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CM8 – Les grands principes d’évolution phonétique de l’espagnol

L’objectif de ce cours est de présenter à travers quelques phénomènes et


concepts majeurs l’évolution de l’espagnol depuis ses origines latines.
Les concepts abordés dans cette séquence feront donc appel à l’une des
branches de la linguistique appelée « phonétique historique » ou « évolutive ».

Il s’agit donc d’aborder les grands phénomènes expliquant l’évolutiondes mots


de la langue espagnole (vous aurez l’occasion plus tard d’approfondir cette
démarche, notamment en Master ou agrégation), dans une perspective
historique retraçant certains grands changements réguliers jusqu’aux formes
actuelles. Cette perspective est appelée « diachronique » (du préfixe « dia »,
signifiant « à travers », et de
« chronos », signifiant « temps » en grec ancien, soit l’évolution à travers le temps).

Diachronie / synchronie :
Ce couple de notions, comme souvent en linguistique, est un couple de concepts
complémentaires. Comme dit plus haut, la diachronie relève d’un parcours dans le
temps, d’une « chronologie » permettant de retracer les étapes d’une évolution. En
revanche, la synchronie (du préfixe grec « syn » signifiant « ensemble », « avec »)
suppose en linguistique d’examiner la langue à un moment donné de son évolution,
à un moment précis, figé dans le temps, comme si on en faisait une photographie.
La synchronie est donc en quelque sorte un arrêt sur image, permettant d’observer
comment fonctionne la langue à ce moment-là.

Accentuation

Accent en français et en espagnol : l’accent tonique français est démarcatif, il se


place systématiquement sur la dernière syllabe (en tenant compte de la présence
éventuelle du –e muet en finale) et permet ainsi de délimiter les frontières entre les
différents mots. L’accent espagnol est distinctif (comme pour les phonèmes), dans
la mesure où il peut permettre de distinguer des paires de mots dont le sens découle
exclusivement de la place de l’accent : « esta » (démonstratif) # « está » (verbe
estar) ; « papa » # « papá » ; « canto » (= je chante ) # « cantó » (= il chanta), …
La place de l’accent au sein du signe est ainsi directement liée au sens de celui-ci et
permet de le distinguer d’un signe identique du point de vue des graphèmes mais
différent par son accentuation.

L’accent tonique correspond à un effort particulier porté par la voix en prononçant


le mot. Il se porte toujours sur une voyelle. Le mot se découpe en syllabes, chacune
étant constituée au minimum d’une voyelle. La syllabe peut donc comporter une ou
plusieurs consonnes, avant et/ou après la voyelle mais aucune consonne ne peut
constituer une syllabe. La voyelle est bien le noyau, le cœur de la syllabe.
Ex. « a/me/ri/ca/no », « a/mo », « cis/ne », etc.
Lorsque 2 voyelles sont au contact, selon qu’il s’agisse d’une voyelle ouverte ou
fermée, on peut être en présence d’une diphtongue, c’est-à-dire d’une même
syllabe constituée autour de 2 voyelles, comme « cuen/to », « hier/ba ». Pour qu’il
y ait diphtongue, il faut être en présence d’une voyelle ouverte associée à une
voyelle fermée (dans n’importe quel ordre : fermée + ouverte ou ouverte + fermée)
ou de 2 voyelles fermées. Les voyelles ouvertes (la voyelle ouverte et les semi-
ouvertes) sont a,e,o ; les voyelles fermées sont e,i.
Ex. : « cuen/ta » (on a une diphtongue, puisque –u est fermée + -e est
ouverte), « ve/o » (2 syllabes car 2 voyelles ouvertes en contact)
Lorsqu’on a 2 voyelles ouvertes au contact, on aura 2 syllabes différentes (comme
ci-dessus), chaque voyelle étant suffisamment marquée par l’effort de la voix pour
constituer une syllabe.

L’essentiel du lexique espagnol est constitué de mots accentués sur l’avant-dernière


syllabe, c’est-à-dire une accentuation dite « paroxytone ». Ces mots sont souvent
issus du latin (pas en totalité, cependant). Le linguiste Robert Omnès a mis en
évidence l’existence d’un « modèle » syllabique castillan » : ce qu’il appelle ainsi,
c’est une sorte de « mot – modèle » pouvant représenter par ses caractéristiques
formelles et accentuelles la majorité des mots du lexique. Ainsi, ce modèle
correspond au schéma suivant : CVCV (soit consonne + voyelle accentuée+
consonne + voyelle)
Le mot espagnol modèle serait donc un mot du type « casa », « coma », « nido »,
« bata », etc.
Ce modèle implique 3 principes fondamentaux, très présents dans l’ensemble du
lexique espagnol :
1) la prépondérance des mots paroxytons (accentués sur la dernière syllabe)
2) la prépondérance des mots constitués de 2 syllabes
3) la prépondérance des mots constitués de syllabes « ouvertes » (chaque
syllabe étant construite sur le modèle consonne+voyelle)
Bien entendu, tous les mots espagnols ne se conforment pas strictement à ces 3
principes, certains ne remplissent que l’un des 3 (« cons/truir », 2 syllabes) voire
aucun (« ca/tás/tro/fe »), mais ce modèle influence en profondeur les structures de
la langue espagnole, notamment au moment de créer de nouveaux mots, d’adapter
des mots d’origine étrangère, etc.

Une langue étant avant tout « parlée » oralement, l’accent tonique est un
phénomène marqué à l’oral par l’effort de la voix sur une voyelle au sein du mot. La
présence de l’accent tonique dans le mot n’implique pas nécessairement la
présence d’un accent écrit lors du passage à la langue écrite. Autrement dit, l’accent
tonique espagnol, majoritairement placé sur l’avant-dernière syllabe des mots
terminés par une voyelle (et par les marques du pluriel du nom et du verbe, soit –s-
et –n-), ne sera donc indiqué à l’écrit que lorsque ce principe (accent paroxyton)
n’est pas respecté.
Ainsi, le mot « casa » (ou au pluriel « casas »), ou le mot « canta » (ou au pluriel
« cantan ») ne portera pas d’accent écrit et restera accentué sur l’avant-dernière
syllabe, qu’il soit au singulier ou au pluriel.

L’accentuation paroxytone étant majoritaire, on peut dire que l’accentuation


oxytone (sur la dernière syllabe) occupe la seconde position, puisqu’ une part
importante du lexique se termine par des consonnes (sauf –s et –n, rattachés à
l’accent paroxyton) et porte un accent vocal (et non écrit) sur la syllabe finale. C’est
le cas de tous les infinitifs.
Les autres cas (accent oxyton malgré le –s ou le –n final, accent proparoxyton ou
anteproparoxyton) sont des exceptions et comportent toujours un accent écrit : un
escándalo, un sábelotodo, un satanás

Autrement dit et pour résumer, l’accent écrit est l’indice d’un accent tonique non
conforme au principe d’accentuation majoritaire observé à l’oral.

L’accent diacritique obéit à un autre principe. Il ne se manifeste qu’à l’écrit. C’est,


du point de vue de l’accent tonique, un accent « inutile » puisqu’il se place là où
tombe déjà normalement l’accent tonique. Sa fonction est de distinguer des mots
apparemment identiques (des « homographes », nous reverrons ce terme plus loin)
mais de catégorie grammaticale différente : ex. te (pronom) / el té (le thé) ; sé
(verbe saber) / se (pronom) ; el (article) / él (pronom), etc.
Le linguiste Michel Launay explique que le choix du mot qui va porter l’accent
diacritique pour ne pas se confondre avec son doublet n’est pas aléatoire. Cet
accent se place sur le mot dont la catégorie grammaticale est la plus influente dans
la phrase, et donc, sur le mot qui sera lui aussi davantage marqué par l’effort de la
voix.
Mots toniques et atones : hiérarchie des accents dans la phrase
En effet, les mots d’une phrase ne sont pas tous prononcés avec la même intensité.
L’article, la préposition, par exemple, sont des mots « atones » qui ne seront jamais
marqués par la voix. Selon les cas, l’intention du locuteur, un adjectif peut être
volontairement marqué, un substantif, un pronom, un verbe, un adverbe…
Ex. : De tal palo, tal astilla.
Dans ce « refrán », les 2 substantifs portent l’effort de la voix.

Origines et évolution de l’espagnol à travers quelques principes de phonétique


historique (diachronique) :
L'espagnol (ou castillan) actuel est une langue romane apparue autour
des VIIIe siècle et IXe siècle et issue du latin vulgaire parlé dans la région
cantabrique après le déclin de l'Empire romain. Le latin vulgaire est donc la
source principale de la langue espagnole, mais celle-ci s’est également construite
grâce à des emprunts massifs à plusieurs autres langues (arabe, italien,
portugais, français, allemand, anglais,…) au fil des siècles, selon les besoins.
Jusqu’au XVe siècle, on parle de « castillan ancien » ; après un profond
changementdu système phonologique courant XVIe et XVIIe siècles, on passe fin
XVIIIe à l’espagnol (ou castillan) dit « moderne ». Ce changement concerne la
réorganisation des consonnes occlusives et fricatives. Nous n’entrerons pas ici
dans le détail, mais sachez que suite à ces changements, est apparu notamment
le phonème symbolisé phonétiquement par /x/ correspondant aux graphèmes «
j » et « g » devant voyelle « e » ou « i » comme dans caja, naranja, jaca,coger,
gestión…
En Espagne, une opposition caractéristique entre deux phonèmes ( /θ/ de
«caza » et /s’/ de « casa ») permettant de distinguer des paires de mots comme
« coser » et « cocer ».
Cette opposition n’apparaît pas dans le système phonologique américain où seul le
phonème /s/ (prononcé comme le /s/ français).

Voyelles et diphtongues de l’espagnol :


En synchronie (= actuellement) :
Les voyelles de l’espagnol sont limitées à 5 : a, (voyelle ouverte), e – o
(voyelles moyennes ou semi-ouvertes), i – u (voyelles fermées).
Je rappelle que lorsque 2 voyelles ouvertes ou semi-ouvertes sont en contact,
elles forment 2 syllabes différentes : ex. feo (2 syllabes), caos (2 syllabes).
Lorsqu’une des voyelles fermées est associée à une voyelle ouverte ou semi-
ouverte, il se forme une diphtongue (= les 2 voyelles sont prononcées dans une
même syllabe) et forment une diphtongue.
Ex. in/dus/tria (i+a), co/mer/cio (i+o)
L'espagnol actuel connaît quelques rares cas de triphtongues: buey, Paraguay,
estudiáis,…

En diachronie (depuis le latin tardif) :


L’évolution dite « spontanée » (autrement dit « normale », celle observée en
majorité)des voyelles depuis le latin obéit aux principes suivants : sauf exception,
les voyelles longues sont conservées (ex. « hora » avec un -o- long en latin >
devient « hora » en espagnol )
Les voyelles latines étaient en effet longues ou brèves. Selon leur longueur, la
place de l’accent tonique et la position occupée dans le mot (initiale, finale),
l’évolution n’est pas la même. Nous nous limiterons ici à la présentation de
quelques principesd’évolution majeurs :

-les voyelles longues accentuées sont conservées.

-les voyelles brèves accentuées « e » et « o » développent une diphtongue :

« é » latin > « ie », comme « terra »> « tierra » ; « ó » latin > « ue » : « focus » >
fuego.

-le cas des voyelles finales (non accentuées) :


Les voyelles finales sont le plus souvent brèves et atones. Les plus fréquentes
dans cette position sont « e », « u », « a ». Généralement, « e » bref et atone
chute (par « apocope »), comme dans le cas des infinitifs (« cantare » > « cantar
»), le « u » brefatone s’ouvre en « o » (« curtu » > « corto », « filu » > « hilo ») ;
la voyelle « a », la plus ouverte et la plus forte, se maintient sauf exception («
rosa »> « rosa »).

-le cas des voyelles pré et postoniques :


La syllabe tonique latine (sauf pour plusieurs mots savants) est généralement
conservée. La voyelle tonique du mot est donc primordiale, et porte l’effort de
la voix. En revanche, cette importance de la voyelle tonique fragilise les voyelles
des syllabes voisines (prétonique et postonique). Il en résulte souvent une
syncope (chute) :

Ex. « honoráre » (l’accent ne doit pas être marqué par écrit, je le


fais simplement figurerici pour souligner sa place dans le mot,
par rapport à la syllabe prétonique). « ho(no)rar(e) » > «
honrar » (chute de la voyelle prétonique et de la finale). Ou
encore : « ásinu » > « asno » (chute du « i » postonique).
Quelques principes fondamentaux d’évolution consonantique :
-la notion de semi-consonne :
Les phonèmes /j/ et /w/, correspondant respectivement aux sons phonétiques
présentsdans « hierba », « yeso » (pour le phonème /j/) et « fuego », « luego » (pour
le phonème /w/) sont appelés « semi-consonnes lorsqu’ils interviennent en début
de diphtongue. S’ils apparaissent en position finale (« afeitar » = /afejtar/, «
aula » = /awla/), ce sont des semi-voyelles.

-consonne implosive ou explosive :


La consonne explosive est celle qui se trouve « à l’attaque », à l’initiale de la
syllabe. C’est elle qui amorce l’articulation. Ainsi, dans « casa », les 2 consonnes
sont en position explosive.
Dans « canta », la consonne « c » et « t » (=/k/) et (/t/) sont explosives.

La consonne est implosive quand elle se trouve en fin de syllabe, juste avant la
syllabesuivante. Cette position la place en situation de relative fragilité et peut
faciliter une évolution. Par exemple : « n » dans « canta » ou «enviar ». Dans
l’histoire de la langue,certaines consonnes implosives ont disparu du fait de cette
position, ou se sont modifiées.

-la chute du « m » final d’accusatif par déflexivité : en latin, il existait des « cas
» (ou « flexions ») : nominatif, vocatif, accusatif, génitif, datif, ablatif. Ces cas ou
flexions sont associés aux différentes fonctions grammaticales que les mots
peuvent occuper dans la phrase (sujet, COD, etc.). L’accusatif est le cas
correspondant au COD et servant de base à la plupart des étymons latins à partir
desquels on fait évoluer le signe jusqu’à la langue actuelle. Ce cas latin d’accusatif
est souvent marqué par la présence d’un « m » final. Ex. : « rosam » signifie «
rose » en position de COD.
Le latin tardif, au moment où se constituent les langues romanes, perd
progressivement l’usage des cas. Les fonctions grammaticales seront indiquées
essentiellement dans les langues romanes par l’émergence des articles et par la
plaedes mots dans la phrase. Ceci explique que lorsqu’on part d’un étymon latin
comportant le « m » d’accusatif, celui-ci soit le premier élément à disparaitre.

Ex. « rosam » > « rosa » par déflexivité (c’est-à-dire disparition des flexions latines).

-sonorisation des occlusives sourdes intervocaliques : une consonne sourde (/p/,


/t/, /k/) placée en position intervocalique (soit entre deux voyelles) aura
tendance à sesonoriser (ou « voiser ») en /b/, /d/, /g/.
Ex. : « lupu » > « lobo ».
Lorsqu’on tente de retracer l’évolution d’un signe depuis le latin tardif jusqu’à
l’espagnol actuel et que le mot a subi une sonorisation et une chute de voyelle
pré oupost tonique, il faut faire attention à l’ordre dans lequel se sont produits
les phénomènes. Le plus souvent, la sonorisation intervient avant la chute des
voyelles. Ex. : « humilitáte » > « humilidad » (sonorisation de la consonne
intervocalique /t/> /d/puis « humildad » (chute de la prétonique « i »).

-amuissement du –f initial : la langue parlée en territoire cantabrique avant le


développement du latin tardif ne conservait pas le /f/ initial qui était réalisé
comme un
« h » aspiré, avant de disparaitre.
Ainsi : « furtu » > « hurto », « ferire » > « herir »
NB : L’amuissement ne se produit pas devant la semi-consonne (/w/), autrement
dit icila diphtongue « ue » : « focu » > « fuego »

-assmiliation : certains groupes de consonnes se simplifient au profit de l’une ou


del’autre ou évoluent ensemble vers un phonème voisin. C’est le cas des groupes
:
mb > m : « lombu » > « lomo »
rs > s : « ursu » > « oso »
ps > s : « ipse » > « ese »
pt > t : « septem » > « siete »
mn > ñ : «dominu» >« dueño»

-vocalisation de /b/ en position implosive :


La consonne implosive est en position de faiblesse, et elle tend à se relâcher
et à rapprocher son point d’articulation de la consonne suivante.
La consonne /b/ en position implosive va se « vocaliser » (développer une voyelle)
en « u » : Ex. « débita » > « debida » (sonorisation du /t/ intervocalique) > « debda
»(chute de la postonique) > « deuda » (vocalisation de /b/ implosif).

-la métathèse :
Il s’agit d’intervertir deux phonèmes au sein d’un signe, souvent pour le rendre
plus « conforme » aux paradigmes déjà présents majoritairement dans la langue.
Ex. « parabola » > « parabla » > « palabra »

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