Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Cailly Claude. Contribution à la définition d'un mode de production proto-industriel. In: Histoire & Mesure, 1993 volume 8 - n°1-
2. Varia / Démographie et histoire. pp. 19-40;
doi : https://doi.org/10.3406/hism.1993.1413
https://www.persee.fr/doc/hism_0982-1783_1993_num_8_1_1413
Abstract
Claude Cailly. A contribution to the definition of a proto-industrial production mode.
This article is meant to bring a new contribution to the theory of proto-industrialisation initialized by
Franklin Mendels giving a new explanation for the economical transition in the 18th and 19th centuries
in developed countries. This problematics implies to define and measure the concept by showing the
methodological and epistemologjcal difficulties it raises, and then to suggest a definition of a proto-
industrial
production mode, a production mode of the transition based on specific social relationships and
containing in embryo the features of the capitalist production mode. Overcoming Mendel's prospects,
the author
adopts here a definition of proto-industrialisation both wider and more restrictive than the one
suggested by the promoters of the model.
Histoire & Mesure, 1993, VIII-1/2, 19-40
Claude CAILLY
19
Histoire & Mesure
20
Claude Cailly
21
Histoire & Mesure
22
Claude Cailly
23
Histoire & Mesure
24
Claude Cailly
25
Histoire & Mesure
a) L'emploi masculin
26
Claude Cailly
27
Histoire & Mesure
b) L'emploi féminin
L'emploi proto-industriel ne se conjugue pas seulement au
masculin.
A n'en pas douter, l'emploi de production occupé généralement par
des filles, femmes et veuves de proto-ouvriers urbains constitue une
activité principale voire exclusive et continue, alors que l'emploi rural
n'est pour le plus grand nombre qu'une activité secondaire, saisonnière
et d'appoint.
Nous n'ignorons pas, en effet, que malgré le silence des statistiques
et des rapports administratifs, une partie de l'activité des journalières et
domestiques rurales concerne la filature (32).
L'approche quantitative de cet emploi pendant l'ère
protoindustrielle s'avérant insoluble (33), il faut admettre que l'industrie
textile repose là aussi sur un marché du travail féminin dualiste résultant
de l'apport non négligeable aux premiers stades de la production d'un
volant de main-d'œuvre saisonnière et temporaire, non ou mal
rémunérée pour l'utilisation de cette force de travail spécifique.
Cette utilisation massive de la main-d'œuvre féminine aux stades
préparatoires renvoie à la prise en compte ou non de tous les stades de
production pour caractériser la nature proto-industrielle d'une région.
28
Claude Cailly
cette seconde définition qui seule peut permettre d'identifier une région
proto-industrielle et, par conséquent, de légitimer le concept mendelsien.
A ce stade de la discussion sur la nature de la force de travail
employée permettant de définir la proto-industrie, c'est une définition
restrictive de la proto-industrialisation que nous adoptons mais dont le
contenu doit être inversé. Non seulement le travailleur proto-industriel
doit être un artisan (de production) et non un paysan, mais il doit
exercer l'activité manufacturière à titre principal et permanent et non
occasionnellement. Ce n'est que par la présence majoritaire de ces
proto-ouvriers à tous les stades de production que l'on pourra repérer
une région proto-industrielle (35).
29
Histoire & Mesure
30
Claude Cailly
A. Le capital proto-industriel
31
Histoire & Mesure
surtout circulant, dont l'étendue peut être variable, mais qui contrôlent
toujours plusieurs métiers soit à leur domicile soit au domicile de
travailleurs à façon (40) ; 2) les travailleurs salariés et les artisans
dépendants « à façon » (tisserands, peigneurs, cardeurs, fileuses) dans
une situation de subordination et de dépendance, dont l'importance
numérique s'accroît au rythme du mouvement de
concentration/prolétarisation qui accompagne la croissance proto-industrielle.
Même si des intérêts objectifs les rapprochent face aux négociants ou
marchands-commissionnaires, leur position contradictoire dans
l'organisation du travail en font des groupes sociaux distincts susceptibles
d'entraîner des antagonismes qui, sous l'Ancien Régime, se cristallisent
surtout à travers la réglementation et le corporatisme.
Dans les deux types d'industrie, au plan de l'organisation du travail,
le mode de production proto-industriel conserve les traits de l'économie
domestique traditionnelle tout en préfigurant certaines caractéristiques
de la grande industrie : faiblesse du capital fixe, travail manuel,
dispersion technique des ateliers artisanaux, rapports familiaux et patriarcaux,
pour les premiers ; concentration géographique de la production et de la
main-d'œuvre, — véritables nébuleuses industrielles, division technique
du travail relativement poussée et complexe, — plus avancée dans
l'industrie de luxe — , pour les secondes. Traits spécifiques auxquels
s'ajoute, sous l'Ancien Régime, une réglementation de fait peu respectée,
à la fois reflet de la lutte « pour la liberté » contre les rigidités
institutionnelles et les contrôles étatiques et manifestation d'intérêts
contradictoires au sein de la manufacture entre marchands et fabricants.
La disparition de ces verrous avec l'adoption du libéralisme économique
pendant la Révolution rapprochera encore davantage le mode de
production proto-industriel du mode de production capitaliste.
Plus généralement, c'est moins sous l'angle des rapports de
propriété, — seule l'étendue du capital industriel diffère du fait de l'absence de
révolution technique —, que sous l'angle de l'organisation du travail
dans laquelle les producteurs conservent leur autonomie dans des
ateliers familiaux dispersés, que le mode de production proto-industriel
se distingue du mode de production capitaliste.
C'est aussi sous l'angle des rapports socio-économiques que le mode
de production proto-industriel doit être distingué du mode de
production marchand entendu comme la juxtaposition de petits producteurs
indépendants possédant simultanément leurs moyens de production,
leur force de travail et celle de leur famille, et le produit de leur travail.
Cette distinction rejoint celle établie entre le Kaufsystem et le Verlagsys-
tem (41). Dans
XVIIIe-XIXe siècles
le premier
— , le fabricant
cas, — le reste
plus totalement
traditionnelindépendant
et en déclin dans
aux
l'organisation de son travail, sans subir de contrôle, — sauf
éventuellement celui du système corporatif —, est propriétaire des produits
fabriqués, qu'il commercialise lui-même sur le marché à des marchands
mis en concurrence, soumis exclusivement et directement au marché des
biens. Dans le second cas, le fabricant n'est plus qu'un travailleur à
façon, abandonne une partie d'autonomie dans son travail en subissant
le contrôle du produit et par là-même indirectement celui du procès de
32
Claude Cailly
B. Le capital commercial
33
Histoire & Mesure
CONCLUSIONS
34
Claude Cailly
35
Histoire & Mesure
Claude CAILLY
Bordeaux III
NOTES
36
Claude Cailly
Industrialization
335 3. (original
p. KRIEDTE allemand,
: Rural
(P.), Industry
MEDICK
Gôttingen,
in (H.),
the1977).
Genesis
SCHLUMBOHM
of Capitalism,(J.),
Cambridge
Industrialization
et Paris, before
1981,
37
Histoire & Mesure
38
Claude Cailly
généralement
est pas de même une pour
baisselessystématique
étamines dudes
Perche
quantités
dont produites
la majeureaupartie
secondestsemestre,
exportée.il n'en
32. Dans l'industrie textile, au XVIIIe siècle, dans le Perche, rares sont, en effet, les
inventaires après décès de laboureurs, bordagers et journaliers faisant mention d'un
« métier à faire toile » alors qu'ils indiquent presque toujours la présence d'un ou
plusieurs rouets.
33. Les évaluations officielles présentent toujours des effectifs supérieurs à ceux des
dénombrements. Citons l'Inspecteur de Tournay du Mans qui en avançant le nombre de
7 ouvriers dont 5 fileuses employés par métier ajoute : « J'ai essayé d'approcher la vérité
mais il peut y avoir et il y a même sûrement un bien plus grand nombre d'ouvriers
employés à la fabrique, mais combien y en a-t-il qui ont en même temps l'exercice d'une
autre profession comme fileuse, dévideuse etc.. et on suppose ceux dénombrés comme ne
faisant rien d'autre » (A.D.I.L. С 114).
34. Tel est le cas de la Beauce valorisant sur place la laine locale alimentant les
manufactures d'étamines du Perche et du Maine.
35. Cette conception s'oppose ainsi à celle proposée par A. Dewerpe pour qui « le
système proto-industriel est la diffusion dans les campagnes du travail industriel
employant une main-d'œuvre paysanne, sous forme d'activité à temps partiel, liée au
rythme de l'activité agricole mais pouvant devenir une activité à temps plein », Le monde
du travail. ..op. cit.., (p. 25) pour conclure par l'impossibilité « d'apprécier une force de
travail qui, souvent, est inconnue des fabricants eux-mêmes » (p. 26), évacuant par là
même les difficultés de méthode.
36. La plus pertinente est celle de P. Jeannin dans son article « La
protoindustrialisation : développement ou impasse ? », art. cit., 1980.
37. MENDELS (F.), « Des industries rurales à la proto-industrialisation : historique
d'un changement de perspective », art. cit., 1984, p. 988. Nous soulignons.
38. Sur cette mise au point fondamentale, cf. MENDELS (F.), Ibid., p. 989.
39. La rareté des monographies régionales consacrées à l'étude de la production
industrielle urbaine, dans le cadre de cette problématique, montre à l'évidence que celle-ci
n'entre que de manière secondaire dans le contenu empirique du concept et seulement
comme complément nécessaire et fonctionnel à l'industrie rurale. C'est le cas de la thèse
d'A. Dewerpe sur la proto-industrialisation de l'Italie du Nord, au titre significatif:
DEWERPE (A.), L'industrie aux Champs. Essai sur la proto-industrialisation en Italie du
Nord (1800-1880), Ecole française de Rome, 1985. Cet auteur n'ignore pas cependant
l'existence d'un système proto-industriel urbain spécifique en témoigne son étude de la
proto-industrie d'Arpino dans la vallée du Liri (Royaume de Naples) dont le modèle
s'apparente sur de nombreux points à notre modèle étaminier nogentais (cf. DEWERPE
A., « Croissance et stagnation protoindustrielles en Italie méridionale : la vallée du Liri
au XIXe siècle », Mélanges de l'Ecole française de Rome, t. 93, 1981/1, pp. 277-345).
40. Selon l'importance du capital mis en œuvre, du nombre d'ouvriers employés ou
contrôlés et du chiffre d'affaires, l'on passe insensiblement du fabricant-marchand au
marchand-fabricant. La manufacture de mouchoirs de Cholet nous fournit une
description concrète de ces fonctions (cf. MAILLARD J., « Tisserands, fabricants, marchands-
fabricants dans la fabrique choletaise vers 1820. Essai de délimitation», Annales de
Bretagne et des pays de l'Ouest, 1990/3, pp. 307-328).
41 . Pour une présentation de ces deux formes, cf. la contribution de J. Schlumbohm,
dans l'ouvrage collectif: Industrialization before Industrialization, .., op. cit.., chapitre 4.
42. Sur ce point, nous souscrivons totalement à l'analyse d'A. Dewerpe lorsqu'il écrit
que « le verleger joue sur la durée concédée, les tarifs, les exigences de qualité, et de cette
façon, affecte indirectement l'organisation du travail.. .En ce sens, la discipline
protoindustrielle s'identifie avec l'autodiscipline ouvrière déterminée par le rapport de forces
entre les pressions du capital et les capacités de résistance et d'autonomie des proto-
ouvriers », Le monde du travail. ..op. cit.., p. 33.
43. Nous espérons revenir dans un prochain article sur cet aspect fondamental de la
théorie à propos des régions de l'Ouest dont précisément les formes proto-industrielles
n'étaient pas identiques.
44. Nous n'abordons pas ici les rapports pouvant exister entre le mode de
production féodal et le mode de production proto-industriel sous l'Ancien Régime. Les effets
dissolvants de ce dernier sur le premier seraient à prendre en compte dans son déclin à la
fin du XVIIIe siècle.
39
Histoire & Mesure
45. Modèle présent dans les villes drapières (Sedan, Reims, Amiens, Le Mans,
Nogent-le-Rotrou...), ou toilières (Beauvais, Saint-Quentin, Laval, Cholet...).
46. Modèle que l'on retrouve avec les toiles de Bretagne et de Normandie et du
Perche dont les marchands commissionnaires locaux sont respectivement subordonnés à
ces « Messieurs de Saint-Malo » (Bretagne) et de Rouen-Le Havre (Normandie-Perche).
47. CHASSAGNE (S.), « Industrialisation et désindustrialisation dans les
campagnes françaises: quelques réflexions à partir du textile», Revue du Nord, 1981/1,
pp. 35-57.
48. Ce rôle principal et discriminant que nous accordons aux rapports sociaux de
production dans la théorie de la proto-industrialisation nous oppose à l'analyse d'A.
Dewerpe pour qui « l'organisation du travail et le procès de production apparaissent
comme des données secondes par rapport à la structure et aux conséquences des marchés,
d'une part, et de la communauté familiale, d'autre part » (DEWERPE A., « Genèse
protoindustrielle d'une région développée: l'Italie septentrionale (1800-1880)»,
A.E.S.C., 1984/5, pp. 896-914). Nous soulignons.
49. Cette coexistence est l'un des enseignements majeurs de l'industrialisation de la
vallée du Lin étudiée par A. Dewerpe, in « Croissance et stagnation protoindustrielles en
Italie méridionale... », op. cit.., p. 316. Situation que l'on retrouve dans de nombreuses
régions y compris dans l'Angleterre « manchestérienne ».
40