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LE POTENTIEL DE L’ÉDUCATION ARTISTIQUE

D
par Diane Saint-Jacques
Disciplines secondaires, petites matières, les donner sens à son environnement visuel par d’hui marginalisés, demeurent importants;
arts sont le parent pauvre de l’école. Notre les arts plastiques, à prendre conscience de ainsi, l’expression de ses « images intérieures
société a du mal à reconnaître le potentiel son corps par la danse ou à saisir la diversité (…) actualisées » par les langages artistiques
éducatif des pratiques artistiques et cultu- sonore – dont le silence – par la musique. du programme d’arts des années 80 (Gou-
relles, les considérant plutôt comme un loisir vernement du Québec 1981, p. 11), contribue
associé aux industries culturelles, ce qui ne La contribution de l’éducation artistique au à la connaissance de soi, cruciale pour la
leur confère certes pas une forte légitimité développement de la personne est toutefois formation de l’identité, de même qu’à la
éducative. Et pourtant, il est démontré que le plus souvent évoquée sur le plan intel- construction de sa vision du monde, d’autant
l’enseignement d’une discipline artistique et lectuel. La nouvelle « économie du savoir » plus nécessaire dans une société que les
l’accès aux ressources culturelles, dimensions réclame, en effet, des individus aux res- médias abreuvent de prêt-à-penser. Des
fondamentales de la formation de l’élève, sources intellectuelles variées, flexibles et aspects apparemment peu actifs sont
contribuent de façon significative au dévelop- ouvertes. Déjà en 1988, un avis du Conseil pourtant centraux : le raisonnement, l’ana-
pement de la personne. Des témoignages supérieur de l’éducation en montrait l’impor- lyse, la synthèse ou le jugement sont tout
relèvent l’incidence positive de ces pratiques tance sur la capacité à apprendre, de même autant exercés dans une réalisation artistique
sur la réussite scolaire; plus encore, les que sur le développement de la créativité, que l’observation, la mémoire, l’imagination
valeurs et les modes de fonctionnement « un outil d’autonomie et d’intégration active ou l’intuition. D’autres aspects sont objets de
propres aux arts fournissent un cadre de dans la société » (p. 30). Tant sous l’angle de méprise; les pratiques artistiques exigent
réflexion sur l’école et un outil d’innovation et la résolution de problème – que les consignes rigueur, concentration et discipline et non la
de rénovation. L’éducation a donc tout intérêt ouvertes de l’enseignement artistique activent facilité que sous-entend une conception des
à se mettre à l’école des arts. constamment – que sous celui de l’invention, arts comme loisir. La liste pourrait s’allonger,
du processus créateur proprement dit, les mais l’important est de marquer l’étendue du
Une dimension fondamentale pratiques artistiques constituent un moyen potentiel éducatif des pratiques artistiques et
de la formation privilégié de développer la créativité ou, pour culturelles pour en affirmer la légitimité
L’éducation artistique est une dimension mieux dire, la forme d’intelligence sensible éducative.
fondamentale de la formation générale de spécifique de ces pratiques. Les nouveaux
l’élève. Le discours ministériel endosse cette programmes d’arts y ajoutent l’esprit critique, Une incidence positive
position même si ou, peut-être, parce que les par la compétence à apprécier ses réalisa- sur la réussite scolaire
arts n’occupent pas dans la classe la place à tions, celles des autres ou les œuvres du La portée éducative des pratiques artistiques
laquelle ils ont officiellement droit. Ainsi, répertoire. De même, les compétences à et culturelles s’élargit lorsqu’on les considère
l’énoncé de politique éducative sur le curri- apprécier et à interpréter répondent à la sous l’angle de la réussite scolaire. Parce que
culum fait de « l’initiation aux langages demande de rehausser le niveau culturel ces pratiques agissent sur le développement
artistiques » un des « apprentissages essen- des programmes en mettant « les élèves de la personne, renforcent l’identité et
tiels (…) dont dépend le succès ou l’échec en présence de créations artistiques du redonnent confiance en soi, elles sont
des élèves » (1997a, p. 13); dans le cadre patrimoine de l’humanité et de leur propre susceptibles d’accroître les capacités de
d’une entente, les ministères responsables de pays » (Gouvernement du Québec 1997a, réussite des élèves. Déjà, la revue de leur
l’éducation et de la culture mettent des p. 17). contribution sur le développement personnel
budgets à la disposition des écoles pour laisse pressentir le lien entre ces pratiques et
faciliter l’accès aux ressources culturelles. Le Cependant, la contribution des pratiques des compétences d’autres champs discipli-
discours éducatif est encore plus éloquent : artistiques et culturelles au développement naires, par exemple l’appréciation des textes
l’éducation artistique est une dimension de la personne ne se réduit pas à la créativité, littéraires en français. Toutefois, les pratiques
fondamentale, d’abord en elle-même, en à l’esprit critique ou au bagage culturel. Ces artistiques et culturelles touchent surtout les
rapport avec ses propres finalités, soit le pratiques touchent différents aspects de la éléments de transversalité du nouveau
développement de la sensibilité esthétique, personne : la motricité globale, l’équilibre ou programme, des moyens d’accroître la
de l’imaginaire et de la pensée créatrice. Elle la latéralité en danse ou en art dramatique; réussite, puisqu’ils favorisant l’ancrage des
est fondamentale également par son impact la motricité fine en musique et en arts apprentissages et le transfert. Ainsi, les
sur le développement global de la personne, plastiques; autour de la capacité à travailler compétences transversales sont largement
que l’on considère les arts en général ou une en équipe, fortement sollicitée en enseigne- pratiquées en arts, notamment la pensée
discipline artistique particulière : par exemple, ment des arts, le respect et l’écoute de l’autre, créatrice et le jugement critique associés à
la capacité de recourir sciemment au langage la collaboration et la coopération; etc. deux des trois compétences du domaine des
non verbal par l’art dramatique, à regarder et Certains aspects, hier privilégiés et aujour- arts, mais aussi l’exploitation de l’information

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et des TIC, la coopération et la structuration ajoutée du plaisir éprouvé lors de ces acti- Dans cette perspective de réflexion sur l’école
de son identité ainsi que la communication. vités, des antidotes à l’ennui et à l’indiffé- à partir des particularités des pratiques
Les domaines généraux de formation, notam- rence. Également, parce que ce sont des artistiques et culturelles, le philosophe de
ment les médias, et le recours aux repères activités collectives qui exigent une capacité l’éducation Alain Kerlan propose un « modèle
culturels pour soutenir les apprentissages élevée d’attention à l’autre et de respect des esthétique » comme cadre de réalisation de
sont également sollicités en enseignement différences dont dépend la réussite du l’idéal éducatif. Comprenant l’esthétique
des arts. Leur exercice ne peut donc avoir spectacle, elles aident à développer un dans son sens large, comme domaine de la
qu’une incidence positive sur la réussite de sentiment d’appartenance. Enfin, dans la sensibilité, de l’imagination, du corps et de
l’élève. perspective, en elle-même galvanisante, l’affectivité, il invite l’école à composer avec
d’une représentation devant public, elles les valeurs de la subjectivité. Certes, Alain
L’impact bénéfique des pratiques artistiques exigent un engagement qui mobilise l’élève Kerlan reconnaît le caractère utopique de
et culturelles sur la réussite scolaire touche sur plusieurs plans. Valorisation, plaisir, cette hypothèse, qu’il demande de saisir
plus particulièrement ou, du moins, de sentiment d’appartenance, engagement : comme « un horizon, un foyer imaginaire
manière plus évidente, les élèves en difficulté autant de facteurs de rétention des élèves à d’unité » (2004, p. 10); elle n’en permet pas
d’apprentissage. Plusieurs enseignants peuvent l’école. moins de sortir des sentiers battus où s’enlise
en témoigner. Ces élèves retrouvent le goût trop souvent la réflexion sur l’éducation. Un
d’apprendre à partir d’activités artistiques, Un cadre de réflexion sur l’école tel modèle peut certes inciter à accroître la
surtout parce qu’elles leur redonnent Le potentiel éducatif des pratiques artistiques place des arts dans la grille horaire. Mais,
confiance en eux-mêmes. Dans la mesure où et culturelles peut s’élargir davantage, cette plus fondamentalement, conjuguer l’éduca-
elles leur permettent de développer des fois dans un autre registre que celui de l’élève, tion avec les valeurs et les modes de fonction-
capacités insoupçonnées et font appel à de son développement et de sa réussite nement propres au domaine des arts touche
des habiletés et à des aptitudes différentes scolaire. Les valeurs qui sous-tendent ces tant l’apprentissage (par exemple, l’engage-
de celles réclamées par les mathématiques pratiques et les modes particuliers de fonc- ment dans les situations d’apprentissage et
ou autres matières principales qui les mettent tionnement qu’elles commandent, par leur l’obligation de donner sens aux savoirs) que
en difficulté, sinon en échec, elles s’avèrent spécificité même, viennent alimenter la l’enseignement (par exemple, une pédagogie
source de valorisation. Le plaisir qu’elles réflexion sur l’école. Dans le contexte de différenciée, un accompagnement individua-
suscitent cultive également le goût d’apprendre la réforme du curriculum en cours, ce cadre lisé et des parcours diversifiés), ou encore,
en stimulant la motivation, en provoquant de réflexion jette sur les changements qu’elle l’environnement physique et humain.
« une étincelle », pour reprendre le titre d’un apporte un éclairage permettant de voir et
numéro de la revue Autrement : « L’Art pour de comprendre autrement cette réforme. Mettre l’éducation à l’école des arts peut
quoi faire? À l’école, dans nos vies, une Tout aussi novateur qu’il soit, le nouveau donc mener, au-delà de leur importante
étincelle » (2000). Le ministère de l’Éducation programme intègre, en effet, des pratiques contribution au développement de la personne
y croit, qui accepte d’y investir. Depuis 1997, pédagogiques usuelles en enseignement des et même de leur incidence sur la réussite
le Programme de soutien à l’école arts. L’approche par compétences réclame éducative, à repenser l’école sur la base des
montréalaise offre des activités artistiques et des situations d’apprentissage complexes où valeurs et des modes de fonctionnement de
culturelles aux élèves des milieux défavorisés; l’élève doit mobiliser diverses ressources, l’éducation artistique. Notre société n’est pas
des raisons liées au développement connaissances et habiletés dans une réali- prête à lui attribuer un tel potentiel éducatif,
personnel et des raisons sociales d’égalité sation; elles sont une pratique courante en mais des signes prometteurs se profilent.
d’accès à l’art et à la culture sont évoquées enseignement des arts depuis les pro- Une légitimité personnelle semble lui être
qui, toutefois, s’inscrivent dans une grammes cadres des années 70. L’enseigne- accordée, considérant l’importance des pra-
perspective plus large d’amélioration de la ment des arts intègre des « repères culturels », tiques artistiques en amateur à laquelle
réussite scolaire de ces élèves. non comme élément déclencheur, mais 43 p. 100 des Québécois s’adonnent sur une
comme « savoirs essentiels » pour « donner base au moins mensuelle (Gouvernement du
La recrudescence de projets artistiques dans plus de sens et de profondeur aux appren- Québec 1997b). Une légitimité sociale
les écoles secondaires est également signifi- tissages » (Gouvernement du Québec 2001, s’amorce, dont témoignent certains projets
cative, notamment dans le contexte de la lutte p. 4). L’enseignement des arts plastiques artistiques pour des personnes en rupture
contre le décrochage scolaire, qui atteint un recourt au portfolio pour rassembler des sociale : la chorale formée par des itinérants
taux alarmant au Québec, où près d’un jeune travaux d’élèves, un outil d’évaluation de l’accueil Bonneau, le projet LOVE (Leave
sur cinq âgé de 19 ans est sans diplôme d’ailleurs emprunté aux professionnels des out violence) de photojournalisme pour des
d’études secondaires. Certes, les chorales ou arts visuels et médiatiques. Différentes adolescents victimes de violence, lancé au
orchestres, pièces de théâtre ou comédies dimensions du nouveau programme peuvent collège Dawson à Montréal, ou le projet
musicales sont sources d’épanouissement et ainsi être saisies sous l’angle de l’éducation Franchir le seuil du musée, qui accueille
de valorisation personnelle et, avec la valeur artistique. enfants et adultes de milieux défavorisés aux

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activités pédagogiques du Musée des beaux- Centre de recherche interuniversitaire sur GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. La culture en pantoufles
et souliers vernis, Québec, Les Publications du Québec,
arts de Montréal, en collaboration avec des la formation et la profession enseignante 1997b.
organismes communautaires. Les pratiques (CRIFPE). GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Programme de
artistiques et culturelles ne prendront leur formation de l’école québécoise. Éducation préscolaire.
Enseignement primaire, Québec, Ministère de l’Édu-
pleine légitimité éducative que si la société cation, 2001.
tout entière la reconnaît. Mais n’est-ce pas à Références bibliographiques
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION. L’éducation KERLAN, A. L’art pour éduquer? La tentation esthétique.
l’école de faire les premiers pas? artistique à l’école : Avis au ministre de l’Éducation, Contribution philosophique à l’étude d’un paradigme,
Québec, 1988. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004.
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Programme d’études. MONTI, C. et J. SOLVÈS (dir.). L’Art pour quoi faire?
Mme Diane Saint-Jacques est professeure à À l’école, dans nos vies, une étincelle Autrement, no 195,
Primaire. Art, Québec, Ministère de l’Éducation, 1981.
la Faculté des sciences de l’éducation de GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. L’école tout un pro- Paris, Éditions Autrement, 2000. (Collection Mutations).
l’Université de Montréal et membre du gramme. Énoncé de politique éducative, Québec,
Ministère de l’Éducation, 1997a.

LA DANSE À L’ÉCOLE :
ESPACE PRIVILÉGIÉ D’INTÉGRATION ET DE DISTINCTION

L
par Caroline Raymond et Nicole Turcotte
La danse à l’école est à l’image de la percep- disciplines artistiques du curriculum scolaire
tion que l’on se fait de la danse profession- québécois?
nelle dans la société québécoise. En effet,
même si l’on s’entend pour dire que les Le présent article souhaite lever le voile sur

Photo : Jimmy Chouinard


chorégraphes québécois s’illustrent au niveau le potentiel formateur de la danse à l’école
international en matière de création et de en démontrant comment la classe de danse
renouvellement des pratiques artistiques, est un espace privilégié d’intégration et de
la danse professionnelle n’est encore tout de distinction pour l’enfant et l’adolescent. Après
même que peu fréquentée par le grand avoir situé le contexte éducatif et le modèle
public. Que la danse se pratique en contexte pédagogique dans lequel s’inscrit cette disci-
professionnel ou scolaire, elle porte son lot pline, nous mettrons en lumière quatre palement donnés par des enseignants spé-
de préjugés qui affecte son degré de crédibilité aspects formateurs qu’offre une pratique de cialisés formés à l’université – à ce titre,
sociale. On dira d’elle, par exemple, qu’elle est la danse à l’école. l’Université du Québec à Montréal est la seule
difficile à comprendre parce qu’elle n’offre au Québec à offrir une formation initiale de
pas de discours intelligible qui permet de se Contexte de l’enseignement quatre ans en enseignement de la danse. Ils
reconnaître rapidement dans son quotidien. de la danse à l’école au Québec sont parfois aussi donnés par des enseignants
On ne se souvient pas d’une danse, dit-on, Rappelons qu’au Québec, la danse est une formés initialement dans des écoles de danse
comme on se souvient d’une chanson que « jeune » discipline scolaire. C’est au tournant privées ou professionnelles, ces artistes
l’on fredonne spontanément ou d’un film des années 80 que la danse et l’art drama- ajoutant à leur expérience une formation en
dont on s’empresse de raconter l’intrigue à tique ont fait leur entrée dans les pro- pédagogie.
un ami. Quand on se laisse toucher par une grammes. Puis, avec la récente réforme de
danse, on n’a pas toujours les mots, et encore l’éducation, les quatre disciplines artistiques La danse, une entrée dans la culture
moins les habiletés motrices, pour la partager (art dramatique, arts plastiques, musique et On ne saurait discuter de la danse à l’école
avec les autres. danse) ont été intégrées à statut égal avec sans s’interroger sur la dynamique qui existe
toutes les autres disciplines; elles constituent entre la culture et l’éducation. Si, comme le
Encore aujourd’hui, il n’est pas rare non plus désormais l’un des cinq domaines généraux mentionne Roland Arpin (1997), l’école est un
d’entendre des élèves, des enseignants ou du Programme de formation de l’école haut lieu culturel, c’est parce que les élèves y
des parents dire que la danse est l’apanage québécoise. Depuis 2005, au terme de leurs apprennent le monde. Toutes les disciplines
des filles car, à l’école, on pense surtout études secondaires, les élèves doivent obliga- ne sont-elles pas le fruit des productions et
qu’elle sert à développer une bonne forme toirement avoir réussi un cours d’art pour des créations de l’homme? Le français, la
physique. On lui accorde aussi le statut obtenir leur diplôme, la danse devenant pour géographie, les mathématiques, les arts, etc.
de discipline « divertissante », qui change ainsi dire une option de choix. En vingt-cinq procurent à l’élève les outils dont il a besoin
des « matières de gros calibre » comme les ans d’existence, les programmes de danse pour s’intégrer à la société et, à son tour,
langues et la mathématique. Mais est-ce vrai- scolaire ont tout doucement fait des petits, si transformer le monde. Or, comme le dit
ment pour ces raisons que l’on a décidé d’in- bien qu’aujourd’hui elle s’enseigne dans envi- Bruner (1996) : « Apprendre, se souvenir,
scrire la danse comme une des quatre ron une cinquantaine d’écoles au Québec, parler, imaginer : tout cela n’est possible que
surtout au secondaire. Les cours sont princi- parce que nous participons à une culture. »

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