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Jacques BROSSIER
Économiste, INRA-SAD, 26, bd Docteur-Petitjean, 21100 Dijon
ABSTRACT
The concept of farrning system is an essential concept for the agricultural economists.
Which are the relationships between farming system. “système de production “, system
modeling and theory ? The author brieflv recalls the origins of these three currents. He stresses
the scien@c renewal proposed by system modeling and its interest to study the African
farming systems.
KEY WORD~ : Farming systems - System modeling and theory - Sahel - West Africa.
En France, l’Économie Rurale est surtout née dans les grandes écoles
d’ingénieurs pour l’agriculture. C’est là qu’elle y est surtout enseignée. C’est dire
le poids de la tradition agronomique dans l’émergence de cette discipline
(M. PETIT, 1986). Depuis ses origines, le concept de système de production y tient
une place essentielle. Par ailleurs, comme le note C. REBOUL (1976) «si la
pratique des systèmes de culture et d’élevage est aussi ancienne, par délktion
même, que celle de l’agriculture et de l’élevage, l’expression apparait au
XIX~ siècle dans les travaux des agronomes ». C’est GASPAFUN (Professeur à
I’INA) qui aurait utilisé le premier, dans ses écrits, le terme de «système de
culture » (GASPARIN, 1845).
Aujourd’hui, il y a, appliqués à l’agriculture, beaucoup de concepts reposant
sur celui de système : système de culture, système d’élevage, système de
production, système d’exploitation, système d’agriculture. Ces termes sont-ils
équivalents, concurrents ou complémentaires ? Ils sont par ailleurs aussi bien
employés par les économistes et agronomes dans leurs disciplines, que dans le
langage courant des agriculteurs et des conseillers. Les économistes ruraux ont
depuis quelques années essayé de préciser ces termes. En 1958, MALASSIS souligne
la difficulté pour les économistes ruraux de s’entendre entre eux et avec les
agronomes. Pour le concept de système de production, par gxemple. on peut
trouver aujourd’hui trois catégories de définitions utilisées en Economie Rurale.
1. Un premier type de définition se rapporte à l’exploitation agricole, il est
centré sur la gestion (micro-économie). Pour CHOMBART de LAUWE et POITEVIN
dans leur ouvrage classique sur la gestion de l’exploitation agricole (1957), «le
système de production est la combinaison des facteurs de production et des
productions dans l’exploitation agricole », l’exploitation étant définie comme
l’unité «dans laquelle l’agriculteur pratique un système de production en vue
d’augmenter son profit». On parle alors du système de production de tel ou tel
agriculteur. ou du choix d’un système de production en vue d’augmenter son
profit ».
2. Une autre conception, externe à l’exploitation, insiste sur le caractère
social, sur la stabilité et les changements des systèmes de production selon divers
critères. On parlera par exemple de la diversité des systèmes de production
(typologie). Ainsi pour C. REBOUL, «un système de production agricole est un
mode de combinaison entre terre, forces et moyens de travail à des fins de
production végétale et/ou animale, conimun à un ensemble d’exploitations. Un
système de production est caractérisé ici par la nature des productions, de la force
de travail (qualification) et des moyens de travail mis en œuvre et par leurs
proportions » (1976).
Dans la même direction, en élargissant encore le concept, G. ALLAIRE et
M. BLANC, ont défini un «système social de production». Pour eux, au sein
d’une exploitation agricole, plusieurs processus de production sont souvent
juxtaposés selon «une certaine cohérence technico-économique ». « Ce phénomè-
ne est généralement désigné sous le terme de ‘ système de production ‘. Pour notre
part, nous adopterons le vocable de ‘système élémentaire de production’ pour
l’opposer à celui de ‘système social de production’. Le ‘système social de
production ’ désigne les rapports concrets spécifiques qui s’établissent entre les
agents et des unités économiques déterminées ... Ces systèmes ont généralement
‘ une existence localement spécifiée ’ » (ALLAIRE, BLANC, 1979). L’articulation de
ce concept avec celui de ((couches sociales)) permet à M. BLANC et G. ALLAIRE
d’expliquer les conflits, coopérations et contradictions au sein de l’agriculture
dans une région donnée.
Dans ces deux types de détition, soit centrée sur la gestion soit insistant sur
la dimension «sociale», le système de production est le résultat de plusieurs
combinaisons et se rapporte à l’ensemble de l’exploitation : un agencement
particulier des facteurs de production, des choix techniques, une combinaison des
productions.
3. Le professeur BADOUIN (1987) préfère utiliser une batterie de concepts
qui s’emboîtent entre eux. Il réserve le terme système de culture et d’élevage à la
combinaison des spéculations. Il utilise celui de système de production pour
l’emploi des ressources productives (ou facteurs de production), et leur
répartition. Quant au système d’exploitation, défini par le mode de fonctionne-
ment des unités, il se rapporte aux formes de propriété ou d’usage des facteurs de
production (exemple : exploitation individuelle, utilisation de salariés, formes
d’organisation du travail, type de commercialisation) et aussi à la manière dont
sont répartis les produits du travail (niveau d’autoconsommation, parts
respectives des investissements et de la rémunération du travail ...).
Cette distinction peut être utile spécialement à des fins d’enseignement pour
bien repérer les différents éléments. Cette clarté est reconnue par Ph. COUT~
(1987). Peut-être, mais il reste que le concept le plus intéressant, dans une
perspective de compréhension (analyse) et d’action (développement), est celui qui
relie facteurs et production, ce que BADOUIN appelle système productif
(interdépendance entre les systèmes de culture, de production et d’exploitation) et
ce que les économistes ruraux liés aux écoles d’agriculture et à l’INRA appellent
plutôt système de production.
MAZOYER (1985) propose aussi tout un ensemble de concepts emboîtés : «Il
nous paraît judicieux de désigner par le terme générique de ‘ systèmes agricoles ‘,
l’ensemble des notions et concepts par lesquels on prétend appréhender les
processus de production agricole, leurs transformations et leurs variations ...
Nous retiendrons par ordre d’extension croissant :
- opération technique,
- itinéraire technique,
- système de culture et d’élevage,
- système de production,
- système agraire. »
Il retient lui aussi une définition large pour système de production reliant
facteurs et produits.
On l’a déjà dit, le concept est utilisé soit à usage interne (gestion) soit à usage
externe (dimension «sociale»). Dans la perspective de gestion et d’analyse de
fonctionnement interne, il faut identifier et relier des sous-ensembles (système
cultural, système fourrager, système d’alimentation, système d’élevage ...) pour
lesquels on associe toujours facteurs et produits (1). Ainsi avec SEBILLOTTE
(1970, on peut définir le système cultural «comme un ensemble d’itinéraires
techmques, c’est-à-dire des successions ordonnées et datées de techniques et de
pratiques culturales appliquées à des espècesvégétales cultivées en vue d’obtenir
des produits vendus ou cédés». Ce que l’on privilégie c’est l’analyse des décisions
pour en comprendre les mécanismes et en améliorer l’efficacité.
Si on se situe dans la perspective d’analyse globale et sociale, le concept de
système de production devient un outil d’analyse des exploitations agricoles.
Comme les auteurs de l’essai de bilan des travaux du département Économie et
Sociologie Rurales de l’INRA (AUBERT et al., 1985) l’indiquent : « on ne travaille
guère ‘sur ’ les systèmes de production, sinon dans une étape préalable de l’étude
pour les recenser et les décrire. On travaille plus souvent ‘ à l’aide’ ou ‘ à partir’
des systèmes de production pour savoir, par exemple, comment se transforme
l’agriculture, comme se forme le revenu, quelle est l’efficacité comparée des
systèmes » . . .. comment se détermine l’offre des produits (2). Dans ce dernier cas,
la démarche renvoie à l’approche classique de la théorie de la production.
Cet outil d’analyse, à l’articulation entre la micro-économie et la macro-
économie, est construit à partir de méthodologies qui mettent l’accent soit sur les
monographies soit sur les enquêtes statistiques dans un but d’analyse globale de
l’évolution de l’agriculture.
Les typologies et classifications sont un des moyens d’apprécier la diversité et
la dynamique des systèmes de production. De nombreuses typologies ont été
proposées pour l’agriculture. Certaines reposent, comme les OTE et OTEX (3) de
la CEE, sur la combinaison des productions, d’autres cherchent à s’appuyer sur
des données plus permanentes, plus stables (critères de structure) (4). Elles
s’appuient souvent sur les données statistiques (Recensement Général de
l’Agriculture) ... Comme l’écrit LABOUESSE(1986) «les avantages aussi bien que
les limites de l’approche statistique sont liés à l’acceptation taxinomique de la
notion de système de production qui lui est inhérente».
«En fait cette acceptation fait l’abstraction d’un aspect désigné dans
l’expression même de système de production, celui de ‘ système ‘. Il signifie que les
combinaisons observées ne résultent pas d’une simple juxtaposition combinatoire
de facteurs ou de spéculations, mais qu’il existe des effets synergiques
sélectionnant, en fonction du contexte, certaines combinaisons et pas d’autres. Il
signifie surtout qu’il existe un foncttonnement interne mettant en relation les
éléments composant le système et déterminant notamment ses réactions vis-à-vis
soit de modifications de ces éléments soit de stimuli extérieurs, ou encore
déterminant ses propres transformations structurelles sous l’effet de divers
facteurs ou événements.
C’est pourquoi on peut dire que cette dernière façon d’envisager un système
de production est plus complète et plus fidèle à la définition choisie, que celle qui
convient aux études de nature statistique. La connaissance des mécanismes de
fonctionnement permet de comprendre ou de prévoir de manière beaucoup plus
fine les réactions des systèmes observés et leur évolution. Mais son acquisition
repose sur l’analyse d’échantillons réduits, sur des approches en partie
monographiques, donc peu représentatives, biaisées, particulières ...
Elle n’est pas contradictoire avec la démarche statistique, mais plutôt
complémentaire, dans la mesure où elle peut informer celle-ci sur des mécanismes
et des relations qui lui sont inaccessibles. A l’inverse l’analyse du fonctionnement
des systèmes de production débouche sur des résultats plus intéressants si une
investigation statistique peut situer l’importance ou le degré de généralité des
phénomènes qu’elle met en évidence)) (LABOUESSE,1986).
D’un point de vue global, l’étude des systèmes de production a été
récemment associée à celle du productivisme, de l’intensification, des modèles
dominants, à «l’agriculture autonome et économe ». Cela pose le problème de la
mesure de l’efficacité des systèmes de production. Plusieurs critères et plusieurs
indicateurs peuvent être utilisés pour cela : mesure de la productivité des facteurs
de production ; on parlera aussi de niveaux d’intensification. Ces termes sont
souvent confondus, il me semble qu’il est utile d’en préciser le sens (5).
Intensif et intensification sont souvent utilisés en agriculture, ces mots ne
renvoient pas à une seule mais à deux questions différentes, reliées entre elles. Il
en résulte de nombreux imbroglios qu’il convient de clarilïer. Ces notions sont
définies en agriculture en référence à l’usage que l’on fait de la terre, facteur de
production non reproductible et le plus souvent disponible en quantité limitée.
La première conception est souveut présentée par les agronomes, plutôt
biologistes, qui s’intéressent au volume de la production agricole. Une agriculture
sera alors dite intensive lorsque le volume de production par hectare est élevé, que
ce soit parce que cette agriculture emploie beaucoup d’autres ressources (travail
et capital) par hectare ou parce qu’elle fait un usage efficace des ressources qu’elle
emploie, en particulier grâce à un bon niveau technique. La deuxième conception,
d’origine plutôt économique, porte sur la combinaison des facteurs de production
employée, une agriculture sera dite intensive si elle emploie beaucoup de
ressources par hectare, que ce soit le travail («labour intensive » en anglais) ou le
capital (« capital intensive >>).En général biologistes et économistes s’accordent
pour dire qu’une agriculture donnée est intensive (par exemple la riziculture à
Java) parce que, en général, l’accroissement des quantités de travail et de capital
employées par hectare entraîne aussi un accroissement de la production par
hectare qui est le critère d’intensité pour les techniciens et que les économistes
appellent la productivité de la terre (Production totale/quantité de facteur de
production). Notons que les deux conceptions font référence à une norme ou à
une situation moyenne trop souvent implicite.
Ces concepts jouent un rôle important dans l’analyse des transformations de
l’agriculture car ils permettent des comparaisons dans le temps et dans l’espace,
comparaisons «expliquant » les différences dans le choix des techniques et des
productions agricoles. Toutefois, il convient de garder les distinctions faites ci-
dessus présentes à l’esprit. En particulier, lorsque l’on parle d’un processus
d’intensification, il faudrait éviter d’utiliser ce terme comme synonyme de
modernisation ou d’adoption du progrès technique (expressions souvent chargées
de valeur) et de plus, il serait souhaitable de distinguer l’intensification par le
travail et l’intensification par le capital.
En fait le concept d’intensif est sans doute à éviter dans les situations où le
facteur limitant n’est pas le facteur terre. En Afrique sahélienne par exemple, on
considère que le facteur travail est le facteur le plus limitant. On a donc intérêt à
raisonner par rapport à ce facteur (heures ou nombre d’actifs). Les critères utiles
seront d’une part la productivité du travail et d’autre part les ratios de capital et
de surface par unité de travail. Il faut éviter dans ce cas de parler d’intensif ou
d’intensification (6).
Il est vrai que le facteur terre commence à devenir de plus en plus limitant
dans certaines parties d’Afrique. Quoi qu’il en soit, il importe de préciser le
facteur choisi quand on parle de productivité et la situation de référence quand
on parle d’intensif mesuré par la quantité de facteur travail et/ou capital employé
à l’hectare.
FARMING SYSTEMS
I 1 L------------ ____ A
FIG. 1. - Les trois principales catégories de recherche sur les systèmes d’exploitation
(sensu lato)
«sales ))) pour obtenir rapidement des diagnostics. Ils ont mis au point une
méthode de «Rapid Rural Appraisal)), qui débouche sur des typologies de
système de production et sur des « domaines de recommandation ». Les avantages
de cette méthode sont certes sa légèreté! sa rapidité, son faible coût, sa facilité
apparente d’appropriation par les instrtutions nationales de recherche. Mais
comme le note D. PILLOT (GRET) elle ne débouche que sur des hypothèses assez
grossières de recherche et de développement qu’il faudra affiner, et elle demande
en fait des praticiens expérimentés. La méthode risque de privilégier le court
terme.
3. Faut-il faire un diagnostic agronomique et de l’expérimentation? Entre
décentraliser les stations ou dialoguer avec les agriculteurs, il y a des degrés qui
existent mais qui ne distinguent pas tellement les écoles françaises et anglo-
saxonnes, puisque les différences sont largement au sein des soit-disantes écoles.
La distinction principale tient au fait que certaines équipes sont plus tournées
vers la recherche (compréhension du fonctionnement), d’autres vers la production
d’informations (références) destinées à des décideurs et d’autres en& orientées
plutôt vers l’action immédiate de développement (modification du milieu et
actions chez les paysans).
Système de
production v Famille SFE
\ /
J
Environnement
FIG. 2
Expérimentation
Développement rural
FIG. 3. - Organisation a priori souhaitable (ou théorique) des différentes fonctions des
projets de Recherche Développement
CONCLUSION
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Notes
Système
Système d’alimentation
~ d’élevage
(2) C’est dans ce sens que l’auteur avait participé, à propos de l’offre de viande, à une
recherche, avec M. PETIT, sur les systèmes de production en région de grande culture
(BROSS~ERet nZ., 1974).
(3) Orientations Technico-Économiques des Exploitations, classification proposée par la
Communauté Européenne.
(4) Cf. BROSS~ERet PETIT, 1977; GESADAR, 1984, etc.
(5) Les trois paragraphes suivants sont extraits du document de MARSHALL, BROSS~ERet
PETIT : «Le raisonnement économique des décisions des agriculteurs» (1981).
(6) Sur un plan formel on pourrait dire que, à capital et à techniques constants, une
agriculture sera plus intensive si elle utilise beaucoup d’hectare5 par actif. Ce qui, à
juste titre ne manquera pas de heurter et d’augmenter la confusion : une agriculture
qui utilise beaucoup de terre par actif serait «land intensive » par rapport au facteur
travail mais «labour extensive» (peu de travail à l’hectare) par rapport au facteur
terre.
(7) Lors d’un colloque récent sur les Farming Systems à Kansas City les spécialistes
s’étonnaient que l’on utilisât ce concept en France et pas seulement dans les zones
marginales. Ils trouvaient étrange que I’INRA ait créé pour l’étude de l’Agriculture en
France un département de recherche sur ce champ @AD) (CAPILLON, 1985).
(8) Les premiers programmes de recherche sur les systèmes de production en 1972
s’appelaient Small Farm System Program (NORMAN, 1980).
(9) Faut-il traduire Farming System par système d’exploitation ou par système de
production? En fait tout dépend des définitions retenues pour ces concepts. Dans
l’optique de BADOUIN, il faudrait traduire par système productif. Dans la citation ci-
après, écrite à l’origine en anglais, la traduction a été faite par les services de Michigan
State University.
(10) Ces spécialistes ont pour nom H. SIMON, VON BERTALANFFY, PIAGET, BAREL, LE
MOIGNE, MORIN, ~ALLI~ER...
(11) La sémantique pose quelques problèmes. LE MOIGNE (1980) propose ((analyse de
système ou modélisation systémique ». Le terme «analyse » est peut-être dangereux car
il laisse entendre que l’on est encore dans la démarche analytique de décomposition. Il
faut en tout cas éviter l’expression «analyse des systèmes» ou «approche
systémique)), ce dernier terme laissant entendre que l’on ne fait qu’effleurer. Ici nous
avons préféré parler de démarche systémique ou de modélisation systémique.
(12) Comme PILLOT le pense, il ne parait pas utile d’opposer les démarches développées
par les anglo-saxons dans le cadre de la « Farming System Research » à celles mises en
œuvre par la Recherche-Développement française. Ni sur les finalités, ni sur les
méthodes, la distinction n’est vraiment convaincante.