Vous êtes sur la page 1sur 16

Décrypter la politique

européenne du Kremlin

par Françoise Thom


9 min de lecture 6 juillet 2021

RUBRIQUE
 opinion

L’article de Poutine publié dans Die Zeit le 22 juin marque le retour du


Kremlin à une politique européenne renouant avec celle menée depuis les
années Gorbatchev, après le paroxysme d’europhobie qui a suivi l’annexion de
la Crimée. Il s’agit d’une politique qui, sous des slogans lénifiants, cachait déjà
à cette époque une ambition de dominer le continent européen. Dans l’article
publié par Die Zeit, le président russe semble redécouvrir « la logique de la
construction d’une Grande Europe unie par des valeurs et des intérêts
communs ». Le comportement de Moscou ces dernières semaines révèle une
volonté de relancer énergiquement le projet européen, avec les mêmes velléités
de domination à l’échelle européenne. L’article de Sergueï Lavrov, ministre
des Affaires étrangères russe, publié le 28 juin, donne les clés de ce revirement.

« Les sommets du G7, de l’OTAN et de l’US-UE [de juin], ont marqué, selon leurs
participants, le retour des États-Unis en Europe et le rétablissement de la
consolidation du Vieux Monde sous l’aile de la nouvelle administration à
Washington. La majorité des membres de l’OTAN et de l’UE ont non seulement
accueilli ce virage avec soulagement, mais ils l’ont salué de commentaires
enthousiastes », écrit Lavrov. « Les capitales européennes, sensibles aux
dispositions du “grand frère”, ont immédiatement commencé à reprendre en chœur
les refrains entonnés à Washington. En bref : nous sommes prêts à normaliser les
relations avec Moscou, mais la Russie doit d’abord changer son comportement. »
L’Occident veut imposer ses règles à « d’autres civilisations, la Russie, la Chine, et
d’autres grandes puissances ». On remarquera que Lavrov, à la différence de
Poutine dans son article publié par Die Zeit, ne rattache pas la Russie à la
civilisation européenne : les destinataires de ces opus ne sont pas les mêmes —
Poutine s’adresse aux Allemands, Lavrov aux Turcs et aux Chinois. Face à la
politique « néocoloniale » des démocraties libérales qui s’attaquent au « code
génétique des grandes civilisations », Lavrov préconise « une réforme du Conseil
de sécurité de l’ONU, qui doit être renforcé au profit des pays d’Asie, d’Afrique et
d’Amérique latine, mettant fin à la surreprésentation anormale de l’Occident
collectif dans cet organe dirigeant des Nations unies » et il vante « l’initiative russe
de former un Grand partenariat eurasien faisant converger les efforts de tous les
pays et organisations du continent ».

On le voit, c’est la consolidation de « l’Occident collectif » sous Biden qui est dans
le collimateur du Kremlin. Cette perception explique les démarches entreprises par
Moscou ces dernières semaines. Il s’agit de contrer ce renouveau de la solidarité
transatlantique tant redouté au Kremlin. La rencontre de Poutine avec Biden répond
avant tout à cet objectif : le Kremlin veut inciter les Européens à douter de
l’engagement américain dans la sécurité européenne. En même temps, Moscou
relance sa politique européenne. Premier signal : l’encouragement à la cooptation
des élites dirigeantes européennes, le Kremlin récompensant royalement ceux qui
l’ont servi, comme François Fillon nommé au conseil d’administration d’un groupe
pétrolier public russe, Zaroubejneft, de même que l’ancienne ministre des Affaires
étrangères autrichienne Karin Kneissl, nommée en juin au CA du géant pétrolier
russe Rosneft, où l’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder est déjà présent
depuis plusieurs années.

Ce « retour à l’Europe » de la politique russe s’explique aussi par plusieurs facteurs


familiers de ceux qui connaissent l’histoire de l’URSS et de la Russie post-
communiste. Ils ont été formulés par Gorbatchev lors de la fameuse séance du
Politburo du 26 mars 1987, quand la construction de la « maison européenne
commune » fut promulguée « priorité absolue » de la politique étrangère de
l’URSS. Gorbatchev justifia ainsi ce tournant : « Il est essentiel d’utiliser le
potentiel scientifique et technique de l’Europe de l’Ouest […] Nous souhaitons
pousser les États-Unis hors de l’Europe […]. Prenons l’intégration européenne.
Quels en sont les aspects avantageux pour nous, et quels sont ceux qui nous posent
problème ? D’une part, notre capacité à faire pression sur les États-Unis s’en
trouve accrue ; de l’autre, la concentration militaire des Européens augmente.
Mitterrand m’a assuré que nous ne devions pas redouter cette concentration.
D’après lui, elle n’a pour but que de permettre aux Européens de se débarrasser de
la protection américaine ». (archives de la Fondation Gorbatchev).

Les mêmes considérations jouent aujourd’hui. Les hommes du Kremlin ont pris
conscience de l’impact des sanctions sur l’économie russe, et surtout sur les
secteurs importants à leurs yeux : l’extraction des matières premières et
l’armement. Tout naturellement ils se tournent vers l’Europe, l’Allemagne surtout.
D’où la réactivation du grand dessein poutinien, « l’Europe de Lisbonne à
Vladivostok », évoqué dans Die Zeit, consistant à « créer un espace commun de
coopération et de sécurité de l’Atlantique à l’océan Pacifique, qui comprendrait
divers formats d’intégration, dont l’Union européenne et l’Union économique
eurasienne ». Douguine en révélait les arrière-pensées dès 2013 : « Quand l’Europe
sera entrée dans notre Union eurasienne […] nous prendrons leurs technologies
d’un seul coup : plus besoin de gaz et de pétrole pour les obtenir au compte-
gouttes. Voilà la modernisation et l’européanisation de la Russie » (Newsland,
12/04/13. Interview d’A. Douguine sur tv.russia.ru).

La deuxième considération évoquée par Gorbatchev est également d’actualité


aujourd’hui. À travers les pays européens bien disposés à l’égard de Moscou, la
France et l’Allemagne surtout, la Russie peut faire pression sur les États-Unis et les
obliger à renoncer à des mesures anti-russes. On en a vu récemment un exemple
avec l’abandon par Washington des sanctions contre le Nordstream 2. L’article de
Poutine dans Die Zeit fait une grande place à l’Ukraine. Le président russe accuse à
l’accoutumée les Occidentaux d’avoir fomenté un coup d’État à Kiev. Il feint de
s’étonner que les Européens se soient associés aux manigances de Washington. Le
message aux Allemands est clair : si vous voulez que les affaires reprennent, vous
devez accepter l’hégémonie de Moscou sur l’espace ex-soviétique. Là encore rien
de nouveau. Dès 1997, on peut lire cette analyse dans la presse russe : « Le MAE
russe a raison de considérer que la pénétration économique de la plupart des pays
d’Europe centrale et orientale n’est possible qu’au moyen d’une alliance étroite
avec l’Allemagne » (N. Koutchine, Novoïe Vremia, n° 42, 26 octobre 1997).

En 2000, les dirigeants russes envisageaient ouvertement d’utiliser les Européens


de l’Ouest pour forcer les pays d’Europe centrale et orientale à déférer aux volontés
de Moscou : « La Russie préfère prendre toutes les décisions à Bruxelles et dans
les capitales ouest-européennes, dans la certitude que les partenaires européens
aînés pourront agir sur la Pologne. Il se peut que la position arrogante des
négociateurs russes soit payante et que les Polonais cèdent devant les pressions
conjointes des Russes et des Européens » (Strana.ru, 23/11/2000).

C’est seulement le rapport avec l’Europe intégrée qui va évoluer. Déjà en 2004
Sergueï Markov, un expert proche du Kremlin, constatait qu’il était souhaitable
pour Moscou d’avoir affaire « non à la bureaucratie européenne, mais aux
locomotives de l’intégration, surtout l’Allemagne et la France, de même que
l’Espagne, l’Italie et l’Angleterre » car « les bureaucrates européens considèrent la
Russie comme un problème et n’ont pas peur d’entrer en conflit avec elle »
(Sergueï Markov, Interfax, 24/02/04).

Aujourd’hui, après l’échec de Merkel et Macron lors du Conseil européen du 24


juin d’imposer aux autres pays européens un sommet entre l’UE et Poutine, le
Kremlin est obligé de se rendre compte que le fonctionnement démocratique de
l’UE, qu’il a maintes fois dénoncé comme une hypocrisie, existe bel et bien. La
Russie s’imaginait qu’il suffisait de mettre de son côté les poids lourds de l’Europe,
la France et l’Allemagne, et que ceux-ci, de manière bien poutinienne, sauraient
imposer leur volonté aux petits. Elle se rend compte de son erreur (« l’UE est ainsi
faite que la France et l’Allemagne ne peuvent pas décider pour tous », constate à
regret le politologue Vadim Troukhatchev) et cherche à y remédier. Là encore le
problème n’était pas nouveau. En 1992, les dirigeants russes se demandaient
comment neutraliser les conséquences de l’adhésion des pays de la CEI à la CSCE.
Appuyés par la France, ils préconisaient de créer un « Conseil de Sécurité de
l’Europe, qui n’accorderait le droit de veto qu’à un nombre d’États limité, et qui
permettrait la création de nouveaux mécanismes effectifs de réalisation des
décisions prises » (P. Gladkov [Institut des États-Unis et du Canada], Nouvelles de
Moscou, 5 avril 1992) : solution qui assurerait aux grands États européens le
monopole des décisions concernant la sécurité européenne. En juin 1994, Kozyrev,
le ministre des Affaires étrangères russes, revient à la charge, et propose de faire de
la CSCE la principale structure de sécurité en Europe en la dotant d’un comité
exécutif. À l’automne 1997, la Russie met en place une troïka Eltsine Kohl Chirac,
dans laquelle elle voit l’embryon d’un directoire franco-germano-russe à vocation
anti-américaine (« la première victoire presque inconditionnelle [de la Russie] en
politique étrangère » [N. Koutchine, Novoïe Vremia, n° 42, 26 octobre 1997] selon
la presse de l’époque). On voit avec quelle persévérance Moscou cherche à
institutionnaliser une structure grâce à laquelle il dominerait l’Europe en
s’appuyant sur des partenaires rendus complaisants par la vénalité, la dépendance
économique, l’antiaméricanisme doctrinaire et l’intimidation. Aujourd’hui la troïka
existe bel et bien : c’est principalement en raison des objections de l’Allemagne et
de la France que l’OTAN a annulé la réunion des commissions OTAN-Ukraine et
OTAN-Géorgie, qui était prévue pour le sommet de l’alliance le 14 juin 2021 à
Bruxelles, à la grande satisfaction de Moscou. Le 6 mai, le Conseil de l’Atlantique
Nord au niveau des ambassadeurs a décidé de ne pas inviter les pays partenaires à
participer au sommet. Kiev a vainement supplié l’OTAN de reconsidérer cette
décision. Inquiétant remake de la configuration d’avril 2008, lorsque, au sommet de
Bucarest, Moscou se servit de la France et de l’Allemagne pour bloquer le MAP, le
Membership Action Program, l’étape préalable de l’élargissement de l’OTAN à la
Géorgie et à l’Ukraine, ce qui permit à la Russie de lancer quatre mois plus tard une
offensive contre la Géorgie rebelle. Aujourd’hui, la Russie espère que la scission
entre les dirigeants des pays de l’UE lors du sommet européen des 24-25 juin
pourrait inciter à réformer le mécanisme de prise de décision dans le domaine de la
politique étrangère au sein de l’UE. Comme toujours, c’est la position française qui
semble la plus prometteuse. Commentant la conversation téléphonique entre
Macron et Poutine le 4 juillet, Elena Panina, la directrice du think tank Russtrat, note que
cet entretien entre les deux dirigeants s’était tenu une semaine après le sommet de
l’UE, et elle écrit : « Le président français a fait comprendre que lui n’avait pas
besoin d’un sommet de l’UE pour voir Poutine… Ainsi il a poliment laissé entendre
aux Polonais et aux Baltes qu’ils devaient choisir : soit l’UE parlera avec Moscou
d’une seule voix, soit les principaux pays européens commenceront à le faire de
manière indépendante et par leurs propres canaux, ignorant les sentiments et les
émotions des “dissidents”. L’essentiel ici est que les dirigeants de l’Union
européenne ont décidé d’intensifier le dialogue avec la Russie, sans se soucier de
l’opposition des “jeunes Européens” [les pays d’Europe centrale et orientale]. »

Plus que jamais le grand dessein européen de la Russie achoppe sur la résistance
des petites nations du continent attachées à leur liberté et c’est contre ce groupe des
« russophobes » de l’UE que le Kremlin va concentrer ses attaques, tout en
poursuivant son entreprise de noyautage des grands États européens.

Partager cet article

Précédent
La Russie de Poutine : une idéologie protéiforme
Suivant
Svetlana Gannouchkina : « Nous sommes des citoyens, pas des sujets de M.
Poutine »
Union européenne - Russie : quelles
relations ?
 

 Sommaire  
 Page précédente  |  
 Page suivante

III. VERS UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE ?


A. DEUX ACTEURS DIFFÉRENTS, DEUX VISIONS
DISTINCTES
1. Deux acteurs différents
a) La Russie : un État souverain
La Russie est avant tout un État souverain, soucieux de défendre ses intérêts nationaux
et qui n'hésite pas à adopter une attitude très dure, voire brutale, dans les relations
internationales.
La Russie est aussi un pays à la recherche de son identité. État successeur de l'URSS, la
Russie n'a jamais été dans l'histoire un État-Nation, mais un empire et elle n'a pas encore
réussi à faire le deuil de la perte de son « étranger proche », pour reprendre la terminologie
employée à Moscou. Le rapprochement avec les pays de la Communauté des États
indépendants (CEI), c'est-à-dire les États issus de l'ex-URSS à l'exception des trois pays
baltes, figure d'ailleurs au premier rang des priorités de la politique étrangère russe, devant le
renforcement des relations avec l'Union européenne.
La Russie souhaite-t-elle se rapprocher de l'Europe ou bien constituer un ensemble
eurasiatique ? Personne ne le sait vraiment. Depuis le XIXe siècle, la Russie reste partagée
entre des courants slavophile et occidentaliste.
Pour Georges Sokoloff (9(*)), l'auteur de « La puissance pauvre », entre la prospérité
économique et la puissance, la Russie a toujours fait le choix de la puissance.
b) L'Union européenne : un système original...
L'Union européenne n'est pas un partenaire évident pour la Russie. Comme l'a observé
Marie Mendras, chercheur spécialisé sur la Russie au CNRS et au Centre d'études sur les
relations internationales : « L'Union européenne représente le type même d'institution que les
Russes ont beaucoup de mal à comprendre : une Union à vingt-sept pays reposant sur de
larges abandons de souveraineté, fondée sur l'égalité entre les États membres et avec des
mécanismes complexes de décisions ».
De plus, alors que la Russie privilégie souvent les rapports de force, l'Union européenne
fonctionne selon un schéma opposé, puisqu'elle repose sur le consensus et le compromis.
Par ailleurs, depuis l'échec des référendums français et néerlandais sur le traité
constitutionnel, l'Union européenne traverse une crise. Or, cette phase d'introspection ne
facilite pas la réflexion vis-à-vis de l'extérieur.
c) ... qui ne parle pas d'une seule voix
? Au sein de la Commission européenne, il apparaît un manque de coordination entre les
nombreuses directions générales impliquées dans les négociations avec la Russie, ainsi
qu'une insuffisante prise en compte des intérêts des États membres.
Ainsi, entre la direction générale chargée de la concurrence et celle chargée de l'énergie, on
constate des divergences sur les relations entre l'Union européenne et la Russie dans le
domaine de l'énergie.
Par ailleurs, de l'avis des observateurs, l'accord bilatéral entre la Communauté et la Russie sur
l'accession de cette dernière à l'OMC, négocié par la direction générale du commerce,
constitue un « mauvais accord » pour la partie européenne.
De même, lors de la négociation de l'accord de réadmission, la Commission européenne n'a
pas tenu compte des préoccupations de plusieurs États membres, comme la France,
concernant les délais de réponse à une demande de réadmission d'un étranger en situation
irrégulière. En effet, l'accord négocié par la Commission envisage un délai maximal de
soixante jours, alors que la législation française prévoit un délai maximal de trente-deux jours
de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière. De ce fait, cet accord aurait
été largement inapplicable en France. Or, malgré les demandes répétées des autorités
françaises, la Commission a refusé de modifier sa position sur ce point. La France a donc dû
négocier directement avec la partie russe un protocole bilatéral prévoyant un délai plus court.
La coordination au sein de la Commission européenne en ce qui concerne les relations avec la
Russie devrait, en principe, être assurée par le Commissaire européen chargé des relations
extérieures. On peut toutefois s'interroger sur la réalité d'une telle coordination.
? Il existe des divergences de vues entre la Commission européenne et le Secrétariat
général du Conseil, placé sous l'autorité du Haut représentant pour la PESC.
Il est vrai que le système institutionnel de l'Union européenne est complexe et que, face à la
délégation russe, les interlocuteurs européens sont nombreux : la Commission européenne, le
Conseil, le Haut Représentant pour la PESC, la présidence changeante tous les six mois, etc.
À cet égard, le mécanisme de la « troïka » paraît insuffisant pour que l'Union européenne
parle d'une seule voix. De ce point de vue, la création d'un ministre des affaires étrangères de
l'Union, qui était prévue par le traité constitutionnel, aurait représenté une réelle avancée. On
aurait pu envisager également de désigner un représentant spécial de l'Union européenne
chargé de la Russie. Toutefois, comme me l'a affirmé un diplomate « ce Monsieur Russie
serait un personnage trop puissant aux yeux des capitales des États membres ».
Enfin, le Parlement européen adopte souvent des positions très critiques et purement
déclaratoires vis-à-vis de la Russie, notamment sur la question des droits de l'homme, alors
que la Commission européenne et le Conseil ont une position plus nuancée. Les réactions
contrastées face à la répression de la manifestation organisée par l'opposition à Moscou et à
Saint-Pétersbourg en avril dernier en ont offert l'illustration.
? Entre les États membres de l'Union européenne, on constate un fort clivage en ce qui
concerne les relations avec la Russie.
À vingt-sept États membres, l'Union européenne peine à définir une approche commune.
Ainsi, pour le directeur de la coopération européenne au ministère français des Affaires
étrangères, « la Russie constitue même le dossier qui divise peut être le plus les États
membres aujourd'hui ».
Certains pays, comme l'Allemagne, la France ou l'Italie, sont très attachés à un renforcement
des relations avec la Russie. On trouve également dans ce groupe un pays comme la Finlande,
qui est frontalier de la Russie et qui entretient des relations économiques étroites avec son
voisin.
À l'opposé, plusieurs États membres, comme la Pologne, la République tchèque ou les pays
baltes, sont, en raison de leur passé, plus méfiants à l'égard de la Russie.
Enfin, d'autres pays, comme le Royaume-Uni par exemple, se situent dans une position
intermédiaire.
La convergence de vues entre Paris, Berlin et Moscou au sujet de l'intervention militaire en
Irak a ainsi avivé les divisions au sein de l'Union européenne. On pourrait également
mentionner le projet de gazoduc entre l'Allemagne et la Russie, qui a suscité de vives critiques
en Pologne.
Ce clivage ne recoupe toutefois pas exactement la distinction entre « anciens » et « 
nouveaux » États membres. En effet, certains « anciens » pays membres, comme la Suède,
sont réservés à l'égard de la Russie et expriment notamment de fortes préoccupations
concernant la démocratie et les droits de l'homme, alors que des « nouveaux » pays membres,
comme la Bulgarie par exemple, entretiennent des relations cordiales avec la Russie.
La Russie a très bien compris tout le parti qu'elle pouvait tirer de ces divisions entre les
États membres.
Elle a donc tendance à privilégier les relations bilatérales avec les « grands pays », en
particulier avec l'Allemagne, la France et l'Italie, et à jouer sur les divisions des États
membres.
À cet égard, comme j'ai pu moi-même le constater, tant à Berlin qu'à Moscou, la relation entre
l'Allemagne et la Russie présente une importance particulière.

La relation entre l'Allemagne et la Russie


Héritée de l'Ostpolitik, lancée par le chancelier Willy Brandt en direction de l'URSS, la
politique étrangère allemande à l'égard de la Russie s'est toujours caractérisée par une grande
proximité (1).
L'Allemagne est, en effet, le premier partenaire commercial de la Russie avec lequel elle
réalise 30 % de ses échanges. La Russie est aussi le principal fournisseur d'énergie de
l'Allemagne et les entreprises allemandes sont fortement présentes en Russie. Il existe donc des
intérêts économiques importants qui exercent une influence sur la politique étrangère
allemande. En outre, on peut se demander si la position du gouvernement allemand vis-à-vis de
Moscou ne s'explique pas aussi par une forme de dette qui trouverait son origine dans l'attitude
de la Russie lors de la réunification allemande.
Ces relations étroites ont connu leur apogée avec les liens d'amitié entre le Président Vladimir
Poutine et l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder et le projet de gazoduc germano-
russe.
Au-delà d'un changement de discours, on constate néanmoins une grande continuité entre la
politique vis-à-vis de la Russie menée par la chancelière allemande Angela Merkel et celle de
son prédécesseur. L'Allemagne a ainsi fait du renforcement des relations entre l'Union
européenne et la Russie l'une des priorités de sa présidence de l'Union européenne.
(1) Voir sur ce point l'article d'Alexander Rahr, « Russie-Allemagne : la relation spéciale et la
présidence de l'Union européenne », Politique étrangère, 1, 2007, IFRI, p. 109 à 122.

Bien qu'elle n'occupe que le deuxième rang derrière l'Allemagne, la France jouit également
d'une bonne image en Russie, en raison notamment des relations anciennes d'amitié et de la
convergence de vues, notamment sur la conception d'un « monde multipolaire ».
Toutefois, comme le souligne un expert, la politique de la France à l'égard de la Russie n'a pas
rempli tous les espoirs qui étaient placés en elle (10(*)).
Face à la Russie, il est donc indispensable que l'Union européenne parle d'une seule voix.
C'est d'autant plus nécessaire dans les domaines où les États membres ont transféré une partie
de leur compétence à l'Union européenne. Les représentants de la Commission européenne
rencontrés à Bruxelles ont cité à cet égard l'exemple de la menace russe de mettre en place un
embargo généralisé sur les importations de viande en provenance de l'Union européenne.

La menace russe d'un embargo généralisé sur les importations de viande


en provenance de l'Union européenne
Lors de l'élargissement de l'Union européenne à la Roumanie et à la Bulgarie, le 1er janvier
2007, la Russie a menacé d'imposer un embargo généralisé sur la viande en provenance de
l'Union européenne. Elle a fait valoir des préoccupations au niveau des normes vétérinaires et
phytosanitaires, concernant notamment la présence de salmonelle et la peste porcine.
Face à cette menace, plusieurs États membres, dont la France, ont entamé des négociations
bilatérales avec la partie russe et étaient proches de parvenir à un accord bilatéral sur ce sujet.
Toutefois, étant donné que cette question relève de la compétence exclusive de la
Communauté, la Commission européenne a contesté le droit des États membres de négocier de
manière bilatérale avec la Russie.
La Commission européenne a donc repris en main les négociations sur ce dossier et elle est
parvenue, grâce à un front uni, à éviter la mise en place d'un embargo russe généralisé. En
revanche, la Russie a maintenu son embargo sur la viande en provenance du territoire polonais.

Face à un joueur comme la Russie qui maîtrise l'ensemble des pièces sur l'échiquier des
négociations, les Européens, qui déplacent chacun leur pièce en ordre dispersé, ne
peuvent espérer l'emporter. Il serait plus efficace que les négociateurs européens aient
toutes les cartes en main.
S'il est évidemment souhaitable d'adopter une approche commune vis-à-vis de la Russie,
cela ne veut pas dire pour autant que, sur certains sujets, les États membres ne
devraient pas chercher à développer des relations plus approfondies avec la Russie.
Cela concerne en particulier la politique étrangère, qui relève du domaine
intergouvernemental et où les États membres conservent donc toute leur place. Sur plusieurs
sujets de politique internationale, il existe d'ailleurs des groupes spécifiques, composés de
certains pays membres et de la Russie, comme le « groupe de contact » sur les Balkans
occidentaux ou le « Quartet » sur le Proche-Orient. On pourrait également citer le dossier du
nucléaire iranien, où la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni mènent une concertation
étroite avec la Russie.
Avec la dimension septentrionale, l'Union européenne a d'ailleurs reconnu l'intérêt d'une
certaine « géométrie variable » dans les relations avec la Russie.

La « dimension septentrionale » de l'Union européenne


La dimension septentrionale est un aspect de la politique extérieure de l'Union européenne,
qui a pour objet de définir un cadre pour les relations antre les États membres de l'Union
européenne et les États voisins au Nord de l'Europe (la Norvège, l'Islande et la Russie).
Il s'agit d'une politique récente, puisqu'elle a été lancée, à l'initiative de la Finlande, lors du
Conseil européen d'Helsinki en décembre 1999, afin de promouvoir un dialogue et une
coopération concrète dans une aire géographique précise. Cette aire englobe la zone qui s'étend
de l'Islande jusqu'à la Russie du Nord-Ouest et des mers de Norvège, de Barents et de Kara au
Nord, jusqu'à la côte méridionale de la Mer Baltique. Une attention particulière est accordée
aux pays bordant la Mer Baltique et à la région Nord-Ouest de la Russie, y compris
Kaliningrad. La population de la région est d'environ 140 millions d'habitants. Les régions
septentrionales de l'Europe présentent des caractéristiques particulières tenant à leur climat, à
leurs ressources, à leur configuration industrielle spécifique et à leurs besoins démographiques,
qui motivent une coopération régionale particulière.
En 1999, le Conseil a confié à la Commission européenne le soin d'élaborer des plans
d'actions (2000-2003 puis 2004-2006) pour mettre en oeuvre la dimension septentrionale.
Le 21 novembre 2005, les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne, de la
Fédération de Russie, de la Norvège et de l'Islande, ont décidé que la politique relative à la
dimension septentrionale serait l'expression régionale, pour le nord de l'Europe, des
quatre « espaces communs » qui ont été adoptés lors du Sommet UE-Russie du mois de
mai 2005. Parallèlement, la dimension septentrionale conserverait ses caractéristiques propres,
notamment en ce qui concerne la participation de la Norvège et de l'Islande, de même que ses
objectifs qui présentent un intérêt particulier pour les régions du nord, notamment en ce qui
concerne la fragilité de l'environnement, les questions liées aux populations autochtones, la
santé et le bien-être social, etc. La dimension septentrionale sera de plus en plus axée sur le
nord-ouest de la Russie et sur les problèmes particuliers que connaît cette région, qui ont aussi
une incidence sur les autres parties.
On peut relever également la participation à la « dimension septentrionale » de nombreuses
organisations régionales (Conseil de l'Arctique, Conseil euro-arctique de la mer de Barents,
Conseil des États de la mer Baltique et Conseil des ministres des pays nordiques), ainsi que des
institutions financières internationales.
Ne disposant ni d'objectifs clairement définis, ni de financement propre, et suscitant la
méfiance de la Russie (la dimension septentrionale étant vue comme une politique
néocoloniale déguisée afin de s'approprier les ressources fossiles du Nord russe et une tentative
de soutenir les aspirations sécessionnistes des régions frontalières russes), la dimension
septentrionale a toutefois montré ses limites.

* (9) Georges Sokoloff, « La puissance pauvre : une histoire de la Russie de 1815 à nos
jours », Fayard 1993.
* (10) Thomas Gomart, « La politique russe de la France : fin de cycle ». Politique étrangère,
1-2007.

Comprendre la politique étrangère de la Russie


contemporaine.
Publié le décembre 21, 2016 par Wayan

La relation États-Unis Russie est au plus bas, avec des


réflexions récurrentes sur une nouvelle Guerre froide.
Heureusement, analyser le conflit en terme d’intérêt national
permet de trouver une voie de sortie.

Par Raymond Smith – Décembre 2016 – American Foreign Service association

Je suppose que nous sommes tous d’accord pour dire que chaque pays a ses
propres intérêts nationaux, qui sont parfois en conflit avec les intérêts nationaux
d’autres pays. Le conflit n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Les
conflits résolus de manière satisfaisante peuvent améliorer les relations, créer des
attentes quant à la résolution des conflits futurs et réduire la probabilité que les
pays envisagent de recourir à la violence. La principale responsabilité des
diplomates est de faire progresser les intérêts de leur propre pays. Ce faisant, ils
sont dans une position unique pour contribuer à la résolution satisfaisante des
conflits en aidant leurs dirigeants à comprendre comment l’autre pays perçoit ses
intérêts.

La vision de ses intérêts par la Russie a changé de façon fondamentale au cours du


quart de siècle qui nous sépare de la dissolution de l’Union soviétique. Une grande partie
de ce changement se serait, à mon avis, réalisé de manière identique, que Vladimir
Poutine ait succédé à Boris Eltsine ou pas. La Russie qui a émergé de la fin de la Guerre
froide et de l’effondrement de l’Union soviétique avait l’intention de devenir un partenaire
du monde occidental et était extrêmement optimiste sur ce que cela pouvait vouloir dire.

Boris Eltsine, son président, avait jalonné son avenir politique en détruisant à la fois le
Parti communiste et le système soviétique dans lequel il était intégré. Son ministre des
Affaires étrangères, Andreï Kozyrev, était aussi intellectuellement pro-occidental que
n’importe qui dans sa position tout au long de l’histoire russe. Ils ont hérité du projet de
politique étrangère de Mikhaïl Gorbatchev – une Maison européenne commune –, qu’ils
avaient l’intention de mettre en œuvre et d’étendre.

Le peuple russe, étourdi par l’effondrement du régime corrompu et oppressif sous lequel
il travaillait depuis des générations, avait soif d’une relation normale avec le reste du
monde et pensait que le résultat en serait une amélioration rapide et importante de son
niveau de vie.

En 1992, j’ai écrit que ces attentes ne pourraient pas être satisfaites et qu’une période
de désillusion suivrait inévitablement. Le défi politique, à la fois pour l’Occident et pour la
Russie, était de gérer cette période de désillusion afin qu’elle aboutisse à une relation
plus mûre et plus stable, et diminue la probabilité d’un virage russe vers l’autarcie et
l’hostilité. Un quart de siècle plus tard, il est clair que cette relation n’a pas été bien
gérée. L’Occident – et en particulier les États-Unis – en porte au moins autant la
responsabilité que la Russie.

Des temps troublés


Les années 1990 ont été une décennie chaotique dans l’histoire économique et sociale
de la Russie, une nouvelle «période de troubles». Alors que l’Occident voyait la Russie
des années Eltsine comme une société démocratique et axée sur le marché, les Russes
ont vu la criminalité, le désordre, la pauvreté et l’émergence d’une nouvelle classe
corrompue et astronomiquement riche d’oligarques. Si c’est ce que signifiaient le
capitalisme et la démocratie, ils n’aimaient pas du tout. Sur le plan international, les
dirigeants russes ont vu l’expansion de l’OTAN vers l’Est comme une trahison et une
menace potentielle. Bien avant 1998, Eltsine était discrédité et Kozyrev avait disparu,
remplacé par un ministre des Affaires étrangères ayant une vue beaucoup plus
traditionnelle des intérêts russes.

En 1998, lorsque Poutine a remplacé Eltsine, la relation entre les États-Unis et la Russie
s’était déjà détériorée, sous le coup de l’expansion de l’OTAN, ainsi qu’à cause de
différends au sujet des guerres civiles qui ont provoqué la dissolution de la Yougoslavie.
Les Russes ont perçu dans ces derniers développements une tentative, de la part des
États-Unis, d’établir un système international dominé par eux seuls et dans lequel la
Russie n’aurait aucun rôle significatif. La Maison européenne commune serait commune
à tous les États européens à l’exception de la Russie. Tout État pourrait demander à être
membre de l’OTAN, sauf la Russie. Les États-Unis continuaient de dire à la Russie que
rien de tout cela ne portait atteinte aux intérêts russes. La Russie a répondu, si, cela nuit
à nos intérêts.

Au tournant du siècle, quels étaient ces intérêts ? Le comportement international de la


Russie et les déclarations de son leadership me suggèrent ce qui suit : premièrement, ne
pas avoir une alliance militaire potentiellement hostile à ses frontières ; deuxièmement,
ne pas être isolé, politiquement et économiquement, des institutions européennes les
plus importantes ; troisièmement, pouvoir donner son opinion sur les développements
importants concernant la région, et en particulier sur l’orientation des pays nouvellement
indépendants qui faisaient partie de son empire.

Si les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France défendaient de tels intérêts, il est peu


probable qu’ils seraient considérés comme intrinsèquement prédateurs. Faut-il en
conclure que, dans les mains russes, de tels intérêts sont prédateurs parce que la
Russie elle-même est intrinsèquement prédatrice ? Une revendication comme celle-ci ne
peut résister à un examen minutieux. C’est phobique. Ce n’est pas très intelligent.
Historiquement, le traitement des régimes comme intrinsèquement prédateurs (par
exemple, les régimes de Napoléon, Hitler et Mussolini) a été plus susceptible de produire
une stabilité que de traiter les pays comme intrinsèquement prédateurs (par exemple,
l’Allemagne après la Première Guerre mondiale).

Interpréter les intérêts nationaux


Est-il alors approprié de considérer le régime de Poutine comme intrinsèquement
prédateur ? Un certain nombre d’analystes en politique étrangère qui ne sont pas
russophobes, ou ne veulent pas être considérés comme tels, ne relient pas le problème
au pays, mais au régime qui le régit. Les partisans de la thèse prédatrice du régime de
Poutine soulignent les invasions de la Géorgie et de la Crimée par les Russes, leur
soutien aux séparatistes d’Ukraine orientale et son soutien au régime Assad en Syrie
comme preuves d’une intention de recréer, autant que possible, la géographie et
l’influence internationale de l’Union soviétique. Leur conseil politique aux États-Unis est
de contenir cet expansionnisme en remplaçant l’influence ou la présence russe par une
influence ou une présence américaine.

À mon avis, cette interprétation des intentions russes et l’approche politique qui en
découle font preuve de sérieux problèmes. Tout d’abord, elles ne résistent pas bien à
l’examen critique. Deuxièmement, la conception à somme nulle de la relation entre les
États-Unis et la Russie suppose qu’une solution aux conflits d’intérêts, mutuellement
bénéfique, est pratiquement impossible.

Le régime de Poutine a été plus ferme, en particulier au cours des dernières années,
pour faire avancer les intérêts de la Russie que ne l’a été le régime d’Eltsine tout au long
des années 1990, mais il a hérité d’une relation avec l’Occident que ses prédécesseurs
considéraient également comme profondément imparfaite. En dépit de divergences
persistantes sur des questions telles que l’expansion de l’OTAN, les relations du
nouveau régime avec les États-Unis ont atteint un sommet après le 11 septembre,
lorsque Poutine semblait croire qu’une alliance russo-américaine contre le terrorisme
international pourrait être forgée. Les deux pays partageaient un intérêt. Ils étaient alors
et restent aujourd’hui les deux États développés non islamiques qui ont subi les plus
grandes pertes dues au terrorisme.

Cette alliance embryonnaire a été utile à Washington quand elle a envahi l’Afghanistan
et renversé le régime taliban. Elle a commencé à se défaire lorsque les États-Unis ont
envahi l’Irak pour retirer Saddam Hussein du pouvoir. Lorsque les États-Unis ont
transféré des systèmes anti-missiles balistiques en Europe de l’Est et dans l’OTAN et
que l’Union Européenne a développé des relations plus étroites avec la Géorgie et
l’Ukraine, le régime russe a réévalué fondamentalement sa relation avec l’Occident pour
faire respecter ses intérêts et ses inquiétudes.

La dure réalité de la politique internationale


En ce qui concerne la Géorgie et l’Ukraine, le régime de Poutine n’a pas caché son point
de vue selon lequel il est de l’intérêt fondamental de la Russie que ces pays ne
deviennent membres de l’OTAN que dans des conditions acceptables pour la Russie.
Affirmer que la Russie n’a pas droit à de tels intérêts n’est pas pertinent. Essayer de dire
aux autres pays quels sont leurs intérêts fondamentaux est généralement un exercice
futile. Faire valoir que l’affirmation de ces intérêts est une preuve évidente de l’intention
prédatrice est historiquement douteuse.

Pendant deux siècles, l’un des deux intérêts fondamentaux de la Grande-Bretagne était
d’empêcher l’émergence d’une seule puissance dominante sur le continent européen. La
Grande-Bretagne a utilisé la diplomatie, le commerce et le pouvoir militaire sur le
continent pour poursuivre cet objectif. Ses intentions n’étaient pas prédatrices ; Elle
cherchait seulement à maintenir un équilibre des pouvoirs. La Doctrine Monroe était-elle
intrinsèquement prédatrice ? La plupart des Américains diraient probablement que non,
bien qu’il y ait probablement plusieurs États d’Amérique latine qui diraient, au minimum,
que les États-Unis ont parfois utilisé la doctrine pour justifier un comportement prédateur.

En Géorgie et en Ukraine, la Russie a utilisé des moyens appropriés pour atteindre des
objectifs limités au bénéfice de ses intérêts nationaux. Puisqu’il y en a beaucoup qui
trouveront tous les éléments de cette déclaration inacceptables, une clarification est
nécessaire. Tout d’abord, dire que les moyens sont appropriés à un objectif n’est pas un
jugement moral, mais plutôt une déclaration que les moyens étaient ciblés pour atteindre
l’objectif. Ils étaient nécessaires et suffisants, ni trop grands ni trop petits. Dans aucun
des deux cas l’objectif n’était d’occuper le pays ni de renverser le régime au pouvoir.

L’objectif était plutôt de forcer à une réévaluation, tant dans le pays concerné que parmi
les puissances occidentales, des coûts impliqués par la poursuite de cette politique
expansionniste. En reconnaissant l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie et en
annexant la Crimée, la Russie a imposé un coût immédiat aux pays concernés et a
également envoyé un message indiquant qu’il pourrait y avoir des coûts supplémentaires
si ses intérêts ne sont pas pris en compte.

C’est une politique internationale dure, et nous pouvons ne pas l’aimer ; Mais il manque
de preuves pour prétendre que les ambitions du régime de Poutine cherchent à recréer
l’Union soviétique. En fait, nos différends avec la Russie sur la Géorgie et l’Ukraine ne
sont pas fondamentaux. L’intérêt des Russes à ne pas voir ces deux pays dans l’OTAN
devrait être partagé par les États-Unis.

Il n’est pas dans l’intérêt des États-Unis de fournir à la Géorgie et à l’Ukraine le genre de
garanties de sécurité qu’implique l’adhésion à l’OTAN, et il est difficile de comprendre
pourquoi l’idée a même été prise en considération. Clairement, leur faire changer d’idée
fournira une incitation pour qu’ils établissent une relation mutuellement acceptable avec
leur voisin beaucoup plus grand. Les relations économiques entre l’Union européenne, la
Russie et les pays que la Russie appelle son «proche étranger» ne sont pas forcément à
somme nulle.

Il n’y a aucune raison fondamentale pour laquelle un arrangement bénéfique à tous les
côtés ne puisse être trouvé – ce qui ne veut pas dire que le trouver sera facile.

Le cas de la Syrie

Au moment de la rédaction du présent article, le cessez-le-feu de septembre, dans la


guerre civile syrienne, n’a pas tenu, entraînant des attaques cruelles contre des convois
d’aide, des civils et des installations médicales à Alep. Ces attaques se sont produites
avec, au minimum, l’assentiment et l’assistance de la Russie, et peut-être avec sa
participation directe. Y a-t-il une base pour trouver un terrain d’entente sur cette guerre
civile?
Il me semble que l’intervention de la Russie en Syrie a servi un certain nombre de ses
objectifs de politique étrangère  : 1) attaquer des groupes terroristes islamiques où ils
vivent plutôt que d’attendre qu’ils attaquent la Russie ; 2) éviter la prise de contrôle de la
Syrie par un groupe terroriste qui, selon elle, serait le résultat le plus probable du
renversement violent du régime d’Assad ; 3) soutenir un régime qui lui a permis une
présence militaire ; 4) soutenir le principe selon lequel les régimes au pouvoir ne
devraient pas être renversés par des forces extérieures ; 5) élargir son rôle au Moyen-
Orient ; et 6) contester l’unilatéralisme des États-Unis dans le système international.

Nous avons des intérêts communs avec la Russie sur les deux premiers de ces objectifs.
Sur le reste, notre attitude peut varier d’indifférent à opposé. Transformer ces intérêts
partagés en actions conjointes a été extraordinairement difficile car nous ne sommes pas
toujours d’accord sur les groupes terroristes et parce que les groupes terroristes et non
terroristes sont souvent entremêlés sur le terrain. De plus, le client russe – le régime
d’Assad – les considère tous comme des menaces à son pouvoir et, par conséquent, les
soumet tous à des attaques. Pour notre part, nous n’avons pas été en mesure de
convaincre les modérés (nos clients, aux yeux de la Russie) de se séparer
physiquement des terroristes parce que les modérés, les plus faibles militaires des
combattants, craignent qu’un tel mouvement les laisse plus vulnérables face aux
attaques du régime Assad et de la Russie.

Il n’y a qu’une seule issue à cette guerre civile syrienne qui menace les intérêts
nationaux vitaux des États-Unis : la victoire d’un régime de style taliban (ou pire). Sur ce
point, au moins, les États-Unis et la Russie peuvent être d’accord. Nous sommes dans
l’erreur si nous voyons la guerre là-bas comme un concours États-Unis–Russie à somme
nulle. La Russie n’est pas l’Union soviétique. Nous ne serons pas toujours d’accord sur
ce qui devrait être fait en Syrie, ou plus largement au Moyen-Orient. Mais le soutien de la
Russie aux négociations nucléaires avec l’Iran et son aide pour persuader le régime
d’Assad de se débarrasser des armes chimiques démontrent que nous pouvons y
coopérer, comme ailleurs, sur certaines questions difficiles.

Prospective
Militairement, la Russie est une puissance régionale importante et une superpuissance
nucléaire. Économiquement, elle est riche en matières premières et a considérablement
amélioré son secteur agricole, mais continue de lutter pour être compétitive sur le plan
international dans les secteurs de l’industrie et de l’information. Politiquement, elle est
régie par un régime semi-autoritaire qui correspond bien avec les traditions historiques
russes, mais beaucoup plus doux que la norme de l’ère soviétique et avec un niveau
substantiel de soutien populaire.

Le régime de Poutine continuera d’être ferme dans la poursuite de ses intérêts


internationaux, croyant que l’alternative est que ses intérêts seront ignorés. Pourtant,
une relation normale avec la Russie sous le régime de Poutine est possible.

Contrairement à l’époque soviétique, les deux pays ne sont pas des opposants
idéologiques. Il y aura des domaines où nos intérêts entrent en conflit. Pour résoudre
ces conflits de manière constructive, il faudra que les deux pays comprennent les limites
de leurs intérêts.

Raymond Smith
Note du Saker Francophone

Vous aurez bien pris soin de noter que Mr Smith est dans le Système mais avec un regard plus objectif que ces
collègues ce qui fait l'intérêt de cet article.

Traduit par Wayan, relu par Cath pour le Saker Francophone

6 515

Vous aimerez peut-être aussi