Vous êtes sur la page 1sur 80

Cahiers du monde russe et

soviétique

La présence ottomane au sud de la Crimée et en mer d'Azov dans


la première moitié du XVIe siècle
Gilles Veinstein, Mihnea Berindei

Citer ce document / Cite this document :

Veinstein Gilles, Berindei Mihnea. La présence ottomane au sud de la Crimée et en mer d'Azov dans la première moitié du
XVIe siècle. In: Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 20, n°3-4, Juillet-Décembre 1979. pp. 389-465;

doi : https://doi.org/10.3406/cmr.1979.1367

https://www.persee.fr/doc/cmr_0008-0160_1979_num_20_3_1367

Fichier pdf généré le 11/05/2018


Résumé
Mihnea Berindei, Gilles Veinstein, La présence ottomane au sud de la Crimée et en mer d'Azov dans la
première moitié du XVIe siècle.
La mainmise des Ottomans sur le sud de la Crimée et la mer d'Azov, à partir de 1475, conduit à la
constitution du livâ' de Kefe. L'exploitation de deux recensements de cette province, qu'on peut dater
respectivement de 1516-1519 et 1542, en donne une image précise pour la première moitié du XVIe
siècle : les possessions turques ne prennent la forme d'une bande continue de villes entourées de
campagnes et de villages que dans le sud-ouest de la Crimée, lequel garde son caractère séculaire de
région agricole à population majoritairement chrétienne-orthodoxe. A cette zone, d'ailleurs en
stagnation, s'opposent les enclaves et têtes de pont auxquelles les Ottomans se sont limités sur le
reste de la côte (Kefe, Kerš, Taman, Azaq, Qopa et Temruq). Là, en dehors des pêcheries, en
particulier dans la région d'Azaq, les intérêts de la Porte sont principalement militaires et commerciaux
: la capitale de la province, Kefe, est, selon les critères ottomans, une ville, un port et une place forte
de première importance. Là, la population s'accroît, nourrie par l'immigration des contrées voisines, et
renforce son caractère musulman même si les Arméniens restent, comme par le passé, la première
communauté de Kefe. Là, enfin, les effectifs et arsenaux des garnisons, sur lesquelles nos sources
sont exceptionnellement précises, font l'objet d'une attention particulière de la Porte.
Un autre contraste est mis en évidence par la comparaison des budgets de la province tels que nous
pouvons les analyser, de façon très détaillée, pour chacun des deux recensements : elle fait
apparaître, d'un budget à l'autre, une chute brutale des revenus fiscaux liés au commerce dont nous
recherchons l'explication dans la rupture diplomatique entre le khanat de Crimée et la Moscovie,
accompagnée d'un développement de la route moldavo-polonaise. Ces deux facteurs majeurs,
survenant entre les deux recensements, ont gravement affecté les échanges entre Moscou et le sud
de la Crimée dont la prospérité à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, jointe à une situation
politique calme, avait placé les premières décennies de la domination turque dans la région, sous des
auspices extrêmement favorables.

Abstract
Mihnea Berindei, Gilles Veinstein, The Ottomans in Southern Crimea and in the region of the Azov sea
during the first half of the sixteenth century.
The annexation by the Ottomans of the Southern Crimea and of the Azov sea, which had started in
1475, resulted in the constitution of the livâ' of Kefe. The study of the two census registrations carried
out in this province in 1516-1519 and in 1542 respectively, gives a precise picture of the region during
the first half of the sixteenth century. It is only in the Southwestern Crimea — which preserves its
secular characteristics of an agricultural country with mainly a Christian-Orthodox population — that
Turkish possessions form a continuous chain of cities and rural sites with villages. In contrast to this
area — incidentally a stagnant one — on the rest of the coast, the Ottoman possessions were limited
to mere enclaved territories and bridge-heads (Kefe, Kerš, Taman, Azaq, Qopa, Temruq). Here, further
to fisheries, especially in the region of Azaq, Turkish targets are mainly military and commercial: the
capital of the province, Kefe, is according to the Ottoman pattern, at once a city, a fortress and a
harbour of primary importance. Here, the population develops by the immigration from neighbouring
countries and its Muslim character is intensified, even though Armenians still constitute (as in the past)
the most numerous community of Kefe. Here, finally, the Porte grants its utmost care to the manpower
and war material (artillery included) of the garrison — a subject on which our sources are exceptionally
precise.
Another contrast appears clearly from the comparison of the two successive budgets of the province,
details of which are made fully available for our analysis by the census: in the second of these budgets
there is a sharp fall in the state revenues derived from trade. The explanation of this brutal recession
might be looked for in the diplomatic break between the khanate of Crimea and Muscovy, as well as in
the development of the Polish-Moldavian trade route. These two major factors, which occurred
between the two registration periods, have had a significant impact upon the commercial exchange
between Moscow and Southern Crimea. The prosperity of this trade at the end of the fifteenth and at
the beginning of the sixteenth centuries, together with a peaceful political situation, created the most
auspicious conditions for the first decades of the Turkish domination in the area.
MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

LA PRÉSENCE OTTOMANE

AU SUD DE LA CRIMÉE ET EN MER D'AZOV

DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIe SIÈCLE

Les registres de recensement conservés dans les archives de Turquie


constituent, comme l'ont montré des travaux récents, une source
exceptionnelle pour l'étude historique des provinces de l'Empire ottoman dans
leurs aspects les plus divers : non seulement démographie, organisation
territoriale, toponymie et fiscalité mais aussi administration, économie,
état militaire.
En ce qui concerne les possessions ottomanes de Crimée et de la mer
d'Azov, conquises à partir de 1475 et formant la province ou livâ' de
Kefe, les deux documents de ce type dont nous ayons connaissance datent
de la première moitié du xvie siècle et rendent donc l'étude de cette
période tout à fait privilégiée. Il s'agit des registres Tapu ve Tahrir
nos jyo et 214 (cités infra, TT jjo et TT 214) des archives de la Présidence
du Conseil ( Baçbakanhk arçivi) à Istanbul. Le premier qui contient
608 pages (48 x 17 cm) n'appartient pas à proprement parler à la
catégorie des registres dits détaillés (mufassal defteri) consignant directement
une opération de recensement. Il reprend sous une forme simplifiée,
vraisemblablement pour répondre à un besoin de l'administration, l'essentiel
des données de recensements civils et militaires effectués dans plusieurs
provinces européennes de l'Empire (Edirne, Vize, Čirmen, Qirqkilise,
Silistre, Kefe et Nigbolu). Le TT 370 ne porte pas de date mais certaines
caractéristiques et des éléments de la critique interne ont conduit à le
placer au début du règne de Suleymân ierl. Toutefois, le passage relatif
à Kefe (pp. 481-497) recopie manifestement les données d'un recensement
remontant au règne du sultan précédent, Selïm Ier, puisqu'il comporte
une mention relative à un legs pieux (p. 491) présentant ce souverain
comme le sultan régnant. D'ailleurs, nous constaterons en entreprenant
dans cette étude l'examen des données fiscales du passage considéré
qu'elles ne peuvent être postérieures à 1519. Le TT 214 porte au contraire
une date de rédaction : le 20 regeb 949 soit le 30 octobre 1542. Ce volume
de 269 pages (14,5 x 42 cm), consacré cette fois au seul livâ' de Kefe,
est l'unique registre détaillé connu pour cette province, établi à la suite
d'un recensement effectué à cette même époque.

Cahiers du Monde russe et soviétique, XX (3-4), juil.-déc. IÇ79, pp. 38Q-465.


390 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Le passage du TT yjo relatif à la province de Kefe comporte les


règlements fiscaux (qânunnâme) définissant les taxes propres à ce livâ'.
II donne ensuite les chiffres de population des villes (quartier par quartier)
et ceux des villages ainsi que les montants des revenus fiscaux (article
par article pour les villes, globalement pour les villages). Enfin, il passe
en revue les effectifs et les arsenaux des garnisons. Quant au TT 214, après
une version remise à jour des règlements fiscaux, il dresse un bilan
financier, récapitulant les recettes et les dépenses, véritable budget de la
province. Il énumère ensuite les villes et les villages, dénombrant la
population de chacun d'entre eux en précisant les noms et patronymes
des chefs de foyers, célibataires et veuves et en entrant dans le détail des
différents revenus fiscaux. Enfin, il se termine par un certain nombre
d'actes de donations pieuses.
Nous avons déjà entrepris antérieurement la publication de l'ensemble
des règlements fiscaux du TT 2142 qui ne diffèrent pas de façon notable
de ceux du TT 370; comme ce n'était toutefois pas le cas de la version
des deux documents relatifs à Azaq, nous avons édité cette dernière par
ailleurs3. Notre but dans la présente étude est d'aller au delà des
enseignements des qânunnâme et de poursuivre notre investigation sur la province
ottomane de Kefe en prenant en considération d'autres apports des deux
registres mentionnés.

I. — DÉFINITION DU LIVA1 DE KEFE :


ASPECTS ADMINISTRATIFS, ÉCONOMIQUES, DÉMOGRAPHIQUES, MILITAIRES

Dès sa constitution, le livâ* de Kefe est l'une des provinces frontalières


les plus importantes de l'Empire. On peut suivre ici, avec peut-être plus
d'évidence que nulle part ailleurs, les principes majeurs qui déterminaient
la politique des conquêtes ottomanes. Les intérêts militaires et
économiques sont étroitement liés. Ainsi la plupart des places ottomanes de
Crimée sont à la fois des positions stratégiques et des marchés.
L'exploitation des ressources locales est assurée en même temps que le contrôle
des débouchés des routes de commerce. La maîtrise de la région est
réalisée au moindre coût, compte tenu de la configuration géographique
des lieux.
L'aspect général du livâ* est celui d'une suite d'enclaves plus ou moins
étendues, souvent de simples têtes de pont : le sud-ouest de la Crimée,
la ville de Kefe, la zone Kerš-Taman et enfin une lointaine annexe, la
forteresse d'Azaq. La liaison se fait surtout par mer et c'est encore la mer
qui permet le contact avec le reste de l'Empire4.
Du point de vue administratif, la province est divisée, à l'époque que
couvrent nos deux registres, en six qa?â: Azaq, Taman, Kerš, Sogudaq,
Mangub et Kefe, cette dernière abritant la résidence du sangaqbeg. Les
agents du fisc ottoman recensent huit villes (les six sièges des qa?â, plus
les villes d'Inkerman et de Bahqlagu rattachées à Mangub) et environ
soixante-dix localités6. Les villages, à l'exception de trois d'entre eux
dépendant de Kerš, sont groupés au sud-ouest de la Crimée dans les qa?â
de Mangub (une cinquantaine) et de Sogudaq (une vingtaine) (voir carte).
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 3ОД

Azaq, la plus septentrionale des possessions ottomanes, située sur la


rive gauche du Don, non loin de l'estuaire de ce fleuve, est tout d'abord
une place forte, un point d'observation des mouvements des Tcherkesses
de Žane, des Kabardes, des Nogays de la Petite Horde, des Tatars de
Crimée et bientôt des Cosaques Zaporogues ou du Don. C'est aussi, du
moins, comme nous allons le voir, jusqu'aux alentours des années 20
du xvie siècle, le débouché des grandes routes de commerce qui mènent
soit à travers la steppe vers Astrakhan, soit le long du Don, vers Kazan
ou la Moscovie. Mais Azaq représente également, grâce à son marché
d'esclaves et à l'exploitation du poisson et de ses dérivés6, une source
continuelle de revenus et d'approvisionnement.
Le détroit mer Noire - mer d'Azov est contrôlé par les forteresses de
Kerš et de Taman. La présence ottomane au Caucase est étayée par les
garnisons de Taman, de Temruq-Qopa et de Lahot (?), ces dernières
placées à l'embouchure du Kouban sur la mer d'Azov. Il s'agit avant tout
d'une présence militaire : il faut surveiller les Tcherkesses du Kouban,
surtout les Žane et les Hatko qui ont dû accepter la double domination
du sultan et du khan de Crimée7 ; mais les intérêts économiques ne sont
pas absents. Les règlements des marchés de Taman, de Qopa ou de Kerš
nous en apportent la preuve8. Enfin le détroit de Taman, second
complexe de pêche de la région, est largement mis en valeur par les
pêcheurs à la madrague de Taman et de Kerš.
La ville de Kerš et les trois villages qui en dépendent, seule enclave
ottomane sur la côte est de la Crimée, assurent le passage de la Crimée
au Caucase, passage des troupes tatares lors de leurs expéditions punitives
contre les Tcherkesses9 ou celui des produits transitant à destination
ou en provenance de Kefe, d'Azaq ou de Taman. C'est aussi un marché
d'esclaves, de poisson, de caviar, de céréales et de bétail où l'on rencontre
des marchands tatars ou tcherkesses, et un point de douane pour les
bateaux naviguant en mer d'Azov10. La route de terre qui relie Kerš
à Kefe traverse le fief du puissant clan de Šiřin. Les salines du sud-est
de la Crimée échappent également au contrôle ottoman.
Le qazâ de Kefe, comme celui d'Azaq, n'est constitué que de la ville
même. Celle-ci, adossée à la montagne, offre la meilleure rade de la région.
Le seul accès aisé par voie de terre se trouve au nord-est de la ville, en
longeant la mer. Remmal Hoga, l'auteur de l'Histoire du khan Sàhib
Giray, khan de Crimée de 1532 à 1551 dont il a été le précepteur, nous
renseigne sur les limites territoriales de la juridiction ottomane en cet
endroit. Selon ce chroniqueur, la frontière a été fixée par Gedik Ahmed
pasa, le conquérant de 1475, à une portée de canon des murs de la cité,
sur la colline dite du Pasa (Pasa Tepesi)11. Principale forteresse et base
navale de la province, Kefe dirige toutes les opérations militaires engagées
dans la région. Elle permet aussi aux Ottomans, de même que leurs autres
possessions en Crimée, le contrôle direct du khanat de Crimée, allié
capricieux dont les intérêts divergent souvent de ceux de la Porte12.
A la fin du xve siècle, Kefe est, de par sa population et grâce à son
commerce, l'une des principales villes de l'Empire ottoman. Sur cette
place, les marchands d'Istanbul, Brousse, Kastamonou, Sinop, Amasya,
Merzifon, Konya et d'autres centres anatoliens côtoient des marchands
tatars, moscovites et même italiens13. Si cette situation existe encore au
392 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

début du xvie siècle, on assiste pourtant, à une date intermédiaire entre


la rédaction des deux registres fiscaux que nous présentons dans cette
étude, à une baisse spectaculaire des revenus. Nous reviendrons plus loin
sur les raisons de ce changement, lié, sans doute, à une chute des activités
commerciales. De toute manière, Kefe joue encore, au milieu du xvie siècle,
un rôle considérable dans l'économie ottomane. Ses pêcheries pourvoient
largement à l'approvisionnement d'Istanbul. Sur son marché sont
échangés des produits d'exportation ottomane (tissus, vins, articles
manufacturés) contre des produits locaux (bovins, moutons, chevaux,
céréales, légumes, cuir) ; les Tatars y trouvent un débouché commode
pour leur principale marchandise : les esclaves14. A côté des métiers
indispensables à toute grande agglomération : bouchers, meuniers, boulangers,
épiciers, gargotiers, fabricants de savon, tenanciers de hammam, tailleurs,
bonnetiers, potiers, serruriers, médecins, sont présentes des activités
artisanales qui indiquent une certaine spécialisation (tanneurs, corroyeurs,
fourreurs, cardeurs) et des productions de luxe telles que la bijouterie
et la fabrication d'étoffes précieuses15.
Les deux qa?d du sud-ouest de la Crimée, Sogudaq et Mangub, occupent
sans interruption la bande du littoral formée par les pentes méridionales
des montagnes de Jajla. C'est en fait le territoire qui constituait
précédemment la Ghazarie, ou Gothie, génoise16 auquel s'ajoutent les
possessions de l'ancienne seigneurie de Mangub17 : le port d'Inkerman (Calamita),
la riche vallée du Baydar, les localités sises à l'entour de Mangub ou bien
entre les vallées de Belbek et de Kača. Il s'agit donc, comme pour le reste
du livď , des territoires se trouvant à l'extérieur des limites du khanat de
Crimée en 1475. Nous avons même relevé le cas d'une ancienne possession
génoise, Otuzii Locus (Otuzlar), qui était passée sous la domination
tatare ; seuls les trois foyers de Tcherkesses judaïsés qui sont recensés dans
le registre TT 214 (p. 90) dépendent de Kefe18. La seule intervention
économique ottomane en terre tatare se manifeste à Gôzleve,
vraisemblablement à partir de 1540 : à cette date Sahib Giray avait demandé au
sultan l'établissement d'une échelle dans ce port19 ; or en 1542 le produit
de la douane de Gôzleve (ou peut-être une simple participation ottomane
à ce produit) apparaît comme s'ajoutant aux revenus de Kefe (cf. infra,
tableau B, I, 1).
Le rôle militaire des quatre forteresses de Sogudaq, Mangub, Inkerman
et Bahqlagu, est, comme nous le verrons plus loin, plutôt réduit. Par
contre, la place des régions du sud-ouest de la Crimée dans l'économie
du livff est de premier ordre : elles assurent en grande partie
l'approvisionnement en vivres de Kefe et probablement des autres villes de la
province. Si l'on excepte la presqu'île de Taman et peut-être les environs
de Kerš et d'Azaq, les seules terres cultivables ou d'élevage du livâ" se
trouvent sur le territoire des qa?à de Mangub ou de Sogudaq. L'examen
des revenus des villes et villages qui en dépendaient (cf. infra, tableaux
B, I, 13 ; III, 6-9 ; IV ; C) montre clairement que la plupart d'entre eux
concernent justement la production céréalière, légumière, animalière ou
piscicole. Par ailleurs si les recettes des quatre villes sont en baisse d'un
registre à l'autre (mais ne faut-il pas imputer cette chute à la situation
générale du commerce du livď ?), celles des villages sont globalement en
hausse, hausse quelquefois notable (ainsi pour les villages de Qun et Ulu
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 393

Ozen, de Korbaqla, d'Alusta, de Nehora (?) (Qâçhh), de Partin (deru),


de Hurzuf, de Yalta avec ses dépendances, de Sikite).
Aucun de ces deux qa?d n'apparaît nommément dans les règlements
fiscaux de la province ; ils y sont pourtant désignés (du moins en partie)
par le terme générique de « Tateli » (pays des Tatars), que nous avions
trop vite interprété comme s'appliquant à la Crimée20. Evliyâ Čelebi
nomme « Tateli » le bord de la mer se trouvant au sud des montagnes de
Cadir21 ; or ce massif domine les villages, dont Alušta et Lanbad, situés
à la limite des juridictions des deux qa?d. Il s'agirait donc plus précisément
de la bande côtière délimitée par Sogudaq au nord et Yalta au sud, zone
des plus riches villages du livâ\ C'est de cette région qu'arrive à Kefe
quantité de céréales, légumes, fruits, vin, miel, moutons, bovins,
poissons22. Ces produits assurent une certaine autonomie alimentaire à la
province sans pourtant exclure des importations en vivres du reste de
l'Empire ottoman (céréales, fruits, huile, vin) ou de la Crimée (bovins,
moutons, agneaux, miel, graisse, sel)23.

L'évolution de la population de la province de Kefe dans la première


moitié du xvie siècle, a fait récemment l'objet d'une étude particulière24.
Nous en reprendrons ici les principales conclusions : autour des années 1520,
la province comprend 6 818 foyers, 337 célibataires et 585 veuves, ce qui
correspondrait à quelque 36 800 âmes. Relevons d'emblée la modestie de
ce chiffre par rapport au nombre d'habitants de la plupart des autres
provinces ottomanes à la même époque. Notons toutefois qu'ici comme
ailleurs certaines catégories ne sont pas prises en considération par le
recenseur car elles échappent à la fiscalité individuelle courante (nomades
tatars et tcherkesses, esclaves, soldats). En 1542, la population accuse
une légère baisse si l'on tient compte des foyers, élément démographi-
quement le plus fiable : elle est passée à 6 679 foyers, 1 260 célibataires
et 554 veuves. Une première caractéristique de cette population est
l'importance, d'ailleurs croissante, de l'élément urbain : il passe de
63 % à 67 % du total des foyers. Il est bien entendu néanmoins que la
distinction entre population urbaine et population rurale ne peut avoir
tout son sens dans un contexte où la différence entre ville et village est
souvent fictive, tenant principalement à la présence d'une forteresse et
non à des fonctions profondément hétérogènes. Au-dessous de quelque
200 foyers (cas de la moitié de nos villes), une ville ainsi entendue ne se
distingue pas d'un gros village. En fait, parmi les huit villes recensées,
seule Kefe se mesure aux principales agglomérations de l'Empire
ottoman : elle passe de 3 017 à 3 043 foyers, c'est dire qu'avec ces deux chiffres,
le chef-lieu du livâ' regroupe plus de 40 % de la population.
Du point de vue ethnico-religieux, le peuplement de la province est
constitué de musulmans (Turcs, Tatars, Tcherkesses), de chrétiens
(Grecs, Arméniens, Slaves, Tcherkesses) et de Juifs. Les non musulmans
restent la majorité ; cependant, l'islamisation progresse, dans les villes
surtout, mais aussi dans les campagnes : dans le premier registre, les
foyers musulmans urbains (soit 98 % des foyers musulmans) représentant
32 % des foyers urbains (pourtant, à Taman et Azaq, les musulmans
394 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

sont d'ores et déjà majoritaires). Dans le second registre, les musulmans


comptent pour 45,5 % des foyers urbains et 13 % des foyers ruraux.
Remarquons que, parmi les non musulmans de la province, on ne
retrouve trace d'aucun chrétien de rite latin, héritier de la présence
génoise, recensé comme tel. En revanche, les « Grecs » ou plus exactement
les chrétiens de rite orthodoxe (Rumydn) représentent, si l'on ajoute,
comme on semble fondé à le faire, à ceux des villes recensés expressément
sous cette désignation (TT 370: 28,5 % de l'ensemble des foyers urbains ;
TT 214: 22,7 %) la grande majorité des gebrdn (entendons, mécréants)
des villages. Toutefois, à Kefe, la communauté chrétienne de loin la plus
nombreuse est — trait permanent depuis l'époque génoise — représentée
par les Arméniens (TT 370: 1 339 foyers soit 44 % des foyers de cette
ville ; TT 214 : 36 %). Ils sont également présents dans les quatre villes
du sud-ouest de la Crimée, mais totalement absents des villages du livâ*.
Quant aux Juifs, comme avant la conquête ottomane, ils restent peu
nombreux dans la région : 177 foyers dans le TT 370 et 153 foyers dans
le TT 214, répartis entre Kefe, Mangub, Bahqlagu, Sogudaq et le village
d'Alusta. Comme l'indiquent les chiffres que nous venons de citer, on
observe, entre les deux registres, un recul sensible de ces trois
communautés qui contraste avec le progrès des musulmans.
L'étude de la population permet de retrouver l'opposition déjà
aperçue entre deux secteurs de la province : tandis que le sud-ouest de la
Crimée, zone traditionnellement mise en valeur, de peuplement ancien
et varié, stagne à notre époque, l'ensemble qui comprend la ville de Kefe
elle-même, la région de Kerš-Tarnan et enfin Azaq, fait preuve d'un réel
dynamisme. Dans les quatre villes du sud-ouest, la population baisse
d'un registre à l'autre, de façon particulièrement spectaculaire à
Mangub ( — 43 %) et à Sogudaq ( — 21 %) ; seuls les villages du «Tateli »
témoignent encore d'une certaine vitalité ; les mêmes villages que nous
avons cités précédemment en raison de l'augmentation de leurs revenus,
connaissent parallèlement une hausse de leur population. Par ailleurs,
les villes du détroit et de la mer d'Azov présentent de leur côté des hausses
substantielles de population : de 12 % à Taman, 80 % à Azaq et 45 % à
Kerš. Ce développement va de pair avec un net renforcement de l'élément
musulman : en 1542, Taman est devenue entièrement musulmane et Kerš
l'est à 70 %. Ce même mouvement a dû entraîner l'islamisation des
Tcherkesses chrétiens d'Azaq, Kerš et Taman ; ainsi s'expliquerait la
disparition dans le second registre de ces éléments à Azaq et à Taman,
leur réduction importante à Kerš, villes par ailleurs en expansion. Azaq
où la proportion de la composante musulmane se maintient, dépasse
Sogudaq pour devenir désormais la seconde ville du livď par le nombre
des habitants. Son expansion se marque notamment par l'accroissement
de l'élément slave (rus) et le doublement du nombre de ces pêcheurs non
musulmans dont le recenseur ignore d'ailleurs l'appartenance ethnique ;
ce doublement doit être relié à l'importance économique des pêcheries
d'Azaq. A côté du facteur économique, le pouvoir d'attraction sur les
populations voisines et le rôle militaire de ces divers postes avancés de la
pénétration ottomane expliquent le dynamisme de cet ensemble. En
outre, pour se faire une idée juste de la population globale de ces villes,
il faut avoir présent à l'esprit que l'élément civil musulman est considé-
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 395

rablement renforcé par les effectifs d'importantes garnisons qui seront


passées en revue plus loin25.
La population du livâ* est encadrée par les agents administratifs et
religieux qu'on retrouve dans toutes les provinces de l'Empire. A vrai
dire, les registres de recensement ne les font connaître que très
partiellement : ils en citent certains à travers les stipulations des qânunndme ou
les libellés des divers revenus fiscaux, comme bénéficiaires ou percepteurs
de droits ; de plus, lorsqu'ils précisent les métiers des habitants qu'ils
recensent, ils peuvent révéler la présence d'un certain nombre de fonctions
officielles ; enfin, il leur arrive de distinguer par leur titre les chefs de
quelques communautés spécifiques. Néanmoins pour obtenir une
connaissance plus approfondie de l'organisation administrative de la province,
de la nature exacte des fonctions existantes, il faudrait pouvoir recourir
à d'autres sources (registres de qâdï, bérats de nomination, etc.). En
l'absence de ces dernières, nous nous limiterons principalement à l'apport
de nos registres en la matière.
A la tête de la province est placé le gouverneur. A la fin du xve et au
début du xvie siècle, cette fonction est occupée à deux reprises par des
princes impériaux (Sehzâde) : Mehmed, l'un des fils de Bâyezîd II
commande à Kefe à partir d'octobre 1497 au plus tard26 et jusqu'à sa
mort en 910 (1504-1505)27 ; son neveu Sùleymân, fils de Selïm Ier — le
futur Soliman le Magnifique des Occidentaux — lui succède jusqu'à mai
ou juillet 151228. Signalons qu'une alliance matrimoniale avec la fille du
khan Mengli Giray fut envisagée par le premier prince et finalement
réalisée par le second. Le titre des gouverneurs de Kefe est le plus souvent
celui de sangaqbeg (ou son équivalent mïrlivâ')29. Pourtant, en deux
circonstances, le gouverneur de Kefe est gratifié du titre supérieur de
beglerbeg: juste après la conquête, en 147630, et, peu après la période que
nous étudions ici, en 1569, lors de la campagne ottomane d'Astrakhan31.
Il ne s'agit cependant que de promotions temporaires liées à des
préoccupations militaires et ce n'est qu'à la fin du siècle, à partir de 158132, que la
province de Kefe, de simple livâ\ sera définitivement élevée au rang de
beglerbeglik. Comme le confirme un document de 1552, le rôle du
gouverneur est avant tout de superviser la défense et les opérations militaires de
la province : un sangaqbeg de Kefe sera ainsi disqualifié sous prétexte
qu'il est « incapable de monter à cheval et d'en descendre et même de s'y
tenir, et par conséquent d'assurer la sécurité du pays »33. Il semble que les
détenteurs de la charge changeaient souvent et d'autre part que leur
allocation financière était variable (cf. infra, p. 429). Un document, encore
de 1552, précise qu'ils étaient secondés dans les villes ou des bourgs
importants comme Alušta par des subahiA.
Par ailleurs, les qâdï ont la haute main sur les questions
administratives et judiciaires dans le cadre de leurs qa?â respectifs36. Leurs
appointements journaliers qui varient en fonction de l'importance relative de
leurs juridictions sont indiqués par le TT 370: 100 aspres à Kefe, 20 à
Sogudaq, 30 à Mangub, 15 à Kerš, 30 à Taman et Azaq.
Parmi les nombreuses fonctions nécessitées par l'administration et la
fiscalité de la province, plusieurs sont attribuées à certains habitants de
Kefe par le TT 214. On rencontre ainsi des emïn comme Ventïn des
esclaves, de la balance publique, de l'échelle de Kefe, etc. ; ils président
396 MIHNEA BERINDE1 • GILLES VEINSTEIN

à la perception des différents revenus fiscaux, assistés de secrétaires


(kâtib) affectés aux écritures, et de percepteurs (muhasstl) ; ils contrôlent
les affermataires ('dmil) de ces mômes revenus. En outre, les intérêts
économiques du khan de Crimée à Kefe sont représentés par un emïn du
khan. D'autre part, un personnage important, Y emïn des dépenses
impériales (emïn-i harg-г hdssa) préside aux achats effectués pour la Cour
impériale dans la province (cf. infra, tableau A, II, 8).
Apparaissent en outre quelques agents urbains tels l'intendant de la
ville de Kefe (kethudd-г Šehir-i Kefe)ze, le chef du bazar (ser-i bâzdr) ou
les gardiens de nuit ('asesân) de cette ville (cf. infra, tableau B, 22).
La présence ottomane se manifeste également par le développement
des institutions et des édifices caractéristiques de l'islam. Sans doute,
dès l'époque génoise, les Tatars, très nombreux à Caffa, y possédaient-ils
une mosquée37. Conséquence immédiate de la conquête, des églises furent
transformées en mosquées et des minarets commencèrent à changer le
paysage de l'ancienne colonie italienne. La présence de princes impériaux
dans cette province favorisa cette évolution : nous avons ainsi
connaissance d'une mosquée édifiée à Kefe par la mère du Šehzdde Mehmed38,
et d'une autre, « la grande mosquée », qui fut érigée dans la même ville
par le Šehzdde Suleymàn et dont, au xvne siècle, le voyageur Evliyà
Celebi vantera les cinq coupoles et les majestueuses dimensions39. Au
total, en 1542, la capitale compte 38 lieux de culte (soit quatre de plus
que dans le TT 370), dont trois grandes mosquées (garni'). On constate
d'après les dénominations de ces édifices, que de grands marchands et des
officiers civils et militaires de la province avaient également contribué
par leurs donations (vaqf) à cette œuvre architecturale. Dans les autres
villes du livà\ on trouve ce même phénomène à un niveau évidemment
plus modeste : ainsi Qàsim pasa, premier gouverneur de la province,
a donné son nom aussi bien à une gàmï de Kefe qu'à une autre de
Taman40.
Autour de ces sanctuaires et de leurs dépendances gravite un peuple
de dignitaires et serviteurs du culte rétribués directement par le Trésor
(cf. infra, tableau A, II, 5, 7). C'est ainsi que Kefe comptait d'après le
TT зуо, 35 imams, 33 muezzins, 3 administrateurs de legs pieux (mute-
velli), 5 prédicateurs (hatïb), 5 récitateurs du Coran (hâfiz), 6 maîtres
d'école et professeurs (mu'alim etmiiderris), 5 chefs de communautés
religieuses (zdviyeddr)*1. Les effectifs augmentent quelque peu dans le
TT 214, parallèlement à la hausse globale de la population musulmane
et également d'ailleurs au nombre des mosquées. On y relève pour Kefe
41 imams, 38 muezzins et 11 miiderris.
C'est d'après les noms de ces lieux de culte que le recenseur ottoman
désigne les quartiers (mahalle) dans lesquels il regroupe la population
musulmane des villes. Quant à la population non musulmane, elle peut
être répartie en quartiers portant le nom du représentant naturel des
habitants aux yeux de l'administration, le prêtre (papa). Elle peut
également être organisée en communautés (gema'dt) ; tel est le cas de
Kefe où les Arméniens constituent 13 communautés, les Grecs huit et les
Juifs deux. Cette fois, ce sont vraisemblablement les chefs de
communauté qui leur ont donné anciennement les noms qu'elles conservent d'un
registre à l'autre ; il semble, d'après le cas de deux de ces gema'àt que ces
. ЯО-

PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 397

chefs aient eu le titre de centenier (yiizbaši)*2. La communauté des Rus


d'Azaq a, de son côté, un chef appelé kethudâ-i Rusyân et son papa
particulier.

Sur le plan militaire, les possessions ottomanes des côtes du nord de


la mer Noire et de la mer d'Azov présentent un double avantage qui n'a
pas manqué d'inspirer leur conquérant : elles permettent d'abord d'assurer
la protection des intérêts politiques et économiques de l'Empire en
Crimée, au Caucase et dans les steppes nord-pontiques, face aux menaces
que peuvent faire peser sur eux les peuples voisins, alliés ou sujets plus
ou moins sûrs de la Porte : Tatars de Crimée, Nogays, Tcherkesses,
Kabardes, etc. D'autre part, en tenant des forteresses dans cette région,
la Porte bénéficie de relais ou de bases de départ, maritimes ou terrestres,
pour d'éventuelles campagnes militaires à mener au delà, vers le nord ou
vers l'est, contre les Moscovites ou les Iraniens. De là également, la Porte
est à même de faire sentir sa pression sur ses alliés criméens et de les
déterminer ainsi à soutenir ses efforts en direction de la Pologne, des
pays roumains ou de l'état safavide.
La nature des sources utilisées dans cette étude, comme le cadre
chronologique adopté, ne nous permet pas d'examiner dans le détail le
rôle stratégique de la Crimée dans les conflits internationaux de la Porte
au long du xvie siècle et ultérieurement. En revanche, ces mêmes sources
offrent une image riche et assez précise de l'organisation militaire terrestre
du livčť de Kefe. A cet égard, une particularité distingue notre province
des autres sangaq de l'Empire, rouméliotes ou anatoliens : le système du
timdr, c'est-à-dire l'entretien par la Porte de troupes moyennant la
concession à des particuliers de droits sur la terre et sur les sujets,
n'a jamais connu dans le livâ* de Kefe qu'une application limitée, ne
concernant que les garnisons de quelques forteresses, en l'absence absolue
d'un corps de cavaliers (sipâhï) établis sur place. Encore cet usage limité
a-t-il été définitivement abandonné à la fin du xve siècle43. Par ailleurs,
les deux registres considérés ici sont muets sur l'existence éventuelle de
troupes dépendant directement du sangaqbeg ou de l'amiral (qapudan)
(tous deux n'apparaissant en fait dans nos registres qu'en tant
qu'habitants recensés de la ville de Kefe). Dans ces conditions, les effectifs cités
se limitent aux garnisons des forteresses. Ces dernières sont au nombre de
dix : Kefe, Sogudaq, Bahqlagu, Inkerman et Mangub, au sud de la
Crimée ; Kerš, Taman, Temruq et Lahot (?) à l'entrée de la mer d'Azov
et au débouché du Kouban ; Azaq enfin, au débouché du Don. C'est
surtout le TT 370 qui fournit des renseignements sur la situation sous
Selïm Ier : état des forteresses et plus particulièrement effectifs et matériel
qu'elles contiennent. Nous en présentons les éléments sous la forme de
deux tableaux.
398 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau I. — Effectifs et soldes des

(Le premier chiffre indique le nombre d'hommes et le chiffre entre parenthèses le montant global

Désignation des effectifs Kefe Taman Kerš Azaq

1) soldats de garnison
(mustahfizun) :
commandants (dizdar) 1 (35) 1 (10) 1 (10) 1 (15)
adjoints aux commandants
(kethuda) 1 (12) 1 (8) 1 (7) 1 (11)
chefs cle porte
armuriers (gebei)
(bevvub) 12 (72) 4 (24) 3 (17) 4 (24)
1 (6) 1 (7) 1 (5) 1 (6)
charpentiers (negârân) 2 (11) 2 (12)
magasiniers (mahzenï) 1 (8) 1 (6)
fabricants de flèches
(tïrger) 1 (6)
musiciens (mehterun)
fabricants d'arcs 3 (15) 3 (15) 3 (15)

(kemânger) 1 (3)
canonniers
(topciyân, topï) 10 (62) 9 (56) 4 (24) 12 (74)
1 (4)
juges de garnison (qâdï) 1 (5)
muezzins de garnison 1 (4)
imams de garnison 1 (6) I (5) 1 (5) 1 (6)
réparateurs (meremeti) 1 (6) 1 (5)
forgerons (haddâd) 1 (6)
soldats de garnison 96 (432) 44 (922) 23 (ni) 169 (799)
(208)
total des soldats de 131 (674) 68 (350) 35 (184) 196 (972)
garnison (672) 67

2) 'azab :
agas 1 (10) 1 (8) 1 (12)
adjoints aux agas
(kethudu) 1 (8) 1 (7)
chefs de détachement
(riiesu) 6 (41) 2 (12)
fabricants de boucliers (?)
(qalqanï) 1 (4)
simples 'azab 94 (385) 60 (246) 107 (440)
total des 'azab 104 (454) 61 (254) m (471)
103 (448)
total des effectifs 234 (1128) 124 (604) 35 (184) 307 (144З)
{1120) 128
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMEE 399

GARNISONS DU LIVÂ' DE KEFE AU DÉBUT DU XVIe SIÈCLE

de la solde journalière exprimé en aspres ottomans ; les chiffres corrigés apparaissent en italiques)

Mangub Inkerman Bahqlagu Sogudaq Temruq Lahot (?)

1 (15) 1 (10) 1 (10) 1 (10) 1 (10) 1 (10)

1 (7) 1 (7) 1 (7) 1 (8) 1 (7)


2 (12) 1 (5) 2 (12) 3 (28) 1 (6)
1 (7) 1 (6) 1 (6)

1 (5)
3 (16)

2 (14) 1 (6) 1 (6) 1 (6) 5 (31) 4 (24)

1 (4)

1 (5) 1 (6) 1 (5) 1 (5)


1 (6) 201 (6)
(7)
(5)
(92,5)
1 (6)
29 (135) 4 (53) 15 (62) 7 (33) 58 (253)

37 (195) 19 (87) 21 (100) 11 (61) 76 (157) 30 (157)


[374)

(10) 1 (8)

(5)

71 (282) 29 (118)
73 (307) 30 (126)
{297)
37 (195) 19 (87) 21 (100) 11 (61) 149 (681) 60 (283)
(67i)
400 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau II. — Arsenaux des garnisons

Désignation du matériel Kefe Taman KerS Azaq

I. Armement
i) armes à feu :
canons... ? {top... ?)44
grands canons (top-г
buzilrg) 16
canons longs {top-%
dircïz)
basilics (bagalušqa)*6
fauconneaux (darh- 14 + 6 sur 13 en bronze 9 (6 en bon
zeu)i<s chariots + 4 en fer état) + 2
à 15
empans 4- 2 à
10 empans
branqo" 130 (79 en 50 (2 en fer) 100 20 en 119 (51 en bon
bronze) bronze état)

sa'iqaia
saqaloyi 11
arquebuses (tufenk)™ 346 (177 en 70 94 (44 grands)
bon état)

accessoires des armes


à feu :
chambres à feu
(hane-i aies)51 173 30

clous de canons
(civi-i top)M 96 en fer 2 en fer 15 enfer
maymun-u topss
chariots à canons
14
chariots à boulets
('ageleha-i senk) 55
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 40 r

DU LIVÂ' DE KeFE AU DÉBUT DU XVIe SIÈCLE

Mangub Inkerman Bahqlagu Sogudaq Temruq Lahot (?)

cf. branqo 1 en fer +


1 en bronze

26 branqo et 30 8 en bronze 3 en bronze 64


darbzen + 32 en fer -f 16 en fer
(3 en bon
état)

45 (20 en bon 25 106 32 ■[- 1 en fer 85 54 (2


état) défectueux)

4i en fer 30 en fer
4 en bronze 5 en bronze

10 2 en fer
4 15 petits
402 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau II

Désignation du matériel Kefe Taman Kers Azaq

3) munitions :
balles de fauconneaux
(funduq-u darbzen) 342
balles d'arquebuses 61 000 + 12 000 + 31 caisse
(funduq-u tiifcnk)bS 4 barils 5 caisses
boulets (senk)™ 1500 divers + 500 + 1 100
1500 de dépôt
branqo (an bar)

bombes (qumbara)57 1 ocque68 de 150


remplies -\~
des vides

poudre (top oh) 60 sacs -|- 30 sacs 58 sacs +


1 baril 29 barils

salpêtre (giiherčilc) 40 qantur™ 20 sacs


+ 26 barils
(2 à moitié
pleins)
soufre (kukurd)
grenaille de for
(topraq-i âhe-n)

4) armes à main :
haches de guerre
(Шпик)*0 64 2 8
masses d'arme 2 tonneaux
(butraq)61

masses d'arme (giirz)

masses d'arme
(bozdogan)
sabres (šimšir) 80 usaçés

5) armes de hast :
lances (nize) 155 14 pointes +
2 manches
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE

(suite)

Mangub Inkerman Bahqlagu Sogudaq Temruq Lahot (?)

1 050 1 290 12 500

3 500 de
branqo -\-
500 de dar-
bzen

25 43 (36 en bon
état)

1 sac 8 barils 19 barils 5 barils 45 sacs + 60 sacs +


4 tonneaux 2 barils

1 baril

1 baril

2 avec
manche +
« une
quantité »

29
occidentales
(frengi)

62 usagés
4О4 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau II

Désignation du matériel Kefe Taman Kerš Azaq

6) armes de jet :
arcs (keman) 557 116(50 en bon 131 + 115 (50 en bon
état) 50 cordes état)
flèches 6 caisses 7 caisses 10 caisses
(usagées)

arbalètes (zenberek)6* 18 + 8 ar- 15 hors d'usa- 20 usagées


briers ge + 6
arbriers et
accessoires
carreaux d'arbalète 21 caisses
(tïrhâ-i zenberek)
balistes (manginiq)*3

7) armes défensives :
cuirasses (gebbe) 100 de janis- 89 de janis- 100 (50 hors 142 (120
saires + d'usage) neuves)
20 usagées + 200
-f- 54 fran- boucles
ques hors
d'usage

cuirasses (gevšen)

cuirasses (zirh) 32
« casaquins » tatars
(yelek-i tatarï)6i
genouillères (dizlik)
casques (togulga) 30 en fer 14 + 52
(francs)

boucliers (siper) 92 + 200 81 20 usages


« valaques »
+ 23 en fer
+ 150
martelés +
usagés dans des
caisses
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMEE

(suite)

Mangub Inkerman Bahqlagu Sogudaq Temruq Lahot (?)

29 30 90 40 125 104 (56 en


bon état)
5 000 8 000 + 8485 + 32 caisses 10 000 +
(empennées) 1 500 ta- 6 500 ta- 2 caisses
tares tares

80 arcs +19 90 (75 en bon


arbriers et état) +
accessoires accessoires

52 caisses 18 000
50 en fer

30 ottomanes 100 58 (28 uší


(14 en bon gées)
état) +
16 franques
(6 en bon
état)
29 48 de
fantassins + 140
usagées +
43 « vala-
ques »

2
10 91 (77 en bon
état)
3 2 paires
1 216 (francs) 2 (tatars) +
126
(francs)

1 000 usagés 100 80 « vala- 3 000


ques »
(3 en bon
état) + 3
en bois +
21 cassés
4o6 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau II

Désignation du matériel Kefe Taman Kerš Azaq

II. Matériaux :
câbles (urgan) 2 (grands) 50
cordes (vesen) 17 (usagées) 2
vermillon (siiliigen) 8 men™
colle (tutqal) 3 men
papier 20 mains
toile de coton
(kirbus-ъ pembe) 58 zirâ'M
clous divers (mismâr-% 130 ocques +
miitenevvi'e) 1 000 de
cuivre

clous de planches
(mismàr-% tahta) 7 qantâr 5 tonneaux, 5
clous de traverses
(mismâr-i hatil) 7 qantâr 5 000
clous de poutres
(mismâr-i mertek) 143 qantâr 10 qantâr ~r 5 000
100
clous de bardeaux
(mismâr-i pedavra) 45
clous de barques
(mismâr-г sa'iqa) 68 000 10 qantâr 6 tonneaux, 5

III. Métaux :
fer (âhen) 20 barres (eu- 7 qantâr + 7 barres f- 221 barres
buq) + 11 barres morceaux
47 plaques
(tahta)
fer blanc (teneke) 340 plaques
acier (čelik, pulâd) 30 morceaux 20 morceaux
|- 1 qantâr

étain (qalay) 8 kile6''


plomb (suriib) 16 lingots 10 qantâr 4 lingots
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMEE 407

(suite)

Mangub Inkerman Bahqlagu Sogudaq Temruq Lahot ( ?)

20 pièces

22 ocques

4 qantar

10 qantar 4 qantâr +
100

3 qantar

3 qantar 4 qantar

57 tiges 50 pièces i o qantar -f- 8 qantar +


(tomruq) 12 barres 8

1 qantar 40 plaques 15 plaques + 10 plaques


I lingot
MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau I

Désignation du matériel Kefe Taman Kerš Azaq

IV. Outillage :
gros marteaux ?
(varya) e8 2 4 en fer 15
pics (kuski) 25 en fer 2 en fer 15 en fer 23
pelles (kurek) 62 en fer 40 en fer 50 en fer 200 pelles e
(avec pioches
gnée)
pioches (qazma) ЗО !3 162 388

râteaux (taraq) 8 1
scies (ere) 8
scies (bičqi) 1 (à planches
tenailles (miqraz) 2
vrille (burgi) 1 (grande)
seaux (qofa) 65
chaînes (zingir) 2 (de porte,
usagées)
poulies 1 en bronze
lanternes (mes'ele)69 5
crochets de perche (čen- 9
gal-% gônder)
meules à aiguiser
(fesâne)
enclumes
charrettes f'araba)
clefs (miftâ')
boutons de portes
(dugme-i der) 3
verrous (reze-i der) 2
cloches (gères) 1 ocque 2 ocques
balances (qantâr)
plats étamés (sahàn-i
qalay) 17
louches (kepče)70 6 de fer
provisions alimentaires 1012 kile de
Kefe
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMEE 409

■mite)

Mangub Inkerman Bahqlagu Sogudaq Temruq Lahot (?)

2 2 7 5
4 2 14 en fer 5 en fer

14 84 en bon 41
état

2
25
4 en fer

24 (avec les
perches)

1 (franque)

15 mûdd71 432 kile de


d'Istanbul Kefe de
de blé + millet
50 mûdd de
millet
410 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Le tableau I passe en revue les effectifs des différentes garnisons en


distinguant deux corps : mustahftzân et 'azabân. Les premiers dont le
nom signifie défenseurs, gardiens, sont divisés en plusieurs catégories.
Parmi les officiers sont cités des commandants de garnison (dizdâr),
adjoints au commandant (kethudâ) et chefs des portes (bevvâb). D'autre
part, on trouve, à côté des simples gardiens, des personnages à caractère
juridique et religieux qui leur sont attachés et peuvent en outre prendre
part eux-mêmes au combat : un qàdi des soldats à Taman, de façon
générale des imams et deux muezzins ; enfin, sont intégrés au corps
divers spécialistes chargés de fabriquer et d'entretenir l'armement et de
veiller à l'état des édifices, ainsi que des canonniers et enfin des musiciens :
des documents antérieurs citent des cornemuseurs (zurnazen) et des
timbaliers (naqqârezen)12. Par ailleurs, cinq des forteresses abritaient
également un corps permanent de 'azab. Ce vocable arabe, signifiant
littéralement célibataire, a désigné différents types de troupes dans les
régimes turcs pré-ottomans et ottomans, mais il s'est appliqué en
particulier, comme c'est le cas ici, à des unités de troupes de forteresse
(infanterie légère destinée plus particulièrement aux sorties) ; elles étaient
encadrées par des agas, des adjoints (kethudâ) et des chefs (rtiesâ).
Nous savons par ailleurs qu'en dehors de ces troupes émargeant
régulièrement, comme nous le verrons, au budget de la province, la
forteresse d'Azaq comptait des auxiliaires tatars désignés sous le nom de
qazaq (TT 370)73 ou de Tatars coursiers (tatarân aqmgtyàn: TT 214).
D'autre part, n'oublions pas l'apport, en cas de nécessité, d'autres
éléments issus des alliés locaux de la Porte : Tatars « rapides comme le vent »,
Nogays, Tcherkesses, ainsi que de contingents expédiés du reste de
l'Empire (janissaires, sipâhï, escadres).
En outre, des informations complémentaires fournies par le passage
relatif à la ville de Kefe du TT 214 laissent entrevoir d'autres plans du
tableau : quelques fonctions non citées jusqu'ici y sont mentionnées : le
seroda (chef de chambrée), titre attesté chez les 'azab74, le ser-i piyâde-
gán-г dergàh-t 'âlï (chef des fantassins du Seuil sublime). D'autres mentions
témoignent de l'existence d'une bureaucratie liée aux unités militaires :
sont ainsi cités un secrétaire des gardiens de la forteresse de Kefe (kâtib-i
mustahfizân-i qaVe-i Kefe), un secrétaire des 'azab de Kefe (kâtib-i
'azabân-i Kefe). Ce même passage du registre détaillé fait ressortir
combien le principe selon lequel les soldats doivent vivre cantonnés dans
leur forteresse et coupés de la population civile, est battu en brèche : les
infractions à ce principe souvent sanctionnées à la fin du xve siècle,
semblent recevoir une sorte d'acceptation puisqu'on a la surprise de voir
recensés dans les quartiers de Kefe, au milieu de la population civile, le
kethudâ de la forteresse, 9 chefs de portes, 1 janissaire, 1 armurier, 11 'azab
et ï'un de leurs chefs et, en outre, ce qui viole plus gravement encore le
principe de résidence, 1 'azab d'Azaq et, qui plus est, son aga, de même
que le kethudâ de cette forteresse, ainsi que les commandants de Kerš et de
Mangub.
Le TT yjo complète la liste des effectifs par un inventaire détaillé
de l'armement et du matériel (yarag) conservés dans les arsenaux des
différentes places, documentation exceptionnelle pour cette époque par
sa richesse et sa précision en la matière. Nous présentons dans le tableau II,
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 4II

forteresse par forteresse, article par article, l'essentiel de ces données


(nous avons dû pourtant éliminer quelques éléments que nous n'avons pas
été en mesure d'identifier ni même de déchiffrer). Les données ont été
regroupées en cinq rubriques : armement qui comprend les armes à feu,
leurs accessoires et munitions, les armes à main, les armes de hast, les
armes de jet et enfin les armes défensives ; puis viennent les rubriques :
matériaux, métaux, outillage divers et vivres.
Particulièrement révélatrices sont les données sur l'armement. Elles
montrent la coexistence d'un armement traditionnel (vraisemblablement
en partie pris sur place) et d'un armement moderne. On est frappé par
la puissance de feu de ces places en elle-même et par rapport aux effectifs
des garnisons, canons et arquebuses dépassant de beaucoup le nombre des
hommes. Cela montre bien qu'on a affaire ici à de véritables arsenaux
constituant des réserves d'armes et non au simple matériel de
fonctionnement des places. De fait, des documents ultérieurs de la série des
Muhimme defteri insistent bien sur la nécessité, compte tenu de l'éloigne-
ment de la région par rapport au reste de l'Empire, de disposer sur place,
principalement à Kefe, d'un dépôt de matériel, comme d'ailleurs de
chantiers navals, pour répondre aux besoins des interventions dans cette
zone75. Pour nous en tenir aux seules pièces d'artillerie, on en dénombre
767, les petits et les moyens canons étant de loin les plus nombreux,
totalisant plus de 720 pièces dont 2 Sa'iqa, 11 šaqaloy et plus de 600 branqo.
Il s'y ajoute un nombre appréciable de pièces moyennes : plus de 80
fauconneaux (darbzen) dont 6 sont montés sur chariots (ba 'araba). Vient
enfin une quarantaine de grosses pièces dont 16 « grands canons » (top-t
biiziirg), 7 « canons longs » (top-t dirâz) et 4 basilics (bagalušqa).
Nombreuses également, les arquebuses totalisent 992 pièces dont, à Azaq,
44 « grandes arquebuses » non portables (el tufengi degildir). Il faut
toutefois tenir compte pour ces différents chiffres du fait que nombre de
ces armes sont présentées comme défectueuses : c'est ainsi que seule une
moitié des arquebuses de Kefe ou de Mangub est en bon état de
fonctionnement ; la situation est la même pour les branqo et les fauconneaux
d'Azaq et elle est plus grave encore à Mangub où seulement 3 branqo et
fauconneaux sur 26 sont « en bon état ».
En ce qui concerne l'armement traditionnel, les armes à main et de
hast apparaissent comme accessoires, étant très peu représentées : il s'agit
ici de quelque pièces disponibles (masses d'arme de divers types, sabres,
lances) et vraisemblablement pas même de l'armement effectif des
troupes en place, non pris en compte par nos listes. Différent est le cas des
armes de jet (arcs, arbalètes, balistes) : très nombreux, les arcs totalisent
plus de 1 300 pièces (dont 170 en mauvais état) ; pour les arbalètes qui
n'apparaissent que dans cinq forteresses, il y en a 143, dont une forte
moitié est en bon état et il s'y ajoute diverses pièces détachées. Arme
démodée, les balistes, au nombre de 50, n'apparaissent qu'à Bahqlagu.
On ne s'étonnera pas de trouver dans le secteur des armes de jet, l'une
des rares marques d'influence tatare sur l'armement de la province, sous
la forme de flèches tatares (tïr-i tatarï) citées à Bahqlagu et Sogudaq.
Les forteresses recèlent également des dépôts d'armes défensives,
essentiellement cuirasses, casques et boucliers. On rencontre dans ce
domaine une grande variété de types : les cuirasses sont désignées par
412 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

trois termes différents, d'ailleurs tous trois d'origine persane (£ebbe,


gevŠen, ztrh), correspondant peut-être à trois types distincts, le terme
gebbe étant le plus fréquent. Il s'y ajoute d'autres qualifications : ainsi
les gebbe peuvent être de janissaires, à l'ottomane, ou encore franques
(frengi) ; de même, des gevŠen sont dites de fantassins (gevŠen-i piyàde)
ou « valaques ». Quant aux casques, ils sont dits francs, pour la plupart
« en fer » ou encore tatars (2 à Sogudaq). On retrouve une même
diversité parmi les boucliers désignés d'après la matière (en fer, en bois),
la technique de fabrication (martelé) ou le type (valaque).
C'est parmi ces catégories d'armement traditionnel qu'on relève des
traces d'influences locales : flèches, casques et « casaquins tatars » à
Bahqlagu et Sogudaq. On y retrouve également le legs de la présence
italienne antérieure : des masses d'arme à Sogudaq, des cuirasses devenues
pour la plupart hors d'usage à Taman et de nouveau à Sogudaq, des
casques encore à Taman, Bahqlagu et Sogudaq, reçoivent la qualification
de francs (frengi ou efrengi). On dénote enfin pour ce même secteur, la
présence d'armes importées d'Europe centrale à travers les pays roumains :
cuirasses « valaques » à Bahqlagu, et boucliers « valaques » en grand
nombre à Kefe et Sogudaq. Or comme ces articles ne sont jamais
accompagnés de la mention « usagé », il semble bien qu'il s'agissait
d'importations récentes, du moins postérieures à la conquête turque.
Les arsenaux comprenaient d'autre part, comme nous l'avons déjà
mentionné, des matériaux divers et de l'outillage, tous articles sans doute
courants dans l'ensemble des forteresses de l'Empire. On est cependant
frappé par la quantité et la diversité des clous (de planches, de traverses,
de poutres, de bardeaux, de bateaux) de même que par l'importance du
fer et du plomb disponibles sous diverses formes.
La répartition des différents éléments évoqués, tant effectifs
qu'équipement, ne se fait pas de façon égale entre les forteresses et montre bien
qu'elles n'ont pas toutes la même importance au regard de la stratégie
ottomane : en dehors de Kefe qui confirme sur le plan militaire son rôle
de capitale de la province, les places du sud de la Crimée, Mangub,
Inkerman, Bahqlagu, Sogudaq, ont un rôle très secondaire,
vraisemblablement de police et ďe surveillance avant tout, ce qu'illustrent des
effectifs très modestes comme un armement et un matériel réduits, parfois
défectueux et qui souvent date. Au contraire, la Porte privilégie Azaq,
Taman, Temruq, Lahot (?) et, dans une moindre mesure, Kerš, ce qui
correspond à leurs positions stratégiques et aux missions qui en découlent.
Les effectifs des garnisons y sont plus nombreux et comprennent outre
les gardiens, des 'azab (sauf pour Kerš) ainsi que des aqmgi pour Azaq.
De plus, pour appuyer des expéditions, Kefe dispose même d'éléments
d'artillerie mobile (6 fauconneaux montés sur chariots, 14 chariots à canon
et 55 chariots à boulets) . Non seulement dans ces forteresses la puissance
de feu, mesurée en pièces et aussi en munitions, est plus considérable,
mais les réserves d'armement et de matériel y sont plus abondantes. Il
n'est pas fortuit dans ces conditions qu'on y relève la présence d'artisans
(charpentiers à Kefe et Azaq, forgerons et « réparateurs » à Taman, Kerš,
Temruq et Lahot (?)), de stocks de métaux, d'une abondance de clous
variés (totalement absents au contraire à Mangub, Inkerman et Bahqlagu),
de pelles, pioches et leviers : ces éléments témoignent du souci de la Porte
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 413

de maintenir l'efficacité de ces forteresses par des travaux d'entretien et


de réparation et, vraisemblablement, de l'accroître.
Même si l'effort militaire ottoman est ainsi manifeste en certains
points du livâ\ il ne faut toutefois pas méconnaître que la situation de la
région reste calme pendant toute la période reflétée par nos registres. Il
est d'ailleurs notable que les dépenses militaires n'augmentent guère,
comme nous le verrons, d'un registre à l'autre. Les périls demeurent
virtuels, la présence ottomane n'étant aucunement mise en question.
C'est, au contraire, peu après la période envisagée ici, vers le milieu du
xvie siècle, que commenceront des temps plus troublés avec les premières
incursions des Cosaques Zaporogues et des Cosaques du Don, sur les côtes
de la Crimée et à Azaq, et, en arrière-plan, la montée inéluctable du péril
moscovite. Ces données nouvelles conduiront alors la Porte à réviser le
système défensif examiné ici pour envisager (sinon réaliser) des actions
d'envergure dans la région.

II. — Évolution du bilan financier de la province


ENTRE I52O ET I542 ET MODIFICATION DES ROUTES COMMERCIALES

Principe de présentation

Les pages 9 à 17 du registre TT 214 qui offrent une présentation


systématique des recettes et des dépenses publiques de la province ont
servi de point de départ : les éléments en sont repris dans le tableau A qui
récapitule les recettes et les dépenses de la province et le tableau В qui
entre dans le détail des recettes. Nous avons cherché pour chacun de ces
éléments les chiffres correspondants dans le TT 370 qui ne comporte pas
de récapitulation systématique analogue. La dénomination des différents
articles dans les tableaux est une adaptation française des intitulés
originaux du TT 214 sauf dans quatre cas tirés du TT 370 (A, I, 1 ;
B, I, 14 et 15 ; III, 1, c) ; ces intitulés eux-mêmes sont donnés en
translitération avec les explications qu'appellent leurs contenus dans les notes
concernant les tableaux A et В ; d'autre part, les pages correspondantes
du TT 214 sont données en fac-similé afin de permettre un contrôle. En
outre, les tableaux sont suivis d'un commentaire qui s'efforce d'en
reprendre les principaux enseignements. Nous pensons ainsi fournir
l'exemple du bilan financier d'une province ottomane dans la première
moitié du xvie siècle et dégager de façon précise la situation financière du
liva de Kefe au sein de l'Empire ottoman à cette époque et son évolution.

N.B. Les termes ottomans ont été translittérés selon le système de la Revue
des Études islamiques.
414 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau A

Bilan simplifié des dépenses et des recettes


de la province de Kefe4*

Valeurs en aspres
ottomans
TT 370 TT 214
I. Recettes
1) Revenus du souverain :
a) revenus des fermes des impôts et
des villages" 3 612 331 1 609 925"
b) revenus divers provenant de biens
échéant au Trésor, de taxes sur les
garnisons et d'arriérés des afferma-
taires'* 444 026
2) Legs pieux et biens de pleine-propriété *° 191 247
3) Revenus du gouverneur81 400 000 400 686

Total des revenus de la province 4 203 578 2 454 492

II. Dépenses"

1) Allocation du gouverneur 400 000 400 686


2) Pension annuelle du khan des Tatars8* 400 000
3) Pensions aux chefs tatars et tcher-
kesses84 15З 640
4) Soldes des soldats de garnison et des
*azab de la province de Kefe86 1 728 336 1 988 812
5) Salaires du personnel affecté aux
quées des forteresses de Mangub,
Sogudaq et Kerš, et aux
descendants du Prophète8* 27 900
6) Salaires des intendants, secrétaires et
autres serviteurs de l'État87
7) Salaires des prédicateurs et imams de
la Grande mosquée, de la mosquée
Nouvelle et des autres mosquées, et
œuvres de charité et de piété de la
ville de Kefe accomplies
conformément aux prescriptions impériales88
8) Salaires de l'intendant et du secrétaire
des dépenses impériales de Kefe8*

Total des chiffres apparaissant dans les registres 2 128 336 2 971 038
Tableau A. TT 214, p. 9

„^jJC-^, '-b.j.-'-txcio'j
• VV.-'t

ж/г
тПТПлъЪ!

11

и^ iřj3Iřn
• Л,&

у
4i6 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau В

Précis des revenus de la province de Kefe

Valeurs en aspres
ottomans
TT 370 TT 214
I. Fermes d'impôts»0
1) Revenu de la douane de l'échelle de
Kefe et de ses dépendances et de
l'échelle de Gôzleve"1 620 000 335 257
2) Tuta de la balance du marché de Kefe*1 5000 9 947
3) Tamga sur les esclaves et revenu des
deux tiers de la taxe de courtage93 690 000 157 990
4) Tamga sur le vin et les débits de vin de
la province de Kefe84 295 000 120 895
5) Tamga sur les peaux, le drap, la soie, le
boucassin et ferme des biens
immobiliers (maisons et boutiques)
voisins »* 100 000 00995
6) Revenus fiscaux du Grand Bazar et des
boutiques proches •• 300 000 20 561
7) Tuta-г 9.MRI (?)•' 100 000 32097
8) Taxe de courtage sur les chevaux et les
chameaux de Kefe»* 4 000 1388
9) Revenus fiscaux du marché aux bœufs»» 10 000 4512
ïo) Revenus de la Porte des Tatars à
Kefe100 150 000 84883
11) Revenus de la Porte de la Tour à
Kefe101 20 000 6 577
12) Revenus de la halle aux têtes de bétail
(bashâne) de Kefe10* 17 000 10 014
13) Revenus de l'ihtisâb de Kefe et de la
dîme sur le poisson des
circonscriptions de Mangub et de Sogudaq103 65 000 З9147
14) Ferme du poinçon ( ?) de Kefe104 7 000
15) Tuta du marché de Kefe10* 10 000
16) Revenus des propriétés du Trésor106 135 000 19 601
17) Droit sur les moutons de la ville de
Kefe10' 3 357 2043
18) Revenus des anciens domaines
coles108 1405 1 450
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE

Tableau В (suite)
Valeurs en aspres
ottomans
TT 370 TT 214
19) Revenus de la production céréalière des
nouveaux domaines et zones
d'exploitation du Trésor10» 4818
20) Dîme sur le moût fabriqué par les
mécréants, sur les vergers et
potagers, et ferme des vignes
appartenant aux musulmans110 5470 5834
21) Revenus provenant des successions en
déshérence ou allant à des héritiers
absents, des animaux égarés et des
esclaves en fuite111 50 000 73902
22) Ensemble des revenus produits par le
niyâbet, les amendes sur les délits et
les crimes, les taxes casuelles, les
taxes sur les mariages, sur les
gardiens de nuit et sur le foin et le bois
de chauffage de la ville de Kefe111 58 000 27493
23) Niyâbet et taxes sur les mariages de la
Forteresse de terre118 24000 8926
24) Revenus de la voirie114 2999 433
25) Capitation et ispen^e des mécréants
non fixés118 7 000 12 656
26) Ispenge des sujets mécréants de la ville
de Kefe y compris la communauté
des Trébizontins11* 52 775 48 600

II. Revenus divers inscrits dans le TT 214111


1) Revenus du Trésor impérial118 192 034
2) Taxe sur le sel exporté dans le territoire
de la guerre (?)118 10 700
3) Vignes du Trésor110 З490
4) Capitation des mécréants1*1 З7625
5) Retour au fisc de soldes de membres de
la garnison correspondant à des
postes vacants11* 7810
6) Droit de secrétariat prélevé sur les
soldats de la garnison et resm-i
gunluk ( ?) des 'azab1** 5185
7) Capitation des Tcherkesses1*4 34692
4i8 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau В (suite)
Valeurs en aspres
ottomans
TT 370 TT 214
8) Droit sur les moutons1** 2547
9) Revenu des salines abandonnées à des
particuliers (?)"• 2 406
10) Reliquats dus par les affermataires1*7 1 19 692
11) Revenu de...?1" 17 708
12) Reconnaissance de dette d'Iskender,
affermataire des revenus fiscaux de
Kerš, à titre de caution1" 14666
Total recompté 448 555
(au lieu de 444 026)

III. Revenus fiscaux des villes en dehors de Kefe

1) Azaq:
a) revenus des madragues impériales
d'Azaq établies sur le Don 250 000 8415
b) revenus du poisson à Azaq180 268 022
c) ferme des caravansérails, magasins
et boutiques d'Azaq1" 23 987
d) taxes occasionnelles et douane
d'Azaq188 80 000 105 988
e) revenu sur le blé et l'orge, revenu de
la dîme sur les potagers et vergers et
de la ferme des vignes de la
circonscription d'Azaq18* 1 218
2) Tamga de Kerš1*4 70 000 30096
3) Taman :
a) revenus de Taman1** 53219
b) revenus provenant du blé, de l'orge,
de l'avoine, du millet ainsi que de la
taxe sur les potagers et les moutons
et de l'estimation de la capitation et 95 oo°
de la production céréalière des
Tcherkesses de la circonscription de
la presqu'île de Taman 31073
4) Amendes sur les crimes et délits et
taxes occasionnelles des forteresses
de Kerš, Taman et Azaq188 9 000 9 000
5) Tamga de Qopa [et] madragues d'Op-
rag (?)187 100 000 36549
+ 286
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 419

Tableau В (suite)
Valeurs en aspres
ottomans
TT 370 TT 214
6) Revenus de Sogudaq provenant du
bâg de marché, de la taxe d'ihtisâb
et la taxe sur les entrées et sorties de
vin, de la ferme des vignes
appartenant aux musulmans, des amendes
sur les délits et les crimes, des taxes
occasionnelles, des taxes sur les
mariages, le bois de chauffage et le
foin, les moulins et les moutons, de
la dîme sur les céréales et sur le
moût, de l'ispenge et de la taxe de
tenure1" 57821 46643
7) Revenus de Mangub provenant du bag"
de marché, de la taxe d'ihtisâb, de
la ferme des vignes appartenant aux
musulmans, de la tamga sur le vin,
de la taxe sur les moutons, des
amendes sur les délits et les crimes,
des taxes occasionnelles, des taxes
sur les mariages, de la dîme sur les
céréales et le moût, de Vispenge, de
la taxe de tenure des musulmans, de
la taxe sur les ruches, sur le foin et
de la taxe de garde-champêtre188 7976 5610
8) Revenus d'Inkerman provenant du
bag de marché, de la taxe d'ihtisâb,
de port, de la taxe sur les roseaux,
des amendes sur les délits et les
crimes, des taxes occasionnelles, de
la taxe sur les mariages, de la ferme
des vignes appartenant aux
musulmans, des prairies du Trésor, de la
taxe sur les moutons, de la dîme sur
les céréales, sur le moût, de Yispenge
et de la taxe de tenure des
musulmans de cette ville140 32086 26581
9) Revenus de Bahqlagu provenant du
bag de marché, de la taxe d'ihtisâb,
de la tamga sur le vin, de la taxe de
port, de la taxe sur les moutons, sur
les mariages, des amendes sur les
délits et les crimes, des taxes
occasionnelles, de la dîme sur les céréales
et sur le moût141 II 028 8996
Tableau В. ТТ 214, p.

ï -.1 • Uj,
'tři

tJfS^^1*"
V^V

•î J JiJJ^uJ W

F/?
* U d Ь d UJ «—

,1/16

^Л10
Tableau В. ТТ 214, р-

т^. Ш/1/oL

< ч.

' tl
.4

• с*^-, %-fJJ ^ *^-* kít^ ^- 1

1/3
Tableau В. ТТ 214, рр- и - 12

ж/iz .jzr/ii л/10 , .ж/$

i J j f.,3 »" им <^í (f^j

Ж/h'liS

- 1 -1
uílu

Ж/Ь/if

Ж/c/Z

rit , lvu*

ш/ф

-i
.-ti

^LJJ
Tableau В. ТТ 214, p. 13

Ж/c/tt

ЖШЭ . Ж/с/1
jír— t
ô и Jjj ;jí.jí\

«sjJO

"~*щ

t)JjJ
Tableau В. ТТ 214, p. 15

Ж/д/l X/4*

/l Л I

-J l

- I

jhůfjl • li1 (CTJ « ua fZJjih Lib «tli/J

í /jJ
- 1

ж jí lé je/b/5
Tableau В. ТТ 214, p. 16

//

Ж/с/3*

Г ti»,

_ 1
v.v
4
4«r

"4

Jlj

10
Tableau В. ТТ 214, pp. 16-17

J jUť

-U4. »j*jjji*ii
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 427

Tableau В (suite)
Valeurs en aspres
ottomans
TT 370 TT 214
IV. Revenus fiscaux des villages et lieux-dits14*
a) dépendances de Kefe:
1) Saru gôl (roselière de) 500
2) Saru gôl (prairie de) 2 412 500
3) Baybuga (prairie de) 250
b) villages dépendant de Sogudaq :
1) Monastir 5 564 5 743
2) Qutlaq 4 47 4 955
3) Vorin 6659 4 54
4) Devaq 1959 2448
5) Qun Ozen 5276 10635
6) Ulu Ozen 4022 7ЗЗ1
7) Šumá ( ?) 2 366 2 5!9
8) Demurgi 5512 7 546
9) Korbaqla 2997 5816
10) Qapshor 8 222 5646
11) Usktit 13023 8542
12) Alušta 13 З29 21 699
13) Kiči Ozen»» 4 375 4926
14) Qozlu144 2424 715
15) Qopsel14* З729 3005
16) Toqluq14» 3 46 1 ЗЗ1
17) Ayaseres (?) 1 990 2368
18) Arpádi147 1 362 541
19) Tašlu148 830 ?
20) Čolmekči 720 324
с) villages dépendant de Mangub :
1) Suli"» 2 217 1 264
2) Albati et Aya Todor 1 205 1927
3) Atim Čagragi 984 385
4) Kirmangiq1*0 1 708 "3
5) Atyo1»1 668 ?
6) Musqomya-i kučuk1*1 2477 4 100
7) Baydar163 1 410 2885
8) Savatike 1 070 2 708
9) Qilindi 1755 983
10) Hàs Pétri З485 2274
11) Ňehora (?) alias Qâdïh 5 108 11 509
12) Sultan salaši184 710 710
13) Saru kirman1** 2 000 2 000
14) Hurzuf 13483 15950
15) Partin (deru) (?), Kirmanlu et Kemiir-
gôlat(?) 7686 13 206
16) Lanbad (buziirg et kučiik) 6470 8065
17) Yalta 4712
18) Dere dépendant de Yalta1" 4130
6874
ЗЗ05
19) 'Avtika dépendant de Yalta 3 222 5 395
428 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Tableau В (suite et fin)


Valeurs en aspres
ottomans
TT 370 TT 214
20) Marsanda dépendant de Yalta 3057 2832
21) Alubka 3230 2854
22) Mishor 4707 4 601
23) Limona 2 OO5 2 297
24) Šembos 2158 2 422
25) Keknos 3089 3961
26) Sikite157 З456 5561
27) Hayto1" З490 З798
28) Čergona1" З178 4 792
29) Sotira I 527 723
30) Tas iskele I 862 2 262
31) Musqomya-i buziirg З522 3 935
32) Foros et Sahtek160 З588 4 864
33) Qamra 2 609 З556
34) Qrano161 2 832 З567
35) Q°ěa Salaši1** 12 Il6 8 597
36) Vikne18* 4 992 6 099
37) Gavri1" I 52O 295З
38) Stiren1" 5 959 5 524
39) Čerkeskirman 9 394 7940
40) Bahadur 4421 5736
41) Ogi 2 294 1 314
42) Marquri1** 2515 2740
43) Yangu 901 1 176
44) Qoqlus 1 088 i 862
45) Foti ЗЗ91 ?
46) Ugri Qosta1*' 4 112 3902
47) Tuh168 1 954 2 804
48) Beggan (?) (Baga ?) alias Čolmekči 3183 ЗЗ26
49) Yeni Sala 310 ?
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 429

Commentaire des tableaux A et B.

Rappelons que le but des recensements provinciaux ottomans et des


registres qui les consignent est de faire connaître à la Porte, non l'ensemble
de la production d'une province, mais les prélèvements fiscaux qui y sont
réalisés et donc la valeur fiscale des unités géographiques, les chiffres
retenus étant la moyenne de ceux des trois années précédant le recen-
sement189. Ils correspondent aux prévisions pour la période qui s'écoulera
jusqu'au recensement suivant, lequel tiendra compte des modifications
démographiques et économiques intervenues entre-temps. Certains de ces
prélèvements sont effectués directement pour le compte de l'État ; d'autres
font l'objet de concessions accordées à des particuliers, en échange de
services généralement militaires, parfois civils, appelées selon leur
importance timdr, zi'âmet ou hâss ; d'autres concessions enfin sont faites à des
fondations pieuses, à titre non plus temporaire mais perpétuel, à charge
pour elles d'entretenir des édifices religieux, d'accomplir des œuvres de
bienfaisance et de remplir des fonctions d'intérêt général.
Dans ces conditions, le sultan ne perçoit qu'une partie des revenus
fiscaux de la province et il n'y supporte qu'une part des charges publiques.
C'est ainsi que pour l'ensemble de l'Empire en 1527- 1528, 0. L. Barkan
fait apparaître que 41,93 % des revenus fiscaux globaux échappent au
sultan sous la forme de concessions à des particuliers en échange de
services (dirlik), et 9,9 % sous la forme de legs pieux (vaqf) et biens de
pleine-propriété (emlàk)110. Le cas du livâ' de Kefe est cependant
particulier puisque comparable en cela à quelques autres provinces de
l'Empire ottoman171, il ne connaît pas à l'époque considérée ici le régime
du timâr : attestée à la fin du xve siècle avec une application limitée172,
cette institution en disparaît totalement avec le début du xvie siècle.
Pourtant dans le livff de Kefe lui-même, les revenus de la province ne
coïncident pas totalement avec ceux du sultan : il subsiste la dotation du
gouverneur et, secondairement, les revenus des legs pieux et des biens de
pleine-propriété : dans le TT зуо, les hdss du gouverneur (mïrlivà*)
s'élèvent à 400 000 aspres et l'on retrouve un chiffre presque analogue
dans le TT 214 où le revenu du mïrlivâ' 'AH beg totalise 400 686 aspres.
On apprend de même par une liste des livà" de Roumélie datée par
M. T. Gôkbilgin de 1526-1529, que le Hvà* de Kefe a été attribué à cette
époque à Mehmed beg, beg d'Amasya, avec un revenu de 400 000 aspres173.
La dotation des gouverneurs de la province de Kefe semble pourtant avoir
connu des variations : alors que le prince impérial Mehmed, fils de Bâye-
zïd II, occupait cette place, il bénéficiait en 1503 d'une attribution totale
de 1 210 653 aspres ; il faut cependant noter que sur ce chiffre élevé lié
au rang eminent du bénéficiaire, la part provenant de la province elle-
même était de 403 850 aspres174. Par ailleurs, une liste de gouverneurs
datée par Barkan de septembre 1520-juin 1521, crédite de 300000 aspres
seulement le gouverneur de Kefe — encore un Mehmed beg175 ; de même,
nous constatons dans le TT 214 que 'AU beg ne recueille de son
prédécesseur immédiat qu'un revenu de 261 884 aspres qui sera précisément
augmenté en sa faveur ; ce prédécesseur s'appelait d'ailleurs également
Mehmed beg mais était probablement distinct de celui de 1526-1529
430 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

puisque, entre-temps, lors de la campagne du khan Sáhib Giray contre le


beg tcherkesse de Žane, Qansavuq, en 1539, le beg de Kefe a pour nom
Halil176. La dotation de 'AH beg n'est ramenée à un niveau analogue à celle
du TT 3jo ou de la liste de 1526-1529 que par le retour des prélèvements
(ifrâz) effectués sur la dotation de son prédécesseur en faveur du sultan
lui-même, du fils de Mehmed beg et de deux autres dignitaires : Halïl beg
(le précédent beg de Kefe ?) et Hamid beg1". En ce qui concerne les legs
pieux et les biens de pleine-propriété, seul le TT зуо nous fournit un
chiffre : celui de 191 247 aspres, soit 4,5 % du revenu global, pourcentage
proche de la moyenne de Roumélie178.
Le TT 214 débute, après les textes des règlements, par une page
(page 9) consacrée au bilan des recettes et des dépenses de la province
dont nous avons repris les éléments dans le tableau A. Les recettes y sont
limitées à celles du sultan puisqu'elles sont seules à faire face aux dépenses
de la province mais, en vertu des considérations précédentes, nous les
avons complétées par les données disponibles sur les autres revenus pour
fournir une image plus complète de ceux de la province ; il aurait fallu
pouvoir y ajouter une autre ressource du sultan, la capitation des
mécréants (gHzye), mais faisant l'objet de registres particuliers, elle
n'apparaît pas ici179.
Les recettes du sultan sont divisées en deux groupes de valeurs très
inégales : d'une part, les revenus des taxes affermées et des villages et
d'autre part ceux des « biens divers du Trésor » dont nous n'avons pas
toujours su discerner la nature exacte et dans lesquels figurent en tout cas
des recettes prélevées sur des garnisons et des arriérés d'affermage. Il
apparaît en effet que le principe de la ferme préside à la perception des
revenus du sultan.
La partie relative aux dépenses, en dépit de ses lacunes, est riche
d'enseignements sur les charges de l'État dans la province : salaires de ses
agents civils et religieux, pension annuelle au khan de Crimée dont le
montant se trouve ainsi précisé pour cette époque (400 000 aspres), ainsi
que gratifications aux chefs tatars et tcherkesses. L'ensemble de ces
dépenses d'un intérêt général pour la position militaire et diplomatique
de l'Empire, est financé par les recettes propres du livâ* de Kefe. Mais
le poste de dépense de très loin le plus important est représenté par les
soldes des différentes garnisons de la province qui, en l'absence, comme
nous l'avons vu, du système du timâr, incombent directement au Trésor.
Plusieurs chiffres manquent dans chacun des deux registres mais ceux
dont nous disposons permettent de tirer une conclusion de ce bilan : le
« budget » de la province est excédentaire dans le TT зуо alors qu'il ressort
du « budget » général de l'Empire pour 1526-1527 que l'ensemble des
provinces d'Anatolie et de Roumélie sont déficitaires à cette date (ce sont
les provinces moyen-orientales d'Egypte, de Syrie et du Diyârbaqir qui
assurent alors l'excédent global de l'Empire180). Dans le TT 214 au
contraire, le « budget » du livâ* de Kefe est devenu déficitaire, la présence
ottomane en Crimée et au bord de la mer d'Azov apparaissant nettement
ici comme une charge onéreuse pour l'Empire. Ce renversement de la
situation ne s'explique pas par un alourdissement des dépenses de l'État
qui restent à peu près stables (ce qu'illustrent les chiffres disponibles sur le
poste majeur des soldes des garnisons), mais par une forte chute des
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 43I

recettes, conclusion qui se dégage de l'examen de ces dernières et de leur


évolution spectaculaire entre les deux registres.

Les pages 10 à 17 du TT 214 reviennent sur le détail des recettes de


la province : nous en reprenons les éléments dans le tableau В en modifiant
quelque peu l'ordre du document afin de rapprocher, pour plus de clarté,
les revenus de même type. Le recenseur distingue les revenus fiscaux
affermés (mahsul-i muqâta'ât) qui sont essentiellement les revenus des
villes et, d'autre part, les revenus des villages (hâssa-t qurà). En fait, de
par leur nature, ces différents revenus se décomposent en loyers de biens
immobiliers appartenant à l'État, revenus d'exploitations relevant du
fisc : domaines agricoles, pêcheries, salines, enfin et surtout en taxes ; les
dénominations et les conditions de perception de ces taxes font l'objet
des règlements (qânûnnâme) qui occupent les pages 1 à 8 du TT 214 et
que nous avons publiés précédemment. Les dénominations des muqâta'a
permettent en général de retrouver facilement les taxes auxquelles elles
correspondent dans les règlements. Certaines muqâta'a coïncident
exactement avec un règlement précis qui les définit : c'est ainsi, par exemple,
que le contenu de la muqâta'a dite des revenus de la Porte de la Tour
à Kefe est défini par le règlement de la Porte de la Tour, celui de la
muqâta'a de la balance du marché par le règlement de la balance du
marché ou encore les revenus des taxes occasionnelles et de la douane
d'Azaq sont définis par le règlement dit de la douane de l'échelle et des
taxes occasionnelles d'Azaq. D'autres fois, au contraire, la terminologie
varie entre les règlements et les articles du bilan financier ce qui peut
laisser la place à certaines ambiguïtés : les termes de tamga de Kerš et
de Qopa, par exemple, qui servent à désigner deux muqâta'a, ne sont pas
employés dans le texte des règlements. Plus généralement, il n'est pas
toujours aisé de déterminer avec certitude dans quelle muqâta'a, dont
nous ne connaissons que la dénomination globale, entre le revenu de telle
taxe définie dans le cours d'un règlement, et ainsi de savoir ce que recouvre
exactement une muqâta'a donnée. Pour nous en tenir à l'exemple de deux
taxes mentionnées par le règlement dit de Yihtisâb de Kefe, la taxe
appelée coutume de parure ('âdet-i tezyin), perçue lorsqu'on vend une
esclave en la parant d'un bonnet, peut se rattacher à la muqâta'a des
revenus fiscaux du Grand Bazar ou à celle de la tamga sur les esclaves et
du revenu des deux tiers de la taxe de courtage ; de même, la coutume de
bateau ('âdet-i keUi) entre-t-elle dans la muqâta'a du revenu de la douane
de l'échelle de Kefe bien qu'elle ne figure pas dans le règlement
correspondant, ou fait-elle partie d'une autre muqâta'a ? Ainsi l'articulation
entre règlement et muqâta'a, parfois évidente, nous a, comme il apparaît
dans les notes relatives aux tableaux, posé des problèmes dans certains cas.
D'autre part, un grand nombre de taxes dont les revenus sont perçus
dans les villes et villages de la province et sont cités parmi les recettes,
n'ont pas fait l'objet de définition dans les règlements (de même qu'aucun
règlement particulier ne définit les revenus de villes comme Sogudaq et
Mangub). Si l'on divise en quatre catégories les taxes en usage dans la
fiscalité ottomane : taxes sur les personnes, taxes sur la production, taxes
casuelles et taxes sur la circulation et la vente des marchandises, on
constate que les trois premières ne sont pratiquement pas évoquées par
432 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

les règlements spécifiques de la province ; cette lacune tient


vraisemblablement au fait que la perception de ces catégories de taxes ne présente
pas de particularités dans la province en question mais renvoie à des
dispositions plus générales valables pour l'ensemble de l'Empire (tel le
code de Mehmed II) ou du moins pour certaines autres provinces à propos
desquelles elles ont été clairement définies ; il n'en reste pas moins que
l'historien se retrouve parfois dans l'incertitude en ce qui concerne le taux
ou les conditions de perception de telle taxe en usage dans la province
qu'il étudie et dont les règlements ne disent mot (qu'en était-il du
percepteur ottoman ?) : par exemple, le règlement de Taman se borne à
indiquer que les taxes casuelles sont perçues « selon la loi » (doc. XV, 2),
celui de Kerš, qu'en cas de rixe, une amende est perçue « selon la loi »
(doc. XIII, 4), celui d'Azaq que lorsqu'il y a fraude sur le poids, on prend
une amende « selon l'ancienne coutume » (doc. XVII, 2).
De fait, les taxes personnelles qui apparaissent dans le tableau В
n'ont rien de spécifique mais sont celles en vigueur dans l'ensemble de
l'Empire : il s'agit pour les musulmans pratiquant l'agriculture de la taxe
de tenure (resm-i Čift) de 22 aspres par détenteur d'une tenure, qui est
d'ailleurs absente du TT yjo mais apparaît dans les villes (à l'exception
de Kefe) et les villages à population musulmane du TT 214; distingués
par les deux registres des hommes mariés, les célibataires musulmans
sont vraisemblablement assujettis à la taxe ordinaire sur les célibataires
(resm-i mugerred) de 6 aspres par personne (bien qu'il n'en soit pas fait
mention). Les mâles adultes non musulmans acquittent la capitation
(gizye), une taxe de 25 aspres par personne appelée ispenge qui est
l'équivalent monétaire des anciennes servitudes personnelles des régimes
pré-ottomans et les hommes mariés sont encore assujettis à la taxe sur le
foin et le bois de chauffage (resm-i giyâh ve resm-i hizem). Les veuves
non musulmanes, dépourvues de tenures, distinguées par le recenseur,
sont vraisemblablement soumises à la taxe sur les veuves (resm-i bïve)
de 6 aspres par veuve.
Ce sont de môme les taxes casuelles courantes de la fiscalité ottomane
(cf. notes 37 et 38) qu'on retrouve dans la province de Kefe : niyâbet,
bdd-i havd, revenus provenant de successions en déshérence ou allant à des
héritiers absents, revenus des animaux égarés et des esclaves en fuite.
Toutefois la taxe sur les mariages (resm-i *arus) qui connaît des variantes
locales fait l'objet de mentions dans le règlement de Kerš qui en traduit
le montant en aspres de Kefe (cf. doc. XIII, 4) et dans celui d'Azaq : on
paie 60 aspres ottomans pour épouser une vierge, 30 pour une veuve.
La fiscalité sur la production ne se présente guère comme plus
originale ; ce qui explique vraisemblablement qu'aucune allusion n'y soit
faite dans les règlements (sauf en ce qui concerne la pêche) et que le livâ*
de Kefe n'ait, semble-t-il, pas fait l'objet, contrairement à tant d'autres
provinces, d'un règlement fixant les obligations des paysans (re'âyà).
Cette fiscalité repose principalement sur la dîme ('ôsrj perçue dans les
villages mais aussi dans les villes qui présentent toutes un caractère
fortement rural. Précisons que la dîme ottomane, différente de celle d'autres
régimes musulmans, frappe aussi bien les mécréants que les musulmans.
Dans la province de Kefe, on constate que cette dîme porte sur le blé,
l'orge, l'avoine, le millet, le lin, les potagers, les vergers, le moût, ainsi que
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 433

sur les ruches et, à Kefe et dans les qazâ de Mangub et de Sogudaq, sur le
poisson : sur cette dernière production, une fiscalité plus originale et
témoignant d'une plus grande emprise de l'État a été mise en place à
Azaq. Les abondantes et célèbres pêcheries d'esturgeons liées à cette
place, font l'objet de la part de la Porte d'un monopole partiel
minutieusement décrit par le règlement n° XVII qui y est consacré : l'État
rachète aux pêcheurs la totalité des gros esturgeons (morina) et une
partie des esturgeons d'espèces plus petites (mersin)1*1. Citons encore
la présence de deux taxes ottomanes classiques : la coutume des moutons
('âdet-i agndm) frappant l'élevage des ovins et la taxe sur les vignes
appartenant aux musulmans prélevée non sur la production du moût
comme pour les vignes chrétiennes mais établie en fonction des surfaces
évaluées en dôntim (correspondant à i km2).
C'est dans le secteur de la circulation et de la vente des marchandises
que la fiscalité du lira* de Kefe fait preuve de la plus grande originalité
et c'est essentiellement des taxes correspondantes que traitent les
règlements. Sans doute le principe de la plupart de ces taxes est-il courant
dans l'Empire : droit de douane (gumruk), droits sur les marchandises
apportées et vendues au marché (bâg-i bazar et ihtisâb) , taxe de courtage
(dellâliyye) , droit de pesage à la balance publique (appelé ici tuta-i qapan) ,
droits d'octroi aux portes des villes (à Kefe, les portes des Tatars et de la
Tour), droits d'embarquement et de débarquement dans les ports ('âdet-i
liman à Kefe et 'àdet-i qoqa à Azaq) mais on ne peut faire abstraction ici
de l'influence des conditions locales, d'où l'importance des précisions
apportées par les règlements : le législateur y tient compte des courants
commerciaux affectant la zone de Kefe, de la primauté de Kefe dans les
liaisons maritimes avec l'extérieur et terrestres avec la Crimée tatare, de
la position géographique des différents centres, du rôle de redistribution
de Kerš vers Taman et Azaq, de Qopa et de Taman comme portes des
pays tcherkesses ou d'Azaq comme porte des steppes tatares. Il tient
compte également de la nature des marchandises entrant dans ces courants
commerciaux ; il donne une place particulière aux plus importantes
d'entre elles : les esclaves, le poisson, le vin, les peaux, les étoffes qui font
l'objet d'une réglementation spécifique permettant au fisc de tirer le
profit maximal de trafics d'une valeur économique prééminente ; de même
des jeux sur les taux de taxes en fonction des différentes provenances ou
destinations (pays tatars, tcherkesses, Crimée, Empire ottoman)
permettent d'influencer les flux commerciaux. Mais, dans ces matières, les
règlements prennent en compte les conditions locales d'une autre façon
encore, en se faisant l'écho au nord de la mer Noire comme en bien d'autres
parties de l'Empire, de l'héritage fiscal pré-ottoman : le legs est ici tatar
et surtout italien. Il explique vraisemblablement (bien que nous ne
puissions qu'en formuler l'hypothèse) l'originalité de certains taux comme
celui du droit de douane qui, dans tout le lira' est de 42 %o ad valorem
et est commun à tous les marchands indépendamment de leur
catégorie, alors qu'on trouve fréquemment dans le reste de l'Empire,
nonobstant une certaine diversité locale, des taux de 3 % pour les
musulmans, 4 % pour les mécréants sujets de l'Empire et 5 % pour les mécréants
des pays non musulmans. Le passé explique de même l'existence et la
dénomination de certaines taxes issues de traditions locales : sans doute
434 MIHNEA BERINDEI • GILLES VE IN STEIN

le mot tamga d'origine mongole est-il largement entré dans la terminologie


fiscale ottomane, mais attesté en Crimée dans le sens de douane dès
l'époque de la Horde d'Or au xive siècle et dans les débuts du khanat de
Crimée sous Hâggi Giray, il continue à être d'un usage très répandu dans
le Hvà" de Kefe (mentions d'une tamga sur les esclaves, les peaux, les
moutons importés « de chez les Tatars » à Azaq, de tamga de Kerš et de
Qopa). De même, le terme de qabala qui s'applique dans la Kefe ottomane
à une taxe sur les étoffes et à Qopa à une taxe additionnelle sur les
tonneaux de caviar (cf. does XII et XIV, i) est attesté pour la Crimée
du xive siècle dans le yarhq de Qutluq Timur, émir de la Horde d'Or
(cf. note 95).
Entièrement propres à cette zone de l'Empire sont des termes d'origine
italienne comme celui qui désigne la taxe de 17 %0 ad valorem appelée
tuta, mot que nous supposons dérivé de l'italien tolta attesté dans le
vocabulaire fiscal de la Caffa génoise (cf. note 92), ou celui qui entre
dans la dénomination de la taxe portuaire d'Azaq, la 'ddet-i qoqa de
l'italien cocca qui correspond à un type de vaisseau de commerce ; de
même le mot, de lecture d'ailleurs douteuse, modnabiqo (?), s'appliquant
à la taxe particulière aux bateaux mécréants (cf. doc. VII, 1) semble
bien être, lui aussi, d'origine italienne. Il n'est pas exclu non plus que la
Kefe ottomane ait conservé une taxe des Génois (tuta-г genevizï ?)
(cf. note 97). D'autre part, dans un domaine distinct de la fiscalité mais
qui lui est lié, la métrologie, le livà" fournit, à travers ses règlements,
d'autres exemples de legs italiens : le terme qaratil qui désigne une espèce
de tonneau et correspond à une unité de capacité vient de l'italien cara-
tello ; le som qui désigne une somme de deux cents aspres, dérive de
l'italien sommo.
Ces taxes sur la circulation et la vente des marchandises qui retiennent
toute l'attention du législateur sont, de très loin, les plus productives
pour le fisc : ce qui, outre leur relative spécificité, explique la place
qu'on leur accorde. Ce sont ces taxes qui assurent l'écrasante
prépondérance de Kefe, principal centre commercial de la région, dans l'ensemble
des revenus de la province dont elle est le chef-lieu : dans le TT 370, le
revenu annuel de Kefe est de 2 830 610 aspres, ce qui en fait l'une des
plus riches villes de l'Empire à cette époque, venant assurément loin
derrière Istanbul mais peu après Salonique (3 149 659) et avant Avlonya
(1 554888) ou même Edirne (1 807 892) 182. Dans le TT 214, le revenu
de Kefe tombe à 1 093 855 aspres, chute sur laquelle nous ne manquerons
pas de revenir. Quoi qu'il en soit, le revenu de Kefe représente 67 % du
total des revenus de la province dans le TT 370 et encore 53 % dans le
TT 214, or les taxes sur le commerce entrent pour 88,6 % dans les recettes
de la ville selon le premier registre et 77,4 % selon le second. De même,
il est significatif que l'essentiel des revenus de Kerš et de Qopa soit
regroupé dans des muqâta'a consacrées à la tamga de ces deux places.
Sans doute ne retrouve-t-on pas ailleurs un même rapport entre les
différentes catégories de taxes, une telle prééminence de celles qui ont
trait au commerce. D'ailleurs le tableau C, établi d'après les chiffres du
TT 370, donne la part respective de chacune des catégories de taxes pour
les six villes ayant permis un tel calcul :
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 435

Tableau С

droits droits sur la circulation


villes personnels , °\ sur et la vente
etcasuels la production en %

Kefe 4.4 88,6


18,6
7
Sogudaq 79 2.4
Mangub 53.3 41 5.7
Bahqlagu 46,8 44 9.2
Inkerman 22 76 2
Azaq 71 29 (avec les droits
personnels et casuels)

En outre, il n'est pas douteux qu'un calcul semblable à partir des données
détaillées, taxe par taxe, fourmes pour les différents villages par le
TT 214, ne fasse apparaître qu'ils se rapprochent du modèle présenté par
ces bourgs à fort caractère rural tels Sogudaq et Inkerman, et que les
droits sur la production agricole et l'élevage n'y représentent l'essentiel
des revenus. Néanmoins, l'ensemble des taxes non commerciales reste
d'un bien faible poids dans le revenu global de la province comparé aux
grandes muqâta'a alimentées par le trafic de Kefe. Le seul revenu lié à la
production qui puisse se mesurer à ces dernières est constitué par les
pêcheries d'Azaq : elles représentent à elles seules 9 % de l'ensemble des
recettes du livâ' dans le TT jyo, 25 % dans le TT 214, ce qui justifie le
souci de la Porte de les protéger contre les incursions cosaques à partir de
la seconde moitié du xvie siècle. En ce qui concerne l'augmentation
absolue des revenus des pêcheries d'Azaq, eue ne tient pas uniquement à une
hausse de la production mais aussi à un alourdissement de la fiscalité
que nous avons mis antérieurement en évidence183.
Avant d'aborder une comparaison des chiffres des deux registres, il
faut souligner que celle-ci ne va pas sans quelques difficultés dans le
détail, difficultés sur lesquelles nous avons attiré l'attention à l'occasion
dans les notes : ces registres étant de composition assez différente, il n'est
pas toujours aisé de déterminer les éléments correspondants de l'un à
l'autre et l'hésitation s'impose dans plusieurs cas ; d'ailleurs certains
revenus ne figurent pas dans les deux registres et la composition de
certaines muqâta'a s'est modifiée de l'un à l'autre ; en outre, des erreurs ou
des omissions du scribe ne sont nullement à exclure, surtout dans le
TT 3jo qui apparaît comme la copie simplifiée d'un registre détaillé
antérieur. Cependant, en dépit des incertitudes qui se font ainsi parfois
jour dans le détail, l'orientation générale ne fait pas de doute : entre les
deux registres, les revenus de la province ont connu une chute brutale
d'environ 40 % (elle est de 1 749 086 aspres) faisant passer le budget de
la province, comme nous l'avons vu, de l'excédent au déficit. Cette chute
est essentiellement celle du produit des taxes commerciales : elle est
spectaculaire dans le cas des trois muqâta'a majeures : taxes sur les esclaves
(perte de 532 010 aspres) ; douane de l'échelle (perte de 284 743 aspres) ;
et revenus du Grand Bazar (perte de 279439 aspres). Cette chute se
436 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

retrouve dans tous les autres revenus liés à l'activité commerciale de


cette place comme, aussi bien, dans ceux des tamga de Kerš et de Qopa ;
seule la douane d'Azaq fait exception en progressant quelque peu. Au
contraire, le produit des autres catégories de taxes baisse généralement
dans des proportions plus modestes ou même parfois augmente comme
dans le cas des taxes casuelles de Kefe (cf. B, I, 21), des revenus des
pêcheries d'Azaq (dont nous avons pu noter ci-dessus que l'importance
proportionnelle augmentait ainsi) ou d'une majorité de villages. On ne
doit cependant pas s'étonner si dans un certain nombre de cas un déclin
si brutal du commerce a pu avoir une répercussion sur le peuplement et
les divers aspects économiques de la région, ce qui rend compte de signes
de stagnation, voire de recul, en dehors même du secteur commercial
proprement dit.
Une question majeure se trouve donc posée par la comparaison des
chiffres des deux registres : entre les deux périodes dont ils rendent
compte, le commerce de la zone de Kefe a connu un déclin profond dont
il faut rechercher les causes.

Les recherches récentes ont démontré qu'à partir de la seconde moitié


du xive siècle, les colonies italiennes de Crimée se trouvent de plus en plus
à l'écart des grands circuits commerciaux. A la veille de la conquête
ottomane, Caffa et La Tana sont avant tout des marchés locaux ; la
« route de la soie » qui avait fait leur fortune ne fonctionne plus et les
liaisons de ces places avec la Pologne ou la Moscovie sont aléatoires184.
Ce n'est que grâce à un concours de circonstances exceptionnel que la
Crimée redevient dans le dernier quart du xve siècle, l'étape obligatoire
d'une route de commerce d'importance.
Les débuts de la domination ottomane en Crimée coïncident avec
l'essor de la Moscovie sous le règne d'Ivan III (1462-1505) qui réunit à ses
possessions nombre de principautés russes (Tver', Rostov, Jaroslavl') et,
notamment, dès 1478, la république marchande de Novgorod. Cette
œuvre aboutit à une réunion de territoires mais aussi de ressources ainsi
qu'à une centralisation de l'activité commerciale au profit du grand
prince de Moscou. En 1480, la Moscovie s'impose sur l'Ougra, face à la
Grande Horde, fruit, pour une bonne part, de l'alliance réalisée au mois
d'avril de la même année avec le khanat de Crimée. Il s'agissait pour ce
dernier état d'un changement radical de sa politique extérieure : Mengli
Giray s'attaque désormais à la Pologne-Lithuanie, son alliée de la veille,
pour épauler Ivan III dans ses prétentions territoriales ; il obtient en
échange le soutien moscovite contre la Grande Horde dont le grand
prince avait été le vassal. Ce changement d'alliance mènera à l'écrasement
définitif, en 1502, de la Grande Horde186.
Le principal objectif du rapprochement Crimée — Moscovie était
ainsi atteint mais les bons rapports se poursuivront jusqu'à la mort de
MengU Giray en 15 15 et même au delà. Or, la politique d'Ivan III et de
son successeur Basile III (1505-1533) envers Kazan, Astrakhan et les
Nogays, heurtant continuellement les intérêts de la Crimée, on comprend
mal l'option du khan, si l'on ne prend pas en compte les aspects écono-
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 437

miques de la question. En effet, à la lumière des documents d'archives


russes mis à profit par Syroečkovskij, nous voyons s'établir, aux environs
de 1480, pour une quarantaine d'années, un trafic très intense entre la
Moscovie et l'Empire ottoman à travers la Crimée186. Sans doute,
s'agit-il ici du prolongement d'un commerce antérieur entre les terres
russes et les colonies italiennes, mentionné par ailleurs dans un règlement
douanier de Mehmed II187 ; cependant ce commerce ne peut pas, selon
nous, être considéré comme Г « épilogue d'un brillant commerce » ainsi
que le présente Syroečkovskij, sans en apporter toutefois la preuve188.
Nous avons affaire, au contraire, à la fin du xve et au début du xvie siècle,
à un phénomène nouveau par son ampleur : pendant cette période, des
dizaines, quelquefois des centaines de marchands russes (de Moscou,
Tver', Kolomna, Novgorod, Možajsk) se rendent chaque année en
caravanes à Azaq, Ozti et surtout à Kefe. Certains parmi eux continuent leur
voyage par mer vers Istanbul, Brousse, Tokat, Sinop. Ils croisent des
marchands tatars ou ottomans (Turcs, Arméniens, Juifs, « Francs » de
Crimée) en route pour Moscou. Mais la plupart des transactions se font
à Kefe même. Il s'agit des deux côtés d'un commerce coûteux de produits
de luxe : les fourrures de prix, principale exportation moscovite (zibeline,
hermine, renard noir ou roux, martre, lynx, écureuil), oiseaux de proie
(faucons, éperviers, gerfauts), défenses de morse, cuirs, toiles et, en
contrepartie, soies de différentes couleurs, soieries (brocarts, taffetas),
étoffes de laine, tissus de coton, épices (poivre, safran, clous de girofle,
rhubarbe, musc, camphre, encens), sucre, savon, teintures, articles
manufacturés (peignes, voiles, ceintures, tentes), perles et pierres précieuses
enfin189.
Entre la Moscovie et l'Empire ottoman, les rapports commerciaux
précèdent les relations diplomatiques. Dans la première lettre qu'Ivan III
adresse en 1492, par l'intermédiaire d'un ambassadeur à Bàyezïd II,
(pour protester contre les vexations subies l'année précédente à Kefe par
ses marchands), il est dit notamment : « nous ne nous sommes point
envoyé d'ambassadeurs pour nous complimenter, cependant les
marchands russes ont parcouru vos états et y ont exercé un commerce
avantageux à nos empires » ; le grand prince demande au sultan que soit mis
fin aux abus des fonctionnaires ottomans et lui suggère de dépêcher ses
envoyés à Moscou ; en attendant, il interdit à ses sujets de commercer
en Crimée190. Le sultan n'accède pas à cette demande et le conflit ne sera
réglé qu'en 1495-1497, lors de la seconde ambassade moscovite à Istanbul.
Le traité conclu à cette occasion garantit la sécurité et la poursuite du
commerce entre les deux états ; il sera confirmé par la suite en 1499,
1515 et 1517191. Mais, en même temps, la Porte refuse de donner suite
aux propositions moscovites d'alliance offensive contre la Pologne-
Lithuanie ; il n'est question pour elle que de sauvegarder ses intérêts
économiques — intérêts de taille au demeurant : les fourrures de prix
jouent un rôle important dans l'étiquette de la Cour ottomane192 et le
commerce moscovite assure des bénéfices substantiels au fisc impérial ;
pour 1492, le san&aqbeg de Kefe chiffre les pertes causées par l'interruption
du trafic à 480 000 aspres. Cette somme, qui ne concerne probablement
que les droits de douane, apparaît vraisemblable si l'on considère les
chiffres (même exagérés) avancés par les documents moscovites à pro-
438 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

pos des pertes occasionnées par le pillage des différentes caravanes.


Citons quelques exemples : 2 255 roubles (soit 225 500 aspres) en 1489 ;
1 500 roubles (soit 150 000 aspres) en 1495 et 1498 ; 1 413, 1 080 et
930 roubles (soit 342 300 aspres) en 1500 ; 3 325 roubles (soit
332 500 aspres) en i5oi193.
Ce trafic important profite également aux Tatars de Crimée : le khan
perçoit des droits de douane sur les marchandises en transit ; chaque chef
de caravane distribue des « cadeaux » au khan et aux mïrzâ pour gagner
leur bienveillance194. Ces derniers contrôlent en effet la route d'accès
à Kefe et Azaq, le long du Don, sur la vallée du Dnepr (à l'embouchure
duquel Mengli Giray bâtit en 1492 la forteresse d'Ozii) ou encore, à travers
les steppes, vers Orqapi196. Une partie des marchandises apportées par
les Moscovites (flèches, carquois, selles, couteaux) sont d'ailleurs destinées
plus particulièrement aux Tatars, lesquels ne peuvent offrir en
contrepartie que des chevaux. Mais pour garder l'amitié et l'alliance des Cri-
méens, le grand prince envoie continuellement des « cadeaux » au khan
et à son entourage. Ainsi leur sont offerts la plupart des oiseaux de proie,
de nombreuses pelisses ou fourrures de zibeline, hermine et renard noir,
des défenses de morse, du drap de Flandre ou d'Angleterre, des objets en
argent. Ces livraisons font d'ailleurs souvent l'objet de requêtes précises.
Si les bénéficiaires offrent parfois certaines contreparties (Ivan III, grand
amateur de joyaux, demande à Mengli Giray perles, diamants, rubis,
saphirs et lapis-lazuli), la balance de ces « échanges » penche nettement
en faveur des Tatars196.
Pourtant, la poursuite de l'alliance avec les Moscovites, ne faisait pas
l'unanimité parmi les chefs tatars. Contre l'avis de Mengli Giray, un raid
a lieu dès 1507 ; repoussé sur l'Oka, il est d'ailleurs sans lendemain. En
effet, deux ans plus tard, le khan envoie une ambassade à Moscou par
laquelle il promet la protection des marchands russes, le renouvellement
du pacte contre la Pologne-Lithuanie, et demande en échange la
conclusion d'une alliance offensive contre les Tatars d'Astrakhan (les nouveaux
rivaux de la Crimée, la Grande Horde une fois disparue) ; il réclame aussi,
à son ordinaire, faucons, fourrures de zibeline, défenses de morse,
cuirasses197. C'est en mai 15 12 que survient le premier conflit sérieux lorsque
deux des fils du khan, Ahmed et Buryaš atteignent, à la tête de leurs
troupes, Belev et Odoev et ravagent Rjazan'. Ils sont défaits et le khan
blâme leur action198. Pourtant, même si les activités commerciales se
poursuivent au delà de la mort de Mengli Giray en 1515, il est clair que
désormais la situation va se détériorant ; en 1515 et 1517, les marchands
du grand prince sont pillés en Crimée ; en 1514, Mohammed Giray, futur
successeur du khan, s'oppose aux Moscovites en Lithuanie ; en 15 16,
Bahadir, fils de Mohammed Giray, cette fois devenu khan, razzie à son
tour la région de Rjazan', après avoir été gagné par les présents du roi
de Pologne199. On constate un même refroidissement du côté de Basile III
qui, moins soucieux de s'assurer à grand prix l'alliance tatare, restreint
sensiblement ses « cadeaux » en un temps où les « cadeaux » polonais se
font au contraire plus nombreux en Crimée200 ; lorsque le grand prince
tentera plus tard, en 1533, de redresser cette situation à l'occasion du
règne d'un nouveau khan, Sàhib Giray, ce dernier aura beau jeu de lui
rapporter les paroles des princes tatars : « Quel avantage tirons-nous de
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 439

notre amitié avec la Russie ? Elle nous rapporte à peine une fourrure
de zibeline par an, alors que la guerre nous en apporterait des milliers...»
et le khan d'ajouter à l'adresse de Basile III : « Faites votre choix comme
vous l'entendez, mais si vous voulez que nous restions amis, vos présents
doivent être égaux en valeur à au moins trois ou quatre cents
prisonniers »201. De toute façon, au moment où ces prétentions seront
exprimées, l'alliance Moscovie-Crimée n'était plus qu'un souvenir.
La cause principale de la rupture se place en 1519, au moment où
le khan de Kazan, Mohammed Emin, disparaît sans laisser de successeur
direct. Deux candidats s'affronteront pour le remplacer : Šáh 'Ali, khan
de Kasimov, homme de Basile III et Sáhib, à la fois demi-frère du khan
de Crimée, Mohammed Giray et du défunt Mohammed Emin. Le candidat
moscovite l'emportera d'abord mais en 1521 la situation s'inversera, le
khan de Crimée parvenant à détacher Kazan de l'influence moscovite
et à imposer Sáhib Giray. Non contents de ce premier succès, les deux
khans mènent leurs hommes jusqu'aux portes de Moscou, infligeant une
razzia dévastatrice au pays202 et inaugurant ainsi la période des grandes
incursions criméennes en Moscovie qui se succéderont jusqu'à la fin du
siècle. Sous l'effet de ces événements, les liaisons commerciales entre
Moscou et la Crimée ne peuvent que péricliter et même disparaître. Or,
si l'on prend en considération la chute des revenus liés aux activités
commerciales que met en lumière la comparaison des deux registres
ottomans, il est évident qu'on ne peut placer le premier d'entre eux qu'aux
alentours de 1519, vraisemblablement 1515-1516 ; les chiffres élevés qu'il
présente reflètent en effet une situation antérieure à la disparition du
commerce Moscou-Crimée : à vrai dire, les dernières manifestations de
celui-ci.
De même, il est significatif que la version du règlement de la douane
d'Azaq contenue dans le TT yjo mentionne des exportations d'étoffes
par terre à partir d'Azaq, alors que cette mention disparaît de la version
du TT 214: il faut comprendre en effet que ces exportations, principale
contribution ottomane à ce commerce, étaient destinées à la Moscovie,
à Astrakhan et aux Nogays203.
A côté de ce changement dans la politique des steppes, dont le moteur
est la rivalité Moscovie-Crimée, un second facteur, cette fois d'ordre
économique, contribue à affecter le rôle commercial des ports ottomans
de Crimée : la concurrence de la route moldavo-polonaise. Déjà très
fréquentée, notamment par les Italiens, à la fin du xive siècle, cette route,
dont les étapes obligatoires étaient les ports de Chilia (Kili) ou Cetatea
Albà (Aqkirman) et la ville de Lvov, remplace au cours du xve siècle les
anciennes routes criméennes pour assurer la rencontre entre les produits
d'Orient, d'Occident et du Grand Nord204. L'Empire ottoman y est partie
prenante : dès 1456, le sultan accorde un privilège de commerce aux
marchands de Cetatea Albà mais c'est seulement en 1484 que, par
l'occupation de cette place ainsi que de celle de Chilia, les Ottomans s'assurent le
contrôle des débouchés de cette route205. La conclusion d'un premier
traité de paix en 1490 entre la Porte et le roi de Pologne, Casimir, assurera
une plus grande sécurité aux marchands ottomans. Ce traité sera
renouvelé en 1493 par le roi Jean-Albert206 et nous avons pour cette même
année la confirmation du bon fonctionnement de cette route dans un
440 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

document officiel ottoman : le règlement de douane d'Andrinople qui


mentionne l'arrivée dans cette ville de marchandises russes (fourrures de
zibeline, de lynx, de martre, de « renard de Russie », défenses de morse,
« cuir de Russie ») à côté des produits provenant de Pologne ou y ayant
transité (armes, acier, étain, charbon de bois, mercure, cinabre, blanc
de plomb, étoffes « franques avec dorures ou simples »...) et enfin — ce qui
confirme bien l'itinéraire suivi par tous ces articles — les chevaux
« valaques »207. Par conséquent, à un moment où, comme nous l'avons
vu, les liaisons directes entre la Crimée et la Moscovie étaient
interrompues, une route de substitution avait été trouvée. En dehors d'une
courte période de conflit ouvert entre la Pologne et l'Empire ottoman,
de 1497 à 1501, les bons rapports entre ces deux états se poursuivront
presque sans heurts tout au long du xvie siècle. Pour leur part, les
Ottomans consolideront leur position dans la région et du même coup leur
contrôle sur la route moldavo-polonaise, par l'annexion en 1538 du sud-
est de la Moldavie, le Boudjaq. En ce qui concerne le commerce des
fourrures, principale marchandise moscovite, la documentation à partir
des années 1530, confirme que les marchands du Trésor ottoman
empruntaient effectivement cette route et qu'ils avaient au contraire abandonné
l'itinéraire criméen208. On comprend mieux dans ces conditions que ni
du côté ottoman ni du côté moscovite, des efforts n'aient été tentés pour
sauvegarder ce dernier. D'autant plus que la Porte n'entendait pas à cette
époque s'immiscer dans la politique criméenne — ce qu'elle n'eût peut-être
pas été en mesure de faire.
Il ne faudrait d'ailleurs pas ignorer, parmi les facteurs de décadence
économique des villes ottomanes de Crimée, en particulier pour ce qui
concerne la traite des esclaves, les conséquences des troubles internes,
quasi permanents, qui affectent le khanat dans les dernières années du
règne de Mohammed Giray ; parallèlement au changement radical de sa
politique par rapport à la Moscovie, ce khan s'aliène, par ses excès
d'autorité, la noblesse criméenne, préparant ainsi sa perte : lors de sa campagne
victorieuse contre Astrakhan, fin 1523, il sera trahi et tué ainsi que son
qalga209. A partir de cette date, les conflits entre les fils et les frères du
khan disparu, soutenus à tour de rôle par les factions criméennes, seront
ininterrompus jusqu'au milieu du règne de Sáhib Giray, période de notre
second registre. Ces luttes intestines provoquèrent la ruine du pays, et ne
manquèrent
livâ* de Kefe pas
; laissons
de faire
la parole
sentir àleurs
ce propos,
effets jusque
à un noble
dans tatar
les revenus
dont nous
du
ignorons l'identité exacte, mais qui fut vraisemblablement l'un des
protagonistes de ces événements. Dans un message adressé au sultan, fin 1533
ou début 1534, il peignait un tableau sombre, mais bien révélateur, de la
situation de son pays :

«... A l'époque de nos pères et de nos aïeux », écrit-il, « l'ordre et la


sécurité régnaient dans le pays. Des expéditions étaient menées
pour la grande gloire du Hûdâvendigâr. Les khans agissaient selon
les coutumes anciennes et traditionnelles. Leurs sujets étaient
tranquilles et prospères ; ils étaient occupés à faire la guerre sainte
et notre pays était rempli d'esclaves. Les khans d'aujourd'hui
agissent contrairement aux lois de leurs aïeux, ils introduisent
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 44I

dans le pays des innovations illicites et commettent des actes


déraisonnables. Depuis treize ans [soit depuis 1520-1521], notre
pays est dans le désordre, ravagé par des troubles et par la
corruption. Il ne reste plus un seul de nos beys et de nos rnïrzàs ; tous ont
été exécutés. Le peuple, ruiné, ne peut mener des expéditions pour
ramener des esclaves, ni rester sur place pour cultiver ses terres.
Notre pays est ruiné, et les dommages infligés aux muqata'a de
notre bienheureux Padichah sont infinis. »210

Par ailleurs, l'antagonisme entre le khanat de Crimée et le khanat


d'Astrakhan va à rencontre des échanges commerciaux qui auraient pu
se poursuivre entre ce dernier et les Ottomans : la mention relative à un
commerce entre Azaq d'une part, Astrakhan ou les Nogays d'autre part,
portant notamment sur les chevaux et les moutons de ces contrées,
disparaît entre la version du TT yjo et celle du TT 214 du règlement de
la douane d'Azaq. Quant aux revenus des pêcheries ottomanes de la côte
caucasienne, et à ceux des tamga de Kerš ou de Qopa, c'est aux conflits
déjà mentionnés avec les Tcherkesses qu'il faut imputer leur décadence.

La création du livff de Kefe s'était accomplie dans des conditions


extrêmement favorables : sur le plan économique, la mise en valeur des
ressources de cette région s'était poursuivie et développée, sous l'effet
d'une politique mesurée, soucieuse de continuité ; en outre, la Crimée
revit alors, grâce à l'essor des liaisons avec la Moscovie, une grande
période d'activité commerciale. De plus, cette brève prospérité est
favorisée par une situation politique stable. Bien que garantie par le dispositif
militaire mis en place, la domination ottomane dans la région n'est ni
contestée ni menacée. Les années 1520 marquent au contraire un
tournant : dépérissement du grand commerce, stagnation ou recul des activités
économiques et de la population du lira'. En même temps, des
complications politiques se profilent, dont d'ailleurs la véritable portée échappe
à la Porte qui se repose sur son allié criméen ; ce dernier a déjà pu mesurer
en 1542, terme de notre étude, le péril représenté pour le contrôle des
steppes par l'avance moscovite ; dix années plus tard, le khanat de
Kazan entrera définitivement sous la domination du tsar de Moscou et
celui d'Astrakhan subira le même sort quatre années plus tard.

Paris, mai-juillet 1979.

11
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 443

Concordance des termes géographiques*

Forme ottomane Forme médiévale Forme modeme

Albati Albat
Alubka Lupiko Alubka
Alušta Lusce, Lusta Alušta
Arpádi Carpati Arpat
Adym. Čokrak
' Avtika
Atim Čaqragi
(cf. Yalta)
Ayaseres ( ?) Aj -Seres
Aya Todor A j -Todor
Azaq La Tana Azov
Baga
Bahadur
Baga(?) Bogatyr
Bahqlagu Cembalo Balaklava
Baydar Ba j dary
Čergona Čorgun
Čerkes kirman Čerkes kermen
Demiirgi Paradixii ? Demerdji
Dere (cf. Yalta)
Devaq Tuak
Foros, Foroy
Foti Fori Foros
Fot-sala
Gavri Gavry
Hâs Pétri Aj -Petři
Hay to Haj to
Hurzuf Gorzovium, Gorzonium, Gurzuf
Gurzuf
Inkerman Calamita Inkerman
Kefe Caffa Feodosija
Kerš Vosporo Kerč
Keknos Chichineo, Chinecheo Kikeneiz
Kiči Ozen Kučuk Uzen
Kirmangiq Kermenčik
Korbaqla Cara Ikoclac ? Korbekly
Lambad (Biiyiik et Kiičiik) Petit et Grand Lambadie Lambat (Bijuk et Kučuk)
Limona Limeny

* Sources : i) pour la période médiévale : F. Brunn, Notices historiques et


topographiques concernant les colonies italiennes en Gazarie. Mémoires de l'Académie
impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, VIIe série, 1866, X, 9, p. 48 ; C. Desimoni,
« Nuovi studi sull'atlante luxoro », in Atti délia Società ligure di Storia patria,
Gênes, 1867, V, pp. 253-255 (utilise les « cartolari » de la « Massaria » de Caffa, pour
1381-1382); W. Heyd, op. cit., II, pp. 208-210 ; 2) pour la période moderne : J. J. Hel-
lert, Nouvel atlas physique, politique et historique de l'Empire ottoman et des États
limitrophes en Europe, en Asie, et en Afrique, Paris, 1844, planche XXI, Crimée ;
G. Moskvič, Praktičeskij putevoditel' po Krymu (Guide pratique de la Crimée),
Odessa, 1910 ; Ortsverzeichnis der Krim mit ortsweisen Nationalitâtenangaben nach
der Zâhlung von 17 Dezember IQ26, Schriften der Publikationstelle Wien fur den
Dienstgebrauch, Vienne, 1944.
444 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN

Forme ottomane Forme médiévale Forme moderne

Mangub Theodoro, Theodoři, Mangup Kale


Mangup
Marquri Markur
Marsanda (cf. Yalta)
Mishor Muzacori Mishor
Musqomya-i kiičuk et Kučuk Muskomja et Bi-
-i buztirg juk Muskomja
Ogi Au dj ukoj
Otuzlar Otuzii Locus Otuz
Partin (derii) ( ?) Pertinita Partenit
Qàdîli alias Nehora ( ?)
Qamra Kadykovka
Komáry
Qapshor La Canecha ? Kapsihor
Qihndi Kalendija
Qoga Salaši Hodja-Sala
Qopsel Kapsel
Qoqlus Kokkuluz
Qozlu, Qozlar Koz Koz
Qrano, Qraqo Karan
Qun Ozen Kuru Uzen
Qutlaq Lo Carto ? Kutlak
Sahtek Sahtik
Savatike Savatka
Sikite Sykita, Sicita, Sychit Nikita
Sogudaq Soldaia, Soldadia Sudak
Siiren Kučuk et Bijuk Sjujren
Šuh Šulju
Šumá (?)
Taman Šumá
Matrega Taman
Tašlu Tarataxii Taraktaš
Toqluq Lo Carto ? Tokluk
Tuh Tjulle
Ugri Qosta Urkusta
Ulu Ozen Megapotamo Ulu Uzen
Ûskiit Scutti, Stuta, Lo Scuto Uskjut
Vorin Lovolli ? Vorony
Yalta Djalia, Jallita Jalta
Quartiers de Yalta :
— Dere Derekoj (au nord)
— Marsanda Massandra (à l'est)
— 'Avtika Autka (à l'ouest)
Yangu Janju
Yeni Sala Eni Sala
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 445
1. Cf. M. T. Gôkbilgin, « Kanunî sultan Siïleyman devri baslannda Rumeli
eyaleti livalan, sehir ve kasabalan » (Les provinces, villes et bourgs de la province
de Roumélie au début du règne de Siileymàn le législateur), Belleten, XX, 78, 1956,
p. 279, n. 143.
2. M. Berindei, G. Veinstein, « Règlements de Suleymân Ier concernant le
livâ' de Kefe », С MRS, XVI, 1, 1975, pp. 57-104 (cité infra « Règlements »).
3. Eidem, « La Tana-Azaq de la présence italienne à l'emprise ottomane (fin
xine-milieu xvie siècle) », Turcica, VIII, 2, 1976, pp. 110-200 (cité infra « La Tana-
Azaq »).
4. La seule route de terre possible traversait les steppes nord-pontiques : de
Kili et Aqkirman (occupées en 1484 par les Ottomans), elle gagnait, parôzii, Perekop
(Or Qapi) d'où, par la Crimée, elle aboutissait à Kefe. Cette route malaisée (il fallait
franchir plusieurs grands fleuves : le Danube, le Dnestr, le Bug et le Dnepr) était
rendue, à notre époque, de plus en plus dangereuse par les razzias des Tatars cri-
méens et nogays ainsi que des Cosaques Zaporogues.
5. Aux 67 villages qui apparaissent avec leurs habitants et revenus, il faut
ajouter les villages et čiftlik (domaines, exploitations) sans habitants (Atyo, Yeni
Sala, Tašlu, Sultan salaši, Saru kirman) ainsi que la prairie de Baybuga ou la prairie
et roselière de Saru gól.
6. « Règlements », pp. 64-67 et does XVI- XVII ; « La Tana-Azaq », pp. 144-171,
194-201 (documents) ; sur le montant des revenus de la douane et de la pêche
d'Azaq, en légère hausse d'un registre à l'autre, cf. infra tableau B, III, 1.
7. Ch. Quelquejay, « Čerkesses », in Encyclopédie de l'Islam, 2e éd. (cité infra El*),
p. 23 ; H. Inalcik, in ibid., p. 25 ; A. Namitok, Origines des Circassiens, Paris, 1939,
pp. 12-13 ; C. M. Kortepeter, Ottoman imperialism during the Reformation : Europe
and the Caucasus, New York- Londres, 1972, pp. 8-10 ; Remmal Hoga, Tarih-i
Sahib Giray htm (Histoire du khan Sahib Giray), éd. 0. Gôkbilgin, Ankara, 1973,
PP- 35-44. 72-82, 121-130.
8. « Règlements », docs XIII-XV ; infra tableau B, III 2, 3, 5.
9. Ainsi, lors des expéditions de Sáhib (Игау contre les Žane (1539 et 1542), ou
contre les Hatko (1551), le sangaqbeg de Kefe avait préparé les embarcations
nécessaires aux troupes tatares pour la traversée du détroit, cf. Remmal Hoga, op. cit.,
PP- 36-37. 75"7°. I24- L'état des hostilités déterminait, du moins pour certains
produits comme pour les chevaux en 1542, l'interdiction temporaire du commerce
avec les Tcherkesses, cf. « Règlements », doc. XIII, 1.
10. « Règlements », pp. 62-67 e^ doc. XIII.
11. Remmal Hoga, op. cit., p. 249.
12. A. Bennigsen, P. X. Boratav, D. Desaive, Ch. Lemercier-Quelquejay, Le
khanat de Crimée dans les Archives du Musée du Palais de Topkapi, Paris-La Haye,
1978, pp. 2-10.
13. Cf. Basbakanhk Arsivi, fonds Kâmil kepeci, registre des arriérés de la
douane de Kefe (i486- 1490), n° 5280 bis ; H. Inalcik, The Ottoman Empire. The
classical age, 1300-1600, Londres, 1973, pp. 129-132 ; V. E. Syroečkovskij, Gosti
Surozane (Les marchands de Surož), Moscou-Leningrad, 1935, pp. 39 sq.
14. « Règlements », pp. 62-69 et does 1-Х II ; sur le montant des différents
revenus provenant des activités économiques de Kefe, cf. infra, tableau B, I.
15. G. Veinstein, « La population du sud de la Crimée au début de la domination
ottomane », in Mélanges en honneur de 0. L. Barkan (à paraître) ; « Règlements »,
p. 65 ; « La Tana-Azaq », p. 148 ; tableau B, I, 5 (cf. infra).
16. Voir infra, la carte et la liste de concordance des termes géographiques
(forme médiévale-forme ottomane) et la bibliographie.
17. V. Vasiliu, « Sur la seigneurie de 'Teodoro' en Crimée au xve siècle, à
l'occasion d'un nouveau document », in Mélanges de Г École roumaine en France,
Paris, 1929, I, pp. 301-336 ; N. Bânescu, « Contribution à l'histoire de la seigneurie de
Théodoro-Mangoup en Crimée», Byzantinische Zeitschrift, LUI, 1, 1935, pp. 20-37 ;
A. A. Vasiliev, The Goth in the Crimea, Cambridge (Mass.), 1936.
18. Le village d'Otuzlar était dépendant de la Crimée, et plus précisément du
clan des Šiřin. Deux membres de ce clan, le célèbre Eminek et son fils Devletek,
avaient disposé de son attribution après la conquête sur les Génois, (cf. TT 370,
p. 491 ; sur Eminek et Devletek, cf. A. Bennigsen et al., op. cit., pp. 318-319 et
index s.v.).
19. Remmal Hoga, op. cit., pp. 45-46.
446 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
20. « Règlements », p. 62.
21. Evliyâ Čelebi, Seyâhatnâme (Le livre des voyages), Istanbul, 1971, XI,
p. 217 ; le voyageur se trompait-il quand il fait apparaître ce territoire comme étant
sous la domination du khan de Crimée ?
22. « Règlements », pp. 62-63 et docs I, 3 ; VI, 1-2 ; XV, 1 ; tableau B, III,
6-9 (cf. infra).
23. « Règlements », pp. 62-64 '• H. Inalcik, op. cit.
24. G. Veinstein, art. cit.
25. Voici la situation, d'après le TT 370 :
Population des villes

Ville Foyers Célib. Veuves garnison 'Azab

Kefe 3017 272 291 131 103



Sogudaq 322 8 40 11
Inkerman 252 4 16 19 —
Azaq 250 10 2 196 in
Bahqlagu 179 4 22 21 —
Mangub 169 4 18 37 —
Kerš 121 35 —
Taman 37 8 67 61
Sur la population recensée à Azaq, il faut compter que 92 foyers sont constitués par
les qazaq (dont trois chefs) lesquels seront qualifiés dans le TT 214 de « Tatars
coursiers ».
26. I. Beldiceanu-Steinherr, M. Berindei, G. Veinstein, « La Crimée ottomane et
l'institution du timâr », Annali dell' I stituto universitario orientale, Naples, à paraître
(cité infra « Timâr de Crimée ») ; selon G. Vernadsky, Russia at the dawn of the
modern age. New Haven-Londres, 1959, p. 91, le prince était déjà présent à Kefe
dans l'hiver 1495-1496.
27. A. Bennigsen et al., op. cit., pp. 85, 93.
28. Ibid., p. 99.
29. Sur le sangaqbeg cf. N. Beldiceanu, Recherche sur la ville ottomane au
XVe siècle, étude et actes, Paris, 1973 (cité infra Ville ottomane), pp. 55-57.
30. H. Inalcik, « Yeni vesikalara gôre Kmm hanhgmm Osmanh tâbiligine
girmesi ve ahidnâme meselesi » (Le passage du khanat de Crimée sous la domination
ottomane et le problème du traité, d'après de nouveaux documents), Belleten,
VIII, 30, 1944, p. 212.
31. A. Bennigsen, « L'expédition turque contre Astrakhan en 1569 d'après les
registres des 'affaires importantes ' des Archives ottomanes », С MRS, VIII, 3, 1967,
pp. 435-436 ; A. Bennigsen et al., op. cit., pp. 134, 138.
32. Basbakanhk Arsivi, Muhimme defteri (registre des « Affaires importantes »),
44, document de safer 989 (7 mars-4 avr. 158 1).
33. Bibliothèque du Musée de Topkapi, К 888, f. 263г.
34. Ibid., i. 258V. ; sur les subaši cf. Ville ottomane, pp. 95-109.
35. Sur les qâdi cf. ibid., pp. 115-119.
36. Sur la charge de kethudâ urbain cf. ibid., pp. 109-111.
37. Cf. J. Schiltberger, in Schiltberger' s Reise in der Orient und wunderbare
Begebenheiten, éd. A. J. Penzel, Munich, 1814, p. 99.
38. Cf. TT 370, p. 481 ; TT 214, p. 31.
39. Cf. TT 370, loc. cit. ; TT 214, p. 29 ; Evliyâ Celebi, op. cit., XI, p. 238.
40. Cf. TT 370, pp. 481, 490 ; TT 214, p. 41 ; Evliyâ Čelebi, op. cit., XI, pp. 249-
250.
41. Cf. TT 370, p. 491.
42. G. Veinstein, art. cit., n. 36.
43. 0 Timâr de Crimée » ; cf. aussi Ilhan Sahin, « Timâr sistemi hakkinda bir
risâle » (Un traité concernant le système du timâr), Istanbul Vniversitesi Edebiyat
fakultesi tarih dergisi, 32, 1979 (Ord. prof. I. H. Uzunçarsih Hâtira Sayisi), p. 915.
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 447
44. Dans les différentes mentions, le mot fop est suivi d'un autre que nous
n'avons pu identifier : il semble se lire ser pour trois des canons de Kerš et ceux
d'Inkerman ; plutôt šed pour deux des canons de Kerš.
45. Sur ce canon, cf. V. J. Parry, « Bârud », in El*, p. 1094 : cite les formes
badjalushka et badâlushka ; ces termes correspondent vraisemblablement à l'italien
basilisco et au français basilic ; cf. H. et R. Kahane, A. Tietze, The lingua franca in
the Levant, Turkish nautical terms of Italian and Greek origin, Urbana, 1958, n° 81,
citent comme équivalents de basilic les formes baciliska, bacaluska et bedaloshka,
et mentionnent la définition « cannone grossissimo da bastarda ». Il s'agit d'un canon
de forteresse et de siège de très gros calibre, cf. « Basilic », in Nouveau glossaire nautique
d'Augustin Jal, Paris, 1972, p. 262. Un document turc de 1525 précise : « Ce sont des
canons pour battre les forteresses » (qal'a dôvmek ičiin toplardir) ; M. Lesure, « Un
document ottoman de 1525 sur l'Inde portugaise et les pays de la mer Rouge »,
Mare Luso-Indicum, Paris, 1976, III, 148-152.
46. Le nom darbzen viendrait du terme mamelouk : darbzàna, Savory, « Bârud »,
période safavide in El*, p. 1098 ; on trouve aussi la forme darbuzan, V. J. Parry,
art. cit., p. 1094. Il s'agit selon le voyageur français du xvne siècle, Du Loir, de
l'équivalent du fauconneau ; mais le terme est parfois traduit par couleuvrine ;
cf. L. Fekete, Die Siyâqat-Schrift in der turkiscken Finanzverwaltung, Budapest,
1955, I, p. 695, n. 6 : Feldanschlage. Plus récemment, ce canon a été assimilé au
moschette vénitien, J. F. Guilmartin, Jr., « The early provisions of artillery armament
on Mediterranean war galleys », The Mariner's Mirror, 59/3 (août 1973), p. 269, cité
par M. Lesure, art. cit., p. 152, n. 20. Il ne faut toutefois pas oublier qu'il existait
plusieurs types de darbzen, petits, moyens, sahï, lançant des projectiles plus ou
moins lourds, cf. I. H. Uzunçarsih, Osmanh devleti teskilahndan kapukulu ocaklan
(Les unités de kapukulu dans l'organisation de l'État ottoman), Ankara, 1944, II,
p. 50. Notre document précise la longueur de ceux présents à Azaq : 10 et 15 empans
(qanš) .
47. Ce canon apparaît chez V. J. Parry, art. cit., p. 1095, sous la forme pranghi ou
pranki ; cf. aussi I. H. Uzunçarsih, op. cit., II, pp. 49, 83 ; selon H. et R. Kahane,
A. Tietze, op. cit., nos 121, 122, ces formes sont à rapprocher de l'italien braga ou
braca (en français brague) ; ce prangi qui correspondrait au falconetto est mentionné
à partir du xve siècle pour l'artillerie ottomane. J. F. Guilmartin {art. cit., p. 269),
suppose pour sa part qu'il s'agit probablement de l'équivalent du morterete espagnol
et de la bombardelle vénitienne, pièces longues de trois à quatre pieds et pesant à peu
près Г50 livres ; à tout le moins, ce canon correspond à une pièce d'artillerie légère.
48. Ces canons portent les mêmes noms que les embarcations, sa'iqa, sur
lesquelles ils étaient en principe placés. Là encore, on distingue plusieurs types :
petit, moyen et grand ; cf. V. J. Parry, art. cit., p. 1094 ; I. H. Uzunçarsih, op. cit.,
II, pp. 49-50, 81.
49. Cf. V. J. Parry, art. cit., p. 1094 : c*te ^a forme shakaloz provenant du hongrois
szakàllas et désignant un canon léger à projectiles en pierre ou en métal. Cf. aussi
I. H. Uzunçarsih, op. cit., II, p. 49 : sakloz; et J. Th. Zenker, Dictionnaire turc-
arabe-persan, Hildesheim, 1967, s.v. čaqalos ou čaqaloz : petit canon pierrier.
50. Sur tiifenk, cf. V. J. Parry, art. cit., p. 1093. Certaines de ces arquebuses, de
grande taille, ne sont pas portables et représentent des petits canons ; c'est le cas
de 44 de celles ď Azaq (tiifenk-i biizurg : el tiifengi degildir) .
51. Ces pièces appelées en français chambres à poudre ou chambres à feu, de
même métal que le canon auquel elles se rattachaient, sont comptabilisées à part
car elles étaient amovibles pour rendre le chargement plus aisé.
52. L. Fekete (op. cit., I, pp. 694-695) rencontre le terme dans l'inventaire de
l'arsenal de la forteresse d'Eger de 1643 et le traduit par Kanonennâgel (clous de
canon).
53. Le mot maymun ou maymungiq signifie littéralement : crochet, pince.
54. Sur l'emploi de 'agele dans le sens de chariot, cf. T. X. Bianchi, J. D. Kieffer,
Dictionnaire turc-francais, Paris, 1850, s.v. ; sur l'emploi de ces chariots dans
l'artillerie ottomane, cf. I. H. Uzunçarsih, op. cit., II, pp. 51 sq.
55. Le terme funduq peut avoir le sens de balle de plomb ; J. Th. Zenker,
op. cit., s.v. L'expression tiifenk fundugi apparaît dans un ordre au beglerbeg de
Kefe du 5 zi'l-qa'de 996 (16 sept. 1588) touchant le matériel relatif à une campagne
d'Astrakhan, Basbakanhk Arsivi, MUhimme defteri, 64, n° 345. En ce qui concerne
les balles de darbzen, si celui-ci doit être assimilé au moschette vénitien, elles pesaient
448 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
environ 400 à 500 g. Mais selon un document cité par Feridun, Megmu'a-i munse'St-t
selàtin (Recueil des documents officiels des sultans), 1274 (1857), Istanbul, I, p. 314,
le petit, le moyen et le sahï tiraient respectivement des projectiles de 47, 200 et
400 dirhem (150 g, 620 g, et 1,28 kg). Par ailleurs, L. Fekete (op. cit., I, p. 695, n. 6)
cite un document du xvie siècle conservé aux Archives de Topkapi (D 10584) selon
lequel les darbzen tirent, en fonction de leurs quatre types différents, des projectiles
de 300 dirhem, une ocque, deux ocques ou 36 ocques (960 g ; 1,28 kg ; 2,56 kg ;
et 46 kg) ; cf. M. Lesure, art. cit., p. 152, n. 20.
56. Sur l'emploi de senk (litt. pierre) dans le sens de boulet, cf. J. W. Redhouse,
A Turkish and English lexicon, Constantinople, 1921, s. v.
57. Sur les bombes dans l'artillerie ottomane, cf. V. J. Parry, art. cit., p. 1095 ;
sur le corps des qumbaragt, cf. I. H. Uzunçarsih, op. cit., II, index sous kumbaraci.
58. Ocque : unité de poids égale à 400 dirhem soit 1,2828 kg ; W. Hinz, Islamische
Masse und Gewichte, Leyde, 1955, p. 24.
59. Qantar : unité de poids correspondant à 56,443 kg ; W. Hinz, op. cit., p. 27.
60. Le terme kuliïnk peut signifier marteau ou pioche, mais L. Fekete [op. cit., I,
pp. 693-695) le traduit dans un contexte analogue par Streitaxt (hache de guerre).
En suivant cette interprétation, nous rangeons cet article parmi les armes et non
les outils.
61. Cf. A. С Barbier de Meynard, Dictionnaire turc-francais, Paris, 1881-1886,
sous putraq : espèce de masse d'arme.
62. Parmi les accessoires de l'arbalète, le document fait apparaître les divers
termes suivants : mengene (arbrier ?), rikâb (litt. étrier), qangal (câble), zih (corde)
kemân (arc), Čiqnq (poulie), qolar (corde).
63. Sur le terme mangmiq signifiant baliste, cf. J. Th. Zenker, op. cit., s.v. Sur
l'emploi de cette arme ( mand j ani It) chez les Mamelouks jusqu'à la deuxième
moitié du xve siècle, cf. D. Ayalon, « Bârud », période mamelouke, in El*, pp. 1090-
109 1.
64. Les termes proches yelme (persan) et yalmaq (arabe) désignent un vêtement
ouaté porté par les Tatars, J. Th. Zenker, op. cit., s.v. C'est probablement à ce
vêtement que fait allusion une description du xvine siècle de la tenue des Tatars
partant en campagne, en mentionnant « un petit casaquin d'une étoffe grossière,
ouvert par les manches qui sont fort courtes... », Archives du ministère des Affaires
étrangères français, Correspondance politique, Turquie, n° 70, f. 249 (29 juil. 1725).
65. Le men ou batmân est une unité de poids dont la valeur varie beaucoup selon
les lieux dans l'Empire ottoman : c'est ainsi, par exemple, qu'à Mardin, en 1518, il
vaut 3 kg, à Tokat, en 1581, 7,6 kg ; W. Hinz, op. cit., pp. 21-22.
66. La zirâ' ou coudée a eu des valeurs très diverses dans l'histoire musulmane.
Il s'agit peut-être ici de celle qui apparaît chez Hinz sous la dénomination d'ad-dirâ'
al-lstanbulïyya, égale à environ 67,3 cm ; W. Hinz, op. cit., pp. 58-69.
67. Le kile officiel d'Istanbul qui, en l'absence d'autre précision, est
probablement pris en considération ici, correspondait à un poids de 20 ocques soit 25,656 kg,
mais il existait dans l'ensemble de l'Empire ottoman une série de kile locaux, de
valeurs variables. Il est ainsi fait mention infra à propos de vivres entreposés à
Kerš et Sogudaq d'un kile de Kefe dont nous savons qu'il équivalait au petit
keilge d'Azaq mais dont nous ignorons la valeur ; W. Hinz, op. cit., pp. 40-42 ;
« Règlements », doc. XVI.
68. Le terme vary a (ou vary os) peut désigner un gros marteau de forgeron ou de
tailleur de pierre, sens que nous avons retenu, toutefois ; L. Fekete (op. cit., I,
p. 697 et n. 12, dans un contexte analogue) transcrit le terme par varye et le traduit
par Feuerzeug (briquet) ; or cet auteur cite un document du xvie siècle évaluant le
poids de 50 vurye-i dhen à deux charges (yiik) , ce qui ferait, si une charge correspond
à 3 qantar, 6 qantar soit 338,658 kg, et non 6 kg, comme l'écrit Fekete, poids très
important qui ferait préférer le sens de gros marteau.
69. Dans un contexte analogue, L. Fekete (op. cit., I, p. 695) traduit pour sa part
le terme tnes'ele par Fackel (flambeau). Par ailleurs, notons qu'un texte de Christine
de Pisan cite les lanternes parmi le matériel nécessaire à la défense d'une place au
XVe siècle ; cf. Ph. Contamine, Guerre, État et société à la fin du Moyen Age, Paris-
La Haye, 1972, pp. 665-666.
70. Signalons que les louches, de même que les plats précédemment cités,
figurent également dans l'arsenal de la forteresse d'Eger en 1643, L. Fekete, op. cit.,
I, p. 695.
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 449

71. La valeur du miidd, mesure de capacité, varie selon le lieu et l'époque. Un


miidd d'Istanbul de blé correspond à 513,12 kg ; W. Hinz, op. cit., p. 47.
72. Cf. « Timur de Crimée », does 8, 9, 16, 17.
73. Rappelons que le terme turc qazaq (litt. homme libre, insoumis) d'où
proviendra « cosaque », sert, dès le xve siècle, dans les sources russes, à désigner tous
les éléments incontrôlés, indépendamment de leur origine et de leur religion et,
notamment, des musulmans. D'ailleurs, on retrouve encore dans les textes russes
du milieu du xvie siècle l'expression « cosaques tartars » ; cf. Ch. Lemercier-Quelque-
jay, « Un condottiere lithuanien du xvie siècle, le prince Dimitrij Višneveckij et
l'origine de la Seč' zaporogue d'après les archives ottomanes », CMRS, X, 2, 1969,
pp. 259-260.
74. Cf. L. Fekete, op. cit., I, p. 97. Le registre de douane de Kefe de la fin du
XVe siècle (Basbakanhk Arsivi, Kâmil Kepeci, n° 5280 bis) fait également mention
d'un seroda de Taman.
75. Cf. notamment, Basbakanlik Arsivi, Muhimme defteri, 3, n° 305 ; 5,
n° 1201.
76. Nous reprenons ici les éléments contenus dans la p. 9 du TT 214, en les
adaptant quelque peu, par souci de clarté, de la façon que nous signalerons au fur
et à mesure. Ce bilan est introduit par la formule : muhasebe-i igmâl-i mahsulat ve
ihragat-i livâ'-i Kefe dont notre titre rend le sens. Suit l'expression : be ma'rifet-i
Hasan 'an zu'amcï-i viluyet-i Runieli ve Muhsin (?) ve llyas el-haqïr kutib. El vâq'i fi
20 regeb el-mureggeb, sene tis'a ve erba'ïn ve tis'ami'a : elle indique que les auteurs du
bilan financier (et de l'ensemble du registre de recensement qui suit) sont Hasan,
détenteur d'un zi'âmet (concession foncière importante) en Roumélie, Muhsin
(lecture incertaine) et l'humble secrétaire Ilyàs (ce dernier ayant tenu la plume) et
que le travail fut accompli le 20 regeb 449 (soit le 30 oct. 1542).
Les textes et les chiffres sont en siyaqat, écriture propre aux documents financiers.
Les chiffres de recettes introduits par la mention asl-i mal sont donnés pour trois ans
(fi selasi sinïn), durée ordinaire des baux d'affermage ; ils le sont d'abord en monnaie
locale, les aspres de Kefe (kefeï aqče) puis ils sont convertis en aspres ottomans
('osmânî aqče), le rapport étant dans cette section de 5 kefeï pour 1 'osmânî. Pour
simplifier, nous n'avons retenu dans notre tableau que le chiffre annuel en 'osmunï,
lequel correspond aux données du TT 370 : en effet, si ce dernier registre ne présente
pas de bilan liminaire semblable des finances de la province, on peut retrouver, au
fil des pages, les données correspondantes avec parfois, comme nous le verrons, des
intitulés différents, or, les chiffres étant fournis sans précision d'unité monétaire,
peuvent être considérés comme formulés en aspres ottomans.
Notons que, plus loin, dans la section des dépenses, la conversion entre aspres
de Kefe et aspres ottomans est faite selon un rapport de 2 à 1, le texte précisant
que l'usage, « depuis les temps anciens » étant de donner 2 kefeï pour 1 'osmunï, on
s'en était tenu à cette décision antérieure (qadïm el-zamândan iki kefeï bir 'osmânî
hesâbinga verilmegin ber qariïr-i sâlaq muqarrer emr olundi). Pourtant, il doit s'agir
dans ces données comptables d'aspres kefeï de compte, distincts de l'aspre réel de
Kefe ; en effet, il apparaît que le taux de ce dernier par rapport à l'aspre ottoman
différait dans la pratique des deux taux mentionnés ici : un ordre au beg et au qâdi
de Kefe, de janvier 1552, nous apprend qu' « auparavant un aspre ottoman
correspondait à 10 aspres [de Kefe] » puis qu' « on a fixé le cours à trois aspres pour un
aspre ottoman » (Bibliothèque du Musée de Topkapi, К 888, f. 6r.) ; or cette situation
est reflétée par les règlements du TT 214 où le montant de la taxe sur les mariages
à Azaq et à Kerš passe du simple au triple selon qu'elle est exprimée en aspres
ottomans ou en aspres de Kefe, « Règlements », does XIII, XVII ; le même
document de 1552, cité ci-dessus, montre qu'à cette date, le rapport est passé
de 1 à 4.
Signalons qu'une dualité entre aspre de compte et aspre réel existait déjà
dans la Caffa génoise où l'aspre de compte représentait la moitié de l'aspre réel ;
cf. Ph. Grierson, « The Genoese coinage of the Crimea », communication inédite
présentée au Byzantine Black Sea Twelfth Spring Symposium, Birmingham, iK mars-
21 mars 1978. Nous avons affaire ici à une situation différente et plus complexe
puisqu'il semble qu'il y ait deux aspres de compte distincts, un pour les recettes et
un autre pour les dépenses.
77. 'an mahsiil-i muqâta'ât ve qurâ. Les tmtqâta'a sont des unités de revenus
fiscaux de nature variée (taxes, domaines fonciers, exploitations diverses) concé-
450 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
dées à ferme (iltizâm) à des aflfermataires ('âmil, multezim) ; cf. H. Sahillioglu,
« Bir miiltezim zimem defterine gôre xv. yiizyil sonunda Osmanh Darphane muka-
taalan » (Les fermes de la frappe de la monnaie ottomane à la fin du XVe siècle,
d'après le registre de dettes d'un affermataire), Iktisat Fakiiltesi mecmuasi, XXIII,
i-2, 1963, pp. 145-218 ; N. Beldiceanu, Les actes des premiers sultans conservés dans
les manuscrits turcs de la Bibliothèque Nationale de Paris, 2 vols, Paris-La Haye,
1960-1964 (cité infra Actes) ; II : Règlements miniers, 1380-1312, pp. 141 sq. ;
M. Genç, « Osmanh maliyesinde malikane sistemi » (Le système des fermes à vie
dans les finances ottomanes), in O. Okyar, H. U. Nalbantoglu éd., Tiirkiye iktisat
tarih semineri [Ankara], 1975, pp. 231-296. Le tableau B, I donne la liste des muqâ-
ta'a du livà" de Kefe.
78. En fait, si on refait les additions, 1 622 763 aspres.
79. 'an mahsûlât-i emvâl-i miiteferriqa 'an beyt ul-màl-i hâssa ve màbeyn-i mus-
tahfizân ve 'azabân ve resm-i giinliik (?)-й 'azabân ve mustahftzân ve beqâyâ-г ebnâ-t
multezimïn (trad, littérale : sur les revenus provenant de biens divers : biens du
Trésor, soldes vacantes des gardiens des forteresses et des 'azab, taxe de giinluk (?)
des 'azab et des gardiens des forteresses et reliquats dus par les affermataires). Le
détail de ces revenus est donné in TT 214, p. 11 ; cf. infra tableau B, II, 1-12 ; les
termes sont commentés à cet endroit. Ces revenus totalisent en fait 448 555 aspres.
On ne trouve pas l'équivalent de cette section dans le TT 370 soit que ces revenus
n'aient pas existé à cette époque, soit qu'on n'ait pas pris soin de les comptabiliser
en l'absence d'un bilan financier analogue à celui du TT 214.
80. Ijc bilan du TT 214 ne fait pas entrer ce chapitre en ligne de compte puisqu'il
ne s'intéresse qu'aux revenus du sultan, seuls appelés à couvrir les dépenses de la
province. Nous l'introduisons cependant car, quoique modeste si l'on en juge par le
chiffre correspondant fourni par le TT 370 (p. 491), ce type de revenus doit être
inclus dans une évaluation de l'ensemble des revenus de la province. Le TT 370
Srécisant en outre (ibid.) que les revenus des legs pieux (mahml-i evqâf-г livâ'-t
'efe) qui proviennent de numéraire (nuqild), de loyers de boutiques et d'entrepôts
(mehâzin) et autres, totalisent 189 524 aspres, il ne reste que 1 933 aspres pour
les revenus de pleine propriété.
81. Pour atteindre le revenu global de la province, il faut insérer ici les revenus
du gouverneur, lesquels viennent s'ajouter à ceux du sultan. Nous réintroduisons
ce même poste parmi les dépenses à imputer sur le revenu global (cf. infra tableau A,
II, 1). Après vérification, le total exact des revenus du gouverneur clans le TT 214
est de 400 978. Sur le revenu des gouverneurs de Kefe, cf. le commentaire aux
tableaux.
82. Les dépenses ne sont pas systématiquement recensées dans le TT 370, mais
on dispose des données concernant le poste de loin le plus important, les soldes des
garnisons.
Dans le TT 214, les dépenses sont introduites par la formule viizi'a min zelika
(à retrancher de cela) ; elle est suivie de l'expression be gihet-i mevâgibât-i mezkiirân
(au titre des soldes des susdits). Là encore, les chiffres sont donnés en aspres kefeï
et 'osmanï mais, dans cette section, le rapport indiqué est de 2 kefeï pour 1 'osmâni
(cf. supra, n. 76).
83. Be $ihet-i sâliyâne-i han-i tatarân. Cette sâliyâne ou pension annuelle
représente l'un des éléments du soutien financier de la Porte au khanat, seul des états
vassaux à ne pas payer de tribut à l'Empire mais à être au contraire subventionné
par lui. II s'y ajouté notamment les cadeaux de nomination aux khans (tesrifât),
les donations moyennant participation aux campagnes ottomanes (tirkeš bahà) et
à partir du règne du khan Sáhib Giray le versement de la solde des troupes
particulières du khan (segbân aqčesi). Contrairement aux autres donations, la sâliyâne
provient pour plus de la moitié des ressources mêmes du livâ', en l'occurrence des
revenus de la douane de Kefe. Cet arrangement remonterait à 1484 et il s'y ajoutait
l'abandon au khan par le fisc ottoman du revenu de certaines salines, ce qui ressort
d'un document non daté des Archives de Topkapi (E 6398) appartenant au troisième
règne de Mengli Giray (1478-15 14) et, au demeurant, antérieur à 1512 ; cf. A. Ben-
nigsen et al., op. cit., pp. 87-88. Ce document précise en outre le montant initial
de la sâliyâne : 230 000 aspres perçus sur les revenus de Kefe, auxquels le khan
demande que soient ajoutés 70 000 aspres. De fait, le registre TT 214 révèle qu'en
1542, sous le règne de Sáhib Giray, khan particulièrement en faveur auprès du
sultan, le chiffre avait été porté à 400 000 aspres. Nous sommes loin des chiffres
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 451
de 1 million et 1 million et demi d'aspres cités, probablement d'après des
chroniques, respectivement par I. H. Uzunçarsih, Osmanh tarihi (Histoire ottomane),
Ankara, 1954, Ш» 2-> PP- 3X~33 e* H. Inalcik, « Giray », in Islam Ansiklopedisi, IV,
p. 748. Ainsi, au contraire, se trouve confirmée la thèse selon laquelle le montant
de la sâliyune n'était pas fixe mais a varié selon les khans ; cf. A. W. Fisher, « Les
rapports entre l'Empire ottoman et la Crimée. L'aspect financier », CMRS, XIII, 3,
1972, pp. 368-381. Cet auteur n'avait pas été en mesure de citer de chiffre antérieur
à la deuxième moitié du xvne siècle, mis à part le cas de Gàzî Giray II qui reçoit
178 571 aspres en 1588.
84. Be gihet-i iimerâ-г tatarun ve iimerâ-i čerakise. Les bénéficiaires tatars de ces
largesses du sultan pouvaient être des dignitaires membres de la famille du khan :
dans le document déjà cité des Archives de Topkapi E 6398, le khan Mengli Giray Ier
demande au divan ottoman que l'allocation précédemment versée à son frère
Yagmurča, à présent décédé, soit transférée à son fils Buryaš (ou Burnaš) Giray
(A. Bennigsen et al., op. cit., pp. 87-88) ; de même, on a pour des périodes plus
tardives des attestations de sâliyâne versées aux qalga et autres membres du clan des
Giray (A. W. Fisher, art. cit., p. 372, n. 2, p. 380). Les Tatars gratifiés par la Porte
pouvaient être encore les beg des clans d'origine mongole constituant l'aristocratie
du khanat de Crimée ; des documents de la fin du xvne et du début du xvuie siècle,
font ainsi état des sommes attribuées par la Porte aux membres des clans Šiřin et
Argin, ibid.. Par ailleurs, comme l'indique la présente mention de notre registre,
les émirs tcherkesses ayant fait alliance avec la Porte, recevaient non seulement des
robes d'honneur en échange de leurs services, mais également des allocations
régulières : tel était le cas du beg de Zane Qansavuq avant sa révolte et Sâhib Giray
peut lui reprocher son inaction en faisant valoir que le sultan ottoman ie payait et
lui avait remis un étendard ; Remmal Hoga, op. cit., p. 38 (hiinkar sana ulufe ediib
altun baslu sancak verdi). De même, on trouve, par exemple, un ordre de la fin du
xvie siècle adressé aux émirs tcherkesses munis de pensions annuelles (sâliyâne ile
ûmerâ-i čerakise), Muhimme defteri, 74, n° 134 (1005/1595-1596). Un document
un peu antérieur cite le cas de Mehmed, l'un des émirs tcherkesses de la presqu'île
de Taman, détenteur d'une sâliyune de 120 000 aspres, Muhimme defteri, 71, n° 205
(1002/1592-1593).
85. Be gihet-i mevât>ib-i mustahfizân ve *azabân-i qalâ'-i vilâyet-i Kefe. Les
mustahfťž et les 'azab ont été définis plus haut en relation avec la situation militaire
de la province. Le TT 214 précise que les garnisons du livâ' totalisent 1 126 hommes,
leurs soldes représentant une dépense quotidienne de 5 468 aspres. Pour le TT 370, il
faut recourir aux pp. 492-496 qui donnent pour chaque forteresse le détail des
effectifs et le montant journalier et annuel de leurs soldes (cf. supra, tableau I).
Nous n'avons retenu ici que le total des soldes annuelles de l'ensemble des forteresses.
Le détail par place est le suivant, exprimé en aspres : Azaq : 505 618 ; Kefe : 393 864 ;
Temruq : 297 564 ; Taman : 210 944 ; Lahot (?) : 98 844 ; Mangub : 69 028 ; Kerš :
65 136 ; Bahqlagu : 35 400 ; Inkerman : 30 796 ; Sogudaq : 21 592.
86. Be gihet-i mevâgib-i hademe-i gâmi'-i qal'e-i Mangub ve Sogudaq ve Kerš ve
veledân-i seyyid... (?). En principe le personnel des mosquées était rémunéré sur les
revenus des legs pieux (vaqf), mais Barkan observe qu'il n'est pas rare dans les
forteresses de Roumélie, proches de la frontière, de voir des cadres religieux
directement rétribués par le Trésor et il en trouve des exemples dans le « budget » de
1527-1528 ; 0. L. Barkan, « H. 933-934 (M. 1527-1528) Mali yilina ait bir btitçe
ôrnegi » (Un exemple de budget concernant l'année financière 1527-1528), Iktisat
Fakiiltesi
n08 19, 20 ;mecmuasi,
cf. de même
XV,
infra
1-4,tableau
1953-1954,
A, II, pp.
g. Dans
266-267,
le TT 283,
214, nos
apparaissent
17, 19 ; p.
20 289,
personnes rétribuées de cette façon, ce qui correspond à une dépense de 77 aspres par
jour. Le TT 370 ne fournit pas de chiffre correspondant mais il n'est pas douteux
qu'une dépense semblable existait alors, d'un montant toutefois peut-être un peu
moindre : nous savons que Sogudaq avait alors 1 imam {TT 370, p. 484) ; Mangub
3 imams et 1 muezzin (p. 486) ; Kerš 1 imam et r muezzin ; enfin, la province ne
comptait qu'un seul seyyid. Rappelons qu'on donnait le titre de seyyid aux personnes
passant pour appartenir à la descendance du Prophète ; M. Z. Pakahn, Osmanlt
tarih deyimleri ve terimleri sôzliigu (Dictionnaire des termes et expressions historiques
ottomans), Istanbul, 1972, III, p. 200 ; T. W. Haig, « Seyyid », in Islam
Ansiklopedisi, p. 543.
87. Be Íihet-i mevagib-i iimenâ ve kiittâb ve hidmetkârân. Le chiffre manque.
452 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
88. Be gihet-i mevâgib-i hatib ve imàm-i garni' -i kebir ve garni' -i gedïd ve mesâgid
ve en'âm-i ihlâs havânât der nefs-i Kefe ber mugeb-i emr-i šerif. Le chiffre manque.
Sur ces soldes, cf. supra, n. 86. Signalons que dans la première moitié du xvie siècle,
Kefe comprenait, dans la Forteresse des Francs, 10 mosquées (n dans le TT 214) ;
dans la Forteresse extérieure 18 dont la Grande mosquée (garni' -i kebïr) et la Nouvelle
mosquée (garni' -i gedïd), toutes deux mentionnées ici ; dans la Forteresse de terre
iï mosquées (13 d'après le TT 214).
89. Be gihet-i mevâgib-i emïn-i harg-i hâssa ve kàtib-i harg-i hâssa der Kefe. La
fonction de Vemïn des dépenses impériales est définie par un bérat de nomination de
Mehmed II relatif à un agent de ce type à Brousse : ce personnage a pour mission
d'effectuer sur la place, pour le compte du sultan, l'acquisition de marchandises
diverses ; il dispose à cette fin de sommes mises sous scellés et doit enregistrer toutes
ses transactions ; X. Beldiceanu, Les actes des premiers sultans conservés dans les
manuscrits turcs de la Bibliothèque nationale à Paris, Paris, 1900, I, pp. 98-100.
A Kefe, les fonctions de cet agent semblent plus larges puisqu'il joue également le
rôle d'un inspecteur des muqâta'a du Trésor ; le détenteur de la charge, en 1552,
Hiiseyin, prendra l'initiative d'alerter la Porte au sujet des attaques cosaques sur
les pêcheries d'Azaq et le sultan le qualifie de naživ (inspecteur), « La Tana-Azaq »,
pp. 199-200. Les Archives de Basbakanhk conservent un registre de recettes et de
dépenses allant de ramazân 985 à ramazân 989 (nov. 1577-nov. 1581) ayant
appartenu à Suleymân čavuš, lequel est qualifié de muqâta'ât nâziri (inspecteur des fermes)
et harg-% hâssa emïni de Kefe (Basbakanhk Arsivi, Kâmil kepeci, n° 2283).
L'importance de la charge explique que Yemin ainsi еще le secrétaire (kâtib) qui l'assiste,
fassent l'objet d'une imputation budgétaire particulière.
90. Mahsul-i muqâta'ât. Nous revenons ici sur le détail de la section I du
tableau A. Ces précisions sur les recettes de Kefe occupent les pp. 10-13 du TT 214 ;
pour présenter de manière plus cohérente les différents types de revenus, nous avons
parfois, dans notre tableau, modifié l'ordre du registre. Dans le TT 370, ces revenus
ne sont pas regroupés dans un ensemble mais présentés, chaque fois, à la suite des
données démographiques relatives aux villes qu'ils concernent. On constatera que
nous sommes, dans le cas des deux registres, renseignés de façon plus précise et
complète sur les recettes que nous ne l'avons été sur les dépenses.
Comme dans la section I du tableau A, le TT 214 donne pour chaque muqâta'a
le revenu sur trois ans puis sur un an en aspres kefei et enfin le revenu annuel
converti en aspres 'osrnânl avec un rapport de 5 kefeï pour 1 'osmânï ; de nouveau,
nous n'avons conservé que ce dernier chiffre qui correspond à celui donné par le
ТТз7о.
91. 'An mahsul-i gihnrttk-ii iskele-i Kefe ma' tevâbi'a ve iskele-i Gôzlev. Sur la
douane de Kefe, cf. « Règlements », doc. VII : un droit de 42 °/oo ad valorem était
perçu sur toutes les importations et exportations effectuées à l'échelle de Kefe ;
d'autre part, les droits sur certaines opérations accomplies à Kerš et à Çjopa
revenaient à la douane de Kefe, cf. ibid., docs. XIII, XIV, 1.
Nous avons déjà posé plus haut le problème de la douane de Gôzleve que le
TT 214 associe aux revenus de Kefe. Rappelons que c'est en 1539- Г540 que le khan
Sâhib Giray aurait demandé au sultan l'autorisation d'établir une échelle à Gôzleve,
c'est-à-dire d'ouvrir ce port au commerce ; le sultan y aurait donné son accord en
abandonnant la décision au seul khan puisque le pays lui appartenait ; Remmal
Hoga, op. cit. pp. 45-46 (l'éditeur date, de façon erronée, cet événement de 1533
alors que le texte porte la date de 946 de l'hégire, ibid., p. 185, n. 2). Il reste qu'en
1542, le sultan participe, dans une proportion impossible à préciser, aux revenus de
cette douane. Le règlement de l'échelle d'Aqkirman de 1569-1570 atteste l'activité
de l'échelle de Gôzleve en mentionnant cette échelle à côté de Kefe parmi les lieux
de départ des esclaves arrivant à Aqkirman ; Basbakanhk arsivi, TT 483, pp. 18-19.
Beaucoup plus tard, chez Peyssonnel qui écrit entre 1753 et 1762, il apparaît
clairement que les revenus de la douane de Gôzleve échoient au khan, entrant pour
50000 piastres (six millions d'aspres de l'époque), dans les recettes de ce dernier,
Ch. de Peyssonnel, Traité sur le commerce de la mer Noire, Paris, 1787, pp. 240-241.
92. 'An mahsul-i tuta-i mïzân-г qapân der Kefe. Le terme de tuta apparaît à trois
reprises dans la désignation de taxes à Kefe (cf. infra, В, I, 7, 15). Il semble devoir
être rapproché de l'italien tolta qui signifie « prise >< et désignait déjà une taxe dans la
Caffa génoise (renseignement dû à notre ami le professeur Л1. Balard). Sur la présente
taxe, cf. « Règlements », doc. VIII : « Règlement du tuta de la balance » ; elle était
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 453
perçue sur les marchandises (notamment coton, miel, cire, fil de soie) pesées à la
balance publique en vue d'une transaction, et représentait 17 %o de la valeur delà
marchandise, à acquitter par l'acheteur et le vendeur. Si sont originaux ici la
dénomination de la taxe et le taux, le principe d'une taxe sur les pesées à la balance
publique est au contraire très général clans la fiscalité ottomane ; cf. O. L. Barkan,
XV ve XVI гпсг asirlarda osmanh imparatorlugunda ziraî ekonominin hukukí ve
malí esaslan, I : Kanunlar (Les bases juridiques et financières de l'économie agricole
dans l'Empire ottoman aux XVe et XVIe siècles ; I, Règlements) (cité infra Kanunlar),
Istanbul, 1943, index sous resm-i kapan. Il est possible que le chiffre unique du
TT 214 corresponde aux deux tuta du marché du TT 370 ; cf. B, I, 15.
93. 'An mahsiil-i tamga-г usera ve sulusân-г dellâliye der Kefe. Cette muqâta'a
comprend deux taxes distinctes, toutes deux relatives au trafic des esclaves :
1) tamga-i usera (taxe sur les esclaves) : le mot tamga, d'origine mongole,
signifie marque, coin, poinçon, sceau, G. Doerfer, Tiirkische und mongolische
Elemente im Neupersischen, Wiesbaden, 1965, II, n° 933, pp. 554-565. Il apparaît en
Crimée dans le sens de douane, dès le xive siècle, sous la domination de la Horde
d'Or ; cf. la mention d'un tamgagi dans le yarliq de Timur Qutluq, A. X. Kurat,
Topkapi Sarayi Miizesi arsivindeki Altin Ordu, Kinm ve Tiïrkistan hanlanna ait
yarhk ve bitikler (Yarliq et bitik relatifs aux khans de la Horde d'Or, de Crimée et du
Turkestan dans les Archives du Musée du palais de Topkapi), Ankara, 1940, p. Г48,
1. 7. du
Ier De 8même,
mars dans
1453, les
mentionne
débuts duune
khanat
douane
de Crimée,
(tamga) unet tarhanhq
des fonctionnaires
de Hâggi Giray
de la
douane (tamgagi) diu khan dans la Caffa génoise (ibid., pp. 62-80 et traduction
française avec commentaire du document in A. Bennigsen et al., op. cit., pp. 33-35).
Nous trouverons ci-dessous d'autres mentions de tamga dans la fiscalité de la région ;
toutefois, il faut remarquer que le terme ne lui est nullement particulier ; il est
attesté aussi bien chez les Aqqoyunlu, cf. 0. L. Barkan, « Osmanh devrinde
Akkoyunlu hukumdan Uzun Hasan beye ait kanunlar » (Quelques règlements
d'Uzun Hasan beg, souverain des Aqqoyunlu à l'époque ottomane), Tarih vesi-
kalan, I, 3, 1941, pp. 193, Г95, 197 ; le même terme est passé dans le vocabulaire
général de la fiscalité ottomane où il entre dans la dénomination de nombreuses
taxes en impliquant la notion d'estampillage.
La présente taxe sur les esclaves ne représente qu'un des éléments du système
fiscal frappant ce trafic ; elle est de 210 aspres par esclave (105 de l'acheteur et
105 du vendeur), « Règlements », doc. IV : « Règlement des taxes sur les esclaves ».
Cette même tamga, d'un montant identique, est déjà attestée à Kefe en 1502,
cf. Ville ottomane, pp. 184-185 : « Règlement concernant les taxes sur les esclaves
vendus à Caffa ».
2) $ulusun-i dellâliye (deux tiers de la taxe de courtage) : chaque vente d'esclave
était encore assortie d'une taxe de courtier (déliai) de 30 aspres dont un tiers
seulement revenait au courtier et les deux tiers restant au fisc (d'où l'expression
employée) ; en outre, à chaque vente, 4 aspres étaient perçus au profit des legs pieux
de Qâsim pacha ; dans ces conditions, le montant total de la taxe était de 34 aspres ;
cf. « Règlements », doc. X : « Règlement des deux tiers de la taxe de courtage ». Le
Qâsim pacha en question était vraisemblablement le premier beglerbeg ottoman
à Kefe, dont la présence est signalée en 1476 et que 'Ašiqpašazáde crédite de la
fondation d'une mosquée dans cette ville ; cf. H. Inalcik, « Yeni vesikalara ... »,
art. cit., p. 212, n. 5 (nous corrigeons ici l'hypothèse faite sur ce personnage in
о Timur de Crimée », n. 99).
Dans le TT 370, les revenus des deux taxes envisagées ici sont donnés
séparément, la première rapportant 650 000 aspres et la seconde 40 000, soit un total
de 690 000 aspres, mais on a regroupé là les tamga sur les esclaves de Kefe et de
Kerš (tam°a-i iiserâ der Kefe ve Kerš, TT 370, p. 483) ; dans le TT 214, au contraire,
la tamga de Kerš a été recensée à part et se monte à 30 096 (cf. infra, В, III, 2), mais,
en tout état de cause, ce chiffre ne couvre pas seulement le revenu de taxes perçues
sur les esclaves puisque la tamga de Kerš frappait également le trafic de bétail avec
les Tcherkesses ; cf. « Règlements », doc. XIII ; au demeurant, même si l'on ajoutait
la totalité de ces 30 096 aspres au revenu de B, I, 4, tel qu'il apparaît dans le
TT 214, on resterait bien loin avec les 188 086 aspres obtenus des 690 000 du
TT 370.
94. 'An mahsftl-i tamga-г hamr ma' meyhâne der vilàyet-i Kefe. On percevait sur
la valeur de chaque tonneau de vin importé à Kefe par terre ou par mer une « dîme »
454 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
de 122 aspres de Kefe pour iooo et, en outre, au moment de la vente, l'acheteur
devait acquitter une taxe de 3 aspres et demi de Kefe par medre de vin (1 medre =
10,256 litres). Il s'ajoutait à cela un droit spécial d'importation pour le vin venu
par terre ou par mer et nous supposons que le revenu de ce droit était comptabilisé
dans la tamga sur le vin envisagée ici, cf. « Règlements », doc. IX.
Par ailleurs, des meyhàne (débits de vin) sont signalés par les règlements à Kefe
et Azaq, ibid., docs I, 2, XVII, 2.
Dans le TT 370, ce revenu apparaît sous la forme de deux unités distinctes :
tamga-%
000)."hamr der Kefe ve К erš (280 ooo) et muqâta'a-t hamr-г meyhâne der Kefe
(15
95. 'An mahsul-i tamga-t čerm ve čuqa ve harir ve bogast ve muqâta'a-i zemïn-i
hânehâ ma' dehàkln der nezd-i 0. Le règlement de la tamga sur les peaux établit un
monopole du Trésor (beglik) sur toutes les peaux de bovins égorgés à Kefe ; ces
peaux sont achetées par le fisc à leurs propriétaires à raison de 6 aspres de Kefe le
batman (soit 6 ocques qui font 7,7 kg) ; le même règlement prévoit également une
taxe sur les peaux introduites de l'extérieur à Kefe pour y être embarquées, taxe
dite 'àdet-i bïruni qui est de 2 aspres par peau ; « Règlements », doc. XI. La version
de ce même règlement contenu dans le TT 370 (p. 476) comporte in fine une allusion
à ces revenus de boutiques et de maisons constitués en une muqâta'a accolée à la
tamga en question : il est précisé que depuis sevvâl 922 (28 oct.-25 nov. 1516), la
muqâta'a sur les boutiques est inscrite pour un revenu de 14 700 aspres de Kefe
(ce qui fait 29 400 aspres de Kefe par an, soit, si l'on applique le rapport de 1 à 5 :
5 880 aspres ottomans), ce qui constitue, dit le texte, une perte de 800 aspres de
Kefe par rapport au revenu antérieur. Quant à la muqâta'a sur certaines maisons
rebï'
de rapport
iil-âhir sises
922 (4
dans
mai-ier
les quartiers
juin 1516)(mahallelerde)
11 000 aspresde(probablement
Kefe, elle rapporte
de Kefe,depuis
soit
2 200 aspres ottomans) par an, ce qui constitue, dit encore le texte, une perte d'un
peu plus de 2 000 aspres (de Kefe) par an. Il ressort de ces précisions que ces
boutiques et maisons représentaient un rapport de 8 080 aspres sur les 100 000 aspres
totalisés par ce revenu. Ajoutons que l'allusion aux chiffres valables depuis 15 16
étaye notre opinion selon laquelle les données du TT 370 appartiennent à une
période postérieure à cette date mais qui lui est proche (sur la datation du TT 370,
cf. l'introduction supra).
Ixs autres éléments de ce revenu sont déterminés par un autre règlement,
celui dit de la qabala. Le terme de qabala, cité par les règlements, n'apparaît au
contraire pas dans notre budget mais la taxe qu'il désigne semble y correspondre
à ces tamga qui accompagnent celle sur les peaux, puisque, comme elles, elle porte
sur le drap, la soie, le boucassin (ainsi d'ailleurs que le taffetas, le brocart et le
bukme (?) tcherkesse). Il s'agit d'une taxe de 33 °/oo ad valorem perçue sur les
acheteurs de drap importé par mer ou par terre et vendu à Kefe ; d'une taxe de
10 aspres °/oo, moitié du vendeur, moitié de l'acheteur, sur les ventes de soie grège
importé';, et enfin d'une taxe d'un aspre sur deux pièces de boucassin teintes à Kefe
et cachetées ; « Règlements », doc. XII. A propos du boucassin (bogasi), notons
qu'il s'agit d'un tissu de coton à trame lâche, fabriqué à cette époque en particulier
dans les régions anatoliennes de Karamanie et de Hamïdeli, servant notamment
à la fabrication de caftans ; cf. M. Z. Pakahn, op. cit., I, pp. 237-238 ; Ville ottomane,
P- 234-
Pour revenir sur le terme qabala, absent de notre budget mais présent dans les
règlements, relevons qu'il est d'origine arabe et signifie ordinairement en ottoman :
« prix à forfait » ; D. Kelekian, Dictionnaire turc-français, Constantinople, 191 1, s.v. ;
signalons toutefois que son sens plus ancien de contrat (notamment d'affermage)
est attesté dans le yarhq déjà cité de Qutluq Timur, émir de la Horde d'Or, qui fut
gouverneur de la Crimée ; cf. B. Grekov, A. Iakoubovski, La Horde d'Or et la
lîussie, Paris, 1961, pp. 90, 115; transcription en turc moderne du document
in A. N. Kurat, op. cit., p. 148, 1. 25.
96. 'An mahsul-i bâzâr-i kebïr ma' dekâkïn der nezd-i 0. Il nous est difficile de
préciser avec certitude les éléments inclus dans ce revenu. En faisaient en tout cas
certainement partie les taxes perçues sur les marchandises apportées au marché
pour y être vendues, ce qui est appelé ailleurs le bâg-i bazar (parmi ces marchandises,
sont cités : miel, graisse, savon) ; il s'y ajoutait peut-être les taxes acquittées
périodiquement par certains boutiquiers ; cf. « Règlements », doc. I : « Règlement de
Yihtisab de Kefe » ; sur le bâg-г bàzàr, cf. M. Berindei, M. Kalus, G. Veinstein,
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 455
a Actes de Murâd III sur la région de Vidin et remarques sur les qânun ottomans »,
Sûdost-Forschungen, XXXV, 1976, pp. 20-31.
Dans le cas de ce revenu où la différence est si considérable entre les deux
registres, on peut se demander s'il n'y a pas eu erreur du scribe dans le TT зуо, si,
par exemple, la conversion des aspres kefei en 'osmânï a été bien faite.
97. 'An mahsul-i tuta-i H.MRI (?). Il s'agit d'une taxe de 17 °/ 00 ad valorem
frappant principalement les ventes d'étoffes (mais aussi celles des maisons, boutiques,
moulins ou vignes situés en dehors de la Cité des Francs à Kefe, de l'eau-de-vie et
de l'huile de poisson importées de Trébizonde) ; elle est prélevée moitié sur l'acheteur
et moitié sur le vendeur ; cf. « Règlements », doc. III. Nous n'avons pu établir la
forme exacte et le sens de la dénomination de cette taxe ; le professeur Inalcik a
bien voulu nous suggérer de la lire tuta-г genevïzï {tuta génois ou des Génois) ;
l'hypothèse est séduisante puisque la taxe porte avant tout sur les étoffes et que
celles-ci constituaient un élément essentiel du trafic de la place à l'époque génoise ;
cependant, la graphie nous paraît rendre cette lecture difficile ; c'est ainsi que le
nom de la forteresse des Génois à Azaq est orthographié genevïz J* ý>- (cf. TT зуо,
p. 490 ; même orthographe de cet adjectif, par exemple, in Topkapi saray Miizesi
Arsivi, E 2250).
98. 'An mahsul-i dellâliye-i esb ve uUur der Kefe. Lors des ventes de chevaux ou
de chameaux, on percevait 8 aspres de l'acheteur et 8 aspres du vendeur ; malgré
son nom de taxe de courtier, ce droit était perçu au bénéfice du fisc ; « Règlements »,
doc. X. Dans le TT зуо, les esclaves sont mis avec les bœufs et les chameaux
(muqâta'a-i dellâliye-i esb ve esïr ve uštur, TT зуо, р. 483) ; nous avons vu plus haut
que le TT 214 comptabilisait à part le droit de courtage sur les esclaves (cf. B, I, 3).
99. 'An mahsul-i bâzâr-i sevr. Une mention placée de façon surprenante à la
fin du règlement dit de la Porte des Tatars indique que les ventes de bœufs étaient
frappées à Kefe d'une taxe de 16 aspres par tête (10 aspres pour les vaches, 9 pour
les veaux) ; « Règlements », doc. II.
100. 'An mahsul-i bub-i Tatarân der Kefe. Ce revenu provient des droits perçus
sur diverses marchandises (blé, orge, millet, farine, étoffes, miel, graisse, cuir, peaux,
feutre, fromage, poisson séché, caviar, légumes, melons, pastèques, concombres,
courges, poisson frais, marne, sel, argile, vin, eau-de-vie) à leur entrée à Kefe par la
Porte des Tatars, principal point d'accès pour le commerce terrestre de la ville ;
a Règlements », doc. II : « Règlement de la Porte des Tatars ». La sortie de certaines
marchandises par la même porte donnait également lieu à la perception de droits ;
ibid., doc. VI : « Règlement des sorties soumises à des taxes de la Porte des Tatars ».
101. 'An mahsul-i bâb-i qule der Kefe. Ce revenu est constitué par les droits
perçus sur diverses marchandises à leur entrée à Kefe par la Porte de la Tour ;
« Règlements », doc. V : « Règlement de la Porte de la Tour ». Cette porte était
l'une des quatre de l'enceinte externe de la ville, Evliyâ Čelebi, op. cit., XI, p. 237.
102. 'An mahsul-i bašhane der Kefe. Le terme de bašhane signifie strictement
« halle aux têtes » (comme on dit, par exemple, tophâne pour désigner un arsenal) ;
c'est donc du commerce des têtes de bétail et notamment de moutons, fort actif
comme on le sait dans les pays musulmans, que proviendrait le revenu envisagé ici.
Or, on ne trouve pas d'allusion dans les règlements au régime fiscal appliqué à cet
article. Dans ces conditions, nous nous demandons si ne sont pas visées plus
généralement ici les taxes d'abattoir qui ne sont pas comptabilisées par ailleurs et que
fixaient au contraire les règlements. Ils prescrivaient de percevoir par bête abattue,
2 aspres pour une chèvre, 6 pour un cheval, 12 pour un chameau ; « Règlements »,
doc. I. En ce qui concerne les ovins, on percevait 6 aspres et demi pour un mouton et
6 aspres pour un agneau, mais ces droits n'étaient perçus qu'en cas de vente et non
lorsqu'un particulier égorgeait un animal pour sa propre consommation ou s'il
s'agissait d'un sacrifice religieux ; « Règlements », doc. II.
103. Mahsul-i ihtisâb ma' 'ôsr-i mâliï der qazâ-i Mangub ve Sogudaq. Ce revenu
est composé de deux éléments bien distincts. Le terme d'ihtisâb a dans la tradition
arabo-persane le sens général et abstrait de police des mœurs ; il s'attache en
particulier, dans le cas ottoman, à la police des marchés, le muhtesib ou ihtisâb
agasi étant chargé de veiller au respect des règlements dits à' ihtisâb; ceux-ci ont
pour fin de fixer soigneusement les prix maxima (cf. à ce sujet, « Règlements »,
doc. XIII), les conditions de fabrication des marchandises et de réprimer les abus
et malfaçons ; cf. les règlements à' ihtisâb d'Istanbul, Andrinople et Brousse in
456 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
O. L. Barkan, « xv asnn sonunda bázi biiyiik sehirlerde esya ve yiyecek fiyatlannm
tesbit ve teftisi hususlanm tanzim eden kanunlar » (Lois sur la fixation et la
surveillance des prix concernant les effets et les denrées dans quelques grandes villes
à la fin du XVe siècle), Tarih vesikalan, I, 5, 1942, pp. 326-340 ; II, 7, pp. 15-40 ;
II, 9, pp. 168-177 ; R. Mantran, « Règlements fiscaux ottomans. La police des
marchés de Stamboul au début du xvie siècle », Cahiers de Tunisie, IV, 14, 1956,
pp. 213-241 ; Ville ottomane, does XIX, XX, XXI. A Kefe, des amendes sont
prévues en cas de pain insuffisamment cuit et de fraude sur le poids du pain ou
autres marchandises ; « Règlements », doc. I : « Règlement de Yihtisàb de Kefe ».
Mais le terme d'ihtisâb peut également recevoir un sens limité et concret et servir
à désigner un droit perçu en môme temps que le bag (cf. supra n. 96) mais d'un
montant inférieur, sur les transactions effectuées au marché ; cf. Actes, II, doc. VII,
par. 12 ; XVII, par. 5 ; XIX, par. 13 ; Kanunlar, p. 330, par. 25 ; on trouve des
exemples de l'emploi du terme pris dans ce sens dans les règlements de Kerš et
d'Azaq ; « Règlements », does XIII, 1, 4, XVII, 2. Bien qu'aucun règlement ne
nous apporte ici de précisions, on peut supposer qu'est pris en considération dans le
présent article l'ensemble des revenus liés à l'inspection des marchés et aux
transactions elles-mêmes dans le cadre des qazâ de Mangub et Sogudaq.
Par ailleurs, sont accouplés à Yihtisàb les revenus fiscaux de la pêche dans les
mêmes qazâ; ils consistent comme dans le cas du port de Kefe (cf. « Règlements »,
doc. I) en une dîme dont le taux exact n'est d'ailleurs pas précisé.
Dans le TT 370, Yihtisàb de Kefe, comptabilisé à part, rapportait 60 000 aspres,
tandis qu'une dîme sur le poisson dite de Bahqlagu, Inkerman et du village de
Hayto (cf. infra, B, IV, С, 27 et carte) figurait pour 5 000 aspres et était d'ailleurs
déjà présentée comme dépendant de Vihtisâb de Kefe (muqâta'a-i 'ôsr-i mâhi-i
Bahqlagu ve Inkerman ve qariye-i Hayto tâbi'-i ihtisâb-i Kefe, ŤŤ 370, p. 483).
104. Muqâta'a-i čaqma der Kefe (TT 370, p. 483).
105. Outre la tuta-i mizân-i qapân qu'on retrouve dans le TT 214 (cf. supra,
B, I, 2), le TT 370 présente (p. 483) une muqâta'a-i qapân der Kefe. Le terme qapân
(de l'arabe qabân) désigne une grande balance publique, J. W. Redhouse, op. cit., s.v.
106. 'An mahsul-i emlâk-i hâssa. Nous ne trouvons pas dans le TT 370 de
revenu portant précisément cet intitulé. Cependant, il y est fait mention
d'immeubles publics ne figurant pas — ou pas totalement — dans le TT 214 et qui
correspondent peut-être au présent article, bien que les chiffres en soient très
fortement supérieurs. Nous pensons aux loyers des boutiques, marchés couverts et
caravansérails de la ville de Kefe d'un montant annuel de 120 000 aspres (muqâta'a-i
igâre-i dekâkïn ve bedârslân ve kârbânserâhâ der nefs-i Kefe) ; aux loyers du palais
public (lequel comportait vraisemblablement des boutiques), et aux revenus des
vignes et jardins à proximité de Kefe, le tout d'un montant annuel de 1500 aspres
(muqâta'a-i igâre-i serây-i hâssa ma' bag ve bâgCe der qurb-u Kefe, TT 370, p. 483). Il
est vrai qu'un revenu des vignes du Trésor (bâg-i hâssa) de 3 490 aspres, figure par
ailleurs dans le TT 214 (cf. B, II, 3) : s'agit-il des mêmes ? Par ailleurs, autre
difficulté, nous saisissons mal dans le TT 214 le rapport entre la présente rubrique et
le B, II, 1 qui apparaît infra.
107. 'An mahsul-i 'âdet-i agnâm-i nefs-i Kefe. Le taux de cette taxe n'est pas
précisé par les règlements de Kefe mais on peut supposer qu'elle est d'i aspre pour
deux moutons, ce qui est fréquemment (mais non toujours) le cas dans l'Empire ;
cf. Kanunlar, pp. 57, par. 6 ; 116, par. 9 ; 153, par. 8 ; 158, par. 9 ; 166, par. 7 ;
181, par. 8 ; 198, par. 7 ; 201, par. 6 ; 289, par. 8 ; 313, par. 2. La taxe apparaît sous
le nom synonyme de resm-i ganem dans le TT 370 (p. 484).
108. Mahsul-i ciftlikhâ-i 'atïq. Ces čiftlik sont les seuls à figurer dans le TT 370
et ils reparaissent dans le TT 214 avec l'épithète d'anciens pour les opposer aux
nouveaux introduits dans ce second registre (cf. infra, В, I, 19). Il s'agit de domaines
situés à proximité de Kefe au nombre de 9 dans le TT 370, de 8 dans le TT 214 ;
ils sont présentés comme détenus par divers dignitaires religieux, civils et militaires :
professeurs d'écoles théologiques, qâdï, aga des 'azab, intendant de la ville etc.
(čiftlik hâ der qurb-u Kefe der yed-i mtiderris ve qâdï ve aga-i 'azab ve kethtidâ-i šehir ve
gayri, TT 370, p. 484). Dans le TT 214 (p. 91) le détail des détenteurs de ces Čiftlik est
le suivant : čiftlik ve mezâra'-г mevlânâ Sinân mtiderris ve mevlânâ Safi el-dïn ve
Dâvud der qurb-u âb-г qudargan : hâliyen der tasarruf-u Memi hatïb ve mevlânâ
Safi el-dïn ve ... (?) 'Iva?, čiftlik-i Sinân halife qâdï-i Taman; hâliyen der tasarruf-u
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 457
Ahmed veled-i Emirzâ. čiftlik-i aga-i 'azabân ; hâliyen der tasarruf-u Nasûh b. Sofyalu.
čiftlik-i Sagirgi aga re'ayyet-i han der tasarruf-u Murâd ùâzï ve Sefer Gâzi veledân-i
Sagirgi aga el-mezbur. čiftlik-i Čerkes Hdggi hâliyen der tasarruf-u ôa'fer. Čiftlik-i
Miihï el-dïn hafâf der qurb-u Kefe ; hâliyen der tasarruf-u Mustafa. Čiftlik-i Sinán
dïvâne harâb ; defter-i 'atiqde dâhï harâb qaid olunmuš. čiftlik-i merhûm Hoga
ôa'fer "kethudâ-г šehir ; hâliyen der tasarruf-u Ramazân kàtib-i harg-% hâssa-i "Kefe
ve 'Abdï veledân-i Hoga ôa'fer el-mezbur.
Il apparaît que 'si les revenus de ces domaines échoient aux notables désignés,
le fisc prélève à leur endroit les taxes habituelles sur la production et que c'est à ce
titre qu'ils figurent parmi les revenus fiscaux de la province.
La différence entre les montants du TT зуо et du TT 214 peut tenir à une simple
interversion de chiffres.
109. Mahsûl-i gallât der daire-i Kefe 'an ciftlikhâ-i gedïd ma" mezâra-i hâssa.
Ces nouveaux domaines sont une innovation du TT 214 ; comme les Čiftlik anciens,
ils sont détenus par divers particuliers : Qâsim fils de 'Abdullah, Hoga Muni§,
IJâggi Mehmed, Hasan qorugi (garde-champêtre), Hâggi Ishâq, Mustafa el-šehld
connu sous le nom de Yaralu, Ahmed aga, Mahmûd na'zir-i han (inspecteur du
khan), Isma'ïl, asgï (le cuisinier) fjasan, Seydi et Mahmûd fils de 'Abdullah. Il
s'ajoute à ces domaines les zones de culture (mezâra*) et le village de Taybeg. Nous
avons le détail des quantités revenant au fisc sur la production de ces exploitations
et de leur valeur. Les quantités sont mesurées en keylge et la valeur du keylge de
Kefe ne nous est pas connue ; nous savons seulement que le kile d'Istanbul
(correspondait-il au keylge de Kefe ?) était égal à 25,656 kg (cf. supra n. 67). Les données
sont les suivantes : 639 keylge de blé à 6 aspres soit 3 834 aspres ; Г46 keylge d'orge
à 4 aspres soit 584 ; 50 keylge d'avoine à 3 aspres soit 150 ; 10 keylge de pois chiches
à 6 aspres, soit 60 ; 10 keylge de vesces (burcoq) à 4 aspres soit 40 ; 50 keylge de
fèves à 3 aspres, soit 150 (TT 214, p. 91).
110. Mahsûl-i 'ôsr-i sïre-i zimmyân ve rneyva ve bostân ve muqâta'a-г kerm der
dest-i miislumânân der Kefe. Les vignes des sujets mécréants (zimmï) sont frappées
d'une dîme sur le moût tandis que celles appartenant aux musulmans sont imposées
au dônum (unité de surface correspondant à 1 km*). Le montant de cette seconde
taxe ne nous est pas connu pour Kefe ; signalons, à titre d'exemple, qu'à Silistre,
en 1569, il est de 4 aspres pardonům, ; Kanunlar, p. 284, par. 36 ; cf. aussi ibid., index
sous 'ôsr-i bostan, 'ôsr-i sire, 'ôsr-i meyve, dôniim-i bâgât. Le TT 214 donne (p. 91)
le détail de ces différents revenus : dîme sur le moût : 600 medre (1 medre =
10,256 litres) à 6 aspres, soit 3 600 aspres ; dîme sur les vergers : 100 aspres ; dîme
sur les potagers : 170 aspres ; ferme des vignes des musulmans : 1 964 aspres.
ni. 'An mahsûl-i beyt ul-mâl ve mâl-i gâ'ib ve mâl-i mefqud ve yava ve qačqun
(intitulé dans le TT зуо : muqdta'a-i beyt ul-mâl ve mâl-i gâ'ib der nefs-i Kefe).
Le beyt ul-mâl (litt. « maison du Trésor »), expression qui peut s'appliquer au fisc
en général, désigne ici, plus particulièrement, le produit des ventes des successions
pour lesquelles aucun héritier ne s'est fait connaître dans les délais légaux ;
cf. Actes, I, doc. 52, par. 2 ; les revenus de ce type réalisés à Kerš échoient au beyt
ul-mâl de Kefe ; « Règlements », doc. XIV, 2.
Le mâl-i gâ'ib est un droit perçu sur les personnes récupérant un animal perdu :
L. Fekete, op. cit., I, p. 81, n. 17.
Le mâl-i mefqud désigne les biens revenant à des héritiers absents, se trouvant
à l'étranger ou en un lieu inconnu; Kanunlar, p. 80, par. 17; L. Fekete, /oc. cit.
Le revenu appelé yava ve qačqun ne semble pas être celui d'une taxe à acquitter
pour récupérer un animal égaré ou un esclave en fuite, ainsi que l'écrit L. Fekete,
op. cit., I, p. 8i, n. 16, 17 ; il semble plutôt s'agir du produit de la vente aux enchères
de ces animaux et esclaves, à laquelle on procédait quand ils n'avaient pas été
réclamés par leurs propriétaires au terme du délai fixé ; cf. Actes, I, doc. 52, par. 4,
5 et Basbakanhk Arsivi, TT 483, « Règlement de Bra'il », p. 22 ; cf. aussi W. Hensel,
« Some notes concerning the apprehension of runaway slaves in the Ottoman
Empire », Rocznik orientalistyczny , XXXVIII, 1976, pp. 161-168. Au contraire, si
le propriétaire vient récupérer l'esclave ou l'animal à temps, il doit, comme le
précise le règlement de Qopa, 90 aspres sous le nom de gu'ul et un miijdegânï de
30 aspres à la personne qui a trouvé l'animal et, en outre, acquitter 8 aspres de Kefe
pour les frais d'entretien ; « Règlements », doc. XIV, 2.
Ces différents revenus qu'on trouve regroupés ici, comme c'est généralement le
cas, dans les divers règlements des provinces de l'Empire, ne présentent pas de
12
458 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
particularités dans le cas du livâ' de Kefe. Le règlement de Taman stipule ainsi
que « le tnâl-i gâ'ib..., le mâl-i mefqud ainsi que le yava ve qačqun, s'il y en a, sont
prélevés selon la loi » ; « Règlements », doc. XV.
112. Mahsul-i niyâbet ve giirm-ii ginâyet ve bâd-i havâ ve resm-i 'arus ve resm-i
'asesân ve resm-i giyâh ve resm-i hizem der nefs-i Kefe.
Le vocable niyâbet (à mettre en rapport avec le nâ'ib, substitut, représentant de
l'autorité) peut être un concept général englobant un certain nombre de taxes
casuelles et d'amendes : on rencontre ainsi l'expression niyâbet-i gurm-ii ginâyet;
de même, on constate dans le règlement de Kerš qu'une taxe sur regorgement des
bœufs revenait au niyâbet de cette ville ; « Règlements », doc. XIII ; mais la
formulation employée ici f niyâbet ve gûrm-й ginâyet) laisse entendre que nous avons
affaire à une contribution désignée par ce terme, distincte des autres quoique du
même type, sans qu'on puisse préciser davantage ; cf. Actes, II, p. 269 ; H. Inalcik,
Hicrî 835 tahrili sûret-i defter-i sancak-i Arnavid (Copie du registre de la province
d'Albanie pour l'année 835 H.), Ankara, 1054. P- xxvn, n. 156.
Criïrm-й ginâyet : ce revenu est constitué par les amendes perçues à l'occasion de
multiples délits tels qu'adultère, proxénétisme, fornication, racolage, coups et
blessures, meurtre, vol, ivresse, etc. Des règlements énumèrent minutieusement les
divers délits à envisager en fixant le montant précis des amendes correspondantes ;
cf. Actes, II, p. 288 ; U. Heyd, Studies in old Ottoman criminal law, Oxford, 1973,
pp. 275-276.
Bad-i havâ : expression commode pour désigner en les englobant diverses taxes
occasionnelles (droits d'enregistrement, amendes et autres) ; certains règlements
définissent ces taxes plus précisément en y incluant d'ailleurs quelques-unes de celles
qui sont citées ici séparément comme le giïrtn-ii ginâyet et la taxe sur les mariages
(cf. infra) ; cf. Kanunlar, p. 332, par. 26 ; Actes, II, pp. 282-283.
Resm-i 'arus : taxe sur les mariages entrant habituellement dans la catégorie
des bad-i havâ (cf. supra). Nous n'en connaissons pas le taux à Kefe ; il y était
vraisemblablement le même qu'à Kerš, soit 180 aspres (de Kefe) en cas de mariage
avec une vierge, 0.0 en cas de mariage avec une veuve ; « Règlements », doc. XIII ;
ailleurs, le taux de cette taxe pouvait varier selon la fortune et la religion du mari ;
cf. Actes, II, p. 302.
Resm-i 'asesân : taxe de gardiens de nuit ; les règlements de Kefe n'offrent pas
de précisions sur cette taxe mais celui de Diyârbaqir de 1540 prescrit de percevoir
de chaque boutique 1 aspre par mois à titre de resm-i 'asesiyye, revenu auquel
s'ajoute une dîme sur les amendes acquittées par les voleurs et les ivrognes arrêtés
par les gardiens de nuit ; cf. Kanunlar, pp. 134-135, par. 22 ; mêmes dispositions
à Mardin, ibid., p. 164, par. ri.
Resm-i giyâh ve resm-i hizem : les règlements de Kefe n'apportent pas de
précisions sur cette taxe sur le foin et le bois de chauffage ; on apprend par le règlement
de Silistre de 1569 qu'elle ne frappe que les mécréants mariés, chacun d'eux devant
acquitter 12 aspres, 6 pour la taxe sur le bois de chauffage perçue à Noël, 6 pour la
taxe sur le foin perçue à la coupe de l'herbe ; Kanunlar, p. 283, par. 31, 32. Cette
double taxe représente l'équivalent financier de l'ancienne obligation de fournir au
maître de la terre une voiturée de bois et de foin, d'où les dates maintenues pour
leur perception ; cf. D. Bojanié-Lukaé, « De la nature et de l'origine de l'ispendje »,
Wiener Zeitschrift fur die Kunde des Morgenlandes, 1976, p. 16, n. 17.
113. Mahsul-i niyâbet-i qal'e-i hâk ve resm-i 'arus. Le niyâbet et le resm-i 'arus
ont été examinés dans la note précédente. La qal'e-i hâk (forteresse de terre) est l'un
des trois ensembles constituant l'agglomération de Kefe. Il est composé dans le
TT 370 de neuf quartiers musulmans auxquels sont rattachés les Tcherkesses du
village de Taybeg, près de Kefe, et les Tatars établis sur la prairie de Saru gôl ;
cette forteresse comprend 4 hommes de garnison, 6 'azab et 1 kethiidâ ainsi qu'un qâdï
et ro hommes dépendant du khan ; dans le TT 214, la même zone présente г 2
quartiers auxquels est rattaché le village de Sultan salaši. Par ailleurs, trois communautés
arméniennes sont également recensées par les deux registres dans la qal'e-i hâk. Le
règlement de Vihtisâb de Kefe mentionne les gargotes, marchands de bôrek (feuilletés)
et les débits de boza (boisson fermentée à base d'orge) de cette même zone désignée
ici de l'expression équivalente de topraq qal'e ; « Règlements », doc. I, 2.
Evliyá Čelebi mentionne cette zone qu'il appelle toprakh varos et qu'il définit
comme un grand faubourg à l'ouest de Kefe, défendu par une tour de maçonnerie
garnie de 10 hommes commandés par 1 dizdàr ; Evliyâ Čelebi, op. cit., XI, p. 240.
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 459
114. 'An mahsûl-i mezbele der Keje. Le TT зуо regroupe ces revenus de la voirie
avec ceux de la prison (hdsil-i zindân ma' mezbele, TT зуо, р. 483) .
115. 'An mahsûl-i gizye ve ispenge-i gebrân-i yava (TT 370: muqâta'a-i gizye-i
gebrân-i yava der livâ'-i Kefe) . Cet article est composé du revenu des deux principales
taxes propres aux populations non musulmanes dans l'Empire ottoman, mais ces
deux taxes sont envisagées ici dans leur application à une catégorie particulière
de la population mécréante.
La gizye (capitation) frappe tous les mâles adultes non musulmans, mariés ou non
(à l'exception des catégories exemptées) et connaît généralement trois taux distincts
en fonction de la fortune des assujettis ; cf. H. Inalcik, « Djizya », période ottomane,
in El*, pp. 576-580 ; O. L. Barkan, « 894 (1488-1489) уш Cizyesinin Tahsilâtma ait
Muhasebe Bilânçolan » (Bilans comptables concernant le recouvrement de la
capitation pour 1488-1489), Belgeler, I, 1, 1964.
L'ispenge frappe également tous les mâles adultes non musulmans, mariés ou
célibataires, peiysans ou artisans ; il se monte à 25 aspres par tête et constitue
l'équivalent financier de diverses corvées de l'époque pré-ottomane ; cf. P. Wittek,
« Dewshirme and Sharï'a », Bulletin of the School of Oriental and African studies,
XVII, 2, 1955, pp. 272-273 ; H. Inalcik, « Osmanhlar' da raiyyet riisûmu » (Les
taxes imposées aux sujets chez les Ottomans), Belleten, XXIII, 92, 1959, pp. 603-
608 ; D. Bojanic-Lukač, art. cit., pp. 9-30.
Ces deux taxes frappent l'ensemble de la population non musulmane de la
province mais, dans le présent chapitre de recettes, ne sont pris en considération
que les yava, c'est-à-dire les populations nomades mécréantes, en l'occurrence des
Tcherkesses, qui ne sont pas fixées en territoire ottoman mais ne font qu'y séjourner
temporairement ; sur cette forme de gizye, cf. L. Fekete, op. cit., I, p. 81, n. 16.
116. 'An mahsûl-i ispenge-i zimmyân-г nefs-i Kefe ma' gemâ'at-i Trabzunï.
\Jispeng~e a été défini dans la note précédente. La communauté des Trébizontains
(originaires de Trébizonde, établis à Kefe) n'apparaît que dans le TT 214. où elle
compte 64 foyers (pp. 86-87) ; dans ce même registre, Yispenge des Juifs est
mentionné à part (pp. 17, 91) et nous avons ici additionné les deux chiffres donnés
(45 850 et 2 750) pour aboutir au chiffre correspondant au montant global indiqué
par le TT зуо.
117. 'An mahsûl-i emvâl-i mtiteferriqa der гатпп-г Hâggi Mïr Hiiseyn nâzir-i
emvâl-i vilâyet-i Kefe vaqi' šiide (litt. revenus de biens variés tels qu'ils existaient
à l'époque de l'inspecteur des biens Hâggi Mïr Hiiseyn). Cette rubrique placée à la
fin de la p. n du TT 214 comprend 12 articles qui, pour la plupart, n'ont pas leur
équivalent dans le TT зуо (ils sont d'ailleurs rattachés à une époque précise,
celle d'un inspecteur des biens du fisc) et dont nous saisissons souvent mal la
nature exacte. Le montant total en est donné pour trois ans en aspres de Kefe
(soit 6630 399), pour un an dans la même monnaie (soit 2 220 103) et enfin pour
un an en aspres ottomans (444 026). Or le total des chiffres apparaissant dans le
détail qui suit, si on le recalcule, aboutit à 6 728 699, ce qui est très proche du
premier des trois totaux donnés par le document et permet de conclure que les
chiffres particuliers faisant suite correspondent à un montant pour trois ans en
aspres de Kefe ; il faut donc diviser ces chiffres par 15 pour obtenir des montants
annuels en aspres ottomans, ce que nous avons fait dans notre tableau.
118. 'An mahsûl-i beyt ul-mal-i hâssa. Le terme beyt ul-mâl-i hâssa (ou beyt
ul-mal-i 'amme ve hâssa) semble bien avoir le même sens que beyt ul-mâl tel que
nous l'avons défini supra in n. 111 ; cf. Kanunlar, pp. 336, par. 13, 347, par. 2.
Comme ce revenu annuel a déjà été cité (cf. supra, B, I, 21), faut-il comprendre
que nous avons affaire ici à un supplément, à des arriérés ou encore que le revenu
n'avait été donné, la première fois, que pour la seule Kefe (ce que précisait le
TT 370, cf. supra, n. m) et que nous l'avons ici pour le reste de la province ?
(De fait, le beyt ul-mâl n'est pas cité dans le détail des revenus des autres villes).
119. 'An mahsûl-i resm-i nemek be dur ul-harb... (?). Il s'agit indubitablement
ici d'une taxe sur le sel (resm-i nemek), même si le reste de la lecture (« pour le pays
de la guerre ») est hypothétique et le dernier mot non lu. Les règlements ne citent
pas précisément de taxe de ce nom mais mentionnent cependant des droits
particuliers sur les importations et exportations de sel : 11 aspres sont perçus sur chaque
sapu (soit 16 keylge) de sel partant de l'échelle de Kefe ou y arrivant par bateau ;
« Règlements », doc. VII, 2 ; de même, lorsque du sel est chargé sur un bateau à
Kerš, on perçoit sur chaque sapu 11, 5 aspres pour Kefe et 2 aspres pour Kerš,
460 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
ibid., doc. XIII, 4. Le sel tiré des salines de Crimée était — on le constate déjà
à l'époque génoise — exporté vers les principaux lieux de pêche de la région (Kefe,
Kerš, Azaq, Çjopa) et aussi chez les Tcherkesses et Abkhazes, populations non
musulmanes, ce qui pourrait expliquer l'expression de dur ul-harb ; cf. G. I. Bràtianu,
Recherches sur le commerce génois dans la mer Noire au XIIIe siècle, Paris, 1929,
pp. 244-245 ; « Règlements », does XVI, 3 ; XVII, 2.
Ï2O. 'An mahml-i bâg-i hâssa. Le TT 370 mentionnait une muqâta'a-i igâre-i
serây-i hàssa ma' bag ve bâgâe der qurb-u Kefe que nous avons cru devoir introduire
dans le chapitre des propriétés impériales (cf. supra, B, I, 16, n. 106). L'objet est
ici plus limité puisque seules les vignes, propriétés du Trésor, sont visées mais il est
plus large dans son application géographique puisqu'il semble embrasser toute la
province et pas seulement Kefe.
121. 'An mahsûl-i gizye-i gebrân. Le chiffre cité ici ne peut correspondre au
montant total de la capitation de la province pour une année ; en effet, ce même
impôt avait rapporté 293 638 aspres pour l'année 1488-1489 ; sans doute
correspondait-elle alors à une population non musulmane de 6 058 foyers, alors que
celle-ci est descendue en 1542 à quelque 3 900 foyers, mais la chute du revenu de la
capitation ne serait nullement en proportion ; cf. 0. L. Barkan, « 894 (1488- 1489)
yih Cizyesinin ... », art. cit., p. 1 1 1 ; de même, il ne serait pas concevable que le revenu
total de \a,gizye de la province dépasse à peine celle des seuls Tcherkesses mécréants
(cf. infra, В, II, 7) ; au surplus, il serait insolite que le revenu de la capitation qui
fait habituellement l'objet de registres spéciaux et ne figure donc pas dans les
registres de recensement, apparaisse dans celui-ci ; cf. H. Inalcik, « Djizya », art. cit.,
et L. Fekete, op. cit., I, pp. 176-198, 350-355. Dans ces conditions, nous discernons
mal à quoi correspond exactement ce chapitre : s'agit-il là encore d'un supplément
ou d'un reste à devoir sur la gizye?
122. 'An mahsûl-i mâbeyn-i mustahfizân ve 'azabân. Dans l'intervalle de temps
(le terme mabeyn exprime cette notion d'intervalle) entre le moment où un timâr
(ou un poste rétribué en argent) a été perdu par son détenteur et celui où il est
réattribué, le bénéfice en revient à l'État. Cette recette (qui correspond en fait à une
absence occasionnelle de dépense) est comptabilisée parmi les revenus de l'État ;
cf. 0. L. Barkan, « H. 933-934... », art. cit., p. 287.
123. 'An mahml-i resm-i kitâbet-i mustahfxèân ve resm-i giinliik-й 'azabân. Le
terme resm-i kitubet a le sens général de taxe de secrétariat et peut, à ce titre,
apparaître dans des emplois variés ; cf., par exemple, Kanunlar, pp. 159-160, 161, par. 1 ;
Ville ottomane, p. 306. Il peut s'agir en particulier de la taxe de chancellerie à
acquitter lors de la délivrance d'un bérat de nomination : c'est le cas pour les
affermataires de muqâla'a; cf., Actes, II, pp. 143-144 ; pour les timariotes lorsqu'ils
reçoivent l'attestation (tezkere) du beglerbeg de leur province (renseignement
communiqué par le professeur N. Bekliceanu) ou encore, comme ici, pour les
mustahfiz soldes ; cf. Kanunlar, p. 357, par. 3.
En ce qui concerne la taxe frappant les 'azab, nous n'avons pas pu en trouver
d'autre mention. Elle paraît se lire resm-i giïnliik. Le terme gïtnluk peut avoir
plusieurs sens : celui d'encens est à écarter ici ; il peut consister en un adjectif
composé sur giin (jour), l'expression aurait alors le sens de « taxe journalière » ;
mais le mot désigne également la partie supérieure de la tente ; précisément les
tentes des 'azab figurent dans un chapitre du budget de la province du Diyàrbaqir,
consacré au coût des vêtements d'honneur et des tentes des 'azab ; cf. 0. L. Barkan,
« H. 933-934... », art. cit., p. 285 ; encore s'agit-il là d'un chapitre de dépenses et non
d'une taxe entrant dans les recettes.
124. 'An mahsûl-i gizye-i cerkesân.
125. 'An mahml-i 'âdet-i agnâm. Là encore, un revenu semblable a déjà été cité,
du moins en ce qui concerne Kefe ; cf. supra, B, I, 17, n. 107.
126. 'An mahsûl-i ferâg (?)-i nemek. La lecture ferâg paraît probable malgré
l'absence de points diacritiques. Comment interpréter l'expression ? Le terme ferâg
exprime l'action de renoncer et désigne juridiquement la cession d'un droit ; on
emploie l'expression harg-i ferâg pour les frais de cession d'un legs pieux ; D. Kele-
kian, op. cit., p. 890 ; par ailleurs, on sait que si les salines de Crimée étaient pour
l'essentiel propriété du khan, le sultan possédait pour sa part le čiftlik de Saru
Kirman composé de deux salines d'un revenu annuel de 2 000 aspres (7*7" 370,
p. 487) ; or, si, d'une manière générale, les salines appartenant au sultan étaient
affermées, certaines d'entre elles, de faible importance, pouvaient être abandonnées
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 461

à des particuliers, l'État exigeant en compensation une partie de la production


(un cinquième dans un cas concernant la région de Si vas en 1580) ; cf. L. Giiçer,
« xv-xvn asirlarda Osmanli imparatorlugunda Tuz inhisan ve Tuzlalann Isletme
Nizami в (Le monopole du sel et l'organisation de l'exploitation des salines dans
l'Empire ottoman aux xve-xvne siècles), Iktisat Fakultesi mecmuast, XXIII, 1-2,
1962-1963, p. 100. Est-ce à ce type de concession que renvoie le terme ferâg et
avons-nous affaire ici à un revenu de cet ordre ?
127. 'An baqiyye-i muhàsebe-i ebnà-г miiltezimun. Il était, semble-t-il, fréquent
que les affermataires ne s'acquittent pas au terme prévu de la totalité de ce qu'ils
devaient au fisc ; le Trésor s'efforçait alors de récupérer les reliquats (borč baqiyye)
sur les biens de l'affermataire ou sur ceux de ses garants (kefîl) ; signalons que dans
les cas où ces actions restaient infructueuses, il arrivait que l'affermataire soit
emprisonné et même parfois exécuté ; cf. H. Sahillioglu, art. cit., p. 147, 150-153.
128. 'An el. ..(?). Terme non lu ; cf. fac-similé.
129. 'An sened (?) -i Iskender multezim-i muqàta'a-t Kerš berây-i bedel-i kefàlet-i
mâdde (?). Sur la muqàta'a de Kerš, cf. infra. В, III, 2.
130. Dans le TT 370 (p. 490), les revenus du poisson d'Azaq ne constituent
qu'une seule muqàta'a dite des madragues à poisson d'Azaq (muqàta'a-i talyan-%
mâhi-i Azaq) d'un montant de 250 000 aspres. Le TT 214 distingue au contraire le
mahsûl-i talyan-t hàssa der Azaq der nehr-i Ten et le mahsûl-i tnàhï-i Azaq, d'un
revenu 32 fois supérieur au précédent et à lui seul supérieur au revenu unique du
TT 370. Le premier des deux revenus du TT 214 correspond-il à de nouvelles
madragues établies sur le Don ? D'autre part, l'allusion au Don pose le problème
de la localisation exacte des fructueuses madragues dites d'Azaq. Sous l'Antiquité,
selon Strabon, la majeure partie du poisson destiné aux salaisons provenait non du
Tanaïs môme (c'est-à-dire du Don) mais, à huit cents stades (soit 148 km) de ce
dernier, du petit et du grand Rhombitès (identifiés respectivement avec le liman de
Beisug ou de Kirpili, et celui de Ieïsk) ; Strabon, Géographie, XI, F. Lasserre éd.,
Paris, 1975, p. 2, 4. De même, au xve siècle, le vénitien Barbaro précise que sa
pêcherie était située à « 40 miglia » de La Tana ; E. Skržinskaja, Barbaro i Konta-
rini 0 Rossii. К istorii italo-russkih svjazej v XV v. (La Russie vue par Barbaro et
Conlarini. Contribution à l'histoire des relations italo-russes au XVe siècle)
Leningrad, 197 1, p. 120.
Dans ces conditions, le problème de la localisation exacte des madragues dites
d'Azaq à l'époque ottomane reste posé. Par ailleurs, tout le poisson péché dans la
région ne provenait pas des madragues ; l'existence de pêcheurs individuels
travaillant au filet, est attestée, bien que le TT 370 englobe tout le revenu de la pêche
sous la seule appellation de ferme des madragues d'Azaq, dont le montant est
proche du second article du TT 214 ; pourtant le TT 370 (p. 490) distinguait par
ailleurs les sayadàn-i mâhï (pêcheurs de poissons) musulmans des talyangiyân-%
màhi (madragueurs) non-musulmans ; dans ces deux cas distincts, les prix d'achat
du poisson consentis par le fisc étaient différents ; « La Tana- Azaq, » pp. 164-166.
Nous n'avons pas le moyen d'évaluer la part respective des deux types de pêche
dans les revenus du fisc ; elle ne saurait correspondre en tout cas aux deux muqàta'a
distinctes du TT 214.
131. Le TT 370 (p. 490) donne le détail des revenus de ces muqàta'a, selon les
zones d'Azaq : forteresse des Génois : 5 196 + 3317 aspres ; forteresse de Venise :
14 112 + 530 aspres ; faubourg (varoš) de la forteresse d'Azaq : 832 aspres.
132. Mahml-i bâd-i havà ve gumriïk-u, Azaq. Les modalités des taxes entrant
dans cette ferme sont définies in « Règlements », doc. XVII : « Règlement de la
douane de l'échelle et des bàd-i havà d'Azaq ». Notons que les amendes sur les délits
et les crimes ainsi que les bàd-i havà de la citadelle d'Azaq, sont comptabilisés à un
autre endroit, avec ceux des citadelles de Taman et de Kerš ; cf. infra, В, III, 4.
Le texte donne le chiffre de 105 888 aspres ottomans mais comme le
correspondant en aspres de Kefe est de 1 589 820, le montant exact est de 105988 aspres
ottomans.
133. 'An mahsul-i hmfa ve sa'ir ve 'ôsr-i bostân ve 'ošr-i meyva ve muqàta'a-t
bag der qazà-г Azaq. Nous n'avons pas trouvé de revenu équivalent dans le TT 370.
134. Mahsiil-i lamga-i Kerš (TT 370, p. 490 : muqàta'a-t Kerš ma' tevàbi'hà). Le
terme de lamga n'apparaissait pas explicitement dans le règlement de Kerš mais
d'après le sens de ce terme précédemment défini (cf. supra, n. 93), nous sommes
fondés à mettre sous cette notion l'ensemble des droits perçus à Kerš sur la circula-
MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
tion des marchandises, tels qu'ils sont définis par le règlement de cette ville ; ils
comprennent notamment une taxe de 32 aspres sur le passage des esclaves, un
qarabâgi sur les bœufs importés à Kerš, une taxe sur le bétail exporté chez les
Tcherkesses, un bag" sur les charrettes d'étoffes et de fruits venant de Kefe, etc. ;
« Règlements », doc. XI 1 1 ; notons que le montant du bag sur les étoffes est le même
que celui de la taxe sur les esclaves, 32 aspres, et semble donc caractéristique de la
fiscalité de Kerš. Rappelons d'autre part que dans le cas de certaines opérations
effectuées à Kerš, les droits étaient perçus pour la douane de Kefe (cf. supra, n. 91).
Ajoutons enfin que le TT 370 n'indique pas de revenus pour les trois villages qu'il
signale (p. 490) comme dépendant de Kerš ; il faut donc supposer qu'ils sont inclus
dans la muqâta'a de Kerš.
135. Le ŤT 370 (p. 490) regroupait les revenus de Taman en une seule unité :
muqâta'a-г mahsulât-i qal'e-i Taman. Le TT 214 en distingue au contraire deux
dont la somme est d'ailleurs légèrement inférieure au chiffre unique du TT 370 :
1) 'an mahsul-i Taman; 2) 'an mahsûl-i hmta ve sa'ir ve 'alej ve erzen ve resm-i
bostân ve resm-i agnâm ma' kesïm-i gizye ve gallât-i cerakesân-i qazâ-г gezire-i Taman.
D'autre part, les amendes et bud-i havâ de la citadelle de Taman sont comptabilisés
avec ceux des forteresses de Kerš et Azaq ; cf. infra, В, III, 4.
136. 'An mahsul-i gtirm-u ginâyet ve bâd-i havâ г qal'e-i Kerš ve qal'e-i Taman ve
qal'e-i Azaq. Nous supposons que le terme de forteresse est à prendre ici au sens
strict et que sont visées dans ce chapitre des taxes perçues sur les garnisons. Dans
le TT 370 (p. 491), ce revenu, d'un montant d'ailleurs identique, était destiné au
gouverneur de la province, alors que le reste des revenus de ces trois villes allait au
sultan ; dans le TT 214, ce même revenu est passé au sultan.
137. Pour aboutir à un chiffre correspondant mieux à celui du TT 370, nous
avons réuni ici deux articles distincts du TT 214: 1) 'an mahsul-i tamga-i Qopa ;
2) 'an mahsul-i talyan-i Oprag (?) ; le TT 370 réunissait en effet ces deux éléments
ainsi que quelques autres, en une seule ferme : muqâta'a-г Qopa ve talyan-i Oprag (?)
ma'
Temruq ve Lahot (?) ve milh-i o (ferme de Qopa et des madragues d'Oprag avec
celles de Temruq et de Lahot et leurs salines).
Comme pour Kerš, le terme de tamga n'apparaît pas dans le règlement de Qopa
mais il y est fait mention de différentes taxes que recouvre vraisemblablement la
notion de tamga : la douane de Qopa de 42 °/oo et une taxe dite de Qopa (resm-i Qopa)
perçue sur les acheteurs de poisson et de caviar apportés par les Tcherkesses ;
« Règlements », doc. XIV.
138. Mahsul-i nefs-i Sogudaq: bâg-i bazar ve resm-i ihtisâb ve resm-i hamr ki
enderun ve birun âmed ve tainga-i ykkboya (?) ve muqâfa'a-г kerm-i mtisliimânân
ve giirm-п ginâyet ve bâd-i havâ ve resm-i 'arus ve hizem ve giyâh ve resm-i asyâb ve
resm-i ganem ve 'ôsr-i gallât ve 'ošr-i širé ve ispenge ve resm-i čift der nefs-i mezkur.
Parmi les taxes citées ici, précisons que le resm-i Čift qui n'avait pas été défini plus
haut à propos de Kefe, est une taxe frappant les musulmans détenteurs d'une
tenure (čift) ; comme Yispenge des mécréants, il s'agit d'un équivalent financier,
généralement perçu le Ier mars, de servitudes personnelles antérieures ; fixé à
22 aspres vers le milieu du xve siècle, le montant de la taxe augmente en Anatolie
au cours du xvie siècle, tandis qu'il reste stable dans le même temps en Roumélie ;
cf. H. Inalcik, « Osmanhlarda raiyyet riisûmu », art. cit., pp. 577-586.
Dans le TT 370 (p. 485). les revenus de Sogudaq présentent quelques variantes ;
voici le détail de ces revenus exprimés en aspres ottomans : ispenge : 7 725 (chiffre
identique dans le TT 214) ; sur les céréales : 275 ; sur le moût : 31 878 ; sur les
potagers, les vergers et les ruches : 825 ; taxe sur les moutons : 2 190 ; sur le foin,
le lin et le petit bois : 3 043 ; sur les moulins : 512 ; taxe sur les mariages, bâd-i havâ
et taxe sur le bois de chauffage : 3 500 ; sur les vignes des musulmans : 3 797 ; bag"
de marché : 1 000 ; sur le nids de faucons : 200 ; sur les friches et les terres cultivables
('an sâha ve zemin) : 400.
139. 'An mahsul-i nefs Mangub: bâ§-i bâzâr ve resm-i ihtisâb ve muqâta'a-г
kerm-i miisliimunân ve tamga-i hamr ve resm-i ganem ve gtirm-u ginâyet ve bâd-i
havâ ve resm-i 'arus ve 'ôsr-i gallât ve 'ôsr-i širé ve ispenge ve resm-i čift-i muslumânân
ve resm-i qovan ve giyâh ve deštban der nefs-i mezkur . Le resm-i destbân ou deïtbâni
(taxe de garde-champêtre) est une amende sur les animaux endommageant les
cultures ; J. von Hammer, Des osmanischen Reichs Staatsverfassung und Staats-
verwaltung. Vienne, 1815, I, p. 254 ; Kanunlar, pp. 49, 134, 189-190, 199, 354.
Ces revenus étaient presque identiques dans le TT 370 (p. 487) ; le détail exprimé
PRÉSENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 463
en aspres ottomans en est le suivant : ispenge : 3 375 (2 750 dans le TT 214) ; sur
les céréales : 1 tio ; sur le moût : 1 200 ; sur le lin, les ruches, le foin, les vergers, etc. :
950 ; bag de marché et taxe à' ihtisâb: 270 ; tamga du vin : 150 ; revenus des bains
(hammam) : 120 ; taxe sur mes moutons : 25 ; sur les vignes des musulmans : 8;
amendes sur les délits et les crimes et taxe sur les mariages : 768
140. 'An mah$ul-i nefs-i Inkerman: bâg-i bazar ve resm-i ihtisâb ve resm-i liman
ve resm-i saz ve giirm-ii ginâyet ve bâd-i havâ ve resm-i 'arus ve muqâta'a-i kerm-i
miisltimânân ve čayir-i hâssa ve resm-i agnâm ve 'ôsr-i gallât ve 'ôsr-i lire ve ispenge ve
resm-i Čift-i miislïtmânun der nefs-i mezkîir. Faute d'un règlement propre à Inkerman,
nous ne connaissons pas les modalités d'application de ces différentes taxes ; c'est
le cas, notamment, du resm-i liman, taxe de port qui atteste l'activité du port
d'Inkerman (une taxe semblable existe d'ailleurs à Bahqlagu) ; le montant des
taxes portuaires de ce type varie selon les lieux : il existe ainsi à Kefe une 'âdet-i
liman (coutume de port) de 12 aspres sur chaque bateau et 6 aspres pour les barques ;
à Azaq, une 'Sdet-i qoqa (coutume de « coque ») de « 40 ou 50 aspres mais pouvant
aller jusqu'à 100 aspres » ; « Règlements », does VII, 1, XVII, 2 ; cf. à titre de
comparaison les taxes portuaires des ports pontiques entre Kaliakra et Varna in B. Cvet-
kova, « Villes et ports balkaniques aux xve et xvie siècles », Revue des Études
islamiques, XXXVIII, 1970, pp. 293-294. D'autre part, le resm-i saz mentionné ici
est une taxe sur les roseaux coupés ; dans la province de Silistre en 1569, elle est
rapprochée du resm-i giyâh (taxe sur le foin) que nous avons déjà cité : les deux
taxes sont perçues au moment de la coupe et sont de 2 aspres par charrette remplie ;
Kanunlar, p. 283, par. 29, 31.
Dans le TT 370 (p. 488), les revenus d'Inkerman comportent des variantes ;
le détail en est le suivant, exprimé en aspres ottomans : ispenge : 5 325 (4 400 dans
le TT 214) ; sur les céréales : 10 755 ; sur le moût : 8 400 ; sur les vignes des
musulmans : 666 ; sur le lin, les ruches, les potagers et autres : 2 106 ; taxe sur les moutons :
2 240 ; sur les prairies publiques : 50 ; bag du marché : 500 ; bâd-i havà et amendes
sur les délits et les crimes : 1 564.
141. Mahsul-i nefs-i Bahqlagu: bâg-i bazar ve resm-i ihtisâb ve resm-i tamga-x
hamr ve resm-i liman ve resm-i agnâm ve resm-i 'anls ve giirm-ii ginayet ve bâd-i
havâ ve 'ôsr-i gallât ve 'ôsr-i lire der nefs-i mezkûr. Dans le TT 370 (p. 488) ces revenus
présentent quelques différences ; en voici le détail exprimé en aspres ottomans :
ispenge : 3925 ; sur les céréales : 460 ; sur le moût : 2 700 ; sur le lin, les fruits et
autres : 315 ; taxe sur les moutons : 1 000 ; amendes sur les délits et les crimes :
1 240 ; bug du marché et taxe d'ihtisâb, taxe de tamga (probablement sur le vin,
cf. supra) et taxe de port (le mot limon est vraisemblablement mis pour liman),
taxe sur la balance publique : 1 000 ; sur les vignes des musulmans : 388.
142. Des données plus anciennes sont fournies sur les revenus de certains de ces
villages par les registres Baçbakanhk Arsivi, Maliyeden mudevver, nos 17893 (1488-
1489). 334 (1497- 1503) ; nous avons publié les documents correspondants dans
0 Timâr de Crimée » et nous y renvoyons dans les notes qui suivent.
143. « Timâr de Crimée », doc. 30 (23/12/1500) : 3 960 aspres.
144. TT 214 : Qozlar.
145. « Timâr de Crimée », does 2 (avant le 12/6/1488) ; 24 (6/1/1500) : 1 200 aspres.
146. Ibid., does cités 2, 24 : 2450 aspres.
147. Ibid., doc. 23 (6/1/ 1500) : 1160 aspres.
148. Nous n'avons pas trouvé de correspondant dans le TT 214.
149. Dans le TT J70 (p. 487), le village comprenait 4 foyers musulmans et
17 foyers mécréants. Dans le TT 214, la population mécréante ayant disparu, il ne
reste que 8 foyers musulmans : le texte précise que les mécréants de Šuh ont été
dispersés dans les villages alentour (Šuh keferesi etrafinda olan qariyelere perâkende
olmuïlardir) ; il ajoute que le village n'a plus de paysans mais est mis en valeur par
ceux des villages alentour (hall ez re'ayyet etrafinda olan qaryelerden zirâ'at olunur).
150. « Timâr de Crimée », doc. 29 (21/12/1500) : 700 aspres.
151. Nous n'avons pas trouvé le correspondant dans le TT 214.
152. « Timâr de Crimée », does 9 (avant le 29/3/1489), 16 (1/7/1498) : Kiči
Mosqomya, 2 300 aspres.
153. Ibid., docs cités 9, 16 : 1 300 aspres.
154. Dans le TT J70 (p. 487), Sultán salaši est présenté comme un čiftlik sans
population recensée, situé à proximité de Kefe mais dépendant de Mangub ; dans
le TT 214, le même, avec un revenu identique, figure comme village (qariye).
464 MIHNEA BERINDEI • GILLES VEINSTEIN
après l'énumération des quartiers musulmans de Kefe (p. 52), avec une population
recensée de 16 foyers.
155. Saru kirman est présenté comme un čiftlik situé à proximité d'Inkerman et
constitué de deux salines (tuzla) d'un revenu relativement modeste de 2 000 aspres.
156. Au village de Yalta sont rattachés trois « quartiers » (mahalle) dépendant
de lui : Dere, 'Avtika et Marsanda (cf. TT 370, p. 488).
157. « Timâr de Crimée », doc. 20 (12/8/1498) : 2 700 aspres.
158. Rappelons que dans le TT 370, la dîme sur le poisson de Baliqlagu,
Inkerman et du village de Hayto constituait une muqâta'a d'un revenu annuel de
5 000 aspres dépendant de Yihtisâb de Kefe ; cf. supra, B, I, 13, n. 103.
159. « Timâr de Crimée », doc. cit. 20 : 2 250 aspres.
160. Ibid., docs cités 9, 16 : Foros, 2 750 aspres.
161 . TT зу о (р. 489) : Qraqo ; « Timâr de Crimée », does 5 (avant le 17/8/ 1488), 28
(14/10/1500) : 1 950 aspres.
162. Ibid., doc. 8 (avant le 29/3/1489) : une part du village de Qoga :
1 800 aspres ; doc. cit. 9 : une part du village de Qoga : 1 050 aspres ; doc. cit. 16 :
une part du village de Qoga : 1 050 aspres ; doc. 17 (18/7/1498) : une part du village
de Qoga : 1 800 aspres ; doc. 25 (s.d.) : une part du village de Qoga : 1 800 aspres.
163. Ibid., doc. 34 (1/2/1501) : Vikno, 4 600 aspres.
164. Ibid., docs cités 5, 28 : 920 aspres.
165. Ibid., doc. cité 29 : 4 700 aspres.
166. TT 214 : Marqur.
167. « Timâr de Crimée », does 13 (3/4/1498), 31 (28/12/1500) : village d'Ugri
Qosta et Ba'ad (?) et Maha (?) et Istrato (?) : 2 930 aspres.
168. Ibid., doc. 6 (3/8/1488) : 1 800 aspres ; doc 33 (5/1/1501) : 1 400 aspres.
169. Cf. I. Beldiceanu-Steinherr, N. Beldiceanu, « Règlement ottoman
concernant le recensement (première moitié du xvie siècle) », Sudost-Forschungen,
XXXVII, 1978, pp. 6, 19.
170. 0. L. Barkan, « H. 933-934... », art. cit., pp. 256, 265.
171. En dehors des principautés vassales chrétiennes et musulmanes, et des
hûkûmet (gouvernements) d'Arménie, du Kurdistan et d'Albanie, certaines
provinces de l'Empire ottoman ne connaissent pas l'institution par ailleurs
caractéristique du timâr. C'est le cas des provinces d'Afrique du nord (Alger, Tunis et
Tripoli) ainsi que des provinces d'Egypte, de Bagdad, d'Abyssinie, de Basra et de
Lahsa ; cf. H. Inalcik, The Ottoman Empire..., op. cit., pp. 105-107.
172. Ce point a été abordé supra, en relation avec la situation militaire.
173. M. T. Gôkbilgin, art. cit., p. 253.
174. « Timâr de Crimée », does 34, 35.
175. 0. L. Barkan, « H. 933-934... », art. cit., p. 303.
176. Remmal Hoga, op. cit., p. 177.
177. TT 214, pp. 16-17.
178. D'après Ô. L. Barkan, « H. 933-934... », art. cit., p. 265, ce pourcentage
est de 5,49 %.
179. Cf. supra, n. 121.
180. 0. L. Barkan, « H. 933-934... », art. cit., p. 272.
181. Cf. « La Tana-Azaq », pp. 161-169.
182. Cf. M. T. Gôkbilgin, art. cit., pp. 253-254. Il s'agit de chiffres valables
pour 1526-1529.
183. Cf. « La Tana-Azaq », pp. 165-169, 171, 199-201.
184. M. Balard, La Romanie génoise (XIIe siècle-début XVe siècle), sous presse ;
M. Malowist, Kaffa, kolonia genuenska na Krymie i problem wschodni w latách
1453-1475 (Caffa, colonie génoise de Crimée et la question d'Orient dans les années
1453-1475), Varsovie, 1947 ; idem, « Les routes de commerce et les marchandises
du Levant dans la vie de la Pologne au bas Moyen Age et au début de l'époque
moderne », in Méditerranée et Océan indien, travaux du sixième colloque international
d'histoire maritime (Venise, 20-24 septembre 1962), Paris, 1970, pp. 165-168 ;
M. Massot, La fin de la présence génoise en Crimée selon les sources génoises (1453-
1475), thèse inédite de l'École nationale des Chartes, 1964; « La Tana-Azaq »,
pp. 111-143.
185. H. H. Howorth, History of the Mongols, New York (reprint), II, 1, pp. 305-
349, 458-462 ; G. Vernadsky, op. cit., pp. 73-77, 80-81 ; B. Spuler, Les Mongols
PRESENCE OTTOMANE EN CRIMÉE 465
dans l'histoire, Paris, 1961, pp. 124-128 ; A. Bennigsen et al., op. cit., pp. 15-16,
82-83.
186. V. E. Syroečkovskij, op. cit., pp. 39 sq.
187. Actes, I, pp. 116-118, doc. 37 : « Règlement concernant la douane de
Constantinople et de Galata ».
188. V. E. Syroečkovskij, op. cit., p. 39 ; M. Malowist, op. cit., résumé français,
p. 12, observe que : « Les transactions faites entre Caffa et Moscou au xve siècle
n'avaient pas, à ce qu'il semble, de grande importance pour la colonie. »
189. V. E. Syroečkovskij, op. cit., pp. 39-41, 46-68.
190. J. von Hammer, Histoire de l'Empire ottoman, trad, de l'allemand par
J. J. Hellert, Paris, 1835-1843, 18 vols ; IV, pp. 47-48 ; H. H. Howorth, op. cit.,
pp. 90-91.
191. J. von Hammer, op. cit., pp. 48-49, 157-159 ; XVII, p. 151 ; G. Vernadsky,
op. cit., pp. 91-92.
192. M. Berindei, « Contribution à l'étude du commerce ottoman des fourrures
moscovites, la route moldavo-poionaise 1453-1700 », CMRS, XII, 4, 1971, pp. 394-397.
193. V. E. Syroečkovskij, op. cit., pp. 77-81.
194- Ibid., pp. 53, 69-71.
195. Ibid., pp. 41-45 ; idem, « Puti i uslovija snošenij Moskvy s Krymom na
rubeže xvi veka » (Les voies et les conditions de communication entre Moscou et la
Crimée au début du xvie siècle), Izvestija Akademii nauk SSSR — Otdelenie
Obščestvennyh nauk, VII, 3, pp. 193-237.
196. V. E. Syroečkovskij, op. cit., pp. 57-65.
197. H. H. Howorth, op. cit., pp. 463-464.
198. Ibid., p. 465 ; A. Bennigsen et al., op. cit., pp. 16, 101-103.
199. H. H. Howorth, op. cit., pp. 466-469 ; V. E. Syroečkovskij, op. cit., pp. 84-85.
200. Cf. G. Vernadsky, op. cit., p. 153.
201. Cf. H. H. Howorth, op. cit., p. 480.
202. Ibid., pp. 385-387, 470-476 ; Ch. Lemercier-Quelquejay, « Les khanats
de Kazan et de Crimée face à la Moscovie en 1521, d'après un document inédit
des Archives du Musée du Palais de Topkapi », CMRS, XI, 4, 1971, pp. 480-490 ;
A. Bennigsen et al., op. cit., pp. 16, 110-117.
203. « La Tana-Azaq », pp. 150, 197.
204. Sur la route « moldave » cf. G. I. Bràtianu, « Contribution à l'histoire de
Cetatea Albâ », Bulletin de la section historique, Académie Roumaine, [Bucarest]
1925, p. 76 ; idem, La mer Noire des origines à la conquête ottomane, Munich, 1969,
pp. 286 sq. ; P.P. Panaitescu, « Drumul comercial al Poloniei la Marea Neagrá în
Evul Mediu » (La route commerciale de la Pologne à la mer Noire au Moyen Age),
in Interpretàri românesti (Interprétations roumaines) , Bucarest, 1947, pp. 107-130 ;
idem, « Legâturile moldo-polone în secolul xv si problema Chiliei » (Les relations
moldavo-polonaises au xve siècle et le problème de Chilia), Romanoslavica, 3, 1958,
pp. 95-115 ; M. Malowist, art. cit., pp. 158 sq.
205. Sur le privilège de commerce accordé par le sultan aux marchands de
Cetatea Albâ cf. la plus récente édition in M. A. Mehmed, Documente turcesti privind
istoria României (Documents turcs concernant l'histoire de la Roumanie),
Bucarest, 1976, I, pp. 2-3 ; sur les conquêtes ottomanes de 1484 cf. N. Beldiceanu, « La
conquête des cités marchandes de Kilia et de Cetatea Albà par Bâyezîd II », Siidost
Forschungen, XIII, 1964, pp. 36-90.
206. J. von Hammer, op. cit., IV, pp. 43-44 ; V, p. 70 ; VI, n. 17, pp. 472-473.
207. Ville ottomane, pp. 176-179.
208. A. Bennigsen, Ch. Lemercier-Quelquejay, « Les marchands de la Cour
ottomane et le commerce des fourrures moscovites dans la seconde moitié du
xvie siècle », CMRS, XI, 3, 1970, pp. 363-390 ; M. Berindei, art. cit.
209. A. Bennigsen, Ch. Lemercier-Quelquejay, « Le khanat de Crimée au début
du xvie siècle — de la tradition mongole à la suzeraineté ottomane, d'après un
document inédit des Archives ottomanes », CMRS, XIII, 3, 1972, pp. 322-337 ;
A. Bennigsen et al., op. cit. pp. 106-110, 325.
210. Ibid., p. 123.

Vous aimerez peut-être aussi