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POUR UN MARCHÉ FINANCIER

SUISSE RESPECTUEUX DU
CLIMAT
Pourquoi une stratégie financière durable et cohérente permet à
la Suisse d’aller de l’avant

Beat Jans, conseiller national (BL), scientifique de l’environnement

20 avril 2018

D’ici à 2030, la Suisse ne doit plus investir d’argent dans le développement des
combustibles fossiles. Pour la Suisse, qui joue un rôle de premier plan en tant que
place financière, il s’agit d’une mesure centrale et efficace pour la protection du cli-
mat. Et elle rend la place financière et nos économies plus sûres et saines pour
l’avenir. Ce que le marché financier suisse a perdu par la mise en place hésitante
d’une stratégie de monnaie blanche, il peut le récupérer grâce à une « stratégie de
monnaie verte » cohérente.

1
Contenu

1. L’ENJEU ......................................................................................................................... 3
1.1 AUGMENTATION DES ÉVÉNEMENTS EXTRÊMES ..................................................................... 3
1.2 ......................................................................................................................................... 4
1.3 L’ENGAGEMENT (ACCORD DE PARIS) .................................................................................. 5
1.4 LE MARCHÉ FINANCIER COMME PRINCIPAL LEVIER DE LA PROTECTION DU CLIMAT EN SUISSE...... 6

2. ERREURS ET RISQUES .................................................................................................. 7


2.1 DE MAUVAIS INVESTISSEMENTS COÛTEUX ............................................................................ 7
2.2 LA BULLE DE CARBONE : UNE MENACE POUR LA PLACE FINANCIÈRE ........................................ 8
2.2 LA BULLE DE CARBONE : UN DANGER POUR NOUS TOUS ....................................................... 10

3. DE L’ARGENT LOIN DES INSTALLATIONS FOSSILES .................................................. 11


3.1 LA VAGUE DES DÉSINVESTISSEMENTS ............................................................................... 11
3.2 QU’APPORTE LE DÉSINVESTISSEMENT ? ............................................................................ 12
3.3 L’INDUSTRIE FOSSILE EST ET RESTE DESTRUCTRICE ............................................................ 12
3.4 TRIBUTAIRES DE LA DESTRUCTION.................................................................................... 14

4. LA CHANCE .................................................................................................................. 16
4.1 LES INVESTISSEMENTS DURABLES SONT MEILLEURS ........................................................... 16
4.2 UNE AUBAINE POUR LA SUISSE......................................................................................... 17
4.3 ARGENT NOIR, ARGENT BLANC, ARGENT VERT .................................................................... 18

5. LA POLITIQUE .............................................................................................................. 20
5.1 LA POLITIQUE EN SUISSE ................................................................................................. 20
L’ADMINISTRATION FÉDÉRALE .............................................................................................................................20
LES CANTONS .......................................................................................................................................................21
LA BANQUE NATIONALE SUISSE (BNS)...............................................................................................................21
5.2 LA POLITIQUE AU NIVEAU INTERNATIONAL .......................................................................... 22
LE PLAN D’ACTION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE .......................................................................................22
LES BANQUES CENTRALES INTERNATIONALES ..................................................................................................23

6. EXIGENCES .................................................................................................................. 24
6.1 L’ENGAGEMENT INTERNATIONAL DE LA SUISSE CONTRE LES INVESTISSEMENTS NÉFASTES POUR LE
CLIMAT ..................................................................................................................................................................24
6.2. PRÉVOYANCE PROFESSIONNELLE : ÉTENDRE LES OBJECTIFS DE LA GESTION DE FORTUNE PAR
L’INTERMÉDIAIRE DE LA LOI ..................................................................................................................................25
6.3 INSTAURER LA TRANSPARENCE ................................................................................................................25
6.4 SOUMETTRE À DES OBLIGATIONS LA BANQUE NATIONALE ET L’ORGANE DE SURVEILLANCE DES
MARCHÉS FINANCIERS .........................................................................................................................................25
6.5 DES OBJECTIFS PRÉCIS POUR TOUS LES INVESTISSEURS ........................................................................26
6.6 UNE TAXE SUR LE CO2 SUR LES GAINS EN CAPITAL NUISIBLES AU CLIMAT ............................................26

2
1. L’enjeu
Il est aussi dans l’intérêt de l’économie que la politique agisse avec détermination et
réorganise l’approvisionnement énergétique. Pour cela, le marché financier doit être
le principal levier de la protection du climat en Suisse.

1.1 Augmentation des événements extrêmes

Si nous ne parvenons pas à limiter le réchauffement climatique à +1,5 degré ou à


+2 degrés, les catastrophes naturelles, les problèmes alimentaires, les flux migratoires et
les conflits de déplacement vont augmenter de façon alarmante. En avril 2018, la réassu-
rance suisse a écrit que les sinistres assurés causés par la nature et l’homme dans le
monde entier étaient les plus importants jamais enregistrés, représentant 144 milliards de
francs.

Illustration 1 : Évolution des catastrophes naturelles d’impact mondial : le nombre


1
d’événements de portée globale augmente. Source : The Economist (2017)

Si le réchauffement climatique progresse trop fortement, les risques qu’il représente ne


pourront probablement plus être assurés. C’est ce qu’écrit le « Insurance Journal » en no-
vembre 2017. 2

« Swiss Re constate avec beaucoup d’inquiétude que l’écart entre les dommages écono-
miques et ce qui est assuré devient trop important... Certains signes de réchauffement de
la planète sont déjà là. Il n’y a ici rien à ajouter. »
Peter Zimmerli, de Swiss Re, deuxième plus grand réassureur mondial.3

1
The Economist, 31 août 2017 : “The likelihood of floods is changing with the climate. Both the future and the past may
be more extreme than was thought.”
2
https://www.insurancejournal.com/news/national/2017/11/13/470949.htm
3
https://www.insurancejournal.com/news/national/2017/11/13/470949.htm
3
Le climat pourrait atteindre un point de basculement à partir duquel son évolution ne pour-
rait plus être prédite. Se fondant sur les résultats de leurs recherches, toutes les institutions
scientifiques de premier plan nous mettent en garde : ce scénario pourrait devenir réalité
au cours des deux à trois prochaines décennies s’il n’était pas possible de réduire consi-
dérablement les émissions de gaz à effet de serre de l’homme.

... L’augmentation des températures mondiales au-dessus d’un certain seuil pourrait dé-
clencher des changements abrupts, imprévisibles et peut-être irréversibles, avec des con-
séquences profondes et extrêmement destructrices. À partir de ce point-là, des processus
inexorables seront mis en marche, même si nous ne polluons plus l’atmosphère avec du
CO2. Tout se passerait comme si un frein se bloquait, de sorte que nous ne pourrions plus
contrôler le problème et ses conséquences.

American Association of Advancement of Science, 2014 4

Le réchauffement climatique menacera donc la stabilité financière des entreprises et des


économies nationales si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites dans un
avenir proche et rapidement. Le European Systematic Risk Board (Comité européen du
risque systémique) de l’UE explique cela comme suit : « Dans un scénario favorable, la
transition vers une économie sobre en carbone est progressive : les coûts d’ajustement
sont clairs et gérables, et la réévaluation des “usines” de CO2 ne constitue probablement
pas un risque systémique. En l’absence de mesures politiques supplémentaires ou de
percées technologiques, on s’attend à ce que la quantité de gaz à effet de serre dans
l’atmosphère continue toutefois d’augmenter à moyen terme. Une prise de conscience
trop tardive de l’importance du contrôle des émissions pourrait conduire à une mise en
œuvre brutale de restrictions quantitatives pour l’utilisation de sources d’énergie à forte
intensité de carbone. Les coûts de la transition seront d’autant plus élevés. » 5 L’organe le
plus élevé de l’UE, qui évalue les risques financiers, est donc clair : rien ne sert d’attendre.
Au contraire, une stratégie financière respectueuse du climat offre des avantages considé-
rables. Cela est expliqué au chapitre 4.

Il s’ensuit que tous les entrepreneurs et investisseurs qui s’inquiètent de l’affectation des
fonds ont non seulement un intérêt éthique, mais aussi un grand intérêt économique à
promouvoir la protection du climat. Ou, comme l’a dit Jim Yong Kim, président du Wild
Bank Group : « Repenser ce que signifie la responsabilité fiduciaire dans un monde en
mutation est une question d’intérêt purement “personnel”. Chaque entreprise, chaque in-
vestisseur, chaque banque qui examine le risque climatique de ses nouveaux et anciens
investissements fait tout simplement preuve de pragmatisme. »

1.2 Le marché ne pourra rien changer


En l’état actuel des connaissances, le captage du carbone (« carbon capturing ») ne per-
mettra pas d’éliminer à temps le dioxyde de carbone et les autres gaz à effet de serre de
l’atmosphère. De plus, les effets de cette technologie et les risques à long terme qui y sont
associés ne sont pas clairs. Pour stabiliser la quantité de gaz à effet de serre dans

4
The Guardian, 18 mars 2014 : Climate change is putting world at risk of irreversible changes, scientists warn.
5
https://www.esrb.europa.eu/pub/pdf/asc/Reports_ASC_6_1602.pdf
4
l’atmosphère, l’humanité n’a d’autre choix que de limiter la quantité de carburants et de
combustibles fossiles — et rapidement. L’économie mondiale doit être climatiquement
neutre d’ici à la seconde moitié de ce siècle. Il s’agit d’un énorme défi pour l’économie
mondiale. Parce que les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent
d’augmenter.

La stabilisation du climat ne peut être réalisée que contre les intérêts économiques des
industries du pétrole, du gaz et du charbon. Parce qu’elles détiennent beaucoup plus de
réserves de carbone dans leurs gisements que l’humanité n’est autorisée à en brûler en-
core. Si l’on veut que la sortie de l’économie fossile se fasse avec succès dans les temps,
celle-ci doit inévitablement perdre beaucoup de valeur : elle ne doit plus utiliser une grande
partie de ses réserves. Certes, l’approvisionnement énergétique alternatif sur la base des
sources d’énergie renouvelables et de l’efficacité énergétique devient moins cher et pro-
gresse rapidement. Toutefois, ces signaux de prix positifs ne suffiront pas à déclencher le
tournant énergétique à temps. Premièrement, les cycles d’investissement des systèmes
énergétiques sont longs. Deuxièmement, en raison des importantes réserves de pétrole
brut, de gaz et surtout de charbon, il n’y aura pas de signaux de pénurie sur le marché de
l’énergie à temps. Enfin, l’industrie fossile ne supporte pas les coûts des catastrophes na-
turelles induites par le climat qu’elle provoque. Les coûts externes ne sont pas internalisés.
C’est pourquoi le réchauffement climatique ne peut être freiné que par des conditions-
cadres politiques claires et une intervention relevant de l’organisation politique. Le marché
n’y pourra rien changer. Une action politique déterminée est nécessaire. Cela inclut une
orientation ciblée des investissements : abandon de l’économie fossile au profit de
l’économie renouvelable.

1.3 L’engagement (Accord de Paris)


Les 195 gouvernements du monde ont également reconnu l’importance primordiale des
flux de trésorerie pour la protection du climat lorsqu’ils ont adopté l’Accord de Paris sur le
climat, le 12 décembre 2015. Par leur signature, ils s’engagent à limiter le réchauffement
climatique à une température bien inférieure à +2 °C, voire égale ou inférieure à +1,5° de-
gré. À cette fin, les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent être fixées partout
dans le monde à zéro entre 2045 et 2060. Les États signataires s’engagent à fixer des ob-
jectifs intermédiaires et à rendre compte régulièrement de l’état de leur réalisation. Toute-
fois, à l’article 2, paragraphe 1, lettre c, ils s’engagent justement aussi à prendre des me-
sures pour garantir que les flux financiers contribuent à la réalisation des objectifs. En si-
gnant cet accord, la Suisse s’est donc clairement engagée, en tant que place financière
d’importance mondiale, à faire en sorte que les flux de trésorerie favorisent la transition
vers une économie climatiquement neutre.

Accord de Paris sur le climat, article 2, paragraphe 1, lettre c :


« Le présent Accord, en contribuant à la mise en œuvre de la Convention, notamment de
son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements clima-
tiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, no-
tamment en :
[...] rendant les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développe-
ment à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques. »

5
1.4 Le marché financier comme principal levier de la protection du climat en
Suisse
Peu d’entre nous sont conscients du fait que la menace la plus importante pour le climat
est notre argent. Alors que nous, les Suissesses et les Suisses, faisons beaucoup dans
notre vie quotidienne pour éviter les gaz à effet de serre, nos dépôts d’épargne pour la
prévoyance vieillesse, pour l’assurance ou placés dans le compte bancaire ont exactement
l’effet inverse. Une étude de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) montre que l’argent
que nous plaçons dans les caisses de pension finance à lui seul la même quantité de gaz
à effet de serre que celle que nous émettons nous-mêmes. 6 La place financière de la
Suisse pèse beaucoup plus que l’économie suisse sur le climat.

Avec une fortune moyenne de 537 600 dollars par adulte, nous sommes le pays le plus
riche du monde. 7 Nous avons confié aux compagnies d’assurance et aux institutions de
prévoyance, appelées « investisseurs institutionnels », la somme énorme d’environ
1500 milliards de francs. 8 Auxquels il faut encore ajouter de l’argent investi à titre privé et
beaucoup d’argent étranger, dont le placement se fait par l’intermédiaire de la place finan-
cière suisse. La place financière suisse gère un patrimoine privé de 3700 milliards de dol-
lars. Avec un volume de 2300 milliards de dollars de fonds provenant de l’étranger, la
Suisse est la plus grande place financière offshore du monde. 9

Une part considérable de cet argent est investie dans des entreprises qui accélèrent le
changement climatique en développant, en exploitant, en transformant ou en utilisant du
carbone. Par ses investissements sur les marchés financiers mondiaux, la place financière
suisse soutient un scénario de changement climatique mondial de +4 à +6 degrés Cel-
sius.10 Alors que les gaz à effet de serre produits en Suisse représentent environ un mil-
lième des émissions mondiales, le réchauffement indirect de la planète induit par la place
financière suisse serait au moins dix fois plus élevé et l’un des plus importants du monde.
C’est pourquoi le mieux que la Suisse puisse faire pour aider à la sauvegarde du climat
mondial est d’adopter une stratégie nationale d’investissement qui contribue à faire en
sorte que l’argent ne se retrouve plus dans les énergies fossiles, mais de plus en plus dans
l’économie des énergies renouvelables.

6
OFEV (2015) : Risque carbone pour la place financière suisse, Zurich/Vaduz, 23 octobre 2015. Converti en émissions
financées par personne assurée, il en résulte une augmentation de 6,4 tCO2eq étrangers. Les émissions annuelles par
habitant des gaz à effet de serre indigènes s’élevaient à 6.5 tCO2eq. en 2013.
7
Credit Suisse (2014): «Global Wealth Report 2014».
8
Investisseurs institutionnels suisses en CHF, 2014 : fonds de pension : 755 milliards ; fonds AVS/AI/APG : 35 milliards ;
SUVA : 44 milliards ; Banque nationale suisse : 445 milliards ; secteur des assurances : 530 milliards ; Églises :
8 milliards ; cantons et communes : 93 milliards. (Des recoupements entre les compagnies d'assurance et les fonds de
pension sont possibles.)
9
NZZ du 7 juin 2016 : Schweiz weiterhin führend (La Suisse reste en tête)
10
OFEV (2015) : Risque carbone pour la place financière suisse, Zurich/Vaduz, 23 octobre 2015.
6
Illustration 2 : Les 10 leviers de la protection du climat suisse
Cette représentation montre que la Suisse, avec des investissements directs et des
investissements de portefeuille, et avec les activités de la place financière suisse,
dispose des plus grands effets de levier pour la protection du climat. Source : Mas-
terplan Climat Suisse 11

L’exemple de Swisscom :
Swisscom a fait beaucoup pour réduire les émissions de CO2 produites par ses activités.
En dix ans, l’entreprise a pu réduire ses émissions directes de CO2 de façon à les faire
passer de plus de 100 000 tonnes à environ 20 000 tonnes par an. Selon une estimation
de Swisscanto (2014), sa caisse de pension est toutefois investie dans 3,2 millions de
tonnes de CO2. Il en va de même pour de nombreuses autres entreprises et caisses de
pension. 12

2. Erreurs et risques
Au lieu de promouvoir l’approvisionnement énergétique à partir de ressources re-
nouvelables assez rapidement, l’humanité investit de plus en plus d’argent dans la
recherche de nouveaux gisements de ressources fossiles. Cela réchauffe non seu-
lement la terre, mais aussi les marchés financiers.

2.1 De mauvais investissements coûteux


L’ancien économiste en chef de la Banque mondiale, Sir Nicolas Stern, a calculé dans son
rapport Stern 13 de 2006 que le changement climatique pourrait être stoppé si le monde y

11
Alliance climatique Suisse (2016) : Masterplan Climat Suisse (2016).
12
https://www.wwf.ch/sites/default/files/doc-2017-08/2016-06-studie-schweizer-pensionskassen-und-
verantwortungsvolles-investieren-bericht-2015-2016.pdf
13
Stern Review on the Economics of Climate Change), 30 octobre 2006.
7
consacrait environ 1 % du PIB mondial. Aujourd’hui, une décennie perdue plus tard, il
suppose qu’il serait déjà nécessaire d’y consacrer environ 2 %. Si le monde ne fait pas
cela, tout cela deviendra encore plus cher, parce que les coûts de réparation pour les ca-
tastrophes naturelles à venir, en forte augmentation, seront nettement plus élevés, selon
Stern. Or, au lieu de financer la sortie des énergies fossiles, l’humanité investit encore une
énorme somme d’argent dans des projets et pour des objectifs qui sont à l’opposé même
de la transition énergétique. Rien qu’en 2012, les 20 plus grandes entreprises énergé-
tiques ont dépensé 674 milliards 14 de dollars pour chercher de nouveaux gisements fos-
siles — qui exerceront une pression supplémentaire sur le climat. Et cela avec le soutien
généreux des investisseurs suisses. En outre, il existe de nombreuses entreprises qui vi-
vent de la transformation et de l’utilisation de combustibles fossiles et qui absorbent éga-
lement des quantités considérables d’argent provenant de fonds suisses. Les investisse-
ments réalisés par l’intermédiaire de la place financière suisse génèrent des émissions de
gaz à effet de serre, estimées à plus de 1100 millions de tonnes d’équivalents CO2 (CO2eq).
Le portefeuille et les investissements directs détenus à l’étranger par des personnes mo-
rales et physiques domiciliées en Suisse causent à l’étranger des émissions d’environ
500 millions de tonnes de CO2 15. C’est dix fois plus que les émissions de la Suisse elle-
même.

L’excuse selon laquelle la protection du climat est trop chère pour les couches les plus
pauvres de la population est irrecevable. Ce sont les coûts afférents croissants et les catas-
trophes environnementales qui vont frapper particulièrement durement la population, en
particulier dans les classes et les pays les plus pauvres. Épargner aujourd’hui en faisant
preuve de myopie augmente les coûts de demain.

2.2 La bulle de carbone : une menace pour la place financière

Les investissements de la Suisse dans les entreprises énergétiques étrangères ne sont pas
seulement contraires aux objectifs climatiques. Ils sont également une erreur sur le plan
économique. En effet, ces investissements exposent la place financière suisse à un risque
considérable. Pourquoi ? Aujourd’hui, nul ne conteste le fait que les objectifs climatiques
ne pourront être atteints que si la plus grande partie des réserves de combustibles fossiles
n’est pas brûlée, autrement dit si elle reste dans le sol. Or, ces réserves forment le capital
des groupes mondiaux qui déclarent des réserves fossiles dans leurs bilans ou dont le
modèle d’affaires est basé sur leur exploitation. S’ils ne sont pas autorisés à utiliser les ré-
serves de fossiles, leur valeur en capital diminuera considérablement.

14
Estimation de l’Alliance climatique Suisse : Masterplan Climat Suisse (2016).
15
OFEV (2015) : Risque carbone pour la place financière suisse, Zurich/Vaduz, 23 octobre 2015.
8
Illustration 2 : La bulle de carbone :
la quantité maximale de carbone que l’humanité est autorisée à brûler pour empê-
cher la terre de se réchauffer de plus de 2 degrés est environ cinq fois inférieure aux
réserves fossiles inscrites au bilan des 200 plus grandes compagnies d’énergie. 16

« Le choix qui se dessine est soit l’« échouage » de ces actifs, soit l’« échouage » de la pla-
nète. (Dans l’original : « The looming choice may be either stranding those assets or strand-
ing the planet. »)
Angel Gurría, secrétariat général de l’OCDE 17

Parce que, d’un point de vue politique, elles disposent de réserves fossiles inutilisables, les
grandes multinationales de l’énergie sont assises sur des « stranded assets », sur des actifs
qu’elles ne peuvent valoriser. Il s’ensuit que de nombreuses entreprises énergétiques sont
fortement surévaluées, si l’on se réfère aux objectifs de l’accord mondial sur le climat. C’est
ce qu’on appelle une bulle de carbone (carbon bubble). Et, avec chaque franc investi dans
la mise en valeur de nouvelles réserves de pétrole, de gaz et de charbon, cette bulle se
développe, tout comme le problème climatique potentiel. L’objectif des +2 degrés est
donc diamétralement opposé aux modèles d’affaires de nombreuses grandes entreprises
internationales, comme ExxonMobil, Chevron, BritishPetrol, Gazprom, etc. Lorsque les
gouvernements font passer leurs objectifs climatiques, le cours des actions de ces entre-
prises chute et anéantit une grande partie des économies réalisées par les Suisses. Il est
donc logique, également pour des raisons économiques, de vendre des titres de l’industrie
du pétrole, du gaz ou du charbon.

16
http://fossilfreeindexes.com/research/the-carbon-underground/
17
http://www.oecd.org/env/the-climate-challenge-achieving-zero-emissions.htm (2013)

9
2.2 La bulle de carbone : un danger pour nous tous
Le risque de la bulle de carbone se trouve dans nos économies. L’OFEV a examiné
l’intensité des gaz à effet de serre des 100 plus grands fonds d’actions suisses, des fonds
d’actions des banques d’importance systémique et des portefeuilles d’actions d’une sélec-
tion de caisses de pension.18 Il est arrivé à la conclusion que le marché suisse des fonds
d’actions émet au moins 52,2 millions de tonnes d’équivalent CO2eq à l’étranger. Cela cor-
respond approximativement à la production totale sur le territoire suisse. Les caisses de
pension émettent environ 25 millions de tonnes de CO2eq, soit 6,4 tonnes par personne
assurée.

Si ces émissions de CO2 coûtent plus cher à l’avenir, l’OFEV estime qu’il existe un risque
potentiel. Selon le scénario de prix du CO2, le marché suisse des fonds d’actions coûte
entre 1 et 6,75 milliards de francs. Cela représente tout de même environ 1 % du produit
intérieur brut de la Suisse. Si les caisses de pension devaient supporter leurs coûts de CO2,
cela correspondrait, dans le scénario du prix le plus élevé, à environ un cinquième des
pensions de vieillesse actuellement versées chaque année.

En 2012 déjà, la grande banque britannique HSBC a estimé que 40 à 60 % du capital


boursier des sociétés pétrolières et gazières était exposé à la bulle du carbone. Les ré-
serves déclarées de combustibles fossiles ont été estimées à environ 16 billions d’euros.
La groupe de réflexion Carbon Tracker Initiative avertit également que les entreprises
d’énergie fossile risquent de gaspiller jusqu’à 2,2 billions de dollars en capital au cours des
dix prochaines années, avec pour résultat que les investisseurs feront face à un manque à
gagner considérable. 19 Si les gouvernements prennent l’objectif des +2 degrés au sérieux,
il en résultera une destruction (perte) de valeur gigantesque et inévitable. Par conséquent,
de nombreux pays, mais aussi de nombreux investisseurs, sont aujourd’hui, par intérêt
propre/personnel pur et simple, en train de revoir leurs placements fiduciaires.

Cette prise de conscience n’a pas encore atteint la Suisse. Alors que plusieurs banques
centrales ont reconnu le problème 20 et enquêtent sur leurs risques climatiques et les rédui-
sent à un minimum, la Banque nationale suisse ne fait rien (voir chapitre 5.1). Les banques
suisses continuent de « mitrailler ». En 2015-2017, UBS et le Credit Suisse ont accordé, à
eux seuls, des prêts/crédits d’une valeur de 12,3 milliards de dollars pour le pétrole des
sables bitumineux, le pétrole de l’Arctique, le pétrole des grands fonds marins, le gaz natu-
rel liquéfié, l’extraction du charbon et l’énergie produite à partir du charbon. 21

18
OFEV (2015) : Risque carbone pour la place financière suisse, Zurich/Vaduz, 23 octobre 2015.
19
Carbon Tracker Initiative (2015) : Fossile Energieunternehmen riskieren, 2 Billionen Dollar mit unwirtschaftlichen Pro-
jekten zu verschwenden, 3 décembre 2015. (Les entreprises d'énergie fossile risquent de gaspiller 2 billions de dollars
pour des projets non économiques)
20
https://2degrees-investing.org/the-green-supporting-factor-quantifying-the-impact-on-european-banks-and-green-
finance/
21

https://www.banktrack.org/download/banking_on_climate_change/banking_on_climate_change_2018_web_final.pdf
10
3. De l’argent loin des installations fossiles
Placer ses économies dans l’industrie du charbon, du pétrole ou du gaz n’est justi-
fiable ni éthiquement ni économiquement.

3.1 La vague des désinvestissements


De plus en plus d’institutions quittent le secteur de l’énergie fossile. L’organisation fossil-
free.org ne répertorie pas moins de 851 institutions qui ont délibérément donné une orien-
tation respectueuse du climat à leurs investissements en vendant tout ou partie de leurs
actions (parts) à des entreprises du charbon, du pétrole ou du gaz. 22 Il s’agit notamment de
grands fonds tels que le fonds de pension suédois AP2 (270 milliards de dollars) et du
plus grand fonds du monde, le fonds souverain norvégien, qui gère des actifs d’environ
1000 milliards de dollars et a vendu ses participations à des sociétés charbonnières.23 Des
fonds privés tels que le Rockefeller Brothers Fund et la Bank J Safra Sarasin sont égale-
ment inclus. Cela concerne également quelque 70 organisations religieuses, telles que le
Conseil œcuménique des Églises, la Fédération luthérienne mondiale et l’Église
d’Angleterre, une centaine de villes de quatre continents (dont New York, Lille, Melbourne,
Glasgow et Leipzig) et environ 90 universités, dont l’Université de Stanford, l’une des
écoles d’économie les plus renommées.

En Suisse, les grandes caisses de pension Publica et BVK se sont retirées du secteur
charbonnier. Les fonds de pension Abendrot et Nest et la banque alternative ABS ne sont
pas du tout investis dans l’industrie fossile. Parmi les grandes entreprises suisses qui ont
orienté leur stratégie d’investissement en fonction de critères écologiques, on trouve Swiss
Re. 24

« Notre point de départ (pour l’analyse) consistait à analyser les risques financiers dans le
secteur de l’énergie. En n’investissant pas dans un certain nombre de groupes
d’entreprises, nous réduisons l’exposition au risque (“exposure to risk”) de groupes pro-
duisant de l’énergie fossile. Cette décision contribuera à protéger le Return on Investment
à long terme. »
Eva Halvarsson, CEO AP2 Fund (270 milliards), qui a décidé de rejeter tous les actifs liés
aux combustibles fossiles.

22
https://gofossilfree.org/divestment/commitments/
23
https://www.bloomberg.com/news/articles/2015-05-05/nordic-funds-cut-u-s-oil-coal-investments-on-climate-concern
24
media.swissre.com/documents/ZRH-17-11623-P1_Responsible+Investments_WEB.PDF
11
3.2 Qu’apporte le désinvestissement ?

Sont particulièrement efficaces les désinvestissements qui concernent les crédits ou les
emprunts (obligations). Lorsque les bailleurs de fonds retirent ou refusent directement de
l’argent de certains projets ou entreprises, ils en retirent la base. Les assurances peuvent
elles aussi avoir un effet considérable si, par exemple, elles cessent d’assurer des projets
nuisibles au climat. La vente d’actions a un effet moins direct, car elles sont achetées direc-
tement par quelqu’un d’autre. Les ventes d’actions peuvent influencer le prix à long terme,
mais elles ont surtout un effet de signal : si un nombre toujours croissant d’investisseurs
importants vendent ou n’achètent pas — volontairement — des actions, les entreprises
concernées devront se réorienter et, par exemple, se concentrer sur les sources d’énergie
renouvelables. Fossilfree.org écrit : « Dans l’histoire récente, il y a des exemples de cam-
pagnes de désinvestissement réussies (Darfour, tabac et autres), mais la plus importante et
la plus efficace a atteint son paroxysme pendant l’apartheid en Afrique du Sud. Jusqu’au
milieu des années 1980, 155 universités américaines, dont certaines comptent au nombre
des plus prestigieuses, avaient retiré leurs actifs de sociétés opérant en Afrique du Sud.
Les gouvernements de 26 États, 22 districts/circonscriptions et 90 villes, dont quelques-
unes des plus grandes du pays, ont désinvesti leurs actifs (hors) des multinationales. La
campagne de désinvestissement en Afrique du Sud a joué un rôle majeur en brisant
l’épine dorsale du régime d’apartheid et en inaugurant une ère de démocratie et
d’égalité. »

« Une fois que de nombreux petits et moyens investisseurs ont décidé d’arrêter de toucher
aux actions des entreprises d’énergie fossile, il ne manque plus qu’un “sonnailler” (me-
neur), qui sera suivi par le grand troupeau d’investisseurs. » Jeremy Leggett, Chairman
Carbon Tracker Initiative ; NZZ, 26.9.2014

« C’est l’un des mouvements les plus rapides que j’ai vus sur les marchés ces 30 dernières
années. » Kevin Bourne, directeur général du Financial Times SE, au sujet de la campagne
de désinvestissement de fossilfree.og.

« Le résultat de la stigmatisation par la “campagne de désinvestissement des énergies fos-


siles” (“fossil fuel divestment campaign”) est aujourd’hui la menace la plus grave pour les
entreprises fossiles... »
Ben Caldecott, Director of Stranded Assets Programme, Smith School, University Oxford,
sur la campagne de désinvestissement, qui invite les actionnaires des 200 plus grandes
sociétés cotées en Bourse − qui détiennent actuellement la plupart des réserves de char-
bon, de pétrole et de gaz enregistrées − à vendre leurs actions.25

3.3 L’industrie fossile est et reste destructrice


Les compagnies fossiles Exxon Mobil, Shell, BHP Billiton, Gazprom et bien d’autres incar-
nent une longue tradition de destruction de l’environnement. Il ne s’agit pas seulement de
la liste presque infinie des catastrophes dévastatrices de pétroliers, de pipelines ou de
plates-formes qui ont transformé des régions et des côtes entières en cloaques et occa-
25
https://gofossilfree.org/top-200/
12
sionné des coûts de réparation à hauteur de centaines de milliards de dollars. Elles sont
aussi les moteurs de la catastrophe climatique. Selon une étude du Climate Accountability
Institute et du Carbon Disclosure Project, 25 entreprises seulement sont responsables de
plus de la moitié des émissions industrielles de gaz à effet de serre rejetées dans
l’environnement depuis 1988. D’après cette étude, 18 compagnies pétrolières figurent
parmi les 25 plus grands « pécheurs climatiques » du monde. Il s’agit de tous les acteurs
majeurs de l’industrie, de Saudi Aramco à Exxon Mobil, en passant par Total. 26

Il y a des gens qui pensent qu’au lieu de vendre les actions, on devrait utiliser ses droits
d’actionnaire pour amener ces groupes sur la voie de l’approvisionnement en énergie re-
nouvelable. Mais cela pourrait être difficile. Jusqu’à présent, l’industrie fossile a fait peu
d’efforts pour écologiser son modèle d’affaires. Les grandes annonces et promesses ont
été suivies de peu de résultats concrets. Depuis des années, les principaux acteurs pétro-
liers prétendent investir volontairement leurs profits dans la transition vers les énergies re-
nouvelables. En 2000, la compagnie British Petroleum a redéfini son abréviation BP en
Beyond Petroleum pour indiquer qu’elle voulait abandonner le pétrole. Le président du
conseil d’administration, Sir John Browne, a déclaré : « Nous sommes conscients que le
monde a besoin de combustibles à faible teneur en carbone. Nous voulons développer
des options pour atteindre cet objectif. » Chevron a également promis le changement
(transition) après la signature du Protocole de Kyoto sur le climat. Or, dans les faits, à peine
4 % des 100 milliards (au total) de profits des cinq géants pétroliers ont été investis à
l’époque dans des projets alternatifs. Et, bien que la demande d’énergies renouvelables ait
augmenté, le pourcentage a diminué au cours des années suivantes. Même aujourd’hui,
après l’Accord de Paris, de grandes annonces sont faites. « Nous devons faire en sorte que
nos activités soient adaptées à un monde à faible émission de carbone », a déclaré Bob
Dudley, directeur de la multinationale britannique BP. Et le PDG de Shell, Ben van Beur-
den, avait déjà déclaré auparavant : « Nous allons investir jusqu’à 1 milliard de dollars par
an dans notre division “Nouvelles énergies” d’ici à la fin de la décennie. » Mais la réorienta-
tion des compagnies pétrolières dans (la direction de) l’énergie propre est probablement
due principalement à la faiblesse des prix du pétrole ces dernières années. L’activité prin-
cipale des multinationales pétrolières s’est détériorée, parce qu’un baril de pétrole
brut (159 litres) valait environ 48 dollars en 2017, soit moins de la moitié de ce qu’il valait
au début de 2014. Les cinq multinationales indépendantes Exxon Mobil, Shell, BP, Che-
vron et Total ont vu leur chiffre d’affaires combiné passer de 1,64 billion de dollars en 2014
à seulement 916 milliards de dollars. 27 Dans le même temps, les bénéfices de ce « club des
5 » ont chuté de 75 %, pour n’atteindre plus que 18,2 milliards de dollars. Actuellement, le
prix du baril de pétrole est de nouveau de 50 % plus élevé, atteignant 72 dollars. Les béné-
fices liés à l’or noir sont de nouveau en hausse. Le désir d’alternatives devrait de nouveau
fondre aussi rapidement que les glaciers à l’époque actuelle.

Cela pourrait être l’une des raisons pour lesquelles, par exemple, la Fondation Ethos, spé-
cialisée dans le dialogue entre actionnaires et entreprises, investit principalement dans des
entreprises à faible intensité carbone.28

26
CDP 2017 : The Carbon Majors Database
27
http://www.handelsblatt.com/unternehmen/energie/oelkonzerne-im-wandel-vom-schwarzen-gold-zur-gruenen-energie-
/20052678.html
28
La politique d’investissement d’Ethos, dans ce domaine, repose sur le développement d’une notation de l’intensité
carbone des entreprises et sur le dialogue avec les actionnaires à propos de leur stratégie environnementale, ainsi que
sur la réduction et la publication de l’empreinte carbone de leurs fonds d’investissement. Les sociétés charbonnières
sont exclues, voir : https://www.ethosfund.ch/sites/default/files/2017-01/2017_Concept_Ethos_pour_ISR_DE_web.pdf
13
3.4 Tributaires de la destruction
La valeur de l’action des entreprises fossiles dépend essentiellement de la taille de leurs
gisements fossiles. Leur devoir fiduciaire envers les actionnaires, qui attendent des profits
constants, consiste à rechercher constamment de nouveaux stocks de carbone. Elles doi-
vent continuellement remplacer ce qui est utilisé. Autrement dit, elles doivent rechercher et
développer de nouveaux gisements. Ce n’est que de cette manière qu’elles peuvent prou-
ver leur capacité de renouvellement et maintenir le cours de l’action. Pour ce faire, elles
pénètrent dans des régions de plus en plus risquées et problématiques : les grands fonds
marins, l’Antarctique et des réserves naturelles de plus en plus sous-développées. Les
groupes qui exploitent les ressources fossiles tournent en rond dans une roue de hamster.
Il est presque impossible pour leurs partenaires d’inverser le sens de sa rotation. Il ne faut
pas se faire d’illusions. Quiconque investit en tant qu’actionnaire dans une entreprise pé-
trolière, gazière ou charbonnière donne de l’argent pour trouver des combustibles fossiles
et, ainsi, réchauffer la planète. Soutenir les entreprises du secteur fossile, c’est soutenir la
destruction des derniers paradis naturels et un secteur d’activité qui sont synonymes de
pollution dévastatrice de l’environnement et de privation des droits des peuples indigènes
dans le monde entier.29 Les actionnaires qui empêchent ces groupes de le faire perdent
leur argent.

Les artisans du mensonge sur le climat


Les entreprises fossiles mènent une guerre systématique contre la vérité. Le
6 décembre 2017, Maximilian Probst et Daniel Pelletier ont écrit à ce sujet, dans un article
de fond détaillé de « Zeit » : « Les véritables chefs de file de cette guerre sont les sociétés
pétrolières et houillères opérant à l’échelle mondiale. Elles ne se sentent pas menacées
par le changement climatique, mais par les mesures de protection du climat destinées à
réduire les émissions de CO2. L’industrie pétrolière a été consciente du lien, scientifique-
ment établi, entre le réchauffement climatique et les émissions de CO₂ dès les an-
nées 1970.
En 1981, le géant pétrolier Exxon a prédit, dans une “prise de position sur le CO₂”, que le
doublement attendu de la concentration de CO₂ au cours des cent prochaines années
conduirait à une augmentation de la température mondiale de +3 degrés Celsius. Ce no-
nobstant, au lieu d’investir dans l’avenir et de promouvoir l’expansion des énergies renou-
velables, l’entreprise injecte, avec d’autres compagnies pétrolières, des milliards de dollars
dans des campagnes politiques depuis la fin des années 1980. Leur but : détruire le con-
sensus qui prévaut au sein de la population sur l’origine humaine du changement clima-
tique et la nécessité de mesures immédiates — par une désinformation ciblée. En 1988, en
réaction à la fondation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du cli-
mat (GIEC), Exxon a participé à la création d’une contre-organisation : la Global Climate
Coalition (coalition mondiale sur le climat) 30, une alliance de lobbyistes qui déguisent leurs
bailleurs de fonds et s’engagent dans la désinformation climatosceptique. Le Global Cli-
mate Science Communications Plan, qu’Exxon a élaboré avec l’American Petroleum Insti-
tute en 1998, montre ce que cela signifie. Sous l’intitulé “Victory Will Be Achieved When ...”
(“La victoire sera atteinte quand...”), il est dit que le public et les médias devraient être con-
vaincus par les “non-certitudes” de la science du climat et que ceux qui défendent encore
les mesures de protection du climat doivent être présentés comme des personnes “déta-
chées de la réalité”. Ce plan s’accompagne de la création de groupes de réflexion et
29
Naomi Klein (2015) : Die Entscheidung Kapitalismus versus Klima. S. Fischer Verlag.
30 La Global Climate Coalition comprenait entre autres les compagnies pétrolières Exxon Mobil, Royal Dutch Shell, BP et
Texaco, ainsi que les constructeurs automobiles Ford, General Motors et DaimlerChrysler.
14
d’instituts pseudo-scientifiques dans lesquels des universitaires représentant des positions
climatosceptiques sont formés au travail de communication en vue de leur implication
dans des débats médiatiques. Rien que dans le New York Times, Exxon et son successeur
Exxon Mobil ont publié ces dernières années plus de 36 publireportages qui remettent en
question les fondements scientifiques de la politique climatique.

... Le résultat est une distorsion catastrophique. Pour la période 1993-2003, l’historienne
des sciences Naomi Oreskes, auteure du livre révolutionnaire intitulé Merchants of Doubt
(The Machiavellian Science), n’a pas trouvé une seule publication, parmi 928 publications
dans des revues scientifiques sur le mot clé “changement climatique global”, qui
s’opposait à la reconnaissance du réchauffement global induit par l’homme. Dans les jour-
naux et à la télévision, ce point de vue apparaît dans un article sur deux sur une période
comparable. » 31

31
http://www.zeit.de/2017/51/fake-news-klimawandel-energiekonzerne-
desinformationskam-
pagne?wt_zmc=sm.ext.zonaudev.facebook.ref.zeitde.share.link.x&utm_medium=sm&utm_source=facebook_zonaudev_
ext&utm_campaign=ref&utm_content=zeitde_share_link_x
15
4. La chance

La bonne nouvelle, la voici : un marché financier respectueux du climat vaut mieux


que le statu quo.

4.1 Les investissements durables sont meilleurs


Et qu’en est-il des solutions de rechange ? Perd-on de l’argent si l’on investit ses écono-
mies de manière durable et que l’on ignore délibérément l’industrie fossile ? La réponse
est non. Même s’il n’existe pas de prévisions à 100 % fiables sur le marché financier, il y a
maintenant des sources très solides qui arrivent à la conclusion suivante : les placements
et les fonds durables ne sont ni plus faibles ni plus risqués que les autres. Plusieurs études
scientifiques montrent 32 que les produits et les services dans le domaine de la finance du-
rable (sustainable finance) offrent souvent de meilleurs profils de rentabilité. L’une de ces
études émane de BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs (asset manager) du
monde 33 (voir aussi l’illustration 3).

Illustration 3 : L’efficacité CO 2 est payante sur le marché boursier (marché des
actions)
Cette représentation du BlackRock Investment Institute 34 montre que les cours des
actions des entreprises qui ont le plus réduit leur intensité carbone sont ceux qui ont
suivi la meilleure évolution. L’analyse répartit les 2400 grandes sociétés cotées (en
Bourse) du monde (MSCI) en cinq groupes en fonction de la réduction de l’intensité
carbone. L’intensité carbone représente les émissions de carbone par chiffre
d’affaires annuel. Dans le groupe 1 se trouvent les quelque 500 entreprises qui ont le
plus réduit leur intensité carbone. Le groupe 5 est celui du cinquième (des entre-
prises) qui l’a le moins abaissé. Les dates vont de mars 2012 à avril 2016.

32
Fried, Busch & Bassen (2015): ESG and financial performance: aggregated evidence from more than 2000 empirical
studies.
33
Blackrock investment Institute (2016): Adapting portfolios to climate change. Implications and strategies for all inves-
tors
34
Blackrock investment Institute (2016): Adapting portfolios to climate change. Implications and strategies for all inves-
tors
16
La transition vers une économie durable ouvre des possibilités de croissance durable. Les
investissements dans les infrastructures durables (telles que la construction résidentielle et
la mobilité) et les énergies renouvelables, en particulier, présentent un bon profil de ren-
dement, comparable à celui des investissements traditionnels. Des mesures incitatives
pour ce type d’investissement peuvent se révéler très utiles. En outre, un secteur financier
peut réduire les risques sociétaux et entrepreneuriaux s’il est moins exposé au risque de la
bulle de carbone.

« Mais les investisseurs doivent pour cela comprendre dans quelle mesure ils sont exposés
au changement climatique. Cela leur permet de pondérer correctement les investisse-
ments dans leur portefeuille pour réduire les risques climatiques. L’empreinte carbone
d’un portefeuille d’actions mondiales peut être réduite de 70 % si les investisseurs
s’écartent de l’indice à hauteur de seulement 0,3 % lors de sa constitution. Un portefeuille
axé sur des entreprises particulièrement efficaces sur le plan énergétique peut même dé-
passer son indice de référence. C’est donc, ne l’oublions pas, aussi une très bonne nou-
velle pour les investisseurs : il est possible d’investir tout en respectant le climat sans avoir
à faire de compromis sur les objectifs classiques de maximisation du rendement. »
Philip Hildebrand.
L’ancien président de la Banque nationale suisse est aujourd’hui vice-président du plus
grand gestionnaire d’actifs du monde, BlackRock. (Tages-Anzeiger, 8 octobre 2016)

Les alternatives se développent. Il y a aujourd’hui des fonds qui renoncent totalement aux
investissements nuisibles au climat. Le premier « groupe financier climatiquement neutre »
a été créé en Norvège en 2008 avec Storebrand. Cette société de services financiers a
appliqué des critères d’exclusion stricts dans ses activités de financement. Son fonds s’est
jusqu’à présent bien comporté. 35

4.2 Une aubaine pour la Suisse

Pour l’économie suisse, de bonnes conditions-cadres favorisant une transition énergétique


rapide constituent une grande chance. Parce qu’elle peut s’appuyer sur de bonnes infras-
tructures et qu’elle dispose de beaucoup de savoir-faire ainsi que de pôles d’innovation et
de recherche en matière de transition énergétique. Si elle parvient à remplacer
l’approvisionnement en énergie fossile, elle pourra conserver dans l’économie suisse envi-
ron 10 milliards de francs qu’elle perd chaque année pour l’importation de pétrole brut et
de gaz naturel provenant de l’étranger. Et elle dépendra encore moins de pays — dont cer-
tains sont instables et antidémocratiques — qui approvisionnent la Suisse en combustibles
fossiles. La restructuration écologique crée de la valeur ajoutée en Suisse. Au cours de la
dernière décennie, quelque 40 000 nouveaux emplois ont été créés dans les domaines
des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, entre autres grâce à l’actuelle loi
sur le CO2. La valeur ajoutée brute (création de valeur brute) a ainsi augmenté de près
de 6 milliards de francs. De nombreux pays sont économiquement dépendants de leurs
réserves fossiles (voir illustration 3). Ce n’est pas le cas de la Suisse. Comparativement à
d’autres économies nationales, elle n’a rien à perdre avec la transition énergétique.

35
https://www.storebrand.no/en/sustainability/climate-strategy
17
Illustration 3 Stocks sans valeur : voici les réserves inutilisables de carbone dans les
réserves mondiales de charbon, de pétrole et de gaz (en gris) et la valeur correspon-
dante (Capex) en milliards de dollars (en vert), qui est perdue si le monde veut at-
teindre l’objectif des +2 degrés. Source : Carbon Tracker Initiative (2015). 36 La teneur
en carbone et la valeur ne sont pas identiques, car le coût des différentes sources
d’énergie — charbon, pétrole et gaz naturel — varie.

4.3 Argent noir, argent blanc, argent vert

Il en va de même pour la place financière. En adoptant consciemment une orientation stra-


tégique axée sur les financements durables (sustainable finance), les banques et les com-
pagnies d’assurance suisses peuvent se positionner dans un segment d’activité en pleine
et rapide croissance. Le Secrétariat d’État aux questions financières internationales voit lui
aussi la chance que cela représente pour le secteur financier (voir ci-dessous). Celui-ci dis-
pose d’excellentes possibilités, des ressources nécessaires, d’un bon personnel et de ta-
lents. Une stratégie d’avenir en marche vers un marché que 195 gouvernements ont fina-
lement appelé de leurs vœux lors de la conclusion de l’Accord de Paris sur le climat devrait
en fait être le résultat (plein d’enseignements) des dernières décennies de la politique ban-
caire suisse. Parce que la place bancaire suisse a une fois déjà raté le train des dévelop-
pements internationaux.

Elle avait été beaucoup trop hésitante à rompre avec ce que l’on appelle le secret ban-
caire. L’engagement officiel en faveur de la stratégie de l’argent blanc a suivi en 2007-
2008, alors que les dégâts avaient déjà été faits. Pendant des décennies, les banques
suisses ont accepté des fonds non imposés — ou les ont même apportés activement en
Suisse. La Suisse a ignoré les critiques croissantes émises par les gouvernements étran-
gers avec arrogance. Avec des slogans désinvoltes comme « Le secret bancaire est virtuel-
lement dans nos gènes » (Kaspar Villiger, conseiller fédéral PLR, en mars 2000) ou « Vous

36
Carbon Tracker Initiative: The $2 trillion stranded assets danger zone: How fossil fuel firms risk destroying investor
returns, 24. November 2015.
18
allez encore vous casser les dents sur ce secret bancaire » (ministre des Finances Hans-
Rudolf Merz, PLR, le 19 mars 2008, à l’adresse de l’UE), la classe politique suisse a fait
preuve d’obstination. Elle a ignoré les signes des temps et l’a payé cher par la suite. Une
grande partie des banques suisses ont dû payer des amendes se chiffrant en milliards et
ont subi des dommages d’image considérables. Ce sont les communes, les cantons et la
Confédération qui ont payé la facture. En effet, les pertes gigantesques des banques
suisses ont entraîné des pertes fiscales colossales.
La stratégie de l’argent blanc est arrivée beaucoup trop tard. Les politiciens ont dormi trop
longtemps ou se sont mis aveuglément au service de certains requins financiers. Les res-
ponsables de cette catastrophe l’ont admis rétrospectivement. L’ancien président du PLR
Franz Steinegger déclarait le 14 juin 2010 dans la Schweizer Illustrierte, à propos de la
défense du secret bancaire : « Il y a dix ans déjà, il est devenu évident que les politiciens
servaient d’idiots utiles. »

« Investir dans les technologies vertes est une chance pour la stabilité financière et peut
aider à surmonter le piège d’une faible inflation et d’une faible croissance. »
Mark Carney, Governor der Bank of England37

Cela ne doit plus se reproduire en Suisse. Au contraire, la place financière suisse doit pas-
ser à l’offensive. Les premiers acteurs le font déjà. L’été dernier, Swiss Re a réaffecté
130 milliards d’euros. Cette société d’assurance applique maintenant un indice de réfé-
rence de durabilité. UBS Asset Management veut faire de même. Mais le marché financier
suisse tirera plus de bénéfices s’il procède de manière cohérente et globale. Ce qu’il a
perdu à cause de sa stratégie de l’argent noir, il peut le compenser par une « stratégie de
l’argent vert » cohérente. La stratégie de l’argent blanc, qui n’a d’ailleurs de loin pas encore
été entièrement mise en œuvre, est une approche réactive. Elle se concentre sur le passif
du bilan et elle a contraint la Suisse à adopter plus ou moins automatiquement les lois et
les normes internationales. Cette fois-ci, la Suisse ne devrait pas se faire prier deux fois et
jouer un rôle de premier plan. Car une chose est claire : le secteur financier doit impérati-
vement se réorienter à l’échelle mondiale, afin d’éviter la catastrophe climatique. Ceux qui
fermeront la marche pourraient bien le regretter.

Si les banques et les compagnies d’assurance suisses montrent la voie, elles peuvent non
seulement corriger une atteinte à leur réputation, mais aussi générer de nouvelles sources
de revenus, obtenir des avantages concurrentiels et, last but not least, rendre possible
l’écologisation urgente de l’économie. Des conditions-cadres politiques claires propres à
promouvoir des flux de trésorerie durables (sustainable finance) renforcent la compétitivité
du secteur financier suisse.

L’exemple de la Banque nationale suisse


Avec des émissions de 48,5 millions de tonnes de CO2, le portefeuille d’actions identi-
fiables de la Banque nationale suisse a produit en 2017 à peu près la même quantité de
gaz à effet de serre que l’ensemble de l’économie et des ménages suisses. Si elle avait
désinvesti les 7,4 milliards de francs qu’elle a investis dans les entreprises qui sont les plus
grandes émettrices de CO2 et les avait réinvestis dans les entreprises les plus respec-

37
https://www.theguardian.com/business/2016/sep/22/carney-backs-green-finance-to-cut-emissions-and-boost-growth
19
tueuses du climat, la Banque nationale suisse (BNS) aurait réduit de moitié les émissions
liées à son portefeuille d’actions. Et elle aurait amélioré son résultat financier de
10 milliards de francs au cours des trois dernières années (du 1er janvier 2015 au
31 décembre 2017). Voici les résultats les plus importants de l’analyse commandée par les
Artisans de la Transition 38 à la société zurichoise ISS-Ethix.39

5. La politique
Les finances respectueuses du climat sont un sujet brûlant d’actualité dans le
monde entier. Mais le marché financier suisse menace une fois de plus de rater le
coche, parce que la classe politique dort.

5.1 La politique en Suisse


La protection du climat n’apparaît pas dans la Constitution fédérale et il n’existe actuelle-
ment aucune loi ni ordonnance qui prenne en compte l’impact indirect et direct du secteur
financier sur le climat. Le projet de nouvelle loi sur le CO2 présenté en 2017 par le Conseil
fédéral sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat ne fait aucune mention du
marché financier. En signant l’Accord de Paris sur le climat, le Conseil fédéral s’est certes
engagé à faire en sorte que les flux financiers aident à atteindre l’objectif des +2 degrés. Il
doit cependant s’en remettre entièrement au volontarisme de la branche. Diverses activités
afférentes sont en cours dans l’administration fédérale.

L’administration fédérale

En 2016, l’OFEV a publié des « Propositions pour une feuille de route vers un système fi-
nancier durable en Suisse ». En 2016, il a mené un projet de recherche sur la performance
financière des fonds à faibles émissions de carbone par rapport aux fonds conventionnels.
Enfin, l’OFEV a demandé à toutes les caisses de pension et à tous les assureurs d’évaluer
la compatibilité de leurs portefeuilles avec l’objectif des +2 degrés. L’OFEV a également
commencé à prendre en compte les aspects de la finance durable dans ses stratégies.
Ceux-ci figurent également dans la « Stratégie pour le développement durable » (SDD) de
l’ARE (Office fédéral du développement territorial), en vigueur depuis 2016.

Le Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI) a participé au Green


Finance Study Group (GFSG) (Groupe d’étude sur les finances vertes) du G20 en 2016 et
a organisé un événement sur les risques environnementaux dans le secteur financier en
mai 2016. En octobre 2016, le gouvernement a publié une nouvelle stratégie des marchés
financiers comportant cinq orientations pour la transition. La finance durable (sustainable
finance) est l’un des éléments essentiels du levier d’innovation et est considérée comme
une réelle chance pour le secteur financier.

Le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a récemment participé au lancement d’un fonds


d’investissement d’impact innovant avec Symbiotics et UBS. Il a également été l’un des

38
http://www.artisansdelatransition.org/rapports.html#carbon-invest-rapports
39
http://www.fossilfree.ch/media/cms_page_media/2018/4/18/Bericht%20SNB%202018_SL%20180411.pdf
20
principaux financeurs de la Natural Capital Finance Alliance (anciennement NCD), qui vise
à montrer que le capital naturel (« natural capital “) est pertinent pour les prestataires de
services financiers. Toutefois, le document de position sur la responsabilité sociétale des
entreprises (Corporate Social Responsibility) présenté par le SECO et son programme
d’action n’incluent pas la finance durable (sustainable finance).

Les cantons

Fribourg, Genève et Vaud exigent que leurs caisses de pension cantonales prennent en
compte les critères de l’ESG (écologie, affaires sociales et gouvernance) dans leur poli-
tique d’investissement. Dans certains cas, les fonds de pension publics ont adopté une
stratégie de durabilité.

La Banque nationale suisse (BNS)

Dans ses directives de politique d’investissement, la BNS mentionne qu’elle « refuse


d’investir dans des entreprises qui “[......] violent massivement les droits de l’homme fon-
damentaux ou cause [nt] systématiquement de graves dommages à l’environnement.”
Contrairement aux Banques nationales d’autres pays, la BNS n’est pas encore active dans
le domaine climatique.

Aucune loi ni aucune mesure incitative n’oblige la BNS à réduire les risques climatiques ou
à promouvoir des mesures de protection du climat et/ou d’adaptation. Une étude récente
des Artisans de la Transition énumère les investissements importants de la BNS dans des
entreprises qui promeuvent les énergies fossiles. La part de 10 % de son patrimoine que
la BNS gère aux États-Unis sous forme de prises de participation/placements boursiers est
responsable à elle seule d’émissions de CO2 dont le volume correspond aux émissions
totales de CO2 de la Suisse en 2013.

La BNS ne poursuit pas de stratégie climatique et n’a pas non plus l’intention d’effectuer
des tests de stress climatique dans un avenir proche. Avec plus de 800 milliards de francs
d’actifs sous gestion, la BNS est l’un des plus grands investisseurs du monde. Un chan-
gement de sa politique d’investissement aurait des effets positifs importants sur
l’environnement et la société. En s’engageant clairement en faveur d’une politique
d’investissement respectueuse du climat, la BNS pourrait immédiatement persuader de
nombreux fournisseurs de produits financiers de proposer des produits en accord avec
celle-ci. En outre, si la BNS donnait le bon exemple, elle motiverait probablement d’autres
prestataires de services financiers — voire les obligerait indirectement — à prendre des me-
sures similaires. En fait, la Banque nationale aurait dû commencer à endosser ce rôle il y a
longtemps déjà. Le fait qu’elle fasse purement et simplement fi de la question climatique
est en contradiction avec ses propres directives d’investissement, qui excluent les place-
ments qui “violent massivement les droits de l’homme fondamentaux ou causent systéma-
tiquement de graves dommages à l’environnement”. Si la BNS estime réellement que la
surchauffe du climat n’entraîne pas “systématiquement de graves dommages à
l’environnement” ou ne “viole pas massivement les droits de l’homme fondamentaux”, elle
devrait d’urgence se mettre au fait des observations de la science du climat.

La Banque nationale justifie son inaction par l’argument pour le moins cynique de la “neu-
tralité” des investissements. Une politique d’investissement qui ignore le risque climatique
n’est pas neutre, mais aveugle. Elle ne tient pas compte du mandat qui l’oblige à assurer la
stabilité financière et prend parti pour une augmentation de la température de la terre de
21
+4 à +6 degrés. Elle viole les intérêts de la Suisse, la loi nationale sur le CO2 et l’Accord de
Paris.

“La stabilité climatique est, à long terme, l’un des facteurs déterminants de la stabilité fi-
nancière.” (...)
“Nous devrions plutôt cibler les actifs ‘marron’ par la mise en place d’un ‘facteur de pénali-
sation marron’, car les risques liés à la transition finiront par se matérialiser un jour. Cela
pourrait être conçu comme un coussin pour le risque systémique (systemic risk buffer)
spécifique, ou être intégré dans les exigences au titre du pilier...”
Nous [Banque de France] sommes parmi les premières banques centrales à nous engager
à améliorer la contribution de nos fonds propres et portefeuilles de retraite à la transition
environnementale et avons l’intention de rendre compte de nos progrès chaque année. »
François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, le 6 avril 2018. Par
« actifs marron », il entend l’industrie des fossiles.

5.2 La politique au niveau international


Alors que la politique suisse fait preuve d’attentisme en se comportant comme un lapin qui
fixe un serpent, d’autres pays progressent rapidement. Divers gouvernements se sont do-
tés ou sont en train de se doter de conditions-cadres propres à instaurer une plus grande
transparence en ce qui concerne l’intensité en CO2 des investissements. Une étude du PRI
(Principles for Responsible Investment) montre que près de 300 instruments politiques
dans les 50 plus grandes économies du monde encouragent les investisseurs à prendre
en compte les facteurs écologiques, sociaux et de gouvernance.40 Plus de la moitié d’entre
eux ont été introduits au cours des trois dernières années.

Le plan d’action de la Commission européenne

L’UE donne un coup d’accélérateur à ce dossier. Le 3 mars 2018, la Commission euro-


péenne a présenté une stratégie de système financier durable, laquelle prévoit entre autres
une feuille de route à court terme et la participation de tous les acteurs du système finan-
cier concernés. 41 Le travail et les mesures comprennent :
• La définition d’un langage commun pour le système financier durable, autrement
dit un système de classification unique (commun) de l’UE (ou taxonomie). Il définit
le concept de durabilité et identifie les domaines dans lesquels les investissements
durables peuvent avoir le plus grand impact possible.
• La création d’un label de l’UE pour les produits financiers « verts » sur la base de ce
système de classification de l’UE : cela permet aux investisseurs d’identifier facile-
ment les investissements qui répondent aux critères de respect de l’environnement
ou de faibles émissions.
• La clarification de l’obligation, pour les gestionnaires de fortune (d’actifs) et les in-
vestisseurs institutionnels, de prendre en compte le critère de durabilité dans les
processus d’investissement et de renforcer les obligations d’information.

40
http://www.sustainablefinance.ch/upload/cms/user/20161205_PRI_MSCI_Global-Guide-to-Responsible-Investment-
Regulation.pdf
41
Commission européenne (2018) : Plan d’action : financer la croissance durable.
22
• L’obligation pour les compagnies d’assurance et les entreprises d’investissement
de conseiller leurs clients en fonction de leurs préférences en matière de durabilité.
• L’inclusion de la durabilité dans les règles prudentielles : les banques et les com-
pagnies d’assurance constituent une source importante de financement externe
pour l’économie européenne. La Commission examinera la possibilité d’affiner les
exigences des banques en matière de fonds propres pour les investissements du-
rables (le « facteur de soutien vert »), si cela se justifie du point de vue du risque,
tout en veillant à ce que la stabilité financière soit maintenue.
• Une plus grande transparence des bilans des entreprises : la Commission propose
d’aligner plus étroitement les lignes directrices relatives à l’information non finan-
cière sur les recommandations du Groupe de travail sur les informations financières
relatives au climat (GIFCC) (TCFD : Task Force on Climate-related Financial Dis-
closures) du Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board (FSB)).

L’UE était déjà active auparavant. La directive relative à la publication d’informations non
financières (2014/95/UE) 42 impose à toutes les entreprises européennes de plus de
500 salariés de rendre compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouver-
nance. La réforme du marché des capitaux de l’UE élabore des lignes directrices ESG 43
pour les entreprises. Depuis début 2016, la France impose à tous les investisseurs institu-
tionnels l’obligation de déclarer les émissions climatiques de leurs investissements. A con-
trario, la Suisse n’exige pas de reporting ESG complet, ni pour les entreprises ni pour les
investisseurs. Dans une étude publiée récemment, l’OFEV a constaté que seules 132 des
500 plus grandes entreprises suisses pratiquent une sorte de reporting sur le développe-
ment durable. Or, sans ces informations, les investisseurs ont du mal à fonder leurs déci-
sions sur la durabilité.

La nouvelle directive de l’UE sur les fonds de pension (IRP II) exige que tous les fonds de
pension incluent des facteurs environnementaux et sociaux dans leurs décisions
d’investissement. La directive a été adoptée en décembre 2016 et est entrée en vigueur en
janvier 2017. Il en va de même pour le Sustainable Investment Pension Disclosure Act.

Les Banques centrales internationales

De plus en plus de banques et d’autorités de surveillance nationales se penchent égale-


ment sur les questions de durabilité. Elles se concentrent principalement sur le change-
ment climatique. 44 En décembre 2017, onze d’entre elles ont fondé un réseau pour
l’écologisation du système financier (Network for Greening the Financial System (NGFS):
NGFS) (Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du sys-
tème financier [NGFS]). Le but du réseau est de renforcer la réponse globale nécessaire
pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. À cette fin, huit banques nationales
(Chine, Allemagne, Angleterre, France, Mexique, Pays-Bas, Suède et Singapour) et trois
régulateurs des marchés financiers (France, Allemagne, France, Suède) ont uni leurs
forces. 45 La Suisse n’en fait pas partie.

42
http://ec.europa.eu/finance/company-reporting/nonfinancial_reporting/index_en.htm
43
ESG – Environmental and Social Governance (en français : gouvernance environnementale et sociale) − est une abré-
viation de critères de durabilité en relation avec la responsabilité de l’entreprise.
44
WWF (2017) Sustainable Finance – jetzt oder nie. (Maintenant ou jamais.) WWF White paper.
45
Network for greening the financial system; https://www.banque-france.fr/en/financial-stability/international-
role/network-greening-financial-system
23
Les banques nationales poursuivent des objectifs différents selon le pays d’origine. Ce-
pendant, il existe un large consensus international sur le fait que le changement climatique
a un impact négatif significatif sur les actifs à forte intensité de carbone. En conséquence,
certaines banques centrales des États membres de l’UE, dont la Suède, l’Allemagne et
l’Angleterre, envisagent d’introduire des tests de stress climatique. Au Royaume-Uni, le
mandat réglementaire de The Bank of England a été lié au changement climatique en
2012. En 2014, la Banque centrale néerlandaise (DNB / De Nederlandsche Bank / Dutch
National Bank) a examiné l’exposition de son secteur financier aux risques climatiques.46
Certaines banques centrales examinent les possibilités qui s’ouvrent et cherchent à pro-
mouvoir l’investissement durable. La réforme du marché des capitaux de l’UE a contraint la
Banque européenne d’investissement à accroître la disponibilité de fonds d’investissement
durables (green funds/fonds verts). Au moins 20 % du budget de l’UE alloué à la protec-
tion du climat pour les années 2014-2020 doit être consacré à cette fin.

6. Exigences
Au lieu de se focaliser sur les émissions directes générées en Suisse, une protection clima-
tique cohérente doit également se concentrer sur les investissements. En tant que place
financière de premier plan et championne du monde de l’épargne, la Suisse dispose d’un
effet de levier important et porte donc une grande responsabilité en matière de protection
du climat.

Objectif : d’ici à 2030, le marché financier suisse ne doit plus investir dans des en-
treprises qui exploitent les ressources du pétrole, du gaz ou du charbon. L’argent
investi dans l’industrie de la transformation des agents énergétiques fossiles doit
être réduit de 50 %.

Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’appliquer les mesures politiques figurant ci-
après. Le degré de réglementation des mesures proposées augmente. Les dernières me-
sures doivent être introduites si les premières n’ont pas d’effet :

6.1 L’engagement international de la Suisse contre les investissements néfastes pour le


climat

Dans le cadre de la coopération internationale, la Suisse n’accorde aucune garantie


contre les risques à l’exportation ni de fonds pour des projets qui encouragent
l’extraction de combustibles fossiles et l’émission de gaz à effet de serre, et elle
s’engage en faveur d’une politique d’investissement respectueuse du climat dans le
cadre de son adhésion à l’OCDE, à l’ONU, à la Banque mondiale et à d’autres institu-
tions internationales.

Cela est logique, parce que les marchés financiers opèrent à l’échelle mondiale et par-delà
les frontières et que la fuite des capitaux des marchés axés sur la protection du climat peut
être freinée par un relèvement uniforme des normes à l’échelle mondiale.

46
UNEP (2016) (Programme des Nations unies pour l'environnement (2016)) : Building a Sustainable Financial System in
the European Union.
24
6.2. Prévoyance professionnelle : étendre les objectifs de la gestion de fortune par
l’intermédiaire de la loi

Les trois objectifs classiques de la gestion de fortune, décrits à l’art. 71 de la LPP —


sécurité, rentabilité et liquidité —, doivent être étendus à la compatibilité climatique.

C’est le seul moyen d’assurer le respect de l’Accord de Paris sur le climat et de surveiller le
risque climatique par le contrôle des marchés financiers.

6.3 Instaurer la transparence

Il faut obliger les caisses de pension, les compagnies d’assurance, mais aussi les
banques, les gestionnaires de fortune et les Bourses à rendre compte de l’impact
climatique de leurs investissements.

L’instauration de la transparence en ce qui concerne le risque CO2 (exposition au carbone


d’investissement/Investment Carbon Exposure) est aujourd’hui possible grâce à des aides
techniques rentables et elle nécessite relativement peu d’efforts. Selon le Code suisse des
obligations et l’art. 47 de l’OPP 2 (Ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse,
survivants et invalidité), les investisseurs institutionnels tels que les caisses de pension ou
les compagnies d’assurance ont aujourd’hui seulement l’obligation de publier les actions
des différentes classes d’actifs dans leurs rapports de gestion. En revanche, les clients ne
peuvent pas voir leur contribution au réchauffement climatique. Le risque pour le climat et
la sécurité des placements n’est ni évalué ni reflété dans les évaluations de l’entreprise. Ce
n’est que lorsque la part des « entreprises fossiles », y compris le potentiel de CO2 associé,
est indiquée que cet aspect peut être contrôlé.

En Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et dans d’autres pays, les caisses de pen-


sion doivent indiquer dans quelle mesure les aspects environnementaux et éthiques sont
pris en compte dans la politique d’investissement. Le gouvernement suédois exige que
toutes les sociétés de fonds dévoilent le risque fossile d’un investissement (carbon expo-
sure / exposition au carbone) aux clients en utilisant un chiffre clé simple et comparable
dans le processus de souscription d’un fonds. En conséquence, le thème de l’impact cli-
matique des placements/investissements alimente les discussions dans toute la société et
dans des comités d’experts, et de nouvelles méthodes sont développées. Le gouverne-
ment français s’est également saisi de ce dossier à l’été 2015. Il veut rendre la transpa-
rence climatique obligatoire pour tous les investisseurs institutionnels, préciser à quoi doit
ressembler cette information (rapport), quels éléments elle doit contenir et selon quelle
méthodologie.

6.4 Soumettre à des obligations la Banque nationale et l’organe de surveillance des


marchés financiers

La Banque nationale et la Finma ont déclaré publiquement leur soutien à l’Accord de


Paris sur le climat et contribuent à sa mise en œuvre.

La Banque nationale évalue ses propres investissements par rapport aux risques clima-
tiques et étend ses lignes directrices en matière d’investissement de façon à exclure les
investissements qui causent systématiquement de graves dommages climatiques. Elle
détermine et publie leur compatibilité avec l’objectif des +2 degrés et une stratégie pour
25
atteindre ses objectifs. En collaboration avec la Finma, elle élabore des principes de pré-
caution qui assurent la maîtrise des risques climatiques, afin de maintenir la stabilité finan-
cière. Elle effectue des tests de stress climatique pour les banques, les compagnies
d’assurance et les caisses de pension suisses et publie des mesures visant à atténuer les
risques macroéconomiques.

6.5 Des objectifs précis pour tous les investisseurs

Le Conseil fédéral impose à tous les investisseurs des valeurs de référence et des
objectifs de réduction. Quelques-uns progressent régulièrement : les caisses de
pension de la Confédération et des cantons, telles que Publica, les caisses de pen-
sion des employés cantonaux, la SUVA et les fonds AVS/AI/APG.

L’impact climatique des investissements/placements doit être progressivement atténué. Si


la transparence et les mesures volontaires ne débouchent pas sur une sortie de
l’investissement dans l’extraction de combustibles fossiles et si le risque des investisseurs
lié à la bulle de carbone n’est pas réduit, le Conseil fédéral doit fixer des valeurs de réfé-
rence et des objectifs de réduction. Les investisseurs doivent disposer de suffisamment de
temps pour remplacer les titres nuisibles au climat à un moment opportun.
La réduction des risques pourrait par exemple être basée sur des indices qui reflètent une
réduction des gaz à effet de serre dans le monde, comme l’indice MSCI Low Carbon Index
(67 tCO2eq par million de francs suisses investis). Sur la base de cet indice, par exemple,
l’effet de serre indirect des fonds d’actions suisses pourrait être réduit de deux tiers avec
un profil de risque similaire.
Les spécialistes partent du principe qu’une sortie de secteurs à forte intensité d’émissions
ou/et un passage à des entreprises plus respectueuses du climat dans le même secteur
serait/seraient possible/s sans conséquences majeures en termes de risque et de diversi-
fication (voir chapitre 4).

6.6 Une taxe sur le CO2 sur les gains en capital nuisibles au climat

Une taxe sur le rendement (d’investissement) des produits financiers nuisibles au


climat est introduite sur la place financière suisse.

Cela rendrait enfin visibles les coûts du réchauffement climatique sur le marché financier.
Par ailleurs, les flux de capitaux pourraient être investis dans des alternatives
(d’investissement) plus respectueuses du climat. Aujourd’hui, les dommages climatiques
ne sont pas internalisés. Les investisseurs gagnent de l’argent avec leurs investissements,
mais ils n’ont pas à payer pour les dommages sociaux globaux causés par les activités de
l’entreprise. Cette « facture est transmise » aux générations futures et aux victimes du
changement climatique. Si ces coûts externes se reflétaient dans la décision
d’investissement, la décision serait probablement différente. Le produit d’une telle taxe
pourrait à son tour être investi dans des projets d’amélioration du climat, ce qui irait même
jusqu’à rendre les investissements neutres sur le plan climatique. Autre option : une telle
tarification (dans laquelle se reflète le montant de cette taxe) pourrait également prendre la
forme d’un « prix fantôme » : le prix est certes indiqué, mais il n’est pas payé. À chaque
transaction boursière sur le marché financier, l’investisseur peut ainsi connaître le prix
théorique du dommage climatique qu’entraîne sa décision d’investissement.

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