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UFR d’histoire
janvier 1999
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3
INTRODUCTION
Des comités de soldats sont apparus et se sont développés en France dans les années
Parallèlement aux comités de soldats, il exista des comités antimilitaristes civils, des
pas ici question d'aborder la globalité des mouvements contre l’armée dans cette période.
Il s'agit d'essayer de rendre compte de ce qui s'est passé au sein de l'armée elle-même. De
la même manière, les mouvements similaires qui se sont développés dans d'autres pays
Les premiers comités de soldats sont apparus à partir de la fin de l’année 1973 et se
sont éteints progressivement à la fin des années 70. L'ampleur de la période considérée et
des sources à exploiter, m'ont poussé à limiter mon travail à la première partie de cette
histoire. On peut distinguer une première phase de 1974 à 1975, d’une deuxième qui
s’étendrait de 1976 à la fin des années 70. Effectivement, la répression qui fut engagée à
la fin de l'année 75 contre les comités de soldats, constitua une étape décisive de ce
mouvement, après laquelle il fallut se réorganiser, repenser cette activité, changer les
Les années précédant 1974 virent se réunir les conditions propices à l'apparition de
comités de soldats. Mais ce fut véritablement l’Appel des cent, rendu public le 16 mai
1974, qui fut l’acte de naissance du mouvement et qui lança le développement des comités
de soldats. A l’autre bout de la période étudiée, on peut considérer que le 8 mars 1976
symbolisa la fin de « l’affaire de la Cour de Sûreté de l’Etat », les derniers inculpés encore
détenus furent alors libérés. C’est pourquoi mai 1974 et mars 1976 sont les frontières
4
Il y a eu quelques tentatives de synthèses déjà effectuées sur les comités. Le
mémoire de DEA d'Alain Texier fait en 1978 sur Les manifestations d'antimilitarisme à
l'occasion de l'affaire des comités de soldats ne porte que sur le discours des comités. Le
document non publié de synthèse de l’activité de la LCR dans les casernes rédigé par
Charles Paz en 1992 rend compte des débats et des conceptions de la LCR et assez peu
des comités de soldats en tant que tels. Enfin, le chapitre consacré au mouvement des
soldats dans l'ouvrage de Patrick Mars et Bernard Docre fait en 1979, Dossier M... comme
militaire, est assez complet mais il est aussi assez lapidaire et contient quelques erreurs.
L’une des difficultés pour étudier ce mouvement est qu’il fut clandestin et que les
J’ai utilisé quatre types de sources : celles émanant directement des comités de
syndicales ou antimilitaristes liées aux comités, la presse et enfin les entretiens effectués
Les comités ont laissé différentes sortes de traces écrites. La principale d’entre elles
fut les bulletins. A partir de la fin de l’année 1974, il n’y eut plus un seul comité digne de
ce nom sans bulletin. Destinés à la masse des soldats, ils furent la voix officielle et réelle
des comités. Pour faire mon étude, j'ai pu disposer de 197 bulletins, c’est-à-dire d'une
nette majorité des feuilles de comités qui ont été sorties durant ces deux années1. Pour
moitié ces bulletins proviennent des archives de la LCR, pour l'autre des archives
mouvement. J’ai pu en retrouver une partie, mais ces textes étaient les plus sensibles et
1
si on estime qu’il y eut entre 80 et 100 comités qui publièrent 2, 7 bulletins en moyenne, comme
on le verra au chapitre 5
5
Les organisations civiles liées au mouvement des soldats ne furent pas avares de
textes. On peut ainsi disposer d’un certain nombre de livres et de brochures qui furent
publiés à l’époque sur ce sujet, donnant essentiellement le point de vue des organisations
en question, mais contenant également des informations sur les comités eux-mêmes. J'ai
de débats...).
La presse constitue une source irremplaçable pour ce qui concerne la chronique des
période étudiée, notamment pour ce qui concerne la répression au sein des casernes. Le
Monde est le deuxième organe de presse indispensable pour tous les principaux
Enfin j'ai eu recours à des entretiens avec les protagonistes de ce mouvement, dont
qui j’en ai demandés ont accepté sans y voir d’inconvénients. Dans la plupart des cas, la
mémoire s’est estompée avec le temps et les souvenirs sont flous. Mais ces entretiens
général, contiennent des anecdotes intéressantes et sont critiquables par comparaison entre
eux et par confrontation avec les autres sources. Je n'ai cependant pas réussi à en organiser
suffisamment et ces entretiens ont essentiellement eu lieu avec des (ex) membres de la
LCR et membres du dispositif central. Je ne dispose donc que de peu d'entretiens avec des
6
L’un des principaux problèmes est de ne pas avoir eu suffisamment accés au point
avaient-ils ? Comment étaient pensées leurs réactions et leurs réponses ? A toutes ces
questions, je n'ai pu répondre que par déductions et en m'appuyant sur les quelques
documents dont je disposais. Chaque année des "rapports sur le moral des troupes" étaient
rédigés dans chaque unité et la Sécurité Militaire produisit de nombreux documents très
précis d’analyse de la situation, qui concernent le cœur de mon mémoire. Je n'ai hélas
extrêmement riche et détaillée s’ils étaient disponibles. Lorsque cela sera le cas, il est fort
exhaustive.
J’ai par ailleurs disposé de très nombreuses sources de la LCR (entretiens, presse,
documents internes). Cela reflète la réalité des investissements des uns et des autres, et la
soldats. Mais il a fallu en permanence prendre garde à ne pas sous-estimer la place des
la dimension strictement politique. Cela n’a pas été facilité par la rareté des documents de
Les comités de soldats n'ont laissé que peu de souvenirs. Seuls quelques-uns se
rappellent qu’il y en a eu en France dans les années 70, les autres ont, soit oublié, soit n’en
Pourtant il y eut bien des dizaines de comités de soldats en France dans les bases et
les casernes, qui s’affrontèrent avec la hiérarchie militaire. Il y eut bien un mouvement
de 1974, une contestation sans précédent s’est développée au sein de la “Grande Muette”.
Malgré cela, ce mouvement a été oublié. Aucune étude universitaire ne lui a été
Tout au long de ces années, deux visions antagonistes s’affrontaient sur la réalité
des comités de soldats. Les opposants aux comités de soldats, au premier rang desquels le
des comités parlaient d’un « puissant mouvement des soldats »1, mouvement large qui
de rendre compte le plus fidèlement et le plus globalement possible de ce que furent ces
La clarté de cet exposé nous amène à différencier deux dimensions liées mais
distinctes.
Ils constituèrent un mouvement, avec ses débats propres, ses initiatives nationales, ses
rythmes d’évolution, un impact précis sur la société, et pour en rendre compte, une étude
chronologique s’impose.
s’organisaient, toute une activité méconnue, mais pourtant réelle et profonde. Le temps
celui de leur mouvement national, rythmé par des échéances. Le caractère même de la vie
1
Armée, des comités au syndicat de soldats, “Coup pour coup” n°4, Suppl. à Rouge n°333, janvier 1976
p. 7
8
cette spécificité du mouvement des soldats. C’est pourquoi il est possible de se pencher
sur les comités de soldats de manière transversale et d’essayer d’en établir une typologie.
9
PROLOGUE
contexte du début des années 70. Dans un climat social combatif, marqué notamment par
multiples formes de contestation, dont les comités de soldats furent la suite et peut-être
l'aboutissement.
• un contexte propice
tiers, enregistré la croissance industrielle la plus forte d'Europe (6,3 % l'an) et élevé son
niveau de vie de 25 %1. 1974 marqua l'entrée dans la crise, mais les salariés et les
militants de l'époque restèrent imprégnés par cette période d'expansion, qui vit les
richesses s'accroître sans que tous en bénéficient de manière équivalente. Cette situation
favorisa les luttes dans les entreprises et les premiers temps des années 70 furent marqués
par des mobilisations sociales fortes dont celle de LIP fut la plus symbolique.
persistèrent dans les universités alors que les groupes « gauchistes » y occupaient le
des CAL, les multiples mobilisations locales expliquèrent la force de la réaction contre la
mise en place de la loi Debré et la réforme des DEUG en 1973. La jeunesse avait été
profondément marquée par mai 68, elle était moins disposée à accepter les diverses
formes d'autoritarisme et plus encline à la contestation. Depuis une dizaine d’années elle
1
Serge BERSTEIN, Jean-Pierre RIOUX, La France de l'expansion, vol.2 L'apogée Pompidou, 1969-1974,
Nouvelle histoire de la France contemporaine vol.18, collection Points Seuil, Ed. du Seuil, Paris,
1995
10
avait développé des formes culturelles qui lui étaient propres et qui étaient aux antipodes
de la culture militaire.
les grands partis de gauche rencontrèrent des difficultés au début des années 70, au moins
jusqu'au congrès d'Epinay pour le PS et dans tous les cas, jusqu'aux élections législatives
de 1973, ils étaient en phase de reconquête vers 1973-1974 et l'extrême gauche était
encore dynamique. Les groupes maoïstes avaient moins bien résisté à l'épreuve du temps,
guerre entre elles et développaient une activité débordante dans de nombreux secteurs de
la société.
Face à ce nouveau paysage politico-social, l'armée semblait issue d'un autre temps.
Forte de près de 700 000 hommes, dont 275 000 appelés1, elle restait une des armées les
plus strictes d’Europe et la discipline la plus rude y régnait. Il existait une nouvelle
l’encadrement des soldats était souvent assuré par des sous-officiers et des officiers frustes
et issus des guerres coloniales (qu’ils y aient directement participé ou qu’ils aient été
formés dans le souvenir des défaites successives). De plus, leur malaise face au peu de
considération dont ils étaient l’objet renforçait leurs tendances autoritaires vis-à-vis des
appelés.
spécifique vie de caserne n’avait pas changé d’un iota : « l’ennui quotidien dans le ron-ron
administratif »2. Comment définir la vie d’un soldat ? « Son arme est le balai ; son
horizon, l’alignement des sections ; son loisir, la bataille de polochons ; son espoir, la
1
Les luttes des soldats, n°5 de la “Série travailleurs en lutte”, 1974, p. 6
2
Bulletin de recherches métaphysiques et morales, n° spécial de La Caserne, oct/nov 1973, p. 5
11
prochaine permission. »1 Jacques Isnard2 parlait en octobre 74 d’un « quotidien de plus en
plus terne et décevant pour les cadres comme pour les appelés »3.
événements en tant que tels, il n’y eut quasiment pas de contestation dans l’armée. A
l’exception de quelques petits actes de sabotage et du très isolé « appel du 153e RIMECA
de Mutzig »4, initié par un militant de la JCR5, qui annonçait que les soldats
travail créateur »6, aucune initiative significative ne fut prise au sein du contingent.
Dans les années qui suivirent, d’autres initiatives du même type furent prises dans
les casernes. Une affaire fit un peu de bruit en 19707. Trois soldats8, militants de la LC,
moral des troupes ». La campagne de soutien qui fut organisée rencontra un certain écho.
Autour d’une pétition lancée par des intellectuels, d’un tract tiré à 400 000 exemplaires et
d’un affiche tirée à 50 000 exemplaires, cette campagne eut pour point d’orgue la journée
du procès, le 6 février 1970, pour laquelle des manifestations se tinrent, ainsi qu’une
Dans la même veine en 1971, un militant des JC, Jean-Jacques Martin, refusa de
conduire un camion pendant la grève du métro et fut pour cela condamné à six mois de
1
François MALBOSC, Civils si vous saviez…, Cahiers libres n° 328, Maspéro, Paris, 1977, p. 19
(François Malbosc est en fait pseudonyme derrière lequel se trouve un collectif de responsables
d’Information pour les droits des soldats (IDS))
2
journaliste du Monde spécialisé dans les questions militaires
3
Le Monde, 12/10/98
4
sur cet événement voir : Charles PAZ, 20 années de combat antimilitariste des marxistes révolution-
naires en France de 1968 à 1981, 1992, p. 6-10 et Qu’est-ce que l’antimilitarisme révolutionnaire ?, Ed. la
PEC, Montreuil, 1981, p. 12
5
la Jeunesse Communiste Révolutionnaire (JCR) fut dissoute en 1968 et fit place à la Ligue
Communiste (LC) (fusion avec le PCI et scission avec ceux qui allaient créer Révo), elle-même
dissoute en 1973, elle fut remplacée par le Front Communiste Révolutionnaire (FCR), qui laissa la
place à la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) en octobre 1974. Donc une succession de
quatre sigles pour des organisations globalement semblables.
6
Alain DELALE, Gilles RAGACHE, La France de 68, Ed. du Seuil, Paris, 1978, p. 131
7
Charles PAZ, op. cit. p. 12-14
8
Serge Devaux, Michel Trouilleux et Alain Hervé
12
prison1. Huit militants furent inculpés en septembre 1972 à Sedan pour activité
antimilitariste2. Ce n’étaient alors que des coups d’éclat isolés, à simple valeur
démonstrative.
l’intérieur de l’armée. Ce fut le début d’une lutte qui devait s’étendre sur plusieurs années,
celle contre l’extension d’un camp militaire au Larzac. Tous les ans à partir du 9 mai
1971, des rassemblements regroupant des paysans et l’extrême gauche furent organisés
sur le plateau du Larzac jusqu’en 1975, les deux principaux rassemblements ayant lieu en
1973 et 1974.
C’est de la même époque que date le début d’un mouvement des objecteurs de
des années 70. Que ce soit par décisions individuelles ou par choix politiques (notamment
pour les anarchistes ou pour des militants du PSU3), c’était pour beaucoup d’entre eux la
manière avec laquelle ils exprimaient leur rejet de l’armée. Un décret d’août 1972,
permettant d’affecter les objecteurs à l’Organisation nationale des forêts, avait accéléré le
constitués sur ces questions (CSOC pour les objecteurs, CSI ou GIA pour les insoumis,
GARM à Lyon, GIT à Bordeaux, GIC à Paris…5). Les trotskystes, à l’exception de Révo
qui, par le biais du Comité Antimilitariste (CAM), s’en faisait volontiers le porte-parole,
Lénine, il convenait de faire son service et d’apprendre à se servir des armes dans la
mesure où « une classe opprimée qui ne s’efforcerait pas d’apprendre à manier les armes,
de posséder des armes, ne mériterait que d’être traitée en esclave »6. Cela n’empêchait pas
un soutien, notamment dans les nombreux cas de répression, et de l’autre côté, les
1
Rouge n°275, 22/11/74
2
Crosse en l’air n°0, janvier 1973 p. 7
3
Bernard RÉMY, L’Homme des casernes, Cahiers libres n°306-307, Maspéro, Paris, 1975, p. 161
4
La CGT et l'armée, Suppl. au Peuple n°971, ICC, Paris, mai 1975, p. 28
5
voir le détail dans le glossaire
6
LÉNINE, Le programme militaire de la révolution prolétarienne, T.23 des Œuvres complètes, Ed.
Sociales, Paris, 1977, p. 88
13
insoumis et les objecteurs ne se situaient pas en opposition aux comités de soldats et
En 1972, la LC, puis plus tard avec de moindres forces l’OCR2, opérèrent un
choses à faire dans le contingent, la LC donna dorénavant pour consigne à ses militants de
faire leur service et créa en octobre une structure au départ très faible : le Front des
clandestin de la LC dans l’armée. Elle devait être suivie l’année d’après par la création de
comités antimilitaristes civils. Révo fut à l’initiative des Comités AntiMilitaristes (CAM),
publiant Lutte Antimilitariste, qui tinrent leurs assises en décembre 1972, alors que la LC
créa peu après le Comité de Défense des Appelés (CDA) qui sortit le premier numéro de
Crosse en l’air en janvier 1973. Ces comités furent très actifs dans les deux années qui
suivirent et même si leur importance décrut avec le développement des comités de soldats,
jusqu’à disparaître en 1976, ils gardèrent durant ces deux années un rôle à part entière
l’ordre » en cas de conflits sociaux4. Cette brochure produisit un effet important et toute la
1973 ne fut pas une bonne année pour l'institution militaire. En février et mars, en
1
Bernard RÉMY op. cit., p. 149-152
2
Organisation Communiste Révolution=Révo
3
voir les plate-formes du FSMAR et de l’ARS, annexes 21 et 22
4
Le contingent et la guerre civile, deux documents militaires, Suppl. à Rouge n°143, novembre 1972
14
avions et la mort de 68 personnes1. L'utilisation de l'armée lors des conflits sociaux était
devant de la scène2. Le 10 juin 1970, la loi Debré était votée. Cette loi visait à restreindre
l’accès aux sursis pour les appelés et entrait en vigueur à partir de janvier 1973. De février
à avril, des dizaines de milliers de manifestants (200 000 le 22 mars, 300 000 le 2 avril)
n’obtint pas gain de cause, mais ce mouvement sensibilisa de larges franges de jeunes à
l’antimilitarisme, jeunes qui, pour beaucoup, firent leur service militaire entre 1974 et
confirmé par la présence de soldats du FSMAR dans la manifestation syndicale du 1er mai
suivie d’un sit-in, pour la mort de deux d’entre eux à la suite d’un accident le 14 août3.
l’armée. Pour l’extrême gauche, cela confirmait la nécessité, même en 1973, de faire la
révolution, de briser l’appareil d’Etat pour pouvoir changer de société. Le mouvement des
le GARM, le GIA et le PSU4 vont les premiers tenter d’en organiser la forme. Ils
1
L’armée et les luttes de classe, “Parole et société” n°1, jan-fév 75, p. 31
2
Gérard VINCENT, Le peuple lycéen, enquête sur les élèves de l’enseignement secondaire, Gallimard,
Paris, 1974, p. 449-481
3
Crosse en l’air n°3, p. 6
4
Bernard RÉMY op. cit. p. 165
15
regroupèrent en janvier 1974 au sein d’une coordination des « groupes »1 de soldats du
brochure interne assez détaillée, visant à préparer les militants et les sympathisants du
Deux événements vont marquer le début de l’année 1974. Le 24 janvier, huit soldats
trouvèrent la mort lors d’un stage commando au centre de Margival3. Ils furent fauchés
par un train alors qu’ils traversaient le tunnel de Chézy-sur-Marne la nuit. Cet accident
suscita une très vive émotion dans le pays et relança le débat sur la sécurité, les stages
commandos et le « droit aux 7 % de pertes » en vies humaines. Dans les deux années qui
Un peu plus de deux semaines plus tard, le 10 février, quatorze soldats mis aux
arrêts se révoltèrent à Metz pour protester contre leurs conditions de détention. Après
avoir détruit tous les objets qu’ils avaient dans leur cellule, ils firent brûler leurs draps,
avant que les pompiers ne forcent la porte et ne maîtrisent les soldats. Les antimilitaristes
Peu avant l’Appel des cent, c’est par la répression que l’action de comités de soldats
nouvellement apparus se fit connaître. Le principal comité qui surgit dans cette période fut
celui de Toulon, comité regroupant quelques dizaines de marins, influencé par le FCR et
qui publia Col Rouge à partir d’avril 19745. Quatre marins furent peu après mis aux arrêts,
parallèlement à des soldats du 1er GCM de Reims, du 503e RCC de Mourmelon et du CEC
1
archives LCR-1.3
2
Bulletin de recherches… op. cit.
3
voir sur cet événement, La Commission d’enquête populaire sur les morts de Chézy témoigne, Maspéro,
Paris, 1974
4
La Caserne Informations, 15 février 1974
5
annexe-8
16
de Pont-Saint Vincent. A Mourmelon, une centaine d’appelés avaient collectivement
refusé de marcher au pas à la suite de brimades racistes d’un sergent. En tout une
que quelque chose se passait dans les casernes. Les comités qui apparurent alors étaient
de soldats du FSMAR aux côtés du CAM et du CDA lors de la manifestation du 1er mai,
permit également d’affirmer plus clairement que le contingent était partie prenante de la
contestation sociale.
Des forces furent donc accumulées au début des années 70, tout particulièrement à
partir de 1973. Il manquait alors une initiative permettant de fédérer l’activité déjà
existante et d’impulser de nouveaux comités, plus larges. L’Appel des cent joua ce rôle.
1
archives personnelles-12, p. 2
17
I. De l'Appel des cent à la Cour de Sûreté de l'Etat :
Etudier le mouvement des comités de soldats sur deux années, c’est peu et c’est
beaucoup à la fois.
C’est peu dans la mesure où cette histoire eut une genèse riche et complexe qu’un
prologue ne permet que de survoler. C’est peu aussi dans la mesure où le mouvement ne
s’est pas éteint pas à partir de 1976 mais a plutôt changé de formes et d’acteurs. Cette
1976, les comités de soldats sont apparus, se sont développés, ont été réprimés. Leur
mouvement a connu une succession de phases, rythmées par des échéances et par des
débats, et à chaque nouvelle étape, le mouvement des soldats était en question. C’est
dynamique et la portée.
On peut décomposer en trois périodes ces deux premières années des comités des
L’explosion de début 75 suivie d’une phase longue de stabilisation jusqu’à la rentrée 75.
18
Ch. 1 : L'euphorie des premiers temps (mai 74 - janvier 75)
Jusqu’au début de l’année 1975, les comités de soldats en tant que tels sont assez
peu nombreux. Mais la période qui s’étend du 17 mai 1974 au 8 janvier 1975 permit le
regroupement de soldats et l’accumulation de forces pour les mois qui suivirent. Deux
initiatives permirent cela. L’Appel des cent offrit une plate-forme revendicative au
mouvement des soldats naissant, tout autant qu’un outil pour militer dans les casernes. La
organisée, le premier tour fixé au 5 mai, le deuxième au 19. Comme on l'a vu, lors de la
campagne fut organisée une répression notamment contre le comité de soldats de Toulon,
et le FSMAR manifesta dans la rue le 1er mai. Mais la question antimilitariste fut
également posée par Alain Krivine, alors candidat aux élections, qui, lors d'un passage fin
avril à la télévision, fit une déclaration qui engendra une vive réaction de la part de Robert
l'insubordination :
« Constituez alors des comités de soldats dans les casernes, dans les bases, sur les
bateaux. Partout imposez la conquête de vos droits élémentaires. (…) Soldat, marin,
1) Publication de l’appel
1
Quotidien Rouge n°8, 1/5/74
19
Deux semaines plus tard, le 16 mai, une lettre ouverte de 100 soldats adressée aux
deux candidats présents au deuxième tour de l'élection présidentielle était publiée dans
Libération et dans Rouge, le lendemain il en était fait écho dans Le Monde1. Ces soldats
La force de cet appel était double. En premier lieu, pour la première fois, des soldats
non-négligeable dans la loi du silence qui règne habituellement autour de l'armée. Son
deuxième point fort était qu'il énonçait de manière assez exhaustive les revendications
portées dans les casernes. Des plus simples exigences, comme le libre choix de la date et
hebdomadaires, à des exigences plus poussées et plus politiques comme la solde égale au
le mouvement naissant dans les casernes. Cette lettre ne contenait pas d'appel à la
bourgeoisie), ce qui était pourtant le cœur de la pensée des initiateurs de cet appel. Mais
c'est sans doute cela qui a permis l'ampleur des signatures qui se sont multipliées pendant
plusieurs mois dans les casernes et qui ont largement dépassé les signatures des seuls
militants.
Cela n'apparut pas dans la presse de l'époque, mais cette initiative a été décidée,
préparée à l'avance3 et mise en place par le FCR. Sur les 100 signataires, plus de 80 en
1
Le Monde, 17/5/74
2
voir l’Appel des cent, annexe-11
3
entretien-1, p. 4
4
Charles PAZ op. cit. p. 23
20
« On l'a pensé, c'est un calcul qu'on a fait, parce que c'était chaud donc il fallait une
initiative centrale, une initiative provocante, avec prise de risques, donc on a pensé à ça :
une plate-forme, des soldats qui signent, qui jettent le masque, un défi quoi, une épreuve
de force. Et ça a marché. »1
préparation de cet appel3 par les fortes concentrations dans certaines casernes, et de la
réalité de l'implantation des comités de soldats et des militants du FCR dans l'armée. 19
l'existence de comités de soldats4, pour les autres il semble que cela ait été essentiellement
des militants politiques du FCR. Deux traits tout à fait particuliers marquent cette liste de
signataires. Alors que plus tard ils seront quasiment absents du mouvement des soldats, ils
sont ici 30 % à être dans la marine. Le deuxième point spécifique, qui ne durera pas non
plus, est l'importante place des gradés : 5 caporaux, 2 sergents et 1 maréchal des logis,
L'Appel des cent resta une référence permanente pour le mouvement des soldats en
premier lieu à cause de la réussite de la campagne de signatures qui suivit : 100 au 16 mai,
400 au 14 juin, près de 1000 au 5 juillet, plus de 2000 au 16 aôut, 3000 au 13 septembre et
près de 4000 enfin au 25 octobre5. Il ne pouvait plus être question d'un complot de
quelques gauchistes, cela exprimait à l'évidence quelque chose de plus profond. Dans
certaines casernes des dizaines d'appelés signèrent l'appel, comme au Mans où ils furent
2006. Cette campagne de signatures fut la base de l'activité des militants du FCR et de
Révo dans les casernes jusqu'à la fin de l'année 747. Elle offrait l'outil dont ils avaient
1
entretien-2, p. 16
2
Quotidien Rouge, 16/5/74
3
entretien-1, p. 4
4
regroupés autour de Col Rouge à Toulon et de On est d'dans au 4e RIMA
5
Rouge
6
Rouge n°256, 14/6/74
7
entretien-1, entretien-3
21
besoin pour concrétiser une activité de contestation de l'armée dans l'armée. Le comité de
marqué la caserne, il est unificateur. Face aux multiples tentations, conduisant pour la
thème unificateur du comité naissant, en même temps qu’il opèrera une première sélection
disposés à agir (et ils sont nombreux). En même temps qu’il forcera beaucoup de ses
participants à se tourner vers les masses, dans lesquelles on baigne mais dont beaucoup
ont tendance à s’isoler pour se retrouver entre éléments “politisés”. Il réussira largement à
soutien de 2500 personnes3 fut organisée le 5 juin. Des sections syndicales soutinrent
« Nul ne peut aujourd’hui sous-estimer l’ampleur des transformations que cet appel
suscite dans les conditions de lutte dans les casernes. (…) là où les divisions introduites
par l’institution séparent les soldats et les isolent, l’Appel introduit un élément de
1
annexe-10, p. 6
2
Rouge n°253, 24/5/74
3
Rouge n°255, 7/6/74
4
Rouge n°254, 31/5/74
5
Rouge n°255, 7/6/74
6
Rouge n°256, 14/6/74
7
Rouge n°256, 14/6/74
22
d’Achille de l’organisation militaire de la bourgeoisie (…) l’Appel des cent constitue par
Du côté de la gauche, le PS resta très discret vis-à-vis de l'Appel des cent. Le PCF
au contraire n'y resta pas indifférent. Il ne reconnut pas explicitement cet appel,
ouverte au ministre de la défense, rédigée par 200 soldats (dont cinq sous-officiers du
de ces militaires fut rapide et modulée suivant les degrés d’implication. A l’assemblée
nationale, le PCF prit la défense de ces appelés et demanda au Ministre de lever les
sanctions3.
A son congrès extraordinaire d'octobre 1974 un point spécial fut fait sur la situation
soldats » signée par 532 militaires fut adressée au congrès4, reprenant en substance les
service militaire (leur) paraît un élément fondamental d'une armée nationale. (Ils avaient)
des raisons de penser que le traiter d'inutile ou crier « à bas l'armée » (c’était) favoriser la
propagande pour l'armée de métier, les entreprises qui tendent à isoler les militaires du
peuple. Ce qu'il (fallait), par contre, (c’étaient) des réformes positives. ». La lettre se
concluait par quelques questions générales sur la situation du contingent et sur les
1
Les luttes des soldats, n°5 de la “Série travailleurs en lutte”, 1974, p. 2
2
Le Monde, 31/8/74
3
JO, débats Assemblée nationale, séance du 9 octobre 1974, p. 4896-4897
4
L’Humanité, 28/10/74
23
positions du PCF en la matière, auxquelles Paul Laurent1 répondit. Pas un mot n'était dit
revendicative pour les soldats : le « statut démocratique du citoyen-soldat »2, qu'on retint
certaines d'entre elles. Ainsi l'incorporation devait pouvoir se faire librement non plus
entre 18 et 25 ans mais entre 18 et 22 ans, de même le prêt exigé n'était pas égal au SMIC
mais à 20 % du SMIC. Rien n'était dit sur la justice militaire, ni sur les engagés, ni sur la
longuement des éléments censés améliorer le quotidien dans les casernes et la réinsertion
démagogique utilisés par les groupes gauchistes », visait à fournir une référence au
mouvement des soldats. Elle n'y parvint pas pour le mouvement des soldats mais le statut
Du côté de Révo, les réactions à l'Appel des cent furent contrastées. Lors de sa
sortie, Lutte Antimilitariste le fit paraître dans ses colonnes et souligna « l'importance » et
soutenaient) pleinement cette lettre des 100 (et) la (feraient) connaître le plus largement
possible »4. Cependant le CAM soulignait également dans sa plate-forme de janvier 1975
que « sa relation mal préparée et trop limitée avec le mouvement antimilitariste civil, sa
1
responsable des questions militaires
2
annexe-23
3
Proposition de loi du PCF n°1458 annexée au PV de la séance du 19 décembre 1974
4
Lutte Antimilitariste n°15, mai-juin 1974
24
dont il risque de faire sacrifier les règles de sécurité (…) constituent de nombreuses
limites »1.
violent contre l'Appel des cent, le CDA et le FCR. Ce dernier se vit accusé de « tenter
objectivement de couper court au développement d'un mouvement des soldats dur sur des
du CDA accusés d'être les « larbins gauchistes » des « réformistes ». Sur le fond, le CAM
de Nancy considèrait l'appel des 100 comme un texte « purement corporatiste » qui
« revient à améliorer l'armée, à gommer les bavures, bref à la rendre plus efficace », c'est
impardonnables. Il (aurait fallu) mettre en garde les soldats contre l'Appel des cent » Ce
Avant tout, le CAM et Révo étaient alors préoccupés par leur propre initiative : un
rassemblement contre un camp militaire à Canjuers les 13 et 14 juillet. Dans la lignée des
« pour les travailleurs, pour les paysans, pour les jeunes, pour les révolutionnaires, il ne
saurait y avoir de trêve estivale », il se voulait « une manifestation contre la coalition des
armées de guerre civile dans le cadre de l'OTAN », « une occasion pour le mouvement
lutte des paysans et de la population contre une armée qui étend ses ramifications à leurs
dépens. »4.
1
Comité antimilitariste, Service national, luttes de soldats et antimilitarisme révolutionnaire civil, plate-
forme adoptée aux assises des 18 et 19 janvier 1975, Suppl. à Lutte Antimilitariste n°21, éd. GL,
Paris, 1975, p. 10
2
Lutte Antimilitariste n°20, jan 75
3
entretien-8, p. 2
4
Lutte Antimilitariste n°16, juin-juillet 1974
25
L'Alliance Marxiste Révolutionnaire (AMR) soutint l'appel, mais avec cependant
quelques nuances sur la forme. Ainsi elle considèra dans son journal l'Internationale, que
l'impact politique de cette lettre qui, loin d'avoir été une bombe à l'armée (…) s'est
sévère fut corrigé par la suite. Ainsi dans un texte interne un an plus tard, Information
pour les droits des soldats (IDS), l’organisation “antimilitariste”2 animée par l’AMR,
reconnut que l'Appel des cent fut le « programme d'action revendicative » des premiers
L’appel a par ailleurs contribué à la naissance même d’IDS en juillet 1974, l’AMR
La hiérarchie militaire eut pour attitude celle qu'elle eut jusqu'à la fin du mouvement
des soldats, à savoir une articulation plus ou moins heureuse entre la répression et les
s'emparer de l'affaire et décupler son écho ; qu'elle fasse le dos rond, qu'elle se contente de
remontrances et de discours moralisants et elle verra les soldats combatifs encouragés par
l'Appel des cent, de l'autre ils mirent en place une réforme. Des jours d'arrêts de rigueur
furent distribués, des mutations organisées, la SM tenta de faire revenir les appelés sur
1
Rouge n°254, 31/5/74
2
elle refusait de se définir clairement comme “antimilitariste”
3
annexe-9, p. 1
4
Rouge n°255, 7/6/74
26
leurs signatures. Parallèlement, un travail de conviction fut entamé par la hiérarchie. La
directive confidentielle envoyée aux chefs de corps par le général Lassus Saint Geniès,
l'Appel des cent est à ce titre fort instructive1. Il s'agit pour ce général d'analyser la
Pour lui, l'écho de l'appel est facilement explicable par le contexte politico-social et
doit d'autant plus être relativisé que « l'objet portait sur des revendications à caractère
social. Même si certaines sont utopiques, elles ne mettaient pas, a priori, en cause la
de mener deux actions distinctes mais concomitantes : une première sur le plan
Il faut sanctionner mais « avec nuance », ne pas « punir trop sévèrement un trop
grand nombre d'appelés d'un même corps. » Comme la hiérarchie militaire le fera
du meneur de celui de l'appelé qui a été abusé. ». Ainsi le général demande aux chefs de
l'existence de « l'Appel des cent », étant « maintenant connu de tous les appelés ». Il
convient au contraire de « contre-attaquer sur le terrain même choisi par les gauchistes ».
Il faut argumenter sur la « nécessité pour une armée de s'appuyer sur un règlement » et le
général va même jusqu'à préconiser des « séances organisées » afin de répondre aux
revendications de l'Appel des cent et convaincre que « si elles ne sont pas, pour certaines
travail de conviction, il fournit en annexe un tableau dans lequel des réponses standards
sont données à toutes les revendications, avec quatre types de réponses (cumulables) :
1
Rouge n°267, 27/9/74 27
non-fondée/due à l'imperfection de toute institution humaine/fondée ou non, nécessite une
décision politique/irréaliste.
Cela étant dit, la plupart du temps il est moins question de pédagogie que de jours
jours d'arrêt. Mais à partir de juillet elle se renforça avec notamment une multiplication
punitions collectives comme au 30e GC de Lunéville où tous les signataires (une centaine)
L'autre versant de l'action du pouvoir fut ce qu'on appela à l'époque les « 10 mesures
de Soufflet ». Le Ministre de la Défense rendit public le 28 août une série de mesures afin
d'autres (…) (seraient) mises en œuvre plus tard »5. Ces mesures comprenaient trois
volets : elles visaient d'abord, contre la pratique des pistons, à mieux assurer l'égalité des
appelés entre eux dans leur sélection et dans leur service, elles proposaient aussi de
donner plus d'intérêt au service militaire en développant les activités de plein air, en
apprenant aux appelés à nager et par d'autres mesures du même type, enfin elles
vue.
Col Rouge, La lettre des objecteurs, Libération, Hara-Kiri et Rouge)6. Il va de soi que
l'Humanité étant désormais légalisée dans les casernes, Jacques Soufflet s'assurait ainsi un
1
Rouge n°256, 14/6/74
2
Rouge n°257, 21/6/74
3
Rouge n°259, 5/7/74
4
Rouge n°267, 27/9/74
5
Le Monde, 30/8/74
6
Rouge n°265, 13/9/74
28
soutien au moins partiel du PCF en isolant l'extrême gauche. Cependant même le
journaliste du Monde Jean Planchais considéra qu'« assouplir (les règles d'entrée des
publications) n'a guère de sens. (…) La liberté en ce domaine ne peut qu'être totale, ou
facilitation de permissions exceptionnelles, enfin une phrase floue indique que « les
efforts seront amplifiés » pour donner des voyages gratuits, bref en ce domaine, rien de
significatif. Le Parti socialiste, le Parti Communiste, comme bien sûr l'extrême gauche
active dans l'armée, virent dans cette série de mesures le résultat du mécontentement et de
l'activité des soldats. Charles Hernu se contenta de demander que ces mesures soient
considèra que « l'action (devait) continuer », les revendications essentielles n'ayant pas été
satisfaites2. L'extrême gauche quant à elle (CAM, FCR, LO) apprécia cette réforme
comme étant une simple diversion1. En tous les cas comme on va le voir, cette réforme ne
1) La manifestation
1
Le Monde, 30/8/74
2
Le Monde, 31/8/74
29
Treize jours plus tard, le mardi 10 décembre, 200 soldats du 19e RA de Draguignan
sortaient de la caserne pour manifester durant deux heures dans les rues de la ville. Cet
• Préparation et déroulement
A la différence des manifestations qui suivirent (Nancy mise à part), cette initiative
avait été clairement préparée par un courant politique, le FCR. Robert Pelletier, militant
du FCR et du CDA, fut l'un des cent premiers signataires de l'appel des 100. Pour cette
raison il fut muté d'Offenburg à Draguignan. Dans cette caserne, le climat était d'emblée
« rapidement constitué un groupe d’une dizaine de personnes, beaucoup plus large que ce
qu'(il avait) fait en Allemagne, c'était vraiment des jeunes radicalisés… (…) (Ils se sont
donnés) comme projet de faire signer des centaines de gens dans la caserne. De là s’en est
suivie toute une ébullition. (…) À tel point que les mecs se sont rapidement posés la
question de faire quelque chose de plus important »2 . L’agitation qui s’était déclenchée
dans les prisons durant l’été avait passablement marqué les esprits des soldats. Certains
Etant donné cette situation, Robert Pelletier alla discuter avec les principaux
membres du bureau politique du FCR des initiatives à prendre, ces derniers lui
dernier fut conçu en deux parties. La première rappelait d'abord les exigences de l'Appel
des cent, puis donnait la liste des 199 signataires locaux pour enfin faire un point sur la
situation et notamment dénoncer la réforme de Soufflet comme étant « moins que rien ».
La deuxième partie était un texte écrit par les Antillais de la caserne eux-même4. Il
dénonçait les injustices et le racisme dont ils étaient victimes à Draguignan, tout en
1
Rouge n°265, 13/9/74, Le Monde, 31/8/74
2
entretien-1, p. 4
3
annexe-12
4
entretien-1 p. 5
30
réclamant une meilleure intégration. Le texte se concluait par une phrase qui tranchait
« Nous voudrions bien croire que le possible sera fait afin de remédier à ces
malentendus. »
Le 9 septembre au soir, une réunion d'une vingtaine de personnes fut organisée alors
qu'un engagé faisait le guet. Il fut alors décidé de distribuer les tracts le soir et de se revoir
le lendemain midi dans le réfectoire1. Juste après la réunion, Pelletier, Ravet et un autre
avaient été prévenus. La distribution du tract fit son effet et comme prévu vers midi la
réunion eut lieu. Après discussion une majorité des soldats présents vota pour une
d'ici là ils devaient aller chercher un maximum d'autres soldats. Ainsi, 136 soldats, selon
manifestation se déroula dans un climat bon-enfant, les slogans scandés étaient aussi
divers que « solde à 1000 F », « quartiers libres en civil », « faites l'amour pas la guerre »
ou encore « non au racisme »3, à deux reprises elle se scinda en deux, les soldats n'étant
pas d'accord sur la direction à prendre. Un sit-in fut organisé sur la place de la préfecture,
les journalistes étaient présents et un film fut tourné4. Enfin à 15 h 30 les soldats étaient de
Une ou deux heures après les manifestants furent convoqués par un colonel de la
inacceptable mais si vous avez fait ça c'est qu'il doit y avoir des problèmes donc je vous
écoute »6. S'ensuivirent des interventions de bidasses décrivant leur quotidien, les
1
entretien-1 p. 5
2
Le procès de Draguignan, Ed. du Rocher, Monaco, 1975, p. 33
3
Le procès de Draguignan, op. cit. p. 33
4
il est partiellement disponible à l’Iskra (voir plus loin)
5
Le procès de Draguignan, op. cit. p. 59
6
entretien-1, p. 6
31
brimades etc, interventions qui ne laissèrent pas le colonel indifférent. Quoi qu'il en soit le
lendemain neuf soldats étaient arrêtés et emmenés au camp de Canjuers pour être détenus
et interrogés par la Sécurité Militaire, une dizaine de jours plus tard ils étaient dispersés
dans des casernes différentes et étaient condamnés à deux mois d'arrêts de rigueur. Au
bout de ces deux mois (le 8 novembre pour Robert Pelletier1), ce dernier, Serge Ravet et
Alex Taurus étaient arrétés et inculpés devant le TPFA de Marseille, le procès était
L'écho qu'eut cette initiative s'explique sans doute autant par l'événement en lui-
même que par la campagne de soutien qui s'ensuivit et par le procès qui conclut cette
affaire.
les "gauchistes" qui avaient une activité à propos de l'armée mais presque…
déclara dès le lendemain qu'« il y aura des sanctions car l'affaire est assez grave »,que
réforme. Il y voyait « une affaire montée » dont il s'agissait de trouver les instigateurs3. Il
est compréhensible dans cette optique qu'aucune sanction n'ait été prise contre l'ensemble
des manifestants et qu'ils aient pu le soir même sortir en permission raconter en détail
1
Le procès de Draguignan, op. cit. p. 144
2
entretien-6 p. 42
3
Le Figaro-12/9/74, Le Parisien libéré-12/9/74, Le Monde-13/9/74
4
entretien-1, p. 6
32
Ce fut également une occasion pour la presse de droite de dire tout le mal qu'elle
gouvernement de Giscard, fraîchement élu. Alors que Le Figaro, à l'exception d'un titre
orienté (« Manifestation grave et inutile ») s'en tenait à une sobre description des faits1,
L'Aurore prit un ton beaucoup plus solennel et en première page, considérant cet
événement comme « inquiétant », elle s'en prit au PCF qui serait en dernière analyse
l'instigateur et le premier bénéficiaire de cette affaire pour enfin demander une « pause »
dans la politique gouvernementale de libéralisation2. Ce n'est pas une pause mais l'arrêt
pur et simple de cette politique que semblait exiger Le Parisien libéré qui titrait « chienlit
secteur, après tant d'autres, n'a pas tardé à se manifester : le désordre »3.
PCF adopta sensiblement la même position, en soutenant plus ouvertement l'initiative par
le biais du MJCF5. Les réactions de l'extrême gauche furent aussi diverses que les groupes
qui la composaient. L'AMR et Révo soutinrent bien sûr sans équivoque cette
manifestation et y donnèrent un écho important6. Cela est moins évident pour Lutte
Ouvrière qui y vit simplement un moyen de rappeler au passage ses positions de principe
sur « l'armement du peuple tout entier » et la mise en place d'une « milice populaire »7.
mots assez durs pour dénoncer les antimilitaristes qui pousseraient « à l'abandon de la
1
Le Figaro, 12/9/74
2
L’Aurore, 12/9/74
3
Le Parisien libéré, 12/9/74
4
L'Unité, cité par La Croix, 22-23/7/74
5
L’Humanité, 11/9/74
6
L'Internationale n°57, 18/9/74
7
Lutte Ouvrière n°316, 17/9/74
8
l'Humanité Rouge, cité par La Croix, 22-23/7/74
33
2) Un automne dédié à Draguignan
manifestation, d'en faire un exemple. Puis, dès le 8 novembre date de l'inculpation, l'axe
central devint l'exigence de la libération des soldats emprisonnés, un appel à faire signer
fut lancé. La campagne s'accéléra à mesure que le procès approchait, ainsi par exemple,
(soit six « Une », plus d'un mois). Quasiment tous les bulletins de comités de soldats qui
furent adoptées dans les casernes, comme celle votée par 80 soldats du 126e RT à Toul2,
mais aussi dans de nombreuses sections ou UL syndicales, surtout CFDT (comme dans les
PTT alors en grève)1. Citons par exemple une partie de la liste de nouvelles signatures que
Rouge publia au cœur de cette campagne dans son n°279 du 20 décembre 1974 :
des agents de la direction générale des impôts CGT section de Paris-Nord-Est, section
1
bulletins-1.10-1.16-6.3-7.5-7.15-7.33-7.34-7.79-7.94
2
Rouge n°267, 27/9/74
34
Un vrai travail de fond fut mené à Gennevilliers d'où était originaire Robert
collectif de soutien regroupant quasiment toutes les forces du mouvement ouvrier fut
monté, un meeting fut organisé (150 personnes selon Rouge)2, une pétition fut signée etc.
Même dans les lycées, des comités de soutien furent mis en place, 16 d'entre eux se
Comme pour les autres campagnes nationales, un comité de soutien central fut
Rouge5. Enfin tous les efforts furent concentrés sur les deux journées du procès, durant
Mais les quatre mois qui s'étendent du 10 septembre aux 7 et 8 janvier furent aussi
le théâtre d'autres affaires, qui vinrent se combiner avec la mobilisation pour « les trois de
soldat Jean Fournel, effectuant son service au 22e BCA de Nice, sortait du rang lors du
lever de drapeaux et protestait devant son régiment face à l'arrestation d'un autre soldat
qui avait fait signer l'Appel des cent. IDS revendiquait l’appartenance de Fournel à son
mouvement6. Acte isolé, il fut aussitôt mis aux arrêts et inculpé devant le TPFA de
d'obéissance ». Une campagne de soutien fut menée, qui se mêla peu ou prou à celle pour
les trois de Draguignan. Le 13 novembre le procès eut lieu et le verdict fut sévère : un an
de prison dont 6 mois avec sursis. Malgré le soutien de l'ensemble du mouvement ouvrier,
1
Rouge n°276, 29/11/74
2
Rouge n°276, 29/11/74
3
Rouge n°277, 6/12/74
4
Rouge n°277, 6/12/74
5
Rouge n°279, 20/12/74
6
archives LCR-3.3, p. 2
35
c'était une sanction importante, il semble que le gouvernement ait voulu alors donner un
signe de fermeté.
Deux autres événements vint marquer l'actualité antimilitariste. La mort d’un marin1
septembre provoqua une forte indignation. Les autres marins du porte-avion rédigèrent un
tract mettant en cause cette situation et plusieurs d’entre eux furent réprimés. Il est fort à
parier que le jeune marin mort appartenait à l'Alliance de la Jeunesse pour le Socialisme
(AJS), qui déploya une activité importante autour de cette affaire (tract, brochure, meeting
mis aux arrêts se mutinèrent, s'enfermèrent dans leur cellule et montèrent des barricades.
Cela dura toute la nuit, et au matin le béton cèda sous les coups des pompiers, les quatre
soldats furent arrêtés, Didier Fouchet, le plus militant des quatre fut inculpé devant le
TPFA de Paris. Cela eut un petit écho dans la presse générale (Le Monde, Canard
enchainé…) et un écho certain dans la presse antimilitariste2. Cette action s'inscrivait alors
dans la forme de contestation qui marquait ces mois : peu de comité de soldats implantés,
représentés par 12 soldats masqués et un représentant du CDA. Après avoir rappelé les
principales revendications de l'Appel des cent, les soldats faisaient le point sur la situation
en Allemagne (une vingtaine de comités éditant une dizaine de journaux réguliers selon
eux) et se déclaraient solidaires des trois soldats de Draguignan pour lesquels ils
1
Patrick Delaruelle
2
Lutte Antimilitariste n°19, novembre 1974, Crosse en l'air n°12, décembre 1974
3
Rouge n°279, 20/12/74
4
L’invitation, Réal. Prod. Cinéma Rouge, 1975. 16 min, Couleur, 12 min. « La lutte à l’intérieur des
comités de soldats ». Disponible à l’Iskra, 18 rue Henri Barbusse, 94 110 Arcueil
36
Un peu plus d'une semaine plus tard, le 22 décembre, 26 appelés représentant 25
comités de soldats organisaient une autre coordination et une autre conférence de presse, à
Paris cette fois-ci1. Le texte qu'ils remirent à la presse était très général et ne contenait pas
de revendications. Il revenait sur la réalité des comités, expliquant leur existence par les
Deux événements successifs permirent par ailleurs aux militants des comités de
soldats de montrer concrètement aux autres bidasses que l'armée jouait le rôle de
deux jours plus tard c'était la grève générale dans les PTT, 200 000 postiers firent alors
grève, la plus forte mobilisation dans ce secteur depuis mai 68. Aussitôt le contingent fut
utilisé pour remplacer les postiers comme au 23e RI de Maisons-Laffite ou au 41e RIMA.
Le 13 novembre, les éboueurs entraient aussi en grève. Là aussi la réaction ne se fit pas
attendre et le contingent fut également utilisé pour remplacer les grévistes. Des
contre cette utilisation des soldats. Avec la grève à Néogravure le climat social était alors
novembre fut un échec manifeste et marqua le début de la décrue dans les PTT. Cette
utilisation du contingent, qui n'avait d'ailleurs pas provoqué de fortes réactions en-dehors
des rangs de l'extrême gauche, resta une référence dans les mois qui suivirent pour
Conseil National de Défense qui se tint le jeudi 10 octobre 1974. Les deux principales
mesures furent l'augmentation du prêt de 50 ct par jour (de 2 F à 2 F 50) au lieu des 40
1
Lutte Antimilitariste n°20, janvier 75
2
Rouge n°280, 27/12/74
37
initialement prévus et l'octroi de quatre voyages gratuits par an pour les appelés1. Jacques
Soufflet annonçait par ailleurs des mesures en direction des cadres, notamment afin de
faciliter leur promotion. Ces dispositions étaient présentées comme partie prenante de
réformes à plus long terme, visant à aboutir à un « service plus juste, un service plus
militaire et un service plus moderne ». Les mesures financières adoptées étant jugées
« insuffisantes pour avoir un effet déterminant sur le moral des appelés », il était prévu
« un nouvel effort financier en faveur des militaires de carrière et des appelés dans les
Deux mois plus tard cependant, cet effet d’annonces fut annulé par le rapport
risques d’un « mai 68 » dans les armées, estimant que « jamais l’armée ne s’est trouvée
devant une remise en question aussi nette et aussi dangereuse »3 et proposait une série de
dans les unités. Chaque année, la Sécurité Militaire fournissait un « rapport sur le moral
des troupes ». Dans chaque unité un rapport était rédigé annuellement par certains types
d’officiers en direction de leur chef d’état-major pour rendre compte de « l’état du moral
des personnels de toutes catégories et de tous grades, et d’appeler son attention sur les
éléments divers (…) susceptibles de les affecter »4. Début 1975, il était spécifié que « plus
que jamais, le commandement à tous les niveaux doit attacher une grande importance à
Le rapport pouvait être fait sous la forme d’un questionnaire détaillé. Dans celui de
19756, le responsable devait d’abord relever les faits favorables puis les faits défavorables
de la part des diverses catégories de militaires (contingent compris), ensuite il devait noter
1
Le Monde, 12/10/74
2
Le Monde, 13-14/10/74
3
Nouvel Observateur, 12/1/75
4
Instruction n°147/EMM/CAB relative aux rapports sur le moral, 20 février 1975. Cette
instruction est en direction de la marine, c’est la seule que j’ai réussi à retrouver.
5
Instruction n°147/EMM/CAB
6
archives personnelles 14 et 15
38
l’évolution de la situation (dans un sens favorable, défavorable, stationnaire ou ne
concerne pas l’unité) sur 63 points, divisés en facteurs favorables (comme un point assez
A l'occasion de ses vœux aux armées le 1er janvier, le Ministre de la Défense fit
allusion au mouvement des soldats et à la nécessité d'une réforme par ces mots :
fierté des armes, le goût de servir qui font la valeur militaire… malgré les obstacles que
certains essaient de lever autour de nous et que nous saurons ensemble, surmonter. »2,
« j'attache la plus haute importance à modifier les conditions de service des hommes au
sein de l'armée française, afin que la confiance et le sens des responsabilités demeurent la
procès fut écrit peu après4 et constitue une source irremplaçable pour connaitre cet
événement.
La justice militaire était une juridiction d’exception qui prêtait à controverse1. La vie
quotidienne du militaire, appelé ou engagé, était codifiée et organisée par deux textes : la
loi du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires et le décret n°66-749 du 1er
1
Est-ce une référence à l’existence du « Comité de défense de l’armée » animé par l’extrême
droite ?
2
Libération, 2/1/75
3
L’Humanité, 2/1/75
4
Le procès de Draguignan, op. cit.
39
octobre 1966, portant règlement de « discipline générale dans les armées », qui sera
remplacé par un autre règlement le 25 août 1975 par le décret n°75-675. En cas de fautes,
les punitions pour les hommes du rang étaient par ordre croissant d’importance :
l’avertissement, la consigne, les arrêts (interdiction de quitter son unité) et les arrêts de
militaire pouvait être traduit devant la justice militaire. Sept tribunaux permanents des
Lille, Rennes, Bordeaux, Metz, Lyon et Marseille. Le parquet militaire était seul maître
des poursuites, il était impossible de se constituer partie civile, il n’y avait pas de voie
d’appel et les jugements n’avaient pas à être motivés. Cette justice parallèle faisait
habituellement son travail dans l’ombre, le procès de Draguignan allait mettre à jour son
• dans le procès
La séance commença à 9 h par la lecture des « faits » et des charges par le greffier.
Tout de suite après, la parole fut donnée à Robert Pelletier pour qu'il « s'explique sur
toutes ces questions ». L'intervention de Pelletier fut en fait un réquisitoire virulent contre
l'armée, les brimades, le racisme, son rôle contre les grèves, il s'employa par ailleurs à
réfuter l'idée selon laquelle il y avait des meneurs lors de la manifestation. Ce début de
souci fut de prouver qu'il existait des meneurs lors de la manifestation et de circonscrire le
question que de la mise en cause de l'armée. Ainsi tous les témoins de la défense sans
exception furent des témoins de principe qui n'avaient sans doute jamais mis les pieds
1
La justice militaire, ce qu’il faut savoir, Suppl. à “Cité nouvelle” n°568, 1975, et Mouvement d’action
40
dans la caserne de Draguignan, mais qui se livrèrent, chacun dans sa propre perspective, à
militaires de Draguignan. Les premiers témoins du 7 janvier firent des déclarations vagues
pour la plupart, confuses pour quasiment toutes et surtout les quatre derniers témoins de
Ainsi le soldat Denis Causse commença son intervention par ces mots :
« Je viens ici m'accuser de faux témoignage. (…) Tout ce que j'ai dit à l'instruction
est faux. Ma place est ici (il désigne le banc des accusés) »
« Je n'ai pas relu ma déposition ; je n'ai pas donné de noms à l'instruction ; (…) je ne
sais pas qui dirigeait pendant les réunions ; je ne sais pas qui dirigeait la manifestation »
Le deuxième classe Barré provoqua ensuite l'hilarité de la salle par l'échange qu'il
« Le Président : Mais enfin, qui était en tête lorsque vous êtes sortis de la caserne ?
Barré : Personne.
Face à cette débandade, la défense attaqua et conclut par la voix de Maître Jouffa
« Avant de quitter cette salle et après ce à quoi nous avons assisté, je demande à
judiciaire, Les droits du soldats, petite collection maspéro, Maspéro, Paris, 1975 41
Et ce dernier de répondre gauchement :
La journée du lendemain fut une réplique du 7 janvier. Sur les six témoins restants,
un seul fit une déposition à peu près solide, trois revinrent sur leur déclaration, un ne dit
absolument rien, la déclaration du dernier fut démontée par Robert Pelletier. Globalement,
l'accusation fut de bout en bout du procès sur la défensive, décontenancée par la vigueur
de la défense et la faiblesse de ses témoins. Cette situation s'exprima par des moments
assez surprenants, comme lorsque le Président, mis en cause par un avocat sur la manière
dont il posait les questions, répondit piteusement : « Si on ne peut plus rien dire… » .
Cela fut également un échec de l'accusation dans la mesure où ce fut une victoire de
la défense. Le panel des témoins de cette dernière laissait déjà présager de la nature des
débats : deux députés, dont Charles Hernu, un sénateur, un philosophe (Roger Garaudy),
une déclaration sur un thème particulier : la défense du fait syndical, le racisme dans la
meneurs au lieu de considérer des mouvements de fond), la situation des accusés (avoir eu
raison trop tôt), l'injustice des juridictions militaires… D'autres interventions furent plus
ciblées sur les trois accusés, ainsi ont comparu une ancienne professeur de Ravet, des
manière à mettre en accusation non pas les trois soldats mais l'armée et le pouvoir eux-
mêmes.
Le verdict du procès fut la conséquence logique des deux journées écoulées : Alex
Taurus était acquitté, Robert Pelletier et Serge Ravet étaient condamnés à un an de prison
dont huit mois avec sursis, ce qui signifiait qu'ils n'avaient plus que trois jours à passer en
prison.
42
Le verdict s'explique sans doute également par l'importance de la mobilisation qui
eut lieu autour de ce procès et par l'écho assez inattendu qu'il eut dans la presse.
• autour du procès
Comme prévu, la mobilisation atteignit son apogée lors des deux jours du procès. La
veille, le PCF et le MJCF organisèrent une conférence de presse dans laquelle ils
demandèrent l'acquittement des trois accusés, et à travers laquelle ils entendaient exprimer
arrivèrent au TPFA de Marseille, la liste donnée par l'Humanité du 7 janvier 1975 peut en
Le 6 janvier des défilés furent organisés dans les grandes villes de France, 2000 à
Marseille, 5000 à Paris1. Le 7 janvier, d'autres manifestations eurent lieu, 2000 personnes
à Paris et plusieurs centaines à Marseille selon France Soir2, des heurts entre forces de
Mais à l'exception de cela et du jet de deux cocktails molotov contre une caserne à
1
Libération, 8/1/75
2
France Soir, 8/1/75
3
Libération, 9/1/75
43
Grenoble le mardi 8 par un énigmatique Groupe Ouvrier de Résistance Populaire1, aucun
La couverture de ce procès par la presse fut sans doute encore plus importante que
fit l'écho. Le Monde, France Soir, Le Figaro, l'Aurore comme Le Quotidien de Paris y
consacrèrent une « une » , alors que Libération titrait sur le procès les quatre jours qui
maladresses du procès, ainsi Francis Cornu qui souligna que « non seulement l'instruction
a paru avoir été orientée (…) mais encore paraissait-elle baclée » et que le président du
tribunal avait paru « suppléer l'accusation défaillante pendant une grande partie du
procès »2. Richard Liscia dans le Quotidien de Paris résumait le sentiment qui s'en
Libération ne se priva pas de prendre clairement parti pour les trois accusés ainsi Robert
Le Diable conclut son article dans le numéro du 7 janvier 1975 par ces mots :
On peut par contre s'étonner du calme avec lequel ce sujet fut traité dans la plupart
des journaux de droite. A l'exception d'une prise de position de Jean Pouget dans Le
Figaro du 10 janvier 1975, qui considère que « ceux qui connaissent les causes réelles de
la crise (…) resteront déçus et sans doute inquiets. Le seul vainqueur de cette joute
truquée est M. Alain Krivine. Son programme de défense nationale tient dans ces
quelques phrases : il faut détruire l'armée bourgeoise. Les accusés de Draguignan étaient
les trois premières mines placées pour faire sauter la base. », les articles de ce journal sur
en va de même pour France Soir. Seules L’Aurore et L’Express donnèrent un peu leurs
1
Libération, 9/1/75
2
Le Monde, du 10/1/75
3
Le Quotidien, 8/1/75
44
points de vue en titrant pour le premier après le verdict : « un jugement très indulgent »1 et
« Une conclusion claire au procès des mutins de Draguignan : les casernes sont
68. »
« sans discipline il n'y a plus d'armée. (…) Il y a d'abord l'anarchie, puis, à brève
échéance, les soviets de soldats imposant les consignes de la révolution rouge. Même si
les juges de Marseille feignent de l'ignorer ou veulent l'oublier, l'expérience a déjà été
faite »3
Cet élément qui faisait consensus, c'était la nécessité pour l'armée d'évoluer. Le
(…) sera assortie d'un désir réel au niveau des responsables politiques de faire avancer le
problème de la condition militaire ? »4, alors que M. de Montvallon écrivait dans Le Point
du 13 janvier 1975 que « désormais le branle est donné. A l'évidence, l'armée et le service
national ne pourront être demain ce qu'ils étaient encore hier. Il faudra bien que le vent de
la réforme souffle aussi de ce côté-là. ». Francis Cornu affirmait pour sa part clairement,
dans Le Monde du 10 janvier 1975, que « la nécessité d'une réforme du service national et
du statut militaire n'échappe plus à personne ». La plaidoirie avait de ce fait atteint son
1
L'Aurore, 9/1/75
2
en majuscules dans le texte
3
Minute, 19/1/75
4
Le Figaro, 9/1/75
45
Le débat sur le rôle et les formes de l'armée avait déjà été entamé juste après la
manifestation de Draguignan. Ce dernier est d'autant plus intéressant qu'il vit participer un
certain nombre de gradés, signe qu'il y avait indéniablement une crise de l'institution
pouvoir lorsque près de 50 % des cadres militaires d'active avaient voté Mitterrand aux
Le premier article conséquent sur cette question fut rédigé dans le Figaro du 17
radical ne peut être évité », Pierre Dabézies proposait des mesures concrètes pour avancer
(Alexandre Sanguinetti). Dans trois articles parus dans les Monde des 19, 20 et 21
de trois points de vue : la défense, le service national et les structures militaires. Fervent
conclusion de cet article, il s'opposait résolument à l'emploi de l'armée dans des tâches de
gendarmerie n'y suffisent plus, « il ne pourrait plus que s'agir d'une volonté, ou du moins
une tendance nouvelle du peuple français, et ce ne serait en aucun cas aux armées qu'il
appartiendrait de s'y opposer. » Cette opinion était largement minoritaire, voire marginale,
1
46 L'Express, 13/1/75
au sein de la hiérarchie. L'article suivant était consacré au service national. Estimant
qu’une partie des appelés étaient « inutiles, parce que sous-armés, sous-instruits et sous-
de « l’articulation des forces de combat au sein des trois armées indépendantes ». Contre
débats au sein de la hiérarchie militaire et, au delà du débat de fond, ses contributions
Le débat qui avait voulu de cette manière être enterré par le gouvernement ressurgit
avec le procès. Jean Cassou, écrivain, ancien conservateur en chef du musée d'art moderne
livra au Monde ses réflexions2. Le cœur de son article visait à combattre la séparation
1
Le Monde, 31/10/74 et 1/11/74
2
Le Monde, 7/1/75
47
l'histoire, il affirma que « toute prétention de l'armée à se placer au-dessus de ces libertés,
Dans Le Monde encore une fois, le lieutenant-colonel d'infanterie Bernard Gillis prit
consternant de voir que les officiers sont actuellement obligés pour parler librement avec
qui ils veulent, des problèmes de défense, de se rencontrer dans des salons parisiens situés
Inspirées par l’actualité, c’est sur la question de la nature du service militaire que les
considérés » et mettait en garde contre l’opposition existant entre des jeunes « qui refusent
ouvrage fin janvier sur les réformes à entreprendre dans l’armée3. Ce livre ne réflétait pas
exactement les positions du Parti Socialiste et avait justement pour but de convaincre les
1
Le Monde, 8/1/75
2
Le Monde, 11/1/75
3
Charles HERNU, Soldat-citoyen, essai sur la défense et la sécurité en France, collection “La rose au
poing”, Flammarion, Paris, 1975
48
l’atténuation des contraintes du casernement, la disparition des corvées et des tâches
Deux mois plus tard, Michel Jobert, ancien ministre des affaires étrangères, se
l’époque s’apparentait à un « stage de bonne à tout faire »2. Au même moment, trois
jeunes officiers de réserve rédigèrent un livre dans lequel ils tentaient de comprendre la
crise que traversait l’armée3, à l’origine de laquelle ils voyaient « la prolétarisation des
Les chrétiens aussi participèrent au débat sur l’armée, tout du moins une partie
d’entre eux. Les chrétiens sociaux publiant “Parole et société” qui voulait être « un des
syndicat de soldats (…) pris en charge nationalement par la CGT et la CFDT (…) seul
politique de ventes d’armes de la France, ainsi que son attitude vis-à-vis de l’OTAN. Un
autre courant chrétien se prononçait pour le remplacement de la « défense armée » par une
« défense civile non violente »7, dont il proposait les techniques et le « schéma d’une
campagne de défense populaire non-violente ». Ces courants, même s’ils étaient assez
1
Charles HERNU, op. cit. p. 74
2
Le Monde, 4/3/75
3
Rémy BAUDOIN, Michel STAK, Serge VIGNEMONT, Armée-nation, le rendez-vous manqué,
collection Virages, PUF, Paris, 1975
4
Rémy BAUDOIN, Michel STAK, Serge VIGNEMONT, op. cit. p. 8
5
L’armée et les luttes de classe, “Parole et société” n°1, jan-fév 1975, p. 1
6
L’armée et les luttes de classe, “Parole et société” n°1, jan-fév 1975, p. 53
7
Armée ou défense civile non violente ?, ouvrage collectif, édité par “Combat non violent”,
périodique d’information sur l’action non violente, mars 1975
49
exprimaient la multiplicité des remises en cause qui émergeaient dans tous les recoins de
la société.
par l'Appel des cent. Comme le dit Francis Cornu dans Le Monde du 7 janvier 1975,
Ces huit mois qui s'étendent de mai 1974 à janvier 1975 correspondent donc à
l'émergence d'un mouvement de soldats. Les comités se sont alors développés, à l'aide de
sentiment de réussite. Les 10 mesures accordées par Jacques Soufflet, de même que le
gauche et chez les soldats combatifs qu'une certaine impunité était acquise et qu'il était
50
Ch. 2 : L'extension des comités et les réformes (janvier 75 -
septembre 75)
eut tendance à s’affaisser légèrement après mai, de même que sa médiatisation. Les
réformes accomplies par le gouvernement y furent peut-être pour quelque chose. Ces
quelques mois représentèrent malgré tout l’apogée du mouvement des comités de soldats.
Au lieu d'un apaisement dans les casernes, le verdict du procès de Marseille fit
éclater la contestation, et les deux mois qui suivirent furent marqués par la succession
d'initiatives spectaculaires.
• Karlsruhe
7 h du matin, 150 soldats selon le quartier général français en Allemagne, 300 selon le
CDA1 sur un effectif de 500 soldats que comptent les 521e et 535e GT, défilaient pendant
une heure dans les rues de Karlsruhe. Cette manifestation avait été précédée à 6 h d'une
assemblée générale dans le réfectoire de la caserne durant laquelle les soldats avaient
local : Tringlo en colère. Les principaux mots d'ordre de la manifestation portèrent sur la
solde, les permissions et les tarifs de chemin de fer, même si elle exprimait un sentiment
1
Le Monde, 14/1/75
2
Rouge n°283, 17/1/75
51
d'insatisfaction plus général, qui fit titrer l'article du Monde du 15 janvier : « Des appelés
“mécontents de tout” ». Ce défilé acquit une importance non seulement parce qu'il s'était
déroulé cinq jours après le procès, et à l’extérieur de la France, mais aussi parce que
par une multitude de revendications, signe clair du degré d'insatisfaction. Même les
fut une nouvelle fois l'occasion pour les uns et les autres de donner leur avis sur l'armée et
ce type d'initiatives. Deux pleines pages dans Le Monde du 15 janvier 1975 en donnent
une bonne idée. Le général Massu reprend à son compte la théorie traditionnelle des
« affaire montée », c'est la même opinion que défendit le général Boone : « une entreprise
peuvent, à terme, que se retourner contre la France, donc contre la gauche », même s'il
« ne peut être question de cautionner les vices actuels de l'institution militaire »1. Le MJS
fut moins timoré et déclara que « le type de revendications avancées et les formes
Soufflet n'a pas pris. Le contingent, les militaires professionnels attendent autre chose »,
soldat. » Le PSU dans Tribune Socialiste considèrait qu'il existait les moyens pour
améliorer la condition militaire et que des premiers pas, même modestes, permettraient
syndicats de soldats et pousser ainsi dans le sens du contrôle populaire sur l'armée ». Les
1
annexe-10 p. 9
2
Le Monde, 22/1/75
52
que l'UNI entendait démasquer « une entreprise soigneusement concertée et organisée par
abouti « qu'à enhardir les organisations subversives ». Les royalistes enfin, dans Aspects
huit voyages gratuits par an pour les soldats français incorporés en RFA2. Cette mesure
avait été prévue lors du vote du budget mais n'avait pas été appliquée. Bien qu'elle fût la
rencontra pas d'écho important au sein du mouvement des soldats. Parallèlement, cinq
• Perpignan
Un événement vint marquer les esprits dans le mouvement des soldats. Dans la nuit
part d'un caporal, d'un colonel et d'un soldat. Ces trois militaires, après l'avoir injurié et
bousculé, le violèrent4. Cet événement suscita d'autant plus d'émotion qu'un an auparavant
dans la même caserne, un lieutenant avait attaché avec une ceinture un appelé à un arbre
toute la nuit5. Le comité de soldats local, qui publiait le bulletin Tam-Tam, écrivait dans
son n° 6 de janvier 75 :
« Nous, militants du comité de soldats du 24e nous nous engageons à faire toute la
lumière sur cette affaire, avec les explications nécessaires. Nous ferons savoir notre
1
toutes les citations jusqu’à la fin du paragraphe sont tirées des Monde du 15/1/75 et du 22/1/75
2
Le Monde, 22/1/75
3
annexe-10 p. 10
4
Le Monde, 4/2/75
5
Le Monde, 4/2/75
6
bulletin-7.21
53
Ils sortirent un numéro spécial de Tam-Tam1 et convoquèrent une conférence de
presse afin de donner leur version des faits, considérant que « les racines véritables (de ces
• Tübingen
de 80 soldats du 5e RD eut lieu afin de demander la libération d'un soldat qui avait été
emprisonné en raison d'une bagarre et qui s'était vu menacer de ne pas être libéré du
service le lendemain comme prévu3. A la suite de ces événements neuf soldats furent mis
aux arrêts. Ce ne fut pas la version du lieutenant-colonel du 5e RD, qui réfutait toute
bagarre ou tout désordre sur la voie publique et qui, s'appuyant sur les dires d'un appelé,
affirma que « une tentative effectuée (…) en vue de provoquer un rassemblement (avait)
• Nancy
Un mois plus tard, ce fut à Nancy que des soldats manifestèrent. Contrairement à
Karlsruhe, où il n’y eut pas d’instigateurs politiques, l'initiative de Nancy était de manière
très claire organisée par le PCF. Le 17 février au soir, entre 50 et 100 soldats de trois
distribuant des tracts afin de se rendre à l'hotel Excelsior où Jean-Michel Catala donnait
une conférence de presse4. Les militants de la JC avaient auparavant fait signer par 500
soldats de Nancy leur statut. La réaction du gouvernement fut rapide. Yvon Bourges
accusa le PCF de duplicité, jonglant entre l'affirmation de la nécessité d'une armée et des
1
bulletin-7.22
2
bulletin-7.22
3
Le Monde, 11/2/75
4
L’Humanité du 18/2/75 et Le Monde du 20/2/75
54
actes la mettant en cause1. Selon José Fort, le secrétaire national du MJCF, cinq appelés
• Verdun
Aussitôt après Nancy, c'est à Verdun que manifestèrent 150 soldats du 150e RI le 19
écraser par un char lors d'une manœuvre dans le camp de Sissonne et y avait trouvé la
mort. Les soldats de son régiment acceptèrent d'autant moins cette mort que Serge
Camier, après 10 mois de service passés dans les cuisines, venait d'être muté dans une
compagnie de combat parce qu'il avait volé deux litres d'huile3. N'ayant bénéficié que de
manœuvre. Après une « grève du silence » pendant le repas du midi, 150 soldats se sont
réunis à 19 h dans la cour, puis sont partis en manifestation en treillis pendant une heure4.
Selon Le Monde du 21 février, les manifestants scandèrent des slogans tels que : « La
Bigeard » et réclamaient la mise en place d'une enquête civile sur la mort de Serge
Camier. Il va de soi que le caractère de cette manifestation (après la mort d'un appelé)
obligeait Yvon Bourges à de la mesure dans son jugement. Ainsi il déclara que « la
manifestation de Verdun est partie de l'émotion très compréhensible ressentie par les
camarades de la victime. Mais ce que je ne sais pas encore, c'est si, au-delà de ces
• Lunéville
1
Le Monde, 21/2/75
2
Le Monde, 23-24/2/75
3
Libération, 21/2/75
4
Le Monde, 21/2/75
55
Enfin cette série ininterrompue de manifestations se conclut par le rassemblement de
mort pendu dans sa cellule. Il avait été mis aux arrêts pour avoir refusé d'effectuer son
service militaire et avait déjà fait une tentative de suicide1. A 19 h, 350 appelés et engagés
selon le comité de soldats local, se réunirent dans la cour pour protester contre l'attitude de
la hiérarchie militaire qui refusait « d'assumer ses responsabilités » et pour exprimer leur
émotion. Ne pouvant sortir, ils firent une assemblée générale d'une heure et demie dans la
cour2.
d'agir. Le Parti des Forces Nouvelles (successeur d'Ordre nouveau et de Faire Front)
commença à s’intéresser à cette question dès la fin de l’année 1974. Sa “branche armée”,
comité d’insoumis3. Mais son action prit de la consistance avec le lancement d’une
campagne par le biais d'un de ses membres : Joël Dupuy de Méry. Comme pour les autres
l'institution militaire, mais bien plutôt de défendre l'armée face à la montée en puissance
premier article dans Le Parisien Libéré, alors qu'il était encore en service et sergent
Un certain Dupuy avait signé l'Appel des cent dans le 5e RI de Frileuse, régiment de
Joël Dupuy de Méry. Ce dernier affirma qu'on lui avait fait signer l’appel sans lui
1
Le Monde, 6/3/75
2
bulletin-3.44
3
Bernard RÉMY, op. cit. p. 153-155
4
Le Monde, 19/2/75
56
demander son avis, il avait donc envoyé une lettre de démenti le 23 janvier1 et lancé ce
largement couvert par les médias, puisque Joël Dupuy eut le droit à la « une » du Parisien
laquelle est exacte. Dans Le Monde du 19 février, il est dit que lors de la conférence de
presse, un ancien appelé du 5e RI affirmait que le sergent avait signé sans pressions et
devant témoins. Dans Rouge n° 288 du 21 février, un autre ancien appelé du 5e RI écrivait
que Joël Dupuy de Méry avait profité d'une homonymie, que ce n'était pas lui qui avait
signé mais un certain Yves Dupuy. Enfin il est également possible que cela ait été un
calcul de la part du PFN, que Joël Dupuy ait volontairement signé, afin de lancer sa
campagne de « défense de l'armée ». Il est par contre peu probable, ou ce serait vraiment
une exception, que la signature de Dupuy ait été extorquée sans son avis.
Joël Dupuy de Méry n'apparut pas à visage découvert dans cette campagne. Il
affirmait ainsi dans Minute du 12 février que « la politique ne l'intéresse pas. Simplement,
s'exprimer un courant d'opinion qui trouve choquant que dans une démocratie, seule une
mars 1975 (journal du PFN) consacre son dossier central à cette campagne, titrant le
journal par : « L'armée en danger ». Dénonçant « l'appel des faussaires gauchistes », les
1
Initiative nationale n°1, mars 75
2
Rouge n°288, 21/2/75
3
Le Monde, 19/2/75
4
Rouge n°288, 21/2/75, Libération, 21/2/75
57
« soviets de caserne », et le « Parti soviétique français » qui serait en dernière analyse
situation dans toute sa gravité. Et de nous préparer à y faire front à long terme, à moyen
des appelés, assuré* du soutien de l'opinion publique, s'élèvent avec force contre la
subversion qui gangrène tous les régiments et pollue irrémédiablement l'esprit de leurs
camarades.
adjurent le Chef Suprême des Armées d'exercer le poids de son autorité pour que cessent
« Ils suggèrent d'accorder une solde qui permette aux soldats de s'assumer
*
la faute d'orthographe est dans le texte
1
Initiative nationale n°1, mars 1975
58
comme Jacques Chaban-Delmas1. En avril, Joël Dupuy déclarait avoir recueilli plus de
350 signatures dans le contingent et lançait un « Appel des cent mille », adressé à
l'ensemble de la population2.
activité sans que toutefois il fasse beaucoup parler de lui. On en reparla après le 10
septembre, date à laquelle Joël Dupuy de Méry dirigea un commando d'une trentaine de
émission avec Maxime Leforestier3. Après irruption dans les locaux, ils frappèrent le
chanteur avant de prendre l'antenne avec son accord durant une vingtaine de minutes.
Voilà comment quelques mois plus tard, Joël Dupuy de Méry justifiait son intervention :
« Europe 1 avait laissé Le Forestier et ses amis gauchistes raconter tout ce qu'ils
voulaient, du matin jusqu'au soir. (…) En outre, et c'est ce qui m'a décidé à agir, les
dirigeants de cette radio avaient invité pour « représenter les opinions opposées » un
obscur colonel, bourré de mauvaise conscience, qui a commencé par donner raison sur
toute la ligne à Maxime Le Forestier (…)… Dans ces conditions, il était normal que je
vienne exprimer l'opinion du CSA, avec des arguments autrement solides, quitte à
Considérant sans doute que ce type d'actions était payant, ils refirent sensiblement le
d'hommes5 pour empêcher l'émission « les Dossiers de l'écran » sur Antenne 2. Le thème
Yvon Bourges et Alain Krivine, mais le Ministre de la Défense avait finalement annulé sa
participation. Joël Dupuy de Méry avait considéré qu'« un jour de recueillement national
1
Le Monde, 9/4/75
2
Le Monde, 9/4/75
3
Libération, 12/9/75
4
Initiative nationale n°7, janvier 1976
5
Rouge n°322, 14/11/75
59
l'Armée devant 15 ou 20 millions de téléspectateurs ! »1 Il parvint à ses fins et l'émission
fut annulée.
Profitant de ce regain d'écho, ainsi que du climat de répression générale qui marqua
9 décembre qui fut selon Joël Dupuy de Méry un « succès »2. Cependant après ce léger
3) Réactions du gouvernement
considérations le tenaillaient sans doute. D'un côté, la tentative d'« arrondir les angles »
pour autant, il était prévisible qu'une accentuation brutale de la répression jouerait un rôle
contraire à celui escompté, à savoir une popularisation encore plus grande de cette affaire
l'extrême droite, l'ensemble des forces politiques, majorité comprise, et des journaux
gouvernement ne pouvait pas maintenir éternellement le statu quo. Or mettre en place une
réforme de l'armée n'avait rien d'évident dans la mesure où il ne fallait pas apparaître
participation…). D'autre part, la mise en place d'une réforme ne résolvait pas le problème
1
Initiative nationale n°7, janvier 1976
2
Initiative nationale n°7, janvier 1976
60
La première réponse de Chirac fut de changer l'équipe en place et de remplacer le 31
janvier Jacques Soufflet par Yvon Bourges comme ministre de la défense et par le général
fut justifiée officiellement par des raisons personnelles. Il existait sans doute des raisons
notamment d’une erreur politique qui « aura peut-être été de croire qu’il suffisait de
combattu - de l’intérieur- par ceux-là même qui n’acceptent plus de servir dans les
donc pour tâche de résoudre la crise qui couvait au sein de l’institution militaire. Par une
répression ciblée, la réalisation de réformes plus ambitieuses que par le passé et une
répression générale fin 75, les deux hommes s’y employèrent. La nomination de Bigeard à
« guerrier gouailleur »2, son implication dans la guerre d’Indochine, puis dans la guerre
d’Algérie en firent une cible privilégiée pour le mouvement des soldats, dont au moins 16
d'être les « meneurs ». Suite à la manifestation de Karlsruhe, quatre soldats furent mis aux
arrêts et mutés. A Trèves, neuf appelés furent également mis aux arrêts après la
furent condamnés à deux mois d'arrêts de rigueur fin janvier, pour la découverte de tracts6.
Par la suite, à l'exception des neuf arrestations de Tübingen, des cinq de Nancy et des
1
Le Monde, 1/2/75
2
Le Monde, 1/2/75
3
bulletins-2.4-2.7-2.9-2.10-3.3-3.4-3.5-3.21-3.38-3.43-5.15-7.6-7.47-7.74-7.97-7.104
4
bulletin-7.62
5
Le Monde, 26-27/1/75
6
Rouge n°285, 31/1/75
61
douze de Verdun, il semble que la répression se soit atténuée ; sans doute pour préparer le
C'est à cette date que le conseil des ministres a adopté une série de mesures qui
Effectivement, les deux principales furent l'augmentation du prêt du soldat qui passa de
2 F 50 à 7 F par jour (soit 210 F par mois) et le droit à un voyage gratuit par mois pour
pouvoir aux chefs d'état major des armées. Ces mesures devaient coûter 402 millions de
francs pour l'année 1975 et devaient être mises en place à partir du 1er avril1. C'était sans
conteste les concessions les plus significatives faites au mouvement des soldats depuis sa
naissance quasiment un an auparavant. En avril 1974 le prêt était de 2 F par jour, le prêt a
l'année suivante par une stagnation du prêt. L’évolution du montant du prêt est
1er juillet, succèdent deux arrêtés augmentant nettement la solde en moins d’un an. Qu’il
1
Le Monde, 6/3/75
62
l’ait admis ou non, le gouvernement tenta bel et bien de répondre au mécontentement
« qu'il y ait ou non des manifestations j'aurais présenté de telles mesures en mon
âme et conscience. »
que « ces mesures devraient calmer l'effervescence, mais il y aura encore quelques petites
Bourges et Bigeard entamaient par ailleurs une réflexion sur les changements plus
profonds à effectuer, réflexion qui devait aboutir, comme nous le verrons, à la réforme du
Cependant le 1er mai 1975 fut l’occasion d’une démonstration de force significative.
Saint-Denis2. Cette échéance était préparée par quasiment tous les comités, les comités du
sud-ouest se réunirent pour y consacrer un appel3. Ce cortêge fut l’un des plus importants
1
Le Monde, 6/3/75
2
Rouge n°299, 9/5/75 et archives CFDT-.2
3
archives LCR-2.13
63
de l'histoire du mouvement des soldats1 et renforça le sentiment de puissance des soldats
membres de comités. Ce fut évidemment une occasion pour les diverses organisations
d'évaluer leur implantation les unes par rapport aux autres et de confirmer que la LCR
était dominante, alors qu'IDS et Révo étaient minoritaires. A la fin de la manifestation, les
représentants des comités de soldats firent une déclaration à la presse, dans laquelle ils
expliquaient leur présence dans la manifestation, donnaient leur avis sur les réformes
• Le PS à l’offensive
Ces quelques mois permirent au Parti Socialiste de se montrer plus offensif sur le
terrain de l'armée. Il fallait pour lui tout à la fois séduire les cadres militaires, proposer des
mars, il réunit la première Convention nationale pour l'Armée nouvelle3. Créée le 6 mars
1974 après accord du bureau exécutif du PS, la Convention des Cadres de réserve pour
principalement des engagés et éditant une revue, Armée nouvelle4. Cette première
Convention ne fut pas conçue pour élaborer une doctrine précise mais plutôt pour
qu'il n'était pas question pour lui de sortir du pacte atlantique, Charles Hernu insista à
nouveau sur l'importance du nucléaire, la Convention prit ensuite la défense des officiers
et des sous-officiers qui ne voudraient plus être des « citoyens diminués ». La question du
mouvement des soldats ne put être évitée. Selon Le Monde, la plupart des participants
claires soient données aux militants du PS ou des JS qui effectuent leur service. Charles
Hernu, après avoir rappelé qu'il avait été jusqu'à présent interdit aux militants de participer
aux initiatives de « mouvements gauchistes » (et interdit aussi par exemple de signer
1
le plus massif des cortêges fut celui du 1er mai 1976 (environ 250 soldats)
2
archives LCR-2.10
3
Le Monde, 11/3/75
4
Armée nouvelle n°2, 1er trimestre 1975
64
l'Appel des cent), annonça qu'une branche pour le contingent allait être créée au sein de la
CCRAN et qu'une plate-forme à destination des appelés allait être rédigée sous peu. Cette
convention marqua une certaine unification des positions au sein du Parti Socialiste,
Cette initiative eut par contre pour conséquence de tendre les divergences entre le
Parti Communiste et le Parti Socialiste sur les questions de défense2. Le PC s'appuya sur
Parti Socialiste sur les questions militaires, il y était prévu que la France renoncerait à la
Comme prévu, l'appel en direction du contingent fut rédigé et signé par 300 soldats
(cadres et appelés) au 27 avril 19753. Après l'Appel des cent et le statut démocratique du
Cet appel4 se prononçait d'abord contre la suppression du Service national et, dans une
- porter le prêt du soldat à une « fraction notable » du SMIC et l'indexer sur celui-ci
(ainsi que la gratuité des transports et la tenue civile en dehors des heures de service)
1
Le Monde, 18/3/75
2
Le Monde, 18/3/75
3
Le Monde, 27-28/4/75
4
Armée nouvelle n°3, 2e trimestre 1975, voir annexe-24
65
Si ce texte allait assez loin en demandant la suppression des juridictions militaires, il
restait malgré tout bien en retrait des autres plate-forme en présence. Ainsi, on remarque
qu'il ne chiffre pas le montant du prêt et que, contrairement à ce que pourrait laisser
devait être de « contrôle et d'animation de la vie quotidienne des unités. ». Cet appel est en
dans Le Monde du 5 avril 1975, lorsque à la suite d'une longue justification du droit à
inadaptée1.
généralement émergea pleinement à partir de cette époque, pas tant d'un point de vue
• les prémices
Le jeudi 6 mars, dans l'indifférence quasi générale, une section syndicale était
1
Le Monde, 22/7/75
2
Libération, 20/3/75
66
Deux mois plus tard, le 5 mai, c'était à Issy-les-Moulineaux qu'une section syndicale
était créée par des soldats de la 121e compagnie du matériel du territoire. Ils demandaient
cent en matière d'orientation1. Il est difficile de discerner quel groupe était à l'origine de
cette création, IDS ou la LCR. Quoi qu'il en soit, ces deux initiatives ne laissèrent pas
acte significatif impliquant ces confédérations dans le mouvement des soldats. Mais c'est
nous sommes tout à fait d'accord pour l'organisation au plus vite de syndicats au sein de
l'institution militaire. »
Dans une interview accordée au Quotidien de Paris des 8 et 9 février 1975, Daniel
« La CFDT est prête à favoriser toute action qui va dans le sens des revendications
légitimes des appelés et des cadres et à soutenir toute tentative d'organisation syndicale
correspondu à une étape du développement des revendications dans l'armée. Mais les
comités de soldats souffrent d'un problème, celui de leur constitution initiale (ils ont été
généralement formés par des militants d'extrême gauche). Maintenant, une organisation
plus large, de type syndical, nous paraît nécessaire. » Il exprimait par ailleurs son
1
Libération, 5/5/75
2
Le Monde, 15/1/75, archives CFDT-5
67
désaccord avec les revendications de « solde égale au SMIC » (irréalisable, il la
demander le rapatriement de l'armée). Il considéra par ailleurs que le droit de grève était
« une question à discuter », mais qu'on ne pouvait pas taxer la CFDT d'antimilitarisme
du service national ».
syndicats CFDT, mouvement non contrôlé par l'appareil central. Ce soutien allait
essentiellement se manifester par une aide matérielle de syndicats, d'UL et d'UD à des
comités de soldats.
Le comité de Marseille, proche du PCF, fut l’un des premiers à tisser en avril 1975
des liens avec les syndicats et nous fournit un exemple particulièrement éclairant, même si
« Ce qu’il y a d’intéressant, c’est les liens tissés dès le début entre les comités et les
« Le N°1 du journal de la FEN (local) explique : “Un comité des soldats s’est
constitué dans les casernes de la région marseillaise. Avec les autres jeunes, les militants
syndicale”.
“Parisien”.
s’abat contre le “Journal de l’appelé” début juillet. (…) Une conférence de presse se tient
à la Bourse du travail, en présence des trois syndicats CGT, CFDT et FEN. (…) La CGT,
la FEN, la CFDT ainsi que le groupe communiste et la JC demandent des explications aux
autorités. »1
comités de soldat
début du nom du
Soutiens soutien Ville régiment bulletin
UL-CFDT de Noisy-le-sec et
Sevran et CFDT-PTT de
Seine-Saint-Denis mars 75 Tübingen G.V. m'facher
UL-CFDT de Noisy-le-sec et
Sevran et CFDT-PTT de
Seine-Saint-Denis mars 75 Karlsruhe Tringlo en colère
Gardavoufix Le
UIB-CFDT et UL-CGT mars ou avril 75 Clermont-Ferrand 92e RI Gaulois
Le sapeur
CFDT-PTT de Strasbourg avril 75 Kelh 33e RG déchainé
UL-CFDT des 5e et 13e Le hussard en
arrondissements de Paris avril ou juin 75 Pforzheim 3e RH colêre
UL-CGT et CFDT de
Draguignan mai 75 Canjuers Bidasses en lutte
UL-CGT et UL-CFDT de
Thionville mai 75 Thionville 25e RA A canon rompu
CGT-EGF du Centre de 12e RC et 53e
Brest mai ou juin 75 Mulheim RA On est dedans!
UD CFDT et SNI de
Dordogne juillet 75 Périgueux 5e RC La lucarne
UD-CFDT de Bordeaux juillet ou août 75 Mérignac BA 106 Ras l'calot
UL-CFDT nanterre août 75 Mont Valérien 8e RT Tam...tam
Les coulours de
UL-CFDT de Sedan août 75 Sedan 12e RCH la caserne
août ou Rompons les
UD-CFDT de l'Isère septembre 75 Grenoble rangs
Union Interprofessionnelle août ou Ça branle dans le
de la CFDT de Saint-Dizier septembre 75 Saint-Dizier BA 113 manche
section CGT de l'INRA de
Versailles septembre 75 Saint-Cyr BA 272 R.A.S.
UD-CFDT de Verdun septembre 75 base d'Etain 94e RI L'étaincelle
Comme on peut le constater sur ce tableau, établi à partir des bulletins dont j’ai pu
disposer et n’étant donc pas exhaustif, ce soutien démarra réellement à partir du printemps
75 et allait s'étendre progressivement jusqu'en septembre. Dans la plupart des cas, les
remarque que la CFDT a été largement la plus active, avec 16 structures impliquées dont
1
archives LCR-2.5, bilan rédigé par un militant de la LCR, “Clément”, membre du comité
69
quatre Unions départementales et huit Unions locales, alors que la CGT n'en eut que cinq,
dont trois Unions locales. Il semble que ce fut l'opposition de la CFDT qui fut à l'origine
intervenaient.
de la CFDT. Dans un texte rédigé début juillet 1975, en s'appuyant sur les déclarations
ceux qui tournent les yeux vers le Chili, de toute tentative factieuse en cas de victoire
Elles argumentaient ensuite en faveur d'un syndicat de soldats et concluaient par ces
mots :
« Ce texte est une contribution au débat qui s'ouvre dans le mouvement syndical, il
« Il importe aujourd'hui que notre initiative soit reprise par d'autres structures
syndicales. (…) Nous nous proposons dans un premier temps de ventiler (les demandes
Les trois mêmes structures syndicales, après avoir initié le soutien aux comités de
soldats, furent encore une fois à l'initiative d'une action qui recut un certain écho. Le 29
délégation de quatres militants de la CFDT des PTT de Seine-Saint-Denis était reçue dans
être répétée le 5 octobre par l'UD-CFDT de Bordeaux qui envoya une délégation aux
1
archives CFDT-3, 5 et 6
2
archives CFDT-5
3
Libération, 12-13-14/7/75
70
journées portes ouvertes de la Base aérienne de Mérignac1. Ils n'y furent pas reçus avec
autant d'égard qu'à Tübingen, mais purent cependant avoir accès à des lieux interdits
normalement. Ces actions avaient bien entendu une forte portée symbolique dans la
mesure où ces délégations visitèrent les lieux « comme aurait pu le faire une commission
colonel du 5e RD de Tübingen, qui fut relevé de ses fonctions pour avoir reçu
Du côté de la CGT, je n’ai trouvé trace par les bulletins que de cinq structures
syndicales impliquées dans le soutien direct à des comités de soldats, dont trois fois en
commun avec la CFDT. La section CGT de l'INRA de Versailles, qui entama4 un travail
de soutien dès mai 74, expliquait qu'elle avait mis en place cette activité pour « exiger le
maintien des droits syndicaux des ouvriers partant à l'armée », la référence insistante à
l'Appel des cent peut laisser entendre que cette section était animée par des militants de la
« La section locale (…) s'engage à faire connaître les actions du comité, à les
l'extérieur) à leur apporter toute l'aide pratique dont ils ont besoin (tirage…). Des textes
travail sur l'armée1. Dans une circulaire envoyée à toutes les structures de la CFDT, les
et indiquaient qu'une position définie devait être adoptée au bureau national d'octobre.
1
Tribune Socialiste n°674, 18-25/10/775
2
Libération, 12-13-14/7/75
3
L’Humanité, 18/7/75
4
archives CFDT-21
71
Considérant que « des initiatives ont déjà été prises de manière désordonnée », il s'agissait
de « les faire converger dans une démarche mieux définie ». Concrètement, le bureau
national proposait « que la CFDT prenne des initiatives pour regrouper ses militants et ses
adhérents à l'armée sous forme d'une association : Association des appelés CFDT. », la
création d'un syndicat CFDT étant considérée comme « une mesure trop hasardeuse dans
« - impulsion de l'action dans les casernes et apport éventuel d'une aide à la création
d'un syndicat de soldat (le syndicat unitaire paraît à l'heure actuelle mieux adapté à la
situation). »
Cette association était censée « travailler sur le terrain avec d'autres groupes ou
organisations (type IDS), mais (éviter) d'avoir une action privilégiée avec les groupes
entendre Edmond Maire dans sa déclaration. Il semble que la CFDT tenta alors de
reprendre l'initiative face aux structures CFDT déjà impliquées et de canaliser ainsi la
sympathie pour ce type d'action qui pouvait exister chez certains adhérents, sans toutefois
septembre 75, beaucoup plus à gauche que le texte du bureau national2, mais elle n'avait
quasiment aucune autorité. Deux brochures destinées aux appelés furent rédigées fin 75.
La première fut réalisée par l'UD-CFDT de Niort3 et la seconde fut faite nationalement : le
Guide pratique des appelés4. Comme son nom l'indique, cette brochure contient
essentiellement des conseils pratiques, notamment les droits des appelés, ainsi que le point
1
Révolution ! n°106 ou 107, vers la mi-octobre 1975
2
archives CFDT-4
3
Soldat tu restes un travailleur, UD-CFDT de Niort, septembre 1975
4
Guide pratique des appelés, collection CFDT/information, Ed. Montholon-Services, Paris, 1976
72
Au niveau central, il semble que la CGT soit assez longtemps restée dans le flou,
suivant peu ou prou les positions du PCF en la matière1. C'est à l'occasion de son 39ème
congrès en juin 75, que cette confédération précisa ses positions et sortit une brochure les
défendre le droit des soldats à être des citoyens à part entière et pour ce faire aider à
durée du service « pouvait »3 être ramené à 6 mois, que l'affectation devrait s'accomplir
« autant que possible » près du domicile de l'appelé et que la solde devait être portée à
300 F4. Elle considérait par ailleurs qu'« un syndicat de soldat ne se justifiait pas (…) par
contre les appelés devaient se voir donner la possibilité de désigner parmi eux un délégué
qui puisse discuter, débattre de leurs problèmes avec les sous-officiers ou officiers. »5 Sur
les tâches concrètes des organisations de la CGT, la brochure suggère d'envoyer la Vie
Ouvrière et toutes les publications du syndicat aux soldats ainsi qu'un colis ou un chèque
« selon les occasions » et d'autre part d'informer les travailleurs sur la vie de caserne. Rien
n'est dit sur un quelconque soutien aux comités de soldats. La CGT soutenant
abstraitement « l’Appel des cent, les procès de Marseille, les actions des jeunes à
« une petite minorité (qui) refuse de tenir compte des réalités, provoque
travaillait à une réforme d'ampleur de l'armée. Le cœur de cette réforme était constitué du
1
archives LCR-3.2
2
La CGT et l'armée, op. cit.
3
La CGT et l'armée, op. cit. p. 23
4
La CGT et l'armée, op. cit. p. 23-25
5
La CGT et l'armée, op. cit. p. 25
6
La CGT et l'armée, op. cit. p. 33
73
nouveau règlement de discipline générale, qui venait remplacer celui de 1966. Quelques
réunions publiques ou privées, ayant un caractère politique sous réserve qu'il ne soit pas
fait état de sa qualité de militaire. »4 « Le militaire servant au titre du service national, qui
était affilié à des groupements ou associations à caractère politique ou syndical avant son
pendant sa présence sous les drapeaux. »5, De même, « les manifestations, les pétitions et
événements passés, fut même ajouté à l'article 10, précisant que « dans les enceintes et
établissements militaires (…) et en général, en tout lieu de séjour militaire, il est interdit
en cas de litige avec un de ses supérieurs restait la « voie hiérarchique »7. Des
« La participation des militaires aux mesures intéressant les divers aspects de la vie
1
Le Monde, 18/7/75
2
Décret n°75-675 portant règlement de discipline générale dans les armées, 28 juillet 1975
3
notamment la loi adoptée trois ans plus tôt, Loi n°72-662 portant statut général du militaire, 13
juillet 1972
4
art. 10
5
art. 10
6
art. 13
7
art. 13
8
art. 17
74
De plus, il ne semble pas que cette mesure fut accompagnée d'une véritable volonté
politique puisqu'il n'en fut même pas fait mention dans l'instruction ministérielle
Les dispositions les plus innovantes ne portèrent pas sur la discipline, mais plus sur
la condition de soldat. Le port de la tenue civile était dorénavant autorisé sans restriction
en dehors du service et des enceintes militaires2. L'appel du soir était supprimé. Le salut
n'était plus obligatoire qu'en service3. La coupe de cheveux, tout en restant nette, n'était
série de mesures5 qui avaient également pour but d'améliorer la vie du contingent. Les
soldats avaient désormais quartier libre jusqu'à minuit. Du point de vue de la réinsertion
des appelés dans la vie professionnelle, le gouvernement instituait des bourses pour les
étudiants et un contrat d'engagement de courte durée au sortir du service pour ceux qui le
souhaiteraient. Une libération anticipée était prévue pour des appelés « dont la situation
difficile serait augmentée. Des nouveaux trains de permissionnaires seraient mis en place.
Les cigarettes distribuées aux appelés seraient maintenant munies d'un bout-filtre (ce qui
fit ironiquement appeler cette réforme par certains comités de soldats la « réforme bout-
filtre »6) et un budget serait débloqué pour les loisirs des forces françaises en Allemagne.
1
Instruction n°230/EMM/PL/ORG portant application du règlement de discipline générale, 4
août 1975
2
art. 21
3
art. 22
4
art. 21
5
Le Monde, 18/7/75
6
comme ceux du 12e RCH de Sedan (bulletin-7.85), de la BA 106 de Mérignac (bulletin-4.2) ou de
Mailly (bulletin-4.21)
75
Ch. 3 : L'heure de la répression (septembre 75 - mars 76)
novembre)
Lors de la rentrée en septembre 75, il était assez inévitable que les antimilitaristes et
les comités de soldats entament une réflexion sur le devenir de leur action. Certes les
existait malgré cela, lié à l'absence d'initiatives marquantes et du silence des médias sur
leur activité. Il y avait eu la naissance du mouvement avec l'Appel des cent, la première
profonde du mouvement avait suivi ; en cette rentrée il fallait trouver une perspective pour
traversa tout à la fois les organisations politiques investies et les comités de soldats eux-
soldats et la tenue d'une réunion nationale des comités de soldats pour la fin de l'année
1975.
• IDS
parfaitement dans son élément dans le débat qui se développa en cette rentrée de 1975.
1
la brochure qu’elle publia en janvier 1976 était toute entiêre destinée à defendre cette idée :
Information pour les droits des soldats, La lutte pour un syndicat de soldats, petite collection
maspéro, Maspéro, Paris, 1976
76
Depuis sa conférence de mai 75, elle s’était fixée pour objectif la tenue d’une
réunion nationale des comités Elle avait engagé concrètement la “bataille” dès juin par un
article de Nicolas Baby1 paru dans Le Monde des 26 et 27 juin 1975. Il y proposait « deux
sections syndicales autonomes de soldats ; le resserrement des liens entre ces comités et
les syndicats, et coordination par villes, régions, armes. Une perspective nationale
transitoire s’impose (…) : des états généraux de soldats marins et aviateurs (…) étape
«- Lié aux centrales syndicales ouvrières, entretenant avec elles des liens
organiques
que la pression des soldats produit, avant tout chez les petits sous-officiers »
plus large, le combat pour leur reconnaissance », position déjà bien plus à gauche que les
étaient faites. L'une était rédigée par Nicolas Baby et Jean-François Legras (membres du
secrétariat national d'IDS), l'autre émanait de Patrice Finel, membre d'IDS et ex-secrétaire
1
principal dirigeant d’IDS, membre de l’AMR puis du PSU 77
national du MJS (la direction du MJS ayant été dissoute par le PS au printemps 75). Dans
soldat. (…) Il s'agit de dégager un objectif clair, compréhensible, à l'exemple des Pays-
Bas. (…) Pour nous, l'étape actuelle est bien la réunion d'états généraux des comités de
soldats ». On remarquera qu'IDS employait plus volontiers le terme d'« états généraux » ,
alors que la LCR employait le terme d'« assises nationales » , sans que cela n'implique de
• La LCR
La LCR mit plus de temps pour arriver à des positions quasiment équivalentes. La
question du syndicat suscita des divergences au sein de la LCR, dont la position évolua au
fil des événements. Juste après l'Appel des cent, en juin 74, la position définie
« Dans l'état actuel des choses, la proposition de s'engager dans la construction d'un
syndicat de soldats n'est pas recevable. » Ce type de structure « ne pourrait en effet voir le
jour que dans une période d'émergence de double pouvoir ou que si le mouvement ouvrier
eux », et d'autre part placer « les directions syndicales devant leurs responsabilités (…)
1
archives personnelles-4.
78
Ce n'était pas l'avis d'une minorité de membres du CC, menée par Gérard Filoche,
qui considérait que « la perspective d'un syndicat de soldat peut et doit être relancée » car
« c'est un débouché naturel pour l'appel des 2000 soldats (…). C'est une perspective qui
Les divergences qui se firent jour à l'occasion des comités de soldats, n'étaient la
plupart du temps que la projection des divergences plus générales qui pouvaient exister au
sein de la LCR, sur la manière d’animer des « mouvements de masse », le profil plus ou
position définie plus tôt et obtint par là-même l'unanimité moins six abstentions sur le
la création d'un syndicat, mais plus modestement d'« une modification des rapports de
force entre les classes permettant à la bourgeoisie (ou l'obligeant) à tolérer une telle
comités de soldats semi-clandestins est la ligne centrale pour toute la période, comités qui
ne peuvent être assimilés à des embryons de sections syndicales de masse des soldats »,
« la bataille pour le droit à l'organisation syndicale des soldats doit être l'enjeu d'une
« 1°) Dans les organisations syndicales avec, partout où cela est possible réalisation
locale de regroupement de soldats pris en charge par les structures syndicales elles-mêmes
(…)
des mots d'ordre des comités de soldats tout en sachant que cette revendication n'est pas à
dans la situation actuelle qui cherche à s'appuyer sur des cas locaux exemplaires ».
Le FCR, dans le souci de satisfaire les différentes options en présence, adoptait ainsi
une orientation assez obscure, dans la mesure où tout en considérant que cette bataille
1
archives personnelles-5.
79
n'était pas d'actualité, n'était que « propagandiste », elle devait devenir un axe politique
central.
Ce flou se retrouva dans les thèses adoptées au congrès d'octobre 741 où d'un côté il
était écrit que « si (les comités de soldats) représentent de façon durable un cadre naturel
d'auto-organisation pour les soldats, on ne saurait considérer ces comités comme les
embryons d'un syndicat de soldats qu'il suffirait de coordonner au sein d'une fédération
nationale », et de l'autre que les syndicats ouvriers devaient « assumer la construction d'un
syndicat de soldats. »2
A l'occasion du comité central d'avril 75, un retour critique fut fait sur l'action
menée depuis septembre. Le texte adopté3 considérait que la LCR avait « globalement
correctement mené (la bataille pour un syndicat de soldats) dans les syndicats, en
particulier dans la CFDT », qu'elle n'avait par contre « pas été menée dans Rouge » et
qu'elle n'avait été menée « qu'avec retard dans les comités de soldats. » Cette bataille
hiérarchie militaire et lié « organiquement » avec les syndicats ouvriers. Après avoir
décliné un certain nombre de tâches, le texte suggérait que le travail de lien avec les
syndicats « devrait déboucher sur une réunion nationale des comités de soldats ». Signe de
ce retour critique, le FSMAR consacra son tract du 1er mai 1975 à la « lutte pour un
C'est avec le comité central d'août 75, que la LCR acheva son évolution sur cette
1
lors duquel le FCR changea de nom pour s’appeler Ligue communiste révolutionnaire
2
Une chance historique pour la révolution socialiste, thèses du 1er congrès de la Ligue Communiste
Révolutionnaire Section Française de la Quatrième Internationale, cahier rouge n°1, Suppl. à Rouge
n°299, mai 1975, p. 68
3
archives personnelles-10.
4
La Caserne, spécial 1er mai, 1975
5
archives personnelles-11.
80
« Depuis 5 mois (…) les comités de soldats n'ont cessé de déployer une activité
croissante. (…) Leurs thèmes de lutte, liés aux revendications immédiates demeurent
globalement les mêmes (…). Mais une modification substantielle est apparue avec la
soldats est bien, dans la phase actuelle le cadre d'intervention central des marxistes-
révolutionnaires. »
réunion nationale des comités de soldats dans les mois qui viennent ».
• Le CAM
Le CAM fut jusqu’au bout le plus réservé. Il s’était toujours opposé à la constitution
d’un syndicat de soldats. Dès janvier 1975, il estimait que « mettre en avant comme
objectif actuel la construction d’un syndicat de soldats, ne tient pas compte des rapports
de forces existant dans les casernes, répand des illusions quant à la volonté des réformistes
réajustaient leurs positions2. Déclarant que le mouvement des soldats « n'en est plus
des comités de soldats. Sur le débat de fond, les CAM étaient plus réservés. Ils pensaient
« qu'un syndicat unitaire de classe des soldats, lié au mouvement ouvrier et populaire,
défendant les intéréts (non seulement matériels, mais aussi politiques) des travailleurs
sous l'uniforme, serait une conquète importante ». Cependant, ils craignaient « le syndicat
soldats par rapport aux orientations qui visent à s'en servir pour démocratiser l'armée de la
1
Comité antimilitariste op. cit. p. 11
2
archives LCR-1.11
81
bourgeoisie, de faire perdre aux comités de soldats l'autonomie qu'ils avaient conquis par
renforcer et développer les comités de soldats, établir des liens de coordination toujours
plus étroits entre eux, de construire un mouvement des soldats démocratique, autonome ».
Sur cette question, le CAM de Nancy, comme il l'avait fait vis-à-vis de l'Appel des
cent, exprimait ses nuances dans Lutte antimilitariste n°24 de septembre 75. Pour lui, le
débat sur le syndicat de soldats est « largement extérieur au mouvement des soldats »,
impulsé « soit par des organisations civiles antimilitaristes (IDS, CDA), soit par des
groupes politiques (PSU, LCR, JS) ou des organisations de soldats s'y rattachant
mouvement ouvrier, se demandant « comment croire que des syndicats et des partis qui
gèrent la paix armée face aux difficultés économiques du système capitaliste, dans les
entreprises et sur la scène politique, (seraient) prêts à s'affronter durement, aux côtés des
soldats, avec le pouvoir ». L'enjeu n'est pas selon lui de créer un syndicat de soldats mais
d'œuvrer à une « plus grande coordination des luttes dans les casernes, à une définition
Il va de soi que ce débat impulsé par les organisations civiles, mais qui trouve ses
racines dans la situation même du mouvement des soldats, se concrétisa assez rapidement
par des prises de position de comités de soldats, qui réflétaient assez fidèlement les
Balard qui entamèrent la succession de textes qui circula à cette époque. Ils rédigèrent dès
juillet 1975 un texte3 appelant à « une réunion clandestine des comités de soldats (…) le
1
le VVDM
2
bien qu'ils aient fusionné avec le PSU en février 75, les militants de l'ex-AMR sont restés les
principaux animateurs d'IDS et il semble qu'ils aient maintenu un réseau entre eux
3
Lutte Antimilitariste n°25, octobre-novembre 75
82
plus tôt possible », étant donné l'absence de référence claire au syndicat de soldat,
syndicales et le fait de parler du CAM avant le CDA et en ignorant IDS, on peut penser
Cette initiative eut tendance à aiguiser la compétition entre les différents courants
propositions (mise en place d'un journal, nouvelle plate-forme…) dont le grand absent
était le syndicat de soldats, dans ce cas aussi on peut penser qu'un ou des militants de
comités », sans référence au syndicat, et assez défiant vis-à-vis des centrales syndicales3.
Il est assez difficile d’évaluer s’il était plus proche du CAM ou de la LCR.
section syndicale, soutenu par l'UL-CFDT, et par IDS4. A côté des soldats, étaient présents
Charles Piaget, responsable local de la CFDT et secrétaire national du PSU, ainsi qu'un
1
ce que confirme l’archive LCR-3.3
2
Lutte Antimilitariste n°25, octobre-novembre 75
3
archives LCR-2.4
4
Le Monde, 6/11/75
83
responsable d'IDS1. Dans l'appel distribué à cette occasion2, les revendications étaient
« - augmentation immédiate de 500 F pour tous, le SMIC tout de suite pour les
d'hygiène
Il se concluait par un appel à des « états généraux avec pour objectif la création d'un
quasiment aucun écho, cette création d'une section syndicale produisit des réactions assez
virulentes, sans doute à cause du contexte général de débat et de perspective à court terme
Le PS, par la voix de Charles Hernu, condamna cette initiative, « car tout ce qui tend
à affaiblir l'outil de la défense, donc la défense, rend service à ceux qui voudraient nous
préparer une armée prétorienne. »3 De manière plus générale4, à l'exception du PSU, tous
fut quasiment unanime. André Bergeron déclarait par exemple le 7 novembre que « les
apprentis sorciers de Besançon et d'ailleurs, s'ils étaient suivis nous conduiraient vers de
dangereuses aventures ». La CFDT fut évidemment gênée par la situation. Elle condamna
1
Tribune Socialiste n°677, 8-15/11/75
2
annexe-13
3
Le Monde, 6/11/75
4
Témoignage Chrétien, 13/11/75
84
l'initiative de son UL tout en soulignant que « sous l'uniforme, les appelés demeurent des
défendre leurs intérêts », même si « s'exprimer collectivement ne signifie pas que l'on
« La création d'un syndicat dans l'armée est un acte illégal et impensable. Notre
armée représente une France saine et disponible, aussi il n'est pas question de désarmer
devant une minorité issue de mai 68 et dont le but est de créer le désordre pour le
désordre.(…)
« Quant à la réunion d'Etats généraux du soldat, il n'en est non plus aucunement
question. Actuellement nous observons une amélioration du climat dans l'armée ; alors ce
Cette réaction s'accompagna d'une répression des soldats de Besançon. Sept appelés
furent mis aux arrêts de rigueur pour 60 jours et transférés à la Maison d'Arrêt Barrès de
aussitôt qu'« aucun militaire du 19e RG de Besançon ne ferait l'objet d'une inculpation. »1
• les coordinations
Du côté des comités de soldats, cette création d'une section syndicale amplifia les
débats et les prises de position. Peu après, le comité du 2e GC stationné à Trèves en RFA,
qu’« on ne peut parler de syndicat que si le droit syndical est arraché. Dénommer “section
syndicale” un comité, ou “Syndicat” la seule addition des comités clandestins n’est à nos
yeux qu’une formule vide. La tâche actuelle est de coordonner les comités régionalement,
de construire un mouvement national des comités pour gagner sur les mêmes objectifs,
1
Le Monde, 6/11/75
2
Libération, 17/11/75, Le Monde, 15/11/75
85
pour constituer l’embryon du futur syndicat. C’est ainsi que nous pourrons imposer la
Cette coordination s’était déjà réunie une première fois en juillet3. C'est le comité de
Castelsarrasin (Sapeur enragé) qui en fut à l'initiative et qui convoqua les autres comités.
Celui du 45e RGA de Balma (Le ballon se soulève) y répondit positivement le 23 octobre
754, cependant il ne souscrivait pas à l'affirmation selon laquelle « les C.S. commencent à
organiser… une partie du contingent ». Il suggérait que cette réunion régionale soit
centrée sur les perspectives de construction locale et insistait fortement sur la nécessité
pour les comités d'écrire des bilans à cette occasion. Pour le comité de soldats de la BA
101 de Francazal5 (Le Vareille enchainé), afin que « la coordination à laquelle (le comité
de Castelsarrasin) appelle soit positive et non pas répétitive de celle de juillet, elle doit se
faire après réflexion de chaque comité sur les perspective des CS, puis être posée dans ce
sens ». Pour sa part, il considérait que le renforcement des comités par un « travail de
masse de type pré-syndical » ainsi que le « lien avec les organisations ouvrières »
constituaient les « deux axes prioritaires (…) meilleurs outils vers l'organisation de masse
A l'exception de l'appel qui en sortit, je n'ai rien retrouvé de cette rencontre. Dans
cet appel il n'était pas une seule fois fait mention de la perspective d'un syndicat de
(…)
1
Le Quotidien, 17/11/75
2
archives LCR-2.6
3
archives LCR-2.16
4
archives LCR-2.14
5
archives LCR-2.11
86
- possibilité de mise en place de rencontre par région et par arme »1
Cet appel était signé par les comités de soldats de la BA 101 de Francazal, du 24e
approuvaient « l'idée d'une rencontre nationale des comités de soldats, réunion de travail
nationales et régionales mais elle marqua les esprits des responsables-armée de la LCR
dans la mesure où Jean-Yves Potel et les trois militants qui l’accompagnaient (dont deux
mis en garde-à-vue pendant 48 h. Il semble que la commission armée ait alors pensé que
• Reims et Chaumont
1
archives LCR-2.9
2
je n’ai retrouvé nulle part la trace de ces deux derniers comités
3
Crosse en l'air, décembre 75, archives LCR-2.8
4
entretien-3, p. 22
87
Une autre affaire vint accélérer les événements et permettre à la LCR de reprendre
m'facher) organisait une conférence de presse dans laquelle il appelait à des « assises
nationales » du mouvement des soldats1 et précisait quel devait être selon lui l'ordre du
jour de cette réunion. Cet appel proposait que les assises aient pour objet :
« -1) de réactualiser l'Appel des Cent, et de doter le mouvement des soldats d'une
« -3) d'entamer un débat de fond sur la nécessité d'un Syndicat Unitaire de Soldats
(…)
abordée.
1
Le Monde, 14/11/75
2
annexe-14
3
annexe-15
88
Le gouvernement avait donc face à lui un mouvement des soldats qui s’apprêtait à
passer un saut qualitatif. Les rapports de la SM parlait d’un climat apaisé dans les casernes
et de comités plus isolés. Il devait faire face à l’entrée dans la crise et à des difficultés
sociales. Autant de raisons qui l’incitèrent à frapper fort. Un événement a priori anodin
allait lui donner le prétexte pour enclencher la saisine de la Cour de Sûreté de l’Etat et
• Prémices et saisine
distribuait un tract aux appelés à la gare de l'est, dans lequel elle s'opposait au
comme seule instance représentative dans les casernes. »1 Ainsi, aussi paradoxal que cela
puisse paraître, le Parti Socialiste utilisait les comités de soldats contre le syndicat de
soldats. Il ne s'agissait évidemment pas dans son esprit des comités de soldats réellement
existants (qu'il avait à maintes reprises condamné), mais des comités participatifs qu'il
aurait souhaité voir mettre en place. Il n'en reste pas moins que, contrairement à ce
qu'avaient pu penser des courants comme l'OCR, le forme « syndicat » apparaissait bien
comme plus subversive que la forme « comités de soldats ». Le 26 novembre, Chirac fit à
l'assemblée une intervention virulente contre le Parti Socialiste, qu'il accusa de « mettre en
soldats2.
impulsé par des groupes comme le CDA, les CAM, IDS, la LCR, le PSU ou des sections
ou UL de la CFDT, et que « des collusions avec l'étranger apparaissent même »(« milieux
1
Le Figaro, 2/12/75
2
Lutte Ouvrière n°279, 6/12/75
89
gauchistes et antimilitaristes allemands », Portugais), le ministre de la Défense estimait
La Cour de Sûreté de l'Etat, plus encore sans doute que les tribunaux permanents
des forces armées, était une juridiction très contestée2. Créée par De Gaulle en 1962 pour
lutter contre l'OAS (elle s'appelait alors la « Cour militaire de justice »), la Cour de Sûreté
de l’Etat était une juridiction d'exception totalement sous la tutelle du pouvoir éxécutif
(elle fut supprimée par François Mitterrand au début des années 80). Les poursuites ne
pouvaient être engagées que sur ordre écrit du Ministre de la Justice. La durée de la garde
à vue pouvait atteindre 10, voire 15 jours, de plus des perquisitions et des saisies
pouvaient être organisées sur tout le territoire et à toute heure du jour ou de la nuit. Les
cinq magistrats étaient nommés par décret pour deux ans (renouvelables). Une fois
l'enquête finie, le chef de l'Etat devait signer un « décret de mise en accusation » pour
renvoyer le ou les prévenus devant leurs juges (dans ce cas, cela n'eut jamais lieu).
furent détenus3. Huit de ces appelés venaient de Besançon, dont sept étaient ceux qui
avaient déjà été arrêtés au lendemain de la création d'une section syndicale au 19e RG.
Parallèlement à ces inculpations, vingt jeunes étaient interpellés au Mans lors d'une
manifestation organisée par le CDA, un postier de Paris-Brune, alors sous les drapeaux,
fut condamné à 60 jours d'emprisonnement pour avoir possédé des tracts sur l'initiative de
Besançon1, un appelé, militant de la CGT était condamné par le TPFA à trois mois de
forteresse, dont deux avec sursis, pour s'être absenté de sa caserne pour aller à une réunion
1
annexe-16
2
Le Quotidien, 2/12/75, La répression dans les casernes, dossier noir, Suppl. à Politique Hebdo n°217,
avril 1976, p. 3-5
3
Libération, 2/12/75, Le Figaro, 2/12/75
90
TPFA pour « coups et blessures à supérieur » (ils s'étaient battus avec des sous-officiers et
des officiers le 15 octobre après une distribution des Bœufs voient rouge2).
fut d'une partialité totale. L'Aurore du 2 décembre, parlant d'une « longue liste de
coupables », reprenait à son compte sans aucune gêne la théorie du complot international :
« Il apparaît aujourd'hui comme évident que (…) ce sont ceux des forces françaises
arrière” à ceux des casernes françaises. Ces derniers reçoivent en outre l'aide de militaires
portugais du SUV. »
Même son de cloche dans Le Figaro du 1er décembre 1975, dans lequel M Pouget
évoquait « l'ennemi intérieur » et déclarait sans hésiter que « depuis quatre ans, de leurs
« permanents » experts en agitation politique ont organisé des congrès, des stages, des
journal ayant jusqu'ici vu plutôt d’un bon œil les comités de soldats). Il considérait qu'« on
dont jusqu'à plus ample informé la majorité de la nation souhaite le maintien. » Il prenait
“antinationaux” ».
1
Le Quotidien, 1/12/75
2
Le Monde, 3/12/75
91
Le Parti Socialiste se fit entendre par une multitude de canaux. François Mitterrand
déclara que cette histoire n'était qu'une « vilaine affaire » et une « provocation de bas
vers une armée de métier et vers le retour dans l'organisation atlantique »1. Si Gaston
Defferre insista pour repousser toute idée de collusion avec les « groupes gauchistes » et
pour rappeler que les socialistes étaient « pour la défense nationale, pour une armée
efficace et l'(ont) maintes fois prouvé », Michel Rocard maintint par contre le cap en
Robert Fabre, président du Mouvement des radicaux de gauche qualifia cette affaire
Etienne Fajon, membre du bureau politique du PC, déclara que cette saisine
Nouvelle s'élevait contre l'activité des antimilitaristes qui « prétendent en fait séparer
adopta la position de soutien la plus nette. Dans une déclaration faite à la presse le 1er
décembre 19751, elle affirmait qu'il n'était pas question de « subversion internationale »,
mais que « la vérité toute simple est que les appelés ne veulent plus supporter les
d'organisation et d'expression leur permettant d'obtenir l'adhésion la plus large des jeunes
concernés. » La CFDT exprimait dans cette déclaration « sa solidarité aux soldats inculpés
et arrêtés » et annonçait qu'elle prendrait « les initiatives nécessaires pour exiger l'abandon
1
Le Quotidien, 1/12/75
2
Sud Ouest, 2/12/75
3
Le Quotidien, 1/12/75
4
Sud Ouest, 2/12/75
92
• Deuxième vague (3/12)
décembre2. Sur commission rogatoire du juge Gallut, des perquisitions étaient organisées
dans les locaux des UD-CFDT de Bordeaux, Besançon et Chaumont. Des perquisitions
eurent également lieu dans une imprimerie à Dijon (les établissements Lisa) et chez
exemple celui d'une journaliste de l'Est républicain qui avait assisté à la conférence de
presse de Besançon). Enfin des syndicalistes furent arrétés, notamment Gérard Jussiaux,
gouvernement s'intéressait donc maintenant à des civils, qui plus est syndicalistes, ce qui
ne manqua pas de créer un émoi dans le milieu syndical. Edmond Maire réagit vivement
et déclara :
qui dépasse largement le seul problème de l'armée. Le pouvoir (…) cherche à réduire les
pour viser une organisation syndicale qui mène une action de masse »5.
De son côté, la CGT s'éleva « avec la plus grande vigueur » contre les perquisitions
et appelait ses organisations à « prendre toutes les mesures nécessaires pour exprimer la
réprobation des travailleurs et leur volonté de faire échec à toute nouvelle étape dans
1
Libération, 2/12/75
2
Libération, 4/12/75, L'Aurore, 4/12/75
3
Libération, 6-7/12/75
4
L'Aurore, 4/12/75
5
Libération, 4/12/75
6
L’Aurore, 4/12/75
93
La FEN enfin se déclarait prête à « une riposte unitaire générale ou syndicale »1.
inculpés et que des perquisitions étaient effectuées aux sièges de l'UL-CFDT de Noisy-le-
« Les soldats qui vont passer devant les tribunaux ou la Cour de Sûreté de l’Etat
expriment un malaise général qui est aussi le nôtre. Ce mouvement des hommes du rang
pour les libertés démocratiques et syndicales à l'armée, il doit aussi être le vôtre. »
Cet appel, malgré un léger écho dans la presse3, ne devint pas une référence dans le
débat enclenché.
6 civils et 16 soldats. La CFDT organisa ce vendredi une manifestation à Paris qui réunit
Socialiste avaient refusé d'y participer, soit par crainte d'affrontements avec la police, soit
pour ne pas être associés aux antimilitaristes qui participaient à ce défilé4 (LCR, PSU,
la CFDT publia une déclaration dans laquelle elle remettait vivement en cause le refus de
1
Sud Ouest, 4/12/75
2
Libération, 6-7/12/75
3
Le Quotidien, 4/12/75
4
Le Monde, 7-8/12/75
5
Libération, 8/12/75
94
contre le nouveau découpage électoral qui réunit 15 000 manifestants, dans laquelle aucun
De leurs côtés, le CDA, IDS et les CAM rédigèrent ce même jour une déclaration
commune des « mouvements de soutien aux luttes des soldats », qui fut intégralement
publiée dans Libération des 6 et 7 décembre. Ils y déclaraient qu'ils mettraient tout en
œuvre « pour que vive et se développe le mouvement des soldats, pour que se réalisent ces
manifestation, il y écrivait que la CFDT avait « opté pour une décision unilatérale,
appuyée par les groupes gauchistes (…). Persévérer dans une semblable attitude envers la
CGT et la gauche reviendrait à poser la question du choix » que faisait la CFDT de ses
alliés. La CGT demandait par la suite à la CFDT de préciser ses positions sur plusieurs
points. Etait-elle d'accord avec le fait que « toute unité d'action en cette matière suppose
d'une toute autre nature de caractère strictement politique » ? Et de manière plus générale,
1
Rouge n°327, 19/12/75
95
la CGT souhaitait qu'une initiative commune (fasse) l'objet de consultations appropriées
en vue d'une rencontre et d'une décision commune engageant à part entière, et sur une
tint pas, la CGT refusant d'y participer2. La CFDT répondait assez habilement à la lettre de
la CGT :
« Les forces populaires ne doivent pas tomber dans le piège de la division. Elles
sont fondamentalement d'accord pour mener la lutte sur les revendications prioritaires et
doit pas être une pierre d'achoppement à leur union. Les travailleurs ne le comprendraient
pas. »3
Séguy utilisa face à la presse une formule qui devait être maintes fois reprise : « Nous ne
expliquant que :
1
Le Monde, 10/12/75
2
La Croix, 10/12/75
3
Le Monde, 10/12/75
4
Le Monde, 10/12/75 et 11/12/75 et pour le détail des inculpations voir : La répression dans les
casernes, dossier noir, Suppl. à Politique Hebdo n°217, avril 1976
96
« Nous reconnaissons à nos alliés le droit d'avoir des positions différentes des
nôtres, y compris celui de se fourvoyer dans des aventures si cela leur plaît. Mais il ne
saurait être question, au nom de je ne sais quelle confraternité, de nous faire cautionner ou
épouser des thèses ou des activités diamétralement opposées à nos conceptions et à notre
parvenus à s'introduire « dans la CFDT jusqu'à des postes relativement élevés sans
pétitions furent signées (comme par exemple à Besançon où 350 employés municipaux
signèrent pour protester contre l'inculpation d'un de leur collègues2). Un autre exemple de
cette profusion de soutiens multi-formes nous est donné par le maire de Chaumont qui
s'éleva lors du conseil général de la Haute-Marne contre les conditions de détention des
comme elle frappe les soldats et les militants syndicalistes emprisonnés pour “atteinte au
1
Le Monde, 11/12/75
2
Le Monde, 10/12/75
3
Le Monde, 10/12/75
4
archives LCR-3.4
97
« soutien total au mouvement des soldats et (exigeait) la libération des soldats et
pour « former des citoyens dociles et bien intégrés dans la société capitaliste », l’armée
réprimait la sexualité des jeunes sous les drapeaux, et plus particulièrement des
homosexuels.
emprisonnés2, fut mis en place3. Considérant que « le pouvoir veut (…) interdire l'exercice
ouvrier et démocratique, comme le montrent ses récentes déclarations (…) Les signataires
de cet appel demandent la cessation des poursuites engagées, la levée de toutes les
inculpations et la libération immédiate des emprisonnés. Ils apportent leur soutien à tous
les soldats qui luttent pour la reconnaissance de leurs droits démocratiques, notamment le
ouvert et trois personnes supplémentaires furent inculpées, elles avaient été arrétées le 7
1
archives LCR-3.5
2
Ce comité regroupait notamment le PSU, la LCR, l'OCR, LO, la GOP, IDS, le CAM, le CDA, le
MAJ, Témoignage Chrétien, Politique Hebdo…
3
Le Monde, 10/12/75 et voir l’annexe-17
4
Le Quotidien 13-14/12/75, Le Figaro, 13-14/12/75
5
Le Monde 14-15/12/75, Libération 13-14/12/75
98
« J'ai toujours pensé que la Cour de Sûreté de l'Etat était, plus cyniquement encore
donné pour obtenir un effet donné. (…) Dès que la SM a fait remonter du terrain au
Le même jour, le comité de liaison mis en place entre les signataires du programme
commun se réunissait pour décider des initiatives à prendre. Avant cette réunion unitaire,
le PS s'était réuni le matin avec la CFDT pour discuter de la situation. Ils avaient publié
une déclaration dans laquelle ils expliquaient qu'« en s'attaquant à la CFDT après avoir
son incapacité à résoudre les problèmes posés au pays. » C'est pourquoi « les deux
organisations s'emploieront à réunir les conditions qui permettent de rassembler dans une
existaient deux axes : un axe PCF-CGT solide et un axe PS-CFDT hésitant du côté du PS.
qui permette à la CFDT de s'associer au cadre unitaire. La déclaration qui en sortit, était
Cour de Sûreté de l’Etat comme une « diversion grossière ». Si les trois partis présents
réaffirmaient « leur solidarité avec les soldats, officiers, sous-officiers, qui, en tant que
qu'ils n'avaient « rien à voir avec les objectifs et les méthodes des groupes minoritaires
antimilitaristes ». C'est pourquoi, ils appelaient « tous les démocrates (…) à condamner le
recours à la Cour de Sûreté de l’Etat (…) ; à obtenir les mises en liberté conformes aux
1
entretien-9 p. 57
2
Le Monde, 14-15/12/75
99
Le comité de liaison proposait que se réunissent lundi 15 décembre le PCF, le PS, le
MRG, le PSU, la CFDT, la CGT et la FEN afin qu'ils décident de l'initiative à prendre. Il
va sans dire qu'il était capital pour la gauche de retrouver son unité, après les querelles
publiques incessantes qui eurent lieu entre la CFDT et la CGT, et qui au bout du compte
politique globale du gouvernement (qui fut maintenu jusqu'à l'apaisement autour de cette
ouvrait par la même occasion les septième et huitième dossiers (une distribution de tracts
par une obscure « Union ouvrière pour l'abolition de l'esclavage salarié » et une
dont 24 incarcérations2.
Révo étaient perquisitionnés et des documents saisis. Ce fut également le cas de locaux en
province et de militants de ces mêmes organisations, ainsi que des militants de la CFDT (à
(elles furent pour la plupart relâchées dans la journée), des responsables locaux
nationale du PSU et Bertrand Jullien et Roger Foirier du bureau national d'IDS1. Après la
première vague des 29-30 novembre, centrée sur les affaires récentes, celle du 3 décembre
1
Le Monde, 14-15/12/75
2
Sud Ouest, 15/12/75, Le Figaro, 15/12/75
100
dirigée contre les syndicalistes, celle-ci était clairement dirigée contre les antimilitaristes
et l'extrême gauche.
La réunion des sept organisations se tint comme prévu le lundi matin2. Il n’y eut pas
de tergiversations et le débat porta tout de suite sur les questions qui faisaient désaccord :
le cadre unitaire allait-il reconnaître que la CFDT était particulièrement visée dans la
répression ? Et allait-il soutenir franchement les soldats et les civils poursuivis (PCF et
CGT s'y opposant farouchement) ? La discussion portait sur ces points quand la nouvelle
motion :
une vive protestation contre cette nouvelle atteinte aux libertés qui manifeste l'aggravation
Après un court débat, dans lequel personne ne soutint cette proposition, une
suspension de séance eut lieu. Un paragraphe dans la déclaration fut proposé afin de
satisfaire le PSU :
« Les Organisations signataires ont déjà dénoncé dans les derniers jours les
la provocation policière consituent une nouvelle étape de la même manœuvre pour tenter
libertés. »
1
Libération, 16/12/75
2
Tribune Socialiste n°683, 21-28/12/75
3
annexe-19
101
Le PSU ne s'y retrouva pas, considérant que le texte laissait planer le doute sur le
Le débat qui suivit eut pour centre la CFDT. La proposition retenue faisait mention
de « perquisitions dans les locaux d'organisations syndicales », sans citer la CFDT, sans
claire dénonciation des attaques dont elle était l'objet. Une nouvelle suspension de séance
fut organisée, après laquelle la CFDT revint et annonça qu'elle considérait que l'accord
s'était fait « sur des bases claires ». Après une dernière tentative pour modifier le texte, le
des emprisonnés était organisé à la Mutualité1. Cinq mille personnes selon Rouge n°327
décembre. Mais de leur côté aussi, les organisations d’extrême gauche se divisaient dans
l’ombre cette fois-ci. IDS notamment, semblant considérer qu’elle se trouvait, à la suite de
Le mardi 16, Pierre Halbwachs, ancien résistant, déporté à Büchenwald, fils d'un
ancien président de la ligue des droits de l'homme, était arrêté et gardé à vue pour son
1
voir l’appel de la LCR à ce meeting, annexe-18
2
archives LCR-3.3
3
Libération, 17/12/75
4
Le Figaro, 18/12/75
102
On obtenait ainsi jeudi, jour de la manifestation, le total de 45 inculpés dont 26 étaient
travailleurs et pour les libertés » se concrétisa par des manifestations dans de nombreuses
villes de province, par des débrayages dans certaines entreprises comme à la SNCF ou à
l’EDF, alors que la CGC organisait parallèlement des réunions et des grèves (dont une qui
paralysa le port de Marseille) sur ses propres mots d’ordre2. A Paris, 30 000 personnes
22 000 aux côtés des six partenaires ayant appelé à la mobilisation et 12 000 sous les
banderoles des organisations d’extrême gauche regroupées dans le Comité national pour
manifestation fut un succès, mais les divisions ternirent l’image de cette mobilisation et en
affaiblirent l’impact, d’autant que des dissonances se firent également entendre au sein du
cortège des syndicats et partis de gauche. Si tous se retrouvèrent derrière un assez radical
« Ponia, fasciste, démission ! », CGT et PCF mettaient l’accent sur les revendications
accordait un entretien au Monde, dans lequel il estimait que la CGT était « non pas sur une
ligne unitaire mais sur la ligne du parti communiste » et que l’attitude récente de la CGT
traduisait « une régression sérieuse »1. Cette déclaration agressive ne resta pas sans
1
Le Monde, 20/12/75
2
L’Aurore, 19/12/75
3
Le Monde, 20/12/75
4
Le Point n°170, 22/12/75
103
Maire, la propension de la CFDT de céder aux gauchistes et l’expression d’une volonté de
prendre ses distances par rapport à l’unité d’action ». Le 22 décembre, lors d’une
conférence de presse, la CFDT rectifiait le tir, dirigeant ses attaques contre le pouvoir,
l’autoritarisme »2, déclarant que l’accord signé le 15 constituait une « bonne base de
départ, unitaire, à élargir encore »3. Elle annonçait enfin le lancement d’une pétition
nationale pour les libertés, notamment pour la levée des inculpations et la libération des
(sans les organisations proches du PCF) qui demandait « la reconnaissance des droits
d’association. »5
de l’Etat, concluait la phase ultra-active des perquisitions et des réactions. Il fallut attendre
le 5 mars 1976 pour que le dernier inculpé soit libéré. Entre-temps d’autres inculpations
d’inculpés fut une source importante de protestations, ainsi Libération mit en gros titre :
« Seize détenus pour noël »7. Ils étaient 22 à être détenus le 21 décembre, 14 dix jours
plus tard, 8 le 20 janvier et Jacques Stambouli fut le dernier à être libéré, plus d’un mois
après8.
1
Le Monde, 20/12/75
2
L’Aurore, 23/12/75
3
L’Humanité, 23/12/75
4
archives CFDT-12
5
archives CFDT-14
6
L’Humanité 22/12/75, Libération 23/12/75, Le Quotidien 16/1/76, Le Figaro 21/1/76
7
Libération 23/12/75
8
L’Humanité 22/12/75, La Croix 31/12/75, Le Figaro 21/1/76, Le Monde 8/3/76
104
Dans la deuxième quinzaine de décembre, la campagne de soutien se poursuivit par
le biais du Comité national pour la défense des inculpés, qui organisa notamment une
apparut de plus en plus clairement que les dossiers étaient vides, que le gouvernement
n’avait pas forcément les moyens d’aller jusqu’au bout et que cette saisine s’apparentait à
un coup de bluff. Cela fut confirmé par l’action de 22 avocats de la défense (sur 25), qui
rendirent illégalement publics fin décembre les dossiers d’instruction2, et qui logiquement
au juge Gallut3.
Stimulée par un sondage SOFRES qui révélait que 43 % des Français contestaient la
compétence de la Cour de Sûreté de l’Etat à l’égard des inculpés dans les affaires de
créations de comités de soldats, contre 29 % qui considéraient qu’elle devait être saisie,
s’expliquer « clairement, publiquement et vite » sur les buts des inculpations, ayant eu
confédération étaient visés5. La Ligue des droits de l’homme s’associait par ailleurs aux
l’Etat en tant que telle6. Le 8 janvier, la CFDT eut un entretien d’une heure et demi avec
Jacques Chirac qui leur assura que la CFDT n’était pas visée en tant que confédération,
qui fut maintenu au-delà du mois d’avril). Une manifestation regroupant 10 000 personnes
fut organisée le 15 février à Paris, un appel signé par 22 personnalités demandant à être
inculpés pour démoralisation de l’armée fut rendu public le 11 février (avec notamment
1
Le Monde, 2/1/75
2
archives personnelles-17
3
Le Monde, 6/1/76
4
sondage SOFRES paru le 29/12/75 dans le Midi libre
5
La Croix, 31/12/75
6
La Croix, 31/12/75
7
Le Monde, 9/1/75
105
Sartre, Bedos, Vidal-Naquet, Foucault…)1, mais l’écho rencontré dans les médias et dans
travail (MRG, PCF, PS, PSU, CFDT, CGT, FEN)2, mais la CFDT et la CGT en étaient
déjà aux bilans. Dans Le Peuple n°982 du 1er au 15 février, la CGT justifiait son attitude
durant le mois de décembre en rendant compte jour après jour des positions qu’elle avait
attentive au sort des soldats qu’elle ne l’avait été réellement3. La CFDT quant à elle
militaire ». Edmond Maire adoptait l’attitude opposée, ce renversement des rôles après-
coup n’est d’ailleurs pas inintéressant. Il se félicitait que « les forces politiques et
syndicales de gauche (aient) su dépasser les contradictions secondaires portant sur les
problèmes de l’armée que le gouvernement aurait voulu mettre au centre du débat pour
nuire à l’union des forces populaires »4. Il faisait aussi partiellement son mea culpa en
remarquant que :
« la CFDT a compris plus tôt que d’autres une nouvelle aspiration encore
années plus tard dans l’indifférence quasi-générale. Ce fut un non-lieu qui fut prononcé le
Mais pour l’heure, cette affaire avait réussi à stopper au moins temporairement
l’extension des comités, avait renvoyé le mouvement sur sa défensive, avait anéanti les
« l’âpre polémique qui a divisé le front syndical face aux menées policières de l’hiver a
aussi pesé négativement sur les espoirs des comités. Aucune illusion n’est possible, la
marche triomphale au syndicat de soldats qu’espéraient certains devra devenir une longue
1
Témoignage Chrétien, 19/2/75
2
voir l’appel à ce meeting, annexe-20
3
ce document n’en constitue pas moins une source intéressante sur le conflit qui a opposé la CGT
et la CFDT à cette occasion
4
Cadres et profession, n°273, mars-avril 1976, p8
5
Cadres et profession, n°273, mars-avril 1976, p9
6
archives CFDT-18
106
progression pleine d’embûches. Tout à fait prêts à reprendre le combat quotidien à la
caserne ou à la base, les soldats combatifs se montrent beaucoup plus réticents dès que
leur action semble s’engager sur la voie de l’épreuve de force politique. (…) comment
préparer (les assises nationales), alors que les contrecoups de la répression se font encore
sentir dans la vie des groupes de caserne et, surtout, quand les confédérations somment
1
Bernard DOCRE, Patrick MARS, Dossier M …comme militaire, collection Confrontations, Ed.
Alain Moreau, Paris, 1979, p 168
107
II. Les comités de soldats, entre marginalité et
audience de masse
soldats »1
La difficulté à laquelle il faut faire face est la quasi-absence de sources écrites sur
l’activité à l’intérieur des casernes. Cette activité étant clandestine, tout était codé, tout se
faisait par oral. Les consignes pour les militants de la LCR étaient claires. En introduction
du guide du militant dans l’armée paru en 1973, le FSMAR précisait bien que :
« En aucun cas (ce guide) n’est une pièce d’archives. Au contraire il ne faut avoir
aucun scrupule à le détruire. (…) Ce précepte est valable pour tout document de ce type,
pratique.
1
Armée, des comités au syndicat de soldats, “Coup pour coup” n°4, Suppl. à Rouge n°333, janvier
1976, p. 5
108
Nous aborderons d’abord cette question frontalement en tentant de délimiter les
contours des comités de soldats, leur profil au sein de chaque caserne et nationalement,
puis la manière dont ils s’organisèrent. Les comités de soldats furent porteurs d’un
discours et d’exigences que nous étudierons ensuite, avant de tenter de rendre compte de
1
Bulletin de recherches… op. cit. p. 1
109
Ch.4 Des groupes de soldats autour de militants
Il ne faut pas se leurrer sur ce que furent les comités. Ce sujet reste délicat dans la
mesure où, comme on l’a déjà dit en introduction, deux conceptions s’opposaient
structure souple, peu formalisée, associant entre trois et quelques dizaines de soldats. Les
comités étaient intimement liés aux organisations d’extrême gauche investies dans
l’armée, qui leur imprimaient un certain profil. Dans les casernes, bases navales ou bases
Dans les années qui suivent 1968, la plupart des militants d’extrême gauche
multipliaient les sursis avant d’aller à l’armée et tentaient pour beaucoup d’y échapper en
communiste :
mener une propagande et une agitation systématique et persévérante parmi les troupes. Là
où la propagande ouverte est difficile par suite de lois d’exception, elle doit être menée
illégalement ; s’y refuser serait une trahison à l’égard du devoir révolutionnaire et par
1
Manifeste, thèses et résolutions des quatre premiers congrès mondiaux de l’Internationale communiste de
1919 à 1923, bibliothèque communiste librairie du travail, Ed. la Brêche, Paris, 1984
110
cette quatrième condition, n’était pas vraiment respectée. Dans son manifeste en
janvier 1972, la LC accordait trois pages sur 170 à l’armée1, elle y énonçait une série de
revendications, des plus matérielles (solde à 300 F par mois, gratuité des transports) aux
du « droit au service militaire pour les femmes », revendications qu’on ne revit jamais
dans aucun bulletin et dans aucune plate-forme. Cette prise de position n’engageait pas
Ce fut cependant la première organisation2, suivie de peu par Révo, à envisager une
activité dans l’armée. C’est dans le courant de cette année 1972 que le débat fut lancé3 et
qu’une intervention prit forme. Comme le reconnaît assez franchement Patrick Petitjean
pour Révo4, loin des schémas stratégiques grandioses qui furent mis en avant, le
développèrent cette activité autant par révolte spontanée contre cette institution archaïque
que par suivisme envers une sensibilité anti-autoritaire ambiante, envers un « sentiment
d’une volonté d’affronter violemment l’Etat et les institutions, où il ne s’oriente pas vers
un aménagement de l’embrigadement de la jeunesse »1. C’est pour occuper cet espace que
Cependant cette activité s’inscrivit aussi d’emblée dans une stratégie générale. Au
début des années 70, ces organisations analysaient mai 68 comme une “répétition
1
Ce que veut la ligue communiste, collection poche rouge, Maspéro, Paris, 1972, p. 148-151
2
confirmé par IDS : François MALBOSC, op. cit. p94
3
archives personnelles-1
4
entretien-6 p. 41
111
discutait en termes de mois, d’années pour les plus tièdes »2. L’état d’esprit de l’époque
est bien résumé dans la formule : « l'histoire nous mord la nuque »3. Dans ce « moment
théoriques et pratiques »4. L’objectif pour le FSMAR était de « mettre en œuvre dès
maintenant les moyens qui permettront, le moment venu, de neutraliser l’armée du capital.
Paralyser, démanteler, l’armée bourgeoise ! c’est de rien moins que cela qu’il s’agit. »5 Il
se fixait cinq objectifs :organiser les appelés, imposer l’exercice de droits démocratiques,
dénoncer sans relâche l’ordre des casernes, lutter contre la préparation à la guerre civile et
C’est dans cette perspective qu’il fallait créer des "noyaux communistes" dans les
contingent se solidarise avec les travailleurs. C’est encore pour préparer cet affrontement
qu’il convenait d'apprendre à se servir des armes : "on te donne un fusil, prends-le". Dans
dans le contingent »7. C’est pour remplir cette fonction que la LC avait déjà créé le
FSMAR fin 72 et Révo l’ARS. Ces structures n’avaient pas pour vocation d’organiser
largement les appelés comme ce fut l’ambition des comités de soldats, mais seulement les
révolutionnaires. C’est aussi dans cette perspective que la LCR tenta d’infiltrer les centres
1
archives personnelles-2
2
Charles PAZ op. cit. p. 18
3
entretien-8 p. 52
4
archives personnelles-2
5
annexe-21, p. 10
6
annexe-21, p. 11-17
7
archives personnelles-2
112
Ainsi en 1972 et 1973, sur la base d’une analyse assez gauchiste de la situation,
prévalut cette articulation entre des comités visant à être les réceptacles de tous les jeunes
radicalisés sur la question de l’armée au niveau civil, et des petits noyaux totalement
permanent pour diffuser les idées révolutionnaires dans le contingent (…). Les militants
les civils un mouvement de masse de soutien aux luttes des appelés et de mobilisation
vertébrale »4. Cela correspondait parfaitement à la conception que les groupes d’extrême
gauche avaient de leur place au sein de mouvements plus larges. Au sein des casernes,
l’activité était donc conçue de manière assez élitiste. Le militant politique, seul, devait
C’est pourquoi il devait savoir jouer le rôle de “délégué syndical”. Une bonne
illustration de cette conception des choses nous est fournie par l’expérience de Jean-
1
François MALBOSC, op. cit. p. 94
2
archives personnelles-2
3
“22 thèses sur la construction du parti”, Quatrième Internationale n°6, mars-avril 1973, p. 11-12
4
archives personnelles-2
5
Bulletin de recherches… op. cit. p. 6
113
François Vilar1. Le militant devait également « repérer les éléments les plus conséquents,
les plus conscients afin de constituer au mieux un noyau communiste, au moins un noyau
militant organisé »2
Durant cette période, les comités de soldats n’étaient pas conçus comme structure
« Il est vrai que les premiers comités de soldats ne se sont pas toujours engagés
résolument dans ce travail de masse. Au début, seuls les militants révolutionnaires avaient
construction de comités de soldats sur la seule base du “pur antimilitarisme” dans laquelle
Cependant, la frontiêre entre deux périodes n’est pas si évidente que cela,
antimilitariste au sein des organisations politiques en 1974 et 1975 était directement issue
A partir du début de l’année 1974, des embryons de comités se formèrent dans les
casernes. Le plus souvent, ils ne regroupaient que les militants d’extrême gauche, mais à
Toulon ou à Reims se formèrent des comités de soldats plus larges, regroupant au-delà de
la fraction politisée. L’écho rencontré par l’Appel des cent modifia le débat sur la nature
de l’intervention dans l’armée (fraction rouge ou comités larges) : le FCR, comme l’AMR
mouvement des soldats, et orientèrent alors plus clairement leurs efforts vers la
1
entretien-4
2
Bulletin de recherches… op. cit. p. 6
3
Bulletin de recherches… op. cit. p. 2
4
Armée, des comités au syndicat… op. cit. p. 8
114
construction de comités au sein des casernes. Dans l’esprit du FCR et de Révo, cela
fraction politique (FSMAR-ARS) et les comités de soldats absents jusqu’à présents. IDS
eut pour sa part un fonctionnement particulier. Les débats n’étaient pas pour autant
épuisés. Restait à définir le caractêre plus ou moins public des comités de soldats, leurs
liens avec les syndicats ouvriers et leurs perspectives à plus long terme (syndicat de soldat
ou simple coordination).
l’année 1976, Robert Pelletier écrivait que « la base d’adhésion aux comités est plus
hiérarchie pour faire aboutir les revendications et défendre ses droits en tant que
travailleur sous l’uniforme »1. On était loin du regroupement des révolutionnaires. Mais la
réalité était en fait tout en nuances. Les méthodes ont partiellement changé, mais
concrètement dans les casernes, les militants faisaient leur possible pour regrouper un
maximum de soldats. Des accusations furent lancés par IDS comme par un courant de la
ligue, contre une partie des militants politiques (Révo et la majorité de la LCR), qui se
seraient satisfaits de ne regrouper que « l’avant garde révolutionnaire » et qui auraient été
défiants vis-à-vis de tout élargissement du mouvement. On trouve encore des restes de ces
positions vingt ans après. Dans sa biographie politique, Gérard Filoche2 reconstitue ainsi
1
Robert PELLETIER, Serge RAVET, Le mouvement des soldats, Les comités de soldats et
l’antimilitarisme révolutionnaire, petite collection maspéro, Maspéro, Paris, 1976, p. 56
2
Gérard FILOCHE, 68-98 histoire sans fin, Flammarion, Paris, 1998, p. 202
115
« Il y eut un débat surréaliste : est-ce que nous continuions l’Appel des cent ou
non ? Une des thèses, gauchiste, il faut bien l’appeler ainsi, stipulait que ce n’était plus
notre affaire, notre rôle était de mettre en œuvre le « vrai » travail antimilitariste, le travail
un tel « front » devait être strictement délimité autour de la ligue pour des raisons
ferait vivre un Front de soutien des appelés réprimés et emprisonnés. J’étais ébahi : je
voulais qu’on poursuive l’effort pour promouvoir, obtenir des centaines, des milliers de
l’idée d’une organisation unitaire de soutien, sorte de comité de défense des appelés. »
Il n’y eut que deux résolutions proposées au vote à ce CC, celle de Gérard Filoche et
celle de la majorité. Dans cette dernière, il n’était évidemment pas question d’arrêter la
signature de l’Appel des cent. Le FCR considérait alors que « la tâche essentielle des
larges, structures naturelles d’auto-organisation des soldats combatifs », qu’il fallait par
ailleurs « placer les directions syndicales devant leurs responsabilités sur cette question »,
que le FSMAR apparaissait « plus que jamais comme le pôle de regroupement des
son rôle de haut-parleur des luttes du contingent »1. Le point de désaccord avec la
tendance de Gérard Filoche portait sur le syndicat de soldats. Ces derniers considérant que
« la perspective d’un syndicat de soldats peut et doit être posée », la majorité pensant que
Mais il convient de ramener à leur juste place ces prises de positions générales.
Comme le remarque Robert Pelletier : « cela prenait un aspect un peu caricatural vue la
réalité du travail. Sans faire du basisme, le militant dans sa caserne ne se posait pas trop le
problème comme ça : il se posait le problème de regrouper des gens avec lesquels il allait
1
archives personnelles-4
116
pouvoir faire un bulletin, avec qui il allait pouvoir boire un coup le soir, et puis voir les
quatre ou cinq qu'il allait pouvoir emmener à la manif le 1er mai… C'est un débat qui dans
ce milieu-là devient rapidement abstrait. Je ne veux pas dire qu'il est faux, mais... (…)
c'est terrible, parce qu’on a vraiment l'impression de faire ce qu’on peut, et malgré cela, ça
ne colle pas. »1
y avait un ou deux militants politiques qui animaient le comité, quelques soldats autour
Le rôle des militants politiques était évidemment central. Ils étaient à l’initiative de
la constitution des comités et par leurs liens avec leur organisation, comme par leur
Un comité de soldats regroupait en moyenne peut-être entre quatre et six soldats, qui
composaient le noyau dur, c’est-à-dire qui participaient aux réunions, qui prenaient part à
Dans une brochure publique, la LCR affirmait que les comités « ont réussi à
modestement qu'« il y a eu quelques vrais comités de masse » qui ont regroupé « dix-
quinze personnes », ce chiffre étant « un maximum » , mais ils « ont eu beaucoup de mal à
tenir »3. « On avait beaucoup de mal à recruter une frange large. Immédiatement on se
trouvait confronté avec l'ancien de Révo, l'ancien de la GP, le nouveau de la ligue, le mec
1
entretien-1 p. 11
2
Armée, des comités au syndicat… op. cit. p. 8
3
entretien-1 p. 9
117
de la JC un peu gauche »1. La plupart des sources indiquent quand même qu’il y eut des
Au-delà du comité en tant que tel, il y avait la plupart du temps une frange de
sympathisants, qui voyaient d'un bon œil les activités du comité et qui pouvaient
participer à une initiative quelconque (grève des repas, refus de chanter une chanson, etc).
Dans le régiment de Jean-François Vilar à Verdun avant l’Appel des cent par exemple, le
centre était Vilar, le noyau était composé d'un groupe de 5-6 personnes et les couches
De l'autre côté, nombreux sans doute étaient les comités qui n'étaient en fait
de sa forme avait de militants ? » Je ne parle pas des sympathisants parce que c'est un truc
énorme, mais réellement actifs et fiables, je serais très ennuyé pour vous le dire, quelques
centaines… »4 Le général Bigeard affirmait pour sa part dans Paris Match au début de
« Ils ne sont quère que 480 militaires sur 570 000 soldats, mais ces 480 font du bruit
réalité de ces comités. Les quelques militants du comité pouvaient bénéficier d’une
audience au sein de leur caserne qui leur conférait une certaine influence. En certaines
1
entretien-1 p. 7
2
entretien-4 p. 27
3
annexe-10 p. 7
4
entretien-4 p. 33
118
occasions (signature de l'Appel des cent, manifestations…), un ou deux militants avec du
Draguignan, à Verdun…).
Ce faible nombre de membres de comités n’était par ailleurs peut-être pas une
fatalité. Il y avait des limites objectives liées d’abord au caractère clandestin de cette
activité, qui faisait qu’il était difficile de construire des comités larges et dans la durée. La
principale arme utilisée par la hiérarchie était la mutation. Si dans certains cas, cela
pouvait se révéler être une mauvaise opération pour elle comme à Draguignan2, cela
suffisait dans la plupart des cas à démonter les comités et à isoler les militants. En tous les
cas il fallait être discret, les réunions ne pouvaient qu’être restreintes et l’agitation dans la
caserne limitée. Par ailleurs, étant donné l’absence de tradition syndicale dans l’armée
française, le caractère éphémère du service et le profil très à gauche des comités, leur
La manière dont les militants s'y prenaient pour lancer un comité ou une initiative
n'était cependant pas annexe. Cela fut particulièrement visible lors de la signature de
l'Appel des cent. Robert Pelletier en rend compte quand il explique que :
« dans ma caserne on était 3 ou 4 à avoir signé très difficilement, alors qu'il y avait
des casernes où ils avaient signé à 15, 20 ou 30. C'était une façon d'appréhender le travail
qui était complètement différente. Moi je me suis adressé à la faune d'extrême gauche, qui
“martiens”, marginaux dans la caserne, qui étaient des anti-militaristes intellectuels. Alors
qu'à d'autres endroits, d'autres copains avaient plus fait un travail de fond et avaient fait
Il y avait donc selon lui, deux possibilités de militantisme, soit s'adresser au « genre
de militants qu'on rencontrait assez facilement dans les casernes : l'extrême gauche
1
Bernard DOCRE, Patrick MARS, op. cit. p. 156, Robert PELLETIER, Serge RAVET, op. cit. p. 37
2
entretien-1
3
entretien-1 p. 4
119
organisée ou autour »1, soit aller à la rencontre des soldats non politisés. Comme nous le
verrons plus loin, les thèmes et le discours adoptés par les comités rentraient aussi en ligne
de compte.
« C'est clair que le rôle principal ce sont les organisations politiques qui l'ont joué et
l'impulsion partait non pas de la base mais des consignes qui étaient faites et des décisions
qui étaient prises par les différentes fractions qui intervenaient sur ce terrain. »2
Ce jugement un peu radical émane d’un militant qui n’était pas organisé
politiquement lors de sa présence sous les drapeaux. Mais il est indéniable, qu’il n'y a pas
eu de génération spontanée de comités de soldats. Tous sans exception étaient initiés par
des militants politiques et une partie en était composée exclusivement. Pour Robert
Pelletier, même les simples syndicalistes « il n'y en avait pas des masses, et à (son) avis ils
côté, l'AMR-PSU (IDS) et Révo (CAM) furent les deux autres courants d'extrême gauche
impliqués dans les casernes. De manière isolée et subsidaire, quelques militants isolés
soutenaient aucune organisation en particulier. Il est donc difficile d’établir une “carte”
précise des comités d’un point de vue politique. La LCR a animé une majorité des
1
entretien-1 p. 4
2
entretien-8 p. 53
3
entretien-1 p. 9
120
comités. C’est sûr en ce qui concerne Brest, Carcassonne, Karlsruhe, Mérignac, Reims,
Pour Alain Brossat (LCR), les militants d'IDS « ne représentaient pas grand-chose
dans le mouvement, dans les comités. Ils ont plutôt joué un jeu tactique. »1 C'est aussi
« Notre impression subjective était qu'il n'y avait pas beaucoup de travail réel du
PSU dans les casernes, qu'ils ne représentaient pas grand chose, mais qu'ils arrivaient à
occuper l'espace public. Ils emmenaient le plus petit groupe de soldats dans les manifs du
1er mai. »2
Selon Claude Poizot cependant, IDS fut bien présente dans les casernes, notamment
à Romilly, à Toulon, à Aix, à Evreux, à Nancy et bien sûr à Besançon3. Cette liste faite de
mémoire n'est pas exhaustive et est discutable en ce qui concerne Nancy et Toulon. On
une estimation très optimiste de la présence d'IDS (donc pas uniquement l'AMR) dans les
Selon Jean-François Vilar (LCR), Révo a toujours été extérieur au mouvement des
soldats, n'aurait pas vraiment été présent dans les comités5. « Même avec des gens assez
proches, (Patrick Petitjean) ne pense pas qu'ils aient eu plus de 20 à 30 personnes dans
l'armée en même temps. »6 Jack Toupet (CAM) en fait une estimation plus optimiste :
époque, à mon avis c'était plutôt de l'ordre de 50, 70, mais ce n'est pas très fiable comme
chiffre. Dans les réunions, il n'y avait pas 30 bidasses ou 50 au même moment, au même
1
entretien-2 p. 14
2
entretien-6 p. 42
3
entretien-7 p. 46
4
entretien-10 p. 59
5
entretien-4 p. 29
6
entretien-6 p. 42
7
entretien-8 p. 52
121
On peut être sûr que le CAM anima des comités à Saint-Cyr, à Tours, à Nancy (en
IDS les mit énormément en avant, mais il semble qu’il y ait eu très peu de JS, de JC,
implication des organisations. On peut quand même relever trois exceptions pour la JC :
« l’attitude prise par le PC à Marseille est une nouvelle manière de répondre aux
contradictions que lui pose le développement des luttes dans les casernes. Marseille est
pour l’instant l’exception. Mais nous devons partout populariser l’expérience du “Journal
de l’appelé”, poser des questions aux militants des JCs et aux responsables de la CGT. »2
partie d’entre eux participa aux comités de soldats, notamment ceux qui se retrouvèrent
militants de la JOC dans les premiers comités de soldats »3. La JOC et la JEC publièrent
un journal en direction des appelés : Bidasse. Ce journal prônait l’entraide et l’amitié entre
soldats. Des actes de ce type leur « montrent qu’avec (leurs) copains d’armée, il est
de la JOC. Cette dernière portait également des revendications, assez élevées par ailleurs
(solde égale au SMIG, droit de grève) et les militants développaient une activité atomisée
1
voir Le journal de l’appelé, annexe-8
2
archives LCR-2.5
3
Bernard DOCRE, Patrick MARS, op. cit. p. 155
4
Bidasse, n°2, novembre 1973
122
« Christian et J. Paul créent une bonne ambiance dans la piaule pour l’accueil des
nouveaux en provoquant des copains à s’informer. Cela permet à toute la piaule de mener
une démarche collective pour défendre Yves injustement sanctionné et ils réussissent à
supprimer le motif.
« Alain et tous les camarades de la piaule créent une caisse commune pour partager
l’argent dans les loisirs cela permet de mieux se connaître, mettre dans le coup les copains
isolés.
« François, André dans une caserne. Ils réalisent une enquête sur les transports et
suite à des rencontres ils décident de faire une démarche dans le but d’obtenir un car pour
En juin 1974 elle soutint sans ambiguïté l’Appel des cent et en publia le contenu2.
Lutte Ouvrière ou l’AJS ne participèrent jamais aux comités. Dans un article publié
dans Lutte de classe fin 1974, Lutte Ouvrière considérait les revendications des soldats
les luttes des jeunes du contingent et y participer ». Cependant la priorité serait dans la
sera « que si la situation elle-même (l’)est » C’est pourquoi le FCR et Révo « dans leur
C’est en cela qu’ils se comportent comme des groupes petits-bourgeois qui agissent “là où
cela bouge”, sans se doter du moindre critère de classe. C’est pour cela aussi qu’ils sont
document sur l’armée4. Pour moitié composée de citations de Lénine, Engels, Luxemburg
1
Bidasse, juin 1974, p. 2-3
2
Bidasse, juin 1974, p. 13-14
3
“Antimilitarisme et lutte de classe”, Lutte de classe n°???, fin 74, p. 12-15
4
AJS, L’armée : l’état bourgeois au coeur du problème, Suppl. à Jeune Révolutionnaire, fin 74
123
ou Liebknecht, pour l’autre mettant en exergue l’activité de l’AJS autour de la mort de
manifestation de Draguignan. Son souci principal ne semble pas résider dans des
questions militaires :
Comme pour tous les autres secteurs, sa tactique semblait se résumer en une mise au
décalage d’ailleurs avec l’ensemble des forces politiques et syndicales. Ils publièrent
naîtront qu’à une certaine étape de la lutte révolutionnaire (…) elles apparaîtront
impliquait que le principal travail à effectuer dans l’armée par les révolutionnaires était
« d’acquérir dès maintenant une instruction militaire », qu’ils devaient « selon leurs
défiance très forte vis-à-vis des gradés. Ils rejetaient les courants politiques investis dans
désarmer le pays face à l’URSS. Mais ils réservaient le principal de leur activité à la
1
AJS, op. cit. intro
2
AJS, op. cit. p. 10
124
« Les marxistes-léninistes soutiennent les revendications des soldats, dans la mesure
où renforçant les liens entre le peuple et l’armée, elles renforcent la défense nationale,
mais ils s’opposent catégoriquement à toute réduction du service militaire comme à toute
Au-delà des militants organisés politiquement il y avait toute une série de soldats
qui avaient appartenu ou avaient été influencés dans le passé par une organisation
d'extrême gauche. Par exemple Patrick Petitjean considère qu'« il ne faut pas sous-estimer
complètement cette question des maos dans l'armée. Même si “la Cause du peuple”
n'existait plus de manière organisée, ils avaient quand même développé tout un travail de
propagande sur l'armée qui avait influencé pas mal de lycéens qui se retrouvaient à
l'armée à ce moment-là. (Il se) rappelle que dans les comités de soldats, on trouvait plein
Parfois, les militants des différentes organisations étaient présents dans le même
comité. Si la plupart du temps cela ne posait pas de problème, il arrivait également que la
Un exemple très particulier nous est donné par le comité de l’école d’application du
train de Tours. Selon le « cercle marxiste-léniniste EAT »1, dès la création du comité en
mars 1975, « deux conceptions de la lutte dans l’armée bourgeoise se sont affrontées ».
Au long des mois, des désaccords se manifestèrent entre les maoïstes et les autres
qu’en réalité, ces gens-là ne sont pas du tout gênés par le caractêre impérialiste de
l’armée » « Troublés seulement dans leur confort petit-bourgeois », ils seraient « prêts à
plier bagages et à rentrer dans le rang » pour « quelques miettes ». Au-delà de l’anathème,
les maoïstes réfutaient l’idée qu’ils prêtaient à l’autre partie, à savoir qu’il faudrait
1
“Que faire à l’armée ?”, L’Etoile Rouge, n°2, vers septembre 1974, p. 1-7
2
“Le P“C”F et l’armée”, L’Etoile Rouge, n°3, vers mai 1975, p. 1-4
3
entretien-6 p. 42
125
« d’abord faire comprendre les problèmes “revendicatifs” (…) pour pouvoir poser plus
Une bonne illustration de la manière dont cela pouvait se passer dans des comités
obsession pour la plupart d’entre eux. Les raisons en étaient évidentes : depuis un certain
quelques semaines de leur libération, les “anciens” du comité avaient la peur au ventre ;
distinguer l’assemblée générale du comité qui décidait des grandes orientations et le petit
noyau de responsables chargé d’exécuter ses décisions. »2 « A Z…, dans une unité de la
successivement par des militants socialistes, puis communistes, puis d’extrême gauche,
parce que le “profil” politique des différents contingents évoluait avec le temps. »3
Un autre exemple de comité où une majorité et une minorité se sont dessinées fut
celui de Besançon. La constitution en section syndicale a été décidée par une majorité
1
archives LCR-2.1
2
François MALBOSC, op. cit. p. 92-93
3
François MALBOSC, op. cit. p. 97
126
Dans ce type de situations, le FSMAR préconisait une attitude « responsable » fin
1973 :
intérieure et le rapport de force. C’est sûrement facile à dire en toute bonne foi, mais
l’expérience prouve que c’est difficile à appliquer. Il faut une réelle discipline. Il est
naturel qu’un militant qui est persuadé de la justesse de sa ligne politique veuille que son
organisation “capitalise” l’action à laquelle il consacre toute son énergie. Il peut s’en
qu’une petite minorité2. D’autre part, les divergences entre la LCR, Révo et IDS étaient
moins prononcées qu’avec des courants maoïstes ou libertaires et selon Jean-Yves Potel,
la cohabitation se passait plutôt bien, les militants faisant bloc dans un climat répressif.
Les comités étaient donc très marqués politiquement. Cela eut-il des conséquences
estimer que (ce caractère très politisé) était un obstacle, que cela empêchait un réel
élargissement, que c'était un obstacle pour l'unité en général. Mais pour les gens qui
étaient dans une caserne ce n'était pas gênant que ce soit un militant de la ligue ou de
Révolution ou du PSU qui anime la structure. »3 Ce constat doit être tempéré dans la
mesure où il existait sans doute parallèlement une certaine méfiance. Par exemple Jean-
François Vilar n'a pas la même appréciation des choses : « il existait une très grande
trouille d'être manipulé par une organisation. Ne pas tomber d'une hiérarchie dans une
1
Bulletin de recherches… op. cit. p. 14
2
il y eut aussi le comité du 5e RG de Versailles par exemple, François MALBOSC, op. cit. p. 118
3
entretien-1 p. 9
127
autre. Je l'ai vu souvent, pas seulement dans ma caserne, il y a une espèce de réticence
Si Alain Brossat ne pense pas « qu'on puisse réduire les comités de soldats à un
générale les comités de soldats ne reflétaient pas socialement le contingent. A l'image des
l'Université, sursitaires au dernier degré. Ainsi, ces soldats étaient plus instruits et plus
Ce caractère très intellectuel et très politisé ne fut pas sans poser de problèmes pour
ces militants, qui apparaissaient aux yeux des autres soldats comme différents et
« handicap terrible »3. D'autant que ce décalage se traduisait la plupart du temps dans les
« A l'époque j'étais très mal vu parce que je ne picolais pas et que le sport ne
m'intéressait pas, ce qui est quand même très lourd dans une caserne comme handicap »4
Selon Claude Poizot, l'essentiel des centres d'intérêts de la plupart des bidasses dans
une caserne se résume en trois mots : « la bière, les gonzesses et le babyfoot »5. Il
« ce mouvement a suscité des fossés dans les casernes : « de quoi ils nous parlent ?
du moment qu'on va aux putes ». Je résume, mais la masse bidasse c'est quelque chose de
hard. Il y a quelques éléments mais c'est aussi : « tu vas voir les gauchistes, moi si j'arrive
1
entretien-4 p. 34
2
entretien-2 p. 14
3
entretien-4 p. 27
4
entretien-4 p. 34
5
entretien-7 p. 45
128
comment je les reçois, je leur arrache les couilles », toute cette espèce d'aliénation
brutale »…1
jeu sur plein de trucs, sur les conneries les plus graves, le fait de se saouler la gueule, de
marcher comme des malades, de chanter des chants anticommunistes, racistes… »2.
(bureaux, chauffeurs des crevures, etc). Le critère essentiel de l’avant-garde des soldats
envers les “intellectuels” était donc moins leurs “idées” que leur volonté d’agir, leur
Parfois cette différence sociale se traduisait par une incapacité des militants à avoir
« il y avait quand même un gros « déchet » dans les gens de la ligue, beaucoup ne
tenaient pas le coup, c'est-à-dire qu’ils sortaient de leur année d’armée lessivés
moralement… J'en ai connu plusieurs qui ont fait un an d'impasse, qui n'ont pas signé
l'Appel des cent par exemple, parce qu'ils ne pouvaient pas, ce n'est pas la trouille au sens
direct du terme, c'était une incapacité à s'immerger dans un milieu qui n'était pas le leur. A
74 n’était pas prête à ça. On venait pour la plupart de la fac, ni jeunes ouvriers, ni jeunes
milieu qui était franchement hostile, indépendamment de la structure militaire (…) les
jeunes de la ligue étaient inaptes à ce type de travail, plein se sont bien démerdé, mais un
certain nombre sont restés sur le carreau, incapables de faire le moindre truc. »4
1
entretien-7 p. 49
2
entretien-1 p. 10
3
annexe-10, p. 4
4
entretien-1 p. 7-8
129
Ch.5 Un mouvement national, mais faible
Donner une vision globale des comités n’est pas chose facile, tant leur réalité fut
1) 114 comités ?
Un comité pouvait regrouper soit des soldats d'une même caserne, comme à
Marseille, à Berlin ou à Karlsruhe, ou d’une même base aérienne ou navale, soit d'un
même régiment, soit d'un regroupement de régiments, comme à Landau (2e RA, 68e RA,
8e RI), à Belfort (74e RA, BAD-7, 35e RIMECA) ou à Mulheim (12e RC et 53e RA).
75 à juin 761. Il indique qu’il s’est appuyé sur les archives de Rouge pour aboutir à ce
chiffre. Il s’est en réalité essentiellement servi d’un bilan approximatif des comités qui
avait été fait par la LCR vers 19772. Sur ces 71, je n'ai pas eu en ma possession les
bulletins de 19 d'entre eux, étant entendu que je n'ai pas étudié les trois mois de avril à
juin 76.
Fin 75, un premier bilan fut réalisé par le FSMAR et publié dans La Caserne3. Les
casernes et les journaux des comités étaient représentés à l’aide d’une carte de France, le
FSMAR dénombrait 67 bulletins, dont 4 auxquels je n'ai pas eu accès, celui de Dijon étant
1
annexe-4
2
annexe-6
3
annexe-5
130
La Sécurité Militaire dénombrait 97 comités de soldats durant l’année 1975 dans un
De nombreux autres bilans furent faits, mais il ne sont pas d’une grande utilité. Une
carte des comités fut publiée dans Politique Hebdo n°203 du 24 décembre 1975, mais
c’était en fait la reprise de la carte faite par le FSMAR. Un an plus tard, une autre carte fut
réalisée par la LCR et publiée dans Soldat Travailleur n°2 de décembre 1976, mais cela
ne concerne pas la période étudiée dans cette maîtrise, de même que la liste exhaustive des
76. J’ai retrouvé par ailleurs la trace de trois autres comités dont je n’ai pas eu les
(avec avril, mai et juin 1976), on arrive à un total de 114 comités de soldats de mai 74 à
mars 762.
Ce chiffre brut doit être appréhendé avec les plus grandes réserves. On peut dire que
dans ces 114 cas, il y eut une activité à un moment. Mais la sortie d’une feuille
n’impliquait pas automatiquement la constitution d’un comité et pouvait être le fruit d’un
acte isolé. Entre l’acte isolé, la feuille épisodique, le groupe de soldats et le comité
formalisé, les délimitations n’étaient pas évidentes et les frontières toujours mouvantes.
Derrière l’appellation « comité », la réalité était fort diverse. Comme on va le voir, les
comités étaient par ailleurs souvent éphémères. Le regroupement durait quelques mois,
1
archives personnelles-12, p. 2
2
voir le détail annexe-3
131
Il faut donc tempérer ce chiffre de 114 pour parler plutôt de 80 ou 90 comités, dont
sûrement pas plus de 60 simultanément au meilleur de leur forme vers mars-avril 1975.
On peut estimer qu’il y eut sur ces deux années approximativement une quarantaine de
comités de soldats conséquents (soit qu’ils aient duré plus d’une dizaine de mois, soit
qu’ils aient regroupé plus d’une dizaine de soldats), dont quinze comités plus forts que les
autres1. Il y eut peut-être autant de groupes de soldats peu formalisés, les comités restants
2) plutôt éphémères
Le service militaire ne durant qu'un an, il y avait un fort roulement des soldats dans
« C'est ce qui nous tuait. On avait le même type de problèmes qu'on avait en milieu
étudiant, c'est-à-dire des situations instables : on est étudiant 4-5 ans puis après on se
barre, l'armée c'était un an à l'époque… Donc c'est vrai qu'une de nos difficultés, et pas la
plus simple parmi toutes les difficultés qu'on avait, c'était de faire des petits, d'assurer la
relève, le suivi. »2
Au-delà du renouvellement naturel, les mutations et les mises aux arrêts renforçaient
le caractère éphémère des regroupements3. Les comités de soldats qui arrivaient à tenir un
an ou plus étaient l'exception, ceux qui ne duraient que quelques mois la majorité. Charles
Paz considère également que la durée de vie d’un comité variait « de un à quelques mois,
rarement au-delà. »4
1
à Aix-en-Provence, Bourg-Saint Maurice, Frileuse, Karlsruhe, Landau, Mérignac, Perpignan,
Saarburg, Saint-Cyr, Sedan, Spire, Thionville, Tübingen, Verdun (150e RI), et Versailles.
2
entretien-4 p. 33
3
un bon exemple de répression d’un comité nous est donné dans François MALBOSC, op. cit.
p. 117-126
4
Charles PAZ, op. cit. p. 35
132
Au tout début du mouvement, en juin 1974, le FSMAR considérait que « la plupart
des groupes existants ou qui se mettent en place sont encore fragiles, vulnérables à la
répression. Souvent même ils sont éphémères. Les gars se réunissent parce qu’une goutte
d’eau a fait déborder le vase : un accident, une brimade etc… et entreprennent une action
Une illustration de cette réalité peut être donnée par la longévité des bulletins.
1% 6%
6%
8% 32% n°1
n°2
n°3
n°4
n°6
15% n°7
n°9 et plus
32%
Avec ce graphique réalisé à partir des bulletins dont j’ai disposé, on s'aperçoit que
plus de six bulletins sur dix ne dépassaient pas le deuxième numéro, qu’environ 80 % ne
dépassaient pas le numéro 3 et seuls cinq bulletins (dont quatre des FFA) dépassèrent le
n° 7 :
- Les bœufs voient rouge de Landau (2e RA, 68e RA, 8e RI), le n° 9
1
“Imposons des comités de soldats”, La Caserne, n°5, juin 1974, p. 12
133
- Spirate rouge de Spire (10e RG), le n° 111
Les comités sortaient 2,7 bulletins en moyenne. Cela confirme que la durée de vie
Avant l'Appel des cent, il existait des comités, mais à l'état d'« embryons »3 et
faibles en nombre. C'est à partir de l’Appel des cent qu'une activité significative se
n'ai pu me servir que de la source la plus exhaustive dont je disposais, à savoir les
bulletins. Cette source n’est pas du tout négligeable dans la mesure où, sauf exception, il
n’y avait pas de comité sans bulletin, et dans la mesure où j’ai eu sans doute accès à la très
grande majorité des bulletins qui ont été sortis durant ces deux années. Je n'ai pas ici pris
en compte les simples tracts et autres déclarations et communiqués. J’ai disposé de 197
1
voir un exemplaire de ce bulletin, annexe-8
2
on peut voir le tableau effectué par IDS, annexe-7, qui est intéressant dans la mesure où il rend
compte de la perception que les acteurs avaient de l’évolution de leur mouvement, mais il contient
beaucoup de généralisations abusives, d’approximations, d’erreurs et les étapes qu’il utilise
(Appel des cent/Draguignan/Besançon/post-Besançon) ne sont pas forcément les plus
judicieuses.
3
entretien-1 p. 4
134
bulletins de comités1. Cinq dataient d’avant juin 74 et neuf étaient indatables. J’ai donc
travaillé sur la base des 183 bulletins restants. Régulièrement, les militants des comités ne
marquaient pas la date de sortie des bulletins, j'ai donc dû me livrer à un travail de datage,
forcément approximatif.
20
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
La courbe obtenue ne rend compte que de la sortie des bulletins. Cela ne nous
informe que de manière détournée sur l’évolution du nombre de comités. Il faut d’abord
considérer que la confection d’un bulletin demandait du temps et n’était souvent que
l’aboutissement d’un travail antérieur. On peut estimer qu’il fallait entre deux semaines et
un mois et demi pour réaliser un bulletin, cette durée variant avec le volume du bulletin et
bulletins au contraire étaient sortis par des regroupements fragiles d’individus qu’on peut
difficilement appeler comité. Le nombre de bulletins sortis par mois est donc un bon
1
voir le détail annexe-2
135
Vu le caractêre approximatif du datage des bulletins, on ne doit pas prendre en
compte les variations de l'ordre de trois-quatre bulletins par mois. Il s'en dégage malgré
tout une évolution assez claire, dont l'interprétation est loin d'être évidente : une première
phase de latence de juin à décembre 74, une explosion de janvier à avril 75, une décrue de
mai à décembre 75 et une remontée plus lente que l'année précédente de janvier à mars 76.
Bernard Docre et Patrick Mars ont également tenté de rendre compte de l’évolution de
l’activité des comités. S’appuyant sur leurs archives personnelles et sur celles de Rouge,
ils ont procédé à une appréciation approximative de cette évolution1. Ils ont abouti
La faible sortie de bulletins durant les premiers mois s'explique aisément. C'était le
début du mouvement des soldats, il n’y avait que peu de comités, qui se construisaient par
ailleurs non pas autour de bulletins mais autour de la signature de l'Appel des cent. Par
ailleurs les comités se construisaient à partir des incorporations d’août et de juin2 (la 6 et la
8). Il fallait quelques mois pour les militants afin de regrouper d’autres appelés autour
d’eux, les résultats ne pouvaient donc apparaître qu’à la fin de l’année 74. De ce point de
vue, l’Appel des cent ne marqua pas une délimitation chronologique par rapport au
1
Bernard Docre et Patrick Mars, op. cit. p. 203-204
2
entretien-1 p. 9
136
développement des comités, ce fut plus progressif (contrairement à ce qu’indiquèrent
Bernard Docre et Patrick Mars). En novembre 1974, le mouvement des soldats était
encore dans une « phase défensive » selon le CAM, qui considérait que :
(répression, isolement caserne par caserne, etc), malgré la faiblesse relative de leur
existence (ils sont encore peu nombreux, peu ancrés dans les casernes, dépendant souvent
du départ ou d’une mutation de tel ou tel militant etc), ces comités se développent et leur
des comités début 75. Elle se comprend non seulement par l’aboutissement d'un travail
entamé la plupart du temps depuis août par les militants, mais aussi par le contexte
question qui marquèrent le début de l'année 75. Le procès de Draguignan a sans doute
La décrue qui s'entame ensuite et qui s'accélère à partir d’octobre s'explique assez
difficilement. Dans l’imaginaire collectif et dans la mémoire des militants, il n’y eut pas
de décrue, les mois qui s’étendent de mai à décembre 1975 auraient été des mois de
délimitation est déterminée par la saisine de la Cour de Sûreté de l’Etat. Selon les bulletins
dont j’ai disposé, la décrue est pourtant particulièrement nette et progressive dès le mois
de mai. Cette baisse d’activité a également été relevée par la Sécurité Militaire, qui
l’analysait comme étant le résultat des réformes accordées par Bourges et Bigeard, comme
par exemple le rapport fait par le 601e régiment de circulation routière, qui note que :
« Si les événements de l’année 1974 et des premiers mois de 1975 ont fait subir au
moral du 601e RCR des atteintes graves dont les effets ont secoué, en profondeur, toutes
1
archives LCR-1.8, p. 9
137
souligner l’impact très favorable des mesures prises au cours de l’année 1975 pour
Il est sans doute vrai que l’augmentation de la solde et l’octroi d’un voyage par mois
a satisfait la masse des soldats. Mais cela ne suffit pas à expliquer la baisse d’activité,
dans la mesure où les militants ne considéraient pas cela comme une avancée
significative, or c’était eux qui impulsaient une activité dans les casernes. Cette décrue
peut peut-être aussi s’expliquer par la répression qui a frappé les comités, mais il
n’apparaît pas qu’elle ait été particulièrement forte durant cette période.
comité amputé par les départs des sursitaires. Le « record » atteint en décembre est
plupart des comités suspendirent indéniablement leur activité. Mais, comme l’indique la
sortie des bulletins, la plupart des comités se maintinrent et reprirent leur activité dès le
début de 1976. Cela nous est confirmé par Edmond Maire qui déclarait que « selon (leurs)
informations, la constitution de comités de soldats parmi les appelés est loin d’être
stoppée »2, comme par l’expérience du comité de Versailles3, qui montre les limites de
1
archives personnelles-16, p. 1
2
Cadres et profession, n°273, mars-avril 1976, p. 9
3
François MALBOSC, op. cit. p. 117-126
138
La place dans l’appareil militaire n’était pas secondaire dans l’existence des
comités, « le rythme d’activité interne d’un comité, comme la régularité de ses apparitions
dépendent étroitement du degré de mobilité du régiment, selon qu’il s’agit d’une unité
Sur la base des 114 comités dont la trace a été retrouvée, onze bases aériennes furent
à un moment ou à un autre concernées par une activité antimilitariste en leur sein2. Dans
ces bases aériennes, les membres des comités n’étaient d’ailleurs pas des aviateurs mais
faiblesse :
presse, la finalité de l’armée que se sont constitués les premiers comités. La signature de
l’Appel des Cent était souvent comprise plus comme un soutien aux copains de l’armée de
terre que comme des revendications immédiates pour l’amélioration des conditions des
aviateurs eux-mêmes. »3
On aurait pu penser que la marine serait un bon terreau pour les comités de soldats.
La vie de marin s’apparentait fortement à la vie d’ouvrier. Le matelot « est à bord pour
réaliser une petite tâche technique, entretenir une machine, graisser ceci, repeindre cela,
nettoyer autre chose… Ni tout à fait ouvrier ni tout à fait militaire, il échange sa force de
travail contre rien du tout »4.Quatre bases navales connurent des comités (Brest,
Cherbourg, Lorient et Toulon), mais ces comités de marins étaient extrêmement faibles.
De ce point de vue le fort succès de Col rouge à Toulon avant l’Appel des cent semble
1
François MALBOSC, op. cit. p. 94
2
les BA 101, 106, 110, 113, 114, 120, 128, 272, 702, 705 et 914
3
Robert PELLETIER et Serge RAVET, op. cit. p. 38
4
Robert PELLETIER et Serge RAVET, op. cit. p. 38
139
avoir été une exception, même si le comité de Cherbourg a réussi à publier six numéros de
Pompon rouge.
Les comités étaient beaucoup plus présents dans l’armée de terre. 17 étaient
regroupés par caserne, 43 dans des régiments d’artillerie, de chars, de génie, de hussards
des centres de sélection, des bataillons de chasseurs alpins ou dans des écoles médicales.
Les “troupes d’élite” ne furent pas épargnées puisque des comités furent présents
Montauban et à Carcassonne. On peut aussi retrouver les traces d’une activité à l’école
organisèrent des engagés, mais ce furent des exceptions. De même qu’ils n’organisèrent
malaise évident au sein des militaires de carrière et des gradés3. Dans le premier numéro
publiait une tribune libre dont le titre était « la tentation syndicale » et qui se prononçait
Mais les comités étaient tout entiers produits et dirigés vers le contingent. Par
qu’il fallait « essayer de discuter avec ces petits gradés. Mais attention aux provocations et
1
bulletin-4.22
2
Information pour les droits du soldat, op. cit. p. 41-47
3
voir par exemple annexe-10, p. 2-4
4
Information pour les droits du soldat, op. cit. p 41
5
il faut relever qu’après la saisine de la Cour de Sûreté de l’Etat, “l’ambiance” avait changé et un
article aux antipodes de cette tribune libre fut publié dans Armées d’aujourd’hui. Il y était dénoncé
dès la première phrase « les représentants des groupes ou groupuscules, hors quelques utopistes,
qui prônent le syndicalisme ou les comités élus dans les armées (et qui viseraient) avant tout la
destruction de l’institution militaire », plus loin il était clairement écrit que « le syndicalisme est à
rejeter sans appel. », Christian Méric se prononçait pour la bonne application des textes déjà en
140
aux dénonciations. (…) Même si un travail politique implicite est avancé avec eux à un
degré intéressant, ne jamais leur confier de document anti-militariste. » Même s’il les
considérait comme une « plaque sensible de l’armée », il multipliait les précautions à leur
égard et un militant ne devait entamer ce type de travail « qu’après avis de ses camarades
extérieurs. »1 Vis-à-vis des sous-officers appelés, le jugement était encore plus radical :
Pour les militants, leur lieu d’affectation n’était pas une question secondaire.
Suivant l’endroit où ils effectuaient leur service, ils n’avaient pas les mêmes opportunités
« il est préférable d’être affecté dans une région ouvrière de l’Est là où il y a une
caserne tout les trente kilomètres, parmi des appelés ouvriers et paysans, plutôt que dans
Afin de rendre compte de la répartition géographique des comités, j’ai divisé les
comités en fonction des six régions militaires définies par le décret du 14 juin 1976 et des
Sur les 114 comités de soldats que j’ai recensés, quatre n’étaient pas localisables. J’ai
1re RM
FFA
12%
19%
2e RM
6%
3e RM
8%
4e RM
6e RM 10%
29%
5e RM
16%
L'implantation des comités de soldats était directement liée aux affectations des
ou dans l’est de la France par la hiérarchie qui espérait ainsi les isoler1. Ainsi Jean-
François Vilar, alors qu'il demandait une autre affectation que Verdun, s'est vu répondre
que :
« oui c'est embêtant, certes le droit était de mon côté, mais j'avais un tout petit
défaut : j'étais "affecté ministériel", avec un grand sourire de l'adjudant-chef qui m'a
expliqué ça, en me disant : “Vous savez si on vous met là, ce n'est pas pour rien” »2
aussi et surtout dans l'est de la France, ces deux zones abritant à elles seules 49 % des
comités de soldats. Pour le reste, les comités de soldats étaient assez présents dans le sud-
est, le sud-ouest (pour le quart d’entre eux) et la région parisienne, le reste de la France
recueillant 15 % des comités. Ceci était également lié à la répartition des unités militaires
1
Bulletin de recherches… op. cit. p. 7
2
entretien-4 p. 26
142
en France. Dans la mesure où il y avait plus de casernes dans l’est de la France, il y avait
Mais il ne suffit pas de connaître le nombre brut de comités par région militaire pour
rendre compte de leur répartition géographique. Savoir combien de bulletins furent sortis
peut aider à rendre compte du degré d’activité par région. Sur les 197 buletins dont j’ai
1re RM
14%
FFA 2e RM
32% 3%
3e RM
6%
4e RM
9%
5e RM
6e RM
15%
21%
cinquième des comités produisant un tiers des bulletins. Ceux de la région parisienne
semblent aussi avoir été assez productifs, à l’inverse de ceux des deuxième et troisième
Globalement, les comités semblent s’être vraiment concentrés dans l’est de la France et en
Allemagne, ces deux régions ayant produit une majorité absolue des bulletins sortis durant
143
cette période. La multiplicité des unités dans ces régions favorisait sans doute l’émulation
entre les comités et l’activisme. Pour les FFA, cela peut aussi s’expliquer par l’isolement
144
Ch.6 Un mode d’organisation artisanal
beaucoup de militants. En automne 1973, à une période où, il est vrai, le mouvement des
soldats était à ses balbutiements et, plus encore que par la suite, empreint de paranoïa, le
guide du militant du FSMAR avait « délibérément mis l’accent sur l’aspect “technique”
des problèmes », car « les conditions mêmes du travail à l’armée exigent qu’on y prête
civile unique pour les comités de soldats rendaient difficile leur organisation. Que ce soit
Il n'y eut aucune règle en matière d'organisation des comités de soldats, mais cela a
Une certaine mythologie fut entretenue par IDS sur la caractère impeccablement
différences entre les comités animés par l’extrême gauche « qui fonctionnent
généralement de façon très clandestine autour d’un noyau de quelques appelés qui sont
1
Bulletin de recherches… op. cit. intro
2
comme on l’a vu dans le chapitre 4
3
François MALBOSC, op. cit. p. 22
145
seuls à connaître ses différents rouages » et les comités « où prédominent les militants de
qui regroupe à la fois le noyau actif du comité et le réseau des sympathisants. »1 Mais
place.
groupe plus large se constitue, unité par unité. (…) Ce groupe est comparable dans son
fonctionnement à n’importe quel groupe sur une boîte quelconque. » Ce groupe aurait
inconvénients un fonctionnement lourd, peu sûr et le risque de blocages liés aux débats.
« organisation par un très petit nombre de militants (…) homogènes politiquement (…)
Concrètement le « groupe toile d’araignée » semble n’avoir été lui aussi que peu mis
était adoptée. Le pragmatisme semble l’avoir emporté dans l’immense majorité des cas.
ainsi pour le comité de soldats : « Plus particulièrement pour les contacts avec les copains
du comité, c'était plus pratique d'avoir un lieu comme celui-là où on pouvait passer cinq
minutes et laisser un document, le planquer dans un livre, attendre que les gens sortent
1
François MALBOSC, op. cit. p. 92
2
François MALBOSC, op. cit. p. 96-98
146
pour dire « bon ce sera pas possible pour la réunion samedi, il faut trouver un autre lieu »,
« d'accord je m'en occupe », « repasse demain », c'était un milieu facile… »2 Ils faisaient
des réunions une fois tous les 10 jours environ. « Il y avait la ferme, ou on allait dans les
faisait des réunions à Paris parfois… »3 Ils y discutaient de « l'aspect le plus concret du
travail quand c'était les réunions de quartier libre… Quand on avait le temps de passer une
De même dans le comité de Jack Toupet qui regroupait une dizaine de militants, ils
se réunissaient « à l'extérieur, sûrement pas dans les chambres, parce qu'il y avait toujours
des personnes indésirables qui pouvaient passer, il y avait les sous-offs, sinon on faisait
des tours de cour. On faisait aussi attention à ce que tout le monde ne se retrouve pas en
même temps… »5
Petit noyau dans la caserne jusqu’en juin-juillet 74, il se renforça à partir de l’arrivée de la
74/08 et continua à développer son influence jusqu’à la fin de l’année, tant et si bien que
« scinder le comité en comités beaucoup plus massifs par compagnie (reliés par une
1
Bulletin de recherches… op. cit. p. 12-13
2
entretien-7 p. 45
3
entretien-7 p. 45
4
entretien-7 p. 45
5
entretien-8 p. 53
6
annexe-10 p. 8
147
Le comité de soldats de la BA 106 de Mérignac (Ras l’calot) nous livre une longue
action par une coordination centrale composée de délégués élus à raison d’un délégué par
comité. »1
L’organisation “nationale” des comités était clairement assumée par les courants
politiques en leur sein. On pourrait même dire qu’au bout du compte, les organisations
politiques furent les seuls cadres permanents du mouvement des soldats, les seuls
« On bossait avec eux, les manifs par exemple, mais ce n'était pas vraiment un
travail commun, ils amenaient leurs soldats, on amenait les nôtres et c'est tout. Peut être
qu'après c'était différent, mais vraiment la période que j'ai connue, c'était ça : deux
fractions2 qui avaient leurs machins et les comités vivaient autour de ça sans s'en rendre
compte. »3
C'est cela aussi qui a donné toute son importance à la perspective d'une réunion
La LCR, Révo, comme IDS avaient mis en place des systèmes combinant les prises
1
archives LCR-2.3 p. 2
2
Robert Pelletier parle de la LCR et de Révo
3
entretien-1 p. 9
148
• le fonctionnement central
les comités de soldats, mais aussi le FSMAR pour la LCR ou des activités d'infiltration
dans la hiérarchie, ou l’ARS pour Révo. Ce travail était bien entendu censé être totalement
clandestin.
(CDA pour la LCR, CAM pour Révo), mais aussi plus largement dans le soutien de
l'activité des soldats directement par les structures politiques ou par les collectifs unitaires.
Après le lancement du mouvement des soldats, les comités civils eurent essentiellement
pour rôle de servir de porte-voix aux comités de soldats, « ça servait en fait, selon Robert
Pelletier, de force d'appoint au travail intérieur, pour publier des choses sans être trop
emmerdés etc. »1
IDS par contre regroupait à la fois des civils et des militaires, la frontière n'était de
ce fait jamais vraiment nette entre les deux dimensions. Cependant au niveau de
national « avait un rapport quasiment hebdomadaire du secteur interne, mais qui passait
indirectement par des copains qui nous disaient quelle était la tendance générale, quels
Dans la LCR, le travail interne était dirigé par la commission nationale armée, mise
fois une structure théorique et pratique. (…) Il y avait un ou deux membres du comité
1
entretien-1 p. 7
2
entretien-7 p. 46
149
central qui étaient dedans, qui rendaient des comptes très théoriques à l'organisation, pour
des raisons de sécurité, c'était toujours évasif sur les aspects pratiques »2 « c'était un noyau
de cinq ou six copains qui animaient le débat quoi ; qui étaient même en fait le débat à eux
presse et dans ses campagnes, il apparaissait effectivement que les instances régulières de
au caractère clandestin de cette activité, à la coupure qui existait entre les instances
de diffusion5.
• les coordinations
« On faisait des réunions où on regroupait quatre, cinq, six ou dix personnes d'une
région, quand on préparait des initiatives comme le 1er mai par exemple, on faisait des
réunions un peu plus structurées sur ce thème-là. On y débattait de ce qu'on allait y faire :
le type d'apparition, les banderoles, les mots d'ordre, combien il y aura de gens… »6
plutôt des militants de la ligue ou des gens qui étaient dans des comités rouges ou des
1
entretien-3 p. 20
2
entretien-1 p. 10
3
entretien-1 p. 11
4
entretien-5 p. 39
5
entretien-3 p. 20
6
entretien-1 p. 8
150
organisations sœurs (…), il y avait quinze-vingt personnes au maximum » dans celles de
l’est de la France1.
« On avait une structure par région : dans chaque région on avait un responsable, un
militant de la ligue, un gars de confiance, qui était donc un cadre et qui avait comme
responsabilité de suivre les comités de soldats locaux. C'était une fonction discrète, il
devait y avoir quelqu'un dans la direction régionale qui connaissait ses activités, mais pour
le reste c'était un fil direct avec nous. J'avais le contact avec un certain nombre de ces
copains, on faisait des réunions de temps à autre, pas très nombreuses, parfois je
descendais pour voir. (…) Et puis il y avait un ou deux itinérants comme Robert2, qui
permissions.
main, "salut, c'est Max, je suis au 43e RA", ça se passait comme ça. »4
Au bout du compte selon Jean-François Vilar, les militants qui faisaient leur service
avaient le contact avec la LCR « au minimum toutes les semaines (…) sauf exception »5.
Jean-Yves Potel estime avec plus de modestie qu’ils les voyaient « au moins une fois par
1
entretien-3 p. 21
2
Pelletier
3
entretien-2 p. 14
4
entretien-1 p. 8
5
entretien-4 p. 34
151
mois »1, mais il est sûr que les militants de la LCR n’étaient pas laissés à eux-mêmes
Le suivi permettait aux militants de se sentir moins isolés, de sentir qu'ils avaient
derrière eux une organisation. D'un point de vue psychologique, cette dimension n'était
pas annexe, car le dépaysement et l'isolement que provoquait la vie de caserne étaient par
ce biais atténués. Dans le « travail de soutien aux gens qui étaient dedans, il y avait tout
simplement le fait d'y aller, c'était important parce que cela créait une médiation entre ce
qu'ils vivaient, qui était absolument démentiel et puis le reste de l'organisation et même le
Révo et IDS suivaient aussi leurs militants3. Pour IDS, « il y avait en effet des
contacts prudents, réduits, discrets, où se réglaient avant tout des questions d'intendance,
fois très décentralisé du point de vue du mouvement. »5 C’est sans doute cet élément, lié
au caractère somme toute très artisanal du fonctionnement, et même aux divisions très
marquées entre les organisations politiques, qui a paradoxalement permis la vitalité des
1
entretien-3 p. 20
2
entretien-1 p. 8
3
entretien-8 p. 53
4
entretien-7 p. 46
5
entretien-3 p. 21
152
Ch.7 « Soldat, sous l’uniforme, tu restes un travailleur »
l’étude des thèmes portés par les comités de soldats1. La problématique adoptée était de
position des comités de soldats. »2. Porté par la volonté de mettre en cohérence ce qui ne
l’est pas a priori, Alain Texier systématise à outrance et adopte comme fil conducteur de
« constitution de milices ouvrières »3. Ce faisant, il laisse de côté toute la richesse réelle
« saper les fondements même de l’institution militaire »4, ni à une remise en cause plus
explicite de la société et de son armée. On comprend par ailleurs qu’il aboutisse à ce type
Il est sans doute indispensable d’avoir en tête les exigences que ce mouvement porta
nationalement, exigences résumées pour l’essentiel dans l’Appel des cent, mais il est tout
aussi important de reconstituer ce que portèrent réellement les comités de soldats au sein
de leurs casernes, ce que la masse des soldats en reçut, qui ne se calque pas exactement
sur la plate-forme revendicative nationale, qui n’est pas que le produit des élaborations
stratégiques et théoriques des courants politiques. C’est pourquoi, nous avons fait le choix
de nous appuyer sur les bulletins, principal outil d’agitation et de propagande des comités.
1
Alain TEXIER, Les manifestations d’antimilitarisme à l’occasion de l’affaire des comités de soldats,
mémoire pour l’obtention du DEA de sytèmes et structures politiques, ParisX-Nanterre, février
1978
2
Alain TEXIER, op. cit. p 1
3
Alain TEXIER, op. cit. p 6
4
Alain TEXIER, op. cit. p 7
153
On peut d’abord considérer les multiples objectifs que les groupes d’extrême gauche
se fixaient quand ils intervenaient dans l’armée, comment ils concevaient cela
théoriquement.
(révolution russe, pratique du PC au début des années 20) et aux théories énoncées par
vu, à partir de l’Appel des cent et à mesure que le mouvement se développait, les
armes tendirent à s’estomper au profit d’une conception plus large et moins “militariste”
de cette intervention, la place des revendications matérielles tendit dans le même temps à
l’armement généralisé des travailleurs »1. L’enjeu était de placer les soldats aux côtés de
la classe ouvrière. Cet objectif, même à l’état latent, était présent en permanence dans
l’esprit des militants et dans la prose des comités. C’est dans la même perspective qu’on
militaire au temps des classes avant le développement des comités2, le service ne devant
général, pour « conscientiser » le contingent, sur les fonctions de l’armée, sur le racisme,
quelques rares fois sur le sexisme… Le but était d’intégrer ce mouvement « à la lutte de
l’ensemble du mouvement ouvrier pour le socialisme »1. Même si c’est plus discutable
pour IDS, les courants politiques investis n’avaient pas spécialement pour souci de
« démocratiser l’armée », de gagner des réformes. C’était pour eux une dimension
1
Armée, des comités au syndicat… op. cit. p. 14
2
étrangement, cette revendication ne fut effectivement quasiment jamais présente en 1974 et 1975
154
« cœur de l’appareil d’Etat ». Il fallait préparer la révolution, développer la lutte de classes
dans tous les secteurs, y gagner des positions pour son organisation politique.
Pour remplir ces objectifs, ils essayaient de construire un mouvement autonome des
soldats le plus fort possible. Leur but était qu’il y ait toujours plus de comités, toujours
plus massifs, mieux organisés et que le mouvement gagne sur des objectifs et mette en
à cette fin, même s’il existait des désaccords parfois importants sur la manière de s’y
prendre entre les différents courants et si une bataille existait entre chaque tendance pour
Car ils cherchaient à construire leurs organisations politiques par le biais des
comités de soldats. Les comités de soldats n’étaient qu’un secteur d’intervention parmi
d’autres pour ces organisations, dont le principal souci au début des années 70 était leur
populariser la LCR ou IDS à certains moments, mais ils n’ont jamais vraiment réussi à
Mais avoir des théories et des objectifs ne suffit pas. Ils doivent réussir à s’insérer
dans un contexte précis. Comme on l’a vu, les militants des comités avaient un profil
particulier : de jeunes intellectuels radicalisés, très politisés, avec souvent une forte
Nam, en Chine, la LC et l’OCR développèrent une analyse très gauchiste de leur rôle au
début des années 70. Par la tactique « initiative, unité d’action, débordement », par des
coups d’éclat de leurs organisations, elles espéraient montrer l’exemple et être en capacité
Cet état d’esprit gauchiste, avant-gardiste, persista et se manifesta de façon plus ou moins
1
Armée, des comités au syndicat… op. cit. p. 8
2
voir par exemple les thèses du 1er congrès de la LCR en 1974 qui créaient un nouveau concept en
se fixant comme objectif de construction dans cette période de « gagner l’hégémonie sur l’avant-
garde large, par et pour la mutation de la LCR »
155
prononcé dans le mouvement des soldats. Or leur volonté était de s’adresser largement
cette différence ne fut pas un mince problème et on retrouve clairement dans le discours
des comités ces origines précises. Un effort était fait pour simplifier les messages et
laisser une place importante aux revendications matérielles. Ce dosage entre pédagogie et
et clivages dans le mouvement, les uns accusés peu ou prou de suivisme, d’opportunisme
la LCR se retrouvant dans le premier camp face à certains groupes du CAM et dans l’autre
face à IDS.
substantiellement les belles stratégies de départ. La plupart des militants dans les casernes
n’avaient pas une conscience nette des différents objectifs, de leur articulation, des
moyens de les mettre en œuvre etc. Le discours à l’arrivée n’était plus exactement aussi
clair et aussi cohérent, mais il était en même temps plus riche et plus concret.
C’est pourquoi l’angle qui a été choisi est de rendre compte de ce que dirent
concrètement les comités de soldats dans leurs casernes, non pas de faire des
commentaires sur telle plate-forme nationale ou sur tel texte politique général.
On peut reconstituer trois pôles dans le message que véhiculaient les bulletins : une
certaine radicalité libertaire dans l’esprit de mai 68, comportant une remise en cause
écrire d’articles généraux ou remettant en cause l’armée. Mais dans l’immense majorité
1
entretien-1, p. 12
156
des cas, on ne saurait distinguer ces différentes dimensions, les bulletins jonglant
allègrement entre défense des droits, quotidien de la caserne, prises de position politiques,
radicalité etc.
l’était en réalité pas vraiment. On distinguera donc pour l’occasion ce qui relevait du
conviction politique. Les thématiques des comités pourraient peut être se résumer dans la
formule : « soldat, sous l’uniforme tu restes un travailleur », impliquant que, comme les
travailleurs les soldats ont des droits à défendre, et que, étant liés à la classe ouvrière, ils
Etre partie prenante de tous les combats des soldats pour leurs droits.
Dans cet axiome, tous auraient pu se reconnaître. L’agitation avait pour but de
développer les luttes, les actions à large échelle, les luttes étant elles-même facteurs de
groupes investis dans l’armée, le CAM, soulignait dès novembre 1974 « l’importance des
l’armée »1
En partant de la condition des appelés, de leur quotidien, les comités dégageait des
détournée le malaise qui existait chez une grande masse d’appelés. Cela donnait forme à
1
archives LCR-1.8, p. 4
157
l’injustice ressentie par le contingent vis-à-vis de sa condition (solde dérisoire,
dimension que le mouvement des soldats eut cet impact. Selon la LCR, « en reprenant les
quotidienne contre tous les arbitraires, toutes les brimades, toutes les injustices, contre
l’abêtissement et l’abrutissement qui sont le lot quotidien à l’armée, les comités ont gagné
le soutien de la grande masse des soldats. »1 Par cette capacité à exprimer tout haut ce que
mesurait l’écho, et obtint des réformes. La vie de caserne elle-même fournissait aux
Les comités disposaient d’une plate-forme nationale : l’Appel des cent. Après le
mouvement, les comités eurent la volonté de réactualiser l’appel. Ils tentèrent de dégager
une nouvelle plate-forme, qui aurait pu être adoptée à la réunion nationale des comités qui
devait se tenir fin 75 mais qui n’a jamais eu lieu. Dans les deux années qui nous
concernent en tout cas, l’Appel des cent resta la référence du mouvement et nous allons
voir ce que les comités en reprirent réellement. Cet appel n’était par ailleurs pas exhaustif.
vie de caserne.
Dans l’Appel des cent était contenu l’ensemble des grandes revendications sociales
et démocratiques des soldats. Cependant dans la pratique et dans les bulletins, toutes
1
Armée, des comités au syndicat… op. cit. p. 8
2
sur la vie de caserne et la manière dont les comités la percevaient, voir : La vie de château, livre noir
du 1er RI de Sarrebourg, n° spécial de “La caserne en lutte”, Suppl. à Crosse en l’air n°22, 1975 et la
Brochure réalisée par des soldats du 401e RA de Nîmes, Suppl. à Lutte Antimilitariste n°16, 1975
158
L’accent était le plus souvent mis sur les revendications les plus sensibles pour les
dehors des heures de service. Comme on l’a vu, sur chacun de ces points d’ailleurs, Chirac
d’être cloitrés, le chantage aux permissions, le temps qui passe au ralenti à cause de
premières réformes (une perm par mois) ont l’effet contradictoire de rendre plus cruciale
la pénurie d’argent : plus de perms, aussi peu d’argent : des soldats qui ont leur perm en
poche y renoncent par manque d’argent. »1 On voit par ailleurs comment les
L’autre dimension fortement mise en avant était l’exigence de libertés pour les
de l’Appel des cent). Régulièrement les éditos justifiaient l’existence des bulletins par
sociaux » qui aurait été celle des soldats et insistaient fortement en conclusion sur l’idée
Malgré les hésitations du mouvement sur cette question, des articles, de plus en plus
nombreux au fil du temps, furent écrits sur le syndicat de soldats. Sur les vingt bulletins
dont j’ai disposé qui comprenaient un article ou une prise de position claire sur le syndicat
de soldats2, seuls deux étaient antérieurs à mars 1975, six dataient de mars ou avril, les 12
autres étaient postérieurs à mai. Plus on s’approchait de la rentrée de 1975, plus les
articles étaient détaillés : pourquoi il faut un syndicat, quel type etc. Même un bulletin
dont l’intention « n’est pas de vanter les mérites du syndicalisme » et qui parle avec
1
annexe-10 p. 5
2
bulletins- 2.3-2.10-3.3-3.8-3.12-3.37-4.13-4.14-7.6-7.10-7.11-7.16-7.18-7.24-7.26-7.49-7.77-7.85-7.91-
7.97
159
réserve de l’initiative de Besançon comme étant le fruit de « la décision de certains de nos
camarades du 19e RG(…), appuyée par certains »1, ne s’opposait pas frontalement au
syndicat de soldats et consacrait l’essentiel de cet article aux mauvaises conditions de vie
européennes. Les SUV2 portugais étaient plus volontiers cités en exemple par les comités
proches de la LCR, qui y voyaient l’incarnation de leur théorie révolutionnaire : des pans
de l’armée qui se détachent et qui s’organisent aux côtés de la classe ouvrière. Ceux
proches d’IDS pour leur part s’appuyaient systématiquement sur l’existence d’un syndicat
légal en Hollande, le VVDM qui organisait très largement les appelés et avait des
possibilités de négocier au nom des soldats. Le CAM ou la LCR étaient plus réticents vis-
L’exigence de la suppression des brimades n’était pas tellement portée en tant que
telle. Cette question était présente dans la prose des comités mais vue essentiellement
autour d’exemples locaux. Par ailleurs les militants sentaient sans doute que cette
revendication relevait un peu du vœu pieux, dans la mesure où les brimades étaient déjà
formulée quasi-exclusivement que par les comités des FFA et les raisons invoquées
relevaient plus souvent de la gêne causée par l’éloignement que de la réflexion sur
fournissait qu’une demi-réponse : si le problème était que la France dispose de troupes en-
dehors de ses frontières, la réponse ne pouvait pas se limiter aux incorporations mais
1
bulletin-5.2
2
Soldats Unis Vaincront
160
Le destin de la revendication de la suppression de la Sécurité Militaire et des
tribunaux militaires a connu des hauts et des bas. Moins mise en avant que celles citées
Cour de Sûreté de l’Etat. Elle renaissait régulièrement dans les casernes, lorsque la
Enfin la demande de droit de résilier leurs contrats pour les engagés, ne fut posée
la tendance qui l’emporta nettement fut la défiance contre les « crevures ». Bigor… NO !
mois. Entendons-nous bien. Tout engagé n’est pas une crevure. Une CREVURE c’est un
galonné qui profite de son grade pour en faire baver aux soldats, les planter, les humilier,
leur sucrer des perms, et on passe. Pas la peine de dire que la compétition concerne
beaucoup de nos bons cadres. Elle est d’autant plus serrée que le jury hésite sur les
critères : bêtise, méchanceté, grande gueule… »1 Il faut cependant bien reconnaître que
dans la plupart des cas, les comités ne faisaient pas dans la nuance.
2) L’approfondissement local
Non seulement les comités de soldats surent dans la plupart des cas donner corps à
leurs revendications générales par des exemples locaux, mais ils ajoutèrent aussi des
1
bulletin-5.1
161
- « la possibilité pour tous d’être dès 17 h 30 dans la tenue de son choix, y compris
Parmi les revendications de l’Appel des cent, on peut s’étonner qu’il en manque
tunnel de Chézy le 23 janvier 1974 (le « drame de Margival »), qui vit la mort de huit
soldats fauchés par un train lors d’un exercice , avait suscité de vives réactions dans la
presse et la population. La mort de Serge Camier en février un an plus tard avait entrainé
de pertes » en vies humaines. Qu’ils y aient cru ou non2, cela faisait planer une certaine
gravité au-dessus de leurs têtes et prenait du relief lorsque des accidents survenaient. Ce
fut le cas lors de la mort d’un appelé (tué par une balle perdue) à Spire en octobre 1974, le
comité dénonçant « un système qui soigne et protège cent fois plus son matériel que ses
hommes » et exigeant qu’il n’y ait plus de tirs sans la présence d’ambulance3. Cette
dimension était assez présente dans les bulletins notamment lorsqu’il était question des
stages commandos, mais pas seulement. Au 68e RA de Landau, l’ancêtre des Bœufs voient
rouge, Tribune Anti Militariste, après avoir listé les morts survenues depuis juillet 1973
réclamait : l’abrogation des 7 %, le respect des normes de sécurité et la vérité sur la mort
Les infirmeries étaient des cibles privilégiés pour les comités. Le Tam-Tam de
Perpignan titrait un article dans son numéro 6 : « LA PORCHinfirmERIE (les bœufs sont
mieux soignés que nous) »5. Les soldats du CISS eux-même en témoignait en juin 75 dans
1
bulletin-3.18
2
il y avait alors quelques dizaines de morts par an à l’armée, 56 en 1972, 42 en 1973 selon Le Monde
du 21/2/75
3
bulletin-7.46
4
bulletin-7.92
5
bulletin-7.21
162
un numéro spécial de L’armée c’est plus ce que c’était1. Par un descriptif plutôt bien fait
de quelques pages, ils montraient comment, par l’idée latente qui voulait que « le malade
est a priori considéré comme un tire-au-flanc » et par l’absence de moyens alloués aux
infirmeries, les conditions de soin au sein des casernes en 1975 n’étaient pas
satisfaisantes. La description faite par le numéro 8 des Bœufs voient rouge était assez
apocalyptique :
déplorable des locaux rappellent les prisons du moyen-âge. Les murs sont noirs de graisse,
tachés de sang et d’excréments (…) La tuyauterie du chauffage et les conduites d’eau sont
rongées par la rouille. (…) partout dans l’infirmerie, dans les lits, dans les placards-
vaisselles, aux toilettes, dans les moindres recoins, on trouve des centaines de cafards, des
milliers de fourmis rouges, des puces et d’innombrables insectes. (…) C’est inadmissible,
mon général !»
L’hygiène de manière générale fut un thème de prédilection pour les comités. Dans
- les gars, nous allons vous couper les cheveux car c’est PROPRE
Tout ceci est bien, mais alors POURQUOI après tous ces jolis discours nous
traitent-on comme des bêtes ? Car dans certaines compagnies, plus de la moitié des
douches et des chiottes ne fonctionnent pas depuis plusieurs mois déjà et certaines
personnes ont condmné ces portes qui sont tout de même ouvertes pour la revue et
1
bulletin-3.42
2
bulletin-7.3
163
Mais cela revient à créer un ZOO avec des locaux propres et des bêtes encore plus
sales que des ANIMAUX car elles sont obligées de prendre une après-midi complète pour
Sur ces mots, Bienvenue à la 75/08 car si ces jeunes hommes entrent au 92ème ZOO,
ils auront la peau si dure par l’épaisseur de crasse qu’ils deviendront eux-aussi des bêtes
PILEUX (facial)
campagne sur la place d’armes (l’eau froide serait fournie par la IIe Cie et l’eau chaude
Un autre exemple d’une situation particulièrement déplorable nous est donné par le
centre de sélection de Blois, où il y avait 3 douches et « 237 furoncles pour 200 soldats »,
ce qui faisait exiger au comité de soldats : « des douches car nous en avons marre de puer,
de l’eau chaude car nous voulons pouvoir nous laver la tête sans choper une angine, des
La nourriture à l’armée est réputée pour sa mauvaise qualité. En tout cas, les
1
les erreurs et fautes de frappe sont dans le texte
2
bulletin-7.51
3
bulletin-5.19
164
- un réfectoire pour nous
- le droit au “rab” »
Deux numéros plus tard, la situation ne semblait pas s’être améliorée au 1er RI de
Cette différence entre les repas des officiers et des sous-officiers était
particulièrement sensible : « les cuistots pour les offs et les sous-offs… des mécanos qui
font ce qu’ils peuvent pour les HDR… »4. Cela amena le comité de soldats du 4e RG de
Lyon à proposer une grève des repas5, dont on ne sait par ailleurs pas si elle fut ou non
mise en place.
Les courants investis dans le mouvement des soldats, notamment la LCR et Révo,
soldats était pour l’essentiel révolutionnaire, même si les comités animés par le PC ou IDS
l’armée », n’incitèrent jamais à prendre des armes et les revendications précises qu’ils
devaient s’efforcer « par tous les moyens de rendre présents les objectifs finaux de la lutte
1
bulletin-1.10
2
souligné par eux
3
bulletin-2.10
4
bulletin-4.7
5
bulletin-3.13
6
Alain Texier op. cit. p. 1-4, et voir Qu’est-ce que l’antimilitarisme révolutionnaire, op. cit.
165
antimilitariste dans les casernes ; ils mettent en évidence les racines de classe de
place très importante dans ce qu’ont porté les comités. Il s’agissait de dépasser le
C’était parfois énoncé tel quel, par des articles généraux sur l’armée, comme dans
Les bœufs voient rouge, numéro 53. Dans ce numéro, des passages de manuels
d’instruction militaire sont cités, où il est dit que : « on entend par adversaire intérieur
tous individus, groupes ou organisations qui, par des activités illégales, troublent l’ordre
public et cherchent à porter atteinte à l’autorité du pouvoir établi », son action peut
notamment consister en « agitation et grèves, ces dernières pouvant aller jusqu’à la grève
générale ». En conséquence de quoi l’article se conclut par : « à bas l’armée au service des
Mais dans la plupart des cas, cette fonction de l’armée était mise en cause par des
Les comités s’appuyaient pour ce faire sur les exemples récents d’intervention de
l’armée lors de grèves, notamment celles des postiers et des éboueurs fin 1974 (Tam-Tam
1
sur les divergences “stratégiques” entre l’approche du PSU et celle de la LCR, voir par exemple
l’entretien entre Alain Joxe du PSU et Jean-Yves Potel de la LCR, “La crise de l’armée française et
les révolutionnaires”, paru dans Critique Communiste n°6, avril-mai 1976, p. 91-106
2
Comité antimilitariste, op. cit. p. 8-9
3
bulletin-7.97
4
bulletin-1.16
166
idéologique que la moyenne) de la manière dont les comités posaient le problème nous est
Tout est fait à l’armée pour t’isoler, pour te couper de ta vie civile, de ta famille, de
On espère ainsi qu’un jour on pourra te faire intervenir contre eux lorsqu’ils seront
éboueurs. Au 10e RG, certains sapeurs ont été consignés dans ce but.
gouvernement tend de plus en plus à utiliser l’armée contre les revendications des
travailleurs.
nous le rabâche, elle sert à défendre la France des exploiteurs contre celle des exploités.
Son véritable ennemi est à l’intérieur des frontières : c’est la classe ouvrière.
D’ailleurs, crevure, peux-tu nous citer un seul exemple où l’armée a défendu les
pour dénoncer cette fonction de l’armée3. Pour le comité de Karlsruhe, le stage commando
serait même « le seul moment où le thème “armée de guerre civile” paraît vraiment
evident » aux soldats1. Ces stages cumulaient plusieurs sources de mécontentement. Ils
étaient souvent dangereux, les accidents y étaient monnaie courante et les comités
y était concentrée, c’est cette dimension aussi que les comités dénonçaient. Enfin, les
exercices effectués (sabotages de trains, prises d’assaut de bâtiments par petits groupes)
1
bulletin-4.3
2
bulletin-7.46
3
voir la brochure spéciale sortie par le CDA, Stages commandos, école du crime, Suppl. à Crosse en
l’air n°18, 1976
167
laissaient par ailleurs entendre que les forces de l’armée étaient tournées vers l’éventualité
d’une guerre civile. C’était également utilisé par les militants pour remettre en cause la
« instrument d’oppression idéologique du peuple »2. Selon les comités de soldats, plus
fortement encore que des institutions comme l’école ou la famille, l’armée était supposée
forcer les dernières résistances du jeune pour en faire un bon ouvrier et un bon citoyen,
respectueux de l’ordre social et des hiérarchies. Cette dimension était le plus souvent
diffuse, imprégnait la prose des comités sans faire l’objet d’articles propres, relevant par
« RAZ LE BOL
- de l’O.S.
commandement
- des saluts obligatoires : encore une façon de nous prouver leur supériorité
- des rentrées pour l’appel, il faut bien que l’on se souvienne, même à l’extérieur
1
annexe-10 p. 8
2
Les luttes des soldats, n°5 de la “Série travailleurs en lutte”, 1974, p. 21
3
bulletin-4.3
168
Enfin, l’armée était dénoncée, mais de manière plus occasionnelle, comme une
armée de guerre coloniale, dirigée contre les peuples du Tiers-Monde. Le Sapeur enragé
Saïgon ou Alger, ou alors faut revoir la géographie ! Partout contre les peuples qui
voulaient et qui veulent se libérer du joug colonial (la France), l’armée française a prêté
main forte pour le maintenir, pour maintenir les riches dans leur rôle d’exploiteur… En
populations civiles. »1 Début 1976, c’est sur l’indépendance de Djibouti que des comités
Il faut remarquer la quasi absence de prise de position des comités de soldats sur les
hiérarchie militaire, du gouvernement et des partis politiques, les débats battaient leur
plein sur le nucléaire, l’OTAN et commençaient à se faire jour sur l’armée de métier. Il est
vrai que l’extrême gauche ne participait pas vraiment à ces débats3 Les comités se
qui dénonça les propositions de passer à une armée de métier et affirma « ne pas remettre
s’effectue »1, mais ils se turent sur le reste. Ils se turent même sur la Défense
Opérationnelle du Territoire (DOT), qui exprimait pourtant plus concrètement que tout
Cela peut s’expliquer par la nature de leur intervention (locale et du point de vue des
appelés) tout autant que par leurs références politiques : il n’était pas question de débattre
1
bulletin-4.19
2
bulletin-5.15 et 5.13
3
voir tout de même sur l’analyse de l’armée par la LCR : Michel LEQUENNE, “Cette armée qui
dévore l’Etat”, Critique communiste n°3, septembre 1975, p. 45-58
169
2) Élever le niveau de conscience politique des bidasses
Inciter le contingent à lutter pour ses droits et remettre en cause le rôle de l’armée ne
furent pas les seuls objectifs des comités, ils tentèrent également de faire évoluer les
soldats. La vie de caserne avait ses rites propres, elle transformait de jeunes hommes civils
en « bidasses », avec tout ce que le terme implique comme bêtise et machisme. Tenter de
contrarier ces tendances ne fut pas une tâche évidente, dans la mesure où cela impliquait
une remise en cause des soldats eux-mêmes et des dynamiques collectives dans lesquels
fallait pour cela, « réaliser l’unité du contingent (…) faire pénétrer la lutte de classe
travailleur », formule qui implique aussi une reconnaissance des droits politiques. Pour
comprendre aux bidasses que même sous les drapeaux ils avaient des droits, que soldats
ou pas, la classe ouvrière restait leur classe d’appartenance et qu’ils ne devaient pas céder
soldat et son milieu, sa classe, et l’embrigadement qui le livre pieds et poings liés à une
poignée d’officiers, sont le moyen pour la hiérarchie militaire d’éviter que les éléments
issus du peuple qu’elle arme et qu’elle forme, puissent se battre pour leurs propres intérêts
Briser cet isolement était donc indispendable pour que le mouvement des soldats se
range derrière le mouvement ouvrier, pour qu’aux moments décisifs, le contingent soit
1
bulletin-7.103
2
Les luttes des soldats, n°5 de la “Série travailleurs en lutte”, 1974, p. 39-40
170
La hiérarchie entretenait également les divisions et la compétition entre compagnies,
Cet état d’esprit n’était évidemment pas favorable à la solidarité entre soldats et à l’action
collective, recherchées par les comités. Le FSMAR proposa fin 1973 une méthode pour
« Les plus timorés font les corvées, pendant que les “choc” coincent la bulle. Il faut
(sans plus) : “ou bien tout le monde est décidé à ne pas briquer les bâtiments du GI, ou
bien on se met au boulot et on s’y met tous”. Tel est le thème. On a soi-même un
comportement extrêmement fraternel, on aide les plus faibles pendant les marches, on
du contingent dans sa globalité et certains allèrent même jusqu’à faire des articles sur cette
question. Ce fut le cas de « Ras l’Calot » n°3 de Mérignac3, qui, sur une page et demie,
récupération des permanences et, considérant que c’était destiné à leur apprendre à
« Nous ne sommes pas des mendiants, nous exigeons de nos “chefs” qu’ils nous
respectent en tant que travailleurs et que citoyens. Nous saurons montrer à la hiérarchie
que nous avons une conception différente de l’égalité. Nous saurons nous donner les
moyens de lutter contre toutes les formes de ségrégation et d’inégalité qu’elle instaure
Le racisme était très présent dans les casernes, notamment envers tous les appelés en
provenance des DOM. Ce racisme existait chez les bidasses et était alimenté par la
hiérarchie qui avait souvent une attitude discriminatoire. Cette différence de traitement
1
Comité antimilitariste, op. cit. p. 5
2
Bulletin de recherches… op. cit. p. 7
3
bulletin-4.2
171
était très vivement dénoncée par les bulletins. Tam-Tam n°1 de la BA 1141 rendait compte
de la situation :
S’il existe des problèmes et parfois des heurts entre “noirs et blancs”, c’est qu’il
existe une situation de fait dès l’arrivée des gens de couleur sur la base.
Dès le début, ces derniers se sentent considérés comme différents des autres : ils ont
un langage propre, un comportement différent, une culture différente. Dépaysés, ils restent
en bande, ils n’ont que très peu de contacts avec les autres appelés. Cette barrière
naturelle, normale au début du service militaire, loin de diminuer ne fait que se renforcer
au fil des mois » par le « racisme, souvent latent » des appelés, la méfiance des
pour pouvoir les opposer entre eux. (…) Les appelés de Draguignan ont montré en
manifestant tous ensemble que, face à la hiérarchie militaire, le combat était le même pour
tous. »
Le comité de soldats de Vincennes relatait tous les propos racistes tenus par les
gradés comme « Un gradé à un Israélite qui lui demandait de pouvoir passer des fêtes
juives en famille : “vous êtes juif, X ? Je croyais que vous n’aviez pas de problèmes !” »2
Deux sujets enfin furent parcimonieusement abordés par les comités : le sexisme et
la vie de caserne, apportant une certaine forme de réconfort aux soldats et les unissant à la
hiérarchie par une certaine “complicité virile”. S’opposer à ces attitudes signifiait sans
des prises de position idéologiques, ne s’en priva pas et cela sur ces deux terrains3.
Affirmant ne pas vouloir écrire un « appel à l’ordre », l’auteur de l’article sur les
1
bulletin-1.16
2
bulletin-4.6
3
bulletin-4.16
172
complètement con parce que ça détruit physiquement et moralement un bonhomme. (…)
Tous ces défoulements (saouleries, bagarres et casse) ne sont pas du désordre, car ils font
de nous des bêtes stupides. (…) Le désordre, ce serait plutôt de ne pas offrir à l’armée son
contingent de cinglés. (…) Il faut tout faire pour garder le contact avec la vie civile : en
évitant le folklore bidasse stupide, en demandant des permissions plus nombreuses. » Cet
article insultant pour la majorité des soldats n’a sans doute pas facilité le soutien du
comité par la caserne. L’article sur le sexisme, par son caractère abstrait et agressif n’y a
« “Les grosses, les salopes, les putes… Pour qui les femmes ? Pour nous ! au
paquet ! On les baisera toutes ! !…” Voilà parmi tant d’autres les expressions qui
reviennent quotidiennement dans la bouche des militaires, l’adjudant qui veut se sentir
plus près de ses gars parle de fesses entre deux crapahutages. Pourquoi tout cela ? » parce
objet qu’on tente de nous inculquer », tout cela afin de créer des « employés sages ».
d’emphase, s’incluant dans la masse des buveurs (« dès que nous pouvons, on s’arrange
pour téter sec de la bière si possible avant 10 h du matin »), il dénonce lui aussi l’alcool
au piège de la bibine ! »1
1
bulletin-5.19
173
Ch.8 Un outil pour intervenir : les bulletins
La vie de la plupart des comités de soldats était rythmée par la parution des
bulletins. Leur importance était non seulement liée à leur utilisation, dans un cadre où la
contingent, mais aussi à leur réalisation, qui donnait une activité concrète aux comités,
leur permettait d’avoir des débats et quelques fois de nouer des liens avec les syndicats.
Toutefois, l’activité des comités ne se résumait pas aux bulletins. Ils développèrent
également dans la plupart des cas une action plus souterraine dans le quotidien de la
caserne. De même leur vie était aussi constituée d’échéances plus marquantes comme des
manifestations (notamment le 1er mai) ou les journées portes ouvertes dans les casernes.
1) Au quotidien
mettre en jeu la libre parole : « Eh, les gars, si on se laissait pousser les cheveux pendant
On peut sans crainte penser qu'il a toujours existé une certaine résistance spontanée
1
François MALBOSC, op. cit. p. 22
174
« Je me souviens d'une anecdote par exemple, lors de manœuvres, on longeait un
grand mur dans le sable, on était crevé, il faisait nuit, un des soldats écoutait la radio et a
dit “il y a un syndicat de soldats”, tout le monde s'est arrêté. C'est un peu la teneur. Dans
les manœuvres, on avait une organisation qui permettait de casser les allures des marches
par rapport aux officiers. Donc il n'y avait pas d'actions type “manifestation”, mais c'était
compagnie, (ils ont) réussi à faire chanter le chant des partisans, au grand dam des
officiers, parce qu'au début, ils (leur) faisaient chanter la rue, “la rue est à celui qui est
mort…”, des trucs fachos, la rue avait une origine nazie… Donc quand la quatrième
compagnie est arrivée avec le chant des partisans, ça changeait. Il y avait un écho de ce
point de vue. »2
Les militants tentaient en permanence de politiser les événements. Mais une des
difficultés à laquelle ils étaient confrontés, était, comme on l’a vu plus haut, leurs
spécificités par rapport au reste du contingent. Le FSMAR proposait fin 1973 une attitude
à adopter :
« Les appelés sont en moyenne partie des jeunes ouvriers, des fils de paysans
donc se donner pour règle de parler simplement, de partir des situations concrètes, de
tournées de bière au foyer, etc… (…) Le but est d’utiliser chaque occasion pour élever le
sans théories abusives surtout. N’importe quoi, même un roman photo, même une
plaisanterie porno pose une question sociale et est sous-tendue par une position dans le
rapport de classe. Bien entendu il faut user d’un minimum de flair et savoir vivre
1
entretien-8 p. 52
2
entretien-8 p. 5
3
Bulletin de recherches…, op. cit. p. 6
175
Le degré d’activité d’un comité était souvent proportionnel à son âge. A Karlsruhe,
il a fallu une lente maturation avant que le comité ne regroupe assez de forces pour sortir
Tringlo en colère et avant la manifestation du 13 janvier. Le bilan du comité fait par des
travail fait par des soldats de la 73/08 durant mai-juin 74, de la phase d’action qui suivit.
(…) des ralentissages de marche, aux démarches collectives auprès des crevures, au
bordel organisé en ordre serré par le rire et la provocation (…) enfin au refus collectif
d’un ordre de marche en ordre serré. » Pour la 74/10, cela prit la forme d’une pétition pour
exiger une permission que la hiérarchie accorda dès qu’elle en eut vent.
Il était cependant assez rare que les classes, de même que les stages commando,
soient des cadres faciles pour la contestation, comme en témoigne le rapport sur le moral
du 601e RCR : « C’est notamment au cours des périodes d’activité intense que
« Toute la palette des actions possibles n’est pas à décrire ici, ce serait parfaitement
vain. Disons simplement que l’une de celles qui est souvent proposée, l’action sous forme
multipliant les démarches individuelles. Egalement les boycotts d’activités, voire le refus
complet ont une certaine efficacité. Sans parler des manifestations ou sit-in dans les
enceintes militaires. Enfin, n’oublions jamais, qu’à l’armée comme partout, les murs
peuvent parler, et que c’est tout aussi esthétique que les écussons de compagnies ou les
tableaux de commandement. »3
1
annexe-10 p. 5-6
2
archives personnelles-16, p3 et voir aussi une bonne description de la période des classes dans
François MALBOSC, op. cit. p. 25-69
3
Bulletin de recherches…, op. cit. p. 17
176
Les comités n’étaient pas avares de communiqués destinés à la presse. Celui de
soutenir des soldats ou des déserteurs en procès. La manière dont il rendirent compte de
leur activité donne un bon exemple d’un comité de soldats en bonne santé1.
Voler ou recopier des documents militaires, de préférence secrets, faisait aussi partie
de ce que les militants tentaient de faire dans les casernes2. Ils les remettaient après à
Quand il y avait des grèves dans des entreprises proches de casernes, il arrivait que
les comités organisent des collectes, des délégations ou rédigent des motions de soutien en
Bref l’activité quotidienne était multiforme et variait au gré des événements et des
2) A l’occasion d’événements
spécifiquement aux nouveaux arrivants. Une véritable institution existait dans la presse
75/08 » par exemple). L’importance de cette activité était liée à la survie du comité, qui
devait passer le flambeau d’une génération à l’autre. Soit intégrée dans le bulletin, soit
rubrique dans la mesure où elle leur permettait d’expliquer leurs revendications, leurs
idées et leurs activités et ce, dès l’arrivée des nouveaux soldats, plus faciles à convaincre
qu’une fois installés dans la vie de caserne. Elle se présentait le plus souvent comme une
1
archives LCR-2.3 p. 3
2
entretien-2, p. 13
177
la « nécessité de s’unir ». La préparation et la diffusion de ces tracts occupait une partie
activité :
« Il faut assurer la relève. L’une des tâches importantes doit être de s’adresser aux
nouveaux incorporés. Ceux ci sont “perdus” dans les premiers jours, et apprécient
hautement que les anciens viennent fraternellement leur donner toutes les ficelles de la
boite. Bien sûr, il est souhaitable que les coups de main ne restent pas à un niveau
d’acceuil aux incorporés crée une “bonne ambiance” dès le départ. Si le noyau ne veille
pas à cette tâche, le travail de plusieurs mois et le rapport de force établi peut se trouver
perdu. »1
Une fois par an, des « journées portes ouvertes » se tenaient dans toute une série de
casernes, pratique qui tendit à se généraliser dans les années 70. C’était une occasion
privilégiée pour les comités de faire parler d’eux et de dénoncer le quotidien de la caserne.
On faisait effectivement travailler les soldats deux fois plus afin de rendre la caserne
impeccable. C’était par ailleurs dans bien des cas le seul jour de l’année où les gradés leur
tracts ou des articles dans leurs bulletins et parfois même, comme on l’a vu, invitaient des
délégations syndicales.
meetings, comme celle que Jean-Yves Potel a organisée avec trois militants du FSMAR
1
Bulletin de recherches… op. cit. p. 14, les fautes sont dans le texte
2
entretien-3 p. 20
178
La principale initiative d’apparition était cependant la manifestation du 1er mai. Elle
prenait son importance par la symbolique qu’elle portait (le soldat-travailleur), par le fait
aussi qu’elle était conçue comme une démonstration de forces du mouvement des soldats,
capable de faire manifester des centaines de militaires. Cette manifestation était par
ailleurs un moyen pour chaque courant politique de comparer ses forces avec les autres.
Cette dernière dimension motivait indéniablement les militants, qui prenaient cette
échéance au sérieux. La préparation était délicate. Les militants devaient apprécier quels
membres du comité étaient susceptibles d’y participer, ensuite par une succession de
furent par exemple oubliés dans le métro en mai 75), ils rejoignaient les cortèges
syndicaux.
Les bulletins ne furent pas le seul type de matériel écrit que les comités diffusèrent.
Ils diffusaient aussi la presse antimilitariste, La Caserne dans des cercles plus restreints et
surtout de multiples tracts. Dans un premier temps, ce fut quasiment le seul type de
ponctuels. Mais ce sont les bulletins qui constituèrent le principal outil des comités et
acquirent même une renommée suffisante pour avoir le droit de cité dans l’Histoire
1
De nombreux extraits de bulletins de comités sont proposés dans le livre de Robert PELLETIER
et Serge RAVET pré-cité, p. 78-165 et voir l’annexe-8
2
Claude BELLANGER, Histoire générale de la presse française, T.5, de 1958 à nos jours, PUF, Paris,
1976, p. 413
179
La rédaction, le tirage et la distribution des tracts et des bulletins étaient faits de
manière tout à fait artisanale et dans la plupart des cas individu par individu. « De toute
façon ce n'était pas possible autrement. Sur la rédaction c'était inégal suivant les bulletins.
Il pouvait y avoir des petits articles sur la vie quotidienne, qui peut être décrite et racontée
par un mec actif mais peu politisé et puis remis en forme après par les militants
organisations. »1 Cela pouvait être les sections locales de la LCR (ou la section allemande
de la Quatrième Internationale pour les FFA), IDS mais aussi des sections syndicales.
C’est par ces dernières que les comités essayaient le plus volontiers de se faire aider.
Au-delà des meilleures garanties de sécurité qu’ils estimaient que cela leur donnait, cela
permettait de montrer pratiquement ce que les syndicats pouvaient faire pour aider les
fabrication, de rédaction, d’impression, les dessins, l’esthétique etc, soient faits avec les
syndicats »2. Souvent, comme à Nancy1, les militants politiques servaient d’intermédiaires
pour mettre en contact les comités et les sections syndicales (c’était souvent de part et
l'exception que la règle dans la mesure où cela coûtait cher et était difficle à mettre en
place puisqu'il fallait avoir accès aux adresses personnelles des soldats. Un exemple nous
« Le bulletin avait été adressé par courrier, ce qui représentait une somme un peu
importante, mais nous avions eu l'aide d'IDS, de certains réseaux (il y a toujours des
combines, machines à timbrer, des copains dans les postes…) et il se trouve que l'un des
copains soldats était employé aux écritures et avait accès au grand livre avec tous les
1
entretien-1 p. 10
2
entretien-3 p. 21
180
noms et les adresses des soldats. Il a bien voulu prendre le risque de recopier patiemment,
avec des photocopies mais aussi à la main, les noms et adresses, pas la totalité mais je
La diffusion pouvait aussi se faire de la main à la main dans la caserne, dans les
dortoirs, c’était selon IDS « le mode de diffusion le plus répandu »3. Les militants
pouvaient cacher les bulletins ou les tracts dans les toilettes ou dans les casiers la nuit.
Mais il semble que la méthode de diffusion la plus utilisée par les comités, était la
distribution du matériel dans les gares par des civils4. Elle était plus sûre et permettait de
toucher plus directement et plus largement les soldats, même si elle semble avoir été
2) Pédagogiquement composées
Malgré la faiblesse des contacts entre les différents comités, la forme des bulletins
Sur les 197 bulletins dont j’ai disposé, 41 % ne comptaient que 2 pages, 33 % en
10 ne dépassaient donc pas les 4 pages, presque la moitié n’en comptaient que 2. Sur les
197 bulletins, seuls 5 ont plus de 10 pages (deux fois Les diables voient rouge de Colmar,
Provins). Bref, il ne faut pas se tromper dans l’utilisation du mot « bulletin », bien souvent
aisément par le caractère artisanal de leur réalisation et le faible nombre de personnes sur
lesquelles ils reposaient dans la plupart des cas. A Mérignac, dans un comité important, le
1
entretien-3 p. 20
2
entretien-7 p. 44
3
François MALBOSC, op. cit. p. 107
4
entretien-4 p. 28
5
François MALBOSC, op. cit. p. 108
6
voir par exemple un bulletin-type annexe-8, Arrête ton char
181
journal n’était « pas pris en charge par les comités. Pas d’articles écrits. Pas de discussion
sur ce que doit être ce journal (place des articles généraux et des articles par unité). »1
La structure des bulletins variait peu. Dans la plupart des cas, ils comportaient un
des « échos de la caserne », sous forme de brèves ou d’articles, relatant les problèmes
locaux qui avaient pu se produire, ou en lien avec des initiatives (stages commandos,
portes ouvertes etc), « échos de la caserne » qui étaient souvent le moyen de rappeler les
revendications portées par les comités ou de dénoncer tel ou tel aspect de l’armée. Les
bulletins étaient par ailleurs ponctués d’illustrations plus ou moins esthétiques, souvent
effectuées par les militants eux-mêmes. Dans près de la moitié des cas (76 sur mes 197),
une petite phrase venait rappeler en fin de bulletin qu’il fallait faire attention à ne pas se
Du point de vue de la forme, il faut noter une particularité des bulletins de comités.
Dans la plupart des cas, les militants savaient rendre leurs feuilles distrayantes et
accessibles pour la masse des soldats, « s’y côtoient désormais le style militant le plus
stéréotypé et la bande dessinée, les mots d’ordres et les récits vivants, les personnages
d’Astérix et les représentants des SUV portugais ; l’humour y a remplacé l’invective ; les
Les noms des journaux manifestent une réelle inventivité. On y retrouve des
base navale de Cherbourg), Spirate rouge (à la base de Spire), Sapeur du rouge, Les
dragons voient rouge, Les lions rougissent, Les bœufs voient rouge (les appelés se
1
archives LCR-2.3, p. 4
2
François MALBOSC, op. cit. p. 106
182
faisaient appeler « les bœufs » par les sous-officiers), L’ancre rouge, A boulets rouges…
On y trouve des allusions à la vie de caserne : le très apprécié Arrête ton char1, et le non-
des détournements de sigles militaires : RA l’bol, ça RIMA quoi, FFA Faut faire attention,
quelques traits d’humour, pas forcément du meilleur goût, comme Tarte à gueule, Le
Dans quelques cas, les militants des comités de soldats prenaient même le luxe de
réaliser une couverture, dans la plupart des cas pour des raisons esthétiques. Les comités
de Sedan (Les couloirs de la caserne), de Colmar (Les diables voient rouge), de Berlin
de Vieux-Brisach, sortant Le Sapeur majeur, fit même une fausse couverture juste après la
hiérarchie.
L’humour et la dérision avaient une large place dans la prose des comités. La
rubrique « crevure du mois » offrait l’occasion de tous les défoulements. Dans le Hussard
de mauvais soldats, photos dédicacées de crevures) Vous avez bien une crevure dans votre
crevures ! ». Dans le même style, La dépouille n°25, épingle nominalement des sous-
1
trois fois utilisé
2
quatre fois
3
trois fois
4
bulletin-3.19
5
bulletin-5.19
183
« Un jour, un gus de la secte MOON est venu à la caserne. Il a prêché et une
nouvelle secte est née : la religion BOONE (…), signes distinctifs : face d’œuf, crâne
d’œuf, aliment exclusif, des œufs – fournitures gratuites (la preuve, Boone, vu son maigre
- OUVRARD, qui lui, hésite entre la secte BOONE (SB) et la secte MOON (SM)
- HAYOT (…)
Nous ne pouvons citer tout le poulailler. Cette secte a récemment augmenté sa ponte
de motifs et d’arrêts de rigueur. Elle nous prend tous pour des poules mouillées, mais un
Parfois, les bulletins publiaient des histoires drôles en tant que telles, comme par
« Il était une fois un adjudant-chef tellement bête, mais alors tellement bête, que les
Pour égayer les bulletins, les militants recouraient aussi à d’autres types d’outils. Ils
faisaient des devinettes2, des bandes dessinées3, des faux dialogues4, des mots croisés5, ou
ils inséraient des coupures de presse dans les bulletins6. Parfois, ils rédigeaient des
chansons et des poésies. Dans La caserne en lutte de Sarrebourg7, un appelé envoyait une
lettre à sa fiancée :
« Ma chérie
Il coule dans ma gorge plus vite que les jours qu’il me reste à tirer.
1
bulletin-7.41
2
bulletin-7.47
3
bulletins-1.16-3.4-5.4-5.15-5.23-7.59
4
bulletins-5.1-7.54
5
bulletins-4.2-5.2
6
bulletins-1.2-5.9
7
bulletin-2.10, les fautes sont dans le texte
184
Ils ont fait de moi un homme
Les bulletins rencontrèrent le plus souvent un écho favorable au sein des casernes.
185
la hiérarchie, le sourire complice et fier des appelés (sorte de défi, par personnes
interposées, à cette armée dont ils ont horreur). Pour la plupart des sous-officiers, c’est
plupart des cadres du régiment, une réelle sympathie pour le contenu du journal… Tel
chef de section conseillait aux appelés de ne pas être porteurs du Sapeur majeur, mais se
proposait d’en faire la lecture dans son bureau… Tel commandant de compagnie
Claude Poizot rend compte plus modestement de l’effet des bulletins au niveau de sa
propre caserne :
« Les réactions furent diverses. Il y eut des regards dérobés, des « on n'en parle
pas », des « y en a qui foutent la merde ils nous font chier », des regards de connivence
notamment envers les quelques uns qui étaient justement les auteurs du bulletin, des
regards du genre « on n'est pas con, on ne dira rien mais on se doute que c'est vous, c'est
bien, continuez », des approches même plus avancées « dites donc les gars vous avez vu ?
J'aimerais bien… vous connaissez pas ceux qui ont fait ça ? ». Il fallait bien sûr être un
peu distant parce qu'on ne pouvait pas accueillir cette sympathie sans limites. Mais il y
avait une sympathie réelle de la part de quelques éléments. D'autres qui ne voulaient pas
finalement les victimes « moi je veux ma perm dimanche et c'est tout ». Mais il n'y eut
visiblement pas d'hostilité non plus… »3 Ce qui semblait l'emporter était donc une
« L'aspect positif de ces bulletins ça a été de libérer un peu la parole dans la caserne,
de permettre les regroupements, les petites discussions. C'est de l'ordre du quotidien, c'est
1
bulletin-5.19
2
François MALBOSC, op. cit. p. 118
3
entretien-7 p. 44
4
entretien-7 p. 44
186
fugitif mais il y a quelque chose qui se développait sourdement je crois. »1, considère
De même que toutes les formes d’action des comités, leur presse permettait
caserne.
1
entretien-7 p. 45
187
CONCLUSION
perspectives dans laquelle l’extrême gauche française entrait. Les comités de soldats
Cette étude reste donc inachevée. Un travail est encore à mener sur la deuxième
avec les autres mouvements européens et avec les autres formes d’antimilitarisme
cependant être faites. En définitive, Bigeard avait-il raison ? Les comités de soldats
des comités de masse, exprimant les aspirations d’une majorité du contingent ? Peut-on
De tous ces points de vue, les comités de soldats ne furent pas tellement différents
des autres nouveaux mouvements sociaux qui se développèrent à la même période (le
mouvement féministe ou ceux qui apparurent dans la jeunesse scolarisée par exemple).
Les comités de soldats furent initiés et animés par des militants d’extrême gauche, dans le
courants politiques peut-être plus fortement encore que dans d’autres secteurs, en raison
comprendre comment les comités ont pu connaître ce degré de développement, s’il n’y
avait eu un terreau favorable pour leur action. L’archaïque vie de caserne elle-même
produisait des comités dans une jeunesse de moins en moins réceptive à la psychologie
188
militaire et sensible aux revendications portées par les comités. La plupart du temps, ces
groupes de soldats avaient une activité locale et ponctuelle, bénéficiant d’une “neutralité
bienveillante” de la part des autres bidasses. Et parfois, sans raisons apparentes ou parce
qu’il y avait eu un accident ou une brimade de trop, les comités voyaient leurs slogans
repris par des compagnies et des régiments entiers, les militants se retrouvaient à la tête de
Mais il n’y en aurait pas eu non plus sans le malaise qui traversait l’armée et le contingent
en particulier.
Cette alchimie n’était pourtant pas donnée d’avance. Les comités de soldats auraient
1972 et 1973. Sans nul doute, malgré le caractère souvent dogmatique et sectaire des
groupes d’extrême gauche de l’époque, ils surent adapter judicieusement leurs tactiques
L’Appel des cent a offert une plate-forme et un outil d’intervention de masse pour
accéléré le développement, indiquant qu’il était possible d’avoir une activité contestataire
question. La multiplication d’initiatives qui a suivi fut une étape supplémentaire : il n’était
plus question d’actes isolés, mais bien d’un mouvement généralisé. Alors que se posait la
question des perspectives à lui donner se développèrent les liens avec des organisations
compréhensible qu’à la rentrée de 1975, les comités de soldats aient pensé que l’étape
Ce fut sans doute la seule erreur importante d’appréciation de la LCR, de Révo et d’IDS.
Le gouvernement aurait peut-être décidé de saisir la Cour de Sûreté de l’Etat sans cette
perspective. Mais de fait, les comités n’avaient pas une assise suffisante pour imposer le
189
franchissement de ce cap. Excepté sur cette question, la capacité constante des courants
entre la théorie et la pratique, entre des visées stratégiques et un pragmatisme intuitif. Pour
une immense majorité des cas, dans les casernes, les militants des comités ne furent pas
perçus comme des petits “professeurs rouges”, donneurs de leçons et rabat-joie. Sensibles
au climat ambiant, sachant adopter des modes d’expression riches, diversifiés et simples,
soucieux de toutes les formes de brimades et d’injustice, même les plus quotidiennes, les
comités arrivèrent à obtenir une certaine reconnaissance de la part des autres appelés. Ils y
furent par ailleurs obligés. Une caserne, ce n’était pas une université. C’était un vase clos
hermétique, avec sa culture et ses rêgles propres. Ne pas s’y insérer, revenait à se
stratégies d’organisations d’extrême gauche, mais ce fut tout autant le résultat des
organisationnelle du mécontentement qui touchait la masse des appelés. C’est cela aussi
Cela a-t-il suffi pour qu’en mars 1976 il ait atteint ses objectifs ?
Les perspectives qu’il s’était fixées à court terme semblaient pour le moins remises
fractions-armées des courants politiques et mis les comités sur la défensive. L’objectif de
Jusqu’en novembre 1975, les soutiens syndicaux des comités étaient peu ou prou
des soldats arriva à impliquer le mouvement ouvrier dans son ensemble au moment de sa
“antimilitaristes”, même s’ils durent aussi proposer des revendications ou des mesures
190
pour le contingent. La saisine de la Cour de Sûreté avait également pour objectif de semer
la discorde au sein de la gauche. Elle y parvint sans aucune difficulté, mais on peut
entre la CFDT et la CGT et entre le PS et le PC par centrales interposées. Tout au plus fut-
Les comités voulurent aussi “introduire la lutte de classes au sein de l’armée”. Les
court terme. Cela était peut-être pensable à l’époque, mais il n’y a pas eu de révolution
dans les années 70. Avec l’entrée dans la dépression en 1974, il allait moins être question
En tous les cas, l’activité du mouvement des soldats a malgré tout eu des
crise était multiforme. Elle affectait non seulement le contingent, mais aussi les cadres qui
faisait consensus. Les initiatives et l’existence des comités ont occasionné la multiplica-
confessionnelles, et entériné l’idée selon laquelle l’armée ne pouvait pas rester en l’état.
A l’époque, les réponses du gouvernement furent analysées par les comités comme
de la “poudre aux yeux”. Quand on y regarde de plus près cependant, on s’aperçoit qu’il
n’y eut peut-être jamais autant de réformes successives concernant l’armée que durant
multitude de petites mesures symboliques furent bien le produit de l’action des comités.
régulièrement à obtenir gain de cause sur leurs exigences locales. Ils parvenaient parfois à
modifier tout le climat d’une caserne, renforçant la combativité des appelés. Peut-on aller
Draguignan, qu’avec le mouvement des soldats « bidasse est mort » ? Sans doute pas.
191
L’armée est peut-être l’institution la plus colossale et la plus rigide de notre société. Dans
de nombreux régiments, les gradés étaient certainement plus respectueux envers les
soldats après avoir été confrontés à des comités. Mais globalement en 1976, la vie de
192