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© Dunod, 2019

ISBN : 9782100799817

© Dunod, 2019
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autorisation écrite de l'éditeur.
Sommaire

Présentation des auteurs 9

Introduction 13

1 Le modèle TAI (ou Traitement Adaptatif de l’Information) 17


Ludwig Cornil et Martine Iracane

2 Stabilisation du patient et EMDR 35


Olivier Piedfort-Marin

3 Lieu sûr/lieu calme et installation de ressources 53


Marie-Jo Brennstuhl, Hélène Dellucci

4 Indications et contre-indications de l’EMDR 63


Emmanuel Augeraud

5 De la conceptualisation de cas au plan de traitement 77


Martine Iracane

6 Le protocole EMDR standard 95


Les procédures EMDR standard :huit phases et trois volets
Jenny Ann Rydberg

7 Le plan de ciblage standard 105


Martine Iracane
8 Les cognitions dans la thérapie EMDR 117
Hélène Dellucci, Gabrielle Bouvier

9 Le protocole des scénarios futurs de la thérapie EMDR 127


Eva Zimmermann

10 Protocoles EMDR spécialisés 143


Jenny Ann Rydberg

11 Les blocages du traitement 159


Martine Iracane

12 EMDR, violences domestiques, troubles de l’attachement et dissociation 173


Michel Silvestre et Hélène Dellucci

13 Traumatismes transgénérationnels et EMDR 193


Hélène Dellucci

14 EMDR et vicariance du psychotraumatisme 205


Gabrielle Bouvier et Hélène Dellucci

15 L’EMDR et les histoires narratives en adoption 215


La blessure d'abandon et son impactchez l'enfant et ses parents adoptifs
Annie Delplancq

16 Pratique de la thérapie EMDR avec les enfants 233


Michel Silvestre

17 Couple et thérapie EMDR 241


Michel Silvestre

18 EMDR et thérapie des états du moi 247


Olivier Piedfort-Marin

19 L’utilisation de l’EMDR avec les troubles dissociatifs 269


Eva Zimmermann et Olivier Piedfort-Marin

20 Le protocole des empreintes précoces 305


Le retraitement EMDR des mémoires préverbales
Hélène Dellucci et Gabrielle Bouvier

21 Le protocole des lettres 321


Une méthode doucepermettant le retraitementde traumatismes relationnels
Hélène Dellucci

22 La Boîte de Vitesses 333


Modèle Bi-Axial pour un traitement EMDR intégratif dans la prise en charge de Traumatismes Complexes et
Chroniques
Hélène Dellucci, Gabrielle Bouvier, Marie Jo Brennstuhl

23 Les techniques d’oscillation 347


Construire une attention double
Hélène Dellucci et Marie Jo Brennstuhl

24 Le protocole inversé 359


Adapter l’EMDR aux personnes instableset souffrant de TSPT complexe
Hélène Dellucci et Marie Jo Brennstuhl

25 EMDR et trouble de la personnalité 371


Un défi en psychothérapie
Emmanuel Augeraud

26 La prise en charge du trauma dans la psychose 389


Psychose, dissociation et psychotraumatisme
Jenny Ann Rydberg et Andrew Moskowitz

27 Dépression et EMDR 399


De l’intérêt de travailler en EMDRavec les patients souffrant de dépression
Nathalie Malardier

28 EMDR et psychologie positive 411


Martine Regourd-Laizeau et Joanic Masson

29 EMDR et coaching 437


Martine Regourd-Laizeau, Joanic Masson et Ingrid Petitjean

30 EMDR et culture 453


Pascale Amara

31 Intervention EMDR immédiate 477


Protocoles EMDR d’urgence
Jenny Ann Rydberg

32 Intervention EMDR rapide 489


Protocoles EMDR d’événements traumatiques récents
Jenny Ann Rydberg

33 Les protocoles EMDR R-TEP et G-TEP 503


Les protocoles EMDR de l’épisode traumatique récent
Jenny Ann Rydberg

34 Traiter les peurs et les phobies spécifiques avec l’EMDR 517


Monika Miravet et Marie-Jo Brennstuhl
35 EMDR et anxiété 531
Marie-Jo Brennstuhl

36 Le protocole de groupe EMDR-IGTP ou technique des quatre champs 541


Michel Silvestre

37 La prise en charge du deuil et deuil bloqué 547


Thérapie EMDR et deuil
Martine Iracane

38 Le potentiel de la thérapie EMDR en gynécologie 565


Eva Zimmermann

39 Le potentiel de la thérapie EMDR en obstétrique 581


Eva Zimmermann

40 EMDR et addiction 599


Marie-Jo Brennstuhl, Cyril Tarquinio et Fanny Bassan

41 EMDR et douleur chronique 615


Marie-Jo Brennstuhl

42 EMDR et fibromyalgie 631


Marie-Jo Brennstuhl et Pascale Tarquinio

43 EMDR et syndrome du membre fantôme 643


Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio,
Marie-Jo Brennstuhl et Fanny Bassan

44 Prise en charge des troubles de la sexualité avec la psychothérapie EMDR 659


Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio et Laura Vismara

45 Maladies cardiovasculaires et EMDR 675


Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio et Laura Vismara

46 Cancer et thérapie EMDR : contribution ! 691


Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio,
Eva Zimmerman, Laura Vismara

Table des matières 707


Présentation des auteurs

Ouvrage coordonné par :

Cyril TARQUINIO
Professeur de psychologie clinique à l’Université de Lorraine (Metz),
APEMAC/EPSAM EA 4360, directeur du Master de psychologie clinique,
fondateur et directeur du centre Pierre Janet, éditeur en chef de l’European
Journal of Trauma and Dissociation (Elsevier), psychothérapeute,
superviseur EMDR, Institut français d’EMDR (France).
Marie-Jo BRENNSTUHL
Maître de Conférences à l’Université de Lorraine (Metz), APEMAC/EPSAM
EA 4360, Centre Pierre Janet, psychothérapeute, superviseur, facilitateur
EMDR, Institut français d’EMDR (France).
Hélène DELLUCCI
Docteur en psychologie, chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz),
psychothérapeute, formatrice et superviseur EMDR, Institut français
d’EMDR (France).
Martine IRACANE
Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz), psychothérapeute,
formatrice et superviseur EMDR, Institut français d’EMDR (France).
Jenny Ann RYDBERG
Enseignante associée à l’Université de Lorraine (Metz), Centre Pierre Janet,
éditrice associée de l’European Journal of Trauma and Dissociation
(Elsevier), psychothérapeute, superviseur, facilitateur EMDR (France).
Michel SILVESTRE
Docteur en psychologie, chargé de cours à l’Université de Lorraine,
psychothérapeute, formateur EMDR Enfants et superviseur, facilitateur
EMDR, Institut français d’EMDR (France).
Pascale TARQUINIO
Chargée de cours à l’Université de Lorraine, Centre Pierre Janet,
psychologue, psychothérapeute, superviseur, facilitateur, Institut français
d’EMDR (France).
Eva ZIMMERMANN
Psychothérapeute FSP, formatrice, superviseur, facilitateur EMDR, Institut
romand de psychotraumatologie (Suisse), Institut français d’EMDR.

Avec la participation de :

Pascale AMARA
Psychologue, psychothérapeute, superviseur, facilitateur EMDR (France).
Emmanuel AUGERAUD
Psychiatre des hôpitaux, psychothérapeute, psychothérapeute EMDR,
enseignant en TCC, addictologue (France).
Fanny BASSAN
Chargée de cours à l’Université de Lorraine (Metz), Centre Pierre Janet,
psychologue, psychothérapeute, superviseur, facilitateur EMDR (France).
Gabrielle BOUVIER
Psychiatre FMH, psychothérapeute, superviseur, facilitateur EMDR (Suisse).
Ludwig CORNIL
Psychologue, responsable pédagogique de l’Institut Français d’EMDR,
formateur EMDR, superviseur, facilitateur EMDR (Belgique).
Olivier PIEDFORT-MARIN
Psychologue, superviseur, facilitateur EMDR, vice-président EMDR Europe,
Institut Romand de Psychotraumatologie, chargé de cours à l’Université de
Lorraine (Metz), éditeur associé de l’European Journal of Trauma and
Dissociation (Elsevier) (Suisse).
Annie DELPLANCQ
Psychologue clinicienne pour enfants, superviseur, facilitateur EMDR,
(Belgique).
Nathalie MALARDIER
Psychologue clinicienne, psychothérapeute, superviseur, facilitateur EMDR,
(France).
Joanic MASSON
Psychologue, psychothérapeute EMDR, Maître de Conférences (HDR) en
Psychologie clinique et pathologique, Centre de Recherche Psychologie,
Université de Picardie Jules Verne, (France).
Monika MIRAVET
Psychologue clinicienne, psychothérapeute, superviseur, facilitateur EMDR
(France).
Andrew MOSKOWITZ
Professeur de psychologie clinique, Touro College de Berlin, éditeur associé
de l’European Journal of Trauma and Dissociation (Elsevier) (Allemagne).
Ingrid PETITJEAN
Coach, formatrice MT. Cosynergie, fondatrice et experte de la méthode
Target (France).
Martine REGOURD-LAIZEAU
Docteur en psychologie, chargée de cours Université de Lorraine (Metz),
psychologue, psychothérapeute EMDR, (France).
Laura VISMARA
Chargée de cours Université de Lorraine (Metz), Centre Pierre Janet,
professeur de psychologie clinique à l’Université de Cagliari, éditrice
associée de l’European Journal of Trauma and Dissociation (Elsevier)
(Italie).
Introduction

Cet Aide-Mémoire vient compléter et enrichir l’ouvrage paru en 2017 intitulé


Pratique de la psychothérapie EMDR. Il le complète car il permet de rendre
compte des avancées dans le domaine depuis deux années. Il l’enrichit car de
nouveaux textes sont proposés dans cet Aide-mémoire qui ne figuraient pas
dans l’ouvrage inaugural. Ces deux livres constituent ainsi un socle solide et
inégalé dans le domaine qui permet de rendre compte de ce qu’est la
psychothérapie EMDR, de son usage et des théories qui l’organisent. Ces
ouvrages seront à partir de maintenant réédités et revus régulièrement afin de
devenir les références dans le domaine. L’équipe éditoriale est constituée des
meilleurs experts, pédagogues et scientifiques francophones, tous reconnus
dans le champ de l’EMDR et souvent bien au-delà. Ces derniers ne sont pas
dépositaires de théories rocambolesques et n’ont pas attendu l’EMDR pour
exister. Ils sont honnêtes, rigoureux et intègres sur le plan intellectuel et
clinique, mais avant tout ils sont passionnés et généreux. Et c’est sans doute
la raison pour laquelle les ouvrages réalisés avec eux sont de si grande
qualité. À vrai dire nous avons tous œuvré pour fabriquer les ouvrages dont
nous voulions disposer pour mieux pratiquer l’EMDR et faire en sorte que
cette forme psychothérapeutique soit encore mieux diffusée. Pour ma part,
j’ai été honoré de travailler avec chacun de ces spécialistes à la réalisation de
ces livres. J’ai rarement croisé des professionnels aussi investis dans leur
travail et aussi remplis d’humanité. C’est une grande fierté pour moi d’avoir
leur confiance !
Cet Aide-Mémoire sera un soutien incontournable non seulement pour la
formation initiale des psychothérapeutes EMDR, mais également pour la
formation permanente des professionnels curieux de faire évoluer en
permanence leurs pratiques et leurs réflexions. Aujourd’hui, l’EMDR
s’enseigne à l’Université dans le cadre de Masters qui consacrent de plus en
plus de temps à la formation des étudiants. Des Diplômes d’Université
existent en France grâce notamment à l’engagement de l’Institut Français
d’EMDR. Et sur le plan européen, des collaborations fortes et des diplômes
communs s’organisent entre l’Université de Lorraine par exemple et
l’Université Libre de Bruxelles. La machine est bien en marche et l’EMDR
deviendra universitaire, ce qui la protégera des « copyrights » et des zones
d’influence (d’ombre) que certains veulent étendre pour contrôler les choses,
souvent à leur profit. L’avenir de l’EMDR sera de considérer que les savoirs
n’appartiennent à personne et qu’il ne suffit pas d’avoir un semblant d’idée
pour que cela fasse science. Un ouvrage n’est pas une preuve scientifique,
tout au plus un compte rendu plus ou moins bien fait d’un état de l’art, mais il
n’est pas « l’art » ! Les théories organisatrices de l’EMDR, et par conséquent
de ce qu’est une psychothérapie, nécessitent, pour les comprendre, de la
rigueur intellectuelle et de l’expérimentation. Il nous faut tester, évaluer,
comprendre, transformer. La métaphysique, l’irrationnelle et la métaphore
n’ont plus leur place dans ce domaine. De la même manière qu’une formation
à l’EMDR sans une recherche clinique et fondamentale solide s’effondrera
sur elle-même !
Cet Aide-Mémoire a été conçu comme un support pédagogique et
professionnel susceptible d’aider tous ceux qui s’intéressent à l’EMDR et qui
pourront trouver dans les chapitres proposés un complément solide pour les
accompagner dans leur pratique, qu’ils soient débutants ou spécialistes.

Cyril Tarquinio
Chapitre 1

Le modèle TAI
(ou Traitement Adaptatif
de l’Information)

Ludwig Cornil et Martine Iracane

En 25 ans, Francine Shapiro a transformé le champ de la psychothérapie. En soi, la stimulation bilatérale n’est pas
l’élément le plus novateur : on pourrait attribuer cette découverte à la chance, au contexte de vie de Shapiro. Mais Shapiro
a su, à partir de cette observation, élaborer dès 1995, une méthode de thérapie dont l’efficacité a été observée cliniquement.

LE TAI COMME HYPOTHÈSE DE TRAVAIL

Lorsqu’elle a été confrontée à des résultats positifs de sa nouvelle


intervention, Shapiro a été contrainte de chercher un cadre théorique pour
expliquer les guérisons spontanées qu’elle a vues à plusieurs reprises sous ses
yeux. La force de son modèle théorique, qu'elle a nommé le Modèle de
Traitement Adaptatif de l'Information, réside dans sa simplicité. Comme tous
les modèles théoriques, le Modèle de Traitement Adaptatif n’est ni vrai ni
faux, mais il est seulement une approche approximative à la réalité.
Pendant des siècles, le rasoir d'Occam a été un principe directeur dans la
science : si plusieurs théories expliquent les mêmes phénomènes,
sélectionnez la théorie qui est la plus simple et contient le moins
d’hypothèses et d'éléments.
Bien sûr, ce principe n’est pas toujours tenable. Envisagez l'évolution de la
physique newtonienne à la complexité de la physique quantique. Même s’il
est recommandé de donner la préférence à des explications simples pour des
phénomènes complexes, il faut faire attention de ne pas trop simplifier. Ceci
est l'une des critiques qui ont été exprimées parfois : le modèle de Shapiro est
trop simple pour être vrai. Mais comme il ne s’agit jamais de la vérité quand
on parle d’un modèle de la réalité - juste d’une approximation de cette réalité
– la question de la vérité peut être laissée sans réponse et remplacée par le
terme « utilité. » Shapiro elle-même appelle son modèle une « hypothèse de
travail. »
Le modèle TAI est très utile et permet comme un modèle théorique est censé
le faire, de :
fournir une explication pour les phénomènes cliniques ;
servir de base pour la conceptualisation de cas ;
prédire des effets thérapeutiques possibles ;
servir de guide aux nombreux points de décision au cours du traitement.

▶ TAI comme modèle de traitement d’information

Le TAI est un modèle de traitement d'informations dans lequel des


expériences sont constituées d’informations. Tous les stimuli que nous vivons
au cours d'une expérience à travers nos sens - à un niveau conscient ou
inconscient – forment l'information sensorielle de cette expérience, ainsi que
les informations sous la forme de pensées, de sentiments, d’émotions et de
sensations qui sont présents dans le même temps.
Lorsque quelqu'un dans une salle de concert, écoute une musique envoûtante,
les informations de cette expérience consistent en plus de l'information
sensorielle (entendre et sentir la musique, regarder le spectacle visuel) à
ressentir l'atmosphère de la pièce, l'impact émotionnel, les réactions
physiques à la musique, et l'évaluation cognitive de l'événement. Toutes ces
informations font partie d’une expérience qui est stockée dans la mémoire,
une expérience dont nous pouvons ensuite vivement nous rappeler lorsque
nous voulons partager cette expérience avec les autres. La mémoire du
concert est stockée dans un réseau de mémoire avec des souvenirs similaires
associés. Nous pouvons comparer le concert à d'autres concerts que nous
avons vécus et évaluer si le dernier concert était mieux ou pire.
Sur un plan fondamental, voilà ce qui arrive constamment : tout ce que nous
expérimentons ne prend de sens que dans un réseau de mémoire existant.
Même si un patient n’a jamais vu la chaise ultra-moderne sur laquelle son
thérapeute l’invite à s’asseoir, la perception de la chaise aura activé un réseau
dans lequel sont stockées les expériences passées avec des chaises. Le patient
voit suffisamment de similitudes avec d'anciennes chaises pour reconnaître
l'objet comme une chaise. Si ce n’est pas le cas, le patient reste sans aucun
doute debout avec des yeux interrogateurs…
Les informations contenues dans chaque situation / expérience seront
automatiquement liées avec les réseaux de mémoire associés. Habituellement,
nous ne sommes pas conscients de cela, mais ces réseaux de mémoire activés
automatiquement vont colorer notre perception.
Si nous possédons des réseaux de mémoire pleins de souvenirs positifs
d’expériences avec des chiens, voir un chien évoquera des sentiments positifs
et nous aimerons que le chien se rapproche pour faire connaissance. Par
contre, si nous avons appris dans le passé que les chiens sont dangereux, alors
nous serons plus prudents et prendrons le temps d'évaluer la situation de
sécurité. Le réseau de mémoire qui vient d’être activé, contient d'autres
informations qui détermineront également notre comportement.
Un réseau de mémoire est un groupe d'informations associées constitué
d'expériences qui partagent des perceptions sensorielles, des cognitions, des
émotions ou des sensations physiques similaires et sont donc liées les unes
aux autres.
Les concepts de « traitement d’information » et « réseaux associatifs » ne
sont pas une invention de Shapiro. Une telle conception des choses existe
dans le champ des sciences neuro-cognitives (Lang, 1977 ; Lang, 1979 ;
Bower, 1981) depuis le début des années 80 (Michell, 1982).
Francine Shapiro postule que les réseaux de mémoire sont des structures
neurologiques réelles (Shapiro, 2001), organisés autour de certaines
expériences fondamentales de thèmes centraux, autour desquelles les
expériences ultérieures sont regroupées de façon associative. Cela peut
inclure une pensée négative, une émotion ou sensation récurrente, une
situation répétitive ou une personne en particulier. Mais des informations
positives aussi peuvent se retrouver regroupées dans les réseaux de mémoire
associatifs positifs, par exemple tous les souvenirs des moments de réussite
dans sa vie.

▶ Un système de traitement d’information inné

Le TAI présuppose un système d’informations inné qui permet aux nouvelles


informations de se relier et d'intégrer des réseaux de mémoire existants. Chez
une personne en bonne santé, de nouvelles expériences sont « digérées »
grâce à ce système inné. Seules les informations utiles sont conservées afin
que l'expérience à son tour puisse aider la personne dans le futur. En d'autres
termes, nous apprenons de ce que nous vivons.
Supposons que quelqu'un ait été manipulé sur internet en ayant réagi à un
email venant d’un très tendu ami en détresse à l'étranger et en demande
urgente d'un soutien financier. La personne apprend alors rapidement qu'elle
devra à l’avenir être plus prudente, elle devra digérer la perte de son argent et
à n’en pas douter traitera les emails de ce type qui lui parviendront avec plus
de méfiance, on ne l’y reprendra plus. L’expérience est traitée, l'information
est intégrée dans la base de données des informations sur lesquelles se fonde
la personne pour naviguer dans le monde. L'information est devenue
adaptative.
Francine Shapiro postule que, tout comme nos corps ont la capacité de guérir
spontanément les blessures physiques, nous avons aussi un système pour
traiter les blessures psychologiques. Et tout comme le mécanisme de la
guérison physique, le mécanisme de la guérison psychique est inné et présent
chez tous.
Chacun de nous a subi des blessures émotionnelles dans la vie, a connu des
situations psychologiquement stressantes. Beaucoup d'entre elles sont traitées
à travers le temps par ce système de traitement de l'information innée.
Nous nous souvenons tous de la première fois que nous avons eu un petit ami
ou amant. Nous nous souvenons aussi comment cette première relation a pris
fin, comment nos cœurs se sont cassés et à quel point nous avons pensé que
nous ne pourrions plus jamais être heureux. Et peut-être qu'il a fallu un
certain temps pour retrouver confiance ; mais le système de traitement de
l'information a fait son travail, a donné une place à cette expérience (au sein
de l'ensemble des réseaux de mémoire adaptative). Nous avons continué notre
vie et très probablement nous avons encore pu vivre des moments heureux.
Quand nous disons que nous avons digéré quelque chose, que c’est du passé,
comment le savons-nous ? Parce que nous n’avons plus de réactions
émotionnelles lorsque nous pensons au souvenir, notre corps ne devient plus
tendu, nos pensées ne sont plus les pensées d’avant.
Mais qu’arrive-t-il quand l’expérience n’est pas traitée ?

INFORMATIONS STOCKÉES DE FAÇON DYSFONCTIONNELLE

Pourquoi est-ce que certaines personnes ressentent encore de la douleur et du


chagrin et souffrent toujours émotionnellement et physiquement lorsqu’elles
pensent à la fin de cette première histoire d'amour ? Comment est-il possible
que ce souvenir leur donne le sentiment d’être sans valeur ou inondé par des
sentiments d'impuissance, même après dix ou vingt ou même cinquante ans
plus tard ?
Le modèle TAI suppose que ces réactions sont causées par des expériences
non résolues qui sont stockées de façon dysfonctionnelle dans leurs propres
réseaux neuronaux. Le matériel dysfonctionnel se réfère à l'hypothèse que ces
réseaux sont entièrement distincts des réseaux plus adaptatifs et ne
parviennent pas à se connecter à ceux-ci, contenant des informations
adaptatives, positives. Comme si le mécanisme de traitement inné, qui lie les
informations à des réseaux neuronaux adaptatifs existants, n’était pas en
mesure de traiter l'information, et de ce fait, l’expérience reste stockée dans
un réseau neuronal séparé dans sa forme brute, avec les images originales, les
pensées, les sentiments et les sensations corporelles. L'information devient
figée dans le temps et ne change plus, comme si une capsule de temps s’était
créée (Croitoru, 2014).
Une capsule de temps est une boîte ou un tube métallique dans lequel les
objets sont enfermés ; ils y sont typiquement représentatifs pour une certaine
période de temps. Le but est de donner une image de cette période de temps à
des générations à venir. La capsule est scellée et le contenu n’évolue plus, le
temps dans la capsule s’arrête.
Les réseaux neuronaux isolés vont se comporter de manière totalement
indépendante et le contact avec des informations adaptatives existantes n’est
pas possible. Même si la personne vit des expériences positives dans l'amour,
ou entend régulièrement comment les autres l’apprécient, c’est comme si ces
informations positives ne pouvaient pas « pénétrer » dans la capsule, et ne
faisaient pas de contact avec le réseau de mémoire isolé. Il y a une scission au
sein de la personne : quelque part elle sait qu'elle a de valeur, mais elle ne
peut pas le sentir. Pire encore, à un moment où elle est encore un peu en
contact avec son estime de soi, c’est comme une mince couche de glace qui
casse immédiatement à la suite d’une remarque négative, ou présumée
négative.
Chaque commentaire négatif ouvre la capsule, active le réseau de mémoire
isolé et la personne se sent sans valeur, expérimente la douleur, la lourdeur
dans son corps, le manque d'énergie et les pensées négatives sur elle-même :
« vous voyez, je ne vaux rien. » La personne n’est plus en mesure
d'apprendre, le mécanisme de traitement est bloqué.

▶ Les réseaux neuronaux à la base de la santé


et de la pathologie

La prémisse fondamentale du modèle TAI est basée sur l'existence de ces


mémoires non traitées, stockées dans des réseaux neuronaux isolés.
L'hypothèse de base du modèle TAI affirme que les plaintes actuelles, les
symptômes avec lesquels le client se connecte à un thérapeute, sont le résultat
de l'activation des informations du passé non traitées, sauf si elles sont
causées par des facteurs biologiques ou biochimiques.
À titre d'exemple, une femme qui est terrifiée par l'examen annuel de sa
performance au travail, elle perdra son sang-froid à la moindre critique qui
sera formulée, même de façon constructive. Elle sera incapable de répondre
de façon mature et rompra le contact avec son interlocuteur en baissant la tête
et en fixant le sol. Elle ne peut plus répondre et quand le patron lui demande
ce qui ne va pas, elle devient émotionnelle, se met à pleurer et ressent
l'irrésistible envie de fuir. Comment est-il possible que cette femme qui fait
une forte impression dans d'autres circonstances, gère les tâches imposées,
peut fonctionner sans problème, avoir des contacts positifs avec ses collègues
et avec les clients et qui mérite vraiment la promotion, présente ce
comportement étrange ?
Parce que les souvenirs des critiques systématiques qu’elle a connues de la
part de son père en tant qu’enfant et adolescente n’ont jamais été traités et
sont stockés dans leur forme brute dans un réseau de mémoire associatif
isolé. Toute expérience réelle qui peut être liée à l'information associative
dans cette capsule de temps – dans ce cas, obtenir des critiques – peut ouvrir
la capsule et lui faire vivre les mêmes sentiments, pensées et sensations
qu'elle a vécus dans sa jeunesse. En outre, elle perd le contact avec toutes les
expériences positives qui sont stockées dans un autre réseau adaptatif et qui
sont à ce moment-là inaccessibles. Elle ne peut faire qu’une chose, fuir, tout
comme avant.
Ce que le modèle de TAI postule est que la situation réelle n’est pas le vrai
problème, mais simplement un déclencheur pour des événements non traités
du passé. La situation actuelle déclenche un réseau neuronal dysfonctionnel.
Les émotions négatives, les sensations physiques et les perspectives
reviennent à la surface et créent la plainte que la personne amène en thérapie.
Le problème est que la personne n'a pas toujours conscience de l'effet du
déclenchement des circonstances actuelles et se concentre sur le symptôme :
la dame ne peut pas faire face à des évaluations de la performance au travail.
Il peut en effet exister des similitudes entre la situation actuelle de
déclenchement et certaines expériences du passé non traitées (dont on ne peut
pas avoir conscience). Les émotions stockées, les sensations et les réactions
corporelles dysfonctionnelles vont alors s’imposer à la personne comme de
vrais réflexes et vont déterminer son comportement. La personne non
seulement nous décrira ces sentiments et ces émotions négatives, comme la
honte, la peur, la tristesse, mais revivra le passé dans le présent. Comme le dit
Shapiro : le passé est le présent (Shapiro, 1995). En tant que thérapeutes,
nous pouvons alors avoir la sensation de voir un enfant devant nous, qui parle
avec les mots et l'intonation d'un enfant. Le patient vit des émotions, des
pensées et des perspectives qui correspondent au niveau de développement de
l'enfant qu’il était au moment de l'expérience difficile. Cela explique aussi
pourquoi un patient adulte lors d'une séance d'EMDR peut avoir l'impression
que ses jambes ne touchent plus le sol. Lors du traitement d'un souvenir de
l’enfance, le schéma corporel de l’époque stocké alors dans la capsule de
temps se trouve activé. En tant que fille de quatre ans, elle était en effet
positionnée différemment dans le siège que la femme adulte puisqu’à
l’époque, le contact avec le sol n’était pas possible.

▶ Limites du mécanisme inné de traitement de l'information

Comment est-il possible que ce mécanisme de traitement de l'information,


postulé par Shapiro, échoue et ne réussisse pas à traiter certaines expériences,
rendant l'information de ces expériences immobiles parfois pendant des
années dans les réseaux neuronaux isolés, qui, lorsqu’ils sont déclenchés,
continuent à créer des problèmes ?
Pour répondre à cette question, Shapiro utilise une métaphore de la médecine.
Là, le pouvoir de guérison innée du corps est son point de départ.
Le corps est dans une certaine mesure capable de se guérir. Les patients ne
font appel à un médecin que s’ils pensent qu'ils ne guériront pas
spontanément - et très souvent cela est une erreur, parce que même si la
perception des patients est parfois différente, les médecins apprennent dans
leur formation qu’ils ne guérissent pas les patients, mais qu’ils permettent –
grâce à leurs interventions, au corps de guérir.
Un enfant qui se coupe le doigt sur un morceau de papier ou dont le genou
saigne après une chute à vélo, a seulement besoin d’une désinfection
minimale des plaies et surtout de réconfort. Le saignement cesse par lui-
même, des croûtes apparaissent et tombent après quelques jours. Les
blessures ont guéri spontanément.
Chez un adolescent qui chute au cours d'un événement sportif et se casse un
doigt, on va simplement immobiliser ce doigt un certain temps, et de
préférence dans la bonne position de sorte que l’os cassé puisse se reformer
de la bonne façon. L'intervention du médecin se limite ici au positionnement
correct de la fracture, de sorte que le corps puisse activer son travail de
guérison.
Bien sûr, il y a des situations où l'intervention d'un médecin peut nous sauver
la vie, parce que le traumatisme physique dépasse la capacité de guérison du
corps. Dans le cas d’accident de voiture avec rupture d’une artère ou d'un
larynx écrasé, le corps lui-même ne sera pas restauré sans aide extérieure.
Shapiro se pose la question de savoir s’il doit exister une différence entre un
traumatisme psychologique et un traumatisme physique. Elle refuse
d’accepter la scission entre l'esprit et le corps – qui a été créée historiquement
dans la culture occidentale, mais qui n’existe pas dans beaucoup d'autres
cultures – et elle suggère que, tout comme un homme peut guérir
spontanément d'un traumatisme physique, il peut guérir spontanément d’un
traumatisme psychologique.
Ceci est en fait quelque chose qui arrive constamment. L'exemple de la
première rupture indique clairement que la plupart des gens ont pu traiter
cette expérience. Ils repensent maintenant à l'époque où ils étaient enfants et
rient à l'idée qu'ils pensaient qu'il ou elle était l'amour de leur vie et qu’une
vie sans lui ou sans elle ne semblait plus possible.
Mais sur une plus petite échelle, chacun de nous s’est déjà coupé le doigt
même si cela fut sans conséquences émotionnelles. Nous avons aussi déjà été
choqués par la colère excessive de certains automobilistes au volant de leur
voiture. Si ces situations nous apparaissent comme si bénignes, c’est parce
que des mécanismes de traitement de l’information sont activés et nous
permettent de gérer au mieux ces situations sur le plan émotionnel.
Ainsi, chacun d’entre nous est donc capable d’intégrer des informations
provenant de situations difficiles et d’en tirer les apprentissages pour, à
l’avenir, s’adapter de façon plus efficace encore.
Mais comme avec le mécanisme de la guérison physique, il y a des limites au
mécanisme de la guérison mentale. Certaines épreuves sont parfois si
difficiles que le système de traitement de l’information est dans
l'impossibilité de les traiter.

▶ Une expérience trop difficile

Qu’est-ce qu’une situation trop difficile ? Les faits objectifs ou l’expérience


subjective qu’en a la personne ? Le DSM 5 fait le choix de l’objectivité :
l’État de Stress Post Traumatique résulte d’une confrontation à la mort, à une
menace de mort, à une grave atteinte corporelle, à des violences sexuelles.
L’accent est mis sur la menace réelle de l’intégrité physique. Le diagnostic
« Trouble de l’Adaptation » dans le DSM-V donne plus de place à la
subjectivité. Des facteurs de stress, quelles qu’en soient la gravité ou
l’intensité, génèrent des troubles émotionnels, comportementaux. Mais le
diagnostic ne peut être posé que 6 mois après la fin des facteurs de stress. Le
modèle EMDR ne différencie pas les vécus traumatiques des expériences
négatives répétitives (maladie chronique d’un proche, problèmes
relationnels.). Mol et al. (2005) a montré qu’elles produisent au moins autant
de symptômes de TSPT que les événements traumatiques, ce qui sera
confirmé par Gold et al. (2005) et Van Hoof et al. (2009). Le Critère A du
TSPT dans le DSM-V ne mentionne pas le vécu du patient. Cependant, aux
émotions originelles comme la peur, l’horreur ou l’impuissance, s’ajoutent,
avec le temps, d’autres troubles : anhédonie, dissociation… C’est la réponse
subjective du patient à l’événement qui va justifier l’intervention
thérapeutique.

▶ TAI comme explication pour l'efficacité de l'EMDR

Un mécanisme inné qui cherche la santé physique et mentale est l'un des
principes de base du modèle TAI. L'hypothèse de base est que les procédures
utilisées en EMDR sont déclencheurs d’un état physiologique qui autorise le
traitement de l'information et qui rend possible le contact de l'information
dans le réseau dysfonctionnel avec les informations nécessaires pour arriver à
une solution adaptative.
Il s’agit d’un traitement adaptatif de l'information qui se déroule sur un
niveau neurophysiologique, au niveau de la liaison des réseaux de mémoire.
Une femme peut savoir qu'elle n’est pas coupable de son viol quand elle était
adolescente, mais se sentir coupable néanmoins. Ceci est un bon exemple de
l'existence de réseaux de mémoire qui coexistent. Dans le réseau de
l'information adaptative se trouve l’information correcte : la femme adulte
sait qu’elle avait seulement 14 ans, était amoureuse du garçon de 24 ans, mais
encore ignorante en termes de sexualité. Elle voulait l'amour, il voulait du
sexe. Elle sait qu'il aurait dû la respecter quand elle ne voulait pas aller plus
loin, mais elle se le reproche quand même quand elle pense à ce qui est
arrivé. Dans le réseau traumatique se retrouvent toujours les mots du garçon :
« le fait que tu m'aies embrassé et que tu n’aies pas résisté, signifie que tu
voulais autant du sexe que moi. » La culpabilité qui lui a été imposée fait
partie du réseau de mémoire dysfonctionnel. Ce réseau associatif peut
contenir encore d’autres expériences – expériences pas nécessairement
d’ordre sexuel ou relationnel – mais des moments de culpabilité par le fait
d’avoir soi-même créé des expériences négatives. Elle pourrait être une de
ces patientes qui disent se sentir généralement rapidement coupable.
Plutôt que de partir d'une position d'autorité pour tenter de convaincre la
femme de son innocence, le thérapeute EMDR invitera la patiente à prendre
contact avec le souvenir du viol. En évoquant le souvenir et en retournant au
moment le plus difficile de cette expérience, la patiente est aidée à prendre
conscience de ses réactions. Le réseau de mémoire dysfonctionnel est activé
et les informations contenues dans le souvenir sont revécues. La patiente a
une représentation de l'événement, sent la réaction émotionnelle et physique
actuelle et verbalise la pensée négative « c’est de ma faute. »
Grâce à la stimulation bilatérale et les instructions à la patiente, (« laisser
venir ce qui vient »), on crée une situation dans laquelle l’information
congelée peut se remettre en mouvement. Après chaque série de stimulations
bilatérales ce mouvement de l’information peut être suivi. On voit souvent un
mouvement de vague, la conscience du patient est d'abord plus investie dans
le réseau dysfonctionnel, avant d'établir progressivement – série après série –
des connexions avec des informations plus adaptatives.
La patiente mentionnée ci-dessus, a initialement éprouvé encore plus de
culpabilité lorsque les détails du viol lui sont revenus au cours du traitement.
Son corps pouvait de nouveau sentir la douleur. À un certain moment
apparaissait un lien avec le réseau de l'information positive : l'image de sa
nièce qui a le même âge qu'elle avait alors. Un peu plus tard, elle a décrit les
rêves irréalistes dont parle sa nièce. Après une autre série de stimulations
bilatérales elle a réalisé qu'à l’âge de 14 ans elle aussi se croyait adulte. Peu
de temps après, la prise de conscience est apparue que son ex-petit ami était
un adulte et elle encore une enfant ; elle a pu arriver à une expérience
profonde de « Je suis OK, ce n’est pas de ma faute ».
En EMDR ces moments de perspicacité sont des moments où le réseau
dysfonctionnel contacte des informations adaptatives. Bien sûr, la patiente
savait bien avant la séance EMDR, que c’était lui l’adulte et elle l’enfant – et
donc pas la responsable – mais cette information n'était pas reliée au réseau
traumatique, et donc inaccessible lorsque le réseau traumatique était
déclenché.
À la fin d'une séance réussie, le patient est capable de se rappeler du
souvenir, qui se présente d'une manière plus positive, avec une perspective
différente, un sentiment de calme et des pensées sur soi plus positives.
La réponse normale d'un patient est de s’éloigner des mémoires difficiles. Un
patient se permettra de penser à un souvenir et d’activer le réseau traumatique
seulement s’il se sent suffisamment en sécurité et soutenu dans le contact
avec son thérapeute. Au lieu d'éviter les informations du réseau traumatique,
le mécanisme inné de traitement de l'information peut être stimulé par la
stimulation bilatérale et faire en sorte que de nouvelles associations puissent
se produire avec les réseaux d'information plus positifs. Avec chaque série de
stimulations bilatérales l'information nouvelle et adaptative est assimilée dans
le réseau neuronal, et l'information dysfonctionnelle subit une transformation
jusqu’au moment où il a atteint un état sain, fonctionnel (Shapiro, 2001).
Enfin, l’intérêt du Modèle TAI est de s’inscrire dans une approche en trois
temps : passé-présent-futur. En effet, l’un des principes centraux de ce
modèle est de considérer que les déficits ou les troubles psychologiques du
présent sont le fait d’expériences passées stockées en mémoire et
physiologiquement stockés. Le traitement des situations du passé conduit à
des réponses plus adaptées dans le présent et le futur.
Ainsi pour atteindre sa pleine efficience intégrative, la thérapie EMDR basée
sur le modèle du TAI posera les bases d’une orientation vers les trois temps
du traitement : le passé, le présent et le futur.

LES LIMITES DU MODÈLE TAI

Le modèle TAI, s’il permet de comprendre l’origine et le processus de


guérison des symptômes chez un patient, fournit peu d’explications sur la
formation des réseaux dysfonctionnels. Shapiro évoque le déséquilibre crée
par le traumatisme et le stress dans la période développementale où l’enfant
est fragile. Elle fait le constat qu’alors, le système du TAI se bloque. Mais
elle ne dit pas comment et pourquoi ce blocage se produit, ni ce que serait
une expérience trop difficile. Ce manque de cadre théorique fait défaut à
l’EMDR et freine sa reconnaissance en tant que mouvement thérapeutique à
l’instar de la thérapie comportementale ou la psychanalyse.
C’est Daniel Siegel (1999) qui, dans son livre The Developing Mind, répond
à ces questions en faisant référence à une fenêtre de tolérance. Cette fenêtre
est individuelle et reflète la capacité de chacun à faire face à de hauts niveaux
d’excitation émotionnelle. Certaines personnes ont une fenêtre large qui leur
permet de conserver un bon fonctionnement cérébral face à un niveau élevé
de perturbation (parfois les capacités d’intégration sont même augmentées
par le stress). Chez d’autres, la fenêtre est étroite et l’excitation émotionnelle
fait perdre au cerveau sa faculté d’intégration, provoque un fonctionnement
désorganisé.
Selon le modèle TAI, les informations ne peuvent être traitées si la personne,
lors d’une expérience négative, sort de sa fenêtre de tolérance (soit dans le
sens d’une sur-activation, soit dans celui d’une sous-activation). Dans la sur-
activation, le système sympathique domine et la personne éprouve une telle
anxiété qu’elle n’est plus en capacité d’intégrer l’information.
Dans la sous-activation, le système parasympathique prédomine entrainant
une désactivation du cerveau. Siegel décrit une troisième possibilité, la « rage
explosive » qui est le résultat d’une sur-activation sympathique et
parasympathique. La personne ressent un sentiment d’implosion intérieure.
Dans ces trois façons de quitter la fenêtre de tolérance, le cerveau perd sa
fonction intégrative et selon le modèle TAI l’intensité de l’affect a figé
l’expérience dans un réseau associatif isolé (Shapiro, 1995). Il se peut que la
peur, l’impuissance ressentis lors de l’expérience originelle aient disparu. Le
patient ne remplit alors plus les critères de l’ESPT du DSM-V. Cependant,
l’expérience peut continuer d’agir comme facteur de conditionnement à
l’échec de tout traitement de l’excitation émotionnelle.
Selon Shapiro (2007), l’estime de soi se constitue par un maillage
d’expériences vécues dans l’enfance. Un environnement chaleureux validant
les expériences va permettre de développer la tolérance aux affects, un moi
souple. Les nouvelles expériences et informations, positives et négatives,
enrichiront les réseaux de mémoire existants. Un individu est en bonne santé
lorsqu’il peut intégrer et apprendre des expériences positives et négatives
(Shapiro, 2007)

TRAITEMENT ACCÉLÉRÉ OU ADAPTATIF ?


Un dernier point à mentionner est que lors de la première édition de son
manuel EMDR (Shapiro 1995) le modèle du Traitement Adaptatif de
l’Information s’appelait encore le modèle de Traitement Accéléré de
l’Information. Dans la deuxième édition (Shapiro, 2001) le mot « accéléré » a
été remplacé par « adaptatif » dans le titre du modèle TAI, mais dans le reste
du livre, Shapiro continue à utiliser l'expression « traitement de l'information
accéléré ». Elle postule que par les procédures EMDR, y compris la
stimulation bilatérale, l'information est amenée à une résolution adaptative
d'une manière accélérée. Du moins cela était son observation.
Pour cette observation, concernant les changements au cours du traitement
EMDR qui semblent se produire plus rapidement qu'avec les thérapies
conventionnelles (Shapiro, 2001), elle tente de répondre avec le modèle TAI.
Tout d'abord, les souvenirs sont regroupés. Cela revient à dire que, dans un
réseau qui se compose de mémoires dysfonctionnelles liées, il suffit
généralement d'intégrer un nombre limité de souvenirs. Le traitement d'un
seul souvenir assure que l'affect positif et des cognitions positives peuvent
généraliser à d'autres souvenirs dans le même réseau neurophysiologique.
Cela signifie que pour une femme qui pendant des années a été abusée par
son père, à travers d'innombrables expériences de violence, seules les
expériences les plus chargées d’affect doivent être traitées pour obtenir un
effet de généralisation à toute la question de l'abus par le père. Concrètement,
cela signifie que, après le traitement d'un souvenir, l'affect négatif en
évoquant un autre souvenir similaire peut avoir diminué ou disparu.
Une deuxième explication de la vitesse de l'EMDR, en congruence avec le
modèle TAI, est que l'EMDR intervient directement dans le matériel
dysfonctionnel qui est à la base de la pathologie. Donc, au lieu d’apprendre
des techniques de relaxation pour mieux faire face à l'anxiété, on va travailler
directement avec la cause de l'anxiété : les informations stockées dans les
réseaux neurophysiologiques. La désensibilisation, les prises de conscience,
la restructuration cognitive et les associations avec des affects positifs et des
ressources sont vues comme des effets secondaires d'un processus adaptatif
qui a lieu à un niveau neurophysiologique (Shapiro, 2001).
Une troisième raison de la vitesse de l’EMDR est le fait que l'on utilise un
protocole très structuré qui se concentre spécifiquement sur l'activation de
l'information dysfonctionnelle, en stimulant le mécanisme de traitement et en
gardant le traitement de l'information dysfonctionnelle dans la bonne
direction pour arriver à une intégration adaptative.
Toujours dans l'hypothèse qu'il existe des réseaux de stockage isolés comme
des réalités neurophysiologiques, la proximité physique de ces réseaux dans
le cerveau peut conduire à la conclusion logique que le résultat du traitement
EMDR ne dépend pas nécessairement du temps.

Pour une bonne application du protocole EMDR il est indispensable de comprendre le modèle théorique qui le sous-tend.
Tout ce qui se passe en EMDR est basé sur l’idée que la pathologie est issue des expériences de vie difficiles non intégrées
et que la santé mentale est la conséquence d’une bonne intégration de ce que l’on vit. Malgré le fait qu’il s’agisse
seulement d’une hypothèse de travail, le modèle TAI nous donne des lunettes qui aident à comprendre les plaintes de nos
patients et qui nous guident dans l’approche thérapeutique EMDR.

BIBLIOGRAPHIE

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Chapitre 2

Stabilisation du patient et EMDR

Olivier Piedfort-Marin

L’EMDR est une méthode puissante. Sa puissance se présente dans les résultats positifs et parfois même exceptionnels de
nombreux traitements. Cette puissance s’exprime aussi dans des émotions et sensations physiques perturbantes qui peuvent
apparaître pendant le retraitement et par des symptômes transitoires parfois intenses en cours de traitement. Par ailleurs
certains patients viennent en thérapie dans un état psychique fragile. Il convient donc de s’assurer que le patient puisse faire
face au retraitement des souvenirs de traumatismes ou autres expériences adverses et perturbantes. Ce chapitre clarifie le
concept de stabilisation en psychotraumatologie et en EMDR et propose des mesures concrètes pour stabiliser les patients
qui en ont besoin.

CONCEPTS ET PRINCIPES DE LA STABILISATION


▶ La stabilisation comme concept médical

La stabilisation est à la base un concept médical que tous les médecins


connaissent, indépendamment de leur spécialité. Ce principe implique qu’un
patient doit présenter les conditions suffisantes pour pouvoir subir un
traitement, une intervention chirurgicale ou un examen intrusif. Par exemple
certains patients ne se verront pas proposer une intervention chirurgicale
lourde si leur condition somatique n’est pas assez bonne et stable. Les
médecins feront alors en sorte que le patient améliore et stabilise sa condition
avant d’envisager l’opération. Avant une intervention chirurgicale
l’anesthésiste s’assure que le malade a les conditions qui lui permettront de
supporter l’anesthésie et l’intervention chirurgicale. Cela permet aussi de
prévoir les risques possibles et les mesures à prévoir si un de ces risques
devait se présenter. Par ailleurs, Primum non nocere : d’abord ne pas nuire.
Tel est le principe qui doit guider tout médecin lorsqu’il prend en charge un
patient. Il devrait en être de même pour les psychothérapeutes.

▶ La thérapie par phase de Janet

De nombreux auteurs proposent que le traitement des séquelles de


traumatisations se fasse selon un modèle en trois phases. La première phase
est communément nommée phase de stabilisation. La seconde phase cible le
travail sur les souvenirs traumatiques, et la troisième phase cible la
réhabilitation. Ce modèle de traitement est soutenu depuis les années 1970
par de nombreux auteurs qui voient chez les patients ayant des séquelles post-
traumatiques complexes des difficultés importantes à se confronter (trop tôt)
aux souvenirs des expériences traumatisantes (Cloitre et al., 2011 ; Courtois
et al., 2009 ; Herman, 1992 ; Najavits, 2009 ; Phillips & Frederick,
1995/2001 ; Steele, Boon & Van der Hart, 2018 ; Van der Hart, Nijenhuis &
Steele, 2010). L’approche par phase est particulièrement recommandée pour
le traitement des troubles dissociatifs, des Troubles de Stress Post-
Traumatiques complexes (TSPT-C) et d’autres troubles sévères d’origine
traumatique.
Le contenu de la phase de stabilisation peut se résumer ainsi :
développement d’une relation de travail harmonieuse entre le patient et le
thérapeute ;
sécurisation dans la vie réelle (pas de contact avec le ou les agresseurs ;
amélioration de la situation financière, sociale et administrative) ;
activation des ressources ;
réduction des symptômes ;
amélioration de la régulation des affects.

▶ Traitement standard et traitement individualisé

Lorsque Francine Shapiro a développé l’EMDR, le scepticisme prévalait face


à cette méthode d’apparence étrange. L’attention des spécialistes s’est portée
sur la réalisation d’études de qualité pour obtenir une reconnaissance
scientifique et valider les innombrables expériences cliniques positives, ce
qui fut fait, en particulier à travers les recommandations de l’Organisation
Mondiale de la Santé.
Les études scientifiques contrôlées ont des critères d’inclusion et d’exclusion
stricts dans la sélection des participants. Par ailleurs un protocole de
recherche est pré-défini et ne laisse que peu de place aux souhaits du patient.
Tout cela a pour but d’harmoniser autant que possible le groupe de sujets et
l’intervention thérapeutique testée et d’éliminer le maximum de facteurs
potentiels. Néanmoins cela éloigne ces études de la réalité clinique usuelle à
laquelle sont confrontés les cliniciens.
Il convient donc de se baser sur les résultats des études scientifiques pour
nous guider dans notre travail clinique et en même temps de maintenir notre
attention sur le patient en tant qu’être humain unique qui doit rester au centre
du processus thérapeutique. Le risque est grand de vouloir coincer les
patients dans un moule conceptuel plutôt que d’accepter qu’un concept – quel
qu’il soit – n’est qu’un guide général. Chaque psychothérapie est une
rencontre unique et non réplicable, et Shapiro (2018, p. 86) nous rappelle
bien que « les besoins et réponses de chaque client sont uniques. »

▶ Le concept de stabilisation en EMDR

En EMDR la notion de stabilisation est évoquée principalement en lien avec


le traitement des troubles dissociatifs (Shapiro, 2018), troubles pour lesquels
le traitement par phase est aussi proposé dans la littérature EMDR (Van der
Hart, Nijenhuis, & Solomon, 2010 ; Van der Hart et al., 2013, 2014). Les
phases 1 (anamnèse) et 2 (préparation) de la thérapie EMDR peuvent être
considérées comme équivalentes à la phase de stabilisation telle qu’elle est
conçue en psychotraumatologie générale.
Shapiro met en avant la nécessité lors de la phase d’anamnèse d’évaluer si
l’EMDR est une indication pour le patient et de prendre en considération les
réponses variables que les patients et patients peuvent avoir lors de la
confrontation au trauma par l’EMDR et entre les séances. Certains patients
supportent difficilement les réactions parfois intenses.
Les facteurs de sécurité du client sont décrits comme autant d’éléments à
investiguer et le cas échéant à améliorer (Shapiro, 2018, pp. 87-97). On peut
comprendre ces facteurs comme autant de facteurs évaluant la stabilité du
patient. Elle conseille ainsi d’évaluer les éléments de stabilité suivants :
le niveau de confiance entre le patient et le thérapeute ;
la capacité de résistance à la perturbation émotionnelle ;
la stabilité sociale ;
la présence de soutien dans l’environnement social du patient ;
l’état de santé général, y compris la présence de possibles troubles
neurologiques ou d’épilepsie,
la consommation d’alcool et de drogue ;
l’analyse de l’impact du traitement sur la famille ;
l’analyse du moment le plus adéquat pour le travail de confrontation au
trauma.

▶ La controverse sur l’utilité de la stabilisation en EMDR

Alors qu’un certain consensus s’est développé parmi les spécialistes des
troubles dissociatifs et du TSPT-C sur le besoin d’une phase de stabilisation
parfois importante, certains auteurs ont commencé à remettre cela en question
(de Jongh et al., 2016). Les arguments principaux de ces auteurs sont :
La remise en question de la validité du diagnostic de TSPT-C et de trouble
dissociatif,
L’absence d’un nombre suffisant d’études scientifiques de haute qualité sur
l’efficacité des traitements mettant l’accent sur la stabilisation,
Le principe selon lequel, en l’absence de preuve de l’efficacité des
traitements basés sur la stabilisation, ce sont les études montrant l’efficacité
du travail de confrontation au trauma qui devraient guider la pratique
clinique.
Ces principes ont eu une certaine influence sur la dernière prise de position
de l’ISTSS à propos du TSPT-C (ISTSS, 2018). Il y est rappelé que la
« médecine personnalisée » permet les meilleurs effets de traitement et
implique une diversité de traitements pour mieux satisfaire une large majorité
de patients. Par ailleurs les auteurs de cette prise de position proposent de
futures pistes de recherches sur les traitements du TSPT-C, y compris des
traitements multi-modaux flexibles, en cohérence avec le principe de
traitement centré sur le patient.
Cette controverse est très présente aussi dans le champ de l’EMDR, quand
bien même Shapiro (2018) est on ne peut plus claire quant à la nécessité
d’une stabilité minimale avant de pouvoir entamer le travail de retraitement
des souvenirs traumatiques par stimulation bilatérale alternée (SBA). Il
convient de considérer la stabilisation comme un concept médical devant
réguler la pratique de la psychothérapie. L’expérience issue de la pratique
permet ainsi de combler les lacunes des lignes directrices issues de la
recherche et générales par définition. Ainsi être psychothérapeute ne devrait
pas se limiter à l’application de lignes directrices générales mais devrait
porter sur la rencontre avec une personne en souffrance et l’accompagnement
de cette personne vers la guérison, en se centrant sur ces ressources, et selon
les principes d’une prise en charge individualisée centrée sur le patient.

LE CONCEPT DE STABILISATION ADAPTÉ À L’EMDR


▶ Ce qui est nécessaire pour un retraitement efficace

Pour pouvoir faire un retraitement EMDR en sécurité et de manière efficace,


le thérapeute doit pouvoir s’assurer que le patient a certaines compétences
requises.
Le patient doit pouvoir se sentir à l’aise et en sécurité avec le thérapeute. En
effet lors de la phase de retraitement, le patient doit pouvoir retransmettre au
thérapeute les éléments qui ont émergé pendant les SBA afin que le
thérapeute puisse évaluer correctement l’évolution du retraitement. Si le
patient manque de confiance ou n’ose pas se confier à son thérapeute, cela
peut poser problème. Le thérapeute doit pouvoir être relativement sûr et
confiant que le patient pourra lui communiquer les éléments émergés avec
une bonne fiabilité.
Le patient doit pouvoir faire face à l’émergence possible d’émotions et de
sensations physiques intenses, de pensées et d’images hautement
perturbantes, de prises de conscience déstabilisantes. Le retraitement des
souvenirs pouvant être accompagné d’une péjoration transitoire des
symptômes, les patients devraient avoir précédemment acquis des moyens de
gérer ces symptômes, par exemple des attaques de panique, des accès de
colère, du désespoir, etc. Lorsque les patients utilisent des moyens auto-
dommageables pour la régulation émotionnelle (alcool, substances, abus de
médicaments, comportements excessifs divers, comportements auto-
dommageables), le thérapeute EMDR doit s’assurer que le patient a
précédemment acquis des comportements alternatifs pour faire face aux
perturbations émotionnelles afin d’éviter autant que possible une rechute. En
outre les patients particulièrement déconnectés aux niveaux émotionnel et
sensoriel doivent être préparés en ce sens aussi et, si possible, apprendre au
préalable à mieux se connecter à leurs émotions et sensations physiques.
Parfois des événements amnésiés, comme des violences sexuelles vécues
dans l’enfance, vont (re)venir à la conscience accompagnés de perturbations
émotionnelles et cognitives importantes. Le thérapeute doit s’assurer que le
patient puisse faire face à de telles perturbations, selon bien sûr les
hypothèses qu’il ou elle a posé pour tenter d’expliquer les troubles du patient.
Le thérapeute EMDR doit aussi s’assurer que des conditions médicales
n’empêchent pas un retraitement en toute sécurité. Par exemple des crises
d’épilepsie, des troubles neurologiques, des problèmes cardio-vasculaires ou
respiratoires peuvent amener le thérapeute à attendre une meilleure condition
médicale avant de procéder au retraitement grâce à l’EMDR.
Pendant le processus de retraitement adaptatif de l’information avec l’EMDR,
des connexions se font entre les éléments des souvenirs de l’événement
perturbant, stockés de manière dysfonctionnelle, et des éléments mnésiques
stockés de manière fonctionnelle. Ainsi, le thérapeute doit s’assurer que des
réseaux mnésiques comportant les ressources adaptatives existent, c’est-à-
dire que le patient peut se référer à des expériences positives pouvant être
activées en vue d’un retraitement adaptatif. Enfin il faut garder à l’esprit que
le retraitement par EMDR nécessite un niveau d’énergie important qu’un état
médical instable ou qu’un état de fatigue importante ne permet pas toujours.

▶ Évaluation de la stabilité du patient

L’évaluation de la stabilité des patients est subjective et intersubjective.


Comme c’est le thérapeute qui évalue l’état de stabilité du patient, cette
évaluation dépend des connaissances du thérapeute, de sa compréhension de
la situation passée et présente du patient, de sa propre régulation
émotionnelle, de son sentiment d’efficacité personnelle dans la contenance et
le soutien qu’il peut donner au patient et dans sa capacité à supporter des
émotions intenses chez autrui.
Dans son manuel Shapiro (2018) n’est guère diserte à ce sujet. Arne Hoffman
propose des critères plus objectivables pour tester la stabilité des patients et
s’assurer de l’état de préparation du patient pour faire le retraitement EMDR :
1. le test du quotidien : le patient est-il bien intégré dans sa vie
professionnelle, familiale et sociale ;
2. le test du lieu sûr : le patient parvient-il à faire l’exercice du lieu sûr de
manière satisfaisante ;
3. le test de la stimulation bilatérale : le patient arrive-t-il à supporter les
SBA ;
4. le test de l’anamnèse : le patient peut-il parler de sa vie, de son enfance et
de ses expériences de vie difficiles sans être débordé d’émotions ni se
couper des affects, et peut-il évoquer aussi des ressources.
Dans l’évaluation de la stabilité du patient ajustée au besoin de l’EMDR, on
s’assurera de la présence de réseaux de mémoire adaptatifs, c’est-à-dire de
ressources susceptibles de faciliter le retraitement des souvenirs traumatiques.

LA STABILISATION EN EMDR
▶ Développer une bonne alliance thérapeutique

Selon Shapiro (2018), le développement d’une bonne alliance thérapeutique


est un critère important dans la stabilisation des patients, mais elle ne décrit
pas comment cette alliance peut se mettre en place. Il convient donc d’utiliser
d’autres approches thérapeutiques pour cette tâche importante. Selon leur
approche de base (psychodynamique, systémique, comportementaliste, etc.)
les thérapeutes EMDR seront enclins à utiliser des moyens différents. Même
parmi les psychotraumatologues il peut exister des points de vue différents.
Avec des patients qui ont un attachement sécure et n’ont pas vécu de
trahisons de la part de leurs parents ou de thérapeutes précédents, développer
une bonne alliance thérapeutique ne prendra que quelques séances, voire
seulement une ou deux. Par contre, les patients qui ont vécu des maltraitances
et trahisons de la part de leurs parents ou d’autres personnes significatives ont
de la peine à faire confiance et à se reposer sur autrui. Soit ils sont très
méfiants, soit ils font trop facilement confiance et perdent tout jugement
critique qui pourrait permettre de guider la thérapie de manière optimale. Les
patients qui ont vécu des trahisons ou des maltraitances de la part d’autres
thérapeutes précédents ou qui ont vécu des échecs thérapeutiques répétés
auront aussi des difficultés à se sentir en confiance avec un nouveau
thérapeute, quand bien même ils sont venus avec l’objectif de faire de
l’EMDR. Les aider dans ces difficultés par l’EMDR en ciblant les situations
de trahison ou maltraitance pose problème puisqu’ils ont justement besoin
d’un minimum de confiance pour entrer dans le traitement EMDR à
proprement parler.
Pour suivre une thérapie EMDR il est nécessaire que le patient soit observant
quant à sa présence aux rendez-vous. L’EMDR demande en effet un suivi
régulier et des séances complètes, en particulier lorsque la phase 4 est
engagée. Il est donc important que le patient ait démontré auparavant qu’il
était capable d’un suivi régulier et de venir aux séances à l’heure.
SOLUTIONS POSSIBLES

Dans ces cas je recommande un travail de thérapie verbale en vue de développer une alliance suffisante avant de passer à
l’utilisation de l’EMDR en tant que telle. Un tel travail devrait avoir pour but de verbaliser les problématiques
relationnelles de manière générale et en particulier lorsqu’elles émergent en séance ; cela comprend aussi le respect du
cadre thérapeutique, comme le respect des horaires et de la charge financière.
Il faut aider le patient à différencier les réactivations dans le setting thérapeutique sur la personne du thérapeute de
problématiques relationnelles en lien avec des expériences adverses ou traumatiques du passé (transfert). Cela peut se faire
par une analyse des interactions qui ont lieu dans le cadre thérapeutique et dont le thérapeute est un témoin privilégié. Cette
analyse doit être respectueuse et compassionnelle. L’analyse du transfert et du contre-transfert est une source riche pour la
compréhension de cette phase de la thérapie (Piedfort-Marin, 2018). Alors que la thérapie EMDR tend à promouvoir les
actions thérapeutiques – le savoir-faire – il convient dans ces cas de valoriser le savoir être du thérapeute.

▶ Abandonner les comportements auto-dommageables

Les comportements auto-dommageables et excessifs comme l’abus d’alcool,


de substances ou de médicaments, d’autres abus ou excès comportementaux
comme le jeu excessif, une sexualité compulsive, etc., sont autant de signes
que le patient a des problèmes de régulation émotionnelle. Demander au
patient de diminuer ce comportement peut se révéler être un test intéressant.
Par exemple à un patient qui a des excès d’alcool lorsqu’il se sent
psychiquement mal, on lui demandera de limiter sa consommation d’alcool
en lui disant que cela cache sans doute un problème de régulation
émotionnelle et que l’EMDR nécessite une certaine régulation des affects. Le
thérapeute teste ainsi la capacité du patient à se passer d’alcool et il teste
aussi sa motivation cibler les traumatismes avec l’EMDR.
Dans les cas de séquelles plus graves, comme des comportements auto-
dommageables, voire auto-agressifs, le thérapeute devra être attentif, au-delà
d’une difficulté patente de régulation des affects, à un possible trouble
dissociatif sous-jacent, ce qui impliquerait des mesures de stabilisation
spécifiques. La thérapie comportementale dialectique (Linehan, 2017) peut
être une approche intéressante pour apprendre aux patients à gérer leurs
émotions autrement que par des actes auto-dommageables comme des
scarifications ou des brûlures. Dans tous les cas, une analyse des situations où
ces comportements ont lieu permettra au thérapeute et au patient de mieux
comprendre ces symptômes, premier pas vers une meilleure gestion. Par la
suite ces symptômes pourront aussi faire l’objet d’un plan de ciblage,
manière structurée de comprendre l’origine d’un symptôme tout en préparant
la phase de la thérapie qui sera dédiée au retraitement EMDR en tant que
telle.
SOLUTIONS POSSIBLES

Informer le patient que l’EMDR nécessite une baisse ou un arrêt de la consommation d’alcool, de substance ou de
médicament, puis observer sa compliance. Selon la sévérité de ces excès, un travail de modification comportementale
associée à une bonne motivation vont amener à un état satisfaisant, alors que dans les cas graves une approche
addictologique s’avérera nécessaire.
Dans les cas de comportements auto-dommageables et en l’absence de trouble dissociatif (sévère), on pourra opter pour
une phase de thérapie comportementale dialectique selon Linehan ou de thérapie cognitivo-comportementale dans le but de
diminuer les symptômes et de donner au patient plus de contrôle sur ceux-ci.
L’utilisation de la technique EMDR de l’éponge (ou technique d’absorption) peut s’avérer très intéressante pour activer des
ressources qui aideront le patient à faire face à des comportements problématiques en vue de les surmonter.

▶ Améliorer la régulation émotionnelle

Les difficultés de régulation émotionnelle peuvent prendre des formes très


différentes et avoir divers degrés de sévérité. Leurs évaluations sont une
difficulté majeure en psychotraumatologie, et donc aussi en EMDR. Parfois
c’est en retraitant un traumatisme avec l’EMDR que l’on se rend compte que
le patient n’est pas encore prêt et qu’il n’a pas encore les capacités suffisantes
pour réguler ses affects pendant le retraitement ou entre les séances.
SOLUTIONS POSSIBLES

Exercice du lieu sûr ou du lieu calme


Exercice du contenant (ou du coffre-fort)
Exercice du faisceau lumineux
Exercices hypno-imaginatifs comme par exemple « Déposer ses bagages »
Cohérence cardiaque
Pratique de la pleine conscience
Méditation
Yoga
Neurofeedback

L’exercice du lieu sûr peut être un bon test pour s’assurer que le patient a
bien internalisé un sentiment de sécurité intérieur. En demandant à un patient
s’il peut visualiser un lieu connu synonyme de sécurité, on va découvrir s’il a
à disposition (dans ses réseaux mnésiques) le concept de sécurité dans la
réalité. On va aussi découvrir si le lieu sûr est attaqué par des monstres et des
animaux menaçants ou encore des êtres humains agressifs, signes que le
patient n’a pas de sentiment interne de sécurité. Ou encore si le patient a
besoin d’un accompagnant dans son lieu sûr, comme un animal ou un être
humain connu ou imaginaire ; cela peut signifier que cette personne a
internalisé le sentiment de sécurité, mais pas seul. Selon la problématique
traitée cela impliquera des choix cliniques différents. Certains patients,
malgré un passé traumatique sévère, arrivent à s’imaginer un lieu sécure dans
lequel ils peuvent être seuls et le thérapeute peut observer une bonne détente
physiologique ; on peut alors en conclure à une meilleure résilience chez ces
patients, et pronostiquer un processus thérapeutique plus aisé.
Selon les différents cas de figure, on recommandera une pratique régulière
entre les séances de l’exercice du lieu sûr, ne serait-ce que pour contrôler que
la notion de sécurité interne soit stable.
D’autres exercices hypno-imaginatifs peuvent aider le patient à développer
ses capacités de régulation émotionnelle. L’exercice du contenant (ou coffre-
fort) est un classique : on demande au patient de mettre les éléments
perturbants comme des images dans un contenant, par exemple un coffre-fort,
puis de fermer celui-ci à clé et de décider où on veut le mettre. Cet exercice
pourra être utilisé pendant le retraitement EMDR si le patient est submergé
par des éléments du trauma.
L’exercice du faisceau lumineux peut aussi aider le patient à apaiser des
sensations physiques, des douleurs ou des émotions perturbantes. On
demande au patient de se concentrer sur la sensation désagréable. On lui
demande de donner une forme à cette sensation, de décrire cette forme, sa
couleur, sa taille. Ensuite on lui demande quelle couleur est associée à la
guérison. On lui demande d’imaginer qu’un faisceau lumineux de cette
couleur, venant d’une source inépuisable dans le cosmos, se dirige vers la
forme, entre en elle et/ou vibre autour d’elle ou en elle. Il arrive souvent que
la forme change alors de taille ou de couleur et que la sensation perd en
intensité. Il existe différentes versions de cet exercice et le thérapeute pourra
l’adapter à chaque patient.
« Déposer les bagages » est un récit métaphorique qui peut être très aidant
(Piedfort-Marin & Reddemann, 2016). On invite le patient à s’imaginer
marcher dans un paysage vallonné puis arriver sur un plateau. On invite alors
le patient à arrêter sa marche et à déposer ses bagages, puis à prendre un
chemin qui l’amène vers un lieu ressourçant. Lorsqu’il a repris assez de force,
il retourne vers l’endroit où il avait laissé ses bagages. Un être bienveillant
apparaît et lui donne un cadeau. Le thérapeute encourage sans excès le patient
à garder le cadeau et à remercier l’être bienveillant. Puis il doit décider quels
bagages il reprend avec lui pour la suite de sa marche. Le thérapeute adaptera
cet exercice en fonction de ce qu’il connaît du patient.
Il existe de très nombreux exercices hypno-imaginatif et la créativité des
thérapeutes et des patients offre des possibilités illimitées. Le développement
de l’auto-compassion me semble une ressource indispensable pour la phase
de confrontation aux souvenirs traumatisants. Cela peut être acquis par des
exercices d’apaisement de l’enfant intérieur blessé (cf. chapitre 18 « EMDR
et thérapie des états du moi »).
Des techniques comme la cohérence cardiaque, la pleine conscience, le yoga,
la méditation ou encore le neurofeedback peuvent aussi aider les patients à
augmenter leur capacité de régulation émotionnelle. On sera néanmoins
prudent avec la méditation et la pleine conscience. En guidant le patient à se
concentrer sur ses sensations physiques, on peut rendre la personne plus en
contact avec des symptômes dont elle n’avait pas conscience jusqu’alors et
cela peut en déstabiliser certaines.
▶ Développer l’accès aux ressources

Comme on l’a vu l’accès aux ressources est essentiel pour une thérapie
EMDR. Certains patients – par exemple des personnes dépressives – ont
l’impression qu’ils n’ont pas de ressources. Les personnes émotionnellement
labiles ou à traits histrioniques peinent à garder leur attention sur les choses
positives de leur vie. Par ailleurs certaines personnes, de part un vécu carencé
et/ou traumatique sévère, ont effectivement peu de ressources. Le thérapeute
doit alors aider le patient à reconnaître les ressources qu’il a déjà, puis à
l’aider à développer de nouvelles ressources. Il convient de faciliter
l’internalisation des ressources, ce qui facilite alors un renforcement du moi.
Il faut parfois commencer par aider le patient découvrir ses ressources, par
exemple en lui faisant observer son quotidien pour y découvrir les petits
moments de bonheur. Des exercices hypno-imaginatifs peuvent aider à créer
au développement de ressources et au renforcement du moi. Avec l’EMDR,
en particulier par des SBA lents, on peut renforcer ses moments de ressources
afin qu’ils s’ancrent davantage, c’est-à-dire qu’on renforce les réseaux
mnésiques qui portent ces expériences et ces ressentis. Il en ressort souvent
des états émotionnels adaptatifs et des cognitions positives. En l’absence de
ressources on aidera le patient à s’identifier à des personnes qui possèdent les
ressources qu’il souhaite voir se développer en lui.
Enfin de nombreuses procédures ont été proposées qui intègrent l’EMDR
avec la thérapie des états du moi ou d’autres approches (par exemple Phillips,
2008/2017 ; Knipe, 2008/2017).
SOLUTIONS POSSIBLES

Pour renforcer l’accès aux ressources, on peut demander au patient de tenir un journal des joies ou un journal des
expériences positives du quotidien. Puis en séance le thérapeute demande au patient de choisir un des événements positifs
de la semaine et le renforcera avec des stimulations lentes. Dès que le patient passe à un élément négatif, le thérapeute le
recentre sur l’événement positif. Peu à peu le thérapeute aidera le patient à mettre à jour les émotions agréables et par la
suite des cognitions positives. L’objectif de cette procédure est d’entraîner le patient à se concentrer sur du positif et à
stopper tout passage à un élément négatif. Ce procédé est particulièrement utile pour les patients émotionnellement labiles.
Développement et installation des ressources (RDI ou DIR en anglais), de Korn et Leeds (2002).
Exercices hypno-imaginatifs pour le renforcement du moi : exercice de l’arbre, exercice des cinq éléments, exercice du
jardin intérieur (Piedfort-Marin & Reddemann, 2016).

L’évaluation de l’état de stabilité du patient traumatisé est un défi pour nombre de psychothérapeutes EMDR. Comme
chaque cas est différent, il convient de se baser sur des principes de base pour guider une pratique EMDR à la fois efficace
et précautionneuse. En thérapie – en donc aussi en thérapie EMDR – les blocages et impasses ont souvent comme origine
l’oubli de principes de base. Ce chapitre permettra aux thérapeutes EMDR de se situer par rapport à ces principes et leur
donnera des outils pour penser un traitement respectueux et favoriser un retraitement efficace par l’EMDR.

BIBLIOGRAPHIE

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Healing the heart of trauma and dissociation with EMDR and Ego State
Therapy. New York, Springer. Edition française : (2017). Guérir le
traumatisme et la dissociation avec l'EMDR et la thérapie des États du
Moi, Bruxelles, SATAS.
Chapitre 3

Lieu sûr/lieu calme


et installation de ressources

Marie-Jo Brennstuhl, Hélène Dellucci

Le travail en thérapie EMDR nécessite au préalable un temps de stabilisation et de régulation, comme nous l’avons vu dans
le chapitre précédent.
Des outils viennent compléter ces pré-requis. En effet, la thérapie EMDR ne se réduit pas aux mouvements oculaires, mais
propose une prise en charge globale et intégrative, ainsi qu’un temps de préparation avant de pouvoir entamer le travail de
désensibilisation et de retraitement de l’information.
L’installation d’un lieu sûr est en soi une étape nécessaire, faisant partie intégrante de la thérapie EMDR.
Ce protocole peut tout à fait être complété par des protocoles d’installation de ressources qui seront utiles à différents
temps du traitement.

LIEU SÛR/LIEU CALME


▶ Introduction

La recherche et l’installation d’un lieu sûr n’ont pas été inventées en même
temps que la thérapie EMDR. L’hypnose et les TCC, par exemple, utilisent
également cette méthode.
L’objectif principal est de créer un lieu de sécurité, un ancrage, un refuge ou
même un signe-signal qui permettra au patient, à chaque fois que cela est
nécessaire, avant, pendant ou après la séance, de pouvoir s’apaiser en
réactivant une ressource, lorsqu’il est submergé par ses émotions.
Il paraît alors fondamental que ce « lieu sûr ou lieu calme » soit bien installé
au préalable du traitement, afin que cette sécurité fasse partie des bases
fondamentales de la thérapie.
L’objectif est de créer un conditionnement qui va permettre au patient, s’il a
été suffisamment été exercé, de réactiver la réponse de sécurité et de
relaxation ressentie dans le lieu sûr, à chaque fois qu’il en aura besoin.
Un lieu sûr bien installé va permettre de rassurer le patient et de le mettre en
confiance pour la suite de la thérapie. Il y aura toujours un endroit vers lequel
il pourra se tourner si l’exposition aux symptômes traumatiques est trop
intense.
L’installation du lieu sûr permet également d’introduire les Stimulations
Bilatérales Alternées dans la relation thérapeutique, sans aborder d’affects
perturbants.

▶ Protocole

Afin de créer ce principe d’ancrage, le protocole du lieu sûr va allier


différents éléments sensitifs, kinesthétiques, olfactifs, visuels et / ou auditifs,
en lien avec la sensation de relaxation induite.
Il sera alors demandé au patient de choisir un lieu qui évoque pour lui le
calme et la sécurité. Bien sûr, ce lieu peut être réel, imaginaire, passé ou
actuel.
Il faut néanmoins éviter que ce lieu soit perturbé par des personnes ou des
souvenirs négatifs et il est nécessaire de bien vérifier qu’il ne déclenche que
des sensations positives.
Si le patient ne dispose pas d’un lieu sûr, il est tout à fait possible de l’aider à
le construire en lui suggérant des endroits qui peuvent être calmes et
sécurisants pour d’autres : des paysages de mer ou de montagne, des endroits
« cocoon »…
La sensation de sécurité n’est pas toujours innée ou facile à obtenir,
notamment chez les patients traumatisés complexes. L’étape du lieu sûr est
donc une première étape de vérification sur le niveau de stabilisation du
patient. Tant que le lieu sûr n’est pas installé, cela est le signe qu’il est trop
tôt pour aborder le travail sur le trauma pour l’instant, et qu’un temps de
réassurance et de sécurisation sera nécessaire avant de poursuivre.
Lorsque le lieu a pu être sélectionné, il s’agira de prendre un temps pour bien
le définir et surtout identifier les ressentis et sensations positives qui
émergent lorsque l’on s’imprègne de cet endroit.
Afin de créer une réponse conditionnée, ce lieu sûr ainsi que les sensations
corporelles qu’il procure, seront associés à un mot-clé, choisi par le patient
(exemple : calme, sérénité, paix, montagne, vacances…). La répétition de ce
mot-clé va permettre l’ancrage et l’association du mot et de l’état.
Des stimulations bilatérales alternées lentes permettent de soutenir et
d’appuyer cet ancrage.
Une fois le lieu sûr défini et installé, il est important de vérifier s’il est
suffisamment solide pour aider à faire face aux situations de stress et
d’émotions négatives.
Pour cela, il est demandé au patient de laisser revenir de petits éléments
stressants ou négatifs du quotidien à sa conscience. Une fois la perturbation
perceptible, le patient pourra réactiver son lieu sûr en utilisant le mot-clé, et
laisser revenir les sensations positives de calme et de sécurité.
Cette étape de l’exercice permet d’une part de vérifier que le lieu sûr
fonctionne et est solidement installé, mais permet d’autre part de venir
renforcer la confiance en soi de l’individu et ses capacités à faire face aux
émotions qui pourraient le submerger.
Le patient est ensuite invité à s’exercer entre les séances, à domicile, afin de
continuer l’installation et l’ancrage du lieu sûr, ainsi qu’à le tester in-vivo sur
des situations quotidiennes.
Le lieu sûr / calme une fois installé, pourra être utilisé en début de traitement,
pour calmer des abréactions, pour clôturer une séance incomplète ou pour
que le patient puisse s’auto-réguler entre les séances.
PROTOCOLE D’INSTALLATION DU LIEU SÛR / CALME

Image : « Je voudrais que vous pensiez à une expérience que vous avez eue, ou à un endroit où vous avez été, ou à un
lieu imaginaire où vous vous sentez calme et en sécurité. Peut-être sur une plage ou à la montagne, ou en faisant une
activité que vous aimez.
« Quelle image représente cet endroit ? Décrivez ce que vous voyez. »
Émotions et sensations : « Quand vous pensez à cet endroit sécurisant, à cette expérience, notez ce que vous voyez,
entendez et ressentez. Quelles émotions ressentez-vous ? Où ressentez-vous cela dans votre corps ? »
Accentuation : « Concentrez-vous sur ce lieu sécurisant et calme, ses vues, bruits, odeurs, et les sensations dans votre
corps. Dites-moi ce que vous notez. »
SBA : « Laissez venir l’image de cet endroit sécurisant et calme.
Concentrez-vous sur la sensation agréable dans votre corps et permettez-vous d’en profiter.
Maintenant, concentrez-vous sur ces sensations et suivez mes doigts des yeux (4-8 SBA lentes).
Comment vous sentez vous maintenant ? »
Si positif : « Concentrez-vous sur cela. (SBA). Comment vous sentez vous maintenant ? »
Si négatif : Diriger l’attention du patient loin de l’image, mettre de côté les parties négatives et retourner au positif. Si
cela est possible, dire « Concentrez-vous sur cela. (SBA). Qu’est-ce que vous remarquez maintenant ? »
Si cela n’est pas possible, alors identifier avec le patient un autre lieu sûr / calme en vous assurant qu’il n’y a pas
d’associations avec des personnes.
Utiliser d’autres exercices comme la pleine conscience ou un exercice de respiration.
Mot-clé : « Y a-t-il un mot ou une expression qui représente cet endroit sécurisant et calme ?
Pensez à _____ et notez les émotions et sensations agréables que vous ressentez quand vous pensez à ce mot. »
« Maintenant, concentrez-vous sur ces sensations et le mot-clé et suivez mes doigts. » (4-8 SBA lentes).
« Comment vous sentez-vous maintenant ? »
Répétez et augmentez les sentiments positifs avec des séries de SBA tant que l’expérience continue à se renforcer.
Auto-réplique : « Maintenant, répétez ce mot _____ et notez comment vous vous sentez. »
Réplique avec dérangement : « Et maintenant, laissez venir une situation légèrement perturbante (SUD 1-2) et les
sensations qui l’accompagnent. Notez les changements qui interviennent dans votre corps lorsque vous laissez venir ce
mot _____. Que remarquez-vous maintenant ? »
Auto-réplique avec dérangement : « Maintenant je voudrais que vous pensiez à une autre situation légèrement
perturbante (SUD 2-3). Notez à nouveau les changements qui interviennent dans votre corps lorsque vous pensez à ce
mot. »
Exercer de manière autonome : « Je voudrais que vous effectuiez cet exercice à plusieurs reprises d’ici notre
prochaine séance, et surtout, à chaque fois que vous vous sentiez gêné(e). »
« Notez dans votre journal les déclencheurs, les images, les croyances, les émotions et les sensations que vous avez
eues et nous en parlerons lors de notre prochaine rencontre. »

INSTALLATION DE RESSOURCES
▶ Introduction

L’installation du lieu sûr / calme est une étape fondamentale de la thérapie


EMDR. Nécessaire, mais pas toujours suffisant.
Il est parfois important – en fonction des patients et des problématiques – de
venir renforcer les ressources de l’individu, voire tout simplement de les
développer !
Cela permet d’avoir accès aux réseaux de mémoires adaptatifs, ou d’en créer.
Il sera alors plus facile pour le patient de faire face aux affects négatifs dans
sa vie quotidienne, mais aussi en lien avec le traitement.
Il s’agit alors de booster et de renforcer la confiance en ses capacités, de
développer des stratégies de coping plus adaptées, ainsi que son sentiment
d’efficacité personnelle.

▶ Protocole de développement d’installation de ressources (DIR)

Le protocole de développement et d’installation de ressources (DIR) a pour


objectif d’identifier et renforcer des ressources positives (confiance,
compétence, maîtrise…) pour faire face de manière adaptée à certaines
situations.
Généralement, les ressources se situeront dans trois domaines :
Ressources de maîtrise : ressources permettant de faire face à des
situations ou expériences difficiles (compétence, fierté, confiance, force,
compassion…)
Ressources relationnelles : ressources permettant au patient d’interagir
de manière plus adaptée avec l’environnement et les autres (persévérance,
courage, franchise…)
Ressources symboliques : ressources issues de personnages symboliques,
animaux, nature…
Le protocole DIR peut être répété et appliqué à différents moments de la
thérapie EMDR, dès qu’une ressource sera nécessaire à la poursuite du
travail, ou même pour installer une ressource qui vient d’être « gagnée »
après le travail sur une cible et l’installation d’une Cognition Positive
(CP).
Les ressources installées deviennent ensuite de véritables aides au
traitement, qui peuvent être utilisées en stabilisation, lors d’une abréaction,
pour favoriser le tissage cognitif, pour faciliter la clôture d’une séance
incomplète etc.
PROTOCOLE DE DÉVELOPPEMENT ET INSTALLATION DE RESSOURCES (DIR)

Identifier la situation spécifique :


« Dans quelle situation spécifique aimeriez-vous être capable de réagir de façon plus positive / efficace ? »
Identifier la qualité :
« De quelle qualité avez-vous besoin ou avez-vous le plus besoin lorsque vous pensez à _____ ? »
ou « Comment aimeriez-vous vous sentir afin d’être capable de mieux réagir (face à cette situation difficile) ? »
Identifier l’expérience de cette ressource :
« Vous rappelez-vous un moment où vous avez incarné cette qualité ? »
ou « Vous rappelez-vous un moment où vous avez observé cette qualité chez quelqu’un ou au travers de quelque
chose ? »
Image :
« Décrivez cette expérience. »
« Quelle image représente le mieux cette qualité ? »
Émotions et sensations :
« Lorsque vous pensez à cette ressource positive, remarquez-vous les images, les sons, les odeurs, les goûts. Que
remarquez-vous ? »
Renforcer :
« Concentrez-vous sur cette expérience positive, les images, les sons, les odeurs, les goûts, et remarquez où dans votre
corps vous avez déjà un peu de cette qualité. »
« Prenez le temps de ressentir cette expérience. »
« Dites-moi ce qu’il en est. »
Renforcer la ressource avec des SBA :
« Entrez en contact avec l’image de cette ressource (qualité) et concentrez-vous sur la sensation corporelle. Autorisez-
vous à ressentir cela pleinement. »
« Restez en contact avec cela et suivez mes doigts. » (8-10 SBA lentes)
« Comment est-ce maintenant ? »
Si c’est positif : « Continuez avec ça. (SBA lentes). « Que remarquez-vous maintenant ? »
Répéter avec plusieurs séries de SBA, jusqu’à ce que la ressource soit complètement installée.
Si c’est négatif : rediriger l’attention du patient sur une autre expérience associée à cette ressource ou envisager une
autre ressource.
Mot-clé :
« Y a-t-il un mot ou une expression qui représente cette ressource positive ? »
« Pensez à _____ et notez les sensations agréables que vous ressentez quand vous pensez à ce mot. »
« Maintenant, concentrez-vous sur ces sensations et le mot-clé et suivez mes doigts. » (8-10 SBA lentes)
« Comment vous sentez vous maintenant ? »
Répéter avec plusieurs séries de SBA lentes jusqu’à ce que cela soit complètement renforcé.
Auto-réplique :
« Maintenant, je voudrais que vous laissiez revenir ce mot (ou cette expression et que vous notiez comment vous vous
sentez. »
Projection dans le futur en utilisant la ressource positive :
« Maintenant, imaginez une situation que vous voudriez mieux gérer ou dans laquelle vous voudriez réagir de façon
plus efficace. Imaginez un film ou vous pourriez vous voir réagir comme vous le souhaitez en utilisant votre
ressource. Que remarquez-vous maintenant ? »
Ajouter plusieurs séries de SBA lents jusqu’à ce que le scénario souhaité ait été définitivement établi.
La longueur des séries peut varier en fonction de la capacité du patient à rester en contact avec la réponse souhaitée
sans activer une association négative.
Il est aussi possible d’installer cela petit à petit, un segment de l’expérience à la fois, afin de minimiser une
contamination éventuelle.
Projection dans le futur avec dérangement (optionnel) :
« Maintenant, pouvez-vous imaginer un défi qui pourrait survenir dans cette situation ? Regardez le film et imaginez-
vous réagissant comme vous le souhaitez en utilisant votre ressource. Que remarquez-vous ? »

▶ Technique de l’éponge
La technique de l’éponge s’utilise généralement pour faire face à des
situations stressantes. Il s’agit d’aider à la stabilisation du patient, mais aussi
de le maintenir dans sa fenêtre de tolérance.
Cette technique d’absorption des affects négatifs et de la perturbation peut
s’utiliser dans de nombreuses situations afin d’aider le patient à développer
ses ressources pour faire face.
Cette technique peut également être utile en début de séance afin de diminuer
du stress ou des perturbations autres qui pourraient venir entraver ou retarder
le retraitement qui doit se poursuivre sur une cible en cours.
TECHNIQUE DE L’ÉPONGE

1. Chercher une situation stressante :


Cherchez une situation stressante dans la vie quotidienne et demandez le SUD.
3. Chercher trois qualités :
« De quelles qualités auriez-vous besoin pour mieux faire face à ce stress ? »
Rassemblez trois qualités spécifiques comme : force, calme intérieur, capacité à mettre des limites, etc.
-
-
-
9. Choisir une qualité :
« Avec quelle qualité aimeriez-vous commencer ? »
Prenez la qualité que le patient choisit, ou qui évoque chez le patient le plus d’affects.
12. Chercher une situation / expérience :
« Y a-t-il eu une situation dans laquelle vous avez remarqué que vous disposiez déjà un peu de cette qualité ? »
Laissez le patient décrire clairement une situation dont il se souvient et pour laquelle il montre quand même quelques
réactions positives.
15. Image :
« Quelle est l’image qui décrit le mieux cette situation ? »
Cherchez l’image qui évoque le plus cet affect.
18. Émotions et sensations :
« Lorsque vous pensez à cette ressource positive, remarquez-vous les images, les sons, les odeurs, les goûts ? Que
remarquez-vous ? »
« Concentrez-vous sur cette expérience positive, les images, les sons, les odeurs, les goûts et remarquez où dans votre
corps vous avez déjà un peu de cette qualité ? »
« Prenez le temps d’intensifier cette expérience. »
22. Renforcer :
« Entrez en contact avec l’image _____ et la sensation corporelle. Êtes-vous en contact ? »
Si oui : « Restez en contact avec cela et suivez mes doigts » – SBA.
Faites une série de 4-6 SBA lentes et demandez ensuite « Comment est-ce maintenant ? »
Demandez de manière ciblée s’il y a un changement dans la sensation corporelle.
Lorsque celle-ci est devenue plus forte, faites encore une série.
S’il y a un pont d’affect vers du matériel négatif, cherchez une autre situation dans laquelle le patient disposait de cette
qualité.
29. Faire les étapes 3 à 7 pour les trois qualités.
30. Renforcer le contact avec les trois qualités :
« Entrez en contact avec les sensations corporelles de la première qualité, gardez cette sensation dans le corps. Ajoutez
les sensations corporelles qui vont avec la seconde qualité. Maintenant, ajoutez les sensations corporelles qui vont
avec la troisième qualité. Êtes-vous en contact avec tout ça ? »
Si oui : SBA lentes.
33. Réévaluer le SUD :
« Laissez revenir à nouveau la situation stressante _____ et remarquez à combien elle vous paraît perturbante
maintenant de 0 à 10 ? »
Normalement le SUD est nettement plus bas.
Nouveau SUD :

La thérapie EMDR est une psychothérapie intégrative qui permet une désensibilisation et un retraitement de l’information
traumatique.
Pour réaliser ce retraitement, il est nécessaire de venir stabiliser le patient, mais aussi de le préparer à se confronter au
matériel traumatique et d’augmenter ses capacités de faire face.
Pour cela, l’installation d’un lieu sûr / calme ainsi que le renforcement et le développement des ressources à travers le DIR
ou la technique de l’éponge viennent accompagner et compléter le travail en EMDR.
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Chapitre 4

Indications et contre-indications de
l’EMDR

Emmanuel Augeraud

L’EMDR est reconnu et validé par la médecine basée sur les preuves (INSERM, 2004 ; HAS, 2007 ; OMS, 2013) comme
étant le traitement psychologique de choix du Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT) au même titre que le « gold
standard » que sont les thérapies cognitivo-comportementales (Seidler & Wagner, 2006 ; Chen et al., 2015 chez l’adulte ;
Gillies et al., 2013 chez l’enfant).

Ce chapitre va tenter de répondre aux questions suivantes :


La thérapie EMDR a-t-elle d’autres indications que le TSPT ?
Existe-t-il des contre-indications ? Si oui quelles sont-elles ?

INDICATIONS

Lorsque l’on évoque un TSPT, on parle de conséquences de traumatismes. Le


TSPT est la seule pathologie psychiatrique du DSM 5 (APA, 2013) qui a une
cause connue, un ou plusieurs traumatismes. Il convient de mentionner que
les événements traumatiques se divisent en deux groupes distincts selon les
caractéristiques propres de l’événement causal (Terr, 1991). Les événements
de type I qui représentent généralement des événements soudains, inattendus
et d’une durée limitée comme un accident, un sinistre ou encore un désastre
naturel. Les événements de type II sont habituellement de longue durée,
répétitifs, cumulatifs, souvent infligés volontairement par un être humain et
peuvent être davantage anticipés par les victimes. Il s’agit par exemple de
violence conjugale, d’abus physiques ou sexuels, de torture ou encore
d’expériences de combat.
La psychologue Américaine Eldra Solomon et sa collègue criminologue
Kathleen Heide distinguent une troisième catégorie de trauma (Solomon &
Heide, 1999). Ces traumas de type III désignent des événements multiples,
envahissants et violents présents durant une longue période de temps. Ils sont
induits par un agent stressant chronique ou abusif, par exemple : les camps de
prisonniers de guerre et de concentration, la torture, l’exploitation sexuelle
forcée, la violence et les abus sexuels intrafamiliaux, etc.
Si les traumas de type I peuvent avoir pour conséquence un TSPT, les
traumas de type II et III, dits aussi traumas complexes ou développementaux,
peuvent avoir, quant à eux, une expression psychopathologique variée et
appartenant à quasi toute la nosographie psychiatrique du DSM.
Ainsi chercheurs et cliniciens ont traité avec l’EMDR différents troubles
psychiatriques.
C’est le cas pour des sujets souffrant (liste non exhaustive) :
de troubles psychopathologiques dont
des troubles anxieux comme les phobies (De Jongh et al., 2002), le trouble
anxieux généralisé (Gauvreau & Bouchard, 2008), le trouble panique
(Fernandez & Faretta, 2007 ; Feske & Goldstein, 1997), le trouble
obsessionnel compulsif (Marr, 2012)
des troubles de l’humeur
unipolaire chez l’adolescent (Bae et al., 2008) et chez l’adulte
(Hofmann et al., 2014 ; Hase et al., 2015)
bipolaire (Oh & Kim, 2014) chez l’adulte
de troubles psychotiques (De Bont et al., 2013 ; Croes et al., 2014 ; Van
den Berg et al., 2015)
de troubles de la personnalité comme le trouble de la personnalité limite
(Brown & Shapiro, 2006 ; Mosquera et al., 2014), le trouble de la
personnalité narcissique (Mosquera & Knipe, 2015) ou la personnalité
dissociative (Lazrove & Fine, 1996) et autres pathologies complexes de la
personnalité (Fensterheim, 1996)
d’addictions
avec substance (Hase et al., 2008 ; Zweben & Yeary, 2006 ; Carletto et al.,
2017)
sans substance
comme le jeu (Henry, 1996)
comme le sexe (Cox & Howard, 2007)
de troubles somatiques et somatoformes
comme la douleur
du membre fantôme (Schneider et al., 2008 ; Brennstuhl et al., 2017)
chronique (Grant & Threlfo, 2002 ; Friedberg, 2004 ; Mazzola et al.,
2009)
comme la dysmorphophobie (Brown et al., 1997)
comme certaines dermatoses (Gupta & Gupta, 2002)
comme certains troubles sexuels (Leiblum & Wiegel, 2002)
de deuils (Solomon & Rando, 2007)
de traumatismes :
récents
désastres naturels (Natha & Daiches, 2014 ; Fernandez, 2008)
terrorisme (Coletti & Patterson, 2008)

de guerre (Silver & Rogers, 2002)
sexuels (Edmond et al., 1999)

Mais, l’EMDR semble aussi efficace pour développer de bons souvenirs
(Keller et al., 2014) ou la compassion (Kennedy, 2014), en psychologie
positive (Tarquinio & Tarquinio, 2015) et pour renforcer/optimiser les
performances (Foster & Lendl, 1995).
Ces indications s’étendent de l’enfant et l’adolescent (Tinker & Wilson,
1999 ; Tufnell, 2005) au sujet âgé (Thomas & Gafner, 1993), en individuel,
en couple (Protinsky et al., 2001) et en groupe (Zaghrout-Hodali et al., 2008).
Cependant s’il est théoriquement possible de traiter en EMDR tous ces
troubles et que des rapports de cas font état de son efficacité pour les
indications sus-citées, la recherche ne l’a pas encore forcément mis en
évidence par des études randomisées contrôlées. De plus, les mécanismes
démontrant l’efficacité de l’EMDR n’ont pas encore complètement été mis à
jour.

CONTRE-INDICATIONS

Plutôt que de contre-indications nous parlerons de précautions à prendre


avant de procéder à un traitement en EMDR.
Il s’agira :
d’établir avec le patient une bonne relation thérapeutique (Dworkin, 2005)
de s’assurer que le patient a les ressources nécessaires pour gérer le stress
en relation avec le traitement. Le patient doit avoir des moyens de dissiper
des perturbations éventuelles pendant et après les séances d’EMDR. Après
cette évaluation, les praticiens EMDR apprennent aux patients différentes
techniques (Shapiro, 2012) dont le lieu sûr, le conteneur, le faisceau
lumineux…
d’évaluer le patient sur d’éventuels troubles dissociatifs (Paulsen, 1995).
Une préparation spécifique concernant les patients présentant des troubles
dissociatifs est nécessaire pour stabiliser et permettre d’accéder aux
souvenirs cibles en maintenant une attention double
d’identifier et de s’adapter à d’éventuels bénéfices secondaires des patients
de prendre des précautions en cas :
de troubles de l’usage de substances psychoactives qui peuvent gêner le
traitement adapté de l’information lors du protocole EMDR
de ce qu’on appelle la létalité en psychiatrie. Il s’agit d’idéation et ou
velléités suicidaires et de l’intentionnalité d’actes hétéro-agressifs ou idées
de violence. Devant ces dangers éventuels envers soi et/ou un tiers,
l’hospitalisation sans consentement pourra s’imposer. On comprend bien
que dans de telles situations la thérapie ne peut être débutée
de comportements auto-mutilatoires qui, pour certains auteurs,
correspondent à des gestes dissociatifs. Ces actes doivent être apaisés
avant de pratiquer l’EMDR
d’état de santé physique précaire ou de complications somatiques
de troubles neurologiques et cognitifs incompatibles avec un travail
psychothérapeutique
de troubles ophtalmologiques étant donné que l’EMDR utilise les
mouvements oculaires. Néanmoins d’autres formes de stimulations
bilatérales alternées que les mouvements oculaires peuvent être employées
de grossesse. Il s’agira là d’assurer la sécurité psychologique de la mère et
par là même du fœtus
de considérer les éventuels traitements psychotropes en cours notamment
les benzodiazépines. Ces dernières, par leur action (indésirable)
amnésiante, bloquent le traitement adaptatif de l’information.

RÉACTIONS INDÉSIRABLES POSSIBLES

Néanmoins, que peut-il se produire si les précautions citées au paragraphe 2


ne sont pas respectées ? Et même si ces précautions sont respectées, peut-il se
produire des réactions indésirables ?
En plus des réponses à ces interrogations cette section indiquera des solutions
à apporter.
La littérature fait état de peu « d’effets indésirables » de l’EMDR. C’est
rassurant mais restons circonspects lorsque notamment dans leur méta-
analyse J. Bisson (Bisson et al., 2007) ne rapportent pas d’effet indésirable de
l’EMDR (ni de l’exposition prolongée d’ailleurs) sur 38 essais cliniques
contrôlés.
Citons par exemple A. Brunet (Brunet, 2002) qui expose un état dissociatif
sévère après une séance d’EMDR réalisée par un praticien certifié chez un
vétéran qui ne présentait aucun signe dissociatif avant-coureur ou prise
médicamenteuse ou de substance psychoactive pouvant interagir.
Citons aussi le rapport de cas de R. Kaplan et V. Manicavasagar (Kaplan &
Manicavasagar, 1998) qui présentait des troubles dissociatifs.
Enfin, une analyse très documentée mais non publiée de L. Gaston pose
l’hypothèse que l’EMDR induirait un mécanisme dissociatif et pourrait
expliquer les effets indésirables possibles, parfois sévères et pouvant
persister, retrouvés par l’expérience des praticiens EMDR (Shapiro, 2001).
Ils sont par ordre de sévérité croissante :
l’apparition imprévisible d’abréactions
l’apparition de symptômes dissociatifs qui peuvent persister
Le premier cas correspond à un haut niveau de perturbation émotionnelle et
affective qui survient en général au court du traitement par la thérapie EMDR
lorsque le patient réactive les souvenirs d’un épisode traumatique du passé.
L’erreur la plus fréquente serait d’arrêter le retraitement pensant interrompre
l’abréaction. Tant le patient que le thérapeute doivent développer une bonne
tolérance aux affects pour permettre au patient de vivre ses émotions sans
peur. Des techniques dites de tissage (cognitif) peuvent être utilisées pour
apporter l’information manquante et soutenir le patient dans le processus de
retraitement. Dans le cas de l’abréaction, il est préférable de suivre le
processus en cours en soutenant le patient émotionnellement en disant par
exemple : « Je sais que c’est dur, je vous accompagne ». Le thérapeute peut
aussi l’aider en le soutenant au moyen de changement de perspective (autre
tissage) en disant tout en poursuivant les stimulations bilatérales alternées :
« Regardez ce qui vient après, c’est du passé… ».
Une autre manière de soulager l’abréaction est l’utilisation de moyens de
distanciation imaginaires comme changer la scène en noir et blanc, faire
imaginer au patient une paroi en verre (blindée) entre soi et la scène ou
encore l’adulte qu’est le patient prend la main de l’enfant vulnérable qu’il
était
Dans le deuxième cas on différenciera des symptômes dissociatifs se
produisant en séance de ceux pouvant persister plusieurs jours après la
séance. La dissociation est la séparation d’ensembles de contenus mentaux de
la conscience (APA, 2013) allant de simples problèmes de sommeil
(cauchemars, terreurs nocturnes…) à des symptômes schneideriens (Kluft,
1987 ; Ross et al., 1990). Ces symptômes invitent à la prudence et tout
praticien EMDR doit les évaluer en s’aidant d’échelles comme la
Dissociative Experience Scale (Bernstein & Putman, 1996) et adapter leur
plan de traitement où l’EMDR est un soin thérapeutique dans un cadre de
traitement plus général (Van der Hart et al., 2006). Ainsi lorsque les
symptômes dissociatifs se produisent en séance, plusieurs techniques peuvent
être utilisées (Forgash & Copeley, 2008) dont la description sort du cadre de
cet exposé. Quand les symptômes dissociatifs se manifestent après la séance
d’EMDR, ils correspondent le plus souvent à des manifestations de panique,
des troubles somatiques (céphalées résistantes aux remèdes courants), des
cauchemars post-traumatiques ou catastrophiques répétés, de l’automutilation
jusqu’à l’impression insoutenable d’être mort pendant des jours. Le patient
est prévenu de cette possibilité et doit faire appel au thérapeute pour la
gestion des symptômes. S’il est compétent pour prescrire, un traitement
médicamenteux adapté peut être nécessaire. Il peut recourir aussi à
l’hospitalisation en milieu spécialisé.

Quelques études contrôlées, des études de cas et l’expérience des praticiens EMDR montrent que toutes les
psychopathologies pourraient bénéficier de l’EMDR. La thérapie EMDR s’est ainsi développée dans le traitement des
événements de vie négatifs, au-delà du traumatisme (Logie, 2014), responsables ou associés aux grands syndromes de la
nosographie psychiatrique. L’EMDR est aussi indiquée pour le développement de ressources.
Il n’y a pas de contre-indication formelle à la thérapie EMDR mais des précautions à prendre qui relèvent de la qualité et
l’efficacité du thérapeute. Ce dernier doit, en résumé, être bien formé, évalué, supervisé et conscient de ses limites.

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Chapitre 5

De la conceptualisation de cas
au plan de traitement

Martine Iracane

Si l’étude de Maxfield et Hyer (2002) démontre que l’efficacité clinique de la thérapie EMDR est potentialisée par
l’application d’une méthodologie rigoureuse mettant en route le Traitement Adaptatif de l’Information (TAI) selon un
protocole standard respectant 8 phases et prenant en considération 3 temps du traitement (passé-présent-futur), nous
pouvons également ajouter que le succès d’une thérapie EMDR dépend beaucoup de la qualité de la phase 1, nommée
histoire du patient. C’est au cours de cette phase que s’effectue ce que Francine Shapiro nomme la conceptualisation du cas
clinique.
Véritable élaboration clinique, dans le respect une psychothérapie intégrative selon le modèle neuro-émotionnel de la
thérapie EMDR (Shapiro & Forrest, 2005 ; Shapiro, 2007), la conceptualisation prend en compte la qualité de l’alliance
thérapeutique (Dworkin, 2005), le type de présentation clinique, l’équilibre entre les symptômes actuels et des ressources
internes et externes du patient, pour planifier les options et les étapes thérapeutiques à travers la mise en place d’un plan de
traitement.

CONTOURS ET OBJECTIFS DE LA CONCEPTUALISATION DE CAS

À l’exception des maladies strictement organiques, des problèmes provenant


de carences d’information et d’apprentissage, ou des conséquences d’une
exposition toujours active à un agent causal aversif, les souffrances
psychiques et psychosomatiques présentes du patient seraient la résultante
d’événements traumatiques non métabolisés. Retraiter les expériences de vie
négatives pour intégrer des expériences positives adaptatives, constitue la
partie centrale de l’approche thérapeutique EMDR (Shapiro, 2005 ; 2007).
Cependant, cette démarche ne peut être entreprise de manière aléatoire ; elle
exige, au préalable, pour la sécurité du patient et pour l’efficience du soin,
une vision et compréhension globale, un repérage des symptômes et des
problématiques, une évaluation des ressources, une hypothèse sur les
capacités du patient à mobiliser des changements dans le respect de sa
sécurité, de son libre arbitre et surtout une appréciation de la qualité de
l’engagement dans la relation thérapeutique. C’est vers l’observation et
l’analyse de ces paramètres que se tourne l’étape de la conceptualisation de
cas.

▶ Conceptualiser le cas à la lumière du TAI

La conceptualisation de cas repose sur une élaboration, en amont du


traitement, des données qui composent la présentation clinique. Elle met en
œuvre un questionnement à propos des éléments pertinents de manière à
penser et anticiper leur mobilisation pour optimiser les actions thérapeutiques
du TAI.
Conceptualiser le cas clinique permet de poser un regard sur le tableau
psychopathologique qui conduira, autour d’une bonne alliance thérapeutique,
à trouver les articulations et les leviers thérapeutiques pour modifier
favorablement et en profondeur cette présentation clinique.
Basée sur la présentation clinique spécifique du patient, la conceptualisation
du cas clinique éclairée par le modèle TAI, va, en phase 1 du protocole
EMDR, définir un plan de traitement correspondant à diverses stratégies de
soin programmées dans un agencement et un ordre précis. Elles s’orientent
vers la résolution des problématiques et un traitement à la fois complet et
intégratif, axé sur l’approche EMDR.
Parmi les points cités, la conceptualisation de cas permet de « dialectiser »
problématiques et ressources de la personnalité.
En effet, pour augmenter l’incidence positive du TAI, la thérapie doit être
adossée au modèle décrit par Pierre Janet (1904) qui préconise d’effectuer le
traitement des traumatismes en trois phases : la stabilisation initiale et la
réduction des symptômes, le traitement des souvenirs traumatiques, et enfin
l’intégration et le deuil dans un processus de symbolisation de l’expérience.
Dans cette perspective, les ressources constituent de véritables réservoirs
contenant des informations positives, à la fois sensorielles, somatiques,
émotionnelles, relationnelles, cognitives, spirituelles, puisées dans les réseaux
fonctionnels composant le vécu du patient.
Les ressources favorisent la stabilisation dans différents champs de la
personnalité, dans une approche holistique et biopsychosociale du traitement.
Ainsi, plus les ressources sont disponibles, plus vite le TAI activera, par
associations successives, le maillage aux informations positives appropriées,
nécessaires à la réorganisation des réseaux de mémoire.

▶ Les objectifs de la conceptualisation

La conceptualisation va s’orienter vers le repérage des différentes plaintes du


patient dans le présent. Les expériences négatives du passé, qu’elles soient
perturbantes ou traumatiques, sont identifiées dans une mise en lien avec la
ou les problématiques du présent afin de développer un plan de traitement
approprié.
L’évaluation de la présence ou l’absence de ressources, de déficits
développementaux causés par les traumas précoces, et des capacités à
mobiliser des réseaux adaptatifs, contribuent à établir des hypothèses sur la
vitesse et l’engagement dans le travail de désensibilisation des cibles
pertinentes pour soulager le patient de sa symptomatologie.
Les projections vers le futur, une fois identifiées, permettent au thérapeute
d’apprécier leur réalisation potentielle en termes de changements profonds et
durables, compatibles avec le maintien de la stabilité psychologique de la
personne aux différentes étapes de soin et ceci, en tenant compte de
l’équilibre du système familial et environnemental dans lequel elle évolue.
Parfois des problématiques médicales, médico-légales, judicaires, émergent
lors des premières rencontres thérapeutiques : la phase de conceptualisation
intègre aussi, dans la perspective d’une thérapie EMDR, les différentes
précautions cliniques et éthiques qui s’imposent dans ce type de situation. Par
exemple, l’obtention d’un consentement éclairé est exigée avant une thérapie
EMDR, face à des risques de rechute en cas de comportements addictifs ainsi
que face à la possibilité de mise à distance émotionnelle et de difficultés à se
remémorer certains détails des situations ou agressions traumatiques après
traitement EMDR, dans les contextes de témoignage victimologique ou en
cas d’expertises médicales et/ou judicaires.
Cette conceptualisation synthétise les considérations qui conduiront à établir
un ou plusieurs diagnostics. En effet la présentation clinique ainsi mise en
exergue peut regrouper une ou plusieurs problématiques associées et
recouvrir parfois plusieurs diagnostics concomitants (Kessler et al., 1995) ;
elle répondra le plus souvent, soit aux critères d’une présentation clinique
non complexe, soit à celle d’une présentation clinique complexe.
La conceptualisation permet ainsi de poser l’indication, ou son corollaire, la
contre-indication de la thérapie EMDR à court terme : diverses décisions
cliniques, le recours à une phase de stabilisation ou à des orientations
thérapeutiques complémentaires (pharmacothérapie, thérapies corporelles,
orientations vers des groupes de médiation, consultations en addictologie, ou
en secteur social, judiciaire…), préalables au traitement EMDR, font partie
intégrante de la conceptualisation.
La conceptualisation pose le principe d’un plan de traitement intégral et
exerce la planification des soins dans une perspective intégrative.

QUELLES BASES DE DONNÉES


POUR LA CONCEPTUALISATION ?

Pour répondre à ces objectifs, nous pouvons nous interroger sur la manière de
recueillir les informations nécessaires à la conceptualisation de cas et à la
construction du plan de traitement qui en découle.

▶ L’entretien clinique

La rencontre du patient et du thérapeute autour de l’entretien clinique, vise à


établir la relation thérapeutique, à recevoir la demande de soin et à recueillir
les repères biographiques du patient. À cette occasion nous serons attentifs au
mode d’entrée en relation du patient, et à la qualité du contact. Le ressenti
contre-transférentiel du thérapeute permet l’ébauche d’hypothèses
psychopathologiques.
L’anamnèse

L’anamnèse permet de faire l’historique de la plainte, d’explorer sur la vie


entière les antécédents psychopathologiques, les épisodes de vie difficiles, les
événements traumatiques et perturbants et les facteurs de vulnérabilité du
patient. Le thérapeute peut identifier les ressources et soutiens qui
représentent les facteurs de résilience dont le patient a bénéficié pour faire
face, ainsi que les expériences positives de sa vie. Au cours de cette phase, le
patient peut évoquer les liens entre les événements du passé et sa
problématique actuelle, témoignant ainsi précocement de bonnes capacités
d’élaboration, de bon augure pour le travail thérapeutique.
Une cartographie des ressources et des traumas

Élaboré en séance et utilisé comme un objet de médiation dès les premières


séances avec des patients disposant de faibles capacités d’élaboration, la
cartographie des ressources et des traumas facilite la mise à jour des
événements de vie positifs et négatifs ayant ponctué le parcours biographique
de notre patient et en identifie leur nature. L’occasion est donnée au
thérapeute d’observer le matériel verbal et non verbal, les attitudes et
expressions émotionnelles corrélées au récit autobiographique : le matériel
s’exprime-t-il de manière congruente, discordante, désaffectivée ou inondée
par des émotions perturbantes incontrôlables ? Ces informations recueillies
alimentent la conceptualisation du cas et fournissent des éléments précieux
pour le plan de traitement. Les différents axes cliniques sont pressentis dès
l’abord du récit narratif autobiographique, même lorsqu’il se déroule de
manière chaotique. Il faudra alors dès ce stade aider le patient à tolérer et
réguler ses affects. Par exemple, la conceptualisation peut prévoir le
renforcement de la psychoéducation dans le plan de traitement, en visant le
développement de compétences pour augmenter la capacité à gérer les
réponses émotionnelles, ou la capacité à connecter les affects sans convoquer
de dissociation défensive ou/et, celle de rester dans le présent en gardant la
double attention, en amont même du retraitement de cibles névralgiques du
passé.
Figure 1. La carte des ressources et des traumas
(Manuel niveau 1 EMDR, Institut Français d’EMDR p. 264, Edition 2015)

La figure 5.1 est construite la plupart du temps durant la séance à partir du


recueil de l’anamnèse. Elle donne un aperçu de l’équilibre entre les
ressources et les expériences traumatiques du sujet. Elle permet de faire
apparaître selon les âges, les bons et les mauvais souvenirs, en évaluant leur
intensité positive et négative respectives, selon une échelle allant de 0 à 10.

Histoire d’attachements

Les stades précoces et pré-verbaux posent les bases de la construction de la


personnalité. C’est dire l’importance de l’exploration du contexte relationnel
du patient lors de sa petite enfance pour examiner, le type et les qualités du
lien d’attachement avec les figures parentales et la tonalité des empreintes
précoces. Traumas et attachements comportent un lien de synergie étroite ;
une qualité d’attachement sécure (les relations pérennes, prévisibles, en
accord avec les besoins de l’enfant) assure une sécurité intérieure et une
estime de soi satisfaisantes lors de la croissance psychologique et majore la
capacité à faire face aux événements aversifs de la vie. Lorsque les
attachements ont été de type anxieux/évitant ou de type anxieux/ambivalent
et surtout désorganisés (Bowlby, 1969 ; Ainsworth, 1978) la personnalité sera
moins armée et la probabilité de vivre sur un mode destructeur et traumatique
des relations ou des événements de vie négatifs augmente.
Ces éléments sont perceptibles lors des premiers entretiens cliniques et seront
pris en compte dans la construction du plan de traitement pour favoriser une
consolidation de l’équilibre psychologique du sujet et mettre en exergue les
points saillants à travailler en thérapie EMDR

▶ Examiner la stabilité dans le présent

Dans la conceptualisation, nous tiendrons compte, pour la sécurité du patient,


de son niveau de stabilité dans le présent perceptible à travers un bon
équilibre somatique, psychologique, relationnel, social et spirituel.
Parfois il est utile de renforcer la stabilité ; celle-ci sera alors consolidée par
la psychoéducation, par la mobilisation des ressources internes et externes,
relationnelles, symboliques (Korn & Leeds, 2002). C’est un principe de
précaution.
Un patient suffisamment stable aura un accès rapide au Lieu Sûr (Daniels &
Shapiro, 1997). Cette compétence renforcée va lui permettre d’être dans
l’attention duelle « un pied dans le passé, un pied dans le présent » (Shapiro,
2007) au cours du retraitement. Le patient qui aura la capacité de réguler ses
affects pourra rester dans sa fenêtre de tolérance (Ogden et al., 2006).
C’est un principe d’efficacité clinique. Cette conjoncture présage d’une
évolution favorable rapide des problématiques : les nombreuses ressources et
réseaux de mémoire fonctionnels alimentant l’efficience du traitement
adaptatif de l’information.

▶ La relation thérapeutique

Définie par la qualité de l’accordage et de l’empathie et véhiculée par


l’alliance thérapeutique, la relation entre patient et thérapeute est marquée par
l’affiliation et la confiance réciproques tournées vers des objectifs communs.
Elle constitue le meilleur facteur prédictif de l’issue de thérapies (Luborsky et
al., 1985).
En thérapie EMDR, à toutes les phases, et dès le plan de traitement, la
relation thérapeutique – véritable filet de sécurité – procure un espace
symbolique de pare excitation et de holding contenant, indispensable au
traitement des épisodes de vie difficiles et traumatiques. L’alliance
thérapeutique va alimenter, sous l’angle du modèle théorique du TAI, un
réseau de mémoire fonctionnel et adaptatif. En activant, lors du traitement
EMDR, une atmosphère de sécurité (Dworkin, 2005) et un système
d’attachement sécure, qui contrecarre le système de défense activé par les
expériences traumatiques (Schore, 2009 ; Liotti, 1992), le lien thérapeutique
devient catalyseur de la restauration des mémoires traumatiques et participe
de ce fait, à leur intégration et leur mentalisation.
En deçà et autour de l’aspect technique du protocole, le lien d’empathie et de
soutien porté par la figure d’attachement essentielle que représente le
thérapeute (Dworkin, 2005) établit le levier prévalent d’un travail de
reconstruction et restructuration psychique qu’imposent les effets de
démolition induits par des traumatismes aigus ou/et cumulatifs.
La présence de la qualité de l’alliance thérapeutique et d’accordage avec le
thérapeute, associée à un bon niveau d’autonomie et de maturité dans
l’expression du désir de changement, déterminent un critère nécessaire, mais
parfois non suffisant, en faveur d’un engagement à court terme dans le
traitement EMDR.

▶ La capacité au changement

La conceptualisation prend en compte la disponibilité temporelle et


psychique du patient. Les bénéfices secondaires seront mis à jour : le patient
sera invité à exprimer ses réticences et ses peurs. Un positionnement
ambivalent pourrait se manifester au cours du traitement par des blocages de
l’information et du TAI en empêchant l’accès à la phase résolutive de
l’intégration qui aurait participé à mobiliser le changement.

▶ Le type de présentation clinique


La conceptualisation du cas clinique et la construction du plan de traitement
varieront dans leur forme et leur planification en fonction du type de
présentation clinique.

Rappel sur le type de traumatismes selon la proposition


de Francine Shapiro

Les traumas peuvent être classifiés (Shapiro, 2007) :


En « T » quand l’événement répond aux critères A du Trouble de Stress
Post-Traumatique (TSPT) dans le DSM-V (APA, 2013) et à ceux du
trauma simple et unique de type 1 (Terr, 1991) ;
En « t » qui représentent des événements de vie perturbants, appartenant
au « trouble de l’adaptation » dans le DSM-V (APA, 2013) tels qu’une
vexation, un échec, un vécu de rejet, une séparation sentimentale, des
conflits au travail qui n’en sont que les exemples les plus fréquents
(Shapiro, 2007) définis à partir d’une notion élargie du traumatisme
lorsque l’événement entraîne une perte de contrôle, une humiliation, des
sentiments d’impuissance, sans exposition à la mort (Carlson et
Dalenberg, 2000 ; Catherall, 2004).
Notons que des scores d’Etats de Stress Post-Traumatiques (ESPT dans le
DSM-IV, APA, 2000) équivalents voire plus élevés, peuvent être obtenus par
cumuls d’événements « t » qui révèlent une incidence comparable et parfois
plus toxique sur la pathologie actuelle que les « T » (Mol et al., 2005).

La présentation clinique du patient peut être non complexe

Elle s’oriente vers les diagnostics de Trouble de Stress Post-Traumatique


(TSPT), de l’État de Stress Aigu (ESA) ou d’un trouble de l’adaptation.
Par exemple, un accident de la voie publique traumatique peut entrainer dans
les mois qui suivent un TSPT caractérisé avec symptômes de reviviscences,
symptômes d’évitement, activation neurovégétative, troubles dans les
cognitions et de l’humeur… Une série d’agressions verbales stressantes
survenues dans la rue, quelques années auparavant chez un adulte,
occasionne encore de l’anxiété chez ce patient qui développe un trouble de
l’adaptation en étant tendu quand il circule à pied en ville. Dans ces tableaux
cliniques, le comportement est inapproprié dans un secteur spécifique mais
parfaitement adapté par ailleurs.
Parfois la présentation clinique peut être complexe

Elle résulte souvent d’un cumul de traumatismes de type 1 et de type 21


répétés tels que violences physiques et sexuelles, cruauté mentale,
expériences de négligence affective (classification de Terr, 1991) survenues
au cours des stades psycho-développementaux. Souvent abusifs et émis par
les figures d’attachement primaires, ils entraînent autour de traumas
relationnels précoces, des attachements désorganisés, (Ainsworth, 1964) de la
dissociation (Liotti, 1992) et s’accompagnent de symptômes de
dépersonnalisation de déréalisation (Van der Hart et al., 2006)
Les tableaux psychopathologiques associent l’existence de plusieurs
problématiques, des troubles envahissants touchant l’affect, la relation à
l’autre et des symptômes post-traumatiques – ensemble diagnostiquant
l’existence d’un TSPT complexe – (Herman, 1992b), d’un Trouble
Dissociatif de l’Identité (TDI) ou de Troubles Dissociatifs Non Spécifiés
(TDNS) (DSM-V, 2013). Dans cette catégorie de tableaux cliniques
complexes, la présentation peut parfois être diffuse et indéfinie : les capacités
à nommer les troubles, définir le malaise, exprimer les émotions et a fortiori
faire des liens, s’avèrent limitées.
Des échelles de diagnostic et de repérage
des troubles dissociatifs

Des outils d’évaluation complémentaires peuvent affiner les investigations


cliniques pour recueillir les données nécessaires à la conceptualisation ; outre
l’évaluation psycho sociale, il est important de faire mention des échelles de
diagnostic et de repérage des troubles dissociatifs.
Nous citerons ci-dessous, les principales :
l’Echelle d’Expériences Dissociatives. EED (Bernstein & Putman, 1986)
est un questionnaire d’auto-évaluation pour adultes, constitué de 28 items ;
chaque item est gradué pour sa cotation de 0 % à 100 % indiquant la
fréquence de survenue d’un comportement ou d’un symptôme dissociatif
survenant dans la vie quotidienne. Une moyenne du score total égale ou
supérieure à 25 indique la présence d’une psychopathologie dissociative ;
l’Echelle SDQ20. Questionnaire de dissociation somatoforme à 20 items
(Nijenhuis et al., 1996), est utile pour le dépistage de la dimension
somatique des troubles dissociatifs ;
le SCID-D. Interview clinique structurée pour le DSM-IV-Troubles
dissociatifs (Steinberg et al., 1990).
La présence de troubles dissociatifs peut être source de résultats aléatoires,
voire d’échecs du traitement des cibles et entrainer le patient soit dans des
abréactions débordant ses capacités de gestion émotionnelle (Ogden et al.,
2006) soit dans une mise à distance rendant le retraitement inopérant.

DE LA CONCEPTUALISATION DE CAS
AU PLAN DE TRAITEMENT

À l’aide de tous ces éléments précités et des objectifs définis avec le patient,
la conceptualisation de cas permet de construire un plan de traitement
contenant et organisateur de la thérapie EMDR. La demande du patient vise-
t-elle une réduction ou disparition des symptômes actuels ? Ou souhaite-t-il
cheminer vers une psychothérapie intégrale de toutes les problématiques
actuelles ?
Quelle que soit la direction retenue, une étape de stabilisation par
renforcement voire création de ressources peut s’avérer nécessaire. Les
objectifs seront l’amélioration du fonctionnement psycho-social et de la
gestion des émotions, ainsi que le développement des capacités relationnelles.
En cours de traitement, la demande de réduction de symptômes du patient
peut évoluer vers une demande de traitement intégral.

▶ Le renforcement des ressources

La figure 5.2 représente une étape du plan de traitement et concerne la


problématique des ressources. Les ressources peuvent exister mais ne sont
pas accessibles : elles peuvent être mobilisées par la technique du
renforcement des ressources avec des SBA ; en cas d’absence, elles peuvent
être installées et créées à partir d’orientations thérapeutiques dont le patient
retire des expériences positives. Dans ce contexte, le retraitement du trauma
réactive le TAI et facilite l’intégration des souvenirs ; l’accès à la
transformation du souvenir permet l’émergence d’une cognition positive qui
a son tour constitue une ressource.
Figure 2. Renforcer les ressources et retraiter les traumas : une approche globale

▶ La réduction symptomatique

La décision de s’axer sur la réduction de symptômes ou leur élimination est


souvent articulée à une présentation clinique simple où un diagnostic unique
a été posé face à une problématique unique également. Du fait d’une
demande très circonscrite à la disparition d’un ou des symptômes
réactionnels à un événement récent et/ou unique, le temps de la thérapie est
limité.
Certains patients présentent quant à eux des tableaux plus complexes
consécutifs à des traumatismes anciens. Pour autant ils peuvent souhaiter ne
cibler que la problématique la plus perturbante dans le présent en évitant
même l’engagement vers le traitement des cibles du passé à la base de cette
problématique ; la réduction de symptômes qui en résulte peut agir comme un
facteur d’encouragement ou de reprise de contrôle sur un vécu d’impuissance
et de débordement et ces patients peuvent secondairement donner un accord
pour s’engager dans la suite de leurs soins. C’est parfois le thérapeute qui
guide le plan de traitement en ce sens.
La modalité de thérapie brève centrée sur la réduction de symptômes, peut
être appliquée dans le cadre de recherches mais aussi, lorsque le patient
bénéficie d’une assistance pour quelques séances d’EMDR prises en charge
financièrement par une compagnie d’assurance ou par une mutuelle en cas de
survenue d’événement unique à haut potentiel traumatogène.

▶ La psychothérapie intégrale

Encouragé par la réduction de symptômes obtenue, le patient peut se sentir


plus apte à contenir ses émotions et alors demander un traitement plus large.
Le plan de traitement sera alors remodelé par le thérapeute.

La conceptualisation favorise l’élaboration d’un plan de traitement adapté à la présentation clinique en posant des repères
stables, transparents et structurants ; Que la présentation soit simple ou complexe, le plan de traitement intégrera si
nécessaire, la stabilisation, pour éviter des impasses et des complications cliniques (Leeds, 2009) et s’acheminera, en toute
sécurité, vers la construction de plans de ciblage adaptés à chaque problématique.
Dans ce contexte, l’activation du traitement adaptatif de l’information lors du retraitement des cibles favorisera l’efficience
et la stabilité des résultats cliniques de la thérapie EMDR augurant des prises de conscience et des changements salutaires
dans la réalité, tout en consolidant les aménagements intrapsychiques et interrelationnels qui alimentent la résilience
psychologique du sujet.

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VAN DER HART O., NIJENHUIS E., STEELE K. (2006). Le soi hanté : Dissociation
structurelle et traitement de la traumatisation, Paris, Deboeck, 2010.

Notes
1. Si le trauma de Type 1 est le plus souvent d’une événement traumatique unique est situé dans le
temps, avec le trauma de Type 2, l'événement ou les événements sont prolongés ou répétés.
Chapitre 6

Le protocole EMDR standard

Les procédures EMDR standard :


huit phases et trois volets
Jenny Ann Rydberg

La psychothérapie EMDR se déroule en huit phases et s’appuie sur un protocole standard en trois volets temporels. Ces
phases et ces volets temporels constituent les procédures EMDR standard. Ils guident la conceptualisation de cas pour
identifier les cibles que sont les informations stockées en mémoire de manière dysfonctionnelle qui selon la métaphore
fondatrice du traitement adaptatif de l’information (TAI) sont à l’origine de la symptomatologie actuelle.
Dans le langage usuel des praticiens EMDR, le terme « protocole standard » est employé pour désigner autant les huit
phases et les trois volets que la procédure appliquée aux cibles des plans de ciblage.

LES HUIT PHASES DE LA PSYCHOTHÉRAPIE EMDR

Une prise en charge EMDR se constitue de huit phases. Le nombre de


séances consacrées à chaque phase et le nombre de phases abordées en une
même séance varieront d’un patient à l’autre. Les huit phases correspondent à
la chronologie du déroulement de la psychothérapie, mais un certain
chevauchement entre diverses phases sera inévitable. En effet, chaque phase
vise des objectifs qui seront toujours poursuivis et mis à jour tout au long du
traitement (Shapiro, 1995, 2001, 2007, 2014, 2018).
Les phases 1 (« recueil de l’histoire ») et 2 (« préparation ») correspondent à
la démarche commune à un grand nombre de psychothérapies, consistant à
recueillir la problématique actuelle, à définir les attentes ou buts, et à établir
les actions à entreprendre pour y parvenir.
Les phases 3 à 6 (« évaluation », « désensibilisation », « installation » et
« scanner corporel ») sont celles qui utilisent les stimulations bilatérales,
communément identifiées comme étant « de l’EMDR », pour ceux qui y
voient une simple technique ou méthode plutôt qu’une approche
psychothérapeutique complète. Elles ne peuvent bien évidemment se
déployer que grâce aux phases précédentes qui ont élaboré une
conceptualisation de cas définissant des buts psychothérapeutiques ainsi que
les moyens donnés pour y parvenir. Elles abordent directement la
désensibilisation et le retraitement des souvenirs, des déclencheurs et des
éventuels obstacles à la réalisation d’une action future souhaitée, jusqu’à une
résolution adaptative, avec une augmentation des connexions avec des
réseaux mnésiques positifs.
Les phases 7 (« clôture ») et 8 (« réévaluation ») reprennent des éléments
plus généraux de toute psychothérapie : en fin de séance, le praticien s’assure
que le patient est en état de reprendre sa vie quotidienne ; d’autre part, il
évalue régulièrement les effets des séances précédentes, le vécu du patient et
le déroulement de la prise en charge pour ajuster le plan de traitement.

▶ Phase 1 : recueil de l’histoire et plan de traitement

Dans la première phase, le praticien accueille le récit du patient et identifie


les éléments marquants de son histoire, y compris son contexte actuel ;
ensemble, praticien et patient établissent une alliance thérapeutique,
définissent des objectifs psychothérapeutiques correspondant aux attentes et
élaborent un plan de prise en charge comprenant les ressources à développer
ainsi que les événements passés, déclencheurs présents et attentes futures en
lien avec la problématique actuelle.

▶ Phase 2 : préparation

Dans la deuxième phase, le praticien décrit la psychothérapie EMDR et le


modèle TAI, introduit les stimulations bilatérales, enseigne des techniques
d’autorégulation telles que le lieu sûr, évalue les ressources et le soutien
social dont dispose le patient pour déterminer s’ils sont suffisants ou s’ils
doivent être développés et renforcés avant de procéder aux phases suivantes.

▶ Phase 3 : évaluation

La phase 3 permet d’obtenir les différents composants de la réaction initiale à


la cible qui sera traitée dans la séance (souvenir, déclencheur ou scénario
futur).

Image. Le patient est invité à décrire l’image (ou la représentation sensorielle, à défaut d’informations visuelles) qui
correspond le mieux à la cible ou qui représente le pire aspect de l’expérience ciblée.
Cognition négative. Le praticien demande au patient quels sont les mots qui vont le mieux avec cette image (ou avec
la représentation sensorielle s’il n’y a pas d’image) et qui expriment sa croyance négative sur lui maintenant. Cette
cognition doit être négative, irrationnelle, autoréférencée et généralisable ; cet affect verbalisé exprime ce que la cible
évoque ou confirme comme appréciation sur soi, « résonnant comme vrai maintenant ». Généralement, une cognition
négative appartient à l’un des trois registres suivants : a) la responsabilité/défaillance (« j’ai mal fait » ou « je suis
mauvais(e) »), b) le manque de sécurité et c) le manque de contrôle.
Quelques exemples : je ne vaux rien, quelque chose ne va pas chez moi, je ne suis pas quelqu’un de bien, je suis sale,
je suis détestable, je suis en danger, je serai abandonné(e), je suis impuissant(e), je suis hors de contrôle, je ne peux
pas réussir.
Cognition positive. Le praticien demande au patient, quand il pense à l’image, ce qu’il aimerait croire de lui-même
maintenant. Cette cognition doit être autoréférencée, refléter le sens du changement désiré, être au moins un petit peu
crédible en tant que but espéré, généralisable, et concerner la même thématique que la cognition négative. La
formulation est positive (par exemple, « je suis fort » ou « je suis bien comme je suis ») plutôt qu’une négation de la
cognition négative (par exemple, « je ne suis pas faible » ou « je ne suis pas nul »).
Validité de la croyance (VOC : validity of cognition). Le praticien demande au patient d’évaluer, au niveau de son
ressenti (de ses « tripes »), la validité de la cognition positive (le praticien répète les mots de la cognition positive)
lorsqu’il pense à la cible. Cette échelle en sept points va de 1, « complètement faux », à 7, « complètement vrai ».
Émotion. Le praticien demande au patient, lorsqu’il se centre sur l’image (le praticien précise quelle est l’image) et
sur les mots de la cognition négative (le praticien répète les mots de la cognition négative), quelles émotions il
éprouve maintenant.
Unités subjectives de perturbation (SUD : subjective units of disturbance). Le patient est invité à évaluer le niveau
de perturbation qu’il éprouve maintenant, sur une échelle entre 0, « pas de perturbation », et 10, « le plus haut niveau
de perturbation imaginable ».
Siège des sensations corporelles. Juste après avoir estimé le niveau de perturbation ressentie (SUD), le patient est
invité à localiser cette perturbation en termes de sensations corporelles.

▶ Phase 4 : désensibilisation

La phase de désensibilisation (phase 4) suscite, par les stimulations


bilatérales (qui seront de préférence des mouvements oculaires mais peuvent
également consister en des sons, tapotements ou autres stimulations tactiles
alternées), l’expression des émotions perturbantes du patient ainsi que des
associations d’idées et des prises de conscience. Au départ de la phase 4, le
patient se centre sur l’image (or représentation sensorielle) perturbante, la
cognition négative et les sensations physiques traduisant la perturbation
émotionnelle. Au fil des séries de stimulations bilatérales, le patient observe
son expérience intérieure qu’il décrit brièvement pendant les pauses. À la fin
de chaque canal d’associations, le praticien invite le patient à faire revenir la
situation initiale et la désensibilisation se poursuit jusqu’à parvenir à une
absence de perturbation rapportée par le patient (valeur 0 sur l’échelle SUD,
voire 1 si cette valeur est estimée comme étant écologique et adaptative). Le
praticien utilise des interventions supplémentaires (comme un tissage cognitif
ou des techniques d’accélération ou de décélération du traitement) seulement
en cas de blocage ou d’envahissement émotionnel du patient.
La durée de cette phase est très variable et peut d’étendre d’une à plusieurs
séances. Si la désensibilisation n’est pas terminée, la séance est considérée
incomplète ; le praticien vérifie que le patient retrouve un état de stabilité à
l’aide d’un ou de plusieurs exercices de stabilisation ; ensemble, ils évoquent
la période jusqu’à la séance suivante et la manière dont le patient pourra gérer
d’éventuels moments de perturbation.
En cas de séance incomplète, lors de la séance suivante, le praticien réalise
une « mini-phase 3 » en demandant au patient ce qui lui vient maintenant
quand il pense à la situation initiale, ainsi que l’émotion, le SUD et les
sensations corporelles ; la phase 4 reprend ensuite.

▶ Phase 5 : installation

La phase 5 vise à renforcer l’intégration de la réorganisation cognitive, c’est-


à-dire du changement de perspective sur la situation ciblée et de la croyance
autoréférencée. Les stimulations bilatérales permettent d’intégrer la cognition
positive souhaitée, ressentie comme étant entièrement vraie (valeur 7 sur
l’échelle VOC, voire 6 si cette valeur est estimée comme étant écologique et
adaptative).

▶ Phase 6 : scanner corporel

La phase 6 permet de retraiter toute perturbation résiduelle s’exprimant sur le


plan somatique, en lien avec la cible et la cognition positive.

▶ Phase 7 : clôture
La phase 7 permet au patient de faire le point sur la séance et sur ce qu’il
souhaite en retenir. Le praticien s’assure que le patient est stabilisé et en
mesure de gérer toute perturbation pouvant émerger entre les séances (par les
techniques d’autorégulation et par la tenue d’un journal de bord).

▶ Phase 8 : réévaluation

La phase 8 consiste à vérifier les effets thérapeutiques et permet, par les


informations recueillies, d’actualiser le ou les plans de ciblage définis en
phase 1 et d’apporter le cas échéant des ressources ou des outils
d’autorégulation supplémentaires.
Si chaque phase se centre sur des aspects particuliers, Shapiro (2001, 2018)
rappelle que les effets (la réduction des émotions négatives, l’augmentation
de la confiance en ses capacités, des prises de conscience et une
compréhension nouvelle, la modification des sensations corporelles et un
changement de perspective cognitive) se produisent simultanément à mesure
que les informations dysfonctionnelles sont retraitées.

LE PROTOCOLE EMDR STANDARD EN TROIS VOLETS

Tandis que les procédures EMDR standard s'appliquent à chaque séance de


retraitement, le protocole EMDR standard en trois volets orientent la
conceptualisation de cas et le déroulement de la prise en charge globale du
patient.
Les cibles à retraiter appartiennent à ces trois volets temporels :
Les expériences passées qui ont fait le lit de la pathologie ;
Les situations actuelles ou déclencheurs qui activent la perturbation dans
la vie présente ;
Les modèles ou schémas nécessaires à une action appropriée à l’avenir.
Cependant, tous les souvenirs d’événements passés et tous les déclencheurs
ne devront pas être retraités individuellement, car tant l’expérience clinique
que la recherche contrôlée ont démontré la généralisation des effets
thérapeutiques depuis les cibles représentatives à d’autres souvenirs et stimuli
similaires appartenant aux mêmes réseaux mnésiques (Leeds, 2009).
Ces procédures standard s’appliquent au traitement de divers troubles cliniques autres que l’état de stress post-traumatique
(ESPT) simple, auprès de populations variées, dans différentes conditions et situations, nécessitant parfois une adaptation
qui s’opère au moyen de protocoles spécifiques qui modifient légèrement les huit phases et l’application des trois volets
temporels (Luber, 2009, 2010, 2013, 2015a, 2015b ; Shapiro, 1995, 2001, 2018).
La conceptualisation de cas, la définition d’un plan de traitement avec un ou plusieurs plans de ciblage et l’introduction du
travail psychothérapeutique (phases 1 et 2) associées à la réévaluation régulière (phase 8) permettent de continuellement
ajuster l’identification des cibles (souvenirs, expériences, intrusions… tout élément de mémoire en lien avec la
problématique décrite par le patient) afin de répondre au mieux aux objectifs thérapeutiques (Shapiro, 2001, 2007, 2018).

BIBLIOGRAPHIE

LEEDS A. (2009), À guide to the standard EMDR protocols for clinicians,


supervisors, and consultants, New York, Springer.
LUBER M. (2009), Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR)
Scripted Protocols : Basics and Special Situations, New York, Springer.
LUBER M. (2010), Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR)
Scripted Protocols : Special Populations, New York, Springer.
LUBER M. (2013), Implementing EMDR Early Mental Health Interventions
for Man-Made and Natural Disasters : Models, Scripted Protocols, and
Summary Sheets, New York, Springer.
LUBER M. (2015a), EMDR with First Responders : Models, Scripted
Protocols, and Summary Sheets for Mental Health Interventions, New
York, Springer.
LUBER M. (2015b), Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR)
Therapy Scripted Protocols and Summary Sheets : Treating Anxiety,
Obsessive-compulsive, and Mood-related Conditions, New York, Springer
SHAPIRO F. (1995), Eye Movement Desensitization and Reprocessing. Basic
Principles, Protocols, and Procedures, New York, Guilford Press.
SHAPIRO F. (2001), Eye Movement Desensitization and Reprocessing. Basic
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Press. {Traduit en français : Manuel d’EMDR. Principes, protocoles,
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SHAPIRO F. (2007), « EMDR and Case Conceptualization from and Adaptive
Information Processing Perspective », in Handbook of EMDR and Family
Therapy Processes, Shapiro, F., Kaslow, F.W. & Maxfield, L., Hoboken
(NJ), Wiley, p. 3-34. {Traduit en français : EMDR et thérapies familiales.
Manuel pratique, Shapiro, F., Kaslow, F.W. & Maxfield, L., Paris,
InterEditions, 2012.}
SHAPIRO F. (2014), « The Role of Eye Movement Desensitization and
Reprocessing (EMDR) Therapy in Medicine : Addressing the
Psychological and Physical Symptoms Stemming from Adverse Life
Experiences », Permanente Journal, 18, 1, 71-77.
SHAPIRO F. (2018), Eye Movement Desensitization and Reprocessing. Basic
Principles, Protocols, and Procedures (3rd ed.), New York, Guilford
Press.
Chapitre 7

Le plan de ciblage standard

Martine Iracane

Le plan de traitement est défini à partir de l’évaluation de la stabilité du patient et sa prise en charge, son type de
présentation clinique (simple ou complexe) et du repérage des différentes problématiques. Cette feuille de route établie, le
thérapeute va orienter l’application du traitement EMDR vers la problématique choisie par le patient, en général celle qui
est la plus perturbante pour lui actuellement, de laquelle il va faire émerger un plan de ciblage.
Le plan de ciblage est le recueil de cibles recensées, selon le modèle TAI (Traitement Adaptatif de l’Information), sur trois
temps à savoir le présent, le passé et le futur. À partir de la plainte du patient le thérapeute recherche les différentes
situations actuelles qui déclenchent sa problématique, ce sont les déclencheurs (cibles du présent). Puis à partir du
déclencheur le plus perturbant il va rechercher les souvenirs anciens, en lien avec cette problématique du présent, stockés
dans des réseaux de mémoire dysfonctionnels (cibles du passé), jusqu’au souvenir le plus ancien, « le souvenir source. ».
Ces cibles du passé sont à l’origine des symptômes actuels du patient. Le thérapeute va enfin orienter le traitement vers le
futur en invitant le patient pour chaque déclencheur à envisager les réponses souhaitées.
S’il existe plusieurs plans de ciblage, selon qu’ils s’appliquent à des problématiques spécifiques et/ou complexes, leur
armature commune repose sur les bases du plan de ciblage standard proposé par Francine Shapiro qui pose les repères
nécessaires à une avancée sécure et exhaustive de la problématique alléguée par le patient et que nous allons présenter dans
ce chapitre.

COMPRENDRE LA STRUCTURE DU PLAN DE CIBLAGE STANDARD ET SA FINALITÉ


THÉRAPEUTIQUE

Toute problématique actuelle occasionnant souffrance et/ou symptômes dans


le quotidien peut être conceptualisée selon le modèle du Traitement Adaptatif
de l’Information (modèle TAI). L’hypothèse repose sur un postulat : lorsque
les épisodes de vie n’ont pas été psychologiquement assimilés, les éléments
qui composent ces expériences encodées et enkystées dans leur forme initiale
dans la mémoire, deviennent des réseaux de mémoire pathogènes. Générant
des symptômes dans le présent, ils empêchent le changement et peuvent être
responsables de projections péjoratives vers l’avenir. C’est la mise en sens de
ces liens entre événements perturbants du présent et événements non traités
du passé qui va renforcer les capacités d’élaboration du patient.
La tâche du thérapeute est de recueillir l’ensemble des cibles du présent, du
passé et du futur élaborant ainsi un plan de ciblage, véritable feuille de route
pour le traitement de la problématique choisie avec le patient. Chacune de ces
cibles présentant un niveau de perturbation supérieur ou égal à trois sur
l’échelle des unités subjectives de perturbation (SUD) (Shapiro, 2007) fera
l’objet d’un retraitement des phases 3 à 8 du protocole standard (voir chapitre
sur les phases du protocole standard). La problématique sera dépassée lorsque
les cibles des trois temps du traitement auront été traitées.
Les cibles du présent recueillies en première intention par le thérapeute sont
les « déclencheurs » de la symptomatologie du patient. Ce sont les plaintes
actuelles formulées par le patient, celles qui motivent la démarche de
consultation médico psychologique et qui sont parfois les seules alléguées par
le patient. Au moment de leur traitement, à savoir après le traitement des
cibles du passé, ils seront évalués méthodiquement par l’évaluation de leur
niveau de perturbation à l’échelle du SUD. Ils sont souvent « affectés
positivement par le retraitement des cibles du passé » mettant en lumière un
effet de généralisation (Shapiro, 2007). Toutefois, si leur niveau de
perturbation le nécessite, effet possible de leur ancrage par conditionnement,
leur retraitement sera effectué.
Enfin l’installation de scénarii positifs du futur à partir de chacun des
déclencheurs du présent constitue la troisième étape du plan de ciblage. Cette
exposition en imaginaire prépare les connexions neuronales appropriées, et
facilite l’apprentissage de nouvelles conduites d’adaptation (Shapiro, 2007).
« Là où s’oriente l’attention, des neurones s’allument ; et là où des neurones s’allument, on peut
établir de nouvelles connexions » (Siegel, 1999).

CONSTRUIRE LE PLAN DE CIBLAGE STANDARD

Le plan de ciblage standard que nous allons ici présenter est celui le plus
souvent utilisé dans les problématiques liées à un trauma simple ou à des
tableaux cliniques de présentation non complexes. Dans ces cas spécifiques le
patient relie spontanément ses symptômes aux traumatismes vécus dont le
plus ancien sera considéré comme le souvenir source et la cause directe des
symptômes.
Antoine, éboueur, a subi un accident de travail
Sa problématique consiste dans des manifestations d’angoisse.
Dans le passé récent : il a été mordu par un chien au début de sa tournée lors de l’enlèvement des ordures ménagères.
Les déclencheurs de ses crises d’angoisse sont apparus trois mois après l’accident. Ce sont les moments où il croise un
chien dans la rue, quand il entend les aboiements du chien du voisin, quand il voit l’image de chiens à la télévision,
etc…
Le scénario du futur : dominer l’anxiété et faire face aux chiens tout en restant prudent, mais confiant, de manière ainsi à
envisager sa reprise de travail.

Dans d’autres types de présentations cliniques, les symptômes du présent


reposent sur une série d’expériences difficiles dont les liens sont moins
conscients où l’origine des difficultés est moins claire rendant les cibles
moins accessibles.
Sylvie
Sylvie, mère de trois enfants et cadre en entreprise se plaint d’une difficulté de prise de parole en public – situation à
laquelle elle est fréquemment exposée dans le contexte professionnel. La gêne est ancienne et la patiente fait peu de liens
avec l’origine de ce trouble invalidant. L’existence de ressources et de bonnes capacités d’adaptation indiquent une
présentation clinique stable.

▶ La problématique du présent

La problématique actuelle représente toujours le point d’appel de la


construction du plan de ciblage. Elle s’active lorsque le patient est confronté
aux déclencheurs. Le thérapeute invite le patient à lister les situations dans
lesquelles il rencontre son problème. La focalisation par la description précise
de ces moments difficiles met le patient en contact avec les contenus
perceptifs, somatiques, émotionnels, cognitifs de ces déclencheurs permet de
trouver celui qui est le plus actif.
À la question :
« Dites-moi quelles situations, personnes ou lieux déclenchent cette
problématique dans votre vie actuelle ? »
Sylvie pourrait répondre : « C’est au travail surtout en réunion… Mais c’est
même avec mes amis au restaurant, j’ai peur de parler. »
« Quelles sont les expériences récentes qui représentent cette
problématique ? »
Pour Sylvie, une réunion la semaine avant la consultation, un dîner entre amis
le week-end précédent.
« Quelle est l’expérience la plus perturbante ? »
Ainsi le déclencheur le plus perturbant pour elle est la présentation orale du
bilan financier mensuel au comité directeur quand tous les regards de
l’auditoire se sont tournés vers elle.

▶ Les cibles du passé

À partir de ce déclencheur le plus perturbant, le patient est invité à rechercher


les expériences perturbantes du passé où il a eu un vécu semblable (perceptif,
émotionnel, cognitif, somatique, comportemental).
« Dans le passé, vous souvenez-vous d’autres moments de votre vie où vous
avez vécu la même chose ? » (le même comportement et/ou la même réaction
émotionnelle et/ou la même croyance négative et/ou la même sensation dans
le corps ?)
Différents souvenirs peuvent ainsi émerger jusqu’au plus ancien accessible à
la conscience à savoir le « souvenir source ». Celui-ci est considéré comme la
racine de la problématique actuelle. Souvent c’est un souvenir infantile où
l’enfant vulnérable de par son âge a été confronté à des sentiments
d’impuissance, d’insécurité, d’incompréhension ne s’étant pas senti ou
n’ayant pas été soutenu par des figures d’attachement. « En dehors des
présentations aiguës et récentes, les fondations de la problématique se
situent, dans un passé référé à la période psycho développementale »
(Shapiro, 2007).
C’est sur l’empreinte laissée par cette expérience première, non métabolisée,
que d’autres expériences similaires vont venir ultérieurement se déposer,
amplifiant la problématique et les symptômes. Nous ne sommes jamais sûrs
que « ce souvenir source » corresponde réellement au fondement de la
problématique. Toutefois nous le considérons comme une hypothèse de base
du travail. Ainsi au cours du traitement, il se pourra qu’émerge un ou des
souvenir(s) plus anciens constituant l’expérience princeps de la
problématique. Qu’il soit recomposé ou inventé ne constitue pas un obstacle
car c’est la dimension subjective de la réalité psychique qui importe au
traitement, plus que la réalité historique et événementielle. Ainsi « le
souvenir source » pourra être une trace lointaine et flottante ou inscrite dans
les mythes familiaux ou dans les mémoires transgénérationnelles.
Pour Sylvie, grâce au questionnement direct elle rapporte comme cible du
passé : « Au lycée, Il fallait préparer des exposés, et parler devant la classe…
Je me disais que je ne pouvais pas y arriver… »
Lorsque le questionnement direct est improductif, pour faciliter l’accès au
« souvenir source » le thérapeute pourra utiliser les techniques du
« floatback » et du « pont d’affect » que nous présentons ci-dessous.
La technique du floatback (Browning, 1999 ; Shapiro, 2007)

La technique du floatback de Browning (1999) permet grâce à une régression


temporelle, une exploration plus profonde (Shapiro, 2007). Partant du
souvenir le plus ancien mis à jour par le questionnement direct, le patient est
invité à y associer une phrase négative sur lui ».
« Quelle croyance négative avez-vous vous concernant en pensant à cette
situation ? »
Pour Sylvie : « Je ne peux pas faire face. »
Puis à y joindre l’émotion associée.
Pour Sylvie : « Quelles sont les émotions que vous ressentez maintenant ? »
« Et maintenant, pensez à la situation, notez quelle image vous vient à
l’esprit, ces mots négatifs (répéter la pensée négative), remarquez les
sentiments qui s’installent en vous, et laissez flotter votre esprit vers le passé
vers une époque lointaine de votre vie, peut-être quand vous étiez un
adolescent ou un enfant, ne recherchez pas quelque chose de précis… laissez
juste flotter votre esprit vers le passé et dites-moi la première scène qui vous
vient à l’esprit où vous avez eu les mêmes pensées ( répétez la pensée
négative) et éprouvé les mêmes ressentis de ( répétez les émotions ). »
Sylvie se souvient alors d’un épisode à 10 ans où, lors d’un repas de famille,
sa mère lui a demandé de réciter un poème où elle est restée sans voix…
Le souvenir le plus ancien identifié grâce au floatback peut ne pas être le
« souvenir source », le thérapeute a alors la possibilité à partir de celui-ci
d’appliquer la technique du pont d’affect.
La technique du pont d’affect

La technique du pont d’affect (Shapiro, 2007) inspirée de la technique de


Watkins et Watkins (1971), met l’accent sur la sensation inscrite dans le
corps. C’est l’empreinte somatique corrélée à la situation la plus ancienne qui
va « faire le pont » avec l’affect du souvenir passé.
« Concentrez-vous sur le souvenir, les émotions et les sensations dans votre
corps, et laissez votre esprit scanner dans le passé la première fois où vous
vous souvenez avoir eu ces sensations, qu’est-ce qui vient ? »
Sylvie grâce au pont d’affect rapporte un souvenir plus ancien : elle a 6 ans
lorsqu’à la maison un soir, le téléphone a sonné pour annoncer le décès
brutal de son grand-père…sa mère lui donne alors cette injonction :
« surtout ne dis rien à ta petite sœur ! » La parole est devenue source
d’angoisse par télescopage ou condensation avec le danger lié à la perte à
laquelle la petite fille ne pouvait subjectivement faire face. La pensée « je ne
peux pas faire face » convoquée dans les situations de « dire », est restée
figée avec tous les autres composants traumatiques de la cible… La peur, les
sensations physiques de danger…

▶ Le troisième temps du traitement : le futur

L’exploration du futur est conduite à partir des déclencheurs du présent. Le


patient est invité à imaginer ses réactions futures positives désirées dans les
situations déclenchantes de sa problématique. Il s’agit d’imaginer un scénario
précis pour chaque déclencheur du présent comportant les éléments
sensoriels, somatiques, cognitifs et émotionnels. C’est une préparation
mentale facilitant la réalisation. Le traitement de l’information va ouvrir de
nouvelles voies neuro émotionnelles et préparer l’accomplissement de
l’action (Shapiro, 2007).
Ce futur correspond tout simplement à l’objectif thérapeutique du patient
référé à la problématique actuelle. La formulation doit être directement
positive sans double négation (« je serai calme » et non « je ne serai pas
anxieux »)
Chaque déclencheur donnera accès à son propre scénario du futur.
« Quand vous pensez aux difficultés que vous avez décrites auparavant,
comment aimeriez-vous vous imaginer dans le futur dans une situation
similaire ? »
« Je voudrais être capable de parler à mes collaborateurs et supérieurs au
travail, simplement en restant calme ; et dans des situations privées comme le
restaurant entre amis, également. »

▶ Synthèse
LE PLAN DE CIBLAGE STANDARD : SYNTHÈSE DE L’EXEMPLE DE SYLVIE

Problématique actuelle : la peur de parler en public


Déclencheurs actuels :
Situation : au travail, quand la patiente remet son compte rendu au comité directeur.
Situation : au restaurant, en présence d’amis.
Situation retenue la plus perturbante : quand la patiente remet son compte rendu au comité directeur et que tous les regards
de l’auditoire se sont tournés vers elle.
Événements du passé :
Dans le passé :
souvenir 1 du passé : « Au lycée lors des exposés devant la classe ».
souvenir 2 du passé : « À table, réciter ma poésie devant la famille ».
Souvenir source : lors de l’annonce du décès de son grand-père quand sa mère lui a demandé de ne pas le dire à sa petite
sœur
Scénario du futur :
être capable de parler à ses collaborateurs et supérieurs au travail, simplement, en restant calme ; et dans des situations
privées également ;
partager des moments de convivialité, en restant sereine lors des échanges verbaux.

Figure 1. La construction du plan de ciblage standard

La figure 7.1 représente la démarche de construction du plan de ciblage


standard en trois temps :
Étape 1 : le temps du présent correspond à la recherche des déclencheurs
de la problématique et en leur sein, du repérage de la situation la plus
perturbante. Le patient focalise alors sur une perception gênante (image,
son, odeur...), et/ou une pensée négative, et/ou une émotion, et/ou une
sensation physique dominante attachée à cette situation, pour partir en
quête des événements du passé.
Étape 2 : le temps du passé. Par le questionnement direct (QD) en
première intention, puis le float back (FB) et enfin le pont d’affect (PA) si
nécessaire le patient part à la recherche des souvenirs du passé jusqu’au
« souvenir source ».
Étape 3 : le temps du futur. Le patient est invité pour chaque déclencheur à
se projeter en imagination vers un futur intégrant la solution à son
problème.

REMARQUES IMPORTANTES

Ces techniques (FB et PA) importées de l’hypnose ericksonienne peuvent


contourner les résistances et les défenses et faire émerger de manière
impromptue, des souvenirs enfouis. Dès cette phase de la thérapie, les
capacités de contenance émotionnelle du patient pourraient se voir alors
débordées.
Aussi, il convient d’en informer le patient (voir phase 1 du protocole
(Histoire du patient), consentement éclairé et psycho éducation) et de le
préparer. Avant même de commencer la construction du plan de ciblage, le
thérapeute aura pris soin d’armer le patient de techniques de distanciation et
de stabilisation : techniques du contenant (Murray, 2011) et de distanciation
(écran, vidéo, voir phase 2 du protocole nommée Préparation), technique de
stabilisation comme le lieu sûr proposée par Neal Daniels et adaptée par
Francine Shapiro (Shapiro, 2007) ou toute autre approche apaisante). La
reprise de contrôle par le patient de ces remontées mnésiques amène
immédiatement une anxiolyse1 et répare le vécu d’impuissance.

LES PLANS DE CIBLAGE SPÉCIFIQUES

Les modalités de recueil des cibles et les phases du traitement varient selon la
complexité et la spécificité des problématiques alléguées par les patients.
Ainsi, le plan de ciblage pourra être assoupli dans sa procédure d’application
par un maillage avec des techniques de stabilisation pour les patients
narcissiquement plus fragiles. (Korn et Leeds, 2002) (pour plus d’éléments
voir les chapitres consacrés à la stabilisation et aux traumas complexes).
Cependant la structure en trois temps restera toujours une constante. Nous
renvoyons le lecteur aux chapitres correspondants aux problématiques
particulières qui donnent lieu à la construction de plans de ciblages
spécifiques (traumas récents, troubles somatiques et psychosomatiques,
phobies et protocoles de groupe, prise en charge des enfants et famille).

En respectant les trois temps du traitement (passé, présent et futur) le plan de ciblage garantit une approche thérapeutique
rigoureuse, séquentielle et exhaustive de la problématique.
Pour le patient, il fournit un espace d’élaboration et d’introspection en stimulant le contrôle positif. Les mises en
perspective présent/passé vont faciliter la projection vers une représentation d’un futur adapté.
Pour le thérapeute, il représente une feuille de route et un guide de progression vers une résolution complète de la
problématique, en minorant le risque de déstabilisation du patient.

BIBLIOGRAPHIE

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technique », International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis,
19, 21-27.

Notes
1. Réduction de l’anxiété.
Chapitre 8

Les cognitions dans la thérapie


EMDR

Hélène Dellucci, Gabrielle Bouvier

L’utilisation des cognitions en thérapie EMDR est fondamentale pour un retraitement efficace. Elle participe grandement
au remaniement des souvenirs traumatiques stockés de façon dysfonctionnelle. Les cognitions utilisées sont de deux sortes,
négatives et positives. La cognition négative est indispensable pour le démarrage du processus de retraitement et la
cognition positive nécessaire pour définir un but à atteindre. La cognition positive permet, par son aspect généralisable, de
restaurer des capacités d’apprentissage et agir comme un facteur de protection face à de nouveaux événements négatifs.

En EMDR, les cognitions sont fondamentales. Les trouver, dans leur juste
formulation, est souvent un défi tant pour les patients que pour les
thérapeutes. Sont-elles vraiment nécessaires ? Répondent-elles à des
contraintes ? Devons-nous parfois les aménager (enfants, adolescents,
personnes âgées ou déficitaires) ? Y a-t-il des façons de nous aider à les
trouver ?

DÉFINITION

Une cognition est une croyance que nous avons à propos de nous-mêmes et
qui organise notre perception, notre pensée et la planification de nos actions.
Nous savons qu’un souvenir traumatique est constitué de matériel stocké de
façon dysfonctionnelle et bloqué dans le temps. Une partie de cet
apprentissage (par exemple « je suis en danger », « je ne peux faire confiance
à personne », « je ne peux rien faire »), bloquée dans le système de survie,
qui a été très utile au moment de son installation, devient dysfonctionnelle
avec le temps qui passe, surtout si celle-ci sous-tend toute nouvelle
expérience.
Une cognition est une conviction sur soi qui nous définit en tant que
personne. Ce n’est ni une action, (par exemple « je gère »), ni une émotion,
(par exeple « j’ai peur »), ni une affirmation sur autrui (par exemple
« il/elle/c’est dégoûtant »). Sa formulation doit donc être autoréférencée : « je
suis … », « je peux ».
Les cognitions restent souvent implicites, tout en agissant sur un plan sous-
cortical. Elles sont attachées à des émotions et à des sensations corporelles
(Damasio, 1995). C’est au thérapeute EMDR de permettre au patient de les
rendre explicites en lien avec la situation ciblée. Les critères de la cognition
négative sont les suivants : cette croyance doit être autoréférencée, c’est-à-
dire formulée à la 1re personne, irrationnelle, actuelle et en lien avec la
problématique du patient, généralisable, et avoir une résonance affective.
La définition d’une cognition négative va permettre de définir ensuite une
cognition positive, c’est-à-dire un objectif à atteindre. Il s’agit d’une
conviction positive à propos de soi, dont le lieu de contrôle est interne, qui est
en lien avec le désir de changement du patient et qui peut être généralisable à
d’autres situations. Dans le protocole EMDR, il sera important que cognition
négative et positive autour d’une situation donnée fassent partie du même
thème.

DIFFÉRENTS THÈMES DE COGNITIONS

En EMDR, les cognitions se répartissent entre quatre thèmes : la sécurité,


(par exemple « je vais mourir »), qui montre chez le patient une confusion de
temps entre le présent et le passé ; la possibilité de faire un choix ou d’avoir
le contrôle (par exemple « je ne peux rien faire »), montrant une confusion du
le lieu de contrôle (interne versus externe) ; la responsabilité, divisée en deux
pôles : celui de l’être, l’estime de soi (par exemple « je ne vaux rien ») et
celui de la culpabilité (par exemple « je suis coupable »), montrant chez le
patient une confusion entre soi et l’autre.
C’est au thérapeute d’accompagner le patient dans le cheminement de
l’identification de la cognition négative sous-jacente à sa problématique. Ceci
implique que le thérapeute ait en tête ces thèmes, soit sous forme de
cognitions prototypiques (s’agit-il d’une problématique de sécurité, de choix,
de culpabilité ou d’estime de soi ?), soit sous forme de genre de confusion (le
patient confond-il le temps, le lieu de contrôle ou entre lui-même et l’autre ?).
Parfois, certaines formulations peuvent faire référence à sur plusieurs thèmes.
« Je suis faible » par exemple peut autant vouloir dire « je suis nul » (estime
de soi, confusion entre soi et l’autre) que « je suis vulnérable » (sécurité ou
confusion de temps) mais encore « je ne peux rien faire » (confusion du lieu
de contrôle). Le thérapeute, par ce questionnement, aidera le patient à
expliciter le thème qui sera le plus en lien avec la problématique.
À noter la cognition « je n’existe pas », qui occupe une place particulière :
cette cognition représente pour nous le socle de la traumatisation complexe.
Elle apparaît notamment en lien avec le retraitement des mémoires
préverbales. Elle se retrouve également dans les troubles de personnalité
s’exprimant soit sur le plan narcissique, « je ne suis pas vu », soit sur le plan
abandonnique, « je ne compte pas ». La cognition positive correspondante,
« j’existe », plus abstraite peut nécessiter une reformulation en « je compte »,
« je peux prendre ma place », « je peux être vu » ou « je peux être moi-
même ».
Parfois la cognition négative est formulée de façon positive : « je dois être
parfait », « je suis génial ». Rappelons-nous qu’elle accompagne le stockage
dysfonctionnel d’un souvenir et que nous cherchons une information
inadéquate par rapport au souvenir ciblé. Un événement tragique peut avoir
été « embelli » par un stockage dysfonctionnel, par exemple un patient en
injonction de soins, qui décrit une agression sexuelle à 6 ans comme une
révélation, avec la cognition négative « je suis un grand séducteur ». Le
travail de retraitement a pour but de rendre davantage fonctionnel ce
souvenir, ce qui implique pour ce patient, de comprendre que cette
« expérience » était une agression et qu’il puisse être touché par la souffrance
de l’enfant qu’il a été.

ÉTABLIR DE BONNES COGNITIONS NÉGATIVE ET POSITIVE ?


Le meilleur moyen de définir une bonne cognition négative consiste à obtenir
une image suffisamment précise, exprimée en termes d’une entrée sensorielle
tangible, c’est-à-dire quelque chose qui est vu, entendu ou senti, peu importe
qu’il s’agisse d’une perception réelle ou non. L’activation provoquée par une
image suffisamment nette permet de prendre contact avec le réseau
dysfonctionnel, donc également avec la cognition qui l’organise.
La formulation invitant le patient à formuler sa cognition négative peut
paraître compliquée de prime abord, du fait qu’elle contient plusieurs
propositions. Nous invitons le thérapeute à la formuler avec la prosodie
suivante :
Quand vous regardez cette image…
quels sont les mots qui vous viennent à l’esprit…
qui disent quelque chose de négatif sur vous…
et qui résonnent comme vrai…
maintenant ?
Ce rythme permet au patient d’entendre un item à la fois, et lui laisse le temps
de comprendre la question. Il arrive fréquemment que la réponse du patient
ne soit pas encore la bonne formulation d’une cognition négative, amenant le
thérapeute à continuer le questionnement tel que « quand vous dites… qu’est-
ce que cela dit de vous ? », ou bien « … qu’est-ce que cela dit de vous en tant
que personne ? »
La cognition positive arrive comme un objectif à atteindre par rapport à la
problématique visée. De ce fait, elle doit être formulée dans le même thème
que la cognition négative. Quant à sa formulation, nous invitons le thérapeute
à avoir recours à la même prosodie que pour la recherche de la cognition
négative :
Quand vous regardez cette image... (il peut être utile de répéter l’image)
plutôt que… (répéter la cognition négative),
qu’est-ce que vous voudriez penser de vous-même…
même si vous n’y croyez pas en ce moment ?
Cette formulation est plus longue que celle qui est enseignée. Elle contient la
mention, souvent implicite et mal comprise des patients, que la croyance
positive, quoiqu’enviable, n’est pas crédible actuellement. Lorsque le patient
ne comprend pas ces formulations, nous lui rappelons que c’est la partie la
plus ardue, et nous répétons la formulation citée ci-dessus. Il se peut qu’il ait
juste besoin d’un peu de temps pour se familiariser avec ce questionnement
particulier.

COGNITIONS ET PLAN DE CIBLAGE

Le plan de ciblage peut déjà contenir des cognitions, surtout s’il s’agit de
cognitions fondamentales. Elles permettent ainsi de mettre à jour un
ensemble de réseaux dysfonctionnels. Étant donné sa fonction organisatrice,
le thérapeute EMDR peut se servir de la cognition négative comme d’une tête
chercheuse pour mettre à jour les événements du passé en lien avec la
problématique. Apparaissent alors des cibles dont le patient n’avait souvent
pas fait état lors de l’anamnèse, ce qui permet des prises de conscience, mais
ce qui peut aussi déstabiliser.
Même si le plan de ciblage se fait en phase 1 de la thérapie EMDR, nous
encourageons les thérapeutes EMDR à installer un lieu sûr et un contenant
(phase 2) au préalable de façon à pouvoir confiner ces souvenirs en attendant
de pouvoir les aborder et stabiliser le patient. La recherche de la cognition
positive et l’installation du scénario du futur agissent aussi comme des
éléments stabilisateurs.

LES COGNITIONS DANS LA PHASE D’ÉVALUATION

David Servan Schreiber nous enseignait que les cognitions font partie du
trépied indispensable pour correctement activer un réseau neuronal dans le
but d’un retraitement efficace : l’image, la cognition négative et le siège de la
sensation corporelle. Si nous voulons donc efficacement et durablement
retraiter un événement du passé, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les
cognitions.
La bonne définition des cognitions non seulement facilite le retraitement,
mais entraîne le processus associatif vers d’autres ramifications.
Parfois, lors de la phase 3, une vague émotionnelle peut émerger. De manière
cohérente avec les recherches de Sack et ses collègues (2007, 2008a, 2008b),
nous commençons dès lors les stimulations bilatérales alternées (SBA), en
vue d’activer le système parasympathique ventral et de ce fait produire un
apaisement corporel, ce qui est rapidement obtenu dans la plupart des cas.
Étant donné qu’un des buts de la phase 3 est d’activer le réseau mnésique, il
nous paraît important, lorsqu’une abréaction émerge, de l’accompagner à ce
moment, de sorte que le patient se sente soutenu et en sécurité. Ensuite, nous
retournons là où nous en étions de la phase 3 et continuons le protocole.

COGNITIONS ET ENFANTS, ADOLESCENTS,


PERSONNES DÉFICITAIRES ET GRAND ÂGE

Chez les enfants, le protocole standard est réduit pour s’adapter à leur stade
développemental. Chez les enfants uniquement, une cognition peut aussi être
une émotion, (par exemple « j’ai peur »).
Avant 4 ou 5 ans, les questions sur les cognitions ne font pas partie du
protocole. Dès 4/5 ans, le thérapeute peut poser la question de la cognition
négative, mais avec d’autres mots que chez les adultes : « Quels sont les mots
méchants qui te viennent dans la tête quand tu penses à… (répéter
l’image) ? »
À partir de 7/8 ans, il est utile de rechercher également la cognition positive
et la VOC, sans qu’elles ne soient forcément obtenues. Cette logique
s’applique jusqu’au travail avec les adolescents (Morris-Smith & Silvestre,
2015). Le plus important pour le thérapeute EMDR sera de suivre les
capacités cognitives de l’enfant.
Certaines formulations ou protocoles, utiles pour les enfants, peuvent l’être
également pour les personnes déficitaires. Cependant, nous invitons le
thérapeute à ne pas sous-estimer les capacités du patient et à ne jamais faire
l’économie de poser la question des cognitions. Plus d’une fois, nous avons
été surpris par une réponse tout à fait adéquate que nous supposions difficile
a priori.
Pour les adolescents en général, comme pour toute personne appartenant à
une culture collectiviste, où le regard de l’autre est particulièrement
important, il peut être utile de reformuler la recherche de la cognition
négative sous une forme indirecte, (par exemple « que craignez-vous que les
autres puissent dire de vous de pire ? »), qui peut nous permettre d’obtenir
une cognition négative correspondant à nos critères.
Les personnes âgées, lorsqu’elles présentent des déficits cognitifs, nous
amènent à faire l’impasse sur les cognitions dans un premier temps. Ici aussi,
il est utile de commencer par poser les questions sur les cognitions comme à
toute personne, sans supposer que la personne âgée ne puisse y répondre.

COGNITIONS, TRAUMA COMPLEXE ET CHRONICITÉ

Pour les patients dépressifs, Hofmann et ses collègues (Hofmann et al.,


2014 ; Hase et al., 2015) préconisent de cibler dans un premier temps les
« événements de vie stressants » en termes de pertes, de deuils et
d’humiliations. Cela permet, selon ces auteurs, d’assouplir la dépression, ce
qui pourrait faciliter l’accès aux autres cibles traumatiques. Hofmann soutient
que pour déloger la chronicité des patients dépressifs à rechutes multiples,
cibler les cognitions est incontournable.
Parfois, des patients traumatisés complexes se présentent avec des cognitions
fondamentales (Janoff-Bulman, 1992) qui semblent organiser leurs
perceptions, leur façon d’appréhender le monde et leurs défenses. C’est ici
qu’un plan de ciblage à partir d’une cognition négative prise comme une
problématique à part entière, tel que le propose de Jongh (de Jongh, ten
Broecke & Maijer, 2010) devient particulièrement utile. Le questionnement
des déclencheurs se fait autour des occurrences de pensée : « Dans quelles
situations de la vie quotidienne, il vous arrive de penser cela ? » Émerge alors
une liste de déclencheurs qui ont l’air anodins pour tout un chacun, mais pas
pour ce patient. Pour lui, cela signifie le début d’un fonctionnement
automatisé et implicite, qui s’emballe et qui n’est plus du tout adapté. Les
souvenirs du passé sont recherchés de la manière suivante : « Quels sont les
souvenirs du passé qui prouvent que… (répéter la cognition négative) ? ». Le
souvenir source est la toute première fois où le patient a pensé cela de lui.
Lanius et al. (2010) nous propose un modèle dans lequel elle préconise que
30 % des patients traumatisés complexes n’ont pas un accès facile aux
émotions, et réagissent à l’évocation d’un trauma par une activation majeure
des aires préfrontales inhibant le système limbique et les aires responsables
du ressenti corporel. Avec ces patients, nous observons régulièrement que
l’émotion s’émousse le long de la phase 3, notamment après la définition des
cognitions. Dans ces cas, mais aussi avec les patients fragiles, nous faisons le
choix de laisser de côté les cognitions en phase 3, de façon à limiter cette
inhibition limbique et ainsi faciliter l’accès au réseau traumatique et à
l’émotion qui y est contenue.
Au terme de la phase de désensibilisation, nous continuons avec une phase 5,
lors de laquelle la cognition positive est définie : « Lorsque vous pensez à la
situation initiale, quels sont les mots qui vous viennent à l’esprit, et qui disent
quelque chose de positif sur vous ? » Le travail de retraitement continue
comme d’habitude. Avec ces patients, l’accès aux cognitions et le
retraitement fluide à partir de celles-ci est l’aboutissement d’une tolérance à
l’affect suffisante.

Les cognitions en thérapie EMDR sont fondamentales pour un travail psychothérapeutique efficace et en profondeur,
permettant une réorganisation de la perception et de l’expérience sur le plan cognitif et affectif. Outre le stockage
fonctionnel de l’expérience, le travail à l’aide des cognitions favorise un apprentissage au-delà du souvenir abordé. Le
processus EMDR permet, par la généralisation des cognitions positives, aux personnes d’être mieux armées pour le futur.
Si les événements négatifs ne peuvent se prévenir, le blocage de ceux-ci en réseaux traumatiques semble moindre chez des
personnes plus solides, plus stables et plus à même d’apprendre de leurs expériences.

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Chapitre 9

Le protocole des scénarios futurs1


de la thérapie EMDR

Eva Zimmermann

La thérapie EMDR est une thérapie en huit phases et en trois temps. Les huit phases permettant d’identifier les cibles du
passé à traiter pour en définir un plan de ciblage, et à les retraiter ensuite l’une après l’autre. Les trois temps représentent le
guide chronologique « passé-présent-avenir » pour le suivi des cibles dans l’avancement de la thérapie. En élaborant un
plan de ciblage, il importe d’identifier les cibles du passé liées à la problématique du patient ainsi que tous les déclencheurs
de réactions inadaptées ou d’autres symptômes présents. Chaque déclencheur présent a son scénario futur correspondant ;
autrement dit, un scénario futur est une situation où le même déclencheur se représente dans un avenir plus ou moins
proche. Ces scénarios futurs constitueront des cibles et représentent donc le troisième temps du traitement. L’application du
protocole des scénarios du futur permet de contrôler les effets du retraitement des cibles du passé (étant à la base de la
pathologie, comme stipulé par le modèle TAI ; Shapiro, 2001, 2018) ainsi que des déclencheurs actuels et de bien préparer
les réactions futures souhaitées de même que de diminuer l’anxiété anticipatoire pour tout comportement ou situation futurs
inconnus ou nouveaux. Le traitement en thérapie EMDR ne sera complet que lorsque l’application du protocole des
scénarios futurs ne révélera plus aucune cible supplémentaire à retraiter et que les effets seront sans exception neutres,
voire positifs.

LES PROTOCOLES DES SCÉNARIOS FUTURS


▶ Généralités et objectifs

La thérapie EMDR est une thérapie en huit phases et en trois temps. Les
scénarios futurs représentent le troisième temps ou la troisième étape dans
l’approche en trois temps. En cas de traitement de souvenirs cibles avec un
plan de traitement standard, les scénarios futurs sont considérés comme la fin
du traitement, assurant ainsi un traitement complet. Pour des cas plus
complexes, le traitement de cibles futures peut s’avérer une étape
intermédiaire, voire initiale de la thérapie EMDR. Les objectifs quant au
traitement des scénarios futurs sont d’une part, de préparer le patient de
manière optimale à des situations futures représentant un défi pour lui et d’en
supprimer la dernière charge affective (exemple : l’anxiété anticipatoire) qui
pourrait bloquer ou empêcher le patient d’aborder des actions futures. D’autre
part, il s’agit également de le préparer avec une nouvelle vision ou de
nouvelles attitudes par rapport à un avenir encore inconnu ou inhabituel, car
jadis toujours évité, et d’en repérer des blocages possibles jusque-là non
identifiés.

▶ La place des scénarios futurs dans le plan de ciblage

Comme mentionné, un plan de ciblage est élaboré généralement durant la


phase 1 du traitement en huit phases, c’est-à-dire en parallèle à et à la suite de
l’entretien d’anamnèse. Selon la théorie de la thérapie EMDR et du modèle
TAI (voir chapitre 1), aucun comportement (y compris « dysfonctionnel »)
n’est dû au hasard, mais prend son origine dans des expériences passées ayant
conduit au succès ou à l’échec, au calme et à la satisfaction, ou alors à des
émotions fortes et à un malaise. Les problèmes actuels du patient sont
considérés comme étant le ou les symptômes indiquant des souvenirs stockés
de manière dysfonctionnelle dans de réseaux mnésiques isolés et aux effets
néfastes sur la manière de vivre le présent (Shapiro, 2018 ; Solomon &
Shapiro, 2008). Ce sont généralement ces symptômes dérangeants qui
amènent nos patients à venir consulter. Des émotions, attitudes ou sensations
sont revécues dans le présent comme lors de l’événement, car l’événement a
été « stocké » dans le cerveau dans son état original au moment où les faits se
sont déroulés, sans que le souvenir ait pu bénéficier d’un retraitement
adaptatif de ses éléments. De nombreux évitements de comportements
souhaités à l’avenir peuvent en résulter. L’élaboration du plan de ciblage vise
donc à identifier non seulement les cibles du passé, mais les déclencheurs
actuels et les comportements évités en raison de l’anxiété anticipatoire qui
empêche la survenue des comportements parfois même très souhaités, mais
trop appréhendés ou avec une issue trop incertaine selon l’estimation du
patient. En élaborant donc le plan de ciblage, un accent important est mis sur
l’identification de cibles futures en lien avec les déclencheurs présents.
L’évitement maintient les symptômes. Dépasser l’évitement pour tout
comportement appréhendé fait partie intégrante du traitement des scénarios
futurs.

Élaborer un plan de ciblage

L’élaboration du plan de ciblage a donc pour but principal d’identifier les


cibles à retraiter dans les trois temps (voir chapitres 6 et 9). L’identification
des déclencheurs présents et leurs scénarios futurs fait partie de la
planification du traitement (phase 1). Néanmoins, durant tout le traitement à
travers les trois temps (c’est-à-dire durant le retraitement de cibles du passé et
du présent), de nouvelles cibles (par exemple de nouveaux déclencheurs)
peuvent apparaître, voire doivent être recherchées activement (Shapiro, 2018)
par le clinicien, car le retraitement de traumatismes peut faire émerger des
comportements dysfonctionnels cachés. Si ce cas se présente, les nouvelles
cibles sont tout simplement rajoutées au plan de ciblage et ensuite traitées en
suivant la chronologie du plan de ciblage (passé-présent-avenir). Chaque
nouveau déclencheur représente une nouvelle cible dans l’avenir. Une fois les
cibles identifiées et la patiente suffisamment stabilisée, les séances de
retraitement (phases 3 à 7/8) avec chaque cible peuvent être effectuées dans
l’ordre chronologique, pour les plans de ciblage standard et le traitement du
Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT, DSM-V, F 43.1).

Les scénarios futurs lors de l’élaboration du plan de ciblage

Lors de l’élaboration du plan de ciblage, les scénarios futurs sont plutôt peu
élaborés. Il est notamment demandé à la patiente durant l’élaboration du plan
de ciblage d’identifier le comportement souhaité à l’avenir, en partant du
problème actuel qui a amené la personne à consulter.
La question suivante devrait permettre à identifier le ou les scénarios futurs :
« Comment aimeriez-vous pouvoir gérer à l’avenir les situations actuelles qui
déclenchent la problématique (déclencheurs actuels) ? » Cette question
devrait être posée pour chaque déclencheur, après qu’il ait été traité comme
cible, alors que lorsque le plan de ciblage est élaboré (en phase 1),
l’identification d’un seul comportement souhaité peut encore suffire.
Les scénarios futurs lors du traitement des cibles du passé
et des déclencheurs
Plus tard dans la phase de retraitement des cibles et tout au long de la
thérapie, de nouvelles cibles déclencheurs peuvent être identifiées. Ces
nouvelles cibles peuvent être notamment des conditions actuelles (nouvelles
ou apparaissant durant le traitement), des situations ou des personnes qui
continuent à déclencher des comportements d’évitement ou des
comportements inadaptés, ou encore des perturbations émotionnelles ainsi
que des sensations physiques et des impulsions qui peuvent être sources
résiduelles de comportements dérangeants. Selon Shapiro (2018), il est
important de rechercher activement de nouveau déclencheurs et situations
déclenchantes tout au long du retraitement des cibles pour garantir un
traitement aussi complet que possible. Notamment de nouvelles cibles avec
des personnes significatives doivent être recherchées. Par exemple, si les
cibles du passé sont en lien avec une personne ayant blessé ou nui à la
patiente, une rencontre possible avec cette personne devrait être une cible
future, que la rencontre ait réellement lieu un jour ou non. Il en va de même
pour des situations significatives : si la patiente a subi des situations de
violence sexuelle, des cibles dans l’avenir de relations sexuelles satisfaisantes
devraient faire partie des scénarios futurs. Cela permet au patient de
s’orienter vers un avenir avec de nouveaux choix possibles, avec des
changements de comportements ou des réactions émotionnelles et
sensorielles différentes. Chaque scénario futur est directement abordé suite au
traitement de son déclencheur. Concrètement, dans la chronologie du
traitement en trois temps (les trois temps passé-présent-avenir), lorsque les
cibles du passé ont été retraitées complètement avec les phases 3 à 7 et leur
phase 8 permettant de passer à la prochaine cible, on commencera à retraiter
les déclencheurs. Lorsque le premier déclencheur est abordé en tant que cible
avec les phases 3 à 7, dans la même séance si le temps le permet, la cible
« scénario futur » avec ce même déclencheur doit être abordée. Pour cela, le
protocole spécifique est suivi comme décrit ci-dessous.

▶ Le protocole spécifique des scénarios futurs


après le traitement d’un déclencheur

Dès que le premier déclencheur a été retraité, on invite le patient à suivre le


scénario futur en trois étapes en lui demandant :
Étape 1 : d’identifier une situation relative au déclencheur où une réponse
plus fonctionnelle ou adaptée est désirée. Discuter ensuite avec le patient
de ses compétences réelles pour pouvoir assurer une réussite possible avec
une croyance positive (Cognition Positive) accessible. Par exemple, dans
le cas de quelqu’un qui a une réaction importante d’anxiété à chaque fois
qu’il doit passer dans un tunnel sur l’autoroute, et après avoir traité ce
déclencheur (l’entrée dans le tunnel), on demandera à la personne de
s’imaginer traverser un tunnel où le problème est résolu. Comment la
personne imagine-t-elle (et décrit-elle) cette scène ? Identifier avec la
personne sa réponse et en discuter en y intégrant une Cognition Positive
souhaitée (par exemple « je vais y arriver »). Passer ensuite à la prochaine
étape (étape 2) en demandant :
Étape 2 : d’imaginer un film de l’avenir indiquant une résolution du
problème actuel. On demandera donc d’imaginer de passer dans le tunnel
et que la situation future est gérée correctement, en ayant à l’esprit la
Cognition Positive (« je vais y arriver ») et les sensations positives
associées. Concrètement on l’y invite de la manière suivante : « J’aimerais
que vous imaginiez maintenant ce scénario en gardant à l’esprit la pensée
positive (renommer la pensée positive) et en vous centrant sur le ressenti
(renommer le ressenti). Entrez en contact avec cette scène… et notez
comment vous gérez la situation… ce que vous pensez… ressentez… et
expérimentez dans votre corps. »
On laissera passer suffisamment de temps pour que le patient puisse se
concentrer sur la scène entière avant de demander : « Qu’est-ce que vous
remarquez ? » Il y a trois types de réponses possibles :
1. La réponse est positive : on ciblera donc toute la scène en renforçant avec
une à deux séries de SBA (rapides) puis on installera la Cognition Positive
jusqu’à VOC 7 (ou réponse écologique).
2. La réponse est neutre ou incertaine : on développe avec le patient une
réponse positive appropriée puis cibler comme une réponse positive (voir
point a ci-dessus).
3. La réponse est négative : en discutant avec le patient, on identifie toutes
les difficultés imaginées et on y cherche des solutions appropriées. Parfois
l’enseignement de compétences supplémentaires s’avère nécessaire à ce
stade (par exemple un jeu de rôle entre patient et thérapeute avec un focus
quelconque nécessaire, ou l’enseignement de stratégies d’auto-apaisement
supplémentaires comme la cohérence cardiaque, etc.). Une fois passées
ces appréhensions ou difficultés, on cible comme ci-dessus (réponse
neutre ou positive de l’étape 2). Par la suite, l’étape 3 est abordée :
Étape 3 : cette étape cherche à ancrer davantage les réponses positives du
patient et à le préparer à des complications possibles à l’avenir. Les
différents pas se suivent comme suit :
Renforcement de la réponse : « Maintenant, je voudrais que vous puissiez
imaginer le film où vous vous voyez gérer efficacement la situation, en
ayant à l’esprit la croyance positive (CP) et le ressenti que vous avez de
vous ». Le patient visualise la scène en entier, les yeux ouverts, en suivant
des SBA (rapides) du thérapeute, et en se centrant sur la CP et le ressenti
positif. Si des perturbations se manifestent, quelques séries de SBA
(rapides) peuvent généralement diminuer la perturbation immédiatement.
Le but est de permettre au patient de visualiser toute la scène sans
complications, du début à la fin, avec la CP (à 7 ou 6 écologique) et le
ressenti positif. En cas de complications, un retraitement ultérieur d’une
nouvelle cible (trouvée par le pont d’affect par exemple) peut devenir
nécessaire.
Introduire des défis : les étapes 1 à 3 sont répétées avec un défi ou une
complication imaginée par le patient dans son scénario futur. Le thérapeute
lui dira : « Je voudrais maintenant que vous imaginiez cette situation
future en y incorporant un défi ou une difficulté́ que vous pourriez
rencontrer dans cette situation, tout en vous centrant sur la pensée et le
ressenti positifs auxquels vous aimeriez être connecté(e). » Passer les trois
étapes comme pour la situation du scénario futur sans défi ou
complication, jusqu’à résolution positive des défis ou des complications
imaginés ; en d’autres termes, le patient peut retrouver une CP positive
avec VOC à 7 (ou 6 écologique) et une bonne sensation corporelle même
en imaginant une imperfection dans son scénario futur. Le but est de
préparer le patient à une difficulté éventuelle en l’abordant dans le cabinet
du thérapeute pour la première fois, et non dans la « vie réelle », ce qui
risquerait de décourager le patient, car il ne s’y serait pas attendu. Ne
travailler que le scénario futur positif pourrait induire en erreur nos
patients dans une idée fausse que tout se passera au mieux, ce qui,
malheureusement, n’est pas toujours le cas.
Figure 1. Le protocole des scénarios futurs, vue d’ensemble
▶ Le plan de traitement inversé

Il est possible, en cas de personnes souffrant de symptômes de traumas


complexes, d’inverser le protocole standard en trois temps. Plutôt que de
travailler « passé-présent-avenir », on commencera donc le retraitement avec
des scénarios futurs avant de travailler sur les déclencheurs. Ce ne sera
qu’ensuite que l’on ciblera le passé récent et l’on terminera avec les cibles du
passé. Cette inversion est proposée par Hofmann (2009). Elle permet aux
patients instables d’avancer et d’atteindre plus rapidement une stabilité dans
leur vie quotidienne en osant enfin aborder ou faire des choses longuement
évitées (l’évitement fait partie des symptômes de stress post-traumatiques,
DSM-V, 2013). Ce comportement d’évitement est particulièrement prononcé
chez les personnes souffrant d’un état de stress post-traumatique complexe
(CIM-11, version Beta). En inversant le protocole standard et en travaillant
donc sur l’avenir proche sous forme de comportements évités, les premières
séances de désensibilisation sont ainsi plus douces car pas nécessairement
déjà en lien direct avec les situations fortement perturbantes du passé, mettant
la patiente ainsi plus à l’aise et en abordant les cibles vraiment difficiles
uniquement en fin de plan de ciblage, à un stade plus avancé de la thérapie.
On opte donc ainsi pour une plus grande stabilité de la patiente avant
d’aborder les souvenirs vraiment difficiles. En plus, les patientes sont
rassurées par de bonnes expériences en séances de désensibilisation. Dans ce
genre de situation, les scénarios futurs représentent donc les premières cibles
du plan de ciblage. Par contre les phases 3-8 restent inchangées.

▶ Fin du plan de ciblage

Une fois les déclencheurs et leurs scénarios futurs traités avec succès, le plan
de ciblage est terminé. Ceci ne veut par contre pas forcément dire que le
traitement EMDR est terminé. Un plan de traitement comporte souvent
plusieurs plans de ciblage et d’autres interventions nécessaires, comme un
entrainement à l’affirmation de soi, ou apprendre à mieux parler en public,
etc., surtout chez les personnes avec des troubles de trauma complexe et des
troubles dissociatifs. Un nouveau plan de ciblage peut donc suivre après avoir
terminé les scénarios futurs. Ce chapitre ne peut toutefois pas aborder toutes
les éventualités dans ce sens.

DES STRATÉGIES SUPPLÉMENTAIRES


POUR LES SCÉNARIOS FUTURS

Aborder des situations futures avec la thérapie EMDR nécessite donc


toujours un laps de temps assez important pour y parvenir. La plupart du
temps, le clinicien suit la logique de base en thérapie EMDR en suivant les
trois temps du traitement, c’est-à-dire passé-présent-avenir. Parfois il se
trouve que le temps nécessaire pour y parvenir fait défaut, car la situation
future est une situation de l’avenir proche, autrement dit, elle va se présenter
dans un laps de temps très court. Ceci se produit notamment chez un patient
se présentant au cabinet peu avant une épreuve comme typiquement un
examen, ou une séance au tribunal, ou encore un accouchement imminent,
une opération d’urgence, etc. Comment aborder la situation future imminente
dans ce cas, si on n’a pas eu le temps de traiter le passé et les déclencheurs
présents ? Le clinicien choisira de retraiter directement la situation future
avec le protocole standard des phases 3 à 7, ou encore d’utiliser le protocole
des scenarios futurs selon le plan de traitement décrit plus haut. Ce faisant, il
veillera bien à « couper » toutes les associations vers le passé traumatique
pour éviter d’activer le patient peu avant son épreuve. Pour « couper » des
associations qui se font vers le passé, on invitera tout simplement le patient à
mettre de côté cette association. On pourra lui dire la phrase suivante : « Je
vous invite à laisser de côté ce sujet (ce dont il vient de parler). Je le note et
on le traitera le temps voulu. Revenez à la situation initiale. Qu’est-ce qui est
là maintenant ? » On cherchera essentiellement à cibler la situation dans
l’avenir.
Si une seule séance est possible avant ladite épreuve, le clinicien peut aussi
opter pour la technique de l’éponge (Shapiro, 2018).

▶ La technique de l’éponge
Cette technique vise le renforcement des ressources déjà présentes chez nos
patients, mais souvent oubliées par ceux-ci, étant submergés par leurs
angoisses et peurs du présent. La technique de l’éponge peut faire une
différence importante dans le ressenti pour la situation à venir.
Les étapes de la technique de l’éponge sont utilisées comme suit :
1. Chercher une situation stressante dans la vie quotidienne (ou la situation
future imminente) et demander le SUD et chercher ensuite
2. Trois qualités ou compétences intérieures en demandant : « De quelles
qualités ou compétences intérieures auriez-vous besoin pour mieux faire
face à ce stress ? » Rassembler trois qualités spécifiques intérieures (par
exemple courage, force intérieure, sérénité).
3. Ensuite le patient choisit une première qualité, ceci en lui demandant
« Avec quelle qualité aimeriez-vous commencer ? » Avec la qualité
choisie, on cherchera avec le patient une
4. Situation représentant sa capacité à utiliser cette qualité (au moins un
peu). On demandera donc : « Y-a-t-il eu une situation dans laquelle vous
avez remarqué que vous disposiez déjà un peu de cette qualité ? » Laisser
le patient décrire la situation en détail.
5. Chercher l’image associée : « Quelle est l’image qui décrit le mieux cette
situation et cette compétence ? » (Chercher l’image qui évoque le plus
d’affect positif !)
6. Émotions et sensations : « Lorsque vous pensez à cette ressource
positive, remarquez les images, les sons, les odeurs, les goûts. Que
remarquez-vous ? »
« Concentrez-vous sur cette expérience positive, les images, les sons, les
odeurs, les goûts et remarquez où dans votre corps vous ressentez cette
qualité. » « Prenez le temps d’intensifier cette expérience. »
7. Renforcer ensuite en disant : « Entrez en contact avec l’image ..................
et la sensation corporelle. Êtes-vous en contact ? »
Si oui : « Restez en contact avec cela et suivez mes doigts. » Faites une
série de 4 à 6 SBA lents et demandez ensuite : « Comment est-ce
maintenant ? »
Demandez de manière ciblée s’il y a un changement dans la sensation
corporelle. Lorsque celle-ci est devenue plus forte, faites encore une série
de SBA lents.
S’il y a un pont d’affect vers du matériel négatif, cherchez une autre
situation dans laquelle le patient disposait de cette qualité.
8. Faire les étapes 3 et 7 pour les trois qualités (donc les deux autres
restantes).
9. Renforcer le contact avec les trois qualités : « Entrez en contact avec les
sensations corporelles de la première qualité, gardez cette sensation dans
le corps. Ajoutez les sensations corporelles qui vont avec la seconde
qualité. Maintenant, ajoutez les sensations corporelles qui vont avec la
troisième qualité. Êtes-vous en contact avec tout ça ?». Si oui : SBA.
10. Réévaluer le SUD : « Laissez revenir à nouveau la situation stressante
......................... et remarquez à combien elle vous paraît perturbante
maintenant de 0 à 10. »
Pour pratiquement toutes les situations, le SUD final est clairement plus
bas que le SUD initial. On ne s’attendra par contre pas à un SUD à 0 avec la
technique de l’éponge. L’essentiel de cette procédure est de montrer au
patient qu’il peut lui-même avoir un impact positif sur ses appréhensions en
se connectant à ses ressources.

▶ La procédure du flashforward

Généralités

La technique du flashforward (Logie & De Jongh, 2014) représente une


technique qui permet de traiter l’anxiété irrationnelle en lien avec des
situations futures. Engelhard et al. (2011, 2010) ont pu démontrer dans deux
études parallèles que des images intrusives concernant des situations futures
appréhendées perdaient en vivacité en comparaison avec un groupe contrôle
après un retraitement avec des stimulations bilatérales alternées. L’intensité
émotionnelle des images n’a pu bénéficier d’un changement positif
significatif que dans l’une des deux études (Engelhard et al., 2010).
La procédure
Le flashforward est la représentation du scénario catastrophe, donc de la pire
situation qui pourrait se réaliser, et cela même si elle paraît quasiment
impossible (le caractère irrationnel de la cible !). Pour procéder à la technique
du flashforward, il est important d’avoir d’abord retraité les cibles du passé
ainsi que les situations déclenchantes du présent, et leurs scénarios futurs
associés. Si des peurs persistent, alors on peut procéder au flashforward. Pour
ce faire, on demande donc à la personne de s’imaginer et de décrire le pire
scénario qu’elle puisse rencontrer. On expliquera bien au patient que nous
sommes à la recherche de ses pires images et appréhensions pour bien les
retraiter afin qu’elles perdent leur intensité et la charge affective dont le
patient souffre. L’élaboration d’une image arrêtée est importante avec une
activation de tous les éléments appréhendés et spécifiques, en lien avec les
symptômes du patient. Ensuite, cette cible imaginée est retraitée selon le
protocole de base (Shapiro, 2001, 2018) comme une cible ordinaire en
suivant les phases 3 à 7/8. De futures recherches cliniques sont par contre
nécessaires pour prouver l’efficacité de la technique du flashfoward par
rapport à un plan de ciblage complet.

▶ Les scénarios futurs A – B – C

L’auteur de cet article pense qu’un certain nombre de situations futures ne


sont pas suffisamment respectées, ni par le protocole des scénarios futurs, ni
par la technique de l’éponge ou encore par le flashforward. Il s’agit avant tout
de situations où l’issue de la situation future est incertaine et quand plusieurs
options se présentent. Ceci est le cas notamment pour des couples infertiles :
est-ce qu’à la fin, il y aura un enfant (en bonne santé) ou pas ? Ou ce même
questionnement se trouve lors de soucis de santé graves comme le diagnostic
d’un cancer avec tout ce qui en découle (opérations, chimiothérapie,
radiothérapie, hormonothérapie, etc.) ou encore une infection HIV. Les
questions que les gens se posent très fréquemment sont les suivantes : « Est-
ce que je vais m’en sortir, ou est-ce que je vais mourir, ou encore est-ce que
la maladie va se manifester à nouveau, ou est-ce que je vais souffrir
beaucoup, est-ce que j’aurai des douleurs terribles, etc. ? » Une situation
similaire se présente à une patiente qui doit se présenter à des examens
décisifs qui ont un rôle déterminant sur le futur, comme la dernière chance
pour des examens, un concours essentiel par rapport à la carrière souhaitée,
ou encore une épreuve sportive ou artistique décisive, comme un examen de
passage qui bloque l’accès à une carrière en cas de non-réussite. Pour chacun
de ces scénarios, l’issue peut être considérée comme étant fatale. Dans ce cas,
il est utile de développer trois scénarios : le scénario A représente l’issue
favorable et souhaité, le scénario B représente le scénario mitigé, avec toutes
sortes de complications, mais la fin sera favorable quand-même, et le
scénario C représente le scénario catastrophe (semblable au flashforward)
(Zimmermann, 2017). On discutera avec le patient des trois options pour les
traiter ensuite comme des cibles classiques, une à une et dans le sens inverse,
c’est-à-dire en commençant par le scénario C, puis le scénario B, pour ensuite
terminer par le scénario A (ce dernier en suivant le protocole des scénarios
futurs comme décrit plus haut). En préparant le scénario C, il est important de
bien expliquer à la patiente qu’il s’agit d’une éventualité que personne ne
désire, mais que de ne pas s’en occuper en thérapie serait d’éviter les pires
scénarios, alors que la patiente y pense bien par elle-même, souvent seule, la
nuit. Pour les gens malades, le scénario C représente souvent une
confrontation à la mort, donc à leur propre mort. Ce qui est généralement
atteint, en retraitant alors le scénario C, est un apaisement de l’angoisse et la
peur de la mort : une attitude avec des propos du genre « je n’ai pas envie de
mourir maintenant, mais je sais qu’un jour ça devra arriver, et je peux
m’imaginer être sereine quand ce sera mon tour ». Généralement, les
scénarios C ne sont pas abordés avec les familles ou les proches, car lorsque
la personne se met à en parler, bien souvent on leur dit qu’il ne fallait pas en
parler, que ça n’arrivera certainement pas, qu’il faut rester positif. Donc les
personnes concernées se retrouvent seules et isolées avec leurs peurs. En
thérapie, parler de tout, même du pire, est possible. Et la thérapie EMDR a un
effet bénéfique aussi sur ce genre de scénarios que personne ne désire, mais
que bien des personnes sont contraintes d’accepter.

La technique principale abordée dans ce chapitre, le protocole des scénarios futurs, se base sur les préconisations de leur
auteur Francine Shapiro. Les autres correspondent à des développements de cliniciens suite à des observations cliniques et
des développements créatifs, comme la technique du flashforward, la technique de l’éponge ou encore les scénarios A-B-C.
La caractéristique principale de toutes ces interventions est de permettre un traitement aussi complet que possible en
cherchant activement toute problématique non encore résolue lors du traitement en trois phases passé-présent-avenir des
cibles du plan de ciblage.
Tous les protocoles et techniques proposés visent à préparer le patient au mieux à un avenir qui comporte parfois une issue
incertaine, parfois avec de grands défis à relever qui demandent affirmation de soi, ou encore un avenir lui demandant
courage, motivation et force.
Pour l’application de toutes ces techniques, il est important de garder une certaine ouverture et une flexibilité permettant de
s’adapter à la personne et à ses besoins et problématiques spécifiques. La décision clinique du moment prévaut toujours sur
un protocole rigide.

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Notes
1. Il est commun d’utiliser les termes de « scénarios du futur » ce qui est incorrect. Il convient plutôt de
parler de « scénarios futurs » expression que nous avons retenus. Nous aurions aussi pu privilégier les
termes de « scenarii futurs ».
Chapitre 10

Protocoles EMDR spécialisés

Jenny Ann Rydberg

Si l’efficacité de la psychothérapie EMDR dans la prise en charge de l’état de stress post-traumatique est largement établie
par de nombreux essais randomisés contrôlés, son indication dans d’autres troubles cliniques ne bénéficie pas encore d’un
soutien aussi solide par la recherche.
Certaines études illustrent l’application du protocole et des procédures EMDR standard dans la prise en charge de
problématiques diverses, notamment de la dépression (Gauhar, 2016), du trouble panique (Faretta, 2013), de la douleur
chronique (De Roos et al., 2010), de difficultés conjugales (Reicherzer, 2011) et de l’anxiété liée aux examens (Maxfield &
Melnyk, 2000). De nombreux autres auteurs décrivent des protocoles spécialisés. Chaque nouveau protocole annonce
l’introduction de spécificités en comparaison du protocole et des procédures EMDR standard, mais son efficacité est testée
globalement, sans qu’on ne puisse évaluer la pertinence de telle ou telle modification particulière. Ceci s’applique
d’ailleurs aussi aux études sur les procédures EMDR standard : à l’exception des stimulations bilatérales d’attention
double, la recherche n’a pas encore examiné le rôle ou l’impact précis de chaque composant du protocole.

De nombreuses études soutiennent le principe du traitement adaptatif de


l’information (TAI) selon lequel les expériences de vie défavorables ou
indésirables (adverse life experiences) sont à l’origine de toute une gamme de
troubles (Shapiro, 2014). Quel que soit le trouble ou le diagnostic du patient,
le praticien emploie la même stratégie de ciblage : il identifie les expériences
passées qui alimentent les symptômes actuels. Suivant le protocole à trois
volets temporels, seront traités d’abord les événements passés, puis les
déclencheurs actuels, avant d’intégrer de nouveaux scénarios futurs positifs.
Par exemple, dans le cas d’un patient présentant une anxiété sociale, Le
praticien pose des questions directes ou utilise les techniques du pont d’affect
ou du floatback afin d’identifier les expériences antérieures qui contribuent à
la honte, à la timidité, à la peur et à la dévalorisation actuelles. Il peut s’agir
d’expériences vécues dans l’enfance, d’échecs ou d’humiliations, de
situations relationnelles.
Dans le cas d’un trouble de la personnalité, le praticien détermine les
expériences lors desquelles se sont développés les schémas et les modes
affectifs, cognitifs et relationnels dysfonctionnels qui caractérisent la
personnalité.
Le praticien détermine aussi quels sont les facteurs actuels qui provoquent
actuellement les réactions négatives du patient, ainsi que les informations,
ressources et capacités que le patient a besoin d’acquérir en vue d’un
fonctionnement adaptatif. Le protocole en trois volets s’applique ainsi à la
prise en charge de tout tableau clinique.
La durée de la prise en charge dépend de la quantité de préparation
(stabilisation, développement de ressources, amélioration du soutien social)
qui sera nécessaire avant d’entamer le traitement de souvenirs, du nombre et
de la sévérité des problèmes qui composent le tableau clinique, du nombre de
situations et d’expériences qui doivent être traitées pour chaque problème, et
des compétences à développer en vue d’un fonctionnement adaptatif futur
(Shapiro, 2018).
Si les procédures décrites ci-dessus permettent une prise en charge globale et
complète de la personne en abordant l’ensemble de ses difficultés
émotionnelles, relationnelles, comportementales et cognitives, il arrive aussi
qu’un patient souhaite que la thérapie se focalise sur une problématique
précise seulement. Dans ce cas, un protocole spécialisé peut répondre à cette
demande ciblée dans un premier temps. Si ce travail initial suscite de
nouvelles prises de conscience ou interrogations qui dépassent le contrat
thérapeutique initial, le patient et le praticien peuvent décider d’élargir les
objectifs et de s’appuyer sur les procédures et le protocole standard.

LES TYPES DE PROTOCOLES ET PROCÉDURES SPÉCIALISÉS

La lecture des protocoles et procédures spécialisés recensés dans les ouvrages


de Luber (2009, 2010, 2013, 2015a, 2015b), dans les articles du Journal of
EMDR Practice and Research ainsi que dans plusieurs publications
scientifiques internationales permet d’identifier que les protocoles et
procédures sont définis par leurs auteurs en fonction de critères assez
variables :
destinés à la préparation : stabilisation et régulation émotionnelle ;
définis par le caractère récent du trauma : urgences et événements récents ;
définis par l’étape ou la maturité développementale : souvenirs
précoces/préverbaux, enfants & adolescents, déficits intellectuels ou
cognitifs ;
définis par la nature somatique des plaintes : maladies, troubles
somatoformes, douleurs ;
définis par le diagnostic d’un trouble psychologique ou psychiatrique :
phobies, addictions, troubles obsessionnels compulsifs ;
définis par la population : intervenants de première ligne, militaires,
mineurs ;
définis par la complexité : trauma complexe, troubles dissociatifs,
comorbidité ;
définis par les objectifs et le cadre d’intervention : psychologie positive ;
définis par leur intégration avec d’autres approches : hypnose, états du
moi, thérapie conjugale, compressions crâniennes (dans le cas des
migraines).

LES PROTOCOLES EMDR SPÉCIFIQUES ORIGINELS

Les protocoles EMDR spécifiques de Shapiro (1995, 2001, 2018), toujours


enseignés dans la formation initiale en EMDR et dont plusieurs doivent être
maîtrisés pour l’accréditation de praticien EMDR Europe, sont repris dans le
tableau 10.1.
Tableau 10.1. Modifications et apports des protocoles EMDR spécifiques
originels
À lire ces conseils, on imagine aisément leur utilité dans bien d’autres cas :
adaptation de la psychoéducation et des moyens enseignés pour la
stabilisation et l’autorégulation aux besoins et à la situation du patient ;
pertinence de la notion de fragments-cibles nécessitant un traitement
individuel avant la consolidation de l’ensemble dans la mémoire ; technique
de visualisation d’un déroulement quand la mémoire n’est pas consolidée (ce
qui se manifeste par un défaut de généralisation spontanée), intégration
possible de techniques d’autres approches ; et mises à jour régulières du plan
de ciblage.
La notion de « modifications » ou de « variations standard » est d’ailleurs
implicite dans les stratégies destinées à relancer un traitement bloqué ou à
gérer les abréactions (Shapiro, 2001, 2018).

STRATÉGIES POUR ACCÉLÉRER OU DÉCÉLÉRER LE TRAITEMENT

Ces stratégies employées dans la phase de désensibilisation (phase 4) visent


soit à accélérer un traitement bloqué ou trop lent, soit à ralentir un traitement
trop activant ou intense, en induisant des phénomènes qui s’observent
spontanément lors du retraitement de cibles chez un grand nombre de
patients :
modifier la fréquence, la direction ou le type de stimulations bilatérales
d’attention double ;
inviter le patient à se centrer sur ses sensations corporelles (en y prêtant
spécifiquement attention, en étant attentif aux mots qui aimeraient
émerger, en posant sa main sur la localisation des sensations, en effectuant
un mouvement) ;
lors du retour à la cible, scanner la scène à la recherche de « ce qui est
encore/le plus perturbant maintenant » (pour accélérer) ou focaliser sur un
seul aspect de la scène (pour décélérer) ;
altérer volontairement l’image ou la scène (projetée sur un écran, modifiée
en noir et blanc ou avec le son coupé, voir son agresseur immobile,
modifier les dimensions spatiales ou temporelles) ;
rediriger l’attention vers l’image ou vers la cognition négative, ajouter des
mots positifs, vérifier si la cognition positive est appropriée ;
chercher des souvenirs antérieurs qui « alimentent » la problématique
(technique du floatback ou du pont d’affect ;
faire émerger la croyance bloquante ;
employer des tissages cognitifs.
Cette autorisation à induire des changements qui se produisent naturellement
chez d’autres patients mérite d’être retenue. Combien d’apports originaux des
protocoles spécialisés n’ont-ils pas trouvé leur inspiration dans l’observation
du déroulement du retraitement chez les patients et dans l’utilisation intuitive
des éléments répertoriés parmi les protocoles spécifiques originels et les
stratégies d’accélération ou de décélération du traitement ?
VARIATIONS STANDARD

Sans prétendre à une analyse exhaustive, voici quelques-unes des


modifications les plus originales ou fréquentes observées dans les divers
protocoles EMDR spécialisés et susceptibles de faire partie d’un ensemble de
« variations standard » (tableau 10.2).
Tableau 10.2. Modifications récurrentes ou originales des protocoles EMDR
spécialisés
Ces quelques pistes pour la définition de « variations standard » nous invitent à nous interroger sur le rôle et sur l’action de
chaque élément des huit phases, des principes TAI, du protocole à trois volets.
En suivant le principe déjà admis que des stratégies répertoriées sont utilisées pour susciter des phénomènes similaires à
ceux qui se produisent spontanément chez un grand nombre d’autres patients (stratégies pour accélérer ou décélérer le
traitement), les variations standard consisteraient en des options qui permettraient au praticien de s’adapter à l’organisation
inhérente du système de traitement adaptatif de l’information du patient au niveau du choix des cibles, de leur conception
en tant qu’instants précis ou comme une période ou un ensemble fragmenté, de la séquence de ciblage, des éléments
d’évaluation retenus, de la formulation du niveau d’intensité subjective du ressenti dysfonctionnel, de l’introduction de
techniques favorisant l’attention double et de l’utilisation particulière de la cognition positive.

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Chapitre 11

Les blocages du traitement

Martine Iracane

La thérapie EMDR basée sur une bonne alliance thérapeutique et sur une conceptualisation clinique approfondie, conduite
selon l’approche en trois temps, s’applique à traiter les souvenirs et situations pertinentes pathogènes alimentant la
problématique du patient, à travers la mise en œuvre d’un protocole rigoureux en huit phases. La réactivation du traitement
adaptatif ainsi engagée « remet en route le processus de digestion, au cours duquel des prises de conscience se font, les
associations nécessaires s’établissent, la personne apprend ce qui lui est utile et les émotions appropriées s’installent »
(Shapiro et Silk-Forrest, 1997). Le modèle de traitement adaptatif de l’information (modèle TAI) apparait comme le
processus neuro émotionnel activateur de la digestion et de l’intégration des informations dysfonctionnelles perturbantes
restées encodées dans leur forme initiale dans les réseaux de mémoire. Il arrive cependant que ce système favorable à la
résolution post-traumatique rencontre quelques aléas qui peuvent se manifester par des blocages ; ceux-ci risquent de
compromettre son efficience. Nous présenterons dans cette fiche la définition des blocages, leur manifestation, les
contextes qui les génèrent et les principales propositions de traitement des blocages afin de remettre en route un processus
d’auto guérison spontané activé par le traitement adaptatif de l’information

GÉNÉRALITÉS SUR LES BLOCAGES


▶ Définition

Francine Shapiro évoque la présence d’un blocage du traitement adaptatif de


l’information (TAI) au cours de la désensibilisation d’un souvenir « quand,
l’information n’ayant pas atteint le niveau de désensibilisation appropriée,
reste inchangée après deux séries consécutives de SBA » (Shapiro, 2007).
Parfois au cours de la désensibilisation d’une cible, et malgré les
changements apparents de contenus, le même niveau de perturbation est
maintenu enfermant en boucle les associations qui n’aboutissent à aucune
perspective intégrative nouvelle : le bouclage ainsi défini entraîne les mêmes
effets que le blocage et témoigne d’un processus TAI, mis à mal et
susceptible de s’interrompre.
De manière plus globale, les blocages peuvent se manifester par une
persistance des troubles, un allongement excessif de la durée du traitement
d’une situation cible, voire par une aggravation transitoire de la
symptomatologie

▶ Les causes des blocages

Durant le traitement, nous pouvons situer les blocages à différents niveaux,


intercorrélés et interdépendants : celui qui se situe lors du déroulement du
plan de traitement EMDR et celui plus directement inhérent au processus du
TAI.
Résistances, évitements et facteurs de maintien

Les causes peuvent être corrélées en première intention à des formes de


résistances à la thérapie EMDR et s’inscrire dans l’évitement d’un
engagement dans un travail ressenti comme trop anxiogène. Un déficit de
stabilisation ou une alliance thérapeutique fragile peuvent expliquer alors les
blocages du traitement ; Le repérage précoce de peurs afférentes aux
changements projetés qui s’inscrivent parfois dans un contexte systémique et
familial et/ou la mise en exergue des bénéfices secondaires conditionnant le
maintien des symptômes, peuvent alors prévenir l’occurrence de ces
difficultés éprouvées dans la mise en œuvre du traitement.

Les blocages du processus TAI

Pour que le TAI soit opérant nous savons que les informations négatives
(perceptives, émotionnelles, cognitives, somatiques) doivent se relier à une
ou des informations adaptives positives contenues dans d’autres réseaux de
mémoire déjà métabolisés ou inscrites dans les ressources psychologiques
intérieures. Ce constat suppose leur disponibilité et leur accessibilité– la
survenue de la liaison facilitatrice du TAI permettant l’intégration du matériel
dysfonctionnel.
Si cette information positive venait à manquer (cas des enfants par exemple
ou autres patients aux profils psychopathologiques complexes) il appartient
alors au thérapeute EMDR d’aider son patient à en disposer ; la psycho
éducation véritable mine de données informatives positives, les ressources-
supports au travail d’appropriation et d’élaboration-pourront pallier ce déficit
et permettre l’évolution favorable du TAI
Les informations positives nécessaires au maillage salutaire du TAI peuvent
être présentes sans être pour autant accessibles ; elles peuvent être situées
« trop loin » dans la chaîne associative ou être ensevelies sous la masse des
réseaux dysfonctionnels. Le flux associatif du TAI est sous-activé : de ce fait,
le matériel neuro émotionnel associatif émerge de manière très lente et la
capacité du retraitement et de mise en lien des contenus en est affectée ; dans
cette perspective, les pensées négatives persistent, les émotions restent aussi
perturbantes ou le contenu sensoriel reste inchangé (images, sons, etc.)
caractérisant le blocage du traitement.
Paradoxalement un TAI suractivé entraînant une augmentation du flux
associatif pourrait entraîner sa perte d’efficience surtout si de fortes charges
émotionnelles (abréactions) conduisent le patient hors de la fenêtre de
tolérance de ses affects (Siegel, 1999 ; Odgen et Minton, 2006). En effet, si
l’abréaction peut provoquer une catharsis salutaire et faciliter la
métabolisation du souvenir, il arrive a contrario qu’elle conduise le patient
hors limite de sa tolérance émotionnelle ; par sa complexité et son intensité,
l’abréaction peut empêcher le traitement, entraîner le patient dans une
contamination supplémentaire et obérer l’efficacité transformatrice et
intégrative du TAI.
L’hypo activation du TAI risque également de suspendre les associations : ce
cas se présente lorsque le patient « débranche » déconnecte de ses affects
dans un processus dissociatif défensif ; ces manifestations entravent
également l’intégration du matériel traumatique ou dysfonctionnel.

Quand surviennent les blocages ?

Tous ces risques de blocage du traitement de l’information surviennent


essentiellement en phase de désensibilisation (phase 4 du protocole standard)
Mais il arrive qu’au cours de la phase d’installation (phase 5 du protocole
standard) le blocage empêche l’accession à la pensée positive à son niveau
optimum (VOC à 6 ou 7) indiquant l’impossibilité du TAI d’accéder à
l’intégration de l’information positive. Lorsqu’il se manifeste en phase du
scanner du corps (phase 6 du protocole standard) le blocage va prendre la
forme de reliquats négatifs persistants, de traces somatiques non élaborées
venant parasiter l’accès à un apaisement complet du corps. Il est à noter que
plus les présentations cliniques relèvent de tableaux complexes et instables
(voir chapitre dédié) plus les blocages et abréactions peuvent survenir de
manière itérative et débordante au cours du traitement.
Les préconisations répertoriées ci-dessous pour soutenir thérapeute et patient
dans la gestion de ces aléas assureront le maintien du patient dans la sécurité
du présent et dans la contenance du lien thérapeutique.

COMMENT INTERVENIR EN CAS DE BLOCAGES

Il convient à cette étape, face aux indicateurs de survenue d’un blocage, de


mobiliser quelques changements afin de rétablir un bon fonctionnement du
TAI, l’objectif étant de redynamiser son pouvoir naturel d’auto guérison en
valorisant les capacités d’autonomie du sujet. «…L’aider à retrouver sa
propre capacité d’auto guérison et de la guider vers sa propre force de vie »
(Servan-Schreiber in Shapiro et Forrest, 1997).

▶ Les stratégies alternatives

Les approches mécaniques

Les premières mesures préconisées sont des approches dites mécaniques :


allonger la durée des sets SBA ;
augmenter la vitesse des SBA ;
modifier la direction des SBA visuelles en passant dans le sens oblique ;
passer à une autre modalité de stimulation : stimulation audio ou
tapotements si les SBA visuelles étaient utilisées ou « butterfly hug » ou
embrassade du papillon ;
auto stimulations si besoin.
Rappelons aussi, que certaines formes de stimulations ressenties comme
source de malaise sont bien entendu écartées (le confort du patient, ici et
maintenant, restant souverain).

Les changements de registre

Les différents registres contactés au décours des associations libres peuvent


être cognitif, perceptif, émotionnel, sensoriel au sens somatique. Lorsque les
associations révèlent un blocage sur un de ces registres, le thérapeute
interviendra de manière succincte pour attirer l’attention du patient sur un
autre registre ; il modifie ainsi le point de focalisation. Par exemple : « Et
dans votre corps que notez-vous quand vous pensez cela ? », « Quelles
émotions ressentez-vous derrière cette sensation dans votre corps ? » La
réponse du patient sera toujours rapidement stimulée pour ne pas éloigner le
patient de la remise en route du TAI

Les stratégies ICES : Image, Cognition, Emotion, Sensation

Une autre stratégie consiste à aller revisiter la cible dans le détail de ses
constituants perceptifs, cognitifs, émotionnels, sensoriels… pour aller y
repérer d’éventuels nouveaux composants ou croyances bloquantes. Ces
nouvelles résurgences associatives une fois stimulées, peuvent favoriser la
traversée du point de blocage

Les suggestions de type hypnotique

Elles vont venir influencer le rythme du TAI menacé d’interruption du fait de


son hyperactivation ou au contraire de son hypo activation.
Voici quelques propositions de stratégies de décélération :
Il est possible d’orienter le patient au cours de la désensibilisation sur une
seule sensation physique à la fois lorsque plusieurs sensations affluent au
même moment
Si les images véhiculent une reviviscence angoissante lors du retraitement
du souvenir il est possible d’en réguler la charge émotionnelle en
suggérant au patient d’imaginer la scène en noir et blanc ou en l’invitant à
suspendre le mouvement dans la scène revisitée…tel un arrêt sur image
provoqué par une télécommande imaginaire. Les réponses du patient
souvent de moindre intensité seront alors stimulées pour une reprise
normale du traitement.
Si le TAI ralentit, des techniques d’accélération du traitement vont prévenir
l’installation du blocage. Dans le contexte de la suggestion hypnotique citons
la possibilité d’inviter le patient à se rapprocher de la scène perturbante, ou
d’ajouter de la couleur à la scène, ou de visualiser le mouvement dans la
scène, d’amplifier les sons, de focaliser sur plusieurs sensations ou émotions
en même temps etc. La télécommande imaginaire venant soutenir la
métaphore ou la suggestion
Ces techniques de suggestion encouragent l’imaginaire chez le patient et la
créativité du thérapeute. Elles sont inspirées par les contenus convoqués
spontanément par le patient au cours du traitement EMDR lorsqu’il ne subit
pas de blocages.

▶ Le tissage cognitif (TC)

Nous préconisons le tissage cognitif lorsque le traitement est pris dans un


bouclage, dans un blocage, ou suscite une forte abréaction, et que les
techniques précédentes s’avèrent inefficaces.
La même stratégie de tissage cognitif est indiquée lorsque l’urgence ou la
limitation de disponibilité temporelle imposent un arrêt de séance en phase 4
ou le patient est encore prisonnier d’émotions fortes ou de blocages sur des
registres cognitifs, émotionnels ou corporels.
Définition et finalité du tissage cognitif

Dans les blocages, les bouclages ou les fortes abréactions, les associations
restent corrélées au passé, inscrites et rivées à la perspective de l’épisode
traumatique malgré les tentatives de stimulation du TAI. Le thérapeute peut
alors constater le point de fixation autour d’un registre cognitif référé à un
thème spécifique tel que celui de la sécurité, du contrôle, de la responsabilité
(estime de soi ou culpabilité).
Le blocage enferme le sujet dans une posture cognitive passée, irrationnelle
sans accès possible à des informations positives et adaptées inhérentes au
contexte actuel. Pris « les 2 pieds dans le passé » le patient ne dispose pas de
la distance suffisante pour connecter l’information réaliste adaptée orientée
vers le changement souhaité.
Repérer le thème dans lequel l’information est figée constitue le préalable
nécessaire pour que le tissage cognitif « ouvre de nouvelles voies pour relier
les réseaux neuronaux correspondants » (Shapiro, 2007, p. 308). Le tissage
cognitif – technique que nous allons illustrer à travers quelques exemples –
consiste à susciter, par le biais d’une intervention brève du clinicien, un
recadrage cognitif qui désamorce immédiatement la détresse incluse et
renforcée par le blocage. Elle conduit le patient à créer de nouveaux liens
adaptés jusque-là hors de portée consciente, ceux qui vont l’aider à
s’acheminer vers une perception différente de la situation, à se démarquer de
la posture psychique passée pour envisager un changement.
« Le traitement adaptatif peut être considéré comme une reliaison spontanée des réseaux
neuronaux appropriés (...) Cependant quand le processus thérapeutique est bloqué, le clinicien
peut utiliser le tissage cognitif comme un moyen d’ouvrir de nouvelles voies pour lier les
réseaux neuronaux correspondants » (Shapiro, 2007).

Le tissage constitue une intervention et une aide ponctuelle très ajustée au


point de blocage, qui, dès la rétroaction positive obtenue, permet la reprise
d’un traitement autonome basé sur la libre association et le processus
spontané.

Mise en œuvre et types de tissages cognitifs

Le tissage cognitif peut être activé de 2 manières :


Si l’information positive est inexistante, si le blocage est généré par une
méconnaissance, une carence d’information, ou par l’existence d’une
information pervertie, l’accès à une perspective adaptive ne peut s’opérer ;
il convient alors de fournir l’information manquante sous forme de psycho
éducation ; Par exemple, dire à l’enfant que les relations sexuelles
concernent les grands et pas les enfants ou que l’abuseur n’avait pas le
droit, qu’il a fait quelque chose d’interdit. Reprendre aussitôt les SBA et
laisser cheminer le traitement spontanément. À une victime de viol
enfermée dans la culpabilité parce qu’elle a réagi par des sensations de
plaisir, donner une information pour normaliser ses réactions
physiologiques en les différenciant du désir.
Si l’information positive est existante mais non accessible : souvent le
blocage est généré par l’indisponibilité de l’information adaptée qui est
pourtant existante ; mais trop lointaine, elle se situe hors de portée de la
conscience Stimuler sa quête par une intervention sous forme de question
va orienter et faciliter les étapes du raisonnement vers les conclusions
adaptatives un peu comme si nous créions les maillons manquants d’une
chaîne. C’est à travers des questions fermées très ajustées au thème du
blocage, que la technique du tissage cognitif apportera une aide subtile et
efficace et permettra de stimuler l’émergence d’un traitement de
l’information adapté.
Voici quelques types de tissage cognitifs :
Le blocage de l’information centrée sur le thème de la sécurité :
pris en otage par le passé ayant réellement compromis sa sécurité de base
et son intégrité physique et psychique, le patient se sent toujours en danger
et parfois en danger de mort.
Exemple de tissage cognitif : « Où êtes-vous maintenant ? Êtes-vous
encore en danger aujourd’hui ? »
Le blocage de l’information centrée sur le thème de la responsabilité
(culpabilité) :
Le sentiment de culpabilité éprouvé dans la situation douloureusement
vécue peut verrouiller tout accès à une information ou pensée plus
appropriée dans le présent.
Enfant, Corinne était maltraitée ; le point de blocage pendant le
traitement gravite autour d’une adhésion totale à la pensée « c’est de ma
faute si mes parents me battaient ».
Exemple de tissage cognitif : « De l’adulte ou de l’enfant qui est
responsable ? »
Le blocage de l’information centrée sur le thème du contrôle :
La traversée d’un épisode de vie impliquant une perte totale de contrôle,
ou un sentiment d’impuissance dans un certain contexte coercitif peut
également figer le vécu de la situation passée et conditionner dans le
présent des réponses irrationnelles contaminées par les ressentis de
l’époque.
Véronique ayant subi une autorité paternelle tyrannique se plaint de son
comportement soumis face à toute demande de son époux « je n’arrive
jamais à faire valoir mon point de vue » lors du traitement d’une situation
du présent elle bloque autour de la pensée « je ne peux m’opposer... »
« Feindre la surprise pour mettre l’accent sur l’aspect dysfonctionnel de la
croyance « Attendez…. je ne comprends pas bien... Quel âge avez-vous
maintenant ? »
Établir un dialogue socratique peut être une autre alternative pour conduire
progressivement le patient à s’approprier le schéma et la pensée positive
adaptés.
Exemple de tissage par la méthode socratique : « Qui était l’adulte ? »,
« Lui », « Qui était l’enfant ? » « Moi », « Comment l’enfant que vous
étiez aurait-il pu s’opposer à cet adulte ? »
Rappelons que le tissage cognitif déclenche un processus qui s’apparente à
ce qui se passe naturellement et spontanément pendant le traitement. Le
changement de perspectives qui en découle est marqué par la modification
de la valence des associations : le matériel négatif persistant dans le
blocage devient soudainement caduc tandis que l’espace libéré laisse place
à une perspective du présent adaptative et congruente sous forme
d’associations positives. Le traitement autonome et spontané basé sur
l’efficience du TAI est ainsi relancé.
Tissages cognitifs, les tissages somatiques,
les tissages créatifs

Parfois au décours du traitement d’une cible, une sensation physique


inconfortable et rémanente peut empêcher la poursuite du travail
d’association et d’intégration du matériel mnésique mobilisé. Il peut s’agir
d’une tension, brûlure, picotement, douleur, pression, souvent localisées dans
le corps avec précision.
L’invitation du thérapeute à contacter le point de résistance dans le corps à
travers une légère auto pression manuelle : (« posez votre main sur
l’endroit où vous ressentez cette tension… ») favorise, après une série de
SBA, la dissolution de la trace somatique, sans aucune association
consciente. Parfois au contraire, l’émergence de matériel mnésique sera
immédiatement verbalisée et accompagnée d’une prise de conscience
autour du sens du blocage.
Une autre piste de déblocage est d’utiliser le pont d’affect à partir d’une
sensation physique soutenue. Là aussi, il s’agit d’apporter une aide subtile
pour favoriser l’émergence de composants délétères, la perturbation
somato-émotionnelle non élaborée ayant fonction d’indicateur et
d’avertisseur de l’interruption du TAI.
La technique du pont d’affect qui prend appui sur la sensation physique va
peut-être permettre le lien avec d’autres éléments enfouis appartenant à ce
même réseau de mémoire dysfonctionnel, à un autre réseau de mémoire ou
une autre cible à laquelle elle est reliée. Le pont d’affect peut permettre de
connecter au souvenir source dysfonctionnel jusque-là inaccessible mais
toujours pathogène.
De nombreuses formes de déblocages corporels passent par les techniques de
tissage cognitif ou somatique :
Une sensation dans la zone pharyngée nous indique empiriquement que
cette tension est souvent synonyme de contenus verbaux non-dits, retenus
et inhibés du fait d’un hypercontrôle interne relatif au registre cognitif « je
n’ai pas le droit de répondre » ou du fait d’injonctions externes
menaçantes « tu n’as pas le droit de dire... » liés dans les deux cas, aux
épisodes traumatiques ciblés. Notons qu’il apparaît souvent au niveau
clinique que cette auto-censure verbale représente l’incorporation d’un
discours émis par une figure d’autorité abusive ou toute autre personne en
place d’agresseur.
L’exemple qui suit, à propos d’un traitement sans blocage faisant
cependant intervenir la persistance d’une sensation corporelle peut éclairer
les modalités de déblocage dans des conditions plus réfractaires : au cours
de la désensibilisation Laurence manifeste une sensation désagréable de
striction pharyngée associée à une voix enrouée ; le « notez cela et
continuez » relayé par des SBA va faire émerger spontanément cette
association « c’est tout ce que je n’ai pas dit qui reste bloqué là… quand
j’étais petite et qu’on me violait et que je pouvais le dire à personne »
L’invitation du thérapeute à « continuer avec cela », sera suivi de « ça y
est, c’est parti... ».
Dans le cas du blocage de la sensation persistante dans la gorge, le
thérapeute pourrait suggérer au patient de laisser-aller les mots qui
auraient besoin d’être dits selon une formule telle que « Permettez aux
mots non-dits qui auraient peut-être besoin de s’exprimer, d’être dits
maintenant… mentalement… à voix basse ou à haute voix... ».
Au contraire, les sensations de la zone pharyngée peuvent également
représenter « quelque chose que je ne peux pas « avaler », quelque chose
d’inacceptable. Exemple : « Le corps est une machine plutôt bien faite et
lorsqu’il ne peut pas avaler quelque chose il peut le rejeter en le
recrachant ».
La fixation de sensations corporelles peut représenter un écho du
mouvement réprimé lors de l’événement traumatique ; permettre
l’actualisation de ce geste pour libérer les mouvements éprouvés, refoulés
ou empêchés au moment de l’événement, peut participer à débloquer le
travail du traitement adaptatif de l’information ; nous opérons de ce fait
une sorte de tissage somatique (il s’agit bien d’un registre symbolique où
le patient ne portera pas atteinte à l’intégrité de sa propre personne ou à
celle du thérapeute, sur le registre de la réalité).
« Dans les deux cas, le principe est de permettre à l’information stockée
d’être convenablement traitée, ce qui inclut une stimulation des émotions,
des propos et des actions physiques refoulées » (Shapiro, 2007).
Le tissage cognitif qui donnerait la parole à cette sensation bloquée pour
en révéler le sens : « Si cette sensation pouvait parler, que dirait-elle ? » la
réponse du patient, stimulée (SBA) va remettre en route le processus
naturel de métabolisation.
Dans le cas de douleurs physiques post-traumatiques, l’appel à « l’antidote
imaginaire » permet de créer des tissages créatifs (Grant et Threlfo, 2002 ;
De Roos et Veenstra, 2009) : par exemple la sensation bloquée de brûlure
peut appeler la référence à la fraîcheur de la glace sur la peau.

L’ensemble des techniques abordées dans ce chapitre, reprenant les préconisations didactiques de leur auteur Francine
Shapiro, permettent la remise en route du principe actif du traitement. Ces interventions situées sur des registres différents
réorientent le travail thérapeutique vers l’activation du processus autonomisant de l’autoguérison, postulat de la thérapie
EMDR cher à son auteur.
Allant de simples variations mécaniques, à la puissante stratégie du tissage cognitif, ces interventions, toujours attentives à
la « règle d’or philosophique » de l’attention double (Shapiro, 2007) participent à la levée des blocages, à la gestion des
abréactions et donnent un tempo au travail thérapeutique en évitant les risques d’enlisement du processus.
Ces propositions ne sont ni exhaustives ni applicables à la lettre ; le principe de la flexibilité et l’adaptabilité prévaut à
l’application systématique dans ces interventions qui doivent toujours s’exercer dans le sens du respect du patient, de « ses
croyances écologiquement valides » (Shapiro, 2007).
Ces stratégies ne peuvent en aucun cas se substituer aux compétences cliniques qui régissent l’efficience thérapeutique ;
bien au contraire elles viennent en révéler toute la créativité et la subtilité clinique.
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Chapitre 12

EMDR, violences domestiques,


troubles de l’attachement et
dissociation

Michel Silvestre et Hélène Dellucci

Nous voulons souligner dans cet article qu’une thérapie EMDR des violences domestiques va s’inscrire dans une clinique
complexe des dynamiques individuelles et familiales où s’entremêlent les troubles de l’attachement et les processus
dissociatifs parmi les blessures présentes et passées chez l’auteur et les victimes.

PANORAMA DES VIOLENCES DOMESTIQUES


▶ Définition

Les Nations Unies définissent la violence domestique comme une situation


dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques,
sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée
par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d’union libre, existant ou
rompu, actuel ou passé (Christen, Heim, Silvestre et Vasselier-Novelli,
2004).

▶ Prévalence

Dans le monde, les agressions masculines entraînent plus de décès et de


handicaps chez les femmes de 15 à 44 ans que le cancer, la malaria, les
accidents de la route et la guerre (Parlement Européen, 2004). En Europe,
50 % des femmes assassinées chaque année sont tuées par leurs conjoints
(enquête européenne, 1999) et en France une femme est tuée tous les 2,5
jours (INED, 2001).
Le National Child Traumatic Stress Network aux USA (NCTSN, 2003)
montre que les hommes sont majoritairement les auteurs de violence
domestique, que 99 % de cette violence se passe dans la maison de la victime
et que les femmes risquent deux fois plus d’être victimes de violence
domestique s’il y a des enfants à la maison.

▶ Conséquences des violences domestiques sur les enfants

Parmi les victimes des violences domestiques, les enfants méritent une
attention particulière. Ces enfants présentent deux fois plus de risque d’avoir
des problèmes psychiatriques que les autres enfants. Plus ils sont jeunes lors
de l’occurrence des violences, plus les blessures entraînent des vulnérabilités
d’attachement. Ces enfants ont trois fois plus de risque d’être déscolarisés
(atteinte cognitive) et quinze fois plus de risque d’être agressées que les
autres (Morris-Smith & Silvestre, 2013).
Les violences subies dans l’enfance augmentent le risque de comportements
de violence dans la relation conjugale future, soit comme auteur de violences,
soit comme victime. Être témoin de violences entre les parents est un facteur
de risque pour développer des relations adultes empreintes de violence
(Brewin et al., 2000).
Notre pratique clinique nous enseigne cependant, que malgré ces chiffres
alarmants, tous les enfants qui ont vécu ou été témoin de violences
domestiques ne sont pas forcément à risque, et ce grâce à leurs capacités de
résilience.
Impact neuro-psychologique

Perry et al., (1995) décrivent deux continuums différents de réponse


comportementale face au trauma des violences, une réponse
d’hyperexcitabilité de type noradrénergique (système nerveux sympathique)
caractérisée par des comportements d’hyperactivité, de distractibilité et de
faible concentration et une réponse d’hypoexcitabilté de type
sérotoninergique (système nerveux parasympathique), caractérisée par des
comportements d’évitement passif, de déni, de soumission et de sidération.
Ces deux réponses comportementales peuvent être considérées comme des
manifestations de processus dissociatifs.

Impact sur l’attachement

Les violences domestiques génèrent chez l’enfant des ruptures dans les
attentes développementales de protection envers la figure d’attachement et
dans les stratégies de régulation de l’affect. Le protecteur devient une source
de danger, l’enfant développe des sentiments contradictoires envers la figure
d’attachement et il a à faire face à des peurs insurmontables avec nulle part
où aller pour se faire aider.
Même si l’enfant n’a pas directement vu les situations de violence, il aura
subi une exposition sensorielle à ces situations comme le confirment les
travaux de Fusco & Fantuzzo (2009). Le lien désorganisé qui en découle et
une communication parentale perturbée sont d’importants prédicteurs pour
les symptômes dissociatifs à l’âge adulte (Lyons-Ruth et al., 2003, 2006 ;
Ogawa et al., 1997), de même que les états d’âme faits d’hostilité et
d’impuissance chez les parents (Lyons-Ruth et al., 2005), ou l’indisponibilité,
voire l’absence de réponse émotionnelle parentale (Dutra et al., 2009).

▶ Les auteurs de violences

Une étude américaine (Fusco & Fantuzzo, 2009) montre que 73 % des
auteurs de violences domestiques sont des hommes, 13 % sont des femmes.
Hommes et femmes sont auteurs ensemble pour 14 %. 67 % des victimes et
des auteurs étaient mariés ou cohabitaient au moment des violences et 43 %
avaient des enfants à la maison au moment des violences. Un élément
souvent cité dans les situations de violences domestiques est le rôle de
l’alcool. Finney (2003) souligne que 32 % des actes de violence domestique
ont lieu lorsque l’agresseur était sous influence de l’alcool. Il s’agit d’un
élément contributeur aux violences et non pas la cause des violences.
L’alcool a un effet désinhibiteur en exacerbant les problèmes, lorsque les
conflits sont déjà présents. La prise d’alcool est souvent mentionnée comme
une excuse après les violences.
LES EFFETS DES VIOLENCES DOMESTIQUES
SUR LA DYNAMIQUE FAMILIALE

▶ Une hiérarchie familiale dysfonctionnelle

Les violences domestiques amènent une hiérarchie familiale dysfonctionnelle


avec des frontières générationnelles floues, des parents qui ne sont pas à leurs
places, un enfant « parentifié », des parents « abdiquants » et incapables
d’apaiser où de réguler l’enfant, des comportements parentaux effrayants,
déstabilisants, incongruents qui créent des situations paradoxales, insolubles
et problématiques pour l’enfant. La conséquence chez l’enfant est le
développement d’un style d’attachement désorganisé, où il est mis en
position de sécuriser les parents, et en même temps ses efforts n’aboutissent
pas. Une telle situation peut entrainer l’apparition de symptômes dissociatifs
comme seule réponse possible à cette situation paradoxale, permettant à
l’enfant à la fois de survivre en gardant le lien avec son parent, tout en se
coupant du contenu véhiculé au sein de ce lien (Goldsmith, 2004).

▶ L’attachement désorganisé

L’attachement désorganisé est un des types d’attachement décrit dans les


travaux de Main (1993). Les autres modalités d’attachement sont les
attachements organisés, sécure, anxieux-évitant et anxieux-ambivalent qui
représentent 95 % des cas dans la population à bas risque. Dans la population
à haut risque des violences domestiques, les attachements désorganisés
peuvent représenter plus de 50 % des situations (Delage, 2008).
Un attachement désorganisé se traduit par des difficultés intrapersonnelles et
interpersonnelles, des difficultés d’accordage aux états émotionnels d’autrui
avec perte d’empathie, dérégulation de l’affect, comportements auto
destructeurs et suicidaires, une attitude de méfiance et de suspicion, des
attitudes et comportements qui imitent l’agresseur et un processus de
revictimisation, d’isolement social, avec des difficultés à maintenir des
relations constructives, des problèmes avec les limites et des difficultés avec
la prise de distance interpersonnelle.
LES TROUBLES DISSOCIATIFS, UNE CLÉ POUR COMPRENDRE
LES EFFETS DES VIOLENCES DOMESTIQUES À L’ÂGE ADULTE

Les troubles dissociatifs constituent les suites d’une traumatisation chronique.


Les auteurs de la Théorie de la Dissociation Structurelle de la Personnalité
(Van der Hart, Nijenhuis et Steele, 2006/2010) définissent la dissociation
comme « (…) un manque d’intégration parmi deux ou plusieurs sous-
systèmes psychobiologiques de la personnalité comme système entier, ces
sous-systèmes endossant chacun au moins un sens de Soi rudimentaire » .
Pour Pierre Janet, un précurseur de cette pensée, la dissociation était une
incapacité à intégrer l’expérience traumatique par l’alternance entre le fait de
ressentir trop ou trop peu (Janet, 1904). Cette incapacité mène à un échec de
la réalisation des événements qui se sont produits, (par exemple « Je ne peux
pas croire ce qui est arrivé », « mes sœurs disent qu’il y a eu des choses
difficiles qui se sont produites, mais je ne suis pas de leur avis »). Un
symptôme qui accompagne fréquemment la dissociation est la
dépersonnalisation, qui se caractérise par une perte des sensations pour son
propre corps, qui peuvent aller jusqu’à des vécus « hors du corps »,
principalement lorsque la personne, au moment du vécu traumatique, ne peut
pas s’enfuir. Un autre phénomène caractéristique de la dissociation est la non-
présentification, c’est-à-dire une perte de la capacité à percevoir, ressentir et
se vivre dans le temps présent.
Nous pouvons voir ces phénomènes dissociatifs également comme une
ressource de survie, qui se fait au prix d’une distanciation de l’expérience
psychique, et physique, avec l’esprit qui s’échappe de l’ici et maintenant, de
la réalisation consciente des événements et de l’expérience corporelle. Au-
delà de la survie, ces mécanismes peuvent devenir des habitudes, déclenchées
par des éléments moins massifs, et finir par se constituer en défenses autour
desquelles s’organise la personnalité. Bien entendu, les éléments
traumatiques restent en l’état et font l’objet d’un évitement massif
Parmi les modèles théoriques qui expliquent la dissociation, les théories de
l’attachement ont une place de choix. Celles-ci proposent comme étiologie de
la dissociation des défauts d’attachement entre parents et jeunes enfants
(Barach, 1991 ; Liotti, 1999 ; Lyons-Ruth et al., 2006) menant à un style
d’attachement désorganisé (Fonagy, 1997 ; Liotti, 1999 ; Van der Hart et al.,
2006/2010), qui constitue le socle des traumatisations du tout-petit et de ses
besoins fondamentaux négligés.
L’adulte avec un attachement désorganisé va employer des stratégies de
défense contre toute forme d’attachement, car celui-ci est vécu comme une
menace pour l’intégrité psychique ou physique (Blizard, 2003 ; Howell,
2005 ; Steele et al., 2001 ; Van der Hart et al., 2006/2010). Ainsi,
l’attachement désorganisé se montre sous forme de deux mouvements en
conflit, l’un avec une phobie de l’attachement (avec une activation des
systèmes d’action de défense, comme la fuite ou la lutte), l’autre avec une
phobie de perte de l’attachement avec d’autres significatifs (avec une
activation du système d’action de pleur d’attachement, comme une panique
devant toute séparation, des peurs d’abandon). Dans une méta-analyse,
Brewin et ses collègues (2000) estiment le risque de développer des troubles
dissociatifs élevé, lorsque les personnes manquent de lien social après des
événements terrifiants.

▶ La Théorie de la Dissociation Structurelle de la Personnalité

Le cadre de pensée qui nous est le plus utile à l’heure actuelle pour
conceptualiser les troubles dissociatifs est la théorie de la dissociation
structurelle de la personnalité (Van der Hart, Nijenhuis et Steele, 2006/2010).
Cette théorie conceptualise la dissociation post-traumatique, en distinguant
d’après Myers (1940) entre un fonctionnement apparemment normal et un
fonctionnement de type émotionnel. Les réseaux qui assurent le
fonctionnement apparemment normal sont orientés vers la survie de l’espèce,
le fonctionnement de la vie quotidienne et restent dans un évitement
phobique de tout contenu traumatique et de l’émergence émotionnelle. Cet
évitement phobique peut aller jusqu’à une amnésie complète de l’existence
même du trauma.
Les réseaux traumatiques, par contre, portent les contenus traumatiques, et
sont véhiculés par des systèmes d’action de défense contre les menaces. Ce
type de fonctionnement est avant tout orienté pour la survie individuelle.
Pour plus de facilité, la littérature utilise communément le terme de « parties
de la personnalité », en distinguant partie de la personnalité apparemment
normale et partie de la personnalité émotionnelle, une carte de lecture qui ne
doit pas conduire le thérapeute à réifier à outrance la métaphore utilisée.
La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité (TDSP) prévoit
trois degrés de dissociation.
La dissociation structurelle primaire

La dissociation structurelle primaire comprend une partie de la personnalité


apparemment normale (PAN) et une partie de la personnalité émotionnelle
(PE). Pour les auteurs de la TDSP ce niveau de dissociation équivaut à un
Trouble de Stress Post-Traumatique (ou TSPT) simple, pouvant comprendre
plusieurs traumatismes. Il s’agit de personnes dont le niveau de
fonctionnement général est bon. La stabilisation est en général courte, et la
résolution traumatique peut être acquise rapidement.
La dissociation structurelle secondaire

La dissociation structurelle secondaire comprend une PAN, qui assure le


fonctionnement de la vie quotidienne, et plusieurs PE. Ces différentes PE
sont le plus souvent véhiculées par des systèmes d’action différents, par
exemple l’une étant organisée par des actions défensives, avec des stratégies
de lutte ou de fuite, tandis qu’une autre peut être organisée par le système
d’action de soumission, encore une autre coincée dans le système
d’attachement resté à un stade archaïque, sous forme de pleur d’attachement,
ce qui se traduit par une tendance à l’agrippement, menant à une recherche de
proximité plutôt que de sécurité.
Plus le niveau de fonctionnement dissociatif est prononcé, plus le conflit
entre phobie de l’attachement et panique de perte du lien est important. Dans
la structure de traitement proposée par la TDSP, la première phobie à
dépasser est celle de la phobie d’attachement avec le thérapeute, avec en
même temps une panique de perte d’attachement avec le même thérapeute
(Van der Hart et al., 2006/2010 ; Steele et al., 2001, 2005).
La dissociation structurelle tertiaire

La dissociation structurelle tertiaire fait partie des tableaux dissociatifs


complexes, où le fonctionnement dissociatif est très prononcé. Ici, il y a
plusieurs PAN, par exemple un fonctionnement en tant que parent, différent
du fonctionnement professionnel, encore différent du fonctionnement en tant
que conjoint.
Dans la dissociation structurelle tertiaire, le nombre de PE est important, et
souvent organisé par couches successives. Ces PE portent des traumatismes
de l’histoire de la personne, en général depuis la petite enfance, où il faudra
porter autant d’attention aux actes commis, comme des agressions de tous
ordres, qu’aux actes omis, c’est-à-dire des négligences, des défauts de
protection, des indifférences, des évitements. Il arrive souvent aussi que
certaines PE portent du matériel transgénérationnel, qui peut provoquer des
symptômes d’aspect psychotique.
L’attachement chez les personnes qui souffrent de dissociation structurelle
tertiaire est désorganisé, avec un conflit apparemment insoluble entre la peur
de s’attacher et en même temps la peur de perdre l’attachement (Steele et al.,
2001, 2005 ; Van der Hart et al., 2006/2010).
Le diagnostic posé à ce niveau de dissociation est celui de Trouble
Dissociatif de l’Identité1 (TDI). Ce qui est caractéristique chez ces personnes,
et qu’on retrouve moins chez les personnes souffrant d’un trouble dissociatif
pas autrement spécifié (DDNOS), est que les patients TDI ont des amnésies
dans la vie quotidienne, font des choses dont ils ne se rappellent pas, par
exemple écrire des messages, avec un contenu qu’ils ignorent, et d’autre part,
peuvent être amenés à changer d’état, menant à des comportements qui
peuvent paraître incompréhensibles au thérapeute non averti. Chez ces
patients, la thérapie nécessite du temps. Souvent ces personnes ne sont pas
bien fonctionnelles dans le quotidien, ou alors au prix d’un épuisement
important, se soldant par un état dépressif chronique. Il n’est pas rare que ces
personnes reçoivent de multiples diagnostics, d’une part en raison d’une
comorbidité importante, d’autre part, parce qu’elles peuvent se comporter
extrêmement différemment dans deux situations différentes, avec deux
interlocuteurs différents, donnant à une équipe l’impression d’avoir à faire à
deux personnes, jumelles en apparence, mais différentes dans le
comportement, la relation.

CONCEPTUALISATION ET PLAN DE TRAITEMENT EMDR


DANS UN CONTEXTE DE VIOLENCES DOMESTIQUES
▶ Information générale

Le traitement est complexe car il peut s’adresser aux victimes, à l’auteur des
violences, à la famille et doit intégrer les différents déterminants singuliers et
relationnels. Trois points clés doivent guider l’intervention thérapeutique :
Le premier est la sécurité concernant les membres de la famille. Le
thérapeute doit évaluer si et quand les comportements de violences
domestiques doivent être signalés : s’agit-il d’une affaire privée ou publique ?
Dans le cas d’un travail avec un enfant, il faudra se rappeler que la sécurité de
l’enfant est essentielle. Le travail avec l’auteur des violences doit s’effectuer
en premier, avant tout autre travail relationnel familial ou avec un enfant de la
famille. En effet il est illusoire de penser un travail thérapeutique avec un
enfant s’il est toujours confronté aux comportements de violence domestique
dans sa vie quotidienne (Morris-Smith & Silvestre, 2013).
Le deuxième point est l’organisation du plan de traitement. Qui a besoin de
traitement, qui doit venir en séance, et quand ?
Finalement le troisième point est une réflexion du contexte pour savoir
quelles sont les institutions publiques qui doivent être impliquées dans cette
prise en charge.

▶ La stabilisation et la phase de préparation à l’EMDR

En psychotraumatologie et notamment dans la mise en œuvre de la thérapie


EMDR, la stabilisation est une phase importante, et consiste en une
préparation avant toute confrontation visant à retraiter les réseaux de
mémoire traumatiques. Une stabilisation réussie va répondre à trois besoins
fondamentaux :
Intégrité et sécurité

Le premier besoin concerne l’intégrité immédiate et le sentiment d’être en


sécurité. Les personnes impliquées dans les violences dont elles portent les
séquelles traumatiques ont fait l’expérience tangible que leur intégrité n’est
pas sauve. Tant que la sécurité dans l’ici et maintenant pose question, celle-ci
est une priorité. Cela passe par une réflexion sur les conditions de sécurité
dans l’environnement immédiat, et par un apaisement du corps en séance.
Une relation correspondant aux conditions
d’un attachement sécure

Le second besoin consiste à construire avec le thérapeute un lien


d’attachement sécurisé. Nous avons affaire à des personnes blessées sur le
plan relationnel avec une proportion non négligeable d’attachement
désorganisé. Cependant, la possibilité de construire une relation
correspondant aux conditions d’un attachement sécurisé avec le thérapeute
demeure présente, pourvu que ce dernier soit prédictible, contenant et
constant. Cette étape peut prendre du temps et nécessiter un soin constant à
travers la thérapie, surtout avec des patients ayant des difficultés à garder le
lien. Une fois qu’un lien suffisamment bon est mis en place avec le
thérapeute, d’autres liens constructifs peuvent être créés avec des personnes
de l’entourage, et en cas de dissociation avec des mouvements internes.
Accès à une perspective d’avenir

Un troisième besoin important pour se stabiliser consiste en la possibilité à


avoir de l’espoir et une perspective d’avenir. La caractéristique principale du
trauma complexe est d’avoir fait l’apprentissage que le trauma ne va pas
s’arrêter. Les personnes vivant dans des contextes de violences domestiques
pendant plusieurs années sont dans ce cas. La perspective d’avenir a donc été
modifiée, ce qui expose tous les protagonistes à d’intenses sentiments
d’impuissance et de désespoir, qu’ils vont chercher à contrer par des actions
substitutives, comme des passages à l’acte, des addictions, de l’auto-
mutilation, etc.
Pour les parents aux prises avec des logiques de violence domestique, nous
les invitons à se projeter à un moment où leurs enfants auront leur âge, pour
leur demander ce qu’ils aimeraient que leurs enfants puissent dire avoir reçu
de leur part (Dolan, 1991). Cette question, par la projection dans un futur
lointain, permet ensuite de centrer le travail sur les moyens d’arriver aux
souhaits exprimés.
Avec les personnes souffrant de troubles dissociatifs, lorsque les réseaux
traumatiques sont activés, cette partie de l’expérience coincée dans le trauma,
sans lien vers un après apaisé, peut faire perdre la perspective de l’ici et
maintenant et mener à des blocages. Une perspective d’avenir préalablement
construite à travers des objectifs, un scénario du futur, est un bon antidote à
cela.

▶ Le travail spécifique avec l’auteur de violences

Il y a plusieurs cibles possibles dans le travail EMDR avec l’auteur.


L’expérience clinique nous a montré qu’il était plus pertinent de démarrer
avec des cibles du présent comme son comportement en relation avec sa
partenaire, pour ensuite aborder des cibles du passé, le plus souvent en
rapport avec des scènes de violence vécues enfant. Cette approche
thérapeutique (protocole inversé) permet à l’auteur d’expérimenter une
modification plus rapide de son comportement quotidien tout en prenant en
compte une fenêtre de tolérance étroite, avant de se confronter à des
souvenirs du passé toujours très douloureux.
Les cibles du quotidien pour l’auteur de violences sont multiples et vont
permettre de travailler sur son mode d’attachement hyper-anxieux voire
désorganisé, son niveau de différentiation faible (envahissement important de
l’émotionnel sur le cognitif), son estime de soi forte ou faible mais
vulnérable, sa fenêtre de tolérance étroite et sa relation avec sa famille
d’origine.
Nous tenons à signaler qu’un aspect important de la thérapie EMDR avec les
auteurs réside dans le fait qu’ils n’ont pas à décrire les situations traumatiques
et ils expriment souvent que lors de cette thérapie, « c’est différent, je n’ai
pas besoin de parler ».
La figure 12.1 illustre la boucle interactionnelle dans laquelle l’auteur
fonctionne et se débat avec lui-même. Les différentes étapes de cette boucle
sont autant de points d’entrée du traitement.
Figure 1. Boucle interactionnelle de l’auteur de violences domestiques

Nous avons constaté dans notre pratique clinique que les auteurs ne viennent
que très rarement eux-mêmes demander de l’aide. Ils montrent par leurs
comportements qu’ils vont mal mais ils ne le verbalisent pas. Leur
participation en traitement nécessite souvent une décision de justice (Smith &
Silvestre, 2011) ou une forte contrainte de la part du partenaire (Christen et
al., 2004).

▶ Le travail spécifique avec les victimes de violences

Le travail spécifique avec les victimes de violences se concentre dans un


premier temps sur la prise en charge de la partenaire, qu’elle soit mise à
l’écart ou non et une sécurisation du lien parent-enfant.
Dans notre travail thérapeutique avec ces patientes, nous avons constaté que
dans un premier temps, les mères ne demandent pas d’aide psychologique
pour elles-mêmes. Ce sont le plus souvent les travailleurs sociaux ou d’autres
témoins de leur souffrance qui demandent de l’aide. Ces femmes présentent
des tableaux dissociatifs assez prononcés, avec un évitement massif de tout
trauma. Elles ne sont pas intéressées à aborder le passé, ont des difficultés à
faire confiance. Construire une relation thérapeutique n’est pas chose facile et
la tolérance à l’affect est souvent faible, avec une difficulté à ressentir et
percevoir leurs émotions.
Sortir des violences démarre le plus souvent avec une période dépressive
importante, avec des risques suicidaires réels, car ce qui est à l’ordre du jour
est de faire le deuil d’une relation qui a pris beaucoup de place. Au-delà de
l’accompagnement de cette première phase dépressive, le travail
thérapeutique consiste surtout à aider la partenaire à sortir des effets d’une
relation d’emprise, à la soutenir dans ses compétences parentales.
L’ambivalence face au conjoint auteur de violences reste intacte. Ici, avant
tout travail sur le trauma, inaccessible dans une première phase, nous
centrons le travail EMDR vers des cibles portant sur l’idéalisation (Knipe,
2014), de façon à permettre de vrais choix, sur les peurs émergeantes, pour
augmenter la tolérance à l’affect.
Nous avons constaté chez les victimes de violences domestiques, qu’il
s’agisse de partenaires ou d’enfants, qu’ils ont pris l’habitude de prendre sur
leurs épaules la problématique de l’autre. Cette façon de garder le contrôle,
tout en espérant éperdument que l’auteur va changer peut se montrer délétère
pour toute tentative de reprise d’un lien plus constructif.
Outre l’utilisation de figures symboliques (Dellucci & Bertrand, 2012), nous
controns cette habitude en effectuant avec ces patients un rituel pour rendre
(Sparrer, 2004/2007), en installant une ressource de différenciation au moyen
de l’EMDR.
PROTOCOLE D’INSTALLATION D’UNE RESSOURCE DE DIFFÉRENCIATION
PAR UN RITUEL POUR RENDRE

Explications de l’exercice du rituel pour rendre : « Je vous propose un exercice qui a pour but de rendre à votre
partenaire/parent, tout ce que vous avez porté et qui ne vous appartient pas. Il ne s’agit pas de lui faire du mal, au
contraire, il s’agit de remettre à leur juste place les affaires de chacun, pour qu’elles puissent être traitées
adéquatement. »
S’assurer de l’accord du patient.
Pour le travail hors trauma, mettre tout contenant traumatique dans le contenant : « Je vous demande de laisser
aller tous les souvenirs difficiles du passé dans le contenant »
N.B. Pas de stimulations bilatérales (SBA)
Créer une représentation de la personne-cible : « Je vous demande d’imaginer votre partenaire/parent. Comment
réagit-il ? Comment réagissez-vous ? »
Accompagnez toute émergence émotionnelle avec des SBA, jusqu’à ce qu’un contact mental apaisé soit possible entre la
patiente et son partenaire/parent et que son corps soit calme.
Imaginer ce qui a été porté indûment : « Je vous invite à penser à tout ce que vous avez porté et qui n’est pas à
vous, en lui donnant la forme qui convient. »
Si la personne n’a pas d’idée, le thérapeute peut suggérer des contenants appropriés : un paquet, une valise…
Accompagnez la patiente avec des SBA, en l’invitant à laisser aller dans ce contenant destiné à l’autre, tout ce qu’elle a
porté indûment.
Rituel pour rendre en plusieurs étapes :
1. « Veuillez répéter après moi : En travaillant sur moi, je me suis rendu compte, que je portais des choses qui ne
m’appartiennent pas. »
SBA jusqu’à ce que la patiente a pu dire cette phrase mentalement.
3. « Et comme ça ne m’appartient pas, je te le rends, et tu peux le rendre à qui de droit. »
Accompagnez les émergences émotionnelles avec des SBA jusqu’à ce que le corps soit calme.
Le but est que le patient puisse lâcher son fardeau et laisser le destinataire le gérer. Si cela est trop difficile,
notamment à l’égard de parents, d’aïeux, les tissages suivants peuvent aider :
a)« Parfois des petits, aussi courageux que des héros, prennent sur leurs épaules des choses qui ne sont pas à
eux… »
SBA jusqu’à ce que le corps du patient se calme
b)« … surtout s’ils se rendent compte que leurs parents ne vont pas bien. »
SBA
c)« Mais cela ne soulage personne, ni les parents, ni eux. »
SBA
d)« Le travail des grands est de s’occuper eux-mêmes de leurs soucis… »
SBA
e)« … et celui des enfants est de faire confiance que leurs parents vont y arriver. »
SBA jusqu’à apaisement du corps. Souvent la patiente émet des craintes que le parent ne soit pas en capacité de
gérer son fardeau. Les SBA continuent jusqu’à ce que la patiente puisse renoncer à prendre sur elle ce qui ne lui
appartient pas.
7. « Je te souhaite d’aller bien. Je m’occuperai de ma vie de mon côté. »
Ce rituel est terminé si la patiente a pu lâcher et rendre son fardeau au destinataire choisi, que son corps est calme, et
qu’elle est bien orientée dans le présent.

▶ Le travail avec la famille


Le travail familial, possible lorsque l’auteur a arrêté ses comportements de
violence et a suivi son traitement individuel, ciblera l’amélioration de la
qualité des liens d’attachement parents-enfants, la mise en place d’une
hiérarchie familiale congruente et l’élaboration d’un récit narratif permettant
de développer des attachements plus sécures, de même que la réduction de la
vulnérabilité émotionnelle par l’élargissement de la fenêtre de tolérance. Ce
mouvement thérapeutique servira de soutien au traitement des souvenirs
traumatiques chez les enfants, visant à réduire les conséquences des traumas
et à les aider à développer un meilleur contrôle des affects avec moins
d’impulsivité.

La thérapie EMDR a toute sa place dans le traitement des pathologies liées aux violences domestiques et de ses
conséquences, qu’il s’agisse des auteurs de violences, des victimes ou des témoins. La finalité du travail thérapeutique est
triple : agir sur l’arrêt de la transmission des violences des blessures traumatiques à la génération suivante, permettre à tous
les protagonistes de s’affranchir des blessures traumatiques, et dépasser les apprentissages implicites de comportements de
violences comme seule réponse, en amenant un apprentissage explicite et une mentalisation suffisante des émotions.

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Notes
1. Dans la terminologie internationale, ce trouble est appelé Dissociative Identitity Disorder (DID).
Chapitre 13

Traumatismes transgénérationnels
et EMDR

Hélène Dellucci

La réalité d’une dimension traumatique transgénérationnelle est aujourd’hui clairement établie (Ancelin Schützenberger,
1993, 1996 ; Yehuda et al., 2014). Une thérapie psychotraumatologique comme l’EMDR a ici toute sa place dans le
traitement de ces blessures particulières. Comment reconnaître et conceptualiser ce type de traumatisation transmise ?
Quelles sont les pistes en EMDR pour traiter ces traumatismes que nos patients n’ont eux-mêmes pas vécus ? Peut-on
prévenir la transmission de ce type de blessures ?

LES TRAUMATISMES TRANSMIS

Nous distinguons trois types de blessures traumatiques transmises : les


traumatismes familiaux, les traumatismes transgénérationnels et les
traumatismes vicariants.
On peut parler de traumatisme familial ou collectif, lorsque les effets
traumatiques d’un ou plusieurs événements négatifs s’étendent à plus d’une
personne d’un même groupe1. Ces blessures perturbent les liens familiaux,
les rôles et les fonctions des uns et des autres ainsi que la capacité à partager
des émotions. Comme chez les individus, l’événement est gelé dans la
famille, et les symptômes d’un trouble de stress post-traumatique peuvent
être portés à des degrés variables par différents membres de la famille, par
exemple certains soignant l’évitement, d’autres pouvant devenir irascibles ou
anxieux, d’autres encore faire des cauchemars.
Les traumatismes deviennent transgénérationnels lorsque les traumatismes
familiaux ne sont pas métabolisés et que le temps passant, les membres des
générations puînées en portent les séquelles sous forme de symptômes post-
traumatiques, de répétitions, d’inhibitions, de croyances irrationnelles…
C’est ainsi que nous avons été amenés à désensibiliser des séquelles post-
traumatiques de la première et de la Seconde Guerre mondiale chez des
patientes nées après cette période (Dellucci, 2009). Ces patientes ne
pouvaient pas avoir vécu ces événements, historiquement datés, mais force
est de constater, cliniquement, qu’elles portaient bien des séquelles post-
traumatiques, allant parfois jusqu’à des troubles dissociatifs avec des
manifestations envahissantes.
Une dernière catégorie de blessures transmises constitue les traumatismes
vicariants2, c’est-à-dire ceux qui touchent les aidants. Nous parlons de
traumatismes vicariants lorsqu’un aidant se retrouve avec des blessures
émotionnelles provenant de sa démarche d’aide.

LA SYMPTOMATOLOGIE D’UNE SOUFFRANCE TRANSGÉNÉRATIONNELLE

Les principaux symptômes décrits par Hummel et Hase (2013), qui doivent
amener le clinicien à explorer la présence d’une souffrance
transgénérationnelle, sont le meurtre et le suicide.
Nous proposons d’affiner cette lecture en ajoutant les tentatives de meurtre et
les tentatives de suicide, les passages à l’acte répétés dans le cadre de
violences domestiques, qu’elles aient lieu uniquement dans le couple ou
s’étendent à d’autres membres de la famille.
Lorsque dans une famille, il y a des pathologies psychiatriques lourdes
comme la psychose, il est important d’inclure la dimension
transgénérationnelle dans la conceptualisation du cas clinique. Nous mettons
sur le même plan les problématiques d’inceste.
Selon Boszormenyi et Sparck (1984), ces tableaux cliniques ne prennent sens
qu’à partir du moment où la lecture s’étend sur trois générations. L’auteur
postule l’existence de loyautés invisibles, c’est-à-dire non explicites, mais
bien présentes sur le plan implicite.
Lorsque de jeunes enfants sont ressentis comme dangereux par les parents,
nous avons l’assurance que ce qui est perçu chez l’enfant relève de réseaux
déclenchés chez le parent, des réseaux traumatiques qui proviennent de son
propre passé ou de celui de ses aïeux.
Nous ajoutons à la symptomatologie transgénérationnelle les secrets de
famille, des défauts ou les ruptures d’attachement entre parents et enfants,
alors que grands-parents et petits-enfants se sentent proches. Un signe plus
discret, mais pas moins parlant concerne d’importantes différences de
traitement parmi les membres d’une même fratrie.
Les phobies d’impulsion, se montrant la plupart du temps sous la forme d’une
peur de faire du mal à autrui, alors qu’il n’y a aucun fait avéré, nous invitent
aussi à explorer la dimension transgénérationnelle.
Des déclencheurs apparaissant soudainement, des somatisations apparaissant
lors de phénomènes anniversaires ou à des âges correspondant à une
traumatisation survenue dans la famille, des flashback ou intrusions
perceptuelles ressentis comme délirants chez des personnes qui par ailleurs
n’ont pas de mal à discerner la réalité, doivent mener le clinicien à rechercher
des cibles transgénérationnelles.
Les symptômes provenant de traumatisations transgénérationnelles où le
contenu est absent n’ont par définition pas de sens. Celui-ci doit être trouvé
dans une conceptualisation incluant la dimension phylogénétique, c’est-à-dire
l’histoire de la famille, avant la dimension ontogénétique du patient, c’est-à-
dire ce qui s’est passé au cours de sa vie.

CONCEPTUALISER LES TRAUMATISMES TRANSGÉNÉRATIONNELS

Ces blessures sont par essence des blessures relationnelles : les personnes
portent des séquelles post-traumatiques parce qu’elles sont en lien. Il s’agit
de symptômes provenant de la souffrance de quelqu’un d’autre, de
traumatismes non intégrés, gelés au temps du trauma et transmis comme tels.
Dans la traumatisation transgénérationnelle, la loyauté constitue une
composante essentielle.

▶ Trauma transgénérationnels et Traitement Adaptatif


de l’Information
Le modèle TAI indique que les symptômes d’aujourd’hui proviennent
d’informations dysfonctionnellement stockées. Si pour un problème donné, le
souvenir source peut être trouvé et désensibilisé, cela a un effet soulageant
sur toute la problématique.
Si par contre le souvenir source reste inconnu, la cible dans l’enfance sur
laquelle se concentre le travail n’est pas le souvenir le plus ancien. Ce dernier
peut provenir d’un âge préverbal, ou peut même être plus ancien encore.
Étant donné que les traumatismes transgénérationnels ne sont pas explicités,
ils ne sont souvent pas mis en lien avec la problématique, et peuvent dès lors
agir comme des réseaux de mémoire qui alimentent une cible dont le SUD ne
baisse pas. Ainsi, les déclencheurs ne deviennent pas neutres, le travail peut
se bloquer et le processus s’enliser.
Une explication possible est que le souvenir source dans la vie du patient
(dimension ontogénétique) n’est pas le souvenir source de la problématique.
Celui-ci est alors à rechercher dans la dimension phylogénétique.
Dans notre pratique clinique nous constatons que les traumatismes
transgénérationnels, une fois décelés, constituent de petites cibles qui peuvent
être facilement retraitées. Une hypothèse serait qu’il s’agit d’un réseau
mnésique qui ne contient pas l’expérience de la sortie de la fenêtre de
tolérance pour le patient qui porte la symptomatologie, ce qui permettrait
d’expliquer la facilité et l’absence de blocages dans ce type de retraitement.

▶ Comment tenir compte de la traumatisation phylogénétique dans le plan de ciblage ?

Généralement, un plan de ciblage est établi à partir d’une problématique ou


d’un symptôme posant problème. La première dimension questionnée est la
vie quotidienne du patient, permettant d’établir la liste de déclencheurs avec
les souvenirs du passé s’y rapportant, ainsi qu’un scénario du futur
permettant une projection dans l’avenir où la problématique sera résolue.
En deçà des souvenirs déterminés comme sources, nous pouvons identifier le
socle des expériences préverbales, qui constituent souvent le début d’une
problématique complexe, d’autant plus s’il y a des dysfonctionnements
familiaux. Avant ces mémoires préverbales se trouve la dimension
phylogénétique, c’est-à-dire tout ce qui précède la vie du patient.
Étant donné que les trauma transgénérationnels sont par essence des
traumatismes du lien, nous proposons, lors de l’établissement du plan de
ciblage, de rechercher le lien source, c’est-à-dire l’événement dans le passé
familial ou bien une relation qui résonne avec la problématique du patient.
Trois types de questionnement peuvent guider le praticien dans la recherche
du lien source :
1. « Est-ce que quelqu’un d’autre dans votre famille souffre ou a souffert du
même problème ? / a été confronté à la même chose ? »
La personne est ainsi invitée, soit par questionnement direct, soit par float
back ou pont d’affect, à faire le lien avec sa famille d’origine. Très
souvent, une réponse éclairante se fait jour.
2. Lorsque des cognitions négatives sont évoquées, la recherche peut se faire
par le biais d’une conviction partagée : « Qui dans votre famille aurait pu
dire la même chose ? » : répétez la cognition négative.
Cette question posée ainsi invite le patient à se décentrer de lui pour
vérifier la pertinence d’un message implicite reçu de ses aïeux. Un lien
ainsi explicité est généralement chargé en émotions, et constitue le début
d’un récit qui peut surprendre.
3. En cas de maltraitances, d’agressions, de négligences de la part d’un ou
des parents, il est utile de demander au patient « où votre parent a-t-il/elle
appris à agir de telle sorte ? »
Apparaissent alors des maltraitances et des négligences dans l’enfance des
parents, ce qui permet de trouver des explications qui apaisent le sentiment
de loyauté implicite, même si cela n’excuse en rien les comportements
parentaux délétères.
Au-delà des cibles mises à jour à travers le questionnement direct, il peut être
nécessaire d’aller à la recherche de cibles transgénérationnelles, d’autant plus
si la problématique reste verrouillée, les changements timides.
Le plus souvent, lorsqu’il y a traumatisme transgénérationnel, il y a aussi une
absence de parole, des secrets maintenus par la peur et la honte. Ces émotions
sont à prendre en compte, et parfois à désensibiliser en amont de toute
traumatisation. Le résultat est une parole davantage libérée, qui va de pair
avec un cheminement de pensée plus précis.

▶ Comment déceler les trauma transgénérationnels cachés ?


Un moyen pour aller à la recherche des traumatismes transgénérationnels est
le génogramme, inventé par Murray Bowen (1974) et qui représente un outil
majeur en thérapie familiale.
Il s’agit d’une représentation graphique, retraçant les membres de la famille
d’origine d’une personne, les générations, la qualité des relations, les
héritages, les problématiques et bien sûr les ressources. Plus il y a eu
d’expériences négatives, qui peuvent avoir laissé des traces traumatiques,
plus il sera important de poser des questions de survie au long de cette
exploration : « Comment votre grand-mère a-t-elle fait, après décès de son
mari, pour mener la barque familiale avec quatre jeunes enfants ? Comment
le grand-père a-t-il fait, au retour de la guerre, pour avoir le courage de … ?
Comment, en dépit des catastrophes qui ont eu lieu, ont-ils réussi à avoir des
enfants, à les élever ? » Sur le plan familial, une famille qui a survécu est une
famille qui a réussi à ce qu’il y ait une génération suivante.
Établir un génogramme permet de mettre en lumière un premier niveau de
compréhension pour mettre en face des difficultés traversées, les ressources
que les personnes ont mises en œuvre pour faire face à ce qui leur est arrivé.
Ce questionnement peut être déstabilisant si l’accent n’est pas suffisamment
mis sur les ressources.
Outre les compétences et les forces transmises, raconter ce que l’on sait de
son histoire familiale et les émotions que cela suscite est un moment
important qui renforce le lien thérapeutique.
Nous utilisions le génogramme comme un outil exploratoire pour trouver des
cibles familiales en lien avec une problématique. Le thérapeute décèlera les
absences d’informations, les incohérences, les « points chauds » et les
« points froids. » Ces dernières notions nous ont été inspirées par le concept
de fenêtre de tolérance de Siegel (1999).
Les « points chauds » sont des relations où peut être repéré une
hyperactivation (par exemple des colères débordantes, des violences, des
conflits, une anxiété non contenue, des intrusions, de l’enchevêtrement, des
douleurs qui semblent inconsolables).
Les « points froids » à l’inverse, sont des relations où il y a une
hypoactivation : l’émotion ne peut être ni vécue, ni partagée. Il y a des
défauts d’empathie, un manque de soutien, des ruptures, une absence de
parole, des règles familiales où « on ne se parle pas », ou bien « on ne pose
pas de questions ».
Les cibles ainsi mises à jour permettront de hiérarchiser les « éléments
source » pertinents par rapport à la problématique. En fonction de la
motivation du patient, ceux-ci peuvent être ciblés au préalable, rendant ainsi
l’accès aux souvenirs ontogénétiques plus facile.

TRAITER LES TRAUMATISMES TRANSGÉNÉRATIONNELS

Pour traiter les cibles transgénérationnelles, nous invitons le praticien à


privilégier le protocole EMDR standard de la phase 3 à la phase 8, d’autant
plus s’il s’agit d’événements précis comme par exemple un décès, un
accident... Généralement ces cibles régressent en peu de temps en une à deux
séances.
Les cognitions, (par exemple : « Cognition Négative : on va tous mourir ;
Cognition Positive : tout va bien ») sont souvent autoréférencées au groupe
plutôt qu’à la personne, ce qui dans une perspective transgénérationnelle a
tout son sens.
Si la dimension transgénérationnelle concerne une relation plutôt qu’un fait
précis, et ce surtout s’il y a foison de cibles possibles, nous proposons le
protocole des lettres (Dellucci, 2017). Cette méthode douce permet de
retraiter pas à pas un nombre important de cibles, qui sont pour la plupart des
blessures relationnelles. Le but est d’assainir ce lien.
Dans les cas de liens non constructifs, où le patient a pris sur lui et a porté
une large part de la problématique d’un parent ou d’un membre de la famille,
nous recommandons d’ajouter un « rituel pour rendre » tel que nous l’avons
appris dans les pratiques de constellations familiales (Sparrer, 2004/2007).
Ici, ce rituel est effectué à travers un dialogue avec la personne ciblée
représentée mentalement, en accompagnant le patient par des stimulations
bilatérales, jusqu’à apaisement complet.
Les techniques décrites au long de ces pages permettent d’approcher un grand
nombre de cibles provenant de traumatisations transgénérationnelles, pourvu
que le lien thérapeutique soit de bonne qualité et que le patient soit d’accord
et motivé.
Le travail sur des cibles transgénérationnelles dans le cas de troubles
dissociatifs avec évitement massif est tout à fait possible, à travers une
pratique spécifique incluant le travail avec les parties dissociatives de la
personnalité (Dellucci, 2016). Néanmoins la présence de troubles dissociatifs
indique une traumatisation ontogénétique considérable qu’il ne faut pas
négliger.
Le travail avec les personnes souffrant de traumatismes complexes, avec ou
sans troubles dissociatifs nécessite que le clinicien puisse bénéficier de
formations spécifiques et d’un accompagnement en supervision.

PRÉVENIR LES TRAUMA TRANSGÉNÉRATIONNELS,


EST-CE POSSIBLE ?

La première crainte qui émerge auprès d’adultes touchés, soucieux du bien-


être de leurs enfants, est celle de leur avoir transmis la souffrance
transgénérationnelle. À cela nous répondons deux choses : d’une part, tout le
travail thérapeutique sur les séquelles des traumatismes transgénérationnels
qu’ils portent soulage aussi leurs enfants. Nous avons ainsi vu des
changements spectaculaires non seulement chez nos patients, mais également
dans le lien avec leur entourage : les enfants, les conjoints et parfois les
parents.
Le second élément à considérer est que la transmission est inévitable. L’enjeu
devient alors de savoir qu’est-ce que nous souhaitons transmettre et
comment. Si nous raisonnons en termes TAI, nous pouvons dire qu’en cas de
traumatismes transgénérationnels, ce qui est transmis est de l’ordre de la
blessure non intégrée, perçue comme menaçante, qui ne permet pas de faire la
différence entre aujourd’hui, où le danger est écarté, et l’époque du trauma où
déjà survivre était un défi de taille. S’affranchir de cette traumatisation
permet dès lors de transmettre des ressources, des apprentissages utiles.
Si un traumatisme peut être considéré comme une expérience d’apprentissage
non encore aboutie en raison d’une charge émotionnelle trop importante,
faisant basculer la physiologie dans des réactions de survie (Dellucci, 2014),
alors nous pouvons dire que la transmission de l’expérience sans trauma
devient une transmission ayant du sens, racontant une histoire permettant
d’honorer la mémoire, sans que celle-ci ne fasse souffrir.
Pour résumer, le but d’une transmission non traumatique est la création d’une
narration, une histoire qui a du sens et qui peut être partagée, tout en
permettant la circulation d’émotions non débordantes. Se sentir touché n’a
rien de pathologique, au contraire.
Ce travail de prévention se fait habituellement avec les membres de la famille
les plus motivés, et après intégration du trauma, nous les invitons à « faire
tache d’huile » avec le résultat qu’ils ont acquis en commençant le récit avec
ceux qui peuvent entendre.
Entendre une histoire familiale qui a du sens est vécu comme apaisant par
tous les membres. Le plus souvent cela a un effet assainissant sur les liens,
les personnes se redressent et finissent par être fiers de leurs aïeux survivants,
auxquels ils peuvent désormais rendre hommage sans souffrir.
En général, les personnes s’étant affranchies de traumatismes
transgénérationnels sont davantage en mesure de poursuivre leurs objectifs
dans le présent, sans l’entrave d’une loyauté limitante.

Pour conclure, nous pouvons dire que la souffrance transgénérationnelle est réelle et qu’elle est guérissable, pourvu que la
personne portant les séquelles post-traumatiques soit motivée à les aborder et que les conditions de travail soient
suffisamment bonnes. Dans la mesure où la dimension explicite concernant ces événements reste cachée et que ces
symptômes apparaissent sans aucun sens, il est utile que le clinicien élargisse sa conceptualisation à cette dimension
transgénérationnelle qui dépasse l’expérience ontogénétique du patient.
Une fois mises à jour, ces cibles peuvent être abordées grâce à la thérapie EMDR et en principe elles sont rapidement
retraitées. La rapidité du retraitement provient du fait qu’il s’agit essentiellement d’une blessure du lien, ne remettant pas
en cause ce dernier.
Finalement, nous pouvons dire que non seulement tout traumatisme est guérissable, mais nous pouvons ajouter la mention :
« quel que soit l’endroit d’où il provient », permettant ainsi une transmission saine et étayante envers les générations
futures.

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Notes
1. Cette définition peut être étendue à tout groupe, par exemple une équipe, un groupe classe, etc.

2. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 14 « EMDR et vicariance du psychotraumatisme ».


Chapitre 14

EMDR et vicariance du
psychotraumatisme

Gabrielle Bouvier et Hélène Dellucci

Le travail en psychotraumatologie a des effets sur les soignants. Outre le sentiment d’efficacité, la satisfaction dans une
relation d’aide « soutenante », ces effets peuvent aussi être moins agréables. Les psychotraumatologues entendent des
contenus qui peuvent surprendre, provoquer des visions d’horreur, et contaminer le professionnel. Prendre soin de
personnes dans un état de stress aigu, ayant un ESPT simple ou complexe peut avoir des répercussions délétères sur les
soignants, jusqu’à la création d’une blessure traumatique ? L’épuisement d’un soignant peut-il être compris dans le cadre
d’une traumatisation vicariante ? Il est important que la réalité de ces effets et des risques soit prise en compte pour le bien-
être des soignants, souvent dévoués et volontaires, de façon à ce que leurs interventions restent efficaces.

DE L’EMPATHIE À LA BLESSURE
▶ Définition et mécanismes à l’œuvre

Selon le Larousse la définition du terme vicariant est : qui remplace quelque


chose d'autre. Par extension, un traumatisme vicariant parle d’un traumatisme
apparu chez une personne « contaminée » par le vécu traumatique d’une autre
personne avec laquelle elle est en contact.
En 1990 Mc Cann et Pearlmann commencent à parler d'expériences
traumatiques vécues par des thérapeutes travaillant avec des survivants. Ils
arrivent à la conclusion qu'un traumatisme vicariant peut apparaître chez tout
professionnel travaillant avec des personnes traumatisées.
L'empathie semble être fondamentale dans le mécanisme pouvant amener un
traumatisme vicariant (Pearlman & Saakvitne, 1995). Dans sa description de
l'empathie, Decety (2005) indique qu’elle comprend deux facteurs : « un
partage affectif non conscient et automatique avec autrui », et « la nécessité
de supprimer ou réguler temporairement et consciemment sa propre
perspective subjective pour se mettre à la place de l’autre sans perdre son
identité ». Ce second facteur aurait un effet protecteur. En reprenant cette
définition de l'empathie, nous pouvons voir que ces 2 facteurs jouent un rôle
dans la relation du professionnel avec son patient. Le partage affectif non
conscient et automatique est inné et amène le professionnel à se mettre à la
place du patient. Il s’agit d’une résonance motrice passant par le système des
neurones miroirs (Gallese, 2005), qui implique notre état du corps, nos
réactions viscérales, puis nos émotions et permet au professionnel de se
représenter le vécu de son patient de façon très réaliste. La capacité à se
mettre à la place de l’autre sans perdre son identité, acquise au sein d’une
relation d’attachement sécure, notamment par les apprentissages qui aident
ainsi à trouver la bonne distance, jouerait quant à elle un rôle protecteur en
permettant au professionnel de se demander ce que son patient a subi,
comment il l'a vécu et comment il y a survécu. Le professionnel ressentira
alors de la compassion et y trouvera un moteur pour aider son patient tout en
pouvant penser « Je sais que je suis différent de toi ».
Lors de l'apparition d'un traumatisme vicariant, ce second facteur ferait défaut
et ne jouerait alors plus son rôle protecteur, amenant ainsi le professionnel à
s'identifier à son patient traumatisé et à commencer à imaginer ce qu'il
ressentirait si les événements racontés lui étaient arrivés à lui. Le défaut de
cette protection pourrait dès lors mener à une exacerbation du ressenti non
volontaire et automatique (premier facteur), et provoquer chez le
professionnel une sortie de sa fenêtre de tolérance. Les événements vécus par
le patient, son histoire ou ses réactions peuvent entrer en résonance avec le
propre vécu du professionnel, ce qui peut aboutir à une réaction traumatique
chez ce dernier.
Ce mécanisme ne peut se prévenir, surtout la première fois, car les réseaux
entrant en jeu sont souvent restés implicites chez le professionnel. Il ne
s'agirait alors que du réveil de réseaux neuronaux traumatiques dormants qui,
s’ils sont suffisamment chargés en matériel émotionnel non résolu, pourraient
être activés face à un déclencheur vécu chez l'autre. Les personnes ayant des
histoires traumatiques personnelles non résolues semblent plus vulnérables
face à la traumatisation vicariante, même si les résultats des recherches
divergent quant à ce point.
Une autre hypothèse expliquant l'apparition d'un traumatisme vicariant,
complémentaire à la précédente, pourrait être celle du débordement face à des
sentiments de désespoir et d'impuissance vécus par un professionnel engagé
dans une relation d'aide. La motivation du professionnel à faire tout son
possible pour la personne dont il s'occupe peut alors l’amener à en faire
toujours davantage dans un mécanisme d’escalade symétrique proportionnel
au sentiment d’impuissance ressenti.

▶ Symptomatologie du traumatisme vicariant

Les symptômes du traumatisme vicariant sont semblables à ceux d'un trouble


post-traumatique selon le DSM V, mais tendent à être moins intenses. Un
traumatisme vicariant peut donc se manifester entre autres par des symptômes
intrusifs tels que des flashbacks, des cauchemars et des pensées
obsessionnelles, des comportements d’évitement, des sentiments de détresse,
une altération du fonctionnement global. Un traumatisme vicariant peut aussi
se traduire par une rupture dans les croyances fondamentales du
professionnel, dans son image, son estime de soi, la confiance en ses
capacités, ses croyances envers autrui et son environnement. Peuvent
apparaître également des troubles dans les relations interpersonnelles
professionnelles ou privées avec notamment un sentiment d’insécurité, une
difficulté à faire confiance et à gérer la distance relationnelle avec les
patients, des difficultés à respecter la confidentialité, une inquiétude exagérée
pour la sécurité des patients, des sentiments d’isolement et d’impuissance. On
observe également des symptômes somatiques tels que des troubles du
sommeil, de l’anxiété et des états dépressifs.

▶ Concepts reliés : burnout, fatigue compassionnelle, traumatisme secondaire, contre-transfert

Le traumatisme vicariant a souvent été comparé à la fatigue compassionnelle,


à un état de stress traumatique secondaire, au burnout, voire au contre-
transfert analytique. Les définitions de tous ces termes sont variables selon
les sources et elles se recouvrent souvent.
Le terme de traumatisme secondaire est un terme générique utilisé la plupart
du temps pour parler de tous les concepts décrivant une atteinte de la santé
psychique d'un professionnel travaillant avec des personnes traumatisées. Il
ne définit donc pas précisément et uniquement le concept de traumatisme
vicariant.
Le burnout est aujourd'hui clairement identifié dans le DSM-V comme une
sous-catégorie de la dépression. C'est une pathologie liée à l'activité
professionnelle quelle qu'elle soit et décrite comme une démotivation à
travailler. Toutes les professions sont concernées sans avoir de lien particulier
avec un travail en rapport avec des traumatismes.
La fatigue compassionnelle quant à elle n’est pas liée de façon restrictive à
l’activité professionnelle et indique plutôt un débordement, un épuisement du
professionnel, face à la souffrance d’autrui, sans que cela soit forcément en
lien avec une histoire traumatique de la personne aidée. Sa symptomatologie
peut se montrer très diverse et ressembler au burnout, au traumatisme
vicariant, à la dépression, ou à un mélange de tout cela.
Il est à noter que le traumatisme vicariant, contrairement à la fatigue
compassionnelle et au burnout, est toujours en lien avec une exposition au
matériel traumatique d'autrui et présente lui-même les caractéristiques
cliniques d'une traumatisation (Pearlman et Saakvitne, 1995), comme des
images intrusives, ce qui n'est pas le cas de la fatigue compassionnelle ou du
burnout. Il est important de comprendre que ces deux dernières entités
peuvent être observées chez des professionnels qui n’ont jamais été en
contact avec des patients traumatisés ce qui n'est jamais le cas du
traumatisme vicariant.
Pour terminer cette liste, parlons du contre-transfert qui est une réaction du
professionnel à son patient. Il est présent dans chaque relation et il fait partie
de la thérapie. Le professionnel peut l'utiliser dans la thérapie à condition
qu'il soit correctement compris et manié. Les traumatismes vicariants
pourraient aussi être vus comme des réactions face à un patient donné, une
histoire particulière mais si le contre-transfert est un aspect indissociable de
la relation thérapeutique, que celle-ci se situe dans un courant
psychanalytique ou non, un traumatisme vicariant n’est heureusement pas
toujours présent dans une thérapie car il est dommageable, pour le patient et
pour le professionnel.
PRÉVENIR ET TRAITER

À la suite de ce que nous venons de lire, devons-nous penser que chaque


professionnel travaillant avec des victimes de traumatismes soit à risque
d'une traumatisation vicariante ? Si nous prenons en compte les facteurs
énoncés plus haut quant aux raisons pouvant amener un traumatisme
vicariant (le rôle de l'empathie, la présence de réseaux implicites chez le
thérapeute, un possible débordement par des sentiments de désespoir et
d'impuissance), nous pouvons affirmer que nul professionnel travaillant au
contact de patients traumatisés n'est à l'abri de développer un traumatisme
vicariant. Peut-on le prévenir ? Et s’il n’a pas été possible de le prévenir,
comment le traiter ?

▶ Prévenir le traumatisme vicariant

Une prévention efficace devrait nous amener à nous protéger de l’émergence


de vagues de désespoir et d’impuissance chez nos patients. Lorsque celles-ci
surgissent dans le processus, cela signifie que nous avons affaire à un réseau
neuronal bloqué dans des mémoires du passé, c’est-à-dire sans perspective
d’avenir, donc sans espoir. La théorie de la dissociation structurelle (Van der
Hart, Nijenhuis & Steele, 2006/2010) nous apprend que réseau traumatique et
réseaux de la vie quotidienne peuvent être déconnectés les uns des autres, et
présenter une amnésie pour leurs contenus respectifs. Cela a pour
conséquence d’une part un évitement phobique et hostile de tout contenu
traumatique, d’autre part, la libération de charges émotionnelles
considérables, lorsque les mémoires du passé sont touchées, risquant alors
d’amener le patient à sortir de sa fenêtre de tolérance. Il est important que le
professionnel après s'être assuré de la stabilité émotionnelle de son patient, ne
perde pas de vue qu’il a affaire à un survivant. Il faut donc que le thérapeute
continue à s’intéresser aux ressources de survie de son patient et reste garant
du maintien de la perspective d’un avenir positif. En pratique, même si nous
sommes des professionnels bien formés, nous sommes aussi tous des
humains, susceptibles d’être surpris par ce que nous entendons et percevons
de la part de nos patients. Il existe toujours un risque d’oublier cette
dimension de survie si importante et il n’est pas inutile de se rappeler
régulièrement que dans notre travail de psychotraumatologues, nous faisons
équipe avec des survivants.
Nous conseillons aux professionnels qui pourraient avoir des idéations
touchées par le désespoir ou l’impuissance, de faire une pause pendant
l’entretien lorsqu'ils le réalisent leur permettant de sortir brièvement de la
pièce. Cette pause de quelques minutes peut nous permettre, de restaurer nos
capacités d’orientation. Faire un café, un thé ou aller chercher un verre d’eau
sont des actions qui mettent en mouvement le corps du thérapeute, et de ce
fait le font changer d’état. Cette interruption, notamment dans le contenu du
récit, en plus d'aider le thérapeute à porter son regard à nouveau sur les
capacités de survie et de résistance de son patient, lui permet également de
prendre soin de lui, une dimension qui devient primordiale dans ce moment
crucial et qui agira comme une modélisation à l’égard du patient. Cette
intervention thérapeutique ne prend que quelques minutes. Le professionnel
ainsi réarmé pourra retourner en entretien avec un état du corps plus calme,
qui lui sera nécessaire pour continuer à aider la personne.
Un aspect particulièrement important pour le bien-être du professionnel est de
veiller à ce que la prise en charge du patient soit solidement construite, avec
un plan de traitement clair, auquel il pourra se référer de façon à avoir
toujours à l'esprit les objectifs du traitement. Cette clarté et cette précision
dans la prise en charge permettent au professionnel de se maintenir dans une
situation où il peut avoir une influence thérapeutique favorable sur le patient.
Un plan de traitement, des objectifs thérapeutiques concrets et des
évaluations régulières permettent ainsi de suivre avec plus de d'attention
l'avancée du patient et les changements opérés par lui. Il nous paraît donc
nécessaire et utile de prendre le temps de construire cet outil de travail qui
s'avérera précieux tant pour la personne en thérapie que pour le professionnel.
Il nous paraît enfin essentiel que l’outillage du professionnel compte un
espace de supervision, ou d’intervision, c’est-à-dire un lieu bienveillant et
neutre qui peut lui permettre de se remettre en question en toute sécurité et
d’avancer dans le confort d'un accompagnement et des conseils de ses pairs.
Cela permettra au professionnel de prendre et garder des repères tout en
gagnant en objectivité par le partage collégial. En plus du soutien dont il
pourra ainsi bénéficier, cette pratique réflexive l'amènera également à garder
une distance suffisante, dans le but de rester thérapeutique et efficace dans de
bonnes conditions pour son patient et pour lui-même. Le groupe de soutien
pourra également constater chez le collègue l'apparition des premiers signes
d’une traumatisation vicariante et l’interpeller en ce sens, afin que cette
blessure puisse rapidement être transformée en un apprentissage pertinent.
Toutes ces mesures visent bien sûr à permettre au professionnel de ne pas
rester seul face à un patient susceptible de déclencher chez lui des réactions
pouvant conduire à développer un traumatisme vicariant.

▶ Traitement du traumatisme vicariant

Lorsqu'un traumatisme vicariant est identifié, plusieurs pistes existent. Il


n'existe pas d'ordre précis dans lequel les appliquer et il n'est pas besoin de
les appliquer toutes. Elles seront à choisir en fonction des besoins propres à
chaque professionnel. Un bon outil est le protocole de la lettre d'influence,
directement dérivé du protocole de la lettre (Dellucci, 2017). Lorsque le
professionnel se sent coincé, en situation d'impasse, émotionnellement touché
et à risque de sortir de sa fenêtre de tolérance, nous lui demandons d'écrire
une lettre à son patient mentionnant tout ce qu'il aimerait pouvoir lui dire sans
aucune censure. Cette lettre ne sera bien sûr jamais remise au patient et ne
servira qu'au travail effectué par le thérapeute en supervision, intervision ou
thérapie en utilisant le protocole des lettres (Dellucci, 2017). Cet outil permet
au professionnel d’aborder ses propres réseaux implicites entrant en
résonance avec ceux de son patient et finissant par amener le travail
thérapeutique dans une impasse. Cette pratique, d’après nos constatations
empiriques, conduit à l’apaisement du professionnel, faisant émerger des
pistes chez ce dernier, qui étaient bien présentes, mais obnubilées par sa
souffrance. Nous avons également constaté des changements importants,
chez le professionnel, mais aussi chez le patient. D’autre part, le thérapeute
pouvant se situer plus clairement dans la prise en charge, cela a un effet sur la
relation thérapeutique qui s'en trouve grandement améliorée.
Nous pensons qu'il est utile que le thérapeute soit attentif à tous signes de
suradaptation à son patient, celle-ci pouvant être comprise comme un signe
indiquant l'apparition d'un traumatisme vicariant chez le thérapeute. La
suradaptation amenant inévitablement chez le professionnel une perte de
distance, une réaction face à l’impuissance ressentie, l'amenant à se
surinvestir, pas toujours de la façon la plus adaptée.
Une autre piste est l'exercice du patient catastrophe. Cet exercice consiste à
effectuer un plan de ciblage à partir de la situation dans lequel le thérapeute
se trouve en difficulté avec le patient. Ce plan de ciblage permet de remonter
jusqu'aux cibles du passé du thérapeute qui entre en résonance avec la
situation actuelle avec le patient. Les souvenirs émergeant et les souvenirs
source qui apparaissent souvent de façon étonnante chez le thérapeute
soutiennent l'idée de l'interaction de réseaux implicites du thérapeute avec
l'histoire de son patient. Les cibles mises en évidence chez le thérapeute
peuvent être retraitées en EMDR.
Une troisième piste peut être d'expliciter et chercher les pires peurs du
thérapeute face à ce patient afin d'en déterminer les parts rationnelles et
irrationnelles. Cela permet d'agir dans la réalité sur la part rationnelle et
permet de travailler au travers d'un protocole standard sur la part
irrationnelle. Il peut aussi s'avérer utile de travailler sur les émotions et les
sensations qui peuvent émerger chez le professionnel, qui parfois peuvent
prendre une place prépondérante. Ici, nous utiliserons les outils classiques du
travail en EMDR (protocole standard, travail sur les peurs du futur, remises à
zéro des émotions…).

Nous pouvons dire que les traumatismes transmis dits vicariants existent, qu’ils se manifestent comme n’importe quel
traumatisme sur le plan clinique et qu’ils se désensibilisent aussi facilement que les blessures d’événements que l’on a soi-
même subies. Comme pour toute blessure traumatique transmise, dont les traumatismes vicariants font partie, celle-ci
signale l’importance et l’intensité du lien qui peut exister entre deux ou plusieurs personnes. En termes d’attachement, cette
dimension nous paraît non-négligeable.
Même si les professionnels restent centrés sur les ressources et les compétences de leurs patients et usagers, ce qui à notre
sens les protège en grande partie d’une traumatisation vicariante, il n’empêche qu’ils peuvent être touchés par ce que vivent
leurs patients. Rappelons-nous que la notion de fenêtre de tolérance n'est pas réservée à l'exclusivité de nos patients. Nous
invitons dès lors nos collègues à s’exercer à prendre soin d’eux-mêmes. Cela aura deux conséquences : Ils seront mieux en
mesure de prendre soin des personnes dont ils s’occupent et leur capacité à prendre soin d’eux agira comme un modèle.

BIBLIOGRAPHIE

DECETY, J. (2005). Une anatomie de l’empathie. Psychologie et


Neuropsychiatrie cognitives, 3, (11). pp. 16 – 24.
DELLUCCI, H. (2017). La boîte de vitesses : une structure de traitement EMDR
intégrative. S’adapter sans se perdre dans la Gallese V. (2005) : Embodied
simulation : from neurons to phenomenal experience. Phenomenology and
the Cognitive
MC CANN, I.L. & PEARLMAN, L.A. (1990). Psychological trauma and the adult
survivor : Theory, therapy, and transformation. New-York :
Brunner/Mazel.
PEARLMAN, L.A. & SAAKVITNE, K.W. (1995). Trauma and the therapist :
Countertransference and vicarious traumatization in psychotherapy with
incest survivors. New-York : Norton.
VAN DER HART, O., NIJENHUIS, E.R.S. & STEELE, K. (2006). The Haunted Self :
Structural Dissociation and the Treatment of Chronic Traumatization.
New York/London : W.W. Norton & Co. Pour la traduction
française (2010) : Le Soi Hanté : Dissociation Structurelle et Traitement
de la Traumatisation Chronique. Bruxelles : DeBoeck.
Chapitre 15

L’EMDR et les histoires narratives


en adoption

La blessure d'abandon et son impact


chez l'enfant et ses parents adoptifs
Annie Delplancq

Les problématiques de fond que nous rencontrons en consultation reflètent régulièrement un malaise lié à la question de la
place et de la relation aux autres. Ces difficultés semblent prépondérantes chez les enfants qui ont vécu des ruptures de
liens. Dans les situations d’adoption ou d’accueil, les histoires ont tendance à se rejouer si elles ne sont pas mises en
lumière pour enfin être comprises, acceptées et intégrées.
Nous proposons dans un premier temps une analyse du vécu de l’enfant adopté avec comme fil conducteur, la notion de
place. Nous examinons les empreintes précoces, les blessures du premier lien mais aussi leurs résonances chez les parents
adoptifs et l’impact sur la relation actuelle dans une approche systémique. Ensuite, nous abordons l’histoire narrative en
tant qu’outil thérapeutique.

LE VÉCU DE L’ENFANT ADOPTÉ


▶ Autour de la naissance : quand la mère est sereine

On sait aujourd’hui que le lien entre le bébé et sa mère se met en place déjà
avant la naissance. Le fœtus, en situation d’extrême dépendance est en
interaction continue avec sa mère. La qualité du temps de gestation va
impacter l’avenir psychologique et émotionnel de l’enfant (Cyrulnick, 2004).
Le bébé sera marqué dans sa mémoire in utero par ce qu’il a ressenti au plus
profond de lui-même de la place qui lui était réservée.
Le bébé arrive à la vie avec plusieurs systèmes d’action dont les fonctions
sont d’assurer sa survie (Ogden, Minton, Pain, 2006). Il émet des messages et
active le système motivationnel de sa mère qui lui répond de manière à le
protéger en tant qu’être plus fragile, plus faible.
À travers ces premières interactions, les fondations de base de l’enfant se
mettent en place. Au fil du temps, elles se consolident s’il reçoit des soins
adéquats et deviennent des socles qui déterminent sa confiance en lui, aux
autres et dans le monde. Lorsque l’adulte lui répond avec bienveillance,
cohérence, prévisibilité et rapidité l’enfant sent qu’il est un être important,
qu’il peut faire confiance en celui qui gère et contrôle sa vie, qu’il peut
montrer ses fragilités sans crainte car il les écoutera, les soignera et les
fortifiera (Ainsworth, 1978). L’enfant se perçoit en sécurité dans le monde
qu’il aura progressivement envie de découvrir (Lemieux, 2013). À travers ce
regard, ces gestes et cette enveloppe d’attentions rassurantes, il ressent être à
sa place, dans la relation et dans l’univers.
Avant 2 ans, les sensations et émotions de l'enfant seront déterminantes quant
à sa manière d’être au monde et son style d’attachement (Bowlby, 1969).
Katie O'Shea (2009a) souligne toute l'importance des empreintes précoces
dans la construction de soi.

▶ En cas d’ « intempéries » du lien

Plus l’enfant est jeune lorsqu’il est confronté à des événements difficiles, plus
ceux-ci impacteront sa perception du monde. Ainsi, un enfant peut ressentir
qu’il n’est pas important, qu’il n’a pas de place, qu’il ne peut pas faire
confiance aux adultes qui s’occupent de lui, qu’il est en danger et que dès lors
il ne peut pas montrer ses fragilités.
Le bébé a besoin de se connecter à sa mère, de la rejoindre. Si la mère est
absente, indisponible ou anxieuse, le bébé ne parvient pas à entrer en
communion avec elle. Progressivement il va s’en détourner. La mère souffre
aussi et ne se sent pas reconnue par son enfant. L’un et l’autre peuvent
ressentir un profond sentiment d’impuissance et de honte.
Lorsque l’enfant est abandonné, il est placé « à côté », au ban et n’a pas
l’occasion de s’épanouir dans le cocon formé par les bras de sa mère (Dufour,
2007). Il est alors directement confronté à l’ailleurs, au tiers. Ce manque aura
un impact fondamental sur son sentiment de confiance.

▶ La notion de place

Se sentir à sa place est une condition de base pour s’épanouir. Prendre sa


place signifie l’occuper, la faire respecter, tout en respectant celle des autres.
Se sentir mis de côté, non intégré voire exclu, réveille une insécurité
profonde. La qualité de la relation à autrui dépend aussi du degré de sécurité
quant à la place occupée. Les tensions relationnelles sont souvent liées à une
question de place non reconnue.

▶ Les racines du sentiment d’être à sa place

Il arrive régulièrement que l’enfant adopté se sente peu à sa place alors que
rien dans son présent ne justifie ce malaise. La notion de place est une notion
archaïque, s’inscrivant dans la mémoire implicite.
La place réservée à l’enfant à venir se construit dès le désir d’enfant. Qu’il
soit conçu ou attendu dans le cadre d’un projet d’adoption, cette place évolue
au fil du temps et de l’attente, en lien avec l’histoire autour de la gestation, de
celle de chacun des futurs parents et de leur vécu familial. L’enfant, porteur
de son patrimoine génétique viendra s’inscrire dans l’arbre familial et
inaugurera une place spécifique en lien avec les histoires de chacun. L’enfant
adopté, chargé de sa première histoire, va prendre sa place dans l’intimité de
la relation de ses nouveaux parents. Les histoires de chacun vont se croiser et
continuer à modeler celle de l’enfant.
Le sentiment de soi passe par la sensation d’exister, la relation aux autres et
la possibilité d’appartenir à un groupe socialisant. Avoir une place en arrivant
au monde permet d’expérimenter la fiabilité d’un espace où pourra grandir le
sentiment de l’intimité, la conviction d’exister. La place renvoie au sentiment
d’appartenance : j’ai ma place dans ma famille, dans l’univers.
La place est toujours donnée par un autre ou ressentie par rapport aux autres.
Tout enfant éprouve le besoin d’être regardé, accepté et approuvé par ses
parents. Le pire est de se sentir exclu.
Fondamentalement, l’enfant ressent à travers ses expériences, c’est-à-dire ses
perceptions sensorielles et émotionnelles, s’il était attendu et si sa place est
reconnue. Le regard de son parent empreint de plaisir, bienveillant et
inconditionnel lui confirme sa place, qui n’est pas à gagner. Ensuite, l’enfant
perçoit s’il y a ou pas cohérence dans la continuité des actes posés par son
parent, s’il y a congruence entre ce qu’il ressent et ce qu’il entend au sein de
son univers ambiant.

▶ Résonances chez les parents

Le chemin qui mène au désir d'adoption est souvent parsemé de souffrances.


La question de la place réveille aussi des blessures chez le parent.
Dans la situation d’adoption, le parent va pouvoir réserver à l’enfant une juste
place s’il a pu élaborer le deuil de l’enfant biologique. S'il y a un désir de
réparation à travers l'adoption, la place de l’enfant réel ne correspondra pas à
celle de l’enfant rêvé.

▶ Le rôle des parents adoptifs

L’enfant adopté peut ressentir qu’il est différent, que seule une partie de lui
répond aux attentes de sa famille. Il commence à avoir l’impression de ne pas
y appartenir, percevant qu’il n’est pas accepté dans son intégralité. Certains
enfants développent ce sentiment de ne pas être à leur place, amplifié par la
blessure primitive d’avoir été abandonné, « mis au ban ». La question de la
place sera testée continuellement, l’enfant y développera une sensibilité toute
particulière. Parfois, il cherche à prendre une place excessive, désireux d’être
regardé à tout prix pour se sentir exister. D’autres enfants évitent de prendre
leur place, de réussir, de développer leur potentiel, comme s’ils n’y avaient
pas droit.
La question de la place est cruciale. Il est impossible de construire à partir du
vide. Les parents adoptifs auront pour mission de réinjecter de la sécurité
dans les fondations de leur enfant pour qu’ensuite, il lui soit possible de se
construire sur une base consolidée.

L'HISTOIRE NARRATIVE
La technique de l’histoire narrative a été mise au point par Joan Lovett
(1999). Elle permet de nommer les événements traumatisants, de les replacer
dans leur contexte et de leur donner un sens. Travaillée en EMDR, l’histoire
narrative ouvre à de nouvelles voies de résolution. Elle s’adresse aux jeunes
enfants, qui n’ont pas la capacité de comprendre ce qu’ils ont vécu mais aussi
aux plus âgés, lorsque les événements se sont produits au stade préverbal.
Elle est habituellement rédigée par les parents aidés du thérapeute.

▶ Pour qui ?

Ce travail autour de l’histoire narrative s’adresse à tout enfant ou adolescent


adopté ou en situation d’accueil familial qui a vécu des ruptures de liens et
des traumatismes en période non verbale, quel que soit son âge au moment de
son arrivée dans sa famille adoptive ou d’accueil et du moment de la
première consultation.

▶ Pourquoi ?

L’histoire narrative permet d’entrer dans le monde imaginaire de l’enfant.


Tous ses sens sont en éveil. Elle relie l’immense savoir de son inconscient et
l’adaptation au quotidien (Floret, 2014). Elle aborde ses craintes, ses
inquiétudes, ses angoisses et ses traumatismes. Elle permet à l’enfant
d’affronter avec douceur les événements douloureux, tout en débloquant la
situation et en avançant avec le(s) personnage(s) vers la résolution et
l’intégration (Sunderland, 2001).

Au niveau de l’enfant

À travers l’histoire, l’enfant va apprendre comment résoudre ses


difficultés. Il va pouvoir donner du sens à ce qui lui est arrivé, trouver des
possibilités de résolution et transformer ses croyances négatives en
croyances positives. L’histoire l’aidera à traverser ses différentes émotions
et à mettre des mots sur ses ressentis (Lovett, 1999).
L’attachement se mesure à la qualité du récit de narration (Main, 1993).
Lorsque les parents parviennent à transmettre à leur enfant une histoire, il
peut se développer en intégrant et en situant tous les événements de sa vie.
Ceux-ci sont déjà inscrits dans les mémoires implicites (Siegel, 1999,
2001) de l’enfant et le fait de les placer dans son histoire, en utilisant un
langage adapté à son niveau de développement lui apporte une nouvelle
compréhension de son vécu, de ses difficultés, mais aussi de ses forces et
de ses ressources.
L’enfant s’apaise lorsqu’il réalise que son parent sait et comprend, sans
juger. Elle permet le développement de la fonction réflexive de l’enfant : il
se sent compris. Le reflet ajusté du parent des différents états sensoriels,
émotionnels, mentaux et physiques aide l’enfant à établir des liens entre
ceux-ci, l’ouvre à l’empathie et l’invite à mieux comprendre ce qui lui est
arrivé, pour mieux le surmonter et y survivre (Fonagy, 2002).
L’enfant s’appropriera son histoire et continuera à se la raconter.
Au niveau des parents

Les parents, aidés par le thérapeute posent les différents morceaux du


puzzle de la vie de l’enfant et les remettent à leur place, en développant
une empathie toute particulière et une sensibilité qui les rapprochent du
monde de leur enfant. L’adulte est invité à se décentrer, à entrer dans la
peau de son petit afin de mieux ressentir quelles ont été ses sensations, ses
émotions et de mieux comprendre ses comportements et ses pensées.
L’élaboration de l’histoire permet ainsi d’augmenter la sensibilité
parentale, c’est-à-dire la réactivité sensible du parent aux signaux et aux
communications de son enfant (Ainsworth et al., 1978).
Il est utile de vérifier les résonances sur le parent : quelle place lui a été
donnée dans son enfance, quelle place a-t-il pu prendre ? Considère-t-il
que sa place en tant que parent soit légitime ? Et quelle place peut-il
donner, laisser à son tour à son enfant ? Il sera accompagné de manière à
revisiter, soigner ses propres blessures afin de pouvoir apporter à l’enfant
toute la sécurité dont il a besoin.
Lire à son enfant son histoire crée un pont entre lui et son parent, façonné
par la qualité d’écoute et la réelle disponibilité. Elle va les aider à prendre
conscience du chemin qui les a conduits l’un vers l’autre.

▶ Quand ?

Idéalement, assez rapidement après l’arrivée de l’enfant dans sa nouvelle


famille. En développant la sensibilité des parents, l’histoire narrative
favorise la mise en place d’un attachement le plus sécure possible.
Quand l’enfant manifeste un malaise, un évitement par rapport à son
histoire.
Lorsque les difficultés actuelles et les symptômes présentés sont en lien
avec son histoire. En cas de traumatismes précoces, on constate que le
passé reste actif et se manifeste dans le présent.
Régulièrement, l’adolescent se heurte à des difficultés en lien avec son
vécu pré-adoptif. Le protocole de l’histoire narrative peut être utilisé avec
lui en tant que base de travail, de manière à lui restituer cette partie de sa
vie, l’aider à l’intégrer et à mieux comprendre les liens entre son passé et
son présent.

▶ Comment ?

L’EMDR se fonde sur le modèle TAI (Traitement Adaptatif de


l’Information), orienté vers la santé et la guérison (Shapiro, 1995 et seconde
édition 2001). Lorsque l’individu subit un traumatisme, ses capacités de
traitement se figent et ne remplissent plus leurs fonctions adaptatives. Lors du
travail en EMDR, le traitement de l’information bloquée est facilité par la
stimulation bilatérale alternée (SBA) pendant la connexion des sensations,
émotions et pensées, reliées aux événements traumatisants.
L’enfant adopté a été blessé dans son premier lien. Cette blessure est inscrite
profondément en lui et se manifeste principalement à travers des symptômes
plus ou moins envahissants. L’histoire narrative constitue une porte d’entrée
vers les mondes sensoriel et émotionnel de l’enfant au moment du trauma et
ses croyances négatives.
Lorsque le parent n’a pas conscience des résonances de l’histoire de l’enfant
sur ses ressentis ou croyances, il peut perdre sa disponibilité psychique et sa
fonction de contenance auprès de l’enfant.
L’EMDR va permettre au parent de différencier son histoire de celle de son
enfant, de ne pas amalgamer leurs émotions. L’EMDR permet la
métabolisation de ce qui était bloqué et rétablit une information adaptée.
La procédure décrite ci-dessous s’adresse à toute famille adoptive, quel que
soit l’âge de l’enfant au moment de la première consultation. Elle sera
adaptée aux caractéristiques particulières de la situation s’il s’agit d’un
adolescent mais habituellement, l’histoire sera écrite et lue par les parents
comme pour un jeune enfant.
Lorsque les parents ne sont pas mobilisables et que le travail à partir de
l’histoire narrative se justifie, l’adolescent peut l’élaborer avec l’aide du
thérapeute. Celui-ci, via son dossier, va lui transmettre les informations de
son passé et l’aider à imaginer quel a été son vécu. Dans ce cadre,
l’adolescent lira sa propre histoire en présence du thérapeute.
La méthodologie d’intervention s’inspire du protocole de l’histoire narrative
initialement développé par Joan Lovett (1999). Nous recommandons les
étapes suivantes :
Étape 1 :
La rencontre des parents : le thérapeute en tant que tuteur de tuteurs va les
aider à prendre conscience de leurs forces et de leurs fragilités dans la
relation avec leur enfant. Il est utile qu’ils se sentent compétents avant de
travailler sur la base de l’histoire narrative. C’est aussi l’occasion pour eux
de réaliser quelles sont leurs ressources, leurs zones d’ombre, leurs limites
ou fragilités. Il est utile de mettre en relief les raisons qui ont motivé la
consultation. Les difficultés et les résonances sur les parents sont
examinées de manière telle à mettre en lumière les cognitions négatives.
Étape 2 :
Éventuellement, lorsque la situation est très chargée émotionnellement,
par exemple si elle éveille un sentiment d’impuissance du parent ou
réactive des blessures personnelles et/ou anciennes, nous lui proposons
d’écrire une lettre adressée à l’enfant comme s’il pouvait tout entendre,
selon le protocole des lettres d’Hélène Dellucci (Dellucci, 2017b). Elle lui
permettra de mettre des mots sur ses émotions et sera lue et désensibilisée
au cours d’une séance EMDR en l’absence de l’enfant. La présence de
l’autre parent est conseillée (soutien et la compréhension du vécu du
conjoint). Cette phase préliminaire permet aux parents d’augmenter leur
fenêtre de tolérance de manière à être plus disponibles aux affects de
l’enfant.
Étape 3 :
L’accompagnement des parents à la rédaction de l’histoire : la longueur et
le style doivent correspondre à l'âge émotionnel de l'enfant.
Parfois, les parents adoptifs possèdent un minimum d’informations et se
sentent démunis lorsqu’il leur est demandé de rédiger cette histoire. Et
pourtant il est possible, sur la base de quelques indications, d’imaginer le
vécu de l’enfant en fonction de son lieu de naissance, les circonstances de
l’abandon, son âge, son état de santé, là où il a ensuite été recueilli, ses
conditions de vie, ses éventuels problèmes de santé, la durée de l’accueil
et les circonstances de l’adoption. Plus le trauma est précoce, plus
l’attention sera portée sur les sensations corporelles du bébé et du petit
enfant. Le toucher, le goût, l’odorat et l'ouïe sont déjà opérationnels bien
avant la naissance (Lecanuet, 1995). Il est proposé aux parents d’imaginer
quel a été le vécu de leur enfant, en tant que fœtus, nourrisson, bébé et
petit enfant, ce qu’il a pu ressentir dans les circonstances de vie traversées.
En général, nous recommandons d’écrire l’histoire à la troisième personne
de manière à laisser une certaine distance entre l’enfant et le personnage
central de l’histoire. En effet si l’enfant se sent trop directement concerné,
il peut se dissocier ou activer ses défenses. Toutefois lorsque l’adolescent,
accompagné du thérapeute rédige sa propre histoire, elle sera écrite à la
première personne.
Nous suggérons différents choix de manière à ouvrir le champ des
possibles : l’adulte n’impose pas sa perception ni son interprétation. Nous
proposons d’utiliser régulièrement « et peut-être que… » de façon à
donner à l’enfant la possibilité de naviguer dans le déroulement des faits et
la manière dont il les a vécus. (« Peut-être qu’il avait faim, qu’il avait
froid, qu’il se sentait seul, peut-être qu’il avait tellement peur… »)
Il est aussi nécessaire de mentionner la force personnelle de l’enfant qui
l’a aidé à survivre malgré les facteurs défavorables.
Nous pouvons suggérer aux parents de transposer l’histoire de l’enfant à
celle d’un petit animal auquel il s’identifiera. Il est parfois plus aisé pour
l’adulte d’aborder de cette manière des faits graves, lourds et ainsi
rejoindre l’enfant.
PROTOCOLE DE L’HISTOIRE NARRATIVE :

Partie 1 : L’histoire commence de manière positive, emballante, de manière à éveiller l’attention et la curiosité de
l’enfant. Dans cette première partie, les activités, habitudes préférées de l’enfant sont décrites pour qu’il se rapproche
du personnage.
Partie 2 : Le nœud de l’histoire est ensuite abordé avec douceur, le parent explique que la vie de l’enfant n’a pas
commencé là mais dans un autre pays ou dans un autre lieu en cas d’adoption nationale. Les difficultés traversées, les
différents traumas sont nommés. La trame de l’histoire est tissée à partir de ces trois fils conducteurs : les sensations,
les émotions de l’enfant et les croyances négatives qui en découlent, de la grossesse jusqu’à l’adoption, l’arrivée et
l’adaptation dans la nouvelle famille.
Le bébé s’est-il senti important et à sa place dans le regard des adultes qui se sont occupés de lui ? A-t-il appris à leur
faire confiance ? Pouvait-il leur montrer ses faiblesses ? Se sentait-il en sécurité ?
Partie 3 : La fin du récit souligne qu’il a survécu aux épreuves, qu’il est précieux et peut maintenant confier sa vie
aux personnes qui prennent soin de lui. Dans la conclusion, les croyances négatives sont transformées en croyances
positives.

Étape 4 :
Nous constatons régulièrement qu’il est plus aisé aux parents d’écrire que
de dire. Si les parents sont trop activés pendant la lecture, l’enfant ne se
connecte pas avec ses propres émotions. Avant de raconter l’histoire à
l’enfant, nous proposons aux parents de la lire l’un à l’autre. Le protocole
des lettres est de nouveau utilisé si nécessaire.
Étape 5 :
Rencontre de l’enfant en présence de ses parents. Il est utile de mettre
l’enfant en confiance, de vérifier s’il sait pourquoi il est là, de lui expliquer
ce qui va suivre et d’être le plus prévisible possible. Mise en place du lieu
sûr. Pendant la lecture de l’histoire à l’enfant par un des parents en
présence de l’autre, le thérapeute va pratiquer des Stimulations Bilatérales
Alternées habituellement tactiles (vibreurs) et continues. Si l’enfant est
plus jeune ou s’il refuse les vibreurs, le parent qui ne lit pas l’histoire
pourra tapoter les épaules ou les mains de son enfant au rythme donné par
le thérapeute. Celui-ci réalise les tapotements en miroir sur ses genoux, un
coussin ou une peluche placée devant lui. Les SBA sont lentes dans la
première partie de l’histoire afin de renforcer les ressources de l’enfant.
Ensuite, jusqu’à la fin, elles sont rapides. En cas d’activation de l’enfant,
on demande au parent d’arrêter la lecture, à l’enfant de nous dire ce qui
vient et on continue les SBA jusqu'à l’apaisement. On reprend ensuite la
lecture selon le même procédé jusqu’à la fin du récit.
Étape 6 :
Par la suite, l’enfant est invité à se réapproprier l’histoire, c’est-à-dire à
raconter ce qu’il en a compris. S’il ne le souhaite pas, on demande au
parent de reprendre le récit de manière informelle et on relance l’enfant
par des questions, afin de stimuler son intérêt. Le thérapeute peut aussi
proposer de jouer l’histoire avec des peluches ou des marionnettes.
L’enfant est invité à participer : « Et que s’est-il passé à ce moment ? Et
comment le petit s’est-il senti ? ». Un enfant plus âgé peut reprendre les
éléments positifs et négatifs de l’histoire à travers un matériel mis à
disposition (des fleurs en feutrine et des pierres de tailles différentes).
Étape 7 :
Le thérapeute demande enfin à l’enfant ce qui se passe en lui lorsqu’il
pense à l’histoire entière. Les SBA sont continuées jusqu’à l’obtention
d’un Sud 0. Si possible, en fonction de l’âge de l’enfant, le thérapeute
l’invite à formuler une cognition positive tout en pensant à l’histoire. On
lui demande alors le Voc et on procède selon un protocole standard. Pour
un enfant plus jeune, la Cognition Positive est fournie par les parents.
Sarah, 15 ans
Sarah est âgée de 15 ans. Elle exprime peu ses émotions et est particulièrement jalouse de sa sœur cadette.
D’origine vietnamienne, elle est déposée le lendemain de sa naissance à l’orphelinat. Elle est adoptée à l’âge de 2 mois.
La maman adoptive a eu un cancer qui l’a rendue stérile à l’âge de 22 ans. Ce cancer est détecté suite à une IVG.
Madame rencontre ensuite son futur mari. Rapidement, le couple se tourne vers l’adoption. La période d’attente est
éprouvante. Ils reçoivent une première attribution qu’ils refusent car l’enfant est atteint d’une pathologie lourde qu’ils ne
se sentent pas capables d’accompagner.
Un peu plus tard, Sarah leur est désignée. Madame décrit leur relation comme étant très fusionnelle.
Un an et demi plus tard, la famille s’agrandit et accueille une petite fille d’origine chinoise. Elle est âgée de 17 mois et
vient bousculer la dynamique familiale. Les deux fillettes ont 18 mois de différence ; la deuxième présente un
tempérament et un physique bien affirmés mais aussi d’importantes carences. Les parents se mobilisent pour l’aider à
récupérer et s’apaiser.
On peut imaginer que l’arrivée de la sœur a perturbé le lien fusionnel entre Sarah et sa maman et a réactivé le sentiment
d’abandon lié aux empreintes précoces. Cette difficulté est amplifiée chez la maman par des blessures en lien avec sa
propre histoire.
Nous travaillons avec cette famille selon les différentes étapes décrites. Voici leur déroulement :
Séance 1 : Rencontre des parents sans Sarah (étape 1). Il apparaît que les difficultés actuelles de la jeune fille inquiètent
particulièrement la maman. Elle craint que Sarah ne trouve pas sa place dans la vie. La maman est très émue à cette
perspective. Il lui est proposé de rédiger une lettre à l’intention de sa fille (étape 2).
Séance 2 : Rencontre de Sarah. Les parents expliquent leur démarche. Ensuite, au cours de l’entretien individuel mis en
place vu son âge, la jeune fille signale souffrir de cette jalousie, principalement focalisée sur sa sœur. Il est convenu de
travailler avec elle et ses parents sur la base de son histoire. Mise en place du lieu sûr.
Séance 3 : Rencontre des parents, en l’absence de Sarah. La maman lit la lettre dans laquelle elle explique son parcours
pour devenir maman et la relation fusionnelle dont elle l’a entourée dès son arrivée. Le papa écoute et soutient son
épouse. Désensibilisation selon le protocole des lettres (étape 2.) Proposition de rédiger l’histoire de Sarah selon le
protocole décrit (étape 3).
Les parents écrivent l’histoire et me l’envoient. Vérification de l’adéquation et du fait qu’ils peuvent se la lire
sereinement (étape 4).
Séance 4 : Rencontre de Sarah en présence de ses parents. Lecture de l’histoire par un des parents et désensibilation de
Sarah (SBA avec vibreurs) (étape 5).
Séance 5 : Rencontre de Sarah seule. Elle explique ce qu’elle a retenu de l’histoire, les aspects positifs mais aussi les
moments difficiles (étape 6.) Nous ciblons la relation à sa sœur (étape 7) selon un protocole standard. Diminution rapide
du Sud. Cognition Positive : J’ai ma place, je suis importante.
Séance 6 : Rencontre de la famille. Les relations au quotidien se sont beaucoup améliorées. Les sœurs expriment ce
qu’elles apprécient l’une de l’autre. Sarah est apaisée. Elle ne sent plus sa place menacée.
Au cours de ce travail, la maman a pu élaborer les deuils liés à son histoire et différencier ses blessures de celles de sa
fille. Cela lui a permis de s’apaiser quant aux difficultés réelles de Sarah. D’autre part, le travail sur l’histoire narrative et
sur la notion de place a aidé la jeune fille à mieux comprendre l’origine de ses ressentis et réaliser combien elle avait été
désirée et attendue, que sa place au sein de sa famille était la sienne. Ce fut aussi l’occasion pour Sarah de mieux
discerner le parcours de ses parents et de développer un autre regard à l’égard de sa sœur.

CONCLUSION

La question de la juste place à prendre est souvent une question cruciale pour
les enfants adoptés. Elle soulève, éveille ou cache régulièrement de multiples
souffrances, chez l’enfant, l’adolescent et sa famille.
Les parents ont aussi leur histoire, leur chemin qui les a menés à l’adoption.
L’enfant vient souvent réactiver ou déclencher des blessures des parents. Une
partie importante du travail de préparation consiste à soigner la relation en
aidant les parents à prendre conscience de leurs forces et fragilités, à
renforcer leurs ressources, élaborer leurs deuils principalement autour de la
notion de place à prendre ou à donner.
À travers la rédaction de l’histoire narrative, les parents accompagnés par le
thérapeute rejoignent davantage leur enfant. Le travail en EMDR, en présence
des parents, permet à l’enfant d’intégrer son histoire et se l’approprier.
Les protocoles de l’histoire narrative et des lettres sont intégrés dans une
approche systémique. Les différentes étapes permettent un travail global,
respectueux du rythme de chacun.
Il ne sera sans doute pas suffisant pour toutes les situations mais offrira un
socle sur la base duquel le travail clinique pourra être poursuivi, selon les
problématiques de chacun.

BIBLIOGRAPHIE

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Attachment : A Psychological Study of the Strange Situation. Hillsdale,
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SUNDERLAND M. (2001).  Using Story Telling as a Therapeutic Tool with
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Chapitre 16

Pratique de la thérapie EMDR


avec les enfants

Michel Silvestre

Seront présentés dans cette fiche les points clés de la thérapie EMDR avec les
enfants en illustrant particulièrement les trois premières phases du protocole
EMDR standard adapté au niveau de développement des enfants.

INTRODUCTION

Les premières applications de la thérapie EMDR développée par Francine


Shapiro furent avec une population adulte et en particulier des anciens
militaires souffrant de TSPT. Par la suite des cliniciens américains comme
Bob Tinker et Sandra Wilson (1999), Joan Lovett (1999) ont ouvert la voie
du traitement EMDR pour les enfants avec des ouvrages qui font référence.
Faire de la thérapie EMDR avec les enfants est un processus complexe et
stimulant (Adler-Tapia & Settle, 2008). C’est tricoter plusieurs fils ensemble,
les apports de la neurobiologie, les éléments de fonctionnement individuel et
familial en termes de développement et les notions d’attachement pour
élaborer un plan de traitement. C’est adapter la thérapie EMDR au travers du
protocole développemental pour prendre en compte les différences et
ressemblances avec le protocole EMDR générique (adulte).
LE TRAITEMENT EMDR AVEC LES ENFANTS

Le traitement EMDR dépendra de plusieurs paramètres que nous devons


évaluer. Sommes-nous face à un traumatisme simple, ou à traumatisme
complexe ? Face à un enfant avec ou sans ressources, individuelles ou
familiales. Quels sont les facteurs de résilience individuelle et groupale ?
La psychologue Joanne Morris Smith illustre bien par la figure 16.1 la
relation entre traumatisme simple, complexe, âge au moment du traumatisme
et durée du traitement (Morris-Smith & Silvestre, 2015). Nous avons tous eu
des situations cliniques « magiques » où en quelques séances le souvenir de
l’incident traumatique disparaît et avec lui la souffrance ou les peurs. Mais
lorsque le traumatisme est répétitif, complexe avec des relations éléments
familiales marquées par des troubles de l’attachement, la durée d’intervention
est plus importante.

Figure 1. Durée du traitement EMDR


© J Morris-Smith, 2006

LE PROTOCOLE DÉVELOPPEMENTAL
Nous retrouvons dans le protocole EMDR enfants les 8 phases de traitement
du protocole générique : l’histoire du patient, la préparation, l’évaluation, la
désensibilisation, l’installation, le scanner du corps, la clôture et la
réévaluation. Le protocole générique doit bien évidemment être adapté à
l’âge de l’enfant afin de respecter son niveau de développement.

▶ La première phase, l’histoire du patient

Il est important d’être attentif à l’histoire du développement de l’enfant.


Qu’est-ce qui a caractérisé son développement ? Comment a-t-il géré les
différents apprentissages, la propreté, la marche, l’acquisition du langage, les
comportements de socialisation à l’école. L’histoire familiale est un élément
essentiel de cette anamnèse ; quels sont les événements qui ont marqué la vie
de la famille, éléments de cycle de vie ou événements extra-familiaux
traumatiques. Le concept de la ligne de temps traumatique nous permet
d’appréhender dans une dimension dynamique la succession dans le temps
des incidents traumatiques pour chacun des membres de la famille et de
repérer dans quel contexte social, scolaire, professionnel ils se déroulaient.
Deux éléments sont particulièrement importants à évaluer lors de cette
première phase : la sécurité de l’enfant et le niveau de stabilisation
émotionnelle et de traumatisassions des parents. Les parents ont un rôle
essentiel comme lieu sûr avec les jeunes enfants. Le ou les parents doivent
être alors en mesure de contenir l’enfant sur le plan émotionnel. La régulation
des affects chez l’enfant en fonction de son âge passe en partie par les liens
d’attachement.
La sécurité de l’enfant est première. Une thérapie EMDR n’a de sens que si
l’enfant évolue dans un climat familial où il n’est pas régulièrement re-
traumatisé. Ainsi dans les situations de violence conjugale et familiale, la
focale thérapeutique sur l’arrêt des comportements de violence passera avant
la mise en place d’une thérapie EMDR.

▶ La deuxième phase ou phase de préparation

Les ressources de l’enfant et de la famille sont à explorer. Qu’est-ce qu’ils


ont pu mobiliser au travers de ces différents événements. Qui les aide, qu’est-
ce qui a été le plus aidant, le moins aidant, de quoi ont-ils besoin dans le
futur ? Nous devons être attentifs aux éléments de co-morbidité comme les
états dépressifs, le niveau de TSPT ainsi que le niveau de dissociation ou de
déficit d’intégration qui sont souvent sous-diagnostiqués chez l’enfant.
La création d’une alliance thérapeutique avec le ou les parents et l’enfant
prend tout son sens. Les parents ont besoin d’explications sur la thérapie
EMDR et ses effets sur l’enfant, les mouvements de stimulations oculaires ou
tactiles, la différence avec l’hypnose, le contrôle par le signal d’arrêt « stop »,
le lieu sûr et leur participation aux séances de thérapie en fonction de l’âge de
l’enfant et de son niveau de développement. Il peut être rassurant pour
l’enfant de lui montrer ce qu’est l’EMDR par la mise en place d’un lieu sûr
avec le parent. Le lieu sûr est le souvenir de quelque chose d’agréable, de
dynamique comme jouer avec les copains où d’un lieu apaisant par exemple
pour les jeunes enfants « entre les jambes de maman », quand cette relation
est sécurisante. Le lieu sûr est une ressource que l’enfant pourra utiliser
quand les émotions lors du processus thérapeutique deviennent trop gênantes,
en fin de séance et tout seul entre les séances si quelque chose le met à l’aise.

▶ La troisième phase dite d’évaluation

L’adaptation du protocole est l’idée centrale dans l’application de l’EMDR


chez les enfants. Le protocole générique sera modifié pour accommoder les
besoins en termes de développement de l’enfant selon un principe que l’on
pourrait qualifier de créativité minimum. Les souvenirs traumatiques sont
stockés chez l’enfant à l’âge et au stade de développement atteint lors de
l’incident traumatique. Différentes versions du protocole enfant auront besoin
d’être utilisées pour cibler des souvenirs d’âge différents et pour ainsi
s’adapter aux différents stades de développement de cet enfant.
Chez l’adulte il y a une évaluation détaillée de la cible mémoire par une
sélection d’image, une cognition négative, une cognition positive, une VOC
(Validity of Cognition Scale), une émotion, un niveau de SUD (Subjective
Unity Disturbance scale) et une sensation physique. Chez l’enfant tout ceci
est influencé par les caractéristiques cognitive et développementale. Les
enfants, en fonction de leur âge, peuvent avoir des difficultés à donner une
cognition négative et positive, ne pas comprendre l’échelle de la VOC, la
confondre avec celle du SUD. Pour la description de la cible et du lieu sûr ils
peuvent avoir recours au dessin, moyen privilégié d’expression.

Figure 2. Protocole développemental enfant

Enfants de 9 à 18 ans

Le protocole utilisé est similaire à celui employé avec les adultes. Pour les
adolescents nous porterons un intérêt particulier à la notion de cycle de vie et
à l’évaluation des patterns de fonctionnement familiaux où se croisent parfois
la souffrance de l’adolescent et des difficultés familiales à laisser grandir ce
jeune adulte. La participation ou non des parents aux séances de thérapie
EMDR de l’adolescent est une décision clinique qui appartient au thérapeute.
Enfants de 6 à 8 ans

À ce stade, les cognitions négatives, positives, et la VOC seront probables et


le niveau de SUD toujours possible. Les parents pourront être partiellement
présents comme source d’information sur le passé, le présent et le
fonctionnement familial. Le dessin, moyen d’expression par excellence de
l’enfant à cet âge permettra la représentation de la cible et du lieu sûr.
Enfants de 4 à 5 ans
La mesure du SUD est possible, mais la cognition positive et la VOC ne
seront pas possibles. La cognition négative va être différente et ne sera plus
une cognition mais une émotion, on parlera de cognition émotionnelle.
L’enfant à ce stade de son développement n’est pas capable de nous donner
une cognition de type « je suis inapproprié », « je suis incompétent » ou « je
suis en danger » mais plutôt une pensée construite autour d’une émotion
« j’ai peur », « j’ai faim ».
La présence des parents devient de plus en plus importante comme source
d’information, pour raconter l’histoire de ce qui s’est passé et comme lieu
sûr. Il est fréquent de constater que le lieu sûr à cet âge-là est d’être sur les
genoux de maman.
Enfants en-dessous de 4 ans

Les cibles seront définies par l’enfant et/ou par le(s) parent(s), le niveau de
SUD sera montré par des gestes (écartement des mains du thérapeute, plus
c’est écarté plus le SUD est grand). L’émotion sera plus difficile à définir
mais la localisation de la sensation physique sera toujours possible. La
présence des parents est ici indispensable comme source d’information sur
l’enfant et son développement, et comme aide à l’observation et la
compréhension de la dynamique familiale.
L’utilisation des stimulations bilatérales alternées doit suivre le niveau de
développement de l’enfant. Les mouvements oculaires sont difficiles pour les
enfants jusqu’à l’âge de 5 ans et peuvent être remplacés par des stimulations
tactiles ou auditives : claquements des doigts, marionnettes.

CONCLUSION

La thérapie EMDR avec l’enfant s’appuie sur une alliance thérapeutique forte
du thérapeute avec l’enfant et le(s) parent(s) en donnant une place essentielle
à la notion d’accordage dans un contexte de sécurité pour l’enfant. La
créativité du thérapeute, une bonne connaissance du protocole EMDR
développemental et sa capacité de pouvoir associer à la thérapie EMDR
d’autres modalités thérapeutiques comme le travail familial, le dessin ou le
jeu sont au centre de ce processus (Silvestre, 2010).
BIBLIOGRAPHIE

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TINKER, R.H. & WILSON, S.A. (1999), Through the eye of a child. Norton &
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SILVESTRE, M. IN DELAGE, M. & CYRULNIK, B. (2010), Famille et Résilience,
Odile Jacob, Paris
MORRIS-SMITH, J. & SILVESTRE, M. (2015), L’EMDR pour l’enfant et sa
famille. Dunod.
Chapitre 17

Couple et thérapie EMDR

Michel Silvestre

L’articulation de la thérapie EMDR (traitement d’une blessure individuelle)


dans le cas d’une thérapie de couple (traitement d’une blessure relationnelle)
ouvre des perspectives nouvelles et dynamiques permettant d’enrichir les
ressources de la relation, de renforcer l’attachement et de favoriser la
guérison commune.
C’est permettre au thérapeute d’envisager une perspective intégrative où sont
tricotées ensemble les dimensions cliniques individuelle et relationnelle dans
une démarche de prévention de rupture du lien.

DANS QUELLES SITUATIONS CLINIQUES EST-CE POSSIBLE ?

Lorsqu’un couple est blessé par un incident traumatique commun comme


le décès d’un enfant où un accident de la route, la clinique nous apprend
qu’un tel trauma se traduit par une blessure individuelle et une blessure
relationnelle. Delage et Cyrulnik (2008) nous ont montré qu’après le décès
d’un enfant, 70 % des parents se séparent dans les 3 ans.
Lorsque le fonctionnement actuel d’un couple est perturbé par la
réactivation de blessures passées, inscrites dans le développement d’un ou
de chacun des membres ou que des cognitions négatives installées dans le
passé empêchent tout mouvement de changement présent et futur.
Lorsque le trauma touche un membre du couple, comme lors d’une
agression sexuelle. La clinique nous apprend que la majorité des femmes
victimes vont parler avec leur partenaire après le trauma. Cependant ce
partenaire est souvent le moins soutenant pour la victime car il doit faire
face à un stress traumatique secondaire caractérisé par une activation
émotionnelle, une sortie de sa fenêtre de tolérance et une possible
réactivation de traumas du passé avec comme conséquence une réduction
de son empathie envers sa partenaire. Ainsi 3 ans après un viol, une
femme sur deux se sépare de son partenaire.

COMMENT ORGANISER LE TRAVAIL THÉRAPEUTIQUE


AVEC LE COUPLE ?

Plusieurs situations cliniques peuvent se présenter, dans le cadre de cet article


nous en choisirons deux. Celle d’un couple traumatisé ou les deux membres
partagent le même incident traumatique et celle d’une consultation de couple
où l’un des membres aborde une blessure traumatique d’un passé plus ou
moins récent. Le travail thérapeutique est un travail d’intégration de la
clinique individuelle dans la clinique relationnelle avec les éléments suivants
comme points de repère :
La dimension contenante portée par la relation entre les deux partenaires
est un élément essentiel, car elle va influencer la trajectoire de la thérapie
individuelle en cas de trauma. La clinique nous a montré combien un
support relationnel fort protège des impacts du trauma.
La primauté du niveau relationnel sur le niveau individuel ; la hiérarchie
des niveaux logiques nous aide à comprendre combien le niveau
relationnel est d’un niveau logique supérieur à l’individuel. Ainsi les
éléments de fonctionnement individuel perturbant la construction de
l’histoire narrative du couple seront donc traités dans un deuxième temps
en thérapie EMDR au sein de la thérapie du couple qui reste l’axe
thérapeutique majeur.
Un environnement de sécurité et de respect entre les partenaires permettra
au traitement EMDR individuel de s’appuyer sur les résiliences
relationnelles. Le travail sur les blessures individuelles n’étant possible
que dans la sécurité du présent.
▶ Couple traumatisé qui partage le même incident traumatique

Après un trauma commun, nous pouvons observer une blessure voire une
rupture de la communication, un isolement et une chute de l’intimité
émotionnelle et sexuelle. La vulnérabilité de chacun est activée et les
difficultés relationnelles se manifestent par des comportements d’évitement
où d’hyperactivité.
Face à un trauma les réactions du couple peuvent être asynchrones. Nous
pouvons les résumer ainsi, les réactions émotionnelles des femmes sont plus
intenses, durent plus longtemps et elles parlent beaucoup du trauma. Les
hommes quant à eux utilisent des comportements de distraction et
d’évitement et ils préfèrent se débrouiller seuls. Les conséquences de telles
différences sont cruciales pour le fonctionnement présent et futur de la
relation conjugale (Silvestre, 2010)
L’intégration de la thérapie EMDR dans la thérapie de couple prendra la
forme suivante où nous distinguerons deux phases.
Une phase de thérapie EMDR alternativement avec chaque membre du
couple, sur une cible en relation avec la situation traumatique, pendant que
l’autre est en position d’observateur.
Une phase d’échange en couple sur les résonances individuelles et
relationnelles chez l’observateur du matériel traité dans la séance EMDR.
Cette phase d’échanges permet d’activer un processus de mentalisation qui
aide à la régulation émotionnelle.
Lors de la séance suivante il y a un changement de place, celui qui était
observateur devient patient et le patient devient observateur impliqué dans
la discussion post-séance. Nous suggérons de faire des séances de deux
heures pour avoir le temps de mettre en place ces deux phases.
Pour garder l’observateur actif dans sa fenêtre de tolérance et stimuler la
résilience du lien, le thérapeute peut l’inviter à être co-facilitateur dans
l’activation du lieu sûr de son partenaire en fin de séance EMDR, en lui
proposant de faire des stimulations bilatérales lentes sur les épaules de celui-
ci pendant qu’il se connecte avec son lieu sur (Roques, 2017).
Ce processus thérapeutique favorise le traitement de la blessure individuelle
en s’appuyant sur la dimension sécurisante du lien comme élément régulateur
et permet à l’autre de développer un insight sur le comportement de son
partenaire et sur les liens possibles avec sa propre histoire, tout en observant
ses réactions émotionnelles.

▶ Couple ou l’un des membres a vécu un traumatisme individuel dans un passé plus ou moins
récent1

Dans ce cas-là, l’intégration de la thérapie EMDR dans la thérapie de couple


nous pose plusieurs questions.
Est-ce que la relation est suffisamment sécurisante pour intégrer le
traitement individuel dans le relationnel ?
Est-ce pertinent pour l’autre membre du couple de savoir et d’être
confronté au contenu de l’incident traumatique en participant au traitement
EMDR ? N’y a-t-il pas un risque de traumatisation secondaire ?
La thérapie de couple ne va-t-elle pas être polluée par le fait qu’un des
membres est désigné par le thérapeute comme étant plus malade que
l’autre, et qu’à ce titre il a besoin d’une thérapie spéciale. Le travail
interactionnel central à la thérapie de couple ne risque-t-il pas d’être
déstabilisé par l’attitude possible de connotation négative de celui à qui le
thérapeute n’a rien demandé de faire : « C’est toi le/la malade, je
comprends maintenant pourquoi nous avons des difficultés, je n’y suis
pour rien, c’est à cause de toi. »
Ces réserves étant faites, nous suggérons que le traitement individuel EMDR
puisse se faire en dehors et en parallèle de la thérapie de couple, soit par le
même thérapeute si la durée d’intervention est limitée dans le temps (entre
deux et trois séances) soit par un autre thérapeute si la prise en charge s’avère
plus longue. Une telle limite de temps nous semble une bonne précaution
pour éviter que le thérapeute ne devienne le thérapeute individuel de la
personne suivie en EMDR et perde alors sa liberté de manœuvre comme
thérapeute de couple. C’est un glissement que nous avons souvent observé en
supervision et qui marque un changement du cadre thérapeutique souvent de
façon implicite.
Dans ce modèle d’organisation où la thérapie EMDR ponctuelle vient en
complément de la thérapie de couple, le thérapeute se doit de garder à l’esprit
impact potentiel d’une telle stratégie sur le fonctionnement du couple. Quelle
influence l’asymétrie des propositions de traitement a-t-elle sur la dynamique
du couple ? Le thérapeute doit être attentif au fait que son alliance avec la
personne traumatisée dans le cadre de la thérapie EMDR risque d’être perçue
par l’autre membre du couple comme une coalition contre lui. Ce faisant il
pourrait alors être pris dans des jeux dysfonctionnels du couple qui
s’expriment régulièrement en thérapie de couple. Si tel est le cas il est
préférable d’externaliser la thérapie EMDR vers un autre praticien.
POUR CONCLURE

Cette pratique intégrative nécessite un cadre thérapeutique sécure où le


thérapeute agit comme base temporaire de sécurité. Le tricotage pendant la
thérapie de couple de la clinique individuelle EMDR dans la clinique
relationnelle permet au mieux l’expression des résiliences individuelles et
relationnelles.

BIBLIOGRAPHIE

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SILVESTRE M. in Delage M. & Cyrulnik B. (2010) Famille et Résilience, Odile
Jacob, Paris.
ROQUES J. (2017) Couples et EMDR une thérapie intégrative, Desclée de
Brouwer.

Notes
1. Traumatisme non vécu par l’autre partenaire et qui n’est pas la cause initiale de la consultation de
couple.
Chapitre 18

EMDR et thérapie des états du moi

Olivier Piedfort-Marin

Si l’efficacité de l’EMDR avec le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT) et d’autres séquelles non complexes de
traumatismes ou d’événements invalidants est clairement avérée, il n’en est pas de même pour les séquelles complexes de
traumatismes, en particulier lorsque ceux-ci ont eu lieu dans l’enfance et l’adolescence. Dans ces cas, l’EMDR peut
montrer des limites dans son application standard. Des modifications du protocole, des adjonctions d’autres techniques ou
méthodes, ou encore l’intégration de l’EMDR dans une psychothérapie intégrative sont alors souvent nécessaires. La
thérapie des états du moi (Watkins et Watkins, 1997) peut être une approche intéressante pour optimiser l’efficacité du
traitement EMDR dans les cas de traumatisations complexes. Différentes pistes sont proposées ici pour optimiser le
traitement EMDR en utilisant la théorie des états du moi et certaines techniques thérapeutiques propres à cette approche.

CONCEPTS THÉORIQUES DE LA THÉRAPIE DES ÉTATS DU MOI


▶ La théorie des états du moi

La thérapie des états du moi (ego state therapy) est fortement développée aux
USA et en Allemagne, en particulier dans le champ de la
psychotraumatologie où elle est souvent proposée en combinaison avec
l’EMDR (Forgash et Copeley, 2008/2017). La communauté EMDR
allemande est fortement influencée par le travail de Luise Reddemann (2010,
2011 ; en français : 2013 ; Piedfort-Marin et Reddemann, 2016 ; Piedfort-
Marin, 2017) qui propose un traitement intégratif des séquelles complexes de
traumatismes, basé sur la théorie des états du moi et des exercices hypno-
imaginatifs sans utiliser de transe profonde.
Le concept d’état du moi a été proposé par Federn (1952) puis développé au
niveau théorique et clinique par Watkins et Watkins (1997) qui définissent un
état du moi « comme un système organisé de comportements et d’expériences
dont les éléments sont reliés entre eux par des principes communs, et qui est
séparé des autres états par une limite plus ou moins perméable. » Cette
définition est un concept tellement général qu’il peut porter à confusion mais
qui a l’avantage d’être souple.
Ce concept est souvent comparé à celui de partie dissociative au sens de la
théorie de la dissociation structurelle de la personnalité (TSDP, Van der Hart,
Nijenhuis & Steele, 2010), mais la comparaison s’avère difficile. Si elles ont
des origines théoriques différentes, ces théories reposent néanmoins toutes les
deux sur l’idée d’une séparation/division/dissociation entre plusieurs entités
contenues au sein du moi/de la personnalité – séparation qui a lieu dans les
suites d’une expérience traumatisante. Tout comme la TDSP, les Watkins
(1997) se basent sur le concept de dissociation de Janet pour expliquer les
états du moi les plus inadaptés, comme dans les cas du trouble dissociatif de
l’identité (Watkins, 2008/2017) (pour une étude plus approfondie du concept
des états du moi : Piedfort-Marin, 2017). Ainsi John Watkins (2008/2017)
précise :
« Le terme “états du moi” se réfère à des segments de la personnalité qui fonctionnent avec plus
ou moins d’autonomie les uns des autres. […] Les états du moi semblent se situer sur un
continuum et se manifestent à une extrémité sous la forme d’états émotionnels et à l’autre
extrémité comme des “alters” isolés d’un trouble dissociatif de l’identité, d’authentiques
personnalités multiples. Entre ces deux extrêmes, nous préférons le terme d’entités
“différenciées” plutôt que celui d’ “états dissociés”. La dissociation fait référence à une
pathologie sévère dans laquelle les limites entre états du moi sont rigides et inflexibles. »

▶ Les différents types d’états du moi

À l’extrême positive de ce continuum on trouve des états du moi formant des


facettes de notre personnalité relativement bien intégrées, s’ajustant bien l’un
à l’autre. Néanmoins, plus loin sur ce continuum, on trouve des états du moi
en lien avec des problèmes psychiques ou psycho-somatiques. Nous allons
nous intéresser à ceux utiles dans le traitement des traumatisations complexes
en EMDR. Les états du moi tels qu’observés dans un trouble dissociatif de
l’identité dépasse le cadre de ce chapitre.
Les états du moi malveillants (ou introjects) sont issus de l’introjection de
messages négatifs ou malveillants – explicites ou implicites – de personnes
significatives ou d’agresseurs. Ils peuvent se présenter sous la forme de
pensées telles que « tu es nulle », « tu es fainéant », « tu ne réussiras jamais »,
« tu es coupable », « tu es un objet », etc., associées à des émotions,
sensations, attitudes et comportements concordants. Ces introjects peuvent se
développer dans des situations de rejet, menace, négligence émotionnelle,
violences sexuelles, physiques ou psychiques. L’introjection a pour fonction
de maintenir la relation avec la personne de soin et d’attachement.
Dans ces expériences douloureuses peuvent se développer également des
états du moi jeunes blessés. (« enfant blessé »). Ces états du moi contiennent
des éléments des expériences traumatisantes mémorisées selon le niveau de
développement du sujet au moment de l’événement. Les signes de la
présence d’un état du moi jeune blessé sont des symptômes de présentations
très diverses. C’est le lien possible entre un symptôme et un état du moi jeune
blessé qui va être déterminant pour la conceptualisation des symptômes et le
traitement.
Les états du moi imaginaires sont des ressources intéressantes : par exemple,
la personne âgée que l’on sera plus tard, la sagesse intérieure, l’observateur
intérieur ou l’observateur de l’observateur.
Avec le concept d’état du moi adulte on peut différencier le sujet adulte
(considéré comme compétent) de ses symptômes, compris comme
l’expression d’états du moi.
Les états du moi sont plus ou moins séparés les uns des autres. On peut
utiliser la métaphore d’une membrane séparant les états du moi, membrane
qui peut être plus ou moins perméable. Selon l’étanchéité de la membrane, on
aura plus ou moins facilement accès à la mémoire traumatique, c’est-à-dire à
l’état du moi contenant cette mémoire. Dans les TSPT complexes cette
membrane est plus étanche que dans les troubles dissociatifs.

▶ De l’utilité de la psychothérapie des états du moi


dans la psychothérapie EMDR

La psychothérapie EMDR et la psychothérapie des états du moi ont des


points communs (Leutner, 2014) :
1. les origines des symptômes se situent dans des événements adverses et
traumatisants ;
2. il y a l’objectif similaire de créer de nouvelles associations entre des
réseaux de mémoire trop isolés les uns des autres, en particulier en
facilitant l’émergence de réseaux de mémoires adaptatifs (ou états du moi
porteurs de ressources).
La théorie des états du moi donne des bases pour une adaptation du protocole
standard EMDR en vue de faciliter le traitement dans les cas de trauma
complexe. Elle permet aussi de comprendre et de conceptualiser certains
processus que l’on observe pendant un retraitement EMDR (en particulier
dans la phase 4) et certains blocages dans la psychothérapie en général ou
dans le retraitement EMDR en tant que tel. À noter que la thérapie des états
du moi fut précurseur dans le traitement des troubles d’origine traumatique.
On lui doit la plupart des techniques de stabilisation utilisées en EMDR ou
dans le traitement des troubles dissociatifs.

INTÉGRATION DE LA THÉRAPIE DES ÉTATS DU MOI


ET DE L’EMDR

Nous allons maintenant passer en revue les possibilités qu’offre la thérapie


des états du moi (TEM) dans la psychothérapie EMDR en suivant l’ordre
chronologique des huit phases du protocole EMDR (Shapiro, 2006).

▶ Théorie des états du moi pendant la phase 1 :


anamnèse et conceptualisation

Dans la phase d’anamnèse le psychothérapeute devrait aussi axer sa


recherche d’informations sur la présence de ressources, non seulement dans
le présent mais aussi dans le passé, en particulier autour de la période où ont
eu lieu les événements douloureux. « Quelles ressources aviez-vous quand
vous étiez enfant ? Quelles personnes étaient un soutien pour l’enfant que
vous étiez ? En quoi cela était-il aidant pour l’enfant que vous étiez ? » Par
ces questions, on introduit déjà avec subtilité le modèle des états du moi et la
présence possible d’états du moi ressources de l’enfance.
Un autre moyen d’introduire le modèle des états du moi est de faire référence
aux situations douloureuses du passé en parlant non pas du patient dans son
état adulte mais de l’enfant qu’il était. Par exemple, plutôt que « vous avez eu
des phases difficiles de solitude à l’adolescence » on préférera « l’adolescent
que vous étiez est donc passé par des phases difficiles de solitude. » En outre,
cette manière de faire permet une certaine distanciation et protège ainsi le
patient de s’immerger trop dans les émotions douloureuses liées aux
événements du passé.
Lors de la clarification des objectifs de changement, l’utilisation d’états du
moi imaginaires peut être aidante : « Si vous vous connectez à l’homme un
peu plus âgé que vous serez à la fin de la thérapie, comment l’imaginez-vous
et comment imaginez-vous sa vie ? » Si les objectifs thérapeutiques du
patient semblent inadaptés ou difficilement réalisables, on peut poser la
question suivante : « Si vous vous connectez à la femme âgée que vous serez
vers la fin de votre vie (ou si vous vous connectez à votre sagesse intérieure),
que vous dit-elle de vos attentes actuelles à l’égard de la psychothérapie ? »
Là encore, on a introduit le modèle des états du moi. Si par la suite on doit
l’utiliser pour optimiser l’EMDR, cela fera alors facilement du sens pour le
patient.
Dans cette phase de conceptualisation le thérapeute doit être attentif à
correctement évaluer les capacités du patient à réguler ses émotions. Deux
risques majeurs peuvent se présenter avec des patients souffrant de trauma
complexe.
1. Certains patients présentent une restriction notable des affects. Cela arrive
par exemple lorsqu’il y a eu des négligences émotionnelles répétées dans
l’enfance. Dans de tels cas le retraitement des situations traumatiques par
l’EMDR pourrait avoir peu d’effets profonds, ou alors le risque de
débordements émotionnels soudains pourrait déstabiliser le patient qui n’y
est pas habitué et présente un évitement des affects depuis des années, voir
depuis sa prime enfance.
2. D’autres patients sont vite débordés par des émotions qu’ils n’arrivent pas
à contenir, par exemple lorsque le thérapeute dresse avec le patient son
histoire de vie. Dans de tels cas, un retraitement précoce des mémoires
traumatiques avec l’EMDR pourrait retraumatiser le patient : la mémoire
traumatique serait activée lors de la phase 3 mais sans que le patient ait les
capacités suffisantes pour l’intégrer pendant la phase 4. Dans ce cas de
figure en particulier, diverses adaptations du protocole EMDR ont été
proposées (par exemple : Hofmann, 2009 ; Dellucci, 2010). La thérapie
des états du moi peut aussi être utile et pertinente dans de tels cas.
Dans ces deux types de situation, pour la conceptualisation du cas, on devrait
prendre en considération les limites de la psychothérapie EMDR et considérer
l’adjonction d’autres techniques issues de la TEM, ou décider d’une approche
intégrative qui inclurait thérapie des états du moi et EMDR, ou encore
considérer la TEM comme méthode de choix jusqu’à ce que le patient évolue
suffisamment favorablement pour qu’on puisse considérer l’adjonction de
l’EMDR. Nous savons à quel point il peut être difficile d’évaluer
correctement si et quand il est adéquat d’utiliser l’EMDR (pour le
retraitement de traumatismes du passé) dans les cas de trauma complexe. La
psychothérapie des traumatisations complexes est un défi, aussi pour les
thérapeutes chevronnés.
Certains patients viennent en thérapie avec une telle motivation de retraiter
les traumatismes par l’EMDR qu’ils peuvent avoir de la peine à accepter la
nécessité de faire un travail de stabilisation basé sur les états du moi lorsque
cela s’avère pertinent. En dehors des cas de contre-indication lors desquels le
thérapeute devrait pouvoir assumer de ne pas momentanément satisfaire le
patient, il peut être utile de suivre le patient dans son souhait de « faire de
l’EMDR » tout en gardant à l’esprit qu’un état du moi émergera peut-être
pendant le processus (phase 4) ou qu’un blocage pourrait se présenter qui
nécessitera l’adjonction de techniques issues de la TEM.

▶ La thérapie des états du moi pendant la phase 2 : préparation et stabilisation

Stabilisation par l’apaisement des états du moi jeunes blessés

Pour le travail de stabilisation de traumas complexes selon la théorie des états


du moi, le travail de Luise Reddemann est un atout indéniable. La technique
centrale est d’apaiser les états du moi jeunes blessés, issus notamment de
situations traumatisantes ou de rejet, selon le procédé suivant :
1. mise en évidence d’un état du moi jeune blessé en lien avec des
symptômes ;
2. sécurisation de cet état du moi, le plus souvent en le sortant de la situation
traumatique pour le mettre dans un lieu sûr imaginaire ;
3. reconnaissance de la souffrance de l’enfant et que les événements
n’auraient pas dû se passer ainsi, par exemple que les parents n’auraient
pas dû faire ce qu’ils ont fait ;
4. réconfort par des personnages bienveillants imaginaires et/ou par l’état du
moi adulte ;
5. l’enfant blessé reste dans son lieu sûr imaginaire alors que l’adulte reprend
sa vie d’adulte ;
6. l’adulte devra avoir des contacts réguliers entre les séances avec « l’enfant
blessé » afin de s’assurer qu’il va toujours bien et, si besoin, lui donner
plus de réconfort et sécuriser davantage le lieu sûr imaginaire.
Vignette clinique
Patiente : Je n’arrive pas à m’endormir ces derniers temps.
Thérapeute : Comment expliquez-vous cela ?
Patiente : Eh bien je ne me sens pas bien quand je m’allonge à coté de mon compagnon le soir, je ressens un stress.
Thérapeute : Est-ce que vous observez d’autres choses qui viennent avec ce stress ?
Patiente : Oui. Des images des abus par mon frère. Des images qui sont revenues récemment.
Thérapeute : Est-ce qu’on peut dire que les situations difficiles que la petite fille a vécues à l’époque remontent le soir
parce qu’un homme est à côté de vous ? Alors que l’adulte se sent en sécurité avec cet homme, la petite fille ne l’est
pas ?
Patiente : Oui. C’est ça.
Thérapeute : Que pensez-vous de l’idée de s’occuper de cette petite fille ?
Patiente : Très bonne idée, mais j’ai peur tout de même.
Thérapeute : Nous n’allons pas aborder ce qui s’est passé. Je vous invite juste à retirer cette petite fille de cette scène et à
la mettre en sécurité. Si cela convient, bien sûr.
Patiente : Oui. Je la mets dans la chambre avec la vue sur la mer et il y a la fée avec elle. C’est une pièce à côté de celles
des autres petites filles.
(Le thérapeute laisse décrire le lieu et s’assure que « la petite fille » est en sécurité).
Thérapeute : Je vous invite à lui dire que sa souffrance est normale car elle a vécu quelque chose de terrible et qui
n’aurait pas dû se passer. Il a fait quelque chose qu’on n’a pas le droit de faire.
Patiente : Elle se calme davantage. La fée la prend dans les bras et la console.
(La patiente se prend dans les bras elle-même et semble s’apaiser aussi par ce geste).
Thérapeute : Et si vous le souhaitez et le pouvez, vous pourriez peut-être vous aussi la prendre dans vos bras pour la
consoler.
Patiente : Oui, je peux. Ça fait du bien.

Il s’agit d’une présentation clinique raccourcie mais cela donne une idée du
procédé. Il convient de laisser suffisamment de temps à chaque étape pour
que le patient puisse correctement être en contact avec les sensations adaptées
qui émergent, y compris la tristesse qui est alors pour l’adulte un début de
processus de deuil et un signe que l’intégration est en cours. L’important est
que l’adulte ne se laisse pas submerger par les émotions, sensations et
pensées propres à l’état du moi jeune blessé. On remarquera que les éléments
centraux de cette procédure sont présents dans les techniques EMDR
proposées par Knipe (2008) également pour le trauma complexe.
Lorsqu’on apaise et sécurise progressivement les états du moi jeunes blessés,
le patient développe de meilleures capacités de régulation des affects, en
particulier de meilleures capacités d’auto-apaisement et d’auto-consolation. Il
est important de mettre l’état du moi adulte au centre de ce processus
thérapeutique, c’est-à-dire que le travail avec les états du moi jeunes blessés
devrait passer autant que possible par l’adulte pour le renforcer. Une question
se pose régulièrement : faut-il réaliser des SBA (lents) pendant l’apaisement
des états du moi jeunes blessés ? S’il n’y a pas de contre-indication à cela, il
n’est pas prouvé que cela apporte un avantage au niveau clinique. Cela peut
par contre satisfaire un patient qui n’abandonne pas son souhait de « faire de
l’EMDR. » Cela peut aussi répondre à des besoins du thérapeute qui n’aurait
pas clarifié certains aspects contre-transférentiels (Piedfort-Marin, 2018).
On notera qu’il ne s’agit pas de changer le scénario traumatique ni de faire
comprendre à l’enfant blessée qu’elle a grandi. Pour Reddemann un point
central est qu’on ne peut pas changer le passé et que guérir un traumatisme
implique d’accepter ce qui s’est passé et de faire le deuil par exemple d’une
enfance heureuse. Cela rejoint le concept d’intégration développé dans la
TDSP (Van der Hart et al., 2010 ; Piedfort-Marin, 2019 sous presse).
Stabilisation rapide des états du moi jeunes blessés
pour traiter un trauma récent

Une variante plus rapide de l’apaisement des états du moi jeunes blessés peut
être utile dans les cas d’un trauma récent sur des antécédents de trauma
complexe, lorsque la situation nécessite un traitement rapide du traumatisme
récent mais doit prendre en considération les réactivations possibles de
traumatismes anciens lors du retraitement. Par exemple lorsqu’une personne
avec un trauma complexe des suites de violences sexuelles de l’enfance, a
vécu récemment un accident de voiture. Être bloquée dans une voiture par
une ceinture de sécurité peut rappeler un sentiment similaire vécu lors d’une
situation de violence sexuelle, par exemple l’impuissance.
La technique hypno-imaginative suivante peut alors être aidante. Il s’agit de
demander à la patiente de s’imaginer le panorama de sa vie, puis d’imaginer
un personnage bienveillant qui sort des situations difficiles toutes les petites
filles ou les adolescentes ou les jeunes adultes qui en ont besoin. Elles sont
ensuite mises dans un lieu sûr imaginaire avec des personnages bienveillants
qui les consolent. Dans ce cas, il n’est ni nécessaire ni souhaitable de faire
préciser les situations traumatiques en question. On peut ainsi stabiliser
suffisamment la patiente pour ensuite retraiter en EMDR la situation
traumatique récente, sans (trop) réactiver les traumatismes anciens. Cette
technique peut être plus puissante que la technique du contenant (ou coffre-
fort) car elle implique une sécurisation mais en plus un apaisement et une
consolation internes, ce que ne propose pas l’exercice du contenant.

▶ Thérapie des états du moi lors du retraitement EMDR (phases 3 à 8)

On peut utiliser le protocole standard EMDR avec un état du moi jeune


blessé. Cela a été aussi proposé par d’autres (par exemple : Phillips, 2008).
Nous proposons ici cette technique dans le cadre du traitement de trauma
complexe et non d’un trouble dissociatif, ce qui dépasserait le cadre de cet
article.
L’utilisation du protocole EMDR avec l’enfant intérieur peut se faire dans les
cas suivants :
1. Lorsque le patient dans son état du moi adulte rapporte peu de perturbation
dans la phase 3 du protocole standard, en particulier lorsque l’échelle des
unités subjectives de perturbation (SUD) est basse alors que le patient
et/ou le thérapeute s’attendai(en)t à un SUD plus élevé, ou que l’échelle de
validité de la cognition (VOC) et l’échelle SUD sont basses, ce qui peut
sembler a priori contradictoire. Cela peut signifier que l’état du moi adulte
n’est pas en contact avec toute la perturbation qui est certainement
contenue dans un état du moi jeune blessé. La question est alors de savoir
comment accéder à la mémoire traumatique à laquelle l’adulte n’a pas
assez accès pour espérer un retraitement satisfaisant. Nous observons ces
phénomènes chez des patients montrant une importante et constante
restriction des affects.
2. Dans d’autres cas la SUD peut avoir un niveau laissant penser que la
mémoire traumatique est correctement activée par le protocole standard,
mais après un certain nombre de séances les progrès ne sont pas
satisfaisants, ce qui peut laisser penser que le retraitement n’atteint pas
certains éléments centraux de la mémoire traumatique. Cela peut arriver
chez certains patients qui semblent bien réguler leurs affects mais qui
n’ont pas encore pu accéder à certains éléments du souvenir traumatique,
comme la honte ou encore des sensations sensorimotrices spécifiques.
3. Dans certains cas d’un processus standard bloqué sans que les tissages
thérapeutiques usuels n’amènent de changements favorables, ni qu’on ait
d’autres explications à ce blocage.
4. Enfin dans certains cas, le clinicien peut estimer que la mémoire
traumatique doit être activée en prenant bien soin de prendre en
considération le niveau de développement du sujet au moment du
traumatisme.
Si on commence par le protocole standard (avec le moi adulte), et qu’on est
ensuite passé au protocole avec le moi jeune blessé, alors il est important de
reprendre le protocole avec le moi adulte par après. Si on commence
d’emblée par le protocole avec le moi jeune blessé, alors nous conseillons de
faire le protocole sur la même situation avec le moi adulte par après, ou en
tout cas de contrôler s’il y a encore du matériel à retraiter avec la perspective
de l’adulte. Dans certains cas le protocole avec l’enfant intérieur peut aussi
être conçu comme une métaphore pour accéder de manière plus complète aux
réseaux mnésiques stockés de manière dysfonctionnelle.
Dans le protocole de l’enfant intérieur, le thérapeute invite le patient dans son
état du moi adulte à poser les questions du protocole standard à son enfant
intérieur. Il peut arriver que le protocole doive être adapté concernant la
recherche des cognitions et on peut alors s’inspirer du protocole pour enfants.
Procédure
THÉRAPEUTE : Expliquez au petit (Pierre, par exemple) qu’on veut travailler avec lui pour qu’il ne soit plus perturbé
par cette situation. Est-ce qu’il est d’accord ?
PATIENT : (parle intérieurement ou à voix basse à son état du moi jeune blessé). Oui, c’est bon.
THÉRAPEUTE : Je vous invite à lui demander qu’elle est l’image qui correspond au moment le plus perturbant de la
situation.
PATIENT : Il me dit que c’est (…).
THÉRAPEUTE : Demandez-lui maintenant : quand il est en contact avec cette image, quels sont les mots qui lui
viennent à l’esprit qui disent quelque chose de désagréable ou de négatif sur lui et qui résonnent encore comme vrai
maintenant.
PATIENT : Il me dit que c’est (…)
THÉRAPEUTE : Demandez-lui maintenant ce qu’il préférerait penser de lui maintenant à la place de … (répéter la
cognition négative - CN).
PATIENT : Il me dit (…)
THÉRAPEUTE : Demandez-lui : quand il est en contact avec l’image, comment résonnent les mots (répéter la cognition
positive - CP) entre 1- complètement faux et 7 - complètement vrai ?
PATIENT : Il me dit (…)
THÉRAPEUTE : Quand il est en contact avec l’image et avec les mots (répéter CN), quelle est la perturbation
émotionnelle qu’il ressent maintenant entre 0 - pas de perturbation/neutre et 10 - perturbation maximum ? Que dit-il ?
PATIENT : Il me dit (…)
THÉRAPEUTE : Quand il est en contact avec l’image et les mots (répéter CN), où cette perturbation émotionnelle
résonne-t-elle dans son corps maintenant ? Que dit-il ?
PATIENT : Il me dit (…)
THÉRAPEUTE : Maintenant je vous invite à rester en contact avec le petit Pierre et il reste en contact avec l’image, les
mots (répéter la CN) et la sensation dans le corps. … (Puis réaliser des SBA).

Il y a plusieurs manières de pratiquer les SBA. En voici quelques


propositions :
les deux états du moi (adulte et enfant) suivent en même temps les doigts
du psychothérapeute ;
le moi adulte se fait des SBA par tapotements sur les genoux tout en
pensant qu’il les fait au moi enfant ;
l’adulte fait des tapotements à une poupée ou une peluche qui représente
l’enfant intérieur ;
l’adulte s’imagine qu’un personnage imaginaire fait des SBA au moi
enfant, par exemple une fée avec sa baguette magique.
Ce protocole ne sert pas uniquement à retraiter la mémoire traumatique, il
aide au rapprochement entre l’adulte et son enfant intérieur. Cela rend
progressivement plus perméables les « membranes » entre les états du moi,
facilite leur réconciliation mutuelle (un aspect important de la TEM) et
améliore ainsi la personnification, indispensable à l’intégration de mémoires
traumatiques à travers le TAI.

Émergence d’un état du moi jeune enfant


pendant le protocole standard

Il peut arriver qu’un enfant intérieur émerge pendant le processus de


retraitement EMDR. Entre les SBA le patient rapporte des éléments à propos
de l’enfant intérieur ou à propos des liens entre l’adulte et l’enfant intérieur. Il
arrive qu’une véritable rencontre – souvent émouvante – ait lieu, l’adulte
découvrant des éléments du traumatisme auxquels il n’avait pas eu accès
auparavant. Les membranes entre les deux états du moi deviennent plus
perméables. En voici une illustration clinique.
Vignette clinique
Il s’agit d’une patiente souffrant de troubles alimentaires de type hyperphagique et d’obésité pour lequel un travail
EMDR a déjà été effectué sur un bon nombre de situations du passé et de l’enfance précoce. En ciblant une situation
actuelle de besoin irrésistible de manger (ciblage des déclencheurs du présent), la patiente rapporte des émotions de
tristesse, de solitude et de colère contre sa mère, puis voici le processus qui émerge spontanément :
PATIENTE : Une douleur dans le ventre. (SBA).
PATIENTE : Un vide dans l’estomac. (SBA).
PATIENTE : Une sensation dans l’estomac. (SBA).
PATIENTE : J’ai peur de laisser sortir ce qui monte. (SBA).
PATIENTE : Je suis en contact avec la petite fille. (SBA).
PATIENTE : Mâchoires serrées, mal au dos. Je ne sais pas ce qu’on est en train de revivre ! (SBA).
PATIENTE : Je ressens que la petite fille est déconnectée, je ne sais pas dans quelle situation. (SBA).
(Je fais l’hypothèse – sans en parler à la patiente – que cela fait référence à une situation très précoce où la mère n’était
pas assez engagée émotionnellement dans le contact avec la patiente alors jeune enfant).
PATIENTE : J’essaie de l’amener à me dire ce qui la fait – elle – se déconnecter ; le moment où elle a déconnecté.
(SBA).
PATIENTE : Peur chez les deux. Ça a dû être terrible ce qu’elle a vécu pour qu’elle se déconnecte comme ça, donc on
va lever les barrières gentiment. (SBA).
PATIENTE : Je lui ai dit que je suis là pour elle.
THÉRAPEUTE : Je vous invite à lui dire de suivre aussi les mouvements de mes doigts. (SBA).
PATIENTE : Douleur poitrine. Je lui dis en arrière fond « on arrête quand tu veux ». (SBA).
PATIENTE : Rien ne se passe du côté droit du corps. (SBA).
PATIENTE : Un peu de sensation sur le côté droit du visage. (SBA).
PATIENTE : Elle n’arrive plus à suivre les mouvements des doigts, moi si. (SBA).
THÉRAPEUTE : Vous pouvez lui demander pourquoi elle n’arrive plus à les suivre ?
PATIENTE : Elle dit que ça va trop vite. Chaque fois qu’on m’a dit qu’on m’aimait, j’ai souffert par après. J’ai le
sentiment qu’elle a peur que je la laisse tomber. (SBA).
THÉRAPEUTE : C’est peut-être ça. Mais vous pourriez aussi lui demander directement si c’est ça ?
PATIENTE : Je n’ai pas de réponse mais une douleur sous le pli du bras gauche.
(La séance arrivant à sa fin, le thérapeute propose la mise en lieu sûr et l’apaisement de la petite fille avec des
personnages bienveillants protecteurs et réconfortants, sans SBA.)
PATIENTE : La douleur se diffuse dans tout le bras. Elle n’y croit pas à ces personnages bienveillants.
THÉRAPEUTE : Bien sûr qu’elle n’y croit pas. À chaque fois qu’on lui a dit qu’on l’aimait, elle a souffert après,
comme vous l’avez dit avant. Mais maintenant elle peut créer elle-même des personnages bienveillants, alors ils
pourront être comme elle le souhaite.
Puis la patiente rapporte que l’enfant intérieur crée des personnages bienveillants qui sont un soleil comme dans une
bande dessinée et Barbapapa, et que cela l’apaise bien.

Ainsi, dans cet extrait de séance, on voit que l’adulte a pu commencer à


accéder à une situation perturbante encore pas clairement identifiée mais
significative. Après cette séance, la patiente exprima sa difficulté à entrer en
contact avec cette enfant intérieure. L’invitation à ce qu’elle fasse elle-même
des SBA à l’enfant intérieure par des tapotements sur ses genoux aida
beaucoup à un rapprochement. Ce travail fut très fructueux pour établir des
liens avec cet état du moi jeune blessé pris dans une déconnexion
émotionnelle importante, et avancer dans la thérapie.

Intrusion d’états du moi malveillants

Ce que l’on nomme en EMDR pensées bloquantes peut correspondre à des


introjects ou états du moi malveillants selon la TEM. Par exemple une pensée
bloquante du type « je suis incapable » peut émerger a priori sans lien avec la
problématique traitée. Cette cognition peut s’adresser au processus EMDR
lui-même ou se référer à la situation retraitée ou aux deux. Elle peut se
rapporter à des messages parentaux négatifs dans l’enfance (introject
malveillant).
Vignette clinique
Monsieur A., 45 ans, souhaite traiter en EMDR un TSPT des suites d’un accident de voiture dont il a été victime sans
avoir fait de faute de conduite. Avant cela il n’a jamais dû consulter. Sa vie est stable et heureuse. La Cognition Négative
de base est « je suis en danger » et la Cognition Positive « je suis en sécurité maintenant. » Rapidement émerge pendant
la phase 4 (retraitement) la pensée bloquante « je suis incapable. » Cette cognition s’adresse au processus lui-même : « je
suis incapable donc l’EMDR ne va pas fonctionner avec moi. » Des tissages cognitifs sont proposés sans succès. Dans ce
cas, on conviendra qu’une problématique annexe au TSPT bloque son traitement. Le modèle TAI nous encouragerait
dans ce cas à faire un plan de ciblage à partir de la cognition « je suis incapable », de retraiter les situations ayant amené
à l’installation de cette problématique d’estime de soi, puis de retraiter l’accident de voiture. Néanmoins cela pourrait
dépasser la demande du patient qui vient pour un traitement bref et ciblé du TSPT. L’émergence d’une problématique
habituellement pas particulièrement perturbante peut être expliquée par l’état de fragilité du patient suite à l’accident, à
des séquelles médicales même sans gravité qui s’en sont suivies, et au TSPT en tant que tel (la fatigue est une
composante fréquente du TSPT qui se rajoute à une baisse du niveau de fonctionnement).

Un travail d’apaisement de l’introject basé sur la théorie des états du moi et


utilisant l’imaginaire (Reddemann, 2011 ; Piedfort-Marin et Reddemann,
2016) peut permettre de libérer rapidement l’espace psychique nécessaire
pour continuer le retraitement EMDR en ciblant seulement le traumatisme
isolé. Cette solution peut être plus économique que de faire un plan de
ciblage sur la pensée bloquante pour ensuite la retraiter en EMDR et accéder
ensuite librement au retraitement de l’événement traumatique isolé
(l’accident de voiture).
Protocole simplifié du travail avec les introjects ou états du moi malveillants :
1. Entrer en contact avec l’introject (par exemple en lui donnant une forme
symbolique) et l’accueillir avec bienveillance.
2. Rechercher avec le patient des explications sur l’origine et l’apparition de
cet introject. Souvent le patient peut rapidement dire que c’est sa mère ou
son père ou une autre personne significative qui lui disait la phrase
négative en question.
3. Reconnaître la valeur de cet introject en expliquant au patient qu’il est
apparu pour maintenir et protéger la relation avec la personne
significative.
4. Réorientation dans le présent. Les introjects ne savent pas que le temps a
continué sa progression et qu’il y a un moi adulte. Le patient est donc
invité à dire à l’introject son âge et par exemple qu’il est marié, père, qu’il
a le permis de conduire, quel est son travail, etc. À ce stade l’introject tend
à perdre de sa force.
5. L’adulte est invité à négocier avec l’introject pour que ce dernier agisse
différemment. L’idée est que l’introject a été utile, voire nécessaire, au
moment de son apparition, mais que maintenant l’adulte peut faire les
choses autrement et a des compétences qu’il n’avait pas, enfant. Il s’ensuit
alors une négociation pour aboutir à un changement en douceur, avec
l’accord des deux états du moi, l’adulte et l’introject.
Dans la plupart des cas, on obtient déjà un changement intéressant avec une
séance d’un tel protocole, ce qui permet de reprendre rapidement le cours du
traitement du problème circonscrit pour lequel le patient est venu.
Vignette clinique (suite)
THÉRAPEUTE : Cette idée que vous êtes incapable et que l’EMDR ne va pas fonctionner avec vous, savez-vous d’où
elle vient ?
PATIENT : Non, je ne sais pas et cela m’énerve parce que j’ai lu que ça aidait beaucoup de gens, donc je ne vois pas
pourquoi cela ne m’aiderait pas.
THÉRAPEUTE : Si je comprends bien, vous-même vous vous considérez capable, mais il y a comme une force en vous
qui dit « tu es incapable » et cela vous perturbe.
PATIENT : Oui, c’est ça.
THÉRAPEUTE : Pouvez-vous vous tourner vers votre monde intérieur et entrer en contact avec cette force en vous et
lui demander pourquoi elle vous dit ça ?
PATIENT (se concentre, puis) : C’est étrange mais il me vient l’idée que c’est pour me protéger. J’ai l’image de moi
lorsque j’étais jeune adolescent. J’étudiais au conservatoire de musique et j’avais souvent cette idée que j’étais incapable
alors qu’on disait que j’étais doué.
THÉRAPEUTE : Pourriez-vous demander à cette force de quoi elle veut ou voulait vous protéger ?
PATIENT : Elle veut me protéger de la déception que je pourrais avoir si quelque chose ne fonctionnait pas. Si je pense
que je ne suis pas capable alors je ne serai pas déçu si j’échoue. Il me vient que mon père était toujours déprimé si
quelque chose ne se passait pas bien. J’imagine que j’ai intégré cela de mon père.
THÉRAPEUTE : Oui, les enfants n’ont souvent pas d’autres possibilités que d’intégrer ce que pensent leurs parents.
C’est pour maintenir ou renforcer le lien avec eux. Pourriez-vous remercier cette force de vouloir vous aider, et voir ce
qui se passe alors ?
PATIENT : (se concentre, puis) Je sens que cela se calme à l’intérieur.
THÉRAPEUTE : Pouvez-vous lui demander quel âge vous avez ?
PATIENT : Elle dit 12 ans !
THÉRAPEUTE : Je vous invite à lui dire que vous avez 45 ans, que vous êtes marié, père de deux enfants, homme
d’affaire.
PATIENT : Je sens que cette force est étonnée. Je la ressens moins forte.
THÉRAPEUTE : Maintenant je vous invite à négocier avec elle pour qu’elle vous aide autrement que dans le passé.
Vous m’avez dit que vous aviez fait face à des déceptions au niveau professionnel et que vous aviez bien relevé les défis.
Peut-être pourriez-vous lui dire que maintenant vous êtes un homme capable de faire face aux déceptions.
PATIENT : Oui c’est vrai. (Le patient se concentre). Elle me dit qu’elle va rester proche mais qu’elle va me laisser
prendre des risques.

Ensuite il a été possible de reprendre le traitement EMDR en ciblant la


situation de l’accident de voiture avec une bonne résolution du TSPT.
Utilisation des états du moi imaginaires
pendant le retraitement EMDR

L’utilisation de certains états du moi peut aider à libérer le retraitement


EMDR pendant la phase 4 en cas de blocage ou de looping. Lors d’un
blocage sur le thème de la responsabilité ou de la colère, on peut faire appel à
un état du moi pour faire un tissage cognitif adapté, en particulier la sagesse
intérieure ou la personne âgée et sage que l’on sera à la fin de sa vie.
Exemple 1 : Blocage sur le thème de la responsabilité
Thérapeute : Si vous demandez à votre sagesse intérieure ce qu’elle pense,
que vous dit-elle ?
Patient : Elle me dit que j’ai le droit de me pardonner.
Thérapeute : continuez avec ça. (Puis SBA.)
Exemple 2 : Blocage sur le thème de la colère et de la vengeance
Thérapeute : Peut-être arrivez-vous à vous imaginer la personne âgée que
vous serez plus tard. Si vous lui demandez ce qu’elle pense de la situation, de
votre colère et de votre désir de vengeance, que dit-elle ?
Patient : Elle me dit que je devrais pardonner, car c’est comme ça que je
pourrai aller mieux. Je serai plus heureux dans ma vie si je n’ai pas cette
colère en moi.
Thérapeute : Continuez avec ça. (Puis SBA.)

Nous avons vu différentes utilisations possibles de la thérapie des états du moi en combinaison avec l’EMDR. Les deux
théories sont proches et complémentaires. La théorie des états du moi peut renforcer l’EMDR dans les cas où le traitement
adaptatif de l’information ne se fait pas de manière optimale. La théorie des états du moi est intégrative donc ouverte à son
adjonction ou sa combinaison à l’EMDR. Elle a ceci de puissant qu’elle utilise la force de l’imagination comme source
inépuisable de ressource et de résilience. Comme le dit Watkins (2008), « les techniques basées sur la théorie des états du
moi peuvent permettre les conditions qui rendront de nombreux patients plus accessibles et le traitement plus sûr pour les
thérapeutes EMDR. » Il convient d’utiliser et de développer des pratiques cliniques intégratives suffisamment structurées,
reposant sur une compréhension claire et une pratique appropriée de la thérapie des états du moi associée au modèle TAI.

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Healing the heart of trauma and dissociation with EMDR and Ego State
Therapy. New York, Springer. Edition française : (2017). Guérir le
traumatisme et la dissociation avec l'EMDR et la thérapie des États du
Moi, Bruxelles, SATAS.
Chapitre 19

L’utilisation de l’EMDR
avec les troubles dissociatifs

Eva Zimmermann et Olivier Piedfort-Marin

Si l’efficacité de l’EMDR avec le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT) et d’autres séquelles traumatiques a fait ses
preuves, il n’en est pas de même pour les troubles dissociatifs qui présentent des présentations cliniques et des degrés de
sévérité très divers. Dans certains cas l’EMDR pourra être utile et bénéfique alors que dans d’autres cas cela pourrait
amener à une déstabilisation marquée du patient. Enfin dans certains cas complexes l’EMDR pourra être utilisé de manière
occasionnelle avec intérêt. La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité est particulièrement utile pour
conceptualiser les troubles dissociatifs de toutes sortes, et aussi pour évaluer la sévérité des cas et donc la possibilité
d’utiliser l’EMDR.
Appliquer la thérapie EMDR avec les personnes souffrant de troubles dissociatifs nécessite une formation continue dans le
domaine du diagnostic et du traitement des troubles dissociatifs en dehors de la formation de base en thérapie EMDR.

LES TROUBLES DISSOCIATIFS


▶ La catégorisation diagnostique selon le DSM-V
et la CIM-10 et CIM-11

Les troubles dissociatifs forment un ensemble de troubles assez hétérogène


quant à leur sévérité et leurs présentations cliniques. Dans le chapitre des
troubles dissociatifs le DSM-V (APA, 2015) rassemble le trouble dissociatif
de l’identité (TDI ; anciennement trouble de personnalité multiple), l’amnésie
dissociative avec ou sans fugue, le trouble de dépersonnalisation/déréalisation
et les autres troubles dissociatifs spécifiés (ATDS). Dans le DSM-V (APA,
2015, p. 345) le TDI est caractérisé par une « perturbation de l’identité
caractérisée par deux ou plusieurs identités ou états de personnalité distincts,
ce qui peut être décrit dans certaines cultures comme une expérience de
possession. La perturbation de l’identité implique une discontinuité marquée
du sens de soi, de l’agentivité, accompagnée d’altérations, en rapport avec
celle-ci, de l’affect, du comportement, de la conscience, de la mémoire, de la
perception, de la cognition et/ou du fonctionnement sensorimoteur ». Par
ailleurs le patient montre de fréquents trous de mémoires par rapport à ses
activités du quotidien ou des événements importants du passé.
L’ATDS de type 1 est sans doute un des plus fréquents et est décrit par ces
quelques lignes : « Syndromes chroniques et récurrents de symptômes
dissociatifs mixtes : Cette catégorie inclut des perturbations de l’identité
associées à des failles non graves dans le sens du soi et de l’agentivité, ou à
des altérations de l’identité ou à des épisodes de possession chez une
personne qui ne rapporte pas une amnésie dissociative » (APA, 2015). Les
distinctions entre d’une part le TDI et les ATDS, et d’autre part entre
l’ATDS-1 et le Trouble de Stress Post-Traumatique complexe (TSPT-C), sont
sujettes à un besoin de recherche important afin de mieux différencier ces
troubles.
Dans le DSM-V le trouble de conversion avec ses diverses variantes est
décrit dans un chapitre différent de celui des troubles dissociatifs, alors que la
CIM-10 (OMS, 1994) les inclut dans une même entité diagnostique. Nous
verrons plus loin que les symptômes somatoformes sont une composante
indéniable des troubles dissociatifs au sens large.
La CIM-11 dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er janvier 2022 devrait
permettre deux clarifications. Tout d’abord une distinction plus nette entre
troubles dissociatifs des sens et de la motricité (trouble de conversion et
autres troubles somatoformes) et troubles dissociatifs émotionnels et cognitifs
(trouble de dépersonnalisation et de déréalisation, amnésie dissociative). Par
ailleurs une distinction est prévue entre trouble dissociatif de l’identité et
trouble dissociatif de l’identité partiel. Ces deux troubles se différencient par
le fait que dans le TDI, deux ou plus parties dissociatives exécutent des
actions de la vie quotidienne alors que dans le TDI partiel une seule partie
dissociative réalise les actions de la vie quotidienne alors qu’une ou plusieurs
autres parties dissociatives exécutent des actions en lien avec un stress ou des
actions défensives. Cette distinction est issue des travaux de Van der Hart,
Nijenhuis et Steele (2010) et dans leur proposition de différencier
dissociation structurelle secondaire et tertiaire. Le DSM-V n’a pas intégré
cette distinction. Les alternances dans le rôle exécutif (switch) entre
différentes parties dissociatives ainsi que les amnésies forment les
symptômes centraux du TDI dans le DSM-V.

▶ Détection et diagnostic

Les troubles dissociatifs font encore trop peu l’objet de recherches, en


particulier pour l’aspect épidémiologique. Les études internationales laissent
penser que les troubles dissociatifs (TD) tous types confondus sont
relativement fréquents. Ainsi la prévalence médiane des TD dans les
populations de patients hospitaliers serait de 10,2 % et de 8,6 % pour les
populations de patients ambulatoires (Dell, 2009). Ils restent néanmoins sous-
diagnostiqués avec, comme conséquence, des diagnostics erronés et des
traitements inadéquats. À notre connaissance aucune étude épidémiologique
n’a été réalisée dans l’espace francophone.
Les troubles dissociatifs ont ceci de particulier que les patients en parlent
rarement d’eux-mêmes. Dans la phase d’anamnèse du traitement EMDR, il
convient donc d’être attentif à certains indices qui peuvent signifier la
présence d’un trouble dissociatif, en particulier :
des expériences traumatiques dans l’enfance : abandon, négligence,
adoption (tardive), vie en foyer, hospitalisation, parents malades
psychiques ou dépendants à des substances, violences physiques et/ou
sexuelles répétées, interventions médicales invasives ;
trois ou plus diagnostics préalables, ainsi que des diagnostics changeant le
long du parcours médical ;
traitements précédents ayant échoués ;
présence à la fois de troubles psychiques et de troubles psycho-somatiques
ou somatiques ;
forte fluctuation de la symptomatologie et du niveau de fonctionnement ;
comportement auto-agressifs.
En présence d’un ou plusieurs de ces indices l’usage d’outils de détection
devraient être standard dans la phase d’anamnèse du traitement EMDR. Les
principaux outils de détection sont les suivants :
L’échelle des expériences dissociatives (EED : Darves-Bornoz, Degiovani
& Gaillard, 1999 ; version originale : Dissociative Experience Scale –
DES : Bernstein & Putnam, 1986). Cet outil est largement utilisé en
recherche mais ne convient plus à la définition stricte actuelle de la
dissociation.
Le SDQ-20 (Nijenhuis et al., 1996) est un questionnaire court de 20 items
qui étudie la dissociation somatoforme. Il a l’avantage de ne pas
investiguer directement les symptômes dissociatifs les plus pénibles pour
le patient et c’est donc protecteur. C’est un très bon outil de détection des
troubles dissociatifs.
Le DIS-Q (Vanderlinden et al., 1993) est un questionnaire de 63 items qui
est aussi fort utile dans l’analyse clinique des problématiques
dissociatives.
À ce jour aucun outil diagnostic n’a été validé en français même s’il existe
des traductions d’outils validés de langue anglaise ou allemande. Des outils
diagnostics validés et reconnus au niveau interna-tional faciliteront la
reconnaissance de ces troubles trop souvent minimisés. Des études sont en
cours pour les outils diagnostics suivants en langue française :
SCID-D : Structured Clinical Interview for DSM-IV Dissociative
Disorders Revised (Steinberg, 1994). La version française adaptée au
DSM-V et à la CIM-11 fait l’objet d’une étude de validité.
Le TADS-I est un outil développé par Suzette Boon et fait également
l’objet d’une étude.

LA THÉORIE DE LA DISSOCIATION STRUCTURELLE


DE LA PERSONNALITÉ

▶ La dissociation comme structure

La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité (TDSP ; Van der


Hart et al., 2010) a été développée sur la base des travaux de Janet. Cette
théorie propose qu’un traumatisme, en l’absence de capacités intégratives
suffisantes, amène à une séparation ou fragmentation (dissociation) de la
personnalité en plusieurs parties dissociatives. Une ou plusieurs parties
continuent de s’engager dans les fonctions de la vie quotidienne (survie de
l’espèce) alors que d’autres restent fixées dans les souvenirs traumatiques et
s’engagent alors dans des actions ressemblant aux mécanismes de défense
face à des dangers réels ou perçus (survie de l’individu). Il est postulé que les
différentes parties dissociatives de la personnalité exercent des systèmes
d’action dérivés de l’évolution qui sont soit axés sur le fonctionnement au
quotidien comme l’attachement, l’exploration, le jeu, etc., soit axés sur la
défense comme la fuite, la lutte etc. Ces actions se manifestent dans des
actions mentales et comportementales correspondantes. Les parties
dissociatives engagées dans le quotidien (états « adultes ») ont tendance à
éviter les souvenirs traumatiques pour mieux fonctionner au quotidien. Dans
les cas de traumatismes répétés ou de négligences dans l’enfance, ce
phénomène d’évitement se met en place déjà dans l’enfance. Les expériences
traumatiques sont alors contenues par une ou plusieurs parties dissociatives
de la personnalité qui restent fixées sur ces expériences et peuvent devenir de
plus en plus autonomes. Parce que leurs fonctions sont définies par des
émotions de base en lien avec l’expérience traumatique (peur, colère,
impuissance, tristesse, pleurs d’attachement), reprenant les définitions de
Myers (1940), elles sont nommées par Van der Hart et al. (2010) « parties
émotionnelles de la personnalité » (PE). Parallèlement, la partie de la
personnalité qui gère le quotidien évite activement les souvenirs traumatiques
et les PE. Elle peut sembler relativement normale, raison pour laquelle les
auteurs la nomment « partie apparemment normale de la personnalité »
(PAN). Un thérapeute avisé pourra certes soupçonner un trouble dissociatif
lorsqu’un patient a un discours avec peu ou pas d’affect lorsque les
traumatismes sont évoqués.
Van der Hart et al. (2010) proposent trois types de structure dissociative :
1. Dissociation structurelle primaire : une PAN et une PE. Cela correspond
à des diagnostics (DSM ou CIM) de TSPT, troubles de conversion, et à
d’autres troubles lorsqu’ils ont une origine traumatique (par exemple
trouble panique, trouble obsessionnel compulsif, trouble alimentaire, etc.)
2. Dissociation structurelle secondaire : une PAN et plusieurs PE. Cela
correspond aux diagnostics de TDI et ATDS-1 selon le DSM-V, TSPT-C,
TDI partiel selon la CIM-11, et à d’autres troubles plus complexes
d’origine traumatique, y compris des troubles de conversion plus
complexes.
3. Dissociation structurelle tertiaire : plusieurs PAN et plusieurs PE. Cela
correspond au diagnostic de TDI selon le DSM-V et selon la CIM-11.
Cette structure est néanmoins rare.
La TDSP permet en outre de comprendre les symptômes dissociatifs selon
quatre catégories : les symptômes somatoformes versus psychoformes, et
négatifs versus positifs, présentés dans le tableau 2.1. Les symptômes
négatifs correspondent à l’absence anormale d’une fonction, alors que les
symptômes positifs correspondent à la présence de quelque chose qui ne
devrait pas être présent. Certains symptômes sont produits par des PE et sont
des intrusions chez la PAN de sensations et de mouvements, d’images, de
sons (des voix commentant) ou de pensées. D’autres symptômes sont
typiquement l’expression de la PAN qui cherche à éviter les PE et leurs
contenus traumatiques, en particulier les symptômes d’évitement mental ou
comportemental (abus de substances par exemple).
Dans le TDI (aussi TDI partiel) des PE se sont émancipées au point où elles
peuvent prendre le rôle exécutif (lors d’un switch) en prenant contrôle sur le
corps et la parole pendant un certain temps, parfois quelques minutes, parfois
plusieurs heures. De telles PE peuvent alors parler au thérapeute ou à d’autres
personnes et exécuter des tâches parfois complexes. Dans les cas d’autres
troubles dissociatifs, les PE peuvent perturber par les intrusions. Cela peut,
selon les cas, être de durée variable ou continue.
Tableau 19.1. Catégorisation des symptômes dissociatifs.
▶ Le concept d’intégration des souvenirs d’événements traumatisants

La TDSP permet de préciser un concept important en EMDR, celui de


l’intégration. Selon Van der Hart et al. (2010) l’intégration comprend la
synthèse et la réalisation (qui inclut la personnification et la présentification).
La synthèse est atteinte lorsque le sujet (en tant que PAN) peut relier et
différencier les différents éléments (connaissance, images, pensées, affects,
sensations corporelles) d’une expérience donnée avec un sens du soi. La
personnification est la capacité de ressentir que l’on est celui qui a vécu une
expérience donnée, alors que la présentification se réfère à la capacité d’un
individu de ressentir qu’une expérience (traumatisante) a eu lieu dans le
passé, est terminée, et qu’il peut vivre le présent pleinement tout en anticipant
l’avenir de manière adaptée (pour une présentation détaillée de l’intérêt du
concept d’intégration selon la TSDP en EMDR : Piedfort-Marin, 2019). Dans
un traitement optimal, synthèse et réalisation avec personnification et
présentification se font par le sujet en tant que PAN. Avec l’intégration des
souvenirs des événements traumatisants (contenus par les PE) la PAN et les
PE fusionnent pour former un individu intégré. Dans les cas de TD de degré
élevé de sévérité, intégration et fusion se font souvent de manière partielle ce
qui peut néanmoins avoir un effet satisfaisant sur la symptomatologie et
l’amélioration de la qualité de vie.

THÉORIE DE LA DISSOCIATION STRUCTURELLE


DE LA PERSONNALITÉ ET EMDR

▶ Harmoniser la TDSP et l’EMDR

Comme la thérapie EMDR s’est montrée efficace avec les patients souffrant
de TSPT et d’autres pathologies, certains thérapeutes ont montré un intérêt à
utiliser l’EMDR avec les patients ayant un TD puisque leurs troubles sont
d’origine traumatique. Néanmoins les TD sont des troubles bien différents
que le TSPT de par la quantité et la gravité des événements vécus par ces
personnes ainsi que par leur fragilité qui en résulte. La TDSP est reconnue
pour être un atout conceptuel notable si l’on veut utiliser l’EMDR avec les
TD.
La thérapie EMDR, avec le modèle TAI, et la TDSP sont compatibles et se
complètent (Van der Hart, Nijenhuis & Solomon, 2010). Selon la thérapie
EMDR, le but final de la prise en charge est de promouvoir les connexions
entre les souvenirs stockés de manière dysfonctionnelle et isolée, avec les
réseaux mnésiques adaptatifs. Selon la TDSP le but ultime du traitement des
personnes traumatisées est l’intégration des souvenirs dans un moi unifié et
fusionné (à travers la synthèse et la réalisation). Ce processus d’intégration
des souvenirs d’événements traumatisants peut se faire dans certains cas de
TD par la thérapie EMDR.
La thérapie EMDR se réfère aux 8 phases et aux trois temps (voir chapitres 6,
7 et 8), alors que la TDSP préconise le traitement des traumatismes en trois
phases selon Pierre Janet, qui sont :
1. La première phase cible la stabilisation, la réduction des symptômes et
l’activation des ressources, ce qui correspond assez bien aux phases 1 et 2
de la thérapie EMDR.
2. La deuxième phase cible le traitement des souvenirs traumatiques, but des
phases 3 à 7 de la thérapie EMDR et premier temps du traitement EMDR.
3. La troisième phase cible l’intégration du sujet dans une vie nouvelle, ce
qui correspond à la phase 8 de la thérapie EMDR, ainsi qu’aux buts du
traitement des déclencheurs et de l’application des scénarios du futur (les
deuxième et troisième des trois temps de la thérapie EMDR).
Ces trois phases ne sont pas chronologiquement linéaires mais s’enchevêtrent
dans des suites de va-et-vient. Ainsi une phase de stabilisation est souvent
nécessaire après une phase d’intégration d’un ou plusieurs souvenirs
traumatiques. Parfois des éléments propres à la phase 3, comme des
adaptations des schémas cognitifs et comportementaux, se font en plein
milieu de la phase 1.
La phase 1 de la thérapie EMDR cible l’anamnèse et le diagnostic ainsi que la
planification du traitement et l’élaboration d’un plan de ciblage. Néanmoins
pour les patientes avec un TD ces premières tâches thérapeutiques sont
beaucoup plus complexes que pour un TSPT. Il faut souvent du temps pour
s’assurer du diagnostic correct. Une anamnèse complète est souvent
impossible à cause des amnésies, de la déconnection émotionnelle ou des
réactivations perturbantes lorsqu’on interroge la patiente sur son passé. Quant
à élaborer un plan de ciblage et s’y tenir, c’est le plus souvent impossible de
par un quotidien agité et souvent chaotique. Le clinicien doit pouvoir
répondre aux besoins changeants de ces patients.
Les lignes directrices de l’ISSTD (International Society for the Study of
Trauma and Dissociation, 2011) rappellent qu’une thérapie avec des
personnes souffrant de TD sévère peut durer entre 5 et 15 ans, voire plus,
selon les cas et la sévérité de la structure dissociative, et que la phase 1 de
stabilisation peut être particulièrement longue. Cela peut donc durer des
années jusqu’à ce qu’un tel patient puisse être suffisamment stabilisé et
préparé pour que lui soient proposées des séances de désensibilisation avec la
thérapie EMDR (phases 3-7). Ceci étant dit, des séances de désensibilisation
isolées (par exemple des séances d’EMD : Shapiro, 2019) peuvent s’avérer
utiles durant la phase de stabilisation. Ce peut être le cas par exemple si la
cliente est fortement perturbée par des intrusions traumatiques de PE, sous
forme de cauchemars, de flashbacks, de souvenirs intrusifs, d’émotions
intrusives ou d’autres formes d’activation. On peut alors choisir non pas le
retraitement d’un traumatisme en tant que tel (protocole standard, phases 3-7)
mais la désensibilisation d’un symptôme pris isolément (phase 1 – réduction
des symptômes – selon la TDSP). Il serait dommage de faire patienter une
cliente durant des années alors que des séances d’EMD ou d’EMDR
pourraient apporter une aide considérable et la diminution d’une perturbation
déjà dans la phase de stabilisation. Mais il convient aussi d’être prudent parce
que certains patients pourraient ne pas supporter l’EMDR à ce stade ou même
plus tard.

▶ L’EMDR dans la thérapie des troubles dissociatifs : quelques réflexions générales

La prise en charge de personnes souffrant de TD exige donc une formation


continue importante ciblée sur le diagnostic et le traitement de ces troubles.
Vouloir utiliser l’EMDR avec les TD, en particulier les TD sévères, nécessite
aussi une solide maitrise des différents protocoles de la thérapie EMDR ainsi
que des supervisions régulières pour les premiers pas dans ce domaine. Ce
chapitre ne permet pas d’élaborer l’entier du travail thérapeutique concernant
les personnes souffrant de TD, mais il veut donner certaines pistes pour
accompagner le clinicien formé en thérapie EMDR et l’inciter à se former
davantage dans ce champ spécifique. Le déroulement d’une thérapie d’un TD
est tellement complexe et tortueux qu’il ne nous permet pas de définir une
« séance type » ou un « protocole type ». Le traitement par phases (selon Van
der Hart et al., 2010) et les directives de l’ISSTD (2011) doivent guider le
clinicien.
En cas de dissociation structurelle primaire, la PAN évite la PE car la PE
porte tout le souvenir traumatique mais se manifeste plutôt par des intrusions.
Cela peut correspondre à un TSPT mais aussi à d’autres troubles, comme un
trouble de conversion ou un autre TD « simple ». Dans ces cas, le protocole
EMDR standard peut généralement être suivi de manière classique avec un
plan de ciblage « trauma récent » ou « trauma simple ». C’est par contre
beaucoup plus difficile avec les personnes ayant une dissociation structurelle
secondaire ou tertiaire. Dans ces cas, la phobie de la PAN envers les PE et de
certains PE envers d’autres PE peut être tellement sévère que les parties
dissociatives ne s’engagent que dans des relations minimales et le cas échéant
agressives. La conséquence en est un contact rudimentaire entre les parties,
voire aucun contact, comme dans le cas de l’amnésie dissociative. La PAN
peut s’opposer au contact avec une PE, ce qui rend impossible un
retraitement des souvenirs traumatiques. Si le patient dans sa PAN reconnaît
avoir des parties internes, il peut dire à sa thérapeute des phrases du type :
« Aidez-moi à me débarrasser de ces parties, je ne les aime pas ! » ou encore :
« Je ne les veux pas, elles ne sont pas moi ! » Par ailleurs certains patients,
apparemment suffisamment stables, pourraient être très déstabilisés par
l’utilisation trop précoce de l’EMDR. André, un patient de 20 ans ayant un
trouble obsessionnel compulsif, a été traumatisé par la maladie psychique de
sa mère déclarée alors qu’il avait 12 ans. Après un an et demi de thérapie, son
TOC avait bien reculé, sa régulation émotionnelle était bien meilleure et la
situation familiale plus stable. Le thérapeute, habituellement prudent, proposa
alors de travailler en EMDR en ciblant la maladie de la mère. Après la
première séance, ce jeune patient ne put aller à l’université pendant une
semaine tellement il était déstabilisé. Une PE inconnue avait émergé et il
fallut attendre six mois pour l’identifier à cause de l’évitement de la PAN à
son égard.
Une première phase importante dans la prise en charge thérapeutique en
parallèle de la stabilisation classique consiste à explorer le système interne de
la personne, à prendre contact avec les parties et à développer empathie,
communication et coopération mutuelle. Cela permet la connaissance du
système, et pour le thérapeute et pour le patient, indispensable si l’on veut
utiliser l’EMDR. Cette phase souvent longue de la thérapie des TD dépasse le
cadre de ce chapitre. Nous invitons le lecteur à la lecture d’ouvrages
spécialisés (Boon et al., 2014 ; Nijenhuis, 2015, 2017 ; Steele et al., 2018 ;
Van der Hart et al., 2010). Par contre, travailler avec ces différentes parties
avec la thérapie EMDR de manière ponctuelle ou parfois plus étendue peut
également contribuer à une meilleure compréhension entre les parties,
améliorant ainsi empathie, communication et coopération entre elles, un
facteur important de succès thérapeutique à long terme. Lorsqu’une première
acceptation des parties entre elles commence à avoir lieu, des échanges
ponctuels de souvenirs ou de bribes de souvenirs peuvent commencer à se
faire. Cela peut se faire en invitant les parties à échanger et partager dans un
lieu de rencontre (ou salle de réunion) imaginaire. Selon les cas et l’avancé de
la thérapie, ces échanges peuvent se faire également par des séances de
retraitement EMDR (phases 3-7/8) ou EMD.
Dans tout état de cause des questions préalables s’imposent : quelle partie
dissociative est à l’origine de quelle intrusion ? Quelle partie nécessiterait un
retraitement pour une intrusion donnée ? Quelle(s) partie(s) seraient trop
déstabilisée(s) ou s’opposeraient à l’EMDR ? Et de ce fait, qu’est-ce qu’on
fait avec cette partie (en attendant) ? Une connaissance suffisante du système
interne, c’est-à-dire de la PAN et des PE, de leurs différentes fonctions, et de
la dynamique interne est indispensable.
La phase 2 (selon la TDSP) de retraitement des événements traumatisants est
une phase difficile. L’EMDR peut être une option dans certains cas lorsque
cette méthode peut faciliter la synthèse et la réalisation, de manière
relativement continue ou de manière ponctuelle. Une synthèse guidée ou
fragmentée peut se faire aussi accompagner de SBA. La question est de
savoir dans quelle partie de la personnalité cela doit se faire, à quel moment,
par quel biais et dans quel ordre ? Ces questions sont complexes et
nécessitent un plan de traitement adapté et différencié, sous supervision pour
les cas complexes. Dans les TD sévères, le thérapeute devra faire preuve
d’adaptabilité et supporter l’inconnu et l’imprévisible.
La fusion de parties peut être un effet indirect de la thérapie EMDR.
Néanmoins, dans les cas de dissociations secondaire ou tertiaire, cela
nécessite des interventions qui vont bien au-delà de la désensibilisation ou du
retraitement.
Lors de la phase 3 (selon la TDSP), on aide les patients à améliorer leur
adaptation à une vie nouvelle. Se débarrasser de schémas anciens qui se sont
développés depuis l’enfance dans un contexte extrême de violence et de
négligence peut s’avérer difficile. Dans cet objectif l’EMDR peut être utile et
indiqué, d’autant plus que les patients sont plus stables et un certain nombre
de traumatismes au moins partiellement résolus.

CAS CLINIQUES

Nous allons présenter trois cas issus de la pratique clinique et qui


représentent les dissociations structurelles primaire, secondaire et tertiaire.
Ces cas sont des exemples et ne représentent bien sûr pas l’ensemble de ces
pathologies aux présentations si diverses. Néanmoins nous souhaitons ainsi
illustrer les principales spécificités du travail EMDR avec les TD. Les noms
ainsi que des détails biographiques ont été modifiés afin de garantir
l’anonymat des patients.

▶ Un cas de dissociation structurelle primaire


Vignette 1 : Alain
M. Alain D. a perdu sa femme voici 30 ans après l’accouchement de leur fils. On lui a annoncé le décès totalement
inattendu de son épouse par téléphone, en pleine nuit à 04:45, trois jours après la naissance de leur enfant. Depuis 30 ans
Alain se réveille plusieurs fois chaque semaine à 04:45 en croyant entendre le téléphone sonner. Ainsi, une PE
submergée par les émotions s’est montrée active principalement la nuit. Alain s’est par la suite remarié, a eu d’autres
enfants et a un emploi stable. Mais Alain dans sa PAN a également eu des problèmes d’abus d’alcool, de dépression et
de comportements autodestructeurs, dus à des intrusions traumatiques de la PE également pendant la journée. Le pire
pour Alain était d’avoir ses réveils nocturnes si fréquents et épuisants, et il disait se sentir vivre comme 30 ans
auparavant, lors du décès de son épouse.

On comprendra qu’Alain présente un TSPT mais chronicisé durant 30 ans


avec une péjoration constante et importante de l’état psychologique général et
associé à différentes comorbidités. On observe le modèle d’intrusions et
d’évitements, ce qui est le schéma bi-phasique du TSPT et le fonctionnement
d’une personne avec une dissociation structurelle primaire de la personnalité.
On voit donc que la PAN vit relativement bien dans le quotidien malgré une
dépression et a adopté des stratégies d’évitement de la PE par des abus de
substances. Une PE produit des intrusions répétées, surtout la nuit. Une
anamnèse élargie n’a pas mis en évidence d’autres événements traumatisants.
Une prise en charge standard avec le protocole en 8 phases et les trois temps
a été appliquée. Avec 9 séances en tout, le patient a été « guéri » ! Une
catamnèse après une année a montré que le problème avait été réglé de
manière durable. Alain ne s’est réveillé la nuit qu’une seule fois en une
année, et ceci quelques jours avant l’anniversaire du décès de sa première
épouse. Alain n’a cessé de dire « Mais c’est incroyable, c’est derrière… ! Ça
ne me touche plus vraiment. C’est du passé. Si seulement je vous avais connu
plus tôt ! » On voit ici qu’une dissociation structurelle primaire peut amener à
des cas complexes en termes de diagnostic. La thérapie EMDR montre ici
tout son potentiel !

▶ Un cas de dissociation structurelle secondaire


Vignette 2 : Sabine
Mme Sabine B. est une femme de 41 ans, ayant vécu dans l’enfance un rejet psychologique constant de la part de sa
mère. Elle était la deuxième de trois filles. La première étant « la grande » et une fille intelligente et facile à vivre, de
deux ans son ainée. La plus jeune, de 5 ans sa cadette, était la préférée de la mère. Sabine a été « l’enfant difficile »,
pleurant beaucoup après le déménagement de la famille, ce qui présentait un grand stress pour la mère. Au cours de la
thérapie Sabine a retrouvé beaucoup de souvenirs de rejet, dont des propos de la mère disant à la sœur cadette des
phrases comme « ne vas pas jouer avec Sabine, ce dragon, cette sorcière… ». Sabine a parfois eu des comportements
agressifs envers sa petite sœur, comme beaucoup d’enfants négligés qui remarquent une préférence nette des parents
pour une autre sœur. Elle a ainsi développé une dissociation structurelle secondaire et un style d’attachement
désorganisé, compensé par une stratégie de contrôle soignante envers sa mère. À l’adolescence elle s’est fait maltraiter et
abuser par son premier compagnon. Celui-ci lui faisait comprendre qu’elle ne valait rien et qu’elle n’était « que bonne à
coucher ». Dans son attachement désorganisé et son immense besoin d’amour et d’attachement elle ne pouvait pas le
quitter et avait donc subi des viols conjugaux comme elle avait subi les maltraitances de sa mère, alors que se mettait en
place une PE autopunitive et destructrice. On décela également une autre PE extrêmement agressive bien contenue au
fond d’elle, mais facilement activée par son mari actuel, gentil et compréhensif. La PE destructrice, autopunitive, cassait
toutes sortes d’objets auquel Sabine tenait, comme des dessins, des cadeaux qu’on lui avait fait, etc. Il y avait aussi dans
le système une PE petite fille fragile, profondément triste. La PAN continuait à protéger la mère, à lui faire des cadeaux
et à essayer encore et toujours de gérer cet attachement désorganisé. Les réactions de la mère étaient imprévisibles pour
Sabine.

La thérapie de Sabine a duré plus de 10 ans et sa planification a été beaucoup


plus complexe et difficile, et surtout nettement plus longue que dans le cas
d’Alain. Le diagnostic est un ATDS de type 1 et un trouble de personnalité
borderline. Sabine présente typiquement une dissociation structurelle
secondaire, avec une PAN et plusieurs PE. Des années durant il fallu la
stabiliser après chaque contact qu’elle avait avec sa mère. Tantôt Sabine
coupait tout contact avec sa mère pour se préserver, tantôt elle ne pouvait
supporter ne pas avoir de contact avec elle et la rappelait et cherchait à la
revoir. Les comportements borderline se voyaient par les comportements de
la patiente dans sa PAN et aussi dans certaines PE médiées à la fois par le
système d’action de défense et par le système d’attachement. La mère a eu
plus ou moins les mêmes comportements de rapprochement et de rejet envers
la patiente. Des séances EMDR ponctuelles « urgentes » ont souvent été
faites suite à un appel téléphonique entre Sabine et sa mère ou suite à une
rencontre avec elle comme par exemple lors d’une fête de famille. Assez
rapidement, des problèmes d’ordre sexuel ont été identifiés et ont donné lieu
à un premier plan de ciblage standard avec comme souvenir source les
violences sexuelles par son premier compagnon. Les cibles suivantes du plan
de ciblage ont été les humiliations et d’autres propos sexualisés et humiliants
de son ami de l’époque, puis d’autres compagnons par la suite. Cette phase a
dû être interrompue, car des problèmes avec sa mère ne cessaient de la
perturber en parallèle. Des rencontres avec la mère et un plan de ciblage
autour de la problématique de la mère et des sœurs furent réalisés. Une
rupture d’avec son ami du moment a perturbé la poursuite du deuxième plan
de ciblage et a donné lieu à des séances d’EMDR « d’urgence » ciblant la
rupture actuelle. Peu après, un changement au niveau professionnel l’a
fortement déstabilisé, et il fallu encore une fois laisser de côté le travail sur
son problème d’ordre sexuel pour travailler l’estime de soi dans le contexte
professionnel. Des séances d’EMDR ont été agendées pour travailler les
humiliations et autres événements qui lui faisaient croire qu’elle ne valait rien
et qu’elle était totalement incapable de faire quoi que ce soit (alors qu’elle
avait fait les meilleures notes de la région lors de son examen final de
secrétaire de direction). Un plan de ciblage sur sa faible estime de soi a donc
été suivi. Il comportait des situations avec sa mère, mais aussi des situations
scolaires, des situations interpersonnelles, des ruptures affectives et d’autres
épisodes humiliants ou dégradants. La rencontre avec son mari actuel a
réactivé la problématique sexuelle et le plan de ciblage des traumatismes
sexuels a pu être repris. Au fur et à mesure que la relation avec son mari s’est
renforcée et qu’elle sentait qu’il était gentil et patient avec elle par rapport à
la sexualité, la PE agressive s’est activée et la patiente – dans cette PE – a
physiquement agressé son mari. Nous avons alors fait un travail approfondi
selon la thérapie énactive (Nijenhuis, 2017). Il en est ressorti que cette PE,
par ses comportements agressifs, voulait pousser le mari à la quitter. Les
croyances sous-jacentes étaient que de toute façon elle allait être quitté, que
ce mari était trop gentil et qu’elle ne le méritait pas puisqu’elle était « un
dragon et une sorcière. » Le même schéma d’amour impossible – comme
avec sa mère – se répétait ainsi dans le comportement de cette PE, et Sabine,
dans sa PAN, se sentait démunie et totalement effondrée à l’idée que son mari
puisse la quitter. La différence entre sa mère et son mari était que son mari ne
la repoussait pas. Un travail avec cette PE (petite fille fragile), qui avait subi
toutes les violences psychologiques de la mère, a abouti à une intégration de
cette partie. Les séances d’EMDR ont dû être réalisées, avec pour objectif
d’intégrer cette PE, puis les autres. L’arrivée de son premier enfant a encore
été un moment de grand défi qu’elle a su affronter. Elle attend d’ailleurs un
deuxième enfant. Bien que toutes les PE ne soient pas encore intégrées, elle
gère bien l’éducation de son enfant et sa nouvelle grossesse, et nous avons pu
interrompre la thérapie. Une évaluation finale se fera dans quelque temps
après son accouchement.
Ce cas illustre les situations complexes de dissociation structurelle secondaire
comme lors de TSPT-C ou d’autres troubles dissociatifs spécifiés, souvent
associés à des troubles de la personnalité. On voit qu’une planification et un
suivi comme préconisé idéalement par les différents protocoles de la thérapie
EMDR n’est pas possible avec des personnes ayant un trouble dissociatif
sévère de type ATDS de type 1, et donc avec une dissociation structurelle
secondaire.

▶ Un cas de dissociation structurelle tertiaire


Vignette 3 : Roland
M. Roland C. est un homme de 35 ans adopté en Afrique. Il a vécu de la violence physique sévère par les deux parents.
Des conflits et violences conjugales furent un stress majeur pour la mère, ce qui a abouti à un divorce lorsque le patient
avait 13 ans. L’enfant, souvent placé chez des familles amies, est devenu victime de violences sexuelles dans un groupe
organisé de personnes pédophiles pratiquant des rites « sataniques ». Roland a développé dix parties dissociatives (deux
PAN et huit PE). Les PE sont Lucien, 8 ans, Olivier, 12 ans, Jean, Michaël et Pascal (adolescent), Jason, 16 ans,
Christian, 18 ans et « l’ami de Roland » (sans âge). Les PAN sont Roland lui-même et Pierre. Lucien porte toute la
souffrance de l’enfant au sein de sa famille, alors que Olivier et les autres se sont développés lors des violences sexuelles
ritualisées. Roland a présenté un lourd passé d’abus de substances et de vols pour se procurer les drogues. Une
hospitalisation en milieu psychiatrique et une incarcération préventive ont eu lieu quand il a commencé la thérapie
orientée traumatismes et axée sur son TDI. Six mois avant la thérapie il s’est marié avec une femme connue par le biais
d’un site de rencontre lorsqu’il était en détention préventive. Le déménagement dans une tout autre région lui a permis
de quitter le monde de la drogue et de la délinquance. Il s’est alors fait un nouveau cercle de connaissances. Grâce à sa
femme, il s’est suffisamment stabilisé pour pouvoir entamer une psychothérapie. Il ne peut travailler qu’à 50 % et
bénéficie d’une rente invalidité à 50 %.

Roland a été diagnostiqué avec TDI et présente une dissociation structurelle


tertiaire. Il a reconnu ses PAN et PE par lui-même avant même d’être en
thérapie. Il en a parlé tout naturellement lors des premières séances et n’a pas
douté que d’autres parties de sa personnalité existent de façon indépendante
de sa volonté. Roland a un long passé de difficultés dans tous les domaines de
la vie, mais il a trouvé une certaine stabilité grâce à la bienveillance de sa
femme dans le cadre d’une relation conjugale sécure.
Dans une première phase de la thérapie, la PE Olivier (12 ans) était très
présente. Pratiquement tous les soirs selon son épouse, notamment lorsqu’ils
se retrouvaient après le travail. Passant beaucoup de temps à la maison il était
victime d’intrusions traumatiques très déstabilisantes. Il présentait de
nombreux « switchs ». Olivier était fréquemment activé durant la journée et
s’est attaché à sa femme comme à une mère plutôt que comme à une épouse.
Régulièrement une PE (Paul) incitait Roland à se procurer de la drogue et
tout un dispositif fut mis en place pour l’en empêcher. Une procédure pénale
pour un vol était toujours en attente et Roland avait très peur de devoir
retourner en prison où la drogue y est omniprésente. Il voyait sa stabilité
menacée par une éventuelle incarcération. Par la suite le juge décida d’une
peine pécuniaire ce qui facilita la thérapie. Roland faisait des fugues
dissociatives fréquentes et présentait des amnésies importantes pour des
périodes prolongées. Faire des séances de retraitement avec la thérapie
EMDR était, à ce stade, impensable, étant donné son instabilité sévère.
Lors de la première phase de thérapie basée sur la TDSP et la thérapie
énactive (Nijenhuis, 2017), les parties ont appris à se connaître davantage et
surtout à se respecter et à coopérer. Cela a nécessité de nombreuses séances et
beaucoup de temps et de prudence, car il fallait tenir compte de la menace de
consommation de substances et d’une dynamique interne violente entre les
parties. Par exemple Jason, une PE agressive, s’est montré d’une grande
hostilité envers les autres parties, en particulier envers Olivier. La PE Jason
correspondait à une situation lors de laquelle, jeune adolescent, il avait réussi
à se révolter et à mettre ainsi fin aux violences sexuelles horribles. Olivier est
la PE qui portait les expériences de violences sexuelles. Jason pouvait frapper
Olivier, ce qui se voyait depuis l’extérieur de la manière suivante : le poing
du patient, activé par Jason, frappait le ventre ce qui était ressenti par Olivier.
Jason ne ressentait pas du tout ce coup, mais Olivier oui. Des interventions de
type échange-exploration-partage entre les différentes parties a permis de
développer plus d’empathie entre les parties dissociatives, en particulier de
Jason envers Olivier. Ensuite, le travail thérapeutique a été consacré aux
sensations et au ressenti des PE, et Jason a pu commencer à s’autoriser à
ressentir des sensations corporelles par un partage de sensations avec d’autres
PE. Au final de ce travail systémique interne, toutes les parties pouvaient
s’apprécier et ont pu commencer à échanger des éléments de leur vécu (phase
2 d’intégration des souvenirs traumatiques). C’est à ce moment-là que des
séances d’EMD et d’EMDR ont pu être réalisées sur des images et des
sensations intrusives. Le patient put alors investir de nouvelles activités
ressources qui lui ont permis d’améliorer son estime de soi.
Dans le traitement de Roland, concernant la thérapie EMDR, trois périodes
ont un intérêt particulier et concernent le travail successif avec Olivier, Jason
et avec Lucien. Ces périodes se sont succédées, alors que dans d’autres cas le
travail avec plusieurs PE devrait se faire simultanément. La première période
qui cibla la PE Olivier fut la plus longue. C’est lui qui fut le plus
fréquemment activé pendant les deux premières années de la thérapie. Olivier
était la PE qui portait les violences sexuelles ritualisées et, en tant que PE il
subissait l’intrusion d’images de violences sexuelles exercées sur lui et sur
d’autres enfants victimes de ce groupe criminel. Des séances d’EMD ciblées
sur ces images intrusives ont été bénéfiques pour cette PE qui a pu les
intégrer. Cela lui a permis de se stabiliser davantage dans une phase précoce
de la thérapie. Olivier a ainsi été libéré de ce blocage à l’âge de 12 ans et a pu
commencer à « grandir ». C’est typiquement un moment de synthèse et de
réalisation partielle (avec personnification et présentification) durant la
séance d’EMD qui lui a permis de se débarrasser de cette souffrance.
C’est alors que la libido du patient s’est réveillée et il commença à avoir des
demandes sexuelles auprès de son épouse, ce qui perturba le couple pendant
un moment. En effet, les progrès de la thérapie amènent régulièrement à des
déstabilisations de l’équilibre précaire de ces personnes, ce qui pousse à des
modifications du plan de traitement pour s’ajuster aux demandes du patient et
aux perturbations que ces changements occasionnent.
Une deuxième période de la thérapie cibla la PE agressive Jason, qui était
également fixée sur des images de violences sexuelles ritualisées. Ces scènes
étaient encore différentes de celles rapportées par Olivier. Le travail sur ces
images par EMD et EMDR associé à un travail sur la perspective à la
première personne (Nijenhuis, 2015, 2017) ont permis à Jason de ressentir le
corps de la même manière que Roland (fusion partielle).
Le troisième moment – sans doute le plus central – fut le travail avec la PE
Lucien. Lucien étant la PE la plus jeune, fixée sur les violences familiales et
les expériences d’enfermement dans la cave par les parents (selon Roland
pendant des heures interminables, peut-être des jours ou des nuits entiers). Il
rongeait les ongles jusqu’au sang, ce qui était un souci pour Roland mais
diverses interventions comportementales n’avaient rien apporté à ce niveau.
Ronger les ongles avait permis de neutraliser la faim et le froid lorsqu’il était
enfermé dans la cave. Les autres PE ne voulaient pas partager les souvenirs
de Lucien, disant que c’était trop difficile. Il avait d’ailleurs été le dernier à
« entrer » dans la thérapie. La phobie des PAN et autres PE était donc
importante. En leur faisant remarquer qu’ils étaient tous plus âgés que Lucien
et donc sans doute plus capables de supporter ces contenus traumatiques, cela
a permis de leur faire prendre conscience qu’ils laissaient Lucien tout seul,
alors que ce dernier avait besoin de leur soutien. Une fois la phobie envers
Lucien quelque peu levée, il était possible que les autres parties acceptent de
partager très progressivement certains éléments des expériences traumatiques
de Lucien. L’expérience de la peur d’être dans le noir dans la cave fut
d’abord partagée avec toutes les PE et la PAN Roland, avant de faire l’objet
d’une séance d’EMDR pour Lucien, toujours perturbé par cet élément. Pour
ce retraitement, après avoir précisé en phase 3 de la thérapie EMDR l’image
correspondante, la Cognition Négative « j’ai peur » fut définie selon le
protocole pour enfant. La Cognition Positive était « je suis en sécurité
maintenant », la « peur » était l’émotion, et les sensations corporelles étaient
le froid et des maux de ventre. Les autres parties avaient été placées en retrait
dans un lieu de rencontre défini bien avant dans la thérapie. Durant la phase
4, il fut important de revenir fréquemment à la situation initiale afin éviter
trop d’associations vers d’autres souvenirs traumatiques et d’autres éléments
de la situation de la cave. Après cela toutes les parties se sont mises en cercle
et ont accueilli Lucien parmi eux et lui ont dit qu’ils étaient désolés de ce
qu’il ait vécu et qu’il faisait dorénavant partie du groupe. La phobie des
parties envers Lucien était ainsi maintenant bien levée. Ni Lucien, ni les
autres parties n’auraient supporté trop de matériel à la fois. Un retraitement
complet de la cible – certes limitée – fut possible en une séance et permit au
système de faire un énorme pas en avant et d’avancer dans le travail
d’intégration. Les ongles ne furent plus rongés, après 30 ans de ce
comportement extrême, et ce résultat est encore stable trois ans plus tard.
Bien sûr, la thérapie continua encore par le partage d’expériences
traumatiques entre parties en vue d’intégration et de fusion de parties, parfois
par des séances d’EMDR et d’autres fois par d’autres interventions. Des
processus – certes partiels – d’intégration et de fusion des parties
dissociatives amenèrent à une disparition des principaux symptômes
dissociatifs et une amélioration drastique de la qualité de vie du patient.
L’efficacité de telles séances isolées d’EMDR est possible parce qu’un travail
préparatoire conséquent et minutieux a été fait en amont. Dans ce cas
complexe, nous avons pu utiliser l’EMD et l’EMDR de manière
particulièrement efficace à des moments clés de la thérapie. L’EMDR a été
utilisée pour rapprocher des PE entre elles et leur faire partager de manière
contrôlée des éléments circonscrits de certains événements traumatisants.
L’EMDR est dans de tels cas une méthode d’appoint dans une thérapie
intégrative.

LES 8 PHASES DE LA THÉRAPIE EMDR DANS LE TRAITEMENT DES TROUBLES


DISSOCIATIFS

Il est important de tenir compte de la réalité intérieure de chaque personne


souffrant de TD pour aborder une séance de retraitement avec l’EMDR. Lors
d’une séance d’EMDR il faut savoir quelles sont les parties dissociatives
présentes et absentes, quelles parties devraient être présentes car portant le
souvenir, avec quelle partie il s’agit de partager le souvenir (selon son
implication dans la problématique). Il faut aussi savoir si les parties présentes
supportent ce qui va suivre (stabilité de la partie) ou si elles ont besoin d’être
assistées par une partie aidante ou encore si elles doivent être mises à l’écart
(temporairement par exemple dans un lieu sûr imaginaire) pour être incluses
dans la séance ultérieurement. Elles pourraient être incluses dans le
retraitement quand elles seraient prêtes à partager tel ou tel élément du
souvenir, selon la stabilité de la patiente et l’avancement dans la thérapie. Il
ne s’agit pas de désensibiliser des souvenirs traumatiques dans les premières
phases de la thérapie, mais plutôt de traiter les intrusions traumatiques qui
sont en tant que telles trop déstabilisantes pour une PAN ou une PE. On
traitera alors plutôt des éléments isolément comme des images, des
sensations, des cauchemars, des attaques de panique ou autres symptômes (cf.
stratégie « du bout du doigt » de Gonzalez & Mosquera, 2012 ; ou Van der
Hart et al., 2015). Il est primordial de toujours tenir compte du système entier
et d’éviter de ne travailler qu’avec la PAN mais de faire participer les PE
dans le retraitement EMDR. Le protocole EMD (Shapiro, 2019), très utile
avec les TD, consiste à désensibiliser une partie seulement du souvenir au
détriment d’autres associations, un peu comme la stratégie « du bout des
doigts ». Nous présentons maintenant des réflexions à propos des différentes
phases de la thérapie EMDR pour les personnes présentant des troubles
dissociatifs.

▶ Phase 1 : anamnèse, diagnostic et plan de ciblage

La phase 1 ne se distingue pas d’autres types de prises en charge, car c’est


lors de cette phase que l’on diagnostique un possible TD, et ne se distingue
donc pas pour les deux approches. Par contre, en cas de diagnostic ou de
suspicion d’un TD de degré élevé de sévérité on veillera à ne pas investiguer
en détail le passé traumatique. En effet, procéder à une anamnèse peut
fortement activer les souvenirs traumatiques – et les PE – et déstabiliser la
patiente (dans sa PAN). Pour cette population spécifique, avant de penser à
traiter selon le protocole standard en thérapie EMDR (les 8 phases et les trois
temps), il est important d’évaluer la structure dissociative (l’ensemble des
PAN et PE), donc de se focaliser sur la dynamique de la structure et d’en
identifier l’étendue en allant à la découverte et à la rencontre des parties
dissociatives. La question principale sera : qui fait quoi, pourquoi,
comment et depuis quand ? Cela permet de développer une vue d’ensemble et
de définir les fonctions et buts de chaque partie dissociative ainsi que leurs
systèmes d’action. La phase 1 et la phase 2 du protocole doivent souvent
s’imbriquer par exemple lorsque l’anamnèse déstabilise la patiente. Dans de
tels cas des séances d’EMD peuvent s’avérer utiles – déjà dans cette phase 1
– si des parties (PAN ou PE) subissent trop d’intrusions de symptômes
traumatiques (par exemple des cauchemars, des flashsback courts ou longs,
ou d’autres symptômes intrusifs). Dans cette phase nous recommandons de
ne pas aborder les contenus traumatiques, mais plutôt de désensibiliser le
matériel perturbant qui surgit et qui représente probablement des messages de
PE. Une attitude de bienveillance et d’intérêt (« exploration » en termes de
système d’action) permet à la patiente (dans sa PAN et dans ses PE)
d’apprendre à faire progressivement confiance à la thérapeute. Il ne s’agit pas
non plus ici d’« enlever » toute représentation de matériel traumatique, mais
plutôt de s’y intéresser. L’utilisation du protocole EMD peut ainsi avoir
comme objectif de désensibiliser des symptômes de type intrusion, sans pour
autant chercher à intégrer le trauma.
Élaborer un plan de ciblage comme on le fait habituellement en EMDR pour
les cas plus simples (comme dans le cas de dissociation primaire et certains
cas de dissociation secondaire) n’est pas possible dans les cas de TD sévères
(dissociation structurelle secondaire et tertiaire). Pour ces patients, un plan de
ciblage classique sera éventuellement possible en deuxième partie de thérapie
ou vers la fin.

▶ Phase 2 : stabilisation

La phase de stabilisation des personnes souffrant de TD est une étape


importante de la prise en charge. Nous nous référons à différentes méthodes
de stabilisation qui ont fait leurs preuves (par exemple Boon et al., 2014 ;
Dellucci, 2017 ; Forgash & Copeley, 2018/2017 ; Piedfort-Marin &
Reddemann, 2016 ; Steele et al., 2018 ; Van der Hart et al., 2015 ; et les
chapitres 18 et 21-24 dans cet ouvrage).
Dans le cas de TD, en particulier de TD sévère, nous concevons la
stabilisation comme la stabilisation du système fait de la/les PAN et de PE
plutôt que la stabilisation de la seule PAN (Piedfort-Marin, 2016). De
nombreuses manifestations comme par exemple des attaques de panique ou
encore des émotions intenses, des colères ou des moments où la personne
suffoque ou se rigidifie (comme dans un trouble de conversion) sont à
concevoir comme des manifestations de PE qui portent du matériel
traumatique. Plutôt que de vouloir faire disparaître de tels symptômes, nous
proposons de s’intéresser à ces manifestations comme un message transmis
par la PE activée. Ce message est une clé dans le traitement des TD et ne
devrait pas être mis à l’écart puisqu’il permet de comprendre le
fonctionnement interne de la personne. Avec une personne déstabilisée
temporairement on peut l’inviter à attraper une balle, respirer profondément,
se lever et faire quelques pas, ou encore faire l’exercice du contenant. Mais
on peut aussi observer et explorer avec la patiente ce qui se passe en elle et
décrire ce qui se passe à l’instant pour comprendre l’information que la PE
sous-jacente veut nous transmettre. Il est alors utile de poser des questions
comme « Qu’est-ce qui se passe ? », « Qui est là ? », « Qu’est-ce que cette
partie veut nous faire comprendre ? ». Cette action thérapeutique vise à
explorer le système et à manifester de la bienveillance et de l’intérêt à
l’encontre du monde (du système) intérieur de la patiente plutôt que de la
stabiliser rapidement dans sa PAN en évitant les PE et leurs manifestations
psychoformes ou somatoformes. Nous cherchons par ce biais également à
susciter de l’intérêt de la PAN envers ses PE pour dépasser la phobie des
parties entre elles (Van der Hart et al., 2010). Le thérapeute joue alors le rôle
de modèle.
Dans une approche plus axée sur l’EMDR, Arne Hofmann propose quatre
tests pour détecter la stabilité des patients avec un TSPT-C ou un TD. Dans
ce protocole, le premier test comporte le « test du quotidien » que Hofmann
décrit comme le test d’un fonctionnement plus ou moins « garanti » dans le
quotidien d’un(e) patient(e), dissocié(e). Selon Hofmann, il faudrait « un brin
d’ennui » dans le quotidien pour pouvoir entamer la thérapie EMDR. Si le
quotidien est totalement déstabilisé, avant de continuer avec une quelconque
intervention, on continuera à stabiliser. Le deuxième test est le « test du lieu
sûr » qui évalue la capacité du patient à maintenir un état physiologique
agréable. Si le patient ne réussit pas ce test, on continuera à stabiliser et à
développer le lieu sûr et d’autres exercices. Par contre s’il le réussit, on peut
passer au troisième test, le « test des stimulations bilatérales alternées
(SBA) ». Celui-ci permet de tester si le patient supporte les SBA de manière
prolongée, ou s’il a une aversion ou une incompatibilité à l’égard des SBA,
ce qui peut être le cas dans le TSPT-C et certains TD. Comme pour les deux
tests précédents, on continuera à stabiliser jusqu’à obtention d’un test
« positif ». Ceci permettra d’avancer vers le 4e test, le « test de l’anamnèse » :
la capacité du client à pouvoir raconter son histoire au moins partiellement. Si
le SUD est alors élevé (au-dessus de 8) on procédera en premier lieu au
CIPOS (Knipe, 2016) ou on continuera à stabiliser jusqu’à obtention d’un test
de l’anamnèse avec un SUD en dessous de 8 (cela concerne les personnes
avec un trauma complexe ou un TD uniquement).

▶ Phase 3 : évaluation de la cible

La phase 3 peut se poursuivre de manière régulière et selon les normes pour


les parties présentes, que ce soit la PAN ou une ou plusieurs PE. Des PE
peuvent avoir un âge beaucoup plus jeune que la patiente et devraient donc
bénéficier d’une prise en charge adaptée à leur âge (mental) en se basant sur
le protocole EMDR pour enfants. La focalisation sur l’image ainsi que la
recherche d’une Cognition Négative peuvent être une étape difficile par
l’activation de matériel extrêmement perturbant. Si cela devait se produire, on
peut exceptionnellement procéder directement à la phase 4. La phase 3
servant à activer la cible, le but est atteint si l’activation est intense même si
l’on ne passe pas par tous les éléments de cette phase (CN, CP, VOC,
émotion, SUD, sensations corporelles). Mais on cherchera à obtenir au moins
un SUD pour pouvoir le comparer à la fin de la phase 4. Sans Cognition
Positive identifiée dans la phase 3, il faudra veiller à en obtenir une en début
de phase 5. Le protocole du dialogue (Egli-Bernd, 2011) décrit une manière
créative pour démarrer le travail de retraitement lors de la phase 3 : la
Cognition Négative sera formulée par une PE, alors que la Cognition Positive
sera formulée par la PAN à la deuxième personne. Par exemple, la Cognition
Négative de la PE pourrait être : « Je ne suis pas aimable » et la Cognition
Positive de la PAN sera « Tu es une personne aimable ».
▶ Phase 4 : désensibilisation

Lors de la phase 4 le problème principal en cas de TD est que le patient peut


avoir trop d’émotions ou pas assez. Une préparation incohérente avec le
système intérieur peut, le cas échéant, amener à trop d’intrusions de PE non
identifiées et, par ce fait, pas encore prêtes à une phase de traitement de
souvenirs traumatiques. Ou alors la barrière dissociative est renforcée et plus
rien ne se passe. Dans un tel cas la patiente dira alors après une première série
ou quelques séries de SBA que « c’est tout bon, il n’y a plus rien ». Dans les
deux cas de figure, on devra revenir à une étape de stabilisation et
d’exploration du système interne. De manière générale lors de la phase 4, les
séries de SBA devraient être plus courtes pour éviter trop d’associations et
l’émergence d’un surplus de matériel, ce qui sera difficile à réguler pour la
patiente. De plus, il faudra plus fréquemment revenir à la situation initiale et
éviter les associations en dehors de la cible choisie. On peut également
installer des filtres imaginaires entre la PE et la PAN pour éviter qu’il n’y ait
trop de matériel qui passe d’un coup la barrière dissociative, devenue plus
perméable. Le clinicien veillera également à couper des ponts d’affect et des
associations trop importantes vers d’autres cibles potentielles. Pour les TD le
retraitement se fera autant que possible sur une seule cible pour éviter un
« trop plein » de matériel et d’émotions. Lors des formations EMDR de base,
on apprend aussi les stratégies pour accélérer ou ralentir le retraitement
(Shapiro & Laliotis, 2017/2018), comme par exemple mettre l’image en noir
et blanc. Des tissages cognitifs permettant aux PAN et aux PE de personnifier
et présentifier sont une intervention aidante durant la phase 4 (Piedfort-
Marin, 2019). Arriver à un SUD de 0 s’avérera difficile, notamment pour les
premières cibles traitées, particulièrement s’il s’agit de traumatismes répétés
(un critère important pour les TSPT-C et les TD). Plutôt que de s’acharner et
d’insister pour amener le SUD à 0, on peut faire le choix clinique de s’arrêter
lorsqu’il semble ne plus y avoir de progression. On évite ainsi que la patiente
(dans la PAN ou une PE) ne soit activée dans une Cognition Négative telle
que « je suis nulle » ou encore « je suis incapable ». Pour les TD, il faut
s’attendre au retraitement d’une cible sur plusieurs séances donc avec de
nombreuses séances incomplètes. Il sera important de veiller à arrêter le
travail EMDR à un moment propice dans la séance pour assurer la stabilité de
la patiente. Il est également important de ne pas tarder à reprendre la
prochaine séance de désensibilisation pour épargner à la patiente trop de
perturbation émotionnelle entre les séances au cas où trop de matériel
traumatique ne remonte.
Décrire en détail les différentes procédures pour faciliter l’intégration des
souvenirs traumatiques par la synthèse et la réalisation (personnification et
présentification) dépasse l’objectif de ce chapitre. Néanmoins les thérapeutes
EMDR seront intéressés à l’idée de développer leur pratique par diverses
techniques – en particulier des tissages cognitifs – adaptées à chaque cas
clinique, comme des interventions favorisant des scénarios imaginaires
réparateurs ou des tissages cognitifs ciblant plus spécifiquement une
réalisation douloureuse (Piedfort-Marin, 2019), ou encore des procédures
axées sur les aspects sensorimoteurs.

▶ Phase 5 : installation

La phase d’installation ne montre pas de complications particulières dans les


cas de TD si ce n’est la difficulté à trouver une Cognition Positive et
d’atteindre une VOC à 7. Dans certains cas c’est seulement en phase 5 que
l’on pourra définir la Cognition Positive. Il sera difficile pour ces patientes
d’atteindre une VOC à 7 avec des CP du type « je suis une bonne personne »
ou « je suis en sécurité ». On pourra alors rajouter un petit « bémol » pour
que la CP devienne plus crédible et donc faciliter une expérience positive aux
patientes. Par rapport aux CP ci-dessus on pourra alors suggérer la Cognition
Positive « Je peux apprendre à être une bonne personne » ou « je peux
apprendre à me protéger ». Pour les personnes ayant vécu des situations de
violence parfois des années durant, il est en effet très difficile d’atteindre une
VOC élevée avec une CP du type « je suis en sécurité », surtout en début du
retraitement de cibles.
On peut aussi accepter une VOC inférieure à 6 ou 7 si elle paraît écologique,
surtout en début de retraitement des cibles. Une personne avec un TD ne
pourra pas facilement changer une Cognition Négative en Cognition Positive
comme c’est le cas pour les TSPT « simples ». Le but sera plutôt d’atteindre
une VOC à 7 plus tard dans la thérapie. Par contre on essayera toujours
d’atteindre 7 et accepter une VOC plus basse sera une option lorsqu’il n’est
pas possible de monter davantage sur cette échelle.
▶ Phase 6 : scanner corporel

Arriver à ce stade avec les personnes ayant un TD, donc probablement après
de nombreuses séances de retraitement, représente un travail laborieux pour
la patiente. Il est possible d’accepter un scanner corporel incomplet, c’est-à-
dire où il n’y a pas que du positif. Après de nombreuses années de souffrance
et en tenant compte de la dissociation somatoforme, il est difficile d’obtenir
des scanners corporels positifs en début de prise en charge. Comme pour les
phases précédentes, on peut accepter des valeurs « imparfaites » et tout de
même clôturer la cible en question et avancer dans le plan de ciblage (si bien
sûr cela s’avère possible et adéquat). On peut faire l’exercice du faisceau
lumineux ou d’autres techniques pour favoriser et développer le bien-être
somatique.

▶ Phase 7 : clôture

Pour les séances inachevées comme pour les séances achevées il est conseillé
de veiller à un temps de stabilisation suffisant en fin de séance. Comme décrit
par Shapiro (2018), le processus continue entre les séances, ce qui demande
une phase de stabilisation post-séance importante ainsi que des exercices
d’auto-apaisement et de stabilisation entre les séances. Il est important de
réaliser l’exercice du contenant ou d’autres stratégies (voir aussi chapitres 2,
3 et 22) en fin de séance avant de laisser partir le patient. Pour les personnes
avec une dissociation structurelle secondaire ou tertiaire il est important
qu’elles puissent contacter le thérapeute en cas de besoin, spécifiquement si
elles devaient être surchargées par l’émergence de matériel traumatique
hautement perturbant entre les séances. La disposition du thérapeute entre les
séances doit être discutée préalablement (limite du nombre de prises de
contact, définition d’une urgence, mise en place de mesures autonomes de
régulation émotionnelle, mise en place d’un réseau de soin en cas d’absence
du thérapeute ou en cas d’urgence).

▶ Phase 8 : Réévaluation

Que la séance ait été achevée ou inachevée, chez les patients avec un TD, il
faut s’attendre à une activation importante entre les séances. On procédera
donc à une évaluation fine et différenciée lorsqu’on retrouve la patiente la
séance suivante, après une semaine ou moins. Pour un certain nombre de
patientes, il faudra davantage s’orienter vers la stabilisation avant de
reprendre un retraitement. Pour d’autres, beaucoup de matériel nouveau,
voire des levées d’amnésies se sont produites. Se pose alors la question de
continuer dans la foulée le travail EMDR sur la même cible ou de le différer.
Cela va dépendre de la stabilité de la patiente, de la montée (potentiellement
déstabilisante) d’un nouveau souvenir ou de l’apparition d’une PE encore
inconnue, ou encore de la demande de la patiente en fonction d’événements
de vie apparus les jours précédents.
On réalise donc qu’avancer chronologiquement dans le plan de ciblage est
une chose difficile, voire souvent impossible. Notre travail est comme celui
d’un joueur d’échecs jouant plusieurs parties en parallèle. Il ne faudra jamais
oublier la « constellation » sur un échiquier (un plan de ciblage), par contre il
faudra peut-être reprendre temporairement un plan de ciblage plus ancien, ou
en créer un nouveau tout en gardant en mémoire (en tout cas dans les notes)
les autres plans de ciblage.

LES 3 TEMPS DE LA THÉRAPIE EMDR DANS LE TRAITEMENT DES TROUBLES


DISSOCIATIFS

La thérapie EMDR préconise un travail en trois temps, c’est-à-dire le travail


« passé-présent-futur ». Normalement, l’élaboration du plan de ciblage
cherche à identifier le ou les problèmes actuels et hiérarchise ces problèmes
pour développer un plan de traitement avec éventuellement différents plans
de ciblage. Ces plans de ciblage sont alors abordés dans la chronologie du
temps, c’est-à-dire on démarre le travail avec le souvenir source (le souvenir
le plus ancien) et ensuite on remonte la chronologie jusque dans le présent
pour terminer avec les cibles des scénarios du futur (cf. chapitres 5, 6, 7 et 9).
Pour les personnes souffrant de TD, les problèmes dans le présent sont
multiples avec des symptômes somatoformes et psychoformes et, comme
mentionné plus haut, des intrusions traumatiques dans le présent, souvent de
la part de PE qui transmettent un message à la PAN par le biais d’un
symptôme répétitif. Le passé se révèle très chargé de situations lourdes et le
futur paraît sombre ou avec peu d’espoir. Les personnes avec un TD
complexe présentent des idées suicidaires parfois importantes. Pour les
personnes avec des dissociations secondaires et tertiaires, démarrer la
thérapie en élaborant un plan de ciblage standard partant du problème actuel
est presque toujours impossible. D’une part le présent est tellement chargé de
perturbations nombreuses (comme dans les cas de Sabine et Roland) que ce
serait presque un manque de respect d’ignorer le présent pour s’occuper
prioritairement du passé. D’autre part, activer le passé chargé et douloureux
serait trop lourd pour ces personnes déjà très instables. De plus, les personnes
présentant une dissociation secondaire ou tertiaire ont un monde intérieur
qu’il s’agit d’identifier et d’explorer avant de connaître toute l’étendue des
problèmes dans le présent et le passé.
Le consensus théorique entre les spécialistes (Boon et al., 2014 ; Gonzalez &
Mosquera, 2012 ; Shapiro, 2018 ; Van der Hart et al., 2015) est de travailler
tout d’abord sur le présent, ne serait-ce que par la stabilisation, mais aussi
d’aborder des problématiques du présent avec des séances de retraitement
(sans forcément développer un plan de ciblage), avec comme premier objectif
d’alléger le présent. Hofmann (2009) propose le protocole standard inversé
(cf. chapitre 24) où il s’agit de privilégier des cibles dans le futur proche,
comme des actions évitées alors qu’elles devraient être réalisées, ceci afin
d’améliorer la condition de vie de ces personnes. Par exemple : se séparer
d’une relation destructrice, déménager et quitter le foyer familial ou
l’appartement trop chargé de souvenirs négatifs, oser aller se présenter au
service social ou au chômage pour les uns ou oser postuler un nouveau poste
si l’ancien ne correspond pas, etc. Hofmann propose dans un deuxième temps
le travail sur les déclencheurs et les situations déclenchantes du présent, avant
de s’attaquer aux cibles du passé récent, pour terminer avec les cibles les plus
douloureuses, celles du passé lointain donc de la petite enfance. Souvent ces
dernières cibles sont très douloureuses et nécessitent donc une stabilité
accrue. Selon la TDSP les souvenirs du passé lointain sont en lien avec la
petite enfance, donc avec des PE enfant, souvent négligées et fragiles. Il vaut
donc mieux travailler tout d’abord avec les PE présentes, donc celles qui sont
actives dans le quotidien de la PAN, bien qu’elles « vivent » dans le passé
(manque de présentification). Si on a le choix, il est préférable d’attendre
avant de travailler avec les PE très jeune enfant, car ce sont elles qui ont subi
les violences et négligences à un âge si précoce que les capacités
d’intégration étaient les plus faibles. Il vaut donc mieux attendre que le
système soit plus stable et plus apte à aider les PE fragiles et négligées. Ceci
est en harmonie avec le protocole standard inversé (Hofmann, 2009).

La TDSP est aidante pour le traitement par EMDR des troubles dissociatifs et ces deux approches peuvent se compléter. La
thérapie énactive selon Nijenhuis (2017) est aidante pour l’ensemble du traitement. L’EMDR peut être utilisée comme
thérapie principale dans certains cas, et comme méthode d’appoint dans d’autres cas plus sévères de troubles dissociatifs.
Le protocole standard de base en thérapie EMDR (phases 1-8) et les traitements en trois temps (passé-présent-futur)
peuvent être intégrés dans le modèle de la TDSP. Pour pratiquer la thérapie EMDR avec ces patients, il est essentiel de
connaître leurs différentes parties dissociatives et la dynamique entre elles. Il est en effet primordial de savoir avec
quelle(s) partie(s) il convient de faire un retraitement ou une désensibilisation. L’EMD ou l’EMDR bien circonscrit
peuvent aussi permettre dans certains cas une réduction des symptômes dissociatifs en phase de stabilisation. La
connaissance de la TDSP et des concepts de synthèse et réalisation (personnification et présentification) est indispensable
pour un traitement sécurisé des personnes présentant un trouble dissociatif, en particulier complexe.

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Chapitre 20

Le protocole des empreintes


précoces

Le retraitement EMDR des mémoires préverbales


Hélène Dellucci et Gabrielle Bouvier

Les traumatismes n’attendent pas l’âge de raison pour survenir. Des ruptures d’attachement précoces (Liotti, 1999), un
environnement avec interactions teintées d’hostilité et d’indifférence (Dutra, 2009) amènent le tout-petit à sortir de sa
fenêtre de tolérance, et c’est ainsi que des réseaux traumatiques implicites se forment, provoquant des symptômes que l’on
peut retrouver à l’âge adulte.
La thérapie EMDR permet, parmi d’autres, de s’adresser à ce type de traumatisation particulière, même si ces souvenirs
sont sous amnésie. Katie O’Shea a été la première (2001) à proposer, puis conceptualiser un protocole EMDR permettant le
retraiter les empreintes traumatiques précoces (O’Shea, 2009a). En partant de ce protocole, nous avons développé une
démarche plus proche du protocole standard, permettant ainsi de bénéficier de la rigueur de l’EMDR au service du
retraitement des traumatisations préverbales.

LES EMPREINTES PRÉCOCES :


DES SOUVENIRS AVANT TOUT CORPORELS

Lorsque le ciblage s’adresse aux périodes précoces de l’expérience, nous


assistons avant tout à l’émergence de sensations corporelles, (par exemple
une sensation d’oppression), des traces mnésiques, (par exemple une
impression d’immobilité, de froid), des mouvements spécifiques (par
exemple le corps qui penche), des impressions particulières (par exemple
celle de ne pas devoir se manifester). Ce travail sur les mémoires préverbales
amène le patient à aborder principalement des thèmes d’existence et
d’attachement, tout comme les expériences négatives auxquelles le tout petit
et son entourage ont été confrontés.
Ces réseaux de mémoire contiennent avant tout des contenus implicites, pour
lesquels les patients n’ont pas de mots pour les décrire. Cependant, nous
constatons à travers ce retraitement que, non seulement le tout petit et le
nouveau-né, mais aussi le fœtus, peuvent ressentir et être influencés par
l’attitude de leur entourage, éprouver des sensations corporelles, capter des
ondes de choc d’événements qui ont touché leurs proches.
Katie O’Shea (2001) a eu l’idée de cibler directement ces périodes
préverbales, à savoir la phase fœtale, la phase autour de la naissance et celle
allant de zéro à trois ans. En utilisant l’EMDR, l’auteur propose de
désensibiliser toute émergence en termes de traces mnésiques corporelles ou
de contenus mentaux, et d’accompagner le retraitement de tissages permettant
de corriger les déficits développementaux.
Dans notre travail autour des empreintes précoces, nous avons avant tout
constaté à quel point c’était le corps qui s’exprime. Ces émergences
archaïques, qui s’expriment de manière privilégiée par la dimension sensori-
motrice sont ainsi suivies et accompagnées par des stimulations bilatérales à
un rythme particulier, et ce jusqu’à ce que le corps soit tout à fait apaisé.

INDICATIONS POUR LE TRAITEMENT


DES EMPREINTES PRÉCOCES

Les mémoires préverbales n’apparaissent souvent pas telles quelles dans la


vie d’adulte. Les personnes venues consulter se présentent en thérapie avec
des plaintes décrivant un malaise vague, une sensation de mal-être, des
dépressions récurrentes, des addictions, des troubles dissociatifs, des troubles
de la personnalité avec des difficultés relationnelles, des fragilités
d’attachement, des somatisations, des zones d’amnésie plus ou moins
étendues, des phobies multiples ou un syndrome anxieux généralisé. Il n’est
pas rare que ces patients décrivent des relations familiales complexes, des
échecs récurrents dans la relation amoureuse, une difficulté à prendre leur
place dans différents domaines de leur vie, et ce malgré de nombreuses
tentatives et une motivation certaine.
Katie O’Shea (2006, 2009a) propose des indications additionnelles :
l’adoption, des placements multiples, une grossesse et/ou un accouchement
traumatiques, la détresse physique ou/et émotionnelle de la mère pendant la
grossesse, l’accouchement ou après, des hospitalisations et des chirurgies
précoces, des maltraitances, des négligences, un syndrome d’exposition à
l’alcool du fœtus, des troubles du spectre autistique, des troubles de déficit de
l’attention et d’hyperactivité, des troubles du sommeil, de l’alimentation ou
de l’élimination chez le tout-petit, lorsque le discours devient incohérent ou
bien toute intuition que le malaise puisse être en lien avec une période
ressentie comme précoce.

LES EMPREINTES PRÉCOCES DANS LE PLAN DE TRAITEMENT

Notre choix de proposer le travail sur les empreintes précoces s’adresse à


toute personne souffrant de traumas complexes, dans le but de restaurer les
fondements de l’attachement et de la construction du Moi. En termes TAI,
nous dirons que nous nous adressons aux mémoires source en deçà des
souvenirs source, et ce quelle que soit la problématique abordée.
Le plan de ciblage autour des mémoires préverbales contient déjà trois cibles
distinctes, à savoir la période fœtale, celle autour de la naissance, et la
période de 0 à 3 ans. À cela peuvent venir s’ajouter des événements précis
connus, par exemple un décès ou un accident d’une personne importante
pendant cette période. Dans le cas de traumatisations avec une dissociation
marquée, s’ajoutent également des blessures relationnelles avec les donneurs
de soin, qui lorsque le processus se bloque, peuvent faire l’objet d’un ciblage
à part, pour ne s’adresser qu’à cette dimension relationnelle. Lorsque le bébé
a été un déclencheur pour les propres empreintes précoces des parents, une
dimension transgénérationnelle s’ajoute à ce plan de ciblage. Il s’agit avant
tout d’une liste de cibles du passé.
En termes de scénario du futur, restaurer la fonctionnalité de ce socle
d’expériences intra et intersubjectives amène les personnes à sécuriser leurs
attachements, à développer une meilleure acuité de leurs besoins avec une
capacité accrue de mettre des limites constructives et à augmenter leur estime
de soi.
PRÉPARATION AVANT LES EMPREINTES PRÉCOCES

Avant de proposer le travail sur les empreintes précoces, il est nécessaire que
soit établie une bonne relation thérapeutique, car la qualité d’un contact
bienveillant et soutenant de la part du thérapeute, la confiance et la
motivation de s’engager dans ce travail de la part du patient, sont nécessaires.
Pour cela il faut que le patient soit suffisamment stabilisé, c’est-à-dire qu’il
soit capable de s’apaiser lui-même, qu’il ait une bonne tolérance à l’affect, et
qu’il vive dans un environnement pas trop hostile.
Katie O’Shea propose d’apprendre au patient de se sentir en sécurité dans un
endroit sécure, par exemple le cabinet du thérapeute. À ce titre, effectuer des
exercices d’ancrage corporels et des exercices d’orientation avec l’aide du
thérapeute peuvent être utiles, de façon à arriver à un apaisement du corps
dans l’ici et maintenant.
Ensuite, l’auteur propose la mise en place d’un contenant (Kluft, 1998),
permettant de mettre de côté tout trauma sur lequel ne porte pas directement
le travail. Fractionner ainsi l’exposition nous permet d’éviter de toucher trop
de réseaux traumatiques à la fois.
Un autre exercice de stabilisation que propose Katie O’Shea (2009b) est la
« remise à zéro1 » des émotions, avec le but de restaurer la fonctionnalité des
ressources émotionnelles. Les émotions sont abordées l’une après l’autre,
avec un retraitement hors trauma. La tolérance à l’affect ainsi restaurée
permettra un travail sur les traumatismes de manière plus sécurisée.
Ajoutons que pour une stabilisation soit réussie, il sera important d’installer
un lieu sûr, même si cette démarche peut se faire par étapes. Plus les patients
souffrent de traumas complexes, plus un lieu sûr imaginaire peut s’avérer
utile, car ce dernier n’est pas en lien avec l’expérience négative du patient. Il
peut être nécessaire de combiner l’installation du lieu sûr avec des exercices
d’apaisement corporels ou de pleine conscience.
Finalement, cette étape de préparation nécessite d’obtenir le consentement
éclairé du patient, de lui expliquer la démarche, de répondre à ses questions et
de désensibiliser au préalable toute crainte ou appréhension que cela suscite
(voir chapitres sur le Protocole Inversé et la Boîte de Vitesses).
Lorsqu’il y a présence d’un attachement désorganisé, nous pouvons partir du
principe que, outre la traumatisation dont il a fait l’objet, le tout-petit n’a pas
encore reçu de réponse adéquate. Nous ajoutons alors l’installation d’une
ressource d’accordage fondamental, que ce soit par l’EMDR (Dellucci, 2018)
ou l’ICV2 (Smith, 2018), et qui consiste en une installation de ressource,
permettant à au patient adulte de prendre soin adéquatement de sa dimension
bébé. Ce travail facilitera grandement le retraitement des traumatismes
préverbaux.
Veuillez poser un cadre prédictible : « Nous allons aborder trois périodes
distinctes : d’abord la période fœtale, avant votre naissance, puis le moment
autour de votre naissance, et ensuite la période de 0 à 3 ans. Il est normal
que nous n’ayons aucun souvenir conscient de ces périodes. L’auteur du
protocole, Katie O’Shea dit que s’il y a des empreintes traumatiques, notre
corps et notre cerveau les trouvent immédiatement.
Je vous demanderai de laisser venir simplement, en ne jugeant pas ce qui
émerge. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse. Ce qui vient peuvent être
des pensées, des images, des impressions, des sensations corporelles ou des
émotions. Celles-ci peuvent être impressionnantes, et tout ce que vous aurez
à faire est de regarder défiler les choses qui vous viendront en tête, tout en
faisant attention et en suivant ce qui se passe dans le corps. De mon côté, s’il
y a une émotion, j’aurai tendance à continuer les stimulations jusqu’à ce
qu’elle s’apaise, puis nous ferons une pause et après une respiration je vous
demanderai ce qui vous vient.
Nous n’allons jamais rechercher de vérité, ni de souvenirs. Ce qui peut
émerger peuvent être des choses que vous pouvez avoir vécues, ou perçues,
voire captées, ou alors qui ont pu être transmises. Nous ne le savons pas. Si
quelque chose émerge, j’aurai tendance à juste vous accompagner, et votre
cerveau et votre corps le traiteront.
Vous pouvez dire STOP à tout moment si vous en avez besoin. Comment
allez-vous dire stop ? (Attendre le signal de la personne)
Les stimulations bilatérales se font par tapotements. Est-ce que vous préférez
les tapotements sur les genoux, ou bien préférez-vous les mains ? » (Veuillez
montrer les différents types de tapotements de façon que le patient puisse
choisir ceux qui lui conviennent)
Il sera important que le thérapeute prenne du temps pour ces explications, et
s’assure que la personne ait bien tout compris.

LE PROTOCOLE DES EMPREINTES PRÉCOCES :


COMMENT CONCRÈTEMENT ?

Nous proposons de cibler l’une après l’autre, les trois périodes-clé du plan de
ciblage. Katie O’Shea proposait à l’origine un protocole sans cognitions.
Tout en restant fidèles à l’auteur, en ne demandant pas de cognitions en phase
3, nous avons cependant constaté que rapprocher ce travail du protocole
EMDR standard, en établissant un SUD en fin de phase 4, et en ajoutant une
phase d’installation et un scanner du corps pouvait être bénéfique.

▶ La phase fœtale

Phase 3 : évaluation

Après avoir posé un cadre prédictible, le ciblage de la phase fœtale se fait


comme suit :
« Lorsque vous pensez à vous,
en tant que fœtus,
porté par votre maman,
dans son ventre,
pendant la grossesse,
qu’est-ce qui vous vient ? »
Même si l’EMDR n’est pas assimilable à l’hypnose, il est utile de prononcer
cette phrase, comme s’il s’agissait d’une induction invitant à une régression
d’âge, avec une prosodie apportant une information après l’autre.
Quelle que soit la réponse du patient (en termes d’images, de pensées), nous
invitons le thérapeute à explorer aussi les réactions corporelles : « Et votre
corps, comment réagit-il ? »
Phase 4 : désensibilisation

Les stimulations bilatérales (SBA) se font par tapotements. Pendant cette


phase, les SBA se font au rythme des battements cardiaques d’un adulte.
O’Shea indique que c’est le son qu’entend le fœtus pendant cette période de
vie.
Le travail de désensibilisation continue jusqu’à ce qu’il y ait deux éléments
positifs ou neutres. Le retour à la cible se fait à travers la phrase d’amorce
décrite ci-avant. Les canaux successifs sont retraités, jusqu’à ce que le retour
à la cible ne donne plus que des contenus non spécifiques sous forme d’une
image indiquant un fœtus comme dans les livres, qui vit sa vie tranquille de
fœtus, avec un corps qui est apaisé. Un fœtus en noir et blanc par exemple ne
constitue pas une fin de retraitement, un fœtus qui ne bouge pas non plus.
Le travail autour des empreintes précoces se fait par thèmes. Pendant la phase
fœtale, le thème central concerne l’existence même. Les personnes expriment
des contenus comme : « ma mère était perdue, personne ne se doute de moi »,
« ma mère se demande si elle va me garder », « mon père n’est pas content »,
« une impression de n’être connecté à rien » ou bien des sensations « il y a
beaucoup de bruit », « ça secoue dans tous les sens », « une sensation vague
de ne pas être en sécurité », avec des réactions du corps qui peuvent être
impressionnantes : « une impression que je ne peux pas bouger », « le corps
qui se vrille », « une sensation de coton », « des nausées », puis les
associations successives peuvent concerner d’autres moments de vie, comme
la naissance, des événements survenus plus tard, pouvant aller jusqu’à des
associations concernant la vie actuelle. Tous les contenus émergents ont
comme point commun cette thématique d’existence. Quels que soient ceux
qui émergent, le travail d’accompagnement se fait avec les SBA de la phase
fœtale, et le retour à la cible se fait aussi vers cette période-là.
Parfois des personnes indiquent une réponse du corps « figé », ou « c’est
silencieux » ou « rien ». Nous invitons le thérapeute à faire la différence entre
« rien », qui constitue un contenu, certes montrant une sous-activation
comme faisant partie d’un réseau neuronal en retraitement, et un corps
détenu, calme. Nous invitons ainsi le patient à localiser ce « rien », et nous
continuons le retraitement. Parfois des contenus comme « c’est blanc », « je
vois du noir », ou des images de couleurs, voire une image montrant une
photo de la mère enceinte, sont évoqués. Quels qu’ils soient, tant que le
processus n’est pas bloqué, le travail de retraitement continue.
Lorsqu’au retour à la cible, le patient ne donne plus que des contenus positifs,
et évoque un fœtus qui va bien, avec un corps apaisé, nous mesurons le SUD.
Dès que le SUD = 0, nous passons à la phase d’installation.
Phase 5 : installation

Comme il n’y a pas de cognition positive qui a été demandée pendant la


phase 3, nous posons la question maintenant : « Quand vous pensez au fœtus,
tel qu’il vous apparaît maintenant, quels sont les mots qui vous viennent à
l’esprit, et qui disent quelque chose de positif sur vous ? ». Une fois la
cognition positive formulée et la VoC mesurée, l’installation se fait jusqu’à
VoC = 7.

Phase 6 : scanner du corps

Faire le scanner du corps comme d’habitude : « Je vous invite à fermer les


yeux, et à penser à vous en tant que fœtus, et à ces mots … (répétez la
cognition positive), et à passer en revue votre corps en entier, de la tête aux
pieds, et me dire si vous remarquez quelque chose d’inhabituel. » Veuillez
retraiter toute sensation désagréable restante et refaire le scanner corporel
jusqu’à ce que celui-ci soit neutre.

▶ La phase néonatale

Phase 3 : évaluation

La phase autour de la naissance se cible comme suit :


« Quand vous pensez à vous,
en tant que nourrisson,
à la naissance,
qu’est-ce qui vous vient ? »

Phase 4 : désensibilisation

Ici aussi, la désensibilisation se fait par tapotements, mais cette fois au


rythme cardiaque d’un nouveau-né. K.O’Shea évoque que dans nos contrées,
c’est ce que le nouveau-né entend, l’ouïe étant le sens le mieux développé
avant la naissance.
Les contenus sont souvent bien plus précis, et les réponses émotionnelles plus
fortes : « une impression de carrelage blanc », « des bruits forts », « du
froid », « de l’agitation », « une difficulté à respirer », « un toucher qui
devient douloureux ». Ici aussi, le travail de désensibilisation se fait tout au
long du canal mnésique, jusqu’à évocation de deux éléments positifs ou
neutres. Ensuite, le retour à la cible se fait avec la phrase décrite ci-avant.
Les thèmes travaillés pendant cette phase concernent avant tout
l’attachement. Il arrive que le patient évite cette dimension en n’évoquant que
des contenus concernant le nouveau-né. Les associations, après l’apaisement
du corps, amènent un nouveau-né dans une bulle, tranquille et calme. Dans la
mesure où l’attachement est primordial, nous invitons le patient à imaginer
comment ce nouveau-né a été accueilli dans la famille. La perturbation que
cette question suscite, pourra être désensibilisée, si nécessaire avec des
tissages pour amener à ce nourrisson une réponse adéquate.
Ici aussi, des contenus tout au long de la vie peuvent émerger et sont retraités.
Le retour à la cible se fait sur la dimension néonatale. Si le retour à la cible ne
produit plus que des images apaisées d’un nourrisson en lien avec une figure
d’attachement, un corps apaisé, nous mesurons le SUD. Dès
SUD = 0, nous passons à la phase d’installation

Phase 5 : installation

La cognition positive doit encore être trouvée : « Quand vous pensez au


nourrisson, tel qu’il vous apparaît maintenant, quels sont les mots qui vous
viennent à l’esprit, et qui disent quelque chose de positif sur vous ». Une fois
la cognition positive formulée et la VoC mesurée, l’installation se fait jusqu’à
VoC = 7.

Phase 6 : scanner du corps

Faire le scanner du corps comme d’habitude : « Je vous invite à fermer les


yeux, et à penser à vous en tant que nourrisson, et à ces mots … (répétez la
cognition positive), et à passer en revue votre corps en entier, de la tête aux
pieds, et me dire si vous remarquez quelque chose d’inhabituel. » Veuillez
retraiter toute sensation désagréable restante et refaire le scanner corporel
jusqu’à ce que celui-ci soit neutre.

▶ La phase de zéro à trois ans


Le travail sur les deux périodes précédentes a permis de retraiter les
dimensions les plus fondamentales. La suite du travail de retraitement se fait
en général sans complications.

Phase 3 : évaluation

Le ciblage de cette période de zéro à trois ans se fait en incluant le prénom


d’usage donné au patient :
« Lorsque vous pensez à la petite/au petit [prénom],
de zéro à trois ans,
qu’est-ce qui vous vient ? »
Il arrive que les personnes indiquent comme première association une photo
d’eux lorsqu’ils étaient petits, avant que d’autres contenus ou des réponses
plus intenses n’émergent.

Phase 4 : désensibilisation

Les SBA se font ici à un rythme habituel en EMDR, soit par tapotements, soit
par mouvements oculaires. Les contenus abordés concernent surtout les
événements qui se sont déroulés dans cette période de vie, comme des
hospitalisations, des séparations, des événements survenus dans la famille,
comme des deuils, des accidents, etc.
La fin de la période de zéro à trois ans se montre avec un tout-petit capable
d’insouciance, avec un corps détendu et un Sud = 0.

Phase 5 : installation

La cognition positive est recherchée : « Quand vous pensez au petit/à la


petite (rappeler le prénom usuel de cette époque), quels sont les mots qui vous
viennent à l’esprit, et qui disent quelque chose de positif sur vous ? ». Une
fois la cognition positive formulée, et la VoC mesurée, l’installation se fait
jusqu’à VoC = 7.

Phase 6 : scanner du corps

« Je vous invite à fermer les yeux, à penser à la petite/au petite (prénom


usuel) et à ces mots … (répétez la cognition positive), et à passer en revue
votre corps en entier, de la tête aux pieds, et me dire si vous remarquez
quelque chose d’inhabituel. » Veuillez retraiter toute sensation désagréable
restante et refaire le scanner corporel jusqu’à ce que celui-ci soit neutre.

▶ Tissages utiles

Au-delà du processus de désensibilisation, il peut être utile d’inviter la part


adulte du patient, à prendre soin du fœtus, du nouveau-né ou du tout petit. Le
thérapeute peut s’aider de tissages comme : « de quoi ce petit bout aurait-il
besoin ? », ou bien « que pouvez-vous faire pour ce fœtus/nourrisson/petit
pour qu’il/elle puisse aller bien ? », amorçant un travail avec l’enfant
intérieur, jusqu’à ce que les besoins développementaux de celui-ci soient
assouvis.
Dans ce travail sur les empreintes précoces, les ressentis et les associations
peuvent revêtir une apparence « bizarre » : des mouvements involontaires,
des impressions venues de nulle part, des ressentis de sous-activation, des
mots inhabituels pour décrire cet éprouvé, par exemple : « une gangue sur les
avant-bras. » Quels qu’ils soient, nous suggérons au clinicien d’inviter le
patient à se « laisser ressentir cela comme n’importe quelle autre émotion. »
Cette démystification des contenus émergeants permet de rester centré sur
l’avancée du retraitement.

CHANGEMENTS OBSERVÉS APRÈS LE RETRAITEMENT


DES EMPREINTES PRÉCOCES

Tout contenu, fondamentalement, appartient au patient. Nous ne faisons pas


d’exception pour ceux concernant ce travail sur ces périodes préverbales.
C’est le patient qui mettra un sens, et ce quel que soit le degré de véracité de
l’éprouvé ressenti. Néanmoins, il n’est pas rare, lors de la réévaluation, de
voir des patients rapporter des confirmations de la part de leurs parents, restés
pantois devant les questions que leur pose leur enfant sur des aspects dont ils
se croyaient les seuls détenteurs.
À l’issue du travail sur les empreintes précoces, le retraitement des autres
souvenirs du passé se fait souplement.
C’est notre tâche de thérapeutes d’être attentifs aux changements que les
patients mettent en œuvre dans l’intervalle des séances. Ceux que nous
pouvons observer après le travail sur les empreintes précoces peuvent se
révéler à la fois discrets et fondamentaux. Fondamentaux, car portant sur des
modifications de comportements, de réactions, de schémas tout entiers.
Discrets, car les patients les mettent en œuvre sans se rendre compte qu’il y a
eu changement, comme si les symptômes avant n’avaient jamais existé.
L’aide du thérapeute consiste à les rendre conscients et explicites. Nous
encourageons de ce fait une réévaluation suffisamment fouillée à chaque
reprise de séance.
Les changements observés chez les patients sont de plusieurs ordres : ils
semblent davantage en lien avec leurs besoins et arrivent à mettre des limites
permettant de respecter ces derniers. D’autres changements que nous
observons concernent une sécurisation des relations d’attachement, et une
meilleure estime des patients envers eux-mêmes. Certaines personnes
trouvent ou retrouvent des passions qui leur permettent de vivre une vie avec
davantage de sens, d’autres font face aux défis de leur quotidien avec plus de
solidité.

PARTICULARITÉS À PRENDRE EN COMPTE DANS LE TRAVAIL AUTOUR DES


EMPREINTES PRÉCOCES

Le retraitement des empreintes précoces dure en moyenne entre trois et


quinze heures. Nous ne pouvons pas prédire à l’avance combien d’empreintes
traumatiques seront trouvées et retraitées. En l’absence de mémoires
préverbales traumatiques, ce travail se résumera à une installation de
ressources.
Même si le retraitement des mémoires préverbales peut se montrer puissant et
efficace, les empreintes précoces ne se modifient pas entre les séances. À la
séance suivante, la personne retrouve exactement le travail de retraitement à
l’endroit où il a été suspendu auparavant, et ce quelle que soit la durée de
l’intervalle entre ces deux séances. Nous n’avons à ce jour pas d’explications
pour ce phénomène, même si des pistes épigénétiques commencent à se
dessiner.
Le travail sur les mémoires préverbales peut se faire avec des adolescents,
pourvu qu’ils soient d’accord et motivés. Dans ce cas, nous proposons un
dispositif de thérapie individuelle.
Lorsque le travail sur les empreintes précoces se fait avec des enfants, nous
utilisons le support de l’histoire narrative. Ce travail implique les parents, en
amont pour la construction de l’histoire, et au moment où elle sera lue et
retraitée avec l’enfant et plus tard sa fratrie. Il sera important que l’histoire,
qui peut être métaphorique, soit construite dans la perspective de l’enfant. Un
travail préparatoire avec les parents permettra que ceux-ci puissent lire
l’histoire en ayant un SUD inférieur à 5.
Une dernière remarque concerne la question de savoir s’il s’agit de vrais ou
de faux souvenirs. En psychothérapie, nous ne recherchons pas de vrais
souvenirs. Nous travaillons sur le récit du patient, ses objectifs, son désir de
changement. Cela nous amène à dire que nous travaillons sur des contenus
mentaux que les personnes retraitent. Ensuite, nous explorons les
changements survenus entre les séances et l’adéquation de ceux-ci par rapport
aux souhaits de la personne.

La possibilité d’étendre la thérapie EMDR au retraitement des empreintes précoces constitue une démarche puissante, au
service de changements fondamentaux chez la personne.
Notre expérience avec ce travail sur les mémoires préverbales nous amène à pousser tout psychotraumatologue à
considérer et à aborder cette période cruciale du début de la vie. Les patients qui s’engagent dans un tel travail, montrent
des changements fondamentaux de l’ordre d’une sécurisation de leurs attachements, une plus grande prise en compte de
leurs besoins, une meilleure capacité à négocier leurs limites et une estime de Soi améliorée et ce de manière totalement
intégrée entre la pensée, le ressenti et l’action comportementale.
Classiquement en EMDR, il fallait connaître le souvenir, pour pouvoir le traiter. Aujourd’hui, nous savons que ce n’est
plus nécessaire. Le protocole des empreintes précoces permet aux thérapeutes bien formés d’accéder aux blessures
provenant d’une période où il n’y avait pas de mots pour les nommer et d’aider les patients à s’en affranchir.
Cependant, même si les observations cliniques sont encourageantes, la recherche clinique paraît indispensable pour
objectiver celles-ci.

BIBLIOGRAPHIE

DELLUCCI, H. (2018). Quality IContrer l’attachement désorganisé par


l’installation d’une ressource d’accordage fondamental avec l’EMDR.
Papier présenté à la 20e conférence EMDR Europe à Strasbourg, France.
DUTRA L., BUREAU J.F., HOLMES B., LYUBCHIK A., LYONS-RUTH K. (2009).
Quality of early care and childhood trauma : a prospective study of
developmental pathways to dissociation. Journal of Nervous & Mental
Disease, 197(6) p. 383-390.
KLUFT R.P. (1998). « Playing for time : temporizing techniques in the
treatment of multiple personality disorder », American Journal of Clinical
Hypnosis, 32, 90 – 98.
LIOTTI, G. (1999). Disorganization of attachment as a model for
understanding dissociative psychopathology. In J.Solomon & C.George
(Eds.), Attachment disorganization (pp. 297-317). New York : Guilford
Press.
O’SHEA M.K. (2009a). The EMDR early trauma protocol. In R. Shapiro (Ed.)
EMDR Solutions II : for Depression, Eating Disorders, Performance and
More, New York, W. W. Norton & Company.
O’SHEA M.K. (2009b). EMDR friendly preparation methods. In R. Shapiro
(Ed.) EMDR Solutions II : for Depression, Eating Disorders, Performance
and More, New York, W.W. Norton & Company.
O’SHEA M.K. (2006). Rebuilding the Foundation. Reconnecting the Self.
Atelier présenté au Congrès EMDR Europe à Istanbul, Turquie.
O’SHEA M.K. (2001) Accessing and repairing preverbal trauma and neglect.
Papier présenté au Congrès EMDR Canada, Vancouver, Colombie
Britannique, Canada.
SMITH, J. (2018). À la rencontre de son bébé intérieur. Paris, Dunod.

Notes
1. En anglais, l’auteur appelle cette pratique : resetting emotions.

2. L’Intégration du Cycle de la Vie, une approche thérapeutique mise au point par Peggy Pace.
Chapitre 21

Le protocole des lettres

Une méthode douce


permettant le retraitement
de traumatismes relationnels
Hélène Dellucci

En psychotraumatologie des cas complexes et chroniques, nous savons que les traumatismes relationnels sont
particulièrement importants et envahissants. Les patients se sont construits avec ces apprentissages qui continuent de teinter
leurs relations actuelles. Étant donné le nombre important d’occurrences traumatiques, et leur caractère le plus souvent
implicite, la question se pose de disposer d’une méthodologie spécifique pour traiter ce type de traumatisation. Cette
réflexion est d’autant plus importante, lorsque le retraitement sur les situations traumatiques, auxquelles ces blessures
relationnelles s’invitent, bloque ou devient laborieux. Notre proposition va dans le sens d’un fractionnement de la cible,
pour nous adresser d’abord et avant tout à la blessure relationnelle. À travers le protocole des lettres, proposons un
protocole spécifique, qui par sa douceur permet d’avancer de manière intégrative.

LES TRAUMATISMES DU LIEN, UNE DIMENSION SPÉCIFIQUE

À moins de limiter le traitement psychotraumatologique aux seules


catastrophes naturelles et aux accidents sans implication humaine, la majorité
des traumatismes contiennent une dose certaine de blessures relationnelles.
Si nous distinguons ces deux dimensions du traumatisme, à savoir la part de
blessure individuelle (la surprise devant un événement inattendu, la douleur
subie, le débordement émotionnel…) et la part de blessure d’ordre relationnel
(le vécu de trahison, l’absence d’empathie, la perte de confiance, le manque
de soutien…), nous pouvons affirmer qu’aborder un souvenir traumatique
implique le travail sur ces deux dimensions simultanément.
Le retraitement d’un souvenir traumatique ne portera donc pas uniquement
sur l’événement choisi, mais impliquera une multitude de ramifications
relationnelles en lien avec celui-ci. S’il s’agit d’une relation faite d’un
attachement suffisamment bon, nous pouvons partir du principe que la dose
de traumatisation du lien accompagnant la blessure individuelle n’est pas trop
élevée, et le retraitement de ces deux dimensions pourra se faire dans de
bonnes conditions.
Si par contre un événement traumatique vient se greffer sur une relation
chargée d’une multitude d’événements négatifs, nous risquons d’activer tous
ces éléments associés lorsque nous ciblons ce trauma que nous croyions si
bien isolé. Ainsi, un événement apparemment simple peut devenir le
déclencheur d’un vaste ensemble de réseaux neuronaux chargés en affect
négatif non encore métabolisés. Plusieurs réseaux traumatiques à forte charge
émotionnelle qui s’activent en même temps risquent de mener au mieux au
blocage, au pire à une déstabilisation majeure. Ces liens souffrants, au lieu de
s’assainir, sont susceptibles d’ouvrir la boîte de pandore précédemment
évitée avec soin.
Outre la nécessité d’une stabilisation spécifiquement relationnelle (Dellucci
et Bertrand, 2012), notre premier objectif sera de cibler les blessures
relationnelles, avec l’espoir de voir s’assainir un certain nombre de relations
d’attachement, pour ensuite aborder les événements traumatiques de manière
plus sécurisée avec le protocole EMDR standard.

LE PROTOCOLE DES LETTRES

À partir d’une stabilisation suffisamment établie, les blessures relationnelles


peuvent être abordées spécifiquement à travers une lettre écrite à un
destinataire. Il est nécessaire que le patient puisse disposer d’un contenant
pour permettre le ciblage fractionné.

▶ L’écriture de la lettre
C’est le patient qui écrit une lettre à la personne avec laquelle il y a un lien à
assainir. Le thérapeute invite le patient à écrire :
comme si le destinataire (cible) pourrait tout comprendre, tout entendre,
même si dans la réalité cela n’est pas vrai ;
sans se censurer : avec les mots qui viennent droit du cœur, jusqu’au
sentiment d’avoir écrit tout ce qu’il avait à dire.
L’écriture de la lettre peut se faire comme une tâche entre deux séances, ou
juste avant la séance, voire en séance pendant un temps restreint (10 min).
Cette lettre ne sera bien sûr pas envoyée, elle servira come une base de travail
pour le retraitement.
Certains patients, rien que l’idée d’écrire une lettre à une personne
importante, suscite une peur bloquante, même s’ils ne remettent pas en
question l’utilité de cette démarche. Cette peur pourra être abordée avec un
protocole EMDR standard, hors trauma, c’est à dire en confinant tous les
événements traumatiques du passé dans le contenant. Cette peur, même si elle
a pu être intense, constitue une petite cible, qui sera rapidement retraitée, ce
qui ouvrira la voie au travail sur la cible relationnelle.

▶ Le protocole des lettres en 8 étapes

1. Vérifiez le lieu sûr :


les images reviennent-elles facilement ?
est-ce que se projeter dans le lieu sûr apaise le corps ?
le lieu sûr reste-t-il sûr d’une séance à l’autre ?
Vérifier le signal Stop, la position des chaises, le choix des SBA, la bonne
distance, la motivation de travailler toujours sur cette relation.
6. Rendez-vous prédictible en expliquant la procédure1 :
« Je vous demanderai de lire votre lettre à voix haute. Dès qu’il y aura une
émotion ou une sensation corporelle qui émergera, nous arrêterons la
lecture, et je vous propose de faire des stimulations bilatérales, en suivant
ce qui se passe dans le corps, jusqu’à ce que tout soit à nouveau calme.
À ce moment, je vous demanderai de revenir à votre lettre, à la phrase
avant celle qui a déclenché l’émotion, et vous pourrez continuer à lire,
jusqu’à la prochaine émotion, et alors nous referons des stimulations.
Nous allons parcourir ainsi la lettre jusqu’à la fin.
Il se peut que je vous interrompe pour vous demander ce que vous
ressentez. Je vous demanderai toujours de localiser ce que vous ressentez
dans le corps.
Quand toute la lettre sera lue, je vous proposerai de revenir au début et de
la relire d’un trait, comme un scanner du corps, c’est-à-dire en faisant très
attention à ce que vous ressentez dans votre corps, juste pour voir si nous
n’avons rien oublié. Est-ce que ça va ? » (S’assurer de la compréhension et
de l’accord du patient).
11. Explorez s’il y a déjà une émotion/sensation avant la lecture à voix haute :
« Avant de commencer à lire, ressentez-vous déjà quelque chose ? »
Si oui : commencez les SBA, vous êtes déjà à l’étape 4 ;
Si non : demandez au patient de commencer la lecture.
14. Pendant que le patient lit son texte à voix haute, le thérapeute est attentif à
sa dimension non-verbale, pour identifier tout changement indiquant
qu’une émotion mériterait d’être retraitée. Cela peut provenir d’indications
visuelles, d’un changement de voix, ou bien d’un contenu particulier.
Dès qu’une émotion ou une sensation corporelle se manifeste : demandez
au patient de localiser la perturbation dans son corps et de centrer son
attention sur cet endroit, et faites des SBA.
Suivez la chaîne associative et les changements dans le corps en
continuant des séries de SBA, jusqu’en fin de canal : deux éléments
neutres ou positifs et le corps du patient qui est calme.
17. Demandez au patient de revenir à la phrase avant celle qui a déclenché
l’émotion, et demandez-lui de continuer la lecture à voix haute.
Il est intéressant d’attirer l’attention du patient sur le changement qui se
produit à l’endroit où auparavant il y a eu une émergence émotionnelle, en
lui demandant : « et maintenant, qu’est-ce que vous notez ? » Le patient a
ainsi l’opportunité de constater que ce qui était problématique avant ne
l’est plus maintenant : cela l’aide à construire une histoire à petits succès
et à en prendre conscience.
19. Répétez les étapes 3 à 5 jusqu’à ce que toute la lettre soit parcourue.
20. Scanner du corps : « Fermez les yeux. Concentrez-vous sur le destinataire
et votre lettre, et passez en revue mentalement votre corps en entier, de la
tête aux pieds. Si vous remarquez une sensation inhabituelle, dites-le
moi. »
Si une sensation est rapportée, faites une série de SBA. Si la sensation est
positive ou confortable, faites une série de SBA pour renforcer la
sensation positive. Si la sensation signalée est inconfortable, retraitez
jusqu’à ce que l’inconfort diminue.
Ensuite, demandez au patient de relire la lettre en restant en lien avec son
corps : « veuillez relire la lettre, en vérifiant avec votre corps si tout est en
ordre, que nous n’avons rien oublié. »
S’il n’y a pas d’autre matériel qui émerge, le travail sur cette cible
relationnelle est terminé.
24. Clôture : félicitez la personne, et clôturez la séance comme d’habitude en
EMDR.
Clôture d’une séance où le travail de la lettre n’est pas terminé : demandez
au patient de marquer l’endroit de la lettre où la lecture s’arrête, en lui
assurant que vous allez continuer à la prochaine séance.
Demandez au patient de « mettre dans le contenant tout ce qui n’est pas
fini d’être traité », puis demandez-lui « de faire un tour dans son lieu
sûr » jusqu’à ce que vous remarquiez que son corps est complètement
apaisé.
Finissez ensuite la clôture comme d’habitude, en demandant au patient ce
qu’il a appris ou gagné de ce travail. Cela invite à faire une synthèse du
travail accompli et permet au patient de se projeter dans l’entre-deux
séances, éventuellement avec un micro-objectif, qui soit suffisamment
petit, pas trop coûteux, et qui va en direction de ses souhaits.

▶ La réévaluation

À la séance suivante, faites une réévaluation comme d’habitude en EMDR.


Veuillez explorer :
comment le patient est rentré après la dernière séance ?
s’il y a eu une déstabilisation ou bien le patient est-il resté stable ?
en cas de déstabilisation, explorez comment le patient est arrivé à se
restabiliser ;
évaluez si vous pouvez continuer avec le travail sur la lettre, ou s’il est
nécessaire de centrer le travail sur une peur émergeante, une émotion
prépondérante ou si du matériel dissociatif émerge qui mériterait qu’on s’y
arrête ;
s’il y a eu des changements, et si oui : veuillez explorer en détail comment
le patient a réussi à les mettre en œuvre. Cela renforcera son autonomie ;
veuillez évaluer les changements dans la relation avec le destinataire de la
lettre ;
notez d’autres éléments, prises de conscience, rêves, cauchemars…

▶ Reprise d’une séance incomplète

Veuillez retourner à l’endroit marqué dans la lettre, et reprenez au paragraphe


précédent.
Dans certains cas il peut s’avérer utile, de retourner au début de la lettre. La
personne en relisant cette section pourra se rendre compte du changement par
rapport à la séance précédente.
En général, dès que la personne aborde la section pas encore abordée, des
émotions réémergent et le travail de retraitement peut continuer.
Le travail sur une lettre peut prendre plusieurs séances, surtout s’il s’agit de
lettres fondamentales, c’est-à-dire des écrits envers les personnes les plus
importantes, comme les parents, les membres de la fratrie, un conjoint de
longue date.

▶ Après le retraitement, que devient la lettre ?

Une fois le travail de retraitement terminé, c’est le patient qui choisit de faire
avec sa lettre ce qui a le plus de sens pour lui.
Certains patients déchirent la lettre et souhaitent la jeter, d’autres la laissent
dans leur dossier, ou la rangent dans un endroit précis choisi avec soin. Il
arrive que le patient décide d’envoyer sa lettre au destinataire. Parfois des
patients ont ajouté un rituel particulier à la fin de la lettre : la brûler, l’enterrer
dans un coin du jardin, l’emmener sur la tombe d’un être cher, en faire un
masque en papier mâché. Dans notre approche thérapeutique, nous
n’intervenons ni dans le choix, ni dans la mise en œuvre de ce qui est fait
avec la lettre. Il s’agit d’une démarche autonome du patient, qui constitue
parfois la première action d’une relation assainie.

▶ La lettre du futur (Yvonne Dolan)


La lettre du futur est un écrit particulier, mise au point par Yvonne Dolan
(1991/1996) dans lequel le patient est invité à se projeter dans un futur
souhaité, libre de la problématique pour laquelle il est venu consulter.
Fréquemment utilisé dans le champ des thérapies centrées solutions (De
Shazer, 1985 ; De Shazer et Dolan, 2007/2009), cette technique thérapeutique
s’apparente à la question miracle. Dans notre champ des thérapies centrées
compétences, proches du modèle de Bruges (Isabaert et Cabié, 1997 ;
Isebaert, Cabié et Dellucci, 2015) et particulièrement en psychotraumatologie
(Dellucci, 2014), nous utilisons ce type de lettre lorsqu’il y a des blocages, ou
si le patient est spontanément plus orienté vers un futur souhaité que de
regarder dans le passé.
C’est Yvonne Dolan elle-même qui a suggéré l’utilisation de SBA pour
retraiter ce type de lettre. Concrètement, le thérapeute demande au patient :
de choisir une date précise dans le futur ;
de choisir une personne concrète à qui écrire et qui se réjouira de bonnes
nouvelles du patient ;
de se projeter à la date choisie ;
et de décrire sa vie au moment où tous les problèmes pour lesquels il a
consulté auront disparu. Il sera important de décrire sa situation de
manière détaillée et concrète, avec les circonstances environnantes, les
sentiments, les pensées, etc.
Le patient peut décrire son cheminement, mais ce n’est pas nécessaire. Cela
reste une possibilité intéressante, même si la plupart des patients que nous
rencontrons en psychotraumatologie n’ont pas d’idée du chemin à parcourir.
La suite du protocole de la lettre du futur se fait selon les 8 étapes décrites
plus haut.

DIFFÉRENTS TYPES DE LETTRES

Le critère central pour ce travail relationnel est la motivation du patient à


réfléchir sur son lien à l’égard d’une personne. Peu importe la nature du lien
ou la disponibilité du destinataire. La consigne donnée est conditionnelle :
« comme si le destinataire pouvait tout entendre, tout comprendre, même si
dans la réalité, ce n’est pas vrai. » Cette injonction, qui semble paradoxale
reflète la nature de la dynamique relationnelle.
Ainsi, le patient peut écrire à une personne défunte, un membre de la famille
qu’il n’a jamais connu, mais dont il perçoit l’influence, (par exemple un
grand-père décédé avant la naissance du père et qui a manqué à toute la
famille).
Le patient peut écrire à un groupe de personnes, (par exemple une lettre aux
femmes de sa famille, ou bien à une institution). Ce qui compte est de
produire un écrit qui donnera accès à la dimension émotionnelle implicite,
avec le but d’assainir cette relation d’attachement.
Il est possible d’utiliser le protocole des lettres en supervision, où le
thérapeute est invité à écrire à son patient. Bien entendu, cette lettre n’est pas
destinée à être partagée avec le patient.
Dans le travail avec les personnes souffrant de trauma complexes, il est
possible d’écrire à une version de soi plus jeune, à un bébé avorté, jusqu’à
permettre à des réseaux dissociatifs bien différenciés, d’écrire et de se faire
entendre. Quelle que soit la forme du texte, nous avons confiance dans le fait
que le patient va choisir les mots justes, dans l’ordre juste, et la séquence des
phrases qui correspondent à son niveau d’intégration actuel.
Parfois des personnes ne peuvent pas écrire, et choisissent un texte qui leur
parle, ou bien les mots d’une chanson qui les touche. Ce matériel peut tenir
lieu de lettre.
Avec des personnes illettrées, Marie Pierre Combaz s’est prêtée à écrire une
lettre dictée par la personne, en grandes lettres, pour ensuite appliquer le
protocole de la lettre avec succès. En travaillant en milieu carcéral avec une
population peu encline à l’écriture, Nathalie Gimenez a eu la bonne idée de
demander à ses patients de choisir un morceau de musique qui correspond à
la relation avec de destinataire. Ce morceau de musique choisi est écouté et
retraité en suivant la procédure du protocole des lettres.
La personne peut écrire dans une langue que le thérapeute ne comprend pas.
Cela ne pose aucun frein au travail d’assainissement de cette relation
d’attachement.
POURQUOI SOIGNER LES BLESSURES DU LIEN SPÉCIFIQUEMENT ?

Distinguer la blessure du lien et la blessure propre dans un trauma est


pertinent (Steele et Steele, 2003) et nous permet d’aborder spécifiquement la
dimension d’attachement. La relation ainsi visée n’est pas faite que de
blessures, le lien avec les ressources peut dès lors se faire au rythme du
retraitement des émotions négatives. Le protocole des lettres, en suivant une
approche par petits pas, c’est-à-dire ligne par ligne, constitue une méthode
douce, qui contrairement au protocole EMDR standard, n’active pas le réseau
traumatique là où ça fait le plus mal.
Une réflexion qui nous paraît intéressante est la distinction de deux types de
mémoire, proposée par Brewin dans sa théorie de la représentation double
(Brewin, Dalgleish et Joseph, 1996 ; Brewin, 2001). L’auteur décrit une
« mémoire accessible verbalement, » représentant l’accès explicite et
autobiographique, avec une possibilité de situer un événement dans le temps
et l’espace, et une « mémoire accessible de manière situationnelle », sous-
corticale, contenant les fragments perceptuels, les sensations corporelles, les
émotions non accessibles consciemment, sans lien avec la mémoire
autobiographique et avec une impossibilité de situer l’événement dans le
temps et l’espace. Cette distinction nous permet de postuler que le protocole
des lettres pourrait relier ces deux types de mémoire dans le travail de
retraitement. Le patient, en écrivant sa lettre, utilise sa mémoire accessible
verbalement, sémantique et autobiographique. Le travail avec les SBA sur ce
texte permet d’accéder et retraiter les émotions, sensations, images et autres
fragments perceptuels « entre les lignes ». Ainsi nous pouvons affirmer que le
protocole des lettres, comme le protocole EMDR standard permet de relier
ces deux types de mémoires, avec la spécificité ici, de focaliser le
retraitement sur la dimension de l’attachement.
Nous avons observé que dans la plupart des cas ce travail de retraitement
avec le protocole des lettres s’est fait sans déstabilisation iatrogène.

Le protocole des lettres, en permettant d’aborder la dimension de l’attachement, constitue une possibilité non négligeable
pour retraiter les blessures relationnelles si fréquentes. Sans se substituer au protocole EMDR standard, nécessaire pour
aborder les événements traumatiques, le protocole des lettres par sa méthodologie progressive permet de cheminer avec les
capacités intégratives du patient. Des liens qui s’assainissent contribuent à la stabilisation du patient, qui peut alors plus
facilement aborder les situations traumatiques dans de bonnes conditions. Même si des recherches sont nécessaires pour
étayer ces propos, nous pouvons affirmer que l’absence de déstabilisation observée cliniquement permet de considérer le
protocole des lettres comme une méthode douce, qui ne perd rien de son efficacité.
BIBLIOGRAPHIE

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thérapies brèves. Editions Erès
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Interview ». In Cortina, M., & Marrone, M., (Eds) Attachment theory and
the psychoanalytic process. London : Whurr (pp. 107 – 126).
Notes
1. Tout ce qui est noté en italique peut être lu tel quel par le praticien.
Chapitre 22

La Boîte de Vitesses

Modèle Bi-Axial pour un traitement EMDR intégratif dans la prise en


charge de Traumatismes Complexes et Chroniques
Hélène Dellucci, Gabrielle Bouvier, Marie Jo Brennstuhl

Les personnes souffrant de traumatismes complexes et chroniques nécessitent un aménagement du traitement dans la
thérapie EMDR. Les nombreuses amnésies, une faible tolérance à l’affect, les difficultés à verbaliser, les ruptures
dissociatives mènent à des anamnèses incomplètes qui perturbent la création du plan de traitement.
La stabilisation, déjà primordiale dans le cadre de TSPT simple, est ici incontournable et nécessite une attention continue.
Pourtant, l’utilisation de la thérapie EMDR est d’une pertinence et qu’une qualité remarquable dans ce type de
problématique, dont il serait dommage de se priver.
Il s’agit alors de structurer le traitement EMDR en proposant une hiérarchie d’intervention en fonction des phénomènes
émergeants afin de s’adapter aux besoins du patient, tout en continuant de travailler de manière rigoureuse, structurée et
sécurisée. En partant de la métaphore d’un voyage en pays inconnu, miné, incertain, dans lequel il s’agit d’avancer de
manière sécurisée, cette structure de traitement que nous avons appelé « Boîte de Vitesses » permet cette adaptation
constante du thérapeute et de la thérapie EMDR en fonction des conditions climatiques et de la topographie rencontrée
pendant la psychothérapie.

STRATÉGIES DE TRAITEMENT EN CAS DE TRAUMATISMES COMPLEXES ET


CHRONIQUES

▶ Spécificités du traumatisme complexe

Les personnes souffrant de traumatismes complexes et chroniques présentent


des spécificités qui nécessitent un aménagement du traitement en
psychotraumatologie. En effet, l’approche en trois temps permettant de cibler
les souvenirs du passé en premier lieu, puis de neutraliser les déclencheurs du
présent, avant d’aborder les scénarios du futur est certes une procédure
efficace, mais grandement difficile à suivre chez des patients donc les
traumatismes ou même les problématiques ne peuvent être clairement définis.
Dans le cadre de traumatisme complexe, il s’agit de prendre en considération
que l’inscription traumatique s’est souvent faite depuis le plus jeune âge.
Tout le mode de fonctionnement de l’individu est alors organisé autour de ces
expériences précoces, qui ont façonné sa manière d’être au monde. Il n’est
alors pas question de travailler sur des comportements dysfonctionnels, mais
sur tout un mode de fonctionnement dysfonctionnel devenu symptomatique et
problématique.
Le tableau clinique s’additionne souvent de problématiques d’attachement
insécure, le plus souvent désorganisé (Liotti, 1999), de blessures
relationnelles, venant perturber l’alliance thérapeutique. La dimension
transgénérationnelle, les mémoires traumatiques préverbales, les épisodes
dissociatifs, les amnésies, sont autant d’éléments qui viennent compliquer
l’élaboration des plans de traitement et plans de ciblage.
Les ressources et les capacités d’adaptation des patients sont souvent faibles
et la souffrance ressentie peut rapidement amener à de l’évitement, une baisse
de la motivation, un arrêt prématuré du traitement ou l’augmentation des
pensées auto-agressives ou suicidaires.
Les précautions prises avant le début du traitement doivent être à la mesure
de la souffrance éprouvée par le patient. Réussir à installer une relation
thérapeutique de confiance, dans laquelle la personne se sent en sécurité est
déjà un défi et une victoire en soi, mais constitue pour autant une étape
initiale incontournable.

▶ Techniques d’oscillation1

Les techniques d’oscillation (Levine, 1997 ; Twombly, 2000 ; Fine &


Berkowitz, 2001 ; Knipe, 2009) amènent une première stratégie pertinente à
la prise en charge des personnes souffrant de traumatisme complexe. Elles
permettent de construire une attention double, et suffisamment d’accès aux
ressources, essentiels au travail de retraitement de l’information.
Il s’agit dans un premier temps d’installer une ressource et ensuite de la
maintenir active au cours du processus de désensibilisation et de retraitement.
Des allers-retours – une oscillation – successifs entre l’activation d’un ou
plusieurs ressources et l’activation contrôlée du réseau dysfonctionnel
permettent un retraitement progressif et sécurisé.

▶ Protocole inversé2

L’utilisation du protocole inversé (Hofmann, 2009), en inversant l’ordre de


ciblage classique en EMDR, propose de remonter le fil du réseau
dysfonctionnel en débutant par la dimension du futur. Il s’agit alors de
conserver l’approche en trois temps, tout en n’abordant les souvenirs du
passé qu’en dernière intention, lorsque les appréhensions du futur et les
déclencheurs du présent ont déjà pu être suffisamment neutralisés et la vie
quotidienne et les symptômes stabilisés.
Cette pratique permet de travailler en premier lieu les peurs et pensées
bloquantes, de faire une première immersion dans le protocole EMDR en
centrant le travail de confrontation sur des contenus non traumatiques et
d’installer ainsi de bonnes conditions à la poursuite du travail.

▶ Remise à zéro des émotions

Il peut parfois être compliqué pour les patients de passer du traitement des
peurs et scénarios du futur, aux déclencheurs du présent, de par leur lien plus
direct avec les souvenirs du passé.
Certains patients, qui ont une faible tolérance à l’affect, ont développé une
difficulté d’accéder et de ressentir certaines émotions tout en restant dans la
fenêtre de tolérance, comme si les réseaux émotionnels innés, qui étaient à
l’origine des ressources selon Allan Schore (1994), se retrouvaient pollués
par des expériences de vie négatives, pas forcément que traumatiques.
Pour les patients dont il faut reconstruire la tolérance à l’affect, Katie O’Shea
(2009a) a mis au point un ciblage directement sur l’émotion, avec un travail
de retraitement hors trauma. Ces derniers sont placés dans un contenant, pour
ainsi dépolluer les circuits émotionnels et restaurer leur dimension ressource.
Ce protocole, appelé « remise à zéro des émotions » (O’Shea, 2009a), est une
méthode de préparation efficace au traitement de cibles spécifiques et
traumatiques.
▶ Protocole des empreintes précoces3

L’histoire traumatique des personnes souffrant de traumatismes complexes et


chroniques prend son essor très tôt et remonte souvent à la période
préverbale. Ces empreintes précoces ne sont bien sûr pas sans conséquence
sur le vécu de l’individu et le retraitement de ces mémoires préverbales
amène des résultats surprenants : plus assertives, les personnes sont
davantage en lien avec leurs besoins, leur estime de soi est améliorée et les
attachements davantage sécurisés.
À l’aide d’une procédure EMDR simplifiée (sans cognition) (O’Shea,
2009b), ce travail est aussi simple que doux et efficace et favorise la
transition vers le travail des traumatismes du passé.

▶ Protocole des lettres4

La majorité des traumatismes dont souffrent les patients traumatisés


complexes sont d’ordre relationnels. Cela a pour conséquence, que
lorsqu’un souvenir traumatique ou un déclencheur sont ciblés, s’activent
dans la plupart des cas deux cibles : l’événement ou la situation avec le
déclencheur et au moins une, sinon plusieurs blessures relationnelles (la
surprise devant un comportement négatif inattendu, la trahison ressentie, le
défaut de réparation ou de protection, …).
Si les blessures relationnelles au sein d’un lien sont nombreuses, tout ce
matériel peut se réactiver, et avec lui l’impuissance et le désespoir
associés. Nous pouvons remédier à cela en ne ciblant que la dimension
relationnelle dans un premier temps, à travers un protocole doux, qui
respecte les capacités d’intégration : le protocole des lettres (Dellucci,
2009, 2017).
Le patient est invité à écrire une lettre, et ce matériel sera retraité avec les
stimulations bilatérales. Le résultat de cette approche est un
assainissement de la relation, ce qui rend le travail sur les situations
traumatiques plus facile, étant donné qu’une partie du réseau traumatique a
déjà pu être retraitée.

LA BOÎTE DE VITESSES : UNE STRUCTURE DE TRAITEMENT INTEGRATIVE


La Boîte de Vitesses est née d’un effort d’intégration de ces différentes
approches dans une structure de traitement progressive. Ce modèle de
traitement est constitué en deux axes, un axe émotionnel et un axe du lien.
L’axe émotionnel nécessite que le patient soit en mesure de ressentir des
émotions, pour que les différentes dimensions puissent être ciblées. Si tel
n’est pas le cas, il est préconisé d’avancer sur l’axe du lien.

Figure 1. La Boîte de Vitesses : Modèle bi-axial d’intervention

▶ Avant tout ciblage EMDR : la stabilisation

Au-delà de l’installation d’une relation thérapeutique soutenante et


sécurisante pour le patient, la stabilisation comprend plusieurs niveaux :
Stabilisation neuro-végétative : il s’agit pour le patient de retrouver un
corps apaisé, au début le plus souvent avec l’aide du thérapeute, avec un
système physiologique équilibré. Des exercices d’ancrage et d’orientation,
des stratégies de respiration, parfois une aide médicamenteuse seront
nécessaires.
Stabilisation psychologique consiste à pouvoir stopper les intrusions en
mettant de côté ce qui ne peut être abordé dans l’immédiat, notamment
avec l’exercice du contenant et à installer des ressources comme le lieu
sûr. C’est aussi ici que le patient apprendra des stratégies pour s’apaiser
lui-même efficacement. Ici l’exploration des ressources, des bons
souvenirs, des activités stabilisatrices a aussi toute sa place.
La stabilisation relationnelle concerne avant tout l’entourage du patient.
Est-ce que celui-ci est suffisamment entouré de liens constructifs, est-il en
mesure de demander de l’aide, d’en recevoir ? Parfois la stabilisation
relationnelle prend du temps à acquérir, surtout avec des patients sous
emprise, ou lorsqu’ils évoluent actuellement au sein d’attachements
nocifs. Pour des patients instables dans cette dimension relationnelle, nous
préconiserons d’avancer avant tout sur l’axe du lien que nous décrirons
plus loin.
Outre l’activation des ressources et la création d’un lien thérapeutique
soutenant, la pierre angulaire d’une stabilisation réussie sera d’apaiser le
corps du patient, afin de rencontrer son besoin de sécurité dans l’ici et
maintenant. Ce sentiment de sécurité ressentie sera évalué à l’aide de
l’échelle suivante : « de 1, qui signifie que je ne me sens pas du tout en
sécurité ici dans ce lieu avec ce thérapeute, à 10, qui signifie je me sens
complètement en sécurité dans ce lieu avec ce thérapeute, à combien estimez-
vous votre sécurité maintenant ? »
Tant que le patient ne se sent pas suffisamment en sécurité, que la valeur sur
l'échelle de sécurité reste en dessous de 5, il est nécessaire de continuer la
stabilisation en centrant les efforts du thérapeute avant tout sur le confort
physiologique du patient.

▶ Boîte de Vitesses – axe émotionnel

Les différents niveaux de ciblage nécessitent que le patient puisse se


connecter et ressentir une activation, sans avoir besoin d’avoir recours à des
processus dissociatifs. Il s’agit alors de pouvoir adapter notre vitesse de
traitement face à ce qui émerge à chaque séance, voire au sein d’une même
séance : nous pouvons rétrograder si nécessaire, et accélérer dès que ce sera
possible !
Vitesse 1 : désensibiliser de peurs irrationnelles du futur,
du présent, de scénarios catastrophes
« Y a-t-il une peur qui pourrait nous empêcher de travailler sur ce que nous
avons choisi ? »
Évaluer et retraiter les peurs qui émergent et qui risquent de bloquer le
processus.
Permet de dépasser l’évitement et d’amoindrir le risque de blocages.
Permet de rendre explicite et de normaliser ce qui aurait pu être tu par le
patient. Le patient se sent entendu et respecté

Vitesse 2 : remettre à zéro des émotions


et des sensations physiques

« Lorsque vous pensez à (par exemple) la colère, qu’est-ce qui vous vient ? »
« Lorsque vous ressentez (par exemple) ce sentiment de vide, qu’est-ce qui
vous vient ? »
Seule l’émotion ou la sensation corporelle problématique est ciblée.
Pour cette remise à zéro des émotions, si le praticien craint d’activer un
nombre trop important de réseaux dysfonctionnels, il est conseillé de
commencer le travail EMDR sans cognitions en phase 3. Cependant, il est
néanmoins souhaitable, lorsque l’émotion retraitée arrive à un SUD = 0, de
continuer par une phase 5 (installation de la cognition positive) jusqu’à VOC
= 7 : « Lorsque vous pensez à la colère, qu’aimeriez-vous dire de vous-même
maintenant ? », et de compléter par un scanner corporel (phase 6).
Si du matériel traumatique émerge, celui-ci est à nouveau confiné dans le
contenant
Permet de restaurer une tolérance à l’affect.
L’émotion devient une ressource et non plus une entrave.
Vitesse 3 : retraiter les empreintes précoces

Cible les périodes préverbales : la vie fœtale, la période autour de la


naissance, la période 0-3 ans
Procédure EMDR sans cognitions en phase 3, avec définition d’une cognition
positive lors de la phase d’installation, suivie du scanner corporel pour
chaque phase ciblée.
Consolide le socle des expériences fondatrices de la personne.
Vitesse 4 : désensibiliser et retraiter des déclencheurs

Cible les déclencheurs du présent apparaissant dans la vie quotidienne.

Vitesse 5 : désensibiliser et retraiter les souvenirs du passé

Cible les souvenirs du passé.


Choisir l’ordre de traitement (source ou plus récent) en fonction des capacités
intégratives du patient : il va être moins confrontant d’aborder d’abord des
souvenirs plus récents avant de retraiter des souvenirs de l’enfance.
Chaque ciblage, en fonction du degré de fragilité du patient, pourra être
effectué soit par un protocole EMDR standard, soit avec un protocole
standard sans cognitions en phase 3, ou encore si c’est nécessaire, par une
technique d’oscillation entre une ressource et le matériel ciblé.

▶ Application clinique de l’axe émotionnel

L’objectif dans cette structure de traitement n’est pas d’accélérer et de passer


progressivement de la vitesse 0 à 5, mais de rester au plus près du matériel
émergeant, et de l’aborder en toute sécurité, permettant ainsi au patient de
faire l’expérience de l’efficacité et de la rapidité de l’approche EMDR.
L’EMDR est ainsi adapté aux exigences des patients complexes, qui vivent
avec une certaine dose d’imprévisibilité quant à ce qui peut émerger et
d’appréhender celle-ci sans déstabilisation, dans de bonnes conditions. Si le
matériel ciblé est trop confrontant, le praticien EMDR peut rétrograder et
réduire la cible, de façon à ce que le processus n’ait pas à subir de blocage. À
l’inverse, si le patient est prêt et motivé à aborder un souvenir plus
confrontant, cela est possible également, au vu de ce qui vient d’être décrit.
L’objectif justement est de pouvoir rétrograder et accélérer à mesure que le
patient progresse ou que le processus se bloque.
Il est donc possible et recommandé, dès qu’il est nécessaire dans le processus
de retraitement, de revenir à une vitesse inférieure afin de stabiliser,
augmenter les ressources, remettre à zéro une émotion, travailler une pensée
bloquante... ou d’accélérer vers une vitesse supérieure, en fonction de
l’évolution et des besoins du patient.
À la réévaluation de chaque séance, il est possible que du matériel imprévu
émerge. L’adaptation de la bonne vitesse se fait à travers le schéma
décisionnel que nous avons appelé « feuille de route » (cf. Figure 22.2). À
travers cette navigation sur l’axe émotionnel se dessine la hiérarchie des
bifurcations possibles. Si rien ne bloque, alors patient et thérapeute avancent
selon la cible négociée ensemble.

Figure 2. Feuille de route : Naviguer dans la Boîte de Vitesses

▶ Boîte de Vitesses – axe du lien

Nous le savons, la dimension de l’attachement est primordiale dans le cadre


des traumatismes complexes et chroniques. À travers le traitement via la
Boîte de Vitesses, il apparaît que le cadre sécure et sécurisant est un véritable
vecteur d’amélioration de la problématique de la personne.
C’est parmi les patients les plus blessés, qu’apparaissent les liens les plus
problématiques, qui sont autant de cibles qui s’ajoutent au quotidien. Ces
patients, instables sur le plan relationnel, peuvent retrouver une stabilité
relative, si ces liens sont abordés en dehors des événements du passé, ceci
avec un protocole doux, sans risque de déstabilisation : le protocole des
lettres 5(Dellucci, 2009 ; 2017).
La navigation selon l’axe du lien est aussi privilégiée auprès des personnes
qui ont peu ou pas d’accès à leurs émotions ou à leurs souvenirs. Certains
patients dissociatifs qui n’ont plus de lien avec leur corps, leurs émotions,
leurs sensations ou leurs souvenirs du passé ont d’autant plus de difficultés à
construire une relation thérapeutique suffisamment soutenante, lorsque toute
bienveillance est perçue comme un précurseur d’abus ou comme une insulte.
L’axe du lien comporte trois dimensions fondamentales :
la relation à l’autre ;
la relation à soi ;
la relation thérapeutique.
La première dimension relationnelle à considérer alors celle de la relation à
l’autre (entourage immédiat, famille d’origine, etc.). Il s’agit dans un premier
temps d’assainir ces relations avec les personnes faisant partie du quotidien, à
l’aide du protocole des lettres.
Ce premier travail va permettre de faire émerger le ressenti émotionnel et de
désensibiliser l’affect émergeant progressivement.
Chez les patients dissociatifs, aborder la relation à l’autre peut faire émerger
des états dissociatifs internes. Dès que ces derniers apparaissent, il est
important de les prendre en compte et d’aider le patient à dépasser l’hostilité
et la phobie envers ces parties de lui-même. Il s’agit alors d’établir des liens
constructifs internes, en s’appuyant au besoin sur l’installation de figures
symboliques imaginaires afin de potentialiser les ressources d’attachement.
Avec les patients souffrant de troubles post-traumatiques complexes et
dissociatifs, il arrive régulièrement que le thérapeute se retrouve dans une
situation où il ressent de l’impuissance, l’impression d’être coincé, avec un
patient qui semble ne pas avancer…
Le thérapeute, au-delà d’un risque de traumatisation vicariante6, peut ainsi
rencontrer ses propres taches aveugles, qui risquent de mettre à rude épreuve
sa propre fenêtre de tolérance. Si tel est le cas, et que la réflexion en
supervision ne permet pas de trouver des pistes plus confortables, nous
invitons le thérapeute à un travail de retraitement sur ce qui le met en
difficulté dans le lien à son patient.
S’il s’agit d’un événement particulier qui a laissé des traces d’une
traumatisation vicariante, le thérapeute peut être soulagé au moyen d’un
protocole standard EMDR, et retrouve ainsi sa fonction contenante et
soutenante envers le patient.
Si la souffrance est plus diffuse et plus floue, alors nous invitons le
thérapeute à avoir recours au protocole des lettres sur une lettre qu’il écrira au
patient. Cette lettre, bien sûr, ne servira qu’au travail de retraitement chez le
thérapeute, elle n’est jamais donnée au patient. Le fait que le thérapeute
puisse se mettre au travail aura un effet bénéfique sur lui-même et amène
toujours des changements importants chez le patient, laissant à penser
l’influence du thérapeute sur le patient avec lequel il partage ce lien si
particulier.
Lorsque les liens d’attachement sont suffisamment balisés et que l’axe du lien
se stabilise, il est alors possible d’entamer le travail sur l’axe émotionnel dans
de bonnes conditions.

Il est possible d’aider les patients souffrant de traumatismes complexes et chroniques en amenant des adaptations de
l’EMDR, pour que cette approche psychotraumatologique puisse être efficace sans effets délétères.
Disposer d’une structure de traitement comme la Boîte de Vitesses permet de hiérarchiser et d’adapter le ciblage en
fonction du matériel émergeant et ainsi de suivre le cheminement des patients, sans se perdre, avec la devise « aussi
rapidement que possible, aussi lentement que nécessaire ».
Le résultat est un processus dynamique qui ni ne dérape, ni ne stagne, sans blocages, avec des ajustements dans lequel
patient et thérapeute coopèrent pour adapter le degré d’exposition à ce qui est possible. Cela produit de la motivation et une
participation active chez le patient, une multitude de possibilités d’articuler le Traitement Adaptatif de l’Information pour
le thérapeute.

BIBLIOGRAPHIE

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Notes
1. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 26 « Techniques d’oscillation, construire une
attention double ».
2. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 27 « Le protocole inversé ».

3. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 20 « Le protocole des empreintes précoces ».

4. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 21 « Le protocole des lettres ».

5. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 21 « Le protocole des lettres ».

6. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 14 « EMDR et vicariance du psychotraumatisme ».


Chapitre 23

Les techniques d’oscillation

Construire une attention double


Hélène Dellucci et Marie Jo Brennstuhl

Initialement, les techniques d’oscillation ont fait leur apparition dans le cadre de la prise en charge EMDR avec des
patients souffrant de traumatismes complexes. Ce processus fractionné permet une approche graduelle du réseau
traumatique afin de construire l’attention double nécessaire au retraitement de l’information suffisamment intégré.

MÉTHODE DE CONFRONTATION DOUCE

Les techniques d’oscillation permettent une confrontation « douce » aux


événements traumatiques et perturbants. À l’inverse du protocole standard en
EMDR où la phase 3 consiste à activer tous les éléments du réseau neuronal
dysfonctionnel (image, cognition, sensation), il s’agit dans le cas des
techniques d’oscillation de n’activer qu’une partie du réseau neuronal,
suffisante pour démarrer le retraitement sans susciter de blocage. L’objectif
étant de rester en lien avec les ressources du patient, tout en activant
progressivement le réseau neuronal dysfonctionnel, où il s’agit alors d’opérer
des
allers-retours entre ressources et matériel négatif. Le temps d’exposition au
matériel traumatique est donc réduit et limité, permettant ainsi de maintenir le
patient dans sa fenêtre de tolérance en lien avec ses capacités d’intégration.
Les techniques d’oscillation sont également utiles et pertinentes chez les
patients qui n’arrivent pas à maintenir une attention double, inhérente à la
désensibilisation et au retraitement en EMDR.
Par évitement, par dissociation, ou par absorption dans le souvenir
traumatique, le patient peut perdre le contact avec le souvenir ou l’ici et
maintenant, bloquant ainsi le traitement, voire prenant le risque d’une re-
traumatisation.

ATTENTION DOUBLE

L’attention double est la capacité à rester un pied dans le présent, un pied


dans le passé. Il s’agit de pouvoir connecter l’événement du passé, ses
émotions, ses sensations et les images et pensées en lien avec ce souvenir,
tout en restant connecté au présent, dans l’ici et maintenant avec le
thérapeute.
C’est cette attention double qui va permettre le travail de désensibilisation et
de retraitement.
Cela permet effectivement au patient de créer de nouveaux réseaux de
mémoires fonctionnels, en mettant en lien le matériel traumatique avec les
ressources et des sensations d’apaisement qui se vivent dans le présent, ainsi
que de nouvelles prises de conscience, mise en sens, compréhension et
perspectives d’action émergeantes. En général, le patient arrive
spontanément, en fin de canal, à s’apaiser tout en associant la cible abordée
avec du matériel positif. Lorsque cette mise en lien avec les ressources fait
défaut, que le corps ne s’apaise pas, les techniques d’oscillation vont amener
artificiellement à des fins de canaux, le but étant de permettre au patient
d’expérimenter un certain contrôle par rapport à l’expérience initialement
vécue comme hors contrôle et menaçante.
Les techniques d’oscillation permettent alors, en construisant cette attention
double, à apprendre au système de l’individu qu’une confrontation brève et
mesurée au matériel traumatique peut se passer dans de bonnes conditions.

TECHNIQUES D’OSCILLATION
Différentes techniques d’oscillation existent et s’intègrent très aisément à la
thérapie EMDR.

▶ « Somatic Experiencing »

Par son approche du Somatic Experiencing, Peter Levine (1997/2008 ;


2010/2014) construit la stabilisation par l’exploration et la prise de
conscience de sensations corporelles, neutres ou positives, à travers des
exercices d’ancrage, invitant ainsi le patient, par sa proprioception, à entrer
en lien avec son corps stabilisé dans l’ici et maintenant.
La confrontation à un souvenir négatif se fera alors après avoir suffisamment
installé un contenu positif (image, expérience, sensation physique, partie du
corps ressentie comme positive…) pour se centrer ensuite sur le contenu
négatif (image, expérience, sensation physique, partie du corps…) du même
ordre.
L’oscillation s’opère entre le matériel positif et le matériel négatif, tout
d’abord dans un parfait contraste, puis progressivement la mise en lien
permet une contamination des contenus négatifs par des contenus positifs.

▶ L’oscillation au service de l’EMDR

L’utilisation des Stimulations Bilatérales Alternées (SBA) est également une


aide précieuse dans les techniques d’oscillation. Joanne Twombly (2000)
propose d’osciller entre la confrontation au traumatisme, et le retour dans lieu
thérapeutique sécurisé, tout en y ajoutant des SBA.
En partant du lieu thérapeutique sécurisé, le patient est bien ancré dans le
présent avec des SBA, pour ensuite aborder le réseau traumatique par petites
touches, tout en utilisant les SBA également pour la désensibilisation. Le
patient sera ramené au lieu thérapeutique chaque fois qu’il sera nécessaire,
tout en continuant les SBA.

▶ « Wreathing Protocol »

L’alliance de l’hypnose et l’EMDR a permis à Catherine Fine et Berkowitz


(2001) de proposer le Wreathing Protocol1 (Fine & Berkowitz, 2001). Cette
technique d’oscillation, en utilisant des SBA, consiste à aborder des aspects
fractionnés d’une situation au présent, et tout en l’apaisant, d’aller activer des
aspects analogues d’événements du passé.
Il est alors possible, en s’inspirant de cette technique, d’installer une
ressource spécifique, liée à l’expérience traumatique, afin de créer un
contraste important avec le thème du trauma. Dans le cadre d’un deuil par
exemple, la ressource pourrait être un bon moment passé avec la personne
disparue.
L’idée d’allier un événement positif qui propose un contraste avec la cible
nous paraît particulièrement intéressante pour aider le patient à se décentrer
de l’effet omniprésent de l’événement traumatique et lui permettre l’accès à
ses ressources.

▶ Protocole des 4 champs ou IGTP

Le Protocole des 4 champs ou IGTP2 compte aussi parmi les méthodes de


confrontation douce (Jarero et al., 2006 ; Artigas et al., 2009). Il a été mis au
point d’abord pour les enfants, mais avec le recul de la pratique en
psychotraumatologie, il s’avère particulièrement utile aussi pour les adultes.
Le travail avec les 4 champs débute par un dessin apaisant, le lieu sûr (1er
champ), qui restera présent tout au long du processus de confrontation, soit
parce qu’il se trouve sur la même page, soit parce qu’il pourra être posé à
proximité pendant le travail sur le trauma (2e et 3e champs). Ainsi le recours
régulier au lieu sûr permet implicitement une oscillation entre une ressource
et le matériel négatif. Le dessin de résolution (4e champ) montre souvent des
similitudes avec le dessin apaisant.
Au-delà des possibilités d’oscillation que ce processus permet, l’utilisation du
corps par le fait même de dessiner fonctionne comme un ancrage, favorisant
ainsi un travail plus intégratif.

▶ Protocole des lettres

Le protocole des Lettres3 (Dellucci, 2009, 2017) est avant tout préconisé pour
retraiter des cibles d’ordre relationnelles. Il ne s’agit pas à proprement parler
d’une méthode d’oscillation, même s’il reste toujours possible de stopper le
processus de retraitement centré sur le matériel perturbant et de revenir vers
une ressource.
À partir d’un texte écrit par le patient, que celui-ci lit à voix haute, toute
émergence émotionnelle et/ou sensorielle est accompagnée par des SBA
jusqu’à ce que le corps soit tout à fait apaisé, ce qui en termes de contenu
correspond en général à des fins de canal. Le travail avec les lettres amène
dans la majorité des cas à des canaux courts.
Ne pas cibler le réseau traumatique au cœur de la douleur, mais suivre le
cheminement d’un écrit décidé par le patient en fait une méthode de
confrontation douce. Cette logique de désensibilisation par petits bouts est la
même que celle que proposent les techniques d’oscillation.

▶ Technique de l’éponge

La technique de l’éponge4 (Hofmann, 2009 ; Kiessling, 2009) peut également


être considérée comme une aide à la construction de l’attention double.
L’oscillation entre du matériel positif et négatif est assurée, avec la
particularité que le processus démarre avec l’évaluation d’une situation ou
d’une cible stressante, pour ensuite consacrer la majorité du temps à
l’installation de trois ressources, un peu comme une réponse originale au
problème posé. À la fin de cette installation, la cible est à nouveau évaluée
pour constater généralement une diminution du SUD.
Même si à l’origine, la technique de l’éponge a surtout été développée pour
l’installation de ressources au préalable à la confrontation traumatique ou
pour répondre à une situation stressante actuelle, il est possible, à tout
moment, de bifurquer au cours du retraitement traumatique pour aller vers
une installation de ressources, notamment si le patient risque de sortir de la
fenêtre de tolérance, ou si le retraitement se bloque en raison d’un évitement.

FOCUS SUR LE CIPOS

Le CIPOS (Constant Installation of Present Orientation and Safety) a été


proposé par Jim Knipe (2009 ; 2014) et permet comme son nom l’indique,
l’installation constante de l’orientation et du sentiment de sécurité dans le
présent.
À l’instar de la proposition de Twombly (2000), il s’agit de ramener
régulièrement le patient dans le lieu de la thérapie, accompagné d’un
sentiment de sécurité qui sera installé à l’aide de SBA.
Le protocole CIPOS est agrémenté d’une échelle d’évaluation « du fond du
crâne » (la « back of the head scale »), qui est une échelle analogique dont les
pôles se situent entre « complètement dans ma tête / pas du tout ici » et « tout
à fait ici dans la pièce avec le thérapeute ».
Cette mesure originale permet de rester au plus près de l’expérience du
patient et implique ce dernier dans l’évaluation du processus thérapeutique.
Lorsque le patient est suffisamment dans le présent (et non pas « au fond du
crâne » !), le réseau traumatique est prudemment abordé à travers de courtes
séquences de confrontation.
Le temps de confrontation est toujours négocié par avance avec le patient et
scrupuleusement respecté par le thérapeute. Pour les premiers essais
d’oscillation, Knipe (2009, 2014) propose des temps entre 2 à 10 secondes. Si
tout se passe bien, la période de confrontation est allongée pour les essais
suivants.
Le processus d’oscillation entre la présence dans le lieu de thérapie et la
confrontation au trauma est ainsi répété jusqu’à ce que le patient ait acquis la
capacité « d’émerger d’un état du Moi traumatique, pour revenir à une
orientation dans un ici et maintenant sécurisé » (Knipe, 2014).
Lorsque le patient est en mesure de maintenir une attention double, il est alors
possible d’introduire des SBA lors de la confrontation au matériel
traumatique.
LE CIPOS EN 10 ÉTAPES

1. Obtenez la pleine permission du patient pour travailler en toute sécurité sur un contenu hautement perturbant.
2. Évaluez le degré de sécurité ressentie par le patient dans le bureau du thérapeute
3. Renforcez l’orientation dans le présent par des exercices d’ancrage et d’orientation en utilisant des SBA
4. Évaluez l’orientation présente à travers la « back of the head scale » (échelle du fond du crâne). Lorsque la personne
est suffisamment présente, le travail sur le traumatisme peut commencer
5. 2 à 10 secondes de confrontation au trauma (pas de SBA à ce stade)
6. Répétez les étapes 3 à 5, quatre fois
7. 2 à 20 secondes de confrontation au trauma (pas de SBA à ce stade)
8. Répétez les étapes 3, 4 et 7 autant de fois que nécessaire
9. Lorsque l’attention double peut être complètement maintenue pendant plus de 20 secondes, la confrontation
traumatique peut aussi être faite avec des SBA
10. Ensuite, il est possible de continuer la désensibilisation par le protocole EMDR standard

QUE RETENIR ?

Quelle que soit la méthode d’oscillation choisie, nous aimerions centrer notre
propos sur la nécessité de construire, pour le patient, un processus sur
mesure, en fonction de ses ressources, de l’accès qu’il peut y avoir, de ses
capacités d’attention double, et de la charge traumatique du réseau choisi.
Étape 1 : le thérapeute explique le processus d’oscillation au patient et
négocie avec lui un temps de confrontation. Il s’assure de sa capacité à
utiliser le signal STOP.
Étape 2 : la ressource (lieu sûr, ancrage dans le corps, orientation dans l’ici
et maintenant sécurisé du lieu de thérapie, souvenir positif, ressource
préalablement installée, figure de soutien…) est rappelée et renforcée avec
des SBA, jusqu’à ce que le corps soit tout à fait apaisé.
Étape 3 : la cible (traumatisme du passé, déclencheur, peur…) est abordée
de manière succincte. Ici, pas de questionnement en phase 3 car celle-ci
est trop longue. Le patient est invité à penser au contenu négatif pendant le
temps négocié. Le thérapeute peut compter à rebours. Il est primordial de
respecter le temps défini. Des SBA peuvent être ajoutées si le patient les
supporte. Si le temps négocié comporte plusieurs minutes, plusieurs sets
peuvent être effectués. La longueur de cette étape dépend de la cible
abordée et de l’état de fonctionnalité du patient. Plus ce dernier est fragile,
plus cette période de confrontation doit être courte dans un premier temps.
Étape 4 : retour à la ressource jusqu’à ce que le corps soit à nouveau
complètement apaisé.
Étape 5 : évaluation du processus des étapes 2, 3 et 4 par le patient et le
thérapeute. En fonction de celle-ci, un autre round est alors mis en œuvre.
Étape 6 : rounds successifs : Refaire les étapes 3 à 5.
Ce processus d’oscillation est mis en œuvre pendant le temps de
confrontation prévu au cours de la séance. À la fin de ce processus, il est utile
de prévoir le temps nécessaire à une clôture de séance incomplète. La
réévaluation (phase 8) aura lieu en début de séance suivante.

L’attention double est un préalable incontournable au retraitement réussi de toute cible, qu’il s’agisse d’un trauma du passé,
d’un déclencheur, d’une crainte actuelle ou dans le futur. C’est ainsi que le patient peut se maintenir dans sa fenêtre de
tolérance et avoir accès à ses ressources, lui permettant d’atteindre des « fin de canal » et l’ouverture vers une résolution.
Lorsque l’attention double fait défaut, celle-ci peut être construite ou renforcée grâce aux techniques d’oscillation. Les « fin
de canal » ainsi provoqués de manière artificielle permettent alors au patient et à son système neurovégétatif de faire de
bonnes expériences, contrôlées et sécures.
Les techniques d’oscillation permettent un processus de retraitement fractionné et un cheminement progressif vers la
reconsolidation d’un réseau mnésique plus fonctionnel. La douceur ainsi mise en œuvre ne ralentit en rien le processus
thérapeutique, bien au contraire. C’est en allant doucement que le tandem patient thérapeute avance le plus vite.

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Notes
1. « Wreathing Protocol » : Protocole « entrelacé / enchevêtré ».
2. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 36 sur la technique des quatre champs.

3. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 21 « Le protocole des lettres ».

4. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 3 « Lieu sûr/lieu calme et installation de ressources ».
Chapitre 24

Le protocole inversé

Adapter l’EMDR aux personnes instables


et souffrant de TSPT complexe
Hélène Dellucci et Marie Jo Brennstuhl

L’utilisation et l’intérêt de la thérapie EMDR dans le cadre du traitement du Trouble de Stress Post-Traumatique sont bien
établis. L’application du protocole standard EMDR permet des résultats toujours plus étonnants.
Le caractère intégratif et procédural de ce protocole ne le rend pas pour autant rigide. L’adaptation du protocole standard
EMDR permet de répondre aux difficultés cliniques que les thérapeutes peuvent rencontrer face à des personnes instables,
souffrant de TSPT complexe.
En complément d’une stabilisation et d’une alliance thérapeutique renforcée, l’utilisation du protocole inversé est tout à fait
adaptée afin de maintenir la rigueur de l’utilisation d’un protocole en trois temps, tout en étant moins confrontant et en
prenant moins de risques de déstabilisation ou de sortie de la fenêtre de tolérance.

DU STRESS AIGU AU TRAUMATISME COMPLEXE


▶ La réaction de Stress Aigu

La réaction de Stress Aigu ou État de Stress Aigu (ESA) correspond à la


réaction immédiate déclenchée suite au vécu d’un événement potentiellement
traumatique. Les symptômes d’un TSPT sont vus comme des réactions
normales et adaptées face à une situation négative anormale. Ceux-ci
s’estompent généralement dans les semaines qui suivent un événement
difficile. Ce n’est que lorsque les réactions de l’ESA dépassent les capacités
d’adaptation et d’intégration du sujet que cela devient problématique. Cette
chronicisation au-delà de trois mois peut amener à l’installation d’un Trouble
de Stress Post-Traumatique (TSPT) et c’est alors que nous parlerons de
traumatisme.

▶ Le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT)

Le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT) ou traumatisme « simple »


peut être diagnostiqué dès lors que les réactions et symptômes réactionnels à
un événement persistent au-delà de trois mois. Ce type de trouble et réaction
à un événement traumatique intervient suite à un événement unique qui fait
irruption dans la vie de l’individu, sans séquelles post-traumatiques au
préalable.
Ce type d’événement répond très bien et très rapidement au protocole
standard EMDR, ou aux protocoles d’événements récents si cela est mis en
place dans le timing imparti.

▶ Les traumatismes multiples

Bien évidemment, il peut subvenir plusieurs événements traumatiques dans


l’histoire de vie de l’individu. Si ces expériences n’ont pas de lien entre elles
et ne provoquent pas de troubles de l’attachement, nous pouvons les qualifier
de traumatismes multiples. Plusieurs TSPT peuvent donc être retrouvés dans
l’anamnèse sans pour autant que nous puissions évoquer un traumatisme
complexe.
Généralement ces types de traumatismes répondent très bien au protocole
standard EMDR et donnent lieu à différents plans de ciblage (par exemple
accident de voiture, licenciement, maladie grave...).

▶ Les Traumatismes Complexes

Le diagnostic de traumatisme complexe intervient lorsque les événements


traumatiques ont été répétés, souvent de même nature et sont venus structurer
des blessures du lien et des blessures traumatiques profondes. Il s’agit
souvent de traumatismes intervenus dès l’enfance ou l’adolescence, mais les
traumatismes répétés à l’âge adulte entrent également dans cette catégorie
(par exemple violences conjugales...).
Le tableau clinique est souvent moins visible que pour le TSPT, car les
symptômes post-traumatiques sont noyés dans des troubles comorbides mis
en place pour essayer de faire face (troubles du comportement alimentaire,
addictions, troubles anxieux ou compulsifs, automutilations...).

▶ Les Troubles Dissociatifs

Dans les cas où les événements traumatiques ont débuté dès le plus jeune âge
et ont particulièrement touché les figures d’attachement, des symptômes de
dissociation viennent complexifier un tableau déjà bien complexe. Des
phénomènes de déréalisation, de dépersonnalisation, d’amnésie et de
mauvaise tolérance à l’affect, perturbent fortement la prise en charge
psychothérapeutique et l’application d’un protocole EMDR standard
classique en trois temps, où sont retraités d’abord le souvenir source, les
souvenirs du passé, puis les déclencheurs et ensuite les scénarios du futur.

PROTOCOLE EMDR STANDARD « INVERSÉ »

Arne Hofmann (2005) a eu l’excellente idée d’inverser les trois temps du


protocole EMDR classique, pour permettre aux patients souffrant de
traumatisations complexes et chroniques, de bénéficier de l’efficacité du
protocole EMDR, sans risque de blocages ou de déstabilisation. Le but de sa
démarche est de permettre d’améliorer la vie quotidienne des patients, pour
ensuite aller aborder progressivement les événements du passé, du plus récent
au plus précoce.

▶ EMDR Phase 1 : spécificités des traumatismes complexes

Le temps d’anamnèse inhérent à tout début de psychothérapie s’avère


éminemment bouleversé face à des patients souffrant de traumatismes
complexes. Le recueil de l’histoire est souvent lacunaire en raison des zones
d’amnésie, d’une honte à révéler ou de mécanismes d’habituation qui ne
permettent plus de voir comme problématique des habitudes prises (par
exemple l’auto-mutilation, l’hyperphagie, des comportements addictifs…). Il
est alors difficile d’identifier des problématiques précises et d’établir un plan
de ciblage complet.
L’évitement fait que certains souvenirs, parfois innommables, sont trop
difficiles d’accès et génèrent des peurs dès lors qu’il devient nécessaire de les
cibler, et ce malgré la volonté des patients, désireux d’avancer. Les
mécanismes de défense dissociatifs ou phobiques viennent également
complexifier la prise en charge des troubles et amener un sentiment
d’impuissance et d’échec, qui risquent de provoquer un abandon de la
thérapie.
L’anamnèse comportera ainsi une exploration minutieuse des ressources, en
termes de bons souvenirs, de personnes constructives dans l’entourage,
d’activités stabilisatrices, de capacités à se protéger, du patient. Ainsi, pourra-
t-il petit à petit se définir comme un survivant, au-delà des multiples
dysfonctionnements desquels il souhaite s’affranchir ?

▶ EMDR Phase 2 : stabilisation et préparation au processus de retraitement

Durant la phase de préparation, un temps important et spécifique sera utilisé


afin de s’assurer une stabilisation et une sécurité du patient, avant même de
pouvoir aborder une sélection des cibles à traiter.
La stabilisation des patients complexes nécessite de prendre le temps
d’installer une relation thérapeutique, au sein de laquelle le patient se sent
reconnu et soutenu par un thérapeute qu’il perçoit solide et bienveillant. Au
fur et à mesure du recueil de l’histoire peuvent émerger des peurs des défis
dans la vie quotidienne, qui méritent d’être entendus et traités sans attendre.
Le but de la stabilisation, au-delà de la relation thérapeutique, est de
permettre au patient de s’apaiser efficacement lui-même, de mettre de côté les
intrusions et d’augmenter la tolérance à l’affect.
L’utilisation du protocole Inversé prend ici tout son sens car l’inversion de
l’ordre des cibles permet d’aborder les soucis de la vie quotidienne, sans
toucher au trauma dans un premier temps :
commencer par aborder les peurs et anticipations du futur et du présent ;
traiter les déclencheurs de la vie quotidienne ;
aborder le passé en commençant par les événements récents ;
finalement traiter les événements du passé lointain.
Cette stratégie de traitement inversé permet une réduction des symptômes
immédiats et une amélioration de la vie quotidienne. C’est une aide précieuse
à la stabilisation des affects du présent qui vont permettre également une
première initiation à l’utilisation de l’EMDR, mais aussi et surtout
d’augmenter la confiance et le lien thérapeutique, de redonner un sentiment
de contrôle et d’efficacité au patient et d’améliorer son estime de lui-même.
Il s’agit de respecter au mieux la fenêtre de tolérance du patient et d’éviter
une exposition traumatique trop rapidement ou trop brutalement.
Ces éléments seront nécessaires à la poursuite du travail vers des cibles plus
confrontantes.

▶ EMDR Phases 3 à 8 : protocole standard


en ordre de ciblage inversé

Situations futures et peurs bloquantes

Dans le protocole inversé, il est possible d’aborder des peurs bloquantes et


des situations futures anxiogènes de plusieurs façons. Avec des patients bien
fonctionnels, il est possible de mener un protocole EMDR standard de la
phase 3 à la phase 8, en veillant à travailler « hors trauma » (Dellucci, 2016,
2017), c’est-à-dire en mettant de côté les traumas et n’aborder que cette peur
émergeante et les associations qui y sont liées. Tout matériel traumatique
venant s’inviter est replacé dans le contenant.
Une autre façon de diminuer les peurs bloquantes et les scénarios
catastrophes faisant obstacle à la poursuite du travail, serait de procéder par
une installation de ressources, à l’aide des techniques d’absorption ou
« technique de l’éponge »1 (Hoffmann, 2009 ; Kiessling, 2009).
Il s’agit ici de venir diminuer les peurs émergeantes dans la vie quotidienne,
tout en donnant confiance au patient en la thérapie et envers le thérapeute.
Il est donc primordial ici de mêler stabilisation et augmentation des
ressources avec le travail sur du matériel perturbant mais non traumatique.
Déclencheurs de la vie quotidienne

Les déclencheurs de la vie quotidienne ne peuvent être désensibilisés de la


même manière que lors du protocole EMDR standard classique. Les
événements du passé n’ont pas encore été travaillés, le réseau neuronal
dysfonctionnel impliqué est donc toujours actif.
Il s’agira alors d’utiliser des méthodes d’oscillation et de stabilisation afin de
diminuer l’impact de ces déclencheurs sur la vie quotidienne.
La technique du CIPOS2 (Knipe, 2009, 2014) est ici privilégiée. Il s’agit de
mettre en place un processus qui permette au patient de gagner en contrôle,
sans évitement, tout en lui permettant d’apprendre ou de maintenir son
attention double, nécessaire pour le travail sur les cibles ultérieures.
Les déclencheurs de la vie quotidienne permettent une diminution des
symptômes et une stabilisation des affects. Cette amélioration permet de
diminuer l’envahissement des symptômes dans le quotidien, même si le
problème de fond n’est pas réglé.
Les ressources et capacités d’auto-régulation sont améliorées et vont
permettre d’aborder les événements du passé, tout en se maintenant dans la
fenêtre de tolérance.
Évaluation de la stabilité

Avant de passer à la désensibilisation et au retraitement des événements du


passé, il est important de passer par une phase d’évaluation.
ÉVALUATION DE LA STABILITÉ (HOFFMANN, 2009, 2014)

TEST DE LA VIE DE TOUS LES JOURS :


« Est-ce que la personne est capable d’assumer les tâches de la vie quotidienne ? »

TEST DU LIEU SÛR :


« Est-ce que le lieu sûr peut être installé facilement et la personne peut-elle s’apaiser efficacement entre les séances ? »

TEST DES SBA :


« Est-ce que la personne supporte les SBA ? »

TEST DE L’ANAMNESE :
« Est-ce que la personne est en mesure de parler de son histoire sans basculer malgré elle dans le trauma ? »

Si les 4 conditions de stabilité sont réunies, la personne peut être


suffisamment stable et en sécurité pour aborder les événements du passé.
Événements du passé

Les événements du passé seront retraités également dans l’ordre inverse : du


plus récent au plus ancien. Il est également possible et privilégié de
commencer par les traumatismes secondaires, les événements moins
confrontants et les moins perturbants et d’avancer au fur et à mesure vers les
événements du passé plus lointains et plus difficiles.
Le retraitement des événements du passé se fera conformément aux phases 3
à 8 du protocole EMDR standard, ou bien, en fonction de l’état du patient,
par l’utilisation d’une technique d’oscillation3.
Il n’est pas rare que cette étape fasse émerger des peurs, ou des déclencheurs,
qui pourront être retraités comme décrit ci-avant, ou nécessitent une
installation de ressources4. Le plus important sera que le patient puisse
avancer dans son cheminement thérapeutique tout en restant dans sa fenêtre
de tolérance, c’est-à-dire sans dépasser ses capacités d’intégration.

▶ Usages et limites du protocole inversé

Le processus du protocole EMDR standard Inversé n’est pas linéaire. Il


s’adapte à l’évolution et aux capacités du patient. Si cela va trop vite, il est
nécessaire de revenir à des exercices de stabilisation et de venir diminuer la
charge émotionnelle émergeante ou les peurs et pensées bloquantes.
Il est néanmoins important de comprendre qu’ici nous remontons le courant à
l’envers ! Il n’est donc pas possible d’être totalement affranchi des
déclencheurs actuels, tant que les événements du passé ne sont pas travaillés.
Ce qui est visé ici, est un apaisement suffisant des symptômes de la vie
quotidienne. Cela aura pour effet de faciliter le Traitement Adaptatif de
l’Information sur les réseaux mnésiques dysfonctionnels.
Dans ce type de prise en charge, l’accent est mis sur la sécurisation du patient
ainsi que l’activation ou la réactivation de ses ressources, de son sentiment de
contrôle, de son estime de soi. Ce cheminement permettra de gagner en
confiance envers le processus EMDR et le thérapeute, une condition
nécessaire au retraitement des cibles traumatiques.
Le protocole inversé fait aussi partie d’un modèle plus large de traitement
EMDR pour les patients souffrant de trauma complexes et de troubles
dissociatifs : le modèle bi-axial de traitement EMDR appelé « Boîte de
Vitesses5 » (Dellucci, 2017).

L’inversion de l’approche EMDR standard en trois temps passé présent futur en une approche futur présent passé, tout en
conservant la rigueur de la pensée TAI s’avère être une stratégie de traitement précieuse pour prendre en charge les
traumatismes complexes en EMDR.
Ce ciblage s’avère protecteur et soutenant, tout autant qu’efficace.
L’utilisation du Protocole Inversé nécessite l’utilisation et l’intégration de techniques d’absorption, de stabilisation,
d’oscillation dans le protocole standard EMDR pour favoriser un retraitement efficace qui rime avec sécurité.
Il s’agit d’un protocole très complet, structuré mais souple dans son utilisation, qui permet de prendre en compte les peurs
émergeantes, la diminution des symptômes à travers les déclencheurs de la vie quotidienne, et l’abord en douceur et en
sécurité des cibles traumatiques du passé.

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Notes
1. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 3 « Lieu sûr/lieu calme et installation de ressources ».

2. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 23 « Les techniques d’oscillation ».


3. Voir le chapitre 23 « Les techniques d’oscillation ».

4. Voir le chapitre 3 « Lieu sûr/Lieu calme et installation de ressources ».

5. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 22 « La Boîte de Vitesses ».


Chapitre 25

EMDR et trouble de la personnalité

Un défi en psychothérapie
Emmanuel Augeraud

L’accompagnement des sujets présentant des troubles de la personnalité (TP) est un défi pour le psychothérapeute. En effet,
celui-ci est considéré comme difficile, long et complexe. Pourtant la psychothérapie en est le traitement central.
Dans la littérature médico-psychologique c’est surtout le trouble de la personnalité borderline ou état limite qui fait l’objet
de plus d’études avec des thérapies validées cognitivo-comportementales et psychodynamiques (Cristea et al., 2017)
comme :
la thérapie comportementale dialectique de Linehan
la thérapie cognitive de Beck
la thérapie des schémas de Young
la psychothérapie centrée sur le transfert de Kenberg
la thérapie basée sur la mentalisation de Fonagy
À notre connaissance, en dehors de la thérapie des schémas et de la thérapie cognitive il n’y a pas de recherche validée
pour les autres TP.
Quant à la thérapie EMDR, elle est indiquée pour les TP mais n’a pas fait l’objet d’étude contrôlée.
Après un bref rappel sur ce que sont les TP en psychiatrie et leurs origines, ce chapitre abordera comment l’EMDR peut
contribuer à traiter ces troubles en s’appuyant sur le modèle de Traitement Adaptatif de l’Information (TAI) ainsi que sur
d’autres modèles. Nous y adjoindrons des vignettes cliniques pour illustrer notre propos.

LES TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ

L’observation attentive et prolongée d’une personne permet d’observer, dans


ses conduites, certaines tendances relativement systématiques à penser, à
ressentir et à agir, qui la caractérisent et en font une personne unique, une
personnalité, stable dans le temps, spécifique d’un individu et structurée à
l’âge adulte. Pour faire simple la personnalité normale d’un sujet est
l’association de son caractère (acquis par l’environnement et l’expérience) et
son tempérament (inné, biologique, génétique). Voyons maintenant la
définition des TP, leurs origines et une clarification fonctionnelle utile pour la
pratique psychothérapeutique EMDR.

▶ Définition

Le DSM-V (APA, 2013) définit les TP comme des modèles envahissants


(rigides et mal adaptés) d’instabilité des relations interpersonnelles, de
l’image de soi, des affects. Ces modèles commencent au début de l’âge adulte
et sont présents dans une variété de contextes (professionnel, amical, familial,
scolaire…). Ils sont stables dans le temps.
Il est important pour la suite de notre propos, de prendre en compte le fait que
cette définition sous-entend :
une construction des troubles dans l’enfance ;
un retentissement relationnel ;
une souffrance psychique personnelle ;
des traits égosyntoniques.
La prévalence élevée de ces troubles (9,1 % selon le DSM-V), leur
comorbidité très élevée, ainsi que leurs impacts très lourds sur l’adaptation et
le fonctionnement psychosocial en font une priorité de santé publique.
Pourtant, ces troubles sont souvent exclus des études car complexes et
difficiles à traiter.

▶ Origine

Les facteurs génétiques sous-jacent à ces troubles n’ont pas encore été
identifiés par la recherche.
Il n’en reste pas moins que ce sont les premières relations du nouveau-né
avec ses parents, sa mère le plus souvent, qui vont poser les bases de sa
personnalité modifiée au cours de son développement par son environnement
relationnel (Sutter-Dallay, 2009). Bien entendu, toutes perturbations
d’attachement dans le développement de cet enfant en devenir le rendront
vulnérable à des troubles de la personnalité et autres psychopathologies
(Schore, 1994).
Il n’y a pas que les troubles de l’attachement qui peuvent modifier la
personnalité d’un individu. Il y a aussi les traumatismes, les négligences, les
carences et autres abus dans l’enfance (Felitti, 1994) ainsi que les
dysfonctions familiales dans son développement (Cohen, 2001).
Ainsi, il semble actuellement que l’origine « traumatique », entre autres, des
troubles de la personnalité fasse consensus. La psychothérapie EMDR a donc
sa place dans l’accompagnement des TP.
Certains auteurs EMDR (Mosquera et al., 2011) représentent l’origine des
troubles de la personnalité selon un graphique à trois cercles (cf. figure 25.1).
Chaque cercle correspond à l’importance des facteurs étiologiques du sujet
atteint d’une personnalité pathologique. Il nous semble important de
reproduire ce type graphique car, issu de l’histoire singulière de chaque
patient, il peut servir de base psychoéducative et il guide le psychothérapeute
dans son programme de soin.
Figure 1. Origines des troubles de la personnalité selon Mosquera et al., (2011)

▶ Clarifications pour la pratique psychothérapeutique

Lorsqu’on parle de troubles de la personnalité avec le DSM, on n’a qu’une


description des caractéristiques comportementales manifestes mais pas des
caractéristiques plus subtiles, « dissimulées », comme leur vulnérabilité. On
peut ainsi représenter les TP selon la figure 25.2 avec l’exemple de la
personnalité narcissique.

Figure 2. Exemple de la personnalité narcissique au-delà du DSM-V

Ainsi, si l’on ne se réfère qu’aux critères diagnostiques, il est compliqué de


« faire de l’EMDR » De plus, les symptômes DSM (cf. couches de défenses
de la figure 25.2) dissuadent souvent les psychothérapeutes de les
accompagner. Comment faire alors ? Une des réponses est une
conceptualisation psychopathologique de leurs symptômes manifestes et
subtiles en intégrant divers modèles et théories faisant consensus et
permettant le travail psychothérapeutique.

CONCEPTUALISATION DES TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ


L’origine ainsi définie et l’analyse fonctionnelle des troubles de la
personnalité correspondent à l’arrière-plan théorique du modèle TAI
(Shapiro, 2001) et intègre aussi pour la conceptualisation :
la théorie de l’attachement (Bowlby, 1982 ; Main, 1990) ;
la théorie de la dissociation structurelle de la personnalité (Van der Hart et
al., 2006) ;
le modèle des modes de schémas (Young, 2003).
À l’instar de Gonzalez & Mosquera (2012) nous pensons que ces théories
augmentent les potentialités du model TAI pour la conceptualisation, la
psychoéducation, l’utilisation des stratégies ainsi que leurs impacts pour la
thérapie EMDR. Nous allons expliquer pourquoi dans les paragraphes
suivants.
Nous ne développerons néanmoins pas les deux théories puisqu’elles
intègrent les deux autres modèles pour la thérapie des TP.

▶ Le modèle TAI de Shapiro

En tant qu’approche psychothérapeutique, l’EMDR est basé sur le modèle


TAI (Shapiro, 2001). La compréhension de ce modèle permet :
d’expliquer les phénomènes psychopathologiques des patients ;
de guider la conceptualisation du cas et des procédures à mettre en place ;
de prédire les résultats du traitement ;
Les présupposés à ce modèle inné et intrinsèque sont :
que nos souvenirs sont stockés dans nos réseaux de neurones cérébraux ;
que ces souvenirs sont « traités » de manière fonctionnelle et adaptative
(par exemple un souvenir traumatique est traité pour le rendre plus
supportable) ;
que les symptômes psychopathologiques sont quant à eux la conséquence
d’un traitement dysfonctionnel par nos réseaux de mémoire, c’est-à-dire
incapables de se connecter à des expériences positives et de donner au Soi
(personnalité) une perspective déictique.
En effet, les traits de personnalité « normaux » caractéristiques et habituels
résultent d’expériences stockées de manière adaptée dans nos réseaux
neuronaux. Pour les personnalités pathologiques les événements
psychologiques (affects, pensées, images mentales…) et réponses
comportementales (défenses) caractéristiques sont rigidifiés. Chacun d’eux
provient d’expériences passées stockées de manière dysfonctionnelle en
réseau de mémoire. Dans le traitement EMDR chacune de ces réponses est
identifiée, ciblée à travers un souvenir et retraitée.
Gonzalez & Mosquera (2012) étendent le modèle de Shapiro en parlant d’une
part d’informations plutôt que de mémoires dysfonctionnellement stockées et
d’autre part distinguent l’information extéroceptive (traumatique) c’est-à-dire
résultant de l’environnement de l’information intéroceptive (défenses,
phobies dissociatives et autres expériences dysfonctionnelles
intrapsychiques) c’est-à-dire résultant de nos processus mentaux.
Voyons comment le modèle des modes de schéma de Young peut s’y intégrer
et se confond avec le modèle TAI.

▶ Les modes de schémas de Young

La thérapie des schémas (Young, 2003) est centrée sur les notions de
schémas précoces inadaptés et de stratégies précoces qui sont à la base de la
construction de la personnalité et donc des troubles de la personnalité.
À partir de l’interaction entre tempérament, besoins affectifs fondamentaux
relationnels (excès ou déficits), dont le besoin d’attachement, et des
expériences de vie précoces (traumatisations, victimisations et introjections
de personnes significatives (parentales ou non) s’engramment des
représentations mentales appelées schémas précoces concernant soi-même et
le monde.
Young a fait évoluer la thérapie des schémas pour traiter notamment les
troubles de la personnalité vers la notion de modes de schémas ou modes.
Ceux-ci sont des états du moi ou facettes de la personnalité séparées par une
dissociation au sens de Janet et repris par Van der Hart dans la dissociation
structurelle de la personnalité (Van der Hart et al., 2006).
Young définit le mode comme un ensemble de schémas (vulnérabilité) et ou
de stratégies d’adaptation (défenses) à un moment donné, c’est-à-dire un état
émotionnel associé à un comportement et une pensée (cognition négative en
EMDR) latent, inconscient et déclenché par un événement de la vie
quotidienne du sujet ressemblant à un événement du passé. On peut donc dire
en terme TAI que le mode est un souvenir, ou mieux une information, intéro-
et extéroceptive (fait d’émotion, de sensation, de cognition négative et de
perception sensorielle (image) dysfonctionnellement stockée dans un réseau
neurobiologique.
Young distingue plusieurs modes :
infantile caractérisé par une émotion (honte, colère, tristesse ou peur),
expression des systèmes émotionnels innés de Panksepp (1998). Ces
modes enfants correspondent à la vulnérabilité de la personnalité ;
stratégique de défense ou d’adaptation (actions) que sont la fuite, la
sidération ou l’attaque (Porges, 2011) respectivement stratégies précoces
d’évitement, de soumission ou de compensation ;
malveillant correspondant à des introjects de figures significatives (parents
le plus souvent). En raison des mécanismes de l’attachement (Bowlby,
1969/1982), l’enfant « copie » le fonctionnement du donneur de soins pour
l’intégrer dans sa personnalité ;
sain qui est le sujet normal dans son fonctionnement au travail, dans ses
relations interpersonnelles etc. C’est ce mode que le thérapeute cherche à
développer chez son patient.
Modèle TAI et modes de schéma se superposent.

EMDR DES TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ

Le consensus actuel de l’accompagnement psychothérapeutique des cas


complexes souvent dissociés (dissociation structurelle secondaire ou mode
selon respectivement Van der Hart et al., 2006 et Young et al., 2003) comme
les patients présentant des troubles de la personnalité est un traitement par
étapes (Brown et al., 2008 ; Herman, 1992 ; International Society for the
Study of Trauma and Dissociation [ISSTD], 2011).
Ces trois étapes seront en toile de fond du protocole EMDR que nous
décrirons en y intégrant les adaptations nécessaires pour l’accompagnement
des troubles de la personnalité et l’illustrerons de cas cliniques. Notons d’ores
et déjà que :
la thérapie des troubles de la personnalité débute toujours une fois réalisée
une conceptualisation individualisée des problèmes et ressources du
patient. Une bonne conceptualisation rendra l’EMDR sûre et efficace.
Nous utilisons pour cela le modèle des schémas précoces et modes de
Young tout en gardant comme fil conducteur le modèle TAI de Shapiro.
Dans ce chapitre nous ne développerons pas la conceptualisation et le plan
de traitement (phase 1 de la thérapie EMDR) bien qu’indispensable, car
sortant du cadre de ce chapitre. Ils seront néanmoins décrits brièvement
dans les vignettes cliniques
les différentes interventions EMDR seront guidées en veillant à ce que le
patient puisse rester dans sa fenêtre de tolérance (Siegel, 1999) pour éviter
toute re-traumatisation ;
les étapes 1 et 2 s’alternent ;
l’étape 3 est incorporée tout au long de la thérapie ;
la psychoéducation sous forme de questions de curiosité, sera nécessaire
tout au long du processus.

▶ Étape 1 : stabilisation

Cette étape correspond à la phase 2 du protocole EMDR.


Les objectifs de cette étape sont d’améliorer la fonctionnalité du patient dans
sa vie quotidienne et d’assurer sa sécurité notamment dans ses relations
interpersonnelles, et que le patient revienne en thérapie. Le travail quant à lui
va consister à réduire ses symptômes, l’aider à réguler ses émotions, d’élargir
ses compétences surtout relationnelles. Il s’agit donc de développer chez le
patient des ressources réalistes et non défensives.
Le thérapeute doit réaliser que le patient rejoue des modèles d’attachements
traumatiques et que ceux-ci seront activés lors des séances. Quelle que soit
son orientation, la relation thérapeutique visera un attachement sécure.
Nous utilisons entre autres la technique du « reparentage » (Young et al.,
2003) pour activer à la fois les ressources du patient et rétablir ces
attachements sécures. Nous explorons les souvenirs positifs qui apparaîtront
dans le retraitement comme des ressources. Pour l’aider à tolérer et réguler
ses affects nous employons aussi des méthodes de psychoéducation, de
construction de compétence, de pleine conscience, de travail sensori-moteur
(Ogden et al., 2006), de protocoles EMDR spécifiques comme le travail sur
les phobies des parties dissociatives (Gonzalez & Mosquera, 2012). La
vignette clinique suivante décrit la méthode.
Lisa
Lisa (L) présente un trouble de la personnalité état limite.
Nous avons établi la conceptualisation suivante :
Un enfant vulnérable avec émotions : tristesse, peur et honte et schémas d’imperfection, de carences affectives et de
méfiance et abus acquis dans un environnement familial dysfonctionnel
Un protecteur détaché avec des stratégies d’évitement comme abus de substance, trouble du comportement
alimentaire etc…
Après quelques mois de travail avec son adulte sain qui s’avère peu développé et une hospitalisation pour sevrage de son
trouble de l’usage de Tramadol°, Lisa s’engage dans des études de psychologie. Après six mois sans nouvelles du fait de
ses études elle reprend contact et consulte dans un état d’angoisse palpable.
… « Je suis paniquée, comme une sensation de perdre le contrôle »
Le thérapeute (T) cible cette sensation.
T : Vous ressentez ça où dans votre corps ?
L : J’ai peur partout.
T observe un non verbal (NV) de frayeur, Lisa est figée. Après une technique sensorimotrice, Lisa se sent plus apaisée,
plus présente et dit : « J’ai un truc qui me tourne dans la tête, je me laisse pas aller »
T : Restez en contact avec ce truc et SBA.
L : Il y a un autre truc dans mon corps.
T : Notez ça – SBA.
T observe L se plier en deux et L de dire : « j’ai mal au ventre » en posant sa main sur son bas-ventre. T suppose une
partie émotionnelle (Van der Hart et al., 2006) ou l’expression d’un mode enfant vulnérable (Young, 2003).
T aide L à retourner dans sa fenêtre de tolérance puis SBA. Tout à coup L lâche les poires de l’appareil de SBA et dit
« ok, il y a un événement déclencheur : j’ai frappé un mec de 120 kg qui voulait violer ma copine ».
L et T débriefent ce qui vient de se produire. T demande : « et votre douleur ? ».
L : Elle est là (NV congruent) .
SBA
L : La douleur persiste.
SBA
L : C’est dans le bas-ventre, c’est pas pour rien qu’elle est là.
SBA
L : J’ai peur de me retrouver enceinte.
SBA
L : C’est à la fois une peur et une envie. Dans son NV, L réfléchit et rajoute : « Quand je couche avec un homme je le
fais à la roulette Russe » (pas de protection).
SBA, sa douleur augmente.
T : Qu’est-ce que veut dire cette douleur ? (Tissage)
SBA
L : C’est une protection, mon corps essaie de me protéger… toujours NV de réflexion

Le reste de l’entretien consiste en un travail psychoéducatif sur ce qui s’est passé en séance.

En résumé, cette étape doit permettre au thérapeute de voir au-delà des


symptômes DSM. Il doit aussi garder à l’esprit que les défenses des patients
seront très présentes, surtout au début. De plus, le modèle TAI guide ses
interventions. Soit le patient a l’information adaptative et le thérapeute peut
alors faire de l’EMDR. Soit il n’a pas cette information. Dans ce cas elle lui
est apporté par d’autres outils que l’EMDR comme la normalisation et la
psychoéducation qui tisseront le travail psychothérapeutique.

▶ Étape 2 : traitement du souvenir traumatique

Même si le travail psychothérapeutique avec les troubles de la personnalité


est un travail par étapes, celle-ci s’alterne avec la précédente.
Cette étape correspond aux phases 3 à 8 du protocole EMDR. Elle ne pourra
être réalisée que si
la relation thérapeutique est établie ;
les principales défenses sont tombées ;
le patient a acquis un certain sentiment de maîtrise, de contrôle et de soin
de soi.
Au cours de cette étape le protocole EMDR doit être adapté. Nous résumons
ces adaptations dans le tableau 25.1 et nous donnerons un exemple clinique
pour illustrer une stratégie, « la stratégie du bout du doigt » (Gonzalez &
Mosquera, 2012).
Tableau 25.1. Adaptations du protocole EMDR
dans le traitement des troubles de la personnalité
Concernant le choix des cibles, nous conseillons de cibler :
celles qui sont en lien avec les symptômes actuels et l’aggravation des
symptômes ;
celles en lien avec des croyances (schéma précoces) ou modes survenant
en séance ;
celles en lien avec la létalité (conduites à risque auto et hétéro agressives).
Lisa
Après plusieurs semaines par rapport à la précédente séance (cf. plus haut), Lisa revient et annoncera (phase 8 du
protocole EMDR) ne plus avoir consommé de cannabis, retrouver l’appétit et être plus sereine par rapport au fait d’avoir
compris « l’épisode déclencheur qui a fait ressurgir des problèmes que je pensais réglés ! »
Un des problèmes est un souvenir d’un viol subi à 13 ans par un frère de sa mère que nous avons retraité en 2 séances.
Image : moment où sa mère dit : « ça se voit que vous n’avez pas fait que du tricot »
Cognition Négative : je suis en danger
Cognition Positive : je suis en sécurité
VoC : 2 – séance 1 6 – séance 2 7
Émotions : peur et colère
SUD : 7 – séance 2 1,5 – séance 2 0
Sensation corporelle : ventre
Au cours de la première séance nous avons utilisé la stratégie du bout du doigt, partie retranscrite ci-après :

T : (observant Lisa bloquée par une forte émotion de colère, considérée comme une conséquence périphérique de la
mémoire traumatique) Vous observez cette facette de vous qui contient cette colère ?
L : Oui, c’est plus que de la colère…
T : Où dans votre corps ressentez cette rage ?
L : Dans mes mains (poings fermés)
T : Notez ça. BLS
L : C’est relié à ma mère (insight ; parent punitif)
T : Et comment est la tension ? Pas le temps de terminer la phrase que Lisa répond étonnée « ça a disparu »
Le travail sur la cible a pu se poursuivre normalement.

▶ Étape 3 : réintégration/réhabilitation

Nous avons tous des modes et nous les contrôlons à travers le mode adulte
sain. À l’étape 1 l’adulte sain apprend à s’autoréguler par « modeling »
notamment du thérapeute. À l’étape 2 il objective des « actes de triomphe »
(expression de Janet) et à l’étape 3 nous l’aidons à travailler l’intégration des
différents modes et la réhabilitation. C’est-à-dire vivre une nouvelle vie. Une
vie sans défense rigide (ce qui était utile dans le passé ne l’est plus), une vie
pleine de sens orientée vers ce qui est important, ses propres valeurs et
aspirations.
Le thérapeute doit bien comprendre que cette étape ne vise plus une
rémission symptomatique mais bien une rémission fonctionnelle dans les
domaines relationnels interpersonnels, familiaux et de l’intimité. Ceci est
possible parce qu’il existe un continuum entre dissociation et intégration et
entre attachement désorganisé et attachement sécure.
La vignette clinique suivante décrit brièvement cette phase de réhabilitation
psycho sociale.
Christophe
Christophe âgé de 26 ans présente un trouble schizotypique de la personnalité, associé à un trouble obsessionnel
compulsif (TOC) invalidant comorbide d’addiction à l’alcool, aux benzodiazépines et de dépendance au tabac. Violenté
et séquestré par son père qu’il appelle son géniteur il vit actuellement dans la région paloise avec sa mère et sa petite
sœur de 15 ans sa cadette (ont fui la région de Nice).
Après un long travail d’un an et demi de « modeling » de son adulte sain (étape 1) émaillé d’hospitalisation de sevrage
de son trouble de l’usage à l’égard de l’alcool et de benzodiazépines (protecteur détaché selon la théorie de Young), de
travail EMDR (étape 2) avec son mode enfant vulnérable, Christophe obtient une vie qui lui convient. En effet, il ne
consomme plus aucune substance psycho active, il est sevré de benzodiazépine et ne prend plus d’antipsychotique.
Aussi, grâce au travail de l’étape 3, il a une relation (sa première) stable avec une compagne, il travaille comme
manutentionnaire dans une jardinerie et suis une formation par correspondance dans le domaine de la sociologie, il
s’occupe de sa sœur comme un grand frère (il n’agit plus comme le protecteur contre « le géniteur »)… Il garde
néanmoins quelques symptômes de trouble obsessionnel compulsif devenu egodystonique avec obsession de malheur et
compulsions de vérification qui ne lui prennent seulement que quelques minutes par jour et ne le handicape plus…

Nous avons essayé de montrer qu’avec l’EMDR et son modèle (TAI) associé à d’autres théories et modèles, il était
possible de traiter les troubles de la personnalité.
L’accompagnement psychothérapeutique des troubles de la personnalité n’obéit donc pas à un protocole. Il laisse au
thérapeute EMDR beaucoup de créativité en respectant certaines règles issues de l’expérience clinique et exposées dans ce
chapitre.
Enfin, notre pratique psychothérapeutique et nos lectures nous amènent à penser que grâce à l’EMDR il serait possible de
prévenir les troubles de la personnalité. Comment ? En intervenant tôt, dès l’enfance, pour réduire les conséquences
traumatiques ou vécues comme telles par l’enfant et en aidant les donneurs de soins, notamment les parents.

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Chapitre 26

La prise en charge du trauma


dans la psychose

Psychose, dissociation et psychotraumatisme


Jenny Ann Rydberg et Andrew Moskowitz

La psychose était encore considérée comme une contre-indication à la psychothérapie EMDR il y a une dizaine d’années.
Sont apparues ensuite les premières études indiquant que les patients atteints de troubles psychotiques peuvent être pris en
charge en EMDR sans nécessiter d’adaptation aux procédures standard. Aujourd’hui, plusieurs conceptions du traitement
EMDR des troubles psychotiques sont préconisées, certaines favorisant une approche standard doublée d’une expérience
auprès de cette population, d’autres s’appuyant davantage sur la compréhension des relations entre la psychose, la
dissociation et le psychotraumatisme.

PSYCHOSE ET DISSOCIATION

Les termes « psychose » et « dissociation » ont eu des significations


différentes selon les époques et, encore de nos jours, renvoient à des notions
très variables selon le clinicien ou l’auteur qui les emploie.

▶ Dissociation

C’est au XIXe siècle qu’un sens psychologique a d’abord été attribué au terme
dissociation, notamment par Janet (qui employait également désagrégation),
afin de désigner une division de la personnalité. Pour Janet, cet état de
désagrégation se produit lorsque :
« […] la puissance de synthèse psychique est affaiblie et laisse échapper, en dehors de la
perception personnelle, un nombre plus ou moins considérable de phénomènes psychologiques »
(Janet, 1889).

Cette notion de division de la personnalité est également présente dans la


théorie de la dissociation structurelle de la personnalité (Van der Hart,
Nijenhuis et Steele, 2006). Cependant, le terme dissociation est également
utilisé dans un sens beaucoup plus large, incluant certaines altérations de la
conscience (comme le phénomène d’absorption). Les définitions
« officielles » décrites dans la CIM-10 (Organisation mondiale de la santé
[OMS], 2006) et le DSM-IV et -V (American Psychiatric Association [APA],
1994, 2013) sont vastes et vagues, évoquant des perturbations ou des
« discontinuités » dans l’intégration de toute une palette de fonctions
mentales et physiques, dont la conscience, la mémoire, la perception et le
contrôle moteur.

▶ Psychose

Le concept de psychose est également utilisé dans des acceptions divergentes


et recouvre un ensemble de troubles psychopathologiques. Dans les manuels
officiels de diagnostic, est atteint d’un trouble psychotique un individu
présentant des symptômes ou des épisodes psychotiques caractérisés par une
altération du « sens de la réalité », tels que des délires, des hallucinations, des
troubles de la pensée et du comportement, des croyances étranges ou fausses,
sentiment d’être contrôlé par une force extérieure.
En France, des nosographies alternatives sont également employées,
considérant la psychose comme un ensemble de maladies comprenant
notamment la schizophrénie, le trouble bipolaire (anciennement psychose
maniaco-dépressive) et les délires chroniques paranoïaques, ou encore se
référant à la notion psychanalytique de structures psychotiques opposées aux
structures névrotiques.

▶ Symptômes psychotiques et dissociation

La conception originale de la schizophrénie, proposée par Bleuler (1911),


comporte des similitudes marquées avec le concept de la dissociation, bien
que celles-ci aient été peu reconnues (Moskowitz, 2008 ; Moskowitz et Heim,
2011).
« J’appelle la démence précoce schizophrénie parce que, comme j’espère le démontrer, la
scission (Spaltung) des diverses fonctions psychiques est un de ses caractères les plus
importants. Pour des raisons de commodité, j’emploie le mot au singulier bien que le groupe
contienne vraisemblablement plusieurs maladies » (Bleuler, 1911 [traduction d’Alain Viallard,
2012]).

Toutefois, le diagnostic actuel de la schizophrénie, tel que proposé par la


CIM-10 (OMS, 2006) et le DSM-IV et -V (APA, 1994, 2013) insiste
davantage sur les symptômes psychotiques. De plus, certains symptômes
psychotiques tendent à considérer comme plus importants que d’autres, à
savoir les symptômes de premier rang décrits par Schneider (1959) (par
exemple, entendre des voix, insertion ou retrait de pensées, délires de
contrôle). Or, ces mêmes symptômes se retrouvent habituellement dans le
trouble dissociatif de l’identité (TDI), certaines études indiquant même qu’ils
sont plus fréquents dans le TDI que dans la schizophrénie (Dorahy et al.,
2009), ce qui indique qu’un nombre de patients recevant un diagnostic de
schizophrénie ou de psychose pourraient être mieux compris et pris en charge
en tant que personnes souffrant de symptômes dissociatifs (Gonzalez,
Mosquera et Leeds, sous presse).
De plus, de nombreuses études ont montré que les hallucinations verbales
auditives (le fait d'entendre des « voix ») possèdent une relation très puissante
avec la dissociation, ce qui amène certains à arguer que ce symptôme serait
mieux conçu comme caractérisant la dissociation, plutôt que la psychose
(Moskowitz & Corstens, 2007 ; Longden, Moskowitz, Dorahy, Perona-
Garcelán, sous presse).

PSYCHOSE ET TRAUMA
▶ Le trauma de la psychose

L’expérience de la psychose est elle-même traumatisante. En premier lieu, la


thérapie EMDR présente l'intérêt de permettre de traiter les effets liés à
l’expérience traumatisante d’être psychotique. En effet, les symptômes
psychotiques, la prise en charge (pouvant comprendre des hospitalisations
sous contrainte, des mesures de contention, l’isolement et des effets
secondaires considérables liés aux neuroleptiques) et les conséquences d’une
telle maladie chronique et invalidante peuvent avoir un effet accablant sur
l’individu (Gonzalez, Mosquera & Leeds, sous presse).

▶ Les expériences de vie défavorables

Les expériences de vie défavorables ou indésirables (dites adverse life events


en anglais), antérieures ou récentes, peuvent déclencher des épisodes
psychotiques. Ces expériences peuvent alors se refléter dans le contenu des
hallucinations et des délires. Par ailleurs, la symptomatologie psychotique
peut conduire l'individu à vivre d’autres expériences traumatiques (par
exemple, agressions, rejet et isolement social). Enfin, le tableau psychotique
peut amplifier l'impact d'un événement traumatisant non associé à la
psychose (accident de voiture). Bien que ces interactions soient significatives
sur le plan clinique, elles sont rarement prises en compte dans les soins
habituels proposés (Van der Vleugel, Van Den Berg et Staring, 2012).

▶ Symptômes psychotiques et post-traumatiques

Plusieurs symptômes psychotiques pourraient également se comprendre


comme relevant d’un état de stress post-traumatique simple ou complexe,
certaines hallucinations pouvant correspondre à des flash-backs ou à des
reviviscences d’expériences traumatisantes antérieures. Cette hypothèse peut
se tester en ciblant en EMDR les expériences traumatiques de l’individu.

L’EMDR DANS LA PSYCHOSE


▶ La recherche

La plupart des études publiées portent sur l’utilisation des procédures EMDR
standard dans la prise en charge d’individus atteints de troubles psychotiques.
Ainsi, en 2012, Van den Berg et Van der Gaag (2012) ont montré que l’état
de stress post-traumatique pouvait être traité en EMDR chez des patients
psychotiques sans apporter de modification aux procédures standard. Cette
prise en charge a produit des effets positifs sur les hallucinations auditives
verbales (voix), les idées délirantes, les symptômes anxieux et dépressifs, et
l’estime de soi.
L'année suivante, un essai de faisabilité a évalué l’efficacité et l’innocuité de
deux formes de prise en charge psychothérapeutiques centrées sur le trauma,
l’exposition prolongée et l’EMDR, chez des patients atteints d’un ESPT et
d’un trouble psychotique comorbide. Les résultats ont montré l’efficacité
dans les deux types de prise en charge, avec une diminution importante des
symptômes de stress post-traumatique, sans aucune aggravation des
hallucinations, des idées délirantes, de la psychopathologie générale ou du
fonctionnement social (De Bont, Van Minnen et De Jongh, 2013). L’absence
d’exacerbation des symptômes et d’événements indésirables a été confirmée
dans une autre étude par Van den Berg et al. (2015).
Croes et Staring (2014) ont plutôt ciblé l’imagerie psychotique qui est
devenue moins vive et moins chargée émotionnellement. De plus, ces
patients pris en charge par l’EMDR ont rapporté une diminution de leurs
symptômes anxieux, dépressifs et psychotiques, une réduction de leurs
comportements d’évitement, ainsi qu’une plus grande clarté cognitive.
Dans leur étude de cas portant sur quatre patients psychotiques, Laugharne,
Marshall, Laugharne et Hassard (2014) ont décrit un maintien de
l’amélioration des symptômes d’ESPT lors du suivi après trois et six ans.
Van Minnen et ses collègues (2016) ont confirmé que les patients
psychotiques présentant un ESPT peuvent tirer bénéfice d’une prise en
charge standard en EMDR de leurs expériences traumatiques. De plus, ils ont
observé que les effets étaient particulièrement marqués chez les individus
correspondant à la sous-catégorie dissociative de l’ESPT (introduite dans le
DSM-V).
Une méta-analyse récente (Sin et Spain, 2017), portant sur cinq essais
randomisés contrôlés, a conclu que les prises en charge psychothérapeutiques
centrées sur le trauma, y compris la thérapie EMDR, sont efficaces dans la
réduction des pensées et images intrusives, des croyances négatives associées
aux souvenirs traumatiques, de l’hypervigilance et de l’évitement.

▶ Les approches cliniques


Au niveau des descriptions d’approches cliniques et des préconisations pour
les prises en charge de patients psychotiques, quelques auteurs déclarent que
la prise en charge standard EMDR s’applique et limitent leurs conseils au
choix des cibles. La population concernée semble comporter plusieurs
comorbidités « simples », par exemple schizophrénie et ESPT simple. De
nombreux autres cliniciens, au contraire, évoquent particulièrement les
tableaux cliniques complexes, comprenant souvent des symptômes multiples
pouvant être compris comme relevant de plusieurs diagnostics tels que le
trauma complexe, les troubles dissociatifs, les troubles de la personnalité et
les troubles psychotiques.
Van den Berg et ses collègues (2013) préconisent une approche EMDR
standard pour les patients psychotiques mais soulignent qu’il est essentiel de
posséder déjà une expérience de la prise en charge de ces personnes et du
travail en équipe pluridisciplinaire, et de connaître la complexité des troubles
psychotiques, la présence de troubles comorbides. Ils préconisent ensuite
d’utiliser l’approche des deux méthodes (De Jongh, Ten Broeke, & Meijer,
2010) pour constituer les plans de ciblage.
Van der Hart, Groenendijk, Gonzalez, Mosquera et Solomon (2013, 2014)
ont développé une intégration des apports de la prise en charge orientée par
phases et de la théorie de la dissociation structurelle dans la thérapie EMDR
pour les patients présentant des troubles traumatiques complexes.
Le modèle de Miller (2015), nommé ICoNN (Identifying Cognitions of
Negative Networks ou cognitions révélatrices de réseaux négatifs) se combine
avec celui du traitement adaptatif de l’information afin d’identifier les
réseaux mnésiques dysfonctionnellement engrammés à cibler. L’auteur attire
l’attention sur les convergences entre psychose, dissociation et trauma,
considérant que les phénomènes psychotiques sont de nature dissociative. On
peut regretter ce raccourci qui n’admet plus la possibilité que certains
troubles psychotiques soient de nature non dissociative ni qu’ils puissent
posséder une spécificité. Par ailleurs, la majorité des cas présentés par Miller
ne semblent pas relever de la psychose mais présentent plutôt d’autres formes
de symptômes psychiatriques.

Tant la recherche que les témoignages cliniques montrent que la psychothérapie EMDR est tout à fait possible et même
indiquée dans la prise en charge des troubles psychotiques, dont la schizophrénie. Sur le plan scientifique, les liens entre
psychose, trauma et dissociation doivent encore être clarifiés, notamment en ce qui concerne l’existence d’une sous-
catégorie dissociative de la schizophrénie. Pour le clinicien expérimenté dans la prise en charge des troubles psychotiques,
il est à retenir que l’EMDR ne présente pas plus de risque dans cette population que dans les autres. Seule la spécificité de
chaque tableau clinique individuel et des antécédents associés pourra guider le thérapeute dans la formulation de son plan
de prise en charge et du choix des adaptations qu’il appliquera ou non aux procédures standards.

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Chapitre 27

Dépression et EMDR

De l’intérêt de travailler en EMDR


avec les patients souffrant de dépression
Nathalie Malardier

La dépression, ou État Dépressif Majeur, est une maladie qui peut impacter tous les âges, toutes les catégories socio-
professionnelles, toutes les personnes à travers le monde.
D’intensité légère, modérée à grave, elle peut se présenter seule, mais s’accompagne souvent d’autres pathologies, et peut
intervenir de manière récurrente et chronique.
Les symptômes dépressifs chez nos patients sont courants et nécessitent une prise en charge particulière qui prend en
compte les spécificités de ces troubles, les traitements médicamenteux et des risques suicidaires qui peuvent être associés.
La thérapie EMDR, par ses exercices de stabilisation et de restructuration cognitive, apparaît comme une forme de prise en
charge tout à fait adaptée à cette pathologie complexe.

LA DÉPRESSION
▶ Qu’est-ce que la dépression ?

La dépression n’est pas un « mal-être » passager, ni un « coup de blues » :


c’est une maladie qui touche environ 300 millions de personnes à travers le
monde (Who, 2017). En France, l’enquête baromètre santé de l’Inpes (2005-
2010) révèle que 7,8 % de la population est touchée, ce qui représente plus de
3 millions de Français ayant présenté un épisode dépressif majeur ou
caractérisé dans les 12 derniers mois. Cette enquête montre aussi que 19 %
des Français de 15 à 75 ans (soit près de 9 millions de personnes) ont vécu ou
vivront un épisode dépressif au cours de leur vie.
Pour pouvoir parler de dépression, et donc de maladie, il faut présenter au
moins cinq symptômes ou perturbations de l’humeur (caractérisés dans le
DSM-V) qui durent depuis au moins deux semaines.
Ces perturbations doivent entraîner une gêne importante au niveau affectif,
social, professionnel ou dans d’autres domaines importants de la vie
quotidienne via un « ralentissement » dans différents registres : vie affective,
fonctionnement intellectuel, forme physique, mécanismes vitaux et corporels.
La dépression peut se décliner en différents types. Elle se manifeste le plus
souvent sous forme d’épisodes dépressifs majeurs ou caractérisés. Quand la
dépression s’installe dans le temps, on parle de dépression chronique ou
dysthymie. Les troubles bipolaires constituent quant à eux un trouble
spécifique qui alterne phases de dépression et phases de surexcitation.
La dépression résulte d’un ensemble de mécanismes de diverses natures,
encore imparfaitement connus. On distingue habituellement les facteurs
biologiques, psychologiques et environnementaux (environnement social
et/ou familial). Certains de ces facteurs interviennent très en amont de la
dépression, ils « préparent le terrain », on parle alors de facteurs de risque ou
de vulnérabilité. En effet, la recherche montre qu’un lien peut exister entre
des événements traumatiques – comme le vécu d’abus dans l’enfance,
(Teicher et al., 2009), la maltraitance / l’humiliation (Nanni et al., 2012), les
pertes, le danger, (Kendler et al., 2003) – et le développement d’un trouble
dépressif plus tard. D’autres facteurs interviennent juste avant la dépression,
ils la « déclenchent » : on parle alors de facteurs précipitants.

▶ L’EMDR, une prise en charge efficace ?

La dépression nécessite une prise en charge, à la fois médicale avec des


traitements (médicaments antidépresseurs) et psychothérapeutique, qui sera
adaptée à chaque personne et à l’intensité de ses troubles. Cependant, cette
maladie est relativement mal soignée même si plusieurs interventions
psychothérapeutiques et pharmacologiques peuvent être considérées comme
efficaces. En effet, le taux de rechute reste très élevé (environ 50 % après
deux ans) ; les améliorations insuffisantes et les risques suicidaires figurent
parmi les problèmes les plus importants.
Il s’avère donc primordial d’ouvrir la prise en charge à de nouvelles
méthodes, comme l’EMDR. En effet, de nombreuses études scientifiques ont
démontré que l’EMDR est l’un des outils les plus efficaces pour traiter le
trouble de stress post-traumatiques (TSPT). Un certain nombre d’études
montre également que l’EMDR est une méthode psychothérapeutique
efficace pour d’autres troubles, comme la dépression, qui sont basés en partie
sur des souvenirs stressants. Une des explications est que les souvenirs non
réglés des événements de vie négatifs ou traumatiques ou stressants précédant
l’apparition de la dépression contribuent eux aussi à la maintenir.
En utilisant l’EMDR lors de la prise en charge, les auteurs obtiennent des
résultats très encourageants : de la réduction des symptômes à la rémission
complète à la fin du traitement, moins de rechutes à un an et augmentation de
leur qualité de vie (Bae et al., 2008 ; Hofmann et al., 2013 ; Wood et
Ricketts, 2014 ; Hase et al., 2015 ; Ostacoli et al., 2018).

L’EMDR COMME TRAITEMENT DE LA DEPRESSION : APPROCHE ET PROTOCOLE

Du fait de la particularité des patients dépressifs qui peuvent être difficiles à


mobiliser et afin de prévenir les idées suicidaires, l’ensemble des auteurs, en
particulier Shapiro, Hofmann et Grey, 2013, nous invitent à porter une
attention toute particulière sur les phases 1 et 2 de la prise en charge en
EMDR. Le docteur Hofmann nous enseigne qu’il faut prendre soin de vérifier
si le patient est suicidaire, s’il y a eu des tentatives de suicide, s’il est assez
stable pour faire une psychothérapie, s’il peut se concentrer sur la crise
actuelle, si les épisodes sont répétitifs ou uniques. Aussi, le thérapeute dans
une bonne alliance thérapeutique avec son patient, doit jongler entre
anamnèse et stabilisation.

▶ Anamnèse rigoureuse

Pour prendre en charge efficacement un patient dépressif, il faut élaborer


l’étiologie du trouble de façon rigoureuse et complète (Shapiro, Hofmann et
Grey, 2013). Il est nécessaire pour cela lors de l’anamnèse de :
construire le génogramme du patient ;
prendre en compte les facteurs génétiques impliquant une prédisposition à
la dépression en posant la question « qui dans votre famille souffre ou à
déjà souffert de dépression ? » (En effet, de nombreuses études ont
confirmé le caractère héréditaire de la dépression et Hyde et al. en 2016
ont mis en évidence certains gènes impliqués. Toutefois, il semblerait que
l’expression de ces gènes, et donc l’apparition d’un trouble dépressif,
dépende des facteurs environnementaux comme décès, perte d’emploi,
divorce, etc.) ;
se poser la question des perturbations précoces de l’attachement ou des
troubles de l’attachement ;
investiguer le passé traumatique complet (traumas de l’enfance et de l’âge
adulte), les deuils importants et non résolus, les pertes, les rejets, les
humiliations, les tentatives de suicide, les périodes de stress chronique, les
expériences faites personnellement par le patient avec son trouble de
l’humeur (liste des épisodes anciens avec l’année et leur durée) ;
prendre en considération toutes les autres problématiques médicales
(tumeurs, maladies inflammatoires, etc.) ;
se poser la question des facteurs somatiques contributifs (médicaments :
bêta bloquants, benzodiazépines etc. ; substances : alcool, cocaïne,
ecstasy, amphétamines etc. ; problèmes thyroïdiens, en particulier
l’hypothyroïdie, etc.) ;
repérer les systèmes de croyances dysfonctionnelles ou croyances
destructrices
vérifier que le présent ne soit ni trop stressant ni trop négatif.

▶ L’essentielle question de la stabilisation du patient

Souvent, il n’est pas possible d’élaborer, en première intention, l’anamnèse


d’un patient dépressif. Ces patients nécessitent d’être d’abord stabilisés.
Pour une bonne stabilisation il faut :
vérifier ses biorythmes (sommeil, alimentation, rythme de vie) ;
faire de la création de ressources : protocole DIR (Korn et Leeds, 2002),
Construction d’un soi sécurisé (« Imaginez-vous adulte portant dans vos
bras ce bébé que vous étiez », Steele, 2007 ; « Posez votre regard d’adulte
aimant sur le bébé que vous étiez », Knipe, 2009) ;
permettre au patient d’acquérir des stratégies de coping face aux facteurs
de stress quotidien : établir un contenant et un lieu sûr, apprendre des
exercices d’ancrage du corps dans l’ici et maintenant, des exercices
d’apaisement comme la respiration, la relaxation, la cohérence cardiaque,
la pleine conscience (ou mindfulness)…

▶ Prise en charge en EMDR

Protocole standard

Tout ceci posé, il est alors possible de passer au retraitement avec le


protocole standard EMDR en partant du plus ancien jusqu’au présent ; puis,
d’utiliser le scénario du futur pour programmer de nouvelles réponses aux
facteurs de stress.
Dans le cadre de co-morbidités l’EMDR a pour fonction d’atténuer la
détresse résultant du fait d’être malade (ce qui devient la cible d’un protocole
standard), de soutenir et d’améliorer l’humeur.
Protocole inversé

Toutefois, si le présent est trop stressant ou que le patient n’est pas assez
stable, alors l’utilisation du protocole inversé (Hofmann, 2009) est
recommandée. Il s’agira activer en premier lieu des réseaux de ressources
(sentiment positif que le patient peut ressentir dans son corps) puis se centrer
sur les problèmes potentiels des jours à venir (futur) et le présent, avant de
travailler sur le passé récent puis lointain.
Modèle développemental stratégique

Quand des traumas de l’attachement sont identifiés, il est possible de


commencer en utilisant le Modèle développemental stratégique de Kitchur
(2005) : « Imaginez-vous que vous êtes un bébé dans les bras de votre mère.
Vous levez les yeux vers son visage. Quelle émotion cela vous procure-t-il ?
Quelle sensation ? » Il s’agira ensuite d’utiliser le protocole standard EMDR
sur tout ce qui fait surface durant cet exercice.
Plan de ciblage restaurateur du cours de la vie

Lors de l’absence de souvenir de traumatisme majeur, avec omniprésence de


traumas « t » et potentiellement une influence génétique, alors il peut être
recommandé de faire un plan de ciblage « restaurateur du cours de la vie »
ou « développemental » (Grey et Morrow, 2011).
L’objectif est alors de renforcer chez le patient un attachement adapté, plein
de sens, au soi interne et de développer un lieu de contrôle intérieur (versus
un soi interne inadapté avec un lieu de contrôle externe extrême, se traduisant
par une dépression et des croyances négatives destructrices sur soi-même).
EXEMPLE DE CIBLES D’ÉVÉNEMENTS DÉVELOPPEMENTAUX :

premier regard mère-enfant à la naissance ;


apprendre à se tenir debout tout seul ;
apprendre à marcher ;
apprendre à parler ;
activités ludiques réussies ;
événements de vie identifiés comme déterminants par le patient.

Les cibles doivent être négociées entre le thérapeute et le patient puis traitées
avec le protocole EMDR standard. Si des cognitions négatives ou des
perturbations persistent alors il faut faire du tissage cognitif. Ce tissage doit
permettre de développer une interaction imaginaire entre le soi enfant et le soi
adulte du patient (pour aider le patient à reconnaitre qu’il n’est plus un enfant
fragile et vulnérable mais un adulte et restaurer la relation entre ses 2
perspectives de soi).

Protocole DeprEnd

Arne Hofmann enseigne, fait de la recherche et publie dans le domaine du


trauma psychique. Il coordonne, notamment, un projet de recherche sur
l’EMDR dans le traitement de la dépression, en collaboration avec les centres
de 4 pays européens. Dès 2007, avec d’autres chercheurs, il a mené, avec des
résultats très encourageants, sa première étude pilote sur l’usage de l’EMDR
comme thérapie d’appoint de la dépression. À partir de 2010 Hofmann et ses
collaborateurs ont développé un protocole spécifique de traitement la
dépression : le Protocole DeprEnd et l’ont validé avec succès dans une étude
multicentres (EDEN) sur un grand nombre de patients (Ostacoli et al., 2018).
Hofmann et al. en 2016 préconisent dans le Protocole DeprEnd de :
repérer les ressources existantes et développer les ressources nécessaires
face aux facteurs de stress quotidiens ;
établir la « carte des traumas » retraçant l’histoire du patient (pertes,
séparations, rejets, humiliations, traumas, les épisodes dépressifs, etc. avec
SUD élevé) ;
cibler en priorité les événements survenus environ 1 mois avant les
rechutes ou les épisodes dépressifs, les souvenirs intrusifs, les souvenirs
avec le SUD le plus élevé ;
cibler le système de croyance en tant qu’intrusions cognitives de souvenirs
traumatiques. Pour cela il faut :
rechercher les souvenirs-preuves (De Jongh, 2010). Par exemple,
« quels sont les événements qui prouvent que « je suis un raté » est
vrai ? ». Retenir les réponses qui ont un SUD élevé et plutôt les
souvenirs survenus avant 10 ans ;
à partir d’un déclencheur du présent de « je suis un raté » rechercher un
moment où le patient a déjà ressenti ça dans son corps et faire un pont
d’affect ;
seulement ensuite retraiter les souvenirs avec en premier le souvenir
source, puis retraiter les déclencheurs et les déclencheurs du futur de
cette croyance. Par exemple, « de quoi auriez-vous besoin pour penser
autrement à propos de vous ? » ;
cibler les idées suicidaires ou les vécus persistants (seulement si le patient
est capable d’entrer en contact avec). Tout cela en restant très vigilant et
en prenant beaucoup de précautions ;
cibler les facteurs de stress de la vie quotidienne comme les facteurs de
stress prévisibles (famille d’origine, conjoint, enfants, chef) ;
faire des scénarios du futur sur les facteurs de stress possibles à l’avenir
(« qu’est-ce qui vous ferait rechuter ? » ou « que faudrait-il qu’il se
passe ? »).
Différentes façons de prendre en charge la dépression à l’aide de l’EMDR ont
été présentées. Chaque façon de faire à sa pertinence. Il s’agira donc pour le
thérapeute de rester au plus près des particularités et des besoins de son
patient en naviguant au travers ces différentes propositions pour l’aider au
mieux.

La dépression est un trouble mental fréquent qui affecte une grande partie de la population mondiale. Aussi il est important
d’ouvrir sur de nouvelles prises en charge comme l’EMDR. En effet, la recherche tend à montrer que l’EMDR est un outil
additionnel efficace à la prise en charge classique de la dépression. Le traitement d’événements déclencheurs de la
dépression comme des pertes, des rejets, des humiliations semble améliorer le taux de rémission complète et réduire le taux
de rechute.
En fonction du degré de stabilité du patient et de son histoire de vie, l’EMDR peut être mis en œuvre via le protocole
standard, le protocole inversé ou le protocole DeprEnd.

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Chapitre 28

EMDR et psychologie positive

Martine Regourd-Laizeau et Joanic Masson

Depuis sa création en 1987, l’EMDR bénéficie de nombreux développements, et s’est enrichie d’autres pratiques qui
permettent d’envisager le traitement d’autres problématiques ou pathologies avec succès (Regourd-Laizeau, 2013). Parmi
celles-ci, le courant de la psychologie positive englobe les théories et les recherches sur ce qui rend la vie plus digne d'être
vécue (Seligman & Csikszentmihalyi, 2000) et constitue une perspective d'enrichissement de la thérapie EMDR.

LA PSYCHOLOGIE POSITIVE

La psychologie positive considère « l’étude des conditions et processus qui


contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des individus,
des groupes et des institutions » (Gable & Haidt, 2005 p.103). Certains
praticiens EMDR se sont saisis de cette perspective et l’ont intégrée à leur
pratique.
De nombreux praticiens font jouer leur créativité et allient différentes
pratiques l'EMDR, c’est également le cas pour la psychologie positive.
L'objectif est de renforcer le potentiel des personnes avant, pendant et après
le traitement. D'autre part, la psychologie positive fournit de nombreuses
pistes de travail (Bernard, Zimmerman & Favez, 2009) qui renforcent l’effet
de l’EMDR notamment les travaux sur la croissance post-traumatique de
Tedeschi et Calhoun (2004), sur le sens de la vie (modéle PERMA de
Seligman, 2011), les forces de caractères (Peterson et Seligman, 2006) parmi
lesquelles la gratitude (Emmons & Crumpler, 2000) ou l'optimisme. Les
protocoles qui vont suivre sont inspirés de la psychologie positive.

UNE INTÉGRATION RÉUSSIE

Les travaux de Korn & Leeds (2002), Popky (2005), McKelvey, (2009),
Regourd-Laizeau, Martin-Krumm & Tarquinio (2012) présentés ci-dessous
représentent les premières contributions publiées. Certains autres protocoles
de ce courant figurent dans le chapitre 29 « EMDR et coaching ». Une
perspective intéressante d’intégration de l’EMDR à la psychothérapie
positive sera abordée en dernier lieu avec le protocole EMDR du Tournesol.

▶ Protocole de développement et d'installation de ressources de Korn et Leeds (2002)

L’objectif de ce protocole est de faciliter le développement des ressources


internes et de renforcer le Soi. Les ressources internes sont nécessaires car
elles vont servir d'appui pour faciliter le traitement. Il s’applique aux
personnes présentant un TSPT simple ou complexe, sujets généralement en
manque de ressources ou souhaitant améliorer leur performance. Il est
souhaitable de vérifier une éventuelle dissociation avant d'utiliser ce
protocole et de prendre des précautions envers les patients qui ont subi des
négligences précoces ou qui présentent un style d'attachement insécure
(Main, 1996), notamment en adaptant la durée des séances et les ressources
travaillées.
Tableau 28.1. Situation cible
Ce protocole est extrêmement utile dans la pratique du praticien EMDR car il
permet de créer une relation thérapeutique forte, génère des affects positifs
chez le patient, renforce la conscience de soi et permet d'aborder ensuite le
protocole standard avec plus de ressources.

▶ Protocole DeTur (Popky 2005)


(traduction F. Mousnier Lompre)

Le DeTUR vise une désensibilisation des déclencheurs de comportements


dysfonctionnels tels que des comportements addictifs par exemple. Il s’agit
de travailler sur des objectifs intermédiaires (objectifs positifs) pouvant
conduire à la réussite de l'objectif final qui serait l'arrêt de l'addiction.

1) État-ressource intérieur
« Rappelez-vous un moment où vous vous sentiez plein de ressources, fort, maître de vous-même et centrez-vous sur ces
expériences et ces émotions. »
Renvoyez au client ce qu’il dit : ce qu’il voit, ce qu’il entend, les odeurs, les goûts éventuels, tout en faisant des
stimulations bilatérales pour le maintenir dans ces sentiments positifs

2) Objectif positif du traitement (OP)1


Aidez-le à en construire l'image.
« Imaginez une photo de vous, où vous avez atteint votre objectif. Pensez à ce que serait votre vie sans... » (exprimez ici
l'addiction ou les comportements dysfonctionnels dont le client veut se débarrasser). « Que ferez-vous à la place ? Que
voulez-vous ? », « Qu'est-ce que cela vous apportera ? Que verriez-vous sur la photo ? »
Quand le client a construit son image, vérifiez que c'est bien ce qu'il veut : « Vous en avez vraiment envie ? C'est vraiment
agréable pour vous ? » « Est-ce mieux si vous agrandissez l'image, si vous la rendez plus claire, plus brillante, plus proche
de vous, ou si vous lui ajoutez des sons ? »
Aidez-le à faire les ajustements qui vont rendre l'image plus attirante.
Puis faites les stimulations bilatérales alternées.

3) État positif et ancrage


Associez complètement un état positif à l'OP par le biais d'ancrages et de renforcements. « Vous pouvez construire votre
objectif positif. Imaginez clairement cet objectif. Quelles sont les choses que vous allez être capable de faire une fois que
vous l'aurez atteint ? »
« Entrez dans l'image de votre objectif, dans cette posture du corps que vous y avez. Notez vos émotions positives,
expérimentez-les, respirez à l'intérieur de ces émotions, circulez dedans, vivez ce que cela vous fait de réussir. Notez ce que
vous voyez, ce que vous entendez, les odeurs, les sons, les goûts. Notez comment c'est de fonctionner pleinement. Tout en
notant et en vivant ces émotions positives, touchez l'articulation de votre doigt jusqu'à ce que votre désir pour cet état
positif soit le plus fort possible. Accentuez légèrement la pression sur ce point où vos émotions positives sont le plus
intenses, pour renforcer le lien corps-esprit. »
Pendant que le client appuie sur l'articulation de son doigt devenu « lieu d’ancrage », faites des stimulations bilatérales.
Répétez le même processus en utilisant des sons :
« Écoutez les sons, les mots positifs que vous vous dites à vous-même, les mots positifs que les autres pourraient vous dire,
et ajustez les composantes auditives : le volume, la tonalité, le tempo, la balance, etc. Quand c'est positif, touchez votre
ancrage. »
Utilisez l'ancrage et les stimulations bilatérales simultanées pour intégrer encore davantage dans la physiologie du client les
sentiments de réussite. Testez l'état positif du client lorsqu’il touche l’ancre et noter le résultat produit. Il doit rapporter un
vécu positif. « Touchez votre articulation. Que ressentez-vous ? »

4) Identifier les déclencheurs


« Comment savez-vous quand vous devez ______ ? » (prendre le produit, faire l'activité à laquelle il est « accro »)
« Qu'est-ce qui vous empêche d'être dans votre état positif ? Ces déclencheurs peuvent être un endroit, une personne, un
moment particulier, une émotion, une odeur, un goût, un événement, une action, un objet. »
Faites la liste de tous les déclencheurs d'usage du comportement addictif, en indiquant le degré d'impulsion sur l'échelle de
0 à 10, où 10 est le plus intense. Rangez-les ensuite dans le tableau ci-dessous en fonction de leur intensité croissante.
« Évoquez maintenant l'image, avec les mots, les goûts, les odeurs qui vont avec. »
« Quel est le degré d'envie, en ce moment même, de 0 à 10, où 10 est le plus élevé ? »
Évaluation Au début À la fin
Déclencheur 1
Déclencheur 2

Ce protocole permet de travailler sur la progression thérapeutique en


projetant le patient dans une perspective de réussite.
▶ Protocole EMDR d’optimisme
(Regourd-Laizeau, Tarquinio, & Martin-Krumm, 2012)

Ce protocole EMDR d’optimisme a été élaboré en tenant compte des travaux


sur le style explicatif puisqu'un style explicatif pessimiste constitue un facteur
de risque de développer une dépression. Inspiré du protocole standard EMDR
(Shapiro, 1995), du protocole « Développement et Installation des
Ressources » (DIR) de Korn et Leeds (2002), du « Peak Performance
Protocol » (Lendl & Foster, 1997), il intègre naturellement certaines
composantes des trois protocoles. Placée dans une perspective non
pathologisante, il ne s’agit pas de désensibiliser une quelconque situation
traumatique mais d’intégrer les composantes du DIR de Korn et Leeds (2002)
et de souligner ce qui est positif dans le répertoire existant du client, dans le
cadre théorique des styles explicatifs de Seligman (1994). En effet, l’idée est
de modifier éventuellement la perception des causes des événements
auxquels il est confronté afin qu’il passe d’une vision pessimiste (causes
internes, stables et globales en situation d’échec et externes, instables et
spécifiques en situation de réussite) à une vision plus optimiste (schéma
attributionnel inverse). C’est la raison pour laquelle les stimulations
bilatérales alternées utilisées sont lentes, afin de stimuler un système
d'ancrage. Il s’agit dans ce protocole, d’acquérir de nouvelles « ressources
attributionnelles » (Regourd-Laizeau, 2013) (cf. tableau 28.2).
Tableau 28.2. Protocole EMDR d’optimisme
▶ « Le duo dynamique » d’Ann Marie McKelvey (2009)

McKelvey (2009) utilise quotidiennement des applications de psychologie


positive dans les séances EMDR. Elle fait des « anamnèses positives » en
recherchant systématiquement les forces et les éléments positifs de la vie du
client afin d'orienter la thérapie sur une approche positive. Quatre
applications sur les forces de caractères et quatre sur la gratitude sont
proposées.
Les forces de caractères

Le DSM-IV ou le CIM 10 utilisés dans la psychologie traditionnelle


établissent une classification permettent aux professionnels d’utiliser un
langage commun sur les symptômes et diagnostics, etc. Peterson et Seligman
(2004) ont créé une contrepartie inspirée de la psychologie positive
s’intéressant aux forces pour arriver à une classification nommée « Values in
action-Inventory strenghts » (l’Inventaire des valeurs en action). McKelvey
(2009) demande au patient, préalablement, de compléter le « Values In
Action-Inventory of Strenghts » (VIA-IS) afin d’obtenir une liste de 5 à 6
forces, qui servira de fil rouge pour la suite de la thérapie.
1. Dépoussiérage des forces : Il s’agit de repérer le besoin du client (défi,
challenge, etc.) puis d’orienter le focus sur les forces : « De quelle force
auriez-vous besoin pour répondre à ce défi ? Quelle force possédez-vous
qui pourrait vous aider dans cette situation ? ». Le thérapeute recherche
avec le client des exemples d’utilisation de cette force, en explore avec lui
toutes les dimensions, ainsi que les sensations corporelles associées, tout
en procédant à des stimulations bilatérales alternées lentes. On procède de
la même manière avec les autres forces en fonction des besoins du client.
2. Changer une habitude : Le patient repère une habitude dont il veut se
débarrasser. Il s’agit de se servir des forces identifiées préalablement
comme levier en intégrant les stimulations bilatérales alternées. « On a vu
que vous possédiez comme force la persévérance, comment pourrait-elle
vous aider à arrêter de fumer ? » Il est demandé au client de citer plusieurs
possibilités, et on développe chaque possibilité.
3. Forces et cognitions positives : Le praticien intègre les forces de caractères
afin de potentialiser les cognitions positives du protocole standard. Dans la
phase trois de l'évaluation du protocole standard, une cognition négative et
une cognition positive sont établies par le thérapeute et le client. On va
pouvoir la renforcer par une question du style : « Quelle force de caractère
pourrait améliorer cette cognition positive, et comment pourrait-elle le
faire ? »
4. Trouver son équilibre (Quand les piliers rencontrent la technique du
papillon2) : Il s’agit d’établir une représentation graphique de ce qui se
passe dans la vie du client. Sur une feuille de papier 12 lignes verticales
sont tracées. Chaque ligne représente un domaine (carrière, finances,
santé, spiritualité, satisfaction de vie, etc.). Chaque pilier est ensuite évalué
par le client sur une échelle de satisfaction allant de 0 à 7 (trop ancrée, la
cognition négative peut empêcher un niveau de satisfaction élevé). Puis il
lui est demandé de dire à combien il voudrait être au niveau de la
satisfaction. Cette information permet d’élaborer une cognition positive
satisfaisante. La même procédure est appliquée pour chaque pilier. Enfin,
le client désigne le pilier représentant le niveau de satisfaction le plus bas
puis le plus haut. Il colorie ensuite l’espace qui sépare les différents
niveaux de satisfaction de manière à obtenir une représentation visuelle du
chemin qui lui reste à parcourir. Le point crucial consiste ici à identifier, à
partir de ce schéma, la cognition négative responsable de la baisse du
niveau de satisfaction pour la désensibiliser en utilisant le protocole
standard. Le client est invité à nommer les forces qui l’aideront à aller vers
la cognition positive tout en effectuant la « technique du papillon ».
La gratitude

S'appuyant sur les dernières études des psychologues et sur des recherches
exhaustives en philosophie, théologie ou en anthropologie, Emmons (2010)
montre que la pratique de la reconnaissance est une composante essentielle
du bonheur et propose une série d'outils, des plus simples aux plus insolites,
comme tenir un « journal de gratitude », initier un cycle « donner et
recevoir », et même associer rythme cardiaque et « rythme de la gratitude »
pour tester ses manifestations bénéfiques dans notre corps. Wood, Maltby,
Gillett, Linley & Joseph (2007) montrent d'ailleurs que la gratitude diminue
le stress et la dépression et augmente le bien-être. Alexandre Jollien qui
préface l'ouvrage d'Emmons 2010 précise que « le bonheur est un état d'esprit
et la gratitude est l'un de ses joyeux exercices. » Parmi ces joyeux exercices,
McKelvey (2009) en décrit quatre qui seront intégrés à l'EMDR ou non.
La liste de gratitude : Le client doit consacrer 3 à 5 mn de son temps, au
minimum 4 fois par semaine, pour inscrire sur une feuille de papier 10
aspects de sa vie pour lesquelles il éprouve de la gratitude. La liste
rédigée, il est invité à effectuer sur lui-même pendant 4 à 5 mn la
stimulation bilatérale alternée dite « technique du papillon » en savourant
chaque élément de la liste.
La lettre de gratitude : Le client est chargé de rédiger une lettre de
gratitude envers une personne, pour une action qu'elle a eue au cours de sa
vie, même lointaine. On installe avec les stimulations bilatérales alternées
lentes la gratitude qui émerge de cette lettre.
Les trois bénédictions nocturnes : Chaque soir au coucher, le client est
invité à repenser aux événements de la journée puis à répondre par écrit à
la question : « Qu’est ce qui est arrivé de bien aujourd’hui ? ». Il lui est
demandé de relire régulièrement ce qu’il a écrit pour prendre conscience
des événements positifs de sa vie.
La pratique de la reconnaissance : L’alliance de la gratitude et des
stimulations bilatérales alternées favorisent une conscience plus intense de
l’environnement naturel et humain du client. Cette conscience se traduit
chez ce dernier par une appréciation positive exprimée en termes de
reconnaissance ancrée par le thérapeute au moyen des stimulations
bilatérales alternées.

▶ Psychothérapie positive

La psychologie positive a permis le développement de la psychothérapie


positive dont l'un des leaders est Tayyab Rashid, (e.g., Rashid & Anjum,
2007 ; Seligman, Rashid, & Parks, 2006 ; Rashid, à paraître). Telle qu’elle se
présente actuellement, la psychothérapie positive se compose de quatorze
séances (e.g., Seligman, 2013, p. 65-67). L’objectif à court terme est de
permettre au client, ou au patient, d’identifier les ressources dont il dispose
afin de faire face aux situations auxquelles il est confronté. Pendant les
quatorze séances, les différents domaines de la psychologie positive sont
balayés pour arriver à une augmentation du bien-être. Seligman, Rashid, &
Parks (2006) montrent que dans la psychothérapie positive « le taux de
soulagement des symptômes dépressifs était supérieur à celui du traitement
habituel et à celui des médicaments. 55 % de patients en psychothérapie
positive, 20 % de patients suivant le traitement habituel, et seulement 8 % de
patients suivant le traitement habituel assorti d’antidépresseurs obtinrent une
rémission » (Seligman, 2013, p. 68). Les résultats encourageants (Csillik,
Aguerre, & Bay, 2012) nous ont conduit à intégrer l'EMDR chaque fois que
cela était possible en postulant sur une intégration plus rapide et plus
approfondie.
Thérapie EMDR du Tournesol, Regourd-Laizeau (2015)

Ce protocole de psychothérapie positive EMDR est inspiré de la


psychothérapie positive de Rashid (2005, 2007 ; Rashid & Anjum, 2007 ;
Seligman, Rashid, & Parks, 2006). Orientée vers les ressources, les côtés
positifs et lumineux du patient, ce protocole permet de stimuler les ressources
latentes et favorise la croissance des réseaux de ressources accroissant les
possibilités d’intégration de l’information adaptative afin de surmonter les
difficultés, voire de développer une vie plus épanouie en intégrant les travaux
des plus grands scientifiques de la psychologie positive. Les stimulations
bilatérales alternées lentes renforcent l'ancrage afin de faciliter l'intégration et
le tissage cognitif. D'après nous, Regourd-Laizeau (2013, p. 123), il semble
que les réseaux de ressources ne sont efficaces qu’à partir d’un seuil de
développement critique. Le praticien EMDR identifie le réseau de ressources,
puis le développe au moyen de suggestions accompagnées de stimulations
bilatérales et lui permet ainsi de grandir et d’être opérationnel. Il peut s’agir
d’en développer la taille et la force en donnant au patient des éléments
concrets, cognitifs, émotionnels qui lui permettent d’élaborer une intégration
(cf. tableau 28.3)
Tableau 28.3. Protocole de la thérapie EMDR du Tournesol
CONCLUSION

Les travaux proposés apportent une grande richesse d’action pour les
praticiens EMDR. D’autres travaux viendront encore élargir la
potentialisation que produit l’EMDR dans son aspect « reprocessing », même
si le processus d’action ne semble pas le même que celui de la
désensibilisation. Nul doute que ces deux aspects soient nécessaires sur le
continuum du bien-être de la psychologie intégrant à la fois la psychologie
telle qu’on la connaît et la psychologie positive. La croissance post-
traumatique pourrait être un angle d’étude particulièrement précieux pour le
praticien EMDR dynamisant la désensibilisation et optimisant le
« reprocessing ».

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Notes
1. L'Objectif Positif (OP) ne signifie pas nécessairement l'abstinence pour un toxicomane ou un
alcoolique. Il a pour objectif d’aider le client à se créer une image claire de lui-même quand il aura
réussi, s'il fonctionne à plein, ayant atteint son but. On exprime l'OP en termes positifs, en le liant à des
éléments de temps (dans un avenir assez proche), comme un objectif raisonnable, réalisable, et qui
décrit dans les mots du client son succès et son fonctionnement complet. On l'exprimera de façon à le
rendre attrayant, attirant, irrésistible.

2. La technique du papillon issue de l’EMDR est une stimulation bilatérale alternée que le patient peut
effectuer seul. Il suffit de croiser les bras sur la poitrine, de sorte qu’avec les doigts de chaque main, il
soit possible de toucher la zone qui se trouve entre la clavicule et l'épaule opposées et d’effectuer des
tapotements de façon lente et régulière.
Chapitre 29

EMDR et coaching

Martine Regourd-Laizeau, Joanic Masson et Ingrid Petitjean

La première publication sur le coaching date de 1937, et depuis, les publications augmentent de façon exponentielle (Grant,
2011). Afin d’être précis, il convient de définir l’articulation entre psychologie et coaching. Le praticien EMDR pourrait
utiliser de nombreux outils et protocoles EMDR présentés ci-après afin de renforcer sa pratique en coaching et/ou en
psychologie. Les différents protocoles EMDR pourront s’intégrer et s’articuler dans une démarche de coaching tout en
tenant compte des précautions nécessaires au niveau de la posture et de l’éthique.

DÉFINITION

Bien que les définitions de coaching varient, la plupart suppose une relation
de collaboration entre le coach et le coaché dans le but d'atteindre les résultats
de développement professionnel ou personnel qui sont évalués par le coaché
(Spence et Grant, 2007). En règle générale, les objectifs de coaching sont
fixés afin de développer les capacités d’un individu ou sa performance
actuelle. En substance, le processus de coaching facilite l'atteinte des
objectifs en aidant les individus à :
1. identifier les résultats souhaités ;
2. établir des objectifs spécifiques ;
3. renforcer la motivation en identifiant les forces et le renforcement d’auto-
efficacité ;
4. identifier les ressources et à formuler des plans d'action spécifiques ;
5. surveiller et évaluer les progrès vers les objectifs ;
6. et modifier les plans d'action en fonction des feedback (Grant, Passmore,
Cavananagh et Parker, 2010). En comparaison avec la psychothérapie, on
note plusieurs différences importantes que nous allons évoquer
partiellement.
Le lien entre le thérapeute et le patient est une relation asymétrique. En effet,
le plus souvent, le thérapeute est censé avoir les réponses alors que dans le
coaching, le coach aide le client à découvrir ses propres réponses dans une
relation d’égalité et un partenariat créatif. Le thérapeute s’intéresse
généralement au passé qui a conduit à la situation dysfonctionnelle alors que
le coach s’intéresse au présent et cherche comment aller vers un futur plus
agréable. D’autre part, en coaching, la croissance et les progrès sont rapides
et la démarche généralement agréable alors qu’en thérapie les progrès sont
lents et la démarche délicate. Ces différences peuvent conduire l’individu à
choisir un coaching ou une thérapie en fonction de ses attentes et craintes. Le
schéma ci-dessous reprend les différences entre consulting, coaching et
thérapie (Kauffman & Coutu, 2009). On observe un chevauchement sur
certaines compétences communes au coaching et à la thérapie.

Figure 1. Domaines du consulting, du coaching et de la thérapie


© Kauffman & Coutu, 2009

LE PROTOCOLE EMDR ET LES OUTILS DU COACHING

La formation EMDR s’adresse aux personnels de santé mentale habilités à


pratiquer la psychothérapie en France : psychiatres, psychologues, médecins
généralistes, psychothérapeutes, psychothérapeutes reconnus par les Agences
Régionales de Santé (ou niveau équivalent après acceptation de dossier par
l’Association EMDR-France).
Le praticien EMDR peut investir le coaching en combinant à la fois le
protocole EMDR standard ainsi que d’autres protocoles avec les outils du
coaching afin de permettre à une personne (ou un groupe de personnes)
d’atteindre un objectif précis et défini. Il peut s’agir d’une épreuve de vie
telle qu’un divorce, un changement de travail, mais aussi la préparation à une
performance artistique, sportive ou académique, etc. Le protocole standard
montre combien les cognitions négatives contribuent au traitement
dysfonctionnel de l’information. Traiter ces croyances négatives facilite le
traitement adaptatif de l’information et contribue à une évolution positive du
sujet. L’EMDR, dans son utilisation traditionnelle, peut être utilisée sur des
événements traumatisants (petit traumatisme ou grand traumatisme), sur
l’anxiété de performance, les troubles anxieux que peuvent ressentir les
coachés. Par exemple, Jamie Cudmore, membre de l'équipe canadienne junior
de descente en ski alpin est devenu rugbyman professionnel après une chute
accidentelle en ski. Il n’a jamais pu se libérer du souvenir de cette chute et a
réorienté sa carrière vers un autre sport (rugby) avec le succès que l’on
connaît. Mais combien de sportifs abandonnent leur carrière alors qu'un
travail en thérapie pourrait les relancer ? Pourtant, l’EMDR a été testée avec
succès sur les gymnastes (Arnold, 1994) avec une augmentation de la
confiance en soi et une diminution de l’anxiété. Les cavaliers de dressage
(Crabbe, 1996) ont augmenté leur performance ainsi que les rugbymen qui
ont vu augmenter leur estime de soi et leur optimisme (Regourd-Laizeau,
Martin-Krumm & Tarquinio, 2011). Pour la natation, Graham & Robinson
(2007) ont montré les bénéfices du protocole standard.
Dans le monde de la performance, une contre-performance relative peut être
intégrée de façon dysfonctionnelle comme une humiliation altérant longtemps
l’estime de soi, mais aussi la performance de l’athlète. Les blessures altèrent
les défenses psychologiques de l’athlète et engendrent des symptômes tels
que ceux observés dans l’ESPT (Peck, Robertson, & Zeffert, 1996 ; Shuer &
Dietrich, 1997 ; Grand, 2013). Andersen et Williams (1999) montrent que le
souvenir de la blessure peut engendrer des affects négatifs anxiogènes au
moment du retour à la pratique sportive, notamment la peur de se blesser à
nouveau. Or, selon Eysenck et Calvo (1992), l’anxiété éprouvée par un expert
en situation de performance consomme beaucoup de ressources
attentionnelles (plus que les ressources disponibles), altérant la performance.
Nous voyons avec cet exemple l'utilité de l’EMDR dans la pratique du
coaching. Tout comme le coach, le praticien prendra garde à gérer avec
encore plus de précaution la déstabilisation provoquée par le protocole
standard en intensité et en temps.
Les écoles de coaching proposent des méthodes centrées sur les grands
principes de l’écoute, de la reformulation, de l’art du questionnement. Nous
avons choisi d’expliciter la méthode Target®(2012), bien que moins connue,
mais qui propose une modélisation empirique et pragmatique de la
performance mentale en entreprise, dans le monde sportif et utilisable aussi
en coaching de vie. Après 30 ans de travail avec des athlètes, Christian Target
a conceptualisé un modèle de performance mentale® comprenant 7 éléments
de potentiel (cf. encadré), et une boîte à outils intégrant entre autres le profil
d’aptitude au défi® s’inspirant d’un schéma de Csikszentmihalyi (1990), la
boussole des émotions, etc.
LE TRIANGLE D’APPUI

Le triangle d’appui est composé de la gestion des Émotions qui concerne la capacité de l’individu à se mettre dans la bonne
émotion et à gérer l’anxiété ou le stress, l’Énergie qui concerne la capacité à gérer le relâchement, et développer cette
aptitude pour mieux récupérer et l’Estime de soi qui permet de développer une vision positive de soi. Les 2e et 3e niveaux
s’intéressent à la motivation et la confiance. La concentration représente l’étage de l’action performante, avec ses trois
temps : explorer le passé, réussir l’action au présent, et programmer le futur. Vient ensuite la communication qui dépend de
la performance mentale individuelle.

Figure 2. Le modèle de performance mentale


© Target, 2012

Les principes de coaching s’appliquent à la fois à l’individu et aussi à


l’équipe, mais d’autres points comme la cohésion d’équipe, la
synchronisation, les attentes mutuelles® ajoutent des bases de travail
importantes. La performance mentale collective découle de l’aptitude du
collectif à mobiliser positivement tous les éléments de potentiel. Theebom,
Beersma, & VanVianen (2014) ont montré l’efficacité des pratiques de
coaching dans les organisations sur la performance, le coping, les attitudes au
travail et la régulation des objectifs. Le praticien EMDR pourra évaluer les 7
éléments de potentiel comme base de travail puis réparer, dynamiser,
optimiser au moyen de différents protocoles EMDR. En s’inspirant du travail
de Jarero & Artigas (2000), des retraitements collectifs EMDR pourraient
être tentés sur des équipes de travail ou des équipes de sportifs.

▶ Protocole « Partir du bon pied » (Kinowski, 2003)

L’objectif du protocole « Partir du bon pied » est d’augmenter les ressources


en permettant à des personnes ayant des difficultés à verbaliser ou débordées
par les émotions, à utiliser la mémoire de leur corps comme médium. Ainsi,
cela permet également de traiter des personnes fonctionnant majoritairement
sur un mode kinesthésique. Cette démarche s’applique au préalable, créant
des ressources internes suffisantes afin d’appliquer ensuite le protocole
EMDR standard.

1re étape : évaluation


Questions de base permettant l’identification de la problématique générale. Le praticien repère les comportements, les
cognitions, les styles qui accompagnent le problème. Puis il est demandé au client de repérer les manifestations physiques
de son corps lorsque le problème se manifeste (tension, respiration accélérée, nausées, poussées d'adrénaline etc.) et aussi
comment il préférerait fonctionner.
Évaluation à l’aide de deux des trois indices suivants :
Chiffre de SUD (du protocole EMDR standard),
Unités subjectives de sécurité du corps (SUBS), une échelle de 1 à 5 sur la gravité de l'inconfort physique du corps,
Évaluation de la confiance (RoC, rating of confidence) – « Sur une échelle de 1 à 7, à combien estimez-vous votre
confiance de fonctionner de façon optimale ? »
2e étape : position du corps
« Expérimentez la position et la posture que vous adopteriez si la solution désirée était là. »
Le thérapeute encourage et aide à trouver la position adéquate. De façon remarquable, le patient est capable d’utiliser ses
sensations physiques et changer sa position pour « être » la solution, même s’il a du mal à conceptualiser une solution.
3e étape : scanner du corps
Par des séquences courtes de SBA lentes, le praticien EMDR installe chez le client la sensation telle qu’elle est ressentie
dans ses muscles, ses articulations etc., jusqu'à une respiration profonde et calme, puis demander : « Que remarquez-
vous ? » « Et maintenant, centrez-vous sur l’endroit de votre corps où vous vous sentez relaxé et dites-moi à quoi ça
ressemble physiquement. »
4e étape : les trois images
Pendant cette position physique orientée vers la solution et avec le contexte de soutien thérapeutique, le client est invité à
associer librement une image à n’importe quel élément de la posture, et ceci à trois reprises. Les trois images obtenues sont
installées avec un processus en trois étapes : Mettre l’accent en demandant de zoomer sur l’image et de dire ce que cela lui
fait. La deuxième étape est d’apprendre au patient à repérer les sensations physiques liées à l’image. La troisième phase est
de transformer l'image en un point de référence somato-sensoriel en le stockant, de façon imaginaire, quelque part dans le
corps.
5e étape : voyage dans l’espace intérieur
Cette phase consolide les résultats à partir d’une cognition positive ajoutée comme dans le protocole standard. Les
cognitions issues de ce travail commencent par « Je peux… », « Je suis… ». Le moteur du changement est la réponse du
corps.
6e étape : exposition
Les trois images et la cognition forment un recueil de ressources sur lequel on peut s’appuyer pour retraiter la difficulté
récurrente. Pendant que le praticien effectue des stimulations bilatérales alternées, le client centre son attention sur l’image
et la cognition positive et fait revenir brièvement un des aspects du problème puis retourne vers les images et les sensations
corporelles positives.
7e étape : Projection dans le futur
Cette étape est similaire au protocole standard. Le thérapeute propose : « Imaginez que cette situation se produise, le ... ...
(jour). Mettez-vous dans la position qui représente le futur, pensez à vos images, et aux sensations qui y sont liées et puis
imaginez comment vous pourriez agir » tout en effectuant des stimulations bilatérales alternées lentes.
8e étape : Évaluation finale
Les évaluations finales mesurent l’évolution pendant la séance avec les indices de mesure utilisés en début du travail.

▶ Protocole de performance optimale


(Foster & Lendl, 1997)

L’objectif du protocole de performance optimale est de faciliter le


développement de ressources internes sur des répertoires comportementaux
actuels afin d’affronter des situations de défi ou de déployer une ressource
existante inhibée par l’anxiété de performance ou par un autre type de
blocage. Il s’agit de passer de « bon » à « excellent » (Foster and Lendl,
1995, 1996 ; Lendl and Foster, 2009). Ce travail intègre les outils habituels
de fixation d’objectifs, d’entretien d’explicatifs, etc. Un travail intersession
peut s’avérer nécessaire pour ancrer le travail de ressources. Ce protocole
s'utilise en outre pour préparer une performance physique, mentale, cognitive,
artistique etc. Par conséquent, il est préférable de l’utiliser après le protocole
EMDR standard. Précisons qu’il convient de prévoir un espace-temps
suffisant entre la séance et la performance attendue (15 jours semblent être un
espace correct).

Histoire du client
Image de l’autorité ? Contrôle perçu au travail ou dans le couple. Fonctionnement scolaire par rapport aux parents, aux
professeurs. Personne qui réussissait dans la famille ? Expérience de l’échec
Sélection de la cible de travail
Le problème présenté peut être un sujet courant, une situation professionnelle ou une situation dans la recherche de
performance du client :
« Qu’est-ce qui vous préoccupe maintenant dans votre travail/dans votre musique/art/sport ? »
« Quelle image représente le défi que vous avez actuellement au travail (ou la perspective du début) pour fonctionner
mieux ? »
« Quels mots vont le mieux avec cette image et expriment la croyance négative que vous avez maintenant ? »
« Quand vous amenez cette image (liée au travail, l'art, le spectacle ou le sport), que voudriez-vous penser de vous
maintenant ?
Élaboration d'un lieu sûr
« Imaginez un endroit réel ou virtuel, dans lequel vous vous sentez protégé, tranquille et paisible. Notez l'émotion et les
sensations physiques quand vous vous imaginez dans ce lieu. Pensez maintenant à comment vous pourriez prendre une ou
deux minutes d'un jour de travail intense pour recréer ce lieu sûr et ressentir ce sentiment de bien-être. Imaginez-vous
pensant à ce lieu sûr alors que vous êtes sur votre lieu de travail. »
Création du coach Intérieur
« Imaginez une personne réelle ou virtuelle qui peut être une ressource intérieure pour vous, comme un coach intérieur. Il
peut être une partie de vous, comme votre Soi ou votre sagesse intérieure. Imaginez la voix de cette personne réelle ou
virtuelle, vous calmant quand vous vous sentez mal ou frustré, qui vous rappelle vos forces, talents et vos qualités
positives. »
Création d'une équipe Intérieure de support
« Imaginez ce coach intérieur et d'autres personnes qui vous soutiennent et vous encouragent, comme une équipe
intérieure, comme une partie de vous qui vous acclame. Entendez et voyez-les maintenant comme s’ils étaient réellement
autour de vous, avec des encouragements, vous souriant et vous donnant des conseils quand vous en avez besoin. »
Liste des succès
« Pensez à un moment dans le passé où vous vous êtes senti plus puissant, ou vous aviez plus de contrôle. Ou bien, lorsque
vous avez été heureux des résultats que vous avez obtenus. Notez les émotions et les sensations physiques qui viennent
quand vous pensez à ces expériences réussies. Imaginez que vous apportez délibérément ces expériences réussies dans
votre esprit quand vous vous sentez découragé, de façon à changer votre état d'esprit pour qu’il soit encore plus puissant et
positif. »
Lieu mental
« Dans votre esprit, imaginez un espace interne comme une pièce confortable ou un bel espace en plein air, dans lequel
vous pouvez être assis sur votre chaise préférée ou sur l'herbe sous les arbres. Imaginez un grand écran de projection devant
vous sur lesquels vous pouvez vous voir réussissant à faire les choses aussi bien que vous voulez les faire dans l'avenir. »
Désensibilisation
Désensibilisez le malaise actuel jusqu'à ce que le SUD soit égal à 0.
Le but de cette phase est d’avoir accès au lien entre les performances actuelles et le passé ou les déceptions. Ces
connexions apparaissent spontanément, et les mémoires des événements passés deviennent des cibles ultérieures.
Installation
« Imaginez maintenant la position, la qualité de voix, des gestes et le sentiment positif dans votre corps comme lorsque
vous pensez à la situation cible souhaitée. »
Quand le client arrive à imaginer la situation clairement, le praticien l'installe avec les jeux courts de SBA. Pour un effet
maximal, le praticien peut demander au client de se lever et de s’imaginer faisant face à la situation avec les ressources
nécessaires. Le praticien peut alors installer l'expérience réussie imaginée tandis que le praticien et le client sont debout.
Scanner du corps
(idem protocole standard)
Clôture
(idem protocole standard)
Évaluation de la force des associations positives

▶ Protocole de développement et d'installation


de ressources modifié, Fischer (2001)

L’objectif du protocole de Fischer (2001) est de faciliter le développement


des ressources internes et d’élargir la fenêtre de tolérance chez les clients
ayant des symptomatologies sévères et /ou un déficit d'expériences positives.
Il vient en appui pour permettre ensuite un protocole EMDR standard.

1. Définir la ressource nécessaire pour atteindre l'objectif : identifier avec le client un problème douloureux, un
sentiment ou un défi dans sa vie actuelle ou ce qui est le plus pénible actuellement.
« Quel est le problème qui est le plus pénible dans votre vie au quotidien ? Quelle partie de ce problème est le plus
difficile pour vous ? À quel moment vous sentez-vous découragé par ce problème ? »
2. Rechercher une ressource potentiellement aidante : demander au client d'imaginer le type de ressources dont il
aurait besoin, comment il aimerait se sentir ? : « Quelle force intérieure, ressource ou aptitude pourrait vous aider à ne
pas vous sentir si mal ? démoralisé ? impuissant ? »
Si c'est trop abstrait, demander : « De quel sentiment ou conviction auriez-vous besoin pour être en mesure de
(objectif de la ressource) ?
3. Développer la ressource : demander au client d'imaginer comment il se sentirait ou à quoi cela ressemblerait d'avoir
cette ressource à l'intérieur du corps et de l'esprit ?
Utiliser des images et des phrases pour stimuler la créativité et l'imagination du client : « Si vous vous réveillez chaque
matin avec cette ressource, qu'est ce qui serait différent ? Comment commenceriez-vous la journée ? » Ou « Si vous
aviez cette ressource dans chaque cellule de votre corps, comment ça serait ? »
4. Élaboration de la ressource : travailler ensemble les images proposées par le client : « si vous vous sentez plus
(ressources)qu'est-ce qui se passerait ? Quelle serait la prochaine étape ? »
Lier les images avec les sensations physiques, les cognitions, et les sentiments : « quand vous vous imaginez capable
de ressentir cela et de faire (image), qu'est ce qui se passe dans votre corps ? Comment le ressentez-vous ? Remarquez
comme vos pensées évoluent lorsque vous avez cette ressource disponible en vous ? »
Créer des mini-objectifs : « Imaginez-vous aller au travail avec cette ressource disponible en vous. Imaginez comme
vous affrontez (la situation de défi) avec cette ressource intégrée dans chacune de vos cellules. » Lorsque le client a
élaboré la ressource et a des sensations positives et des émotions connectées, la ressource peut être installée.
5. Installation de la ressource : revenir sur les images significatives et les phrases associées, les évoquer en y associant
la ressource. « Encore une fois, imaginez que vous possédez vraiment cette ressource, autorisez-vous à sentir encore
plus de (ressource). Notez les sensations dans votre corps qui vont avec cette ressource. »
Relier l'image du motet les sensations corporelles. Séquences courtes de SBA.
Relier le mot et les images : « avec la ressource à l'intérieur, vous vous sentez de plus en plus calme, et tranquille,
continuez avec ça. » SBA
Continuer le processus d'installation jusqu’à ce qu'un état positif soit atteint de façon consistante.
Quand l'état positif est installé, il peut être testé en utilisant des situations de défi d'un niveau moyen.
6. Gérer les intrusions négatives : lorsque le client rapporte des manifestations négatives ou intrusives (sentiments,
pensées, sensations), ces dernières peuvent être réinterprétées comme un défi et pourront permettre de tester le lien
avec la ressource.
Cibler les pensées intrusives en utilisant les mots du client et en lui demandant de les localiser dans son corps.
Si après plusieurs essais, les pensées intrusives se maintiennent, arrêter les stimulations bilatérales alternées et utiliser
des ressources de psychoéducation : besoin de prendre du temps, difficulté à faire confiance à des sentiments positifs,
besoin de plusieurs ressources pour gérer la situation de défi ou le matériel post-traumatique. Lors de séances
ultérieures, faire des séances plus courtes sinon les manifestations négatives peuvent s'aggraver.
7. Résumé et renforcement : revenir sur l'expérience émotionnelle et somatique quand on imagine avoir la ressource.
Demander au client d'imaginer un symbole, une image, un mot, ou un mantra qui pourrait l'aider à contacter la
ressource chaque fois qu'il en a besoin au cours de la journée.
Relier les images de la ressource avec le symbole ou le mantra et installer à l'aide de courtes séries de stimulations
bilatérales.
Encourager le client à penser à l'image ou au mantra fréquemment et à utiliser des indices de rappel visuels ou écrits
dans son environnement pour lui rappeler de le faire.
8. Renforcement de la ressource dans le temps : lors des sessions ultérieures : « Comment ça se passe lorsque vous
utilisez l'image [ou le mantra] pour vous connecter à la ressource ? » ; « Lors de situations délicates, avez-vous
essayé d'accéder à vos ressources pour vous sentir moins dépassé ? »
Rappel : si le client possède peu de ressources ou a des affects négatifs, lui demander de pratiquer régulièrement
l'utilisation des ressources. Si le client présente des difficultés, diminuer la quantité de défi ou augmenter la ressource :
ajouter des ressources supplémentaires nouvelles ou déjà installées à la situation future. Évaluer régulièrement la part
des ressources intégrées à chaque séance de thérapie : les imaginer comme des « alliées » thérapeutiques pour le client
et le thérapeute.
9. Aider le client à généraliser l'utilisation des ressources : pour les clients qui ont eu peu d'expériences de maîtrise ou
de sécurité ou un sentiment de ressources, apprendre à généraliser les ressources nouvellement développées est une
partie essentielle du traitement.
Utiliser la psychoéducation pour apprendre au client comment, quand utiliser les ressources dans la vie quotidienne :
pour anticiper les événements stressants et les défis quotidiens, lorsqu'il est stimulé par un déclencheur, lorsqu'il est
anxieux ou dépassé, etc.
Les pensées intrusives doivent être anticipées et gérées (section 6).
Pour les patients très instables, l'utilisation de la stimulation bilatérale continue est utile afin d’augmenter leur fenêtre
de tolérance. La stimulation continue fournit un moyen d'installer la parole, la résolution de problèmes, et les éléments
de psychoéducation utiles pour la thérapie.

CONCLUSION

Comme nous l’avons vu, les principes de coaching peuvent être intégrés à la
pratique du psychologue qui pourra utiliser l’EMDR pour traiter les
« blocages » liés à des traumatismes psychiques non assimilés, et renforcer
les ressources, développer des potentiels afin de permettre au client d’aller
vers l’univers des possibles. Il reste à définir si le coach non-psychologue
pourrait avoir accès aux formations EMDR et sous quelles conditions afin
d’offrir des garanties au coaché. Ce chapitre risque de susciter des vocations
de coaches chez les psychologues et cela implique la prise de posture
différente du coach mais aussi de susciter des envies de devenir praticiens
EMDR chez les coaches qui vont avoir à remplir les critères nécessaires.

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Chapitre 30

EMDR et culture

Pascale Amara

La thérapie EMDR représente une avancée majeure dans la prise en charge du trouble psychotraumatique. Il fut important
pour Francine Shapiro, portée par un humanisme unanimement reconnu, de diffuser cette thérapie par-delà les frontières
occidentales, afin qu'elle puisse être accessible au plus grand nombre, et notamment auprès de populations vulnérables
exposées à des vécus catastrophiques. Ce fut un défi que l'EMDR a relevé avec succès. Des cliniciens EMDR sont présents
sur tous les continents, en tant qu’humanitaires ou en tant que cliniciens locaux. Dans les pays occidentaux, la
psychothérapie transculturelle a connu ces dernières années un bouleversement du fait de l’afflux de réfugiés, notamment
mineurs, porteurs de faits traumatiques d’une extrême gravité. C’est un défi important pour les cliniciens EMDR
intervenant en structures médico-sociales.
Les cliniciens, chercheurs, et décideurs trouveront dans ce chapitre des clefs pour mieux comprendre et appréhender les
différents enjeux posés par l'utilisation de l’EMDR dans des contextes cliniques interculturels. Après avoir exposé la
philosophie d’intervention des programmes d'assistance humanitaires EMDR, ainsi que les points forts de la thérapie
EMDR qui la rendent adaptables à différents contextes culturels, nous poserons les jalons des fondamentaux à respecter
dans la rencontre interculturelle en santé mentale et spécifiquement dans la prise en charge du psychotrauma. Enfin nous
passerons en revue les spécificités de la thérapie EMDR en contexte interculturel qui seront développées à travers les 8
phases du protocole.

LES PROGRAMMES EMDR D’ASSISTANCE HUMANITAIRE

Les actions Trauma-Aid, auparavant dénommées EMDR-Humanitarian


Assistance Program (EMDR-HAP), ont débuté aux USA en 1995, en réponse
à l'attentat d'Oklahoma City. Des praticiens EMDR prirent en charge
bénévolement victimes et intervenants de première ligne en post-immédiat et
des formations gratuites à l'EMDR furent dispensées aux cliniciens locaux
pour assurer le relais des prises en charge. Les résultats très positifs
déclenchèrent la constitution d’une organisation américaine EMDR-HAP
dédiée à des programmes locaux puis internationaux qui se déployèrent dans
plus de 30 pays (Shapiro, 2012), et continuent leur déploiement à ce jour.
Ces programmes s’adressent aux pays exposés à des catastrophes de tous
ordres (désastres, conflits armés, misère sociale). Il est à noter qu’en ce début
de 21e siècle les instances internationales de protection des populations
vulnérables, comme l’UNITAR, prennent enfin la mesure de l'ampleur de ce
que l'on peut appeler l'épidémie du psychotrauma, tant les causes du
psychotrauma identifiables à travers les quatre violences – directes,
naturelles, structurelles, et culturelles – prennent actuellement des proportions
dévastatrices (Carrière, 2014).
L’objectif global des programmes humanitaires EMDR est d’agir au niveau
de la souffrance post-immédiate afin d’empêcher la transmission de la
douleur psychique et de la violence qui sont le double héritage du
psychotrauma. Ils sont structurés autour de trois objectifs : information du
grand public sur les symptômes post-traumatiques ; soutien des
professionnels locaux au contact des victimes par des formations au
psychotrauma et à l'EMDR ; prise en charge des victimes en EMDR. En 2012
l'organisation américaine a pris un tournant afin de donner plus de pouvoir
aux communautés locales (empowerment) en les rendant moins dépendantes
des interventions humanitaires. Des volontaires sont toujours disponibles en
cas d’urgences, mais une part beaucoup plus importante est laissée aux
professionnels locaux : les formations concernent non seulement les
cliniciens des organismes locaux, mais aussi des intervenants locaux non
cliniciens, identifiés comme auxiliaires de santé sélectionnés à partir de leur
métier d'origine (enseignants, infirmiers, religieux…).
Ce modèle prône la structuration d’un pool de professionnels apte à intervenir
en cas de désastre et optimise l'impact des prises en charge par le fait que les
intervenants locaux – qui sont leurs interlocuteurs habituels – ont un lien
instantané et fiable avec les victimes (Shapiro, 2012). Les interventions sont
prévues à 2 niveaux : des prises en charge en post-immédiat effectuées par les
auxiliaires de santé non cliniciens sous forme de stabilisation émotionnelle
auprès du plus grand nombre de victimes impactées, et des prises en charge
en EMDR auprès des victimes identifiées comme étant les plus choquées,
menées par les cliniciens (Carrière, 2014). Former les professionnels locaux à
la prise en charge d'un grand nombre de personnes en cas de désastres
collectifs permet de contourner les problèmes causés par le différé des
interventions internationales, et construit des ressources durables dans des
communautés exposées plus que d’autres à des catastrophes naturelles et/ou à
des conflits violents (Shapiro, 2012).
Les associations Trauma Aid ont essaimé dans la communauté EMDR
européenne qui a déployé des programmes humanitaires vers les pays
émergents partenaires (par la langue, par l'histoire en tant qu'anciennes
colonies) pour transmettre l’EMDR aux professionnels locaux de pays
demandeurs, ou intervenir en direct dans des zones impactées (Shapiro,
2014).
À ce jour, l'EMDR est présent sur tous les continents. Suffisamment
développé en Amérique du Nord, Amérique Latine, Europe, et Asie, pour que
les pays partenaires se structurent en associations, et en voie de
développement en Afrique et Océanie. Ainsi, l'EMDR a été implémenté avec
succès dans des cultures aussi différentes que les cultures anglo-saxonne,
latino-américaine, asiatique, arabo-musulmane, africaine, océanienne.
On peut citer à titre d’exemple contemporain les actions remarquables
menées par le britannique Derek FARRELL, formateur EMDR senior, qui est
intervenu, entre autres, dans le cadre de Trauma-Aid Europe, à la fois dans
des situations humanitaires d’urgence comme en Irak en 2015 auprès de la
communauté Yezidi victime d’une répression extrêmement violente de la part
de Daech (viols de masse), en partenariat avec la Jiyan Foundation for
Human Rights, et la Free Yezidi Foundation, (Alfred, 2015), et dans des
programmes à plus long terme comme au Pakistan (Farrell, 2014).

ADAPTABILITÉ DE L’EMDR

La thérapie EMDR a été reconnue par un grand nombre d’états en tant


qu'approche recommandée pour les troubles psychotraumatiques, ainsi que
par l'OMS (WHO, 2013). Elle est identifiée comme une thérapie
particulièrement adaptée à la mise en œuvre de programmes de prise en
charge du psychotrauma à grande échelle en zones d’intervention post-
catastrophe car elle présente deux caractéristiques très intéressantes dans ces
contextes sensibles (Shapiro, 2012) :
la rapidité de ses résultats et la facilité de sa mise en œuvre ; la thérapie
EMDR ne comporte pas d’exercices à faire à la maison, ce qui rend le
traitement possible sur plusieurs jours consécutifs;
son caractère non intrusif : l'efficience du traitement ne dépend pas de la
verbalisation ou de la description détaillée des vécus difficiles, le patient
choisit et contrôle ce qu'il exprime ou pas; de plus, il peut s’arrêter à tout
moment et être stabilisé si nécessaire.
Cette dernière caractéristique rend l'EMDR particulièrement solide en
contexte transculturel où la barrière de la langue est un obstacle dans le cadre
d’approches thérapeutiques basées uniquement sur la parole (Zaghrout-
Hodali, 2014). Cette caractéristique facilite aussi la réussite du traitement
dans toute situation où le patient est réticent à la révélation de faits personnels
et semble diminuer le traumatisme vicariant auprès des intervenants, qui ne
recueillent pas de ce fait les détails potentiellement traumatiques du vécu des
patients (Shapiro, 2012).
En situation de guerres ou de conflits en cours, ainsi qu’auprès de rescapés de
parcours migratoires insoutenables, la thérapie EMDR répond de plus à un
critère indispensable auprès de victimes (ou témoins) ayant vécu répression,
incarcération, tortures, viols, meurtres : la capacité à aider les survivants à se
reconstruire à travers une vision résiliente et porteuse d’espoir. Des
thérapeutes palestiniens intervenant en zones de conflits témoignent que
l’EMDR apporte une augmentation de la confiance qu’ils ont dans leur
propre travail thérapeutique, ainsi qu’une meilleure réponse et plus de
motivation chez les patients suivis. Dans la même étude, ces thérapeutes
notent que la structure du protocole, – qui peut paraître complexe à première
vue -, anticipée comme une difficulté, a au contraire donné une vision très
claire de la psychothérapie avec des repères conducteurs faciles à suivre
(Zaghrout-Hodali, 2014).
Par ailleurs, la possibilité d’aborder le vécu traumatique très tôt après les
faits, éventuellement dans le cadre de protocoles simplifiés qui pourraient
être appliqués par des auxiliaires locaux de santé supervisés, ainsi que celle
de mettre en œuvre une forme collective du protocole (Jarero et Artigas,
2012), sont d’autres caractéristiques qui rendent également l’EMDR
particulièrement adapté pour la mise en place de programmes en post-
immédiat dans les zones de conflit ou de désastres naturels (Carrière, 2014).
Les protocoles EMDR de groupe permettent aussi de répondre de façon
optimale aux besoins de stabilisation de réfugiés traumatisés, dont le nombre
déborde les capacités de prise en charge individuelle du psychotrauma. Pour
plus de détails sur ces aspects, se reporter à Amara (2017).
Ainsi, la thérapie EMDR montre suffisamment de souplesse pour s'adapter
aux cultures différentes. Mais qu’en est-il de la « sensibilité » à la culture au
sens psychométrique du terme, de la thérapie EMDR ? Ce protocole de
culture occidentale peut-il absorber les écarts culturels en restant fidèle à ce
sur quoi il agit, à ce qu'il évalue, et traite, ou est-il trop occidentalo-centré ?
C’est la question de l'universalité du protocole EMDR qui est posée, derrière
laquelle se profile celle de l'universalité du processus de traitement adaptatif
de l'information (TAI), substrat théorique sur lequel s’appuie la thérapie
EMDR.
Marck Nickerson (2017) liste les propriétés fondamentales qui permettent à
cette thérapie de maintenir son efficacité à travers une grande diversité de
culture : être centrée sur le patient ; être peu exigente quant à la verbalisation;
rester efficace avec des interprètes ; pouvoir utiliser des médiateurs non-
verbaux (dessins) ; pouvoir être utilisée dans le cadre de prises en charge
groupales ; permettre aux patients de ne pas révéler leurs souvenirs ; accéder
à différents éléments mnésiques (cognitions, émotions, ressentis physiques) ;
intégrer des outils simples d’auto-évaluation (VOC, SUds) ; ne pas nécessiter
d’exercices à faire à la maison ; intégrer la biologie universelle du cerveau
humain au modèle TAI ; respecter les processus spontanés de guérison ;
adapter les modalités de stimulation bilatérale ; s’appuyer sur les ressources
culturelles existantes ; intégrer des compétences de pleine conscience
valorisées dans de nombreuses cultures ; encourager l’ajustement du
thérapeute au patient et le respect de son intégrité ; permettre d’identifier la
problématique selon la terminologie du patient ; être efficace dans une large
gamme de vécus difficiles.
Avant de détailler plus avant les adaptations culturelles des différentes phases
du protocole, il est crucial de rappeler les fondamentaux qui président à la
rencontre interculturelle.

SANTÉ MENTALE, PSYCHOTRAUMA, ET CULTURE


Le contexte transculturel engage sur la scène thérapeutique un professionnel
et un patient de culture différente. Quel va être le statut de la culture du
patient dans cette rencontre ? Et quelles articulations entre les deux cultures
en jeu ?
Entre l’impératif du tout biologique incitant à s’affranchir de la culture –
puisque le symptôme et sa guérison seraient universellement partageables –,
et celui du modèle psycho-social prônant la réadaptation à tout crin, l’attitude
la plus acceptable sur les plans humain et éthique consiste à situer la
dimension culturelle au cœur de la dynamique de prise en charge (Baubet et
Moro, 2003). Il s’agit de co-construire des façons de faire adaptées au patient
de culture différente en prenant le temps de se familiariser avec les mots, les
représentations, et la sensibilité spécifique à la souffrance et au trauma, en
lien avec les proches et les familles.
Plus précisément, il convient de privilégier une approche adaptative articulée
aux représentations culturellement spécifiques qu’a le sujet migrant de la
psychologie, de sa maladie, et des rituels soignants (Baubet et Moro, 2003).
En effet, le sujet se représente sa maladie à travers un modèle subjectif
complexe, et sa recherche de soins est reliée de façon congruente à ce
modèle. Les capacités d’affiliation du sujet à l’espace thérapeutique proposé
vont grandement dépendre du fait qu’il peut projeter cette recherche de soins
subjectivement et culturellement prédéterminée dans les modalités
thérapeutiques proposées : le patient va-t-il se reconnaître dans les mots,
significations, symboles, mais aussi comportements et attitudes portés par le
thérapeute ? Pourra-t-il psychiquement adresser sa demande dans le cadre de
cette offre thérapeutique ?
Il est nécessaire pour cela que le soignant identifie les éléments psychiques
du patient hétérogènes à sa propre culture pour adapter le processus de soins.
Il peut s'appuyer sur une analyse à trois niveaux : le niveau ontologique
(l’histoire singulière), le niveau étiologique (la recherche du sens de la
maladie), et le niveau thérapeutique (quel « faire » ?) (Baubet et Moro, 2003).
Une attention particulière est à porter à la procédure diagnostique en situation
transculturelle. Différents facteurs doivent être connus dans la mesure où ils
sont susceptibles de causer des biais culturels dans l’évaluation, et fausser le
diagnostic (Baubet et al., 2005). La prise en compte indispensable de ces
facteurs culturels est facilitée par le livret « Formulation culturelle du
diagnostic », inclus dans le DSM, qui permet de recueillir des indications
anthropologiques à intégrer au diagnostic et au traitement (de Vries et al.,
2007). Ces indications constituent une analyse culturelle de la situation
personnelle du patient et de sa proximité avec ses propres références sociales
et culturelles (cf. encadré).
LIVRET DSM « FORMULATION CULTURELLE DU DIAGNOSTIC »

Il est basé sur cinq dimensions (Baubet et al., 2005) :


identité culturelle du patient : positionnement et ressentis par rapport à sa culture, sa religion, son pays d'origine, ses
compatriotes, sa famille, ainsi qu'avec la culture du pays d'accueil ;
modèle étiologique des troubles en référence à la culture d’origine et à la culture du pays d’accueil : explications,
dénomination, manifestations, sens, et itinéraires thérapeutiques ; sens de la demande actuelle ;
facteurs culturels de stress et de ressources liés à l’environnement psychosocial (y compris l'histoire de la migration)
et au niveau de fonctionnement ;
éléments culturels de la relation entre le sujet et le clinicien : culture du clinicien, lien avec la culture du patient,
histoire des relations entre les groupes culturels du patient et du clinicien ;
intégration des éléments recueillis au sein d'une analyse ayant pour but d'affiner le diagnostic et les soins.

Du point de vue du patient, la culture est une médaille à deux faces. Elle peut
agir comme un protecteur intériorisé qui aide le migrant à construire de
nouvelles stratégies d'adaptation. Mais elle peut être tellement enracinée que
sa perte est vécue comme traumatisante, ou qu'elle peut devenir un tyran
intérieur qui empêche de faire les bons choix pour sa survie dans le pays
d'accueil (de Vries et al., 2007).
Dans cette dynamique d'ajustement à la complexité transculturelle,
« l'itinéraire thérapeutique » peut se construire à travers diverses logiques
complémentaires, rituelles et modernes, et vise tout autant la guérison qu’une
attribution satisfaisante de sens, pour le malade, au trouble mental (Baubet et
Moro, 2003).
Ainsi, la dimension transculturelle affecte la prise en charge médico-
psychologique dans toutes ses dimensions, de l’établissement du diagnostic
aux possibilités d’alliance thérapeutique, de l’évaluation des facteurs de stress
et des ressources, à la stratégie thérapeutique (Baubet et al., 2005). La prise
en compte de cette dimension nécessite de la part des soignants « curiosité et
souplesse, capacité de pouvoir mettre en place des dispositifs originaux et
métissés, adaptés au contexte et la capacité à penser à la fois l’universalité du
psychisme et la spécificité culturelle. Un apprentissage de la rencontre. »
(Baubet et Moro, 2003).
Joany Spierings, superviseur EMDR néerlandaise, développe le concept de
« Compétence interculturelle » (Spierings, 1999) : « Une manière structurée
de construire une relation thérapeutique avec des patients de culture
différente, d’installer la confiance et de compenser les différences dans la
façon de gérer l’information et d’exprimer ses émotions. »
Mark Nickerson (2017) propose le modèle ASK pour structurer l’effort des
cliniciens EMDR à développer des compétences de base dans l’interculturel :
A pour attitude (positionnement), S pour skills (compétences) et K pour
knowledge (connaissance), et il note également que cet acronyme simple à
retenir – qui signifie « demander, solliciter » –, invite à la curiosité et
l’humilité qui sont les piliers de l’efficience interculturelle.
Ainsi, la compétence interculturelle s’appuie avant tout sur des qualités
humaines manifestées explicitement : ouverture d’esprit et réel intérêt pour la
culture de l’autre, considération et respect pour les différences culturelles.
Dans la clinique spécifique du psychotrauma, le sujet se représente les
expériences traumatiques en fonction de sa culture et ces représentations
influencent en retour la perception qu'il a du traitement proposé (de Vries et
al., 2007).
En particulier la question du sens du symptôme, étroitement reliée à la
question du sens du trauma, taraude toute victime : « Pourquoi cela
m’arrive ? » Cette question trouve une déclinaison spécifique selon la culture
et la religion de chacun (Spierings, 1999 ; de Vries, 2007), qui va orienter le
vécu de la souffrance psychique ainsi que le positionnement face aux soins.
Pour l’homme occidental athée, l’individu est responsable de son destin,
piégé dans l'illusion qu'il contrôle sa vie. L’événement traumatique vient
briser cette illusion, et la souffrance post-traumatique est une source de
dévalorisation intense. Poussé par cette excessive culpabilité, le patient, de ce
fait, s'engage activement dans son traitement.
Le patient de religion monothéiste s'en remet aux puissances divines : Dieu
ou Allah est responsable de son destin, le fait traumatique est inévitable
puisqu’il était écrit. Par-delà l’atténuation de la culpabilité, la souffrance qui
en découle peut même porter un sens libérateur – je gagne mon paradis à
travers cette souffrance – et susciter soutien et sympathie de la part de la
communauté. Toutefois, la victime résignée endosse une forme de
vulnérabilité face au malheur, et mobilise moins d'énergie pour se battre.
Pour les patients de cultures plus traditionnelles, le destin est influencé voire
déterminé par les forces de la nature, les ancêtres, d’autres influences
(mauvais œil, sorcellerie, envoûtement…), qui cherchent à nuire ou se venger
des transgressions en provoquant l’événement traumatique. Le patient trouve
ainsi un sens à la souffrance, et recherche des rituels de guérison. Toutefois,
il a tendance à vivre dans la crainte continuelle de ces forces toutes
puissantes.
Il apparait donc fondamental que le clinicien se penche, par-delà la culture,
sur le système religieux du patient traumatisé, afin de mieux comprendre ses
limitations, et appréhender et mobiliser ses capacités de résilience.
Cas cliniques – Psychotrauma et croyances religieuses
Par exemple le « Mektoub » des cultures orientales, qui signifie « C’est écrit », représente la fatalité divine qui amène à
supporter stoïquement et solidairement les conséquences psychologiques d’événements traumatiques naturels, comme
les tremblements de terre. A contrario, dans les cultures musulmanes, l’agression sexuelle est une offense indélébile
interprétée comme une faute de la victime voire de la famille toute entière « Allah nous punit pour des fautes à expier »;
les conséquences narcissiques délétères – une honte massive – rejaillissent sur tous les membres de la famille, aggravant
la culpabilité post-traumatique de la victime. Cet aspect est indispensable à prendre en compte par le clinicien qui devra
penser un dispositif systémique dans l’accompagnement du sujet agressé.
Autre exemple de culture plus traditionnelle : Marthe, une jeune gabonaise de 31 ans, pensera que le décès de ses tantes
à quelques semaines d’intervalle, lorsqu’elle avait 15 ans, provient d’un sort jeté par des personnes malfaisantes de la
famille que leurs belles qualités dérangeaient. Envisager de traiter les séquelles traumatiques de ces décès l’amènera à
confronter ses représentations du pouvoir actuel de ces personnes « malfaisantes »; elle peut craindre de contrecarrer ces
pouvoirs occultes, comme elle peut au contraire souhaiter les braver pour s’en affranchir. Le clinicien devra comprendre
le positionnement intime de la patiente pour mieux accompagner le processus de soin.

Pour un développement plus complet des enjeux présents entre le sujet et sa


communauté, la culture d’accueil, voire l’environnement au sens large où il
est amené à évoluer, institutions incluses, se reporter à (Amara, 2017), qui
décrit également un dispositif innovant de prise en charge groupale intégrant
l’EMDR et visant à régénérer la société colombienne brisée par la violence et
la drogue.

DÉVELOPPER LA RELATION THÉRAPEUTIQUE

Comme pour toute thérapie EMDR, mais là plus encore eu égard à la fragilité
du public concerné, il est essentiel avant de démarrer la thérapie EMDR qu’il
y ait un bon niveau de confiance, de compréhension et d’adaptation
réciproques (Spierings, 1999).

▶ Co-construire un cadre thérapeutique

Il est courant que le modèle de la consultation psychologique ou


psychothérapeutique n’existe pas dans le pays d’origine. Cela peut générer
une mauvaise compliance au suivi (Zimmermann, 2014) après la première
rencontre qui, de par sa charge émotionnelle et subjective de se confier
parfois pour la première fois à un spécialiste, peut être perçue comme un acte
de soin expiatoire unique et définitif. Il convient donc, en s’appuyant sur les
dénominateurs communs universels que sont la souffrance et le bien-être, de
co-construire un cadre structurant a minima l’asymétrie requise, dans le
respect de la déontologie professionnelle. Un obstacle à l’engagement dans
l’entretien peut être un sentiment de honte face à son propre mal-être ou vis-
à-vis des faits subis, quand la souffrance psychique est vécue comme une
fatalité dont il est honteux de parler (Zimmermann, 2014). Il convient dans ce
cas de s’appuyer sur ce qui fait lien et déculpabilise dans la culture du patient.
Dans certain cas il peut s’avérer nécessaire de rassurer le patient craignant
pour sa réputation en explicitant le secret professionnel.

▶ Alliance thérapeutique

La communication verbale et non verbale étant au cœur de la rencontre


intersubjective, il est nécessaire pour faire alliance avec le patient :
d’identifier ses spécificités linguistiques, comportementales et
psychologiques et s’y adapter (cf. encadré) – il est par exemple courant au
Maghreb que le patient et sa famille maintiennent en parallèle de la thérapie
proposée le recours aux pratiques maraboutiques et/ou religieuses (Rokia)
(Dendane, 2013) ; de limiter la barrière de la langue en portant attention à la
clarté de votre communication : réduire son vocabulaire, utiliser des mots
simples, contrôler le flux d’informations émises, privilégier le non verbal,
l’expressif, l’analogique, les métaphores reliées à la culture du patient
(Spierings, 1999).
EXEMPLES DE QUESTIONS CULTURELLEMENT ORIENTÉES (PHASE 1)

Exemples de questions basiques permettant à la fois de construire la relation thérapeutique, d’obtenir les repères culturels
du patient, et de relever des éléments cliniques pertinents pour vos hypothèses cliniques (Spierings, 1999) :
Comment explique-t-on votre maladie dans votre pays ?
Comment serait soignée votre maladie dans votre pays ?
S’il y avait un(e) sage de votre famille avec nous, que dirait-il/elle sur votre maladie et sa guérison ?
Comment les hommes/femmes de votre culture expriment-ils/elles : la colère, la honte, la culpabilité, la tristesse, la
peur, le dégoût, la joie ?
Comment pourrais-je reconnaître ces affects dans votre expression ?

▶ Préparation du patient

Pour renforcer les ressources du patient tout en le mobilisant sur la thérapie, il


convient de : s’intéresser à ses symptômes somatiques et le mobiliser sur le
prendre-soin de son corps en général ; lui apprendre des techniques de
stabilisation émotionnelle et de contrôle des reviviscences intrusives ;
s’intéresser à sa famille, sa lignée ; se mobiliser sur les difficultés actuelles de
sa vie, et lui apporter de l’aide (réseau social, conseils, jeux de rôle) pour
faire face au nouveau contexte. Enfin lui donner des explications sur les
symptômes post-traumatiques et les hypothèses qui fondent la thérapie
EMDR – le modèle TAI –, grâce à des métaphores (cf. encadré) articulées si
nécessaire à ses modèles culturels et religieux (Spierings, 1999).
MÉTAPHORE DU TIROIR DE LA MÉMOIRE

Cette métaphore peut être utilisée dès la phase 1 pour expliquer le modèle TAI de la thérapie EMDR, mais également en
cours de traitement pour aider le patient à se repérer dans l'avancée de la thérapie.
Voici un exemple d’énonciation de cette métaphore, que l’on accompagne de gestes évocateurs (l’indication des phases
correspondantes du protocole en 8 phases de la thérapie EMDR est uniquement pour la compréhension du lecteur clinicien)
: « Les souvenirs traumatiques ne sont pas rangés comme les autres souvenirs, chacun dans un tiroir de la mémoire ; ces
souvenirs-là sont partout à l’intérieur de vous et vous y repensez tout le temps. La thérapie EMDR ne vous fera pas oublier
les souvenirs – cela n’existe pas -, mais ils pourront être rangés comme les autres dans les tiroirs de la mémoire et on n’y
pense jamais, sauf quand quelque chose nous le rappelle. Voici comment on va faire avec l'EMDR : on ouvre d’abord un
grand tiroir de la mémoire (Phase 2), puis on attrape le souvenir (Phase 3). Ensuite bouger les yeux ou les tapotements
permet de réduire ce souvenir pour le faire rentrer dans le tiroir de la mémoire, et on ferme le tiroir (Phase 4) ; cette étape
est au cœur de la thérapie et peut prendre plus d’1 séance. Ensuite on prépare une belle étiquette où on inscrit quelque
chose de positif sur vous, une pensée choisie par vous qui vous libère de ce mauvais souvenir, et on colle bien fermement
cette étiquette sur le tiroir (Phase 5). Et enfin on vérifie qu’il n’y a plus rien qui dépasse du tiroir (Phase 6). Ce qui fait que
quand quelque chose vous fera penser à ce souvenir, et que vous irez vers ce tiroir, la première chose que vous verrez, c’est
la pensée positive sur vous. »

Voyons maintenant les points sensibles à cette adaptation culturelle des 8


phases du protocole.

ADAPTATION DES 8 PHASES DU PROTOCOLE


▶ Phase 1 : histoire du patient

Critères de sélection de patients pour l’EMDR

Cet aspect de la phase 1 concerne la nécessité d'écarter momentanément de la


thérapie des patients qui ne seraient pas en mesure de supporter la
confrontation au souvenir traumatique. Le clinicien doit être à même
d'effectuer une évaluation des troubles dissociatifs présents (prostration,
hébétude, agitation, addictions…) et proposer au patient un soutien contenant
par une parole de réassurance, un début d'élaboration narrative, et des
techniques psycho-corporelles de reprise de contact avec son corps, comme la
technique du Lieu sûr. L'analyse culturelle est particulièrement pertinente à
cette étape tant les vécus d'effroi et de frayeur peuvent prendre des formes
culturellement marquées qu'il est crucial d'identifier sous peine d'erreurs
diagnostiques qui peuvent donner lieu à des internements abusifs, en cas de
diagnostic erroné de psychoses, par exemple (Baubet et al., 2005).
De façon générale, obtenir un consentement éclairé du patient est un point
particulièrement sensible dans un contexte où la communication n’est pas
fluide ; il est crucial que le patient comprenne et accepte que l’EMDR va le
confronter à ses vécus traumatiques (Spierings, 1999).
Les ressources psychologiques, familiales, sociales peuvent être rares, si la
personne vit un contexte cataclysmique où elle a tout perdu. À cet égard, la
situation du réfugié isolé est toujours plus fragile que celle du patient
rencontré dans son pays d’origine, car ce dernier peut partager son malheur
avec des pairs et s’appuyer sur ses repères culturels et familiaux, les plus à
même de permettre à l’individu au psychisme effracté de se reconstruire
(Baubet et Moro, 2003).

Histoire du patient

Pour faciliter le recueil de l’histoire du patient, il convient d’être attentif à la


qualité de la relation intersubjective. L’écoute attentive du discours du
patient, notamment ses plaintes somatiques, suivie d’une reformulation en
termes de stratégie de survie (Spierings, 1999), est vécue par le patient
comme une interprétation libératrice voire déculpabilisante. Il est important
de porter attention à la formulation des questions pour éviter tout malentendu.
Privilégiez les « comment cela a été/est pour vous ? », « Qu’est-ce que cela
vous (a) fait ? », « Qu’est-ce qui n’allait/ne va pas ? », « Que faudrait-il
changer ? » ; évitez les « Pourquoi ? » qui peuvent être vécus comme
accusateurs. Contournez la difficile confrontation aux vécus ressentis comme
honteux en évitant un questionnement trop direct ; par exemple faites état de
façon détournée, générale, de la situation traumatique de la personne, puis
demandez-lui si elle en a entendu parler ou si elle se sent concernée par ces
problèmes (Spierings, 1999).
Sur le plan du déroulé de l’anamnèse, intéressez-vous autant aux causes des
symptômes qu’à leurs conséquences dans la vie du sujet et de sa famille.
Soyez attentif au déchirement de l’exil ainsi qu’aux conflits de loyauté.
Envisagez avec délicatesse les questions liées à la sexualité, et notamment à
la perte de virginité. Si la famille est présente et a accompagné le patient, il
est essentiel d’accorder toute son importance à cet investissement en
l’accueillant et l’écoutant ; recueillez les fonctions et les liens intra-familiaux,
et privilégiez le chef de famille (Spierings, 1999).
Plan de ciblage
Les réfugiés sont porteurs de traumas multiples, liés à la situation sociale,
politique, ou sécuritaire dans leur pays, où ils ont vécu dans l’insécurité et la
violence parfois depuis des décennies, et également liés au parcours
migratoire jusqu’au pays d’accueil où ils ont été exposés bien souvent à de
graves traumatismes tels que des meurtres, viols, disparitions en mer,
menaces constantes de mourir. Ils portent en eux la détresse d’avoir laissé
leur pays, des proches, des personnes décédées ou disparues du fait des
violences qui les ont fait fuir. L’arrivée et l’installation dans le pays d’accueil
peuvent être aussi décevantes voire traumatisantes, du fait des conditions
d’accueil, des manifestations de rejet et de discrimination.
Le plan de ciblage doit se focaliser sur les symptômes les plus invalidants sur
le plan social et les plus douloureux sur le plan psychique (Spierings, 1999).
Construire avec le thérapeute un plan de ciblage dans l’intelligence des liens
entre les souvenirs sources et les symptômes actuels amènent une intelligence
partagée entre le thérapeute et le patient qui devient véritablement co-acteur
de sa thérapie, en situation d’auto-apprentissage (Zaghrout-Hodali, 2014), ce
qui augmente l’affiliation à la thérapie et la mobilisation sur ses ressources
propres.

▶ Phase 2 : préparation

Sécurité

Le sentiment de sécurité est essentiel pour la réussite du traitement, tant dans


la vie actuelle du patient, que dans la relation thérapeutique; à cet égard, une
relation thérapeutique de qualité, respectueuse et sensible aux spécificités
culturelles, telle que nous l’avons évoqué plus haut, où le patient se sent
accueilli au plus profond de ce qui fonde son humanité, dans un partage
quasi-égalitaire avec le thérapeute de la souffrance humaine dont il est le
dépositaire, représente un contenant sécure extrêmement puissant, et
insuffisamment valorisé, dans ces contextes cliniques extrêmes. Pour qu'un
transfert positif puisse s'établir, il doit y avoir en amont un potentiel contre-
transférentiel qui s'origine dans la motivation du clinicien à tendre la main à
son alter ego.
Ressourcement
Le lieu sûr peut être choisi en fonction des ressources culturelles les plus
solides : famille, religion, ancêtre ; cela peut être un sage de la famille, réel
ou imaginaire. Ne pas hésiter à accepter la présence d’un proche, à s’appuyer
sur des rituels religieux (prière, objet sacré), comme par exemple une
prière avant chaque séance « pour que Dieu bénisse notre travail » (Spierings,
1999) ; même logique pour les appuis mnésiques dans le protocole de
renforcement de ressources (Korn et Leeds, 2002).
Cas clinique – Installation du lieu sûr
Par exemple il est proposé à Marthe, une jeune gabonaise de religion chrétienne rescapée de traite humaine, d’installer
un Lieu sûr. Marthe pense immédiatement à ses prières à Dieu, « mes louanges ». La thérapeute la fait se concentrer
dessus et pratique des tapotements lents sur les genoux (taping). Alors que Marthe semble profiter calmement, yeux
fermés, des sensations pendant le taping, la thérapeute observe soudain qu’elle dodeline de la tête, comme si elle perdait
conscience ; alertée par cette manifestation d’allure dissociative, la thérapeute lui fait ouvrir les yeux et la questionne sur
son vécu. Marthe répond qu’elle n’a rien remarqué et que les sensations sont toujours agréables. La première partie de la
réponse confortant l’hypothèse de dissociation, la thérapeute vigilante prend le parti de poursuivre l’exercice en
mouvements oculaires (MO), afin d’augmenter la capacité de double attention par le maintien des yeux ouverts. De
même, après quelques MO, la tête de Marthe part en avant puis en arrière, yeux fermés, semblant profondément ailleurs ;
elle répond cette fois à la thérapeute qui la questionne qu’elle a eu conscience du mouvement de la tête mais qu’elle
n’est pas perturbée par ailleurs ; les sensations sont toujours agréables.
Ce retour clinique non congruent avec son expérience habituelle – où l’absence de conscience amène en général
l’absence de sensations agréables – intrigue la clinicienne, ce qui crée une ouverture vers une autre dimension possible,
culturellement marquée, étrangère à son monde, qu’elle a la présence d’esprit de questionner : « qu’est-ce que ce
mouvement représente pour vous ?». La patiente répond laconiquement le mot « Initiation » ; il s’agit du rituel
d’initiation des adolescentes passant à l’âge adulte, encadrées par des aînées en tenues rituelles qui accompagnent ce
passage par des chants et des danses, les jeunes ayant alors ces mouvements de tête. Elle ajoute que du fait de sa
situation familiale chaotique, elle n’a pu bénéficier de ce rituel en son temps.
La thérapeute soulagée et la patiente peuvent alors rire ensemble de ce début de thérapie EMDR qui commence bien,
avec cette symbolique rituelle de l’entrée dans la vie adulte. Dans la suite de la thérapie, Marthe manifestera toujours
avec ces mouvements de tête les moments de relâchement agréables.

Contrôle

Mettre en place tout ce qui va permettre au patient de garder le contrôle ou le


retrouver, en cas d’abréactions voire de dissociation : signal d’arrêt, un code
non verbal « oui/non » s’il ne peut plus parler, des techniques de réorientation
dans le présent.
Tolérance aux affects

Renforcer la tolérance aux affects en soutenant les capacités du psychisme à


supporter des émotions perturbantes, – par des explications et métaphores sur
les vécus gelés, non intégrés, auxquels on doit accéder pour qu’ils se libèrent
-, en manifestant une contenance solide, verbale et non verbale.

Stimulations bilatérales alternées

Les mouvements oculaires peuvent être écartés au profit des autres modalités
sensorielles (auditives, tactiles) lorsqu'ils sont perçus par le patient comme
des tentatives d’ensorcellement, ou des choses interdites par la
religion (Zimmerman, 2014). On peut tenter d’expliquer l’aspect biologique
universel du processus stimulé par les stimulations bilatérales alternées en
faisant des liens avec des éléments similaires de la culture du sujet – comme
par exemple les danses rituelles ou chamaniques contenant une rythmique bi-
alternée à potentiel de guérison.

▶ Phase 3 : évaluation

La phase 3 est complexe dans sa formulation et nécessite des capacités


d’abstraction qui peuvent être empêchées par la barrière de la langue, ou les
habitudes culturelles de tradition orale. Dans cette situation d’interculturalité,
il est nécessaire d’adapter les phrases du protocole en des formulations
simples, ce qui implique pour le clinicien de savoir très précisément les
informations recherchées.
La recherche des cognitions négatives peut être mal comprise voire
culpabilisante ou humiliante si on ne fait pas la différence entre une croyance
irrationnelle et une pensée ; dans ce cas, il est crucial de lever le malentendu
en expliquant et donnant des exemples (Spierings, 1999) : « Nous savons
vous et moi que dans cette situation vous étiez parfaitement innocent/à la
hauteur, mais parfois on peut se faire des reproches voire se sentir
coupable/nul car quelqu’un a été gravement blessé ou est mort, même si on
n’y est pour rien. »
Identifier des cognitions positives centrées sur soi peut être vécu comme
insécurisant lorsque votre sécurité passe par l’agrégation à vos pairs, et que
votre bien-être est subordonné à celui de votre communauté. Ne pas hésiter
dans ce cas à inclure les proches ou d’autres repères culturels et religieux
dans les cognitions : « Ma famille peut compter sur moi », « Je suis béni de
Dieu », « Allah me pardonne », « Allah me protège » (Spierings, 1999).
L’évaluation du VOC peut se faire en montrant une échelle dessinée et en
simplifiant la phrase : « À combien le sentez-vous vrai ? » (Spierings, 1999).

▶ Phase 4 : désensibilisation

On sait combien il est difficile sur un plan psychique et émotionnel pour les
patients ayant vécu de terribles souvenirs de les raconter. De plus cela peut
être une difficulté voire un interdit dans la religion ou la culture du patient.
Le fait de pouvoir s’affranchir de cette étape dans la thérapie EMDR facilite
grandement le travail thérapeutique (Carriere, 2014). Le patient revoit en lui-
même le souvenir en détails jusqu’à ce que les parties les plus cruciales
émergent et soient drainées, amenant soulagement et apaisement, le
thérapeute ayant pour fonction de soutenir le patient lors de la traversée de ce
moment difficile de remémoration (Zaghrout-Hodali, 2014)
Face à des abréactions et signes de détresse importants : normaliser les
expériences et émotions du patient en l’incluant dans la communauté des
humains « nous, les êtres humains » ou « nous, les femmes », ou en
mentionnant que d’autres patients ont ressenti les mêmes choses (Spierings,
1999) ; rester très présent psychiquement, avec des réassurances verbales et
non-verbales (ne pas hésiter à tenir la main du patient tout en poursuivant les
SBA de l’autre main). Si l’abréaction crée trop d’anxiété, fragmenter le
travail (une pause toutes les 15 mn par exemple) ou discuter avec le patient
stabilisé de la possibilité qu’il contrôle l’exposition en fixant lui-même la
durée de la phase 4.
En cas de blocage du retraitement, le clinicien EMDR peut faire du tissage
cognitif en puisant dans des métaphores empruntées à la culture du patient
pour matérialiser le conflit intérieur bloquant, s’appuyer sur le rapport au
corps et à la sensorialité, sur les ressources ayant émergé dans les canaux
associatifs ainsi que des ressources spirituelles et religieuses. Par exemple
« qu’en penserait votre protecteur/Dieu, que vous dirait-il dans cette
situation ? », « si vous aviez la force divine/de votre protecteur avec vous,
que feriez-vous dans cette situation ? ». Il peut également utiliser si
nécessaire son autorité et son expertise pour normaliser les vécus ressentis
comme anormaux en donnant des explications psychologiques généralisables
(Spierings, 1999).

▶ Phase 5 : installation

Cette phase ne pose pas de problèmes particuliers, tant cette proposition


d’installer une pensée positive nous concernant à propos d’un événement
jusque-là porté très douloureusement paraît un invariant thérapeutique
universel. De plus, en situation humanitaire où les patients sont confrontés à
des situations sociales particulièrement délétères (catastrophe, guerre, chaos
social, …) cette phase de la thérapie EMDR rend possible la construction
psychique d’une résilience et d’un espoir alors même que le conflit est
toujours présent (Zaghrout-Hodali, 2014).

▶ Phase 6 : scanner

Phase sensible qui risque de faire sortir du nouveau matériel quand le corps a
été durement touché. Dans les cultures où les émotions sont peu nommées et
élaborées, au profit de sensations physiques très présentes, cette phase est très
investie par le processus de soin (Dendane et al., 2013). N’hésitez pas à la
reporter à la séance suivante si vous manquez de temps.

▶ Phase 7 : clôture

Porter une grande attention à stabiliser le patient lors de fins de séances


incomplètes. Vous pouvez par exemple utiliser la question sur le positif vécu
dans la séance pour installer encore plus de positif : « Quelle est la chose la
plus importante que vous ayez vécu aujourd’hui ? », puis « Qu’est-ce que ça
dit de positif sur vous ? », en faisant des SBA lents après chaque réponse du
patient.

▶ Phase 8 : réévaluation

Par-delà les aspects techniques de réévaluation des cibles complétées


précédemment, cette phase engage le travail thérapeutique dans la durée, et
en cela met à l’épreuve la compréhension du patient ainsi que son affiliation à
l’espace thérapeutique proposé. Le clinicien doit exploiter le temps
d’échanges structuré par les questions en début de phase 8 pour étayer et
consolider la compréhension transculturelle co-construite et partagée par les 2
protagonistes.
À la tendance que peuvent avoir des patients inquiets du vécu émotionnel
parfois inattendu provoqué par la thérapie, à considérer que ce que l’on a fait
lors de la première séance suffit bien, le clinicien doit opposer un
positionnement psychopédagogique patient, adapté, métaphorique, qui vise à
mobiliser l’intérêt subjectif du patient vers un projet thérapeutique libérateur
qu’il s’approprie.
Il sera essentiel dans la poursuite du processus de savoir doser l’alternance
entre des temps de consolidation psychique à travers des techniques de
renforcement de ressources, et des temps de retraitement actif. En effet, le
vécu intensément positif de ces temps de ressourcement sont des points
d’ancrage narcissique qui permettent au patient d’investir l’espace
thérapeutique en sécurité et en contrôle, ce qui compense les temps de
déstabilisation et est gage d’un investissement durable.

POINTS D’ÉVOLUTION

En situation humanitaire, les praticiens locaux ont subi les mêmes


environnements traumatiques que leurs patients (Zimmerman, 2014). Même
s’ils se présentent comme stables, ils peuvent être déclenchés par les
traitements qu'ils mettent en œuvre. Il convient de ce fait que le mode
d'intervention tienne compte de roulements permettant aux praticiens locaux
de se faire traiter et stabiliser, avant de repartir auprès des victimes (Carrière,
2014).
L’enseignement de l’EMDR dans les cultures traditionnelles pose un certain
nombre de problèmes : la notion de cognition est difficile à comprendre, les
personnes ne nomment pas les émotions, la numération n'est parfois pas
connue, ce qui rend difficile les évaluations de la phase 3. Certains
ajustements du protocole méritent d'être plus étudiés pour ces populations. De
plus, dans ces sociétés meurtries par la guerre, la famine, ou la violence
politique depuis des décennies, il est impossible de trouver des cas simples
pour le Niveau 1 de la formation ; la logique pédagogique issue de nos cursus
doit être modifiée pour tenir compte de ces facteurs (Zimmerman, 2014).

La thérapie EMDR représente une opportunité historique pour endiguer l'épidémie du psychotraumatisme qui accompagne
la confrontation des humains aux « 4 violences » (Carriere, 2014). Sur 20 ans de recul en contexte transculturel, à
l'intérieur ou l'extérieur de nos frontières, la thérapie EMDR a montré sa capacité à maintenir l'efficacité de son processus
universel de soin, par le traitement adaptatif de l'information traumatique, tout en s'ajustant aux spécificités culturelles des
populations impactées.
Pour consolider cette avancée, il conviendra de valider par la recherche des adaptations empiriques du protocole, et de
construire des cursus de formation à l'EMDR plus adaptés aux spécificités locales.

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Chapitre 31

Intervention EMDR immédiate

Protocoles EMDR d’urgence


Jenny Ann Rydberg

Les protocoles d'intervention rapide basés sur l'EMDR (EMDR-EI : EMDR Early Intervention) comprennent des
procédures qui permettent d’offrir, dans les 72 heures suivant un incident critique, une aide psychologique à un grand
nombre de personnes. Ces protocoles d’urgence destinés à une intervention EMDR immédiate ont pour but la stabilisation
des individus et la prévention de troubles psychologiques ultérieurs.

L’INTERVENTION EMDR IMMÉDIATE


▶ Intervention de crise

Les protocoles EMDR d'urgence correspondent à ce que Everly et Mitchell


(2008) nomment « intervention de crise » pour décrire les soins
psychologiques visant d’abord à stabiliser, puis à réduire les symptômes de
détresse ou de fonctionnement perturbé.
Les objectifs d’une telle intervention consistent à :
stabiliser psychologiquement la personne en veillant à la satisfaction des
besoins fondamentaux, d’abord physiques, puis psychologiques ;
apaiser la détresse ;
favoriser la reprise d’un fonctionnement psychologique adaptatif dans
l’immédiat ;
faciliter, le cas échéant, l’accès à des soins supplémentaires.

▶ Offrir une période de sécurité post-trauma

La consolidation en mémoire d’un incident critique nécessite, selon Jarero et


Uribe (2011, 2012), une période de sécurité post-trauma. Sinon, la séquence
continue d'événements stressants comportant des éléments similaires
(perceptions sensorielles, émotions, sensations) maintient le réseau mnésique
dans un état d’excitation permanente. Par conséquent, la consolidation est
empêchée et un phénomène de sensibilisation à ces mêmes composants se
développe et amplifie le réseau mnésique. Le risque de voir apparaître un état
de stress post-traumatique (ESPT) ou d’autres troubles associés croît à
chaque exposition.
Dans cette optique, les protocoles EMDR d’urgence viseraient à permettre à
des personnes qui viennent d’être exposées à un événement potentiellement
traumatisant, de connaître une période de sécurité post-trauma, favorisant
ainsi la consolidation des souvenirs et diminuant le risque de développer des
symptômes post-traumatiques.

PROTOCOLES D’URGENCE

Dans le domaine de l’intervention psychologique rapide, on peut distinguer


les protocoles d’urgence (employés dans les 72 heures suivant l’incident
critique) des protocoles d’événements récents (utilisés jusqu’à plusieurs mois
après le traumatisme). Seront développés ici les protocoles d’urgence.

▶ Procédure EMD

La procédure EMD est le précurseur de la thérapie EMDR telle que nous la


connaissons, développée par Francine Shapiro en 1989 (Shapiro, 1989a,
1989b). De nos jours, elle est employée dans des situations précises dans le
but de réduire l’activation du patient ou de renforcer sa stabilisation. L'EMD
peut se montrer utile dans des situations d'urgence mais aussi pour cibler, de
manière plus contenue qu’avec les procédures standard et en début de
thérapie, des souvenirs traumatiques ou leurs aspects intrusifs afin de
contribuer à une meilleure régulation émotionnelle et d’offrir une expérience
de succès.
Tandis que l’EMDR suscite un processus associatif, la procédure EMDR
réduit les associations avec d’autres souvenirs en faisant revenir à la cible
après chaque série (tableau 31.1). C’est ce qui lui permet son effet de
réduction des symptômes chez des patients qui seraient submergés et
dysrégulés par un retraitement standard (Shapiro, 2018).
Tableau 31.1. Procédure EMD
▶ Procédure de réponse aux urgences (ERP)

La procédure de réponse aux urgences (ERP : Emergency Response


Procedure), également appelée procédure de stabilisation immédiate, de
Quinn (2009) permet d’intervenir auprès de victimes d’événements
potentiellement traumatiques sur les lieux même de l’incident, dans les
véhicules de secours ou aux urgences hospitalières. Son but est de calmer et
d’instaurer une orientation dans l’ici-et-maintenant. Les stimulations
bilatérales d’attention double (ou stimulations bilatérales alternées) sont
utilisées pour leur effet d’apaisement psychophysiologique. Concrètement,
l’ERP consiste pour le praticien à répéter des phrases rassurantes (cognitions
positives) telles que « c’est [cet événement-là est] fini », « vous êtes en
sécurité maintenant [par rapport à cet événement-là] » tout en administrant
des tapotements bilatéraux au patient, jusqu’à ce que les réactions de stress
aigu diminuent et que la personne soit capable de communiquer et de
s’orienter dans le présent.
▶ Protocole EMDR des urgences (EMDR-ER)

Dans le protocole EMDR des urgences (EMDR-ER : EMDR Emergency


Room and Ward Protocol) développé par Guedalia et Yoeli (2009), le
praticien rencontre les patients hospitalisés à intervalles réguliers au cours de
la journée, en faisant raconter l’histoire de l’événement traumatisant après
une évaluation (phase 3) adaptée (image, cognition positive, VOC, cognition
négative, émotion, SUD) et une observation du corps. À chaque retour au
chevet du patient, le praticien lui fait raconter à nouveau le récit traumatique,
en administrant des stimulations d’attention double et en ajoutant dès que
possible les mots d’une croyance positive.

▶ Protocole EMDR modifié abrégé

Ce protocole de Kutz, Resnik et Dekel (2008) est administré en une séance


unique de 30 à 60 minutes ou plus à des patients présentant un état de stress
aigu, dès les premières heures mais aussi jusqu’à quelques mois après
l’événement traumatique (tableau 31.2).
Tableau 31.2. Protocole EMDR modifié abrégé
▶ Protocole URG-EMDR

Le protocole d’URGence de prise en charge EMDR (URG-EMDR),


développé par Tarquinio et ses collègues (2012), reprend de nombreux
éléments des protocoles EMDR d’événements récents, tout en se destinant à
une prise en charge équivalente à l’objet du défusing ou du débriefing (24 à
72 heures après l’incident critique). Plus précisément, ce protocole relève
d’une approche intégrative qui combine les points clés du protocole standard
de F. Shapiro (1995, 2001, 2018), du protocole des événements traumatiques
récents (REP : recent traumatic events protocol) de F. Shapiro (1995, 2001,
2018), du protocole R-TEP de E. Shapiro et Laub (2008), du protocole
EMDR abrégé modifié de Kutz et al. (2008) et de la procédure de réponse
d’urgence de Quinn (2009), ainsi que certains principes liés au débriefing
psychologique. En effet, il ne vise pas seulement à atténuer les effets du
traumatisme, à permettre une ventilation des émotions ou à offrir une
démarche préventive pour éviter l’installation d’un état de stress post-
traumatique ; la finalité est plus ambitieuse, car il s’agit aussi de contribuer
directement au processus de guérison pour faire retrouver un état de santé
psychique presque comparable à l’état antérieur du patient. Cependant, les
auteurs reconnaissent que leur protocole ne pourrait permettre de faire
l’économie d’une prise en charge EMDR complète, mais qu’il s’inscrit en
amont d’une telle démarche (tableau 31.3).
Puisqu’il est mis en œuvre dans les 24 à 72 heures après l’incident critique et
qu’il consiste en une séance unique, nous considérons qu’il appartient aux
procédures d’urgence. S’il propose un traitement plus complet que les deux
précédents (procédure de réponse aux urgences et protocole EMDR des
urgences), il ne permet pas nécessairement un retraitement aussi complet que
les protocoles des événements récents dont il reprend des éléments mais en se
limitant à une séance unique. En ce sens, il permet de traiter, dans
l’immédiat, l’impact de l’incident critique en lui-même, mais lorsque cet
événement traumatique s’accompagne d’une série d’effets en cascade
(impacts sur l’image de soi, l’intégrité corporelle, l’identité et les relations
affectives, sociales et professionnelles, entre autres), un traitement en
plusieurs séances pourrait s’avérer nécessaire.
Tableau 31.3. Protocole URG-EMDR
Les procédures et protocoles d’urgence offrent une continuité de solutions pour l’intervention EMDR immédiate, depuis la
réorientation vers la réalité de la sécurité dans le présent proposée par la procédure de réponse aux urgences et du protocole
EMDR des urgences, jusqu’à l’intervention de prévention plus conséquente de l’URG-EMDR.

BIBLIOGRAPHIE

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Chapitre 32

Intervention EMDR rapide

Protocoles EMDR d’événements traumatiques récents


Jenny Ann Rydberg

Les protocoles d'intervention rapide basés sur l’EMDR (EMDR-EI : EMDR-based Early Intervention) permettent de
prendre en charge psychologiquement des personnes venant de vivre des événements tels que des attentats, des violences,
la guerre, des catastrophes naturelles, des épidémies, des accidents. Ils sont utilisés tant par des psychothérapeutes dans le
cadre de leur pratique clinique habituelle que par les équipes de santé mentale de projets humanitaires.

Francine Shapiro conçoit l’événement traumatique récent comme une


expérience fragmentée, non encore consolidée, nécessitant le traitement de
plusieurs cibles qui correspondent à des aspects ou des parties de l’événement
afin de permettre l’intégration et la consolidation adaptatives de la mémoire
(Shapiro, 1995, 2001, 2018). C’est ainsi qu’elle a développé le protocole des
événements traumatiques récents (Recent Traumatic Events Protocol) qui
constitue une adaptation du protocole EMDR standard. Plus tard, dans le
manuel de réponses auprès de l’armée et dans les situations post-catastrophe
(Shapiro, 2004), elle a réintroduit son protocole initial EMD (Eye Movement
Desensitization) qui limite les associations et se centre sur l’aspect
désensibilisation, en recommandant son emploi dans des situations d’urgence
telles que les conflits armés.
Par la suite, plusieurs auteurs ont développé d’autres protocoles
d’événements récents individuels et de groupe. Les premiers essais
randomisés contrôlés ont été publiés récemment (Jarero, Uribe, Artigas et
Givaudan, 2015 ; E. Shapiro et Laub, 2015).

PROTOCOLES D’ÉVÉNEMENTS RÉCENTS ORIGINELS


▶ Protocole des événements traumatiques récents

Le protocole des événements traumatiques récents (Shapiro, 1995) s’applique


à un trauma individuel isolé qui s’est produit au cours des deux ou trois
derniers mois, comme un accident, une agression sexuelle ou l’exposition à
un environnement post-catastrophe dans un pays développé, suivi d’une
période de sécurité et de calme relatifs (Shapiro, 2018).
Les modifications de ce protocole par rapport aux phases EMDR standard
sont décrites dans le tableau 32.1.
Tableau 32.1. Protocole des événements traumatiques récents
Seront ensuite traités les déclencheurs présents et les cauchemars. Chaque
déclencheur résolu donne lieu à un scénario futur positif.
Si ce protocole semble long, trois séances suffisent généralement à sa
réalisation car chaque aspect est retraité rapidement.

▶ Protocole R-TEP

Ce protocole de E. Shapiro & Laub (2008, 2009, 2014, 2015) intègre des
éléments du protocole des événements traumatiques récents et de l’EMD tout
en introduisant des concepts originaux. Il s’administre généralement en deux
à quatre séances.
Cette approche se fonde sur plusieurs concepts originaux :
Épisode traumatique : l’ensemble des événements depuis l’incident
critique (ou même un peu avant) jusqu’à aujourd’hui. La notion de
l’épisode traumatique inclut les déclencheurs présents et les peurs
concernant l’avenir ;
Récit de l’épisode avec des stimulations bilatérales d’attention double
(SBAD) continues : le thérapeute apporte des SBAD de manière continue
pendant que le patient raconte le déroulement de l’épisode traumatique ;
Recherche Google ou scanner : le patient parcourt mentalement l’épisode
traumatique de manière non séquentielle pour identifier les « points de
perturbation » (PoD : point of disturbance) (fragments-cibles) ;
Traitement focalisé (auparavant appelé traitement télescopique) : deux
stratégies sont employées pour contrôler et restreindre le processus
associatif, la stratégie EMD (limitant les associations au point de
perturbation ou fragment-cible) et la stratégie EMDr (terme de Roy
Kiessling), limitant les associations à l’épisode traumatique. Les
associations libres caractérisant l’approche EMDR standard ne sont
poursuivies qu’en cas de blocage du traitement et avec l’accord du patient.
Ces différents points sont davantage développés dans le chapitre dédié aux
protocoles R-TEP et G‑TEP.

▶ Protocole EMDR-PRECI

Ce protocole individuel de Jarero et de ses collègues se destine au traitement


en une séance unique d’incidents critiques récents dans un contexte de
continuums de soins en santé mentale (EMDR-PRECI : EMDR Protocol for
Recent Critical Incidents), jusqu’à six mois après l’événement traumatique
(Jarero, Artigas et Luber, 2011 ; Jarero, Uribe, Artigas et Givaudan, 2015).
Il s’agit d’une version modifiée du protocole des événements traumatiques
récents de Shapiro (2001). L’EMDR-PRECI s’en distingue de plusieurs
façons importantes afin de tenir compte de la période étendue comprenant un
continuum d’événements stressants découlant de l’incident critique initial.
L’EMDR-PRECI comporte également des similitudes et des dissemblances
avec le protocole de l’épisode traumatique récent de Shapiro et Laub (2008,
2009, 2014, 2015).
En comparaison des autres protocoles d’événements récents, les spécificités
de l’EMDR-PRECI sont :
utilisation du « papillon » (pouces croisés et mains posées sous les
clavicules, tapotements bilatéraux alternés) comme forme privilégiée de
stimulations bilatérales pour l’auto-apaisement et pour le retraitement ;
pour les fragments-cibles, aucune cognition positive n’est demandée (donc
pas de VOC à la phase 3 [évaluation] ni de phase 5 [installation]) ;
le « pire » fragment-cible ou moment du continuum est identifié en
premier ; quand il a été désensibilisé, le patient visualise le déroulement
des événements stressants comme s’il regardait un film défiler et s’arrête
au point perturbant ou fragment-cible suivant qui sera désensibilisé ; ce
processus est réitéré jusqu’à ce que le patient n’identifie plus de moment
source de perturbation ;
la phase 5 (installation) est ensuite effectuée pour l’événement entier ; le
VOC n’est pas régulièrement vérifié car le thérapeute laisse les
associations se faire comme lors d’une désensibilisation ;
les phases 6 (scanner corporel), 7 (clôture) et 8 (réévaluation) concernent
l’événement entier et suivent les procédures standard ;
les déclencheurs sont ensuite traités et un scénario futur installé.

▶ Protocole EMDR-PROPARA

L’EMDR-PROPARA est un protocole EMDR individuel destiné à être mis


en œuvre par des paraprofessionnels (travailleurs sociaux, conseillers,
assistants de psychologie ou de psychiatrie, aides-soignants, etc.) dans des
situations de trauma aigu (Jarero, Rake & Givaudan, 2017).
Il relève d'un projet initié par Francine Shapiro (Jarero, Amaya, Givaudan &
Miranda, 2013) à partir du constat que les pays en voie de développement
manquent souvent de ressources professionnelles adéquates pour répondre
aux besoins de la population après des événements traumatiques d’envergure,
et disposent souvent de peu de soins psychologiques professionnels en
psychotraumatologie. Les paraprofessionnels y sont souvent plus nombreux
et se retrouvent chargés d’apporter les interventions de prise en charge.
C’est ainsi qu’un programme de formation particulier en EMDR a vu le jour
pour enseigner à des paraprofessionnels préalablement sélectionnés, formés
et supervisés, comment administrer des protocoles EMDR individuels et de
groupe dans des situations de trauma aigu. Ces paraprofessionnels ont été
conviés par Francine Shapiro à privilégier la sécurité des patients et à veiller
attentivement à la fidélité des prises en charge afin que des données de
recherche puissent être recueillies et évaluées systématiquement et ainsi
pouvoir produire des informations significatives.
Si l’EMDR-IGTP (Jarero, Artigas et Hartung, 2006 ; Jarero, Artigas et
Montero y Lopez, 2008) a été retenu dans ce cadre comme protocole de
groupe, Jarero a développé un nouveau protocole individuel, l’EMDR-
PROPARA, pour ce contexte spécifique (Jarero et al., 2013).
Les phases de l’EMDR-PROPARA sont :
préparation du lieu de travail ;
recueil d'éléments de l'histoire : données démographiques, informations
sur l’incident critique, évaluation des symptômes physiques, cognitifs,
émotionnels et comportementaux, et administration de questionnaires
d’évaluation ;
préparation du participant : techniques d’auto-apaisement ;
traitement de souvenirs traumatiques : évaluation, désensibilisation,
installation/renforcement d’une croyance positive sur soi et scanner
corporel ;
clôture de la séance ;
apport d’informations sur la gestion du stress ;
réévaluation : évaluation de la séance précédente et préparation d’une
nouvelle séance ;
réévaluation avant la fin de la prise en charge : stimuli présents, scénario
futur, résolution des symptômes, croissance post-traumatique et
administration de questionnaires d’évaluation.
À la différence des autres protocoles individuels, la technique du papillon est
la seule forme de stimulation bilatérale d’attention double utilisée ici, afin
d’apporter un sentiment de contrôle au patient.

PROTOCOLES D’ÉVÉNEMENTS RÉCENTS DE GROUPE

Les protocoles d’événements récents de groupe permettent d’intervenir dans


des situations où le nombre de personnes victimes d’un incident critique est
très important et dans des contextes où les professionnels de la santé mentale
sont peu nombreux. C’est pourquoi ils sont très souvent employés lors des
projets humanitaires EMDR HAP (Humanitarian Assistance Programs).

▶ EMDR-IGTP

Ce protocole EMDR de traitement de groupe intégratif (EMDR-IGTP :


EMDR Integrative Group Treatment Protocol) est utilisé depuis 1998 dans
différentes parties du monde pour intervenir auprès de populations après des
catastrophes naturelles ou d’origine humaine (Jarero et al., 2006, 2008).
Initialement conçu pour intervenir auprès d’enfants, il a également été utilisé
auprès d’adultes.
L’EMDR-IGTP est administré par un thérapeute qui dirige une équipe de
cliniciens ou d’auxiliaires en santé mentale formés à l’EMDR-IGTP, appelée
« équipe de protection émotionnelle ». Un ratio de 8 à 10 enfants par
professionnel en santé mentale est recommandé. L’application du protocole
dure une heure environ. Les différences d’avec les phases EMDR standard
sont décrites dans le Tableau 2.
Tableau 32.2. EMDR-IGTP
▶ Protocole G-TEP

Le protocole G-TEP (Lehnung, Shapiro, Schreiber et Hofmann, 2017 ; E.


Shapiro, 2014 ; Yurtsever, Konuk, Akyuz et Tukel, 2014) est une adaptation
du R-TEP au contexte de l’intervention EMDR rapide de groupe. Son
élaboration est issue d’une volonté de créer un protocole de groupe qui
ressemble au plus près possible aux protocoles à application individuelle,
avec la même profondeur et la même puissance. Le G-TEP est contenant et
apporte de la sécurité notamment par la préparation et le dépistage initiaux et
par la stratégie EMD qui limite les associations. La conceptualisation de
l’épisode traumatique tient compte de la nature fragmentée multi-cibles des
souvenirs traumatiques récents non consolidés.
Ce protocole est décrit plus en détail dans le chapitre dédié aux protocoles R-
TEP et G-TEP.

Il est intéressant de noter que les deux modèles les plus répandus pour l’intervention EMDR rapide ont connu des
évolutions opposées : Jarero et ses collègues ont commencé par un protocole EMDR de groupe pour les événements
récents, l’EMDR-IGTP, qui inspire la plupart des projets humanitaires EMDR intervenant auprès de groupes, pour ensuite
développer leur EMDR-PRECI, à mi-chemin entre le REP et le R-TEP, puis l’EMDR-PROPARA, tandis que E. Shapiro a
commencé par créer le R-TEP avec sa collègue Laub, et devant le constat de sa popularité auprès des intervenants HAP
post-catastrophe, il l’a ensuite adapté sous format simplifié à l’intervention de groupe. Une certaine concurrence entre ces
auteurs ne peut être que saine et les études du terrain ainsi que les premiers essais randomisés contrôlés sont favorables à
ces protocoles. Il appartiendra aux chercheurs de déterminer les avantages de certaines de ces adaptations par rapport à
d’autres.

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2014, Edimbourg [en ligne]. http://emdr2014.com/speaker/asena-yurtsever
[Consulté le 2 avril 2018]
Chapitre 33

Les protocoles EMDR R-TEP et G-


TEP

Les protocoles EMDR de l’épisode traumatique récent


Jenny Ann Rydberg

Le protocole EMDR R-TEP permet la prise en charge rapide et complète des individus ayant récemment vécu un
événement traumatisant. Le protocole EMDR G-TEP retient les éléments essentiels du R-TEP et les transpose dans un
format adapté aux groupes.

Elan Shapiro et Brurit Laub ont présenté leur protocole EMDR individuel
pour les épisodes traumatiques récents pour la première fois au congrès
EMDR Europe à Londres, en juin 2008 (2008a), lors du séminaire dédié aux
superviseurs. Le protocole est alors annoncé avec le titre U-TEP pour
Unfinished-Traumatic Episode Protocol ou protocole de l’épisode
traumatique inachevé. Le même mois paraît leur premier article qui évoque le
R-TEP, Recent-Traumatic Episode Protocol (2008b). C’est cette appellation
de l’épisode traumatique récent qui sera retenu par la suite pour correspondre
au concept de l’intervention EMDR rapide, même si la notion de l’inachevé
demeure intéressante.
La version adaptée aux groupes, l’EMDR G-TEP, fait l’objet d’une première
communication au congrès EMDR Europe à Edinbourg en 2014 (Yurtsever,
Konuk, Akyuz & Tekel, 2014).
Plusieurs auteurs ont décrit des résultats positifs après avoir utilisé l’EMDR
R-TEP sur le terrain (Alter-Reid, 2014 ; Fernandez, Callerame, Maslovaric
Wheeler, 2014 ; Kaya, 2010 ; Rochietta Tofani & Wheeler, 2011).
Récemment, E. Shapiro et Laub ont publié un essai randomisé contrôlé sur la
prise en charge avec l’EMDR R-TEP de dix-sept rescapés d’un attentat
(Shapiro & Laub, 2015) et Lehnung et ses collègues ont décrit le traitement
de 18 réfugiés au moyen de l’EMDR G-TEP (Lehnung, Shapiro, Schreiber &
Hofmann, 2017).

CONCEPTS CLÉS
▶ Épisode traumatique

L’incident traumatique initial, avec ses prémices et l’ensemble de ses


séquelles, est considéré comme un continuum traumatique qui se poursuit
tant que ces expériences n’ont pas encore été retraitées de manière adaptative.
L’épisode traumatique s’étend depuis l’incident initial jusqu’au présent et
comprend plusieurs cibles qui sont sources de perturbation, dites points de
perturbation (PoD : Point of Disturbance).

▶ Récit de l’épisode avec stimulations bilatérales continues

Le récit de l’épisode est réalisé seulement dans le travail individuel de


l’EMDR R-TEP ; dans le format de groupe, le risque de retraumatisation ou
d’activation trop importante en entendant les récits d’autres participants
justifie l’omission de cette étape. D’ailleurs, même dans l’EMDR R-TEP,
lors des phases 1 (recueil de l’histoire) et 2 (préparation) qui précèdent le
récit de l’épisode, le praticien empêche le patient d’évoquer les détails du
trauma afin d’éviter une activation prématurée
Lors du récit de l’épisode, le patient raconte à voix haute le déroulement de
l’épisode traumatique pendant que le praticien administre des stimulations
bilatérales continues qui aident à ancrer le patient et à contenir ses affects.
Une métaphore de distanciation (par exemple, un écran de téléviseur) peut
être employée au besoin pour renforcer la contenance de la procédure. Ce
retraitement initial commence à combler les brèches de l’histoire traumatique
fragmentée.

▶ Recherche Google ou scanner


La recherche Google est un mécanisme permettant d’identifier les divers
points de perturbation (PoDs) par le biais d’un balayage non séquentiel de
l’épisode traumatique, en silence, accompagné de stimulations bilatérales.

▶ Traitement focalisé

Les premières publications évoquaient un traitement « télescopique » passant


d’un point focal étroit, la stratégie EMD, à un point focal intermédiaire, la
stratégie EMDr, jusqu’au point focal le plus large, la stratégie EMDR. Le
terme « EMDr » est attribué à Roy Kiessling ; le « petit r » renvoie à un
retraitement limité en comparaison de l’EMDR permettant des associations
illimitées.
Actuellement, les auteurs préfèrent employer le terme de traitement
« focalisé », alternant entre la stratégie EMD qui maintient un traitement
« serré » en limitant les associations du traitement adaptatif de l’information
au PoD, particulièrement efficace pour traiter les fragments sensoriels
intrusifs, et la stratégie EMDr, la plus fréquente, limitant les associations à
l’épisode traumatique seulement.

EMDR R-TEP

L’EMDR R-TEP reprend les huit phases standard de la thérapie EMDR en y


apportant quelques modifications et ajoute une étape supplémentaire entre les
phases 2 et 3. Les conditions particulières de l’intervention rapide demandent
au praticien de faire preuve de sensibilité et de flexibilité.

▶ Exercices de stabilisation et d’autorégulation


de l’EMDR R-TEP

Quatre éléments

Les instructions de l’exercice des quatre éléments (Lobenstine & Shapiro,


2007) induisent un apaisement psychophysiologique :
1. La terre (pour l’ancrage et la sécurité dans la réalité présente) : « Prenez
quelques instants pour “arriver ici”... placez vos deux pieds par terre,
sentez le soutien de votre fauteuil... Regardez autour de vous et remarquez
trois nouvelles choses... Que voyez-vous ? Qu’entendez-vous ?
[L’attention est dirigée extérieurement vers la réalité de la sécurité dans le
présent.]
2. L’air (respirer pour se centrer) : utiliser un exercice de respiration, par
exemple : « En continuant à sentir la sécurité de vos pieds sur le sol,
sentez comme vous devenez centré quand vous inspirez par le nez (pour
une respiration abdominale) en comptant jusqu’à quatre, retenez votre
respiration en comptant jusqu’à deux, expirez en comptant jusqu’à quatre.
Prenez encore une dizaine de respirations lentes comme cela. »
[L’attention est dirigée intérieurement.]
3. L’eau (calme et contrôle, réponse de détente) : « Avez-vous de la salive ?
Fabriquez-en encore... Quand vous êtes anxieux ou stressé, vous avez
souvent la bouche sèche parce que la réponse de stress (système nerveux
sympathique) arrête le système digestif. Alors quand vous fabriquez de la
salive, vous rallumez le système digestif (système nerveux
parasympathique) et la réponse de détente... et donc vous reprenez le
contrôle. Alors en continuant à sentir la sécurité de vos pieds sur le sol, et
en respirant pour vous sentir centré(e), ressentez le calme et le contrôle qui
viennent en fabriquant de la salive. »
[L’attention est dirigée vers la production de salive et le fait de devenir
plus calme et plus en contrôle.]
4. Le feu (allumez le feu de votre imagination) : « Quand vous sentez la
sécurité de vos pieds sur le sol et la sensation d’être centré(e) en respirant
et le calme et le contrôle en fabriquant de la salive... Faites venir une
image de votre lieu sûr (ou d’une autre ressource comme le souvenir d’un
moment où vous étiez bien dans votre peau). Que ressentez-vous dans
votre corps et à quel endroit ? » Installer avec des stimulations bilatérales
courtes et lentes ou avec le « papillon ».
[L’attention est dirigée vers des sensations de sécurité/calme/etc. dans le
corps.]
Le patient évalue son SUD avant et après l’exercice. Le but est de diminuer le
SUD d’un ou deux points. Il est invité à porter un bracelet en silicone ou à
mettre une gommette sur son téléphone portable ; chaque fois qu’il apercevra
le bracelet ou la gommette, il devra vérifier son SUD, faire l’exercice des
quatre éléments et réévaluer son SUD.
Enveloppe de connexion aux ressources

Dans ce protocole de Laub (2006, 2009), le praticien utilise la connexion à


une ressource passée dans la phase de préparation (phase 2) : « Avant de
démarrer, j’aimerais que vous vous rappeliez un moment où vous étiez bien
dans votre peau... un moment ou une situation où vous vous sentiez bien et
entier... il peut s’agir d’un souvenir ancien ou plus récent... le souvenir de
quelques instants ou d’une période de bien-être prolongé... Quelle est la
première chose qui vous vient à l’esprit ? »
Le praticien procède au « traitement compact » (intégrant les aspects
sensoriels, cognitifs, émotionnels et somatiques) de la connexion à une
ressource passée. Le patient est invité à fermer les yeux, à se connecter à sa
ressource en remarquant ce qu’il entend, sent comme odeurs, voit... en
laissant venir ses émotions, sensations... en faisant le « papillon ».
Si des associations négatives apparaissent, le praticien propose de se
concentrer sur les aspects positifs. Si le patient n’y parvient pas, il est invité à
trouver un autre souvenir positif.
Lors de la phase de clôture (phase 7), le praticien énumère les ressources qui
ont émergé pendant le traitement. Le patient en choisit une ou opte pour la
ressource passée ; parfois une phrase positive forte apparaît spontanément. Le
praticien procède au traitement compact de cette connexion à une ressource
de clôture.
Une connexion à une ressource future (la manière dont le patient aimerait
s’imaginer à l’avenir) peut éventuellement être ajoutée.

▶ Comparaison des protocoles EMDR standard et R‑TEP

Le protocole EMDR R-TEP (Shapiro & Laub, 2008b, 2014) comprend toutes
les phases EMDR standard, avec quelques modifications, ainsi qu’une étape
supplémentaire.
Tableau 33.1. Comparaison des phases dans le protocole EMDR standard et le
protocole EMDR R-TEP
EMDR G-TEP

L’administration de l’EMDR G-TEP repose sur une feuille de travail unique


qui guide les participants pas à pas. Visuellement, cette feuille de travail est
conçue de sorte à refléter le fait que l’événement se situe dans le passé, que le
participant est en sécurité dans le présent et qu’il existe de l’espoir pour
l’avenir. Elle est divisée en cinq grandes cases qui correspondent aux six
étapes du protocole.
En comparaison de l’EMDR R-TEP, l’étape du récit de l’épisode traumatique
est omise. Seuls trois points de perturbation sont identifiés. L’évaluation
(phase 3) est simplifiée et comprend le niveau de perturbation subjective
(SUD), une attention portée aux modalités sensorimotrices, émotionnelles et
cognitives, avec une sélection de cognitions positives proposées. Le
traitement focalisé comporte six séries de stimulations d’attention doubles
pour chaque point de perturbation. Les stimulations bilatérales consistent en
des tapotements effectués d’une main sur la feuille de travail, les yeux
suivant leurs mouvements.
Tableau 33.2. Étapes du protocole EMDR G-TEP
Les protocoles EMDR R-TEP et G-TEP sont les plus complets parmi tous les protocoles EMDR proposant une prise en
charge immédiate ou rapide des traumas récents. Dès que les conditions le permettent (temps, moyens), ils devraient
constituer le premier choix des intervenants. Par ailleurs, ils comportent plusieurs éléments originaux dont le praticien
pourra nourrir sa réflexion et sa pratique.

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avril 2018]
Chapitre 34

Traiter les peurs


et les phobies spécifiques
avec l’EMDR

Monika Miravet et Marie-Jo Brennstuhl

Les phobies dites spécifiques sont très fréquentes dans la population générale, de 40 % à 82 % en fonction de la littérature,
et touchent aussi bien les enfants et les adultes que les personnes âgées (André, 2004 ; Mirabel-Sarron & Vera, 2012).
Des protocoles EMDR spécifiques existent dans le traitement des phobies spécifiques. Des aménagements du protocole
standard EMDR devront être effectués en complétant les cibles du passé, en incluant les réactions physiologiques dans les
déclencheurs actuels, et les scénarios du futur seront conceptualisés de manière à soutenir les mises en actions.

PEURS ET PHOBIES SPÉCIFIQUES : DÉFINITIONS

La phobie est caractérisée par une peur intense, irrationnelle et incontrôlable


d’un objet ou d’une situation spécifique, conduisant à des mécanismes
d’évitement et altérant significativement le bien-être d’un individu. La peur
se déclenche en présence de l’objet ou de la situation et parfois par
anticipation et provoque une réaction anxieuse qui peut aller jusqu’à l’attaque
de panique. Christophe André parle de « peurs excessives » ou même de
« peurs allergiques » (André, 2004).
Les phobies débutent dans des périodes d’anxiété générale élevée, engendrée
principalement par :
des stresseurs de la vie quotidienne, qui peuvent être ou devenir
chroniques ;
des épisodes traumatiques d’intensité variable ;
des événements traumatiques familiaux ;
des traumatisations transmises ou vicariantes ;
des facteurs épigénétiques.
Le lien manifeste entre ces éléments et l’anxiété qui s’accumule n’est parfois
pas évident, d’autant que les phobies apparaissent de façon plus ou moins
brutale. Lorsque des crises paroxystiques telles que les attaques de panique
accompagnent le vécu phobique, la peur de revivre cet épisode s’installe.
C’est la peur d’avoir peur, essentielle à prendre en compte dans la prise en
charge.
La phobie se maintient à partir de mécanismes de défense : l’évitement ou la
fuite (cf. figure 34.1). Ces mécanismes, utiles à court terme, se révèlent
aggravants à moyen et à long terme.
Figure 1. Schéma du cercle vicieux de l’anxiété

TRAVAILLER EN CONNAISSANCE DES DÉFENSES PHOBIQUES

La phobie spécifique est un trouble anxieux. Il apparaît essentiel de prendre


cet aspect en considération, notamment lors de la phase de préparation. La
psychoéducation sur le trouble phobique se fera rapidement, ainsi que
l’apprentissage d’exercices de gestion du stress/contrôle de la peur visant à
faire diminuer l’anxiété générale, redonner le contrôle au patient, mobiliser
ses ressources et débuter d’ores et déjà le travail de préparation à la mise en
action. Le patient devra de façon progressive se confronter à ses peurs,
apprendre à y faire face et à les maîtriser avant de les voir disparaître.
L’intérêt d’expliquer la symptomatologie et de préparer le patient à la mise en
action progressive est de diminuer l’hyperactivation associée à la phobie,
ainsi que l’anxiété liée aux séances et par conséquent les évitements, voire
l’arrêt de la thérapie (cf. encadré).
EXEMPLE DE PSYCHOÉDUCATION À LA PHOBIE

« Vous souffrez certainement d’une phobie spécifique. La phobie est une forme d’anxiété. Il s’agit d’une dérégulation de la
peur face à un objet ou à une situation. La peur se déclenche alors qu’elle n’a pas lieu de se déclencher, ou bien elle se
déclenche trop fort, et ce, même simplement en pensant à l’objet ou à la situation : il s’agit d’une anxiété dite anticipatoire.
Cette peur est irrationnelle et incontrôlable.
Vous allez alors faire ce qu’il est normal de faire lorsque l’on ressent de la peur : fuir ou éviter la situation. Mais ces
mécanismes de défense psychique vont se révéler inefficaces à moyen et à long terme, augmenter la peur, et affaiblir vos
capacités à faire face à la situation.
Notre travail va consister à retraiter ce qui a pu engendrer cette phobie et ce qui la maintient.
Aussi, petit à petit, et à votre rythme, nous allons désensibiliser les souvenirs liés à cette peur et programmer des mises en
action préparées grâce à la thérapie EMDR et aux techniques de contrôle de l’anxiété.
Il est important d’y aller pas à pas et de travailler avec la conscience de ces mécanismes d’évitement et de fuite, de les
utiliser comme une aide pour la thérapie.
Les mises en situations seront nécessaires, lorsque vous serez prêt, et la peur diminuera au fur et à mesure. »

DÉFINIR ET HIÉRARCHISER LES PROBLÉMATIQUES

Les patients phobiques souffrent d’une pathologie de l’anxiété. Celle-ci peut


se manifester à travers une ou plusieurs phobie(s) plus ou moins invalidantes,
mais également à travers d’autres troubles anxieux. La phobie peut également
survenir dans un tableau plus large et plus complexe : dépression, addictions,
troubles de la personnalité ou troubles dissociatifs. Les comorbidités sont
fréquentes.
Il est alors nécessaire de bien définir la problématique anxieuse et d’évaluer
les autres problématiques, ainsi que leur lien direct ou indirect avec la phobie
et le cas échéant, de hiérarchiser la prise en charge.
L’ordre d’apparition des troubles ne justifiera pas l’ordre de travail sur les
problématiques. La hiérarchisation devra se faire en tenant compte des
ressources du patient, mais aussi de sa demande, ainsi que des bénéfices
secondaires au maintien de la phobie et des peurs spécifiques sous-jacentes.
Cette mise en perspective peut prendre du temps.
Si le traitement est entrepris trop rapidement, sans avoir suffisamment
considéré les implications du changement, d’autres peurs massives peuvent
émerger, risquant de bloquer le travail thérapeutique ou de mener à l’arrêt de
la thérapie.
Il est essentiel d’expliquer au patient la notion de bénéfice secondaire et de
l’impliquer dans une démarche de réflexion active à ce propos. Ce
questionnement devra être fait de façon à ne pas culpabiliser le patient, en
mettant en avant le bon fonctionnement de ses défenses psychologiques.
Le travail thérapeutique doit être posé comme une collaboration, invitant le
patient à une responsabilité partagée avec le thérapeute.
Shapiro (2007) suggère de rassurer le patient quant au fait qu’il ne sera
nullement forcé de se confronter à des situations ou des activités particulières,
à la différence des TCC. Ce sera à lui de choisir jusqu’où il veut aller.

TECHNIQUES D’AUTO-APAISEMENT

L’intensité des réactions liées à la peur est souvent incomprise et jugée


honteuse par le patient qui se sent coupable et voit son estime rabaissée. Il
tente de contrôler sa peur mais rien n’y fait. Il a conscience de l’irrationnalité
de celle-ci.
Il est important de préparer le patient à se confronter à l’angoisse qu’il
redoute et évite, notamment en vue des mises en situations qui seront
nécessaires à la guérison.
Il faudra sans doute proposer un certain nombre de techniques d’auto-
apaisement avant de trouver celle qui correspond au patient, qu’il y adhère, et
que sa pratique devienne régulière.
Toute forme de technique de relaxation peut être enseignée, en fonction des
pratiques des thérapeutes. Les applications, enregistrements audio, sites
internet sont nombreux et peuvent soutenir la pratique : relaxation
progressive de Jacobson ou autogène de Schultz, cohérence cardiaque,
technique du faisceau lumineux, de la spirale...
Le DIR (Développement et Installation de Ressources – Korn & Leeds, 2002)
ainsi que le protocole de l’éponge (Hofmann, 2009 ; Kiessling, 2009) peuvent
compléter ce travail de renforcement1.
La préparation doit inclure le contenant, le lieu sûr, le signal d’arrêt et les
métaphores.
DÉFINITION DU PLAN DE CIBLAGE – PDC

Une fois les problématiques hiérarchisées et le travail de préparation et de


stabilisation achevé, il est nécessaire de définir un plan de ciblage (PDC)
spécifique aux phobies.

▶ Passé

La définition des cibles du passé est assez directive, il s’agira de lister :


tous les événements anciens et auxiliaires qui contribuent à la phobie ;
la première fois que la peur a été ressentie ;
les expériences les plus perturbantes ;
la dernière fois que la peur a été ressentie.
Il est intéressant à ce stade de proposer un floatback ou un pont d’affect afin
de questionner spécifiquement autour des événements ou du contexte de
l’année précédant l’apparition du trouble.

▶ Présent

tous les déclencheurs actuels ou stimuli pouvant provoquer la peur ;


les sensations physiques ou les autres manifestations de la peur.
Il est nécessaire de lister ici tous les déclencheurs, y compris les déclencheurs
subtils et les déclencheurs physiologiques. Cette étape nécessite parfois la
mise en place d’un journal quotidien, afin de relever précisément l’ensemble
de ces déclencheurs.
Ces derniers se révéleront également au cours de la thérapie, le PDC sera
assez évolutif.

▶ Futur

La définition des scénarios du futur est assez spécifique dans le cadre du


traitement des phobies, de par la définition même des peurs anticipatoires.
Chaque déclencheur actuel identifié dans le présent permettra d’établir un à
un les scénarios du futur. Pour chaque déclencheur il y aura donc un scénario
du futur associé. Ce travail permettra d’identifier les éventuels bénéfices
secondaires, mais également les scénarios irréalistes. Il permettra également
de compléter les compétences spécifiques à enseigner au patient, en dehors
du retraitement.

RETRAITEMENT DES CIBLES


▶ Protocole de Francine Shapiro

Francine Shapiro (2007) suggère de débuter le retraitement des cibles dans


l’ordre suivant : en premier lieu le premier souvenir, puis le ou les pire(s)
souvenirs, et enfin le plus récent. Les déclencheurs actuels seront ensuite
travaillés un après l’autre et les scénarios du futur ne seront abordés qu’une
fois tous les déclencheurs actuels retraités.

▶ Protocole d’événement unique

Lorsqu’un événement unique est directement à l’origine de la phobie, il peut


être abordé et traité en premier lieu. Il s’agit de la configuration la plus
simple, qui, lorsque la phobie n’est pas installée depuis trop longtemps,
permet souvent une résolution rapide, parfois même sans avoir à traiter les
déclencheurs et le futur, le patient se remettant spontanément en situation.
Il est bénéfique dans ce cas d’utiliser les expériences de mises en situations
positives pour les renforcer à l’aide d’un un DIR. Si la mise en situation a
généré du stress, même mineur elle peut être désensibilisée. Un protocole du
futur pourra ensuite être utilisé.

▶ Les angoisses d’anticipation

Dans le cadre des angoisses d’anticipation, tous les déclencheurs seront


également traités un à un, avant de passer aux scénarios du futur.
Un focus spécifique sera nécessaire afin de cibler la peur d’avoir peur.

▶ La désensibilisation

Lorsque le retraitement a débuté, il ne faut pas hésiter à soutenir le patient et


à continuer les SBA (Stimulations Bilatérales Alternées) s’il ressent de la
peur pendant la séance. Il peut parfois être nécessaire d’effectuer des séries
de SBA successives, de les adapter et les raccourcissant ou en les allongeant
par rapport aux séries habituelles, et de passer « à travers » une attaque de
panique, tout en rappelant au patient qu’il dispose de son signal d’arrêt en cas
de besoin.
Il est important de rappeler que toute montée de panique a un début et une
fin, et qu’il est possible de la traverser, tout en restant dans sa fenêtre de
tolérance, c’est-à-dire sans hyper ou hypoactivation notable, ce passage
devant être tolérable pour le patient. Il doit sans cesse avoir conscience qu’il a
un pied dans le présent et ressentir malgré toute la sécurité du moment.
Le soutien du patient est primordial à ce stade, notamment pour lui rappeler
les techniques apprises et pratiquées pour le rassurer, effectuer des tissages
cognitifs sur la peur et ses manifestations.
Enfin, il sera sans doute utile de faire appliquer des techniques de respiration
ou de gestion de la peur pendant le retraitement afin d’aider le patient à
continuer le long de ce canal mnésique et passer le plus fort de l’abréaction
sans sortir de la fenêtre de tolérance (cf. encadré).
AIDE AU RETRAITEMENT

Les tissages cognitifs ramènent le patient à la situation actuelle et l’aident à revenir dans le présent.
Lors du retraitement des cibles, il ne faut pas hésiter à utiliser la mise en action imaginaire.
Si le traitement est bloqué, il peut être interrompu afin d’installer une ressource à l’aide du DIR.
Ne jamais oublier de prendre du temps en fin de séance pour la stabilisation.

INCORPORATION DES MISES EN ACTION


▶ Mise en Action subie

Le patient peut être confronté à l’objet de la peur ou à la situation au cours de


la thérapie. Il semble intéressant d’assouplir l’ordre de traitement des cibles
proposées par Francine Shapiro (2007).
Ordre de traitement des cibles :
Tout en continuant à suivre le protocole standard sur les cibles du passé – le
traitement de fond – un traitement plus contextuel peut être proposé afin de
soulager le patient dans sa vie quotidienne et l’encourager à poursuivre le
travail engagé. Le traitement des cibles peut alors se faire dans un ordre
incluant les mises en action subies dans un passé proche, ou les craintes pour
le futur proche.
Passé proche :
retraitement de la mise en action si cette dernière a entrainé de l’anxiété
(phases 3 à 7) ;
renforcement des ressources si la mise en action s’est bien déroulée
(protocole DIR) ;
Futur proche :
protocole de l’éponge et/ou
retraitement de l’anxiété anticipatoire grâce au protocole du futur (phases
3 à 7).
Le retraitement de ces cibles peut se faire dans une même séance (par
exemple : retraitement ou éponge sur une mise en action à venir non évitable,
puis traitement d’une cible du passé).
▶ Mise en action contrôlée

Lorsque la décision est prise de passer à la mise en action, il est important de


débuter par des étapes n’entraînant pas une perturbation trop élevée. Il ne faut
pas hésiter à freiner les patients qui souhaitent débuter par des actions trop
anxiogènes et à définir des actions intermédiaires. L’utilisation de co-
thérapeutes, amis, famille pouvant accompagner le patient dans ses
démarches, est également possible. L’utilisation du protocole de l’éponge et
du protocole du futur doit être réalisée avant la mise en action contrôlée et
définie précisément.
Lorsque la mise en action a été réalisée, il est essentiel d’analyser
précisément comment celle-ci s’est déroulée. Si l’expérience s’est avérée
positive, ne pas hésiter à renforcer à l’aide du DIR afin d’aider à la
généralisation des effets positifs. Si la mise en action a provoqué des
perturbations, celles-ci seront désensibilisées et retraitées phases 3 à 7, si la
perturbation est mineure à l’aide de simples SBA centrés sur les reliquats.

FOCUS SUR LE FUTUR

Le travail sur les scénarios du futur est une étape fondamentale de la thérapie
EMDR, particulièrement dans le cadre des peurs et phobies spécifiques où
l’anticipation est au cœur de la problématique.

▶ Plusieurs étapes

Francine Shapiro (2007) propose les étapes suivantes :


incorporer un modèle positif pour une action future libérée de la peur : il
s’agit d’imaginer être en présence de l’objet phobique tout en restant
calme et détendu. Cette projection devra être retraitée jusqu’à une VOC à
7 ou 6 (car parfois le patient sera désireux de garder un 6 écologique avant
de se confronter l’objet / à la situation) ;
établir un contrat pour agir : lorsque le traitement est achevé (toutes les
cibles du passé, déclencheurs actuels et scénarios du futur ont été retraités
un à un, dont la peur de la peur et les déclencheurs physiologiques), il
faudra établir un contrat avec le patient afin de passer à l’action. Ce
contrat devra être progressif et réaliste et porter sur un délai relativement
court (1 mois) ;
faire dérouler mentalement le film de la séquence complète et retraiter la
perturbation : lorsque la mise en action est programmée, Shapiro propose
de faire visualiser le film allant de la séance à après l’exposition. Chaque
point perturbant de cette visualisation sera traité comme une cible
séparée ;
compléter le retraitement des cibles révélées entre les séances : le patient
sera averti des peurs qui peuvent survenir entre les séances, durant cette
phase de préparation à la mise en action. Le prévenir sera rassurant. Ce
processus est normal, la peur ne va pas disparaître d’un coup. Tous les
stimulus et les peurs émergentes devront être retraités ;
Concernant ce dernier point, A. de Jongh (2012) précise qu’il est
réellement primordial d’expliquer l’importance de l’exposition graduée,
pas à pas, et de prévoir un contact avec le patient par rapport à
l’exercice, voire de l’accompagner.
Il est également intéressant d’accompagner la visualisation du patient
par rapport à la mise en action jusqu’à obtenir une Cognition Positive
« Je peux faire face » qui soit bien installée.

▶ Le « flashfoward »

Afin d’aller plus loin encore sur les scénarios du futur et la confrontation à
l’objet phobique, Logie et Ad de Jongh (2014) ont développé une entité
spécifique : le flashfoward ou « projection future ».
Lorsque le travail sur le passé et sur les déclencheurs du présent est terminé,
il s’agit dans la définition des scénarios du futur d’aller chercher la pire
image en développant un scénario catastrophe : « Quelle est la pire chose qui
pourrait vous arriver si... ? » Ce scénario catastrophe, très irrationnel est
différent d’un patient à l’autre à propos d’un même objet ou d’une même
situation. Il va au-delà des scénarios du futur habituels liés aux déclencheurs
du présent.
Les phases 3 à 7 du protocole standard seront utilisées afin de retraiter ce
scénario avec une Cognition Négative et Cognition Positive imposées au
patient :
CN : « Je suis impuissant(e) »
CP : « Je peux faire face »
Le flashforward sera complet lorsqu’aucune perturbation ne subsiste (Sud à
0) et que la CP « Je peux faire face » est totalement installée (VOC à 7).

La thérapie EMDR s’applique parfaitement bien au traitement des peurs et phobies spécifiques, fréquemment liées à du
matériel traumatique.
Le recueil de l’histoire phobique ainsi qu’un temps de psychoéducation et de stabilisation seront nécessaires.
Ici, un focus particulier sera mis sur l’anticipation en insistant sur les scénarios du futur et la mise en action. L’utilisation
du flashfoward est recommandée afin d’amener le patient au bout de sa peur.

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SHAPIRO F. (2007). « Manuel d’EMDR : Principes, protocoles, procédures».
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Notes
1. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 3 « Lieu sûr/lieu calme et installation de ressources ».
Chapitre 35

EMDR et anxiété

Marie-Jo Brennstuhl

Les troubles anxieux font partie des troubles mentaux les plus courants, avec une prévalence au cours de la vie qui peut
osciller de 16 à 29 % en fonction de la littérature.
Souvent associés à une comorbidité élevée, ils viennent fortement perturber la vie quotidienne et peuvent s’avérer
extrêmement invalidants.
Parmi les troubles anxieux, les peurs et phobies spécifiques sont les plus courantes et font l’objet d’un chapitre particulier
dans cet ouvrage.
Il s’agira ici de s’intéresser à la symptomatologie anxieuse et plus spécifiquement au trouble d’anxiété généralisé (TAG) et
de définir ainsi des pistes de traitement à l’aide de la thérapie EMDR.

LES TROUBLES ANXIEUX


▶ Définitions

Les troubles anxieux se définissent principalement par une peur excessive, de


l’anxiété et de l’évitement, et diffèrent notamment de la peur et de l’anxiété
normales en termes de durée, car ils persistent généralement plus de six mois.

▶ Critères du DSM-V

Des changements importants ont été apportés dans la catégorie des troubles
anxieux dans la dernière version du DSM.
Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et le trouble obsessionnel-
compulsif (TOC) ont été répartis dans des chapitres séparés afin de pouvoir y
associer stress aigu et trouble d’ajustement pour l’un, et l’accumulation
compulsive pour l’autre.
Parmi les troubles anxieux, le trouble panique et l’agoraphobie ont été
dissociés et un spécificateur de l’attaque de panique a été ajouté.
Le critère de l’âge minimum n’est plus exigé pour le trouble d’anxiété
sociale, l’agoraphobie ou la peur spécifique, qui reconnaissent désormais une
anxiété excessive et déraisonnable même avant 18 ans.
Inversement, le trouble d’anxiété de séparation n’est plus réservé à l’enfance
ou l’adolescence, mais fait désormais partie intégrante des troubles anxieux.
En termes de comorbidité, un spécificateur de « détresse anxieuse » a été
ajouté aux catégories des troubles dépressifs et troubles bipolaires connexes,
permettant de mettre en avant au moins deux symptômes anxieux sans établir
pour autant un diagnostic de trouble anxieux séparé.

▶ Trouble d’anxiété généralisée (TAG)

Le trouble d’anxiété généralisée (TAG) n’a pas subi de modifications dans le


DSM-V.
Le TAG se définit principalement par des inquiétudes répétées à propos
d’événements passés ou des appréhensions d’événements à venir. Le cours
des pensées anxieuses est impossible à stopper, ce qui vient renforcer les
sentiments d’appréhension et provoquer une agitation et une incapacité à se
détendre, ajouté à des difficultés d’endormissement ou à maintenir le
sommeil.
On constate également des difficultés de concentration avec une forme de
procrastination, mais aussi des réactions de sursauts exagérés et de
l’irritabilité.
Physiquement, les manifestations sont diverses et concernent principalement
des tensions musculaires, tremblements et douleurs, grincement de dents,
transpiration, bouffées de chaleur, étourdissements, maux de tête, douleurs
thoraciques, bouche sèche, manque d’énergie...
La souffrance ressentie face à ces inquiétudes constantes et excessives vient
fortement altérer le fonctionnement social et professionnel du sujet.
L’intensité et la fréquence de l’anxiété est hors de proportion et interfère avec
la réalisation d’autres tâches ou activités en cours et empêche la résolution de
problèmes.
Les symptômes doivent être présents depuis au moins six mois.

UN PROTOCOLE AMÉNAGÉ

Les spécificités des troubles anxieux – une peur excessive et de l’évitement –


nécessitent des aménagements particuliers du protocole standard en EMDR
afin de prévenir un arrêt prématuré de la thérapie.
En effet, travailler sur les troubles anxieux nécessite une préparation
particulière afin de se prémunir de l’évitement et de la peur caractéristiques
de l’anxiété.
Un temps de stabilisation, de développement des ressources et d’amélioration
des stratégies de coping s’avère fondamentalement nécessaire.
Les patients répondent pourtant très bien au travail des troubles anxieux, pour
peu que ces précautions aient été prises.
Pourtant, les troubles anxieux se présentent généralement dans le cadre d’un
tableau clinique plus complexe, où les comorbidités sont nombreuses :
trouble de l’humeur, trouble de la personnalité, affects dépressifs,
consommation de substances pour pallier l’anxiété, auto-médication...
L’identification de plusieurs plans de ciblage peut alors être nécessaire.
L’utilisation de la thérapie EMDR prend tout son sens dans le traitement du
TAG et des symptômes anxieux de manière générale car ils sont
principalement causés par des idées réitératives et de fausses croyances qui
nécessitent une restructuration cognitive ainsi qu’une désensibilisation du
système de peur. Dans la perspective du modèle TAI, l’utilisation de l’EMDR
est donc tout à fait adaptée.
Par ailleurs il apparaît que plusieurs variables interviennent dans le
développement et le maintien du TAG : la présence d’événements stressants
ou traumatiques, ainsi que la croyance de l’individu qu’il ne possède pas les
capacités et ressources nécessaires pour faire face. L’utilisation de technique
de stabilisation et de développement et d’installation de ressources (DIR) est
donc primordiale.
Quatre variables sont également identifiées dans la littérature comme facteurs
contributifs au maintien de l’inquiétude excessive du TAG :
une intolérance à l’incertitude ;
une orientation défaillante vers la résolution de problèmes ;
des croyances dysfonctionnelles sur l’utilité des inquiétudes ;
l’évitement cognitif.

▶ Préparation au traitement

Le temps de préparation au traitement est particulièrement important dans la


prise en charge du TAG. En effet, nous l’avons vu, il est important de limiter
au maximum le risque d’abandon de la thérapie.
La première étape va donc consister, comme cela est établi dans le protocole
standard, d’installer un lieu sûr/calme, de mettre en place un contenant,
d’utiliser les métaphores.
Un temps spécifique sera également dédié à la psychoéducation afin de bien
expliciter les caractéristiques des troubles anxieux et de prendre en compte
que, durant les phases de retraitement et de désensibilisation, il est probable
que les sensations anxieuses augmentent, mais que le thérapeute, le signal
stop, le lieu sûr/calme, le contenant et des exercices de respiration
permettront toujours de passer « à travers » l’augmentation des sensations de
peur.
Le sentiment d’inefficacité à faire face étant caractéristique des
problématiques anxieuses, un temps spécifique sera dédié au développement
et à l’augmentation des ressources à l’aide du protocole DIR (Korn et Leeds,
2002) ou de la technique de l’éponge (Hofmann, 2009).
Des exercices de relaxation, de méditation de pleine conscience, de
respiration, ou tout autre outil dont dispose le thérapeute seront les bienvenus
afin de s’adapter au mieux aux besoins du patient.

▶ Définition du plan de ciblage


Une fois la psychoéducation effectuée avec le patient afin qu’il comprenne
son trouble, et après un temps de stabilisation et de développement des
ressources, il s’agit d’aller rechercher les cibles ayant contribué au
développement du trouble et des inquiétudes excessives.
Les cibles identifiées comme les plus perturbantes sont retenues dans le plan
de ciblage, avant d’être retraitées à l’aide du protocole standard EMDR, par
ordre chronologique.
L’utilisation de la thérapie EMDR permet de travailler à la fois des
événements passés supposés avoir contribué au développement des troubles
anxieux, mais également les situations redoutées actuelles et potentielles.
L’objectif principal est de pouvoir intégrer émotionnellement les inquiétudes
excessives et l’anxiété associée afin de les éliminer. Un travail de
restructuration cognitive est également permis grâce au changement des
Cognition Négative en Cognition Positive.
Le sentiment de capacité à faire face aux événements stressants est augmenté,
mettant en avant de nouvelles capacités de coping et un sentiment de
compétence.

▶ Retraitement

Le retraitement des cibles se réalisera alors conformément au protocole


standard EMDR, en trois temps, passé, présent, futur, et suivant l’ordre
chronologique des cibles du passé ainsi qu’en identifiant systématiquement
un scénario du futur pour chaque déclencheur actuel.
Les déclencheurs actuels prendront en compte les composantes physiques et
corporelles inhérentes aux troubles anxieux.
Les scénarios du futur s’attacheront à développer des projections du futur du
type flashfoward1 (Logie & De Jongh, 2014), afin d’aller confronter au plus
près la restructuration cognitive des pensées dysfonctionnelles.
Le tissage cognitif sera particulièrement aidant dans le traitement des troubles
anxieux, notamment sous forme de questionnement socratique, permettant
ainsi de mettre en avant le caractère excessif ou irréaliste des fausses
croyances.
▶ Compléter avec des techniques cognitives

Les thérapies cognitivo-comportementales sont reconnues comme efficaces


dans le traitement des troubles anxieux.
La thérapie EMDR permet de confronter le patient à ses peurs et à ses fausses
croyances et vient potentialiser les techniques d’exposition en imagination,
en permettant de désensibiliser plus rapidement l’anxiété associée.
De même, la thérapie EMDR, grâce aux changements opérés entre les
cognitions négatives et les cognitions positives, permet une restructuration
cognitive des croyances erronées, et vient requestionner les croyances
irréalistes.
Des techniques de résolution de problèmes peuvent alors se mettre en place
en parallèle ou en complément du traitement EMDR.
Il s’agira alors de répondre à 7 étapes principales :
définir le problème ;
générer des solutions ;
évaluer les avantages et désavantages de chacune des solutions ;
choisir la solution (ou la combinaison de solutions) qui sera appliquée ;
essayer la (les) solutions ;
évaluer les résultats ;
modifier la solution ou en appliquer une autre au besoin.
Afin de potentialiser la restructuration cognitive, il ne sera pas bénéfique de
tenter de démontrer le caractère excessif ou irréaliste des pensées ; il s’agira
plutôt d’amener le patient à se remettre lui-même en question. Orienter la
réflexion vers la résolution de problème lui permettra ainsi de prendre de la
distance par rapport aux croyances bloquantes et restructurer les pensées
obstacles.

L’utilisation de la thérapie EMDR dans le traitement des troubles anxieux correspond aux recommandations des thérapies
cognitivo-comportementales à travers la désensibilisation de la peur et le retraitement des fausses croyances et idées
réitératives.
Il est néanmoins important de compléter l’utilisation du protocole standard par un temps spécifique de psychoéducation
aux spécificités des troubles anxieux, ainsi que de ne pas lésiner sur tous les outils de stabilisation et de développement des
ressources afin d’augmenter les capacités de coping du patient ainsi que son sentiment d’efficacité personnelle.
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Notes
1. Pour plus d’informations, consultez le chapitre 34 sur les peurs et phobies spécifiques.
Chapitre 36

Le protocole de groupe EMDR-


IGTP
ou technique des quatre champs

Michel Silvestre

DÉFINITION

Le Protocole EMDR de traitement intégratif de groupe (IGTP : Integrative


Group Treatment Protocol) a été développé par Jarero, Artigas, Hartung en
réponse au passage d’un ouragan sur la côte ouest du Mexique en 1997. Il a
été présenté pour la première fois sous forme de poster en 1999 lors de la
rencontre annuelle de l’International Society for Traumatic Stress Studies à
Miami, USA (Jarero et al., 2013).
Ce protocole de groupe aussi connu comme la « technique des quatre
champs » ou « le protocole du papillon » a été utilisé avec ou sans
adaptations dans de nombreuses situations de guerres, de violences ou de
catastrophes naturelles (Jarero et al.,2013). De nombreuses études ont montré
son efficacité auprès d’enfants et même d’adultes (Jarero, Artigas & Hartung,
2006 ; Zaghrout-Hodali, Alissa & Dodgson, 2008 ; Jarero & Artigas, 2009 ;
Hurn & Barron, 2018).
Dans le cadre de cet article nous développerons uniquement l’utilisation de ce
protocole avec les enfants tout en sachant que le travail clinique a montré
qu’il pouvait aussi être utilisé avec des adultes (policiers, militaires,
personnes incarcérées). C’est un protocole d’intervention en situation de
trauma en phase aiguë et post 3 mois. Ce protocole rustique est simple à faire
passer et demande un minimum de matériel : une salle de travail, des feuilles
de papier blanc et trois/quatre crayons de couleur par enfant.

MISE EN APPLICATION DE CE PROTOCOLE DE GROUPE

Les groupes doivent être composés autant que possible d’enfants du même
âge, d’une même classe scolaire ou d’une fratrie ayant vécu le même trauma.
Il faut être attentif à ne pas mélanger dans le même groupe agresseur et
victime et suivant la taille du groupe, un deuxième intervenant sera
nécessaire. L’un des intervenants anime le groupe et l’autre peut intervenir au
cas où un des enfants aurait besoin d’une aide particulière. En effet, il peut
arriver qu’un enfant soit trop activé émotionnellement pendant ce travail,
n’arrive pas à se réguler et ait besoin d’un soutien individuel. Ce deuxième
intervenant peut être un thérapeute ou dans des certaines situations une
personne qui connaît les enfants comme par exemple l’infirmière scolaire.
Quelques caractéristiques essentielles de ce travail de groupe. Il permet aux
enfants l’expression de leurs résiliences individuelles dans un climat groupal
de contenance émotionnelle, il n’y a pas ou très rarement d’abréactions
émotionnelles pendant le travail thérapeutique. Les enfants n’ont pas besoin
de raconter ce qu’ils ont vécu, ils vont le dessiner à leur rythme. Ils pratiquent
eux-mêmes les auto-stimulations bilatérales alternées et ainsi restent plus
dans leurs fenêtres de tolérance.

COMMENT CE TRAVAIL DE GROUPE SE DÉROULE-T-IL ?

Dans la forme initiale de ce protocole de groupe, on va utiliser une feuille de


papier par enfant, divisée en quatre quarts qu’ils peuvent soit garder ouverte
devant eux soit plier en quatre de façon à ne voir qu’un quart à la fois
(Morris-Smith & Silvestre, 2015).
1. La première étape de ce protocole consiste à demander aux enfants de
dessiner sur un des quarts de la feuille de papier leur lieu sûr, d’identifier
et de localiser si possible une bonne sensation corporelle. Ensuite le
thérapeute va les guider en montrant comment faire les Stimulations
Bilatérales Alternées (SBA) en auto stimulation avec des mouvements
appelés les ailes du papillon (bras croisés et stimulations alternées sur les
épaules) tout en regardant leur dessin du lieu sûr. Le thérapeute les
accompagne en faisant le mouvement du papillon lentement pendant cette
phase d’installation du lieu sûr. Après quelques secondes de stimulation, il
leur fait prendre une grande respiration et leur demande une deuxième fois
de faire des SBA en regardant leur lieu sûr.
2. Pour la deuxième étape, le thérapeute leur demander de penser à la
situation difficile traumatique qui les préoccupe et de dessiner sur le
deuxième quart de la feuille de papier la pire image qui s’impose à eux
quand ils pensent à cette situation. On peut aussi leur demander s’ils ont
des mauvaises pensées ou des mauvais mots associés avec cette image et
de les noter sur la feuille de papier (c’est une forme de cognition négative
et le thérapeute se garde d’intervenir et de faire des commentaires). Puis
on leur demande de mesurer sur l’échelle du SUD (de 0 à 10) le niveau de
perturbation qu’ils ressentent face à cette image et d’identifier si possible,
en fonction de leurs niveaux de développement, une sensation corporelle
qu’ils pourraient avoir en pensant à cette pire image ; ensuite ils font les
mouvements de SBA du « papillon » à la vitesse que chacun choisit (lente
ou rapide) tout en regardant leur dessin jusqu’à ce que dans leurs têtes
vienne une autre image. À la différence du protocole standard EMDR ou il
est préconisé que le thérapeute fasse des SBA rapides pendant cette phase
de désensibilisation, nous devons prendre en compte que nous sommes
dans un contexte différent, l’enfant s’auto stimule et son libre choix de la
vitesse des SBA est une indication de sa capacité à s’auto réguler. Dans ce
protocole de groupe le but n’étant pas de travailler sur de nombreux
réseaux traumatiques mais de réduire la charge émotionnelle associée à
une cible bien précise.
3. Ils dessinent alors cette nouvelle image sur le troisième quart de la feuille
puis tout en la regardant font de nouveau des SBA du « papillon » jusqu’à
ce qu’une nouvelle image leur vienne en tête et la dessinent.
4. Ils font leur dessin sur le quatrième quart et ce dessin peut-être ou pas le
dernier, d’où le nom protocole des quatre champs. Le nombre de dessins
va dépendre de l’âge des enfants et de la durée de la séance de travail.
Certains auront le temps d’en faire plus et le minimum à obtenir est de
quatre.
Si le quatrième dessin est le dernier, le thérapeute leur demande d’évaluer
le niveau de perturbation ressenti (SUD) de ce dessin et non pas comme
dans le protocole EMDR standard de revenir à celui de l’image cible du
premier dessin car nous ne sommes pas dans un protocole de
désensibilisation de tous les réseaux traumatiques. C’est là un point
essentiel qui caractérise cette approche, il s’agit de vérifier que le
processus de SBA du papillon et de dessins successifs a permis la
réduction de la charge émotionnelle ressentie. Le thérapeute veut s’assurer
que ce mouvement de réduction s’est bien enclenché (baisse du niveau de
SUD) et donc que le processus de résilience de l’enfant a repris. La
clinique nous apprend qu’une baisse du niveau de SUD est observée dans
80 % des cas et que pour les 20 % restants où il n’y a pas de baisse du
SUD, il faut envisager une approche EMDR basée sur le protocole
standard.
Ce protocole de travail de groupe permet aux intervenants, non seulement
d’apporter une aide à chaque enfant, mais aussi d’exercer une fonction de
triage dans le cas de traumatismes majeurs ou de nombreux enfants sont
impliqués et où un manque de thérapeutes ne permet pas d’assurer des prises
en charges individuelles.
Pour clôturer la séance, on demande aux enfants de revenir sur leur dessin du
lieu sûr et de faire des SBA tout en le regardant. Lorsqu’ils ont fini on leur
propose de se lever et de bouger en mimant les mouvements du chien qui
s’ébroue en sortant de l’eau.
Nous pouvons suggérer quelques évolutions inspirées par la pratique
clinique. Dans un souci de stabilisation en activant les réseaux positifs on
peut demander aux enfants de dessiner leur lieu sûr une feuille de papier à
part. Ils pourront ainsi le garder devant eux pendant le temps du travail
comme une ressource. Le pliage de la feuille en quatre champs sera réservé
pour les dessins du processus associatif. Ainsi la taille de la feuille de papier
ressource sera plus grande que celle réservée aux dessins difficiles. Ce dessin
du lieu sûr à part donne la possibilité aux enfants de l’emporter avec eux s’ils
le souhaitent.
S’il est possible de prévoir une deuxième séance, le thérapeute demandera
aux enfants de repenser à la situation difficile, de dessiner l’image qui vient et
d’évaluer le niveau de perturbation avec l’échelle du SUD. Si le SUD est
élevé on refera une série de dessins et de SBA. Si le niveau de SUD est
écologique (proche de zéro) on peut prendre une autre cible. Une deuxième
séance n’est pas forcément pertinente dans le cas d’une fratrie si le protocole
de travail de groupe est suivi de rencontres familiale et/ou individuelle où
seront discutés et réévalués certains des éléments de la situation traumatique.
Une troisième séance peut être prévue, elle portera sur l’activation des
réseaux positifs et la capacité de mentalisation des enfants par le biais de la
création groupale d’une histoire ou de dessins collectifs (modèle de cognition
positive) aidant les enfants à solidifier leur processus de changement.

CONCLUSION

Ce protocole de groupe, simple d’utilisation est particulièrement utile et


robuste pour les groupes d’enfants. Il permet une intervention thérapeutique
sans risque de créer une sur-traumatisation des enfants du fait que chaque
enfant retranscrive pour lui-même et qu’il n’y a pas de partage des dessins
donc du contenu traumatique. Le groupe est ainsi utilisé dans sa dimension
contenante en remobilisant l’appartenance à la fratrie, au groupe scolaire
effractée par le trauma et non dans sa dimension d’échange. Il favorise la
chute de la charge émotionnelle associée à une expérience traumatique et il
devrait faire partie de la trousse à outils de tout thérapeute.

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Chapitre 37

La prise en charge du deuil et deuil


bloqué

Thérapie EMDR et deuil


Martine Iracane

Considérée comme une thérapie adaptée dans le cadre de la rencontre avec des patients endeuillés, la thérapie EMDR peut
libérer le processus naturel du travail de deuil, en ciblant les éléments à l’origine de blocages, en activant le traitement
adaptatif de l’information sur les éléments passés, les déclencheurs de la douleur du présent et en orientant le patient vers
une meilleure adaptation future.

DU DEUIL SAIN AU DEUIL PATHOLOGIQUE

Le deuil normal ou sain peut être appréhendé à travers trois moments


essentiels qui marquent le travail de deuil (Freud, 1915) : l’état de choc
suivant l’annonce de la perte (surtout si elle n’était pas prévisible) qui
entraîne un état d’hébétude et de sidération marqué par un abattement
physique et psychologique important, l’état dépressif – l’essence même du
travail de deuil – qui prend la mesure de la réalité de l’absence, et la période
de rétablissement.
Ces étapes permettent à la personne endeuillée d’effectuer un parcours
d’intégration progressive de la perte, orienté vers l’acceptation. Cette dernière
étape est souvent concomitante de la remise en route d’autres formes
d’investissements.
Un des indicateurs les plus fréquents des écueils du processus de travail du
deuil normal réside dans la durée excessive de ses étapes : le maintien des
symptômes au-delà de 6 mois (Jacobs et Prigerson, 2001) voire de 14 mois
après la perte (Horowitz et al., 1997), signe l’installation d’un deuil
compliqué.
Dans le DSM-V (APA, 2013) la proposition d’une nouvelle entité
nosographique spécifique au deuil compliqué et démarquée de l’Etat
Dépressif Majeur (EDM) a été soumise : le Persistent Complex Bereavement
Disorder1 (PCBD). Le tableau clinique du PCBD est corrélé à un critère de
durée (symptômes persistants au-delà d’un an pour les adultes et de 6 mois
pour les enfants). S’il est cité dans le DSM-V, en lien avec « l’Adjustement
Disorder2 », le PCBD n’y est pas intégré comme entité nosographique
reconnue, mais détaillé avec un encouragement à approfondir son étude.
Mais une autre forme de deuil compliqué s’avère souvent corrélée au
traumatisme psychique qui peut lui être associé : le tableau clinique alors
constitué répond à l’entité clinique du deuil traumatique, « liée à la non-
résolution des symptômes de deuil et à leur association avec une altération du
fonctionnement quotidien » (Bourgeois, 2002).
Dans le DSM-V, le critère A3 permet de faire le lien entre TSPT (Trouble de
Stress Post-Traumatique) et le deuil, laissant supposer que le sujet confronté
à la mort d’un proche dans des circonstances violentes et accidentelles peut
développer un deuil traumatique.

A – Exposition à la mort effective ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à des violences sexuelles d’une (ou de
plusieurs) des façons suivantes :
A3 – En apprenant qu’un ou plusieurs événements traumatiques sont arrivés à un membre de la famille proche ou à un ami
proche. Dans les cas de mort effective ou de menace de mort d’un membre de la famille ou d’un ami, le ou les événements
doivent avoir été violents ou accidentels.

En effet, certains facteurs circonstanciels entourant le décès prédisposent au


deuil traumatique (Zisook, 1991 cité par Montel et Tarquinio, 2014).
L’annonce d’une mort violente, un décès par suicide (qui génère beaucoup de
culpabilité), des circonstances de la mort comportant une dimension brutale,
horrifiante ou déshumanisante, peuvent générer un deuil traumatique.
Le deuil post-traumatique apporte quant à lui, une nuance au tableau
précédent ; il fait converger la perte et l’effraction psychique consécutive à la
confrontation à l’événement et entraîne chez le patient endeuillé une « double
peine ».
Dans ces types de deuil, le fait de différer le soin dans l’espoir d’une
résolution spontanée peut être illusoire, les incidences traumatiques venant
bloquer tout processus de métabolisation de l’expérience de la perte
(Tarquinio et Montel, 2014). Or la persistance des symptômes peut entraîner
des conséquences psychopathologiques plus sévères, affecter la santé.

CONCEPTUALISATION DE CAS

Francine Shapiro considère l’EMDR comme une indication thérapeutique


adaptée pour soulager les souffrances invalidantes des patients endeuillés
(Shapiro, 2007) même au décours d’un deuil normal.

▶ Cadre du travail thérapeutique et plan de traitement

Le plan de traitement élaboré et éclairé par la conceptualisation de la


présentation clinique singulière du patient endeuillé, offre un cadre de travail
thérapeutique contenant. Il permet de repérer les principales difficultés
alléguées par le patient dans le présent et de dégager les différents axes
facilitateurs d’un cheminement progressif vers la sédation des symptômes,
l’apaisement, et la mentalisation de la perte (Bacqué, 2006).

Le style d’attachement

Parmi les critères pertinents à prendre en compte, nous insistons sur


l’exploration des liens entretenus avec la personne défunte qui révèle le style
d’attachement de la personne, déterminant souvent la qualité du travail de
séparation. Ce paramètre affecte la durée, et la manière de conduire
l’accompagnement du sujet endeuillé.

L’anamnèse

Elle permet de déceler les éventuelles autres pertes antérieures, et de s’assurer


de la stabilité du moi. Des deuils non élaborés, affectent et entravent le travail
de deuil plus récent.
De même, le repérage des difficultés relationnelles avec le défunt apportera
les informations nécessaires à la clarification des pistes de travail en EMDR :
quelles éventuelles situations difficiles, ressentis négatifs, conflits, ont
émaillé le parcours de vie partagée avec la personne défunte ?
L’ambivalence, les sentiments de culpabilité, les regrets, les remords viennent
souvent générer des blocages émotionnels, des pensées dysfonctionnelles et
parasiter le travail de deuil. Dans ces situations, la thérapie EMDR « semble
accélérer le traitement de l’information dysfonctionnelle et permettre que des
prises de conscience et des émotions appropriées et saines émergent »
(Shapiro, 2007).
Le repérage des résistances au traitement EMDR

Il arrive que les patients endeuillés, manifestent une certaine ambivalence à


l’égard de l’utilisation de la thérapie EMDR présentée au patient comme une
approche efficace pour digérer des expériences de vie difficiles. La
proposition de cette pratique entraîne des peurs anticipatoires, des croyances
inhibitrices et par voie de conséquence, des résistantes au traitement. En effet,
la crainte d’oublier le défunt et les vécus partagés dans les liens
d’attachements, risquent, dans les représentations de l’endeuillé, de
déclencher une seconde perte ou d’activer un conflit de loyauté.
« On est persuadé que la fin du deuil porte la menace de perdre à tout jamais celui qui pourtant
est déjà parti » (Fauré, 2004).

Loin de causer l’oubli tant redouté par l’endeuillé, la thérapie EMDR


mobilise au contraire des réminiscences et associations positives comme la
remémoration de moments apaisés, partagés avec le défunt. Elle accélère le
travail de deuil, favorise un accès plus rapide à la phase résolutive
d’intégration de la perte et à celle du réinvestissement de la pulsion de vie.

La co-construction d’un cadre de travail

Prenant en compte ces éléments et les caractéristiques de la rencontre


clinique, il convient lors de cette phase de co-construire un cadre de travail.
Une simple question peut être posée au patient :
« En lien avec ce qu’il s’est passé, qu’avez besoin de garder et que vous souhaitez vous laisser
partir ? » (Lazrove et al., 1998)3.

Cette proposition interroge les différentes facettes de la perte, conduit à les


hiérarchiser et à en retenir certains aspects jugés essentiels ; autour de ce
mouvement introspectif, c’est un début de travail qui s’opère et qui participe
à relancer le processus de deuil.

Synthèse

Ainsi, pour résumer et en s’inspirant de la proposition d’axes de travail de


Fauré (2004), le plan de traitement peut intégrer plusieurs aspects en lien
avec :
la relation entretenue avec la personne défunte et les difficultés et conflits
traversés dans ce lien ;
les circonstances de la disparition du défunt et leur vécu ;
l’état actuel du patient endeuillé et les difficultés rencontrées.
Nous rajoutons :
les ressources internes et externes du patient déterminant les besoins de
stabilisation supplémentaire ;
les changements désirés en termes d’objectifs réalistes et acceptables par
le sujet endeuillé.
La stabilisation de l’état clinique et la psychoéducation nous semblent mériter
un développement spécifique.

▶ La psychoéducation et la stabilisation

La psychoéducation revêt une place centrale avec les sujets endeuillés. Elle
va contribuer, d’une part à une meilleure gestion et stabilisation d’un
quotidien où les repères ont été pulvérisés, et d’autre part, à l’accessibilité des
informations adaptatives nécessaires à l’activation du traitement adaptatif de
l’information lors du traitement des cibles ultérieures.
Différentes stratégies de stabilisation psychologique spécifiques, activant des
réseaux de mémoire adaptatifs positifs, participent à renforcer les ressources
du patient endeuillé. Elles peuvent être proposées en amont du traitement des
cibles névralgiques ou en complément de celles-ci, lors des phases 3 à 8 du
protocole standard. Nous en donnons ici quelques exemples.

La dimension spirituelle

Partie intégrante du cadre général du travail thérapeutique avec l’endeuillé, la


prise en compte de la dimension spirituelle occupe une place centrale.
Comprendre le vécu de l’endeuillé adossé à ses référentiels, son système de
valeurs, à ses croyances, et parfois aux rituels religieux et culturels qui s’y
réfèrent, permet de renforcer l’affiliation thérapeutique et la reconnaissance
du thérapeute. L’intégration de ces éléments tout au long de
l’accompagnement thérapeutique soutient l’accession à une symbolisation de
l’expérience de la perte grâce à la mobilisation des ressources internes du
patient (Spierings, 1999).
C’est autour de ces lieux et objets chargés de la trace symbolique du collectif
d’appartenance que l’affliction et la désolation générées par la perte se
trouvent reconnues et soutenues.
Pour ancrer le contre-poids positif à la détresse émotionnelle, le thérapeute
peut proposer la visualisation et l’installation d’un espace imaginaire ou
symbolique de sécurité et de calme du « lieu sûr » (Shapiro, 1997, inspiré de
Daniels) et la consolidation d’une ressource selon le protocole DIR –
Développement et Installation des Ressources (Korn, Leeds, 2002).
Quelques SBA (stimulations bilatérales alternées), très lentes viendront
ancrer dans le corps, dans l’ici et maintenant, un peu d’apaisement des
tensions psychocorporelles.

La validation des réactions appropriées du présent

Normaliser et légitimer les affects appropriés, les cognitions et les


symptômes, autour de ce bouleversement profond, en procurant de
l’information sur le processus de deuil à l’endeuillé, conforte son travail de
deuil et l’aide à élaborer.
Les déclencheurs de la recrudescence de la souffrance aux périodes
anniversaires ou face à des lieux, objets, activités, investis au préalable en
commun, ou autres moments critiques tels que la survenue d’expériences
prenant un caractère un peu surnaturel, la prise de conscience de ressentis
parfois contradictoires et ambivalents, réclament clarification et
normalisation.

Les ressources et les médiations thérapeutiques

L’enseignement de différentes stratégies d’auto-apaisement génératrices d’un


sentiment de contrôle, de reconnexion à l’espoir, l’encouragement à la
poursuite d’activités quotidiennes, peuvent favoriser a minima, le maintien de
l’élan vital nécessaire, tandis que l’état de psychasthénie est validé.
La palette complexe des ressentis de l’endeuillé trouve souvent un support à
son expression dans des espaces de médiation qui peuvent également aider le
sujet endeuillé à filtrer des vécus sidérants et inhibiteurs du travail de
transformation psychique. Ainsi, la tenue d’un journal, de récits de souvenirs,
la participation à un groupe de parole de sujets endeuillés facilitent et
contribuent à un début de distanciation puis à une réappropriation subjective
de la perte, favorables au travail de deuil (Spierings, 1999).
Tous les changements positifs discrets obtenus, peuvent être renforcés sur la
base classique pratiquée en thérapie EMDR, de l’ancrage et de la
mobilisation de ressources psychologiques avec la technique des stimulations
bilatérales alternées soit en articulant avec le protocole des ressources DIR,
soit en utilisant le protocole de l’absorption issu de la technique The wedging
technique (Kiessling, 2009).

VERS L’ÉLABORATION D’UN PLAN DE CIBLAGE


ET LES RETRAITEMENTS DES CIBLES

Partant du postulat que « L’EMDR n’élimine pas, et même ne dilue pas les
émotions saines et appropriées, y compris le chagrin » (Shapiro, 2007),
différents axes de travail peuvent soutenir l’évolution du TAI et la sédation
de la symptomatologie envahissante des deuils traumatiques, post-
traumatiques et compliqués concernés par l’échec des processus adaptatifs
spontanés.

▶ Le deuil traumatique et post-traumatique

Le cas d’événements récents


Une annonce de mort violente et brutale, la disparition du corps du défunt, un
suicide, une effraction traumatique générée par la confrontation au risque de
sa propre mort ou celle dont le sujet a été témoin, des scènes de confrontation
à la douleur d’un proche, à la transformation de son corps, à l’atteinte à son
intégrité et à sa dignité déclenchent souvent des symptômes cliniques tels que
des intrusions, des évitements, une activation neurovégétative en réaction à
des déclencheurs (État de Stress Aigu) qui risquent de fixer le processus de
deuil au premier stade de son évolution et complexifier globalement le
déroulement du travail de deuil.
L’approche EMDR peut être pratiquée précocement dans les jours ou
semaines suivant la confrontation à la perte.
L’objectif essentiel est alors de traiter les éléments traumatiques pour
l’amorce d’un apaisement relatif et une remise en route du processus normal
d’intégration de la perte.
Cependant :
les thérapeutes devront s’attendre à des niveaux élevés de détresse
émotionnelle dus au caractère récent de l’événement ; la sortie de la
fenêtre de tolérance des affects est fréquente et devra rapidement être
accompagnée par les techniques de gestion des abréactions, de
distanciation, de contenance, sous peine de renforcer les états de
dissociation péri-traumatique qui ont marqué la première phase de choc.
Le protocole CIPOS de Jim Knipe (2008) peut aider le patient à s’exposer
au matériel traumatique en reprenant un peu de contrôle et en restant dans
l’ici et maintenant du lien thérapeutique ;
il vaut mieux éviter l’utilisation de l’EMDR dans une phase de déni pour
respecter les défenses psychologiques mobilisées par l’endeuillé face à une
réalité irreprésentable (Louboff, 2013).
En ce sens et grâce à leur effet contenant et leur approche progressive, les
protocoles « Événements récents » de F. Shapiro (2001) ou le protocole R-
TEP4 d’E. Shapiro (2008) peuvent décontaminer les différents moments
infiltrés d’éléments pollués par les informations brutes dysfonctionnelles où
la sensorialité obnubile la pensée. Procédant par paliers successifs et
graduels, intégrant de proche en proche les différents moments de
l’événement traumatique, ce type d’approche fait évoluer le matériel
perturbant vers une transformation des images horrifiantes qui vont évoluer
vers des images saines, acceptables, assimilables psychiquement. Des
sentiments positifs liés au défunt qui ne trouvaient pas leur place, se
manifestent alors.
Le TAI aura ainsi été réactivé précocement pour prévenir les blocages du
travail de deuil et la rumination mentale douloureuse dans laquelle l’endeuillé
peut s’enfermer.
Associés à des risques de morbidités mentales et physiques importants, les
deuils traumatiques méritent donc un repérage diagnostic et une identification
précoce pour éviter qu’ils ne se compliquent davantage et engendrent des
pathologies chroniques et sévères (Tarquinio et Montel, 2014).

Le cas d’événements plus anciens

Le protocole standard est en général bien adapté pour ces situations de deuils
plus anciens.
Ainsi, face à ces problématiques, le plan de ciblage recueillera en première
intention les cibles liées à la perte et aux circonstances ayant conduit à
l’éclosion d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), sans négliger le
traitement des effets de traumatisation et pertes secondaires telles que la
séparation d’un lieu de vie, les périodes anniversaires, avant d’aborder le
traitement des cibles du présent et du futur.
Certains aspects psychologiques et ressentis génèrent des blocages en dehors
de toute effraction traumatique. C’est le cas de certains remords, regrets,
culpabilités, de sentiment d’indignité ou d’incurabilité suite au décès,
angoisse d’abandon et de nouvelles pertes, de peurs irrationnelles, de
croyances, qui peuvent favoriser l’éclosion de deuils compliqués et empêcher
l’accès aux informations adaptatives tournées vers la phase d’intégration et
d’acceptation de la perte.
Il convient, lors de la construction du plan de ciblage standard qui demeure
très adapté, de les repérer, et les traiter (phase 3 à 8) au rythme des
possibilités d’exposition et d’investissement du patient.
La dépotentialisation des situations du passé et des déclencheurs du présent
particulièrement génératrices de douleur morale permettent d’acheminer le
travail thérapeutique vers la direction future espérée, « écologique », adaptée
aux systèmes de valeurs et au contexte actuel psychosocial du patient.
Par ailleurs, au cours du retraitement, la nécessité de garder quelque chose du
lien à l’objet perdu, va se manifester par le maintien d’un niveau de
perturbation « écologique » : l’atteinte d’un SUD à 0, irréaliste, permet la
traduction et le repérage d’une partie du vécu subjectif du patient.
SYNTHÈSE : LES CIBLES DU PLAN DE CIBLAGE

Ci-dessous figure une série de situations pertinentes inscrites dans le plan de ciblage.
Ces cibles peuvent participer au ralentissement – voire au blocage – du travail de deuil.

Passé
annonce d’un décès ou de la maladie ;
les scènes des obsèques : moment hautement symbolique de la séparation définitive ;
le moment de la prise de conscience des conséquences de l’absence ;
les éventuelles pertes antérieures ;
les pertes secondaires au deuil ou deuils secondaires :
« Devoir vendre notre maison, lieu de tous nos souvenirs heureux… C’est comme si je perdais mon mari une
deuxième fois », nous confie Christine.

Présent
les cauchemars et les images intrusives ;
les déclencheurs du présent :
« Le vendredi soir, c’était un rituel, on avait l’habitude de tous se retrouver pour décider du programme du
week-end… les enfants les petits enfants... je ne supporte plus le vendredi soir… je fuis la maison. »
les ressentis et problèmes de culpabilité, de contrôle ;
les colères excessives, empêchant le fonctionnement et l’adaptation au quotidien ;
les sentiments d’autodépréciation ;
la croyance fondamentale dans l’impossibilité de survivre à la perte :
« Je suis dévastée de l’intérieur… J’ai compris… On ne s’en remet jamais », nous dit Olga qui a perdu son mari
3 mois auparavant.
les regrets de ne pas avoir dit ou fait quelque chose :
« Nous n’avons jamais parlé de sa mort imminente… je lui ai menti … nous aurions dû nous dire adieu »,
regrette Olga.
les remords pour avoir exprimé des sentiments hostiles, des attitudes agressives et de rejet, générant de la culpabilité :
« La veille de sa mort, on s’était disputé… c’est comme si je l’avais tué... », nous dit Ludovic, évoquant son père.
l’absence de soutien social (Solomon et Rando, 2007).

Futur
Recherche de cibles illustrant :
l’acceptation ;
la capacité à s’adapter ;
la capacité à donner du sens à d’autres projets, et à d’autres manières de vivre ou d’investir la vie en restant relié à la
perte avec tristesse et nostalgie adaptées.

▶ La survenue de blocages durant le traitement


des deuils compliqués et la gestion des abréactions

Les éléments cibles, cités ci-dessus, peuvent émerger spontanément au


décours de la phase de désensibilisation d’une situation, sous forme de
blocages de l’information : le TAI n’avance plus.
Le dialogue avec le défunt, les techniques de tissage cognitif, l’écriture de
lettres adressées au défunt (Dellucci, 2011) permettent alors le dépassement
du point de blocage en remettant en route naturellement le matériel associatif,
jusqu’à contacter des informations positives.
Voici ci-dessous un exemple de tissage cognitif portant sur des regrets
exprimés par une patiente engagée dans un deuil compliqué : Fatima se
reproche inlassablement de ne pas avoir pu communiquer une dernière fois
avec sa mère. Cette information négative tourne en boucle dans sa vie et la
mine au quotidien ; le blocage apparaît au cours de la désensibilisation. Le
thérapeute va encourager la verbalisation, ici et maintenant, des mots non-dits
à l’époque. Outre l’atténuation des tensions, un réel recadrage cognitivo-
émotionnel s’opère et sera accompagné de changements patents dans la
réalité.
Parfois, en dehors même du retraitement d’une cible, la technique du
dialogue avec le défunt permet de gérer un état émotionnel extrêmement aigu
et douloureux, pour tenter de stabiliser le patient dans un moment où la
douleur est trop importante.

LE MODÈLE SPÉCIFIQUE DU DEUIL COMPLIQUÉ


SELON RANDO ET SOLOMON

Le modèle des 6 « R » (Solomon et Rando, 2007) propose un plan de


traitement à travers une série de phases psychologiques du travail de deuil
définissant chacune ses objectifs.
Reconnaître – Réagir – Se remémorer et réintégrer – Renoncer – Réadapter –
Réinvestir, ces phases étant alignées sur un fil temporel.
Plusieurs cibles reliées à chacune des phases vont être traitées, relevant d’un
aspect du travail psychique particulier, participant à une intégration
exhaustive des éléments étiologiques du deuil compliqué et une remise en
route du deuil normal.
Tableau 37.1. Le modèle des 6 R
Inspiré de Solomon et Rando, 2007
Le croisement entre le protocole standard et ce modèle des 6 « R » vient alors
révéler la complexité du processus de deuil et la nécessaire adaptabilité du
thérapeute au vécu subjectif du patient. Le travail thérapeutique EMDR
accompagne l’apprentissage d’un « nouveau monde » qui se constitue peu à
peu pour l’individu endeuillé (Rando, 1993).

Lorsque le travail de deuil subit des aléas et ne peut panser et penser la blessure de la perte, il peut être redynamisé par la
thérapie EMDR : agissant sur les composants dysfonctionnels et traumatiques de l’expérience pour en permettre la
métabolisation, la thérapie EMDR adaptée à la singularité du tableau clinique à travers la mise en œuvre d’un plan de
traitement spécifique, remet en route les étapes naturelles du processus de deuil sans dispenser du chagrin normal, de
l’incontournable mouvement introspectif et sans « devancer la croissance personnelle de l’endeuillé » (Shapiro, 2007).

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Notes
1. Trouble du deuil complexe et persistant.

2. Trouble de l’adaptation.

3. Traduction de l’auteur.

4. Protocole pour les événements traumatiques récents.


Chapitre 38

Le potentiel de la thérapie EMDR


en gynécologie

Eva Zimmermann

Toute femme aura besoin de consulter des services de gynécologie durant pratiquement toute sa vie. Que ce soit pour la
prescription de la contraception, pour des problèmes de type médical pur (dépistage du cancer, écoulement vaginal,
aménorrhée, règles abondantes, syndrome prémenstruel, règles douloureuses, cystites, endométriose, stérilité ou encore
demande d’avortement, etc.) ou pour des problèmes au niveau psychosomatique (douleurs au bas-ventre, vaginisme,
dyspareunie, manque d’appétit sexuel, infertilité, etc.), les gynécologues voient une large palette de symptomatologies dans
leurs services. Un problème fréquent est la symptomatologie traumatique masquée par des problèmes somatoformes.
Différentes recherches confirment un taux d’abus sexuels pour les femmes autour des 20 % (Salmona, 2013), allant d’un
« simple » dépassement de limites sans pénétration, mais bien traumatogène déjà, aux violences sexuelles les plus infâmes.
Toutes ces femmes victimes doivent consulter les services gynécologiques tôt ou tard dans leur vie, à moins qu’elles les
évitent. Bien que toutes sortes de problèmes somatiques, médicaux et physiologiques subsistent, un grand nombre de
problèmes somatoformes font partie des séquelles post-traumatiques. Toutefois, la motivation de la consultation est
rarement l’événement sous-jacent en tant que tel (viol, abus, violence, négligence, etc.), mais bien les symptômes primaires
et secondaires, parfois apparus après de nombreuses années seulement.
Une prise en charge médicale devrait toujours aussi aborder les aspects psychologiques pour détecter les traumas à
l’origine des symptômes psychosomatiques. En outre, les consultations en gynécologie peuvent d’emblée être sources de
stress ou constituer un événement potentiellement traumatique. Les raisons de consulter en gynécologie peuvent également
provenir de situations difficiles, comme un viol ou d’autres situations chargées affectivement. La thérapie EMDR offre une
prise en charge parfaite pour les femmes qui rencontrent des difficultés dans la consultation gynécologique, victimes ou
non de nombreux événements laissant des blessures somatoformes et psychoformes.

LE DRAME DES FEMMES

Les raisons de consulter en gynécologie révèlent des problématiques variées


et multiples autour de la féminité, de la sexualité, de la maladie et des
douleurs. À partir de l’adolescence, le vaccin contre le HPV (papillomavirus
humain), très recommandé de nos jours, ou le besoin d’une contraception
amène déjà les jeunes filles à consulter. C’est souvent dans ce but qu’elles
font leurs premières expériences gynécologiques. Que ce soit pour des
mesures préventives ou pour des problèmes déjà manifestes, les femmes
adultes doivent consulter les cabinets gynécologiques. Jusqu’à un âge avancé,
le contrôle gynécologique reste une indication préventive pour toute femme,
et bien souvent, avec l’âge, la santé gynécologique (entre autres) se dégrade.
Selon l’OMS, chez la femme, le cancer du sein reste le cancer le plus
meurtrier (voir à ce propos le chapitre 46).
Il existe toute une symptomatologie psychotraumatique, souvent masquée,
qui fait souffrir les filles et les femmes. Pensons aux douleurs chroniques du
bas-ventre, à d’autres formes de douleur chroniques (la dyspareunie, des
douleurs durant l’acte sexuel, ou encore le vaginisme, une incapacité à être
pénétrée) et à d’autres problèmes autour de la sexualité, tous fréquents après
des violences sexuelles subies. Une étude récente en Suisse (Étude Optimus,
2012) a détecté que 3 % des filles en dernière classe de la scolarité obligatoire
(cela correspond à l’âge de 15 ans environ en Suisse) ont déjà été victimes de
violences sexuelles avec pénétration et 5 % ont été victimes de telles
tentatives. 30 % des filles de la même tranche d’âge ont subi des agressions
sexuelles sans contact physique. D’une part, nous retrouvons donc des filles
et des femmes traumatisées en consultation pour leur symptomatologie
traumatique ou pour d’autres raisons, d’autre part, les femmes peuvent se
retrouver dans des situations difficiles dans le présent quand elles consultent
dans des cabinets gynécologiques. Bien souvent elles sont aussi déclenchées
et parfois re-traumatisées pour des raisons de consultation (par exemple se
déshabiller devant un inconnu, détection de maladie grave, de grossesse non
désirée) ou encore elles peuvent se trouver en difficulté lorsqu’elles doivent
aborder leur corps, leur intimité ou un autre problème sensible lié à la
féminité et à l’intimité. N’oublions pas non plus le nombre de femmes
migrantes, issues de contextes de précarité, de guerre, de déplacements,
accompagnés souvent de violences sexuelles. Une problématique culturelle se
rajoute dans les contrôles gynécologiques pour ces personnes-là.
Le cabinet gynécologique est également déclencheur de toutes sortes d’autres
difficultés, y compris des peurs de l’examen gynécologique en tant que tel,
comme mentionné plus haut, ou encore la peur de se déshabiller, de se laisser
toucher les parties intimes, d’avoir mal, d’avoir une maladie grave, de devoir
parler de la sexualité ou de contraception. Un accompagnement, voire la
préparation, d’une jeune fille ou d’une femme victime (pensons à toutes les
femmes traumatisées sexuellement) peuvent avoir un effet positif sur la
patiente.
Une collaboration étroite entre psychologues cliniciens et gynécologues peut
remédier à un nombre important de situations difficiles. Au mieux, la
psychologue clinicienne travaille dans le service de gynécologie, notamment
dans un hôpital, comme c’était le cas de l’auteur de cet article. Ou alors, une
collaboration étroite de délégation entre gynécologue et psychologue
clinicienne peut se développer. Ceci permet aux femmes concernées par des
situations difficiles ou ayant subi des traumatismes d’être identifiées par leur
gynécologue et de recevoir des soins psychothérapeutiques appropriés et
rapides.
Grâce à un service psychologique rattaché à une clinique gynécologique, les
médecins sont plus sensibilisés aux difficultés psychosomatiques et somato-
psychiques et aux problématiques liées au stress et aux violences subies par
les femmes venant consulter. La présence de psychologues, et parfois les
apports théoriques et de cas cliniques discutés en colloque ou encore lors de
formations internes délivrées par les psychologues du service, permettent
d’apporter un enseignement psychotraumatologique auprès du corps médical.
Néanmoins, un grand nombre de femmes consultent chez des gynécologues
en libéral. Ceux-ci ont une compréhension parfois rudimentaire de l’aspect
psychologique des agissements de leurs patientes. Alors que les contrôles et
interventions touchent le domaine le plus intime qui soit, les organes
génitaux, les seins et la sexualité, les difficultés rencontrées durant la
consultation médicale sont souvent attribuées par les médecins à des troubles
de la personnalité de la patiente plutôt qu’à un vécu traumatique qui, en
occurrence, ne permet pas à ces femmes de se comporter « normalement »
durant les consultations. En cas de problématiques rencontrées, la femme doit
souvent faire elle-même la démarche et identifier l’origine traumatique de ses
réactions et symptômes, et donc faire elle-même la démarche de consulter
une psychologue clinicienne. Bien souvent, aussi, les femmes consultent des
psychologues cliniciens pour une autre problématique (par exemple une
dépression, un burnout, ou encore des angoisses généralisées, des attaques de
panique intenses ou des états d’angoisse). Ce n’est que lors d’une anamnèse
approfondie que le clinicien peut découvrir les traumatismes originaux et les
troubles rencontrés lors de consultations gynécologiques, qu’ils constituent
des symptômes primaires ou secondaires. On ne peut qu’encourager les
médecins, gynécologues et obstétriciens, à se former davantage ou au moins à
se sensibiliser à la question psychotraumatologique pour mieux prendre en
charge en première ligne ces patientes, et, le cas échéant, les orienter
rapidement vers des spécialistes en psychotraumatologie.

LA THÉRAPIE EMDR AVEC LA POPULATION SPÉCIFIQUE


DES PATIENTES GYNÉCOLOGIQUES

Le protocole EMDR standard, c’est-à-dire les huit phases et les trois temps
(passé-présent-avenir) sont aisément applicables dans le suivi thérapeutique
avec les femmes qui consultent les services de gynécologie. Le point clé
consiste à faire le lien entre symptômes psychosomatiques et vécu
traumatique ; il s’agit également de détecter les possibilités
d’accompagnement et de soutien psychologique pour ces femmes qui
consultent ces services pour des problèmes de nature somatique, comme la
préparation à une intervention chirurgicale ou encore l’accompagnement dans
une maladie (voir chapitre 46 pour l’accompagnement de femmes avec un
cancer du sein). En outre, de nombreuses maladies ou autres complications
gynécologiques peuvent comporter une angoisse et un stress important,
même pour une femme jusque-là non traumatisée. Un défi particulier pour le
traitement de cette population est par conséquent de bien identifier la
problématique fondamentale pour établir un ou plusieurs plans de ciblage
correspondants adéquats.
Comme mentionné ci-dessus, les symptômes observés relèvent fréquemment
d’une cause traumatique, mais parfois aussi non traumatique et néanmoins
perturbante (Zillhardt, 2017), et cette cause peut être plus ou moins identifiée
selon les cas. Ces observations sont en concordance avec le modèle de
traitement adaptatif de l’information, le modèle TAI de Shapiro (voir chapitre
1, et Shapiro, 2001, 2018) qui stipule que les problèmes actuels occasionnant
des problèmes aux personnes sont à considérer comme des symptômes qui
trouvent leur source dans le stockage dysfonctionnel dans le cerveau
d’événements du passé agissant en conséquence comme déclencheurs de
réactions inadaptées dans le présent. En plus de la perturbation dans le
présent, causée par les souvenirs stockés de manière dysfonctionnelle, bien
souvent ces souvenirs agissent aussi sur la personne par rapport à un avenir
anticipé : les personnes évitent des situations futures en raison de leur anxiété
anticipatoire, c’est-à-dire elles évitent des actions, comme consulter un
médecin en ayant une suspicion d’un problème somatique, par exemple un
nodule au sein, un écoulement vaginal, une grossesse (déni de grossesse !)
etc. Certains de ces évitements peuvent avoir des effets fatals. En tant que
psychologue clinicien, il est donc primordial de bien identifier les liens entre
agissements dans le présent, comportements d’évitement vis-à-vis d’actions
futures et la base de la pathologie. Ceci permettra d’élaborer un plan de
ciblage adapté selon le modèle TAI.
Selon le symptôme apparent en consultation gynécologique, il est conseillé
de développer un plan de ciblage autour de la problématique fondamentale.
Différentes pistes sont généralement à investiguer et à évaluer pour en
trouver les causes possibles dans des situations non intégrées dans les réseaux
mnésiques adaptatifs. Ceci permettra à la patiente de traiter les causes et de se
débarrasser des symptômes. Le cadre de ce chapitre ne permet pas de
développer tous les aspects de manière plus complète ou d’aborder les plans
de ciblage en détail, mais toutes ces propositions sont à considérer comme
des pistes de réflexion et d’investigation, et laissent aux cliniciens la
créativité et flexibilité pour les développer davantage.
Le tableau 38.1 regroupe des symptômes apparents en gynécologie en
général, avec la cause sous-jacente éventuelle, les points à développer et à
investiguer, et les plans de ciblage utiles1.
Tableau 38.1. Problématiques gynécologiques
Un nombre important de problématiques des femmes qui consultent sont liées
directement à la sexualité et à l’intimité. L’OMS (2002) dans une recherche
mondiale évoque un pourcentage élevé de femmes victimes de violences et
de violences sexuelles par leurs partenaires intimes actuels. Pour la Suisse,
par exemple, 6 % des 1500 femmes interrogées ont indiqué avoir été victimes
de violences par leur partenaire intime dans les douze derniers mois. Le/la
gynécologue est la personne en première ligne et souvent considérée comme
étant la plus appropriée pour parler de ces difficultés. Les femmes ont de
grands besoins de parler, de poser de questions, de recevoir des réponses, et
un besoin d’aide, que ce soit autour des questions de conception, de
contraception, de sexualité et des problèmes liés à la sexualité comme le
vaginisme, la dyspareunie, un manque d’appétit sexuel, mais aussi les
troubles relationnels, les violences subies, etc. Bien souvent, un contrôle
gynécologique ne prend pas plus de dix minutes, et la femme se retrouve hors
du cabinet avant même d’avoir pu poser ses questions. Tout bon gynécologue
devrait être attentif aux questions, parfois timides, des femmes durant leur
consultation.
Le tableau 38.2 dresse une liste de problématiques sexuelles abordées
régulièrement en contrôle gynécologique, rapporté par les femmes elles-
mêmes ou par les médecins gynécologues.
Tableau 38.2. Difficultés sexuelles rapportées par les patientes
Le contrôle médical représente en soi une difficulté pour bien des jeunes
filles et des femmes. La préparation de ces patientes en cas de problèmes
majeurs est une tâche psychologique importante. Le contrôle gynécologique
n’est pas uniquement un contrôle de maladies gynécologiques, mais devrait
être également un lieu de discussion et d’échange autour des problèmes les
plus intimes, sexuels ou autres. C’est une des raisons pour lesquelles
l’examen gynécologique et le contrôle annuel sont chargés affectivement. En
plus des problèmes énumérés plus haut, des problématiques autour de l’image
corporelle et les troubles du comportement alimentaire se font remarquer en
consultation gynécologique et ont comme effet un évitement ou encore
représentent un blocage pour la femme en question.
Le tableau 38.3 décrit les difficultés liées à un contrôle médical
gynécologique.
Tableau 38.3. Difficultés liées au contrôle médical gynécologique
CONCLUSIONS

Le passé de violences avec des séquelles traumatologiques de nombreuses


femmes rend souvent un « simple » contrôle médical/gynécologique
extrêmement difficile.
Le praticien EMDR expérimenté fera une investigation et une évaluation
approfondie des problématiques rencontrées par les femmes et les traitera en
élaborant des plans de ciblage appropriés. Le plan de ciblage standard restera
le premier choix pour les prises en charge. On utilisera dans certains cas des
protocoles spécifiques comme le protocole de la douleur ou de la douleur du
membre fantôme, de la maladie et des troubles somatiques ou encore le
LOUA ou LOPA (Knipe 2014).

L’examen gynécologique représente en soi un événement difficile pour la plupart des femmes. Il est bien plus difficile
encore pour les femmes victimes de violences toutes sortes, mais particulièrement de violences sexuelles. Toute femme
dans un examen gynécologique peut être activée par rapport à son passé, ses déclencheurs présents ou encore par rapport à
des situations futures qu’elle peut avoir tendance à éviter. Les conséquences psychotraumatiques des événements se
manifestent de manière importante dans le corps et dans des troubles psychosomatiques. Des psychologues cliniciens
travaillant directement en milieu hospitalier ou en lien avec des cabinets gynécologiques peuvent bien aider ces femmes
grâce à la thérapie EMDR et à ses procédures et protocoles.

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Notes
1. Il serait trop laborieux de décrire tous les plans de ciblage mentionnés dans ce tableau, ce qui
dépasserait le cadre de ce chapitre. La plupart de ces protocoles et plans de ciblage sont développés
dans la formation de base en thérapie EMDR, niveau 1 et niveau 2, et parfois dans les séminaires
spécialisés.
Chapitre 39

Le potentiel de la thérapie EMDR


en obstétrique

Eva Zimmermann

Une femme consulte en général son médecin gynécologue jusqu’au jour où elle est enceinte. À partir de là, ce dernier
deviendra son obstétricien et elle passera dans les services obstétricaux, sauf si elle désire une interruption volontaire de
grossesse (IVG). L’obstétrique est considérée comme la division « la plus heureuse » d’un hôpital, car les « heureux
événements » y sont à l’ordre du jour. On a cependant tendance à oublier toutes les femmes qui ne se retrouvent pas avec
un bébé en bonne santé dans les bras après neuf mois (ou moins) de grossesse. Cet article cherche à démontrer le potentiel
de la thérapie EMDR pour la prise en charge avant, pendant et après la grossesse et l’accouchement, et la prise en charge
de couples qui perdent un embryon ou un fœtus par fausse couche, interruption thérapeutique de grossesse (ITG), voire, des
couples qui perdent un enfant lors de la naissance ou peu après, ou encore des couples dont le fœtus ou le nourrisson
rencontre des problèmes de santé.

QUAND BÉBÉ VIENT… OU S’EN VA

L’obstétrique est le domaine médical le plus gratifiant et le plus positif, si


tout se passe comme prévu. Pour bon nombre de femmes ou de couples, leur
désir d’enfant se réalise dans un laps de temps adapté et au mieux, c’est-à-
dire sans difficultés majeures ou problèmes. Selon l’OMS, le délai nécessaire
pour concevoir (DNC ou TTP – Time To Pregnancy) est de douze mois de
relations non protégées pour un couple dont la femme n’a pas atteint 35 ans.
Au-delà, des problèmes de stérilité ou d’infertilité se manifestent. Grâce à la
contraception moderne, grand nombre de couples arrivent à concevoir le
nombre d’enfants désiré. Mais depuis la nuit des temps, l’obstétrique
représente également un domaine de dangers, de déceptions, de peurs, de
chocs, de deuils, de dépressions et de moments d’attente et de surprise :
grossesse non désirée avec interruption volontaire de grossesse (IVG), ou
alors grossesse souhaitée mais problèmes d’infertilité, d’hypofécondité ou de
stérilité, grossesse avec détresse fœtale ou malformation fœtale nécessitant
une interruption thérapeutique de grossesse (ITG), mort in utero, grossesse
avec problèmes de violence conjugale ou autres complications, menace de
fausse couche ou fausse couche précoce ou tardive, grossesse à risque avec
alitement, grossesse gémellaire ou grossesse multiple (toujours un risque
accru), accouchement normal ou traumatique avec césarienne d’urgence ou
d’autres interventions d’urgence (forceps, ventouse, épisiotomie, etc.),
complications du post-partum pour la mère (hémorragies internes par
exemple) ou pour l’enfant, ou dépression du post-partum (voir aussi Davies,
2009). En voici un catalogue de problèmes à gérer pour les femmes et leurs
partenaires, eux souvent traumatisés en plus des traumas de la femme.
Nombreuses sont donc les situations qui ont tout à gagner d’une prise en
charge avec la thérapie EMDR. Une description détaillée des procédures et
ciblages dépasserait le cadre de ce chapitre. L’idée de base est de servir
d’aide-mémoire pour les situations potentiellement difficiles à gérer.

MORT IN UTERO ET ACCOUCHEMENT TRAUMATIQUE :


DEUX EXEMPLES DE CAS SPÉCIFIQUES

Deux situations malheureusement fréquentes dans les services obstétriques


sont abordées plus en détail.

▶ La situation de mort in utero ou mort périnatale

En 2010 par exemple, l’OMS a recensé 10,1 mort-nés pour 1000 naissances
en France. L’Allemagne présente un taux de mortalité périnatale de 3,6/1000
et les Pays-Bas 3,5/1000. D’autres pays européens présentent un taux de
mortalité périnatale encore différent, mais les chiffres sont difficilement
comparables ou interprétables, car les pays ont différentes normes quant au
recensement des bébés mort-nés. En France, ils sont recensés à partir de 22
semaines de grossesse ou d’un poids à la naissance d’au moins 500 grammes
si la durée de la grossesse a été inférieure. Ceci représente les normes de
l’OMS que tous les pays ne respectent pas de la même manière. D’autres
pays ont d’autres normes, par exemple, certains pays reconnaissent un fœtus
avec un poids à la naissance de 1 kg seulement, ou encore seulement à partir
de la 28e semaine de grossesse, ou seulement s’il est inscrit dans le livret de
famille. Les critères de mort-né ou né vivant à la naissance sont traités
différemment d’un pays à l’autre, selon leur législature, et n’apparaissent
donc pas forcément dans les mêmes statistiques. Toutes ces différences
rendent des comparaisons difficiles. Indépendamment des critères et des
statistiques, la mort d’un enfant, in utero ou en périnatalité, reste toujours un
drame pour les parents et dans une certaine mesure aussi pour le corps
médical. L’enfant planifié et désiré, parfois non planifié mais quand même
désiré, est un petit être en devenir et les mamans (et papas) se sont attachés
dès les premiers jours ou semaines de son existence. Ils rêvent leur enfant,
calculent la date de sa naissance, souvent commencent à préparer la chambre
ou la place dans la chambre si d’autres enfants sont déjà là … Une mort in
utero est souvent une surprise totale lors d’un contrôle mensuel de routine,
surtout en début de grossesse. Pour les morts in utero tardives, les femmes
commencent souvent à la pressentir : elles ne ressentent plus de mouvements,
l’enfant ne bouge donc plus, ou d’autres symptômes se manifestent comme
des saignements, la perte du liquide amniotique, etc. Dans ces cas-là, elles
vont consulter leur obstétricien pour être rassurées. Et bien souvent,
malheureusement, elles sortent de cet examen totalement effondrées. La
femme devra rentrer à la maison, annoncer la mauvaise nouvelle à son
entourage, elle devra voir la chambre, parfois prête déjà pour l’enfant qui ne
viendra jamais. Un drame supplémentaire provient du fait qu’elles sont
obligées d’accoucher de ce bébé si la grossesse avait dépassé les douze
semaines gestationnelles. Alors la situation est tout particulièrement chargée
affectivement et ressentie comme une folie totale : la femme doit « donner la
vie à un enfant mort » ! Cette expérience, pour beaucoup, est elle-même
traumatique.
Une prise en charge rapide de ces femmes et un traitement par la thérapie
EMDR est très indiquée. Pour la plupart de ces femmes, l’utilisation du
protocole des traumas récents (Shapiro 2018) ou encore le R-TEP (Recent
Traumatic Episode Protocol, Shapiro & Laub, 2008, 2015) est indiquée, du
fait que plusieurs « hotspots » ou moments très difficiles font partie de leur
vécu. Pour simplifier (et pour les personnes non formées en R-TEP), le
protocole des traumas récents de Shapiro (Shapiro 2018) peut être utilisé sans
souci. Dans les protocoles des traumas récents, la différence essentielle avec
le protocole standard est de décomposer l’événement en plusieurs « vues » ou
plusieurs cibles dans un même événement, chacun traité de manière isolée, à
commencer par le plus difficile, et ensuite par la chronologie des événements.
On choisira donc avec la femme les cibles susceptibles de déclencher des
réactions émotionnelles fortes et on en fera des vues, des mini-situations
isolées. Pour les femmes avec un diagnostic de mort in utero, généralement il
y a en tout cas deux vues différentes à traiter : le moment de l’annonce (ou la
réalisation du décès du fœtus) et le moment de l’accouchement du bébé mort.
Pour la plupart des femmes, l’image du pire moment en phase trois pour la
première est le moment où l’obstétricien ou l’échographiste ne dit plus rien et
regarde l’écran silencieusement. Le pire moment est donc le moment où elles
réalisent que quelque chose de terrible est en train de s’annoncer. Une
croyance négative (Cognition Négative) fréquente est « je ne peux pas le
supporter ! » qui reste irrationnelle, les CN concernant l’impuissance comme
« je ne peux rien faire. » ou encore « je suis impuissante » ne sont pas
valables, étant bel et bien une réalité. La première peut aussi nous amener à
une croyance positive (Cognition Positive) du type : « je peux vivre avec » ou
encore « je peux accepter mon sort ». Pour la deuxième vue de l’exemple, le
pire est souvent la sensation du passage vaginal de l’enfant mort. On
focalisera plus sur les sensations comme pire moment, on aura donc une
« image sensorielle ». Encore une fois, la Cognition Négative « je ne peux
pas le supporter » est utile et réellement de l’ordre de l’irrationnel, car la
femme est contrainte de le supporter. Et la Cognition Positive pourra à
nouveau être « je peux vivre avec ». Il est utile de procéder à une prise en
charge rapide. Les phases 1 et 2 peuvent être réalisées rapidement, peut-être
même dans la première séance (si on s’est assuré qu’il n’y ait pas de graves
traumatismes antérieurs), ce qui permettra d’administrer le R-TEP ou le
protocole des traumas récents dans la première ou deuxième séance déjà. Le
retraitement de ces moments difficiles ne marquera pas encore la fin de la
prise en charge. Par la suite, la femme verra de toute façon d’autres femmes
enceintes et des bébés. Elle saura quand elle aurait eu le terme de la
naissance. Voir des mamans avec des nourrissons, des poussettes et recevoir
des faire-parts de naissance de la part de copines, sera douloureux pour ces
femmes, car ce sont des déclencheurs pour ces mamans en deuil. Il est bien
évident que les déclencheurs nécessiteront un retraitement supplémentaire
dans la logique du traitement en trois temps ou trois volets (passé-présent-
avenir). Tout déclencheur aura son scénario futur. Par exemple, voir encore
des femmes enceintes dans les rues, recevoir un faire-part de naissance de la
belle-sœur ou de la copine, aller rendre visite à l’hôpital à la copine qui
accouchera bientôt, etc.
Le deuil de l’enfant est une deuxième chose à retraiter et fera l’objet d’un
deuxième plan de ciblage. On suivra le protocole de deuil (Solomon, 2015 ;
Solomon & Rando, 2007 ; Iracane, 2017) pour permettre une diminution des
mesures du deuil traumatique qui correspond à la perte brutale d’un être
proche. Tarquinio et al. (2009) ont recensé les critères d’un deuil traumatique
qui sont : pensées intrusives, des difficultés d’ajustement face à la perte
(sentiment de vide, difficultés à reconnaître le décès, etc.), anxiété,
dépression et détresse psychologique (Tarquinio et al., 2009) (voir aussi le
chapitre 40). Le protocole des scénarios futurs représente un défi important.
Est-ce qu’on ciblera une nouvelle perte ? Bien souvent, les femmes cherchent
à concevoir rapidement un prochain enfant alors même qu’elles devraient
bien attendre plusieurs mois pour donner du temps à l’utérus de se renforcer.
Elles auront une peur intense d’une répétition de leur drame. Si une femme
présente un risque augmenté de fausse couche, les scénarios futurs A-B-C
(voir chapitre 9) peuvent être utiles. Toutefois, pour une femme sans risque
particulier, il n’est pas indiqué de travailler une future perte de grossesse. On
essayera de la rassurer et de développer des ressources comme la force,
l’espoir, avec la technique de l’éponge (Shapiro, 2018) ou encore le scénario
A (voir chapitre 9).
Un problème particulier pour ces femmes ou couples est le fait que bon
nombre de personnes ne considèrent pas l’enfant décédé comme un être
humain disparu, mais plutôt comme une « chose » remplaçable. Si la fausse
couche a été précoce, l’entourage n’a encore rien vu, parfois ne savait même
pas qu’une grossesse existait. Un fœtus perdu pour beaucoup de personnes
(pas les parents en général) n’est pas vraiment pris en compte. L’inscription
dans le livret de famille se fait, en Suisse, seulement après la naissance
(vivante ou mort-né) après le sixième mois de grossesse. Le faire avant est
possible, mais la demande doit être faite par les parents, et beaucoup de
couples ne le savent pas. L’enfant « n’existe » donc nulle part s’il n’est pas
inscrit quelque part. C’est une douleur supplémentaire pour ces couples et un
effort important est parfois développé par la femme ou le couple pour lui
témoigner amour et souvenirs. Les parents ainsi en deuil entendent souvent la
phrase qui tue : « Mais vous êtes jeunes, vous pouvez recommencer ! » En
thérapie, il est tout particulièrement important de donner une existence à cet
être qui n’aura jamais eu la chance de partager sa vie avec ses parents, et des
parents qui n’auront jamais la chance de connaître ce petit être, leur enfant.
Même si de nombreux couples sont pressés de concevoir à nouveau, il est
important de travailler ce moment traumatique de la perte et le deuil, sans
quoi souvent plus tard, le deuil revient, un deuil non terminé et donc plus
difficile.

▶ La situation d’un accouchement traumatique

De nombreuses femmes s’attendent à un accouchement romantique, en


silence et au calme, comme souvent prôné par les livres et les sages-femmes.
Bien sûr, l’accouchement en douceur existe, heureusement, pour beaucoup de
femmes et de couples. Et les bébés peuvent naître dans le silence et le calme,
ce qui est une très bonne chose pour tout le monde. Cependant, bon nombre
de couples ne sont pas préparés aux complications péri- et post-natales
possibles. Généralement, un accouchement est monitoré par les sages-
femmes et les médecins, et le contrôle du bébé est assuré. Il y a toutefois des
situations où tout se dégrade et se précipite rapidement vers une catastrophe :
la fréquence cardiaque du bébé baisse dramatiquement (différentes raisons
possibles). Un accouchement par forceps ou ventouse doit se faire, ou au pire,
une césarienne d’urgence en suit, parfois sous anesthésie totale. Si le couple
s’attend à un accouchement en douceur, ces situations sont choquantes et
difficiles à accepter. La femme anesthésiée ne verra pas toute de suite son
bébé. Si le bébé a des problèmes, notamment respiratoires, il passera
directement en néonatologie alors que la femme est toujours sous anesthésie.
Lors de son réveil, il n’y a parfois pas de bébé présent. Ceci est ressenti
comme un énorme choc et des femmes peuvent en rester traumatisées (tout
comme leur mari et leur bébé ?).
Un deuxième cas de figure assez fréquent lors d’accouchements est le
déroulement d’un accouchement qui se passe bien, l’enfant est né, il se trouve
dans les bras de maman ou de papa, et la femme a le sentiment soudain de
mourir. C’est le cas lorsqu’une hémorragie interne non détectée se produit.
Dans ces cas-là, la femme ressent la folie opposée : je viens de donner la vie
et je meurs et je laisse mon enfant (et mon mari et les autres enfants, s’il y en
a). La mortalité maternelle de nos jours est heureusement quasi nulle chez
nous en Europe : selon l’OMS, 830 femmes meurent en moyenne chaque jour
(!) en couches, dont 99 % dans les pays en voie de développement. Il
n’empêche que la sensation de mourir chez ces mamans avec hémorragie est
bien réelle. Parfois, une dissociation péri-traumatique s’installe et la femme
ressort de son expérience d’accouchement fragmentée et cassée. Il est
recommandé de traiter tous les aspects d’un accouchement traumatique et
toutes les situations difficiles avec la thérapie EMDR, surtout avant une
grossesse future.
Malheureusement, de nombreuses femmes commencent à chercher de l’aide
psychothérapeutique après un accouchement traumatique seulement
lorsqu’elles sont enceintes du prochain enfant. En formation de base en
thérapie EMDR, la grossesse est considérée comme une contre-indication
pour le retraitement avec les phases 3 à 8. Néanmoins, ne pas traiter ces
femmes qui vivent un degré d’anxiété élevé serait terrible également, car le
stress ressenti aura un effet négatif à la fois sur la maman et sur l’enfant (taux
d’adrénaline et de cortisol trop élevés). Il convient donc de retraiter un
accouchement traumatique même lorsque la femme est enceinte. Les trois
points suivants sont à respecter, le cas échéant :
1. La femme enceinte devrait avoir des capacités d’autorégulation
importantes comme l’auto-administration du lieu sûr (les points 1 à 10), le
faisceau lumineux, la spirale, la cohérence cardiaque, etc., (Manuel
EMDR Niveau 1 et 2) ou toute autre technique de stabilisation.
2. Le moment de choix sera important : on évitera les trois premiers mois.
Dans ce premier trimestre, des fausses couches spontanées sont fréquentes
(selon les gynécologues-obstétriciens jusqu’à 25 %). On évitera donc un
retraitement dans cette période, car une femme faisant une fausse couche
cherchera toujours une raison ou un/une coupable pour cette fausse
couche. Si elle a eu une séance EMDR avec les phases 3 à 7 et des
réactions émotionnelles fortes quelques jours auparavant, elle aura
tendance à considérer l’EMDR, ou pire, la thérapeute comme responsable
de sa perte. On choisira donc au mieux le deuxième trimestre (les mois de
grossesse 4, 5 et 6) car durant cette période le risque de fausses couches
spontanées est le plus bas. Le troisième trimestre (les mois 7, 8 et 9) est à
éviter si possible (risque d’accouchement prématuré), néanmoins il
convient de retraiter l’accouchement traumatique antérieur si l’anxiété est
trop élevée. Une mère tendue, stressée et anxieuse risque d’accoucher
prématurément aussi.
3. Pour tout retraitement avec la thérapie EMDR chez des femmes enceintes,
on veillera également à protéger le fœtus en l’entourant d’une bulle de
lumière ou de cristal imaginaire. L’instruction pourrait être la suivante :
« Je vous invite à penser à votre bébé, à le visualiser et à le protéger de
tout ce que nous allons faire. Que rien de ce que l’on dira n’atteigne votre
bébé. Vous pouvez peut-être l’envelopper d’une bulle de lumière ou d’une
boule de cristal, ce que vous préférez (laisser choisir et dire ce qu’est la
préférence. En cas de choix de lumière, demander la couleur de la
lumière). Cette boule de lumière (rajouter le nom de la couleur) (ou de
cristal) enveloppe votre bébé avec toute sa douceur et sa capacité de
protection. Visualisez votre bébé, voyez-le enveloppé de lumière douce et
(nommez la couleur) (ou de cristal) et sentez que rien ni personne ne peut
l’atteindre ou le déranger. Ressentez-vous votre bébé en sécurité ? » Si la
réponse est oui, on peut l’installer avec quelques mouvements de
stimulations bilatérales alternées lentes et ensuite passer à la phase 3. Si la
réponse est non, chercher à renforcer la protection. Un « non » récurrent et
définitif représente une contre-indication à la procédure EMDR (phases 3
à 7/8). D’autres mesures et exercices comme l’éponge peuvent alors être
utilisés.

LES MARIS/PARTENAIRES

Quand on parle d’obstétrique, c’est vrai que l’on pense d’abord à maman et
bébé. Les pères sont souvent présents, mais parfois absents aussi.
Accompagner sa femme à l’accouchement de son enfant est aujourd’hui
plutôt d’usage. Bon nombre de maris tentent aussi d’enregistrer par vidéo le
moment de l’accouchement. Ça restera toujours un choix personnel, mais il
est plutôt déconseillé par les équipes médicales de laisser les maris trop près
de l’événement, avec un grand « scoop » entre les jambes de sa partenaire
donnant naissance. Bien sûr ils peuvent et même doivent être aux côtés de
leur femme, mais souvent ils sont fortement perturbés par ce qu’ils voient, et
ceci même pour un accouchement dit normal. De voir sa partenaire souffrir
n’est pas chose facile pour bien des hommes. Le fait d’être simplement
présent sans ne rien pouvoir faire d’autre déclenche souvent des sentiments
d’impuissance chez ces maris. Des accouchements peuvent également
entraîner une grande perte de sang et des visions difficiles. De voir la femme
écartée, avec un périnée tout tendu, ensanglanté, parfois avec des excréments,
des déchirures et de forts saignements peut avoir un potentiel traumatique
important et entraîner par la suite des problèmes tels que des intrusions, des
cauchemars ou des difficultés d’ordre sexuel. Il n’est pas conseillé aux
hommes d’avoir une vision trop intrusive du processus de l’accouchement.
Un autre problème est le moment où l’accouchement commence à tourner
mal. Quand il y a urgence médicale, tous les acteurs commencent à s’activer,
à courir, à préparer une péridurale ou une anesthésie générale et la césarienne,
les néonatologues sont appelés, etc. Plus personne n’a le temps de s’occuper
du mari qui reste là comme un figurant qui voit sa femme « enlevée » et qui
ne sait pas ce qui les attend, ni elle, ni le bébé, ni lui. Bon nombre de maris
ont peur que leur femme ou leur bébé décèdent. Ils sont laissés sans
informations, parfois durant des heures. Ces hommes nécessitent également
une prise en charge et la thérapie EMDR est parfaitement indiquée pour eux
aussi.
Les deux exemples de cas présentés plus haut sont représentatifs de situations
fréquentes difficiles, voire traumatiques pour les femmes et/ou les couples.
Néanmoins, une multitude de situations présentent une indication pour la
thérapie EMDR, comme le décrit le prochain chapitre.

SITUATIONS OBSTÉTRICALES POUVANT TIRER PROFIT


D’UNE PRISE EN CHARGE PAR LA THÉRAPIE EMDR

Le tableau suivant regroupe des situations en obstétrique qui représentent des


moments difficiles pour les femmes ou les couples. Bien qu’une raison
médicale soit fréquemment présente, le volet psychologique n’est pas à
négliger et peut être inclus dans l’accompagnement ou le traitement
psychothérapeutique de la femme. La deuxième colonne « à investiguer /
évaluer » donne des pistes quant à l’évaluation de la problématique ou les
liens qui sont faits par beaucoup de femmes ou de couples. La thérapie
EMDR avec ses différents plans de ciblage et protocoles est indiquée pour les
situations suivantes (tableau 39.1).
Tableau 39.1. Situations obstétricales
L’explication de toutes ces techniques dépasserait largement l’objectif de ce
chapitre. L’auteure propose aux cliniciens intéressés de se former davantage
dans ces approches spécifiques.

Cet article donne une vue d’ensemble non exhaustive des problématiques rencontrées par les femmes et couples qui
deviennent parents. La grossesse, bien que généralement considéré comme un « événement heureux », est pour beaucoup
de ces couples une déception, voire un choc, entremêlés parfois de moments très difficiles. La thérapie EMDR est indiquée
pour la préparation, l’accompagnement et le retraitement post-accouchement de situations difficiles qui sont, pour la
plupart, des situations de type traumatogène. Les situations compliquées non traumatogènes peuvent également être
accompagnées ou retraitées par la thérapie EMDR. Étant donné que la grossesse et l’accouchement sont des situations à
risque par nature, une bonne préparation à la naissance est importante non seulement sur le volet physiologique, sur lequel
les cours de préparation à la naissance mettent généralement l’accent, mais aussi au niveau psychologique. Une préparation
avec les scénarios A et B (voir chapitre 9) ou aussi avec la technique de l’éponge est fortement recommandée.

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Chapitre 40

EMDR et addiction

Marie-Jo Brennstuhl, Cyril Tarquinio et Fanny Bassan

Les champs des addictions et de la dépendance sont des domaines en pleine mutation. Longtemps limité aux cures de
sevrage dans le domaine hospitalier, le traitement des troubles de la dépendance et des conduites addictives se développe
de plus en plus en dehors du système purement médical. Les psychothérapeutes sont à cet égard de plus en plus sollicités
pour prendre en charge des patients dépendants. Ces prises en charge sont souvent d’une grande complexité et les échecs
thérapeutiques restent malheureusement fréquents. De toute évidence la thérapie EMDR peut apporter sa contribution à la
prise en charge de ces patients. Bien qu’elle ne règle pas tous les problèmes en la matière, cette approche s’inscrit dans le
cadre d’une réflexion globale autour du modèle TAI et du lien qui existe entre addiction et TSPT.
La thérapie EMDR permet de travailler à deux niveaux, en interrogeant d’une part les causes d’apparition de la pathologie,
et d’autre part, en aidant au retraitement du symptôme addictif en travaillant la mémoire de dépendance.

LA CONDUITE ADDICTIVE
▶ Définitions

La dépendance aux substances est définie par un besoin, une envie


compulsive et irrépressible de consommer un produit ou une substance, et qui
met le sujet dans l’incapacité à assurer ses tâches quotidiennes. Les
comportements addictifs peuvent concerner l’abus et la consommation de
substances diverses comme l’alcool, les drogues, le tabac, les médicaments,
les psychotropes, ainsi que d’autres stimulants etc. Les comportements
addictifs peuvent également concerner des comportements compulsifs et
irrépressibles amenant à une dépendance à la nourriture, aux jeux (jeux vidéo,
internet…), aux paris et jeux d’argent, au travail, à la sexualité, à la relation à
l’autre, au sport, aux achats compulsifs…
Même si toutes ces problématiques ne sont pas reconnues comme des
conduites additives, elles doivent néanmoins attirer notre attention, car elles
génèrent chez les patients une souffrance significative et impactent leur vie
quotidienne.

▶ Critères du DSM-V

Les diagnostics d’abus et de dépendance ont été repensés dans la dernière


version du DSM-V sous la forme du « Trouble de l’usage de substance X »,
permettant ainsi de palier aux problèmes légaux que posait la notion d’abus,
et d’ajouter la notion de craving.
Au moins deux des onze critères suivants doivent être présents au cours des
douze derniers mois :
1. besoin impérieux et irrépressible de consommer la substance ou de jouer
(craving) ;
2. perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié à la prise de substance
ou au jeu ;
3. beaucoup de temps consacré à la recherche de substances ou au jeu ;
4. augmentation de la tolérance au produit addictif ;
5. présence d’un symptôme de sevrage, c’est-à-dire de l’ensemble des
symptômes provoqués par l’arrêt brutal de la consommation ou du jeu ;
6. incapacité à remplir des obligations importantes ;
7. usage même lorsqu’il y a un risque physique ;
8. problèmes personnels ou sociaux ;
9. désir ou efforts persistants pour diminuer les doses ou l’activité ;
10. activités réduites au profit de la consommation ou du jeu ;
11. poursuite de la consommation malgré les dégâts physiques ou
psychologiques.
L’addiction est considérée comme faible lorsque 2 à 3 critères sont présents,
modérée pour 4 à 5 critères, et sévères au-delà des 6 critères.
Le trouble de l’usage de substance s’accompagne généralement d’une perte
de contrôle de soi, où la consommation vient interférer avec les activités
scolaires ou professionnelles, et se poursuit malgré la prise de conscience des
troubles qu’elle engendre.

▶ Addiction et TSPT

Le Trouble de Stress Post-Traumatique apparaît rarement de façon isolée. Les


données révèlent que 80 % des patients souffrant de TSPT souffrent
également d’un trouble mental concomitant. Les plus fréquents sont le
trouble dépressif majeur, les troubles anxieux et l’abus ainsi que la
dépendance à l’alcool (Kessler, Sonnega, Bromet, Hughes et Nelson, 1995).
Jacobsen, Southwick et Kosten (2001) rapportent dans leur revue de la
littérature un taux de comorbidité du TSPT et du trouble addictif variant de
20 % à 75 % selon les populations étudiées. McGovern, Lambert-Harris,
Acquilano, Xie, Alterman et Weiss (2009) font état de 35 % à 50 % de
patients soignés pour troubles addictifs qui auraient également développé un
ESPT au cours de leur vie, ce chiffre variant de 25 % à 42 % pour les patients
présentant un ESPT au moment de l’étude, soit quatre fois la fréquence de ce
trouble dans la population générale.
Dans la population générale, les hommes souffrant d’un TSPT ont deux fois
plus de risque d’avoir aussi un diagnostic d’abus ou de dépendance à l’alcool
et trois fois plus de risques d’abus ou de dépendance aux drogues que les
hommes qui n’ont pas ce trouble (Kessler et al., 1995). Quant aux femmes, le
TSPT multiplie par 2,5 la probabilité d’un diagnostic concomitant d’abus ou
de dépendance à l’alcool et par 4,5 le risque d’abus ou de dépendance aux
drogues (Kessler et al., 1995). Il a été par ailleurs souligné que, dans la
majorité des cas, l’ESPT s’installe avant l’addiction (Back, Jackson, Sonne et
Brady, 2005 ; Jacobsen et al., 2001).
Selon Volpicelli, Balaraman, Hahn, Heather Wallace et Bux (1999), l’activité
du système endorphine augmente face à un stress incontrôlable. Cette activité
diminue de façon substantielle après l’expérience traumatique. Le fait de
consommer de l’alcool vient compenser l’absence d’activité du système
endorphine. Ce phénomène a été dénommé hypothèse de compensation
endorphine (Volpicelli, 1987).
Ainsi, des individus qui ont eu à affronter un traumatisme vont s’alcooliser
afin de reproduire l’effet « anesthésiant » expérimenté avec l’augmentation
du niveau d’endorphines. La répétition chronique des symptômes de TSPT va
occasionner une augmentation de l’activité endorphine qui sera suivie par un
phénomène de manque. C’est ce que l’on appelle l’effet rebond, lequel va
augmenter le craving pour l’alcool.
Dans un échantillon de soldats de retour d’Irak depuis 3 à 4 mois, 27 %
présentaient des problèmes d’alcool. Ceux qui avaient le plus été exposés au
combat avaient presque deux fois plus de risques de présenter des problèmes
d’alcool (Santiago et al., 2010). Mais d’autres substances comme l’alcool, la
marijuana ou l’héroïne, font également partie des substances consommées par
les anciens combattants pour soulager les symptômes de TSPT (Bremner,
Southwick, Darnell et Charney, 1996). En revanche, la cocaïne pourrait au
contraire aggraver certains symptômes du TSPT (Bremner et al., 1996).
Eu égard à ce que nous venons de souligner, il est aisé de comprendre que le
problème de la dépendance ainsi que celui du traumatisme doivent être
considérés de façon conjointe. Pour y parvenir, il est nécessaire de procéder à
une évaluation holistique intégrant les aspects synchroniques et
diachroniques du comportement qui pose problème.

PLUSIEURS PROTOCOLES DE TRAITEMENT

Les premières approches psychothérapeutiques dans le domaine des


addictions se sont surtout intéressées au traitement du TSPT co-morbide.
Plusieurs auteurs ont depuis longtemps d’ailleurs suggéré d’envisager en
premier lieu une prise en charge du souvenir traumatique (Zweben & Yeary,
2006).
Les choses ont depuis évolué et la prise en charge porte aussi sur la mémoire
de la dépendance comme cela peut être le cas chez les alcoolo-dépendants.
C’est le cas de Hase, Schallmayer & Sack (2008) qui avec la thérapie EMDR
a obtenu des résultats conduisant à une diminution des comportements de
craving. Il semble aujourd’hui raisonnable de parler d’un réseau de mémoire
de l’addiction. Les souvenirs de récidive, de manque, des aspects
apparemment positifs de la dépendance constituent les nœuds dans les
réseaux et sont autant de cibles à traiter avec la thérapie EMDR. Dans la
mesure du possible, il faut se centrer sur les souvenirs les plus négatifs dans
ce domaine. Dans la pratique, il est souvent utile de commencer par une
situation présente. Les souvenirs les plus anciens sont ensuite plus facilement
accessibles. La planification du traitement s’appuie sur le protocole standard.
Sont alors traités :
les souvenirs de récidives ou des situations de forte envie/manque sont
retraités dans le secteur « passé » du protocole standard ;
les déclencheurs actuels et les problèmes de comportement associés dans
le secteur « présent » ;
dans la partie « futur » où les peurs d’une rechute peuvent être
retravaillées en utilisant la fiche de travail sur la Projection vers le futur et
le scénario du futur.
Un autre aspect important qu’il conviendra de prendre en compte durant le
processus thérapeutique est l’ambivalence vis-à-vis de l’abstinence, qui est
souvent le fait d’une inscription en des termes positifs de la consommation de
drogue dans le réseau de mémoire. Il ne faut pas oublier en effet que les
addictions sont aussi le fait de renforcements positifs, conduisant à des états
de bien-être ou des moments agréables. On peut à cet égard mettre à jour ces
nœuds au travers d’un questionnement qui pourra porter sur les aspects
« positifs » de la dépendance, pour in fine les intégrer dans le processus de
traitement.
Différents protocoles existent dans l’utilisation de l’EMDR dans le traitement
des addictions. Le protocole standard sera classiquement utilisé afin de
retraiter les causes en lien avec l’apparition et le maintien du trouble.
Le protocole DeTUR ciblera davantage les déclencheurs actuels de la
consommation et permettra de renforcer les ressources et les capacités de
coping afin de prévenir la rechute.
Le protocole FSAP permettra une désensibilisation des émotions et ressentis
positifs et un retraitement des représentations de soi liées à la consommation.
Le CravEX permettra d’une part une désensibilisation et un retraitement des
épisodes traumatiques liés à l’addiction, ainsi qu’un retraitement de la
mémoire de la dépendance.

▶ Protocole standard
L’utilisation du protocole standard dans le domaine des addictions est plutôt
fréquente dans la littérature. L’utilisation de l’EMDR permettrait également
d’avoir un effet de désensibilisation « pur » sur le craving (besoin
irrépressible de consommer).
L’étape de stabilisation, nécessaire avant tout travail sur les événements de
vie traumatiques et les souvenirs du passé, pourra également s’effectuer grâce
à la désensibilisation des phénomènes de craving, évitant ainsi la gestion des
émotions post-séance à l’aide de la consommation de substance.
Dans le cadre des addictions et en l’absence d’événements de vie
traumatiques en lien avec la consommation de substances, l’utilisation du
protocole standard peut être remplacée ou complétée par l’utilisation de
protocoles EMDR spécifiques, ayant chacun une visée particulière.

▶ DeTUR

Le protocole DeTUR – Desensitization of Triggers and Urge Reprocessing


(Popky, 2010) réalise un focus particulier sur les situations présentes,
événements et stimulus amenant à des émotions inconfortables déclenchant le
phénomène de consommation.
Il s’agit alors de renforcer les stratégies de coping positives.
D’une part il s’agira de mettre en avant et de lister les supports et ressources
externes (groupe de soutien, famille, amis, activités…), mais également les
ressources internes du sujet et notamment celles qui seront utiles lors du
travail.
Un but positif au traitement sera également envisagé avec une projection
positive dans le futur. Cette projection sera renforcée par le ressenti positif
qui pourrait être apporté, et sera renforcée par des SBA. Un point d’ancrage
sera alors installé (se toucher le poignet, porter un bracelet…) à l’aide des
SBA afin de bien focaliser et enregistrer l’objectif, et en même temps de
l’ajouter comme une ressource complémentaire.
D’autre part, il s’agira de retraiter les cibles et déclencheurs actuels qui
amènent à la consommation. Les personnes, situations, lieux, émotions,
odeurs, goûts, actions, objets et autres seront classifiés en fonction non pas du
SUD, mais du LOU : Level Of Urge, le niveau d’envie de consommer.
Chaque cible ainsi classifiée sera retraitée avec une phase 3 simplifiée. Seuls
l’image et le ressenti corporel seront demandés, et la phase de
désensibilisation prend fin lorsque le LOU est à 0.
Ce niveau 0 sera ensuite associé avec l’état positif installé et ancré
auparavant.
Le futur sera envisagé à partir de cette cible, si le LOU n’est pas à 0, la
désensibilisation reprendra jusqu’à la disparition complète de l’envie, jusqu’à
un LOU à 0, l’ancrage et le LOU=0 seront ainsi installés ensemble.
En cas d’envie de consommer entre deux sessions, il est conseillé au patient
d’utiliser son ancrage ainsi que sa projection positive future.

▶ FSAP

Le protocole FSAP – Feeling State Addiction Protocol (Miller, 2012) permet


d’identifier le sentiment associé au comportement ainsi que la représentation
de soi associée au comportement addictif, le feeling-state (FS).
Dans ce protocole, c’est bien le ressenti derrière le comportement qui sera
désensibilisé et retraité à l’aide de la thérapie EMDR.
Il s’agira donc de recueillir dans un premier temps l’histoire, la fréquence et
le contexte du comportement addictif, ainsi que d’évaluer les ressources et les
forces du sujet avant de commencer le retraitement.
Une phase de stabilisation, puis de traitement des difficultés sources ou
comorbides au comportement addictif peut être nécessaire en amont du
travail sur le comportement en lui-même.
Il s’agira ensuite d’identifier le feeling-state (FS) : l’aspect spécifique du
comportement addictif qui lui est le plus associé : sensation d’euphorie, de
soulagement, de calme…
Cette première sensation doit être la plus intense. Elle permettra de définir
ensuite les sensations, émotions et cognitions associées au comportement
addictif.
Sur une échelle de 0 à 10 sera alors mesuré le PFS : l’intensité du lien entre le
ressenti et le comportement (ex : « Quand vous vous imaginez consommer
avec vos amis, à quel point vous sentez-vous proches d’eux ? »).
Cette sensation sera alors identifiée et localisée dans le corps.
Il sera alors demandé au sujet de visualiser le ressenti associé au
comportement addictif, ainsi que le ressenti positif et les sensations
corporelles ressenties, puis les SBA seront effectuées jusqu’à obtenir un
PFS=0.
Un scanner corporel sera ensuite réalisé et des SBA permettront si besoin de
diminuer toute sensation résiduelle.
Il sera ensuite demandé au sujet d’identifier la cognition négative qui sous-
tend le comportement. Un floatback sera ainsi effectué à partir de cette
Cognition Négative et tous les événements négatifs listés seront retraités à
l’aide du protocole standard.
Le feeling-state (FS) sera ensuite réévalué afin de vérifier que la mesure du
PFS est toujours à 0.
Il s’agira ensuite d’identifier les cognitions négatives produites par le
comportement addictif, de les retraiter à l’aide du protocole standard, et
d’installer des cognitions positives.
Afin de prévenir la rechute, les pensées ou images négatives en lien avec la
peur de la rechute seront identifiées et retraités à l’aide du protocole standard.

▶ CravEx

Le protocole CravEx (Hase, 2009) s’intéresse plus particulièrement à la


mémoire de la dépendance. Les cibles sont alors identifiées sur le passé,
présent, futur, comme lors du protocole standard, mais autour de l’histoire du
comportement addictif.
Dans ce protocole, l’accent est mis sur la notion de mémoire de la
dépendance, comme élément clé du phénomène de craving et de la perte de
contrôle sur le comportement. Il faut alors distinguer la mémoire de l’effet de
la substance, la mémoire de son usage, et la mémoire de la dépendance dans
un sens plus large.
La mémoire de l’effet de la substance associe le souvenir de la prise de
produit (y compris contextuel), ainsi que l’effet du produit.
La mémoire de l’usage de la substance est associée avec le souhait de
modifier un état interne. La dose et le timing optimal peuvent donc faire
partie de cette mémoire.
La mémoire de la dépendance correspond plus largement au libre choix de la
prise et de la consommation, incluant le souvenir de l’effet spécifique de la
substance, ainsi que le souvenir non spécifique de la perte de contrôle. Celle-
ci serait activée, malgré la motivation pour l’abstinence, dès que l’individu
ressent un sentiment de manque, ou s’il consomme à nouveau.
C’est cette mémoire mal adaptée et implicite qui sera retraitée à l’aide de la
thérapie EMDR, suivant la perspective du modèle TAI.
Retraiter ce réseau de mémoire de l’addiction permettrait de modifier les
stratégies de coping de l’individu, diminuer la sensation de manque et agir
sur les effets du craving.
Les souvenirs d’un fort sentiment de manque, d’une rechute, sont des nœuds
pertinents à travailler pour contrôle le réseau de la mémoire addictive, en tant
que souvenirs du « passé ». Les aspects positifs de la consommation doivent
également s’intégrer dans le processus de retraitement.
Les déclencheurs actuels et les problèmes de comportements associés seront
considérés comme faisant partie du « présent ».
Enfin, les peurs anticipatoires du futur et la peur de la rechute peuvent être
travaillées en tant que « futur », permettant ainsi un travail de prévention de
la rechute.
Le processus des phases 3 à 7 correspond au déroulement du protocole
standard, exception faite du SUD qui – comme dans le DeTUR – sera
remplacé par le LOU – niveau d’envie.
Lors des phases de manque aiguës, il est possible d’évaluer l’effet qu’aurait
la consommation de substance (apaisement, euphorie, diminution de
l’angoisse…) et de rechercher si cet effet a déjà pu être obtenu d’une autre
manière. Si c’est le cas, les souvenirs qui représentent ces expériences seront
activés et installés à l’aide des SBA.

L’utilisation de la thérapie EMDR dans le cadre des addictions est en plein essor et permet de s’adapter à la pluralité des
profils addictifs.
L’utilisation du protocole standard est privilégiée lorsque les causes du comportement addictif sont connues et que le
patient est suffisamment stabilisé pour qu’elles soient traitées.
L’utilisation de protocoles spécifiques permet de s’adapter et de cibler les différentes composantes des troubles de l’usage
de substance, en ciblant la mémoire de la dépendance, les comportements de craving, l’envie de consommer, que les
ressentis positifs en lien avec la consommation.
La prévention de la rechute est également une étape fondamentale prise en charge par les protocoles spécifiques en EMDR.
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Chapitre 41

EMDR et douleur chronique

Marie-Jo Brennstuhl

La douleur chronique représente un problème de santé majeur et touche des milliers de personnes tous les ans, suite à un
accident, une maladie, une intervention chirurgicale, ou parfois sans cause clairement établie.
Les professionnels de santé se trouvent néanmoins bien démunis dans sa prise en charge, malgré les nombreux plans
gouvernementaux mis en place depuis 1998.
Si l’allopathie montre des effets modérés, les prises en charges psychothérapeutiques obtiennent des résultats plus que
satisfaisants et tendent à ouvrir la voie à de nouveaux modes de compréhension de la douleur chronique.
Bien que novatrice, la thérapie EMDR a désormais fait sa place dans le traitement de la douleur chronique et propose
différentes méthodes d’intervention.

LA DOULEUR CHRONIQUE
▶ Définitions

La douleur chronique est une affection particulière qui englobe quatre


composantes fondamentales : sensitive, cognitive, comportementale et
émotionnelle. En cela, elle intéresse autant le corps médical que le domaine
psychologique.
L’International Association for the Study of Pain (IASP) définit la douleur
chronique comme suit :
« La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, en rapport avec une
lésion tissulaire existante ou potentielle, ou décrite en termes d’une telle lésion » (Merskey &
Bogduk, 1994).
En 1999, l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation de la
Santé) complète cette définition dans une approche plus exhaustive et qui
pointe déjà l’idée fondamentale d’un concept bio-psycho-social de la
douleur :
« La douleur chronique est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une
lésion tissulaire existante ou potentielle, ou décrite en termes d’une telle lésion, évoluant depuis
plus de trois à six mois et/ou susceptible d’affecter de façon péjorative le comportement ou le
bien-être du patient, attribuable à toute cause non maligne. »

▶ Composantes de la douleur chronique

Par la même occasion, l’ANAES élabore le modèle bio-psycho-social de la


douleur comme un phénomène faisant intervenir les quatre composantes
fondamentales de celle-ci :
sensori-discriminative ;
affective et émotionnelle ;
cognitive ;
comportementale ;
La composante sensori-discriminative correspond à la description de la
douleur en termes de localisation, nature et durée de la douleur. La
composante affective et émotionnelle englobe l’humeur, les affects
dépressifs, anxieux, les idées suicidaires, l’affectation de l’image de soi,
l’intolérance à la frustration, etc. La composante cognitive relève de
l’historique douloureux avec les expériences douloureuses antérieures, la
question du sens, la relation avec le corps médical, etc. Enfin, la composante
comportementale investit tout l’aspect moteur de la douleur, de la position
antalgique aux mouvements provoquant ou aggravant le ressenti douloureux,
jusqu’aux phénomènes d’évitement, de troubles du sommeil, de
répercussions sur l’autonomie, le travail, etc. (Bruchon-Schweitzer, 2005).
Il existe par ailleurs plusieurs types de douleur chronique (Haute Autorité de
Santé, 2008) :
la douleur par excès de nociception, ou douleur inflammatoire, produite
par une stimulation somatique mécanique (musculaire, osseuse,
cutanée…) ou d’origine infectieuse, dégénérative, viscérale, etc. ;
la douleur neuropathique avec une lésion au niveau du système nerveux
périphérique, dérégulant la connexion habituelle du nerf avec le cerveau et
provoquant l’information douloureuse inadaptée ;
la douleur idiopathique ou psychogène, non corrélée avec une cause
organique établie.

▶ Critères du DSM-V

L’ensemble des troubles somatoformes a été repensé dans la dernière version


du DSM-V (2013) sous la forme du « trouble à symptomatologie
somatique ».
Le critère A définit que le patient doit souffrir d’un ou de plusieurs
symptômes somatiques, causes de détresse ou perturbant significativement la
vie quotidienne de l’individu.
Le critère B concerne les pensées, sentiments ou comportements excessifs
liés aux symptômes somatiques ou aux préoccupations sur la santé suscitées
par ces symptômes et devant s’exprimer sous au moins une des quatre formes
suivantes : pensées persistantes et excessives concernant la gravité de ses
symptômes ; persistance d’un niveau élevé d’anxiété concernant la santé ou
les symptômes, temps et énergie excessifs dévolus à ces symptômes et aux
préoccupations concernant la santé.
Enfin, le critère C inclut la notion de chronicité et pose la limite de 6 mois
après lesquels ces symptômes seront considérés comme un trouble à
symptomatologie somatique.
Nous constatons alors que le DSM-V inclut la possibilité de souffrir de
plusieurs plaintes somatiques, et d’avoir un haut niveau d’anxiété et de
préoccupations liées à la santé (ce qui auparavant était classifié en tant
qu’hypocondrie).
Cette nouvelle définition met également en avant les cognitions et pensées
négatives liées à la douleur et son exacerbation, ainsi que le haut niveau
d’anxiété et de préoccupations associés, renvoyant même en diagnostic
différentiel aux troubles anxieux et dépressifs permettant de rapprocher
officiellement le trouble douloureux des troubles anxieux.
N’étant plus uniquement caractérisée par les symptômes pouvant perturber le
patient, mais également par toutes les réponses réactionnelles ou
symptomatiques disproportionnées ou inadaptées, la souffrance du patient qui
expérimente des symptômes médicalement inexpliqués est alors entièrement
prise en compte.

▶ Approche cognitivo-comportementale et émotionnelle

La nouvelle définition du DSM-V dans une perspective plus bio-psycho-


sociale de la douleur, permet de mettre en avant les distorsions cognitives et
comportementales classiquement observées par le patient douloureux
chronique, faussant ainsi l’interprétation de la douleur :
le catastrophisme est un ensemble de croyances négatives sur l’évolution
de la maladie ;
la surgénéralisation est une attribution d’une valeur générale à un
événement ponctuel ;
la pensée dichotomique est une pensée en tout ou rien ;
l’inférence arbitraire est une conclusion définitive en l’absence de preuves
suffisantes ou probantes ;
la pensée négative correspond à l’ensemble des éléments positifs d’une
situation qui sont interprétés comme peu importantes.
L’approche émotionnelle englobe les modèles de peur de la douleur et de
répression émotionnelle, participant à l’installation et au maintien de la
douleur chronique.
la répression émotionnelle est définie comme une lutte consciente contre
l’activité cognitive et comportementale produite par l’émotion ;
l’alexithymie est définie par une absence de mots pour décrire les
émotions, mais aussi des difficultés pour les identifier, et distinguer les
états émotionnels internes ;
l’évitement émotionnel peut se manifester à travers l’alexithymie ou la
répression émotionnelle, en tant que stratégie de coping évitant.
Réussir à modifier les schémas de pensées dysfonctionnels et permettre une
meilleure compréhension et acception des émotions permettrait pourtant de
développer des stratégies de coping plus efficaces et ainsi minimiser les
affects négatifs et l’intensité de la douleur.

▶ Troubles comorbides et Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT)


Plurimodale, la douleur chronique se définit à travers diverses composantes et
altérations cognitives, comportementales et émotionnelles.
Le lien avec les troubles dépressifs et/ou anxieux est bi-directionnel. Leurs
apparitions peuvent être soit facteur de risque à l’apparition et au maintien de
la douleur chronique, soit concomitante ou réactionnelle à l’apparition de la
douleur et devenir alors un facteur aggravant.
De 31 à 100 % des patients douloureux chroniques seraient impactés par un
syndrome dépressif (O’Reilly, 2011).
Les troubles anxieux jouent un rôle plus prépondérant dans l’intensité et
l’incapacité liée à la douleur (Schwartz, Stein, Wald, Sha & Sonty, 2011),
augmentant ainsi la sensibilité douloureuse, les mécanismes d’évitement et
les cognitions dysfonctionnelles.
Parmi les troubles anxieux, le trouble de stress post-traumatique occupe une
place particulière. De 20 % à 80 % de patients souffrant de TSPT présentent
également une douleur chronique, et 10 à 50 % des patients douloureux
chronique présentent également un TSPT (Sharp & Harvey, 2001).
Une série de 7 processus semblent expliquer le maintien mutuel du TSPT et
de la douleur chronique :
les biais attentionnels où les sensations douloureuses rappellent le trauma
de manière récursive ;
la sensibilité anxieuse est vue comme pouvant maintenir la comorbidité
entre TSPT et douleur chronique à travers l’interprétation des sensations ;
l’anxiété liée au TSPT contribue à maintenir les croyances de l’individu
sur la douleur comme quelque chose de nuisible et donc l’inquiète
davantage ;
les reviviscences du trauma : la douleur chronique est ici envisagée
comme une reviviscence traumatique (comme le serait un flashback) qui
maintient le lien entre la sensation physique et le trauma ;
le coping évitant concerne d’une part l’incapacité du douloureux
chronique pour certaines activités physiques qui le déconditionnent, et
d’autre part l’évitement caractéristique du TSPT ;
la dépression et réduction des activités est le cinquième facteur de
maintenance mutuelle en entretenant l’incapacité du côté de la douleur
chronique et l’évitement du trauma du côté du TSPT ;
la perception douloureuse, intensifiée par l’anxiété, augmente le niveau de
douleur perçue, la détresse émotionnelle et l’incapacité de ces patients ;
les ressources cognitives étant utilisées pour gérer la douleur chronique et
le TSPT, il reste peu de ressources cognitives disponibles pour développer
des stratégies plus adaptatives.
La sensibilité anxieuse semble néanmoins se dégager comme le facteur de
maintien le plus prépondérant (Asmundson, Coons, Taylor & Klatz, 2002).
Face à l’imbrication complexe de ces troubles, la douleur chronique
semble alors être envisagée comme une réponse réactionnelle de même
nature que le TSPT, mais sur un mode de réponse différent, sous forme de
dissociation somatoforme. C’est à partir de l’événement potentiellement
traumatique que l’individu va développer différentes formes de réponses
cognitives, émotionnelles, somatiques pouvant s’apparenter au TSPT, ou
alors sous forme de douleur chronique. La part traumatique de
l’événement ne pouvant se manifester qu’à travers une réponse corporelle
(Beck & Clapp, 2011 ; Brennstuhl, Tarquinio & Montel, 2014).

L’EFFICACITÉ DE LA THÉRAPIE EMDR

La définition de la douleur chronique, ses composantes, ses cognitions


dysfonctionnelles, ses blocages émotionnels et son imbrication avec le TSPT
justifient en soi l’utilisation et l’efficacité de la thérapie EMDR dans le cadre
de cette pathologie.
Depuis de nombreuses années, les recherches en la matière se multiplient et
montrent des résultats satisfaisants dans la diminution du ressenti douloureux
et une amélioration de la qualité de vie des patients (Hekmat, Groth &
Rogers, 1994 ; Freidberg, 2004 ; Royle, 2008 ; Mazzola, Calcagno,
Goicochea, Pueyrredon, Leston & Salvat, 2009 ; Kavaci, Kaptanoglu, Kugu
& Dogan, 2010 ; Brennstuhl, 2013 ; Brennstuhl, Tarquinio, Bassan, 2016 ;
Brennstuhl, Bassan, Tarquinio, 2017 ; Brennstuhl, Bassan, Tarquinio, 2018)

▶ Phase 1 : histoire du sujet

Dans un premier temps d’anamnèse, il s’agira de pouvoir recueillir l’histoire


de vie du sujet ainsi que l’histoire douloureuse.
L’histoire douloureuse va s’intéresser à tout ce qui est en lien avec
l’installation, le maintien et les conséquences de la douleur dans la vie du
sujet : comment cela a commencé ; quels sont les déclencheurs actuels des
épisodes douloureux ; comment cela impacte aujourd’hui au niveau social,
professionnel, intime ; à quoi s’apparente le ressenti ; quelles sont les pensées
de l’individu face à cette douleur ; à quel moment ou par quels moyens la
douleur peut-elle être moins intense ; des aides sont-elles mises en place ou
des demandes sont-elles en cours…
Il s’agira également d’identifier les éventuels bénéfices secondaires au
maintien de la douleur.
L’histoire de vie du sujet nous permettra d’identifier les facteurs de risque et
facteurs de maintien concomitants à la douleur, mais également les facteurs
déclenchants tels que des événements de vie potentiellement traumatiques.
Il s’agira également d’identifier les ressources de l’individu ainsi que ses
stratégies de coping et ses forces.
Dans l’idée que la douleur chronique pourrait être une forme de dissociation
somatoforme en lien avec des problématiques antérieures, il est commun que
les patients définissent deux histoires de vie, l’avant et l’après douleur
chronique. L’utilisation de la thérapie EMDR et la prise en compte durant
cette première phase de ces deux histoires du sujet, permettent une première
mise en lien et articulation de la problématique.

▶ Phase 2 : préparation et identification des cibles

Durant la phase de préparation il s’agira d’identifier si le patient utilise déjà


des outils afin de gérer et diminuer la douleur. Si ce n’est pas le cas ou que
les stratégies sont inefficaces, il s’agira d’aider le patient à les développer :
relaxation, méditation de pleine conscience, cohérence cardiaque, « gant
magique » en hypnose, installation du lieu sûr…
La stabilisation et la gestion du ressenti douloureux et une étape préalable
fondamentale avant de débuter la désensibilisation et le retraitement de la
problématique douloureuse.
La création du plan de ciblage est une étape clé et indispensable du travail en
EMDR. Dans le cadre de la douleur chronique, différents types de cibles sont
à distinguer (De Roos et Veenstra, 2010) :
souvenir traumatique : trauma classique ou souvenir traumatique, comme
un accident, une amputation ou une opération ;
souvenir douloureux : souvenir émotionnel dysfonctionnel, relatif à
l’expérience traumatique de la douleur ou aux conséquences traumatiques
de la douleur, comme une attaque de panique, être abandonné par la
famille ou les amis, perdre son emploi…
douleur aiguë : la cible n’implique pas un souvenir mais la douleur est
éprouvée dans le présent.
Différents protocoles existent permettant de travailler la douleur chronique en
EMDR : la prise en charge de la douleur aiguë (De Roos & Veenstra, 2010),
la prise en charge de la douleur chronique (Grant & Threlfo, 2002), ainsi que
des protocoles spécifiques pour la douleur du membre fantôme, la
fibromyalgie, la migraine, etc.
Il apparait néanmoins dans des études récentes que l’utilisation du protocole
standard montre une plus grande efficacité que l’utilisation de protocoles
douleurs spécifiques (Brennstuhl, 2013 ; Brennstuhl, Tarquinio, Bassan,
2016 ; Brennstuhl, Bassan, Tarquinio, 2017 ; Brennstuhl, Bassan, Tarquinio,
2018).
Il n’est cependant pas toujours possible chez ces patients évitants de
conscientiser le lien entre événements de vie et apparition et maintien de la
douleur. Les protocoles EMDR spécifiques permettent alors de réaliser un
pont intéressant en partant de la douleur en tant que manifestation
prépondérante du problème et ainsi de pouvoir remonter le canal mnésique :
une sorte de « protocole inversé », permettant au patient de réaliser un « pont
somatique » vers l’étiologie douloureuse.
Dans cette phase de préparation il s’agira alors d’identifier le chemin à suivre
afin de répondre au mieux à la plainte douloureuse du patient, tout en
permettant de ne pas être uniquement dans la suppression et la diminution du
symptôme douloureux, mais de permettre une compréhension et un
retraitement approfondi de l’origine du problème ayant entraîné l’apparition
de la manifestation somatique (cf. figure 41.1).
Figure 1. Protocole approfondi de prise en charge de la douleur chronique

▶ Phase 3 à 8 : retraitement

Une fois les cibles identifiées, à l’image du protocole standard classique, il


s’agira de réaliser la désensibilisation et le retraitement de toutes les
informations dysfonctionnelles listées.
Les cibles pourront être de l’ordre du souvenir d’un événement spécifique,
mais également de l’ordre du ressenti douloureux passé ou présent, et de
toute manifestation en lien avec l’histoire douloureuse.
La bonne compréhension des particularités de la douleur chronique, de ses
composantes et des dysfonctions cognitives, comportementales et
émotionnelles sera une aide précieuse pour la définition des cognitions
négatives (CN) et cognitions positives (CP).
L’utilisation du SUD pourra être remplacée par l’utilisation du SUP –
Subjective Units of Pain – afin de mesurer le niveau de douleur ressenti dans
le retraitement de certaines cibles.
Lors du retraitement, il n’est pas étonnant de constater que les fragments
dysfonctionnels du canal mnésique s’axent davantage autour de ressentis
corporels. En cela, une attention particulière sera portée lors de la vérification
du scanner corporel.
L’idée fondamentale est de proposer une démarche de prise en charge globale
des différentes composantes de la douleur chronique, mais également de
prendre en compte la douleur comme un trouble réactionnel.
Comme le montre la figure 41.1, il s’agit alors de procéder par deux biais
différents. Soit les événements de vie marquants ont été identifiés et mis en
lien par le patient comme pouvant provoquer ou, tout du moins, avoir un
impact sur la douleur. Soit cela n’est pas le cas.
Si les événements de vie sont identifiés et mis en lien, il convient alors
d’appliquer le protocole EMDR standard afin de désensibiliser et retraiter les
souvenirs dysfonctionnels en lien avec ces événements. En partant de
l’hypothèse que la douleur peut être considérée comme un trouble réactionnel
au même titre que le TSPT, l’application de ce protocole aura déjà un impact
sur la sensation douloureuse.
Néanmoins, la douleur est également considérée en tant que telle comme une
mémoire corporelle dysfonctionnelle. Il paraît donc primordial, une fois
l’application du protocole standard sur les différents événements de vie
effectuée, de désensibiliser et retraiter la douleur elle-même, dans l’objectif
d’une action globale.
De cette manière nous aurons eu une action sur toutes les composantes de la
douleur chronique mais également sur son étiologie psychique potentielle.
Si par contre, les événements de vie ne sont pas identifiés, ou en tous cas pas
mis en lien par le patient comme pouvant avoir quelconque impact sur sa
douleur actuelle, il s’agit alors d’utiliser le protocole EMDR spécifique à la
douleur comme porte d’entrée.
En se concentrant sur la sensation douloureuse dans le protocole douleur, tout
comme nous le ferions sur un événement de vie dans le cadre du protocole
standard, et grâce aux stimulations bilatérales alternées, nous allons mettre en
route le processus associatif et permettre des insights.
Différentes manières de poursuivre le traitement sont alors envisageables.
Soit, le thérapeute fait le choix de continuer avec ces associations, sans
revenir sur la sensation douloureuse, jusqu’à ce que le canal associatif soit
vide, soit il décide d’extraire ces insights et événements de vie qui émergent
et d’en faire un ciblage à part, à retraiter avec le protocole EMDR standard.
Cette deuxième procédure semble adéquate face à des événements de vie
traumatiques, en accord bien évidemment avec le patient.
Ici encore, en procédant de cette manière, nous aurons une action sur toutes
les composantes de la douleur chronique et sur son étiologie potentielle. Mais
surtout nous aurons respecté les croyances préalables du patient ainsi que son
rythme d’intégration des informations.
En effet, la particularité de nombreux patients douloureux chronique réside
dans la difficulté à exprimer leurs émotions et conscientiser les cognitions et
émotions négatives, qui s’exprimeront alors sous forme de plainte physique.
Leur donner une porte d’entrée à travers la sensation corporelle (et le
protocole EMDR douleur) permet donc de contourner les barrières défensives
et d’avoir accès au contenu émotionnel, jusqu’ici difficilement accessible.
Tout cela bien sûr en maintenant les capacités de contrôle de l’individu
puisqu’il fera les liens et libérera les émotions, de manière naturelle, de lui-
même, au cours des stimulations et associations permises par l’EMDR.
S’il apparaît également que la douleur peut être considérée comme « l’arbre
qui cache la forêt », l’intérêt de l’utilisation conjointe du protocole EMDR
standard et du protocole EMDR douleur est alors inhérent. Diminuer la
sensation douloureuse par divers moyens (médicaments, hypnose,
désensibilisation par le protocole EMDR douleur…) va enlever la béquille du
patient qui lui servait jusqu’alors à faire face aux émotions. Ne pas traiter ni
prendre en charge ce qui se trouve derrière la douleur reviendrait à ne traiter
que le symptôme douloureux et pourrait être insatisfaisant pour le patient.
Que l’on accède à l’étiologie de la douleur par le biais direct des événements
et du protocole standard EMDR ou à travers un pont d’affect à l’aide du
protocole EMDR douleur, il parait fondamental de retraiter les souvenirs en
lien avec l’apparition et le maintien de la douleur. Il apparaît également
nécessaire de désensibiliser et retraiter le ressenti douloureux ainsi que la
mémoire corporelle dysfonctionnelle. Enfin, il s’agit de toujours finaliser le
traitement par un travail du futur.
Il est également important de noter la possibilité qu’aucun événement ne
survienne ou ne soit identifié dans le cas de l’utilisation du protocole EMDR
douleur. Il est alors possible de l’utiliser seulement dans son objectif initial :
pour diminuer uniquement la sensation douloureuse.
Le travail avec la thérapie EMDR n’est cependant pas suffisant. Un travail
psycho-éducatif à visée d’expression des émotions sera nécessaire. En effet,
pour que le processus de somatisation ou de trouble réactionnel à travers le
corps ne se reproduise pas, il est fondamental que le patient puisse apprendre
à connaître, repérer et exprimer de manière efficiente – et verbale – ses
émotions.

L’adaptation du protocole EMDR standard à diverses pathologies dans le champ de la santé et de la maladie est en plein
essor. Les résultats obtenus sont également prometteurs.
Dans le cadre de la douleur chronique, il apparaît qu’une réflexion plus globale sur l’étiologie de la douleur et les facteurs
de maintien et d’installation de la pathologie nous amène à utiliser la thérapie EMDR de manière différente.
En effet, il s’agit de juguler l’utilisation d’un protocole EMDR spécifique douleur, agissant sur les composantes sensitives
et comportementales de la douleur, au protocole EMDR standard agissant sur les composantes cognitives, et émotionnelles,
tout en retraitant ce qui semble se positionner dans la littérature comme un facteur explicatif du symptôme douloureux : les
événements de vie traumatiques.

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Chapitre 42

EMDR et fibromyalgie

Marie-Jo Brennstuhl et Pascale Tarquinio

La fibromyalgie est une affection particulière faisant partie de la douleur chronique. Elle présente néanmoins des
spécificités de compréhension et de traitement qui nécessitent de lui accorder une attention spécifique.

LA FIBROMYALGIE
▶ Définitions

La fibromyalgie est une pathologie myofasciale chronique diffuse,


somatoforme, invalidante et persistante ayant un impact majeur sur la qualité
de vie des personnes atteintes.
Longtemps défini comme « la nouvelle hystérie », le concept de fibromyalgie
est un concept controversé, mais qui dans les faits, confronte le corps médical
à des difficultés nouvelles, avec des patients dont ils ne savent que faire et qui
échappent aux catégories habituelles.
C’est pourtant dès les années 1980 qu’apparaît le terme de fibromyalgie, dont
l’existence sera reconnue en 1992 dans la déclaration de Copenhague, et la
terminologie de « maladie » sera adoptée à partir de 2009. Deux éléments
clés fondent alors les prémisses de cette pathologie : la présence de points
douloureux à la pression, associée à des troubles du sommeil et une fatigue
chronique.
L’HAS (2010), caractérise la fibromyalgie par des douleurs étendues et
diffuses pouvant débuter au niveau du cou et des épaules, jusqu’à se
généraliser à tout le corps. L’intensité peut être variable et aggravée par les
conditions météorologiques, le manque de sommeil, les états anxieux et
dépressifs ou un effort physique important.
La douleur musculaire et / ou articulaire ressentie est difficile à différencier et
donne l’impression d’un gonflement des zones douloureuses et de
paresthésies des extrémités, en l’absence de tout signe objectif d’atteinte
articulaire ou neurologique, qui engendre une détérioration significative et
progressive des capacités fonctionnelles et relationnelles du patient
fibromyalgique dans ses activités quotidiennes (HAS, 2010).
CRITÈRES DE CLASSIFICATION POUR LA FIBROMYALGIE

Douleurs bilatérales et étendues : du côté gauche et du côté droit du corps, au-dessus et au-dessous de la taille,
associées à des douleurs du squelette axial (colonne cervicale, dorsale, lombaire et douleurs de la paroi thoracique
antérieure).
Douleurs à la palpation digitale de 11 des 18 points de yunus sensibles suivants (en exerçant une pression voisine de 4
kilos/cm2)
occiput : bilatérales, à l’insertion des muscles sous-occipitaux ;
rachis cervical inférieur : bilatérales, sur les versants antérieurs des espaces intertransversaires C5-C7 ;
trapèze : bilatérales, au milieu du bord supérieur ;
sus-épineux : bilatérales, à l’origine de l’épine de l’omoplate, près de son bord interne ;
deuxième côté : bilatérales, à la deuxième articulation costochondrale, à côté de la face supérieure de l’articulation ;
épicondyle : bilatérales, à 2 cm au-dessous de l’épicondyle ;
fessières : bilatérales, dans le cadran supéro-externe de la fesse ;
grand trochanter : bilatérales, au bord postérieur du grand trochanter ;
genou : bilatérales, près de l’interligne interne.
Le critère de fibromyalgie est retenu si les critères 1 et 2 sont présents et si les douleurs durent depuis au moins trois mois.

Figure 1. Localisation des points de yunus


selon Wolfe, Smythe, Yunus et al., 1990

La fibromyalgie est actuellement classifiée dans le DSM 5 dans le « Trouble


à symptomatologie somatique », dans la catégorie des douleurs chroniques et
touche plus généralement les femmes.

▶ Comorbidités

L’impact de la fibromyalgie sur la vie des patients n’est pas négligeable et


peut se traduire par l’apparition de symptômes associés tels que la fatigue et
la fatiguabilité à l’effort (90 % des cas) (Friedberg, 2004 ; Laroche & Guérin,
2015), des troubles du sommeil (80 % des cas) (Sanchez, Martinez, Miro &
Medina, 2011 ; Belgrand & So, 2011) ou encore des manifestations
dépressives de 2 à 5 fois plus présents que dans la population générale
(Goldenberg, 1994 ; Allaz, 2006).
Il est également fréquent de retrouver des troubles de l’attention et de la
concentration (Miro et al., 2011 ; Vlaeyen et al., 2009), ainsi qu’une humeur
négative et un sentiment d’inefficacité dans les tâches quotidiennes venant
altérer l’estime de soi des patients.
Il s’avère néanmoins qu’une piste intéressante se dégage dans la
compréhension de l’étiologie de la fibromyalgie, à travers son lien avec le
Trouble de Stress Post Traumatique.
En effet, il apparaît que près de 45 à 57 % des patients fibromyalgiques
manifestent des symptômes de TSPT (évitement, reviviscence, anxiété)
(Fontaine, Maindet-Dominici, Guinot & Serra, 2018). Des études
prospectives tendent à démontrer que le risque de développer un TSPT suite à
un événement de vie potentiellement traumatique est trois fois plus élevé
chez les patients fibromyalgiques (Raphael, Jana & Nayak, 2004), mettant
ainsi en avant des facteurs de risques communs.
D’autres auteurs envisagent cependant que le développement de douleur
chronique et particulièrement de fibromyalgie serait en soi une forme
somatisée du TSPT, qui surviendrait alors sous une forme différente à la
symptomatologie habituelle (Tarquinio & Montel, 2014 ; Brennstuhl,
Tarquinio & Montel, 2014).
L’UTILISATION DE LA THÉRAPIE EMDR

Les recherches mettant en exergue l’efficacité de la thérapie EMDR dans le


traitement spécifique de la fibromyalgie sont encore peu nombreuses, mais
convergent toutes vers une amélioration probante de la situation clinique des
patients (Friedberg, 2004 ; Kavakci et al., 2010 ; 2012).
Tout comme lors du traitement de la douleur chronique, il s’agira de retraiter
l’histoire douloureuse du patient à travers les événements du passé (souvenirs
sources en lien avec les événements de vie antérieurs et/ou l’histoire
douloureuse), les déclencheurs actuels (souvent la sensation douloureuse ou
les événements exacerbant la douleur), ainsi que l’anticipation du futur
(anticipation du ressenti douloureux) (Tarquinio & Tarquinio, 2015).
La pathologie fibromyalgique étant complexe et son étiologie peu claire,
l’utilisation de la thérapie EMDR doit s’adapter aux spécificités de ce trouble.

▶ Phase 1 : histoire du sujet

L’histoire du sujet s’attachera à retravailler et conceptualiser l’histoire


douloureuse dans la perspective de l’histoire de vie du patient. Il s’agira alors
d’identifier le point de début des douleurs et de faire le lien avec le vécu
antérieur de l’individu, tout en prenant en compte le nomadisme médical et
les conséquences sur la vie quotidienne (douleurs, incapacités, invalidité,
impact sur l’humeur, les relations sociales, professionnelles, familiales…).

▶ Phase 2 : préparation

Une phase de psychopédagogie sur les spécificités de la fibromyalgie semble


également primordiale afin d’expliciter les caractéristiques spécifiques de
cette forme de douleur chronique.
Il s’agira également de mettre en place des techniques de stabilisation et de
relaxation afin de permettre au patient de gérer et minimiser le ressenti
douloureux pendant et entre les séances : taping papillon, respiration,
cohérence cardiaque, relaxation progressive ou autogène, méditation pleine
conscience…
EXERCICE DE RESPIRATION ET DE STABILISATION
(TARQUINIO & TARQUINIO, 2015)

« Le patient est invité à s’allonger (mais l’exercice peut être aussi très efficace s’il est réalisé en position assise),
confortablement. Il s’agira de l’inviter à focaliser son attention séquentiellement sur différentes parties de son corps en
commençant généralement par une extrémité du corps (pieds, mains) et en scannant (perception vigilante et orientée) au fur
et à mesure chacune des parties du corps. Le patient est invité à noter les sensations douloureuses présentes avec ouverture
et curiosité ou tout simplement noter l’absence de sensations douloureuses. Ce n’est pas un exercice de relaxation, même si
des effets relaxants peuvent se manifester dans la mesure où on ne demande pas au patient de se relaxer. Si certaines parties
du corps sont tendues ou sous l’emprise des douleurs, dans un premier temps le patient ne doit pas chercher à supprimer
cette tension, mais simplement en prendre conscience sans émettre de jugement et sans entrer dans un mode de pensée par
l’élaboration ou association sur l’origine de ce stimulus. Par la suite, il sera demandé au patient de respirer à l’intérieur de
la zone douloureuse préalablement circonscrite. Il s’agit explicitement d’une consigne de cohérence cardiaque, sauf qu’ici
la respiration ne se fait pas dans ou à travers le coeur, mais séquentiellement dans et à travers chacune des zones
douloureuses. C’est une respiration imaginaire au sein même de la zone douloureuse à laquelle il s’agira d’inviter le
patient. »

L’installation du lieu sûr trouve également ici toute sa légitimité.


La technique de floatback sera particulièrement aidante dans l’établissement
du plan de ciblage afin de remonter le canal associatif débouchant sur la
plainte douloureuse fibromyalgique.
TECHNIQUE DU FLOATBACK ADAPTÉE À LA DOULEUR
(TARQUINIO & TARQUINIO, 2012)

« Il convient de comprendre ce qui vous a conduit à cette situation. Vous n’êtes pas née avec ce problème de douleur. Nous
allons tenter, par le biais de plusieurs méthodes, de neutraliser les souvenirs qui sont des explications de cette situation. Ce
sont ces événements ou expériences négatives que nous allons maintenant chercher ensemble dans votre mémoire, afin de
les neutraliser et qu’ils ne vous perturbent plus. »

▶ Phase 3 à 8 : retraitement

Les cibles du passé seront retraitées à l’aide du protocole standard.


Les déclencheurs actuels seront retraités soit à l’aide du protocole standard
également, soit il sera nécessaire d’appliquer un protocole douleur adapté (cf.
encadré).
Les zones douloureuses (point de yunus) pourront être identifiées en phase
d’évaluation en demandant au patient de passer mentalement en revue tout
son corps et d’identifier et colorier sur un schéma corporel les zones
concernées (cf. figure 42.2). Ce même exercice pourra être réalisé à
différentes étapes du retraitement afin d’évaluer l’avancée du travail
thérapeutique.
Figure 2. Représentation corporelle schématique

Chacun de ces points pourra ensuite faire l’objet d’un retraitement particulier
à l’aide d’un protocole douleur adapté (cf. encadré).
EMDR – PROTOCOLE DE LA DOULEUR (DE ROOS & VEENSTRA, 2010)

1. Introduction
a. Mise en place des chaises et construire la relation thérapeutique
b. Explication de l'EMDR et de la douleur
c. Évaluer la distance et la vitesse des mouvements oculaires avec le patient
d. Choix de la stimulation bilatérale (visuelle, auditive ou tactile)
e. Signal STOP

2. Cible : douleur actuelle


a. « Décrivez comment vous sentez la douleur maintenant »
b. « Construisez une image/une photo représentant la manière dont vous sentez la douleur maintenant »
c. « Décrivez cette image/cette photo. Faites un dessin représentant la manière dont vous sentez la douleur
maintenant »

Questions qui peuvent vous aider :


« Si la douleur avait une couleur, de quelle couleur serait-elle ? »
« Si la douleur avait une forme/taille, quelle forme/taille aurait-elle ? »
« Si la douleur avait une température, quelle température (froid/chaud) aurait-elle ? »

3. Cognition négative (CN)


« Si vous pensez à la douleur ou si vous vous concentrez sur la douleur, quels sont les mots qui vous viennent à l'esprit qui
disent quelque chose de négatif sur vous ou sur la douleur maintenant ? »
Questions qui peuvent vous aider :
– « Qu'est-ce que cette douleur dit de vous en tant que personne ? »
– « Que diriez-vous d'une telle personne ? Comment appelleriez-vous une telle personne ? »
– « Qu'est-ce que les gens disent souvent d'une telle personne ? Comment appelle-t-on en général ce type de personne ? »

4. Cognition positive (CP)


a. « Plutôt que (CN), si vous pensez à la douleur ou si vous vous concentrez sur la douleur, que préfériez-vous
penser/croire de vous-même ? »
b. Validité de la Cognition positive (VoC)
« Si vous pensez à la douleur ou si vous vous concentrez sur la douleur, sur une échelle de 1 (complètement faux) à 7
(complètement vrai), dites-moi à quel point vous ressentez ces mots (CP) comme vrais maintenant ? »

5. Émotions
a. « Si vous pensez à la douleur ou si vous vous concentrez sur la douleur et en même temps sur ces mots (répétez la
CN) quelle(s) émotion(s) éprouvez-vous maintenant ? »
b. SUP (Subjectif Units of Pain)
« Si vous pensez à la douleur ou si vous vous concentrez sur la douleur et en même temps sur ces mots (CN), quelle
est la force de la douleur sur une échelle de 0 à 10, où 0 signifierait pas de douleur du tout, et 10 la pire douleur que
vous puissiez avoir, à combien évaluez-vous la douleur que vous ressentez maintenant ? »
c. Sensation corporelle de la douleur
« Où ressentez-vous le plus cette douleur dans votre corps ? »

6. a. Désensibilisation (stimulations bilatérales)


1. « Regardez mes doigts »
2. « Concentrez-vous sur la douleur et dites-vous à vous-même (CN) »
3. « Sentir la douleur dans (endroit du corps mentionné) »
4. Laisser le patient se concentrer et demandez : « Ok. Sentez-vous la douleur ? »
5. « Suivez mes doigts avec vos yeux »
6. Série de mouvements oculaires
7. « Que remarquez-vous maintenant ? »
8. « Restez avec ça » ou « Concentrez-vous là-dessus »
9. Série de mouvements oculaires
Continuez jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de changement (chaîne d'associations).
b. SUP > 0 : retournez à la cible, à la douleur actuelle
1. « Si vous pensez à la douleur ou si vous vous concentrez sur la douleur, quelle force a-t-elle (note 0 à 10) ?
Qu'est ce qui maintient cette douleur à ce chiffre ? Quel aspect de la douleur maintient ce chiffre ? »
2. « Restez avec ça » ou « Concentrez-vous là-dessus »
3. Série de mouvements oculaires
4. Répétez cette procédure jusqu'à ce que le SUP = 0
c. SUP = 0
Continuez avec la phase 7
Attention : si SUP > 0 à la fin de la séance : continuez à la phase 8

7. Installation de la CP (si SUP = 0)


a. Testez le VoC
« Si vous vous concentrez sur cette douleur et les mots (CP), sur une échelle de 1 (complètement faux) à 7
(complètement vrai), dites-moi à quel point vous ressentez ces mots comme vrais maintenant ? »
b. Nouvelle série de mouvements oculaires
« Concentrez-vous sur la douleur en vous disant à vous-même (CP) »
Série de mouvements oculaires
Testez le VoC
Contrôlez le VoC après la série de mouvements oculaires et continuez jusqu'à ce que le VoC = 7
Attention : si le vous < 6/7 à la fin de la séance : continuez à la phase 10.

8. Installation de « l'image-antidote »
a. Si votre patient dit qu'il / elle sent une différence dans la force de la douleur, posez-lui des questions qui peuvent
créer une ressource :
« Qu'y a-t-il à la place de la douleur ? »
« Qu'est-ce qu'il y a maintenant, là où était la douleur avant ? »
Si la douleur ne change pas, vous pouvez demander :
« Qu'est ce qui peut enlever la douleur ou en tout cas diminuer la douleur ? »
b. « Faites une image / une photo de ça »
Installez cette image. Éventuellement quand cela change : « C'est quoi exactement » ou « À quoi cela vous fait
penser ? »
Continuez avec la stimulation bilatérale jusqu'à ce qu’il n'y ait plus de changement.
c. Associer un mot métaphorique et l'installer, par exemple :
« Mentionnez un mot qui convient à votre sentiment quand vous vous concentrez sur cette image »
Continuer la stimulation bilatérale jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de changement.

9. Scanner du corps (après installation de la CP, si le SUP = 0)


« Concentrez-vous sur la douleur tout en vous disant (CP), passez en revue mentalement votre corps en entier et notez si
vous sentez encore une tension »
S'il y a une tension : série de mouvements oculaires et demandez : « Qu'est ce qui vient / Que notez-vous maintenant ? ».
Continuez les mouvements oculaires jusqu'à ce que la tension disparaisse et / ou qu'il n'y ait plus d'associations nouvelles.

10. Clôture positive (à la fin de chaque séance)


a. « Qu'avez-vous appris de positif sur vous-même dans cette séance au sujet de votre douleur ? »
Si nécessaire : « Qu'est-ce que ça dit de vous-même ? »
b. Installez avec des mouvements oculaires jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de changement
c. Explication de ce qui peut se passer dans les prochains jours : l'intensité de la douleur pourrait augmenter
temporairement. C'est parfois le cas, mais pas toujours.
La technique du flashforward pourra également s’avérer efficace et utile dans
le traitement de certaines cibles douloureuses et notamment dans
l’anticipation et les défis des scénarios du futur.

La thérapie EMDR démontre toute sa pertinence dans la prise en charge de la fibromyalgie. Il convient bien sûr d’adapter
le traitement et l’utilisation des différents protocoles à cette symptomatologie particulière, en associant un travail sur les
événements de vie négatifs à un retraitement des zones douloureuses.

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Chapitre 43

EMDR et syndrome du membre


fantôme

Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio,

Marie-Jo Brennstuhl et Fanny Bassan

Il est fréquent, suite à des amputations d’un membre ou à une mastectomie que les patients ressentent la présence du
membre à travers des douleurs ou des sensations. Une telle situation est plus que déconcertante pour les patients qui se
retrouvent en souffrance d’une partie de leur corps censée ne plus exister. La recherche dans le domaine explique
précisément le phénomène et la psychothérapie dont l’EMDR peut être d’une grande utilité dans la prise en charge de ces
douleurs.

PROBLÉMATIQUE GÉNÉRALE DE LA DOULEUR FANTÔME

La douleur du membre fantôme correspond à toute sensation douloureuse qui


se rapporte au membre absent ou amputé (Woodhouse, 2005). Ces sensations
douloureuses sont souvent perçues par les patients comme du courant
électrique fort, des piqûres, des brûlures, des crampes, des écrasements, des
pressions, des coups de couteau. La douleur est souvent une exacerbation des
sensations1 (les sensations le plus souvent décrites sont les picotements, les
piqûres d’aiguille, les décharges électriques, les contractions, les pressions,
les démangeaisons, la chaleur, la flexion des orteils ou des doigts, le membre
engourdi…) ressenties au niveau du membre fantôme. Il semble exister un
lien étroit entre sensation de membre fantôme et douleur du membre fantôme,
la dernière relevant d’une intensité plus importante. La douleur du membre
fantôme est décrite comme lancinante, ennuyeuse, pressante et brûlante. Elle
est habituellement intermittente, seuls quelques patients semblent, en effet
souffrir de douleurs continues. Plusieurs crises peuvent survenir au cours de
la journée, de durée variable (quelques secondes à plusieurs heures), alors
que pour d’autres patients ces crises peuvent être hebdomadaires, voire
mensuelles.
De nombreux mécanismes semblent, au regard de la littérature, impliqués
dans la genèse des douleurs fantômes (Roulet et al., 2009). Le processus
semble en effet inclure des éléments du système nerveux périphérique, de la
moelle épinière et du cerveau. Il est probable que les premiers événements
surviennent à la périphérie, puis génèrent une cascade d’événements plus
centraux, notamment au niveau de certaines structures du cortex cérébral.
L’implication du cortex pourrait expliquer les sensations vives et complexes
qui caractérisent la douleur de membre fantôme (Nikolajsen et Jensen, 2001).
Les douleurs mémorisées avant et pendant l’amputation peuvent être de
puissants déclencheurs de douleur de membre fantôme. Des stimulations
douloureuses prolongées peuvent entraîner des changements à long terme qui
se manifestent comme une mémoire corticale de la douleur (Dostrovsky,
1999). La douleur va donc modifier la force des connexions entre neurones
dans certaines régions du système nerveux central, en particulier au niveau de
la corne dorsale de la moelle épinière, là où arrivent les fibres nerveuses
périphériques. Une « mémoire » de la douleur s’inscrit dans ces neurones via
un mécanisme de plasticité neuronale nommé potentialisation à long terme.
Cette mémoire douloureuse constituera pour le psychothérapeute EMDR la
première cible à traiter, parce qu’en soit, elle contribue non seulement à
alimenter l’état émotionnel du patient, mais aussi sa perception douloureuse.
Deux processus distincts peuvent être identifiés :
1. Tout se passe comme si la stimulation douloureuse du membre touché
avant amputation contribuait à la construction d’une mémoire
douloureuse. Qu’il s’agisse d’un événement brutal (exemple : accident du
travail ou de la route qui abîme gravement un membre) ou d’un processus
sur le long terme (exemple : dégénérescence d’un membre pour cause de
maladie ou d’infection sévère), la plupart des amputations sont précédées
d'une sensation de douleur parfois très intense. Ce vécu douloureux (plus
ou moins long) est en tout point comparable à un vécu traumatique.
2. L’amputation une fois réalisée, un processus de réorganisation cérébrale
est alors activé. En effet, chez les personnes amputées, on constate une
réduction de la zone corticale normalement dédiée à la partie du corps
dont le cerveau ne reçoit plus d’informations. Ces modifications corticales
expliquent la présence de sensations fantômes chez les amputés. La zone
corticale reliée au membre amputé est comme envahie par les zones
voisines. Il y a comme une sorte de télescopage ou de confusion cérébrale.
Ce télescopage apparaît donc comme la finalité de toute prise en charge car
cela signifie en substance la fin de la douleur pour le patient. C’est donc un
processus adaptatif naturellement présent qu’il convient de stimuler et
d’accompagner tout au long du processus psychothérapeutique.

CONTRIBUTION À LA PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR


DU MEMBRE FANTÔME AVEC LA PSYCHOTHÉRAPIE EMDR

La tâche du psychothérapeute sera le plus souvent de traiter les événements


passés, notamment ceux en lien avec l’histoire du membre amputé. À cet
égard, si le psychothérapeute se doit d’investiguer toute l’histoire traumatique
du patient dès lors qu’elle apparaît (comme c’est toujours le cas dans les
procédures plus classiques), il conviendra de porter une attention plus
particulière à l’histoire que ce dernier entretient avec la douleur qu’il s’agisse
de la sienne ou celles d’autres personnes de son entourage (famille, amis,
collègues…). On note souvent deux problématiques, celle qui relève de
l’impact de la douleur et celle qui questionne la remobilisation de l’image de
soi et son impact sur l’estime de soi. Pour la première, les déclencheurs plus
actuels, il s’agira le plus souvent du traitement de la sensation douloureuse
proprement dite, ce qui nécessitera comme nous allons le voir, de faire appel
à un protocole spécifique ou adapté. Pour la seconde, ils se regrouperont
autour de situations de confrontations aux regards de l’autre et des difficultés
rencontrées dans le quotidien. Enfin, en ce qui concerne les défis du futur, il
s’agira dans le premier ciblage le plus souvent de pouvoir gérer les angoisses
et l’anticipation du ressenti douloureux, de donner au patient la possibilité de
se sentir en capacité de gérer et pour le second de pouvoir se projeter dans
leur vie avec ce handicap.
Pour ce faire, nous proposons six étapes dans la prise en charge de la douleur
du membre fantôme :
1. démarche psychopédagogique sur les caractéristiques de la douleur du
membre fantôme à partir du schéma de Flor (2002) ;
2. applications de techniques de régulation des émotions ;
3. élaboration de plans de ciblage pour l’identification des souvenirs
sources ;
4. traitement des cibles relatives à la mémoire traumatique et à la mémoire
douloureuse avec le protocole standard ;
5. application d’un protocole douleur pour le traitement des déclencheurs ;
6. scénarios du futur ;
7. traitements des cibles passées, des déclencheurs et scénarii du futur en lien
à l’estime de soi.

▶ Étape 1 : démarche psychopédagogique

Il s’agit ici d’expliquer et de faire comprendre ce qu’est la problématique de


la douleur du membre fantôme. Pour ce faire, le psychothérapeute pourra
avantageusement s’inspirer des éléments présentés plus haut afin d’expliquer
une réalité clinique on ne peut plus rationnelle.

▶ Étape 2 : applications de techniques de régulation


des émotions.

Le psychothérapeute pourra proposer au patient la (ou les) technique(s) qu’il


jugera les plus en adéquation avec la situation clinique qu’il doit traiter.

▶ Étape 3 : élaboration de plans de ciblage


pour l’identification des souvenirs sources

Dans la prise en charge de la douleur du membre fantôme, nous préconisons


la méthode des Symptômes Aux Cibles (SAC) pour la recherche des cibles à
traiter. Cette méthode a été proposée par de Jong et al. (2010) et constitue un
Plan de Ciblage qui se focalise sur les symptômes. Nous proposons ici un
aménagement de cette méthode du SAC au cas spécifique de la douleur. Le
thérapeute commence par lister l’ensemble des symptômes douloureux et des
plaintes du patient et fait le choix avec le patient du symptôme (ou du groupe
de symptômes) à traiter. Puis il identifie le ou les événement(s) source, du ou
des événement(s) associés aggravant, qu’il place sur une ligne du temps. Il
construit un graphique représentant l’évolution de l’intensité de la douleur au
fil du temps en évaluant les SUP (et non les SUD) de chaque cible. Il vérifie
alors l’existence d’autres souvenirs d’événements potentiellement pertinents.
Ces premières étapes empruntées au SAC nous paraissent intéressante car
sous la forme de ce graphique permet une visualisation concrète de
l’évolution de la douleur à la fois pour le thérapeute mais également pour le
patient et permet ainsi de déterminer plus précisément la cible qui va
inaugurer le traitement.

▶ Étape 4 : traitement des cibles relatives à la mémoire traumatique et à la mémoire douloureuse


avec le protocole standard

Toutes les cibles sont traitées à partir de l’application du protocole standard.

▶ Étape 5 : traitement de la douleur actuelle du membre fantôme avec un protocole douleur


inspiré des travaux
de Grant (Grant et Threflo, 2002 ; Grant, 2009)

Nous allons détailler les phases de ce protocole spécialisé qui présente


quelques innovations particulièrement intéressantes et efficientes pour la
prise en charge des symptômes douloureux. Adaptable, il sera utile au
clinicien dans de nombreuses autres configurations psychothérapeutiques.
PROTOCOLE DOULEUR MEMBRE FANTÔME

Première phase : histoire du patient

Deuxième phase : préparation


Recueillir le consentement éclairé du patient, tant sur les points à traiter, que les conséquences potentielles de la
psychothérapie. Identifier, avec lui la typologie des SBA, ainsi que le signal STOP. Mise en place du « Lieu sûr » et d’un
contenant permettant notamment de ranger les souvenirs en lien avec la douleur.

Troisième phase : évaluation


Identification de l’image mentale du membre fantôme
« Décrivez comment vous percevez (identifier la partie du corps concernée, main, jambe, bras, sein…). Vous allez tenter de
vous construire une image mentale (préciser la partie du corps) en fermant les yeux et en tentant toujours mentalement,
c’est-à-dire par la pensée, d’en préciser les contours, la taille, la forme, etc. Comme si vous aviez une caméra intérieure qui
pouvait en saisir tous les détails et vous permettre une représentation aussi précise que possible. Suffisamment en tout cas,
pour pouvoir dessiner sur une feuille de papier, l’image que vous vous en faites. Bien… fermez les yeux et concentrez-vous
sur (préciser la partie du corps)… Tentez de vous construire une image mentale de (préciser la partie du corps) comme je
vous le proposais à l’instant… Dites-moi quand cela sera fait et quand vous serez en mesure de la dessiner cela sur la
feuille de papier que je vous propose ici.
Identification de la sensation douloureuse
Le patient peut à ce stade dessiner non seulement la représentation qu’il a de la partie de son corps à traiter, mais également
la ou les zones douloureuses, telle(s) qu’il se les représente mentalement. Un tel support graphique permet également de
positionner graphiquement la zone de la douleur et/ou de la sensation, de lui donner une forme et un contour. Le coloriage
de la zone en question permet d’exprimer l’intensité de la perception. « Sur ce même dessin, j’aimerais que vous
représentiez la ou les zone(s) douloureuse(s), comme si vous pouviez ici encore en faire la cartographie. Est-ce que la zone
est plutôt bien limitée ou au contraire plutôt diffuse ? De quelle couleur cette (ou ces) zone(s) douloureuse(s) serai(en)
Quelle (s) est la couleur de cette zone ? – le rouge ou le noir sont souvent associés à des intensités de douleur ou de
sensations assez fortes, alors que le jaune ou le blanc sont associés à des intensités plus faibles ou nulles de douleur ou de
sensation. Quelle forme ou taille aurait-elle ? Quelle forme ou quelle taille a-t-elle ? De quelle matière (bois, acier…)
pourrait être faite cette zone de douleur ou de sensation ? »
1. Cognition négative :
Le psychothérapeute : « Si vous pensez à la douleur (préciser la partie du corps), quels sont les mots qui vous viennent
à l’esprit et qui disent quelque chose de négatif sur vous ou sur la douleur, là maintenant ? Vous pouvez également et
je vous y invite, regarder le dessin que vous venez de faire sur cette feuille. »
3. Cognition positive
Psychothérapeute : « Plutôt que « rappeler la CN identifiée », quand vous pensez à (préciser la partie du corps) tout en
regardant votre dessin et que vous pensez à cette sensation douloureuse, qu’est-ce que vous préféreriez penser de
vous-même maintenant ? »
5. Validité ou crédibilité de la cognition positive (VOC) sur une échelle de 1 à 7.
Psychothérapeute : « Quand vous pensez à (préciser la partie du corps) tout en regardant votre dessin et que vous
pensez à cette douleur, dans quelle mesure ressentez-vous comme vrais ces mots (CP). Sur une échelle de 1 à 7, avec 1
étant le niveau le plus bas (tout à fait faux) et 7 le niveau le plus haut (tout à fait vrai), quelle valeur lui donneriez-
vous ? »
7. Détermination de l’émotion (ou des émotions) associée(s) :
Psychothérapeute : « Quand vous pensez à (préciser la partie du corps) tout en regardant votre dessin et à ces mots
(CN) quelle(s) émotion(s) éprouvez-vous maintenant ? »
9. Mesure d’un équivalent du SUD, la Subjective Units of Pain ou SUP2.
Psychothérapeute : « Pensez à (préciser la partie du corps) tout en regardant votre dessin et à la douleur que vous
percevez. Pensez également à ces mots (CN), sur une échelle notée de 0 (« pas de douleur du tout ») à 10 (« la pire des
douleurs que vous puissiez ressentir ») dites à combien, vous évaluez le niveau de douleur que vous ressentez
maintenant ? »
11. Localisation corporelle :
Psychothérapeute : « Où en plus de la douleur à (préciser la partie du corps) ressentez-vous cette tension dans votre
corps ? »
Quatrième phase : désensibilisation de la cible
Le psychothérapeute demande au patient de maintenir à l'esprit l'image et/ou le dessin et les aspects liés, tout en se
focalisant simultanément sur la stimulation bilatérale aussi rapidement que possible. Poursuivre comme dans le protocole
standard jusqu’à ce que le SUP soit égal à 0.
Ainsi, le travail de désensibilisation doit se poursuivre même si le SUP est égal à 0, mais aussi tant que la représentation
graphique du membre amputé n’a pas changé pour peu à peu arriver à ce qu’elle doit être, à savoir un moignon de l’avant-
bras sans la main. Plusieurs dessins peuvent ainsi être réalisés au cours de la psychothérapie notamment à la fin de chaque
canal associatif.

Cinquième phase : installation de la cognition positive


Le psychothérapeute apprend au patient à penser à la situation initialement traitée (on ne reprend plus le premier dessin,
mais le dernier réalisé en lien avec le SUP égal à zéro et à répéter la cognition positive, après avoir vérifié si elle s’est
modifiée, tout en le soumettant à une stimulation bilatérale jusqu'à ce que son niveau de vérité et de croyance soit ressenti
comme optimal). « Quand vous pensez à (préciser la partie du corps) et à cette douleur dans votre main gauche dans quelle
mesure ressentez-vous comme vrais ces mots « préciser la Cognition Positive » Sur une échelle de 1 à 7, avec 1 étant le
niveau le plus bas (tout à fait faux) et 7 le niveau le plus haut (tout à fait vrai), quelle valeur lui donneriez-vous ? »

Sixième phase : balayage corporel


Il s’agit de vérifier s’il existe à ce stade des signes de tension physique ou d'inconfort résiduel. Si n'importe lequel de ces
signes est rapporté, le thérapeute apprend au patient à se focaliser sur ses sensations physiques tout en le soumettant à une
stimulation bilatérale jusqu'à ce que la tension ait diminué ou disparu.

Septième phase : clôture de la séance


Préparer le patient à quitter la séance en lui rappelant les différents exercices de gestion que le thérapeute peut lui avoir
appris.

Huitième phase : réévaluation


Le patient peut à ce stade émettre des commentaires sur les cibles traitées antérieurement. On pourra notamment porter une
attention particulière sur comment le patient a ressenti et géré la douleur entre les séances. Le traitement de la cible en
cours est repris ou s’il était achevé une nouvelle cible est sélectionnée.
Ce travail est poursuivi jusqu’au traitement de toutes les cibles du passé et des déclencheurs

▶ Étape 6 : scénario du futur en lien avec le plan de ciblage sur la douleur

À ce stade, le psychothérapeute pourra envisager avec le patient l’installation


de scénarii du futur. Il s’agira de lui proposer d’envisager de se projeter dans
l’avenir afin de savoir quelle réaction il pourrait avoir dans des situations qui
étaient jusque-là anxiogènes ou problématiques (identification des situations
futures, visualisation des situations futures comme un film… Si les situations
sont positives, les renforcer autant que possible avec des séries de SBA, si les
situations sont négatives, il s’agira de les retraiter).

▶ Étape 7 : traitement des cibles passées et déclencheurs


en lien avec le plan de ciblage sur estime de soi

Le plan de ciblage, le traitement des cibles passées, des déclencheurs et les


scénarios du futur sont appliqués selon les procédures classiques.
CONCLUSION

La prise en charge avec la thérapie EMDR du membre fantôme avec


l’aménagement du protocole standard spécifique pour la douleur est d’un
intérêt certain. Elle permet d’apporter une prise en charge complémentaire à
la seule prise en considération des circonstances traumatiques de l’événement
ayant conduit à l’amputation (TSPT suite aux circonstances de l’accident lui-
même par exemple). Elle donne aux thérapeutes une stratégie d’intervention
post-chirurgicale qui, de façon concomitante aux soins médicaux, semble
activer le processus de plasticité neuronal. Enfin, de par son application
possible post-accident, post-opération et dans le processus de réinsertion
sociale et professionnelle et propose une prise en charge holistique du patient.

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Notes
1. La sensation de membre fantôme est décrite par quasiment tous les amputés. Immédiatement après
l’amputation, le membre fantôme est ressenti comme identique au membre amputé en termes de forme,
longueur et volume.

2. Le SUP n’est en rien une invention des praticiens EMDR, car cela correspond en fait à la mesure de
L’EVA ou Echelle Visuelle Analogique, qui est utilisée depuis 1995, pour l’évaluation de la douleur
chez le patient adulte atteint d’un cancer, depuis 1999, pour l’évaluation de la douleur chronique des
adultes en médecine ambulatoire et depuis 2000, pour l’évaluation de la douleur des enfants.
Initialement proposée par Scott et Huskisson (1976) pour évaluer l’intensité de la douleur chronique,
l’EVA correspond à une réglette graduée d’une longueur de 100 mm dont les extrémités figurent pour
l’une, l’absence de douleur, pour l’autre, la douleur maximale imaginable.
Chapitre 44

Prise en charge
des troubles de la sexualité
avec la psychothérapie EMDR

Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio et Laura Vismara

Depuis les années 1970, notamment avec la publication de Human Sexual Inadequacy par Masters et Johnson, les
psychologues et les médecins accordent une attention de plus en plus grande aux problèmes sexuels et aux demandes
formulées dans ce domaine.
Selon Langis et Germain (2009), la difficulté sexuelle peut se définir comme « une situation qui empêche le bon
déroulement de la relation sexuelle. ». L’EMDR peut dans ce domaine apporter des éléments de réponse complémentaire
qui peuvent à la fois aider le thérapeute et surtout les patients.

DIFFICULTÉS SEXUELLES ET EMDR

La prise en charge des problématiques sexuelles suppose de comprendre si la


difficulté sexuelle peut s’expliquer par des facteurs psychologiques ou
principalement par des facteurs biologiques. Un trouble de l’érection peut par
exemple être le fait d’une peur a priori de ne pas satisfaire l’autre, d’une
affection médicale, d’une prise de drogue, d’alcool ou d’un médicament,
voire d’une combinaison de plusieurs facteurs. Il est évident qu’une réponse
sexuelle adaptée nécessite un corps en parfait état de marche. Ce qui implique
que les organes sexuels, les systèmes nerveux endocriniens et vasculaires ne
doivent donc pas poser de problèmes et être fonctionnels. Le diabète, les
maladies cardiovasculaires, ou les maladies portant atteinte au centre de la
moelle épinière par exemple, qui interviennent dans la réponse sexuelle, sont
susceptibles d’influer la sexualité, notamment en l’altérant. Les déséquilibres
hormonaux1, qui à cet égard peuvent concerner tant les hommes que les
femmes, peuvent aussi avoir cet effet délétère. Il est également essentiel que
le clinicien s’assure que le patient ne souffre pas d’atteinte des tissus des
organes génitaux qui, bien entendu, vont affecter la réponse sexuelle (hymen
trop fibreux, inflammation de l’endomètre atteinte des muscles de la région
pelvienne, pour les femmes ; phimosis2, déchirure du frein pour les hommes).
Il enquêtera également sur les consommations éventuelles du patient. On
connaît les effets de l’alcool (troubles érectiles, troubles du désir retard de
l’orgasme…), du tabac (risque de problèmes érectiles…), des amphétamines
(à faible dose augmentation du désir, retard de l’orgasme, lors d’une
utilisation régulière perte de l’éjaculation ou fortement retardée, trouble de
l’érection…), de la marijuana (diminution du désir…), de la cocaïne (troubles
de l’érection, trouble de l’éjaculation…) ou des ecstasy connues sous le nom
de MDMA (trouble de l’érection, inhibition de l’éjaculation, retard de
l’orgasme, baisse du désir…) sur les difficultés sexuelles.
Des émotions négatives comme le stress, l’anxiété ou la dépression sont
également des facteurs majeurs à prendre en compte et à traiter dans ce type
de problématique. Il est également important de prendre en considération la
question du psychotraumatisme qui peut accompagner l’expérience sexuelle
des patients durant l’enfance, l’adolescence (abus sexuels, viols…) ou la vie
adulte (viols, agressions à caractère sexuel…). Mais, il est également
nécessaire de lutter contre les tabous d’une éducation et d’une morale trop
rigide qui sont autant d’obstructions à une sexualité épanouie. Enfin, il n’est
pas possible d’occulter le fait que les facteurs relationnels propres au couple
peuvent intervenir. La panne érectile peut être par exemple l’indicateur de la
difficulté de fonctionnement du couple (Colson, 2001). La monotonie qui
s’installe conduit les activités sexuelles vers une routine qui les rend
prévisibles, ce qui peut déterminer une baisse du désir. Nous pouvons
souligner également le manque de communication intime qui, dans les
couples, reste parmi les problèmes les plus répandus dans l’émergence des
difficultés sexuelles (Greef et Malherbe, 2001).

LE TROUBLE DE L’ÉRECTION
▶ Éléments généraux
Le trouble de l’érection est défini par le DSM 5 par « au moins un des trois
symptômes suivants doit être éprouvés dans presque toutes, ou toutes les
occasions (approximativement 75-100 %) d’activité́ sexuelle avec un
partenaire :
1. difficulté marquée à parvenir à une érection au cours de l’activité
sexuelle ;
2. difficulté marquée à parvenir à maintenir l’érection jusqu’à l’achèvement
de l’acte sexuel ;
3. diminution marquée de la rigidité́ érectile. »
En d'autres termes, il s'agit de l'impossibilité d'obtenir une érection suffisante
pour permettre un rapport sexuel. La dysfonction érectile peut être
« primaire » lorsque l'homme n'a jamais eu d'érection de qualité suffisante
pour pouvoir réaliser une pénétration. Cela concerne un très faible
pourcentage d'hommes souffrant de dysérection. Le plus souvent, la
dysfonction est « secondaire », c'est-à-dire que l'homme avait auparavant une
sexualité qui le satisfaisait. Suite à des problèmes physiologiques ou
psychologiques, il peut ne plus être en mesure d’obtenir une érection
suffisante pour pouvoir avoir des rapports sexuels. Le trouble de l’érection
peut aussi être partiel ou total. Ainsi, certains hommes parviennent à avoir
une érection, mais elle est soit insuffisante, soit pas assez solide.
Les difficultés érectiles se manifestent de différentes manières selon qu’elles
sont d’origine organique ou psychogène. Quand la physiologie de l’érection
est affectée par une pathologie, un traumatisme, la prise d’une substance ou
une intervention chirurgicale, le potentiel érectile se trouve en général réduit
en intensité et en durée, peu importe les circonstances (érections nocturnes et
matinales, masturbation, relations sexuelles). Lorsque la cause est
psychogène, la capacité à atteindre l’érection est très dépendante de l’état
d’esprit dans lequel se trouve l’homme. S’il est déprimé, il peut ne pas avoir
d’érection en toutes circonstances. S’il a peur de l’échec, son érection
apparaît lorsqu’il ne s’en soucie pas et disparaît dès l’instant où l’idée
d’échec apparait, que cela soit durant les préliminaires ou lors de
l’intromission du pénis dans le vagin ou en cours de pénétration.
Le trouble de l’érection est un symptôme très fréquent avec une prévalence
variable selon les populations étudiées et les critères de diagnostic. Il existe,
dans toutes les études, une augmentation de la prévalence de cette difficulté
avec l’âge (Giuliano et Droupy, 2013).
pour les hommes de moins de 40 ans, la prévalence est comprise entre 1 et
9%;
entre 40 et 49 ans, la prévalence demeure généralement inférieure à 10 %
s’élevant dans certaines études à 15 % ;
entre 50 et 60 ans, la prévalence varie beaucoup d’une étude à l’autre ;
entre 60 et 70 ans la prévalence est comprise entre 20 et 40 % ;
au-delà de 70 ou de 80 ans, la prévalence est très élevée entre 50 et 100 %.
Devant une dysfonction sexuelle, il convient d’explorer trois axes
complémentaires et indissociables, les axes organiques, psychiques et
relationnels. Cette approche multidirectionnelle s’avère essentielle lorsque le
motif de consultation est une dysfonction érectile (Corona et al., 2006).
Parmi les objectifs associés à la prise en charge de la dysfonction érectile, il
convient de penser systématiquement aux complications somatiques. Ainsi, le
psychothérapeute découvrant cette difficulté sexuelle devra, outre le
traitement psychologique de celle-ci, rechercher des facteurs de risques
organiques, en particulier urologiques, cardio-vasculaires, métaboliques et
hormonaux. La consommation de produits psychoactifs, en particulier
l’alcool, le tabac, et certaines drogues illicites telles que la cocaïne, peuvent
être des paramètres à prendre en compte.
De nombreuses études indiquent que des facteurs psychiques, tels que les
troubles de l’humeur, ou le stress sont impliqués dans la survenue de
dysfonctions sexuelles et de la dysfonction érectile. Selon une étude récente
(Nobre, 2010), des facteurs psychiques comme les schémas cognitifs négatifs
interviendraient dans la survenue et le maintien de la moitié des dysfonctions
érectiles. Les liens entre dysfonction érectile et anxiété sont largement étudiés
(Corona et al., 2006). Pour chaque homme, la dysfonction érectile peut
induire une anxiété, même en l’absence de pathologie anxieuse. Et le
retentissement psychique sera bien entendu variable d’un patient ou d’un
couple à l’autre. Quelques auteurs ont évalué le retentissement d’événements
de vie potentiellement stressants sur la sexualité (chômage, contraintes de vie,
travail…). Tous ces événements pourvoyeur de stress et d’autodépréciation
fragilisent inexorablement la sexualité et sont à rechercher par le clinicien et à
traiter.
Les problèmes relationnels, les tensions quotidiennes liées au couple (conflits
conjugaux, inquiétudes pour la partenaire), peuvent également être à l’origine
des dysfonctions sexuelles ou en être la conséquence et les entretenir. Hedon
(2003) évoque le cercle vicieux des difficultés, de la distance au sein du
couple, voire la survenue de conflits consécutifs à la survenue d’une
dysfonction sexuelle. Ainsi, la guérison de la dysfonction érectile surviendra
plutôt au sein de couples non conflictuels, ou alors après une approche
conjointe de la problématique conjugale.

▶ Étiologie générale du trouble érectile

Comme c’est le cas de toutes les difficultés sexuelles, on ne saurait insister


sur la nécessité de se rapprocher d’un(e) sexologue expérimenté(e) afin de
situer la problématique érectile du patient qui consulte. S’il y a une
quarantaine d’années, Masters et Johnson (1970) affirmaient que 90 % des
dysfonctions érectiles étaient causées par des facteurs psychologiques, de nos
jours, on penche davantage vers une étiologie mixte. La mise en lumière des
processus neurologiques, physiologiques et musculaires impliqués dans
l’obtention de l’érection a permis de découvrir un ensemble de pathologies
organiques à l’origine du trouble érectile. À leur tour, les effets de ces
pathologies sur l’érection sont souvent décuplés par des facteurs
psychologiques et relationnels.
Les causes psychologiques du trouble de l’érection peuvent être le fait :
d’un discours familial négatif, des préceptes religieux restrictifs ;
d’un manque d’éducation sexuelle ;
des normes sociales axées sur la performance ;
de la peur de l’échec ;
de la fragilité émotionnelle qui prédispose à réagir plus souvent et plus
intensément que les autres aux situations sexuelles ;
des expériences sexuelles passées vécues difficilement voire sur un mode
traumatique ;
des enfants surpris en train de se masturber et réprimandés, adolescents
réprimandés en raison de leurs émissions nocturnes ;
d’une agression ou des implications dans des actes incestueux lors de
l’enfance ou de l’adolescence ;
d’une attitude plutôt fermée vis-à-vis de la sexualité ;
de la présence d’un autre comme facteur affectif déclenchant (manque de
confiance au partenaire, conjointe hostile, pas de stimulations, conflits,
manque d’attirance) ;
de troubles de l'identité sexuelle (asexualité, homosexualité, ou troubles
identitaires) ;
du stress professionnel, dépression ;
des craintes de transmission de maladies.

▶ Contribution de la thérapie EMDR au traitement


des hommes souffrant d’un trouble érectile

C’est souvent dans le passé des patients que l’on trouvera les origines
psychologiques du trouble. Une fois ces souvenirs sources traités, il s’agira
de projeter le patient dans une sexualité à venir pour ensuite le confronter à
des situations réelles dans l’ici et maintenant. Il s’agit donc de passer d’une
démarche de traitement in vitro (passé et futur) à un traitement en situation
(in vivo) ce qui en matière de prise en charge EMDR est en fait nouveau
(Tarquinio & Tarquinio, 2015).
Nous proposons une procédure en 6 étapes :
1. démarche psychopédagogique ;
2. apprentissage de techniques de stabilisation et de relaxation ;
3. utilisation de plan de ciblage pour l’identification des souvenirs sources ;
4. traitement des cibles du passé avec le protocole standard ;
5. application de la technique du flashforward de Logie et De Jongh (2014)
et scénario du futur ;
6. application du Sensate Focus3 de Masters et Johnson (1970).
Étape 1 : Démarche psychopédagogique

La première étape d’une prise en charge psychologique du trouble de


l’érection, comme c’est le cas pour toutes difficultés sexuelles, est d’apporter
aux patients les informations nécessaires sur le fonctionnement sexuel
humain. Cette information doit porter sur l’anatomie des organes génitaux, la
psycho-physiologie de la réponse sexuelle (ici de l’homme), les causes du
trouble érectile, le contexte dans lequel se déroule la rencontre amoureuse et
sexuelle, les besoins affectifs, sentimentaux et sexuels de la femme et de
l’homme, les types de stimulation, les scénarios sexuels, et l’utilité des
fantasmes sexuels.

Étape 2 : Apprentissage de techniques de stabilisation


et de relaxation

Nous proposons à ce stade l’installation d’un « lieu sûr » qui reste un élément
incontournable du protocole standard EMDR. Du fait des implications sur le
corps, l’exercice du « Body Scan » inspiré du mindfulness avec
désensibilisation à partir de SBA, a montré sa pertinence dans ce domaine
d’autant qu’un tel protocole s’appliquera aisément (Tarquinio & Tarquinio,
2015). L’usage des techniques de relaxation classique ou de la cohérence
cardiaque peuvent ici encore être indiquées.

Étape 3 : Utilisation de plan de ciblage


pour l’identification des souvenirs sources

Bien entendu, toutes les techniques de plan de ciblage sont utiles. Cependant,
quel que soit le choix du clinicien, il est impératif d’utiliser la méthode des
Symptômes Aux Cibles (SAC) et la méthode des Croyances Fondamentales
aux Cibles (CFC) De Jongh et al. (2010), en raison de la spécificité et de la
pertinence clinique du symptôme érectile.

▶ Illustration clinique

Quentin a 53 ans. Il est marié depuis plus de 20 ans et père de trois enfants. Il éprouve de grandes difficultés à maintenir
une érection avec sa femme qui se fait très pressante sexuellement. Ces pannes sont des motifs majeurs de conflits et
sont vécues par l’épouse de Quentin sur un mode dramatique. Ainsi, l’idée du rapport sexuel qui pourrait se dérouler le
soir est une préoccupation obsessionnelle pour Quentin. Cela occupe ses pensées du matin au soir. Un travail est engagé
avec un médecin sexologue avec Quentin et le couple qui se concrétise par un certain nombre de mesures très précises
(…) dont l’engagement du patient dans une prise en charge psychothérapeutique, qui convoqua notamment l’approche
EMDR.

Plan de ciblage organisé sur la combinaison de deux méthodes de Jongh, Ten


Broeke et Meijer (2010) :
la méthode des Symptômes Aux Cibles (SAC) va permettre d’explorer
l’évolution de ce symptôme érectile dans l’histoire de la sexualité du
patient ;
la méthode des Croyances Fondamentales aux Cibles (CFC) permet de
rechercher les croyances négatives du patient, en l’occurrence ici Quentin,
se décrit comme un « sous-homme. ». Il dit de lui qu’il n’est « pas à la
hauteur » et qu’il n’est pas « un vrai homme et qu’il ne l’a jamais vraiment
été. » Il s’agit de manière de penser stériles et stéréotypées, qui
s'appliquent de manière quasi automatique et le conduisent à avoir une
vision négative du monde. Ces croyances négatives dysfonctionnelles
rigides indiquent généralement qu’il existe plusieurs expériences ou
événements pertinents à rechercher dans le passé du sujet qui se
cristallisent comme autant de preuves pour le patient.
RÉSULTATS DU SAC ET CFC

Résultat du SAC :
Deux souvenirs antérieurs ont ainsi été identifiés :
Premier souvenir perturbant : expérience de panne sexuelle en couple durant laquelle l’épouse s’est montrée
particulièrement agressive et moqueuse.
Second souvenir perturbant : à 17 ans, surpris en train de se masturber par sa plus jeune sœur. Celle-ci crie dans toute la
maison ce qu’elle venait de voir. Ce qui a impliqué des moqueries et des jugements moralisateurs de la part de tous les
membres de la famille.
Nous avons dans un second temps demandé à Quentin de reporter sur la ligne du temps ses différents souvenirs et
d’indiquer un niveau d’anxiété à chacun d’eux.

Figure 1. Représentation graphique de sévérité de la manifestation


anxieuse de Quentin en fonction du temps.

On retrouve sur le graphique ci-dessus les deux cibles à traiter avec le protocole standard.

Résultat du CFC (Cf. Tarquinio & Tarquinio (2015) pour un détail de la procédure)
Croyances dysfonctionnelles de départ : je suis un sous-homme, je ne suis pas à la hauteur
Identification des preuves que nous avons demandées à Quentin de classer dans un second temps par ordre décroissant
selon leur niveau de perturbation :
Classement 1 : « La fois où je me suis fait surprendre par ma sœur dans ma chambre et qu’elle s’est mise à crier dans toute
la maison que j’étais en train de me toucher le sexe et que c’était dégoûtant. »
Classement 2 : « Vers 8 ans, c’était un truc de jeune, on devait avec des petites copines se montrer notre sexe respectif. En
fait il n’y a que moi qui ai sorti mon sexe et toutes les filles se sont moquées de moi et là aussi elles l’ont chanté dans toute
la rue. Ça a duré des années ce truc-là. »
Classement 3 : « Avant ma femme j’ai eu une autre amie, très jolie. Je me suis toujours demandé comment j’avais fait pour
sortir avec elle. J’étais impressionné. Et disons que là encore je n’y arrivais pas. J’évitais les situations à risques. Elle m’a
quitté, parce qu’elle me disait que je n’étais pas un homme comme les autres et qu’elle regrettait de ne pas procurer de
désir chez moi. »
Classement 4 : « Ma femme qui me dit que je ne suis pas un homme lorsque je n’arrive pas à bander et qu’elle attend que je
lui donne du plaisir. Je pense notamment à la fois dont je vous ai parlé qui reste vraiment la pire dans ma tête. »

Étape 4 : Traitement des cibles du passé


avec le protocole standard

Toutes les cibles issues des deux procédures de plan de ciblage ont été
traitées à partir de l’application du protocole standard.

Étape 5 : Application de la technique du flashforward


de Logie et De Jongh (2014) et scénario du futur
APPLICATION DE LA PROCÉDURE DU FLASHFORWARD AU CAS QUENTIN

Le thérapeute : « Quelle pourrait être la pire catastrophe, la pire des choses qui pourrait selon vous arriver quand vous
imaginez avoir un problème d’érection avec votre femme ?
Quentin : « Eh bien… c’est sa colère, qu’elle m’insulte. »
Le psychothérapeute : « Y a-t-il d’autres craintes de ce qui pourrait arriver de pire, si vous envisagez un problème
d’érection avec votre femme ? »
Quentin : « Et bien… c’est sa colère, qu’elle m’insulte parce que je n’arrive pas à bander. »
Le psychothérapeute : « Très bien…, dites ce qui est le pire dans cette situation… qu’est-ce qui pourrait vous arriver de
pire alors ? »
Quentin : « Qu’elle me quitte parce que je ne suis pas un homme. »
Le psychothérapeute : « Quand vous pensez à cela, quelle est l’image qui vous vient ? »
Juliette : « Elle s’habille et quitte la chambre, la maison. »
Le psychothérapeute : « Regardez cette image de la pire des choses qui pourrait arriver. Sur une échelle de 0 à 10 quel est
le niveau de perturbation ? »
Quentin : « 9. »
Puis application des phases 4 à 7 (SUD=0, VOC = 7, bon scanner corporel)
Mise en place de scénario du futur où Quentin se projette dans des relations sexuelles où tout se passe bien. Nous évitons
d’introduire des défis à ce stade car il nous paraît intéressant d’appliquer d’abord le Sensate Focus de Masters et Johnson
(1970). À l’issue de cette étape 6, nous proposons la mise en place d’un scénario du futur avec défis.

Étape 6 : Application du Sensate Focus


de Masters et Johnson

À ce stade, le Sensate Focus est une bonne manière de se familiariser à


nouveau avec le corps et les sensations. L’homme et la femme seront acteurs
dans cet exercice, qui sera l’occasion de réapprendre une certaine sexualité,
sans doute moins anxiogène et plus apaisée.

Comme nous avons pu le constater, la psychothérapie EMDR, peut-être d’une grande aide dans la problématique
spécifique des difficultés sexuelles. A priori, cette approche est peu positionnée dans la littérature sexologique. C’est selon
nous un recours de choix dans la prise en charge de difficultés sexuelles, notamment lorsque la problématique est de nature
psycho émotionnelle. Les références à l’EMDR dans ce domaine sont de plus en plus nombreuses (Mignot et al., 2018),
même si la pratique des cliniciens sensibilisés conjointement à l’EMDR et à la sexologie doit encore s’étoffer. Pour ce
faire, il conviendrait que les psychothérapeutes qui, la plupart du temps, ne connaissent que peu de choses à la sexologie
fassent l’effort de s’y intéresser, ce qui malheureusement n’est pas assez le cas. Des recherches sont à mener dans ce
domaine et des formations à construire notamment à l’adresse des praticiens EMDR.

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Notes
1. Chez l’homme, un déséquilibre hormonal peut être la cause d'une dysfonction érectile. La
testostérone, la prolactine ou les hormones thyroïdiennes influent sur sa libido, l'érection et parfois
même l'éjaculation. Chez la femme, l’œstrogène et la progestérone sont les hormones les plus
fondamentales. Les œstrogènes, en particulier, ont un rôle fondamental sur la libido. Après un
accouchement notamment, l’imprégnation hormonale se modifie et entraîne souvent une baisse de la
libido, passagère la plupart du temps.

2. Le phimosis est une affection du pénis ou du clitoris. Lors de l'érection, le prépuce du pénis ou le
capuchon du clitoris ne peut se rétracter derrière le gland du pénis ou du clitoris (le gland ne peut pas
être décalotté).

3. Le Sensate focus est une technique de sexothérapie introduite par l’équipe Masters and Johnson. Cela
fonctionne en recentrant les participants sur leurs propres perceptions sensorielles et leur sensualité, au
lieu de comportements axés sur des objectifs et centrés sur les organes génitaux et le sexe avec
pénétration.
Chapitre 45

Maladies cardiovasculaires et
EMDR

Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio et Laura Vismara

La perspective sera d’envisager les MCV à travers les conséquences psychologiques qu’elles imposent aux malades. Aussi,
après avoir posé la problématique des MCV dans leur ensemble nous focaliserons plus spécifiquement notre attention sur la
prise en charge des conséquences psychologiques de l’infarctus du myocarde, puis, nous présenterons une proposition de
prise en charge intégrative, où l’EMDR trouve une place pertinente.

PSYCHOPATHOLOGIE DES MALADIES CARDIOVASCULAIRES

Le champ de la santé représente un contexte spécifique de prise en charge


psychopathologique (Tarquinio & Tarquinio, 2015). La maladie confronte le
patient à des bouleversements de l’état de santé tels qu’ils peuvent donner
lieu à des changements profonds des valeurs sur lesquelles reposait sa vie
jusque-là et le conduisent à mobiliser des ressources psychiques nouvelles
(Fischer & Tarquinio, 2014). Ainsi, les patients qui éprouvent le besoin d’un
suivi psychothérapeutique le font en raison de l’apparition de la maladie et de
ses conséquences.
Les maladies cardiovasculaires (ou MCV) représentent également une
expérience traumatique importante et spécifique. C’est à la fois un
traumatisme inaugural massif et aigu, délimité dans le temps qui confronte le
patient à une expérience de douleur physique aussi intense qu’inattendue, à la
peur et à l’impuissance face à la possibilité d’une mort imminente, mais une
fois l’état physique stabilisé ce sont également des microtraumatismes qui se
succèdent et s’accumulent avec la répétition toujours possible d’autres
accidents cardiaques, voire de nouveaux traumatismes avec d’autres épisodes
cardiaques massifs. Les traumatismes sont aussi le fait de l’évolution de l’état
du patient et des conséquences physiques. Le patient prend conscience lors de
la survenue de l’accident cardiaque des séquelles physiques et de leurs
conséquences sur sa vie au quotidien, des risques encourus. Il est également
informé des étapes de son parcours de soin, avec d’éventuelles interventions
chirurgicales, des séjours de réadaptation cardiaque, des modifications de ses
habitudes de vie qui ne sont pas sans conséquences sur l’ensemble de la vie
du patient à savoir sa famille et son travail. Entre 10 % et 15 % de TSPT
complets ou partiels en post-infarctus du myocarde (Spindler et Petersen,
2005) ont été observés même si Tedstone et Tarrier (2003) ont relevé selon
les études une prévalence plus hétérogène, pouvant osciller entre 0 % et
16 %. C’est également le cas en post-chirurgie cardiaque où la prévalence du
TSPT peut varier entre 11 % et 18 % (Wiedemar et al., 2007). Il est
intéressant de constater qu’il n’existe pas, contrairement à ce que l’on
pourrait penser, de lien entre les caractéristiques médicales des MCV et la
présence d’un TSPT. Ainsi, la perte de conscience et la réanimation cardio-
respiratoire au moment d’un infarctus du myocarde par exemple, la sévérité
objective de l’accident cardiaque ou la durée de l'hospitalisation, ne semblent
en rien prédire le développement du TSPT, ceci quelle que soit la nature des
MCV. Les déterminants d’une réaction psychotraumatique consécutive à une
MCV tiennent à vrai dire au vécu du patient pendant la phase aiguë de
l’accident cardiaque (Wiedemar et al., 2007). En effet, les affects
psychotraumatiques dans le cas des MCV sont très souvent associés à la peur
de mourir (notamment pendant l’accident cardiaque), aux douleurs physiques
toujours importantes et impressionnantes, ainsi qu’au sentiment
d’impuissance et à l’impression de ne pouvoir faire appel à aucun secours, ni
aucune aide. De façon assez classique sur le plan clinique, il existe un lien
entre la présence d’un état de stress aigu (ESA) juste après la survenue d’une
MCV et le développement d'un ESPT (Ginzburg et al., 2003). Ainsi, dans de
tels contextes, les personnes qui présentent un ESA ont trois fois plus de
chances de développer un TSPT sept mois plus tard (Ginzburg et al.,
2003). Il semble également que les symptômes d'évitement, de reviviscence,
d'hyperactivation neurovégétative et de dissociation présents dans la première
semaine après une MCV soient prédictifs de l’apparition et de la sévérité du
TSPT.
Mais les réponses des patients confrontés à la survenue et à l’installation des
MCV peuvent prendre des formes moins spécifiques comme le montre la
revue de la littérature de Goodwin et al. (2009). Ces auteurs ont mis en
évidence un lien direct et constant entre certains troubles anxieux, comme les
attaques de panique, les troubles d’anxiété généralisée ou les phobies simples
et les MCV.
Bien que la prise en charge en EMDR puisse être utile pour les patients
concernés par toutes les MCV1, nous avons fait le choix d’illustrer dans ce
chapitre une application possible de l’EMDR dans la prise en charge
d’infarctus du myocarde. Le patient après un infarctus peut venir consulter
car souffrant de troubles anxieux ou dépressifs, pour autant il n’est pas
forcément prioritaire de s’atteler au travail sur le passé du patient, et de
commencer par la prise en charge dans le plan de ciblage du souvenir source
qui pourrait remonter à l’enfance, mais de traiter le souvenir proche de
l’incident lui–même. Dans ce cas particulier c’est la problématique de santé
qui conduit le patient à consulter. Et dans ce cas spécifique des MCV, la
diminution des symptômes, dont nous avons évoqué les conséquences
délétères sur la récupération et la potentialisation de l’état de santé du patient
devient prioritaire. Autrement dit le thérapeute est amené à revoir la
temporalité des plans de traitement des problématiques en mettant l’accent
sur la prise en charge de l’événement récent et des problématiques futures qui
apparaissent dans le parcours de suivi médical et d’adaptation du patient ; le
malade étant dans l’obligation de trouver les ajustements nécessaires, dont
identitaires pour avancer. Le travail psychothérapeutique passe par
l’intégration pour le patient d’une nouvelle identité, celle de malade. Non pas
malade occasionnel, mais chronique ou en sursis, ce qui le contraint à faire un
véritable deuil, celui de l’être qu’il ne sera plus. Ces renoncements, ces
adaptations et intégrations nouvelles même minimes ont une importance
considérable dans la potentialisation du suivi de son traitement, son
observance au long cours.
PROPOSITION DANS LE CAS D’UNE PRISE EN CHARGE PRÉCOCE D’UN INFARCTUS DU
MYOCARDE

▶ Problématiques et plan de ciblage

L’EMDR repose sur le modèle TAI et sur un ensemble de protocoles


structurés de prise en charge. L’idée fondatrice est d’aller rechercher au plus
loin dans l’histoire du patient l’événement traumatique source de sa
problématique actuelle. Or la spécificité de la maladie est ici essentielle à
considérer.
Le patient après un infarctus peut venir consulter car souffrant de troubles
anxieux ou dépressifs pour autant il n’est pas forcément prioritaire de
s’atteler au travail sur le passé du patient, et de commencer par la prise en
charge dans le plan de ciblage du souvenir source qui pourrait remonter à
l’enfance, mais de traiter le souvenir proche de l’incident lui –même. Dans ce
cas spécifique des MCV la diminution des symptômes dont nous avons
évoqué les conséquences délétères sur la récupération et la potentialisation de
l’état de santé du patient devient prioritaire. Autrement dit le thérapeute est
amené à revoir la temporalité des plans de traitement des problématiques en
mettant l’accent sur la prise en charge de l’événement récent et des
problématiques futures qui apparaissent dans le parcours de suivi médical et
d’adaptation du patient, le malade étant dans l’obligation de trouver les
ajustements nécessaires, dont identitaires pour avancer. Le travail
psychothérapeutique passe par l’intégration pour le patient d’une nouvelle
identité, celle de malade. Non pas malade occasionnel, mais chronique ou en
sursis, ce qui le contraint à faire un véritable deuil, celui de l’être qu’il ne sera
plus. Ces renoncements, ces adaptations et intégrations nouvelles même
minimes ont une importance considérable dans la potentialisation du suivi de
son traitement, son observance au long cours (déjà dit plus haut dans le
texte).
Notons que la plupart du temps, surtout en France, les malades cardiaques
sont engagés dans des protocoles d’éducation thérapeutique à l’intérieur
desquels il conviendra de situer et de positionner l’intervention du
psychothérapeute. Pour ce faire, il n’est pas inutile avec l’accord du malade
de prendre contact avec les services médicaux en charge de cette procédure
éducative.
Vignette clinique
Monsieur A. a 48 ans et c’est à une période plutôt calme de sa vie que ce dernier a fait son infarctus. En 2013, à 1 heure
du matin il a ressenti une douleur fulgurante dans la poitrine. Sa fille de 18 ans lui a sauvé la vie en lui donnant de
l’aspirine, alors que sa femme appelait le SAMU qui est arrivé dans la foulée. Il a été transporté dans le service des
urgences de l’hôpital le plus proche de son domicile. Il a été hospitalisé 3 jours et on lui a posé deux stents. Il consulte au
cabinet un mois après l’épisode sur les conseils de son médecin généraliste et sur l’insistance de son épouse. Il se plaint
de troubles du sommeil, d’agressivité, d’angoisse, d’attaques de panique. Il se sent dépressif avec des souvenirs intrusifs
de l’infarctus. Il a le sentiment d’avoir frôlé la mort et cette idée le remplit d’effroi. Son père a lui aussi été victime de
plusieurs infarctus, dont le dernier qui fut fatal.

Le travail d’anamnèse du patient nous a permis de dégager plusieurs


problématiques :
1. TSPT lié à l’événement inaugural ;
2. Problématiques spécifiques liées aux MCV : angoisses de récidives,
changement de la perspective existentielle (estime de soi, confiance en
soi) ;
3. Problématique plus familiale :
culpabilité du patient vis-à-vis de son épouse et de sa fille ;
impact traumatique de l’événement sur l’épouse et la fille dont les
symptômes sont des déclencheurs pour le patient.
Nous avons élaboré un plan de traitement de ces problématiques en tenant
compte à la fois de la spécificité des conséquences sur le plan physiques et
psychiques des MCV, de l’intégration nécessaire de l’intervention
psychothérapeutique dans le parcours médical, de l’étiologie des troubles (ce
patient n’ayant pas présenté d’autres incidents cardiaques) enfin également de
la demande pressante du patient de voir s’atténuer ses symptômes anxieux.
La prise en charge pourrait ainsi s’envisager sur la base de 6 étapes :
1. application de techniques de régulation des émotions (équilibration du
système nerveux sympathique) ;
2. traitement de la problématique du TSPT avec un protocole événement
récent2 ;
3. application de la technique du flashforward de Logie et De Jongh (2014)
et scénario du futur ;
4. traitement des cibles du passé ;
5. auto-application.
6. parallèlement prise en charge du trauma sur son aspect familial avec
traitement des TSPT chez mère et fille et intégration de l’événement dans
la dynamique familiale.

▶ Étape 1 : applications de techniques de régulation des émotions (équilibration du système


nerveux sympathique)

Il s’agira de faire un choix parmi les techniques de régulation des émotions


que le psychothérapeute connait et maitrise le mieux. De ce point de vue
chacun sera libre. Cependant, pour leur spécificité il nous semble que les
techniques de cohérence cardiaque sont particulièrement indiquées car c’est
justement le cœur et le rapport à cet organe qui a fait défaut qui est central
dans ces approches et qui en outre ont montré toute leur pertinence. C’est
donc l’occasion de proposer au malade de reprendre contact avec son cœur
avec lequel il a perdu le « contrôle » et de ne pas rester dans une posture
phobique, mais au contraire d’entrevoir avec lui une sorte de
réconciliation. C’est là une étape essentielle, où il peut à nouveau prendre
conscience que quelque chose de positif se passe dans sa poitrine. Bien que
cela ne soit pas l’objectif de ces techniques, elles s’avèrent ici éminemment
thérapeutiques.

▶ Étape 2 : traitement des cibles du présent


avec un protocole d’événement récent

Le traitement des cibles du présent dans le cas d’un infarctus du myocarde


relève en fait d’événements potentiellement traumatiques auxquels a été
confronté le malade dans une période inférieure ou égale à trois mois. Au-
delà de trois mois, nous préconisons de faire appel au protocole standard
comme cela est enseigné dans les formations de niveau 1 & 2. Aussi, nous
avons fait le choix du protocole pour événement récent (REP) de Francine
Shapiro (1995, 2001) qui est une adaptation du protocole standard.
Le tableau ci-dessous reprend des exemples de cibles traitées dans un cas
présenté par Tarquinio & Tarquinio (2015) avec l’application du protocole
des événements récents.

Toutes les cibles ont été traitées en respectant la méthodologie du protocole REP. Nous avons résumé dans le tableau 45.1,
l’ensemble des éléments significatifs du traitement, notamment les cibles, les images, les cognitions, les VOC, les SUD et
les émotions relatives à la prise en charge, en débutant par l’aspect le plus important, pour ensuite traiter quatre cibles de
manière chronologique.
Tableau 45.1. Exemple de cibles pouvant être traitées avec le protocole REP
de Shapiro (1995, 2001)

Quatre cibles spécifiques ont ainsi été traitées avec le protocole REP.
Installation de la Cognition Positive pour l’événement entier : je peux gérer
ma nouvelle vie
Voc 7
Bon scanner corporel
Trois séances d’une heure ont été nécessaires pour finaliser l’ensemble du
traitement.

▶ Étape 3 : application de la technique du flashforward


de Logie et De Jongh (2014) et scénario du futur

Flashforward

Lorsque toutes les cibles du passé ont été traitées avec le protocole standard il
peut rester des peurs irrationnelles chez le patient, il est alors intéressant
d’appliquer la procédure du flashforward (Logie et de Jongh, 2014). On peut
définir le flashforward comme une sorte de représentation mentale d’un
événement négatif futur redouté et improbable. Précisons que la procédure du
flashforward n’est pas réductible à un scénario du futur, en ceci qu’elle est
plus centrée sur le niveau de perturbation que provoque chez le patient un
scénario catastrophe, alors que le scénario du futur a pour finalité d’installer
dans le futur un comportement ou une cognition adaptée à un futur envisagé
en des termes positifs. En outre, le scénario du futur se met en œuvre une fois
toutes les cibles traitées. L’état anxieux du patient ayant totalement disparu,
on peut avec lui envisager un futur serein et positif.
La procédure du flashforward peut donc être utilisée lorsque les peurs et les
angoisses anticipatrices sont encore présentes, que toutes les cibles du passé
ont été traitées, qu’il n’est plus possible pour le clinicien d’en identifier
d’autres et qu’on observe la mise en échec du scénario du futur qui peut
devenir caduc et peu consistant une fois installé. Ainsi, si la perspective d’un
futur sécure et serein dans la problématique du sujet s’étiole, le praticien
pourra avantageusement utiliser la procédure du flashforward, puis dans un
second temps ré-installer à nouveau un scénario du futur.
LA PROCÉDURE DU FLASHFORWARD APPLIQUÉE AU CAS DE MONSIEUR A.

Le psychothérapeute : « Quand vous pensez à ce qui est arrivé, quelle serait la pire des choses qui pourrait selon vous
arriver, le pire des cas possibles maintenant pour vous ? Essayez de l’imaginer dans votre tête et d’observer ce qui se passe
alors en vous ? »
Le patient : « Que cela m’arrive encore… que je refasse un infarctus… que mon cœur me lâche, encore une fois et que
j’agonise seul, des heures durant, sans personne pour m’aider. »
Le psychothérapeute : « Qu’est-ce qui est le pire dans cette situation…. qu’est-ce qui pourrait vous arriver de pire alors ? »
Le patient : « De mourir »
Le psychothérapeute : « Quand vous pensez à cela quelle est l’image qui vous vient ? »
Le patient : « Je m’effondre, je suis foudroyé»
Le psychothérapeute : « Regardez cette image de vous foudroyé, immobile et pensez… je suis impuissant3, ….Sur une
échelle de 0 à 10 quel est le niveau de perturbation ? »
Le patient : « 10 »
Poursuivre en appliquant les phases 4 à 7 (SUD=0, VOC = 7, bon scanner corporel)
Le psychothérapeute : « Y a-t-il autre chose qui vous hante. Autre chose qui pourrait, qui selon vous pourrait être la pire
des choses qui pourrait selon vous arriver, le pire des cas possibles maintenant pour vous ? Essayez de l’imaginer dans
votre tête et d’observer ce qui se passe alors en vous ? »
Le patient : « Faire l’amour avec ma femme et que ça déclenche quelque chose au niveau cardiaque. »
Le psychothérapeute : « Dites ce qui est le pire dans cette situation… qu’est-ce qui pourrait vous arriver de pire alors ? »
Le patient : « D’avoir mal et de mourir en elle… »
Le psychothérapeute : « Quand vous pensez à cela quelle est l’image qui vous vient ? »
Le patient : « Son regard pendant que je meurs. »
Le psychothérapeute : « Regardez cette image, du regard de votre femme. Sur une échelle de 0 à 10 quel est le niveau de
perturbation ? »
Le patient : « 10 »
Poursuivre en appliquant les phases 4 à 7 (SUD=0, VOC = 7, bon scanner corporel)

Scénario du futur

Après le traitement de toutes les cibles, nous avons procédé à la mise en place
de scénarii du futur à partir de l’ensemble des déclencheurs identifiés. Nous
avons pu avec le patient stabiliser sa projection dans le futur du suivi de son
traitement, de sa reprise du travail, de sa vie sexuelle.

▶ Étape 4 : traitement des cibles du passé

Comme nous l’avons évoqué, Monsieur A. a par le passé déjà été confronté à
la problématique de l’infarctus, non pas personnellement, mais via son père
qui d’ailleurs en est mort. C’est là un point assez important qu’il convient de
ne pas négliger car les malades sont très souvent inscrits dans une histoire
sociale ou familiale de la maladie. Il est parfois suffisant de procéder par
questionnement direct, même si les méthodes classiques de l’EMDR restent,
en fonction de la situation clinique des patients, mobilisables.

▶ Étape 5 : auto-application

Afin de mettre à disposition des malades un certain nombre d’outils


supplémentaires susceptibles de les accompagner en cas d’alerte anxieuse,
nous proposons deux approches : l’étreinte du papillon de Lucina Artigas
(2000) et le protocole auto-booster ses performances (Tarquinio & Tarquinio,
2015).

▶ Étape 6 : prise en charge familiale

Le traitement des symptômes TSPT présents chez l’épouse et la fille de


Monsieur A. avec le protocole des événements récents a permis la reprise
d’un fonctionnement familial bloqué depuis l’accident cardiaque. Ceci a
permis de travailler sur la culpabilité ressentie par l’épouse et la fille. Pour la
mère cela concernait le fait de ne pas être sur place au moment des faits et
pour la fille de n’avoir rien fait. Cette problématique a permis de déboucher
sur des actions à mener dans le présent en étant plus actives et engagées et
plus responsable en ce qui concerne l’accompagnement et la présence après
de Monsieur A.

Les patients touchés par les MCV se retrouvent souvent démunis face à ce que leur impose la maladie sur le plan psychique
et psychologique. Bien que nous ayons fait le choix de l’infarctus du myocarde dans ce chapitre, les apports proposés
pourront sans aucune difficulté s’ajuster à toutes les problématiques cardio-vasculaires (hypertension artérielle, angor,
insuffisance cardiaque…).
Ce chapitre nous permet d’illustrer l’intérêt de l’EMDR dans la prise en charge des MCV grâce à la fois à sa souplesse
d’utilisation, puisqu’il est possible de prendre en charge à la fois l’urgence spécifique de l’incident cardiaque, ainsi que le
patient dans toutes les phases de sa maladie et de son parcours médical.
Quoi qu’il en soit, ici encore la psychothérapie EMDR trouvera toute sa pertinence dès lors qu’elle saura s’adapter au
contexte et à la spécificité de la maladie, ainsi qu’à la réalité du malade. C’est au fond cette souplesse qu’imposent à
chaque psychothérapeute les maladies chroniques de manière générale et les MCV de façon plus spécifique.

BIBLIOGRAPHIE

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interventions. Paris : Dunod
GINZBURG K., SOLOMON Z., KOIFMAN B., KEREN G., ROTH A, KRIWISKY M., et
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myocardial infarction : A prospective study. Journal of Clinical
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GOODWIN R., DAVIDSON K., KEYES K. (2009), “Mental disorder and
cardiovascular disease among adults in the United States”, Journal of
psychiatric research, 43, 29-46.
LOGIE, R.D.J., DE JONGH, A. (2014). The Flashforward procedure : confronting
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of heart disease : prevalence, risk factors, and future research
directions. Psychosom Med, 67, 715-23.
TARQUINIO C., TARQUINIO P. (2015). L’EMDR : préserver la santé et prendre
en charge la maladie, Issy-lès-Moulineaux, Elsevier Masson.
TEDSTONE J., TARRIER N. (2003). Posttraumatic stress disorder following
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WIEDEMAR L., SCMID J.-P., MÜLLER J., WITTMAN L., SCHNYDER U., SANER H.,
VON KÄNEL R. (2007). Prevalence and predictors of posttraumatic stress
disorder in patients with acute myocardial infarction, Heart &
lung, 37, 113-21.

Notes
1. Au regard de la littérature, la mise en place d’une prise en charge psychothérapeutique se justifie dès
le début de la survenue des MCV. Comme c’est le cas pour les victimes « classiques », il convient
d’envisager l’intervention au plus tôt et au plus près de l’accident cardiaque afin de réduire voire
d’éviter l’installation d’une réponse psychotraumatique réactionnelle trop massive. Rappelons, qu’une
fois la crise ou l’incident inaugural passé, il ne faut pas que les patients et leur entourage se satisfassent
de l’évident soulagement d’être encore en vie. Il faut être conscient que l’accident cardiaque reste
fondamentalement le signe d’une vulnérabilité d’abord physique et par effet induit, psychologique. Il
est évident que l’usage de l’EMDR, du fait de sa pertinence dans la prise en charge des troubles
réactionnels se justifie dans bon nombre de situations cardiovasculaires. À cet égard, cet ouvrage
propose une vaste palette d’outils et de concepts qui pourront aider le praticien dans ce contexte si
particulier des MCV. Si comme nous l’avons évoqué, la prise en charge des malades cardiaques doit
toujours s’envisager au plus près des événements, il n’est pas en revanche forcément nécessaire de
s’atteler prioritairement à un travail sur le passé des malades, sauf si celui-ci s’impose (chaque
psychothérapeute en fonction du cas qu’il a à traiter et de son expérience sera à même de juger). Aussi,
il s’agira le plus souvent d’un travail sur la confrontation inaugurale à la maladie, qui devrait être suivi
d’une projection dans le futur, qui souvent raisonne comme une nouvelle vie pour le malade obligé de
trouver les ajustements nécessaires, y compris identitaires, pour poursuivre son chemin. Le travail
psychothérapeutique revêt ici une dimension particulière, qui passe par l’intégration d’une nouvelle
identité, celle de malade, qui souvent raisonne comme un deuil. Le deuil de celui qu’il ne sera plus et
qu’il ne pourra plus être du fait de la maladie. Certes, selon les situations, ces renoncements peuvent
être plus ou moins conséquents. Pour autant, ils sont nécessaires, pour que le malade accepte sans
restriction l’entrée dans ce nouveau rôle, dans cette nouvelle identité, qui peut par exemple l’obliger à
suivre un traitement, de respecter une meilleure hygiène de vie, voire de ne plus pouvoir avoir les
activités professionnelles et personnelles qui étaient les siennes jusqu’alors. Sans doute que la
spécificité des MCV comme de nombreuses autres maladies chroniques se situe sur cette capacité à
rebondir. Il ne s’agit pas seulement, comme on l’entend souvent dans le champ de la victimologie, de
réduire les symptômes du TSPT et dépasser l’événement traumatique qui objectivement est derrière
soi. Dans le cas des MCV, la pathologie est comme une épée de Damoclès avec laquelle il va falloir
apprendre à vivre. Difficile alors de se projeter dans la vie lorsque à chaque instant tout peut s’arrêter,
sans prévenir et que l’on peut mourir. Certes, c’est là une situation qui nous concerne tous, mais la
différence avec les patients concernés par les MCV, c’est qu’ils en ont en fait l’expérience et qu’ils ont
vu la mort de près.

2. Les protocoles d’urgence concernent les événements arrivés dans les dernières heures, alors que les
protocoles dits d’événements récents concernent des événements ayant eu lieu depuis deux jours
jusqu’à trois mois. Dans le second cas, les événements traités ont fait l’objet d’une consolidation et
d’une intégration en mémoire qui est partielle.

3. A. de Jongh (in Logie & De Jongh, 2014) préconise dans tous les cas le choix de la cognition
négative « je suis impuissant » (et donc « j’ai le contrôle » en cognition positive) dans toute procédure
de flashforward. Selon nous, un tel choix est judicieux dans le cas des traitements des phobies qui est,
rappelons-le à l’origine du flashforward. Nous ne sommes pas convaincus de son adéquation à toutes
les situations. Il reviendra au praticien de choisir ce qui lui semble le plus adapté !
Chapitre 46

Cancer et thérapie EMDR :


contribution !

Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio,

Eva Zimmerman, Laura Vismara

INTRODUCTION

Le cancer est une maladie imprévisible et de laquelle il est difficile de


vraiment se protéger. Selon l’OMS, un décès sur 6 à l’échelle mondiale lui
est imputé soit 8,8 millions de personnes en 2015. Selon l’Institut de Veille
Sanitaire, le cancer est en France la première cause de décès. En 2015, les
cancers repérés comme les plus meurtriers pour les hommes étaient selon
l’ordre de fréquence, les cancers du poumon, du foie, de l’estomac, colorectal
et de la prostate. Pour les femmes il s’agit des cancers du sein, du poumon,
colorectal, du col de l’utérus et de l’estomac. Si de nombreuses recherches
tentent d’éclairer sur les causes, d’autres œuvrent pour tenter de trouver des
solutions préventives ou curatives ou palliatives. Différents Plans Cancer ont
été lancés depuis 2003 en France en vue de personnaliser la prise en charge
des patients et d’améliorer leur qualité de vie. La psychothérapie a un rôle
majeur à jouer dans ce domaine, dans ce que l’on a coutume d’appeler les
soins de support. C’est dans ce contexte qu’il est intéressant d’interroger les
possibilités que peut offrir la prise en charge en EMDR.
DIMENSIONS PSYCHOPATHOLOGIQUES DU CANCER

Nous avons fait le choix de ne traiter que les aspects les plus importants de
cette détresse psychique, consécutive à la survenue de la pathologie
cancéreuse. Pour ce faire, nous envisagerons la question de la dépression et
des troubles anxieux. Nous n’avons pas souhaité traiter la question du trouble
de stress posttraumatique qui ne nous semble pas suffisamment heuristique
dans le champ de la psychopathologie du cancer1. En revanche, il conviendra
pour nous de proposer une lecture psychopathologique des conséquences du
cancer, susceptibles de prendre en compte la spécificité de cette maladie dans
la confrontation brutale à la question du mourir qu’elle impose aux malades,
ainsi qu’à leurs proches.

▶ Dépression, symptômes dépressifs et cancer

Dans une vaste méta-analyse parut dans The Lancet Oncology, Mitchell et al.
(2011) ont montré que les troubles dépressifs étaient particulièrement
importants chez les malades du cancer. Même si les chiffres avancés restent
hétérogènes allant de 9 % à 14 % d’épisodes dépressifs majeurs en phase
curative (Mitchell et al., 2011), voire jusqu’à 38 % dans certaines études
(Roy-Byrne et al., 2008). On estime que la prévalence du trouble (Valente et
Saunders, 1997) se situe dans une fourchette comprise entre 20 % et 25 %, ce
qui reste somme toute, très important surtout lorsque l’on sait que pour la
population générale cette prévalence varie entre 5 % et 15 %.

▶ Troubles anxieux et cancer

Au regard de l’hétérogénéité des prévalences, il s’avère que comme pour la


dépression, l’évaluation des troubles anxieux semble, dans le domaine du
cancer particulièrement délicate. Les troubles anxieux non spécifiés2 (au sens
du DSMV) présentent des prévalences qui varient entre 20 % et 25 % (Roy-
Byrne, 2008). Il s’agit des troubles anxieux, les plus présents chez les
malades du cancer. Quant aux phobies spécifiques, elles concernent entre
12 % et 14 % de la population, contre 9 % pour le trouble panique et 2 %
pour la phobie sociale. Le trouble d’anxiété généralisée (TAG) plus difficile à
circonscrire, semble quant à lui varier selon les études entre 1 % et 13 %.
L’anxiété n’est pas la peur ! Celle-ci se définit plutôt par une sensation de
tension interne avec appréhension d’un danger mal défini. Certains malades
vont douter par exemple, de l’efficacité d’un traitement et entrer dans un
questionnement permanent auprès des soignants. Le rapport aux traitements
et à la maladie en général s’en trouve alors altéré. Sentiment de perte de
contrôle, de perception de la maladie comme grave et sans issue (alors que les
données médicales sont encourageantes), doutes permanents, ruminations,
sont autant d’éléments susceptibles de concerner les malades. L’une des
répercussions majeures de ces manifestations anxieuses reste à cet égard, les
troubles du sommeil (perturbation de l’endormissement et des réveils au
cours de la nuit, souvent ponctués de nombreux cauchemars), car l’anxiété est
le plus souvent manifeste le soir et/ou tôt le matin.
Schématiquement, c’est l’angoisse de mort qui domine en cancérologie. Dans
le suivi des patients métastasés par exemple, les angoisses de mort se
différencient de la peur de mourir par le fait que les angoisses sont
inconscientes et associées à une anxiété, alors que la peur de mourir est une
réaction face à une menace de mort imminente3.

▶ Spécificité psychopathologique dans le domaine du cancer

Fischer (2014), propose à cet égard d’élargir le spectre des conséquences des
événements traumatiques qui, dans une maladie comme le cancer, prennent
une texture très différente. L’auteur préfère parler de situations extrêmes
(plutôt que d’événement potentiellement traumatisant), afin de mieux rendre
compte de la complexité des phénomènes en jeu, qui ne limitent pas leurs
conséquences au seul TSPT. Ces situations extrêmes désignent selon lui, un
ensemble d’événements qui plongent des personnes ordinaires dans des
conditions radicalement différentes de celles de leur vie habituelle. Dans tous
les cas, ce sont des événements qui bouleversent la vie et menacent
directement leur existence. C’est dans ce sens que Bettelheim a utilisé le
terme de situation extrême pour désigner l’expérience des prisonniers dans
les camps nazis.
« Nous nous trouvons dans une situation extrême quand nous sommes soudain catapultés dans
un ensemble de conditions de vie où nos valeurs et nos mécanismes d’adaptation anciens ne
fonctionnent plus et que certains d’entre eux mettent en danger la vie qu’ils étaient censés
protéger. Nous sommes alors pour ainsi dire dépouillés de tout notre système défensif et nous
touchons le fond ; nous devons nous forger un ensemble d’attitudes, de valeurs et de façons de
vivre selon ce qu’exige la nouvelle situation » (Bettelheim, 1979).

Plusieurs aspects caractérisent ces situations. Tout d’abord, il s’agit la plupart


du temps d’événements qui surviennent de manière brutale et soudaine,
marquant ainsi une rupture radicale avec toute forme de vie antérieure. Ces
situations, comme c’est le cas avec le cancer, imposent des changements tels
que les individus ne disposent plus des ressources habituelles (matérielles,
psychologiques, sociales, symboliques). Autrement dit, ils ne sont pas
préparés à affronter de tels bouleversements. En effet, les apprentissages
antérieurs, les acquis de l’expérience sont pour la plupart défaillants, car la
vie ordinaire nous apprend seulement à faire face à ce qui est routinier et
prévisible. Elle ne nous prépare pas à l’imprévisible. Concernant la nature des
bouleversements en jeu, ce ne sont pas seulement les conditions matérielles
habituelles qui posent problème, c’est aussi notre manière de percevoir les
événements et notre propre vie qui s’effondrent. Dans la perspective adoptée
ici, ces différentes formes de bouleversements se cristallisent autour d’un
élément central et invariant, à savoir qu’il met directement la vie en
danger. Nous sommes face à l’extrême lorsqu’un événement comporte, d’une
manière ou d’une autre, un risque réel de mort et pas seulement une situation
vécue comme menaçante pour la vie. Ainsi qu’il s’agisse de maladie, de
catastrophe, de guerre, d’agression, toutes ces situations sont considérées
comme extrêmes à partir du moment où elles comportent un tel risque vital.
Dans le contexte de l’extrême, les mécanismes de déstructuration de l’identité
représentent en fait le révélateur d’un enjeu plus fondamental : celui de la
mise en morceaux des valeurs qui fondent la vie de chacun. L’extrême
constitue donc une expérience très singulière où l’éclatement du système des
valeurs représente en même temps un enjeu de survie. En effet, l’expérience
de l’extrême est une expérience de survie qui pose la question de l’adaptation
en des termes inédits : le fait de vivre se définit ici comme une lutte contre la
mort, c’est-à-dire fondamentalement une épreuve de résistance à des forces
de destruction ; or dans un tel contexte, les moyens habituels à la disposition
de l’individu sont défaillants ; donc pour s’en sortir il doit mobiliser des
ressources nouvelles ! En réalité, l’extrême se trouve être un creuset de
l’expérience humaine où se forge une faculté inédite de l’adaptation. De fait,
c’est précisément là que l’être humain découvre en lui des ressources dont
personne ne peut soupçonner ni la puissance, ni même l’existence.
Le fait de lutter pour survivre est à un titre ou à un autre relié à une raison de
vivre. Mais il n’existe pas de raison de vivre toute faite venant de
l’extérieur. Les raisons de vivre viennent d’un travail psychique par lequel les
individus sont arrivés à identifier ce qui est vital pour eux. La situation
extrême amène le sujet à discerner ce qui peut être vital dans cette situation et
qui peut valoir le coup de se battre. Et le fait de répondre à cela va faire que
les ressources nécessaires seront mobilisées pour résister. L’énergie
nécessaire pour défendre ce qui est vital sera développée. L’adaptation prend
ici un relief crucial et doit être envisagée comme un mécanisme de survie et
non plus comme un simple ajustement. Cet enjeu souvent vital confère à
l’adaptation un contenu spécifique : la mobilisation de ressources psychiques
qui n’ont aucune commune mesure avec les formes de l’adaptation dans la
vie ordinaire et qui se révèlent comme l’expression d’un « ressort invisible ».
Cela désigne à la fois les aspects multiformes de la plasticité humaine et ces
ressources insoupçonnées qui se révèlent dans ces situations où la vie est ou a
été menacée, comme une capacité humaine à transcender les contingences et
les déterminismes. Il faut donc saisir leur dynamique comme directement liée
à la nature des processus de survie qui comporte un double enjeu : d’une part,
une expression de ressources insoupçonnées en tant que capacité humaine à
résister à l’œuvre de destruction qu’impose la situation extrême et, de l’autre,
cette mobilisation même des ressources correspond à un profond
réaménagement psychique qui se traduit, comme on va le voir, par une
transformation de soi et une autre manière de vivre.

CONTRIBUTION DE LA PSYCHOTHÉRAPIE EMDR


À LA PRISE EN CHARGE DES MALADES ATTEINTS PAR LE CANCER

La détresse des malades du cancer est associée à un certain nombre de


conséquences négatives, assez bien identifiées par les chercheurs et les
cliniciens. Il peut s’agir d’une moins bonne qualité de vie, d’une plus grande
sensibilité à la douleur et aux symptômes physiques, d’une augmentation du
risque de trouble anxieux et dépressif, du risque suicidaire, d’une
insatisfaction à l’égard des soins reçus et de la relation patient-médecin. Il ne
s’agit pas ici, comme dans les maladies cardiovasculaires (ou MCV),
d’envisager forcément l’intervention au plus tôt et au plus près de la survenue
de la maladie. D’ailleurs, bon nombre de patients ne consultent que bien
après les soins et les interventions. Considérés en rémission par le corps
médical, ces derniers prennent alors toute la mesure de l’épreuve qu’ils ont
affrontée. Si la préoccupation était de faire face à la maladie, aux traitements
et à leurs conséquences, ils réalisent alors, qu’ils ont lutté pour survivre et
que cette épreuve les a changés. Parfois en bien parce qu’ils se sentent plus
forts, parfois en mal, parce qu’ils sentent qu’au fond d’eux quelque chose
s’est brisé et qu’ils sont particulièrement vulnérables. Avec le cancer, une
fois le choc de l’annonce passé, il faut sans plus attendre s’engager dans
pléthore d’examens, de traitements et autres interventions parfois très
intrusives. Certes, on ne risque pas sa peau à chaque instant comme dans le
cas des MCV, mais les atteintes corporelles et psychiques sont majeures, avec
une pathologie qui raisonne souvent pour le malade et ses proches comme
une véritable sentence de mort.
L’EMDR peut dans un tel contexte trouver une place de choix, en œuvrant
non seulement dans la réduction des troubles réactionnels classiques (troubles
anxieux, dépression, TSPT…), mais également en contribuant à une
stabilisation des malades tout au long de leurs parcours de soins. C’est un
travail sur le présent et plus particulièrement encore sur le quotidien du
malade qu’il convient alors de mettre en place. Ce qui caractérise la
pathologie cancéreuse, c’est qu’elle impose chaque jour au malade son lot de
moments difficiles, de doutes et de craintes, de microtraumatismes et de
choix majeurs. L’annonce, les interventions chirurgicales parfois invalidantes
et destructrices, les chimiothérapies et leurs cortèges d’effets secondaires
(perte des cheveux, port d’une perruque…) la solitude, les rechutes ou les
récidives, les plus ou moins bonnes nouvelles des médecins, la perte de son
intégrité corporelle (avec un corps présentant des cicatrices, une ablation d’un
sein par exemple, symbole de la féminité par excellence), la peur de mourir,
les inquiétudes qui pèsent sur ceux qui nous survivront (parents et enfants),
les soins palliatifs et la perspective d’une mort réelle à laquelle il faut bien se
résoudre, toutes ces épreuves pourront faire l’objet d’un accompagnement,
voire d’un retraitement de situations (à considérer comme cibles) avec la
psychothérapie EMDR.
Nous avons fait le choix de porter notre réflexion sur deux phases bien
connues dans une maladie comme le cancer que sont l’annonce et la
rémission.

▶ Le choc de l’annonce

Pour un patient, l’annonce du cancer est un traumatisme majeur, une rupture


biographique à partir de laquelle ce dernier se trouve confronté à la question
de son avenir et de sa propre mort. L’incertitude diagnostique fait alors place
à une incertitude existentielle (Lehto et al., 2012). La perte de sens de la vie,
la peur, l’anxiété, la panique, le désespoir, la solitude et l’impuissance sont
autant de paramètres qui peuvent venir bouleverser la situation psychologique
de ces nouveaux malades déclarés (Yang et al., 2010). Le traumatisme
psychologique comprend, selon les individus, des blessures narcissiques, des
pertes et des deuils (de sa santé physique, de sa vie relationnelle, de sa
carrière professionnelle, plus globalement de son projet de vie) (Dolbeault et
al., 2007). Dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique EMDR,
l’annonce du diagnostic peut représenter la première cible à retraiter selon le
protocole des traumas récents (Shapiro, 2018), surtout si l’on peut voir la
personne rapidement après l’annonce de la maladie. Il est donc important de
l’aider à atteindre un niveau de perturbation le plus bas possible en traitant en
premier lieu cette cible. Même lors de la phase de rémission, un plan de
ciblage partant du début (non seulement l’annonce, mais également
l’ensemble des éléments (perception dans le corps, grosseur, sensation…) qui
ont conduit le malade à consulter un médecin) de la maladie peut être
envisagé.
La plupart du temps, la perspective temporelle dans la prise en charge de
malades du cancer tout de suite après l’annonce consistera souvent à se
focaliser sur le présent. À vrai dire, c’est tout le suivi du malade qui imposera
le plus souvent au psychothérapeute de se centrer sur un présent récurent, qui
se renouvelle à chaque étape de la maladie et de sa prise en charge. Le futur
en tant que projet incertain, dans un tel contexte, s’envisage en jours, au
mieux en semaines. C’est la raison pour laquelle l’idée de traitement du futur
peut être délicate ou inadaptée à un stade précoce de la maladie. Cependant,
la question de la survie et du « futur » peut être source de ruminations
incessantes chez le malade.
L’annonce du cancer est en soi une épreuve et un choc qui mérite d’être prise
en charge pour ce qu’elle est. Aussi, il conviendra de ne pas perdre de temps
et d’envisager avec les patients un travail qui pourra d’une part les stabiliser,
pour ensuite retraiter l’annonce et ses conséquences sur le plan
psychique. Souvent le travail du psychologue dans un tel contexte est de
retraiter les événements au fur et à mesure qu’ils surviennent. Le choc de
l’annonce à peine digéré, il faut le plus souvent se préparer aux examens
parfois intrusifs, à l’intervention et à l’atteinte du corps, ainsi qu’aux douleurs
probables. Puis viendra le temps de la chimiothérapie et/ou de la
radiothérapie et de leurs cortèges de symptômes. Entre ces épisodes aigus qui
ponctuent alors la vie des malades, il faudra affronter ce qu’impose la
maladie en termes de bouleversements identitaires, de changements de rôle,
d’angoisses de perte et de mort. Le psychologue devra le plus souvent, dans
un tel contexte faire le deuil de toute planification psychothérapeutique, c’est-
à-dire, un plan de traitement et un plan de ciblage selon le modèle TAI est
difficile à planifier et à maintenir. Il faudra identifier les cibles et les retraiter
en fonction de ce que la vie impose aux patients au fur et à mesure de
l’évolution de la maladie et de leur prise en charge médicale. De multiples
cibles EMDR potentielles se présentent au clinicien. C’est en cela que le
traitement est d’abord et avant tout un traitement orienté vers le présent. C’est
souvent dans un second temps, qu’il sera possible d’aller plus loin pour se
projeter dans la vie et le futur. Il sera alors possible d’aborder le passé et les
problèmes non-résolus qui lui sont contingents. Selon Servan-Schreiber
(2007) il est pertinent de retraiter comme des cibles toutes les situations non-
résolues du passé et permettre ainsi aux malades retrouver (ou trouver) une
certaine paix intérieure. Il est difficile d’être dans la préconisation
systématique, le mieux étant de s’adapter le plus possible aux préoccupations
du malade, ainsi qu’à son état clinique. Ce sera au malade et au
psychothérapeute d’identifier ensemble, ce qui est prioritaire.
Donc lors de la phase d’annonce, il sera possible d’envisager de travailler
avec le patient sur l’installation de différents scénarii du futur. Bien qu’il soit
difficile de disposer de règles générales en la matière, il semble que la
perspective d’un scénario du futur au tout début de la maladie ne soit pas
toujours la priorité. Cependant, la capacité à se projeter dans le temps « en
vie » reste néanmoins une condition essentielle pour trouver du sens dans le
combat que les patients doivent livrer contre la maladie. Donc le futur est une
ressource de choix qu’il conviendra de potentialiser au mieux en fonction de
l’évolution du traitement. C’est là un point important dont il conviendra de
tenir compte dans la prise en charge de ce type de malade4.

▶ De la rémission à la peur de la récidive et EMDR : éléments problématiques

Une des rares définitions de la peur de la récidive du cancer a été proposée


par Vickberg (2003) qui la définit comme « la peur ou l’inquiétude que le
cancer reviendra ou progressera dans le même organe ou dans une autre
partie du corps. » Tous les psychothérapeutes connaissent parfaitement cette
plainte récurrente chez les malades du cancer qui se voient à la fin de leur
parcours de soin être considérés par la médecine en situation de
rémission. Certes, la rémission signe la fin des traitements et l’absence de
traces de la maladie. Et si elle conduit souvent chacun à prendre la mesure de
l’épreuve qu’il vient de traverser, cette phase rend paradoxalement l’avenir
plus incertain. La peur de la récidive semble toucher entre 49 % et 74 % des
malades atteints par le cancer (Baker et al., 2005). Cinq ans après la fin des
traitements, 70 % des survivants d’un cancer du sein manifestent encore des
angoisses et des peurs en lien avec l’idée d’une éventuelle récidive (Mast,
1998).
Les réactions des patients face au cancer varient en fonction des
représentations personnelles qu’ont les malades du cancer. Ainsi, en accord
avec Leventhal (Leventhal et al., 1992), la peur de la récidive serait fonction
de la représentation de la maladie. Tous les indices externes (visites
médicales de contrôle environnement, exposition aux campagnes de presse et
d’information sur la maladie…) et somatiques pourraient être interprétés en
conséquence et seraient autant d’indices de rappel de la maladie, capables à
eux seuls non seulement de faire émerger l’idée du retour de la maladie, mais
aussi d’augmenter l’anxiété et les inquiétudes d’une éventuelle récidive
(Northouse, 1981). Il est important de noter que les patients deviennent,
durant cette période, particulièrement sensibles à la question des
conséquences de la maladie et de leur mort sur leur entourage (exemple : que
deviendront mon mari et mes enfants si je venais à disparaître ?). Toutes les
pensées des malades se voient parasitées par des inquiétudes en lien avec
l’éventualité de la récidive et des doutes sur l’éradication totale de la
maladie. Les patients se croyant à risque d’une récidive sont plus réactifs sur
le plan émotionnel, même dans le contexte d’exposition à un stimulus
somatique neutre. De la même façon, l’expérience passée, en lien avec le
cancer, aura un effet sur le degré de vulnérabilité des malades et sur leur peur
d’une éventuelle récidive (Leventhal et al., 1992).
Lee-Jones et al. (1997) ont identifié certaines conséquences possibles de
fortes inquiétudes par rapport à la survenue d’une éventuelle récidive. De
telles informations résonnent comme des pistes de travail
psychothérapeutique pour tous les psychothérapeutes quelle que soit leur
orientation psychothérapeutique. Pour le praticien EMDR, il s’agit même
d’une feuille de route à proposer et discuter avec le patient. Ainsi, la peur de
la récidive :
engendre la survenue de préoccupations anxieuses et de comportements de
vérification (exemple : autopalpations, recours aux examens médicaux de
contrôle non programmés), comparables à une forme de compulsion
hypocondriaque ;
empêche les malades de se projeter dans l’avenir et d’envisager des projets
futurs ;
conduit à une interprétation erronée des signaux corporels.
L’ensemble de ces éléments fournit de nombreuses ouvertures pour la prise
en charge des malades. Ainsi, il sera aisé, pour le praticien EMDR de
proposer des réponses psychothérapeutiques au malade. Qu’il s’agisse du
protocole événement récent, de la procédure du flashforward, ou du protocole
standard. Le lecteur pourra puiser dans l’ensemble de cet ouvrage les
éléments susceptibles de traiter toutes les cibles pertinentes à
l’accompagnement des patients lors de la phase de rémission.

CONCLUSION

Quels que soient les choix du thérapeute, il s’agira toujours de prioriser la


stabilisation du patient, en lui donnant les moyens psychologiques d’affronter
toutes les étapes de la maladie. À de nombreuses reprises ce dernier se
retrouvera seul, dans sa chambre d’hôpital, durant les séances de
chimiothérapie ou de radiothérapie. Ce sont ces moments de solitude qu’il lui
faudra gérer. De ce point de vue, il est impératif de doter le patient au fur et à
mesure de sa prise en charge de compétences nouvelles qui seront
susceptibles de l’accompagner tout au long de la maladie et qu’il pourra
mobiliser à tout moment. Cette stabilisation du patient est une étape cruciale
que le psychothérapeute ne devra pas négliger au risque de mettre en péril
non seulement son propre travail, mais également l’équilibre psychique de
son patient. Il n’est pas nécessaire de proposer cela en une fois au patient, ce
qui pourrait d’ailleurs se révéler inefficace, mais au contraire de distiller tout
au long de la prise en charge. L’acquisition de ces nouvelles habilités a pour
vocation première de contenir (fonction contenante) l’anxiété et la peur des
patients.
Dans ce chapitre, il s’agissait brièvement pour nous d’envisager en quoi la
psychothérapie EMDR pouvait s’avérer pertinente et utile dans la prise en
charge des malades du cancer. La complexité d’une telle pathologie et la
multiplicité des états psychiques qu’elle peut provoquer nous ont montré
qu’il était possible de convoquer les protocoles et autres procédures déjà
présentés dans cet ouvrage. Pour autant, il nous semble que la perspective
temporelle et donc psychothérapeutique à adopter ici est quelque peu
différente des autres pathologies (même si des parallèles peuvent être faits
avec les maladies cardiovasculaires). La plupart du temps il s’agira pour le
psychothérapeute de se fixer sur ce que vit le malade dans le présent avant
tout. Et si la question du futur se pose, il s’agira le plus souvent d’un futur
proche qu’il conviendra aussi de préparer psychiquement pour le patient.

BIBLIOGRAPHIE

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Journal of Death and Dying, 61(1), 53-69.
Notes
1. Bien entendu si l’on propose à des malades de remplir des échelles de mesure du Trouble de Stress
Posttraumatique il sera possible de trouver des résultats. Mais ces résultats rendent-ils compte ou
permettent-ils de vraiment rendre compte de la complexité du processus psychotraumatique mobilisé ?
Nous ne le pensons pas et nous considérons que la problématique du TSPT est même inopérante dans
ce domaine.

2. Le diagnostic trouble anxieux non spécifié est utilisé pour des troubles avec anxiété ou évitement
phobique prononcés qui ne remplissent les critères d'aucun des troubles anxieux spécifiques (ou pour
lesquels l'information est insuffisante pour poser un diagnostic plus précis)

3. La douleur physique et l’isolement sont des facteurs de renforcement de l’angoisse de mort.

4. La question du futur et de son approche dans la pratique de l’EMDR avec des malades du cancer
reste essentielle. Il reviendra au thérapeute en accord avec le patient et ses propres besoins de
l’envisager plus ou moins tôt dans la prise en charge. Des questions telles que « Vais-je survivre ou
non ? Ma lutte servira-t-elle à quelque chose ? » sont des interrogations majeures susceptibles de
mobiliser ou non les ressources adaptatives des malades selon les réponses qui seront apportées. Ainsi,
il est dans les faits difficiles de découper artificiellement les choses et il reviendra au thérapeute
d’envisager de la manière la plus adéquate et la plus efficience ce qui est le mieux (cf. chapitre 9 sur les
scénarios du futur).
Table des matières

Sommaire 3

Présentation des auteurs 9

Introduction 13

1 Le modèle TAI (ou Traitement Adaptatif de l’Information) 17


Ludwig Cornil et Martine Iracane

Le TAI comme hypothèse de travail 17


TAI comme modèle de traitement d’information 18
Un système de traitement d’information inné 20
Informations stockées de façon dysfonctionnelle 21
Les réseaux neuronaux à la base de la santé et de la pathologie 23
Limites du mécanisme inné de traitement de l'information 25
Une expérience trop difficile 26
TAI comme explication pour l'efficacité de l'EMDR 27
Les limites du modèle TAI 30
Traitement accéléré ou adaptatif ? 31
Bibliographie 33

2 Stabilisation du patient et EMDR 35


Olivier Piedfort-Marin
Concepts et principes de la stabilisation 35
La stabilisation comme concept médical 35
La thérapie par phase de Janet 36
Traitement standard et traitement individualisé 37
Le concept de stabilisation en EMDR 38
La controverse sur l’utilité de la stabilisation en EMDR 39
Le concept de stabilisation adapté à l’EMDR 40
Ce qui est nécessaire pour un retraitement efficace 40
Évaluation de la stabilité du patient 41
La stabilisation en EMDR 42
Développer une bonne alliance thérapeutique 42
Abandonner les comportements auto-dommageables 44
Améliorer la régulation émotionnelle 45
Développer l’accès aux ressources 47
Bibliographie 50

3 Lieu sûr/lieu calme et installation de ressources 53


Marie-Jo Brennstuhl, Hélène Dellucci

Lieu sûr/Lieu calme 54


Introduction 54
Protocole 54
Installation de ressources 57
Introduction 57
Protocole de développement d’installation de ressources (DIR) 58
Technique de l’éponge 60
Bibliographie 62

4 Indications et contre-indications de l’EMDR 63


Emmanuel Augeraud

Indications 63
Contre-indications 66
Réactions indésirables possibles 67
Bibliographie 70

5 De la conceptualisation de cas au plan de traitement 77


Martine Iracane

Contours et objectifs de la conceptualisation de cas 78


Conceptualiser le cas à la lumière du TAI 78
Les objectifs de la conceptualisation 79
Quelles bases de données pour la conceptualisation ? 81
L’entretien clinique 81
Examiner la stabilité dans le présent 84
La relation thérapeutique 84
La capacité au changement 85
Le type de présentation clinique 86
De la conceptualisation de cas au plan de traitement 88
Le renforcement des ressources 89
La réduction symptomatique 89
La psychothérapie intégrale 90
Bibliographie 91

6 Le protocole EMDR standard 95


Les procédures EMDR standard :huit phases et trois volets
Jenny Ann Rydberg

Les huit phases de la psychothérapie EMDR 95


Phase 1 : recueil de l’histoire et plan de traitement 96
Phase 2 : préparation 97
Phase 3 : évaluation 97
Phase 4 : désensibilisation 98
Phase 5 : installation 99
Phase 6 : scanner corporel 99
Phase 7 : clôture 100
Phase 8 : réévaluation 100
Le protocole EMDR standard en trois volets 100
Bibliographie 102

7 Le plan de ciblage standard 105


Martine Iracane

Comprendre la structure du plan de ciblage standard et sa finalité thérapeutique 106


Construire le plan de ciblage standard 107
La problématique du présent 108
Les cibles du passé 109
Le troisième temps du traitement : le futur 111
Synthèse 112
Remarques importantes 114
Les plans de ciblage spécifiques 114
Bibliographie 116

8 Les cognitions dans la thérapie EMDR 117


Hélène Dellucci, Gabrielle Bouvier

Définition 118
Différents thèmes de cognitions 119
Établir de bonnes cognitions négative et positive ? 120
Cognitions et plan de ciblage 121
Les cognitions dans la phase d’évaluation 122
Cognitions et enfants, adolescents, personnes déficitaires et grand âge 123
Cognitions, trauma complexe et chronicité 124
Bibliographie 125

9 Le protocole des scénarios futurs de la thérapie EMDR 127


Eva Zimmermann

Les protocoles des scénarios futurs 128


Généralités et objectifs 128
La place des scénarios futurs dans le plan de ciblage 128
Le protocole spécifique des scénarios futurs après le traitement d’un déclencheur 131
Le plan de traitement inversé 135
Fin du plan de ciblage 135
Des stratégies supplémentaires pour les scénarios futurs 136
La technique de l’éponge 137
La procédure du flashforward 138
Les scénarios futurs A – B – C 139
Bibliographie 142

10 Protocoles EMDR spécialisés 143


Jenny Ann Rydberg

Les types de protocoles et procédures spécialisés 145


Les protocoles EMDR spécifiques originels 146
Stratégies pour accélérer ou décélérer le traitement 146
Variations standard 150
Bibliographie 154

11 Les blocages du traitement 159


Martine Iracane

Généralités sur les blocages 160


Définition 160
Les causes des blocages 160
Comment intervenir en cas de blocages 163
Les stratégies alternatives 163
Le tissage cognitif (TC) 165
Bibliographie 172

12 EMDR, violences domestiques, troubles de l’attachement et dissociation 173


Michel Silvestre et Hélène Dellucci

Panorama des violences domestiques 174


Définition 174
Prévalence 174
Conséquences des violences domestiques sur les enfants 174
Les auteurs de violences 176
Les effets des violences domestiques sur la dynamique familiale 176
Une hiérarchie familiale dysfonctionnelle 176
L’attachement désorganisé 177
Les troubles dissociatifs, une clé pour comprendre les effets des violences domestiques à
l’âge adulte 177
La Théorie de la Dissociation Structurelle de la Personnalité 179
Conceptualisation et plan de traitement EMDR dans un contexte de violences domestiques
182
Information générale 182
La stabilisation et la phase de préparation à l’EMDR 183
Le travail spécifique avec l’auteur de violences 184
Le travail spécifique avec les victimes de violences 185
Le travail avec la famille 188
Bibliographie 189

13 Traumatismes transgénérationnels et EMDR 193


Hélène Dellucci

Les traumatismes transmis 193


La symptomatologie d’une souffrance transgénérationnelle 194
Conceptualiser les traumatismes transgénérationnels 196
Trauma transgénérationnels et Traitement Adaptatif de l’Information 196
Comment tenir compte de la traumatisation phylogénétique dans le plan de ciblage ? 197
Comment déceler les trauma transgénérationnels cachés ? 198
Traiter les traumatismes transgénérationnels 200
Prévenir les trauma transgénérationnels, est-ce possible ? 201
Bibliographie 203

14 EMDR et vicariance du psychotraumatisme 205


Gabrielle Bouvier et Hélène Dellucci

De l’empathie à la blessure 205


Définition et mécanismes à l’œuvre 205
Symptomatologie du traumatisme vicariant 207
Concepts reliés : burnout, fatigue compassionnelle, traumatisme secondaire, contre-transfert 208
Prévenir et traiter 209
Prévenir le traumatisme vicariant 210
Traitement du traumatisme vicariant 212
Bibliographie 214

15 L’EMDR et les histoires narratives en adoption 215


La blessure d'abandon et son impactchez l'enfant et ses parents adoptifs
Annie Delplancq

Le vécu de l’enfant adopté 216


Autour de la naissance : quand la mère est sereine 216
En cas d’ « intempéries » du lien 217
La notion de place 217
Les racines du sentiment d’être à sa place 217
Résonances chez les parents 218
Le rôle des parents adoptifs 219
L'histoire narrative 219
Pour qui ? 220
Pourquoi ? 220
Quand ? 222
Comment ? 222
Conclusion 228
Bibliographie 230
16 Pratique de la thérapie EMDR avec les enfants 233
Michel Silvestre

Introduction 233
Le traitement EMDR avec les enfants 234
Le protocole développemental 234
La première phase, l’histoire du patient 235
La deuxième phase ou phase de préparation 236
La troisième phase dite d’évaluation 237
Conclusion 239
Bibliographie 239

17 Couple et thérapie EMDR 241


Michel Silvestre

Dans quelles situations cliniques est-ce possible ? 241


Comment organiser le travail thérapeutique avec le couple ? 242
Couple traumatisé qui partage le même incident traumatique 243
Couple ou l’un des membres a vécu un traumatisme individuel dans un passé plus ou moins récent 244
Pour conclure 245
Bibliographie 246

18 EMDR et thérapie des états du moi 247


Olivier Piedfort-Marin

Concepts théoriques de la thérapie des états du moi 248


La théorie des états du moi 248
Les différents types d’états du moi 249
De l’utilité de la psychothérapie des états du moi dans la psychothérapie EMDR 250
Intégration de la thérapie des états du moi et de l’EMDR 251
Théorie des états du moi pendant la phase 1 : anamnèse et conceptualisation 251
La thérapie des états du moi pendant la phase 2 : préparation et stabilisation 253
Thérapie des états du moi lors du retraitement EMDR (phases 3 à 8) 257
Bibliographie 266

19 L’utilisation de l’EMDR avec les troubles dissociatifs 269


Eva Zimmermann et Olivier Piedfort-Marin

Les troubles dissociatifs 270


La catégorisation diagnostique selon le DSM-V et la CIM-10 et CIM-11 270
Détection et diagnostic 271
La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité 273
La dissociation comme structure 273
Le concept d’intégration des souvenirs d’événements traumatisants 275
Théorie de la dissociation structurelle de la personnalité et EMDR 277
Harmoniser la TDSP et l’EMDR 277
L’EMDR dans la thérapie des troubles dissociatifs : quelques réflexions générales 279
Cas cliniques 282
Un cas de dissociation structurelle primaire 282
Un cas de dissociation structurelle secondaire 283
Un cas de dissociation structurelle tertiaire 286
Les 8 phases de la thérapie EMDR dans le traitement des troubles dissociatifs 290
Phase 1 : anamnèse, diagnostic et plan de ciblage 291
Phase 2 : stabilisation 292
Phase 3 : évaluation de la cible 294
Phase 4 : désensibilisation 295
Phase 5 : installation 296
Phase 6 : scanner corporel 297
Phase 7 : clôture 297
Phase 8 : Réévaluation 298
Les 3 temps de la thérapie EMDR dans le traitement des troubles dissociatifs 299
Bibliographie 301

20 Le protocole des empreintes précoces 305


Le retraitement EMDR des mémoires préverbales
Hélène Dellucci et Gabrielle Bouvier

Les empreintes précoces : des souvenirs avant tout corporels 306


Indications pour le traitement des empreintes précoces 307
Les empreintes précoces dans le plan de traitement 307
Préparation avant les empreintes précoces 308
Le protocole des empreintes précoces : comment concrètement ? 311
La phase fœtale 311
La phase néonatale 313
La phase de zéro à trois ans 315
Tissages utiles 316
Changements observés après le retraitement des empreintes précoces 317
Particularités à prendre en compte dans le travail autour des empreintes précoces 318
Bibliographie 320

21 Le protocole des lettres 321


Une méthode doucepermettant le retraitementde traumatismes relationnels
Hélène Dellucci

Les traumatismes du lien, une dimension spécifique 322


Le protocole des lettres 323
L’écriture de la lettre 323
Le protocole des lettres en 8 étapes 323
La réévaluation 326
Reprise d’une séance incomplète 327
Après le retraitement, que devient la lettre ? 327
La lettre du futur (Yvonne Dolan) 327
Différents types de lettres 328
Pourquoi soigner les blessures du lien spécifiquement ? 330
Bibliographie 332

22 La Boîte de Vitesses 333


Modèle Bi-Axial pour un traitement EMDR intégratif dans la prise en charge de Traumatismes Complexes et
Chroniques
Hélène Dellucci, Gabrielle Bouvier, Marie Jo Brennstuhl

Stratégies de traitement en cas de traumatismes complexes et chroniques 334


Spécificités du traumatisme complexe 334
Techniques d’oscillation 335
Protocole inversé 335
Remise à zéro des émotions 336
Protocole des empreintes précoces 336
Protocole des lettres 337
La Boîte de Vitesses : une structure de traitement integrative 338
Avant tout ciblage EMDR : la stabilisation 338
Boîte de Vitesses – axe émotionnel 340
Application clinique de l’axe émotionnel 341
Boîte de Vitesses – axe du lien 342
Bibliographie 345

23 Les techniques d’oscillation 347


Construire une attention double
Hélène Dellucci et Marie Jo Brennstuhl

Méthode de confrontation douce 347


Attention double 348
Techniques d’oscillation 349
« Somatic Experiencing » 349
L’oscillation au service de l’EMDR 349
« Wreathing Protocol » 350
Protocole des 4 champs ou IGTP 350
Protocole des lettres 351
Technique de l’éponge 352
Focus sur le CIPOS 352
Que retenir ? 354
Bibliographie 355

24 Le protocole inversé 359


Adapter l’EMDR aux personnes instableset souffrant de TSPT complexe
Hélène Dellucci et Marie Jo Brennstuhl

Du Stress Aigu au Traumatisme Complexe 360


La réaction de Stress Aigu 360
Le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT) 360
Les traumatismes multiples 360
Les Traumatismes Complexes 361
Les Troubles Dissociatifs 361
Protocole EMDR standard « inversé » 362
EMDR Phase 1 : spécificités des traumatismes complexes 362
EMDR Phase 2 : stabilisation et préparation au processus de retraitement 363
EMDR Phases 3 à 8 : protocole standard en ordre de ciblage inversé 364
Usages et limites du protocole inversé 366
Bibliographie 368

25 EMDR et trouble de la personnalité 371


Un défi en psychothérapie
Emmanuel Augeraud

les troubles de la personnalité 372


Définition 372
Origine 373
Clarifications pour la pratique psychothérapeutique 373
Conceptualisation des troubles de la personnalité 375
Le modèle TAI de Shapiro 376
Les modes de schémas de Young 377
EMDR des troubles de la personnalité 378
Étape 1 : stabilisation 379
Étape 2 : traitement du souvenir traumatique 381
Étape 3 : réintégration/réhabilitation 384
Bibliographie 385

26 La prise en charge du trauma dans la psychose 389


Psychose, dissociation et psychotraumatisme
Jenny Ann Rydberg et Andrew Moskowitz

Psychose et dissociation 389


Dissociation 390
Psychose 390
Symptômes psychotiques et dissociation 391
Psychose et trauma 392
Le trauma de la psychose 392
Les expériences de vie défavorables 392
Symptômes psychotiques et post-traumatiques 392
L’EMDR dans la psychose 393
La recherche 393
Les approches cliniques 394
Bibliographie 395

27 Dépression et EMDR 399


De l’intérêt de travailler en EMDRavec les patients souffrant de dépression
Nathalie Malardier

La dépression 400
Qu’est-ce que la dépression ? 400
L’EMDR, une prise en charge efficace ? 401
L’EMDR comme traitement de la depression : approche et protocole 402
Anamnèse rigoureuse 402
L’essentielle question de la stabilisation du patient 403
Prise en charge en EMDR 404
Bibliographie 408

28 EMDR et psychologie positive 411


Martine Regourd-Laizeau et Joanic Masson

La psychologie positive 411


Une intégration réussie 412
Protocole de développement et d'installation de ressources de Korn et Leeds (2002) 412
Protocole DeTur (Popky 2005) (traduction F. Mousnier Lompre) 418
Protocole EMDR d’optimisme (Regourd-Laizeau, Tarquinio, & Martin-Krumm, 2012) 420
« Le duo dynamique » d’Ann Marie McKelvey (2009) 423
Psychothérapie positive 426
Conclusion 433
Bibliographie 434

29 EMDR et coaching 437


Martine Regourd-Laizeau, Joanic Masson et Ingrid Petitjean

Définition 437
Le protocole EMDR et les outils du coaching 438
Protocole « Partir du bon pied » (Kinowski, 2003) 441
Protocole de performance optimale (Foster & Lendl, 1997) 444
Protocole de développement et d'installation de ressources modifié, Fischer (2001) 446
Conclusion 449
Bibliographie 449

30 EMDR et culture 453


Pascale Amara

Les programmes EMDR d’assistance humanitaire 454


Adaptabilité de l’EMDR 456
Santé mentale, psychotrauma, et culture 458
Développer la relation thérapeutique 463
Co-construire un cadre thérapeutique 463
Alliance thérapeutique 464
Préparation du patient 465
Adaptation des 8 phases du protocole 466
Phase 1 : histoire du patient 466
Phase 2 : préparation 468
Phase 3 : évaluation 470
Phase 4 : désensibilisation 471
Phase 5 : installation 472
Phase 6 : scanner 472
Phase 7 : clôture 473
Phase 8 : réévaluation 473
Points d’évolution 474
Bibliographie 475

31 Intervention EMDR immédiate 477


Protocoles EMDR d’urgence
Jenny Ann Rydberg

L’intervention EMDR immédiate 477


Intervention de crise 477
Offrir une période de sécurité post-trauma 478
Protocoles d’urgence 478
Procédure EMD 479
Procédure de réponse aux urgences (ERP) 479
Protocole EMDR des urgences (EMDR-ER) 481
Protocole EMDR modifié abrégé 481
Protocole URG-EMDR 483
Bibliographie 486

32 Intervention EMDR rapide 489


Protocoles EMDR d’événements traumatiques récents
Jenny Ann Rydberg

Protocoles d’événements récents originels 490


Protocole des événements traumatiques récents 490
Protocole R-TEP 490
Protocole EMDR-PRECI 492
Protocole EMDR-PROPARA 494
Protocoles d’événements récents de groupe 495
EMDR-IGTP 495
Protocole G-TEP 496
Bibliographie 499

33 Les protocoles EMDR R-TEP et G-TEP 503


Les protocoles EMDR de l’épisode traumatique récent
Jenny Ann Rydberg

Concepts clés 504


Épisode traumatique 504
Récit de l’épisode avec stimulations bilatérales continues 504
Recherche Google ou scanner 505
Traitement focalisé 505
EMDR R-TEP 505
Exercices de stabilisation et d’autorégulation de l’EMDR R-TEP 506
Comparaison des protocoles EMDR standard et R‑TEP 508
EMDR G-TEP 508
Bibliographie 515

34 Traiter les peurs et les phobies spécifiques avec l’EMDR 517


Monika Miravet et Marie-Jo Brennstuhl

Peurs et phobies spécifiques : définitions 517


Travailler en connaissance des défenses phobiques 518
Définir et hiérarchiser les problématiques 520
Techniques d’auto-apaisement 521
Définition du Plan de Ciblage – PDC 522
Passé 522
Présent 523
Futur 523
Retraitement des cibles 523
Protocole de Francine Shapiro 523
Protocole d’événement unique 524
Les angoisses d’anticipation 524
La désensibilisation 524
Incorporation des mises en action 525
Mise en Action subie 525
Mise en action contrôlée 526
Focus sur le futur 527
Plusieurs étapes 527
Le « flashfoward » 528
Bibliographie 529

35 EMDR et anxiété 531


Marie-Jo Brennstuhl

Les troubles anxieux 531


Définitions 531
Critères du DSM-V 532
Trouble d’anxiété généralisée (TAG) 532
Un protocole aménagé 533
Préparation au traitement 534
Définition du plan de ciblage 535
Retraitement 536
Compléter avec des techniques cognitives 536
Bibliographie 537

36 Le protocole de groupe EMDR-IGTP ou technique des quatre champs 541


Michel Silvestre

Définition 541
Mise en application de ce protocole de groupe 542
Comment ce travail de groupe se déroule-t-il ? 543
Conclusion 545
Bibliographie 546

37 La prise en charge du deuil et deuil bloqué 547


Thérapie EMDR et deuil
Martine Iracane

Du deuil sain au deuil pathologique 547


Conceptualisation de cas 549
Cadre du travail thérapeutique et plan de traitement 549
La psychoéducation et la stabilisation 553
Vers l’élaboration d’un plan de ciblage et les retraitements des cibles 555
Le deuil traumatique et post-traumatique 555
La survenue de blocages durant le traitement des deuils compliqués et la gestion des abréactions 559
Le modèle spécifique du deuil compliqué selon Rando et Solomon 560
Bibliographie 561

38 Le potentiel de la thérapie EMDR en gynécologie 565


Eva Zimmermann

Le drame des femmes 566


La thérapie EMDR avec la population spécifique des patientes gynécologiques 569
Conclusions 578
Bibliographie 579

39 Le potentiel de la thérapie EMDR en obstétrique 581


Eva Zimmermann

Quand bébé vient… ou s’en va 582


Mort in utero et accouchement traumatique : deux exemples de cas spécifiques 583
La situation de mort in utero ou mort périnatale 583
La situation d’un accouchement traumatique 587
Les maris/partenaires 589
Situations obstétricales pouvant tirer profit d’une prise en charge par la thérapie EMDR
591
Bibliographie 596

40 EMDR et addiction 599


Marie-Jo Brennstuhl, Cyril Tarquinio et Fanny Bassan

La conduite addictive 600


Définitions 600
Critères du DSM-V 600
Addiction et TSPT 601
Plusieurs protocoles de traitement 603
Protocole standard 604
DeTUR 605
FSAP 606
CravEx 607
Bibliographie 610

41 EMDR et douleur chronique 615


Marie-Jo Brennstuhl

La douleur chronique 615


Définitions 615
Composantes de la douleur chronique 616
Critères du DSM-V 617
Approche cognitivo-comportementale et émotionnelle 618
Troubles comorbides et Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT) 619
L’efficacité de la thérapie EMDR 621
Phase 1 : histoire du sujet 621
Phase 2 : préparation et identification des cibles 622
Phase 3 à 8 : retraitement 624
Bibliographie 628

42 EMDR et fibromyalgie 631


Marie-Jo Brennstuhl et Pascale Tarquinio
La fibromyalgie 631
Définitions 631
Comorbidités 633
L’utilisation de la thérapie EMDR 634
Phase 1 : histoire du sujet 635
Phase 2 : préparation 635
Phase 3 à 8 : retraitement 637
Bibliographie 641

43 EMDR et syndrome du membre fantôme 643


Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio,
Marie-Jo Brennstuhl et Fanny Bassan

Problématique générale de la douleur fantôme 643


Contribution à la prise en charge de la douleur du membre fantôme avec la psychothérapie
EMDR 645
Étape 1 : démarche psychopédagogique 647
Étape 2 : applications de techniques de régulation des émotions. 647
Étape 3 : élaboration de plans de ciblage pour l’identification des souvenirs sources 647
Étape 4 : traitement des cibles relatives à la mémoire traumatique et à la mémoire douloureuse avec le protocole
standard 648
Étape 5 : traitement de la douleur actuelle du membre fantôme avec un protocole douleur inspiré des travaux de
Grant (Grant et Threflo, 2002 ; Grant, 2009) 648
Étape 6 : scénario du futur en lien avec le plan de ciblage sur la douleur 651
Étape 7 : traitement des cibles passées et déclencheurs en lien avec le plan de ciblage sur estime de soi 651
Conclusion 652
Bibliographie 652

44 Prise en charge des troubles de la sexualité avec la psychothérapie EMDR 659


Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio et Laura Vismara

Difficultés sexuelles et EMDR 660


Le trouble de l’érection 661
Éléments généraux 661
Étiologie générale du trouble érectile 664
Contribution de la thérapie EMDR au traitement des hommes souffrant d’un trouble érectile 665
Illustration clinique 667
Bibliographie 672

45 Maladies cardiovasculaires et EMDR 675


Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio et Laura Vismara
Psychopathologie des maladies cardiovasculaires 675
Proposition dans le cas d’une prise en charge précoce d’un infarctus du myocarde 679
Problématiques et plan de ciblage 679
Étape 1 : applications de techniques de régulation des émotions (équilibration du système nerveux sympathique)
682
Étape 2 : traitement des cibles du présent avec un protocole d’événement récent 682
Étape 3 : application de la technique du flashforward de Logie et De Jongh (2014) et scénario du futur 685
Étape 4 : traitement des cibles du passé 687
Étape 5 : auto-application 687
Étape 6 : prise en charge familiale 688
Bibliographie 688

46 Cancer et thérapie EMDR : contribution ! 691


Cyril Tarquinio, Pascale Tarquinio,
Eva Zimmerman, Laura Vismara

Introduction 691
Dimensions psychopathologiques du cancer 692
Dépression, symptômes dépressifs et cancer 692
Troubles anxieux et cancer 693
Spécificité psychopathologique dans le domaine du cancer 694
Contribution de la psychothérapie EMDR à la prise en charge des malades atteints par le
cancer 696
Le choc de l’annonce 698
De la rémission à la peur de la récidive et EMDR : éléments problématiques 700
Conclusion 702
Bibliographie 704

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