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Ce matériau, aux propriétés si nombreuses qu’il a été adopté dans le monde entier,
conditionne depuis près d’un demi-siècle les usages et techniques de construction
en France : les maçons, les compagnons des entreprises du bâtiment ou les
entreprises de génie civil en ont développé un savoir-faire reconnu bien au-delà de
l’Hexagone.
1
Selon l’édition 2018 du Global Cement Report [1], 4,1 Gt de ciment ont été consommées en 2018, ce qui permet de
produire environ 15 Gm3 de béton (y compris béton et mortier faits sur chantier) – environ 35 Gt à une densité de 2,4.
La production d’acier en 2018 atteignait 1,8 Gt (IEA), celle de pétrole autour de 100 millions de barils/jour (IEA) soit 5,8
Gm3.
Le bilan des dernières décennies est paradoxal pour la filière française : alors que ses
bétons ont fait l’objet d’améliorations techniques et d’inventivité sur de nombreux
plans, la production de ciment français — et donc de béton — n’a fait que des progrès
modestes ces 20 dernières années (Figure 2). Face au défi majeur du CO2, donc, il
semble que les cimentiers n’aient pas encore suffisamment engagé les
transformations nécessaires, temporisant la mise en place de stratégies de
décarbonation d’envergure et laissant inexploitées des marges de manœuvre
technologiques considérables : la plupart des leviers existent déjà, mais sans les
conditions de leur mise en œuvre.
À quelle vitesse la filière peut-elle se décarboner pour faire sa part ? Est-elle menacée
par des solutions alternatives comme le bois ? Est-ce compatible avec les
technologies existantes ? Est-ce compatible avec les besoins en logements neufs de
notre population ?
Répondre à ces questions est indispensable si la filière ciment veut être en mesure
de prévoir les évolutions d’envergure qu’elle doit lancer pour s’adapter aux
changements de contexte physique et économique mondial déjà initiés.
Les 500 000 € collectés en 2020 grâce à près de 4 000 donatrices et donateurs (que
nous remercions !), ont permis de réaliser de premières publications en 2020, et de
lancer les travaux sectoriels début 2021. Pour aller plus loin, le Shift Project a lancé fin
avril 2021 un « Appel à contribution » destiné aux entreprises, pour financer et nourrir le
PTEF. En parallèle, la consultation « Big Review » lancée en octobre 2020 par les Shifters
s’est poursuivie jusqu’à l’été 2021.
En 2020, tous les travaux sectoriels et transversaux ont été menés de front (voir la
synthèse). En 2021, les travaux de recherche continuent, cette fois secteur par
secteur, en consultant et en mobilisant le plus grand nombre d'acteurs possible.
Nous avons publié en avance de phase un premier rapport sur l'aérien, qui tient une
place à part dans le PTEF du fait de l'urgence de la situation du secteur : « Pouvoir voler
en 2050 ». Après la publication de nombreux rapports sectoriels (sur l’administration
publique, l’automobile, la santé, la culture, l’emploi), nous sommes heureux de vous
présenter ce nouveau rapport final publié dans le cadre du PTEF.
Le Shift Project est un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la
contrainte carbone. Association loi 1901 reconnue d’intérêt général et guidée par
l’exigence de la rigueur scientifique, sa mission est d’éclairer et d’influencer le débat
sur la transition énergétique et climatique en Europe.
Le Shift Project constitue des groupes de travail autour des enjeux les plus décisifs de
la transition, produit des analyses robustes et chiffrées sur ces enjeux et nous élabore
des propositions rigoureuses et innovantes. Il mène des campagnes d’influence pour
promouvoir les recommandations de ses groupes de travail auprès des décideurs
politiques et économiques. Il organise également des événements qui favorisent les
discussions entre parties prenantes et bâtit des partenariats avec des organisations
professionnelles et académiques, en France et à l’étranger.
L’ambition du Shift Project est de mobiliser les entreprises, les pouvoirs publics et les
corps intermédiaires sur les risques, mais aussi et surtout sur les opportunités
engendrées par la « double contrainte carbone » que représentent ensemble les
tensions sur l’approvisionnement énergétique et le changement climatique. Sa
démarche est marquée par un prisme d’analyse particulier, fondé sur la conviction
que l’énergie est un facteur de développement de premier ordre : dès lors, les risques
induits par le changement climatique, intimement liés à l’usage de l’énergie, relèvent
d’une complexité systémique et transdisciplinaire particulière. Les enjeux climat-
énergie conditionnent l’avenir de l’humanité, il est donc nécessaire d’intégrer cette
dimension le plus rapidement possible à notre modèle de société.
Ce rapport est le fruit d’un travail orchestré par l’équipe projet du secteur « Industrie »
du PTEF, composée de Eric Bergé, chef de projet « Industrie lourde » à The Shift Project,
Denis Gasquet, chef de projet « Après-première Vie » à The Shift Project, Erwan Proto,
chargé de projet « Industrie » et ingénieur modélisation à The Shift Project, Maxime
Efoui-Hess, coordinateur du secteur « Industrie » à The Shift Project, ainsi que Baptiste
Andrieu et Mathilde Lavelle, chargé et chargée de projet « Industrie » à The Shift Project
lors de la réalisation de la première version du travail sur l’industrie dans le PTEF,
publiée en 2020. L’ensemble de ce travail a été accompagné par Laurent Morel et
Jean-Marc Jancovici, administrateurs de The Shift Project.
Les aspects développés sur les emplois, les compétences et la formation ont été
construits et développés en collaboration avec Vinciane Martin et Yannick Saleman,
respectivement chargée et chef de projet du chantier transversal sur l’emploi dans le
PTEF.
• Léo Clauzel,
• Damien Glattard,
• Samy Gane,
• Aurélien Mure,
• Elena Zakrjevski.
Ce projet a également reçu le soutien des Shifters qui nous ont accordé leur temps,
ainsi que des membres de l’équipe de The Shift Project dont Emma Stokking, Ilana
Toledano et Pauline Brouillard qui pilotent la tâche essentielle de rendre lisibles et
diffusables les conclusions et messages de nos travaux.
CA Chiffre d’affaires
AVANT-PROPOS .........................................................................................................1
Synthèse .................................................................................................................. 16
III. Définir des normes GES dans les autres secteurs du BTP .......................... 46
B. Le béton le moins émissif reste celui que l’on ne coule pas .......................... 48
IV. Compenser les pertes d’emploi : développer les autres matériaux dont
la filière bois ............................................................................................................74
Bibliographie ...........................................................................................................82
Fi gure 1: Émissions de GES par tonne de ciment produite en France en 2015 et 2018
Source : (CNI et SFIC, 2021) [6] .................................................................................................................................. 21
figure 2 : Évolution de la production de ciment et des émissions de GES associées en
France, entre 1990 et 2018 Source : (GCCA, 2018) [4] .............................................................................22
Figure 3: Répartition du parc cimentier français par voie de fabrication, en volume de
clinker produit Source : (ADEME, 2021) [5] .......................................................................................................24
Figure 4: Évolutions des mix de combustibles des cimenteries françaises et
allemandes, entre 1990 et 2017 Source : (GCCA, 2018) [4] .................................................................25
Figure 5: Intensité carbone de la production, par type de ciment (en kgCO2e par tonne
de ciment produite) Source : (SFIC, CIMBéton, ATILH, 2019) [8] ..................................................... 26
Figure 6: Cartographie des usages du ciments en France en 2019 Source : (SFIC,
CIMBéton, ATILH, 2019) [8] ............................................................................................................................................29
Figure 7: Intensité carbone de la production du ciment, suivant son contenu en laitier
Source : (Elioth, 2020) [11] .............................................................................................................................................33
Figure 10: Évolution du mix produit des ciments en France entre 2020 et 2050, dans le
PTEF Source : calculs de The Shift Project ....................................................................................................... 35
Figure 8: Répartition moyenne de l’empreinte carbone « Produits de construction et
équipements » par lot Données issues de l’observatoire E+C- au 1er décembre 2020
Source : (IFPEB et Carbone 4, 2020) [19] .......................................................................................................... 40
Figure 9: Émissions de GES pour le ciment selon la feuille de route SFIC Source : (CNI et
SFIC, 2021) [6] ........................................................................................................................................................................42
Figure 11: Empreinte carbone des systèmes constructifs Source : (IFPEB et Carbone 4,
2020) [19] ...................................................................................................................................................................................51
Figure 12 : Évolution de la répartition des matériaux employés dans la superstructure,
en maison individuelle et logements collectifs Sources : calculs de The Shift Project à
partir de (ADEME, 2019) [15] ....................................................................................................................................... 53
Figure 13: Réductions des émissions de GES du secteur permises par les leviers du PTEF,
entre 2015 et 2050 Vision « filière béton » Source : calculs de The Shift Project ................ 63
Figure 14: Réductions des émissions de GES du secteur permises par les leviers du PTEF,
entre 2015 et 2050 Vision « filière ciment » Source : calculs de The Shift Project ............. 65
Figure 15: Évolution de la production de ciment en France dans l'économie transformée
entre 2015 et 2050 (en Mt) Source : calculs de The Shift Project ...................................................70
Figure 16: Évolution des besoins en béton, ciment et clinker dans l'économie
transformée entre 2015 et 2050 (en base 100, année 2015 en référence) Source : calculs
de The Shift Project ............................................................................................................................................................ 71
Tableau 1: Consommation de ciment par pays Source : (GCCA, 2018) [4] .........................20
Tableau 2: Consommation d'énergie moyenne par tonne de clinker selon les régions
du monde Source : (GCCA, 2018) [4] ..................................................................................................................23
Tableau 3 : Consommation d’énergie moyenne pour la production de clinker, par type
de voie de production Source : (GCCA, 2018) [4]......................................................................................24
Tableau 4 : Répartition des usages du ciment, et traduction en volumes de béton
équivalent Source : (SFIC, CIMBéton, ATILH, 2019) [8] ............................................................................ 28
Tableau 5 : Potentiel annuel de stockage du carbone par CCS pour la filière ciment
Source : (ADEME, 2021) [12] ......................................................................................................................................... 36
Tableau 6 : Seuils maximum de contenu carbone par m² fixé par la RE2020 Source :
(MTE, 2021) [18] .................................................................................................................................................................... 39
Tableau 7 : Différences d’objectifs de réduction des émissions de GES à 2050 entre les
feuilles de route 2020 et 2021 du SFIC Source : (CNI et SFIC, 2021) [6] et (ADEME, 2020)
[5]...................................................................................................................................................................................................42
Tableau 8 – Analyse de cycle de vie d’un béton armé classique Source : synthèse par
The Shift Project, à partir de (ADEME, 2021) [20] ........................................................................................ 44
Tableau 9: Évolution des émissions de GES de production du béton, entre 2015 et 2050
après mobilisation des leviers technologiques de progrès unitaires Source : calculs de
The Shift Project ...................................................................................................................................................................47
Tableau 10 : Emploi actuel de la filière ciment-béton (ETP) Source : (Insee, 2018) [26],
(SFIC, 2019) [8] ..................................................................................................................................................................... 69
Tableau 11 : Évolution de l'emploi de la filière ciment-béton dans l’économie
transformée entre l’état actuel et 2050 Source : calculs de The Shift Project .................... 72
Tableau 12 : Étude cas sur une maison individuelle en 2030 (données arrondies)
Source : calculs de The Shift Project .....................................................................................................................81
Les dernières décennies ont été marquées par un certain attentisme de la part de la
filière française ciment-béton. Malgré la mise en place de crédits carbone par l’Europe
(le système EU-ETS), cette filière n’a réalisé que des progrès limités en ce qui concerne
la décarbonation de son offre. Aujourd’hui, elle doit affronter le mur de la nouvelle
norme RE2020.
Les marges de progrès restent considérables. La profession vient d’afficher une feuille
de route collective visant à décarboner son activité de 24 % à l’horizon 2030 et
confirme son intention d’atteindre son objectif de – 80 % grâce à la carte des
technologies CCUS (Carbon capture, utilization and storage) à 2050.
Nous pensons que la transformation du secteur peut aller plus vite et plus loin, sans
compter uniquement sur le CCUS.
• déployer les ciments à bas taux de clinker et/ou baisser les dosages dans les
bétons, grâce à de nouveaux ajouts et des adjuvantations plus performantes ;
• accélérer ces évolutions en ayant la volonté d’adapter les normes béton pour
EN-206 afin de refléter les évolutions technologiques ;
• structurer la filière bois française et réguler les exports de bois bruts pour
accompagner cette transformation (à défaut, les importations de bois
d’œuvre augmenteront et le déficit commercial se creusera) :
• déployer le potentiel accessible en CCUS sur les cimenteries pour capter auteur
de 1 Mt de CO2 à partir de 2035 (en gardant à l’esprit que la réussite des autres
leviers réduit notre besoin de CCUS par rapport à la feuille de route de la
profession).
• elle implique une baisse des volumes de ciment et une réduction des volumes
de béton ;
Produire un mètre cube de béton, soit environ 2,4 tonnes, nécessite en moyenne en
France 270 kilos de ciment. Ce dernier est le liant qui, activé par l’eau et les additifs,
assemble le sable et les graviers qui constituent 90 % de la masse du béton (près de
2 tonnes par mètre cube de béton).
Consommation
Royaume- États-
de ciment par France Allemagne EU 28 Pologne Espagne Italie
Uni Unis
pays
Unitaire
238 431 378 457 315 128 280 215
(kg/hab)
kg CO2/tonne 500
Emission combustibles
400 alternatifs
Emission combustibles
300 fossiles
Emission de procédé
200
100
0
2015 2018
Figure 1: Émissions de GES par tonne de ciment produite en France en 2015 et 2018
Source : (CNI et SFIC, 2021) [6]
Les 663 kg CO2e émis par une tonne de ciment produite en France en 2018 se
décomposent grossièrement ainsi :
• 2/3 des émissions proviennent de la réaction chimique ayant lieu dans le four (le
mélange d’argile et de calcaire rejette du CO2 pour devenir du clinker) ;
• 1/3 des émissions provient des combustibles mobilisés pour ce procédé très
gourmand en énergie (le four est amené à une température de 1450 °C afin de
produire le clinker qui sera ensuite broyé en ciment en y additionnant des ajouts).
La filière ciment-béton est assez peu exposée aux importations par rapport aux autres
secteurs industriels. Le ciment est vendu en moyenne dans un rayon de 150 km autour
de la cimenterie. Le béton, comme les granulats, est un matériau très local qui ne
voyage classiquement pas sur plus de 20 à 50 km. On compte entre 1 à 2 Mt de ciment
importées par an [6] 2 mais environ 640 Kt nettes 3
de clinker auraient été importées
en 2019, dont une partie en provenance de pays non soumis à une réglementation sur
le CO2 (Turquie et Maroc notamment). Ce clinker est ensuite broyé sur les ports et
vendu en tant que ciment produit localement. Ce ciment n’entre pas dans les chiffres
de l’importation mais le CO2, lui, est bien importé. Cette « fuite de CO2 » est
probablement autour de 0,5 Mt 4 donc loin d’être négligeable.
2
Données également issues d’entretiens avec des acteurs du secteur.
3
Source douanes France 2018 citées par le rapport SFIC 2019 : 859 KT importées contre 222KT exportées
4
Estimation basée sur 830 kg de CO2 / tonne de clinker
Les émissions françaises dues à la production de ciment ont chuté de 43 % entre 1990
et 2018, passant de 17 à 10 millions de tonnes d’équivalent CO2 (MtCO2e) en 18 ans.
Cette baisse remarquable est totalement parallèle à la baisse de production de
ciment 5 advenue sur la même période (- 40 %), ce qui laisse penser que la
décarbonation du ciment observée depuis 1990 est davantage liée à la baisse de sa
consommation et de sa production qu’à la mise en œuvre d’actions volontaires.
30
25
20
Production Ciment
MT
15
Emissions CO2
10
-
1990 2000 2010 2015 2018
5
Cette baisse est pour partie à la baisse de la construction mais surtout à l’optimisation du dosage en ciment dans les
bétons, notamment par des ajouts d’adjuvants plus performants.
“Under optimized and regular conditions, the best energy efficiency today – around
3,300 MJ/t clinker – can be achieved with preheater kilns with precalciners (PH-
PC). Modern PH-PC kilns have a higher production capacity than older installations,
which also contributes to greater energy efficiency across the sector.”
Consommation d'énergie
2017
thermique (MJ/t de clinker)
Afrique 3 660
Brésil 3 489
Europe 3 584
France 4 004
Inde 3 058
Tableau 2: Consommation d'énergie moyenne par tonne de clinker selon les régions du monde
Source : (GCCA, 2018) [4]
Figure 3: Répartition du parc cimentier français par voie de fabrication, en volume de clinker produit
Source : (ADEME, 2021) [5]
Consommation d'énergie
2017
thermique (MJ/t de clinker)
100%
80%
60%
40%
20%
0%
France - 1990 Allemagne - 1990 France - 2017 Alemagne - 2017
Figure 4: Évolutions des mix de combustibles des cimenteries françaises et allemandes, entre 1990 et
2017
Source : (GCCA, 2018) [4]
Le ratio « tonne de clinker / tonne de ciment » (en %) est donc un point clé dans cette
industrie. Le réduire permet en effet de décarboner directement le ciment. Or en
Il existe sur le papier une offre de ciments élargie notamment par certains nouveaux
produits à teneur bien plus faible en clinker. C’est le cas des ciments « ternaires ».
Ceux-ci comprennent non plus un ajout mais deux, assemblés de manière à
permettre de compenser leurs faiblesses respectives et donc d’augmenter leur part
dans le ciment afin de baisser celle du clinker.
800
700
Nouveaux ciments
dans la NF EN197.5
600
kg CO2/tonne
500
400
300
200
100
0
CEM I CEM II-A CEM II-B CEM III-1 CEM III-B CEM IV CEM V CEM II-C LC3 CEM VI
Taux clinker : >95% [80-95%] [65-80%] [35-65%] [20-35%] [45-90%] [20-65%] [50-65%] [40-50%] [30-50%]
Malgré un travail lancé en 2015, la norme permettant d’utiliser ces nouveaux ciments
reste bloquée à Bruxelles, dans un processus dont la lenteur n’est pas adaptée à
l’urgence de transformation qu’impose l’impératif climatique.
Par ailleurs, en dehors de rares acteurs, peu d’ajouts sont disponibles sur le marché.
Le marché français reste ainsi dominé à 80 % par le CEM-I et le CEM-II, ciments les plus
carbonés car ayant les taux de clinker les plus élevés.
En cas de marché stable, un producteur devra acheter des droits à polluer. Si ces
droits ne s’échangeaient pas à plus de 10 €/tCO2e entre 2012 et 2017, leur prix a franchi
le cap des 50 €/tCO2e en mai 2021 et plus de 80 €/tCO2e depuis décembre 2021.
Bien que cela représente une véritable incitation à décarboner pour les acteurs de la
filière, elle resté modérée 6. Le système des ETS donne un signal fort, mais jusqu’à
2020, celui-ci est resté insuffisant pour inciter à des actions d’envergure.
Nous avons vu que les cimenteries françaises avaient pris du retard faute
d’investissement, malgré des prix de marché parmi les plus élevés d’Europe
(supérieurs à 100 €/t). Par ailleurs les quotas ETS gratuits censés encourager la
décarbonation se sont avérés inefficaces jusqu’à la fin de la phase 3. Accordés en
excès aux cimentiers (contrairement aux sidérurgistes par exemple), ils ont été une
véritable aubaine pour la plupart des cimentiers qui les ont vendus sur le marché du
carbone. Le travail du cabinet CE Delft [9] montre que la filière ciment a bénéficié
d’une surallocation de 231 MtCO2 qui a généré environ 3 milliards d’euros de profits,
dont 230 millions en France.
La donne devrait changer avec la phase 4 de l’EU-ETS qui prévoit de nouveaux quotas
gratuits réajustés pour la période 2021-2030.
Les décrets annonçant les quotas gratuits ont été publiés le 10 décembre 2021. Pour la
période 2021-2025, un total de 8,5 MtCO2e par an a été alloué aux cimenteries
françaises.
Sur la base d’une émission qui devrait tourner autour de 10 MtCO2e en 2021-22 (si la
production de ciment reste stable à 16 Mt), la nécessité d’acheter environ 1,5 MtCO2e
en 2022 devrait coûter entre 50 et 100 M€ (soit 6 à 12 €/t de ciment) à la profession
[10].
6
Les cimentiers français ont néanmoins commencé à intégrer une contribution environnementale en pied de facture.
Conso.
Volumes de ciment et équivalents béton Conso. Béton
Part Ciment (en
consommés par usage (en Mm3e)
Mt)
Négoce sacs 13 %
Vrac entreprise 4%
Mortiers 4%
Divers 3%
Total 100 % 17 65
7
Le facteur de conversion ici utilisé est de : 1 m3 de béton équivalent produit pour 266 kg de ciment consommé.
Ouvrages
d'art 9% Bâtiment
55%
Routes Maison
13% Individuelle
12%
Ind/Agri
Rénovation 5%
10%
• les infrastructures (qui rassemblent les travaux publics et le génie civil) pour
35 % ;
• le logement, qui représente 30 % de la demande.
Il est indispensable de mobiliser d’ici 2030 les investissements nécessaires – ceux qui
auraient pu l’être au cours des vingt dernières années – pour améliorer l’efficacité
énergétique des usines, en particulier celle des fours produisant le clinker.
• les déchets (comme les huiles, les pneus, les solvants divers, etc.) ne
représentent encore que moins de 50 % des combustibles utilisés dans la filière.
Progrès qualitatif indéniable, ces émissions comptent aujourd’hui pour la
réglementation européenne ETS 8 ;
8
De nombreux acteurs du secteur cimentier continuent de retrancher ces émissions des comptabilités affichées dans
leurs supports de communication. Ils ont le droit le faire également dans les analyses de cycles de vie des produits
faites par exemple pour la RE2020. Il s’agit pourtant d’émissions véritables, qui doivent être allouées aux activités
qu’elles permettent.
Les nouveaux ciments moins riches en clinker doivent être développés et rendus
disponibles sur le marché :
• en ajoutant des argiles calcinées (cuites entre 750° et 850 °C) et ne générant
que 139 kgCO2e/t [11].
Le contenu actuel carbone du laitier (16,7 kg de CO2/t) doit par ailleurs être revu à
la hausse, ce qui entraînerait une autre lecture des ciments.
Certains, comme le cabinet Elioth, considèrent que le laitier devrait être compté à
400 kg de CO2/t, ce qui changerait énormément l’analyse :
Le sujet devrait bientôt être tranché par le gouvernement sur la base d’une
allocation économique du carbone émis lors de la fabrication de la fonte 10. Dans ce
cas, le laitier serait considéré à près de 150 kgCO2e par tonne 11.
Les autres ajouts comme l’argile calcinée, le calcaire ou les pouzzolanes ne posent à
priori pas de problème de disponibilité majeur en France. Bien que l’ouverture de
carrières ne soit pas un processus simple ou immédiat, ces ajouts restent issus de
matières disponibles dans certaines régions, et donc mobilisables.
9
Les contenus carbone du clinker et du laitier sont très différents, avec des taux de 7650 kgCO2e/t pour le clinker,
contre seulement 16,7 kgCO2e/t pour le laitier [12].
10
D’après les auditions menées dans le cadre de ce rapport.
11
La fabrication de la fonte produit 275 kg de laitier et émet 1,623 tCO2e par tonne. Le prix de la fonte étant de l’ordre
de 280 €/t et celui du laitier de 2 6 €/t, 1,582 tCO2e est alloué à la fonte et 0,147 tCO2e alloué au laitier.
Nos premières conclusions laissent penser qu’il existe encore des marges de progrès
supplémentaires par rapport à la dernière feuille de route du secteur [6] :
• Le PTEF préconise une trajectoire pour l’offre de ciment en France qui mène à
un taux de clinker moyen de 60 %, à la place des 66% pris par la feuille de route
du secteur.
“Average kiln capacity of cement plants will continue to increase because new kilns
are typically built with higher capacities, and existing smaller kilns will increasingly
be replaced with larger more modern ones. Breakthrough technologies, such as
fluidized beds, that could yield significantly higher thermal efficiency are not yet on
the horizon.
Taking into account the increased use of alternative fuels, average thermal energy
consumption per ton of clinker is expected to reach 3.3 GJ/ton by 2050.” 12
12 « La capacité moyenne des fours des cimenteries continuera d'augmenter car les nouveaux fours sont généralement
construits avec des capacités plus élevées, et les petits fours existants seront de plus en plus remplacés par des fours
plus grands et plus modernes. Les technologies de pointe, telles que les lits fluidisés, qui permettraient d'obtenir un
rendement thermique nettement supérieur, ne sont pas encore à l'horizon.
Compte tenu de l'utilisation accrue de combustibles de substitution, la consommation moyenne d'énergie thermique par
tonne de clinker devrait atteindre 3,3 GJ/tonne d'ici 2050. »
Taux de clinker
60%
60%
50%
40%
40%
30%
20% 20%
10%
0% 0%
2020 2030 2050
Figure 8: Évolution du mix produit des ciments en France entre 2020 et 2050, dans le PTEF
Source : calculs de The Shift Project
En fixant ces deux objectifs, rehaussés par rapport à la feuille de route sectorielle,
nous obtenons la projection de base qui permet de réduire les émissions de la filière
de 0,5 à 1 MtCO2e supplémentaires par rapport au scénario du CNI-SFIC.
Selon les travaux de l’ADEME, seul 20 % des cimenteries du territoire français (soit 5 au
total) correspondraient aux critères de déploiement du CCS, uniquement en raison de
leur localisation par rapport à des sites de stockage [13].
Le besoin estimé en investissements s’élève à 200 M€ par site (pour une production
moyenne annuelle de 600 Kt de ciment). En prenant en compte les contraintes dues
notamment aux coûts d’exploitation et d’enfouissement de ce captage (Sud-Est et
Nord de la France), le potentiel de captage se limite à 2,5 MtCO2 pour les cimenteries
du territoire.
Ciment 11 12 2,5
Tableau 5 : Potentiel annuel de stockage du carbone par CCS pour la filière ciment
Source : (ADEME, 2021) [13]
Sachant que le prix moyen du ciment en France est aujourd’hui compris entre 110 et
130 €/t 13, un tel surcoût est significatif. En découlent deux conclusions principales :
Sans pour autant permettre de s’affranchir de la mise en place de tous les autres
leviers de transformation de la filière, et bien que son potentiel reste borné par des
obstacles techniques, opérationnels et organisationnels, le CCS fait partie des
atouts à mobiliser afin d’atteindre les objectifs de décarbonation.
Son potentiel ne pourra cependant être exploité sans la mise en place de normes
contraignantes et de mécanismes de protection du marché rendant
économiquement viable et possible le développement de cette technologie.
13
Evaluation issue des interviews des acteurs du secteur.
14
En moyenne 50 m3 de béton sont mobilisés, avec 260 kg de ciment par m3 de béton, soit 13 t de ciment à un surcoût
de 100 €/t.
Pour rappel, les émissions annuelles en France liées aux consommations d’énergie
dues à l’utilisation des bâtiments sont de l’ordre de 80 MtCO2e, soit 20 % des émissions
françaises [15]. Si cela justifie l’importance des outils comme le DPE pour réduire les
émissions du bâti, la RE2020 s’attaque également aux émissions liées à sa
construction, en particulier les matériaux, considéré dans tout leur cycle de vie.
15
Le Diagnostic performance énergétique (DPE) impose en effet un seuil d’émissions de 5 kgCO2e/m2/an pour les
logements neufs d’étiquette énergétique A (https://www.ecologie.gouv.fr/diagnostic-performance-energetique-dpe).
Ce plafond est non seulement une norme impérative mais sera rapidement
dégressif puisqu’il baissera d’un tiers en 10 ans, délai très rapide dans la
construction. Si les seuils de 2022 sont assez faciles à atteindre, ceux de 2028 et 2031
représentent un saut très significatif.
Maisons individuelles
Logements collectifs
On ne parle plus ici de label type BBC (Bâtiment basse consommation), HQE (Haute
qualité environnementale) ou LEED (Leadership in energy and environmental design)
mais bien d’une norme impérative, première mondiale et susceptible de déclencher
des dynamiques inédites dans la construction et les matériaux.
Les promoteurs, les architectes et les entreprises font face à une nécessité
d’adaptation sans précédent de leurs métiers. La décarbonation de leur offre va
devenir déterminante pour les fournisseurs de matériaux dans leur capacité à garder
parts de marché face aux solutions alternatives.
Tous les lots de la construction n’étant pas exposés aux mêmes conséquences, des
nuances doivent être apportées. La Figure 9 présente des empreintes carbones
typiques selon les types de bâtiments neufs et par lot de travaux. Le gros œuvre, c’est-
à-dire la superstructure du bâtiment, qui est le plus riche en béton (ou parpaings ou
briques dans la maison individuelle), apparait la cible de décarbonation la plus
évidente.
Le passage à une structure bois permettant même sur le papier de rendre le gros
œuvre négatif en carbone, la position du béton est fortement remise en cause.
Les arbitrages très récents rendus sur la RE2020 ont été perçus par de nombreux
acteurs comme un avantage très important apporté au bois, aux dépens des
autres matériaux.
Certains experts estiment qu’en l’état actuel de l’offre ciment, 80 % des constructions
« béton » classiques peuvent facilement passer le seuil imposé en 2022 par la RE2020,
mais que seulement 30 % d’entre elles seront en mesure de le faire en 2025, et presque
aucune en 2050. Le risque systémique est énorme pour l’ensemble des filières de la
construction : les promoteurs doivent réfléchir dès aujourd’hui à leur offre de 2025,
leurs choix impliquant d’importants effets de seuils (intégrer l’ossature bois dans leur
offre standard de maison individuelle engendrerait par exemple des adaptations de
toute l’activité sur lesquelles il s’avèrerait très complexe de revenir ensuite).
Le maintien des acteurs du béton au sein de leurs parts de marché ne peut en aucun
cas être envisagée par les acteurs si la filière ne se lance pas dans une vague
d’innovation produit à la hauteur des ambitions de diminution des contenus carbone
de leurs matériaux, tant sur le ciment (lancement des CEM II-C-M et CEM VI basse
teneur en clinker et des ciments ternaires) que sur le béton ou le design du bâtiment.
Cela s’est d’ailleurs traduit par une forte et récente accélération de la feuille de route
de décarbonation du ciment : la version l’ADEME en juillet 2020 fixait comme objectif
une baisse de 10 % des émissions du secteur à 2030 [6]. La feuille de route du SFIC de
mai 2021 marque une accélération remarquable, avec un objectif à près de 24 % de
réduction en 2030 à demande constante.
Figure 10: Émissions de GES pour le ciment selon la feuille de route SFIC
Source : (CNI et SFIC, 2021) [6]
Les investissements n’ont pas changé par rapport au plan de 2020 : environ 4,4
milliards d’euros sur les 7 prochaines années plutôt que de les étaler sur 15 ans [6].
Il existe un facteur de risque non négligeable pour la mise en œuvre de cette feuille de
route : les cimentiers internationaux, pour qui la France n’est qu’un petit marché – 16
Mt sur un marché mondial de 4 0 0 Mt – seront mis face à un choix industriel : délaisser
le marché français devenu trop coûteux en capitaux, ou prendre au contraire la
France comme le champ d’expérimentation unique au monde qu’elle deviendra pour
le secteur de la construction.
Pour la RE2020, ce qui compte est l’empreinte carbone du béton qui n’est pas la simple
empreinte du ciment qu’il contient mais l’ensemble de sa constitution, y compris
l’acier quand il est armé.
Fabrication (dont ciment) 190 (dont 176) Ciment dosé à 265 kg/m3
Total 250
16
Norme européenne qui définit les spécifications des bétons structuraux en bâtiment comme en génie civil.
• Certains bétons moins dosés avec des ciments moins riches en clinker et donc
de vitesse de durcissement plus lente (du fait entre autres, de la présence des
matériaux pouzzolaniques) ou avec des CEM III ne permettront plus de démouler
les bétons aussi vite : la planification des chantiers devra évoluer ou devra faire
appel à de la préfabrication.
L’innovation apportée par les fabricants d’adjuvants chimiques devrait quant à elle
non seulement permettre d’adopter les liants ternaires plus rapidement, mais
également de rendre possible des bétons avec des dosages en ciment encore
inférieurs. Les mortiers à base ciment utilisés en second œuvre commenceront à
baisser fortement les quantités de ciment qu’ils intègrent, avec également de
potentiels premiers produits sans ciment.
Bien que l’augmentation de la part d’ajout dans le ciment (taux de clinker faible)
rende plus complexe la baisse de son dosage dans le béton, le couple d’hypothèses
suivantes est pris comme cible dans le modèle pour 2050 :
17
Norme européenne qui définit les critères de viabilité de tous les types de béton en Europe, notamment des quantités
de liants minimales par type de béton.
Les transformations des produits et pratiques vers des matériaux pauvres en carbone
peuvent être poussées et amorcées par les grands acteurs nationaux de la
construction, qui font des annonces fortes sur le sujet. Pour cela il faut travailler sur
le sujet clef de la durabilité des nouveaux bétons. Des démarches comme le projet
national Perfdub 18 ont donc un intérêt majeur mais leur traduction opérationnelle ne
sera pas évidente.
Une première proposition simple : inclure par la loi les émissions de CO2 des
matériaux dans les critères de tous les appels d’offre en travaux publics et en génie
civil.
• L’effet de ce type de mesures sera traduit dans nos modélisations par une
diminution de 5% à 2050 des émissions associées aux activités de construction
dans les travaux publics et génie civil.
• Nos analyses s’appuient également sur l’hypothèse selon laquelle les décrets de
la RE2020 qui gouverneront les bâtiments du tertiaire spécialisé (commerce,
hôpitaux…) suivront le même rythme de baisse des seuils de kgCO2e/m² que pour
le logement.
18
L’objectif de PERFDUB est de définir une méthodologie de justification de la durabilité des bétons par une approche
performantielle. Il s’agit d’agréger les connaissances et les retours d’expérience, dans un cadre réunissant tous les
acteurs concernés de manière à ce que l’approche performantielle devienne opérationnelle et d’usage courant, ce qui
n’est pas le cas aujourd’hui. www.perfdub.org
Fin de vie 2 2 2
Tableau 9: Evolution des émissions de GES de production du béton, entre 2015 et 2050
après mobilisation des leviers technologiques de progrès unitaires
Source : calculs de The Shift Project
La conception
• Opter pour une structure poteau-poutre plutôt que des voiles béton ;
• Utiliser des planchers alvéolés plutôt que pleins (jusqu’à - 25 % de béton), ainsi
que des bétons précontraints (jusqu’à 30% de volume en moins),
19
Les considérations qualitatives et quantitatives qui suivent sont issues d’auditions d’acteurs du secteur réalisées dans
le cadre du PTEF.
• Réduire les pertes de matériaux sur chantier : les FDES tablent officiellement sur
3 % de pertes pour les bétons mais elles peuvent s’élever en pratique à 5 voire 10
% [21],
Les effets de ces leviers restent complexes à quantifier, faute d’études prospectives
disponibles. Nos analyses s’appuieront sur les hypothèses suivantes 21 :
• Dans le bâtiment :
o 5 % de réduction des quantités de bétons consommées par le bâtiment
en 2030 par rapport à 2020,
o 10 % de réduction en 2050 par rapport à 2020.
Si l’on agrège les réductions d’émissions réalisées à ce stade grâce aux différents
leviers mobilisés pour le béton sur le cas d’étude d’une maison de 100 m², et que nous
le comparons aux objectifs fixés par le point de passage 2028 défini par la RE2020, il
apparaît que l’optimisation des quantités de béton (ajoutée aux précédents leviers)
20
Norme européenne de conception et de réalisation des bâtiments. Les Eurocodes sont constitués de 58 normes
regroupées en 10 groupes de normes (NF EN 1990 à 1999).
21
Ces hypothèses, construites en cohérence avec l’expertise disponible à ce stade, gagneraient à être consolidées si
de la documentation prospective devenait disponible dans le futur.
L’hypothèse retenue dans nos trajectoires propose que le béton permette d’effectuer
50 % de l’effort exigé par la RE2020.
On peut noter que si la consommation de béton de la France par habitant est plus
faible que chez certains voisins en Europe (Tableau 1), elle reste bien supérieure à
celle des Etats-Unis (malgré la construction là-bas de routes en béton) et surtout
du Royaume-Uni. C’est l’indice potentiel d’une marge d’évolution sérieuse de nos
méthodes de construction.
En 2018, la part de marché de l’ossature bois en France était d’environ 8 %, dont [22] :
• 15 % en maison individuelle,
• 5 % en logement collectif.
La part du bois dans les matériaux de construction semble être à l’aube d’une
croissance certaine. A titre d’exemple, certains constructeurs annoncent des objectifs
allant jusqu’à 30 % de projets à structure bois pour 2030 [23]. Il n’est malgré tout pas
évident que l’intégralité de la profession soit en mesure de faire un tel saut dans un
temps aussi court, notamment en raison de l’adaptation de la chaîne logistique et
d’approvisionnement, ainsi que de la main d’œuvre sur chantier. La construction
22
Les marges de progrès possibles sur ces lots sont notamment documentés dans le rapport du PTEF traitant le
secteur du logement [3].
S’il est ainsi certain que l’on assistera à une multiplication des projets « tout en bois »
dans les années qui viennent, nos travaux nous poussent également à penser que les
projets mixant le béton et le bois vont devenir la norme : bétons dans les fondations,
associations de bétons préfabriqués (dont les parpaings) et bois/plâtre ou même
des bétons ou des parpaings contenant du bois. Ces transformations devraient être
soutenues par de nouveaux systèmes alliant les matériaux, adaptés selon les
ouvrages et régions.
Les nombreuses expérimentations (projet E+C-) sur les systèmes constructifs ont
permis à des acteurs spécifiques de les comparer en termes d’empreinte carbone.
Pour construire notre modèle de parts de marché du béton, deux hypothèses sont
retenues :
A titre d’exemple, on considère ici le cas d’étude d’une maison individuelle de 100 m²
(Tableau 12 en annexe). Il montre que la décarbonation du béton à horizon 2030, qui
atteint 34 % dans notre modèle grâce aux leviers technologiques mobilisés, reste
insuffisante pour rendre l’ouvrage global compatible avec le seuil de 475 kgCO2e/m²
(soit une baisse de 160 kgCO2e/m² par rapport à 2022) fixé par la RE2020 pour l’année
2028.
Une structure mixte – avec substitution de 30 % du béton par d’autres matériaux, pris
à contenu carbone neutre – permet de porter la réduction du contenu carbone à -
66kgCO2e/m² au total sur l’ensemble de l’ouvrage. A cette évaluation pourraient être
ajoutés les gains dus à la comptabilité négative des émissions des matériaux
biosourcés, qui pourraient alors permettre de rendre possible la décarbonation du
second œuvre à hauteur de - 80 kgCO2e/m².
23
Constat partagé lors des entretiens avec les acteurs du secteur, au cours du processus de rédaction du présent
rapport et lors des ateliers collaboratifs réalisés dans le cadre de la construction du rapport « Logement » du PTEF :
https://theshiftproject.org/article/habiter-societe-bas-carbone-rapport-intermediaire-shift-30-juin/.
24
Le calcul des gains pour le biosourcé relève d’un niveau de complexité important pour notre modèle simplifié, entre
autres du fait des effets induits sur les quantités potentiellement supplémentaires d’isolants pour assurer l’inertie
thermique et le confort d’été, de plaques de plâtre etc.
25
Dans son rapport de 2021 sur l’ACV dynamique, le Cerema considère que le second œuvre parvient à se décarboner
à hauteur de 50 à 100 kgCO2e/m² ce qui représente près de la moitié de l’effort de décarbonation par m² imposée par la
RE2020 à horizon 2028 [24]
Nos hypothèses sont plus rapides, la RE2020 étant désormais en vigueur et les
scénarios de substitution pour certains lots (par exemple, le plancher des maisons
individuelles, avec son seuil à 30% de part de marché) étant timides par rapport
aux retours de nos auditions : les fondations resteront bien en béton mais les murs
et planchers peuvent se convertir au bois dans des proportions considérables.
90% 90%
80% 80%
70% 70%
20% 20%
10% 10%
0% 0%
2019 2030 2019 2030
Nous laissons au béton sa part de marché intacte sur les autres segments comme le
génie civil et les travaux publics où ses qualités le rendent difficile à remplacer.
L’incertitude la plus importante pesant sur l’impact de la RE2020 est celle de son
maintien dans le temps et la capacité de la filière bois à augmenter son régime et sa
volumétrie en se structurant pour répondre à la demande et réduire son déficit
commercial.
La FNB estime de son côté que l’offre française de bois d’œuvre transformé en 2018
était d’environ 1 Mm3 [23]. La substitution de 2 Mm3 de béton par 1 à 2 Mm3 de bois
d’œuvre transformés supplémentaires sera un défi considérable pour la filière
bois française.
L’exemple de 2021 - où les exports massifs de bois brut ont « asséché » les scieries
françaises - montre la fragilité de la filière. Le bois brut doit être considéré comme
une ressource stratégique et ses exportations régulées d’une manière ou d’une
autre.
26
Nouvelles compositions minéralogiques comme les calciums sulfoaluminates, production de clinker par oxy-
combustion, procédés de production de clinker à températures plus basses mais plus précises etc.
27
https://ecra-online.org/fileadmin/ecra/newsletter/ECRA_Newsletter_3-2012.pdf
28
https://fastcarb.fr/
29
https://fr.neustark.com
Nos projections sont construites sur la base des analyses de l’ADEME portant sur le
CCS [13], en retenant cependant un rythme plus soutenu que dans leurs analyses
(lancement du déploiement chronologiquement plus avancé). Cette hypothèse est
choisie afin de décrire les effets qu’aurait la mobilisation importante d’un acteur ou
groupe d’acteurs de la filière qui souhaiterait par-là atteindre deux objectifs :
• Profiter de l’avantage concurrentiel que permet la mise sur le marché d’une offre
de ciment décarboné ;
Dans le cas du ciment, ce mécanisme, s’il voit le jour, permettrait aux industriels de
financer le coût des investissements nécessaires à la décarbonation de leur
production – dont le déploiement du CCS sur les sites adaptés – tout en limitant le
risque de fuites aux frontières. Cela pourrait avoir plusieurs effets, différents :
L’activation de tous les leviers décrits jusqu’ici – dont le CCS limité à 1MT –
permettent d’atteindre un niveau de réduction des émissions de l’ordre de 70 %
par rapport à 2022, en maintenant un niveau de construction similaire à celui de
2015.
Le niveau de déploiement des autres leviers a été choisi élevé et volontaire dans
les projections du PTEF, afin de laisser aux acteurs une marge de progrès
technologique importante. Il est malgré cela nécessaire de mobiliser le dernier
levier accessible : la réduction de la demande en construction neuve.
Le niveau d’activation de ce dernier levier est fixé par les travaux portant sur le
secteur du logement dans le cadre du PTEF, et résulte donc du croisement
systémique des contraintes des deux secteurs.
Les projections construites dans le cadre des travaux sur le secteur du logement au
sein du PTEF décrivent une réduction progressive et pilotée du rythme de
construction de logements neufs (individuels et collectifs) d’ici 2050 :
L’indicateur « construction neuve » étant surveillé comme le lait sur le feu par
l’intégralité des filières de la construction, sa réduction forte pourrait sans doute
affecter la volonté des acteurs industriels de mettre en place de gros investissements
comme le CCS. L’impact du logement neuf reste cependant limité dans son impact
sur la filière cimentière – de l’ordre de 1 à 2 MtCO2e – et ses transformations lui sont
imposées par le respect de ses propres impératifs de décarbonation.
30
Le contenu carbone de ces matériaux est considéré dans nos projections comme étant neutre, et non négatif.
Figure 13: Réductions des émissions de GES du secteur permises par les leviers du PTEF, entre 2015 et
2050
Vision « filière béton »
Source : calculs de The Shift Project
Les risques étant bien plus forts sur les leviers technologiques moins matures
(CCS, notamment) que sur les leviers matures (efficacité énergétique etc.), il est
essentiel de comprendre qu’il doit être envisagé de recourir à une sobriété plus
intense si leur déploiement échoue dans les années à venir.
Figure 14: Réductions des émissions de GES du secteur permises par les leviers du PTEF, entre 2015 et
2050
Vision « filière ciment »
Source : calculs de The Shift Project
La comparaison des projections du PTEF (Figure 14) et de celles produites par le CNI-
SFIC dans le cadre de la feuille de route publiée en mai 2021 sur la filière « ciment
France » [6] permet de fixer les conclusions essentielles que les acteurs doivent à
tout prix intégrer dans leurs stratégies des une à trois prochaines décennies :
A. Le périmètre PTEF
• La fabrication d’éléments de construction en bois, traitée ici, n’a pas été intégrée
aux chiffrages. Un travail dédié est en cours de traitement, et a déjà fait l’objet
d’une publication intermédiaire (amenée à évoluer) dans le cadre du PTEF [26].
Total 44 500
31
Sources : Carrières et éléments en béton : ESANE 2018, NAF 08.12 (Exploitation de gravières et sablières, extraction
d'argiles et de kaolin) et NAF 23.61 (Fabrication d'éléments en béton pour la construction), 23.63 (Fabrication de béton
prêt à l'emploi) et 23.64 (Fabrication de mortiers et bétons secs) [27] ; Fabrication de ciment : SFIC 2019 (en nombre de
salariés) [8].
• La projection « PTEF, sans import » décrit quant à lui l’effet additionnel possible
des transformations du PTEF sur les importations, qui pourraient être amenées
à réduire les nouvelles contraintes et spécificités du marché français 32. L’effet
de cette réduction se traduit ici par une limitation de l’effet de contraction de
volume du PTEF, menant à 9 Mt produites en 2050.
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
2015 2030 2050
Les cimenteries françaises restant de tailles relativement faibles par rapport à leurs
homologues dans le monde, les transformations préconisées par le PTEF comportent
le risque d’engendrer des scénarios de fermetures progressives de plusieurs d’entre
elles : couplés à la réduction des volumes de production, les investissements
32
Si une réglementation ferme est mise en place, certaines importations peuvent avoir du mal à se conformer au
nouveau contexte réglementaire.
120
100
80
60
40
20
0
2015 2030 2050
Figure 16: Evolution des besoins en béton, ciment et clinker dans l'économie transformée
entre 2015 et 2050 (en base 100, année 2015 en référence)
Source : calculs de The Shift Project
Les quantités de béton baisseront moins que celles de ciment, qui baisseront-elles
même moins que la production de clinker.
La baisse de 36 % des volumes de béton impliquera des effets sur les emplois qui y
sont liés et des reconversions, mais des leviers sont disponibles et à mobiliser pour
limiter les pertes nettes d’emplois et accompagner les reconversions nécessaires.
Un scenario alternatif reposant sur un CCUS massif ayant un impact dès 2030
(captage entre 2 à 3MT) permettrait d’éviter les substitutions du béton par le
biosourcé et de réduire la nécessité d’optimiser le béton. Cela réduirait les baisses de
volumes à environ la moitié de notre scenario.
La baisse des volumes dans les filières ciment et béton devrait conduire à des pertes
d’emplois dans la filière.
33
Au vu des cadences moyennes de production des infrastructures de la filière, la production des 7 à 9 Mt de ciment
nécessaire pour répondre à la demande de 2050 ne devrait solliciter qu’un marché de l’ordre d’une douzaine de
cimenteries.
34
Chiffres 2018
40 000
30 000
Béton
Carrières
20 000
Ciment
10 000
-
Actuel 2050
Au total donc, sur la seule base des volumes, la filière béton risque de perdre de l’ordre
de 10 000 emplois à 2030 et près de 16 000 à 2050, dont près des deux tiers en raison
des substitutions par d’autres matériaux et un tiers lié à la baisse de la construction
de logements neufs. Planifier et comprendre ces pertes brutes et leurs enjeux
permettront de correctement mobiliser les leviers qui permettent d’accompagner
les transformations compensant ces réductions d’activités.
Le bilan des pertes brutes d’emplois (destruction des emplois existants) doit de plus
être considéré en rapport aux créations d’emplois engendrées par le report des
activités de production vers d’autres filières, dont celle du bois.
La baisse d’un tiers des volumes de béton va donc demander des reconversions,
mais ne devrait pas se traduire par des pertes nettes d’emploi si la filière industrielle
du bois réussit sa montée en puissance :
Si la filière bois française monte en régime pour éviter les importations, le bilan net de
cette révolution pourrait être rendu neutre en termes de nombre d’emplois, et ce
malgré la baisse du nombre de logements construits. Assurer un bilan positif des
transformations du secteur de la construction implique cependant deux points de
vigilance incontournables :
35
CA : Chiffre d’Affaire
36
ESANE 2018, codes NAF 16.23 (Fabrication de charpentes et d'autres menuiseries) et 23.61 (Fabrication d'éléments
en béton pour la construction) [27].
37
Constat partagé lors des entretiens avec les acteurs du secteur, au cours du processus de rédaction du présent
rapport et lors des ateliers collaboratifs réalisés dans le cadre de la construction du rapport « Logement » du PTEF :
https://theshiftproject.org/article/habiter-societe-bas-carbone-rapport-intermediaire-shift-30-juin/.
EMPLOI CIMENT-BETON
50 000
40 000
30 000 Bois
Béton
20 000 Carrières
Ciment
10 000
-
Actuel 2050
La filière ciment-béton est celle qui fait face à l’un des plus gros défis stratégiques
de l’économie.
La possible mise en place du CBAM à l’échelle européenne est une opportunité pour
diminuer les risques pour les acteurs locaux et financer cette révolution.
38
Les hypothèses et méthodologie d’obtention de ces chiffres (par proportionnalité avec le CA) ne sont pas consolidées
dans le cadre du chantier « Emploi » du PTEF.
Echouer à déployer une stratégie comme le PTEF, à la hauteur des enjeux ne pourra
venir que de la combinaison d’une lenteur de la filière ciment-béton à mobiliser les
investissements requis, et d’une incapacité du domaine de la construction à piloter
ses changements d’ensemble (dont le développement de la filière bois d’œuvre
française au bon niveau et l’accompagnement des emplois, personnes et entreprises
dans la transformation ou la migration de leurs activités).
Si la filière ciment-béton française se rend capable d’être une clé de voûte de ces
évolutions en mettant en œuvre ce plan de transformation, elle en sera en plus
devenue la référence mondiale des prochaines décennies.
/
Scenario 1 décarb à 400kCO2/t Scenario 2: décarbonation totale CCS
Prix ciment gris 52.5 (€/t) 120 120 idem
Ebida estimé (1) 30% 30% idem
Cout CO2 à 120€/t 56 55 Carbon capture
Amortissement invest sur 10ans (2) 24 52 Transport and Storage (3)
Prix 2035 MIN (cost+) €/t 200 227 idem
Prix cagr 3,7% 4,7% idem
Nouvel Ebitda % si maintenu en absolu 18% 16% idem
Prix 2035 MAX (maintien %ebitda) €/t 235 275 idem
Prix cagr 4,9% 6,1% idem
(1) hypothèse moyenne conservatrice sur acteurs France. Réels publiés par certais acteurs côtés supérieurs
(2) Capex SFIC hors CCS 3400M€, amortis sur 10 ans sur volumes de MT 12
(3) cas Ademe Hauts de France, transport bateau offshore dans étude potentiel CCS de juillet 2020
Tableau annexe : Analyse de sensibilité des prix du ciment gris en France, selon le scénario de
décarbonation à 2035 (en €/t)
Source : calculs de The Shift Project
L’EBITDA (Earning before Interest Tax Depreciation and Amortization), est l’équivalent
anglo-saxon du profit d’exploitation avant intérêts financiers, impôts, amortissement
et dépréciation.
Le prix « 2035 MIN » désigne le prix d’un ciment gris typique en 2020 auquel s’ajoute
uniquement le surcoût de la décarbonation assumé en 2035. L’EBITDA chute dans ce
cas sous les 20 % du chiffre d’affaires.
Evolution
2019 2030
Part du lot dans 2019-
Cas d'étude d'une maison
le volume total Vol. Béton Vol. Béton 2030 des
individuelle de 100 m2
de béton béton dans le béton dans le volumes
(m3/log.) lot (m3/log.) lot de béton
Evolution
Emissions de GES de la maison individuelle 2019 2030 2019-
2030
Tableau 12 : Etude cas sur une maison individuelle en 2030 (données arrondies)
Source : calculs de The Shift Project
[1] The global cement report, « 13th edition », 2018. [En ligne]. Disponible sur:
https://www.cemnet.com/Publications/Item/182291/the-global-cement-report-
13th-edition.html
[2] CITEPA, « Données d’émissions et rapports d’inventaire », 2021. [En ligne].
Disponible sur: https://www.citepa.org/fr/telechargements/
[3] The Shift Project, « Habiter dans une société bas carbone - Dans le cadre du Plan
de transformation de l’économie française », 2021. [En ligne]. Disponible sur:
https://theshiftproject.org/article/rapport-final-habiter-dans-une-societe-
bas-carbone-7-octobre-2021/
[4] GCCA, « GNR database. Global Cement and Concrete Association. », 2018. [En
ligne]. Disponible sur: https://gccassociation.org/sustainability-innovation/gnr-
gcca-in-numbers/
[5] ADEME, « Plan de Transition Sectoriel de l’industrie cimentière en France : Premiers
résultats technico-économiques – Rapport de synthèse. », 2021. [En ligne].
Disponible sur:
https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/synthese-pts-
ciment-premiers-resultats-011384.pdf
[6] CNI et SFIC, « Décarbonation de l’industrie - Feuille de Route de la Filière Ciment »,
Conseil National de l’Industrie, 2021. [En ligne]. Disponible sur:
https://www.conseil-national-
industrie.gouv.fr/files_cni/files/csf/construction/decarbonation_feuille_de_rou
te_ciment.pdf
[7] CEMBUREAU, « Cemeting the European Green Deal - Reaching climate neutrality
along the cement and concrete value chain by 2050 », 2020. [En ligne]. Disponible
sur: https://cembureau.eu/media/kuxd32gi/cembureau-2050-roadmap_final-
version_web.pdf
[8] SFIC et ATILH, « Infociments 2019 - L’essentiel », 2019. [En ligne]. Disponible sur:
https://www.infociments.fr/sites/default/files/articles/pdf/SFIC2019-v3-BD.pdf
[9] CE Delft, « Additional profits of sectors and firms from the EU ETS. 2008-2019 », 2021.
[En ligne]. Disponible sur: https://cedelft.eu/publications/additional-profits-of-
sectors-and-firms-from-the-eu-ets/
[10] Legifrance, « Journal officiel “Lois et Décrets” n° 0297 du 22 décembre 2021 », 2021.
[En ligne]. Disponible sur: https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/jo/2021/12/22/0297
[11] Martirena, F. et al., « Calcined clays for sustainable concrete », 2018. [En ligne].
Disponible sur: https://link.springer.com/book/10.1007/978-94-024-1207-9
[12] elioth, « Le vrai du faux béton bas carbone », 2020. [En ligne]. Disponible sur:
https://elioth.com/le-vrai-du-faux-beton-bas-carbone/
[13] ADEME, « AVIS de l’ADEME - Captage et stockage géologique de CO2 (CSC) en
France », 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://librairie.ademe.fr/changement-