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D E L’ A M E -
hist oire
NA T U R E L L E
DE L ’ AME*
Traduite dcl’ A n g lo is de M . C h a r p ,
Par fe u M. H * * de l'Académie
des Sciences, dre.
{*articipem lethi quoque convenit efle.
A LA HAYE,
Chez J e a n N e a u i m e , Libraire.
M. DCC. XLV.
A
M O N S I E U R
DE MA Ü P E R T U I S -
M o n s i e u r ,
é
T
T A B L E
DE S CHAPITRES.
C hap . I.J5 Xpojttion de l'Omura*
ge. pag. i
C hap . II. De la Matière. y
C hap . III. De Retendue de la Ma
tière. %
C hap . IV . Despropriétés mécaniques
pafpves de la matière, dépen
dantes de détendue. 13
C hap . V . De lapuiffance motrice de
la matière. 19
C hap . V I. De lafaculté fen ftiv e de
la matière. 19
C h ap . V II. Des formes fubjlantiel-
les. 37
T A BLE.
Cff AP. V III. De l ’ame végétative.44
C h ap. IX . De l'ame fen ftive des
Animaux. 49
G hap. X . Des facultés du cerfs qui
f e rapportent a l ’ame fe n ji*
Jttive. (*2>
§ . I. Des fen s. 64
§ . t l. Mécanifme des fenfations. 6 S
§ . III. Loix des fenfations. 75
$. IV . /« fenfations nefon t pas
tonnetire U nature des corps *
& qu'elles changent avec les
organes. 79
$. V . Raifons Anatomiques de la di-
verfité des fenfations. 85
§. V I. Z><r lapetiteffe.des idées. 8«y
$. VII. Différonsféges de l'Ame. 90
§. VIII. De l'étendue de l ’Ante. 9$
§. IX . g u e l'êtrefenfitifefl par con-
fèquent matériel. 100
D E S C H A P IT R E S .
$. X. De la mémoire. lO f
§. X I. De Vimagination. “ 4
$. X II . Des pajjions. 1*4
C h a p . X I . Des facultés qui dépens
dent de l'habitude des orra-
nés fen jîtifs. ij*
S. I. Des intimations & des appé.
tits. 141
%. II. De l'injlinft. Ht
§. III. £>ue les animaux expriment
leurs idées par les mêmes
Jîgnes que nous. * 5*
5* IV. De la pénétration & de la
conéeption. if*
Chap. X II. Des omettions■ de lame
ferijitivt. 160
§• I. Les Jenfations , le difetrnu
ment & les cennoijfances.
160
$♦ U. De la volonté. i <3
T A B L E.
$. III. Du goût. 17 S
§. V f. Du génie. 307
§. V . Du fommeil & des Rêves. 277
§. V I. Cancluflons fur l'être fen fltif.
284
C h AP. X III. Des facultés intellec
tuelles y eu de l'Ame raifon*
noble. 288
§. I. Des perceptions» 288
§. II. De la liberté. z9i
§. III. Delà Réflexion, & c. 300
. §. IV. De Farrangement des idées.
3oa
§. V . De la Méditation, ou de
l'Examen. 303
§. VI.Du Jugement. - 303
C hAP. XIV. J%ue la fo i feule peut
fixer notre croyancefu r la na
ture de F Ame raifonnable.
DES CH APITRES.
CflAP. XV. Hifloires qui confit-
ment que toutes nos idées
viennent desfeus. 344
H ist . I. D’un Sourd de Chartres.
31 4
H ist . II. D'un Homme fans idées
morales. 34*
H ist . III. De l'Aveugle de Chefel-
den. 349
H is t . IV . Méthode iïAmmon four
affrendre aux fourds â far-
1er. 3 y4
■— - Réflexionsfur F éducation. 371
H is t . V . D'un enfant trouvéfar mi
des Ours. , 371
H i s t . VI. Des Hommes fauvages
affellés Satyres. 375
----- Conclufton. 3*?
E R R A T A .
P
A o b i. lig. t$. le nom effacez b
relie de la phralè.
.Hag. 57. 1. if. Avec allez de railbn » effacez cei
qyatre mots.
Pag. fp. 1. 17* Egalement *•. & vraie » effacez
cela.
Ibid. 1. 18. encore >effacez ce mot.
Pag. 9 &.\. 7. comme on l’a déjà vu, effacez cela+
Pag. 138. Chap. XIII. lifez Chap. XI.
Pag. 150.1. 18. Et à plus forte railbn , &c. lifez
Et Spinofa a encore moins de raifon.
Chap.XII.
H IS T O IR E
HISTOIRE
NATURELLE
DE LAME-
C hapitre I.
Expojition de l'Ouvrage.
C h a p i t r e ' II.
De la Matière.
T o » s les Philofophes qui ont
attentivement examiné la hature de
la matière, confidérée en elle-même
a 3
# (<*>
indépendamment de toutes les for
mes qui con fiaien t les corps, ont
découvert dans cette fubftance di-
verfes propriétés , qui découlent
d ’une efïènce abfolument incon
nue. Telles fo n t, i°. la puiffance de
recevoir différentes form es, qui fe
produifent dans la matière même, &
par lefquelles la matière peut acqué
rir la force motrice & la faculté de
fen tir} a®, l’étendue a& uelle, qu’ils
ont bien reconnue pour un attri
but , mais non pour l’effence de U
matière.
Il yen a cependant eu quelques-
uns, & entr’autres Defcartes, qui
ont voulu réduire I’effenee de la
matière à la fimple étendue, & bor
ner toutes Ifes propriétés de la matiè
re à celles de l’étendue) mais ce
, ,
. fentiment a été rejette par tous les
autres Modernes , qui ont été plus
attentifs à toutes les propriétés de
cette fubftance ; en forte que la
puifTance d’acquérir la force motri
ce , & la faculté de fentir a été de
tous tems confîdérée, de même que
l’étendue, comme une propriétéef-
fentielle de la matière.
Toutes les diverfes propriété*
qu’on remarque dans ce principe
inconnu démontrent un être dans
lequel exiftent ces mêmes proprié
tés , un être qui par conféquent doit
éxifter par lui-même. O r on ne con
çoit p as, ou plutôt il paraît impofli-
blc qu’un être qui éxifte par lui-mê*
me puiffe ni fe créer ni s’anéantit
Il ne peut y avoir évidemment que
les formes dont fes propriétés effen-
A4
(8 ) . ,
tielles le rendent fufceptible , gui
puiffent fe détruire & Te reproduire
tour-à-tour. Audi l’expérience nous
force-t-elle d’avouer que rien né fe
fait de rien. ‘
Tous les Philofophes qui n’ont
point connu les lumières de la foi »
ont penfé que ce principe fubftan-
tiel des corps a éxifté & exiftera
toujours, & que les élemens de la
matière ont une folidité indeftru&i-
ble , qui ne permet pas de craindre
que le monde vienne à s’écrouler.
L a plupart des Philofophes Chré
tiens reconnoiifent aufli qu’il éxiftc
néceflairement par lui-m êm e, &
qu’H n’eft point dé fa nature d’avoir
pu commencer ni dé pouvoir finir,
comme on peut le voir dans un A u
teur du fiéçle dernier qui profef»
' {9 . \ .
foit ( i) la Théologie à Parts, & dans
notre Difcours.
C hapitre III,
De Vêtendue de la Matière.
C hapitre IV .
C hapitre V*
De lafacultéfenjittve de la matière ,
O U s avons parlé de deux at
tributs cflentiels de la matière, dcC.
quels dépendent la plupart de fcs
. , ( *ô ) ,
propriétés, fçavoir l’étendue te ta.
force motrice. Nous n’avons plus
maintenant qu’à prouver un troi-
fiéme attribut j je veux dire la fa»
culte de fentir que les Philofophes
( i) de tous les fiécles ont reconnue
dans cette même fubftançe. Je dis
tous les Philofophes, quoique je
n’ignore pas tous les efforts qu’ont
vainement faits les Carcéfiens pour
l’en dépouiller. Mais pour écarter
des difficultés infurmontables, ils
fe font jettés dans un labyrinthe
dont ils ont cru fortir par cet ab-
furde fyflême “ que les bctes font
de pures machines.
Une opinion fi rifible n’a ja*
(i) Voyez la Thèfe que M. Leibnitz fit fou
rnir à ce ftjet au Prince £ugene, & l'origine
ancienne dt la Phyjiyae moderne , par le P.
.Régnault»
fil)
m aïs eu d’accès chez les Philofô.
phes que comme un badinage d’eP-
p r it , ou un amufement Philofo-
phique. C ’eft pourquoi nous ne
nous arrêterons pas à la réfuter.
L ’expérience ne nous prouve pas
moins la faculté de fenrir dans les
b ê te s, que dans les hommes : car
hors moi qui luis fort alïüré que
je fenS, je h ’ai d’autre preuve du
fentiment des autres hommes que
par les figrres qu’ils m’en donnent.
L e langage de convention, je veux
dire -, la parcfle, u ’eft pas le ligne
q u i l'exprime le mieux ï il y en 'a
un autré commun aux hommes &
aux animaux,qui le manifefte avec
plus de certitude j je parle du lan
gage â ffc& if, tel que les plaintes,
Inscris , les cardTes, la fuice, les
irs, le c h a n t, & en un mot
toutes les expreffions de la d o u
leur , de la triftefle , de l’averfîon,
de la crainte , de l'audace , de la
foumiflion, de la colere, du p lai-
fir, de la joie, de la tendrefle, & c. U n
langage aufli énergique a bien plus
d'empire fur nous, bien plus dé
forcé pour nous convaincre, qu e
tous les Sophifmes de DefcarceS
pour nous perfuader.
Peut-être les Cartéfiens, ne pou
vant fe refufer à leur propre -fen-
timent intérieur , fe croient - ils
mieux fondés à reconnoître la m e
me faculté de fentir dans tous les
homm es, que dans les autres ani
maux ; parce que ceux-ci n’ont pas
à la vérité exaftement la figure hu
maine. Mais ces Philofophes s’en
tenant
' (33)
tenant aihfi à l’écorce des chofés
auroient bien peu examiné la par
faite reflemblance qui frappé le*
cônnoifleurs entre l’homme & la
bête : car il n’eft ici queftion que
de la {imilitude des organes des
fens, lefquels j à quelques modifi
cations près } font abfolüment les
mêmes > & accufcht évidemment
les mêmes ufagesi
Si ce parallèle n’a pas été faifi
par D efcartes, ni par fes Seâateurs,
il n’a pas échappé aux autres Phi-
lofophes, & fur-tout à ceux qui (b
font curieufement appliqués à \'A-
natomit comparée.
Il fe préfente une autte difficulté
qui intéreffe davantage notre amour
propre : c’eft l’impoffibilité où nous
fommes encore de concevoir cette
C
(54) ,
propriété comme une dépendance
ou un attribut de la matière. M ais
qu’on fa (Te attention que cette fubf*
tance ne nous laifle appercevoir
que des chofes ineffables. Com
prend on mieux comment l’éten
due découle de (on eflence î com
ment elle peut être mue par une
force primitive dont l’aâion s’é*
xerce fans contaâ , & mille au
tres merveilles qui fe dérobent tel
lement aux recherches des yeux
les plus clairvoyans , qu’elles n e
leur montrent que le rideau qui les
ca ch e, fuivant l’idée d’un illuftrt
Moderne, (i)
S’il étoit permis d’employer des
fi&ions poétiques dans un ouvrage
de ce genre t on pourroit dire qufc
0) Lsiimt*.
iès Dieu*: fèuls peuvent lever ce
rideau , comme Venus fit devant
Ence. (i)
Mais né pourroit-on pais fuppo-
i e r , comme ont fait quelques-uns
que le fentiment qui fe remarque
dans les corps animés appartien
drait à un être diftjnâ: de la ma
tière de ces corps, à une fubftance
d’une différente nature, & qui fe
trouverait unie avec eux î Les lu-
hiieres de la raifon nous permettent-
elles de bonne foi d’admettre de tel
les conje&ures ? Nous ne connoif-
fons dans les corps que de la ma
tière , & nous n’obfervons la fa-
( îO
culte de fentir que dans ces corps ’
fur quel fondement donc établir un
être idéal défavoué par toutes nos
connoifiances ?
Il faut cependant convenir avec
la meme franchife , que nous igno
rons fi la matière a en foi la fa
culté immédiate de fentir ou feu
lement la puïïfance de l’acquérir
par les modifications ou par les for
mes dont elle eft fufceptible } car
il eft vrai que cette faculté ne le
montre que dans les corps orga-
nifés.
Voilà donc encore une nouvelle
faculté qui ne réfideroit auffi qu’en
puiflance dans la matière, ainfi que
toutes les autres dont on a fait men
tion i & telle a été encore la façon de
penfer des anciens, dont la Philofo-
. ( 37) , ,
phie pleine de vues & de pénétration
; méritoit d’ctre élevée fur les dé-
f bris de Celle des modernes. Ces
derniers ont beau dédaigner des
fources trop éloignées d’eux : l’an
cienne Philofophie prévaudra tou
jours devant ceux qui foht dignes
j de la juger ; parce qu’elle forme
! ( du moins par rapport au fujet que
je traite ) un fyftême folide, bien lié,
; & comme un corps qui manque
, à tous ces membres épars de la Phy-
fique moderne.
! ' - -
i =— . . . . . . . ", .j .
C hapitre VII.
(4 0
mouvement, le repos & la fituatlon j
& ces parties de la matière revêtues
de ces formes , font ce qu’on appel
le corps Jtmples ou élentens. Les for
mes compofées confident dans l’af-
femblage des corps (impies, unis &
arrangés dans l’ordre , & la quantité
néceflaire pour conftruire ou for
mer les diffèrens mixtes.
Les memes Philofophes de l’anti
quité ont aulfi en quelque forte dis
tingué deux fortes de formes fubf-
tanticlles dans les corps vivans ; (ça-
voir celles qui condiment les par»
ties organiques de ces corps, & cel
les qui font regardées comme étant
leur principe de vie. C ’ed à ces der
nières qu’ils ont donné le nom d’A
me. Ils en ont fait trois fortes ; l’A
me végétative qui appartient aux
«cio
plantes -, l’Ame fénfitjve, com m une
Z l’homme &Cà la bête ? mais parçe
que celle de l’homme fe^ b le ayoir
un plusyafte empire * des fon dion s
plus étendues., des vues plus'gran
des, ils l’ont appellée Am era'tfoji-
nabU. Difons un mot de l’A m e vé
gétative. Mais auparavant, qu’il,tm©
foie permis de répondre à une objec-
don que m’a faite un habile homme*
„ Vous n’admettez , d it- il, dans les
„ animaux , pour principe de fenti-
w ment aucune fubftance qui foie
„ différente de la matière : pourquoi
„ donc traiter d’abfurde le Carcéfîa-.
„ n ifm e, en ce qu’il fuppofe que les
„ animaux font de pures machines î
n & quelle fi grande différence y a-
t-il entre ces deux opinions ? „ J©
xépons d’un feul mot ;Defçartes te*
( 4 Î>
fufe tout fentim ent, toute faculté
de fentir à fes machines, ou à là ma
tière dont il fuppofe que les animaux
font uniquement faits : & moi je
prouve clairement , fi je ne me
trompe fo r t, que s’il eft un être qui
fo it, pour ainfi d ire, pétri de fenti-
timent , c ’eft l’animal } il femble
avoir tout reçu en cette m onnoie,
qui ( dans un autre fens ) manque
à tant d’hommes. Voilà la différence
qu’il y a entre le célébré Moderne
dont je viens de parler, & l’Auteur
inconnu de cet ouvrage.
C h a p i t r e VIII.
. . i " ’
De l'Ame végétative.
C h a p i t r e IX .
i)è FÂmefenfittoe des Animaux,
9?
C hapitre X.
§;
i)es fensi
§. I I .
M il.
Lotx des Senfatiens,
§. I V .
^ u e les Sensations ne fo n t pas con
naître la nature des corps, & quel
les changent avec tes organes.
§. V .
, $. V I ,
De la fetitejfc des idées.
§. V I L
"Diffêrensfiêges de PAme.
De l'étendue de F Ame,
§. I X .
g u t rêtre fcnjitif efifar confequcnt
matériel.
M ais quels doutes s’élèvent 4 clans
m on A m e , 6c que notre e n te n d e
m en t eft foible 6c borné i M o n
A m e m ontre co n ftam m en t, non la
penfée , q u i lui eft a c c id e n te lle ,
q u o i qu’en difent les C artéliens,m ais
d e l’a& ivité 6C de la fenfîbilité.
V oilà deux propriétés incontefta-
bles reconnues par tous les P h ilo -
(lo i)
lophes q u i ne fe (o n t p o in t laides
aveugler par l’efprit fy ftém atiq u e ,
le plus dangereux des efprits. O r >
d it-o n ytoutes propriétés fuppofent
u n fujet qu i en Toit la baze , q u i
éxifte par lui-m êm e , 8c auquel ap
p a rtien n e n t de d ro it ces m êm es
propriétés. D onc , conclue-t-on ,
l’A m e eft u n être féparé du corps ,
u n e efpéce de monadefpirituelUy u n e
formefubjtfiante, com m e parlent les
ad ro its 8c prudens Scholaftiques t
c’e ft-à -d ire , une fubftance d o n t la
vie ne dépend pas de celle d u corps.
O n ne peut m ieux raifonner fans
d o u te i mais le fujet de ces proprié
tés , pourquoi voulez - vous que je
l’im agine d'u n e natu re abfolum ent
d iftin â e d u corps > tandis que je vois
clairem ent que c ’eft l’orgànifation
G 3
(lût)
m êm e de la m oelle aux prem ier*
com m encem ens de fà naiffance ,
( c’e ft-à -d ire , à la fin d u cortex ) $ ju t
êxerce fi librem ent dans l’é ta t f a in
to u tes ces propriétés. C a r c’eft u n e
foule d ’obfërvations & d ’expérien
ces certaines q u i m e prouvent c e
q u e j’avance , au lieu que ceux q u i
difentt le contraire peuvent nous é ta
le r beaucoup de M étaphyfique 4
fans nous donner une feule id é e .
M ais feroient-Cë donc des fibres
m édullaires qui form eroiént l’A m e ?
& com m ent concevoir q u e la m a
tière püiflè fen tir & penfer ? J'avoué
q u e je ne le conçois pas j mais ou*
tre q u ’il eft im pie de borner la to u -
te-puifTance d u C réateu r , en fbu-
të n a n t q u ’Ü n ’a pu faire penfer la
m a tiè re , lui q u i d ’un m ot a fait la
( I03 \
lu m iè re , dois-je dépouiller u n E tre
des propriétés q u i frappent mes
f e n s , parce que l’effence de cet E tre
m ’eft inco n n u e ? Je ne vois que ma
tiè re dans le c e rv e a u , q u ’é te n d u e ,
co m m e on l’a p ro u v é , dans là partie
fenfitive : v iv a n t, fain , bien orga-
n ifé , ce vifcere co n tien t à l’origine
des nerfs un principe a& if répandu
dans la fubftance m édullaire j je vois
ce principe qu i fent & penfe , fe d é
ranger , s’e n d o rm ir, s’éteindre avec
le corps. Q u e d is-je , l’A m e dort la
prem ière , fon feu s’é te in t à m cfurc
que les fibres d o n t elle paroît f a i t e ,
s’affoiblifient & to m b en t les unes
fur les autres. Si to u t s’explique
par ce que l’A natom ie & laP hyfio-
logie m e découvrent dans la m o elle,
qu’ai-je befoin de forger u n E tre
G 4
(104)
idéal ? Si je confond l’A m e avec
les organes corporels, c ’eft donc q u e
tous les phénom ènes m ’y déterm i-,
n c n t , te que d ’ailleurs D ieu n ’a.
d o n n é à m on A m e aucune idée d ’el
le-m êm e,m ais feulem ent allez de diA
cernem ent te de bonne fo i pour le
teconnoître dans quelque m iro ir
q u e ce foie , te ne pas rougir d ’ê-»
tre née dans une fange pulpeufe an i
m ée d ’efprics. Si elle eft vertueufe
te ornée de m ille belles connoifTan-
c e s , elle eft affez noble te recom -
m endable : la naiffance eft l’effet d u
h a z a rd , te n'ajoute rien au m é rite ,
N o u s rem ettons à expofer les
phénom ènes d o n t je viens de parler,
lorfque nous ferons voir le p e u
d ’em pire d e l’A m e fur le c o rp s , te
ço m bien la volopté lui eft affervic,
üoy)
M ais l’ordre des m atières que je
tfaite exige q u e la m ém oire fuccé-
de aux fen fa tio n s, q u i m 'o n t m ené
beaucoup plus loin que je ncpenfois.
$. X ,
"De U Mémoire*
(io $ >
fânce des c h o fe s, n i le fe n tim e n t
in tern e de n o tre propre éxiften,.
ce ne peuvent dem eurer certain e
m en t en nous fans m ém oire. A -t-o n
oublié ce qu’on a fçu , il fem ble
q u ’on ne faflfe que fortir d u n éant *
o n ne fçait p o in t avoir déjà exifté #
& que l’on continuera d ’être en co re
quelque tems. W epfer parle d ’un m a
lad e qui avoit perdu les idées m êm es
des c h o fe s, & n’avoit plus d’exa& es
perceptionsjil prenoit le m anche p o u r
le dedans de la cuillier. Il en c ite
u n autre q u i ne pouvoir jam ais finie
f a , phrafe , parce q u ’avant d ’av o ir
fini , il en av o it oublié le co m
m encem ent » & il donne l’h if-
to îre d ’un tro ifiém e, q u i fau te d e
m é m o ire , ne pouvoir plus épe
ler , n i lire. L a M o tte fait m e n -
(Io7>
n o n d e q uelqu’un q u i avôit perdu
Fufage de form er des fons & de
parler. D ans certaines affections d u
cerveau il n ’eft pas rare de voir les
m alades ignorer la faim & la fo if ;
B onnet en cite une foule d ’exem .
pies. Enfin un hom m e qu i perdrait
to u te m ém oire , ferait u n atom e
p e n fa n t, fi on peut penfer fans elle ;
in connu à lu i-m ê m e , il ignoreroie
ce q ü i lui a rriv e ra it, & ne s’en rap
p o rte ra it rien.
L a c a ü fè d e la m ém oire eft to u t-
à-fait m é c a n iq u e , com m e elle-m ê
m e \ elle paraît dépendre de ce que
les impreffions corporelles d u cer
veau , qui font les traces d ’idées q u i
fe f u iv e n t, font voifines, & q u e
l’A m é ne p eu t faire la découverte
d’une tra c e , o u d ’ufte idée , fans
(i°8) ^
rappeller les autres q u i avoîent co u
tu m e d ’aller enfem ble. C ela eft trè s -
vrai de ce q u ’on a appris dans la je u -
nefle. Si l’on ne fe fouvient pas d ’a~
bord de ce qu’on cherche , un vers ,
u n feul m ot le fait retrouver. C e
phénom ène dém ontre que les idées
o n t des territoires féparés, mais avec
quelque ordre. C ar pour qu’un n o u
veau m o u v e m e n t, ( par exem ple y
le com m encem ent d ’un v e rs, u n forv
q u i frappe les oreilles , ) com m uni
q u e fur le cham p fon im preflion à
la partie d u cerveau q u i eft analo
gue à celle où fe trouve le prem ier
veftige de ce qu’on cherche, c ’eft-à-
d ire, cette au tre partie dé la moelle^
où eft cachée la m é m o ire , ou la
trace des vers fuivans ) & y repré
fente à l’A m e la fu ite de la prem ière
( I©*)
id é e , ou des prem iers m o ts , il eft
néceffaire que de nouvelles idées
fo ien t portées par une loi confiante
au m êm e lieu dans lequel avoient
été autrefois gravées d ’autres idées
de m êm e nature que celles-là. E n
effet fi cela fe faifoic a u tre m e n t,
l’arbre au pied duquel on a été vo
lé n e donneroit pas plus sûrem ent
d ’idée d ’un v o le u r, que quelqu’au-
tre objet. C e qu i confirme la m êm e
v é rité , c’eft que certaines affections
d u cerveau d é tru ifen ttel ou tel fens,
fans to ucher aux autres. Le C h iru r
gien que j’ai cité a vu un hom m e
q u i p erdit le t a d d ’un coup à la tête.
H ild an u s parle d’un hom m e q u ’une
com m otion de cerveau rendit aveu
gle. J’ai vu une D am e qui guerie
d ’une apoplexie , fu t plus d’u n an à
( IIO)
recouvrer fa m ém oire} il lu i f a llu t
revenir à l’a , b , c , de Tes p re m iè
res connoiffances, q u i s’a u g m e n -
to ie n t 6c s’élevoient en q u e lq u e
forte avec les fibres affaifïees d u cer
veau , q u i n ’avoient fait p a r leur
colUbefcence q u ’arrêter & in te rc e p
te r les idées. L e P. M abillon étoic
fo rt borné } une m aladie fit éclore
e n lu i beaucoup d ’e fp rit, d e péné
t r a t i o n ^ d’ap titu d e pour les Scien
ces. Voilà un e de ces heureufes ma*
ladies co n tre Iefquelles bien des gens
p ourrôient tro q u er leur fa n té , 6c ils
fera ien t u n m arché d ’or. Les aveu-
■gles o n t aflez com m uném ent beau
coup de m ém oire : tous les corps
q u i les environnent o n t perdu les
moyens de les diftraire ; l’attention^
la réfléxion Je u r coûte peju » de-ià
(lll)
o n p e u t envîfager long-tem s & fixe
m e n t chaque face d ’u n o b j e t , la
préfence des idées eft plus ftable Sc
m oins fu g itiv e. M . de la M o t t e ,
de l’A cadém ie-Françoife, d ifta to u t
de fu ite fa T rag éd ie d ’Inès de Cajlro.
Q u e lle étendue d e m ém oire d ’a
v o ir ao o o vers prélèns , &: q u i dé
filent tous avec ordre devant l’A m e,
au gré de la volonté ! C om m ent Ce
p eu t-il faire q u ’il n ’y a it rien d ’em -
brouillé dans cette efpece de cahos!
O n a d it bien plus de P a fc a l, o n
raco n te q u ’il n ’a jamais oublié ce
q u ’il avoir appris. Q n p e n fe au refte,
& avec aflez de raifon, puifque c ’eft
un f a i t , que ceux q u i o n t beaucoup
de m é m o ire , ne font pas ordinaire
m en t plus fufpc&s de ju g e m e n t,
que les M édecins &c les T h éo lo -
i (n i)
giens d e religion , parce q u e là
m oelle du cerveau eft fi pleine d ’arl-
ciennes id é e s , que les nouvelles o n t
peiné à ÿ trouver une place d iftin c -
te : j’enténs ces i^ées mere t, fi oh
toc perm et c e tte exprdfiôn , q u i
peuvent juger les autres en lés c o m
parant , 6c en d éduifant avec ju -
ftefïe uné 3 e. idée de la c o m b in ai-
fon des deux prem ières. M ais qiii
é u t plus de ju g e m e n t, d ’efprit & de
m ém o ire , que lés deux hom m es
illuftres que je viens dé nom m er?
N ous pouvons conclure dé to u t
Ce q u i a été d it au fujet d é la m é
m oire , que c'eft une faculté de l’A
m e q u i confifte dans les m odifica
tio n s perm anentes d u m ouvem ent
des efprits anim aux excités par lés
impreflions des objets q u i o n t agi
. vivem ent
(H 3)
v iv e m e n t, o u très-fouvent fur le*
fens : enforte que ces m odifications
rappellent à l’Am e les mêm es fen-
fations avec les mêm es circonftan*
ces de lieu , de te m s , & c. qui les
ont accom pagnées , au m om ent
qu’elle les a reçues par les organes
qui fen ten t.
L orfq u’on fent q u ’on a eu autre
fois u n e idée fem blable à celle q u i
pafle actuellem ent par la t ê t e , c ette
fenfation s’appelle donc mémoire :
& c e tte m êm e id é e , foit que la vo
lonté y confente , foît qu'elle n’y
confente pas , fe réveille n écefl
fairem ent à l’occafion d ’une dîfpofi-
tion dans le cerv eau , ou d’une caufe
in te r n e , fem blable à celle q u i I’a-
voit fait naître auparavant, ou d ’une
au tre idée q u i a quelque affinité avec
elle. H
(ii4)
§ .X I.
§. X I I .
Des Pafjions.
C h a p i t r e XIIL
$• I.
Des inclinations & des appétits.
•
(*4f) #
J | ment fe font des opérations en ap~
K i parençe aufli (impies Le dode Mé-
i decin que je cite fe contente de dire,
^ qu’elles fe font en confêqüencé des
:Dt loix aufquelles l’Auteur de la nature
et< a aftujetti les corps animés , & que
:el- toutes les premières caufes dépen-
■W dent immédiatemènt de ces loix.
•JIi | L ’enfant nouveau né fait difïeren-
ilu- tes fo n d io n s, comme s’il s’y étoit
enï exercé pendant toute la grofleflè ,
fans connoître aucun des organes
uel- qui fervent à ces fondions j le pa-
i® pillon à peine formé fait jouer fes
^ _ nouvelles ailes, vote , & fe balance
îiw parfaitement dans l’air 5l’abeille qui
1£Ii vient de naître , ramalTe du miel &
de la cire 5 le perdreau à peine éclos,
diftingue le grain qui lui convient.
Ces animaux n’ont point d’autre
ait • K
( ï 4 $)
maître que l’inftinét. Pour exp li- i
quer tous ces mouvemens Sc ces :
opérations , il eft donc évident qu e j
Staahl a grand tort de prétexter l’a - .i
dreffe que donne l’habitude.
Il eft certain , comme l’obfervç ,
l’homme du monde le plus capable
( i )d’arracher les fecretsde la nature» ■>
qu’il y a dans les mouvemens des s
corps animés autre chofe qu’une i
mécanique intelligible, je veux di- i
r e , ** une certaine force qui appar- *
„ tient aux plus petites parties dont j
„ l’animal eft form é, qui eft répan- (
„ due dans chacune , & qui caraç- ,
,,térife non-feulement chaque efpece
„ d’anim al, mais chaque animal de
„ la même efpéce , en ce que cha-
çun fe m e u t, & fent diverfemenc
(i) M. de Maupertuis.
■ S l47> .
j, & à Ta maniéré , tandis que tous
„ appetent néceflairement ce qui
,, convient à la confeçvation de leur
a, être , & ont une averfiôn natu-
„ relie qui les garantit sûrement de
„ ce qui pouroit leur nuire
Il eft facile de juger que l’homme
n’eft point ici excepté. O u i , fans
d o u te , c’eft cette fqrme propre à
chaque corps, cette force innée flans
chaque élément fibreux, dans cha
que fibre vafculeufe, & toujours cf-
fentiellement differente en foi de
ce qu’on nomme èlafficité, puifque
celle-cieft détruite,que l’autre fub-
fifte encore, aptes la mort même ^
& fe réveille par la moindre force
mouvante -, c’eft cette cau fe, dis-je,
qui fait que j’ai moins d’agilité qu’u
ne puce,quoique je faute par la mê-
Kz *
C148)
' inc mécanique s c’eft par e lle , que
dans un faux pas , mon corps fe
porte aufli prompt qu'un éclair à
contrebalancer fa ch u te, & c. 11 eft
Certain que l’Ame &: la volonté
n’ont aucune part à toutes ces ac
tions du corps , inconnues aux plus
grands Anatomiftes ; & la preuve
en eft , que l'Ame ne peut avoir
qu’une feule idée diftin&e à la fois.
O r quel nombre infini de mouve-
xnens divers lui faudrait-il prévoir
d'un coup d’œ il, choifir , combi
n e r, ordonner avec la plus grande
jufteffè ? Q u i fçait combien il faut
■ de mufcles pour fauter ; comme les
fiéchifieurs doivent être relâchés,
les extenfeurs contrades, tantôt len
tement , tantôt vite ; comment tel
poids & noa tel autre peut s’élever ?
( i 4 9)
Q u i connoît tout cc qu'il faut pour
courir , franchir de grands efpaces
avec un corps d’une péfanteur énor
me , pour planer dans les airs, pour
s’y élever à perte de vue & travcr-
fer une immenfîté de Pays ? Les
mufcles auraient ils donc befoin du
confeil d’un être qui n’en fçait feu
lement pas le nom ; qui n’en con-
noît ni les attaches, ni les ufages ,
pour fe préparer à tranfporter fans
rifque & faire fauter toute la ma
chine à laquelle ils (ont attachés ?
L ’ame n’cft point a(Tez parfaite pour
c e la , dans l’homme , comme dans
l’anim al} il faudrait qu’elle eut in-
fu fe , cette fcience infinie géométri
que fuppofée par Staahl , tandis
qu’elle ne connoît pas les mufcles
qui lui obéiffent. Tout vient donc
K 3
. ... ( * 1 ° )
de la feule force de l’in ftinft, & U
monarchie de l’Ame n’eft qu’une
chimère. Il eft mille mouvemens
dans le corps, dont l’Ame n’eft pas
même la eaufc conditionnelle. L a
même caufe qui fait fuir ou ap
procher un corbeau à la préfence de
certains objets, ou lorfqu’il entend
quelque bru it, veille aulfi fans celle
. a fon infçu , à la confervation de
fon être. Mais ce même corbeau >
ces oifeaux de la grande efpéce qui
parcourent les airs , ont le fenti-
ment propre à leur inftinèt $ ce ne
font donc p o in t, encore une fo is,
des automates, comme le veut D ef-
cartes , femblables aune pendule ou
au Auteur de Vaucanfon. Et à plus
forte raifon Spinofa a-t-il tort de
prétendre que l’homme reffemble à
( I *l) . .
• §• I I I .
Jpuc les animaux expriment leurs;
idéesfa r les mêmesjîgnes que nous.
fil. ,
Les fenfatiens, le difccrnement dr
les connoijfances.
§ 11.
De la volonté.
( îo î)
les W o lf , les Fontenefle , & c. (i).
Pourquoi en effet ne feroic - il pas
permis a refp rit, comme aux belles,
de faire valoir les reffources de (a
petite coquéterie ? N ’eft - ce pas à
force d'avoir am olli, égayé le fond
fée & rembruni de la Philofophie ,
qu'elle eft devenue, par la plus jolie
metamorphofe du monde, une reine
aufli enjouée, qu'elle étoît férieufe
autrefois, C ’eft une plaine aride
changée en parterres charmans, par
les fleurs qu’on y a femées, deforte
q u e , comme s’exprime l’Auteur du
plus joli ouvrage qui.foit forti des
mains des Philofophes , la Phifofb-
f hie n efi plus qu'un plaifir, qui ré-
Oz
U 1* ) ,
Enfin perfonne ne lui refufe lin es
prit naturellement Philofophique.
i
(lit )
Je veux , & je l’ai infinué moi-
même , que les égaremens mêmes
de Defcartes (oient ceux d’un grand
homme $je veux que fans lui nous
n ’euflions point eu les Huygens , lcs
B o y le , les Mariotte , les Newton ,
les MuflchenbroecK, les Gravefan-
d e , les Boerhaave , & c. qui ont en
rich ira Phyfique d’une prodigieufe
multitude d’expcriencesjôf qu*en ce
fens il Toit fort permis aux imagi
nations vives de fe donner carrière.
M a is , n’en déplaife à M . Privât de
M o liere, grand partifan des fyftê-
m es, & en particulier de l’hypo-
thèfe CartéCenne ( i ) , qu’eft-ce que
cela prouve en faveur des conje&u»
res frivoles de Defcartes ? Il a beau
d ir e , des fyftêmes gratuits ne feront
(i) Leçons de Phyfique. T. III. Lee. II,
(iii) .
Jamais que des châteaux en l‘air 4
(ans utilitéjComme fans fondem ent.
Et vous, enfant de l’imagination,
Oratorien (4) célébré, ingrat , q u i
fivy)
t e fçavant homme avoit Pefprit juf-
te ,& promt à éviter l’erreur, 6c voua
îmaginerce <1*’™ ^ ™ % ? ?
p»
( * i8)
vous ne montrez pas plus de fagacité
à la découvrir, que d’adrefle à la
faire connoître aux autres. Efclavc
des préjugés,vous adoptez toutjdupe
d’un phantôme ou d’une apparition,
vous réalifez les chimères qui vous
paflent par la tête. Les préjugés ont
juftement été comparés à ces faux
amis qu’il faut abandonner, dès.
qu’on en a reconnu la perfidie. Eh î
qui la doit reconnoître , qui doit
s’en garantir , fi ce n’eft un Philo-
fophe ?
C e n’eft pas tout: non-feulement
vous voyez tout en D ie u , excepté
vos extravagances & vos folies ,
mais on a remarqué que vous en
faites un machinifte fi mal habile,
que fon ouvrage ne peut aller, fi
l’ouvrier ne le fait mouvoir fans cef-
(i*s>)
Te , comme fi vous aviez prétendu
par cette idée Cartéfienne, faire
trouver peu furprenant que Dieu fe
fu t repenti d’avoir fait l’homme.
Après cela , Malfebranche, au
riez-vous donc prétendu au rang
des Génies , c’eft-à-dire de ces e£-
prits hèureufement faits pour con-
noître & expofer clairement la vé
rité ? Q ue vous en êtes différent i
M ais fans doute on vous prendra
pour un efprit célefte, étheré ,
dont les fpçculatiôns s’étendent au-
delà du doüziéme ciel de; Ptolo-
mée ; car des idées àcquifes par les
fens , que dis-je? les idées innées de
. Defcartes ne vous fuffifent pas ; il
vous en faut de divines , puifées
dans le fein de l’immenfité, dans
l ’infini ; il vous faut un monde fp i-
P3
( l} 0 ) '
,
rit Htl intelligible ( ou plutôt inin*
telligible ), où fe trouvent les idées ,
c’eft-à-dire , les im ages, les reprc-
fentations de tous les corps, au ha-
zard d’en conclure que D ieu eft
tout ce qu'on voit, & qu’on ne peut
faire un pas, fans le trouver dans
çe vafte Univers, félon l’idée que
Lucain exprime ainfi dans le neur
viérne livre de fa Pharfale ,
Jupiter eft quodeumque ride?, quàcumque mon
veris.
Q
(i4i)
trcs-fuperîeur à tous les autres, &
à celui même qui a fourni le fond
déjà PhilofophieWolfienne.La chaî
ne de vos principes eft bien tif-
fue , mais l’or dont elle paroît for
mée, mis au creufet, ne paroît qu’un
métail impofteur. Eh i faut-il donc
tant d’art à cnchafler l’erreur, pour
mieux la m ultiplier, tandis que la
trifte vérité gémit fans appui &
fans proteûeurs , qui la tirent de
l ’obfcurité, où elle tiçnc, pour ain-
fi dire , compagnie au vrai mérite.
Am bitieux Métaphyficiêns , qui
femblez avoir alfifté à la création du
monde > ou au débrouillement du
cahos , vos premiers principes ne
font que des fuppofitions hardies ,
qui n’ont pas l’art de me féduire,
& où le génie a bien moins de parc
qtv’utié préfomptucufe imagiriàtiôtii
Cependant qu’on vous appelle , fi
l’on ve u t, de grands génies, parce
que vous avez recherché & que vous
Vous êtes vanté de connoître les
premières caufes ; pour moi je crois
que ceux qui les ont dédaignée»
Vous feront toujours préférables :
que le fuccès des (<f)Locice, des (é)
Dans laHenriade.
Tel brille au fécond rang qui s'éclipft au premier.
Dans Mcrope.
Le premier qui fut Roi fut un fbldat heureux.
§. I V .
Du fommeil & des rêves.
(*«o
les mouvement du corps *épctnèent
à ceux qui Te paffeat dans le ecr-
veau.
11 eft facile d’expliquer a )préfcnt
-les mouvemens de ceux q u ’on ap
pelle fomnambttks , ou intâltm&ttles,
parce qu’ils fe promènent ea -dor
mant. Plufieurs Auteurs racontent
des hiûoiresourieufesà ce fiijet, ils
en ont vu faite les -chutes les plus
terribles fl & fou vent Cuis «danger.
Il fuit de ce qui a été dit tou
chant les rêves , que les fomnambu-
les dorment à la vérité parfaitement
dans certaines parties du cerveau ,
tandis qu’ils font éveillés dans d’au
tres , à la faveur defquelles le & ng
& les efprits ,q u i profitent des pa(-
{âges ouverts , coulent aux organes
du mouvement. Notre admiration
diminuera encore ,pius ,.e»conû<lé-
rant les degrés fucçdEfs a gui des
plus petites avions faites en dor
mant t cooduifcnt aux plus .grandes
& aux plus compofées , toutes les
fois qu’une idée s’offre à l’Ame avec
affez de force pour la convaincre
d e là préfence réelle du fantôme
que l’imagination Lui préfente : &c
alors il Ce 'forme dans le corps des
fnouyemens qui répondent à la vo<*
jonté «que cette idée .fait naître.
^dai$ pour ce qui effde l’adreffe te
des précautions que prennent les
fomnam^ule?, avons-nous plus de
facilité qu’e u x , à éviter mille dan
gers , lçrfque nous marchons h nuit
dans des lieux inconnus ? ha T©po«-
grapbie du lieu fç peint dans le cer
veau du n o âam b u le, il connoît ce
( x*4) . ..
lieu qu’H parcourt } & le fiége de
cette peinture eft chez lui néceflaL
.rement aufli mobile , aufli libre ' ■
aufli clair, que dans ceux qui veil-
-lent.
§. V.
Cenclujion fur l'êtreJ tn ftif
C h a p i t r e XV.
M L
. De la Liberté,
L a Liberté eft la faculté d’éxatoî-
h ef attentivem ent, pour découvrit
des vérités, ou de délibérer pour
nous déterminer avec raifon à a g ir,
«ta à ne pas agir : dette faculté nous
Ta
( )
offre deux chofes à confidérer. i° .
Les motifs qui nous déterminent à
examiner, ou à délibérer ; car nous
ne faifons rien fans quelque impref-
fion, qui agilfant fur le fonds de
l’Ame j remue & détermine notre
volonté. x°. Les connoiffances qu’il
faut éxaminer pour s’aflurer des vé-
ritésqu’on cherche, ou les m otif;
qu’il faut pefer ou apprétier, pour
prendre un parti.
Il eft clair que dans le premier
cas, ce font des fenfations qui pré
viennent les premières démarches
de notre liberté, & qui prédéter
minent l’A m e , fans qu’il s'y mcle
aucune délibération de fa part ,
puifque ce font ces fenfations mê
mes qui la portent à délibérer. D ans
le fécond ca s, il ne s’agit que d’un
(i93)
examen des fenfations, & à la fa
veur de cette revue attentive, nous
pouvons trouver les vérités que
nous cherchons, & les conftater.
O r il s’agit des difïerens motifs ou
des diverfes fenfations , qui nous
portent les uns à agir, les autres à
ne pas agir. Il eft donc vrai que là
liberté confifte auffi dans la faculté
de fentir.
Je ne veux cependant pas paffer
fous filence une difpute qui eft en
core fans décifion ; l’éxamen qui
eft le principal a£te de la liberté,
exige une volonté déterminée à s’ap
pliquer aux objets qu’on veut éxac-
tement connoître , & cette volonté
fixe eft connue fous le nom d*at_
ten tion, la meredes fciences. O r on
demande fi oette même volonté n’é>
T j
(* 9 4 ï
*»g« pas dans TAme une force par
laquelle elle puiflè fe fixer, Sc s’af-
fujettir elle-même à l’objet de fes re -
cherches, ou fi les motifs qui la pré*
déterminent fuffifent pour fixer S£
Contenir fon attention.
$. I I I .
De la Réflexion, & c.
V
( 3 0 i)
pat la liaifon que les idées ont en*
tr’elles , 8c qui lui fournirent en
quelque maniéré le fil qui doit la
guider, pout quelle puiffe fe fouve-
nir des connoiffanccs qu’elle veut
raffembler, à defïêin de les examiner
en fu ite, & dé fe décider ; enforte
que l’idée dont elle eft a&uellement
affe&ée, la fènfation qui l’occupe
au moment préfent la mène peu-à-
peu infenfiblement, 8c comme par
la m ain, à toutes les autres qui y ont
quelque rapport. D ’une connoiffan-
ce générale , elle paffe ainfi facile
ment aux efpéces, 8c des efpéces el
le defcend jufqu’aux particularités f
de même qu’elle peut être Conduite
par les effets a la c a u fe , de cette
caufe aux propriétés, 8c des proprié
tés à l’être. Ainfi c’eft toujours par
( * o i)
l’attention qu’elle apporte à fes féti»
fations, que celles donc elle eft ac*
tuellement occupée, la conduifent
à d'autres t par la liaifon que toutes
nos idées ont entr'elles» T e l eft té
fil que la nature prête à l’Am e pour
la conduire dans le labyrinthe de fes
penfées, & lui faire démêler le cac
has de matière & d’idées, où elle eft
plongée.
§. I V .
De P arrangement des idées♦
§. v .
De U Miditatitn, eu dePexamen.
g. V I .
Cr
Du jugement.
C h a p i t r e X V II.
H istoire première .
HI STOIR.E JI,
T?un Homme fan s Idées Morales.
H istoire III.
D é l ’aveugle de Chefelden.
H i s t o i r e IV.
H istoire V.
H i s t o i r e VI.
\0 . f
J)es Hommes fauvsges, affelles
:i Satyres.
|,u L Es hommes fauvages { à ), afiêz
!' (a) Il y a deuxans qu’il parut à la Foire faint
Laurent un grand Singe, femblable au Satyru
deTulpiu*.
( î? o )
communs aux Indes &Cen A friq u e >
font appelles Avang-outang par les
Indiens , U Quotas mon ou par les
Afriquains.
Ils ne font ni gras ni m aigres, ils
ont le corps quarré , les membres fi
trapus & fi mufculeux , qu’ils font
très-vîtes à la courfe , & ont une
force incroyable. A u - devant du
corps ils n’ont de poil en aucun en
droit i mais par derrière, on diroit
d ’une forêt de crins noirs dont tout
le dos eft couvert Sc hériffé. La face
de ces animaux reffemble au vifage
de l’homme : mais leurs narrines
font camufes &: courbées , & leur
bouche eft ridée & fans dents.
Leurs oreilles ne différent en rien
de celles des hommes , ni leur poi
trine ; car les Satyres femelles ont de
fj*l>
fort gros této n s, & les miles n’en
ont pas plus qu’on n’en voit commu
nément aux hommes. Le nombril
eft Fort enfoncé, & les membres fu-
périeurs & inférieurs reffemblent à
ceux de l’homme , comme deux
gouttes d’ea u , ou un oeuf à un autre
oeuf.
L e coude eft articulé *comme le
nôtre ; ils ont' le même nombre de
d o igts, le pouce fait comme celui
de l’hom m e,des molets aux jatm-
b es, & une bafe à la plante du pied,
iiir laquelle tout leur corps porte
comme le nôtre, lorfqu’ils marchent
à notre maniéré, ce qui leur arrive
fouvent.
Pour boire, ils prennent fort bien
d ’une main l’anfe du gobelet, te
portencl’autre au fond du vafej en-
(jll)
fuite ils ctfuïent leurs leVtes avec i i
plus grande propreté; Lorfqu’ils fé
eoUchent ils ont aulfi beaucoup d’at*
tentiod & de délicateffe, ils fe fer
vent d’oreiller & de couverture dont
ils fe couvrent avec un grand (o in ,
lorfqu’ils font apprivohcs. La forcé
de leurs mufcles >de leur fang & dè
leurs éfprits, les tend braves & in*
trépides, comtné nous-mêmes : mais
tant de courage eft refervé aux mâ
les, comme il arrive encore dans l’ef-
pece humaine. Souvent ils fe jettent
avec fureur lur les gens même armés *
comme fur les femmes & lés filles *
aufquelles ils font à la vérité de plus
douces violences. Rien de plus lafc
c i f > de plus impudique & de plus
propre à la fornication que ces ani*
maux. Les femmes de l’Inde ne fon t
pas tentées deux fois d’aller les voit
dans les cavernes, où ils fe tiennent
cachés. Ils y font nuds, & y font
l ’amour avec auffi peu de préjugés
que lès chiens.
‘ P lin e , S. Jérôme SC autres nm â
ont donné d ’après les Anciens des
Defcriptions fabuleufes de ces ani
maux la fcifs, comme on en peut ju .
g er, en les comparant avec celle-ci.
Nous la devons à Tulpius M édecin
d’Amfterdam ( a ). C et Auteur ne
parle du Satyre qu’ il a v u , que com
me d’un animal ; il n’eft occupé qu’à
décrire les parties de fon corps, fans
faire mention s’il parloit & s’il avoit
des idées.Mais cette parfaite refifem-
C 0 N C L U S 10 N.
F I N.