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La chemise au Bas Moyen-Age

-première partie : femmes, travail et enfants-

Tina Anderlini
Docteur en Histoire de l'Art

A partir du XIIIe siècle, nous avons souvent eu l'occasion de croiser des paysans en chemise
lors de leurs travaux. Si à cette époque il semble que seuls les hommes n'ont pas trop de honte à se
montrer en robe-linge, pour reprendre l'appellation médiévale de ce vêtement 1, on peut trouver dans
des enluminures du XIVe siècle des femmes en petite tenue, comme nous l'avons constaté avec la
paysanne aux champs du Tacuinum Sanitatis. Il convient néanmoins de dire que les femmes
uniquement vêtues de leur chemise aux champs sont rarissimes, la norme étant quelque peu
différente, comme nous allons le voir avec un exemple très célèbre.

Les paysannes du Duc de Berry.

Parmi les plus fameuses représentations de paysannes de la fin du Moyen Age, nous nous
devons bien évidemment de nous attarder sur le calendrier des Très Riches Heures du Duc de
Berry2. Les mois de Février, Juin et Juillet sont les plus pertinents pour notre étude. Si les paysans
de Février sont principalement en train de se réchauffer auprès du feu, les femmes montrant le bas
de leurs chemises, ceux de Juin et Juillet sont en plein travail.
Comme cela était le cas au Palazzo Pubblico de Sienne, les hommes de Juin et Juillet sont
en chemise. Nous retrouvons ces chemises plus courtes et fendues sur les côtés déjà signalées à
Sienne. Là aussi, nous notons les cols en V. L'enluminure qui retient le plus notre attention est
évidemment celle du mois de Juin, et ses deux jeunes paysannes. Tout comme leurs compagnons,
elles sont jambes nues, le peintre montrant ainsi la chaleur du mois de Juin. Mais, contrairement
aux hommes, elles gardent leurs jambes couvertes. Néanmoins, celle de droite n'a pas hésité à
remonter sa cotte aux genoux et à la coincer dans sa ceinture afin de se rafraîchir quelque peu. On
voit ainsi une chemise descendant jusqu'aux mollets, mais légèrement remontée elle aussi sur
l'avant, comme en témoigne la longueur arrière. Si la paysanne de gauche a elle aussi remonté sa
cotte, ce qui se devine par l'effet blousé à la taille, elle n'a cependant pas osé dévoiler la partie
inférieure de sa chemise. En revanche, les deux jeunes femmes ont retiré les manches de leurs robes
respectives, un autre moyen pour le peintre anonyme 3 de figurer la chaleur. Les manches des
chemises, légèrement retroussées, sont alors visibles. Les cottes à manches courtes, voire sans
manches, sont relativement courantes au XVe siècle dans l'art flamand, augmentant ainsi
l'interaction entre les deux couches de vêtements. Elles sont généralement agrémentées de manches
amovibles. Il semble que ces robes à manches courtes soient souvent des surcots pour les femmes
de condition supérieure à nos paysannes, ou sont portées sous des surcots à manches longues 4. Pour
Margaret Scott, les manches amovibles portées directement sur les sous-vêtements seraient un signe
de petite vertu5. On ne peut que constater qu'en effet la plus célèbre femme portant ce type de

1 Associé pour les hommes aux braies, comme nous l'avons vu dans le tout premier article de cette série.
2 Chantilly, Musée Condé, Ms 65. Inachevé en 1416. Complété par un artiste anonyme vers 1440, et achevé par Jean
Colombe à la fin du siècle.
3 Il s'agit peut-être, pour le mois de Juin, de Barthélémy d'Eyck. Ce même mois aurait déjà été commencé en 1416.
4 Voir par exemple la Bethsabée au bain des Heures d'Anne de France (Anne de Beaujeu), Bourges, vers 1473,
Pierpont Morgan Library, New York. MS M.677 fol. 211r. Son surcot à manches longues est posé sur le sol à ses
côtés.
Il convient cependant de signaler que l'une des Muses de la Consolation Philosophique de Boèce porte elle aussi
cette tenue à manches courtes, sur ce qui semble être une chemise. Bourges, vers 1465, Pierpont Morgan Library,
New York. MS M.222 fol. 4r.
5 Margaret Scott, Fashion in the Middle Ages, p. 49.
vêtement, avec manches épinglées, est Marie Madeleine, dans des tableaux de Van der Weyden.
Néanmoins, ceci mérite d'être confronté à d'autres exemples.
Les Très Riches Heures du Duc de Berry ont eu une histoire complexe. Le mois de Juin est
considéré comme ayant été repris plusieurs fois, par des artistes différents. Ceci est gênant en ce qui
concerne la datation des différents phénomènes y figurant, en particuliers les larges encolures et le
laçage sur l'avant de la robe de droite. L'encolure large est apparue, dans les couches supérieures de
la société, au XIVe siècle. D'abord scandaleuse, elle finit par se généraliser, pouvant être atténuée
par un fichu. Les robes des paysannes de Février, enluminure considérée comme plus ancienne pour
la majorité de sa réalisation sont de ce type. On peut donc envisager que dès la seconde décennie du
XVe siècle la robe décolletée était relativement courante dans certaines parties de l'Europe et pour
tous les statuts. Il faut cependant préciser qu'aucune des encolures des Très Riches Heures du Duc
de Berry ne présente une chemise dépassant. Les règles de pudeur du siècle précédent sont encore
valables à ce moment. Les peintures flamandes un peu plus tardives, à partir de 1430-1435,
montrent, elles, des chemises dépassant parfois de l'encolure. Qu'il soit total ou partiel, ce
dépassement reste minime. De l'ordre de un ou deux centimètres, tout au plus.
La cotte lacée sur l'avant, laissant voir un peu de la chemise, pose un réel problème de
datation. Très populaire dans les milieux de la reconstitution, elle ne figure pas dans l'enluminure de
Février. Si l'on se réfère à d'autres œuvres du début du siècle, où des cottes lacées sont visibles,
comme l'Adoration des Mages de Gentile da Fabriano6, cette ouverture plus large constitue une
nouveauté. La cotte lacée de la femme derrière la Vierge dans l'oeuvre italienne ne laisse en effet
rien voir des couches inférieures. Elle est en revanche bien présente dans la peinture flamande à
partir, là encore, de la troisième décennie. Elle deviendra même de plus en plus courante au cours
du siècle, laissant voir la chemise, comme c'est le cas dans le mois de Juin, une sous-robe, ou
encore le tassel, selon les agencements et les statuts. Signalons enfin qu'il existe, d'après les œuvres
flamandes, un autre type de cotte, apparaissant, semble-t-il, à la même période, qui permet
d'entrevoir la chemise, ou des couches intermédiaires : la cotte à laçage latéral, de la taille aux
hanches.

La chemise à femme sans manches.

Les chemises visibles dans les Très Riches Heures du Duc de Berry se justifient par la
chaleur. Nous allons à présent revenir sur un cas évoqué brièvement lors d'un précédent article : la
chemise féminine sans manches, dont, rappelons le, une pièce archéologique, disparue lors de la
Deuxième Guerre Mondiale, figurait dans l'ouvrage de Carl Köhler. Les représentations de ces
chemises sont, avec les nus, l'une des rares occasions de voir des bras féminins totalement nus dans
l'art médiéval.

Cette chemise à bretelles plus ou moins fines, ou à manches très courtes n'est pas si rare.
Elle figure dans la fresque de la Fontaine de Jouvence du Castello della Manta7, près de Turin,
portée par l'une des vieilles femmes. On la voit encore sur quelques dessins italiens, de Pisanello,
par exemple. Cette existence en Italie du Nord de chemises sans manches répond aux interrogations
de Nadège Gauffre-Fayolle : « Certains manuscrits de Bohème montrent une forme moins connue.
C'est une chemise de type bustier, avec ou sans bretelles, resserrée à la taille et s'évasant vers le bas.
Ces chemises sont toutes portées par des femmes dans les établissements de bains. Est-ce une mode
spécifique à l'Europe de l'Est ? Est-ce une tenue uniquement portée par les femmes travaillant aux
bains ? Dans les sources écrites, nous ne rencontrons qu'une seule mention de chemise pouvant
appartenir à cette catégorie : un inventaire après décès de la ville de Dijon décrit une chemise à
femme sans manches.8 » On peut aisément en élargir le contexte géographique, et les circonstances.
6 1423, Galerie des Offices, Florence.
7 Vers 1420.
8 Nadège Gauffre-Fayolle, Une Définition du sous-vêtement médiéval à partir de la comptabilité de la cour de
Savoie, in Le Corps et sa parure, pp. 309-327, p. 317. N. Gauffre-Fayolle indique en note que ses informations sur
l'inventaire après décès bourguignon proviennent d'un travail en cours de Françoise Piponnier.
Il est vrai que les représentations les plus célèbres viennent de Bohème. La Bible de
Wenceslas IV et deux autres ouvrages9 destinés à ce souverain comportent en marge plusieurs jeunes
femmes travaillant aux étuves en tenue légère. Mais, nous avons vu que le phénomène ne se limitait
pas à ces cas, ce qui est confirmé par les mêmes sources bohémiennes où des femmes honorables,
de surcroît avec bébé, peuvent être au lit dans ces chemises.

Les formes en sont fort variées. Si la pièce archéologique nous présentait un exemple où les
bretelles étaient coupées dans la continuité de l'encolure ronde, conception que l'on retrouve sur
certaines sources italiennes, les divers témoignages iconographiques nous montrent des bretelles
plus ou moins larges, empiétant parfois sur l'épaule. Certaines chemises sont des bustiers, sans
bretelles donc. D'autres n'en ont qu'une. Celle-ci peut s'accrocher à l'avant et à l'arrière du même
côté, en passant sur la même épaule ou partir du sein gauche, passer sur l'épaule droite, et être
cousue au niveau de l'omoplate gauche (ou inversement). Certaines enluminures pourraient même
laisser supposer la présence d'une bande (Galon ? Ruban?) décorée au niveau de la poitrine. Les
encolures sont, là, carrées. Parfois la chemise est transparente et ne cache rien de l'anatomie
féminine. Peut-être est-ce l'eau qui a rendu le vêtement ainsi, une sorte de version médiévale du
drapé mouillé antique ? Les chemises transparentes ne paraissent pas être représentées en dehors
des scènes d'étuves. Mais, bien évidemment, ces robes-linges ne dissimulant plus rien ont un aspect
érotique bien plus fort que les chemises opaques, qui elles-mêmes sont plus érotiques que les
chemises à manches longues, dissimulant la poitrine.

Ces chemises sans manches ont-elles uniquement un intérêt érotique10 ? On pourrait


l'envisager en ce qui concerne les chemises transparentes, mais celles-ci sont minoritaires. Il
convient alors de nous demander si l'érotisme est bien le seul intérêt de ce vêtement.

Les employées des bains ne sont pas les seules femmes à travailler en chemise sans
manches. Une carte à jouer germanique nous présente ainsi une potière, dans une tenue similaire.
Agrémentée de fines bretelles, avec une encolure carrée, la chemise est cintrée. Les deux
professions ont un point commun : les éclaboussures, d'eau ou d'argile mouillée, qui peuvent
atteindre les bras. Nous revenons alors à l'origine même de la chemise de corps. C'est, de par sa
situation dans les différentes couches, le vêtement qui est le plus souillé, le plus soumis à la
transpiration, et le plus lavé. Par souci d'hygiène, il reste écru, ou est blanchi. Et il est généralement
d'une matière qui se lave relativement aisément : le lin ou le chanvre. Ce simple constat permet de
comprendre pourquoi, pour certaines tâches, les femmes préfèrent travailler en chemise. La laine,
portée de surcroît en couche visible, se lave tout simplement bien moins facilement, et craint plus
les éclaboussures diverses.
C'est ce fait qui peut aussi justifier l'absence de manches. Les bras sont, dans les deux
activités, les parties qui seront les plus mouillées. Or, nous savons à quel point il est désagréable de
porter des vêtements humides. Les bras nus se sèchent rapidement, et, dans le cas de la potière, se
nettoient commodément. Les sages-femmes peuvent aussi porter cette robe-linge sans manches,
comme en témoigne une fresque de Giusto de Menabuoi au Baptistère de Padoue. La sage-femme
portant le petit saint Jean Baptiste est vêtue de ce type de chemise, pendant que ses consoeurs
remplissant le baquet ou tenant un linge ont retroussé les manches de leurs cottes. La chemise sans
manches, en dehors de tout aspect érotique, s'avère être la tenue la plus hygiénique et la plus
pratique pour certains métiers. Elle peut ainsi être considérée souvent comme une adaptation de la
tenue au travail, tout simplement en ôtant les couches supérieures et en ne portant plus qu'une robe-
9 Bible de Wencelas IV, vers 1390-1395, Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek, MSS 2759-64
Commentaires sur Ptolémée, entre 1395-1405, Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek, 2271.
Epîtres de saint Paul, entre 1390-1400, Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek, 2789.
10 Cet aspect, ainsi que les différentes origines géographiques des chemises sans manches seront plus amplement
développés par Marie de Rasse dans un article à paraître prochainement, qui devrait normalement être intitulé Le
Cas particulier de la chemise sans manche.
linge, et n'est pas limitée aux étuves bohémiennes. Quant à la ceinture à la taille, ou le resserrement,
ceci relève aussi de l'aspect pratique, une tenue trop ample pouvant s'avérer gênante, tout en
risquant plus d'être souillée, et donc d'être portée humide.
En conclusion, il paraît totalement erroné d'envisager que ce type de chemise soit la marque
d'un quelconque manque de vertu, ou qu'il soit réservé à une seule profession, ou à un seul secteur
géographique.

Hommes au travail.

Cette nécessité de protéger les manches de projections d'eau est aussi un aspect des
travailleurs masculins, comme le souligne Perrine Mane : « Sur les chantiers de construction, les
gâcheurs de mortier font de larges mouvements avec leurs bras et sont en contact constant avec
l'eau ; aussi relèvent-ils leurs manches. Il en va de même, avec une fréquence moindre, pour les
métiers salissants, comme les poissonniers ou les bouchers.11 »
De nombreux travailleurs, hommes ou femmes, protègent cependant leurs vêtements avec un
tablier. Il semble bien que l'humidité et la chaleur soient les facteurs décisifs quant au travail en
chemise, ou bras nus.

Les connotations morales liées à la chemise sont toujours présentes, selon les œuvres. Si on
peut considérer que de nombreux exemples sont des reflets, plus ou moins améliorés, des
travailleurs de la fin du XIVe et du XVe siècles, d'autres cas relèvent de la représentation de la
vulgarité. On pense en particulier à la fresque de Piero della Francesca, Le Transport de la Poutre
Sacrée, se trouvant dans l'église San Francesco d'Arezzo. Les trois porteurs, figurés en plein effort,
apparaissent particulièrement négligés. Le premier est chausses pendantes, le pourpoint passé par
une seule manche. La chemise fendue aux côtés et portée avec une ceinture laisse voir des braies
qui elles mêmes ne cachent pas grand chose. Le sens poussé du détail du peintre toscan nous permet
de constater que même pour une chemise de travailleur, l'emmanchure arrondie est devenue
possible. Le deuxième est jambes nues. La large encolure en V de sa poitrine laisse voir une partie
de sa poitrine et ses clavicules. Nous sommes loin des cols de chemises soigneusement fermés par
une fibule de la Bible de Maciejowski. Le dernier, coiffé de lierre, a conservé son pourpoint, mais
l'a ouvert. La chemise, sortie des chausses, pend sur l'avant. Dans les trois cas, on note des tenues
amples, et des manches larges, correspondant à la mode du XVe siècle italien. Leur rôle, dans la
Légende de la Croix, n'est pas des plus nobles, l'épisode illustrant le dédain des Juifs pour le Bois
Sacré, provenant du Paradis, qui servira à faire la Croix du Christ. La comparaison avec un autre
travailleur de ce même cycle d'Arezzo paraît significative. Dans l'épisode de La Découverte de la
Vraie Croix, un homme lui aussi chausses baissées, chemise fendue sur les côtés dépassant du
pourpoint, semble malgré cela bien plus digne que les trois porteurs de la Poutre Sacrée, quelques
fresques, et siècles dans le récit, auparavant. L'expression même du personnage au repos semble
aller en ce sens. Sa chemise présente encore un aspect que nous n'avons jamais rencontré
auparavant : un col particulièrement haut et suffisamment large pour laisser passer la tête. On
imagine aisément ce que cela donne avec un vêtement de dessus fermé : le petit bout de col blanc
visible sur tant d'oeuvres italiennes de la seconde moitié du XVe siècle.

Vêtir un petit enfant.

Si l'adulte ne se montre en chemise que dans des cas finalement exceptionnels, il n'en est pas
de même pour l'enfant12 qui, de un à sept ans peut sans honte porter sa chemise en toutes
circonstances. Nous allons ainsi nous attacher brièvement à la manière dont les enfants étaient vêtus
11 Perrine Mane, Emergence du vêtement de travail à travers l'iconographie médiévale, in Le Vêtement, histoire,
archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,1, Paris 1989, pp. 94-95.
12 Nous nous baserons essentiellement, pour cette partie, sur l'article de Danièle Alexandre-Bidon, Du Drapeau à la
cotte, vêtir l'enfant au Moyen-Âge (XIIIe-XVe s.), in Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires
au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,1, Paris 1989, pp. 123-168.
dans les premières années de leur vie.

Les premiers mois de son existence, le nouveau-né porte ce qu'on appelle un maillot, dont
l'apparence varie selon les régions. Les bandes enserrent de manière bien plus forte le bébé en Italie
que plus au nord. Chez les plus aisés des bandes de lin enserrent d'abord la taille pour la douceur du
tissu, et, encore, par hygiène. Le chanvre blanc, moins onéreux, est aussi présent, toujours en raison
du lavage de ces pièces qui seront fatalement les plus souillées. Les fesses sont, dans les premiers
temps, laissés libres. Il semble même que l'enfant était nu ou partiellement dévêtu pour téter, et
n'était rhabillé qu'après que la nature eut fait son œuvre...

Ces premières bandes sont recouvertes d'un lange de laine, pour la chaleur, ce lange pouvant
être, en Italie, maintenu en place par une nouvelle bande. Les bandes de lin ou de chanvre blanc à
même le corps évitent ainsi de salir un tissu plus difficilement lavable. Nous rejoignons ici nos
observations sur la chemise sans manches. Les différentes pièces composant le maillot ne sont
d'ailleurs pas en nombre égal dans les inventaires florentins : on compte « trois fois plus de linges
de peau que de langes de laine13 ». La bande de lin supérieure, retenant le lange, se trouve en
quantité égale à celui-ci. On en déduit ainsi aisément quelle partie de l'habillement du bébé était la
plus souvent changée, et lavée.
Les bras et les jambes sont maintenus. Un bonnet est conseillé, afin d'éviter, croyait-on, les
oreilles décollées.

Le rouge est la couleur privilégiée, mais non la seule, pour le lange et la bande extérieure
chez les riches, cette couleur étant considérée comme protectrice pour l'enfant. « Le rouge des
langes et des bandes protégeait, pensait-on, contre les maladies -hémorragies (rouge du sang), peste
(dès la fin du XIVe siècle) et surtout la rougeole. 14 » Cette importance donnée à la couleur rouge se
manifeste aussi dans un talisman fort présent dans la peinture médiévale : le corail rouge, que l'on
trouve en pendentif ou en perles au cou de l'enfant Jésus.

C'est un peu avant de pouvoir se tenir debout et de savoir marcher que l'enfant quitte ses
linges et langes sans coutures. Il porte en premier lieu un demi-maillot 15, le haut étant composé
d'une chemise libérant ainsi les bras. Vers l'âge d'un an, l'enfant quitte totalement le maillot pour
être généralement vêtu d'un ensemble chemise-cotte (ou robe), et ce jusque l'âge de sept ans où son
costume sera proche de celui des adultes.

On constate au cours de cette période de six années que la tenue, ample, se raccourcit au fil
des ans. A un an, la tenue est longue. Peu avant sept ans, elle est courte. On peut supposer qu'il s'agit
d'une tenue unique, qui suit la croissance de l'enfant, et à laquelle on peut, le cas échéant, ajouter
des bandes horizontales dans la partie inférieure. Ceintures et autres accessoires, en dehors d'un
éventuel bonnet, sont absents du costume de l'enfant avant ses sept ans. Néanmoins, un blousage,
peut-être par simple cordelette invisible, est envisageable lorsqu'il s'agit d'aider ses parents. Il ne
paraît pas y avoir de sexuation par le vêtement avant l'âge de sept ans, aucune différence n'étant
faite entre petits garçons et petites filles. Par la suite, la ceinture d'enfant (nommée ceinture à usage
d'enfant dans les inventaires16, ce qui la distingue bien des ceintures d'adultes) sera de deux
couleurs. Soit rouge, soit noire. Les deux couleurs protectrices de l'enfant.

La chemise de l'enfant est toujours plus fine et plus douce que la cotte. Elle joue toujours le
rôle de double protection : protection de la peau contre les démangeaisons de la laine, protection de
la laine contre les souillures corporelles. La coupe des deux vêtements devait être la même : ample

13 D. Alexandre-Bidon, op. cit., p. 128. Deux comptes y sont détaillés.


14 Ibid, p. 127.
15 Vraisemblablement vers l'âge de trois ou quatre mois, six mois au plus tard. Ibid, p. 132.
16 Ibid, p. 144.
et fendue sur les côtés, la cotte pouvant être fendue sur l'avant 17. Les fentes des deux couches
n'entravent pas la marche. La fente centrale de la cotte ayant aussi un aspect pratique au niveau de
l'hygiène.

En été, la chemise peut se porter seule. Rien ne se trouve en dessous : ni chausses, ni braies.
Les chaussures sont réservées aux plus grands.
Cette chemise d'été peut être fermée au col par quelques boutons. Danièle Alexandre-Bidon
signale le cas des chemises allemandes du XVe siècle, ouvertes sur toute leur longueur, et fermées
au col par un bouton, et, parfois à la poitrine, le ventre et les jambes étant laissés à l'air 18. Ces
chemises ouvertes arriveront en France plus tardivement19. Ce type se retrouvera également dans
l'art flamand.
Le patron des tenues enfantines est certainement simple, la forme étant découpée dans une
seule pièce formant l'avant et l'arrière. Ceci peut être valable pour la cotte comme pour la chemise.

Nous avons ainsi, au cours de cet article, eu l'occasion d'observer les cas les plus fréquents
où la chemise peut-être portée sans aucune honte. Les deux cas, à savoir le travail et l'enfance, ne
sont pas sans rapport. C'est principalement pour des raisons hygiéniques et pratiques que la cotte de
laine peut-être abandonnée. Son lavage et son entretien plus délicats que ceux de la chemise de lin
ou de chanvre expliquent la quasi totalité de nos exemples. La superposition des couches étant
également peu hygiénique lorsque l'on travaille par temps chaud, et génère un inconfort certain.
L'art fourni de plus en plus d'exemples. La multiplication des images est-elle liée à une évolution
des mentalités autorisant plus de libertés prises avec l'habillement ou autorisant la reproduction plus
fidèle de phénomènes vestimentaires existant depuis déjà quelques siècles ? Ces représentations
sont en tout cas parallèles à des changements de mode, à de nouvelles conceptions des couches de
vêtements permettant la mise en valeur de certaines parties des robes-linges.

Bibliographie sélective :

Carl Köhler, bearb. von Emma Sichart: Praktische Kostümkunde. (2 Bände), Bruckmann, München 1926. Edition
utilisée : A History of Costume, traduction de Alexander K. Dallas, Dover Publication, New York, 1963.
Françoise Pipponier et Perrine Mane, Se vêtir au Moyen-Âge, Adam Biro, Paris, 1975. Edition consultée : édition
anglaise : Dress in the Middle Ages,Yale University Press, New Haven Londres, 1997 pour édition originale, 2007 pour
édition consultée.
Collectif : Le Vêtement, histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen-Age. Cahiers du Léopard d'Or ,
1, Paris 1989
Collectif : Le Corps et sa parure, Sismel, Florence, 2007
Margaret Scott, Fashion in the Middle Ages, Getty Publications, Los Angeles, 2011.

Remerciements : Cathy Bernabel, Gabriel Cadieux, Marie-Chantal Cadieux, Marie De Rasse, Adeline Magnier,
Bénédicte Meffre (Hémiole), Séverine Watiez (Perline)

17 Ce que l'on observe déjà dans une fresque de l'oratoire des saints Quirino et Giuliatta, à Rome, au VIIIe siècle.
18 D. Alexandre-Bidon, op. cit. p. 140.
19 Ibid.

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