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La valorisation de l’activité contributive : un choix de société soumis à


enquête expérimentale
Présentation du projet de recherche {contributive} et de sa méthodologie

Carole Lipsyc
Ingies
Laboratoire Paragraphe, Paris 8

Table des matières


Origine, objectifs et méthodologie du projet de recherche {contributive} ............................................ 3
Aperçu du projet ................................................................................................................................. 3
Première approche de l’activité contributive ..................................................................................... 4
Première approche de l’enquête expérimentale ................................................................................ 5
1 L’activité contributive ...................................................................................................................... 6
Activité contributive et activité marchande ............................................................................ 6
Activité contributive et patrimoine immatériel ...................................................................... 6
Activité contributive et travail de reproduction...................................................................... 9
Dépasser les cadres de référence traditionnels pour trouver des solutions communes
devenues vitales ................................................................................................................................ 11
Proposer une alternative au travail comme activité princeps .............................................. 12
Les points à instruire en tant que collectif solidaire ............................................................. 12
2 Le dispositif de valorisation de l’activité contributive proposé et soumis à expérimentation ..... 14
Les plateformes comme médias économiques ..................................................................... 14
Panorama du dispositif général............................................................................................. 14
Les empreintes et les indicateurs .......................................................................................... 17
Les niveaux de l’empreinte-niveaux ...................................................................................... 18
Les visas possibles pour l’empreinte ..................................................................................... 19
La pointification ..................................................................................................................... 20
Déclaration de l’activité contributive .................................................................................... 21
Un comptoir de communs ..................................................................................................... 21
Un espace informationnel structuré utile à l’intermédiation, à la construction de récits et à
la mesure de l’impact social .............................................................................................................. 22
Les hypothèses médiatisées par la plateforme ..................................................................... 23
3 L’enquête expérimentale {contributive} ....................................................................................... 23
Motifs conjoncturels, heuristiques et matériels du choix d’une opération éclair ................ 23
Les livrables de l’opération éclair .......................................................................................... 25
Une recherche coopérative, participative et collective ........................................................ 26
Débat, recherche et enquête expérimentale ........................................................................ 26
La méthodologie d’analyse des contributions : l’étude topique........................................... 28

1
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Une initiative de recherche singulière et citoyenne ............................................................. 29


Conclusion ............................................................................................................................................. 32
Annexe 1 : Etat de l’art. Revenu universel, Pacte d’activité contributive et autres propositions. Quelles
différences ? Quelles bases communes ? ............................................................................................. 34
Annexe 2 : Les indicateurs construits par la plateforme contributive.org ............................................ 41
Bibliographie.......................................................................................................................................... 44

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Origine, objectifs et méthodologie du projet de recherche {contributive}

Aperçu du projet
Le projet de recherche {contributive} cherche à faire exister l’activité contributive comme un objet
d’intérêt social et comme un champ de recherche académique.

Il a deux objectifs : premièrement, définir le périmètre et les modalités de valorisation de l’activité


contributive et, deuxièmement, cerner les controverses que sa valorisation pourrait soulever,
autrement dit les freins à son adoption.

L’activité contributive peut être succinctement décrite comme une activité qui est socialement
nécessaire mais qui échappe à toute forme de rétribution.

Le projet {contributive} est porté par une entreprise, Ingies, dans sa démarche de Recherche &
Développement1. Commencé en 2018 lors de la préparation d’une réponse à l’appel « 100% inclusion »
du Plan d’Investissement dans les Compétences, ce projet de recherche a pris une nouvelle tournure
et un nouveau sens à la lumière de la crise engendrée par l’événement du Coronavirus. Devant
l’urgence sociale que suscite cette crise, il nous a semblé important de porter notre vision et notre
proposition de la valorisation de l’activité contributive sur la place publique pour qu’elle puisse être
expérimentée, débattue et construite en commun. Cette démarche correspond à l’outil heuristique
connu sous le nom « d’enquête expérimentale ».

Notre hypothèse est que la valorisation de l’activité contributive peut favoriser l’émergence d’une
solution à la raréfaction du travail en ces temps de crise et à la paupérisation d’une frange accrue de
la population qu’elle entraîne. Notre conviction est que la crise rend encore plus vitale l’activité
contributive et qu’il convient de reconnaître, de protéger et de rétribuer son apport.

Devant l’urgence de la situation, nous avons souhaité agir vite. C’est pourquoi la phase d’enquête
expérimentale du projet est réalisée comme une « opération éclair » : deux mois d’expérimentation
du dispositif technique conçu pour rendre visible et valoriser l’activité contributive, suivis par deux
mois de débats en ligne et de groupes de travail.

Cette phase d’enquête expérimentale n’est cependant ni le début ni la fin du projet de recherche sur
la valorisation de l’activité contributive que mène notre entreprise. C’en est une phase, une phase que
nous portons à la communauté des parties prenantes et de la société pour deux raisons : d’une part,
nos expertises ne couvrent pas tous les champs requis par un projet aussi ambitieux et vaste que la
valorisation de l’activité contributive ; d’autre part, il s’agit d’un problème social d’ampleur devant
lequel nous proposons un dispositif qui revisite l’institution du travail.

Face à une telle dimension collective et institutionnelle, la réflexion et l’élaboration ne peuvent pas
être menées en huis clos par des chercheurs et des experts, que le cadre de ce huis-clos fût public ou
privé. La proposition de valoriser l’activité contributive requiert un débat ouvert à tous avec dissensus
et, souhaitons-le, consensus. Ce débat de deux mois ne sera pas suffisant, évidemment. Il marque
néanmoins une attitude active2 et ouvre une possibilité de récit collectif.

1
Les raisons, les modalités et les limites de l’engagement d’Ingies dans un projet à forte dimension sociale et
scientifique explorée dans le paragraphe 3.6 de l’article.
2
Cette attitude active est une manière de « sortir de notre impuissance politique » qui marque notre époque
(voir par exemple l’ouvrage éponyme (de Lagasnerie, 2020).

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Première approche de l’activité contributive


L’activité contributive peut prendre place dans les domaines suivants : coopération sociale, vie
domestique, soin ou care, éducation, art, sport et environnement. Certains de ces domaines sont
également recouverts par l’activité marchande. En France, par exemple, 3,5 millions de bénévoles font
vivre le monde du sport, qui est aussi un marché.

Certaines activités sont contributives simplement parce que socialement il n’est pas convenu et
coutumier de les rétribuer. D’autres, parce que leur public n’est pas solvable.

Ces activités nécessaires qui permettent à la société de fonctionner, à la production de s’effectuer, aux
connaissances de circuler, aux femmes et aux hommes d’exprimer leur élan vital, de trouver et de
souscrire à un sens qui les anime, d’endurer les difficultés de l’existence, de vivre leur corps, leur esprit,
leur affect, ces activités qui rendent notre terre habitable, regardable, respirable, sont des « activités
à impact social et environnemental positif ».

Ces activités socialement nécessaires ne produisent pas directement de la valeur monétaire mais elles
rendent possibles, à un bout de la chaîne, quelque part, la création de valeur. Elles « contribuent » au
système général de production de ressources : sans elles, rien n’existe. Ce sont elles d’ailleurs qui
compensent, autant qu’elles le peuvent, la destruction environnementale ou psychologique générée
par les rouages officiels et marchands de la production. Ces activités à impact positif sont donc
« contributives », contributives au bien commun et contributives à la création de valeur globale.

La raréfaction du travail et de l’accès aux ressources par le travail n’a pas que des conséquences
économiques. Elle a également des conséquences socio-psychologiques. Exclus du travail, il est plus
difficile, voire impossible, de pleinement mettre en œuvre ses compétences, agir sur le monde et vivre
avec les autres. Or c’est un besoin ontologique. Une étude récente de l’Observatoire national français
du suicide pointait que 30 % des demandeurs d’emploi songeaient sérieusement à mettre fin à leurs
jours1, contre 19 % des actifs en poste. Cette souffrance ne peut pas être mise exclusivement sur le
compte des problèmes financiers même si ceux-ci ont un poids indéniable et sans doute prioritaire
dans le sentiment de désespoir. Contribuer est vital. Thornstein Veblen, économiste et sociologue de
l’école pragmatique américaine, appelait cet élan de contribution « l’instinct artisan » [instinct of
workmanship]2, il en faisait le principal moteur de l’évolution, loin devant « l’instinct prédateur » à
l’œuvre dans la rivalité et la domination.

La mise en œuvre contributive des compétences en dehors du circuit économique traditionnel de la


« valeur », par exclusion du travail marchand subie ou choisie, devient donc critique et cruciale.
Toutefois, pour être possible, elle requiert des moyens et une « forme » : un dispositif, un
encadrement et un financement.

La « forme » que l’enquête {contributive} teste et élabore est celle de l’utilisation d’une plateforme
citoyenne d’intermédiation pour mettre en valeur l’activité contributive, la mettre en valeur
socialement, juridiquement et financièrement. Une plateforme d’intermédiation désigne une solution
numérique qui facilite un domaine d’activité en mettant en relation l’offre et la demande et en gérant
ses flux financiers. Notre proposition est que cette plateforme soit « citoyenne » par opposition à
« publique » (mise en exploitation par des acteurs publics comme l’Etat ou les collectivité territoriales)
et à « privé » (mise en exploitation par une entreprise privée pour son propre bénéfice).

1
(Observatoire national du suicide, 2020)
2
Veblen (1898), Veblen (1914/2003).

4
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Première approche de l’enquête {contributive}


L’enquête {contributive} est une enquête pragmatique, outil issu du pragmatisme américain et
notamment défendu par John Dewey dans les sciences humaines et sociales. Cet outil heuristique
présente quatre caractéristiques principales :

1. Il est praxéologique, il lie le « connaître » au « faire » ;


2. Il est téléologique, il vise à résoudre des problèmes identifiés des hommes1 : il s’agit de transformer
le réel tout autant que de produire des connaissances ;
3. Il est éthique, il ne justifie pas les moyens par les fins ;
4. Il est coopérative et associe les parties prenantes concernées.

Notre mode opératoire dans l’enquête {contributive} est de formuler les problématiques que nous –
Ingies – avons identifiées et de poser nos hypothèses. Ces problématiques et ces hypothèses seront
« mises en débat » lors de l’enquête. Leur rôle sera d’alimenter les réactions et la réflexion.

Notre objectif n’est pas d’avoir raison ni d’énoncer une vérité absolue au travers de nos hypothèses et
de nos propositions. Nous ne nous positionnons pas dans la construction d’un système d’idées
abstraites, déconnecté d’une application immédiate. Notre objectif est de cerner une « douleur »
sociale et de participer à son « soulagement », maintenant, dans le monde tel qu’il est. Comme le
posait Dewey il y a tout juste un siècle dans sa description de l’enquête pragmatique :
Dans la validation d’un principe ou d’une hypothèse de vérité, on s’intéressera à son
origine qui doit avoir ses racines dans l’expérience, et à ses effets pratiques, positifs ou
négatifs

(Dewey, 1920/2014)

Et c’est parce que nous nous intéressons aux « effets concrets dans l’expérience » que nous proposons,
avant le débat, l’expérimentation d’un dispositif qui incarne et rend possible notre proposition de
reconnaître et valoriser l’activité contributive. Ce dispositif s’appuie sur une plateforme numérique
disponible en ligne, la plateforme contributive.org. Cette plateforme expérimentale a été construite à
partir de la technologie SkillMill d’Ingies.

De la même manière que nous portons à débat nos hypothèses sans les ériger en vérité, nous
n’affirmons pas que ce dispositif technique est le seul à pouvoir les résoudre ni que le paramétrage
que nous lui avons donné est le plus pertinent. L’ensemble du dispositif et de ses attendus seront
soumis à examen mais aussi à l’apport des experts concernés (juristes, économistes, professionnels de
l’insertion et de la formation, spécialistes du numérique) et des parties prenantes (individus,
associations, entreprises, syndicats et acteurs publics).

Le contenu du débat sera disponible sous licence Creative Commons et pourra être utilisé par tous
ceux qui le souhaitent. Nous en proposerons une analyse régulière mais nous n’orchestrerons pas un
processus délibératif. Un tel processus dépasserait le cadre de l’enquête {contributive}, la mission de
notre entreprise et nos moyens. Les modalités et le cadre d’une telle délibération seront cependant
explorées durant le débat.

A l’issue de l’enquête, nous reformulerons nos problématiques et nos hypothèses et nous dresserons
le périmètre d’évolution du dispositif testé, en fonction de notre point de vue. Nous repositionnerons
nos nouvelles problématiques, définitions, hypothèses et propositions au sein des divergences et des

1
(Garreta, 2014).

5
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convergences. L’ensemble des données produites et recueillies durant l’enquête resteront disponibles
et ouvertes pour toute autre initiative d’analyse, de recherche et d’expérimentation que la nôtre.

Nos nouvelles positions seront indépendantes des choix qui seraient retenus, avec leurs propres
modalités délibératives, pour une éventuelle expérimentation subséquente d’un dispositif juridique et
financier de valorisation de l’activité contributive ou « Pacte d’Activité Contributive »1.

Les définitions, problématiques et hypothèses que nous exposons dans la première partie de notre
article et que nous portons au débat sont donc « liminaires ». Elles précèdent l’enquête expérimentale
et sont vouées à évoluer à partir de la confrontation au collectif éphémère qui se formera. Elles jouent
le rôle d’une « pâte mère » comme dans la fabrication du pain.

Dans le reste de l’article, nous allons donc commencer par situer l’activité contributive au sein de
l’appareil critique pour mieux présenter les problématiques que sa valorisation soulève et qui seront
explorées dans le débat. Dans la seconde partie, nous allons détailler le dispositif de valorisation de
l’activité contributive soumis à expérimentation. La troisième partie est consacrée à la méthodologie
de l’opération éclair d’enquête expérimentale que nous lançons et aux questions qu’entraîne le
portage de ce projet de recherche par une entreprise privée.

1 L’activité contributive

Activité contributive et activité marchande


Nous définissons l’« activité contributive » comme une activité utile, nécessaire ou vitale qui échappe
à la production de la valeur monétaire, soit parce que son offre n’a pas été transformée en
marchandises, soit parce que ses bénéficiaires n’ont pas les moyens de l’acheter, soit parce que ses
bénéficiaires ne conçoivent pas de la payer ou ses agents d’en tirer une rétribution.

L’activité contributive s’oppose ainsi à l’activité marchande. L’activité marchande est réalisée contre
rémunération et s’inscrit dans un cycle de production de valeur monétaire. C’est ce que l’on appelle
« le travail ». Le travail peut prendre place sous diverses formes juridiques : le salariat, l’activité
libérale, le travail indépendant, … voire le « travail au noir », non officiel, non protégé, mais rémunéré2.

L’activité contributive n’est pas du travail au noir. Elle ne possède pas de circuit formel ni informel pour
sa « monétisation ». Elle échappe à la monétisation.

Activité contributive et patrimoine immatériel


Nous en sommes venus, chez Ingies, à penser l’activité contributive à partir d’une réflexion sur le
capital immatériel et sa mesure. Le capital immatériel désigne tout ce qui permet à une « entité »
d’exister, de fonctionner, de perdurer, en dehors des équipements matériels et des actifs financiers.
La notion d’entité désigne tout autant un individu qu’une association d’individus comme une
entreprise ou une communauté humaine (un pays ou une culture). Le capital immatériel intègre les
compétences, les savoir, les pratiques, les réseaux, les coutumes, etc. Il se construit par la

1
Bien évidemment, en tant qu’entreprise, nous menons ce projet de R&D en vue de continuer à le développer
et à l’exploiter dans la suite des expérimentations. Voir la dernière partie de l’article.
2
Nous avons conscience que cette intégration du travail au noir dans le travail n’est pas en phase avec certaines
définitions, cf. notamment la vision d’Alain Supiot citée par Meda : « Le travail se distingue de l’activité en ce
qu’il répond à une obligation, que cette dernière soit volontairement souscrite ou légalement imposée […]. Il faut
et il suffit qu’à un engagement d’agir soient attachés des effets de droit, pour que cette action puisse être
qualifiée de travail. » (Méda, 2018, §32)

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sédimentation et les ruptures des expériences individuelles et collectives. Il est ce « virtuel » personnel
et commun qui rend possible toutes nos activités, qu’elles soient intellectuelles ou matérielles.

Dans un de ses ouvrages oubliés paru en 1904, Solidarisme et libéralisme, le philosophe Célestin Bouglé
cite un texte émouvant de Léon Bourgeois, théoricien du solidarisme et homme politique de la IIIe
République, où le concept de « capital immatériel » est évoqué sous l’angle de la « dette sociale » :
Dès que l’enfant, après l’allaitement, se sépare définitivement de la mère et devient un
être distinct, recevant du dehors les aliments nécessaires à son existence, il est un
débiteur ; il ne fera point un pas, un geste, il ne se procurera point la satisfaction d’un
besoin, il n’exercera point une de ses facultés naissantes, sans puiser dans l’immense
réservoir des utilités accumulées par l’humanité.

(Bouglé, 1904)

S’en suit une éloquente énumération des différents postes affectés à cette dette : les aliments, « fruit
de la longue culture qui a, depuis des siècles, reproduit, multipliés, amélioré les espèces » ; les mots
qui contiennent et expriment « une somme d’idées que d’innombrables ancêtres y ont accumulée et
fixée » ; « le livre et l’outil que l’école et l’atelier lui vont offrir » et dont il ne « pourra jamais savoir ce
que ces deux objets, qui lui sembleront si maniables et de si peu de poids, ont exigé d’efforts
antérieurs ». « Et plus il avancera dans la vie », conclut-il, « plus il verra croître sa dette, car chaque
jour un nouveau profit sortira pour lui de l’usage de l’outillage matériel et intellectuel créé par
l’humanité. »1

Cette conclusion nous importe particulièrement car elle pointe comment un profit, quelque part, n’est
pas dissociable d’un ensemble d’activités humaines précédentes ou concomitantes qui lui sont
rattachées.

La notion lancinante de « dette » qui ponctue ce texte de Bourgeois pourrait être questionnée. La dette
peut être comprise, en effet, comme un instrument au service de la domination des masses par les
puissants comme l’avancent, par exemple, les travaux de David Graeber :
Depuis des milliers d’années, les hommes violents ont pu dire à leurs victimes qu’elles leur
devaient quelque chose. A défaut de tout autre chose, "elles leur devaient leur vie"
(expression révélatrice) car ils ne les avaient pas tués. 2
Graeber (2011, p.5)

Mais ici, l’idée de dette est détournée. Elle n’est pas celle des « débiteurs », des pauvres, des sans-
ressources ni même des pays. Elle est générale et en particulier celle des « créanciers », les détenteurs
du capital et de la propriété intellectuelle, celle des marchés, car cette dette envers la collectivité est
plus importante pour ceux qui en tirent plus de profit.

Cette problématique d’une génération collective de la richesse détournée au profit de quelques-uns,


au nom du libéralisme du laisser-faire, a constitué un véritable lieu commun du début du XXe siècle,
des deux côtés de l’Atlantique. On le retrouve également fortement dans le pragmatisme américain,
chez John Dewey ou Thornstein Veblen.

Dewey, parle du « parasitisme » de ceux qui, sous prétexte de défendre la liberté, « perpétuent la
domination implacable qu’ils exercent sur des millions de leurs contemporains », engendrant un

1
Ibid, pp.9-11
2
Traduction de l’auteur. Texte original : “For thousands of years, violent men have been able to tell their victims
that those victims owe them something. If nothing else, they "owe them their lives" (a telling phrase) because
they haven't been killed.”

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besoin de « charité, tant publique que privée […] à grande échelle ». Il dénonce d’ailleurs leur ironie
quand ils s’opposent aux « indemnités publiques de chômage » alors même qu’ils veulent « maintenir
les conditions qui engendrent la nécessité d’apporter cette aide publique à des millions de
personnes ». 1

Veblen explore quant à lui beaucoup plus extensivement et spécifiquement la problématique,


notamment dans son article en deux parties sur « La nature du capital », parues en 1908, qui débute
par l’affirmation qu’« à un niveau économique, l’homme n’a jamais mené une vie isolée et
autosuffisante »2.

« Humainement parlant », dit-il, « une telle chose est impossible ». C’est même selon lui ce qui
« caractérise l’humanité ». L’histoire de la vie humaine, est celle « des communauté humaines ». Et il
est sans doute le premier à énoncer spécifiquement que cette cohérence est « d’ordre immatériel ».
Veblen est très clair sur le rôle de cet « équipement immatériel » collectif : « Sans accès à ce fonds
commun d’équipement immatériel, aucun individu ni aucune fraction de la communauté ne peut
gagner sa vie, et encore moins faire des avancements ».

Cette seule phrase regorge de thèmes qu’il serait passionnant de développer et de raccrocher à
d’autres courants de pensées, notamment d’inspiration marxiste : celui des communs qui ont été
soumis à enclosure, privatisation et confiscation dans la mise en place de l’organisation capitaliste de
la vie sociale et économique (accumulation primitive)3, celui du mythe du mérite personnel qui
justifierait une disparité démesurée de rétributions4, celui de l’invention qui dépendrait uniquement
du génie d’une personne ou de l’investissement d’une entité légitime par là-même à la breveter, la
copyrighter, l’exploiter à son seul profit…

« L’initiative individuelle », poursuit-il, « n’a aucune chance sauf dans le terrain qu’offre le fonds
commun » car « l’invention ou la découverte […] incorporent toujours une telle part de ce qui lui est
antérieurement offert que la contribution créative de l’inventeur ou du découvreur est triviale en
comparaison ». Pour Veblen, rien n’échappe à cette « incorporation » d’un immatériel collectif : aucun
outil de production, même hautement industriel, aucun bien immobilier dont la valeur dépend de la
réputation et de l’organisation du lieu où se trouve le bien, aucune expertise ou savoir-faire. Pas d’actif
matériel, immatériel ou financier qui n’incorpore dans sa propre existence un actif immatériel collectif.

Ainsi dit-il, « les gros bras accaparent ou acculent l’usufruit du savoir ordinaire » au fur et à mesure
que celui-ci s’incorpore dans des outils de production plus imposants ou complexes. Dans la plus lourde
des machines industrielles, Veblen voit l’immatériel qui s’est réalisé, dans sa mise en œuvre aussi.

Mais derrière la création de richesse de ces quelques « gros bras », il y a toujours un collectif qui a
œuvré. Pour lui cette « manière de parler de l’équipement industriel » revient à l’assimiler à « une
institution de l’accaparement des actifs immatériels de la communauté »5. Le terme « institution »

1
(Dewey, 1935/2014)
2
(Veblen, 1908)
3
Voir les travaux de Silvia Federici. Cette confiscation des communs fait partie de la réflexion sur « l’accumulation
primitive », période et processus d’accaparement des richesses au profit de la constitution première du capital.
4
Le mythe du mérite est entre autres dénoncé par Dewey qui le pointe comme l’un des deux piliers du « double
système d’apologétique justificative » du « libéralisme du laisser-faire », le second étant la « glorification » de
« l’indépendance, du libre-arbitre et de la responsabilité » comme « vertus » étant « centrées sur l’individu et
émanant de lui » en toute ignorance de « la dépendance à grande échelle ». Dewey, op. cité.
5
On peut aussi dire, en reprenant le vocabulaire de Robert Cassel et Claudine Haroche qu’il existe une « propriété
sociale » captée par la « propriété privée ».

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n’est pas utilisé métaphoriquement, ce n’est pas une façon de parler. Veblen s’inscrit dans la lignée
pragmatique qui réfléchit les institutions comme des cristallisations d’habitudes.

Cette analyse libérale de l’appropriation de la création de valeur par les détenteurs du capital diffère
de l’analyse marxiste traditionnelle plus connue. Elle ne fait pas peser exclusivement le rouage de la
confiscation des richesses sur le profit réalisé au détriment du travailleur par « survaleur » :
rallongement de la journée de travail pour le même prix, hausse de la productivité, marge effectuée
sur le travail. Elle bouscule les notions marxistes de « capital constant » et de « capital variable ».

Le capital variable désigne le travail acheté au travailleur, le capital constant tout le reste des
apports et en particulier les matières premières et les équipements. Il est censé être « constant » parce
que sa valeur se retrouverait à l’identique dans le prix de vente : l’intégralité de la marge reposerait
sur le travail effectué par le travailleur. Mais le capital ne serait être « constant », ne rien incorporer
d’autre que lui-même, puisqu’il incorpore toujours les immatériels non rémunérés de la collectivité
humaine et de la nature. D’ailleurs il en va de même du capital « variable » : il n’intègre pas seulement
le travail direct et singulier du travailleur, il intègre lui aussi l’ensemble des immatériels collectifs
sollicités par ses savoir-faire et par les conditions de son existence sociale.

Activité contributive et travail de reproduction


Les féministes marxistes ont très tôt pointé cette problématique en retraçant le rôle occulté et non
rémunéré des femmes dans l’équation du capital variable. Pas de travailleur sans une femme qui a
effectué un « travail sexuel » pour l’engendrer, sans une femme qui s’occupe des tâches d’éducation
et des tâches domestique, c’est-à-dire sans une femme qui réalise des « activités de reproduction »1.
Ces activités de reproduction ne sont pas rémunérées car elles sont considérées comme des activités
« naturelles », c’est-à-dire littéralement des activités de la nature : la femme est une nature à exploiter
gratuitement comme la terre ou comme l’animal.

Le premier mouvement féministe des années 702 a mis au jour cette question et l’a même située
historiquement en montrant le processus de « l’invention de la ménagère »3 qui s’est déroulé « en
quelques décennies » entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe4. Il s’agissait tout à la fois de garantir
une main d’œuvre en meilleure santé au travers des soins prodigués par la femme (l’espérance de vie
ne dépassait pas trente ans à Manchester ou Liverpool dans les années 1860), de satisfaire le travailleur
en lui donnant une domestique gratuite, de garder aux hommes leurs prérogatives mises en danger
par l’autonomisation économique de la femme qui travaillait alors à l’usine, à la mine ou aux champs,
et de réduire la prostitution qui prenait de l’ampleur car, même si les femmes travaillaient, elles ne

1
Ces activités de reproduction se partagent donc entre la « reproduction de la force de travail » et la
« reproduction de la vie quotidienne » (Federici, 2019).
2
« Le féminisme était alors synonyme de recherche d’autonomie, de rejet de la soumission des femmes dans la
famille et dans société (en tant que travailleuses non reconnues et non payées), de soulèvement contre la
naturalisation des tâches domestiques et pour la reconnaissance du travail domestique comme travail ». Ibid,
p.18. Aux Etats-Unis, à cette époque, a existé d’ailleurs le mouvement de la « Campagne Internationale en faveur
du Salaire pour le Travail ménager » ou « International Wages for Housework Campaign (IWFHC) ».
3
(Federici, 2016/2019)
4
Selon Federici, si ce moment spécifique de l’invention de la ménagère a eu lieu lors de la deuxième révolution
industrielle, il fait suite à un long processus qui démarre avec les prémisses du capitalisme aux XVIe et XVIIe
siècles, « moments fondateurs de la dévalorisation du travail des femmes et de l’essor d’une division sexuelle du
travail », dont les chasses aux sorcières ont été un des instruments (op.cit., p. 58). Elle étudie ces « stratégies
employées par le capitalisme pour remodeler la nature humaine » dans son ouvrage Caliban et la sorcière.

9
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gagnaient pas suffisamment1. « La respectabilité est devenue le dédommagement du travail non


rémunéré et de la dépendance à l’égard des hommes »2.

Arrêtons-nous sur cette hypothèse émise par Silvia Federici car elle marque en réalité toute la
dynamique à l’œuvre dans la séparation entre le travail rémunéré et l’activité contributive non
rémunérée. Lorsque nous présentons le concept d’une plateforme d’intermédiation pour permettre
la valorisation de l’activité contributive, la résistance commune à l’idée d’une rétribution est toujours
celle-ci : sa rétribution diminuerait sa noblesse, nuirait à sa raison d’être et compromettrait
l’engagement.

La respectabilité, la noblesse, l’honneur, la grandeur de l’acte contributif serait son désintéressement


financier et matériel. Mais soyons clairs : ce n’est pas le cas. Cette assimilation entre respectabilité et
gratuité est une « habitude »3, habitude née de l’association des tâches contributives « socialement
nécessaires »4 avec les tâches de reproduction dévolues aux femmes, habitude issue d’une forme
sociale de domination et de spoliation. Il n’y a pas de plus fort vecteur de domination et de violence
que celui qui érige l’abnégation en valeur suprême5.

Il s’accompagne généralement d’un tabou de la mesure : certaines choses ne se mesureraient pas.


Elles relèveraient d’un incommensurable et les ramener à la mesure les mettraient ontologiquement
en danger. Le seul problème, c’est que dans un monde de la mesure, ce qui n’est pas mesuré n’existe
pas, échappe à la visibilité, à la reconnaissance et aux circuits d’accréditation.

On peut regretter la folie de la mesure ou « quantophrénie »6. On peut regretter la mise en algorithmes
et en statistiques du réel7. On peut contester les choix opérés dans les référentiels qui cadrent la
mesure ou qui déterminent les algorithmes et leurs paramétrages. Toutefois, la mesure ne disparaîtra
pas. Elle est consubstantielle à la raison instrumentale qui organise notre société globale. Et c’est
pourquoi l’exclusion de la mesure est devenue l’exclusion tout court 8.

L’exclusion de la valorisation passe toujours par l’exclusion de la mesure. Cette exclusion de la


valorisation selon Roswitha Scholz, féministe marxiste issue de l’Ecole de la valeur, est nécessaire à
l’existence de la valeur [monétaire]. Pour Scholz9, la possibilité même de la création de valeur par les

1
Les femmes étaient en effet déjà bien moins payées que les hommes.
2
Ibid, p.140
3
Le concept d’habitude est un concept pragmatique abondamment utilisé tant par Dewey que par Veblen.
L’habitude de pensée et l’habitude d’actions sont les forces de maintien des institutions et formes sociales. Ce
sont elles que l’on doit arriver à modifier par des expérimentations alternatives qui prouvent leur efficacité
(Cometti, 2016; Veblen, 1898).
4
Federici, op. cit. p. 84.
5
On en attend autant de la nature d’ailleurs. Son exploitation respectable jusqu’à épuisement et destruction,
sans contrepartie et sans prise en compte dans les mesures comptables ni les coûts.
6
(Sorokin, 1959)
7
(Rey, 2016)
8
Ce postulat a présidé à la création de notre entreprise : la volonté de créer d’autres formes de mesure, appliqués
à l’immatériel et à l’impact social. Nous avons appelé ces mesures « soft KPI », en opposition aux KPI traditionnels
de la compétitivité-coût. Nous pensons que les systèmes d’information désormais pervasifs et omniprésents
permettent de produire et de documenter ces soft KPI, au service de tous et d’un « intérêt commun » (Carole
Lipsyc, 2016)
9
Toute explication succincte de la pensée de Scholz est toujours une dégradation abstraite qu’elle condamne
comme une perte de signifiance et comme un biais féministe d’autocensure face à la pensée abstraite. Le thème
est vaste et contradictoire, car Scholz dans la lignée de Sohn-Rhetel condamne la « pensée rationnelle
bourgeoise » et pourtant leurs deux œuvres sont sans doute l’expression la plus parfaite de cette pensée

10
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activités de production repose en effet sur la non-création de valeur par les activités de reproduction.
La valeur existe par dissociation entre ce qui est autorisé à la générer [la production] et ce qui est exclu
de son processus de monétisation [la reproduction]

Elle théorise cette interdépendance fondamentale et ontologique de la dyade


valorisation du travail de production
dévalorisation du travail de reproduction
dans le concept de « valeur-dissociation ».

Les activités à connotation féminine sont constitutives du rapport de dissociation […]


précisément parce qu’elles saisissent, d’une part, les moments de reproduction étrangers
au travail abstrait [le travail transformé en valeur monétaire], mais indispensables en tant
qu’ « Autres » de la valeur ou de la survaleur, et parce que, d’autre part, ce rapport de
dissociation se reproduit à l’intérieur de la production de survaleur [le profit généré] en
tant que position « dévaluée » qui s’étend également à toutes les autres sphères, pour
autant que les femmes y participent comme force de travail. Ce n’est qu’en ce sens que
le rapport de genre asymétrique […] peut être conceptualisé au même haut niveau
d’abstraction que la valeur et ne plus en être dérivé.

(Scholz, 2019).

Selon cette hypothèse, la possibilité de l’existence de la valeur et de l’accroissement de la valeur,


autrement dit le processus même du mode capitaliste d’organisation sociale et économique, repose
fondamentalement et premièrement sur cet « autre » qui n’est pas valorisé, cet autre étant la femme
et son activité, puis par extension ou contagion, tout ce qui peut s’y apparenter.
Le féminin ainsi assigné constitue la condition pour que le principe masculin du « travail
abstrait » [le travail transformé en valeur monétaire] devienne possible.

Ibid, p. 27

Ou plus largement encore, au-delà de la question des activités de reproduction : la dissociation est la
condition de la valeur. La dissociation entre activités productives et activités reproductives, entre ceux
qui accèdent à la valeur et ceux qui n’y accèdent pas, les « sans salaires de tous les pays »1.

Cette dissociation s’étend d’ailleurs au-delà de notion d’activité, puisque dans nos modèles
économiques marchands, l’apport de la nature n’est jamais valorisé. Son apport ni sa dégradation
n’apparaissent dans aucun « compte ». Comme tout commun, ce que donne la nature est absorbé
dans le profit des détenteurs de plus en plus réduit du capital.

Dépasser les cadres de référence traditionnels pour trouver des solutions communes
devenues vitales
On le voit, marxistes, solidaristes, libéraux et écologistes se rejoignent sur un même constat, mais à
partir de cadres de référence différents : la valeur créée repose sur des activités socialement
nécessaires et sur des actifs communs non rétribués.

Ils s’accordent aussi, en ces temps de crise et de transformation, à pointer l’impasse, le danger
économique et l’iniquité de cette situation. L’iniquité car tous en viennent, au moins, à regretter la
dévalorisation des métiers à connotation féminine (le soin, les services de proximité, l’éducation). Qui
n’a pas vanté le mérite et déploré la dévaluation de ceux qui ont été en premières lignes pendant
l’événement du coronavirus, du personnel médical aux caissières et aux livreurs ? De plus en plus de

rationnelle et abstraite, supposée bourgeoise, dans leur forme absconde et quasiment inaccessible à qui n’est
pas absolument entraîné à l’art de la haute abstraction conceptuelle.
1
Federici, op. cit. p.69

11
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voix s’élèvent pour « condamner la hiérarchie des métiers » en faveur de la « tête » et au détriment
du « cœur » et de la « main » et demander « un rééquilibrage », ce que l’intellectuel conservateur
anglais David Goodhart identifie comme la « lutte pour la dignité et le statut social au XXIe siècle ».1

La notion d’activité contributive vise à désigner le concept d’une activité socialement nécessaire et non
valorisée, de manière transversale aux cadres de référence. La proposition de sa protection sociale et
de sa rétribution au travers d’un nouveau type de dispositif de rétribution, nommé « Pacte d’Activité
Contributive », a pour objectif d’apporter une solution au constat partagé de l’importance de la
valoriser.

Proposer une alternative au travail comme activité princeps


Valoriser, symboliquement et financièrement, l’activité contributive permet de proposer une
alternative au travail comme activité princeps, c’est-à-dire l’activité qui, selon la philosophe et
sociologue Dominique Méda :
« impose une structure temporelle de la vie ; […] crée des contacts sociaux en
dehors de la famille ; […] donne des buts dépassant les visées propres ; […] définit
l’identité sociale et […] force à l’action […], celle qui définit l’identité individuelle et
collective au plus haut point. »

(Méda, 2018)

Or Méda souligne dans ses travaux, depuis des décennies, qu’avec la crise de l’emploi et la
transformation du travail, cette « société salariale » touche ses limites. Elle touche ses limites pour
ceux qui sont exclus du travail et pour ceux qui y sont encore inclus. En effet, la qualité du travail est
« entamée », ainsi que la qualité de vie « hors travail » souvent consacrée à récupérer le « surcroît de
fatigue engendré par le travail ».

Les solutions qu’elle développe vont dans le sens d’un « partage civilisé du travail » et d’un « travail
soutenable ».

Ces solutions sont endogènes, elles concernent l’intérieur du travail..

Nous proposons de les compléter par une solution exogène, extérieure au travail : reconnaître une
nouvelle activité princeps complémentaire, l’activité contributive. Nous évitons ainsi l’écueil de
« subsumer toute activité » sous le concept de travail, tout en offrant une reconnaissance oh combien
vitale à toutes les formes de contributions socialement nécessaire.

L’émergence d’une nouvelle activité princeps ne manquera pas de bouleverser l’intérieur du monde
du travail, pour le meilleur.

Les points à instruire en tant que collectif solidaire


Malgré le constat partagé de la nécessité de mieux prendre en compte l’activité contributive, nous
gageons que les divergences et antagonismes entre les appareils critiques et politiques se
manifesteront sur des questions très concrètes étudiées lors de l’enquête, telles que :

• Qu’est-ce qui ressort de l’activité contributive ou pas ?


• Quelles protections sociales et quelles rétributions devraient être associées à l’activité
contributive au travers d’un Pacte d’Activité Contributive ?
• Quelles activités contributives devraient bénéficier de ces rétributions ou protections ?
Lesquelles ne le devraient pas ?

1
(Goodhart, 2020)

12
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• Qui devrait pouvoir accéder au Pacte d’Activité Contributive et aux rétributions et protections
qu’il apporte ?
• Qui peut continuer de bénéficier gratuitement de l’activité contributive rétribuée au travers
du dispositif du Pacte d’Activité Contributive ? Sous quelles conditions ?
• L’activité contributive doit-elle, peut-elle, être mesurée ? Sa mesure peut-elle, doit-elle être
ramenée au temps passé à l’effectuer ? Sur les mêmes bases que le « travail » ? Sa mesure
doit-elle dépendre de l’impact social et environnemental qu’elle crée ? Selon qui ? Pour qui ?
• La mesure et la mise en visibilité de l’activité contributive est-elle, ou risque-t-elle de devenir,
un outil de surveillance, de contrôle et de coercition civils ? Le gain espéré justifie-t-il le
risque ?
• La valorisation de l’activité contributive menacerait-elle d’épuiser la valeur en la généralisant,
c’est-à-dire en sapant la base fondamentale de la dissociation ?
• Faut-il faire constater ou approuver une activité contributive par un tiers de confiance pour
ouvrir ses droits et rémunérations ?
• Qui pourrait être tiers de confiance agréé pour approuver une activité contributive ? Quelles
seraient les modalités d’un tel agrément ?
• Faut-il préférer un salaire universel à un Pacte d’Activité Contributive ?
• Et si une valorisation de l’activité contributive au travers d’un Pacte d’Activité Contributive est
souhaitable et décidée, qui aurait légitimité à porter et à animer le dispositif ? avec quels
outils ? Quelle en serait la gouvernance ?
• La valorisation de l’activité contributive favorisera-t-elle la croissance en augmentant la
capacité de demande des contributeurs ou la freinera-t-elle en faisant concurrence au
domaine marchand sur des secteurs qu’il peut couvrir ?
• Qui doit financer l’activité contributive ? Quel est son modèle économique ?
• Faut-il valoriser l’activité contributive par une monétisation traditionnelle ou par une
monétisation alternative ?
• Quels processus délibératifs pour trancher ces questions ?

Toutes ces questions constituent les problématiques explorées dans notre projet de R&D. Elles seront
développées et débattues lors de la phase de débat de l’enquête expérimentale. Exposer notre point
de vue sur chacune de ces questions dépasse le cadre du présent article. Nous le ferons dans le débat,
puis dans son analyse.

La plateforme de valorisation de l’activité contributive incarne cependant notre point de vue et nos
hypothèses sur quasiment toutes ces questions. Tel est notre positionnement épistémologique et
politique : nos technologies incarnent nos intentions. Cette approche s’inscrit dans une démarche
d’« épistémologie opératoire »1, une étude critique des objets et des milieux techniques qui prend
place en vue de créer des dispositifs propices à l’humain, à la signifiance, à la cognition, au lien à soi,
aux autres, à l’environnement et au vivre-ensemble. L’épistémologie opératoire conduit à un « design
éthique » de la technologie. Expérimenter et débattre avec les parties prenantes fait partie de notre
démarche de design éthique.

1
(Carole Lipsyc, 2018a).

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2 Le dispositif de valorisation de l’activité contributive proposé et soumis à


expérimentation

Les plateformes comme médias économiques


La valorisation de l’activité contributive est rendue possible par les nouvelles technologies numériques
de l’information et en particulier par les plateformes d’intermédiation.

L’hypothèse informationnelle à la racine du projet {contributive}1 est justement que la nouvelle


infrastructure médiatique et numérique de notre environnement permet d’identifier les échanges
autrefois considérés comme immatériels et de les sortir de leur état dit « gazeux » pour les cristalliser
en documentation, média et data. Cette cristallisation permet leur « capitalisation » [conservation
patrimoniale et valorisation comptable], leur distribution, leur mesure et leur monétisation.

La plateforme contributive.org assume pleinement cette fonction de cristallisation de l’activité


contributive pour la faire passer de l’état immatériel invisible, intraçable, incalculable, non valorisé et
non valorisable à un état matériel et visible (média, documentation, data) qui permet sa monétisation.

Cette approche des systèmes d’information rejoint les travaux sur « les média économiques » qui
constatent une convergence entre le média économique monétaire et les médias informationnels2.
Cette convergence concerne autant la monétisation de l’attention au travers de l’extrême
capitalisation des réseaux sociaux que les cryptomonnaies.

Ainsi, la structuration de la plateforme contributive.org n’est ni fortuite ni incidente : elle est


structurante : elle structure une modalité de cristallisation, donc de valorisation. Chaque fonction,
chaque paramétrage, traduit un point de vue et porte à conséquence économique et sociale. C’est
pourquoi l’ensemble du dispositif doit être connu et débattu.

Panorama du dispositif général


L’outillage du dispositif de valorisation de l’activité contributive que nous proposons repose sur deux
piliers structurels : une plateforme de valorisation et d’intermédiation et un cadre juridique et social
nommé « Pacte d’activité contributive ».

La plateforme existe dans une première version qui ne couvre pas toutes les fonctionnalités de la
valorisation ni de l’intermédiation. Le Pacte d’Activité Contributive (PACT) n’existe pas, il n’est pas
possible de proposer une intermédiation entre contributeurs et bénéficiaires. Il n’est pas possible non
plus de mettre en place les processus de rétribution. Les contours du PACT doivent en effet être
déterminés lors de l’enquête.

1
Cette hypothèse est à la base de l’ensemble des travaux et de l’offre de notre entreprise.
2
(Beller, 2020)

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Pour fonctionner, ce dispositif structurel de valorisation de l’activité contributive va requérir des


animateurs, un modèle économique et une
instance de gouvernance. Ces trois volets
fonctionnels du dispositif seront également
débattus lors du débat.

Ici, nous allons nous attacher à décrire la partie de


l’outillage du dispositif qui existe et que nous
soumettons à expérimentation : la plateforme
d’intermédiation, circonscrite à ses fonctions de
valorisation.

La plateforme d’intermédiation soumise à


expérimentation repose sur la solution SkillMill que
nous avons conçue pour développer, cartographier
et documenter les compétences à partir de
l’activité d’un individu.

La porte d’entrée de la valorisation de l’activité passe donc par les compétences : une action
contributive est toujours rattachée à des compétences1.

Le référentiel de compétences au cœur de la plateforme d’intermédiation

Dans cette version de SkillMill et de la plateforme contributive, nous cartographions uniquement les
compétences transversales sollicitées par l’activité contributive. Nous nommons ces compétences,
« compétences contributives ». Dans une version subséquente, nous pourrons cartographier
également les compétences dites « métier » ou « expertes » ou « spécifiques ».

La cartographie individuelle des compétences contributives se fait au sein d’un référentiel comportant
six familles. Chaque famille est composée de cinq compétences.

1. Prendre soin d'autrui 2. Opérationnalité 3. Être au service


Développement des autres Organisation de l'action Sens de la finalité
Soutien des autres Fiabilité Orientation Bien Commun
Empathie Exigence Solidarité
Ecoute Implication Personnelle Sens du collectif
Bien-être des autres Gestion du temps Répondre à un besoin
5. Composer avec les
4. Optimisation des moyens autres 6. Vigilance environnementale
Créativité Conciliation Réduction empreinte carbone
Résolution des problèmes Ouverture à la diversité Prendre en compte la biodiversité
Mobilisation des réseaux Coopération Réduction de la pollution
Comprendre et gérer la
Adaptabilité sphère émotionnelle Faire vivre le local
Cerner les atouts et les
Initiative limites Réduction déchets et gaspillage
Tableau des six familles de compétences contributives.

1
La compétence est documentée. Et c’est la documentation qui opère en tant que facteur de cristallisation et de
capitalisation.

15
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Ces familles de compétences contributives relèvent de trois ordres différents :

1. les compétences nécessaires à l’objet de l’activité contributive [prendre soin d’autrui &
prendre soin de la nature ou « vigilance environnementale »] ;
2. les compétences requises par la mise en œuvre d’une activité contributive dans des cercles
non marchands [opérationnalité, optimisation des moyens, composer avec les autres] ;
3. les compétences motrices de l’activité contributive [être au service].

Ce référentiel remplit essentiellement une fonction de cohésion du collectif [les locuteurs-utilisateur]


et de sa production [les data métriques et médiatiques].

SkillMill est en effet construit sur une modélisation de l’information qui répond aux grandes étapes de
la topique générale de la communication, telle qu’elle est définie en linguistique pragmatique1. L’objet
de la topique générale de la communication est d’expliquer comment un groupe de locuteurs peut
parvenir à se comprendre et à créer du sens commun2.
« Le sens commun linguistique se conçoit comme une communauté de savoir, et plus précisément,
comme une formation sociolectale qui se distingue comme le savoir propre aux acteurs d’une même
communauté de discours […], comme communauté de savoir groupusculaire […] »
Sarfati (2005, p. 87)

Utilisée non pas comme une grille d’analyse mais comme une structuration modélisante, la topique
générale de la communication permet d’assurer la constitution d’une « communauté de savoir » ainsi
qu’une « formation sociolectale ». Une formation sociolectale désigne un groupe de locuteurs - c’est-
à-dire des « humains », pas des machines - qui maîtrisent un vocabulaire commun et sont en
conséquence capables de se comprendre et de produire du « sens commun ».

Sens commun ne veut pas dire consensus ni similarité. « Sens commun » veut dire qu’il y a un minimum
de distorsion entre ce que dit une personne et ce que comprend l’autre. Je peux être en désaccord
avec une proposition que j’ai parfaitement comprise. Mais, je l’ai comprise. Et cette possibilité de
compréhension assure une cohésion entre moi et l’autre, une possibilité de dialogue.

La topique de la communication se partage en cinq étapes :

• La topique sociale (TS) […] contient l’ensemble des possibles normatifs, fait pendant au monde
naturel ; elle correspond au domaine des normes possibles.
• La topique configurationnelle (TC) est chaque fois singulière, […] il s’agit justement des normes qui
configurent un domaine de pratique particulier
• La topique discursive (TD) constitue une particularisation supplémentaire du dispositif des normes
puisqu’il sélectionne celles qui définissent le savoir commun d’un seul groupe (médecins, linguistes,
praticiens de différents secteurs) […]
• La topique générique (TG) reçoit sa forme des contraintes que lui imposent le site d’énonciation […]. À
ce stade, le savoir commun d’un groupe fait l’objet d’une mise en forme spécifique […].
• La topique textuelle (TT) constitue la résultante de ce procès de sémiotisation et d’intégration
linguistique du sens commun. Elle est le lieu de la performance sémiotique […]
Ibid, pp. 85-86
Le référentiel cartographie la « topique configurationnelle ». Le domaine de pratique configuré est
celui de l’activité contributive.

1
Le métamodèle Tpos. Voir (C. Lipsyc, 2017) et (Carole Lipsyc, 2012).
2
(Sarfati, 2005)
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Le référentiel découpe la topique configurationnelle du domaine de pratique en catégories (les


compétences) et en catégories superordonnées (les familles de compétences).

Les catégories sont définies par une intension (définition) et par une extension (conditions de vérité,
d’appartenance). Les extensions des catégories incluent les caractéristiques et les aspirations associées
à la compétence1.

On le sait, la catégorisation est un processus subjectif. La catégorisation est toujours un récit. Inventer
le référentiel de compétences contributives, c’est en conséquence créer le récit commun de l’activité
contributive.

Par exemple, la famille « vigilance environnementale » peut surprendre. En quoi « réduire l’empreinte
carbone » ou « prendre en compte la biodiversité » peuvent-elles être considérées comme des
compétences transversales ? Telle est cependant notre proposition : développer une attitude
transversale qui en toutes circonstances, dans tous nos choix et actions, nous mène à porter l’attention
sur ces paramètres. On peut être « vigilant » sur ces aspects écologiques comme on peut être
« créatif » ou « orienté valeur-client » ou « orienté coût-qualité-délais » ou « orienté profit ». La
vigilance environnementale peut devenir une compétence transversale.

Avec le référentiel, nous avons donc proposé notre vision, notre récit de l’activité contributive. Il
convient désormais que le collectif s’en empare lors du débat et la transforme.

Les empreintes et les indicateurs


Le référentiel de compétences contributives joue un rôle prépondérant dans la plateforme de
valorisation de l’activité contributive puisqu’il est le cadre dans lequel est constituée « l’empreinte »
du contributeur.

Qu’est-ce que l’empreinte du contributeur ? L’empreinte est la cartographie qui décrit la manière dont
le contributeur opère son activité contributive. On peut y voir l’intensité de sa contribution, les
compétences qu’il mobilise le plus et l’évolution de sa contribution. Elle permet au contributeur de se
situer et d’être situé au sein du domaine de pratique.

Quatre empreintes sont produites sur la plateforme contributive.org :

1
Le référentiel est disponible sur le site contributive.org, à la rubrique « Guide des compétences contributives »,
en pied de page.

17
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Objet Production Objectifs Représentation


1. l’empreinte-perçue
décrit comment le est produite par un quiz qui permettre au n’est pas représentée
contributeur se reprend les caractéristiques contributeur de graphiquement, est
perçoit listées dans les extensions des s’approprier le expliquée dans la
compétences référentiel et de se synthèse d’un quiz
situer proposé dans la rubrique
Paramètres
3. l’empreinte-profil
montre les est générée à partir de la connaître et faire est représentée sous
compétences moyenne des compétences connaître son profil de forme de rosace dans la
mises en œuvre mises en œuvre par les actions contributeur rubrique Pilotage, les
par le contributeur contributives déclarées du intensités s’organisent
contributeur relativement à la
compétence la plus
sollicitée
3. l’empreinte-niveaux
montre le niveau est générée par l’addition des ▪ suivre les objectifs de est représentée par des
atteint par le points attribués aux développement que barres de niveaux
contributeur dans compétences dans les actions l’on s’est fixé ou qui colorées dans la rubrique
chaque contributives déclarées du nous ont été fixés Pilotage
compétence contributeur ▪ optimiser
l’orientation et le
recrutement

4. l’empreinte-cible
désigne les est produite par un quiz qui ▪ stimuler apparaît sous forme de
compétences que reprend les aspirations listées l’engagement en boule rouge, dans les
le contributeur a dans les extensions des s’appropriant les barres de niveaux de
besoin de compétences objectifs l’empreinte-niveaux.
développer pour ▪ peut être fixée par
être en phase avec une instance
ses aspirations labellisante/certifiante
personnelles comme critère
d’obtention d’un visa

Les empreintes peuvent être considérés comme des indicateurs représentés sous forme graphique.
L’intégralité des indicateurs proposés par la plateforme et leur construction est détaillée en annexe.

Les niveaux de l’empreinte-niveaux


Les niveaux de l’empreinte-niveau sont les suivants : sensibilisé, novice, opérationnel, confirmé,
expérimenté. Les niveaux sont liés au temps consacré à utiliser une compétence. Ce temps est
déterminé au travers des actions que le contributeur déclare. Chaque action contributive est associée
à 1, 2 ou 3 compétences contributives. Les points que l’action permet de gagner se partagent entre les
compétences. Une compétence est toujours considérée comme principale et remporte 100%, 60% ou
50% des points.

Le postulat de l’évolution des niveaux est le suivant : le développement d’une compétence


transversale repose sur sa mise en œuvre consciente, un peu comme un muscle auquel on pense pour
le solliciter. C’est donc en réalisant une action en « pleine conscience » des compétences transversales
requises qu’il est possible de les acquérir et de les améliorer.

Bien évidemment, il est également nécessaire pour un développement optimal d’avoir accès à des
connaissances théoriques concernant ces compétences ainsi qu’à un accompagnement. Les

18
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connaissances théoriques sont dispensées par différents outils proposés par la plateforme
contributive.org, dont notamment le répertoire d’actions contributives qui propose des actions
contributives « types » avec leurs explications. Un véritable Mooc de la contribution et des
compétences contributives.

Cette approche des niveaux est nécessaire dans le processus dit de « gamification », d’incitation à
l’engagement avec un aspect ludique. Dans ce cas, l’incitation est produite par la reconnaissance des
efforts déployés au travers de la progression de l’empreinte.

Cette association entre la progression et le temps passé à agir traduit également l’importance donnée
à l’agir : faire c’est acquérir et développer.

Enfin cette approche est requise pour pallier à l’autonomie de la démarche à grande échelle. Il est
possible, dans le cadre d’un accompagnement de type insertion ou formation où il existe un
programme pédagogique lié à des échelles d’évaluation normées, de fixer des critères de maîtrises tels
que « inconfort » pour le non-initié, « en acquisition » pour le débutant, « capacité & confort,
approprié » pour l’intermédiaire, « pleine maîtrise et inventivité » pour l’initié et « modélisation &
transmission » pour l’expert.

Rien n’empêcherait de coupler cette approche avec celle de la plateforme contributive, au travers d’un
processus encadré de certification.

Les visas possibles pour l’empreinte


Quand un accompagnement est disponible pour vérifier l’activité d’un contributeur, un visa est porté
aux actions déclarées et aux points gagnés par l’accompagnateur. On dit alors que les points sont
« labellisés ». Une empreinte a donc un taux de labellisation.

Il existe deux autres types de visa : l’attestation et la certification. L’attestation est donnée par les
témoins ou les bénéficiaires de l’action contributive qui sont sollicités à l'étape 4 du processus de
déclaration des actions. Elle atteste de la réalité de l’action déclarée. Dès qu'un point de vue est donné,
l'action est attestée.

La certification fait concorder un niveau d’empreinte avec des critères de maîtrise établis.

La version de la plateforme contributive


utilisée lors de l’expérimentation
permet uniquement le processus
d’attestation. A ce stade, il n’y a pas
d’accompagnateurs tiers de confiance
habilités à labelliser des actions ni à les
certifier.

Une cocarde « attestée à X% »


Accueil du Book du contributeur accompagne l’empreinte. L’information
est également présente dans la vignette
qui présente le contributeur, dans l’annuaire de la communauté des con tributeurs. Le moteur de
recommandation classe les profils de contributeurs, lorsqu’on recherche une personne pour une
action contributive à effectuer, en fonction du taux d’attestation (puis quand ils seront disponibles du
taux de certification et de labellisation).

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La pointification
Si l’empreinte-niveaux est construite sur des « niveaux de maîtrise », l’empreinte-profil est structurée
par des « intensités » de sollicitation. Les intensités sont les suivantes : rare, occasionnelle, régulière,
principale, intensive. Une intensité est calculée par moyenne, un niveau par addition.

Une compétence peut être intensive qu’un contributeur ait déclaré une ou mille actions, qu’il ait passé
une heure ou cent heures à mettre en œuvre la compétence.

En revanche, une compétence est expérimentée si un contributeur a consacré l’équivalent de 28 jours


à la mettre en œuvre. Ce chiffre pourra être changé. Pour l’instant, nous avons construit une courbe
de progression des niveaux qui suit les seuils suivants :

niveau Nombres de points Nombre de jours requis


Sensibilisé 0 0
Novice 400 2
Opérationnel 1600 6
Confirmé 4400 14
Expérimenté 10000 28

Cette courbe exponentielle est traditionnelle dans les processus d’engagement, dits processus de
gamification : on doit progresser rapidement au début pour voir des résultats puis, une fois que l’on
est acquis au processus, on peut consacrer plus de temps à développer l’expérience.

La pointification a été construite à partir des attendus que l’on peut avoir concernant une personne
qui souhaiterait obtenir une rétribution pour son activité contributive.

Nous sommes partis du principe qu’un contributeur qui se dédie à l’activité contributive au travers
d’actions ponctuelles ou régulières effectuées de manière distribuée dans un écosystème ne peut pas
œuvrer 35 heures par semaine (temps de travail réglementaire en France). Il doit entrer en contact
avec des bénéficiaires, cumuler des actions peut-être différentes dans des lieux divers, il n’aura peut-
être pas suffisamment d’opportunités qui s’offrent à lui, quelle que soit sa motivation, l’activité
contributive déclarée requiert peut-être des temps créatifs ou préparatoires importants et non
mesurables etc.

Qui plus est, pour entrer dans les exigences de vérification d’un Pacte d’Activité Contributive, cette
personne devra déclarer, documenter et faire valider son activité. Ces tâches sont elles aussi
chronophages.

Enfin, le temps n’est pas forcément le seul ni le meilleur étalon de la mesure d’une contribution… Le
temps dit « abstrait », celui qui mesure le travail, n’est pas apte à couvrir l’activité contributive. Mais
c’est un sujet en soi, qui sera abordé dans le débat1.

C’est pourquoi il nous a semblé pertinent de proposer, comme point de départ de la réflexion et des
indicateurs expérimentés, que le statut maximal de contribution soit obtenu quand une personne
dédie 2,5 jours par semaine à l’activité contributive, soit 115 jours par an. Nous avons utilisé le
calendrier légal du travail en France, soit 46 semaines ouvrées par an.

1
A ce sujet voir l’article de mon book sur la plateforme contributive.org :
https://contributive.org/fr/directory/2927/chapter/le-travail-et-lactivite-contributive-
2927;queryParams=%5Bobject%20Object%5D

20
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Ces 115 jours correspondent à un total de 23 000 points (100 points par demi-journée d’activité
effective). Ces 23 000 points doivent permettre d’être expérimenté et novice dans 1 compétence et
opérationnel et confirmé dans 2 compétences. Les niveaux de compétence sont ensuite calculés en
conséquence.

Ces paramétrages et leurs attendus seront soumis à débat. Il sera débattu également s’il est légitime
et souhaitable de conditionner l’accès à une pleine rétribution sur la base du « statut » de contributeur,
c’est-à-dire, en partie, du temps consacré à l’activité contributive. D’autres critères pourraient être
décidés que ceux liés au temps. Mais lesquels ? Soulignons d’ailleurs que le temps ici n’est pas utilisé
de la même manière que dans la rémunération du travail. Il n’est pas l’outil de mesure du « travail
abstrait »1. Il cristallise de manière symbolique toute une démarche de développement et de mise
en œuvre de compétences qui dépasse sa réalité métrique.

Les statuts de contributeur et leur seuil sont les suivants actuellement :

Coopérant < 12 jours/an aucune déclaration nécessaire


Volontaire 12 à 35 jours/an dès 1 jour / mois
Impliqué 36 à 68 jours/an dès 3 jours/mois
Investi 69 à 114 jours/an dès 1,5 jours / semaine d’activité
Dédié  115 jours/an dès 2,5 jours / semaine d’activité

On le voit : tout dépend de la déclaration de l’activité contributive. Mais à quoi correspond cette
déclaration et comment est-elle effectuée ?

Déclaration de l’activité contributive


La plateforme contributive propose trois modes de déclaration d’une action contributive : le mode
express, le mode documenté et le mode « apprentissage ».

Le mode express est utilisé à la fin d’une action contributive. Il permet de déclarer l’action et de gagner
ses points en un clic. Le processus peut être fait en moins de cinq minutes. Le contributeur pourra
revenir plus tard sur l’action pour la documenter, la publier, demander une attestation ou une
labellisation.

Le mode documenté peut être utilisé dès le démarrage de l’action. Il permet de suivre l’action au fil de
sa mise en œuvre et de la documenter. A la fin, le contributeur est invité à faire un retour d’expérience
et à chercher les avis des témoins et tiers de confiance. Cette action peut être rendue publique dans
l’espace personnel du contributeur, dans son book.

Le mode « apprentissage » guide le contributeur dans la réalisation de son action. Des actions
contributives « types » sont répertoriées et expliquées. Le contributeur trouve ainsi une source
d’inspiration mais aussi une aide à la réalisation. Il choisit une action type, il la démarre puis il rejoint
le processus du mode documenté.

Un comptoir de communs
Le répertoire d’actions grandit grâce à la communauté, toutes les actions publiées remontant aux
modérateurs de la plateforme et pouvant être transformées, après édition, en actions types du
répertoire. Le répertoire est donc de nature participative, une pratique relevant de ce qu’on appelle le
« social learning ».

1
Voir les problématiques soulevées par Temps, travail et domination sociale de Moishe Postone (Postone, 2006).

21
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Mais le fonds commun dépasse le répertoire participatif. En effet, chaque contributeur dispose d’un
espace personnel nommé « book », où il peut raconter son activité, partager son expertise ou ses
créations et transmettre des savoir-faire. La communauté des contributeurs construit ainsi un véritable
comptoir de communs de l’activité contributive.

Un espace informationnel structuré utile à l’intermédiation, à la construction de récits et à la


mesure de l’impact social
L’ensemble des datas et des documents d’un contributeur (son empreinte, ses actions et son book)
constitue un espace informationnel qui permet de le mettre en relation avec des opportunités de
contribution dans des projets et des structures mais aussi de formation ou de travail. Une autre
manière, plus fine et plus inclusive, de faire du recrutement et de l’orientation.

Dans la version actuelle, la mise en relation est réalisée à partir du moteur de recherche. Dans une
version subséquente, il existera un espace dédié à la mise en relation et des fonctionnalités plus
poussées d’intermédiation, notamment avec un aspect local. La plateforme pourra ainsi servir d’outil
d’intermédiation pour l’activité contributive mais aussi pour l’inclusion et la formation. Ces
fonctionnalités sont essentielles dans la perspective de la mise en place d’un Pacte d’activité
contributive. Se former, donc renforcer son employabilité, peut aussi être considéré comme une forme
d’activité socialement utile, comme une activité contributive…

Le fait de structurer la plateforme à partir de la topique de la communication permet de paramétrer


plus finement les outils d’intermédiation.

La structuration dépasse en effet la seule topique configurationnelle du domaine de pratique.

Elle intègre également la topique discursive d’un sous-groupe plus spécifique. En l’occurrence, nous
découpons la topique discursive (savoir commun d’un groupe spécifique) avec :

• la catégorie « Domaine » (vie citoyenne, recherche scientifique, jeux, développement


web/informatique, environnement/écologie, éducation, services de proximité, soins à la
personne, sport, art/média/culture) ;
• les cadres de l’activité contributive : coup de main, bonne pratique, initiative personnelle à
impact social, initiative d’entreprise à impact social, formation/stage ).

Ces listes de domaines et de cadres seront également soumise à discussion lors du débat.

La topique discursive sera affinée lorsque nous intégrerons les compétences expertes. Elle pourrait
également prendre en compte les niveaux de discours (académique, savant, communication,
divertissement par exemple).

La topique générique (mise en forme spécifique) intègre

• la structuration éditoriale des documents qui se partagent (les catégories à renseigner dans la
bio, dans les chapitres et dans les actions ;
• les critères de la restitution des résultats de mise en relation : localisation de l’offre et de la
demande (bassin de vie) et visas de l’empreinte (attestation, labellisation, certification)

L’ensemble de ces configurations inspirées par la topique de la communication peuvent également


servir dans l’analyse générale et transversale de cet espace contributif. Une manière de ramener des
informations et des data qui peuvent être utiles dans la production de mesures de l’impact social et
dans l’analyse de tendances sociétales.

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Les hypothèses médiatisées par la plateforme


En résumé, il est possible de souligner les points suivants que la plateforme contributive « médiatise »,
cristallise, incarne et propage :

1. La valeur produite quelque part dépend toujours d’un patrimoine immatériel commun, d’un
effort social commun et d’une infrastructure commune ;
2. La mesure de l’impact social passe par la prise en compte du développement et de la mise en
œuvre des compétences transversales, c’est-à-dire des comportements ;
3. Il est possible d’utiliser le temps dans la mesure de l’impact social sans aliéner l’individu, à
condition que le temps ne soit pas considéré et traité comme du travail abstrait [du temps de
vie acheté/vendu] mais comme un support arbitraire, pratique et symbolique pour reconnaître
l’effort de contribution au collectif, en tenant compte des capabilités de chacun [les
contingences externes et personnelles qui impactent la possibilité de mettre en œuvre ses
compétences transversales et expertes] et des effets propices produits ;
4. Tout le monde participe/peut participer au cycle de production de la valeur ;
5. Il n’y a pas de production de valeur monétaire sans production de valeur sociale, laquelle
mérite reconnaissance symbolique, protection sociale et rétribution monétaire ;
6. Rendre visible et reconnaître la production de valeur sociale renforce le collectif, sa cohésion
et ses capabilités, donc sa performance.

La plateforme contributive.org conditionne donc une certaine approche communautaire et


apprenante, orientée « compétences » de l’activité contributive. Elle met davantage l’accent sur le
faire que sur le temps passé ou sur le résultat obtenu. Elle est conçue pour apporter une visibilité et
une reconnaissance au contributeur et pour construire des communautés de savoir, de pratique et
d’entraide.

Elle s’intéresse à la cohésion et à la construction de récits, récits personnels et récit collectif.

Ne l’oublions pas : les techniques sont toujours structurantes, les mesures et les algorithmes aussi. Ils
in-forment la société qu’ils construisent, ils lui donnent une forme. C’est en pleine conscience de cette
réalité que nous avons conçu SkillMill et {contributive}. C’est en pleine transparence que nous le
portons au collectif pour expérimentation et débat.

3 L’enquête expérimentale {contributive}

Motifs conjoncturels, heuristiques et matériels du choix d’une opération éclair


Comme nous l’avons vu dans l’introduction, une enquête expérimentale cherche à tester et à élaborer
une solution à un problème social repéré.

Le problème social auquel est dédié le projet {contributive} est celui de l’exclusion d’une partie de plus
en plus importante de la population de l’accès aux ressources par le travail.

L’angle proposé pour participer à « soulager » ce problème, et non pas à le résoudre, est de revoir la
dissociation absolument étanche entre d’un côté, les activités valorisées de la sphère marchande ou
« travail » et, de l’autre côté, les activités non valorisées mais néanmoins socialement nécessaires ou
« activité contributive ». La notion de « valorisation » doit être comprise ici à la fois en tant que
reconnaissance symbolique et en tant que rétribution monétaire.

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Cette percolation entre activité valorisée et activité non valorisée questionne l’institution du travail
mais encore les oppositions binaires travail/chômage ou capital/travail.

On pourrait croire qu’une telle ambition requiert un temps d’élaboration très long. Pourtant, nous
proposons de mener une « opération éclair » de quatre mois : deux mois d’expérimentation d’un
outillage technique dédié à la valorisation de l’activité contributive et deux mois de débat et de
recherche.

Pourquoi ? Pour des raisons qui relèvent de trois ordres différents : conjoncturelles, heuristiques et
matérielles.

Au niveau conjoncturel, nous sommes actuellement dans un moment de crise particulier, généré par
l’arrêt de l’économie lié au coronavirus, avec des montées de la précarité, de la colère et de la violence
mais aussi l’expression collective d’un désir d’autre chose, d’autres modèles, de plus d’équité dans la
valorisation des apports effectifs à la communauté. L’expression « le monde d’après » a fleuri,
débordante des espoirs et des désespoirs, un monde d’après qui requiert des outillages et des
dispositifs très concrets. C’est donc le moment d’en proposer et d’en tester, sans attendre. Il y a
urgence à tester et à arbitrer la proposition d’un dispositif de valorisation de l’activité contributive.

Au niveau heuristique, l’enquête pragmatique rejoint le constructivisme sur le principe du Verum esse
ipsum factum énoncé par Giambattista Vico : « le vrai est ce qui est fait ». Il n’y a pas une vérité
absolue, surtout pas une vérité « en idées » qui se substituerait au réel, il n’existe pas une seule
solution. Expérimentons, voyons si ça marche et si ça marche gardons-le jusqu’à mieux.
Du point de vue de l’enquête scientifique, rien n’est plus fatal à son droit à la
reconnaissance qu’une prétention au caractère final et indépassable de ses conclusions .

(Dewey, 1920/2014)

La rupture épistémique, le changement de paradigme, est donc encouragé en permanence. Ce qui


compte, c’est l’efficacité à un moment donné, en attendant d’aller vers mieux. La pensée est toujours
en mouvement, elle ne fige pas et ne se fige pas.

Dans cette perspective, il ne sert à rien de débattre pendant 18, 36 ou 60 mois dans des groupes de
travail et des préambules idéologiques. Il s’agit d’expérimenter et de juger sur résultats.

Bien évidemment, cette posture est possible car nous ne sommes pas en train de tester une solution
physique ou chimique aux risques apocalyptiques. Mais le débat pourrait voir cette question
différemment, par exemple arguer qu’un système de déclaration est un système de contrôle qui
demain pourrait mener à des privations de liberté comme le passeport citoyen chinois. Le temps
dévolu au débat changerait-il cependant ce risque ? Non. Apporterait-il davantage de garanties ? Non
plus. Ce type de problème ne sera pas écarté par les échanges d’idées. Il sera cadré par une vigilance
et des règles, toutes choses que nous proposons d’élaborer ensemble. Ou bien il sera évité par le fait
de décider que le risque potentiel de contrôle un jour est plus grave pour notre collectif que la
valorisation de la contribution et la fin de la dissociation tout de suite.

Après tout, même Dewey, malgré son appel à l’expérimentation, s’est opposé au New Deal de
Roosevelt parce que le dispositif ne s’attaquait pas aux racines de l’iniquité sociale mais à ses effets.
Son opposition au New Deal s’inscrit en ce sens dans le droit-fil de sa conviction que les
remèdes apportés à la crise de 1929 ont été principalement destinés à sauver le système
qui l’avait provoquée.

(Cometti, 2016)

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Enfin, au niveau matériel, rappelons-le, ce projet est porté par une startup. Nous le finançons sur fonds
propres. Nous n’avons tout simplement pas les moyens de faire plus, plus longtemps. Les autres phases
de l’expérimentation, si elles existent, devront être réalisées dans un autre cadre, avec des
financements dédiés. Nous lançons une idée, nous ne la déployons pas.

A l’issue de cette opération éclair devra être construite une expérimentation territoriale du dispositif
dans son intégralité1 : l’outillage [le Pacte d’activité contributive avec une plateforme d’intermédiation
complète] et les moyens fonctionnels [une instance de gouvernance, des forces d’animation et des
financements].

L’opération éclair est comme le « pitch » d’un projet à des producteurs. Ici le pitch est interactif et
inclusif et les producteurs, c’est la société tout entière.

Une autre enquête expérimentale devra suivre, celle-ci plus longue et plus ambitieuse.

Les livrables de l’opération éclair


Les livrables s’organisent en trois temps : avant le démarrage de l’opération éclair, pendant l’opération
éclair et à l’issue de l’opération éclair.

Moments Livrables
Avant l’opération 1. Développement et mise en ligne de la plateforme contributive
avec, en plus des fonctionnalités dédiées à l’activité contributive, un
forum pour les débats
2. 0rganisation de l’enquête : recrutement et accompagnement de
contributeurs qui créent leur book et qui déclarent des actions ;
recrutement de contributeurs et d’animateurs pour le débat ; mise
en place des deux groupes de travail ; mise en place d’un comité
scientifique.
Pendant l’opération 3. Tenue de 3 réunions du comité scientifique
4. Organisation de 12 webinars pour les contributeurs (prise en
main de la plateforme)
5. Tenue de 3 réunions pour chaque groupe de travail
6. 0rganisation d’une table ronde/débat pour chaque thème du
débat en ligne
7. Animation du débat en ligne
8. Compte-rendu quotidien du débat
A l’issue de l’opération 9. Rapport de l’enquête expérimentale, de ses débats et des
résultats des groupes de travail
10. Etude topique des débats et des groupes de travail

Les données de l’enquête seront produits sous licence Creative Commons. Elles seront disponibles pour
toute entité souhaitant les exploiter, voire produire son propre rapport.

L’objectif de l’enquête expérimentale est de parvenir à organiser, dans un ou plusieurs territoires, une
expérimentation du dispositif complet d’activité contributive : plateforme d’intermédiation et Pacte
d’activité contributive. Cette organisation impliquera la création d’une instance de gouvernance et la
mise en place d’un processus délibératif pour trancher toutes les questions qui ont été portées au
débat.

1
Les comptes des membres resteront actifs d’une version à l’autre de la plateforme {contributive}.

25
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Une recherche coopérative, participative et collective


L’enquête expérimentale telle que nous la menons est un outil de recherche coopérative, participative
et collective.

Cette recherche est coopérative car elle sollicite des productions à des acteurs aux compétences
complémentaires, qui travaillent seuls autour des thèmes proposés et qui versent leur production dans
le fonds commun, sans se forcément se répondre ni réagir aux réflexions des autres. Ce type de
contribution de fond est présentée dans les espaces personnels publics des auteurs (leur « book »),
sous formes de pages qui peuvent être rich média et accueillir des documents en pièces jointes (les
« chapitres »).

Pour être repérés par l’équipe d’animation de la plateforme et du débat, les chapitres dédiés à cette
recherche coopérative doivent être signalés par l’indexation « contribution de fond au débat »
disponible à la catégorie « type de chapitre ».

Les chapitres proposent des blocs d’édition. Les textes rédigés dans les blocs d’édition sont sous licence
« Creative Commons ». Les documents joints (ppt, pdf, word, xls) ou insérés (images, vidéos, sons) sont
soumis à copyright/droits d’auteur si l’auteur est mentionné de l’une des trois manières suivantes :

1. Le document comporte dans son contenu même la mention de l’autorat ;


2. Le document a été importé et indexé dans la plateforme, au sein de la bibliothèque
documentaire du contributeur ;
3. Le contributeur a crédité l’auteur dans un bloc textuel du chapitre.

Dans tous les cas, l’auteur de la contribution accepte de partager son point de vue et sa recherche avec
le collectif, pour l’instruire ou l’inspirer.

La recherche est participative car elle est ouverte : elle ne conditionne pas le droit de participer à un
processus de sélection, à un statut officiel ni à une expertise reconnue dans un domaine donné.
Chaque contributeur est cependant libre de préciser dans son profil tout élément qui permettrait de
l’identifier et de vérifier ses qualifications.

Enfin, la recherche est collective car il existe des espaces de production commune : les groupes de
travail et les moments de « forum ouvert », des réunions organisées librement par la communauté, en
visioconférence.

Débat, recherche et enquête expérimentale


Contributions, groupes de travail et forum ouverts produisent ce que l’on nomme communément du
« stock », de la matière informationnelle vouée à être conservée et considérée par son/ses auteur(s)
comme productrice de valeur épistémique. Il ne s’agit pas de délibérer, il s’agit d’élaborer des

26
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connaissances qui permettent d’inventer un dispositif de valorisation de l’activité contributive ou


d’instruire la décision et les modalités de déploiement de ce dispositif.

L’espace de débat en ligne produit du « flux », des échanges instantanés ou décalés. Un sujet est posté,
les participants réagissent et se commentent réciproquement. Ces échanges en mode flux font partie
du processus de recherche, quelle que soit leur qualité en termes épistémiques. Soit ils interviennent,
en mode dialogique, dans l’élaboration personnelle ou collective d’une connaissance, soit ils servent
de terrain d’observation des opinions échangées et des publics mobilisés.

L’organisation de l’enquête structure ainsi deux niveaux de recueil : le recueil de stock et le recueil de
flux. Stock et flux peuvent être considérés comme les données de la recherche.

Les résultats de la recherche seront disponibles dans le rapport et dans l’étude topique.

Ce primat de la recherche éclipse-t-il la dimension « débat » de l’opération ? Rappelons qu’il n’existe


aucun processus de délibération et que les conclusions ne viennent instruire aucune décision publique
comme dans une concertation ou une convention citoyenne.

La notion d’enquête expérimentale opère la jonction entre les deux. Une enquête expérimentale est
tout autant débat que recherche. Elle crée un espace de réflexion et d’élaboration d’une innovation
sociale. Elle invite le collectif à expérimenter et penser ensemble. Il s’agit d’un outil de maturité
démocratique et civile. Les citoyens et les organisations sont traités comme des « producteurs de
savoir » et non pas comme des « émetteurs d’opinion ». Il ne s’agit pas de délibérer, de convaincre, de
l’emporter. Il s’agit d’explorer ensemble un territoire encore inconnu du vivre-ensemble, non pas
hors sol, dans le domaine des idées exclusivement mais en situation.

L’étude topique de la concertation du Grand Paris, en 2012, avait permis de dégager deux topiques
intéressantes à ce sujet. La première concernait le besoin de clarté qui passait par l’éducation du
citoyen et la seconde la crédibilité des processus participatifs qui impliquait de différencier les objectifs
et les modalités du participatif.

L’enquête expérimentale couvre les trois premiers modules : recueil des besoins, production
d’analyses et de réflexions et mise en forme des possibles. Elle fait appel aux individus, à la société
civile organisée (entreprises, syndicats, associations et acteurs publics) et aux experts/chercheurs.

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La méthodologie d’analyse des contributions : l’étude topique


Dans son analyse des contributions, Ingies utilisera la méthode de la « fouille topique », développée
sur la période 2007-2012 au travers de plusieurs programmes de recherche et utilisée dans trois
opérations citoyennes : le Printemps des Associations de la Ville de Paris (2007), une concertation sur
la biodiversité (2011), la concertation sur le Grand Paris (2012).

L’analyse de débats prend généralement deux formes principales : l’étude des métriques (données de
consultation, rapports concernant les métadonnées comme, par exemple, les mots-clés ou les
catégorisations) ainsi que la fouille statistique (nuages de mots, thèmes principaux, émotions).
Ces deux genres d’analyse sont automatiques. Elles permettent d’ailleurs de couvrir de gros volumes
de données (big data).

La fouille topique propose une alternative aux approches automatiques. Des analystes et des
interprètes (humains) opèrent des recoupements entre les propos et les contributions. Pour repérer
les documents «candidats » aux associations, ils utilisent des outils de fouilles de données

Le processus de recoupement n’est pas entièrement subjectif : il est motivé et obéit à la


reconnaissance d’invariants ou « figures ». Le travail de la fouille topique est un travail d’analyse
rhétorique car l’ensemble des propos des participants à un débat est considéré un discours à analyser.
Ces figures ont été définies par la « sémantique analogique »1, une discipline à la croisée de la
linguistique et de la rhétorique.

Au fil des recoupements, émergent progressivement des « topiques » sous-jacentes, grands ensembles
de visions et d’idées qui reflètent les points d’intérêt récurrents et communs. Ces topiques
correspondent aux grands mouvements qui traversent le discours collectif : les ressentis, les enjeux
tacites et les imaginaires.

La fouille topique se déroule en quatre étapes :

Etape 1 : les recoupements

Plusieurs analystes travaillent séparément. Chaque analyste dégage les points d’intérêt d’une
contribution [A]. Ces points d’intérêt doivent différer de l’explicite qui est remonté par l’analyse
statistique traditionnelle. La fouille topique s’intéresse au tacite.

Il définit des mots clés pour ce point d’intérêt.

A l’aide d’un moteur de recoupement, il repère une contribution [B] qui apporte un éclairage sur le
point d’intérêt. Cet éclairage peut être de forme diverse : confirmation, controverse,
explication, recontextualisation, etc. Ces formes constituent justement les « figures », les invariants
qui sont définis par la sémantique analogique2.

Etape 2 : émergence des topiques

Au fur et à mesure des recoupements, certains ensembles commencent à se former : d’abord


des clusters, puis des TOPs, des « Theory Organization Packets »3. Ces ensembles déterminent des
“topiques”, des lieux communs sous-jacents qui reviennent au travers du corpus.

1
(Carole Lipsyc, 2009, 2012)
2
Il existe seize figures types de recoupement.
3
Les TOPs sont inspirés par la Théorie de la Mémoire Dynamique de Roger Schank.

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Etape 3 : consolidation des topiques et analyse

Les topiques qui se dégagent chez un analyste sont proposées aux autres analystes. Les autres
analystes confirment et les alimentent les topiques émergentes ou bien, au contraire, les infirment.

Lors de cette phase de mise en commun, chaque analyste apporte des nuances aux topiques. Les
topiques sont évaluées en commun lors d’une réunion. Certaines se regroupent, d’autres se
décomposent en sous-topiques qui reflètent parfois les topiques discursives (les variations
d’approche).

Etape quatre : interprétation

Les topiques se croisent à leur tour et permettent d’apporter une certaine compréhension
générale des mouvements qui traversent le corpus étudié.

Les étapes 3 et 4 sont effectuées en commun avec un comité de cadrage composé par des experts ou
des parties prenantes.

L’étude topique constitue un complément aux études traditionnelles. Elle repère les signaux faibles
qui traversent un collectif. Elle anticipe les tendances. Notre souhait, dans cette étude, de ramener
une compréhension plus fine des espoirs et des freins associés à l’activité contributive et à sa
rétribution.

Une initiative de recherche singulière et citoyenne


L’enquête expérimentale {contributive} a ceci de singulier qu’elle est lancée par une petite entreprise,
en dehors d’un cadre traditionnel de recherche collaborative financée par un guichet public. Elle n’est
pas inscrite dans la traditionnelle séquence en quatre phases :

1. intention d’un projet à partir d’une recherche ;


2. constitution de partenariats avec des acteurs complémentaires (laboratoires de recherche,
associations, d’autres entreprises, instances publiques) ;
3. montage d’un dossier de candidature ;
4. sélection par une commission.

Aucune permission publique ou de pairs n’a été cherchée pour cette opération spécifique. Une
recherche à dimension sociale, menée par un acteur privé et cristallisée dans une technologie, est
directement proposée aux parties qu’elle concerne pour expérimentation, débat et élaboration de
connaissances.

Cette situation soulève trois questions principales qu’il convient d’énoncer explicitement : Au niveau
scientifique, quelle est la légitimité de cette enquête ? Quelle en est la fiabilité ? Et surtout, quels
intérêts sert-elle ?

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En effet, les processus de constitution et de sélection des projets de recherche n’ont pas uniquement
la vertu de permettre leur financement. Ils ont également la fonction d’apporter légitimité et fiabilité
à une démarche et de contractualiser les devoirs et les bénéfices des uns et des autres.

Pour répondre à ces interrogations, il convient de resituer l’enquête expérimentale {contributive} dans
son histoire et de la contextualiser au sein des conventions de la recherche. Si la décision de lancer une
enquête expérimentale sur la valorisation de l’activité contributive grâce à une plateforme
d’intermédiation a eu lieu durant le confinement lié à l’événement du nouveau coronavirus en 2020,
le projet a éclos dès 2018, en réponse à l’appel à projets 100% inclusion du « Plan d’Investissement
dans les compétences ». Dans le terrain d’expérimentation choisi, l’Essonne, il avait reçu le soutien de
la Préfecture, du Conseil départemental, du Parquet et d’acteurs associatifs locaux de la mobilité et de
l’insertion. Il devait être accompagné par un comité scientifique composé de chercheurs en intelligence
artificielle et en sciences sociales1.

Le projet avait alors été expertisé par la Commission Economie Sociale et Solidaire du pôle de
compétitivité Finances Innovation et avait été labellisé. La labellisation par un pôle de compétitivité
correspond à une instruction qui vise à confirmer la fiabilité et la solidité d’un projet de R&D.

Skill-Lab Essonne n’était pas un projet né du hasard des circonstances, des appels et des partenariats.
Il était issu des travaux de recherche et de la mission qui ont donné naissance à l’entreprise Ingies. Ces
travaux de recherche concernent la mesure de l’impact social et la mesure du patrimoine immatériel,
grâce aux systèmes d’information qui ont le potentiel de repérer, tracer, cristalliser en data et en
documents, donner la maîtrise et permettre la distribution du patrimoine immatériel. Ils ont été
développés depuis 2012, suite à une thèse de doctorat et à une incubation à la Belle de Mai,
l’incubateur du Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur à Marseille. Ils ont donné
lieu à une sélection aux oraux du Concours Mondial d’innovation en catégorie Big Data.

Il s’agit donc bel et bien d’une démarche de recherche telle que l’entend le Manuel de Frascati, la
référence internationale en matière de définition de la R-D :
La recherche et le développement expérimental (R-D) englobent les travaux de création
entrepris de façon systématique en vue d’accroître la somme des connaissances, y
compris la connaissance de l’homme, de la culture et de la société, ainsi que l’utilisation
de cette somme de connaissances pour de nouvelles applications.

OCDE (p. 32, 2002)

La partie fondamentale de cette recherche a déjà été effectuée au travers des cycles précédents2. Elle
se trouve désormais en partie en phase de recherche appliquée (tout ce qui est traité par les deux
groupes de travail) et en partie en phase de développement expérimental (tout ce qui concerne la
plateforme d’intermédiation).

1
Le projet Skill-Lab Essonne n’a pas été sélectionné par l’appel et n’a pas été réalisé.
2
Ces cycles précédents s’inscrivent dans la démarche heuristique de la C-R&D, Création – Recherche et
Développement, propre à ma recherche. Cette présentation n’est pas le lieu pour la détailler. Elle s’articule en
trois temps : l’exploration d’une thématique au travers de la fiction et de l’art, sa poursuite par la recherche
scientifique puis sa diffusion au travers d’actions sociales et d’offres technologiques à impact social (Lipsyc,
2012). En l’occurrence, {contributive} a débuté avec le projet littéraire des Contes du monde d’après et le
mémoire épistémologique Le désir d’être humain. Résister à la société automate. Ces deux textes forment
ensemble un univers informationnel ou « topos numérique ». Plus d’informations sont disponibles sur la
plateforme contributive, dans mon espace personnel, https://contributive.org/fr/directory/2927 .

30
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Soulignons d’ailleurs, dans cet esprit, que la plateforme contributive, sous cette forme, n’a pas
vocation à devenir un service. Il s’agit d’une installation pilote au sens du Manuel de Frascati, puisque :

1. Son « objectif principal est d’acquérir de l’expérience et de rassembler des données […] qui serviront
à vérifier des hypothèses, à élaborer de nouvelles formules de produits, à établir de nouvelles
spécifications de produits finis, à concevoir les équipements et structures spéciaux nécessaires à un
nouveau procédé [et] à rédiger des modes opératoires ou des manuels d’exploitation du procédé » ;

2. A « l’achèvement de cette phase expérimentale, l’installation pilote » ne fonctionnera pas « comme


unité normale de production commerciale »1.

Qui plus est, la plateforme contributive est une installation pilote partielle puisqu’elle ne couvre pas
les fonctionnalités d’intermédiation (mise en relation du bénéficiaire et du contributeur, mise en
relation de l’individu et de l’offre locale de formation/insertion, rétribution monétaire ou en nature)
ni de mise en place d’un Pacte d’activité contributive (inscription, vérification, labellisation, contrôles).
D’autres expérimentations pilotes devront donc suivre.

Légitimité et fiabilité de la matière scientifique du projet sont donc garanties par l’historique du projet.
Reste à instaurer les modalités de surveillance et d’évaluation de l’opération éclair. Un comité
scientifique sera créé à cet effet. Il se réunira trois fois : avant le lancement des groupes de travail, à la
fin de l’opération éclair et à la remise du rapport générale et de l’étude topique (livrables 9 et 10).

Les données issues de cette l’opération éclair seront disponibles sous licence Creative Commons. Elles
ne seront pas la propriété d’Ingies. La plateforme contributive et la solution SkillMill ainsi que les
méthodes de mesure de l’immatériel et de l’impact social provenant de la méthodologie DassetsTM
sont en revanche des connaissances propres d’Ingies.

L’objectif d’Ingies n’est pas d’ « ubériser » l’activité contributive, autrement dit notre entreprise n’a
pas l’intention ni la volonté de privatiser l’activité contributive, de la formater à son propre bénéfice
ni d’en prélever un pourcentage monétaire.

Ingies est une entreprise, certes. Mais c’est une entreprise qui s’est constituée en vue de développer
des techniques propices au rapport à soi, à l’autre, au collectif, à la signifiance et à la cognition. Nous
ne pensons pas qu’une entreprise doive être « entreprise à mission » pour inscrire son activité dans
l’engagement social. Nous pensons que toute entreprise doit être à mission sociale autant que
marchande. Nous militons d’ailleurs pour une révision des méthodes de comptabilité et
d’accréditation à cet effet.

Nous avons également un second credo : les techniques de l’information et de la communication


formatent, conditionnent, grammatisent, génèrent des attitudes ontologiques, cognitives et
sociales2. Il ne s’agit pas seulement de développer ce qui est possible et attractif. Il ne s’agit pas de
faire semblant de proposer des usages et des fonctionnalités. Il faut être clair sur les modes de vie
qu’elles incarnent, qu’elles outillent et qu’elles propagent. D’où notre volonté de porter à débat les
outils et méthodes que nous avons mis au point pour équiper les individus dans le développement de
leurs capabilités et pour accompagner de manière positive et propice la transformation nécessaire du
travail.

1
OCDE (p.49, 2002)
2
Cette vision du formatage d’une épistémè et de la société à partir des techniques du savoir et de la mémoire
s’inscrit dans la ligne critique de la « technologie intellectuelle », telle qu’on peut la retrouver chez Eisenstein,
Goody, Leroy-Gourhan, McLuhan, Anders, Feenberg, Stiegler, Bachimont, Carr, etc. Voir Lipsyc (2017)

31
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Cette approche engagée, consciente et éthique de la construction de notre environnement médiatique


et numérique, de notre nouvel « écoumène médianumérique »1, constitue une véritable alternative à
la vision purement fonctionnelle et marchande des GAFAM et de l’industrie numérique.

Notre ambition est que le projet de valorisation de l’activité contributive nous dépasse et nous
échappe, qu’il devienne un projet véritablement coopératif et collectif : pensé par des experts issus
des disciplines qu’il concerne, approprié par la société et mis en œuvre par un organe de gouvernance
citoyen.

Bien évidemment, nous espérons que notre approche et notre technique de l’intermédiation de la
valorisation de l’activité contributive seront retenues et contribueront au « going concern » d’Ingies,
à sa pérennité. Mais rien ne l’assure.

Conclusion

En France, actuellement, de nombreuses initiatives et mesures cherchent à résoudre la transformation


de la forme sociale « travail » qui se manifeste par la raréfaction du travail, par son atomisation dans
les parcours de vie et par la fin du mécanisme d’accès aux ressources par le travail : l’initiative
« Territoire zéro chômeur de longue durée » (TZLCD) propose de rediriger les budgets publics issus des
coûts de la privation d’emploi pour financer des emplois en CDI créés ad hoc, des négociations
cherchent à faire évoluer la rémunération apportée aux aidants familiaux, a émergé l’idée de proposer
des rétributions contre travaux à des jeunes délinquants pour les dissuader d’entrer dans le trafic de
drogue… mais aussi, tout simplement, le RSA ou la proposition d’un revenu universel.

Toutes ces approches abordent en réalité le même problème de l’évolution de la forme sociale
« travail » et de la non valorisation de l’activité contributive mais ne le disent pas frontalement, ne
l’assument pas, le nient parfois ou tout simplement ne le savent pas. Il en résulte une multiplication
des dispositifs, donc des coûts, et une moindre efficacité. Surtout, en ne confrontant pas la
problématique fondamentale, nous ne pouvons pas faire émerger de nouvelles formes sociales aptes
à assurer un équilibre économique et social collectif.

Un dispositif de valorisation de l’activité contributive constitue l’infrastructure d’une nouvelle forme


sociale alternative au travail. Cette nouvelle forme sociale bouscule les catégories
travailleur/chômeur/retraité/étudiant/aidant/travailleur-indépendant/travailleur-domestique ainsi
que la dichotomie salaire/allocations. Elle ne remet pas en cause cependant l’injonction à la
contribution à une organisation collective de production de savoir, de ressources, de bien-être, d’art,
etc. Elle ne propose pas non plus un salaire universel déconnecté de toute participation. Elle valorise
et promeut l’instinct artisan qui selon Thornstein Veblen constitue le moteur principal de la vie
humaine et qui garantit notre survie et notre accomplissement collectifs.

Construire une alternative, ce n’est pas chercher à remplacer la culture dominante. C’est offrir une
solution à ceux qui ne peuvent pas y accéder ou qui en pâtissent. Toutefois, si la démarche d’invention
d’une alternative ne va pas de soi en temps normal, en temps de crise, elle devient nécessaire comme
le souligne Dewey2 :
Dans ce qui appartient en propre à l’humain, il y a rarement de l’invention, et
lorsqu’il y en a, c’est en réponse à une situation d’urgence. Dans le domaine de

1
(C. Lipsyc, 2017)
2

32
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l’humain, comme pour tous les enjeux importants, le simple fait d’envisager
l’invention suscite la peur.

Dewey (1920/2014)

Il semblerait que ce soit maintenant le moment d’inventer. D’où notre proposition d’enquête
expérimentale « éclair ».

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Annexe 1 : Etat de l’art. Revenu universel, Pacte d’activité contributive et autres


propositions. Quelles différences ? Quelles bases communes ?

Article publié sur contributive.org. URL : https://contributive.org/fr/directory/2927/chapter/revenu-universel-


pacte-dactivite-contributive-et-autres-propositions-2927

Le revenu universel inconditionnel est une proposition désormais connue du grand


public et défendue par des acteurs politiques établis. Comment situer l'activité
contributive et sa rémunération dans le cadre d'un Pacte contributive par rapport
au revenu universel ? Quels sont les postulats partagés et les différences ? Et qu'en
est-il d'autres propositions comme le salaire à vie ou les monnaies alternatives ?

Au-delà du travail : panorama des propositions


Dans notre monde, le travail1 et l'argent vont de pair. Pour l'écrasante majorité des humains, pas les
plus riches, l'argent est obtenu par le travail. C'est pourquoi l'imaginaire et les propositions sur
l'amélioration des conditions de vie passent toujours par ces deux objets : le travail ou l'argent.
Certains proposent de réformer le travail lui-même : mieux en distribuer le fruit et le profit, le
partager pour que tout le monde puisse en avoir, le rendre durable et de qualité. On trouve dans cette
ligne les 35 heures et les RTT et des penseurs comme Dominique Méda.
D'autres veulent partager le monde entre ceux qui ont du travail et ceux qui n'en ont pas, en
distribuant des allocations de survie à ceux qui n'en ont pas. C'est la proposition du revenu universel.
D'autres imaginent des circuits alternatifs de monnaies ou d'échanges de service et de biens.
Monnaies locales, cryptomonnaies, banques de temps et de services orientées vers les particuliers (par
ex. le SEL) ou vers les entreprises (par ex. le WIR). Ces circuits alternatifs ont deux vertus : ils créent
une soupape de sécurité par rapport à une économie qui s'effondre et ils offrent un cadre d'action à
ceux qui souhaitent échapper au cadre marchand dominant.
D'autres encore, en France où il existe le statut d'intermittence du spectacle, veulent reconnaître la
réalité désormais discontinue du travail par un statut d'intermittence généralisé. C'était la contre-
proposition de la Coordination des Intermittents et Précaires à la réforme de 2003 qui avait bouleversé
le régime de l'intermittence pour le faire passer d'un système de mutualisation à un système
d'individualisation.
D'autres enfin proposent de rétribuer l'ensemble des contributions productrices de valeur sociale et
économique, pas seulement celles qui passent par le "travail" sous forme de "l'emploi". On trouve ici
les proposition de Friot sur le salaire à vie, celle de Stiegler sur le revenu contributif ou la nôtre sur un
pacte d'activité contributive. Là encore, entre ces trois propositions, les postulats théoriques et les
ambitions politiques ne sont pas les mêmes.
La profusion de ces offres, la solidité de leur socle critique et leurs expérimentations parfois à grande
échelle, démontre toutefois l'existence d'une question sociale réelle : peut-on continuer à s'en tenir
exclusivement au couple travail-salaire pour gérer le vivre ensemble sur cette planète ?

1
Le travail désigne ici ce que d'autres appellent l'emploi, c'est-à-dire une activité productrice échangée contre
de l'argent et participant au cycle de création de valeur monétaire. Il ne recouvre pas toutes les activités
productrices de valeur économique ou sociale, seulement celles qui sont officiellement reconnues comme telles
par le versement d'un salaire.

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Cette question sociale doit être regardée en face et débattue en connaissance de cause, c'est-à-dire
en connaissance des "programmes" qui structurent les propositions des uns et des autres mais aussi
en connaissance des moyens de leur mise en place.
C'est ce que je propose de faire succinctement et subjectivement dans cet article. Subjectivement car
étant à l'origine du projet {contributive} et de la plateforme de valorisation de l'activité contributive
contributive.org, j'ai évidemment un point de vue et un parti pris.

Le Revenu Universel : une idée porté par deux visions antagonistes


Le revenu universel désigne une allocation de survie qui est versée sans condition à ses bénéficiaires.
Deux visions antagonistes motivent cette proposition. Une première vision, que l'on pourrait
qualifier de cynique, cherche à maintenir la capacité de consommer de la population exclue du travail
ou "population surnuméraire". Les avantages sont nombreux : maintien de la demande, contrôle de la
colère des exclus du travail et chantage latent à l'emploi, au statut et au niveau de vie sur des
travailleurs facilement remplaçables. Il s'agit ici d'accommoder le système économique et social en
place pour le maintenir, voire le renforcer.
Généralement, dans cette vision, le revenu universel concerne la population surnuméraire et devient
la responsabilité de l'état tandis que la population considérée comme "employable" bénéficie de son
propre système d'assurance et de prévoyance, individualisé.
"Individualisé" signifie que l'on cotise auprès d'une assurance publique ou privée puis que l'on est
protégé en cas de discontinuité, en fonction des cotisations effectuées. Cette logique s'oppose à celle
de la "mutualisation" qui ne conditionne pas et ne proportionnaliste pas les protections en fonction
des cotisations individuelles mais en fonction d'un statut.
Une seconde vision du revenu universel, que l'on pourrait qualifier d'empathique, souhaite bien
évidemment éviter le plongeon dans l'extrême pauvreté des masses. Cependant, son objectif
primordial est d'instaurer une société de réelle équité sociale par le partage des ressources et par la
liberté d'occupation de son temps. La motivation du revenu universel est ici la redistribution des
richesses créées par tous à tous. Il y a reconnaissance d'une "propriété sociale", c'est-à-dire d'une
"patrimoine immatériel" commun et collectif qui est la condition sine qua non de toute production et
transaction. L'objectif du revenu universel est un changement de modèle économique, social et
écologique. Le revenu universel est une des clés de cette transition.
Le cadre critique, économique et politique de ces deux visions n'est donc absolument pas le même.
La première vision est défendue par ceux qu'on taxent de néolibéraux et fait remonter l'idée de revenu
universel à Hayek et Friedman. La seconde est promue par ceux qu'on appelle les anticapitalistes1 et
rattache la proposition l'économie des communs, à la transition économique et écologique, à la
construction d'un monde post-capitaliste. Ici, l'origine du revenu universel sera plus facilement
attribuée à Thomas Paine, penseur et acteur des révolutions américaine et française.

1
Peut-être est-il temps d'arrêter d'utiliser ces qualificatifs qui ont perdu tout sens à force d'être utilisés comme
des signaux dans un clivage socio-politique. "Néolibéraux" et "anticapitalistes" sont les deux versants
mécaniques d'un même système de lutte qu'il convient de dépasser pour entrer dans une dynamique d'action
constructive, propice et commune, dans un esprit de « réconciliation » pour reprendre l’expression de Robert
Zarader (Zarader, 2012). Les convoquer obstrue le raisonnement et enferme à l'intérieur du système lui-même,
dans un mirage idéologique et toxique sur notre propre époque, un discours autoréalisant (programmatique).

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Le constat de base est le même toutefois entre les deux visions : tout le monde n'a pas accès au
travail, n'ayant pas accès au travail, tout le monde n'a pas accès aux ressources ni aux droits sociaux.
Ce constat est également partagé par {contributive}.

Revenu universel vs Pacte d'activité contributive


Ce qui distingue fondamentalement la proposition de valoriser l'activité contributive de la
proposition d'octroyer un revenu universel, c'est la reconnaissance explicite, tacite, visible et
revendiquée de l'existence d'une activité productive, économiquement et socialement nécessaire.
C'est la reconnaissance que cette activité contributive est tout aussi légitime et vitale que l'activité
marchande (ce qu'on nomme communément le "travail" ou "l'emploi").
En découle un certain nombre d'effets que n'induit pas le revenu universel :
1. la reconnaissance visible, explicite et indéniable des talents et des apports de tous et de
chacun au lieu d'une vague reconnaissance symbolique, tacite et contestable ;
2. l'existence sociale de l'individu au travers de ses projets et de ses actions menés, déclarés ou
racontés ;
3. le soutien bienveillant à la mise en œuvre de ses talents et compétences, au travers de ses
propres choix et projets, au lieu d'être pris dans une spirale d'impuissance, d'inaction et de
désespoir [notion d'empowerment];
4. la reconnaissance de la construction des compétences, des capabilités et de l'employabilité
au-delà des temps de travail.
La valorisation de l'activité contributive met en place une dynamique de vie, d'action, de partage et
d'existence sociale là où le revenu universel met en place un simple apartheid entre travailleurs et
non-travailleurs.
Certes les partisans d'un revenu universel lié à une transition socioéconomique brandissent l'espoir et
vs Pacte d'activité contributive
L'intermittence est un statut spécifique des professionnels du spectacle vivant qui n'existe qu'en
France1. Ce statut prend en compte le caractère discontinu du travail de ces professionnels, pour des
employeurs multiples et des projets divers.
En 2003, lors de la première refonte du statut de l'intermittence, a été lancée une enquête
pragmatique et citoyenne qui s'appuyait sur les parties prenantes et notamment sur le Collectif des
Intermittents et Précaires. Cette enquête a abouti à la proposition de la généralisation du statut
d'intermittent à l'ensemble des parcours discontinus et pas seulement aux seuls professionnels des
arts vivants.
Quelques 20 ans plus tard, on peut constater la justesse des analyses qui étaient faites alors par cette
recherche citoyenne sur la transformation en cours du travail et sur les la généralisation de la
discontinuité des parcours professionnels.
Antonella Corsanie et Mauricio Lazzarato ont encadré cette enquête et en ont rédigé l'analyse2. Les
constats qu'ils rapportent et élaborent rejoignent ceux qui ont mené au projet {contributive} et
notamment :

1
En Belgique et au Luxembourg, les artistes bénéficient également d'un traitement spécifique dans le cadre des
assurances chômage mais il ne s'agit pas exactement d'un statut d'intermittence équivalent.
2
Corsani & Lazzarato, (2008)

36
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1. la nécessité de construire la professionnalisation et l'employabilité dans l'ensemble des


temps d'activité et pas seulement dans les temps de travail/d'emploi : temps d'activité
contributive, de formation, d'élaboration de nouveaux projet, de prospection et d'entretien
des relations de réseaux, etc. ;
2. le besoin de "garantir la continuité d'une trajectoire" au travers de l'ensemble de ces temps
et pas seulement au travers de l'emploi, et encore moins au travers d'un emploi fixe de modèle
"CDI" ;
3. la reconnaissance d'une "propriété sociale" qui soutient et déborde la "propriété privée" et
qui justifie une dépense sociale pour rétribuer les activités socialement nécessaires ;
4. la généralisation de cette discontinuité des trajectoires à l'ensemble des métiers et pas
seulement à ceux du spectacle ;
5. l'approche de la rémunération par mutualisation et non par individualisation.

Néanmoins, la proposition d'un Pacte d'activité contributive se distingue fondamentalement de celle


de la généralisation du statut d'intermittent en ce qu'elle prend pour point d'appui la reconnaissance
et la valorisation des temps d'activité contributive et non des temps d'emploi.
L'intermittence ne remet pas en cause le principe du "travail comme activité princeps", c'est-à-dire le
fait que ce soit l'activité marchande qui justifie l'accès aux ressources. Elle n'apporte pas une
reconnaissance et une valorisation de l'importance vitale des activités contributives.
On peut toutefois s'enrichir de l'expérience de cette enquête de 2003 et noter deux choses : les médias
n'ont pas relayé leurs propositions chiffrées et réalistes et les syndicats ne se sont pas sentis concernés
par cette vision qui actait la fin du CDI comme modèle d'accès aux ressources alors qu'ils construisaient
toutes leurs revendications autour d'une trajectoire continue auprès d'un employeur unique. 20 ans
après, avec dans notre histoire la poursuite de la raréfaction du travail dans une société de plus en plus
automatisée, l'explosion des emplois précaires, une crise des subprimes et une crise de la Covid, avons-
nous atteint la maturité pour entendre que les anciens modèles ne fonctionnent plus de manière
absolue et généralisée ? Qu'ils ne peuvent plus constituer la seule norme ni le seul levier d'accès aux
droits et aux ressources ?

Revenu d'activité contributive vs Pacte d'activité contributive


Cette vision d'une généralisation du modèle de l'intermittence nourrit la proposition de Bernard
Stiegler1 d'un revenu contributif. Le revenu contributif est un droit conditionnel, qui s'ajoute à la base
du revenu universel. Il valorise les "externalités positives" de nos actions, c'est-à-dire l'impact social
positif de nos temps d'activités hors travail/emploi, et notamment "tout ce qui contribue à nos savoirs
sous toutes leurs formes".
Une expérimentation a été lancée en 2016 à Plaine Commune où des jeunes à partir de seize ans ont
été rémunérés pour "avoir les moyens de développer leur capacités, d'acquérir et de transmettre des
savoirs sous des formes multiples". L'objectif de cette expérimentation et du revenu contributif est
d'installer une "rationalité nouvelle, s'appuyant sur le désir d’apprendre et de transmettre de chacun",
de contrer notre société d'ubérisation, de sortir du modèle consumériste destructeur et d'amorcer un
processus qui stoppe l'entropie de l'anthropocène (les effets dévastateurs de l'activité productrice et
consumériste humaine) ou processus néguentropique.

1
Stiegler & Kyriou, (2016)

37
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Bernard Stiegler, dans sa proposition d'un revenu contributif, défend le développement des
capabilités, ces aptitudes qui permettent d'agir, et souhaite contrer la dévastation qu'entraîne
l'automatisation sur les emplois.
On peut constater de nombreux points communs entre la proposition de Bernard Stiegler et la nôtre,
pour commencer la centralité de l'activité contributive, la proposition d'instaurer des droits
conditionnels, mais aussi la volonté de développer les capabilités, de reconnaître les talents de
chacun, d'apporter une solution à la disparition des emplois, de résister à cette automatisation et
ubérisation générales.
Toutefois, il existe trois distinctions fondamentales :
1. Bernard Stiegler écarte la mesure là où nous la revendiquons comme étant la condition de
l'acceptabilité par notre système de rationalité comptable et comme étant le moyen de transformer
la programmatique de cette rationalité comptable. Pour nous, la mesure est un fait constitutif de notre
époque et au lieu de lutter contre il faut agir pour la mettre au service de la transition, donc lui donner
d'autres "outils de vision" du réel, d'autres récits et bases théoriques1.
2. Le revenu d'activité contributive repose sur des droits rechargeables, comme l'intermittence du
spectacle. Le Pacte d'activité contributive repose sur des droits a priori. Les droits a priori sont ouverts
d'emblée dès la signature du Pacte et sont confirmés par la déclaration de l'activité sur une période
d'un an. Les droits ne sont donc pas rechargés mais confirmés.
3. Alors que le moteur de l'activité contributive tel que nous le concevons est l'oïkéiosis, une extension
du soin de soi au soin à l'autre, au vivant, au monde, Bernard Stiegler met en avant la notion d'otium,
ce temps de développement de soi. C'est un détail, certes. Néanmoins il peut avoir de fortes
conséquences sur la définition de ce qui constitue une activité contributive apte à "recharger" des
droits. Il y a entre les deux une différence de focale : moi ou l'autre. On peut bien évidemment défendre
l'idée que l'otium précède l'oïkéiosis, un peu comme dans cette métaphore rabattue de l'avion en
dépressurisation " il faut mettre le masque à oxygène sur soi avant de le mettre sur son enfant". On
peut aussi arrêter de placer l'individu au centre et le resituer toujours dans son lien aux autres.
Précisons d'ailleurs que les indicateurs proposés par la plateforme contributive.org, dans leur
paramétrage actuel avant mise en débat, prennent en compte les temps d'otium. En effet, une activité
contributive à plein temps = 115 jours d'activité, soit 2,5 jours par semaine d'activité (soit 46 semaines
comme le temps de travail). Mais rien n'empêche d'étendre cet otium, sous certaines conditions à
définir, aux jours d'activité contributive déclarés eux-mêmes.
4. Notre proposition est technique, applicable à grande échelle, disponible et compatible avec le
monde tel qu'il existe. Nous apportons des outils qui rendent possible dès à présent la mise en visibilité,
la narration, la constatation et le suivi des effets de l'activité contributives. Ces outils sont de deux
sortes : techniques et méthodologiques.
Au niveau technique, nous avons développé une plateforme de valorisation et d'intermédiation de
l'activité contributive, la plateforme contributive.org.
Au niveau méthodologique, nous proposons de nouveaux types d'indicateurs liés au développement
des compétences, au partage des expériences et à l'estimation personnelle de ses différents temps et
formes d'activité contributive. La notion d'estimation personnelle signifie que le contributeur estime
lui-même le temps qu'il consacre à l'activité contributive, sur la base du Pacte de confiance que
constitue le Pacte d'activité contributive.

1
Carole Lipsyc (2018b)

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Nous sommes convaincus que, si ce genre de plateforme n'est pas développée de manière citoyenne
et collective, au service du développement d'une société de la contribution, du commun et de
l'entraide, elle sera développée par un géant du numérique au service de la tâcheronnisation et de la
marchandisation du quotidien, à son propre profit.
Voulons-nous vraiment que l'action sociale soit ubérisée ? Ou bien au contraire voulons-nous
concurrencer les techniques d'intermédiation au service du collectif et du bien commun, au service de
l'oïkéiosis.
Salaire à vie vs Pacte d'activité contributive
Une autre proposition doit être détaillée dans ce panorama, celle du "salaire à vie" ou "salaire à la
qualification" ou encore "salaire universel" de l'économiste et sociologue Bernard Friot1.

Cette proposition s'articule sur quatre points :


1. Tout d'abord, comme le précise Friot, il s'agit d'un "salaire" et non d'un "revenu", c'est-à-dire d'une
rémunération qui reconnaît que "tout le monde est capable de contribuer au bien commun et de
contribuer à la production, en particulier, de valeur économique".
2. Deuxièmement, cette rémunération est liée à la personne et non à son poste de travail, son emploi.
Pour Friot, cela permet d'inclure des "travaux que nous estimons nécessaires et que nous menons
parce que nous sommes titulaires d'un salaire", alors que sans ce salaire, nous n'aurions pas la
possibilité de les mener. Friot donne l'exemple du fonctionnaire dont le salaire n'est pas lié au poste
mais au grade, à son niveau de qualification.
La qualification est un terme qui a été inventé au XIXe siècle, à l'initiative syndicale" pour "reconnaître
que l'on produit de la valeur économique". Elle se distingue de la certification ou de la diplomation.
3. Comme ce salaire est lié à la qualification, à la possibilité d'agir, il n'est pas octroyé à tous
inconditionnellement mais il est déclenché à un certain âge, par exemple la "majorité politique".
4. Le salaire à qualification est un outil qui, selon lui, doit permettre aux travailleurs de récupérer la
propriété de l'outil de travail, la fin de la spoliation de la survaleur créée par le travailleur au bénéficie
des détenteurs du capital.
Friot positionne donc le salaire à qualification dans une ligne marxiste traditionnelle de lutte des
classes.
Ce n'est absolument pas la posture de la proposition de {contributive}.
D'une part, nous ne revendiquons aucune lutte mais nous nous réclamons de l'action. Par ailleurs
nous ne partageons absolument pas cette vision du capitalisme comme une spoliation du travail dit
"vivant" du travailleur.
Nous reconnaissons l'existence d'une "propriété sociale" correspondant à l'apport immatériel ou
invisible (invisibilisé) du collectif. Nous souhaitons la rendre visible, incontestable, protégée et
rétribuée. Nous estimons qu'elle doit être dissociée de la question du travail/de l'emploi.
Dans le monde du travail et de l'entreprise, d'autres mesures doivent être mises en place pour rendre
visible et intégrer aux chiffres, donc aux arbitrages, les effets et impacts de la production, de la
gouvernance, de la coopération/non coopération avec les territoires et le commun. Mais c'est un autre
sujet. Nous les distinguons2.

1
Thinkerview (2018)
2
Ce sujet de la mesure de l'impact social et immatériel des organisations est porté par l'entreprise INGIES, sa
technologie SkillMill et sa méthodologie Dassets, dans son offre commerciale. INGIES est à l'initiative du projet
{contributive} et a mis la technologie SKillMill au service de l'enquête {contributive}.

39
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Monnaies alternatives vs Pacte d'activité contributive


Un dernier point doit être abordé, celui des monnaies alternatives.
Celles-ci naissent dans des collectifs, en vue de permettre des échanges en dehors du système
marchand dominant.
Jérôme Blanc, spécialiste de la monnaie, les classe en 7 familles1 : Crédit mutuel généraliste orienté
vers les particuliers, Crédit mutuel entre particuliers pour services en base temps, Monnaie locale
inconvertible et forfaitaire, Monnaie locale convertible, Monnaie de récompense de gestes vertueux,
Crédit mutuel interentreprises et cryptomonnaies.
Elles ont toutes néanmoins un point qui les définissent en tant que monnaies alternatives : elles sont
alternatives. Elles créent des circuits parallèles et complémentaires au système commun. Parfois avec
une convertibilité, parfois non.
Résolument et absolument, nous refusons que l'activité contributive soit reléguée à un monde
parallèle, secondaire, différent, créant une marginalité. Il nous paraît essentiel de la situer au même
niveau que le reste de la production du monde. Le cas échéant, même avec une convertibilité, les
contributeurs signataires du Pacte d'activité contributive deviendraient un autre type de citoyen,
marqué par la frontière de la monnaie à laquelle il a accès.
Toutefois, on pourrait imaginer une complémentarité entre monnaie alternative et Pacte d'activité
contributive, en particulier pour rétribuer les personnes qui ne souscrivent pas au Pacte, soit parce
qu'elles n'en ont pas besoin (elles ont suffisamment de revenus), soit parce qu'elles n'en ont pas envie
(elles tiennent au bénévolat), soit parce que leur activité n'entre pas dans les critères définis par le
Pacte.
Divers niveaux de rétributions pourraient être instaurés : le paiement d'un salaire en euros dans le
cadre du Pacte, une banque d'échange de temps pour les personnes hors Pacte, des récompenses de
gestes vertueux octroyés sous forme de cadeaux par des partenaires, une portabilité de droits par
blockchain (forme de cryptomonnaie) pour se faire rétribuer par des collectifs qui reconnaissent ce qui
sort du Pacte (par exemple une activité politique ou religieuse).

1
Blanc (2018)

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Annexe 2 : Les indicateurs construits par la plateforme contributive.org

La V0 de la plateforme contributive.org propose les indicateurs suivants. Ces indicateurs sont ceux que propose par défaut la solution SkillMill by Ingies,
solution socle de la plateforme.
Nom Forme Localisation Objet Mode de calcul
Empreinte profil Une rosace Pilotage Montre l’intensité de 1. On rapporte les points obtenus par 1 compétence par rapport au total
Accueil book sollicitation des des points gagnés. On obtient un pourcentage.
Bio compétences contributives. 2. Ce pourcentage est ramené à une grille des intensités qui définit des
Vignette du membre seuils.
Elle dessine le profil du
contributeur, en montrant Les seuils sont les suivants :
quelles compétences il met Rare = <10% des points gagnés
en œuvre le plus souvent. Occasionnelle = Entre 10 et 20 %
Régulière = entre 20 et 30%
Importante = entre 30 et 60 %
Intensive = > 60%

Utilise l’intégralité des points d’une action à sa création, pas le nombre


de points après évaluation.
Statut du Un nom Pilotage Montre le temps consacré à On s’appuie sur la grille suivante pour déterminer le statut.
contributeur Vignette du membre l’activité contributive
Accueil book Le statut maximal a été déterminé en partant du principe qu’un
contributeur dédié consacre 2,5 jours d’activité par semaine d’activité.
La semaine d’activité n’est pas la semaine calendaire. Elle est alignée sur
la semaine de travail selon les lois françaises, soit 46 semaines/an.

Une demi-journée d’activité rapporte 100 points.

Utilise l’intégralité des points d’une action à sa création, pas le nombre


de points après évaluation.

Statut Nb jours/an Nb de points


Coopérant < 12 jours/an 0 - 2399
Volontaire 12 à 35 jours/an 2400 - 7199

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Impliqué 36 à 68 jours/an 7200 - 13799


Investi 69 à 114 jours/an 13800 - 22999
Dédié  115 jours/an  23000
Empreinte niveau Barres de Pilotage Montre le niveau atteint par 1. On calcule les points obtenus par 1 compétence.
progression compétence. 2. La courbe de pointification est calculée en fonction :
• Du nombre de jours d’activités qui déclenchent le statut le
Le principe retenu est que, plus élevé de contribution (115 jours par an, soit 23000
plus une compétence est points)
sollicitée avec conscience et • Du nombre de compétences
attention, plus elle se • D’une courbe d’évolution engageante, cad avec des distances
développe. croissantes entre les niveaux
• Des objectifs de développement suivants : 1 novice, 1
expérimentée, 2 opérationnelles et 2 confirmées

Utilise les points obtenus après l’évaluation.

niveau Nombres de points Nombre de jours


requis
Sensibilisé 0 0
Novice 400 2
Opérationnel 1600 6
Confirmé 4400 14
Expérimenté 10000 28
Attestation Pourcentage Pilotage Montre le nombre de points Pourcentage du nombre de points remportés par des actions qui ont
Vignette membre remportés par des actions reçu un avis par l’intermédiaire d’un formulaire d’évaluation / le nombre
Accueil book dont la réalité a été attestée de points total.
Bio par un témoin ou un
bénéficiaire Utilise les points obtenus après l’évaluation.

Vues book Nombre Pilotage Indique le nombre de fois


que le profil a été consulté
Evolution des vues Pourcentage Pilotage Indique l’évolution de la
books consultation du profil par
rapport au mois (glissant)
précédent

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Il existe dans la solution SkillMill deux autres indicateurs que nous n’avons pas actionné dans la V0 car il requiert l’intervention d’un tiers de confiance et la
notion de tiers de confiance n’a pas encore été définie dans le projet.

Nom Forme Localisation Objet Mode de calcul


Labellisation Pourcentage Pilotage Montre le nombre de points Pourcentage du nombre de points remportés par des actions qui ont
Vignette membre remportés par des actions reçu l’avis d’un tiers de confiance par l’intermédiaire d’un formulaire
Accueil book dont la réalité a été attestée d’évaluation / le nombre de points total.
Bio par un tiers de confiance
Utilise les points obtenus après l’évaluation.

Capitalisation Un nombre Pilotage Montre à quel point le Se calcule à partir


ou des étoiles Vignette membre membre est investi dans le • du nombre d’actions et de projets publiés
Accueil book partage de connaissance • du nombre de chapitres publiés
Bio • du taux de remplissage du profil
• du nombre de fois où ses chapitres remontent dans le moteur
de recherche
• du nombre d’actions publiés qui ont permis de construire des
actions du répertoire
• des réactions des membres à ses publications, à partir des
propositions « m’a été utile, m’a appris quelque chose, m’a
donné une idée de contribution »
• du % d’articles ayant obtenu une réaction

Implication Un nombre Pilotage Montre à quel point le Se calcule à partir
ou des étoiles Vignette membre membre est investi dans la • de l’indicateur capitalisation
Accueil book communauté de • du nombre de recherches dans le moteur
Bio contributive.org • du % de réactions aux publication des autres p/r aux
consultations effectuées
Impact Un nombre Pilotage Montre à quel point les Se calcule à partir des évaluations, à partir de seuils
ou des étoiles Vignette membre actions du membre ont été • 0 à 30 % des points attribuables
ou un nom Accueil book appréciées par les • 31 à 50 % des points attribuables
Bio bénéficiaires et témoins • 51 à 70 % des points attribuables
• 70 à 85 % des points attribuables
• 85 à 100 % des points attribuables
• Bonus

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