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A C A D É M I E D E S S C I E N C E S

S ÉANCE COMMUNE
Mardi 24 mai 2005
14h30 - 17h15
Académie des sciences
Grande salle des séances
23 quai de Conti
Paris 6ème

MODÉLISATION DE SYSTÈMES COMPLEXES EN


AGRONOMIE ET ENVIRONNEMENT

Coordinateur
Michel THELLIER, de l’Académie des sciences, de l’Académie d’agriculture de France,
professeur émérite à l’université de Rouen

14h30 Introduction
Alain PAVÉ, de l’Académie d’agriculture de France et de l’Académie des technologies, CNRS-Guyane

14h45 Approches mathématiques de la régulation des gènes


Christophe SOULÉ, de l’Académie des sciences, directeur de recherche au CNRS, IHES Bures-sur-Yvette

15h15 Comportement contre-intuitif d’un modèle de succession végétale


Bernard SAUGIER, de l’Académie d’agriculture de France, professeur à l’université Paris-Sud

15h45 Pause

16h00 Effet de la fragmentation du paysage sur la dynamique d’une population de carabe forestier (Abax
parallelepipedus : Coleoptera, Carabidae)
Pierre Auger, de l’Académie des sciences, professeur à l’ENS Lyon, IRD Bondy

16h30 Une étude sur la coexistence de plusieurs espèces en compétition pour une seule ressource
Claude LOBRY, professeur à l’université de Nice, INRA/INRIA, Montpellier

17h00 Conclusion
Michel THELLIER

Institut de France, Académie des sciences


23, Quai de Conti - 75006 Paris
Téléphone : 01.44.41.43.82 - Télécopie : 01.44.41.43.84
SÉANCE COMMUNE ACADEMIE DES SCIENCES / ACADEMIE D’AGRICULTURE DE FRANCE
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Introduction

Modéliser les systèmes vivants


Quelques problèmes méthodologiques et théoriques

Alain Pavé

La modélisation en matière d’environnement a été largement discutée ces dernières années,


notamment dans le cadre du Programme Environnement, Vie et Sociétés du CNRS. Le champ couvert est
large, des modèles climatiques à l’échelle planétaire à des modèles de dynamiques locales de populations
microbiennes. Ceux qui impliquent des systèmes vivants sont nombreux et posent des problèmes
particuliers. La réunion proposée par les deux Académies, Académie des sciences et Académie d'agriculture
de France, illustre encore cette observation.

En introduction, je souhaiterais rappeler et souligner quelques aspects classiques et nouveaux. Il


s’agit d’abord des questions soulevées par la construction, la simulation, l’identification et la validation des
modèles dans les sciences de la vie, puis par les relations «modèle-expérience» en précisant le schéma
méthodologique « idéal». À ce propos, on pourra noter que ce schéma bien ébauché depuis longtemps est
encore largement ignoré. Ensuite, on reviendra sur le rôle du hasard dans les systèmes vivants. En effet, on
peut distinguer d’une part le hasard exogène, celui des aléas de l’environnement auquel les systèmes vivants
sont soumis, et d’autre part le «hasard» endogène, celui fabriqué par des sortes de «roulettes biologiques».
Ce dernier joue un rôle essentiel dans la dynamique de la biodiversité, notamment dans son émergence, et
dans la réponse des systèmes vivants aux « risques » environnementaux. Il y a donc nécessité de décrypter
et de modéliser les processus sous-jacents. À ce propos, on illustrera, sur l’exemple classique du modèle
logistique en temps discret, le passage de comportements chaotiques à des comportements qu’on pourrait
qualifier de stochastiques. Bien cerner et conceptualiser cet aspect de la dynamique des systèmes vivants,
qui s’exprime du niveau moléculaire à celui de la biosphère, de l’échelle des temps géologiques à celle des
processus cellulaires, semble important pour élaborer une nécessaire théorie de la biodiversité.

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Académie des Technologies et Académie d’Agriculture, CNRS-Guyane - Campus agronomique - BP 316 - 97379 Kourou (Guyane)
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Approches mathématiques de la régulation des gènes

Christophe Soulé

Dans les organismes vivants, de nombreuses protéines sont des facteurs de transcription : elles
activent ou inhibent l'expression de certains gènes. Cette régulation des gènes peut être décrite par des
réseaux de régulation, c'est à dire des graphes orientés dont les sommets sont les gènes et dont les arêtes
sont munies de signes : un signe positif pour une activation; un signe négatif pour une inhibition.

La question essentielle posée par ces réseaux est d'imaginer quels sont les comportements
dynamiques possibles du système biologique qu'ils décrivent. C'est un problème difficile car on ne dispose
que très rarement d'informations quantitatives sur les interactions et la topologie de ces graphes est
souvent compliquée. La simulation numérique de leur comportement nécessite de formaliser en termes
mathématiques la dynamique de ces ensembles de gènes. On présentera deux de ces formalismes : le
formalisme booléen et le formalisme différentiel.

On peut aussi chercher des propriétés générales de ces réseaux. Ceux-ci possèdent souvent des
boucles de rétroaction, dont l'importance a été très tôt reconnue. Selon René Thomas les boucles de
rétroaction positives seraient nécessaires pour permettre à un système de gènes d'avoir plusieurs états
stationnaires - ce qui est un des mécanismes de la différenciation biologique.

Des théorèmes récents, appliqués à l'un ou l'autre des modèles formels de réseaux de gènes,
confirment cette idée de René Thomas.

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Académie des sciences, directeur de recherche au CNRS, IHES - 35, route de Chartres - 91440 Bures-sur-Yvette
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Comportement contre-intuitif
d’un modèle de succession végétale

Yann Martineau* et Bernard Saugier**

Nous avons mis au point un modèle de succession végétale pour simuler la croissance de la végétation
naturelle pendant une longue période de jachère. La végétation est décrite comme un mélange d’espèces en
compétition pour la lumière et l’azote. Les parties aériennes occupent plusieurs strates horizontales dans
lesquelles les feuilles sont distribuées au hasard. Chaque espèce comporte quatre organes : feuilles, tiges,
racines et organes reproducteurs. Le modèle prédit la croissance et la production de biomasse de chaque
espèce, et prend en compte les cycles du carbone et de l’azote à travers le sol et les plantes. Il utilise un pas
de temps journalier avec comme entrées des variables météorologiques. Il simule divers processus :
photosynthèse, respiration de croissance et d’entretien, allocation du carbone, absorption, fixation et
remobilisation d’azote, mortalité des tissus, et dispersion et germination des graines. Ce modèle a été
appliqué à des jachères tropicales de systèmes de culture à pomme de terre à haute altitude (3500 à 4000
m) dans les Andes au Venezuela et en Bolivie, dans le cadre d’un programme européen.

La croissance de chaque espèce suit une courbe en S (pseudo-logistique) dont le plateau dépend de
l’entrée de carbone par photosynthèse ainsi que des pertes par respiration et sénescence. La dynamique de
la végétation et le fonctionnement de l’écosystème dépendent étroitement des conditions initiales (stock et
pluie de graines) et des ressources en eau et en azote. Néanmoins le modèle, qui comprend seulement six
espèces dans sa version actuelle, reproduit assez bien la dynamique de la succession au Venezuela avec des
espèces pionnières (Rumex acetosella), des espèces intermédiaires (Lupinus sp.) et des espèces de fin de
succession (arbustes de genres Hypericum, Baccharis et Acaena, et rosettes géantes du genre Espeletia).

Une étude de sensibilité a mis en évidence le rôle prépondérant de la légumineuse dans ce système
limité par l’azote. Lorsqu’on augmente progressivement le niveau des ressources en eau et en azote, la
production végétale globale augmente puis passe par un maximum avant de diminuer légèrement, ce qui est
assez contraire au sens commun. L’explication provient d’un changement d’espèce dominante :
l’augmentation des ressources en azote entraîne un remplacement de la légumineuse (à forte productivité)
par des arbustes qui ont une photosynthèse plus faible, mais qui étant de plus grande taille deviennent
dominants. Ce mécanisme de remplacement d’espèces est sans doute assez général, ce qui pourrait
modifier de façon importante les prévisions sur les changements de productivité attendus en réponse aux
changements globaux.

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* Société ATN Paris
** Académie d’agriculture de France, Université Paris-Sud Orsay - Bât. 362 - 91405 Orsay cedex
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Effet de la fragmentation du paysage sur la dynamique


d’une population de carabe forestier
(Abax parallelepipedus : Coleoptera, Carabidae)

Pierre Auger*, Françoise Burel**


et Jean-Baptiste Pichancourt**

Dans les milieux hétérogènes, le déplacement des individus joue un rôle fondamental dans la
survie des espèces. Nous présentons un modèle de dynamique de population prenant en compte le
déplacement des individus dans le milieu ainsi que la démographie de la population. Le modèle est appliqué
au cas d’une population cible de carabe forestier (Abax parallelepipedus : Coleoptera, Carabidae). Nous
couplons un modèle de dispersion à un modèle en temps discret de démographie de type Leslie. La
population de carabes est subdivisée en 7 classes d’âge et nous prenons en compte 4 types de milieux, le
bois, la haie, le chemin creux et la matrice agricole. Afin de prendre en compte un degré élevé de
fragmentation du milieu, nous étudions le cas où le processus de dispersion devient rapide par rapport au
processus démographique. Dans ce cas, le modèle complet peut être remplacé par un modèle réduit
décrivant la dynamique des effectifs de chaque classe d’âge. Le modèle permet de calculer le taux de
croissance asymptotique de la population ainsi que la distribution d’âge stable de la population. Nous
étudions plusieurs configurations correspondant à différents types de milieux. Nos résultats montrent que
pour éviter la disparition de la population de carabe, il est nécessaire de maintenir un seuil minimal
d’environ 27% de bois dans le milieu fragmenté. Nous montrons aussi qu’une augmentation du degré de
fragmentation du milieu est défavorable au maintien de la population de carabe.

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* Académie des sciences, IRD - UR Géodes - Centre Ile de France - 32, avenue Henri Karagnat - 93143 Bondy
** UMR CNRS 6553 Ecobio, Université de Rennes I - Campus Beaulieu - 35042 Rennes cedex
SÉANCE COMMUNE ACADEMIE DES SCIENCES / ACADEMIE D’AGRICULTURE DE FRANCE
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Une étude sur la coexistence de plusieurs espèces


en compétition pour une seule ressource

Claude Lobry* et Jérôme Harmand**

Dans cet exposé nous présentons une nouvelle hypothèse permettant d'expliquer la coexistence
de plusieurs espèces (ici des bactéries) en compétition sur une seule ressource (substrat) dans un
chémostat. Nous introduisons une nouvelle classe de cinétiques qui ne dépendent pas seulement de la
concentration en substrat du milieu mais également des concentrations en microorganismes. A partir i) de
considérations relatives aux interactions élémentaires entre microorganismes, ii) entre microorganismes et
le milieu dans lequel ils croissent, et iii) de simulations, nous montrons que cette modélisation peut être
interprétée comme une limitation diffusionnelle. L'étude rigoureuse de cette nouvelle classe de modèles
nous permet d'avancer l'hypothèse selon laquelle ces phénomènes abiotiques seraient à l'origine du
maintien d'une grande diversité (nombre d'espèces arbitrairement large) en présence d'un seul substrat.

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* Projet INRIA MERE, UMR Analyse des Systèmes et Biométrie, INRA, 2, place Pierre Viala, 34060 Montpellier Cedex 1
**Laboratoire de Biotechnologie de l’Environnement, INRA-LBE, Avenue des étangs - 11100 Narbonne
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Conclusion

Michel Thellier

La modélisation théorique et la recherche expérimentale ont pour but unificateur l’élucidation des
processus biologiques sous-jacents à un phénomène observable. Nous en voyons ici quelques exemples
dans le cas de systèmes intéressant plus ou moins directement l’agronomie et l’environnement. Les deux
premiers exposés introduisent une vision modélisée de concepts biologiques de base, et les trois suivants
sont centrés sur des problèmes de dynamique de populations en conditions naturelles ou en chemostat.
Tous illustrent le fait que la modélisation permet de rendre compte de processus trop complexes pour
pouvoir être abordés par le langage naturel, parfois même contre-intuitifs. Ils montrent aussi comment, à
partir de problèmes spécifiques, il est possible d’aboutir à des conclusions plus générales ainsi qu’à des
possibilités de prévisions. Une démarche similaire aurait pu être suivie dans quantité d’autres domaines, tels
que la formation de motifs au cours du développement, la dynamique des interactions en épidémiologie, la
connectivité neuronale et le traitement de l’information, la croissance des tumeurs, la ramification des
végétaux, et ainsi de suite. En fait, la vie étant par nature un ensemble de processus dynamiques aux
interactions multiples, difficilement accessible au « sens commun », tous ses aspects s’enrichissent peu à
peu d’approches modélisées. Une difficulté est que ces modélisations s’appuient le plus souvent sur des
formulations mathématiques ou dérivées de la physique. Ainsi, elles ne peuvent guère être pratiquées que
par ceux qui sont venus à la biologie après avoir reçu une formation initiale de sciences dites « dures » ou à
ceux qui se sont donné dès le départ une double formation de mathématique ou physique et de biologie.
Or il existe traditionnellement une sorte de sélection à rebours des étudiants biologistes en ce qui
concerne leur aptitude aux mathématiques et à la physique : viennent généralement vers la biologie ceux
qui se sont révélés les plus faibles dans ces autres sciences au cours de leurs études secondaires. C’est sans
doute la raison pour laquelle une forte proportion de biologistes professionnels reste encore à l’écart des
méthodes de modélisation. Que l’Académie des Sciences et l’Académie d’Agriculture de France soient
remerciées pour leur contribution à rapprocher les points de vue par l’organisation de cette séance sur la
modélisation de systèmes complexes en agronomie et environnement.

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Académie des Sciences et Académie d’Agriculture de France
Laboratoire AMMIS, FRE CNRS 2829, Faculté des sciences de l’Université de Rouen - 76821 Mont-Saint-Aignan cedex

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