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Antoine étant déjà connu nous passons au premier des grands cénobites : Pacôme.
Les 4 règles sont donc des recueils de prescriptions assez secs, ayant pris l'Ecriture comme base, mais
d'une théologie assez rudimentaire, comportant peu de spiritualité. Pourtant de leur ensemble, des Vies et
des autres écrits, on peut tout de même dégager les traits d'une spiritualité pacômienne.
1) Un double aspect
Pour bien la comprendre replaçons-nous dans les conditions de sa genèse. Pacôme naît 30 ans après
Antoine, meurt 10 ans avant lui. Celui que l'on peut considérer comme le fondateur du premier
cénobitisme prend donc son départ en milieu anachorétique. Le cénobitisme n'est pas encore normalisé,
tandis que le monachisme anachorétique, illustré par Antoine a déjà toute une histoire en Egypte.
Pacôme, comme tous ceux qui alors veulent se faire moines, se forme près d'un ermite. Par la suite, son
différend avec son frère Jean vient de ce que celui-ci veut garder la solitude anachorétique, tandis que
Pacôme, fidèle à la voix entendue, veut construire pour d'autres.
Ce contexte de la naissance de ce qui sera un Ordre cénobitique en milieu anachorétique permet
d'entrevoir à la racine du pacômianisme deux aspirations contraires qu'il va falloir faire cohabiter en bon
accord : d'une part, comme chez les Pères du Désert, le souci de la perfection individuelle, chacun
cherchant sa voie selon son tempérament et les appels de la grâce, et d'autre part l'aspect de mise en
commun requis par le cénobitisme.
La solution trouvée par Pacôme, fidèle aux intuitions reçues, sera que chacun se perfectionne soi-même en
servant autrui. Il est convaincu en effet, que nulle perfection individuelle n'est réalisable sur terre ; cet
idéal de perfection ne peut être réalisé que par la communauté des frères : la sainte Koinônia, qui apporte
une aide réciproque dans le combat spirituel.
On a donc ici un premier aspect paradoxal par lequel la spiritualité pacômienne réunit des contraires : la
perfection personnelle s'opère dans la communauté, par le service des frères.
Un autre aspect paradoxal tient à la forte personnalité de Pacôme. Dans la Koinônia pacômienne,
s'adressant fortement à des cénobites, on va trouver quelque chose qui marquait l'anachorèse de Basse-
Egypte où le débutant était formé par un ancien. Pacôme était en effet un homme qui attirait les gens,
quelqu'un sur qui reposait l'Esprit. C'est le désir de se mettre à l'école d'un tel homme qui est à l'origine du
rassemblement de tous ces moines autour de Pacôme. Donc d'un certain côté, comme dans le
monachisme de Basse-Egypte, on trouve là un cénobitisme vertical, car ce qui caractérise le moine
pacômien, c'est d'avoir Pacôme pour Père (Texte 7). Et même plus tard, lorsque l'Ordre prend des
dimensions gigantesques, c'est toujours Pacôme le Père, mais par l'intermédiaire du chef de monastère
choisi par Pacôme. Dans le concret, cet aspect vertical se traduit par toute cette organisation hiérarchique
que nous avons vue.
Et pourtant il faut maintenir l'autre aspect : la spiritualité pacômienne est une spiritualité de la
communauté. Et l'on a là un cénobitisme horizontal. Pacôme dont la conversion a été due à la charité
agissante des chrétiens de Thèbes, est hanté par le souvenir de la communauté primitive de Jérusalem où
l'on mettait tout en commun. Sa vocation, confirmée par le ciel, est de "rassembler tous les hommes". Il
sera le Père de la communauté autant et plus que le Père de ses moines. La communauté de service
mutuel, la sainte Koinônia, aura une place très importante dans la spiritualité pacômienne. Elle sera
l'expression de la charité en acte.
De fait, la charité, fondement de la vie du chrétien, est aussi à la base de l'édifice législatif de Pacôme : on
lit au début des Préceptes et Décisions : "La plénitude de la Loi c'est la charité". Celle-ci ayant pour double
objet Dieu et les frères, la spiritualité pacômienne se développera selon les deux axes : union à Dieu et
union aux frères.
2) Union à Dieu
D'abord l'union à Dieu. Pacôme était un homme animé par l'Esprit, un homme de prière capable de rester
en prière toute une nuit, et même plusieurs. Bien des passages des Vies en témoignent. Par exemple :
(Texte 8). Aussi attache-t-il une grande importance à l'union à Dieu. Pour la favoriser les Règles insistent
surtout sur l'Ecriture et l'Office commun. Sans oublier l'ascèse, car Pacôme, en homme pratique et
expérimenté, sait bien que cette rencontre avec Dieu ne peut se réaliser sans un renoncement à tout ce
qui n'est pas Dieu : le monde et ses proches, et plus profondément, sans le renoncement à sa volonté
propre, source du péché. Tous ces éléments sont à prendre en compte : ils contiennent l'essence de la
conversion monastique.
A) L'Ecriture.
Prière et lecture de la Bible sont liées dans la spiritualité pacômienne. A cette époque les gens avaient une
très grande mémoire. Dès son arrivée au monastère le novice doit d'abord apprendre à lire ; ceci dans le
but d'apprendre par cœur certains passages de la Bible de façon à pouvoir les méditer (Texte 9).
"Méditer", dans ces premiers temps, ce n'est pas réfléchir sur un texte, mais plutôt le ruminer, soit par une
récitation de mémoire, soit par une lecture à mi-voix. Le moine pacômien doit méditer la Parole de Dieu à
toute heure, en se rendant à l'office, au réfectoire ou à sa cellule, en allant au travail et en travaillant
(Texte 10).
L'Ecriture est la Règle de vie du moine pacômien. Elle est commentée trois fois par semaine par ses divers
supérieurs, et après avoir écouté leurs explications, il partage avec ses frères ce qu'il en a retenu, avant
d'entrer dans sa cellule pour la méditer. Les Vies de Pacôme nous ont conservé sous manière imagée,
l'impression profonde que produisait sur les frères la parole de Pacôme lorsqu'il commentait l'Evangile
(Texte 11).
B) L'Office divin.
Il comportait deux réunions à l'église appelées "synaxes" (de sun = avec, et ago = aller), une de jour, et une
de nuit, sans doute assez longues ; de plus le soir il y avait une réunion de prière, mais cette fois non plus à
l'église mais dans chaque maison.
Les deux grands offices à l'église étaient très simples et même rudimentaires, peu différents de la prière
privée : on y récitait des psaumes ou des passages de l'Ecriture que l'on faisait alterner avec des Pater et
des prières silencieuses. Ils duraient longtemps, mais on n'y restait pas oisif : les mains s'occupaient à un
travail léger comme tresser des cordes ou faire des nattes avec des joncs ; les Règles en témoignent (Texte
12).
Mais bien que simples, ces offices avaient pour les pacômiens une grande importance : c'était une
communion dans la prière qui prenait pour eux une valeur toute spéciale. Leur foi était grande en effet
dans la parole du Seigneur : "Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux".
La prière du soir, dite à la maison, était plus simple : six psaumes et six oraisons. Voici en quels termes les
Règles en parlent (Texte 13).
7 Vie sahidique, 3.
Un homme qui en engendre un autre dans l'œuvre de Dieu est son Père après Dieu, dans ce monde et
dans l'autre. Notre Père Pacôme mérite d'être appelé Père, parce que notre Père qui est dans les cieux
habite en lui, comme l'Apôtre le confesse de sa bouche disant : "Ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ qui
vit en moi".
8 Vie bohaïrique 59 .
Un jour, Pacôme part en barque avec deux frères pour visiter sa fondation de Tmouchons. À l'heure du
repas, les frères mangent un peu de tout : légumes, fromage, figues, olives. Pacôme prend seulement du
pain avec du sel. Puis il se met à pleurer. Les frères lui demandent : "Pourquoi pleures-tu ? " Il répond :
"Parce que vous n'êtes pas mortifiés. Ce n'est pas un péché de manger, mais il faut être mortifié en tout. Il
faut que rien ne nous domine".
Le soir, il dit aux frères : "Voulez-vous veiller cette nuit ?". Ils acceptent. Bientôt le premier frère tombe de
sommeil et va se coucher. L'autre veille jusqu'à l'aube. A l'aube, il réveille le premier et va se coucher
Pacôme veille avec le premier jusqu'à l'arrivée à Tmouchons.
Le supérieur, Corneille, salue Pacôme. Puis il demande aux frères à voix basse : "Qu'a-t-il fait notre Père ? "
Les frères lui répondent : "Il nous a fait la leçon ! " Puis ils lui racontent l'histoire. Et Corneille s'écrie :
"Comment ? Battus par un vieillard !".
Mais le soir, Pacôme fait venir Corneille et lui dit : "Veux-tu veiller avec moi cette nuit ? Corneille accepte.
Ils se mettent à prier. Toute la nuit passe. Corneille trouve le temps long. Il récite par cœur toutes ses
prières.
Le matin, quand on sonne pour la réunion, Corneille dit à Pacôme : "Pourquoi me donnes-tu cette leçon ?
Pacôme lui répond : "Comment, Corneille ? Battu par un vieillard ! " Et Corneille répond : "Pardonne-moi,
mon Père, j'ai péché".
11 Vie bohaïrique 86 .
Un jour, Pacôme prie seul quelque part. Il tombe en extase. Il voit tous les frères dans l'église et Notre
Seigneur est assis sur un trône très haut. Il leur parle des paraboles du saint Evangile. Il voit le Seigneur, il
entend les paroles qu'il dit, et en même temps, il comprend leur explication.
À partir de ce jour, quand notre Père Pacôme adresse la parole aux frères, il occupe la place où il avait vu
le Seigneur assis et parlant aux frères.
Et quand il répète les paroles qu'il a entendues de la bouche du Seigneur et leur explication, de grandes
lumières sortent de ses paroles, et lancent des éclairs brillants.
Tous les frères ont peur à cause des paroles de notre Père Pacôme, car elles ressemblent à des éclairs de
lumière qui sortent de sa bouche. Ils sont comme des hommes ivres de vin.
15 Vie bohaïrique.
Un des frères m'a demandé : "Parle-nous des choses que tu vois en vision" Et moi, je lui ai répondu :
"Quant aux visions, le pécheur que je suis ne demande pas à Dieu d'en voir, car c'est contre la volonté de
Dieu et c'est une voie d'erreur. Ecoute pourtant, je vais te parler d'une grande vision. Si tu vois un homme
pur et humble, c'est une grande vision ! Quoi de plus grand en effet, qu'une telle vision : voir le Dieu
invisible dans un homme visible, temple de Dieu ?