit par un faible taux de
participation des filles aux études scientifiques. Ce qui revient à dire que
l'enseignement des sciences et de la technologie est, en grande partie, délivré par des
enseignants de sexe masculin.
Cette situation peut constituer un facteur de blocage en aval pour l'accès des
filles à l'enseignement scientifique et technologique. En effet, en constatant, de visu,
que très peu de femmes enseignent les sciences et la technologie, la conclusion peut
être tirée par les apprenantes que ces domaines sont des domaines réservés au sexe
masculin.
L'enseignement des sciences et de la technologie devant être orienté vers la
recherche des solutions pratiques aux problèmes qui se posent à la communauté, il
n'est pas évident que, dispensé par les hommes, il puisse prendre en compte les
problèmes et intérêts spécifiques des filles et des femmes, cela, en dépit de la volonté
manifeste et officielle des dirigeants africains. Quand s'ajoutent à cela les pesanteurs
socio-culturelles, on peut aisément imaginer le résultat.

Les attitudes des enseignants

Tout apprentissage dépend de plusieurs facteurs: les concepts et conceptions


mis en oeuvre, la manière dont ces concepts et conceptions sont utilisés et perçus par
les enseignants et par les enseignés, la perception de la discipline elle-même par les
enseignants et les apprenants, etc.
L'enseignement des sciences et de la technologie en Afrique francophone est
entouré d'un certain voile mythique relatif à la difficulté de ces disciplines. Quand on
aborde le problème des mathématiques, il se dégage chez les élèves comme une
sorte de terreur entretenue sciemment ou inconsciemment par les enseignants.
L'enseignant, croyant ou voulant parfois faire montre d'humeur, de plaisanterie ou
d'esprit, peut créer des obstacles irrémédiables à la compréhension des sciences par
les élèves et dans l'esprit des élèves. L'exemple symbolique de "l'âge du capitaine"
en est la parfaite illustration.
Les exemples que nous avons choisis ont eu lieu, il y a quelques cinq années
dans un collège de Brazzaville au Congo. Dès le premier jour de cours de
mathématiques, un professeur s'est amusé à donner les problèmes suivants à ses
élèves.
Premier problème: "Dans un bateau il y a 45 chèvres et 15 moutons. Quel est l'âge
du capitaine?"
Deuxième énoncé: "Dans une classe il y a 4 rangées de 8 places. Quel âge a le
maître?"
Troisième problème: "Un berger a trois chiens et 120 moutons. Quel est l'âge du
berger?".
Plaisanterie ou pas, cet enseignant a introduit un blocage inadmissible dans
l'esprit des collégiennes qui, pendant une heure de cours, cherchaient à résoudre ces

19
problèmes insensés. Aucune des élèves ne pouvait relever le caractère idiot de ces
énoncés et la raison se trouve dans la perception qu'elles avaient de l'enseignant lui-
même.
Dans sa Pédagogie des opprimés (1977), Paulo Freire enumere les types de
relations entretenues par nombre d'enseignants des pays sous-développés:
a) L'enseignant enseigne et les élèves sont enseignés.
b) L'enseignant sait tout et les élèves ne savent rien.
c) L'enseignant parle et les élèves écoutent bravement.
d) L'enseignant pense et les élèves sont pensés.
e) L'enseignant est le sujet du processus d'apprentissage, tandis
que les élèves sont simplement des objets.
L'enseignement, pris dans la perspective d'une simple transmission des
connaissances, définit et attribue les rôles. Le savoir passe de l'enseignant qui se
pose en émetteur vers les élèves qui en sont les récepteurs. Alors que le maître joue
le rôle actif, l'élève est placé dans un rôle passif. Il en est ainsi de l'enseignement des
sciences et de la technologie.
L'enseignant est perçu par l'élève comme le savant, celui qui possède la vérité.
Aussi, dans des cas comme celui de l'âge du capitaine ou du berger, les élèves ne
relèvent-ils pas l'incohérence ou le non-sens des énoncés. Ils admettent passivement
et cherchent même à trouver les réponses à ces problèmes, car, relever l'incohérence
de ces énoncés reviendrait à remettre en cause l'omniscience de l'enseignant.
La question qui se pose alors est celle de savoir si les élèves, dans ces
conditions-là, apprennent réellement.
Au-delà du caractère magistral de l'enseignement scientifique et technologique,
se pose la question de la perception extérieure de l'enseignant. Le professeur de
science et technologie apparaît comme un être austère, sévère et, à la rigueur, il est
déshumanisé dans l'esprit des élèves qui voient en lui une sorte de machine à
formules. L'enseignant, particulièrement en mathématiques, "terrorise" les élèves. Ce
point de vue se justifie par le caractère sélectif de cette discipline. Les meilleures
élèves sont celles qui ont de bonnes notes en mathématiques, physique et chimie ou
biologie. Cependant, elles aussi, ont peur du professeur de sciences. Il revient donc
à l'enseignant lui-même de détruire l'image négative que les élèves se font de lui et
de sa discipline.
Les intérêts et les attentes des filles

Nos investigations auprès des élèves ayant révélé que les intérêts des filles
sont conditionnés par les pressions socio-culturelles et orientés beaucoup plus vers
les rôles traditionnellement dévolus aux femmes, l'enseignement scientifique et
technologique devrait, par conséquent, tenir compte de cette dimension et s'orienter
vers l'effacement des barrières.
Dans le contexte général de la problématique du développement du continent
africain, les sciences et la technologie devraient être appliquées aux problèmes posés
par la faim, les maladies, l'ignorance, la pauvreté et l'environnement. En d'autres
termes, la promotion de l'enseignement scientifique et technologique devra se baser
sur les réalités du continent et intégrer les principes du développement.
L'éducation en Afrique continue de subir l'influence discriminatoire de nos
sociétés à l'égard des femmes. Dans l'enseignement des sciences, il est fait, par
exemple, référence aux savants et inventeurs internationaux. Mais, l'information sur

20
les savantes et les "¡nventeures" est absente. L'exemple le plus frappant est celui de
Pierre et Marie Curie. Notre enquête a montré que très peu de filles, y compris celles
qui sont inscrites en série C (mathématiques) et D (sciences naturelles) connaissent
Marie Curie. Parmi celles des séries A (lettres) et B (économie), peu connaissent
Simone de Beauvoir, Maryse Condé, Hannah Arendt ou, d'autres encore. En
revanche, toutes connaissent Pierre Curie et Jean-Paul Sartre.
L'Afrique donc, en plus de ses propres références discriminatoires, a hérité d'un
système colonial d'enseignement sexiste et exclusiviste, qui évacue toute référence
aux performances scientifiques et technologiques féminines.
D'aucuns ont proposé que l'apprentissage de la technologie et des sciences par
les filles se focalise sur des aspects liés à la santé, à la nutrition, à l'économie
familiale, etc. Mais, limiter ainsi les domaines ne reviendrait-il pas à enfermer les filles
dans un cercle vicieux difficile à rompre, en l'occurrence celui du rôle traditionnel de
la femme?
Dans les structures d'éducation non-formelle s'occupant de la formation
professionnelle et "technique" des jeunes filles, les cours dispensés tournent autour
des "techniques" de couture, de teinturerie ou de secrétariat. Un tour effectué dans
les instituts de formation professionnelle de la ville de Dakar nous a révélé l'intérêt
nouveau des filles pour l'informatique. Nous aurions eu des raisons de nous en réjouir
si, toutes les filles qui y sont inscrites pour suivre une formation ne l'étaient pas
seulement pour apprendre la saisie, le traitement de texte et, parfois, ce qu'on y
appelle "les relations publiques" ou "commerciales" et qui, au fond, ne se réduisent
qu'au "démarchage". Peut-on dire de ces structures, malgré leur bonne volonté
reconnue, qu'elles participent à la promotion de l'accès des filles à l'enseignement
scientifique et technologique?
La question, selon nous, demeure entière de la conformité de l'enseignement
scientifique et technologique aux intérêts des filles et de nos pays en développement.
Car, si les femmes doivent conquérir les domaines scientifiques et technologiques à
travers l'éducation et la formation, il faut admettre que les barrières et stéréotypes,
ainsi que d'autres préjugés doivent être brisés pour assurer l'accès des filles aux
sciences, en tenant compte de leurs intérêts réels et non supposés ou imposés.

LES PERFORMANCES DES FILLES DANS LES SCIENCES,


LES MATHEMATIQUES ET LA TECHNOLOGIE

Des études concernant l'Europe et, particulièrement la France (voir à ce propos


le livre de Christian Baudelot et Roger Establet, Allez les filles!, Editions du Seuil,
1992), ont montré que les filles sont meilleures que les garçons dans les cursus
scolaires. Comme cela a été aussi constaté en France, en Afrique, lorsque toutes les
conditions sont réunies (c'est le cas de certaines familles aisées), les filles réalisent
des performances supérieures à celles des garçons.
Dans les petites classes des écoles privées ou publiques, peu de filles, par
exemple, redoublent. Dans le secondaire, elles sont nombreuses à atteindre les
classes de quatrième et de troisième. Une des causes de l'abandon de la scolarité par
les filles dans ces classes est, soit le mariage, soit l'impossibilité pour les parents de
supporter financièrement la poursuite des études.

21
Alors que dans les écoles privées les filles continuent leur cycle de façon assez
normale, dans les écoles publiques, les problèmes se posent, non pas à cause d'une
quelconque incapacité congénitale ou biologique, mais plutôt parce que dans les
familles moins aisées, les filles sont beaucoup sollicitées dans les tâches domestiques
et consacrent peu de temps aux études. S'ajoute à cela l'idée encore persistante qui
veut qu'une fille puisse toujours être "casée" grâce au mariage.
En considérant les notes de classe obtenues par les filles dans les matières
scientifiques, aucune différence notable n'apparaît. Dans une école secondaire de
Dakar, les notes des filles en classe de première C vont de 12 à 14/20, alors que la
meilleure note de la classe est de 15/20. Dans une classe de terminale D que nous
avons visitée, les cinq filles de cette classe ont des notes qui varient entre 12 et
15,5/20 et la meilleure note est 16/20. Dans une classe de troisième, les filles ont
obtenu des records de 17/20 en physique, 14/20 en chimie, 18/20 en sciences
naturelles et 16/20 en mathématiques. D'après les enseignants, les filles sont les
meilleures de cette classe.
Ce survol rapide des notes obtenues par les filles dans les matières
scientifiques prouve leur capacité à comprendre les sciences et à poursuivre des
études scientifiques lorsque toutes les conditions sont réunies.
Des études en Europe et en Amérique du Nord ont démontré que la mixité
scolaire constituait un obstacle à la participation des filles dans les disciplines
scientifiques et technologiques. Il semblerait, en effet, que les filles soient plus
performantes en science et technologie lorsqu'elles se retrouvent dans des écoles
non-mixtes. Plusieurs raisons sont avancées: le détournement de l'attention des filles
par et vers les garçons, qui conduit à un manque de concentration; le désir des filles
elles-mêmes d'attirer sur elles l'attention aussi bien de leurs camarades masculins que
des enseignants (séduction); la tendance à se faire "prendre en charge" par les
garçons et à présenter leur côté faible; la tendance à abandonner devant la difficulté
et l'effort; le manque de confiance en soi; etc. Cela montre que quelque part, la mixité
scolaire n'aura pas résolu les problèmes qu'elle était censée résoudre et que, loin de
favoriser l'épanouissement intellectuel des filles, elle peut en constituer un obstacle.
Au Sénégal, où il existe encore des écoles non-mixtes comme le Prytanée
militaire de Saint-Louis, le lycée J.F.Kennedy de Dakar et l'école Manama Bâ de
Gorée, nous avons voulu vérifier cette thèse.
L'école Manama Bâ a été créée en 1978. Elle reçoit les meilleures élèves de
sexe féminin à la fin du cycle primaire, en provenance de tout le Sénégal. L'âge
d'admission à l'école varie entre 10 ans et 14 ans. La durée du séjour au sein de
l'établissement est de 7 ans, en pension complète (internat). L'école compte en tout -
et cela chaque année - 196 élèves réparties dans des classes de la sixième à la
terminale. Selon la thèse qui vient d'être énoncée, les conditions d'une très bonne
performance sont donc réunies à Mariama Bâ. Cependant, notre entretien avec le
censeur de l'école, qui est une femme, ainsi que les notes des élèves, semblent la
contredire.

22
TABLEAU 5: Performances des filles en sciences à l'école Mariama Bâ,
une école non mixte de Dakar, en 1ère et terminale C
Première C Terminale C
Matières Meilleures Plus Meilleures Plus
notes mauvaises notes mauvaises
notes notes
Mathématiques 13.87 11 12 9.6
Physique 13.75 9.85 11.4 8.4
Sciences 13 10.4 16 12.5
naturelles
Chimie 11.5 9.75 12 10.5

Au BFEM (Brevet de fin d'études moyennes) l'école Mariama Bâ a enregistré


100% de réussites en 1990 et au Baccalauréat 80% de réussites.

TABLEAU 6: Performances des filles en sciences au collège Sacré Coeur,


une école mixte de Dakar, en 2ème C, terminale D et 3ème
Seconde C Terminale D Troisième
Matières Meilleures Plus Meilleures Plus Meilleures Plus
notes mauvaises notes mauvaises notes mauvaises
notes notes notes

Mathéma- 15 6 16 8 16 2.5
tiques
Physique 14 3.5 15.5 6.5 17 3.75
Sciences 16 7.5 17 5.75 18 8
naturelles

Chimie 13 4 14 2.5 14 1.5

Au collège d'enseignement moyen (CEM) Adama Ndiaye de Dakar, où se


côtoient filles et garçons, nous avons pu relever les notes suivantes obtenues par les
filles dans deux classes prises au hasard.

23
TABLEAU 7: Performances des filles en sciences au collège
d'enseignement moyen Adama Ndiaye, une école mixte de
Dakar, en 4ème et 3ème
Quatrième Troisième
Matières Meilleures notes Plus mauvaises Meilleures notes Plus mauvaises
notes notes

Mathématiques 16 5 13 2.5
Physique 19.5 7 19 1.5
Sciences 17 3 12 4
naturelles
Chimie 15 2 16 3.5

Notre échantillonnage n'est certes pas représentatif de la situation globale des


écoles sénégalaises; cependant, on peut constater qu'au niveau des meilleures notes,
l'école Mariama Bâ n'est pas plus performante que les autres écoles, l'écart entre les
notes obtenues par les élèves n'est pas énorme. En revanche, la différence
concernant les mauvaises notes est grande: alors qu'à Mariama Bâ, les plus
mauvaises notes se situent entre 8,4 et 11 (rappelons que la note 11 est déjà une
moyenne acceptable), dans les écoles mixtes, les plus mauvaises notes vont de 1,5
à 8, notes qui normalement occasionnent le redoublement ou le renvoi.
Quand on demande aux filles d'opérer un choix d'orientation entre une école
mixte et une école non-mixte, elles optent en général pour les écoles mixtes. Ainsi par
exemple, au CEM Adama Ndiaye, sur 30 filles orientées en 1992 vers le lycée
J.F.Kennedy, seules 6 ont accepté d'y aller, le reste a préféré les lycées mixtes. Il
semble que les filles fuient l'esprit dit féminin qui sous-entend: la mesquinerie, la
compétition malsaine, les ragots, les querelles, la concurrence vestimentaire. En outre,
les filles sont d'avis que les enseignants de sexe masculin seraient plus tolérants que
les enseignantes et les garçons, plus compréhensifs devant les erreurs commises par
les filles en classe. Ces derniers points de vue ne sont toutefois pas partagés par
toutes les filles.
A la notion de mixité qui sous-entend qu'à une école réservée à un sexe
s'ajoute des éléments de l'autre sexe, ce qui implique une certaine disproportion dans
les effectifs, nous préférons le terme de co-éducation, c'est-à-dire une structure
éducative où il y a autant d'éléments des deux sexes recevant la même formation, le
même enseignement et la même éducation, sans aucune distinction.
Une expérience intéressante a été réalisée par un centre d'éducation non-
formelle, le Centre Liberté de Dieuppeul, à Dakar et par une ONG africaine,
l'Association de coopération internationale par le volontariat africain (ACIVA). Pendant
les vacances scolaires, le Centre Liberté, comme l'ACIVA, organisent des chantiers
co-éducatifs d'apprentissage technologique dans les zones rurales pour familiariser
les filles aux technologies nouvelles, appropriées et endogènes. Lors de ces chantiers,
les filles s'occupent, sans problème, de la maçonnerie (reconstruction des écoles

24
désaffectées), du creusage et de la réfection des puits, de même qu'elles apprennent
à réparer les charrues, bref à exécuter certaines tâches dites masculines. Les
résultats obtenus par le Centre Liberté et l'ACIVA sont encourageants en ce sens qu'à
la fin de ces chantiers, un changement d'attitude se remarque chez les filles. La
timidité et le manque de confiance affichés au départ s'estompent peu à peu. Les filles
qui n'osaient pas s'exprimer devant leur camarades masculins prennent désormais la
parole facilement. Elles deviennent plus autonomes, plus indépendantes dans
l'exécution des tâches quotidiennes dans les chantiers. On a également noté le
développement d'un certain sens des responsabilités, de l'initiative et de la créativité.
La conclusion que nous pouvons tirer de ces expériences du Centre Liberté et
de l'ACIVA est que l'enseignement technologique appliqué dans le cadre d'une co-
education permet chez les filles le développement d'attitudes et comportements qui
tendent à leur assurer plus d'autonomie, une meilleure gestion de leur vie, une prise
en charge personnelle d'elles-mêmes, une voie de sortie hors du carcan de la timidité
et constituent par là-même un pas vers l'anéantissement des barrières sexistes.
L'acquisition des connaissances scientifiques participe au développement de
la personnalité féminine par le renforcement de l'assurance et de la confiance en soi.
Enfin, l'application des connaissances technologiques et scientifiques acquises
transforme la perception que les femmes ont d'elles-mêmes, de la vie, de la société
et assure un épanouissement de l'être féminin.

POUR UNE PLUS GRANDE PARTICIPATION DES FILLES


AUX SCIENCES ET A LA TECHNOLOGIE

Le grand problème de toute analyse critique est toujours celui de savoir que
faire. Autant la critique est aisée, autant difficiles sont parfois les solutions à proposer
et à trouver. Or, il ne suffit pas seulement d'analyser toujours et de critiquer, mais il
faut encore - et c'est le plus important -, trouver et proposer des solutions concrètes
pour l'amélioration de la situation analysée.
A la lumière de cette analyse critique, la première action à entreprendre
consiste à rompre les barrières que constituent les stéréotypes et préjugés dont les
filles sont victimes et qui entravent principalement leur éducation scientifique et
technologique.
Les filles se reconnaissent dans l'image discriminatoire imposée par la réalité
sociale. Il faudra par conséquent briser cette image et leur présenter une image autre,
valorisante et forte de la femme.
La science n'est pas une discipline sortie du néant et évoluant dans le vide. Elle
prend appui et plonge ses racines dans les sociétés humaines et les cultures.
L'enseignement de la science en Afrique devra, par conséquent, n'épouser que les
valeurs positives et favorables aux femmes (sans discrimination envers les hommes)
afin de les véhiculer et de les transmettre efficacement aux futures générations. C'est
de cette manière que naîtra en Afrique, une culture scientifique.
On reconnaît comme valeurs culturelles de l'activité scientifique, l'exactitude,
la probité intellectuelle, le désir de découverte, la curiosité scientifique, l'observation
systématique, etc. Ces valeurs peuvent être utilisées pendant les cours de sciences
et de technologie et être expliquées aux filles en s'appuyant sur des faits concrets et
des exemples précis de femmes ayant excellé dans ces domaines.
On parle généralement de la "curiosité féminine". Même si celle-ci n'est souvent

25
prise que dans le sens péjoratif, il n'en serait pas moins profitable de la transformer
en une curiosité scientifique, favorable à la participation des filles aux sciences et à
la technologie.
Paulo Freire (1977) parle "d'auto-discrimination cognitive" chez les peuples
opprimés. Nous avons pu vérifier que cette pratique de l'auto-discrimination se
rencontre beaucoup chez les filles africaines. Sur le plan intellectuel, en effet, nombre
de filles africaines se sous-estiment et se considèrent, de ce fait, comme incapables
d'aborder les sciences, les mathématiques et la technologie. Cette auto-discrimination
n'est basée sur aucun fondement scientifique et n'est sous-tendue que par des
idéologies et pratiques culturelles. Il convient donc de faire admettre aux filles qu'elles
sont capables, autant que les garçons, d'apprendre et d'étudier les disciplines
scientifiques.
L'éducation familiale devra aussi jouer un rôle capital dans ce processus de
désaliénation et de libération de l'esprit scientifique des filles. Les parents devront
comprendre l'importance de l'éducation scientifique pour leurs filles et ne plus les
surcharger de tâches domestiques, afin de leur laisser suffisamment de temps pour
s'investir dans l'apprentissage. Un changement dans la perception et l'attitude des
parents et de l'entourage familial est indispensable.
Au-delà de l'éducation familiale, il faudra aborder le problème des enseignants
eux-mêmes. La possibilité d'un recyclage et/ou d'une réorientation vers les disciplines
scientifiques devra être offerte aux effectifs féminins du corps enseignant. En outre,
lors de la formation des enseignantes, que la possibilité leur soit donnée, lors de la
rédaction des mémoires pédagogiques de fin de formation, de traiter des sujets ayant
trait aux sciences et à la technologie et non, comme nous l'avons constaté à l'Ecole
normale supérieure de Dakar, par exemple des seuls sujets liés aux pratiques
culturelles de telle ou telle autre communauté. En effet la rédaction d'un mémoire, quel
qu'il soit, nécessite que soient passés en revue un certain nombre de travaux et
d'ouvrages relatifs au sujet traité. Si le sujet est d'ordre scientifique, l'étudiant devra
par conséquent consulter des documents scientifiques. Ce travail peut faciliter
l'ouverture de l'esprit vers la compréhension scientifique et conduire, plus tard, le futur
enseignant vers un réexamen de son orientation ou simplement le désir de se
familiariser davantage avec les sciences et la technologie.
Dans les salles de classe, les enseignants devront également modifier leurs
attitudes à l'égard des filles. Vouloir absolument présenter les sciences et la
technologie comme des disciplines inabordables est une attitude négative à combattre.
De telles attitudes de la part des enseignants découragent complètement les
meilleures volontés et la motivation déjà faible des élèves.
Il faut convenir qu'un enseignant, fût-il spécialiste des sciences ou des
mathématiques, n'est après tout qu'un être humain. Aussi, ne doit-il pas présenter de
lui-même ou laisser les élèves avoir de lui l'image d'une machine à formules ou d'un
être surhumain et inaccessible.
L'enseignement ne doit pas être perçu comme une simple transmission des
connaissances allant d'un pôle actif (l'enseignant) vers un pôle passif (l'enseigné).
L'enseignement est avant tout communication. Communication non pas unilatérale
mais, plutôt, bilatérale, voire multilatérale. Enseigner les sciences c'est aussi vouloir
que les élèves comprennent ce que l'on enseigne et se l'approprient. La
compréhension n'est pas une simple accumulation, elle exige un mouvement de va-et-
vient entre l'enseignant et les élèves jusqu'à ce qu'une parfaite assimilation ou mieux,
appropriation de la matière par les élèves s'ensuive.

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La méthode magistrale n'est certainement pas la meilleure pour établir une
véritable communication entre l'enseignant et les enseignés.
L'appropriation des sciences et de la technologie par les filles exige que ces
disciplines s'adaptent à leurs centres d'intérêts réels et surtout, qu'à l'enseignement
théorique s'adjoigne un enseignement pratique susceptible de répondre à leurs
attentes, de susciter leur intérêt pour les sciences et de faciliter la compréhension et
l'assimilation.
La compréhension du langage scientifique et technologique suppose un
enseignement de base solide. Aussi, dès les premières classes de l'enseignement du
premier degré, une solide formation devra-t-elle être dispensée aux élèves.
Les enseignants devront sensibiliser et provoquer chez les filles l'esprit de
combativité et de persévérance dans les études et veiller à ce que les tendances
discriminatoires n'apparaissent pas dans les salles de classe. Exemple: des éclats de
rire prolongés lorsqu'une fille commet une erreur. L'erreur étant humaine, l'enseignant
ne devra ni la balayer d'un revers de la main, ni focaliser son attention et celle des
camarades de classe sur l'erreur commise. Au contraire, il devra par des explications
plus claires et plus approfondies, la corriger et y remédier.
Enfin, les enseignants devront éviter en classe toute allusion à la faiblesse du
sexe féminin, à son statut et au rôle traditionnel imposé par la société.
Les performances et rendements féminins en sciences et technologie, quoique
appréciables, restent encore minimes. C'est pourquoi, il faudra penser à les améliorer.
Pour bien viser l'amélioration de ces performances et rendements, il faudra
commencer dès le pré-primaire. Dans les jardins d'enfants, par exemple, il faudra
veiller à ce que garçons et filles aient accès aux mêmes jeux et aux mêmes jouets.
Il faudra également veiller à ce que ces tendances discriminatoires ne s'implantent pas
dans la cour de récréation. Car, c'est dans le pré-primaire que se trouvent, parfois
aussi, les fondements des attitudes exclusivistes.
Réexaminer la question de l'ouverture d'écoles non-mixtes dans certaines
régions ne serait peut-être pas une chose totalement négative. Non pas qu'il faille
revenir à l'ancien système d'écoles confessionnelles, mais simplement être en mesure
de présenter des références aux filles quant à leur potentiel en sciences et
technologie.
La pertinence des sciences et de la technologie doit être reconnue et expliquée
aux filles. Voire même la pertinence de l'éducation en général. De plus en plus de
filles issues des milieux défavorisés et du monde rural pensent, dans certains pays
africains, que point n'est besoin de poursuivre de longues études, encore moins des
études scientifiques, pour réussir dans la vie. Elles puisent les exemples pour illustrer
leurs arguments dans la réussite des "Mama Benz" ou des femmes d'affaires. La
floraison du secteur informel participe donc à la propagation de ces idées. D'où la
nécessité pour les éducateurs de prouver la pertinence des études auprès des parents
et des jeunes filles.
Enfin, pour l'amélioration des rendements et performances dans les sciences
et la technologie, parents et éducateurs doivent coopérer, travailler ensemble, pour
expliquer et faire accepter aux filles qu'elles peuvent toujours se surpasser et faire
mieux. Les encouragements des éducateurs (parents et enseignants) à ce niveau et
dans ce domaine ne pourront être que bénéfiques pour les filles.

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CONCLUSION

Il est très difficile de conclure cette étude tant il y a de choses à dire sur notre
sujet.
Toutefois, nous croyons avoir atteint notre but car ce travail avait pour objectif
de montrer les facteurs psychologiques, socio-culturels et socio-pédagogiques qui
affectent les filles dans les programmes scolaires de sciences et de technologie en
Afrique francophone.
Nous avons donc tenté de prouver, chiffres à l'appui, que malgré les
déclarations et politiques officielles élaborées en direction des femmes, l'accès de
celles-ci à l'enseignement des sciences et de la technologie est encore très limité.
Outre les facteurs socio-culturels et le poids de la tradition, auxquels n'échappe
guère le système éducatif africain, nous avons noté des facteurs inhérents au système
d'enseignement lui-même, en l'occurrence, les faibles effectifs d'enseignants féminins
dans les disciplines scientifiques, les méthodes magistrales d'enseignement, le peu
ou le manque de matériel expérimental, les attitudes et comportements des
enseignants, etc.
Parmi les facteurs psychologiques, nous avons retenu, entre autres, des
barrières comme l'auto-censure, l'auto-discrimination cognitive, le manque de
confiance en soi, qui peuvent s'avérer dévastateurs pour les filles.
Au niveau socio-culturel, la pression sociale, la place et le rôle de la femme
dans les sociétés africaines, les attitudes et comportements des parents sont autant
de blocages à la participation des filles en sciences et technologie.
Mais, le monde est en constante mutation et, l'Afrique aussi. Si l'Afrique veut
relever les multiples défis qui se posent à elle, elle devra intégrer la composante
féminine dans tous ses projets et dans toutes ses actions, quels qu'ils soient. Car,
c'est de la participation effective des femmes au développement que dépend l'avenir
de l'Afrique. Et pour que cette participation ne soit ni superficielle, ni artificielle, il
faudra dispenser une éducation qui intègre entièrement les femmes, une éducation
sans discrimination, sans barrières, sans préjugés ni stéréotypes, l'éducation étant la
base de toute vie sociale et de tout développement durable.

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BIBLIOGRAPHIE

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d'ajustement, de revitalisation et d'expansion, Washington
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