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ÉTATS FRAGILES INTERVIEW OUGANDA

L’agriculture au service Michael Hailu : Cartographier les plantations de


de la résilience La numérisation peut réduire thé pour augmenter les revenus
les disparités hommes-femmes des producteurs

N°190 | Septembre - Novembre 2018

spore.cta.int

Données agricoles

LES AGRICULTEURS
À L'ÈRE DU NUMÉRIQUE
Le développement agricole et agroalimentaire analysé et déchiffré
Briefings de
Bruxelles sur le
développement
Sensibiliser la communauté du
développement ACP-UE depuis 2007 aux
défis agricoles et ruraux d’aujourd’hui

www.bruxellesbriefings.net
Les Briefings de Bruxelles sont une initiative du CTA et de ses partenaires :
la Commission européenne (DG DEVCO), le Secrétariat ACP, le Comité des
Ambassadeurs ACP et la confédération CONCORD.
SOMMAIRE

ÉDITORIAL

N° 190 Les TIC pour promouvoir


TENDANCES
4 | États fragiles : l’agriculture au service
de la résilience
l’autonomie des femmes
ENTREPRENEURIAT Michael Hailu, directeur du CTA
8 | Les plantes sauvages du Mali
mises en bouteille
9 | Au Rwanda, du piment Dans les pays ACP, les femmes qui essaient
dans les exportations de développer des agroentreprises prospères se
heurtent à d’importants obstacles : accès au
SMART TECH & INNOVATIONS marché, aux informations sur le marché, aux
10 | Relancer le commerce extérieur du Kenya services financiers et autres… Souvent, elles ne
11 | Numériser les services de vulgarisation
possèdent pas les compétences techniques, de
AGRICULTURE management et de leadership nécessaires à la
CLIMATO-INTELLIGENTE gestion d’une entreprise dans la durée. L’autonomisation des femmes,
12 | Caraïbes, moderniser l’adaptation qui doit leur donner les moyens de surmonter ces difficultés, ainsi que la
au climat
13 | Promouvoir la résilience climatique promotion de l’entrepreneuriat et de l’emploi des jeunes sont donc des
volets clés du travail du CTA. Et les TIC peuvent ici réellement changer la
INTERVIEWS donne en créant un environnement propice aux femmes et aux jeunes et
14 | Michael Hailu : “L’émancipation à leur autonomisation.
des femmes est cruciale”
VALUE4HER – une initiative conjointe du CTA, de l’Africa Women
16 | Maxime Houinato : "Sans les femmes,
pas de changement de l’agriculture” Innovation and Entrepreneurship Forum (AWIEF) et de l’African Women
in Agribusiness Network (AWAN) – mettra en place un réseau de

17 | Dossier
renseignements sur l’agribusiness qui utilisera la puissance des TIC pour
améliorer les liens avec les marchés, les chaînes d’approvisionnement et
Les agriculteurs à l’ère du numérique d’autres fournisseurs de services, notamment les partenaires financiers.
VALUE4HER aidera les femmes à créer des agroentreprises et à tirer

29 | Agribusiness
davantage de revenus des marchés agroalimentaires. Comme l’a déclaré
Irene Ochem, fondatrice et PDG de l’AWIEF, lors du lancement du projet
à Nairobi, au Kenya, en juillet 2018 : “Nous voulons inciter davantage de
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX jeunes femmes à créer de l’emploi, plutôt qu’à simplement en chercher.”
30 | La culture des algues refait surface Pour mettre en avant les pratiques et politiques qui permettront aux
à Zanzibar
femmes de réussir dans l’agribusiness, le CTA et l’AWIEF convoqueront
31 | Au Zimbabwe, une salle de ventes
en ligne unique un panel de haut niveau lors du 4e Africa Women Innovation and
Entrepreneurship Forum, au Cap, en Afrique du Sud, en novembre 2018.
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES La transformation du secteur agricole grâce à la numérisation et la
32 | Les plantes indigènes promotion de l’entrepreneuriat des jeunes femmes sont aussi des thèmes
contre l’insécurité alimentaire
33 | Au Rwanda, moins de pertes majeurs du concours Pitch AgriHack 2018 du CTA. Plus de 300 jeunes
grâce à des céréales nutritives e-agripreneurs ont postulé au concours. Les 26 finalistes, dont une
majorité de femmes, seront formés durant le Forum sur la révolution
34 | FINANCE & ASSURANCE verte en Afrique 2018 à Kigali, au Rwanda, où ils auront l’opportunité
Fonds de garantie de prêt :
d’interagir avec des chefs d’entreprise et des décideurs politiques. Les
comment bien les utiliser
lauréats recevront des prix et se verront offrir des opportunités de
36 | COMMERCE & MARKETING coaching professionnel. Vous trouverez plus d’informations sur
Les technologies redéfinissent https://tinyurl.com/yba33qca.
l’accès aux marchés La numérisation, un thème majeur de ce numéro de Spore, offre
une formidable occasion de transformer l’agriculture. Cette chance
38 | PORTRAITS DE LEADERS
Heritiaina Randriamananatahina : “Un doit être saisie sur le plan politique. Le Dr Maxime Houinato, d’ONU
jeune entrepreneur doit être créatif” Femmes, y souligne ainsi la nécessité de tenir compte des femmes. Leur
implication dans l’adoption de pratiques agricoles climato-intelligentes
40 | PUBLICATIONS est aussi abordée dans notre article sur le rôle de l’agriculture dans le
renforcement de la résilience dans les États fragiles.
44 | OPINION

PHOTO DE COUVERTURE : © KING BAUDOUIN AFRICAN DEVELOPMENT PRIZE SPORE 190 | 3


TENDANCES

ÉTATS FRAGILES

L’agriculture
au service
de la résilience
Face à l’augmentation du nombre de mal-nourris dans le monde
depuis 2014, le développement agricole apparaît de plus en plus
comme un outil efficace pour accroître la résilience des
communautés vulnérables dans les États fragiles.

Stephanie Lynch

L
e terme “État fragile” est fréquem- en Afrique, plus de 37 millions de per- confinement des crises pour s’orienter
ment utilisé malgré l’absence de sonnes dans 11 pays ont été confrontées vers une approche à long terme, plus
définition universellement recon- à une insécurité alimentaire aiguë en structurelle, des vulnérabilités. “La
nue. L’Organisation de coopération et de raison des conflits et de l’instabilité. nourriture ne se limite pas à sauver des
développement économiques définit la Lors du Briefing de Bruxelles sur vies : elle constitue aussi un excellent
fragilité des États comme “la conjonc- le Développement intitulé L’agriculture, instrument pour le développement et le
tion d’une exposition à des risques et moteur de reconstruction économique et processus de paix”, explique Bing Zhao,
d’une capacité insuffisante de la part de de développement dans les États fragiles directeur du programme Purchase for
l’État, d’un système ou d’une commu- (https://tinyurl.com/y99kme7q), en juin Progress (P4P) et coordinateur mondial
nauté, à gérer, absorber ou atténuer ces 2018, le professeur en études de dévelop- du PAM.
risques”. Les deux formes les plus com- pement à la London School of Economics Dans les pays en butte à des crises
munes des risques évoqués dans cette James Putzel a rappelé que “la fragilité prolongées, jusqu’à deux tiers des
définition sont les chocs climatiques et d’un État est une condition temporelle emplois et un tiers du PIB sont liés à
les conflits. et non une catégorie statique”. L’accent l’agriculture. Les investissements dans
Parmi les symptômes de fragilité doit donc être mis sur l’identification des le secteur peuvent donc influer sur la
figurent les niveaux élevés de pauvreté facteurs qui fragilisent les États ou, au résilience des populations vulnérables.
et de déplacement, l’éclatement des contraire, accroissent leur résilience. D’après le Dr Alexandros Ragoussis de la
institutions, la corruption, la déliques- Société financière internationale (IFC),
cence des infrastructures, la faible Le rôle de l'agriculture “l’agriculture est deux à quatre fois plus
productivité, l’endettement impor- dans les processus de paix efficace qu’un investissement dans tout
tant et la violence. Non résolue, la Depuis quelques années, l’agricul- autre secteur d'activité pour sortir les
fragilité des États peut déboucher sur ture est de plus en plus reconnue pour gens de la pauvreté extrême”.
des urgences humanitaires et des crises son rôle dans les processus de paix Au Soudan du Sud, dans l’État de
alimentaires. En 2017, près de 124  mil- et la résilience au sein des États fra- l’Equatoria, l’ONG Cordaid a travaillé
lions de personnes dans 51 pays et giles. En 2017, la communication de avec deux communautés agropastorales
territoires du monde entier ont dû faire l’UE intitulée Une approche stratégique qui se battaient régulièrement pour
face à des niveaux critiques d’insécu- de la résilience dans l'action extérieure de des pâtures, afin de former un comité
rité alimentaire nécessitant une action l'UE (https://tinyurl.com/y9c6xveb) a conjoint de jeunes, de femmes et
humanitaire d’urgence. L’an dernier, souligné la nécessité de s’éloigner du d’agriculteurs des deux communautés.

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© PABLO TOSCO/OXFAM INTERNATIONAL
Le secteur agricole fournit souvent les deux tiers
des emplois dans les États fragiles.
Des récoltes de pommes de terre
Ensemble, ils ont cultivé 12 hectares et prometteuses en République
construit un entrepôt pour le stockage
de leur production. Ils produisent à dominicaine
présent un excédent alimentaire qu’ils
vendent en Ouganda. “Le dialogue et la Suite au passage de l’ouragan Maria, qui a dévasté les secteurs de l’agriculture et
coopération peuvent rétablir les rela- de la pêche en République dominicaine en septembre 2017, le gouvernement et la
tions défectueuses entre communautés communauté internationale ont investi des ressources considérables pour rétablir
rivales”, déclare la gestionnaire de pro- les cultures. Peu après la catastrophe, le gouvernement dominicain, soutenu par
gramme de Cordaid, Harma Rademaker. l’initiative PROPEL de l’Entraide universitaire mondiale du Canada, a distribué des
engrais et des semences aux agriculteurs pour des cultures à court terme telles que
Accroître les capacités les pommes de terre blanches.
d’atténuation des risques Malgré les ravages occasionnés par l’ouragan Maria, “nous allons au-devant d’une
Pour éviter que des situations fragiles récolte de pommes de terre blanches absolument exceptionnelle cette année”,
ne dégénèrent en crises et assurer la prédit le ministre dominicain de l’Agriculture, Johnson Drigo.
convalescence durable des populations Octavia Hunter, présidente du North Eastern Women Farmers Group, a reçu huit sacs
vulnérables, les communautés rurales de 45 kg de semences de pommes de terre et d’engrais de PROPEL en 2017. “Ce fut
doivent pouvoir maîtriser et anticiper les une excellente récolte. Hier, nous avons obtenu 18 bacs d’environ 36 kg chacun et je
risques de crises et de catastrophes, mais pense bien récolter 10 bacs supplémentaires aujourd’hui.”
aussi élaborer des stratégies permettant La forte résistance des pommes de terre blanches a été reconnue par le
de minimaliser l’impact de ces risques gouvernement. Reginald Thomas, secrétaire permanent au ministère de l’Agriculture,
sur la production alimentaire. “Quand déclare : “Nous tâcherons de l’intégrer dans notre stratégie de résilience car nous
les gens accroissent leurs connaissances tenons à pouvoir produire des aliments dans l’éventualité d’une tempête ou d’un
et apprennent à gérer les risques en autre événement” (voir l’article de Spore Stratégies intelligentes : Les Caraïbes
matière de catastrophes, ils sont mieux à sèment les germes d’une agriculture résistante au changement climatique –
même de surmonter les difficultés et de https://tinyurl.com/y8yrv8am).
restaurer leurs moyens de subsistance en
cas de sécheresse grave, par exemple”,
explique Harma Rademaker. ›

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TENDANCES

› Le programme de réduction des La Somalie sur la route de la stabilité


risques de catastrophe de Cordaid
(CMDRR – Community Managed L’UE s’est engagée à fournir 200 millions d’euros supplémentaires afin de
Disaster Risk Reduction) – qui aide les soutenir la stabilisation de la Somalie lors du Forum de partenariat sur la Somalie,
communautés à développer des actions à Bruxelles, en juillet 2018. La sécheresse et les conflits ont forcé les gens à
conjointes pour une résilience accrue – a abandonner leur maison et provoqué une insécurité alimentaire généralisée dans
permis à 2 350 ménages affectés par les le pays. Cependant, les signes d’une famine imminente début 2017 ont déclenché
conflits au Soudan du Sud de restaurer une assistance alimentaire d’urgence, qui a visé 2,5 millions de personnes par mois
leur production agricole et d’aménager depuis avril 2017 et contribué à atténuer la crise.
plus de 100 points de distribution d’eau Grâce à ce financement supplémentaire, l’UE entend stimuler le développement
à des fins de consommation et d’utili- ainsi que l’assistance humanitaire et le processus de paix, afin d’aider la Somalie
sation domestique. Dans le même ordre à se stabiliser et à instaurer la sécurité alimentaire. “Le gouvernement fédéral de
d’idées, le Somalia Resilience Program Somalie est fermement déterminé à mettre en œuvre la feuille de route politique
(SomReP) se concentre sur le renforce- 2020, le plan de transition pour la réforme économique et de la sécurité, ainsi qu'à
ment des capacités et la planification du aller à la rencontre de l'ensemble des Somaliens pour parvenir à la réconciliation et
développement local, afin d’accroître la au dialogue”, a déclaré le président somalien Mohamed Abdullahi Mohamed.
résilience des ménages vulnérables en
Somalie. Une étude menée par World
Vision, l’une des sept ONG actives dans
SomReP, a identifié deux caractéristiques croissance de leurs revenus de l’ordre système alimentaire durable et inclusif”,
clés des ménages somaliens pouvant de 118 % et 38 % affirment être plus explique Bing Zhao.
être considérés comme bénéficiant résilients et mieux armés contre les En dix ans, le programme P4P a
d’une meilleure sécurité alimentaire et sécheresses prolongées. soutenu plus de 2 millions de petits
d’une plus grande capacité à surmonter exploitants dans plus de 60 pays. En
les crises. D’une part, ces ménages ten- Relier les producteurs aux marchés Zambie, Harriet Chabala a ainsi reçu
daient à faire partie d’un plan d’épargne Une fois à même de produire des un prêt de sa coopérative locale en
collectif et, d’autre part, ils avaient géné- excédents, les agriculteurs doivent avoir reconnaissance de son potentiel entre-
ralement accès à des alertes précoces. accès aux marchés et sources de finan- preneurial et en tant que fournisseur
cement, qui font défaut dans les États régulier de fèves au PAM. L’agricultrice a
fragiles. Dans le cadre du Programme pu acheter un tricycle qui lui permet de
“L’agriculture est deux à quatre mondial pour l'agriculture et la sécu- circuler sur des routes en mauvais état.
rité alimentaire, la Banque mondiale Elle achemine ainsi des produits et des
fois plus efficace qu’un et six de ses partenaires en développe- gens vers les villes et marchés, moyen-
investissement dans tout autre ment ont récolté des dons à hauteur de nant rétribution. Harriet Chabala estime
1,35 milliard d’euros pour faire face aux pouvoir rembourser le prêt d’ici un an.
secteur d'activité pour sortir les contraintes de crédit des agriculteurs. Par ailleurs, elle a augmenté sa produc-
“L’argent ne sera pas un moteur de chan- tion de fèves de 50 % en deux ans.
gens de la pauvreté extrême.” gement à lui seul”, prévient Alexandros
Ragoussis. L’IFC apporte aussi son sou- Soutenir les coopératives
tien aux agriculteurs et coopératives d’agriculteurs
Les déplacements à grande échelle sous la forme de services consultatifs Au Burundi, la Confédération des
suite à des sécheresses et conflits poussés et d’un accès aux marchés associations des producteurs agricoles
récurrents ont largement contribué à internationaux. L’organisation garantit pour le développement (CAPAD) est
l’insécurité alimentaire en Somalie, aux États fragiles et en proie aux conflits née après la guerre civile au Burundi,
bien que l’agriculture représente encore une part du commerce transfrontalier en 2000, avec l’objectif d'aider les agri-
jusqu’à 75 % du PIB du pays et donne trois fois plus importante que dans tout culteurs déplacés à revenir cultiver les
du travail à 46 % de la population. En autre contexte de pays à faibles revenus. terres. Même si la situation du pays ne
plus de SomReP, l’Initiative Résilience L'ouverture d’un marché adapté aux s’est pas stabilisée – 2,6 millions de
- Organismes ayant leur siège à Rome – petits exploitants est également au cœur personnes étaient en situation de crise
qui regroupe le PAM, la FAO et le Fonds du programme P4P du PAM qui, depuis humanitaire entre octobre et décembre
international de développement agricole son lancement en 2008, a acheté pour 2017 – l’introduction de méthodes agri-
– offre notamment aux communautés 214 millions d’euros d’aliments aux petits coles efficaces et bien intégrées peut
rurales somaliennes des formations et agriculteurs. “Nous sommes convaincus tripler les récoltes, surtout si les agricul-
conseils axés sur la production durable que c'est seulement en aidant les petits teurs sont encouragés à investir via une
de cultures et de bétail ainsi que sur la exploitants au sein de la chaîne de valeur coopération mutuelle et un partage des
gestion postrécolte. Elle dispense aussi et en favorisant leur participation aux connaissances, d’après l’Université de
© WORLD VISION

des formations professionnelles per- marchés que nous leur donnerons les Wageningen.
mettant de diversifier leurs revenus. Les moyens de devenir plus autonomes et La CAPAD aide 117  000 ménages
bénéficiaires ont ainsi enregistré une que nous les encouragerons à créer un agricoles au Burundi à investir dans

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l’optimisation de leur productivité produisent et vendent. Mieux informée durant la crise de 2015, quand la plupart
et à accroître leur résilience face aux sur les activités de ses membres, l’or- des autres organisations de la société
situations de crise. Entre 2002 et 2014, ganisation pourra optimiser l’utilisation civile ont dû quitter le pays.
la CAPAD a aidé les petits exploitants des semences et engrais, tout en aug- Maintenir le dialogue avec les autori-
à augmenter leur rendement de 30 à mentant l’accès à de nouveaux marchés tés locales dans les États fragiles permet
50  % et a contribué au développe- et sources de financement. aux organisations de rester informées de
ment socio-économique de plus de la situation politique et d’anticiper tout
12 000 femmes et jeunes hommes dépla- Mobilisation des gouvernements conflit, de manière à s’adapter à l’évo-
cés en créant des emplois temporaires et locaux lution de la situation. Il est également
permanents. L’instabilité politique de nombreux utile de collaborer avec des gouver-
“Ce que fait la CAPAD montre com- États fragiles rend la collaboration avec nements afin de développer des plans
ment les organisations paysannes les autorités et gouvernements locaux d’action d’urgence pour la gestion des
peuvent contribuer au rétablissement particulièrement difficile. Le Dr Annick catastrophes ainsi que de plaider pour
de la paix et au développement éco- Sezibera, secrétaire exécutive de la et influencer des politiques, pratiques
nomique via une production agrégée”, CAPAD, souligne la capacité de la CAPAD et investissements à l'échelon national.
affirme Isolina Boto, manager du siège à demeurer politiquement neutre, tout “Nous travaillons toujours avec les gou-
bruxellois du CTA, partenaire de la en entretenant un dialogue régulier avec vernements locaux car il est important
CAPAD. Une nouvelle collaboration entre le gouvernement. Cette position a per- d’obtenir leur soutien”, explique Harma
le CTA et AgriCord devrait permettre à mis à l’organisation de plaider en faveur Rademaker.
la CAPAD d’enregistrer ses membres à d’une législation et de stratégies qui sou-
l’aide d’outils TIC afin de cartographier tiennent l’agriculture, tout en résistant Un fossé à combler
numériquement les différentes coopé- aux manipulations des partis politiques Parmi les plus vulnérables aux chocs
ratives, ainsi que les récoltes qu’elles et en évitant une expulsion du Burundi climatiques, aux catastrophes météo-
rologiques, à la mauvaise gouvernance,
aux conflits et aux fluctuations du mar-
ché, les petits agriculteurs produisent
l’essentiel des aliments à l’échelle mon-
diale. Les soutenir est donc impératif
pour réduire le risque de crise alimen-
taire. “Nous devons mieux comprendre
les aspects spécifiques de la fragilité
que l’agriculture peut aborder de façon
inclusive et veiller à renforcer les projets
favorables à l’intégration interne. Il est
essentiel de promouvoir les investisse-
ments et les marchés à long terme, qui
bénéficient aux petits exploitants dans
les États fragiles”, souligne Isolina Boto.
Le rapport 2017 du Centre for EU
Studies sur le thème Improving European
Coordination in Fragile States (https://
tinyurl.com/y8soxtus) conclut que les
partenaires de développement doivent
combler le fossé entre stratégies huma-
nitaires et de développement, afin de
soutenir des stratégies nationales de
résilience basées sur l’évaluation et la
planification coordonnées des besoins.
L’agriculture joue un rôle central de sti-
mulation de la croissance économique
et de réduction de la pauvreté dans les
États fragiles, via la mise en œuvre de
technologies sensibles aux risques et de
pratiques durables. ■

L’accès à des alertes rapides a contribué à


augmenter la résilience des communautés
pastorales somali.

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ENTREPRENEURIAT

Aïssata Diakité, 27 ans,


produit des jus à partir
de plantes du Mali et de
l’Afrique de l’Ouest.
© ZABBAAN HOLDING

JUS NUTRITIFS

La start-up Zabbaan met les plantes


sauvages du Mali en bouteille
En 2016, Aïssata Diakité a lancé Zabbaan Holding, une entreprise qui produit des jus à
base de plantes locales. La jeune entrepreneure, qui travaille avec 5 000 agriculteurs,
partage son temps entre Paris et Bamako, la capitale malienne où est située son usine.

Soumaila Diarra

M
opti, la région natale d’Aïssata conformité du produit aux exigences
Diakité, 27 ans, occupe une essentielles définies par l’UE et autorise
place particulière dans son la circulation du produit sur le territoire
business : son entreprise de production de l’UE. Elle s’est ensuite mise à son
de jus à base de produits de la brousse – propre compte en mettant en valeur les
Zabbaan Holding – tient son nom d’une recettes de jus qu’elle produisait déjà, à
plante locale, le zaban, qui ressemble au 5 000 l’époque où elle était étudiante.
fruit de la passion. Le jus obtenu a un goût petits agriculteurs Lancée en 2016 avec un capital de
acide et sucré dont les enfants raffolent. approvisionnent Zabbaan Holding 200 000 € constitué à partir d’écono-
Même si Aïssata Diakité a quitté le mies personnelles et d’un apport du
Mali pour mener des études en agro- “Mon entreprise est le fruit de mon par- Fonds de garantie du secteur privé du
alimentaire à Amiens, en France, son cours, de mon environnement et de ma Mali, Zabbaan Holding a d’abord placé
milieu d’enfance a été déterminant passion”, commente-t-elle. sur le marché un nombre limité de jus.
dans le choix de devenir ingénieure en Une fois diplômée, encouragée par sa Le soutien financier d’un fonds d’inves-
agribusiness, puis entrepreneure dans famille, Aïssata Diakité a d’abord tra- tissement anglais et une aide du Fonds
l’agroalimentaire “équitable” : la jeune vaillé au sein de l’association française de garantie du secteur privé du Mali ont
femme travaille avec un réseau de de certification AFNOR, qui atteste la ensuite permis de développer davantage
petits producteurs à qui elle garantit des conformité des produits aux normes de produits à base de fruits, de feuilles,
revenus décents et un accès à un mar- réglementaires européennes et délivre de fleurs et de tiges. Leurs noms : “Le
ché international à travers ses produits. le marquage CE, qui matérialise la secret du Prince” (kinkéliba, gingembre,

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hibiscus et baobab), “Le secret du Duc” INNOVATIONS
(zaban et baobab) ou bien encore “Le
secret de la Reine” (hibiscus, mangue et
baobab). Pour l’heure, les jus Zabbaan
sont essentiellement vendus à des res-
Au Rwanda, du piment
taurants et des supermarchés.
“Zabbaan Holding est positionnée sur
toute la chaîne de valeur agricole : nous
dans les exportations
comptons plus de 5 000 agriculteurs
membres de notre réseau d’approvision- L’entreprise rwandaise d'agrotransformation
nement à travers le Mali et l’entreprise Urwibutso se démarque sur les marchés
emploie à ce jour 65 personnes dont
35 femmes à temps partiel pour renfor- internationaux grâce à des produits innovants,
cer nos effectifs durant les saisons des tels que l'huile de piment et le vin de plantain.
fruits”, détaille Aïssata Diakité.
En amont de la chaîne de valeur
agricole, l’entreprise travaille sur la tra-
çabilité de ses produits avec l’AFNOR, Aimable Twahirwa
qui contrôle la conformité du travail

C
des coopératives agricoles et des four-
nisseurs de l’entreprise avec les normes ’est en 1983, dans une échoppe en bord de route dans le district de
européennes. En 2018, pour mieux Rulindo, au nord-est du Rwanda, que Sina Gérard, un entrepreneur
structurer, former et accompagner les rwandais, a commencé à vendre des produits frais et des pâtisseries
agriculteurs à la cueillette et au stockage provenant de son exploitation familiale. Dix ans plus tard, après avoir éco-
des fruits et des plantes, Aïssata Diakité nomisé avec succès, il enregistrait sa propre entreprise de transformation
a créé l’association agricole équitable agricole, baptisée Urwibutso Enterprise, en souvenir des beignets qu’il ven-
Zabbaan Equity, qui fédère des coopé- dait à ses débuts (urwibutso signifie “quelque chose dont il faut se souvenir”).
ratives agricoles, des associations ou Son entreprise emploie aujourd’hui 280 personnes à temps plein et coopère
groupements partenaires du réseau de avec plus de 3 000 agriculteurs locaux, qui lui fournissent des produits des-
fournisseurs. Mieux organisés et formés, tinés à la transformation.
les producteurs réduisent leurs pertes et Le produit phare d’Urwibutso est l’“Akabanga” – une huile de piment
maximisent leurs profits. vendue partout au Rwanda et qui s’est fait connaître dans le monde à par-
Pour mieux se positionner sur le tir de 2003, avec le début des exportations. L’entreprise produit 127 tonnes
marché international, Zabbaan Holding d’Akabanga par an, dont 15 % pour l’exportation. En Afrique, les principaux
travaille sur son propre label avec marchés d’exportation sont le Kenya et l'Ouganda. Hors du continent, les
AFNOR Certification. “Ce label s’in- produits sont destinés à l'Europe et au Moyen-Orient.
téresse à la traçabilité des produits, le En parallèle, Urwibutso a diversifié sa production et produit une farine
respect de l’environnement, l’équité et à base de céréales, du yaourt, des arachides emballées, ainsi que du vin
la nutrition”, explique Aïssata Diakité. de banane et de plantain. La volonté d'innovation de l'entrepreneur a
“Il reprend nos démarches, pratiques et également incité les agri-
© ZOONAR GMBH/ALAMY STOCK PHOTO

méthodes avec tous les acteurs de notre culteurs locaux à diversifier


chaîne de valeur.” leurs cultures, en produisant
L’unité de production basée à Bamako par exemple des pommes, du
produit entre 10 000 et 20 000 bou- raisin et des fraises, qu’Urwi-
teilles par jour. Cette production est butso utilise pour fabriquer
destinée au marché des pays membres des produits transformés.
de la Communauté économique des L’entreprise a ainsi favorisé
États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la mise en place d’un marché
de l’Europe. “Nous collaborons avec des stable qui contribue au déve-
épiceries fines et restaurants en France”, loppement de l’économie
indique la jeune entrepreneure. agricole locale.
Son succès ne va pas sans difficultés. Urwibutso fournit gratuite-
Mis à part les fruits, Zabbaan Holding ment aux agriculteurs locaux
importe presque tout d’Europe – en par- des semences, des engrais et
ticulier les bouteilles et les étiquettes. une formation aux meilleures
Il en faut plus pour la décourager : “La pratiques agricoles, dispen-
vie d’un entrepreneur est composée de Au Rwanda, les agriculteurs fournissent Urwibutso sée par cinq agronomes qui
difficultés, mais il faut savoir saisir les Enterprise en piments afin de produire de l’huile travaillent à temps plein pour
opportunités et bien s’entourer.” ■ pimentée pour l’export. l’entreprise. ■

SPORE 190 | 9
SMART TECH & INNOVATIONS

© BOB KOIGI
TRAÇABILITÉ NUMÉRIQUE

Les haricots
verts kényans
s’exportent
de nouveau
Un système de traçabilité numérique aide
à reconstruire le secteur horticole kényan,
en assurant un système de responsabilité
précis, du champ à l’exportation.

Bob Koigi Au Kenya, un système basé sur le cloud aide à réduire le nombre de produits
non conformes à l’export, surtout pour les haricots verts et les petits pois.

P
lus de 3 000 cultivateurs kényans de fruits et légumes entre les acteurs du secteur et les instances de régulation ;
sous contrat pour l’exportation – une majorité de petits l’impression de codes-barres contenant les informations sur le
exploitants – ont adopté un système numérique dans produit et l’agriculteur.
le cloud qui suit les produits de la ferme à l’assiette. Résultat : Les agronomes ont ainsi réduit leur temps de visite et leur
la responsabilité vis-à-vis des consommateurs est assurée et charge de travail. Au lieu de passer deux heures dans chaque
le nombre de produits non conformes à l’export a été réduit. ferme à consigner les données sur des formulaires papier et
Connue sous le nom de Système national de traçabilité de encoder les informations dans le système à la fin de chaque
l’horticulture (National Horticulture Traceability System), l’innova- journée, les visites durent vingt minutes et les données sont
tion a été introduite par le ministère de l’Agriculture, avec le téléchargées directement dans le système.
soutien financier de l’USAID, en septembre 2016. “La traçabilité est une question de responsabilité et de
Ce système a été mis au point à la suite d’une vague d’in- transparence”, explique Steve New, de la Kenya Agricultural
terceptions de produits kényans aux frontières de Value Chain Enterprise, qui a soutenu le programme en
l’Union européenne en 2013 et de l’annulation de organisant le déploiement de l’application auprès des
diverses importations – les haricots verts et les 90 % agriculteurs. “Nous avons développé ce système
petits pois, en particulier, contenaient des taux de réduction pour nous assurer de pouvoir localiser facilement,
élevés de résidus de produits agrochimiques et des interceptions rapidement et précisément un problème chez le
de pesticides. Malgré de nombreux avertisse- de produits grâce producteur concerné tout en garantissant aux
ments de l’Union, vers laquelle il exporte 80 % à la traçabilité marchés notre engagement à respecter les bonnes
de ses produits horticoles, le Kenya a été frappé numérique pratiques agricoles tout au long de la chaîne de
par un ordre d’inspection obligatoire de 10 % des valeur.”
arrivages de haricots verts et de petits pois à tous les Très touché par les interceptions de 2013, le produc-
points d’entrée. “Les conséquences financières se sont avé- teur de haricots verts Patrick Kirimi a adhéré au système de
rées colossales car nos exportateurs ont été contraints de traçabilité par l’intermédiaire d’un groupe d’agriculteurs. “Le
payer pour ces inspections”, explique Jane Ngige, PDG du projet m’a immédiatement enthousiasmé – surtout lorsque
Conseil kényan de l’horticulture. En un an, 50 % des petits nous avons appris que chaque agriculteur était responsable de
agriculteurs kényans ont perdu leur emploi à la suite de la ce qu’il cultivait. Cela signifie que je peux facilement surveil-
résiliation de leur contrat avec les exportateurs, et le secteur ler mes produits au fil de leur croissance pour m’assurer qu’ils
horticole a perdu 29 millions d’euros en coûts de test des répondent aux normes internationales.”
pesticides. Selon Jane Ngige, le système a réduit les interceptions de
Les données d’un million d’agriculteurs peuvent être stoc- plus de 90 %, un progrès attribuable à l’ouverture de toute la
kées grâce à trois éléments : une application mobile qui chaîne de valeur de la filière aux acheteurs, qui sont désormais
enregistre les données des agriculteurs et des opérations agri- en mesure de suivre la façon dont les aliments sont cultivés et
coles ; un portail web permettant l’échange d’informations acheminés jusque chez eux. ■

10 | SPORE 190
C O N S E I L S PA R S M S Pâturage
Des services de Une appli anti-
sécheresse
vulgarisation numérisés AU KENYA, la nouvelle appli mobile
Afriscout utilise des données satellitaires
pour produire des cartes détaillées des
En Afrique subsaharienne, une nouvelle appli offre pâturages à travers le pays, spécifiant
des services techniques aux petits exploitants des zones l’état de l’herbe et le niveau des eaux
de surface. Grâce à cette technologie,
rurales, renforçant leur accès à des conseils de qualité les éleveurs ne devront plus se fier
et les aidant à apprendre leur métier “sur le tas”. uniquement au bouche-à-oreille pour
trouver des pâturages pour leurs
troupeaux. Sortie en février dernier,
Afriscout a été développée par l’ONG
Benson Rioba Project Concern International pour
accroître la résilience des éleveurs face

A
à l’aggravation des sécheresses et les
u Kenya, au Nigeria et en négociants agricoles. Avec Lulu®, les aider à continuer de générer des revenus.
Tanzanie, une plateforme numé- agriculteurs peuvent commander des L’appli, qui livre aussi des informations sur
rique d’aide à la décision dispense intrants directement depuis chez eux et les prédateurs locaux et les maladies du
des conseils techniques aux petits exploi- les payer avec leur téléphone portable. bétail, compte déjà 660 000 utilisateurs
tants et augmente ainsi leur productivité. Les marchandises, provenant de fournis- en Éthiopie et en Tanzanie. En quelques
Développée par l’entreprise de fourniture seurs agréés enregistrés sur la plateforme, mois, elle a été téléchargée 3 000 fois au
de services techniques USOMI Limited sont livrées chez l’agriculteur ou dans un Kenya. Ses développeurs projettent de la
à Nairobi (Kenya), l’application Lulu® centre de collecte proche. lancer au Niger.
facilite l’accès aux intrants agricoles et Les agriculteurs inscrits sur l’appli
aux services de vulgarisation. Disponible reçoivent aussi par SMS des instructions
sur le web et sur les terminaux mobiles, ciblées, coïncidant avec les étapes clés
Lulu® permet aux agriculteurs d’obtenir des cycles de leurs cultures et/ou des Engrais organiques
en temps réel des réponses personna- périodes spécifiques de croissance des
lisées à leurs questions agricoles et leur animaux : par exemple comment nour- Des solutions pour
fournit des conseils sur la gestion des rir les vaches en lactation ou s’occuper
cultures et des animaux, aux périodes des poussins jusqu’à leur âge adulte. Les les sols par SMS
clés de leur croissance. nouveaux agriculteurs apprennent ainsi
La plupart des magasins spéciali- leur métier “sur le tas”. AU KENYA, l’entreprise sociale Wanda
sés étant situés en zones urbaines et “Cette appli m’aide à gérer effica- Organic Ltd importe, commercialise et
périurbaines, les agriculteurs des zones cement mes vaches laitières : je peux distribue des engrais organiques produits
rurales ont souvent du mal à obtenir les désormais identifier une vache malade, à partir de déchets végétaux et animaux
intrants nécessaires pour optimiser leur en chaleur ou gestante en entrant des aux Philippines. Les clients peuvent
production, tandis que la piètre qualité données dans l’appli, par exemple le passer commande en envoyant un SMS
des infrastructures et les coûts élevés poids de l’animal ou son comporte- à partir de leur téléphone portable. Dans
des transactions limitent leur accès aux ment”, explique Timothy Kinuthia, les districts de Machakos et Makueni,
éleveur laitier basé à Nyeri (Kenya). En les agriculteurs font état de hausses
© CECILIA SCHUBERT

deux mois, ses rendements laitiers ont de production allant jusqu’à 30 %. “La
augmenté de 20 %. “Autrefois, je produi- productivité de mes arbres fruitiers s’est
sais 180 litres de lait par jour avec mes nettement améliorée”, affirme Riya
huit laitières. Aujourd’hui, j’en suis à Allen, une cliente de Wanda Organic.
230 litres par jour !”, précise-t-il. “L’accès aux engrais est plus rapide que
Au Kenya, les agriculteurs doivent jamais : il suffit de presser un bouton.”
payer 1  000 shillings par mois pour Contrairement aux engrais de synthèse
avoir accès à cette appli, qui est encore fréquemment utilisés, les produits de
disponible gratuitement au Nigeria et Wanda contiennent des micro-organismes
en Tanzanie. En tout, Lulu® compte et matières organiques non toxiques.
Les services de vulgarisation par SMS fournissent 3 000 utilisateurs. L’entreprise entend L’engrais restaure les éléments nutritifs
aux agriculteurs des informations rapides, lancer l’appli au Malawi, au Rwanda et du sol pour accroître les rendements et
spécifiques à leur localisation et à leur exploitation. en Ouganda d’ici la fin de l’année. ■ réduire les maladies des cultures..

SPORE 190 | 11
AGRICULTURE CLIMATO-INTELLIGENTE

MÉTÉOROLOGIE

Moderniser l’adaptation au climat


dans les Caraïbes
De nouveaux outils et des structures climato-intelligents devraient améliorer la production
agricole et la diversité des cultures dans les Caraïbes, renforçant ainsi la durabilité de
l’approvisionnement alimentaire régional et la sécurité alimentaire.

Natalie Dookie

P
our réduire l’impact des phé- projet RRACC, des acteurs locaux ont la Saint Lucia Coalition of Service
nomènes météorologiques liés appris à réduire les pertes de récoltes et Industries pour donner vie à leur projet.
au changement climatique, en à améliorer l’utilisation de l’eau en cas Le prototype sera lancé en septembre
particulier la hausse du niveau des d’extrême sécheresse. “Avec le ministre 2018. Les agriculteurs disposeront
océans, les agriculteurs des Caraïbes de l’agriculture, des terres, de la pêche et d’un micro-environnement contrôlé
disposent désormais de technologies des affaires de Barbuda, nous avons formé et pourront modifier la température,
climato-intelligentes soutenues par une 100 agriculteurs à la culture sous serre et l’humidité, l’ensoleillement et d’autres
assistance technique. Des serres équi- à la production biologique pour améliorer conditions atmosphériques. La collecte
pées de collecte d’eau de pluie ont ainsi les rendements et réduire les nuisibles”, automatisée de données, via des cap-
été installées à Antigua, tandis qu’une indique Linda Taglialatela. teurs, alimentera une base de données
retenue d’eau dotée d’un système de En Dominique, le développement des que le système de gestion analysera
stockage et d’irrigation goutte-à-goutte a systèmes de drainage et la consolidation pour formuler des conseils afin d’opti-
été construite à Barbuda grâce au projet de digues, également soutenus par le miser les rendements.
RRACC (Rallying the Region to Action projet RRACC, renforcent la résilience “Sous les climats tropicaux, les condi-
on Climate Change – Se mobiliser régio- des communautés face aux phénomènes tions ne sont pas optimales car les
nalement pour agir sur le changement climatiques, comme la tempête tropi- températures sont élevées la journée et
climatique), lancé en 2011 et financé par cale Erika de 2017. “Durant la tempête, pas suffisamment froides la nuit. Nous
l’USAID. ces mesures ont efficacement détourné avons donc mis au point des bouches
“La culture hydroponique sous serre est les eaux de crue de la communauté d’aération refermables pour assurer
l’une des approches climato-intelligentes [de Meru] et sensiblement réduit l’am- une ventilation naturelle durant la
adoptées à Antigua-et-Barbuda”, explique pleur des inondations”, poursuit Mme journée, et un système de climatisation
Linda Taglialatela, ambassadrice des Taglialatela. pour refroidir la serre durant la nuit”,
États-Unis à la Barbade, aux Caraïbes La première serre climato-intelligente explique Jade Hutchinson. “Nous avons
orientales et à l’Organisation des États des Caraïbes est en cours de dévelop- également conçu des serres pour aider
de la Caraïbe orientale. Dans le cadre du pement à Sainte-Lucie. Keigan Mayers les agriculteurs à protéger leurs cultures
et Jade Hutchinson, ses et réduire leurs pertes lors des ouragans.
inventeurs, ont remporté Elles sont en effet faciles à démonter,
l’Idea Stage of Caribbean pour que l’agriculteur puisser rebondir
Tech Entrepreneurship rapidement et relancer sa production”,
Programme en 2017. Ils indique-t-elle.
ont reçu une subvention Dans le cadre du même projet, les
de 42 000 € de l'unité de membres de l’équipe élaborent un
financement pour l'envi- programme de formation pour une qua-
© HORIZONS WWP/TRVL/ALAMY STOCK PHOTO

ronnement du PNUD et lification professionnelle nationale sur


noué un partenariat avec l’agriculture climato-intelligente. Elle
pourrait déboucher sur une certification
Dans les Caraïbes, des serres caribéenne. Ils espèrent ainsi encoura-
climato-intelligentes aident les ger davantage de jeunes à Sainte-Lucie
agriculteurs à protéger leurs cultures à faire carrière dans l’agriculture en y
lors de phénomènes météorologiques intégrant des technologies de pointe
extrêmes comme les ouragans et en pour améliorer l’attractivité de ce sec-
cas de pénurie d’eau. teur et réduire sa pénibilité. ■

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Érosion A G R I C U LT U R E I N T E L L I G E N T E

Une plante herbacée


récompensée
Priorité à la résilience au
À TRINITÉ-ET-TOBAGO, la plantation
de vétiver contribue à réduire l’érosion
changement climatique
des sols et les glissements de terrain
dans les régions vallonnées. Les Au Zimbabwe, les citoyens sont sensibilisés aux
racines de cette plante peuvent techniques agricoles climato-intelligentes et à des
s’enfoncer dans le sol jusqu’à trois
mètres de profondeur, ce qui rend pratiques respectueuses de l’environnement.
le sol plus stable. Grâce au projet
Vetiver Education and Empowerment,

© BUSANI BAFANA
25 000 plants de vétiver ont été Busani Bafana
plantés dans 15 régions du pays.

T
Quatre pépinières ont été créées
et 50 personnes ont été formées rois grandes mesures de poli-
à la plantation de cette espèce tiques climatiques ont été lancées
herbacée. Le jeune entrepreneur à en juin 2018 pour renforcer la
l’origine du projet, Jonathan Barcant, résistance du Zimbabwe au changement
a reçu le prix Commonwealth Youth climatique et l’aider à répondre aux
Award en avril 2018 pour la mise exigences internationales en matière de
en œuvre de cette stratégie qui a, réduction des émissions de gaz à effet de
d’après lui, renforcé la “solidarité” et le serre.
“sentiment d’autonomisation” dans les Les trois volets de cette politique
communautés où elle a été adoptée. d’agriculture intelligente face au climat
(AIC) s’articulent autour de la promo-
tion des nouvelles pratiques agricoles,
Climat d’une aide aux entreprises pour devenir
plus vertes et d’une sensibilisation des
Un guide enfants aux pratiques respectueuses de Au Zimbabwe, les frères Prosper et Prince
l’environnement, comme la protection Chikwara utilisent des techniques d’agriculture
d’investissement des forêts et des zones humides. de précision.
Dans un pays avec de faibles précipi-
ÉLABORÉ PAR le Centre international tations, des sols de piètre qualité et des
d'agriculture tropicale, un guide détaillé températures élevées, les jeunes agri- fossiles –, et génère au moins 50 MW
sur les opportunités d’investissement culteurs zimbabwéens se tournent vers d’énergie dans les villes de Gwanda et
dans l’agriculture intelligente face au l’agriculture de précision pour créer et Chipinge, dans le cadre d’un investisse-
climat (AIC), publié en mai 2018, inclut développer des agro-entreprises pros- ment de plusieurs millions de dollars.
des études de cas de 14 pays africains pères. Cette approche, qui implique des Par ailleurs, un “manuel d’AIC” a été
et dresse un aperçu des défis agricoles pratiques d’élevage et de culture mieux développé pour améliorer l’éducation
spécifiques auxquels chaque région contrôlées, est préconisée et encouragée agricole des agents de vulgarisation du
est confrontée, ainsi que des solutions par la politique d’AIC du Zimbabwe. pays et dans les universités. Ce manuel
d’AIC efficaces. La publication Les frères Prosper et Prince Chikwara, formule des recommandations en
présente aussi une liste des sources à la tête d’une exploitation horticole matière de techniques agricoles cli-
de financement potentielles pour dans le sud-ouest du pays, ont recours mato-intelligentes, comme la culture
les activités d’AIC – avec des à des techniques telles que la cartogra- intercalaire, la rotation des cultures
informations pertinentes tant pour phie des sols et une structure d’irrigation et la gestion intégrée culture-élevage.
ceux qui cherchent des fonds que pour goutte-à-goutte. “Après avoir introduit “Les agriculteurs auront ainsi plus de
les éventuels investisseurs. “Grâce à cette technologie, nous avons augmenté connaissances sur l’agriculture intel-
ces lignes directrices, nous sommes notre production et nos revenus de ligente face au climat et, grâce à la
désormais mieux armés pour prendre 30 %”, affirme Prosper. politique climatique nationale, des
des décisions de financement relatives L’un des groupes de services financiers mesures seront prises pour renforcer la
à l’agriculture climato-intelligente en internationaux du pays, Old Mutual, résilience de tous face au changement
Afrique”, s’est réjoui Ademola Braimoh, investit ainsi déjà dans des technologies climatique”, indique Tatenda Mutasa, du
coordinateur de l’AIC à la Banque climato-intelligentes, comme des pan- ministère de l’Environnement, de l’Eau
mondiale, partenaire du projet. neaux solaires – au lieu des combustibles et du Climat. ■

SPORE 190 | 13
INTERVIEWS

MICHAEL HAILU

“L’émancipation des
femmes est cruciale”
À l’issue des Journées européennes du développement (JDD) en juin 2018,
Spore a rencontré le directeur du CTA, Michael Hailu. Il explique, entre
autres, comment la numérisation peut contribuer à combler les disparités
entre femmes et hommes dans l’agriculture.

Susanna Cartmell-Thorp

Cette année, les Journées européennes du devenues très prospères. Awa Caba, de L’accès au financement est l’une des en-
développement (JDD) avaient pour vocation Sooretul, a ainsi profité du soutien de traves majeures au succès des jeunes agri-
de placer les femmes au cœur du développe- plusieurs de nos initiatives (voir l’article preneurs, en particulier les femmes. Quels
ment. Comment ce thème central est-il inté- de Spore, Au Sénégal, la start-up Sooretul met sont les innovations et les programmes les
gré dans la stratégie révisée du CTA ? les produits locaux à portée de clics, https:// plus prometteurs qui contribuent à surmon-
Au CTA, nous avons toujours eu une tinyurl.com/y95as38k). Elle a créé une ter cet obstacle ?
stratégie en matière de genre. Cependant, plateforme de commerce en ligne au L'une des principales entraves à l’ac-
notre stratégie révisée met davantage Sénégal qui aide les petites agricultrices cès au financement est le manque de
l’accent sur l’émancipation des femmes. à accéder à des marchés lucratifs, ce qui garanties. Bon nombre de femmes ne
Nous avons ainsi identifié trois domaines n’est pas chose simple pour les femmes possèdent pas de terres et leur titre de
d'intervention : l’esprit d’entreprise et des régions rurales. Sa plateforme aide les propriété est généralement enregis-
l’emploi des jeunes ; la numérisation afin producteurs à vendre des produits locaux tré au nom de leur époux. Cependant,
de renforcer la productivité et la rentabi- transformés, non seulement aux clients l’innovation en matière de TIC permet
lité des filières agricoles ; enfin, une plus de Dakar, mais également sur le marché aux femmes de se constituer un profil
grande résilience climatique à travers des étendu de la diaspora. personnel qui les aide à décrocher leurs
innovations et des politiques intelligentes Au Botswana, Naledi Mogwe a lancé prêts. À titre d’exemple, FarmDrive,
face au climat. Les questions de genre et mAgri, une autre plateforme qui propose lancé par une nouvelle entreprise dirigée
d’émancipation des femmes sont trans- aux petits producteurs et aux entreprises par des femmes au Kenya, a ainsi mis au
versales à ces thèmes. Nous insistons agricoles des services tels que les pré- point un système alternatif de notation
toujours sur l’aspect du genre, bien plus visions météorologiques, des conseils de crédit pour les agricultrices. Ce type
que par le passé. Lorsque nous organi- agronomiques, des services financiers de notation leur permet de s’adresser
sons les concours Pitch AgriHack, par et les prix des marchés. Avec plus de aux banques pour obtenir des crédits.
exemple, nous constatons souvent que 400 000 utilisateurs, l’objectif est d’at- Le CTA aide FarmDrive à poursuivre son
les femmes ne sont pas bien représentées. teindre les communautés mal desservies développement.
C’est pourquoi nous nous efforçons de du Botswana, en particulier dans l’agri-
promouvoir leur autonomisation et de les culture artisanale. mAgri ambitionne de Comment le développement des big data
impliquer davantage dans nos initiatives. pénétrer les marchés ouest-africains. aide-t-il les organisations à proposer des
Le CTA aide la plateforme à renfor- services de meilleure qualité aux agricul-
Pouvez-vous citer une femme dont le par- cer les capacités de son personnel et à teurs des régions ACP ?
cours peut inspirer et servir de modèle aux leur ouvrir de nouveaux horizons. Par Les données agricoles sont un aspect
jeunes femmes ? exemple, Naledi Mogwe a participé aux essentiel de notre travail. Nous nous
Bon nombre de jeunes agripreneuses JDD et a pu rencontrer des investisseurs efforçons d’aider les organisations d’agri-
qui participent à Pitch AgriHack sont potentiels et nouer des liens avec eux. culteurs et les coopératives agricoles à

14 | SPORE 190
© CTA

Michael Hailu détaille l’action du CTA pour


réduire les disparités hommes-femmes.
établir des profils numériques de leurs La numérisation peut grandement contri-
membres afin d’améliorer leur orienta- buer à l’autonomie des agriculteurs, mais
tion commerciale et leur gestion. Avec des quels en sont les défis ? de partager le fonctionnement de ces
informations à jour sur leurs membres, Les défis de la numérisation sont nom- modèles commerciaux et d’expliquer
elles savent ce qu'ils produisent et ce qui breux. Une fois qu'une innovation est comment les transformer en entre-
entre sur le marché. Cet aspect contribue introduite, comment la rendre durable prises florissantes. Ainsi, en juillet 2018,
à améliorer nettement la gestion des coo- afin qu’elle soit rentable à long terme ? nous avons invité l’ensemble des petits
pératives, tout en établissant des profils Comment élaborer des mécanismes entrepreneurs du secteur des drones
avec des données que les agriculteurs d’assistance, notamment des entreprises agricoles de sept pays ACP avec lesquels
peuvent utiliser pour solliciter des crédits qui peuvent soutenir ce type d’innova- nous travaillons afin de nous pencher
et accéder à d’autres services. tion ? Dans une certaine mesure, des plus avant sur leur manière d’établir
En Ouganda, nous soutenons un pro- institutions telles que le CTA sont donc leurs modèles commerciaux. Nous
jet en coopération avec l’Igara Growers nécessaires afin d’aider ce type d’ac- avons également invité un expert du
Tea Factory (Lire Cartographier les plan- tivités. Cependant, à long terme, afin développement des entreprises d’Ernst
tations de thé pour augmenter les revenus que ces activités soient durables, nous & Young afin d’aider les entrepreneurs
des planteurs, p26), détenue par 6 000 devons absolument mettre en place des à affiner leur modèle commercial et à
agriculteurs. Lorsque les agriculteurs modèles commerciaux viables. apprendre de leur expérience mutuelle.
apportent leur thé à la coopérative, le prix En matière de capacités, nous avons Notre action est large et nous espérons
des intrants distribués par l’organisation, compris que les femmes profitent peu réellement pouvoir contribuer au déve-
est déduit du paiement. Auparavant, les des innovations techniques, pour des loppement des entreprises et à l’emploi
archives de la coopérative relatives aux raisons culturelles et sociales, ou à des jeunes.
terres détenues par les agriculteurs et à cause de leur manque de compétence et
leur production n’étaient pas à jour. La d’éducation. Par ailleurs, les politiques Quels messages clés des JDD souhai-
coopérative perdait de l’argent. Avec le de TIC ne sont pas suffisamment axées teriez-vous partager avec les lecteurs de
soutien du CTA, Igara Tea a pu établir des sur les questions de genre. Spore ?
profils numériques de ses agriculteurs, et Le principal message est que l’émanci-
elle dispose à présent de données géoré- Un aspect essentiel des activités du CTA pation des femmes est primordiale. Nous
férencées sur la situation géographique a toujours été le partage des connaissances devons redoubler d’efforts afin de nous
des exploitations, l’âge des diverses et des expériences. Le CTA doit-il en priorité consacrer davantage à l'autonomisation
plantations de thé, la quantité attendue soutenir le partage des modèles commer- des femmes et de garantir que celles-ci
de chaque agriculteur, etc. L’accès à ces ciaux florissants et les développer ? bénéficient des interventions que nous
informations a amélioré la gestion et la C’est l’une des contributions majeures promouvons et des innovations que
rentabilité de la coopérative. du CTA. Nous réunissons les gens afin nous soutenons. ■

SPORE 190 | 15
INTERVIEWS

MAXIME HOUINATO

“Les femmes sont


trop marginalisées”
Pour le représentant d’ONU Femmes au Mali, la transformation de l’agriculture
doit s’appuyer sur les femmes des zones rurales et leur rôle dans le maraîchage.

Vincent Defait Pour que ces investissements aient des soutient la mécanisation de la pro-
débouchés concrets, le pays s'est doté duction maraîchère afin d’accroître les
d'un Plan national d'investissement rendements, forme à la production de
© UN WOMEN/PATTERSON SIEMA

dans le secteur agricole, conjugué à un fumure organique, accompagne l’utili-


autre plan d'action et d'adaptation au sation des haies vives et la restauration
changement climatique. Au final, les des sols dégradés. Par ailleurs, les plu-
autorités maliennes ont fait preuve de viomètres et les TIC offrent un accès aux
volontarisme en contournant le diktat informations climatiques permettant de
des grossistes, semi-grossistes et détail- sélectionner des semences adaptées au
lants qui imposaient les prix d’achat des lieu, de programmer les travaux cham-
produits agricoles aux producteurs, et pêtres en fonction de la fréquence des
agi en sorte que les agriculteurs soient pluies ou d’utiliser les fertilisants adap-
mieux structurés et formés pour mieux tés aux variations climatiques.
valoriser leurs productions.
Pourquoi est-il si important d’aider les
Le programme d’ONU Femmes “Agricul- agricultrices du Mali à adopter des tech-
ture, femmes et développement durable” niques agricoles durables ?
Maxime Houinato, représentant d’ONU Femmes (AgriFeD) vise à aider les petits agriculteurs Les femmes constituent une main-
au Mali, insiste sur le rôle des femmes dans à s’adapter au changement climatique. d’œuvre marginalisée, ce qui accentue
l’adoption de nouvelles pratiques agricoles face Quelles solutions d’agriculture climato- leur vulnérabilité dans le contexte du
au changement climatique. intelligente sont promues ? changement climatique et d’instabilité
Des centres d’immersion de bonnes socio-économique et politique. En 2015,
pratiques agricoles climato-intelligentes au Mali, elles représentaient 49 % de la
Début 2018, sur les 55 États membres de (IBPACI) servent de vitrine de démons- population agricole, soit près de sept
l’UA, le Mali a reçu l’un des meilleurs scores tration des bonnes pratiques agricoles. millions d’actives. Pour changer l’agri-
pour ses progrès vers la transformation de Avec AgriFeD, nous promouvons la culture, on ne peut donc pas ignorer les
son agriculture. Comment le pays a-t-il in- gestion durable des terres agricoles par femmes.
vesti dans ce secteur ? des actions de récupération des terres Entre 2014 et 2015, quelque 70,2 %
Le Mali consacre 15 % de son budget dégradées et l’introduction de tech- des exploitants maraîchers étaient des
à l’agriculture, plus que l'objectif de nologies agroforestières innovantes, femmes. Cette activité présente l’avan-
Maputo qui demandait aux pays africains mais aussi nous soutenons les groupe- tage d’être productive même avec de
d'allouer 10 % de leur budget au secteur ments de femmes pour renforcer leur petits espaces, à condition de bien les
agricole. Le Mali a combiné plusieurs structuration et faciliter les échanges aménager. Formées à des systèmes de
stratégies et investi dans les infrastruc- d’expériences entre les productrices. production durables et modernes dans la
tures et aménagements hydro-agricoles, Ce soutien aux agricultrices se fait filière maraîchère, les femmes augmen-
la mécanisation, la subvention d’intrants, également par l’aménagement des par- teront leur production et contribueront
les opérations de pluies provoquées (par celles pour rationaliser l’utilisation des ainsi à améliorer la qualité de la nutri-
l’ensemencement de nuages), des poli- semences améliorées, les apports en tion au Mali. Par la même occasion, elles
tiques de soutien des prix comme dans engrais et en eau et faciliter le suivi des amélioreront leurs conditions de vie et
la filière cotonnière, le renforcement plants. Les bénéficiaires sont formées à celles de leur famille, grâce aux revenus
des organisations paysannes ainsi que des pratiques agricoles respectueuses de supplémentaires générés par la com-
du cadre législatif du secteur agricole. l’environnement. Enfin, le programme mercialisation de leur production. ■

16 | SPORE 190
Dossier

DONNÉES
AGRICOLES :
LES AGRICULTEURS
À L'ÈRE DU
NUMÉRIQUE
De plus en plus de données agricoles sont générées à vitesse rapide
grâce aux innovations et aux nouvelles technologies. Mais quelle est la
valeur réelle des informations partagées pour les petits agriculteurs
et quels en sont les risques ?
ANALYSE

DATA4AG

Les opportunités
du profilage pour
les agriculteurs
Agréger les données localisées et spécifiques
sur la production de chaque exploitation
aide les entreprises à apporter des conseils
sur mesure aux petits agriculteurs.
Comment ces données peuvent-elles être
collectées et gérées en toute sécurité au
bénéfice des exploitants en milieu rural ?

Sophie Reeve Le recueil de données au niveau des


exploitations et des parcelles cultivées permet
aux fournisseurs d’apporter rapidement des

D
conseils sur mesure aux petits agriculteurs.
epuis des décennies, pour trans- par des services ciblés et spécifiques à
former l’agriculture et améliorer leur situation individuelle.
les systèmes alimentaires, les Pour cela, innovations et initiatives 40 % des ménages appartiennent à une
gouvernements du monde entier et leurs se multiplient afin de recueillir des coopérative. Selon Stéphane Boyera,
partenaires recueillent des données sur données sur les agriculteurs et leurs PDG de la société de conseil française
les agriculteurs. Des agroentreprises, productions, comme leur nom, leur âge, SBC4D, “ces profils, en plus de per-
des opérateurs de réseaux mobiles et leur sexe, leur localisation, les cultures, mettre des services spécialisés pour
des fournisseurs de services financiers les niveaux de production et des infor- les agriculteurs, peuvent également
se sont lancés dans cette course au mations financières. La manière dont être utiles à d’autres parties prenantes,
profilage pour cerner les besoins des les données sont agrégées, stockées, comme les coopératives et les OP
agriculteurs en termes d’intrants, de analysées et utilisées au moyen de elles-mêmes”.
services, de débouchés et de finance. technologies numériques avancées peut Dans huit pays d’Afrique et de la
L’agriculture fondée sur les données déterminer la capacité du développe- zone Pacifique, le CTA a collaboré avec
– ou “Data4Ag” – devrait accroître la ment agricole à mettre fin à la pauvreté différentes structures pour recueillir
production et la productivité agricoles, et à la famine des populations rurales, les informations liées aux profils des
aider les agriculteurs à s’adapter et et à quelle échéance. agriculteurs et aider les OP locales
réduire les effets du changement cli- à améliorer la cartographie de leurs
matique, comme améliorer l’utilisation Gérer les membres de coopératives membres afin d’optimiser leur ges-
des ressources naturelles. Mais pour que En Afrique, les coopératives et les tion. Les informations recueillies sont
les petits agriculteurs profitent de cette organisations paysannes (OP) sont les importées sur les diverses plateformes
révolution, ils doivent avoir accès à des mieux placées pour créer et mettre à de stockage numérique des OP, qui ana-
informations rendues compréhensibles jour les profils d’agriculteurs : plus de lysent les données après avoir reçu une ›

18 | SPORE 190
© JAKE LYELL/ALAMY STOCK PHOTO
La recherche utile aux agriculteurs
Pour combler le fossé entre les agriculteurs et la science, la principale institution de recherche du Kenya, la Kenya Agricultural &
Livestock Research Organization (KALRO), s’est donné pour mission de faire profiter un grand nombre de petites exploitations, grâce
aux TIC, des recherches pertinentes. Le secteur agricole fait vivre 70 % de la population kényane, mais il existe un énorme écart
entre, d’une part, l’étendue des recherches et les données accumulées par l’institution et, d’autre part, leur impact sur les petits
exploitants du pays.
“La KALRO compte 600 chercheurs, dont 300 sont titulaires d’un diplôme de doctorat et ont réalisé d’importantes recherches
sur quelques-uns des problèmes agricoles les plus urgents du Kenya. Mais leurs résultats prennent la poussière sur nos étagères”,
explique Boniface Akuku, directeur des TIC à la KALRO. “Nous sommes bien décidés à utiliser les nouvelles technologies pour les
diffuser.” L’organisation a déployé trois applications mobiles l’an passé qui ont été téléchargées 600 fois dans le premier mois suivant
leur lancement. “Nous n’avons pas fait beaucoup de publicité à leur sujet, mais nous avons été impressionnés par l’intérêt des
agriculteurs. Nous avons décidé d’augmenter le nombre d’applications cette année et 14 nouvelles applis ont vu le jour, sur des sujets
pour lesquels les agriculteurs avaient manifesté leur intérêt”, indique Boniface Akuku.
Les plus récentes applications concernent la production d’avocats, de bananes et de manioc, le signalement et la cartographie du
légionnaire d’automne, le contrôle de la nécrose létale du maïs, etc. Une connexion Internet est nécessaire pour télécharger ces
applis disponibles sur Google Playstore, avant de pouvoir être utilisées hors ligne. Elles ont réduit la distance que doivent parcourir
les petits exploitants pour obtenir des informations agricoles, tout en permettant à l’institution de mieux cerner les données dont les
agriculteurs ont besoin à travers la plateforme de feedback accessible via chaque appli.
“Un agriculteur nous a récemment raconté qu’il lui fallait auparavant deux jours pour atteindre l’un de nos centres et avoir accès à des
informations sur les poulets”, explique Boniface Akuku. “Grâce à l’appli qu’il a téléchargée, il a désormais toutes ces données à portée
de main.”

Bob Koigi

SPORE 190 | 19
ANALYSE

› formation en gestion de données organi- automatiquement des profils de risque appartenant aux utilisateurs (MUIIS) du
sée par le CTA. “Grâce à cette expérience des agriculteurs. Les fournisseurs de cré- CTA exploite des données de satellites
de profilage des agriculteurs, nous avons dit s’en servent pour déterminer divers pour aider les agriculteurs à accroître
pu cartographier les points de collecte paramètres de microfinance. Déployé par leur productivité et leur rendement.
de feuilles de thé et la provenance de l’EAFF, qui regroupe environ 20 millions Le projet a recensé 200 fournisseurs
nos cultivateurs. Nous allons exploiter d’agriculteurs dans cette région, le sys- de services pour profiler les agricul-
ces données pour regrouper les agricul- tème s’appuie sur la technologie USSD. teurs et les encourager à s’affilier à un
teurs autour de centres de collecte de Comparable aux SMS, cette technologie service SMS de conseils agronomiques,
feuilles pour améliorer la gestion de nos sert de plateforme entre des téléphones d’alertes météorologiques et un service
adhérents”, explique Onesimus Matsiko, portables et le logiciel informatique d’un d’assurance indexée. Ciblé sur les ser-
directeur général d’Igara Growers Tea fournisseur de services pour envoyer et vices de vulgarisation et de conseil pour
Factory Ltd, qui a réalisé ce travail avec recevoir des messages écrits. Les agri- les producteurs de maïs, de haricots,
le CTA entre 2017-2018 (lire le rapport culteurs enregistrent les données de de sésame et de soja, notamment, le
Cartographier les plantations de thé pour leur production, comme la taille de leur projet affiche des objectifs ambitieux :
augmenter les revenus des planteurs, p25). exploitation, les variétés cultivées et le accroître d’au moins 25 % le rende-
Chris Addison, coordinateur du pro- salaire de leurs travailleurs. L’application ment et d’au moins 20 % le revenu de
jet Data4Ag du CTA, souligne que “la calcule ensuite les intrants qui leur 200 000 agriculteurs.
révolution numérique de l’agriculture sont nécessaires pour maximiser leur “Durant la première campagne en
se construit sur de nouvelles opportu- rendement, comme des semences et 2017, nous avons pu nous faire une
nités pour la collecte et le partage des des engrais de qualité, et ceux-ci leur idée des agriculteurs exposés à cer-
données. Les entreprises gérées par des deviennent accessibles grâce aux prêts tains types de nuisibles et de maladies
agriculteurs et les coopératives sont les octroyés par le fournisseur de crédit. parce que nous connaissions leur
mieux placées pour apporter tous ses situation géographique”, explique
bénéfices aux petits exploitants”. Des satellites Ronald Rwakigumba de Mercy Corps,
Women in Business Development pour des services ciblés l’une des sociétés impliquées dans le
Incorporated (WIBDI), une ONG des Îles Alors qu’elle n’a qu’un an, la plate- projet de profilage numérique. “Nous
Samoa, tire aussi profit du stockage et forme compte 25 000 utilisateurs et les avons pu conseiller les agriculteurs sur
de la gestion des données. Depuis 2016, demandeurs ont déjà reçu 130 000 € de les pesticides à utiliser et leur mode
WIBDI organise en effet une forma- crédit. Pour la fondatrice d’eGranary, d’application contre le légionnaire
tion pour les jeunes dans son académie Leonida Mutuku (28 ans), “la version d'automne.”
Organic Farm-to-Table, à Apia, la capi- actuelle du produit épaule les agricul-
tale, sur les pratiques de l’agriculture bio, teurs sur des services financiers, mais
l’organisation et les aspects économiques. nous voulons les aider à améliorer leur L’agriculture fondée
Néanmoins, au début, WIBDI peinait à productivité grâce aux données que
suivre les progrès des étudiants. Avec nous agrégeons. La prochaine étape sur les données
l’appui du CTA, l’ONG a donc développé consiste à leur fournir des rensei-
un outil en ligne pour améliorer ce suivi. gnements pour faire progresser leurs devrait permettre une
“Nous mettons à présent sous forme exploitations”.
numérique des informations auparavant Dans la province de Ra aux Fidji, un utilisation plus efficace
enregistrées manuellement”, déclare projet du Centre du commerce inter-
Faumuina Felolini Maria Tafuna’I, chef de national a compilé et cartographié plus et pertinente des
projet chez WIBDI. “Grâce au logiciel que de 26 000 profils d’agriculteurs, et mis
nous avons développé, l’Académie gère en relation 650 producteurs de manioc ressources naturelles.
mieux les informations sur les étudiants.” et de taro avec des réseaux internatio-
(lire le rapport Connaître les agriculteurs naux de distribution en Australie et en
pour mieux répondre à la demande des mar- Nouvelle-Zélande. Grâce au système La start-up en assurance agricole
chés, p24). baptisé “Cloud-based Master Agriculture Pula utilise également des données
Database” – qui intègre une suite d’ap- satellitaires pour aider les agricul-
Services de crédit sur le cloud plications de cartographie, de profilage teurs en Afrique en cas de sécheresse.
Les OP facilitent l’accès de leurs et de communication mobile –, des Le prix de l’assurance est inclus dans
membres à de nouveaux marchés, à des acheteurs, des banques de développe- celui des semences. Chaque lot de
acheteurs et à des financeurs grâce à la ment et des institutions de financement semences porte un numéro que l’agri-
disponibilité et à la gestion des informa- peuvent localiser physiquement des culteur envoie par SMS. Il est ensuite
tions sur les agriculteurs. Ces derniers petits exploitants de la chaîne d’approvi- assigné à des images satellitaires selon
peuvent ainsi vendre plus et améliorer sionnement, examiner leur parcours en sa situation géographique. Pula peut
leurs revenus. C’est le cas des utilisateurs matière de développement d’aptitudes ainsi suivre les nuages pendant les
de eGranary (Grenier électronique). et de certifications avant de leur fournir trois premières semaines qui suivent
Créée par la start-up kényane Intelipro, des contrats ou un crédit. la plantation, déterminantes, au lieu de
cette application mobile utilise les don- En Ouganda, le projet Service d’in- s’appuyer sur de multiples visites d’ex-
nées sur les exploitations pour générer formation ICT4Ag axé vers le marché et ploitation. Sans nuages, pas de pluies :

20 | SPORE 190
Les données permettent aux agriculteurs de prendre des d
 écisions éclairées
Avec un accès à des données pertinentes, les agriculteurs peuvent augmenter leur productivité et leurs revenus

SOURCE : MCKINSEY GLOBAL INSTITUTE (2011) BIG DATA: THE NEXT FRONTIER FOR INNOVATION, COMPETITION,
AND PRODUCTIVITY ; OPEN DATA BAROMETER (2016) ODB GLOBAL REPORT THIRD EDITION

Pula remplace alors les semences. En de leurs cheptels laitiers. Les éleveurs permet aux éleveurs novices de béné-
2017, la société a facilité la couverture enregistrent leurs données sur la traite, ficier d’une formation “sur le terrain”.
assurantielle de plus de 600 000 agri- l’élevage et la nutrition sur la plate- Environ 3  000 exploitants agricoles
culteurs en Éthiopie, au Kenya, au forme ADGG, accessible sur les appareils utilisent l’application et USOMI entend
Malawi, au Nigeria, au Rwanda, en mobiles ou fixes. Les données de chaque lancer Lulu® au Malawi, au Rwanda
Tanzanie, en Ouganda et en Zambie. animal sont ensuite analysées et, assor- et en Ouganda d’ici la fin 2018 (voir
“Pula offre aux agriculteurs un filet ties de conseils pratiques, permettent Conseils par SMS : Une plateforme numérique
de sécurité qui réduit le risque et rend aux éleveurs de prendre des déci- simplifie l’accès aux services de vulgarisation
accessibles les intrants comme l’as- sions éclairées. Depuis son lancement dans ce numéro).
surance”, souligne Michael Schlein, mi-2016, 78 000 agriculteurs se sont
président et PDG d’Accion Venture Lab, affiliés au programme et plus de 2 mil- Données responsables
qui soutient financièrement Pula. lions de messages de conseil ont déjà été Grace aux TIC, l’agriculture fondée
envoyés, dans les deux pays. sur l’open data et les données ouvre
Améliorer les revenus grâce Des informations personnalisées de nombreuses opportunités, mais des
aux données de l’élevage sont également fournies aux éleveurs déséquilibres persistent quant à l’accès
En Éthiopie et en Tanzanie, le pro- abonnés à l’application Lulu® de USOMI à de telles informations. La générali-
gramme African Dairy Genetic Gains Limited au Kenya, au Nigeria et en sation des capteurs dans les matériels,
(ADGG), dirigé par l’Institut internatio- Tanzanie. Les exploitants reçoivent en de l’imagerie satellite, des ordinateurs
nal de recherche sur l’élevage, collecte temps réel des réponses à leurs ques- et des smartphones connectés per-
des données dans les exploitations tions, et des conseils sur la gestion des met le déploiement de l’agriculture de
afin d’aider les petits éleveurs à amé- cultures et du bétail lors de phases précision. Néanmoins, un rapport de
liorer la productivité et la rentabilité clés de leur développement. Cela Global Open Data for Agriculture and ›

SPORE 190 | 21
ANALYSE

› Nutrition (GODAN) souligne que “la


Les données peuvent le manque de protection formelle des
plupart des applications de l’agricul- données sur les agriculteurs récol-
ture de précision sont utilisées par des permettre l’accès au tées par les capteurs installés sur leurs
systèmes agricoles à forte intensité de matériels, en développant leur propre
capital, et l’accès à des technologies et crédit, des aides et des code de déontologie, comme le Code
aux données reste entre les mains d’une de conduite européen sur le partage
poignée de grands agriculteurs et des conseils ciblés, une des données agricoles par contrat. Plus
fournisseurs de services”. de 3 000 fabricants d’équipements en
Pour que les petits exploitants isolés meilleure logistique et de tout genre, vendus en Europe, mais
reçoivent aussi des données agricoles aussi dans des pays en développe-
pertinentes et au bon moment, un nouveaux marchés. ment (notamment les pays ACP), ont
autre rapport de GODAN recommande adhéré à cette démarche”, explique
que soient déployées des politiques de de nombreux renseignements sur une André Laperrière, directeur exécutif
généralisation des matériels et des logi- exploitation et ses activités, même sans de GODAN. “Bien qu’ils ne soient pas
ciels dans les zones rurales. Les auteurs le consentement actif de l’agriculteur. encore standardisés ni généralisés, ces
notent par ailleurs que l’infrastructure Empêcher des tiers de faire un mauvais codes de conduite indiquent la direction
et les connexions nécessaires à la ges- usage de leurs données, en particulier prise par les marchés ; nous sommes
tion de ces systèmes doivent également leur profil, représente un autre défi pour donc optimistes sur le fait que les don-
être installées dans ces zones. les agriculteurs. Ils doivent être sensibi- nées des agriculteurs seront de mieux
Des informations sur les exploi- lisés au fait que leurs données peuvent en mieux protégées. De plus, ces der-
tations émises par les capteurs et être achetées et vendues en vue de gains niers prenant conscience de la valeur
les équipements de haute techno- financiers ou pour atteindre un avantage de leurs données, ils insisteront aussi
logie, parallèlement à l’imagerie concurrentiel indu. sur ce point” (lire l’interview d’André
satellitaire, aux données de recensement “Les fabricants d’équipements agri- Laperrière : Les données sont très précieuses
et à la géolocalisation, peuvent fournir coles ont réagi face aux critiques sur pour la chaîne de valeur). ■

Drones et agriculture de précision


Le potentiel des drones pour révolutionner l’agriculture commence seulement à être perçu

SOURCE : IBM ET PWC

22 | SPORE 190
INTERVIEW
André Laperrière : “Les données sont
très précieuses pour la chaîne de valeur”
Alex Miller

D
irecteur exécutif du Secrétariat GODAN L'année dernière, la Déclaration de Nairobi,
(Données ouvertes mondiales pour signée par 15 gouvernements africains, a mis
l'agriculture et la nutrition), André en avant le rôle des données sur la nutrition et

© GODAN
Laperrière explique comment sensibiliser le l'agriculture dans la lutte contre l’insécurité
public au potentiel des données agricoles et alimentaire, et le fait qu’elles appartiennent au
comment associer les décideurs politiques et domaine public. Quelles sont les opportunités
les bailleurs de fonds à cet effort. ainsi créées dans le domaine des données
pour l’agriculture (Data4Ag) ? André Laperrière,
du Secrétariat
Quelle est la valeur ajoutée que le big data Les gouvernements reconnaissent à présent
GODAN, explique
peut apporter aux agriculteurs en termes de que les données qu'ils recueillent sur leurs l’importance du
rentabilité, de productivité et de citoyens sont essentiellement financées par les big data et le rôle
renforcement de la résilience ? contribuables et appartiennent donc au joué par les
Le big data est devenu très important. La domaine public. Ils reconnaissent aussi que les décideurs
recherche et de nombreuses initiatives de la agriculteurs peuvent tirer de réels avantages des politiques et les
bailleurs de fonds
société civile et du secteur privé ont permis de informations compilées par les chercheurs et les
dans l’accès et la
développer des produits et des solutions qui universitaires, également connues sous le nom diffusion à grande
permettent aux agriculteurs de bénéficier de ces de “données de haut niveau”. Les données échelle des
“données massives”, directement et partout, météorologiques et relatives au marché aident données agricoles
pour autant qu’ils aient une connexion Internet. les agriculteurs à acheter leurs intrants au prix le
Ils peuvent ainsi recevoir sur leur téléphone des plus bas et à obtenir le meilleur prix pour leurs
informations générales, comme des données produits. Les grandes entreprises sont toujours à
météorologiques ou en rapport avec l’agriculture, la recherche de nouveaux fournisseurs, ainsi que
ou alimenter eux-mêmes la source de big data. de données sur l'efficacité et la résilience des
Par exemple, en cas d'infestation parasitaire ou petits producteurs pour les aider à prendre des
de maladies des plantes, l’application permet décisions d'affaires éclairées. Les données – à
généralement de prendre une photo. Quelques tous les niveaux – sont très précieuses pour la
secondes plus tard, l’agriculteur reçoit un chaîne de valeur.
message identifiant le problème ainsi que des
suggestions pour y remédier. À l'avenir, que doivent faire GODAN et d'autres
institutions pour améliorer la sensibilisation au
Quels sont les obstacles auxquels se heurte potentiel des données agricoles?
l'utilisation des données agricoles et quel en Pour GODAN, le défi est de faire en sorte que
est l’impact pour les décideurs et les bailleurs les agriculteurs aient accès à des données
de fonds ? pertinentes, en temps opportun et dans un
De nombreux problèmes doivent être réglés format adapté. Nous coopérons avec un plus
pour que l'utilisateur final puisse exploiter grand nombre de gouvernements pour mettre
efficacement les données agricoles. D’abord, les en œuvre des feuilles de route visant à faciliter
agriculteurs n’ont pas toujours accès à toutes les la diffusion de ces données. Nous coopérons
données qui pourraient leur être utiles. Ensuite, aussi avec le secteur privé afin de l’aider à
dans les régions reculées, l’accès en ligne aux participer à cet effort de diffusion, car ces
données peut être problématique. Il y a aussi les données stimulent le développement des
défis liés à la protection de la vie privée. Il faut activités le long de la chaîne de valeur. Nous
trouver un équilibre entre l’exploitation d’un travaillons déjà en partenariat avec quelque
maximum de données et la nécessité de 760 organisations et gouvernements du monde
protéger la vie privée des agriculteurs, en entier, qui sont de plus en plus conscients de
garantissant la confidentialité des données. Il l'importance des données et de la nécessité
faut parvenir à une situation win-win pour les d’en faciliter l’accès aux agriculteurs. Nous
agriculteurs, les décideurs politiques et les pourrions encore nous rapprocher de bien
bailleurs de fonds. d’autres acteurs afin de les impliquer.

SPORE 190 | 23
REPORTAGE

SAMOA

Connaître les agriculteurs pour


mieux répondre à la demande
des marchés
Une ONG samoane a cartographié les petites exploitations de noix de coco
pour mieux connaître la capacité de production des agriculteurs. Elle a aussi
développé des applications pour leur offrir des débouchés commerciaux locaux.

Vincent Defait

C
omment répondre à la demande du marché
sans connaître précisément la capacité de
production des exploitations agricoles ?
Telle était la question à laquelle l’ONG Women
in Business Development Inc (Femmes pour le
développement intégré des entreprises, WIBDI),
au Samoa, tentait de répondre. La solution est
venue en partie d’une collaboration avec l’entre-
prise samoane de services techniques Skyeye :
en 2016, à l’aide de drones, les fermes certifiées
biologiques de l’ONG ont été cartographiées, leur
surface démarquée, leurs cocotiers dénombrés.
Soit 37 933 hectares survolés et 428 188 cocotiers
comptés. Sur les 796 fermes certifiées biologiques
du réseau WIBDI, les 420 plus grandes ont été
prises en compte par Skyeye.
Désormais, l’ONG, qui est l’un des principaux
exportateurs d’huile de noix de coco du Samoa,
dispose d’une base de données précise. “La base
de données de WIBDI est au cœur des opérations
de l’organisation, dans la mesure où elle contient
des informations détaillées sur les agriculteurs et
leur emplacement, de même que des informa-
tions sur les cultures, la surface de terres cultivées
et d’autres détails importants pour le contrôle de
la qualité et la certification biologique”, explique
Alberta Vitale, directrice adjointe de WIBDI.
“L’enregistrement des terres cultivées ainsi que
des plants cultivés sur les fermes est essentiel
© CTA

pour le marketing, puisque WIBDI dispose ainsi

24 | SPORE 190
d’un décompte à jour des produits permettant de quotidienne de ses opérations. Grâce à un outil
répondre à la demande du marché. Par exemple, les en ligne développé avec le CTA, l’ONG a ainsi pu
marchés peuvent demander des tonnes d’huile de mieux suivre le parcours des jeunes impliqués
noix de coco à WIBDI et, pour pouvoir répondre à dans le programme de WIBDI intitulé Engaging
cette demande, l’organisation aura besoin de tous Youth in Samoa in Organic Farming and Menus: a
les décomptes détaillés sur la quantité de produits Farm-to-Table Value Chain Approach (Impliquer les
disponibles dans les fermes et la quantité qui peut jeunes au Samoa dans l’agriculture biologique et
être fournie, tout en prenant en compte les fac- les menus : une approche de la table à la ferme),
Afin de répondre à la teurs liés au changement climatique qui peuvent qui forme les jeunes, entre autres, à l’usage des
demande du marché des potentiellement affecter l’approvisionnement en TIC dans le secteur agroalimentaire. Le CTA a aussi
produits de la noix de coco matières premières.” aidé WIBDI à développer un système de données
au Samoa, une ONG locale a permettant de gérer son système de certification
créé une base de données Un décompte visuel des cocotiers en agriculture biologique pour 796 exploitations
donnant en temps réel le Pour établir une telle base de données, Skyeye du Samoa.
stock précis des a pu s’appuyer sur le fait que les fermes étaient L’ONG a par ailleurs pu soutenir, avec l’utilisation
disponibilités. équipées de GPS permettant de les localiser. Les de smartphones et de tablettes, la mise en place
drones ont permis d’établir des cartes basées sur un d’un système permettant aux agriculteurs de trou-
système d’information géographique (Geographic ver des débouchés commerciaux. L’application “De
Information System, GIS) des exploitations, d’en la ferme bio à la table” permet aux utilisateurs de
définir les limites avec les agriculteurs et de trouver les restaurants ravitaillés en produits bio-
compter les cocotiers. “Avec l’imagerie en haute logiques et de connaître le profil des producteurs.
résolution fournie par les drones, nous avons été “L’application offre un formidable moyen de mar-
capables de distinguer chaque arbre individuelle- keting vers les lieux d’agrotourisme, les restaurants
ment, ce qui nous a permis d’établir visuellement et les fermes du Samoa, et connecte les populations
un décompte du nombre total d’arbres”, explique locales et les touristes à WIBDI”, s’enthousiasme
Ephraim Reynolds, technicien GIS de Skyeye. Alberta Vitale. De son côté, Solomona Afualo, un
Pour cela, l’entreprise a utilisé un outil GIS connu agriculteur de 26 ans, confirme : “L’appli m’a per-
sous le nom de Service caractéristiques Web (Web mis d’être en contact avec WIBDI et de rendre plus
Feature Service, WFS), qui permet aux utilisateurs efficace la vente de mes produits sur les marchés
d’avoir accès aux informations et de les actualiser. locaux.”
Ainsi, la carte numérique des cocotiers peut être Sur le terrain, les représentants de WIBDI sont
mise à jour en fonction de la maturité des arbres. équipés de tablettes sur lesquelles sont installées
Le travail aux champs est organisé en conséquence. les applis, ce qui rend leur travail de collecte et de
“Les données disponibles m’ont permis de savoir mise à jour d’informations plus efficace. Ainsi, en
comment situer les différentes cultures des terres de connaissant précisément la situation des agricul-
ma famille par rapport aux immenses surfaces non teurs, WIBDI est mieux à même de les soutenir. Si
cultivées qu’il reste à développer et à la demande d’aventure un partenaire tiers souhaite collaborer
du marché local pour des produits frais et la valeur avec une agricultrice, l’ONG peut le renseigner sur
ajoutée”, fait valoir Oneone Suaesi, une agricultrice le parcours de celle-ci.
de 21 ans diplômée de l’Organic Warriors Academy
(Académie des guerriers du biologique, OWA) de Quelques défis
WIBDI, un programme de formation profession- Malgré des progrès considérables, des défis
nelle aux pratiques d’agriculture biologique lancé demeurent. Au premier desquels figure l’accès des
en 2016 est destiné aux jeunes. petits agriculteurs aux smartphones, indispen-
sables à l’utilisation des applications développées
Intégrer les TIC dans ses opérations par WIBDI, et la formation à leur usage. “Les agri-
WIBDI, qui œuvre dans 201 villages samoans, culteurs seront encouragés, au moyen d’économies
contribuant à la promotion d’entreprises d’agri- et d’un apprentissage à la finance, à mettre de
culture biologique au revenu annuel supérieur l’argent de côté afin d’actualiser leurs smartphones,
à 193 000 € (600 000 WST), a aussi reçu le sou- ce qui leur permettra d’avoir accès aux données et
tien du CTA pour intégrer les TIC à la gestion de les utiliser”, se projette Alberta Vitale. ■

SPORE 190 | 25
REPORTAGE

OUGANDA

Cartographier les plantations


de thé pour augmenter
les revenus des planteurs
Un projet innovant de géoréférencement des plantations recueille
des données locales pour améliorer les opérations d'une petite
entreprise ougandaise de thé et les rendements des planteurs.
Bob Koigi
© CHARLIE PYE-SMITH

26 | SPORE 190
D
ans le sud-ouest de l'Ouganda, où la culture Le profilage a commencé avec la formation du
du thé est le pivot de l'économie locale, Igara personnel d’IGTF à la collecte de données à l’aide
Growers Tea Factory Ltd (IGTF) garantit des de tablettes équipées de GPS et une appli créée pour
débouchés commerciaux à 7 000 petits producteurs, cela. Les données récoltées ont ensuite été analy-
parmi lesquels 20 % de femmes. L'usine reçoit sées par IGTF et analysés géographiquement à l’aide
jusqu'à 250 tonnes de feuilles fraîches par jour, à d’un système en libre accès. Chaque agent visitait
partir desquelles elle produit 50 tonnes de thé. IGTF jusqu’à huit agriculteurs par jour. Au terme de cet
a créé 700 emplois locaux exercice, les agents avaient
sur ses deux sites. “Pour l’heure, nous avons recueilli des informations
Les agriculteurs ont sur la taille et l'emplace-
besoin d'intrants – tels réussi à établir le profil ment des exploitations
que les engrais et des pro- agricoles, mais aussi une
duits agrochimiques – et d'environ 4 500 agriculteurs série de données détail-
d'un paiement régulier lées, notamment sur les
par les usines locales qu’ils et à cartographier environ autres sources de revenus
approvisionnent. Faute des agriculteurs, l’âge des
En Ouganda, l’entreprise de revenus réguliers, des 5 200 exploitations.” plantations, les méthodes
Igara Growers Tea Factory dizaines de milliers de de récolte et les causes
Ltd a établi un petits exploitants agricoles doivent souvent vendre des mauvaises récoltes. “Ce profilage a été l’un des
géoréférencement des leurs produits au plus offrant – ce qui va à l’encontre exercices les plus complexes que nous ayons jamais
plantations et une du contrat qui les lie à l’usine et peut compromettre réalisés. Pour l’heure, nous avons réussi à établir
cartographie des les revenus nécessaires à l’achat d’intrants pour la le profil d'environ 4 500 agriculteurs et à carto-
agriculteurs afin de profiler saison suivante. graphier environ 5 200 exploitations”, explique
les agriculteurs. Depuis la création d’IGTF en 1995, les producteurs Hamlus Owoyesiga, administrateur réseau et sys-
actionnaires de l’entreprise peuvent recevoir des tèmes d’IGTF.
intrants à crédit. Toutefois, faute de bien tenir ses L’initiative a également bénéficié de l’utilisation
registres, IGTF ne connaissait pas le nombre exact de drones, dans le cadre du projet Eyes in the Sky du
de producteurs avec qui elle travaillait et ne pouvait CTA, qui a permis l’acquisition de données sur plus
donc pas tenir la comptabilité de tous les intrants de 40 fermes. Les données ont été utilisées pour
distribués. Parfois, des membres de la famille enre- diagnostiquer la santé des plants et quantifier les
gistraient souvent les mêmes plantations sous des zones non utilisées ou pour compter les théiers au
noms différents et en revendiquaient la propriété sien des plantations. De plus, les vues aériennes des
pour recevoir également les intrants. “Qui travail- exploitations enrichies de cartes de diagnostique
lait pour nous ? Nous n’en étions pas sûrs. Nous en des plants ont été utilisées pour développer des
avons conclu que nous devions renforcer notre base dossiers que les producteurs ont pu soumettre aux
de données”, explique Onesimus Matsiko, directeur institutions de prêts pour obtenir des crédits.
général d'IGTF. Les données recueillies lors du profilage ont
En outre, alors que la demande des transfor- permis à IGTF de connaître le nombre exact d'agri-
mateurs en feuilles de thé fraîches a explosés, les culteurs avec lesquels elle travaille, ainsi que la
producteurs vendaient parfois à la concurrence, taille et la localisation de leur exploitation. Elle
après avoir reçu les intrants d'IGTF. Ils cessaient peut donc s’assurer que chaque agriculteur reçoit
alors de rembourser leurs emprunts. La dette accu- les quantités adéquates d’engrais. Ces informations
mulée d’IGTF s’est élevée jusqu’à 214 000 euros, un l’ont également aidée à identifier les problèmes
montant équivalent à celui des achats d’intrants d'augmentation de leur productivité et des inter-
nécessaires pour approvisionner les agriculteurs ventions utiles ont pu être mises en œuvre.
pendant toute une saison. IGTF peut à présent rapidement fournir des
intrants ainsi que des conseils pour l’amélioration
Le profilage des agriculteurs des pratiques agricoles et l'accès aux facilités de
et ses multiples avantages crédit à un plus grand nombre d'agriculteurs. Elle
En 2017, IGTF a bénéficié d’un financement du a également réduit le gaspillage d'intrants – fré-
CTA pour établir le profil de tous les agriculteurs quentes lors de la fourniture de quantités trop
fournissant les deux usines d'IGTF, ainsi que celui importantes – et limité le risque que certains
des exploitants qui détenaient des actions dans la agriculteurs profitent du système, car les données
société mais qui fournissaient des feuilles à d’autres relatives à chaque agriculteur sont sauvegardées
usines. Des données sur l'emplacement, la taille et dans son système de données. Entre septembre 2017
la productivité des plantations des membres ont – au début de la distribution de l’engrais aux agri-
ainsi été recueillies. culteurs juste après l’introduction du profilage – et ›

SPORE 190 | 27
› janvier 2018, IGTF a pu récupérer 90 % du coût du crédit aux de crédit. La COOPEC surveille la quantité de feuilles produite
agriculteurs. Le nombre d'agriculteurs qui approvisionnent par les agriculteurs et leur accorde des facilités de crédit en
l'entreprise est passé de 2 900 en août 2017 à 3 400 à la fin fonction de la quantité et de la régularité de l’approvisionne-
novembre 2017. Ils sont 7 000 aujourd’hui. ment. La COOPEC pratique des taux d'intérêt inférieurs à ceux
Les agriculteurs ont accueilli favorablement le projet. “Je des banques commerciales et les délais de demande ainsi que
possède 3,5 hectares et je sais maintenant exactement quelle les procédures ont été réduits, ce qui a séduit de nombreux
quantité d'engrais je dois utiliser, ce qui n’était pas le cas dans membres potentiels. Au cours de la première semaine après le
le passé. Je gaspillais beaucoup”, explique Shem Babushereka, lancement de ses activités, plus de 200 agriculteurs ont ouvert
dont les rendements sont passés de 2 000 à 4 000 kg de feuilles un compte auprès de la COOPEC. Les agriculteurs peuvent
par mois. également obtenir un paiement anticipé en cas d'urgence, sur
présentation du reçu de leur dernière livraison à l’usine.
Profiler les agriculteurs implique que “Nous savons que nous pouvons nous fier aux données
recueillies au cours de l'exercice de profilage, par exemple
l’entreprise peut désormais toucher sur la taille et l'emplacement des plantations. Nous pouvons
ainsi évaluer plus facilement la solvabilité des agriculteurs
un plus grand nombre d’entre eux qui viennent solliciter un prêt”, explique Lillian Nuwagaba,
directrice générale de la COOPEC. “Aujourd'hui, les agri-
avec des conseils sur de meilleures culteurs reçoivent plus facilement des engrais et des crédits,
qu’ils s’adressent à nous ou aux banques, car les informations
pratiques agricoles et l’accès à des aides enregistrées dans leur profil peuvent servir de garantie”, ajoute
Onesimus Matsiko.
financières. Le projet envisage à présent de recourir davantage aux
drones en s’associant à des organismes d’analyse de données,
“Le profilage a rétabli la confiance des agriculteurs dans comme Airinov en France. L’objectif de ces partenariats est
l’entreprise et a renforcé leur identité en tant qu’actionnaires. d’introduire des systèmes permettant l’épandage précis d’azote
Beaucoup d'exploitants partis à la concurrence ces dernières et d’engrais sur les cultures, et d’identifier les plants qui doivent
années ont ainsi décidé de revenir vers IGTF”, indique Hamlus être remplacés afin d’augmenter les rendements. IGTF espère
Owoyesiga. également collaborer avec d'autres usines de thé d’Ouganda et
diffuser ainsi à plus grande échelle les techniques de profilage
Des crédits basés sur la régularité de l’approvisionnement et de géocartographie pour améliorer la productivité des petits
En octobre 2017, le projet a créé la Coopérative d’épargne et producteurs de thé. Rappelons que le gouvernement ougandais
de crédit (COOPEC) des producteurs de thé d’Igara-Buhweju, a identifié le thé comme étant une culture stratégique pour
avec l’objectif d’offrir à ses membres des services financiers et promouvoir les exportations. ■

Un “passeport numérique” pour le café


L’intérêt croissant des marchés d’exportation pour le café Le système de traçabilité est une base de données
ougandais est l’aboutissement des efforts et du dynamisme de dans laquelle sont téléchargées des informations sur les
l’Union nationale de l'agrobusiness et des entreprises agricoles producteurs, telles que le type de café qu’ils cultivent, les
de café d’Ouganda (NUCAFE), qui travaille aussi avec le CTA. intrants qu'ils utilisent et ce que leur rapporte la vente de
L’organisation compte environ 1,5 million d'agriculteurs membres café. Un profil est ainsi généré pour chaque membre. De telles
organisés en 210 coopératives qui possèdent, en moyenne, 0,2 innovations ont facilité la certification des agriculteurs, comme
hectare de terres. Elle éprouvait toutefois des difficultés à vendre l’indication géographique, et ont permis aux producteurs
le café sur des marchés d’exportation clés, comme l’UE et le d'exporter vers de nouveaux marchés, notamment le Japon et
Moyen-Orient, dont les acheteurs exigent de plus en plus de la Corée du Sud.
données sur l’origine et les conditions de culture. Grâce à cette initiative de profilage, de nouveaux producteurs
Pour faire face à ces exigences, la NUCAFE a mis en place en et associations ont rejoint la NUCAFE. C’est le cas par
2017, avec le soutien du CTA, un système de traçabilité du café exemple de l’association des producteurs de café biologique
lui permettant de cartographier les caféiers et les exploitations de Bufumbo, afin d'utiliser la base de données. Elle a aussi
de ses membres. “La NUCAFE a créé un ‘passeport’ demandé la certification biologique et UTZ – un programme
numérique qui prouve l'authenticité et l'origine du café que et un label d’agriculture durable. L'association a reçu les deux
nous exportons. Nous pouvons ainsi présenter un registre certificats et, au début de 2018, elle a conclu un accord avec
de traçabilité vérifiable du café que nous vendons”, explique l’entreprise italienne Caffe River portant sur la fourniture de
Joseph Nkandu, directeur exécutif de la NUCAFE. 19,8 tonnes de café par an.

28 | SPORE 190
Agribusiness

DÉBOUCHÉS SYSTÈMES
COMMERCIAUX AGROALIMENTAIRES
À Zanzibar, la culture des algues Au Niger, les plantes indigènes aident à
marines refait surface lutter contre l’insécurité alimentaire

Au Zimbabwe, une salle Rwanda : moins de pertes


de ventes en ligne unique grâce à des céréales nutritives

30 32

FINANCE & COMMERCE & PORTRAITS


ASSURANCE MARKETING DE LEADERS
Fonds de garantie Les technologies H. Randriamananatahina
de prêt : comment redéfinissent l’accès “Un jeune entrepreneur
bien les utiliser aux marchés doit être créatif”

34 36 38
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX

C U LT U R E S O C É A N I Q U E S

À Zanzibar, la culture des algues


marines refait surface
L’utilisation de filets tubulaires permet aux agricultrices de l’île tanzanienne de cultiver
des variétés d’algues à haute valeur ajoutée. Elles ont aussi appris à fabriquer des produits
innovants destinés aux secteurs de l’alimentation et de la cosmétique.

Munyaradzi Makoni

I 2 MILLIONS
À Zanzibar, des filets de pêche ordi- habituellement cultivées les algues, sont
naires sont recyclés en une structure passées de 31 à 38 °C, ce qui a fait chuter
cylindrique sans air – appelée “filet la production de 94 % entre 2001 et 2015,
d’euros de revenus sont
tubulaire” – pour cultiver des algues passant de 1 048 tonnes à 58,4 tonnes
générés par la culture d’algues
en eau profonde. Ces filets sont remplis d’algues.
à Zanzibar.
de jeunes algues qui grandissent et se Les agricultrices ont dû renoncer à la
multiplient le long des filets plantés à méthode traditionnelle de la ligne flot-

300
une profondeur de 2 à 6 mètres. Plus tante – des cordes en nylon couvertes
respectueuse de l’environnement que d’algues tendues entre deux piquets
les méthodes traditionnelles d’algo- en bois. “J’ai adapté les filets tubulaires cultivateurs d’algues fabriquent
culture, cette technique permet aux afin d’aider les femmes à continuer leur des produits à base d’algues
agricultrices de produire des variétés production d’algues de grande valeur sur l’île.
d’algues de haute qualité en vue de leur dans des eaux plus profondes”, explique
transformation. Flower Msuya, chercheuse principale à
En générant deux millions d’euros par l’Institut des sciences marines de l’Uni- Initiative (ZaSCI – Initiative de groupes
an, l’algoculture est le troisième plus versité de Dar es Salam. La nouvelle d’algoculture de Zanzibar), un réseau
grand secteur économique de Zanzibar méthode perturbe moins la vie marine d’universitaires, de représentants du
après le tourisme et le clou de girofle. Du et les habitats coralliens car les agricul- gouvernement et d’agriculteurs qui se
fait du changement climatique, les tem- trices ne piétinent plus le fond marin sont engagés à améliorer l’algoculture
pératures des eaux de surface, où étaient pour planter les piquets. Elles utilisent et l’adaptation climatique sur l’île. Un
des bateaux pour gagner les premier groupe de 21 femmes de Kidoti,
© UZIMAGAZINE/FLICKR

zones d’eaux plus profondes. à Zanzibar, ont reçu la formation de la


L’initiative des filets tubu- ZaSCI à la production de poudre d’algue
laires a été menée à travers entrant dans la composition de savons et
le projet Sea PoWer en avril de crèmes pour le corps.
2017 et s’est concrétisée par Sur l’île, il existe huit groupes de
la formation de 35 femmes à femmes formées à la culture et à la
leur utilisation. Celles-ci ont vente d’algues. Une formation complé-
également appris à placer mentaire en valeur ajoutée de la ZaSCl
des paniers à piège afin d’at- a permis à plus de 300 productrices de
traper des poissons destinés fabriquer désormais plus d’une cin-
à la consommation ou à la quantaine de produits à base d’algues,
vente. “Dans les conditions notamment des jus, des confitures et
optimales, une bonne récolte des huiles de massage. L’une de ces pro-
peut rapporter entre 300 et ductrices, Mwajuma Mwinyi, explique
600 USD [de 255 à 510 €]”, qu’avant d’avoir appris de nouvelles
précise le Dr Betty Nyonje, du compétences elle vendait 1 kg d’algues
projet Sea PoWer. pour 400 TSh (0,15 €) contre 30 000 TSh
En 2006, Flower Msuya aujourd’hui (11,30 €) en vendant du
À Zanzibar, les productrices d’algues utilisent des filets tubulaires a aussi mis sur pied la savon fabriqué avec la même quantité
pour la culture de variétés à haute valeur ajoutée. Zanzibar Seaweed Cluster d’algues marines. ■

30 | SPORE 190
E-MARCHÉS

Au Zimbabwe, une salle de ventes


en ligne unique
Un système efficace et transparent de vente aux enchères en ligne rapproche les petits
exploitants des marchés et réduit les coûts de transport et de pertes.

© ROSELINIE MUROTA/PALLADIUM
Tonderayi Mukeredzi

À
Mutasa, dans l’est du Zimbabwe,
un système de vente aux
enchères unique en son genre
a transformé la commercialisation des
produits agricoles dans la région en
facilitant les échanges entre les petits
exploitants et les marchés nationaux. La
salle de ventes aux enchères de Mutasa
(MAF, Mutasa Auction Floor), ouverte
en mai 2016 avec le soutien de l’ONG
Help Germany et du Département des
services agricoles, techniques et de
vulgarisation du Zimbabwe, est gérée
par l’entreprise de produits agricoles
Farmers Intersection. Quand la mise aux
enchères commence, seuls les acheteurs
enregistrés peuvent enchérir sur les
produits en vente, en temps réel et via Au Zimbabwe, un système de vente aux enchères en ligne a créé un débouché et fournit
Internet. Une fois la vente réalisée, le un point de vente aux petits agriculteurs.
produit est envoyé vers la grande ville la
plus proche ou vers un centre de trans-
port pour distribution nationale. immédiate de leurs produits. “Les produits vendus est due à une multitude
Auparavant, les agriculteurs de paiements mobiles se font toutes les de problèmes opérationnels, dont le fait
Mutasa avaient du mal à trouver des semaines. C’est un excellent concept, que les modes de production des petits
débouchés pour leurs produits, ce très utile pour la communauté. Grâce à ce exploitants ne sont pas adaptés à la
qui les obligeait à parcourir des cen- système, les agriculteurs ont accès à un demande du marché, d’où des excédents
taines de kilomètres jusque la ville de marché et ont retrouvé espoir”, explique et des pénuries. La MAF collabore donc
Mutare ou la capiale Harare. Là, des Moses Simbi, fournisseur de pleurotes à avec le conseil du district de Mutasa pour
intermédiaires leur offraient souvent la salle de ventes. “La MAF a réduit nos accroître la diffusion d’informations sur
des prix au rabais. Leurs produits se frais de transport car ses collaborateurs le marché auprès des agriculteurs et
détérioraient le long de la route ou viennent eux-mêmes collecter les pro- pour élaborer une stratégie de marketing
sur le trajet. Depuis le lancement de la duits dans nos exploitations. La salle de visant à augmenter de 50 % le nombre
salle de ventes, le délai entre la récolte ventes emploie également des habitants d’exploitants qui vendront leurs produits
et la mise en vente a été réduit, note le de la région pour charger et décharger la deuxième année du projet.
directeur de Farmers Intersection, Sam les produits, ce qui crée des emplois La MAF prévoit de disposer d’une salle
Case. Quant aux petits exploitants, ils locaux”, poursuit-il. de ventes dans chacun des districts du
peuvent traiter directement avec les Au total, entre 2016 et 2017, 319 agri- Zimbabwe. Sam Case se projette : “Nous
acheteurs, leur offrant ainsi un marché culteurs ont vendu leurs produits via ce espérons pouvoir bientôt nous concentrer
facile d’accès et efficace. système et 1 010 ont participé à la phase sur d’autres régions et produits, comme
Les agriculteurs ont accueilli le sys- pilote. Ainsi, 96 580 kg de denrées ont la vallée de la Honde pour les bananes,
tème favorablement car il a localisé été vendus pour environ 26 000 €. Sam Nyanga pour les pommes de terre et
le marché et permet la vente presque Case indique que la “faible quantité” de Gokwe pour les carottes et le miel.” ■

SPORE 190 | 31
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES

PRODUITS NUTRITIFS

Au Niger, les plantes indigènes aident


à lutter contre l’insécurité alimentaire
L’entreprise sociale Sahara Sahel Foods exploite des plantes indigènes résistantes
au climat aride du Sahel pour produire des aliments nutritifs. Résultat : de meilleurs
revenus pour les agriculteurs et un environnement préservé.

© SAHARA SAHEL FOOD


Issa Ousseini

A
u Niger, l’entreprise sociale
Sahara Sahel Foods valorise la
qualité nutritive d’une quinzaine
de plantes sauvages, ce qui contribue
à renforcer la sécurité alimentaire, à
lutter contre la malnutrition et la déser-
tification tout en procurant un revenu
supplémentaire aux populations rurales.
Lancée en 2014 avec un fonds initial
de 1 200 € constitué d’économies per-
sonnelles de son fondateur, Josef Garvi,
Sahara Sahel Foods exploite des plantes En cultivant des plantes indigènes, des communautés nigériennes aident l’entreprise de transformation
indigènes résistantes au climat aride agricole Sahara Sahel Foods à combattre la malnutrition.
du Sahel pour produire des aliments

15
très nutritifs. Son unité industrielle est collabore avec 1 500 femmes dans les
implantée dans la région de Zinder, dans trois régions du pays (Diffa, Maradi et
le sud-est du pays. La gamme d’aliments Zinder). Celles-ci bénéficient désormais
plantes sauvages sont promues
comprend 35 produits, tels que des jus et d’un revenu issu de l’activité de cueil-
pour aider à renforcer la sécurité
pulpes de fruits, des huiles, des amandes, lette et reboisent les champs familiaux
alimentaire.
des pâtisseries, des infusions. avec les plantes indigènes négligées,

1 500
Ces plantes, qui poussent naturelle- grâce à des techniques modernes de
ment dans les champs de céréales et de plantation de semis, comme la régéné-
légumineuses, produisent des fruits, des ration naturelle et le semis direct. Selon
feuilles, de la gomme, etc. Auparavant, les Josef Garvi, “les collaboratrices de l’en- femmes travaillent avec Sahara Sahel
populations se contentaient de les cueillir treprise gagnent pour certaines plus de Foods au Niger.
et de les consommer tels quels ou de les 100 000 francs CFA par an (152,45 €)”.
utiliser dans la médecine traditionnelle. Ces revenus supplémentaires et la une paysanne de la région de Maradi.
Par ailleurs, ces plantes pluriannuelles découverte des aliments nutritifs produits “Grâce à Sahel Sahara Foods, nous avons
freinent l’érosion des sols par les eaux de par Sahara Sahel Foods ont convaincu les désormais une activité lucrative perma-
ruissellement. L’objectif est d’inciter les populations. Le succès de l’entreprise nente. Mieux, nous sommes devenues
populations rurales à prendre soin de ces auprès de ces dernières est tel que, dès des agents forestiers locaux permanents”,
arbres indigènes et à les planter. la deuxième année, l’entreprise a récolté renchérit Barira Safiatou, une autre
Les aliments conditionnés sont ven- 50 tonnes de fruits, feuilles et gomme, femme de la même région.
dus dans des magasins de tout le pays. soit le double des 25 tonnes escomp- L’ambition de Josef Garvi est d’im-
Au départ, les populations sollicitées tées. “Nous savions que certains de ces planter des unités de collecte et de
pour la cueillette des fruits, des feuilles arbres produisent des aliments pour transformation des produits de cueillette
et même de la gomme des plantes une consommation locale, mais nous dans les autres régions du pays, mais sur-
n’ont pas adhéré au projet, estimant ignorions qu’ils pouvaient nous procurer tout de reproduire le modèle vers d’autres
qu’il n’y avait aucune rentabilité à en un revenu substantiel, même en cas de pays où existent les mêmes variétés
tirer. Aujourd’hui, Sahal Sahara Foods mauvaise récolte”, raconte Mamou Rabia, d’arbres indigènes. ■

32 | SPORE 190
ALIMENTATION

Rwanda : moins de pertes


grâce à des céréales nutritives
Une entreprise rwandaise d’agroalimentaire forme des agriculteurs à la production
de céréales fortifiées. Bilan : des revenus en hausse pour les petits exploitants
et une contribution notable à la lutte contre la malnutrition.

Sophie Mbugua

A
frica Improved Foods (AIF), “Et de septembre 2017 à février 2018, nous dans le district de Kayonza, ajoute :
l’un des principaux fabricants en avons déjà collecté 6 000 tonnes.” “Auparavant, nous vendions notre maïs
rwandais de denrées nutri- Dans le district de Nyaruguru, ces à des collecteurs informels qui l’ache-
tives améliorées, coopère avec plus de contrats permettent à Fina Mukantwari, taient à un prix inférieur à celui d’AIF.
24 000 agriculteurs du pays qui l’ap- 46 ans et mère de six enfants, de louer Actuellement, un kilo se vend à 130-
provisionnent en maïs et en soja. AIF 9 hectares de terres supplémentaires à un 140 RWF [0,13-0,14 €] sur le marché
forme les petits exploitants aux bonnes taux subventionné par le gouvernement local, tandis que AIF nous l’achète pour
pratiques de gestion agricole et aux de 1 000 RWF (1 €) par hectare, sur les- 187 RWF [0,18 €]. Pour nous, cela fait
techniques postrécolte, ce qui leur per- quels elle cultive du maïs. Auparavant, une grande différence.”
met d’accroître leurs rendements et de l’agricultrice vendait sa production à En 2017, l’ONG World Vision s’est
réduire les pertes. L’entreprise sèche et des intermédiaires, dont le système de associée à AIF pour faciliter les liens
broie le maïs, qui est mélangé à du soja mesure imprécis la contraignait à souvent entre cette dernière et les groupes
et des minéraux afin de produire des vendre à perte. de cultivateurs de maïs. “Nous avons
denrées fortifiées contenant des vita- Fina Mukantwari est désor- organisé des formations agricoles pour
mines et minéraux importants comme mais membre de la coopérative familiariser les petits exploitants avec
le potassium, le magnésium, le fer et le Abishijehamwe Urwonjwa. En 2017, elle le modèle d’entreprise d’AIF, afin qu’ils
calcium. a vendu 450 kg de maïs en épi au prix de répondent mieux aux exigences strictes
Depuis 2016, le nombre de coopératives 187 RWF (0,18 €) le kilo. “Nous cultivons de qualité de l’entreprise”, explique
sous contrat est passé de neuf dans cinq et vendons en groupe, ce qui permet Ryoichiro Mochizuki, chef de projet à
districts à 110 dans 21 districts depuis 2016. d’augmenter les profits, de réduire les World Vision. Le taux de rejet d’AIF en
“En 2016, quand le programme a démarré, pertes et d’améliorer la qualité, puisque raison de la mauvaise qualité du maïs est
nous avons collecté 4 000 tonnes de maïs nous vendons immédiatement après la passé de 90 % en 2017 à 25 % début 2018.
auprès des agriculteurs. Ce chiffre est passé récolte”, explique-t-elle. Les produits nutritifs sont principa-
à 6 000 tonnes en 2017”, estime Elisha Faustin Nshimiyumukiza, président de lement destinés aux jeunes enfants et
Rugambwa, coordinatrice de terrain d’AIF. la coopérative Abishijehamwe Urugwiro aux mères qui allaitent, afin de réduire
les taux de malnutrition et les retards de
croissance dans le pays et la région. Ces
produits sont déjà distribués au Rwanda
et exportés en République démocra-
tique du Congo et en Ouganda. AIF
veut doubler le nombre d’agriculteurs
sous contrat dans les trois prochaines
années et commencer à exporter vers le
Kenya et la Tanzanie dans les prochains
mois. ■
© SOPHIE MBUGUA

Au Rwanda, des agriculteurs approvisionnent en


céréales améliorées une entreprise locale
d’agrotransformation pour la production d’aliments
nutritifs, comme une bouillie multicéréales.

SPORE 190 | 33
FINANCE & ASSURANCE

FONDS DE GARANTIE DE PRÊT

Comment bien
les utiliser
Les fonds de garantie de prêt peuvent être des outils très utiles pour
aider les petits exploitants à accéder au financement. Mais il
convient avant tout d’appliquer ce modèle à bon escient.

Helen Castell

U
tilisés de longue date pour aider réels avantages et que les nouveaux sys- contrôle des coûts. “Ces systèmes sont
les agriculteurs, les fonds de tèmes seront ajustés pour mieux soutenir très simples et durables”, explique Calvin
garantie de prêt favorisent l’accès l’agriculture. Grâce au fonds Smallholder Miller. “Ils fonctionnement comme un
au financement pour ceux qui ne dis- Farmers Credit Guarantee Scheme centre de profit à proprement parler.”
posent pas de garantie ou de garanties (SCGS) de Tanzanie, par exemple, les
suffisantes. Bien que ces fonds ne soient banques commerciales pourront exiger Gouvernance et gestion
pas toujours mis en œuvre efficacement, une garantie couvrant 50 % de tous les Autre facteur clé de succès : une ges-
ils ont bonne presse et de nouveaux emprunts non remboursés pour des tion et une gouvernance professionnelles
fonds conçus pour le secteur agricole se prêts allant jusqu’à 5 millions de shillings et transparentes. Conseiller senior pour
créent régulièrement. tanzaniens (1 867 €) par agriculteur et le financement rural à la FIDA, Michael
L’idée est d’encourager les organismes 500 millions TSh (186 794 €) pour les Hamp est favorable aux fonds de garan-
de prêt à financer des emprunteurs répu- organisations de petits exploitants. tie, mais uniquement si les systèmes sont
tés à haut risque. Une entité de garantie Bien que le fonds ne soit pas encore “correctement institutionnalisés”. Sans
– souvent créée par un gouvernement testé, le montant de la garantie est un partenaire de développement solide
ou un bailleur, voire une entreprise conforme aux recommandations de qui participe à l’évaluation et à la mise
privée – se porte garante au nom de Calvin Miller, ancien directeur de la en œuvre initiales d’un tel système, “la
l’emprunteur. Dans le cadre des systèmes FAO en charge de l’industrie agricole et tendance sera à la mise en œuvre d’une
de distribution (voir encadré), le garant du financement. Selon lui, les systèmes approche descendante et à la conception
participe aussi à la sélection des emprun- devraient garantir aux alentours de 50 % de la solution en amont, avant même de
teurs et à l’évaluation de leur solvabilité du montant emprunté et jamais plus de comprendre en quoi consiste exacte-
afin d’améliorer la probabilité que les 70 %. Au-delà de cette limite, “le coût ment le problème de développement à
emprunts soient remboursés sans que le devient très élevé”. De plus, cela va à l’en- régler”, dit-il.
fonds doive dédommager le créancier. contre de l’objectif d’attirer les banques Depuis sa création en 2011 par
En atténuant les risques associés aux vers des zones plus risquées en ne leur l’Agence danoise de développement
prêts, les fonds de garantie peuvent aider faisant assumer presque aucun risque. international (DANIDA), avec la Banque
les organismes de financement à prêter Plusieurs fonds de garantie des pays africaine de développement et l’Agence
davantage, et parfois à des taux d’intérêt de l’Europe de l’Est constituent égale- espagnole pour la coopération au déve-
moins élevés que ceux habituellement ment de bons modèles de gestion des loppement internationale (AECID), le
appliqués. coûts et de gouvernance pour les sys- Fonds africain de garantie (FAG) a signé
tèmes de garantie dans les pays ACP. La des conventions de garantie à hauteur
Contrôle des coûts Fondation pour le développement rural de presque 783 millions de dollars US
Les fonds de garantie sont rare- d’Estonie garantit ainsi jusqu’à 80 % des (667 millions d’euros) avec 125 institu-
ment la solution idéale. Néanmoins, la prêts, mais ce taux reflète l’environne- tions financières dans 38 pays africains.
communauté du développement reste ment spécifique dans lequel elle opère. Récemment, un accord a été conclu avec
convaincue que le modèle présente de Par ailleurs, sa petite taille facilite le l’agence néerlandaise Oikocredit, qui

34 | SPORE 190
© JOERG BOETHLING/ALAMY STOCK PHOTO
Malgré des défis récurrents, les experts restent
convaincus que les fonds de garantie peuvent
être un levier de transformation de l’agriculture. Fonds de garantie : comment ça marche
Les fonds de garantie de crédit permettent de réduire le risque d’exposition des
a annoncé bénéficier prochainement institutions financières lorsqu’elles prêtent à des emprunteurs considérés à haut
d’une garantie de 8,5 millions d’euros risque – lorsqu’ils ne sont pas propriétaires fonciers ou immobiliers ou qu’ils ne
sur une période de 10 ans dans le cadre disposent d’aucune autre garantie. Généralement, un garant – souvent soutenu
du mécanisme de garantie verte du par un gouvernement ou un bailleur de fonds – s’engage à verser à un prêteur un
FAG, afin de soutenir les institutions de pourcentage ou “première perte” du montant prêté en cas de défaut de paiement
microfinance, l’agriculture et les PME du de l’emprunteur. Pour les fonds agricoles, le prêteur peut être un acteur de la
secteur des énergies renouvelables en chaîne de valeur, un négociant notamment, alors que l’emprunteur peut être un
Afrique subsaharienne. agriculteur ou une organisation agricole. En vertu d’un tel système de “distribution”,
La gestion d’un fonds doit aussi inclure le fonds est impliqué dans l’analyse et l’évaluation des emprunteurs. La gestion du
une surveillance rigoureuse des prêts fonds coûte dès lors plus cher qu’un système “complet”, où le prêteur a davantage
garantis et prévoir une double évalua- d’autonomie. Les deux modèles prévoient que la garantie fournie est exécutable
tion – immédiate et en cas de défaut de par voie légale.
paiement – afin de gérer les risques et de
garantir des remboursements rapides.
“On peut subventionner beaucoup de
choses, mais la lenteur à rembourser
réduira à néant tous les autres avan- fournissent des financements pour ce son PDG est convaincu qu’il faudra du
tages”, prévient Michael Hamp. système ont perdu de l’argent en 2016 temps pour regagner la confiance des
lorsque le marché a été saturé d’importa- banques. “Lorsqu’une banque subit ce
Périodes de crise tions de maïs et de pois, ce qui a entraîné type d’événement extrême, elle s’en
Malgré leurs défauts, les fonds de l’effondrement des prix locaux. Selon souvient longtemps et il est difficile de
garantie sont des outils indispensables Kristian Schach Moller, PDG de l’ACE, la convaincre de se lancer de nouveau”,
pour inciter les banques à prêter pen- ces banques sont à présent réticentes à souligne-t-il.
dant ou après une crise. L’Agricultural prêter pour des produits entreposés au Il conclut que les fonds de garantie
Commodity Exchange for Africa (ACE) Malawi. Si l’ACE veut désormais mettre de prêts ne constituent pas une solu-
est souvent salué comme un modèle au point un fonds qui supporterait le tion miracle. Toutefois, s’ils sont mis en
précurseur pour d’autres pays afri- premier choc en cas de pertes bancaires œuvre de manière judicieuse, ils peuvent
cains. Toutefois, les banques privées qui futures liées à la volatilité des prix, être des “outils très puissants”. ■

SPORE 190 | 35
COMMERCE & MARKETING

D E L A F E R M E À L ’A S S I E T T E

Les technologies redéfinissent l’accès


des petits exploitants aux marchés
Les solutions techniques pour le suivi, la traçabilité et la distribution des produits
alimentaires permettent aux entreprises agroalimentaires de mieux gérer leurs
opérations et de les développer. Ces innovations aident aussi les agriculteurs et les
organisations paysannes à établir des liens de coopération avec les acheteurs.

Stephanie Lynch

L
es nouvelles technologies contri- d'Afrique, d'Asie, d'Amérique centrale de 3 000 agriculteurs haïtiens dans des
buent à maximiser l'efficacité de et d'Amérique du Sud l’utilisent pour entrepôts situés à proximité des com-
la distribution des produits frais, coordonner les activités de plus de munautés agricoles, s’assure que leur
des exploitations vers les marchés. 250 000 agriculteurs et s’assurer que teneur en aflatoxines ne dépasse pas les
Farmforce, une plateforme mobile et leurs produits alimentaires répondent seuils autorisés et les vend à des ache-
en ligne, en “nuage”, soutient ainsi aux normes de sécurité et de durabilité. teurs en gros. L’entreprise garantit ainsi
les relations professionnelles entre les Parmi celles-ci figure, en Haïti, Acceso des débouchés à son réseau de petits
petits agriculteurs et les acheteurs. Des Peanut Enterprise Corporation, qui producteurs, qui reçoivent un prix équi-
entreprises agroalimentaires de 25 pays collecte des arachides auprès de plus table pour leurs arachides, et leur offre
une formation aux bonnes pratiques
agricoles ainsi que des intrants à crédit.
© ERIC CARROLL/ELEVATE SOCIAL BUSINESSES

Depuis son lancement, Farmforce


aide Acceso à gérer ses opérations quo-
tidiennes et à tenir des registres détaillés
sur les exploitations, la participation à
la formation, les prévisions de rende-
ment, le remboursement des prêts et
les achats de récoltes auprès des petits
producteurs. Les données de ces quatre
dernières années ont permis à Acceso
d’évaluer l'impact de ses opérations et
de mieux comprendre les stratégies les
plus efficaces pour garantir sur le long
terme de meilleurs rendements quanti-
tatifs et qualitatifs. “Grâce à Farmforce
qui permet la compilation de données
géoréférencées sur l’enregistrement des
agriculteurs, les visites sur le terrain et
les réponses aux enquêtes, je peux savoir
en temps réel où se trouve mon équipe
et ce qu’elle fait”, explique Patrick Dann
Dorzin, directeur adjoint des opérations
chez Acceso. Avec l'aide de Farmforce,
Acceso a testé et vendu 800 tonnes
d'arachides depuis son lancement et a
commencé à élargir son portefeuille,
avec d’autres cultures comme le citron
Farmforce est rompue à l’analyse de la sévérité des différents types de maladies vert, la mangue, le moringa, le sorgho, le
qui affectent la production d’arachides en Haïti. sisal et le ricin.

36 | SPORE 190
© FARM AFRICA/JON SPAULL
Plus de 72 000 agriculteurs d’Ouganda et de Tanzanie ont obtenu de meilleurs prix en vendant leur production via des centres de regroupement.

Améliorer le regroupement qu’auparavant pour les agriculteurs. Farm


Acceso offre aux agriculteurs
Outre les technologies, les centres de Africa a plaidé pour un regroupement de
regroupement et les points de collecte la production auprès des agriculteurs, ce des formations aux bonnes
sont également essentiels pour garantir la qu’ont fait 72 800 d’entre eux en à peine
sécurité et la fraîcheur de la production, plus de deux ans. pratiques agricoles et des
dans le respect des normes de qualité
strictes exigées par les acheteurs. À tra- La précision d’une horloge suisse conseils pour obtenir des
vers son programme FoodTrade, l'ONG La plateforme mobile de la start-up
Farm Africa a concentré son soutien sur kényane Selina Wamucii permet aux prêts afin d’améliorer leurs
les organisations paysannes, les centres acheteurs de s'approvisionner en pro-
de regroupement villageois (village duits frais auprès de petits exploitants, de rendements et la qualité des
aggregation centres, VAC) et les points regrouper leur production et de la vendre
de collecte satellites d’Ouganda et de sur les marchés (nationaux et d'expor- arachides.
Tanzanie. L'ONG développe les capacités tation). Les agriculteurs rejoignent la
commerciales et de gouvernance de ces plateforme avec un code obtenu par SMS. sous 10 marques différentes, parmi les-
organisations paysannes et VAC afin de L’entreprise peut ainsi localiser l’agricul- quelles Mount Kenya Fresh Avocados,
les aider à établir des liens à long terme teur, suivre ses produits et le volume de Kenya Herbs & Spices et Essential Oils
avec les acheteurs et à développer dura- sa production. L’entreprise coopère avec of Africa. “Nous exploitons la télépho-
blement leur entreprise. plus de 3 000 agriculteurs, organisés en nie mobile pour transformer la chaîne
Grâce aux systèmes numériques d'in- petits groupes en fonction de la culture et de valeur tout en répercutant les avan-
formation sur les marchés, Farm Africa coordonnés par des agents de la produc- tages d’une chaîne de valeur efficace
leur a également permis de surveiller les tion. Lors de la récolte, le volume de la jusqu’aux agriculteurs et aux acheteurs
prix du marché, aidant ainsi les agrégateurs production est enregistré sur la plateforme de produits”, explique Kariuki Gaita,
à négocier un prix équitable et compétitif et les agriculteurs sont payés immédiate- cofondateur de Selina Wamucii. Une
pour les produits. Un meilleur regroupe- ment via leur téléphone mobile. Un code preuve que, lorsque les technologies et
ment et accès aux informations du marché de traçabilité permet de suivre les produits les capacités appropriées sont en place,
a aidé à soutenir les organisations, la vente jusqu'au marché. la production des petits agriculteurs peut
par les VAC de 104 700 tonnes de produits Selina Wamucii classe, conditionne, répondre à la demande des marchés
regroupés et l’obtention de prix plus élevés distribue et commercialise les produits internationaux. ■

SPORE 190 | 37
PORTRAITS DE LEADERS

HERITIAINA RANDRIAMANANATAHINA

“Un jeune
entrepreneur
doit être créatif”
À 24 ans, le Malagasy Heritiaina Randriamananatahina est à la tête d’une
entreprise de transformation de fromage et de sirops en pleine expansion.
Sans diplôme ni soutien, le jeune homme est parti de rien.

© NOCOMMENT
Mamy Andriatiana

H
eritiaina Fabien Randriamana-
natahina a dû quitter l’école
à 14 ans et gagner sa vie en
tant que vendeur ambulant de jus de
fruits. Le voici aujourd’hui à la tête de
Fiombonana, une entreprise de fro-
mages, de sirops, de jus de fruits et de
chocolat créée en 2012, lorsqu’il avait
17 ans, et dotée d’un chiffre d’affaires
annuel d’un demi-milliard d’ariary
(150 000 €), de deux usines de trans-
formation, de 47 employés, d’un réseau
de 500 producteurs, d’une quarantaine
de kiosques mobiles et de plusieurs
points de vente.

Qu’est-ce qui vous a motivé à créer votre


propre entreprise de transformation agri-
cole ? Comment avez-vous identifié la de-
mande sur le marché ?
Le but était de formaliser, mais
surtout d’étendre mes activités.
Fiombonana signifie “unité”, “s’entrai-
der” : c’est la logique du développement Même sans qualifications, Heritiaina Randriamananatahina a remporté le prix Anzisha
de mes activités avec les associations de l’académie du jeune entrepreneur en 2016.
paysannes, mes salariés et fournisseurs.
Avant Fiombonana, j’avais un marché Facebook pour Fiombonana et déposé Pourquoi utilisez-vous uniquement des
restreint (camarades de classe, petits la marque de mes produits sous le label produits locaux pour fabriquer vos pro-
commerçants) pour les premiers fro- “Fy’Deliko” qui est sur les étiquettes de duits ? Comment avez-vous construit vos
mages que je fabriquais et livrais à mes produits. Aujourd’hui, je produis et relations avec les producteurs ?
domicile. Les commandes ont surtout vends chaque semaine 1 200 kg de fro- Les paysans me fournissent des
afflué lorsque j’ai ouvert un compte mage et 500 litres de sirop. matières fraîches et bon marché mais

38 | SPORE 190
© MAMY ANDRIATIANA
“Les agriculteurs
constituent 80 %
de la population
malagasy, c’est une
manière de les aider
mais aussi de créer
de l’emploi.”
surtout naturelles et bio : lait, cacao,
arachides, fruits et légumes. Ces agricul-
teurs constituent 80 % de la population
malagasy, c’est une manière de les aider
mais aussi de créer de l’emploi. J’ai
installé mes unités de transformation
à Antanifotsy et une à Antsirabe – à
140 km et 170 km de la capitale – et des
points de collecte en brousse pour avoir
un ancrage auprès des producteurs et
être plus proche d’eux. Mes points de
vente se situent surtout à Antananarivo.
À 24 ans, Heritiaina Randriamananatahina produit et vend chaque semaine 1 200 kg de fromage
Quels ont été les défis et lesquels et 500 litres de sirop.
demeurent aujourd’hui ?
Je n’ai aucun diplôme et je suis très
jeune pour un chef d’entreprise. Je donc préparé au goût chocolaté et fruité. désigné “parrain” d’une association
manque d’expérience. Les fonds et les Le packaging est aussi très important. de pépinières d’entreprises. Il s’agit de
matériels me manquent, bon nombre Bon nombre de fromages sont vendus 15 petites entreprises de valorisation
de mes équipements sont bricolés. Du nus sur le marché, ce qui est moins des déchets. Cela me donne l’opportu-
coup, je dois gagner la confiance des attractif pour le consommateur. Enfin, nité de soutenir les jeunes de mon âge.
partenaires (producteurs et salariés) et il faut se fixer des objectifs ambitieux :
travailler avec les moyens du bord. J’ai dès la classe primaire, je voulais devenir
besoin de conseillers techniques et de
personnes de confiance, je ne peux pas
entrepreneur. “Il faut toujours
être sur tous les fronts : marketing, ges- En 2016, vous avez reçu le prix Anzisha chercher la différence,
tion, production... Ce problème persiste de l’académie du leadership africain et
encore aujourd’hui dans la mesure où de la fondation Mastercard et une aide de la valeur ajoutée.”
Fiombonana est en pleine expansion. Je 21 350 €. Comment ce prix vous a-t-il aidé
vais bientôt devoir recruter un conseiller à développer Fiombonana ?
technique, c’est incontournable. Le prix m’a permis de rénover Deux ans après, quels sont vos projets
certains équipements, comme une pour maintenir la compétitivité de votre
Quelles leçons aimeriez vous partager machine à broyer, une machine mixeur, entreprise ?
avec d’autres jeunes entrepreneurs ? un appareil frigorifique, mais aussi de D’abord, améliorer la qualité des
Soyez combatifs, créatifs mais construire une nouvelle unité de trans- produits actuels, tout en développant
surtout ouverts d’esprit. Il faut être formation et d’acheter une voiture de la recherche de valeurs ajoutées – pro-
persévérant et ne jamais abandonner. transport pour la marchandise. Seul duits aromatisés, packagings, réseaux
Mes moyens de départ étaient déri- problème : faute de conseil technique, sociaux... –, puis multiplier la production
soires, j’ai commencé avec le peu que je me rends compte aujourd’hui que et la vente en s’affirmant sur les visites
j’ai pu économiser lorsque j’étais ven- certains de ces équipements ne sont personnalisées et les annonces publici-
deur ambulant, je n’ai demandé d’aide pas indispensables pour le moment. taires. J’ai déjà une commande de la part
financière à personne. Quand je dis qu’il Le trophée m’a également offert l’op- de grandes surfaces – Shoprite et Leader
faut être créatif, cela signifie de toujours portunité de rencontrer des conseillers Price – mais il faut d’abord s’assurer de
chercher la différence, la valeur ajou- techniques étrangers, mais surtout de la production d’une quantité suffisante.
tée. Par exemple, le “Koba”, ou gâteau la notoriété auprès de l’entreprena- Enfin, j’espère répondre à la demande
malagasy, inonde le marché : j’en ai riat local. Les autorités locales m’ont du marché local, puis exporter. ■

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PUBLICATIONS

INTERVIEW

“Maraîchage :
lever les barrières
au changement”
Dans son ouvrage La multifonctionnalité de l’agriculture
“péri-urbaine” au Sénégal, Sidy Tounkara, docteur en sociologie
de l’université de Toulouse 2 - Jean Jaurès, montre combien
l’adoption de pratiques techniquement validées se heurte
à des résistances socioculturelles.

Yanne Boloh

Pourquoi avoir choisi de travailler sur le au maraîchage conventionnel. Selon les

© UNIVERSITÉ TOULOUSE 2/JEAN JAURÈS


maraîchage sur ce territoire ? localisations géographiques en termes
Le choix de Dakar remonte à 2010, de gradient urbain, l’ampleur et l’in-
quand j’ai eu la chance de participer au tensité des contraintes diffèrent. Dans
programme international Intensification les pays dits en voie de développement,
écologique des systèmes agricoles par l’agriculture en ville est souvent une
le recyclage des déchets (ISARD), porté réponse à la pauvreté urbaine et au
notamment par le Centre de coopération chômage alors que, dans les pays dits
internationale en recherche agrono- développés, elle est plus un moyen de
mique pour le développement (CIRAD) restaurer le lien avec la nature, rompu
et l’Institut sénégalais de recherches par l’urbanisation et l’industrialisation.
agricoles (ISRA). J’ai alors découvert Mais, avec les crises économiques et
les conditions auxquelles les maraî- financières, elle y devient aussi un
chers sont confrontés. Ils présentent moyen de lutte contre la précarité
eux-mêmes l’intégration des déchets alimentaire quand la question environ-
organiques dans le système productif nementale est de plus en plus présente
maraîcher à Dakar d’une part comme dans les pays du Sud, y compris pour
une forme d’adaptation aux contraintes renouer le contact avec la nature à tra-
du milieu périurbain fortement anthro- vers des espaces verts – agricoles ou pas Sidy Tounkara, docteur en sociologie
pisé, d’autre part comme une manière – en ville. Finalement, pays du Sud et du de l’université de Toulouse 2 - Jean Jaurès,
de s’inscrire dans la dynamique d’éco- Nord se rejoignent donc sur les princi- s’intéresse aux questions liées à l’agriculture
logisation qui touche l’agriculture en pales finalités de l’agriculture en ville, et à l’environnement.
général. mais le niveau d’accompagnement
politique reste différent selon les pays.
Existe-t-il une spécificité de l’agriculture recherche à se les approprier. Il n’y a
périurbaine sénégalaise ou, plus largement, Le lien se fait-il aisément entre les tra- même pas de lien mécanique entre la
africaine ? vaux des scientifiques et leur mise en œuvre prise de conscience des avantages éco-
Je ne le pense pas. De façon générale, concrète sur le terrain ? nomiques d’une nouvelle façon d’assurer
l’agriculture périurbaine est multiple, Tout un processus et un ensemble la fertilisation organique et le passage
allant du micro-jardinage, qu’on pour- de conditions sont nécessaires pour à l’acte. Le contexte socioculturel, les
rait qualifier de maraîchage hors-sol, inciter les destinataires des résultats de contraintes de l’innovation elle-même,

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Innovation
Fertilisation des sols Savoir l’évaluer
Les zones périurbaines sous pression Souvent présen-
tée comme l'un des
Tout système productif maraîcher exige une fertilisation principaux leviers de
pertinente des sols. Dans les zones périurbaines sous la développement durable
double pression foncière et d’appauvrissement des sols, la et inclusif, l'innovation
question d’une intensification écologique durable se pose est marquée, s’agissant
avec une acuité particulière. C’est ce que montre l’auteur de l’agroalimentaire, par
à travers l’exemple des maraîchers de Dakar. Intégrer les des spécificités liées
déchets organiques permet de restaurer la fertilité des sols à sa relation à la nature, mais aussi à la
tout en assurant un cercle environnemental vertueux : gestion grande diversité d'acteurs concernés et
des déchets, réduction de l’usage d’intrants chimiques, leurs interactions. Cet ouvrage met un ac-
augmentation de la productivité des parcelles. Les villes, et cent particulier sur l'accompagnement et
peut-être davantage les campagnes, doivent conduire cette sur l'évaluation de l'innovation au regard de
intensification écologique de l'agriculture pour répondre à un double impératif : différents critères, tant en France que dans
satisfaire les besoins alimentaires d'une population croissante et revoir les modes de nombreux pays du Sud.
de production agricoles afin de protéger l'environnement. Mais, comme le montre
l’auteur dans son travail de thèse que reprend cet ouvrage, l’acceptation de ces Innovation et développement dans les
pratiques validées scientifiquement peut toutefois se heurter à des blocages variés. systèmes agricoles et alimentaires
Il montre la variété des contraintes, que ce soit le gradient de pression urbaine ou Par G. Faure et al.
les blocages socioculturels liés à la nature de certains déchets organiques mais aussi Éditions Quæ, 2018, 260 p.
l’acceptation de sa multifonctionnalité par l’agriculture elle-même comme par les ISBN : 978-2-7592-2812-6
politiques publiques qui doivent l’accompagner dans cette mutation. 29 €
Pour télécharger le PDF :
https://tinyurl.com/y9e9x8nc
La multifonctionnalité de l’agriculture "péri-urbaine " au Sénégal. www.quae.com
Intégrer les déchets organiques dans le système productif maraîcher
Par S. Tounkara
L’Harmattan, 2017, 318 p. RDC
ISBN : 978-23-4313-660-8
33 € Catastrophes
www.editions-harmattan.fr
et résilience
Scientifiques et acteurs
de terrain se penchent sur
les risques émanant d’en-
vironnements étrangers
l’absence d’accompagnement politique passe nécessairement par l’acceptabilité non maîtrisés (exploitation
de l’innovation freinent son adoption. des déchets dans le système productif minière, périurbanisation,
À cela s’ajoute l’effet de la routine, force maraîcher en plus de l’importance de érosions ravinantes) et
contraire au changement qui s’accom- facteurs techniques comme la restaura- montrent les réponses des communautés
pagne de risques que les maraîchers ne tion de la fertilité des sols. La trajectoire en RDC. Ils s’interrogent sur les modèles
sont pas toujours prêts à prendre. Tous socioprofessionnelle des maraîchers de gestion collective, les rapports entre
ces éléments de blocage sont apparus montre qu’ils viennent en majorité des changement climatique, déforestation et
pour la valorisation agricole des déchets campagnes sénégalaises où ils ont déjà catastrophes environnementales, la perti-
organiques dans le maraîchage à Dakar. vécu l’expérience de valorisation des nence de l’action publique dans la réduction
C’est pourquoi il est important de pour- déchets organiques. Donc, culturelle- de la vulnérabilité et l’augmentation de la
suivre le travail sur le terrain. Pour cela, ment et professionnellement, ils étaient résilience face à ces catastrophes.
l’IPAR (Initiative prospective agricole prédisposés à utiliser ces produits
et rurale) offre un cadre adéquat aux car leurs processus de socialisation Résilience aux catastrophes naturelles
chercheurs en assurant aussi le dialogue primaire et secondaire les ont familia- et d’origine anthropique en République
multi-acteurs et la formation. risés avec les fertilisants organiques. démocratique du Congo
Cependant, pour certaines matières Par J. Basimine, C. Katcho Karume et M.-N. Cikuru
Les points clés du succès ne sont-ils pas organiques, malgré le fait qu’elles soient Éditions Academia, 2018, 248 p.
finalement plus culturels que techniques ? de “bons” fertilisants, la barrière cultu- ISBN : 978-28-0610-403-8
En tout cas, les facteurs socioculturels relle et religieuse se dresse contre leur 25€
pèsent lourd dans la balance. Le succès adoption. ■ www.editions-academia.be

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PUBLICATIONS

NATURE

Les insectes, entre


risques et ressources
Trop souvent méconnus, les insectes
méritent qu’on s’intéresse à eux. Pour
Entomologie médicale et vétérinaire
mieux s’en prémunir. Tour d’horizon de Par G. Duvallet, D. Fontenille, V. Robert

trois ouvrages qui leur sont consacrés. Éditions Quæ, 2017, 688 p.
ISBN : 978-2-7592-2676-4
49 € (ou 33,99 € en téléchargement)
www.quae.com

Yanne Boloh

L
a mondialisation économique, posés par les ravageurs dans toutes
comme le changement clima- les régions tropicales du monde,
tique, a un effet sur l’expansion notamment les îles de l’outre-mer et
des maladies. Or, une large part d’entre les territoires proches. L’objectif des
elles est transmise par les insectes, auteurs est d’aider les maraîchers et
voire des arthropodes comme les leurs conseillers à comprendre le déve-
tiques. Acariens et insectes constituent loppement des ravageurs et des “utiles”
par ailleurs des ravageurs directs des pour mettre en place la lutte biologique
cultures. Mieux connaître les dif- via notamment leurs ennemis natu-
férentes catégories de ces animaux rels (prédateurs et parasitoïdes). Ils
ainsi que leurs biologies s’avère donc notent également l’intérêt des plantes
indispensable pour mettre en place des de service qui augmentent la diver- Insectes et acariens des cultures maraîchères
techniques de lutte efficaces, notam- sité biologique et participent ainsi à la en milieu tropical humide
ment dans les cultures et les élevages. régulation des populations de ravageurs Par P. Ryckewaert et B. Rhino
Plusieurs ouvrages de base ont été dans les écosystèmes. Éditions Quæ, 2017, 152 p.
édités récemment comme Entomologie En effet, il ne s’agit pas de considérer ISBN : 978-2-7592-2570-5
médicale et vétérinaire ou, davantage les insectes uniquement comme des 32 € (ou 21,99 € en téléchargement)
centré sur les productions en milieu ravageurs. Bien au contraire, puisque www.quae.com
tropical humide, Insectes et acariens des les méthodes de protection agroéco-
cultures maraîchères en milieu tropical logiques impliquent aussi un recours
humide. à des auxiliaires, ennemis naturels des
Écrit par un collectif de spécialistes, nuisibles. De nombreux insectes sont
le premier ouvrage présente un état à protéger car ils comptent parmi les
actualisé des connaissances sur tous pollinisateurs des plantes : la nature,
les groupes d’arthropodes d’intérêt dans sa foisonnante biodiversité, s’est
médical et/ou vétérinaire. De façon plu à multiplier les stratégies et les
opérationnelle, il présente les tech- mécanismes de pollinisations que nous
niques d’identification, mais aussi la fait découvrir Vincent Albouy dans son
lutte pour limiter les nuisances et les ouvrage Pollinisation : le génie de la nature.
effets de la transmission de virus ou Ce sont bien les enjeux de la pollinisa-
autres bactéries. Comme l’expliquent tion des plantes cultivées qui se posent.
Philippe Ryckewaert et Béatrice Rhino Au-delà de ce remarquable mutualisme
dans le second ouvrage, qui présente plante-pollinisateur, l’un profitant à Pollinisation : le génie de la nature
également des clés d’identification (en l’autre, l’auteur se pose des questions Par V. Albouy
22 fiches) et d’actions avec une grande fondamentales. Il se demande par Éditions Quæ, 2018, 184 p.
richesse iconographique, l’épandage exemple quels secteurs agricoles et ISBN : 978-2-7592-2800-3
d’insecticides et d’acaricides n’a résolu quelles régions du monde sont les plus 22 €
que temporairement les problèmes exposés à leur disparition. ■ www.quae.com

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Transformer l’agriculture
La valeur des données météorologiques agricoles
Quel rôle jouent les données météorolo- De son côté, aWhere combine ces informations et les données
giques tout au long de la chaîne de valeur météorologiques. Les agriculteurs reçoivent par SMS des prévisions
agricole et quel est leur potentiel pour les météorologiques, des conseils sur leurs engrais et des projections de
petits exploitants menacés par le change- rendement. Les données météorologiques, qui sont liées aux données
ment climatique ? agricoles d’une exploitation donnée et reformulées en conseils dis-
Grâce aux données météorologiques sur pensés à chaque agriculteur, deviennent plus efficaces et permettent
mesure, les agriculteurs peuvent utiliser à l’agriculteur de renforcer sa productivité et sa production face à la
des informations localisées pour suivre variabilité du climat.
l’évolution de la météo et réagir aux chan- Le renforcement de la qualité de ces données météorologiques
gements observés. devrait contribuer à augmenter la production alimentaire, améliorer
ICT Update : Données météorologiques pour l’agriculture examine les prévisions de récoltes et atténuer les catastrophes. Cependant, il
l’importance grandissante des données météorologiques dans la pro- n’existe actuellement que 300 stations d’observation météorologique
duction agricole et envisage comment remédier à leur caractère exclusif. en Afrique. Ce numéro du magazine ICT Update explique donc égale-
Ce numéro du magazine ICT Update insiste dès lors sur la manière dont ment que les avantages des données météorologiques sont tributaires
les données brutes doivent être transformées en informations météo- de l’amélioration de l’observation météorologique en Afrique. Il souligne
rologiques compréhensibles afin d’aider les agriculteurs à prendre des en outre la nécessité de promouvoir des données de qualité, ainsi que
décisions informées en matière de gestion de leurs terres. Par ailleurs, de créer des partenariats entre des organisations des secteurs public et
secteur privé et organisations d’agriculteurs doivent coopérer pour faire privé en vue d’améliorer la durabilité et la rentabilité des petites exploi-
en sorte que les données météorologiques deviennent une ressource tations agricoles grâce aux données météorologiques. ■
plus ouverte. L’auteur de l’un des articles de ce numéro, Tufa Dinku, ex-
plique que “les données, même celles d’excellente qualité, n’ont aucune Alex Miller
utilité si personne n’y a accès ou ne les utilise”.
L’alliance stratégique des entreprises kényanes eProd et aWhere ICT Update : Données météorologiques pour l’agriculture
aspire à mettre à disposition de 250 000 agriculteurs au Kenya, en Par M. Speer et al.
Ouganda et en Tanzanie des informations agronomiques associées à CTA, 2018, 24 p.
des données météorologiques. Le service portable eProd collecte des
localisations GPS et des informations agronomiques telles que le type
de sol, la variété des semences et la date de plantation des cultures. Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/ycm5csxs

Histoire
Revisiter les clichés sur l’agronomie en Afrique
Historien et conteur formé à l’agronomie l’histoire des graminées dont les dizaines de variétés de millet et le rôle
tropicale, Al Imfeld est décédé en 2017. Son de l’assèchement du Sahara sur leur génétique. L’ouvrage propose donc
ouvrage Des éléphants au Sahara, pour le- une profonde “décolonisation” de la science agronomique en Afrique
quel il s’est intéressé à plus de 50 000 ans car, pour Al Imfeld, le continent n’est pas resté à l’écart du monde. Les
d’histoire de l’agriculture en Afrique, vient quelques fouilles qui ont été consenties sur ce sujet méritent d’être
d’être traduit en français grâce aux éditions poursuivies car elles ont été mal interprétées par les Occidentaux,
d’En Bas. Il a pu montrer que des cultures convaincus d’avoir affaire à un continent incapable de progresser.
comme le riz et les patates douces sont bien Pourtant, ce sont bien de ces fouilles que l’auteur tient une certitude :
plus anciennes sur le continent qu’on ne le haches, pipes et objets en fer témoignent de foyers de domestication
croit : l’agriculture se serait développée plus précoces de plantes telles que l’igname. ■
tôt que dans les pays de l’hémisphère Nord, mais elle aurait aussi pris
d’autres formes, plus diversifiées. Le conteur a retrouvé la trace de
toutes les civilisations agricoles qui ont longtemps été tenues sous si- Des éléphants au Sahara : Histoires de l’agriculture en Afrique
lence : des cultures sur brûlis qui, bien conduites, repoussent les souris, Par Al Imfeld (traduit de l’allemand par Laurent Duvanel)
les insectes et autres vermines, les tentatives de cultures mixtes des Éditions d’En Bas, 2018, 228 p.
Serers du Sénégal et leur civilisation des arbres (acacias et fixation de ISBN : 978-2-8290-0558-9
l’azote du sol, jujubier et fertilisation…), sans oublier tous les outils datés 19 €
parfois de plus de 50 000 ans. L’historien se penche, par exemple, sur www.enbas.net

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OPINION

L’accord de libre-échange
ZLEC va-t-il booster
l’agribusiness africain ?
RICHARD KAMAJUGO

Les barrières
non tarifaires sont la clé Richard Kamajugo,
directeur principal chez TradeMark
East Africa

De l’avis général, la zone de libre- croissance. Elle pourrait ainsi offrir des l’application de barrières non tarifaires,
échange continentale (ZLEC) a le opportunités immédiates de création de les délais nécessaires pour importer et
potentiel de stimuler la croissance valeur grâce à l’industrialisation de pro- exporter des marchandises de chaque État
économique, l’industrialisation et le duits de base, lesquelles aideraient de partenaire de la CAE ont diminué. Entre
développement durable en Afrique, nombreux habitants à sortir de la pau- 2012 et 2015, les délais d’importation sont
malgré certains défis. Les craintes d’im- vreté tout en créant des emplois. passés, en moyenne, de 36 à 31 jours, et les
portantes pertes de recettes douanières Le secteur de l’agribusiness détient délais d’exportation de 33 à 26 jours.
et d’une répartition inégale des bénéfices aussi la clé pour répondre à la demande Le Standards Harmonisation and
figurent parmi les principaux obstacles à alimentaire des consommateurs urbains. Conformity programme in Eastern Africa
l’intégration du marché continental. Les économies et les marchés émergents indique qu’une réduction de 59 % (de
La libéralisation des échanges dans qui résulteront de la ZLEC augmenteront 500 USD à 205 USD [de 425 € à 174 €])
la ZLEC diminuera les coûts commer- la demande de produits agricoles de base des coûts de test et une baisse de 74 % du
ciaux et permettra aux consommateurs de l’Afrique. Si l’on améliore l’environ- délai moyen de test (de 38 jours à 10 jours)
d’accéder à une plus grande diversité de nement réglementaire des entreprises, ont été enregistrées dans l’ensemble de la
produits à des prix inférieurs. Le coût il s’ouvrira un potentiel énorme pour CAE. Le nombre de produits répondant
réduit des matières premières importées établir des liens de production et de aux exigences et normes de qualité a
et des intrants intermédiaires augmen- commerce ainsi que des synergies entre augmenté grâce aux systèmes de certifi-
tera la compétitivité des producteurs différents acteurs de la chaîne de valeur cation, contribuant à accroître la valeur et
en aval et favorisera la croissance des de l’agribusiness. le volume des échanges à l’intérieur et à
chaînes de valeur régionales. Les entre- l’extérieur de la CAE, de 23 % et 50 % (de
prises agroalimentaires accéderont à un Réduire les obstacles au commerce 728 373 € en 2010 à 1 780 719 € en 2014).
marché continental de 1,284 milliard de La ZLEC devrait accroître le commerce En s’appuyant sur la ZLEC, cette réussite
personnes et bénéficieront donc d’éco- intra-africain et élargir la gamme de pourrait s’étendre à tout le continent.
nomies d’échelle. Cependant, les petites produits échangés, préparant de ce fait
et moyennes entreprises devront peut- le terrain pour une augmentation des Le potentiel de la ZLEC
être se battre pour être compétitives face exportations africaines vers le reste du En dépit des défis, le potentiel d’ex-
à des firmes plus solidement implantées. monde. Alors que les normes, les tests, portation des agro-industries africaines
la conformité et les évaluations sont pourra se libérer dès que les contraintes
Des entreprises mis en œuvre de manière à en faire des du côté de l’offre seront aplanies par la
agroalimentaires prospères barrières non tarifaires, les États parte- ZLEC et que les conditions préalables
Environ 75 % des Africains dépendent naires de la Communauté de l’Afrique de seront réunies pour accéder aux marchés
de l’agriculture pour vivre. En Afrique, l’Est (CAE) – Burundi, Kenya, Ouganda, et chaînes de valeur au niveau mondial.
l’agribusiness et les agro-industries Rwanda, Soudan du Sud et Tanzanie – se L’Afrique pourra ainsi développer sa
représentent plus de 30 % des revenus démènent pour améliorer l’application capacité à profiter de débouchés pour
nationaux, mais aussi la majeure partie de ces barrières et tenter d’intensifier les les produits à plus haute valeur ajou-
des recettes d’exportation et de l’emploi. échanges au sein de la CAE. tée des secteurs de l’agribusiness et des
L’augmentation d’échelle de l’agribu- Les indicateurs de développement de la agro-industries, et ce tant dans les éco-
siness pourrait permettre davantage de Banque mondiale montrent que, depuis nomies développées qu’émergentes. ■

44 | SPORE 190
WANDILE SIHLOBO Sondage
L’Afrique doit L’accord de libre-
échange ZLEC va-t-il
surmonter des défis booster l’agribusiness
infrastructurels africain ?

et institutionnels 44 %
L’harmonisation des régulations du
commerce aidera à diminuer les coûts
qui importent, plutôt qu’une croissance d’export et d’import.
commerciale qui est induite de façon
prématurée et, selon toute probabilité,
qui prendra une tournure inéquitable.
Pour l’instant, l’Afrique a surtout besoin 28 %
Wandile Sihlobo, d’accomplir le maximum pour négocier Les PME de l’agribusiness vont avoir du
Chambre agricole de commerce et renforcer ses propres “règles”. Les ins- mal à être compétitives face aux grandes
d’Afrique du Sud titutions africaines doivent être établies entreprises.
et, là où elles sont déjà en place, être ren-
La ZLEC africaine constitue l’un des forcées de façon à tirer le meilleur parti
blocs de libre-échange les plus vastes au de la ZLEC.
monde (en nombre d’États membres). Ce volet du débat, au moins, porte sur
On ne peut qu’être impressionné quand une tendance internationale à conclure 28 %
on sait que les premiers engagements des accords commerciaux multilatéraux Une compétition plus grande sur les
officiels sur cet accord ont été donnés sur la base de “règles”. De nombreux marchés améliorera l’efficacité du secteur
en 2002 et que sa signature est devenue experts estiment que, si l’Afrique n’a pas de l’agribusiness.
réalité en 2018. Une pierre d’achoppe- montré une ambition aussi forte que celle
ment ne peut cependant être ignorée : d’autres régions avancées du monde, c’est
l’Afrique du Sud et le Nigeria, deux des en partie à cause de sa réticence à négo-

0%
plus importantes et des plus influentes cier sur des thèmes tels que le commerce
économies africaines, n’ont pas encore des services. Le ministre sud-africain du
signé l’accord. Commerce et de l’Industrie, le Dr Rob Les infrastructures de l’Afrique ne sont
En termes de demande, le marché Davies, a déclaré que le continent n’était pas encore adaptées pour que les
continental va s’élargir et dépasser deux tout simplement pas prêt à ouvrir ses entreprises rurales bénéficient du marché
milliards de personnes d’ici 2030. En marchés parce que l’étendue des effets continental.
termes d’offre, le secteur agricole et de ceux-ci sur les plus petites économies
agroalimentaire devrait atteindre une n’a pas encore été déterminée. Même si
valeur de 0,86 billion d’euros sur la cette crainte est fondée, l’accord pour la
même période. Outre la croissance pro- ZLEC africaine devrait poser les bases
jetée de l’offre et la demande du secteur d’un programme de travail permettant
agroalimentaire, les acteurs du secteur d’explorer ces questions de nouvelle
privé sont en droit de se réjouir en raison génération concernant les législations et
de ce que l’on appelle la “convergence réglementations. Autres débats
réglementaire” : même si, dans l’hypo- L’aspect paradoxal de cet accord est
thèse du pire scénario possible, l’Afrique qu’il se concrétise alors que le continent Visitez les pages Opinion sur
ne parvenait pas à tirer parti de la est encore confronté à certains défis le site de Spore pour lire l'avis
croissance de son marché, l’optimisme fondamentaux parmi ses communau- d'un troisième spécialiste sur
resterait de mise grâce à l’harmonisation tés économiques régionales. Certaines le sujet. Un nouveau débat est
des législations et réglementations en questions seront résolues lorsque les mis en ligne tous les mois.
matière de commerce et d’investissement. pays négocieront la conclusion de l’ac-
Il peut sembler peu réaliste de se cord pour la ZLEC africaine. Cet accord
http://spore.cta.int/fr/debates.html
réjouir de l’état de préparation à un résul- pourra être considéré comme central si
tat plutôt que du résultat lui-même. À ce son texte intègre certaines de ces ques-
stade, ce sont les conditions préalables tions pertinentes. ■

SPORE 190 | 45
Prochain numéro SERVICES AUX LECTEURS
Écrire à Spore
CTA — rédaction de Spore
191 Décembre 2018 - Janvier 2019 PO Box 380
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SPORE est le magazine trimestriel du Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA). Le CTA est régi par l’Accord de Cotonou entre le groupe des pays
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• DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Anne Legroscollard • COMITÉ DE RÉDACTION : Stéphane Gambier, Isolina Boto, Benjamin Addom, Piet Visser, Toby Johnson,
Thierry Doudet • RÉDACTION : Rédactrice en chef : Susanna Cartmell-Thorp, WRENmedia, Fressingfield, Eye, Suffolk, IP21 5SA (RU) • Rédacteur de la version française :
Vincent Defait, New Delhi, Inde • CONTRIBUTEURS : C. Addison (CTA), M. Andriatiana (Madagascar), B. Bafana (Zimbabwe), Y. Boloh (France), I. Boto (CTA), H. Castell
(RU), V. Defait (Indie), S. Diarra (Mali), N. Dookie (Trinité-et-Tobago), O. Frost (RU), B. Koigi (Kenya), S. Lynch (RU), M. Makoni (Afrique du Sud), S. Mbugua (Kenya), A. Miller
(RU), T. Mukeredzi (Kenya), I. Ousseini (Niger), S. Price (RU), S. Reeve (RU), B. Rioba (Kenya), A. Twahirwa (Rwanda) • DESIGN  : Vita, Italie • MAQUETTE  : T.  Paillot,
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