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Enseigner Avec Les Erreurs Des Élèves-2019-2 PDF
Enseigner Avec Les Erreurs Des Élèves-2019-2 PDF
Introduction
1. La place de l’erreur dans l’histoire de l’école
Définitions au pluriel
Une tradition de l’école : surtout ne pas se tromper, sinon…
Évitons de caricaturer « l’école d’autrefois » !
À qui la faute ?
7. Donner confiance
Avec des enfants marqués par l’échec et les difficultés
Vivre corporellement ses émotions
Vertus du théâtre
Erreurs dans les comportements
Conclusion
Un prudent optimisme… sauf erreur !
Bibliographie
Avant-propos
De l’erreur à l’exigence
Étrange paradoxe de l’erreur en situation scolaire : alliée et
adversaire à la fois ! Inévitable dans la démarche toujours
tâtonnante de celui qui apprend… et obstacle à surmonter pour
accéder à plus de précision, de justesse et de vérité. Moment fécond
si, loin de décourager l’élève, il lui permet de comprendre comment
progresser… et, en même temps, « résidu » de vieux automatismes
ou de conceptions anciennes qu’il faut se résigner à éradiquer.
Occasion extraordinaire d’exercice de l’intelligence critique… et,
simultanément, épreuve souvent difficile quand il faut faire son deuil
de ce qui a été, un temps, une partie intégrante de soi et même,
parfois, un outil de sa construction identitaire. Dépassement et
renoncement. Renoncement et dépassement. Étroitement liés et,
donc, générateurs de perplexité, d’inquiétude, voire d’angoisse.
On néglige trop souvent cette dimension de tout apprentissage,
pourtant consubstantielle de « l’apprendre » tel qu’Aristote et
Augustin l’approchaient déjà il y a bien longtemps : « Apprendre,
c’est faire quelque chose qu’on ne sait pas faire pour savoir le
faire. » Il faut donc le faire sans savoir le faire car, si l’on savait déjà
le faire, on n’aurait pas besoin d’apprendre à le faire ! Mais comment
faire quand on ne sait pas faire ? Voilà tout le mystère ! Il faut
prendre le risque de « se jeter à l’eau », accepter de se tromper,
voire de subir les critiques, quand ce n’est pas les moqueries, de
ceux qui savent déjà comme de ceux qui ne savent pas et voient
toujours d’un mauvais œil que quelqu’un s’essaye à quelque chose
qui les a mis en difficulté ou en échec… Il faut « se lancer » et
assumer l’imperfection, voire le ridicule. Il faut accepter de sacrifier
le fantasme de sa toute-puissance comme l’illusion d’un « moi
idéal » dans lequel on s’était parfois installé. Il faut s’engager dans
un dialogue, parfois douloureux, toujours déstabilisant, avec ce qui
nous résiste. Il faut abandonner la certitude d’avoir toujours raison et
la satisfaction d’être « parfait », à l’abri, dans la carapace des
évidences immédiates, de tout ce qui pourrait affecter notre amour-
propre. Il faut passer, dirait le psychanalyste, de l’enkystement dans
le « moi idéal » à la quête difficile de « l’idéal du moi ».
C’est cela qui se joue – n’en doutons pas – dans le rapport de nos
élèves à l’erreur, que celle-ci soit le résultat d’une inattention – une
« faute » que l’on peine à reconnaître –, d’un automatisme mal
maîtrisé – dont on rejette volontiers le bien-fondé –, de l’oubli de la
dimension d’un problème – considéré comme inutilement complexe
–, d’un défaut d’analyse – souvent attribué à un désaccord
idéologique –, ou bien du miroitement d’une quelconque « théorie du
complot » – qui fournit à bon compte des certitudes définitives. Dans
tous ces cas, l’erreur est déniée, car la reconnaître serait, en
quelque sorte, se renier. Ce serait renoncer à moi-même et m’en
remettre à une autorité extérieure me contraignant à abdiquer « ce
que je suis » et à disqualifier « ce que j’ai fait ».
C’est pourquoi l’enjeu pédagogique majeur d’une véritable
pédagogie de l’erreur est le passage de l’erreur comme écart à une
norme extérieure imposée à l’erreur comme confrontation à une
exigence intériorisée. Car, n’en doutons pas : dans la première
situation, l’élève vivra la correction de l’erreur par le maître comme
une décision arbitraire ou même, dans le pire des cas, comme un
conflit entre des croyances ou des convictions irréconciliables ; sur
le moment, et selon ses intérêts stratégiques, il se soumettra peut-
être, de plus ou moins bonne grâce, mais n’en campera pas moins
intérieurement sur ses positions, revenant à ses anciennes
habitudes ou certitudes dès que l’enseignant aura le dos tourné.
Tout au contraire, si l’élève vit l’erreur comme une étape dans un
processus, s’il accepte de se confronter à des exigences dont il a
compris le sens, s’il perçoit l’immense intérêt qu’il pourra en tirer
pour progresser, alors l’erreur, d’abord pointée par le maître puis,
petit à petit, reconnue par lui, sera un formidable atout pour ses
apprentissages et son développement ; elle lui permettra d’exercer
sur lui-même ce regard critique qui lui donnera progressivement les
moyens de réaliser des œuvres de qualité et de « penser par lui-
même ».
« Réaliser des œuvres de qualité » – un récit ou une maquette, une
expérience scientifique ou une carte de géographie, la récitation d’un
poème ou une argumentation philosophique – impose, en effet,
d’être capable de se décentrer, d’écouter et d’observer ce que l’on
dit ou fait, avec une posture critique et en s’appliquant à soi-même
des critères de jugement et de qualité qui ne sont pas seulement
dictés par son propre narcissisme, mais qui sont partagés avec
d’autres, partagés avec tous les autres, à l’horizon d’une universalité
qui se construit ainsi. L’artisan, à cet égard, est un bon modèle :
parce que ses réalisations seront soumises au jugement des autres,
il a besoin d’avoir intégré à l’avance les critères de sa propre
réussite, de les avoir partagés, de s’en être fait des repères
essentiels dans son travail quotidien. Faire de nos élèves de
véritables « artisans » de leurs travaux en classe est ainsi un enjeu
fondateur de l’école. Célestin Freinet ne disait rien d’autre quand il
luttait contre ce qu’il appelait (à tort) « la scolastique » pour
promouvoir « le travail vrai ».
« Penser par soi-même » – c’est-à-dire résister à toutes les formes
d’immédiateté pulsionnelle comme à la répétition de slogans ou la
reproduction de stéréotypes – exige, de son côté, de ne pas se
satisfaire de fausses certitudes mais de transformer, en un
processus jamais achevé, le « désir de savoir » en « désir
d’apprendre ». Car, si nous voulons tous « savoir » – avoir les
solutions techniques et idéologiques les plus faciles d’accès aux
problèmes matériels et angoisses existentielles que nous
rencontrons –, nous ne sommes pas toujours prêts à « apprendre » :
car apprendre exige d’abord d’accepter de ne pas savoir et de
s’engager dans une démarche de recherche, de mener des
investigations, d’entrer dans le débat, de remanier sans cesse ce
que l’on sait, d’avoir un regard critique et exigeant sur ce que l’on
trouve. Apprendre, c’est intégrer la possibilité, et même la nécessité,
de l’erreur assumée dans une démarche qui se nourrit en
permanence des autres et de la culture. Socrate, déjà, ne disait pas
autre chose.
Certains trouveront peut-être ces réflexions bien abstraites. Mais il
n’en est rien. Elles sont, au contraire, une manière d’approcher
l’enseignement et l’apprentissage au plus près de la
« transmission », de ce moment essentiel où, avec des contenus
d’enseignement légitimement imposés par les programmes, se
transmet une exigence intérieure qui est, sans aucun doute, le
vecteur fondamental de la formation à la citoyenneté. Et c’est de
cela que nous parle, au-delà de la multiplicité des propositions
pédagogiques et des outils didactiques qu’il propose, cet excellent
livre de Jean-Michel Zakhartchouk. En s’appuyant sur son
expérience et sur sa belle connaissance des travaux pédagogiques,
en sollicitant les points de vue et les suggestions de nombreux
collègues de toutes disciplines et de tous niveaux, il nous propose
de faire du travail sur l’erreur une manière de refonder la pédagogie
sur « l’apprendre ». Voilà un livre particulièrement utile – il fourmille
de propositions concrètes – mais qui n’est en rien « utilitariste » : loin
de sacrifier à la mode de « l’école efficace » – qui fait l’impasse sur
les finalités –, il fournit de nombreuses pistes pour l’action, mais en
les articulant étroitement à un projet éducatif fort, un projet
d’émancipation, aussi exigeant que particulièrement d’actualité.
Philippe Meirieu
Introduction
« Attention à ne pas te tromper » : ce message, envoyé à beaucoup
d’élèves dans notre système éducatif, n’est-il pas révélateur d’une
relation tout sauf sereine à l’erreur ? Il est pourtant si naturel de ne
pas réussir du premier coup, surtout quand on est en train
d’apprendre. Et si, loin de la considérer comme une catastrophe, on
« retournait le stigmate », on faisait de l’erreur un levier pour
apprendre, ce qu’on retrouve dans l’expression « apprendre de ses
erreurs » ?
Cet ouvrage reprend donc cette idée essentielle qu’on retrouve chez
nombre de théoriciens de l’apprentissage, didacticiens et
pédagogues. Mais ici il sera surtout question de pratiques :
comment, concrètement, « faire avec », dans un sens non pas
résigné (« il faut bien faire avec »), mais résolument positif (erreur =
tremplin, point d’appui, occasion opportune d’apprendre… à ne plus
se tromper). Et pour réaliser cet ouvrage, comme je l’ai fait ailleurs
dans la même collection, j’ai bâti en grande partie cet ensemble de
réflexions et propositions en m’appuyant sur les très nombreux
témoignages d’acteurs sur leur façon de faire, de la maternelle au
lycée et en formation d’enseignants. Livre collectif qui se fonde sur le
réseau de pédagogues lié de près ou de loin à l’association CRAP-
Cahiers pédagogiques. Il ne s’agit cependant en aucun cas de mise
bout à bout de ces témoignages. Les contributions d’acteurs, parfois
échos d’un vécu très concret, parfois déclinaison de séquences de
classes, sont insérées dans un tout qui se veut cohérent et organisé
autour de quelques points forts :
Définitions au pluriel
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Comment définir la notion
d’erreur, et de quoi se distingue-t-elle ? Nous venons déjà d’évoquer
la « faute » et l’« échec ». Un mot plus récent comme
« dysfonctionnement », que conseille le chercheur Yves Reuter dans
son livre Panser l’erreur1, est-il vraiment un synonyme ? Et qu’en
est-il de ces vocables proches (paronymes) dont peut-être le mot
« erreur » est un « hyperonyme2 » : aberration, bêtise, confusion,
maladresse, bévue… Sans parler d’expressions plus familières :
bourde, boulette, bogue, ânerie et bien sûr connerie ? Au fond,
chacun s’inscrit dans une catégorisation d’erreurs, comme des sous-
parties d’un ensemble très vaste. Quel est l’antonyme d’erreur
d’ailleurs ? Exactitude ? Justesse ? Réussite ? On voit que se
déploient aussi par là même des critères d’évaluation permettant
d’établir ce qui est « faux » et ce qui ne l’est pas. « Faux », tiens,
encore un synonyme de l’adjectif « erroné » ?
Si on prend quelques définitions de dictionnaire du mot « erreur »,
on aura par exemple :
À qui la faute ?
Reste que l’évitement de l’erreur est resté dominant. Il a pu prendre
deux formes assez différentes. Celle que nous avons évoquée où le
fautif est un peu toujours l’élève : pas assez travailleur, pas assez
attentif, qui n’a pas assez « écouté » en classe… Mais aussi celle où
la responsabilité de l’erreur renvoie à une mauvaise programmation
par l’enseignant. Dans une optique béhavioriste, l’élève se laisse
guider et en principe ne doit pas se tromper si la progression par
micro-objectifs et gradation des difficultés a été bien conçue. La
cause de l’erreur est dès lors davantage du côté de celui qui a (mal)
bâti cette progression. L’élève n’est plus qu’un exécutant qui n’a qu’à
suivre les « instructions », ce qui peut marcher pour des
apprentissages très mécaniques mais trouve vite ses limites.
Or, il existe bien une sorte de troisième voie où il ne s’agit plus tant
de se demander qui est responsable de l’erreur, mais plutôt
comment on fait avec, comment on s’en sert pour faire apprendre.
C’est ce qui va être déployé tout le long de cet ouvrage.
En bref
Même si, dans l’école traditionnelle, l’erreur n’était pas toujours stigmatisée, on était loin
de la concevoir comme une occasion d’apprendre, comme une étape sur le chemin de
l’apprendre.
La connotation morale pesait lourd et continue à peser (notion de « faute »).
On assiste à une évolution positive : l’erreur « utile » sur laquelle on travaille n’est plus
l’erreur à éviter à tout prix ou à corriger le plus vite possible.
1. Presses universitaires du Septentrion, collection « Savoirs mieux », 2013.
2. L’hyperonymie est la relation sémantique hiérarchique d’une unité lexicale à une autre
selon laquelle l’extension du premier terme, plus général, englobe l’extension du second,
plus spécifique. Le premier terme est dit hyperonyme de l’autre (selon Wikipédia).
« Volaille » est l’hyperonyme de « poules, dindons, pintades… ».
3. Le Petit Livre des couleurs, Points, 2005.
4. Récemment, un mouvement de contestation d’enseignants s’est nommé « les stylos
rouges », et on peut douter que cela donne une image noble de la profession !
5. Les Bancs de la communale, Du May, 1994.
6. Plon, 1980.
7. Propos sur l’éducation, PUF, 1932.
8. « Quelle place accorder à l’erreur dans sa pratique pédagogique ? »
http://dcalin.fr/cerpe/cerpe32.html
9. Poche, 1902.
2. Les enseignants et leurs
rapports à l’erreur
Les enseignants ont été des élèves, leur passé pèse sur leur
présent. Ils peuvent l’oublier lorsqu’ils sont face aux erreurs
de leurs élèves. Et dans le second degré, n’étaient-ils pas
performants dans la discipline qu’ils enseignent aujourd’hui,
au risque de sous-estimer la difficulté de nombreux
apprentissages et activités scolaires ? Mais la tendance de
fond est plutôt à la bienveillance et à la compréhension.
Témoignage personnel
En cours de langue, il y avait cette peur de « dire une bêtise » qui paralysait et incitait
à rester discret pour ne pas se voir reprocher l’erreur de syntaxe ou la mauvaise
prononciation. Et voilà pourquoi j’arrive en gros à traduire Cervantès, mais peine à
demander des renseignements en Espagne à un guichet. Ou que je peux traduire
Dickens et ne pas oser me débrouiller avec l’anglais dans un aéroport international
pendant que le chauffeur de taxi manie sans peine ce qu’on appelle de façon souvent
méprisante le « globish » et qui permet de communiquer, tant pis pour la correction…
J’avais parfois peur aussi de voir exhibées devant la classe des erreurs commises
(« inadmissibles »). Lorsqu’on est plutôt en situation globale de réussite, on relativise,
mais on pense à ceux qui sont si souvent humiliés par les moqueries publiques ou en
tout cas les remontrances. Souvenir d’un professeur de latin annonçant à haute voix
mes notes lamentables en thème en ajoutant que je l’agaçais à vouloir mettre un
accent circonflexe au « e » de « thème ». Ce n’était pourtant pas un sadique, loin de
là. De même en éducation physique, la peur de ne pas bien faire le mouvement
gymnique, de me ridiculiser lors des roulades ou du monter à la corde aggravait sans
aucun doute la situation, d’autant que le professeur ne m’indiquait pas de pistes de
remédiation ou ne me mettait guère en confiance. Voilà une discipline scolaire en tout
cas où de grands progrès ont été effectués, comme on le verra plus loin à travers des
témoignages d’enseignants de cette matière !
Il est très fécond de faire évoquer par les enseignants leur passé
scolaire, en leur demandant de narrer ces moments où on craignait
les erreurs, ou on était découragé par leur répétition, ou au contraire
ceux où on éprouvait la joie de les surmonter et d’abord de
comprendre pourquoi on se trompait.
Lisons par exemple ce qu’écrit Alexandra Rayzal, professeure
d’histoire-géographie en collège :
« J’étais en troisième, en cours de français, on travaillait sur la voix
passive. Le prof nous interrogeait les uns après les autres en nous
proposant une forme active à mettre au passif. À un moment,
quelques élèves avant moi, il a proposé une forme qui n’avait pas de
sens au passif. L’élève le lui a dit et le prof a répondu : “Fais-le
quand même, c’est ça l’exercice même si ça ne se dit pas.” Du coup,
arrivé à mon tour, quand il m’a proposé “Isabelle a pris la mouche”,
je n’ai pas répondu que ça ne se disait pas au passif, mais j’ai
docilement répondu : “La mouche a été prise par Isabelle.” Ce sur
quoi il s’est esclaffé : “Mais enfin c’est une expression toute faite, ça
ne se dit pas au passif !” Je l’ai profondément détesté en ayant
l’impression de faire les frais de son désir de nous prendre en faute
à tout prix. »
Benjamin Banasik enseigne les sciences physiques et chimiques
dans un collège REP. Il se souvient :
« J’ai toujours en tête cette professeure de sciences naturelles qui
nous rendait les copies d’évaluation en les classant dans l’ordre des
notes décroissantes, en disant bien haut et fort le nom des élèves. À
plusieurs reprises je me trouvais un peu en dessous de la moyenne.
Ou encore ce professeur d’histoire-géographie qui attendait de nous
que nous récitions notre leçon par cœur par écrit. Ce n’était pas le
sens qui était visé, mais la récitation, à la virgule près. J’avais
tellement honte de moi, du regard des autres, et peur de recevoir
une mauvaise note. Outre cette humiliation qu’une partie des élèves
subissait, je ne comprenais pas forcément pourquoi j’avais des
mauvaises notes puisque j’apprenais mes leçons. De plus, il n’y
avait pas à la suite de cette évaluation de correction collective et sur
ma copie ne figuraient pas, d’après mes souvenirs, de conseils pour
progresser. Cette réactivation, articulée avec des pairs, plus
récemment, qui, d’après moi, ne font pas suffisamment de
l’évaluation un levier pour apprendre, m’interroge sur mes pratiques
d’évaluation. »
Pas simple !
Jean-Claude Paul, professeur de physique-chimie, montre comment il n’est pas si
facile de transférer auprès des élèves des expériences positives qu’on a pu connaître
en matière de rapport à l’erreur :
« Je n’ai pas de souvenirs marquants de mes études en fac de sciences sauf celui de
M. B. qui devait nous initier aux mystères de la mécanique quantique en dernière
année de maîtrise.
Chose étonnante, nous venions assister à son cours pour le suivre vraiment, et pas
seulement l’enregistrer en vue de la prochaine colle (comme on le faisait d’habitude !).
Le cours de M. B était plutôt classique, rien d’exceptionnel, parfois même vraiment
magistral : il exposait un chapitre, puis proposait des exercices d’application, et
ensuite, les mains dans les poches, il arpentait les travées de l’amphi à la “chasse” aux
belles erreurs !
Quand il en apercevait une, il invitait courtoisement l’auteur à exposer cette belle
erreur.
Alors un jour, au lycée, entre autres bricolages, j’ai voulu appliquer le principe de ce
bon M. B.
Sur le large tableau installé dans nos salles, trois personnes pouvaient travailler
conjointement. J’ai donc invité mes élèves, sur la base du volontariat, à venir “exposer”
leurs erreurs.
Je leur proposais souvent de travailler en duo avec le livre. À chaque nouveau
chapitre, j’indiquais un menu d’exercices à faire à leur convenance (même en dehors
du cours s’ils le voulaient).
Puis, à mon tour, je me promenais à la recherche de “belles erreurs”.
Les élèves acceptaient alors mollement d’aller au tableau, et parfois refusaient mon
invitation.
Un jour l’un d’eux, partant vers le tableau, saisit au passage le classeur d’un autre.
Mi-interloqué, mi-furieux, je me suis aperçu, alors, que mes élèves ne pouvaient pas
accepter de montrer leurs erreurs.
Depuis qu’ils sont petits, ils se trouvent dans un système où celles-ci sont traquées,
sanctionnées. Un système qui a une aversion pour l’erreur ! Dans leurs têtes, l’erreur
est un problème, une faute qui sera sanctionnée. Une faute que bien sûr l’élève évite
d’exposer aux autres au risque d’être raillé, ridiculisé (surtout dans le monde des
ados !). Mais aussi au professeur qui risquerait de le “juger”.
Je me suis donc excusé auprès de mes élèves et j’ai décidé de mettre fin à
l’expérience.
J’aurais dû savoir que ça ne pouvait pas marcher.
Mes élèves, comme tous les élèves formatés par notre système, ont intégré l’erreur
comme un échec, et non comme potentiellement une marche vers la compréhension !
Pour être honnête, dans notre amphi, on n’était pas fiers non plus quand il fallait aller
au tableau… »
En bref
Un enseignant a été élève. Il a connu sans doute des moments « pénibles » face aux
erreurs signalées par un professeur peu bienveillant. L’autoanalyse de ce passé
scolaire peut être l’occasion de réfléchir sur sa pratique actuelle et de la faire évoluer.
Le succès de la notion de « bienveillance » est révélateur cependant des évolutions en
cours…
10. 2012, PUF.
11. Paroles de Georgius, 1936,
http://dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/paroles/au_lycee_papillon.htm
12. Ce texte prend appui sur un travail de thèse pour lequel une vingtaine d’enseignants de
collège ont apporté leur témoignage.
13. Les noms d’emprunt utilisés dans la thèse sont ici conservés.
3. L’erreur, ce n’est pas un
drame !
C’est plus nuancé chez les plus jeunes. Accepter de se tromper et en faire une étape
valorisante ne va pas de soi ! C’est un travail acharné au quotidien pour la maîtresse !
Elia dit encore : “Moi, je fais jamais d’erreur !”
Malik : “Ben non bien sûr, on n’a pas le droit de se tromper !”
J’ajoute : “Pourquoi ? Tu penses que tu vas être grondé ?”
“ Non ! Mais ça va être long si on refait tout !” (ouf, la maîtresse est rassurée, en plus
elle n’aurait pas tout fait refaire !)
On retrouverait déjà, si jeune, une certaine idée du rapport à l’effort et du temps à
consacrer…
Lorsqu’on demande à n’importe lequel des niveaux quels sont leurs supports préférés
pour apprendre, pour se tromper… c’est incontestablement les supports éphémères
qui l’emportent.
Souvent parce qu’il est aisé de s’y corriger rapidement, quand, pour d’autres, c’est
précisément le caractère éphémère de l’erreur, lorsqu’il existe, qui rassure. Cette
dernière n’a alors pas d’empreinte fixe et garde le statut de transition qu’elle devrait
toujours avoir.
Les CP plébiscitent l’ardoise, les crayons effaçables, le tableau. “C’est pour ça que
j’aime bien écrire les phrases, dit Loïc, c’est facile de changer et ensuite je recopie
quand c’est bien.”
Les plus jeunes aiment particulièrement les supports aimantés et les cartes à pinces.
Tous plébiscitent le matériel mathématique, concret, à disposition dans les classes
pour les activités de calcul et de réflexion.
La plus belle des phrases est venue de Lilou, recomposée pour être compréhensible.
En substance, elle disait : “Moi, ce que j’aime bien, maîtresse, c’est quand tu dis ‘tu
peux être fière de toi’, même s’il y a une petite erreur, parce que j’ai essayé et fait des
progrès.”
Il y a donc de très belles choses qui émergent à questionner nos élèves mais
également nos pratiques. »
Avec les élèves les plus fragiles
Professeure des écoles dans le Beaujolais (circonscription de
Belleville-sur-Saône), Julie Horvath témoigne de son travail avec les
élèves les plus en difficulté dont elle est chargée dans le cadre de sa
mission de « maître E15 ».
« L’erreur avait une connotation négative dans cette classe : il y avait
beaucoup de moqueries face aux erreurs des autres, et de la
difficulté à se mettre en recherche par peur de se tromper.
Lors de la première séance, nous avons pris les représentations des
élèves sur le terme “erreur” :
Les élèves devaient compléter leurs réponses sur des Post-it, qui
étaient ensuite affichés dans toute la classe, afin que tous prennent
connaissance des différentes réponses. Nous avons ensuite essayé
collectivement de catégoriser les différentes réponses données.
En majorité, les élèves se sentent mal d’avoir fait une erreur :
Beaucoup d’enfants ont même dit qu’ils se sentaient mal dans leur
corps : ils ont parlé de tensions, de “maux de ventre”…
Beaucoup ont aussi peur du regard des autres :
“J’ai peur que les autres pensent que je suis nul et que je ne
sais rien.”
Cependant, quelques élèves disent que c’est normal de faire des
erreurs, mais peu voient le côté constructif de l’erreur :
Le droit de recommencer
Cyril Lascassies, devenu prof de maths, se sert de son expérience d’ancien élève :
« Mon seul zéro en maths… Déjà trente ans, je m’en souviens et il a sans doute
influencé l’enseignant que je suis devenu. J’étais en classe de quatrième, en
mathématiques, il fallait réciter “par cœur” le théorème de Pythagore “Dans un triangle
rectangle, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres
côtés”. Seulement, j’ai inversé les mots “carrés” et “somme”. Or un mathématicien sait
que ça ne veut pas dire la même chose. Mais l’adolescent que j’étais a trouvé injuste
de prendre zéro pour une erreur d’étourderie, d’autant plus que je savais appliquer ce
théorème. Même pas le droit de prouver que j’avais compris ou de recommencer, la
sentence était tombée.
C’est pourquoi aujourd’hui mes élèves ont le droit de recommencer, de rebondir sur
leurs erreurs, jusqu’à ce qu’ils réussissent au moins avec de l’aide, au mieux dans une
situation complexe. »
En bref
Aider les élèves à surmonter la peur de se tromper est indispensable. Oser essayer,
c’est la clé pour réussir. La prise de risque est possible… parce que, au fond, il n’y a
pas vraiment de risque en situation d’apprentissage.
Interroger les élèves sur leur rapport à l’erreur, dès le plus jeune âge, est un point de
départ souvent très utile.
De nombreuses recherches
mettent en avant l’importance du
travail sur les erreurs
Stratégies pédagogiques
Il paraît aujourd’hui indispensable d’initier les élèves aux sciences
cognitives et de leur expliquer comment fonctionnent ces trois
systèmes : automatique, réflexif et inhibiteur. De nombreux
supports23 permettent d’aborder ces questions de façon ludique. En
termes de stratégies on pourrait conseiller aux élèves de toujours
aborder les tâches par le système 2 mais ce serait épuisant, cela
représenterait un énorme gâchis puisqu’ils dépenseraient d’énormes
ressources attentionnelles pour des exercices souvent simples et
automatisés. On leur conseille donc de réserver ce mode coûteux
aux tâches nouvelles, aux cas dans lesquels ils supposent une
difficulté particulière, ils pressentent un « piège ». Pour l’enseignant,
la principale difficulté consiste à aider les élèves à repérer les
signaux qui vont leur permettre de choisir le mode adapté à la
situation qu’ils rencontrent, soit en amont, soit au cours de l’exercice.
En effet, dans certains cas nous croyons avoir affaire à une situation
de routine et, en cours de tâche, nous sentons qu’il faut inhiber cet
automatisme pour activer un traitement particulier. Il arrive que nous
abordions spontanément une tâche en mode automatique et qu’une
sensation de gêne, voire de stress en situation d’évaluation, nous
alerte sur la nécessité de passer du mode intuitif au mode réfléchi.
Les fonctions exécutives permettent de repérer la non-congruence
entre ce que l’on fait habituellement et ce qu’il convient de faire en
l’occurrence. Notre système émotionnel, indissociable du système
cognitif, nous signale ce décalage. À nous de nous entraîner à
interpréter ces signaux.
Nous proposons de faire découvrir ces deux voies d’action aux
élèves à travers des exercices dans les différentes disciplines. Dans
quel cas puis-je enclencher le pilotage automatique ? Dans quel cas
dois-je garder les commandes et me concentrer ? Quels indices
m’indiquent que je suis dans une situation habituelle que je sais
traiter de façon automatisée ou, au contraire, que je suis face à une
situation nouvelle, une exception, un cas particulier qui requiert toute
mon attention ? Il semble que la plus grande difficulté pédagogique
réside dans cette recherche des signaux d’alerte, des critères qui
vont permettre d’opter pour le bon mode de fonctionnement.
L’enseignant doit d’abord repérer ces situations délicates et les
analyser, pour pouvoir mettre en garde les élèves.
Erreurs d’inattention ?
Pour faire réfléchir les élèves sur les questions d’attention, on peut démarrer par
quelques exercices, souvent ludiques, lesquels d’ailleurs peuvent aussi servir lors de
formation d’enseignants pour faire découvrir la complexité des phénomènes de
perception-mentalisation dans l’attention.
Ainsi, si on projette ceci :
Il y a toutes les chances pour qu’on lise « l’oiseau sur la branche » alors qu’il y a deux
fois « la ». On a pourtant « perçu » la double consonne, mais on a reconstitué la phrase
conforme à la syntaxe habituelle. Dès qu’on sait cela, on se demande comment on a pu
être ainsi « aveugle ». D’autres tests du même type existent, l’un d’eux étant bien
connu : celui du gorille. On demande de visionner une vidéo dans laquelle on voit deux
équipes de basket s’affronter et on demande de compter le nombre de passes que se
font les joueurs. Les plus consciencieux ont la bonne réponse, pas forcément facile,
mais ils n’ont pas vu la traversée d’un individu déguisé en gorille, qui pourtant prend son
temps (et on ne voit que lui quand on a appris son existence24). De la même façon,
Hergé ne s’est pas rendu compte d’erreurs grossières d’une vignette à l’autre dans
certaines de ses bandes dessinées. Dans L’Étoile mystérieuse, Tintin sonne à une porte
où est écrit un nom en minuscules, puis en majuscules quelques vignettes suivantes. Et
la femme du pompier dans L’Île noire se frotte la mauvaise joue à la suite du heurt avec
son mari à la recherche d’une clé. Là encore, on ne s’en rend pas compte, pris par la
narration ou l’attention orientée plutôt vers le texte de la bulle où on cherche une
incohérence avec l’image.
Ces petits exercices amusants peuvent servir ensuite à réfléchir ensemble à ce qu’est
une bonne « relecture », comment exercer sa vigilance et bien focaliser son attention,
sans trop se fier à l’impression première parfois. Ce n’est pas tant ici que nos sens nous
trompent (autre chose sont les illusions d’optique où on croit voir inégaux deux
segments qui sont identiques selon la manière dont ils sont présentés), que nos
automatismes, l’orientation de notre attention qui est détournée, mise sur une fausse
piste, comme ces indices qui éloignent souvent provisoirement le détective de la vérité
dans les romans policiers.
Erreurs classiques
Les cognitivistes citent des exemples où des adultes cultivés et réfléchis (un public
d’enseignants par exemple) font des erreurs à cause de réflexes inappropriés.
Un cas classique : on imagine deux amis qui disposent de 1,50 euro pour acheter une
friandise ou tout autre objet. Pierre donnera un euro de plus que son ami Jacques pour
cet achat. Combien Jacques a-t-il donné ? Beaucoup répondent 0,50 euro, alors que la
réponse est 0,25, et 1,25 pour Pierre.
Autre cas classique : si un produit valant 10 euros augmente de 10 %, puis un mois plus
tard baisse de 10 %, combien vaudra-t-il alors ? Réponse : 10 euros ? Certes non,
puisque 10 % de 11 euros, c’est 1,10 euro, donc le nouveau prix est 9,90 euros.
On reviendra sur l’importance de cette inhibition de raisonnements hâtifs et paresseux
dans le combat contre la désinformation, la manipulation et les fake news.
Cartes gagnantes
Comment aider les élèves à comprendre ce qui se passe dans le
cerveau quand on se trompe, c’est ce que s’efforce de faire Sophie
Roh en accompagnant des outils pédagogiques qu’elle conçoit en
tant que « consultante » à Genève.
« C’est avec Dan, 14 ans, Léa, 17 ans, et Kilian, 8 ans, qu’ont été
créés nos premiers supports visuels sur le statut de l’erreur, les
stratégies d’évitement, les neurotransmetteurs libérés quand on se
sent capable, le syndrome d’impuissance acquise. Tous trois
peinaient à accepter l’erreur, à la voir, à corriger leurs examens ou
juste à prendre le risque d’essayer et de se tromper.
Alors on a décidé de s’arrêter et de poser les bases. Autour de
petites cartes plastifiées et imagées, on a pu voir ce qui arrivait dans
le cerveau et comprendre que :
dire que l’on possède une mémoire visuelle est une fausse idée
(un neuromythe26). Personne n’est capable de retenir la couleur
des lettres ;
retenir une phrase est plus facile que retenir des symboles car
une phrase a du sens.
En bref
Faire que les élèves, mais d’abord les professeurs, connaissent mieux ce qui
peut favoriser l’erreur dans le fonctionnement du cerveau est certainement un
facteur de réussite.
Les sciences cognitives nous donnent de précieuses indications sur les raisons
qui font que nous nous trompons en fonctionnant par automatismes, ceux-ci étant
cependant bien utiles au quotidien, ou encore sur le fonctionnement de la
mémoire.
17. Cessons de démotiver les élèves : 19 clés pour favoriser l’apprentissage, Dunod, 2e
édition, 2015.
18. Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 2008.
19. Apprendre à résister, Le Pommier, collection « Manifestes », 2014.
20. Système 1 / Système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2011.
21. L’Intelligence du stress, Eyrolles, 2008.
22. Hors-série « Apprendre » des Cahiers pédagogiques, 1998.
23. Sandrine Rossi, Amélie Lubin, Céline Lanoë, coordonné par Corinne Sourbet et Thierry
Potdevin, Découvrir le cerveau à l’école : les sciences cognitives au service des
apprentissages, Canopé, 2017.
24. Lire le passionnant Le Gorille invisible : quand nos intuitions nous jouent des tours, de
Chabris et Simons, aux éditions Le Pommier, 2015.
25. Olivier Houdé et Grégoire Borst, Le Cerveau et les apprentissages, Nathan, collection
« Les repères pédagogiques », 2018.
26. www.sciences-cognitives.fr
5. Multiples causes, multiples
réponses
On voit alors que les solutions ne sont pas les mêmes : on peut
travailler clarté et explicitation, on peut créer un climat de confiance
ou on peut entraîner les élèves sur les chemins de l’apprendre en
maîtrisant mieux certains outils (attention, mémoire, stratégies de
lecture ou d’écriture…). Ajoutons qu’il est important de considérer la
fréquence de ces erreurs, si elles font système entre elles, et
faisons-en alors des indicateurs pour nous orienter : avons-nous
surestimé les capacités des élèves à un moment donné ? Avons-
nous bien explicité nos attentes ?
Mais il existe d’autres manières de « typologiser » les erreurs, et
Jean-Pierre Astolfi, dans L’erreur, un outil pour enseigner27 propose
une grille qui a été largement diffusée et que nous reprenons ici,
laquelle complexifie notre catégorisation. Il ne s’agit en aucun cas
d’un dogme, et on peut tout à fait ajouter d’autres items ou en
reformuler certains.
Essayons de donner des exemples pour chaque type d’erreurs, ce
qui peut d’ailleurs déboucher sur des activités de formation comme
on le verra dans le dernier chapitre.
1. Erreurs relevant de la compréhension des consignes.
On demande à un élève de classer des actions selon leur
déroulement dans un récit où cet ordre a été bouleversé (flash-back,
etc.). Il se contente de remettre les actions dans l’ordre du texte, de
façon redondante sans avoir saisi que la tâche était bien plus
complexe. La consigne manquait, il est vrai, de clarté (on aurait dû
préciser « l’ordre chronologique »).
2. Erreurs résultant d’habitudes scolaires ou d’un mauvais
décodage des attentes.
L’élève de troisième a cru naïvement qu’on lui demandait son avis
sur un sujet de réflexion (« Aimez-vous les voyages ? ») alors qu’il
s’agissait surtout de produire un devoir argumenté, selon des
normes qui ont peu à voir avec l’expression personnelle.
Le problème
Dans cet épisode des Contes du chat perché de Marcel Aymé, la consigne donnée par
la maîtresse était la suivante : « Les bois de la commune ont une étendue de seize
hectares. Sachant qu’un are est planté de trois chênes, de deux hêtres et d’un
bouleau, combien les bois de la commune contiennent-ils d’arbres de chaque
espèce ? »
Delphine et Marinette, n’arrivant pas à résoudre le problème, reçoivent le renfort de
leurs amis les animaux. La poule propose une solution : aller compter les arbres dans
les bois de la commune.
« Le lendemain, à l’école, la maîtresse essaya de faire comprendre aux bêtes que les
bois de la commune, dont il était question dans l’énoncé, ne correspondaient à rien de
réel, mais la petite poule blanche se fâcha et ses compagnons commençaient à être
de mauvaise humeur. “Si l’on ne pouvait se fier à l’énoncé, disaient-ils, le problème lui-
même n’avait plus aucun sens.” »
Mettre trop de sens nuit au véritable sens !
En bref
Classer les erreurs permet d’attribuer à chacune des catégories un traitement différent.
Il faut combiner des moments où il s’agit surtout d’empêcher les erreurs d’advenir, en
acquérant des automatismes, et d’autres où, dans une tâche complexe, elles sont
inévitables dans un premier jet.
Dans ce travail, l’implication cognitive des élèves est indispensable : la métacognition,
le dialogue pédagogique sont des outils décisifs, qu’il faut développer.
27. Collection « Pratiques et enjeux pédagogiques », ESF Éditeur, 12e édition, 2017.
28. Évaluation de la direction à l’évaluation et à la prospective (DEP) en 1990 qui donne à
peu près les mêmes résultats en fin de CM2 et en cinquième.
29. Pour une présentation de ces gestes mentaux : Yves Lecocq, (Re)penser l’acte
d’apprendre, Chronique sociale, 2018.
30. Pascale Toscani, Les Neurosciences au cœur de la classe : livret d’exercices des
élèves, Chronique sociale (2013).
31. Jocelyn Lenoir, Qu’est-ce que le stress ? [En ligne] (2012).
32. Emmanuel Procyk et Martine Meunier, « L’erreur forge le cerveau », in « Apprendre de
ses erreurs », Cerveau et psycho, no 87, avril 2017.
6. Évaluation : dépasser la
« correction »
Faire une part plus grande à
l’évaluation formative
En Finlande
On sait bien que les modèles étrangers, ça n’existe pas. Le « paradis finlandais »
qu’ont pu décrire des visiteurs, impressionnés par les résultats PISA de ce petit pays
qui réussit à avoir une école équitable et efficace, doit être relativisé. N’empêche qu’il y
a des leçons à tirer de ce système. Et notamment en matière d’autoévaluation. Lisons
ce qu’écrit une responsable éducative, Tarja Jukkala34 :
« Un des objectifs principaux de l’enseignement fondamental est de développer les
capacités que l’élève a de s’autoévaluer. L’idée est qu’avec l’autoévaluation l’estime de
soi, l’image positive de soi-même comme apprenant et le sentiment de participation
soient renforcés. L’autoévaluation est naturellement formative. Réalisée à ce stade du
processus, elle peut donc fonctionner comme un facteur important lié à la motivation
pour la continuation de l’apprentissage. L’école finlandaise semble donc avoir bien
assimilé l’exigence du besoin de former des citoyens qui soient capables, en tant
qu’adultes, de gérer leur propre apprentissage tout au long de leur vie. »
Quand les résultats semblent quelque peu baisser, les responsables finlandais
cherchent à améliorer l’existant quand dans notre pays on hésite entre se lamenter ou
nier la validité des tests internationaux.
l’exactitude ;
la pertinence ;
l’exhaustivité ;
la cohérence ;
la qualité de la langue ;
la créativité.
Oui /
1. Vous avez rédigé une introduction
Non
Oui /
2. Vous avez formulé un problème dans votre introduction
Non
Oui /
3. Vous avez annoncé votre plan dans l’introduction
Non
Oui /
4. Vous avez structuré vos explications en paragraphes
Non
Oui /
5. Vos paragraphes développent un raisonnement logique
Non
Oui /
6. Vous avez rédigé une conclusion
Non
Oui /
7. Votre conclusion répond au problème posé
Non
Oui /
1. La saisie des informations dans chaque document est correcte
Non
2. Les informations tirées des documents et les déductions faites donnent des Oui /
éléments de réponse au problème posé Non
Oui /
2. Ces connaissances complètent les informations issues des documents
Non
Plus généralement, faire créer par les élèves des consignes, par
exemple pour d’autres, des questions sur un texte, ou en vue d’un
contrôle à la suite d’une « leçon » devrait faire partie de la panoplie
de base de tout professeur. Il suffit parfois de rajouter à un
questionnaire de lecture une invitation à poser une question
supplémentaire avec sa réponse juste, mais en imposant quelques
contraintes (ce doit être une question d’interprétation du texte par
exemple, ou forcément une question commençant par
« pourquoi »…). Les élèves sont ainsi amenés à anticiper, à prévoir
les difficultés rencontrées, à estimer ces difficultés. On peut imaginer
d’ailleurs un codage à l’image de ces fiches-recettes de cuisine qui
indiquent le niveau de difficulté du plat à élaborer. En
mathématiques, la pratique s’est répandue de faire inventer des
problèmes, il faut l’étendre davantage, tout en fixant des conditions
pour que ce soit efficace. Le retour en classe, l’examen des
« bonnes inventions » est nécessaire.
Remarquons ici que donner à des élèves une sorte de statut de
professeurs qui interrogent leurs pairs est souvent motivant de par le
caractère ludique de la situation. Mais surtout, la situation de
producteur permet de mieux saisir le sens du travail et de devenir de
meilleurs lecteurs de consignes ou de problèmes.
L’analyse collective d’erreurs
Autant la pratique de rendre publiques nominalement les erreurs de
tel ou tel élève est détestable, autant l’analyse en classe d’erreurs à
partir d’extraits de copies peut être fructueux et formateur. On peut le
faire de différentes façons :
Le cerisier
Lors d’une évaluation nationale d’entrée en sixième, on a demandé aux élèves de
mettre en mots un schéma représentant le « cycle du cerisier » depuis la graine
jusqu’à l’arbre donnant des fruits.
J’ai proposé ensuite à la classe, par groupes, d’analyser des réponses choisies, en
pointant ce qui selon eux était réussi ou plutôt erroné.
Parmi les réponses, on a (orthographe des élèves respectée) :
« Il faut planté les graines dans le sol et après les jeunes plants pousse. Quelques
années plus tard le cerisier est en fleurs puis les fleurs devient des cerissises. Dans
chaque noyau de cerise contient une graine. »
« Les graine sont donné par l’arbre précédant. La plante en quelque jour elle
commence a poussier les feuilles apparaissent. Quelques années plus tard les fleurs
pousses. Juste après l’arbre est grande et les cerises poussent. »
« Les noyaux de cerise sont tombés au sol dans ses noyaux il y a des graines qui
permettent de refaire poussés des plantes de cerise. Quelques années plus tard
maintenant on peut voir des petites fleurs qui sont écloses. Ensuite, la fleur fanne et
quelques mois plus tard on voit dans ce cerisier des cerises. »
Certains élèves ont mis l’accent sur la rédaction plus ou moins bonne selon les copies
(et bien sûr l’orthographe), d’autres sur le respect de la consigne, d’autres sur la
pertinence scientifique. Occasion de discuter ensemble sur ce qu’est un critère de
réussite, des différences d’appréciation selon qu’on met l’accent sur la langue utilisée
ou sur l’exactitude ou la pertinence scientifique. On peut d’ailleurs, si on veut se
centrer sur l’aspect SVT, reprendre les textes en corrigeant leur orthographe et la
ponctuation pour que ces erreurs-là ne « polluent » pas le reste. Si on met les élèves
en groupes, ils peuvent avoir du mal à se mettre d’accord sur leurs appréciations (pas
davantage d’ailleurs si on pratique cet exercice en formation d’enseignants !).
On peut aussi demander aux groupes de formuler des conseils d’amélioration à
chacun des élèves ayant rédigé ces réponses.
En bref
Le travail sur l’erreur nécessite des pratiques d’évaluation diversifiées. Faire plus de
place à une évaluation formative est indispensable, tout comme encourager
l’autoévaluation des élèves ou la coévaluation.
De même, surtout dans la phase d’apprentissage, est-il fondamental de cibler les points
qui sont évalués, sans vouloir céder à la manie de la correction pointilliste inefficace.
Quand les élèves construisent des interrogations, élaborent des critères de réussite, ils
s’approprient bien mieux ce qu’on attend d’eux et donc font moins d’erreurs.
33. Sur l’organisation de la fonction d’évaluation du système éducatif, présenté par Régis
Juanico et Marie Tamarelle-Verhaeghe.
34. Cahiers pédagogiques, dossier sur l’école finlandaise, no 432, coordonné par Päivi
Sihvonen (avril 2005).
35. Voir le hors-série numérique des Cahiers pédagogiques : « L’évaluation en classe », no
39, mai 2015.
7. Donner confiance
Dans mes classes, je sentais quelque part que j’étais sur la bonne
voie quand des élèves me déclaraient en souriant en rendant un
travail : « Vous allez être content, il y a des ratures ! » Un devoir
avec des corrections de tournures et changements de vocabulaire
lors de la relecture, c’est le signe d’un effort authentique pour ne pas
en rester au premier jet et si ça peut se voir, tant mieux, surtout dans
une phase d’apprentissage.
Comment accompagner les élèves vers la prise de risque en toute
tranquillité : voilà ce que de nombreux enseignants ont choisi de
faire et ils évoquent ici des expériences diverses, mais
convergentes.
Avec des enfants marqués par l’échec et les
difficultés
Corinne Brisbart, maître E dans le Rhône, montre bien qu’il ne suffit
pas de proclamer un droit à l’erreur pour que les élèves aient
vraiment un autre rapport à l’erreur lorsqu’ils sont souvent confrontés
aux difficultés et à l’échec.
« Les élèves que je reçois dans mes groupes énoncent très
rapidement la phrase : “Ce n’est pas grave si on se trompe parce
qu’on est en train d’apprendre.” En effet, les enseignants sont,
aujourd’hui, sensibilisés à cette notion d’erreur et essaient de la
dégager de toute idée de faute pour les élèves. Pour autant, pour
des élèves qui font très souvent des erreurs, est-ce plus supportable
et moins culpabilisant parce que l’erreur n’a plus de lien direct avec
la sanction : note ou biffage en rouge ?
Le regard bienveillant de l’enseignant est-il suffisant pour que l’élève
qui se trompe souvent accepte l’erreur comme un élément de
l’apprentissage ?
En regroupement E, les interactions entre pairs ont une place
primordiale afin de mettre en œuvre un conflit sociocognitif. C’est
une source d’apprentissage qui doit aider au décentrage et
permettre de comprendre pourquoi et comment on s’est trompé afin
d’accéder à un processus plus pertinent. En énonçant ses
représentations et en les confrontant à celles des autres, l’enfant doit
pouvoir les faire évoluer.
Dans ma pratique, étayage et interactions sociales sont donc au
cœur des dispositifs. Persuadée, dans un premier temps, que ma
bienveillance et la mise en place d’un cadre sécurisant seraient
suffisantes, j’ai mis en place ces pratiques. Il s’agissait de proposer
aux élèves une situation à résoudre, de constater les divergences de
résultats et de s’engager dans ce conflit pour faire évoluer les
représentations lorsqu’elles étaient erronées. Cela me permettait
aussi de repérer ce qui amenait les élèves à faire des erreurs et
donc était satisfaisant à mon niveau.
Mais j’ai rapidement vu que si ça me permettait d’accéder à leurs
processus, ce n’était pas forcément le cas pour les élèves qui,
malgré le fait d’annoncer que c’était normal et intéressant de se
tromper, restaient dans des attitudes de résistance dans lesquelles
ils étaient enfermés depuis longtemps. Dans ces conditions,
comment s’orienter ensuite vers un désétayage essentiel à leur
réussite ? Certains se mettaient à bouder, ou se fermaient aux
représentations des autres, d’autres criaient le fameux : “Non, mais
je le savais”, se montrant incapables de toute flexibilité, ces élèves
n’étaient pas prêts à entendre leurs erreurs même en regroupement
et donc à accéder à leur propre fonctionnement intellectuel. Cela
supposait d’accepter l’idée que leurs difficultés étaient des sources
d’information et d’accéder à leurs propres processus de pensée pour
les réguler. Cela était insupportable pour des enfants en difficulté
depuis trop longtemps malgré un cadre sécurisé et sécurisant. J’ai
donc décidé de ne plus partir de leurs propositions mais de celles
d’élèves fictifs. Observer une résolution de problème d’un élève
qu’on ne connaît pas pour se dégager de l’affectif.
Dans les regroupements avec les plus grands, je recueille, donc,
d’abord leurs représentations : comment et à quoi reconnaît-on un
problème mathématique, par exemple ? Nous réalisons une affiche
qui reprend toutes leurs idées, je me sers de leurs propositions pour
bâtir des situations fictives et pertinentes au regard de leurs
difficultés : problème et propositions d’élèves que nous analysons
ensuite.
Durant cette analyse, nous faisons référence à l’affiche pour la
modifier, l’étoffer. Ce travail permet de mettre en lien les erreurs
fictives avec leurs représentations.
La phase métacognitive est donc, dans un premier temps, dégagée
de problématiques personnelles pour mieux revenir ensuite à leur
propre fonctionnement. Ils repèrent à travers le fonctionnement
d’élèves fictifs de quoi réguler leur propre pensée. »
La question soulevée par Corinne Brisbart est essentielle : il ne
s’agit pas de faire en sorte que les élèves acceptent joyeusement de
se tromper « en n’en faisant pas un drame », mais bien qu’ils
ressentent comme un défi l’échec provisoire, qu’au fond la
bienveillance qu’ils perçoivent soit pour eux source d’exigence et
non une complaisance qui peut vite s’avérer humiliante pour eux…
Vertus du théâtre
Les activités d’expression, comme le théâtre, sont des espaces
privilégiés pour travailler les émotions. Que de beaux souvenirs de
travail avec les élèves dans des ateliers d’expression dramatique
avec l’aide ou pas d’un comédien : par exemple, le trac avant la
représentation, le « mal au ventre » parce qu’on a peur de se
tromper, d’avoir un trou, cela fait aussi partie du jeu, mais c’est du
jeu justement ! Je me souviens aussi de ces élèves si difficiles en
classe bien souvent, acceptant de répéter et répéter encore leur rôle
et acceptant les remarques, les suggestions pour faire mieux, chose
qu’ils refusaient en cours dans de nombreux cas.
Charlotte Sannier, chargée de cours à l’université Laval à Québec, a
enseigné le théâtre en milieu associatif et scolaire en France. Elle
livre son expérience.
« Comment apprendre, lorsqu’il s’agit de corps, de voix ? Quand ce
qu’on cherche à acquérir est aux frontières du cognitif et du
ressenti ? Toutes ces questions m’accompagnaient la première fois
que, jeune enseignante de théâtre, je me suis trouvée devant un
groupe d’élèves que j’accompagnais depuis les premiers
balbutiements théâtraux de septembre jusqu’à la représentation
finale, au début de l’été.
Après de nombreux tâtonnements, probablement quelques erreurs
de ma part et beaucoup d’expérimentation, la seule conclusion qui
me semblait plausible a été la suivante : je pouvais enseigner et
accompagner de mon mieux, mais il fallait aussi que je me mette en
retrait. La seule façon pour mes élèves d’expérimenter vraiment ce
que je voulais les amener à comprendre, c’était de les laisser se
tromper.
On m’avait pourtant souvent répété à l’école, et pendant des
années, que se tromper était négatif, généralement sanctionné par
un mauvais résultat ou une remarque. C’est une expérience parfois
difficile que de changer ses représentations à ce sujet, et pourtant,
une fois l’idée acceptée, j’ai découvert en l’erreur un support
pédagogique particulièrement intéressant. Dès lors, elle a fait partie
de chacune de nos rencontres.
Si l’on prend en exemple la répétition d’une scène pour la
représentation finale, pendant laquelle un comédien doit jouer une
émotion particulièrement intense pour lui, mais dans laquelle il doit
toutefois être très précis techniquement : les semaines précédentes,
nous avons beaucoup travaillé cette technique. J’ai donné des
consignes, mais, également, je lui ai permis d’expérimenter le
souffle, la voix. Toutefois, il y a des choses que je ne peux pas lui
expliquer : son ressenti dont il peut se servir, l’émotion qu’il ressent,
la sensation de l’air dans ses poumons, le son de sa propre voix à
ses oreilles. Cela, il faudra qu’il l’expérimente… et qu’il se trompe,
parfois.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que souvent, dans la
représentation finale, subsistent des éléments que l’on avait d’abord
considérés comme des erreurs, puis que l’on a intégrés au travail.
Parfois, par rapport aux consignes du formateur, le comédien réalise
quelque chose de tout à fait différent. Était-ce une erreur ? Pourtant,
le résultat est parfois si intéressant qu’on l’inclut dans le projet. Sous
cette forme ou sous une autre forme, qu’importe : l’erreur devient
moteur de création. Et dans tous les cas, elle a amorcé un
apprentissage : apprentissage de la technique à acquérir, grâce aux
retours du formateur et des autres membres du groupe et l’essai-
erreur qui s’est ensuivi, mais aussi apprentissage sur soi, de ses
capacités… ou tout simplement du fait que ça ne fonctionnait pas.
Ce n’était pas la bonne voie, et on ne la réempruntera pas à l’avenir.
Ce n’est pas grave.
La clé dans la formation théâtrale est celle de l’essai-erreur couplé
au dispositif collectif. C’est probablement vrai dans de nombreuses
disciplines, mais en théâtre, elle a le mérite d’être visible
systématiquement. Si je réalise des exercices seule sur une feuille,
le processus d’essai-erreur est bien réel : si je me trompe, je
recommence et j’élimine cette voie-là comme une voie possible. Or,
dans un cours de théâtre, l’erreur est visible. Elle est accessible à
tous, et devient un moteur de réflexion commune.
Car une autre particularité du cours de théâtre est que l’erreur profite
aux autres. Puisqu’elle est visible, puis explicitée et discutée, elle est
une piste aussi pour ceux qui la regardent. Elle leur permet de savoir
qu’une voie est moins profitable qu’une autre pour le projet commun.
Même s’ils auront à l’expérimenter pour pouvoir, à leur tour, s’inclure
dans la dynamique. Car l’un des dispositifs particuliers du cours de
théâtre est celui de la place du groupe réuni autour d’un projet
commun et qui accompagne l’apprenant dans sa conscientisation.
En théâtre, on discute beaucoup : le comédien exprime son ressenti,
ses difficultés, le groupe spectateur explique ce qu’il a reçu depuis la
salle, et le formateur donne des pistes pour poursuivre le travail. Au
théâtre, le triangle didactique élève-enseignant-matière se
complexifie, car on y ajoute les individualités de chacun au sein du
groupe, on ajoute l’émotion, le vécu.
Au cours de mes années de pratique, j’ai réalisé que cette erreur au
vu et au su de tous n’est pas facile à accepter, ni pour les élèves, ni
pour l’enseignant. Pour les élèves, c’est accepter de se tromper et
devoir déconstruire ce qu’ils ont souvent appris sur l’erreur, et la
considérer comme une étape normale de leur apprentissage. Cela
demande donc au formateur d’instaurer un climat bienveillant et
confiant d’accueil de l’erreur, et si cela est vrai dans tous les
contextes d’apprentissage, cela l’est d’autant plus lorsque ses
élèves sont en situation de vulnérabilité. Or, la vulnérabilité est en
exergue lorsque l’on travaille sur le corps, les émotions, l’identité du
comédien qui s’explore lui-même en travaillant un personnage.
Dédramatiser l’erreur, l’accepter, mais également l’utiliser
pédagogiquement, c’est l’occasion pour l’enseignant d’accompagner
ses élèves dans leur apprentissage et le développement de leur
métacognition, mais aussi dans leur développement en tant
qu’individus. »
On peut ajouter qu’au théâtre il existe bien souvent des façons très
différentes d’exprimer telle émotion, de dire telle ou telle réplique. On
peut analyser ensemble les manières de faire : toutes ne se valent
pas, certaines sont des manifestations non pertinentes, mais
d’autres nous ouvrent de nouveaux horizons, comme ces mises en
scène originales de pièces classiques qui nous font voir un
personnage sous un autre angle.
En bref
On souligne aujourd’hui l’importance de développer chez les élèves des compétences
psychosociales, et donc la capacité à gérer ses émotions : surmonter sa peur, utiliser le
stress comme source d’énergie et non de paralysie.
Dans des activités mettant en jeu le corporel, les élèves apprennent à prendre des
risques et à considérer autrement l’erreur.
Les comportements négatifs des élèves peuvent venir d’« erreurs de codage culturel »,
mais le plus souvent ils impliquent un travail de fond dans lequel on peut intégrer un
travail sur l’erreur.
L’orthographe
C’est évidemment un terrain quasi explosif. Chacun a son avis pour
savoir comment faire éviter les « fautes ». La dictée est mise en
avant par les habituels experts du café du commerce, en oubliant
qu’il s’agit là d’un exercice de contrôle et non d’apprentissage, qui
met en jeu un aspect très particulier de l’orthographe, celui de
l’écriture à partir d’un message oral (de celui qui dicte).
Néanmoins, on peut le transformer en une activité stimulante et
efficace si on remplit certaines conditions, et si par exemple on met
l’accent sur la relecture, comme le propose ici Bénédicte Dubois,
formatrice à Lille en éducation inclusive :
« La dictée est un exercice devenu tellement habituel qu’on oublie
parfois (et même souvent) qu’elle est une tâche très difficile, parce
qu’elle nécessite la mobilisation d’habiletés cognitives et exécutives
très coûteuses. Avant d’envisager comment l’enseignant peut
accompagner l’élève à sa relecture, il est important de se pencher
sur tout ce qu’elle mobilise.
La dictée demande à l’élève une très forte capacité à contrôler son
attention, car il doit à la fois écouter l’enseignant qui dicte les
phrases dans l’intention de les écrire le plus fidèlement possible, tout
en faisant appel à ses connaissances orthographiques. Et cette
attention exécutive doit être maintenue jusqu’au bout, occultant les
sources de distractions externes et internes si fréquentes, par
exemple les bruits de la classe, de la cour, mais aussi des ressentis
comme la faim ou la fatigue, des pensées, et autres images
mentales.
Écrire sous la dictée demande en outre une capacité à inhiber, à
résister aux habitudes ou réponses automatisées, parfois inadaptées
au contexte. Par exemple la phrase “je vais vous apporter” nécessite
d’inhiber le réflexe de mettre “ez” après “vous” pour aller chercher le
sujet “je” plus éloigné. Dit autrement, exercer l’inhibition, c’est
réfléchir avant d’agir, ici sur un délai très court, et s’autosurveiller
pour éviter les “pièges”.
Mais l’inhibition ainsi décrite ne suffit pas. Elle doit pouvoir
s’accompagner d’une capacité à être flexible, c’est-à-dire savoir
s’adapter aux situations en utilisant un “plan B” et une tolérance au
changement lors de l’identification d’une réponse non appropriée.
Considérée comme un système dynamique consistant à traiter une
information tout en la retenant sur un temps très court, la mémoire
de travail est également très sollicitée au cours de la dictée. En effet,
la phrase entendue doit être maintenue en mémoire quelques
secondes, faisant appel aux connaissances phonologiques,
sémantiques et lexicales de l’élève, son attention exécutive, et de
surcroît, la mobilisation d’habiletés de traitement sériel.
Enfin, n’oublions pas l’impact des émotions, qui peuvent freiner les
élèves, surtout quand ils ont des difficultés de lecture et d’écriture,
liées ou pas à un trouble spécifique. Dans le cas de la dyslexie par
exemple, on sait que la mémoire de travail est souvent déficitaire et
que l’effort d’écriture entraîne une fatigabilité générant stress,
sentiment d’inefficacité et, donc, une démobilisation pour cet
exercice si redouté (“de toute façon, je suis nul(le) en dictée…”).
Alors comment accompagner la touche finale de cet exercice, qui
consiste à “relire sa dictée pour corriger ses fautes”, sachant qu’elle
a déjà engendré fatigue, stress et tension ?
En tout état de cause, l’injonction “relire sa dictée” lancée à la
cantonade est contre-productive parce qu’elle entraîne l’élève dans
un mode multitâche, au cours duquel il s’éparpille parce que
l’attention ne peut être partout à la fois.
En revanche, entraîner les élèves à se fixer des intentions claires et
concrètes assorties de micro-objectifs38 s’avère bien plus efficace.
En alternant des vérifications faciles (pensez d’abord à vérifier les
majuscules) avec des plus difficiles (vérifiez tous les accords des
verbes avec leurs groupes nominaux) permet d’alléger la charge
cognitive des élèves et, de façon plus subtile, de prendre conscience
des niveaux d’attention qu’ils peuvent mobiliser au cours d’une
tâche.
Pour les élèves fragiles, on pourra alléger cette relecture en posant
sur la table, au fur et à mesure, des “cartes de vérification” assorties
de rappels. »
Il existe bien d’autres activités pour permettre aux élèves de
comprendre leurs erreurs, de les classer, de les hiérarchiser. S’il est
nécessaire de recourir à la mémorisation et à l’automatisation, les
activités plus réflexives sont absolument capitales et payantes sur le
long terme. Certains se sont gaussés des « ateliers de négociation
graphique », le terme n’est sans doute pas heureux et prête le flanc
à ceux qui se moquent des « jargons », mais il s’agit de moments
collectifs de discussion très stimulants.
Céline Canard, professeure des écoles dans l’académie de
Besançon, nous en explique le fonctionnement dans ses classes.
« Ce dispositif consiste à amener l’élève à intervenir de manière
réflexive sur sa propre erreur et à se corriger seul, en passant par
des étapes collaboratives intermédiaires.
L’utilisation d’un code permet de catégoriser l’erreur, et d’habituer les
élèves à le faire. C’est un cadre et un repère structurant utile aux
élèves pour se corriger d’une part. Il permet à l’élève de repérer ses
erreurs récurrentes pour y remédier d’autre part.
Les ateliers de négociation39 peuvent être mis en place dans une
classe ou en interclasse dans une école, ou encore avec des
classes francophones par échanges de mails ou via Twitter.
Les étapes sont les suivantes :
En bref
Ne pas se polariser sur les erreurs d’orthographe n’empêche pas une pratique
diversifiée pour les éviter, soit en faisant acquérir des automatismes, soit en ciblant les
difficultés et en faisant réfléchir, souvent collectivement, les élèves sur les causes
d’erreurs et les moyens de faire face.
En lecture, les erreurs de compréhension et d’interprétation sont souvent un lourd
handicap pour ceux qui en restent à l’explicite. Il faut donc mener un important travail
sur la compréhension, en s’aidant parfois de « textes à énigme ».
L’écriture est en interaction constante avec la lecture. Corriger les erreurs, améliorer sa
rédaction passe par un meilleur usage du brouillon et des écrits intermédiaires.
En langues vivantes, il faut encourager la prise de risques et travailler sur les erreurs
des élèves davantage en aval qu’en amont, donc inciter à « oser » : oser parler, oser
écrire, oser se tromper…
38. Programme d’éducation à l’attention ATOLE, ATtentif à l’écOLE, séquence 6- équipe
ATOLE dirigée par Jean-Philippe Lachaux, Inserm Lyon.
39. Il n’est pas sûr que le terme « négociation » soit bien choisi. On pourrait préférer
« discussion », « débat », car il ne s’agit pas ici de « négocier » ; on donne trop d’armes à
ceux qui caricaturent ce genre de dispositif dans lequel les élèves voteraient à la majorité
pour décider quelle est la bonne graphie.
40. http://www.cahiers-pedagogiques.com/Polemiques-autour-de-la-lecture-des-chercheurs-
repondent-aux-Cahiers
41. Que l’on trouve dans l’excellent recueil Bonnes nouvelles (Bertrand Lacoste, 2011).
42. Histoires pressées (plusieurs volumes en collection « Poche »).
43. Pseudonyme choisi par l’élève.
44. Hors-série des Cahiers pédagogiques, « Enseigner les langues dans le cadre
européen » no 18, avril 2010.
9. En maths, je me trompe, car
je n’y comprends rien !
La narration de recherches
Marie-Claire Lacombe, enseignante et membre de l’IREM Montpellier, définit ainsi ce
qu’elle appelle « narration de recherche47 » : « L’exposé détaillé, écrit par l’élève lui-
même, de la suite des activités qu’il met en œuvre lors de la recherche des solutions
d’un problème de mathématiques. »
Elle montre l’intérêt de ce travail pour redonner confiance aux élèves en difficulté qui
osent exprimer leurs tâtonnements, leurs errances, pour montrer à la classe qu’il existe
parfois plusieurs stratégies, certaines étant cependant plus coûteuses, d’autres plus
économiques.
Un exemple :
« Dans ce devoir, tout en cherchant, essaie de raconter avec le plus de précision
possible comment tu as résolu ce problème. Explique toutes tes idées, les remarques
que tu as pu faire, les observations qui t’ont fait changer de méthode, ou qui t’ont fait
avancer dans ta recherche. »
Exemple :
Dans ma tirelire, il y a 32 pièces de monnaie. Il n’y a que des pièces de 2 et 5 cts.
Avec ces 32 pièces, j’ai 97 cts. Combien ai-je de pièces de 2 cts et de 5 cts ? Explique
comment tu as fait pour résoudre le problème.
(exemple de CM2)
Analyse et interprétations :
Pour l’enseignant, la situation est la suivante : on a un cours de
mathématiques de première (les vecteurs du plan) qui est en lien
direct avec un cours de sciences physiques de seconde (l’étude des
forces). L’articulation entre ces deux notions est naturelle, mais la
progression (d’abord les forces puis les vecteurs) est imposée par la
structure des programmes d’enseignement et elle est souvent vécue
comme difficile à gérer.
Le parti pris par cette activité est de tirer profit de cette contrainte,
quitte à pousser volontairement les élèves à formuler une hypothèse
erronée.
Les élèves sont en cours de mathématiques, les notions de vecteur
et de caractéristiques d’un vecteur ont déjà été introduites, et le
contexte qui leur est proposé est très clairement rattaché au cours
de sciences physiques de l’année précédente.
Deux schémas de raisonnement vont alors se dessiner dans le
traitement de cette activité.
Une première approche, aux erreurs de calcul près, est celle du
groupe no 2, qui consiste à faire immédiatement le lien avec les
connaissances de mécanique vues en classe de seconde ; l’activité
a servi à créer ce pont entre deux disciplines et deux années
scolaires. Les élèves vont pouvoir réinvestir les notions acquises
précédemment ; en utilisant le concept de force comme
représentation mentale du concept de vecteur, ils vont pouvoir
opérer un transfert de leurs savoirs d’un domaine à un autre.
Une seconde approche (celle du groupe no 1, la plus fréquente dans
nos observations) consiste, elle, à faire partiellement abstraction de
la situation proposée ; ici, la matière prime sur le contexte : on est en
maths, on a des nombres, on ajoute des nombres.
Pourtant, même dans ce second cas, les groupes d’élèves arrivent à
formuler spontanément des hypothèses sur la direction et le sens de
la force résultante ; hypothèses qu’ils n’empruntent pas au domaine
numérique.
Tout le travail de l’enseignant est d’inciter l’élève à questionner ses
idées pour le conduire à déconstruire sa représentation fausse : la
valeur de la norme de la somme de deux vecteurs, d’une part, et à
conforter son intuition à propos de la direction et du sens du vecteur
somme, d’autre part.
On pourrait imaginer une activité analogue où l’enseignant se
contenterait de présenter l’analogie entre la somme de deux
vecteurs et la somme de deux forces étudiée l’année précédente. Ce
choix pédagogique permettrait d’éviter aux élèves de formuler un
résultat faux. Le ressort de l’activité telle qu’elle est présentée ici
tient au fait que les élèves vont avoir à prendre à leur compte la
construction de cette analogie. Certains y arriveront seuls, mais pas
forcément instantanément : le chemin, qui les conduira à aller
chercher dans les connaissances acquises antérieurement, leur
permettra de fixer ces nouveaux savoirs. Pour d’autres, le fait de
formuler un résultat partiellement faux (avec une bonne intuition sur
la direction et le sens de la somme et une mauvaise sur la valeur de
la norme), d’en déconstruire la partie erronée tout en confortant la
partie valide, induira certainement des connaissances plus robustes
que ne l’aurait fait une simple présentation par l’enseignant des liens
entre forces et vecteurs.
Ici, donc, l’erreur est volontairement attendue par l’enseignant.
L’élève qui saura l’éviter, comme celui qui la commettra puis aura à
la corriger, construira un chemin le menant à la connaissance
visée. »
En bref
Trop d’élèves se déclarent « mauvais en maths » très tôt et cela les empêche de
progresser.
On peut lors des premiers apprentissages les habituer à « essayer », à comprendre des
erreurs inévitables dès lors qu’on s’exerce, que ce soit au niveau du calcul mental ou
de la résolution de problèmes par exemple.
Par la suite, un travail de « réconciliation » peut s’opérer, en particulier en s’intéressant
aux démarches d’apprentissage, en repérant les sources d’erreurs fréquentes ou en
ayant recours à des situations concrètes et à l’interdisciplinarité.
45. http://www.education.gouv.fr/cid126423/21-mesures-pour-l-enseignement-des-
mathematiques.html
46. « Apprentissage des élèves à l’école élémentaire », Notes de Iredu, mars 2007.
47. Dans le Cahiers pédagogiques no 316 (français-mathématiques).
10. Au fil des disciplines
En technologie
Commençons par une matière souvent considérée comme
secondaire et dont il faudrait valoriser l’image. Lorsque des
enseignants de langues anciennes vantent leur enseignement
comme au fond le plus noble et le plus nécessaire pour l’esprit, on
aurait envie de rétorquer que celui de la technologie est pour le
moins aussi formateur et ne concerne pas que des capacités
manuelles, bien sûr. C’est un domaine où d’ailleurs l’erreur est
souvent visible : « Ça ne fonctionne pas. » L’objet « résiste », mais
en même temps l’école est ce lieu privilégié où cela n’a pas de vraie
conséquence.
Lisons le compte-rendu d’une expérimentation en collège vécue par
les élèves de Cyril Lascassies, enseignant dans les Hautes-
Pyrénées et formateur à l’ESPE de Toulouse :
« Dans les expériences en technologie ou en sciences, est-il
préférable de guider les élèves pas à pas pour obtenir le résultat
attendu, ou de les laisser proposer un protocole d’expérience, avec
le risque qu’ils fassent des erreurs ?
Quelle place laisser aux erreurs dans le compte-rendu
d’expérience ?
J’ai été marqué il y a quelques années par une situation-problème
que je donnais à mes élèves de quatrième en technologie :
“Comment mettre en mouvement une maquette de portail à l’aide de
l’énergie électrique ?” Quelle ne fut pas ma surprise quand je
constatai qu’un élève sur trois proposait de relier des piles
directement au portail ! En effet, leur erreur est qu’ils oublient un
élément pour convertir l’énergie électrique en mouvement, à savoir
un moteur. Pourtant, ils possèdent cette connaissance depuis le
cycle 3. Je me souviens qu’ils ont réalisé une maquette de voiture
électrique où ces notions apparaissent. Seulement, deux ans plus
tard, ce n’est toujours pas acquis. Pourquoi ?
Mon hypothèse est qu’ils ont été guidés durant ces expériences
(“relie la pile au moteur de telle manière”, etc.), sans tenir compte de
leurs représentations initiales. Or, il est probable que plusieurs
élèves imaginent qu’il suffit de mettre une pile dans un objet pour
que celui-ci fonctionne, puisque c’est ce qu’ils observent au
quotidien depuis leur plus tendre enfance. Cette conception du
monde qui les entoure semble persistante malgré la leçon du
professeur. Partant de ce constat, comment faire évoluer leurs
représentations initiales ?
J’ai donc préféré les laisser proposer leurs idées, puis qu’ils les
testent. L’avantage en science est que l’on voit concrètement si ça
fonctionne ou pas. Mais, inutile alors de perdre plus de temps en
leur laissant chercher longuement une solution, le besoin de l’apport
théorique est là, l’enseignant peut donc apporter ses savoirs : “Ça ne
fonctionnait pas… Eurêka, maintenant ça fonctionne !” Le retour sur
erreur est immédiat, il semble alors plus vraisemblable que les
élèves s’en souviennent à plus long terme. »
En sciences
La question est donc bien de savoir que faire avec les
représentations des élèves, avec ce qu’elles comportent d’erroné,
mais aussi de partiellement vrai ou correspondant du moins à
l’expérience commune.
Bruno Urgelli, enseignant-chercheur à l’université de Lyon, nous
propose sa démarche :
« En début de cours de sciences, il est de tradition de demander aux
élèves d’exprimer leurs représentations autour d’une problématique,
avant de les engager dans une investigation méthodique, plus ou
moins en lien avec les représentations initiales exprimées.
Il existe un courant didactique, hérité de la pensée de Gaston
Bachelard, qui estime qu’une des missions de l’enseignant de
sciences est de permettre aux élèves de dépasser leurs
représentations initiales, souvent considérées comme simplistes,
fausses et irrationnelles, comme toute idée de sens commun. Les
élèves repèrent d’ailleurs assez vite ce petit jeu didactique et ses
sous-entendus. Ils comprennent que l’enseignant va les conduire à
constater que leurs idées sont absurdes ou fausses par rapport à la
représentation scientifique qu’ils vont élaborer en classe. Pour
certains d’entre eux, la confiance en eux-mêmes en prend alors un
coup, ce qui les conduira à se mettre en retrait durant ce rituel
pédagogique supposé susciter l’engagement.
Malgré ce rituel, les représentations initiales des élèves, certes
éloignées de la représentation scientifique, ont tendance à se
maintenir au fil des années, et malgré la présence d’un
enseignement scientifique qui a eu l’occasion, à plusieurs reprises,
de (re)travailler à l’élaboration d’une représentation plus proche de la
vision experte. Il semble donc que le travail pédagogique sur les
représentations initiales ne soit pas toujours efficace. Ainsi, Marie
Sauvageot-Skibine a montré que les représentations d’élèves sur la
façon dont s’effectue la circulation de l’eau, de l’air et des aliments
chez l’homme, le fœtus et la plante verte mettent en évidence une
représentation commune, celle de la communication par tuyaux, qui
peut perdurer jusque chez l’adulte, et fait obstacle à la construction
du concept de “surface d’échange avec le milieu intérieur48”.
J’émets l’hypothèse que si nous tentions de donner un autre statut
aux représentations initiales, nous pourrions peut-être avoir une
approche éducative différente. Il s’agirait de ne pas considérer a
priori les représentations des élèves comme fausses, mais, en
partant des travaux de la psychologie sociale, de les considérer
comme ayant leurs propres rationalités, que l’on peut tenter de saisir
et d’expliciter. Comme face aux croyances d’ailleurs, un autre travail
didactique pourrait dans ce cas être conduit, tout en conservant une
visée d’éducation aux sciences.
Plus précisément, il s’agirait de considérer les représentations des
élèves comme le reflet d’expériences différentes vécues par chacun,
et qu’il faut donc manipuler avec prudence, même si elles ne
représentent pas la vision scientifique du moment. Peut-on dire que
penser que le Soleil tourne autour de la Terre est absurde, alors
même que l’expérience quotidienne et populaire nous conduit à faire
ce constat premier ?
L’enjeu devient dès lors de saisir cette “représentation fausse”
scientifiquement, et d’en faire un objet d’apprentissage. On apprend
ainsi à se méfier des évidences, des apparences mais également
des émotions, à douter et à ne pas faire de généralisation abusive, à
ne pas transformer des corrélations en causalité (voir la séance
d’enseignement pour l’école primaire : “une hirondelle ne fait pas le
printemps”, dans l’ouvrage publié par La main à la pâte : Esprit
scientifique, esprit critique49). Sans jugements de valeur, cette
“représentation initiale” est ensuite soumise à la diversité d’autres
représentations sociales qui s’exprimeraient dans le collectif classe
(ou ailleurs !), aux tests de la réfutabilité, et bien sûr à celles des
communautés scientifiques actuelles et passées, qui ont aussi leurs
histoires et leurs errances, riches d’enseignement.
Finalement, ce que l’on souhaite dans cette proposition didactique,
c’est utiliser les représentations des élèves pour un travail d’enquête
collectif et méthodique, pour apprendre à penser différemment,
d’une manière complexe, critique, ouverte et démocratique. En
forçant les élèves à s’éloigner d’eux-mêmes, en les mettant à
l’épreuve de l’altérité, en leur apprenant à penser contre eux-
mêmes, de manière moins intuitive, on fait le pari d’une éducation
critique acceptant l’errance, la créativité, l’imagination mais aussi
l’engagement pour (re)penser le monde, aux fondements même de
la pensée scientifique.
Mais est-ce vraiment la mission que l’on veut donner à l’école en
général, et à l’enseignement des sciences en particulier ? Lorsqu’on
relit la charte de la Ligne internationale pour l’éducation nouvelle de
1932, c’était pourtant le vœu exprimé par les éducateurs rassemblés
à cette époque d’entre-deux-guerres, autour de valeurs de solidarité
et de coopération. Si la fonction émancipatrice et démocratique de
l’éducation scientifique fait largement consensus dans les textes
officiels, ce sont plutôt les formes pédagogiques de sa mise en
œuvre qui suscitent des tensions chez les professionnels. Il s’agirait
probablement de s’accorder sur le fait qu’au-delà de l’apprentissage
des savoirs il faut consacrer du temps et de l’énergie pédagogique
pour expliciter la nature des sciences, et favoriser le développement
d’un mode de pensée critique, capable de problématiser et
d’argumenter sur la complexité du réel, de manière humble et
nuancé. »
Pour aider les élèves à y voir plus clair dans les rapports entre la
vérité scientifique et les représentations qu’on peut avoir des
phénomènes et objets étudiés, un petit tour du côté de l’histoire des
sciences peut être utile.
Pour Cécile de Hosson, professeure à l’université Paris-Diderot, les
« erreurs du passé » peuvent nourrir cet enseignement.
« Peut-on en effet raisonnablement penser qu’un fait historique
puisse être une erreur ? Si, comme le rappelle Gaston Bachelard
“l’historien des sciences doit prendre les idées comme des faits”,
c’est seulement lorsque ces faits s’insèrent dans une pensée
rationnelle contemporaine que certains d’entre eux deviennent des
erreurs. Autrement dit, la requalification d’un fait historique en erreur
s’opère a posteriori, à partir d’une histoire “jugée”, une histoire
reconstruite à l’aune d’une pensée “normative”.
Je voudrais illustrer l’intérêt pédagogique de l’usage de quelques
faits d’histoire des sciences dont l’inexactitude est aujourd’hui
avérée à travers deux exemples.
Mon premier exemple prend pour point de départ un même fait
d’observation – la mesure d’une ombre formée par un bâton planté
verticalement dans le sol, dont l’exploitation (et c’est en soi assez
fascinant) a donné lieu à la mesure de deux grandeurs distinctes : le
périmètre terrestre pour les Grecs du IIIe siècle avant J.-C., la
distance Terre-Soleil pour les Chinois des dynasties Zhou et Han. Le
citoyen d’aujourd’hui reconnaîtra sans peine que le modèle chinois
d’une Terre “plate” ne pouvait pas produire le résultat espéré d’une
distance Terre-Soleil proche des 150 millions de kilomètres. L’erreur
est-elle condamnable ? Au contraire, elle devient, dans la classe de
sciences, l’occasion d’une activité se donnant pour objet la
construction des notions fondamentales de modèle et d’hypothèse,
et place l’observation au rang des incontournables scientifiques. Les
mesures rapportées par les Chinois sont d’ailleurs reproductibles en
classe et fonctionnent très bien puisque l’échelle spatiale de la
classe autorise un sol plat et un soleil (une lampe suspendue au
plafond) proche. Charge à l’enseignant de discuter avec les élèves
la pertinence de cette échelle locale au regard d’une échelle
cosmologique plus globale où la Terre est sphérique et le Soleil
pratiquement à l’infini.
Dans mon deuxième exemple, l’erreur du passé devient un miroir
bienveillant pour la pensée de l’élève contemporain, un miroir
vertueux devant lequel une réponse erronée prend le statut
d’énoncé légitime. Il suffit pour cela que l’épisode choisi présente
quelques ressemblances avec ce que pensent les élèves. Attention,
il n’est pas question ici de raviver l’illégitime loi de la récapitulation :
le développement de l’esprit individuel ne récapitule pas celui de la
pensée au fil de son histoire ; mais d’utiliser, à des fins
pédagogiques, certaines ressemblances avérées : si la majorité des
élèves de primaire et de collège affirment que, pour voir un objet, les
individus envoient vers celui-ci quelque chose qui sort de l’œil, ils
pourront se voir rassurés d’apprendre que d’autres avant eux,
savants parmi les savants, pensaient, à gros traits, la même chose50.
Et même lorsque Ibn al Hatham “rectifie” le sens de la vue, qu’il
introduit la lumière comme médiateur entre les objets et l’œil, il se
“trompe” et fait se former les images du monde extérieur sur la
cornée et non sur la rétine de l’œil. Mais la démarche qui préside à
cette découverte repose sur des faits d’expérience. Les prémisses
de la démarche scientifique sont posées et tant mieux si le savoir
n’est pas définitif ! C’est même là sa marque de fabrique.
Car enfin, c’est bien l’arsenal scientifique, ce “contrat” que la science
passe avec la connaissance qui permet d’éviter que l’erreur du
passé ne soit embarquée dans un argumentaire relativiste. Ne le
cachons pas : l’usage de l’erreur historique dans la classe place
l’enseignante et l’enseignant devant une véritable gageure
pédagogique : comment justifier auprès des élèves que l’on accorde
crédit à une science qui se trompe ? Comment, dans ces conditions,
ne pas placer sa confiance dans les énoncés portés par certaines
croyances que les sciences, sait-on jamais, finiront par valider un
jour à force de rectifications successives ? Répondre finement à ces
questions difficiles nécessiterait de larges développements à inscrire
au cœur d’une réflexion plus philosophique, et je renvoie le lecteur
aux argumentaires convaincants de Bruno Latour ou de Guillaume
Lecointre51 pour ne citer qu’eux. On pourra toutefois retenir que le
propre d’une assertion scientifique est son caractère provisoire, ce
qui n’a rien de contradictoire avec sa robustesse et son universalité
qui, toutes deux, reposent sur deux piliers (au moins) : la méthode
par laquelle l’assertion est produite, et la manière dont le réel réagit
lorsqu’il est choisi comme seul juge du bien-fondé de l’assertion
scientifique. La classe de sciences a donc tout à gagner à se voir
investie par l’enquête historique, qu’elle débouche ou non sur le vrai
d’aujourd’hui. »
En histoire et géographie
Pour le grand public, les erreurs dans ces disciplines sont plutôt de
l’ordre du factuel ou des connaissances de dates, de lieux, de
chiffres, de vocabulaire. Et on aime à relever les « perles » dont on
peut parfois douter de la véracité, quand on en lit certaines sur des
sites52, entre sottise absolue (« Au Japon, le manque de place oblige
les autorités à construire des aéroports sous-marins. ») et phrases
dignes d’un humoriste subtil (« La guerre froide laisse encore des
frissons aujourd’hui. »). Erreurs, quand elles sont authentiques, liées
à une mauvaise mémorisation, à la distraction qui engendre lapsus
et confusions, à une absence de représentation mentale de l’objet à
apprendre, à la maladresse d’expression ou au manque de lien entre
connaissances.
Mais on passe sans doute à côté de l’essentiel lorsqu’on reste
obnubilé par les inexactitudes. Le plus important sont les erreurs
conceptuelles. Quand Samira, que j’aide à apprendre sa leçon de
troisième, confond les Alliés dans la Seconde Guerre mondiale, on
se rend compte dans un court dialogue avec elle qu’elle n’a guère
saisi les enjeux ni la dynamique de cette période. En éducation
civique, l’essentiel n’est pas tant de savoir restituer les différentes
instances élues en France que de saisir comment fonctionne la
démocratie représentative, comment les prises de décision
s’opèrent, etc. Pendant qu’on bataille sur la « chronologie » (un
marronnier médiatique) ou qu’on déplore que les élèves ne sachent
pas situer les fleuves sur la carte de France, et sans nier
l’importance d’un bagage suffisant de connaissances, on oublie que
tout cela ne peut être intégré durablement que si cela a du sens, si
des liens sont établis avec le réel. Lorsque Katia, en cours d’histoire,
établit un lien entre les crues du Nil dans l’Antiquité égyptienne et
des inondations récentes en Égypte, lorsque, en visitant une
cathédrale, on commence à se demander d’où venaient les pierres
(et on met en relation l’histoire et la géologie), comment elles étaient
transportées, comment ont été établis les plans (relations avec la
géométrie), alors on construit un rapport vivant au passé qui
facilitera ensuite une meilleure appropriation de connaissances, et
donc permettra d’éviter des erreurs.
Le travail sur les représentations des élèves est du coup, comme en
sciences, primordial, de même qu’une réflexion collective sur la
méthodologie de l’histoire ou de la géographie avec une question
clé : comment sait-on ce qu’on sait ? Comment répondre aux élèves
qui déclareraient « comment savez-vous qu’il y a eu la prise de la
Bastille ? vous y étiez ? il y a un film ? » en considérant cette
interpellation comme « intelligente » et permettant justement de se
demander comment on construit la connaissance. Ce qui est aussi
une manière de lutter contre les fake news (voir chapitre suivant).
D’autant qu’on peut aussi signaler qu’un « film » ne constituerait pas
pour autant une preuve, ou que des témoignages vécus peuvent
être tout aussi trompeurs dans l’établissement de la vérité.
D’autre part, il s’agit aussi de rendre le cours d’histoire-géographie
plus vivant, grâce en particulier à l’utilisation des technologies
modernes. Jean-Pierre Costille, qui enseigne ces matières en lycée,
nous explique comment il utilise les ressources du numérique, en
donnant ici l’exemple d’un travail sur le développement durable,
mais qui peut se faire sur tous les sujets des programmes.
« Un des avantages du numérique est de ne pas juger l’élève s’il se
trompe au moment de son apprentissage. Je me sers d’une
plateforme, Quizlet, qui est un outil d’autoformation. Pour chaque
leçon, je fabrique des quiz de révision que j’affiche au fur et à
mesure de l’avancement de la question.
Avant tout, j’explique et montre aux élèves ce que je vois de leur
travail. Ils constatent ainsi que je sais s’ils ont réalisé ou non le quiz.
Ils savent que le quiz doit être fait pour une date précise. Avec
Quizlet, dans la fonction “apprendre”, les élèves se voient proposés
des mots à définir et aussi des définitions à écrire. Si l’élève se
trompe, l’exercice dure plus longtemps jusqu’à ce qu’il obtienne un
trophée, signe pour lui d’un apprentissage réussi. De mon côté, si
l’élève parvient à cette étape, je vois une coche verte à côté de son
nom. Je ne vois donc pas les étapes intermédiaires qui ont pu
permettre d’arriver au succès ; seul compte le résultat final. On sait
aussi l’importance du retour sur erreur, et le site fournit cela à l’élève
avec une analyse de ce qui a été réussi ou raté. Un élève peut
même aller plus loin puisqu’il peut attribuer une étoile aux termes qui
lui posent le plus de problème pour être prioritairement interrogé
dessus. Ce travail d’autoformation peut aussi être valorisé. J’ai
choisi de constituer une note par trimestre, dite note de travail
préparatoire (dans le sens de préparatoire au contrôle). Ainsi, en un
trimestre, les élèves répondent environ à huit quiz, le tout forme une
note sur 20 avec un coefficient moindre que le devoir en classe. Ils
ont bien compris qu’il s’agit d’une possibilité d’obtenir une note
élevée et que cela les aide aussi à réussir l’évaluation en classe.
Quizlet propose par ailleurs d’utiliser les questions du quiz sous
d’autres formes. En effet, à partir des données saisies, le site
propose une fonction “test” avec des mots à définir, des QCM, des
éléments à relier mais aussi une fonction “ écrire” où l’élève doit
saisir chaque fois la bonne réponse. Il existe également une version
très ludique appelée “gravité” où l’élève doit saisir une définition ou
un terme avant que des astéroïdes ne frappent la Terre. Certains
élèves réalisent l’ensemble des exercices pour s’entraîner.
Lorsque tous les élèves ont réalisé le quiz, je dispose d’une vision
par élève et d’un total pour la classe. Ainsi, lors d’un quiz
intermédiaire, je peux repérer que telle définition ou tel mot n’est pas
bien acquis et y revenir au début du cours suivant. Cela évite les
désillusions au moment de l’évaluation finale.
Il faut reconnaître que cet outil numérique exerce une forte
attractivité auprès des élèves puisque plusieurs demandent
spontanément si cela existe dans les autres matières, et l’une va
même jusqu’à déclarer sans détour que “c’est la première fois qu’elle
révise de l’histoire-géographie”. »
Une difficulté est en outre à signaler : celle de combiner
l’établissement de certains faits, de certaines certitudes, même, et la
nécessité d’ouvrir le champ de débats sans s’enfermer dans une
attitude dogmatique. Il faut bien sûr tenir compte de l’âge des élèves,
mais on peut travailler sur des interprétations différentes de tel ou tel
événement, en traçant si possible une ligne de démarcation entre ce
qui est défendable comme hypothèse et ce qui ne l’est pas. Avec un
respect absolu des faits. Qui a raison sur le jugement qu’on peut
porter sur Robespierre, sur les responsabilités respectives des
grandes puissances dans le déclenchement de la Première Guerre
mondiale, sur la décision américaine d’envoyer une bombe atomique
sur le Japon ? Même l’établissement des faits peut être difficile, d’où
l’importance des archives en histoire. Je devais pour l’épreuve de
géographie du bac apprendre des chiffres concernant la production
en Union soviétique qui en fait étaient largement surestimés et faux !
Au fond, ce qui est important, c’est de faire voir aux élèves comment
s’élabore la connaissance, comment elle se fraie un chemin entre
des zones d’ombre et des biais partisans, et inscrire les élèves dans
de telles démarches, même à un niveau modeste, est essentiel, bien
plus que d’ingurgiter dates et savoirs ponctuels. Là encore
l’interdisciplinarité peut être précieuse pour permettre à des liens de
s’établir et consolider des connaissances. L’important est l’ancrage à
long terme de ces savoirs si utiles au citoyen pour comprendre le
monde et non les réponses à l’interrogation du lendemain, qui
pourront s’oublier très vite si c’est vide de sens.
En musique
Pour Jean-Charles Léon, professeur d’éducation musicale dans un
collège de l’Essonne (et musicien), « l’erreur est consubstantielle à
la pratique musicale » ; une séance de travail est « une répétition »,
« reheasal » disent les Anglo-Saxons (réentendre). Jean-Charles
évoque deux exemples de pratiques musicales : audition et chant,
toutes deux collectives.
« Que faire d’une réponse apparemment fausse lors d’une audition ?
Tel élève déclare qu’il entend une clarinette alors qu’il s’agit d’une
flûte… Notons tout d’abord que la réponse est partiellement fausse :
il s’agit de deux instruments à vent, des bois, les tessitures se
recoupent largement. Je fais l’hypothèse que l’élève a fait “un essai
de réponse”. Il a cherché dans sa mémoire, peut-être aussi sur les
affichages de la classe, une réponse approchant. Évidemment, il
n’est pas possible de l’accepter en l’état : toute réponse est
provisoire et ensuite discutée collectivement. On pourra avoir
d’autres propositions qui amèneront une contradiction dénouée lors
d’un court débat se terminant nécessairement par la recherche de la
“logique de l’erreur”. Ce moment est fondamental ; il s’agit de faire
comprendre que l’erreur est dans une logique de recherche qu’un
travail collectif permet de corriger. On ouvre ainsi la voie à d’autres
recherches, à la production de questionnements et de sens.
Chanter est une des activités les plus difficiles auxquelles les élèves
sont confrontés : “La voix […] est une image sonore de nous-même,
[…] ; elle se situe au cœur de notre personnalité, c’est notre
signature sonore53.” L’erreur la plus absolue à laquelle nous sommes
confrontés est le non-chant, l’élève muet. Hormis les refus
d’apprendre qui ne relèvent pas de l’erreur, ce comportement
apparaît souvent en début d’apprentissage. Je fais l’hypothèse de
l’émergence d’un espace mutique nécessaire à certains élèves pour
qu’ils apprennent. Ils écoutent la classe, mémorisent, regardent les
lèvres de l’enseignant, attendent une assurance personnelle
suffisante avant de produire les sons demandés en s’engageant
intimement.
À l’inverse, certains élèves n’hésitent pas à chanter sur la première
audition si l’interprétation de l’enseignant est suffisamment incarnée.
Ils chantent ce qu’ils ne savent pas, ils se trompent, rejoignent
comme ils peuvent la ligne mélodique, les paroles plus ou moins
déformées. Je suis convaincu que mes interventions lors de
l’apprentissage du chant ne sont là que pour sécuriser l’élève, lui
dire que le non-chant n’est pas un refus (même si c’est le cas
d’ailleurs), et que j’ai le temps de son propre apprentissage : toute
méthode est acceptable, le “non-chant” doit être déculpabilisé : “Les
voies de la voix sont impénétrables54.” »
En éducation physique
Nous l’avons dit, dans cette discipline, de par une meilleure
formation des enseignants notamment, le travail sur l’erreur est
plutôt avancé. Citons un témoignage qui s’ajoute à d’autres
présentés dans les chapitres précédents.
Nicolas Chervet, professeur d’éducation physique en collège dans le
Rhône, explique comment il essaie de faire évoluer les postures des
élèves dans sa matière et en l’occurrence à travers un sport collectif.
« “Monsieur, aujourd’hui, collectivement, nous sommes capables de
traverser le terrain tous ensemble en faisant moins de quatre passes
et individuellement nous recevons le ballon en courant vers la cage.
C’est super, nous sommes dans le vert foncé et avons dépassé la
compétence fixée… Et pourtant il y a six semaines nous étions dans
le rouge… Nous avons bien progressé.” Apprendre, c’est forcément
prendre du temps et encourir le risque d’échouer. Pourtant les
élèves veulent tout savoir sans apprendre et sans prendre le temps.
Il devient donc nécessaire d’inscrire les élèves dans un temps long
d’apprentissage et de dédramatiser l’erreur. Pour ce faire, l’erreur
s’anticipe, se prépare, afin d’éviter l’enchaînement erreur, échec,
abandon, rejet. J’en suis arrivé à construire une évaluation positive
par compétences et explicite qui se veut simple, visible, lisible et
donc facilement utilisable pour les enseignants et pour les élèves55.
Sur une séquence de sept à dix séances, il s’agit pour chaque élève
de pouvoir se situer sur un tableau à double entrée, séance après
séance, en inscrivant la date du jour. Les élèves peuvent constater
tout le chemin parcouru lors d’une séquence, tous les
apprentissages réalisés, tous les progrès, mais encore plus
comprendre qu’apprendre ça prend du temps et c’est prendre le
risque d’échouer. Afin d’évaluer le domaine 1 du socle commun,
j’identifie la compétence attendue de séquence en deux
observables. Ainsi, si on veut évaluer la compétence à travers
l’activité handball, on va utiliser deux observables : la façon dont
l’élève reçoit le ballon et ce qu’il en fait, et la traversée du terrain à
l’aide de passes.
Chaque séance donne lieu à la mise en œuvre de la situation
complexe. Dans cette séquence handball, il s’agit d’un tournoi à
quatre équipes, mixtes, hétérogènes en leur sein mais homogènes
entre elles. Les équipes qui ne jouent pas observent, arbitrent,
organisent le tournoi et filment les matchs. Le dernier match de
chaque équipe est un moment fort d’attention, car il donnera lieu au
ciblage des élèves (le croisement d’un niveau acquis à l’horizontale
et idem à la verticale). Enfin, chaque couleur permet d’identifier un
niveau de maîtrise de la compétence de séquence visée (vert foncé :
dépassée, vert clair : acquise, jaune : en cours d’acquisition, rouge :
non acquise). Par exemple, collectivement, “nous traversons le
terrain à deux en quatre passes maximum” et, individuellement, “je
reçois mon ballon arrêté et reste arrêté plus de trois secondes”, alors
je suis dans le jaune, et la compétence visée est en cours
d’acquisition, et je note la date du jour. Sur les trois premières
séances, l’enseignant supervise les coobservations et laisse les
élèves se coévaluer. Très souvent, sur les premiers trimestres,
j’explicite les attendus avec les observateurs pour l’utilisation de
l’outil et la compréhension des observables et des niveaux de
maîtrise. À partir de la troisième séance, je délègue
l’évaluation/validation aux élèves pour une autoévaluation/validation
(avec vidéo à l’appui). À chaque séance, cette fiche est sortie et un
positionnement est réalisé avec la date du jour.
En fin de compte, les élèves, qui bien souvent veulent savoir sans
apprendre et sans se tromper, identifient la progressivité de leurs
propres apprentissages. Une progressivité faite parfois de débuts
laborieux, de phases de progression et de stagnation avant de
progresser de nouveau.
L’erreur devient un levier pour mieux apprendre dès lors qu’elle est
explicitée par un enseignement et une évaluation explicite56. Au-delà
de la vitrine, c’est en explorant et en donnant accès à l’arrière-
boutique des apprentissages, de leur évaluation et de leur processus
que tous les élèves peuvent réussir et apprendre, surtout en se
trompant. »
En arts plastiques
On est loin dans les pratiques en arts plastiques du temps où il fallait
reproduire un modèle et suivre les consignes strictes du professeur.
On encourage la créativité, mais aussi la réflexivité sur les
productions qui peuvent être diverses et ne pas se limiter au
« dessin » et les liens avec les œuvres d’art. Là, plus que dans
d’autres domaines, il est parfois difficile de parler « d’erreurs » des
élèves quand il s’agit bien souvent de « bifurcations » par rapport à
une consigne, d’essais parfois infructueux, mais parfois aussi
porteurs d’invention. D’autant que le travail de l’élève s’inscrit le plus
souvent dans un projet. Dans un document très éclairant publié par
le site Éduscol, « Du statut de l’erreur en arts plastiques », et
concernant les divers cycles de l’enseignement obligatoire, il est
écrit notamment : « Il s’agit d’encourager l’élève à tirer parti de ce
qu’il nomme “erreur” et qui est le plus souvent un “écart” par rapport
à son projet. Pour l’enseignant, il s’agit également de passer de
l’erreur, perçue comme un obstacle à dépasser pour construire un
apprentissage précis, à l’essai, pensé comme une véritable
exploration par les élèves de la proposition initiale, un outil pour
construire les apprentissages. » La trop grande sagesse peut être
d’ailleurs un obstacle. Dans cette discipline, appréciée des élèves et
où peuvent réussir des élèves en échec par ailleurs (et inversement,
les notes étant souvent très différentes de la « moyenne » des
autres notes, statistiquement), « [l’élève] découvre qu’il peut tirer
parti de ce qu’il pensait être une difficulté insurmontable pour faire
évoluer son projet. Il apprend également que, dans une démarche
exploratoire, il y a lieu de multiplier les essais, de les observer pour
découvrir l’ensemble des possibles. »
Un autre volet de la discipline est la découverte de productions
artistiques. Laisser dans un premier temps une expression libre sur
ces œuvres est souvent intéressant, cela peut partir dans tous les
sens, mais, dans un second temps, on peut faire le tri, écarter des
erreurs d’interprétation (sur le plan historique par exemple), mais
aussi accueillir des suggestions d’élèves, des rapprochements
auxquels on ne pense pas forcément. Par ailleurs, l’histoire des arts
nous apprend qu’on ne doit pas avoir comme repère une prétendue
« nature » ou « réalité » de laquelle se rapprocherait ou s’écarterait
l’œuvre. L’absence de la perspective au Moyen Âge n’est pas une
« erreur », mais une certaine vision du monde. Les peintures
impressionnistes, rejetées en leur temps comme des aberrations,
nous paraissent davantage en accord avec notre vision des choses
que la peinture académique adulée à l’époque. Ce qu’a déclaré tel
artiste sur son œuvre n’est pas non plus une vérité absolue,
contrairement à une vision étroite qui avait cours jadis. L’histoire des
arts, introduite il y a quelques années de manière systématique, est
une occasion de réfléchir à ce qui est « vrai » ou « faux », mais cela
prend beaucoup plus de force si la démarche est transdisciplinaire.
L’interdisciplinarité
L’interdisciplinarité ou la transdisciplinarité sont trop rares dans notre
système éducatif et les tentatives pour en introduire ont du mal à
passer au stade de l’institutionnalisation (les EPI, enseignements
pratiques interdisciplinaires, en sont un exemple récent, avec les
malheureuses décisions ministérielles qui les marginalisent alors
qu’ils commençaient à « prendre »). Souvent il s’agit de projets
alliant au moins deux matières et c’est sans doute un terrain
privilégié pour travailler sur les erreurs, comme l’explique Guillaume
Caron, professeur de mathématiques au collège Lucien-Vadez à
Calais, qui propose la « pédagogie du chef-d’œuvre » comme une
voie royale pour changer le rapport à l’erreur. Il explique ce que
signifie cette notion quelque peu étrange ainsi que sa fécondité.
« C’est Célestin Freinet, figure marquante de l’“éducation nouvelle”,
qui utilise l’expression, en s’inspirant des brevets scouts. Plutôt
qu’une évaluation normative, basée sur des tests ponctuels, l’idée
est de marquer des réussites globales par le biais de la réalisation
de chefs-d’œuvre. Freinet part du constat que l’évaluation des
microtâches peut présenter l’écueil de faire de l’erreur un simple
échec à cette tâche. Dans le meilleur des cas, cela fournit des
indications sur ce qu’il faudrait retravailler. Bien souvent, cela finit
par constituer un échec, un écart à la norme attendue plutôt qu’un
processus normal, inhérent à tout apprentissage. Plus pernicieux
encore, ces difficultés révélées peuvent se compenser entre elles,
entraînant une forme de relativisme. Une erreur est-elle si grave et à
considérer comme étape d’apprentissage lorsqu’elle est noyée dans
un 14/20 qui satisfait bien du monde ?
Dans une pédagogie du chef-d’œuvre, le statut de l’erreur est tout
autre. C’est une étape “normale” du processus. Il est bien rare de
réaliser un chef-d’œuvre du premier jet, même pour un génie de son
domaine. Réaliser une maquette, un texte publiable dans un journal
ou sur un blog, une exposition, une pièce de théâtre… autant de
réalisations qui passent par des étapes d’ajustements successifs et
pour lesquelles il est normal de se “tromper” pour mieux aboutir. Ce
qui compte à la fin, c’est bien l’aboutissement, personne ne
songerait à “comptabiliser” des tâtonnements, des erreurs dans de
telles productions.
Pour autant, une pédagogie du chef-d’œuvre amène une vigilance
que chaque enseignant doit avoir en tête. Sous prétexte de la
production d’une réalisation finale particulièrement réussie, il pourrait
y avoir une confusion entre réussite de la tâche et réussite de
l’apprentissage. L’enseignant, voulant que l’élève aboutisse dans
son chef-d’œuvre, peut, de manière plutôt inconsciente, lever les
obstacles (qui se manifestent par des erreurs ou des blocages). La
réalisation est alors privilégiée au détriment de l’apprentissage. En
ce sens, une pédagogie du chef-d’œuvre demande une part
importante d’explicitation pour éviter un de ces “malentendus
cognitifs” évoqués par Élisabeth Bautier et Patrick Rayou57. Le
traitement des erreurs, en particulier, doit générer un véritable
apprentissage, clairement identifié dans la réalisation du chef-
d’œuvre. Accepter de s’arrêter pour apprendre individuellement ou
collectivement d’une erreur paraît être un élément indispensable
constitutif d’une prise en compte de l’erreur pour apprendre. »
Et le coauteur de l’ouvrage au titre très explicite, Osez les
pédagogies coopératives au collège et au lycée, publié par ESF
sciences humaines en 2018, de donner un exemple dans sa
discipline.
« Dans nos classes coopératives, nous utilisons des ceintures pour
évaluer nos élèves. En mathématiques, l’obtention de la ceinture
noire de “Tableur, Algorithmique, Programmation” passe par la
réalisation d’un chef-d’œuvre. Il s’agit pour les élèves de réaliser un
petit programme ou un petit jeu à l’aide, par exemple, du logiciel
Scratch. Les critères de réussite sont précisés aux élèves dans le
tableau descriptif des ceintures. Il s’agit alors, pour eux, d’identifier
les savoirs scolaires à mettre en œuvre pour la réussite de leur chef-
d’œuvre. Le chemin pour aboutir à un projet finalisé est semé
d’embûches. Les erreurs peuvent être identifiées et traitées par les
élèves eux-mêmes (qui s’aperçoivent des dysfonctionnements de
leur programme), au bureau avec l’enseignant lors des séances de
travail individualisé, avec un autre élève reconnu expert dans le
domaine concerné ou en collectif lorsque le professeur demande à
l’élève d’exposer son problème à la classe. C’est alors une source
d’apprentissage collectif. Enfin, à la fin du chef-d’œuvre, l’élève le
présente lors d’une “conférence d’élève”. Il est alors invité à
expliquer son cheminement à la classe, en incluant ses blocages et
ses erreurs. »
Un exemple, Clément
Clément crée un jeu de pong (une balle qui bouge et qu’il faut arrêter avec une barre
que l’on déplace) pour réaliser son chef-d’œuvre de ceinture noire de « Tableur,
Algorithmique et Programmation ». Son jeu prend forme graphiquement, il est
opérationnel mais il lui manque un compteur de points. Pour cela, il crée une variable à
laquelle il ajoute 1 dès que la boule est stoppée par la barre. Cela se matérialise avec
une structure “Si… alors…” dans Scratch. Afin que son compteur de points reparte à
zéro en début de partie, il indique dans son script “mettre points à 0”. Le choix qu’il fait
pour placer son bloc pose souci, si bien que le score passe de 0 à 1 puis reste bloqué
à 1 ensuite. Dans le cadre d’une évaluation “classique”, son erreur aurait été corrigée
après coup. L’impact aurait probablement été mineur puisque son projet était déjà
plutôt bien abouti. Dans une logique de chef-d’œuvre, cette erreur ne constitue qu’une
étape. Dans ce cas précis, Clément est allé présenter l’état de son travail à la classe et
a expliqué son problème, ce qui constitue un réel travail de verbalisation de l’erreur. La
classe prend alors quelques minutes de réflexion pour que chacun puisse réfléchir au
problème et apporter des idées à Clément pour surmonter cet obstacle. L’erreur,
relativement classique, qu’il a commise est donc devenue un objet de travail ponctuel
pour la classe. Clément a pu finaliser son chef-d’œuvre et devenir une ressource pour
la classe sur cette thématique. Des élèves confrontés à des problèmes de compteur
dans la création de jeux ont régulièrement sollicité Clément… qui a donc largement
intégré et résolu son erreur, devenue un fort levier pour apprendre.
En bref
Il y a à tirer parti du travail sur les erreurs dans chaque discipline :
partir des représentations des élèves, du moins celles qui « valent le coup »
d’être analysées pour un dépassement qui n’est pas simple, car elles peuvent
être opératoires dans le quotidien ;
réfléchir à ce qui fait la spécificité de telle ou telle approche disciplinaire,
notamment dans l’établissement de la « vérité », si différente entre une approche
scientifique et une démarche créative et artistique ;
l’interdisciplinarité, paradoxalement, fait mieux ressortir les spécificités de
chaque discipline mais permet aussi de travailler sur l’oral, les erreurs de
communication à corriger…
48. https://docplayer.fr/778012-De-la-representation-en-tuyaux-au-concept-de-milieu-
interieur.html
49. Gabrielle Zimmerman, Elena Pasquinelli et Mathieu Farina, Le Pommier, 2018.
50. Cécile de Hosson, « La controverse historique : un outil didactique - partie 2 », Bulletin
de l’Union des physiciens, no 870, 2005, p. 29-42.
51. Bruno Latour, « Science et raison : une comédie des erreurs », La Recherche, hors-
série, no 14, 2004, p. 82-85.
Guillaume Lecointre, « Créationnismes, croyances, et contour des sciences », Sciences &
pseudo-sciences, 2009, no 288. En ligne : https://www.pseudo-sciences.org/spip.php?
article1278 (lien vérifié le 3 novembre 2018).
52. http://www.wikistrike.com/article-retour-sur-les-perles-du-bac-118584072.html
53. Gabrielle Konopczynski, « Les enjeux de la voix », dans Marie-France Castarède et
Gabrielle Konopczynski, Au commencement était la voix, Érès, 2005, p. 40.
54. Jean-Claude Lafon, cité par Gabrielle Konopczynski, ibid.
55. Travail entrepris il y a maintenant quatorze ans à l’IUFM, en stage long, avec deux
collègues stagiaires, les formateurs EPS. Ce travail a été ensuite développé à titre
personnel dans d’autres APSA.
56. « Enseigner plus explicitement ». un dossier ressource. Dossier auquel j’ai participé et
que j’ai coordonné au centre Alain Savary/IFé/ENS, http://centre-alain-savary.ens-
lyon.fr/CAS/documents/publications/docs-enseignement-plus-explicite/dossier-ressource-
explicite
57. Les Inégalités scolaires d’apprentissage programmes : pratiques, malentendus
scolaires, PUF, 2009.
11. Travailler sur les méthodes,
au-delà des découpages
disciplinaires
Le temps nécessaire
Estimer le temps nécessaire pour faire un travail et gérer avec
efficacité ce temps s’apprend. Il s’agit pour les élèves de trouver le
« bon braquet », en sachant aller vite quand c’est nécessaire et plus
lentement quand c’est indispensable. Il ne s’agit pas pour le
professeur d’édicter que chacun doit aller à son rythme, pas plus
bien sûr que d’en rester au « marche ou crève ! », même dit moins
brutalement. On peut, dans des moments d’accompagnement
personnalisé, entraîner les élèves à aller plus rapidement : à
survoler un texte quand il faut chercher une information, à le
décortiquer avec minutie lorsque « chaque mot compte ». Certains
élèves ont fini avant tout le monde : cela peut être signe d’efficacité
comme au contraire d’envie de se débarrasser le plus vite possible
du travail. De même y a-t-il une « bonne lenteur » et une autre qui
vient d’une gestion du temps inadéquate. Certains restent bloqués
par une question à laquelle ils ne savent pas répondre, ne calculent
pas bien le temps qu’il leur faut. Pour certains élèves, le temps est
d’abord une « ressource », pour d’autres une contrainte. Quand le
professeur annonce qu’ils ont dix minutes pour finir un exercice, pour
certains « il y a encore » dix minutes, pour d’autres « il n’y a plus
que dix minutes ». Bien sûr, plus on descend dans les petites
classes, plus la gestion du temps est difficile et doit être
accompagnée, mais il n’est pas trop tôt pour commencer !
L’ordinateur et l’erreur
L’usage du numérique, sous ses formes les plus diverses, modifie-t-il le rapport à
l’erreur ? En fait, les réponses sont plurielles. Faisons simplement quelques remarques
sur un sujet qui mériterait des études approfondies :
1. on sait que lorsque des élèves s’entraînent sur ordinateur, ils peuvent se tromper
plus « tranquillement », sans être trop affectés par les signalements d’erreur du
logiciel ;
2. d’un côté, une petite erreur de détail peut empêcher un accès à un logiciel et mal
orienter une recherche : cela inciterait à plus de rigueur ;
3. mais, d’un autre côté, le petit miracle du numérique est que souvent le mot mal
tapé est corrigé (« essayer plutôt avec cette orthographe »), et sur son
smartphone le message peut se corriger facilement, si on s’en donne la peine.
L’écriture dite « intuitive » peut être aussi un bon outil qui demande cependant
une relecture pour éviter parfois les « bourdes » quand on a laissé écrire un mot
à la place d’un autre ;
4. d’un côté, l’ordinateur permet d’utiliser un brouillon plus facilement, dès lors
qu’on peut se corriger sans avoir tout à retaper, et on peut dialoguer avec le
professeur si celui-ci par exemple met dans la marge des remarques avec la
fonction « commentaires » ;
5. d’un autre côté, on connaît les pratiques de copier-coller intempestives, même si
les élèves peuvent commettre l’erreur de méconnaître les possibilités de
repérage des tricheries et plagiats.
Sur tous ces points, il est encore essentiel de former les élèves au bon usage de ces
formidables outils, en se défaisant des mythes du digital native dénoncés par des
chercheurs comme André Tricot58 : comment justement utiliser des fonctionnalités de
traitement de texte comme la révision ou les commentaires, comment copier-coller
intelligemment, comment choisir des illustrations, comment se servir du courriel (en
n’envoyant pas le message trop vite par exemple) et bien sûr comment chercher sans
perdre trop de temps, en résistant à la tentation de cliquer sur les liens hypertextuels,
etc.
la généralisation abusive ;
la confusion corrélation-cause déjà évoquée ;
la confusion entre conséquence et postériorité ;
l’argument d’autorité ;
le renversement de la charge de la preuve ;
l’appel à la popularité.
Exemples de pratiques
De nombreux enseignants ont pris à bras-le-corps le problème de la
lutte contre les fausses informations. Le sujet dépasse d’ailleurs le
cadre de ce livre, et nous nous contenterons de n’indiquer que
quelques pistes.
Le travail sur la vérification des sources est primordial. Le but est de
mettre en place des échelles de fiabilité et des critères qui
permettent de valider ou non telle ou telle source. Sans que cela
invalide l’information, lorsque la source est liée à certains intérêts,
elle est moins fiable. Pour ma part, j’ai fait travailler sur le sujet des
élèves de quatrième, et je posais aussi la question sur des sujets
touchant directement aux élèves dans leur environnement scolaire.
Une information selon laquelle le professeur est absent est plus
crédible lorsqu’elle vient d’un membre de l’administration que quand
c’est une nouvelle qui circule de bouche à oreille.
Nous avons également travaillé sur la comparaison entre
informations dans un conflit armé selon qu’elles venaient d’un camp
ou d’un autre ou d’une instance neutre. On sait combien, lors des
guerres, la propagande tord la réalité. Occasion aussi de travailler
sur ces formes qui permettent d’exprimer l’incertitude : l’usage du
conditionnel, les « il semble que » ou les « selon telle source
d’information ».
Je fais « C’est vrai parce Les médias sont Analyse comparée d’une
décrypter les que je l’ai lu dans aujourd’hui supplantés information diffusée par
médias. le journal » ne par ce qui circule sur des médias différents.
vaut pas mieux les réseaux sociaux. Il On peut même voir sur
que « dans les faut parvenir à montrer Internet l’évolution de
journaux, ils nous qu’il y a bien plus cette info d’une heure à
mentent tous ». d’erreurs dans cette l’autre, dialoguer avec un
circulation que ce qui journaliste autour de la
vient de fabrique de l’information,
professionnels. utiliser les outils du
CLEMI..
En bref
Les croyances, les préjugés sont source de nombreuses erreurs. Il est nécessaire en
classe de travailler sur l’établissement de la vérité : vérification des sources, utilisation
d’une méthodologie rigoureuse, mise en garde contre les pièges et biais cognitifs.
Il n’est pas facile de lutter contre la désinformation, les fausses sciences, les « vérités
alternatives » à l’heure des réseaux sociaux. Rendre les élèves actifs, « semer des
graines » est plus productif que de vouloir éradiquer les croyances erronées, et c’est un
travail de longue haleine.
les enseignants ont remarqué que l’élève avait fait un tri dans
les différentes énumérations : Alexandre a en effet regroupé les
objets ludiques – jeux et accessoires de sport – d’une part et
les affaires scolaires d’autre part ;
les participants ont également noté la suppression des posters
fixés au mur, dans la version finale ;
le déplacement de la phrase “Je crois que sa maman a laissait
tomber” est également souligné.
Dix activités pour faire travailler les élèves sur leurs erreurs
En bref
La formation des enseignants est essentielle pour opérer ces nécessaires
transformations des pratiques concernant l’erreur.
Il s’agit à la fois :
Des ouvrages :