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« Les sommets du G7, de l’OTAN et de l’US-UE [de juin], ont marqué, selon leurs
participants, le retour des États-Unis en Europe et le rétablissement de la
consolidation du Vieux Monde sous l’aile de la nouvelle administration à
Washington. La majorité des membres de l’OTAN et de l’UE ont non seulement
accueilli ce virage avec soulagement, mais ils l’ont salué de commentaires
enthousiastes », écrit Lavrov. « Les capitales européennes, sensibles aux
dispositions du “grand frère”, ont immédiatement commencé à reprendre en chœur
les refrains entonnés à Washington. En bref : nous sommes prêts à normaliser les
relations avec Moscou, mais la Russie doit d’abord changer son comportement. »
L’Occident veut imposer ses règles à « d’autres civilisations, la Russie, la Chine, et
d’autres grandes puissances ». On remarquera que Lavrov, à la différence de
Poutine dans son article publié par Die Zeit, ne rattache pas la Russie à la
civilisation européenne : les destinataires de ces opus ne sont pas les mêmes —
Poutine s’adresse aux Allemands, Lavrov aux Turcs et aux Chinois. Face à la
politique « néocoloniale » des démocraties libérales qui s’attaquent au « code
génétique des grandes civilisations », Lavrov préconise « une réforme du Conseil
de sécurité de l’ONU, qui doit être renforcé au profit des pays d’Asie, d’Afrique et
d’Amérique latine, mettant fin à la surreprésentation anormale de l’Occident
collectif dans cet organe dirigeant des Nations unies » et il vante « l’initiative russe
de former un Grand partenariat eurasien faisant converger les efforts de tous les
pays et organisations du continent ».
On le voit, c’est la consolidation de « l’Occident collectif » sous Biden qui est dans
le collimateur du Kremlin. Cette perception explique les démarches entreprises par
Moscou ces dernières semaines. Il s’agit de contrer ce renouveau de la solidarité
transatlantique tant redouté au Kremlin. La rencontre de Poutine avec Biden répond
avant tout à cet objectif : le Kremlin veut inciter les Européens à douter de
l’engagement américain dans la sécurité européenne. En même temps, Moscou
relance sa politique européenne. Premier signal : l’encouragement à la cooptation
des élites dirigeantes européennes, le Kremlin récompensant royalement ceux qui
l’ont servi, comme François Fillon nommé au conseil d’administration d’un groupe
pétrolier public russe, Zaroubejneft, de même que l’ancienne ministre des Affaires
étrangères autrichienne Karin Kneissl, nommée en juin au CA du géant pétrolier
russe Rosneft, où l’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder est déjà présent
depuis plusieurs années.
Les mêmes considérations jouent aujourd’hui. Les hommes du Kremlin ont pris
conscience de l’impact des sanctions sur l’économie russe, et surtout sur les
secteurs importants à leurs yeux : l’extraction des matières premières et
l’armement. Tout naturellement ils se tournent vers l’Europe, l’Allemagne surtout.
D’où la réactivation du grand dessein poutinien, « l’Europe de Lisbonne à
Vladivostok », évoqué dans Die Zeit, consistant à « créer un espace commun de
coopération et de sécurité de l’Atlantique à l’océan Pacifique, qui comprendrait
divers formats d’intégration, dont l’Union européenne et l’Union économique
eurasienne ». Douguine en révélait les arrière-pensées dès 2013 : « Quand l’Europe
sera entrée dans notre Union eurasienne […] nous prendrons leurs technologies
d’un seul coup : plus besoin de gaz et de pétrole pour les obtenir au compte-
gouttes. Voilà la modernisation et l’européanisation de la Russie » (Newsland,
12/04/13. Interview d’A. Douguine sur tv.russia.ru).
C’est seulement le rapport avec l’Europe intégrée qui va évoluer. Déjà en 2004
Sergueï Markov, un expert proche du Kremlin, constatait qu’il était souhaitable
pour Moscou d’avoir affaire « non à la bureaucratie européenne, mais aux
locomotives de l’intégration, surtout l’Allemagne et la France, de même que
l’Espagne, l’Italie et l’Angleterre » car « les bureaucrates européens considèrent la
Russie comme un problème et n’ont pas peur d’entrer en conflit avec elle »
(Sergueï Markov, Interfax, 24/02/04).
Plus que jamais le grand dessein européen de la Russie achoppe sur la résistance
des petites nations du continent attachées à leur liberté et c’est contre ce groupe des
« russophobes » de l’UE que le Kremlin va concentrer ses attaques, tout en
poursuivant son entreprise de noyautage des grands États européens.
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Poutine »
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Bien qu'elle n'occupe que le deuxième rang derrière l'Allemagne, la France jouit également
d'une bonne image en Russie, en raison notamment des relations anciennes d'amitié et de la
convergence de vues, notamment sur la conception d'un « monde multipolaire ».
Toutefois, comme le souligne un expert, la politique de la France à l'égard de la Russie n'a pas
rempli tous les espoirs qui étaient placés en elle (10(*)).
Face à la Russie, il est donc indispensable que l'Union européenne parle d'une seule voix.
C'est d'autant plus nécessaire dans les domaines où les États membres ont transféré une partie
de leur compétence à l'Union européenne. Les représentants de la Commission européenne
rencontrés à Bruxelles ont cité à cet égard l'exemple de la menace russe de mettre en place un
embargo généralisé sur les importations de viande en provenance de l'Union européenne.
Face à un joueur comme la Russie qui maîtrise l'ensemble des pièces sur l'échiquier des
négociations, les Européens, qui déplacent chacun leur pièce en ordre dispersé, ne
peuvent espérer l'emporter. Il serait plus efficace que les négociateurs européens aient
toutes les cartes en main.
S'il est évidemment souhaitable d'adopter une approche commune vis-à-vis de la Russie,
cela ne veut pas dire pour autant que, sur certains sujets, les États membres ne
devraient pas chercher à développer des relations plus approfondies avec la Russie.
Cela concerne en particulier la politique étrangère, qui relève du domaine
intergouvernemental et où les États membres conservent donc toute leur place. Sur plusieurs
sujets de politique internationale, il existe d'ailleurs des groupes spécifiques, composés de
certains pays membres et de la Russie, comme le « groupe de contact » sur les Balkans
occidentaux ou le « Quartet » sur le Proche-Orient. On pourrait également citer le dossier du
nucléaire iranien, où la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni mènent une concertation
étroite avec la Russie.
Avec la dimension septentrionale, l'Union européenne a d'ailleurs reconnu l'intérêt d'une
certaine « géométrie variable » dans les relations avec la Russie.
* (9) Georges Sokoloff, « La puissance pauvre : une histoire de la Russie de 1815 à nos
jours », Fayard 1993.
* (10) Thomas Gomart, « La politique russe de la France : fin de cycle ». Politique étrangère,
1-2007.
Je suppose que nous sommes tous d’accord pour dire que chaque pays a ses
propres intérêts nationaux, qui sont parfois en conflit avec les intérêts nationaux
d’autres pays. Le conflit n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Les
conflits résolus de manière satisfaisante peuvent améliorer les relations, créer des
attentes quant à la résolution des conflits futurs et réduire la probabilité que les
pays envisagent de recourir à la violence. La principale responsabilité des
diplomates est de faire progresser les intérêts de leur propre pays. Ce faisant, ils
sont dans une position unique pour contribuer à la résolution satisfaisante des
conflits en aidant leurs dirigeants à comprendre comment l’autre pays perçoit ses
intérêts.
Boris Eltsine, son président, avait jalonné son avenir politique en détruisant à la fois le
Parti communiste et le système soviétique dans lequel il était intégré. Son ministre des
Affaires étrangères, Andreï Kozyrev, était aussi intellectuellement pro-occidental que
n’importe qui dans sa position tout au long de l’histoire russe. Ils ont hérité du projet de
politique étrangère de Mikhaïl Gorbatchev – une Maison européenne commune –, qu’ils
avaient l’intention de mettre en œuvre et d’étendre.
Le peuple russe, étourdi par l’effondrement du régime corrompu et oppressif sous lequel
il travaillait depuis des générations, avait soif d’une relation normale avec le reste du
monde et pensait que le résultat en serait une amélioration rapide et importante de son
niveau de vie.
En 1992, j’ai écrit que ces attentes ne pourraient pas être satisfaites et qu’une période
de désillusion suivrait inévitablement. Le défi politique, à la fois pour l’Occident et pour la
Russie, était de gérer cette période de désillusion afin qu’elle aboutisse à une relation
plus mûre et plus stable, et diminue la probabilité d’un virage russe vers l’autarcie et
l’hostilité. Un quart de siècle plus tard, il est clair que cette relation n’a pas été bien
gérée. L’Occident – et en particulier les États-Unis – en porte au moins autant la
responsabilité que la Russie.
En 1998, lorsque Poutine a remplacé Eltsine, la relation entre les États-Unis et la Russie
s’était déjà détériorée, sous le coup de l’expansion de l’OTAN, ainsi qu’à cause de
différends au sujet des guerres civiles qui ont provoqué la dissolution de la Yougoslavie.
Les Russes ont perçu dans ces derniers développements une tentative, de la part des
États-Unis, d’établir un système international dominé par eux seuls et dans lequel la
Russie n’aurait aucun rôle significatif. La Maison européenne commune serait commune
à tous les États européens à l’exception de la Russie. Tout État pourrait demander à être
membre de l’OTAN, sauf la Russie. Les États-Unis continuaient de dire à la Russie que
rien de tout cela ne portait atteinte aux intérêts russes. La Russie a répondu, si, cela nuit
à nos intérêts.
À mon avis, cette interprétation des intentions russes et l’approche politique qui en
découle font preuve de sérieux problèmes. Tout d’abord, elles ne résistent pas bien à
l’examen critique. Deuxièmement, la conception à somme nulle de la relation entre les
États-Unis et la Russie suppose qu’une solution aux conflits d’intérêts, mutuellement
bénéfique, est pratiquement impossible.
Le régime de Poutine a été plus ferme, en particulier au cours des dernières années,
pour faire avancer les intérêts de la Russie que ne l’a été le régime d’Eltsine tout au long
des années 1990, mais il a hérité d’une relation avec l’Occident que ses prédécesseurs
considéraient également comme profondément imparfaite. En dépit de divergences
persistantes sur des questions telles que l’expansion de l’OTAN, les relations du
nouveau régime avec les États-Unis ont atteint un sommet après le 11 septembre,
lorsque Poutine semblait croire qu’une alliance russo-américaine contre le terrorisme
international pourrait être forgée. Les deux pays partageaient un intérêt. Ils étaient alors
et restent aujourd’hui les deux États développés non islamiques qui ont subi les plus
grandes pertes dues au terrorisme.
Cette alliance embryonnaire a été utile à Washington quand elle a envahi l’Afghanistan
et renversé le régime taliban. Elle a commencé à se défaire lorsque les États-Unis ont
envahi l’Irak pour retirer Saddam Hussein du pouvoir. Lorsque les États-Unis ont
transféré des systèmes anti-missiles balistiques en Europe de l’Est et dans l’OTAN et
que l’Union Européenne a développé des relations plus étroites avec la Géorgie et
l’Ukraine, le régime russe a réévalué fondamentalement sa relation avec l’Occident pour
faire respecter ses intérêts et ses inquiétudes.
Pendant deux siècles, l’un des deux intérêts fondamentaux de la Grande-Bretagne était
d’empêcher l’émergence d’une seule puissance dominante sur le continent européen. La
Grande-Bretagne a utilisé la diplomatie, le commerce et le pouvoir militaire sur le
continent pour poursuivre cet objectif. Ses intentions n’étaient pas prédatrices ; Elle
cherchait seulement à maintenir un équilibre des pouvoirs. La Doctrine Monroe était-elle
intrinsèquement prédatrice ? La plupart des Américains diraient probablement que non,
bien qu’il y ait probablement plusieurs États d’Amérique latine qui diraient, au minimum,
que les États-Unis ont parfois utilisé la doctrine pour justifier un comportement prédateur.
En Géorgie et en Ukraine, la Russie a utilisé des moyens appropriés pour atteindre des
objectifs limités au bénéfice de ses intérêts nationaux. Puisqu’il y en a beaucoup qui
trouveront tous les éléments de cette déclaration inacceptables, une clarification est
nécessaire. Tout d’abord, dire que les moyens sont appropriés à un objectif n’est pas un
jugement moral, mais plutôt une déclaration que les moyens étaient ciblés pour atteindre
l’objectif. Ils étaient nécessaires et suffisants, ni trop grands ni trop petits. Dans aucun
des deux cas l’objectif n’était d’occuper le pays ni de renverser le régime au pouvoir.
L’objectif était plutôt de forcer à une réévaluation, tant dans le pays concerné que parmi
les puissances occidentales, des coûts impliqués par la poursuite de cette politique
expansionniste. En reconnaissant l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie et en
annexant la Crimée, la Russie a imposé un coût immédiat aux pays concernés et a
également envoyé un message indiquant qu’il pourrait y avoir des coûts supplémentaires
si ses intérêts ne sont pas pris en compte.
C’est une politique internationale dure, et nous pouvons ne pas l’aimer ; Mais il manque
de preuves pour prétendre que les ambitions du régime de Poutine cherchent à recréer
l’Union soviétique. En fait, nos différends avec la Russie sur la Géorgie et l’Ukraine ne
sont pas fondamentaux. L’intérêt des Russes à ne pas voir ces deux pays dans l’OTAN
devrait être partagé par les États-Unis.
Il n’est pas dans l’intérêt des États-Unis de fournir à la Géorgie et à l’Ukraine le genre de
garanties de sécurité qu’implique l’adhésion à l’OTAN, et il est difficile de comprendre
pourquoi l’idée a même été prise en considération. Clairement, leur faire changer d’idée
fournira une incitation pour qu’ils établissent une relation mutuellement acceptable avec
leur voisin beaucoup plus grand. Les relations économiques entre l’Union européenne, la
Russie et les pays que la Russie appelle son «proche étranger» ne sont pas forcément à
somme nulle.
Il n’y a aucune raison fondamentale pour laquelle un arrangement bénéfique à tous les
côtés ne puisse être trouvé – ce qui ne veut pas dire que le trouver sera facile.
Le cas de la Syrie
Nous avons des intérêts communs avec la Russie sur les deux premiers de ces objectifs.
Sur le reste, notre attitude peut varier d’indifférent à opposé. Transformer ces intérêts
partagés en actions conjointes a été extraordinairement difficile car nous ne sommes pas
toujours d’accord sur les groupes terroristes et parce que les groupes terroristes et non
terroristes sont souvent entremêlés sur le terrain. De plus, le client russe – le régime
d’Assad – les considère tous comme des menaces à son pouvoir et, par conséquent, les
soumet tous à des attaques. Pour notre part, nous n’avons pas été en mesure de
convaincre les modérés (nos clients, aux yeux de la Russie) de se séparer
physiquement des terroristes parce que les modérés, les plus faibles militaires des
combattants, craignent qu’un tel mouvement les laisse plus vulnérables face aux
attaques du régime Assad et de la Russie.
Il n’y a qu’une seule issue à cette guerre civile syrienne qui menace les intérêts
nationaux vitaux des États-Unis : la victoire d’un régime de style taliban (ou pire). Sur ce
point, au moins, les États-Unis et la Russie peuvent être d’accord. Nous sommes dans
l’erreur si nous voyons la guerre là-bas comme un concours États-Unis–Russie à somme
nulle. La Russie n’est pas l’Union soviétique. Nous ne serons pas toujours d’accord sur
ce qui devrait être fait en Syrie, ou plus largement au Moyen-Orient. Mais le soutien de la
Russie aux négociations nucléaires avec l’Iran et son aide pour persuader le régime
d’Assad de se débarrasser des armes chimiques démontrent que nous pouvons y
coopérer, comme ailleurs, sur certaines questions difficiles.
Prospective
Militairement, la Russie est une puissance régionale importante et une superpuissance
nucléaire. Économiquement, elle est riche en matières premières et a considérablement
amélioré son secteur agricole, mais continue de lutter pour être compétitive sur le plan
international dans les secteurs de l’industrie et de l’information. Politiquement, elle est
régie par un régime semi-autoritaire qui correspond bien avec les traditions historiques
russes, mais beaucoup plus doux que la norme de l’ère soviétique et avec un niveau
substantiel de soutien populaire.
Contrairement à l’époque soviétique, les deux pays ne sont pas des opposants
idéologiques. Il y aura des domaines où nos intérêts entrent en conflit. Pour résoudre
ces conflits de manière constructive, il faudra que les deux pays comprennent les limites
de leurs intérêts.
Raymond Smith
Note du Saker Francophone
Vous aurez bien pris soin de noter que Mr Smith est dans le Système mais avec un regard plus objectif que ces
collègues ce qui fait l'intérêt de cet article.
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