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Parcours 

: la bonne éducation.
Textes complémentaires.

→ Ce ne sont pas des lectures linéaires. Ces textes peuvent vous aider à trouver des
arguments et des exemples pour l’essai.

I) L'éducation humaniste :
Texte 1 : François Rabelais, Pantagruel, Chapitre VIII, (1532).
Comment Pantagruel qui était à Paris reçut une lettre de son père Gargantua dont
voici la copie.

[…] « Bien que feu mon père Grandgousier, qui n’a laissé que de bons souvenirs,
eût apporté tous ses soins à me faire progresser en perfection et savoir politique, et que
mon travail et mon application répondissent tout à fait à son désir, et même l’aient
dépassé, le temps cependant, tu le sais bien, n’était pas aussi propice ni favorable à
5 l’étude des belles-lettres1 qu’il l’est à présent et je n’ai pas eu autant et d’aussi bons
précepteurs que toi. […]
« Maintenant toutes les études sont restaurées, les langues mises à l’honneur : le
grec, sans la connaissance duquel ce serait une honte de se dire savant, l’hébreu, le
chaldéen2, le latin. Les livres imprimés, si élégants et si corrects, sont en usage, dont
10 l’invention, de mon vivant, est due à l’inspiration divine, comme, au rebours, l’artillerie à
une suggestion diabolique. Le monde entier est plein de gens savants, de précepteurs très
doctes, de bibliothèques très vastes, au point qu’il n’y avait pas, au temps de Platon 3, de
Cicéron ou de Papinien, autant de facilités pour étudier qu’il s’en trouve maintenant ; et
désormais on ne devra plus paraître en public, ou en quelque compagnie sans être bien
15 affiné dans l’atelier de Minerve 4. Je vois les brigands, les bourreaux, les soldats, les
palefreniers5 d’à présent plus doctes que les docteurs et prêcheurs de mon temps.
« Que dire encore ? Les femmes et les filles ont aspiré à cette gloire, à cette manne
céleste6 du beau savoir. C’est pourquoi, mon fils, je t’engage à employer ta jeunesse à
bien profiter en savoir et en vertu. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon : l’un par
20 un enseignement vivant et oral, l’autre par de louables exemples peuvent te former.
J’entends et je veux que tu apprennes parfaitement les langues : d’abord le grec, comme
le veut Quintilien7, en second lieu le latin, puis l’Hébreu pour l’Ecriture sainte, le chaldéen
et l’arabe pour la même raison, et que tu formes ton style sur celui de Platon pour le grec,
de Cicéron pour le latin. Qu’il n’y ait pas de faits historiques que tu ne gardes présents à la
25 mémoire, ce à quoi t’aidera la description de l’univers par les auteurs qui ont traité ce
sujet. Quant aux arts libéraux 8, géométrie, arithmétique et musique, je t’en ai donné le
goût quand tu étais encore tout petit, à cinq ou six ans ; continue : de l’astronomie,

1
Etude des belles-lettres : relatif à la culture littéraire et à la connaissance du grec et du latin.
2
Chaldéen : de Chaldée, ancien pays de Mésopotamie.
3
Platon, Cicéron, Papinien : Platon (v.428-v.348 av. J.C) disciple de Socrate est un philosophe grec ; Cicéron (v.106
v. 43 av. J.C) et Papinien (142-212) sont quant à eux romains : le premier est à la fois un philosophe, un orateur et
un homme d’Etat ; le second est juriste.
4
Minerve : déesse de la sagesse.
5
Palefrenier : personne chargée des soins des chevaux. Par extension, homme grossier, rustre.
6
Manne céleste : dans l’Ancien Testament, la manne est la nourriture miraculeusement donnée aux Hébreux dans le
désert. Par extension, ce terme peut qualifier tout ce qui arrive de manière inespérée et quasi providentielle.
7
Quintilien : penseur latin du Ier siècle.
8
Arts libéraux : à l’origine, arts dignes d’un homme libre qui comprennent la grammaire, la dialectique, la
rhétorique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique.
apprends toutes les règles. Mais laisse-moi l’astrologie divinatoire et l’art de Lullius 9, qui
ne sont qu’abus et futilités. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes
30 et me les commente avec sagesse.
« Quant à la connaissance de la nature, je veux que tu t’y appliques avec soin : qu’il
n’y ait mer, rivière, ni source dont tu ne connaisses les poissons ; tous les oiseaux de l’air,
tous les arbres, arbustes, buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les
métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de toutes les contrées d’Orient et du
35 Midi, que rien ne te soit inconnu.
« Puis, relis soigneusement les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans
mépriser les talmudistes10 et les cabalistes, et, par de fréquentes dissections, acquiers une
parfaite connaissance de cet autre monde qu’est l’homme. Et quelques heures par jour,
commence à lire l’Ecriture sainte, d’abord en grec le Nouveau Testament et les Epîtres
40 des apôtres, puis en Hébreu l’Ancien Testament. En somme, que je voie en toi un abîme
de science, car maintenant que tu deviens homme et te fais grand, il te faudra quitter la
tranquillité et le repos de l’étude et apprendre l’art de la chevalerie et les armes pour
défendre ma maison et secourir nos amis dans toutes leurs difficultés contre les attaques
des fauteurs de troubles. Et je veux que bientôt tu mesures tes progrès : pour cela, tu ne
45 pourras mieux faire que de soutenir des discussions publiques sur tous les sujets, envers
et contre tous, et de fréquenter les gens lettrés tant à Paris qu’ailleurs.
« Mais parce que, selon le sage Salomon 11, la sagesse n’entre pas dans une âme
méchante et que science sans conscience 12 n’est que ruine de l’âme, il te faut servir, aimer
et craindre Dieu et en lui mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et par une foi faite
50 de charité13, t’unir à lui de façon à n’en être jamais séparé par le péché. Méfie-toi des abus
du monde. Ne t’adonne pas à des choses vaines, car cette vie est transitoire, mais la
parole de Dieu demeure éternellement. Sois serviable à ton prochain et aime-le comme
toi-même. Révère tes précepteurs, fuis la compagnie de ceux auxquels tu ne veux point
ressembler, et ne reçois pas en vain les grâces que Dieu t’a données. Et quand tu verras
55 que tu as acquis tout le savoir qu’on acquiert là-bas, reviens vers moi afin que je te voie et
que je te donne ma bénédiction avant de mourir.
« Mon fils, que la paix et la grâce de Notre-Seigneur soient avec toi, amen.
D’Utopie, ce dix-sept mars,
« Ton père Gargantua. »
1. Qui écrit ? A qui ? Dans quel but ?
2. Quelles sont les enseignements préconisés par Gargantua ?
3. Quelle(s) remarque(s) pouvez-vous faire en ce qui concerne la quantité de savoirs
à acquérir ?
4. Quel est le précepte le plus important pour Gargantua ?

9
Lullius : Rabelais n’a pas cessé durant sa vie de critiquer les sciences occultes comme l’astronomie divinatrice, qui
prétend lire et prédire l’avenir, ou encore l’alchimie dont Raymond Lulle au XIIIe siècle est un des plus fameux
représentants.
10
Talmudistes et cabalistes : le Talmud et la Kabbale relèvent d’une longue tradition juive. Le Talmud en effet est
l’ouvrage qui recueille l’enseignement des plus grands rabbins ; la Kabbale constitue quant à elle une interprétation
symbolique et mystique de l’Ancien Testament.
11
Salomon : roi d’Israël à qui l’on doit, dans l’Ancien Testament, les Proverbes qui font figure de sagesse.
12
Science sans conscience : ces deux termes ont la même racine étymologique. Conscience signifie en premier lieu le
fait de partager un savoir avec quelqu’un. Mais au XVIème siècle la notion de conscience acquiert progressivement
la signification morale de connaissance, plus ou moins intuitive, du bien et du mal.
13
Charité : amour du prochain. Selon saint Paul, elle constitue la première des vertus.
Texte 2 : Montaigne, Les Essais, (1580-1588), livre I, chapitre 26 pp.260 à 262.
1. Qui est Montaigne ?
2. Quel reproche adresse-t-il à la manière d'enseigner à son époque ?
3. Que préconise-t-il à la place ?
II) Des méthodes d'apprentissage à adopter... ou non : Se référer au texte de
Montaigne ci-dessus…
Texte 3 : Eugène Ionesco, La Leçon, 1951, éd. Gallimard.
Dans La Leçon (1951), Eugène Ionesco met en scène un professeur qui tente d'enseigner son
savoir à une jeune élève. Très patient et doux au début, il perd peu à peu son calme.
LE PROFESSEUR - Toute langue, Mademoiselle, sachez-le, souvenez-vous-en jusqu'à
l'heure de votre mort…
L'ELEVE - Oh ! Oui, Monsieur, jusqu'à l'heure de ma mort... Oui, Monsieur…
LE PROFESSEUR - ...et ceci est encore un principe fondamental, toute langue n'est en
5 somme qu'un langage, ce qui implique nécessairement qu'elle se compose de sons, ou…
L'ELEVE – Phonèmes…
LE PROFESSEUR - J'allais vous le dire. N'étalez donc pas votre savoir. Écoutez, plutôt.
L'ELEVE - Bien, Monsieur. Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR - Les sons, Mademoiselle, doivent être saisis au vol par les ailes pour
10 qu'ils ne tombent pas dans les oreilles des sourds. Par conséquent, lorsque vous vous
décidez d'articuler, il est recommandé, dans la mesure du possible, de lever très haut le
cou et le menton, de vous élever sur la pointe des pieds, tenez, ainsi, vous voyez…
L'ELEVE - Oui, Monsieur.
LE PROFESSEUR - Taisez-vous. Restez assise, n'interrompez pas... Et d'émettre les
15 sons très haut et de toute la force de vos poumons associée à celle de vos cordes
vocales. Comme ceci : regardez : "Papillon", "Euréka", "Trafalgar", "papi, papa". De cette
façon, les sons remplis d'un air chaud plus léger que l'air environnant voltigeront,
voltigeront sans plus risquer de tomber dans les oreilles des sourds qui sont les véritables
gouffres, les tombeaux des sonorités. Si vous émettez plusieurs sons à une vitesse
20 accélérée, ceux-ci s'agripperont les uns aux autres automatiquement, constituant ainsi des
syllabes, des mots, à la rigueur des phrases, c'est-à-dire des groupements plus ou moins
importants, des assemblages purement irrationnels de sons, dénués de tout sens, mais
justement pour cela capables de se maintenir sans danger à une altitude élevée dans les
airs. Seuls, tombent les mots chargés de signification, alourdis par leur sens, qui finissent
25 toujours par succomber, s'écrouler…
L'ELEVE - ... dans les oreilles des sourds.
LE PROFESSEUR - C'est ça, mais n'interrompez pas... et dans la pire confusion...Ou par
crever comme des ballons. Ainsi donc, Mademoiselle...(L'Elève a soudain l'air de souffrir).
Qu'avez-vous donc ?
30 L'ELEVE - J'ai mal aux dents, Monsieur.
LE PROFESSEUR - Ça n'a pas d'importance. Nous n'allons pas nous arrêter pour si peu
de choses. Continuons...

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