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Bulletin de l'Association de

géographes français

Les marges littorales nord-ouest de la Russie (The maritime access


of Russia to Baltic sea and Arctic ocean)
Thierry Guineberteau

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Guineberteau Thierry. Les marges littorales nord-ouest de la Russie (The maritime access of Russia to Baltic sea and Arctic
ocean). In: Bulletin de l'Association de géographes français, 75e année, 1998-1 ( mars). L'ex-URSS. Les temps de l'érosion.
pp. 38-47;

doi : https://doi.org/10.3406/bagf.1998.2015

https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_1998_num_75_1_2015

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Résumé
Résumé. - La Russie dispose d'une ouverture maritime au nord-ouest de son territoire, sur la mer
Baltique et l'océan Arctique. Ces fronts pionniers de l'époque tsariste puis soviétique présentent
toujours un intérêt économique et stratégique indéniable. Ces régions sont aujourd'hui confrontées aux
perturbations issues de la nouvelle donne territoriale et des nouvelles orientations économiques. Cette
façade maritime, loin de présenter une image homogène, s'organise autour de trois foyers distincts :
l'agglomération de Saint-Pétersbourg qui cherche à affirmer sa vocation de pôle régional dominant ; le
duo côtier Mourmansk/Arkhangelsk excentré vers les plus hautes latitudes ; l'isolât de Kaliningrad
entre Pologne et Lituanie. Issus de politiques volontaristes en matière de peuplement et de mise en
valeur, ces foyers cherchent aujourd'hui leurs propres voies de développement en misant
principalement sur les potentialités liées à cette position littorale.

Abstract
Abstract. - In the north-western part of its territory, Russia offers a maritime access to the Baltic sea
and the Arctic ocean. This tsarist then soviet "pioneer front" always presents undeniable economic and
strategic interests. These regions face the problems due to new territorial boundaries and economical
trends. Such a maritime front is not an homogeneous one, but is organized around three distinct
centers : the urban area of Saint-Petersburg which tries asserting its turn for major regional pole ; the
two coastal cities of Murmansk and Arkhangelsk, far away in northern latitudes ; the detached situation
of Kaliningrad between Poland and Lithuania. As they are issued from voluntary politics in peopling and
developing, these centers are now trying to find their own ways, betting on their coastal position.
Bull. Assoc. Géogr. Franc., 1998 - 1

Thierry GUINEBERTEAU*

LES MARGES LITTORALES NORD-OUEST DE LA RUSSIE


(THE MARITIME ACCESS OF RUSSIA TO BALTIC SEA AND ARCTIC OCEAN)

RÉSUMÉ. - La Russie dispose d'une ouverture maritime au nord-ouest de son


territoire, sur la mer Baltique et l'océan Arctique. Ces fronts pionniers de l'époque
tsariste puis soviétique présentent toujours un intérêt économique et stratégique
indéniable. Ces régions sont aujourd'hui confrontées aux perturbations issues de
la nouvelle donne territoriale et des nouvelles orientations économiques. Cette
façade maritime, loin de présenter une image homogène, s'organise autour de
trois foyers distincts: l'agglomération de Saint-Pétersbourg qui cherche à affirmer
sa vocation de pôle régional dominant; le duo côtier Mourmansk/Arkhangelsk
excentré vers les plus hautes latitudes; l'isolât de Kaliningrad entre Pologne et
Lituanie. Issus de politiques volontaristes en matière de peuplement et de mise en
valeur, ces foyers cherchent aujourd'hui leurs propres voies de développement en
misant principalement sur les potentialités liées à cette position littorale.

Mots-clés: Russie, littoral, Baltique, Arctique.

ABSTRACT. - In the north-western part of its territory, Russia offers a maritime


access to the Baltic sea and the Arctic ocean. This tsarist then soviet "pioneer
front" always presents undeniable economic and strategic interests. These regions
face the problems due to new territorial boundaries and economical trends. Such a
maritime front is not an homogeneous one, but is organized around three distinct
centers: the urban area of Saint-Petersburg which tries asserting its turn for major
regional pole; the two coastal cities of Murmansk and Arkhangelsk, far away in
northern latitudes; the detached situation of Kaliningrad between Poland and
Lithuania. As they are issued from voluntary politics in peopling and developing, these
centers are now trying to find their own ways, betting on their coastal position.

Key words: Russia, coastal zone, Baltic, Arctic.

Introduction

La présente analyse s'appuie prioritairement sur les acquis des différents


travaux menés en Russie depuis 1993, études qui m'ont conduit sur les secteurs de
Saint-Pétersbourg, Kaliningrad et Mourmansk. L'intérêt de cette façade maritime

IGARUN/Géollitomer-Nantes/UMR 6554 - CNRS.


MARGES LITTORALES NORD-OUEST RUSSIE 39

Les marges littorales nord-ouest de la Russie


- carte de localisation -
0 100 200 km

est indéniable pour le géographe littoraliste car elle concentre des formes variées
d'occupation et d'organisation de l'espace ainsi qu'une large gamme de
problématiques littorales. Ces régions en mutation cherchent à asseoir leur développement
sur les atouts liés à cette position de double interface terre/mer et Russie/étranger.
Autant d'éléments que nous chercherons à mettre en évidence sans pouvoir dans
un texte aussi court en affiner la présentation.

1. Aperçu d'une façade maritime morcelée

1. 1. Flux et reflux: la mobilité historique des frontières

Les avancées territoriales de la Russie de l'époque moderne sont décisives pour


ces régions nordiques. Le débouché arctique - Mer Blanche et Mer de Barents -
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est acquis au début du seizième siècle. La conquête de l'embouchure de la Neva


offre au régime tsariste l'ouverture sur la Baltique à la fin de ce même siècle.
Pertes et gains territoriaux se succèdent par la suite pour les secteurs baltes et
finnois mais ces deux acquis seront toujours préservés.
A l'issue du dernier conflit mondial, la Russie renforce sa position maritime par
des extensions territoriales au détriment de l'Allemagne (ancienne région de
Kônigsberg) et de la Finlande (qui perd son débouché maritime arctique et le
secteur baltique de l'actuel port de Vyborg) et par l'intégration des pays baltes au sein
de l'URSS. Cette domination soviétique sur la région est amplifiée par l'adhésion
de la Pologne et de la RDA au « bloc de l'Est» (Pacte de Varsovie et Comecon) et la
neutralité de la Suède et de la Finlande.
Le recul enregistré depuis la fin des années 80 modifie fondamentalement la
donne territoriale. Trois éléments contribuent ici à fragiliser la position de la
Russie. Le thème de l'élargissement de l'Union Européenne et/ou de l'OTAn symbolise
l'occidentalisation politico-économique des pays riverains de l'ex-URSS,
«occidentalisation» envisagée ou effective (réunification allemande, adhésion de la
Finlande à l'U-E). L'éclatement de l'URSS qui se traduit par l'indépendance affirmée
des trois Etats baltes prive la Russie d'une zone littorale majeure tout en isolant la
région de Kaliningrad. Enfin, l'éventualité d'une remise en cause des frontières de
la Fédération de Russie (notamment au sujet de Kaliningrad et de la frontière
estonienne) pèse sur le devenir de ces régions.

1.2. Concentrations et ruptures: un territoire éclaté

Les six «circonscriptions territoriales» (1) qui bordent les littoraux nord-ouest de
l'actuelle Fédération de Russie sont de superficies extrêmement variables et
totalisent plus d'un million de km2. Cettte vaste entité qui s'étire du 55° de latitude nord
jusqu'au-delà du cercle polaire est marquée par des conditions naturelles
rigoureuses: nuit et froid (atténué sur le zone côtière) dans les secteurs septentrionaux,
vents et précipitations dans les zones côtières. Les 10,9 millions d'habitants de ces
régions (en 1994), se regroupent pour près de 45% dans la circonscription de
Saint-Pétersbourg (ville fédérale). Si l'on fait abstraction de ce secteur particulier,
trois caractéristiques marquent le peuplement des cinq autres régions
administratives: la très faible densité moyenne (6 hab/km2 en 1994), la forte proportion de
citadins (plus de 75% en 1994) et la forte proportion de Russes (plus de 87% en
1989).
Au-delà de ce constat général, il est aisé de distinguer les secteurs de
concentration du peuplement et les secteurs «vides d'hommes». L'observation des densités
moyennes par circonscription opposent ainsi les 3 entités septentrionales (Carélie,
Mourmansk, Arkhangelsk) avec des densités allant de 2,5 à 7,5 h/km2 aux trois
autres: Kaliningrad (60 h/km2), Leningrad (76 h/km2) et bien sûr Saint-Pétersbourg.
Il est toutefois indispensable d'affiner cette vision «administrative» car la
population est très mal répartie à l'intérieur des trois régions du nord: au sud pour la
Carélie (autour de Petrozavodsk), sur le nord côtier pour Arkhangelsk, sur un axe
étroit nord-sud pour Mourmansk.

(1) Ces circonscriptions correspondent au premier échelon politique interne de la Russie (89 pour
l'ensemble de la Fédération). De types différents - oblast, république ethnique, ville fédérale - elles
sont qualifiées de «sujets égaux en droit» par la constitution de 1993. Sur le thème des découpages
territoriaux, cf. Radvanyi, 1995.
MARGES LITTORALES NORD-OUEST RUSSIE 41

Trois foyers distincts se dégagent donc au sein de cette façade maritime. Le


pôle majeur s'articule autour de la ville de Saint-Pétersbourg et de l'oblast «périur-
bain» de Leningrad, secteur auquel se rattache la partie méridionale de la Carélie
bordière du Lac Onega, avec la capitale régionale Petrozavodsk. Les pôles urbains
côtiers de Mourmansk et Arkhangelsk d'une part et la région de Kaliningrad
d'autre part correspondent aux deux autres foyers. Ces trois pôles de
concentration du peuplement et des activités sont individualisés par des ruptures spatiales
fortes. Les vastes ensembles boisés de l'arrière-pays d'Arkhangelsk et de la Carélie
centrale et septentrionale sont les secteurs climatiquement les plus rigoureux,
avec un peuplement très faible et discontinu. Par ailleurs, les frontières politiques
issues de l'indépendance des républiques baltes isolent totalement Kaliningrad de
la Russie et des autres régions du nord-ouest. Le manque de cohésion des régions
de cette façade maritime est accentué par le poids des décennies de centralisme
russe et soviétique.

2. Trois foyers littoraux distincts

2. 1. Saint-Pétersbourg et périphéries

Fondée en 1703 par Pierre le Grand sur un site peu favorable à


l'urbanisation, la ville de Saint-Pétersbourg revêtait un triple intérêt de par sa
situation. Conformément aux volontés du tsar de l'époque, la ville
(capitale jusqu'à la Révolution d'Octobre) est tout d'abord le symbole de
l'ouverture de la Russie traditionnelle sur «l'Europe des Lumières». Par
ailleurs, cette porte est un débouché vers les routes maritimes de l'Europe
du Nord et leurs prolongements océaniques, conférant une fonction
portuaire majeure à cet ensemble urbain relié à l'arrière-pays par la Neva et
les canaux. Enfin, Saint-Pétersbourg sur l'embouchure de la Neva et l'île
de Kotline (sur laquelle se trouve la base de Kronstadt) au large
constituent un verrou essentiel pour la défense du territoire russe.
L'organisation spatiale de ce secteur porte aujourd'hui les traces de ces
motivations initiales. Les axes continentaux vers Kiev, Novgorod-Moscou,
Vologda, et dans une moindre mesure Petrozavodsk, structurent
partiellement l'arrière-pays, amplifiant ainsi l'image du rayonnement de l'ancienne
capitale déjà perceptible dans le tissu urbain, et renforçant la cohésion
entre la ville-centre et les périphéries proches (oblast de Leningrad et sud
Carélie). Née de la forteresse Pierre-et-Paul et du port fluvio-maritime,
l'agglomération se développe progressivement autour de la baie de la
Neva. La digue de Kronstadt actuellement en construction, en créant une
liaison fixe entre l'île de Kotline et les rives nord et sud de la baie, apparaît
comme l'aboutissement de cette urbanisation côtière.
Coutumière des aléas démographiques, Saint-Pétersbourg a atteint son
maximum historique à la fin des années 80, dépassant les cinq millions
d'habitants. Les tendances récentes (1989/1994) mettent en évidence un
fort déclin (-137000 habitants) porté par un solde migratoire négatif que
ne parvient pas à compenser la légère croissance de l'oblast périphérique
de Leningrad (+10000 habitants). Deuxième ville de Russie, l'ancienne
capitale concentre de puissantes fonctions industrielles et tertiaires lui
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conférant logiquement un rôle régional de premier rang, ambition freinée


par la prééminence moscovite (centralisme) et la nouvelle donne
territoriale qui réduit son aire d'influence.

2.2. Le binôme septentrional de Mourmansk et Arkhangelsk

Zones de peuplement ancien diffus, les secteurs bordiers de la Mer de


Barents et dans une moindre mesure de la Mer Blanche bénéficient de
conditions climatiques moins rigoureuses que l'arrière-pays grâce à la
douceur relative issue de la dérive nord-atlantique. Mourmansk- libre des
glaces toute l'année - et Arkhangelsk sont conçus comme les têtes de
pont de la Russie sur une mer ouverte (Arctique). En tant que tels, ces
pôles urbains concentrent population (environ 500000 habitants chacun)
et activités portuaires et industrielles, le plus souvent sous direction
extrarégionale.
Bien que ne bénéficiant pas d'un passé identique (Arkhangelsk est
fondée à la fin du seizième siècle et Mourmansk au début du vingtième), ces
deux agglomérations de fond d'estuaire - sur la Touloma pour
Mourmansk et la Dvina pour Arkhangelsk - présentent de fortes similitudes.
Elles s'organisent de façon linéaire sur l'estuaire et les axes de
communications en direction du sud (notamment vers le carrefour de Vologda et le
centre industriel de Tchérépovets). Le développement conjoint de
l'ensemble portuaire et de la zone urbaine de Mourmansk a ainsi entraîné l'ar-
tificialisation de la rive droite de la Touloma en quasi-continuité sur près
de 30 kilomètres. Dans un processus évolutif classique, les deux
structures initiales sont doublées d'avant-ports (et villes associées) à vocation
commerciale, halieutique et/ou militaire: Severodvinsk pour Arkhangelsk,
Severomorsk et Poliarny pour Mourmansk. Si comme nous l'avons
signalé, l'arrière-pays de la région d'Arkhangelsk est relativement désert,
la vocation extractive de la presqu'île de Kola est à l'origine d'un chapelet
de villes industrielles (villes nouvelles créées jusqu'à la fin des années 60)
qui se disposent sur un axe nord-sud le long du sillon minier et des voies
de communication, depuis la Mer de Barents (Mourmansk) jusqu'à la Mer
Blanche (Kandalaksa).
Les difficultés économiques et la remise en cause des aides de l'Etat en
faveur des habitants de ces régions polaires sont à la base d'un double
processus migratoire observable depuis la fin des années 80: un
mouvement intra-régional d'exode rural conduisant à l'abandon des villages
côtiers liés à la pêche ou la sylviculture, une migration extra-régionale des
populations - qui en ont les moyens financiers - vers le sud.

2.3. L'isolât de Kaliningrad

La «russification» de ce territoire de conquête récente fut systématique,


la quasi-totalité de la population allemande «disparaissant» de l'ex-région
de Kônigsberg à la fin de la guerre (mort, fuite, déportation vers d'autres
républiques de l'URSS). Cette mutation fondamentale fut facilitée et
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amplifiée par l'ampleur des destructions de la période de guerre -


reconstruction de Kaliningrad - et par l'intérêt hautement stratégique de cette
position avancée, secteur le plus occidental de l'ex-URSS.
Malgré les difficultés actuelles et les incertitudes quant au devenir de ce
secteur, l'attractivité de cette portion de la Russie ne se dément pas
aujourd'hui, l'oblast de Kaliningrad augmentant régulièrement sa
population. Les flux migratoires positifs sont actuellement portés par l'arrivée de
Russes autrefois résidents des Etats baltes ou des pays du Pacte de
Varsovie, et dans une moindre mesure de populations d'origine allemande de
l'Union Soviétique.
A l'image des régions arctiques, ce micro-territoire s'organise autour de
l'agglomération estuarienne de Kaliningrad (420000 habitants) sur la Pré-
golia. L'occupation côtière apparaît toutefois plus systématique et
diversifiée (petites villes et villages de pêcheurs, centres de loisirs, bases
militaires...). L'arrière-pays moins peuplé est dominé par une occupation
urbaine le long des axes de communication de l'époque soviétique, en
direction de Riga et Vilnius.
De par sa position, entre Pologne et Lituanie, ses problématiques
littorales et son histoire, cette enclave russe est étroitement liée à ses voisins
les plus proches. Ainsi, les liaisons terrestres avec le reste de la Russie, et
notamment les connections entre zones portuaires et arrière-pays,
supposent un accord avec les républiques baltes nouvellement indépendantes
ou bien une réorganisation totale des réseaux hérités de la période
soviétique (nouvel axe via la Pologne et la Biélorussie). Par ailleurs, vitaux pour
les activités et les populations régionales, les deux ensembles lagunaires
qui composent le littoral de Kaliningrad sont considérablement dégradés.
Coupés en leur milieu par les frontières d'Etat, leur gestion nécessite une
coordination russo-polonaise et russo-lituanienne. Le passé de cette
région enfin transparaît sous la forme d'investissements allemands - plus
souvent encore à l'état de projets que réels - qui peuvent être une
opportunité de relance de l'activité non exempte de risques: risque de
revendication territoriale qui n'est à l'heure actuelle soutenue que par quelques
groupuscules extrémistes allemands; risque de rejet déjà perceptible
d'une majorité des Russes de cette oblast qui voit dans ce processus une
«re-germanisation» du territoire cinquante ans après la guerre.

3. Des activités littorales communes à la dérive

3. 1. La problématique portuaire

La perte des infrastructures des républiques baltes et la transition en


cours vers une économie capitaliste ont considérablement ébranlé le
système portuaire de ces régions nord-ouest. Face à ce nouvel
environnement, soit la Russie cherche à pallier ses défaillances en la matière, soit
elle accepte qu'une part des flux - et des activités induites - lui échappe
avec les implications éventuelles: rapports difficiles avec les pays rive-
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rains, perte d'autonomie, effondrement de certaines industries portuaires


russes... Il semble que la tendance actuellement affirmée aille dans le
sens d'une augmentation des capacités portuaires des littoraux russes.
Ce choix, sans en juger ici l'opportunité, suppose de densifier les
implantations existantes (l'activité se concentre principalement sur les
quatre grandes villes portuaires de Saint-Pétersbourg, Kaliningrad,
Mourmansk, Arkhangelsk et quelques ports spécialisés) avec le problème des
disponibilités spatiales, ou bien de créer de nouveaux ports (plusieurs
projets sont à l'étude sur le pourtour du golfe de Finlande) impliquant
alors des investissements considérables. Densification ou création de sites
portuaires posent la question essentielle dans ces régions des accès
maritimes (libres de glaces, chenal d'accès) et terrestres (liaisons avec l'arrière-
pays fiables, multimodales et au moindre coût). Mourmansk et
Kaliningrad présentent les meilleurs atouts en matière d'accessibilité maritime
mais sont actuellement les pôles les plus excentrés et les moins bien
connectés au réseau continental. A l'inverse, le port de Saint-Pétersbourg
qui est le mieux intégré dans son arrière-pays est handicapé par un chenal
d'accès d'entretien coûteux (une trentaine de kilomètres de Kronstadt à la
côte).
Au-delà d'une perception exclusivement portuaire ou d'économie
régionale de la question, c'est une véritable problématique urbaine qui va se
poser à terme. Les quatre premières villes de ce nord-ouest russe sont des
cités côtières ou estuariennes dont le dispositif urbain s'articule
totalement ou partiellement autour des sites portuaires. Les réorganisations
futures auront nécessairement un impact sur l'urbanisme et l'image de
ces villes, comme ce fut le cas pour d'autres villes portuaires
européennes. Il y a toutefois de fortes probabilités pour que les changements
s'opèrent ici à un rythme plus rapide et dans un cadre économique et
institutionnel fragile.

3.2. L'omniprésence militaire

L'intérêt stratégique de ces littoraux - zones frontalières et bases


navales - est historique et demeure d'actualité. Cela se traduit par une
implantation militaire côtière (casernes, ports, bases sous-marines...)
omniprésente dominée par quelques sites majeurs: Kronstadt, Severo-
morsk, Severodvinsk, la baie d'Andeyeva (à 60 km de la Norvège) ou la
base de Baltiysk (face à la frontière polonaise).
Cette fonction militaire a avant tout un impact spatial du fait de
l'occupation directe de certains secteurs par l'armée mais surtout du fait des
interdictions ou des restrictions d'accès à un grand nombre de zones
côtières. L'impact écologique est quant à lui à la fois réel (rejets en mer) et
potentiel (risques issus du mauvais entretien des infrastructures côtières
et de la flotte de guerre) mais il demeure extrêmement difficile d'obtenir
des indications précises sur ce thème, les récentes tentatives sur la baie
d'Andeyeva ayant ainsi tourné court. Enfin, par les emplois directs et
induits (navale, complexe militaro-industriel...) qu'elle génère, par les
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populations qu'elle touche de près ou de loin, l'armée a un impact socio-


économique - et très certainement politique - considérable sur ces
régions littorales.
Sans aborder ici le thème général de la restructuration de l'armée russe,
une réorganisation de cette présence militaire littorale semble
indispensable car de nombreuses ambiguïtés apparaissent d'ores et déjà entre
cette fonction ancienne et de nouvelles orientations. Sur ce point, deux
exemples sont aujourd'hui tout à fait significatifs: les restrictions d'accès à
l'île de Kotline (sur laquelle se trouve la base de Kronstadt) sont-elles
compatibles avec la digue autoroutière en construction et donc les flux qui
à terme transiteront par ce secteur? La militarisation massive (que
certaines estimations évaluent à 200000 militaires!) de l'oblast de
Kaliningrad est-elle compatible avec le désir du gouvernement central de faire de
cette enclave le «Hong-Kong de la Baltique»? Il est clair que sur ces
points, les décisions demeurent pour une large part extra-régionales.

3.3. L'effondrement de la filière halieutique

L'activité halieutique de la période florissante concernait la plupart de


ces littoraux à l'exclusion toutefois de l'extrémité orientale désertique de
la presqu'île de Kola. Si les secteurs de Mourmansk et Kaliningrad étaient
dominants, l'occupation côtière à vocation halieutique se composait d'un
semis de petites villes et villages côtiers dont la vocation principale - voire
unique - était la pêche. Elément essentiel du dynamisme économique
régional et du peuplement de certaines zones côtières, l'activité
halieutique est aujourd'hui dans une crise profonde.
Plusieurs éléments permettent de comprendre l'effondrement de ce
secteur, certains étant communs à l'ensemble de l'ex-URSS, d'autres plus
spécifiques à ces régions. L'épuisement de la ressource (surpêche de certaines
espèces, pollution des zones côtières) d'une part et d'autre part la
réduction des zones de pêche (mise en place des ZEE par les Etats riverains)
furent des facteurs déclencheurs. Les mutations récentes - politiques,
économiques et territoriales - entraînèrent l'implosion d'une filiale conçue par
et pour le système soviétique, inadaptée à la nouvelle situation.
Les quatre sociétés d'Etat et les trois kolkhozes qui organisaient la filière
halieutique de la région nord-ouest avant 1990 ont disparu au profit d'une
recomposition actuellement en cours dans un cadre institutionnel et
juridique extrêmement flou (sociétés privées, travailleurs indépendants, joint-
venture...), les tentatives de développement piscicole étant sur ce point
significatives. Le renouveau de la filière est loin d'être atteint. Faute de
moyens financiers, la flotte obsolète ne peut se renouveler ou se
moderniser. La désorganisation des circuits de transformation et de distribution
freine considérablement l'écoulement de la production et le marché est en
grande partie porté par une consommation locale qui reste limitée.
L'exploitation des ressources naturelles des domaines marins et côtiers
concerne bien évidemment d'autres secteurs que nous n'abordons pas ici
46 T. GUINEBERTEAU

car ils impliquent ces régions de façon moins systématique, plus localisée.
C'est le cas de l'extraction de l'ambre sur les plages de l'oblast de
Kaliningrad ou de l'exploitation d'hydrocarbures off-shore au large de la Mer de
Barents, projet pour lequel la phase d'exploration est aujourd'hui bouclée.

3.4. Le potentiel touristique

Les trois foyers littoraux de cet ensemble nord-ouest sont concernés par
ce «potentiel touristique» - et rêvent de le mettre en valeur - mais à des
degrés et sous des formes extrêmement variables. La ville ancienne de
Saint-Pétersbourg demeure en elle-même un pôle touristique de première
importance par la qualité de ses paysages urbains et de ses atouts
culturels... beaucoup plus que par l'attrait de sa zone côtière. Ce sont les
espaces périphériques de l'agglomération qui parviennent à combiner
l'attractivité du patrimoine architectural (type palais d'été) et naturel (côte
de la baie de la Neva, domaines forestiers, berges des lacs Ladoga et
Onega). Ceux-ci sont à la fois de véritables zones touristiques et des
espaces récréatifs périurbains comme on en trouve - à des degrés divers -
autour des autres agglomérations. Le littoral de Kaliningrad développe lui
aussi une forte fonction touristique. Elle se présente sous la forme de
stations côtières bénéficiant de lourdes structures d'accueil (sanatorium,
hôtels...) entre Svetlogorsk et Zelenogradsk et d'infrastructures plus
légères (bungalows, camps...) à proximité du parc naturel de la flèche de
Courlande (côte orientale). Les littoraux des hautes latitudes ont quant à
eux une vocation touristique ponctuelle et très ciblée mais d'un bon
rapport financier: pêche en rivière, croisière vers le pôle à bord des brises-
glace à propulsion nucléaire de Mourmansk...
Le tourisme est ici sans commune mesure avec les secteurs de la
Caspienne ou de la Mer Noire. Toutefois, les troubles politiques que connaît
le sud de la Russie, la proximité d'une clientèle étrangère à hauts revenus
et l'attractivité indéniable de Saint-Pétersbourg (base potentielle pour des
circuits touristiques à destination des autres régions du nord-ouest) sont
parmi les atouts exploitables à terme. Loin d'en être là, le tourisme dans le
nord-ouest demeure aujourd'hui handicapé par un milieu naturel très
détérioré (pollution des eaux de baignade et des plages, dégradations
paysagères...), des infrastructures vétustés et/ou insuffisantes par rapport
aux attentes de la clientèle étrangère (pour des tarifs néanmoins assez
élevés), une position excentrée par rapport à la clientèle russe (qui à distance
identique préfère souvent le tourisme à l'étranger), et enfin un mode de
gestion hérité de la période soviétique q>u.i s'avère inadapté aux nouvelles
orientations envisageables.

Conclusion

Au-delà de l'instabilité de l'actuelle Russie et des difficultés inhérentes


aux restructurations en cours, cette façade maritime dispose d'atouts
MARGES LITTORALES NORD-OUEST RUSSIE 47

indéniables que des volontés locales voudraient renforcer en affirmant


cette position d'interface entre l'étranger et la Russie continentale.
Toutefois, de multiples éléments sont de nature à contrecarrer cette tendance.
La frilosité de l'Europe à s'engager dans des actions en Russie - qui
lorsqu'elles se font transitent pour l'essentiel par Moscou - freine la vocation
internationale espérée. La position périphérique de cet ensemble vis-à-vis
des foyers de peuplement et des flux nationaux ou internationaux ne fait
qu'amplifier la difficulté d'affirmer un rôle d'interface. Le maintien d'un
centralisme fort, dans un territoire national qui s'est considérablement
rétracté à l'ouest, annihile les volontés de cohésion et de stratégie
régionales plus autonomes. Est-ce que ce sont des signes d'une
marginalisation progressive de cet espace hétérogène du nord-ouest? Balottees entre
intérêts nationaux et régionaux, entre héritages et devenirs possibles, ces
régions du nord-ouest de l'actuelle Fédération de Russie s'engagent dans
une mutation à suivre.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
BAYOU C, BERTRAND G., 1996. - Les nouvelles ambitions de Saint-Pétersbourg, Le Courrier des Pays de
l'Est, n°412, septembre, La Documentation française, pp. 55-75.
CABANNE C, SIDOROVA V., TCHISTIAKOVA E., 1996. - La Russie aujourd'hui, Sirey, 157 p.
CASTEL (du) V., 1996. - La région de Kaliningrad: un test pour la politique du pouvoir central. Le Courrier
des Pays de l'Est, n° 408, avril, La Documentation française, pp. 47-65.
RADVANYI J., 1995. - La nouvelle Russie - L'après 1991 : un nouveau «temps de troubles». Masson/
A. Colin, 406 p.

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