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Les historiens ne s’accordent pas sur une approche qui n’oppose pas continu et

l’existence de la révolution industrielle. Certains, discontinu, mais éclairé l’un par l’autre…
sensibles surtout aux continuités, n’utilisent pas …Nous restons donc fidèles à l’idée d’une
cette expression courante depuis la première révolution industrielle en Europe occidentale et
moitié du XIXe siècle, qui implique une rupture aux Etats-Unis entre 1760 et les années
brutale ; ils préfèrent s’en tenir au concept 1870-1880, ou, en effet, des formes déjà en
d’industrialisation. Cette thèse évolutionniste est gestation se généralisèrent. Les contemporains en
pour l’essentiel confortée par l’étude statistique étaient conscients, surtout lorsqu’ils
des indicateurs macro-économiques, qui révèlent s’interrogeaient sur les transformations de la
des modifications progressives plutôt que des société : « La révolution industrielle a
discontinuités. Les travaux sur le take-off complètement changé ou plutôt détruit les
semblent aboutir, sauf peut-être dans le cas de la rapports qui unissaient le travailleur à celui qui
Grande-Bretagne, à des conclusions similaires. En l’employait… Dans les grandes manufactures ou
fait, l'approche quantitative globale convient sans va s’engloutir la majorité des travailleurs, il n’y a
doute mal à la perception des transformations. ni apprentis, ni compagnons, ni maîtres ; il n’y a
D’abord le processus d’industrialisation de la fin que des salariés et des administrateurs de capitaux
du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle fut » (E. Buret, De la misère des classes laborieuses
centré sur quelques secteurs peu nombreux, et en Angleterre et en France, 1840, cité par C.
sur quelques phases de la production, comme la Fohlen, op. cit., p. 20).
filature dans l’industrie du coton. Même si des Cela ne signifie pas que nous ignorons les
changements structurels importants y continuités avec l’économie de l’époque moderne,
intervinrent, leur perception statistique est « L’histoire des origines de la société industrielle
évidemment noyée dans l’inertie du reste de s’épuise à découvrir des ‘révolutions’, c’est-à-dire
l’économie. En outre, l’industrialisation fut des ruptures alors qu’elle devrait tenter de
phénomène régional, diffusant à partir de comprendre les continuités. La société
quelques pôles de développement, et donc toute industrielle ne s’est pas construite contre la
approche comptable à l’échelle nationale ne peut société moderne : elle a été enfantée par elle » (F.
qu’avoir les mêmes effets d’occultation. Enfin, la Caron, op. cit., p. 20). Un des gros apports des
reconnaissance de l’absence de discontinuité n’est travaux sur la proto-industrialisation fut de
pas épistémologiquement très enrichissante. Car, montrer que les blocages de la démographie et de
depuis un passé très reculé, les hommes ont la production agricole étaient en train de céder, et
pratiqué l’industrie ; l’industrialisation n’est pas que la proto-industrie semble avoir été un
un phénomène récent. La conception d’une préalable de l’industrialisation. Mais la révolution
évolution graduelle de l’industrie, de l’âge du fer à industrielle ne fut pas seulement « The
aujourd’hui, sans rupture, ne permet guère une evolutionary culmination of series of prior events »
meilleure compréhension. Il est plus riche (D. North, op. cit., P. 162). Car, comme le
d’essayer de repérer dans les grandes évolutions rappelait J.R. Hicks, elle ne fut pas la naissance de
pluriséculaires des seuils de discontinuités, dans l’industrie, mais celle de l’industrie moderne,
différente par sa nature. La révolution industrielle
a entamé un processus de croissance du capital
fixe par rapport au capital circulant ; elle a enlevé
aux marchands le contrôle de la production,
inversant une évolution séculaire ; elle s’est
accompagnée d’urbanisation, alors que la
proto-industrie contribuait à éviter la croissance
des villes ; elle a créé peu à peu un nouveau type
de travail, régulier et discipliné, dans le cadre de
l’usine ; elle a surtout modifié le fonctionnement
de l’économie, dans laquelle, du fait de
l’allongement du cycle de l’investissement et de la
complexité croissante des opérations, les
difficultés d’adaptation de la production aux
demandes des marchés engendrent des crises
industrielles d’un type nouveau.

P. VERLEY, La révolution industrielle, MA


Editions, Paris, 1985.

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