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if 5.
Af. D C C. L XVL
TABLE
DES DOUTES.
I.
^ Uies-tu ? Page I
II. De notre faibleffe. 3
III. Comment peut-on p enfer ? 5
IV. A quoi bon favoir tout cela ? 7
V. Y a-t-il des idées innées ? 8
-V-
wfcrs
des Doutes. v
XXIV. Jujlicc rendue à Spinofa & à
Bayle. pag. 49
XXV. De beaucoup d'ahfurdites. 62
XXVI. Du meilleur des mondes tout plein
de f&ttifes & de malheurs. 66
XXVII. Des Monades. 71
XXVIII. Des formes plafiques. 72
1 XXIX. De Locke. 74
XXX. Le peu qu'on fait. «5
^fe',rTÆ
snv
A
VI Table
XXXVII. De Ilobbes. pag. io6
XXXVIII. Morale univerfelle , malgré
Hobbes. ' 108
.
^
XLII. De Pythagore. 115
XL III. De Zaleucus, article dont il faut
faire fon profit. 116
XLIV. ZXEpicure, plus efiimable quon
ne croit. 117
XLV. Des Stoïciens. 119
XLVI. La Philofophie efl-elle une ver
tu? 121
XLVII. ZTEfope. 122
XL VIII. La paix naîtra-t-elle de la Phi
lofophie? 123
des Doutes. vii
XL IX. Quefion, s'il faut perfécuter les
Philofophes. pag. 1-4
L. La perfécution nef-elle pas une mala
die qui reffemble à la rage ? 125
LI. A quoi tout cela peut-ilfervir? 126
LU. Autres ignorances. 127
liii. Plus grande ignorance. 129
LIV. Ignorance ridicule. 131
LV. Pis quignorance. 132
LVI. Commencement de raifon. 133
LVII. Petite Digreffon fur les Quin^e-
Vingt. 134
LVIII. Aventure Indienne traduite par
l'Ignorant. 137
LIX. Petit Commentaire de PIgnorant
fur des paroles remarquables. 138
->xi.
2 Le Philosophe »
communiquent, qui jouiiïent des mêmes
fenfations que moi, qui ont une mefure
d’idées & de mémoire avec toutes les
pallions. Ils lavent encore moins que moi
ce qu’ils font, pourquoi ils font, & ce
qu’ils deviennent.
Je foupçonne, j’ai même lieu de croire
que les planètes, les foleils innombrables
qui remplilTent l’efpace, font peuplés d’ê-
1 très fenlibles & penfants; mais une bar- J
jf rierç éternelle nous fépare, & aucun de ïf
ces habitants des autres globes ne s’eft
communiqué à nous.
Moniteur le Prieur, dans le Spectacle
de la Nature, a dit à Moniteur le Che
valier, que les aftres étaient faits pour
la terre, & la terre, ainfi que les ani-
,
l
maux, pour l’homme. Mais comme le
petit globe de la terre roule avec les au
tres planètes autour du foleil, comme
les mouvements réguliers & proportion-
I G N O II A N T. /. Doute. 3
'f
4 Le Philosophe
naiiïànt ni force ni connaiiïànce, ni in-
ftinél ; je ne peux meme me traîner à
la mammelle de ma mere, comme font
tous les quadrupèdes; je n’acquiers quel
ques idées que comme j’acquiers un peu
de force quand mes organes commencent
à fe développer. Cette force augmente en
moi jufqu’au temps où, ne pouvant plus
s’accroître elle diminue chaque jour.
,
Ce pouvoir de concevoir des idées s’au
--v-
——»
>
IGNORANT. III. Douti. y
de rien, exiftante fans étendue, agiflànt
fur leurs nerfs fans y toucher, envoyée
expreflement dans le ventre de leur mere
fix femaines après leur conception ; ils
ont cru que je voulais rire, & ont con
tinué à labourer leurs champs fans me
répondre.
t
IV. Ai eJî-iL nécejjaire de favoir?
i2
cannelée, ofa dire que les bêtes étaient
de pures machines qui cherchaient à
,
manger fans avoir appétit, qui avaient
toujours les organes du fentiment pour
n’éprouver jamais la moindre fenfation,
qui criaient fans douleur, qui témoi
gnaient leur plaifir fans joie, qui pofle-
daient un cerveau pour n’y pas recevoir
l’idée la plus légère, & qui étaient ainfi
une contradiétion perpétuelle.
Ce fyftême était aufïi ridicule
l’autre ; mais au-lieu d’en faire voir l’ex
travagance , on le traita d’impie; on pré
tendit que ce fyftême répugnait à l’E-
criture-Sainte, qui dit, dans la Genefe,
que Dieu a fait un pacte avec les animaux,
& qu il leur redemandera le fang des hom
mes qu'ils auront mordus & mangés;
1
ce qui fuppofe manifeftement dans les
bêtes l’intelligence, la connaiflance du
bien & du mal.
IGNORANT. FIL Doute. 13
VII. LExpérience.
VIII. Subjlance.
X. Decouvertes impojjlbles.
XII. Doute.
T-cÆ'v'fe'T
•m
16 Le Philosophe
donc penfer que les loix de la nature
étant toujours les mêmes, ma volonté
n’eft pas plus libre dans les chofes qui
me paraiiïent les plus indifférentes que
dans celles où je me fens fournis à une
force invincible.
Etre véritablement libre c’eft pou
,
voir. Quand je peux faire ce que je veux,
voilà ma liberté; mais je veux néceftài-
, j
.w
rement ce que je veux ; autrement je ’
voudrais fans raifon, fans caufe, ce qui V
eft impoflible. Ma liberté confifte à mar- 1
28 Le Philosophe
Non, je ne puis pardonner au Doc
teur Clarke d’avoir combattu, avec mau-
vaife foi, ces vérités dont il Tentait la
force, & qui femblaient s’accommoder
mal avec fes fyftêmes. Non, il n’eft pas
permis à un Philofophe tel que lui d’a
voir attaqué Colins en Sophifte, & d’a
voir détourné l’état de la queftion en
reprochant à Colins d’appeller l’homme
un Agent nécejfaire. Agent, ou patient,
qu’importe ! Agent, quand il fe meut vo
lontairement ; patient, quand il reçoit des
idées. Qu’eft-ce que le nom fait a la
chofe ? L’homme eft en tout un être
dépendant, comme la nature entière eft
dépendante, & il ne peut être excepté
des autres êtres.
Le Prédicateur, dans Samuel Clarke,
a étouffé le Philofophe; il diftingue la
néceflité phyfique & la néceffité morale.
Et qu’eft-ce qu’une néceffité morale?
Il
IGNORANT. XIII. Doute.
.ns
a?
IGNORANT. Doute. 31
a? jtj.cJÏ&SbSF
iâ*,
IGNORANT. XIF. Doua. 33
des Caldéens, le Cahos ôéHèJiode ? il ref-
tera dans les fables. Le Cahos eft impof-
fible aux yeux de la raifon ; car il eft im-
poflible que l’intelligence étant éternelle,
il y ait jamais eu quelque chofe d’oppofé
aux loix de l’intelligence ; or le Cahos eft
précifément l’oppofé de toutes les loix
de la nature. Entrez dans la caverne la
plus horrible des Alpes, fous ces débris
de rochers, de glace, de fable, d’eaux,
de cryftaux, de minéraux informes, tout
34
bornés, comme nous l’avons dit, à voir
ce que nous pouvons foupçonner par
nous-mêmes. Nous Tommes des enfants
qui eflayons de faire quelques pas fans
lifieres.
XV. Intelligence.
—
& géométriques qui régnent dans l’Uni
vers , les moyens, les fins innombrables
—r-
de toutes chofes, je fuis fiiili d’admira
tion & de refpecï. Je juge incontinent
que fi les ouvrages des hommes , les
miens même, me forcent à reconnaître
en nous une intelligence, je dois en re
connaître une bien fupérieurement agif-
fante dans la multitude de tant d’ou-
vrages. J’admets cette Intelligence fuprê-
me , fans craindre que jamais on puiffe
me faire changer d’opinion. Rien n’é-
IGNORANT. XV. Doute. 35
XVI. Eternité.
XVII. IncompréhenJibiUtc.
XIX. Ma dépendance.
Nous fommes fon ouvrage. Voilà une
vérité intérefiànte pour nous ; car de fa-
voir par la Philofophie en quel temps il
fit l’homme, ce qu’il faifait auparavant,
s’il eft dans la matière, s’il efi: dans le
vuide, s’il efi: dans un point, s’il agit tou
jours ou non, s’il agit par-tout, s’il agit
hors de lui ou dans lui ; ce font des re
cherches qui redoublent en moi le fenti-
ment de mon ignorance profonde.
Je vois même qu’à peine il y a eu
, ,
Il eft donc une Puifïànce unique, t
éternelle, à qui tout eft lié, de qui tout
dépend mais dont la nature m’eft in-
,
compréhenfible. Saint Thomas nous dit,
que Dieu eji un pur acte, une forme,
qui n a ni genre, ni prédicat, quil efi La
nature & le fuppôt, quil exife ejfentiel-
lement, participative ment, 6* noncupati-
vement. Lorfque les Dominicains furent
les maîtres de l’Inquifition
ils auraient
,
fait brûler un homme qui aurait nié ces
;i.
_ v
belles chofes; je ne les aurais pas niées,
mais je ne les aurais pas entendues.
On me dit que Dieu eft {impie, j’a
voue humblement que je n’entends pas
la valeur de ce mot davantage. Il eft vrai
que je ne lui attribuerai pas des parties
groflieres que je puiiïe féparer; mais je
ne puis concevoir que le principe & le
maître de tout ce qui eft dans l’étendue,
ne Toit pas dans l’étendue. La {implicite,
rigoureufement parlant, me paraît trop
femblable au non-être. L’extrême fai-
blefte de mon intelligence n’a point d’in-
ftrument allez fin pour faifir cette {im
plicite. Le point mathématique eft fim
ple, me dira-t-on; mais le point mathé
matique n’exifte pas réellement.
On dit encor qu’une idée eft fimple,
mais je n’entends pas cela davantage. Je
vois un cheval, j’en ai l’idée, mais je
n’ai vu en lui qu’un aflemblage de chofes.
'WT'
'a&lXs&ïS.
48 Le Philosophe
Je vois une couleur, j’ai l’idée de cou
leur ; mais cette couleur cil étendue. Je
prononce les noms abftraits de couleur
en général, de vice, de vertu, de vérité
en général ; mais c’eft que j’ai eu con-
naiflance de choies colorées, de choies
qui m’ont paru vertueufes ou vicieufes,
vraies ou faulTes. J’exprime tout cela par
un mot ; mais je n’ai point de connaif-
fance claire de la fnnplicité; je ne fais pas ê
plus ce que c’efl, que je ne fais ce que
c’eft qu’un infini en nombres actuelle
ment exiftant.
Déjà convaincu que ne connaifiant pas
ce que je fuis, je ne puis connaître ce
qu’eft mon auteur. Mon ignorance m’ac
cable à chaque inftant, & je me confole
en réfléchififant fans celle qu’il n’importe
pas que je fâche fi mon Maître ell ou
non dans l’étendue, pourvu que je ne
falfe rien contre la confidence qu’il m’a
don-
IGNORANT. XXIII. Doute. 49
donnée. De tous les fyftêmes que les
hommes ont inventés fur la Divinité,
quel fera donc celui que j’embrallerai ?
Aucun, linon celui de l’adorer.
XXIV. Spinofa.
^ -I
D iij
"1
-I
i " . r i
dre. Durement, j’en conviens; injufte-
ment, je ne le crois pas. Il ferait étrange
que Bayle ne l’eût pas entendu. Il décou
vrit aifélnent l’endroit faible de ce châ
teau enchanté; il vit qu’en effet Spinofa
compofc fon Dieu de parties, quoiqu’il
foit réduit à s’en dédire, effrayé de fon
propre fyftême. Bayle vit combien il eft
infenfé de faire Dieu aflre & citrouille,
penfée & fumier, battant & battu. Il
vit que cette fable eft fort au-deffous de
kv.
IGNORANT. XXIV.
(
Doute. 55
~-rr *£[£&=••***
-m
5^
i
IGNORANT. XXIF. Doute. Krf
-
re, que parce qu’il était trop plein des 1
fiennes ; il fuivait fa route fans regar
der rien de ce qui pouvait la traverfer,
& c’efl: ce qui nous arrive trop fouvent.
Il y a plus, il renverfait tous les prin
cipes de la Morale, en étant lui-même
d’une vertu rigide ; fobre jufqu’à ne
,
boire qu’une pinte de vin en un mois;
défintérêfle, jufqu’à remettre aux héritiers
de l’infortuné Jean de IVit une penfion
de deux cents florins que lui faifa t
:
ce
>
•<
! grand homme ; généreux, jufqu’à donner
Ton bien ; toujours patient dans Tes maux
& dans fa pauvreté, toujours uniforme
dans fa conduite.
Bayle qui l’a fi maltraité, avait à-peu*
près le même caraftere. L’un & l’autre ont
cherché la vérité toute leur vie par des rou
tes différentes. Spinofa fait un fyftême fpé-
cieux en quelques points, & bien erroné
1[ dans le fond. Bayle a combattu tous les \
T fyftcmes : qu’eft-il arrivé des écrits de l’un j?
& de l’autre ? Ils ont occupé l’oifiveté de 1
XXV. Abfurdites.
l'autre. Il
était donc impoiïible qu’il ne
prît pas le meilleur. Mais comment les
autres ctaient-ils poflîbles, quand il était
impoflîble qu’ils exiftaflent ?
Il me fit de très-belles diftinétions,
alTurant toujours fans s’entendre que
,
ce monde - ci eft le meilleur de tous
les mondes réellement impoiïibles. Mais
me Tentant alors tourmenté de la pierre,
& fouffrant des douleurs infupportables,
les Citoyens du meilleur des mondes me
conduifirent à l’Hôpital voifin. Chemin
faifant, deux de ces bienheureux habi
tants furent enlevés par des créatures
leurs femblablcs : on les chargea de
fers, l’un pour quelques dettes, l’autre
fur un fimple foupçon. Je ne fais pas fi
je fus conduit dans le meilleur des Hô
pitaux poflîbles ; mais je fus entafle avec
deux ou trois milles miférables qui fouf-
fraient comme moi. Il y avait là plufieurs
E ij
défenfeurs de la Patrie, qui m’apprirent
qu’ils avaient été trépanés & difîequés vi
vants , qu’on leur avait coupé des bras,
des jambes, & que plufieurs milliers de
leurs généreux compatriotes avaient été
maffacrés dans l’une des trente batailles
données dans la derniere guerre, qui eft
environ la cent-millieme guerre depuis
que nous connaifibns des guerres. On
voyait aufîi dans cette maifon environ r
(î - ..TZÏT. v «i
SJlï
*r.
70 Le Philosophe
Tyrans, & que le viol, le fuicide & la
guerre établirent une République qui
fit le bonheur des Peuples conquis. J’eus
peine à convenir de ce bonheur. Je ne
conçus pas d’abord quelle était la féli
cité des Gaulois & des Efpagnols, dont
on dit que Céfar fit périr trois millions.
Les dévaluations & les rapines me paru
rent aufli quelque chofe de défagréable;
mais le Défenfeur de FOptimifme n’en
démordit point ; il me difait toujours
comme le Géolier de Don Carlos, paix,
paix, cejl pour votre bien. Enfin, étant
pouffé à bout, il me dit qu’il ne fallait
pas prendre garde à ce globule de la
Terre, où tout va de travers; mais que
dans l’étoile de Sirius, dans Orion, dans
l’œil du Taureau, & ailleurs, tout eft
parfait. Allons-y donc, lui dis-je.
Un petit Théologien me tira alors par
le bras ; il me confia que ces gcns-Ià
L
•H*!?
IGNORANT. XXVIII. Doute.
à ma tète baiflee : Ces idées, me dit-il,
vous femblent profondes, parce qu’elles
font creufes. Je vais vous apprendre net
tement comment la nature agit. Pre
mièrement il y a la nature en général,
,
enfuite il y a des natures plaftiques qui
forment tous les animaux & toutes les
plantes vous entendez bien ? Pas un
,
mot, Monfieur. Continuons donc.
4 Une nature plaftique n’eft pas une
faculté du corps, c’eft une fubftance im- V
matérielle qui agit fans favoir ce qu’elle
fait, qui eft entièrement aveugle, qui ne
fent ni ne raifonne, ni ne végète; mais
la tulippe a fa forme plaftique qui la
fait végéter; le chien a fa forme plafti
que qui le fait aller à la chaffe, & l’hom
me a la fienne qui le fait raifonner. Ces
formes font les agents immédiats de la
Divinité. Il n’y point de Miniftres plus
a
fideles au monde, car elles donnent tout,
JvÆo-T’rf
*
2S
74 Le Philosophe
& ne retiennent rien pour elles. Vous
voyez bien que ce font là les vrais prin
cipes des chofes, & que les natures piaf-
tiques valent bien l’harmonie préétablie
& les monades qui font les miroirs
,
concentrés de l’Univers. Je lui avouai
que l’un valait bien l’autre.
XXIX. De Locke.
78 Le Philosophe
que je puiffe connaître quelles font les
fubftanccs auxquelles Dieu daigne ac
corder le don de fentir & de penfer. En
effet, y a-t-il des fubffances dont l’ef-
fence foit de penfer, qui penfent tou
jours, & qui penfent par elles-mêmes?
En ce cas, cesfubftances, quelles qu’elles
foicnt, font des Dieux; car elles n’ont
nul befoin de l’Etre étemel & formateur,
1
r^ puifqu’elles ont leurs effences fans lui,
puifqu’elles penfent fans lui.
k,
Yifc
Secondement, fi l’Etre éternel a fait
le don de fentir & de penfer à des êtres,
il leur a donné ce qui ne leur appartenait
pas eiTentiellement ; ildonc pu donner
a
cette faculté à tout être, quel qu’il foit.
Troifiémement, nous ne connailfons
aucun être à fond; donc il effc impof-
fible que nous fâchions li un être eft in
capable ou non de recevoir le fentiment
& la penfée. Les mots de matière &
±m
ffc -TrW’-û&iÆiÿ'V' «
84 Le Philosophe
un fouffle, une fubftance de feu, aurait-
on bien fait de perfécuter ceux qui font
venus nous apprendre que l’ame eft im
matérielle? Tous les Peres de l’Eglife
qui ont cru l’aine un corps délié, au
raient-ils eu raifon de perfécuter les
autres Peres qui ont apporté aux hom
mes l’idée de l’immatérialité parfaite?
Non, fansdoute; car le perfécuteur eft
abominable. Donc ceux qui admettent
fy
MT l’immatérialité parfaite fins la compren
dre ont dû tolérer ceux qui la rejet-
,
taient, parce qu’ils ne la comprenaient
pas. Ceux qui ont refufé à Dieu le
pouvoir d’animer l’être inconnu, appellé
matière ont dû tolérer auftî ceux qui
,
n’ont pas ofé dépouiller Dieu de ce
pouvoir; car il eft bien malhonnête de
le haïr pour des fyllogifmes.
Â
TT
86 Le Philosophe
loix, le culte, & par la mefiire de leur
intelligence, & plus j’ai remarqué qu’ils
ont tous le meme fonds de morale. Ils
ont tous une notion grolfiere du jufle
& de l’injufte fans favoir un mot de
,
Théologie. Ils ont tous acquis cette mê
me notion dans Page où la raifon fe dé
ploie comme ils ont tous acquis natu
,
rellement Part de foulever des fardeaux
avec des bâtons, & de palier un ruillèau
fur un morceau de bois, fans avoir ap
pris les Mathématiques.
Ilm’a donc paru que cette idée du
jufle & de l’injufte leur était nécelTaire,
puifque tous s’accordaient en ce point,
dès qu’ils pouvaient agir & raifonner.
L’intelligence fuprême qui nous a for
més a donc voulu qu’il y eût de la
,
juftice fur la Terre, pour que nous puf-
lions y vivre un certain temps. Il me fem-
ble que n’ayant ni inftinét pour nous
IGNORANT. XXXI. DoutS. 87
jujüce.
aftÂ
90 Le Philosophe
rice l’emporteront fur la juftice qu’il re
connaît.
Je mets en fait, qu’il n’y a aucun
Peuple chez lequel il foit jufte, beau,
convenable, honnête de refufer la nour
riture à fon pere & à fa mere quand on
peut leur en donner.
Que nulle peuplade n’a jamais pu re
garder la calomnie comme une bonne
a&ion non pas même une compagnie
,
de bigots fanatiques.
L’idée de jullice me paraît tellement
une vérité du premier ordre, à laquelle
tout l’Univers donne fon afientiment,
que les plus grands crimes qui affligent
la fociété humaine font tous commis
,
fous un faux prétexte de juftice. Le plus
grand des crimes, du moins le plus del-
truflif, & par conféquent le plus op-
pofé au but de la Nature, eft la guerre ;
mais il n’y a aucun agrefieur qui ne co-
IGNORANT. XXXII. Doute. 91
gner, reprendre.
Le mot à'injujlice ne fe prononce ja-
3\fr*
ÆÜ!
92 Le Philosophe
mais dans un Confcil d’Etat où l’on
,
propofe le meurtre le plus injufte; les
confpirateurs, même les plus fanguinai-
res, n’ont jamais dit : Commettons un
crime. Us ont tous dit : Vengeons la Pa
trie des crimes du Tyran, puniflons ce
qui nous paraît une injuftice. En un
mot, flatteurs lâches, Minières barbares,
confpirateurs odieux, voleurs plongés
3 dans l’iniquité, tous rendent hommage, r
fanté &
la maladie, entre ce qui eft con
l&te-rr
96 Le Philosophe
à me défier de moi-même, ne fe trompe-
t-il pas quelquefois comme moi-même?
Il veut prouver la fauffeté des idées innées;
mais n’ajoute-t-il pas une bien mauvaife
raifon à de fort bonnes? Il avoue qu’il n’eft
pas jufte de faire bouillir fon prochain
dans une chaudière, & de le manger. Il
dit que cependant il y a eu des Nations
d’Antropophages, & que ces êtres pen-
m
fants n’auraient pas mangé des hommes, «
T s’ils avaient eu les idées du jufte & de l’in- jf
jufte, que je fuppofe néceftàires à l’ef-
pece humaine. ('Voye{ le N°. XXXVI.)
Sans entrer ici dans la queftion, s’il
illh
->
"
*
"
1
1
~
io2 Le Philosophe
les leurs pour les mieux engrailfer, afin
de les manger.
On a déjà remarqué ailleurs que ce
grand homme a été trop crédule en rap
portant ces fables : Lambert, qui feul
impute aux Mingréliens d’enterrer leurs
enfants tout vifs pour leur plaifir, n’ell
pas un Auteur allez accrédité.
Chardin, voyageur qui paie pour fi
\ véridique, & qui a été rançonné en Min-
<(f grélie, parlerait de cette horrible cou
tume fi elle exiftait ; & ce ne ferait pas
allez qu’il le dît, pour qu’on le crût; il
faudrait que vingt voyageurs de Nations
& de Religions différentes, s'accordaient
à confirmer un fait fi étrange,
pour qu’on
en eut une certitude hiltorique.
Il en eft de môme des femmes des Ifles
Antilles, qui châtraient leurs enfants pour
les manger : cela n’eft pas dans la nature
d’une mere.
IGNORANT. XXXV. Doute. I03
.
i©4 Le Philosophe
tre point tentés de commettre la moin
dre fornication avec les femmes du Pays.
Il faut mettre ces contes avec celui du
perroquet qui eut une fi belle conver-
fation en langue Brafilienne avec le Prin
ce Maurice., converfation que Locke a la
fimplicité de rapporter, fans fe douter
que l’Interprete du Prince avait pu fe
-SK
i=TTÏ<=
f io6 Le Philosophe
de la convenance, par le fentiment &
par la raifon. Il eft impoffible que nous
ne trouvions pas très-imprudente l’ac
tion d’un homme qui fe jetterait dans
le feu pour fe faire admirer, & qui efpé-
rerait d’en réchapper. Il eft impoffible que
nous ne trouvions pas trcs-injufte l’ac
tion d’un homme qui en tue un autre
dans fa colere. La fociété n’eft fondée que
fur ces notions qu’on n’arrachera jamais
de notre cœur, & c’eft pourquoi toute fo
ciété fubfifte, à quelque fuperftition bi
zarre & horrible qu’elle fe foit affervie.
Quel eft l’âge où nous connaiffons le
jufte & l’injufte? L’âge où nous con-
naiflons que deux & deux font quatre.
XXXVII. De Hobbes.
-
Ifle déferte, & que Cromwel eût voulu
te tuer pour avoir pris le parti de ton
Roi dans l’Mc d’Angleterre, cet attentat
ne t’aurait-il pas paru auffi injufie dans
ta nouvelle Me , qu’il te l’aurait paru
dans ta Patrie?
<"
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‘'T'-” *r.
io8 Le Philosophe
Tu dis que dans la Loi de nature
,
tous ayant droit à tout, chacun a droit
fur la vie de fon fembLable. Ne confonds-
tu pas la puiflance avec le droit? Pen-
fes-tu qu’en effet le pouvoir donne le
droit? & qu’un fils robufte n’ait rien à
fe reprocher pour avoir affalfiné fon pere
languiflànt & décrépit? Quiconque étu
die la Morale, doit commencer à réfuter
4 ton Livre dans fon cœur ; mais ton pro- J,
pre cœur te réfutait encor davantage; V
car tu fus vertueux, ainfi que Spinofa;
& il ne te manqua, comme à lui, que
d’enfeigner les vrais principes de la vertu
que tu pratiquais, & que tu recomman
dais aux autres.
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IGNORANT. XXXVIII. Doute. 109
rince à fervir de contrepoids à nos par
lions funeftes, & à foulager les peines
inévitables de cette courte vie, que de
puis Zoroajlre jufqu’au Lord Shaftersburï ,
je vois tous les Philofophes enfeigner la
même morale, quoiqu’ils aient tous des
idées différentes fur les principes des cho
ies. Nous avons vu que Hobbes, Spino-
fa, & Bayle lui-même, qui ont ou nié
les premiers principes, ou qui en ont
^
douté, ont cependant recommandé for- w
tement la juftice & toutes les vertus.
Chaque Nation eut des Rites religieux,
particuliers, & très-fouvent d’abfurdes
& de révoltantes opinions en Métaphy-
lique, en Théologie. Mais s’agit-il de
favoir s’il faut être jufte ? Tout l’U
nivers eft d’accord, comme nous l’avons
dit au Nombre XXXVI, & comme on
ne peut trop le répéter.
SP*
IGNORANT. XXXIX. Doute.. III
réciter un Abunavar & un Ashim vuhu
pour ceux qui éternuent.
Mais enfin, dans ce Recueil de cent
Portes, ou Préceptes tirés du Livre du
Zend, &. où l’on rapporte même les
propres paroles de l’ancien Zoroaftre,
quels devoirs moraux font-ils prefcrits?
Celui d’aimer, de fecourir fonpere &
XLI. De Confucius.
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ii 6 L e‘ Philosophe t
XLIII. De Zaleucus.
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IGNORANT. XLIf^\ Doute. I T9
MalUbranchc & Arnaidd. MalLebrançhe
avouait que le plaifir rend heureux, Ar
nauLd le niait ; c’était une difpute de
mots, comme tant d’autres difputes où
la Philofophie & la Théologie apportent
leur incertitude, chacune de Ton côté.
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IGNORANT. XLV. Doute. I 21
il n’erra fur la Morale. En un mot,
pas
nul Philofophe dans l’antiquité qui n’ait
voulu rendre les hommes meilleurs.
Il y a eu des gens parmi nous qui
ont dit,
que toutes les vertus de ces
grands hommes n’étaient que des péchés
illuftres. PuilTe la Terre être couverte
de tels coupables ! U--
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IGNORANT. JCLFII. Doute. I 23
X LIX. Quejli-ons.
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126
inutiles.
Si vous me dites que je ne vous ai
rien appris, fouvenez-vous que je me
fuis annoncé comme un ignorant.
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Autres ignorances.
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LI V. Ignorance ridicule.
*_ i.— . . «j, p 11
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132 Le Philosophe
de compte fait ; parmi lefquels on ne
nomme pourtant que quarante - deux
morts reflufcités.
Je m’informe fi les autres Etats de l’Eu
rope ont des Hifioires Eccléfiaftiques,
aufli merveilleufes & aufii authentiques?
Je trouve par-tout la même fagelfe & la
même certitude.
L V. Pis qu ignorance.
J’ai vu enfuite pour quelles fottifes
inintelligibles les hommes s’étaient char
gés les uns les autres d’imprécations, s’é
taient détefiés, perfécutés, égorgés, pen
dus, roués & brûlés; & j’ai dit: S’il y
avait eu un Sage dans ces abominables
temps, il aurait donc fallu que ce Sage
vécût & mourût dans les déferts.
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jLM,
PAR L’IGNORANT.
P Ythagore, dans Ton féjour aux Indes,
apprit, comme tout le monde fait,
à l’Ecole des Gymnofophiftes, le langage
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«£• C 143 )
PETIT COMMENTAIRE
DE L’IGNORANT,
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....
Sur C éloge du Dauphin de France,
compofé par Mr. Thomas»
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A
144 Commentaire sur
je me fuis écrié : Quel fera le malheu
reux qui ofera être perfécuteur, quand
l’Héritier d’un grand Royaume a déclaré
qu’il ne faut pas l’être? Ce Prince favait
que la perfécution n’a jamais produit
que du mal : il avait lu beaucoup : la
Philofophie avait percé jufqu’à lui. Le
plus grand bonheur d’un Etat Monar
chique eft que le Prince foit éclairé.
, TT»"
l’Eloge du Dauphin.
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153
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158 Supplément au
C r o u t e f.
Dieu nous en préferve ! nous
pouvons
condamner au banniflement, aux gale-
res, à la potence, ou renvoyer hors de
cour félon que la fantaifie nous en prend.
Nous nous plaignons quelquefois du
pouvoir arbitraire de Mr. le Barcalon ;
mais nous voulons que tous nos juge
ments foicnt arbitraires.
Des Touches.
Cela eft jufte. Et de la queftion,
en
ufez-vous?
C ro u T E F.
C’eft notre plus grand plaifir ;
nous
avons trouvé que c’eft un fecret infailli
ble pour fauver un coupable qui a les
mufcles vigoureux les jarrets forts &
,
fouples, les bras nerveux & les reins
doubles; & nous rouons gaiement
tous
les innocents à qui la nature
a donné
des organes faibles. Voici comme nous
Philosophe ignorant. 159
C r o u T E F.
Par de l’argent comptant. Vous Ten
qu’il ferait impolîîble de bien juger,
tez
fi on n’avait pas trente ou quarante mille
pièces d’argent toutes prêtes. En vain
l'aurait par cœur toutes les coutumes,
on
vain aurait plaide cinq cents caufes
en on
fuccès, en vain on aurait un efprit
avec
rempli de jullelTe, & un cœur plein de
i juftice ; on ne peut parvenir à aucune
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i
André Des Touches qui était un peu
dilïrait, comme le font tous les Muli-
ciens, répondit au Siamois que la plu-
mjjjg
162 Supplément au
part des airs qu’il venait de chanter, lui
paraiflaient un peu difcordants, &
vou
lut s’informer à fond de la mufique Sia-
moife ; mais Croutef, plein de fon fujet,
& paffionné pour fon Pays, continua
en ces termes : Il m’importe fort
peu
que nos voifins, qui habitent par-delà
nos
montagnes, aient de meilleure mufique
que nous & de meilleurs tableaux
, ,
pourvu que nous ayions toujours des
Loix fages & humaines. C’eft dans
cette
partie que nous excellons. Par exemple,
il y a mille circonftances où une fille
étant accouchée d’un enfant
mort, nous
réparons la perte de l’enfant
en faifant
pendre la mere : moyennant quoi elle
efl manuellement hors d’état de faire
une faulfe couche.
Si un homme a volé adroitement trois
ou quatre cents mille pièces d’or, nous le
refpeétons, & nous allons dîner chez lui.
Philosophe ignorant. 163
-
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