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SYSTÈME VOCALIQUE

1. Système des phonèmes du français.


2. Système vocalique.
3. Analyse des oppositions vocaliques instables.
4. Statut phonologique du /ә/ instable.
5. Harmonisation vocalique et allongement des voyelles.
Système des phonèmes du français
Les premières remarques sur la phonologie du français présentées par
A.Martinet datent de 1933 [39] et la première description complète du
système de phonèmes français, celle de G.Gougenheim, fait jour en 1935
[22]. Dans ces travaux d'approche le système phonématique se présente
comme parfaitement stable et identique chez tous les su jets Alors il faut
attendre l'époque des enquêtes qui apportent la preuve que les Français
cultivés ne s'accordent ni sur le nombre de phonèmes qu'ils distinguent,
ni sur la façon dont ils les réalisent. Une enquête des annees 60-70 menée
sous la direction de A.Martinet et de H.Walter [42], [53] a mis en évidence
les tendances évolutives du phonétisme français moderne: oppositions en
voie de disparition, début de tendances à la confusion de deux phonèmes,
ou au contraire renforcement de distinctions entre deux unités phoniques.
Il en résulte que les phonèmes français présentent un système dynamique
qui, d’une part, a des zones de grande stabilité et, d’autre part, montre des
cas de divergences dont l’étude indique les directions évolutives.
Système vocalique
Dans la description des oppositions vocaliques du français il faut tenir
compte de quatre traits différentiels: le degré d'aperture, la profondeur
d'articulation, la labialisation et la nasalisation. Ce sont des
oppositions qualitatives.
Le système vocalique du français est traditionnellement schématisé sous la
forme d'un trapèze vocalique. Ce n'est pas la seule représentation jamais
proposée mais c'est celle que nous avons décidé d'utiliser dans ce chapitre.
Le trapèze vocalique est censé représenter la bouche en coupe transversale.
Le côté gauche du trapèze représente l'avant de la bouche. Les différents niveaux
indiquent les degrés d'élévation de la langue. Vous remarquerez probablement
que les voyelles sont présentées de façon légèrement oblique: cette disposition
est supposée schématiser, pour les voyelles antérieures, le léger mouvement de
recul de la langue et, pour les voyelles postérieures, l'éloignement progressif
du dos de la langue par rapport à la paroi pharyngale. Remarquez bien que la
langue est massée légèrement plus en arrière pour la voyelle /C/ que pour les
autres voyelles postérieures.

Les oppositions des voyelles différenciées par le degré d'aperture


sont assez nombreuses, elles entrent dans la corrélation voyelles fermées
- voyelles ouvertes.
L’aperture de la voyelle est alors définie par rapport au degré plus ou
moins écarté de la mâchoire et à l’élévation plus ou moins importante de
la langue. Dans le cas d’écartement maximum, comme pour /a/, on a une
voyelle très ouverte ou basse et inversement, pour /i/ ou /e/, par exemple,
une voyelle très fermée ou haute. Les termes classiques sont ouvert/fermé.
Haut et bas sont des termes articulatoires, employés par les générativistes.
Il s’agit d’une fermeture toute relative puisque les voyelles sont des
phones toujours ouverts par rapport aux consonnes.
La plupart de ces opposition sont constantes, stables, c'est-à-dire se
réalisent dans toutes les positions dans le mot.
P.ex. halles - île - elle
mal - mille - mêle
ma - mis - mais
De toutes ces oppositions la distinction entre les voyelles orales du
deuxième et du troisième degré d'aperture /ε/ - /e/, /œ/ - /ø/, /C/ - /o/
présente le plus de difficulté pour l'analyse à cause de leur instabilité et la
restriction de leur pouvoir distinctif en français moderne.
Selon que le lieu d’articulation est vers l’avant ou l’arrière du palais,
on dit qu’on a une voyelle palatale ou antérieure, comme /i/, ou une
voyelle vélaire ou postérieure, comme /u/.
Les voyelles opposées par la profondeur d'articulation forment la
corrélation voyelles antérieures - voyelles postérieures. La majorité des
oppositions entre les voyelles antérieures et les voyelles postérieures sont
stables, c'est-à-dire maintenues par tous les sujets dans toutes les positions
possibles. Il s'agit, par exemple, des oppositions /y/ - /u/ – pur - pour, /V/
- /o/ – feu - faux, /œ/ - /C/ – peur - port, etc. Une place à part est occupée
par l'opposition entre le /a/ antérieur et le /A/ postérieur, l'opposition qui
par la diversité de son comportement fonctionnel pose beaucoup de
problèmes devant les linguistes et les usagers de la langue française.
Lorsque les lèvres s’avancent, on a vu qu’elles agrandissent le
résonateur buccal et bémolisent alors le timbre de la voyelle. On passe
ainsi de /e/ non labial (écarté), comme dans été à /V/ comme dans jeu, qui
est un /e/ labialisé (arrondi).
Le trait de labia1isation est d'une grande importance pour le
phonétisme du français car il se trouve à la base des oppositions entre les
voyelles labiales (arrondies) et les voyelles non labiales ( non arrondies)
qui se manifestent par une stabilité parfaite dans leur réalisation, sauf
l'opposition /X/ - /R/.
Si le voile du palais s’abaisse, il provoque une résonance nasale, qui
différencie alors une voyelle comme celle de banc /S/ de celle de bas /A/.
La nasalisation des voyelles se présente comme un trait particulier du
système phonématique du français. En effet, parmi les langues
européennes modernes on trouve encore le polonais et le portugais qui
possèdent des voyelles nasales, mais par leur nature articulatoire et
acoustique aussi bien que par leur fonctionnement elles diffèrent
considérablement de celles du français. Les voyelles nasales françaises
forment des oppositions extrêmement fréquentes avec les voyelles orales
correspondantes: beauté - bonté, faute - fonte, loger - longer, cette -
seinte, sec - cinq, attendre - entendre, passer - penser, etc. Ces
oppositions se maintiennent régulièrement dans toutes les positions à
l'exception de certains cas de la liaison avec les voyelles nasales: un bon
avocat [XbCnavC'ka], un ancien élève [œnSsjDne'lD:v].
Les voyelles nasales s'ordonnent en une série d'avant où le /R/ non
arrondi s'oppose au /X/ arrondi (brin - brun) et une série d'arrière où le
/S/ non arrondi s'oppose au /T/ arrondi comme dans blanc - blond. De ces
deux oppositions, seule /S/ - /T/ est stable en français moderne.
Le système vocalique du français moderne renferme une seule
opposition quantitative, celle d'un /D/ bref et d'un /D:/ long, qui
représente le dernier vestige de la corrélation de longueur caractérisant
toutes les voyelles françaises au XVII e et au XVIIIe siècles.
Comme il a déjà été signalé, le système vocalique actuel renferme les
oppositions stables respectées par tous les sujets et dans toutes les
positions, ainsi que les oppositions instables qui se divisent en deux
catégories:
1. Les oppositions instables neutralisables, à savoir celles qui, d'une
part, ne peuvent se manifester que dans certaines positions étant
neutralisées ailleurs et qui, d'autre part, connaissent des flottements de
réalisation d'un sujet à l'autre. Ces oppositions sont au nombre de quatre
et concernent les degrés d'aperture moyennes(2, 3) /D/ - /e/, /C/ - /o/, /œ/ -
/V/ et la distinction de durée entre le /D/ et le /D:/.
2. Les oppositions instables non neutralisables, c'est-à-dire celles
qui ne sont observées que par une partie des locuteurs de façon plus ou
moins constante, mais sans aucune restriction sur le plan de leur position.
Il n'y a que deux oppositions de ce type: /a/ - /A/ et /R/ - /X/.
La stabilité de la réalisation des oppositions vocaliques dépend du
fonctionnement accentuel et syllabiques ce qu’on peut généraliser de la
façon suivante:
– En syllabe inaccentuée, les voyelles tendent à devenir moyennes.
Si l’on prononce maison, pâtisserie, ornement, pneumatique avec un
timbre intermédiaire (entre e/D, a/A, o/C, œ/V), le fait peut rester non-
remarqué dans la communication spontanée.
– En syllabe accentuée , c’est-à-dire en finale prononcé du mot, il faut
considérer le type de syllabation. Dans ce cas on obtient la loi de
distribution complémentaire. Depuis P.Passy et P.Delattre cette loi est
appelée par les phonéticiens la loi de position, qu’on peut formuler ainsi:
dans une syllabe accentuée fermée, la voyelle est ouverte et dans une
syllabe accentuée ouverte, la voyelle est fermée [32;85].
E EU O
Syllabe 1. E fermé 3. EU fermé 5. O fermé
Ouverte ces [e] ceux [sV] seau [o]
Syllabe 2. E ouvert 4. EU ouvert 6. O ouvert
Fermée sel [D] seul [sZl] sol [sCl]
Lois générales de la prononciation des trois voyelles dites
à double timbre.

Cette loi est en vigueur en français standard aux cas 2, 3, 5. Mais les
cas 1, 4, 6 présentent des exceptions qu’on peut expliquer à l’aide de
l’étymologie, de la graphie, d’un phénomène d’assimilation. Avant de
passer à l’analyse plus détaillée des oppositions vocaliques instables, il
est logique de formuler les conditions générales des cas instables:
– E, en syllabe accentuée ouverte, est généralement ouverte avec les
graphies:
-et, -ais, -ait, -aid, -aient, -aix, etc. (ballet, jamais, chantait, laid,
chantaient, paix).
– EU, en syllabe accentuée fermée, se prononce avec le timbre fermé
dans toutes les terminaisons –euse, euze, eusent, où le son [z] a une
influence fermante (danseuse, Greuze, creusent, jeûne).
– O, en syllabe accentuée fermée, se prononce étymologiqument
fermé et long dans les mots où la graphie est au (haute, rauque). Dans ces
cas l’ancienne diphtongue s’est réduite à un seul timbre mais a gardé une
durée de syllabe longue. Le même cas avec la graphie ô (ôte, hôte) où
l’accent circonflexe marque la chute d’une consonne. Dans les mots
d’origine grecque avec ou sans accent circonflexe se réalise le [o]: pôle,
arôme, gnome, chrome. Le [z] exerce aussi une influence fermante: ose,
pose, chose.
Faisons l’analyse des oppositions vocaliques instables.

Opposition /e/ - /D/


La position de pertinence de l'opposition /e/ - /D/ est la syllabe finale
ouverte ou absolue. On trouve en français un grand nombre de mots
différenciés par la commutation de ces deux voyelles: pré - près, fée - fait,
épée - épais, piqué - piquet, thé - taie, vallée - valet, clé - claie, etc. Cette
opposition contribue également à distinguer les formes grammaticales des
verbes: chantez - chantait, ferai - ferais, etc.
Les enquêtes menées depuis 1941, montrent un maintien assez stable
de l'opposition /e/ - /D/ en finale ouverte. On peut mentionner l’enquête de
A. Martinet qui prouve que les sujets parisiens observent l'opposition /e/
- /D/ à 96%, les chiffres de celle de G.Deyhime atteignent 98% de
distinction et celle d’A.Martinet et H.Walter (94%) confirment le
caractère constant de cette opposition [71;36].
En finale ouverte en -ai devant les lettres -s, -t, -et (je parlais, le balai,
le ballet, il répondrait) les Français ont tendance à prononcer la voyelle
ouverte.
Pourtant les résultats obtenus lors de différentes enquêtes manifestent
un emploi fréquent du /D/ en dépit des prescriptions orthoépiques
préconisant l'emploi du /e/ fermé, par exemple dans vais, sais, quai, j'ai
ou au futur simple des verbes (je verrai).
Les seules réalisations stables du phonème /e/ restent d'origine
graphique avec les finales -é, -er, -ez.
En syllabe finale fermée l'opposition /e/ - /D/ se trouve neutralisée: seul
le /D/ est attesté dans les mots cher, beige, nette, pièce.
Il y a des linguistes qui s'accordent pour dire qu'en syllabe fermée,
qu'elle soit finale ou non finale, seul le /D/ ouvert est possible en français
contemporain.
Pourtant les résultats de la recherche menée par H.Walter [71;36]
contredisent cette affirmation par les chiffres suivants: 31% de /e/ fermés
et 69% de /D/ ouverts en syllabe fermée non finale. La prononciation avec
le /e/ ou le /D/ est par le contexte phonique. Ainsi dans le mot asservir on
prononce presque toujours la voyelle /D/ devant le /r/ alors que le mot
él(e)vé est réalisé avec un /e/ fermé ce qui est dû probablement à
l'harmonisation vocalique.
En syllabe ouverte non finale la situation se révèle encore plus
complexe. On y observe cependant trois faits corrélatifs:
1) de nombreux flottements dans la réalisation d'une même unité
lexicale: on peut entendre prononcer les mots maison, essence, terrible,
etc. avec un /e/ ou un /D/;
2) l'utilisation en grand nombre d'un timbre intermédiaire ou moyen;
3) l'influence du timbre de la voyelle accentuée (l'harmonisation
vocalique): plaisir [ple'zi:r] mais épaisse [D'pDs].
Il résulte de ces observations qu'en syllabe ouverte non finale, tout
comme en syllabe fermée (finale ou non finale), l'opposition /e/ - /D/ se
neutralise, et les produits de neutralisation y sont plus variés. La
neutralisation se fait même dans des quasi-homophones tels que pêcheur
- pécheur, raisonne - résonne.
Opposition /o/ - /C/
La position de pertinence de l'opposition /o/ - /C/ est la syllabe finale
fermée. L'opposition /o/ - /C/ se réalise selon la graphie.
En français il existe assez peu de paires de mots dites minimales,
différenciés par la commutation des phonèmes /o/ - /C/. À titre d'exemple
citons saule - sole, hausse - os, haute - hotte, côte - cotte, rauque - roc,
etc.
Il y a quelques cas de neutralisation conditionnée par le contexte.
La neutralisation est observée devant le [z] où le seul [o] est possible:
rose ['ro:z], dose ['do:z], morose [mo'ro:z], etc. Elle se fait aussi devant le
[g] et le [Q] où l'on trouve toujours le [C] ouvert: phonologue [fCnC'1Cg],
monologue [mCnC'lCg], gigogne [Fi'gCQ], charogne [Ga'rCQ], etc. Devant
le [r] on atteste également la voyelle [C] (aurore [C'rC:r]), Maure ['mC:r],
mais la neutralisation n'est pas générale: certains locuteurs réalisent le [o]
fermé dans des mots comme dinosaure, saur, taure, où la graphie au
détermine le timbre fermé.
L'opposition /o/ - /C/ se trouve neutralisée en syllabe finale ouverte.
On entend un seul /o/ dans chapeau, pot, mot, couteau, etc.
En syllabe fermée non finale c’est le [C] qui prédomine. Ce fait
s'explique en grande partie par les particularités de graphie: postal
[pCs'tal], donnerait [dCn'rD], Voltaire [vCl'tD:r], horloge [Cr'lC:F].
Comme dans le cas de l'opposition [e] - [D], les réalisations du [o] et
du [C] en syllabe ouverte non finale sont plus variées que dans toutes les
autres positions. Ainsi pour le mot automne on atteste les réalisations
suivantes: timbre ouvert [CtCn], timbre moyen [otCn], timbre fermé [otCn].
La même variation concerne les mots hôtel, mauvais, côtelette, côteau.
Pourtant, c'est la voyelle ouverte qui prédomine en cette position.
Par rapport à l’opposition /e/ - /D/, la distinction entre le /o/ et le /C/ est
maintenue avec beaucoup plus de rigueur, ce qui est assuré par trois
phénomènes observés: 1) l'existence de l'opposition dans les paires
minimales de type beauté - botté, rôder - roder; 2) la réduction de l'emploi
du timbre intermédiaire par rapport à l'opposition /e/ - /D/; 3) une faible
manifestation de l'harmonisation vocalique, bien que la prononciation du
mot mauvais avec le [C] et du mot obus avec le [o] s'explique plutôt par
l'influence du timbre de la voyelle accentuée. Dans tous les cas, lorsqu'il
y a hésitation, dans cette position la réalisation se fait au profit du [C]
ouvert par rapport au [o] fermé. Néanmoins, l'enquête menée sous la
direction d’A.Martinet et H.Walter a révélé une tendance croissante,
surtout chez les sujets jeunes, à favoriser la prononciation de la voyelle
fermée [o] ce qui s’explique par l'imitation de la finale absolue [53;116].
Opposition /V/ - /œ/
Il y a deux facteurs qui déterminent la réalisation de l'opposition /V/ -
/œ/: 1) la quantité des mots dont le sens est différencié grâce à la
commutation de ces deux phonèmes est peu nombreux; 2) la majorité des
réalisations du /V/ et du /œ/ sont conditionnées par le contexte phonique.
Le contexte phonique détermine également la prononciation des voyelles
[V], et [œ] en syllabe non finale, aussi bien que tel facteur que
l'harmonisation vocalique influence leur timbre. P.ex. pleureur et
pleureuse: dans le premier mot on prononce la voyelle ouverte en syllabe
initiale [plœrœ:r] alors que dans le second on réalise la voyelle fermée
sous l'influence de la voyelle accentuée [plVrV:z].
On ne trouve dans la langue française que deux couples de mots
différénciés par la commutation [œ] - [V] en syllabe fermée finale: jeune
/'Fœn/ - jeûne /'FV:n/, (ils) veulent /'vœl/ - veule /'vV:l/. C'est pour cette
raison que l'opposition /œ/ - /V/ est classée parmi les oppositions au
rendement fonctionnel faible. Il est nécessaire d'ajouter que la distinction
des mots jeune - jeûne, veulent - veule n'est pas réalisée par tous les
francophones: certaines personnes les prononcent indifféremment avec le
même timbre.
Pourtant trois faits suivants témoignent de l'existence de l'opposition
/œ/ - /V/ malgré son rôle fonctionnel minime:
1) le maintien de cette opposition par une partie des sujets dans les
paires minimales jeune - jeûne, (ils) veulent - veule;
2) sa neutralisation en [V] à la finale absolue (pneu ['pnV], douteux
[du'tV], paresseux [parD'sV] ) ou devant la consonne [z] (coûteuse
[ku'tV:z],
affreuse [a'frV:z]);
3) la possibilité de sa neutralisation en voyelle de timbre intermédiaire
dans la syllabe non finale ouverte.
L'analyse comparée du comportement des trois oppositions de la
corrélation voyelle fermée - voyelle ouverte montrent que seule
l'opposition /o/ - /C/ se maintient avec assez de stabilité dans la majorité
des positions, alors que les deux autres connaissent des divergences plus
ou moins considérables et un nombre assez élevé de neutralisations,
surtout en syllabe inaccentuée, ce qui est prouvé par des analyses
instrumentales [69].
Opposition /a/ - /A/
Pratiquement l'opposition /a/ - /A/ peut se manifester dans n'importe
quelle position, soit en finale absolue (la /la/ -las /lA/, ma /ma/ - mât /mA/),
en syllabe finale fermée (patte /'pat/ - pâte /'pA:t/, mal /'mal/ - mâle /'mA:l/,
chasse /'Gas/ -châsse /'GA:s/, ou en syllabe non finale (aller /a'le/ - hâler
/A'le/ ). On pourrait s’attendre alors à la réalisation de cette opposition
avec une parfaite stabilité. C’est au XVIII e siècle que la voyelle /A/ est
reconnue comme postérieure et figure dans les descriptions du bon usage.
Pendant tout le XIX e siècle la distinction entre les réalisations
antérieures et postérieures est encore pratiquée avec assez de netteté. Mais
depuis le début de notre siècle commence le processus de l'élimination de
l'opposition du système vocalique français, ce qui est révélé par les
enquêtes successives menées par A.Martinet (1941), G.Deyhime (1963),
P.Léon (P.Léon (1966) [71;39]). De nos jours la perte de la distinction est
en pleine évolution et la répartition des timbres est assez arbitraire.
A.Martinet explique l'instabilité de l'opposition /a/ - /A/ par sa situation
particulière dans le système vocalique [40]. En effet, l'opposition voye11e
antérieure - voyelle postérieure qui distingue /y/ de /u/, /C/ de /o/, /œ/ de
/V/ se présente dans des conditions plus favorables qui caractérise /a/ - /A/.
Le maintien de la distinction entre /y/ - /u/, /C/ - /o/ et /œ/ - /V/ est assuré
par l'arrondissement labial, alors que dans le cas de /a/ - /A/ ce trait de
labialisation n'entre pas en jeu.
Il résulte de l'analyse de la réalisation des phonèmes /a/ - /A/ que le
processus de l'élimination de l'opposition s'effectue par disparition
progressive du phonème /A/. L'opposition se neutralise au profit du /a/
antérieur dont la fréquence d'emploi est nettement supérieure. Chez
certains sujets la perte de la distinction entre le /a/ et le /A/ va dans le sens
du rapprochement de leurs articulations, ce qui a pour résultat la
réalisation d'un timbre intermédiaire ou moyen. Certains autres, qui sont
encore plus rares, utilisent pour différencier les deux voyelles le trait de
durée, et non de timbre.
P.Léon prétend que la variation du A, par rapport à la variation de trois
voyelles E, EU, O, ne suit pas les règles de la distribuition
complémentaire. Selon lui le jeu syllabique n’a aucun effet sur sa
prononciation. La disparition du /A/ s’explique plutôt par des facteurs
étymologiques. Le /A/ postérieur se réalise dans les mots contenant un
accent circonflexe sur la lettre a ce qui marque la chute d’une ancienne
consonne: Pâques, gaz, passe, casse. Dans le français contemporain le /A/
a une très faible occurence. Il ne représente que 2,4% de tous les A du
discours alors que le /a/ en représente donc 97,6% [32;87].
Opposition /R/ - /X/
Les voyelles nasales différenciées par le trait de labialisation forment
une corrélation où entrent les oppositions /S/ - /T/, /R/ - /X/. L'opposition
/S/ - /T/ en français moderne est stable bien qu’on constate une légère
tendance à prononcer le [S] avec les lèvres arrondies. L'élimination de
l'opposition /R/ - /X/ par la perte de la voyelle arrondie /X/ observée
encore au XIXe siècle, est aujourd'hui un fait admis et prouvé: la voyelle
nasale /X/ se réalise fréqemment dans l'article indéfini un. La disparition
de l’opposition /R/ - /X/ s’explique par un rendement fonctionnel faible:
on peut trouver trois couples de mots distingués par la commutation des
/R/ - /X/: Alain - alun, brin - brun, empreint - emprunt.
P. Léon explique la disparition de l’opposition /R/ - /X/ par une double
difficulté articulatoire pendant la production du [X], sutout en position
inaccentuée (comme, par exemple, dans le cas de l’article indéfini un):
une voyelle ouverte demande plus d’énergie pour être en même temps
labialisée [32;87-88].
Pour l’opposition /S/ - /T/ on peut trouver en français un grand nombre
de mots, distingués par la commutation de ces deux phonèmes: banc -
bon, vent - vont, pan - pont, bande - bonde, ranger - ronger, etc. On peut
constater alors que cette opposition a un rendement fonctionnel assez
important [32;88].
Opposition /D/ - /D:/
L'opposition /D/ bref - /D:/ long représente la dernière manifestation de
la distinction de longueur qui caractérisait autrefois toutes les voyelles
françaises. Si l’on relit les grammaires du XVIII e siècle, comme celle de
G.Vaudelin, on constatera qu’à cette époque-là le système vocalique du
français comprenait 24 voyelles, 12 d'entre elles étant brèves et 12
longues. Cette opposition jouait alors un rôle morphologique important,
car elle permettait de distinguer le singulier du pluriel, le masculin du
féminin. Ainsi on prononçait avec, un son bref - aimé, perdu, ami (au
masculin), avec un son long - aimée, perdue, amie (au féminin).
Depuis certaines oppositions de longueur (oppositions quantitatives)
ont été transformées en oppositions de timbre (oppositions qualitatives):
/œ/ - /V/, /a/ - /A/, /C/ - /o/, où la marque de longueur accompagnant la
réalisation des voyelles /o/, /A/ et /V/ ne représente pas actuellement un
trait pertinent à cause de son caractère peu régulier. Pour les degrés les
plus fermés /i/, /y/, /u/ les voyelles longues ont disparu sans laisser de
traces.
Le seule vestige de ce type d’oppositions est l’opposition /D/ - /D:/:
bette [bDt] -bête [bD:t], mettre [mDtr] - maître [mD:tr], belle [bDl] - bêle
[bD:l], lettre [lDtr] - l'être [lD:tr]. Cependant depuis quelques décennies
cette opposition a tendance à l'élimination accélérée ce qui s'explique par
son caractère isolé dans le système du français contemporain, vu l'absence
des autres oppositions quantitatives. Des enquêtes menées par A.Martinet
et H.Walter démontrent que seul un petit nombre de sujets les plus âgés
maintiennent encore l'opposition /D/ - /D:/, tandis que les locuteurs jeunes
ne la pratiquent pas.
En raison d'une très faible manifestation de l'opposition /D/ - /D:/,
certains linguistes ne comptent plus le phonème /D:/ parmi les voyelles
orales du français. D'autres, y compris N.Katagoščina tout en admettant
le caractère sporadique de la distinction de longueur, trouvent nécessaire
de maintenir l'opposition /D/ - /D:/ dans le système phonématique actuel
[68].
L'examen de la réalisation des oppositions prouve que le système
vocalique du français moderne est en pleine évolution.
On peut formuler une conclusion suivante: la stabilité d’une opposition
dépend de facteurs internes et externes.
Il y a deux facteurs internes pricipaux: ce sont la fréquence
d’occurence dans le discours et le rendement des oppositions. Par
exemple, comme le /A/ a une fréquence très basse, il est souvent remplacé
par le /a/. Il faut y ajouter que le rendement fonctionnel est très faible:
patte – pâtes. Cette opposition tend à disparaître au profit du /a/.
On peut également observer les mêmes facteurs dans le cas des
oppositions de E, EU, O, que l’on a examiné ci-dessus. L’exemple le plus
frappant est celui du EU: même dans la seule paire minimale jeune – jeûne
se réalise de plus en plus le timbre ouvert. Ainsi pour l’opposition /R/ -
/X/ les deux facteurs internes contribuent à la disparition du /X/: le
rendement faible et une difficulté articulatoire déjà expliquée.
Les facteurs externes sont d’ordre linguistique (l’origine dialectale,
par exemple) ou expressif pour signaler une attitude, une mode. Ainsi,
l’opposition /S/ - /T/ qui est considérée comme stable, tend à se réduire de
nos jours au profit du /T/: trente enfants chantent devient «tronte onfonts
chontent» dans dans certains parlers à la mode.
On peut constater un autre recul de l’articulation pour la voyelle nasale
[R] qui tend à passer à [S], dans le parler populaire parisien. Il paraît que
l’antériorisation et l’ouverture des voyelles orales, ainsi qu’un recul
général de l’articulation des voyelles nasales peuvent être expliqués à
l’aide des précisions socioliguistiques.
Selon B.Malmberg, il existe deux systèmes vocaliques en français
moderne: le système maxima qui caractérise toutes les ressources
distinctives , même les moins stables, et le système minima présentant le
minimum absolu qu'il faut respecter pour se faire comprendre [71;41].

Statut phonologique du /B/ instable


Le terme «instable», «caduc» s’exlique par le fait que le /B/ peut
tomber: Je sais, J’sais. Le /B/ final dans un mot est nommé muet, mais il
peut être pronocé selon l’entourage phonique: Ouvre! – Ouvre donc la
porte! Les anciens grammaires le nommaient encore E féminin parce qu’il
servait de marque morphologique pour distinguer le féminin du masculin:
aimé – aimée.
En français moderne la prononciation de la consonne finale est
conditionnée par le E muet de fin de mot: pote – pot.
Le timbre du [B] instable est aussi fluctuant selon les régions, les
individus ou le contexte: entre le EU ouvert, comme dans le mot seul, et
le EU fermé, comme dans le mot ceux. À Paris on peut entendre prononcer
Je sais et Prends-le avec le [B]-caduc dans Je et le [Z] ouvert dans le.
Dans les autres dialectes du nord on peut entendre le [V] fermé dans le de
la phrase Prends-le.
Maintenant le /B/ instable apparaît en syllabe ouverte: Je le
redemande, ce reportage. On peut noter que le /B/ instable des préfixes
peut se trouver devant une consonne redoublée, le s, pour éviter la
prononciation sonore z, comme dans ressentir, ressembler, etc.
Quelques mots présentent l’ancienne orthographe d’une voyelle affaiblie
en /B/ instable: monsieur, faisan, faisant, faisait [32;141-142].
De nombreux recherches ménées sur les caractéristiques phonétiques
du /B/ instable, sa valeur fonctionnelle et sa réalisation n’aboutissent pas
à un résultat exhaustif. C’est surtout la définition du statut phonologique
de ce son qui pose des problèmes devant les linguistes.
Tous les points de vue sur le statut de cette voyelle peuvent être classés
de la façon suivante:
1) le /B/ instable constitue un phonème qui trouve sa place dans le
système vocalique du français;
2) le /B/ instable n'est pas considéré comme un phonème à part;
3) le /B/ instable jouit d'un statut particulier dans la phonologie du
français.
Parmi les linguistes qui considèrent le /B/ instable comme un phonème
indépendant on trouve G.Straka, K.Togeby, J.Varney-Pleasants,
E.Companys, W.Zwanenburg, L.Ščerba. Pour l'identification du phonème
/B/ on cite des oppositions du type ne - noeud, je - jeu, cela - ceux-là,
jeune vaurien - je n(e) veux rien, etc. ou la commutation /B/ - /V/, /B/ - /œ/
semble jouer un rôle distinctif. Ces oppositions ne sont pas pourtant
convaincantes en raison des conditions différentes de la réalisation des
voyelles qu'on suppose opposées: la voyelle /B/ se trouve généralement
inaccentuée, alors que les phonèmes /V/, /œ/ dans des mots comme ceux,
jeu, nœud, jeune sont susceptibles de porter un accent.
Néanmoins dans les oppositions lexicales le /B/ instable - le zéro
phonique (l’absence de son) telles que porte - porté, porta Porto, l'être -
le hêtre, l'eau - le haut, l'un - le Hun ou morphologiques, comme le/les le
/B/ instable joue un rôle phonologique évident. En même temps pour les
oppositions du type pelage - plage, pelisse - plisse, ferons - front, belon -
blond, pelait – plaît où se réalise l’opposition le /B/ instable - le zéro
phonique on peut trouver d’autres arguments qui vont perturber leur
stabilité: 1) les mots comme ferons, pelisse, pelait font partie du lexique
courant et se prononcent fréquemment sans /B/ dans le langage quotidien;
dans ce cas l'opposition /B/ – le zéro de son se trouve neutralisée;
2) les mots pelage, belon, où le /B/ instable se trouve presque toujours
maintenu se rapportent au vocabulaire d'emploi rare ce qui témoigne d'un
rendement fonctionnel extrêmement pauvre des oppositions de type
pelage - plage aussi bien que du caractère marginal de la valeur distinctive
du /B/.
Mais c’est en raison de son alternance avec le zéro de son que
L.Ščerba attribue au /B/-instable le statut de phonème [74]. Par le
rapprochement des couples comme demander - à d(e)mander, peupler - à
peupler il tend à prouver que le /B/ alternant avec le zéro phonique
constitue un phonème indépendant par rapport au phonème /œ/ toujours
présent dans le mot. Le point de vue de L.Ščerba peut être éga1ement
contestable et ceci pour deux raisons: 1) l'alternance du /B/ instable avec
le zéro phonique conditionnée par le contexte ou d'autres facteurs
(stylistiques, par exemple) ne conduit pas au changement du sens des
mots; 2) les réalisations du phonème /Z/ que L.Ščerba oppose au /B/ ne
sont pas toujours stables, surtout en français familier (jeunesse [FZnDs],
déjeuner [deFZne]). Donc il existe un point de vue sur le statut de ce son
selon lequel l'alternance du /Z/ avec le zéro de son n’a pas de marque
phonologique.
Après l'analyse des points de vue assez contradictoires sur les
possibilités distinctives du /B/ instable au lieu de la conclusion se posent
au moins deux questions: Le /B/ instable est-il un phonème? S'il n'est pas
un phonème, qu'est-ce qu'il représente alors?
Certains linguistes, comme N.Chigarevskaïa, par exemple, estiment
que le /B/ instable n'est qu'une variante du phonème /œ/ réalisée en syllabe
ouverte non accentuée, vu la confusion fréquente des articulations du [ә]
avec celles du [œ]. Ce point de vue implique la nécessité d'envisager la
réalisation phonétique du /B/. Il faut remarquer que de nombreuses
descriptions du timbre de ce son sont loin de présenter un caractère
convergent. La plupart des linguistes (L.Armstrong, L.Barret,
E.Companys) considèrent qu'il s'agit d'un son intermédiare entre le [œ] et
le [V] prononcé le plus souvent avec un arrondissement des lèvres un peu
plus faible. D'autres, moins nombreux (M.Cohen, Ph.Martinon,
B.Malmberg) le décrivent comme un [œ] ouvert, toujours bref, moins
intense et moins tendu.
C.Brichler-Labaeye et J.Varney-Pleasants ont précisé lors des analyses
instrumentales que le point d'articulation du [ә] est plus en arrière-que
pour le [œ] et le [V] [71;43]. Toutes les deux déclarent que le [ә] ne se
confond ni avec le [œ] ni avec le [V]. Selon ces observations au point de
vue articulatoire le [ә] instable ne peut pas être considéré comme une
simple variante des phonèmes [œ] ou [V] et les réalisations phonétiques
portent un caractère extrêmement varié. La réalisation du [ә] est donc
considérée comme une voyelle neutre ou centrale avec un timbre un peu
délabialisé proche du [D]. L'apparition de telle ou telle variante du /ә/
instable est conditionnée en grande partie par le contexte et sa position
par rapport à l'accent.
Il existe encore un point de vue sur le statut phonologique du /B/ qui
se résume de la façon suivante: le /B/ instable constitue une unité à part
dans le système phonologique du français en vertu de sa réalisation
phonétique et son fonctionnement bien particulier. Cette conception du
/B/ instable est avancée dans les ouvrages de K.Barychnikova [55], [58],
N.Katagoščina [68] et precisée dans l'étude instrumentale de L.Morozova
[71;43].
Le statut particulier du /B/ instable se manifeste dans sa possibilité
d'assumer les fonctions prosodique, délimitative et stylistique alors que la
fonction distinctive reste marginale pour cette voyelle.
La fonction prosodique du /B/ instable consiste en ce que la réalisation
de ce son contribue à maintenir la structure syllabique propre à la langue
française dont la syllabe-type est la syllabe ouverte: des autres élèves [de
- zo - trә - ze - 'lD:v], proprement [prC - prә - ´mS], acheter [a - Gә - ´te],
le petite [la - pә - 'tit] .
La fonction prosodique du /B/ se révèle encore dans les cas où sa
réalisation est liée à la structure rythmique de l’enoncé. En effet, pour
éviter deux accents de suite on prononcera: j'ai trou'vé une jo'lie pe'louse,
mais on dira plutôt sans /B/: il y a des 'fleurs sur la 'p(e)louse. L'influence
du facteur rythmique sur la réalisation du /B/ se voit surtout dans des mots
composés comme garde-meuble, garde-barrière, porte-plume, porte-
monnaie dont le premier élément est susceptible de porter un accent. En
effet, dans des conditions articulatoires et distributionnelles identiques, le
/B/ instable se maintient à la joncture de deux éléments du mot composé
lorsque le premier est suivi d'un monosyllabe: garde-'meuble, garde-'fou,
porte-'plume. Au contraire, s'il est suivi de plus d'une syllabe, le /B/
instable tombe aisément: 'gard(e)-bar'rière, 'port(e)-cra'yon, 'gard(e)-
cô'tier. C'est peut-être par le facteur rythmique qu'on pourrait expliquer
l'introduction du /B/ dans ours [ә] blanc, même si la graphie du mot ne le
prévoit pas.
Les particularités de la distribution du /B/ instable dans la chaîne parlée
permettent de l'utiliser pour la démarcation des mots ou des unités
accentuelles. La fonction démarcative ou délimitative du /B/ s'exerce dans
le cas de la congruence des limites de la syllabe et du mot, par exemple:
quelque chose de ample, je crois que oui, le un, le „i," etc. Le besoin de
la délimitation conditionne le maintien du /B/ instable dans les groupes de
mots tels que laisse-le entrer, regarde-le aller. Le rôle délimitatif de cette
voyelle apparaît clairement dans la distribution syllabique des groupes de
trois consonnes qui se révèle fort différente selon que ce groupe soit
réalisé à la joncture interne (à l'intérieur du mot) ou à la joncture externe
(à la limite des éléments d'un mot compose, des mots et des unités
accentuelles). Ainsi les résultats de l'enquête de P.Léon donnent 90% de
/B/ prononcés dans appartement, 78% de /B/ supprimés dans porte-
manteau et 96% de /B/ supprimés dans porte manquée [33].
Malgré la différence d'opinions sur le statut phonologique, le timbre et
la distribution du /ә/ instable les linguistes s'accordent à affirmer que cette
unité phonique sert de moyen stylistique le plus sûr. Le nombre de /B/
prononcés décroît lorsqu'on passe du langage soutenu au langage familier.
Toutefois, la distribution des /B/ prononcés ou omis suivant la position ou
le contexte phonique est souvent plus important que leur occurence même
dans un tel ou tel style du discours.
Le langage poétique a ses propres règles de la prononciation du /B/
instable. Le code poétique exige ainsi le maintien du [B] devant une
consonne, même à la fin des mots. Citons, par exemple, le vers alexandrin
A u t o m n e de Lamartine: Terre, soleil, voilons, belle et douce nature. Le
[B] instable prononcé systématiquement devant les consonnes contribue,
d'une part, à observer la mesure du vers, à ralentir le rythme, un autre
élément du code poétique, et, d'autre part, à augmenter la musicalité du
vers: Je ne parlerai pas, je ne penserai rien (A.Rimbaud Sensation). Si
l’on supprime les [B] instable, l’alexandrin se réduit à 8 syllabes: Je
n’parl’rai pas, je n’pens’rai rien. Dans ce cas le rythme syllabique du
poème est détruit.

À en juger des exemples ci-dessus le comportement de cette voyelle en


français standard est très sensible à des facteurs d'ordre phonologique,
rythmique et stylistique notamment. Il faut savoir, par exemple, qu'un style
plus soutenu favorise la réalisation des [B] instables. On prononce plus de
[B] quand on lit un texte ou un discours que lorsque l'on parle à un ami. En
outre, plus on parle vite, moins les [B] prononcés sont nombreux. Face à cette
variabilité, il est difficile d'émettre des règles de prononciation absolues. Il y a,
cependant, quelques cas où le /B/ - instable doit ou ne doit pas se prononcer.
Pour le reste des cas, la fréquence de prononciation peut varier en fonction de
nombreux facteurs. Même en l’absence de toute donnée scientifique, on peut
affirmer que la conscience linguistique d’un Français, le /B/ – instable pronocé
est associé avec l’idée «du beau langage».

Dans la chaîne parlée les voyelles subissent des changements nommés


l’assimilation vocalique ou l'harmonisation vocalique et l’allongement
des voyelles. Pour ce phénomène on peut encore trouver le terme de dilation.

L'harmonisation vocalique est un phénomène d'assimilation vocalique à


distance. En effet, une voyelle peut influencer une voyelle proche en
modifiant son timbre. La voyelle responsable de l'assimilation est une
voyelle accentuée (ou tonique) car elle a une plus grande force assimilatrice
que la voyelle inaccentuée (ou atone). C'est la voyelle de la syllabe
précédant la syllabe accentuée qui est la plus fréquemment assimilée.
L'assimilation ne se produit que si la syllabe inaccentuée est ouverte.
L'harmonisation vocalique résulte en une identité de timbre entre les
deux voyelles. Ainsi une voyelle ouverte, en position inaccentuée, pourra se
fermer sous l'effet d'une voyelle accentuée fermée. Ce sera le cas, par
exemple, du verbe aider qui se prononce [Dde] ou [ede]: la voyelle du radical
du verbe ([Dd]) peut soit être maintenue soit s'harmoniser avec la voyelle
tonique.
L'explication vaudrait pour la prononciation [tety] du mot têtu dérivé de
tête [tDt].
Inversement, sous l'influence d'une voyelle accentuée ouverte, la voyelle
atone fermée pourra s'ouvrir. Le mot négoce se prononcera [negCs] sans
harmonisation vocalique ou [nDgCs] avec. La prononciation [tDjD:r] pour le
mot théière, dérivé de thé [te] est un autre exemple d'harmonisation
vocalique. L'harmonisation vocalique se manifeste de deux façons: la
voyelle atone est ouverte et elle se ferme sous l'influence de la voyelle
accentuée fermée; la voyelle atone est fermée et elle s'ouvre sous l'effet de
la voyelle accentuée ouverte.
Quoique les exemples d'harmonisation vocalique soient plus fréquents
pour les voyelles [D] et [e], le phénomène touche aussi les voyelles [V] - [œ],
d'une part, [C]- [o], d'autre part. À ce propos, Marchal [29;90] donne deux
réalisations possibles pour chacun des mots suivants: poteau ([pCto] ou
[poto]); heureux ([œrV] ou [VrV]); philosophe ([filozCf] ou [filCzCf]).

En français, une voyelle peut être longue pour trois raisons.


Une voyelle peut être longue pour des raisons liées à l'évolution
phonétique de la langue. C'est, en effet, le cas des voyelles [V] et [o] en syllabe
fermée qui ont été présentées comme des exceptions à la loi de position . Mais
c’est leur graphie –au-, -ô-qui explique l’allongement: [V] et [o] seront donc
réalisées [V:] et [o:] comme dans les mots paume ([po:m]), hôte ([o:t]) et
jeûne ([FV:n]). La différence de longueur vocalique est évidente dans les
paires minimales paume et pomme ([po:m] - [pCm]); hôte et hotte ([o:t] -
[Ct]); jeûne et jeune ([FV:n] -[Fœn]).
C'est aussi une cause historique qui explique que la voyelle [A] soit
longue en syllabe fermée dans les mots pâte ([pA:t]), gâte ([gA:t]), mâle
([mA:l]), etc.
D'autre part, une voyelle peut être longue par nature. C'est.le cas des
voyelles nasales [R], [S], [X] et [T] en syllabe fermée. Pour cette raison, les
mots «chance», «bombe», «simple», «emprunte» seront transcrits [GS:s],
[bT:b], [sR:pl] et [SprX:t].
Questions de révision:
1. Expliquez la différence des données des enquêtes menées dans les
années 30-40 et celles des années 60-70 au XXe siècle. Qu’est-ce que ces
enquêtes prouvent? Quels sont les facteurs des divergences phonématiques?
2. Quels facteurs physiologiques déterminent-ils les oppositions
vocaliques? Caractérisez de la façon générale les oppositions vocaliques du
français.
2. Définissez les cas de stabilité et ceux de neutralisation des oppositions
vocaliques.
3. De quoi dépend la stabilité de la réalisation des voyelles?
4. Caractérisez de la façon détaillée les oppositions instables. Citez vos
exemples.
5. Évaluez les points de vue sur le statut du /B/. Formulez les arguments
pour et contre ces points de vue.
6. Déterminez les facteurs et les conditions contribuant à la
prononciation et à la chute du /B/.
7. Évaluez les variantes des phonèmes conditionnées par l’harmonisation
vocalique et l’allongement.
Devoirs pratiques:
1. Dans les phrases suivantes caractérisez les voyelles accentuées,
précisez si la syllabe où elles se trouvent est ouverte ou fermée :
Ce soir, je prendrai l’autobus et j’arriverai chez vous assez tard.
Oui, il reviendra très tôt.
Vous parlez trop.
Vous parlez trop bas.
Non, ce ne sera pas avant Noël.
Vous aimez ce chocolat, Jean?
Ça, c’est chic, mais c’est du toc.
2. Transcrivez phonétiquement les voyelles ds mots en italique:
Ce sont eux.
Prends l’eau.
Tu la jettes sur le sol.
Laisse mon chapeau.
Donne la colle.
Arrête de parler.
Il faut que ma mère sorte.
Quelle sorte de fleur aimez-vous le mieux?
3. Faites une liste des mots en italique ci-dessus, en les classant selon le
type de syllabe auquel ils appartiennent et indiquez la loi qui donne le timbre
de la voyelle, par exemple: seau /so/, O en syllabe accentuée, ouverte est
toujours fermé.
4. Transcrivez les voyelles accentuées des mots suivants en indiquant
si la règle de pronociation est celle de distribution complémentaire (Dc)
ou une exception de type graphique (Gr) ou phonétique (Ph).
Exemple: beau [bo]: (Dc)
lait
chaud
belle
pied
rose
De Gaulle
Alfred
pôle
bleu
coeur
5. Trouvez les mots qui peuvent s’opposer à ceux de la liste suivante
pour former une paire minimale:
je reviendrai
top
Beauce
j’arrivai
saule
rauque
hotte
Beaume
pomme
6. En français canadien, comme dans les parlers de l’ouest de la
France, on peut avoir deux timbres différents pour les voyelles /i/, /y/, /u/:
un timbre fermé noté [i], [y], [u]
et un timbre ouvert, noté ici [ı], [γ], [ν] .
ri [ri] rime [rım]
rue [ry] rude [rγd]
roue [ru] route [rνt]
Comment pourrait-on expliquer ce phénomène ?
7. À votre avis pourquoi les voyelles finales des mots suivants sont-
elles fermées malgré la règle de distribution complémentaire: ose, creuse,
chose, chanteuse, morose, menteuse?
8. Indiquez, s’il y a lieu, les allongements des voyelles accentuées,
dans les mots suivants: fausse, orme, toiture, pomme, paume, autonome,
ouverture, banal, porte, fond, fonte, tringle, verte, vert, marc, soc, sauce,
marque, pose, poste, garage, trentaine, dors, songe.
9. Dans quel type de morphème la voyelle [X] est-elle la plus
fréquente? Est-ce en position accentuée ou inaccentuée? Quelles
conséquences peut-on déduire pour l’évolution linguistique?
10. Quels traits distinctifs séparent les voyelles:
/V/ - /e/; /o/ - /R/, /X/ - /Z/, /o/ - /y/, /T/ - /R/, /X/ - /V/?
Donnez des paires minimales avec ces couples de voyelles.
11. Relevez tous les [e]/[D], [o]/[C] présents dans ce poème de Victor
Hugo, extrait des Contemplations. Évaluez leurs graphies:
Mes vers fuiraient, doux et frêles,
Vers votre jardin si beau,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’oiseau.

Ils voleraient, étincelles,


Vers votre foyer qui rit,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’esprit.

Près de vous, purs et fidèles,


Ils accourraient nuit et jour,
Si mes vers avaient des ailes,
Des ailes comme l’amour.
Victor Hugo, Les Contemplations, 1856.
12. Dans cet extrait des Exercices de conversation et de diction
française pour étudiants américains d’Egène Ionesco relevez toutes les
voyelles nasales et évaluez leurs graphies. Marquez d’autres phénomènes
de phonétique dans ce texte.
JEAN: Dans la basse-cour, depuis dimanche, le blanc dindon dont ta
tante et toi me fîtes don, lundi dernier, fait la cour à la dinde blanche de
mon cousin, fils d’oncle Aron.
GASTON: Ce n’était pourtant pas un lundi, mais bien un vendredi que
moi, Gaston, ton cousin, je te fis don d’un blanc dindon dont tu
m’apprends qu’il fait la cour, dans la basse-cour, à la blanche dinde dont
te fit l’autre cousin, fils d’oncle Aron, mari de la tante Angèle que tant tu
aimes.
JEAN: Gaston!
GASTON: Hein ?
JEAN: Gaston, entends-tu, ne trouves-tu pas, cette conversationpour
apprendre à prononcer le son an, le son on, le son in, a l’air con?
GASTON: Jean, tu as raison. Abstentons-nous-en donc. Quand nous
reverrons-nous?
JEAN: Un de ces lundis.
Eugène Ionesco, in Exercices de conversation et de diction française
pour étudiants américains, in ThéâtreV, Éd. Gallimard.
13. Faites l’évaluation phonologique du système des voyelles créoles
[34;66]:
Compère lapin
ou les voyelles simplifiées
Le texte de suivant est un conte raconté en créole de Sainte-Lucie
(Antilles). On l’a relevé en alphabet phonétique international avec sa
traduction littéraire, mot à mot, et sa traduction en français standard au-
dessous.
Vous constaterez comment le créole a simplifié le système des voyelles
du français. Le créole n’a gardé que les voyelles orales /i, e, a, o, u/. Les E
st O peuvent avoir des variantes ouvertes ou fermées. les voyelles nasales
du français ont été remplacé par la voyelle orale correspondante, suivie de
N ou M, selon l’entourage phonétique, comme dans: manger [manFe], ou
tomber [tCmbe].

[kCmpDlapD dii (kaj) mande bCndjegwas]


Compère lapin dit il (futur) demander Bondieu une grâce
Compère lapin dit il qu’il va demander une grâce au Bon Dieu
[pu tut mun ki pale mun mal po jo mC]
Pour tout monde qui parler monde mal pour eux mort
Pour tous ceux qui parlent mal des autres qu’ils meurent

[i ale i manGe Cn pikwD i mute aniD


il (aller) il (emmancher) un pic et il monter en l’air
mCso kaje]
morceau caillou
il va il emmanche un pic et il monte sur un caillou

[fuje twu jam la pwDnmje ki pase se fouiller


trou yams là Premier qui passer c’est
kCmpD kCGCn]
compère Cochon
creuser un trou pour planter là des yams. Le premier qui passe c’est
Compère Cochon
[i di kCmpe lapDn sa u ka fD la
Il dit: «Compère Lapin savoir toi que faire là? »
kCmpD lapen di li]
Compère Lapin dit lui
Il dit: «Compère Lapin, on peut savoir ce que tu fais là?»
Compère Lapin lui dit:
[de ti twu jam a fuje baj iG mwDn manFe]
Des petits trous yams à fouiller donner enfants moi manger
Des petits trous pour planter des yams et donner à manger à mes
enfants.
[kCmpD kCGCn di me kCmpD u kujon]
Compère Cochon dit: «Mais Compère toi couillon»
Compère Cochon dit: «Mais Compère, tu es un couillon!»
[i tombe a tD bletelek i mC]
Il tomber à terre Blétélek il est mort
Il tombe à terre, Blétélek! Il est mort.

14. Dans un des mots suivants, le e en caractères gras n'est pas un /B/ caduc.
De quel mot s'agit-il?
a. tenue b. terre c. refaire d. commandement e. petit
f. peler g. fille h. me

15. Pour chaque phrase transcrite, expliquez pourquoi le /B/ caduc est ou
n'est pas prononcé :
a. Nous serions chez le docteur s'il n'y avait pas de tempête de neige.
[nusәrj2GeldCktœrsilnjavDpadtSpDtdәneF]
b. C'est vendredi, dans le magasin, que la robe à pois d'Aline s'est déchirée.
[sDvSdrәdidSlmagazRkә1arobapwadalinsDdeGire]

16. Transcrivez les groupes suivants:


a. le héros
b. le lit
c. Je le vois
d. Que c'est beau!
e. la grenadine

17. Certaines des transcriptions suivantes sont erronnées. Corrigez la


transcription si nécessaire:
a. une haine [ynDn]
b. danseriez [dSsәrje]
c. lâche-le [lAGlә]
d. que dis-tu [kdity]
e. ce que tu dis [skәtydi]
18. Soulignez tous les e caducs orthographiques dans les phrases suivantes:
Je ne me rappelle plus si l'erreur était aussi terrible que vous le pensiez.
Demandez le programme.
Restez devant la fenêtre.
II écrit avec netteté.
19. Trouvez des paires minimales où un phonème s'oppose à un /B/ caduc,
avec les mots suivants:
a) ce soir
b) le matin
c) je fais
d) demain
e) ce que vous nommez
20. Transcrivez selon le style de la conversation ordinaire:
- la petite.
- une petite?
- cette petite.
- si petite!
Expliquez votre transcription.
21. Transcrivez les phrases suivantes en phonétique :
a) Je vois la fenêtre ouverte.
b) Je ne vois pas ce que vous me montrez.
c) Je ne me rappelle pas si vous venez demain, vendredi, samedi ou
mercredi.
d) Ne me le redemande pas.
e) Regardez si elle est venue.
f) Elle ne reviendra jamais plus.
22. Le /B/ caduc est-il un phonème? Justifiez votre réponse en comparant
les unités suivantes :
a) Je dis opposé à J'ai dit
b) Je dis opposé à Jeudi
c) Je vois opposé à J(e) vois
d) J(e) dis opposé à Je dis
e) Sam(e)di opposé à Samedi
f) Prends-le opposé à Prends-les

23. Quelle est la régie de prononciation d'un seul /B/ caduc, en début de
groupe rythmique?

24. Transcrivez phonétiquement le texte suivant selon les règles de la


diction classique.
Notez l'accentuation et le nombre de syllabes par groupe rythmique.Il y a
deux vers qui ne suivent pas le schéma rythmique octosyllabique. Lesquels?
Je souhaite en ma maison:
Une femme ayant sa raison,
Un chat parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre.
Guillaume Apollinaire, Le chat, dans Alcools
25. Transcrivez les vers suivants en indiquant le nombre de syllabes dans
chaque groupe rythmique et quels e caducs il faut prononcer pour lui garder
son rythme syllabique. Du point de vue de l'accentuation est-ce un rythme
binaire, ternaire ou quaternaire? Évaluez les cas d’allongement.
Notre sentier près du ruisseau
est déchiré par les labours
si tu venais, fixe le jour
je t'attendrai sous le bouleau.
Félix Leclerc, Notre sentier, Félix Leclerc par Luc Bérimont, Paris,
Seghers, p.l53
26. Transcrivez phonétiquement les vers suivants, 1) selon la diction
classique 2) comme s'il s'agissait de prose ordinaire:

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne


Je partirai, vois-tu, je sais que tu m'attends.
Victor Hugo, Aujourd'hui , Les Contemplations
27. Dans la poésie Rose de Robert Desnos évaluez les cas d’allongement:
Rose rose, rose blanche,
rose thé,
J’ai cueilli la rose en branche
Au soleil de l’été.
Rose blanche, rose rose,
Rose d’or,

J’ai cueilli la rose éclose


Et son parfum m’endort.
Robert Desnos in Chantefables et Chantefleurs. Gründ.

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