D ossier
Dossier
Organisation de l’accouchement gémellaire
Twin delivery planning
» D.-E. Broche, R. Maillet, D. Riethmuller*
L
a naissance de jumeaux reste une situation angoissante
pour toute équipe obstétricale. L’obstétricien se trouve
rapidement confronté au dilemme de la voie d’accou-
chement :
Un accouchement par voie basse de deux enfants souvent
fragiles, en présentation volontiers non céphalique, et avec un
utérus plus propice aux dystocies dynamiques par distension
utérine.
Une césarienne pouvant être techniquement difficile, et à
l’origine d’une cicatrice utérine plus fragile sur des segments
inférieurs peu formés.
À l’heure actuelle, les grossesses gémellaires représentent
entre 1,5 % et 2 % des gestations (source Audipog) (1), et sont
responsables de 10 % de la mortalité périnatale à cause de la
prématurité, des retards de croissance intra-utérins, mais aussi
des complications de l’accouchement ; 40 % des accouchements
surviennent dans un contexte de prématurité, dont 15 % de
grande prématurité.
L’organisation de l’accouchement des grossesses gémellaires passe
donc en premier lieu par le choix du mode d’accouchement.
Certaines indications de césariennes sont incontournables :
Césarienne prophylactique dans le cadre de :
– présentation transversale du premier jumeau ;
– pathologie gestationnelle associée ;
– placenta praevia.
Césarienne en cours de travail dans le cadre d’une :
– survenue d’une souffrance fœtale ;
– dystocie dynamique irréductible.
Certaines indications, en revanche, font l’objet de controverses,
et les données de la littérature ne permettent pas d’y répondre
de manière formelle :
– utérus cicatriciel ;
– présentation en siège du premier jumeau ;
– prématurité (avant 32 SA) ;
– hypotrophie sévère d’un ou des deux jumeaux.
En 2000, le Collège National des Gynécologues Obstétriciens
Français a publié des recommandations pour la pratique clini-
que (2) (NP4). La voie basse était recommandée si J1 était en
présentation céphalique et quelle que soit la présentation de
J2. De même, si J1 était en siège avec un poids estimé supé-
rieur à 1500 g, la voie basse était envisagée. En revanche, aucune
recommandation sur la voie d’accouchement ne pouvait être faite,
devant les données de la littérature, concernant les cas où :
– J1 était en siège avec un poids estimé inférieur à 1 500 g ;
* Clinique universitaire de gynécologie obstétrique, 2, place Saint-Jacques, 25030 Besançon
Cedex.
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– J1 était en présentation céphalique et J2 en présentation
non céphalique avec un poids estimé inférieur à 1 500 g.
Par conséquent, il est admis que l’accouchement des jumeaux
en présentation céphalique se passe par les voies naturelles. En
revanche, il n’y a pas de consensus sur l’accouchement lorsque
l’un des jumeaux n’est pas en présentation céphalique, ce qui
se produit dans environ 60 % des cas.
Une publication de l’équipe d’Hannah (3) en 2003 sur les gros-
sesses gémellaires, à partir d’une méta-analyse, concluait essen-
tiellement que la césarienne programmée n’était bénéfique que
lorsque J1 était en présentation du siège. Dans les autres cas,
le bénéfice n’était pas évident comparé au risque de détresse
respiratoire. En 2003, en France, 72% de césariennes prophylac-
tiques ont été réalisés dans le cas où J1 était en présentation du
siège (1), quel que soit le poids estimé du fœtus. Nul doute que
les effets de l’étude d’Hannah (4) sur le siège singleton, qui ont
conduit notamment à une augmentation importante du taux de
césariennes pour cette présentation, aient débordé le cadre de
la grossesse monofœtale pour empiéter sur celui des grossesses
gémellaires. Mais la remise en cause des conclusions de cette
étude doit sans doute conduire à beaucoup plus de modération
sur cette indication de césarienne.
Notre expérience locale nous conduit à considérer l’accouche-
ment par voie basse de J1 en siège comme envisageable après la
réalisation d’un pelvi-scanner avec les mêmes critères que pour
une grossesse monofœtale en présentation podalique. Nous
avons néanmoins des contre-indications à la voie basse :
– les grossesses monoamniotiques avec J2 en présentation
céphalique, par risque d’accrochage des mentons ;
– l’étude de séries locales a montré un taux important de césa-
riennes en cours de travail chez les patientes primipares avec J1
en siège. Nous proposons donc une césarienne prophylactique
à nos patientes dans ce cas-là.
Par ailleurs, la présentation de J2 non céphalique semble être
une excellente indication de version (interne), grande extraction
du siège (à membranes intactes ?). Les avantages de cette prise
en charge sont :
– de diminuer le délai d’accouchement entre J1 et J2. On sait que
le risque d’acidose serait maximal (27 %) au-delà de 30 minutes
entre J1 et J2 (5) ;
– d’éviter la rétraction cervicale qui, elle-même, est facteur de
césarienne sur J2 (cette césarienne cumulant tous les risques,
y compris pour la mère) ;
– enfin, cette attitude permet d’entretenir l’enseignement de
la pratique obstétricale en cas de présentation du siège à nos
internes (10 % des sièges naissent de façon inopinée et il faut
savoir réagir dans cette situation).
La Lettre du Gynécologue - n° 316 - novembre 2006
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Il faut d’ailleurs savoir que certaines équipes prônent même
la version interne, grande extraction dans le cas où J2 est en
présentation céphalique.
De nombreuses publications conseillent la césarienne systéma-
tique en cas de grossesse gémellaire monoamniotique (6). En
effet, la morbi-mortalité néonatale, le risque d’accrochage des
mentons, de complication funiculaire et de difficulté à réaliser
des manœuvres internes, faute d’une poche des eaux intacte, y
seraient plus fréquents. Néanmoins, sur une série locale, durant
la période 1995 à 2003, nous avons colligé trois grossesses mono-
choriales monoamniotiques. Toutes les trois ont accouché par
voie basse sans complications particulières. Ces résultats sont
confortés par d’autres études qui ne retrouvent pas d’augmen-
tation de la mortalité dans ce cas de figure (7, 8).
La présentation spécifique de J1 en siège et de J2 en céphalique peut
conduire à l’accident gravissime qu’est l’accrochage des mentons.
La littérature est formelle sur l’indication de césarienne prophylac-
tique dans le cadre des grossesses monoamniotiques (9), mais la
conduite à tenir est beaucoup moins claire si l’on est confronté à une
grossesse biamniotique. Notre expérience personnelle, fondée sur
des résultats locaux, nous conduit souvent à envisager la voie basse
comme possible, notamment chez les patientes multipares.
Déterminer la meilleure voie d’accouchement est donc le pro-
blème majeur de l’accouchement des grossesses gémellaires,
et dans nombre de situations, les données de la littérature ne
nous apportent pas de réponse claire. Il faut préciser que si
la présentation de J1 est le plus souvent le déterminant de la
voie d’accouchement, c’est l’extraction de J2 qui est réellement
problématique et à risque. En effet, en plus du problème que
peut représenter l’extraction de ce deuxième fœtus souvent en
présentation non céphalique, l’intervalle entre l’accouchement
de J1 et de J2 et l’existence d’une différence majeure entre les
deux poids doivent être pris en compte. Une étude américaine en
2005 portant sur plus de 340 000 accouchements de grossesses
gémellaires (10) concluait qu’une différence de poids de plus de
40 % entre les deux jumeaux était à risque de surmortalité, et
que ce risque diminuait en cas de césarienne programmée. Cette
même étude retrouvait une augmentation de la morbidité de J2,
lorsque l’intervalle entre J1 et J2 passait de moins de 15 minutes
à un délai compris entre 15 à 30 minutes. Cette dégradation de
l’état de J2 par apport à J1 s’explique par une augmentation de
l’acidémie fœtale de J2, proportionnelle à la durée de l’intervalle
entre les deux accouchements. Certaines équipes ont donc une
politique de prise en charge de J2 très active (notamment de
grande extraction ± version) afin de diminuer cet intervalle, et par
conséquent d’améliorer les résultats des pH fœtaux (5). L’extraction
de J2 a lieu ainsi dans les meilleures conditions materno-fœtales
possibles (utérus détendu, col non spasmé, poche des eaux intacte,
pH fœtal maximal…). Cela permettrait aussi de diminuer le ris-
que de réalisation d’une césarienne en urgence sur J2. Ce type de
césarienne cumule en effet tous les inconvénients : réalisation en
urgence, risque infectieux majeur, risques hémorragiques, difficultés
d’extraction, résultats fœtaux déplorables.
Il convient enfin d’accorder un instant au problème du déclen-
chement des grossesses gémellaires. Le terme jugé comme
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acceptable pour une grossesse gémellaire par les données de
la littérature est de 38 SA (11). On peut donc estimer qu’après
39 SA, voire 38 SA (12), et en l’absence de mise en travail spon-
tané, un déclenchement du travail est envisageable, en raison de
l’augmentation du risque de mort fœtale in utero. Peu d’études
statistiquement significatives viennent nous renseigner au sujet
des thérapeutiques à employer. Le déclenchement par ocytoci-
ques semble tout à fait envisageable, de même que l’utilisation
de prostaglandines sous forme de gel, mais qui doivent être
prescrits de manière plus prudente (absence d’A MM, risque
supérieur d’hypertonie, de rupture utérine).
Quelle que soit la voie d’accouchement choisie, il est évident
que celui-ci doit survenir avec une équipe médicale complète,
et présente au moment de l’accouchement : obstétricien, sage-
femme, anesthésiste et pédiatres. L’environnement technique
doit permettre la réalisation d’une césarienne dans les plus brefs
délais lorsqu’une tentative de voie basse est acceptée, ce qui nous
conduit à conseiller la réalisation de ces accouchements direc-
tement dans une salle de césarienne. De même, il est nécessaire
pour l’obstétricien de maîtriser les manœuvres obstétricales
propres à l’extraction de présentations non céphaliques, et par
conséquent leur enseignement doit être largement diffusé. N
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