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histoire

D E L’ A M E -
hist oire
NA T U R E L L E

DE L ’ AME*
Traduite dcl’ A n g lo is de M . C h a r p ,

Par fe u M. H * * de l'Académie
des Sciences, dre.
{*articipem lethi quoque convenit efle.

A LA HAYE,
Chez J e a n N e a u i m e , Libraire.

M. DCC. XLV.
A

M O N S I E U R

DE MA Ü P E R T U I S -

M o n s i e u r ,

Les feules lumières de U Philofo-


fh ie m’ont éclairé fu r la nature &
les propriétés de /’Ame. Je ne fça i f i
cette voie, toute fimple qu'elle tfi >
A iij
E P I T R E ,
m'aura, réu£iy & je fu is feulement
sûr d'avoir trouvé le Philofophe le
plus capable d'en juger. Je vous p rie ,
M o n s i e u r yd'agréer un hommagf
dû à la célébrité de votre nom : vous
feriez, doublement ingrat de ne pas
favorifer tout ce qui traite d'un Etre
qui réunit en vous toutes les qualitéjf
du cœur & de l‘efprity & un £m i qui
vous offre fon Ouvrage.

é
T

T A B L E
DE S CHAPITRES.
C hap . I.J5 Xpojttion de l'Omura*
ge. pag. i
C hap . II. De la Matière. y
C hap . III. De Retendue de la Ma­
tière. %
C hap . IV . Despropriétés mécaniques
pafpves de la matière, dépen­
dantes de détendue. 13
C hap . V . De lapuiffance motrice de
la matière. 19
C hap . V I. De lafaculté fen ftiv e de
la matière. 19
C h ap . V II. Des formes fubjlantiel-
les. 37
T A BLE.
Cff AP. V III. De l ’ame végétative.44
C h ap. IX . De l'ame fen ftive des
Animaux. 49
G hap. X . Des facultés du cerfs qui
f e rapportent a l ’ame fe n ji*
Jttive. (*2>
§ . I. Des fen s. 64
§ . t l. Mécanifme des fenfations. 6 S
§ . III. Loix des fenfations. 75
$. IV . /« fenfations nefon t pas
tonnetire U nature des corps *
& qu'elles changent avec les
organes. 79
$. V . Raifons Anatomiques de la di-
verfité des fenfations. 85
§. V I. Z><r lapetiteffe.des idées. 8«y
$. VII. Différonsféges de l'Ame. 90
§. VIII. De l'étendue de l ’Ante. 9$
§. IX . g u e l'êtrefenfitifefl par con-
fèquent matériel. 100
D E S C H A P IT R E S .
$. X. De la mémoire. lO f
§. X I. De Vimagination. “ 4
$. X II . Des pajjions. 1*4
C h a p . X I . Des facultés qui dépens
dent de l'habitude des orra-
nés fen jîtifs. ij*
S. I. Des intimations & des appé.
tits. 141
%. II. De l'injlinft. Ht
§. III. £>ue les animaux expriment
leurs idées par les mêmes
Jîgnes que nous. * 5*
5* IV. De la pénétration & de la
conéeption. if*
Chap. X II. Des omettions■ de lame
ferijitivt. 160
§• I. Les Jenfations , le difetrnu
ment & les cennoijfances.
160
$♦ U. De la volonté. i <3
T A B L E.
$. III. Du goût. 17 S
§. V f. Du génie. 307
§. V . Du fommeil & des Rêves. 277
§. V I. Cancluflons fur l'être fen fltif.
284
C h AP. X III. Des facultés intellec­
tuelles y eu de l'Ame raifon*
noble. 288
§. I. Des perceptions» 288
§. II. De la liberté. z9i
§. III. Delà Réflexion, & c. 300
. §. IV. De Farrangement des idées.
3oa
§. V . De la Méditation, ou de
l'Examen. 303
§. VI.Du Jugement. - 303
C hAP. XIV. J%ue la fo i feule peut
fixer notre croyancefu r la na­
ture de F Ame raifonnable.
DES CH APITRES.
CflAP. XV. Hifloires qui confit-
ment que toutes nos idées
viennent desfeus. 344
H ist . I. D’un Sourd de Chartres.

31 4
H ist . II. D'un Homme fans idées
morales. 34*
H ist . III. De l'Aveugle de Chefel-
den. 349
H is t . IV . Méthode iïAmmon four
affrendre aux fourds â far-
1er. 3 y4
■— - Réflexionsfur F éducation. 371
H is t . V . D'un enfant trouvéfar mi
des Ours. , 371
H i s t . VI. Des Hommes fauvages
affellés Satyres. 375
----- Conclufton. 3*?
E R R A T A .

P
A o b i. lig. t$. le nom effacez b
relie de la phralè.
.Hag. 57. 1. if. Avec allez de railbn » effacez cei
qyatre mots.
Pag. fp. 1. 17* Egalement *•. & vraie » effacez
cela.
Ibid. 1. 18. encore >effacez ce mot.
Pag. 9 &.\. 7. comme on l’a déjà vu, effacez cela+
Pag. 138. Chap. XIII. lifez Chap. XI.
Pag. 150.1. 18. Et à plus forte railbn , &c. lifez
Et Spinofa a encore moins de raifon.
Chap.XII.

Pag. 188. Chap. XV. lifez Chap. X III.


Pag. 318. Chap. XVI. lifez Chap. XIV.
Pag. 3±4- Chap. X VII. lift* Chap. XVc

H IS T O IR E
HISTOIRE
NATURELLE
DE LAME-
C hapitre I.

Expojition de l'Ouvrage.

CE n’eft ni A riftote, ni Platon >


ni D efcartes, ni M allebtanche, qui
vous apprendront ce que c’eft que
Votre Am e. En vain vous vous tour­
mentez pour connoître fa nature,
n’en déplaife à votre vanité 8c, à vo­
tre indocilité, il faut que vous vous
foumettiez à l’ignorance & à la foi.
A
(*)
L*eflcnce de l’Ame de l’homme &
des animaux eft,& fera toujours aulfî
inconnu.., que l’eflence de la matiè­
re & des corps. Je dis plus ; l’Ame
dégagée du corps par abftra&ion,
reflemble à la matière confidérée
fans aucunes formes, on ne peut la
concevoir. L ’ame & le corps ont été
faits enfemble dans le même inftant,
& comme d’unfeul coup de pinceau.
Ils ont été jettes au même moule, dit
un grand Théologien (i) qui a ofé
penfer. C elui qui voudra Connoîtrc
les propriétés de TAme,doit donc au­
paravant rechercher celles qui fe ma-
nifeftent clairement dans les corps ,
dont l’Ame eft le principe aétif.
Cette réfléxion me conduit na-
turellemènt à penfer qu’il n’cft point
(i) T ektvlien de refurreft.
de plus sûrs guides que les fèns.VoiÛ
mes Philofophes.Quelque mal qu’on
eo dife, eux feuls peuvenc éclairer la
raifon dans la recherche de la vé­
rité ; ç’eft à eux feuls qu'il faudra
toujours reven ir, quand on voudra
Icrieufement la connoître.
Voyons donc avec autant de
bonne fo i , que d'impartialité, ce
que nos fens peuvent découvrir
dans la matiere}dans la fubftance des
corps, &: fur-tout des corps organi-
les j mais n’y voyons que ce qui y
eft, & n’imaginons rien. La matière
eft par elle-même un principe paflif
elle n’a qu’une force $ inertie : ç’eft
pourquoi toutes les fois qu'on la
verra fe m ouvoir, on pourra con­
clure que fon mouvement vient
d’un autre principe qu’un bon ef-
A i
(4 ) . .
prit ne confondra jamais avec celui
qui le contient, je veux dire avec
la matière ou la fubftance des corps»
parce que l’idée de l’un, & l’idée de
l ’autre, forment deux idées intellec­
tuelles, auffi differentes que l’a & if
& le paflif. Si donc il eft dans les
corps un principe m o te u r,& qu’il
foit prouvé que ce même principe
qui fait battre le cœ ur, fafle auffi
fentir les nerfs & penfer le cerveau ,
ne s’enfuivra-t-il pas clairement que
c ’eft à ce- principe qu’on donne le
nom âî Ame , & que par conféquent
l’ Ame n’eft ni m atière, ni corps.
Il eft démontré que le corps hu­
main n’eft dans fa première origine
qu’un v e r , dont toutes les méta-
morphofes n’ont rien de plus fur-
prenant que celles de tout autre in-
(s) . .
feàc. Pourquoi ne feroit-il pas per­
mis dç rechercher la nature , ou les
propriétés du, principe inconnu ,
mais évidemment fenfible ôc a tfify
qui fait ramper ce ver avec orgueil
fur la furface de la terre î La vé­
rité n’eft-elle donc pas plus faite pour
l’homme, que le bonheur auquel il
afpire ? ou, n’en ferions-nous fi avi­
des, & pour ainfi dire, fi amoureux,
que pour n’embrafler qu’une nue, au
lieu de laD éefle, comme les Poètes
l’ont fait d’Ixion,

C h a p i t r e ' II.

De la Matière.
T o » s les Philofophes qui ont
attentivement examiné la hature de
la matière, confidérée en elle-même
a 3
# (<*>
indépendamment de toutes les for­
mes qui con fiaien t les corps, ont
découvert dans cette fubftance di-
verfes propriétés , qui découlent
d ’une efïènce abfolument incon­
nue. Telles fo n t, i°. la puiffance de
recevoir différentes form es, qui fe
produifent dans la matière même, &
par lefquelles la matière peut acqué­
rir la force motrice & la faculté de
fen tir} a®, l’étendue a& uelle, qu’ils
ont bien reconnue pour un attri­
but , mais non pour l’effence de U
matière.
Il yen a cependant eu quelques-
uns, & entr’autres Defcartes, qui
ont voulu réduire I’effenee de la
matière à la fimple étendue, & bor­
ner toutes Ifes propriétés de la matiè­
re à celles de l’étendue) mais ce
, ,
. fentiment a été rejette par tous les
autres Modernes , qui ont été plus
attentifs à toutes les propriétés de
cette fubftance ; en forte que la
puifTance d’acquérir la force motri­
ce , & la faculté de fentir a été de
tous tems confîdérée, de même que
l’étendue, comme une propriétéef-
fentielle de la matière.
Toutes les diverfes propriété*
qu’on remarque dans ce principe
inconnu démontrent un être dans
lequel exiftent ces mêmes proprié­
tés , un être qui par conféquent doit
éxifter par lui-même. O r on ne con­
çoit p as, ou plutôt il paraît impofli-
blc qu’un être qui éxifte par lui-mê*
me puiffe ni fe créer ni s’anéantit
Il ne peut y avoir évidemment que
les formes dont fes propriétés effen-
A4
(8 ) . ,
tielles le rendent fufceptible , gui
puiffent fe détruire & Te reproduire
tour-à-tour. Audi l’expérience nous
force-t-elle d’avouer que rien né fe
fait de rien. ‘
Tous les Philofophes qui n’ont
point connu les lumières de la foi »
ont penfé que ce principe fubftan-
tiel des corps a éxifté & exiftera
toujours, & que les élemens de la
matière ont une folidité indeftru&i-
ble , qui ne permet pas de craindre
que le monde vienne à s’écrouler.
L a plupart des Philofophes Chré­
tiens reconnoiifent aufli qu’il éxiftc
néceflairement par lui-m êm e, &
qu’H n’eft point dé fa nature d’avoir
pu commencer ni dé pouvoir finir,
comme on peut le voir dans un A u ­
teur du fiéçle dernier qui profef»
' {9 . \ .
foit ( i) la Théologie à Parts, & dans
notre Difcours.

C hapitre III,

De Vêtendue de la Matière.

Ou o i q u e nous n’ayons aucune


idée de l’eflence de la matière, nous
ne pouvons refufer notre confente-
menc aux propriétés que nos fens y
découvrent.
l ’ouvre les yeux, & je ne vois au­
tour de moi que matière ou qu’é­
tendue. L ’ étendue eft donc une pro­
priété qui convient toujours à tou­
te m atière, qui ne peut convenir
qu’à elle feule,& qui par confequenc
eft coëflentielle à Ton fujet.
( i ) G oudin Vhilofopkia j&xtà inconcujfa tutîf-
Jjimaqu9 Divi Thomx Degmaia, Lugd. U?8, ,
(IÔ)
Cette propriété fuppofe dans fa
fubftance des corps, trois dimen*-
fions, longueur, largeur & profon­
deur* En effet, fi nous confultons
nos connoiffances, qui viennent
toutes des fens, on ne peut concevoir
la matière ou la fubftante des corps ,
fans l’idée d’un être à la fo is , lo n g,
large & profondjparce que l’idée de
ces trois dimenfions eft néceffaire-
ment liée à celle que nous avons
de toute grandeur ou quantité.
Les Philofophes qui ont le .plus
médité fur la matière, n’entendent
paspar l’étendue de cette fubftance,
une étendue folide, formée de par­
ties diftinâes, capable de réfiftance.
R ien n’eft u n i , rien n’eft divifé
dans cette étendue: car pour d ivi-
fer U faut une force qui défuniffe; il
(il) ^
en fa u t une aufli pour unir les par­
ties divifées. O r fuivaneces Phyfî-
c ie n s , la matière n’a point de force
actuellem ent aCtive : parce que tou­
te fo rce ne peut venir que du mou*-
Vem ertt, ou de quelque effort ou
tendance au mouvement, Si qu’ils
n e reconnoiflent dans la matière dé­
pouillée de toute forme par abftrac-
t io n , qu’une force motrice enpuif-
fance.
C ette théorie eft difficile à con­
cevoir ; mais les principes pofés y
elle eft rigoureufement vraie dans
fès conféquences. II en eft de ces
vérités, comme des vérités algébri­
ques dont on connoît mieux la cer­
titude, que l’efprit ne la conçoit.
L ’étendue de la matière n’eft donc
qu’une étendue métaphyfique, qui
(l*)
n’offre rien de fenfible , fuivant r i­
dée de ces mêmes Philofophes. Ils
penfent avec raifon qu’il n’y a que
l’étendue folide qui puifle frapper
nos fens.
Il nous paroît donc que l’étendue
eft un attribut effentiel à la matiè­
re , un attribut qui fait partie de fa
forme métaphyfique ; mais nous
fommes fort éloignés de croire qu’u­
ne étendue folide conftitue fon ef-
fence.
Cependant avant D efcartes,
quelques Anciens avoient fait çon-
fifter l’eflence de la matière dans
l’étendue folide. Mais cette opinion
que les Cartéfiens.ont tant fait va­
loir a été combattue vi&orieufe-
ment#dans tous les tems par des rai-
fons évidentes que nous expofç-
tous dans la fuite; car l’otdre Veut
que nous éxaminions auparavant à
quoi fe réduifenc les propriétés de
l’étendue.

C hapitre IV .

Des frofriétés mécaniques•fajfives


de la matière , défendantes de
l'étendue. .

( ] E qu’on appelle forme en gé­


néral confiée dans les divers états
ou les differentes modifications dont
la matière eft fufceptible. Ces mo*
difications reçoivent l’être ou leur
éxiftence, de la matière même »
comme l’empreinte d’un cachet la
reçoit de la cire qu’elle modifie.
Elles conftituent tous les différent
fi4)
états de cette fubftance; c’eft pat
elles qu elle- prend toutes les divers •
(es formes des corps, & qu’elle
conftitue ces corps mêmes.
Nous n’éxaminerons pas ici
quelle peut être la nature de ce
principe confidéré féparément de
Ion étendue & de toute autre for­
me. Il fuffit d’avouer qu’elle eft in­
connue : ainfi il eft inutile de re­
chercher fi la matière peut éxifter
dépouillée de toutes ces form es,
fans lefquelles nous ne pouvons la
concevoir. Ç çux qui aiment les
difputes frivoles peuvent fur les
pas des Scholaftiques, pourfuivre
toutes les queftions qu’on peut fai­
re à ce fu jet} nous n’enfcignerons
que ce qu’il faut précifement fça-
voir de la doétrine de ces formes.
<>5 )
Il y en a de deux forces ; les
unes a û i v e s , les autres paflives. Je
ne traite dans ce Chapitre que des
' demieres. Elles font au nombre de
quatre ; fçavoir la grandeur , la fù.
gure, le repos & la fituation. Ces
formes font des états (impies, des
dépendances paflives de la matiè­
re , des modes qui ne peuvent ja­
mais l’abandonner, ni en détruire
la (implicité.
Les Anciens penfoient, non fans
raifon, que ces formes mécaniques-
paflives de la matière n’avoient pa$
d’autre fource que lecendue ; per*
fuadés qu’ils étoient que la matière
contient fotentiellement toutes ces
formes en fo i, par cela feul que
ce qui cft étendu, qu’un être doué
des dimenfions dont on a parlé,
(*6 )
peut évidemment recevoir telle ovt
telle grandeur, figure,(ituation, &c±
Voilà donc les formes mécani­
ques paflîves contenues en puif*
lance dans l’étendue, dépendantes
abfolument des trois dimenfions de
la m atière, & de leur diverfe corn-
binaifon ; & c’eft en ce fens qu’on
peut dire que la matière confidé-
rée Amplement dans fon étendue
n’eft elle-même qu’un principe paf-
fif. Mais cette Ample étendue qui
la rend lufceptible d’une inAnité
de form es, ne lui permet pas d’en
recevoir aucune fans fa propre for­
ce motrice $ car c’eft la matière
déjà revêtue des formes au moyen
defquelles elle a reçu la puidance
motrice , ou le mouvement a â u e l,
qui fe procure elle-même fuccef-
Avement
iîvemént coûtes les differentes for­
mes qu’elle reçoit t Sc fuivan* la
même id é e , fi la matière eft la
mere des formes , comme parlé
Ariftote >elle ne l’eft que par fon
mariage, ou fon union avec la
force motrice même;
C elap ofé: fi la matière eft quel­
quefois forcée de prendre une cer­
taine fo rm e , & non telle autre *
cela ne peut venir de fa nature
trop inerte ou de fes formes mé-
caniques-paffives dépendantes de
létendue Amais d’une nouvelle for­
me qui mérité ici le premier ran g,
parce qu'elle joue le plus grand
tôle dans la nature , c’eft la forme
aftivé ou la puiffance motrice ; la
forme, je le répété, par laquelle la
matière produit celles qu'elle reçoit»
B
(i8) .
M ais avant que de faire men­
tion de ce principe m oteur, qu’il
4nè foit permis d’obferver en paf-
faut que la matière confidérée feu­
lement comme un être paflif, ne
•j>aroît mériter que le (impie nom
de m atière, auqûel elle étoit au­
trefois reftremtei que la matière
-en tant qd’abfolument infépatable
de l’étendue, de Hmpénécmbilitéi,
de la divifibilité/, & des autres
-formes méoaùiqèes-paffives, n’é s
:to it pas réputée par les anciens la
-ttêm é choie qu'é cè que nous ajj-
pelions aujourd'hui du nom de fubf-
tance , & qu'enfin loiri de confon­
dre ces deux termes, comme fon t
les modernes , ils prenoient la m a­
tière fimplement comme Un attri­
b u t ou une partie de cette fubl^
( 19)
tance conftituée celle, ou élevée
à la dignité de corps par la puiC*
fance motrice donc je vais parler.

C hapitre V*

Df la pnijftnct motrice delà matière.

anciens perfuadés qu’il n'y


«voie aucuns corps fans une force
motrice, regardoient la {ubftance
des corps comme un compote de
deux attributs primitifs : pat l'un
cette fubftance avoit la puiffande
de fe m ouvoir, & par l’autre celle
d’être mue. En effet dans tout corps
qui fe m eu t, il n’eft pas poffible
de ne pas concevoir ces deux at­
tributs , c’eft à-dire, la chofe qui fe
meut, & la même chofe qui eft mue.
Ba
. (16^ .
O ïl vient de dire qu’on donnoifc
autrefois le nom de matière à la
fubftance des corps en tant que fu k
ceptible de mouvement: cette même
’ matière devenue capable de fe mou­
voir étoit envifagée Fous le nom
de principe a â i f donné alors à la
même fubftance. Mais ces deux
attributs paroiftent fi eflèntielle-
ment dépendans l’un de l’autre, que
Cicéron , ( i ) pour mieux exprimer
Cette union eflentielle & primitive
de la matière. Ôé de Ton principe
m oteur, dit .que l’un Sc l’autre fe
trouve l’un dans l’autre j ce qui
rend fort bien l’idée des anciens.
. D ’où l’on comprend que les mo­
dernes ne nous ont donné qu’une
(i) In utroque tandem utrumque. Açadem,
.tu*Jt. lîb. i.
(zi)
idée peu éxa&e de la m atière, lors­
qu'ils opt voulu par une confufîon
mal entendue donner ce nom à la
fubftance des çorps*, puifqu’encore
une fois la matière ou le principe
paffif de la fubftance des çorps ne
fait qu’une partie de cette fubftan­
ce. Ainfi il n’eft pas furprenant
qu’ils n’y ayent pas découvert la
force motrice & la faculté de fentir.
O n doit voir à préfent, ce me
fem ble, du premier coup d’œil, que
s’il eft un principe a $ if , il doit
avoir dans l’elfence inconnue de
la m atière, une autre fource que
l’étendue ; ce qui confirme que la
fimple étendue ne donne pas une
idée complette de toute l’effence,
ou forme Métaphyfique de la fubf-
tancc des corps, par cela feul qu’elle
®3
. , (h ) . .
exclut l’idcc de toute activité dans
la matière. C ’eft pourquoi fi nous
démontrons ce principe moteur ;
fi nous faifons voir que la matière,
loin d être aufïi indifférente quon
le croit communément, au mouvez
ment & au repos, doit être regar­
dée comme une fubftance a â iv e ,
aufl* bien que paffive, quelle refr
fouree auront ceux qui ont fait
eonfifter fon eflencc dans Pétendueî
Les deux principes dont on
vient de parler , Pétendue & fa
force m otrice, ne font que des puifc
fances dé la fubftance des corps •
car de même que cette fubftance
eft fufceptibîe de mouvement fans
en avoir effectivement, elle a auffi
toujours, lors meme qu’elle ne fe
meut pas, la faculté de fe mou­
voir.
C*5)
Les'anciens ont véritablement
remarqué que cette force motrice
n’agifloit dans la fubftance des corps»
que lorfque cette fubftance écoit
revécue de certaines formes : ils ont
aufli obfervé que les divers mouve-
mens q u ’elle produit font tous affu-
jettis ou réglés par ces différen­
tes formes. C ’eft pourquoi les for­
mes au moyen defqucllcs la fubfc,
tance des corps pouvoir non-feu*
lement fe m ouvoir, mais fe mou­
voir diverfem ent, ont été nom­
mées fermes matérielles.
Ilfuffifoit aces premiers maîtres
de jetter les yeux fur tous les phé­
nomènes de la nature, pour décou­
vrir dans la fubftance des corps la
force de fe mouvoir elle-mcmc. En
effet ou cette fubftance fe meut
B 4
(t4 )
ellc-mcme, ou lorfqu’elle eft en
mouvement, c’eft une autre fubf-
ftance qui le lui communique. Mais
voit-on dans cette fubftance autre
chofe qu’elle-même en avions &
fi quelquefois elle paraît reçevoit
un mouvement qu’elle n’a pas, le
reçoit-elle de quelqu’autce caufç
que ce même genre de fubftance
dont les parties agiftent les une$
fiir les autres}
•Si 4 onc on fuppofcun autre Agent}
je demande quel il e ft, & qu’on
me donne des preuves de fon exifr
tence ; mais puifqu’on n’en a pas
la moindre id ée, ce n’eft pas mê­
me un être de raifort.
Après cela il eft clair que les an­
ciens ont dû facilement reconnoî-
rre une force intrinsèque de meuve-.
*
jaent au dedans de la fuhftance des
corps ; puifqu’enfîn on ne peut ni
prouver ni concevoir aucune autre
fùbftance qui agifle fur elle.
Mais ces mêmes Auteurs ont en
même-tems avoué, ou plutôt prouvé
qu’il étoit impoflible de compren­
dre comment ce myftere de la na­
ture peut s’opérer, parce qu’on ne
connoit point l’elTence des corps.
N e connoiffant pas l’A g e n t, quel
moyen en effet de pouvoir connoL
tre fa maniete d’agir ; Et la diffi­
culté ne demeureroit-elle pas la
même,en admettant une autre fubf-
ta n ce, principalement un être dont
on n’auroit aucune idée , & dont
on ne pourront pas même raifon-
nablement rçconnoîcre l’exiftence.
C e n ’eft pas auffi fans fonde-
( 2. 6 )
ment qu’iîs ont penfé que la fubalan­
ce des corps envifagée fans aucu*
cune forme,n’avoit aucune aâ ivité,
mais qu’elle écoit tout tn puijfan-
ce. (i ) Le corps humain , par exem­
ple , privé Je fa forme propre, pour-
foit - il exécuter les mouvemens
qui en dépendent > D e même fans
l ’ordre & l’arrangement de toutes
Ie$ parties de l’univers, ta matière
qui les compofe pourroic-elle pro­
duire tous les divers phénomènes
qui frappent nos fens î
Mais les parties de cette fubf-
fiance qui reçoivent des formes , ne
peuvent pas elles-mêmes fe les don­
ner i ce font toujours d’autres par­
ties de cette même fubftance déjà
revêtue de form es, qui les leur
(i) Totum in fieri.
(17)
procurent. Ainfi c’cft de l’adîon
de ces parties, prefïees les unes
par les autres , que naillent les for­
mes par lefquelles la forme mo­
trice des corps devient effective­
ment aétive.
C ’cft au froid & au chaud qu’on
d o it, à mon a v is,! réduire, com­
me ont fait les A n cien s, les formes
productives des autres formes ; par­
ce qu’en effet, c’eft par ces deux
qualités aétives générales que font
vraifemblablement produits tous les
corps fublunaires.
Defcartes génie fait pour fc frayer
de nouvelles routes & s’égarer*
( parce que c’étoit un génie ) a pré­
tendu avec quelques autres Phi-
lofophes que Dieu eft la feule caufe
efficiente du m ouvem ent, & qu’il
w
ftmprhne à chaque inftant dans,
tous les corps. Mais ce fentiment
n’cft qu’une hypothèfe qu’il a tâché
d ’ajufter aux lumières de la f o i , Sc
alors ce n’cft plus parler en Philo-
fophe, ni à des Philofophes, fur-
tout à ceux qu’on ne peut con­
vaincre que par la force de l’évL
dence.
Les Scholaftiques chrétiens des
derniers fiécles ont bien fenti l’im­
portance de cette Ample réflexion :
ç*eft pourquoi ils fe font fagemenc
bornés aux feules lumières pure*
ment Philofophiques fur le mouve­
ment de la m atière, quoiqu’ils euf-
fent pû faire voir que D ieu même
a dit qu’il avoit •> empreint d’un,
•• principe aétif les élemens de la
» matière. » Gcnef i.J/aye 6 $.
f /
(*9)
O n pourrait former ici une loh±
gue chaîne d’autorités, & prendre
dans les Proférions les plus célé­
brés , une fubftance de la doéfcrine
de rouis les autres : mais outre que
cette dodrine a été expofée dans
notre difcours préliminaire, il eft
aflez évident que la matière con­
tient cette force motrice qui l’a­
nime , & qui eft la caufc immé­
diate de toutes les loix du mouve­
ment.

' C hapitre VI.

De lafacultéfenjittve de la matière ,
O U s avons parlé de deux at­
tributs cflentiels de la matière, dcC.
quels dépendent la plupart de fcs
. , ( *ô ) ,
propriétés, fçavoir l’étendue te ta.
force motrice. Nous n’avons plus
maintenant qu’à prouver un troi-
fiéme attribut j je veux dire la fa»
culte de fentir que les Philofophes
( i) de tous les fiécles ont reconnue
dans cette même fubftançe. Je dis
tous les Philofophes, quoique je
n’ignore pas tous les efforts qu’ont
vainement faits les Carcéfiens pour
l’en dépouiller. Mais pour écarter
des difficultés infurmontables, ils
fe font jettés dans un labyrinthe
dont ils ont cru fortir par cet ab-
furde fyflême “ que les bctes font
de pures machines.
Une opinion fi rifible n’a ja*
(i) Voyez la Thèfe que M. Leibnitz fit fou­
rnir à ce ftjet au Prince £ugene, & l'origine
ancienne dt la Phyjiyae moderne , par le P.
.Régnault»
fil)
m aïs eu d’accès chez les Philofô.
phes que comme un badinage d’eP-
p r it , ou un amufement Philofo-
phique. C ’eft pourquoi nous ne
nous arrêterons pas à la réfuter.
L ’expérience ne nous prouve pas
moins la faculté de fenrir dans les
b ê te s, que dans les hommes : car
hors moi qui luis fort alïüré que
je fenS, je h ’ai d’autre preuve du
fentiment des autres hommes que
par les figrres qu’ils m’en donnent.
L e langage de convention, je veux
dire -, la parcfle, u ’eft pas le ligne
q u i l'exprime le mieux ï il y en 'a
un autré commun aux hommes &
aux animaux,qui le manifefte avec
plus de certitude j je parle du lan­
gage â ffc& if, tel que les plaintes,
Inscris , les cardTes, la fuice, les
irs, le c h a n t, & en un mot
toutes les expreffions de la d o u ­
leur , de la triftefle , de l’averfîon,
de la crainte , de l'audace , de la
foumiflion, de la colere, du p lai-
fir, de la joie, de la tendrefle, & c. U n
langage aufli énergique a bien plus
d'empire fur nous, bien plus dé
forcé pour nous convaincre, qu e
tous les Sophifmes de DefcarceS
pour nous perfuader.
Peut-être les Cartéfiens, ne pou­
vant fe refufer à leur propre -fen-
timent intérieur , fe croient - ils
mieux fondés à reconnoître la m e­
me faculté de fentir dans tous les
homm es, que dans les autres ani­
maux ; parce que ceux-ci n’ont pas
à la vérité exaftement la figure hu­
maine. Mais ces Philofophes s’en
tenant
' (33)
tenant aihfi à l’écorce des chofés
auroient bien peu examiné la par­
faite reflemblance qui frappé le*
cônnoifleurs entre l’homme & la
bête : car il n’eft ici queftion que
de la {imilitude des organes des
fens, lefquels j à quelques modifi­
cations près } font abfolüment les
mêmes > & accufcht évidemment
les mêmes ufagesi
Si ce parallèle n’a pas été faifi
par D efcartes, ni par fes Seâateurs,
il n’a pas échappé aux autres Phi-
lofophes, & fur-tout à ceux qui (b
font curieufement appliqués à \'A-
natomit comparée.
Il fe préfente une autte difficulté
qui intéreffe davantage notre amour
propre : c’eft l’impoffibilité où nous
fommes encore de concevoir cette
C
(54) ,
propriété comme une dépendance
ou un attribut de la matière. M ais
qu’on fa (Te attention que cette fubf*
tance ne nous laifle appercevoir
que des chofes ineffables. Com ­
prend on mieux comment l’éten­
due découle de (on eflence î com­
ment elle peut être mue par une
force primitive dont l’aâion s’é*
xerce fans contaâ , & mille au­
tres merveilles qui fe dérobent tel­
lement aux recherches des yeux
les plus clairvoyans , qu’elles n e
leur montrent que le rideau qui les
ca ch e, fuivant l’idée d’un illuftrt
Moderne, (i)
S’il étoit permis d’employer des
fi&ions poétiques dans un ouvrage
de ce genre t on pourroit dire qufc
0) Lsiimt*.
iès Dieu*: fèuls peuvent lever ce
rideau , comme Venus fit devant
Ence. (i)
Mais né pourroit-on pais fuppo-
i e r , comme ont fait quelques-uns
que le fentiment qui fe remarque
dans les corps animés appartien­
drait à un être diftjnâ: de la ma­
tière de ces corps, à une fubftance
d’une différente nature, & qui fe
trouverait unie avec eux î Les lu-
hiieres de la raifon nous permettent-
elles de bonne foi d’admettre de tel­
les conje&ures ? Nous ne connoif-
fons dans les corps que de la ma­
tière , & nous n’obfervons la fa-

(i) Apice, namque omnemqu* nunc obduâa


tuenti,
Mortales hebetat vifiis tib i} & hutnida circuin
Caligat i nubem eripiam. Virg. Æneid. 1. .
Ci
;

( îO
culte de fentir que dans ces corps ’
fur quel fondement donc établir un
être idéal défavoué par toutes nos
connoifiances ?
Il faut cependant convenir avec
la meme franchife , que nous igno­
rons fi la matière a en foi la fa­
culté immédiate de fentir ou feu­
lement la puïïfance de l’acquérir
par les modifications ou par les for­
mes dont elle eft fufceptible } car
il eft vrai que cette faculté ne le
montre que dans les corps orga-
nifés.
Voilà donc encore une nouvelle
faculté qui ne réfideroit auffi qu’en
puiflance dans la matière, ainfi que
toutes les autres dont on a fait men­
tion i & telle a été encore la façon de
penfer des anciens, dont la Philofo-
. ( 37) , ,
phie pleine de vues & de pénétration
; méritoit d’ctre élevée fur les dé-
f bris de Celle des modernes. Ces
derniers ont beau dédaigner des
fources trop éloignées d’eux : l’an­
cienne Philofophie prévaudra tou­
jours devant ceux qui foht dignes
j de la juger ; parce qu’elle forme
! ( du moins par rapport au fujet que
je traite ) un fyftême folide, bien lié,
; & comme un corps qui manque
, à tous ces membres épars de la Phy-
fique moderne.
! ' - -
i =— . . . . . . . ", .j .
C hapitre VII.

Des formes fuhftantieUes.

! No o s avons vu que la matière eft


mobile, qu’elle a la puiflance de fe
C 3
<* * )
mouvoir par clic - même ; qu’e lle
cft fufceptible de fenfation 6c d e
fentiment. Mais il ne paroît p a s ,
du moins fi l ’on s’en rapporte à l ’e x ­
périence , ce grand maître des P h i-
lofophes, que ces propriétés p u if-
fent être mifes en exercice, avant
que çette fubftance foie , pour ainfi
d ire, habillée de quelques form es
qui lui donnent la faculté de fê
mouvoir 6c de fentir. C ’eft pour­
quoi les Anciens regardoient ce$
formes comme faifant partie de la
réalité des corps-,& de-là vient qu ’ils
les ont nommées fermes fubftanticl-
les. (i) En effe t, la matière confidé-
rée par abftra&ion^u feparémentde
toute form e, eft un être incomplet
fuivant le langage des E coles, un
(x) Gou». T. II. p. 54. fS.
• U 9)
çtre qui n’cxifte point dans Cft état >
& fur lequel du moins les fens ni la
raifo n 1n’ont aucune p1ife. C e font
donc véritablement les formes qui
le rendent fenfible, & pour ainû
d ire , le réalifcnt. Ainû , quoique,
rigoureufement parlant , elles ne
foienc point des fubftances, mais
de fimples modifications , on- a etc
fondé à leur donner le r om de for­
mes fubftantielles , parce quelles
perfectionnent la fubftance des
c o rp s, & en font en quelque forte
partie. # /
D ’ailleurs pourvu que les idées
(oient clairement expofées, nous de-
daignonsde réformer des mots con-
facrés par l’ufage, & qui ne peu­
vent induire en erreur , lorsqu’ils
font définis, & bien entendus.
C 4
. <4P)
1* ^ Anciens n’avoient donné l e
nom dcformes fubftantielles, qu’au x
modifications qui conftituent effen-
tiefjement les corps , & qui, leur
donnent à chacun ces cara&eres dé-
pifîfs qui les di,ftinguent l’un de l’au-
treuils nommoient feulement formes
accidentelles, les modifications qui
viennent pat accident, & dont la
deftru&ion n’entraîne pas néceffai-
rcment celle des formes qui confti­
tuent la nature des corps , comme
le mouvement local du corps hu­
main , qui peut cefler, fans altérer
l’intégrité de fon organifation.
Les formes fubftantielles ont été
divifées en (impies & en compofées.
Les formes (impies font celles qui
modifient les parties de la matière ,
telles que la grandeur, la figure, le
#

(4 0
mouvement, le repos & la fituatlon j
& ces parties de la matière revêtues
de ces formes , font ce qu’on appel­
le corps Jtmples ou élentens. Les for­
mes compofées confident dans l’af-
femblage des corps (impies, unis &
arrangés dans l’ordre , & la quantité
néceflaire pour conftruire ou for­
mer les diffèrens mixtes.
Les memes Philofophes de l’anti­
quité ont aulfi en quelque forte dis­
tingué deux fortes de formes fubf-
tanticlles dans les corps vivans ; (ça-
voir celles qui condiment les par»
ties organiques de ces corps, & cel­
les qui font regardées comme étant
leur principe de vie. C ’ed à ces der­
nières qu’ils ont donné le nom d’A ­
me. Ils en ont fait trois fortes ; l’A ­
me végétative qui appartient aux
«cio
plantes -, l’Ame fénfitjve, com m une
Z l’homme &Cà la bête ? mais parçe
que celle de l’homme fe^ b le ayoir
un plusyafte empire * des fon dion s
plus étendues., des vues plus'gran­
des, ils l’ont appellée Am era'tfoji-
nabU. Difons un mot de l’A m e vé­
gétative. Mais auparavant, qu’il,tm©
foie permis de répondre à une objec-
don que m’a faite un habile homme*
„ Vous n’admettez , d it- il, dans les
„ animaux , pour principe de fenti-
w ment aucune fubftance qui foie
„ différente de la matière : pourquoi
„ donc traiter d’abfurde le Carcéfîa-.
„ n ifm e, en ce qu’il fuppofe que les
„ animaux font de pures machines î
n & quelle fi grande différence y a-
t-il entre ces deux opinions ? „ J©
xépons d’un feul mot ;Defçartes te*
( 4 Î>
fufe tout fentim ent, toute faculté
de fentir à fes machines, ou à là ma­
tière dont il fuppofe que les animaux
font uniquement faits : & moi je
prouve clairement , fi je ne me
trompe fo r t, que s’il eft un être qui
fo it, pour ainfi d ire, pétri de fenti-
timent , c ’eft l’animal } il femble
avoir tout reçu en cette m onnoie,
qui ( dans un autre fens ) manque
à tant d’hommes. Voilà la différence
qu’il y a entre le célébré Moderne
dont je viens de parler, & l’Auteur
inconnu de cet ouvrage.
C h a p i t r e VIII.
. . i " ’
De l'Ame végétative.

N o » s avons dit qu’il falloir rap-.


peller au froid & au chaud,les for­
mes produ6Hves.de toutes les fbrAies .
des corps. Il va parodtre!ün: ample
Commentaire de cette Dôftrine des
Anciens,par M .Quefnay.Cet habile
homme la démontre par toutes les.
recherches & toutes les expériences
de la Phyfique M oderne, ingénicu—
fement raffemblécs dans un Traité
du Feu, où YEther fubtilement rallu­
m é , joue le premier rôle dans la
formation des corps. M . Lamy M é­
decin \ n’a pas cru devoir ainfi bor­
ner l’empire de l’Ether y il ex-
<4 fc)
plique la formation des Ames de
tous les corps par cette même caufe.
L ’ Ether t eft un erprit infiniment
fubtil , une matière très-délice Se
toujours en mouvement , connue
fous le nom de feu pur & célefte *
parce que les Anciens en avoient
mis l^j fource dans le So leil, d’où
fuivant, eux , il eft lancé dans
tous les corps plus ou moins * félon
leur nature & leur confidence ; ôc
„ quoique de foi-même il ne brûle
,, p as, par lesdifférens mouvemens
„ qu’il donne aux particules des au.
„ t r e s corps où il eft renfermé , il
„ brûle & fait reflentir la chaleur.
,, Toutes les parties du monde ont
„ quelque portion de ce feu Elé-
„mentaire,que plufieurs Anciens re­
,, gardent comme l’Ame du m onde,
(**> .
j i & dqiit L^my prend leur fyfte-
u me fans feuleihent lés nommer;
„ Le feü vifible a beaucoup de cet
j, Efpric, l’air aufli, l’eau, beaucoup
,, m oins, la terre très-peu; Entré
,, les m ixtes, les minéraux en ont
„ moins, les plantes plus, & les ani-
„ maux beaucoup davantage. C é
„ f e u , ou cet efprit eft leur Ame *
„ qui s’augmente avec le corps par
„ le moyen des alimens qui en
,, contiennent, & dont il fc féparé
„ avec le chile , & devient enfin
„ capable de fentim ent, grâce à un
„ certain mélange d’humeurs, & à
„ cette ftruûure particulière d’orga-
„ nés qui forment les corps animés :
, , car les animaux , les minéraux ,
„ les plantes mêmes , & les os qui
, , font la bafe de nos corps n’ont pas
/#> k.
„ de fen tim en t, qrioîqfu*ll£ ’ayèàt
„ chacun quelque portion1de ce*
„ Ether , parce qu’ils n’ont pas la.
„ mêrtle organifation.,,
Les Anciens entendoicnt par TA*
me végétative la caufe qui dirige
toutes les opérations de la généra-*
tio n , de la nutrition & de l’accroif*
femcnt de tous les corps vivans.
Les Modernes peu attentifs \ ri­
dée que ces premiersMaîtrcs avoient
de cette efpece d’Ame , l’ont con­
fondue avec l’organifation même
des végétaux & des animaux , tan­
dis qu’elle cfi la caufe qui conduit
& dirige cette organifation.
O n ne peut en effet concevoir la
formation des corps vivans, fans
une caufe qui y préfide : fans un
principe qui régie & amene tout à
itnc fin déterminée i foie qüè c ë
principe confifte dans les loix géné­
rales par lesquelles (i) s’opère tôuc
le mécanifrae des a&ions de ees
corps, foit qu’il foie borné à des loix
particulières , originairement réfi*
dentes ou inelufes dans le germe de
ees corps memes, & par lefquelles
s’éxécutent toutes Tes fondions pen­
dant leur accroiflèment & leur du*
rée. . .. ,
Les Philofopiies dont je parle *
ne fortoient pas des propriétés de la
matière pour établir ces principes
C ette fubftance à laquelle ils attrL
buent la faculté de fe mouvoir ellei.
même , avoit aufli le pouvoir de {à
diriger dans fes mouvemens, l’un
(i) Boerh. Elem. Chem. p. jj . 36 , Abrégé de
fa Théorie Chimifue >p. 6. 7.
(4 ?) (
&è jpouvant fubfiftet ïàhs l'autre j
fu ifq u ’on conçoit clairement que
la même puiflance doit être égale­
ment & le principe de ces mouve-
mens , & le principe de cette déter­
mination , qui font deux chofes ab-
folument individuelles & infépara-
bles. C ’eft pourquoi ils regardoienc
l’A m e végétative >comme une for­
me fubftantielle purement maté­
rielle , malgré l’efpece d’intelligeni
ce dont ils imaginoient qu’elle rié-
toit pas dépourvue. ’

' a - 1. 1 1 1 1 ' ' 1' sa

C h a p i t r e IX .
i)è FÂmefenfittoe des Animaux,

T JE principe matériel oü là for­


me fubftantielle qui dans les ani-
D
ïfiàUX fe ftt, difcerne St c ô n n ô ît, a i
été généralement nommée par les :
A nciens, AMt fenfitive, C e princi- j
pe doit être foigneufement diftin- :
^oê du Corps organique même dès }
animaux ôe des opérations de cés {
corps y qu’ils oint attribuées à l’Am e
végétative, Comme on vient de te tj
remarquer. C e font cependant les s
organes mêmes de ces corps animés -,
-qui occafionnent à cet être fenfitift %
les fonfation* dune il eft affefté. „
' O n a donné te nom de fens aux a
organes , particulièrement deftinés »
à faire naître ces fenfations dans |
l’Ame. Les Médecin» les divifent .
en Cens externes St en fens internes j t
mais il ne s’agit ici que des premiers,
q u i font j comme tout lé monde ,
fçait y au nombre dé cinq ; k v u e , ,
, (fl)
Poule, l\> d o ra*le g o a c & le ta£t,
donc l’empire s’étend fu r un grand
nombre de feirfàcions , qui cornet
font des Ibrcesde couchée.
Ces organes agirent par l’entre-
mife des nerfs , te d’une manière
qui coule au-dedans de four impet>
iceptible cavité , & qui eft d’une fi
grande fu btilité, qu’on lui a donné
le nom d’efpric anim al, fi bien d é­
montré ailleurs par une foule d’etf-
périences te de folides raifonno-
mens, que je ne perdrai point de
rems à en prouver ici l’éxiftence.
Lorfque les orga nes des fens font
frappés par qadque objet, les nerf»
•qui encrent dans la ftru&ure de ces
organes font ébranlés , le mouve­
ment des èfprits modifié fe tranfmet
au cerveau jufqu’au fenfèritnn
D i
(jl)
pmne, c’eft-à-dire, jufqu’à l’endroit
m êm e, où l'Ame tenfitive reçoic les
fenfationsà la faveur de ce reflux
d’efprits, qui par leur mouvement
agiiTent fur elle.
Si l’impreflion d’un corps fur un
nerf fenficif eft forte & profonde
fi elle le tend , le déchire, le brûle ,
ou le rom pt,il en réfultepour l’ A ­
me une fenfation qui n’eft plusfimr
pie,m ais douloureufe : Sd récipro­
quement fi l’organe eft trop faible­
ment affe&é , il ne fe fait aucune
fenfation. Donc pour que les fens
faflent leurs fondions,il faut que les
objets impriment un mouvement
proportionné à la nature foible ou
forte de l’organe fenfitif. .
. Il ne fe fait donc aucune tenta­
tion, fans quelque changement dans
. . ,
l’organe qui lui eft deftinc, ou plu*
toc dans la feule furface du nerf de
cet organe. C e changement peut-il
fe faire pour YintremiJJion du corps
q u ife fait fentir ? Non j les envelop­
pes dures des nerfs rendent la choie
évidemment impoflîble. 11 n’eft pro­
duit que par les diverfes propriétés
des corps fenfibles, & de-là naiffene
les differentes fenfations.
Beaucoup d’expériences nous ont
fait connoître que c’effc effedive-
ment dans le cerveau , que l’Ame
eft affeélée dés fenfations propres
à l’animal : car lorfque cette partie
eft conlidérablemcnt bleflce , l’ani­
mal n’a plus ni fentim ent, ni difc
ccrnement, ni connoiffance : toutes
les parties qui font au-deflus des
plaies & des ligatures x confervent
E >3
etttr’elles & le cerveau le m ouve­
ment & le fentim cnt, toujours per-
duau-deffous , encre la Hgature&S *
l’extrémité. L a fe â io n , la corrup­
tion des nerfs & ducervcau,»la cam -
preffion même de cette p artie, tec.
ont appris à Galien la même vérité.
C e fçavant a donc parfaitement
connu le fiége de l’A m e , & la né-
çeffité abfolue des nerfs pour les
fenfations : il -â içu i°. que l’A m e
fent & n’eft réellement affe&éc que
dans le rerveau des fentimcns pro­
pres à l’animal. t°.;Q u ’elle n’a de
Sentiment te deconnoifTance,qaau-
tant qu’elle reçoit t’impreflTion ac­
tuelle des efprits animaux. ,
Nous ne rapporterons point ic i
les opinions d’Ariftote , de Chry-
fippe, de Platon, de D efcartes, de.
Vieuffens, de R e fle t>de W ilU* ï
de L an cifi, & c . ;I1 çn . faudroittou»
jours revenir à Ç a lie n , çonune a la
vérité rnérne.Hifpper^Çe parole aufli
p’avoir pas ignoré où l’Ame f<*ft
fa réfidence. ' .
Cependant la plupart de* An»
ciens Philofophes ayant ? leur tête
les Stoïciens, &: parmi les M o4p*3
nés Perrault, Stpaft» fc Tabpr ,
ont pepfé que l’Ame Grntoit dans
toutes les parties du «orps , parce
qu’elles ont toutes des nerfs
nous n’avons aucune preuve d’unn
fenfibilité. aufli univerfdlertcnt ré-
panduè. L’expérience nous a même
appris que lorfque quelque partie
du corps eft retranchée, l’Ame a des
fenfations, que cette partie qui n eft
plus , femble ençore lui donner.
o o <
JL'ame ne fcnt donc pas dans le lieq
jnême où elle croit fentir. Son er­
reur confifte dans la maniéré dont
elle fc n t, te qui lui fait rapporter
fon propre fentiment aux organes
qui le lui occafionnent, & l’aver-
tiffent en quelque forte de 1’impref-
#on qu’ils reçoivent eux-mêmes des
caufes extérieures. Cependant nous
ne pouvons pas affiner que la fubf-
tance de ces organes ne foit pas el­
le-même fufceptible de fentim ent,
& qu’elle n’en ait pas effective­
ment. Mais ces modifications ne
pourroiént être connues qu’à cette
fubftance m êm e, & non au* tout x
ç ’cft-à-dire , à l’animal auquel elles
ne font pas propres, & ne fervent
point.
‘ Comme les doutes qu’on peut
avoir à ce fü jet, ne font fondés que
far des eonje&ures, nous ne nous
arrêterons qu’à ce que ^expérience,
qui feule doic nous guider, nous
apprend fur les fenfations que l’A ­
me reçoit dans les corps animés.
; • Beaucoup d ’Auteurs mettent le
! liège de l’Ame prefque dans un fcul
point du cerveau , te dans un feul
point du corps calleux, d’où corn?
me de fbn trône, elle régit toute?
les parties du corps. .
, - L’être fenfitif ainfî cantonné, re_
| ferré dans des bornes aufli étroites,
I «s le diftinguent avec alfez de rai7
fon i°. de tous les corps anim és,
i dont les divers organes conçou-?
rent feulement à lui fournir fes fen-
fations : zo. des efprits mêmes qui
le touchent, le remuent, le pené-
(fl)
tient par la diverfe force de leur rip]
çhoc,5 c le font fi diverfement fentir.
Pour rendre leur idée plus fenfi-
b le , Us comparent l’Ame au timbre
3 Cil
d’une montre, parce qu’en effet l’A ­
•■îil’

me cft en quelque forte dans, le


çorps, ce qu’eft le timbte dans
ad
la montre. Tout le corps de cette
t(
m achine, les refïbrts, les roues .ne
ilîï;
fornique des inftrumens, qui par
is(
leurs mouvemens.concourent tous
îtla
enfemble à la régularité de l'aftion
:orp
du marteau fur le timbre, qui at­
ï^a
tend , pour ainfi d ir e , cette a â io n ,
fc ne fait que la recevoir : car lorf-
-que le marteau ne frappe pas le tim-.
3 Etc
b re, il eft comme ifolé de tout le
corps de la montre, 8c ne participe
en rien à tous fes mouvemens. •
5iltu
T elle eft l’Am e pendant u n io n *
. ( I.9 )
meil profond. Privée dé routes fen-
fation s, fans nulle connoiCance de
tout ce qui fe paffe au dehors & aq
dedans du corps qu’ellehabke ,*ellc
femble attendre le réveil, pour re­
cevoir en quelque forte le coup de
marteau donné par les efprits fur fon
timbre. C e n’eft en effet que pen­
dant la veillé qu’elle eft affe&ée par
diverfes fenfations qui lui font çon-
noître la nature des impre(fions que
les corps externes communiquent
aux organes.
Q u e l’Ame n’occupe qu\vn point
du cerveau, ou qu’elle ait un fiége
plus étendu , cette comparaifon éft
également ingénieufe 6c vraie. Il eft
encore certain qu’à en juger par la
éhaleur, l’humidité, l’âpreté, la dou­
leur., & c. que tous les nerfs Tentent
<€0). .
egalement, on croiroit qu’ils de-
vroient tous être intim em ent réu­
nis pour former cette efpeçe de
rendez-vous de toutes les fenfations*
Cependant on verra que les nerfs
ne fe raflfemhlent en aucun lieu du
cerveau , ni du cervelet, ni de la
moelle de l’épine.
Q uoi qu’il en foit ,!es principes
que nous avons pofés une fois bien
établ s ,o n doit voir que toutes les
connoiffances, même celles qui font
les plus habituelles, ou les plus fa­
milières à l’A m e , ne réfident en el­
le , qu’au moment même qu’elle en
eft affeûée. L ’habituel de ces çon-
• noiflances ne confifte que dans
les modifications permanentes du
mouvement des efp rits, qui les lui
préfencent, ou plutôt qui les lui proK
} 6 ï)' .
curent très-fréquemment. D ’où il
fu it que c’eft dans la fréquente ré­
pétition des mêmes mouvemens que
confident la mémoire , l’imagina­
tion , les inlinations , les pallions %
& toutes les autres facultés qui met­
tent de l’ordre dans les idées, qui le
maintiennent & rendent les fenfa-
tions plus ou moins fortes & éteiw
dues : Sc de-là viennent encore la
pénétration, la conception, la ju-
fteflfe, & la liaifon des connoiflàn-
ces ; & c e la , félon le degré d’excel­
lence ou la perfe&ion des organes
des différons animaux.

9?
C hapitre X.

Ors fatuités du corps qui f e rapport


tent à, i Ante fenfitive.

Tf. Es Phiiofophes ont rapporté 1


l’Ame fenfitive toutes les facultés
qui fervent à lui exciter des fenfa-
tions. Cependant il faut bien diftinx
guer ces facultés qui font purement
mécanîquesvde celles qui appartien­
nent véritablement a l’être fenfitifc
C ’eft pourquoi nous allons les réduL
reàdeuxclafles. .
Les facultés du corps qui four­
nirent des fenfations, font celles
qui dépendent des organes des fens,
8c uniquement du mouvement des
elprits contenus dans les nerfs de
ces orgaftes > 8c des modification*
de ce9 mouvemens. Tels font la di*
verfité des mouvemens des efprits
excités dans les nerfs des différer»
organes, 8c qui font naître les di+
verfes fenfations dépendantes de
chacun d’e u x , dans l’inftant même
qu’ils font frappés ou affcâés par
des objets extérieurs. Nous rappor­
terons encore ici les modification*
habituelles de ees mêmes meuve*
mens qui rappellent néceflairemenc
les mêmes Tentations que l ’Ame
avoir déjà reçues par l’impreflïon
des objets fur les fens. Ces modifica.
tions tant de fois répétées forment
ia mémoire, l’imagination, les p if-
fions.
Mais il y en a d’autres également
ordinaires^ habituelles,qui ne vier*
hent pas de la même fource : elles
dépendent originairement des d i-
verfes difpofitions organiques d es
corps animés, lefquelles forment les
inclinations, les appétits >la péné*
tration, l’inftinét & la conception;
La fécondé clafle renferme les fa*
cultes qüi appartiennent en propre
à l’être fenfitif; comme les fenla*
dons , les perceptions, le difcemd* •
m e n t, les connoiflances, & e,

§;

i)es fensi

La divèrfité des fenfations varié


félon la nature des organes qui les
tranfmettent à l’Ame. L ’ouïe porté
à l’Ame la fenfation du bruit ou du
f o n , la vue lui imprime les fend*
mens
ittêns de lumière & de copieurs i
q u i lui repréfenteht l’image des ob­
jets qui s’offrent aux yeux ; l’Am e
reçoit de l’odorat toutes les fenfa-
tions connues fous le nom d’odeurs, '
les faveurs lui viennent à la faveur
du goût : le toucher enfin, ce fens
univerfellement répandu par toute
l’habitude du corps , lui fait naître
les fenfations de toutes les qualités
appellées faillies t telles que la cha­
leur , la froideur, la dureté , la
molleffe >le p o li, l’âpre, la douleur 1
& le plaifir , qui dépendent des di­
vers organes du ta â ; parmi lefquel*
.nous comptons les parties de la gé­
nération , dont le fentiment v if pé­
nétre & tranfporte l’Ame dans les
plus doux & les plus heureux mo­
y e n s de notre exiftence.
£
(*« )
-Puifque le nerf optique & le
*nerf acouftique font feuls, l’un voir
les couleurs, l'autre entendre les
ions i puifque les feuls nerfs moteurs
•portent à l’Am e l’idée des mouve-
m ens, qu’on n'apperçoit les odeurs
qu’à la faveur de l’odorat, & c. Il
s'enfuit que chaque nerf eft propre
à faire naître différentes fenfations,
8c qu’ainfi le fenforium commune a ,
-pour ainfi dire, divers territoires,
-dont chacun a Ion n erf, reçoit 6c
loge les idées apportées par ce tuyau.
'Cependant il ne faut pas mettredans
les nerfs mêmes la caufe de la di-
verfité des fenfations^ car l’expan-
fion du n erf auditif reflêmble à la
retine,& cependant il en réfulte de*
(enlacions bien oppofées. Cette va­
riété paroît clairement dépendre de
iG f)
ceilé des organes placés aVattt les
nerfs, deforte qu’un organe diop-
tique , par exem ple, doit naturel­
lement fervir à la vifion.
Non-feulement les divers fens
excitent différentes fenfations, mais
chacun d’eux varie encore à l’infini
celles qu’il porte à l’A m e , felqp les
différentes maniérés dont ils font
affectés par les corps externes. C ’eft
pourquoi la fenfation du bruit peut
être modifiée par une multitude 4e
tons différens, 8C peut faite apper-
cevoir à l’Ame l’éloignement & le
lieu de la caufe qui produit cette
fenfation. Les yeux peuvent de
même en modifiant la lumieré i
donner des fénfations plus ou moins
vives de la lumière &: des couleurs,
& former par ces différentes me-
Ex
. Ç rt)
difications , les idées d’étendue , de
figure, d’éloignem ent, & c. T o u t
ce qu’on vient de dite eft exa&e-
ment vrai des autres fens. -

§. I I .

• Mécnnifine des fenfutions.

Tâchons, à la faveur de l’œ il, de


pénétrer dans le plus fubtil méca-
nifme des fenfations. Comme l’œ il
eft le feul de tous les organes fen-
fitifs , où fe peigne & fe repréfente
vifiblement l’adion des objets ex­
térieurs, il peut feul nous aider à
concevoir quelle forte de change,
ment ces objets font éprouver aux
nerfs qui en font frappés. Prenez
un œil de b œ u f, dépouillez-le a­
droitement de la fclcrotique& de la
(**)
choroïde*,mettez où étoic la premiè­
re de ces membranes, un papier dont
la concavité s’ajufte parfaitement
avec la convexité de l'œil. Prefen-
tez enfuite quelque corps que ce
foit devant le trou de la pupille >
vous verrez très-diftin&ement au
fond de l’œil l’image de ce corps.
D ’où j’infere en pafîànt , que la vi-
fion n’a pas fon fiége dans la cho­
roïde , mais dans la rétine.
En quoi confifte la peinture des
objets? dans un retracemenc pro­
portionnellement dim inutif des
rayons lumineux qui partent de
ces objets. C e retracement forme
une impreflîon de la plus grande
délicateiTe, comme il eft facile d’en
juger par tous les rayons de la pleine
Lune, qui concentrés dans le foyer
E}
(7®)
d*un miroir ardent, & réfléchis fur
le plus fenfible thermomètre, ne
font aucunement monter la liqueur
de cet infiniment, Si Ion çonfidere
de plus, qu’il y a autant de fibres
dans cette expanfion du nerf opti­
que , que de points dans l’image de
l ’o b jet, que çes fibres font infini­
ment tendres 6c m olles, 6c ne for­
m ent guérès qu’une vraie p ulp e,
ou moelle nervçufc, on concevra
nOn-feuiement que chaque fibrille
ne fe trouvera chargée que d’une
très - petite portion des rayons i mais
qu’à caufe de fon extrême dêlica-
tefife, elle n’en recevra qu’un chan­
gement fim ple, lég e r, foiblc , ou
fort fuperficiel ; 6c en conféquence
de c e la , les efprits animaux à peine
excités, reflueront avec la plus gran-
(7 0
de lenteur : à mcfure qu’ils retour?
neront vers l’origine du nerf opti­
q u e , leur mouvement fc ralleneira
de plus en p lu s, & par conféquent
l’impreflion de cette peinture ne
pourra s’étendre, fe propager le
long de la corde optique , fans s’af-
foiblir. Q ue penfez-vous à préfent
de cette impreflion portée jufqu’à
l’A m e même? n’en doit-elle pas re­
cevoir un effet û d o u x , qu’elle le
fent à peine ?
D e nouvelles expériences vien_
nent encore à l’appui de cette théo.
rie. M ettez l’oreille à l’extrémité
d’un arbre droit & long, tandis
qu’on gratte doucement avec l’on­
gle à l’autre bout. Une fi foible caufc
doit produire fi peu de b r u it, qu’il
fembleroit devoir s’étouffer ou fe
e 4
( 7 *)
perdre dans toute la longueur du
bois. Il fc perd en effet pour tous
les autres, vous feul entendez uit
bruit fourd prefqu’imperceptible,
L a même ehofe fe paffe en petit
dans le nerf optique, parce qu’il
eft infiniment moins folide. L ’im*
preflion unê fois reçue par l’extré-s
mité d’un canal cylindrique, plein
d ’un fluide non élaftiquc , doit né-
ceffairement fë porter jufqu’à l’au­
tre extrémité, comme dans ce bois
dont je viens de parler, & dans
l’expériençc fi connue des billes de
billard ; or les nerfs font des tuyaux
cylindriques, du moins chaque ffc
bre fenfible nerveufe montre clai­
rement aux yeux çette figure,
Mais de petits cylindres d’un
diamètre aufli çtrojt ne peuvent
. *73) .
vraifemblablement contenir qu’ un
feul globule à la file , qu’une fuite
ou rang d’efprits animaux. Cela
s’enfuit de l’extreme facilité qu’ont
ces fluides à fe mouvoir au moin.
dre choç , ou de la régularité de
leurs mouvemens , de la précifion,
de la fidélité des traces , ou des
Idées qui en réfultent dans le cer­
veau : tous effets qui prouvent que
le fuc nçrveux eft çompofé d’élé-
mens globuleux , qui nagent peut-
être dans une matière éthérée} &
qui feraient inexplicables, en fup-
pofànt dans les nerfs, comme dans
les autres vaifTeaux , diverfcs efpé-r
ces de globules, dont le tourbillon
changerait l’homme le plus atten­
t if , le plus prudent, eh ce qu’on
nomme un franc étourdi.
(74)
Q ue le fluide nerveux a itd u reA
fo r t, ou qu’il n’en ait pas, de quel­
que figure que foient les élémens ,
fi l’on veut expliquer les phénomè­
nes des fenfations , il faut donc ad­
mettre i° . l’éxiftence & la circula­
tion des efprits. xQ. Ces mêmes e s ­
prits qui mis en mouvement par
l ’aélion des corps externes , rétro­
gradent jufqu a l’Ame. 3?. Un feu!
rang de globules fphériques , dans
chaque fibre cylindrique, pour cou-
tir au moindre t a ft , pour galopper
au moindre fignal de la volonté.
Cela pofé , avec quelle vîteflè le
premier globule pouflè doit-il pouf­
fer le dernier & le jetter, pour ainfi
d ire , fur l’A m e , qui fe réveille à ce
coup de marteau, & reçoit des idées
plus ou moins v iv e s, relativement
(7J)
au mouvement qui lui a été impci*
me. C e c i amené naturellement les
Loi* des Senfations ; les voici.

M il.
Lotx des Senfatiens,

I. L o i . Plus un objet agit di£»


tin tem en t fur lefenforiutn ,plus l’i­
dée qui en réfulte, eft nette dif-
tin& e.
I I . L o i. Plus il agit vivement
fur la même partie matérielle du
cerveau , plus l’idée eft claire,
I I I . L o i . L*a même clarté ré­
fulte de l’impreflion des objets fou-
vent renouvellée.
I V . L a i. Plus l’a&ion de l’objet
eft vive } plus elle eft différente de
toute autre, ou extraordinaire ,
(7 0
plus l’idée eft vive &t frappante. O n
ne peut fouvent la chafler pat d’au>
très idées , comme Spinofa dit l’a­
voir éprouvé, lorfqu’il vit un de
ces grands hommes du Brefil. C e ft
ainfi qu’un blanc & un noir qui fe
voyent pour la première fois , ne
l’oublieront jamais , parce que l’A ­
me regarde long-tems un objet ex­
traordinaire, y penfe & s’en occupe
fans celle. L ’efprit & les yeux pa£
fènt légèrement fur les ehofes
qui fe préfentent tous les jours.
Une plante nouvelle ne frappe que
le Botanifte. O n ❖ oit par - là qu’il
eft dangerux de donner aux en-
fans des idées effrayantes , telle que
là peur du Diable , du Loup, & c .
C e n’eft qu’en réfléchilTant fur
les notions Amples, qu’on faific les
tr?)'
idées compliquées : il faut que leS
premières foienc toutes repréfentées
clairement à l’A m e , & qu’eHe les
conçoive diftinétement l'une après
l’autre -, c’eft à-dire,qu'il faut choifir
un feul fujet (impie , qui agifle tout
entier fur le fenforium , & ne foie
troublé par aucun autre objet , à
l’exemple des Géomètres, qui pat
habitude ont levaient que la mala.
die donne aux mélancoliques, de
ne pas perdre de vue leur objet.
C ’eft la première conclufion qu’on
doit tirer de notre première Loi}
la fécondé , eft qu’il vaut mieux
méditer , que d’étudier tout haut
comme les enfans & les écoliers:
car on ne retient que des fons,
qu’un nouveau torrent d’idées em­
porte continuellement. A u refte,
. ,w .
fuivant la troifiéme L o i, des traCéS
plus fouvent marquées font plus
difficiles à effacer, & ceux q u i n e
font point en état de méditer , ne
peuvent gucres apprendre q u e par
le mauvais ufage dont j’ai parlé.
Enfin comme il faut qu’un o b je t *
qu’on veut voir clairement au m i*
crofcope, foit bien éclairé , tandis
que toutes les parties voifines (ont
dans l’obfcurité, de même pour en*
tendre diftindement un bruit qui
d’abord paroiiïoit con fu s, il fuffit
d’écouter attentivement } le fon
trouvant une oreille bien préparée,
harmoniquement tendue, frappe le
cerveau plus vivement. C ’eft pas:
les mêmes moyens qu’un raifonne-
ment qui parôiffoit fort obfcur, eff
enfin trouvé c la ir} cela s’enfuit de la
II. Loi.
( 79)

§. I V .
^ u e les Sensations ne fo n t pas con­
naître la nature des corps, & quel­
les changent avec tes organes.

Q uelque lumineufes que foient


nos fenfations, elles ne nous éclai­
rent jamais fur la nature de l’objet
a â i f , ni fur celle de f organe paflîf.
La figure , le mouvement, la malfe,
la dureté , font bien des attributs
des corps fur lefquels nos fens ont
quelque prife. Mais combien d’au­
tres propriétés qui réfident dans les
derniers élémens des corps,& qui ne
font pas faifies par nos organes, avec
lefquels elles n’ont du rapport que
d ’une façon confufe qui les exprime
m a l, ou point du tout î Les cou-
(8a)
leurs, la chaleur , la douleur * le
goût , le ta<9fc , &C. varient à tel
point , que le même corps parole
tantôt chaud, & tantôt froid à la
même peffonnê, dont l’organe fen-
fitif par conféquent ne retrace point
à l’ame le véritable état des corps.
Les couleurs ne changent-elles pas
aufli, félon les modifications de la
lumière? Elles ne peuvent donc être
regardées comme des propriétés des
corps. L ’ame juge confufément des
goûts qui ne lui manifeftent pas
même la figure des fels.
Je dis plus: on ne conçoit pas mieux
les premières qualités du corps. Les
idées de grandeur, de dureté , & c .
ne font déterminées que par nos
organes. A vec d’autres fens, nous
aurions des idées différentes des mê­
mes
. (ti)
tocs attributs, comme avec d’autres
idées nous penserions autrement
que nous- ne penfons dé tout cè
qu’on appelle ouvrage de génie, ôü
de fentiment. Mais je referve à par-*
1er ailleurs dé cette matière.
Si tous les corps avoicnt le mê­
me m ouvem ent, la même figure t
la même denfité , quelque differéris
qu’ils fuffent d’ailleurs éntr’eux, ii
fuit qu’on èroiroit qu’il n’ÿ a qu’üh
fe'ul éorps dans la nature, patcé
qu’ils affe&eroient tous de la même
maniéré l’organe fcnfitif.
Nos idées ne Viennent donc pas
de là conhoiflancë des propriétés
des corps, ni de ce eh quoi confifté
le changement qu’éproüVentnos or-
genes. Elles fe forment par ce chan­
gement feul. Suivant fa nature, èc
F
# (Si)
(es degrés, il s’élève dans notre A m e
des idées qui n’ont aucune liaifon
avec leurs caufcs occafionn elles &
efficientes , ni fans doute avec la
volonté, malgré laquelle elles fe font
place dans la moelle du cerveau. L à
douleur, la chaleur, la couleur rouge
ou blanche n’ont rien de commua
avec le feu ou la flamme i l’idée de
cet élément eft fi étrangère à ces
fenfations, qu’un homme fans au­
cune teinture de Phyfique ne la
concevra jamais.
D ’ailleurs les fenfations changent
avec les organes ; dans certaines
jaunifles , tout paroît jaune. Chan­
gez avec le doigt l’axe de la v i-
fion , vous multiplierez les objets,
vous en varierez à vôtre gré la fitua»
tion & les attitudes. Les angelu-
<■ **> .
tés, & c . Font perdre t’üfage du ta&.
Le plus périt embarras dans le ca­
nal d’Euftachi fuffit pout rendre
fourd. Les fleurs blanches ôtent
tout lé fentiment du Vagin. Une
taye fur la Cornée, fuivant qu’elle
répond plus ou moins au centre de
la prunelle , fait voir diverfement
les objets. La catara&e, la goutte fe-
tene,&c. jettent dans l’aveuglement.
Les fenfations né repréfentent
donc point du tout les chofes, telles
qu’elles font en elles-mêmes, puis­
qu'elles dépendent entièrement des
parties corporelles qui leur ouvrent
le paflage.
Mais pour cela nous trompent-el­
les ? non certes, quoi qu’on en d ife ,
puifqu’elles nous ont été données
plus pour la confervation de notre,
Fa
m achine, que pour acquérir des
connoifTances, La réflexion de la
lumière produit une couleur jaune
dans un œil plein de b ile , l’A m e
alors doit donc voir jaune. Le fel
& le fucre impriment des mouve-
mens oppofés aux papilles du goût ;
on aura donc en confequence des
idées contraires, qui feront trou­
ver l’un falé & l’autre doux. A dire
vrai ,les fens ne nous trompent ja<
mais, que lorfque nous jugeons avec
trop de précipitation fur leurs rap­
ports : car autrement ce font desmi-
niftres fidèles ; l’Am e peut compter
qu’elle fera sûrement avertie par eux
des embûches qu’on lui tend; les fens
veillent fans cefie, & font toujours
prêts à corriger l’erreur les uns des
autres. Mais comme l’Ame dépend
< * y )
à Ton to u r des organes qui la fer­
v e n t , fi tous les fcns font eux-m ê­
mes tro m p é s , le moyen d ’em pê­
cher 1c fenforium commune de par­
ticiper à une erreur auffi générale î

§. V .

Jtaifons Anatomiques de la diver-


fité des fenfat'tons. <

Q u a n d m êm e tous les nerfs fe


reflêm b lero ien t, les fenfations n ’en
fero ien t pas m oins d iv erfes; m ais
o u tre q u ’il s’en fau t beaucoup q u e
cela foit v r a i, fi ce n ’eft les nerfs
op tiq u es & acouftiqucs, c ’efi que
les nerfs font réellem ent féparés dans
le cerveau. i° . L ’origine de chaque
n e rf ne d o it pas être fo rt éloignée
de l’e n d ro it où le fcalpel les dém on-
F 3
<80
t r e , & n e p eu t plus les £rivre a
çom m e il paroît dans les nerfs a u .
d itifs & pathétiques. i° . O n v o it
clairem ent (ans m ic ro fc o p e , q u e
les principes nerveux font afTez écar­
tes $ ( cela fe rem arque fu r-to u t
dans les nerfs olfaCtifs, o ptiques
& a u d itifs , q u i font à une très-
grande diftance l’un de l’autre : ) &£
q u e les fibres ncrveufes n e fu iv en t
pas les mêmes d irectio n s, com m e le
prouvent encore les nerfs que je
viens de nom m er. $°. L ’extrêm e
molleffe de toutes ces fib res, fa it
q u ’elles fe con fo n d en t aifém ent avec
la m oelle : la 4 e. &: la 8 e. paire peu-,
v en t içi fervir d ’exem ple, 4 0, T e lle
eft la feule im pénétrabilité des corps,
q u e les prem iers filamens de ta n t
dç différens nerfs ne peuvent fe
. . (*7 )
ré u n ir en u n feul point. 50 . L a di*
verfité des fen fatio n s, telle que la
c h aleu r , la d o u le u r, le b r u i t , là
c o u le u r , l’o d e u r , qu’on éprouve à
la fo is ; ces deux fencimens d iftin â s
à l’occafion d u toucher d‘un d o ig t
d e la m ain d r o it? , &: d’un d oigt de
la m ain gauche à Foecafion m êm e
d ’u n feul p e tit corps rond , q u ’o n
fa it rouler fous un d o ig t fur lequel
le d o ig t voifin eft replié ; to u t
prouve que chaque fens a fon p e tit
d ép artem ent particulierdans la m oel­
le d u cerveau , & q u ’ainfi le fiége de
l’A m e eft com pofe d ’a u ta n t de par­
ties , qu’il y a d è fenfations diverfes
q u i y répondent. O r qui p o u rrait
lesnom brer > E t q ue de raifons pour
m u ltiplier &: modifier le fen tim en t
à l’in fin i! L e tiffu des enveloppes
F4
! - 8) A
des n e rfs , q u i p e u r être plus o u
m oins fo lid e , leur pulpe plus o u
m oins m o lle , leur fituation plus o u
m oins lâ c h e , leur divcrfe çonC
tru& ion à l’une & à l’autre ex trér
m i t é , & ct .
Il s’enfuie de ce que nous avons,
d it jufqu’à p ré fe n t, que chaque n e r f
diffère l’un de l’autre à fa naifian"
c e , & en conféquence n e parole
porter à l’Am e qu’une fo^rte de fen*-
fations ou d ’idées. En effet 1’hifc.
toire Phyfiologique de tous les feus
prouvent que chaque n e rf a un fenti*
m en t re la tif à fa nature , & plus e n ­
core à celle d e l’organe au travers;
d u quel fe m odifient les impreflions
externes. Si l’organe eft d io p trîq u e ,
il donne l’idée de la lum ière & des
co u leu rs$ s’il eft a ço u ftiq u e , on en-
çen d , com m e on l’a déjà d i t , & c,
<«»)

, $. V I ,
De la fetitejfc des idées.

C es im prelfions des corps cxté^ v


rieurs font donc la vraie caufe
Phyfique de toutes nos idées ; mais
que c e tte caufe eft extraordinaire-*
m ent petite j L orfqu’on regarde le
C iel au travers du plus p e tit trou a
to u t ce vafte hcm ifphere fe p e in t avt
fond de l’oeil, fon im age eft beau­
coup plus p etite que le tro u par où
elle a pafle. Q u e feroit-ce donc
d ’une étoile de la 6e. g ra n d e u r, ou
de la £c. partie d ’un globule fa n -
g u in ? L ’am e la voit cependant fo rt
clairem ent avec u n bon m icrofco-
pe. Q u e lle caufe infinim ent éxigue
par co n lcq n cn t quellç d o it être
(.9 ° )
l’éxilité d e nos fcnfations & d e nos
idées ? E t que cette éxilité de fen-
fations & d ’idées paraît néceffaire
par rapport à l’im m enfité de la m é­
m oire i O ù loger en effet ta n t d e
connoiffances , fans le peu de place
q u ’il leur f a u t , & fans l’éten d u e d e
la m oelle d u cerveau & des divers
lieux qu’elles h a b ite n t.

§. V I L

"Diffêrensfiêges de PAme.

P o u r fixer o u m arquer avec pré-


cifion quels fo n t ces divers terri­
toires de nos idées ,-il fa u t encore
recourir à l’A n a to m ie , fans laquelle
o n ne connoît rien d u c o rp s, & avec
laquelle feule on peut lever la plu­
part des voiles qu i dérobent l’A m e
( 9 *)
à la curiofitc d e nos regards & d e
nos recherches,
C h a q u e n e rf prend fon origine
de l’e n d ro it où. finit la derniere ar­
tériole de la fubftance corticale d u
cerveau j cette origine eft donc , où
com m ence vifiblem cnt le filam ent
m édullaire q u i part de ce. fin tu y a u ,
qü’o n en voit naître & forcir fans
m icroscope. T e l eft réellem ent le
lieu d ’où la plupart des nerfs fem -
b len t tirer leur, o rig in e , où ils fe
ré u n ifie n t, & où l ’être fe n fitif p a -
ro ît réfugié. Les fenfations &: les
m ouvem ens anim aux peuvent - ils
être raisonnablem ent placés dans
f a r t é r e î C e tuyau eft privé d é fe n ­
d a ie n t par lu i- m e m e , *& il n ’eft
changé par aucun effort de la v o ­
lonté. Les fenfations ne font poiiit
(9i)
aufli dans le n e rf au-déflous d e l a
c o n tin u ité avec la moelle : les p la ie s
te autres obfervarions nous le p e r -
foadent. Les m ouvem ens à leu r to u r
n ’o n t point leur liège au-déflous.de i;,
la co n tin u ité d u n e rf avec l’a r t e r e , ï
puifque to u t n e rf fe m eu t au g ré d e 311

la volonté. Voilà donc le ftnforiut» n..


bien étab li dans la m o e lle , te cela ®;
jufqu’à l’origine m êm e artérielle |
d e c e tte fubftance m édullaire.- D ’où %
il fuit encore une fois que le fiége si
d e l’A m e a plus d’étendue q u 'o n
ne s’im agine i encore fes lim ites feJ
•roient-elles peut-être tro p bornées' *
dans u n h o m m e , fur to u t très-fça- ï:.
vant , fans l’im m enfe petitelfe o u Jj
éxilité des idées d o n t nous avons ^
parlé. ne
$ V III.

De l'étendue de F Ame,

Si le fiége de l’A m e a une cer­


ta in e é te n d u e , fi elle fen t en d i­
vers lieux d u cerveau, o u ce qui re­
v ien t au m êm e , fi elle y a vérita­
b lem en t différens fiéges , il fau t n é-
ceffaircm ent q u ’elle ne foit pas el­
le m êm e inétendue , com m e le pré­
te n d D efcartes ; car dans fon fyC-
tcm e , l’A m e ne pourrait agir fu r
le c o rp s, & il ferait auffi im poffu
ble d ’expliquer l’union & l’a& ion
réciproque des deux fubftances, que
cela eft facile à ceux qui penfent
q u ’il n ’eft pas pofiible de concevoir
aucune être fans éten d u e. E n e ffe t,
le corps & l ’A m e font deux nature»
(9 4 )
entièrem ent o ppofées, félon Del*-
c a rte s ; le corps n ’eft capable q u e
d e m o u v e m e n t, l’A m e q u e de con*
noiffance ; donc il eft im poffible
q u e l’A m e agiffe fur le corps , n i
le corps fur l’Am e, Q u e le corps fe
m e u v e , l’âm e qui n’eft p oint fu je tte
aux m ouvem ens , n ’en reffentira
aucune attein te. Q u e l’A m e p en le i
le corps n’en reffentira rien , puif*
q u ’il n ’ob éit q u ’au m ouvem ent.
N eft-ce pas dire avec L ucrèce
q u e l’Am e n ’étan t pas m a té rie lle ,
n e p eu t agir fur le c o rp s, ou qu’elle
l’eft effeéUvement , puifqu’elle le
to u ch e & le rem ue de ta n t d e fa*
çons > C e q u i ne p e u t convenir q u ’à
u n corps (i).
(i) Tangere nec tangi, nifi corpus »nylla p0*
teftret. "
(*î)
Si p etite & fi im perceptible q u ’o û
fuppofe l’éten d u e de l’A m e , m algré
les phénom ènes q u i fem blent p r o r .
ver le c o n tra ire , & q u i dém ontre-
ro ien t p lu tô t ( i ) plufieurs A m es »
q u ’u n e A m e fans é te n d u e , il fa u t
toujours q u ’elle en a it une , q uelle
q u ’elle f o i t , puifqu’elle touche im ­
m éd iatem en t cette au tre é te n d u e
énorm e d u c o rp s , com m e o n co n ­
ço it q u e le globe d u m onde feroic
to u ch é par to u te la furface d u plus
p e tit g rain de fable q u i feroit placé
fur fon fom m et ? L ’étendue d e l’A ­
m e form e donc en quelque forte le

( i ) Quelques anciens Philofophes les ont


admîtes, pour expliquer les differentes contradic­
tions dans lefquelles l’Ame te furprend elle-mê­
me , telles que, par exemple , les pleurs d’une
femme qui teroit bien fâchée de Toir reffufciter
fon mari.
<»*>' .
corps d e cet être fenfible & a& ifj 6c i
çaufe d e l’in tim ité de fa liaifon , q u i
eft telle qu'on croiroit que les d e u x
fubftances font in d iv id u ellem en t at*
tachées S£ jointes e n fe m b le , 6c n e
fo n t q u ’un fëül t o u t , A riftote ( I )
d it, com m e on l'a déjà vu, « q u ’il n ’y
>» a p o in t d ’A m e fans c o rp s , 6c q u e
• l’Ame n ’eft point u n corps.»A d ire
v r a i , quoique l’A m e agifle fu r le
corps & fe déterm ine fans doute-
par une a â iv ité q u i lui eft propre ,
cependant je ne fçais fi elle eft jà - x
m ais a & iv e , avant que d ’avoir été
paftive ; car il fem ble que l’A m e
pour a g ir, ait befoin de recevoir le j
impreffions des efprits modifiés par
les facultés corporelles. C ’e ftc e q u i

(0 Dt Anima text, it, e, », Vôyeï mon DiA


«ours.
à j>eut-ètre fa it dire à H ippocrate ;
> q u e l’A m e d ép en d tellem ent d u
» tem p éram en t & de la difpofitidn
* des organes , q u e lle fe p e rfe û io n -
» n e & s’em bellit avec eux.
V ous voyez que pour explique*
l’u n io n de l’A m e au corps » il n ’eft
pas befoin de ta n t fe m ettre l’efpric
a la to rtu re,q u e l’o n t fa it ces grands
g e n ie s, A rifto te , P laton t D elcar*
tes, M allebranchc,L eibnitz* Staahl *
& q u ’il fuffit d ’alleu rondem ent fon
d ro it chem in * & de n e pas regarde*
d errière o u de c ô te , lorfque la vé­
rité eft d ev an t foi. M ais il y a des
^ gens q u i o n t ta n t de préj ugés,qu’ils ntf
. fc baifferoient feulem ent pas pour ra-
m afler la vérité,s’ils la ren co n tro ien t
où ils ne veulent pas q u ’elle (oit.
Vous concevez enfin q u ’aptes
G
r 98 )
to u t ce q u i a été d it fur la d i v e r ­
se origine des nerfs & les d iffé ro n s
Üéges de l’A m e , il fe peut b ien f a ir e
q u ’il y a it quelque chofe d e v ra i d a n s
to u te s les opinions des A u teu rs à c e
f u j e t , quelqu’oppofées q u ’elles p a -
roiffent : & puifque les m alad ies d u
c e rv e a u , félon l’e n d ro it qu’elles a t ­
ta q u e n t , fupprim ent ta n tô t u n fe n s,
ta n tô t u n a u tre , ceux q u i m e tte n t
, le fiége de l’A m e dans les notes o u
les tejiesy ont-ils plus de to rt q u e
•ceux q u i v o u d ra ie n t la c a n to n n e r
dans le centre ovale , dads le corps
calleux , o u m êm e dans la glande pi-
niale ? N ous poùrrons donc appli­
q u e r à to u te la moelle du c e rv e a u ,
ce que V irgile d it ( i ) de to u t le
(i) . . . . . . . . Toto$dif&&perartu9
Mens agitat molem, & magna fe corpore mi/cef.
- Virg. Ænetd. 1. ê.
( 5>*)
CôfpS , où il p réten d avec les Sto|*
e ie n s q u e l’A m e eft répandue.
E n effet où eft votre A m e , lorf-
q u e Votre odorat lui com m unique
des odeurs q u i lu i plaifent , ou la
ch ag rin en t ,fi ce n ’eft dans çes cop-
ches d ’où les nerfs olfa&ifs tire n t
leu r origine î O ù e ft-c lle , lorfqu’elle
ap p erço it avec plaifir un beau c ie l ,
u n e belle perfpeétive , fi elle n 'e ft
dans les couches optiques ? P our
e n te n d r e , il fa u t q u ’elle fbit pla­
cée à la naiflànce d ü n e rf a u d itif ,
& c. T o u t prouve donc que ce, tim ­
b re auquel nous avons com paré l’A­
m e , pour en donner une idée fenfi-
b l e , fe trouve en plufieurs endroits
d u cerveau, p u ifq u ’il eft réellem ent
frappé à plufieurs portes. M ais je n e
prêtera pas dire pour cela q u ’il y a it
Gz
( I CO) .
plufîeurs Ames *, une feule fuffit (ans
douce avec l’étendue de ce fîége
m édullaire qu e nous avons été for.
cés par l'ex p érien ce, de lui accor­
d e r ; elle fuffic , dis-je , pour agir »
fe n tir, 6c p e n fe r, a u ta n t q u ’il lui
eft permis par les organes.

§. I X .
g u t rêtre fcnjitif efifar confequcnt
matériel.
M ais quels doutes s’élèvent 4 clans
m on A m e , 6c que notre e n te n d e ­
m en t eft foible 6c borné i M o n
A m e m ontre co n ftam m en t, non la
penfée , q u i lui eft a c c id e n te lle ,
q u o i qu’en difent les C artéliens,m ais
d e l’a& ivité 6C de la fenfîbilité.
V oilà deux propriétés incontefta-
bles reconnues par tous les P h ilo -
(lo i)
lophes q u i ne fe (o n t p o in t laides
aveugler par l’efprit fy ftém atiq u e ,
le plus dangereux des efprits. O r >
d it-o n ytoutes propriétés fuppofent
u n fujet qu i en Toit la baze , q u i
éxifte par lui-m êm e , 8c auquel ap­
p a rtien n e n t de d ro it ces m êm es
propriétés. D onc , conclue-t-on ,
l’A m e eft u n être féparé du corps ,
u n e efpéce de monadefpirituelUy u n e
formefubjtfiante, com m e parlent les
ad ro its 8c prudens Scholaftiques t
c’e ft-à -d ire , une fubftance d o n t la
vie ne dépend pas de celle d u corps.
O n ne peut m ieux raifonner fans
d o u te i mais le fujet de ces proprié­
tés , pourquoi voulez - vous que je
l’im agine d'u n e natu re abfolum ent
d iftin â e d u corps > tandis que je vois
clairem ent que c ’eft l’orgànifation
G 3
(lût)
m êm e de la m oelle aux prem ier*
com m encem ens de fà naiffance ,
( c’e ft-à -d ire , à la fin d u cortex ) $ ju t
êxerce fi librem ent dans l’é ta t f a in
to u tes ces propriétés. C a r c’eft u n e
foule d ’obfërvations & d ’expérien­
ces certaines q u i m e prouvent c e
q u e j’avance , au lieu que ceux q u i
difentt le contraire peuvent nous é ta ­
le r beaucoup de M étaphyfique 4
fans nous donner une feule id é e .
M ais feroient-Cë donc des fibres
m édullaires qui form eroiént l’A m e ?
& com m ent concevoir q u e la m a­
tière püiflè fen tir & penfer ? J'avoué
q u e je ne le conçois pas j mais ou*
tre q u ’il eft im pie de borner la to u -
te-puifTance d u C réateu r , en fbu-
të n a n t q u ’Ü n ’a pu faire penfer la
m a tiè re , lui q u i d ’un m ot a fait la
( I03 \
lu m iè re , dois-je dépouiller u n E tre
des propriétés q u i frappent mes
f e n s , parce que l’effence de cet E tre
m ’eft inco n n u e ? Je ne vois que ma­
tiè re dans le c e rv e a u , q u ’é te n d u e ,
co m m e on l’a p ro u v é , dans là partie
fenfitive : v iv a n t, fain , bien orga-
n ifé , ce vifcere co n tien t à l’origine
des nerfs un principe a& if répandu
dans la fubftance m édullaire j je vois
ce principe qu i fent & penfe , fe d é ­
ranger , s’e n d o rm ir, s’éteindre avec
le corps. Q u e d is-je , l’A m e dort la
prem ière , fon feu s’é te in t à m cfurc
que les fibres d o n t elle paroît f a i t e ,
s’affoiblifient & to m b en t les unes
fur les autres. Si to u t s’explique
par ce que l’A natom ie & laP hyfio-
logie m e découvrent dans la m o elle,
qu’ai-je befoin de forger u n E tre
G 4
(104)
idéal ? Si je confond l’A m e avec
les organes corporels, c ’eft donc q u e
tous les phénom ènes m ’y déterm i-,
n c n t , te que d ’ailleurs D ieu n ’a.
d o n n é à m on A m e aucune idée d ’el­
le-m êm e,m ais feulem ent allez de diA
cernem ent te de bonne fo i pour le
teconnoître dans quelque m iro ir
q u e ce foie , te ne pas rougir d ’ê-»
tre née dans une fange pulpeufe an i­
m ée d ’efprics. Si elle eft vertueufe
te ornée de m ille belles connoifTan-
c e s , elle eft affez noble te recom -
m endable : la naiffance eft l’effet d u
h a z a rd , te n'ajoute rien au m é rite ,
N o u s rem ettons à expofer les
phénom ènes d o n t je viens de parler,
lorfque nous ferons voir le p e u
d ’em pire d e l’A m e fur le c o rp s , te
ço m bien la volopté lui eft affervic,
üoy)
M ais l’ordre des m atières que je
tfaite exige q u e la m ém oire fuccé-
de aux fen fa tio n s, q u i m 'o n t m ené
beaucoup plus loin que je ncpenfois.

$. X ,

"De U Mémoire*

T o u t jugem ent eft la comparai*


fon d e deux idées que l’Am e fçait
diltin g uer l’une de l’autre.M ais com ­
m e dans le m em e m itan t elle ne p eu t
contem pler q u ’une feule id é e , fi je
n ’ai p oint de m ém o ire , lorfque je
vais com parer la fécondé i d é e ,
je ne retrouve plus la prem ière,
A infi ( & c’eft une réparation d ’hon­
neu r à la m ém oire trop en décri )
p oint de m é m o ire , p o in t de juge­
m ent. N i la parole , n i la c o n n o ifi
/

(io $ >
fânce des c h o fe s, n i le fe n tim e n t
in tern e de n o tre propre éxiften,.
ce ne peuvent dem eurer certain e­
m en t en nous fans m ém oire. A -t-o n
oublié ce qu’on a fçu , il fem ble
q u ’on ne faflfe que fortir d u n éant *
o n ne fçait p o in t avoir déjà exifté #
& que l’on continuera d ’être en co re
quelque tems. W epfer parle d ’un m a­
lad e qui avoit perdu les idées m êm es
des c h o fe s, & n’avoit plus d’exa& es
perceptionsjil prenoit le m anche p o u r
le dedans de la cuillier. Il en c ite
u n autre q u i ne pouvoir jam ais finie
f a , phrafe , parce q u ’avant d ’av o ir
fini , il en av o it oublié le co m ­
m encem ent » & il donne l’h if-
to îre d ’un tro ifiém e, q u i fau te d e
m é m o ire , ne pouvoir plus épe­
ler , n i lire. L a M o tte fait m e n -
(Io7>
n o n d e q uelqu’un q u i avôit perdu
Fufage de form er des fons & de
parler. D ans certaines affections d u
cerveau il n ’eft pas rare de voir les
m alades ignorer la faim & la fo if ;
B onnet en cite une foule d ’exem .
pies. Enfin un hom m e qu i perdrait
to u te m ém oire , ferait u n atom e
p e n fa n t, fi on peut penfer fans elle ;
in connu à lu i-m ê m e , il ignoreroie
ce q ü i lui a rriv e ra it, & ne s’en rap­
p o rte ra it rien.
L a c a ü fè d e la m ém oire eft to u t-
à-fait m é c a n iq u e , com m e elle-m ê­
m e \ elle paraît dépendre de ce que
les impreffions corporelles d u cer­
veau , qui font les traces d ’idées q u i
fe f u iv e n t, font voifines, & q u e
l’A m é ne p eu t faire la découverte
d’une tra c e , o u d ’ufte idée , fans
(i°8) ^
rappeller les autres q u i avoîent co u ­
tu m e d ’aller enfem ble. C ela eft trè s -
vrai de ce q u ’on a appris dans la je u -
nefle. Si l’on ne fe fouvient pas d ’a~
bord de ce qu’on cherche , un vers ,
u n feul m ot le fait retrouver. C e
phénom ène dém ontre que les idées
o n t des territoires féparés, mais avec
quelque ordre. C ar pour qu’un n o u ­
veau m o u v e m e n t, ( par exem ple y
le com m encem ent d ’un v e rs, u n forv
q u i frappe les oreilles , ) com m uni­
q u e fur le cham p fon im preflion à
la partie d u cerveau q u i eft analo­
gue à celle où fe trouve le prem ier
veftige de ce qu’on cherche, c ’eft-à-
d ire, cette au tre partie dé la moelle^
où eft cachée la m é m o ire , ou la
trace des vers fuivans ) & y repré­
fente à l’A m e la fu ite de la prem ière
( I©*)
id é e , ou des prem iers m o ts , il eft
néceffaire que de nouvelles idées
fo ien t portées par une loi confiante
au m êm e lieu dans lequel avoient
été autrefois gravées d ’autres idées
de m êm e nature que celles-là. E n
effet fi cela fe faifoic a u tre m e n t,
l’arbre au pied duquel on a été vo­
lé n e donneroit pas plus sûrem ent
d ’idée d ’un v o le u r, que quelqu’au-
tre objet. C e qu i confirme la m êm e
v é rité , c’eft que certaines affections
d u cerveau d é tru ifen ttel ou tel fens,
fans to ucher aux autres. Le C h iru r­
gien que j’ai cité a vu un hom m e
q u i p erdit le t a d d ’un coup à la tête.
H ild an u s parle d’un hom m e q u ’une
com m otion de cerveau rendit aveu­
gle. J’ai vu une D am e qui guerie
d ’une apoplexie , fu t plus d’u n an à
( IIO)
recouvrer fa m ém oire} il lu i f a llu t
revenir à l’a , b , c , de Tes p re m iè ­
res connoiffances, q u i s’a u g m e n -
to ie n t 6c s’élevoient en q u e lq u e
forte avec les fibres affaifïees d u cer­
veau , q u i n ’avoient fait p a r leur
colUbefcence q u ’arrêter & in te rc e p ­
te r les idées. L e P. M abillon étoic
fo rt borné } une m aladie fit éclore
e n lu i beaucoup d ’e fp rit, d e péné­
t r a t i o n ^ d’ap titu d e pour les Scien­
ces. Voilà un e de ces heureufes ma*
ladies co n tre Iefquelles bien des gens
p ourrôient tro q u er leur fa n té , 6c ils
fera ien t u n m arché d ’or. Les aveu-
■gles o n t aflez com m uném ent beau­
coup de m ém oire : tous les corps
q u i les environnent o n t perdu les
moyens de les diftraire ; l’attention^
la réfléxion Je u r coûte peju » de-ià
(lll)
o n p e u t envîfager long-tem s & fixe­
m e n t chaque face d ’u n o b j e t , la
préfence des idées eft plus ftable Sc
m oins fu g itiv e. M . de la M o t t e ,
de l’A cadém ie-Françoife, d ifta to u t
de fu ite fa T rag éd ie d ’Inès de Cajlro.
Q u e lle étendue d e m ém oire d ’a­
v o ir ao o o vers prélèns , &: q u i dé­
filent tous avec ordre devant l’A m e,
au gré de la volonté ! C om m ent Ce
p eu t-il faire q u ’il n ’y a it rien d ’em -
brouillé dans cette efpece de cahos!
O n a d it bien plus de P a fc a l, o n
raco n te q u ’il n ’a jamais oublié ce
q u ’il avoir appris. Q n p e n fe au refte,
& avec aflez de raifon, puifque c ’eft
un f a i t , que ceux q u i o n t beaucoup
de m é m o ire , ne font pas ordinaire­
m en t plus fufpc&s de ju g e m e n t,
que les M édecins &c les T h éo lo -
i (n i)
giens d e religion , parce q u e là
m oelle du cerveau eft fi pleine d ’arl-
ciennes id é e s , que les nouvelles o n t
peiné à ÿ trouver une place d iftin c -
te : j’enténs ces i^ées mere t, fi oh
toc perm et c e tte exprdfiôn , q u i
peuvent juger les autres en lés c o m ­
parant , 6c en d éduifant avec ju -
ftefïe uné 3 e. idée de la c o m b in ai-
fon des deux prem ières. M ais qiii
é u t plus de ju g e m e n t, d ’efprit & de
m ém o ire , que lés deux hom m es
illuftres que je viens dé nom m er?
N ous pouvons conclure dé to u t
Ce q u i a été d it au fujet d é la m é­
m oire , que c'eft une faculté de l’A ­
m e q u i confifte dans les m odifica­
tio n s perm anentes d u m ouvem ent
des efprits anim aux excités par lés
impreflions des objets q u i o n t agi
. vivem ent
(H 3)
v iv e m e n t, o u très-fouvent fur le*
fens : enforte que ces m odifications
rappellent à l’Am e les mêm es fen-
fations avec les mêm es circonftan*
ces de lieu , de te m s , & c. qui les
ont accom pagnées , au m om ent
qu’elle les a reçues par les organes
qui fen ten t.
L orfq u’on fent q u ’on a eu autre­
fois u n e idée fem blable à celle q u i
pafle actuellem ent par la t ê t e , c ette
fenfation s’appelle donc mémoire :
& c e tte m êm e id é e , foit que la vo­
lonté y confente , foît qu'elle n’y
confente pas , fe réveille n écefl
fairem ent à l’occafion d ’une dîfpofi-
tion dans le cerv eau , ou d’une caufe
in te r n e , fem blable à celle q u i I’a-
voit fait naître auparavant, ou d ’une
au tre idée q u i a quelque affinité avec
elle. H
(ii4)
§ .X I.

L 'im agination confond les d i-


verfes fenfations incom plettes que
la m ém oire rappelle à l’A m e , &
en form e des im a g es, ou des ta­
bleaux q u i lui repréfentent des ob­
jets différens, foit pour les circonf»
ta n c e s , foit pour les açcom pagne-
m e n s, ou pour la variété des com -
binaifons , j’entens des objets dif­
férens des exactes fenfations reçues
autrefois p a r lc s f e n s .
M ais pour parler de l'im agina­
tio n avec plus de c la r té , nous la
définirons une perception d'une
idée produite par des caufes inter­
nes , de fem blable à quelqu’une des
(lij)
idées q u e les caufes externes a v o ien t
c o u tu m e de faire naître» A infi
lorfque des caufes matérielles ca­
chées dans quelque partie d u Corps
que ce f o i t , affectent les n e rf s , lçs
efprits , le cdtveau } de la m êm e
m aniéré que les caufes corporelles
externes >& en çonféquence exci­
ten t les mêmes id é e s, on a ce q u ’o n
appelle de l’imaginatif». E n effet
lorfqu’il naît dans le cerveau une
difpofxtion P hyfique, p arfaitem ent
fem blable à celle que produit quel­
que caufe e x te rn e , il d o it fe fo r-'
m er la m êm e idée , q uoiqu’il n ’y
ait aucune caufe préfcntè au d e ­
hors : c’eft pourquoi les objets d e
l’im agination font appellés p h a n -
tômes ou fpe& res, ^rtmiuira.
Les fens internes occasionnent
H 2
(il*)’
clone,com m e les externes, des c h an -
gem ens de penfées i ils ne différent
les tins des autres , n i par la façon
d o n t 0 9 p e n fe , q u i eft toujours la
m êm e pour to u t le m o n d e ,n i par
le changem ent q u i Ce fait dans le
ftnforium , mais par la feule abfence
d ’objets externes. Il eft p e u fu rp re -
n a n t que les caufes internes puif-
fen t im iter les caufes extérieures '
com m e on le voit en fe preflant
l’o e il, ( ce qui change fi finguliére-
m en t la vifion ) dans les longes '
dans les im aginations v iv es, dans
le délire , & c. tous phénom ènes
inexplicables dans le fyftcme d ’Epi*
c u re & de L ucrèce fu rie s im ages,
q u i , félon les A nciens , font en­
voyées des corps julqu’au cerveau.
L ’im agination dans* u n hom me
(îi7 )
Tain eft plus foible que la percep­
tion des fenfations externes , & à
dire v r a i, elle ne donne point de
vraie perception. J’ai beau imagi­
ner en paffant la nuit fur le Pont-
neuf j la magnifique perfpe&ive des
lanternes allumées, je n’en ai là per.
ception que lorfque mes yeux en
font frappés. Lorfque je penfe à
l’O p éra, à la Com édie, à l’A m our,
qu’il s’en faut que j’éprouve les fen­
fations de ceux qu’enchante la le
M aure , ou qui pleyrent avec Mé-
. rope , ou qui font dans les bras
de leurs maîtreüTes î Mais dans
ceux qui rêven t, ou qui font en dé­
lire , l'imagination donne de vraies
perceptions ; ce qui prouve claire­
ment qu’elle ne différé point dans
fa nature même*, ni dans fes effets
HJ
tii*)
fut le fenforium, quoique la m uU
tipliçité des idées , & la rapidité
-avec, laquelle elles fe fu iven t, af-
Foibliflè les anciennes idées retenues
dans le cerveau, où les nouvelles
prennent plus d’empire : & cela eft
vrai de toutes les impreflîons nou­
velles des corps fur le notre.
L ’ifflaginationeft vraie ou Faufle,
foiblé ou Forte, L ’imagination vraie
repréfente les objets dahl ün état
naturel, aü lieu qüe dans l’imagi­
nation faulfe »l’Ame les Voit autre­
ment qü’ils nè font. Tantôt elle té*
cônnoît cette iilüfion i St alors ce
n’eft qu’un Vertige , comme celui
de Pafcal qui avoit tellement épuifé
par l’étude les efprits de fon cer­
veau , qu’il imaginoit voir du côté
gauche un précipice de f e u , dont
(il*)
il fe faifb it toujours garantir par des
chaifes ou par toute autre efpece
de rempart , qui pût l’empêcher
de voir ce goufire pha'ntaftique ef­
frayant , que ce grand homme
connoiflfoit bien pour tel. Tantôt
l’Am e participant à l’erreur géné­
rale de tous les féns externes &C
internes, croit que les objets font
réellement (èmblables aux phanto-
mes produits dans l’imagination , &
alors c’eft un vrai délire.
L ’imagination fbible eft celle qui
eft auffi légèrement affeâée par les
difpofitions des fens internes , que
par l’impreflion des externes ; tan­
dis que ceux qui ont une imagina­
tion fo rte , font vivement affeétés
6c remués par les moindres caufcs j
6c on peut dire que ceux-la ont etc
(no)
favorites de la nature, puifque p ou r
travailler avec fuccès aux ouvrages
de gcnie & de fentim ent, il fa u t
une certaine force dans les e fp rics,
qui puifle graver vivement 6c p ro­
fondément dans le cerveau les id ées
que l’imagination a faites , 6c les
pallions qu’elle veut peindre. C o r­
neille avoir les organes doués fans
doute d’une force bien fupérieure
en ce genre ; fon théâtre eft l’école
d e la grandeur d’Ame , comme le
remarqué M . de Voltaire. C ette
force fe manifefte encore dans L u ­
crèce même, ce grand Poëce, quoi­
que fans harmonie. Pour être grand
P o ë te , il faut de grandes pallions.
Quand quelque idée fe réveille
dans le cerveau avec autant de for­
ce , que lorfqu’elle y a été gravée
(uiî
pour la première fo is, & cela pat
un effet de la mémoire, & d’une
imagination vive , on croit voir au
dehors l’objet connu de cette pen-
fée. Une caufe préfente, interne,
fo rte , jointe à une mémoire v iv e ,
jette les plus fages dans cette erreur,
qui efl fi familière à ce délire fans
fièvre des mélancholiques. Mais
fi la volonté fe met de la partie , fi
les fentimens qui en réfultent dans
l’Am e , l’irritent, alors on e ft, à
proprement parler, en fureur.
Les Maniaques occupiés toujours
du même o b jet, s’en font fi bien
fixé l’idée dans l’e fp rit, que l’Ame
s’y fait & y donne fon confente-
ment. Pluûeurs fe reffemblcnt en
ce que hors du point de leur fo lie ,
ils font d’un fens droit & fa in , ôc
(111)
s’ils fc laiffent féduirc par l’o b jet
même de leur erreur, ce n’eft q u ’en
conlequence d’une faufle hypothéfe
qui les écarte d’autant plus *de la
ràifon, qu’ils font plus confèquens
ordinairement. M ichel M ontagne
a un chapitre fur l’im agination, qui
efl: fort curieux : il fait vo it que
le plus fage a un objet de délire ,
& , comme on d it , fa folie. C ’eft
une choie bien finguliere & bien
humiliante pour l’homm e, de voir
que tel génie fublime dont les ou­
vrages font l'admiration de l'Euro­
pe , n’a qu’à s’attacher trop long-
tems à une idée fi extravagante,
fi indigne de lui qu’elle puilfe ê tre ,
il l’adoptera, jufqu’à ne vouloir ja­
mais s’en départir j plus il verra
& touchera, par exem ple, fa cuilfe
(i*3)
te Ton n ez, plus il fera conVaincü
que l’une eft de p aille, te l’autre
de verre j te aufli clairement con­
vaincu, qu’il l’eft du contraire, dès
que l’Ame a perdu dé vue (on ob­
je t, te que la raifon a repris fes
droits. C ’eft ce qu’on voit dans la
manie.
C ette maladie de l’efprit dépend
de caufes corporelles connues , te
fi on a tant de peine à la guérir ,
c'eft que ces malades ne croient
point l’être , te ne veulent point
entendre dire qu’ils le fo n t, de
forte que fi un Médecin n’a pas plus
d’efprit que de gravité, ou de Ga­
lénique , fes raifonnemens gau­
ches te mal adroits les irricent te
augmentent leur mahie, L’ame
n’eft livrée qu’à une forte impref-
(I24 )
(ion dom inante, qui feule l’o ccu p e
tout entière, comme dansl’am our
le plus violent, qui eft une forte
de manie. Q u e fert donc ’alor% de
s’opiniâtrer à parler raifon à un
homme qui n’en a plus ? Jühtid vota,
furentem , »quid délabra ja v a n t l
T o u t le fin , tout le myftere de
l’art eft de tâcher d’exciter dans le
cerveau une idée plus forte, qui
abolifte l’idée ridicule qui occupe
l’Ame : car par-là on rétablit le ju­
gement Si la raifon, avec l’égale
diftribution du fang Si des efprits.

§. X I I .

Des Pafjions.

Les pallions font des modifica­


tions habituelles des efprits ani­
m a u x , lefquclles fournilTent pref-
que continuellement à l’Ame des
fenfations agréables ou désagréa­
bles , qui lui infpirent du défir, ou
de l’averfion pour les objets, qui
ont fait naître dans le mouvement
de ces efprits les modifications ac­
coutumées. De-là naiflent l’amou^
la haine , la crainte, l’audace, la
pitié, la férocité, lajcolere, la dou­
ceu r, tel ou tel penchant à certai­
nes voluptés. Ainfi il eft évident
que les pallions ne doivent pas fe
confondre avec les autres facultés
récordatives ; telles que la mémoire
6c l’imagination , dont elles fe dit*
tinguent par l’impreflion agréable
oïl défagréable des fenfations de
l’A m e , au lieu que les autres agens
de notre réminifcence nefont con-
(u<)
fidérés qu’aucant qu’ils rappellent
fimplement les fenfations, "celles
qu’on les a reçues, fans avoir égard
à la peine, ou au plaifir qui peuc
les accompagner.
T elle eft l’âflbciation des idées
dans ce dernier ca s, que les idées
externes ne fe repréfentent point
celles qu’elles font au dehors, mais
jointes avec certains* mouvemens
qui troublent le fenforium\ fie dans
le premier cas , l’imagination forte­
ment frappée , loin de retenir tou­
tes les nocions, admet à peine une
feule notion fimple d’une idée com­
plexe , ou plutôt ne voit que fon
objet fixe interne.
Mais entrons dans un plus grand
détail des pallions. Lorfque l’Am e
apperçoit les idées qui lui viennent
■ (l V f )
par les fen s, elles produifent pat
cette même repréfentation de l’ob­
jet , des fentimens de joie ou de
trifteffe \ ou elles n’excitent ni leç
uns ni les autres * celles-ci fe nom­
ment indifférentes : au lieu que les
premières font aimer où haïr l ’ob­
jet qui les fait naître par fon ac­
tion.
Si la volonté qui réfulte de l’idée
tracée dans le cerveau, fç plaît à
contempler, à çonfervçr cette idée ;
comme lorfqu’pn penfe à une jolie
femme , à certaine rçuifice, & c .
c’eft ce qu’on nomme joie > vo­
lupté , pUiJîr. Quand la volonté dé-
fagréablement affeûée, fouffre d’a*
voir une idée, te la voudront loin
d'elle, il en réfulte de la triftçflc.
y amour te la haine font deux paf*
(Il*)
fions defquelles dépendent toutes
les autres. L ’amoür d’un objet pré-
fent me féjbuit ; l’amour d’un ob­
jet patte eft un agréable fouvenir}
l’amout d’un objet futur eft ce qu'oit
nomme défir ou e/poir, lorfqu’on
délire, ou qu’on elpere en jouir. Un
mal préfent excite de la trifteflè ou
de la haine $ un mal patte donne
une réminifcence fâcheufe; la crain­
te vient d’un mal futur. Les autres
a/Fe&ions de l’Am e font divers de­
grés d’amour ou de haine. Mais fi
ces affe&ions font fortes, qu'elles
impriment des traces fi profondes
dans le cerveau, que toute notre
économie en foit boulëverlee, &
ne connoifle plus les loix de la rai-
fo n , alors cet état violent fe nom­
me ptfiion , qui nous entraîne vers
fon
( i * 5>)
fôri objet malgré notre Am e. Les
idées qui n’excitent ni joie ni trif-
teflè , font àppellées indifférentes,
comme on Vient de le dire : telle
eft l'idée de l’air , d’une pierre >
d’un cercle , d’une maifon , & c.
Mais excepté ces idées-là, toutes les
autres tiennent à l’amour ou à la
hainp, & dans l’homme tout res­
pire la paffion. Chaque âge a les
fiennes. O n fouhaite naturellement
ce qui convient à l’état a&uel du
corps. La jeuneffe forte & vigou-
reufe aime la guerre, les plaifirs de
l’amour , & tous les genres de vo­
lupté ; l’impotente vieilleffe, au lieu
detrejaelliqueufejeft timide >avare ÿ
au lieu d’aimer la dépenfe 3 la har-
dieffe eft témérité à fes yeux > &
la jouiffance eft un crime , parce
I
(*3°)
qu’elle n*cft plus faite pouf elle. O n i
obferve les mêmes appétits la m e- -,
me conduite dans les brutes , q u i -
font comme nous gais , folâtres , j
amoureux dans le jeune âge , & :
s’engourdiffent enfuite peu-à-peu j
pour tous les plaifirs. A l’occafion i
de cerétat de l’Ame qui fait aimer ;|
ou haïr , il fe fait dans le corps des
mouvemens mufcukires , par le ;
moyen defquels nous pouvons nous ;
u n ir, ou de corps, eu de penfée , ,
à l’objet da notre plaifîr, & écarter (
celui donc la préfence nous révoke. j
Parmi les affe&ions de l’Arme, les a
unes fc font avec conlcience.ou fen- ;
ciment intérieur , & les autres fans !
ce fentknent. Les affrétions du pre- \
mier genre appartiennent à cette j
lo i,p a r laquelle le corps obéit à la ,
Volonté } il n’importé de chercher
comment cela s’opère. Pour expli­
quer ces fuites, ou effets des paflîons,
il fuffic d’avoir recours à quelque
accélération ou retardement dans
le mouvement du fuc nerveux, qui
parolt fe faire dans le principe du
nerf. Celles du fécond genre font
plus cachées , & les mouvemens
qu’elles excitent n’ont pas encore
été bien expofés. Dans une très-vive
jo ie , il le fait une grande dilata­
tion du coeur , le pouls s’élève , le
coeur palpite, jufqu’à faire entendre
quelquefois fes palpitations , & H
Ce fait auffi quelquefois une Cigrande
tranfpiration, qu’il s’enfuit fouvertt
la défaillance & même la mort fi*>
bke. La colere augmente tous les
mouvemens, ôc conféquemment k
I t
(iji)
circulation du fang ; ce qui fa it qu e
le corps devient chaud , r o u g e , •
trem blant, tout-à-coup prêt à de- .
pofer quelques fécrétions qui l’irri­
tent , 8c fujet aux hémorrhagies. 5
De-là ces fréquentes apopléxies, ces ,
diarrhées, ces cicatrices Couvertes , .
ces inflammations ; ces i&eres,cette -,
augmentation de tranfpiration. La .
terreur, cette paflion, q u i , en é- ,
branlant toute la m achine, la m e t,
pour ainfi dire , en garde pour fa .
propre défenfe, fait à peu-près les
mêmes effets que la colere ; elle
ouvre les artères, guérit quelque- ,
fois fubitement les paralifies ,1a lé- ;
targie, la go û te, arrache un malade ,
aux portes de la m ort, produit l’a-
popléxie , fait mourir de mort fu-
bite , 8c caufe enfin les plus terri-
c T33 )
blés effets. Une crainte médiocre
diminue tous les mouvemens , pro*
duit le froid, arrête la tranfpiration»
difpofe le corps à recevoir les miaf-
mes contagieux , produit la pâleur,
l’horreur, la foiblcffe , le relâche­
ment des fphin&ers , & c. Le cha- .
grin produit les mêmes accidens,
mais moins forts, & principalement
retarde tous les mouvemens vitaux
& animaux. Cependant un grand
chagrin a quelquefois fait tout-à-
coup périr. Si vous rapportez tous
ces effets à leurs caufes, vous trou­
verez que les nerfs doivent nécef.
fairemcnt agir fur le fang ; enforte
que fon cours réglé par celui des
efprits, s’augm ente, ou fe retard e
avec lui. Les nerfs qui tiennent les
artères comme dans des filets, pa*
I 3
. .(*14)
roiffent donc dans la colère 6t la
jo ie , exciter la circulation du fang
artériel, en animant le reffort des
artères \ dans la crainte 6C le cha-
g t in , paffon qui femble'diminutivc
de la crainte , ( au moins pour fe*
effets, ) les artères refferrées, étran"
g îées, ont peine à faire couler leu
fang. O r où ne trouve-t-on pas ces
filets nerveux ) ils font à la carotide
in tern e, à l’artère temporale, à la
grande méningfenne , à la vertébra­
l e , à la fouclaviere, à la rac’ne de
la fouclaviere droite , & de la caro­
tide , au tronc de l’aorte, aux artè­
res brachiales , à la céliaque , a la
méfentérique , à celtes qui forcent
dü badin ; 6C par tout ils font bien
capables de produire ces effets. La
pudeur, qui §ft une efpçcç decrain-
(*1 5 > %
te i refferre la veiné temporale où
elle éft environnée des branches de
lafo rt Un dure , ’ te retient le fang
au vifage. N ’cft-ce pas aufli par l’ac­
tion des nerfs que fe fait l’ére&ion ,
effet qui dépend fi vifiblemènt de
l’arrêt du fàng î N ’eft - il pas cer­
tain que l’imagination feule procure
cet état aux Eunuques m êm es},
Q ue cècte foule caüfe produit l’é­
jaculation , non-feulement la ntiit >
mais quelquefois le jour même?Que
l’impuiflance dépend fouvént d eî
défauts de l'imagination, comme d©
fa trop grande ardeur , ou de fon
extrême tranquillité, ou de fes dif­
férentes maladies , comme on en
lit des exemples dans Venctte St
Montagne î II n’eft pas jufqu’à l’ex-
Césde k pudeur, d’une certaine rç*
(M O
ten u e, ou tim idité, dont on fe cor-,
rige bien vite à l'école des fem ­
mes , qui ne mette fouvent le jeune
homme le plus amoureux , dans une
incapacité de les fatisfaire. V o ilà à
la fois la théorie de l’amour & cel­
le de toutes les autres padions ; l’une
vient merveilleufement à l’appui dès
autres. Il eft évident que les nerfs
jouent ici le plus grand rôle , &
qu’ils font le principal redbrt des
padions. Quoique nous ne connoif-
fions point les padions par leurs cau-
fès , les lumières que le mécanifme
des mouvemens des corps animés
a répandues de nos jours , nous per­
mettent donc du moins de les ex­
pliquer toutes adez clairement par
leurs effets : & dès qu’on fça it, par
exemple , que le chagrin rederrè
(*3 7 )
les diamètres des tuyaux, quoiqu’on
ignore quelle eft la première caufè
qui fait que les nerfs fe contraûen
autour d’eux , comme pour les é­
trangler $tous les effets qui s’en fui-
vent , de mélancolie , d’atrabile 8c
de manie font faciles à concevoir :
l’imagination affeâée d’une idée
fo rte , d'une paffion violente, in­
flue fur le corps 8c le tempérament!
8c réciproquement les maladies du
corps attaquent l’imagination 8c l’ef-
prit. La mélancolie prife dans le
fens des Médecins, une fois formée,
8c devenue bien atrabilaire dans le
corps de la perfonne la plus gaie ,
la rendra donc néceflairçment des
plus trilles : 8c au lieu de cesplai-
lirs qu’on aimoit tant, on n’aura plus
de goût que pour la folitude.
Uit)

C h a p i t r e XIIL

ttes facultés qui défendent de Fhà-


bitude des organes fenfitifs.

avons expliqué la mémoire,


l'imagination de les paffions, facuC
tés de l’Ame qui dépendent vifible-
ment d’une (impie difpofitian du
fenforium %laquelle n’eft qu’un puf
arrangement mécanique dès parties»
qui forment la moelle du cerveau*
O n a vu i°. que la mémoire con-
fifte en ce qu'une idée femblable k
celle qu’on avoit eu autrefois à l’o o
Cafion de l’impreffion d’un corps ex­
terne , fe réveille & Ce repréfente à|
PAme : i ° . Q u e fi elle Ce réveille
•fiez fortement, pour que la diCpo,
(mon interne du cerveau enfanté
une idée très-forte ou très - vive ,
alors on a de ces imaginations for­
tes ,dont quelques Auteurs (4) font
une clafle ou une efpéce particu­
lière , & qui perfuadent très forte­
ment l’Am e que la caufe de cette
• idée éxifte hors du corps. Q ue
l’imagination eft de toutes les par­
ties de l’Ame , la plus difficile à ré­
g le r, & celle qui fe trouble & fo
dérange avec le plus de facilité: de­
là vient que l’imagination en géné­
ral nuit beaucoup plus aujugement,
que la mémoire même, fans laquelle
l’Ame ne peut combiner plulîeurs
idées. O n dirok que ce fêns fro id ,
appelle commun , quoique fi rare,
$eelipfe & fc fond eu quelque forte
(a) Boerh. hifl. mcd. defenf. intern.
x (140)
à la chaleur des mouvcmens vifs &
turbulens que produifent fans celfe
les vertiges & les tourbillons de la
partie phantaftique du cerveau. 40.
Enfin j’ai fait voir combien de cau-
fês changent les idées mêmes des
chofcs, combien il faut de fages
précautions pour éviter Terreur q u i,
feduit Thomme en certains cas mal­
gré lui-même. Q u ’il me foit permis
d ’ajouter que cesconnoiffances font
abfdlument néceflaires aux M éde­
cins m êm es, pour connoître , ex­
pliquer & guérit les diverfes affec­
tions du cerveau.
Paffons à un nouveau genre de
facultés corporelles qui fe rappor­
tent à l’Ame fenfitive. La mémoire,
l’imagination , les paffions 5ont for­
mé la première claffe : les inclina-
(i4i )
d o n s, les appétits, l’inftinâ:, lapé*
nétration & la conception vont
compofer la fécondé.

$• I.
Des inclinations & des appétits.

Les inclinations font des difpofi-


tions qui dépendent de la ûru&ure
particulière des fens , de la folidi-
t é , de la molefle des nerfs qui fe<
trouvent dans ces organes, ou plu­
tôt qui les conftituent ; des diveis
degrés de mobilité dans les efprits ,
& c. C ’eft à cet état quon doit les
penchans ou les dégoûts naturels
qu’on a pour diffërens objets qui
viennent frapper les fens.
Les appétits dépendent de cer­
tains organes dcftinés à nous don­
ner les fcnfations qui nous font dé-
(H*)
firçr U jouiflance ou l’ufagc des ch$*
fes utiles à la confervation de notre
machine , Se à la propagation d e
notre efpece, appétit aufli prefîant
. & qui reconnoît les mêmes princi»
pes ou les mêmes causes que la faim
{a]. Il eft bon de fçavoir que les A n­
ciens ont aufli placé dans cette m ê­
me clafte certaines difpoficions de
nos organes qui nous donnent de U
répugnance ÔC même de l'horreur
pour les chofes qui pourroienc nous
nuire. C ’eft pourquoi ils avoient
diftingué ces appétits en cenatfifci*
blés SC en irafcibles j c’c ftà -d ire , en
ceux qui nous font délirer ce qui
eft b o n , ou falutaire, qui ne nous y
font jamais penfer fans plaiftr $SC
çn ceux qui nous font penfer à ce
• ( «) M. Senac. A**t. iHtift. p. j 14,
(«45 J
qui nous eft contrai» , arec aflè*
de peine 8c de répugnance pour le
rébuter. Q uand je dis n o u s, c’eft
qu’il f a u t , n’en déplaife à l’orgueil
hum ain, que les hommes fe confon­
dent ici avec les anim aux, puifqu’il
s’agir de facultés que la nature a
données en commun aux uns 8C aux
autres.
$. I I.
De l'inftinft.
L ’inflinéb confifte dans des d if’
polirions corporelles purement me»
caniques qui font agir les animaux
fans nulle délibération , indépen*
dammenc de toute expérience , SC
Comme par une cfpece de néccflité 9
mais cependant, ( ce qui eft bien
admirable, ) de la maniéré qui leur
convient le mieux pour la confer-
k t *44)
vation dé leur être. D ’où naiftent
la fimpathieque certains animaux
ont les uns pour les autres , & quel-*
quefbis pour l’homme même,auquel
il en eft qui s’attachent tendrement
toute leur vie ; l’antipathie ou aver-
fion naturelle, les rufes , le difcer*.
n em ent, le choix indélibéré auto-1’
matique , & pourtant sûr de leurs
alim ens, & même des plantes falu-
taires qui peuvent leur convenir
dans leurs différentes maladiès.Lorf-
que notre corps eft affligé de quel*
que m a l, qu’il ne fait Tes fondions
qu'avec peine,il eft comme celui des
animaux,machinalement déterminé
à chercher les moyens d’y remedier,
(ans cependant les connoître (a).
Laraifon ne peut concevoir com -
(«) Boerh. Infl. Med. §, 4.
ment
r

(*4f) #
J | ment fe font des opérations en ap~
K i parençe aufli (impies Le dode Mé-
i decin que je cite fe contente de dire,
^ qu’elles fe font en confêqüencé des
:Dt loix aufquelles l’Auteur de la nature
et< a aftujetti les corps animés , & que
:el- toutes les premières caufes dépen-
■W dent immédiatemènt de ces loix.
•JIi | L ’enfant nouveau né fait difïeren-
ilu- tes fo n d io n s, comme s’il s’y étoit
enï exercé pendant toute la grofleflè ,
fans connoître aucun des organes
uel- qui fervent à ces fondions j le pa-
i® pillon à peine formé fait jouer fes
^ _ nouvelles ailes, vote , & fe balance
îiw parfaitement dans l’air 5l’abeille qui
1£Ii vient de naître , ramalTe du miel &
de la cire 5 le perdreau à peine éclos,
diftingue le grain qui lui convient.
Ces animaux n’ont point d’autre
ait • K
( ï 4 $)
maître que l’inftinét. Pour exp li- i
quer tous ces mouvemens Sc ces :
opérations , il eft donc évident qu e j
Staahl a grand tort de prétexter l’a - .i
dreffe que donne l’habitude.
Il eft certain , comme l’obfervç ,
l’homme du monde le plus capable
( i )d’arracher les fecretsde la nature» ■>
qu’il y a dans les mouvemens des s
corps animés autre chofe qu’une i
mécanique intelligible, je veux di- i
r e , ** une certaine force qui appar- *
„ tient aux plus petites parties dont j
„ l’animal eft form é, qui eft répan- (
„ due dans chacune , & qui caraç- ,
,,térife non-feulement chaque efpece
„ d’anim al, mais chaque animal de
„ la même efpéce , en ce que cha-
çun fe m e u t, & fent diverfemenc
(i) M. de Maupertuis.
■ S l47> .
j, & à Ta maniéré , tandis que tous
„ appetent néceflairement ce qui
,, convient à la confeçvation de leur
a, être , & ont une averfiôn natu-
„ relie qui les garantit sûrement de
„ ce qui pouroit leur nuire
Il eft facile de juger que l’homme
n’eft point ici excepté. O u i , fans
d o u te , c’eft cette fqrme propre à
chaque corps, cette force innée flans
chaque élément fibreux, dans cha­
que fibre vafculeufe, & toujours cf-
fentiellement differente en foi de
ce qu’on nomme èlafficité, puifque
celle-cieft détruite,que l’autre fub-
fifte encore, aptes la mort même ^
& fe réveille par la moindre force
mouvante -, c’eft cette cau fe, dis-je,
qui fait que j’ai moins d’agilité qu’u­
ne puce,quoique je faute par la mê-
Kz *
C148)
' inc mécanique s c’eft par e lle , que
dans un faux pas , mon corps fe
porte aufli prompt qu'un éclair à
contrebalancer fa ch u te, & c. 11 eft
Certain que l’Ame &: la volonté
n’ont aucune part à toutes ces ac­
tions du corps , inconnues aux plus
grands Anatomiftes ; & la preuve
en eft , que l'Ame ne peut avoir
qu’une feule idée diftin&e à la fois.
O r quel nombre infini de mouve-
xnens divers lui faudrait-il prévoir
d'un coup d’œ il, choifir , combi­
n e r, ordonner avec la plus grande
jufteffè ? Q u i fçait combien il faut
■ de mufcles pour fauter ; comme les
fiéchifieurs doivent être relâchés,
les extenfeurs contrades, tantôt len­
tement , tantôt vite ; comment tel
poids & noa tel autre peut s’élever ?
( i 4 9)
Q u i connoît tout cc qu'il faut pour
courir , franchir de grands efpaces
avec un corps d’une péfanteur énor­
me , pour planer dans les airs, pour
s’y élever à perte de vue & travcr-
fer une immenfîté de Pays ? Les
mufcles auraient ils donc befoin du
confeil d’un être qui n’en fçait feu­
lement pas le nom ; qui n’en con-
noît ni les attaches, ni les ufages ,
pour fe préparer à tranfporter fans
rifque & faire fauter toute la ma­
chine à laquelle ils (ont attachés ?
L ’ame n’cft point a(Tez parfaite pour
c e la , dans l’homme , comme dans
l’anim al} il faudrait qu’elle eut in-
fu fe , cette fcience infinie géométri­
que fuppofée par Staahl , tandis
qu’elle ne connoît pas les mufcles
qui lui obéiffent. Tout vient donc
K 3
. ... ( * 1 ° )
de la feule force de l’in ftinft, & U
monarchie de l’Ame n’eft qu’une
chimère. Il eft mille mouvemens
dans le corps, dont l’Ame n’eft pas
même la eaufc conditionnelle. L a
même caufe qui fait fuir ou ap­
procher un corbeau à la préfence de
certains objets, ou lorfqu’il entend
quelque bru it, veille aulfi fans celle
. a fon infçu , à la confervation de
fon être. Mais ce même corbeau >
ces oifeaux de la grande efpéce qui
parcourent les airs , ont le fenti-
ment propre à leur inftinèt $ ce ne
font donc p o in t, encore une fo is,
des automates, comme le veut D ef-
cartes , femblables aune pendule ou
au Auteur de Vaucanfon. Et à plus
forte raifon Spinofa a-t-il tort de
prétendre que l’homme reffemble à
( I *l) . .

une montre plus ou moins parfaite


( qui marque les heures, les minu­
tes , les jours du m ois, de la Lune ,
ou feulement quelques-unes de ces
choies , félon fon tnécanifme, ainfi
qu’elle les marque plus ou moin?
régulièrement félon la bonté & la
jufteffe de fes refforts ) ou à un Vaif-
feau fans pilote au milieu de la m er,
qui par fa conftru&ion a le pouvoir
de voguer, mais eft déterminé par les
vents & par les courans à aller plu­
tôt d’un côté que de l’autre , en-
forte que ce font toujours les uns
qui le pouffent ou les autres qui
les entiaînent.
Concluons donc que chaque ani­
mal a fon fentiment propre & fa
maniéré de l’exprimer , & qu’elle
eft toujours conforme au plus droit
K4 ’
(iÿt)
Cens, a un inftin£fc, à une mécanir
que qui peut pafler toute intelli­
gence , mais non les tromper : 5 c
confirmons cette conclufion par de
nouvelles obfervations.

• §• I I I .
Jpuc les animaux expriment leurs;
idéesfa r les mêmesjîgnes que nous.

Nous tacherons de marquer avec


précifion en quoi confiftent les con-
noiflances des animaux, & jufqu’ou
elles s’étendent. Mais fans entrer
dans le détail trop rebattu de leurs
opérations/ort agréables fans doute
dans les ouvrages de certains d^hilo-
fophes qui ont daigné plaire (i), ad­
mirables dans le livre de la nature.
( i)V. principalement le P, Boujan. Bjf. Pkil.fttv
le lang. des bêtes .
(*îî)
Comme les animaux onc peu d’i­
dées , ils onc aufli peu de termes
pour les exprimer. Ils apperçoivent
comme nous , la diftance , la gran­
deur,les odeurs, la plupart des ftetn -
des qualités, (a) & s’en fouviennent.
Mais outre qu’ils ont beaucoup
moins d’idées, ils n’ont guéres d’au­
tres expreflions que celles du lan*
gage affcéüf dont j’ai déjà parlé {b).
C ette difette vient-elle du vice des
organes ? Non , puifque les Perro­
quets redifent les mots qu’on leur
apprend , fans en fçavoir la lignifi­
cation , & qu’ils ne s’en fervent ja­
mais pour rendre leurs propres idées.
Elle ne vient point aufli du défaut
d’id ées, car ils apprennent à diftin-
guer la dîverfité des perfonnes, &
(a ) Comme parle Locke. (f>) p- 3M*-
( i f 4)
meme’des v o ix , & nous répondent
par des geftes trop vrais , pour qu’ils
n’expriment pas leur volonté.
Q uelle différence y a-t-il donc
entre notre faculté de difcourir &
celle des bêtes >La leur fe fait en­
tendre , quoique muette , ce font
d’excellens pantomimes ; la nôtre eft
verèeafe, nous fommes fouvent de.
vrais babillards.
Voilà des idées & des lignes d’i­
dées qu’on ne peut refufer aux bê„
te s, fans choquer le fens commun.
Ces lignes font perpétuels, intelli­
gibles à tout animal du même gen­
re , & même d’une efpéce differen­
te ,puifqu’ils le font aux hommes
mêmes. Je fçais auffi certainement,
dit Lamy ( i ) , qu’un Perroquet a de
(i) Difc. Anat. p. 1 1 6 .
On)
la connoiffance,comme je fçai qu’un
étranger en a ; les mêmes marques
qui font pour l’un font pour l’autre:
il faut avoir moins de bon fens que
les anim aux, pour leur refufer des
connoiflances.
Q u ’on ne nous obje&e pas que
les lignes du difcernement des bêtes
font arbitraires, &: n’ont rien de
commun avec leurs fenfations : car
tous les mots dont jious nous fer-
vons le font aulïi, & cependant ils
agiflent fur nos idées , ils les diri­
gent, ils les changent. Les lettres
qui ont été inventées plus tard que
les mots, étant ralfemblées, forment
les m ots, deforte qu’il nous eft égal
de lire des caraéteres , ou d’enten­
dre les mots qui en font faits ,
parce que l’ufage nous y a fait at-
(
tacher les mêmes idées, antérieu­
res aux uns & aux autres. Lettres ,
m ots, idées, tout eft donc arbitraire
dans l’homme , comme dans l’ani­
mal : mais il eft évid en t, lorfqu’on
jette les yeux fur la maffe du cerveau
de l’hom m e, que ce vifcerc peut
contenir une multitude prodigieufe
d ’idées , & par confcquent exigent
pout rendre ces idées, plus de Ggnes
que les animayx. C ’eft en cela pré-
cilcment que confifte toute lafupé-
rioriré de l'homme.
M ais les hommes & meme les
femmes le mocquent-elles mieux les
unes des autres,que ces oifeaux qui
redifent les chanfons des autres oi­
feaux , de maniéré à leur, donner un
ridicule parfait ? Quelle différence y
a-t-il entre l’enfant & le perroquet
(* * 7 )
qu’on inftruit ? N e redifent^ils pas
également les Ions dont on frappe
leurs oreilles , & cela avec tout auffi
peu d’intelligence l’un que l’autre.
Admirable effet de l’union des fèns
externes , avec les fens internes » de
la connexion de la parole de l’u n ,
avec louïc de l’autre -, 6c d ’un lien
fi intime entre la volonté 6c les
mouvemens m ufculeux, qu’ils s’e ­
xercent toujours au gré de l’animal»
lorfque la ftruâure du corps le per*
met* L ’oifeau qui entend chanter
pour la première fo is, reçoit l’idée
du fon; déformais il n’aura qu’à être
attentif aux airs nouveaux, pour les
redire ( fur-tout s’il les entend fou .
vent ) avec autant de facilité que
nous prononçons un nouveau moc
Anglois. L’expérience ( i ) a même
(i) Voy. Amman, de loguelâ, p. 81. & 103.
( i5*)
f?ir connoître qu’on peut apprendre
à parler & à lire en peu de (i) rems
à un lourd de naiflance, par confe--
quent muer ; ce fourd qui n’a que
des yeux , n’a-t-il pas moins d’avan­
tage , qu'une perruche qui a de fines
oreilles-}
s. i v .

Ve U pénétration & de la conception.

Il nous refte à expofer deux au­


tres facultés qui font des dépen­
dances du même principe , je veux
dire de la difpofition originaire &
primitive des organes : fçavoir la pé­
nétration & la conception qui naif-
fent de la perfection des facultés
corporelles fenfitives.
L a pénétration eft donc une heu-
(i) Ûetixmois. Amman. 81,
(IJ?)
reufe difpofition qu’on* ne peut dé­
finir , dans la ftru&ure intime des
fens & des nerfs, Sc dans le mou­
vement des efprits. Elle pénétre l’A ­
m e dofenfations fi nettes , fi exqui-
fe s , qu’elles la mettent ellcs-mcmes
en état de les diftinguer prompte­
ment & éxaûement l’une de l’autre.
C e qu’on appelle conception , ou .
comprêhenjion , eft une faculté dé­
pendante des mêmes parties , par
laquelle toutes les facultés dont-j’ai
parlé peuvent donner à l’Am e un
grand nombre de Tentations à la fois
& non moins claires &: diftin&es,
enfortc que l’Ame embralTe, pout
ainfi dire, dans le même inftant 6t
fans nulle confufion, plus ou moins
d’idées,fuivant le degré d’excellence
de cette faculté.
C hapitre X IV .

Des dffccliens de l'Amefettjkive.

fil. ,
Les fenfatiens, le difccrnement dr
les connoijfances.

JST On-feuJement l’Am e fenfitivc a


une éxa&e connoiflance de ce qu’elle
le n t, mais (es fentimens lui a p ­
partiennent précifément, comme
des modifications d’elle-même.C’eft
en diftinguant ces diverfes modifi­
cations qui la touchent, ou la re­
muent diverfem ent, qu’elle voit 6c
diücerne les différens objets qui les
lui occafionnent : 6c ce ’difcerne-
m en t,
(léî)
f à e n t , tarl^u’il eft n e t, t e ,
ainfi dire , (ans nuages , lui donne
des connoifiances éxa&es t claires ,
évidentes. . ,
M ais les (enfations de notre Àm e
ont deux faces qu’il faut envifager:
,ou elles font purement fpcculatiyes,
te: lorfqu’élles éclairent l’clp rit, on
leur donne le nom ;de connoilïàn-
ces ; ou elles portent à l'Am e des
-efteftions agréables, ou défagréa-
blcs , te c e fl: alors qu’elles- font'le
;plaifir, ou le bonheur, la peine *
ouïe malheur de notre être t en effet
-nous neijouiflbns très-certainement
-que des modifications de nàus±tpéL
'm es, te, il eft vrai de ' d ire■ que
i ’Am e réduite à bt:po(Teflïott d'elle-
m em e, n’eft. qu’un être accidentel.
La preuve de delay c’cft què l ’Am#
L
{t6i) ,

n« fe connoît point, & qu’elle eft


privée d’elle-même , lorfqu’elle eft
privée de fenfations. T o u t Ton bien-
être & tout fon m al-être, ne réfi-
deftt donc que dans les impreffions
agréables ou défagrcables qu'elle
reçoit paffivement ; c’eft-à-dire,
qu’elle n’eft pas la makrefle de le les
prdcurerôs dé les choifir à fon g r é ,
püifqu’eftes dépendent manifefto-
nient dé caufqs qui h» font éluâo-
ÿemeàt étrangères.
. ï i s’enfuit quétebcaàheur nepeqt
dépendre dé la manière de penfer-,
üOtt:plutôt de fentir; car il eft eei-
4 o tn y & je ne crois pas que 'per-
-fonne én difeonviènne , qu’on ne
pdnfe & qu’on ne font pas comme
bn vciudroit. Ceux ladbnc qui cher-
chéût le bùnbeur dans leurs réflé-
kiôfts j ou dans la recherche de ht
vérité qui nous f u i t , le cherchent
ou il n ’eft pus. A dire vra i, le bon*
heur dépend de caufbs corporelles I
telles que certaines difpofitions du
co rp s, n atu relles,'ou acq u ifes, je
veu x d ire, procurées par l'ad ion de
corps étrangers fnr le nôtre. Il y »
des gens qui grâce à Theureufe con­
form ation de leurs organes & à la
m odération de leurs d éïirs, font
heureux 1 peu de frais , o u d u m oins
fo n t le plus fouvent tranquilles ÔZ
contens d e leur fo r t, de m anière
que ce n‘eft guéres que par açci*
dent qu’ils peuvent fo forprendre .
dans un état m alheureux. Il ÿ en a
d’autres ( & matheureufemenc c’effc
te plus grand n om b re)à qui ri faut
font ceffe des plaifirs nouveaux, tous
L a
(1*4)
plus piquans les uns que les autreà ;
mais ceux-l'a ne font heureux q u e
par accident, comme celui que la
roufique, le v in , ou l’opium réjouit:
Sc il n’arrive que trop fréquemment
que le dégoût & le repentir fuivent
de près ce plaifir charmant, qu o n
regardoit comme le feul bien r é e l,
comme le feul Dieu digne de tous
nos hommages & nos facrifices.
L ’homme n’eft donc pas . fait pour
être parfaitement heureux. S’il l'eft,
-c'efl quelquefois $ le bonheur fe
.préfente cçmrne la v é r i t é p a r ha­
sa rd , au moçnent qu’on .s’y at­
tend le moins. Cependant il'fa u t
jfe foumettre à la rigueur, de fon
é t a t , & fe fcrvir, s’il fe peut , de
"toute-la force de fa raifon * pour
en foute nir lç fardeau. Ces moyens
, (»<ï)
ne procurent pas le.bonheur, mais
ils accoutument à s’en palier, & ,
comme on dit , à prendre pa­
tie n ce, à faire de néceffité vertu.
Ces courtes réflexions fur le bon­
heur m’ont dégoûté de tant de trai­
tés du même fujet, où le ftyle eft
compté pour les chofes, où l’efprit
tient lieu du bon fens, où l’on
éblouit par lé preftige d’une frivole
éloquence, faute de raifonnemens
fo lid es, où enfin on fe jette à
corps perdu dans l’ambitieufe mé-
taphyfique, parce qu’on n’eft pas
Phyficien. La Phyfique feul peut
abréger les difficultés , comme le
remarque M. de Fontënelle f i l .
Mais fans une conaoiflance parfaite
des parcies qui compofènt les corps
' (i) Digfeflion (ui les Anciens & les Modernes.
L 3
'<!*«)
Animés, 6c des loix mécaniques
auxquelles ces parties obciffent »
pour faire leurs mouvemens divers
le moyen de débiter fur le corps 6c
FA m e, autre choie que de vains
paradoxes, ou des fyftêmes frivo­
les , fruits d’une imagination déré­
glée, ou d’une faftueufe préemp­
tion j c’eft cependant du fein de
«ette ignorance qu’on voit fbrtir
tous ces petits Philofophes grands
conftru&eurs d'hypothéfes, ingé­
nieux créateurs de fbnges bizares ic
finguliccs, qui fans théorie, comme
fans expérience, croient Ceuls pofle-
der la vraie Philoibphie du corps
humain. La nature fe montreroit à
leurs regards , qu’ils la méconnoî*
croient, fi elle n’étoit pas conforme
à Uraanierc dont ils ont cru la con*
(f«7) .
cevoir. Flatteufe 8C complaifante
im agination, n’eft-ce donc point
aflez pour vous de ne chercher qu’à
p laire, 8c d’être le plus parfait mo­
dèle deooquéterie? Faut il que vous
ayez une tendreffe vraiment ma­
ternelle pour vos enfans les plus
contrefaits 8c les plus infenfés » 8C
que contente de votre feule fécon­
dité , vos produirions ne paroidènc
ridicules pu extravagantes qu’aux,
yeux d’autrui. O u i, il eft jufîe que
l’amour propre qui fait les Auteur?,
& fur-tout les mauvais Auteurs, Je?
paye en fecret des louanges que le
Public leur refufe, puifque cette es­
pèce de dédommagement qui Con­
tient leur courage peut les rendre
m eilleurs, 8c meme excellons dans
la fuite.
(i$ 8)

§ 11.

De la volonté.

Les fènfations qui nous affectent »


décident l’Ame à vouloir , ou à ne
pas vouloir , à aim er, ou à haïr ces
fènfations , félon le plaifir, ou la-
peine qu’elles "nous càufent ; cet état -
de l’Ame ainfî décidée par fes fen-.
Rations-, s’appelle volonté. ' c
Mais il faut qu’on diftingue ici
la volonté de la liberté. Car on peut 5
êtr* agréablement, & en confé-»'
quence volontairement affeété par
une fénfation , fans être maître de
la rejetter ou de la recevoir. T el eft
l'état agréable & volontaire , où fe
trouvent tous les animaux & l’hom-
pie même , lprfqu’ils fatisfont quels
(ïdp)
ques-uns de ces befoins preflans„
qui empêchoicnt Alexandre de
croire qu’il fût un Dieu > comme
difoient Tes flatteurs, puifqà’il avoit
befoin de garderobe & de concu­
bine.
M ais confidérons un homme qui
veut veiller Sc à qui on donne de
l’opium } il eft invité au fommcil
' par les fenfations agréables que lui
procure ce divin remedë , & fa vo­
lonté eft tellement changée , que
l’Ame eft forcément décidéea dor­
mir. Commé les bêtes ne jouifTent
probablement que de ces voûtions,
il n’eft pour elle ni bien ni mal mo­
ral. L ’opium afloupit ddnc l’Ame
avec le corps : à plus grande dozc
il rend furieux. Les cantharides in­
térieurement prifes, font naître la
(l?o)
paffion d’amour avec une aptitude à
la fatisfaire, qui fouvent coûte bien
cher. L ’ame d’un homme mordu
d’un chien enragé, enrage enfin
elle-même. Le poujt, drogue véni-
meufe fort en ufage dans le M o g o l,
maigrit le corps, rend impuifTant,
& ôte peu-à-peu l’Am e raifonna-
ble» pour ne lui fubftituer que l'A ­
m e, je ne dis pas fenfitivc , mais
végétative. Toute Fhiftoire des pot-
fons ( i ) prouve affcz que ce qui a
été dit des philtres amoureux des
A nciens, n’eft pas fi fabuleux, &
que toutes les facultés de l’Am e »
jufqu’à la confcience, ne font que
des dépendances du corps. Il n’y a
qu’à trop boire & manger pour fe
réduire à la condition des bêtes*
(t) V. Mead, dé Veneniu
( 171)
Socrate enyvré fe mit à danfer I f c
vue d’un excellent Pantomime ( i ) ,
& au lieu d’exemples de fageffe,
ce précepteur de la patrie n’en don­
na plus que de luxure ÔCde volupté.
Dans les plus grands plaifîrs , il eft
impoffible de penfer, on ne peut
«que fèntir. Dans les momens qui
les fuivent, 5c qui ne font pas eux-
mêmes fans volupté, l’Ame fe replie
en quelque forte for les délices qu’elle
Trient de goûter , comme pour en
jouir à plus long traits ; elle femble
vouloir augmenter fon plaifir^en
l’examinant : mais d ie a tant fen ti,

( i ) tes mouvemens fe communiquent d’un


homme à un autre homme ; les fêntimens fe ga­
gnent de même, & la converfàrion des gens d’e t
prit en donne. Cela eft facile à expliquer par çe
qui a été dit Chap, XIII. $. HT.
( I 7 2-)
tant éxiftc, qu’elle ne fent & n’e ft
prefque plus rien. Cependant l’a c­
cablement où elle tombe lui e ft
cher ; elle n’en fortiroit pas vice fans
violente , parce que cette ravif-
fantc convulfion des nerfs , qui a
enyvré l’Ame de fi grands tranfports,
doit durer encore quelque tems »
femblable à ces vertiges , où l’on,
voit tourner les objets , long-temps
après qu’ils ne tournent plus. T e l
qui feroit bien fâché de faire tort
(i) à fa famille en rêve, n’a plus la
même volonté , à l’occafion d’un
certain prurit , qui v a , pour ainfi
d ire , chercher l’Am e dans les bras
du fommeii , & l’avertir qu’il ne(i)

(i) Le bon Leeuwenhoeck nous certifie que (es


obfervations Kartfockertennes n’ont jamais été
faites au dépens de fa famille*
. ( i7 H .
tien t qu’à elle d’être heureufe un
p etit moment : & fi la nature,lors­
qu'elle s’éveille, eft prête à trahit
(a première volonté , alors une au­
tre volonté nouvelle s’élève dans
l’ A m e & Suggéré à la nature les plus
courts moyens de Sortir d’un état ur­
gent , pour s’en procurer un plus
agréable , dont on va Se repentir
Suivant l’uSage , & comme il arrive
Sur-tout-à là Suite des plaifirs pris
Sans beSoin. V oilà, comme dit M e:
Deshoulicres,

Çette fiére raifon dont on faittatit de bruit : , .


3, Un peu de vin la trouble, un enfant la féduit;

Voilà Thomrtie avec toutes les


illufîons dont il eft le jouet1, & la
proie. Mais fi x e n’eft pas Sans plàï»
fir que la nature nous trompe &
, ( *74)
nous égare , qu’elle nous trompe
toujours a in G. C a r , comme dit fi
bien M . de Fontenelle,

Souvent ens’attachant à des phantâmes vain#


» Notre ïaifon ieduite avec plaiiîr s’égare,
** ÉUe*fnêaiÉ'jouit dw objets qu’elle a feints$
)i Et cette îllufîon pouf un moment répare
•> £e défaut des vrais biens que la nature avare
«NV pasaccordés au» humains.

- Enfin rien de fi borne que ic m -


pire de l’Am e fur le corps, rien de
fi étendu que l’empire du coprsfut
l’Am e. Non-feulem ent l’Am e ne
connoiç pas les mulcles qui lui o-
beiflent, 8c quel eftfon pouvoir vo*
loncaire fur les organes vitaux;mais
elle n en exerce jamais d’arbitraire
fur ces naemos organes. Q u e dis-je ?
.die n efça it pas meme fi fa volonté
d l la caufe efficiente des a&ionc
<1 7 0
mufculeufes ou Amplement une
caiife occafionnelle , mife en jeu
par certaines difpolitions internesdu
cerveau , qui agiffene fur la Volonté,
la remuent feerettement & la dé­
terminent de quelque maniéré que
ce foit. Staahl penfc différemment ;
il donne à l'am e, comme on l’a in-
finué,uft empire abfolu relié produit
' toutchefc lui jofqu’aux hémorrhoï-
des. Voyez fethéoriê de Médecine,
o ù il i*efforcé de prouver cette ima­
gination par des raifonnetnens M é-
taphyfiques qui ne la rendent que
plus' iflcompréhenfible, K ,fi j’ofois
■ lê dire , iplni ridicule. C e grand
Chim iÀ e eft un bien mauvais M é-
taphyûcièn. Ne fin ir nltrk ertpi*
■ d*m, ................ . . '
• ( r}*)
§. 1 1 1 .
. b u goût.

Les fenfations confidérées,ou coni»>


aie de Simples connoiflTances , ou
en tant quelles font agréables ,o a
défagréables, font porter, à l’A m e
deux fortes de jugeraens.Lorfqu*elle
découvre des vérités , qu’elle s’en
affûte elle:meme avec une évident '
ce qui captive fon confentemenc»
cette opération de l’Ame cûnfentan*
te,qui ne peut fe difpènfçr de fe ren­
dre aux lumières de la. vérité , eft
fimplement appelléc jugement. Maip
lorfqu’ellej appréde l’impreflion a-
gréable,ou défagréable qu’elle reçoit
de fes différentes fenfations, alors
ce jugement prend le nom de goût..
O n donne le nom de bon g oû t, aux
fenfations
. , ( l 77)
lenfatiôns qui flattent le plusgénê-
râlement tous les hommes , & qui
f o n t , pour ainfi dire , les plus acré-
ditées , les plus en vogue : & réci­
proquement le mauvais g o û t, n’eft
que le goût le plus fingulier, & le
moins ordinaire,c’eft- à-dire, les fen­
drions les moins communes. Je con_
nois des gens de lettres, qui pen-
fent diflèremment ; ils prétendent
que le bon ou le mauvais g o û t ,
n-eft qu’un jugement raifonnable,
ou bizarre , que l’Ame porte de les
propres fenfations. C e lle s, difent-
ils , qui plaifent à la vérité à quel­
ques-uns, toutes défeékueufes & im­
parfaites qu’elles fo n t, parce qu’ils
en jugent mal ou trop favorable­
ment , mais qui déplaifent, ou répu*
gnent au plus grand nombre t parce
M
V (iy*)
que ces derniers ont ce qu*On âp*
pelle un bon efprit, un efprit droit j
ces fenfations font l’objet du mau­
vais goût. Je crois, m o i, qu’on ne
peut le tromper fur le compte de
fes fenfations : je penfe qu’un ju­
gement qui part du fens in tim e,
tel que celui qu’on porte de fon
propre fentim ent, ou de l’affe&ion
de fon A m e, ne peut porter à fa u x ,
parce qu’il ne confifte qu’à goûter
un plaifir , ou à fencir une peine»,
qu’on éprouve en effet } tant que
dure unefènfation agréable ,o u dé*
fagréable. Il y en a qui a im en t,
par exem ple, l’odeur de la corne de
ch ev al, du ne carte , du parchemin
brûlé. Tant qu’on n’entendra par
mauvais goût , qu’un goût fingu-
lier , je conviendrai que ces per*
- -

fortnes font de mauvais go û t, èt que


les femmes greffes donc les goûts
changent avec les difpofitions du
corp s, font auffi de très - mauvais
goût , tandis qu’il eft évident qu’el­
les font feulement avides de cho-
fes affez généralement méprifées,
& dont elles ne faifoient elles-mê­
mes aucun cas avant la groffeffe ,
& qu’ainfi eltes n’ont alors que des
goûts particuliers , relatifs à leur
état , 8c qui fe remarquent rare­
ment. Mais quand on juge agréable
la fenfation que donne l’odeur de la
pomade à la M aréchale, celle du
mufe , de l’ambre , 8c de tant d’au­
tres parfums- , Hcommodes aux bar­
bets pour retrouver leurs maîtres»
& cela dans le tems même qu’on
jouit du plaiûr que toutes ces cho-
M z
(i So)
Tes font à l’A m e , on ne peut pas
dire qu’on en juge ma l , ni trop fa­
vorablement. S’il eft de meilleurs
goûts les uns que les autres, ce n’eft
jamais que par rapport aux fenfa-
tions plus agréables , qu’éprouve
la même perfonne : te puifqu’enfin
tel goût que je trouve délicieux ,
eft détefté par un autre, fur lequel
il agit tout autrement, où eft donc
ce qu’on nomme bon te mauvais
goût ? Non , encore une fo is , les
fenfations de l’homme ne peuvent
le tromper } l’Am e les apprétie
précifément ce qu’elles valen t, rela­
tivement au plaifir, ou au défagré-
ment qu’elle en reçoit.
11 faut maintenant appliquer la
même théorie aux ouvrages d’efpric
te de génie. Le goût à cet égard n’a-
( 1*1)
' t-il pas varié î n’eft-il pas fujet à des
caprices , à des bizarreries , à des
' révolutions. D u teins de Moliere ,
on eût vraifemblablement fiflé tou­
tes les pièces de théâtre , coufues
de jolies petites fcénes à tiroir , pé­
tillantes d’efprit, mais d’un efprit fi
fu b til, qu’il s’eftdéja évaporé,quand
on croit le faifir; en un m o t, fans
in trig u e, fans caractères, fans inté­
rêt. Je doute même qu’on eût reçu
alors ce haut & larmoyant comi­
q u e, qui fait aujourd’hui les délices
de tout Paris. .
O n a donc créé un nouveau goût,
un goût qui plaît , & par confé-
quent un plaifir de plus , avec un
nouveau genre de fpeâacle. Q u i
n’applaudiroit aux fages (i) Peintres
(i) M M. Nericaut Deftouches & Nivelle de
la Chauffée.
M3
080
des bonnes mœurs qui l’ont inven­
té ? M . de Ségrais avoue qu’il n ’a
pas toujours éxaétement gardé dans •
fes Poëfies Paftorales le ftyle qui y eft
propre , parce qu’il a été quelque­
fois obligé de s’accommoder au goût
de fon fiéclc. Et M , de Fontenelle
répond à ceux qui lui ont reproché
de s’être trop mis lui - même à la
place de fes bergers, c’eft-à-dire, dé
leur avoir donné trop d’efprit,qu’dn
ne fçait quel eft le goût de ce tems.
c i , & il prouve enfin combien le
goût a varié depuis Théocrite juÇ-
qu’à nous,
Q u ’on nous donne à préfent des
préceptes fut le goût j qu’on fe flatte
.qu’ils feront aufli généralement ap*
prouvés & fuivis dans tous les temps,
que les définitions des divers goûts
( i* 3 )
feront fubtiles, & pcnfées, & qu’on
attende en un mot de pareils ou*
vrages un fucccs proportionné à ce
q u e la fine théorie qu’ils contiens
nen t aura coûté aux Auteurs: puiC.
q u enfin il eft prouvé qu’il n’y a
rien de vrai 6c d’évident à dire en
général du g o û t, 6c qu’au contraire
tou t eft en quelque forte relatif aux
différens organes dés hommes, au
fiécle , 6c meme au pays oû l’on vit i
comme on lé voit en A ngleterre,
en Ita lie , en E fpagne, 6cc. où tous
les genres d’arts 6c de lettres font
exécutés avec un goût fi différent du
nôtre.
M a is , d it-o n , lorfqu'on lit C i­
céron pour la première fois on croie
/ voir l’éloquence en perfonne, telle
qu’on l’aYoit conçue. Le vrai beau *
' M 4
0 *4)
le fublime ravit , enleve tous les
connoiflcurs. Q u i ne fent pas le Moy
de Medée , le qu'il mourut des H o -
races?QuelleAme ne s’élève pas avec *
Corneille , ne s’attendrit pas avec
R a cin e, n’apprend pas à penfer avec
Voltaire ?
Pour réfuter cette objection, qui
conduirait à recevoir le fyftême
mal fondé des idées primitives , il
fuffit de faire réfléxion qu’on no
trouve ces goûts , du moins bien
marqués, que chez les gens de let­
tres. L’homme fans étude lira les
mêmes chofes , ou les entendra par­
faitement déclamer, fans y prendre;
aucun plaifîr : Ton Am e infenfible à
tout ce qui n’eft pas corps, ne donne ;
aucune entrée à toutes ces fenfa-
fions d’efprit , qui font le charme
( >*s)
de Pétude ,e n changent les heure*
en momens, & dont pat conféquent
l’éducation fait tous les frais. Pat
combien d’impreflions & de dégrés
divers il a fallu faire pafler mes fens,
avant que de donner à mon A m e ,
l’idée du natutel, du patétique, du
fu b lim e, & c. avant d’y faire en­
trer tous les goûts, de la rendre di*
gae de rendre hommage à tous les
Arts , & de s’enflammer de tous
les plaifirs, A vec d’autres idées»
j’aurois regardé Moliere , comme
un Auteur fublime j 6c C orn eille,
comme un Auteur naturel, f i n k
truétion fait tout,
L ’efprit 6c la raifon même doi­
vent mgins préfîder aux ouvrages
de goût 6c de génie, que le fenti-
roent. C ’eft une conféquence na-v
(il*)
tutelle de ce qui a été déjà die fur
le go û t, te nous allons l’appuyer en­
core de nouveaux faits. Par ce fen-
timent que je préfère à to u t, je n’en-
tens pas feulement la fenfation donc
PAuteut eft a£l uellement affe&é en
compofanc j mais la connoiffance
des effets, que telle ou telle forme
de penfée, ou d’ouvrage pourra pro­
duire ch eï le telle des hommes.. O n
voie effectivement les Hiftoriens *
les Orateurs , les Peintres, les Poê­
les , les Architectes, les Muliciens >
tec. fe déûfter fûuvent de leur pro­
pre goût >pour plaire plus univerfel*
îcraent aux autres , te principale­
ment aux femmes qui n’onc preC»
que ( i) toutes aucune idée des cho*.
( i ) l ’exception fè borne à une feule, que ]®
»Nà pas befoin.de noower* pqwia faire con-
(>*7)
fe s , ni même des termes propres a u i
Arts , & dont cependant les Philos
fophes mêmes recherchent lé fuffra-
g e & le préfèrent à tout. C é qui
tend à amollir l a Philofophie , &
déshonoré le Philofophé.
C e n’eft pas que tous ceux qu’oii
vient de nomm er, jugeht & foienc
forcés de juger autrement qu’ils
jugeroiéht, en fui van t leurs prin­
cipes. A u contraire ils ne compofent
autrement qu’ils compoferoient •
que par de qu’ils font pèrfuadés que
tous les autres hommes,Ou du moins
le plus grand nombre , n’ont pas la
tnêmc façon de fentir, Ainfi s’ils

noitfe. L’àuteur des Elément i f la Philofophie df


Newton me permettra fans doute de dire que
fon ouVrage n’eft pas , à beaucoup près , fïbieft
lait quç les InJHmions de fhyji^ue^
088)
fuivent telle idée ou tel p lan , c’eflfc
qu’ils ont obfervé que ce plan q u i
leur déplaît à eux-mêmes,fera goûté
des autres, qu’ils croient sûrement
moins connoilfeurfqu’eux , & q u i
le font vraifemblablement moins
que des maîtres de l’Art.
D e tels m otifs énervent les ta -
len s, corrompent le gén ie, & ôtent
le plaifir qu’on auroit à lu ivre fon
penchant naturel. Q u e jefçaid egré
à l’Orphée (i) du fiécle de les avoir
méprifes • O n ne trouve cependant
que de trop fréquens exemples de
cette conduite politique , ou inté-
reliée ; & c’eft elle qui aura vraifem­
blablement déterminé Moliere à
donner tant de farces au fo t Public.
C e qu’il y a de furprenant, c’eft
(i) M. Rameau»
( i 8? )
que c’eft en cela précifément , je
veux dire ,en cette attention a étu­
dier les goûts d’autrui , en cette
adreffe à s’y conform er, quelque
ridicules que ces goûts puilfent ctre,
que confifte la beauté , ou la per-
fe& ion des ouvrages dont il s’agit.
T a n t il eft vrai que nous n’avons
point d’idées abfolues, & que rien
n’eft beau, que ce qui a été ju g é ,
établi tel par des opinions arbitrai­
res. Q ue dis-je î il ne faut qu’être
protégé par certains beaux efprits
m âles, ou femelles principalement,
décider çle tout hardim ent, quel­
que fuperficiel qu’on foie , s’ériger
en c h e f de quelques* fociétés , ou
bureaux littéraires , en premier mi-
ntftre de ces fortes de républiques,
ou du moins fe mettre au rang des
COurti(ans, pour donner le ton à unô
infinité de gens incapables de pen-
fer par eux-mêmes', & pour fe faire
ainfi une réputation due à la caba­
le , Sc au mauvais goût, plutôt qu’à
fon propre mérite.
Une vieille femme à qui toutes
les portes de la galanterie font dé>
formais fermées , à moins qu’elle ne
foit riche & généreufe , ne peuc
mieux faire que de fe jetter dans la
dévotion. A-t’elle le malheur de ne
pas croire ( car alors c’en çft un ) ?
il ne lui refte que de cultiver fon
efptit, lorfqu’elle en a ; c’eft le pis
aller d’un© femme , même dans le
déclin de fa beauté. Ainfi au défaut
d’adorateurs, ou d’amans folides , il
faut bien fe contenter d’ouvrages SC
de courtifans d’efprit. Trifte ref-
foiïtce lorfqu’otv n’a pas perdu le
goût des plaifirs •
C ’eft dans ces petites Académies
d u goût >qu’on en manque le plus,
6c qu’on en veut cependant fixer les
régies invariables. Un bon motjfou-
Vent un mauvais bon mot fort at­
tendu j y tient lieu du bons fensj
( „ ç’eft une bonne fortune qui ( i )
>} n’arrive qu’à un hbmme d’efprit,, i
c ’en eft a iïez, tout le monde eft
content t ) 6C au lieu de gén ie, o a
n ’y trouve guêres que ce qu’on ap­
pelle efprit de Ciffe\ à moins que
quelque do&e pédant > qui n’a pas
même cet efprit-là » 6c qui croit
dans fon -cahos d’érudition les avoir
to u s, ne trouble le filence de ceux
q u i .font à l ’affus de l’efprit > OU
(0 Peftleés de M. de la Rochelbucattt»
0 * 1)
comme fur une fellete ; & braillant
indifféremment P o litiq u e, M orale,
T h éo lo gie, M olinifm e, Hijl> natu­
relle) maladies Vénériennes, Antiqui­
tés , en un mot tout ce qu’un tyran
de converfation peut dire avec auda*
ce,n’ennuie par fes péfantes diflerta-
tions d’honnêtes-gens contraints de
cédet à la force de (es poumons,
dont le cruel abufe encore, pour fe
rendre plus infupportable dans la
fociété.
C ’eft dans ces brillantes affem*
blées de beaux efprits, où prcfide
*quelque Coriphée de la littérature ,
qu’on juge en deux mots l’efprit $c
le génie , Voltaire & Fnntenelle,
Gardez-vous bien , fi vous n’avez
pas l’honneur d’y être admis , de
penfer autrement,& d’ofer dire avec
m oi
(i93) , .,
tnoi qu’une telle décifion n’eft qiie
des m ots, ou de vains fons} & avec
Horafcé

; . . Verba & voces, prætereàque nihil.

O u votre goût légitimement mé-


prifé vous fera placer juftement dans
le dernier dégré des coniioiiïeurs.
E t vous qui ayant déjà quelque ré­
putation n’êtes pas encore de cette
A cadém ie; ne dédaignez pas d’y
briguer une place * faites même tous
vos efforts pour l’obtenir : car c’eft
une cour fi Jinguliere que tous ceux
qui ne font pas courtifans, font
ennemis, & on les ècrafi, autant
qu’on le p eu t, avec tout leur mé­
rite. Ceux qui ne m’en croiroient
pas fur ma parole, peuvent lire ünè
lettre de M . de V , . . fur les incbnvê-
N
(194) .
tiens attachés a la littérature. M ais
lui-m êm e, M . de V . qui a tant fait
d'efforts pour defcendre à la qualité
de membre Académique, par quelle
fatalité a-t-il négligé d’entrer dans
les Illuftres Académies dont je par­
le î Mais cette digreition n’eft déjà
que trop longue j revenons au vrai
goût.
O n convient, & cela s’enfuit en­
core de ma théorie do g o û t, que ce
n’eft point à force d’efprit, j’en-
tens de finçffé d’e fp rit, qu’on peut
bien rendre un fentiment & qu’ainfi
en ce ce fens la faculté de fentir eft
fort atu-deffus de cd le de penfer,
( quoiqu’elles ne different point et*
fcntiellement),en ce que par un abus
honteux des talens, la plûpart de
nos écrivains ne fongent qu’à enve-
(i# r)
lopper leurs fentimens dànsun cer*
tain clinquant d’imagination, qui
les éblouit eux-thénaes fi fort, qu'ils
le prennent pour dé l’or véritable.
H eureux les Auteurs, qui au lieu
de mettre à la torture les efprks o c­
cupés à débrouiller le fil entortillé,
& comme le peloton de leurs idées
confuiès & alernbiquées, faififient
par tout la nature, ou ïe v ra i, don­
nent des couleuts, & , pour ainfi di­
re, un corps à ce qu’il y a de plus
fin & de plusfubcil dans les teflbrts
du cœur & dans les mobiles des paf-
fions , & qui fçavent enfin remuer
fortement les autres par celles donc
ils font eux-mêmes pénétrés .» M ais
que ces écrivains font rares au fic­
elé où nous vivons ! la ,moçt d ’un
feul les mettroit tous au tombeau.
N a
(*9 &)
O n n’eft inondé que de R o m an i
frivoles , de critiques impolies q u i
défconcertent les talens & ne les va­
lent jamais ( 0 , de fatyres, de li­
belles , où les plus beaux talens fon t
déchirés par les dents de l’envie j de
brochures hebdomadaires ou éphé­
mères , donc le nom annonce la
courte d u tée, & qui font pourtant
les feuls ouvrages qui s’enlevent au­
jourd’hui , & qu’un habile Auteur
o le préfenter avec confiance au fça-
van/ Public ; on ne voit enfin que
des écrits pleins d’expreflions fin-
gulieres , de tours recherchés, en
un m o t, de ces jeux d’imagination
qui marquent l’enfance de l’efprit.
Voilà le goût dominant & la mode
(i) La critique eft aifée, & l’Art eft difficile.
Deftouch.fe glorieux.
, . *197*
d’aujourd’hui. La nature a tant de
défauts, qu’on ne fçauroit trop la
farder : les pompons, les mouches,
les rubans ne méffient point à la
trop iïmple vérité. La nature en
effet peut-elle fe comparer aux ch a r
mes fédu&eur de l’Art? Q u ’cft-ce
que le fentiment le mieux rendu ,
mis *en regard d’une heureufe te
brillante faillie ? Eh 1 bon Dieu j
comment peut-on être Sçavant ( i) î
Ainfi parlent te ont intérêt de
parler ceux qui n’aiment à lire que
ce qu’ils pourroient faire eux-mê­
m es, grâce à la vafte étendue de

(i) L’auteur des Lettr. Perf. parle de gens qui


ne comprenoient pas qu’on pût être Perfan. Ces
fots-là font-ils plus ridicules que Felpece de petits
maîtres beaux-elprits dont je veux parler, Paris
en eft rempli, & on les ÇQJUioît à la foule dédi­
cace de leurs livres.
‘ ' Nj
( 15 8 )
léur génie , & de leurs connoiffan-
ces i je veux dire des Rom ans, une
petite Comédie en un A 6tc & en
V e rs, icc.
L ’efprit n’eft pas feulement diftri-
bué avec peu d’économie fur no$
théâtres, & datts tous les ouvrages
d’agrém ent, ( titre qu’on léUr don^.
n e , & qu’oh ne croit jamais affez
rempli ) : il prehd la place du fèn-
timent mai exprimé, du fait Hifto*
rique noyé dans des réflexions dé­
placées ; il cft fémé par t o u t , il eft
prodigué jufque dans les ouvrages
férieux & Philbfophiques, comme
l’Antidote de la Science, & une
cfpéce d’exeufe au Leéleur, qu’on
aùroii: véritablement grand tort de
nepasamufer, fuivarit le précepte (i)
(i) Omnetulit pundum,qui mîfcuit utiiedulci.
( 1*9)
d’Horacé, en l’inftruifanr; mais fur-
tout dans les premiers chapitres d’un
ouvrage qui doivent toujours être ,
quelque abftrait que Toit le fujet
qu’on traite, je ne dis pas a U por­
tée.de tout le monde, mais fort agréa­
bles : de forte que pour éviter le re­
proche de pédanterie, il faut indif-
penfablement fe jetter dans un ex­
cès contraire ( i ) , & rendre la vérité
ridicule , pour vouloir l’embellir.
Pour prouver que l’ufage le veut
& nous en impofe la l o i , écoutons
encore un moment nos Néologues,
car ils parlent à-peu-près ainfi , ou
comme la Taupe de T an& a ï (zj ,
( animal ingénieux qui a furpaffé
tous nos £riftarques par fa maniéré

(i) In vitium ducit culpæ fuga.


(i) Tanzaï & Neadarné. Tom. i.
N 4
, ( *>OP )
de etitiquer, à laquelle je ne trouve
rien de comparable que les bonne*
plaifanteries de M . de Maupertui*
(I) fur le m êm efujet.)
Les fleurs & les agrémens fiéent
encore mieux aux plus hautes Scien­
ces , qu’aux beaux Arts, parce qu’é­
tant fort féches & dégoûtantes pac
elles-mêmes, elles en ont plus de
hefoin. La M édecine, la Métaphy-
fiq u e, la Géométrie , & c. ne de-
vroient jamais fe montrer dans leur
trifte déshabillé. On peut aifément
fans laifler tomber une fleur dépla­
cée , écarter les ronces & les épi­
nes, qui pourroient blefler des mains
délicates. Selon qu’un fujet eft ab£»
tra it, ou fenfible, il faut le. repré­
’ ’• ' *
(i) Lettre for la Cornet, a. Edit, Avertirent. A#
Libraire.
( *0 i )
fçnter fous des traies frappans, ou
déliés , corporifier l’u n , anatomifer,
diftiller l’autre,e’eft-à dire qu’on doit
parler de l’am e, comme fi c’étoit un
porps, & du corps comme fi c’étoit
une Ame. La vérité eft une chenille
qu ’on peut métamorphofer en pa­
pillon , lorfqu’on veut plaire 8t bien
fervir le goût & la délicatefle des
François. Il ne faut à l’une & a l’au­
tre qu’un heureux allortiment de
quelques couleurs vives : & ces cou­
leurs qui font fi aimables, le b le u ,
le blanc , le vermillon , & c. la vé­
rité les prend en partant par les
mains de l’im agnation, fon vérita­
ble interprête, comme la chenille
en changeant d’état. C ’cft ainfi que
l’ont véritablement penfé lesDefcar-
tes, les Mallebranches, les Leibnitz,
(

( îo î)
les W o lf , les Fontenefle , & c. (i).
Pourquoi en effet ne feroic - il pas
permis a refp rit, comme aux belles,
de faire valoir les reffources de (a
petite coquéterie ? N ’eft - ce pas à
force d'avoir am olli, égayé le fond
fée & rembruni de la Philofophie ,
qu'elle eft devenue, par la plus jolie
metamorphofe du monde, une reine
aufli enjouée, qu'elle étoît férieufe
autrefois, C ’eft une plaine aride
changée en parterres charmans, par
les fleurs qu’on y a femées, deforte
q u e , comme s’exprime l’Auteur du
plus joli ouvrage qui.foit forti des
mains des Philofophes , la Phifofb-
f hie n efi plus qu'un plaifir, qui ré-

(i) Je ne compare M. de F. à ces grands Philo*


fbphes,que parce qu’il a affe&é,& beaucoup plus
qu’eux *de mettre par tout de l'imagination.
(10$)
Jtde je ne /jais ou dans la raifan $
dr ne fa it rire que l ’efprit. Q uelle
gentillefle ! quelle imagination plus
digne de mettre en Oeuvre celle des
Tourbillons, plus sûr de l'embellif !
E t le moyen que la Marquife à qui
(on aimable Philofophe promet du
plailir , n’eût pas envie d’apprenr
- dre cette Philofophic-là 1
Il faut cohvenir que refp rit, le
langage, le ftyle , le g o û t, les opi­
nions , les mœurs, la religion mê­
me , tout eft caprice , tout eft mo­
de , jufqu’aux remèdes de la M éde­
cine. Mais pour m’étendre aux feu­
les opinions Philofôphiques, n’eft il
pas certain qu’il ft’y a qu’un Câr-
téfien qui puifle traiter aujourd’hui
Locxe de fcclerat, tous les enne­
mis des idées innées, comme les
(io4)
fiens propres ? N e parlons-nous pas
plus hardiment que du tems de D ef-
cartes & de L a m i, ce pauvre M é­
decin qui fut fi fort inquiété parce
qu’il avoit dit d’après Lucrèce que
nosyeux n’étoient pas faits pour voir?
Mais voyez l’illuftre Philosophe mo­
derne s’élever fur les débris de l’an­
tiquité , & tomber enfuite réduit en
poudre par Newton. Le vuide du
fyftême épicurien étoit profcrit pa*
l’und’autre l’a rappellé.Les opinionsi
des hommes reflemblent aux plan­
tes dont la nouveauté 8c la magni­
ficence attire les regards 8c l’admi­
ration des/ Botaniftes. Q uand le
Tournefol, par exem ple, 8c la Phi-
lofophie cartéfienne parurent pour
la première fois , c’étoit la plus
belle plante du monde, 8c la vraie
( lof)
iPhilofophie: tout 1’Univers fut Caf*
téfîen. Aujourd’hui le Tournefol
n’eft plus qu’une plante ordinaire
qui fe fane & fe féche très-vite * &
le fyftême Cartéfien n’eft plus qu’un
Roman Philofophique ; le monde
entier devient Newtonien. Lds
Philofophes fè fuccédent, comme
le mots ( i ) Sc les opinions. Il en
viendra peut-être un autre , ( s’il
n’éft déjà venu ), qui éclipfera New­
to n , comme Newton a éclipfé Des­
cartes. Celui-ci ne fera point Af-
tronomeprofond aux yeux des beaux
efprits | ni Roi des beaux efprits aux
yeux de l'Ajlronome ; les Sçavans ja­
loux de tant de réputation & de
g lo ire , admireront autant & la pro-
(i) Multa renafcentur quæ jam periêre,candentque
Qu* nunc funt in honore vocabula. Jtfunv,
( i° 6)
fondeur & la variété de Tes con-
noiffanccs , que les beaux efprits
feront enchantés des agrémens dé
fon imagination $ aufîi favori de
la Nature , que des Grands ô£
des « ois , il étendra les limites
des Sciences par fon génie, & fera
. tomber fur le mérite indigent les
faveurs mêmes qui lui feront accor­
dées. Am i des talens , il n’aura de
plaifir à voir croître fon nom & fa
fortune, que pour les protéger. En­
fin plus obligeant encore que célé­
bré , il ne fe glorifiera que d’un titre
trop rare , & autant au - dçflus de
tous les autres, que le coeur eft au-
deffus de l’efprit.
(10 7 )
$ IV .
Du Génie.

Je vais tâcher de fixer l’Idée du.


génie avec plus de précifion que je
n’ai fait jufqu a préfent. O n enrend
communément parce mot Génie,
le plus haut point de perfection ,o u
l ’efprit humain puifTe atteindre. Il
ne s’agit plus que de Ravoir ce
q u ’on entend par cette perfection.
O n la fait confiûer dans la faculté
de l’elprit la plus brillante, dans
celle qui frappe le plus &: meme é­
ton ne, pour ainfi dire , l’imagina*
tion : & on ce fens, dans lequel j’a1
employé moi-méme le terme de Gé­
nie , pour me conformer à l’ulâge
que j’avois deffein de corriger en*
don) ^
fu ite , nos Poëtes, nos Auteurs fyf-
témaciques, tout , jufqu’à l’Abbê
Cartaut de la Villate ( i) auroit droit
au Génie le Philofophe qui au­
roit le plus d’imaginarion,le P. M al-
lebranche, feroit le premier de tous.
Mais fi le génie eft un efprit aulli
jufteque pénétrant, aulfi vrai, qu’é­
tendu , qui non - feulement évite
conftamment l’erreur., comme uti
Pilote habile évite les écueils, mais
fè fervant de la raifon, comme il
fe fért de la Bouflble , rie s’écarte
jamais de fon b u t , manie la vérité
avec autant de précifion , que dé
clarté , & enfin embrafle aifément
&: comme d’un coup d’œil une mul­
titude d’idées, dont l’enchaînement
forme un fyftême expérimental ,
(0 Eflai Hiftorique & Philofophique du goût;
aufli
( 109 )
àufli lumineux dans Tes principes,
q u e jufte dans Tes conféquences,
adieu les prétentions de nos beaux
efp rits, & de nos plus célébrés cons­
tructeurs d’hypothèfes ; Adieu cette
m ultitude de génies ! qu’ils feront
rares déformais i PafTons en revue
les principaux Philofophes moder­
nes , aufquels le nom de génie a été
prodigué, & commençons par Def-
cartes.
L e chef-d’œuvre de Defcartes eft
fa (a) M éthode, & il a pouffé fore

M DçiÊartes a purge la Philolophie de toutes


ces expreflions ontologiques, par lesquelles on s’i­
magine pouvoir rendre intelligibles Jes idées abfi
traites de 1 être. lia diflîpéce cahos, & adonné
le modèle de 1 art de railônner avec plus de juf-
? clarté, & de méthode. Quoiqu'il n’ait
pas luivi lui-même la propre Méthode , nous lui
devons 1 elprit Philolôphique qui va dans un mo­
ment remarquer toutes lés erreurs , & celui qu’on
tau aujourd hui régner dans tous les livres. Que
(zio)
loin la, Géométrie , du point où il
f a trouvée, peut-être autant que

d'ouvrages bien faits depuis DefcarteslQue d’heu­


reux efforts depuis les liens! Ses plus frivoles con­
tâm es Ont fait naître l’idee dp faire mille expé­
riences , aufquel'.es on n’auroit peuretre jamais
fotigë. ïi eft donc permis aux eipnts vifs , ardens
à inventer, de devancer par leurs fpeculations ,
quelque inutiles qu’elles foient en eües-memes,
l’expérience même qui lefe détruit* C elt niquer
d’être utile , du moins indîreétement.
t. Ceux qui difentque Défcartès ne fait pas tm
«and Géomètre, peuvent, comme dit M. de
Voltaire, ( Lettre fttr l'Ame 7 3 -_74 - fe repro­
cher de battre leur nourrice. Mais on voit par
ce -que je dis dans le texte au fujet de la Géo­
métrie, qu’il ne fuffît pas^d’êtrfe un «and Géo­
mètre , pour être à jufte utre qualifie de geme,
«. Après la méthode & les ouvrages Géomé­
triques de ce Philofophe, on ne trouve plus que
des fyftêmes, c’eft-à-dire, des imaginations,
des erreurs. Elles font fi connues , qu’il fuftua, ce
me femble, de les expofer. Defcartes avovecom­
me Locke, qu’il n’a aucune idee de 1 etre & de là
fubftance, & cependant il la définit ( ut}. 6. «e
fes Médit. Rép. aux i es. ObjeÛ.a la i ‘ . des J".'
fr aux 4e-. Il fait confifter l’eflènce de la ma­
dère,qu’il ne conneît pas, dans l’étendue folvde ;
& lorfqu’on lui demande ce que c’eft que le corps,
ou la fubftance étendue, il répond que c eft une
(iiî)
N ôvtôn l’a pouflee lui-même , <Îü
point où l’avoic laiflee Dcfcartes*

fiibftance compofee deplufieurs autres fubftan-


ces erendues, qui le lbnt encore elles-memes de
ptaneurs autres femblabies. Voilà une définition
taen claire & bien expliquée. Avec cette étendue*
Lfelcartes n admet que du mouvement dan»
les corps. Dieu eft la caufe première de ce mou­
vement,comme Defcarres eft l’auteur de ces loix
reconnues pour faufles, & que les Cartéfiens me­
mes corrigent tous les jours dans leurs ouvrages*
On explique tous les phenomenes par ces deux
feules propriétés , l'etendue materielle, & 1«
mouvement communiqué fans cefle immédiate­
ment par la force divine. On imagine non-feule­
ment qu li n y a que trois fortes de i articules, ou
de matière dans le monde, Jubtiltt, globulofa ,
ftrtata, mais on décide de quelle manière Dieu
a mis chacune d'elles en mouvement. Ces Parti­
cules remplirent tellement le monde,qu’ilêft ab­
solument plein. Sans Newton, ou piutôt ians la
Irhylique, la Mécanique, & l’Aftronomie, adieu
le vuide des Anciens. On fabrique des tourbil-
Ions, & des cubes qui expliquent tout julqu’àc*
qui eft mexplicabie, la création. Voilà le poifon,
vorci 1 Antidote. L’auteur avoue dans Jon L. de»
Prtnctp. art. ÿ. que Ion lÿfteme pourroît bien n é-
*** P3* v*3* »& qu’il ne mi paroit pas tel à lui-
menre. Que pouvoit-il dose penlèr de fou xiüble
traite dt/orm.fxt^

Oz
U 1* ) ,
Enfin perfonne ne lui refufe lin es­
prit naturellement Philofophique.

- a Defcartes eft le premier qui ait admis un


principe moteur, différent de celui oui eft dans
k matière , connu, comme on 1 a dit au com­
mencement de l’Ouvrage, fous le nom de force
motrice, ou de forme aéfive. Mallebranche con­
fient lui-même de ce que j’avance, pour en faire
honneur à Defcartes. Ariftote & tous les Anciens
i excepté les Epicuriens qui par un interet hypo­
thétique n’avoient garde d’admettre aucun prin­
cipe moteur, ni matériel, tu immatériel ; ) recon­
nurent la force motrice de la matière, ^ns la­
quelle on ne peut compléter 1 idee des corps.
Mallebranche (L. vi. P. 387. m-40. '.<*78. ) con­
vient du fait, & à plus forte raifon Leibnitz, dont
on parlera à fon Article. Enfin fi vous lifez Gou-
din , p. i l . \6j-\6y. 164,81c. Tom. II. a. Edtt.
Barbay Comment, in Anft. Phyf. p. izi-i» 3 . &
autres Scholaftiques, vous verrez <jue la force
motrice de la matière a été enfeignee dans tous
les tems dans nos écoles chrétiennes. Ratio prtnct-
f ü aClivi , dit Goudin, convertit fubjtanttu cor-
poreit, & inde pendent affieftionet corporum
cernuntur in modo. . ~ n ,
<. Defcartes écrit a la fàmeufe Pnncefle Pala­
tine Elifabeth, qu’on n’a aucune aflurance du def-
tin de l’Ame après la mort : il définit la penfee ,
Art. 13. toute connoijfance, tant fenfitive , ?«/»-
telleduelle. Ainfi penfèr, félon- Defcartes , c eft
(113)
Jufques - là Defcartes n’cft pas un
homme ordinaire -, ce feroic même

ffcntir, imaginer, vouloir, comprendre ; & lorf-


qii’il fait conlîfler l’effence de l’Ame dans la pen-
féè , lorfqu’il dit que c’eft une fiibflance qui pet)?
f e ,i l ne donne aucune idée de la Nature de l’A~
me; il ne fait que le dénombrement de Tes proprié­
té , qui n’a rien de fî révoltant. Chez ce Philo)?
phe, l’ Ame fpirituelle, inétendue , immortelle,
Ibnt de vains Ions pour endormir les Argus de
Sorbonne. Tel a été encore fon but, lprlqu’il a
iàit venir l’origine de nos idées de Dieu même
immédiatement. Quâ quœfo ratione, dit le Pro-
feiTeur en Théologie, que je viens de citer, Car-
tejius demonftravit ideas rerum effe immédiate à
T>eo nobis inditas & non à fenjibus acceptas , jicuti
docent Arifloteies, Divus Thomas^ac primatesTheo-
logi ac Philofophi ? ........ . cur anima non effet
corporea, licet fupràfuam cogitationem refle£lendoy
ineâ corporeitatem non adverteret. Et qutd nonpo-
teft i qui omnia potuit ? M. Goudin ne fe feroit
point fi fort emporté contre Defcartes, s’il l’eût
auffi bien entendu, que le Médecin Lamy qui le
foupçonne avec raifon d’être un adroit matéria­
lise : & fi M. Deslandes, ( Hifloire Critique de la
Philofophie, T. II. à l’article de Vimmortalité de
l*Ame ) eût auffi lolidement réfléchi, qu’il a cou­
tume de faire , il n’eût pas avancé témérairement
que Defcartes eft le premier qui ait bien éclairci les
preuves de ce dogme, qui ait bien fait difiinguer
o 3
(**4 )
un génie, fi pour mériter ce ritre ,
il ne falloit qu‘éclipler& laifler fore

ÏAm e, dmcorps , les fubflances fpirituellesr de cçU


Ses qui ne lefont pas; il ne s'en feroit pas fié aux
quatre propofîtions qu’il rapporte, & qui loin
Je rien éclaircir, font aufli obfçures que la quef-
lion même. Un être inétendu ne peut occuper
aucun efface ; fit Defcartes qui convient de cette
vérité , recherche férieufèmem le fïége de l’Ame,
& l’établit dans la glande pinéale. Si un être fans
aucunes parties pouvoit être conçu exifter réelle­
ment quelque part, ce fèroit dans le vuide, & il
aft banni de l’hypothèfe Cartéfïenne. Enfin ce qui
eft fans extenfion ne peut agir fur ce qui en a une,
A quoi fervent donc les caules occasionnelles par
lefquelles on explique l’union de l’ Ame fie du
<corr>s?ll eft évident par-là que Defcartes n'a parlé
de l’Ame, que parce qu'il étoit forcé d'en parler,
fit de la manière qu'il en a parlé, dans un tems oâ
tout fbn mérite même étoit plus capable de nuire
â fa fortune, que de l’avancer. Defcartes n’avok
qu’à ne pas rejetter es prof riétés fra- pantes dans
la matière, & transporter à l’Ame la défini­
tion qu’il a donnée de la matière , il eût évité
mille erreurs , ôc nous n’euflions point été pri­
vés des grands progrès que cet excellent efprit
eût pu faire, fi au lieu de fè livrer à de vains
fyftémes , il eut tou ours tenu le fil de fa Géomé­
trie , fit ne fe fut point écarté de fa propre Mé-»
thod&
i
loin derrière foi tous les autres M a­
thématiciens. Mais les idées des
grandeurs font fimples , faciles à
faifir & à déterminer. Le cercle en
eft p etit, & des fignes toujours pré-
fens à la v u e , les rendent toujours
fcnfibles ; dé forte que la Géométrie
<8£ l’Algèbre font les Sciences où il
y a moins de combinaifons à faire,
fur-tout de combinaifons difficilesi
on n’y voit partout que problèmes >
& jamais il n’y en eut moins à ré­
foudre. D e là vient que les jeunes
gens qui s’appliquent aux Mathé­
matiques pendant trois ou quatre
ans avec autant de courage , que
d ’efp rit, vont bientôt de pair avec
ceux qui ne font pas faits pour fran­
ch ir les limites de l’A rt: & com­
munément les Géomètres, loin d ’c-
O 4
( il« )
cce des génies, ne font pas même
des gens defprit j ce que j'attribue
à ce petit nombre d’idées qui les
abforbent, & bornent l’e fp rit, au
lieu de l’étendre , comme on fe l’i ­
magine. Quand je vois un G éo­
mètre qui a de l’efp rit, je conclu?
qu’il en a plus qu’un autre i Tes cal­
culs n’emportent que le fuperflu, &Ç
Je néceffaire lui refte toujours. E ft-iî
étonnant que le cercle de nos idées
fe reflerre proportionnellement à c e’
lu i des objecs qui nous occupent
fans ce (Te î Les Géomètres, j’en con­
viens* manient facilement la vérité i
& ce feroit doublement leur faute
s’ils ne fçavoient pas la vraie mé­
thode de l’expofer * depuis que le
célébré M . Clairaut a donné fes Elé­
ment de Géométrie \ ( car, bpn D ieu î
(**7 )
avant cet excellent ouvrage,en quel
defbrdre , & quel cahos étoit cette
fcience ) • Mais faites-les fortir de
leur petite fphére ; qu’ils ne parlent
ni de Phyfique, ( i ) ni d’Aftrono-
niie $ qu’ils palïent à de plus grands
objets,qui n’aientaucun rapportavec
ceux qui dépendent des Mathéma­
tiques , par exem ple, à la Métaphy-
Cque , à la Morale, à la Phyfiologie,
à la Littérature : femblabes à ces
enfans qui croyoient toucher le ciel
au bout de la plaine, ils trouveront
le monde des idées bien grand. Q ue
de problèmes, & de problèmes très-
çompofes & très-difficiles J Q uelle

(i) Encore faut-il beaucoup plus de talens pour


la Phyfique, que pour la Géométrie. De-là vient
que les Géomètres font encore communément
4 ’aflez mauvais Phyfiçiens,
(*isy
foule d’idées, fans compter ta peine
que les Géomètres rffe fe donnent
pas ordinairement d’être lettrés &
érudits ) & de eonneîflfances diver-
fes à embrafler d’une vue générale ,
à ralïembler, à comparer » Ceux qui
faute de lumières veulent des auto­
rités pour juger , n’ont qu’à lire le
Difcours queM. de Maupertuis pro­
nonça le jour qu’il fut reçu à l’A ca­
démie Françoife, & l’on verra fi j’é-
xagere le peu de mérite des Géomè­
tres & les talens nêceifaires pour
réulfir dans des Sciences d ‘une fphére
plus étendue. Je n’en appelle, com­
me on v o it, qu’au fuAirage d’un pro­
fond Géomètre , & pourtant hom­
me de beaucoup d’efprit, orné de
diverfes connoUTançes , & qui plus
e ft, vrai génie, fi on l’eft par les qua-
flï$(
lires tes plus rares qui ïe cara&éri-
fenc , la vérité , la jufteffe , la préciT
fion & la clarté, même en des ma­
tières qui lui font tout-à fait étran-
* W gères. Q u ’on me montre en DeC-
cartes des qualités aufii eflentielles
au génie , & fur tout qu’on me les
fafle voir ailleurs qu’en G éom étrie,
puifqù’encore une fois le premier
-des Géomètres feroic peut - être le
dernier des Métaphyficiens ; & l’il-
luftre Philofophe dont je parle, en
eft lui-même une preuve trop fen*.
fible. Il parle des idées , fans fçavoit
d’où , ni comment elles lui vien­
nent; fes deux premières définitions
fur l’eflence de l’Ame & de ta ma­
tière font deux erreurs , d'ou dé­
coulent toutes les ancres. Afluré-
m ent dans ces Médiatùrm Meta*
(no)
fhyjtcjues donc M . Deslandes admire
la profondeur, ou plutôt l’obfcurité,
Defcartes ne fçait ce qu’il cherche ,
ni où il veut aller j il ne s’entend pas
lui-m êm e.ll admet des idées innées; I I »
il ne voit dans les corps qu’une force
divine. Il montre fon peu de juge­
ment , foit en refufant le fentiment
aux bêtes, foit en formant urf doute
impraticable, in u tile, dangereux,
foit en adoptant le faux , comme le
v r a i, en ne s’accordant pas fouvent
avec lui-m êm e, en s’écartant de fa
propre Méthode , en s’élevant par
la vigueur déréglée de fes efprits ,
pour tomber d’autant plus ,*& n’en
retirer que l’honneur de donner >
comme le téméraire Icare, un nom
immortel aux Mers dans lefquelles
il s’eft noyé.

i
(lit )
Je veux , & je l’ai infinué moi-
même , que les égaremens mêmes
de Defcartes (oient ceux d’un grand
homme $je veux que fans lui nous
n ’euflions point eu les Huygens , lcs
B o y le , les Mariotte , les Newton ,
les MuflchenbroecK, les Gravefan-
d e , les Boerhaave , & c. qui ont en­
rich ira Phyfique d’une prodigieufe
multitude d’expcriencesjôf qu*en ce
fens il Toit fort permis aux imagi­
nations vives de fe donner carrière.
M a is , n’en déplaife à M . Privât de
M o liere, grand partifan des fyftê-
m es, & en particulier de l’hypo-
thèfe CartéCenne ( i ) , qu’eft-ce que
cela prouve en faveur des conje&u»
res frivoles de Defcartes ? Il a beau
d ir e , des fyftêmes gratuits ne feront
(i) Leçons de Phyfique. T. III. Lee. II,
(iii) .
Jamais que des châteaux en l‘air 4
(ans utilitéjComme fans fondem ent.
Et vous, enfant de l’imagination,
Oratorien (4) célébré, ingrat , q u i

(a ) t. Nfaîlebranche après avoir diftîngué la


fubftance de Tes modifications, & défini ce dont
il n’a point didée, i’eflènce d’une chef ( V. ttech.
de la vérit. L. $.c.i. z. Part. c. 7. 8.), fait confiftef
Teffcnce de la matière dans l’étendue, comme à
fait Delcartes.En habile Cartéfien il déploie toute
fa force & fon éloquence contre les lens , gu il
imagine toujours trompeurs ; il nie auffi .e vuide *
met feffence de l’Ame dans la penfée, L. 3. P. 1.
C. T, &G.
2. Quoiqu’il admette dans l’homme deux fubf*
tances diftin&es, il explique les facultés de I*Ame
par celles de la maniéré ( L. 1. c. 1. L. m . c. vm ).
Sur une idéedaufie du motpenfce, dont il fait une
fuLftance , il croit qu’on peme toujours , & quô
Iorfque l’Ame n’a pas confcience de les penfées »
c’eft alors qu elle f enCe le f ius, parce quon a tou­
jours l’idée de l’être en général. ( L. 3* c. 2. p. 1.
C. 8.). Il définit l’entendement, la faculté de
3, recevoir differentes idées, & la volonté celle de
recevoir différentes inclin irions,( L. 1. c. 1.) ou,
*,fî l’on veut,une impreffion naturelle qui nous
„ porte vers le bien en général, i’unique amour
„ ( L. 4.0.1. que Dieu nous imprime. Et ia liT
3) berté 3 eft la force qu a l’efprit de déterminer
fli})
déclamant contr’e lle , pouvet bien
palier pour battre votre propre nour-

9» cette impreflîon Divine,vers les objets qui nous


ï »plaifom. Nous n’avons cependant, ajoute-t-il ,
ni idée claire , ni même fonâment intérieur de
» cette égalité de mouvement vers le bien : „ &
c’eft de ce défautdïdées qu’il part pour donneriez
définitions que Je viens de rapporter , auxquelles
on s’apperçoit effe&ivemeftt que l'Auteur man­
que d’idées
3. Mallebranthe efi le premier des Phiîofophes
qui ait mis fort en vogue les elprits animaux *
mais comme une hypothèlè , car il n’en prouve
nulle part fexiftence d’une maniéré invincible.
4. je viens au fonds du iÿftétne principal du P.
Mallebranthe. Le voici. ^
„ Les objets que f Ame apperçoit, font dans
’Ame, ou hors de l'Ame; les premiers (è voient
,,dan* le miroir de nos fontimens, & les autres
,, dans leurs idées , ( L* 3. c. t . p. 2. ) c'eft à-dire y
,, non eux-mêmes , ni dans lés idées , -ou images
qui nous en viennent par les fens { L. 3. c. î -4.
p* 2. c* ix.), mais dans quelque chofo qui étant
,, éutintémem uni à notre A m e, nous repréfente
,, les corps externes. Cétte chofe eft Dieu. Il eft
& très-étroitement uni â nos Ames parla préfor»
,, ce... cette préfonce claire , intime, nécefTaire
,, de Dieu agit fortement fur l’efprit. On ne peut
„ fo défaire de l'idée de Dieu.Si l’Ame confîdére
„ un être en particulier, alors d ie s'approche de
(ii4)
lice jvous êtes plus habile à édifie?
que Bayle ne l’écoit à détruire ; mais

„ quelques-unes des perfections divines, en s’é -


,» Joignant des autres»qu’elle peut aller chercher
,, le moment fuivant (L. IIL p. 2. c. v. vi. ).
, r Les corps ne font vifibles que par le moyen de
,» l’étendue. Cette étendue eft infinie, fpirituelle,
„ nécelTaire , immuable »( fouvent M. en parle
comme d’une étendue compofée ); c’eft un des at-
„ tributs de Dieu. Or tout ce qui eft en Dieu» eft
„ Dieu; c’eft donc en Dieu que je vois les corps.
,, Je vois clairement l’infini en ce lèns que je vois
,, clairement qu’il n’a point de bout. Je ne puis
„ v o ir l’infini dans des êtres finis ; donc» &c*
,, donc l’idée de Dieu nelè prélènte à mon Ame,
„ que par fon union intime avec elle. Donc il
,, n’y a que Dieu qu’on connoifle par lui-même ,
,, comme on ne connoît tout que par lui. ■
,, Comme tout ce qui eft en Dieu» eft très-lpi-
„ rituel » & très-intelligible, & très-prélënt à l’ef-
„ prit, de-là vient que nous voyons les corps fans
„ peine dans cette idée que Dieu renferme en foi,
„ & que j’appelle Vétendue ou le monde intelligible.
„ Ce monde ne reprélente en foi les corps que
,, comme polfibles, avec toutes les idées des veri-
„ tés , & non les vérités mêmes qui ne font rien
,, de réel ( L. 3. c. 6 . p. 2.). Mais les fèntimens
„ de lumière & de couleurs dont nous lommes af-
,,fettés par i’étendue nous font voir les corps éxi£-
„ tans. Anfi Dieu, les corps polfibles, les corps
ce
V

fivy)
t e fçavant homme avoit Pefprit juf-
te ,& promt à éviter l’erreur, 6c voua

y, éxiftans fe voient dàhs le monde intelligible ;


99 qui eft Dieu , comme nous nous voyons dans
9> nous-mêmes. Les Ames des autres hommes ne
9>fe connoiflent que par conje&ures : eniin il fuie
99que notre entendement reçoit toutes fes idées 9
99 non par l’union des deux fubftances ( qui eft
99 inutile dans cefyftême), mais par l’union fèule
9* du verbe, ou de la lageife de Dieu , par ce
99 monde immatériel, qui renferme l’idée 9 lare-
99 préfentation , & comme l'image du monde ma*
,9 tériel ; pat l’étendue intelligible 9 qui eft les
99 corps poftibles , ou la fubftance divine même 9
99 en tant qu’elle peut être participée par les corps
99 dont elle eft reprélèntative. ^
C ’eft jufqu’ici Mallebranche qui parle 9ou qua
je fais parler 9conformément à les principes, del-
quels il s’enfuit, comme on l’a. remarqué il y a
long-tems , que les corps (ont des modifications
de Dieu, que notre célébré Métaphyficien appelle
tant de fois l’être en général 9 qu’il lèmbleroit
n’en faire qu’un être idéal. Ainfi voilà notre dé­
vot Oratonen, Spinofifte làns le fçavoir, quoi-,
qu’il fût déjà Cartéfien, car Spinola l’étoit. Mais
comme dit làgement M. de S. Yacinthe dans Tes
recherches Philofophiques, c’eft une choie qu’il nef
faut pas chercher à approfondir.
D e telles vifions ne méritent pas làns doute d’ê­
tre lerieufemcnt refutées. Qui pourroit feulement
P
(tî.6) «
. un efptic faux , incapable dé
^ S i Ariré • l’imagination qui
faifir la vCtltc ’ &

îmaginerce <1*’™ ^ ™ % ? ?

Si des èfpria ; » « ‘t S S i S e à Dieu.


^om c o c w n a e n t % e qn’on ne pe» 1 c°?*
^Pafcal a bi« w £ " Ceft-là en efet
ceroirun êtte penfent i ^ font que de*
S o n t nos £ fi je a ’eu « « • P «
e^°_n.S
i t ^ S a i o « P « ^ * î l ‘!Setsfont
U *7)
Vous domine ne vous permet pas
d e parler des partions, fans en mon*
trer vous-même , ni d’expofer les
erreurs des fen s, fans les exagérer»
J’admire la magnificence de votre
ouvrage, il forme une chaîne nulle
p art interrompue $ mais l’erreur
l’iliufion , les rêves, les vertiges, le
d éliré, en font les matériaux ,
comme les guides qui vous mènent
à l’immortalité. Votre palais ref-
femble à celui des F ées, leurs mains
ont apprête les mets que vous nous
préfentez .Q u’on a bien raifon de dire
que vous n’avez recherché la vérité
que dans le titre de votre livre i car

que les idées étoient des êtres r é e ls , diftinfts des


« “ « g ? .* ? l?s apperçoirem hors d’elles. Ce
lubtil Lhilolophe n*a donc pas même ici le mérite


( * i8)
vous ne montrez pas plus de fagacité
à la découvrir, que d’adrefle à la
faire connoître aux autres. Efclavc
des préjugés,vous adoptez toutjdupe
d’un phantôme ou d’une apparition,
vous réalifez les chimères qui vous
paflent par la tête. Les préjugés ont
juftement été comparés à ces faux
amis qu’il faut abandonner, dès.
qu’on en a reconnu la perfidie. Eh î
qui la doit reconnoître , qui doit
s’en garantir , fi ce n’eft un Philo-
fophe ?
C e n’eft pas tout: non-feulement
vous voyez tout en D ie u , excepté
vos extravagances & vos folies ,
mais on a remarqué que vous en
faites un machinifte fi mal habile,
que fon ouvrage ne peut aller, fi
l’ouvrier ne le fait mouvoir fans cef-
(i*s>)
Te , comme fi vous aviez prétendu
par cette idée Cartéfienne, faire
trouver peu furprenant que Dieu fe
fu t repenti d’avoir fait l’homme.
Après cela , Malfebranche, au­
riez-vous donc prétendu au rang
des Génies , c’eft-à-dire de ces e£-
prits hèureufement faits pour con-
noître & expofer clairement la vé­
rité ? Q ue vous en êtes différent i
M ais fans doute on vous prendra
pour un efprit célefte, étheré ,
dont les fpçculatiôns s’étendent au-
delà du doüziéme ciel de; Ptolo-
mée ; car des idées àcquifes par les
fens , que dis-je? les idées innées de
. Defcartes ne vous fuffifent pas ; il
vous en faut de divines , puifées
dans le fein de l’immenfité, dans
l ’infini ; il vous faut un monde fp i-
P3
( l} 0 ) '
,
rit Htl intelligible ( ou plutôt inin*
telligible ), où fe trouvent les idées ,
c’eft-à-dire , les im ages, les reprc-
fentations de tous les corps, au ha-
zard d’en conclure que D ieu eft
tout ce qu'on voit, & qu’on ne peut
faire un pas, fans le trouver dans
çe vafte Univers, félon l’idée que
Lucain exprime ainfi dans le neur
viérne livre de fa Pharfale ,
Jupiter eft quodeumque ride?, quàcumque mon
veris.

Célébré L eib n itz, ( 4 ) vous rai.

(a) Leibnitz ftrit confîfter Peffence, Vétre , ou


la (ubftance ( car tous ces mots fontfynonimes )
dans des M onades , c*eft-à-dire , dans des corps
firaples , immuables , indiffolubles , fblides , in-»
dividuels, ayant toujours la même figure & la
même mafle. Tout le monde connoît ces mona-s-
des depuis la brillante acquifition que les Leib-
nitiens ont faite de M. la M. du Chattelet. Il n'y
a pas , félon Leibnitz, deux particules homogfe
net dans la matière, elles font toutes différentes
U jO
formez à perce de vue fur l’ccre, &
la fubftance, vous croyez connoître

les unes des autres. C ’eft cette confiante hétéro­


généité de chaque élément qui forme & explique
la diverfité de tous les corps. Nul être penlant»
& à plus forte raifon Die u ne fait rien fans choix,
fans motifs qui le déterminent. Or fi les atomes
de la matière étorent tous égaux, on ne pour*
fort concevoir pourquoi Dieu eut préféré de créer
& de placertel atome ic i, plutôt que là , ni com­
ment une matière homogène eût pu former tant
de diffêrens corps. Dieu n’ayant aucuns motifs
de préférence, ne pourroit créer deux êtres fem-
blables poffibles. Il eft donc néceffaire qu’ils
foienttous hétérogènes. Voilà comme on combat
l ’homogénéïte des élémens par le fameux prhuû
pe de la raifon foffifame. J’avoue qu'il n’efl pas
prouvé qu'un élément doive être fimiiaire, com­
me le penfbit M. Boerhaave * mais réciproque*
ment parce qu'on me dît qfueDieu ne fait rien fans
une raifon qui le détermine, dois-je croire que
rien n’efl égal, que rien ne fe reffemble dans la
nature, & que toutes les monades, ou eflences
font differentes ? Il eft évident que ce fyftéme ne
roule que for la foppolîtion de ce qui fe pafle dans
un être qui ne nous a donné aucune notion de fe9
attributs, M, Clarke & plufieurs autres Philofb-
phes admettent des cas de parfaite égalité , qui
excluent toute raifon Leibnitienne, elle feroit
alors non foffifânte >mais inutile, comme on le
dit dans le texte.
l’cflence de tous les corps. Sans vous,
il eft vrai, nous n’euflions jamais dé-

Comme on dit l'homme, & le monde de D e f


cartes , on dit les monades de Leibnitz , c'eft*à-di-
re , des imaginations. Il eft poflible , je le veux »
qu'elles le trouvent conformes aux réalités. Mais
nous n'avons aucun moyen de nous aÜurer de
cette conformité. Il faudroit pour cela connoitre
la première détermination de l'être »comme on
connoit celle de toute figure , ou effence géomé­
trique , par exemple, diin cercle, d'un triangle,
&c. mais de pareilles connoiffances ne pourroient
s'acquérir qu’au premier inftant de la création des
êtres , à laquelle perfonne n’a aflifté : & cette
création meme eft encore une hypothèfè qui
fouffre des difficultés insurmontables, lefquelles
ont fait tant d'athées, & la moitié de la baze fon->
damentale du fl inofîfme.
Puifque nous ne connoiffons pas la,fubftance ,
nous ne pouvons donc fçavoir li les élémens de
la matière font fimilaires, ou non, & fi vérita­
blement le principe de la raifon fuffifante en eft
un. A dire vrai, ce n'eft qu’un principe de fyf*
terne , & fort inutile dans la recherche de la vé->
rité. Ceux qui n'en ont jamais entendu parler ,
Içavent par les idées qu’ils ont acquifès , que le
tout, par exemple, eft plus grand que fa partie ;
& quand ils connoîtroient ce principe, auroient-
ils fait un : as de plus , pour dire que cela eft vrai
parce qu’i/jy a dans te tout quelque chofe fut fan
(*33)
viné qu’il y eût des monades au
inonde, & que l’Am e en fût une j

comprendre pourquoi il efiplus grand quefa partie ?


La Philosophie de M. Leibnitz porte encore fur
un autre principe, mais moins célébré, & en­
core plus inutile , c’eft#celui de contradiction•
Tous ces prétendus premiers principes n’abrégent
&n’éclairciflent rien ; ils ne font eftimables &
commodes, qu’autant cju'ils font le réfultat de
mille connoiflances particulières , qu’un Général
d’ Armée, un Miniftre , un Négociateur, &c.peu­
vent rédiger en axiomes utiles & importans.
Ces êtres qui féparés, font des monades, ou la
fùbftance, forment par leur aflemblage les corps ,
ou l'étendue , étendue métaphyfique, comme je
l'ai dit chap. iv. puifqu’elle eft formée par des
êtres fimples, parmi lefquels on compte l'Ame
fenfitiye & raisonnable. Leibnitz a reconnu dans
la matière iQ. non-feulement une force d'inertie,
mais uneforce motrice , un principe d'aCtion, ou
autrement une nature. 20. Des perceptions, & des
iènfations , fèmblables en petit à celles des corps
animés. On ne peut en effet les refufer, du moins
à tout ce qui n'eft pas inanimé.
Leibnitz remarque 30. que dans tous les tems
on a reconnu la force motnce de la matière ; 4°.
que la do&rine des Philofophes fur cette propriété
eflentielle n'a commencé à être interrompue qu’au
tems de Defcartes. 50. 11 attribue la même opi«*'
flion aux Philofophes de fon tems» 6*. Il coiv*
(M4>
, nous n’euffions point connu ces f i-
meux principes qui excluent toute

clôt que chaaue être indépendamment de tout


outre, & par la force qui lui eft propre, produit
tous fes enangemens. yQ. Il vondrott cependant
partager cet ouvrage entre la caufe première , 8c
la came fécondé , Dieu & la nature ; mais il n’en
vient à bout que par des diitinéUons inutiles , ou
par de frivoles abftraâions. # ^
Venons au fyftême de l’harmonie préétablie ;
cVftime fuite des principes établis ci-devant. Il
confîfte en ce que tous les changement du corps
correfpondent fi parfaitement aux changemens
de la Monade appellée efprity ou Ame^ qu’il n’ar­
rive point de mouvemens dans l’une , auxquels
fie coéxifte quelque idée dans l'autre, & vice ver*
sa. Dieu a préétabli cette harmonie en faifant
choix des fubftances , qui par leur propre force
produiroiem de concert la fuite de leurs muta­
tions ydeforte que tout fê fak dans l’Ame, comme
s’il n'y avoit point de corps ; & tout fè paffe dans
le corps, comme s'il n’y avoir point d’Ame. Leib*
nitz convient que cette dépendance n’eftpas réel­
le , mais métaphyfique, ou idéale. Or eft-ce pas
une fîélion qu'on peut déepuvrir 8c expliquer les
perceptions ! Les modifications de nos organes
femblent en être la vraie caufe;mais comment cet­
te caufe produit-elle des idées î réciproquement
comment le corps obéit-il à la volonté? comment
une monade fpirituelle, ou inétcudue, peot-eUo
égalité dans la nature, 6c expliquent
tous les phénomènes par une raifon
plus inutile que fuffifante : 8c v o u s,
{a) W o l f , fan illuftredifciple, com -

faire marcher à fon gré toutes celles qui compoê­


lent le corps , 8c en gouverner tous les organes î
L’ame ordonne des mouvemens dont les moyens
lui font inconnus ; 8c dès qu’elle veut qu’ils
fbient, ils font, auffi vite que la lumière fut.
Quel plus bel appanage , quel tableau de la di­
vinité ! qu’on me difo ce que c’eft que la matière,
& quel eit le mécanilme de Porgamfatîon de mon
corps, 8c je répondrai à ces queftions. En atten­
dant on me permettra de croire que nos idées ou
perceptions ne font autre chofo que des modifi­
cations corporelles, quoique je ne conçoive pas
comment des modifications penfent, apperçoi-
vent, &c.
(a) J’ai donné une idée très-fkccinfte des fyftê-
mes de trois grands Philofophes. Voici l’abrégé
de celui de Wolf,fameux commentateur de Leib­
nitz 8c oui ne cede en rien à tous les autres. It
définit l’etre, tout ce qui eft poflible , 8c la fiibf-
tance un fiijet durable 8c modifiable. Ce qu’on
entend par lujet, oufubfiramnij comme parle
Locke,en une chofe qui etKou éxiôe en elle-mê-^
me & par elle-même : ainn elle peut être ronde *
quarree, &c. au contraire les accidens font des
ctre$ qui ne fubfiftem point par eux-mêmes, mais
. [x*6)
mentateur o rig in a l, ju fqu a donner
votre nom à la fe&e de votre mai*

font dans d’autres êtres , auxquels ils font inhé-


rens, comme les trois côtés font dans un trian­
gle. Ce font donc des maniérés d’être, & par
çonféquent ils ne (ont point modifiables , quoi
qu’en difent les Scholafliques, dont la fubtilité a
été de faire du cercle & de fa rondeur deux êtres
réellement diftin&s ; ce qui me furprend d’au­
tant plus , qu’ils ont eux-mcmes le plus fouvent
confondu la penfée avec le corps.
L’efibnce, ou l’être, félon Wolf, efi formé
par des déterminations eflentielles,qu’aucune au­
tre ne détermine,ou qui ne préfuppofènt rien par
où on puilfe concevoir leur éxiftence. Elles font
la fiibftance, comme les trois côtés font le trian­
gle. Toutes les propriétés v ou tous les attributs
3e cette figure découlent de ces déterminations
eflentielles, & par <confequent quoique les attri­
buts foient des déterminations confiantes, ils
fuppofentunfujet qui les détermine, quelque
chofequi foit premier , avant tout, qui foit le
liijet, & n’en ait pasbefoin. C’eft ainfi que Wolf
croit marquer ce en quoi confifte la fubftance,
contre Locke,Philofophe beaucoup plus fage,qui
avoue qu’on n’en a point d’idée. Je pafle fous fi-
lence fes déterminations variables; ce ne font que
des modifications. Tout celâ ne nous donne pas la
moindre notion de l’être, du foutien, on fupport
4e? attributs, de ce fujet dont le? modes voient
(*i7)
t t e » qui s’accroît tous les jours (ous
vo s aufpiccs, le fyftême que vous

fans cefle. Pour connoître l’efTence de quelque


choie que ce (oit, il faudrait en avoir des idees
qu’il eft impoffible à l’efprit humain d’acquérir.
Les objets fur lefquels nos fèns nlont aucune
prife font pour nous, comme s’ils n’étoient pas.
Mais comment un Phiiofophe entreprend-il de
donner aux autres des idees qu’il n’a pas lui-
même ? V. Wolf. Ittfl. de Phyf. fur-tout chap.
“ L’être fimple ou l’élément n’eft ni étendu, ni
,, divifîble , ni figuré, il ne peut remplir aucun
,, efpace. Les corps résultent de la multitude 8c
„ de la réunion de ces êtres fimples, dont ils font
,, compofés, & comme on dit, des aggregats. L’i­
magination ne peut diftinguer plufîeurs choies
„ entr’elles, fans fè les repréfenter les unes hors
des autres ; ce qui forme le phénomène de l’é­
tendue, qui n’eft par conféquent que métaphy-
„ fique, & dans laquelle confîfte l’efTence de la
„ matière. ,,
Non-feulement l’étendue n’eft gu’une apparen­
ce,félon Wolf,mais la force motrice qu’il admet 9
la force d’inertie, font des phénomènes, ainfî que
les couleurs mêmes, c’eft-a-dire des perceptions
confufes de la réalité des objets. Ceci roule fur
une fauffe hypothèfê des perceptions. Wolffup-
pofè4‘ que nos fènfàtions font compofées d’un
,, nombre infini de perceptions partielles,qui tou­
tes féparément repréfentem parfaitement les
embellirez par k fécondité te là.
fubtilité d’idées merveillcufemenc

^ êtres Cinples, ou (ont femblables aux réalités (


mais que toutes ces perceptions Ce confondant
,, en une feule , représentent confondues des
„ chofes didjindes „•
Il admet contre Locke des perceptions obicuies
dans le fomraeil, dont l’Ame n’a point confeien-
ce: & par conlcquent il croit avec Mallebranche
que l’Âme penfe toujours, au moment qu’elle y
penfe le moins. Nous avons prouvé ailleurs le
contraire. Mais ,fuivant Wolf, toute (iibfiance
(impie n’eft pas douée de perceptions , il en
dépouilleles monades Leibmtiennes , & ne croit '
pas que la fenfation foit une fuite 8c comme un
développement nécedaire de la force motrice.
D’où il fuit contre fes propres principes que les
perceptions ne font qu’accidentelles a l’Ame : 8c
par conféquent encore ileft aufli contradiâoire ,
que gratuit, d’aduter, comme fait Wolf, que
FAme eft un petit monde fenfitif,un miroir vi­
vant de l’Univers qu’elle Ce repréfente par fa
propre force, même en dormant. Pourquoi cela,
écoutez ( car cela eû fort important pour ex­
pliquer rorigîne & la génération des idées ) : par­
ce que l’objet qui donne la perception eft lié avec
toutes les parties du monde, 8c qu’ainfî les fenfa»
rions tiennent à l’Univers par nos organes.
Je ne parle point du fyfteme de l9harmonie pré*
établie, ni des deux principes faxneaux de Leib«
(*39) t
fu ïvics, eft fans douce les plus îngé*
nieux de cous. Jamais fans douce

ftite i le principe de controdtÜion * 8c le principe dé


U rtàfgn faffifonte. C ’eft une do&rine qu*on juge
bien que W olf a fait valoir avec cette ftgacite »
cette intelligence3 cette jufteffe, & meme cette
clarté qui lui efi propre « fi ce n’eft lorfqu’elle
vient quelquefois à fe couvrir des nuages de l’Oit*
tologie. Exemple fi contagieux dans une feûc
qui s'accroît tous les joUrs , qu'il faudra bien-tôt
qu'un nouveau Defcartes vienne purger la Méta-
phyfique de tous ces termes obfcurs dont l'efprit fo
repaît trop {bavent. La Philofophie Wolfienne ne
pouvoit le difpenfer d’admettre ce qui tèrvoit de
fondement à la Leibnitienne %mais je fui ✓ fiché
d’jr trouver en 'méine-teras des traces du jargon
1inintelligible des écoles.
Je viens encore un moment à la force tnotri- v
ce. C ’eft , comme dit W olf, “ le réfultat des di£
y, férentes forces adives des élémens > confbn-
dues entr’elles ; c’eft un effort des êtres {impies
9) qui tend à changer fans celle le mobile de lieu.
33Ces efforts font ftmblables à ceux que nous
3,fhifons pour agir». W olf en fait luinnéme de
bien plus grands fans doute, pour que Dieu té­
moin de cette aétion de la nature qui fait tout
dans le fyfteme de cê fubtil Philofopne 9 ne refte
pas oifif 3 & pour ainfi dire y les bras croifés de­
vant elle. Mais dans ce partage il n’eft pas plus
heureux que fon Maître. C ’eft toujours la na-
f H °)
l'efprit humain ne s’eft fi confe-
quemment égaré : quelle intelli-

ture qui agît feule *qui produit & cônferve tous


les phénomènes. Le choc des fùbftances les unes
fur les autres fait tout, quoiqu’il ne foit pas
décidé, s’il eft réel, ou apparent : Car en général
les Leibnitiens fe contentent de dire que nous ne
pouvons juger que fur des apparences, dont la
caufè nous eft inconnue. Tantdemodeftiea de-
quoi furprendre dans des Philofophes fi hardis ,
fi téméraires à s’élever aux premiers principes ,
qui cependant dans l’hypothèfè des perceptions
Wolfiennes , dévoient au premier coup d’œil pa-
roître incompréhenlîbles. # ^
Il étoit, ce mefemble ,curieux, & utiled’ob-
fèrver par quelles voies les plus grands génies ont
été conduits dans un labyrinthe d’erreurs, dont.
ils ont envain cherché Tiftiie. La connoiffance du
point où [ils ont commencé à s’égarer, à fe fé-
Î>arer, à fe rallier, peut feule nous faire éviter.
'erreur, & découvrir la vérité, qui eft fouvent.
fi proche d’elle , qu’elle la touche prefque« Les .
fautes d’autrui font comme une ombre qui aug­
mente la lumière, & par conféquent rien n’eft
plus important dans la recherche de la vérité *
que de s’alTurer de l’origine de nos erreurs. Le
premier Antidote , eft la confloiflance du poifon.
Màis fi tant de beaux génies fe font laiftes aveu­
gler par l’efprit de fyftéme,l’écueil des plus grands,
hommes, nen doit-il nous infpirer plus de mé-'
g en ce,
( 141 )
gencô , quel ordre , quelle clarté
préfident à tout l’ouvrage ! D e fi
gands taléns vous font à jufte titre
regarder cotnnie un Philofophe

fiance dans la recherche de la vérité f Ne devons*


nous pas penfèr que tous nos foins , nos projets
doivent être de refier toujours attachés au char
de la nature , 8c de nous en faire honneur , à
l ’exemple de ces vrais génies , les Newton, les
Boerhaave,ces deux glorieux efclaves dont lana«
ture a fi bien récompenïe les ferviceé. ( Büerk;
de honore Med. feryit, ) Mais pour arriver à
ce but, il faut fè défaire courageufement de fès
préjugés , de lès goûts les plus favoris pour telle
ou telle feôe, comme on quitte d'anciens amis
dont on reconnoît la perfidie. Il efl afiez ordi­
naire aux plus grands Philofophes de fe vanter ,
comme les petits Maîtres ; ceux-ci ont obtenu
des faveurs Je femmes qu’ils n’ont jamais ni vues*
ni connues ; ceux-là prétendent avoir pris la na­
ture fur le fait, comme dit un fameux Neolo-
gue , qu’elle letir a révélé tous fes iecrets, 8c
qu’ils ont, pouf ainfî dire , tout vu , tout en-
tendu,lors même que la nature garde encore plus
de voiles,que jamais n’en eut V in s des Egyptiens»
Pour avancer dans le chemin de la vérité, qu’il
m it fuivre une conduite différente ! il faut faire
aujduement les mêmes pas avec la nature,toujours
aide , comme dit M. la M. du Cbattelet à M. du
Bâton de l’obfèrvation & de l’expérience.

Q
(i4i)
trcs-fuperîeur à tous les autres, &
à celui même qui a fourni le fond
déjà PhilofophieWolfienne.La chaî­
ne de vos principes eft bien tif-
fue , mais l’or dont elle paroît for­
mée, mis au creufet, ne paroît qu’un
métail impofteur. Eh i faut-il donc
tant d’art à cnchafler l’erreur, pour
mieux la m ultiplier, tandis que la
trifte vérité gémit fans appui &
fans proteûeurs , qui la tirent de
l ’obfcurité, où elle tiçnc, pour ain-
fi dire , compagnie au vrai mérite.
Am bitieux Métaphyficiêns , qui
femblez avoir alfifté à la création du
monde > ou au débrouillement du
cahos , vos premiers principes ne
font que des fuppofitions hardies ,
qui n’ont pas l’art de me féduire,
& où le génie a bien moins de parc
qtv’utié préfomptucufe imagiriàtiôtii
Cependant qu’on vous appelle , fi
l’on ve u t, de grands génies, parce
que vous avez recherché & que vous
Vous êtes vanté de connoître les
premières caufes ; pour moi je crois
que ceux qui les ont dédaignée»
Vous feront toujours préférables :
que le fuccès des (<f)Locice, des (é)

(a) ï°. M. Locke fait l’aveu de fort ignorance


fin? la nature de l’efTence des corps ; en effet *
pour avoir quelque idée de l’être, ou de la fùb£
tance ( car tous ces mots font fynonimes ) il
faudrait fçavoir ufte Géométrie inacceflible me­
me aux plus fiiblimes Métaphyfîciens y celle de
la nature. Lefage Anglois n’a donc pu Ce faire
une notion imaginaire de l’eflence des corps,’
comme W olf le lui reproche fans affez de fon^
dement.
20. Il prouve contre l’Auteur de l'Art de Penfet
& tous les aurtes Logiciens, l’inutilité des fylio-
gifmes , & de ce qu’on appelle Analyfes parfai­
tes , par lefquelles on a la puérilité de vouloir
prouver les axiomes les plus évidens, minuties
qui ne (è trouvent ni dans Euclide , ni dans
Clairaut. Voyez Locke L. * c. 17. ff. 10. p. 551*
772*
( 244)
Boerhaave, & de tous ces hommes
fages, qui fe font bornés à l’exa~

3 Il a cru les principes généraux très-propres


à enfeigner aux autres les connoiffances qu’on a
loi-même. En quoi je ne fuis pas de fon avis,
ni par conféauent de celui de l’Auteur de la Lo­
gique trop eflimée que je viens de citer9chap. 4.
c. 7. Ce grand étalage 9 cette multitude confiifè
d’axiomes9de propofitions générales fyftemati-
quement arrangées 9 ne font point un fil affuré
pour nous conduire dans le chemin de la vérité»
Au contraire cette méthode fyntetique, com­
me l’a fort bien fenti M. Clairaut 9 eft la plus
mauvaife qu’il y ait pour inftruire. Je dis même
qu’il n’eft point de cas 9ou de crrconftances dans
la vie9où il ne faille acquérir des idées particu-
lieres,avant que de les rappeller à des généralités.
Si nous n’avions acquis pour les fens les idées de
tout9 & de partie, avec la notion de la diffé­
rence qu’il y a entre l’un & l’autre9lçaurions-nous
que le tout eft plus grand quefa partie ? Il en eft
ainfi de toutes ces vérités qu’on appelle éternel­
les & que Dieu même ne peut changer.
4°. Locke a été le deitruéèeur des idées in­
nées 9 comme Newton l’a été du fyftêmeCarte-
fîen. Mais il a fait 9 ce (èmble , trop d’honneur â
cette ancienne chimere 9 de la réfuter par un fi
grand nombre de folides réfléxions. Sélon ce Phi-
lofophe & la vérité 9 rien n’eft plus certain que
cet ancien axiome, mal reçu autrefois de Platon»
U4f)
m cn des caufes fécondés, prouve
bien que l’amour propre eft le fcul

<îe Timée, de Socrate & de toute l’Académie :


Nihil eft in intelleâh* , quod priùs non fuerit in
fenfu. Les idées viennent par les (fens, les fènfà-
tions font Tunique fource de nos connoiflances.
Locke explique par elles toutes les opérations
de TAme. ^ # #
5°. Il paroît avoir cru TAme matérielle, quoi­
que fa modeftie ne lui ait pas permis de le déci­
der. u Nous ne (ferons peut-être jamais , dit-il ,
„ capables de décider, fi un être purement ma­
tériel penfe ou non , &c. parce que nous ne
„ concevons ni la matière ni l’efprit. „ Cette (im­
pie réfléxion n’empêchera pas les Scolaftityies
d’argumenter en forme pour l’opinion contraire *
mais elle fera toujours l’écueil de tous leurs vains
raifônnemens,
6 °. Il renonce à la vanité de croire que l’Ame
penfe toujours ; il démontre par une foule de
railbns tirées du (ommeil , de l’enfance, de
l’apoplexie »&c. que l’homme peut exifter, fans
avoir le (fentiment de (on être : que non-feule­
ment il n’eft pas évident que TAme penffe en tous
ces états, mais qu’au contraire , à en juger par
Tobffervation » elle paroît manquer d’idées , &
même de fentiment. En un mot, M. Locke nie
que l’Ame puiffe pen(fer & penfe réellement, fans
avoir confcience d’elle-même , c’eft-à-dire , fans
içavoir qu’elle penfe »fans avoir quelque notion*
qui n*en tire pas le même avantage %
que des premières !

ou fouvenîr des chofcs qui l’ont occupée. Ce qui


eft bien certain , c’eft que l’opinion de ce fubtil
Métanhyficien eft confirmée par les progrès & la
décadence mutuelle de TAme & du Corps , &
principalement par les Phénomènes des maladies,
ii démontrent clairement, à mon avis, contre
? alcal meme, c, *3. n. 1. que l’homme peut
fort bien être conçu fans la penfée * & par con->
féquent qu’elle ne fait point l’etre de l’homme.
Quelle différence d’un Philofophe auffi fage x
suffi retenu, à ces préfbmptùeux Métaphyficiens
qui ne connoiffant ni la force ni la foibleffe de
l ’efprit humain, s’imaginent pouvoir atteindre à
tou t, ou à ces pompeux Déclamateurs, qui %
comme A b a d i e de là vérité de la Religion Cbré~
tienne, { aboient prefque pour perfuader, & qui
par le dévot entounafme d’une imagination
«chauffée, & pour ainfi dire, en courroux , font
fuir la vérité , au moment même qu’elle aurok
le plus de difpofition à fe lai fier en quelque forte
appriyoifèr ! Pour punir ces illuminés fanati-^
ques,ils feront condamnés dans la fuite à écouter
tranquillement, s’ils peuvent, l’hiftoire des diffë-
rens faits que le hazard a fournis dans tous les
tems, comme pour confondre les préjugés.
7q. Il eft donc vrai que M. Locke a le pre­
mier débrouillé le cahos de la Métaphyfique, &
novs en 3 le premier donné Içs vrais principes *
; . . ,
Enfin Spinofa auroit-il préten­
du au rang des génies ? Non , cc

en rappellant les choies à îleur première origine.


La connoiflance des égaremens d’autrui l’a mis
dans la bonne voie. Comme il a penfé que les
obfèrvations lènfibles (ont les feules qui méri­
tent la confiance d’un bon efprit, il en a fait la
baie de lès méditations ; par tout il le fert du
compas de la jufteffe , ou du flambeau de l’exjjé-
rince. Ses raifonnemens font auffi féveres, qu’é-
xemts de préjugés, de partialité ; on n’y remar­
que point auffi cette efpéce de fanatilme d’irréli­
gion qu’on blâme dans quelques-uns & dont l’im­
prudence lèule révolte.Ehîne peut-on fans paffion
rémedier aux abus & fècouer le joug des préjugés?
(b) i Q. M. Boerhaave a penfé qu il étoit inutile
de rechercher les attributs qui conviennent à l’ê­
tre,comme à l’être;c’eft ce qu’on nomme dernieres
caulès Métaphylîques. Il rejette ces caules, & ne
s’inquiète pas même des premières Phyfîques ,
tels que les Elemens, l’origine de la première for­
me des lèmences, & du mouvement ( Infi. Med•
xxvm . ).
2°. Il divilè l’homme en corps 8c en Ame , 8c
dit que la penfée ne peut être que l’opération de
l’elpiit pur (xxvn) : Cependant non-feulement il
ne donne jamais a l’Ame les épithetes de fptrt*
tuelle & à'immortelle ; mais lorfqu’il vient à trai­
ter des lèns internes, on voit que cette lubftance
n’eft point fi particulière, mais n’eft que je ne
Q.4
(M») ,
n’eft qu’un monftre d’incrédulité ,
dont l’Achéïfme reflemblc affez. bien

fçais quel fens interne , comme tous les autres ,


dont elle lemhle être la réunion.
Il explique par le fèul mécanifme toutes
les facultés de l'Ame raifonnable ; 8c julqu’à la
penfée la plus métaphyfique > la plus intellec­
tuelle, la plus .vraie de toute éternité, ce grand
Théoricien foumet tout aux loi* du mouvement:
de forte qu’il m’eft évident qu’il n’a connu dans
1 ’homme qu’une Ame lènfîtive plus parfaite que
celle des animaux. Voyez. lès leçons données par
MM. Haller 8c de la Mettrie, les Incitations qui
en font le texte , fur-tout defenjîb. Intem. 8c lès
Difcours de honore Medic. Jervitut, de ufu ra*
lioctnii Mecantçi tn Medicinây de çomparando certo
inPkyf.& c.
4°. On Içait ce qu’il en penlà coûter à cet hon­
nête Philolbphe, pour avoir lèmblé prendre le
parti de Spinola devant un inconnu avec lequel il
voyageoit Çvie de Boerh. par M. de la Mettrie ;
Schultens tn Qoerh. Lm<d!).Maisau fond perfonnç
ne fut moins Spinoftfte; par tout il reconnut l’in-s
vifible main de Dieu ; c’eft elle, lèlon lu i, qui a
tiffu jufqu’aux plus petits poils des corps animés *
c’eft elle qui a formé ces parties cachées , pour
de futurs ufages , telles que le poumon yla vak
yule du trou ovale , le papillon enfermé dans la
chenille ; les dents dans.les mâchoires: c’eft elle
qui a fait les unes pour broyer j lçs autres pour
( 14 9 )
au labyrinthe de D edale, tant il à
de tours, & de détours tortueux. Le
fil de la Géométrie qui devoit le
conduire ne fert qu’à l’égarer. N e
connoifTant ni D ie u , ni Ame, Car»

couper, & qui a donné à toutes ensemble la mé­


canique des cifeaux, qui leur étoit néceiTaire :
d’où l’on voit combien Boerhaave étoit différent
de ces deux Epicuriens Modernes * Gaflendi 8c
Lam i, qui n’ont pas voulu voir que les inftni-
xnens du corps humain font faits pour produire
certains mouvemens déterminés , s’il furvient
une caufe mouvante ( Boerh. Inft. Med. XL. ) ,
& qui plus aveugles quç le concours fortuit d’A ­
tomes qu’ils ont adopté , fe font abandonnés à
toute l’étendue du fyfiême Lucretien ( De Natur,
Rer. L. iv. Enfin lorsqu’il s’agit d’expliquer la
çorrefpondance mutuelle du corps & de l’Am e,
ou Boerhaave fè tire de-là , en n’admettant au
. fond qu’une feule fubftance, ou il fïippofè des
loix Cartéfiennes établies par le Créateur, félon
lefquelles de tel mouvement corporel fait s’élever
telle penfée dans l’Ame & réciproquement, &c,
il avoue qu’il eft inutile aux Médecins de con-
’noître ces loix, À qu’il eft impoflible à tous les
hommes de venir à bout de les découvrir. Je
conclus de tout cela que le grand Boerhaave fut
le plus éclairé & le plus fage des Déifies.
U y© )
téfien outré, il fait de l’homme mê.
me, un véritable automate, une ma­
chine affujettie a la plus confiante
néceflité, entraînée par un impé­
tueux futalifme , comme un vaif-
fe a u , par le courant dés eaux. L a
fagefle, l’honneur, la probité, la
vertu ne font que de vains fons>
tout eft hazard , ou deftin. Il n’y a
n i bien, ni m al, ni ju fte, ni injufte,
n i ordre, ni dcfordre ; la nature y
reclame en vain fes droits, Sc la
confcience même y eft totalement
étouffée. O n la regarde comme un
Baromètre trop infidelle pour mar­
quer le dégré précis des vertus &
des vices, puifqu’elle s’éteint flans
tous les cas où les nerfs font com­
primés à leur origine, fe racornit
ou s’émouffe chez les fcélérats. O n
{1$I) . .
veut enfin que nos principes natu­
rels ne foient que nos principes ac­
coutumés, Et c’eft une erreur dans
laquelle a donne P afcal, lorfqu’il
d it qu’il craint bien que la nature
ne fr it une première coutume, que
la coutume ne fë it unefécondé nature,
Dans çe fyftême, qui a été celui
de Xenophanes, de M eliflu s, de
Parm enide, & de tous les anciens
Athées, celui qu’on pend eft injufte-
ment p endu, puifqu’il n’a pu fe difi»
penfer de faire ce qu’il a fait} mais
il ne l’eft cependant pas fans raifon,
parce qüe ce feroit autorifer le meur,
tre de Citoyens néceflaires à l’E ta t,
q u e de le laifler impuni, (<*)
(a) Voici en peu de mots le Syftcme de Spi-
» ofi. Il (butient, i p. qu’une fiibftance ne peut
Pr°duire une autre lûbftance. 2*. Que rien ne
peut être créé de rien.3 «. Qu’il n’y a qu’une feulu
Nous avons examiné ceux qui
n'ont été que Philofophes ; paffons

fiibftance9 parce gu’on ne peut ap Relier fiibf-


tance 9 que ce qm eft éternel 9 & dépendant de
toute caufè fiipérieure, que ce qui exifte par foi-
même & néceffairement. Il ajoute que cette fub£
tance unique 9ni divifée, ni divifible 9 eft non-
feulement douée d’une infinité de perfections 9
mais qu’elle Ce modifie d'une infinité de maniè­
res : en tant qu’étendue, les corps & tout ce qui
occupe un efpace ; en tant que penfée 9 les âmes
& toutes les intelligences font fes modifications :
le tout cependant refte immobile, & ne perd rien
de fon effence pour changer. #
Il faut avouer que voila un hardi Athée;car
il n’y a certainement aucune preuve qui nous
convainque que la fuprême intelligence doive
être placée dans la matière 9pas meme dans ht
matière ignée ou éthérte 9 dans laquelle les an­
ciens Hébreux 9Alchymiftes, & Auteurs Sacrés
avoient mis le trône de la Divinité 9 comme le
dit M. Boerhaave dans fon traité du Feu, &
d’où 9fuivant eux 9 Dieu lance des feux vivifians
fur toute la nature : comme fi le feu & l’éther
même qui donnent le mouvement à tous les
corps 9ne le recevoient pas eux- mêmes de eau-
fes qui nous font inconnues.
Spinofà définit les fèns conféquemment à fes
principes: des mouvement de l’Ame 9 cette partie
penfante de l’ Univers^produits par ceux des corps,
U n)
aux Philofophes beaux elprits, &
voyons quelle parc peuvent préten­
dre au génie ceux qui paflent pour
en avoir le plus. Nous paflèrons ici
fous filence non-feulement les an­
ciens , comme nous avons déjà fait,
mais nous nous bornerons à peu d’il-
luftres modernes.
O n a trouvé trop fort l’efpece de
parallèle que j’ai fait de M . de Vol­
taire avec Corneille & Racine -, je

luifont des parties étendues de t Univers. Mais


cette définition eft évidemment faufTe ; puifqu’il
eft prouvé i°. que la penfée n’eft qu’une modi­
fication accidentelle du principe fenfîtif, qui par
confëquent n’eft point une partie penfante dit
inonde : 2°. que les chofes externes ne (ont point
représentées a l’Ame , mais feulement quelques
propriétés différentes de ces chofes, toutes rela^
rives & arbitraires; & qu’enfin la plupart de nos
fènfàrions, ou de nos idées dépendent tellement
de nos organes, qu’elles changent fur le champ
avec eux. Mais je n’enttpprens point de réfuter
Spinofa,il raifonne fî mal, que je fuis fiirpris qu’il
ait été jufqu’à préfènt fi mal réfuté.
. . *lî4)
Vais le juftîfier. Je répons qu'il
.

n’eft en effet n iT u n ni l’autre»


Corneille femble avoir paffé les
bornes de l’efprit humain * c ’eft
un vrai gén ie, & le feul que nous
ayons dans fon genre. Racine qui
avoit le cœur plus tendre & l’A m e
moins élevée que Corneille , a mis
beaucoup d’amour dans Tes Tragé­
d ies, ( car c’eft le tempérament
qui décide par to u t, dans les goûts
qu’on a , dans les hypothèfes , dans
les raifons qu’on imagine pour ex­
pliquer un-D ogm e de R eligio n ,
dans les profeflions qü’on embraffe,
& c. ) un amour p u r, délicat, filé
avec tout l’art imaginable. Ses pié*
ces font bien foutenues dans leur
verfification, comme dans leur con­
duite. Q uelle Poëfie i Q uelle pom-
d n ) .
pe 1 Q uelle douceur ! Q uelle oreille
ne feroic pas flattée des Vers où le
Poëte a le plus exercé fa lim e,
tels que ceux de Phèdre , qu’il fut
deux ans à verûfler i Voltaire fem-
blable à V irgile, a des endroits foi-
b les, trop peu travaillés $il ne s’éle.
ve que par détails, & il tombe fou-
vent après la plus belle tirade. Mais
que ecs détails font beaux 8c fré-
quens* Q uelle harmonie! Q uelle
facilité i fupérieur à Racine même
par l'une 8c l’autre, il ne p eu t, à
mon avis ,être comparé qu’au Prin­
ce des Latins.
Corneille éleve les hommes au-
deflus d’eux-mêmes, leur Ame n’a
pas tant de grandeur; Racine les
peint tendres, 8c amoureux, fon
Théâtre ne retentit que 1de foupirs
(*îO
& de langueurs. Ils nous montrent
tour-à-tour, comme dit fort bien
M . de la M o tte , ce que le cœur a de
plus tendre, ce que l'efprit a de plu»
grand.. Voltaire plus Philofophe a
mieux connu l’hom m e, il n’eft chez
lui ni toujours Romain,ni toujours
am oureux, mais il eft toujours être
penfant. Q u e de traits hardis , que
de réflexions neuves,frappantes, que
de vérités rendues avec force !
A vec moins d’art pour la condui­
te parfaite d’une Tragédie , que
Corneille , & R a cin e, avec beau-'
coup moins de génie que le premier
de ces deux hommes illuftres, je
penfe donc que M . de V .... a plus >
& fur-tout beaucoup plus d’efprit
que Racine, de cet efprit qui coule
du pinceau de la plus heureufe ima*
gination,
Uï7)
gin ation, 8c faic à la fois le Peintre
de la vérité 8c celui de l’agrément.
Plus Philofophe que l’un 8c l’autre,
c’eft le premier Poëte qui ait ofé
faire penfer l’homme fur nos Théâ­
tres. Des Vers aufli harmonieux >
aufli fonores, aufli penfés que les
liens , le font déjà regarder à jufte
titre comme le plus grand Poëte
qui ait jamais paru dans les détails, *
T e l eft le jugement de fes contem- ^
porains ; ils craignent m êm e, à ce
que j’entrevois, que la poftérité n’en
juge encore plus favorablement.,
C ’eft ainfi que Voltaire jouit vivant
de fa mémoire , quoiqu’il eût mo-
deftement promis d’attendre qu’il
fû t mort pour apprendre quelle
eft fa place. Il mérite fans doute
la première dans le Tem ple du
R
U jS )
g o û t, de l’efprit & des talens.
Q u e je plains les Auteurs forcés
d’appeller du jugement de leur fié-
cle, à la poftétité. Il vaut mieux êcre
un peu loué pendant la v i e , que d’ê­
tre comblé d’éloges après la mort.
Vraifemblablement il y a peu d’E ­
crivains qui ne reflemblent à cette
Coquette de la Com édie d'Alcibia-
* d e , qui dit qu’elle aimerait mieux
être bien mains a i m a b l e & rencon­
trer quelqu'un qui lui f i t compli­
ment. Mais par malheur on ne ren­
contre jamais la poftétité.
Q u e dis-je i M . de V . & peu d’au­
tres avec l u i , la trouvent fur leurs
pas , cette chimérique poftérité »
elle fe réalife pour eux dans le plai-
fir que les gens de g o û t, les vrais
connoifleurs ont à Ici lire , ou les en-
(*Î9)
tendre. Etre témoin de ce plaifir,
de l’empreffement du p u blie, Jorf-
qu*on affiche Zayre , ou Merope,
c’eft un bien auquel je facrifierois
tous les hommages de nos derniers
neveux. Q u ’un tel fu ccès, que ces
larmes de fentiment & de volupté,
que ces nuees d’applaudiffemens pae
lefquels un Poète Tragique eft for­
ce de fe montrer au parterre, qui
femble lui crier v iv a t, comme au
R o i des Auteurs j qu’une gloire fi
fort au-deflus des autres gloires, le
vengent bien des difeours de Marie
Alacoque, de la jaloufe fureur de ce
pefant Abbé( ce v il fripier d'écrits t
que l interet dévoré.... ce v il mortel >
qu il écrafe en pqjfant.%. cet ignorant
Z o ïle , qui quatrefo is par mois} élève
en fremijfant une voix imbécille, 6C
R t
M o)
dont la haine aformé tous les fons,
& c . ) àc pour une porte ferm ée,
lui ouvrent celle de tous les cœurs.
Voltaire , il eft vrai, n’eft ni Cor­
neille , ni Racine , comme Rameau
n’eft pas L u l l i , mais il eft Voltaire.
C ’eft d’un tel nom qu’on peut dire
qu’il fuffit de l’avoir nommé. Lorf-
qu’un Auteur reçoit de fes contem­
porains ce tribut d’éloges qu’on n’a le
droit ( ce droit eft aufli honteux
pour le public , que cruel pour l’A u ­
teur } ) d’attendre que de la poftéri-
t é , la mordante fatyre aiguife en-
vain fes traits , & la critique eft
une ombre qui donne du luflre a»
tableau.
Roufleau eft , je l’avoue , un plus
grand Poëte. Q uel feü! Q uel entoü-
fiafme JQuelles images 1 Q uelle ri-
chefle & de rimes & d’idées ! Q uel
heureux délire ! Quelle fougue !
Q u e de nobles écarts 1 Tous lès ref-
forts de l’imagination fe feroient-ils
à là fois débandés ? O u plutôt bor­
née aux petites fpheres des objets
q u ’elle embralfe (i) , femblable à
ces jets d’eaux dont le diamètre eft
A n g u jlié, cette riante & féconde
partie de l’Ame n’en deviendroit-
elle pas en quelque forte plusélafti-
que , & par-là plus forte , & plus
magnifique dans fes produirions ?
O u i fans doute , il eft plus aifé de
remplir un petit cercle d’idées, que
de parcourir avec fuccès la plus vafte

(i) Les Vers qu’on a faits à la louange du Roi


prouvent cependant que ces petits objets font
fort grands pour la plupart des Poètes ; & fans
cloute l’Auteur de l’Ode de la Fortune , &c. les
eût facilement furpafTé tous.
R j
(%**.)
carrière } & l’on peut , à l’exem ple
( i ) de la nature , avoir en force
ce qui manque en. étendue. Rouk*
feau n’a jamais ofé chauffer le C o ­
thurne , & il a échoué dans la C o .
médie ; ce qui prouve les bornes d e
fon génie , & combien il feroit peu
fenfé de Ip comparer au favori de
Mclpomene.
E nfin, quoique M . de C ... m on.
tre peut-être autant de génie dans
fes pièces, que de dureté dans fes
Vers , & que Rhadamifie & Ele&re
ayent bien mérité leur prodigieux
fu ccès, à tout prendre, qu’il eft in­
férieur au Poete régnant.»Je ne dis

( i ) Je ne fçais fî on me permettra cette al-


iufion aux mufcles de nos corps , qui ont
d'autant plus de vigueur y qu’ils (ont plu»
courts.
U*J )
rien de M . P... Cortès a décidé Ton
fort ; l’O d e , fur-tout obfcène, l'eût
peut-être élevé à Rouflèau , & l’O ­
péra Com ique à Favar. Pourquoi ne
pas fuivre fon génie ?
Il eft un autre Écrivain célébré »
qu'on regarde comme le Coriphée
de. la Littérature & du Pinde, par­
ée qu’il en eft le Neftor. L ’Auteur
du Temfle du Goût le peint inge-
nieufement dans ces jolis Vers.

„ D’une Planete à tire d’aile


„ En ce moment il revenoit 9 .
„ Avec Quinaut il badinoit 9
99Avec Mairan il raifonnoit 9
99 D’une main légère il tenoit
99Le compas 9la plume 9& la lyre.

Legere {ans doute , car non-feu­


lement il n’a pas fait un feul pas au-
delà des autres en Mathématiques »
R4
& en Philofophie , trop content d e
manier & d embellir les penfées de
Tes confrères, pendant une très-lon­
gue fuite d’années -, mais fes préjugés
pour fon premier lait Philofophique,
( le Cartéfianifme, ) l’ont einpêché
lui 6c M . de M ... de fe dépouiller
de leur vieille peau Académique.Un
tel courage refervé aux C... enfin
Newtoniens ,n e pouvoit entrer que
dans des âmes vraiment Philofo-
* phes. L ’homme fe?trompe , 6c le
grand homme avoue qu’il s’eft
trompé. f
Q u o i { Parce que M . de F . . . .
raiforme avec M. de M . . . c’eft-à-
dire a une érudition très-variée , 6c
peut fçavoir beaucoup de Phiilofo-
phie ,je lui donnerai le titre de Phi-
lofophe ? Parce qu’il a fait l’Hiftoire
. , < *f>
des découvertes des autres, ingé­
nieux compendiaire de penfécs qui
ne font point à l u i , & a fçu louer
les morts, avec moins de candeur ,
que d’une maniéré à faire Cou­
vent rire les vivans , il faudra que
je le compte parmi les Newton , les
M aupertuis, & c ! Aurois-je donc
aufli eu tort d’oublier l’Auteur des
Elemens de la Philofophie de N ew ­
ton ? Mais non ; je ne connois de
Philofophes & de génies, que ces
efprits qui raifonnent toujours con-
féquemment fur de nouvelles vé­
rités connues par l’expérierifce j o u ,
fi l’on v e u t , ceux q u i , comme les
Cartéfiens, les Leibnitiens , les
Staahliens, & c . ont inventé de
nouveaux prinoipes fur lefquels la
vérité bâtiroit, pour ainfi dire , le
c*«o
plus fuperbe édifice, #s’ils ctoient
réels & folides.
O n peut penfer fur toutes (ortes
de fujets en Philofophe, fans l’être.
ÇettePhilofophie là n’eft le plus fou-
vent que l’art de rendre fortement
une vérité hardie, comme lorfque
Voltaire dit dans Mahomet.
La nature, crois-moi, n’eft rien que l’habitude.

Dans laHenriade.
Tel brille au fécond rang qui s'éclipft au premier.
Dans Mcrope.
Le premier qui fut Roi fut un fbldat heureux.

Ce n’eft pas aux Tyrans à fentir la nature.


Dans Oedipe.
NosPrétres nefont pas ce qu’unvain peuple penft,
Notre crédulité fait toute leur fcience.
C ette hardieffe de pinceau mon­
tre par tout l’hommç qui penfe dans
les oeuvres de cet illuftre Auteur»
(i*7) %
elle fe communique aux efprits,
trop sûrs d’être réduits par l’agré­
m e n t 6c les grâces q u il’accompa-
m e n t, 6c l’Am e engourdie eft ex­
cité e à réfléchir. C ’eft en ce fensque
j’ai dit ci-devant que M . de V . . .
nous apprend à penfer. Il n’y a qu’à
lire Tes Ouvrages, pour connoître
les abus 6c les préjugés ; 6c on les a
bien-tôt meprifes, dès qu’on les a
connus. Il corrige les uns avec e£-
p r it , il fecouc avec force le joug des
autres, 6c femble inviter ceux qui
auroient encore plus de vigueur à
détrôner ces tyrans, à terraffer l’hy­
dre dont un feul homme ne peut à
la fois couper toutes les têtes.
Après cela qu’on ne croie pas que
je veuille comparer enfemble V ... 6c
F ........le premier borné à peindro
(lé S )
la nature , a effayé en vain de la mé-
furer : le fécond, en homme fage
■ n’a chaufle qu’une feule fois le C o ­
thurne } en voulant parer la nature,
fon art l’a éclipfée : & s’il l'a méfu-
rée, c’étoit d’un compas emprunté >
comme le nom qu’il mit à fa T ra ­
gédie.
En lifant l’autre jour les œuvres
de F __ mon Dieu , difois-je , voi­
là un Auteur qui eft fans contredit
un homme de beaucoup d’efprit »
& qui réunit bien des talens agréa­
bles , & beaucoup de connoiffances.
Q uel fin badinage, fi on le com­
pare à la pefante légèreté d’un meil­
leur Ecrivain, l’Abbé des F ..?
Sans cet art ingénieux, qui eût ja­
mais p u , par exem ple, lire tant d’é­
loges de gens dont la vie particulier
(té9)
te intéreffe peu de le&eurs. Soit Ber­
ger, foit Philofophe, foit Hiftorien,
foie Poëte Lyrique,toutes les formes
de ce Protée ont des charmes.Faut-il
qu’infcnfible au Vrai beau, & que
Lourd, pour ainfi di re, aux cris de
la nature, il l’ait fait difparoître fous
le fard dont il a prétendu l’embel­
lir ! Pourquoi tant d’art dans l’ex-
preflion des chofes les plus (im­
pies ? Pourquoi courir fans ceflè
après l’efprit? Pourquoi me faire re­
marquer fans cefle combien vous en
a v e z , combien vous en femez par
tout? C ’eft un mauvais moyen de
m e perfuader que vous en ayez beau­
coup. Ouvrez au hazard les œu­
vres de V . . . Profe, ou Vers $ en
quelque genre de littérature que ce
puifle être , (il les embralfe tous, &
(*7°)
faProfe eft encore meilleure que Tes
Vers i ) vous ne verrez point cet ex­
cellent Ecrivain toujours avide de
montrer de l’efprit, s’impatienter de
l’attendre, & le répandre à contre-
tems. Il fuit des régies trop sûres
fon goût, Ton fentiment •, il ne veut
ni vous furcharger, ni vous éblouir,
fon but eft de vous former le g o û t,
fi vous en manquez , ou de le fatis-
fa ire , fi vous en avez : la fo rce , la
gentillefte, la beauté , l’élégance >
une galanterie délicate &: fans fa ­
deurs , le plus heureux to u r, la no*
bleflè de l’exprelfion, la volupté du
p in cea u ,'le fentiment enfin rendu
de la maniéré la plus naturelle & la
plus touchante, voilà l’efprit de V ...
L'efprit de Fontenelle le plus oblL
geamment diflillé lui eft-il compara­
ble?
( *7* )
Voltaire ne manque point de grâ­
ces , pour vouloir trop s’en donner,
il ne rifque pas de déplaire par ces
agrémens déplacés, qu’on peut ap-
peller des h ors-d’œuvres d’efprit.
R ien de recherché dans les tours,
rien d’affe&é, & de précieux dans
Ton ftylc j nul Néologifme. Vous ne
l’entendez point dire, comme ces
coquettes mal confeillées, „ voyez
„ donc combien je fuis aim able,
„ pefez bien tout ce que je vaux,
„ Admirez comme je dis fingulie-
,, rement ce qu’il y a de plus natu-
„ r e l , & tout l’efprit que je prodi-
„ gue,où il n’en faut point.,,11 eft ai­
mable, comme une jolie femme qui
femble l’ignorer, il plaît prefque
fans le fçavoir, parce que tout fon
art eft d’imiter la nature.
(i7*)
V . . . eft donc fans contredit la
feule fource vivante du vrai g o û t}
fans l u i , ce goût auquel les Arts
doivent tous leurs progrès , & l’ef-
prit tous fes plaifirs, étoit perdu:
adieu le ftyle & la véritable élo­
quence ! tout étoit dépravé & cor­
rompu par celui-là même qui fem-
bloit devoir la faire refleurir. N e
diroit-on pas que l’élegant & dé­
licat Petrone fembleroit avoir vu
l’Ecrivain dont je parle, avec tous
les mauvais linges d’efprit ( i) qu’il

(i) Et principalement M .. . . & M ... Pour Ce


préferver de la contagion du ftyle du premier, je
ne puis mieux faire que de renvoyer encore aux
64 pages de difcours tenus par la Taupe de Tan-
£4 *. La Lettre de l'Abbé Cotin, ou plutôt de
M .......... fera l’Antidote du dernier : quoi­
que l’Auteur fe contredife lui-même de dire des
injures à un homme qu’il vient d’adopter pour
confrère.
a faits,
. ,
a faits,, lorfqu’il die auX Néologüeâ
de Ton tem s, vos primi omnium do»
quentiam perdidijîis. Quelles reC*
fources encore une fois Monfieur de
Voltaire a dû trouver en fon génie
pour réfifter au torrent du mauvais
goût qui commençoit à entraîner
tous les efprits, lorfqu’il a paru !
Nous ne devons certainement pas à
M . de F. comme on Ta remarqué
au fujet de Defcartes, le go ft qui
nous fera découvrir , ou éviter tous
fes défauts. Mais après V . qui
nous garantira de l’efpéce de con­
tagion qui s’accroît tous les jours î
Une bonne Comédie des Prétieux
Ridicules, dans le goût de celle de
Molière. -
Voilà la différence que je trouve
entre l’efprit, la Profe, & les Vers
S
de Y . de F . . . & j’avotie que
je mets l’Auteur même d'Inès au-
deflus de ce*dernier,, qui tout vi-.
vanr qu’il e(l , jouit cependant; d’u^
nç plu? grande réputation. Il n’eft
apurement pas nécelïaire. pour mé­
riter, d’être comparé: à i E . . . d’être
meilleur Poëtq que, M . de la M i . . .
ni,d’avp irl’erpritftatttreHement.|»lus
Phijofophiquc ,.8i. lerraironnçment
plus juftc},( ÔÉenoef te partie ejXen*.
tiçlle4f< l’cfprit -,j ’«youA> qverEi.. .
& J a M i . . rempPîCoPtittfr V.'.. ) *
il fauditçit- feuWnegittque la. Rrofe
de. la„lyt, •... fât-aoiïtï m auvaife,
qu’elle. eft.eftiméc&
Enfin , un-génie;, a^Jieuide pafi-
fer fa vie à donner une formeugréâ*
file atçc vériççs.cPfmUÆB, .comme a
fait.ra?(cien. Sé$rçt*irç;dei l’A cadc*
mie des Sciences, eût parti dû point
ou les autres étoient reftés, il eût!
voulu étendre lès limités des Â'rts,^
il les eût étendus; Quelle différen­
ce par conféqueht‘ dé M ‘. dé F. ..
à üri génie , tel que Pafcal , pat
exemple i
J’ai cru en traitant du goût ^ dtz
génie pôüvoir dire librement mon
avis fur les ; hommei illùftres qül
ont fait le plus d’honneur aux' Let-
tresjpour faire vbir combien les vrais
gériies font r a r e s 8 c qu’à propre­
ment parler ni F . .. ni V . . . même
qui a beaucoup plus em bëllilallit*
tératüre, ( ni l’un riiTaütrë ri’ont en­
richi la Philofophie ) , rie doivent
prétendre à un rang fi élevé’
Jè ne me fuis pas fi fort' éldighe
dé mort if u j e t , qu’on adrôît pu le
St
l i7 6 \ .
croire ; le ■ goût & le genîe font deux
parties de l’Ame, qui avoient befoin
d’être plus approfondies qu on n a-
voit fait jufqu’à prefent, ne fut-ce
que pour fixer les idées de termes
qui fe trouvent tous les jours vuides
de fens, dans la bouche même des
gens d’efprit.
A u refte fi ce parallèle & les ju-
gemens que je porte avec impar­
tialité déplaifent à bien des Lec­
teurs , ils doivent penfer que plus
chaque Se&e éleve fon C h e f , éc
préconife fon Héros par des raifons
d’amitié , de petite Académie, par
des préjugés,&c. plus il eft permis &
facile a un efprit de fens froid, de les
mettre à hauteur d’appui.On ne man­
que point au refpeél dû aux grands
hommes , pour faire voir qu’ils ne
' *477' .
font pas grands de tous les côtés.
Non omnia fojfumus omnes. Mais
reprenons le fil de notre hiftoire.

§. I V .
Du fommeil & des rêves.

L a caufe prochaine du fommeil pa-


roît être raffaifTement des fibres ner_
veufes qui partent delafubftance cor­
ticale du cerveau. C et affaiffement
peut être produit non-feulement par
l’augmentation ducoursdesliqueurs
qui compriment la m oelle, & par la
diminution de cette circulation ,
qui ne fufïit pas pour diftendre les
nerfs, mais encore par la diflipa*
tio n , ou l’épuifement des efprits, Ô2
par la privation des caufes irritan­
tes , q u i procure du repos & de la
tranquillité , & enfin par le tranf-
S3
^ 78) .
port d’humeurs épàiffes & imméablcs
dans le cerveau. Toutes les caufes
du fommeil peuvent s’expliquer par
cette première.
Dans le fommeil parfait, l’A m e
fenficive eft comme anéantie, parce
que toutes les facultés de la veille
qui lui donnolent 4 es fenfatious,
font entièrement interceptées,en cet
état de comprdfioo du cerveau.
Pendant le fommeil im parfait, il
p ’y a qu’une partie de ces facultés,
qui foie fufpendue , ou intexroinT
p u e ; 5<: les fenfations qu’elles pro?
d u ifen t, font incpmpléttes ? ou tou­
jours défe&ueufes pu quelque point.
C ’efl: par-là qu’on diftingue les rêvés
qui réfuirent 4 e ces fortes de fenfa­
tions , d’avec celles qui affe&ent
l’Ame au réveil. jLes connoiflfancef
*pie >noüs :avons ^ators avtfc plus d’é»
oraâiBude & denéttété, nous décou-
•vrent-aflez la fiatufe désrêvés, qui
fowtforméspar un cahos d’idéescon-
fofes & imparfaites. Ï 1 dft rare què
l'A m e apperçoive en rêvant quel­
que vérité -fixe qui lui fafTerecôm-
noîcre fon erreur.
Nous avons en rêvant un lènti-
snent intérieur de nous-mêmes , &
en même-tems un aflez grand délire*
pour oroire voir*& pour voir eh effet
clairement une infinité -de choies
hors de nous; nous àgiflbns, Toit que
la Volonté ait quelque p art, ou non*
à nos aidions. Communément les
objets qui nous ont lé plus frappés
dans le jour * nous ap paroi fient la
nruit, & cela eft également vrai dès
Chiens & des animaux en général. Il
S4
( i 8o ) *
fuie de-là que la caufc immédiate
des rêves eft toute impreflion fo rte ,
ou frequente,fur la portion fenfitive
du cerveau , qui n’eft point endor­
mie , ou affaiflee , & que les objet*
dont on eft fi vivement affe&é , font
visiblement des jeux de l’imagina­
tion. On voit encore que le délire
qui accompagne les infomnies & les
fièvres, vient des mêmes caufes, &
que le rêve eft une demie veille,& en
ce qu’une portion du cerveau de­
meure libre & ouverte aux traces
des efprits, tandis que-toutes les au­
tres font tranquilles & fermées.
J-orfqu’on parle en rêve , il faut de
necellké que les mufcles du larinx,
de la langue & de la refpiration,
obéiflent à la volonté,& que par con­
fisquent la région du fenforium., d’ou
(z8i)
partent les nerfs qui vont fe rendre à
ces mufcles , foit libre & ouverte ,
& que ces nerfs mêmes foient rem­
plis d’efprits. Dans les pollutions
no£lurnes, les mufcles releveurs SC
accélérateurs agiflent beaucoup plus
fortem ent, que fi on étoit éveilléj
ils reçoivent conféquemment une
quantité d’efprits beaucoup plus
confidérable : car quel homme fans
toucher, & peut-être même en tou­
chant une belle fem m e, pourrait
répandre la liqueur de l’accouple­
m en t, autant de fois que cela arri­
ve en rêve à des gens fages, vigou­
reux , ou échauffés ? Les hommes &
les animaux gefticulent,faütent, tré-
{aillent, fe plaignent -, les écoliers
redifent leurs leçons j les Prédica­
teurs déclament leurs Sermons, & c.
/

(*«o
les mouvement du corps *épctnèent
à ceux qui Te paffeat dans le ecr-
veau.
11 eft facile d’expliquer a )préfcnt
-les mouvemens de ceux q u ’on ap­
pelle fomnambttks , ou intâltm&ttles,
parce qu’ils fe promènent ea -dor­
mant. Plufieurs Auteurs racontent
des hiûoiresourieufesà ce fiijet, ils
en ont vu faite les -chutes les plus
terribles fl & fou vent Cuis «danger.
Il fuit de ce qui a été dit tou­
chant les rêves , que les fomnambu-
les dorment à la vérité parfaitement
dans certaines parties du cerveau ,
tandis qu’ils font éveillés dans d’au­
tres , à la faveur defquelles le & ng
& les efprits ,q u i profitent des pa(-
{âges ouverts , coulent aux organes
du mouvement. Notre admiration
diminuera encore ,pius ,.e»conû<lé-
rant les degrés fucçdEfs a gui des
plus petites avions faites en dor­
mant t cooduifcnt aux plus .grandes
& aux plus compofées , toutes les
fois qu’une idée s’offre à l’Ame avec
affez de force pour la convaincre
d e là préfence réelle du fantôme
que l’imagination Lui préfente : &c
alors il Ce 'forme dans le corps des
fnouyemens qui répondent à la vo<*
jonté «que cette idée .fait naître.
^dai$ pour ce qui effde l’adreffe te
des précautions que prennent les
fomnam^ule?, avons-nous plus de
facilité qu’e u x , à éviter mille dan­
gers , lçrfque nous marchons h nuit
dans des lieux inconnus ? ha T©po«-
grapbie du lieu fç peint dans le cer­
veau du n o âam b u le, il connoît ce
( x*4) . ..
lieu qu’H parcourt } & le fiége de
cette peinture eft chez lui néceflaL
.rement aufli mobile , aufli libre ' ■
aufli clair, que dans ceux qui veil-
-lent.
§. V.
Cenclujion fur l'êtreJ tn ftif

Il y a beaucoup d’autres chofes,


qui concernent nos connoiflances,
& qui n’intéreflent pas peu notre
curiofité } mais elles font au-deflus
de notre portée : nous ignorons
quelles qualités doit acquérir le
principe matériel fenfitif , pour
avoir la faculté immédiate de fen-
tir ; nous ne fçavons pas fi ce prim
cipc poflede cette puiflance dans
toute fa perfection, dès le premier
inftant qu’il habite un corps animé.
(x8j)
Il peut bien avoir des fenfations plus
imparfaites , plus confu fes , ou
moins diftin&es j mais ces défauts
ne peuvent-ils pas venir des autres
organes corporels qui lui fournif-
fent ces fenfations ? Cette poflibilité
eft du moins facile à écablir, puif-
qu’elles lui font toutes retranchées
par l’interception du cours des ef-
prits durant le fom m eil, Sc que ce
même principe fenfitif,dans un fom­
meil léger, ou imparfait, n’a que des
fenfations incomplettes , quoique
par lui-même il foit immédiatement
prêt à les recevoir complétés & dit-
tinâes. Je ne demande pas ce que
devient ce principe à la m ort, s’il
çonferve cette immédiate faculté de
fentir ,& fi dans ce cas d’autres cau-
fes que les organes qui agiflent fur
/i8d)
lu i durant la>v i e , peuveritf lui' don­
ner de^ fenfations qui lè rendent
heureux ou iriâlheüreuXi Je ne de­
mande pas fi cette partie dégagée
•»de fes liens, & cbrtfervartt fbn ef-
«^fcnceyrfefte ertàrite, toujours1pre­
s te à reproduire un animal nou-
»»vèau , ou àJ reparaître revêtue
./ d’ùn nouveau corps- ?Aprèi1 qu’a -
-'V ô ifé té diffipée dans Pair , oü
-‘ dârisl’è a ü , cachée dàns lès feuilles
* dfe$:plantes, ou dans la chair des
«-animaux', elle leretrouvèfrbit dans
•* là fëtnenee de ranimai !qü’èlle de­
» Vtbit- reprodüitè 1 i Je ' nfiriqulete
«-peU-fi l’ ÀViié Capable d’animef- de
..‘nouveaux- corps1, rie pbürtoit re­
* produire toutes les e{péceS!pbffi-
1 -blés parla “feulé diverfîtê des to m -
«‘Binaiforisi •»Ges'-quèftlons font d-u*
{ tifr p ).

o c nature à refter éternellement in-


décifes. Ii faut avouer que nous n’a*
vons fur tout cela aucune* lum ière,
parce qjiloone fçaitrien au-delà de
ce que nous apprennent les fenlà-
tions , qui'nous abandonnent ici}
iC par conféquent on ne doit pas fe
permettre de former la-deflus aucu­
ne forte de conjedure. Un homme
d ’iefprit, propofe. des. problèmes*, là
fot:& l’igporaat décident;-m^s>la?
difficulté refte^oujours pmirdePhi**
lcdbphe. Soumettons-ènousaionG à l’ii-
gnorance&s 1aillons murmurer: no*<
tre vanité. C e qui me paroît.afïèfc'
v ra i, & conforme aux principes éta­
blis ci-devant, c’eft que les animaux
perdent en mourant leur puilfance
immédiate' de fèntir ,. & que par
coafequent-PA^me^fènfitive eft véri-
( l g s >
tablément anéantie avec eux. E lle
n’éxiftoit que par des modifications
qui ne font plus.

C h a p i t r e XV.

Des facultés intelleéluelles , ou de


l'Ame raifonnable.

L e s facultés propres à l’Ame rai-


fonn^ble , font les perceptions in­
tellectuelles , la liberté, l’attention,
la réflexion , l’ordre ou l’arrange­
ment des idées , l’éxamen & le juge­
ment.
§. I. .
Des Perceptions.

Les perceptions font les rapports


que l’Ame découvre dans les fen-
fations
t U8^)
fâtîotis qui l’affedent. Les fenfa*
fions produifent des rapports qui
font purement fenfîblés , & d’autres
qu’on ne découvre que par un éxa-
lïien férieux. Lorfque nous enten­
dons quelque bruit , nous fommes
frappés de deux chofes ; iô. du
b ru it, qui eft la fenfation : i° . de la
diftance de nous à la caufe qui fait
le b ru it, laquelle eft diftinde de la
fenfation du b ru it, quoiqu’elle
n’en foit pourtant qu’une dépen*
dance, relative à la manière dont ce
fon nous a ffe d e , & qu’elle ne foie
par conféquent qu’une fimple per­
ception , mais une perception fen-
ftble, parce c’eft le fim ple fen-
timent qui nous la donne : 3°. de Ja
maniéré dont la caufe produit le
b ru it, en ébranlant l’air qui vient
T
(ipc)
frapper nos oreilles. M ais cette con-
noiflance ne peut s’acquérir que par
les recherches de l’efpric , 6c ce fonc
les connoi {Tances de ce dernier
genre, qu’on appelle perceptions
intellefluellcs, parce que la fimple
fenfation ne peut nous les donner
par elle-même , 6c qu’il fa u t, pour
les avoir, Te replier fur elle , 6c l'e­
xaminer.
Ces perceptions ne Te découvrent
donc qu’à M’aide des fenfations at­
tentivement recherchées ; car lorf*
que je vois un quarté, je n’y apper-
çois rien au premier coup d’œil que
ce qui frappe les animaux mêmes,
tanditqu’un Géomètre qui applique
tout Ton génie à découvrir les pro­
priétés de cette figure, reçoit de
Timprefiion que ce quatre fait fur les
* f * * 1) .
fens une infinité de perceptions lit*
telleétuelles, qui cchapent pour tou*
jours à ceux qui bornés à la fenfa--
cion de l’o b jet, ne Voyent pas plus
loin que leurs yeox. Concluons donc
que cette opération de l’A m e , fi
déliée, fi mécaphyfique t fî rare dans
la plupart des têtes, n’a d’autre four-
ce que la faculté de fentir , mais de
fcntir en Philofophe ,o u d’une ma*
nierc plus attentive & plus étudiée,

M L

. De la Liberté,
L a Liberté eft la faculté d’éxatoî-
h ef attentivem ent, pour découvrit
des vérités, ou de délibérer pour
nous déterminer avec raifon à a g ir,
«ta à ne pas agir : dette faculté nous
Ta
( )
offre deux chofes à confidérer. i° .
Les motifs qui nous déterminent à
examiner, ou à délibérer ; car nous
ne faifons rien fans quelque impref-
fion, qui agilfant fur le fonds de
l’Ame j remue & détermine notre
volonté. x°. Les connoiffances qu’il
faut éxaminer pour s’aflurer des vé-
ritésqu’on cherche, ou les m otif;
qu’il faut pefer ou apprétier, pour
prendre un parti.
Il eft clair que dans le premier
cas, ce font des fenfations qui pré­
viennent les premières démarches
de notre liberté, & qui prédéter­
minent l’A m e , fans qu’il s'y mcle
aucune délibération de fa part ,
puifque ce font ces fenfations mê­
mes qui la portent à délibérer. D ans
le fécond ca s, il ne s’agit que d’un
(i93)
examen des fenfations, & à la fa­
veur de cette revue attentive, nous
pouvons trouver les vérités que
nous cherchons, & les conftater.
O r il s’agit des difïerens motifs ou
des diverfes fenfations , qui nous
portent les uns à agir, les autres à
ne pas agir. Il eft donc vrai que là
liberté confifte auffi dans la faculté
de fentir.
Je ne veux cependant pas paffer
fous filence une difpute qui eft en­
core fans décifion ; l’éxamen qui
eft le principal a£te de la liberté,
exige une volonté déterminée à s’ap­
pliquer aux objets qu’on veut éxac-
tement connoître , & cette volonté
fixe eft connue fous le nom d*at_
ten tion, la meredes fciences. O r on
demande fi oette même volonté n’é>
T j
(* 9 4 ï
*»g« pas dans TAme une force par
laquelle elle puiflè fe fixer, Sc s’af-
fujettir elle-même à l’objet de fes re -
cherches, ou fi les motifs qui la pré*
déterminent fuffifent pour fixer S£
Contenir fon attention.

ffon noftrum inter vos tantat amponere litft,


#■ - *

C om me on n’a pu encore s’accor­


der fur ce point, il y a toute appa­
rence que toutes lesraifons alléguées
d e part & d’autre ne postent point
avec elles ce critérium v trita tif, au­
quel feul acqulefcent les efprks
Phiiofophiquesîx’-eft pourquoi noua
ne ferons poirutde vaines tentatives
pour applanir de fi grandes difficul­
tés. Q u ’il nous fuffifc de-remarquer
que dans l’attention , l’Ame peut
agir par fa propre force , je veux
U ? 5)
dire par fa force m otrice, par cette
aétivité coeflentielle à la matière t
& que prefque tous les Phîlofophes,
comme on l’a d i t , ont comptée au
nombre des iattributs eflentiels de
l’être fen fitif, & en général de la
fubftance des corps.
Mais ne paflons pas fi légèrement
for l’attention. Les idées qui font
du reflort des fcîences font com­
plexes. Les notions particulières qui
forment ces idées, font détruites par
les flots d’autres idées qui fe chaf-
fent fucceflivcment. C ’eft ainfi que
s’affoiblit & difparoît peu-à-peu l’i­
dée que nous voulons retourner de
tous les côtés, dont nous voulons
envifager toutes les faces, & graver
toutes les parties dans la mémoire.
Pour la retenir , qu’y a-t-il donc i
t 4
( t jt f )
faire, fi ce n’eft d’empêcher ccttç
fuçcelfion rapide d’idées toujours
nouvelles, dont le nombre accable
ou diftrait l’A m e , jufqu’à lui inter*
dire la faculté de penfer. Il s’agit
donc ici de mettre comme une ef-
pece de frein qui retienne l’imagiv
n atio n , de conferver ce même état
du fenfortum commune procuré par
l ’idée qu’on veut faifir & examiner $
il faut détourner entièrement l’ac­
tion de tous les autres objets , pour
ne conferver que la feule impref-
fion du premier objet qui l’a frapT
pée , ôf en concevoir une idée d ik
tin & e , claire, v iv e , & de longue
durée ; il faut que toutes les facul*
tés dç l’Ame tendues &: clairvoyant
tes vers un feul p o in t, c’eft-à-dirc,
Vers la penfçe favorite à laquelle on
(19 7)
s'attache , foient aveugles par tout
ailleurs : il faut que l’efprit affou-
piflc lui-même ce tumulte qui fç
paffe en nous-mêmes malgré nous ;
enfin il faut que l’attention de l’A ­
me foit bandée en quelque forte
fur une feule perception, que l’A ­
m e y penfe avec com plaifance,
avec force,com m e pourconferver
un bien qui lui eft cher. En effet, fi
la caufe de l’idée dont on s’occupe ,
ne l’emporte de quelque dégré
de force, fur toutes les autres idées,
elles entreront de dehors dans le cer­
veau , & il s’en formera même au-
dedans, indépendamment de celles-
là , qui feront des traces nuifibles à
nos recherches, jufqu’à les déconcer­
ter & les mettre en déroute. L ’at­
tention eft la c le f qui peut ouvrir >
(i9%)
pour ainfi dire , la -feule partie de
îa moelle du cerveau, où loge l’i­
dée qu’on veut fe repréfenter à foi»,
même. Alors fi les fibres du cerveau
extrêmement tendnes , ont mis une
barrière qui ôte tout commerce en­
tre l’objet choifi, & toutes les idees
indiferetes qui s’cmprefTent à le
troubler , il en réfulte la plus clai-
te , la plus lutnineufe perception qui
f o k poffible.
Nous ne penfons qu’à une foule
chofo à la fois dans le même tems ï
une autre idée fuccede à la premiè­
re , avec une vîtelfe qu’on ne peut
définir, mais qui cependant paroi*
être differente en divers fujets. La
nouvelle idée qui fe préfente à l’A ­
me , en eft apperçue, fi elle fuccé»
d e , îorfque la première a difparu i '
i%99) _
autrement TA me ne la diftingue
point. Toutes nos penfées s’expri,
-ment par des m ots, & l’efpric ne
penfe pas plus deux chofcs à la fois
que la langue ne prononce deux
mots à la fois. D ’où vient donc la
vivacité de ceux qui réfolvent fi
vite les problèmes les plus compo-
les & les plus difficiles ? D e la faci­
lité avec laquelle leur mémoire re­
tient comme vraie, la propofition la
plus proche de celle qui expo£e le
problème.Ainfi tandis qu’ils perdent
à l’onzième propofition, par exem­
ple , ils ne s’inquiètent plus de lia vé_
rité de la dixiéme , & ils regardent
comme des -axiomes, toutes les cho­
ies précédentes, démontrées aupa­
ravant , & dont iis oast un recueil
clair dans la tête. C e fi ainfi qu'un
(3®o)
habile Médecin voit d’un coup
d ’œil toutes les caufes de la mala­
die & ce qu’il faut faire pour les
combattre.
Il ne nous refte plus qu’à, traiter
de la réflexion, de la méditation &
du jugement.

$. I I I .

De la Réflexion, & c.

La réfléxion eft une faculté de


l’Am e qui rappelle & raflemble tou­
tes les connoiflances qui lui' font
néceflaires pour découvrir les véri­
tés qu’elle cherche, ou dont elle a
befoin pour délibérer , ou apprétier
les motifs qui doivent la détermi­
ner à agir ou à ne pas agir. L ’Ame
eft conduite dans cette recherche

V
( 3 0 i)
pat la liaifon que les idées ont en*
tr’elles , 8c qui lui fournirent en
quelque maniéré le fil qui doit la
guider, pout quelle puiffe fe fouve-
nir des connoiffanccs qu’elle veut
raffembler, à defïêin de les examiner
en fu ite, & dé fe décider ; enforte
que l’idée dont elle eft a&uellement
affe&ée, la fènfation qui l’occupe
au moment préfent la mène peu-à-
peu infenfiblement, 8c comme par
la m ain, à toutes les autres qui y ont
quelque rapport. D ’une connoiffan-
ce générale , elle paffe ainfi facile­
ment aux efpéces, 8c des efpéces el­
le defcend jufqu’aux particularités f
de même qu’elle peut être Conduite
par les effets a la c a u fe , de cette
caufe aux propriétés, 8c des proprié­
tés à l’être. Ainfi c’eft toujours par
( * o i)
l’attention qu’elle apporte à fes féti»
fations, que celles donc elle eft ac*
tuellement occupée, la conduifent
à d'autres t par la liaifon que toutes
nos idées ont entr'elles» T e l eft té
fil que la nature prête à l’Am e pour
la conduire dans le labyrinthe de fes
penfées, & lui faire démêler le cac­
has de matière & d’idées, où elle eft
plongée.
§. I V .
De P arrangement des idées♦

Avant de définir la méditation f


je dirai un mot fur l’arrangement
des idées. Comme elles ont entr el­
les divers rapports,l’Ame n’eftpaS
toujours conduite par la plus cour­
te voie dans fes recherches. Cepen­
dant lorfqu’elle eft parvenue, quoi-
(3°>) , ,
que par des chemins détournés , \
fe rappeller les connoiflances qu'el­
le vouloic raflembler , elle apper-
çoit entr’elles des rapports qui peu»
vent la conduire par des rentiers
plus lumineux & plus courts. Elle fe
fixe z cette fuite.de rapports pour
retrouver & examiner ces connoif-
fances avec plus d’ordre & de faci­
lité.
Nous voilà donc encore fort en
droit d’inférer, que l’Am e raison­
nable n’agit que comme fenfitive >
même lorfqu’elle réfléchit & travail­
le à arranger fes idées.

§. v .

De U Miditatitn, eu dePexamen.

Lorfque l’ Am e eft déterminée à


0&4)
faire quelque techerche , qu’elle â
recueilli les connoifTances qui lui
font nécefTaireS, qu’elle les a arran­
gées & mifes en revue avec ordre,
vis-à-vis d’elle-même, elle s’appli­
que férieufement à les contempler
avec cet œil fixe qui ne perd pas de
Vue fon objet , pour y découvrir
toutes les perceptions qui échap­
pent , lorfqu’on n’en a que des fen*
fations pafïageres ; & c’eft cet exa­
men qui met l’Ame en état de ju­
ger , ou de s’aflurer des vérités qu’el­
le pourfuit , ou bien de fentir le
poids des motifs qui la doivent dé­
cider fur le parti qu’elle doit pren­
dre.
Il eft inutile d’obferver que Cette
opération de l’Ame dépend auffi en­
tièrement de la faculté fenfitive T
parce
(i°s )
pârCé que examiner, n’eft autre cho-
fe que fentir plus éxa&ement &
plus diftinûement pour découvrir
dans les fenfations, les perceptions
qu i ont pu légèrement glifler fur
l’Am e , faute d’y avoir fait afle*
d’attention , toutes les autres fois
que nous en avons été affeétés.

g. V I .
Cr
Du jugement.

L a plupart des hommes jugent


de to u t, & ce qui revient au mê­
me , en jugent mal. Eft-ce faute d’i­
dées Amples , qui font toutes des
notions fçules, ifolées ? Non ; per“
fonne ne confond l’idée du bleu
avec celle du rouge 5 mais on fè
trompe dans les idées com pofées,
V
d#nt l’eflênce dépend de l’union de
plufieurs idées fimples. O n n’attend
pas à avoir acquis la perception de
toutes les notions qui entrent dans
deux idées compofées ; il faut pour
cela de la patience & de la modef*
tie -, attributs, qui font trop rougir
l’orgueil & la parefle de l’homme.
Mais fi la notion de l’idée A , con­
vient ave^ celle de l’idée B , je juge
fouvent qu’A & B font les mêmes ,
faute de faire attention que la pre­
mière notion n’eft qu’une partie de
l’idée , dans laquelle font renfer­
mées d’autres notions , qui répu­
gnent à cette conclufion. La volon­
té même nous trompe beaucoup.
Nous avons lié deux idées par fen-
timent d’amour ou de haine ; nous
les unifions , quoiqu’elles foient
, O 0? )
très différentes, & nous jugeons des
idées propofées , non par elles-mê*
mes , mais pat ces idées avec les­
quelles nous les avons liées, & qui
ne font pas des notions componentes
de l’idée qu’il falloit ju ger, mais des
notions tout-à-fait étrangères & ac­
cidentelles à cette même idée. O n
excufe l’un & on condamne l’au­
tre, fuîvant le lentiment dont on eft
affeété. O n eft encore trompé par ce
vice de la volonté & de l’aflociation
des idées, quand avant de juger on
Souhaite que quelque idée s’accorde,
ou ne s’accorde pas avec une autre
d’où naît ce goût pour telle fe&e,ou
telle hypothèle , avec lequel on ne
viendra jamais a bout de connoître
la vérité.
Comme le jugement eft la com-
Va
binalfon des id ées, le raifonnemene
eft la comparaifon des jugemens.
Pour qu’il foie jufte, il faut avoir
deux idées claires, ou une percep­
tion éxa&e de deux chofes 5 il faut
aufli bien voir la troinéme idée
qu’on leur com pare, & que l’évi­
dence nous force de déduire affir­
mativement ou négativem ent, de
la convenance, ou de la difeonve-
nancc de ces idées. Cela fe fait dans
un clin d’œ il, quand on voit cla ir,
c’eft-à-dire, quand on a de la péné­
tration , du difeernement & de la
mémoire, qui eft bonne & utile à
to u t, comme je l’ai déjà prouvé.
Les fots raifonnent m al, ils ont
fi peu de mémoire , qu’ils ne fe fou-
viennent pas de l’idée qu’ils viennent
d’appercevoir ; ou s’ils ont pu juger
< 3°9 )
d e la fimiütude de leurs idées , ils
o n t déjà perdu de vue ce jugement,
lorfqu’il s’agit d’en inferer une troi-
fiém e idée , qui foie la jufte confé-
quence des deux autres. Les fols
parlent fansliaifon dans leurs idées,
ils rêvent , à proprement parler. En
ce fens les fots font des efpeces de
fols. Ils ne fe rendent pas juftice de
croire n'être quignorant ; car ils
n ’ont leur efprit qu’en amour pro­
pre , & c’eft un dédommagement
fort bien entendu de la pa t de la
nature.
Il s’enfuit de notre Théorie , que
lorfque l’Ame apperçoit diftin&e-
m ent & clairement un objet, elle
eft forcée par l’évidence même de
fes fenfations, de confentir aux vé­
rités qui la frappent fi vivement,SC
V 3
( Jio)
c’eft à cet acquiefcement paflif, que
nous avons donné le nom de juge-
mène. Je dis p a jjîf, pour faire voir
qu’il ne part pas de l’a&ion de la
volonté, comme le dit Defcartes,
X-orfque l’Ame découvre avec la
même lumière les avantages qui pré­
valent dans les motifs qui nous doi­
vent décider à agir, ou à ne pas
a g ir, il eft clair que cette décision
. n ’cft encore qu’un jugement de la
même nature que celui qu’elle fait
lprfqu’elle cède à la vérité par l’é­
vidence qui accompagne fe$ fenr
dations.
Nous ne connoiflbns point ce qu 1
fe pâlie dans le corps hum ain, pour
que l’Amç exçrce fa faculté de ju­
g er, de raifonner , d’appercevoir,
de fencir, $cc. le cerveau change
(3” )
{ans ceffe d’état , les efprics y font
toujours de nouvelles traces , qui
donnent néceffairement de nou­
velles id ées, & font naître dans
l’Am e une fucceflion continuelle &
rapide de diverfes opérations. Pour
n’avoir point d’idées , il faut que les
canaux,où coulent ces efprits,foient
entièrement bouchés par la pref-
fion d’un fommeil très-profond. Les
fibres du cerveau fe relevenc-elles
de leur affairement ? Les efprits en­
filent les chemins ouverts , & les
idées qui font inféparables des ef­
prits ,marchent & galopent avec eux*
Toutes les penfées, comme l’obfer-
ve judicieufement Croufaz , b i f ­
fent les unes des autres , la penfét
( ou plutôt l’Am e , dont la penfée
n’eft qu’un accident ) f i varie &
v 4
O**)
fa jfé par différons éta ts, & fu iv a n t
la variété de fes états & de fes ma-,
nieres d?être , eu de f enfer, elle far-,
vient a la connoijfance, tantôt d ’une
çhofe, tantôt d’une autre. Elle fe fe n t
elle-même , elle eft à elle-même fo n
objet immédiat, & enfe fentant ainfiy
elle f e ref réfente des chofes differen­
tes defo i. Q u e ceux qui penfent que
les idées différent de la penfée , que
l’Am e a comme la v u e , fes yeux ÔC
fes objets, & qu’en un mot toutes
les diverfes contemplations de l’A ­
me ne font pas diverfes manières
de fe fentir elle-m êm e, répondent à
cette fàge réfl«xion?En voici une au­
tre fur un autre fu je t, mais qui a
toujours rapport au jugement & à
l’imagination. Les gens de cabinet,
ceux qui compofent des Ouvrages
(3i3)
doivent-ils jetter fur le papier tout
ce qui leur vient dans l’idée i Un
homme d’efprit, connu dans la lit*
térature par un Ouvrage (i) fort e f.
tim ab le, prétend que ceux qui fui.
vent cette méthode ont une imagi­
nation qui donne bien de l'ouvra­
ge a leur raifon. Les Auteurs qui
penfent , ( & celui-là penfe & écrit
bien) invitent les autres à réfléchir,
& fo n t, comme on d i t , accoucher
leurs Le&eurs. V oici donc ma ré-
fléxion, elle eft courte , parce qu’el­
le eft Pflyfique. Nous ne connoik
Ions ce qui penfe dans le cerveau,
que par le fentiment d’un cahos d’i­
dées , de penfees diverfes qui fe nui"
len t par leur multitude & leur va-
(0 Efl", de Mor. & de Litt. par.
-
M. l’Abbé
. .
Tru-
.
(3*4)
rictc continuelle, même dans ceux
qui ayant perdu la vue ne reçoivent
point d’idées nouvelles par les
y e u x , & ont un fens de moins à les
diftraire , de forte que rien n’eft
plus difficile à fixer, que l’attention.
Si donc vous n’écrivez pas l’idée
qui fe préfente , fans être interrom­
pu par aucun fâcheux , vous courez
rifque de la chercher en vain dans
votre mémoire , &: par-là votre pa-
relTe donne plus d’ouvrage à votre
xaifon, qui s’alem bique, fe met à la
torture , & s’efforce d’enfanter la
même production qui eft déjà bien
loin. Au contraire votre penfée eft-
elle fur lepapier?vous avez des carac-
, teres qui valent au moins les lignes
des Géomètres j ces lignes toujours
préfens à leur m ém oire, la foutien* '
(HJ)
.n e n t, la rendent durable , ou la
rappellent} vos idées retenues par­
la ne peuvent s’échapper, & long-
tems après vous êtes fur de retrou,
ver le fil de votre ouvrage & l’ordre
de vos idées. Ainfî çette conduite
convient principalement aux génies
peu étendus qui forment le plus
grand nombre. Il eut toujours
également fallu choifir entre fès
id ées, & quand elles n’étoient en­
core que dans la tête , le choix n’en
étoit que plus difficile, fur-tout fi I3,
•matière eft abftraite, comme en M a­
thématiques , & en Métaphyfique.
C eu x qui en compofant s’abandon­
nent à la providence de leur mé­
m oire, ne prennent donc pas le plus
court chemin.L’iHuftre ami de l’A u ­
teur que je réfute,M.de laM.pouvoit
f'jfiô
bien compofer , comme je l’ai die >
cinq A des de T ragédie , avant que
de mettre un feul Vers fur le papier i
M . de Voltaire avoit dans la tête
toute fa magnifique Henriade au
forcir de la Baftille. Mais qu’eft-ce
que cela prouve î Deux exceptions
aux régies générales. Je dis même
que M , de V . eût fait plus facile­
ment ce bel O uvrage, s’il eût eu
une plume & de l’ancre , quoique
l’agrément des produ&ions de l’ima­
gination , tout , jufqu’à la m in e ,
donne aux Poctes, plus de mémoire
qu’aux autres hommes. Montagne
qui en avoit fi p eu , à ce qu’il d i t ,
auroit dû , par rcm ede, apprendre à
faire des Vers. Je fuis perfuadé que
la Méthode de M . l’Abbé T . . n’a
pas été fuivie, même par bien des
, c$t?) .
génies , je parle de ceux qui ont pa­
ru dans les fiécles d’ignorance. C ar
comme tout eft rela tif, & que les
borgnes, comme on dit proverbiale­
ment , font Rois parmi les aveugles,
chaque fiécle a dû avoir fon génie &
fon bel efprit, qui aujourd’hui ne
feroient peut-être, l’un qu’un hom­
m e à gros bon fens, & l’autre qu’un
efprit médiocre. D ’où l’on v o it,
pour le dire en paffant, toute l’uti­
lité des beaux Arts: mais on conçoit
en même tems que le jugement ou
la raifon des génies dont je parle eût
été fort embaraflee, (ans un cane­
vas préparé par l’imagination.
C h a p i t r e XVI.

J$uc la fo i feule peut fixer notre


croyancefu r la nature de l'Am e
raifonnable.

ILeft démontré que l’Am e rai-


fonnable a des fondions beaucoup
plus étendues que l’Am e fcnfitive »
bornée aux connoiffances qu’elle
peut acquérir dans les bêtes, où elle
eft uniquement réduite aux fenfa-
tions aux perceptions fenfibles,
de aux déterminations machinales,
c’eft-à dire , fans délibération , qui
en réfultent. L ’Ame raifonnable
peut en effet s’élever jufqu’aux per*
ceptions , ou aux idées intelleâuel*
le s, quoiqu’elle jouiflè peu de cette
( ? i 9)
noble prérogative dans la plupart
des hommes. Peu ( c’eft un aveu que
la vérité ne m’arrache pas fans dou.
leur ) peu fortenc de la fphere du
inonde fenfible , parce qu’ils y trou­
vent tous les biens, tous les plaifirs
du corps, & qu’ils ne Tentent pas
l’avantage des plaifirs Philolophi-
qu es, du bonheur même qu’on goû­
te , tant qu’on s’attache à la recher­
che de la vérité s car l’étude fait plus
que la p ieté, non-feulement elle pré-
ferve de Cennui, mais elle procure
fouvent cette efpece de volupté ou
plutôt de fatisfa&ion intérieure»
que j’ai appellée fenfations d’efprit,
lefquelles fans doute font fort du
goût de l’amour propre.
Après cela eft-il donc furprenant
q u e le monde abftrait, intelle&uel,
(31ô) .
où il n’eft pas permis d’avoir un fdri-
tim ent, qu’il ne foie examiné paf
les plus rigoureux Cenfeurs ; eft-il
furprenanc, dis-je * que Ce monde
foie prefque aufli défère, aufli aban­
donné que celui de l’illuftre fonda­
teur de la fè& e Careéfienne t puif*
qu’il n’eft habicé que par un pecic
nombre de (âges , c’eft - à - dire ,
d’hommes qui penfent ?( Car c’eft 4là
la vraie fagefle,le refte cft préjugés :)
Eh ! Q u ’e ftc e que penfer, fi ce n’eft
pafter fa vie à cultiver une terre in­
grate , qui ne produit qu’à force de
foins & de culture. En effet fur cent
perfonnes, y en a - 1 - il deux pour
qui l’étude & la réflexion ayent
des charmes ? Sous quel afpeCt le
monde intellectuel, dont je parle,
fe montre-t-il aux autres hommes,
qui
. Oit)
*qnî Connoiflent cous les avantagé!
d é leurs fens , excepté le principal J
q u i eft l’efprit î O ïl h’aürâ pas de
|>eine à croire qu’il né léulr parôîc
dans le lointain qu’un pays idéal ,
donc les fruits font purement ima»
ginairesv
C ’eft en confequence dé cette fü-
périorité de l’Ame humaine, fur cel­
le des animaux , què les anciens
l ’ont appéllée Ame raifonnable.Mais
ils ont étéfortatcentifsà rechercher
fi ces facultés ne Viennent pas de cel­
les du corps, qui (ont encore plus
excellentes dans l’homme. Ils ont
d ’abord remarqué què tous les hom­
mes navoient pas, à beaucoup près,
le meme dégré, la même étendue
d ’intelligence s & en cherchant la
raifon de cette différence,ils ont cru
X
< 1*0
q u ’elle ne pouvoir dépendre que de
l’organifation corporelle plus par­
faite dans les uns , que dans les au­
tres , & non de la nature même de
l’Ame. Des obfervations fort (impies
les ont confirmés dans leur opinion.
Ils ont vu que les caufes qui peuvent
produire du dérangement dans les
organes, troublent, altèrent l’efprit,
& peuvent rendre imbécille l’hom­
me du monde qui a le plus d ’intelli­
gence & de fàgacité.
D e-là ils ont conclu allez claire­
ment que la perfection de l ’elprit
confifte dans l’excellence des facul­
tés organiques du corps humain : 6c
fi leurs preuves n’ont pas été jüf-
qu’ici folidement réfutées , c ’eft
qu ’elles portent fur des faits $ 6c
à quoi fervent en effet tous les rai-
(*»})
fonncm ens contre des expérience»
inconteftables 6c des obfervations
journalières î
Il faut cependant fçavoir que
quelques - uns ont regardé notre
Am e non - feulement comme unc
fubJÎAnce fpiritticllc ( a ) , parce que

( a) La fpiritualité 8c h matérialité différoieni


peu chez les anciens. Ils entendoient par l’une p
un affemblage de parties matérielles * légères, 8c
déliées, jufqu’à fembler en effet quelque chofè
d’incorporel, ou d’immatériel; 8c par l’autre,ils
concevoient des parties péfantes, groffieres, vi*
fibles, palpables. Ces parties matérielles, appet-
çevables, forment tous les corps par leurs diverfès
modifications, tandis que les autres parties im­
perceptibles , quoique de même nature 9confti-
tuent toutes les Ames. Entre une fuèftancefpirt-
,ruelle 8c une fubftance matérielle, il n’y a donc
d’autre différence que celle qu’on met entre le*
modifications, ou les façons d’être d’une même
fubftance : & félon la même idée, ce qui eft ma­
tériel peut devenir infenfiMement fpirituel * 8c le
X i
(3*4)
chez eux cette expreflion ne Cgni-
fioit qu’une matière déliée,aâive,&
d’une fubtilité imperceptible j mais
même comme immatérielle , par­
ce qu’ils diftinguoienc dans la fub£.
tance des corps, comme on l’a tant
de fois répété, la partie m u e, c’eft-
à-dire, celle qu’ils regardoient Am­
plement comme m obile, & à la­
quelle ils ne donnoient que le nom
de matière , d'avec les formes

devient en effet. Leblanc d’œuf peut ici fervir


d’éxemple > lui qui à force de s’atténuer & de
s’affiner au travers des filiaires vafculeufes infi­
niment étroites du poulet, forme ou donne tous
les efprits de cet animal;& que l’Analogie prouve
bien que la lymphe fait la même chofè dans
l’homme!Ofèroit-on comparer l’Ame aux efprits
animaux, & dire qu’elle ne diffère des corps, que
comme ceux-ci différent des humeurs groffieres >
par le fin tiffu >& l’extrême agilité de fès Ato­
mes ?
(3 * J )
aâives & fcnfitives de ces fubftan-
ces. Ainfi l’Ame n’étoit autrefois
décorée des épithetes de ffiritu elle
& d*immatérielle, que parce qu’on
la regardoic comme la forme ou la
faculté a&ive & fenfitive parfaite­
ment développée , & même élevée
au plus haut point de pénétration
dans l’homme. O n connoît par ce
que je:viens de dire la véritable
origine de la Métaphyfique ; & la
voilà juftement dégradée de fa chi­
mérique nobleflfe.
Plufieurs ont voulu fe fignaler en
foutenant que l’A m e raifonnable 8C
l’Ame fenfitive formoient deux
Ames d’une nature réellement dif-
tinébe , &c qu’il falloit bien fe don­
ner de garde de cqrjfondre enfem-
ble. Mais comme il effc prouvé que
X 3
0*0
l’Ame ne peut juger que fur les fen-
fations qu’elle a, l’idée de ces Philo*
fophes a paru impliquer une contra-
di£lion manifefte , qui a révolté
tous les efprits droits Sc éxemts
de préjugés. Âuflî avons - nous fou-
vent fait obfervér que toutes les
opérations de l’Ame font totale*
rttent arrêtées, lorfque fon fentiment
cft fufpendu, comme dans toutes
les maladies du cerveau , qui bou­
chent & détruilent toutes les com­
munications d’idées,entre ce vifcere
& les organes fenfitifs î de forte que
plus on éxamine toutes les facultés
intelle&uelles en ellés»mêmeS, plus
on demeure fermement convaincu
qu’elles font toutes renfermées dans
la faculté dëPfofctir , dont elles dé­
pendent Q. eÔéAtiellement, que l’A -
(m )
me ne feroit jamais aucune de fcs
fondions fans elle.
Enfin quelques Philofophes ont
penfé que l'Ame n’cft ni matière ni
corps, parce que confidérant la ma­
tière par abftra&ion , ils 1 envifa*
geoient douée feulement de pro­
priétés paflives & m é c a n i q u e s i l s
ne regardoient aulîi les corps, que
comme revêtus de toutes les formes
fenfibles, dont ces mêmes propriétés
peuvent rendre la matière fufeepti-
fcle. O r , comme ce (ont les Philo­
fophes qui ont fixé la fignification
des termes,& que la foi pour fe faire
entendre aux hommes, a dû fe fer-
vir néccffairement du langage me­
me des hommes, de-là vient que
è’eft peut-être en ce fens dont on a
abufé, que la foi a diftingué 1 Ame
te de la matière te du corps qu’elle
habite : te fur ce que les anciens
Métaphyficiens avoient prouvé que
l ’Ame eft une fubftance aôive te feir
fible, te que toute fubftance eft par
foi-même impériftable,de«-là ne fem-
ble-t’il pas naturel que la foi ait pro<
nonce en conféquence que l’A m e
écoit immortelle (4) i

(a) Si nous n’avons pas de preuves philofbphi-*


^ues de l'immortalité de l’Ame, ce n’eft certaine­
ment pas que nous (oyons bien-aifes qu’elles nous
manquent. Nous Tommes tous naturellement por^
tés à croire ce que nohs fouhaitons. L’amour-*
proore trqo humilié de (è voit prêt d’être anéanti ^
fe flatte, s’enchante de la riante perfpeftive d’un
bonheur éternel .J’avoue moi-même que toute ma
Philûfophie ne m’empêche pas de regarder la mort
comme la plus trifte néceflité de la Nature , dont
e voudrais pour jamais perdre l’affligeante idée,
Je puis dire avec l ’aimable Abbé de Chauiieu ,

», Plus j’approche du terme Sc moins je le redoute}


» Par des principes furs, mon efprit affermi,
a» Content, pçrfuadé, ne connoît plus lç doute ;
Voilà comme on peut accorder,
félon m o i , la révélation & la Philo-

n Des fuites de ma fin je n'ai jamais frémi.

, , Et plein d’une douce çfpérance,


M Je mourrai dans la confiance,
„ Au fortir de ce trifte lieu ,
,, De trouver un afyle , une retraite fure,
„ Ou dans le fèin delà Nature,
„ Ou bien dans les bras de mon Dieu,

Cependant je ceffe d’etre en quelque forte, toutes


les fois que je penfè que je ne ferai plus.
Paflons en revue les opinions, ouïes défirs des
Philosophes fur ce fiijet. Parmi ceux qui ont lou-*
haitc que l’Ame fût immortelle,on compte, i °.Sé-
neque ( Epifl. 107. &c. Quœfl. Nat. L. 7. &c. )
a®. Socrate; 30. Platon , qui donne à la vérité ( in
Pkad. ) une démonftration ridicule de ce dogme 9
mais qui convient ailleurs qu’?7 ne letroit vrai 9
que parce qufil l'a oui dire. 40. Cicéron ( De Na~
turâ Deorum , L. z. ) quoiqu’il vacille , L. 3. dans
fà propre doétrine , pour revenir à dire ailleurs
qu’il affeftionne beaucoup le dogme de l’ immortalité»
quoique peu vraisemblable. 5°. Pafcal, parmi les
Modernes ; mais fa maniéré de raifonner ( 1. Penf,
fu r la Relig. ) eft peu digne d’un Philofoi he. Ce
$rand homme s’imaginoit avoir de la fo i, $ U
O jo) ^
fophie, quoique celle-ci finiiïe , où
l’autre commence. C ’eft aux feules

n’avoit qu’envie de croire, mais for de légitime*


motifs qu’il cherchoit. Croire,parce qu’on ne ris­
que rien , c’eft croire parce qu’on ne içait rien. Le
parti le plus fage eft du moins de douter, pourvu
que nos doutes fervent à regler nos aérions , & à
nous conduire d’une maniéré irréprochable * félon
la raifort & les Lois. Le Sage aime la venu, pour
la vertu même. ^ ^
Enfin les Stoïciens, les Celtes, les anciens Bre­
tons y&c. défiroient tous que l’Ame ne s’éteignît
point avec le corps. Tout le mon de,dit indécem­
ment Pomponatius ( de Immort. Anim. ) fouhaite
Fimmoitahté, comme un mulet défile la généra*
tien qu’il n’obtient pas.
Ceux qui ont penfé fans balancer que l’Ame
étoit mortelle , font en bien plus grand nombee.
Byon fè livre à toutes fortes de plaifànteries , ea
parlant de l’autre monde ; Céfars’en mocqueait
milieu même du Sénat, au lieu de chercher à
dompter l’hydre du Peuple, & à l’accoutumer au
frein néceffaire des préjugés. Lucrèce, ( de Nat,
rer. L. 3. ) Plutarque , &c. ne connoiflent d’autre
Enfer, que les remords. Je fçai, dit l’Auteur d’E-
ledre,

y%Je fçai que les remords d’un cœur né vertueux »


Souvent pour les ( crimes ) punir vont plus loin
1 que les Dieux.
O îO
lumières de la foi à fixer nos idées
iùr l’inexplicable origine du mal}

Virgile ( Georg) tir . %.)fe mocque du bruit ima­


ginaire de l’Acheron, & il dit ( Eneid. L. 3.) que
les Dieux ne fe mêlent point des affaires des
hommes ;
Scilicet it fuperis labor eft 9 ta cura quietos^
Sollicitât•

Lucrèce dit la même choie ,

XJtque ornnïs perfe divûm naturaüecejfe eft


Immortali avofummd cumpacefruatur ,
Smota à noftris rebut ^fejunÛaque longe »
Wamprivata dolore otnni, privata periculis
. Ipfafuis pollens opibus, nikü indiga noftrî ,
JNec benèpro meritis gaudet, nec tangitur ira.
En un mot tous les Poètes de 1*Antiquité,Ho­
mère , Héliode, Pindare, Callimaque>Ovide,Ju-
. vénal, Horace, Tibule, Catule, Manilius, Lu-
cain, Petrone, Perfe, &c. ont foulé aux pieds les
craintes de l’autre vie. Moyfe même n’en parle
pas , & les Juifs ne Pont pas connue.,
Hippocrate, Pline, Galien, en un mot tous les
Médecins Grecs, Latins, & Arabes, n’ont poin t
admis la diftindion des deux luhiiances » & la
plupart n’ont connu que la Nature,
c’eft à elle à nous développer le jufte
& rinjfte, a nous faire connoîtrela

Diogene, Leucippe, Démocrite, Epicure, Lac-


tance, les Stoïciens, quoique d’avis diffërens
entre eux (tir le concours d’aromes , (è (ont tous
réunis fur le point dont il s’agit : & en général
tous les Anciens enflent volontiers adopté ces
deux Vers d’un Poète François:

„ Une heure après ma mort,mon ame évanouie»


„ Sera ce quelle étoit unç heure avant tp#. viq.

Dicxarque, Afclépiade, ont regardé l’Ame


comme l’harmonie de toutes les parties du corps.
Platon à la vérité foutient que l’Ame eft incorpo­
relle , mais c’eft comme faifant partie d’une chi­
mère qu’il admet, (pus le nom a9Ame du monde ;
& félon le même Philofbphe, toutes les Ames des
animaux & des hommes (ont de même nature, &
la difficulté de leurs fondions ne vient que de la
différence des corrs qu’elles habitent.
Ariftote dit aufÏÏ que,, ceux qui prétendent
„ qu’il n’y a point d’Ame (ans corps,& que l’Ame
„ n’eff point un corps, ont raifbn \ car , ajoute-
t*iî,l’Ame n’eft point un corps, mais c’eft quel-
„ que cho(è du corps. Animant qui exi/ttmant ne-
quefine corpore, neque corpus aliqyod, bene opinan-
tur : corpus enim non eft^carporis autem ejl aliquid.
De Anim. Text. i6. c. 2. Il entend bonnement la
forme * ou un accident, dont il fait un être féparê
(m )
nature de la liberté, & tous les Re­
cours furnaturels qui en dirigent

de la matière. D ’où l’on voit qu’il n’y a qu’à bien


éplucher ceux d’entre les Anciens qui pafoiflent
avoir cru l’Ame immatérielle,pour fe convaincre
qu’ils ne different pas des autres. Nous avons vu
d’ailleurs qu’ils penfoientque la fpiritualité étoit
auffi-bien un véritable attribut de la fubftance »
que la matérialité même; ainii ils fe reflemblent
tous. . #
Je ferai ici une réflexion. Platon définit l’Ame
une ejfence Je mouvant d'elle-même, & Pythagore
un nombrefe mouvant de lui-même. D’où ils con-
cluoient qu’elle étoit immortelle.Defcartes en tire
une conféquence toute oppofee;tandis qu’Ariftote
qui vouloit combattre l’immortarité de l’Ame,n’a
cependant jamais fongé à nier la conclufion de ces
Anciens Philofophes, & s’en eft tenu feulement à
nier fortement le principe , pour plufieurs raifons
que nous fupprimons, & qui font rapportées dans
Macrobe. Ce qui fait voir avec quelle confiance
on a tiré en différons tenas des memes principes ,
des conclufîons contradictoires. ^ ^
Le fyûême de la fpiritualité de la matière étoit
encore fort en vogue dans les quatre premiers
fiécles de l’Eglife.On crut jufqu’au Concile deLa-
tran que l’Ame de l’enfant etoit la production
moyenne de celles du père & de la mere.Ecouton*
Tertuïïen : Animam corporalemprofitemur, haben-
tem proprinm tenusfubfianti* &foliditatis ,/>*r
t (114)
l’exercice î enfin puifquc les Théo#
logiens onc une Am e fi fupérieure à

fuam quoi & feHtire & pati pojfit. . ♦ . futd dicis


cœleftem, quant unde cœleftem intelltgas > non ha*
bes ? Quid terrenam negas > quant unde terrenam
stgnofcas, habes, ? . . . caro atque anima fim ul ftunt
fine calcule temporis, toque fimul in utero etiam fi*
gurantur •. • minime divina res , quoniam quidem
mortalis.
Origene, S. Irenée, S. Juftin Martyr, Théo*
jphile d’Antioche, Amobe, &c. ont penfë avec
Tertulien que l’ame a une étendue formelle.
S. Auguttin penfe-t-il autrement lorfqu’il dit|;
Hum corpus animas , vitâque imbuit, Anima dici-
fur : dum vuls , Animus : dum fcientia omata eft+
ac judicanii peritiam exerces > mens ; dum recolù
sic reminijcisur y memoria : dum ratiocinatur , ac
fingula dtjcemis , ratio : dum consemplasioni in-
fiftit, fptrttus; dumfentiendi vim obtines, f tnfss eft
anima.
Il dit dans le même Ouvrage (de Anim.) i Q. Que
l'Ame habite dans le fang ? parce qu’elle ne peut
vivre dans le fec: pourquoi r Admirez la lagacité
de ce grand homme ; parce que c’eft un efprit*
a9. Il avoue qu’il ignore fi les Ames font créées
tous les jours, ou fi elles defcendent par propa­
gation des peres aux enfans. Il conclut qu’on
ne peut rien réfoudre fur ia nature dejfArae.
Pour traiter ce fujet > il ne fout être ni Théolo­
gien , ni Orateur : il faut être plus, Philofophf.
.< w ) .
celle dés Philofophes, qu’ils nous
difenc & nous fafTent imaginer, s’ils

Mais pour revenir encore 2 Tertulien, quoi­


que les Ames s’éteignent avec les corps, tou­
tes éteintes qu’elles font, fuivant cet Auteur,
elles fe rallument, comme une bougie, au Juge­
ment dernier, & rentrent dans les corps refîulci-
tés , ûms lefquels elles ne pourroient fouflrir, 8c
uvaat lesquels elles n’ont point (buâèrt. ^d per-
Jkûndum & adpatienàum focittatcm carnis ( Ani­
ma) expoftmlat. ut 'tam plate per tant peut pojfu%
quantfine ea plene agere non potuit, ( De Relunk
L. t. y8.) C ’eft ainfi que Teetulien imaginoit que
l ’Ante pouvoir être tout en&mble mortelle 8c im­
mortelle »8c qu’elle ne pouvoit être immortelle t
qu’autant qu’elle eft matérielle. Peut-on,ajuftet
piusJfijjgulaerement la mortalité 9l’immortaltté de
la matérialité de l’Anre avec la leéurreâion des
corps? Conor va plus loin ( E vangelium M ed ici );
il pou£e l’extravagance jufqu’à entreprendre d’ex­
pliquer phyüquemeirt ce myftere.
Les Scholauâques Chrétiens n’ont pas penfë au­
trement queiesAudens ûir la nature de l'Ame. Iis
difent tous avec S.Thomas, A nim a e ft prinetpium
f* o v iv im u s , m ovem ur , & tn telligim us . *4 Vou-
9, lok & comprendre, dit Goudin, font suffi-lrie* .
9, des mouvemens matériels, que vivre & végé-
9, ter. u 11 ajoute un fait fîngulier 9 qui e& que
,9 dans un Concile tenu àVienne fous ClémentV.
99l’autonté 4 e i’fg lfè ordonna de croire qus
<330
peuvent, ce qu’ils conçoivent fi
b ie n , l’effence de l’Am e, & Ton état

» l’Ame ri'eft que la forrnefubftdntitllt du corps *


,*qu’il n’y a point d idées innees(comme l’a penle
», ie même S. Thomas^ & déclara hérétiques tous
,, ceux qui n'admettoient pas la matérialité de
», l’Ame.
Raoul Former, ProfefTeur en D roit, enfeigne
la même choie dans (èsDi&ours Académiques (ùr
Torigine de l'Ame, imprimés à Paris en 1619.
avec une Approbation & des éloges de plufieurs
Do&eurs en Théologie.
Qu’on life tous les Scholaftiques » on verra
qu’ils ont reconnu une force motrice dans la ma*
tiere,& que l’Ame n’eft que la foime fubftantielle
du corpç* li eft vrai Qu'ils ont dit qu’elle étoit une
forme fubliftante ( ôoudin T. II. p. 93. 94. ) ou
qui liibfîfte ar eile-même, & vit indépendam­
ment de la vie du corps. De-là ces entités diftin*
€tes , ces accident absolus, ou plutôt abfoiument
inintelligibles Mais c’eft une diftindlon frivole t
car puilque les Scholaftiques conviennent avec les
Anciens , i Q. que les formes tant (impies , que
com; ofées , ne font que de (impies attributs , ou
de pures dépendances des corps. *°. Que l'Ame
. n’eft que la forme ou Vaccident du corps ; ils
ajoutent en vain pour fë iauver , les épithétes de
fubjiflante ou d'abfolu : il falloir auparavant pre£
fontir les conlëquences de la doârine qu’ils em-
braflgient, & larejetter plutôt» s’il eût été poffi-
après
r * 37 ) .
après la mort, C ar non-feuIerhéhC
ta faine & raisonnable Philofo-
phie avoue franchement qu’elle
ne connoîc pas Cet être incompa­
rable qu’on décôre du beau nom
d ’Am e , 8C d’attributs divins, mais
que c’eft le corps qui lui paroît pen-

bîe, que d’y faire de ridicules reftriâions. Car qui


croira de bonne foi que ce qui eft matériel dans»
tous les corps , ceffe de l’être dans l’homme i La
contradi&ion eft trop révoltante. Mais les Scho-
laftiques l’ont eux-mêmes fentie « plus que les
Théologiens>à l’abri defquels ils n*ont que voulu
fe mettre par ces détours & ces vains fubterfuges»
C ’en eft àflez & plus qu’il ne faut fur l’immor­
talité de l’Ame. Aujourd'hui c’eft un dogme efo
fentiel à la Religion ; autrefois c’étoit une que*
ftion purerfient Philofophîqüe. Quelque parti
qu’on prit, on ne s’avançoit pas moins dans le Sa­
cerdoce. On çouvoit la croire mortelle, quoique
fpîrituelle,oü immortelle,quoique matérielle. Au­
jourd’hui il eft défendu de penfer qu’elle n’eft pas
ipirituelie , quoique cette lpiritualité ne fe trouve
Huile part révélée ; & ce n’eft pas afiez que la foi
nous décide far fon immortalité.Ceux qui vivent
cèmme les autres, font punis de penfêr autrement
que les autres : quelle injuftiçe ! quelle tyrannie !
Y
( 33* )
fer (a ) * mais elle a toujours blâmé
les Philofophes qui ont ofé affirmer
quelque chofe de pofitif fur l’effence
de l’A m e , femblable en cela à ces
fages Académies (b ) qui n’admet­
tant que des faits en Phyfique, n’a­
doptent ni les fyftêmes,ni les raifon-
necnens des membres qui les com-

J’avoue encore une fois que j’ai
beau concevoir dans la matière les
parties les plus déliées, les plus fub-
tiles, & en un mot la plus parfaite

( 4 ) Jefuis corps& je penfe. ( Volt. Lett. PhiL


fur l’Ame.) Voyez comme 11 Ce moeqne agréable*
ment du raifonnement qu’on fait dans les Ecoles
pour prouver que la matière ( qu’on ne connoît
pas ) ne peut penfer.
(b) Telles que VAcadémie dés Sciences. Voyez
la belle Préface que M. de Fontenelle a mile à la
tête des Mémoires de cette Académie.
ârganifation, je n ’en conçois pas
m ieux que la matière puifTe penfer.
M a is, jo. la matière Te meut d’elle,
même $ je demande à ces Philofo-
phes , qui femblent avoir aflifté à la
Création, qu’ils m’expliquent Ce
m ouvem ent, s’ils le conçoivent*
*,°* Voilà un corps organifé j Q u e de
(èntimens s’impriment dans ce corps,
& qu’il eft difficile d’appercevoir la
caufe qui les produit • 30. Eft-il plus
aifé de fe faire une idée d’une fub-
ftancequi n’étant pas m atière, ne
(croit à la portée ni de la nature, ni
de l’a rt, qu’on ne pourrait rendre
fenfible par aucuns moyens $ d’une
fubftance qui ne fe connoît pas elle-
même, qui apprend & oublie à pen­
ser dans les diffecens âges de la vie >
Si l’on me permet de parcourir ces
Y 1
( 34°)
âges un m om ent, nous voyons que
l'es enfans font des efpeces d’oifcaux,
qui n’apprennent que peu de mots
Si d’idées à la fois , parce qu’ils ont
le cerveau mol: Le jugement marche
à pas lent,derrière la mémoireul faut
bien que les idées foient faites &gra-
vées dans lé cerveau, avant que de
pouvoir les arranger & les combiner.
O n raifonne, on a de l’efprit, il s’ac­
croît par le commerce de ceux qui
én o n t, il s’embellit par la commu­
nication des idées ou des connoif-
fances d’autrui. L ’adolefcence eft-
élle paflee î les Langues & les Scien­
ces s’apprennent difficilement,parce
que les fibres peu flexibles n’ont plus
la même capacité de recevoir promp­
tement & de conferver les idées ac-
quifes. Le vieillard*, laudator tempe-
(340 . ? .
ris a£H , eftefclave des préjugés qui
fe font endurcis avec. lui. Les vaiC*
féaux rapprochent leurs parois vui-
d e s , ou font corps avec la liqueur
defTechéc, tout jufqu’au cœur & au
cerveau s’oflîfie avec le tems; les e s ­
prits fe filtrent à peine dans le cer­
veau & dans le cervelet, les ventri­
cules du cœur n’ont plus qu’un foible
coup de piftonj’défaut de fan g & de
m ouvem ent, défaut de parens ÔC
d ’amis qu’on ne connoît plus,défaut
de foi-même qu’on ignore. T el eft
l ’âge décrépit, la nouvelle enfance,
la fécondé végétation de l’hom m e,
qui finit comme il a commencé.
Faut-il pour cela être Mifantrope
&c méprifer latvie? N o n , la dou­
leur feul peut donner ce droit-là >
mais fi on a du plaifir àfentir , il
Y? '
(34i)
ji’êft point de plus grand bien que la
v ie } fi on a fçu en jouir, quoi qu ’on
en d ifc , quoi que chantent nos Poè­
tes (a) , ç’étoit U peine de naître, de
vivre & de mourir. .
Vous avez vu que la faculté fenfi-
tive exécute feule toutes les facultés
intellectuelles}qu’elle fait tout chez
l’homme,comme chez les animaux}
que par elle enfin tout s’explique.
Pourquoi donc demander à un être
imaginaire plus diftingué les raifons '
de votre fupériorité fut tout ce qui
refpireîQuel befoin vous faites-vous
d’une fubftançe d’une plus haute ori­
gine» Eft-çe qu’il eft trop humiliant
pour votre amour propre d’avQÎr
tant d ’efprit, tant de lumières, fans
en connoître la fource » Non 5 corn*
(<»)Rotiflçau, Miroir 4e la vit* -
(3 4 3 )
me les femmes font vaines de leur
beauté, les beaux efprits auront
toujours un orgueil qui les rendra
odieux dans la focieté, & les Philo-
fophes même ne feront peut-être ja-
ïrfiiis allez Philofophes pour éviter
cet écueil univerfel. A u refte qu’on
falTe attention que je ne traite ici
que de l’H idoire naturelle des corps
anim és, & que pour ce qui ne con­
cerne en rien cette Phyfique, il fuf-
fit, ce me femble, qu’un Philofophe
Chrétien fe foumette aux lumières
de la révélation, & renonce vo- ;
lontiers à toutes fes Ipéculations, |
pour chérir une redource commune j
à tous les Fideles. O ui fans doute
cela doit fufHre , & par conlequens
rien ne peut nous empêcher de pouC
fer plur loin nos recherches Phy-
Y4 ,
044')
Cques}& de confirmer cette théorie
des fenfations par des faits in co n tef
tables.

C h a p i t r e X V II.

Hifloires qui confirment que toutes


les idées viennent des fen sy

H istoire première .

D ’un Sourd de Chsrtres,

»»XJN jeune homme fils d’un A rti-


,, fa n , fourd & muet de naiflance ,
» commença tout d’un coup à parler
„ au. grand étonnement de toute la
» Ville. O n fçut de lui que quelques
» trois ou quatre mois auparavant, il
(345)
m avoit ehtendivle fon des cfoches }
» & avoit été extrêmement furpris
*»de cette fenfation nouvelle & in-
~ connue. Enfuite il lui étoit forti
• comme une cfpece d’eau de l’o-
« reille gauche , & il avoit entendu
» parfaitement des deux oreilles. Il
» fut ces trois ou quatre mois à écou-
m ter fans rien dire , s’accoutumant
» à répéter tout bas les paroles qu’il
• entendoit, & s’affermifTant dans la­
» prononciation & dans les idées at­
» tachées aux mots. Enfin il fe crut
»»en état de rompre le filence, & il
m déclara qu’il parloit, quoique ce
a* ne fut encore qu’imparfaitement.
••Auffi-tôt des Théologiens habiles
•»l’interrogerent fur fon état paffé ,
•*& leurs principales queftions rou-,
« lerent fur D ie u , fur l’A m e , fur fô
( $40
» bonté, ou la malice morale des a c .
••dons. Il ne parue pas avoir poulie
m(es penfoes* jufques-là. Q u o iq u ’il
• fut né de parens Catholiques, q u ’il
» afliftât à la M effe, qu’il fut inftruic
m\ faire le Signe de la C r o ix , & à le
• mettre à genoux dans la conte-
*nance d’un homme qui prie, il n a"
•v o it jamais joint à cela aucune m«
» ten d on , ni compris celle que les
mautres y joignoient : il ne fçavoit
• pas bien diftindem ent ce que c’é-
»toir quêta m ort, Si il n’y penfoic
» jamais.il menoic une vie purement
••animale, toute occupée des objets
» fenfihles St préfens , St du peu d’i-
•dees qu’il recevoit par les yeux. 11
„ ne tiroit pas même de la comparai-
„Ib n de ces idées, tout ce qu’il fem-
„ b le qu’il auroit pu en tircr.Cc n’eft
( 347)
„ pas qu’il n’eût naturellement 4e
,, l’efprit (4), mais l’efpritd’un hom-
„ m e privé du commerce des autres}
„ eft fi peu cultivé » fi peu exercé,
9, qu’il ne penfoit qu’autanc qu’il y
,9 étoit indifpenfablement forcé par
„ les objets extérieurs. Le plus grand
„ ( é ) fond des idées des hommes eft
„ dans leur commerce réciproque.„
Cette Hiftoire connue de toute
la V ille de Chartres, fe trouve dans
celle de l’Académie des Sciences (c).
Elle eft très, bien racontée} mais fi

(d) Ou plutôt la faculté d’en avoir , car autre-»


jpentla penfée ferait fauâe & contradictoire avec
ce qui luit.
(b) Tout le fond. M» de ?. » l'affirme âne
y penfçr 9lorfqu’il dit que çe Sourd n9avait que
les idées qufil recevait par les yeux » ca&il s’enfuit
fu’ayeugle il eût été fans idées,
(c) t7Qj.p. ir.de
. '<54*)
©n jugeoit M . de F. . fut ce leger
fondem ent, on ne le ctoiroit pas un
_grand Métaphyficien. Aufli ne paffer
t’il pas pour l’être ; & je penfe que
quelque ftge que foit l’imagination
de ce célébré Ecrivain, elle l’eût di^
ficilement porté à la Métaphyfique ;
ou il eût tout tenté pour en arracher
les chardons , & n’y fouffrir que
des fleurs, & par-là il eût tout gâté.

HI STOIR.E JI,
T?un Homme fan s Idées Morales.

J )E p u is plus de quinze ans il y a à


l’Hôtel de Cônti un Tourneur de
broche, qui n’ayant rien de fourd
fi ce n’eft l’efprit, répond qu’il a été
au Potager, lorfqu’on lui demande
(349)
s'il a etc à la Mefle. Il n'a aucune
idée acquife de la D ivin ité, & lorf-
qu’on veut fçavoir de lui s’il croit en
D ie u , le coquin dit que n o n , &;
qu’il n’y en a point. C e fait paflè
dans cet H ôtel pour le duplicata de
celui de Chartres, auquel pour cette
raifon je l’ai joint.

H istoire III.

D é l ’aveugle de Chefelden.

p O u r v o i r , il faut que les. yeux


fo ie n t, pour ainfi dire , à l’uniflon
des objets. Mais fi les parties inter?
nés de cefadmirable organe, n’ont
pas leur pofition naturelle, on ne
voit que fort confufément. M . de
Voltaire Elemens de U Pkiltfophie
de N ew ton, chap. 6. rapporte que Pa*
veugle-né âgé de 1 4 ans, auquel
Chefelden abatlt la cataraâe , no
vie immédiatement après cette opé­
ration , qu’une lumière colorée,
fans qu’il pût dîjlinguer un globe
etun cube, 6C qu’il eût aucune idée
d’ctendue , de diftance, de figure ,
& c . Je cro is, i? , que faute d’une
jufte pofition dans les parties de
l’oeil, la vifion devoit fe faire mal j
( pour qu’elle fe tétabliffe , il faut
que le criftalin détrôné, ait eu le
tems de fe fondre, car ii n’eft pas
néceflaire à la vue* ) i 9. S’il vit de la
lumier<ÿ& des couleurs,il vit par eon*.
fequent de l’étendue. Les aveu­
gles ont le tâ£t fin , un fens profite
toujours du défaut d’un autre fens :
les houpes nerveufes, non perpendi-
( 3p)
culaires , comme par tout le corps >
mais parallèles & longitudinalement
étendues jufqu’à la pointe des doigts,
comme pour mieux examiner un
objet ; ces houpes , dis-je, qui (ont
l’organe du taâr, ont un fentiment
exquis dans les aveugles , qui par
conféquent acquiérent facilement
par le toucher les idées des figures ,
des diftances, & c. O r un globe at­
tentivement confidéré par le tou­
cher , clairement imaginé & conçu,
n ’a qu’à fe montrer aux yeux ou­
verts ; il fera conforme à l’im age,
ou à l’idée gravée dans le cerveau j
& conféqucmment il ne fera pas
poflîbleà l’Ame de ne pas diftinguer
cette figure de toute autre, fi l’orga­
ne dioptrique a l'arrangement in­
terne nccdfaire à la vifion. C ’cft
« t e s 1)
sunfi qu’il eft aufli impoflible ail*
doigts d’un très-habile Anatomifte de
ne pas reconnoître les yeux ferm és,
tous les os du corps hum ain, de les
emboiter enfemble ,& d’en faire un
fquelette, qu’à un parfait M uficien
de ne pas reflerrcr fa glotte , au
point précis, pour prendre le vrai
tpn qu’on lui demande. Les idées
reçues par les yeux fe retrouvent en
touchant , & celles du taét 4 en
voyant.
D ’ailleurs on étoit prévenu pout
ce qui avoir été décidé avant cette
opération, par Locxe p. 5 7 . 9 8 . fur
lç problème du fçavant M o lin en x}
c ’eft pourquoi j’ofe mettre en fait
de deux chofes l’une : O u on n’a pas
donné le tems à l’organe dioptrique
ébranlé, de fe remettre dans fon af­
frète
(y u )
fiétê naturelle î ou à force de tour­
menter le nouveau voyant, on lui a
fait dire ce qu’on étoit bien aifé
qu’il dit. Caron a, pour appuyer 1 er-
f e u t , plus d’adreflè, que pouf dé­
couvrir la vérité. Ces habiles Théolo^
gietis qui interrogèrent le fourd de
Chartres, s’attendoient à trouver
dans la nature de l’homme des juge-
mens antérieurs à la première fenfa-
titrn. Mais Dieu qui ne fait rien d’i­
nutile , ne nous a donné aucune
idee primitive, meme, comme on
1 a dit tant de fo is , de (es propres
attributs ; & pour revenir à l’aveu­
gle de Chefelden , ces jugement lui
euffent ete inutiles pour dxftingucj;
a la Vue le globe d’un cube : il n’y
avoit qu’à lui donner le tems d o u -
vrir les yeux & de regarder le ta-
2
(354). .
bleaucompofé de l'Univers. Lors­
que j’ouvre ma fenêtre, puis-je au
premier inftanc diftinguer les ob­
jets î De même le pouce peut paraî­
tre grand comme une maifon, lorf-
que c’eft la premier? fois qu’on ap-
perçoit la lumière. C e qu’il y aurait
là d’étonnant, c’ell qu’un homme
qui voit les chofes fi fort en grand,
n’eût aucune perception de gran­
deur , comme on le dit contradic­
toirement.

H i s t o i r e IV.

Ou Méthode d’Amman pour appren-


. dre aux fourds a parler.

~\f O ici la Méthode félon laquelle


Amman apprend à. parler en peu
* , . îY r t )
'de témi aii* fburds & hiôéti{ fy
haiffance. ( i) i'°. Ledifciplé rbüché
legofier du mairte qui parle * pour
acquérir par lé taft l'idée , ou la
perception du tremblement des br-
ganes de la parble. i°. Il éxaminé
lùi-memc de là même maniéré fort
propre gofier, & tâche d’ithiter le*
ïnemes mouvement que le tduéhef
lui a déjà fait âppereevoir. 30. Ses
ÿeux lui fervent d’oreilles, (félon h ,
«Jée d’Amman , ) fc ert-à-dire, 11 rèa
garde attentivement les divers mëti-
Vemens de langue , de la m âchoire}
Ôc des levrcS, lorlqué lé maîtrè (ij/

(t) Çclui qui devient fourd dans l’enfance avant


que de fçavoir parler, lire & écrire, devient
mttet peu-à-peu ; j’ai vérifié cette obfèrvatio»
fui deux feeurs fgurdes & muettes que j’ai vue*
au Fort Louis.
(t) On commence par les voyellès; ‘
Z i
(3fO
prononce une lettre. 4 °. Il fait les
mêmes mouvcmens devant un mi­
roir , te les répété jufqu’à une par­
faite exécution. 50. Le maître (erre
doucement les narines de fon éco­
lier pour l’accoutumer à ne faire
palier l’air que par la bouche. <0. H
écrit la lettre qu’il fait prononcer,
pour qu’on l’étudie, & qu’on la pro­
nonce fans celle en particulier.
Les lourds ne parlent pas , comme
on le cro it, dès qu’ils entendent;
autrement nous parlerions tous fa­
cilement une langue étrangère,
qui ne s’apprend que par l’habitude
des organes à la prononcer : ils ont
cependant plus de facilité à parler ;
c’eft pourquoi l’ouïe qu’Amman
donne aux fourds, eft le géand mif-
tere te labazede fon art. Sans doute
% (H7)
à force d’agiter le fond de leur gor­
ge, comme ils voient faire , ils l'en­
tent à la faveur du canal d’Euftachi
un tremblement, une titillation, qui
leur fait diftinguer l’air fonorc de
celui qui ne l’eft pas, & leiirap -
prend qu’ils patient, quoique d’une
voix rude .& grofliere, qui ne s’a­
doucit que par l’exercice & la répé­
titio n des mêmes fons* Voilà l’origi­
ne d’une fenfation qui leur étoit
inconnue : voilà le modèle de la fa­
brique de toutes nos idées. N ous
n’apprenons nous-mêmes à parler ,
qu’à force d’imiter les fons d’autrui,
de les comparer avec les nôtres , &
d e les trouver enfin reflemblans.
Les oifeaux, comme on l’a dit ail—
leurs,ont la même faculté que nous,
Je même rapport entre les deux or-
Z i
n m
ç a n e s , celui de la parole, & celu*
de l’ouïe.
Un fourd donne de la v o ix ’,
quelle qu’elle fo it, dès la première
leçon d’Amman. Alors tandis que
1^ voix fè forme dans le larinx , on
lu i apprend à tenir la bouche ouver­
t e , autant , Si non plus qu’il faut
-pour prononcer telle ou celle voÿefc-
■ le. Mais comme èes lettres ône cod­
ées beaucoup d’affinité' entc’ellésr,
So n’exigent pas •defc mouvéimens
fort différons, -les fbutds, Si même
çèux qui ne le font pas, ne tieiü.
nent pas la bouche-ptécifémenc bi^
Verte au- 'point-r ftéeeffâiïé 3 c ’eft
pourquoi üs fé> trompent' dahs la
prononciation } mais-il faut applaU-
dit-cetteméprifo, loin de la-relever*
^arce qu’en tâchant # répéter là
fncme faute ( qü’ils ne corïnoiffent
pas ) , ilsenfont une plus heureufi,
donnent enfin le Ton qu’on de-*
mande.
Une phifionotnie fpiricuelle , un
âgè tendtè, (i} lis organes delà pa­
role bien conditionnés , voilà ce
qu’Amtrian éxige de fon Difciple*
& il préfère l’hyVer àux autres fai-
fo n s, parce que l’air condenfépac
le froid f rend la parole des fourds *
beaucoup plus fenfibte à eux-mê­
mes. Notre cerveau eft originaire*
ment une maffe informe, fans nulld
idée j il gL feulement la faculté d’en
avoir il les obtient de l’éduca­
tion, avec la puifïance de les lier , &

(i) Depuis huit ans jufqu’à quinze. Plus jeunes 5


ils font trop Salins,& né fontent pas Putilité dè ces
feçons *,pîttsvieuxyreufs organes- fortt engourdie
Z 4
\
( 3*9 )
4 c les combiner enfemble. ICetté
éducation confifte dans un pur méi
canifm e, dans l’avion de la parole
de l’un/ur l’ouïe de l’autre,qui rend
les mêmes fons & apprend les idées
arbitraires qu’on a attachées à ces
fons s ou ( pour ne pas quitter nos
lourds i , dans l’impréflion de l’air &
des fans qu’on leur fait rendre à eux*
mêmes machinalement, comme je
l ’ai d it, fur leur propre nerf acoufti-
q u e , qui eft une des cordes , fi l’on
me permet de m’exprimer ainfi, à la
faveur defquelles les Ions & les idées
vont fe graver)dans la fuhftance me*
dullaire du cerveau, & jettent ainfi
les premières femences de l’efprit 5s
de la raifon.
Amman a tort de croire que
le défaut de la luette çmpçche fiq
(3*0
parler M . Aftruc ( i ) , & plulîeurs
autres Auteurs (z) dignes de foi ont
des obfervations contraires. Mais il
faut d’ailleurs une parfaite organifa*
tion , 6c comme une eommuaica*
tion qui s’ouvre en quelque forte
au moindre lignai, du cerveau aux
nerfs des inftrumens qui fervent à
parler. Sans ces organes naturelle*
ment bien fa its, les fourds inftruits
par Amman pourraient bien un jour
entendre les autres parler, 6c met*
tre leurs penfecs par écrit, mais ils
ne pourraient jamais parler eux*
mêmes. Il faut aufli des organes ( 3 )
bien eandicionnésjlorfqu’on apprend
. *. .
(1) De Morb, Vener.
(2) Bartholin , Hildanus , Fallope, &c.
(3) Si on en croit M. Locke, ot» peut rendre
fui Perroquet raifonnable.
( 3 *0
un animal à parler, oti qü’ôn llnC.
truie pour* divers ufages. Uii fourd *
ic par confequent muée de naif-
fànce, peut apprendre à lire 6c a pro­
noncer un grand nombre dé mots
dans deux mois. Amman en cite un
qui fçavoic. lire 6c réciter par mé­
moire l’Oraifon Dominicale au bout
de 15 jours. Il parle d’im autre en­
fant qui dans un mois apprit à bien
prononcer les lettres, à lire , 6c \
écrire paflaWement ; il f^avok me*
flic affez bien rortographe. L e plus,
court moyen de l’enfeigner aux
lourds, 6c de leur faire retenir plus
aifémenc tes idées des mors , c’eft de
leur faire coudre,ou joindre enfem-
ble les lettres ! qu’ils entendent à
leur maniéré 6c qu’ils répètent fort
éxa&ement, ) dans leur tê te , dans
leur bouche fe for lepapner.La. d if­
ficulté de; combinaiforts dote être
: proportionnée à l'aptitude, du
' çiple » o n mêle des voyelles- »désde-
- m i-voy elles,1des cobïbrines, les u nés •
& les autres, tantôt devant;,- tantôt
3 derrière: mais dans le cumtnence-
ment o n r e c u lè m ic , p ou r vôukdr
! trop avancer. Les ridées - ftaUTant-es
” d e d e u x o ii trois lettres leroiénfc
s •troublées pat- utt plus grand fioim*?
! fccé ; l’efprio fe replôrtgetoit d&râs ïùix
f ÇahoS. v:f ■ a
’ Après les voyelles,;* Ort vient kux
dem i-vo yelles, :'&£ aœt eottlbrrnes',
•ét aux lettres les plus faciles de ees
d è tn ie r c ï, enfu!- a leuts combinai,
ib n s lës plus ailées : & loirfijuoft
ffa it prononcer feotitèS Ies; lettres j
o n fç a itlire .; ‘ ~ ;' '• • 7 7 - '•
<?<4)
L a lettre M féparce de VE m u e t,
qui tient à elle dans la prononcia­
tion , s’apprend , par la main que le
lourd enfonce dans ion gofier , &
l ’effort qu’il fait pour ferm er la
bouche , en parlant,
La lettre N le prononce en regar­
dant dans le miroir la fituation de
la langue, 6c en portant une main
au nés du maître , & l'autre au fond
de fa bouche, pour fentir le trem­
blement du larinx, 6c comme l’air
fonore fort des narines.
Les fourds apprennent la lettre L
en n’appliquant leur langue qu'aux
dents fupérieures, incifives 6c cani­
nes , 6c à la partie du palais voifin de
çes dents : cette action étant faite ,
on leur fait figne avec la main de fai*
re fortir leur voix par la bouche.
0 *r) . #,
Dans la lettre R la voix Y é le v e ,
faute en quelque forte & fe spmt.
Il faut du tems pour acquérir la fou-
pleffe & la mobilité néccffaire à
cette prononciation. Cependant je
com m ence, dit l’Auteur , par met­
tre la m aindu fourd dans ma bou­
che , pour qu’il touche en quelque
forte ma prononciation, & apper-
çoive comme oe fon eft modifiés
te en meme-tems, il fe doit regar­
der dans un m iroir, pour éxaminer
le tremblement & la flu&uation de
la langue.
C ’eft encore dans le miroir, qu’on
apprend à rendre fa langue convexe,
autant qu’il le faut pour prononcer
enfemble ch , fur-tout fi on éxamine
avec la main comment l’air fort de
la bouche.
... 0 & ) .
. Pour prononcer K , T , P , on Fait
attention aux mouvement de la bou­
che & de la langue du maître , &
an examine toujours avec lés doigts
le mouvement de fan gofier;
V x fe prononce comme S E . Il
Faut donc fçàvôir combiner deux
confonnantes (impies, avant que de
palier aux confonnantes doubles;
Tous les fourds prononcent aflez
Facilement les cbnfonnes (impies, Se
fur-tout la lettre H . Elles ne font
qu’un air m uet, ou peu fonoire qui
en ferm ant, ou en ouvrant fes con­
duits , fort fucceffivèmenr, ou tout
à coup.
Lorfque le Difciple fçâit pronon­
cer féparénaeoc chaque lettre dé
l ?Alphabeç, il faut qu’il s’accoutu­
me à prononcer, la bouebe^fottatt»
Verte, les confonnes & les defiil*
voyelles, pour que les levres & les
dents ne l'empêchent pas de voit
dans le miroir les mouvemens de la
langue. Enfuite il doit peu à-peu
s’exercer à les prononcer à toutes
fortes d'ouvertures : & lorfqu’enfin
pn a acquis cette faculté , on prend
deux ou trois lettres qu’on tâche de
prononcer de fuite,ou fans interrup­
tion ,fuivant l’habileté qu’on a déjà.
L ’Ecolier a p n t fait ces progrès,
lit une ligne d’un livre &: répété par
cœur les mêmes m ots, après que le
M aître, qu’il éxamine attentive­
ment , les a prononcés. D ’un coup
d ’œil par ce m oyen, il imite fcul les
fons qu'il l i t , comme s’il les enten-
d o it, parce que l’idée lui en eft ré­
cente & bien gravée.
($«*)
Amman remarque que c’éft à peu
près par le même diamètre de Tou-*
verture de la bouche qu’on pronon­
ce o, u, e, i, o, e, u, e t m, n, ng, p,
t , K: c h , k . Toutes ces lettres
fortent du fond du goder. Ainfi elles
(ont fort difficiles à diftinguer par
un fourd. Audi prononce-t-il mal,
jufqu’à ce qu’il ait appris beaucoup
de mots i mais enfin il eft de fait
qu’il répété avec le tems & com­
prend fort bien les®difcours d’au­
trui.
Les exploijives, p , / , k , ne (e
prononcent pas fans quelque éléva­
tion apparente du larinx j elles (e
diftinguent par-là des nafalcs m ,
U , ng. La prononciation des lettres
c h , eft fenfible à l’œil î c’eft comme
en lifanc, qu’un fourd co n ço it, 6c
qu’on
. . y*?9) .
qu’on lui dit ; il cil bon de lui parlet
dans lia bouche pour mieufc fe faite
entendre, lorfqu’il s’eft déjà enten*-
du lui-même } comme on l’a dit ;
mais on l’inftruit mieux par la vue
Si le toucher, Aures fu n t in oculis,
dit fort bien l’Auteur du Traité de
Loquelâ , p. i o i .
L eD ifcip le fçait-il enfin lire Si
parler, on commence par lui ap­
prendre les noms des chofes qui
ont le plusd’ufages& qui fe préfen-
tent le plus familièrement, comme
dans l’éducation de tous les enfans;
les fubftantifs, adjeCtifs, les verbes,
les adverbes, les conjonctions, les
déclinaifons, les conjugaifons, Si
les contrarions particulières de la
langue qu’on enfeigne.
Amman finit fon p e tit, mais ex­
' Aa
(3 7°)
cellent Traité par donner l'A n de
corriger tous les défauts du langa­
ge , mais je ne le fuivrai pas plus
loin. C ette Méthode eft d’autant
plus au-deffus du Bureau Typegra­
phique , & du Quadrille des Enfant,
qu’un fourd-né plus animal qu’un
enfant a par fon feul inftina dé­
jà, appris à parler. Le fçavant M aî­
tre des fourds apprend à la fois &
en peu de tems à parler, a lir e , & i
écrire fuivant les réglés de 1 orto-
graphe , & tout cela , comme vous
v o y e z , machinalement ou par des
lignes fenûbles, qui font la voie de
communication de toutes les idées.
Voilà un de ces hommes dont il
eft fâcheux que la vie ne foit pas
proportionnée a l’utilité dont clic
eft au public.
Vm )
keflêxiom fur VEducation.
R ien né refïemble plus aux D if-
'ciples d’Amman j que les enfans *
il fauc donc les traiter à peu près de
la même maniéré. Si on veut im­
primer trop de mouveméns dans
les m ufcles, & trop d’idées ou de
fenfations dans le cerveau des
lourds, la confufion fe met dans les
tins & dans les autres. D e même là
mémoire d’un en fa n t, le difcerne-
inent qui né fait que d’éclo re, font
fatigués dé trop d’ouvrage. La foi-,
bleffe des fibres, & des.efpritsexi­
gé un repos attentif. 11 faut donc,
i° . ne pas devancer la raifon, mais
profiter du premier moment qu’on
la voitparoître jpour fixer dans l’efi»
prit le Cens des mots appris maehi-
Aa z
( 37^)
nalement. i®. Suivre à la pifte les
progrès de l’A m e , voici comment
la raifon fe développe , en un mot
obferver éxa&ement à quel degré
arrêcer, pour ainfi d ire, le thermo­
mètre du petit jugement des en-
fans , afin de proportionner à là
fphere, fucceffivement augmentée,
l'étendue des connoîflances dont il
faut l’embellir & le fortifier, & de ne
faire travailler l’efp rit, ni trop, ni
trop peu. 3°. D e fi tendres cerveaux
font comme une cire molle dont
les impreflions ne peuvent s’effacer,
fans perdre toute la fubftance qui
lès a reçues;de-là les idées fauffes, les
motsvuides de fens : les préjugés de­
mandent dans la fuite une refonte
dont peu d’efprits font fufceptibles, „
& qui dans l’âge turbulent des pafi-
($ 7 3 )
fions devient prefque impofïîble.
C eux qui font chargés d’inftruire un
enfant , ne doivent donc jamais
leur imprimer que des idées fi évi­
dentes , que rien ne foit capable
d’en éclipfer la clarté. Mais pour
cela il faut qu’ils en ayent eux-mê­
mes de femblables, ce qui eft fort
rare. O n enfeigne , comme on a été
enfeigné, & de-là cette infinie pro­
pagation d’abus & d’erreurs. La pré­
vention pour les premières idées eft
la fource de toutes ces maladies de
l’efprit. O n les a acquifes machina­
lement , & fans y prendre garde ,e n
fe familiarifant avec elles, on croit
que ces notions font nées avec nous.
Un Abbé de mes amis croyoit que
tous les hqmmes étoient Muficiens-
nés} parce qu’il ne fe fouvenoit pas
Aa 3
(574)
d'avoir appris les airs avec lefqueU
fa nourrice l’endormoit. Tous les
hommes font dans la meme erreur,
& comme on leur a donné à cous
les mêmes idées, s’ils ne parloient
tous que François , ils feroient de
leur langue le même phantôme que
de leurs idées. Dans quel cahos,
quel labyrinthe d’erreurs d
de préjugés la mauvaise éducation
nous plonge, & qu’on .a grand tort
de permettre aux enfans des rai-
fonnemens fur des chofes dont ils
n’ont point d’idées , ou dont ils,
n’ont que des idées confufbs î
(3 7 J )

H istoire V.

T?un Enfant trouvé farmi des Ours.

U N jeune enfant, âgé de dix ans,


fu t trouvé l’an 1694. parmi un trou­
peau d’Ours, dans les forêts qui font
aux confins de la Lithuanie & de la
Ruffie. Il étoit horrible à voir ; il
n’avoit ni l’ufage de la raifon, ni ce­
lui de la parole : fa voix & lui-même
n’avoient rien d’humain, fi ce n’eft
la figure extérieure du corps. I) mat-
choic fur les mains 8c fur les pieds t
comme les quadrupèdes : leparé des
O u rs, il fembloit les regretter ; l’en_
n u i 8c l’inquiétude étoient peints fur
fa phyfionomie, lorfqu’il fut dans la
fociété des hommes -, on eût dit un
07«) . #
prifonnier ( & il fe croyoit tel ) qui
ne cherchoit qu’à s’enfuir, jufqu’à ce
qu’ayanc appris à lever fes mains
contre un m ur, & enfin à fe tenir
debout fur fes pieds, comme un en­
fant ou un petit chat, & s’étant peu-
à-peu accoutumé aux alimens des
hommes , il s’apprivoifa enfin après
un long efpace de tems , & commen­
ça à proférer quelques mots d'une
voix rauque & telle *que je l’ai dé­
peinte. Lorfqu’on l’interrogeoit fur
fon état fauvage, fur le tems qu’il
.avoir duré , il n’en avoit pas plus de
m ém oire, que nous n’en avons de
ce qui s’eft paffé pendant que nous
étions au berceau.
Conor (a) qui raconte cette H if-

00 Pages 133, 134, 13 3 , Evang. Med.


(3 7 7 ) ,
çpire arrivée en Pologne pendant
qu’il étoic à Varfovie à la Cour de
Jean Sobiefki, alors fur le Thrône,
ajoute que le Roi même , plufieurs
Sénateurs , & quantité d’autres ha-
bicans du Pays dignes de f o i , lui a f ­
fûtèrent comme un fait confiant 5C
dont perfonne ne doute en Pologne,
que les enfans font quelquefois nour­
ris par des ourfes, comme Remus 5c
Romulus le furent par une louve.
Q u ’un enfant foit à fa porte, ou pro­
che d’une haye , ou laide par impru­
dence feul dans un champ , tandis
qu’un ours affamé pâture dans le voi-
finage, il eft auffi-tôt dévoré & mis
en pièces : mais s’il eft pris par une
ourle qui allaite, elle le porte où font
fes p etits, aufquels elle ne fort pas
(*7 8)
j>!us de mere & de nourrice qu'à Ten*
fànt m êm e, qui quelques années
après eft quelquefois appeççu & pris
par les chafleurs.
Conor cire une avanture (embla*»
ble à celle donc il a été tém oin, &ç
qui arriva dans le même lieu ( à War-
fovie ) en 1669 , & qui fe pafla (ous
les yeux de M . W and en nommé
Brande de CleverfeerK , Ambafla-
deur en Angleterre l’an 1699 . Il dé­
crit ce cas, tel qu’il lui a été fidèle­
ment raconté par cet Ambarfadeur,
dans fon Traité du Gouvernement
du Royaume de Pologne.
J’ai dit que ce pauvre enfant dont
parle C o n or, ne jouiflbit d’aucunes
lumières de la raifon i la preuve en
eft qu’il ignoroit la miferc de fon
f: (if9 )
é ta t, & qu’au lieu de. chercher le
j: commerce des hommes, il les fuyoit,
& ne défiroit que de re.tpurncr ayee
v fes ours. A in fi, comme le remarque
judicieufement notre H iftorien, cet
; enfant vivoit machipalement, & ne
I penfoit pas plus qu’une bçre, qu’un
„ enf ant nouveau n é , qu’un homme
qui d o rt, qui eft en léthargie, ou cq
apoplexie.

H i s t o i r e VI.
\0 . f
J)es Hommes fauvsges, affelles
:i Satyres.
|,u L Es hommes fauvages { à ), afiêz
!' (a) Il y a deuxans qu’il parut à la Foire faint
Laurent un grand Singe, femblable au Satyru
deTulpiu*.
( î? o )
communs aux Indes &Cen A friq u e >
font appelles Avang-outang par les
Indiens , U Quotas mon ou par les
Afriquains.
Ils ne font ni gras ni m aigres, ils
ont le corps quarré , les membres fi
trapus & fi mufculeux , qu’ils font
très-vîtes à la courfe , & ont une
force incroyable. A u - devant du
corps ils n’ont de poil en aucun en­
droit i mais par derrière, on diroit
d ’une forêt de crins noirs dont tout
le dos eft couvert Sc hériffé. La face
de ces animaux reffemble au vifage
de l’homme : mais leurs narrines
font camufes &: courbées , & leur
bouche eft ridée & fans dents.
Leurs oreilles ne différent en rien
de celles des hommes , ni leur poi­
trine ; car les Satyres femelles ont de
fj*l>
fort gros této n s, & les miles n’en
ont pas plus qu’on n’en voit commu­
nément aux hommes. Le nombril
eft Fort enfoncé, & les membres fu-
périeurs & inférieurs reffemblent à
ceux de l’homme , comme deux
gouttes d’ea u , ou un oeuf à un autre
oeuf.
L e coude eft articulé *comme le
nôtre ; ils ont' le même nombre de
d o igts, le pouce fait comme celui
de l’hom m e,des molets aux jatm-
b es, & une bafe à la plante du pied,
iiir laquelle tout leur corps porte
comme le nôtre, lorfqu’ils marchent
à notre maniéré, ce qui leur arrive
fouvent.
Pour boire, ils prennent fort bien
d ’une main l’anfe du gobelet, te
portencl’autre au fond du vafej en-
(jll)
fuite ils ctfuïent leurs leVtes avec i i
plus grande propreté; Lorfqu’ils fé
eoUchent ils ont aulfi beaucoup d’at*
tentiod & de délicateffe, ils fe fer­
vent d’oreiller & de couverture dont
ils fe couvrent avec un grand (o in ,
lorfqu’ils font apprivohcs. La forcé
de leurs mufcles >de leur fang & dè
leurs éfprits, les tend braves & in*
trépides, comtné nous-mêmes : mais
tant de courage eft refervé aux mâ­
les, comme il arrive encore dans l’ef-
pece humaine. Souvent ils fe jettent
avec fureur lur les gens même armés *
comme fur les femmes & lés filles *
aufquelles ils font à la vérité de plus
douces violences. Rien de plus lafc
c i f > de plus impudique & de plus
propre à la fornication que ces ani*
maux. Les femmes de l’Inde ne fon t
pas tentées deux fois d’aller les voit
dans les cavernes, où ils fe tiennent
cachés. Ils y font nuds, & y font
l ’amour avec auffi peu de préjugés
que lès chiens.
‘ P lin e , S. Jérôme SC autres nm â
ont donné d ’après les Anciens des
Defcriptions fabuleufes de ces ani­
maux la fcifs, comme on en peut ju .
g er, en les comparant avec celle-ci.
Nous la devons à Tulpius M édecin
d’Amfterdam ( a ). C et Auteur ne
parle du Satyre qu’ il a v u , que com­
me d’un animal ; il n’eft occupé qu’à
décrire les parties de fon corps, fans
faire mention s’il parloit & s’il avoit
des idées.Mais cette parfaite refifem-

( a ) Obfèrvat. Med. Ed.d’Elzev. L< n i »


'C. i v i , p. »7°*
, . (3 *4 )
blance qu’il reconhoît entre le corps
du Satyre te celui des autres hom­
mes , me fait croire que le cerveau
de ce prétendu animal eft originai­
rement fait pour fëntir te penfer
comme les nôtres. Les raifons d ’a;
nalogie font chez eux beaucoup plus
fortes que chez les autres animaux.
Plutarque parle d’un Satyre qui fut
pris en dormant te amené à Sylla :
la voix de cet animal reflembloit au
hanniflement des chevaüx te au bê­
lement des boucs. C eukqui dès l’en­
fance ont éré égarés dans les forêts,
n’ont pas la Voix beaucoup plus clai­
re te plus humaine $ils n’ont pas une
feule id é e , comme on l’a vu dans le
fait rapporté par C onor, je ne dis pas
de morale, mais de leur é ta t, qui a
pafle comme un fonge, ou p lu tô t,
füivant
(j8 f)
fuivant l’expreflion proverbiale,com­
me un rêve à la Su ifle, qui pourrait
durer cent ans (ans nous donner une
feule idée. Cependant ce font des
hommes & tout le monde en con­
vient. Pourquoi donc les Satyres ne
fer oient-ils que des animaux ? S’ils
ont les inftrumens de la parole bien
organises, il eft facile de les inftrui-
re à parler & à penfer, comme les
autres Sauvages : je trouverais plus
de difficulté 'à donner de l’éduca- .#
tion & des idées aux lourds de naif*
fance. ,
Pour qu’un homme croye n’avoir
jamais eu de commencement^ il n’y
a qu’à le féqueftrer de bonne-heure
du commerce des hommes $ rien ne
pouvant l’éclairer fur fon origine, il
croira non-feulement n’être point
Bb
;

h é , toais thème né jamais finir. L e


fourd dé Chartres qui voyoic mou­
rir Tes Femblablcs , ne favoit pas ce
què c’étôitqué la mort ? car n’en pas
ÎVOit Une perception bicH d ijlin & c,
éorhme M . de F. en con vien t, c ’eft
h*en avoir aucune idée. Com m ent
donc le pourroit-il faire qü’un Sau­
vage qui ne vétroit mourir perfohne,
ftif-tôut de fort efpecejtte fe Crût pas
immortel? •
‘Ldrfqu’uri homme fort défont état
dèbèce , 8£ qu'on i’a aflèz ih ftrn it,
pour qu’il commence à réfléchir,
comme il n’à point penfé dürant le
cours de fa vie fauvage, toutes les
citconftances de Cet état font per­
dues pour lui , il les écoute, comme
nôüs écoutons Ce qu’ôn noüS raconte
de notre enfance, qui nous paroi -1
(î«7)
troît une vraie fab le, fans l’exemple
de tous les autres enfans. La naïf»
fance & la m o rt, nous paroîtroient
également des chimères, fans ceux
qu’on voit naître & mourir.
Les Sauvages qui fe (ouviennenc
de la variété des états par où ils onc
pafle , n’ont été égarés qu’à un cer­
tain point; aufli les trouve-ton mar­
chant comme les autres hommes fut
les piés feulement. Car ceux qui de­
puis leur origine ont long-tems vécu
parmi les bêtes, ne fe fouviennenc
point d’avoir exifté dans la fociété
d ’autres êtres; leur vie fauvage,quel­
que longue qu’elle ait été , ne les a
pas ennuyés ,elle n’a duré pour eux^
qu’un inftant, comme on l’a déjà
d it ; enfin ils ne peuvent fe perfuader
qu’ils n’avoient pas toujours été tels
6 b a
( 388 )
qu’ils fe trouvent au moment qu’on
leur ouvre les yeux fur leur mifere ,
en leur procurant des fenfations in­
connues , & l’occafion de fe replier
fur ces fenfations.
Je pourrais rapporter beaucoup
d ’autres H iftoires femblables. Toute
la Hollande , & M . Boerhaave mê­
me , a eu le plaîfant fpe&acle d’un
enfant laifle dans un défert parmi
des chèvres; il fe traînoit & vivoic
comme ces animaux ; il avoit les
mêmes inclinations, le même Ion
de voix ; la même imbécillité étoic
peinte fur fa phyfionomie.
Il y a actuellement à Châlons en
Champagne une fille fauvage dont
on parle beaucoup à Paris. Mais je
laifle à d’autres tous ces faits , ils fe
reflemblent tous , & quand on en a
( 589)
une fo is, pour ainfi d ire , la c le f,
* ils (ont aufli inutiles que nos obfer-
vations de Médecine : & pour ce
qui eft du Perroquet raifonnable de
M . L ockc , c’eft un mauvais Conte
qu’un aufli bon efprit devoit rejetter.

C 0 N C L U S 10 N.

D e tour ce qui a été dit jufqu’à


préfent, il eft aifé de conclure avec
évidence que nous n’avons pas une
feule idée innée, & qu’elles font
toutes le produit des fenfations cor­
porelles. Pour changer mes pre­
mières preuves en une forte de dé-
monftration plus lènfible , SC mettre
cette vérité dans uh jour qui la rende
à jamais inconteftable par tout e f­
prit droit & capable d’impartialité,
( 39°)
j’ai rapporte quelques faits que per»
fonne ne révoque en do u te, & que
le hazard, ou un art admirable ont
fournis aux Fontenelle, aux Chefel*
d e n , aux LocKe,aux Am m an, aux
Conor,&c. Ces faits, qu’Arnobe (4)

(a) Faifons, dit Arnobe , Adverf. Gcnt. L. n ,


tin trou en forme de lit , dans la terre » qu’il (bit
entouré de murs, couvert d’un toit ; que ce lieu
fie foit ni trop chaud ni trop froid ; qu’on n’y en­
tende abfolument aucun bruit i imaginons les
moyens de n’y faire entrer qu’une pâle lueur en­
trecoupée de ténèbres. Qu’on mette un enfant
nouveau né dans1 ce fouterrain ; que les fens ne
fbient frappés d’aucuns objets ; qu'une Nourrice
inue, en filence, lui donne fon lait & fes foins.
A-t-il befoin d’alimens plus fblides, cju’ils lui
foient portés par la même femme : qu’ils foient
toujours de la même nature , tels que le pain , &
l ’eau froide, bup dans le creuse de la main. Que
cet enfant fbrti de la race de Pluton, ou de Pitha-
gore, quitte enfin là folitude à l’âge de vingt,
trente ou quarante ans ; qu’il paroifle dans l’afi-
{emblée des mortels. Qu’on lui demande, avant
qu’il ait appris à penfer & à parler ce qu’il eft
lub-même, quel eft fon pere, ce qu’il a fait, ce
qu’ilapenfé , comment U a été nourri & élevé
( 39 1 )
a connus par conjecture, & fi bien
peines, prouvent tous fcparément ou

jufqu’à ce tems. Plus ftupide qu’une bête, il n’au*»


ra pas plus de fentimens que le bois,ou le caillou;
il ne connoitra ni la terre, ni la mer, ni les aftres,
ni les météores, ni les plantes, ni les animaux.
S’il a faim, faute de fa nourriture ordinaire, ou
plutôt faute de connoître tout ce qui peut y fup-
pléer, ne fe laiflçra-t-il pas mourir ! Entouré de
ftu , ou de bêtas veromeufes, ne fe jettera-t’il pas
au milieu du danger, lui qui ne fçait encore ce
que c’eft que la crainte ! S’il eft forcé de parler ,
par l’impreflion de tous ces objets nouveaux dont
il eft frappé, il ne fortirade fa bouche béante que
des fous inarticulés, comme plufîeurs ont cou­
tume de faire en pareil cas. Demandez-lui, non"
des idées abftraites 8c difficiles de Métaphysique %
de Morale, ou de Géométrie, mais feulement la '
plus fimple queftion d’Arithmétique ; il ne com­
prend pas ce qu’il entend,ni que votre voix puiffe
lignifier quelque chofe, ni meme fi c’eft à lui ou à
d’autres que vous parlez. Où eft donc cette por­
tion immortelle delaDivinitéf Où eft cette Ame,
qui entre dans le corps, R doâte 8c R éclairée, 8c
qui par le fecours de l’inftru&ion ne fait que fe
rajppeller les connoiffances qu’elle avoir infufes ?
Eft-çe donc-là cet être fi raifonnable,& fi fort au-
deffus des autres êtres ! Hélas 1 oui, voilà l’hom­
me ; il vivroit éternellement féparé de la fbciété,
fans acquérir une feule idée.Mais poliflons ce dia-
Bb4
( 39*)
*
enfemble la vérité de ces propofî-
tions.
i 9. Point d'éducation , point d’i­
dées.
x 9. Point de fens , point dfidées.
3 Moins on a de fens, moins on.
a d'idées.
Le fourd-muet de naiflfance, qu i
a des yeux , a plus d’idées & plus,
d ’avantage pour en acquérir, qu’u n
fourd-muet & aveugle.Si un homme
a perdu tous çes trois fens en venant

niant brut, envoyons ce vieux enfant à l’Ecole ^


quantum mutatus ab M o ! l’animal devient hom­
me, & homme do&e & prudent. N’eft-ce pas ainfï
que le hœuf, l’âne, le cheval, le chameau,le per--
roquet, &c. apprennent les uns à rendre divers
fèrvices aux hommes, & les autres à parler.
Jufqu’ici Arnobe, que j’ai traduit librement, &
en peu de mots. Que cette peinture eft admirable
dans l’original. C ’eft un des plus beaux morceaux
de l’Antiquité. Mais pour le bien rendre, il feu-»
droit avoir fe plume de M. l’ Abbé M.
au monde ; il ne fçait ni ce qu’il
Couche, ni ce qu’il goûte ; il jouit de
ces fenfations , fans les connoîtrc.
M ais s’il en ten d, alors , comme di-
foit Amman, Tes yeux font dans fes
oreilles, te il aura des idées, dont il
connoîtra l’objet, torique la vue lui
fera rendue, comme je l’ai expliqué
à l’article de Chefelden. Pour s’inf-
truire te pour éviter l’erreur, il faut
donc abfolument des fens, te que
l'un fupplée à l’autre. S’ils font tous
trompés, l’Am e l’eft avec eux»
comme on l’a déjà dit » mais s’ils
manquent to u s, le moyen de n’ctre
pas un parfait automate, bien au*
delTous par conlequent de la condi­
tion des animaux •
Q u ’il me foit permis, avant de\
fin ir, de faire i c i , . avec M . de
0* 4 )
V ... (i) une dernière réflexion fo r t
importante. I l ne f u it pat craindre
qu'un fentiment Pbihfephique fu ijft
jamais nuire à U Rcîigie* d'un Pays.
Les opinions des Philosophes peu­
vent être hardies, & non dangereu-
iès. Hors de la portée du vulgaire „
ellespajfentpar-dejfus prefque toutes
les th é s , $L n’entrent que dans des
efprits, incapables à U vérité de dé­
fendre des V ille s , mais trop fagea
pour les attaquer, pour fonner en
quelque forte le toefin Si ameuter un
vil peuple de fe&atçurs indignes de
l’être, trop Phijofophcs pour trou­
bler l’ordre établi par la fine poli­
tique. De-rlà vient que les opinions
qui ont le plus long-tems régné %
n’ont jamais influé fur les moeurs >
(i) Leu. PhUfar l'Ame*
( 3 9 f)
n ’ont fait aucun tort au grand cou­
rant du inonde &: de la fociété ci­
v i l e , &c enfin n’ont rien dérangé
dans les Loix & la Religion d’un
Etat.
Je dis plus, c’eft mal connoître les
Philofophes, que d’açcufer leurs
mœurs de fc reflentir de la licence
de leur efprit. Les pallions tranquil­
les du Philofophe peuvent bien
le porter à la volupté, ( eh pourquoi
fe refuferoit-il aux plaifirs pour lef-
qùels fcs fens ont été faits ? ) mais
non pas au crim e, ni au défordre. Il
n’eft pas en lui non-feulement de
faire de mauvaifes allions, mais mê­
me d’en faire de bonnes , pour pa-
roître les avoir faites, comme Vel-
leius le dit de Caton d’Utique ( i)«
(i) Nuijquam reâè fecit, ut facere videretur,
(}96)
Auflifagedans fa conduite, que li­
bre dans fes difcours , & perfuadé
que D ieu n'a point donné la raifon
aux homm es, pour être captivée ÔC
fubordonnée ; femblable aux Sadu-
céens & aux Efleniens, il ne connoît
pas de plus beau titre que le furnom
de Jufte: il voit avec douleur la
Forcé des préjugés qui fubjugue les
u n s, & le néant des frivolités auC
quelles les autres s’abandonnent} les
troubles, les orages fe forment à fes
pieds, rien ne peut altérer fa tran­
q u illité^ '; & comme fes vertus font
la juftice & la vérité, il n’a pas plus
à rougir du côté du coeur, que du

fed quia aliter facere non poterat. L. a. C.


(i) Et fi fra&us illabitur orbis »
Impavidum fcrient ruinæ.
fioratm
(597)
côté de l ’efprit : enfin modèle d’hits
m an ité,de probité & de douceur,
lui feul fuit éxa&ement la L oi Na­
turelle qu’il a créée.
Voilà le Philofophe, ^s^il n’eft aînfi fait*
* Il ufurpe ce nom fans en avoir l'effet ( 3 ).

V oyez au contraire ceux contre


lefquels le bras de Thémis s’eft armé
dans tous les!tems ; ce font ou des
tempéramens ardens, ou des efprits
peu éclairés, & toujours ou des fu«
perftitieux, ou des ignorans. C e
n’eft donc ni Bayle> ni Locke, ni Spi-
nofa, ni tous ces aimables & heu­
reux Philofophes de la fabrique de
M ontagne, de Saint Evremont, ou
de C haulieu, qui ont porté le flam­
beau de la difcorde dans leur Patrie s

(t) Deftouch. la Pkilof. Mar,


(3>*>
cefitttpour laplupart des Theologienf
qui ayant eu & abord l'ambition d'être
,
Chefs de' Selles ont eu bientôt celle
d'être Chefs de Partis. Mais qu*
dis-je, & peut-on comparer le Fa-
natifme & la Philofophie î O n fçait
trop qui des deux a armé divers fu-
jets contre leurs R o is, monftres que
le Fanatifme plus monftre qu’eux, a
vomis du fond des Cloîtres, & dont
l’Hiftoire n’a pu nous tranfmettre
les noms fans horreur. Cent Traités
du Matérialifme font donc beau­
à
coup moins craindre qu*n JanJe-
,
nifte impitoyable ou qu'un Pontife
ambitieux.

F I N.

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