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Université Gustave Eiffel

La suggestion :
un pharmakon constitutif de la relation
thérapeutique

Unité de recherche LIPHA


en Partenariat avec le CFC : MPPPH de l’AP-HP

Master mention Philosophie,


Parcours « Ethique médicale et hospitalière appliquée »
Directeur de formation : Pr. Eric Fiat

Nicolas MEROT

Septembre 2022
Université Gustave Eiffel

La suggestion :
un pharmakon constitutif de la relation
thérapeutique

Unité de recherche LIPHA


en Partenariat avec le CFC : MPPPH de l’AP-HP

Master mention Philosophie,


Parcours « Ethique médicale et hospitalière appliquée »
Directeur de formation : Pr. Eric Fiat

Septembre 2022
Table des matières

Introduction 1

Approcher la technique de suggestion 7


Hypnose conversationnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Berheim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Coué et l’autosuggestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Suggestion psychanalytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Approcher la notion de suggestion 19


La rhétorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Convaincre ou persuader ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Suggestion et relation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

La suggestion comme pharmakon 29


Oppositions en série . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Vérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Autonomie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Un discours incarné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Conclusion 39
2
Introduction

Les monuments, la mer, la face humaine, dans leur plénitude, na-


tifs, conservant une vertu autrement attrayante que ne les voi-
lera une description, évocation dites, allusion je sais, suggestion :
cette terminologie quelque peu de hasard atteste la tendance, une
très décisive, peut-être, qu’ait subie l’art littéraire, elle le borne et
l’exempte. Son sortilège, à lui, si ce n’est libérer, hors d’une poignée
de poussière ou réalité sans l’enclore, au livre, même comme texte,
la dispersion volatile soit l’esprit, qui n’a que faire de rien outre la
musicalité de tout 1 .

Jacques Derrida dans Dissémination 2 nous met sur la piste de Stéphane


Mallarmé et de l’usage que ce dernier fait de cette notion de suggestion. Il
s’agit, chez Mallarmé dans la Musique et les Lettres de théoriser son art poé-
tique. Ce terme de suggestion pourrait être conçue comme une tentative de
décrire l’effet produit par l’auteur sur son lecteur. Il dit dans un entretien avec
le journaliste Jules Huret 3 : « Nommer un objet, c’est supprimer les trois
quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à
peu ; le suggérer, voilà le rêve. C’est le parfait usage de ce mystère qui constitue
le symbole : évoquer petit à petit un objet pour montrer un état d’âme, ou,
inversement, choisir un objet et en dégager un état d’âme, par une série de
déchiffrements 4 ».
On entend ici combien la poésie appartient aux sciences occultes, combien
elle tient du sortilège. Il est question de la capacité du poème à « voiler »,
c’est à dire à ouvrir la possibilité en soi d’être dévoilé ; en un sens, Mallarmé
dit, dans ce premier extrait tout ce qui doit être dit de la suggestion. Le
poète qui suggère, construit les effets de rythme, de sonorité, les allitérations
les consonances, il choisit les images, les métaphores. Il leur assigne le rôle de

1. Mallarmé, S., Igitur, Divagations, Un coup de dés, Paris, Gallimard, p. 303.


2. Derrida, J., La Dissémination, Paris, Le Seuil, 1972, p. 249.
3. Campion, P., Mallarmé. Poésie et philosophie., Paris, Presses Universitaires de France,
1994, p. 43.
4. Mallarmé, S., op. cit., p. 391.

1
produire un effet sur le lecteur. Le lecteur de son coté, récepteur, non récepteur
passif, mais récepteur actif, perçoit, assimile et consciemment ou non, laisse
émerger dans son esprit, idées, pensées, émotions. Elles ont étés suggérées par
le poète. Ainsi le poète prend pouvoir pour agir sur le lecteur. Il agit par le
moyen de la suggestion. Mallarmé théorise la pouvoir créatif de l’allusion, de
l’évocation et de la suggestion.
Il décrète la supériorité de la « suggestion » sur la « dénomination ». La
suggestion, évidemment, ne nomme pas. Elle emprunte des chemin détournés,
elle se cache, pour être plus efficace. Trop frontale, trop visible, son effet dis-
paraît. Parce qu’elle avance voilée, elle trompe la vigilance et arrive à ses fin.
Il appartient au lecteur de réaliser le travail de « déchiffrement »nécessaire.
C’est d’ailleurs cette analyse que que produit Campion dans la poétique de la
suggestion 5 en s’attachant à déceler ce qui relève dans la poésie de Mallarmé
de techniques de suggestion. A le suivre, on mesure combien la suggestion
contient la possibilité d’imprimer sa marque dans le réel. Mallarmé propose là
une définition de la suggestion qui lui confère une grande puissance créative.

C’est une toute autre définition que celle qui suit. Dans L’homme qui rit,
parlant de Barkilphedro, Victor Hugo dit : « Il excellait dans cet art, qu’on
appelle la suggestion et qui consiste à faire dans l’esprit des autres une petite
incision ou l’on met une idée à soi 6 . » Chez Hugo, ce n’est plus une prescription
à l’adresse du poète. Cette suggestion devient celle d’un manipulateur, dont
les desseins sont clairement malhonnêtes. Dans ce passage de l’homme qui
rit, Barkilphedro use d’un stratagème pour mieux faire souffrir celle dont il
veut entraîner la chute, Josiane contre qui il manigance. Si le poète laisse à
son lecteur l’opportunité de faire ce qu’il veut de la suggestion placée dans le
poème, ce n’est pas le cas chez Hugo. Barkilphedro pousse Josiane à se rendre
à un spectacle, anticipant et prévoyant toutes les conséquences en cascades que
produira ce simple fait. Il s’arrange pour qu’elle ne se rende pas compte qu’en
allant voir « l’homme qui rit », elle obéit en réalité à une injonction qui lui est
faite.
Victor Hugo propose une acception de ce terme bien moins flatteuse qui
pointe son caractère maléfique. Nous avons donc ici deux visions qui semblent
opposées : pour Mallarmé, idéal de création, pour Hugo, procédé de bandit,
vile manipulation.

5. op. cit., p. 43 à 78.


6. Hugo, V. L’homme qui rit, A. Lacroix et Verkoekhoven, Paris, 1869.

2
C’est en effet de suggestion qu’il sera question ici. Ce détour par la poésie
aura permis un décentrement de la relation médecin–malade qui n’est sans
doute pas sans lien avec la relation poète–lecteur.
En ce qui concerne ce travail, c’est l’usage de la suggestion dans la relation
médecin patient qui m’intéresse. C’est donc une technique, un outil que je
propose d’examiner, un outil aux vertus contradictoires ; un poison qui sait se
faire remède, à moins que ce ne soit le contraire. C’est, si l’on suit Derrida,
la définition d’un pharmakon. Je suivrai ce fil rouge. À suivre ce fil, je serai
amené à le considérer plus que comme un seul outil, mais comme un effet
consubstantiel de la relation.
En médecine, suggestion et hypnose sont deux termes qui sont historique-
ment associés. C’est en se formant à l’hypnose que l’on apprend la suggestion.
Ces deux termes sont utilisés de telle manière qu’ils paraissent presque être
indissociables.

Dans le sillon de Milton H. Erickson, L’hypnose connaît de nos jours un


succès renouvelé. Technique de soins déjà décrite et étudiée dès le XVIIè siècle,
elle connut une succession de périodes de succès et de déclin. Ce n’est pas
le moindre des paradoxes que le renouveau de cet intérêt. En effet, l’hypnose
charrie avec elle des représentations peu flatteuses, tantôt identifiée aux spec-
tacles de music-hall, tantôt aux divers charlatans qui peuvent, ou ont pu, la
pratiquer. La jurisprudence abondante témoigne d’ailleurs de la réalité de son
usage par d’authentiques escrocs, abuseurs, manipulateurs, voire délinquants
sexuels. Une publication 7 de 2015 de l’INSERM dresse cet état des lieux, sur le
plan scientifique, et rappelle également l’ensemble de la jurisprudence récente
s’y rapportant.

Cela n’empêche pas d’une part l’intérêt –voire le plébiscite– du public et


d’autre part l’interêt des professionnels de santé pour ces techniques, intérêt
dont témoignent les innombrables publications scientifiques s’y rapportant.
Parmi celles-ci, de nombreuses études se sont intéressé aux modifications
de l’état de conscience induites par l’hypnose. C’est notamment le cas de celles
réalisées par l’équipe belge d’Elisabeth Faymonville. Dans son activité d’anes-
thésiste, elle procède à des opérations chirurgicales parfois exclusivement sous
hypnose. Plusieurs études utilisant l’imagerie fonctionnelle ont permis de mieux
préciser les zones impliquées dans cet état de conscience qui caractérise la

7. Gueguen, J. et al. unité INSERM U1178, Évaluation de l’efficacité de la pratique de


l’hypnose, rapport, 2015, Direction Générale de la Santé.

3
transe hypnotique 8 .On peut schématiquement la décrire comme une forme de
dissociation, entre l’esprit occupé par les suggestions du thérapeute, et le corps.
Dans cet état de conscience modifié, les perceptions sont suffisamment altérées
pour modifier profondément la composante émotionnelle qui y est rattachée 9 .

L’hypnose peut être décrite comme un état de conscience modifié induite


par l’effet de la suggestion opérée par l’hypnopraticien. A ce titre, l’hypnose
est une forme de modèle théorique pour comprendre et étudier la suggestion
et la suggestibilité. En effet, la suggestion ne se limite pas à l’hypnose. L’im-
portance de la suggestion, on le verra, est soulignée par nombre d’auteurs :
Dans toute relation de communication, on pourra retrouver des mécanismes à
l’œuvre qui relèvent de la suggestion. pour le dire autrement, il faut considérer
qu’au delà du message formel véhiculé par le discours, se trouve enchâssé à
l’intérieur même de celui-ci, inhérent, dissimulé dans la trame de ce discours,
d’autres messages qui produiront sur le récepteur du discours –le malade pour
ce qui nous concerne– des effets qui peuvent être indépendant du message for-
mel lui-même. De cette manière, le message et l’effet produit pourront être
diamétralement opposés.
Étudier la suggestion ne peut donc se limiter à étudier les techniques de
l’hypnose. Il faudra cependant en passer par là, par cette observation d’un mo-
dèle théorique, avant de pouvoir élargir mon propos à la relation thérapeutique
en général.
Cette étude est rendue nécessaire par la question éthique suivante : si la
suggestion semble être un puissant levier pour induire le changement pour nos
patients, elle apparaît comme une prise de pouvoir sur l’autre d’emblée dou-
teuse. Pire encore, elle pourrait faire porter sur la relation même le risque de
la fausseté, de l’inauthenticité. Elle réduirait alors la rencontre avec le malade
à une série de techniques standardisées, aseptisées, protocolisées, indépendam-
ment même de son efficacité réelle ou supposée. On pourrait à peu de frais
vouloir s’en détourner, et prétendre refuser d’utiliser ces techniques. Ce se-
rait ignorer combien la suggestion est inhérente même à la relation. Il n’y a
pas d’issue sauf à suivre la voie malarméenne et s’atteler à transposer dans le
champ de la santé ses observations littéraires.

8. Faymonville, M.-E., « Neural Mechanism of Antinociceptive Effect of Hypnosis », Anes-


thesiology, vol. 92, 2000.
9. Cette étude a étudié l’effet de l’hypnose expérimentale. Elle mis en évidence, face à
une stimulation douloureuse, la capacité de l’hypnose a diminuer non seulement le ressenti
douloureux mais plus encore le sentiment de déplaisir associé (unpleasentness), coté sur une
échelle de 1 à 10.

4
Dans une première partie, je me propose d’étudier combien la suggestion et
avec elle l’hypnose a toujours navigué dans cette dialectique, amenée souvent
à se défendre de l’accusation d’être un poison, et de l’autre coté, régulièrement
brandie comme remède fabuleux. Ce cheminement historique conduira, de ma-
nière non chronologique, à mieux cerner la suggestion comme technique. Ces
différentes approches me conduiront à préfiguer une définition de la sugges-
tion en tant que notion. Elle n’est pas rhétorique, quand bien même il y a des
analogies, elle n’est pas non plus une posture neutre.
Poison et remède dans le même temps, c’est la définition d’un pharmakon,
et l’aide de Derrida me sera précieuse pour embrasser la notion de suggestion.
Dans La pharmacie de Platon 10 il s’attelle à mettre à jour le double sens de
ce terme –pharmakon– que Platon utilise, lui, pour désigner l’écriture dans le
Phèdre et qui au fil des traductions semblait avoir perdu l’un de ses sens ini-
tiaux, conduisant, selon lui, à une erreur d’interprétation. En le traduisant par
poison, on pourrait se croire autorisé à ne faire de ce texte qu’un argumentaire
à charge contre l’écriture. L’analogie pourra fonctionner dans les deux sens
avec la suggestion, tantôt du coté de l’écriture, réhabilitée par Derrida, tantôt
du coté du discours oral, vivant, qui semble obtenir les faveurs de Platon.

10. op. cit., p. 77-209.

5
6
Approcher la suggestion comme
technique de soins

L’hypnose conversationnelle
On distingue donc dans l’hypnose deux mécanismes différents : la sugges-
tion et la modification de l’état de conscience, autrement appelée transe ou état
dissociatif. Les techniques les plus contemporaines sont directement inspirées
de l’enseignement de Milton Érickson. C’est à lui que l’on doit la théorisation
de la mal nommée communication hypnotique ou hypnose conversationnelle.
Mal nommée parce que justement, on s’abstient de rechercher la modification
de conscience 11 . Elle est doublement mal nommée, en réalité, dans la mesure
où l’on sait maintenant que la transe hypnotique est tout à fait distincte de
l’état de sommeil. Il n’y a donc, dans l’hypnose conversationnelle, ni transe ni
sommeil.
Sans doute faut-il illustrer mon propos de manière plus concrète. Voici un
exemple de ce que pourrait être une séquence d’hypnose conversationnelle, mise
à profit pour réaliser dans de bonnes conditions un geste –ici une infiltration
superficielle– et afin d’en optimiser l’efficacité.

Je commence par réexpliquer le geste. (Je ne retranscris pas les réponses de


la patiente, qui approuve à chaque fois)
—Je vous propose de simplement à l’endroit ou ce petit nerf semble être irrité,
exactement là où, à l’examen j’ai reproduit tout à l’heure la sensation anor-
male, d’instiller un produit anesthésique et un anti-inflammatoire puissant.
grâce à anesthésique, le geste restera confortable. la modification des sensa-
tions actuelles permettra tout de suite ou un peu plus tard, au moment ou
l’effet s’installera de confirmer que c’est une des causes du problème à soigner.
Le soulagement peut s’installer rapidement ou dans un second temps.
— C’est bien ce que vous aviez compris la dernière fois ?
11. En tout cas on ne l’annonce pas et l’on ne provoque que des modifications très modérées
de l’état de conscience.

7
— Vous voulez qu’on procède au geste aujourd’hui ?
— Alors, je vous propose de vous installer sur le fauteuil et de vous défaire un
peu.
— Prenez le temps dont vous avez besoin pour vous installer suffisamment
confortablement.
— vous n’avez même pas besoin de vous détendre particulièrement.
— Simplement, si vous le voulez bien, installez la jambe droite comme ceci.
— C’est parfait comme ceci.
— Êtes-vous suffisamment bien installée ?
— Ça va ? le geste doit rester complètement indolore.
— Voilà, (au moment de la piqûre) vous allez sentir le produit anesthésique,
ou bien peut-être simplement une sensation d’engourdissement ou toute autre
modification de sensation, qui doit rester bien agréable. Vous me diriez si ce
n’est pas le cas ?

Cette illustration permet de mettre en évidence quelques principes simples :


le choix du lexique, évocateur de l’agréable, du confortable, évoquant le sou-
lagement, la détente. Je m’abstiens d’utiliser toute terminologie évocatrice de
douleur ; j’évite également toute suggestion trop directe. « vous n’avez pas be-
soin de vous détendre » est une suggestion indirecte, c’est à dire cachée, ici
derrière une forme négative.
Ces suggestions sont amenées juste après avoir placé une série de pro-
positions facilement acceptées par la patiente : une série de trois ou quatre
consignes auxquelles elle n’a aucune raison de résister : d’abord lui redeman-
der le consentement au soin –je n’en doute pas, elle a posé sur le bureau le
produit prescrit lors de la consultation précédente–. Lui donner les consignes
d’installation, puis lui demander de modifier la position de la jambe : cette
séquence porte le nom de Yes-set : après une série de propositions auxquelles
l’interlocuteur peut facilement adhérer on renforce sa capacité à adhérer aux
propositions suivantes ; on inhibe sa propension à refuser. D’une suggestion
l’autre, on obtient, in fine l’adhésion à une suggestion qui, appliquée d’emblée,
aurait probablement été refusée net.

la syntaxe, la tournure de phrases, les champs lexicaux, bref le langage est


adapté pour concourir à installer l’effet que l’on souhaite obtenir. La palette est
large, et ce court exemple est évidemment réducteur. Cependant, cet exemple
un peu schématique et réducteur me parait suffisant pour permettre d’esquis-
ser les grands principes de communication qui régissent l’hypnose conversation-
nelle. On peut constater qu’il n’y a là aucune nécessité d’induire la modification

8
de l’état de conscience.
Non que cette modification d’état de conscience ne soit utile. Autrement ap-
pelée transe hypnotique ou état dissociatif, c’est un effet dont on peut constater
qu’il est lui aussi induit par la suggestion du praticien. Les études réalisées en
anesthésie permettent de penser que cette dissociation participe à « isoler »le
patient des perceptions potentiellement douloureuses lors du geste chirurgical,
jusqu’à permettre de se passer entièrement de produits anesthésiques lors de
certains gestes.

Il y a similitude entre les modalités de communication qui permettent d’in-


duire la transe et ceux décrits plus haut. Dans le cadre de ce travail, c’est bien
l’ensemble des techniques de suggestion qui m’intéressent, indépendamment
du but qu’elles recherchent. On comprendra que je renonce à utiliser ce terme
d’hypnose conversationnelle, à la fois inadapté et réducteur pour désigner ce
qui à mon sens relève pleinement et exclusivement de la suggestion.
S’intéresser à la suggestion, sera donc pour moi cette attention donnée au
langage et aux effets qu’il peut produire chez l’autre. Il me semble qu’il peut
s’agir d’une manière renouvelée d’appréhender l’acte même de soin, la relation
thérapeutique. Je propose de lire cette expression au sens littéral de ces termes.
Il faut considérer la communication comme une relation, et son effet comme
étant directement thérapeutique, c’est à dire, qui participe au soin, qui soigne.

Bernheim et l’école de Nancy


Dans l’histoire de l’hypnose médicale, l’école de Nancy est la première à
dégager la notion de suggestion comme centrale dans les mécanismes de l’hyp-
nose. Bernheim est celui qui a écrit et diffusé ces idées, mises au point et
développées avec son maître, Auguste Liébault 12 .
Bien avant lui, si l’on considère les ascendances de l’hypnose médicale,
Franz-Anton Mesmer (1734-1815) avait échoué à démontrer le rôle du magné-
tisme, qu’il pensait être le mécanisme de la transe. En 1784, deux commissions
sont réunies à la demande du roi, menées par l’académie des sciences et la
société royale de médecine 13 . Elles concluent que les effets observés lors des
séances réalisées ne sont pas en rapport avec l’existence d’un éventuel fluide
magnétique. « L’imagination sans magnétisme produit des convulsions ».

12. Bernheim, H., De la suggestion, Paris, Albin Michel éditeur, 1911.


13. Bioy, A., L’hypnose. Presses Universitaires de France, 2017.

9
Jean-Martin Charcot emmenant avec lui l’école de la Salpêtrière, voyait dans
les phénomènes provoquées par l’hypnose le signe d’un état pathologique, l’hys-
térie. Pour lui, l’hypnose n’est qu’un moyen de reproduire des symptômes qui
sont ceux de cet état pathologique, et qui permettent de porter un diagnostic.
Les polémiques de l’époque ont fait long feu ; la suggestibilité n’est pas réservée
aux femmes. moins encore aux hystériques. On comprend aujourd’hui combien
ces symptômes présentées par les malades sont provoquée par le médecin lui
même. –Bernheim parle alors d’hystérie de culture– l’art consistant à savoir
bien la cultiver.

C’est donc dans une autre direction que les Nancéens orientent le leur, d’art,
revendiquant de se distinguer de l’école de la Salpêtrière. Bernheim écrit :

J’ai établi définitivement que le sommeil provoqué n’est pas né-


cessaire pour obtenir les phénomènes dits hypnotiques ; que tous
ces phénomènes, anesthésie, catalepsies, actes automatiques, obéis-
sance passive, hallucinations, effets thérapeutiques, peuvent être
obtenus chez certains à l’état de veille, sans manœuvres préalables,
par la seule parole.
[...] J’ai donc pu affirmer catégoriquement : Les phénomènes de
suggestion ne sont pas fonction d’un état magnétique (Mesmer),
ni d’un état hypnotique (Braid), ni d’un sommeil provoqué (Lié-
beault), ils sont fonction d’une propriété physiologique du cerveau
qui peut être actionnée à l’état de veille, la suggestibilité 14 .

Ainsi avec Bernheim, on voit théoriser pour la première fois de manière


aussi claire l’importance capitale de la suggestion. Avec lui on peut considérer
cette modalité interactive comme étant un phénomène constitutif de l’homme.
En outre, il avance le fait que cet effet, cette suggestion est directement
réalisée par la parole, le discours de l’opérateur, sans autre artifice nécessaire.
Certes, Bernheim est ancré dans son époque, une époque ou l’hypnose reste
pratiquée de manière autoritaire. A ce titre, les pratiques qui sont les siennes
seront, justement, abondamment critiquées, notamment par Freud, nous le
verrons plus tard. Pourtant, il marque une rupture dans la conception de ce
qu’est l’hypnose, il en détermine le mécanisme principal.

14. Bernheim, E., op.cit., p. 15 à 16.

10
Emile Coué et l’autosuggestion
Il n’est pas possible de ne pas évoquer Émile Coué tant sa méthode est
restée associée à la notion de suggestion. Lui-même nancéen, il s’inscrit ex-
plicitement dans la filiation de Bernheim et Liebault. Il connut un immense
succès populaire. Si son nom est celui qui est resté à la postérité, il apparaît
qu’il appartient à un plus large mouvement de guérisseurs, hypnotiseurs, ma-
gnétiseurs 15 . Bien sûr Coué à laissé son nom à la postérité pour une méthode
qui est aujourd’hui communément moquée. Le mépris qu’il est d’usage de lui
réserver est pourtant probablement injuste si l’on prend la peine d’un regard
un peu plus nuancé.
Ses écrits relèvent plus du guide pratique méthodologique que d’une tenta-
tive de fondation d’une théorie. Ils n’en permettent pas moins de constater à
la fois son inscription dans les traces de ses prédécesseurs et l’infléchissement
qu’il donne, ultérieurement à la technique. Fidèle aux Nancéens, il constate
combien la suggestion et la suggestibilité sont des fonctions inhérentes à l’être
humain. Il utilise la suggestion comme méthode thérapeutique. S’en éloignant
par la suite, il prônera alors l’autosuggestion.
Coué écrit en 1920 :

L’autosuggestion est un instrument que nous possédons en nais-


sant et cet instrument, ou mieux cette force, est douée d’une puis-
sance inouïe, incalculable, qui, suivant les circonstances, produit
les meilleurs ou les plus mauvais effets. La connaissance de cette
force est utile à chacun de nous, mais elle est plus particulièrement
indispensable aux médecins, aux magistrats, aux avocats, aux édu-
cateurs de la jeunesse. Lorsqu’on sait la mettre en pratique d’une
façon consciente, on évite d’abord de provoquer chez les autres des
autosuggestions mauvaises, dont les conséquences peuvent être dé-
sastreuses et ensuite, l’on en provoque consciemment de bonnes qui
ramènent la santé physique chez les malades, la santé morale chez
les névrosés, les dévoyés, victimes inconscientes d’autosuggestions
antérieures, et aiguillent dans la bonne voie des esprits qui avaient
tendance à s’engager dans la mauvaise 16 .

Cet infléchissement, ce passage de la suggestion à l’autosuggestion, prendra


du temps à advenir. Les premiers opuscules qu’il publie et ce jusqu’à 1913

15. Guillemain, H., La Méthode Coué. Histoire d’une pratique de guérison au XXe siècle,
Seuil, 2010.
16. Coué, É., La maîtrise de soi par l’autosuggestion, Société Loraine de psychologie, 1920.

11
traitent de la suggestion 17 . C’est après la première guerre mondiale que sur-
vient ce tournant et qu’apparaissent les méthodes d’autosuggestion, dont celle
de Coué 18 . Selon Guillemain, si la suggestion renaît sous une forme différente,
c’est à la suite d’une période de déclin au tournant du siècle. Il identifie plu-
sieurs causes à ce déclin, autant d’écueils pour les techniques de la suggestion :
l’autoritarisme des guérisseurs, qui devient de moins en moins bien accepté ; la
confrontation de ces techniques à l’échec répété ; plusieurs faits divers ayant eu
grand retentissement, de faits délictueux réalisés grâce à l’hypnose. Ces écueils
selon Guillemain sont le corollaire de son succès des années précédentes. La
société toute entière semblait alors y placer une trop grande attente, forcément
déçue.

Cette lecture de Guillemain conduit à retrouver la trace de la problématique


qui est la notre, problématique redondante au cours de l’histoire.
Ces écueils, ces poisons potentiels, peuvent être séparés en deux grandes
catégories : D’une part le risque de placer dans la technique des attentes trop
grandes, de lui attribuer une fonction magique, de lui demander plus que ce
qu’elle ne peut réellement atteindre ; d’en faire un remède universel, mira-
culeux. De telles attentes, forcément déçues, conduisent nécessairement à lui
reprocher par là-même de ne pas être en mesure d’atteindre ces buts chimé-
riques, d’être un faux remède.
De l’autre coté, se trouve le risque de la manipulation, celui de la trop forte
hétéronomie, du pouvoir pris sur l’autre.

L’existence de ces critiques conduira Coué à opérer cette transition de la


suggestion vers l’autosuggestion. Cette manière de faire occulte l’action pour-
tant directe de celui qui suggère sur celui qui est suggestionné. Il lui laisse
croire qu’il est lui-même l’auteur de la suggestion. Il s’agit là, ni plus ni moins
d’une suggestion indirecte. Cela semble être un habile subterfuge. Coué avance
masqué, le préfixe auto– semble n’être qu’un leurre destiné à masquer la dis-
symétrie de la relation au guérisseur.

Pour triviale que paraisse la conception qui se dégage de l’extrait ci-dessous,


il me parait utile de la reproduire, illustrant sa définition de la suggestion et de
l’autosuggestion et conduisant à nuancer cette première impression d’un seul
subterfuge :

17. le titre de cet ouvrage de 1913 est alors : de la suggestion et de ses effets thérapeutiques.
18. Guillemain, H., Op. cit., p. 121.

12
Qu’est-ce donc que la suggestion ? On peut la définir « action d’im-
poser une idée au cerveau d’une personne ». Cette action existe-t-
elle par elle réellement ? A proprement parler, non. La suggestion
n’existe pas en effet par elle-même ; elle n’existe et ne peut exister
qu’à la condition sine qua non de se transformer chez le sujet en au-
tosuggestion. Et ce mot, nous le définirons « l’implantation d’une
idée en soi-même par soi-même ». Vous pouvez suggérer quelque
chose à quelqu’un ; si l’inconscient de ce dernier n’a pas accepté
cette suggestion, s’il ne l’a pas digérée,pour ainsi dire, afin de la
transformer en autosuggestion, elle ne produit aucun effet 19 .

Coué avance ici une notion centrale, qui est celle de l’acceptation, indispen-
sable à l’action de la suggestion. Une suggestion ne peut opérer que si elle est
acceptée. Ainsi considéré, le dispositif de l’autohypnose devient une condition
de cette acceptabilité. La suggestion ne devient efficace que si elle est assimi-
lée, si l’interlocuteur se l’approprie pleinement, c’est à dire, au moment où il
redevient acteur, et non seulement récepteur.

Suggestion psychanalytique
Plusieurs années avant l’apparition de l’autosuggestion, dans les années 1890,
fondant la psychanalyse, Freud rompt avec l’hypnose. En la rejetant, il ne
renonce pas à la suggestion, en tout cas pas à toute forme de suggestion. Il
précise, nous allons le voir, ce qu’il consent à sauver de la suggestion, ce qu’il
entend pouvoir continuer à utiliser. Avant de se pencher sur ce qu’il garde, je
me propose d’observer ce qu’il rejette et les raisons qui le conduisent à le faire,
les critiques qu’il formule. Les deux catégories définies au-dessus restent à mon
sens pertinentes pour classer celles de Freud : il lui reproche d’un coté son trop
fort autoritarisme et de l’autre une trop faible efficacité.

La suggestion directe, c’est la suggestion dirigée contre la mani-


festation des symptômes, c’est la lutte entre votre autorité et les
raisons de l’état morbide. En recourant à la suggestion, vous ne
vous préoccupez pas de ces raisons, vous exigez seulement du ma-
lade qu’il cesse de les exprimer en symptômes.
[. . .]
Pour le médecin, cela devenait à la longue monotone d’avoir re-
cours dans tous les cas aux mêmes procédés, au même cérémonial,
pour mettre fin à l’existence de symptômes des plus variés, sans
19. Coué, E., op.cit. p. 17.

13
pouvoir se rendre compte de leur signification et de leur impor-
tance. C’était un travail de manœuvre, n’ayant rien de scientifique,
rappelant plutôt la magie, l’exorcisme, la prestidigitation ; on n’en
exécutait pas moins ce travail, parce qu’il s’agissait de l’intérêt
du malade. Mais la troisième condition manquait à cette méthode,
qui n’était certaine sous aucun rapport. Applicable aux uns, elle ne
l’était pas à d’autres ; elle se montrait très efficace chez les uns, peu
efficace chez les autres, sans qu’on sût pourquoi. Mais ce qui était
encore plus fâcheux que cette incertitude capricieuse du procédé,
c’était l’instabilité de ses effets. On apprenait au bout de quelques
temps la récidive de la maladie ou son remplacement par une autre.
On pouvait avoir de nouveau recours à l’hypnose, mais des auto-
rités compétentes avaient mis en garde contre le recours fréquent
à l’hypnose : on risquait d’abolir l’indépendance du malade et de
créer chez lui l’accoutumance, comme à l’égard d’un narcotique 20 .

Ce passage me semble résumer de manière synthétique toutes les critiques aux-


quelles l’hypnose aura à répondre. Elle manque de fond, on parle sans savoir,
on agit sans comprendre, on s’interdit l’accès à la singularité de l’autre. On agit
sur le symptôme sans agir sur la cause, sans même tenter de la comprendre :
c’est un faux remède. On y parvient grâce à un « cérémonial monotone », cela
relève de la magie, de la prestidigitation, de l’exorcisme. Si c’est un tour de
magie, il y a un trucage. Si il y a trucage, les effets ne seront pas ceux que
l’on attend : là encore, c’est un faux remède. Si on obtient parfois des effets,
ils sont inconstants, difficiles à reproduire et limités dans le temps. Ce n’est
pas ce qu’on attend d’un remède. Ces trois arguments –action superficielle,
relevant de la magie, limitée dans le temps– discréditent l’hypnose par sa trop
faible efficacité, par sa trivialité.
De l’autre coté, déjà, il lui reproche sa trop forte hétéronomie ; elle en-
tretient la dissymétrie entre le médecin et le malade, elle le rend dépendant ;
elle place l’hypnotiseur dans une position d’autorité, on risque d’abolir l’in-
dépendance du malade. Elle a donc une trop grande puissance, une puissance
néfaste, une force maléfique. S’il n’évoque pas ici le risque de la manipulation,
il s’agit bien de ce risque, cet écueil.

Freud campe le décor ; ces critiques sont bien celles qu’on retrouvera au fil
du temps et jusqu’à aujourd’hui. Il positionne la technique comme poison, lui
réfute son appartenance à la catégorie des remèdes.
20. Freud, S., Introduction à la psychanalyse, petite bibliothèque Payot, [1916] 1965 p. 426
et suivantes.

14
La charge, virulente, porte sur l’hypnose, la suggestion hypnotique. Il conti-
nuera pourtant à s’y intéresser toute sa vie, d’un point de vue scientifique mais
il renonce à l’utiliser pour soigner ses patients. Là ou Bernheim assimilait hyp-
nose et suggestion comme une même entité, Freud, lui, prend garde de définir
les choses différemment et distingue la suggestion hypnotique de la suggestion
psychanalytique.

La thérapeutique hypnotique cherche à recouvrir et à masquer


quelque chose dans la vie psychique ; la thérapeutique analytique
cherche, au contraire, à le mettre à nu et à l’écarter. La première
agit comme un procédé cosmétique, la dernière comme un procédé
chirurgical. Celle-là utilise la suggestion pour interdire les symp-
tômes [. . .]. Au contraire, la thérapeutique analytique [. . .] se sert
de la suggestion pour modifier dans le sens qu’elle désire l’issue
de ces conflits. [. . .] C’est ce travail de lutte contre les résistances
qui constitue la tâche essentielle du traitement analytique, et cette
tâche incombe au malade auquel le médecin vient en aide par le re-
cours à la suggestion agissant dans le sens de son éducation. Aussi
a-t-on dit avec raison que le traitement psychanalytique est une
sorte de post-éducation 21 .

Freud oppose ici deux suggestions : celles de l’hypnose et celle de la psy-


chanalyse. Ces deux suggestions partagent un point commun qui correspond
à la définition que nous avons avancée plus haut : il s’agit dans un cas comme
dans l’autre de faire accepter au patient des idées qui viennent de nous, et ce
de manière indirecte. Dans le cas de la suggestion de la psychanalyse : « se
servir de la suggestion pour modifier dans le sens qu’elle désire l’issue de ces
conflits ». On comprend que la suggestion psychanalytique ne renonce pas à
agir sur l’autre, elle ne renonce pas à revendiquer un savoir, que l’autre n’a
pas et qui autorise à choisir le sens vers lequel il souhaite guider le patient. A
ce titre l’usage de ce terme d’éducation ne fait que renforcer cette impression :
le thérapeute connaît le but, il y mène son patient.

Il ne s’agit évidemment pas là de répondre aux critiques freudiennes, encore


moins de prendre parti dans une polémique encore vive aujourd’hui. Il s’agit de
constater combien les tentatives d’extraire la relation thérapeutique de tout
mécanisme suggestif sont vaine. Freud revendique l’usage de la suggestion :
une formule célèbre semble lui faire dire qu’il le déplore : « nous serons obligés
de mêler à l’or pur de l’analyse une quantité considérable du plomb de la
21. Freud, S., ibidem., p. 426-427.

15
suggestion directe ». Or, la traduction de cette formule n’est pas exacte. Daniel
Wïdlocher signale ce malentendu 22 . Freud parle de cuivre et non de plomb.
c’est une traduction française erronée qui a conduit à la diffusion de cette
citation sous cette forme. Selon que l’on choisit l’un ou l’autre des deux métaux
l’effet produit n’est pas le même : si le plomb renvoie aux critiques émises envers
l’hypnose, le cuivre peut suggérer l’idée l’un alliage métallique autrement utile.
Le contraste entre le plomb et l’or semble renvoyer à une sorte d’alchimie
inversée, ou l’on risquerait de contaminer l’or par le plomb. Selon le terme
qu’on choisira la hiérarchie entre les deux mécanismes ne sera pas de la même
nature.

Dans le début de l’extrait reproduit plus haut, Freud reproche à l’hypnose


son caractère cosmétique. C’est l’occasion de faire un pas vers le chapitre sui-
vant. On trouvera dans le Gorgias de Platon la même comparaison dont l’ob-
jectif est de discréditer la rhétorique et les sophistes. A cette fin, il met en
balance médecine et effet cosmétique. Cette comparaison s’insère, chez Platon
dans une série de comparaisons destinée à en renforcer l’effet. On compare les
termes deux à deux, d’un coté, la médecine, la gymnastique et la chirurgie ; de
l’autre coté : la cuisine, l’esthétique et le cosmétique.
La cuisine, donc est la forme de flatterie qui s’est insinuée sous
la médecine. Et, selon ce même schéma sous la gymnastique, c’est
esthétique qui s’est glissée ; l’esthétique, chose malhonnête, trom-
peuse, vulgaire, servile et qui fait illusion [. . .] l’esthétique est à la
gymnastique ce que la sophistique est à la législation ; et encore que
la cuisine est à la médecine ce que la rhétorique est à la justice 23 .
On peut alors compléter la liste des couples, ce qui donne :
médecine–cuisine, gymnastique–esthétique, chirurgie–cosmétique, analyse–
hypnose. L’analogie est la même. D’un coté, le superficiel, inutile, voire le
néfaste, de l’autre l’action en profondeur, l’efficacité vraie.
La suite de ce travail me conduira à dresser autant de parallèles entre ces
critiques récurrentes envers l’hypnose et celles de Platon envers la rhétorique.

Il s’agit pour Freud de disqualifier l’hypnose, et non globalement la sugges-


tion, ce que l’on comprend en percevant les distinctions qu’il opère. Pourtant,
on voit bien combien le mouvement qui est le sien semble emporter la sugges-
tion telle que Bernheim la conçoit. En effet les définitions qui sont les nôtres
22. Widlöcher, D., « Les psychothérapies contraires ». In : Raison présente, n°83, 3e
trimestre 1987. Le besoin de psychiatrie. pp. 25-35.
23. Platon, Gorgias traduction Canto-Sperber, M., 2017, Garnier Flammarion. 465 a-465 c,
p. 165.

16
ne sont pas totalement superposables. La suggestion psychanalytique semble
s’éloigner de la notion que je tente ici de définir. Freud précise :

Et nous devons nous rendre compte que si nous avons dans notre
technique, abandonné l’hypnose, ce fut pour découvrir à nouveau
la suggestion sous la forme du transfert 24 .

La suggestion psychanalytique assume une action du thérapeute qui guide


le patient, mais cette suggestion est d’un mécanisme bien différent de celui
de l’hypnose. Le transfert désigne la manière dont le patient investit affective-
ment la relation au thérapeute. Le transfert définit une relation asymétrique
qui partage avec la suggestion le caractère d’une forte hétéronomie. Or nous
avons vu que cette forte hétéronomie est le cœur de l’une des deux critiques
formulées à la suggestion. La suggestion à peine évacuée, voilà que resurgit
l’une de ses composantes centrale et problématique. Voilà que ressurgit le fait
qu’elle participe d’une relation de pouvoir sur l’autre. Cette composante re-
vient là, au cœur de la relation thérapeutique, de telle manière qu’elle apparaît
indissociable de celle-ci.

24. Freud, S., ibid, p. 423.

17
18
Approcher la notion de
suggestion

La rhétorique
C’est donc Freud qui nous met sur la piste de la rhétorique grâce à la simili-
tude des comparaisons utilisées pour décrire la suggestion et la rhétorique. Une
autre analogie pourra conduire à y faire référence dans ce travail. Suggestion
et rhétorique sont des techniques médiées par le discours, la parole. On dirait
avec anachronisme que ce sont des techniques de communication. Suggestion
et rhétorique sont des outils d’influence sur l’autre. A ce titre, la critique de
l’un pourra permettre d’affiner la critique de l’autre. Ce sont deux techniques
de parole de communication, des sciences du discours. Dans le Gorgias, Platon
en vient rapidement à parler médecine. Il interroge la place de cette science du
discours qu’est la rhétorique dans d’autres domaines et notamment dans celui
de la médecine.
Socrate
C’est aussi ce qui m’étonne, Gorgias, et c’est pourquoi je te de-
mande depuis longtemps quelle est cette puissance de la rhétorique.
Elle me parait en effet merveilleusement grande, à l’envisager de ce
point de vue.

Gorgias

Que dirais-tu, si tu savais tout, si tu savais qu’elle embrasse pour


ainsi dire en elle même toutes les puissances. Je vais t’en donner une
preuve frappante. J’ai souvent accompagné mon frère et d’autres
médecins chez quelqu’un de leur malades qui refusait de boire une
potion ou de se laisser amputer ou cautériser par le médecin. Or
tandis que celui-ci n’arrivait pas à les persuader je l’ai fait, moi, sans
autre art que la rhétorique. Qu’un orateur et un médecin se rendent
dans la ville que tu voudras, s’il faut discuter dans l’assemblée du
peuple ou dans quelque autre réunion pour décider lequel des deux

19
doit être élu comme médecin, j’affirme que le médecin ne comptera
pour rien et que l’orateur sera préféré si il le veut. Et quel que soit
l’artisan avec lequel il sera en concurrence, l’orateur se fera choisir
préférablement à tout autre ; car il n’est pas de sujet sur lequel
l’homme habile à parler ne parle devant la foule d’une manière
plus persuasive que n’importe quel artisan. Telle est la puissance
et la nature de la rhétorique.» 25

Telle est la puissance de la rhétorique exposée par Gorgias et telle semble


être la puissance de la suggestion, qui pourrait être une rhétorique déclinée
dans le champs de la médecine, utilisée pour optimiser l’effet thérapeutique,
pour mieux diriger le malade vers le but assigné, but commun au médecin et
au patient, la santé, la meilleure santé possible, tout du moins. Pourtant cet
énoncé de Gorgias rentre en contradiction avec la conception de la rhétorique
que Platon place dans la bouche de Gorgias quelques pages plus tôt, et qui
semble dresser un obstacle à toute extrapolation de la rhétorique en dehors du
champs du discours politique.

Socrate
C’est juste. Et bien, réponds moi aussi bien, au sujet de la rhéto-
rique, cette fois. Quel est l’objet que la rhétorique fait connaître ?

Gorgias

Les discours.

Socrate

Quels discours, Gorgias ? Les discours qui indiquent aux malades


le traitement qu’il doit suivre pour être en bonne santé ?

Gorgias

Non.

Socrate

Donc, déjà la rhétorique ne porte pas sur tous les discours ?

Gorgias

Assurément non 26 .
25. Platon, op.cit., 456 b.
26. Platon, ibid., 449 de.

20
Cette contradiction dans le discours même prêté à Gorgias, qui, après avoir
expliqué que la rhétorique ne porte pas sur les discours destinés aux malades,
prend justement cet exemple pour prouver l’efficacité de son art ne me parait
pas se résoudre dans la suite de ce texte. Rien ne vient le justifier. Faudrait-il
le comprendre comme une bravade, destinée, insidieusement, à discréditer le
trop prétentieux Gorgias ? Faut-il au contraire le prendre au mot et conseiller
aux médecins de s’instruire de l’art de la rhétorique.
Avançons dans l’étude de Gorgias. En effet la charge de Socrate contre
la rhétorique qui viendra est lourde et semblerait pouvoir emporter avec elle
la suggestion. Mais est-ce bien du même outil dont il s’agit et que Socrate
critique ? S’agit il d’ailleurs de l’outil lui-même -la rhétorique- ou bien critique-
il plutôt ses buts ?
En effet, Socrate accuse la rhétorique de poursuivre des buts injustes, et
l’on peut écouter Gorgias parer à cette attaque, distinguant la technique des
buts qu’elle poursuit. Il affirme que l’on ne peut blâmer la technique –ni ceux
qui l’enseignent– si certains en font un mauvais usage :
[Gorgias]
Toutefois, Socrate, il faut user de la rhétorique comme de tous les
autres arts de combat. Ceux-ci en effet ne doivent pas s’employer
contre tout le monde indifféremment, et parce qu’on a appris le
pugilat, le pancrace, l’escrime avec des armes véritables, de manière
à s’assurer la supériorité sur ses amis et ses ennemis, ce n’est pas
une raison pour battre ses amis, les transpercer, les tuer. [...] Car
si les maîtres ont transmis leur art à leurs élèves, c’est pour en user
avec justice 27 . [. . .]

Socrate
Eh bien, vois-tu, quand tu affirmais que la rhétorique traitait de
la justice,je me suis dit qu’elle ne pourrait jamais être une chose
injuste —s’il est bien vrai que les discours qu’elle sait composer ne
parlent que de justice. Mais quand un peu plus tard, tu as déclaré
qu’un orateur pouvait se servir sans aucune justice de rhétorique,
j’en ai été tout étonné. [. . .] Or maintenant que nous en sommes ve-
nus à étudier la question, tu vois bien que toi-même, tu es d’accord,
à ton tour, pour dire qu’il est impossible que l’orateur se serve injus-
tement de la rhétorique et qu’il veuille faire du mal. Comment ces
deux affirmations vont elles de pair ? Par le chien, Gorgias, nous
27. Platon, ibid. 456 c-d.

21
n’en avons pas pour un petit moment seulement si nous voulons
examiner la question à fond 28 !
L’argument de Gorgias semble de bon sens. Pourtant Socrate refuse de
s’y soumettre et maintient le caractère indissociable de la technique et de son
objectif. Si la technique peut conduire à des actions injustes la technique elle
même est mauvaise. Il ne parait pas vouloir accepter de dissocier la technique
des buts qui lui sont assignés.
Plus tard dans le dialogue avec Polos et Calliclès, qui prendront le relais de
Gorgias pour défendre la rhétorique, on comprendra mieux combien la tech-
nique et ses buts sont indissociables, s’agissant de la rhétorique, au moins dans
le système politique de référence qui est le leur. Le point de vue défendu par So-
crate, dans ce cas, englobe une critique virulente de la politique, ses méthodes
et ses buts, et ce, de manière indissociable.

Comment extrapoler cette discussion à la suggestion ? peut-on simplement


accepter l’argument de Gorgias, et accepter de la suggestion que le risque
d’abus –celui de la manipulation en premier lieu– soit entièrement distingué
de la technique ? Il faudrait alors considérer la suggestion comme indissociable
de l’hypnose et sans doute étudier toutes les pratiques de l’hypnose dans le
contexte contemporain de son utilisation. Or, il y a aujourd’hui une immense
hétérogénéité des pratiques, qui vont de l’hypnose-spectacle à l’anesthésie, en
passant par l’éducation, le coaching et les techniques de bien-être individuel.
Dans tous ces domaines, les même techniques s’appuient sur les mêmes types
de méthodes ; elles reposent sur l’hypnose et donc sur la suggestion. Les buts
eux sont diamétralement opposés.
Les instituts qui dispensent des formations à l’attention des professionnels
de santé font des efforts manifestes pour distinguer ce qui relève de la santé
du reste. En l’absence de contrôle de l’État sur la terminologie, il existe un
consensus des principaux instituts pour réserver l’accès à ses formations aux
seuls professionnels au sens du code de santé public. Les non-soignants sont
donc exclus, mais aussi, les brancardiers, aides médico-psychiques, agents ad-
ministratifs, ostéopathes, qui ne peuvent y prétendre. De cette manière, ils
tentent de faire reposer cette distinction non sur la technique mais sur la fonc-
tion de celui qui l’utilise. l’hypnose tire son caractère médical du fait que ce
sont des soignants qui la pratiquent, et qu’ils sont soumis à une déontologie
professionnelle.
Gorgias explique que lorsqu’on enseigne la rhétorique on enseigne également
le juste. Il faudrait croire que le fait d’avoir suivi une formation et d’être
28. Platon, ibid, 460 e-461 a.

22
titulaire d’un diplôme de soignant soit également la garantie de l’acquisition
d’un sens moral. Ou peut-être faut il s’en remettre à la simple existence de ce
code pour s’en assurer.

Convaincre ou persuader ?
Gorgias reconnaît et revendique dans l’éloge d’Hélène la puissance persua-
sive du logos.
Les enchantements inspirés des dieux à travers les paroles amènent
le plaisir, remmènent le deuil. Ne faisant bientôt qu’un avec ce que
l’âme pense, la puissance de l’enchantement la séduit et persuade
et change par une fascination. Deux arts de magie et de fascination
ont été découverts pour égarer l’âme et tromper l’opinion. [. . .]
Si c’est la parole qui l’a persuadée et a trompé son âme, il n’est pas
non plus difficile à cet égard de la défendre et de ruiner l’accusation,
ainsi : la parole exerce un grand pouvoir, elle qui, étant très peu
de chose et qu’on ne voit pas du tout, accomplit des ouvrages très
divins. Car elle peut apaiser la terreur et écarter le deuil, elle fait
naître la joie et accroît la pitié [. . .]
La puissance du discours a le même rapport à la disposition de
l’âme que la disposition des drogues (tôn pharmakôn taxis) à la
nature des corps . De même que certaines drogues évacuent du
corps certaines humeurs, chacune la sienne, et les unes arrêtent
la maladie, les autres la vie ; de même certains discours affligent,
certains réjouissent ; les uns terrorisent, les autres enhardissent les
auditeurs ; d’autres par une mauvaise persuasion droguent l’âme et
l’ensorcellent 29 .
Derrida commente ce passage par une formule qui rappelle étrangement la
définition de Hugo de la suggestion : « La “ persuasion entrant dans l’âme par
le discours” tel est bien le pharmakon et tel est le nom dont se sert Gorgias ».
De cette manière il parait incontestable de placer la suggestion du coté de
la persuasion. 30 On peut constater là encore l’utilisation d’une comparaison
29. Derrida relèvera ce passage de l’éloge d’Hélène de Gorgias pour mettre en relation la
critique de l’écriture par les rhéteurs eux-mêmes, avant Platon. Je reproduis ici la traduction
qu’il utilise, op.cit, p. 129-130.
30. Si Derrida pointe dans ce passage son caractère de pharmakon alors que jusqu’ici, dans
la pharmacie de Platon, j’y reviens plus loin, c’est bien l’écriture qui est pharmakon, et non
le discours oral, c’est parce qu’il opère un renversement des arguments. En l’évoquant ici,
je prends de l’avance sur le déroulé de ce mémoire. En effet, par ce renversement, Derrida
montre que la critique de l’écriture dans les mêmes termes (son potentiel maléfique) peut
tout à fait s’appliquer au logos, discours oral.

23
médicale. La récurrence de cette analogie témoigne d’une proximité. Elle ne fait
que renforcer l’interêt que j’ai à traiter de ce sujet. La suggestion se voit ainsi
confirmée dans le domaine de la médecine. De la même façon pour renforcer
encore les parallélismes, ce passage insiste sur son potentiel de pénétration
d’une part et sur son coté magique et enchanteur d’autre part.
Cette manière de persuader est critiquée par Platon, il distingue du dis-
cours du sophiste celui du philosophe. C’est selon lui, celui qui instruit, celui
qui s’adresse à la raison. C’est celui de Socrate. Le discours de l’orateur qui
use de rhétorique flatte les foules. il ne s’adresse pas à la raison mais aux sen-
timents. Le discours du philosophe, de Socrate, s’adresse à la raison, il cherche
à convaincre. Il s’oppose à la rhétorique qui cherche à persuader, utilise la
flatterie, cherche à plaire, à emporter l’adhésion par l’admiration, par les sen-
timents.

Il est tout à fait juste de dire que la suggestion ne s’adresse pas directement
à la raison. On pourra constater qu’elle revendique parfois d’user de discours
para-logique, de faux liens. Elle vise même parfois à semer et dérouter la rai-
son de l’interlocuteur lorsque justement cette raison semble faire obstacle à
l’objectif de soins. Il est des techniques, dites de confusion, qui conduisent à
saturer le discours d’information jusqu’à ce que les capacités rationnelles du
patient soient débordées. J’ai évoqué l’utilisation de la négation pour suggé-
rer l’idée contraire du sens littéral du discours lui même. En toute évidence,
la suggestion ne suit pas simplement les règles de la logique et de la raison.
Elle use de ruse, d’autorité, elle utilise un langage métaphorique, un double
langage, elle s’intéresse au comportement.

Un effet consubstantiel à toute relation


Si l’on s’en tient à ce prisme de la rhétorique, on constate donc et c’est
l’objet des deux parties ci-dessus, la juxtaposition par Platon de deux cri-
tiques : d’une part de poursuivre des buts injustes (l’enrichissement personnel,
les honneurs, etc.) et d’autre part de la trivialité, de la superficialité de la rhéto-
rique, de seulement persuader et non convaincre. Cette juxtaposition conduira
Derrida à convoquer l’argument du chaudron pour caractériser cette double
critique, discours qui consiste à accumuler les arguments contradictoires : «
(1) Ce n’est pas moi qui ai abîmé ton chaudron et en plus, (2) je te l’ai rendu
en bon état, et d’ailleurs, (3) le trou y était déjà quand tu me l’as prêté. » En
effet, il constate le même mouvement de critique de l’écriture et de la rhéto-
riques, accusées de la même manière, l’une dans Gorgias, l’autre dans Phèdre,

24
dans un même projet critique contre les sophistes 31 .
On pourrait plutôt constater qu’après la discussion téléologique –quel est
le but poursuivi ?– Platon étudie la question d’un point de vue déontologique
–quels sont les moyens utilisés ?–. La rhétorique semble ne pas résister à l’exa-
men. Qu’en est il finalement de la suggestion ? A travers ce prisme il faudrait
regarder d’abord la suggestion comme un moyen : un moyen auquel on repro-
chera surtout de mettre à son profit la dissymétrie, de risquer de manipuler,
de faire usage de ruse, qui porte en soi le risque de l’insincérité. La suggestion-
moyen est condamnable d’un point de vue déontologique.
Il faut ensuite d’examiner d’un point de vue téléologique, celui de son but
recherché ; dans le cas de la suggestion thérapeutique, si il s’agit simplement
de répondre à la commande du patient, à la raison pour laquelle il consulte,
elle serait alors éventuellement disculpée en raison d’un but acceptable.
On pourrait ainsi s’en tirer à bon compte, en déclarant qu’un outil, aussi
potentiellement dangereux soit-il, ne peut se juger qu’à l’aune de l’intentionna-
lité avec laquelle il est utilisé. Après tout, un scalpel est une lame suffisamment
acérée pour pouvoir être néfaste (le moyen) et il ne viendrait à personne à l’es-
prit d’interdire au chirurgien de l’utiliser sous ce prétexte de son tranchant, et
donc de sa potentielle puissance néfaste. C’est également le principe de l’arme
par destination : l’objet utilisé pour blesser n’est une arme que parce qu’elle
est utilisée comme telle. Il ne resterait alors qu’à examiner le but poursuivi,
au cas par cas.

Quand bien même on suivrait l’argument de Socrate, on refuserait alors


la suggestion parce que potentiellement néfaste. Le simple fait qu’elle puisse
l’être conduirait à la refuser de principe. Elle serait alors considérée comme
essentiellement néfaste parce que porteuse de ce potentiel. On pourrait alors
choisir de l’utiliser ou non.
Mais emprunter ce chemin, ce serait encore réduire la suggestion à un seul
outil. Or, Je crois que la suggestion n’est pas en soi seulement un outil, une
technique mais un effet consubstantiel à la communication même. En cela, on
ne peut pas choisir de ne pas l’utiliser. Tout discours porte en lui même des
messages cachés, sous-jacents, qui ont le potentiel d’agir sur l’interlocuteur.
Ainsi, le médecin interrogé par son patient, atteint de cancer, sur le temps
qu’il lui reste à vivre sera nécessairement dans un rapport suggestif, qu’il
le veuille ou non, qu’il en prenne conscience ou non. Il pourra répondre, de
manière la plus neutre possible : « dans un cancer comme le votre, la du-
rée moyenne de survie est de . . . » : aura-il évité d’induire dans l’esprit de
31. Derrida, J., op. cit., p. 125.

25
son interlocuteur une idée, celle du compte à rebours ? Il pourra répondre au
contraire qu’il ne sait pas, qu’on ne sait jamais, qu’on se trompe toujours à
répondre à une question comme celle ci. Peut-être répondra-t’il en confirmant
le temps compté, puis en suggérant immédiatement après que la bataille vaut
le coup d’être menée, pour pouvoir en gagner, du temps, et qu’elle nécessite
l’implication du malade.
Les informations que l’ont délivre lors d’une question comme celle ci sont
importantes. Elle le sont déjà comme donnée brute, statistique, connaissance
scientifique, résultat biologique. Elle le sont doublement par tout ce qu’elle
véhiculent d’autre. Pour l’illustrer, je crois nécessaire un retour à la clinique,
celle de patients chez qui l’information reçue par un médecin m’avait semblé,
à posteriori avoir imprimé à la suite de leur histoire une tonalité singulière.
M. DLC, après avoir dépassé le terme qu’on lui avait fixé, manifestera un
abandon complet de toute lutte active, et se complaira dans une posture pas-
sive, s’interdisant toute participation à un quelconque acte de survie, refusant
la toilette, restant obstinément les yeux fermé. Pour lui, cette suggestion sem-
blait avoir fonctionné comme une prophétie autoréalisatrice. Cela avait été
effectivement le prélude au moment de la mort.
Chez M. DLUO, au contraire, cette situation d’attente de la mort s’était
prolongée de longs mois, bien après le délai annoncé. Cela avait conduit pro-
gressivement à ce que le patient soit effectivement amené à réinvestir la vie
d’une nouvelle manière, après plusieurs changements de services et finalement
l’admission dans un établissement de long séjour. La mort n’était pas arrivée
au moment voulu, mais l’attente contrariée du patient avait été une épreuve
difficile à dépasser.
Ainsi peut-on imaginer répondre à cette question 32 sans que cela n’ait
d’effet dans l’esprit du malade, sans que cela imprime une image, une couleur ;
que cette image et cette couleur n’aient un impact sur la manière, par la suite,
du malade de faire face ; et que dans cette réponse compte aussi, au delà
de l’information la plus brute possible, la manière dont elle est délivrée et le
message sous-jacent qu’elle porte. Peut-il y avoir dans ce type d’interaction une
neutralité quelle qu’elle soit ? A divers degrés, il me semble qu’il y a toujours
suggestion, il y a toujours possibilité d’une idée qui s’instille indépendamment
du contenu apparent du discours. de manière maîtrisé ou non, le discours agit.
L’écriture ne vaut pas mieux selon Platon, comme remède que
comme poison. Avant même que Thamous ne laisse tomber sa sen-
tence péjorative, le remède est inquiétant en soi. Il faut en effet
savoir que Platon suspecte le pharmakon en général, même quand
32. ou ne pas répondre à cette question, ce sera aussi une réponse.

26
il s’agit de drogues utilisées à des fins exclusivement thérapeutiques,
même si elles sont maniées avec de bonnes intentions, et même si
elles sont comme telles efficaces. Il n’y a pas de remède inoffensif.
Le pharmakon ne peut jamais être simplement bénéfique 33 .

33. Derrida, J., op. cit., p. 112.

27
28
La suggestion comme
pharmakon

Oppositions en série

Socrate compare à une drogue, (pharmakon) les textes écrits que


Phèdre a apportés avec lui. Ce pharmakon, cette « médecine », ce
philtre, à la fois remède et poison, s’introduit déjà dans le corps du
discours avec toute son ambivalence. Ce charme, cette vertu de fas-
cination, cette puissance d’envoûtement peuvent être – tour à tour
ou simultanément – bénéfiques et maléfiques. Le pharmakon serait
une substance, avec tout ce que ce mot pourra connoter, en fait
de matière aux vertus occultes, de profondeur cryptée refusant son
ambivalence à l’analyse, préparant déjà l’espace de l’alchimie 34 »
La suggestion a du, jusqu’à présent surtout répondre à des critiques. La
certitude que ce remède en est vraiment un n’apparaît pas nettement dans cette
première partie de mon travail. Platon n’a pas été convaincu. Les critiques qu’il
oppose à la rhétorique n’ont pas complètement épargné la suggestion. Certes
je crois avoir avancé, notamment en pointant combien la suggestion, avant
d’être un outil qu’on utilise est un effet indissociable de la relation. Il n’en
reste pas moins que lorsqu’elle devient outil, elle semble porter en-soi d’un
coté, le risque de la manipulation ; de l’autre le risque d’être un faux remède,
un remède sans pouvoir. Pour, enfin trouver à sauver un peu de la suggestion,
je crois nécessaire d’avancer un autre couple de terme à la suite de la double
série d’opposition que nous avons débuté :

suggestion – rhétorique – mensonge – écriture


analyse –dialectique – vérité – logos oral

Le premier couple est celui de Freud (suggestion–psychanalyse), les trois


suivants, dont celui que j’ajoute ici (écriture–logos) sont ceux de Platon dans
34. Derrida, J., op. cit., p. 84

29
le Phèdre. L’écriture y est accusée, au coté des sophistes. C’est donc grâce à
Jacques Derrida que j’opère une lecture critique qui conduit à déceler, derrière
l’évidente charge de ce texte, la possibilité tout de même de sauver quelque
chose de l’écriture. L’évidence n’en est une que si l’on ignore le double sens du
terme de pharmakon et qu’on pense que Platon l’utilise comme « poison ». je
me propose d’y frotter la suggestion.

Tout me conduit à suivre cette piste : non seulement la série d’opposition


placée ci dessus, mais aussi la tonalité médicale de ce Phèdre où l’on parle
bien de remède d’une manière qui n’est pas simplement métaphorique.

Le dieu de l’écriture est donc un dieu de la médecine. De la « méde-


cine » : à la fois science et drogue occulte. Du remède et du poison.
Le dieu de l’écriture est le dieu du pharmakon. Et c’est l’écriture
comme pharmakon qu’il présente au roi dans le Phèdre, avec une
humilité inquiétante comme le défi. 35

Il faut en effet tout ce travail de dévoilement, de réinterprétation du texte


par Derrida pour sortir d’une interprétation qui voudrait voir dans le Phèdre
un texte à charge contre l’écrit. Une traduction de pharmakon par poison
participe à en masquer le sens –le double sens–. Déjà à travers le jeu que
permet la traduction, voilà démontré comment le texte écrit, puis traduit peut
altérer et donc paradoxalement enrichir le texte. Il s’enrichit par tout ce qui y
est caché, tramé.
Derrida se propose donc de dévoiler ce qui autorise à réhabiliter l’écrit face
à l’oral, en dépit de la charge virulente de Platon. Il en ressort une lecture
diamétralement opposée et l’apparition de la notion de supplément.

je propose dans les lignes qui suivent de suivre d’abord Derrida et dévoiler
la part remède de la suggestion-pharmakon, puis dans un retour vers Platon,
d’inverser les termes de l’équation et d’inscrire la suggestion du coté de la
dialectique orale, coté paré de tout les atours dans le Phèdre. On ne manque
pas d’arguments pour suivre ce chemin, et en tirer d’autres enseignements pour
aider à dresser le tableau de cette notion.

Le pharmakon, sans rien être par lui-même, les excède toujours


comme leur fonds sans fond. Il se tient toujours en réserve bien qu’il
n’ait pas de profondeur fondamentale ni d’ultime localité. Nous al-
lons le voir se promettre à l’infini et s’échapper toujours par des
35. ibidem., p. 108

30
portes dérobées, brillantes comme des miroirs et ouvertes sur un la-
byrinthe. C’est aussi cette réserve d’arrière-fond que nous appelons
la pharmacie 36 .

C’est finalement dans ce qui se cache entre le non dit, le non dévoilé d’em-
blée que nous rechercherons le supplément, dans l’acception dérridienne, à l’in-
térieur même de ce pharmakon qu’est la suggestion.
Il y a dans l’étymologie même de ce terme sub– par en dessous gestion–
porter, quelque chose qui peut nous pousser dans ce sens : ce qui est porté par
en dessous, c’est à dire, ce qui est sous-jacent, ce qui est caché en dessous ; en
dessous du discours ; en dessous, mais en soi. On retrouve cette même idée du
double-fond, ou d’arrière-fond avancée par Derrida.

Vérité
Platon critiquant l’écriture construit cette suite d’oppositions en série.
L’écriture, comme aide-mémoire, est accusée de rendre l’homme faussement
savant, en cela qu’elle aiderait la seule remémoration –hypomnésis– et non à
la mémoire –mnésis–, sans accéder à la vérité, elle, accessible par le travail
du philosophe, qui permet d’aller chercher en soi la vérité, par une opération
maïeutique. On peut donc établir une double chaîne de contraires entre d’un
coté la vérité, l’intérieur, du coté du discours oral, la dialectique, et de l’autre,
l’extérieur, l’écriture, la rhétorique et le sophiste. Par suite logique, la sugges-
tion qu’on a déjà placée du coté de la rhétorique, donc du dehors, est comprise
comme action venue de l’extérieur du sujet, auquel elle est étrangère.
De la même manière, Freud inscrivait l’hypnose et la suggestion hypnotique
de ce même coté, comprise comme un frein à l’accès à la vérité du patient
et un remède sans durée dans le temps ; elle est inscrite dans cette lignée
lorsqu’on rapporte les reproches de sa superficialité, lorsque s’occupant du
seul symptôme, elle semble en oublier les causes profondes, –internes– du mal.
Cette interprétation plaisante de concordance, fidèle à Platon, ne résiste
cependant pas à la clinique et à la réalité de l’interaction, au quotidien avec les
malades. Cette opposition me paraît au contraire, à cette lumière, artificielle.
Elle manque à expliquer quelque chose d’essentiel. Quelque chose qui à la fois se
trame en sous œuvre dans l’échange, et qui participe à construire la relation. Je
ne pourrais prétendre en maîtriser toute l’étendue, et ce n’est qu’à posteriori,
que je peux tenter d’en saisir les enjeux fondamentaux 37 .
36. Derrida, J., op. cit., p. 153.
37. je fournis là un effort pour conscientiser les données de l’échange et de l’interaction,
de les utiliser au mieux. On aura compris combien ces données nous échappent en partie et

31
Madame Brimée, une jeune femme, douloureuse chronique, est adressée à la
consultation d’étude et de traitement de la douleur pour des plaintes articu-
laires périphériques intriquées avec d’autres douleurs rachidiennes. Je la reçois
en première consultation et elle me raconte son histoire. Il y a chez elle un doute
sur un mécanisme auto-immun pour une partie de ses symptômes, qui pour-
rait concorder avec quelques anomalies biologiques. Les imageries médicales
sont rassurantes. Le début du travail conjoint lors des premières consultations
conduira à comprendre dans l’anamnèse douloureuse, d’autres éléments déter-
minants. J’ai le sentiment que tel évènement traumatique est central dans la
pathogénie. Elle fait le lien entre le début des signes et une période particulière
de sa vie où elle s’est sentie manipulée par un employeur particulièrement mal-
veillant qui parait, à ses dires avoir profité de sa naïveté. Elle a par ailleurs été
heurtée par une consultation médicale qu’elle décrit comme l’ayant malmenée,
où elle dit s’être sentie jugée, dépréciée, rendue responsable de son malheur,
sans perspective pour en sortir.

Face à cette situation, trois attitudes médicales sont possibles : première-


ment suivre la piste biomédicale, tenter de rattacher les signes aux anomalies
biologiques, poursuivre les explorations. Il me semble qu’il s’agit d’une fausse
piste. Mais c’est une attitude qui peut paraître valable sur le plan médical ;
nombre des patients qui consultent en centre antidouleur arrivent avec un
dossier d’une épaisseur telle qu’il semble évident que cette piste a déjà été
empruntée. C’est d’ailleurs quelque chose qu’on reproche parfois au malade,
déplorant son « nomadisme médical » et sa consommation excessive de soins.
Deuxième option : rattacher les signes à une entité comme la fibromyalgie.
Mme Brimée présente des symptômes ; l’association de ces symptômes, permet
de répondre de manière parfaitement exacte aux critères diagnostiques de la
société de rhumatologie pour porter ce diagnostic.
Troisième option, poursuivre l’hypothèse du psycho-traumatisme et esti-
mer que les évènements de vie de Mme Brimée ont été déterminants dans
l’apparition de ces symptômes.
On perçoit d’emblée combien le sous-texte de ces trois options oriente dans
des directions diamétralement opposées. Chacune de ces trois options véhicule
avec elle, en cascade une série de représentations, d’idées qui vont orienter, chez
la patiente le sens donné à ces symptômes, et la manière d’y faire face, donc de
poursuivre son existence. Va-t-elle se construire une identité de malade voire
de malade incurable, comme c’est malheureusement trop souvent le cas de la

c’est une des caractéristiques même d’un pharmakon que d’être ainsi insaisissable.

32
fibromyalgie, syndrome sans causes, sans explications et sans traitement 38 ?
Va t’elle poursuivre la piste bio-médicale, qui conduirait à renforcer l’idée
d’une cause extérieure à elle ? Disons-le d’emblée, la troisième piste est celle
que j’ai suivie. Il n’est pas possible de fournir de but en blanc une telle hypo-
thèse. En tout cas, il ne m’a pas paru opportun de le faire d’emblée. En effet,
Comment ne pas entendre quelque chose comme « c’est dans la tête, madame »
ou bien « vous n’avez rien », ce qui n’est pas le sens de ce que souhaite alors
lui signifier.
Arrêtons-là l’histoire de Mme Brimée, qui pour le moment me conduit
à montrer combien l’impact de la manière d’aborder son problème de santé
va pouvoir de manière sous-jacente influer sur les idées et représentations de
l’interlocuteur. Y a t’il dans les options ci dessus l’une d’entre elles qui soit
neutre ? est-il simplement possible face à une telle situation de ne pas engager
sa responsabilité médicale, pour choisir ce que l’on propose à la patiente comme
attitude ?
On voit ici que je prends le parti de nommer suggestion tout ce qui se joue de
non-verbal, d’allusif, de sous-jacent, de non-dit qui va influer, qui va modifier
le cours des choses. Évidemment tel que je l’ai retranscrit, cela n’apparaît
qu’entre les lignes. Il serait fastidieux de dérouler l’ensemble de l’entretien
dans le cadre d’un travail contraint. Mais si l’on s’en tient au quelques mots
de l’amorce de cette discussion : l’ai-je accueillie en lui demandant : « de quoi
souffrez vous » ou « qu’est-ce qui vous amène ? » ou bien encore : « que puis-
je faire pour vous » ? me suis-je permis de lui « souhaiter la bienvenue » à la
consultation ? Toutes ces amorces de l’entretien n’engagent pas la même chose,
ne suggèrent pas la même chose.

Où est la vérité de l’histoire de Mme Brimée ? Sans aucun doute, la manière


d’aborder ces premières consultations conduira à construire avec la patiente un
nouveau récit de son histoire de la maladie, de son anamnèse. Arrêtons nous
sur ce terme, dont les différents usages éclairent de manière saisissante mon
propos : ce terme même, qui, pour le médecin désigne simplement l’histoire de
la maladie, décrit chez Platon le travail de mémorisation qui pourra conduire
38. Il y a heureusement des malades qui arrivent à contrecarrer l’ensemble des suggestions
qui sont véhiculées avec ce diagnostic. Il y aurait beaucoup à dire sur la fibromyalgie, et ce
n’est pas l’objet de ce présent travail. Seulement faut-il préciser qu’il ne s’agit pas d’un diag-
nostic explicatif, mais purement descriptif. Il ne présume d’aucune cause, et ce par définition
car le diagnostic ne peut-être porté « qu’en l’absence d’autres explications ». Pourtant, il est
vécu par nombre de patients comme une maladie à proprement parler, et compris comme
une seule entité, ce qui n’est pas sa définition. Les exemples de fibromyalgiques véhiculés par
les médias, suggèrent la gravité de la maladie. De surcroît, la description qui en est faite ne
prend d’aucune manière en compte l’évolutivité. Difficile d’entendre la possible réversibilité
quand on assène : « vous avez la fibromyalgie ».

33
à la vérité. L’anamnèse ou mnesis s’oppose à l’hypomnesie, sorte de mémoire
morte.

La sophistique, l’hypomnésie, l’écriture ne seraient donc séparées


de la philosophie, de la dialectique, de l’anamnèse et de la parole
vive que par l’épaisseur invisible, presque nulle, de telle feuille entre
le signifiant et le signifié 39 .

Pour la liturgie Chrétienne, l’anamnèse a, là aussi, à voir avec la vérité. Il


s’agit, pendant la célébration de la messe du moment de remémorer les paroles
du Christ, en quelque sorte de les actualiser.

La vérité anamnésique, donc, reste, là ou j’ai arrêté le récit encore à


construire et cette construction est un travail commun que nous avons réalisé
avec la patiente par la suite. Dans ce cheminement un épisode est à signaler :
j’avais donc choisi la piste psychique, de telle façon qu’il m’avait paru utile
qu’elle puisse rencontrer la psychologue du service pour entamer un travail
avec elle. Je ne lui avais pas proposé d’emblée. il n’y avait pas d’urgence à le
faire. Je ne l’ai fait que le jour ou elle a, elle-même fait le lien entre les brimades
par son ancien patron et l’apparition des symptômes. Je croyais alors ne pas
avoir encore formulé cette hypothèse de cette manière. Lorsqu’elle rencontre-
rait la psychologue, un peu plus tard, elle lui déclarerait, au contraire qu’elle
venait à ma demande, sans savoir trop pourquoi, qu’il s’agissait en quelque
sorte de ma suggestion. Cela n’a pas empêché qu’elle entreprenne effective-
ment ce travail. La construction de cette anamnèse est fondamentale, et c’est
elle qui conduit dans le cas qui nous occupe à pouvoir construire un projet
thérapeutique. C’est donc la base du remède –base comme fondement mais
aussi base comme l’un des ingrédients, d’un des constituants, comme on parle
de la base d’une recette–.
Ainsi donc il apparaît nettement que notre pharmakon prend part à l’éta-
blissement d’une vérité, pharmakon indissociablement lié à la relation entre
le médecin et le malade, indissociablement lié à la relation tout court, à la
communication. Il y a là un acte de création conjoint qui se réalise dans un
aller-retour permanent entre les conceptions du médecin celles du patient, et
la résultante des suggestions qui auront été acceptées par ce dernier. On arrive
évidemment à la conception d’une vérité aussi mouvante, aussi instable, aussi
relative que la notion platonicienne de vérité est stable, constante, immanente.
S’agissant du matériau qui est le nôtre, cela devrait, je pense, nous satisfaire.

39. Derrida, J,. ibidem, p. 126.

34
Bien sur, l’interprétation vers laquelle nous tendons avec Mme B, n’a rien
de révolutionnaire, et je ne prétends rien avoir inventé. Il y a là un effet de
loupe susceptible de fausser l’interprétation que je propose. Seulement faut-
il, je pense, reconnaître dans cette séquence l’existence de représentations du
médecin qui infusent vers celles du patient.

Autonomie

On l’a vu, l’hypnose et la suggestion paraissent constituer intrinsèquement


des relations déséquilibrées entre le médecin et le malade. Celui qui suggère
prend d’une certaine manière du pouvoir sur l’autre. Nous avons évoqué des
conséquences néfastes de divers ordres le risque d’abus, le risque est de voir
s’installer une relation de dépendance, le risque de inefficacité. Au delà même
des questions abordées au-dessus, il reste celle de principe. L’affaiblissement
du libre arbitre parait gênante en soi. S’autoriser à suggérer pourrait paraître
une entorse à la prééminence du droit de tout être libre à décider, seul par
lui-même de ce qui le regarde.
Dès que je rencontre Mme Brimée, cette asymétrie m’apparaît être à manier
avec précaution. Je ne souhaite pas mener à une situation de dépendance, où
une quelconque amélioration la conduirait à créer le besoin de maintenir le
soutien apporté par les professionnels de la consultation. il serait tout aussi
décevant qu’elle manifeste une pseudo-adhésion, qui conduirait nécessairement
à un moment donné à une situation d’échec ou d’impasse. Plus encore, je
redoute de reproduire une situation de dépendance comme celle qu’elle a pu
vivre avec son ancien employeur, et ainsi d’entretenir un trait de personnalité
dont elle cherche manifestement à s’extraire. Paradoxalement, endosser ce rôle,
assumer cette asymétrie me semble lui avoir permis d’accéder à nouveau à
une posture plus flatteuse pour elle même, plus efficace pour faire face à ses
problèmes de santé, une posture de renouveau de l’autonomie, d’une autonomie
authentique. Cette résurgence de l’autonomie me semble être passée par une
phase de consentement à une forme de dépendance, d’asymétrie.
Il faut, à cette fin envisager la possibilité à l’intérieur même de la suggestion,
l’opportunité d’amener l’autre vers une autonomie authentique. C’est en effet
la question que pose François Roustang dans le chapitre « si ce n’est moi, qui
provoque le changement ? » dans La fin de la plainte.

Il faut donc se rendre à l’évidence : un sujet agent, et donc agent ef-


ficace, ne peut être autonome que dans l’exacte mesure où il est, ou

35
bien a été, mais l’est encore sous une forme cachée, hétéronome 40 .
Son raisonnement le conduit à penser que notre autonomie n’est, en quelque
sorte qu’un leurre, une « pseudo-autonomie ». Selon lui, elle procède, au cours
de son apprentissage d’une forme d’hétéronomie, celle de l’élève qui, faisant
confiance à son maître, lui abandonne une part de son autonomie. aliénée au
souvenir même de cette loi. L’autonomie y reste aliénée. On ne serait capable
d’autonomie que par procuration, que par la présence inconsciente, en sous-
œuvre d’un autre, des autres.
Sans même aller aussi loin dans la remise en question de la possibilité même
de l’autonomie, il me semble possible de considérer la question de manière dy-
namique et de constater des allers-retours entre la posture d’apprentissage, qui
contient une confiance accordée et un rôle de décision déléguée à l’autre 41 . La
situation de maladie, ou de douleur chronique place l’individu face à l’obliga-
tion d’un apprentissage qui renouvelle cette posture.
Dans l’histoire de Mme Brimée, cette inquiétude qui était la mienne m’a
conduit à instiller au cours de nos consultations toutes sortes de suggestions
conduisant à renforcer ses capacités à l’autonomie, autonomie entendu comme
sa propre capacité à pouvoir faire face au problème qui est le sien. Bien sûr,
encore une fois, c’est à posteriori que je fais cette analyse. La résolution d’un
problème de douleur chronique installé, quelle que soit la cause implique une
motivation, une attitude active, une persévérance, la mise en place d’actions
au quotidien qui ont pour but de lutter pied à pied contre la désadaptation.
Moins on fait, moins on sait faire. Plus on a mal, moins on peut faire. Ainsi
s’installe un cercle vicieux qui est l’une des causes principales de chronicisation.
Faire face à la douleur chronique nécessite de mettre en place des stratégies
pour enrayer ce cercle vicieux. Pousser, accompagner Mme B. dans cette di-
rection, lui demander de mettre en place cette démarche c’est la placer dans
une démarche active. Il me semble qu’en la poussant dans ce sens, j’entretiens
cette petite flamme de l’autonomie, ce qui pourra permettre, à un moment, de
rompre cette relation de dépendance qui s’installe.

Il y a donc là une idée très paradoxale d’une authentique autonomie dont


la résurgence serait la résultante de l’action de l’autre. ce paradoxe me semble
s’inscrire dans le droit fil de la question abordée plus haut, et de l’idée dé-
ridienne d’un dépassement de la critique de l’écriture par Platon. L’écriture
permet d’accéder à une vérité qui se trame dans le texte même. La vérité du
40. ROUSTANG, F., la fin de la plainte, Odile Jacob, 2001, p. 171-172
41. on verra dans l’extrait suivant du même auteur qu’il nuance son propos et n’est pas
aussi radical dans sa critique de l’autonomie, et envisage une possibilité d’autonomie au-
thentique

36
sens d’un texte perd sa légitimité alors que l’interaction avec le lecteur exigeant
conduit à une lecture sans cesse renouvelée, qui vient inlassablement ajouter.

Suggestion–discours incarné
Il est temps de ramener la suggestion du coté de Socrate ; de Socrate criti-
quant l’écriture comme étant un discours mort, inerte, un discours qui ne peut
s’interroger. Il suffit pour cela de considérer la suggestion comme elle est, c’est
à dire une présence vivante, un discours incarné.

Socrate
C’est que l’écriture, Phèdre, a un grave inconvénient, tout comme
la peinture. Les produits de la peinture sont comme s’ils étaient
vivants ; mais pose-leur une question, ils gardent gravement le si-
lence. Il en est de même des discours écrits. On pourrait croire qu’ils
parlent en personnes intelligentes, mais demande-leur de t’expli-
quer ce qu’ils disent, ils ne répondront qu’une chose, toujours la
même. Une fois écrit, le discours roule partout et passe indifférem-
ment dans les mains des connaisseurs et dans celles des profanes,
et il ne sait pas distinguer à qui il faut, à qui il ne faut pas par-
ler. S’il se voit méprisé ou injurié injustement, il a toujours besoin
du secours de son père ; car il n’est pas capable de repousser une
attaque et de se défendre lui-même.

Phèdre

C’est également très juste.

Socrate

Mais si nous considérions un autre genre de discours, frère germain


de l’autre, et si nous examinions comment il naît, et combien il est
meilleur et plus efficace que lui ?

Phèdre

Quel discours ? Et comment naît-il ?

Socrate

Celui qui s’écrit avec la science dans l’âme de celui qui étudie,
qui est capable de se défendre lui-même, qui sait parler et se taire
suivant les personnes 42 .
42. Platon, Phèdre, 275d-275e, Garnier Flammarion, 1950

37
Ce que dit Socrate dans le dialogue ci-dessus étonne, s’agissant d’un texte
qui critique l’écriture. En effet, il décrit paradoxalement ce logos vivant comme
celui qui permet d’écrire dans l’âme. On retrouve chez Platon l’idée de l’ins-
cription à l’intérieur. Là encore, cette idée vient résonner avec la capacité de
la suggestion à pénétrer l’âme de l’autre. À l’aide de ce dialogue, on pourrait
également relever cette capacité à être interrogé, qui dit combien l’effet de la
relation-suggestion est dépendante de la qualité de l’interaction, et nécessaire-
ment dynamique, adaptative.
Plus encore, ce discours est vivant et animé, on peut tenter de rappro-
cher l’usage de suggestion dans le cadre d’une relation à l’autre authentique,
ou plutôt, faudrait-il chercher dans ces caractéristiques, le modèle vers lequel
tendre d’une juste suggestion dans la relation, dans une rencontre, qui ne peut
se concevoir que comme vivante, c’est à dire incertaine, mouvante, parfois in-
saisissable, évoluant dans le temps.
Dans la relation thérapeutique, le discours du médecin est incarné dans un
corps, le corps du thérapeute qui répond à celui du patient. De telle manière que
la parole n’est pas seule véhicule du message. Non que la parole, logos, discours
rationnel ne soit importante, mais que son insertion pleine et entière dans
un système de relation modifie potentiellement son effet. Lorsque le langage
corporel diffère du langage verbal, ce dernier va être en quelque sorte effacé.
Roustang décrit la qualité de cette interaction : « Les gestes élémentaires
que nous ne cessons de produire, les paroles modulées par la voix créent un
espace de correspondance et d’harmonie qui préfigure l’intégration du symp-
tôme, et donc sa disparition, dans une totalité vivante. Nous pouvons danser
comme des singes et chanter faux, alors il ne se passe rien. De temps à autre,
je dis bien de temps à autre, laissant les dieux nous inspirer, nous atteignons
au sommet de notre art dans la plus grande sobriété de moyens 43 ».
Roustang évoque ici l’interaction dans l’hypnose et utilise la métaphore de
la danse. Si le discours est le véhicule de la suggestion, celui-ci peut effective-
ment être considéré comme s’accompagnant d’un pas de danse, d’une danse à
deux, dans lequel les corps du thérapeute et du patient sont engagés le temps
de la consultation.

43. Roustang, F., op. cit. p. 42.

38
Conclusion

A chercher la trace de la suggestion je l’ai trouvée partout, centrale, consti-


tutive de la relation. A l’art poétique de la suggestion comme allusion qui
permet de faire naître une idée chez l’autre et participer à une opération de
création du réel plus qu’une opération simplement descriptive, répond cette
suggestion clinique, logos incarné, moteur du changement. Car c’est bien de
construction qu’il s’agit dans la relation de soins, qui vise la guérison, parfois,
une meilleure santé, des symptômes moins pénibles. Ce n’est certes pas de la
suggestion de Bernheim, technique de soins qu’il substitue à l’hypnose ; ce n’est
pas non plus seulement la tentative de maîtrise de ce mécanisme qu’on retrouve
dans l’hypnose conversationnelle. Elle manifeste selon moi une manière d’ac-
tion de l’un sur l’autre, caractérisée par l’impossibilité de la neutralité absolue
de l’interaction. Elle répond à la définition d’un pharmakon. Ainsi, la sugges-
tion répond également à la définition proposée par Hugo, « petite incision faite
dans l’esprit d’un autre pour y placer une idée à soi »mais elle semble agir,
qu’on le veuille ou non également pour son propre compte. Le discours possède
sa vie propre, en quelque sorte. la suggestion ne se limite pas à la description
qu’on peut en faire comme seul outil.
Ce pharmakon agit d’une manière insaisissable. Ce caractère insaisissable
semble lui aussi constitutif. Tout ce qui se trame dans la relation n’est accessible
que de manière partielle.
Considérée comme pharmakon, la suggestion ne se voit pas disculpée de
son potentiel néfaste, mais réhabilitée dans toute son ambivalence.
« L’écriture ne vaut pas mieux, pour Platon comme remède que comme
poison », dit Derrida. La suggestion n’est pas moins puissante comme remède
que comme poison, pourrait-on dire. Mais comme constitutif de la relation, il
faut bien faire avec.
Faire avec oblige à la prudence. Il s’agit de relation, d’une relation qui
agit sur l’autre. Cette action de l’un sur l’autre est puissante, et pour cette
raison dangereuse, bordée d’écueils. En cela la suggestion, outil de la relation
thérapeutique, est pleinement pharmakon. S’autoriser à agir sur l’autre oblige ;
oblige à la prudence de ne pas faire « n’importe quoi » « Et celui-là n’aurait

39
rien compris au jeu qui se sentirait du coup autorisé à en rajouter, c’est-à-dire
à ajouter n’importe quoi. Il n’ajouterait rien, la couture ne tiendrait pas 44 »
écrit Derrida à propos de l’interprétation d’un texte, je l’endosse concernant
la suggestion.

« S’il n’y a donc pas d’unité thématique ou de sens total à se réap-


proprier au-delà des instances textuelles, dans un imaginaire, une
intentionnalité ou un vécu, le texte n’est plus l’expression ou la
représentation (heureuse ou non) de quelque vérité qui viendrait se
diffracter ou se rassembler dans une littérature polysémique. C’est
à ce concept herméneutique de polysémie qu’il faudrait substituer
celui de dissémination. 45 . »
La suggestion, dans cette définition fait action double : elle sème des idées,
les répand, dans un geste dont j’ai souligné le caractère incisif, pénétrant dans
l’esprit de l’autre. Elle joue avec les mots, avec le sens des mots. Le terme
de dissémination joue lui-même avec son étymologie : se réfère-t-il au latin
semen –semence– ou au grec sêma –le signe– dont dérive le sème, unité de
signification ? Sans doute Derrida lui attribue la double signification de sens et
de semence. La dissémination diffuse la signification, la reproduit, la multiplie.
Toutes les harmoniques de ce terme semblent participer à sa signification. Elle
joue avec le sens, le double sens des mots. Elle contribue de cette manière au
modelage du réel, à l’engendrement du nouveau, à l’irruption du changement.
La suggestion met à profit la polysémie, le sens caché, le double fond du lan-
gage, les à-cotés de la communication pour agir sur l’autre ou pour conduire
l’autre à agir, ou pour le modifier.

Le sperme, l’eau, l’encre, la peinture, la teinte parfumée, le phar-


makon pénètre toujours comme le liquide, il se boit, s’absorbe, s’in-
troduit à l’intérieur, qu’il marque d’abord avec la dureté du type,
l’envahissant bientôt et l’inondant de son remède, de son breuvage,
de sa boisson, de sa potion, de son poison 46 .

Ainsi, la suggestion, pharmakon, pénètre l’esprit de l’autre et agit comme


possibilité, d’inséminer, d’engendrer, de fructifier. Elle révèle sa puissance créa-
trice. Le concept dérridien de dissémination qui donne son titre à l’ouvrage
dans lequel est publiée la Pharmacie de Platon nous permet un éclairage sur
ce pharmakon qu’est la suggestion.
44. Derrida, J., op. cit, p. 79
45. Derrida, J., op. cit, p.300.
46. Derrida, J., op. cit, p.175.

40
Une autre notion de Derrida entrouve également d’autres perspectives sur la
suggestion-pharmakon : La relation peut être vue comme un supplément de la
suggestion ; le lien se constitue dans la suggestion c’est à dire dans le langage,
dans le discours vivant, et dans le sous-jacent, ce discours, partiellement acces-
sible, et en grande partie cachée constitue de fait un lien invisible. L’absence
de neutralité dans la relation vaut engagement. L’engagement est un lien.
Cette relation est une interaction et si le temps imparti me l’avait auto-
risé, m’aurais conduit à m’appuyer sur la sociologie interactionniste de Anselm
Strauss pour en étudier les enjeux à cette autre échelle 47 . Strauss étudie la
construction d’un monde social en étudiant les modalités de fonctionnement
d’un service hospitalier. Il relève l’action du médecin, mais il relève également
la capacité que manifeste le patient comme agent à user de suggestion pour
modifier, dans le sens qu’il veut, les équilibres. Car, bien sûr, la construction
sociale repose sur une interaction qui, loin de se limiter à une action en sens
unique, est contrebalancée. Elle possède son pendant, dans l’autre sens, de
telle manière que la résultante de la construction sociale apparaît finalement
de responsabilité partagée.

47. Strauss, A., La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme,


Editions L’Harmattan, 1992

41
42
Bibliographie

[1] Baszanger, I. Douleur et médecine, la fin d’un oubli. Paris, Seuil, 1995.
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[17] Strauss, A., and Baszanger, I. La trame de la négociation : sociologie
qualitative et interactionnisme. Paris, Editions L’Harmattan, 1992.

43
[18] Widlöcher, D. « les psychotherapies contraires ». Raison présente
(n°83, Le besoin de psychiatrie, p. 25-35 (1987)).

44
Résumé

La suggestion est une technique du langage. Elle est également le méca-


nisme principal de l’hypnose. On peut la considérer comme un effet constitutif
de toute communication. Tout discours médical contient en lui-même des com-
posants, dits, non-dits, cachés, non verbaux, qui opèrent sur l’interlocuteur, sur
son esprit et qu’il incorpore ou qui se transforment en acte. Bien sûr, le terme
de suggestion suggère la possibilité de la manipulation, de la perte du libre
arbitre. On craint sa puissance. À l’inverse, on doute parfois de son efficacité
à obtenir le moindre résultat. Loin de prétendre décider de la valeur éthique
de la suggestion, ce travail en explore les composantes. Maîtrisées ou non, ces
suggestions agissent et possèdent les qualités d’un pharmakon, en cela que leurs
effets bénéfiques et leurs effets néfastes sont indissociables. Malgré ces incon-
vénients, et parce qu’elle est indissociable de la communication, la suggestion
apparaît, au cours de ce travail et avec l’aide de La dissémination de Derrida
comme participant d’une relation créatrice et féconde pour le soin.

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