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PACÔME (292-346)

Antoine étant déjà connu nous passons au premier des grands cénobites : Pacôme.

I. LE FEU DE PAILLE PACÔMIEN


Cette première forme de vie cénobitique fondée par Pacôme peut être, d'une certaine manière, comparée
à un feu de paille en ce sens qu'un feu de paille se propage vite, dégage une forte chaleur et une grande
lumière, mais ne dure pas longtemps. De même, le cénobitisme de Pacôme s'est propagé très vite. Il
semble bien que dès le début du cénobitisme, il faut parler d'un Ordre, c'est-à-dire d'un ensemble
organisé, ayant ses lois et ses structures. Ce qui est assez remarquable ! D'autant que c'était un Ordre très
important : Jérôme parle de cinquante mille moines, mais il exagère certainement et le chiffre de dix mille
paraît plus juste. Ce qui est tout de même important !
Il a dégagé aussi chaleur et grande lumière, car les moines pacômiens étaient les plus réputés à l'époque.
C'était le gratin de la gent monastique, et si l'on n’était pas allé les voir, car ils habitaient fort loin
d'Alexandrie, on faisait comme si on avait été les voir. Par exemple Cassien.
Et enfin, comme un feu de paille il n'a pas duré longtemps : après un essor prodigieux, ce monachisme
pacômien connut un déclin rapide. Au début du cinquième siècle, il n'en reste quasiment plus rien !
Mais ce ne fut pas totalement un feu de paille en ce sens qu'à la différence d'un feu de paille qui ne laisse
que des cendres, l'influence de cette première forme de cénobitisme fut grande dans l'Eglise. Non par sa
spiritualité qui était assez pauvre, mais plutôt par son système législatif. Celui-ci a marqué le monachisme
postérieur : la Règle Orientale, nous le verrons, est composée à partir des Règles de Pacôme. Quant à la
Règle de saint Benoît, elle est fortement marquée par les Règles pacômiennes : on trouve au moins 20
passages qui le montrent.
Bien mieux, ces Règles de Pacôme ont marqué même des instituts qui se voulaient à l'opposé du
monachisme, comme les jésuites !

II. LA VIE DE PACÔME


Qui était Pacôme ? Il n'est pas facile de le voir. Ni par ses écrits, car on a conservé de lui très peu de
choses, ni par sa biographie, car il n'y a pas une vie de Pacôme, mais huit ou neuf, écrites elles aussi par ses
disciples. Or très tôt des dissensions se sont produites parmi ceux-ci qui n'avaient pas tous la même
optique sur la vie monastique : chaque groupe a écrit une vie de Pacôme pour justifier son point de vue.
Chacune de ces vies présente donc le fondateur sous un aspect différent.
Parmi ces huit ou neuf Vies, trois sont plus importantes, car elles nous sont parvenues en entier (ou
presque). On les désigne par la langue dans laquelle elles ont été écrites : la Vie bohaïrique, la Vie saïdique
(ces deux langues étant des dialectes du copte) et la Vie Grecque. Des autres nous n'avons que des
fragments.
Egyptien comme Antoine, Pacôme n'est pas né chrétien comme lui, mais païen. Il voit le jour en 292 dans
une famille de paysans aisés, sur le bord du Nil, un peu plus haut que Thèbes. Il a au moins un frère et une
sœur dont les Vies nous font connaître l'existence : un frère aîné, Jean, et une sœur cadette Marie (tous
deux le rejoindront plus tard dans la vie monastique; avec Marie, nous aurons le premier monastère
cénobitique féminin). Pacôme apprend à lire et à écrire. Lorsqu’il sera adulte, il apprendra le grec.
L'Egypte est alors sous la domination romaine, et en 312 l'empereur Maximin Daïa a besoin de soldats
pour faire la guerre contre Licinius. En ce temps-là, quand on n'avait pas de soldats, on en prenait : on
enrôlait les gens de force. Des soldats arrivent donc dans le village de Pacôme et le prennent avec d'autres
jeunes. Il a vingt ans et le voilà bon pour le service, malgré lui. En route donc vers Alexandrie ! Comme des
prisonniers, lui et ses compagnons sont embarqués sur le Nil et ils descendent jusqu'à Thèbes, la première
grande ville où l'on fait étape pour la nuit. Les soldats conduisent les conscrits dans la prison de la ville, et
là, les chrétiens viennent leur apporter de la nourriture et des secours (Texte 1) .
Pacôme le païen, est touché de cette charité active des chrétiens. Cela le marquera pour toute sa vie : le
chrétien sera pour lui celui qui fait du bien à tous. Cette pensée qui s'impose à lui en ce moment, influera
aussi sur sa conception de la vie monastique où la notion de service de Dieu et des frères aura une très
grande importance.
La guerre étant finie, Pacôme est relâché à Antinoé. Il remonte le Nil, mais ne rentre pas chez lui. Il veut
servir Dieu et, comme Antoine, il s'installe aux abords d'un village (Senesêt) où il est baptisé vers 313.
Conformément à une promesse qu'il avait faite de servir le genre humain, il rend tous les services
possibles aux gens des alentours et se met au service des plus pauvres. Puis comme Antoine aussi, il se fait
disciple d'un ascète qui vivait aux alentours du village (Texte 2) : Palamon. Palamon dresse alors un tableau
très noir des austérités très dures qui attendent le postulant. Mais Pacôme, malgré cette vie sévère,
maintient sa demande. Il est admis et va vivre sept ans en anachorète auprès de Palamon. Une grande
intimité spirituelle s’établit entre les deux hommes ; zèle humble et ardent dans l’imitation du Seigneur.
Une petite histoire illustre cela : Un jour, Pacôme ramassait du bois dans la vallée des acacias et se blessa
aux pieds avec les épines. Il supporta cette souffrance en pensant "aux clous dans les pieds et les mains du
sauveur en croix".
Et, comme Antoine encore, il subit bien des tentations. Le fondateur de la vie cénobitique n'a donc pas la
pensée d'innover : il commence comme Antoine avait fait. Peu à peu, Pacôme acquiert une grande
endurance et passe des nuits entières en prière, dans les tombeaux, c’est-à-dire dans le propre domaine
des démons. Au bout de sept années (ce nombre sept est symbolique, comme les sept années
précédentes), dans une vision, Pacôme reçoit l’appel à "servir les hommes pour les réconcilier avec Dieu",
à se retirer dans la ville abandonnée de Tabennesi et à y bâtir un monastère pour de nombreux moines
mais toujours dans l'optique d'y vivre une vie d'ermite. Pacôme s’en ouvre à Palamon qui l’aide à discerner
la volonté de Dieu et qui l’accompagne à Tabennesi où il collabore à l’édification de la cellule de son
disciple. Peu après, Palamon tombe gravement malade dans son ermitage. Pacôme se rend auprès de lui
et le soigne jusqu’à sa mort puis revient à Tabennesi. Son frère Jean vient l'y rejoindre. Quelques disciples
se joignent à eux. Et voici qu'une nuit, Pacôme a une vision : Dieu intervient (Texte 3). Dans les jours
suivants, un différend surgit entre les deux frères. Jean veut rester fidèle à la perspective anachorétique et
continuer à vivre dans leur petite cellule, tandis que Pacôme après sa vision, veut construire un
monastère.
De fait, des gens viennent. Pacôme avait le don de rassembler autour de lui les hommes, "par suite de sa
bonté", disent les Vies. Des jeunes viennent donc près de lui, il les instruit, et fidèle à son dessein du
début, il les sert (Texte 4). On voit comment la première expérience qu'a fait Pacôme de la charité des
chrétiens a marqué sa vie : il veut servir. Tant que les novices sont de bons novices, cela marche : les
jeunes, stimulés par son exemple, demandent à prendre leur part du travail : "Vivons et mourrons avec cet
homme, disent-ils, puisqu'il nous guide tout droit vers Dieu". Mais d'autres personnes moins bien
disposées vont venir et cela va se gâter. Pacôme subira un échec d'où il tirera une leçon (Texte 5). La leçon
sera qu'un monastère n'est pas une coopérative, et que pour faire une communauté, il faut lui donner un
système économique capable de la souder.
Lors de son premier essai, Pacôme, fidèle aux lumières reçues à sa conversion, s'était fait le serviteur de
tous, recevant en retour de quoi payer la nourriture de ceux qui venaient à lui. Il leur avait fait la règle
suivante : chacun devait se suffire à soi-même et administrer ses propres affaires, mais il fournissait sa part
pour tous les besoins matériels, soit pour la nourriture, soit pour celle des hôtes. Les frères apportaient
donc à Pacôme leur part, et lui s'arrangeait avec. En fait c'était le régime d'une pension de famille, il n'y
avait pas communauté de biens.
Après son échec, Pacôme comprend que pour qu'il y ait une communauté solide, il faut que tout soit mis
en commun. Dès lors il part sur une autre base et demande à ceux qui viennent à lui de renoncer à leur
famille et à leurs biens pour suivre le Sauveur. Il leur propose comme moyen d'aller à Dieu : mener la vie
commune (en grec Koino-bios) , faire une Koinônia, une communauté (c’est la première fois que ce terme
apparaît dans la littérature monastique). Chacun sera au service des autres. S’inspirant de l’Ecriture,
Pacôme établit un mode de vie en communauté et des traditions qui vont assurer l’égalité dans le
vêtement, la nourriture et le sommeil. La renommée de cette fondation se répand rapidement dans toute
l’Egypte et le village lui-même de Tabennesi reprend vie, si bien que Pacôme fait construire une église
pour les habitants. C’est là qu’il se rend avec ses moines chaque samedi, tandis que le dimanche, les clercs
du village viennent au monastère, lui-même n’étant pas prêtre. Tout cela se passe vers 323-325, il a alors
une trentaine d’années. Sept ans plus tard (ce nombre ponctue la vie de Pacôme), lorsqu’Athanase,
l’évêque d’Alexandrie, entreprend une visite pastorale dans la région, l’évêque local l’invite à ordonner
Pacôme prêtre, mais celui-ci refuse. Athanase respecte ce refus.
Les postulants continuant à affluer, on envisage une et même plusieurs fondations ; ainsi naissent : Pbwo,
Seneset, Thmousons, Tse, Smin, Thbeou, Tsmine et enfin Phnoum (la patrie de Pacôme).
La soeur de Pacôme, Marie, venue le rejoindre, désire embrasser la vie monastique cénobitique. Pacôme
fonde pour elle un monastère à Tabennesi dont Marie sera la supérieure, puis une seconde fondation
féminine se fait à Tsmine, cette vie cénobitique ayant vite des adeptes. Tout y était bien réglementé là
aussi : les sœurs avaient une copie des Règles des frères. Un aumônier : Pierre était à leur disposition pour
leur apporter aide spirituelle (Texte 6).
Au début de l’année 346, la peste se répand dans les monastères de Thébaïde ; de nombreux moines en
meurent. Pacôme lui-même est atteint par l’épidémie et meurt en se signant le 9 mai 346 à l'âge de 54 ans
seulement. Son dernier désir est que sa tombe demeure inconnue. Désir respecté jusqu’à ce jour !
Sa succession fut très difficile : Les Anciens de la congrégation, bien avant la mort de Pacôme, avaient
choisi Théodore comme successeur, mais ce Théodore ne fut pas choisi par Pacôme qui, sur son lit de
mort, nomma Patronios comme Père de la koïnonia. Or Patronios meurt quelques mois plus tard et, sur
son lit de mort, il ne nomme pas Théodore mais Orsièse. Grand spirituel et grand pasteur, Orsièse réussit à
se faire accepter même des Anciens et il va gouverner la koïnonia pendant près de cinq ans, malgré et avec
la présence de Théodore, ce qui ne fut pas de tout repos. A un moment, les Anciens se sont même révoltés
parce que Théodore n’avait pas un poste assez élevé. Finalement, Orsièse, homme profondément humble
et n’ayant à coeur que l’unité de la congrégation, s’apercevant qu’il ne pouvait plus la maintenir, se retira
et donna aux frères comme supérieur : Théodore.
Sous le gouvernement de Théodore, l’unité se refait, mais les communautés se développent peu : deux
fondations masculines, une féminine, en dix-huit ans. Ce fut aussi le temps d’un accroissement
économique de la communauté. Puis survient une épidémie de peste qui emporte tous les Anciens !
Théodore se retrouve de ce fait assez isolé ; il a l’humilité, sinon de démissionner, au moins d’aller
chercher Orsièse pour partager avec lui la responsabilité pastorale. Puis Théodore meurt en 368 ; Orsièse
se retrouve seul supérieur et se montre un excellent pasteur pendant environ dix ans. La koïnonia connaît
une grande extension pendant cette période. Après la mort d'Orsièse en 387, tout s'effondre.
Heureusement, en 404, Jérôme, alors à Bethléem, traduit en latin les quatre Règles, 11 épîtres de Pacôme,
une de Théodore et le livre d'Orsièse. Grâce à ces traductions l'expérience pacômienne laissera ses traces
en Occident

III. RÈGLES ET ORGANISATION DE LA KOINONIA


Nous avons remarqué lors de notre survol, que le monastère pacômien est un véritable petit village
défendu des rapports avec l'extérieur par un mur énorme qui n'a qu'une seule porte.
L’architecture
A la différence de la vie anachorétique, le monastère pacômien est unifié, et cette unité intérieure se
manifeste aussi par l’architecture. Le plan général du monastère n’est, du reste, pas sans rappeler les
camps militaires que Pacôme a connus. On y trouve :
. Un vrai mur de clôture, à l’intérieur duquel se situe le village monastique, car il s’agit bien d’un véritable
village.
. Une unique porte, qui permet d’entrer dans le monastère. C’est par elle que se fait toute communication
avec l’extérieur. A cette porte, un portier filtre les arrivants. Donc ceci met une distance par rapport au
monde extérieur et fait du monastère un petit monde à part. En fait, le plan du monastère évoque les
camps militaires que Pacôme avait connus, étant soldat.
. Au centre du village : l’église, la cuisine, le réfectoire et l’infirmerie.
. Tout autour, un grand nombre de maisons, chacune habitée par trente à quarante moines. Plusieurs
maisons forment une famille. Chaque maison a un Supérieur à sa tête, assisté d’un second, et les moines y
sont groupés par corps de métier, par exemple : tous les boulangers sont dans la même maison : il y a la
maison des cuisiniers, la maison des cordonniers, la maison des scribes, etc. Notons que chaque moine a
une cellule individuelle. On ne travaille pas dans sa cellule, on y prie; on tresse à l’oratoire.
Le travail
Le travail a une place importante dans la vie de la communauté ; prescrit par la Règle et contrôlé par le
supérieur, il est l’un des principes constitutifs de l’organisation cénobitique. Il est conçu d’une manière
différente des anachorètes. En effet, on y a davantage le principe de rendement et d’organisation.
Quels métiers trouve-t-on? Les métiers indispensables à la vie en clôture, à l’intérieur du mur d’enceinte,
de manière à éviter que les moines ne se répandent au dehors. On rencontrera donc des maisons de
boulangers, tisserands, jardiniers, fouleurs, cordonniers, pêcheurs (car les monastères pacômiens sont
proches du Nil).
Organisation
Trois ou quatre maisons forment une "tribu", et un monastère est composé de 10 "tribus". Or 30 ou 40
maisons dans lesquelles vivent environ 40 frères, cela fait plus de mille moines par monastère (1200 à
1400)
A la tête du monastère se trouve un Supérieur ou préposé, aidé d’un assistant qui veille sur les chefs de
maisons. Et il y a 9 monastères d'hommes et 3 de femmes. Tous les monastères, de moines comme de
moniales, constituaient "la grande famille", un "ordre", dont chaque membre est appelé Tabénnésiote
(parce que le premier monastère est fondé à Tabennèse). L’Abba, le Père, Pacôme, tient solidement tout
en main ; autrement dit il s’agit d’un gouvernement centralisé. Les membres de la communauté
s’appellent "frère".
Deux fois par an, à Pâques et en août, a lieu le chapitre général. Tous les moines s’y rendent. Cette réunion
a lieu à Pbow, second monastère pacômien, dans lequel réside Pacôme et qui deviendra vite le lieu de la
direction centrale. Pbow est également le centre économique de tout l’ordre ; c’est la cellérerie et
l’administration. Là, chaque monastère envoie ses comptes en fin d’année, là se font les achats de
matières premières, etc... C’est aussi de là que l’on vend ce qui a été fabriqué par les cénobites.
Les Règles
Cette structure de tout l'Ordre laisse entrevoir que la vie de la Koinônia se déroulera sous un Abbé, lequel
sera représenté dans chaque maison par un préposé. Vie sous un Abbé, mais aussi sous une Règle.
Pacôme avait déjà mis par écrit quelques préceptes tirés de la Bible. Au fur et à mesure que l'Ordre se
développe, il faut préciser certains points, élaborer des lois. Ceci a donné lieu à 4 séries de préceptes que
l'on appelle les "Règles de Pacôme", bien qu’elles n'aient pas été écrites par Pacôme lui-même.
Ce sont : Les Préceptes (la partie la plus longue),
Les Préceptes et Institutions,
Les Préceptes et Décisions,
Les Préceptes et les Lois.
On voit d'après cet énoncé que ce sont là des recueils de commandements à faire. Ces premiers
règlements écrits pour une communauté sont des "us" avec très peu de spiritualité. Pourtant le fait qu'ils
aient pour but d'actualiser l'Ecriture et qu'ils soient remarquables par leur mesure, exempts de toute
exagération, leur a valu un large écho dans la postérité. Saint Benoît en a repris bien des points dans sa
Règle.
De Pacôme lui-même, nous disposons des textes suivants :
. Catéchèse à propos d’un moine rancunier.
. Catéchèse sur les six jours de la Pâque.
. Onze lettres..

IV. LA SPIRITUALITÉ PACÔMIENNE

Les 4 règles sont donc des recueils de prescriptions assez secs, ayant pris l'Ecriture comme base, mais
d'une théologie assez rudimentaire, comportant peu de spiritualité. Pourtant de leur ensemble, des Vies et
des autres écrits, on peut tout de même dégager les traits d'une spiritualité pacômienne.
1) Un double aspect
Pour bien la comprendre replaçons-nous dans les conditions de sa genèse. Pacôme naît 30 ans après
Antoine, meurt 10 ans avant lui. Celui que l'on peut considérer comme le fondateur du premier
cénobitisme prend donc son départ en milieu anachorétique. Le cénobitisme n'est pas encore normalisé,
tandis que le monachisme anachorétique, illustré par Antoine a déjà toute une histoire en Egypte.
Pacôme, comme tous ceux qui alors veulent se faire moines, se forme près d'un ermite. Par la suite, son
différend avec son frère Jean vient de ce que celui-ci veut garder la solitude anachorétique, tandis que
Pacôme, fidèle à la voix entendue, veut construire pour d'autres.
Ce contexte de la naissance de ce qui sera un Ordre cénobitique en milieu anachorétique permet
d'entrevoir à la racine du pacômianisme deux aspirations contraires qu'il va falloir faire cohabiter en bon
accord : d'une part, comme chez les Pères du Désert, le souci de la perfection individuelle, chacun
cherchant sa voie selon son tempérament et les appels de la grâce, et d'autre part l'aspect de mise en
commun requis par le cénobitisme.
La solution trouvée par Pacôme, fidèle aux intuitions reçues, sera que chacun se perfectionne soi-même en
servant autrui. Il est convaincu en effet, que nulle perfection individuelle n'est réalisable sur terre ; cet
idéal de perfection ne peut être réalisé que par la communauté des frères : la sainte Koinônia, qui apporte
une aide réciproque dans le combat spirituel.
On a donc ici un premier aspect paradoxal par lequel la spiritualité pacômienne réunit des contraires : la
perfection personnelle s'opère dans la communauté, par le service des frères.
Un autre aspect paradoxal tient à la forte personnalité de Pacôme. Dans la Koinônia pacômienne,
s'adressant fortement à des cénobites, on va trouver quelque chose qui marquait l'anachorèse de Basse-
Egypte où le débutant était formé par un ancien. Pacôme était en effet un homme qui attirait les gens,
quelqu'un sur qui reposait l'Esprit. C'est le désir de se mettre à l'école d'un tel homme qui est à l'origine du
rassemblement de tous ces moines autour de Pacôme. Donc d'un certain côté, comme dans le
monachisme de Basse-Egypte, on trouve là un cénobitisme vertical, car ce qui caractérise le moine
pacômien, c'est d'avoir Pacôme pour Père (Texte 7). Et même plus tard, lorsque l'Ordre prend des
dimensions gigantesques, c'est toujours Pacôme le Père, mais par l'intermédiaire du chef de monastère
choisi par Pacôme. Dans le concret, cet aspect vertical se traduit par toute cette organisation hiérarchique
que nous avons vue.
Et pourtant il faut maintenir l'autre aspect : la spiritualité pacômienne est une spiritualité de la
communauté. Et l'on a là un cénobitisme horizontal. Pacôme dont la conversion a été due à la charité
agissante des chrétiens de Thèbes, est hanté par le souvenir de la communauté primitive de Jérusalem où
l'on mettait tout en commun. Sa vocation, confirmée par le ciel, est de "rassembler tous les hommes". Il
sera le Père de la communauté autant et plus que le Père de ses moines. La communauté de service
mutuel, la sainte Koinônia, aura une place très importante dans la spiritualité pacômienne. Elle sera
l'expression de la charité en acte.
De fait, la charité, fondement de la vie du chrétien, est aussi à la base de l'édifice législatif de Pacôme : on
lit au début des Préceptes et Décisions : "La plénitude de la Loi c'est la charité". Celle-ci ayant pour double
objet Dieu et les frères, la spiritualité pacômienne se développera selon les deux axes : union à Dieu et
union aux frères.

2) Union à Dieu
D'abord l'union à Dieu. Pacôme était un homme animé par l'Esprit, un homme de prière capable de rester
en prière toute une nuit, et même plusieurs. Bien des passages des Vies en témoignent. Par exemple :
(Texte 8). Aussi attache-t-il une grande importance à l'union à Dieu. Pour la favoriser les Règles insistent
surtout sur l'Ecriture et l'Office commun. Sans oublier l'ascèse, car Pacôme, en homme pratique et
expérimenté, sait bien que cette rencontre avec Dieu ne peut se réaliser sans un renoncement à tout ce
qui n'est pas Dieu : le monde et ses proches, et plus profondément, sans le renoncement à sa volonté
propre, source du péché. Tous ces éléments sont à prendre en compte : ils contiennent l'essence de la
conversion monastique.
A) L'Ecriture.
Prière et lecture de la Bible sont liées dans la spiritualité pacômienne. A cette époque les gens avaient une
très grande mémoire. Dès son arrivée au monastère le novice doit d'abord apprendre à lire ; ceci dans le
but d'apprendre par cœur certains passages de la Bible de façon à pouvoir les méditer (Texte 9).
"Méditer", dans ces premiers temps, ce n'est pas réfléchir sur un texte, mais plutôt le ruminer, soit par une
récitation de mémoire, soit par une lecture à mi-voix. Le moine pacômien doit méditer la Parole de Dieu à
toute heure, en se rendant à l'office, au réfectoire ou à sa cellule, en allant au travail et en travaillant
(Texte 10).
L'Ecriture est la Règle de vie du moine pacômien. Elle est commentée trois fois par semaine par ses divers
supérieurs, et après avoir écouté leurs explications, il partage avec ses frères ce qu'il en a retenu, avant
d'entrer dans sa cellule pour la méditer. Les Vies de Pacôme nous ont conservé sous manière imagée,
l'impression profonde que produisait sur les frères la parole de Pacôme lorsqu'il commentait l'Evangile
(Texte 11).
B) L'Office divin.
Il comportait deux réunions à l'église appelées "synaxes" (de sun = avec, et ago = aller), une de jour, et une
de nuit, sans doute assez longues ; de plus le soir il y avait une réunion de prière, mais cette fois non plus à
l'église mais dans chaque maison.
Les deux grands offices à l'église étaient très simples et même rudimentaires, peu différents de la prière
privée : on y récitait des psaumes ou des passages de l'Ecriture que l'on faisait alterner avec des Pater et
des prières silencieuses. Ils duraient longtemps, mais on n'y restait pas oisif : les mains s'occupaient à un
travail léger comme tresser des cordes ou faire des nattes avec des joncs ; les Règles en témoignent (Texte
12).
Mais bien que simples, ces offices avaient pour les pacômiens une grande importance : c'était une
communion dans la prière qui prenait pour eux une valeur toute spéciale. Leur foi était grande en effet
dans la parole du Seigneur : "Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux".
La prière du soir, dite à la maison, était plus simple : six psaumes et six oraisons. Voici en quels termes les
Règles en parlent (Texte 13).

3) Union aux frères : la Koinônia


Cette communion des pacômiens dans la prière devant Dieu montre bien ce qui est à la racine de la
communauté voulue par Pacôme : une unité des frères à l'image de la communauté chrétienne primitive.
Dans la pratique, cette racine se manifestera par la mise en commun des biens et les diverses
conséquences qui en découlent.
A) Mise en commun des biens
Le symbole en est le mur de clôture où il n'y a qu'une porte bien gardée. Ce mur délimite deux mondes : le
monde extérieur et celui de la vie en commun, de la Koinônia. Nous avons vu qu'après sa pénible
expérience du début, Pacôme exigera de tout postulant la mise en commun des biens : c'est à prendre ou
à laisser.
Et il ne s'agit pas seulement de la mise en commun des biens matériels, mais de la mise en commun de sa
propre personne en se mettant concrètement et physiquement au service les uns des autres. Cette idée de
service - et même de servitude - est à la base du cénobitisme pacômien et de son organisation en maisons
avec chefs de maison et seconds. Cette servitude des frères les uns envers les autres constitue aussi
l'expression concrète de leur imitation du Christ qui s'est fait le serviteur de tous. C'est ce service qui fait
pour Pacôme la supériorité du cénobitisme sur l'anachorétisme. Idée que Basile reprendra. De même pour
le successeur de Pacôme, Orsièse, la vie communautaire est par elle-même "œuvre de Dieu", Opus Dei.
B) Conséquences
Cette mise en commun des biens entraîne donc le service mutuel, mais aussi dans le concret, des
observances pratiques :
a) Un même régime de vie
Ceci traduira la volonté d'une recherche spéciale et d'une réalisation de l'uniformité qui sera valable même
pour les supérieurs.
b) La pauvreté
La pauvreté exigée par cet idéal de vie aura un caractère de dépossession. La pauvreté pacômienne ne
sera pas d'abord privation, mais plutôt mise en commun. Elle n'aura pas d'abord une fonction ascétique,
mais une fonction communautaire. Elle est le ciment qui consolide la communauté.
c) Le travail
Il vient de la notion de service et il aura pour objet la partage avec les pauvres. Pour Pacôme les biens de la
communauté sont avant tout les biens de Dieu. La communauté elle-même, ne possède rien. Le partage
avec les pauvres n'est donc pas un acte vertueux, il est normal.
d) L'obéissance
Pour rompre les liens avec l'amour personnel qui nuit à l'amour communautaire, Pacôme insiste sur
l'obéissance : ainsi au sein de la communauté, chacun apprend à faire taire ses prétentions personnelles,
ses désirs propres. Mais l'obéissance, elle aussi, revêtira un caractère communautaire. Il ne s'agit plus,
comme le font ceux qui s'engagent dans la vie anachorétique, de se mettre sous la dépendance temporaire
d'un ascète que l'on prend comme maître spirituel pour apprendre à se laisser conduire sur le chemin de
Dieu, mais il s'agit d'entrer dans un régime d'obéissance qui vaut par lui-même. L'obéissance n'est donc
pas une mise à l'école pour des débutants, mais un chemin d'amour, un état permanent, définitif, du
moins sur cette terre.
De cela découlent trois caractères de l'obéissance pacômienne :
1) Chaque supérieur a sa sphère d'autorité prévue qu'il ne peut dépasser.
2) Le commandement ne vient pas d'un charisme, mais d'une désignation pour un temps, par l'autorité
supérieure.
3) C'est avant tout à la Règle qu'on obéit. Et la Règle concerne aussi bien les supérieurs que les
subordonnés.
Au fur et à mesure que l'Ordre pacômien se développera, la Règle prendra de plus en plus de place. Dans
ses écrits Pacôme donne beaucoup d'importance à l'Ecriture et on y lit : "Selon les Ecritures". Mais 40 ans
après, dans la Vie de Pacôme, cette expression est remplacée par : "Selon la Règle" !
e) Communauté de pardon mutuel On a là un dernier aspect de la mise en commun des biens : la mise en
commun du pardon. Au début, les pacômiens avaient deux assemblées annuelles qui avaient un aspect
économique : voir où en étaient les comptes. Assez vite les deux assemblées, surtout celle d'été,
deviendront de vastes chapitres des coulpes.
V. CONCLUSION
Avec Pacôme nous assistons, dès le début du monachisme, à la naissance d'un Ordre cénobitique
véritable, ce qui est assurément remarquable. A la tête de cet Ordre, une personnalité très riche, Pacôme,
un homme de prière, un homme sur qui repose l'Esprit, doté de grâces mystiques abondantes. Ainsi nous
raconte-t-on qu'un peu avant sa mort, il vit ce qu'était le ciel (Texte 14). Mais c'était aussi un homme
humble et qui avait les pieds sur terre ; aussi mettait-il ces visions à leur juste place. Ainsi on lit dans les
écrits de Pacôme (Texte 15).
Ce miroir de Dieu qu'il était, Pacôme veut le voir aussi dans la Koinônia toute entière qui sera elle aussi
miroir aux mille facettes de Dieu. Car Pacôme a une haute idée du cénobitisme : il nous la traduit par trois
sortes de paraboles, toujours valables pour nous (Texte 16).
Et voilà qu'après la mort de Pacôme, très rapidement tout ce grand corps qu'il avait construit, cette sainte
Koinônia, va s'effondrer ! Comment rendre compte d'un déclin si rapide ? Il semble qu'il y ait trois raisons :
- La centralisation était trop forte : tout reposait sur un homme d'une personnalité
exceptionnelle qui inspirait confiance. Après sa mort et celles de Théodore et d'Orsièse, ses
disciples, l'Ordre est désaxé.
- Par ailleurs, cet Ordre avait grandi trop rapidement. Tout avait été trop vite. Au début, c'est
Pacôme lui-même qui assure la formation des jeunes, mais après il ne le peut plus et ce sont
les chefs de monastère ou les chefs de maison. Mais ceux-ci n'ont pas forcément la même
valeur que le fondateur et la même sainteté.
- Les Règles pacômiennes qui auraient dû assurer l'avenir de l'Ordre, ne sont pas assez
soutenues par des bases théologiques et spirituelles. Ce sont des règlements, des
prescriptions, fruit de l'expérience du fondateur. Aussi, faute de bases spirituelles, des factions
se forment à la mort de Pacôme, avec à leur tête des hommes qui ont chacun sa propre
conception du pacômianisme.
Malgré tout, du fait de ce double axe de la spiritualité pacômienne : vertical et horizontal, des traces de
l'expérience de Pacôme demeurent dans le monachisme postérieur, et nous en sommes, pour une part, les
héritières.
Fig. 1 – Les communautés pachômiennes de Haute Égypte (dessin d’après Martin 1996, p. 125, fig. 8 © A. Martin).
Fig. 2 – Carte des sites monastiques d’Égypte (dessin © G. Ochała).
Textes - Pacôme

1 Vie Bohaïrique 7-8


Après les persécutions le grand Constantin devint empereur des Romains. C'est le premier des empereurs
chrétiens de Constantinople. Mais un autre chef veut lui enlever l'Empire. Il lui déclare la guerre. Il envoie
chercher dans tous les villages des garçons grands et solides pour en faire des soldats et lutter contre
l'ennemi de Dieu.
Pacôme a vingt ans. On l'emmène bien qu'il ne soit pas très solide, car il fallait beaucoup de soldats. Alors
qu'il était amené sur le bateau avec ses compagnons, il lève les yeux au ciel et soupire : "Mon Seigneur
Jésus, que ta volonté se fasse". On descend le Nil. A Thèbes, la capitale, on les enferme dans la prison.
Mais le soir, des gens de la ville viennent les visiter, leur donner à boire et à manger, car ils voient qu'ils
sont bien malheureux. Pacôme demande à ses compagnons : "Qui est-ce ? Ils ne nous connaissent pas,
pourquoi sont-ils si bons avec nous ? " On lui répond : "Ce sont des chrétiens. Ils nous traitent avec amour,
à cause du Dieu du Ciel.
Pacôme ne dort pas. Il prie toute la nuit : "Mon Seigneur Jésus, le Christ, Dieu de tous les saints, que ta
bonté vienne rapidement sur moi. Si tu me délivres, je servirai tous les hommes tous les jours de ma vie".
Le matin suivant, on les met sur des barques, et on arrive à la ville d'Antinoé. Pendant qu'ils y étaient,
l'empereur bat ses ennemis. Il renvoie alors chez eux tous ces soldats. Pacôme revient vers le sud, en
Haute-Thébaïde. Il entre dans l'église d'un village appelé Chênesêt. Il devient catéchumène et reçoit le
baptême.
La nuit de son baptême, il a une vision. La rosée du ciel descend sur sa tête, elle devient un rayon de miel
dans sa main droite, et pendant qu'il le regarde, le miel coule sur le sol et se répand sur toute la terre. Une
voix lui dit : "Pacôme, cela t'arrivera bientôt".

2 Vie Bohaïrique, 10.


Pacôme cherche à devenir moine, et il entend parler d'un vieil ermite nommé Palamon. Il va lui faire une
visite. Il frappe à la porte. Le vieillard regarde par la fenêtre, et lui dit d'une voix rude : "Qu'est-ce qu'il y a ?
-- Mon Père, s'il vous plaît, je veux être moine avec vous - Non, tu ne pourras pas. C'est très difficile d'être
moine. Il y en a beaucoup qui viennent et qui s'en vont. - Essaie avec moi, mon Père et tu verras. -- Il faut
d'abord essayer chez toi pendant quelque temps. Moi, voici ce que je fais C'est dur. Je ne mange pas avant
le coucher du soleil, pendant tout l'été L'hiver, je mange tous les trois jours. Je ne prends que du pain et du
sel, sans huile et sans vin. Je veille toujours jusqu'à minuit, souvent même toute la nuit, pour prier et
méditer la Parole de Dieu."
Pacôme répond humblement : "Tout cela, je l'ai déjà essayé avant de venir vers toi, et j'ai confiance
qu'avec l'aide de Dieu et de tes prières, ton cœur sera en repos à mon sujet".
Palamon lui ouvre la porte et le fait entrer. Après l'avoir éprouvé durant des jours, il lui donne l'habit des
moines. Tous deux mènent ensemble une vie de sacrifice et de prière. Ensemble ils fabriquent des nattes.

3 Vie Saïdique I, 303-304.


Un jour, Pacôme et son frère vont faire les moissons, près du village de Tabennèse où ils habitent. Ils
prient ensemble selon leur coutume. Puis Pacôme s'en va à une faible distance de son frère et s'assied,
seul. Il est triste et il a le cœur brisé : il veut connaître la volonté de Dieu. Il fait sombre, et voilà qu'un
homme lumineux apparait et se tient devant lui. Il lui dit : "Pourquoi es-tu triste ? " Il répond : "Je veux
savoir ce que Dieu veut de moi". L'homme lumineux lui dit : "Tu désires vraiment connaître la volonté de
Dieu ?". Pacôme lui répondit : "Oui". Il lui dit : "La volonté de Dieu est que tu serves les hommes et les
réconcilies avec Lui". Pacôme répond presque fâché : "Je cherche la volonté de Dieu et tu me dis de servir
les hommes ! " L'autre répéta trois fois : "La volonté de Dieu est que tu serves les hommes pour les
appeler à lui". Après cela, Pacôme ne le vit plus.
Alors il se souvint de l'alliance qu'il avait faite avec Dieu le jour où on l'avait aidé quand il était dans la
prison avec ses compagnons. Il avait promis : Si tu me délivres, je servirai tous les hommes tous les jours
de ma vie".

4 Vie Bohaïrique, 23.


La Providence de Dieu envoie trois hommes vers Pacôme : Pchentoch, Sourous et Pchoï. Ils lui disent :
"Nous voulons être moines avec toi". Pacôme leur dit : "Pouvez-vous quitter vos parents pour suivre le
Sauveur ? " Puis il les éprouve. Il trouve que leur cœur est bon. Il leur donne l'habit des moines et les reçoit
avec joie. Il les fait avancer peu à peu dans la vie monastique. Il leur apprend surtout à renoncer au
monde, à leur famille et à eux-mêmes. Il leur apprend à suivre le Sauveur et à porter sa croix. Il les forme
selon les Ecritures, et ils portent beaucoup de fruits.
Pacôme veut enlever tout souci aux novices. "Votre travail, leur dit-il, c'est de méditer : les psaumes, toute
l'Ecriture, mais surtout l'Evangile". Il se dit à lui-même : "Ce sont encore des novices. Ils ne sont pas
capables de servir les autres". Et il fait lui-même tout le travail du monastère : potager, cuisine, réfectoire,
porterie, infirmerie.
Alors les novices lui disent : "Père, cela nous fait de la peine. Pourquoi travailles-tu tout seul ? " Pacôme
leur répond : "Est-ce qu'on oublie son âne quand il tourne à la noria pour tirer de l'eau ? Le Seigneur voit
bien ma fatigue : il m'enverra des compagnons". Son exemple les encourage. Ils se disent : "On n'est pas
saint dès le ventre de sa mère. Quand on est pécheur, on peut avoir la vie. Notre père n'était-il pas païen ?
Nous aussi, nous pouvons marcher à sa suite."
La foi de Pacôme, pure et sans hérésie, attire encore d'autres novices : Pénoch, Corneille, Paul et Jean,
ermites du voisinage.

5 Vie sahidique I, 10-19.


Puis ce sont cinquante hommes des villages voisins qui viennent un par un pour être moines. Ils
construisent des cases autour du monastère. Pacôme leur fait une règle. Chacun doit se suffire à lui-même,
mais ils donnent un peu d'argent à Pacôme pour leur nourriture. Ils mangent tous ensemble et c'est
Pacôme qui les sert. Mais leur cœur n'est pas droit. Ils se moquent de l'humilité de Pacôme. Quand il
commande, souvent ils lui répondent : "Nous ne voulons pas !". Pacôme ne les punit pas, mais les
supporte avec patience en disant : "Ils verront mon humilité et ma peine et ils retourneront à Dieu".
Un jour, au temps de la moisson, Pacôme leur apporte le repas sur un âne. Quand ils ont mangé, ils
prennent l'âne pour s'amuser, et disent à Pacôme : "Puisque c'est toi le serviteur, prends les plats sur ton
dos et ramène-les au monastère". Peiné et gémissant, il se chargea des plats et les ramène au monastère.
Mais un jour, le Seigneur dit à Pacôme : "Ma patience est à bout. Chasse-les pour sauver tout le troupeau.
Pacôme les réunit et leur dit : "Quand sonnera l'heure de la prière, le travail et le repas, vous viendrez tous
ensemble. Si vous ne voulez pas, vous êtes libres, partez ! " Eux, se regardent les uns les autres, rient et se
disent : "Qu'est-ce qui lui prend à Pacôme aujourd'hui, avec son langage rude ?" Et à l'heure de la prière,
confiants dans la force de leurs muscles, personne ne vint. Lorsque Pacôme vit leur endurcissement et leur
orgueil, il s'enhardit grâce à l'Esprit-Saint qui habitait en lui. Il prend alors un verrou de porte et les chasse
tous du monastère. Ils s'enfuient comme s'ils étaient poursuivis par une troupe ou par un feu.
Ils vont alors se plaindre à l'évêque Sérapion. Ils accusent Pacôme et disent : "Il nous a chassés du
monastère". L'évêque les regarde, il voit leurs muscles et dit : "Il n'a pas pu vous chasser tout seul ! C'est
Dieu qui vous a chassés ! Quel mal avez-vous donc fait ? "
Après le départ de ces frères, les autres font de grands progrès. C'est comme le blé, quand on en arrache
la mauvaise herbe. Et sous l'inspiration du Seigneur, beaucoup d'autres novices arrivent pour remplacer
ces mauvais moines.

6 Vie bohaïrique, 27.


La sœur de Pacôme, qui s'appelait Marie, vient le voir à Tabennes. Pacôme envoie le portier lui dire : "Tu
sais que je suis vivant. Tu ne pourras pas me voir. Mais ne pleure pas. Si tu veux partager ma vie, les frères
te bâtiront une cellule. Le Seigneur appellera d'autres femmes avec toi, et, à cause de toi, elles seront
sauvées". Sa sœur se met d'abord à pleurer, puis elle suit le conseil de son frère. On lui construit une
maison dans le village, à quelque distance du monastère. Beaucoup d'autres femmes viennent vivre avec
elle. Et jusqu'à sa mort, elle restera leur Mère.
Pacôme leur donne une Règle, qui est une copie de la Règle des moines. Il désigne un ancien appelé Pierre,
"à la parole assaisonnée de sel" (Colossiens 4, 6), pour leur expliquer les saintes Ecritures.
Si un frère encore imparfait veut voir une parente chez les moniales, Pacôme, d'accord avec son Econome,
l'envoie chez Pierre. Pierre demande à la Mère de sortir avec la parente et une ancienne. On s'assied tous
ensemble, jusqu'à la fin de la visite. On ne fait pas de cadeau.
S'il y a quelque travail à faire chez les moniales, Pacôme choisit des frères capables et prudents. Ils vont
faire le travail et reviennent pour le repas.
Si une moniale vient à mourir, la Mère la couvre d'un linceul. Pacôme envoie quelques moines vénérables.
Ils se groupent à l'entrée de l'église avec Pierre. Les moniales sont de l'autre côté. Les frères chantent
pendant la toilette du corps. Derrière le chariot, vient la Mère et les moniales, puis Pierre avec les frères.
On enterre le corps, on fait les prières et l'on revient.
Après la mort de Pierre, Pacôme désigne Titoué pour s'occuper des moniales.

7 Vie sahidique, 3.
Un homme qui en engendre un autre dans l'œuvre de Dieu est son Père après Dieu, dans ce monde et
dans l'autre. Notre Père Pacôme mérite d'être appelé Père, parce que notre Père qui est dans les cieux
habite en lui, comme l'Apôtre le confesse de sa bouche disant : "Ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ qui
vit en moi".

8 Vie bohaïrique 59 .
Un jour, Pacôme part en barque avec deux frères pour visiter sa fondation de Tmouchons. À l'heure du
repas, les frères mangent un peu de tout : légumes, fromage, figues, olives. Pacôme prend seulement du
pain avec du sel. Puis il se met à pleurer. Les frères lui demandent : "Pourquoi pleures-tu ? " Il répond :
"Parce que vous n'êtes pas mortifiés. Ce n'est pas un péché de manger, mais il faut être mortifié en tout. Il
faut que rien ne nous domine".
Le soir, il dit aux frères : "Voulez-vous veiller cette nuit ?". Ils acceptent. Bientôt le premier frère tombe de
sommeil et va se coucher. L'autre veille jusqu'à l'aube. A l'aube, il réveille le premier et va se coucher
Pacôme veille avec le premier jusqu'à l'arrivée à Tmouchons.
Le supérieur, Corneille, salue Pacôme. Puis il demande aux frères à voix basse : "Qu'a-t-il fait notre Père ? "
Les frères lui répondent : "Il nous a fait la leçon ! " Puis ils lui racontent l'histoire. Et Corneille s'écrie :
"Comment ? Battus par un vieillard !".
Mais le soir, Pacôme fait venir Corneille et lui dit : "Veux-tu veiller avec moi cette nuit ? Corneille accepte.
Ils se mettent à prier. Toute la nuit passe. Corneille trouve le temps long. Il récite par cœur toutes ses
prières.
Le matin, quand on sonne pour la réunion, Corneille dit à Pacôme : "Pourquoi me donnes-tu cette leçon ?
Pacôme lui répond : "Comment, Corneille ? Battu par un vieillard ! " Et Corneille répond : "Pardonne-moi,
mon Père, j'ai péché".

9 Règle de Pacôme 139-140.


Au nouveau venu au monastère, on apprendra d'abord ce qu'il doit observer Puis, après cette première
instruction, quand il aura consenti à tout, on lui donnera à apprendre vingt psaumes, ou deux épîtres de
l'Apôtre, ou une partie d'un autre livre de l'Ecriture.
S'il ignore les lettres, il ira trouver à la première, à la troisième et à la sixième heure celui qui peut
apprendre et qui lui aura été donné pour cela Il se tiendra debout devant lui et apprendra avec la plus
grande attention, en toute gratitude. Ensuite on lui écrira les lettres des syllabes et on le forcera à lire,
même s'il refuse.
De façon générale, personne au monastère ne restera sans apprendre les lettres ni sans retenir quelque
chose des Ecritures, ne serait-ce au minimum que le Nouveau Testament et le Psautier.

10 Règle de Pacôme 328


(3) Quand on entendra le son de la trompette qui appelle à la synaxe, on sortira aussitôt de sa cellule en
méditant quelque passage des Ecritures, jusqu'à la porte de la synaxe.
(28) Après le renvoi de la synaxe, les frères qui sortent un par un pour se rendre à leur cellule ou au
réfectoire, méditeront quelque passage des Ecriture ; personne n'aura la tête couverte en méditant.

11 Vie bohaïrique 86 .
Un jour, Pacôme prie seul quelque part. Il tombe en extase. Il voit tous les frères dans l'église et Notre
Seigneur est assis sur un trône très haut. Il leur parle des paraboles du saint Evangile. Il voit le Seigneur, il
entend les paroles qu'il dit, et en même temps, il comprend leur explication.
À partir de ce jour, quand notre Père Pacôme adresse la parole aux frères, il occupe la place où il avait vu
le Seigneur assis et parlant aux frères.
Et quand il répète les paroles qu'il a entendues de la bouche du Seigneur et leur explication, de grandes
lumières sortent de ses paroles, et lancent des éclairs brillants.
Tous les frères ont peur à cause des paroles de notre Père Pacôme, car elles ressemblent à des éclairs de
lumière qui sortent de sa bouche. Ils sont comme des hommes ivres de vin.

12 Règle de Pacôme 4-8.


(4) Quand on marchera dans l'église pour se rendre à la place où l'on doit s'asseoir et se tenir debout, on
n'écrasera pas les joncs qu'on a mouillés d'eau et préparé pour le tissage des cordes : ceci afin que la
négligence d'autrui ne soit pas la cause d'un dommage, même petit, pour le monastère.
(5) La nuit, quand le signal se sera fait entendre, ne va pas te tenir près du feu qui est allumé
habituellement pour réchauffer les corps et lutter contre le froid. Ne reste pas assis sans rien faire à la
synaxe, mais prépare d'une main alerte les ficelles qui serviront à tresser les cordes des nattes. Cependant
tu éviteras d'épuiser celui dont le corps est faible : à celui-là on accordera la faculté de s'arrêter de temps
en temps.
(6) Quand celui qui se tient à la première place aura frappé de la main, récitant par cœur quelque passage
des Ecritures pour donner le signal de la fin de la prière, personne ne tardera à se lever, mais tous se
lèveront en même temps.
(7) Que personne ne regarde un frère en train de tresser une corde ou de prier : mais que ses yeux soient
attentivement fixés sur son propre travail.
(8) Voici les préceptes de vie que les anciens nous ont transmis. S'il arrive que pendant la psalmodie, les
oraisons ou les lectures, quelqu'un parle ou rie, qu'il délie aussitôt sa ceinture et qu'il aille se tenir debout
devant l'autel, la tête inclinée et les bras abaissés vers la terre. Il sera réprimandé par le père du
monastère. Puis il répétera cette même pénitence au réfectoire quand tous les frères y seront réunis.

13 Règle de Pacôme 10.


Célébrer les six oraisons du soir comme on le fait dans la grande synaxe qui rassemble tous les frères en
même temps, c'est là la joie suprême : on les célèbre avec tant de facilité que les frères n'y trouvent rien
de pénible, n'en éprouvent aucun dégoût.

14 Vie bohaïrique 114.


Pacôme, un jour, tombe malade. Les anges envoyés pour le chercher enlèvent son âme. Il meurt et on
l'emporte dans l'autre monde.
Il voit le Paradis, avec les villes des saints, et des maisons que l'on ne peut décrire, et tous les biens que le
Seigneur a réservés pour ceux qu'Il aime. Il se souvient de la parabole où il est dit : "Entrez dans la joie de
votre Maître".
Le paradis est si grand que les paysages de la terre paraissent tout petits. L'air est très doux. Des arbres
fruitiers et des vignes donnent des fruits plus beaux que ceux de la terre. On ne supporterait pas le parfum
de ces fruits, si Dieu n'en donnait pas la force. La lumière est très belle et continuelle, car la lumière du
paradis, c'est le Seigneur.
Comme il approchait de la Porte de la Vie, Dieu donne l'ordre de ramener son âme dans son corps.
Pacôme devient triste, parce qu'il ne désire pas revenir dans son corps, car la lumière est merveilleuse.
Un homme qui est chargé de la Porte se penche vers lui pour le regarder. Il est brillant comme un grand
tableau. Il lui dit : "Mon fils, retourne dans ton corps. Il te reste encore à subir un petit martyre dans ce
monde". Pacôme est content, car il a grand désir d'être martyr pour le Seigneur. Les anges lui disent :
"C'est l'Apôtre Paul".
Alors on ramène l'âme dans le corps. Elle le regarde et voit qu'il est mort. L'âme s'approche. Tous les
membres s'ouvrent ; l'âme reprend sa place. Et Pacôme revient à la vie.

15 Vie bohaïrique.
Un des frères m'a demandé : "Parle-nous des choses que tu vois en vision" Et moi, je lui ai répondu :
"Quant aux visions, le pécheur que je suis ne demande pas à Dieu d'en voir, car c'est contre la volonté de
Dieu et c'est une voie d'erreur. Ecoute pourtant, je vais te parler d'une grande vision. Si tu vois un homme
pur et humble, c'est une grande vision ! Quoi de plus grand en effet, qu'une telle vision : voir le Dieu
invisible dans un homme visible, temple de Dieu ?

16 Vie bohaïrique 105


Pacôme dit aux frères : "Je vais vous montrer que la gloire et les mérites de ceux qui vivent bien dans la
Koinìnia sont plus grands que ceux des ermites.
Quand un marchand vend sur le marché, au jour le jour, du pain, des légumes et autres choses, il ne
devient jamais très riche, mais il ne manque jamais du nécessaire. Ainsi en est-il d'un ermite. Il n'a pas la
charge des autres, mais il n'est pas entraîné par leurs exemples. La pureté de sa vie, ses jeûnes, ses prières,
ses mortifications, recevront leur récompense, et l'empêcheront de perdre la vie éternelle. Mais il ne
gagnera pas un rang élevé dans le Royaume des Cieux.
Voici encore une parabole sur les petits frères de la Koinonia, qui ne font pas de grandes mortifications
exagérées, mais marchent simplement dans l'obéissance, la charité, la pureté, selon les règles établies. Les
ermites croient que ces frères n'ont pas la vie parfaite, et qu'ils sont très petits En réalité, ils sont comme
les serviteurs préférés d'un roi : ils entrent et sortent facilement au palais du roi, tandis que les grands
chefs n'entrent pas sans demander aux serviteurs. Ils sont très supérieurs aux ermites, parce qu'ils sont
toujours les serviteurs les uns des autres, comme il est écrit : "Servez-vous les uns les autres dans la
douceur et la patience devant notre Seigneur Jésus-Christ".
Mais je vais vous montrer aussi que les fautes et les chutes de ceux qui ne marchent pas droit dans la
Koinônia font plus de scandale que celles des ermites. Quand un marchand voyage par tous les temps, si
son bateau n'a pas d'accident, il devient très riche. Mais s'il fait naufrage, toute sa richesse disparaît avec
lui. Ainsi le cénobite qui fait des progrès, qui ne scandalise personne, gagne beaucoup de mérites. Mais s'il
scandalise un seul frère, malheur à lui pour sa négligence. Non seulement il a perdu son âme, mais il aura
aussi à rendre compte à Dieu pour cette âme qu'il a scandalisée.

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