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Poutine, le diplomate tacticien devenu incontournable

Slate.fr

Daniel Vernet

Monde
France
26.11.2015 - 7 h 33

mis à jour le 26.11.2015 à 7 h 35

Du côté français comme russe, on a intérêt à un rapprochement. Reste à savoir sur


quelles bases.

Fin septembre à l’ONU, François Hollande jugeait une coalition sur la Syrie incluant la
Russie «possible, même souhaitable, nécessaire», mais il posait une condition: l’objectif de
cette coalition devait être de lutter contre le terrorisme et d’établir un gouvernement de
transition à Damas, sans Bachar el-Assad.«On ne peut pas faire travailler ensemble les victimes
et le bourreau», ajoutait-il. C’était une fin de non-recevoir à la proposition de Vladimir
Poutine d’une large coalition.

Moins de deux mois plus tard, la donne a complètement changé. Le président de la


République a entrepris une sorte de navette diplomatique pour convaincre et le président
américain (mardi 24 novembre) et le président russe (jeudi 26) que cette coalition est en
effet «possible et nécessaire». Les attaques terroristes de Paris ont été l’élément déclencheur
de ce virage de la diplomatie française. Le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius
a beau expliqué que ce n’est pas la France qui a changé de position mais la Russie, il n’en
reste pas moins que le «ni-ni», ni Bachar, ni Daech, qui constituait le principe de la
politique française a cédé la place à une priorité. Daech est notre ennemi, a déclaré
François Hollande à la réunion du Congrès à Versailles.
Démonstration de force

Il est vrai que la Russie aussi a modifié sa position depuis la fin septembre. Deux raisons y
ont contribué. La première est la décision de Vladimir Poutine d’envoyer son aviation
bombarder en Syrie les groupes hostiles à Bachar el-Assad, dès le lendemain de son
discours à l’ONU. Cette décision avait été préparée de longue date. Depuis des semaines et
des mois, Moscou avait accru sa présence en Syrie, en particulier autour de sa base
maritime de Tartous et autour de Lattaquié, le réduit alaouite dont est originaire la famille
Assad.

La Russie a fait une démonstration de force, en engageant de nouveaux types d’avions et en


tirant des missiles de croisière depuis la Caspienne, à plus de 900 kilomètres de la Syrie.
Ces frappes viennent en appui à des troupes au sol, composées essentiellement de
pasdarans iraniens, de combattants du Hezbollah et de ce qui reste de l’armée régulière
syrienne, appuyée par des conseillers russes.

Cependant, cet engagement a eu aussi pour conséquence de mettre en lumière une certaine
vulnérabilité de la Russie. Malgré les premières dénégations, le Kremlin a été obligé de
reconnaître que l’Airbus de la compagnie russe Metrojet, qui assurait la liaison Charm el-
Cheikh-Saint-Pétersbourg, avait bien été victime d’un attentat revendiqué par l’État
islamique. Conséquence: en Syrie, l’aviation russe a alors dirigé ses frappes aussi bien
contre Daech que contre les forces des opposants à Assad, qui, au début de la campagne
aérienne russe, avaient été les cibles principales. À Moscou, cette réorientation des
objectifs est jugée d’autant plus possible qu’entre temps on estime avoir suffisamment
conforté la position de Bachar el-Assad. Avant l’intervention russe, le dictateur de Damas
était aux abois. Depuis, il a regagné quelques positions.

Pierres d’achoppement

Du côté français comme russe, on a donc intérêt à un rapprochement. Reste à savoir sur
quelles bases. «Si la Russie fait partie de la coalition, elle bombardera exclusivement Daech», a
déclaré le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. C’est peut-être aller un peu vite en
besogne. Une des pierres d’achoppement des réunions de Vienne sur la Syrie, qui
cherchent une issue politique à la guerre, est justement le désaccord sur la liste des
groupes considérés comme «terroristes» entre Russes et Iraniens, d’une part, coalition
arabo-occidentale d’autre part. Pour les premiers, tous les adversaires d’Assad, laïques ou
religieux, sont des terroristes, pour les seconds la nomenclature est plus compliquée, mis à
part l’État islamique qui fait –officiellement– l’unanimité contre lui.

Un compromis peut-il être trouvé entre François Hollande et Vladimir Poutine sur le sort
de Bachar el-Assad? Sur ce point aussi, la position française a évolué mais cette inflexion
ne date pas des attentats du 13 novembre. Au slogan«Assad doit partir!», mis en avant dès le
début des manifestations pacifiques de Damas, en 2011, ont succédé des formules plus
souples. «Assad ne peut faire partie de la solution», «le départ de Bachar est posé à un moment ou
à un autre», «Assad doit être neutralisé», et la dernière expression en date utilisée par le
président de la République au Congrès: «Assad ne peut constituer l’issue.»

On est convaincu à Paris que le soutien russe au président syrien est purement tactique.
C’est une monnaie d’échange qui pourra être lâchée à la fin de la négociation si la Russie
est convaincue de la continuité de l’État syrien et de la défense de ses intérêts stratégiques.
En revanche, l’Iran semble plus déterminé dans le soutien à Assad, bien que Vladimir
Poutine et l’ayatollah Khamenei aient souligné «l’unité de points de vue entre Moscou et
Téhéran», lors de la visite du président russe, lundi 23 novembre. Avant de rencontrer
François Hollande, le président russe s’est en tous cas assuré de la solidité de son alliance
avec l’Iran.

Pousser l’avantage

Reste à savoir s’il tentera de pousser plus loin son avantage et s’il cherchera à tirer un
profit de sa relative position de force pour arracher des concessions sur d’autres dossiers,
notamment celui de l’Ukraine. La situation y était plutôt stable au cours des dernières
semaines. La Russie avait même fait un geste en acceptant le rééchelonnement d’une partie
de la dette ukrainienne. Début septembre, François Hollande avait déjà laissé entrevoir un
allègement progressif des sanctions économiques qui frappent la Russie depuis plus d’un
an, si les accords de Minsk étaient respectés.
Aussi, ce n’est sans doute pas une coïncidence si des inconnus ont fait sauter dans la
nuit de samedi 21 à dimanche 22 plusieurs pylônes alimentant en électricité la
Crimée depuis le continent. Nationalistes ukrainiens ou Tatars, les auteurs de ces
attentats ont voulu attirer l’attention à un moment où les occidentaux se voient contraints
de traiter Vladimir Poutine comme un interlocuteur indispensable.

C’est l’art des diplomates de savoir séparer les dossiers ou de s’adonner au donnant-
donnant, selon les circonstances. Pendant plus d’un an et demi, la crise ukrainienne n’a eu
aucune influence dans la négociation sur le nucléaire iranien, malgré la tension entre les
Russes et les Occidentaux. En Syrie, Vladimir Poutine leur a déjà sauvé une fois la mise en
proposant la destruction des armes chimiques de Damas, alors que les États-Unis
renonçaient à faire respecter la «ligne rouge» édictée par eux-mêmes. Il n’est pas pressé
pour présenter l’addition.

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